Esambe Josilonus
©2016 rev. 2019 |
Droits du peuple ou droits du Roi ? |
Une telle transposition est-elle autre chose qu'une analogie formelle, une interprétation abstraite ? Que signifie le décret dans son temps ? Nous commencerons par le mettre dans son contexte en examinant la dynamique et les acteurs du concile (§1) pour dissiper l'illusion "démocratiste". Le décret n'apporte rien aux "droits du peuple", ses implications concernent les droits du roi. Le glaive spirituel appartient-il au concile ou au pape ? La réponse à cette question ecclésiastique conforte ou conteste l'autonomie du glaive temporel : un pape absolu la limite, un pape relatif la libère (§2).
Remarquons tout d'abord que les quatre années et les quarante-cinq sessions du Concile ne portent que partiellement sur "la question de Constance", celle des rapports pape/concile [1]. Outre l'extirpation des hérésies (Wyclif, Hus) et la vieille lune de la réformation de l'Eglise, le concile consacre beaucoup de temps aux affaires dérivant des conflits séculiers en cours (France vs Bourgogne, France vs Angleterre, Aragon vs Portugal, Polonais vs Teutoniques etc.) et en disputes ecclésiastiques (évêques vs cardinaux, séculiers vs réguliers, docteurs vs évêques etc.), sans compter les innombrables querelles de préséance.
Concernant "la" question, la doctrine du concile de Constance se réclame à la fois de la tradition de l'Eglise primitive et du droit naturel (divin) que, depuis le XIe siècle, le "nouveau droit canon" papal a déformés en subordonnant l'Eglise universelle à l'Eglise romaine et à son monarque absolu. Le pape qu'élira le concile, Martin V, sans pouvoir refuser cette révolution, ne l'endossera pas. Le conflit rebondira à Bâle (1431/1438), d'abord à l'avantage du concile, ensuite à celui du pape (Eugène IV) [2]. Ultérieurement, la contre-offensive papale réhabilitera la théorie absolutiste [3].
Le concile ne se réduit pas au décret qu'on ne peut pas comprendre sans examiner son contexte. Nous survolerons la composition du concile (a). Nous verrons ensuite comment, à reculons, il se résigne à se mettre au-dessus de son pape (b). Nous introduirons enfin les Princes, parties prenantes essentielles du débat sur la place du pape dans la Chrétienté (c).
Quand
le concile s'ouvre en 1414, le "grand schisme" dure depuis plus de
trente ans (1378). En 1409, le concile de Pise a déposé les deux
antipapes et en
a élu un nouveau. Mais, faute d'unanimité des Princes sur la méthode,
certains
ne reconnaissent pas le pape de Pise. Résultat : trois papes
concurrents
dont chacun a une légitimité partielle (obédiences).
Quelques
années plus tard, sous l'impulsion du nouvel empereur germanique [4],
Sigismond, roi de
Hongrie, le concile de Constance reprend Pise à l'endroit où il avait
échoué :
puisqu'aucun des trois compétiteurs n'accepte de se retirer, il faut
persuader
les Princes d'abandonner leur pape et d'accepter celui qu'élira le
concile. Aussi,
autant qu'une réunion ecclésiastique, Constance est une négociation
politique.
La guerre des papes a affaibli leur modèle monarchique. Les Princes ont
profité
de la concurrence des papes pour choisir le leur et lui imposer leurs
conditions.
Jean XXIII,
le pape issu du processus de Pise, doit démissionner pour que les trois
obédiences fusionnent. Le concile convoqué par le pape et l'empereur ne
deviendra un "général" que lorsque les évêques et dignitaires des
deux autres papes l'auront rejoint. C'est alors seulement qu'il
procédera à
l'élection du nouveau pape. On se trouve donc devant deux conciles
successifs,
le concile de l'obédience de Jean XXIII, puis le concile général.
C'est au
cours du premier que les événements imposent une avancée
constitutionnelle (le
décret).
Seul
l'empereur a la capacité de traverser les clivages et de réunir les
Eglises : le concile de Jean XXIII, une fois purgé de son pape,
deviendra
la matrice du "concile général" que le succès des négociations de
Sigismond
permettra de réunir fin 1416. Formellement, les conciles s'emboitent
car, les
uns après les autres, les nouveaux venus reconvoquent le
concile en
cours pour qu'il devienne leur. Cela commence par l'antipape Grégoire
XII dont
la situation est la plus faible (juillet 1415). Le gros morceau, ce
sont les
Espagnols de Benoît XIII, notamment les Aragonais. La 22ème
session
(15 oct. 1416) adjoint aux quatre "nations" initiales la
"nation espagnole" (où l'on
comprenoit l'Arragon, la Castille, la Navarre, & tout ce que
possèdoit le
Roi d'Arragon tant au deçà qu'au delà de la mer plus le Portugal
qui n'en
est pas content). A la 26ème, on consomme
l'union au concile de la Navarre et, à la 35ème (18 juin 1416),
celle de la
Castille et du Léon. Jusqu'alors, le concile n'était qu'une congrégation [5],
à présent, il est complet. Toutes ces étapes expliquent la lenteur du
concile [6].
Constance ne
réunit pas une Eglise en état de marche mais une Eglise qui se
recompose dans
le mouvement même de la convocation du concile. Cela prend du temps et
les péripéties
ne manquent pas. Ce concile, le premier depuis un siècle, diffère de
tous les
précédents par sa longueur et par sa largeur : sa composition est
inhabituelle.
Le schisme et la durable incapacité de l'élite ecclésiastique à le résoudre font passer au premier plan les Princes qui détiennent la solution (obédience) et les Universités qui détiennent l'argumentation. Déjà à Pise, Vu l'ignorance et la partialité de plusieurs évêques, on proposa d'appeler au concile autant de docteurs que de prélats, sans se dissimuler que ce pourrait être là une source de bien des disputes… (Hergenröther, T4, p 490, qui remarque c'était une innovation dangereuse d'attribuer à des docteurs la principale part dans une décision ecclésiastique). A Pise, les docteurs piochent leurs démonstrations ad hoc dans les anciens "impérialistes" parisiens (Marsile, Ockham, Gelnhausen) auxquels Zabarella, le professeur de Padoue (qui deviendra bientôt le cardinal de Florence), ajoute le traité qui justifie le concile d'entreprendre sur les papes [7].
Avant comme après ces trois conciles révolutionnaires (Pise, Constance, Bâle), la représentation de l'Eglise universelle se limite à ses dignitaires, les autres participants (conseillers, ambassadeurs, princes) restant spectateurs. L'invasion du concile par les docteurs [8] reflète le trouble du temps et l'impasse où on se trouve. Elle affecte la dynamique interne de plusieurs façons [9]. Les docteurs, mal pourvus en bénéfices et rompus aux spéculations et aux disputes, voire aux chahuts, n'appartiennent pas au cadre traditionnel d'un concile. Inhabitués à se frotter à l'élite et désireux de tenter leur chance personnelle dans cette "foire aux talents", ils apportent avec eux leur loquacité, leur inventivité et leur capacité infinie à discuter et à se quereller [10]. Leur présence massive affecte, non seulement l'ambiance du concile, mais ses résultats car ils votent [11]. Pour peu qu'ils soient moins absentéistes que les dignitaires, les docteurs dominent les assemblées.
Comme
la crise de n'importe quelle monarchie, celle du gouvernement papal
redonne du
pouvoir aux Grands (les dignitaires) et au "peuple" (les docteurs).
Mais c'est d'abord par défaut. Le concile devra se hausser au-dessus du
pape
pour asseoir la légalité et la légitimité de méthodes et solutions
extraordinaires. Il le fera à contrecœur, tiré par en haut (l'empereur)
et
poussé par en bas (les docteurs). Ne le prenons pas pour une assemblée
révolutionnaire cherchant à appliquer un programme prédéterminé !
le concile
est à la fois divisé [12]
et conservateur.
La
solution passe par la "triple cession" : après l'abdication des
trois papes abdique, tous leurs cardinaux s'assemblent et élisent un
pape
unique. Si Grégoire XII qui n'a plus beaucoup d'appuis se laisse
convaincre
contre récompense, derrière Benoit XIII se trouvent encore, au
début du
concile, toutes les Espagnes et l'Ecosse (qui n'a pas suivi la France
dans son
retrait d'obédience). Comme l'entêtement de Benoit ne permet pas
d'espérer son
retrait, l'empereur, mêlant persuasion et intimidation, obtient son
abandon par
le roi d'Aragon et les autres. Leurs délégués se joindront au
concile
pour déposer Benoit XIII : lui-même ne cédera jamais et papera
tout seul
sur son rocher de Peniscola.
Puisque
les deux antipapes, leurs cardinaux et évêques, leurs sponsors,
n'envisagent en
aucune façon de se rallier au troisième, Jean XXIII, il faut donc
également le
retirer du jeu, ce qui soulève deux difficultés : i) pour son
concile, il
est le pape légitime, successeur canonique de celui qui a été élu à
Pise ;
ii) lui-même, s'il a accepté Constance sous la pression de l'empereur,
ne veut
pas abdiquer et compte sauver sa tiare grâce à la majorité automatique
que lui
procure l'innombrable délégation italienne.
Pour
éviter cela, le concile limite le vote par têtes aux délibérations au
sein de
chaque nation (germanique, gallicane,
anglaise, italienne) : ensuite, les nations se réunissent et
décident à
l'unanimité. Exit la majorité italienne.
L'Empereur
et le concile arrachent au pape la promesse d'abdiquer et, doutant de
sa
sincérité, demandent des assurances et des garanties. Se sentant piégé,
le pape
met en œuvre le "plan B" qu'il a préparé en s'alliant (à prix d'or)
au duc d'Autriche, Frédéric : Jean XXIII quitte Constance
subrepticement,
d'abord pour ses alentours (Schaffhouse), ensuite, de plus en plus
loin. Une
fois à l'abri, sous la protection de Frédéric, il compte camper sur sa
"papalité", prononcer la dissolution du concile et reprendre le
combat. Mais l'empereur lâche sur Frédéric d'Autriche tous les
prédateurs qui
guignent ses terres et le concile durcit sa position. A la fin, le
pape,
abandonné de tous et capturé, sera forcé d'accepter la loi de
l'empereur et, au
lieu d'une abdication honorable et bien payée (à l'instar de Grégoire
XII), il sera
déposé honteusement pour hérésie et crimes de toutes sortes et
emprisonné.
Cela
se fait à reculons. Constance n'accepte pas d'emblée la souveraineté du
concile
qu'avait déclarée Pise [13].
Constance hésite jusqu'à ce que la fuite du pape le rende indéfendable
et
emporte la décision collective [14].
La thèse de Pise ne triomphe qu'après la "trahison" de Jean XXIII et
de la plupart des cardinaux, quand la nature du concile se
transforme : menacé
de dissolution s'il reste papal, il lui faut devenir impérial.
Sigismond, vicaire de l'Eglise, passe de
"coprésident" à président. C'est une espèce de coup d'Etat. Alors que
tout le monde, supposant le concile dissout par la fuite du pape,
prépare ses
bagages, la proclamation impériale que les affaires continuent,
acceptée par
les délégués dans un réflexe d'autodéfense, met le pape hors-jeu.
Puisqu'il ne
démissionne pas et que la convergence (annulation des trois papes)
conditionne
le succès, il ne reste qu'à s'en débarrasser. Le concile doit annuler
son pape légitime.
Comment
opérer légalement ? Dieu seul juge les papes, les hommes n'en
connaissent
qu'en cas d'hérésie (canon si papa du
Décret de Gratien). "Hérésie" est un chef d'inculpation d'une commode
élasticité : elle peut être explicite ou implicite, directe ou
indirecte ; le schisme est une hérésie ; l'opiniâtreté aussi.
Jean XXIII
est coupable des deux. Cette voie facile sera empruntée et, pour faire
bon
poids, on ajoutera une multitude de crimes de droit commun dont Gibbon
(chap. LXX)
s'amuse : on supprima les
accusations les plus scandaleuses ; le vicaire de Jésus-Christ ne fut
accusé
que de piraterie, de meurtre, de viol, de sodomie et d’inceste.
Complémentairement,
les théoriciens, pour se sentir satisfaits en doctrine, emploient
l'argument
"fonctionnel" du bien public :
le mandat divin du pape lui assigne comme but le bien public de
l'Eglise (en
l'occurrence, la fin du schisme) ; s'il l'oublie, s'il le combat,
il perd
son mandat. Qui décide ? l'Eglise universelle représentée par le
Concile
dont l'autorité doit s'imposer aux hésitants, aux cardinaux (la plupart
suivent
encore le pape) et à la "nation" italienne (ses clients). D'où la
multitude de sermons et de traités (d'Ailly, Gerson, Zabarella...).
Désapprouvant les incendiaires du passé (comme Marsile de Padoue) et
condamnant
ceux du présent (comme Hus), ces conservateurs font le grand écart pour
justifier la déposition du pape sans nier la monarchie papale,
combattre le
pape en défendant la papauté. Ainsi, leur dialectique, nourrie des
conflits
passés entre sacerdos et imperium,
développe les paradoxes.
Les
Gerson,
d'Ailly etc. multiplient les acrobaties pour
légitimer le nécessaire coup de force :
Le
concile n'adhère pas mais "gauchit" au fur et à mesure que le pape
s'éloigne davantage. A Schaffhouse, à côté de Constance, le pape
pouvait prétendre
que l'air était meilleur et qu'il participait encore au concile auquel
il
pouvait se joindre à tout moment. De ce fait, à la 4ème session, les
cardinaux
parviennent à bloquer la tentative de proclamer la supériorité du
concile sur
le pape. Ensuite, le concile apprend que le pape, inquiet pour sa
sécurité, a
quitté en hâte Schaffhouse pour Laufenberg, cent kilomètres plus loin,
ce qui désole
ses partisans et décide les hésitants, pressés par l'empereur de mettre
fin au
schisme. Aucun atermoiement n'est plus possible. Les cardinaux dévoués
au pape
restent chez eux pour ne pas participer à la 5ème session (6
avril 1415)
qui, devant l'empereur, énonce et adopte dans les formes le décret Haec Sancta, à l'unanimité (des
présents) :
le concile représente l'Eglise universelle et tout un chacun,
fût-ce le
pape lui-même, doit se conformer à
ses décisions.
Le premier Article est, Que le Concile de Constance légitimement assemblé au nom du St. Esprit, & faisant un Concile Général qui représente l'Eglise Catholique militante, a reçu immédiatement de J.C. une puissance, à laquelle toute personne, de quelque état & dignité qu'elle soit, même Papale, est obligée d'obéir dans ce qui regarde la foi, l'extirpation du présent Schisme & la Réformation générale de l’Eglise de Dieu dans son Chef & dans ses Membres (Lenfant, Hist. conc. Const, T1, p 164) [15].
Texte imprimé du décret, Acta
Constantiensis concilii, Milan, 1511 [16]
Pour
la masse du concile, ce décret ne représente pas un dogme
révolutionnaire.
C'est un moyen désespéré de faire face à une situation désespérée. Il
ne sera
rien d'autre. Le vote de la 5ème session (à l'unanimité des présents)
est la
première et la dernière manifestation de radicalité doctrinale. On le
constate
dès la session suivante : une fois réglée la question du pape, le
concile
oublie son décret. Quand d'Ailly demande que, en vertu de la
supériorité
du concile, la condamnation des thèses de Wyclif soit prononcée au nom
du
concile et non du pape, il n'est pas suivi. La question est renvoyée à une commission de quarante maîtres en
théologie des quatre nations qui ne donne que douze voix à
d'Ailly : toutes les autres furent contre lui, parce
que le concile général n'avait par lui-même aucune autorité et ne la
recevait
que du chef (ex capite)...Lorsque au
cours de la discussion d'Ailly avança cette proposition: «Le concile
est
au-dessus du pape et peut le déposer» il fut contredit par presque tous
(Hefele, Tome 7.1, p 219). Ces théologiens ont consenti au fameux
décret
(peut-être tacitement), ils ne l'ont pas adopté !
Un
concile général est une grosse machine. Aussi de telles réunions
multilatérales
et universelles demeurent exceptionnelles dans un monde fragmenté qui
connaît
plutôt des conciles provinciaux ou nationaux, de rares rencontres
diplomatiques
bilatérales accompagnées de festivités ostentatoires, ou des diètes
germaniques
auxquelles assistent des ambassadeurs. Une "conférence universelle"
repose
sur l'appartenance commune à l'Eglise. Deux ans à l'avance, le pape
choisit le
lieu [17]
et convie tout ce qui compte dans le monde (chrétien), tant laïcs
qu'ecclésiastiques.
Cette
mixité paraît aujourd'hui incongrue pour décider des "matières de la
foi", elle est alors une évidence : d'une part, les "deux
glaives", spirituel et temporel, concourent au même objectif divin et,
en
particulier, à l'extirpation des hérésies ;
d'autre part, tout ou partie de l'agenda théologique demande des
décisions
politiques, qu'il s'agisse de lancer une croisade (contre les
hérétiques, pour
reconquérir l'Orient ou se défendre contre les Turcs) ou, comme à
Constance,
d'obtenir le retrait des obédiences aux papes concurrents et de les
rassembler
sous le futur pape unique.
Un
concile général entraîne donc une extraordinaire concentration de
puissances et
d'honneurs dans un même endroit. Voilà un siècle qu'il n'y en pas eu et
le
schisme le fait apparaître comme la dernière chance pour l'Eglise qui,
lorsqu'elle ne suscite pas la haine ("hussites"), n'inspire plus
qu'indifférence : Pendant ce
malheureux schisme, beaucoup de personnes ont dit souvent &
hautement,
qu’il falloit peu se metre en peine qu’il y eût deux ou trois Papes,
& même
dix ou douze, & que chaque royaume pouvoit avoir le sien, qui fût
indépendant des autres [18].
Autant un congrès des
princes qu'un synode,
le concile aspire, quoique de manière intermittente, des milliers de
"congressistes" et leur suite [19].
La ville de Constance, capitale temporaire du monde, devient
deux fois centrale : après la destitution
du pape, le concile exerce à sa place ses fonctions juridictionnelles
et
fiscales ; et, de son côté, l'empereur, saisi des conflits entre
magnats
germaniques, y convoque des diètes.
L'empereur
est le "manager" du concile [20].
Sans lui, le concile n'aurait pas été réuni, n'existerait plus et
n'aboutirait
à rien. Pour imposer ses décisions, il vient aux sessions publiques en
habits
impériaux, précédé de l'épée et du globe. Il intrigue, il manœuvre, il
manipule
la "nation française" et règle les disputes. Les autres Princes, en
personne ou par ambassadeurs, participent à la résolution du schisme
(obédiences) et discutent la question de la collation
des bénéfices : qui distribue les rentes et choisit les
bénéficiaires ?
Pour
les Princes, "réformer l'Eglise" (re-former, revenir à son état
évangélique) consiste à mettre fin au monopole que la papauté s'est
octroyée ! Aussi apprécient-ils les thèses conciliaristes. Ils
préfèrent être vicaires du Christ plutôt que du
pape, ils préfèrent leur justice aux tribunaux ecclésiastiques, ils
préfèrent
distribuer les prébendes et nommer aux dignités...Au monarchisme papal
universel
ils préfèrent une organisation "nationale" de l'Eglise dont ils
seront chefs. Dans une certaine mesure, ils gagnent : lorsque, à
la fin,
le nouveau pape, Martin V, trahit le concile qui l'a fait, il
obtient le
soutien des Princes en substituant à la réforme générale de l'Eglise dans la tête et les membres (un thème
qui restera longtemps lancinant) une série d'accords de partage du
pouvoir
(concordats "nationaux"), ce qui revient à reconnaître de
facto que la Chrétienté (sous son
monarque papal) est composée de chrétientés (sous leur monarque laïc
propre).
Constance
a marqué l'Histoire à cause de cette intrication de la primauté du
concile et
du droit des rois qu'amplifient leurs docteurs respectifs. Ces
docteurs, leur
université, les instances auxquelles elle est liée (le Parlement en
France),
constituent une espèce de "technostructure internationale" qui, sans
avoir la même opinion sur tout, parle la même langue, a les mêmes
références,
partage les mêmes valeurs et les mêmes intérêts (notamment par rapport
à la
hiérarchie ecclésiastique [21]).
Ces gens vont animer et alimenter les débats, peser sur les décisions,
produire
des doctrines. Ils multiplient les sermons, les réponses aux réponses,
les
traités, les lettres à leurs mandants et à leurs relations, qui, pour
nous,
documentent le concile. Leurs thèses n'étant pas toujours partagées,
les
oppositions s'accompagnent de manœuvres, de cris, d'insultes, de
bousculades,
de diffamations, d'affiches, et aussi de discours et de textes dont les
copies
assurent la diffusion et la promotion, dans leur présent et dans le
futur dès
que l'imprimerie prendra le relai.
Vingt
ans plus tard, quand le concile de Bâle réaffirmera la doctrine de
Constance [22],
le camp adverse résistera. La position papaliste dont, à Constance,
dans le
contexte du schisme et de la fuite de Jean XXIII, la défense était
restée
timide et oblique, sera vigoureusement affirmée et développée, tant par
les
légats du pape (archevêque de Tarente) que par certains théologiens
(Torquemada) :
le pape est le souverain universel. Malgré la défaite finale du
concile, en France,
la "bâloise" pragmatique
sanction (Bourges), les docteurs de l'Université et le Parlement,
défendent
les "libertés de l'Eglise gallicane". Ils assumeront et enseigneront
la tradition "conciliariste" contre les prétentions papales dont,
régulièrement,
ils condamneront l'expression (cf. infra).
Le
conflit se renouvelle avec les "guerres d'Italie". Charles VIII
se heurte militairement au pape à propos de Naples. Son successeur,
Louis XII, mobilise la Sorbonne contre Jules II, revivifie
les
"libertés gallicanes" et glorifie la primauté des conciles sur le
pape. Sur cette base, en alliance avec l'empereur, il fait convoquer
par des
cardinaux dissidents un "concile" à Pise (1511) pour déposer
Jules II, lequel contre-attaque en ouvrant un concile concurrent à
Rome
(Latran V). Marignan est aussi une victoire contre le pape qui,
par le "concordat
de Bologne" (décembre 1515), reconnaît les pouvoirs du roi de France
dans
son Eglise [23].
Le
"gallicanisme" n'est pas une spécificité gallicane. Il cristallise un
affrontement général qui prend, selon les pays, des formes et des
rythmes
différents : les droits respectifs de la papauté et des princes se
concurrencent
depuis longtemps ; plus la capacité "étatique" des Princes
s'affirme, plus l'opposition s'aggrave comme le montrera le ralliement
de
nombreux Princes à la Réforme.
L'examen du concile auquel nous venons de procéder montre que ses implications politiques concernent les droits du roi par rapport au pape et non les droits du peuple par rapport au roi (a). Mais les papalistes qui ont senti le vent du boulet "conciliariste" affecteront de voir dans Constance un programme "démocratique" pour convaincre les rois de se rallier à Rome (b). Dans ce temps, nul ne se soucie de la "souveraineté du peuple", ce n'est qu'une figure de style (c).
Pour
Figgis 1907 [24],
le décret Haec Sancta du Concile de
Constance représente le document officiel
le plus révolutionnaire de l'histoire du monde[25]. A sa suite, Rueger
1964 [26]
en fait la matrice de la monarchie parlementaire: le Roi règne dans le Royaume, et
non pas sur le Royaume diront les
députés anglais dans la phase légale de
leur opposition au Roi (1607/44) et, plus généralement, les
théories parlementaristes
(Locke etc.).
A Constance, le Concile a affirmé que, en tant qu'assemblée de l'Eglise universelle, il a le droit d'imposer ses décisions au pape. On devine que ce schéma constitutionnel n'agrée pas aux papes et on sait que, après cet accident, l'Eglise redeviendra monarchique. Ces thèses ont néanmoins perduré ("conciliarisme") et, si l'on suit Rueger, débordé du spirituel au temporel (monarchie mixte). En remplaçant "concile" par "parlement" (ou "états généraux") et "pape" par "roi", on obtient quelque chose qui ressemble au programme whig : le pape (roi) n'est pas un vice-Dieu tout puissant, seulement le premier "officier" de l'Eglise universelle (du Royaume), laquelle (lequel) est représentée par le concile (parlement) directement inspiré par Dieu. La personne et l'office du pape (roi) sont distincts. La personne a pour mission d'assurer le bien de l'église (le bien public) : si elle s'en éloigne, a fortiori si elle fait le contraire, elle doit être réprimandée ou corrigée par le concile (parlement), et, en dernière instance, déposée et remplacée. Le concile (parlement) ne se borne pas à conseiller le pape (roi), il décide avec lui : la souveraineté absolue (plenitudo potestatis) n'appartient pas au pape (roi) seul, mais au pape en son concile (King in Parlement). Corollaire : puisque le concile (parlement) ne peut pas siéger en permanence, sa convocation et dissolution ne doivent pas être à l'initiative de "l'administrateur" mais garanties par la loi. La réformation de l'Eglise (de l'Etat) ne se fera pas en se fiant aux promesses du pape (roi) mais par l'action et le contrôle du concile (parlement).
Une telle transposition a-t-elle vraiment été effectuée pendant les troubles français (XVIe) et anglais (XVIIe) ou n'est-elle qu'une construction formelle des historiens de la pensée politique des XIXe/XXe ? Ces historiens utilisent des textes survivants (dont on ne connaît pas toujours les circonstances, le statut et la réception), les classent, les rapprochent et, ainsi, produisent d'apparentes continuités qui tracent en arrière le chemin vers la pensée "démocratique". L'assimilation binaire du pape au roi, du concile au parlement, projette dans le passé nos conceptions politiques, oubliant ou ignorant que la place respective du pape et du roi (empereur, princes) constitue le problème "constitutionnel" ordinaire de la période chrétienne de l'Europe, tandis que les "droits de la communauté" demeurent pendant longtemps un cri de crise.
A partir du moment où le repli oriental de l'Empire a libéré le pape de Rome de son Empereur et l'a obligé à chercher ailleurs des soutiens militaires, le rapport entre les deux glaives (le temporel et le spirituel) est devenu indéterminé. Dans la "république chrétienne" les deux concourent au même but, mais comment ? division du travail ou subordination ? C'est sur ce terrain que le jeu des prétentions croisées mobilise tant la base biblique et patristique que le legs de l'antiquité. Les "clashes" (épisodes chauds de la "querelle des investitures", Philippe le Bel...) et les contentieux routiniers conduisent les Princes à demander à leurs conseillers des arguments contre l'impérialisme papal [28] dont la contestation alimente parallèlement les thèses de Constance.
La
soumission à l'Eglise n'empêche pas les Princes de défendre contre le
Pape leur
honneur (souveraineté vs
subordination), leurs droits d'investiture et leurs finances
(ponctionnées par
Rome). Très tôt, ils apprennent à distinguer le pape régnant et la
Papauté, à
proclamer qu'ils s'opposent à un homme inique, non à un principe. Des
papes ont
déposé des empereurs, des empereurs ont déposé des papes. Philippe le
Bel,
outre la molestation de Boniface, en a appelé du pape au futur concile
comme
supérieur à lui.
Tout
ceci ne va pas sans une rhétorique adaptée que, on l'a vu, notre
concile
s'approprie et consolide et que reprendront les gallicans français (et
leur roi
lorsqu'il en aura besoin). Sur le plan politique, Constance apporte de
l'eau au
moulin, non pas des "démocrates", mais des Princes.
Lorsque les Princes seront contestés (troubles français du XVIe, anglais du XVIIe), des arguments seront inventés ou recyclés à partir du même fonds (biblique, patristique et antique) et du même dilemme : s'opposer au monarque en célébrant la monarchie. Ces ressemblances ne démontrent pas une causalité. Constance, au-delà de son objectif propre (schisme), fait époque dans la définition de la nature du couple pape/roi : "gallicans" et papalistes ne cesseront d'y revenir. La monarchie limitée ne dérive pas du concile de Constance. Au contraire, il nourrit la monarchie absolue en oblitérant son concurrent papal.
Quand Buchanan, pour justifier la violence faite à Marie queen of Scots se réfère à Constance —si même le divin pape peut être jugé par le concile, a fortiori un monarque temporel par son peuple— c'est de la rhétorique [30] qu'on surinterprète en invoquant l'alliance séculaire entre l'Ecosse et la France pour introduire le pouvoir d'attraction de la Sorbonne, gardienne des dogmes de Constance, et, en rebondissant sur la connexion entre les Puritains écossais et anglais, arriver aux Commons sous Charles I. La comparaison du concile et du "peuple" anime un discours (les membres vs la tête) mais ne prouve rien. Le "saint décret" porte sur le gouvernement de l'Eglise et le statut du Pape, il serait impropre de s'en servir contre la souveraineté du Roi [31]. Et superflu : il suffit de puiser dans la Bible, dans l'Antiquité et dans la littérature politique du moyen-âge. Ne sous-estimons pas l'ingéniosité qui naît du débat et du besoin.
Que certains arguments parlementaristes aient été entendus à Constance n'implique pas qu'ils en découlent. Rien d'étonnant à ce que des hommes, à la fois contraints et agiles, empruntent les mêmes formulations à la théorie des corporations, cet omnibus de la pensée politique médiévale. Pas besoin de Constance pour dire que le roi existe pour le royaume et non le royaume pour le roi (A pour B vs B pour A — une antimétabole au potentiel illimité). Thomas d'Aquin suffit. La lex regia suffit [32]. Constance peut jouer le rôle de caisse de résonance (le pape a été déposé), mais ne produit pas le son. Les deux séries sont parallèles : dans une circonstance donnée, défendre les membres sans attaquer la tête, limiter la monarchie sans la nier. De telles thèses ne constituent pas un programme constitutionnel multi-usages, elles ne corrompent pas les relations de subordination en y instillant le dissolvant de la souveraineté de la communauté.
L'exploitation
politique de Constance n'est pas le fait de
ceux qui s'opposent à leur roi mais des papalistes. Ceux-ci ont deux
objectifs
antagoniques : d'une part, obtenir des rois qu'ils soutiennent le
pape contre
le concile ; d'autre part les soumettre au pape dont le concile
les a
libérés. Ils en appellent au principe monarchique contre un concile qui
met le
monde à l'envers [33], contribuant ainsi à
l'illusion "démocratiste" de la postérité.
Voyons
l'assemblée de Bourges (1438) où, devant le roi, le clergé, les
docteurs et les
Grands, plaident les représentants du concile de Bâle et ceux du
Pape [34].
Ces derniers
arguent que reconnaître la suprématie du concile sur le pape revient à
admettre
les droits des états généraux sur le Roi. Cette transposition par en
haut (les
droits du monarque) est un appel à la solidarité, une théorie des
dominos. Le
pape, craignant le contenu politique présent (Bâle), passé (Constance),
et
potentiel, du fameux décret Haec Sancta,
adjure le roi de ne pas mettre en péril sa propre souveraineté par une
adhésion
irréfléchie : rien ne doit limiter la souveraineté d'un monarque.
La
question est sensible en France où vit encore le souvenir des
dramatiques états
généraux de 1355 [35]
et de 1413 ("ordonnance cabochienne"), et où Charles "VII",
en guerre pour sa couronne, dépendant des états pour les subsides,
cherche à
leur concéder le moins possible.
En
réponse, l'ambassadeur du concile, Thomas de Courcelles [36],
docteur en
théologie, nie la transposition. Sa démonstration met au net le contenu
théologique du Décret (et donc sa spécificité). Les défenseurs du pape
disent
que, si les conciles généraux peuvent corriger ou déposer le Pape,
alors, par
la même raison (pari ratione), les
peuples pourraient corriger ou déposer leur roi (si
concilia generalia possent corrigere & deponere summos
Pontifices, pari ratione populi haberent corrigere & deponere
Principes
seculares).
Non,
répond Courcelles, ce n'est pas la même
raison, il n'y a pas transitivité, ça n'a rien à voir, on ne passe
pas de
l'un à l'autre. La primauté des conciles sur le pape n'induit pas celle
du
peuple sur le roi. Pourquoi ? pour une raison théologique,
l'essence
divine du concile : le concile n'est pas au-dessus du pape en
vertu d'un
principe aristocratique ou démocratique général (vs
monarchique), mais parce que son autorité lui vient directement
de Dieu, parce que les évêques (et non le seul pape) sont les
successeurs des
apôtres et qu'ils incarnent l'Eglise universelle dont le vrai monarque
est le
Christ (et non le pape).
Rien
à voir avec les états généraux qui, étant d'une autre nature, toute
terrestre
et toute subordonnée, ne tiennent pas à l'égard du roi la place et le
rôle du
concile par rapport au pape [37] :
Dieu n'a pas donné à l'assemblée du "peuple" l'autorité de réformer
ou de punir son prince (non habet
auctoritatem a Christo corrigendi aut puniendi Principem suum). Il
ne faut
pas mêler deux questions que sépare une barrière d'espèce. C'est,
dirions-nous,
un "no bridge".
Et,
pour apporter une garantie supplémentaire, Courcelles rappelle que le
concile
(Constance repris par Bâle) a condamné explicitement et catégoriquement
le
17ème article hérétique de Hus, "que le peuple a le droit de punir son
souverain" : quod principes haberent puniri ad
arbitrium populi. Personne, jamais, nulle part, n'a de droit sur
son
souverain. Le pape n'est pas le souverain du Concile dont l'autorité
vient directement
de Dieu (quod concilium generale habet
immediate potestatem a Christo). C'est ce qui permet au Concile de
juger et
éventuellement punir son pape. Conclusion : le roi n'a rien à
craindre
pour sa souveraineté en adhérant au décret de la suprématie du concile
(qui lui
permet de se libérer du pape).
A
Bourges, il y a concurrence entre têtes,
pas entre les têtes et les membres.
L'assemblée, sans suivre le
concile de Bâle dans la voie du schisme (antipape Felix), approuve et
valide
tous les autres décrets (y compris ceux qui reprennent Constance) qui
constituent la Pragmatique Sanction [37b]. Elle
rejette les prétentions du pape en matière d'investitures, de taxation
et de
juridiction. Cette Pragmatique sera
la bible du gallicanisme. L'Université et le Parlement de Paris la
défendront
lorsque Louis XI, pour se concilier le pape, fera semblant d'y
renoncer. Et
à nouveau lorsque François 1er l'abandonnera : quoique le
concordat
qui lui succède apporte la sanction papale aux droits du roi sur son
Eglise, le
Parlement, accroché au symbole, n'en voudra pas.
Ce
n'est pas fini ! Malgré le prudent évitement opéré par le concile
de
Trente (1542/63) en raison du contexte difficile [38],
le thème continue
à courir. Chaque fois que le roi de France se trouve en opposition ou
en guerre
italienne avec le pape, il lâche ses chiens (Parlement et Université),
devient
gallican et se rallie à la tradition de Constance. Symétriquement,
chaque fois
que le pape se trouve en opposition ou en guerre avec le roi, il exhibe
son
droit divin à la monarchie universelle : Roi des Rois par la grâce
de Dieu,
il peut tancer ceux-ci, les corriger et les punir. Le décret de
Constance sur
la suprématie du concile survit par cet affrontement dont il reste le
cœur.
Début XVIIe, dans la période de l'Interdit Vénitien, la République
exhume et
publie des écrits de Gerson, devenu le drapeau de la lutte contre le
pape !
De
l'autre côté, à la suite des dominicains Torquemada au XVe siècle et
Thomas de
Vio (Cajetan) début XVIe, Bellarmin au XVIIe et la plupart des Jésuites
poursuivront sans relâche la dénonciation du concile de Constance.
Outre les
arguments théologiques, ils soutiennent que le texte du décret de la
5ème
session est faux, qu'il n'a pas le sens qu'on lui prête, qu'il manque
d'autorité légale, n'ayant pas été pris conciliariter.
Ils accusent les gallicans de rejeter le principe monarchique, en
subordonnant
la tête aux membres.
Voyons
une
expression caractéristique de cette lutte que, en
1610, l'assassinat de Henri IV rend à nouveau brûlante car
l'adhésion des
Jésuites au droit du pape à déposer les rois en fait des régicides
potentiels.
L'Université et le Parlement les somment donc de proclamer leur
fidélité à la
doctrine gallicane de la liberté des rois. En particulier, Edmond
Richer, le Gracchus des libertés gallicanes (Préclin),
syndic de la Sorbonne, déjà en guerre contre les Jésuites
sur le marché de l'éducation, agit, après
l'assassinat, pour les obliger judiciairement à adhérer à la doctrine
de
l'Université [39].
Il publie son libellus (1611, De
Ecclesiastica et politica potestate)
qui attaque la doctrine papaliste : La
puissance infaillible de décerner ou constituer des règles appartient à
toute
l’Eglise qui est la colonne et appuy de vérité, non à St Pierre seul.
Pour
lui, le gouvernement souhaitable de l'Eglise est une monarchie
tempérée.
Si
le régicide réclame une extrême prudence de la part des papalistes, ils
ne se
privent pas — à commencer par le cardinal du Perron— de recourir à
la vieille malice de la transposition : contester la monarchie
papale,
c'est contester la monarchie civile.
Ainsi, non contents de pourchasser Richer, ils utilisent son passé du
temps de
la Ligue pour l'accuser de démocratisme, d'apologie du meurtre de
Henri III etc., et en faire la révélation de l'horrible programme
politique du conciliarisme [41].
N'oublions ni les "six articles" de la Sorbonne en 1663 [42], ni les "quatre articles" de l'assemblée du clergé de 1682 dont le premier stipule : que saint Pierre & ses Successeurs & que toute l’Eglise même n'ont reçu de puissance de Dieu que sur les choses Spirituelles, & qui concernent le salut, &: non point sur les choses Temporelles & Civiles...les Rois ne sont soumis à aucune puissance Ecclésiastique par l'ordre de Dieu, dans les choses qui concernent le temporel & qu'ils ne peuvent être déposés directement ni indirectement par l'autorité des Clefs de l'Eglise ; le second rappelle les décrets de Constance observés de tout temps religieusement par l'Eglise Gallicane [43]. Les "quatre articles" feront l'objet d'attaques et de défenses, dont la somme de Bossuet (Défense de la déclaration, 3 volumes) demandée par le roi pour écraser les papalistes : elle aura le malheur d'être terminée après la paix avec le pape et, interdite de publication, sera rangée dans les cartons de l'auteur, de l'héritage duquel elle sortira subrepticement en 1745 pour être imprimée en Hollande comme un livre subversif !
Au
XVIIIe siècle encore, l'abbé Fleury écrit : Quelques
Politiques ont prétendu décrier cette doctrine de la supériorité
du Concile, en le comparant aux Etats
Généraux, dont
on sait que les prétentions
tendoient à leur
arroger dans le gouvernement une autorité qui ne
leur appartenoit point.
Comme Courcelles à Bourges, il y a trois siècles, Fleury nie la
possibilité de
transposition, au motif de la transcendance des Conciles : ils ont
l'autorité sur les fidèles alors que les états généraux n'ont pas
d'autorité
sur le peuple et servent seulement à conseiller le roi [44].
Des
Jansénistes aux rédacteurs de la constitution civile du clergé en
1790 [45],
le gallicanisme immodéré du XVIIIe siècle
(Puyol, 1876) reprend les arguments antipapalistes de Richer qui trouve
une
revanche posthume à ses malheurs...
Le
peuple est une allégorie que les généalogistes de la pensée
démocratique
prennent au pied de la lettre, voyant l'ombre de la souveraineté
populaire dans ce qui, longtemps, demeure
un jeu
de stratégie circonstanciel.
Prenons le célèbre discours de Philippe Pot, sr de la Roche, aux états généraux de 1484 qu'on lit souvent comme une défense des libertés publiques [46]. Il est vrai que, dans cette harangue dont le texte nous est connu indirectement [47], des mots résonnent fortement à nos oreilles excitées par les révolutions ultérieures : il est constant que la royauté est une dignité, et non la propriété du prince...l'histoire raconte qu'à l'origine le peuple souverain créa les rois par son suffrage…Comment de vils flatteurs attribuent-ils la souveraineté au prince, qui n'existe lui-même que par le peuple? Emerveillé, le naïf s'exclame : Si seulement la noblesse avait toujours parlé ainsi !
Pot est député de la noblesse de Bourgogne dont il est un grand dignitaire (sénéchal de Bourgogne et chevalier de la Toison d'Or, après son grand-père Régnier). Il a appartenu au premier cercle du Téméraire puis, après sa défaite, de Louis XI, troquant alors la Toison d'Or contre l'ordre de St Michel. Son fameux tombeau, aujourd'hui au Louvre, témoigne de sa splendeur. La question à laquelle il répond ne concerne pas le gouvernement du royaume en général, moins encore le peuple souverain : les états généraux ont à trancher le conflit entre la Régente désignée par le testament de Louis XI, Anne de Beaujeu, sœur de l'enfant-roi, et son cousin, Louis d'Orléans, successeur présomptif, qui, avec les Grands, compte saisir le pouvoir [48].
C'est à ce sujet qu'intervient Pot pour combattre cette prétention des Princes (qu'ils réitéreront à chaque minorité ou faiblesse du roi). il objecte : il n'y a aucun lien légal qui engage la question, aucune ordonnance fondamentale qui attribue aux princes du sang, ou à l'un d'entre eux, la direction des affaires. Tout est donc à régler; et il faut le faire sans hésiter. Ne laissons rien flotter dans le vague, n'abandonnons pas le salut de l'État à l'arbitraire d'un petit nombre. A ce petit nombre auto-désigné, il oppose le grand nombre, les droits du "peuple" représenté par les états qui doivent décider librement pour Anne contre Louis [49]. Voilà tout. Cette "souveraineté populaire" n'est pas positive mais négative. Le "peuple" est appelé pour rejeter la prétention d'un compétiteur qui excipe de ses droits natifs.
Un siècle plus tard, le "démocratisme" des monarchomaques réformés sert à contester un roi natif catholique [50] comme celui de la Ligue à Paris vise à barrer la route au Bourbon, successeur-né. Rien de plus. Si on les laisse faire, plus encore si on les incite, les docteurs, les écrivains, développeront, théoriseront, contrargumenteront. Il s'agit de doctrines ambulatoires...oiseaux de passages...lumières errantes...(Bayle). On est devant de la communication, des luttes d'influence, pas devant une théologie politique, encore moins une doctrine constitutionnelle. A Constance aussi, le concile avait d'abord et surtout un problème pratique à régler : neutraliser les trois vieux papes pour en faire un tout neuf.
L'histoire
de la pensée politique, au lieu de faire l'histoire politique de la
pensée, a
mis l'accent sur les continuités textuelles. Elle ignore les analogies
contextuelles : dans certaines situations contraintes, il faut
emprunter
une ligne de fuite et, si les contraintes sont fortes, une seule est
praticable. Ce n'est pas seulement de la manipulation, il faut aussi se
convaincre soi-même. Face au même type de données et d'interdits, tous
les instruits,
saturés de littérature et experts en dialectique, feront la même
gymnastique
pour contourner l'obstacle qu'ils ne peuvent ni sauter ni faire sauter.
Nier le
Pape ou le Roi est impensable, les opposants au Pape ou au Roi croient
en leur
majesté. En distinguant la fonction et la personne, ils s'autorisent à
attaquer
la seconde comme indigne de la première ; plus grand le respect,
plus
forte l'attaque !
De
manière encore plus subtile, on renvoie la fonction au "peuple" pour
le bien duquel elle s'exerce. Loin d'une signification démocratique
anachronique, on est dans la pensée médiévale : la "société"
étant conçue comme une communauté de communautés (universitas
universitarum), sa gouvernance ressemble à une pyramide
où toute décision repose sur le consentement, fût-il tacite et passif,
des représentants
des intéressés. Constance ne nie pas la plenitudo
potestatis attachée à la primauté papale mais la rapporte au bien public de la communauté qui en fixe
les conditions
d'exercice [51] ;
le Monarque n'est pas disqualifié, il est circonscrit, englobé [52]
!
Cette
figure de style sera utilisée pour contester le roi, notamment en
France et en
Angleterre, et aussi—quelle ironie !— à Rome pour affirmer la
transcendance
du pape [53] :
dériver les pouvoirs royaux de la souveraineté du peuple les ancre dans
le
temporel tandis que seul le pouvoir papal est divin. Suivant la piste
frayée
par un Thomas d'Aquin en défense du pape contre l'empereur, les
papalistes (et
notamment les propagandistes jésuites) renvoient les rois à leur
origine, la lex regia par laquelle le
"peuple" leur a, un jour, délégué sa souveraineté : les rois
prétendent
être les élus directs de Dieu (et donc les égaux du pape), ils ne sont
"divins" qu'accessoirement, dans la mesure où rien ne peut exister
qui ne soit approuvé par Dieu. Leur fonction consiste à assurer le bien
commun
du peuple et celui-ci se résume au salut éternel dont la papauté est
garante.
CQFD. Aussi (on retrouve le schéma de Constance), un roi qui dévie de
son
devoir (a fortiori un roi hérétique)
doit être réprimandé et éventuellement sanctionné par le Pape qui,
agissant ratione peccati, peut le déposer et le
remplacer au nom du bien public. L’identité du corps social et de la
chrétienté
exclut le non chrétien, qu'il le soit par croyance ou par déviance.
Puisqu'un
pape qui serait hérétique cesserait ipso
facto d'être légitime, a fortiori un
roi ! Quand on sait quelle extension est susceptible de recevoir
"hérésie", simple synonyme de mauvais choix), une telle conception
justifie le droit au refus d'obéissance, à l'insurrection et, encore un
peu
plus loin, légitime le tyrannicide.
Le lecteur que je n'aurai pas convaincu m'accusera d'avoir remplacé une problématique anglaise centrée sur le parlementarisme par une problématique gallicane typiquement française. Non, je l'ai remplacée par l'étude du concile. Le cœur de Constance, c'est les droits du pape, presque toujours présents ou sous-jacents, en théorie comme en pratique (nominations, taxations). Même les questions proprement "de foi" comme la condamnation de Wyclif et Hus contiennent cette dimension.
Beaucoup d'idées sont émises, les unes conservatrices, les autres "contestataires". Ces dernières, parfois habilement formulées, peuvent atteindre la pureté du sophisme transférable, sans pour autant être "disruptives" : elles empruntent aux lieux communs (plusieurs voient mieux qu'un ; ce qui concerne tous doit être consenti par tous ; le pape n'est pas la papauté...) ou puisent dans un fonds littéraire qui s'est développé depuis des siècles.
Le décret de la 5ème session est ecclésiastique et non politique. Il porte sur la relation du Pape et du concile, et donc sur la place du Pape dans l'Eglise, entendue au sens total du temps, l'ensemble de la chrétienté. Utiliser le décret dans le champ civil est hors-sujet. Son efficace est dans le champ chrétien, celui-là même où se pose la question pape/roi. Si le Pape est monarque universel absolu de la Chrétienté, tirant seul sa souveraineté directement de Dieu, l'Eglise, au sens étroit et au sens large, lui est soumise. Et donc les rois.
Voilà comment Constance conduit aux droits des rois et non aux droits des peuples.
Concernant
ces derniers, les parlementaristes anglais de la première moitié du
XVIIe n'avaient
pas besoin de Constance pour trouver des idées ou des formulations.
Elles
bouillonnaient dans l'Histoire de leur parlement et de ses conflits
avec le roi,
elles mitonnaient dans la littérature où l'histoire de la pensée
politique
anglaise nous montre les idées en suspension dans l'air du temps.
Fortescue, en
particulier, constitue un réservoir bien mieux rempli et plus facile à
exploiter que le concile de Constance.
Entre Constance et les Stuarts anglais, il y a un abîme : Luther, la réformation anglaise, Calvin et les presbytériens. La Chrétienté de Constance a éclaté et des formulations antipapales plus puissantes que le décret ont été émises, voire vociférées, appuyées par des Princes, par des peuples et par des armes. Constance ne marque plus (en blanc ou en noir) que dans la sphère restée catholique : c'est pourquoi on lui trouve une postérité vivante et animée en France et dans les autres pays où la question pape/roi est restée posée. Ailleurs, elle a été réglée ! la dénonciation des abus papaux a constitué le thème le plus mobilisateur et rassembleur de Luther et le pape n'a plus rien à voir ni à dire là où les Princes ont basculé [54]. Seuls ceux qui étaient restés avec le pape cherchaient des canons contre lui et devaient conjuguer respect et opposition.
[1] Les historiens d'aujourd'hui s'intéressent peu au narratif du concile. Je m'appuie sur Lenfant 1731. Réformé modéré, Lenfant, exilé en Hollande par la révocation de l'Edit de Nantes, donne une histoire très raisonnable du concile, basée sur une multitude de documents. La grande histoire des conciles de Hefele au XIXe est biaisée par un parti pris catholique et les gloses de l'éditeur français (Dom Leclercq) y ajoutent une couche de nationalisme. Les citations dont la référence n'est pas précisée sont tirées de Lenfant, Histoire du Concile de Constance. [2] Echaudé par l'étouffement du concile de Sienne (1423), le Concile de Bâle (1432-1438-1448) réaffirme les décrets de Constance (Nicolas de Cusa, De concordantia catholica qui étend à tous les cas la supériorité du concile sur le pape). Le pape (Eugène IV) cherchant à dissoudre le concile sous couvert de transfert en Italie, le Concile lui arrache sa reconnaissance (bulle Dudum sacrum, 2ème forme, datée du 15 décembre 1433) et s'emploie à se substituer à lui en matière juridictionnelle et fiscale, de fait et de droit, comme si la "monarchie constitutionnelle" de Constance se transformait à Bâle en régime d'assemblée. Les oppositions croissantes au sein du concile (notamment à propos du procès et de la déposition du pape), le rétablissement de la position d'Eugène en Italie à partir de 1435, le mécontentement de l'empereur (toujours Sigismond !) qui attend du concile la pacification de la Bohême, tout cela conduit à la scission de mai 1437. Elle permet au pape de s'appuyer sur le décret de la minorité pour "transférer" le concile à Ferrare (où il commence début 1438, avec l'arrivée des Grecs, avant que la peste le déplace à Florence). Par cela même, les délégués restés à Bâle perdent leur légalité. Ils déposent le pape (25 juin 1439) et élisent à sa place Amédée, duc de Savoie, ("Felix V"), provoquant un schisme au moment où, au contraire, Eugène réunifie (en apparence) la chrétienté d'occident et les chrétientés d'orient. Les Princes condamnent Bâle mais s'empressent d'adopter ses décrets antipapaux en matière d'investitures et de bénéfices (Pragmatique sanction de Bourges). Les membres du concile, chassés de Bâle (été 1448), leur antipape négocie sa renonciation et tout le monde se disperse. [3] En 1517, le 5ème concile de Latran réintroduit par la bande l'outrecuidante bulle unam sanctam que Boniface VIII avait émise en 1302 dans son conflit avec Philippe le bel : il convient que le glaive soit sous le glaive, et que l'autorité temporelle soit soumise au pouvoir spirituel... il appartient au pouvoir spirituel d'établir le pouvoir terrestre, et de le juger s'il n'a pas été bon... En conséquence nous déclarons, disons et définissons qu'il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d'être soumise au pontife romain. Latran V la proclame dans le décret Pastor aeternus qui abroge la "Pragmatique sanction" française : Et comme il est de nécessité de salut que tous les fidèles chrétiens soient soumis au Pontife romain, ainsi qu'il ressort des témoignages de la sainte Écriture, des Pères et de la constitution Unam sanctam de Boniface VIII, nous renouvelons et ratifions, pour le salut des âmes fidèles, l'autorité du pontife romain et de ce Saint-Siège, pour l'unité et le pouvoir de l'Église, cette dernière constitution (Hefele, T8.1, p 532). Cette apparente reconquête de l'Eglise de France par la toute puissance papale a été longuement négociée avec le roi. Le "concordat" ménage ses intérêts et ceux de l'Eglise gallicane. [4] Elu en 1411 "roi des Romains" par la diète germanique, il est couronné à Aix en 1414 mais ne sera formellement "empereur des Romains" (couronnement par le pape à Rome) qu'en 1433, quatre ans avant sa mort. [5] Quelle est alors la validité des décrets antérieurement pris au nom de l'Eglise Universelle ? Même après l'union, on peut soutenir (Hefele) que le concile ne devient œcuménique que lorsqu'il s'unit au pape qu'il a fait : seulement les toutes dernières sessions, de la 41ème à la 45ème. Aussi, lorsque le pape élu du concile reconnaît toutes les sentences émises in materiis fidei conciliariter et non aliter nec alio modo, "conciliariter" exclut implicitement les décrets "révolutionnaires". Mais, répondent les tenants de la continuité, dans la première phase, la "congrégation" avait aussi condamné Wyclif et Hus, ce que le "concile" endosse. Cela montre que, même s'il n'est pas au complet, dès le début le concile est général (cf. Bossuet, T2, Livre V, CH XXIII et sq., Les nouvelles convocations qui furent faites pour le bien de la paix, lorsque les obédiences de Grégoire & de Benoit vinrent à Constance, énervent-elles l’autorité des sessions précédentes ?). A l'arrivée des Espagnols, d'Ailly tenta d'attacher les deux phases du concile : comme il s’agissait d’unir les Espagnols au Concile, de déposer Benoit & d’élire un autre Pape, il était bon de rappeller la mémoire des principes sur lesquels on avait agi jusqu’alors. C’est dans cette vuë que le Cardinal de Cambrai fit lire publiquement son Traité de la Puissance Ecclésiastique qu’il avait composé à Constance (Lenfant T1, L4 § CV, p 589). On ne sait pas ce qu'en dirent ou en pensèrent les Espagnols. [6] Le 12ème concile général (Latran IV) en 1215 et le 13ème (Lyon I) en 1245 ont pris seulement trois semaines ; le 14ème (Lyon II) en 1274, dix semaines ; le 15ème (Vienne) en 1311/1312 six mois. Après Constance, Bâle-Ferrare-Florence-Rome dure dix ans (Bâle jusqu'à son auto-dissolution, dix sept ans) ; le 18ème (Latran V, 1512) cinq ans et le 19ème (Trente, 1545) dix-huit ans. Puis, plus rien pendant trois siècles, jusqu'au 1er concile du Vatican (1869-1870). Bien sûr, plus les conciles sont longs, plus ils sont discontinus : ils se suspendent, de fait ou de droit, pendant de longues périodes. [7] Zabarella écrivit, sous la date du 4 novembre 1408, puis remania, peu après, un traité qui longtemps a été confondu avec deux autres traités du même auteur, l'un daté du 30 décembre 1403, l'autre contemporain d'Innocent VII…Il s'y prononce énergiquement pour la réunion d'un concile et démontre, dans un langage aussi formel que celui des théologiens de Paris, que les deux papes peuvent être contraints d'abdiquer (Valois, T4, p 57, Note 5). [8] A Pise, pour 140 cardinaux, archevêques, évêques et abbés, on comptait 120 docteurs en théologie et 300 docteurs en droit civil et canonique (Dupin) ; à Constance, pour 496 dignitaires ecclésiastiques, 444 docteurs. [9] Pour prendre la mesure de ce changement, pensons aux effets de l'ouverture de la curia regis anglaise aux chevaliers de comté et aux représentants des bourgs : la prépondérance numérique de la masse qu'ils représentent comme leur incertitude sur leur propre légitimité (vient-elle d'en haut ou d'en bas ?) les poussent à dépasser le rôle qui leur a été imparti. Encore le Parlement anglais se divise-t-il en deux chambres et les états généraux français en trois ordres qui délibèrent séparément sous l'œil du Roi. Au concile, tout est mêlé et il n'y a plus de pape. [10] Le sic & non (suasion & disuasion) constitue la base de l'enseignement scolastique. Les docteurs en droit sont formés au pour et contre et les docteurs en théologie à l'étude de cas hypothétiques : par exemple, admettons que naisse un être humain à deux têtes, le prêtre doit-il le baptiser deux fois (Avec les épisodes intermédiaires : cet être a-t-il deux âmes Y a-t-il deux êtres humains et donc deux formes substantielles pour un corps Et les épilogues: comment sera le corps ressuscité, un ou deux etc.) Le cas a pour fonction de confirmer, de tester ou d'invalider ; il donne souvent lieu à des corrections ou à des relativisations, il permet d'infléchir une doctrine ou de la rejeter carrément (König-Pralong, Catherine, 2007, "Le discours scolastique médiéval", Revue de théologie et de philosophie, 57ème année). [11] Le concile de Bâle ira encore plus loin en l'accordant à tous les clercs (dont, au demeurant, la qualité est difficile à contrôler : on se gaussera des cuisiniers d'évêques qui votent au concile) …les ecclésiastiques de second ordre étaient toujours les plus nombreux à accourir, les plus fidèles à demeurer…Au moment décisif, il se trouvait toujours une âme compatissante pour rappeler que les lumières d'un humble tonsuré l'emportent parfois sur celles d'un riche dignitaire. Toutes les décisions étant prises, d'abord dans chaque députation et ensuite dans les assemblées générales, à la majorité des voix...on conçoit à quel point l'influence des prélats fut annihilée par celle des membres du bas clergé. Nombre de fois, parmi les Pères qui firent la loi au monde chrétien, on put constater la présence de ces cuisiniers, de ces palefreniers dont le souvenir égayait plus tard AEneas Sylvius, ou encore de ces copistes, de ces religieux vagabonds, de ces familiers dont parle une note du Saint-Siège, qui, le soir, dépouillaient la robe longue pour servir à table ou s'acquitter envers leurs maîtres d'autres devoirs de domesticité (Leclercq in Hefele, T. 7.2, p 848 sq., Note 3). Latran V (1512/17), convoqué par et pour Jules II, reviendra à la tradition papaliste : si plusieurs docteurs (et non plus des centaines) participent, seuls les cardinaux, évêques et abbés, ont voix délibérative. Les rôles sont clairement distribués et les membres consultatifs du concile sortent au moment des votes (qui consistent la plupart du temps à dire placet aux décrets du pape). [12] Entre cardinaux et nations, entre nations et au sein des nations. En particulier la "nation gallicane" inclut des délégués de France, de Bourgogne et d'autres entités impériales sous la forte présidence d'un agent de l'empereur (le patriarche d'Antioche). Les délégués français (pro Armagnac dans cette période) sont en partie des représentants du gouvernement, en partie des représentants de l'Université de Paris. Enfin, les évêques et les docteurs s'opposent à propos des bénéfices dont les premiers ne laissent pas une part suffisante aux seconds. [13] Zabarella, 1406, de ejus temporis schismate tractatus : il paroit donc, que quand on dit du Pape, qu’il a la plénitude de la puissance, cela ne se doit pas entendre du Pape seul, mais du Pape, en tant qu'il représente l’église universelle. Ainsi la puissance même réside dans la totalité de l’église comme dans son principe & dans le Pape, comme dans le principal ministre par qui l’église exerce sa puissance… [14] Les exemples d'un tel comportement sont innombrables. En janvier 1642, la fuite de Londres de Charles I fait passer la lutte politique du terrain parlementaire au terrain militaire. Dans une négociation conflictuelle arrivée à son dernier stade, le défaut d'une partie radicalise l'autre : à l'instant de voir se refermer le piège et d'obtenir la victoire, la fuite du quasi vaincu nie la légitimité du quasi vainqueur et rebat les cartes de façon menaçante, ce qui conduit à remplacer la contrainte respectueuse par le combat ouvert, comme si la peur était le moteur des décisions révolutionnaires. [15] 2° Quiconque, fût-ce le pape lui-même, refuserait opiniâtrement de se conformer aux décrets, statuts et ordonnances du saint concile ou de tout autre concile général canoniquement assemblé, sur lesdits points ou autres y ayant trait, sera soumis à la pénitence et subira une punition convenable...(Hefele, Histoire des conciles, Tome 7, 1ère partie). Ultérieurement, à partir de Torquemada (concile de Bâle), les papalistes prétendront que le décret de Constance ne s'applique qu'au cas de schisme ou de pape douteux. Les défenseurs de Constance souligneront tout autre concile pour affirmer que le décret n'est pas circonstanciel mais constitutionnel et qu'il correspond à la tradition de l'Eglise. [16] Malgré l'abondance de notaires, les décisions du Concile ne furent pas rassemblées dans un recueil officiel. Elles sont connues par l'abrégé que fit composer le concile de Bâle vingt ans après, dont une copie de copie a été éditée par Jérôme de Croaria et imprimée pour la première fois à Haguenau en 1500 (Acta scitu dignissima docteque concinnata Constantiensis concilii celebratissimi), avec d'innombrables rééditions. Pour avoir des actes complets (mais non officiels), il faudra attendre Hermann Von der Hardt 1690 (Magnum oecumenicum Constantiense concilium,1697-1700) et l'énorme travail de Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio (31 vol., in-folio, Florence et Venise, 1758-1798). [17] La localisation du concile dépend de facteurs circonstanciels. Idéalement, il faut une ville accessible des quatre coins de la Chrétienté, assez grande et approvisionnée pour accueillir et entretenir tout ce monde, en paix avec ses voisins pour que les routes soient sûres, et indemne d'épidémies. A la fois par sécurité, par prestige et par nécessité, les Grands viennent avec leur suite, des secrétaires aux soldats en passant par les cuisiniers. Les villes se disputent cette aubaine extraordinaire et, même si la ville-hôte, s'engage par convention à des approvisionnements abondants et des prix modérés, tout flambe. Tous les participants dépensent abondamment et la "saison" enrichit les propriétaires, les commerçants et les artisans locaux, si toutefois ils arrivent à se faire payer. Lors du concile avorté de Sienne en 1424, la ville hôte fit fermer les portes pour empêcher qu'on parte sans régler ses dettes : Les gouverneurs de la ville placèrent des gardes à toutes les portes de l'enceinte, afin d'empêcher les membres du synode de partir avant d'avoir satisfait à leurs obligations envers les bourgeois et payé leurs loyers. Ils ne laissèrent les portes libres que lorsque le concile leur eut donné l'assurance que tout serait exactement payé (Hefele, T 7.1, p 640). Les garanties solennelles ne valent pas grand chose comme le découvrirent les bourgeois de Constance qui durent finalement passer par profits et pertes une partie de leurs créances sur la suite de l'Empereur Sigismond : Les gens de sa suite avaient fait à Constance beaucoup de dettes dont il se chargea; mais quand vint le moment de payer, l'argent faisant défaut, comme toujours, il harangua les habitants de Constance, les priant de ne pas faire saisir sa vaisselle ni le reste, en place de quoi il leur laissait de belles couvertures et des coussins, qu'il ferait reprendre avant la Saint-Michel de l'année courante. Les bourgeois acceptèrent, mais le rachat se fit attendre, et beaucoup y perdirent, parce qu'ils ne purent vendre les effets marqués aux armes du prince (Hefele, T7.1, p 570/571). [18] C'est ce qu'écrit l'Université de Paris au pape Clément VII, citée par Bossuet, T2, p 172 (il s'agit probablement de la remontrance du 6 juin 1394 qui mit tellement le pape en fureur). Même si l'Université exagère pour mieux convaincre, le schisme a montré aux fidèles que le pape n'est pas aussi indispensable qu'on le croyait. Wyclif en Angleterre, les "Hussites" bientôt en Bohême, le remplacent par l'Eglise. Comme nous connaissons le concile de Constance à travers les historiens ou les religieux qui le valorisent, nous oublions que nous ignorons l'impact et la résonance du schisme et du concile dans leur temps. Le concile est une réunion des états-majors civils et ecclésiastiques. Il agite les hautes sphères car il prend des décisions qui les concerne : confirmations d'investiture, bénéfices, procès...Mais, pour le commun, il se perd dans les brumes du ciel, aussi inconsistant et lointain que, de nos jours, une conférence internationale technique pour l'homme de la rue. A la fois par manque d'information et incapacité de comprendre, nous ne devinons que très vaguement en quoi consiste la religiosité de la population. Elle est vraisemblablement plus diffuse que formelle, précisément dans la mesure où la religion est "encastrée" dans le quotidien : les confréries et le curé de la paroisse ne suffisent-ils pas à satisfaire les besoins ? et si le curé est trop analphabète ou paresseux, n'y-a-t-il pas les ordres mendiants qui se font un plaisir de le remplacer, sans hésiter à exécuter des actes sacerdotaux qui leur sont en principe interdits ? L'absentéisme des évêques, des abbés et de la plupart des dignitaires n'empêche pas la religion de fonctionner. Que tout en haut dans le ciel, les vice-Dieux se querellent, qui s'en soucie ? D'ailleurs, personne n'a manqué de pape puisque chaque royaume avait le sien. Au moment triomphal où le schisme prend fin par l'élection d'un pape unique, le "bourgeois de Paris" note sans effusion : fut fait pappe ung cardinal nommé Martin par l’acort et consentement de tous les roys chrestiens, et en fist on feste par toute chrestienté ; son souci, c'est le prix du pain et la difficulté à survivre. Monstrelet en parle brièvement et froidement ; son souci, c'est les affrontements politico-militaires : Et pour mectre l'Église en bonne paix et vraie union, fist tant le roy des Rommains, que le concile fut mis oudit lieu de Constance séant en la province de Maience... Et enfin fut esleu et pontifié le cardinal de Colomne, de la nacion de Romme, en l'an mil quatre cens dix sept, et fu nommé pape Martin. Idem Jean Lefevre de St Rémy qui le suit: Et en icelui temps, fut eslu pape le cardinal de la Colonne ; et fut nommé pape Martin. Le "religieux de St Denys", professionnellement intéressé, donne quelques détails sur l'ouverture du concile ; plus loin, il se répand en imprécations contre Sigismond qui s'est allié aux anglais, semblable à l'aspic insensible qui se bouche les oreilles ; et, enfin, il annonce l'élection du pape sans enthousiasme particulier. Les grands événements du concile lui échappent ou l'indiffèrent et il ne mentionne ni d'Ailly ni Gerson. Ces témoignages partiels et uniquement français ne suffisent pas pour conclure mais incitent à la prudence : que le concile agite les docteurs, qu'il soit un enjeu pour le premier cercle du pouvoir laïc et ecclésiastique, ne permet pas d'affirmer qu'il impacte les cercles inférieurs et la "société" dans son ensemble. [19] Il n'y eut ni Royaume, ni République, ni Etat, ni presqu'aucune Ville ou Communauté dans l'Europe qui n'y eût ses Ambassadeurs ou ses Députez (Lenfant, préface à la 1ère édition). D'après les comptages d'Ulrich Richental, au cours des trois ans du concile, 72460 personnes fréquentent Constance (population habituelle 6/8000 habitants), accompagnés de quelque 30 000 chevaux. Le MS. de Breslaw donne un pittoresque détail de la composition du Concile (Lenfant) : 1 Pape, 3 Patriarches, 23 Cardinaux, 27 Archevêques, 206 Evêques, 33 Evêques Titulaires, 203 Abbez, 18 Auditeurs du Sacré Palais, 444 Docteurs tant en Théologie qu'en Droit, environ 27 Protonotaires, 242 Scripteurs de Bulles, 123 Procureurs du Pape & des Cardinaux, 24 porteurs de corbeilles à présents, 28 Bedeaux du Consistoire, pour la partie ecclésiastique. Pour la partie laïque : outre l'Empereur, 128 Comtes, 600 Barons & Gentilshommes, 48 Orfèvres avec leurs Garçons, 450 Marchands & leurs Garçons, 122 Cordonniers & leurs Garçons, 222 Savetiers & leurs gens, 86 Pelletiers & leurs Ouvriers, 88 Charpentiers ou Serruriers, environ 300 Cabaretiers & Aubergistes avec leurs Valets, 72 Banquiers & Changeurs, 65 Apoticaires avec leurs Garçons, 336 Barbiers, 505 Ménétriers, 718 Femmes publiques (plus les innombrables non enregistrées qui opéraient dans les étables ou les tonneaux), 27 Ambassades des Rois, Ducs & Comtes. Il y avoit aussi des Députez de plusieurs Evêques, & de diverses Villes, aussi bien que de diverses Universitez, & des Députez des Villes Impériales & des autres Villes. Le journal de Ulrich von Richental donne un autre détail (Welsh, p 118). [20] Les auteurs français (surtout après 1870) se sont fait un devoir de stigmatiser Sigismond le teuton (cf. Valois). Par exemple, Leclercq, le glosateur français de Hefele, dans une longue note au Tome 7.1 (paru en 1916), dénonce son immoralité transcendentale et parle ainsi de son retour : A Constance, la nation française était au courant de ces louches manigances et se tenait sur la réserve. Quand fut connu le traité conclu entre Sigismond et Henri V, les Français ne continrent plus leur hostilité...leur dépit s'en trouva accru par l'attitude de Sigismond qui manifestait la plus grande bienveillance aux Anglais, se parait de l'ordre de la Jarretière, affichait sa prédilection pour la nation en guerre avec la France, adressait de Constance un défi au roi de France, contractait avec le duc de Bourgogne une alliance offensive spécialement dirigée contre le duc d'Orléans, enfin ratifiait comme roi des Romains et faisait approuver par ses électeurs le traité avec l'Angleterre (p 448). [21] Au sein de chaque nation évêques et gradués ont des positions opposées sur la réforme de l'Eglise. Hefele remarque avec malice que les évêques, généralement conservateurs, se font conciliaristes pour arracher à la papauté la collation des bénéfices, tandis que les docteurs, plutôt "libéraux" (mais pas tous), par opposition aux évêques qui les lèsent dans la distribution, soutiennent la papauté ! (Tome 7.1, p 451 sq., à la fin de l'année 1417) [22] Dès sa 2nde session (15 fev 1432) Le concile renouvella… les décrets de la cinquieme session de Constance… qui décident expressément, que toute personne & le Pape même, est soumis au concile, dans les choses qui concernent la foi, le schisme & la réformation. Ces décrets de Confiance furent insérés dans les actes de Bâle. Et derechef dans la 18ème. [23]
La Pragmatique sanction devenant
inutile,
le roi y renonce, ce qui permet au concile de Latran de l'abroger
solennellement comme si le pape avait gagné. Le pape
déclare alors, sacro approbante concilio, la
Pragmatique Sanction et les décrets et
usages qui s'y rattachent nuls et de nulle valeur, cassés et abrogés…
La
Pragmatique Sanction doit être abandonnée de tous et enlevée des
archives
royales sous peine d'excommunication latae sententiae;
pour les ecclésiastiques, de privation de leurs charges et
d'inhabilité; pour les seigneurs temporels, de la perte des fiefs
qu'ils
tiennent de l'Église et de l'incapacité d'en recevoir d'autres. Tous
répondirent simplement Placet (Hefele, T 8.2, p 532). [24] Figgis John Neville, 1907, "The Conciliar Movement and the Papalist Reaction", Lecture II, Studies of Political Thought from Gerson to Grotius, The Birkbeck Lectures Delivered In Trinity College, 1900, Cambridge UP ; Figgis, 1899, "Politics at the Council of Constance", Transactions of the Royal Historical Society, New Series, Vol. 13 (1899), pp. 103-115, Cambridge UP. Voir aussi Black, Antony, "The conciliar movement", CH. 17.2 de Burns, 2007, The Cambridge history of medieval political thought c. 350—c. 1450 et Black, 1998, Popes and Councils, CH. 3, de New Cambridge Medieval History, vol. 7, c. 1415–c. 1500. Oakley Francis, 1966, "From Constance to 1688 Revisited", Journal of the History of Ideas, Vol. 27, No. 3 (Jul. - Sep., 1966), pp. 429-432. [25] PROBABLY the most revolutionary official document in the history of the world is the decree of the Council of Constance asserting its superiority to the Pope...…Emperors might be the fathers of the Council, and kings its nursing mothers, but the child they nurtured was Constitutionalism, and its far off legacy to our own day was "the glorious revolution". (Figgis, 1907). [26] Rueger Zofia, 1964, "Gerson, the Conciliar Movement and the Right of Resistance (1642-1644)", Journal of the History of Ideas, Vol. 25, No. 4 (Oct. - Dec.), pp. 467-486. [28] Il convient que le glaive soit sous le glaive, et que l'autorité temporelle soit soumise au pouvoir spirituel...En conséquence nous déclarons, disons et définissons qu'il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d'être soumise au pontife romain déclare la fameuse Bulle Unam sanctam de Boniface VIII (18 novembre 1302) [30] De même John Poynet (cité par Gooch, p 35) : for not only are kings equally subject with all men to God’s Laws, but they are bound by positive laws…besides if the Church may depose a pope, how much more may kings be deposed by the State. For all laws and usages testify that kings have their authority from the people. [31] A un autre propos, le Concile gaspille beaucoup d'énergie en une incursion longue, confuse et inconclusive sur le terrain du gouvernement civil : cf. mon étude Le Roi est-il tuable ? – Petit, Gerson, et le décret du concile de Constance du 6 juillet 1415. Le concile coïncide avec une période de domination Armagnac : l'affaire Jean Petit (assassinat du duc d'Orléans en 1407) devient une obsession "française". Les délégués, Gerson en tête, harcèlent le Concile pour lui arracher l'approbation de la condamnation parisienne des Bourguignons (1413), lesquels se défendent énergiquement (Porée). Cela débouche sur l'ambigu décret Quilibet de la 12ème session qui, au cours des siècles futurs, deviendra abusivement synonyme d'interdiction du régicide et de devoir d'obéissance. [32] Toute la puissance du peuple romain ayant été transférée dans la personne de l'empereur, par une loi ancienne qu'on appelle la loi royale (préface du Digeste de Justinien). Le Titulus IV DE CONSTITUTIONIBUS PRINCIPUM retranscrit une maxime d'Ulpien : La volonté du prince a force de loi car, par la loi royale qui a établi son autorité, le peuple lui a transmis la puissance souveraine (Quod principi placuit, legis habet vigorem : utpote cum lege regia, quae de imperio ejus lata est, populus ei et in eum omne suum imperium et potestatem conferat). Le pouvoir du Prince s'enracine dans le "peuple". La question est : la délégation a-t-elle été faite une fois pour toutes ou le "peuple" détient-il toujours la souveraineté ? Cf. Carlyle T2, P1, CH7 (roman lawyers) : …as late as the middle of the thirteenth century the civil or Roman lawyers were unanimous in holding that the populus was the ultimate source of all political authority, that they recognised no other original source of political authority than the will of the whole community…some of these civilians also maintained that the Roman people still continued to be the actual source of all political authority. [33] On nous objecte que notre sentiment met les rois & les couronnes en danger. Car, dit-on, si le Pape, chef de la puissance spirituelle, est soumis a l’église & au concile, les rois temporels seront à plus forte raison soumis a leurs peuples & aux états généraux. Tel est le principal argument employé autrefois par les ennemis des conciles, pour prévenir les souverains contre la doctrine de l’antiquité (Bossuet, T. 2, L6, CH 28, p344). [35] Adolphe Thiers n'hésite pas à l'associer à la "grande révolution" dans son Histoire de la Révolution Française accompagnée d'une Histoire de la Révolution de 1355. [36] Propositio solemnis facta Biturigibus, praesento Rege, in Concilio Ecclesiae Gallicanae, per famosissimum Doctorem Magistrum Thomam de Cordsellis, Doctorem Parisiensem, & nuncium Concilii Basileensis, in Dupuy, 1651, Preuves des libertez de l'église gallicane, T. 1, ch XII, n°4, p 19/28 (sur deux colonnes). Cf. Muller Heribert, 2003, "Et sembloit qu'on oÿst parler un angele de Dieu. Thomas de Courcelles et le concile de Bâle ou le secret d'une belle réussite", In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 147ᵉ année, N. 1, 2003. pp. 461-484. [37] Sauf à diviniser la suprématie du peuple : lorsque, sur la base du contact direct entre Dieu et ses fidèles résultant de la désintermédiation opérée par la Réforme, le long Parliament empruntera aux Puritains leurs prières, sermons, jeûnes et langage dévôt, il pourra se dire inspiré de Dieu (surtout face à la frivolité de la cour d'un roi suspecté de catholicisme). [37b] L'assemblée de Bourges décide de valider les fameux décrets de Constance reproclamés par le concile de Bâle et une série de décrets de réformation, en vertu du principe que les conciles généraux ne sont reçus et publiés en France que par la permission et l'autorité du Roi (7 juin 1438). La Pragmatique Sanction n'est autre chose que le recueil de vingt-trois décrets de réforme de Bâle avec quelques modifications qui furent faites à Bourges, dont 1. Le décret Frequens rendu à Constance, tel qu'il a été renouvelé dans la première session de Bale ; 2. Le décret De potestate et auctoritate concilii Basiliensis de la sess. II depuis Sacrosanta generalis synodus jusqu'à deliberatione et consensu, à la fin du c. 4 (Hefele, T. 7, 2ème partie). [38] Le dogme de la souveraineté du pape affirmé par le "concile d'union" de Florence reste si contesté que, un siècle plus tard, la question hantait encore le concile du Latran (1512/17). Le Concile de Trente (1542/63), après la scission de l'Eglise anglaise et la Réforme, cherche le consensus de la chrétienté résiduelle. Il fait tout pour éluder toute discussion sur la position respective du pape et du concile, de crainte de provoquer le schisme français dont menace le Cardinal de Lorraine. [39]
Bossuet, T. 2, p 332 : Ce docteur
étoit en butte à beaucoup d’ennemis puissans : il avoit eu au nom de la
faculté
de théologie & de toute l’université, de grands démêlés avec les
Jésuites : son procès contre ces peres avoit attiré à l’audience
une foule
de personnes qui épousoient avec une extreme vivacité l’un des deux
partis ; enfin, Richer venoit de l’emporter, & d’obtenir un
arrêt du
parlement (22 février 1612) qui
obligeoit les Jésuites à déclarer par un acte authentique "qu’ils
embrassoient la doctrine de la Sorbonne, principalement sur les points
qui
concernoient la conservation de la personne sacrée de nos rois, la
manutention
de leur autorité royale, & la défense des libertés que l’église
Gallicane
avoit précieusement gardées & observées de toute antiquité". [41]
Richer avait eu la malchance de soutenir sa thèse en Sorbonne au milieu
des
troubles de la Ligue. Du Perron n'a plus qu'à lier sa position de 1612
en
matière de gouvernement ecclésiastique au soutien plus ou moins forcé
que vingt
ans avant, en 1591, il avait apporté aux thèses "démocratiques" en
matière de gouvernement civil: Car l’an
mil cinq cens quatre-vingts vnze, au mois d'Octobre, il soustint
publiquement à
Sorbonne, Que les Estats du Royaume estoient indubitablement par dessus
le Roy-
Et que Henry III qui auoit violé la foy donnée à la face des Estats,
auoit esté
comme Tyran iustement tué (Seconde partie des Ambassades
& négociations du Cardinal du Perron, p 1268 (604),
"Lettre à Casaubon"). Richer répond dans son apologie ("DEFENSIO
Magistri Emundi Richerii adversus aliquos ejus Calumniatores", in Vindiciae doctrinae majorum scholae
Parisiensis, Liber Quartus, Cologne, 1683, p 320 sq):
on en impose à Richer, lorsqu’on l’accuse de soutenir que le concile
général est au-dessus du Pape, de la même maniere que les états
généraux sont
au-dessus du roi. Iamais de telles idées ne lui sont venues dans
l’esprit. Les
flateurs de la cour de Rome...ont inventé cette calomnie, afin de
noircir
auprès des rois, non Richer seul, mais leurs plus fideles serviteurs,
leurs
sujets les plus soumis & tous ceux en un mot qui prennent le plus à
coeur
les droits des souverains contre les entreprises de la cour de Rome
(Ut
quid ergo imponere Richerio, quod sustineat Concilium Generale esse
supra
Papam, quia, vel sicut, Comitia Generalia Regni sunt supra Regem.
Numquam hoc
venit in mentem Richerio…Il poursuit : si Papa non est Ecclesiae
absolutus
Monarcha, ergo nec Rex in suo Regno...Negatur ista comparatio &
similitudo). Cela donnera plus tard : Le fougueux Edmond Richer, qui pousse le fanatisme jusqu'à faire l’éloge du meurtre d'Henri III, dont la doctrine a été si justement condamnée, comme destructive de toute puissance, tant séculière qu'ecclésiastique, & qui établissoit pour principe que, tant dans l'église, que dans l'état, l'autorité & le pouvoir appartiennent essentiellement & primordialement à la communauté (Anonyme [card. Migazzi, archevêque de Vienne], 1787, Apologie du Gouvernement-Général des Pays-Bas, relativement au renvoi du Sr. Ferdinand Stoeger, ci-devant Directeur du Séminaire à Louvain). [42]
DÉCLARATION de la Faculté de Théologie de Paris, faite au Roi par ses
Députés,
au sujet des Thèses touchant l’infaillibilité du Pape, le 8 Mai
1663 : I. Que ce n'est point la doctrine de la
Faculté que le Pape ait aucune autorité sur le temporel du Roi ; qu'au
contraire elle a toujours resisté , même à ceux qui n'ont voulu lui
attribuer
qu'une puissance indirecte.
Dans un contexte de conflit
entre le pape et le Roi, le Parlement somme la Facuté de Théologie de
condamner
la thèse qui y a été soutenue par Drouet de Villeneuve qui exaltait
l'autorité
et l'infaillibilité papales. La Faculté tarde à obtempérer, d'une part
parce
que la thèse n'est pas sans soutiens, d'autre part parce qu'elle
conteste le
droit du Parlement à décider des questions de doctrine. Le Conseil du
Roi
appuie le Parlement et la Faculté cède. La formulation des "six
articles" traduit ces réticences. Voyez le 5ème : Que ce
n'est
pas la doctrine de la Faculté que le Pape soit au-dessus du Concile
général.
L'avocat-général Talon l'accepte en renvoyant la Faculté à sa doctrine
historique: dès que l'on avoue que le Pape n'est point au-dessus
du
Concile, il faut qu'il soit au-dessous, & soumis à ses décisions
& à
l'observation des Canons ; de sorte que, comme le public est pleinement
satisfait par cette Déclaration de la Faculté, d'autant plus que si
elle étoit
susceptible d'ambiguité on ne la pourroit interprêter que par ce qui
paroit de
la doctrine de la même Faculté dans la censure de Sarazin , dans les
réponses
aux demandes du Roi Charles VIII, & dans les condamnations des
erreurs de
Luther, ils estiment qu'il y a lieu d'ordonner que les Articles
contenus en la
Déclaration de la Faculté, soient registres au Greffe de la Cour, &
copies
d'iceux envoyées dans tous les Bailliages & Universités du ressort
du
Parlement, pour y être lues, publiées & registrées ; que défenses
soient
faites de soutenir aucune doctrine contraire auxdits articles... [43] que néanmoins les Décrets du saint Concile oecuménique de Constance, contenus dans les Sessions IV & V, approuvés par le saint siége apostolique, confirmés par la pratique de toute l’Eglise & des Pontifes Romains, & observés religieusement dans tous les tems par l’Eglise Gallicane, demeurent dans leur force & vertu; & que l’Eglise de France n’approuve pas l’opinion de ceux qui donnent atteinte a ces Décrets, ou qui les affaiblissent. [44] Mais doit-on décider de matières si importantes par une comparaison? Où trouve-t-on que l’Eglise & l‘Etat doivent étre réglés par les mêmes maximes? …La comparaison d’ailleurs entre le Concile général & les Etats Généraux, pèche absolument dans le principe ; les Etats n’ayant jamais eu légitimement que la voie de représentation auprès du Souverain, à la différence du Concile général, lequel, quant au spirituel, a une autorité légitime sur tous les Fidelles…Pour la France, nous savons que dès le temps de Charlemagne les assemblées de la Nation, quoique fréquentes & ordinaires, ne se faisoient que pour donner conseil au Roi, & que lui seul décidoit. Il ne faut donc pas sur un vaine comparaison rendre odieux l’usage perpétuel de l’Eglise, d’assembler des Conciles généraux, quand ils sont nécessaires. "Discours sur les libertés de l’Eglise Gallicane", Opuscules de M. l’abbé Fleury, T. 2, éd. 1780, Nîmes, ch. Beaume, p 618. Le discours est donné selon l’édition de 1763 mais, sur ce point, l'édition de 1724 ne diffère pas. [45] L'oeuvre de ce « Gracchus des libertés gallicanes »…inspirera les champions du bas-clergé à la veille et au lendemain de la Révolution Française (Préclin, 1929, les Jansénistes du XVIIIe siècle et la Constitution Civile du Clergé, Paris). [46] La plupart des historiens ont fait du sire de la Roche le champion des libertés publiques, une sorte de précurseur des Constituants. Je crois qu'il y a beaucoup à réfléchir là-dessus et qu'un examen approfondi et de l'orateur et du discours conduira à une conclusion un peu différente. La critique doit porter sur deux objets : Philippe Pot, par ce que nous savons de lui en général, était-il homme à prononcer sincèrement un discours constitutionnel? sa harangue contient-elle réellement ce que l'on a prétendu y trouver ? (Tixier, p 50)…Mais en tenant pour exact le texte qui est au journal, et en l’étudiant sous cette forme, on verra qu' au fond il ne consiste pas en une revendication des droits populaires mais qu'il constitue une habile manoeuvre au profit des Beaujeu (p 54). Michelet, pour une fois insensible au mot "peuple", en fait la couverture d'une réaction féodale : Les deux provinces où les rois de clocher se trouvaient le plus forts étaient la Normandie et la Bourgogne. Et ce furent elles aussi qui parlèrent le plus pour le peuple. Un député surtout étonna l'assemblée, le Bourguignon Philippe Pot, docile courtisan de Charles-le-Téméraire, puis de Louis XI. Ce spirituel parleur… fit taire tous ces amis du peuple, en passant de cent lieues tout ce qu'ils avaient dit. « Tout pouvoir vient du peuple, dit-il, tout pouvoir y retourne. »…Cela finit toute déclamation qui eût popularisé les princes. Ce discours, d'excellent effet, fut probablement concerté avec la soeur du roi ; car je vois Philippe Pot attaché à l'éducation de Charles VIII. Il était difficile, au reste, de se méprendre sur le sens des plaintes que les nobles portaient au nom du peuple. Ils demandaient justement les deux choses que le peuple redoutait : les places frontières et la restitution des droits de chasse (Michelet, 1855, Tome 7, p8). [47] Via le journal de Masselin (Masselin, Journal des Etats Généraux de France tenus à Tours en 1484 –Diarium Statuum Generalium Franciae Habitorum Turonibus Anno 1484, In Collection de Documents inédits sur l'histoire de France, ed Bernier 1835, p 140 sq). Masselin ne prétend pas donner les paroles exactes (Propterea totum sequentis orationis tenorem ejus nomini dicabo). On ne peut pas exclure que Masselin ait quelque peu gauchit le discours de Pot, lui qui commence audacieusement son journal en disant : si le roi ne peut pas gouverner lui-même en raison de son état de mineur ou pupille, En ce cas comme en d'autres déterminés, la garde du prince et la disposition du royaume sont censées dévolues aux gens des trois états (in qua nec se-quidem regere possunt, quo in casu et certis aliis, principis custodia et regni dispositio ad viros trium statuum censeatur devoluta). Dernière incertitude, ce journal lui-même ne nous est connu que par des copies tardives dont la plus ancienne n'est pas antérieure à la fin XVIe. Ce que nous avons n'est donc ni le texte de Pot ni le texte de Masselin. [48] Il s'était produit dans les longues discussions des sections une doctrine que défendait un groupe nombreux de députés ils soutenaient que ce n'était pas aux États, mais aux princes du sang, comme à des tuteurs légitimes, que la loi remettait, pendant la jeunesse du roi, le gouvernement du royaume (Picot, T1, p 410). [49] quelle est la puissance en France qui a le droit de régler la marche des affaires quand le roi est incapable de gouverner ? Évidemment cette charge ne retourne ni à un prince, ni au conseil des princes, mais au peuple donateur du pouvoir (Oportet propterea ut ad populum redeat, hujus rei donatorem)... Il n'a pas le droit de régner, mais, entendez-le bien, il a le droit d'administrer le royaume par ceux qu'il a élus. Je souligne par ceux qu'il a élus car il ne s'agit évidemment pas de la masse du peuple mais de sa "meilleure part", ses représentants que le clergé, la noblesse et les bonnes villes ont députés aux états. En effet, il est plus facile de composer avec des délégués nombreux et pressés de rentrer chez eux qu'avec un petit nombre de Grands aux dents longues. La Dame de Beaujeu et son mari affecteront l'amitié à l'égard des états qui, prudents, les entourent d'un Conseil qu'ils sauront contourner (Le Conseil estably par les Estats n’avoit ny force ny vertu, la Dame vsurpoit toute l'autorité, Mézeray), tout en défendant leur régence contre les entreprises des Grands ("guerre folle", 1485/88). [50] Cf. mon étude : "Huguenots politiques du second XVIe siècle - prodrome démocratique ou arguties factieuses ?". [51] Le Concile, selon le droit qu'il en a, limite non la pleine puissance qu'il dit que le Pape a reçue de J. C. dans l’Eglise, mais l'usage & l'exercice de cette pleine puissance… (D'Ailly, Traité de la Puissance ecclésiastique). ...qu'un Concile Général a l'autorité de faire des Loix, & d'établir des règles, pour modérer, & pour régler la plénitude de la Puissance Papale, non pas en elle-même, mais dans son usage, & dans son exercice (Gerson, Traité touchant l'autorité du Concile & la puissance de l'Eglise). [52] Gerson (idem) : si un Concile Général représente suffisamment & pleinement l’Eglise Universelle, il faut nécessairement qu'il renferme en soi l’autorité Papale, soit qu'il y ait un Pape, soit qu'il n'y en ait pas...Cela revient à dire que tout solide a un centre de gravité inclus, qu'on le voie ou non (et que ce point synthétique dépend de son référentiel). [53] Figgis, 1896, Divine Right of Kings, App 2, p 274: It is the irony of fate that the conciliar movement, which failed in its object of putting limits on the Papal sovereignty, should have assisted to familiarise men's minds with those notions of popular sovereignty and mixed government, which were to be not the least effective of Papal weapons against the recalcitrant Kings. [54]
Prenons la
réformation anglaise. Outre le long contentieux des Anglais (peuple et
roi)
avec la papauté et les contremesures prises de longue date par les rois
ou les
parlements (le statut de praemunire
en particulier), notons que le fameux "divorce" de Henry VIII
posait la question de la puissance papale si la dispense accordée par
le pape
Jules II pour autoriser Henri à épouser la femme de son frère
défunt était
contraire aux lois divines : Il
avoit épousé la Veuve de son Frére,
& il trouvoit qu'un tel mariage étoit défendu par les Loix du
Levitique. Il
est vrai qu'il avoit une dispense du Pape. Mais il ne pouvoit pas
ignorer
que-beaucoup d'habiles Théologiens croyaient que le Pape ne pouvoit pas
dispenser de l'observation des Loix de Dieu (Rapin, T15,
p 246 sq). Sur cette base habilement trouvée, Henry demande l'annulation : il trouva dans Thomas d'Aquin…que le Pape ne peut pas dispenser contre le Droit divin, par la raison que, pour pouvoir dispenser de l'observation d’une Loi, il faut être supérieur à celui qui l'a faite…(Rapin). Le
pape, Clément VII, alors coincé dans une situation
politico-militaire
compliquée en Italie, entre l'empereur et les rois de France et
d'Angleterre,
utilise la demande de Henry pour obtenir son soutien mais l'amuse
longuement en
attendant de voir qui est le plus fort. Théologiquement,
cette question mineure lui pose un problème majeur que Rapin Thoyras
énonce
avec malice :…Henri demandoit qu'il
revoquât une Dispense accordée par un Pape son Prédécesseur, sur le
fondement
que ce Pape n'avoit pas eu le pouvoir de l'accorder ; c'est-a-dire
proprement qu'il déclarât que jusqu'alors les Pontifes Romains
s'étaient
attribué un Droit qui ne leur appartenoit pas. C'était une démarche
bien
difficile à faire dans un temps où une grande partie de l'Allemagne
s'étoit
soustraite a la domination des Papes, & où on n'entendoit par tout
que des
plaintes &. des murmures contre le pouvoir exorbitant qu'ils
avoient
usurpé. Désespérant
du pape et de son légat, Henri VIII se tourne vers l'assemblée du
clergé
anglais et le Parlement, épouse l'antipapisme latent, opère le schisme,
exproprie les abbayes et réforme l'Eglise anglaise à son profit. |