Esambe
Josilonus ©2016 | Le
roi est-il tuable? — Petit, Gerson et le décret de juillet 1415 |
Aussitôt,
le
Parlement de Paris demande à la Faculté de Théologie de sanctionner le livre de Mariana. Il lui rappelle que, déjà en 1413, l'Université a réprouvé l'apologie du régicide et que, en 1415, le concile de Constance a rendu un décret dans ce sens [2]. L'Université s'exécute avec empressement et, le 8 juin 1610, le Parlement condamne le livre de Mariana et le punit en le faisant brûler devant le porche de Notre Dame.
Dès le 26 juin 1610, le jésuite Coton, confesseur et prédicateur de Henri IV, prend la défense de sa Compagnie. Dans sa Lettre déclaratoire de la doctrine des Peres Jésuites conforme aux décrets du Concile de Constance, adressee à la Royne, il professe qu'ils adhérent tous aux "décrets de Constance" : j'ay lu que l’Article, qui dit, «tout Tyran peut, & doit licitement estre occis», fut jadis condamné en la Session quinziesme du Concile de Constance. Et, affirme-t-il, tous les Jésuites croient Que le décret du Concile de Constance en la Session 15. doit estre reçeu de tous & maintenu inviolable [3]. C'est encore ce décret qu'invoque, le 6 Juillet 1610, le général des Jésuites pour interdire à ses troupes toute parole, écrit ou pensée, pouvant porter atteinte à la sûreté de la vie des Rois et des Princes.
Quelques
années
plus tard, lors des états généraux de 1614, le tiers propose, à titre de loi fondamentale du royaume, la réprobation de la doctrine du régicide et du droit du pape à déposer les rois [4]. Le premier ordre, le clergé, convainc le second, la noblesse, de s'opposer absolument à cet article, au motif que tout le monde étant d'accord là-dessus, c'est une offense inutile faite à Rome par d'enragés antipapistes mal inspirés[4b]. A la place, il propose (et obtiendra du pape l'année suivante) la
publication du décret XV du concile de Constance qui déclaroit abominables hérétiques ceux qui, sous quelque prétexte que ce soit, voudroient maintenir qu'il soit permis d'attenter à la personne sacrée des rois, même de ceux qu'on prétendroit estre tyrans.
Pourquoi
doit-on
donner une base juridique à la "sûreté de la vie des Rois" ? Celle-ci n'est-elle pas garantie par l'axiome "tout pouvoir vient de Dieu"? Il en vient, mais comment? immédiatement ou médiatement? si médiatement: le "glaive temporel" est confié aux rois par l'Eglise et pour l'Eglise. Un roi qui ne sert pas correctement l'Eglise se met de lui-même au ban de la chrétienté et doit être neutralisé, d'une façon ou d'une autre [5]. Si, même implicitement, le roi tient sa couronne de l'Eglise, celle-ci peut la lui retirer quand elle le juge indigne, légitimant alors la désobéissance, voire l'insurrection contre un roi, voire son exécution. Tuer un roi est illicite, sauf si c'est pour la defense de l’Eglise. La souveraineté et la sûreté sont liées. C'est ce que traduit la double proposition du tiers état, sous l'influence du Parlement. Ces gens savent ce qu'on peut faire des mots : certes, il est interdit d'attenter à la
personne sacrée ; mais un roi déposé n'est plus une personne
sacrée, et donc perd sa protection ou même devient un ennemi public [6].
Je n'envisage pas ici la deuxième partie du raisonnement (qui rebondit après la déclaration des quatre articles de l'assemblée du Clergé de France de 1682 [7]).
Je
me limite à examiner si et comment le "décret du concile de Constance" suffit à étayer la première. Ce décret, alors déjà deux fois centenaire (1416), est pris pour une condamnation absolue du régicide. A la dissection, il nous apparaîtra ambigu. La tradition a déformé et surinterprété le décret dont le texte est rarement cité [8]. Sans faire un procès en jésuitisme à Coton, en adhérant au décret, il ne s'engage guère plus qu'en répétant le "tu ne tueras point" (non
occides) du Décalogue !
Nous n'aborderons pas ici l'histoire de la pensée et la problématique théologique [9]. Nous garderons les pieds sur terre, la terre sanglante du temps. Voilà les données : en 1407, le duc de Bourgogne fait assassiner duc d'Orléans ; il justifie son acte par la plume et la voix de Jean Petit (excusation du duc de Bourgogne) ; sept ans plus tard, à la faveur du reflux bourguignon, l'Université de Paris condamne les thèses de Petit ; le duc de Bourgogne en appelle au pape. En 1414, le concile de Constance s'ouvre et se fait polluer par la guerre des Bourguignons et des Armagnacs [10]. Les représentants de l'Université et, selon les phases de la lutte, ceux du "roi" [11], cherchent à obtenir la confirmation de l'arrêt de Paris. Au contraire, les délégués du duc de Bourgogne s'emploient à le faire annuler, ou au moins laisser en suspens. L'affaire occupe une bonne partie des travaux du concile qui ne conclut pas.
Je reprendrai les deux étapes. La succession des périodes (Paris 1407/14 et Constance 1414/18) constitue aussi un changement de nature de l'affaire. A Paris, elle est réelle ; à Constance, elle devient virtuelle, une icone derrière laquelle le sens se perdra.
Les Bourguignons ont tort en fait (l'assassinat d'Orléans est un crime d'Etat) et raison en droit (défense des défenseurs du roi). Symétriquement, les autres ont raison en fait et tort en droit. Mais ils ne peuvent pas exploiter le fait car Charles VI n'est pas capable de trancher entre les deux partis et d'imposer un verdict. Si lui, ou quiconque l'avait été, cinquante ans de guerre "civile" n'auraient pas été nécessaires. Coincés sur leur côté fort, ils attaquent par leur côté faible et s'en prennent au principe. Petit, ayant été d'une grande habileté (a), ils se piègent eux-mêmes et ils se retrouvent, sans même s'en rendre compte, avec les régicides (b) !
Dans le cadre de la "guerre de cent ans" et de la "maladie" du roi de France Charles VI, le duc de Bourgogne Jean sans peur, cousin du roi, d'une part, et le duc d'Orléans, frère du roi, d'autre part, se disputent le pouvoir, avec la complicité ambivalente de l'Angleterre (à laquelle la Bourgogne est liée par les Flandres). Les paix fourrées, les combats et les soulèvements populaires alternent et se combinent dans un mouvement pendulaire dévastateur : la victoire d'un parti n'est jamais que temporaire ; elle le place devant des problèmes insurmontables ; le pillage fiscal auquel il procède lui aliène les villes et le peuple qui l'ont soutenu ; le parti adverse reprend des forces et revient au pouvoir. Sans ouvrir ce chapitre classique de l'histoire de France (Bourguignons vs Armagnacs), notons que le concile de Constance (1414/18) coïncide avec une phase de flux Armagnac et de reflux Bourguignon : il prend place entre la défaite des Bourguignons (Cabochiens) à Paris et leur retour en force (prise de Paris fin mai 1418 et entrée du duc avec la reine le 14 Juillet).
En 1407, après l'assassinat, le duc de Bourgogne d'abord retiré en Flandres, revient à Paris en grand appareil de guerre. Il fait faire son apologie et obtient son pardon. Quelques mois plus tard (été 1408), la famille du duc d'Orléans arrache la condamnation de Bourgogne. Mais le duc revenant, la "paix de Chartres" (mars 1409) le réconcilie avec le roi. Les imprécations contre lui reprennent et se transforment en guerre ouverte jusqu'à la nouvelle "paix" de 1412, suivie de l'épisode bourguignon de terreur cabochienne, de son écrasement, et, subséquemment, de la reprise de l'action contre Bourgogne par le parti d'Orléans.
Nous connaissons la harangue de Jean Petit (justification du duc de Bourgogne) par le contemporain Monstrelet qui la donne dans sa chronique [12] dont la première édition imprimée date 1501 [13]. Les contemporains de Petit disposent de quelques copies dont ils ne se soucient guère : la suite des débats et des procès n'examine pas la totalité du discours et, à la manière du temps, se limite aux thèses qui, d'après ses adversaires, le résument, manière commode de criminaliser n'importe quelle démonstration [14]. Le texte de Jean Petit disparaît derrière les thèses de ses ennemis. Il méritait un autre sort. L'auteur, même s'il est rétribué par Bourgogne, n'est pas un quelconque mercenaire : docteur en théologie, il a représenté l'Université et le roi dans les négociations avec le pape et a été actif dans le "concile national de France" de 1406. Chargé de prononcer la défense du duc à l'Hôtel de Saint Pol devant une assemblée de grands et petits, en partie hostiles [15], Petit construit avec soin sa longue démonstration (quatre heures de discours, quatre-vingt colonnes de texte) qui part de loin : il commence par chercher l'adhésion au moyen d'une série d'exemples de personnages bibliques qui, à l'instar de Judith, ont agi par eux-mêmes pour tuer un méchant et en ont été loués. Ensuite, il prouve longuement mais sans difficultés, d'une part, que convoitise est de tous maux racine et, d'autre part que le crime de leze majesté royalle constitue un des grands péchez qui soit ou puisse estre. Comment ne pas être d'accord ? S'ensuit derechef une série d'exemples bibliques : la convoitise conduit à renier la foy catholique dont les défenseurs, quand bien même ils ne respectent pas les formes et agissent sans ordres ou contre les ordres, suivent la loy de Dieu. Tout ceci étant posé, et lourdement posé (on a déjà passé le milieu du texte), il énonce huit veritez dont la première est essentielle pour notre étude : quiconque prépare la mort de son roi doit être tué. Je la cite en entier :
Tout
Subject,
vassal, qui par convoitise, barat (fraude), sortilege,& malengin, machine contre le salut corporel de son Roi & Souverain Seigneur, pour lui tollir & soubstraire sa tres-noble & tres-haulte Seigneurie, il pèche si grièvement & commet si horrible crime, comme crime de lese Majeste Royal & par consequent il est digne de double mort, c'est à sçavoir, première (spirituelle) & seconde (matérielle).
J'ai mis en gras machine contre le salut corporel de son Roi car c'est le cœur de l'argumentation de Petit, sa grande astuce : si Orléans "machinait" contre son Roi, l'acte du duc de Bourgogne doit être, non seulement pardonné, mais loué et récompensé, car il a sauvé son Roi, en bon vassal et parent. La question de fait ne sera pas posée (le duc d'Orléans machinait-il ?) et la question de principe sera mise à l'envers. Il le faudra bien : loin d'être une apologie du régicide, tout le discours de Petit est sous-tendu par sa condamnation. Plus encore, il prend appui sur l'horreur de ce crime pour justifier l'usage de tous les moyens susceptibles de l'empêcher. Toutes les autres "véritez" se réfèrent à ce cas de régicide qui est visé par la formule de leur commencement : au cas dessusdit en ladite première vérité.
Voyons les rapidement.
Nous voilà arrivés à la page 35 (sur 42). Il reste remplir les contours, en appliquant tout ce qui précède à Orléans pour établir qu'il a commis crime de leze majesté divine, & humaine en toutes les manières & degrez [20]. Petit accumule ici vérités, demi-vérités, faussetés et imaginations, pour conclure qu'avoir débarrassé le roi d'un tel criminel mérite les compliments et les récompenses du roi, en amour, honneur, richesses [21].
Cette Justification fait l'apologie d'un crime, elle ne fait pas celle du régicide. Au contraire, elle est toute entière basée sur sa condamnation : celui qui machine un tel crime de double lèse majesté (humaine et divine) doit être abattu par tous les moyens. Petit ne justifie pas l'assassinat des rois, il justifie l'assassinat des assassins. Certes, il plaide et donc exagère : si nous n'hésitons pas à accepter au moins la moitié des crimes qu'il impute à Orléans, nous ne pouvons pas prendre Bourgogne pour un héros. Toutefois, cela n'affecte pas le principe de la démonstration.
Comment alors Petit est-il devenu synonyme de régicide ? L'explication, c'est qu'il ne s'agit pas de Petit, mais de Bourgogne ; pas de justice, mais de vengeance ; pas de droit, mais de théologie ; pas de vérité, mais de pouvoir.
Sept ans après le crime, le retour en force des Orléans (1414) les met en position de faire "dépardonner" Bourgogne et de chercher sa condamnation (DECLARATION DE CHARLES VI. ROI DE FRANCE Par laquelle le Duc de Bourgogne est déclaré ennemi de l'Etat du 10 février [23]). Comme la rapide "paix d'Arras" avec le Duc de Bourgogne interdit de nommer personne et de demander la punition de quiconque, à commencer par le duc, on attaque la représentation de sa représentation. On ne nomme pas le duc, on ne mentionne pas Petit, on agit obliquement en incriminant des thèses anonymes. L'Université de Paris, par l'entremise de son chancelier, Jean Gerson, synthétise le discours en articles dont elle requiert l'examen et la condamnation.
Gerson va très loin dans l'oblique, si loin que ses "sept thèses", si elles ne sont pas absolument sans rapport avec la Justification, en donnent une image étrange. La première et la plus importante reprend la "1ère vérité" de Petit, en supprimant son point central. Examinons la.
On s'en souvient, Petit vise Tout Subject, vassal, qui par convoitise, barat (fraude), sortilege & malengin, machine contre le salut corporel de son Roi (1ère vérité), qu'il est licite à chacun Subjet, sans quelque mandement, selon les Loix moralle, naturelle & devine, d'occire, ou faire occire (3ème), même au mépris de la parole donnée (5ème) et par manœuvres secrètes (7ème).
Cela devient pour Gerson : 1. Tout tyran doit licitement et méritoirement être occis par un quelconque sien vassal ou sujet, même par manoeuvres secrètes, embûches et subtiles flatteries ou adulations, nonobstant un quelconque serment à lui prêté ou une alliance contractée avec lui, même sans attendre une sentence ou un mandat d’un juge quelconque.
Lisez bien. Tout y est sauf l'essentiel : le sujet qui machine contre le salut corporel de son Roi est remplacé par ce terrible tout tyran. Dans le premier cas, il s'agit (que l'accusation contre Orléans soit avérée ou pas) de défendre le roi, dans le second, au contraire, de supprimer un roi qu'on jugerait devenu tyran. Tuer le tyrannicide ou tuer le tyran ?
Petit traite à l'occasion Orléans de tyrant et définit le tyrant comme celui qui commande ou veut commander dans l'Etat sans y avoir aucun droit (qui
in re publica non jure principatur aut principari conatur). Qu'elle vienne ou pas de St Grégoire le grand, la formulation est très claire : elle couvre à la fois l'usurpateur qui s'empare du pouvoir sans titre (que tout le monde, depuis l'antiquité, Gerson inclus, est d'accord pour occire sans formalité) et celui qui, comme ce serait le cas d'Orléans, ayant un titre secondaire (frère du roi), tue le souverain pour prendre sa place. En précisant qu'il machine contre le salut corporel de son Roi Petit met l'accent sur le second sens qui vise Orléans, en tant que menace (vraie ou fictive) pour le souverain, le roi. A quelques mots près, Gerson est fidèle et la postérité se laissera prendre. Mais quels mots ! au lieu de "tout régicide", Gerson écrit "tout tyran" et sous-entend "tout roi qu'on jugerait tyran", comme il ressort de son propre commentaire: Cette assertion tourne à la subversion de toute chose publique, & d'un chacun Roy, ou Prince. Qui ne condamnerait la défense du régicide qu'il prête ainsi à Petit ? et, ce faisant, Petit lui-même (heureusement décédé à ce moment) et, par ricochet, le duc de Bourgogne ? A cette 1ère thèse, Gerson, devinant qu'il aura du mal à en faire une "matière de foi" débouchant sur une hérésie, ajoute quatre articles contestant les exemples bibliques utilisés par Petit (2. Michel l'archange, 3. Phinées, 4. Moyse, 5. Judith, 6. Joab) et un dernier qui reprend la cynique 6ème vérité de Petit (qu'on peut trahir ses serments si on y a intérêt [24]).
L'évêque de Paris et l'inquisiteur réunissent une commission de soixante-quatre docteurs théologiens pour examiner les thèses de Gerson. Il s'y trouve assez de partisans de Bourgogne et d'hommes soucieux du prochain retournement pour poser, en préalable, la question de vérité : les thèses de Gerson se trouvent-elles bien dans Petit [25]? On récupère toutes les copies disponibles du discours et on les soumet à une commission de seize docteurs pour les scruter, les collationner et faire rapport. Leur travail prend un mois et demi. Les docteurs, quoiqu'affirmant poliment que les sept propositions de Gerson sont fidèles, les reformulent. Ils leur substituent neuf nouvelles thèses dont la première, rétablissant le texte et la pensée de Petit, corrige implicitement Gerson en incriminant tout tyran qui par convoitise, barat & sortilege, ou malengin, machine contre le salut corporel de son Roy, & souverain Seigneur [26]. Le tyran visé est explicité : non pas le souverain tyrannique, mais celui qui a l'intention d'intenter au souverain. Les huit autres thèses éliminent les chinoiseries bibliques de Gerson au profit des arguments réellement soutenus par Petit [27]. On trouvera en annexe un tableau comparatif des huit vérités, des sept mensonges de Gerson et des neuf thèses de la commission.
Ce retour au texte peut s'expliquer par l'honnêteté, par l'hostilité à Gerson ou à la Faculté de théologie, et aussi par le souci des défenseurs cachés de Bourgogne de se rapprocher du cas : compte tenu de la crainte qu'inspire la puissance du duc et des ménagements que prescrit la paix, revenir à l'assassinat d'Orléans rend la condamnation dangereuse. Au contraire, la généralisation abstraite à laquelle procédait Gerson la facilitait : se prononcer sur Joab ne tire pas à conséquence (mais implicitement constituerait une dénonciation du duc) [28].
Néanmoins [29], la pluralité des voix ayant été à la condamnation du plaidoyer de Jean Petit & des neuf propositions qui en avoient été tirées, le tout fut condamné au feu le 23. de Février. L'évêque de Paris et l'Inquisiteur de la Foi prononcent la sentence : elle vise les propositions de Jean Petit (propositio Magistri Joannis Parvi), non l'auteur, et ne mentionne le nom du duc de Bourgogne que dans l'intitulé de la Justification et, encore indirectement en citant Petit (Quam etiam propositionem ipse proponens appellat justificationem Domini Ducis Burgundiae). Le message est cependant suffisamment clair pour que le Duc proteste que cela va contre la paix.
La sentence qualifie la justification de "fausse du point de vue de la foi et des bonnes mœurs et plusieurs fois scandaleuse" (erronea in Fide & bonis moribus ac multipliciter scandalosa [30]) et, le 26, un exemplaire du discours est brûlé rituellement. Le roi charge le Parlement de Paris d'enregistrer le jugement, ce que, prudent, il met deux ans à faire (14 Juin 1416). Une partie de l'Université conteste la décision, notamment la nation picarde, fidèle au duc, la Faculté de Décret (droit) et la Faculté des Arts. Ce jugement, pourtant solennel, doute de sa force et ne cessera de chercher des confirmations. Gerson demande au roi de le réaffirmer (sermon du 4 décembre [31]) et obtient une déclaration très littéraire le 27 [32]. Le parti d'Orléans triomphe et procède à de grandioses obsèques de l'assassiné, début 1415. Pendant ce temps, le Duc, exaspéré, fait appel de la sentence devant le pape qui transmet l'affaire à une commission de trois cardinaux (Orsini, Panciera et Zabarella). En droit, il n'a été ni attaqué ni condamné. C'est son honneur qui souffre. N'oublions pas que, dans ces temps, l'honneur est un "capital immatériel" plus important que les soldats et les forteresses. Gerson, de son côté, fera preuve d'un acharnement qui ira jusqu'à l'obsession.
Pour l'instant, notons que, en substituant les neuf thèses aux sept de Gerson, le "concile de Paris" a condamné un résumé fidèle. Comme Petit a eu l'habileté de centrer sa justification sur la défense du roi, sa récusation signifie littéralement : il est interdit d'occire quelqu'un qui s'attaque au roi. Pauvre roi sans défense ! sa sûreté est affaiblie, le régicide encouragé ! Gerson et ceux qui sont derrière lui veulent tellement obtenir une condamnation qu'ils paraissent indifférents à sa signification. On comprend les réserves des juristes. Cette décision politique deviendra absurde lorsqu'on voudra en faire une règle de droit.
Ce ne sont pas les thèses de Petit qu'il aurait fallu juger mais le fond : Orléans vs Bourgogne. Seulement, sauf la duchesse d'Orléans, nul ne peut ni ne veut faire le procès du duc, autant par peur que pour ménager la possibilité de compromis ultérieurs (et peut-être parce qu'ouvrir le dossier d'Orléans aurait mis à jour bien des choses gênantes). Donc, au lieu de juger le crime, on juge le couteau et, comme le couteau ne coupe pas, on le remplace par un autre ! Les thèses, quoiqu'elles ne fassent pas l'apologie du tyrannicide royal, sont condamnées comme telles et le resteront pour la postérité.
Au concile de Constance [33], l'Université et son représentant Gerson donnent à la condamnation de Petit autant d'importance qu'à celle de Wycliff et Hus (!), en qualifiant la partie adverse de gens qui sont dans des erreurs plus dangereuses que celles des Hussites. Mais Gerson représente aussi le roi et "le roi" a fait un compromis avec le redouté duc de Bourgogne : ni l'un ni l'autre ne se porteront partie au concile à propos de Petit. Conformément à cette convention ils envoyèrent l'un & l'autre leurs instructions à leurs Ambassadeurs qui convinrent ensemble de suivre à cet égard les ordres de leurs Maîtres.
Conditionné par l'évolution des rapports de forces en France, le déroulement du contentieux dépend aussi des phases du concile : dans un premier temps (a), Gerson, héros du concile, en profite pour pousser le dossier Petit aussi loin qu'il peut ; dans un second temps (b), pendant la longue absence de l'Empereur qui prive le Concile de leadership, les Bourguignons contre-attaquent et la querelle prend la forme de batailles de procédure, tumultes, calomnies ; dans un dernier temps (c), le retour de l'Empereur et l'élection du nouveau pape enterrent le dossier.
Le premier objectif du concile de Constance est de restaurer l'unité de l'Eglise en mettant fin à la concurrence des trois papes. Le deuxième, d'extirper l'hérésie. Le troisième, la réformation de l'Eglise dans sa tête et dans ses membres. L'empereur germanique Sigismond, roi de Hongrie, joue un rôle majeur dans la convocation, la localisation et le déroulement du concile. Sous son influence, le concile se rallie à la solution de la "triple cession" : négocier l'abdication du pape "romain" (Grégoire XII), le retrait du soutien des Espagnes (Aragon, Navarre et Castille) et de l'Ecosse au pape "avignonnais" (Benoit XIII) ; et convaincre de démissionner le pape légitime, Jean XXIII, pourtant élu canoniquement au concile de Pise. Sous la pression, Jean XXIII promet de renoncer puis, pour ne pas le faire, s'enfuit. Il s'ensuit un conflit entre le concile et le pape, dans lequel le premier a besoin de forger une doctrine qui le mette au-dessus du second, sans pour autant nier sa suprématie : une gymnastique acrobatique à laquelle Gerson excelle. Il multiplie les sermons, les traités et les discours. Soutenu par son maître, le Cardinal d'Ailly, et appuyé sur et par la faculté de Théologie de Paris, alors la plus prestigieuse d'Europe, Gerson fait partie des grands ténors du concile dont la victoire sur le pape lui est due en bonne partie.
Le concile est ouvert officiellement le 5 novembre 1414. Le pape s'échappe le 20 mars 1415, d'abord à Schaffhouse, puis de plus en plus loin. Dans sa 5ème session, le 6 avril 1415, le concile adopte le fameux décret proclamant sa supériorité sur le pape ; le 14 mai, il le suspend. Fin mai, le pape est arrêté et, le 29 mai (12ème session), le concile le dépose solennellement. Il n'a fallu que six mois.
La fuite du pape a été soutenue ouvertement par Frédéric d'Autriche qui le paiera cher, et subrepticement par le duc de Bourgogne sur les terres duquel le pape tente de se réfugier. Cherchant à mettre à profit le mécontentement du concile contre le duc [34], Gerson se concerte avec d'Ailly (11 avril) pour soumettre l'affaire Petit au concile, non pas au nom du roi puisqu'on le leur a interdit, mais en leur nom propre [35]. Vite informés, les partisans de Bourgogne (à la tête desquels Martin Porée, évêque d'Arras), déposent le 13 mai, au nom du duc, des conclusions tendant à ce que le concile ou le Saint-Siège fassent examiner et annuler les sentences de l'évêque de Paris.
Le 7 juin, le Cardinal d'Ailly qui préside la "commission des affaires de la foi" demande si quelqu'un a quelque chose à soumettre. Gerson, parlant, non pas pour le "roi" mais en son nom personnel en tant que docteur en théologie, sort son dossier Jean Petit, fait lire les neuf propositions de Paris et demande confirmation de leur condamnation.
Pour le compte de Bourgogne, l'évêque d'Arras (Porée) rétorque i) qu'appel a déjà été interjeté, ii) qu'il ne faut pas retarder les travaux du concile, iii) qu'en tout état de cause il s'agit d'une affaire d'Etat n'intéressant pas le Tribunal de la Foi. Devant la commission, Martin Porée demande Que la Sentence de l'Evêque de Paris, & de l'Inquisiteur de la Foi fût cassée & déclarée nulle par le Concile, tant parce qu'ils n'avoient pas eu droit de prononcer sur une cause dont la connoissance appartenoit au St. Siège, que parce que les Propositions condamnées étoient probables & soutenuës par un grand nombre de Docteurs et il laisse à la prudence des juges le choix de la punition appropriée de Gerson pour sa dénonciation
calomnieuse contre le Duc de Bourgogne. Enfin, il esquisse un compromis : il ne s'opposera pas à ce que le concile condamne une proposition autorisant n'importe qui à tuer n'importe quel tyran de n'importe quelle façon, à condition, toutefois, qu'il soit ajouté qu'on ne prétendait par cela porter aucun préjudice ni aux vivants ni aux morts. Il remplace ainsi la première des thèses condamnées à Paris par la première des sept de Gerson : tout en donnant aux Parisiens l'apparence d'une satisfaction, une telle décision ne confirme en rien la sentence de l'évêque.
Pendant
une
absence de l'Empereur [36], le dynamique évêque d'Arras présente un long mémoire accusant Gerson de parti pris contre le duc [37], comme si sous prétexte de zèle pour la Foi, il n'eût eu en vue, que de flétrir la réputation de ce Prince. Sigismond revient : qu'il veuille la condamnation de Petit [38] ou qu'il cherche à ne pas laisser un tel contentieux ouvert pendant son absence, il fait adopter le compromis suggéré par les Bourguignons.
Une assemblée plénière du concile (assemblée des Nations) convient de condamner
la Proposition générale qui autorise chaque particulier à faire mourir un Tyran par quelque voie, & nonobstant quelque Serment que ce soit, pourvu qu'on ne parlât point de l'Auteur de cette Proposition, & qu'on ne nommât aucun de ceux qui pouvoient y être interessez de quelque manière que ce pût être (Lenfant, Hist. Conc. Const., T1, p 408). Aussi la 15ème Session publique du 6 Juillet 1415, après avoir anathèmisé les thèses prêtées à Hus, condamné Hus lui-même, l'avoir dégradé de son état ecclésiastique et livré au bras séculier qui le brûle aussitôt, s'offre en dessert la première thèse que Gerson a prêtée à Petit et déclare après une mûre délibération, que cette doctrine est hérétique, scandaleuse, seditieuse, & qu'elle ne peut tendre qu'à autoriser les fourberies, les mensonges, les trahisons, & les parjures. Outre cela le Concile déclare hérétiques tous ceux qui soûtiendront opiniâtrement cette doctrine, & entend que comme tels, ils soient poursuivis & punis selon les Loix de l'Eglise.
La thèse condamnée est exactement celle que Gerson prêtait à Petit, pas celle de la commission à laquelle se réfère le jugement de Paris (qui renvoie, rappelons-nous, à un "tyran" qui attenterait à son souverain). Le fameux décret condamne la proposition suivante :
Tout tyran doit licitement et méritoirement être occis par un quelconque sien vassal ou sujet, même par manoeuvres secrètes, embûches et subtiles flatteries ou adulations, nonobstant un quelconque serment à lui prêté ou une alliance contractée avec lui, même sans attendre une sentence ou un mandat d’un juge quelconque.
Tel est bien le texte qui figure en latin [39] dans les éditions des actes du concile (ci-dessous, édition de Milan, 1511) :
Alors que la première vérité de Petit [40] autorise clairement l'occision de tout sujet ou vassal qui machine contre le salut corporel de son Roi & Souverain Seigneur, l'ambigu décret de Constance peut se lire de deux façons. Si on lui prête la définition du tyran de Petit (qui in re publica non jure principatur aut principari conatur), en interdisant l'occision du criminel, il favorise le régicide [41]. Si on le prend littéralement, il ne contient qu'une généralité : face à un "tyran", on ne doit pas se faire justice soi-même, encore moins par des moyens déloyaux, mais obtenir régulièrement une sentence ou un mandat d’un juge quelconque. La belle affaire !
Ou bien, si on explicite le "tyrannicide" comme un régicide en comprenant par "tyran" un souverain accusé de l'être, le décret signifie que, si les sujets n'ont pas le droit de s'insurger par eux-mêmes (sans attendre une sentence ou un mandat d’un juge quelconque), le juge suprême (implicitement, le pape) peut prononcer la sentence qui les autorise, ou même les incite, à tuer leur roi. C'est ce que comprendront les anti-jésuites du XVIe et XVIIe : le tyrannicide individuel est licite dès lors que le roi a été condamné, excommunié ou déposé [42]. L'écho sera grand en Angleterre, avec l'excommunication de la reine Elisabeth et les innombrables attentats catholiques dont elle est l'objet, puis avec la conspiration des poudres. Il retentira aussi en France avec les assassinats de Henri III et IV.
Mais Gerson n'a pas obtenu la confirmation du jugement de Paris. Il va s'obstiner, avec de moins en moins de résultats car son heure est passée, le concile n'a plus besoin de lui : Jean XXIII est déposé, Grégoire XII a abdiqué et l'Empereur s'occupe de Benoit XIII. Gerson va user sa réputation et lasser le concile sans parvenir à rien. A la différence de d'Ailly qui est un politique, il y a du fanatique chez Gerson.
Sigismond part au cours de l'été 1515 pour sa longue tournée européenne, en interdisant au concile de rien faire d'important en son absence. Elle dure dix-huit mois : il rejoint Constance, fin janvier 1417, pour la dernière étape, l'élection du nouveau pape. Sans chef, le concile va à vau l'eau, les querelles entre "nations" se multiplient, les affiches calomnieuses, les attaques personnelles, les tumultes aussi.
Paris,
inquiet
du débarquement des Anglais (août 1515), cherche à se concilier Bourgogne que "le roi" déclare bon vassal et non moins bon cousin, défendant à tout sujet de rien dire ou faire contre son honneur (lettres du 31 Aout 1415). Cela stimule les "bourguignons" de l'Université, la nation picarde et la Faculté du décret (droit), qui se déchaînent contre Gerson et les instigateurs du jugement de 1414 : ils obtiennent que l'Université en corps désavoue les poursuites et procédures de Gerson contre Petit [43] !
Mais,
en janvier 1416, les Armagnacs, après que la défaite d'Azincourt leur ait donné le pouvoir, purgent l'Université en faisant exiler par le "roi" quarante des plus factieux (Crevier) [44]. L'Université reprend son soutien enflammé à Gerson (lettres au concile). Le 19 aout 1416, le doyen de la Faculté de Théologie, Courtecuisse, lui fait confirmer la fameuse sentence à l'unanimité (cela a pris du temps) et, après épuration et mise au pas, la Faculté de Décret pleinement rendue à elle-même, donna une déclaration semblable le dix-huit Novembre de la même année (Crevier [45]).
Cependant,
au
concile, l'affaire n'étoit pas plus avancée que le premier jour, quoiqu'on se fut assemblé plus de trente fois pour en délibérer. Le 11 octobre 1415, l'évêque d'Arras, parlant pour Bourgogne, pose un dilemme : ou les Propositions sont de Foi, ou elles n'en sont pas. Si elles sont "de foi", leur jugement n'appartenait pas à l'évêque de Paris mais au Pape ou au Concile et la sentence est nulle ; si elles ne le sont pas, l'évêque a commis une hérésie en commandant de croire le contraire.
Gerson,
accusé
de calomnie, persiste à réclamer la condamnation des propositions et la punition comme hérétiques de ceux qui les soûtiennent opiniâtrement. L'évêque d'Arras lui répond par un mémoire confrontant les neuf thèses aux huit vérités de Petit pour établir qu'elles ne sont pas conformes. Il montre du doigt le point essentiel : Un homme ne sauroit quel parti prendre entre deux maux évidens. Car si c'est un mal de tuer quelqu'un, c'est un plus grand mal encore de laisser trahir & assassiner son Souverain par un Tyran, ce qu'il faudroit faire si la Doctrine de Jean Petit n'est pas veritable. D'ailleurs le danger est quelquefois si pressant, qu'il est impossible d'avoir recours à la justice (Lenfant, Constance, T 1, p 457). D'où il conclut que les Propositions de Jean Petit sont soûtenables & conformes aux bonnes moeurs. Un autre bourguignon, le toulousain Jean de Roche, soutient que c'est une question de morale et non de foi.
A quoi Gerson répond. Fin octobre 1415, le parti bourguignon l'accuse lui-même d'hérésie et relève dans ses écrits ou propos vingt-cinq articles suspects ! Gerson répond à nouveau et Jean de Roche lui répond (le tout longuement).
S'il n'y a guère d'arguments nouveaux sur le fond, l'ingéniosité tactique ne manque pas. Le 30 octobre 1415, l'évêque d'Arras tente (vainement [46]) de récuser d'Ailly et de le dissocier des autres cardinaux. Il leur dit, entre autres, Que l'affaire de Jean Petit interesse plusieurs Princes chez qui les Cardinaux ont des Bénéfices qu'ils courroient risque de perdre, s'ils prenoient un mauvais parti. Qu'il se trouveroit des Universitez qui s'opposeroient à leur Jugement, & qui peut-être le condamneroient comme hérétique, ce qui les rendrait inhabiles à l'élection d'un Pape.
De leur côté, les Parisiens tirent la ficelle du décret de la 15ème session en espérant trouver le reste du dossier au bout. D'Ailly, le 8 novembre 1415, parlant en son nom propre, en qualité de docteur en théologie, réclame la condamnation des autres propositions attribuées à Petit après celle de la première, puisqu'elles
en
sont une suite manifeste, & que ceux qui les soûtiennent opiniâtrement doivent être punis comme des Hérétiques. L'évêque d'Arras, parlant lui aussi en tant que docteur, soutient (à juste titre) le contraire : la proposition n'engage pas les suivantes car dans la Proposition condamnée, il s'agit de quelque Tyran que ce soit, au lieu que dans celle de Jean Petit, il ne s'agit que d'un certain Tyran designé de telle & telle manière (sous entendu : le tyran qui veut s'attaquer au roi). A propos du Commandement,
"tu
ne tueras point", il soûtient que la glose, "sans autorité de justice", n'est pas véritable, parce qu'il s'ensuivroit de là, qu'il ne serait pas permis de tuer un voleur nocturne, ni de repousser la force par la force. Pour faire bonne mesure, il justifie toutes les Propositions attribuées à Petit, l'une après l'autre, quoi qu'il soûtienne qu'elles ont été faussement imputées à ce Docteur.
Et cela continue pendant tout le mois de décembre 1415 ! Le 18 décembre, le Cardinal d'Aquilée, l'un des trois cardinaux (Orsini, Panciera et Zabarella) qui avaient été chargés par le pape de l'appel interjeté par le duc contre la sentence de Paris, propose une sentence annulant le jugement et refusant de décider à propos des neuf thèses puisque les opinions des docteurs sont partagées. L'évêque d'Arras et d'autres soutiennent cette conclusion qui ne passe pas.
Les deux côtés réclament que la Commission
des
matières de la Foi se saisisse des neuf thèses, soit pour les approuver, soit pour les condamner. Début janvier 1416, la Commission, pressée par les uns et par les autres, assemble les docteurs pour qu'ils donnent leurs raisons [47].
C'est
alors
que, coup de théâtre, par une sentence du 15 janvier 1416, les trois cardinaux cassent et nullifient le jugement de l'assemblée de Paris. Sans s'occuper du fond, ils constatent, d'une part, que les causes de Foi appartiennent au pape et ne peuvent pas être jugées par un évêque et, d'autre part, que l'évêque de Paris et l'Inquisiteur qu'ils avaient cités à comparaître pour se justifier ne se sont pas présentés devant eux. Outre ces motifs, admissibles sur le plan formel, ils ajoutent des considérations douteuses [48] qui laissent soupçonner un effet des pièces de vin que le duc (Bourgogne oblige !) a expédiées en masse à Constance et des cadeaux distribués généreusement par ses envoyés. Reste que, les cardinaux ayant été saisis par Jean XXIII, et ce dernier étant à présent déposé, on peut leur opposer que leur décision ne compte pas et que c'est au concile qu'elle appartient. En tout état de cause, les cardinaux ne s'étant pas prononcés sur le fond, la Commission est toujours saisie.
Le retour des ambassadeurs qui avaient accompagné l'Empereur en Espagne suspend un moment l'affaire mais, on l'a vu, Paris où les Armagnacs ont pris le pouvoir après Azincourt s'agite : l'université écrit (8 février 1416) aux commissaires contre les neuf thèses, d'Ailly rédige un projet de sentence dans ce sens, le "roi" écrit au concile pour se plaindre de sa lenteur à condamner les propositions de Jean Petit.
Le 18 février 1416, les malheureux commissaires se réunissent à ce propos. Les défenseurs de Bourgogne demandent que Gerson soit obligé de se rétracter de sa dénonciation calomnieuse des neuf propositions. De l'autre côté, le représentant du roi demande que rien ne soit fait sans entendre les ambassadeurs du roi de France et qu'aucune personne suspecte ne soit admise à juger.
Pendant
tout le mois de Mars on agita l'affaire de Jean Petit, avec beaucoup d'animosité de part & d'autre, sans pouvoir venir à aucune conclusion. Les ambassadeurs de Bourgogne écrivent à l'Empereur, demandant qu'on les satisfasse ou, du moins, qu'on renvoie la question au prochain concile général. Pendant ce temps, "le roi" (lire : les Armagnacs) harcèle ses représentants et leur enjoint très-expressément de se mettre à la brèche, pour défendre la Loi de Dieu & l'honneur du Royaume, & leur déclare qu'il les regardera comme ses ennemis, aussi-bien que comme les ennemis de Dieu, s'ils se relâchent le moins du monde dans une affaire de cette importance. Les ambassadeurs du roi récusent les commissaires parce que ceux-ci ne les ont pas convoqués et en appellent au concile. Les débats au sein de la "nation gallicane" deviennent tempêtueux. Lors de sa réunion du 26 mars, il faut faire sortir les ambassadeurs de France et de Bourgogne ! une fois qu'ils sont dehors, il est décidé d'adjoindre dix députés de la "nation française" aux commissaires pour
accommoder les parties à l'amiable ou poursuivre la décision devant le pape futur. France et Bourgogne, pour une fois d'accord, en appellent au concile que l'Université de Paris, enragée, somme de cesser d'être indifférent à la Foi Catholique & la Loi de Dieu même et de casser la décision des cardinaux.
Enfin,
le
14 avril 1416, le concile plénier tente d'aborder l'affaire, comme s'il avait attendu qu'il soit trop tard. Elle est devenue si brûlante que nul ne peut plus la prendre en mains. Devant la formation suprême du concile, la Congrégation générale de toutes les Nations & de tous les Cardinaux & les Prélats dans le lieu & à l'heure des Sessions publiques [49], les ambassadeurs de France énoncent leur position. Lorsque l'évêque d'Arras veut répondre, il se fit tant de bruit de part & d'autre, qu'il fallut renvoyer la séance à un autre jour. Deux jours après, l'évêque d'Arras prononce un long plaidoyer et, le lendemain, Gerson conteste tout ce qu'il a allégué contre la sentence de Paris, produit les neuf thèses et les lettres du "roi" demandant leur condamnation et, mettant les pieds dans le plat, il les exhorte avec beaucoup d'éloquence, à écouter la voix du sang du Duc d'Orléans qui crie vengeance, & qui leur demande justice. Quelques jours après, c'est à nouveau le tour de l'évêque d'Arras : un prodigieux tumulte oblige l'assemblée à se séparer. Deux jours plus tard, ce sont les ambassadeurs qui viennent aux prises et il se fait un si furieux tintamarre, qu'il fallut encore quitter sans avoir rien conclu.
L'été
passe
et, en septembre 1416, les positions n'ont pas bougé : Bourgogne demande toujours aux commissaires la publication des avis des docteurs (de quatre-vint-sept Docteurs, qui avoient opiné, il y en avoit eu soixante et un qui avoient jugé que ce n'étoit pas une cause de Foi, ou une affaire de Religion, conformément à la prétention des Bourguignons) et France, appuyée par une nouvelle lettre de l'Université et un arrêt du Parlement de Paris, demande toujours que le Concile se prononce sur la question de foi, sans aucune formalité de justice.
Octobre :
beaucoup de chaleur et d'animosité de part et d'autre.
Le duc de Bourgogne s'est entretenu à Calais avec Henry et Sigismond, à la fin de l'été 1416. Quand l'Empereur rejoint enfin Constance (janvier 1417), à présent allié des Anglais et tout favorable aux Bourguignons (Barrante) [50], il est triomphalement accueilli, tout particulièrement par la "nation anglaise". Peu après, Gerson prononce un discours dans lequel il pressoit fortement le Concile d'agir avec plus de vigueur qu'on n'avoit fait dans l'affaire de Jean Petit, & de mettre par une rigoureuse condamnation de tous les Articles de sa doctrine, la vie & la majesté des Souverains à couvert des entreprises seditieuses de leurs Sujets (Lenfant, Constance, T2, p22). Les Parisiens ont perdu leur ascendant sur le concile et leurs manœuvres pour dissoudre la "nation anglaise" dans la "nation germanique" ne le leur rendront pas. Que l'Empereur qui arbore avec ostentation ses insignes de l'ordre de la Jarretière, soutienne Bourgogne (comme le disent les auteurs français [51]) ou non, la grande affaire est désormais l'élection du pape (elle se fera en novembre 1417). Elle suscite la question préalable, très chaudement débattue : faut-il d'abord réformer l'Eglise dans sa tête & dans ses membres, ou d'abord élire un pape qui s'en occupera ? L'Empereur et la "nation germanique" craignent (à juste raison) que, une fois élu, le pape oublie ses promesses de réformation. Ils sont d'avis de limiter par avance les pouvoirs et les prérogatives fiscales du pape. Les cardinaux dont l'emprise sur le concile va croissant proposent d'établir une liste de réformes et d'élire le pape en la lui donnant à réaliser. Ce sont eux qui gagneront, la "nation française" les appuyant contre l'Empereur (et, naturellement, le Pape oubliera la réformation !). Par ailleurs, en France, le pendule, poussé par les excès des Armagnacs, revient du côté des Bourguignons qui triomphent à Paris milieu 1418 (massacre des Armagnacs).
Aussi
l'affaire
Petit sort de l'agenda du concile.
Et revient par la Pologne : les Polonais (catholiques), en guerre permanente avec les chevaliers teutoniques (qui les traitent de "relaps" pour pouvoir les combattre), ont saisi le concile d'une brochure de Falkenberg, composée pour le compte des chevaliers, dans laquelle il promet la vie éternelle à ceux qui tueront les Polonais et leur roi : qu'il est plus méritoire de tuer les polonais et leur roi que de tuer des payens. En juin 1417 les commissaires de la Foi ont condamné Falkenberg à la prison perpétuelle et son libelle au feu, comme erroné dans la Foi & dans les Moeurs, séditieux, cruel, scandaleux, injurieux, impie, offensif des oreilles pieuses, & hérétique. Mais ce jugement, quoiqu'approuvé par tous les députés des nations et les cardinaux, n'a pas été acté par une session publique du concile. Les Polonais demandent au nouveau pape (qui l'a signé en tant que cardinal) de le confirmer. Et nos Français se joignent à eux avec empressement car les principes de Jean de Falkenberg étoient à peu près les mêmes que ceux de Jean Petit, &c que celui-là avoit eu l'impudence de soûtenir la doctrine de celui-ci par trois Ecrits où il réfutoit le Cardinal de Cambrai, & Jean Gerson d'un stile fort insolent. Mais ni les uns ni les autres n'obtiennent satisfaction du pape. Soucieux de ménager les chevaliers (ou circonvenu par eux), le pape élude, déclarant n'approuver que les décisions prises conciliariter. Gerson, dans le Dialogue
apologétique
qu'il écrit après le concile, s'en plaint amèrement pour
l'honneur du pape et du concile : les hussites (qu'il a si vivement contribué à condamner) pourront accuser le concile de partialité puisqu'il n'a pas condamné toutes les hérésies également ; ne pas confirmer la décision, c'est avilir l'autorité du Concile, rendre nul tout ce qu'il a pu faire, & d'ailleurs apprêter à rire aux Infidelles, aux Schismatiques...En
effet, on revient à la question pape/concile: les Polonais, choqués de ce déni, en appellent au prochain concile, ce que le pape, au mépris du décret Haec Sancta, interdit, à eux comme à quiconque : le
pape publia, dans un consistoire public tenu le 10 mars 1418, une courte bulle déclarant inadmissible tout appel d'une sentence pontificale, et réclamant la soumission complète aux décisions du Saint-Siège "in causis fidei" (Hefele,
Tome 7, 1ère partie, p 506).
A la fin du concile, le résulat de toute cette agitation est maigre : i) le concile a rendu la sentence quilibet tyrannus interdisant à quiconque de tuer un "tyran" de sa propre initiative (sans définir ce qu'il faut entendre par "tyran" ni quelle autorité doit l'avoir condamné) ; ii) la commission de cardinaux a cassé la sentence de l'assemblée de Paris contre les propositions de Jean Petit sans se prononcer sur le fond ; iii) le pape n'a rien confirmé ni infirmé.
Les Bourguignons semblent avoir gagné : le concile n'a pas validé le jugement de Paris et la commission de cardinaux l'a cassé [52]. Les Français ne reconnaissent pas cette annulation et aimeraient penser que, la première proposition quilibet contenant
potentiellement toutes les autres, le jugement de Paris est implicitement confirmé. Le rapport de forces du moment rend la question indécidable. Elle sera tranchée sur les champs de bataille: la victoire finale des Français sur les Bourguignons condamne Petit pour l'éternité.
Dans l'immédiat, le retour de la domination bourguignonne, courant 1418, s'il ne rétablit pas l'ordre et ne chasse pas les Anglais, réhabilite 1407 [53] :
Cette Université (de Paris) eut même la mortification de se voir obligée à effacer de ses Regîtres, tout ce qui avoit été arrêté contre le Duc de Bourgogne. On contraignit aussi Gérard de Montaigu Evêque de Paris de retraiter la Sentence d'Excommunication, qu'il avoir autrefois portée contre la Proposition seditieuse de Jean Petit, dont il a été si souvent parlé (Crevier). L'année suivante, 1419, c'est au tour du duc de Bourgogne de se faire assassiner lors d'une entrevue avec son compétiteur, le dauphin [54] que, en 1420, le Traité de Troyes exhérédera pour ses horribles
crimes
et delitz. En 1421, le dauphin aurait été judiciairement déclaré coupable de lèse-majesté et déshérité. Monstrelet le dit [55]. Mais le dauphin ayant fini par gagner, devenir Charles VII et rentrer dans Paris en 1437, le Parlement a détruit les archives de sa compromettante période "anglo-bourguignonne", de sorte qu'on ne sait pas si le dauphin a été réellement appelé à sa "table de marbre" en 1421 [56] quand la mémoire de l'assassinat d'Orléans hantait celui de Bourgogne. Le discours de Petit en 1407, aurait pu servir, à contre-emploi, à défendre le dauphin en 1419 ! Mais le dauphin n'a pas besoin d'arguments, il se sert des armes.
Si cette longue, fastidieuse et tumultueuse affaire a pollué le concile, le quilibet en lui-même n'a pas marqué les participants (en dehors des Parisiens et des Bourguignons). Sa formulation vague le voue à l'oubli qui guette les textes que la recherche d'un compromis a vidé de sens.
La montagne a accouché d'une souris.
Il n'en est que plus curieux de voir cette souris, après avoir longtemps somnolé dans les marges du Acta scitu dignissima docteque concinnata Constantiensis concilii celebratissimi, revenir sur la scène publique deux siècles après le concile. Et, lorsque l'assassinat de Henri IV la fait réapparaître, la souris est devenue un éléphant tout armé et caparaçonné !
Pourtant,
le
quilibet était hors-jeu. Le concile de Bâle ne le mentionne pas et ne revient pas sur la question. Même les Français qui chérissent Gerson pour sa fin édifiante (les Lyonnais l'ont proclamé "saint") et pour les arguments qu'il apporte au gallicanisme, ont oublié le quilibet. Pendant le XVe siècle, les cités italiennes pratiquent, sans souci, le tyrannicide traditionnel et, ici et là, les meurtres politiques ne manquent pas. Le tyrannicide a été étudié et débattu, avec les arguments éternels, empruntés à St Thomas et à la bible.
Petit
et Constance n'ont pas laissé de traces. En atteste Alfred Coville qui, en 1932, a publié une somme de quelque six cents pages sur la question du tyrannicide au commencement du XVe siècle : on serait embarrassé, au moins jusqu'à la fin du XVIe siècle, à deux exceptions près, pour trouver quelque développement intéressant, même quelque rappel de Jean Petit et quelque citation de la Justification ou quelque usage des actes du concile de la foi de Paris, à peine seulement quelques mentions de la condamnation du Quilibet tyrannus...par le concile de Constance. Quelques exemples suffisent... (p 564). Il les trouve, fin XVIe, dans des auteurs aussi différents que Hotman, Bodin ou Boucher qui ignorent absolument Petit. Quant aux deux exceptions qu'il cite, il s'agit de Mariana (1599) et d'un grenoblois Réformé, Innocent Gentillet: dans son Antimachiavel de 1576 (Discours sur les Moyens de bien Gouverner un Royaume), il emprunte assez librement à Monstrelet le texte de Petit et condamne vigoureusement ce dernier. J'ajoute à ces deux, dans une discussion sur la nature du "tyran" visé par le quilibet dans le commentaire de l'epitre de St Paul d'Ambroise Catharin (première
moitié du XVIe) et une mention dans Cajetan. Sans doute en cherchant partout on pourrait en trouver quelques autres.
Mais cela suffit pour autoriser à penser que la "réception" du décret quilibet au XVe et XVIe se caractérise par l'indifférence et l'oubli ! Même le débat sur le droit à la rébellion impulsé par les affrontements politico-religieux n'en a pas besoin et l'ignore.
Ce
qui fera revenir le décret, ce n'est pas la théorie mais la pratique : les assassinats royaux (Henri III et, surtout, Henri IV). Ce jour là, quand le Parlement condamne le livre de Mariana, le fantôme sort du placard sous la forme requise par la circonstance, celle d'une condamnation absolue du régicide. C'est en vain que nous avons cherché dans le labyrinthe hurlant du concile de Constance la signification qu'il fallait donner au décret ambigu. Elle n'en avait pas. Elle la reçoit maintenant. Elle n'est pas définie en 1415 mais en 1610. J'ignore par quel miracle d'archivage ou de mémoire gallicane le Parlement retrouve la sentence de 1413 et la rappelle à la faculté de théologie. Mais c'est alors et alors seulement que le décret prend son sens. Plus curieux encore, c'est en 1615, après les états généraux, que la papauté qui avait jadis éludé sa confirmation la proclame solennellement : approbamus et confirmamus [57] !
En
réalité, le quilibet ne date pas de 1415 mais de 1615 !
a) les huit véritez de Petit In Monstrelet 1. Tout Subject, vassal,quï par convoitise, barat, sortilege,& malengin, machine contre le salut corporel de son Roi & Souverain Seigneur, pour lui tollir & soubstraire sa tres-noble & tres-haulte Seigneurie, il pèche si grièvement & commet si horrible crime , comme crime de lese Majeste Royal & par consequent il est digne de double mort, c'est à sçavoir, première & séconde 2. Jaçoit que ou cas dessusdit, soit tout Subject, Vassal digne de double mort, & qu'il commette si horrible mal, qu'on ne le pourroit trop punir ; toutefois est plus à punir un Chevalier qu'un simple Subject en ce cas, un Baron qu’un simple Chevalier, un Comte qu'un Baron, & un Duc qu’un Comte, le Cousin du Roy qu'un estrange, le frère du Roy qu'un Cousin, le fils du Roy que le frère. 3. Ou cas dessusdit en ladite première vérité, il est licite à chacun Subjet, sans quelque mandement, selon les Loix moralle, naturelle & devine, d'occire, ou faire occire iceluy trahistre desloyal & tyrant, & non pas tant seulement licite, mais honnorable & méritoire ; mesmement quand il est de si grand puissance que justice ne peult bonnement estre faite par le Souverain. 4. Ou cas dessusdit, il est plus méritoire, honnorable & licite, qu'icelui Tyrant soit occis par un des parens du Roy que par un estranger qui ne serait point du sang du Roy, & par un Duc que par un Comte, & par un Baron que par un simple Chevalier;& par un simple Chevalier que par un simple homme. 5. Ou cas d'alliances, sermens, promesses, & de confédérations faites de Chevalier à autre, en quelque manière que ce soit, ou peut estre, s'il advient qu'icelles garder & tenir tourne ou préjudice de son Prince & de ses enfants & de la chose publique, nul n’est tenu de les garder. Ains les tenir & garder en tel cas serait faire contre les Loix moralle, naturelle, & divine. 6. Ou cas dessusdit est, que s'il advient que lesdictes alliances ou confédérations tournent ou préjudice de l'un des promettans ou concedans, de son espouse ou de ses enfants, il n'est en rien tenu de le garder. 7. Ou cas dessusdit est, qu'il est licite à un chacun Subject, honnorable & meritable occire le tyrant trahistre dessus nommé & desloyal à son Roy & Souverain Seigneur, par aguet, cautelles & espiemens, & si est licite de dissîmuler & taire sa voulenté d'ainsi faire. 8. Tout Subjet & Vassal qui penseement machinent contre la santé de leur Roy, & Souverain Seigneur, de le faire mourir en langueur, par convoitise d'avoir sa couronne & seigneurie, fait consacrer ou, à plus proprement parler, fait exercer espées, dagues, badelaires, ou couteaulx, verges d'or, ou anneaulx, & dédier ou nom des diables…Celuy ou ceux qui le font ne commettent point seulement crime de lese Majesté humaine au premier degré, mais sont trahistres & desloyaux à Dieu leur Créateur, & à leur Roy. Et comme idolâtres & corrumpeurs, faulsaires de la foy Catholicque sont dignes de double mort, c'est à sçavoir première & séconde, mesmement (principalement) quand lesdites sorceries, superstitions et maléfices sortissent leur effet en la personne du Roy, par le moyen & malle foy desdits machinants | b) les 7 art. de Gerson In Lenfant, Concile de Pise, T2, P2, p 41 1. Tout tyran doit licitement et méritoirement être occis par un quelconque sien vassal ou sujet, même par manoeuvres secrètes, embûches et subtiles flatteries ou adulations, nonobstant un quelconque serment à lui prêté ou une alliance contractée avec lui, même sans attendre une sentence ou un mandat d’un juge quelconque 2 . Michel sans commandement quelconque, ne de Dieu , ny d'autre, mais étant seulement meu d'amour naturel, occit Lucifer de mort perdurable, & pour ce il a des richesses espirituelles, autant comme il en peut recevoir. 3 . Phinees occit Zambri, sans quelconque mandement de Moyse, ne d'autres a ce ayant pouvoir. 4. Moyse, sans mandement quelconque, ou autorité occit l’Egyptien. 5. Judith ne pécha point en flattant Holopherne, ne Jehu en mentant qu'il vouloit honorer Baal. 6. Joab occit Abner depuis la mort d'Absalon. 7. Toutefois que aucun fait aucune chose qui est meilleure, jacoit ce qu'il ait juré la nonfaire, ce n'est mie parjurement, mais est à parjurement contraire. | c) les
9art.
de la Commission In Lenfant, Concile de Pise, T2, P2, p 49 1. Il est licite à un chacun Subject, sans quelconque mandement ou commandement, selon les Loix moralle, naturelle, & divine, d'occire ou faire occire tout tyran qui parconvoitise, barat & sortilege, ou malengin, machine contre le salut corporel de son Roy, & souverain Seigneur, pour luy tollir sa très noble &très haulte Seigneurie, & non pas seulement licite, mais honnorable & méritoire, mesmement quand il est de si grande puissance, que justice ne peut bonnement etre faite par le Souverain. 2. Les Loix naturelle , moralle & divine, autorisent un chacun d'occire, ou faire occire ledit tyran. 3. Il est licite a un chacun Subject, d'occire ou faire occire le susnommé tyran trahistre & desloyal à son Roy & souverain Seigneur, par aguettes & espiemens, & si est licite de dissimuler & taire sa voulenté de ainsi faire. 4. C'est droit, raison & équité, que tout tyran soit occis vilainement, par aguettes & espiemens, & est la propre mort de quoy doivent mourir tyrans desloyaux, de les occire vilainement & par bonnes cautelles & espiemens. 5. Cil qui occit &fait occire le tyran dessus nommé, es manière que dit est, ne doit de rien estre repris, & ne doit pas seulement le Roy en estre content mais doit avoir le fait agréable, & l'autoriser entant que mestier ou besoing seroit. 6. Le Roy doit guerdonner & rémunérer celui qui occit en la manière que dit est, ou fait occire le tyran dessus nommé, en trois choses, c'est à sçavoir en amour, honneur & richesses, à l'exemple des rémunérations faites a St. Michel l'Archange pour l'expulsion de Lucifer du Royaume de Paradis, & au noble homme Phinées, pour l'occision du Duc Zambri. 7. Le Roy doit plus aimer que paravant celui qui occit ou fait occire le tyran susnommè, es manières dessus dites & doit faire prescher sa foy, & bonne loyauté par son Royaume, & dehors le Royaume, le faire publier par Lettres, par manière d'Epistre ou autrement. 8. La lettre tue, mais l'esprit vivifie. 1. Cor. III. 6. c'est-a-dire que toujours tenir le sens literal en la sainte Escriture est occire son ame. 9. Au cas d'alliance, serment, promesse, ou confédération faite de Chevalier à autre, en quelque manière que ce soit, ou peut estre ; s'il advient qu'il tourne aupréjudice de l'un des prometteurs, ou confédéré, de son espouse ou de ses enfans, il n'est rien tenu de les garder. |
[1] De Rege & Regis lnstitutione. Ecrit à la demande du roi d'Espagne et publié à Tolède en 1599. Les passages les plus contestés furent remaniés dans la seconde édition (1605, Mayence, ch. Balthazar Lippi). Mariana, théorisant, à la suite d'une longue tradition, que la souveraineté du Roi provient du "peuple", il en déduit qu'elle peut lui être retirée et que, en dernière instance, le meurtre d'un tyran est licite. Cf. Carlyle, 1909, A History of mediaeval political theory in the west, vol. 6, Political theory from 1300 to 1600, p 402 sq : while he is a strong supporter of monarchy, he thinks of laws as having been made to restrain the king, and that these laws have been made by the community from whom the king receives his authority. He therefore maintains that inasmuch as the authority of the king is derived from the commonwealth, the king can be compelled to give account to the law, and, if he will not amend, he may be deposed ; for the community, when it bestowed power on a king, kept the greater power in its own hands. This is Mariana's general principle, and he goes on to consider how the authority of the community over the prince is to be exercised. He is in this chapter discussing and defending the revolt against Henry III. of France and his assassination. He defends tyrannicide as lawful… At the same time the nature of the action against the prince (who lays his hands upon public and private wealth, treats the public laws and religion with contempt) must be carefully considered, lest evil should be added to evil. The best and safest course is that a public assembly should meet and consider what is to be done…If, however, it is not possible to hold a public assembly, and the commonwealth is oppressed by the tyranny of the prince, and yet men desire to destroy the tyranny and to punish the manifest and intolerable crimes of the prince, the man who follows the public wishes and endeavours to destroy him is not, in Mariana's judgment, to be condemned…Mariana concludes the chapter with a critical discussion of the Decree of the Council of Constance, which condemned tyrannicide. [2] Le Parlement crut qu'il devoit, le même jour qu'il rendit l'Arrêt contre Ravaillac, en donner un second contre cet Ecrivain /Mariana/. Mais pour y procéder d'une manière plus exacte, la Cour s'adresse à la Faculté de Théologie, pour l'engager à renouveller la censure qu'elle avoit déja portée dès l'an 1413, contre la doctrine pernicieuse de l'assassinat des Princes, censure même approuvée & confirmée dans la Session quinzième du Concile de Constance, en 1415. La Faculté s'étant assemblée, renouvella sagement non-seulement la doctrine qu'elle avoit publiée au commencement du quinziéme siécle; mais même elle se soumit au Décret du Concile de Constance, reconnû & accepté dans toute l'Eglise. Ce fut donc en conséquence de cette Délibération, que le Parlement rendit son Arrêt du 8. Juin 1610, où il accepte les conclusions de la Faculté de Théologie, aussi bien que la décision du Concile de Constance. Mais sçachant que Mariana, autorise la proposition condamnée par le Concile, c'est ce qui engagea le Parlement à proscrire, & à faire brüler publiquement le Livre de cet Auteur de Rege & Regis lnstitutione, où la maxime contraire au Concile de Constance, se trouve soutenuë (Mem de Condé, Ed. La Haye, 1743, T6, Avertissement, p xxxj). [3] La lettre déclaratoire entraîne en réponse un Anti-Coton, Liure ou est prouué que les Iesuites sont coulpables & autheurs du parricide excerable commis en la Personne du Roy tres-Chrestien HENRI IV. D’heureuse mémoire (1610, sans nom d'auteur ni d'imprimeur, sans lieu ni privilège) qui suscite une Réponse Apologétique à l'Anti-Coton et a ceux de sa suite presentée a la royne, mere du Roy, regente en France, ou il est monstré, que les autheurs anonimes de ces libelles difamatoires sont atteints des crimes d’Heresie, leze Majesté, Perfidie, Sacrilege, & tres-enormes Impostures, François Bonald [Coton], 1610, Au Pont, par l’imprimeur de l’université. Et les réponses et actions en justice s'entassent (cf. Cottret, Monique, 2010, « La justification catholique du tyrannicide », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 3/2010, n° HS 6, p. 107-117). [4] Pour arrêter le cours de la pernicieuse doctrine qui s’introduit depuis quelques années contre les rois et puissances souveraines, établies de Dieu, par des esprits séditieux, qui ne tendent qu'à les troubler et subvertir, le roi sera supplié de faire arrêter en l'assemblée de ses États, pour loi fondamentale du royaume, qui soit inviolable et notoire à tous, que comme il est reconnu souverain en son État, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n'y a puissance en terre, quelle qu'elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume, pour en priver les personnes sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la fidélité et obéissance qu'ils lui doivent, pour quelque cause ou prétexte que ce soit... Que l'opinion contraire, même qu'il soit loisible de tuer ou déposer nos rois, s'élever et rebeller contre eux, secouer le joug de leur obéissance, pour quelqu'occasion que ce soit, est impie, détestable, contre vérité et contre l'établissement de l'état de la France, qui ne dépend immédiatement que de Dieu. Que tous livres qui enseignent telle fausse et perverse opinion, seront tenus pour séditieux et damnables; tous étrangers qui l’écriront et publieront, pour ennemis jurés de la couronne; tous sujets de SM qui y adhéreront, de quelque qualité et condition qu'ils soient, pour rebelles, infracteurs des lois fondamentales du royaume, et criminels de lèse-majesté au premier chef...Et sera, ce premier article, lu par chacun an, tant aux cours souveraines qu'ès bailliages et sénéchaussées dudit royaume, à l'ouverture des audiences, pour être gardé et observé avec toute sévérité et rigueur (texte cité In Picot, Etats généraux, T3, p 513/514) [4b] Blet, 1954, en fait un épisode des efforts parallèles du Parlement, de l'Université et des Réformés, contre les Jésuites que "le roi" a soutenus en suspendant l'arrêt du Parlement contre le Jésuite Suarez (Défense de la foi catholique et apostolique contre les erreurs de la secte anglicane, écrit contre le serment d'obédience exigé de tous les catholiques en contrepartie de leur tolération). Le premier article du tiers demande de faire jurer et signer la souveraineté temporelle absolue du roi à tous les officiers et bénéficiers ; queTous précepteurs, régents, docteurs et prédicateurs, (soient) tenus de l'enseigner et publier ; et que,
lorsqu'un
étranger soutiendra des doctrines contraires, les ecclésiastiques du même ordre établi en France (soient) obligés d'y répondre, les impugner et contredire incessamment… sur peine d'être punis des mêmes peines que dessus comme fauteurs des ennemis de l’Etat ...Sans avoir besoin d'interdire les Jésuites, une telle disposition les mettrait dans une position impossible. [5] Déjà, au XIIe siècle, un autre Johannes Parvus (Jean Petit, Jean de Salisbury), dans la ligne papaliste, considérait que le Roi est le serviteur de l'Eglise, qu'un mauvais roi (tyran) doit être éliminé. Poole à propos de John of Salisbury (Johannes Parvus) sur le tyrannicide, p208-9: It is a most curious coincidence that another Johannes Parvus, Jean Petit, made this doctrine conspicuous in relation to the murder of the duke of Orleans in 1407. His arguments are identical...He inculcates with peculiar energy the duty not only of deposing but of slaying tyrants (Policraticus). Tyrannicide is not only lawful, it is obligatory ; we may resort to any means to effect this object except poison...With this single exception any act overt or covert is allowable against the tyrant. He is an enemy of the state and therefore those moral restricictions which bind society have no force in our dealings with him. We may flatter him, or employ any art, in order to lure him on to his destruction. [6] C'est ce que dénonce l'Anti-Coton, p 59 : les Iesuites ont leur eschappatoire preste, & qui est veritable, à sçauoir que le Concile de Constance parle des Tyrans qui sont Rois legitimes, & qu’il ne parle point des Rois deposez par iugement public, & dont les sujets ne sont point dispensez & absous par le Pape du serment de fidelité : ny des Rois qui sont iugez ennemis de l’Eglise. [7] Cf. Bossuet, Défense de la declaration de l'assemblée du clergé de france de 1682 touchant la puissance ecclésiastique, 3 volumes, édition posthume, Amsterdam 1745 [8] Malgré l'abondance de notaires, les décisions du Concile ne furent pas rassemblées dans un recueil officiel. Elles sont connues par l'abrégé que fit composer le concile de Bâle vingt ans après dont la copie d’une copie a été éditée par Jérôme de Croaria et imprimée pour la première fois à Haguenau en 1500 (Acta scitu dignissima docteque concinnata Constantiensis concilii celebratissimi), avec d'innombrables rééditions. On trouve le fameux décret quilibet tyrannus à la XVe session, p 105 de l'édition de Paris de 1506 (ch Petit) ou p 35 de l'édition de Milan de 1511. Il faudra attendre Hermann Von der Hardt 1690 pour avoir les actes entiers (Magnum oecumenicum Constantiense concilium,1697-1700) et l'énorme travail de Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio (31 vol., in-folio, Florence et Venise, 1758-1798). [9] Une longue tradition théocratique, formalisée et développée dans le combat des papes pour la suprématie universelle (disons, à partir d'Hildebrand au XIe). La question est de savoir si Dieu-Pape-Rois constituent un triangle (papes et rois, directement gratia dei) ou un entonnoir : les papes tiennent leurs pouvoirs de Dieu qui leur confie les deux glaives. Le roi tient son "glaive temporel" ab ecclesia ad ecclesiam.
[10] Creighton 372 ...it was simply a transference to Constance of the political animosity by which France was convulsed. As the struggle in Bohemia between the Tchecks and Germans had made its way to the Council Chamber, so the struggle in France between Orleanists and Burgundians penetrated into matters which craved for ecclesiastical decision. Toutefois, même si sa connexion avec Wycliff est quelque peu abusive, l'affaire tchèque concernait plus directement le concile. Ce n'est pas sans raison que Luther se donne Hus pour ancêtre. [11] Sauf lorsque je désigne sa personne propre, je mettrai systématiquement des guillemets car la folie et la faiblesse de Charles VI en font un drapeau que brandit la faction dominante. [12] La chronique d'Enguerran de Monstrelet : en deux livres, avec pièces justificatives : 1400-1444, publ. pour la Société de l'histoire de France par L. Douët-d'Arcq., 1857-1862, Tome 1, Chap. XXIX, p 177 sq. [13] Chap. XXXIX comment le dit Jehan de Bourgogne fit proposer devant le roy & son grand conseil ses excusations sur la mort du dessus duc d’Orléans [14] Gerson, qui poursuivra Jean Petit avec un acharnement maniaque au concile, sera lui-même victime du procédé : en octobre 1415, les Bourguignons l'accuseront d'hérésie sur la base de 25 articles qu'ils ont tirés de ses écrits et propos ! [15] Et estoit présent en estat royal le duc de Guienne, daulphin de Viennois, ainsné filz et héritier du roy de France, le roy de Cécile (Sicile), le cardinal de Bar, les ducs de Berry, de Bretaigne et de Lorraine, avec plusieurs autres barons, chevaliers et escuiers de divers pays, le Recteur de l'Université, acompaigné de grant nombre de docteurs et autres clers, et très grande multitude de bourgois et peuple de tous estas (Monstrelet). La plupart des auteurs français sont anti-bourguignons (en considération de l'alliance à venir entre Bourgogne et Angleterre) et l'Histoire a tranché contre Bourgogne : ils disent que le discours a été écouté dans un silence indigné et craintif. Mais Orléans était haï et Juvenal des Ursins reconnaît que tout publiquement criaient à Paris 'Vive le duc de Bourgogne'. A preuve: Petit répète son discours le lendemain à une tribune élevée pour cela au parvis Notre-Damepour la plus grande satisfaction de la foule qui l'applaudit. [16] 3. Ou cas dessusdit en ladite première vérité, il est licite à chacun Subjet, sans quelque mandement, selon les Loix moralle, naturelle & devine, d'occire, ou faire occire iceluy trahistre desloyal & tyrant, & non pas tant seulement licite, mais honnorable & méritoire ; mesmement quand il est de si grand puissance que justice ne peult bonnement estre faite par le Souverain. [17] Les Juristes dient que toute occision d'homme, soit juste ou injuste, est homicide, mais les autres /les théologiens/ dient qu'il y a deux manières d'homicide, juste & injuste, & pour homicide juste, nul ne doit estre puni. Je respondray donc selon les Théologiens, que l’occision dudit tyran n’est pas homicide : pour ce qu'elle fut juste & licite. Et, plus loin dans la longue démonstration de cette "troisième vérité" prouvée par douze raisons : interpréter en tel cas, n'est pas contre la Loy à parler proprement : parce qu'il est à sçavoir qu'en toutes Loix a deux choses. La première, le principe, ou la Sentence textuale. L'autre il est pourquoy on l'a faict faire…celles Loix furent faites pour garder l'honneur du Roy, de sa personne , & de la chose publicque. Ce faisant, j'accompliray le commandement final d'icelles Loix , c'est à sçavoir pour l'honneur, bien , & conservation du Prince. [18] 4. Ou cas d'alliances, sermens, promesses, & de confédérations faites de Chevalier à autre, en quelque manière que ce soit, ou peut estre, s'il advient qu'icelles garder & tenir tourne ou préjudice de son Prince & de ses enfants & de la chose publique, nul n’est tenu de les garder. Ains les tenir & garder en tel cas serait faire contre les Loix moralle, naturelle, & divine. [19] 7. Ou cas dessusdit est, qu'il est licite à un chacun Subject, honnorable & meritable occire le tyrant trahistre dessus nommé & desloyal à son Roy & Souverain Seigneur, par aguet, cautelles & espiemens, & si est licite de dissimuler & taire sa voulenté d'ainsi faire. [20] Or viens-je à declairer & affermer madicte minor en laquelle j'ay à monstrer que feu Loys , nagueres Duc d'Orléans, fut tant embrassé & esprins de couvoitife , & honneurs vaines, & richesses mondaines…(qu’) il commit crime de leze majesté divine, & humaine en toutes les manières & degrez declairez en madicte major, c'est à sçavoir de majesté divine & humaine en premier, second, & tiers & quart degrez. [21] ...s'ensuit clerement & en bonne consequenee que mondit Seigneur de Bourgongne ne doit en riens estre blasmé ne reprins dudit cas advenu en la personne dudit criminel le Duc d'Orléans, & que le Roy nostre Sire n'en doit point estre mal content seullement : mais doit avoir mondit Seigneur de Bourgongne, & son fait pour aggreable... Et avec ce le doit guerdonner, & rémunérer en trois choses, c'est à sçavoir, en amour , honneur, richesses. [22] Tout le dossier Jean Petit, de Paris à Constance, a été rassemblé par Dupin dans son 5ème volume des oeuvres de Gerson. Les développements sur non occides, dans le 2ème vol. [23] Le texte en est donné par Lenfant (Concile de Pise, Tome 2. [24] 7. Toutefois que aucun fait aucune chose qui est meilleure, jacoit ce qu'il ait juré la nonfaire, ce n'est mie parjurement, mais est à parjurement contraire. [25] Lenfant, Histoire du concile de Pise, vol. 2, P2, p 48 : Mais le plus grand nombre étoit d'avis de différer la condamnation par divers motifs, les uns prétendant que la matière n'étoit pas encore suffisamment éclaircie, tant pour le droit que pour le fait ; les autres que le jugement en appartenoit à la Cour de Rome, ou au Concile général ; quelques-uns, qu'il falloit auparavant communiquer les propositions au Duc de Bourgogne ; presque tous jugèrent qu'on ne pouvoit décider la question de droit sans être éclairci sur la question de fait, sçavoir si les propositions étoient de Jean Petit ou non. [26] 1. Il est licite à un chacun Subject, sans quelconque mandement ou commandement, selon les Loix moralle, naturelle, & divine, d'occire ou faire occire tout tyran qui parconvoitise, barat & sortilege, ou malengin, machine contre le salut corporel de son Roy, & souverain Seigneur, pour luy tollir sa très noble &très haulte Seigneurie, & non pas seulement licite, mais honnorable & méritoire, mesmement quand il est de si grande puissance, que justice ne peut bonnement etre faite par le Souverain. [27] La huitième (8. La lettre tue, mais l'esprit vivifie. 1. Cor. III. 6. c'est-a-dire que toujours tenir le sens literal en la sainte Escriture est occire son ame), curieusement présentée sous forme générale alors qu'elle renvoie à la distinction de Petit entre la sentence textuale non occides et la finalité des Lois, sera qualifiée d'hérétique par un Gerson peu scrupuleux qui l'écrit ainsi : Celui qui explique l'Ecriture Sainte à la lettre, tue son ame. [28] Crevier, Histoire de l'Université de Paris, T3, p 374 : Gerson avoir voulu mettre a l'écart le fait de Jean Petit, pour obtenir plus aisément la condamnation des propositions considérées en elles-mêmes. Mais par la raison contraire les partisans du duc de Bourgogne insistoient sur ce fait , & le traitoient comme partie essentielle de la cause. Ils l'emportérent. [29] Comme il (Bourgogne) inspirait encore beaucoup de crainte, les prélats et les docteurs hésitaient à condamner cette pièce… mais lorsque le Duc se fut retiré de Saint-Denis, il n'y eut plus de doute. Le 13 février, l'évêque de Paris, assisté de l'inquisiteur de la foi, prononça…(Barrante). Les partisans de Bourgogne n'étant pas venus par prudence, II n'y eut que cinquante cinq à soixante opinans, dont douze néantmoins vouloient que le jugement fut renvoyé au pape (Crevier). [30] Texte reproduit in : Du Plessis d'Argentré, Charles, 1728, Collectio judiciorum de novis erroribus, qui ab initio duodecimi seculi post incarnationem Verbi, usque ad annum 1632 in Ecclesia proscripti sunt & notati, Volume 1 (1100/1542), Paris, ch. André Cailleau, P2, p 185 sq, d'après le T5 des Opera Gersoni de Dupin. [31] Il proteste à la fin de ce Discours, que ni lui ni ceux de son Corps, n'en vouloient point à la personne du Duc de Bourgogne, ni à son honneur, & qu'au contraire en demandant la condamnation d'une telle doctrine, ils agissoient autant pour sa sureté, que pour celle de tous les autres Princes. (cit. in Lenfant, Hist. conc. Constance, vol 1, p 360) [32] Lenfant, Hist. conc. Constance, Vol 1, p 361: Le Roi y représente que de ce pernicieux Ecrit, comme d'une source empoisonnée, on avoit vu sortir & se répandre dans tout le Royaume mille désordres affreux, d'horribles seditions, & des guerres plus que civiles…Le Duc de Bourgogne est notre Chair & notre Sang. Mais nous appartînt-il de plus près encore, nous ne favoriserons jamais ni lui, ni même nos propres Enfans au préjudice de la foi & du salut des âmes. Achor fut lapidé …Absalon fut transpercé…Salomon fit mourir Joab...etc. etc. [33] Pour la chronologie du concile, je m'appuie sur Lenfant 1731. Réformé modéré, Lenfant, exilé en Hollande par la révocation de l'Edit de Nantes, donne une histoire très raisonnable du concile, basée sur une multitude de documents. La grande histoire des conciles de Hefele au xix° est biaisée par un parti pris catholique et les gloses de l'éditeur français (Dom Leclercq) y ajoutent une couche de nationalisme. Les citations dont la référence n'est pas précisée sont tirées de Lenfant, Histoire du Concile de Constance, Tome 1. [34] En outre des rumeurs courent, selon lesquelles le Duc de Bourgogne prépare un guet-apens contre l'Empereur lorsque celui-ci quittera le concile pour rejoindre le lieu de négociation avec les tenants espagnols de Benoït XIII. [35] A ce moment, la situation en France est d'une grande confusion : cependant le roi était insensé, le dauphin n'écoulait aucun conseil, et ne faisait que sa volonté; les princes étaient mortellement divisés ; les conseillers passaient d'une partialité à l'autre; le clergé n'avait plus le courage de dire la vérité ; les grands se haïssaient; les moyens étaient ruinés par les impôts; les petits ne trouvaient pas à gagner leur vie; chacun s'efforçait à saisir la fortune à la volée... Il importait donc de se réconcilier avec le duc de Bourgogne (Barrante). [36] que Valois considère comme une pression sur la Commission pour qu'elle règle l'affaire Petit avant le départ de l'Empereur pour une longue série de négociations (Espagnols, Paris, Londres). [37] Dans le passé, il a eu des démêlés avec Petit et, pendant la période cabochienne, la faction de Bourgogne a pillé sa maison et menacé sa vie. D'un autre côté, comme il a bénéficié des largesses du duc (Bruges), il évite de le mettre directement en cause. [38] Selon un libelle anonyme (été 1415) cité par Lenfant, Hist. conc. Const., vol 1, 454: L’Empereur n'a pu obtenir la condamnation des neuf Propositions, quoiqu'il l'ait fortement sollicitée auprès des Juges, tantôt par sa presence dans leur Assemblée, tantôt par ses Lettres, ou par ses Députez. Il menaçoit de ne point aller à Nice (négocier avec le parti de Benoit XIII) que l'affaire ne fût jugée, & il sortit même un jour de Constance en jurant qu'il n'y rentreroit point, qu'elle ne fût terminée. C'est ce qui obligea le Concile à condamner la Proposition générale Quilibet &c. pour lui donner quelque sorte de satisfaction, ce qui fit beaucoup de plaisir aux adversaires, parce que les ignorans croyoient que c'étoit la Proposition de Jean Petit qui avoit été condamnée. [39] Quilibet tyrannus potest et débet licite et meritorie occidi per quemcumque vasallum suum vel subditum, etiam per clanculares insidias, et subtiles blanditias vel adulationes, non obstante quocumque juramento seu confoederatione factis cum eo, non expeçtata sententia vel mandato judicis cujuscunque. [40] Licitum est unicuique subdito absque quocunque mandato vel praecepto, secundum leges naturalem, moralem et divinam, occidere vel occidi facere quemlibet tyrannum, qui per cupiditatem, fraudem, sortilegium vel malum ingenium machinatur contra salutem corporalem régis sui et supremi domini, pro auferendo sibi suam nobilissimam et altissimam dominationem, et nedum licitum, sed honorabile et meritorium, maxime quando est tantae potentiae quod justitia non potest bono modo fieri per Supremum (in Hefele, T7, 1ère partie, p 293, Note 3). [41] Cela n'échappe pas à Jacques I d'Angleterre et VII d'Ecosse dans sa réponse au discours de du Perron aux états généraux de 1614. A la déclaration de du Perron : que si les monstres infernaux qui ont attenté à la vie de nos deux derniers Roys eussent leu les loix Ecclésiastiques, ils eussent trouvé leur damnation expresse dedans le Concile de Constance, il répond que ce décret, au lieu de pourvoir à la seureté des Roys, il diminue leur seureté, défendant aux particuliers de tuer un suiet qui attenteroit à la vie du Roy. [42] Jacques I vs Duperron : Monsieur le Cardinal se sert de la subtilité des Iesuites, nous ayant déclaré que par les Rois il faut entendre ceux qui le sont encore, & qui ne sont point décheus de leur droit. Si donc le Pape les depose ils ne sont plus Rois, & sont décheus de leurs droits, & par consequent les tuer n’est plus tuer vn Roy. [43] Lettres datées du 21. Août, où elle déclare en termes exprès qu'elle ne croit point que Jean Petit ait été l'Auteur des Propositions dénoncées, qu'elle n'a jamais avoué Gerson dans la poursuite de cette condamnation, qu'elle le desavoue actuellement, &: qu'elle souhaiteroit qu'il fût rappellé. (Lenfant, Hist. conc. Constance, vol 1, p 453). [44] Barrante : L'université s'étant refusée à faire des démarches auprès du concile de Constance, pour empêcher les ambassadeurs de Bourgogne de faire casser la sentence de l'évêque de Paris, contre la doctrine de Jean Petit, on en chassa plus de quarante docteurs, qui furent exilés et l'on défendit toute assemblée ou congrégation. [45] Crevier, vol 3, p 469 : Dix-huit docteurs, quarante-huit licenciés, & cinquante-sept bacheliers, opinérent, conformément aux ordres du roi qui leur furent présentés par le Recteur sur les neuf articles de Jean Petit, & les condamnérent tous en appliquant à chacun les qualifications convenables. IIs protestérent de plus que les actes qui avoient été publiés précédemment comme émanés de leur Faculté sur cette matiére, n'étoient point conformes à son esprit... [46] Il tombe mal : depuis le départ de Sigismond, les cardinaux, agissant ensemble, ont repris l'ascendant qu'ils avaient perdu avec la fuite du pape. Ils mettent à profit les divisions du concile pour consolider leur influence. [47] Les résultats de cette consultation donnent 26 pour la condamnation de Petit et 61 contre : outre les partisans de Bourgogne, il y a ceux qui pensent que le Concile en a déjà assez fait en adoptant le quilibet, ceux qui pensent que ce n'est pas une question de foi et ceux qui reportent la décision sur le pape futur. [48] Cette Sentence des Cardinaux avoit deux fondemens. Le premier que les Causes de Foi, appartenant au seul Siège Apostolique, l'Evêque de Paris n'avoit pu juger celle-ci, « sans mettre la faucille dans la moisson d’autrui ». Ils ajoutoient à cette raison que le jugement de l'Assemblée de Paris, n'avoit point été Juridique , qu'on n'avoit point cité les Parties, qu'on avoit produit des Pièces fausses contre le Duc de Bourgogne, qu'on avoit tronqué les Propositions de Jean Petit, qu'on attribuoit faussement à ce Docteur la Pièce intitulée, « Justification du Duc de Bourgogne ». Le second fondement de cette Sentence, étoit, que Gérard de Montaigu, qui est appellé prétendu Evêque de Paris, & Jean Pollet (l'inquisiteur), ayant été citez devant leur Tribunal, n'y avoient point comparu. (Lenfant, Constance, T.1, p515. [49] Depuis le 21 Novembre I415, il n'y a plus, formellement, de session plénière pour ménager la susceptibilité des délégués espagnols qui ne sont pas encore arrivés et, ayant renoncé à Benoit XIII, rendront bientôt le concile "général". Elles sont remplacées par des "congrégations". [51] Les auteurs français (surtout après 1870) se sont fait un devoir de stigmatiser Sigismond (cf. Valois). Par exemple, Leclercq, le glosateur français de Hefele, dans une longue note au Tome 7.1 (1916 !), dénonce son "immoralité transcendentale" et parle ainsi de son retour : A Constance, la nation française était au courant de ces louches manigances et se tenait sur la réserve. Quand fut connu le traité conclu entre Sigismond et Henri V, les Français ne continrent plus leur hostilité et complotèrent d'évincer les Anglais comme nation au concile; ils n'y réussirent pas et leur dépit s'en trouva accru par l'attitude de Sigismond qui manifestait la plus grande bienveillance aux Anglais, se parait de l'ordre de la Jarretière, affichait sa prédilection pour la nation en guerre avec la France, adressait de Constance un défi au roi de France, contractait avec le duc de Bourgogne une alliance offensive spécialement dirigée contre le duc d'Orléans, enfin ratifiait comme roi des Romains et faisait approuver par ses électeurs le traité avec l'Angleterre (p 448). [52] A la fin de l'été 1517, quand Bourgogne passe à l'offensive, il écrit au roi, reprenant tous les griefs qu'il avait exposés dans ses lettres aux bonnes villes; il ajoutait que ceux qui étaient autour du roi avaient voulu, devant les cours spirituelles et, civiles, obtenir son déshonneur et la damnation de sa bonne renommée, ainsi que de sa postérité; mais que la sentence du saint concile de Constance avait montré bien clairement son bon droit et la méchanceté des autres (Barrante). [53] Pendant ce temps, le Duc ne faisait autre chose que faire révoquer les excommunications prononcées contre lui, ou les sentences de l'évêché contre maître Jean Petit. Il rétablissait le corps des bouchers, ou distribuait des récompenses à ceux qui l'avaient servi; mais il n'apportait remède à rien (Barrante). [54] Comme lors de l'assassinat d'Orléans 12 ans plus tôt, les deux parties ont préalablement renoncé à leur lutte et se sont jurés la paix (juin 1419). Il est dit que, avant de frapper Bourgogne, Taneguy l'aurait montré au Dauphin en disant Monseigneur, voici le traître qui vous retient votre héritage. Que le Dauphin ait combiné ou non le crime, il l'endosse, écrivant dans les lettres aussitôt envoyées aux bonnes villes que, suite à ses reproches de ne pas combattre l'anglais, le dit de Bourgogne nous répondit plusieurs folles paroles, et chercha son épée pour nous attaquer et nous faire violence en notre personne: laquelle. comme après nous l'avons sçu, il prétendait mettre en sa sujétion; de quoi par la divine pitié et la bonne aide de ses loyaux serviteurs nous avons été préservés; et lui par sa folie mourut sur la place. Attachés comme ils le prétendent à la condamnation de Jean Petit, les Orléanistes du dauphin auraient dû savoir qu'on ne se défait pas d'un "tyran" sans attendre une sentence ou un mandat d’un juge quelconque ! [55] En cet an, Henri, roi d'Angleterre,…fit convoquer et appeler Charles, duc de Touraine, dauphin, à la table de marbre : et après que furent faites toutes les solennités accoutumées, contre lui en ce cas et ses complices , pour le cas et crime fait en la personne du duc Jean de Bourgogne, et…fut par le conseil et parlement, banni et exilé du royaume, et jugé indigne de succéder à toutes seigneuries venues et à venir, et mêmement de la succession et attente qu'il avoit à la couronne de France, nonobstant que d'icelle fût vrai héritier... (Chap. CCXLVII, Ed. Buchon,1826, T4, p309) [56] Fournel, 1813, Histoire des avocats au Parlement, souligne que, si le Traité de Troyes stipulait l'exhérédation du dauphin en raison des horribles crimes et delitz perpétrez et cède la couronne de France au roi d'Angleterre, l'exhérédation n'était pas légale sans une condamnation solennelle, qui dépouilleroit le dauphin de sa qualité d’héritier présomptif de la couronne , et le frapperoit d’incapacité, même dans sa descendance masculine. Pour cela, dit-il sans indiquer ses sources, il y aurait eu d'abord le 23 décembre (1420), une "assemblée solennelle" où le roi aurait déclaré sans nommer personne Tous ceux qui avoient participé au damnable crime fait et perpétré en la personne du duc avoir commis-crime de lèse-majesté, et conséquemment avoir forfait corps et biens, et être indignes de toutes successions…et de toutes dignités, honneurs et prérgatives; avoir encouru les autres peines portées par les lois puis, sur cette base, le Parlement aurait cité le dauphin et l'aurait condamné par contumace (janvier 1421) au bannissement perpétuel hors du royaume, le déclarant indigne de succéder de toutes seigneuries venues et à venir. [57] Bulle du pape Paul V (24 janvier 1615) Confirmatio decreti concila Constantiensis contra asserentes licere inferre manus tyramnis, en termes solennels et formels : Concilii Constantiensis declarationem, decretum ac definitionem circa doctrinam de nece tyranni editam tenoris huiusmodi : (texte du décret de Constance). Nos, matura deliberatione præhabita, hac nostra perpetua constitutione, apostolica auctoritate innovamus, et, quatenus opus sit, approbamus et confirmamus. Si quis autem diabolico ausu contrarium attentari præsumpserit, eo ipso anathemate innodatus existat (Bullarum, diplomatum et privilegiorum sanctorum romanorum pontificum taurinensis, pp.296-297, T12, Turin, 1857). [58] Ailleurs, à propos du papaliste Cajetan (+ 1534) : dans sa petite "Somme des péchés" , et sur la question de savoir si un particulier peut tuer un tyran, distingue deux sortes de ces ennemis publics : « celui que la république n'a point reconnu et celui qui a un droit à la souveraineté. Il décide « que tout particulier peut tuer le premier, qu'il est même louable de de le faire» qu'à l'égard de l'autre, le Concile de Constance a décidé le contraire. |