MAJ 18/08/2019 | Morgant
le géant |
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Avertissement au lecteur du XXIe siècle(Esambe Josilonus)La vie du Tasse est un drame, celle de l'auteur du Morgant, Luigi Pulci (1432-1484), si on savait la raconter, serait une tragi-comédie. Ecrasé par les dettes familiales qui ne cessent de croître (dot de ses sœurs, faillite de son frère), il dépend des Medici dont il est l'amuseur et l'agent privé. Très tôt, il abandonne la pratique religieuse pour se vouer à l'occultisme. Le Morgant est publié en 1478, l'année où Lorenzo triomphe des Pazzi. En phase avec la période "canaille" du manifico, Pulci craint ensuite d'être supplanté et, entré en lutte ouverte avec ses rivaux, il multiplie les sonnets proclamant son incrédulité (cf.
Maher, 2013). Son caractère difficile et ses outrances polémiques le font aller beaucoup plus loin que ce que les Medici peuvent tolérer. Contraint de se "convertir" (Confessionne de 1483),
il
ne convainc personne et l'année suivante, à sa mort hors de Florence, on lui refuse une sépulture chrétienne. Il laisse le Morgant qui sera célèbre aux XVe et XVIe siècle, puis oublié. Malgré sa réémergence à partir du XIXe (Byron, Rajna, Momigliano, Croce...), on ne lit guère Morgant le géant aujourd'hui, et pas du tout son adaptation française par l'Anonyme parisien de 1517 dont la dernière édition remonte à 1625 (Oudot, Troyes). Voilà quatre siècles que dort le texte qui suit. Pourquoi l'éveiller ? (I) Comment l'acclimater au XXIe siècle ? (II). I. Morgant comme introduction à la "Suite ferraraise"Quel rapport entre le Morgant, florentin et bourgeois, et le Roland amoureux, ferrarais et aristocratique ? Leur contraste fait ressortir la nature de la "révolution ferraraise" qui transforme l'épopée en roman. Dès le début, les chansons contenaient des éléments romanesques. Dans la dernière période, ils gagnent en importance. La révolution ferraraise en fera l'objet même du récit. Tandis que Morgant est une variation au sein de la manière de France (chevalerie épique), celle-ci n'est plus qu'un décor dans l'Amoureux : Boiardo synthétise la manière de Bretagne (chevalerie amoureuse) et la tradition antique (Enéide). Morgant est le dernier mot de la vieille tradition et l'Amoureux le premier de la nouvelle. Pulci et Boiardo sont contemporains et, de Florence à Ferrare, il n'y a pas si loin. Le succès de Pulci appelait une initiative ferraraise : Boirado a été en partie poussé à commencer l'Amoureux par le succès du Morgant de Pulci et le désir de son patron et seigneur Hercule d'Este que Ferrare surpasse Florence (Everson, ma traduction). N'insistons pas sur cette émulation, et précisons en quoi Morgant permet a contrario de mettre en évidence la nouveauté des textes ferrarais. Les historiens de la littérature italienne notent que les chansons de geste "françaises" (et notamment le cycle carolingien) se sont largement diffusées en "Italie", tant en franco-vénitien qu'en traduction toscane ; que les chanteurs d'histoires (cantastorie) les récitaient à tous les carrefours ; et que cette matière engendrait des adaptations, des refacimenti, des inventions dont le public ne se lassait pas. Les "héros titulaires" (Charlemagne, Roland, Olivier, Renaud de Montauban etc.) et le thème traditionnel (Chrétiens vs Sarrasins), se démultiplient en une succession d'épisodes entrelacés, toujours repris et toujours renouvelés. Arrivée à son apogée au début du XVe siècle (Andrea da Barberino, Reali di Francia), cette série passe de la prose aux vers au moment où les chansons françaises tardives se dériment. L'ottava rima sera la marque italienne : après Andrea les nouvelles compositions se font de moins en moins en prose...aux XVe et XVIe siècles, le récit en rimes devient le véhicule de la tradition carolingienne en Italie (Everson, ma trad.). D'autre part, c'est Andrea qui introduit la Donna guerriera dans la tradition italienne où Bradamante, Marphise, Clorinde, la magnifieront (Jacobs, 2013). "Recevant" ces chants sous forme écrite, nous, aujourd'hui, oublions qu'ils étaient conçus pour l'oral : d'où la répétition, la fragmentation et l'entrelacement qui les caractérisent. Ces grandes machines de 30 000 vers n'étaient pas destinées à être déployées d'un bout à l'autre dans le sens de la marche et moins encore à être lues. Que fait Pulci ? En vers, bien sûr, il s'emploie à subvertir la tradition, en caricaturant les "standards" des chanteurs de rue, en multipliant les épisodes burlesques, en jouant sur les niveaux de langage et —si j'ose employer cette expression— en "désépopisant" les héros. Même les derniers chants épiques (la tuerie de Roncevaux) ajoutés après-coup, s'ils sont intensément dramatiques, alternent style familier, voire grossier, et style noble. Le vieux Guinguené est cinglant : avec un génie fait pour ouvrir de nouvelles routes il ne fit cependant que marcher d'un meilleur pas dans des routes déjà battues (1819, T4, p 213). Le Morgante est né d'une commande de Lucrezia Tornabuoni, la mère de Lorenzo de Medici, elle-même auteur de poèmes religieux et mécène. Elle désirait une grande épopée chrétienne que Pulci n'a pas pu —et probablement pas voulu— exécuter. Il a préféré chercher à divertir Lorenzo il Magnifico qui aimait s'encanailler, comme en témoigne Machiavel : On ne peut lui reprocher de vices qui aient souillé tant de vertus, quoiqu'il fût bien adonné aux plaisirs de l'amour et qu'il s'amusât des hommes facétieux et mordants, ainsi que des jeux d'enfants, peut-être plus qu'il ne convenait à un si grand homme... (Histoire de Florence, OC1, ed. Buchon, 1837, p 214). Nul doute que Pulci ne fît partie de ces hommes facétieux et mordants qui égayaient Lorenzo, sans qu'il partageât pour autant leurs vues. Ainsi, lorsque Pulci a été trop loin dans l'irréligiosité, il s'est trouvé tout seul et a dû capituler (cf. présentation du Tome 2). Ce qui nous importe ici, ce n'est pas le ton du Morgant, c'est sa matière. Que Pulci ait pour support l'Orlando laurenziano ou autre chose, il prend le vieux modèle "français" pour lui donner une nouvelle forme parce que, si le peuple en redemandait toujours, les lettrés étaient lassés. Dans le schéma traditionnel, le récit progresse par des chocs exogènes : ou bien un quelconque "roi païen" décide d'attaquer Charlemagne (souvent pour venger un parent tué au cours d'un précédent épisode) ; ou bien Ganelon — traître par nature et par fonction— provoque une rupture. Boiardo, lui, quoiqu'il conserve le cadre pseudo historique et les héros titulaires, agence ces éléments familiers selon une autre logique : [tandis que, chez Pulci] la conversion de Morgant par Roland symbolise la capitulation de la force devant la religion, Boiardo fait de Roland l'exemple de l'héroïsme et de la dévotion vaincus par les charmes d'une femme (Foscolo, 1819, ma trad.). La révolution qu'il initie s'exprime dans son titre-programme : Roland amoureux (Orlando innamorato). L'Amour cesse d'être une péripétie pour devenir le moteur du récit. En bref, c'est l'importation de la manière de Bretagne dans la matière de France. Les féroces paladins de Charlemagne sont transformés en chevaliers errants et l'Amour devient l'empereur de tous, Chrétiens comme Païens (Gardner, 1904, ma trad.). Boiardo nous le dit clairement (II, 18, 1-3) : la cour de Charlemagne était aussi magnifique que celle d'Artur mais sa gloire est inférieure à la sienne. Méprisant l'amour il ne s'employa qu'à ruiner les ennemis de la sainte foi, chose qui l'empêcha de pouvoir s'égaler au roi Artus, duquel je vous ai parlé, vous assurant qu'Amour est celui seul qui peut acquérir renommée et honneur perpétuel aux hommes... Dans cette cour de Paris trop chrétienne que n'agitent que des rivalités d'ambition, Boiardo lance et fait exploser la bombe sexuelle qu'est la trop désirable Angélique. Dès qu'elle paraît, Angélique rend fous furieux tous les héros — y compris le sage Naymes et le vieux Charles !— immédiatement prêts à s'entre-combattre (comme le feront Roland et Renaud, ces amis éternels). Angélique perdant l'initiative par la mort de son frère et champion Argail, elle devient la proie de la convoitise des mâles qui partent en chasse. Objet sexuel, Angélique est aussi sujet, puisqu'une fontaine magique la rend amoureuse de Renaud que la fontaine symétrique déprend d'elle. Un puissant moteur narratif entre en action : comme le souligne le titre du poème de Boiardo, son but est de dire une histoire d'amour...En fixant ce programme, Boiardo se sépare non seulement de Pulci mais de toute la tradition des "cantari"...Le nouveau Roland combine la vieille tradition de chasteté et d'indifférence aux femmes avec la vulnérabilité de l'ignorant en amour...Ainsi, il est déjà sur le chemin de la folie où le conduira l'Arioste au milieu de son poème (Everson, ma trad.). Rien à voir avec le Morgant dont les épisodes amoureux sont anecdotiques : belles princesses païennes et paladins s'aiment, généralement pour le malheur des premières ; les héros culbutent les amazones vaincues de la cité de l'Arpaliste ; Renaud pèlerin se laisse culbuter par Brunette...Mais ces intempéries passagères n'affectent ni la personnalité du paladin, ni la structure de l'histoire : Forisene, après le départ d'Olivier, se jette du haut d'une tour ; Meridienne, devenue chrétienne, pleure le départ d'Olivier, le retrouve en France et finit par retourner chez ses parents ; Rosemonde est oubliée puis mariée ; la petite Brunette pleure le départ de Renaud ; Lucienne, venue au secours de Renaud son amant, est oblitérée et, plus tard, convertie et mariée. La spectaculaire crise de folie amoureuse de Renaud tourne court. Chanter "Roland amoureux", ce titre seul annonçait une révolution (Hauvette, 1921, p 191). Les commentateurs le soulignent, Roland amoureux est un oxymore. Si, avant Boiardo, Roland n'est pas toujours écrit comme le chaste héros de la légende et peut, à l'occasion, se laisser séduire par d'entreprenantes païennes (Rosemonde dans Morgant), la liaison nouée sans effort avec les serments éternels de rigueur se dénoue d'un coup sans affecter l'intégrité des partenaires. Ce n'est plus le cas avec Boiardo dont l'Amoureux contient déjà le Furieux d'Arioste : Roland, littéralement fou d'Angélique, la suit à l'autre bout du monde comme un toutou, réalise pour elle exploit sur exploit, la raccompagne en France, sans jamais se décourager de son inaccessibilité. Symétriquement, Angélique qu'on perçoit souvent comme une allumeuse idiote, est une héroïne tragique, amoureuse folle de Renaud dont l'indifférence tourne à la phobie... Le récit devient celui de l'obsession amoureuse, avec de puissants effets d'intégration et de cohérence. Conséquemment, Ganelon, inutile, s'efface. Dans la tradition française, il jouait le rôle de diabolus ex machina : à l'inverse du Dieu qui descend des cintres du théâtre pour apporter une solution heureuse à un embrouillamini inextricable, Ganelon apparaît quand tout va trop bien, pour plonger la Cour dans la dissension et le malheur, enclenchant ainsi une nouvelle série d'aventures. Le Morgant ne tient que par Ganelon, ses flatteries à l'égard du crédule Charlemagne, ses voyages instantanés d'un bout du monde à l'autre, son réseau universel d'espions et de messagers. Ganelon est omniprésent ; dans l'Amoureux, s'il reste un personnage déloyal et méchant, il ne structure plus le récit ; dans le Furieux il a disparu. Le Morgant de Pulci traduit "l'état de l'art" avant la révolution ferraraise en même temps qu'il le masque par une ornementation exubérante. C'est là tout l'intérêt de la version française de 1517 qui se réduit à la narration, sans reprendre (ou sans comprendre) les abondantes fioritures avec lesquelles joue Pulci. En ce sens, son infidélité à Pulci assure sa fidélité à la tradition italienne. II.
La présente "imitation" du Morgant Le terme imitation a souvent été employé par les traducteurs français du XVIIe et XVIIIe siècles qui rejetaient le verbum pro verbo et ajustaient, souvent très librement, le texte aux attentes de leurs contemporains. Les préfaces aux textes traduits pendant cette période permettent de comprendre qu’à l’époque de Lesage la première des règles est l’adaptation, le sensum ad sensum, et qu’on refuse la fidélité totale au texte d’origine (Dotoli, 2010). L'Anonyme parisien de 1517 ne fait pas autre chose. Outre le changement macroscopique que constitue la mise en prose et l'élagage des exubérances de Pulci, il recompose les 28 chants en 134 chapitres et remplace les ironiques invocations religieuses de Pulci par une rhétorique chrétienne qui abuse Montorsi (2012, 2016) : plutôt que politique (concordat de François Ier, croisade contre les Turcs de Léon X), elle est d'ambiance. Certes, l'Anonyme prend au sérieux les sermons et les conversions massives à la suite de combats qui sont autant de duels judiciaires entre Jésus et Mahom (Mahomet), mais, comme Pulci, il oublie souvent l'antagonisme Païens/Chrétiens : si une jolie scène nous montre Olivier « convertissant » la belle Meridienne avant de se démener avec elle (car c'est aussi grand péché de se prendre à une Païenne qu'à une bête), Lucienne est toute païenne quand elle entre en amour avec Renaud ; et, païenne aussi l'armée qu'elle dirige pour aider les Chrétiens ; quant au pieux Roland, il n'a pas un mot de prêche au cours de sa séquence amoureuse avec Rosemonde. La religion est un moteur narratif qu'on actionne au besoin, et aussi un registre de la rhétorique du défi : Roi de Paris...le grand roi Hermin te mande par moi de renoncer à la Loi que tu tiens et de prendre la Loi de Mahom, toi et tes gens. En rabotant les excentricités de Pulci, l'Anonyme nous ramène aux anciennes chansons. Le transfert linguistique a conduit à un remodelage générique de l’œuvre. S’il a compris la langue difficile, parfois obscure, de l’original, le traducteur a en effet fait renaître la Chanson de Roland, ou plus exactement le Cantare d’Orlando du XIVe siècle [...] et gommé plus généralement tout élément hétérodoxe de la narration...Le traducteur [...] a converti le romanzo humaniste en vieux, voire en très vieux, roman (Mounier 2014). Il nous donne ainsi la "matière textuelle" toscane à laquelle nous n'avons pas accès, celle qu'a travaillée Boiardo qui, sur les mêmes fondations que Pulci, édifie tout autre chose. Le texte de 1517 convient donc bien à notre objectif dont une traduction littérale comme celle de Sarrazin (2001) nous éloignerait. Pendant des siècles Pulci a été oublié. Quoique la traduction par Byron du 1er chant (Works, Murray, 1842, 482 sq.) proclame que le Morgante Maggiore...partage avec l'Orlando Innamorato l'honneur d'avoir formé et induit le style et le récit de l'Arioste (ma trad.), il faut attendre la fin du XXe siècle pour que le retour en grâce des chansons tardives engendre des traductions verbum pro verbo : 1998 pour l'anglais (Joseph Tusiani) et 2001 pour le français (Pierre Sarrazin). Malgré les mérites de Sarrazin, ses efforts et jeux linguistiques ne rendent pas le texte facile à lire et, en attirant l'attention du lecteur sur les singularités du génie de Pulci (difficiles à rendre dans une langue et un temps/lieu si différent), il singularise l'œuvre et détourne l'attention de la tendance historique qui nous intéresse. L'Anonyme parisien n'explicite pas sa source italienne : Il me suffit d'avoir achevé ce que j'ai trouvé en rimes italiennes que, avec l'aide de Dieu j'ai mis en prose française. Imprimé d'abord à Paris, le texte a été réédité plusieurs fois sans changement pendant un siècle, avec un titre dévot : L'Histoire de Morgant le Géant lequel avec ses frères persécutaient les Chrétiens et serviteurs de Dieu mais finalement furent ses deux frères occis par le Comte Roland et le tiers fut Chrétien qui depuis aida grandement à augmenter la sainte foi catholique comme entendrez ci après. Les trois versions numériques que j'ai trouvées en ligne sont, pour les deux du XVIe siècle, imprimées dans un caractère gothique de lecture laborieuse et, pour celle de 1625, en romain pas toujours très lisible. Outre l'impossibilité d'appliquer les outils de reconnaissance de caractères à de tels monuments, le texte, écrit en moyen français, ne se laisse pas déchiffrer sans efforts ni dictionnaire, ce qui enlève toute fluidité à la lecture. Les problèmes ne se limitent pas au vocabulaire (mots obsolètes ou faux amis), à l'orthographe et à la grammaire : le texte n'est pas imprimé pour un lectorat mais pour une audience à qui il sera récité par morceaux. C'est en quelque sorte un livre audio ! De ce fait, l'écriture, marquée par l'oralité (avec laquelle jouait Pulci), accumule d'innombrables redondances, répétitions et rappels. Enfin la syntaxe tarabiscotée exige souvent une deuxième lecture, voire une reconstruction du sens. Tout ceci fait que, pour le lecteur de la BNR qui lit par plaisir, transcrire le fichier ne suffisait pas. Il fallait l'adapter pour le rendre digeste. Toutefois, moderniser le texte a des inconvénients. D'une part, beaucoup de ces archaïsmes sont charmants ; d'autre part, ils donnent de la "couleur temporelle" (comme on dit : couleur locale) : lire ces choses étranges dans le langage courant les prive d'une partie de leur intérêt. J'ai donc navigué entre ces deux contraintes, le respect du texte et sa lisibilité. J'ai supprimé partout les répétitions inutiles à la lecture. Là où c'était indispensable, j'ai rectifié la grammaire, arrangé la syntaxe et traduit en français moderne les mots incompréhensibles, gênants ou fallacieux. Avec quelques exceptions : j'avoue une faiblesse pour le verbe chaloir. Quoique nous ne sachions plus le conjuguer autrement qu'à la troisième personne du singulier présent (peu me chaut), nous connaissons nonchalance et tout le monde comprendra que ne te chaille signifie "ne te soucie pas", "ne t'inquiète pas". J'ai conservé quelques autres formes anciennes quand elles étaient compréhensibles. Ainsi, j'ai produit une "imitation" de l'Anonyme qui avait imité Pulci qui avait imité l'Orlando Laurenziano. Mais n'est-ce pas le propre de ces "chansons" que d'être, depuis le début, l'objet d'une réélaboration permanente ? L'histoire racontée est pleine d'aller-retours et d'entrelacements dans lesquels on se perd joyeusement. Quoique le texte ne le marque pas formellement, il se compose de deux séries d'aventures successives, terminées par le dramatique épilogue de Roncevaux. Les séries se ressemblent : Roland puis Renaud, les deux super-héros, quittent la cour de Charlemagne à cause de sa complaisance pour l'architraître Ganelon. Ils partent en Paganie où les attendent des monstres et des géants, de belles princesses, des champions à affronter en joute, des armées à vaincre et des populations à convertir. Pendant qu'ils prennent leur plaisir à massacrer les païens, Ganelon fait savoir aux rois sarrasins candidats à la vengeance que, les héros partis, le royaume de France est sans défense. Leurs armées déferlent, assiègent Paris et Montauban, Charles aux abois regrette ses barons (l'âne ne sait ce que vaut sa queue jusqu'à ce qu'il l'ait perdue). Ceux-ci, apprenant sa situation désespérée, reviennent et les assaillants refluent ou font la paix. A la fin de la première série (Chant X de Pulci, Chap. 44 des éditions françaises), tout le monde est en liesse et la cour se divertit joyeusement. Et tout recommence : Ganelon, disputes, départ des héros en Paganie, nouveau cycle d'aventures, nouvelles invasions, nouveau retour. Roland, irrité, quitte la cour, libère une abbaye des géants qui l'assaillaient et prend Morgant comme compagnon. Cherchant une bonne guerre, il rejoint Maffredon qui assiège le roi Corador pour s'emparer de sa fille, la belle Meridienne (Chap .1). Renaud, irrité à son tour, quitte la cour avec Olivier et Dodon pour retrouver Roland. En chemin, ils libèrent le royaume du roi Corbant du monstre qui le terrorisait. Cet exploit immédiatement connu leur vaut d'être appelés par le roi Corador qui, à la suite de l'arrivée de Roland dans le camp de Maffredon, ne peut plus faire face (Chap. 2). Après s'être combattus, Renaud et Roland se reconnaissent, Maffredon est déconfit. Mais pendant ce temps, Ganelon a attiré en France le roi Hermin qui met le pays à feu et à sang et s'empare de tous les preux de Charlemagne (Chap. 3). Nos barons partis à l'aventure conquièrent accidentellement le royaume d'Hermin et apprennent son invasion. Ils assemblent des armées et les emmènent en France, vainquent les sarrasins, le roi Hermin se convertit : joie et ébattements (Chap. 4). Mais Ganelon sème le trouble. Renaud, banni, se révolte, s'empare de Paris et chasse Charlemagne. Le bon Roland lui fait faire la paix. Et Ganelon revient. Roland, écœuré du gouvernement des traîtres, repart en Barbarie et Renaud quitte la cour (Chap. 5). Présentation du tome 2Il contient la fin du Morgant de Pulci traduit par l’Anonyme parisien (chapitres 44/134, chants XII à XXVIII) : un nouveau cycle d’aventures des super-héros Regnaut et Roland (exil, exploits, retour). J'explique d'abord le hiatus entre la première et la deuxième version du Morgante. Ensuite, je présente le contenu de ce tome. Enfin, j'examine les écarts entre le texte de l’Anonyme et celui de Pulci. I. Les deux MorganteDevais-je reproduire le Morgante minore (qui se termine au chant XXIII), basé sur l’Orlando laurenziano, ou le Morgante Maggiore qui lui ajoute les cinq chants de La rotta di Roncisvalle basés sur la Spagna in Rima ? Le Morgante minore, complet au début des années 1470, est publié en 1478. Ensuite, de 1479 à 1483, Pulci compose les cinq chants de Roncevaux qui, avec les précédents, forment le Morgante maggiore (28 chants), publié en 1483, un an avant la mort de Pulci. Il y a un hiatus entre les deux. Le minore fait 70 % du maggiore et surtout est une autre chanson. À ses 2657 stances (21256 vers) de délire burlesque entrecoupé d’invocations religieuses parodiques, Pulci adjoint un bloc catholico-carolingien de 1081 stances (8648 vers). Pourquoi ? L’entreprise de Pulci a été initiée par Lucrezia Tornabuoni, la mère de Lorenzo le magnifique, qui voulait une grande épopée catholique. Pulci n’a pas pu – pas voulu – s’exécuter sur le mode attendu de la tragédie. Il a préféré amuser Lorenzo et ses amis en jouant avec les codes des chanteurs de rue. À la fin du Morgante minore, Regnaut et Foulichat [Gerion pour nous] sont partis à l’aventure en Orient, tandis que Roland et les barons s’occupent de délivrer Paris. L’auteur aurait pu s'arrêter là ou continuer à empiler les épisodes autant que cela plaisait à son public. Mais, précisément, cela plaisait moins. Il semble que Pulci ait dépassé l’objectif ou que les temps aient changé : il est allé trop loin dans la dérision au moment où Lorenzo affiche plus de sérieux. Le retour à l’esprit de la commande initiale est le prix à payer par Pulci pour conserver sa position. Tardivement, il satisfait Lucrezia Tornabuoni : il était temps, elle meurt en 1482. Dans les années 1470, la lutte au sein du cercle de Lorenzo a été violente : opposition d’idées et rivalité pour la faveur de Lorenzo. Pulci combat Matteo Franco puis l’éminent Marsilio Ficino, le chef de l'Académie florentine. Il multiplie les sonnets polémiques et les lance sur la place publique, sans tirer grand profit de professions d’incrédulité de plus en plus radicales. Qu’elles amusent ou non Lorenzo, il ne peut pas les approuver : Nous devons nous souvenir que Lorenzo et les Dames Medici n'étaient pas aussi relâchés en matière de foi qu'on l'a quelquefois cru.
Si la société des humanistes jouissait d'un certain degré de liberté religieuse qui, occasionnellement, permettait l'expression d'un certain scepticisme et favorisait les vieilles moqueries du sacré (personnes ou choses), néanmoins
il est vrai que cette même société ne permettrait ou ne tolérerait pas la négation ouverte des dogmes chrétiens (Lebano, introduction de Pulci
Luigi, Morgante, transl.
Joseph Tusiani, 1998, Indiana UP, ma traduction). À la fin, en 1483, Pulci abjure son impiété. Sa Confessione affirme sa foi catholique : s'adressant à Marie dont il sollicite l'intercession, il regrette ses péchés et proclame sa croyance dans la divine création du monde, le jugement dernier et tous les miracles mentionnés dans l'ancien et le nouveau testament. Habilement, il attribue sa conversion au moine Mariano da Gennazzano, cher à Lorenzo et hautement respecté à Florence. Mais Pulci a beau multiplier les professions d'orthodoxie, il ne convainc pas, ni à Florence, ni ailleurs. Il meurt à Padoue en 1484 où il est enterré en hérétique. La synchronicité des derniers chants et de la “conversion” est frappante. Pulci cherche à s’aligner. Le hiatus entre les deux parties du poème est ainsi un hiatus dans la vie de l’auteur. Quelles que soient les raisons qui ont poussé Pulci à cette addition et quelle que soit sa pertinence, il l’a faite, et l’Anonyme parisien l’a suivi, sans doute avec satisfaction. Aussi n’avons-nous qu’à les imiter. Au mythe pseudo-historique de Roncevaux, Pulci, selon la tradition italienne, fait participer le héros imaginaire, Renaud de Montauban. Dans la tradition française (les quatre fils Aymon) les deux légendes restent disjointes : après des dizaines d’années de persécution obsessionnelle, Charlemagne finit par faire la paix. Renaud part à Constantinople, retrouve par hasard Maugis qui s'est fait ermite et ils libèrent Jérusalem dont les “Perses” ont chassé les Chrétiens. Pulci a du mal à introduire Renaud dans Roncevaux : il lui faut le faire revenir d’Égypte en express au moyen d’un diable d’Enfer que Maugis a le bonheur de contrôler et, après le drame auquel il survit nécessairement puisque sa légende a déjà fixé sa fin (noyé dans le Rhin), il faut le faire à nouveau disparaître. II. Contenu du présent volumeComment limiter l'impression de décousu que donne ce flipper narratif où, un choc en appelant un autre, le chevalier errant rebondit sans cesse ? J’ai structuré la matière selon les grandes articulations du récit : quatre chapitres auxquels s’ajoute celui de Roncevaux. Le découpage est plus malaisé que pour le tome 1 car les bifurcations prolifèrent : non seulement Regnaut et Roland se livrent au cache-cache habituel, mais les épisodes secondaires et les accidents marginaux se multiplient, un peu comme si Pulci, conscient de recommencer le cycle précédent (exil, aventures, retour), cherchait à embrouiller l’auditeur-lecteur ou à l’amuser au coup par coup, ou comme s’il se battait avec une matière rétive. Le récit devient errant, voire erratique. À la différence de Meridienne (Tome 1), Anthée, la fille du Soudan de Babylone, est un personnage inachevé dont le caractère n’est pas à la hauteur de son rôle. Si à leur première rencontre en Perse, la belle et loyale preuse semble s’éprendre de Regnaut qui, lui, en devient instantanément fou furieux, l’affaire ne va pas loin. Tout se passe comme si Regnaut avait raté sa chance en ne la combattant pas, alors qu’elle a promis de se donner à celui qui la vaincrait. À partir de là, elle est d’abord la fille obéissante du Soudan. Elle méprise Ganelon, le met en prison, parle de le pendre mais suit ses conseils. Lorsqu’elle envahit la France (après avoir activé Marcille – et donc ouvert la porte à Roncevaux), elle prétend venger son père et le pillage de Babylone en mettant le pays à feu et à sang, mais surtout elle est mue par un vain désir de gloire : Quand Regnaut et Roland apprendront que j’ai mis mon armée devant Montauban ou que je l’ai pris, ils viendront au secours. Alors je m’éprouverai contre eux, par quoi ma renommée sera encore plus grande. Qu’ils me vainquent ne me sera pas déshonneur car ce sont les meilleurs chevaliers du monde. Finir le combat contre Roland, interrompu par la nuit il y a très longtemps, voilà son fantasme : elle sait qu’elle sera battue mais ce sera un honneur. Frustrée et vaincue, elle rentre en son pays où jamais elle ne croise Regnaut qui y erre, faisant exploit sur exploit, tout vieux et cassé qu’elle le dise. Pulci, parti pour faire d’Anthée une amoureuse, l’oublie, ou trouve l’histoire trop compliquée à imaginer, ou change d’idée. Ganelon épuisant son potentiel, Pulci se sert d'Anthée comme ressort diégétique artificiellement récurrent. Aussi, l’inconsistante Anthée n’a-t-elle rien de comparable au beau personnage de Méridienne (Tome 1) ou à la charmante Rosemonde dont les expressions à double-sens sont délicieuses (ici, chap. I). Ganelon lui-même, l’inlassable malfaisant Ganelon semble dérailler. Après un beau succès initial auprès du Soudan de Babylone, sa déloyauté le fait emprisonner à Montauban, puis libérer à charge de partir en quête des barons perdus. Victime de la sorcière Creante, il est secouru par les trop loyaux barons auxquels maintenant il tient compagnie. Il n'est pas à l'origine de la nouvelle invasion. Mais c’est avec lui – quoique sans vraisemblance – que se fait la suivante et, même, lorsque, retrouvant son personnage, il organise enfin le piège de Roncevaux, il montre d’étonnants scrupules. Le contre-coup l'élimine définitivement : il mourra de mauvaise mort. Voyons nos chapitres. Le premier est en Perse. L’Amiral [Émir] de Perse met Roland en prison pour complaire au Soudan [Sultan] de Babylone. Regnaut et ses compagnons partent à son secours. Roland les combat pour les beaux yeux de Rosemonde, la fille de l’Amiral mais, à nouveau réunis, ils prennent la ville. Le Soudan revient avec une armée commandée par sa fille, la preuse et belle Anthée dont Regnaut tombe amoureux furieux. Elle abat et capture Olivier et Richard. Par le conseil de Ganelon, au lieu de poursuivre le siège, le Soudan et sa fille rentrent à Babylone avec les prisonniers. Le second chapitre est en
Babylone. Regnaut ayant enfin retrouvé Anthée, l’obéissante (et naïve ?) fille du Soudan l’envoie se faire tuer par le Vieux de la Montagne et elle-même part assiéger Montauban. Pendant ce temps, Roland, cherchant Regnaut, rend, en passant, sa fille au roi Constant que le Soudan invite à la grande fête de la pendaison des barons chrétiens. Le jour dit, Roland et Constant d’une part, Regnaut et le Vieux d’autre part, attaquent le Soudan, libèrent les prisonniers, mettent le siège devant Babylone, puis la prennent grâce à Morgant. Le troisième chapitre est avec Ganelon. Ganelon, pour être libéré de prison, s'engage à rechercher les barons. Parti au Levant, il est capturé par des géants et enfermé dans le château enchanté de leur mère Creante. Les barons venus à son secours prennent incidemment la ville de Monaca puis, après avoir cru triompher de la sorcière, sont à leur tour victimes de sa magie. Maugis, Astolfe, Alard, et Anthée, accourent les délivrer. Ensuite, les paladins sont séparés et se retrouvent à Cornille dont Roland et Astolphe chassent le tyran que Regnaut vient défendre. Le malentendu dissipé, ils apprennent que des Païens assiègent Paris une fois de plus et décident de se mettre en route, sans Regnaut qui doit assembler des renforts. Le quatrième chapitre est, partie à Paris avec Roland, partie au Levant avec Regnaut. Roland et ses compagnons trouvent Paris assailli par le roi Calorion et Montauban assiégé par le neveu de Ganelon. La paix se fait avec les premiers au détriment de Ganelon qui est assiégé à son tour. Mais il obtient son pardon et, tandis que Regnaut poursuit ses aventures au Levant, Ganelon brasse de nouvelles trahisons : Anthée, tout à coup désireuse de venger son père le Soudan, mobilise le roi Marcille d’Espagne. Une colossale armée assiège Paris et est vaincue. Anthée rentre chez elle et Marcille jure une paix éternelle que Ganelon lui fera facilement oublier. Le cinquième chapitre est celui de Roncevaux. III. Pulci et l’AnonymeDans notre tome I (Chants I à XII), l’Anonyme parisien suivait d’assez près le texte de Pulci. Dans ce tome II, les Chants XII à XXIII multipliant les facéties et les excentricités, notre rectiligne Anonyme multiplie les coupes. Pour commencer, l’Anonyme minimise l’épisode où Regnaut chasse Charlemagne et prend sa place : dès le lendemain, Regnaut ayant passé sa colère reconnaît la sagesse des arguments légitimistes, fait la paix et restaure Charles (fin de notre tome I). Chez Pulci, non seulement l’usurpation dure plus longtemps (fin du Chant XI), mais elle est redoublée (Chant XII): la paix finalement faite entre Renaud et Charles, l’inévitable Ganelon revient, capture Richardet, le frère de Regnaut, et veut le faire pendre, malgré l’opposition de tous les barons qui quittent la cour. Roland, écœuré, disparaît. Regnaut libère Richardet, soulève à nouveau Paris et est couronné empereur, avec l’approbation du peuple et des Barons. Ce n’est qu’au Chant XIII que Regnaut, apprenant la captivité de Roland, pardonne à Charles parce que tu es vieux et lui rend la couronne pour partir en Perse. L’Anonyme a condensé les deux épisodes, que ce soit pour faire bref ou pour atténuer l’atteinte à l’idée de majesté royale. Ensuite, l’Anonyme traite avec une (heureuse) sobriété le fabuleux pavillon que Lucienne offre à son amant Regnaut. Pulci s'amuse à décrire en détails son ornementation pendant la moitié du Chant XIV: les quatre éléments avec les images de toutes bêtes, réelles ou mythiques (st. 42-92). Notre Anonyme résume : Alors
elle lui donna un pavillon le plus beau qui fut au monde : il était fait d’un drap d’or et de soie et y était dessiné de fort belles histoires. Ces libertés que prend l'Anonyme, en condensant le texte, n’en modifient pas la substance, à la différence des deux grandes coupes qu’il opère ensuite. La première concerne le “road trip” canaille des deux géants Morgant et Margouste (fin du Chant XVIII et Chant XIX) alors que le premier se dirige sans hâte vers Babylone. Ce récit dans le récit, Pulci le développe avec un plaisir manifeste pendant 243 stances (1944 vers), accumulant les provocations. Citons un extrait du credo de Margouste que Lucrezia Tornabuoni ne devait guère priser : je crois dans la tarte et puis dans le tourteau/ l’une est la mère, l’autre est son fiston/ et le vrai Notre Père est le foie en crépine/ lequel peut être trois et deux et un… (Sarrazin, p. 455 sq). Morgant, oubliant avec enthousiasme toute sa chevalerie, se livre avec Margouste à une débauche de pillages d’aubergistes, chatouillements de filles, grosses farces et goinfreries, que notre Anonyme ignore absolument et totalement. Il remplace les deux mille vers de Pulci par : Il finit par arriver [à Babylone]. Ce raccourci drastique a l’avantage de permettre au récit d’aller droit à la prise de la ville. Morgant rencontre une mort dérisoire : après avoir vaincu à lui tout seul une énorme baleine enragée, il est mordu par un petit animal marin dont le venin lui monte au cœur. Si grande la victime, si petit le tueur… Les deux versions coïncident, l’Anonyme remplace seulement le petit crabe (granchiolino) par un serpent aquatique, vraisemblablement par réalisme, les crabes n’ayant pas coutume d’être venimeux. Ensuite les deux versions restent parallèles jusqu’à l’invasion d’Anthée (Chant XXIV). Chez Pulci, outre son immense armée, elle est accompagnée par deux géants terrifiants que Maugis englue par magie. L’Anonyme ne s’en encombre pas. La deuxième grande coupure significative porte sur les délires théologiques peu orthodoxes que Pulci, toujours rétif même quand il obéit, prête généreusement au diable Astaroth, envoyé par Maugis en Égypte ramener en urgence Regnaut et Richardet pour qu’ils soient à l’heure à Roncevaux. Le chant XXVcontient deux longues disgressions d’Astaroth, d’abord en conversation avec Maugis (st 141/161), ensuite pour distraire Regnaut pendant le voyage (st 228/244 contenant le fameux passage sur les antipodes). Astaroth, en partie par crainte de Maugis, en partie par contentement de voir arriver en Enfer les innombrables Païens que Regnaut va tuer à Roncevaux, se prend d’une espèce d’affection pour lui, le protège d’un traquenard magique, lui fait des adieux émus et ils passent un pacte d’amitié. Notre Anonyme encore une fois va tout droit : ils passèrent par plusieurs pays, au-dessus des villes et cités dont Regnaut demandait les noms à Astaroth et, à leur séparation, tandis que le diable exprime sa joie du carnage à venir (nous ferons fête quand nous te verrons occire ces Païens), Regnaut prend congé : Je te remercie autant que je le dois. Je suis content de toi et ton compagnon. Roncevaux est semblable chez les deux auteurs quoique, dans ces chants, Pulci atteigne par moment à une grandeur tragique que l’Anonyme peine à imiter. À la fin, Pulci (XXVIII, 29) fait quitter la cour à Renaud pour parcourir le monde ainsi qu’Ulysse (E cercar tutto il mondo come Ulisse). Il ajoute : “un auteur croit” que, se souvenant des propos d’Astaroth, Renaud pense à aller voir à quoi ressemblent les antipodes (33… E quel suon d’Astarotte nell’ orecchio, / Come disotto in quell’altro emispero, / Erano e guerre e monarchie e regni…). De son côté, notre Anonyme lui réserve une fin plus édifiante : il quitta Montauban en habit de pèlerin, tout à pied, pour aller en la Sainte Terre. Du reste de sa vie et de sa fin, vous trouverez en un autre livre intitulé le livre des quatre fils Aymon (qui, selon la tradition française, ignore Roncevaux : Renaud, enfin réconcilié avec Charlemagne, libère Jérusalem, revient, se fait ermite ou maçon selon les versions et, noyé dans le Rhin par traîtrise, devient Saint). Enfin, l’Anonyme profite du récit de la mort de Charlemagne pour rappeler les droits de l’empereur sur le pape : Le Pape Adrien lui donna de beaux privilèges, passés par le Concile célébré par plusieurs saints Pères en L’Église de Latran, ainsi qu’il appert au Décret en la distinction soixante et troisième presque partout. La dist. 63 de Gratien (c 1140) traite des droits de l’empereur dans les élections ecclésiastiques (cf. notamment Chap. XXII. Imperator
ius
habet eligendi pontificem). Pulci, lui, préfère mentionner que Charles a (aurait) refondé Florence (XXVIII, 100/10)1 : Nel suo tornar, per più magnificenza, / Rifece e rinnovò l’ alma Fiorenza. / E templi edificò per sua memoria, / E dette a quella doni e privilegi). | |
Lectures
conseillées Everson Jane E., 2005, "The epic tradition of Charlemagne in Italy", Cahiers de recherches médiévales, 12: https://journals.openedition.org/crm/2192 Sarrasin Pierre, 2001, Morgante, Brepols (trad. française) Références
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