03/10/2017
Esambe Josilonus
Esambe Josilonus
©2015
II. Générations douteuses

Nous l'avons vu, les branches issues de Pierre, fils de Louis le Gros, finissent sans postérité ou font quenouille les unes après les autres:
* celle de l'aîné, Pierre "II" de Courtenay, en 1285
* celle du second fils, Robert de Champignelles, en 1472
* celle du troisième, Guillaume de Tanlay, en 1383
* celle du quatrième, Jean d'Yerre, en 1384

D'où sortent alors nos Bléneau et Chevillon, puisque Jean de Champignelles, iv du nom, a dissipé son patrimoine (Jean sans terre) et n'a laissé que des bâtards ?

Le raccord passe par l'oncle du sans terre, lui aussi dénommé Jean (de Bléneau). Pour éviter les confusions, je l'appelle "le rassembleur" ou "le refondateur". Bien pourvu en seigneuries (Bléneau, Tannerre, Chaffenay, l'Espinai, Marquant, &c), il a épousé la riche Catherine, fille de François de L'Hôpital, seigneur de Soisy-aux-Loges (Choisy), un personnage bien assis [1].

L'histoire courtenaise dit que, en 1454, le rassembleur aurait fait jouer le retrait lignager pour reprendre Champignelles vendu à un tiers par Jean IV. Il rachète la Ferté-Loupière aux héritières (Jeanne et Michelle) et acquiert Chevillon. Son fils aîné hérite de Bléneau que ses descendants conservent pendant six générations. Son fils cadet, Pierre, reçoit une collection de terres mineures qu'il répartira entre ses hoirs : la Ferté-Loupière à Hector ; Chevillon, Martroi et Frauville à Jean ; Bontin à Louis.

La mort de Gaspard de Bléneau (II du nom) sans postérité mâle légitime en 1655 éteint sa lignée. Sa succession passe à la branche cadette, les Chevillon qui descendent un peu en zigzag des nouveaux Ferté-Loupière issus du rassembleur.

Récapitulons :

Courtenay tardifs

Que nous dit du Tillet ? selon son Recueil, il ne reste de la descente de Pierre, fils de Louis le Gros, que quelques rameaux de la branche de Robert de Champignelles (le bouteiller de Louis VIII) [2]. Une dizaine de générations après, on arrive aux arrière petit-fils de Jean le rassembleur, François de Bléneau et Guillaume de Chevillon dont la descente dure [3]. Voilà le point de départ. Qu'écrivent les auteurs ultérieurs ?

Les Sainte-Marthe, on le sait, sont muets et ignorent la descendance de Guillaume, fils du bouteiller.

L'historiographe des Courtenay, du Bouchet, 1661, (repris par les généalogistes suivants) commence par les données solides, officielles et resplendissantes : les ors impériaux de la branche aînée du premier Pierre. Puis il passe à Champignelles (Robert le bouteiller et la suite). Ensuite, la disjonction des branches interdisant de suivre la piste du "sang", il la décompose en segments : seigneurs de Bleneau ; derniers seigneurs de la Ferté-Loupière ; seigneurs de Chevillon issus des seigneurs de la Ferté-Loupière, seule branche de cette maison qui subsiste ; sgrs d'Arrablay issus des sgrs de Bleneau ; et, bizarrement en dernier, anciens seigneurs de la Ferté-Loupière, sortis de la branche de Champignelles.

Après lui, le Père Anselme de Sainte-Marie, 1674, organise en chapitres et paragraphes bien aérés la soixantaine de pages qu'il consacre aux  Courtenay  (Tome 1, Maison royale). Il emprunte une bonne partie de son contenu à du Bouchet qui, désormais, nourrit les généalogies. Le chapitre XVII (Seigneurs de Courtenay et empereurs de Constantinople) comprend quatorze paragraphes classés par pertinence et légitimité [4]. Les quatre premières rubriques corrigent et actualisent du Tillet, sans affecter la séquence "Champignelles". Anselme donne toute la postérité de Guillaume, fils de Robert, et la parcourt, branche par branche, dans tous ses zigzags. Arrivés à Jean, le "refondateur", il en suit la branche aînée (seigneurs de Bléneau) jusqu'à son extinction en 1655 (Gaspard II), puis la branche cadette des Chevillon dont Louis, le bien nommé, cinq générations après Jean, devient chef de la maison par la mort de Gaspard.

Loin de descendre le solennel escalier royal que le Prince Louis rêve et affiche, on saute de branche en branche et, de temps à autres, il ne faut pas avoir peur du vide : Louis VI, Pierre de Courtenay, Robert de Champignelles, Guillaume, Jean i, Jean ii, Jean iii, Jean de Bléneau, Pierre de la Ferté-Loupière, Jean de Chevillon, Guillaume, Jean, Prince Louis (voir le détail à la fin du chapitre).
Rappelons que, sauf le dernier épisode de la princerie d'Hélène de Beauffremont, l'affaire n'a jamais fait l'objet de procédures publiques, ni même de débat réglé. Il faut deviner les objections.

Avant 1603, aucune prétention royale n'est émise. Le Chancelier le rappelle : leurs pères s'étant contentés de la situation où ils se trouvoient eux-mêmes. Outre les bonnes raisons qu'ils pouvaient avoir (cf. 1ère partie, CH2, §1), quelques mauvaises sont envisageables : l'occasion les a-t-elle poussé à exploiter un vide ? Il n'y a plus de Courtenay, sauf les possesseurs de la terre de Courtenay qui n'en sont point et les "anciens Courtenay" ignorés, anglais, canadiens et américains, descendants de Reginald. Il n'y a plus de Dreux. Peut-on exclure que, comme tant d'autres (n'oublions pas la descente de Louis le gros de Richelieu), les Bléneau-Chevillon aient mis à profit le brouillard des chartes pour magnifier leurs origines ? Certes, du Tillet éclaire un peu ce brouillard. Mais du Tillet n'est pas l'archiviste que nous imaginons anachroniquement. Quelle confiance accorder au Recueil, compte tenu de la compétence discutable de son auteur, de ses erreurs innombrables, et de la qualité incertaine des preuves ? De plus, du Tillet a les deux mains (et la plume) plongées dans son temps, un  temps boueux qui ne permet guère de rester propre. Même si on n'aperçoit nulle trace de collusion avec un Courtenay quelconque, cela ne prouve rien.

Quoi qu'il en soit, si du Tillet établit un tracé, il ne confère aux survivants aucun droit à la "royalité". Tout au contraire : pour lui, leur obscurcissement les exclut irrémédiablement et définitivement, comme les Dreux qui pourtant ont brillé davantage. L'histoire les a jugés et condamnés ! Elle les a réduit au rang des gentilshommes [5]. En écho, Belleforest (1579) déplore leur abaissement : leur nom est demeuré sans ranc, grandeur ni mémoire [6]. Saint-Simon, bien plus tard, ne dira pas autre chose. L'opinion commune (que les Rois partageront) les voit comme des  vestiges séculaires, entourée d'une brume difficile à dissiper.

Sur une aussi longue période de temps, le puzzle généalogique se laisse d'autant moins aisément assembler que certaines pièces ont des contours bizarres. Où sont les points faibles ? Beaucoup de détails nous échappent, faute de documents et à cause du verrouillage/recopiage des généalogies : du Tillet a posé la serrure et Du Bouchet a tourné la clef. Son procureur nous lance sur une fausse piste (§1) mais la structure même des généalogies reflète et révèle un problèmes (§2).

1) Le "procureur"— une fausse piste

Pourquoi le silence répété des Sainte-Marthe ne serait-il pas fortuit et insignifiant ? Du Bouchet en fait une malveillance, avec ce Procureur dont la violence aurait obligé les Sainte-Marthe à invalider du Tillet et à couper ainsi le long et tortueux cordon ombilical. Comment et pourquoi ? Quelle difficulté soulève la postérité de Guillaume ? Du Bouchet ne le dit pas. L'expliciter va nous demander beaucoup d'imagination et de complaisance pour un résultat peu convaincant (i). Cette impasse me pousse à rejeter toute l'histoire : du Bouchet n'a-t-il pas inventé ce procureur ? (ii).

i) la postérité de Guillaume, fils de Robert le bouteiller

Demandons-nous d'abord si, au XVIIe siècle, un doute rétrospectif sur le XIIIe peut faire sens : la réponse est affirmative, s'agissant de la transmission, sinon de l'honneur, du moins du droit à l'honneur. Si on démontrait la bâtardise de Guillaume ou l'invalidité de son mariage, sa descendance, devenue illégitime, devrait renoncer à ses prétentions royales. C'est ce que suggéreraient les Sainte-Marthe en oblitérant cette descendance.

Existe-t-il un doute à propos de la régularité du mariage de Guillaume ? si oui, un doute de quelle nature ? et de quelle portée ?

Revenons d'abord à du Tillet. Il précise à propos de Guillaume dont descendent les derniers Courtenay : Le dernier que le père avoit destiné à l'eglise & n'en voulut être fut messire Guillaume de Courtenay, chevalier, sieur de Champignelles & de la Ferté de la Loupière que lui donna le comte de Sancerre. Il fut marié deux fois, à Marguerite, dame de Venisy puis Agnès dame de Charenton (1578, p 89).

Cela est clair et net. Les premiers fils du bouteiller se partagent l'héritage : l'aîné, Pierre obtient notamment Conches que Robert tient en fief du Roi. Juste après lui, un Philippe reçoit Champignelles. Grâce au levier royal, les suivants sont casés dans l'Eglise. Le dernier, Guillaume, porte le nom du saint tutélaire de la famille, Guillaume de Corbeil, évêque de Bourges (1209, canonisé en 1218), l'oncle d'Isabeau de Courtenay : il est programmé pour l'Eglise. Mais la mort sans postérité de Philippe, héritier de Champignelles, lui transmet Champignelles, ce qui est normal s'il est le dernier récipiendaire mâle disponible. Reste la question : Guillaume a-t-il renoncé à l'Eglise (du Tillet) ou bien y est-il entré et a-t-il quitté son état comme le dira Anselme ?

Est-ce là que se gît le lièvre dont le procureur marquerait la place en supprimant sa descente ? Un testament de Robert de 1236 dont l'original est au Trésor de Chevillon (Du Bouchet, "preuves", Livre II, §IV) assimile notre Guillaume destiné à l'église aux clercs avérés que sont Robert et Jean :...Robertus, Ioannes & Guillelmus clerici, filii nobilis... Robertus sera évêque d'Orléans ; Ioannes archevêque de Reims ; Guillelmus, c'est Guillaume dont il devient difficile de dire que n'en voulut être. Le document suivant, vingt ans après, a sauté le pas et qualifie Guillaume de Chevalier de Courtenay, seigneur de Vénizy, seigneur de Champignelles etc.

Certes, le mot clericus est flou. Il peut signifier "lettré", tonsuré, ou n'importe quel degré ecclésiastique, mineur (jusqu'à "sous-diacre") ou majeur. Mais la doctrine de l'Eglise est sans ambiguïté, même si cette discipline, toujours difficile à imposer, se relâche un peu à partir du XIIIe siècle [7] : abandonner la cléricature après s'y être engagé, quitter la tonsure ou l'habit clérical, constitue un crime d'apostasie. Cela concerne les ordres mineurs aussi bien que les autres car, étant des degrés pour monter plus haut, ils engagent aussi définitivement que les ordres majeurs. La sanction est l'excommunication (et, bien sûr, le cas échéant, la privation des bénéfices). Lorsque "l'apostat" s'est marié, l'église compose avec l'indissolubilité proclamée de ce sacrement : les deux époux ne sont pas séparés mais excommuniés ensemble.

Serait-ce l'argument sous-jacent ? Si le clerc Guillaume a contracté un mariage abusif grâce à l'indulgence ou à l'indifférence de son entourage, ses enfants, même légitimes, deviennent irréguliers. Les contemporains des Sainte-Marthe le savaient, eux qui lisaient encore l'agréable Histoire françoise de Paul Aemile, en latin ou dans la traduction de Renart. Ils connaissaient la vieille histoire (advenue précisément du temps de Guillaume) de Marguerite de Flandre et de son précepteur Bouchard [8], homme de saincte vie, estimé, et qui avoit desjà pris quelques ordres de prestrise (ce) qui néanmoins ne l'empêcha pas de faire deux enfants à sa disciple (Paul-Aemile, p 421) [9]. Il s'ensuivit un conflit en héritage entre ces enfants et ceux du deuxième mariage de Marguerite, un enjeu considérable, la Flandre et le Hainaut, deux comtés parmi les plus importants d'Occident [10]. St Louis arbitra en 1257 : les premiers, même non bâtards, n'égalent pas les seconds qui seuls sont réguliers. Le second mariage l'emporte sur le premier, car fait au su et vu d'un chacun (alors que le premier est entaché de dissimulation) : les enfants supérieurs reçoivent donc la Flandre et les inférieurs, pas trop mal traités quand même, le Hainaut.

On peut induire de ce jugement qu'un mariage perd en qualité quand il implique un déserteur de l'Eglise. Admettons que ce soit le cas de Guillaume. A quoi conduit cette extrapolation ? à rien. On ne trouve pas trace du moindre contentieux à propos de son héritage : les enfants de Marguerite de Flandres furent un cas parce qu'il y eut remariage et parce qu'il s'agissait de deux grands comtés. Autrement, même une sœur bien intentionnée, ne les aurait empêchés, ni de vivre tranquille ni de léguer leurs biens à leurs enfants !

Pour faire jouer l'argument, il faudrait supposer illicite le premier mariage de Guillaume, licite son second et un conflit entre les fils de l'un et de l'autre. On ne sait rien des mariages, il n'y a pas de conflit et la mort de son frère Pierre fait de Jean l'héritier naturel [11]. Même avec la plus mauvaise volonté du procureur le plus venimeux du monde, il est difficile de tirer grand chose de cette machine.

Confusion supplémentaire, du Bouchet ne mentionne pas l'intervention du Procureur à l'endroit où on l'attendrait, à la rubrique de Guillaume ou de son fils Jean, mais, au § suivant, à propos du fils de ce Jean, Jean ii du nom (et sa postérité), comme si c'était à lui que le procureur en voulait. D'ailleurs, lorsqu'enfin la 3ème édition des Sainte-Marthe (1647) cesse d'ignorer Guillaume, ses enfants sont indiqués mais pas leurs propres enfants : Jean ii reste éludé [12]. Y-a-t-il un problème avec Jean II ? Il ne suscitera pourtant aucun doute ni discussion de la part des continuateurs d'Anselme. Du Bouchet semble inquiet. Il accumule les citations et les preuves qui témoignent que Jean de Courtenay, II du nom, sgr de Champignelles & St Briçon dont parle du Tillet...était fils aîné de Jean I du nom aussi sgr de Champignelles et de Jeanne de Sancerre (p 192). Quelqu'un soupçonnerait-il Jean ii d'être bâtard ou usurpateur ? Le Procureur ou du Bouchet (le premier ne nous est connu que par le second) semble s'embrouiller : le doute concerne, ou bien Guillaume, ou bien son petit-fils Jean. Pourquoi les mêler ? Parce que, en l'absence de documents, deux soupçons équivalent à un début de preuve ?

Au total, aussi ingénieux que j'aie tenté de rendre le raisonnement, je n'arrive à rien. De plus, si, en 1619, le procureur imposait aux Sainte-Marthe de dénier la descendance de Guillaume, il ne pourrait pas retirer des bibliothèques et de la mémoire la dernière édition de du Tillet (1618) qui donne tous les détails omis et va jusqu'aux contemporains. La comparaison pousserait les lecteurs intéressés à choisir : entre un silence non argumenté et les preuves du respecté du Tillet, que retiendraient-ils ? Ce procureur aussi absurde existe-t-il ? L'omission des Sainte-Marthe ne provient-elle pas, plus simplement, d'un effet de méthode ? 

ii) un Procureur inventé ?

Plus de cinquante ans après les premières versions de du Tillet (que les éditions successives ont recopiées), la structure de l'ouvrage des Sainte-Marthe 1619 diffère profondément : par sa présentation (deux mille pages de généalogies aérées au lieu d'une centaine de pages compactes) et, surtout, par l'organisation. A l'opposé de du Tillet, les auteurs ne déclinent pas la postérité de chaque roi mais traitent d'abord du tronc, les Rois, ensuite des branches. Voici leur plan :

Tome premier : I de l'origine de Robert le Fort, II de Hugues Capet à St Louis, III de St Louis à Philippe de Valois, III de Philippes de Valois à Louis douzième, V Louis douzième à Henry le grand, VI ducs d'Anjou, VII Ducs de Berry, VIII derniers ducs de Bourgogne, IX ducs d'Alençon, X Comtes d'Evreux.

Tome second : XI Maison de Bourbon, XII Comtes d'Artois, XIII Comtes d'Anjou et rois de Sicile, XIIII Comtes de Dreux, XV Ducs de Bretagne, XVI Courtenay, XVII Vermandois, XVIII Ducs de Bourgogne sortis de Robert, XIX Dauphin de Viennois, XX Rois de Portugal.

Nos Courtenay, dissociés de Louis VI comme les autres branches cadettes, se trouvent dans le tome second, au livre XVI, entre Dreux et Vermandois. Les Sainte-Marthe descendent Pierre sur deux générations  et ne vont pas plus loin. En effet, leur propos n'est pas de lier le présent au passé. Ils ne se demandent pas si telle ou telle descente dure encore. Guillaume n'ayant rien accompli de notable, les auteurs le minimisent. Rien d'intentionnel ni de personnel. Pourquoi du Bouchet invoque-t-il ce procureur ? Pourquoi brandit-il cette lettre bizarre que personne d'autre que lui n'a vue ni ne cite ?

 Du Bouchet a été en affaires avec les Sainte-Marthe, lorsque, à la fin des années 1640, ils ont ensemble défendu les origines carolingiennes des Capétiens qui, selon eux, descendraient par mâles d'un Childebrand, frère cadet de Charles Martel ! La troisième édition de Sainte-Marthe (1647) est bouleversée par cette révolution [13] et renvoie abondamment à du Bouchet 1646 pour déduire de Childebrand les Robertiens, ancêtres des rois régnant. Du Bouchet aurait pu profiter de leur amitié pour demander aux Sainte-Marthe de donner une ascendance aux Courtenay résiduels, il n'en a pas l'idée car, à cette date, il n'a pas encore été recruté par le Prince Louis pour le célébrer. Quand c'est le cas, en 1661, il est trop tard, les Sainte-Marthe sont morts. Mais, s'ils ne peuvent plus rien pour les Courtenay, ils ne peuvent pas non plus contester la lettre d'un procureur qui leur aurait donné l'ordre de les oublier.

Du Bouchet a-t-il inventé la lettre ? L'idée nous choque mais cette époque considère qu'est vrai "ce qui doit être" et pas nécessairement ce qui a été. Ni du Bouchet, ni les autres, ne craignent les fabrications. Le silence trois fois répété des respectés Sainte Marthe choque le public, même s'il est innocent. Pour le neutraliser, pourquoi ne pas le mettre au compte des ennemis (qui n'en a pas ?) et de la malveillance persistante d'un procureur non identifié ?

Voilà l'astuce : la malchance s'appelle procureur ! Ce méchant bloque les requêtes au Roi en 1603/1609, maltraite Edme dans les années 1610, censure Sainte-Marthe en 1619, à nouveau en 1627, et encore en 1647 ! L'histoire alors se raconte comme un complot : on nous aurait rendu justice depuis longtemps sans l'intervention permanente d'un esprit malin...

On peut admettre bien des malices (surtout dans la première période du règne de Louis XIII), pas un complot dont les raisons et le raisonnement restent insaisissables. Tout penche du côté d'un procureur inventé. Rappelons-nous cette "lettre", plusieurs fois étrange : par son existence, son contenu [14], sa conservation pendant 40 ans, sa transmission miraculeuse. Cui prodest ? à qui profite le coup ? Si les intérêts du "procureur" manquent d'évidence, ceux de du Bouchet et des Courtenay sont apparents. Il y avait trop de bonnes raisons de refuser la reconnaissance des "droits" de nos sires pour qu'il ne fût pas préférable de leur en substituer de mauvaises, en évoquant un problème que nul ne posait pour dissimuler l'obstacle que tous voyaient.

La manœuvre n'aurait rien de surprenant. Tous ces historiographes de maisons prodiguent les "approximations" opportunes et particulièrement du Bouchet : sans être un faussaire insigne comme son secrétaire de Barres (de Bar), il fait preuve d'une grande "élasticité" dans le maniement des documents. Quand on a lu La véritable origine de la seconde et troisième lignée de la Maison Royale de France justifiée par plusieurs chroniques et histoires anciennes (1646, Paris, ch. Vve Mathurin Dupuis), on le sait capable de tout. Quand on connaît ses accointances avec le trop inventif Combault, on se méfie, même et surtout quand il apporte des preuves documentaires.

Nul n'a jamais pris la peine d'argumenter contre l'ascendance de nos sires, ni, a fortiori, d'agir en justice. Par indifférence, sympathie ou complicité (tout le monde améliore ses ancêtres), ni le public ni la Cour ne questionnent leur issuance. Le débat n'est pas là et il a déjà été tranché : obscurité rédhibitoire. Inutile alors de remuer les archives pour contester la façon cavalière dont nos sieurs sautent les haies de la descente du Gros et changent de casaque presque chaque fois. Inutile d'ouvrir cette discussion dont, pourtant, si on voulait, on trouverait la place clairement marquée dans la structure de cette généalogie comme on va le voir.

2) Course d'obstacles

Au-delà des fantaisies que nous venons d'examiner, un doute diffus entoure le passage des Champignelles issus de Pierre aux Bléneau dont sont issus les Courtenay tardifs [15]. Pour l'expliciter, examinons le droit à la transmission (i) et sa réalité (ii).

i) le droit à la transmission

A l'extinction de la branche "impériale" de Pierre (Philippe 1285), la "royalité" passe à la branche puinée, celle de Robert (comment ? en sautant directement à Jean I de Champignelles ? ou en remontant fictivement à Robert et en redescendant fictivement jusqu'à Jean I ?) ; à l'extinction de la branche ainée des Champignelles (Jean III 1392), elle glisse à la branche cadette (Pierre) et, à la mort de Jean IV sans terre (1465), remonte à son oncle (nouveaux Bléneau) dont, in fine, la branchiole aînée (Gaspard II) transfuse la branche cadette des Chevillon (1653). Ouf ! que de cadets ! que de détours ! [16]

Si les seigneuries se vendent et s'achètent, ces transactions ne transmettent pas automatiquement tous les droits attachés, encore moins les honneurs : les transferts de propriété fusionnent-ils les généalogies ? Permettent-ils de "remonter l'échelle du sang" ? Jean de Bléneau peut-il, en rachetant les seigneuries des derniers survivants des dernières branches, en devenir l'héritier et le représentant ? De même, lorsque, en 1653, Gaspard ii de Bléneau "donnera" Bléneau à son cousin Louis, le sang remontera-t-il jusqu'à lui alors que les deux branches ont divergé depuis cinq générations [17] ?

On regrette que le procès en filiation royale n'ait jamais été ouvert : que de temps, que d'arguments, que d'argent, que d'experts, que de procédures, aurait-il consommés ! Les plaidoiries auraient montré toute la complexité juridique de la question de la "représentation". Les réponses diffèrent selon les coutumes. Les unes admettent la représentation du défunt uniquement en ligne directe ; d'autres, uniquement en collatéral. En outre, s'agissant non pas d'un héritage matériel mais, immatériellement, du "capital symbolique" de l'issuance de Louis le gros, faudrait-il appliquer le droit féodal ou le droit de la couronne ? Souvenons-nous de l'argument des Ligueurs contre la prééminence d'Henri de Navarre sur son oncle Charles, la non transitivité : être l'aîné d'une branche puinée ne donne pas la qualité d'aîné de la maison de France.

Les droits à la "royalité" de nos Courtenay seraient autrement forts (malgré leur obscurité) s'ils descendaient en ligne directe de l'Empereur Pierre et non en zigzags du cadet Robert [18]. Mais même alors, ils ne seraient que les aînés d'une branche cadette. Leurs espérances ne pourraient pas être supérieures à celles du premier Pierre et ils passeraient toujours après les descendants de Robert de Dreux. Ce n'est qu'après l'extinction des comtes de Dreux (1346 pour la ligne directe, 1590 pour le tout dernier descendant) que la branche de Pierre de Courtenay pourrait être supposée "hériter" d'un droit potentiel à la Couronne, droit second, derrière celui de tous les parents postérieurs au XIIIe siècle.

En écartant les élucubrations qu'il m'a fallu me laisser inspirer par le procureur, nous voyons cette branche cadette (Champignelles) se présenter de manière à peu près ordonnée pendant six générations, du premier Robert au dernier Jean iv du nom (1472) qui, on s'en souvient, liquide le patrimoine et meurt en laissant deux enfants naturels. Le garçon [19] sera la tige des Srs du Chesnes et de Changy. Deux siècles plus tard, ce n'est pas seulement par chicanerie que le "prince" Louis-Charles plaidera contre eux pour leur interdire d'user des armes pleines de Courtenay et de s'en qualifier comme ils le faisaient de génération en génération : il lui fallait annuler toute trace des seigneurs de Champignelles qui auraient, plus que lui, mérité quelque "royalité". Ils répondent par une possession de plus de cent années, sous-entendant presque leur légitimité. Et s'éteignent.

Leur disparition est heureuse car, parmi tous les sauts mentionnés, celui qui fait passer de Champignelles à Bléneau est le plus périlleux. Ce que j'ai appelé la "refondation" apparaît, dans les histoires généalogiques, comme la fin des Champignelles et le début des Bléneau, rupture marquée par un changement de Livre ou de chapitre (de même que, ensuite, ces catalogues distinguent les nouveux seigneurs de la Ferté-Loupière et les anciens). Cette coupure traduit et signale le manque d'évidence de cette absorption du neveu Jean IV par son oncle Jean que, notons le, nul n'a jamais qualifié de V du nom : il est I de Bléneau, et non V de Champignelles. Lisons la version la plus bienveillante (du Tillet, décidément bien complaisant à l'égard des Courtenay de son temps) : Par le decez dudit Iean de Courtenay, pour tout heritage les pleines armes de la maison de Courtenay vindrent à son oncle Messire Iean de Courtenay. On croit comprendre que, Jean le neveu étant ruiné et sans enfant légitime, l'oncle n'hérite rien, sauf l'essentiel, la continuité, symbolisée par les pleines armes. Eh bien non ! L'oncle meurt en 1460, douze ans avant le neveu (1472) ; il se trouve donc bien empêché d'hériter quoi que ce soit ! c'est Monsieur le bâtard de Courtenay qui reçoit ce qui reste. Même du Bouchet n'ose pas reprendre pas la formule de du Tillet.

ii) refondation ou capture ?

Souvenons-nous de la fable familiale : Jean sans terre aurait conduit la descente de Robert à l'anéantissement s'il n'y avait eu l'oncle miraculeux qui recueille les armes, ramasse Champignelles dans la liquidation de la faillite de Jacques Cœur en faisant jouer le retrait lignager et aussi rachète la seigneurie de Ferté-Loupière. Il rassemble et rétablit. Ensuite, il répartit : il donne Bléneau à son aîné Jean et la Ferté-Loupière reconstituée au cadet, Pierre, dont sortiront nos "Princes".

Champignelles importe tout spécialement car sa récupération fait le lien entre les anciens et les nouveaux qu'elle enracine dans le terreau ancestral de Robert le bouteiller . Or, à peine mentionné, Champignelles disparaît ! Personne, ni parmi les Bléneau, ni parmi les Chevillon, n'en porte le nom.

 Champignelles ne fait que traverser l'histoire, juste pour faire la suture et établir l'évidence du passage du neveu à l'oncle. On ne nous dit pas seulement que le second a racheté Champignelles, mais qu'il l'a obtenu en justice en faisant valoir son droit au retrait lignager. Retraire consiste à reprendre à l'acheteur un héritage aliéné [20]. Le retrait attesterait que l'oncle était l'héritier du neveu.

Or cette attestation manque. L'oncle a invoqué son droit, sans réussir à rattacher le nœud et à s'unir à la branche historique issue de Robert le Bouteiller.

Jean de Courtenay, seigneur de Bléneau, intervint près des officiers du roi pour exercer le retrait lignager de la seigneurie de Champignelles vendue par son neveu à Jacques Cœur. Le prix de la rétrocession fut débattu et fixé, mais le traité qui intervint à ce sujet ne fut pas sans doute ratifié par le roi car il ne reçut aucune exécution [21].

Il est vrai que l'oncle avait affaire à forte partie. La procédure qu'il intente contre l'acheteur de Champignelles, Jacques Cœur, grand argentier du Roi, se retrouve englobée dans sa liquidation judiciaire, épilogue inique d'un procès inique. Chabannes a Champignelles qu'il a pris à Cœur au nom du Roi. Le procès privé devient d'ordre public. Jean doit maintenant arracher Champignelles à un seigneur de guerre sans scrupules [22] et plaider contre le Roi, représenté par son procureur fiscal. Cette ténébreuse affaire mêle la contrainte et le droit. L'oncle renoncera. Le force-t-on ? Le séduit-on ? Le convainc-t-on de la faiblesse juridique de sa position ?

Ennemi de Jacques Cœur, Chabannes a dirigé au nom du Roi la commission chargée de le "juger" et, avant même un verdict qui ne fait aucun doute, il s'est approprié toute la Puisaye (dont Champignelles) qu'avait rassemblée Cœur. Pour donner une apparence de légalité à cette spoliation, on a organisé en 1453 un simulacre d'enchères...remportées par Chabannes, pendant que le Roi gardait l'argent et de nombreux biens ; qu'Antoine Gouffier, l'un des commissaires, s'emparait des terres dans le Rouennais ; qu'Antoinette de Maignelais, maîtresse du roi après Agnès Sorel, recevait une bonne et grosse ferme du Berry, et ainsi du reste.

Voilà l'oncle devant une dangereuse complication : une fois les biens de Cœur confisqués au nom du Roi, le Procureur fiscal se substitue à Cœur et conteste le retrait. Si le "procès" de Cœur violente le droit à l'extrême, ces affaires collatérales, jugées par les tribunaux ordinaires, présentent plus de régularité. Jean avait des moyens convaincants (quels qu'ils fussent) à opposer au Procureur fiscal puisque le bailli de Sens rend d'abord un jugement en sa faveur, l'acte de 1454, toujours cité pour prouver le retrait (...obtint encore en justice le vendredy 11 d'octobre 1454 par retrait lignager, la terre de Champignelles...). Mais le procureur fiscal fait appel, l'affaire vient au Parlement de Paris...et Jean renonce. Un "accord" intervient très vite, enregistré en date du 16 août 1455, par lequel ledit messire Jehan de Courtenay a renoncé et renonce de fait par ces présentes à laditte sentence donnée à son prouffit, et aussi audit procès, et à tout ledit droit de retrait lignaigier qui lui compettoit et appartenoit ou puet competter et appartenir, au prouffit du roy nostredit seigneur.

D'autres que Jean demandaient à retraire des terres précédemment achetées par Cœur, ils sont tous accommodés avec la même efficacité (menace ? persuasion ? promesses ? indemnités ?) et Chabannes reste propriétaire de tout [23].

Examinons les arguments que le Procureur fiscal fait valoir contre Jean (Buchon, 1838) :

a)     on ne peut retraire que de quelqu'un dont on aurait hérité ; or Jean IV avait hérité de Champignelles par sa mère après le décès de son père et Bléneau ne venait pas à l'héritage de la femme de son frère ;

b)  ce frère ayant acheté Champignelles (NB il l'aurait acheté et non hérité de son propre père), la moitié est à sa femme (cf. a), l'autre moitié à lui, de sorte que Bléneau pourrait au mieux demander le retrait de la moitié ;

c) s'il s'agit bien de son frère, ce que le procureur ignore et ne croit pas ;

d) la vente ayant été faite en lot avec d'autres terres et Champignelles étant la plus belle, le prix de 800 écus indiqué par le demandeur est sous-estimé et il lui en faudrait payer au moins 4000.

Les arguments a), b) et d) intéressent les modalités du retrait éventuel et visent à en réduire la portée et à en augmenter le prix. C'est de bonne guerre. Plus intéressant pour nous est le c) : s'il s'agit bien de son frère, ce que le procureur ignore et ne croit pas. Jean ne serait ni héritier, ni oncle. Que serait-il ?

 Il serait collatéral. On ne peut pas écarter la possibilité que Jean, au lieu d'être le frère de Pierre III de Champignelles, soit son arrière-cousin. Il viendrait du côté de la grand-mère de Pierre, Marguerite de Saint-Vérain, l'épouse de Jean II Champignelles : il serait peut-être petit-fils de Jean de Saint-Vérain, frère de Marguerite. Bléneau étant une terre des Saint-Vérain qui, après la mort de Marguerite, en partagent les droits avec les Champignelles, ce serait par les Saint-Vérain  que Jean tiendrait son titre de seigneur de Bléneau [24].

Dans cette conjecture, la "refondation" se révélerait, sinon une imposture, du moins un bluff rétrospectif, puisque Jean n'appartiendrait nullement au sang de Robert, et donc sa descendance non plus, ni les Bléneau, ni les Chevillon, ni le Prince Louis. Les Saint-Vérain, une lignée ancienne et honorable, maintes fois alliée aux Courtenay, ne présentent et ne réclament aucune espèce d'ascendance royale. Si cousin Jean il y a, sa richesse et son cousinage absorbent les seigneuries des derniers débris des Courtenay auxquels il se substitue. Le retrait lignager laisse-t-il deviner une intention de Jean de devenir Champignelles ? ou est-ce simplement une astuce pour payer moins cher (cf. l'argument d du procureur) ?

Il est vrai que le sans terre, toujours vivant, aurait pu protester et dénoncer cette prétention au retrait lignager. Peut-être, en effet, a-t-il dit quelque chose aux gens du Roi et informé le Procureur fiscal. Peut-être ne s'en souciait-il pas : la braderie générale à laquelle il procède le montre plus occupé par sa propre existence que par la conscience lignagère et, si celle-ci protestait, ses besoins d'argent le rendaient accessible aux compensations.

Jean I de Bléneau, qu'il soit tricheur ou glouton, ne pense pas à la "royalité". L'idée viendra plus tard d'une concaténation : d'une part, que Jean soit frère ou cousin, il appartient au groupe familial ; d'autre part, ses terres ressortent du patrimoine Champignelles. Donc, tout a l'air de venir de Robert. Quelques générations après les rachats de Jean et l'attribution des anciennes terres à ses enfants, les nouveaux Ferté-Loupière se prennent pour les anciens, ceux qui étaient de lointains rejetons de Louis le gros. Le retrait lignager aidant, les tendances et circonstances du XVIe siècle font luire, au bout d'un long tunnel encombré traversant les strates généalogique, la flamme d'une origine royale que du Tillet avive.

Il reste du hiatus une trace muette, les zigzags de la descente à partir de Jean de Bléneau et l'avertissement implicite que donne la séparation des derniers seigneurs de la Ferté-Loupière et des anciens seigneurs de la Ferté-Loupière, distinction constamment faite, même par du Bouchet, soit par incompréhension, soit par impossibilité de faire mieux.  La clarté de la rédaction typographique à laquelle doivent se soumettre les nouveaux historiographes ne permet plus les amalgames et les obscurités du manuscrit de du Tillet.

La vérité est hors d'atteinte. On ne saura jamais comment il faut raconter cette histoire : de l'intérieur ou de l'extérieur ? La version interne devenue officielle – réveil et affirmation – présente moins d'intérêt que la version externe : un processus de cristallisation presque inconscient. Alors, les zigzags et les hiatus, au lieu d'être des difficultés, deviennent des explications : si tout n'avait pas été aussi confus, personne n'aurait tout confondu !

Un nouveau paradigme de la noblesse émerge au XVIe à la suite de la fracture provoquée par les anoblissements en série. L'inscription des nobles dans leur généalogie est renforcée par l'imprimerie qui permet de confectionner des listes, de les diffuser et de capitaliser les recherches. Les manuscrits de du Tillet font la charnière. Jean IV, même maudit, n'est pas loin (il est mort en 1472). Les terres et les ancêtres entourent nos sieurs d'une ambiance Champignelles de laquelle participe Jean de Bléneau (à quelque titre que ce soit) et la malheureuse légende impériale a marqué les esprits. "Courtenay" ne renvoie plus à rien de concret, c'est la dénomination générique de cette ambiance. Guerroyant avec Henri II (notamment siège d'Ivoy en 1552), Edme de Vilar, un arrière petit-fils de Jean commence à l'entreprendre à propos de leur reconnaissance. Mais, que ceci explique cela ou l'inverse, le Recueil de du Tillet joue un rôle catalytique.

Documents : de Pierre au "Prince" Louis

Une page du Recueil des Rois de du Tillet (1580)

Recueil des Roys

A partir de du Tillet et du Père Anselme (qui, comme du Bouchet et les autres sépare les branches), j'établis la synthèse dont le schéma se trouve ci-après et la version développée page suivante. Elle fait apparaître une série de descentes directes et les problèmes de transition que nous avons examinés dans la section 2 de ce chapitre :

  • la branche aînée, de l'empereur Pierre à Catherine
  • la branche des Champignelles, de Robert à Jean iv sans terre prolongée en pointillés par la descente du Bâtard de Courtenay & St Briçon
  • la branche des Bléneau, de Jean "le refondateur" au dernier Gaspard

Entre ces lignes, je matérialise les ruptures par des pointillés ou, pour les plus discutables, une ligne verticale ondulée :

  • le passage de Jean sans terre (sauf son bâtard) à Jean de Bléneau
  • le passage de Gaspard de Chevillon au "prince" Louis

escalier

 




[1] Conseiller & Chambellan du Roi....Il avoit épousé Catherine l'Orfèvre, fille de Pierre, Chancelier du Duc d'Orléans de laquelle il eut JEAN  & CATHERINE, mariée à Jean de Courtenay, 1. du nom, Seigneur de Bleneau (De la Chesnaye, T 8, p 95).

[2] Du Tillet lui accorde six fils et une fille...et ne liste que quatre fils : 1) Pierre, Sr de Conches et Mehun, mort sans postérité mâle ; 2) Philippe, Sr de Champmolin et Chateaurenard qui mourut sans enfants ; 3) Raoul, archevêque de Reims ; 4) Gallien (Guillaume) que le père avait destiné à l'église et n'en voulut être. Passons sur l'oubli de l'évêque d'Orléans, Robert, ainsi que sur la confusion entre Raoul, fils oublié mort sans postérité mâle, et Jean, archevêque de Reims. Passons aussi sur les détails fantaisistes que donne du Tillet et sur une présentation peu claire qui ignore les dates. Le paragraphe de la branche des Courtenay comprend sept pages (p 86/92 de l'édition de 1580) de 45 lignes chacune, tout en continu, sans un seul saut de ligne (cf. la copie de la 1ère page à la fin de ce chapitre ). L'organisation est descendante et hiérarchique (branche ainée puis branches cadettes dans l'ordre de naissance initial) et le contenu cite indistinctement tous les actes connus qui s'attachent à l'un ou l'autre personnage, qu'ils soient ou non pertinents.

[3] 1)Louis le gros, 2) Robert de Champignelles, 3) Guillaume de Champignelles, 4) Jean "i" de Champignelles, 5) Jean "ii" de Champignelles, 5) Pierre "ii" de Champignelles, 6) Pierre "iii" de Champignelles, 7) Jean iv sans terre// 6') Jean "i" de Bléneau.

A partir de Jean "i", on a :

[4] dont trois paragraphes complémentaires (§.XII. Anciens Seigneurs de Courtenay ; §.XIII. Comtes d'Edesse. ; §.XIV. Seigneurs du nom de Courtenay en Angleterre.

[5] Du Tillet écrit à la fin du chapitre consacré à la branche de Dreux (p 80 de l'édition 1580 et de l'édition 1607) : Le laps du temps & diminution de bien ont réduit au rang des gentilshommes aucuns de cette branche et de celle de Courtenay véritablement issus du sang de France. A quoi a fort aidé que lors du commencement desdites branches, l'autorité des Rois était moindre qu'elle n'a depuis été: qui paraît en ce que leurs puinés, ou descendants d'eux, prenaient autres armoiries que celles de la maison de France, laquelle agrandie ne s'est plus fait: & ont les Princes du sang été maintenus en leur rang, ores qu'ils n'aient été opulents en biens. Assez y a eu de maison Royales abbatues dont les descendants par nécessité sont tombés de leurs rangs...Joseph fut charpentier.

[6] Belleforest, 1579, Tome 1, p 498 : ces familles (Dreux & Courtenay) n'ont tenu le rang & degré de Princes du Sang & ne se sont faits respecter ainsi qu'ils devoient car s'ils l'eussent fait, il n'y a homme qui eut sceu empescher que leur nom,& reputation n'eut demeuré en vigueur tout autant qu'il y eut eu des masles portans le nom & armes de Dreux & Courtenay mais l'abaissement d'iceux, tant pour être reculez des affaires que pour s'être alliez plus par avarïce que pour conserver leur grandeur...a été cause que leur nom est demeuré sans ranc, grandeur ni mémoire.

[7] III. On ne peut donc douter 1. que jusqu'au commencement du XIIIe siècle les Clercs n'aient été obligés à la stabilité dans leur profession sainte 2. Que les déserteurs de la Cléricature n'aient été soumis aux mêmes peines que les Moines apostats 3. Que les Clercs ne passassent pour apostats dès qu'ils quittaient ou la Tonsure ou l'habit clérical 4. Que ceux mêmes qui avaient été déposés pour leurs crimes n'étaient pas pour cela affranchis de la profession cléricale 5. Que cette Discipline même serait encore en usage si les Décrétales qui font le corps du Droit Canon nouveau étaient encore observées...Guillaume évêque de Paris (1ère moitié XIIIe)  témoigne qu'en son temps c'était encore une apostasie d'abandonner la cléricature après s'y être engagé (Thomassin, 1681, Ancienne et nouvelle discipline de l'Eglise touchant les bénéfices et les bénéficiers, Tome 3, CH5 Si les clercs peuvent encore renoncer à l'Etat ecclésiastique, p 15).

[8] L'Histoire des faicts, gestes et conquestes des roys, princes, seigneurs et peuple de France, en dix livres, par Paul Emyle mise en françois par Jean Regnar, ch. Morel, 1598, Livre VII. Brantôme reprend l'argument en passant (p 334, œuvres complètes de Pierre Bourdeille, abbé séculier de Brantôme, Tome 2, Ed Buchon 1848, Dames galantes, 4ème discours : comparaison de l'amour de la fille, de la femme mariée et de la veuve, art II, de l'amour des filles).

[9] Marguerite avait épousé son Bouchard d'Avesnes sans que son entourage s'émeuve. Mais ensuite, sa sœur, Jeanne, devenue comtesse de Flandre et de Hainaut et restée sans enfant, voulut écarter Bouchard de l'héritage futur de sa femme (qui deviendra, en effet, comtesse au décès de sa sœur) : pour faire annuler ce mariage, Jeanne révéla que Bouchard était homme d'église et "déserteur". En 1215, le pape excommunia les époux, sans annuler leur mariage. Les époux finirent par se séparer et, en 1223, Marguerite fut remariée à Guillaume de Dampierre.

[10] Duvivier Charles Albert, 1894, La querelle des d'Avesnes & des Dampierre jusqu'a la mort de Jean d'Avesnes 1257,  Bruxelles : Libraire Européenne C. Muquardt.

[11] A la suite de du Bouchet, on le fait naître habituellement du premier mariage de Guillaume avec Marguerite (fille de Jean, comte de Bourgogne et de Châlon). A ce titre, il hérite Champignelles à la mort de son frère ainé Pierre. Mais les continuateurs du Père Anselme écriront toute une page (1725, Maison royale, 3° édition continuée par les RP Ange et Simplicien, Tome 1, p 486) pour démonter les incohérences de du Bouchet et démontrer que Jean était né, non pas du premier mais du second mariage de Guillaume, avec Agnès de Torcy, ce qui –pour ce que je comprends– affecterait ses droits à la translation de la succession paternelle. Le premier mariage a engendré Robert qui, quoiqu'aîné, se voue à l'église, Pierre qui reçoit Champignelles et meurt avant 1290, Isabeau et Marguerite. Anselme 1674 disait que, à la mort de Pierre, son héritage est partagé entre Robert et Jean auquel ensuite Robert abandonne sa part (quoique plus tard Jean la lui cède en viager contre la Ferté-Loupière). Le droit de succession dépend des coutumes mais, en général, des fils de lits différents ne sont pas réputés frères. Jean pouvait-il passer avant les sœurs de Pierre ? Et donc l'héritage de Champignelles est-il correct ?

[12] Maison de France (Tome 2, Livre XXXVI, p 656) mentionne Guillaume, son mariage avec Marguerite de Chalon et s'arrête à leur descendance : Robert qui choisit l'église (et deviendra archevêque de Reims), Pierre (dont ses frères se partagent la succession en 1290) et Jean (i), Sr de Champignelles et de la Ferté-Loupière, marié à Jeanne de Sancerre, héritière de St Briçon.

[13] La 2nde édition reprenait la 1ère en y ajoutant la descente et postérité des Reines et des Princesses. La 3ème innove à plus d'un titre. Outre la "découverte" des origines carolingiennes des Capétiens, elle prévoyait d'ajouter deux volumes (3 et 4) consacrés aux descentes de femmes mais ils ne paraîtront pas.

[14] Déclaration écrite de la main des Sainte-Marthe citée par du Bouchet (1656, p 192), attestant que lorsque, en mai 1619, ils ont soumis leur lettre de privilège au Parlement pour enregistrement...le Procureur General remarqua en la page l375 de la feuille cottée MMMMmmmm qu'en parlant de Guillaume de Courtenay Seigneur de Champignelles, ces termes estoient portez " fut destiné à l'Eglise & ne voulut suivre cette profession selon du Tillet, qui fait descendre de luy les Seigneurs de CHAMPIGNELLES & DE BLENEAU ": et lors mondit sieur le Procureur General nous auroit (avait) dit; Que pour quelques considerations, il n'estoit à propos d'insérer les dits termes....

[15] Un critique posthume, le Comte de Soyécourt, réagissant en 1855 aux outrances du récit de la marquise de Créquy, écrit : La dernière maison de Courtenay dont il est ici question, fut reconnue. par d'habiles généalogistes comme rameau légitime de la maison royale de France; mais d'autres généalogistes trouvèrent beaucoup d'incertitude dans ses preuves. Après avoir mentionné la branche des seigneurs de Champignelles, éteinte en 1472, il qualifie celle des seigneurs de Blénau de douteusement sortie de celle de Champignelles (Notions claires et précises sur l'ancienne noblesse de France Réfutation des prétendus mémoires de la marquise de Créquy).

[16] On songe à la remarque de Chanterau-Lefèvre sur la généalogie de la maison de Lorraine (1642, Considérations historiques) à propos des tours et détours  qu'elle emprunte : sembleraient ces prétention répandues pour avoir tant été versées d'un vaisseau en autre.

[17] Le cousin Louis reçut Bléneau, à charge pour lui de payer les dettes de Gaspard, ce qu'il ne parvint pas à faire. Bléneau est saisi par les créanciers et Louis négocia avec eux un démembrement partiel. Peut-on considérer qu'il est "devenu" Gaspard alors qu'il n'a pas rempli ses engagements ?

[18] S'il existe bien une espèce de transmission de la virtualité royale, il en va autrement de la dignité impériale. Après l'extinction des Empereurs, jamais aucun descendant de Robert, aussi présomptueux fût-il, pas même Louis-Charles (quoi que narrent les fabuleux Mémoires de la marquise de Créquy), n'eut l'idée de revendiquer cette couronne fantôme dont l'évanescence resta aux descendants de Catherine. C'était une dignité propre à la branche aînée que Pierre ii avait obtenue par son épouse. En aucune manière, elle ne pouvait arriver à la branche cadette.

[19]  XVII Pierre de Courtenay, Seigneur des Esves, Fils naturel de Jean de Courtenay IV du nom, Sr de Champigneles & de Damoiselle Jeanne de la Brosse, fut destiné à l'Eglise par son père qui lui donna depuis le fief des Esves dans la paroisse de Dannemarie en Puisaye, & par son testament de 1472 ce qui resterait de ses meubles et de ses acquêts...(il) portait les armes pour le service du Roy sous le nom de Bâtard de St Briçon & de Courtenay (§IX). In: Henri-Philippe de Limiers, 1724, Annales de la Monarchie Françoise, chez L'Honoré & Châtelain libraires.

[20] RETRAIT lignager est un droit en vertu duquel un parent du côté et ligne dont est venu au vendeur un héritage vendu peut le retirer des mains de l'acquéreur en intentant l'action en retrait dans le temps prescrit, à l'effet de le conserver dans la famille (Claude-Joseph de Ferriere, 1749, Dictionnaire de droit et de pratique, Volume 2, ch. Brunet).

[21] Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne (1848, "Notice historique sur Champignelles"). De même, Thaumassière (1679, p 683) : cette terre (Champignelles) était patrimoniale à la maison de Courtenay où elle est demeurée jusqu'à ce que Jean de Bléneau IV du nom la vendit à Jacques Cœur au mois de mars 1451 &, ayant été sur lui (Cœur) confisquée, elle fut acquise par Jacques (Antoine) de Chabannes duquel est sortie Antoinette (Françoise) de Chabanne mariée à Philippe de Boulainvillier, sr de Vernueil (présente propriétaire).

[22] Chabannes, soudard des guerres franco-anglaises, combat au siège d'Orléans puis dirige une bande de mercenaires écorcheurs ("routiers"). Devenu comte de Dammartin par son mariage, il se rallie à Charles VII (1439) et le sert. En particulier, il dénonce ou découvre la conspiration du dauphin (futur Louis XI), ce dont le Roi le récompensa.

[23] L'histoire de la tentative lignagère de Jean de Bléneau s'arrête là, celle de la terre de Champignelles continue. Elle est animée ! A la mort de Charles VII, son challenger, Louis XI, disgracie Chabannes et l'emprisonne. Le Roi demande au Parlement de réhabiliter Cœur. Il refuse au nom de l'autorité de la chose jugée. Néanmoins, Louis XI en fait l'éloge et redistribue à ses enfants une partie des biens confisqués : Geoffroy Cœur, dont il a fait son valet de chambre, obtient la restitution de la Puisaye (dont Champignelles). Mais voilà que, en mars 1468, Chabannes s'évade de la Bastille, rejoint les princes révoltés de la ligue du bien public), s'empare manu militari  de la Puisaye (et de la personne de Geoffroy !). A la fin, le roi, obligé de transiger, rend à Chabannes ses biens (dont Champignelles), ses honneurs et dignités. Ensuite, Avoye, la deuxième fille de Jean de Chabannes (1504), en reçoit le comté de Dammartin et Courtenay, la baronnie de Toussy et Champignelles puis, n'ayant pas d'enfant, donne son patrimoine à sa nièce Françoise d'Anjou, de qui, en 1615, Champignelles arrive par mariage à Louise d'Orléans de Rère, veuve...de notre Gaspard i de Bléneau dont elle fut la second épouse. Ironie.

[24] Une trace dans du Bouchet ? l'artificieux "tableau généalogique" des Champignelles & St Briçon (p 160) fait de Jean le premier des Champignelles à être seigneur de Bléneau, sans mentionner ce titre aux générations précédentes.