MAJ 13/04/2023
Ixezede
Ixezede
Este   Suite ferraraise   Este
Un grand merci à la Bibliothèque numérique romande  d'avoir accepté mon projet de suite ferraraise.
Le Morgant de Pulci est le dernier mot (burlesque) de la tradition "carolingienne" que Boiardo révolutionne : Amour est celui seul qui peut acquérir renommée et honneur perpétuel aux hommes... Dans la cour chrétienne de Charlemagne que n'agitent que des rivalités d'ambition, Boiardo lance et fait exploser la bombe sexuelle qu'est la trop désirable Angélique. Une génération plus tard, l'Arioste exploite le filon. Une génération après, le Tasse tente une contre-révolution. Fortiguerri conclut par une plaisante parodie.



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Morgant T1 Morgant T2 V. 1 & 2
Luigi Pulci, Morgant le géant (1478 et 1483), trad. Anonyme parisien 1517, adaptation 2019 prospectus
Introduction à  la présente adaptation
L'Amoureux T1 L'Amoureux T2 V. 3 & 4
Matteo Boiardo, Roland amoureux (1483 et 1495), trad. (imitation) Lesage 1717  prospectus
histoire du texte
INÉDIT depuis 1614: Roland amoureux, trad. intégrale Vincent, 1549 & 1550   trad. Vincent 1549
Le furieux T1 Le furieux T2 V. 5 & 6
Ludovico Ariosto, Roland furieux (1516 et 1532), trad. Reynard 1880  prospectus
Tasse 1 Tasse 2 V. 7 & 8
Torquato Tasso, la Jérusalem délivrée (1581), trad. La Madelaine 1841    prospectus
Richardet1 Richardet2 V. 9 & 10 Niccolo Fortiguerri, Richardet (1738), trad. en vers Mancini-Nivernois 1796    prospectus

Pulci, Morgant le géant    download

Le florentin Luigi Pulci (1432-1484) fut de ces hommes facétieux et mordants qui amusaient Laurent de Médicis (Lorenzo il Magnifico) et dont Savonarole fit brûler les œuvres.
Le burlesque Morgante ressemble à ce qu'aurait écrit Rabelais s'il avait voulu raconter les aventures des Paladins de Charlemagne : un géant truculent armé d'un battant de cloche ; des héros farceurs, paillards et souvent grossiers ; des digressions pseudo-érudites ; un empereur stupide et rimbambito ; un archi-traître inlassable... La présente traduction française en prose de 1517 n'a plus été éditée depuis 1625. En élaguant le récit de Pulci de ses excroissances les plus carnavalesques, elle nous restitue l'état de l'art de la chanson carolingienne outremonts, avant la "révolution ferraraise".
Cinq siècles plus tard, le langage de l'Anonyme parisien ne nous est pas totalement compréhensible. L'adaptation a
visé un équilibre entre le respect d'un texte savoureux et sa lisibilité. Notre Tome 1 reprend le premier tiers (Chap. 2 à 44) qui constitue un cycle complet : exil de la cour, aventures en Barbarie, retour pour sauver Charlemagne, nouvel exil.

Notre tome 2 contient la suite (chapitres 44 à 134). . Ce  nouveau cycle d'aventures et de trahisons se termine par l'apocalypse de Roncevaux. Roland, prisonnier de l'Emir de Perse, est secouru par Renaud et les autres barons. Trahis par le Soudan, le Grand Seigneur de l'Orient, ils prennent Babylone et les péripéties se multiplient. Outre les habituels tyrans, lions, dragons, géants démesurés, et belles princesses (Rosemonde, Lucienne, Anthée), il y a un centaure, une baleine enragée, une sorcière d'Enfer, des amazones... Et l'immense Morgant est tué par une petite bête. Ganelon, le malfaisant perpétuel, frôle plusieurs fois le châtiment. Comme s'il se savait condamné, il joue perdant/perdant. Le "Crépuscule des Héros" de Roncevaux lui sera fatal. Seul Regnaut l'insoumis échappe au destin : déjà en marge puisque resté en Barbarie, il arrive à temps à Roncevaux grâce à un diable envoyé par Maugis puis, tous ses amis morts, quitte définitivement la cour.

Boiardo, Roland amoureux   (trad. Lesage 1717)  download


Pourquoi lire ce Roland Amoureux écrit en 1483 ? parce que c'est plaisant ! Les amateurs de romans à rebondissement ou d' heroic fantasy l'apprécieront. Et même peut-être les "mangavores" s'ils supportent l'absence d'images. On ne peut pas raconter cette suite échevelée d'épisodes qui, de la Chine à l'Afrique, opposent héroïnes et héros les uns aux autres, à des géants, à des dragons, à des enchanteurs et des enchanteuses sans autre logique que la tentation de l'aventure et sans autre règle que l'honneur..
Du point de vue littéraire, on trouvera ici la base du Roland furieux et la matrice de la Jérusalem délivrée: Chrétiens et Sarrasins à la mode de la Table Ronde. L'œuvre de Matteo Maria Boiardo (1441/1494), comme plus tard celle de L'Arioste et du Tasse, est le produit de la splendeur de Ferrare. Ecrit dans une Italie du Nord imprégnée des chansons de geste et romans chevaleresques "français", le poème de Boiardo situe l'action à la cour de Charlemagne. Ses héros sont des enragés (Renaud, Roland, Roger, Rodomont, Ferragus...) fiers de leur force et de leur loyauté, quoique la magie dont ils bénéficient (invulnérabilité, armes enchantées, sortilèges) ne soit pas très "fair play". Les guerrières (Bradamante, Marphise) leur sont identiques, sauf lorsqu'elles quittent leur casque et révèlent une beauté ravageuse. D'autres héroïnes (Angélique, Fleur-de-Lys...) vont et viennent au gré des combats et des poursuites. L'amour et la haine, tantôt naturels, tantôt surnaturels (fontaines fatales), est le moteur de péripéties que traversent les enchantements (Falerine, Morgane, Maugis...).
La dernière version française du Roland amoureux est celle de Lesage (1717) que nous reprenons ici. L'auteur de Gil Blas, sur la base de la traduction de Rosset (1618), procède à des aménagements qui lui valent d'être traité d'adaptateur. Nous ne nous en plaindrons pas : il met un peu d'ordre dans la narration et de vraisemblance dans la géographie (cf. sa préface). Son style plaira à ceux qui préfèrent lire les Mille et une nuits dans la traduction de Galland plutôt que dans celle de Mardrus.
Comme le fit en 1717 l'éditeur de Lesage, nous la divisons en deux tomes. Le second volume s'ouvre sur la grande entreprise d'Agramant qui, avec tous les rois d'Afrique, décide d'asservir les Chrétiens. Pour réussir, il leur faut le concours du super-héros Roger (nourri à la moelle de lion quand bébé) qu'ils vont chercher dans le palais enchanté où Atlant le confine pour le protéger. Roger le sarrasin et Bradamante la chrétienne se rencontreront au combat et admireront leur valeur. Ces héros parfaits s'éprendront l'un de l'autre : Hé quoi ! s'écria le prince fort surpris, vous êtes fille... Oui, repartit Bradamante...En disant cela, elle délaça son casque ; et, en l'ôtant, ses beaux cheveux blonds tombèrent le long de ses épaules...Les grâces paraissaient faire leur séjour sur ses lèvres et sur ses joues...A la vue de tant de beautés, le jeune Africain...en fut atteint jusqu'au cœur...Ainsi commencent les chassés-croisés au terme desquels ils engendreront la dynastie des Este, ducs de Ferrare (dont Lesage a la bonté de nous épargner les louanges).
Le tome et l'ouvrage se terminent par un retournement stratégique : pendant des centaines de pages, la belle Angélique a bouilli d'amour pour l'indifférent Renaud. Soudain, ce dernier boit à la fatale fontaine : la passion s'empare de lui au moment où, de son côté, dans la même forêt des Ardennes, Angélique boit à l'autre fontaine, celle du désamour ! Et tout repart en sens inverse ! Entre temps, Roland aura dissipé l'enchantement des jardins de Falerine, obligé la fée Morgane à libérer ses prisonniers et l'aura convaincue que Ziliant l'aimera mieux s'il est libre... Et de nombreuses histoires incidentes nous auront été contées.

Lectures conseillées:

 Lecteur pressé ? Lisez l'Abrégé par Tressan (1780):    epub    on line 

L'Arioste, Roland furieux      download

Nous reprenons ici la traduction en prose de Francisque Reynard (1880). Elle respecte la structure en huitains du poème (ottava rima), ce qui, sans gêner la lecture, donne une idée du rythme. Notre premier tome rassemble les volumes 1 et 2, le second les 3 et 4.
Une génération après le Roland amoureux de Boiardo, dans la même tradition de mixage de Charlemagne et d'Arthur, au même endroit (Ferrare), avec la même ambition (divertir et célébrer la famille régnante), le divin Arioste (1474-1533) compose le Furieux (1516) qui continue l' Amoureux et, prétend-on, le dépasse.
La rare beauté d'Angélique, princesse de Chine, a provoqué une étrange érotomanie parmi les paladins de Charlemagne et les héros sarrasins. Ils se la disputent à d'innombrables reprises,  se donnant de grands coups de lance et d'épée. Pendant que les chasseurs se battent, la proie s'enfuit, aidée parfois d'un peu de magie. Comme pour les décevoir, elle s'éprend, par accident, de Médor, un beau Sarrasin subalterne. Roland, rencontrant les traces de leur passion réciproque, devient fou furieux. Il erre à travers le monde, détruisant tout et tous.
Ce thème s'entrecroise avec la continuation des aventures des personnages du Roland amoureux : Renaud à la poursuite d'Angélique, Bradamante et Roger en quête l'un de l'autre, Brandimart et Fleur-de-Lys perpétuellement séparés, l'altière Marphise, le terrible Rodomont...les combats des Sarrasins et des Chrétiens à Paris, Arles, Biserte...Les fées ne manquent pas, mauvaises (Alcine) ou bonnes (Mélisse) ; ni les magiciens (Maugis, Atlante) ; ni les ermites, lubriques ou saints, ni bien sûr les châteaux enchantés, les géants et monstres de toutes sortes. Il y a même un voyage au Paradis et sur la Lune, avec miracles incorporés. Les histoires s'entremêlent, coupées d'aventures incidentes, interrompues par des contes moraux ou non, parmi lesquels il faut remarquer (notre T2) : la persécution des femmes par Marganor ; l'histoire de Joconde ; le jeu de genres de Bradamante au chateau de la Roche Tristan, celui de Marphise avec les lois de chevalerie (Gabrine)..., le tout, hélas, scandé par la fastidieuse célébration des grands hommes et grandes dames de Ferrare et les itératives louanges des Ducs de Ferrare, passés, présents et futurs.
Le thème dominant est, bien sûr, la folie amoureuse :
  • Celle de Roland s'affirme de façon spectaculaire et invincible après qu'il ait perdu tout espoir d'attraper Angélique. Sa fureur est tellement irréductible que, pour lui mettre fin, l'auteur doit transformer en super-héros l'insignifiant Astolphe : avec l'aide de St Jean l'évangéliste et de nombreux miracles, Astolphe va aux enfers, au paradis et sur la lune, conquiert l'Afrique, écrase les Sarrasins, retrouve Roland et lui rend la raison.
  • Celle de Rodomont : repoussé par Doralice, il décide de haïr toutes les femmes...et  s'éprend absolument d'Isabelle qui lui échappe par la mort. Il lui élève un monument et, enragé, défie tous ceux qui passent pour alimenter son tombeau en trophées.
  • Celle de Bradamante dont les chassés-croisés avec Roger deviennent dramatiques : Roger, avant de se convertir pour l'épouser, se sent obligé de remplir son devoir envers son roi (sarrasin), Agramant. Blessé, il est soigné par Marphise que Bradamante, aveuglément jalouse, essaie de tuer en combat, ainsi que le traître Roger ! Quand Roger se fait enfin chrétien et épousable, on apprend que les parents de Bradamante l'ont fiancée à Léon, le fils de l'empereur de Constantinople. Et voilà que Roger et Léon se prennent d'une telle affection l'un pour l'autre que le premier combat Bradamante et la gagne pour le compte du second ! Mais tout finit bien, malgré un dernier coup de sang de Rodomont : les ducs de Ferrare naîtront !

Lectures conseillées:

Le Tasse, Jérusalem délivrée     download

Oublions que le Tasse a renié sa Jerusalem délivrée, oublions le poète maudit, oublions l'Arioste, oublions la longue controverse duroman et de l'épopée, oublions Goethe et Byron, oublions Chateaubriand et les croisades...oublions tout et lisons la Jérusalem. Quoique une version en français et en prose ne soit qu'une approximation, nous avons choisi la traduction de Philipon de la Madelaine qui restitue la grandiloquence du Tasse. L' édition grand public de 1841 est accompagnée des illustrations "gothiques" qu'on aimait alors.

A Ferrare, une génération après l'Arioste, deux après Boiardo, nous retrouvons l'univers merveilleux de la littérature chevaleresque qu'ils ont illustré : des guerriers enragés ; des combats aussi sanglants qu'héroïques ; des femmes d'épée (la pâle Gildippe et la flamboyante Clorinde) ; une enchanteuse ravissante (dans les deux sens du mot) ; des magiciens et des esprits malfaisants (Ismen, diables) ou bienfaisants (ermites, anges) ; des miracles infernaux et célestes à foison ; l'inévitable ancêtre de la maison d'Este (Renaud, à la fois Achille et Roger)...
Mais, ici, la composition est plus dramatique : d'une part, le discours divisé se resserre  sur une action principale, la prise de Jérusalem par Godefroi de Bouillon ; d'autre part, l'humour et l'ironie des Roland, leur joyeuseté, s'évanouissent. On trouvera la Jérusalem plus facile à lire mais peut-être moins plaisante : le roman, dans la Jérusalem, fait constamment tort à l'épopée, et l'épopée n'ajoute rien à l'intérêt du roman (Hauvette, 1921, Littérature italienne, p 291). Désavouant sa Jérusalem, le Tasse l'a refaite pour augmenter sa religosité et son "épicité" (1593, Jerusalem conquise). Mais c'est le roman qui a connu un succès séculaire ! La belle Armide, d'abord artificieuse, ensuite amoureuse, enfin désespérée, est un personnage prenant que le théâtre, l'opéra et la peinture ont justement célébré.
Les dix derniers chants (notre
Tome 2, Chants XI à XX) voient les exploits de Clorinde, tuée par son amoureux/ennemiTancrède ; elle meurt dans ses bras. Mais le grand rôle est tenu par Armide. Après que Renaud ait délivré les chevaliers qu'elle avait ravis, captivée par lui, elle le capture et, pour jouir de leurs amours, le conduit dans un château enchanté à l'autre bout du monde. Mais la magie chrétienne arrache Renaud à Armide qu'il laisse désespérée et furieuse (chants XV et XVI). Armide, pour se venger, rejoint l'armée du Soudan d'Egypte et, jouant à l'envers la scène de séduction qui, au chant IV, avait répandu la discorde chez les chrétiens, se promet à celui qui tuera Renaud. Lors de la bataille décisive (chant XX), ses champions sont défaits les uns après les autres, elle-même échoue à percer Renaud de ses flèches : Le trait s'échappe... Il vole, et le repentir vole avec lui. Elle voudrait qu'il revînt en arrière, dût-il frapper son propre cœur. Enfin, Armide et Renaud se trouvent face à face : Va ! je n'implore point tes coups, le trépas me serait odieux s'il fallait le recevoir de ta main ! mais Renaud proteste de sa bonne volonté et la rencontre se termine par une réconciliation ambiguë.

Le Tasse (1544-1595), né à Sorrente, entre au service des ducs de Ferrare en 1565 pour lesquels il écrit la charmante pastorale l'Aminte (1573) et compose la Jérusalem délivrée (1575), publiée à son insu (1581). A partir de 1577, en proie à la manie de la persécution, compliquée de scrupules religieux (Hauvette), il fuit Ferrare, revient (1578), repart, revient encore (1579), fait une crise de folie et est enfermé jusqu'en 1586. Ensuite, sa vie errante le conduit à Rome où il meurt.

Lecture conseillée:
Hauvette  Henri, 1932, Littérature italienne, 8ème ed., 3ème partie "le classicisme et la décadence", Chap. 2, p 275-298
Fortiguerri, Richardet, poème bernesque   downloadTome 1  T2Tome 2   on line

Le dernier acte!
Le XVIIIe n'a pas éteint la querelle entre le roman et l'épopée (L'Arioste vs Le Tasse). En 1716, disputant avec des amis, Fortiguerri se fait fort de démontrer que l'écriture de l'Arioste n'est qu'une façon. Il commence alors le Riccardietto qui, en trente chants burlesques, accumule les aventures invraisemblables. Il sera publié en 1738, trois ans après sa mort.
Caricaturant les héros-titulaires carolingiens (Charles, Roland, Renaud, Astolphe...), et les conjuguant à un Richardet à la recherche de sa Despine, d'abord en fuite, ensuite perpétuellement enlevée, Fortiguerri invente de nouvelles péripéties et enrichit le bestiaire  monstrueux. Ferragus devient un moine luxurieux et la géographie reste d'une grande fantaisie, comme la réécriture du canonique drame de Roncevaux (chants 24-25). Le père de Despine (le Scric) ne cesse de l'arracher à Richardet pour la marier à d'autres, et quand les sorciers qui l'aident sont vaincus et retournés, d'autres les remplacent.

La traduction en vers français de Mancini-Mazarin (1716-1798) rend bien l'amosphère macaronique de l'entreprise. Le dernier Duc du Nivernais l'a réalisée à 80 ans pour se divertir dans la prison où la Révolution l'a jeté (les sinistres Carmes) : En voyant la liberté aisée et la grâce facile de ces vers, qui n'ont guère d'autre mérite, peut-on s'imaginer qu'ils sont écrits en pleine Terreur, entre les quatre murs d'une cellule, par un vieillard qui, selon toute apparence, ne doit en sortir que pour monter sur l'échafaud? (Perey Lucien,1891, Le Duc de Nivernais,  p 416).
mise en rimes Comme nous ne sommes plus accoutumés aux vers, le lecteur d'aujourd'hui commencera par souffrir un peu des fantaisies orthographiques et linguistiques que la rime et le rythme imposent au traducteur (qui en jouit). Que le bienveillant lecteur  persiste et finisse le premier chant! Il verra qu'on s'habitue très vite, et qu'on se surprend à apprécier.