L'affaire, rencontrŽe par accident, m'intrigua : cette seconde Maison de Courtenay, supplantant la premire au milieu du XIIe sicle, ne parvient pas ˆ capitaliser son origine royale.
Lorsque des revenants, astiquant leur lustre terni, excipent de leur descente de Louis VI le Gros par m‰les lŽgitimes pour prŽtendre au label "prince du sang", on ne nie pas leurs droits, on ne les accorde pas. Ils ne sortent pas de cette impasse.
A peu prs absents de l'Histoire, ils n'ont gure laissŽ de traces. Aprs les premires gŽnŽrations, ils n'impressionnent plus la pellicule. Leur historiographe privŽ, du Bouchet (1661), euphŽmise : les chroniqueurs ont oubliŽ de mentionner leurs hauts faits. On ignore presque tout des hauts et bas de leurs ressources : des ventes ou engagements de terres sont parfois mentionnŽs, on suppose que des mariages les enrichissent, on n'a rien de prŽcis.
Je fus d'abord amusŽ par cette variante de la fable de la Grenouille et du BÏuf, ces simples gentilshommes qui s'enflent et se travaillent pour Žgaler les Princes du sang. Les premires versions de ce texte (2015 et 2020) se centraient sur leur ambition fantomatique et en cherchaient les circonstances. Mais des recherches ultŽrieures m'ont convaincu que le cas dŽpasse les personnes : l'Žvolution de la monarchie importe plus que les faiblesses ou les malchances de nos sieurs. En admettant leur issuance de Louis le gros, une telle origine ne suffisait plus au moment o ses bŽnŽficiaires faisaient valoir leur conception na•ve d'un droit du sang rŽduit ˆ une biologie mystique. De mme qu'est gentilhomme celui qui vit noblement depuis des gŽnŽrations, de mme un Prince doit vivre en Prince. Cette caractŽristique "sociologique" suppose une reconnaissance, des moyens et un statut.
Le premier de ces Courtenay, Pierre, n'Žtait que frre du roi, il n'avait rien et tout ce dont ses enfants hŽritrent venait de leur mre. A la fin du XVIe, et plus encore au XVIIe, il aurait ŽtŽ fils de France, comblŽ d'honneurs, de privilges et de ressources. Mais il Žtait deux fois trop tard car, tandis que la Monarchie s'instituait, les hasards dynastiques avaient empilŽ les lignŽes : des simples CapŽtiens aux fils de S.Louis, puis aux Valois, Valois-OrlŽans, Valois-Angoulme et enfin Bourbon-Vend™me. Si nos Courtenay Žtaient bien de race royale, ils sortaient d'une lignŽe obsolte. La monarchie Bourbon pouvait les saluer, pas les admettre.
Telle est la perspective de cette nouvelle version. L'esprit et le plan ont changŽ et l'exposŽ incorpore des ŽlŽments pris dans les appendices. Ce qui concerne la premire Maison de Courtenay fait l'objet d'un article spŽcifique.
Il est, hŽlas, impossible d'Žviter le mŽlange des genres. Le texte commence comme un narratif et finit en dissertation. La matire en est l'excuse : elle oblige ˆ une approche chronologique qui mle le factuel et l'analytique, l'historique et le juridique, malgrŽ le renvoi en appendice des dŽveloppements dŽtaillŽs.
Le lecteur pressŽ peut sauter le Prologue. Il prŽsente les premires gŽnŽrations, issues de Louis le gros, celles qui marquent. La branche a”nŽe s'Žteint ; la branche pu”nŽe s'endort ; les autres ne comptent pas.
Comment expliquer que de lointains descendants se rŽveillent au XVIe ? que leurs fils formalisent leurs prŽtentions au sang royal sous Henri IV et le coincent dans un dilemme ? (Chp. 1).
La question devient pratique suite ˆ l'accident de 1610. La sollicitation tourne au contentieux, le contentieux ˆ l'action politique et, avec l'Žchec de CondŽ, nos sieurs perdent leurs anctres (Chp. 2).
NŽanmoins ils rebondissent. Le roi ne peut ni les refuser, ni les accepter, comme de vieux cousins qu'on ne saurait renier mais qu'on n'invite pas. Ils exploitent l'ambigu•tŽ et en sortent une princerie sans consŽquence qui se termine lorsque, en 1730, meurt le dernier m‰le (Chp. 3).
La pice est finie. Mais la fille restante essaie de jouer les prolongations. Le Parlement baisse le rideau (Chp. 4).
La conclusion tire les leons. Le sang est une notion complexe comme d'ailleurs la biologie le montre : il a besoin du cÏur, des poumons, de l'estomac etc. L'ŽlŽment appartient ˆ un systme. Aussi le sang de nos Courtenay suffit ˆ leur donner une couleur de royalitŽ, il n'en fait pas des royaux.
¦ Pour
rendre le texte plus lisible, je m'interdis les notes. On se reportera aux Appendices 1, 2 et 4 dans lesquels on trouvera des prŽcisions ainsi que les rŽfŽrences bibliographiques particulires.
RŽservons ˆ l'histoire de la premire Maison les interrogations sur les circonstances de la "disparition" de Renaud de Courtenay au dŽbut des annŽes 1150. Il laisse deux filles que le roi prend en garde. Louis VII case la cadette en la mariant ˆ Avelon, sire de Suilly (en Donziais), et donne l'ainŽe, Isabeau (Elisabeth), l'hŽritire, ˆ son petit frre, Pierre, qui, par elle devient seigneur de Courtenay, Montargis, Ch‰teau-Regnard, Champignelles, Tanlay, Charny, Chante-Coq et plusieurs autres terres. Elle est sa lointaine cousine : sa grand-mre paternelle, Ermengarde de Nevers, descendait de Hadwige (Alix, Avoye), fille du roi Robert, lui-mme fils de Hugues Capet.
Le roi Louis VI le gros a eu pour fils: Philippe qui meurt ˆ peine couronnŽ, Louis qui le remplacera, Henri futur archevque de Reims, Robert futur comte de Dreux, Philippe futur archidiacre de Paris, et le dernier, Pierre, qui na”t vers 1125.
A moins de trente ans, il Žpouse Courtenay, une collection de terres et de droits localisŽs dans les dŽpartements actuels du Loiret et de l'Yonne, entre la Bourgogne et le petit cÏur capŽtien, ˆ la jointure des deux grandes "autoroutes" du temps que sont la Seine et la Loire. Il restera ˆ la marge de l'action royale. On sait seulement qu'il accompagne Louis VII ˆ sa malheureuse croisade (1147), qu'il est l'un des trois barons la•cs envoyŽs pour traiter d'une paix avec Henri II d'Angleterre en 1178, qu'il repart outremer (Acre) en 1179 avec Henri le libŽral Comte de Champagne, et qu'il ne vivait plus en 1183.
Il n'eut point de terre comme apanage et ce qu'on lui donna ne fut dŽcorŽ d'aucun titre. C'est ˆ la gŽnŽration suivante, avec l'Žmergence royale philippaugustienne, que leur origine profitera aux fils a”nŽs de Pierre : Pierre et Robert.
La dame de Courtenay, Elisabeth/Isabeau, survit vingt ans ˆ son mari, jusqu'en 1205. Ils ont engendrŽ un grand nombre d'enfants : cinq garons et six filles atteignent l'‰ge actif, capital humain exceptionnel en ces temps de surmortalitŽ infantile et maternelle. Les fils hŽritent de leur mre, le pre n'ayant rien. Selon l'usage, l'a”nŽ, Pierre second du nom, reoit la plus grande part, dont Courtenay et Chateau-Renard ; Robert devient sire de Champignelles, Guillaume et Jean hŽritent de seigneuries mineures, respectivement Tanlay et Yerre. Quant aux filles, elles sont toutes mariŽes noblement. Exploit rare, tout le monde est casŽ, jusqu'ˆ la moindre fille, sans avoir besoin du joker religieux :
Avant d'examiner la vie des deux ainŽs, disons un mot des autres. Si les plus jeunes fils de Pierre et Isabeau, Guillaume et Jean, n'ont rien de remarquable, les filles (Alix, Constance, Eustachie, ClŽmence), constituent un prŽcieux capital relationnel qui n'est pas gaspillŽ mais investi d'abord aux alentours puis, aprs annulation ou dŽcs de leur mari, rŽinvesti au delˆ de la petite "France" royale. Pour autant qu'on puisse saisir les faits, leurs premiers mariages se font avec des sires voisins de Courtenay et leurs remariages nettement au-dessus et plus loin, sans doute ˆ la faveur de la fortune de leurs frres a”nŽs. Eustachie Žpouse d'abord un petit sire de Pacy-sur-Armanon, puis Guillaume, Comte de Sancerre ; ClŽmence, Guy VI vicomte de Thiern (Thiers) ; Constance, un sire de Chateaufort puis Guillaume, sire de la FertŽ Arnaud.
Alix ( 1218) demande une mention spŽciale. D'abord unie ˆ un sire de Joigny, elle Žpouse en second Aymar Taillefer, puissant Comte d'Angoulme. Ils engendrent cette fameuse Isabelle (1188/1192-1246) que Jean sans terre, pour prŽvenir l'union des comtŽs d'Angoulme et de la Marche, arrachera ˆ son fiancŽ, Hugues de Lusignan, prŽcipitant les deux comtes dans l'alliance franaise. Cette erreur politique est aussi matrimoniale. Les mŽfaits et dŽbordements d'Isabelle lui vaudront d'tre appelŽe Jezabel en Angleterre (Vincent, 1999). La reine ultŽrieurement remariŽe (1220) ˆ son premier fiancŽ, Hugues de Lusignan, Comte de La Marche, leurs comtŽs joueront un grand r™le dans les guerres "franco-anglaises".
Pierre, ii du nom, prend un beau dŽpart. A”nŽ, il reoit l'essentiel du patrimoine maternel. Il dŽveloppe Montargis (fortifications et franchises) dont, en 1184, il cde les droits au roi (Philippe Auguste) en contrepartie d'une bonne hŽritire : une petite Agns, mise en rŽserve ˆ la Cour aprs qu'elle ežt reu de son pre Guy le comtŽ de Nevers et, de son oncle Renaud, ceux d'Auxerre et de Tonnerre (Du Chesne, 1619). Cette union reste presque stŽrile : une seule et unique fille, Mathilde qui, ˆ la mort d'Agns (1192), reoit les comtŽs dont Pierre exerce la garde noble. Dans les terres qu'il gouverne au nom de la petite Mathilde, Pierre agit comme les autres comtes. A l'extŽrieur, il bataille avec ses puissants voisins (Champagne et Bourgogne). A l'intŽrieur, il abuse des abbayes (qui se dŽfendent bien), s'oppose aux Žvques dominateurs et endosse les vieilles querelles. C'est ainsi qu'il perd la petite Mathilde gr‰ce ˆ laquelle le Roi et lui cherchaient ˆ joindre possessions flamandes et bourguignonnes. Mathilde, formellement fiancŽe au comte de Namur, frre de la deuxime femme de son pre, fut (littŽralement) conquise par HervŽ de Donzy qui, gr‰ce au dŽcs de ses frres, avait rassemblŽ les terres de sa Maison, ˆ proximitŽ de la Loire. Les barons de Donzy et les comtes de Nevers se disputaient la terre de Gien. Au cours d'une bataille, HervŽ vainc Pierre et le capture (1199). Le roi Philippe Auguste accorde les adversaires et, en rŽcompense, se fait donner par HervŽ la terre de Gien, objet de la dispute ! Ce n'est pas cher puisque, pour prix de la libŽration de Pierre, HervŽ reoit la petite Mathilde avec le comtŽ de Nevers (Auxerre et Tonnerre restant ˆ Pierre ˆ titre viager). En 1199 la fille a onze ans. Comme sa mre, Agns, elle ne produira pas d'hŽritier : une seule et unique fille (1205), nommŽe Agns (Anne) qui, ironiquement, sera l'anctre de ces Bourbon royaux auxquels, plus tard, les descendants des Courtenay demanderont de les reconna”tre !
L'arbitrage du roi (Gien contre Agns) visait ˆ gagner Donzy et ses hommes. HervŽ, s'il combat Jean sans terre, refuse de prendre la tte de l'expŽdition "albigeoise" et, comme tant d'autres grands, oscille entre "France" et "Angleterre". Un an aprs Bouvines et un an avant le dŽbarquement de Louis le lion en Angleterre, en 1215, HervŽ pense encore ˆ utiliser sa fille unique Agns pour une alliance anglaise. Philippe Auguste lui interdit de s'allier ˆ ses ennemis du moment, nommŽment, Jean roi d'Angleterre, Thibaud de Champagne, le fils du duc de Bourgogne et Enguerrand de Coucy. Comme maints autres barons, HervŽ n'est ni pour Jean ni pour Philippe, il cherche ˆ prospŽrer dans l'entre-deux. HervŽ et ses troupes participent ˆ l'expŽdition anglaise dont il est l'un des chefs, encore suspectŽ de jouer double jeu, directement ˆ Lincoln, et indirectement en rendant Louis le lion odieux par ses exactions. Mais les autres pillaient tout autant, et Louis se fit ha•r tout seul en distribuant aux siens les biens des barons anglais. Lorsque dispara”t le pre de Mathilde, HervŽ quitte la 5e croisade pour rŽcupŽrer les comtŽs d'Auxerre et Tonnerre que lui refusent l'Žvque d'Auxerre et Robert de Champignelles, le frre de Pierre, qui les administrent et que lui disputent Philippe et Robert de Namur, issus du second mariage de Pierre.
Sa fille unique, Agns de Nevers-Donzy (1205-1225), empchŽe d'Žpouser le petit Henry, fils a”nŽ de Jean roi d'Angleterre (futur Henry III), fut accordŽe par le roi ˆ l'a”nŽ de son fils a”nŽ, Philippe, roi de France en puissance. Il s'agissait de circonvenir HervŽ et contr™ler les comtŽs. Les conventions de mariage signŽes dans les formes, le petit Philippe mourut ˆ 9 ans. L'on renona ˆ la clause de substitution qui transmettait le contrat au fils suivant, Louis, futur IX et saint, qui n'avait encore que quelques mois. Aprs qu'Agns ežt ainsi fr™lŽ deux couronnes et trois maris royaux, le roi l'unit ˆ l'un de ses grands seigneurs, Gui de Chatillon, comte de Saint Pol. Il n'en sortit qu'une fille, Yolande. HŽritire naturelle des comtŽs, elle Žpousa le riche et puissant Archambauld IX, sr de Bourbon, dont elle eut encore une fois, deux filles, Mathilde (Mahaut) et Anne (Agns). Elles Žpousrent en mme temps (1248) deux fils de Hugues IV duc de Bourgogne : la premire, Eudes, l'a”nŽ ; la seconde, le pu”nŽ, Jean, desquels est venue la maison royale de Bourbon qui tient aujourd'hui le sceptre de France en la personne du Roy Louys XIII (Duchesne, 1625, p 411). En effet, Agns de Bourbon et Jean de Bourgogne engendrrent un seul enfant, une fille, BŽatrice, qui, en 1272, Žpousera Robert de Clermont, fils cadet de S.Louis. Ils seront l'origine des Bourbon-Clermont dont, bien des gŽnŽrations plus tard, un rejeton, Henri de Navarre, deviendra Henri IV.
Malheureuses quenouilles ! si Pierre II du nom avait eu d'Agns de Nevers un fils au lieu d'une fille, les comtŽs bourguignons seraient restŽs rassemblŽs et, pour peu que la biologie et la guerre favorisent les gŽnŽrations suivantes, une lignŽe de grands Courtenay aurait pu se consolider, toute royale.
Pierre, ayant perdu la premire manche, croit prendre sa revanche avec son remariage flamand o il pioche la dignitŽ impŽriale. Mais la carte ne vaut rien. Pierre doit tout aux femmes, ˆ sa mre, ˆ ses Žpouses, ˆ sa fille, et a trop peu en propre. Il perd.
Voyons cela.
La premire Žpouse de Pierre dŽcŽdŽe, Philippe Auguste, soucieux de dŽtacher les Flandres de l'Angleterre, le recharge en hŽritire en la personne de Yolande du Hainaut, fille de Baudouin, comte de Flandre et du Hainaut, et sÏur de la dŽfunte reine. Tout en restant actif ˆ Auxerre, directement et par procuration, Pierre entame une deuxime vie. Avec Yolande, il retrouve la prolificitŽ paternelle : leur mariage produit dix enfants vivants. Outre les garons que dŽvorera Constantinople, six filles dont trois contribueront ˆ la brve diplomatie impŽriale de Yolande. Parmi les autres, l'une se fera nonne ; une autre, Isabelle, Žpousera Gautier, seigneur de Bar, puis Eude seigneur de Montaigu ; une autre, Marguerite, Raoul d'Issoudun puis Henri comte de Vianden Ñ cette comtesse de Vianden ne sera pas la moins active.
Yolande donne ˆ Pierre non seulement des hŽritiers mais un hŽritage. En 1212, la mort de son frre Philippe lui apporte le comtŽ (marquisat d'empire) de Namur. Son frre a”nŽ, Baudoin, devient comte de Flandre et du Hainaut puis, en 1204, premier empereur latin de Constantinople.
On sait que, ˆ la suite des ambitions des Normands de Sicile, des expŽditions outremer, et des antagonismes qu'excitent les trahisons rŽciproques, la quatrime croisade se laisse dŽvier par les VŽnitiens, intermŽdiaires obligŽs entre l'Orient et l'Occident. Le dŽtour par Constantinople pour rendre leur couronne ˆ Alexis et Isaac Ange qui, une fois rŽtablis, paieraient la dette des Francs ˆ Venise, finit par l'invasion de la ville, incendie, massacres et pillage ŽhontŽ (1204). Les Francs Žlisent pour "empereur" Beaudoin, inoffensif comte de Flandre et du Hainaut, frre de Yolande, l'Žpouse de Pierre II. Venise est seigneur de un quart et demi de l'empire, l'empereur de un quart et les barons (Montferrat en premier) du reste. Mais le quart de l'empereur est largement en Asie que les Grecs de NicŽe dŽfendent bien et sa suzerainetŽ sur les barons est toute thŽorique.
CoupŽ de l'arrire-pays agraire dont le drainage conditionnait la puissance et mme la survie d'une ville gŽante, l'empereur doit se dŽfendre contre les Grecs (NicŽe, Epire), les Bulgares, les "Turcs", sans oublier les "Tartares" Žpisodiques et les aventuriers de tous poils. Sans ressources, attaquŽe de toutes parts, du dedans comme du dehors, dŽchirŽe de rivalitŽs, Constantinople, pendant un demi-sicle, deviendra un trou noir, engloutissant l'argent et les hommes, annihilant l'Žnergie et la sagesse des meilleurs.
Baudoin, premier empereur latin de Constantinople (1204), ne parvient qu'ˆ exciter encore plus les Grecs contre les Francs et ˆ se faire btement battre et capturer par les Bulgares ˆ Andrinople (1205). Son frre Henri le remplace, rŽtablit la situation militaire, noue des alliances et se concilie une partie de l'aristocratie grecque. Quand il meurt sans hŽritier (1216), les barons choisissent sa sÏur, Yolande, et son mari, Pierre de Courtenay, proche parent du roi de France et grand personnage lui-mme (Auxerre etc.). Pierre cde ˆ la sŽduction d'une couronne impŽriale. Si ce titre lui assure une (petite) place dans les livres d'Histoire, il le tue si vite que Pierre n'atteint mme pas Constantinople ! Ayant mis ses terres en gage pour lever des fonds, il part avec de nombreux vassaux et hommes d'armes. Pour payer leur transport aux VŽnitiens, ils assigent pour eux Duras (Durazzo, aujourd'hui Durr‘s) sur la c™te albanaise. Ils Žchouent, les VŽnitiens les l‰chent et ils tentent de passer par les montagnes o ils sont assaillis et vaincus par les Grecs d'Epire : Pierre et beaucoup d'autres sont capturŽs et disparaissent. Fin de l'empereur !
Reste l'empŽrire, Yolande qui, venue par mer, vient d'accoucher ˆ Constantinople d'un Baudouin, le premier et seul latin qui sera jamais nŽ dans la pourpre (porphyrogŽnte). De concert avec les barons, elle gouverne Constantinople et poursuit la sage stratŽgie d'Henri en utilisant judicieusement ses filles pour nouer des alliances prometteuses : Yolande Žpouse en 1215 AndrŽ II, roi de Hongrie ; Agns, en 1217, Geoffroy II de Villehardouin, prince de MorŽe ; Marie, en 1219, devient la troisime Žpouse de ThŽodore Ier Lascaris ( 1222), empereur grec qui assure, "en Asie", la continuitŽ de l'empire (NicŽe). Mais Yolande meurt trop vite (1219).
Les barons, fidles au droit hŽrŽditaire, envoient une dŽputation au fils a”nŽ de Pierre et Yolande, Philippe, comte/marquis de Namur. Ce dernier, tentŽ ou non, a trop ˆ faire pour dŽfendre son propre comtŽ et renvoie les barons ˆ son frre cadet, Robert, que, avec l'assentiment du roi Louis VIII, ils conduisent ˆ Constantinople pour le couronner. Ce Robert, de 1220 ˆ 1228, ne montre que la faiblesse de son esprit et la bassesse de son courage. Il finit par s'enfuir et meurt.
Le dernier hŽritier de Pierre, Baudoin (1217-1273), Žtant trop jeune, Jean de Brienne, "roi de JŽrusalem", est Žlu empereur ad interim et, coup double puisqu'il a dŽjˆ mariŽ sa fille Isabelle ˆ FrŽdŽric II, empereur germanique, fiance l'empereur latin ˆ sa fille, Marie, alors ‰gŽe de 4 ans (le mariage aura lieu en 1234). Brienne ne fait rien pendant deux ans puis fait mal et, comme les autres, appelle le pape, les rois et l'Europe ˆ son secours en expŽdiant en Europe le jeune Baudoin (1237-39) qui se met en possession de Courtenay et revendique le comtŽ de Namur usurpŽ par sa sÏur Marguerite de Vianden. Il la chasse au terme d'une guerre sanglante. Voulant en tirer hommes et argent pour se soutenir ˆ Constantinople, Baudoin gage le comtŽ au Roi de France (1238).
Brienne dŽcŽdŽ en 1237, Baudoin se fait couronner empereur ˆ son retour ˆ Constantinople. Sa situation est si prŽcaire que seul le refus de Louis IX l'empche de cŽder Courtenay, terre de consŽquence dont sa famille portoit le nom. En 1243-46, il repart en Europe. Ensuite, Namur perdu, il envoie son Žpouse Marie demander l'aide du roi de France pour reprendre ce comtŽ (1253), cible de multiples ambitions dont celle, permanente, du comte de Luxembourg. Ce dernier, en 1256, appelŽ par le peuple rŽvoltŽ, chasse Marie. En 1263, Baudoin reconnait son Žchec et vend ses droits sur Namur.
MalgrŽ tous ces efforts, les Francs, coincŽs dans Constantinople, manquent tellement d'argent que l'empereur, aprs avoir dŽvorŽ ses terres, fondu les toits de plomb pour frapper de la monnaie, vendu la "couronne d'Žpines" du Christ et autres reliques, met en gage son fils Philippe chez des prteurs vŽnitiens (o il restera plusieurs annŽes) ! A la fin, surdŽterminŽe par la guerre des VŽnitiens et des GŽnois qui s'allient avec l'un ou l'autre des empires grecs ennemis des latins, par les autres rivalitŽs europŽennes (France-Angleterre-Empire germanique) et par les alliances antagoniques rŽgionales, la situation devient absolument sans issue : l'Empire, toujours insoutenable, en raison de son vice organique et des erreurs commises, est repris en 1261 par les "Grecs" (Michel PalŽologue).
Baudoin fuit jusqu'ˆ Naples auprs du roi Charles d'Anjou, fils de Philippe Auguste, comte de Provence par sa premire femme. Ils s'allient pour reprendre Constantinople et cimentent leur accord en mariant leurs enfants : Philippe de Courtenay, tout juste dŽgagŽ des VŽnitiens, Žpouse BŽatrice, issue du premier mariage de Charles d'Anjou. Les "empereurs", Baudoin et Marie, continuent ˆ courir l'Europe pour lever des fonds et chercher des soutiens. La reconqute subit Žchecs sur Žchecs : destruction de la flotte par une incroyable tempte, insuccs du sige de Berat qui aurait ouvert la route de Constantinople (1281)... Enfin, en 1282, Charles a nouŽ des alliances, reconstruit une immense flotte, rassemblŽ des soldats. Le succs ne fait plus aucun doute et les Byzantins paniquent... lorsque les Siciliens se rŽvoltent (Pierre d'Aragon).
Baudoin meurt (1273). Hommes et argent fuient son fils Philippe (1243-1283) : la rŽaliste Venise, constatant son impuissance, l'abandonne et s'allie aux Grecs. Le pape ne lance pas d'appel ˆ la croisade (aurait-il servi ˆ quelque chose ?) car les Grecs engagent, fort ˆ propos, des nŽgociations religieuses qui font espŽrer la fin du schisme. Philippe Žchoue mme ˆ faire un fils ! MalŽdiction ancestrale ? il n'a encore une fois qu'une seule fille.
Cette Catherine devient en 1301 la seconde Žpouse de Charles, comte de Valois, ˆ la fois frre du roi rŽgnant, Philippe le bel, et pre du futur Valois royal (Philippe VI). Encore une quasi stŽrilitŽ (une seule fille, Catherine II du nom) ! Encore un perdant magnifique! Ce Charles visa toutes les couronnes et n'en obtint aucune.
Lorsque Catherine dŽcde (1307), ses funŽrailles sont grandioses. Les honneurs rendus ˆ sa dŽpouille s'adressent ˆ son mari et ˆ son titre d'empŽrire, non ˆ son ascendance royale. Reste sa fille dont Charles, remariŽ une troisime fois (1308, las du fant™me d'empire, se dŽbarrasse en la mettant en position d'y prŽtendre par elle-mme. Pour cela, il faut dŽnouer le mariage dŽjˆ conclu avec le petit duc de Bourgogne, moyennant l'abandon de ce qui reste de l'hŽritage de Catherine (dont Courtenay). La petite Catherine est libre mais, ˆ part sa prŽtention impŽriale, elle est nue. La terre de Courtenay, baillŽe en apanage ou en cadeau ˆ diffŽrents princes, qui la donnent ou la vendent ˆ leur tour, finira, vers 1450, par tre volŽe par Antoine de Chabannes dans le partage des dŽpouilles de Jacques CÏur. Par Chabannes, elle arrivera aux Boulainvilliers au profit desquels, en 1563, Charles IX Žrigera la seigneurie de Courtenay en "comtŽ". Nos Courtenay ne sont plus Courtenay !
Pour sa part, la trs jeune empŽrire Žpouse gaillardement en 1313 Philippe d'Anjou, hŽritier des Anjou-Sicile : Prince de Tarente, largement possessionnŽ en Grce propre, il semblait un bon tremplin pour sauter sur Constantinople et la petite impŽratrice en jugea ainsi. Espoir vain ! Tout ce qu'aura Catherine, c'est la rŽgence de l'Acha•e pour le compte de son fils Robert. Ses efforts infructueux la ramnent ˆ Naples dont Jeanne a reu la couronne. L'empŽrire ne serait pas sans responsabilitŽ dans le meurtre du premier mari de la reine, AndrŽ de Hongrie (1345), auquel succde l'annŽe suivante le propre fils de Catherine, Louis de Tarente ( 1362), qui a fort ˆ faire avec l'invasion des Anjou hongrois.
Les descendants se pareront d'un titre impŽrial de plus en plus irrŽel, tout en s'agitant dans leurs possessions en Grce propre (MorŽe) qu'ils finiront par perdre.
Cette malheureuse histoire appelle deux remarques.
Premirement : quoique vain en pratique, le titre d'empereur latin rend son titulaire hŽritier des CŽsars romains (en concurrence avec l'empereur germanique), un Souverain, aux c™tŽs, voire au-dessus des rois d'Europe. Sa dŽpossession ne change pas sa nature ni ses droits. Mme les filles ultimes appartiennent ˆ cet univers, dans lequel elles se marient et intriguent. Lors des tournŽes europŽennes d'un Baudoin aux abois, il est splendidement reu par Louis IX, par le pape, le roi d'Angleterre, le roi d'Espagne qui lui accordent ou promettent des secours et le traitent selon son rang Žminent. Ils sont en dette ˆ l'Žgard de ce dŽfenseur de la chrŽtientŽ romaine. Baudouin s'emploie (vainement) ˆ rŽconcilier l'empereur FrŽdŽric II avec Innocent III et, ˆ la sŽance d'ouverture du concile ÏcumŽnique de Lyon (1245), il sige ˆ la droite du pape : avec le comte de Toulouse et les reprŽsentants des rois de France et d'Angleterre, il tente d'empcher la condamnation et la dŽposition de FrŽdŽric. La reconqute des Grecs (1261) et sa fuite ne changent pas son statut. C'est en empereur que le roi de Sicile l'accueille, scellant leur alliance par le mariage de leurs enfants.
Deuximement : cet Žclat impŽrial rejette dans l'ombre les branches cadettes. Que Pierre II du nom soit le petit-fils de Louis le gros facilite son dŽcollage (Philippe Auguste) mais c'est par la Flandre et le Hainaut (Baudouin) qu'il devient empereur. Son ascendance royale n'est que la moindre de ses grandeurs. La dignitŽ impŽriale, obtenue via Yolande se transmet ds lors verticalement de pre en fils. En quelque sorte, la ligne ainŽe se sŽpare des autres. Le ms du Lignage de Coucy de Dreux, de Bourbon et de Courtenay, Žcrit en 1303 d'aprs la Chronique de Baudoin d'Avesnes, ne conna”t de Courtenay que Pierre, mentionnant seulement que son fils Baudoin a perdu l'empire, que le fils de celui-ci a laissŽ une fille qui a ŽpousŽ le frre du roi. Point final. Pas d'autre lignage qu'impŽrial. Dans la semi-officielle GŽnŽalogie de la Maison de France (1re moitiŽ du XVIIe), les frres Sainte-Marthe, historiographes du roy, feront co•ncider la fin des branches cadettes avec celle de la branche impŽriale : il n'y a plus rien aprs.
En effet, si Robert, le frre pu”nŽ de Pierre, ne fut pas un mince personnage, il n'appartient pas ˆ l'univers des souverains et sa lignŽe se confondra avec la gentilhommerie, ne gardant de son origine qu'un toponyme transformŽ en patronyme et le vague souvenir d'avoir ŽtŽ quelque chose.
Robert participe activement aux guerres contre Jean sans terre (1204-1206) qui aboutissent ˆ la rŽcupŽration de la Normandie et ˆ la conqute temporaire de l'Anjou et du Poitou. En rŽcompense, Philippe Auguste, son cousin germain, l'enfieffe des seigneuries de Conches et Nonancourt (en dŽfinissant minutieusement ses devoirs), qui s'ajoutent ˆ ses possessions propres (Champignelles etc.). NŽanmoins, s'il soutient le roi, ce n'est pas sans ambigu•tŽ. Philippe affirme l'autoritŽ royale, extensivement (domaine) et intensivement ("administration"). Son long rgne rŽussit la transition du petit roi fŽodal au "proto-monarque". Les Grands du Royaume n'apprŽcient pas et, avant leurs grandes rŽvoltes de la minoritŽ de Louis IX, exploitent les terrains encore ouverts : le roi restant ˆ l'Žcart des expŽditions languedocienne et anglaise, Robert, comme bien d'autres, avec ses chevaliers et leurs hommes, se joint ˆ la "croisade" des barons contre les Albigeois (sige de Lavaur, 1211) et, plus tard, ˆ la tentative du prince Louis de l'autre c™tŽ du Canal.
C'est surtout dans le conflit entre rois de France et d'Angleterre que, comme tant de ses pairs, il joue une partie compliquŽe. En effet, sur le continent, les droits de ces rois, aussi enchevtrŽs qu'indŽfinis, s'affirment ou s'infirment au grŽ des combats ; dans cette vaste zone de dispute et ses alentours mouvants, il valait mieux tre flexible. A l'instar de la plupart des puissants, la fidŽlitŽ de Robert est floue, quoique sa "trahison" ne soit pas avŽrŽe. La bataille de Bouvines (1214) Žclaire, ˆ la fois, les faits et les rumeurs. La vassalitŽ est une relation plus opportuniste que le proclame son idŽaltype et, ˆ Bouvines, les vrais tra”tres Žtaient aussi nombreux que les faux. Pierre, le futur empereur, avait aussi un pied de chaque c™tŽ, l'un ˆ Nevers avec le Roi, le second en Flandre avec l'Empereur en tant que comte de Namur par sa femme Yolande. Robert a flottŽ (ou en est souponnŽ) puisqu'on le trouve, aprs la bataille, inclus dans la liste des punis. Comme bien d'autres, il doit donner des rŽpondants pour cautionner qu'il servirait fidlement le seigneur roi, au mŽpris de tous biens terrestres : une trentaine de Grands s'engagent ˆ payer au total quelque 6000 marcs au cas o Robert ne tiendrait pas sa promesse. Si la victoire fut difficile ˆ obtenir ˆ Bouvines, sa liquidation le fut encore plus car elle devait apurer maints calculs lŽgitimes, dictŽs par des soucis offensifs ou dŽfensifs. Chacun savait que les intŽrts comptaient plus que les suzerainetŽs, et chacun balana entre l'Empereur Othon, le roi Jean, le comte de Flandres et le roi Philippe. Ils avaient raison, ils ont tort du fait de cette bataille fortuite, gagnŽe gr‰ce au recul de Jean sans terre ˆ la Roche aux Moines, ˆ 600 kms de lˆ.
Il y en avait tant, et si puissants, que Philippe, mme aprs sa victoire et l'emprisonnement de Ferrand ˆ Paris, dut les mŽnager. Le chapelain du roi, Guillaume le Breton Žcrit : ... quoiqu'il ežt pu les condamner comme coupables de lse-majestŽ, le roi ne leur infligea aucune punition, si ce n'est qu'il exigea d'eux le serment d'observer au moins ˆ l'avenir fidŽlitŽ envers lui (Le Breton, aprs la liste des prisonniers de Bouvines). Dans le nouveau rapport de forces, ce serment insincre, permet ˆ Philippe de reprendre la main.
Cela explique-t-il que Robert prŽfre l'hŽritier prŽsomptif, Louis le lion (futur VIII) dont Philippe se sert et se dŽfie ˆ la fois ? Les barons anglais rŽvoltŽs l'ont Žlu Roi ˆ la place de Jean sans terre et Robert participe ˆ sa conqute de l'Angleterre (1216-1217). Il commande la dernire flotte de secours, dŽfaite ˆ la bataille des cinq ”les. NŽanmoins, les envahisseurs, quoique vaincus, gagnent en rŽputation et le roi Philippe craint que le dŽsir de rŽgner ne pousse le Prince Louis ˆ entreprendre quelque chose contre lui, avec le concours de ceux qui l'ont accompagnŽ et qui regrettent de n'avoir pas ŽtŽ soutenus. Le roi exige donc encore de Robert un serment de fidŽlitŽ de le servir contre tous et sans exception (nov. 1217). Et, en 1222, Robert doit se porter garant que sa nice Mahaut, veuve, comtesse de Nevers, Auxerre et Tonnerre, obŽira ˆ Philippe et ne se remariera pas sans sa permission et contre sa volontŽ.
Louis, enfin roi (1223), le garde ˆ ses c™tŽs et le promeut bouteiller, l'un des grands offices de la Couronne, rŽmunŽrateur et prestigieux. Robert l'accompagne ˆ son expŽdition languedocienne (1226) o le sige d'Avignon se termine par le dŽpart du Comte de Champagne et la mort du roi. Toujours bouteiller sous son successeur Louis IX, Robert faisait-il partie des Grands auxquels la "rŽgence" de la reine-mre, Blanche de Castille, donne une opportunitŽ de reprendre le terrain perdu ? Peut-on croire le contestŽ Varillas (1687, p.39) qui l'inclut dans la ligue de 1227 ? Le dernier Prince du Sang qu'attira le Comte de Boulogne, ce fut Robert de Courtenai. Il l'y trouva disposŽ par le dŽpit de ce que la branche de Dreux avoit ŽtŽ prefŽrŽe ˆ la sienne, par le mariage de l'hŽritiere de Bretagne: & l'on acheva de le gagner par les sommes de deniers Roiaux, dont on lui permit de se saisir. Une chose est sžre : Robert joue un r™le actif, avec les Comtes de Boulogne, de Dreux, de Macon et le Duc de Bourgogne, dans la coalition de barons qui, selon l'expression de Tillemont, dŽclarent la guerre au comte de Champagne pour la faire au roy, attaquent et dŽvastent ˆ plusieurs reprises son comtŽ, car l'ambigu Thibaut, par sa trahison, a sauvŽ le gouvernement de la "rŽgente".
Indice de son implication dans les troubles, la dernire action de Robert consiste ˆ se joindre ˆ la dŽsastreuse croisade des barons que dirige Thibaut de Champagne, dŽsormais roi de Navarre, qui, ayant fait vÏu de croisade en 1238, a dž se rŽsoudre ˆ s'exŽcuter en 1239 aprs l'Žchec de sa dernire entreprise contre Louis IX. Robert y trouve la mort, avec beaucoup d'autres.
Vers 1198, il a ŽpousŽ Mahaut, Dame de Mehun, en Berry "anglais". Ils ont huit enfants vivants, dont deux filles. L'ainŽe Žpouse le Comte de Sancerre ; la seconde, d'abord un Montfaucon, puis le Comte de Bourgogne et de Ch‰lon. Parmi les garons, le quatrime et le cinquime seront clercs : l'un ( 1279), Žvque d'OrlŽans (1258), prend part ˆ la dernire croisade de S.Louis ; l'autre, Žlu archevque de Reims (1264), contestŽ et confirmŽ par le pape ClŽment IV (1266), meurt ˆ la mme croisade (1270). Outre les avantages matŽriels et cŽrŽmoniels attachŽs au sige de Reims, son titulaire sacre les Rois. Robert, le neveu du prŽcŽdent, archevque de 1300 ˆ 1323, aura le rare privilge de voir dŽfiler tous les fils de Philippe le Bel (Louis X le Hutin, Philippe V le Long et Charles IV le Bel).
Quant aux quatre garons restant, l'a”nŽ hŽrite de Conches, le pu”nŽ de Champignelles, le suivant part ˆ la conqute du royaume de Naples avec Charles d'Anjou, et, ˆ la fin, leur dŽcs sans postŽritŽ assure Champignelles et les terres associŽes au petit dernier, Guillaume, qui n'avait rien et Žtait, comme les quatrime et cinquime fils, destinŽ ˆ l'Žglise. C'est par ce cadet que se poursuivra la lignŽe. Guillaume ( autour de1280), sera de la dernire croisade de S.Louis et participera ˆ celle (avortŽe) de son successeur (1276).
Son premier fils renonce ˆ son privilge d'a”nesse pour entrer dans l'Eglise. Trente ans aprs son oncle, il sera archevque de Reims (de 1300 ˆ 1324). Le second fils, Jean, hŽrite de Champignelles et son mariage y ajoute Saint-Brion (Saint-Brisson-sur-Loire,
prs de Gien). Il participe aux guerres de Philippe le bel et, par son frre, devient gouverneur du temporel de Reims. Les filles sont mariŽes trs honorablement.
A la gŽnŽration suivante, le successeur augmente son hŽritage de BlŽneau qui vient de son Žpouse. Ses trois frres sont chanoines de Reims dont l'un d'eux deviendra archevque mais dŽcdera la mme annŽe (1352). C'est presque un symbole : aprs l'extinction de la branche impŽriale, la grande Žpoque des Champignelles est finie. En gros, les Courtenay issus de Louis le gros brillent (de moins en moins) pendant quatre gŽnŽrations. Quand les CapŽtiens directs disparaissent, ils ne comptent dŽjˆ plus. Dans la liste des vingt (princes) en ‰ge de se faire craindre dont, en 1328, Philippe de Valois devait obtenir le ralliement pour se faire roi, on cite 5¡. Les Branches de Dreux & de Courtenay, dont il n'y avoit que les Ducs de Bretagne (issus des Dreux) qui tinssent rang de Princes. Voilˆ leur Žpitaphe. Et, nous le verrons, ils ne ressusciteront pas car, dŽsormais, ils n'appartiennent plus ˆ la lignŽe qui porte la couronne.
Il
est
tentant d'ironiser. Gibbon Žcrit un peu trop malicieusement (il sera abondamment citŽ) : Aprs la mort de Robert, grand-bouteiller de France, ils descendirent du rang de princes ˆ celui de barons ; les gŽnŽrations suivantes se confondirent avec les simples gentilshommes, et dans les seigneurs campagnards de Tanlai et de Champignelles on ne reconnaissait plus les descendants de Hugues Capet. Les plus aventureux embrassrent sans dŽshonneur la profession de soldat ; les autres, moins riches et moins actifs, descendirent, comme leurs cousins de la branche de Dreux, dans lÕhumble classe des paysans. Durant une pŽriode obscure de quatre cents ans, leur origine royale devint chaque jour plus douteuse, et leur gŽnŽalogie, au lieu dÕtre enregistrŽe dans les annales du royaume, ne peut tre vŽrifiŽe que par les recherches pŽnibles des gŽnŽalogistes (1788, ˆ la fin du Chp LXI de DŽclin
et chute, Digression sur la famille de Courtenay).
De lÕhumble classe des paysans, on ne s'adresse pas au roi pour tre reconnu (1603) ! Si les Courtenay tombent dans la gentilhommerie et si leur origine s'obscurcit, quelque chose les pousse ˆ essayer de remonter. Il est remarquable que ces seigneurs campagnards de Tanlai et de Champignelles conservent le nom de Courtenay dans leurs chartes et leurs contrats. A l'instar des Courtney anglais rŽsiduels, dŽplorant la chute de leur maison, les Courtenay franais auraient pu adopter la "devise plaintive" (plaintive
motto) : Ubi
lapsus ? Quid feci ? O
me
suis-je trompŽ ? qu'ai-je fait (de mal) ?
En effet, il y a toujours des sires de Champignelles, descendants directs de Robert. En bons barons, lorsqu'ils sont semondus, ils rejoignent l'ost royal avec quelques chevaliers et Žcuyers. On ne sait pas avec quel succs. On en voit ˆ Mons-en-PŽvle (1304), Poitiers
(1356), Sainte Severe (1371), Rosebecque, (1382) etc. Il leur arrive encore de faire de beaux mariages.
Le
dernier
d'entre eux, Jean IV de Champignelles (+1472), se distingue aux batailles de reconqute de Charles VII (Pontoise,
1441 ;
Normandie, 1449)
au
point d'avoir dans l'Armorial de Bouvier (hŽraut et roi d'arme du roi de France Charles VII, outre son Žcu (f¡24, V¡), son effigie en baron
de Courtenay, monseigneur de S.Brion (f¡38,
R¡).
Tout laisse penser que c'est pour financer son activitŽ militaire qu'il liquide son patrimoine. Il vend ses terres, l'une aprs l'autre, mme Champignelles (ˆ Jacques CÏur). Il a ŽpousŽ une fille de l'Amiral de France (Jacques, Sr de Dampierre), puis en 1444 Marguerite de Droizy, la veuve d'Etienne de Vignolles (la Hire). Il meurt en 1472 sans postŽritŽ et sans biens (mais non sans avoir dotŽ son b‰tard).
Aprs
l'extinction
de la branche a”nŽe (1285) qui emporte la visibilitŽ de la maison Courtenay, aprs celles de Tanlay en 1383 et d'Yerre en 1384, aprs la perte de la terre de Champignelles, est-ce le tour de la branche de Robert ?
Maintes
fois,
le dŽcs d'un a”nŽ lui a substituŽ un cadet. Le pre de Jean sans
terre a un frre cadet, mariŽ ˆ la riche Catherine, fille de Franois de L'H™pital, seigneur de Soisy-aux-Loges (Choisy), Conseiller
& Chambellan du Roi. Lors du partage successoral (1415), ce frre reoit BlŽneau, la FertŽ-Loupire, Chevillon et autres terres. La branche BlŽneau succde ˆ celle de Champignelles.
Du Tillet Žcrit : Par
le
decez dudit Iehan de Courtenay, pour tout heritage les pleines armes de la maison de Courtenay vindrent ˆ son oncle (1580, p. 90). A son cousin germain en rŽalitŽ, car l'oncle Žtait mort avant. Il avait entrepris de reconstituer le patrimoine en rachetant la FertŽ-Loupire et en tentant de retraire Champignelles vendu par Jean IV ˆ CÏur. Puisque les biens de celui-ci ont ŽtŽ saisis, sa procŽdure l'oppose
au Procureur du roi qui, ayant perdu devant la Chambre du TrŽsor (11 oct. 1454) en appelle au Parlement : au lieu d'un jugement, nous trouvons un accord (16 aout 1455) par
lequel icelui seigneur de Bleneau eust renoncŽ ˆ ladicte sentence par lui obtenue de nosdits conseillers du trŽsor et ˆ tout procs, et aussi au retraict lignaigier par lui prŽtendu (citŽ par Buchon, 1838).
Comme
le
problme qui nous occupe dŽpasse la gŽnŽalogie (cf. Annexe 2),
admettons le schŽma qui justifie les Courtenay tardifs : Louis VI, Pierre, branche ainŽe, puis Champignelles, puis BlŽneau. Le premier fils de l'oncle BlŽneau poursuit cette sous-branche, le second engendre une branchette Chevillon qui survivra ˆ la prŽcŽdente.
En 1603, les descendants de Jean de BlŽneau supplient Henri IV de les admettre ˆ prouver la qualitŽ royale que leur obscuritŽ a fait oublier. Voilˆ, nous nous sommes absentŽs quelques sicles ! nous sommes de retour ! c'est nous ! HŽ, cousins ! faites-nous un peu de place sous les lys ! Nous aussi, nous sommes des CapŽtiens, des Robertides ! les tout derniers cadets de Louis le gros, maintenant que ce qui restait de Robert de Dreux a disparu avec la mort de Jean de Morainville en 1590 !
Quoique le petit-fils de Jean de BlŽneau ait participŽ ˆ la "guerre folle" du c™tŽ du roi, on ne sait rien des circonstances qui lui ont permis de placer ses enfants ˆ la Cour. Il est prŽmonitoire que son premier fils, nŽ un an aprs Franois d'Angoulme se nomme Franois, le seul en dix gŽnŽrations de Courtenay, alors que rien ne laissait prŽvoir qu'Angoulme serait un jour Franois Ier. Petit garon, il est enfant d'honneur (apprenti page) de Louis XII. Il fut
ŽlevŽ
ˆ la Cour avec
son
frre Esme (Edme), et lorsque Franois Ier part ˆ la conqute du Milanais, il lui donne de quoi faire son Žquipage et l'arme chevalier ˆ Marignan, sur le champ de bataille. En 1527 notre Franois Žpouse Marguerite de la Barre le plus riche parti de son temps. L'annŽe suivante le roi le nomme bailli, capitaine et gouverneur dÕAuxerre, contre, dit-on, une
grande somme de deniers. Lorsque le roi se remarie (ƒlŽonore de Habsbourg, 1531), Franois est panetier
de la reine. RestŽ en faveur sous Henri II, il meurt trois ans avant lui, en 1556, laissant de son second mariage (1547), un fils, Gaspar, que son bas-‰ge, la mŽdiocritŽ de ses biens et les troubles dans le royaume empchent
de tirer parti de la position de son pre. C'est ce Gaspar qui, cinquante ans plus tard, prŽsidera ˆ la premire requte (1603), en tant que chef de Maison.
Entre temps, trois choses se sont produites qui, lorsque l'occasion poussera les Courtenay ˆ revendiquer, leur fourniront le moyen, la raison, et l'exemple.
Le moyen : la gŽnŽalogie des Courtenay tardifs a ŽtŽ validŽe (i) ; la raison : le rang suprme des Princes du sang a ŽtŽ fixŽ (ii) ; l'exemple : l'avnement de Henri IV semble attester que le sang se rit des sicles (iii).
Le jugement cavalier de Gibbon (cf. supra) pointe le principal obstacle ˆ une reconnaissance : leur
gŽnŽalogie,
au lieu dÕtre enregistrŽe dans les annales du royaume, ne peut tre vŽrifiŽe que par les recherches pŽnibles des gŽnŽalogistes. Comme,
de plus, la longueur de la pŽriode multiplie les incertitudes, elle restera toujours suspecte. Au contraire, les Bourbon, au cours des sicles, sont restŽs grands, avec des biens considŽrables et des alliances prestigieuses au point que, mme si Henri III ne dŽclarait pas Navarre premier prince du sang, la lŽgitimitŽ de la position successorale des Bourbon resterait indubitable. C'est la personne de Henri qui sera rŽcusŽe, pas le droit des Bourbon, comme l'attestent les Liguards eux-mmes en prenant pour roi un autre Bourbon, l'oncle de Henri (Charles "X"). Quoique leur habiletŽ ˆ la Couronne remont‰t loin en arrire, elle est publique et notoire. Les difficultŽs sont politico-religieuses, pas dynastiques.
Au
contraire
nos Courtenay n'ont pour eux que leur nom et une tradition familiale. Les zigzags de leur descente gnent moins (les rois rŽgnant en ont autant) que son obscuritŽ. Leur gŽnŽalogie Ñau demeurant difficile ˆ ŽtablirÑ est d'ordre privŽ. Il faut, comme leur propagandiste du Bouchet (1661), aller ˆ la pche dans les TrŽsors des chartes des ch‰teaux familiaux pour retrouver des actes (partages, contrats de mariage, cautions etc.) et, gr‰ce ˆ eux, reconstituer les liens et leur succession (cf. Annexe 2).
Par chance, vers le milieu du sicle, nos sires apparaissent dans le quasi officiel Recueil des Rois de du Tillet, greffier en chef du Parlement de Paris depuis 1530.
Franois Ier, vers la fin de son rgle, en 1539, a voulu, comme ses prŽdŽcesseurs, ordonner le TrŽsor des chartes du royaume et le rŽalimenter. Il en charge quatre Commissaires qui, comme les prŽcŽdents, Žchouent. Du Tillet (alors soutenu par le chancelier Poyet) reoit l'autorisation exceptionnelle d'entrer au TrŽsor des chartes, et la mission de tout voir (lettre patente du 25 fŽvrier 1541). Le greffier du Parlement devient celui de la RoyautŽ. Il est reconduit par Henri II dans sa fonction d' "antiquaire royal" en 1548, pour apporter au roi les informations et les preuves dont il a besoin.
En particulier, du Tillet a ŽtŽ chargŽ par Henri II de rassembler plusieurs choses mŽmorables pour l'intelligence de l'estat des affaires de France, savoir la gŽnŽalogie des Rois et l'ordre du Royaume. JustifiŽ par les Registres que l'auteur a consultŽs dans le TrŽsor des Chartes, le Recueil des Rois (1555) sera copiŽ et recopiŽ par les historiens et gŽnŽalogistes. Le chapitre dŽdiŽ ˆ Louis le gros inclut un paragraphe sur les comtes de Dreux, un sur les Dreux de Bretagne et un sur la branche de Courtenay. Lˆ, quelques pages trs denses, voire confuses, balaient la descente de Pierre, fils de Louis le gros, et, en particulier, la branche de Robert de Champignelles qui dure encore en la personne du contemporain Franois de BlŽneau (dŽjˆ rencontrŽ) et de ses fils, encores mineurs d'ans, les futurs solliciteurs, Gaspard de BlŽneau et Jean des Salles (Žd. 1580, p. 90). Voilˆ leur origine certifiŽe !
En effet, l'autoritŽ de du Tillet s'impose jusqu'aux Recueils des frres Sainte-Marthe (ˆ partir de 1619) et mme aprs. Il
proclame
que seules font foy d'histoire les chartres, tiltres & autres lieux autenticques marquŽs & dattŽs. Et comme lui seul accde aux lieux autenticques, aucune objection n'est recevable. Cependant, nous, nous ne saurions nous contenter de cette tautologie. Nous ne pouvons exclure ni la complaisance, ni l'erreur ou l'Žtourderie car, loin de "laisser les textes Žcrire l'Histoire", du Tillet jongle avec les archives (lesquelles, au demeurant, Žtaient dans un Žtat matŽriel lamentable).
Par exemple, il arrime les Saint-Simon aux comtes de Vermandois carolingiens en modifiant un document postŽrieur d'un bon sicle ˆ la dŽpossession de Eudes l'insensŽ. (Boislisle, 1879, p. 385). Les gŽnŽalogistes aux gages travaillrent si bien que le petit Claude de Rasse s'empara du nom de S.Simon, des armes de Vermandois et fit reconna”tre par le Roi, dans les lettres d'Žrection du duchŽ-pairie de Saint-Simon (1635), que les "sieurs de Saint-Simon Žtoient issus en ligne directe des comtes de Vermandois". IntŽressante gense !
Le Recueil des Rois, quoique non publiŽ, est largement connu : du Tillet en a solennellement offert le manuscrit ˆ Henri II, puis ˆ Charles IX en 1566, ce qui a diffusŽ leur contenu ˆ la Cour et des copies ont circulŽ. Aprs sa mort (1570) le Recueil fait l'objet de deux Žditions subreptices en 1578 (trois, en incluant la traduction latine imprimŽe en Allemagne), puis, par permission de Henri III, d'une premire Ždition licite en 1580. De plus, en 1579, para”t la compilation de Belleforest (Les Grandes Annales et histoire gŽnŽrale de France) qui emprunte ses Courtenay ˆ du Tillet (Livre 3, Chp. XLV).
Pour la premire fois, le chemin est tracŽ et balisŽ, de Louis le gros aux BlŽneau contemporains. Les voilˆ fleurdelisŽs. Juste au bon moment.
Le long processus de constitution du statut de prince du sang trouve sa consŽcration dans le fameux Ždit de dŽcembre 1576 par lequel le cŽrŽmonieux Henri III, ˆ peine roi, tranche un dŽbat d'Etiquette fondamental : au sein des Pairs, un comte passe devant un duc s'il est plus ancien pair ; mais quid des Princes ? Viennent-ils dans l'ordre normal des pairs ou prŽcdent-ils les autres en raison de leur capacitŽ ˆ la couronne ? L'Ždit fixe la prŽsŽance des Princes de notre Sang en toutes circonstances (Cosandey, 2008). Les voilˆ au-dessus des plus grands. Pairs par droit de naissance, ils passent premiers par droit de la Couronne, eux-mmes hiŽrarchisŽs par leur proximitŽ (selon leur degrŽ de ConsanguinitŽ).
Le texte est le suivant (Code Henri III, Lyon, 1594, Livre 18, Titre 4, ¤1, p 910) : ORDONNONS que les Princes de notre Sang, Pairs de France, prŽcŽderont & tiendront Rang, selon leur degrŽ de ConsanguinitŽ, devant les autres Princes & Seigneurs, Pairs de France, de quelque qualitŽ qu'ils puissent estre, tant Žs Sacres & Couronnement des Roys que Žs Seances des Cours de Parlement, & autres...
La suprŽmatie du groupe royal suscite l'envie de s'y agrŽger. Si Gaspar, le fils de Franois de BlŽneau, est trop dŽmuni pour affirmer son droit au milieu des troubles du royaume, quand les Guisards traitent d'usurpateurs les CapŽtiens, tandis que les RŽformŽs contestent la monarchie dans son principe, comment nos sires, authentifiŽs par du Tillet, ne se sentiraient-ils pas inclus dans cette "figure collective" de la RoyautŽ ?
Pierre, le fils cadet de Louis VI ne fut pas prince car la catŽgorie n'existait pas ; maintenant qu'elle resplendit, assortie d'immenses privilges, elle l'aspire rŽtroactivement et, prospectivement, elle attire ses descendants vivants. Il suffit de mettre le b‰ton carrŽ dans le trou rond pour inscrire les Courtenay prŽsents dans l'ordre royal. Le moment viendra quand, avec Henri IV, ils croiront voir les droits des CapŽtiens rŽtablis.
MalgrŽ la petite incise de du Tillet (qui dure encore), la crise de succession ouverte par l'extinction des Valois, aprs la mort d'Alenon (1584) et l'assassinat de Henri III (1589), ne donne ˆ personne l'idŽe que Gaspar aurait pu tre une solution, tandis que s'affrontent le jeune duc de Guise, le vieux cardinal de Bourbon, le roi de Navarre, les fils de Louis de CondŽ (le Cardinal de Vend™me et le comte de Soissons), avec les Espagnols (l'infante) ˆ l'arrire-plan.
Gaspar n'y pense mme pas. De quoi aurait-il l'air dans ce chaos que les plus habiles et les plus forts Žchouent ˆ ordonner depuis des annŽes ? un cavalier dans une bataille de chars ! un parapluie dans un tremblement de terre ! une bouŽe non gonflŽe dans une Žruption volcanique ! RŽdhibitoire. Gaspar qui ? Gaspar combien ? En tant que personnes, les BlŽneau sont peu connus. En tant que maison royale, ignorŽs. En tant qu'acteurs politiques et militaires, inexistants. D'ailleurs, on ne manque pas de successeurs ; au contraire, il y en a trop !
Mais, aprs le couronnement de Henri IV et la pacification du royaume, les BlŽneau-Chevillon se voient ressembler aux Bourbon dŽsormais rŽgnants. A l'origine des premiers Bourbon (resp. Courtenay), un Aymard du Xe sicle (resp. Athon). Puis, une quenouille : BŽatrice de Bourbon (resp. Isabeau de Courtenay). La grenouille se transforme en princesse par le baiser d'un mari royal : Robert de Clermont, fils cadet du Roi Louis IX, Žpouse BŽatrice et, par substitution, devient Bourbon ; Pierre, fils cadet de Louis VI, devient Courtenay par Isabeau.
Si, en 1598, la lŽgitimitŽ du successeur remonte aussi loin que le XIIIe sicle (et aussi haut en amont de la gŽnŽalogie royale), le XIIe vaut autant.
C'est ˆ l'occasion d'une procŽdure gŽnŽrale, pas d'une persŽcution. Au dŽbut de son rgne (1598), Henri IV ayant appris que durant les troubles il s'Žtait fait quantitŽ de faux Nobles qui s'exemptaient de la taille, il ordonna qu'il en serait fait recherche (Perefixe, 1662). Un Commissaire assigne donc Esme (Edme), le fils ainŽ de Gaspar, ˆ communiquer ses titres de noblesse. Edme rŽpond qu'il n'a rien ˆ prouver, puisque d'extraction royale. IncrŽdule ou obstinŽ, le Commissaire le poursuit devant la Cour des Aides pour l'obliger ˆ satisfaire ˆ la preuve comme les autres gentilshommes. Gaspar se plaint au Chancelier qui rŽprimande la Cour et annule la procŽdure. Mais l'insolence des magistrats Žtant sans limite, nos sires cherchent ˆ s'en protŽger pour l'avenir en obtenant une attestation publique de leur Žtat royal. C'est la demande solennelle au roi de les reconna”tre pour Princes de la Maison de France (15 janvier 1603).
Libellus supplex Regi oblatus ˆ Dominis de Courtenay: Libellus Supplex Regi oblatus ˆ Dominis de Courtenay, 15. Ianuarij 1603, sic signatum: Gaspardus, Jacobus, Ioannes, Renatus, Ioannes. La requte est assumŽe, dans l'ordre de prŽsŽance, par le chef de la maison a”nŽe, Gaspard (Gaspardus) de BlŽneau, celui de la maison cadette, Jacques (Jacobus) de Chevillon, le frre cadet du premier, Jean des Salles (le premier Ioannes), celui du second, RenŽ (Renatus), abbŽ des Eschalis, et le dernier frre Jean de Frauville (le second Ioannes), futur Chevillon par la mort de Jacques en 1617. Dernier de la liste, ce Jean est le moteur de l'entreprise : il servit le roi Henri IV dans ses guerres, depuis le commencement de son rgne jusqu'ˆ la paix de Vervins : ce fut celui de toute sa famille qui agit avec plus de vigueur durant plusieurs annŽes pour obtenir le rang dž ˆ leur naissance (Moreri, 1718, T2, p 589). C'est lui, plus tard, qui passera en Angleterre avec son cousin Jean des Salles, croyant obtenir par CondŽ ce que le roi refuse.
La courte requte affirme
leur
appartenance ˆ la Maison de France, honneur que la nature leur a donnŽ par le droit de naissance, garanti par la Loi de ce royaume et l'ordre perpŽtuel de cet Etat. Ils supplient le roi d'avoir
pour agrŽable qu'ils lui puissent reprŽsenter leur naissance et l'Žtat de leur fortune indignement abaissŽe et comme ŽtouffŽe.
La requte est habilement formulŽe : reconnaissant que V.M. sait beaucoup mieux qu'eux-mmes ce qui est convenable ˆ la dignitŽ de la maison de France de laquelle ils ont l'honneur d'tre, ils demandent ˆ reprŽsenter leur naissance. Dans le mme temps, l'ŽnoncŽ est performatif puisqu'il proclame leur royalitŽ. Ils ne sollicitent pas une faveur, ils requirent de la bontŽ droiturire de Sa MajestŽ la rŽparation d'une injustice.
Ils placent le roi devant une alternative indŽcidable : ou bien, nous considrer comme imposteurs et nous punir, ou bien nous reconna”tre. La hache ou les lys ! Tout le monde alors se souvient de Franois de La RamŽe, exŽcutŽ (1596) pour s'tre prŽtendu fils de Charles IX. L'exemple (quoique trs particulier) sera abondamment utilisŽ dans l'argumentation ultŽrieure.
Le chancelier leur dit qu'ils ne devoient point presser le roi sur cette affaire ; que leur qualitŽ Žtait assez connue, & que leurs pres s'Žtant contentŽs de la situation o ils se trouvoient eux-mmes, ils ne devoient point aspirer ˆ de plus grandes prŽrogatives. Cette rŽponse ne les satisfit pas; ils rŽpondirent que si leurs pres n'avoient rien demandŽ, c'est que personne ne s'Žtoit avisŽ de contester leur Žtat... (Recueil de pices sur la maison de Courtenai imprimŽ ˆ Paris en 1613).
Voilˆ nos Courtenay passŽs ˆ l'action. Nous verrons que leur prŽtention sera soutenue (excitŽe ?) par de grands personnages qui, par eux, teinteraient de capŽtien leur ascendance : Sully et Richelieu, appuyŽs sur les "preuves" et panŽgyriques dont fait commerce l'historiographe Du Chesne, aussi accommodant qu'inŽpuisable. Ces patronages ne suffiront pas ˆ obtenir gain de cause mais leur donneront une posture de "mŽconnus" dont ils sauront tirer profit.
La requte de janvier 1603, interceptŽe, ŽgarŽe ou ignorŽe, est rŽitŽrŽe un mois plus tard, puis ˆ nouveau en dŽcembre, et encore ensuite ˆ l'initiative de Jacques de Chevillon, poussŽ par son frre Jean. Jacques avait participŽ aux guerres catholiques (sige d'Issoire en 1577, sige de la Fre en 1580) et, gentilhomme de la chambre du Roi Henri III, il aurait dŽjˆ essayŽ de le convaincre. Son pre, Guillaume, ( 1592) a ŽtŽ le premier ˆ mler sur son tombeau dans l'Žglise de Chevillon les armes de France et de Courtenay, avec l'inscription ci git illustre seigneur de sang royal.
Le Conseil du Roi examine la requte le 6 fŽvrier 1604 et ne dŽcide rien. Nouveau mŽmoire, nouvelle remontrance au Roi (7 janvier 1605). Nos sires obtiennent et rassemblent les avis des jurisconsultes de toute l'Europe (1607, De Stirpe) et, sur cette base, prŽsentent une nouvelle requte le 22 janvier 1608. Le chancelier (Silleri) l'adresse au Procureur gŽnŽral pour avis des avocats gŽnŽraux au Parlement. Aprs le rapport du Chancelier au Roi, les Courtenay sont avisŽs de laisser lˆ leur affaire. La porte leur claque au nez.
Nos sieurs, ulcŽrŽs, menacent de se retirer hors du royaume. Le Chancelier comprend qu'ils rejoindraient une Cour Žtrangre o, protestant de leur dignitŽ mŽprisŽe et de l'injustice subie, ils recevraient le soutien de tel ou tel compŽtiteur externe ou interne (comme il adviendra en 1614) ; au lieu d'Žtouffer l'affaire, l'exil aggraverait son danger. Aussi le Chancelier se calme et les calme. Il promet de prŽsenter ˆ nouveau leurs observations au Roi : nouveau mŽmoire, nouvelle remontrance (14 juin 1608). Le Roi, ne pouvant plus l'Žluder, s'abrite derrire la gravitŽ du cas pour le renvoyer ˆ un Grand Conseil solennel o opineraient les Princes, les PrŽsidents du Parlement et plusieurs personnes notables, Grand Conseil que le Roi ne rŽunit jamais. Que ceux de Courtenay, [disent les malveillants] soient du sang royal, qu'ils soient de la maison de France tant qu'ils voudront, mais qu'ils ne soient point reconnus.
Regardons de plus prs ce De stirpe qui constitue leur artillerie lourde.
Pour combattre les hŽsitations du Roi et les manigances de leurs ennemis, nos sieurs, ds le dŽbut, se sont attachŽs un des fils de du Tillet, Elie (Discours sur la gŽnŽalogie et maison de Courtenay: issue de Louys le Gros, sixiesme du nom, Roy de France, Paris 1603 ; ReprŽsentation du mŽrite de l'instance faicte par Messieurs de Courtenay pour la conservation de la dignitŽ de leur maison, 1603). Il travaille au grand Ïuvre de 1607 dont L'Estoile attribue la responsabilitŽ ˆ Castrain, un homme de lettres ˆ tout faire.
Nos sieurs prennent l'Europe entire ˆ tŽmoin en s'adressant ˆ elle dans sa langue commune, le latin. Non sans efforts ni dŽpenses, ils se font approuver par vingt professeurs et jurisconsultes Žtrangers, de Bologne ˆ Heidelberg, en passant par le Danemark. La plupart docteurs in utroque jure ils rŽdigent (ou signent) une sŽrie d'arguments bibliques et romains. Ce recueil de plus de mille pages, imprimŽ ˆ Paris en 1607, est une collection de justificatifs comme on en prŽpare pour les procs : De stirpe et origine domus de Courtenay quae coepita Ludouico Crasso huius nominis sexto Francorum Rege Sermocinatio - Addita sunt responsa celeberrimorum Europae Iurisconsultorum (Discours sur les racines et origines de la maison de Courtenay qui commena ˆ Louis le Gros, sixime roi des Francs - avec les rŽponses des plus cŽlbres jurisconsultes d'Europe), redoublŽ d'un "mŽmo" d'Elie pour le Grand Conseil : ReprŽsentation du procŽdŽ tenu en l'instance faicte devant le roy par Messieurs de Courtenay pour la conservation de l'honneur de leur maison & droit de leur naissance. Ensemble les noms des docteurs & iurisconsultes qui ont estŽ consultez sur ce subiect auec un resultat abregŽ des advis qu'ils en ont donnŽ, Paris, 1608.
Le De stirpe se compose d'un discours introductif d'environ 200 pages, suivi des consultations. Ces dernires prŽsentent un dŽsŽquilibre : les 19 premires, entre 10 et 30 pages, proviennent principalement d'Italie, sans que nous sachions quelle est l'autoritŽ et la notoriŽtŽ de leurs auteurs. La vingtime compte 298 pages ! Allant dans tous les recoins de la discussion, ce vŽritable traitŽ est dž ˆ Dionysius Gothofredus, primaris juris professor Heidelbergae. Ce professeur d'Heidelberg est Denys Godefroy (1549-1622) : docteur en droit de l'UniversitŽ d'OrlŽans et converti ˆ la RŽforme, il a ŽmigrŽ ˆ Genve en 1580 o on le nomme professeur de droit, avant que l'Žlecteur palatin l'attire ˆ Heidelberg (1600). S'y dŽplaisant, il rejoint l'universitŽ de Strasbourg. En 1604, Henri IV lui propose vainement la chaire de droit romain vacante ˆ Bourges depuis la mort du grand Cujas. Il prŽfre retourner ˆ Heidelberg. Ce spŽcialiste reconnu a donc l'avantage de jouir de l'estime du roi. Son nom a du poids.
Voyons rapidement les trois parties du de stirpe : l'introduction, les 19 consultations et celle de Godefroy.
Le rŽdacteur lance un dŽfi (p. 111) : Si falso, puniendum; si vere, non negandum (si c'est faux qu'on nous punisse, si c'est vrai, qu'on cesse de nier). Le Roi ne peut ni l'un ni l'autre. Et, bient™t, les Courtenay apprendront ˆ tirer parti de ce dilemme.
L'introduction reprend les suppliques prŽcŽdemment adressŽes au Roi et rŽcapitule les dŽmarches effectuŽes. La partie dŽmonstrative, basŽe sur le Recueil de du Tillet pour la gŽnŽalogie, reprend les principaux arguments en faveur de la reconnaissance.
Le fructueux parallle avec la maison de Dreux est dŽveloppŽ en dŽtails et la perte du nom discutŽe ˆ l'infini. Pierre et Robert, les deux fils cadets de Louis le Gros, sont aussi royaux que l'anctre des Bourbon, le sixime et dernier fils de St Louis, Robert de Clermont. Seulement, ce dernier, quoique Bourbon depuis son mariage avec l'hŽritire de cette Maison en 1272, a maintenu sa "royalitŽ" en gardant les fleurs de lis dans ses armes. RŽsultat : aujourd'hui ses descendants rgnent, tandis que, faute de cette prŽcaution, la royalitŽ des Dreux et des Courtenay s'est dissoute. Pourtant, leur changement de nom et d'armes ne devrait pas compter : du Tillet ("des noms & surnoms des franais") et les feudistes Žtablissent clairement que, lorsque quelqu'un acquiert une terre (achat, hŽritage, mariage, don), il la prend en surnom. D'innombrables exemples l'attestent. Le "surnom" initial finit par servir de nom aux descendants (mme si, comme nos Courtenay, la terre toponymique leur Žchappe).
Ces surnoms ne signifient rien, seules les qualitŽs importent (fils a”nŽ de..., fils de..., frre de..., unique hŽritier de..., hŽritier de..., seigneur ou dame de...) et elles ne se perdent pas quand le nom change. Il s'ensuit que la transformation de Pierre, fils de Louis VI, en sire de Courtenay ou de Robert en comte de Dreux n'a pas affectŽ leur royalitŽ. On peut donc les nommer rŽtrospectivement Pierre ou Robert de France.
Plus subtilement, la rŽfŽrence ˆ Dreux rehausse Courtenay par ricochet. Puisque les maisons de Dreux et Courtenay ont le mme sort, la premire parle de la seconde. Or, avant que, ˆ la fin du XIVe sicle, la Couronne rachte leur comtŽ, les Dreux ont appartenu au Conseil des Pairs, jouŽ un grand r™le, rŽgnŽ sur la Bretagne, et les chroniques mentionnent leurs hauts faits (et mŽfaits), toutes splendeurs dont auraient pu briller aussi les Courtenay.
Passons maintenant aux consultations des docteurs.
Quoique diverses, elles ont en commun d'admettre l'origine royale des Courtenay, prouvŽe par les historiens (du Tillet), l'opinion commune (fama), et les monuments (tombeaux etc.). La question porte sur les droits qu'elle confre. Le thme principal des auteurs est que le sang ne se perd pas. Il se conserve in perpetuum, in infinitum : ˆ travers les gŽnŽrations, le sang royal coule toujours et continuellement de l'une ˆ l'autre (Nam jus sanguinis & consanguinitatis Regiae, de quo agitur, semper & continuo fluxit ab uno in alium, avis N¡7, p 5). Que le sang vienne de loin, voire de trs loin, il n'en est pas moins royal (ut si remotus, imo remotissimus, tamen Regius est, avis N¡20, p 253). Qu'il n'ait pas ŽtŽ revendiquŽ avant ne compte pas, le silence (taciturnitas) ne disqualifie pas, parce que le sang et la nature sont perpŽtuels (propter sanguinis perpetuitatem & naturae, avis N¡15, p11 sq.) : que pendant longtemps on ne pche pas dans une mer, n'empche pas de lancer son filet un jour (etc.). Quiconque possde un droit peut le rŽclamer.
Godefroy, lui, compose son discours en trois parties :
I. Le sang est-il prouvŽ? (32 p)
II. Qu'apporte-t-il ? (50 p)
III. RŽponses aux objections (207 p) : en vrac, il en prend vingt (dont plusieurs redondantes) et leur accorde une importance variable, discutant longuement la plus farfelue, la 4e :
1. ils n'ont pas portŽ de noms ni d'insignes royaux (nomen non ferre), 2 p
2. ils n'ont rien dit jusqu'ˆ prŽsent (silentium), 10 p
3. ils s'appuient sur de faux titres (falsos titulos), 3 p
4. exhŽrŽdation par S.Louis pour refus de la rŽversion des apanages, 34 p
5. praescriptionem & non usum, 38 p
6. comme leurs anciens, ils doivent s'en tenir ˆ une vie privŽe et s'abstenir de revendiquer, 14 p
7. principis nomen, gradum & titulum jamais usŽs jusqu'ˆ maintenant, 13 p
8. leurs anctres n'Žtaient pas tenus pour princes, 14 p
9. on ne peut leur attribuer la qualitŽ royale car le sang royal est natif, pas datif (Fieri regis agnati non possunt: debent enim nasci, non fieri), 2 p
10. la Couronne n'a pas besoin des Courtenay, 5 p
11. il n'est pas opportun de reconna”tre de nouveaux princes (novos enim principes agnosci, non expedire), 5 p
12. la simple noblesse leur suffit (maneant itaque nobiles tantum, nec principis titulum illustrem affectent), 12 p
13. paupertas, 14 p
14. leur origine est trop ancienne (vetustior), 3 p
15. leur sang est trop lointain, 7 p
16. on ne manque pas de princes du sang et cela cožterait trop cher d'en ajouter, 16 p
17. leur reconnaissance serait dommageable pour la chose publique, 3 p
18. l'intŽrt de l'Etat prime celui d'une famille (utilitatis publicae potius habenda est ratio, quam unius duntaxat familiae), 12 p
19. en Angleterre et en Castille, on reconnait la naissance royale sans attribuer de ressources, 4 p
20. les Courtenay n'ont pas ŽtŽ capables de protŽger leurs possessions, 1 p.
Sans qu'on sache quel intŽrt Godefroy prend ˆ l'affaire, la dernire phrase de la conclusion est celle qu'on attend (p 298) : Tout cela ainsi posŽ, dŽduit et prouvŽ, il faut conclure selon le jugement des experts : Que les seigneurs de Courtenay, ayant prouvŽ leur origine royale par des moyens lŽgaux, doivent tre dŽclarŽs et reconnus comme princes du sang royal, afin qu'ils puissent jouir des titres, rangs et honneurs de la reconnaissance royale malgrŽ les allŽgations de leurs adversaires (His omnibus ita positis, deductis, et probatis (saluo tamen quod dici solet, peritiorum judicio) videtur concludendum; Dominos de Courtenay agnationem suam regiam modis legitimis comprobasse, regis sanguinis principes dŽclarandos et agnoscendos esse, ut titulis, gradibus, et honoribus agnationis regiae fruantur: non obstantibus adversariorum allegationibus in hac controversa deductis).
Le Roi ne se laisse pas impressionner par Godefroy. Il n'accepte ni ne refuse une requte dont il regrette l'existence et qu'il prŽfŽrerait oublier. S'il n'est pas sourd au cri du sang, la na•vetŽ de celui-ci heurte l'Žvolution institutionnelle et "iconique" de la royalitŽ. Le sang royal de nos sieurs est appauvri : ils ne sont pas Bourbon, leur anctre ne naquit pas Prince puisque la position n'existait pas, ils n'ont rien fait depuis qui leur aurait permis de le devenir. Ils ressemblent ˆ une vieille pice romaine en cuivre : on s'incline devant sa raretŽ, elle n'a pas cours et ne vaut rien en tant que monnaie.
On comprend aisŽment que le Roi n'accepte pas cette requte venue du fond des temps, on s'Žtonne qu'il ne la rejette pas. Certes, Henri IV prŽfre promettre et ne pas tenir plut™t que refuser, sachant que les cadeaux espŽrŽs rendent plus fidles que les cadeaux reus. Et quant au fond, le Roi ne peut ni dŽnier son sang ni avouer le leur : ces gens ne comptent pas, ne reprŽsentent rien, ne psent rien en termes de pouvoir, d'influence, de places fortes, de commandements, de rŽseaux et d'alliances Žtrangres. MoitiŽ humblement, moitiŽ par rhŽtorique, ils l'avouent ds la premire requte de 1603 : les armŽes, les forteresses, les partisans qui accompagnent cette juste requte sont la juste confiance qu'ils ont de votre bontŽ & justice, l'humble submission... & les trs humbles supplications que la Loi perpetuelle de votre royaume vous prŽsente pour eux...
Et, surtout, pense et dit le Roi, cette petite affaire est de grande consŽquence.
D'abord, voilˆ une noveletŽ. Jamais un tel "procs en paternitŽ" n'a ŽtŽ ouvert (et jamais il ne le sera). Ces sieurs sortis de l'ombre demandent ˆ tre reconnus pour se faire conna”tre ! Et derrire eux, combien de rejetons oubliŽs de branches Žteintes vŽgtent-ils dans les marges des arbres gŽnŽalogiques ? et, parmi ceux-ci, combien d'inavouables ? combien de redoutables ?
Le sang ! le sang ne fait pas tout. Henri reconna”tra ses b‰tards. Quoiqu'il les admette ˆ la cour et leur accorde honneurs et prŽŽminences, ils sont fils du roi, non pas fils de Roi. Nos sieurs ont quelque chose de b‰tard. La solution consiste-t-elle ˆ les appeler "cousins" et ˆ leur donner quelques cadeaux ? Non. Ici, les droits privŽs ne se dissocient pas des droits publics : tout vrai cousin royal relve de la Couronne. Or la gestion des Princes du Sang constitue une gageure, on ne cesse, on ne cessera de le constater. Il en faut pour alimenter le rŽservoir de successeurs qui garantit la continuitŽ de la Couronne. Mais ce rŽservoir bouillonne et dŽborde trop souvent. Leurs droits constitutionnels les Žchauffent et transforment les frres du Roi, le dauphin, les cousins, en compŽtiteurs. S'ils n'y pensent pas d'eux-mmes, des malcontents brandissent leur drapeau royal contre le Roi rŽgnant. Toute l'histoire de France montre et montrera que ce mal nŽcessaire reste un mal. Alors l'empirer ? en rajouter ? Le premier effet sera de mŽcontenter les autres.
Et de quelle autoritŽ en rajouter ? Le Roi peut-il faire des Princes du Sang autrement que dans le lit de sa femme lŽgitime ? Si un Roi se donne ce droit, il se substitue ˆ Dieu (Louis XIV le fera, sa mort le dŽfera). On a vu rŽcemment les Guise, rois de fait, bloquŽs au nom des droits des Princes du Sang qu'ils ne pouvaient pas devenir car cet Žtat n'est pas "datif". S'il l'avait ŽtŽ ? Le Sang ! les gŽnŽalogies ! que prouvent-elles ? Les Guise n'ont-ils pas "Žtabli" leur ascendance carolingienne ?
Ce n'est pas tout. Contre Guise encore, mais ˆ la suite d'une longue cristallisation, s'est imposŽ le "mythe historique" des descendants de St Louis. Le sang lignager vient de Hugues "Capet", le sang divin de St Louis (cf. conclusion). Capet demeure le gnant anctre, l'aventurier que tout le travail d'image de la royautŽ depuis Philippe le Bel a consistŽ ˆ estomper. Et voilˆ que, comme des chiens fous, ces sieurs dŽboulent dans ce jeu de quilles enfin rangŽes, criant "et nous ?", "et le Gros !" et "Capet !". Ne peuvent-ils sentir, que Jean-Baptiste n'est pas JŽsus ? qu'il ne faut pas confondre le prophte et le messie ? les prŽcurseurs et les descendants ? Nos sieurs viennent comme le souvenir douloureux d'une jambe amputŽe. Ils portent avec eux l'usurpateur capŽtien qu'on cherche ˆ oublier. On comprend que l'affaire de nos sieurs apparaisse de grande consŽquence. N'ouvrons pas cette boite, nul ne sait ce qui en sortirait, aujourd'hui et plus tard.
Ces raisons de fond sont amplifiŽes par une circonstance : Sully soutient la prŽtention des Courtenay dans l'espoir de se rehausser lui-mme. Or, si le roi a besoin de lui et l'appelle parfois mon ami, il n'a pas envie de transformer en cousin ce ministre aux ambitions dŽmesurŽes qui l'inquitent.
Faisons un retour en arrire : en 1583, Maximilien, pauvre guerrier huguenot qui vivote avec ses frres de la maigre terre de Rosny, commence sa fortune en Žpousant Anne de Courtenay, dame de Bontin, elle-mme huguenote. Elle meurt en 1589, avant que Rosny, entrant dans les bonnes gr‰ces de Henri IV, bŽnŽficie des promotions associŽes. Dans l'autoglorification que constituent ses MŽmoires, Rosny, devenu duc et pair etc., publiera que, alors que, tout jeune, il Žtait amoureux d'une autre, il suivit le conseil de raison de son homme de confiance, le poussant vers Anne : Monsieur tournez votre cÏur ˆ droit: car lˆ, vous trouverez des biens, une extraction Royalle et bien autant de beautŽ lorsqu'elle sera en ‰ge de perfection (Îconomies, 1638, Žd. 1664, T1, p 57).
Pour la suite, lisons Le Laboureur (Additions aux mŽmoires de Castelneau, Paris, 1659, T2, p 688) : Sully, restaurateur de sa maison et quasi homme nouveau, fut longtemps ˆ fixer son extraction... Ange Capel S. du Luat, plus cŽlbre pour sa tŽmŽritŽ que pour sa doctrine, luy mit cette impression en la tte au sujet des Princes de Courtenay, dont ce Duc favorisoit les droits ˆ cause d'Anne de Courtenay sa premire femme, & fit une Genealogie pour le faire descendre de l'AinŽ de la Maison de Courtenay, qui nuisit dautant plus ˆ la cause qu'il protŽgeait, que le Roy Henry IV. qui commenoit ˆ se laisser persuader par la quantitŽ des Titres de la Maison de Courtenay, s'offensa de sa prŽtention & n'en voulut plus oŸir parler: & ainsi pour avoir voulu mler la Fable avec la VeritŽ par l'indiscrŽtion de cet Auteur, il rendit vain ce grand amas de pices justificatives dont les Princes de Courtenay espŽraient leur rŽtablissement.
Ainsi, les ambitions des Courtenay sont-elles torpillŽes par l'exagŽration de leur protecteur qui, dans l'Histoire gŽnŽalogique de la maison de BŽthune (du Chesnes) fera attribuer ˆ sa grand-mre Anne de Melun (qui a apportŽ Rosny) une descente en ligne feminine des Roys de FRANCE ; d'ANGLETERRE, de NAVARRE, de CASTILLE, & de PORTVGAL, & des Empp. de Constantinople (du Chesne, 1639, p 426 sq.).
Gaspard de BlŽneau meurt le 5 janvier 1609. Il a prŽparŽ son apothŽose en donnant pour instruction ˆ sa seconde Žpouse d'Žriger dans l'Žglise de BlŽneau, pour lui et sa premire femme ( 1604), un monumental tombeau, avec leurs effigies ˆ genoux, vtues d'un grand manteau bordŽ de fleurs de lys et doublŽ d'hermines, les armes de Courtenay ŽcartelŽes ˆ celles de France et surmontŽes d'une couronne relevŽe de fleurons et de fleurs de lys L'inscription de Madame porte: ci g”t Mme EmŽe du Chesnay, en son vivant femme et Žpouse du Trs Haut & Trs Illustre Seigneur du Sang Royal de France, monsieur Gaspard de Courtenay. La sienne, plus circonspecte, se limite ˆ : ci g”t Trs Haut & Trs Illustre Prince Monseigneur Gaspard de Courtenay, seigneur de BlŽneau etc. Ce dŽfi posthume affiche les armes princires, combinant Courtenay et France, avec trois fleurs de lys en 1 et 4, et les trois tourteaux en 2 et 3.
Le fils de Gaspard, Edme, lui succde et, chef de la Maison, signe en premier la Remontrance du 9 mars 1609 qui, sans renoncer, suspend leur action, attendant des circonstances plus favorables. Le Conseil n'ayant jamais ŽtŽ assemblŽ, MM de Courtenay, las de solliciter inutilement, se dŽsistrent de leur poursuite sans cesser de soutenir qu'elle Žtait juste et lŽgitime. Peut-tre la mort de Gaspard cl™t-elle ce chapitre. Peut-tre comprennent-ils (ou les force-t-on ˆ comprendre) qu'ils n'arriveront ˆ rien.
Depuis maintenant plusieurs annŽes, nos sieurs sont ˆ Paris, sollicitent, s'agitent et dŽpensent beaucoup d'argent et d'efforts. Ils concluent dans cette Remonstrance de Messieurs de Courtenay, avec protestation de leur droit & origine par eux mise entre les mains du Roi :
Sire, vos trs-humbles et trs obŽissants sujets et serviteurs ceux de la Maison de Courtenay, supplient trs-humblement V.M.... ils lui reprŽsentent avec toute humilitŽ l'Žtat de leur condition: combien de devoirs ils ont rendu depuis six ans pour requŽrir sa protection et sa justice, et la nŽcessitŽ ˆ laquelle ils sont aujourd'hui portŽs pour n'en avoir pu seulement l'obtenir l'ouverture. Dieu leur a fait cette gr‰ce [...] de les avoir fait na”tre du Sang Royal de France...
Ils ont requis votre justice et votre protection pour le droit de leur Sang et de leur Origine, et pour tre maintenant en ce qui lŽgitimement leur appartient. Ils ont pour cet effet prŽsentŽ six Requtes ˆ V.M., qu'ils ont plusieurs fois suppliŽe d'avoir Žgard ˆ leur longue poursuite en laquelle ils ont continuŽ six ans...
Ils ont par plusieurs fois fait entendre ˆ Mr le Chancelier que s'il leur Žtait ouvert quelque voie qu'ils pussent tenir avec votre bonne gr‰ce par laquelle l'honneur de leur Maison leur demeur‰t libre et assurŽ ˆ leur postŽritŽ, que rien ne leur pourrait tre en plus grande recommandation...
Et voyant que leurs malveillants continuaient toujours de tenir votre justice en suspens pour nouveaux divertissements...
ils ont reprŽsentŽ ˆ V.M. [...] que si l'on prŽtendait quelque intŽrt ˆ leur demande, ou que l'on pensait avoir quelques raisons ou moyens lŽgitimes selon le droit et les lois de votre royaume pour empcher la reconnaissance qu'ils requirent, il lui plžt de commander que sa justice fžt indiffŽremment ouverte...
Tout cela ne leur ayant rapportŽ, au lieu d'une protection assurŽe et de la justice dont ils avaient eu confiance, qu'une perte de temps et d'y avoir consommŽ inutilement ce qu'il leur restait de biens, ils supplient V.M. qu'il lui plaise de leur pardonner si [...] ils protestent aujourd'hui de leur droit, et que vŽritablement ils ont cet honneur d'tre lŽgitimement issus en ligne masculine continuŽe de pre en fils du roi Louis le Gros et, en consŽquence de ce, naturellement Princes de votre Sang. Que cet honneur leur est naturel, acquis et fait propre de naissance ˆ un chacun d'eux par le droit du Sang ; et que pour ce avec la mme humilitŽ et rŽvŽrence, ils protestent de jamais ne s'en dŽpartir...
Lˆ-dessus, ils se retirent dans leurs terres.
Et tout rebondit en raison de l'accident arrivŽ en la personne de Monsieur de Courtenay BlŽneau sur le fait de la mort du Baron de la Rivire.
En aožt de la mme annŽe 1609, un voisin d'Edme, le jeune Franois de la Rivire-ChamplŽmy, entre de force dans son ch‰teau pour abuser de son Žpouse. Edme trouve le mŽchant enfermŽ, accourt avec ses gens qui enfoncent la porte et tuent l'agresseur. On ne sait rien de la sagesse de Madame, ni des circonstances qui la laissrent sans protection, ni du hasard qui permit ˆ Edme d'intervenir si vite. Le prŽv™t des marŽchaux d'Auxerre enqute. Le pre de la victime, Franois de la Rivire sr de ChamplŽmy, rŽclame justice, lui-mme assez grand personnage. Le cas pourtant simple (le dŽshonneur excusait l'homicide) devient une affaire car BlŽneau se prŽvaut des privilges des Princes du sang pour demander es-qualitŽs une lettre de pardon du roi ou, ˆ dŽfaut, d'tre jugŽ par la grand chambre du Parlement, alors que ChamplŽmy a saisi la Tournelle (chambre criminelle) selon la procŽdure ordinaire. Dans un tŽnŽbreux arrire-plan dont nous ne savons rien, amis et ennemis des Courtenay s'agitent.
S'ensuivent trois mois de procŽdure accŽlŽrŽe : BlŽneau, soutenu par les quatre autres Courtenay, exige (du roi, du chancelier, du Parlement) des formes de justice conformes ˆ sa qualitŽ. Il obtient un dŽbut de satisfaction : sur ordre du roi (22 oct.) la procŽdure prŽv™tale est transmise au Chancelier qui la renvoie ˆ la Cour de Parlement.
C'est donc la qualitŽ et non l'homicide qui est en dŽbat. Nous n'entrons pas dans le dŽtail des complications judiciaires : le 30 janvier 1610 la Cour (grand'chambre, Tournelle et chambre de l'Edit rŽunies) arrte que l'information et le jugement se feront ˆ la grand'chambre. MalgrŽ cette concession, BlŽneau proteste ˆ cause de l'oubli de sa qualitŽ et en raison du consentement donnŽ par la partie adverse : puisque ce droit dŽcoule de sa qualitŽ, il faut l'expliciter, et sa partie doit obŽir, non consentir.
Sa nouvelle requte excite encore les malveillants, et les gens du roi concluent brutalement que
dŽfenses soient faites audit sr de Bleneau de dire son origine et de s'en plus attribuer sur peine de la vie et de crime de lse-majestŽ l'honneur et la qualitŽ. L'arrt du 12 fŽvrier 1610 reprend celui du 30 janvier (grand'chambre) en l'aggravant puisqu'il ajoute : les
grand chambre, Tournelle et Edit assemblŽes pour juger requte en annulation fondŽe sur ce que ledit suppliant a l'honneur d'tre du sang royal de France..., que ledit suppliant soutient qu'aucun dŽcret ne peut tre jugŽ ni ordonnŽ qu'en la prŽsence du roi sŽant ˆ la cour assistŽ de ses princes et pairs... Ladite cour sans avoir Žgard ˆ ladite requte et prŽtendue qualitŽ mentionnŽe en icelle ordonne qu'il sera procŽdŽ ˆ l'instruction et jugement.
DŽgožtŽ, en mars 1610, BlŽneau rentre ˆ la maison o le 14 avril un huissier de la Cour le relance. Le 8 mai, dŽjˆ rŽfugiŽ en Flandre espagnole, ˆ Thionville, il Žcrit au roi sur
le
sujet de sa retraite hors du royaume... pour n'tre forcŽ de renoncer au droit et ˆ l'honneur de mon origine en m'oubliant moi-mme et ce que je dois ˆ la dignitŽ de la maison de
France.
On s'interroge sur l'obstination de BlŽneau dont le roi aurait dit qu'on lui voulait faire toute gr‰ce et faveur et qu'il semblait que lui-mme la refus‰t. Est-ce pure prŽsomption ou une astuce pour obtenir contentieusement du Parlement la reconnaissance de qualitŽ que la prudence du roi diffre ? Les malveillants l'accusent d'assassinat prŽmŽditŽ et couleur recherchŽe de lui pour sur cette occasion se prŽvaloir de sa qualitŽ et se faire dŽclarer prince du sang. Lui, retourne l'argument et dŽnonce l'animositŽ avec laquelle il Žtait poursuivi non pour ce qui Žtait du crime prŽtendu [mais] pour sous couleur d'icelui [...] le faire renoncer au droit de son origine. De fait, ˆ part le pre de la victime, nul ne soucie du crime.
Le roi assassinŽ le 14 mai, l'instabilitŽ politique subsŽquente ouvre de nouvelles opportunitŽs. La retraite d'Edme est courte. Il rentre en France le 12 juillet avec le premier prince du sang et challenger de la RŽgente, Henri II de Bourbon-CondŽ, qui, pour aller de Milan ˆ Paris passe par Bruxelles (19 juin l610) remercier les Espagnols de leur bonne volontŽ. CondŽ rencontrant Edme reconnut publiquement ses droits et s'Žtablit son protecteur. Une fois ˆ Paris, il saisit le Chancelier qui ayant montrŽ au commencement quelque disposition favorable... du depuis se trouva tout ouvertement ŽloignŽ et, pour sortir d'affaire, propose d'expŽdier une gr‰ce ˆ BlŽneau. Ce dernier s'insurge car ce n'est pas ainsi qu'on procde avec les Princes du Sang qui, le plus souvent reoivent de simples lettres de pardon : l'on se servait de cette couleur seulement pour le forcer ˆ prendre une gr‰ce qui dŽroge‰t ˆ sa qualitŽ.
Edme, alors, joue un coup difficile ˆ comprendre. Est-il dŽsabusŽ ? (on n'entendra plus parler de lui aprs). Le 4 septembre 1610, pour se mettre ˆ couvert de la poursuite criminelle qui se continuait contre lui au Parlement il fut obligŽ de se rendre volontairement prisonnier dans la conciergerie du Palais pour se faire interroger. Curieusement, on ignore les suites judiciaires, vraisemblablement bŽnignes car ˆ peine en cas semblable y eut-il eu ˆ l'encontre du moindre particulier sujet ni d'accusation publique ni de peine ou amende quelconque criminelle. Mais l'essentiel reste en suspens : on
ne pouvait prononcer sur sa qualitŽ sans l'avoir examinŽe, ni l'en dŽbouter dans les formes sans le dŽclarer criminel de lse-majestŽ comme imposteur, puisque ceux qui se disent Princes du Sang et ne le sont pas, mŽritent d'tre punis du dernier supplice.
En effet, nos Courtenay ont obtenu un rŽsultat, mme nŽgatif. On ne les a pas reconnus, on ne leur interdit pas de prŽtendre. En sept ans, ils ont transformŽ une lŽgende familiale en cas public, mme europŽen via les ambassadeurs. A Paris, tous ceux qui comptent le connaissent et beaucoup s'en sont mlŽs, pour ou contre. En outre, nos sieurs croient pouvoir compter sur CondŽ, pour transformer l'essai.
La plupart des citations prŽcŽdentes proviennent d'un recueil sur la Retraite de MM de Courtenay hors du royaume (1614), Žvnement que nous rencontrerons bient™t. Ce manuscrit conservŽ ˆ la BNF (MS Courtenay. Franais 2759) appartient ˆ un volume dont on ignore l'origine et qui comprend aussi les cahiers du Tiers aux Žtats de 1615 et une relation de voyage. Le recueil commence par la lettre de MM de Courtenay ˆ la reine (Londres, mars 1614) et se termine par le MŽmoire ˆ Mr le chancelier ˆ l'occasion de la majoritŽ du roi (Londres, 20 dŽc. 1614). Entre les deux, l'affaire BlŽneau de 1610 qui oblige ces Messieurs ˆ quitter le royaume pour protŽger leur honneur. Le recueil combine documents (lettres officielles, requtes, arrts) et commentaires qui, soigneusement titrŽs et sous-titrŽs, dŽveloppent l'argumentation des Courtenay. MalgrŽ quelques personnalitŽs, leur dŽfense se veut de principe. Elle repose sur ce syllogisme : les historiens attestent que nous sommes princes du sang royal ; or ces princes jouissent de privilges qu'on nous dŽnie ; donc, en nous, les Princes sont attaquŽs, avilis, et l'Etat affaibli.
Apostrophe aux rois dŽfunts sur cette indignitŽ faite ˆ leur postŽritŽ : eussiez-vous pensŽ que votre sang fžt venu ˆ ce mŽpris ?... l'injure faite ˆ la Maison de Courtenay redonde en la personne du roi, des princes, des Žtrangers... ne disons point que [...] ce qui s'est pratiquŽ contre eux ne peut porter prŽjudice ˆ ceux qui sont reconnus puisque nous avons les mmes a•eux...
Avis ˆ MM les princes du sang de prendre en ce fait de l'intŽrt: qu'on vous rŽduit en nous au commun. Voilˆ que
ce n'est plus la naissance seulement qui fasse les princes du sang mais que ces choses dŽpendent de la discrŽtion de ceux qui auront plus de pouvoir, de faveur et d'autoritŽ.
Les Pairs aussi sont concernŽs : vous avez ce privilge de ne pouvoir tre jugŽs pour ce qui touche votre honneur ou l'Žtat de vos personnes que par le roi sŽant en sa cour des pairs. Si telles procŽdures [que la n™tre] sont approuvŽs, il dŽpendra ˆ l'avenir de la discrŽtion simplement d'un chancelier [...] il suffira d'ordonner entrer en connaissance de cause et sans vous ou•r comme l'on a fait...
NŽcessitŽ de conserver les princes du sang, capables de la Couronne : Comme tels ils ne sont pas seulement ˆ eux mais la propriŽtŽ de leur personne appartient ˆ tout l'Žtat public... il n'y a [donc] pas apparence de les vouloir comme personnes communes [...] si ce n'est qu'ils aient attentŽ ou contre l'Žtat public ou contre le souverain administrateur d'icelui... La qualitŽ de prince du sang est considŽrable [i.e., ˆ considŽrer] en fait d'action intentŽe contre lui, la qualitŽ d'un prince du sang Žtant jointe ˆ l'intŽrt qu'a le public en la conservation d'iceux.
Et tous ces attentats portent atteinte ˆ Dieu qui les a fait naitre de la Maison de France.
BlŽneau neutralisŽ aprs son passage ˆ la Conciergerie (sept. 1610), l'Žnergie du cousin Chevillon reste intacte, malgrŽ l'avis de leur Conseil de ne s'exposer pour lors d'avantage : ce cadet d'une branche cadette, Jean, sieur de Frauville, est depuis le dŽbut le moteur de l'action. Il avait de qui tenir : on se souvient du tombeau de son pre, Guillaume ( 1592), ˆ l'Žglise de Chevillon, semŽ des armes de France et de Courtenay, et chargŽ de l'inscription ci-g”t illustre seigneur de sang royal...
Jean a combattu les Espagnols avec Henri IV et, aprs la paix de Vervins (1598), ŽpousŽ une jeune veuve Magdelaine de Marle dont le pre JŽr™me ( 1590) Žtait officier des cŽrŽmonies de France et le frre mariŽ ˆ la fille de ce Elie du Tillet qui a contribuŽ ˆ "documenter" la campagne des Courtenay. Ils ont une fille en 1606 et enfin un fils, nŽ en pleine bataille, en 1610. Frauville l'ambitieux lui donne un nom-programme, Louis. A l'extinction des BlŽneau, ce Louis, devenu chef de la Maison, s'il n'atteint pas l'objectif, en saisira l'ombre et s'affichera prince.
On ne sait pas ˆ quoi s'occupe Frauville en 1611 et 1612. Peut-tre se joint-il ˆ CondŽ, peut-tre observe-t-il, peut-tre se prŽpare-t-il. Comme il a besoin d'un BlŽneau pour reprŽsenter le chef de Maison, il convainc l'oncle d'Edme, Jean des Salles, de se joindre ˆ lui et, par respect de la branche ainŽe, lui cde toujours le pas. En janvier 1613, les deux Žcrivent ˆ la reine rŽgente, contraints de l'oppression que nous ressentons avoir ŽtŽ faite ˆ l'honneur de notre maison en la procŽdure criminelle que l'on a tenue ˆ l'encontre de Mr de Courtenay-BlŽneau de demander congŽ de se retirer hors du royaume. A ce stade, il s'agit d'une menace : si on ne nous fait pas droit, nous en appellerons aux princes souverains d'Europe, pour faire
voir ˆ un chacun quel est le droit de notre origine, qui nous sommes.
Ils attendent toute l'annŽe une rŽponse qui ne vient pas et mettent leurs affaires en ordre. Se conformant ˆ une vieille tradition rŽciproque d'exil politique, ils choisissent l'Angleterre de James VI et I, la Flandre Žtant inopportune en raison du double mariage en cours. Peut-tre, ds le dŽbut, Jean entre-t-il dans le plan de CondŽ dont le flirt huguenot cherche alliance avec l'Angleterre. D'Abbeville, ils demandent asile ˆ James (12 dŽc. 1613) et, par la chance d'une bonne mer, reoivent l'acceptation prŽvue le 21 dŽcembre. Au moment d'embarquer, de Calais, le 29 dŽcembre, ils Žcrivent au Parlement les motifs de leur exil. Ils passent en Angleterre o, reus, la cour assemblŽe, James, reprenant leurs mots, dŽclare : je sais que c'est un devoir envers votre honneur et non une l‰chetŽ qui vous a fait sortir sortir de votre pays. Je reconnais l'honneur que vous avez d'appartenir ˆ la couronne de France.
De lˆ, ils multiplient lettres et explications, protestent de leur bonne foi et de la nŽcessitŽ dans laquelle ils se trouvrent de mettre leur honneur ˆ l'abri. James qui aime ˆ se mler de tout les recommande au roi et ˆ la reine de France (9 juillet 1614) : ayant toujours affectionnŽ la Maison de France de laquelle les histoires font foi qu'ils sont issus par m‰les lŽgitimement... recommandation de notre part pour vous prier de mettre la justice leur cause en considŽration... ne doutons pas que vous ne jugiez toujours plus convenable d'apporter quelque moderation ˆ ce qui leur a donnŽ sujet de leur Žloignement, que de les voir errans dans les Cours des autres Princes faire leurs plaintes. Il donne des instructions dans ce sens ˆ son ambassadeur, lequel, trs actif dans la politique franaise, combat le projet espagnol de la RŽgente (le double mariage par Žchange des Princesses) que CondŽ, et plus encore ses alliŽs huguenots refusent aussi.
Jean de Frauville est l'agent de CondŽ auprs de James : jugeant que son Party avoit besoin d'tre appuyŽ d'une puissance Royale pour le rendre considerable, [CondŽ] se servit de l'estime que le Prince IEAN DE COVRTENAY Seigneur de Frauville, s'Žtoit acquise aupres du Roy d'Angleterre pour obtenir son assistance (du Bouchet, p. 288). Leur correspondance en tŽmoigne.
En contrepartie, CondŽ, premier prince du sang, dŽfend les Courtenay, les reconna”t comme cousins et leur promet de s'employer pour eux. Malheureusement, les circonstances troubles de la RŽgence italienne et du Remuement des Princes ne les servent pas. CondŽ se rŽvle un protecteur dangereux. Il promet tout ˆ tous et se comporte de manire aussi indŽcise que brouillonne. Il prend la tte de l'opposition des Princes ˆ la Reine-mre et ˆ ses favoris, allant jusqu'aux prises d'armes et ˆ l'affrontement. La paix de Sainte-Menehould (15 mai 1614), trs bŽnŽfique ˆ CondŽ, ignore nos sieurs, mais, deux ans plus tard, celle de Loudun (3 mai 1616) les incorpore.
Dans les trente et un articles du TraitŽ proposŽ par les rebelles ˆ la Cour (BouchittŽ, 1862), figure celui-ci :
Art 9. Que droit soit faict ˆ MM de Courtenay, suivant l'ordre et les loix du royaume, suivant les requestes par eux plusieurs fois prŽsentŽes pour la conservation de l'honneur de leur maison, tant du vivant du dŽfunt Roy que depuis; et pour le regard de certaines procŽdures criminelles faictes ˆ l'encontre du sieur de Courtenay-Bleneau, que ce qui pourroit avoir estŽ faict contre les formes et la justice soit rŽparŽ.
Les RŽformŽs et les Princes prŽsentent tant de demandes que beaucoup restent en suspens. Les dŽputŽs de la Cour (qui incluent Jacques-Auguste de Thou) rŽpondent en marge : au 9¡. Ce fait n'est du pouvoir des depputez et renvoient au Roi. Selon une autre version du document (ms de la bibliothque Mazarine) le ¤9 serait rejetŽ : Il est vray que les sieurs de Courtenay ont prŽsentŽ ˆ ceste fin plusieurs requestes au feu Roy, pre de S.M. ; mais il les a toujours rejettŽes aprs meure dŽlibŽration, comme les jugeant prŽjudiciables au bien de sa couronne et ˆ la dignitŽ de sa maison.
La lettre Žcrite par de Thou ˆ Jean de Thumery (6 mai 1616), juste aprs les nŽgociations (p 604 du tome X de l'Ždition Scheurleer de l'Histoire universelle, 1740) tŽmoigne que les Courtenay manquent de soutien : Quant aux demandes des Sieurs de Courtenay, qui Žtoient contenu‘s dans le huitiŽme [neuvime] article, & qui ont ŽtŽ si souvent agitŽes dans le Conseil de Henri le Grand, & au Parlement, on n'y fit aucune rŽponse. Ceux qui les avoient proposŽes par considŽration pour un Seigneur de cette maison qui s'Žtoit attachŽ au Prince de CondŽ [Frauville], Žtoient eux-mmes fort ŽloignŽs d'appuyer ces prŽtentions; car ˆ l'exception du Prince de CondŽ, il n'y avoit personne qui ne souhait‰t que le nombre de Princes du sang diminu‰t, plut™t que de le voir augmentŽ. NŽanmoins, si l'art. 9 est renvoyŽ au roi, la question reste ouverte et CondŽ se fait fort d'obtenir une rŽponse favorable.
En effet, suite ˆ cette paix du 3 mai 1616, CondŽ devient chef du Conseil. HŽlas, opposant maladroit ˆ la politique et ˆ la personne de Concini, ses erreurs, excs et prŽtentions, conduisent quelques mois plus tard au coup de majestŽ de son arrestation. Il reste enfermŽ trois ans, ˆ La Bastille puis ˆ Vincennes.
Sa prison & les desordres dont elle fut suivie, rompirent toutes les mesures que le Prince Jean avoit prises pour finir les disgraces de sa Maison, & la faire jou•r des avantages qui sont dus au Sang Royal dont elle tiroit son origine. De sorte, que se trouvant dŽchu de ses esperances [...] Il se rŽsolut de retourner en France (du Bouchet, p. 291), d'autant plus que son frre a”nŽ Jacques meurt au dŽbut de l'annŽe 1617 et qu'il est dŽsormais sieur de Chevillon, chef de sa maison. Surpassant son pre, sur le modle du double tombeau de Gaspard, il fera de son vivant Žriger un mausolŽe fleurdelisŽ pour lui et son frre, non plus dans l'Žglise de Chevillon mais dans l'abbaye ancestrale des Courtenay (Fontaine Jean), avec l'inscription : ci-g”t trs illustre et trs vertueux prince du sang royal de France...
Les deux Courtenay rentrent donc en France. Esprent-ils profiter du coup de MajestŽ contre Concini (24 avril 1617) qui redistribue les cartes ? Il ne libre pas CondŽ qu'ils ont suivi pour rien ! Aprs les troubles, leur position se dŽtŽriore. Non seulement leur cas irrite, mais comment leur pardonner cet impudent ¤9 de Loudun ? Si le droit de naissance, Žtant naturel ou divin, ne relve pas des tribunaux, encore moins dŽpend-il des hasards des nŽgociations.
En 1618 para”t pour la dernire fois, chez Mettayer imprimeur et libraire ordinaire du Roi, le Recueil de du Tillet, une rŽimpression de l'Ždition de 1607. Le texte n'a pas changŽ depuis 1555 : nos Courtenay tardifs sont ˆ leur place, arrimŽs ˆ Louis le Gros (p 91-2).
Un an aprs, ils ont disparu : dans la nouvelle mouture de la gŽnŽalogie royale, l'Histoire de la maison de France des frres Louis et ScŽvole de Sainte-Marthe, historiographes du Roi, nos sieurs n'existent plus.
Du Tillet poussait jusqu'aux BlŽneau et Chevillon de son temps la postŽritŽ de Guillaume, fils de Robert le Bouteiller (lui-mme second fils de Pierre) dont se rŽclament nos sieurs. Les frres Sainte-Marthe, eux, ˆ la rubrique des enfants de Robert, indiquent seulement Guillaume de Courtenay, seigneur de Champignelles (Tome 2, p 1375), sans postŽritŽ apparente. De mme dans l'Ždition suivante (1627, tome 2, p 545). L'Ždition 1647 qualifie Guillaume de sr de Champignelles, Baillet, Cloye, FertŽ-Loupire, identifie son Žpouse, liste leurs enfants, y compris Jean, sr Champignelles et FertŽ-Loupire, qui Žpouse Jeanne de S.Brion mais leur descendance n'est pas notŽe. Pourtant, ˆ supposer que, en 1619, la prudence s'impos‰t (CondŽ, Anglais, Loudun), trente ans plus tard la raison ne s'exerce plus !
Tout simplement, les Sainte-Marthe ne s'intŽressent pas aux dŽtails. RŽorganisant, corrigeant et rationalisant la lourde et confuse prŽsentation de du Tillet, ils Žlaguent les branches mortes ou insignifiantes.
Du Bouchet, l'historiographe des Courtenay, en fera un roman, celui de la persŽcution du Procureur (du Bouchet, 1661, p 191-2) qui, aprs avoir maltraitŽ Edme, supprimerait son ascendance en interdisant aux Sainte-Marthe de la mentionner.
Peu importe que du Bouchet se trompe de Jean : prenant l'Žd. 1647 pour celle de 1619, il dŽnonce le procureur ˆ propos de Jean II, alors qu'il aurait dž le faire ˆ Jean I. Il Žcrit : Si ce Prince n'a point paru dans les trois diverses Editions de l'Histoire Genealogique de la Maison de France des Illustres Gemeaux de Sainte-Marthe, ce n'est pas que sa Personne leur ayt ŽtŽ inconnu‘, & qu'ils ayent manquŽ de Preuves pour luy donner rang & ˆ sa PostŽritŽ parmy les Princes de la Maison Royale aussi bien qu'ˆ son Pre [...] Mais c'est qu'on les a obligez au silence, dans la pensŽe qu'on a eu, que la descente du Prince GVILLAVME DE COVRTENAY Seigneur de Champignelles, petit fils de ROBERT DE FRANCE, se trouvant destituŽe de leur temoignage, pourrait devenir douteuse.
En effet (cf. Gibbon), la faiblesse gŽnŽalogique des Courtenay se trouve moins dans les dŽtours de leur descente que dans son obscuritŽ. La liste des rois et de leurs lignŽes successives s'apprend ˆ l'Žcole. Les Princes du Sang sont notoires. Un CondŽ, par exemple, est publiquement le fils d'un CondŽ : on ne le reconna”t pas, on le conna”t, on l'honore et on le traite comme tel. Au contraire, la filiation de nos sieurs est d'ordre privŽ, essentiellement inconnue et donc improbable. Quand ils disent les historiens font foi..., si on leur demandait qui ?, ils ne pourraient citer qu'un fragment de du Tillet (repris par Belleforest et d'autres). Il est donc rŽdhibitoire de ne pas figurer dans le nouvel annuaire, celui des Sainte-Marthe, celui qui a cours ˆ prŽsent : les historiens font foi ne vaut plus rien. Tous ceux qui s'intŽressent ont du Tillet dans leur bibliothque et peuvent lire qui dure encore. Mais du Tillet est dŽclassŽ par les Sainte-Marthe et, destituŽe de leur temoignage, la prŽtention des Courtenay perd sa base.
Du Bouchet qui, nous le verrons, consacre de grands efforts ˆ combler ce manque, cite une dŽclaration des Sainte-Marthe, Žcrite de leur main en 1620, attestant que lorsque, en mai 1619, ils soumirent leur lettre de privilge au Parlement pour enregistrement... le Procureur General remarqua en la page 1375 de la feuille cottŽe MMMMmmmm qu'en parlant de Guillaume de Courtenay Seigneur de Champignelles, ces termes estoient portez "fut destinŽ ˆ l'Eglise & ne voulut suivre cette profession selon du Tillet, qui fait descendre de luy les Seigneurs de CHAMPIGNELLES & DE BLENEAU": et lors mondit sieur le Procureur General nous auroit [avait] dit; Que pour quelques considerations, il n'estoit ˆ propos d'insŽrer les dits termes...
Certes, les Sainte-Marthe ne rŽsisteraient pas ˆ un tel conseil du procureur gŽnŽral du Parlement. Historiographes du Roi appointŽs, leur Maison de France la glorifie sans limite. Leur docilitŽ ou leur bienveillance est telle que, plus tard, ils avaliseront la prŽtention de Richelieu de descendre lui-mme de Louis le gros !
Toutefois, on s'Žtonne. Par quel hasard un Procureur gŽnŽral surchargŽ d'affaires, tombe-t-il sur la p 1375, feuille MMMMmmmm, ˆ l'occasion d'une lettre de privilge dŽjˆ accordŽe par le roi dont le censeur n'a pas tiquŽ, et juge-t-il l'affaire assez importante pour la transmettre au parquet ? Mme si Mathieu MolŽ (s'il s'agit de lui car du Bouchet ne nomme pas) est attentif ˆ son devoir de police, il faut qu'il ait ŽtŽ ˆ l'affžt ou que quelque malveillant le lui signale.
Certes, trois ans aprs Loudun, alors que CondŽ n'est pas encore rŽhabilitŽ, on se souvient de l'art. 9 et beaucoup restent excŽdŽs par l'acharnement des Courtenay. Mais cela n'explique pas tout. Connaissant le travail en cours des Sainte-Marthe, il Žtait facile de leur suggŽrer par avance d'oublier Guillaume. Et pourquoi les auteurs Žprouvent-ils le besoin d'Žcrire aussit™t une dŽclaration ? Comment et o du Bouchet a-t-il trouvŽ cette
lettre bizarre que personne d'autre que lui n'a vue ni ne cite ?
Du Bouchet a ŽtŽ en affaires avec les Sainte-Marthe, lorsque, ˆ la fin des annŽes 1640, ils ont ensemble dŽfendu les origines carolingiennes des CapŽtiens qui, selon eux, descendraient par m‰les d'un Childebrand, frre cadet de Charles Martel ! La troisime Ždition de Sainte-Marthe (1647) est bouleversŽe par cette rŽvolution et renvoie abondamment ˆ du Bouchet 1646 pour dŽduire de ce Childebrand les Robertiens, anctres des rois rŽgnant. Du Bouchet ne profite pas de leur concorde pour demander aux Sainte-Marthe de donner une ascendance aux Courtenay rŽsiduels car, ˆ cette date, il n'a pas encore ŽtŽ recrutŽ par le Prince Louis pour le cŽlŽbrer. Quand c'est le cas, ˆ la fin des annŽes 1650, il est trop tard, les Sainte-Marthe sont morts. Mais, du coup, ils ne peuvent pas contester une lettre attestant l'ordre d'un procureur de censurer les Courtenay, lettre plusieurs fois Žtrange : par son existence, son contenu, sa conservation pendant 40 ans, sa transmission miraculeuse. Cui
prodest ? ˆ qui profite le coup ? A Du Bouchet qui surmonte ainsi le f‰cheux silence des Sainte-Marthe et rŽŽcrit l'histoire des Žchecs des Courtenay.
Du Bouchet a-t-il inventŽ la lettre ? Ni lui, ni ses confrres, ne craignent les arrangements allant jusqu'aux fabrications. Tous ces historiographes de maisons prodiguent les "approximations" opportunes : du Bouchet, sans tre un faussaire insigne comme son secrŽtaire de Barres (de Bar), ne manque pas d' "ŽlasticitŽ" dans le maniement des documents. Quand on s'est infligŽ la lecture de La vŽritable origine de la seconde et troisime lignŽe de la Maison Royale de France justifiŽe par plusieurs chroniques et histoires anciennes (1646, Paris, ch. Vve Mathurin Dupuis), on le sait capable de tout. Quand on conna”t ses accointances avec Duchesne et le trop inventif Combault, on se mŽfie, mme quand il apporte des preuves documentaires.
Le silence trois fois rŽpŽtŽ des respectŽs Sainte Marthe choque le public car ils font autoritŽ. Par exemple, dans ses populaires Tableaux gŽnŽalogiques de la Maison royale (1652), le RP Labbe se rŽfre ˆ eux pour ne pas filer la descente des Champignelles (je me contenterai de suivre l'exemple de MM les frres jumeaux de S.Marthe qui n'ont point poursuivi cette descente si avant), et donc ignorer les Courtenay contemporains.
Le "procureur" permet ˆ du Bouchet de blanchir ses clients et de les montrer victimes d'une longue persŽcution. La malchance s'appelle procureur ! Ce mŽchant Žternel et anonyme bloque les requtes au Roi en 1603/1609, maltraite Edme en 1610, censure Sainte-Marthe en 1619, ˆ nouveau en 1627, et encore en 1647 ! L'histoire alors se raconte comme un complot : on nous aurait rendu justice depuis longtemps sans l'intervention permanente d'un esprit malin...
L'idŽe a pu tre inspirŽe par la mŽsaventure des mmes Sainte Marthe en 1656, quand leur Gallia Christiana, soutenue et financŽe par l'AssemblŽe du clergŽ, a rencontrŽ une difficultŽ de ce type. L'AssemblŽe, examinant les volumes dŽjˆ imprimŽs ˆ grand cožt, est saisie d'une plainte de la Duchesse d'Aiguillon, l'ex nice chŽrie de Richelieu, choquŽe par les louanges de Saint-Cyran qui attentent ˆ la mŽmoire du Cardinal persŽcuteur. L'AssemblŽe ordonne la suppression de la notice ou au moins qu'elle soit recouverte d'un placard, et obtient la sanction de sa dŽcision par lettres du roi et de la Reine-Mre (Poncet, 2009).
Jean de Frauville, rentrŽ d'Angleterre en 1617 et devenu sieur de Chevillon par la mort de son frre a”nŽ, attend la dŽfaite de la reine-mre en 1620 pour recommencer ses poursuites pour la gloire de sa maison. Le 16 mars 1626, une requte au Roi sollicite la cassation de tout ce qui a ŽtŽ fait contre eux au prŽjudice de leur qualitŽ. Vainement. La voie directe n'apporte rien. DŽsormais, nos sieurs, dans l'ombre de Richelieu, suivront une stratŽgie oblique, exploitant l'alternative posŽe dans le De stirpe et origine domus de Courtenay : si c'est faux, qu'on nous punisse (si falso, puniendum) ; si c'est vrai, qu'on ne le nie pas (si vere, non negandum). L'absence de ch‰timent vaut reconnaissance de fait.
Le fils d'Edme, Gaspard II de BlŽneau, sert Richelieu qui lui aurait promis son soutien... Quel r™le joue-t-il auprs du cousin Cardinal qui, au moins une fois, Žcrit Le Laboureur, le qualifie de prince du sang ? quelle assurance en reoit-il ? dans quelle intention ? Leur cousinage est la seule chose certaine, via leur grand-mre, les sÏurs Claude et Franoise de Rochechouart.
Mutatis mutandis, Richelieu, comme jadis Sully, voit dans les Courtenay un petit fer parmi tous ceux qu'il a au feu pour assurer sa fortune et sa gloire. Mathieu de Morgues qui, aprs avoir quittŽ son service, retourne sa plume contre le Cardinal, lui prte un projet tordu (Lettre de Mr le cardinal de Lyon ˆ Mr le Cardinal de Richelieu son frre, l'an 1631) : se donner une origine royale gr‰ce ˆ sa parentŽ avec les Courtenay ! La rŽponse supposŽe de Mr de Lyon ˆ son frre dŽnonce l'effronterie avec laquelle vous vous faites descendre de Louys le Gros & tomber dans la branche de ceux de Courtenay, lesquels vous avez resolu de faire dŽclarer Princes du sang afin de vous faciliter l'exŽcution de vos desseins... (p. 35) ˆ quoi Richelieu aurait rŽtorquŽ : notre gŽnŽalogie... me fournira, aprs que j'auray esteint toute la race Royale, renversŽ la Loy Salique, & chassŽ ces morfondus de Courtenay, ˆ conquerir le Royaume... (p. 38). Richelieu se servirait des morfondus pour ajouter leur descente m‰le de Louis le gros ˆ celle qu'il s'attribue. Plus que la perversitŽ du Cardinal, ce texte montre que, ds 1630, ceux de Courtenay ont accŽdŽ ˆ la notoriŽtŽ.
Richelieu avait-il besoin d'eux, lui qui, comme Sully et tant d'autres, s'emploie ˆ mettre le passŽ ˆ la hauteur de son prŽsent en ajustant sa mŽdiocre ascendance ˆ sa neuve magnificence ? Il se fait inscrire par les Sainte-Marthe dans la descente de Robert de Dreux, donc de Louis VI (Maison de France, 1627, T2, XXX, 10, Jeanne de Dreux, p 1016). Il charge le complaisant Duchne de dŽvelopper le thme (1631) : le Cardinal sort de Louis le Gros, par femmes, via son arrire-grand-mre, la bien nommŽe Anne Le Roy. Des femmes ! MalgrŽ la loi salique, Duchne accorde ˆ Richelieu une royalitŽ entire en raison de la grandeur du Sang des descendantes d'un Roi, grandeur qui ne se divise pas, ne se dilue pas et confre tant d'excellence & de Splendeur ˆ tous ceux qui ont mŽritŽ l'honneur de descendre d'elles. La plus minime fraction de royalitŽ, mme fŽminine, suffit pour tre tout royal !
Aprs la mort du Cardinal, Le Laboureur Žcrit malicieusement en 1659 qu'il empila les gŽnŽalogies afin qu'il parut comme par l'effet de Cylindre, qu'il estoit l'extrait d'un nombre presqu'infiny des Rois, d'Empereurs & de grands Princes, dont chacun avoit fourny sa portion de son estre. Les ascendances se cumulent et l'effet de cylindre traduit l'additivitŽ de la Splendeur ! Dans ce temps, le discours gŽnŽalogique est une forme de la rhŽtorique de l'Žloge, comme en tŽmoigne la cŽlŽbration emphatique du Cardinal par Duchne : ... la splendeur de cette extraction avec laquelle il est venu dans le monde est la moindre partie des Grandeurs qui Žgalent maintenant la gloire de son Nom ˆ l'Žtendue de l'Univers... Les surŽminentes & extraordinaires Vertus, qui ont tousiours ŽclatŽ vivement en luy...
Laissons la grandeur prŽtendue du Cardinal et celle qu'il aurait pu tirer d'un Courtenay Prince du sang. Voyons la chose sous l'angle politique : sublimer un Courtenay permettrait de balancer l'Žternel brouillon qu'est le frre du Roi, Gaston, trop longtemps hŽritier naturel, ainsi que les non moins agitŽs CondŽ. Un Roi sans enfant nŽcessite une rŽserve de princes de son sang et, si possible, dociles. L'ŽventualitŽ Courtenay pouvait-elle servir de moyen de pression ou de nŽgociation ? Certes, le roi n'a pas de fils ; certes, vous tes du sang, mais il y en a d'autres.
Mme si nos Courtenay s'exagrent le soutien de Richelieu, ils ont espŽrŽ en tirer quelque chose. Richelieu meurt trop t™t. C'est le refrain qui enterre tout ceux qui leur auraient voulu du bien.
Plus tard, Louis de Chevillon comptera-t-il sur Mazarin pour promouvoir son fils Louis-Charles ? Peut-on, pour une fois, croire Saint-Simon ? Il raconte une histoire qu'il doit tenir de son pre : le Cardinal, cherchant des nids dans les cieux pour caser ses nices chŽries, songea ˆ faire dŽclarer celui-ci [Louis-Charles] prince du sang et ˆ lui en donner une, Hortense, la plus belle de ses nices, ˆ qui il donnait tant de millions. L'histoire n'est pas avŽrŽe mme si Omer Talon qui, lui, est contemporain, la partage : Mazarin avoit balancŽ quelque temps entre le grand-ma”tre (marquis de La Meilleraye, grand-ma”tre de l'artillerie qui Žpousera Hortense en 1661) et le prince de Courtenay, qu'il ežt fait reconno”tre prince du sang, s'il avoit ŽtŽ capable de soutenir une si grande naissance (ƒd. Petitot-MonmerquŽ, 1828, T. IV, p 204). Contra, nous avons les MŽmoires d'Hortense (attribuŽs ˆ son ami, lÕabbŽ de Saint-RŽal, 1675) : Mazarin avait dŽcidŽ de marier La Meilleraye, non ˆ Hortense mais ˆ sa sÏur Marie : [Meilleraye] refusa ma sÏur [Marie], et conut une inclination si violente pour moi, quÕil dit une fois ˆ Mme dÕAiguillon que pourvu quÕil mÕŽpous‰t, il ne se soucioit pas de mourir trois mois aprs. Aux premires nouvelles que M. le cardinal apprit de cette passion, il parut si ŽloignŽ de lÕapprouver, et si outrŽ du refus [...] de ma sÏur, quÕil dit plusieurs fois quÕil me donnerait plut™t ˆ un valet. Louis-Charles est-il ce valet ou Mazarin lui destinait-il vraiment Hortense si Meilleraye Žpousait Marie ?
Revenons ˆ son pre.
En 1653, se voyant mourir sans postŽritŽ, Gaspard de BlŽneau ( 1655), le chef de la Maison Courtenay, la confie ˆ son arrire petit-cousin, le fils de Jean de Frauville, Louis de Chevillon (leur a•eul commun date de deux sicles : Jean de BlŽneau, 1460), ˆ la charge de la transmettre ˆ Louis-Charles, son fils, et de la conserver ˆ ceux de son nom et armes et de payer ses dettes jusqu'ˆ concurrence de 80000 livres. La Maison passe au Chevillon, ce Chevillon qui a trouvŽ sa feuille de route dans son berceau.
Edme de BlŽneau avait appelŽ son hŽritier Gaspar, comme son pre. Jean de Frauville ( 1639), l'ambitieux, quoique cadet de la branche cadette, assigne son premier fils ˆ la royalitŽ en le nommant Louis comme Clovis et les autres : outrecuidance ? bluff ? espoir ? sentiment que le temps est venu ? Pour la premire fois en cinq sicles, un descendant de Pierre reoit ce nom sacrŽ. Dans une famille qui prŽtend aux lys, Louis fait drapeau et trompette. Depuis le dŽbut, les a”nŽs sont allŽs de Pierre en Pierre, les Champignelles de Robert en Robert, les BlŽneau de Jean en Jean... Louis est restŽ tabou, ou du moins absent de la liste dans laquelle on puise. Ce nom pse lourd, il signifie le Roi. Beaucoup l'ont portŽ, celui qui rgne est le quatorzime en comptant ˆ partir d'Hlodowig (Clovis). DorŽnavant, il honore l'un de ces Chevillon qui descend, en cascade, de Louis le gros : Chevillon issu de FertŽ-Loupire issu de BlŽneau issu de Champignelles issu de Guillaume issu de Robert issu de Pierre issu du Gros.
Le pari de Jean rŽussira : Louis, devenu chef de la Maison, s'intitulera prince du sang royal et dŽfendra son droit ˆ la succession contre les nouveaux "fils de France" lorrains. Aprs lui, son fils Louis-Charles, de grande mine et parfaitement bien fait, exploitera au mieux la position. Demi-succs fragile ! Les Courtenay s'Žteignent (1730), et la fille finale est renvoyŽe au nŽant.
Regardons comment Louis s'y prend pour Žmerger. Aprs avoir servi (aux barricades de Suse en 1629 et, en 1635, vraisemblablement en Valteline), Louis Žpouse Lucrce (1638) : son pre, Philippe, cadet de la puissante famille de Harlay, trente ans ambassadeur du roi ˆ Constantinople ; sa mre, fille du tuteur du jeune Rosny (Sully), son cousin. Lucrce a ŽtŽ ŽlevŽe par les parents piŽmontais de sa mre. A moins que ceux-ci ne l'aient dotŽe, ce mariage n'apporte gure d'argent car l'ambassade et les imprudences de Philippe de Harlay le ruinent. Mais cette alliance achve le "dŽcrassage" parisien du Courtenay et, en rŽcompense de ses longs et pŽnibles services, Philippe obtient l'Žrection en comtŽ de sa terre de CŽsy dont, finalement, Lucrce hŽritera par la mort de ses frres.
Louis est dans la clientle (et probablement au service) de Richelieu, puis de Mazarin, ce qui ne l'empche pas de flirter avec CondŽ pendant la Fronde dans l'espoir d'obtenir enfin sa reconnaissance, tandis que son frre abbŽ sert le cardinal de Retz en exil ˆ Rome (ce qui lui vaudra, en 1658, de passer un mois ˆ la Bastille, selon Patin : lettres ˆ Charles Spon, 9 avril et 7 mai).
Son ascendance Žtant ˆ prŽsent bien connue, Louis se proclame Prince. Cela brille mais ne pse gure. Le coup d'Žclat, c'est que, ˆ cette occasion, il prend les armes de France, les trois lys royaux ŽcartelŽs de Courtenay, avec la couronne. Jusque lˆ, ce n'Žtait que dans l'obscuritŽ d'Žglises de campagne, sur des tombeaux, ou dans des contrats privŽs que quelques uns avaient osŽ cette annexion. Louis l'affiche ostensiblement.
Si fils de France (famille du roi) ou prince du sang (hŽritier de secours) relvent de catŽgories dŽfinies dont les membres sont rŽpertoriŽs, hiŽrarchisŽs, et les privilges codifiŽs ; si, depuis que le Roi a renversŽ la pyramide "fŽodale" en se faisant la source de la noblesse, il la multiplie et la nomenclature ; si prince souverain a une signification claire ; prince tout court n'est qu'un qualificatif indŽterminŽ, souvent employŽ pour dŽcorer les cadets de grande maison, comme on dŽsigne par baron ceux des simples gentilshommes. Ce prince, Žtiquette sans labellisation, ressemble ˆ la forme soutenue d'un monsieur qui a perdu sa fonction de marqueur de noblesse : ni un titre, ni un rang, pas mme une qualitŽ.
Quoique, depuis que la couronne de France a commencŽ ˆ retrouver son obŽissance... n'y sont princes [stricto sensu] que ceux qui naissent des princes (du Tillet), les imitateurs sont nombreux, tolŽrŽs, voire enviŽs. En 1712, L'ƒtat de la France mentionne une quarantaine de ces "princes de courtoisie" quoique pourtant ceux qui les possdent ne tiennent point rang de Princes, s'ils ne le sont d'ailleurs, mais seulement celui qui leur est dž. La liste inclut le Prince de Courtenay, dont pourtant le nom et la terre appartiennent aux Boulainvillers, comtes de Courtenay. Double hiatus que jamais Saint-Simon ne relve : imbu des rangs, il ne chicane pas un Louis-Charles qui n'en a pas et, sagement, se tient ˆ sa place. Avec les Courtenay, il n'y a pas matire ˆ jalousie, ils n'ont (et n'auront) jamais ni gr‰ces, ni titres, ni dignitŽs, ni honneurs. A un moment o ceux qui ne sont rien se disent marquis, o le roi prodigue les titres ˆ brevet purement honorifiques, beaucoup se disent : qu'est-il besoin de tels brevets pour porter ces titres ? Louis profite et participe de cette inflation gŽnŽralisŽe. Sa princerie (entourŽe de la lŽgende Louis le gros) ne choque pas.
Du Bouchet enregistre cette acceptation (et traduit son ambigu•tŽ) en Žcrivant (dans les Preuves) : Louis de Courtenay premier du nom, surnommŽ communŽment par un concert universel, le Prince de Courtenay.
Mais, si Prince ne tire pas ˆ consŽquence, adjoindre publiquement les lys aux tourteaux des Courtenay va plus loin. Ce n'est pas, post mortem, dans l'ombre d'une chapelle qu'il proclame une ascendance royale. De son vivant, dans la rue, il imite ce Jean de Perusse dÕEscars (1500-1595) qui, lointain descendant de Saint-Louis par sa mre, osa Žcarteler ses armes de fleurs de lys et se fit prince de Carency. Henri III le laissa faire et, une gŽnŽration plus tard, nul ne s'interrogeait plus.
Saint-Simon ne pense pas ˆ Claude de Rasse, son pre, Vermandois carolingien par la faveur du roi, lorsqu'il Žcrit : Comme les rangs, les honneurs et les distinctions sont peu ˆ peu tombŽs en pillage en France, aussy ont fait les noms, les armes, les Maisons ; s'ente qui veut et qui peut.
L'innovation de Louis, prŽparŽe depuis cinquante ans, ne suscite pas d'Žtonnement. Aucune rŽprobation, aucune procŽdure ne saluent l'apparition d'une nouvelle petite Žtoile ˆ l'extrme pŽriphŽrie du ciel royal. Lorsqu'on en parle, c'est comme si elle Žtait lˆ depuis toujours. Et du Bouchet, dans sa cŽlŽbration que nous allons rencontrer, qualifie rŽtrospectivement de prince ou princesse le moindre Courtenay depuis Pierre "de France", le fils du Gros.
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Prince de Courtenay s'emploie couramment, quoique (et parce que) a n'engage ˆ rien. C'est probablement de 1655 que date cette autopromotion, quand le passage de Gaspard de BlŽneau ˆ Louis de Chevillon met en scne la recomposition des biens et honneurs familiaux. Louis se fleurdelise et, pour consolider cette avancŽe, il recourt ˆ du Bouchet, un gŽnŽalogiste ˆ tout faire, alors non dŽpourvu de rŽputation. Le De stirpe du temps de Henri IV, cette Sermocinatio, lourde plaidoirie en latin, Žtait devenu une antiquitŽ gothique qui avait ratŽ son but et, au reste, ne prouvait rien. L'Histoire gŽnŽalogique de la Maison royale de Courtenay para”t en 1661, l'annŽe mme de la mort de Mazarin et du dŽbut du "rgne personnel" de Louis XIV auquel elle est dŽdiŽe.
Quelques annŽes suffisent ˆ du Bouchet, professionnel expŽrimentŽ dont l'atelier fonctionne depuis longtemps et les armoires dŽbordent d'archives, pour rassembler et mettre en forme cette Histoire gŽnŽalogique, malgrŽ la taille de l'ouvrage et l'abondance des preuves qu'il contient, vraisemblablement issues du travail d'archive initiŽ par les Courtenay sous Henri IV. Du Bouchet ne livre pas un factum comme le De stirpe, mais un vrai catalogue, avec un imprimeur (Preuveray), un libraire (du Puis) et un privilge royal (du 7 fŽvrier 1661).
L'Adresse au Roi commence ainsi : Voicy des Princes issus d'un de vos Augustes Ayeux, & que la RenommŽe & le bruit de Vos incomparables Actions & de vos vertus hero•ques, obligent de quitter leurs Tombeaux pour revivre sous votre Empire.
Ainsi appelŽs, comme malgrŽ eux, par la gloire du Roi, ils esprent la glorieuse Protection de votre MajestŽ, & que vous leur accorderez en faveur de ceux qui restent encore de leur PosteritŽ, les marques d'Honneur, qui doivent tre inseparables de leur Extraction Royale. C'est un Droit, SIRE, qu'ils tiennent en partage de la Nature ; qui ne se peut prescrire par le Temps ; & que vous ne leur sauriez refuser sans affoiblir l'Appuy de Votre Couronne, puisqu'il n'y a que les Princes du sang qui soient nez pour la soutenir, & qui ayent la facultŽ de produire les Roys... Il est de votre gloire aussi bien que de la grandeur de l'Etat que ceux qui ont l'honneur d'avoir une mme origine de V.M.... ne demeurent pas parmi le vulgaire, sans Žclat et sans rang.
Une prŽface de 13 pages explique au lecteur que les Courtenay ne souffrent pas d'un vice gŽnŽalogique mais d'un accident de l'Histoire : ils ne sont pas titulŽs
princes du sang parce qu'il n'y en avait pas du temps de leur anctre royal. Plus tard seulement, Louis VIII, S. Louis, ont distinguŽ leurs fils, placŽs au-dessus de la noblesse : ce
n'a pas ŽtŽ une naissance douteuse ou incertaine qui les a retenus dans la condition o ils sont ˆ prŽsent, mais seulement l'ancien usage de l'Etat... Que si la Fortune a eu assez d'injustice jusqu'ˆ cette heure pour refuser l'entrŽe du Louvre ˆ leur Carrosse, la Nature & la Loi fondamentale de l'Etat leur ont donnŽ l'avantage de mŽriter cet honneur et d'tre les seuls qui peuvent succŽder ˆ la Couronne aprs la Maison de Bourbon [qui est a”nŽe].
Le droit de nature imprescriptible, dŽjˆ rencontrŽ dans le de stirpe, est na•f, niant les sicles de construction de l'institution royale qui ont dŽlimitŽ et thŽorisŽ le statut de successeur. Aussi na•ve est l'attribution de la primautŽ de la Maison de Bourbon ˆ sa descente du fils a”nŽ de Louis VI le gros (Louis VII), alors que ceux de Courtenay viennent du cadet (Pierre). Quelle ŽnormitŽ ! Nul n'a jamais originŽ la Monarchie au Gros. Nous examinerons dans la conclusion cette translation forcŽe : en plaant au XIIe sicle l'anctre commun (gŽnarque), elle mettrait Bourbon et Courtenay sur le mme plan, quoiqu'ˆ des hauteurs diffŽrentes.
La structure de l'Histoire de du Bouchet est curieuse. Ses 400 pages de texte (auxquelles s'ajoutent 262 pages de preuves, numŽrotŽes sŽparŽment) ne nous apprennent pas grand chose, les chroniqueurs ayant oubliŽ les Courtenay. Ils apparaissent surtout dans les partages successoraux qui fournissent dates, noms, parentŽs et rŽpartitions de terre. Je n'ai pas eu le courage de procŽder ˆ un comptage prŽcis : approximativement, les Courtenay occupent une centaine de pages de leur Histoire. Le reste est rempli par les gŽnŽalogies des conjointes, supposŽes illustrer la grandeur des alliances. Certes, plus il y a de grands noms, plus a brille, mais je souponne du Bouchet d'avoir rŽglŽ Žconomiquement le problme du manque de donnŽes en rŽemployant le contenu des cartons dans lesquels il collectionne les Maisons.
Quoiqu'apparemment trs dŽtaillŽ, l'ouvrage a dž sembler frustrant au "Prince" Louis, s'il l'a lu (il lui suffisait qu'il exist‰t). En effet, du Bouchet n'ose pas produire un schŽma d'ensemble dŽduisant Louis de Pierre "de France". Il se limite ˆ des schŽmas partiels qu'il n'essaie pas de synthŽtiser. Sa dŽmonstration reste implicite et opre par emboitement. L'auteur suit pyramidalement les branches issues de Pierre (l'impŽriale et celle de Champignelles), puis celles issues des issus (Bleneau, puis Chevillon). Comme il ne donne pas de table des matires, j'en ai reconstituŽ les mŽandres, du Livre I au Livre IV. Les dates (qu'il ne justifie pas) correspondent habituellement, pour la premire ˆ celle du partage qui a dotŽ le "fondateur", et pour la dernire ˆ la mort du dernier successeur, d'o le flambeau passe ˆ une branche cadette. Le livre V accueille ceux dont on ne sait pas quoi faire.
Livre 1, Partie 1 branche ainŽe (empereurs) 1160-1307 : C1 Louis VI ; C2 Pierre, fils du prŽcŽdent ; C3 Pierre II, fils du prŽcŽdent ; C4 Robert, fils du prŽcŽdent ; C5 Baudoin, frre du prŽcŽdent ; C6 Philippe, fils du prŽcŽdent ; C5 Catherine, fille du prŽcŽdent.
Livre 1, Partie 2 branche Champignelles 1197-1271 : C1 Robert, petit-fils de Louis VI ; C2 Pierre, 1er fils du prŽcŽdent ; C3 Raoul, 2nd fils ; (Guillaume, 6me fils et successeur reportŽ au Livre 2, C1).
L2 Champignelles et S.Brion 1246-1472 ( Jean IV) : C1 Guillaume ; C2 Jean I fils du prŽcŽdent (x S.Brion) ; C3 Jean II, fils du prŽcŽdent (x S.Verain-BlŽneau) ; C4 Jean III, fils du prŽcŽdent ; C5 Pierre II son frre ; C6 Pierre III, fils du prŽcŽdent (son frre Jean "II" de BlŽneau poursuivi au Livre 3) ; C7 Jean IV sans terre, fils du prŽcŽdent.
L3 BlŽneau 1415-1655 ( Gaspard) : C1 Jean "II", frre de Pierre III ; C2 Jean "III", fils du prŽcŽdent ; C3 Jean "IV", fils du prŽcŽdent ; C4 Franois, fils du prŽcŽdent ; C5 Gaspard, fils du prŽcŽdent ; C6 Edme, fils du prŽcŽdent ; C7 Gaspard II, fils du prŽcŽdent.
L4 FertŽ-Loupire, Chevillon, Bontin, de 1461 jq ˆ prŽsent :
C1 Pierre FertŽ-Loupire et Chevillon, 3e fils de Jean "II" (dont le 4e fils est en C7) ; C2 Pierre, 1er fils du prŽcŽdent (dont RenŽ, dont filles par lesquelles se perd la FertŽ-Loupire) ; C3 Jean Chevillon, 2e fils ; C4 Guillaume, fils du prŽcŽdent ; C5 Jean Frauville, 4e fils et successeur ; C6 "Prince" Louis, fils du prŽcŽdent.
C7 Sgrs de Bontin: Louis (4e fils de Pierre FertŽ-Loupire et Chevillon du C1 de ce L4) ; C8 Franois (RPR), fils du prŽcŽdent ; C9 sa fille Anne x Sully.
L5 Sgrs d'Arrablay, anciens FertŽ-Loupire, Tanlay
Faisons preuve de bonne volontŽ. Pour simplifier et rationnaliser ces catalogues, ™tons la branche impŽriale qui n'a pas de postŽritŽ et les "scories" du Livre V, et schŽmatisons ainsi l'ensemble de l'exposŽ, supposŽ valoir dŽmonstration :
Concernant la royalitŽ des Courtenay, du Bouchet l'insinue au lecteur par l'appellation de prince et princesse qu'il distribue abondamment aux diffŽrents sires et ˆ leur Žpouse. La continuitŽ rŽsulte de la substitution d'une branche cadette ˆ une branche a”nŽe lorsque celle-ci s'Žteint.
Les preuves incontestables n'existent pas, les contre-preuves non plus. Tout le monde le sait, gŽnŽalogies et falsifications vont de pair, que ce soit pour fabriquer une ascendance noble, l'enjoliver, la faire remonter plus loin, ou encore lui trouver une origine prestigieuse. Autant que les vŽrifications de noblesse, la vanitŽ fait vivre toute une industrie, grise ou criminelle, qu'illustre la maxime : les gŽnŽalogistes ont fait plus de nobles que le Roi (Furetire, 1690).
La Maison royale a pour fonction de dŽbloquer le verrou posŽ par les Sainte-Marthe en donnant au 6e fils de Robert de Champignelles, Guillaume, une postŽritŽ dont les dŽtails vont jusqu'ˆ prŽsent. La passerelle lancŽe par du Tillet, reconstruite et renforcŽe, prend l'allure de ponts successifs. Louis obtient le monument de sa grandeur et fournit des matŽriaux aux gŽnŽalogistes futurs.
En effet, l'ouvrage impressionnera et alimentera les faiseurs d'annuaires royaux qui, autrement, se seraient contentŽs des Sainte-Marthe, excluant par lˆ les Courtenay. De mme que la valeur d'une lettre de change augmente avec le nombre des signatures qui la garantissent, de mme chaque reprise de du Bouchet accro”t sa crŽdibilitŽ et celle de ses clients ! Cela se voit ds l'Histoire gŽnŽalogique et chronologique de la maison royale de France du Pre Anselme (1674), maintes fois rŽŽditŽe et complŽtŽe. Au sicle suivant, c'est le tour de La Chenaye-Desbois (Dictionnaire de la Noblesse 1757-1765). Tous les compilateurs de catalogues de la maison royale ou de la noblesse auront un chapitre "Courtenay", basŽ sur du Bouchet. Ainsi, capturant les gŽnŽrations futures, Louis rŽussit-il ˆ inscrire son origine dans les annales du royaume.
Le prince sent-il qu'en passant de la statique (ni reconnus, ni dŽniŽs) ˆ la dynamique (j'avance, faites-moi reculer), il exploite l'indŽcidabilitŽ, en assimilant l'absence de rŽaction ˆ une approbation ? On le pense lorsqu'on lit le prŽambule de sa Requte solennelle de 1666 : Avant que de presser V.M. par leurs plaintes ; ils ont creu, SIRE, estre obligez d'exposer ˆ l'examen de toute l'Europe, les Preuves invincibles de leur Extraction Royalle: L'histoire GŽnŽalogique, qui contient leur filiation & ses Preuves authentiques, est imprimŽe depuis cinq ans avec la permission de V.M. Et cette vŽritŽ est confirmŽe par le tesmoignage de tous les Historiens.
Les Courtenay tardifs s'affirment aussi CapŽtiens que le roi, tout en restant prudents. Dans ses additions aux MŽmoires de Dangeau, Saint-Simon dŽvoile leur astuce : Ces messieurs-lˆ... ont ŽvitŽ de rien faire volontairement qu'on pžt opposer ˆ leur droit (Dangeau, T.4, p. 17-18, ˆ la date 3 fŽv. 1692). Louis n'est pas un desperado. Il n'enfonce pas les grilles du Louvres avec son carrosse. Il joue ses rares cartes avec habiletŽ, et non ˆ quitte ou double comme un Pranzac dont le Parlement condamna la prŽtention ˆ la royalitŽ (Guillard, 1689, T.4). Pour bien montrer la diffŽrence, Du Bouchet lance en 1667 une Responce ˆ la requeste que M. de Pranzac, prince du sang imaginaire, s'est persuadŽ avoir prŽsentŽe au Roy.
Louis a l'impertinence cauteleuse. Sully, Richelieu, Mazarin, ont encouragŽ ou excitŽ les prŽtentions des Courtenay dont ils espŽraient tirer profit. N'en doutons pas, Louis, avant de se fleurdeliser, savait qu'on le laisserait faire. Mme si les faux princes prolifrent et si la "sociŽtŽ" du temps est plus fluide que l'Etiquette de Versailles et les querelles de rang le suggrent, prendre les armes royales, c'est toucher ˆ la hache.
Quand, en 1661, Louis XIV commence son rgne personnel, il trouve notre Louis "royalisŽ" et il affecte de l'ignorer. Ma”tre des distinctions, le roi qui accorde ou refuse un tabouret de gr‰ce ˆ celles qui ne l'ont pas de droit, abandonne ˆ Louis son fauteuil virtuel, ˆ condition qu'il ne s'assoie pas, et sans accompagner cet honneur d'honneurs ni d'aucun avantage. En un mot, il le reconna”t comme mŽconnu !
Patin Žcrit (ˆ Falconet, le 28 fŽvrier 1662) : La reine est grosse et sur cette nouvelle, le roi a dit : Nous ne manquerons pas de petits Courtenay, cÕest-ˆ-dire de pauvres princes, et incommodŽs. Tout est lˆ et rien de plus : sans prŽjudice ni implication, le roi cousine ˆ la mode de Bretagne avec ce lointain parent que tout le monde admet comme tel. Saint-Simon le note : les Courtenay portaient de France... sans qu'on les en ait empchŽs, et ont toujours drapŽ avec le roi, ce qui jusqu'ˆ sa mort n'a ŽtŽ souffert qu'aux gens qui en avoient le droit (Saint-Simon, add. Dangeau dŽjˆ citŽe). Draper sa maison de noir pour marquer la mort d'une personne royale, s'associer ainsi au deuil du roi, cela signe l'appartenance ˆ la famille.
L'indiffŽrence est peu probable, de la part d'un roi si soucieux de l'Žtiquette. Ces lointains cousins respectueux semblent lui inspirer une ombre d'indulgence. Sans rien leur concŽder, le roi les laisse prŽtendre. Il est vrai qu'ˆ ses yeux, son sang personnel (enfants lŽgitimes ou pas) a une telle prŽŽminence sur le sang royal en gŽnŽral que ce dernier ne compte plus gure.
Une illustration : ds le dŽbut de son gouvernement, en 1662, le jeune roi agrge ˆ sa famille royale les Princes Lorrains qui n'en sont pas, niant la biologie du sang. Ce faisant, il transgresse les "lois fondamentales", pour lesquelles, si le Roi fait la Loi, si le Roi est la Loi, il ne dispose pas de la Couronne ; Dieu seul y pourvoit par les voies naturelles du mariage lŽgitime ; agir autrement revient ˆ se substituer ˆ la Providence, ˆ remplacer les voies de droit par des dŽcisions arbitraires !
Lionne exploite la situation dŽsespŽrŽe du duc de Lorraine, Charles IV, le cauchemar de Richelieu, pour lui faire promettre (moyennant une grosse pension) de lŽguer la Lorraine ˆ Louis XIV, afin de dŽguiser en fusion l'annexion dŽjˆ rŽalisŽe (cf. Spangler, 2003) : les princes du sang de Lorraine, rŽputŽs princes du sang de France, en auraient les privilges et donc accŽderaient ˆ la Couronne au cas (improbable) o les Bourbon s'Žteindraient jusqu'au dernier. Charles s'en amuse, disant que plus habile qu'aucun Roi qui ežt jamais ŽtŽ, il avait fait vingt-quatre Princes du Sang dans un jour.
Le TraitŽ de Montmartre est signŽ le 6 fŽvrier 1662. Les Princes et les ducs-pairs de France n'en veulent pas plus que le Parlement de Paris dont le Roi force l'enregistrement (27 fŽvrier). Le traitŽ est invalidŽ d'avance puisqu'il nŽcessite l'adhŽsion de tous les nombreux Princes lorrains. Que, matŽriellement, il soit sans effet, n'empche pas qu'il blesse ceux dont la promotion putative des Lorrains affecte l'honneur. En effet, le TraitŽ dispose que les Princes lorrains marchent devant tous les autres Princes issus de Maisons Souveraines Žtrangres, ou enfans naturels des Rois & leurs descendans, & jouissent des privilges & prŽrogatives des Princes de son sang. Vend™me, b‰tard lŽgitimŽ de Henri IV, les ducs & pairs, rŽtrograderaient d'une case et les Courtenay ne seraient plus la roue de secours (virtuelle !) de la Monarchie :
Le Duc de Vend™me prŽsenta une Requte, par laquelle il supplioit de considŽrer, qu'Henri quatre avoit rŽglŽ qu'il auroit le pas immŽdiatement aprs les Princes du sang, & que Sa MajestŽ elle-mme le lui avoit conservŽ ; aprs-quoi il forma son opposition. Le Prince de Courtenai en fit autant. II fžt suivi des Duc & Pairs, qui remontrrent, que la gr‰ce accordŽe aux Princes Lorrains blessoit leur dignitŽ...
Vend™me et les ducs & pairs remontrent contre l'augmentation du nombre de ceux aprs lesquels ils passent. Notre Prince Louis, ds le 12 fŽvrier, Žcrit au Roi pour la prŽservation des droits de sa Maison.
Audace soigneusement calculŽe : Louis ne conteste pas, il se lamente car ce traitŽ rouvre une vieille plaie jamais guŽrie. Lorsque, au sicle prŽcŽdent, les Guise "carolingiens", cadets de Lorraine, voulaient tout avaler, on les a contenus en bloquant ˆ St Louis la "proximitŽ ˆ la Couronne" (cf. Annexe I), ce qui Žcarta les Courtenay. Et voilˆ que, d'un coup, les Lorrains, sautant par dessus St Louis, entrent dans le Sang dont les Courtenay restent exclus ! Voilˆ un dernier outrage et une dernire injustice. Le Prince Louis s'attriste : des CapŽtiens, il ne reste plus aujourd'hui que la famille du Bourbon rŽgnant... et les Courtenay oubliŽs. Les Bourbon venant ˆ manquer, la Couronne devrait revenir, non aux Lorrains qui sont "Žtrangers" et l'ont toujours ŽtŽ, mais aux Courtenay.
Lisons le MŽmoire prŽsentŽ au Roy par Monsieur le Prince de Courtenay en suite de sa protestation, le 13 FŽvrier 1662 :
... ne restant plus de la Maison Royale, que celle de BOURBON, qui Rgne heureusement en la Personne de Vostre MajestŽ, & celle de COURTENAY, ˆ laquelle on veut faire le dernier outrage & la dernire injustice. Car SIRE, quoy qu'elle soit seule capable de succŽder ˆ la Couronne aprs la Maison de BOURBON, On a stipulŽ au prŽjudice du droit de sa Naissance, dans le TraittŽ que V. M. vient de faire avec Monsieur de Lorraine, Que la Maison de BOURBON venant ˆ dŽfaillir, celle de Lorraine succderait ˆ la Couronne...
Cette "protestation" reste sans rŽponse. L'Žtonnant, c'est que Louis ose Žcrire cela, le signer du titre de Prince, le prŽsenter au Roi, imprimer la lettre et la diffuser en toute impunitŽ. En ce sens, cette "protestation" marque ˆ la fois l'apogŽe et le pŽrigŽe du satellite Courtenay qui, repoussŽ encore plus loin par les Lorrains, arrive au point le plus avancŽ d'une offensive centenaire : ˆ cinquante-deux ans, le "Prince" Louis a publiŽ ne restant plus de la Maison Royale, que celle de BOURBON... & celle de COURTENAY et on ne l'a pas sanctionnŽ parce qu'il sait jusqu'o aller trop loin et prend garde de ne marcher sur les pieds de personne au-dessus de lui.
Avant de mourir dix ans plus tard (1672) il a le temps, en 1669, de marier son fils Louis-Charles, l'ainŽ de ses sept enfants vivants, alors ‰gŽ de vingt-neuf ans, son successeur.
Louis-Charles, nŽ en 1640 avec un prŽnom doublement royal, jouira des conqutes de son pre et bŽnŽficiera d'une exceptionnelle longŽvitŽ ( 1723). Lui aussi sait se tenir, ne dispute le pas ˆ personne et ne prŽtend pas entrer chez le Roi en carrosse. On le voit ˆ la cour, comme une ombre, sans autre qualitŽ que le cousinage de fait admis par Louis XIV qui lui en accordera une fois la manifestation, lui rendant visite en personne ˆ l'occasion de la mort au combat de son fils, ce qui fut extrmement remarquŽ, parce qu'il [le Roi] ne faisait plus depuis longtemps cet honneur ˆ personne. Quand Louis-Charles essaie de marquer de nouveaux points, on l'Žcarte sans mŽchancetŽ : en 1695, tout incommodŽ qu'il Žtoit, il veut payer les 2000 francs de capitation tarifŽs aux Princes du sang : On ne les voulut pas recevoir. Il soutint qu'il les payeroit en entier, ou rien du tout, et oncques depuis il ne l'a payŽe, mme depuis qu'elle fut rŽpartie autrement (Saint-Simon, ibid.). Bref, il peut dire, non faire ; affirmer, non confirmer. Quoiqu'il soit aussi (ou plus) habile que son pre et enragŽ procŽdurier, il n'obtient pas davantage. Dans le contexte de la querelle des lŽgitimŽs, la protestation qu'il adresse au RŽgent (1715) est un geste, aussi nŽcessaire que vain, pour la conservation des droits de sa naissance. Ces droits ne survivront pas ˆ Louis XIV.
Retraons rapidement la vie de Louis-Charles. J'ai mentionnŽ Hortense Mancini et ses millions qui en auraient fait un trs grand personnage si La Meilleraye ne s'Žtait pas mis en travers. Louis-Charles participe aux premires guerres de Louis XIV : on le voit ˆ la dŽsastreuse campagne d'AlgŽrie (Jijel, 1664), en Flandres en 1667 ; blessŽ au sige de Douai, il se signale encore ˆ celui de Lille & ˆ la guerre de Hollande en 1672.
En 1669, son pre Žtant encore vivant, il Žpouse Marie de Bussy (Bucy), d'une branche cadette des Lamet (Lameth), ancestrale noblesse d'ŽpŽe picarde. Marie est fille du dŽfunt Antoine ( 1652), gouverneur de MŽzires, place stratŽgique. Avec sa sÏur Catherine, elle a hŽritŽ des biens et terres paternels par le dŽcs de leur frre et de leur mre en 1666. Marie, avant sa mort (1676), donne deux fils ˆ Louis-Charles, Louis-Gaston (1669) et Charles-Roger (1671) : l'avenir de la princerie para”t assurŽ.
Louis-Charles reste veuf douze ans et, le 14 Juillet 1688, se remarie dans la robe. Il Žpouse la riche HŽlne ( 1713), fille de Bernard du Plessis-Besanon (1600-70), grand serviteur de Marie de MŽdicis, puis de Richelieu, puis de Mazarin. Si Bernard a des titres militaires (Lieutenant-GŽnŽral des ArmŽes du Roi, Gouverneur d'Auxonne qui commandait les frontires de la Franche-ComtŽ), il est surtout administrateur et diplomate. Sa famille est des plus nobles & plus anciennes & mieux alliŽes de Paris, & qui a eu l'honneur d'avoir produit sept Conseillers du Parlement de pere en fils, depuis Hugues de Besanon qui l'estoit en 1314 (Blanchard, 1647, Catalogue des conseillers). HŽlne est veuve de Jean Le Brun ( 1676), sr du Breuil, prŽsident au grand conseil. Elle a de Louis-Charles une fille, nommŽe HŽlne comme elle (1689-1768).
L'espoir de Louis-Charles, son fils a”nŽ, Louis-Gaston, fut tuŽ mousquetaire au sige de Mons en 1691, sans avoir eu le temps de se marier et d'engendrer. Avec lui dispara”t l'avenir de la Maison. La porte se ferme, que les gŽnŽrations prŽcŽdentes avaient peinŽ ˆ entreb‰iller. C'est peut-tre le vrai sens de la visite de condolŽance dont l'honore le Roi : finis. En ce qui concerne le garon, il n'y avait pas grand chose ˆ en dire, comme l'expriment joliment les MŽmoires apocryphes du cardinal Dubois : C'Žtait un beau jeune homme de vingt et un ansÑ Je viens de faire en neuf mots toute son oraison funbre.
Familier mineur de la Cour, Louis-Charles voit ses moyens financiers rŽduits par le dŽcs de son Žpouse en 1713 : Madame de Courtenay mourut ˆ Paris aprs une longue maladie ; elle ne paraissait point en ce pays-ci [la Cour]. Elle avait un bien considŽrable qui faisait subsister M. de Courtenay qui va tre prŽsentement fort mal dans ses affaires car le bien de sa femme revient aux enfants qu'elle avait de son premier mariage avec le prŽsident le Brun (Dangeau, T.15, ˆ la date du 29 novembre).
Saint-Simon Žcrit qu'il fut sauvŽ de l'affreuse pauvretŽ o il avait vŽcu par les libŽralitŽs de la RŽgence. L'information vient de Dangeau (ˆ la date 6. fŽv. 1720, T.16, p. 229) : Le roi a donnŽ 200,000 francs ˆ M. de Courtenay le pre; on lui a donnŽ le choix de cette somme ou de 20,000 francs de pension; il a mieux aimŽ prendre les 200,000 francs. "Le roi", i.e. le RŽgent, i.e. Dubois qui, commente Saint-Simon, quand il n'Žtait encore qu'un petit abbŽ, avoit ŽtŽ reu familirement chez lui ; il s'en souvint, et lui procura cette gr‰ce sans qu'il ežt songŽ ˆ en demander aucune. A peu prs en mme temps, le dernier fils, Charles-Roger reut aussi une gratification de Dubois qui se piqua de lui donner une part de ses gains dans la spŽculation du Mississipi : 200,000 francs d'actions. Ces cadeaux inattendus rŽpondent-ils ˆ la Protestation de 1715 ou cachent-ils quelque chose (cf. infra) ?
M. Charles-LoŸis, Prince de Courtenay, est mort ˆ Paris le 28. Avril dernier... Il Žtait fils de Louis Prince de Courtenay... Žcrit Le Mercure de Mai 1723 (p 1005-6) qui termine sa notice nŽcrologique par : Les GŽnŽalogistes, font descendre la Maison de Courtenay de Pierre de France, premier du nom, septiŽme & dernier fils du Roy Louis le Gros.
A quatre-vingt trois ans, Louis-Charles expire avec la RŽgence, en 1723, la mme annŽe qu'OrlŽans et Dubois, des suites d'une chute qu'il avait faite dans l'escalier du prŽsident Nicolay. Reste Charles-Roger, le fils cadet qui n'est pas pourvu du Louis magique. Il l'a mariŽ en 1704 ˆ Marie Claire Genevive, fille de Claude "de Bretagne", Marquis d'Avaugour, Comte de Vertus et Go‘llo. Elle est veuve du surintendant des b‰timents du roi de Portugal, seigneur d'Azambujeira. Quand Louis-Charles disparait, le couple n'a pas d'enfant. Il n'en aura pas. Charles-Roger ne reprend pas le flambeau : il servit peu et fut un trs pauvre homme et fort obscur quoique riche (Saint-Simon). Ce pauvre riche se suicide sans raison apparente en 1730 et, pour l'honneur, l'on affecte de croire ˆ un accident. Ainsi fine la seconde Maison Courtenay.
Charles-Roger, l'ultime Courtenay, appara”t comme l'homme de l'Žchec et du renoncement. C'est peut-tre pour corriger cette image et conserver ses droits que sa sÏur HŽlne aurait prŽtendu qu'il adhŽrait fidlement aux revendications familiales. Elle-mme, magnifiŽe par son mariage avec Bauffremont, les affirmera hautement.
HŽlne aurait confiŽ l'histoire suivante ˆ Danjan, garde des archives du duc d'OrlŽans, (pour qu'il la raconte ˆ d'autres) : le grand ‰ge de son pre rapprochant le moment qui ferait de Charles-Roger l'hŽritier du nom et des droits, on (Dubois ?) propose ˆ ce dernier de renoncer, pour lui et ses descendants, ˆ ce fant™me de gloire. En compensation, il recevra une pluie de bienfaits (dont les 200000 francs d'actions seraient les premires gouttes). Charles-Roger refuse avec indignation de sacrifier l'honneur de sa Maison. L'anecdote est publiŽe par Pierre-Antoine La Place qui la tiendrait de Danjan (1786, Pices intŽressantes et peu connues, pour servir ˆ l'histoire, T. 2, p 182 sq.). Le rŽcit, avec quelque fantaisie, montre un Louis-Charles, inquiet, rassurŽ firement par son fils.
Les faux Souvenirs de la marquise de CrŽquy (Courchamps, 1834-1835) en rajoutent encore, brossant du vieux "prince" un tableau gothique aussi spectaculaire que farfelu : dans un ch‰teau mŽdiŽval, sous une tente impŽriale entourŽe de symboles byzantins, Louis-Charles met ˆ l'Žpreuve la fermetŽ de son fils. Tout est inventŽ, mais le rŽcit est trop amusant pour ne pas le citer :
Le vieux Prince de Courtenay vivait encore... il entendit raconter au fond de son Auxerrois que ...le Prince Charles-Roger s'Žtait engagŽ par Žcrit ˆ retrancher de ses armoiries l'Žcu de France... Le pre en tomba malade de chagrin ; il se coucha sous la tente de l'Empereur Baudouin de Courtenay, qu'ils faisaient toujours dŽployer pour achever les Žpousailles et pour se faire administrer l'extrme-onction. On Žcrivit au fils de la part du malade, et le voilˆ parti pour CŽzy. Il entra sous la tente impŽriale de ses grands-pres, qui se trouvait tendue dans le milieu d'une salle immense dont toutes les ouvertures Žtaient fermŽes ˆ la lumire du jour. On entrevoyait un vieux Labarum, ou je ne sais quelle bannire de Byzance, au chevet de la couchŽe. Le vieux prince Žtait couvert d'un grand linceul ; il avait l'air et la voix d'un mourant, et la scne Žtait ŽclairŽe seulement par quelques cierges qui Žtaient placŽs sur une sorte d'autel avec des reliquaires...
Le vieux Prince se mit ˆ le sermonner sur la nŽcessitŽ de ne plus se raidir contre les Bourbons, qui ne consentiraient jamais ˆ lui former un apanage, ˆ moins qu'il n'ežt rŽduit ses armoiries ˆ l'Žcusson de Courtenay proprement dit...
Ñ N'achevez pas, Monseigneur ! n'achevez pas ! ...
Ñ Mais s'il en est ainsi, reprit le vieillard, vous ne consentirez donc point ˆ diffamer nos armes...
Ñ Jamais ! jamais !
Ñ Monsieur, rŽpliqua vigoureusement son pre en se mettant sur son sŽant, c'est une rŽsolution qui vous fait honneur, et, du reste, elle est heureuse pour vous ; car, ajouta-t-il en tirant un pistolet de dessous son linceul, si je vous avais vu faiblir, j'allais vous faire sauter la cervelle...
Charles-Roger, le dernier Courtenay m‰le, se fit sauter la cervelle lui-mme, sept ans aprs la mort de son pre. Il ne subsiste que sa demi-sÏur HŽlne, Žpouse Bauffremont, Žblouie de sa fausse qualitŽ de princesse.
M. de Baufremont, avec bien de l'esprit et beaucoup de bien et de dŽsordre, Žtait un fou sŽrieux, trs sottement glorieux, qui se piquait de tout dire et de tout faire, et qui avait ŽpousŽ une Courtenay plus folle que lui encore en ce genre (Saint-Simon, XIV, 13).
HŽlne de Courtenay, futurement hŽritire de son nom par la mort du prince Charles-Roger de Courtenay, son frre, est issue du second mariage de Louis-Charles. A 23 ans, son pre l'unit ˆ Louis-BŽnigne (1684-1755), chevalier de l'ordre espagnol de la Toison d'or, grand bailli d'Aval, marquis de Bauffremont, prince de Listenois, seigneur du duchŽ de Pont-de-Vaux, vicomte de Salins et de Marigny, etc.
DŽjˆ bien pourvu en titres et en biens en Franche-ComtŽ, il a hŽritŽ des honneurs de son frre ainŽ, Jacques-Antoine ( 1710), et s'est enrichi de la succession Gorrevod, complexe affaire de double substitution que les Bauffremont disputent depuis 1681 et que tranche enfin le Parlement de Paris en 1712. Il trouve dans le paquet maintes possessions, ainsi que la dignitŽ de Prince d'Empire de Gorrevod, aussi creuse que magnificente. On suppose que le prince Louis-Charles et HŽlne de Besanon, sŽduits par tant de brillant, ont vidŽ leurs caisses pour doter HŽlne. Le mariage date du 5 mars 1712. D'aprs les registres de baptme, il produira, de 1712 ˆ 1720, sept enfants vivants, dont quatre garons.
Le premier, nŽ en novembre 1712, nommŽ Louis, a pour parrain son grand-pre, le prince Louis-Charles qui, n'espŽrant rien de son fils Charles-Roger, transfre ainsi sa prŽtention royale que renforceront la richesse, l'illustration et l'orgueil apportŽs par l'alliance avec les Bauffremont.
Ecartons-nous un instant pour examiner ces derniers.
Le pre, aussi haut que puissant seigneur en Bourgogne comtale espagnole, se rallie ˆ la France quand elle annexe le pays. Le rŽgiment Bauffremont-Dragons fait partie des armŽes du Roi.
Jacques-Antoine, le fils a”nŽ, Žpouse en 1706 Louise-Franoise, la seconde fille du comte de Mailly-RubemprŽ : aussi relevŽ qu'ait ŽtŽ Mailly (menin du dauphin, mestre de camp gŽnŽral des dragons de France en 1691), c'est la mre qui compte, Sainte-Hermine, parente et protŽgŽe de la toute-puissante Maintenon. Veuve depuis 1699, la comtesse de Mailly, sans biens et chargŽe d'une troupe d'enfants (Saint-Simon, II, 24), trouve ˆ ses filles de riches Žpoux gr‰ce ˆ Maintenon : les deux belles Franoise, mariŽes contre leur grŽ, auront beaucoup d'amants (et la seconde fera scandale). Jacques-Antoine prend Louise-Franoise sans rien et se rattrape l'annŽe suivante en escroquant 1200 pistoles ˆ sa belle-mre sous prŽtexte de se racheter d'une captivitŽ imaginaire. Deux ans aprs, il en obtient la Toison d'or : Mme de Mailly, qui n'avait pas donnŽ grand'chose ˆ Mme de Listenais [Žpouse de Jacques-Antoine] en mariage, fit en sorte, par Mme de Maintenon et Mme la duchesse de Bourgogne, de faire donner la Toison ˆ Listenais son gendre, malgrŽ la belle ŽquipŽe dont j'ai parlŽ et dont elle avait ŽtŽ la dupe... Cette Toison parut assez sauvage, non pour la naissance, mais par toutes autres raisons (Saint-Simon, VII, 20, annŽe 1709). Jacques-Antoine est tuŽ en dŽfendant Aire.
Son frre, Louis-BŽnigne, militairement actif depuis 1701, lui succde ˆ la tte du rŽgiment familial et dans ses honneurs. En 1711, il se rend en Espagne restituer la Toison vacante par la mort de son frre et se la faire attribuer. Aprs les siges de Douai et du Quesnoy (sept., oct. 1712), Louis-BŽnigne ne participe plus aux opŽrations de la guerre de succession d'Espagne.
La mort du roi en 1715 entra”ne un grand remue-mŽnage. La RŽgence et la mauvaise santŽ du petit roi Louis XV rendent aigu‘ la question successorale. Les Princes du sang rŽclament contre les princes lŽgitimŽs. Les lŽgitimŽs dŽnient au Parlement le droit de trancher la question et en appellent ˆ la majoritŽ du roi ou aux Žtats-gŽnŽraux. Les Ducs et Pairs prŽtendent gouverner. Les simples ducs se soulvent contre eux. Dans cette confusion, la "noblesse" s'agite contre les Ducs, s'assemble et rŽclame les Žtats-gŽnŽraux. Bauffremont se prŽcipite dans cette petite Fronde dont le RŽgent refuse de recevoir le manifeste contre les ducs et princes. OrlŽans rappelle sŽvrement ˆ cette noblesse qu'il est son chef au nom du roi et qu'elle n'a pas le droit de s'assembler d'elle-mme. Si d'aucuns sont impressionnŽs et abandonnent, nombre d'irrŽductibles (excitŽs en sous-main par la duchesse du Maine) envoient au Parlement de Paris le 17 juin 1717 un acte signŽ de 39 gentilshommes, par lequel ils protestent de nullitŽ de tout ce qui s'est fait dans l'affaire des Princes au conseil de RŽgence et de tout ce qui sera fait sans l'assemblŽe des Žtats gŽnŽraux, attendu qu'il s'agit de la succession ˆ la couronne et que le droit d'y nommer appartient ˆ la noblesse (Mathieu Marais, T.1, p 206-7). Les six meneurs (dont notre Bauffremont) emprisonnŽs, qui ˆ la Bastille, qui ˆ Vincennes, sont libŽrŽs rapidement, le 16 juillet, aprs qu'ait ŽtŽ publiŽ l'Edit qui rgle la question au dŽtriment des lŽgitimŽs. Pendant ce mois, la plupart des femmes de MM. les gentilshommes prisonniers ont permission de les voir; mais on l'a refusŽ schement ˆ madame de Bauffremont qu'on accuse d'avoir tenu des discours trs-forts (Dangeau, T 17, p 116-7, ˆ la date du 25 juin). HŽlne se prendrait-elle pour une hŽro•ne de la Fronde ?
Saint-Simon, enragŽ contre Bauffremont et ses amis qui prŽtendent reprŽsenter la Noblesse alors qu'il n'en sont qu'une petite partie et que, pour lui, seuls les Ducs et Pairs l'incarnent, s'exclame : avec de l'esprit et de la valeur et un des premiers noms de Bourgogne, il serait difficile d'tre plus hardi, plus entreprenant, plus hasardeux, plus audacieux, plus fou, qu'il l'a ŽtŽ toute sa vie.
En effet, Bauffremont, aprs avoir dŽfiŽ les marŽchaux-ducs, agite la Bourgogne contre son gouverneur, le Prince de CondŽ qui, furieux, apporte ˆ Paris plusieurs lettres que M. de Bauffremont avoit Žcrites ˆ des gentilshommes de ce pays-lˆ, et se plaint fort de lui (Dangeau). Les marŽchaux de France rirent tout bas ˆ leur tour de se trouver en si bonne compagnie, s'amuse Saint-Simon.
Quoique son nom ne soit pas citŽ, il serait surprenant que Louis-BŽnigne ne se mle pas aux intrigues embrouillŽes de la duchesse du Maine. La conspiration de Cellamare qui Žclate en dŽcembre 1718, outre l'arrestation du duc et de la duchesse, vient ˆ point pour justifier la guerre contre l'Espagne (janvier 1719). Bauffremont, arguant de sa Toison, en fait dispenser son rŽgiment par le RŽgent (L'obŽissance et la reconnaissance prŽtendent avoir mme empire sur moi) ; et, par consŽquent, il n'est pas compris dans la promotion d'officiers gŽnŽraux du 1er fŽvrier destinŽe ˆ remplir les cadres. Il ne sera promu (ˆ effet du 1er fŽvrier) que le 16 juillet et, ˆ l'automne 1719, rejoindra Berwick en Catalogne, brigadier de dragons sous Cilly, ˆ l'aile droite de l'armŽe. Ensuite, la longue parenthse pacifique Dubois-Fleury met les guerriers en vacance. Bauffremont cde son rŽgiment ˆ son fils en 1730 et prend part ˆ la guerre de succession de Pologne qui commence en 1733. En 1734, il est nommŽ MarŽchal de Camp, puis en 1738 lieutenant-gŽnŽral des armŽes du roi, sans servir en cette qualitŽ. Il mourra en 1755.
Je me suis un peu ŽloignŽ d'HŽlne pour peindre le milieu dans lequel elle vit et donner le contexte de l'incident de 1737 qui, de manire presque fortuite, met fin ˆ la longue revendication courtenaise.
Dans les annŽes 1730, en Franche-ComtŽ, Louis-BŽnigne est assignŽ par le procureur de Vesoul ˆ justifier la qualitŽ de Haut et Puissant Seigneur incluse dans un acte qu'il a signŽ pour nommer le juge d'une de ses baronnies, acte soumis pour validation ˆ la chambre de Vesoul qui objecte que les Edits de nos anciens souverains (espagnols) portent qu'il ne sera loisible ˆ qui que ce soit de se qualifier noble, s'il ne l'est d'anciennetŽ ou par patentes du Prince ; que nul ne pourra se qualifier de haut et puissant Seigneur s'il n'est issu de Maison tenue de toute antiquitŽ pour illustre et principale.
Il semblerait pourtant que la hauteur de Bauffremont soit si notoire dans la comtŽ qu'elle ne doive pas tre documentŽe dans chaque procŽdure, mme si tout le monde ne croit pas que la Maison de Bauffremont tire son origine de Baufremontius Roi des Bourguignons vers l'an 417. Y-a-t-il quelque malice dans l'exigence du procureur ou ne s'agit-il que de routine et procŽdure ? Chaque Maison tient prt son dossier de pices justificatives. Vingt ans plus tard, Louis, le fils, aura la mme affaire avec, cette fois, la chambre des comptes de D™le. On l'enjoindra le 22 mars 1753 ; ds le 26, il fournira ses pices et le 30 la chambre rendra un arrt qui le maintient dans sa qualitŽ : une semaine. Mais son pre, le glorieux Louis-BŽnigne, s'irrite, excitŽ peut-tre par des contingences locales dont nous ignorons tout. Son dŽfenseur, Pouhat de Tallans, avocat au Parlement de Besanon, rŽpond longuement, de manire circonstanciŽe, en dŽniant le droit du procureur ˆ contester sa qualitŽ (MŽmoire pour messire Louis-BŽnigne, marquis de Bauffremont... contre le sieur Jean Champion, procureur du roy au bailliage et prŽsidial de Vesoul).
Jusque lˆ, tout est banal. Mais le mŽmoire de Pouhat de Tallans fuite et se publie ˆ Paris, comme portant sur un dŽtail curieux qui intŽressera les lecteurs. De larges extraits de ce monument ˆ la grandeur de Bauffremont paraissent dans les Observations sur les Žcrits modernes (1736, Lettre 99) dont le directeur, Desfontaines, est friand de scandales. Entre autres illustrations de l'excellence de son client, l'avocat mentionnait que, pour l'admission de ses fils au sein des chevaliers de Malte, les preuves de noblesse furent remplacŽes, du c™tŽ paternel par la liste des alliances pures et distinguŽes de sa famille et pour ce qui est du c™tŽ maternel, ils n'ont eu qu'ˆ vŽrifier que Madame leur mre est HŽlne de Courtenay, Princesse du Sang Royal de France. Au moyen de cette filiation et par le respect qu'on porte partout ˆ ce Sang auguste, il a ŽtŽ dŽcidŽ dans un Chapitre GŽnŽral... qu'ils Žtaient dispensŽs de toute autre preuve.
Rappelons-nous le secret du vieux Louis, ne rien faire volontairement qu'on pžt opposer ˆ leur droit. HŽlne a dŽjˆ pris la qualitŽ de princesse du sang royal dans des actes privŽs, son contrat de mariage, certains actes baptistaires de ses enfants. Ici, le zle de l'avocat la mentionne dans une pice judiciaire que la presse diffuse. Si les mots problŽmatiques Žtaient restŽs enfouis dans les armoires du greffe de Vesoul, au fond d'une Province, ˆ l'extrŽmitŽ du Royaume, nul ne s'en serait souciŽ. Mais les voilˆ exposŽs au grand jour, les salons bavardent et nul doute que HŽlne et Louis-BŽnigne ne s'en vantent. Le premier avocat-gŽnŽral du roi au Parlement de Paris s'offusque.
Celui-ci est Gilbert de Voisins (1684-1769), marquis de Villennes, en poste depuis vingt ans (1718), prŽcŽdemment conseiller au Conseil des Finances du RŽgent, et plus tard conseiller dÕEtat (1740), 1er PrŽsident du Grand-Conseil (1744), conseiller dÕEtat ordinaire (1747), membre du Conseil des DŽpches (1757). Un personnage important et expŽrimentŽ, rŽputŽ pour sa rectitude, son dŽvouement au roi et sa connaissance de la procŽdure.
Il saisit le Parlement et requiert que les mots Heleine de Courtenay, Princesse du Sang Royal de France soient biffŽs du mŽmoire, interdits d'emploi ˆ Bauffremont et ˆ tous autres, et que la lettre 99 des Observations soit supprimŽe. Gilbert de Voisins, en homme sŽrieux, reprend toute l'affaire depuis Henri IV. S'agissant d'un cas qui intŽresse le Roy, l'Etat, & la Cour, il porte lui-mme la parole des gens du roi. Voisins argumente avec soin : des choses qui, hasardŽes au loin resteraient indiffŽrentes, ont ŽtŽ mises sous nos yeux ; nous ne pouvons pas garder le silence. Il argumente sur la forme (usage illicite d'une qualitŽ royale non reconnue), sans Žluder le fond de la question : Voisins rappelle (et tous les mots font mouche) les tentatives de quelques personnes de la maison de Courtenay pour s'arroger, s'il ežt ŽtŽ possible, quelque commencement de possession d'une pareille qualitŽ ; il souligne l'enjeu : que le caractre auguste qui distingue en France les Princes du Sang Royal ne puisse au grŽ de l'opinion et des conjectures, devenir l'objet d'ambitieuses prŽtentions... et le danger d'un tel prŽcŽdent : l'exemple demeurerait toujours capable de tirer ˆ consŽquence pour d'autres Maisons.
Il faut lire en entier l'Extrait des Registres du Parlement que publie le Journal Historique sur les Matires du temps, 1737, T.41, p 180 :
CE JOUR [7 fŽvrier 1737], les Gens du Roy sont entrez, & Ma”tre Pierre Gilbert de Voisins, Avocat dudit Seigneur Roy, portant la parole, ont dit :
Qu'il ne leur est pas permis de se taire sur un MŽmoire imprimŽ du sieur Marquis de Bauffremont, qui d'ailleurs leur seroit Žtranger par son objet dont la connoissance est soumise ˆ un autre Tribunal : mais dans lequel ils trouvent ce qui intŽresse le plus nŽcessairement leur ministere, & ce qui appartient le plus immŽdiatement ˆ l'autoritŽ de la Cour.
Qu'on y lit ˆ la page 7. que la Dame Marquise de Bauffremont est effectivement Heleine de Courtenay, Princesse du Sang Royal de France : & que comme si ce n'Žtoit pas assez qu'un tel MŽmoire ežt ŽtŽ hasardŽ au fond d'une Province, ˆ l'extrŽmitŽ du Royaume ; un Ecrivain qui met au jour des feuilles successives, sous le titre d'Observations sur les Ecrits modernes, vient de lui donner un nouveau degrŽ de publicitŽ ˆ Paris, jusques sous nos yeux, par l'extrait qu'il en a fait dans ses feuilles du 12 Janvier, dans lequel il a transcrit les propres termes de l'endroit o est employŽe cette qualitŽ,
Qu'ils [les gens du roi] ne s'Žtendront point sur ce qui se passa en la Cour au commencement du dernier siŽcle, aux premiŽres tentatives de quelques personnes de la maison de Courtenay, pour s'arroger, s'il ežt ŽtŽ possible, quelque commencement de possession d'une pareille qualitŽ. Que les monumens qui reposent dans le Greffe de la Cour en font foi : & que ce qu'on y voit ˆ ce sujet sera ˆ jamais une preuve mŽmorable du zle de ceux qui exeroient alors le MinistŽre, dont ils ont l'honneur d'tre revtus.
Mais que ni la mŽmoire des choses passŽes, ni l'exemple de leurs PrŽdŽcesseurs, ne sont nŽcessaires pour autoriser une dŽmarche qu'ils ne pourroient omettre, sans manquer au plus sacrŽ de leurs devoirs, & sans tre responsables de leur silence au Roy, ˆ l'Etat, & ˆ la Cour.
Qu'on ne peut trop sentir de quelle extrme consŽquence il est, que le caractŽre auguste qui distingue en France les Princes du Sang Royal, ne puisse au grŽ de l'opinion & des conjectures, devenir l'objet d'ambitieuses prŽtentions. Qu'autrement, plus une Maison seroit illustre, plus les traces de son ancienne origine se perdroient dans la nuit des tems reculez, & plus il lui seroit facile de se laisser Žblouir aux idŽes flateuses dont la tŽmŽritŽ ou l'artifice chercheroient ˆ repa”tre son ambition : & que lors mme qu'elle viendroit ˆ s'Žteindre, son exemple demeureroit toujours capable de tirer ˆ consŽquence pour d'autres Maisons.
Que ce sont ces considŽrations, dont la Cour saura mieux peser encore toute l'importance, qui leur ont dictŽ les Conclusions qu'ils ont l'honneur de lui remettre, avec le MŽmoire, & les Feuilles imprimŽes, qui en sont l'occasion, & le sujet.
La Cour dŽlibre et rend un arrt conforme aux conclusions, interdisant d'employer lesdits Titres & QualitŽ pour ladite Heleine de Courtenay, & notamment ˆ tous Libraires & Imprimeurs, & tous autres, de les employer dans aucuns livres ou Imprimez &c., et condamnant ˆ les biffer dans le MŽmoire et dans les Observations. C'est tout : aucune punition, juste un rappel ˆ la Loi pour Baufremont et tous autres. De fait, la lettre 99 est rŽimprimŽe avec des pointillŽs ˆ la place du passage incriminŽ.
Depuis Henri IV, les Courtenay tardifs rŽclamaient un jugement dont le Chancelier avait dit, menaant : l'on vous fera justice mais non pas telle que vous la demandez. Si Louis XIV a eu de menues complaisances pour le Prince Louis, l'arrt de 1737 dŽsavoue tout et annule les avancŽes. La mort du dernier m‰le anŽantit le capital historique et cl™t le dossier : impensable de s'arroger quelque commencement de possession d'une pareille qualitŽ.
HŽlne prend feu. Elle attend Louis XV au bas du petit escalier par o il rentre quand il revient de la chasse (Duc de Luynes), dŽmarche incongrue qu'aurait autorisŽe le Cardinal Fleury. Elle lui tend la Requte de HŽlne de Courtenay contre un arrt du Parlement de Paris, du 7 fŽvrier 1737, qui lui a rayŽ la qualitŽ de princesse du sang royal de France. Le roi ne la lit pas mais, ˆ travers le Roi, c'est au public qu'elle s'adresse, excitant l'intŽrt par son geste "hŽro•que". Les gazettes hollandaises diffusent ˆ Paris ce qu'il serait imprudent de publier en France : la Lettre historique & politique concernant l'Žtat prŽsent de l'Europe d'avril 1737 (Amsterdam), donne le texte intŽgral de cette Requte, ainsi que le SupplŽment au corps universel diplomatique du droit des gens (T.2, partie II, 1739, Amsterdam). Admirons la vitesse des rŽactions : les extraits du MŽmoire Bauffremont sont publiŽs ˆ Paris en janvier, l'arrt du Parlement est du 7 fŽvrier, HŽlne porte sa requte au roi le 22 fŽvrier, le texte est diffusŽ en avril ! On en parle beaucoup, comme en tŽmoigne le duc de Luynes (MŽmoires, T.1, p. 198-9) : La requte de Mme de Bauffremont fait ici beaucoup de bruit. Elle est de la maison de Courtenay et prŽtend par cette raison tre princesse du sang de France, et ce n'est pas, ˆ ce qu'il paroit, sans beaucoup de fondement... elle paroit soutenir sa prŽtention avec beaucoup de vivacitŽ.
J'allongerais trop mon propos en donnant le dŽtail de cette remarquable plaidoirie. Elle est si habile, si bien composŽe, si proprement Žcrite, que, mme quand HŽlne, enragŽe, aurait imitŽ la duchesse du Maine en couvrant son lit d'in-folios et en passant les nuits ˆ rŽdiger, trois semaines n'y suffiraient pas. Les Bauffremont et les Voisins habitent ˆ c™tŽ, les premiers rue Taranne, les seconds rue de Seine. Ils se rencontrent chez des tiers. Voisins les a-t-il informŽs par avance ? A moins que, en publiant le mŽmoire de l'avocat, Louis-BŽnigne et/ou HŽlne aient anticipŽ la suite et prŽparŽ d'avance leur riposte avec l'habile Pouhat de Tallans ; ou bien enfin que, depuis la mort de son frre (1730), HŽlne, prŽvoyant un clash, inŽvitable ˆ prŽsent qu'aucun m‰le n'assume plus la posture, travaille sa dŽfense au lieu de s'occuper de tapisserie.
HŽlne, exploitant ˆ fond le ni ni, distingue la qualitŽ et les honneurs, et va droit au but :
...La Suppliante convient (quelque triste & douloureux que soit cet aveu pour elle) que ses Ayeuls n'ont pž parvenir ˆ se faire accorder le Rang & les Honneurs attachez depuis Henri III. au Titre de Prince du Sang: Quoique, ni sous ce Regne, ni sous aucun autre, on ne leur ait jamais contestŽ dÕtre descendus en Ligne directe de Pierre de France, dernier Fils de Lou•s VI... elle soutient, que jamais V.M. ni les Rois ses PrŽdŽcesseurs (seuls en droit de juger ce Point important) nÕont decidŽ qu'ils ne fussent pas Prince du Sang Royal de France. Si votre Auguste Bis-Ayeul, ˆ qui ils en demandrent les PrŽrogatives, en lui prŽsentant leur GŽnŽalogie, les leur refusa, il leur en laissa du moins le Titre ; persuadŽ, que rien ne pouvait leur ravir ce quÕils ne tenoient que de la Nature.
Notez les deux points essentiels :
1) les Rois... seuls en droit de juger : il n'est pas dans la juridiction du Parlement de Paris de se prononcer sur sa qualitŽ, l'arrt est nul ;
2) la filiation est une chose, les honneurs associŽs une autre. L'Auguste Bis-Ayeul (Louis XIV) leur a refusŽ les prŽrogatives des Princes du sang et laissŽ le titre de Prince du sang royal qui vient de la nature. Le feu Roi... Ma”tre des rangs dans son Royaume, nÕa voulu en accorder quÕaux Princes de sa Branche: Princes, par cette Raison, qualifiez seulement de Pr’nces du Sang. Ce grand Roi, persuadŽ que les Droits de la Nature sont inviolables, persuadŽ que lÕon ne peut descendre en Ligne directe & lŽgitime dÕun Roi de France, sans tre Prince du Sang Royal de France, nÕa jamais dŽfendu aux Princes de Courtenay de prendre ce Titre. Ils lÕont pris devant sa propre Personne... SÕil leur a donc refusŽ les Honneurs accordez aux Princes de sa Branche, il a en mme tems voulu que les Princes de Courteney demeurassent en possession de prendre les Qualitez indicatives de leur Maison. Si lÕon pouvoit supposer dans ce grand Monarque une autre VolontŽ, il leur auroit dŽfendu de prendre ces Qualitez: mais il savoit, on le repete ici, que la Nature les leur ayant donnŽes, la Nature seule pouvoit les leur ™ter.
Tout ce que demande la suppliante c'est de conserver la qualitŽ indicative de sa naissance, une identitŽ, non un statut : la Suppliante est en Droit de se qualifier Princesse du Sang Royal de France. Cette Qualification forme la seule & simple Indication du Sang dont elle sort: elle nÕen reoit, ni Rang, ni PrŽrogatives : elle ne prend point la QualitŽ de Pr’ncesse
du Sang ˆ laquelle ces Honneurs ont ŽtŽ accordez & qui nÕa ŽtŽ communiquŽe quÕaux seules Princesses de la Branche Regnante...
Cet appel ˆ "l'opinion publique" reste sans suite.
D'ailleurs, les Bauffremont fr™lent eux-mmes l'extinction. Louis, le fils a”nŽ d'HŽlne et de Louis-BŽnigne, brillant soldat couvert de titres militaires, n'a qu'une fille. Son frre, Charles-Roger, le prince incomparable de Mmes du Deffand et de Boufflers, s'amuse ˆ la cour de Stanislas ; quoique toutes les mres le poursuivent, il ne se mariera pas. Le plus jeune frre, Franois-Auguste, dispara”t t™t ou se rŽvle incapable. Seul le second frre, Joseph-Franois para”t apte ˆ maintenir le nom mais, ˆ quarante-huit ans, chef d'escadre des armŽes navales, cŽlinataire, il lui manque un fils ˆ qui transmettre l'hŽritage.
Louis rŽsout en mme temps les deux problmes : il unit sa fille de douze ans ˆ son vieil oncle (1762). Leur premier enfant na”t en 1770, c'est une fille. Le garon (Alexandre) vient en 1773. Il assurera la succession, et mourra en 1833, prince de Bauffremont et du Saint-Empire, marquis de Bauffremont et de Listenois, comte de l'Empire (1810), pair de France (1815), premier duc de Bauffremont (1817), chevalier de lÕordre royal et militaire de Saint-Louis. Par ses fils, la lignŽe des Princes de Bauffremont-Courtenay se continuera jusqu'ˆ aujourd'hui.
Mais, irrŽmŽdiablement, le suicide de Charles-Roger (1730) et son absence de postŽritŽ, ont mis fin ˆ la descente directe par m‰le de Louis VI par laquelle HŽlne avait pu se prŽtendre "par le droit de la nature" princesse du sang royal de France.
Saint-Simon : L'injustice constante faite ˆ cette branche de la maison royale lŽgitimement issue du roi Louis le Gros est une chose qui a dž surprendre tous les temps qu'elle a durŽ, [...] d'autant plus que nos rois ni personne n'a jamais doutŽ de la vŽritŽ de sa royale et lŽgitime extraction (ˆ la date de 1715, MŽmoires, Žd. ChŽruel, 1874, XII, 13, p. 265).
La royale et lŽgitime extraction ne suffit pas.
Or, tout ce qu'ont dit, redit et ressassŽ nos sieurs se rŽduit ˆ a. Ils ne connaissaient pas, ou voulaient ignorer, ce passage de l'Ecriture : dans la maison de mon Pre, il y a plusieurs demeures (Jean 14:2) ! Dans l'Ždition 1617 de Belleforest (Chroniques et annales de France de Nicole Gilles), son continuateur Chappuys, aprs la 1re race des MŽrovinges (22 rois) et la 2e lignŽe des Rois de France commenant de Pepin (12 rois), distingue successivement une 3e lignŽe commenant de Hue Capet (8 rois, de 988 ˆ 1223), une 4e lignŽe commenant de S. Louis (6 rois), une 5e lignŽe commenant de Philippe de Valois (4 rois), une 6e lignŽe commenant de Charles 7 (4 rois), une 7e lignŽe commenant de Franois 1er (5 rois), auxquelles il faut logiquement ajouter la 8e et dernire, commenant de Henri IV ! Dans la "Maison de France", la royalitŽ se transporte de "demeure" en "demeure", elle a traversŽ celle de nos sieurs, elle ne repassera pas.
En outre, contrairement aux illusions qu'inspire la pseudo-biologie du "sang" et de la "race", le rang certifie et signifie le sang (cf. Annexe 1) qui, reu de la nature par les voies lŽgitimes, se conserve, se reconna”t et s'enrichit par les Ïuvres. Ne pas soutenir sa qualitŽ la dŽgrade jusqu'ˆ tomber dans un profond prŽcipice (de la Roque, 1678, prŽface). Plus le sang est noble, plus il a besoin d'tre nourri : grandes dignitŽs, conqutes, victoires, reconnaissance publique, fortune, alliances etc. Sinon, il s'anŽmie.
Ignorant ou voulant ignorer la conditionnalitŽ du sang, nos Courtenay affirment leur droit sans s'occuper du fait. C'est ˆ la fois leur force et leur faiblesse.
En droit, la Couronne, grandeur par excellence, transcende les rgles d'hŽritage : le mort saisit le vif et s'empare instantanŽment du m‰le le plus proche, aussi loin qu'il g”te. Sur cette base, la
maison de Bourbon venant ˆ s'Žteindre, l'absence d'autres collatŽraux promouvrait l'a”nŽ des Courtenay vivants (a). D'o leur revendication d'appartenir au sang
royal de France.
En fait, ils en sont exclus. Sans Žtat et sans consistance, ils n'existent pas (b). Ce sont des fossiles difficilement identifiables, incrustŽs dans une couche sŽdimentaire primitive. La rŽduction du pŽrimtre de la dynastie leur est fatale (c).
La lŽgitimitŽ incertaine des premiers CapŽtiens les poussa ˆ s'appuyer sur le sacre dont la mystique unit le roi ˆ Dieu, aux Grands et au peuple. Pour assurer la succession ˆ leur fils, ils durent, de leur vivant, parvenir ˆ le couronner par avance (rex designatus). La dynastie consolidŽe, Philippe Auguste et ses successeurs s'en dispensent : l'hŽrŽditŽ remplace l'Žlection.
Jusqu'ˆ Philippe le bel, ces rois engendrent, parfois laborieusement, au moins un fils lŽgitime survivant qui lui-mme obtient une progŽniture m‰le. Divorces et remariages contribuent au "miracle capŽtien".
DŽsormais, la Couronne Žchoit automatiquement au fils a”nŽ : aussi, ˆ la mort de Philippe le bel (1314), Louis X le hutin lui succde. Mais sa rapide disparition (1316) sans successeur naturel, pose un problme qui rŽvle l'incapacitŽ des rgles en vigueur ˆ le rŽsoudre et, dans une certaine mesure, rend la main aux Grands. Douze ans plus tard, l'extinction des CapŽtiens directs avec le dernier fils de Philippe le bel, Charles IV ( 1328), provoque une longue et profonde crise qui conduira ˆ affirmer la perpŽtuitŽ du sang royal (Balde : ipse sanguis qui perpetuus est), ˆ distinguer la Couronne de son porteur, et ˆ reconna”tre la transcendance de la premire.
Avant d'examiner les problmes historiques et "constitutionnels" posŽs par la dŽshŽrence de la couronne, visualisons sa transmission, du dŽbut des CapŽtiens ˆ la fin Žventuelle des Bourbons (je marque en pointillŽs l'hypothse Courtenay) :
En magnifiant le sacre, la premire sŽrie de CapŽtiens (de Hugues ˆ Philippe Auguste) proclame l'hŽrŽditŽ et l'indivisibilitŽ de la Couronne. Ces principes restent disputŽs : le roi doit compter avec les Grands, et les frres cadets tentent parfois leur chance.
Le fils a”nŽ du roi est vouŽ ˆ lui succŽder (primogŽniture) et, s'il prŽdŽcde, le suivant le remplace. Louis X ežt-il eu un fils, la succession serait restŽe toute empirique. On ne s'est pas encore demandŽ comment pallier l'absence d'hŽritier naturel. On a usŽ des filles comme instrument diplomatique et patrimonial (mariages) sans s'interroger sur leur habiletŽ ˆ la couronne que d'autres royaumes (Espagne et Navarre) admettent et que, plus tard, en Angleterre, quand le trop jeune Edward VI mourra (1553), la conjoncture politique imposera (Maria, rex).
La question des filles nous intŽresse ici parce que leur exclusion s'Žcarte du droit des fiefs dont, en rendant cruciale la qute du m‰le, elle Žloigne encore le droit de la Couronne. De plus en plus, le fief est chose privŽe et la Couronne chose publique : elle n'est pas la propriŽtŽ du roi ; il ne choisit pas son hŽritier, il reoit son successeur de la nature et de Dieu ; il ne dispose pas du royaume dont il ne peut aliŽner aucune part.
Si les Libri feodorum lombards (c. 1125) n'ont pas ŽtŽ reus en France, leur inscription dans le jus civilis au cours de la pŽriode XIIIe-XVe et leurs cŽlbres commentaires (Balde en particulier) en font une rŽfŽrence. La patrimonialisation des fiefs pousse ˆ les lŽguer ˆ ses descendants et, s'il n'y en a plus, le fief retourne ˆ son seigneur primitif. Pour reculer cette ŽchŽance, les familles imposent peu ˆ peu le droit des collatŽraux, d'abord proches, puis lointains, jusqu'au septime degrŽ. Dans son analyse (1393), Balde, notant le changement de lignŽe royale advenu en France (Valois), l'interprte comme une extension exceptionnelle de ce principe, dans un passage qui deviendra cŽlbre (Arabeyre, 2003) : si toute la maison royale [Valois] mourait et qu'un homme du sang ancien se levait : supposons la maison de Bourbon, et qu'il n'y en ait pas d'autre plus proche, fžt-ce au millime degrŽ, et pourtant il succŽderait dans le royaume des Francs par droit de sang et coutume perpŽtuelle...(esto quod esset millesimo gradu, tamen jure sanguinis & perpetu¾ consuetudinis succederet in regno francorum). Le "millime degrŽ" (des centaines de sicles) renvoie ˆ des temps immŽmoriaux, c'est-ˆ-dire au nŽant historique. Cette exagŽration rhŽtorique signifie la perpŽtuitŽ du sang royal.
L'idŽe sous-jacente est qu'on n'hŽrite pas de son prŽdŽcesseur immŽdiat : chacun succde, l'un aprs l'autre, ˆ l'anctre commun (gŽnarque), le premier dŽtenteur de la dignitŽ. Aussi est-il normal, lors d'un passage de X ˆ Y contestŽ par Z, de ne pas comparer le nombre de degrŽs (montants et descendants) entre le dŽfunt X et Y d'une part, X et Z d'autre part, mais de compter seulement les degrŽs qui sŽparent les compŽtiteurs de l'anctre, afin de choisir le plus proche. Giesey, dans son article fondateur de 1961 rappelle que, pour Balde, chaque investiture rŽaffirme la premire : le fils reprŽsente l'anctre, comme le fit le pre. Fin XVe, dŽbut XVIe, cette conception se renforce de la distinction romaine entre hŽritier dÕhŽritage (hereditas), qualitŽ qui s'attribue ou non, s'accepte ou non, et hŽritier du sang (suitas) : ce dernier est nŽcessaire, il ne peut, ni tre exclu, ni refuser. Le dŽfunt le saisit. Quel que soit le nombre de degrŽs, la substitution s'opre : aussi lointain soit-il, l'hŽritier remplace le fils manquant, devient ce fils.
Cependant, la notion de sang reste floue car la biologie aristotŽlicienne privilŽgie le sperme (Miramon, 2019). Droit du sang signifie "droit du sperme" car si les filles sont aussi du sang, le sperme royal imprime la force mystique reue de Dieu aux seuls garons qui la transmettront eux-mmes ˆ leurs fils, lŽgitimes ou mme b‰tards.
Les historiens de la pensŽe et les juristes se rŽfrent ˆ des auteurs mŽdiŽvaux, en leur temps peu connus et d'influence incertaine, qui n'Žmergeront pas avant le XVIe sicle quand l'imprimerie diffusera leurs Ïuvres et que les problmes auxquels ils rŽpondaient auront trouvŽ leur solution : les rgles de succession se sont fixŽes historiquement au cours d'Žtapes cruciales (continuitŽ m‰le dans la lignŽe et, en cas d'extinction, remontŽe ˆ une lignŽe antŽrieure), et les "publicistes" du XVIe, comme les grands thŽoriciens de l' "absolutisme" au XVIIe vulgarisent, formalisent et systŽmatisent une Žvidence, la transcendance de la Couronne qui, d'un c™tŽ rend sans limite l'autoritŽ de son agent (proto-absolutisme), et de l'autre le contraint.
En effet, le roi, tout puissant vivant, ne compte plus mort. De quelque faon qu'il dispose de la Couronne, sa volontŽ personnelle ne lui survit pas, comme en tŽmoignent la dŽnaturation immŽdiate des testaments de Charles V, de Louis XIII, de Louis XIV, ainsi que l'Žchec de l'exhŽrŽdation du dauphin par Charles VI, et de Henri de Navarre par Henri III. Le roi peut abuser de l'autoritŽ que lui confre la Couronne, Louis XIV ne s'en privera pas, de la royalisation de ses b‰tards ˆ l'exsanguination de la branche d'Anjou, prŽsente et future (succession d'Espagne) : ces actes sont nuls et disparaissent avec lui.
Seule importe la carte du sang qui identifie, positionne et hiŽrarchise tous les m‰les capables de la couronne du fait de leur premier anctre : les fils du roi dans l'ordre de leur naissance, ses frres, ses oncles, et ses cousins, des proches aux plus lointains, sans que jamais la consanguinitŽ ne cesse. Cardin Lebret (1632) : cette loi salique [...] appelle les m‰les indŽfiniment ˆ la succession du Royaume [...], bien que rŽgulirement la consanguinitŽ finisse au dixime ou au septime degrŽ [...] d'autant que aprs une suite de tant de gŽnŽrations, la nature ne connait plus de parents, nŽanmoins cela ne s'est jamais gardŽ en la succession de royaume (I, 4:12). Au-delˆ de l'ultime degrŽ canonique, civil, et mme mŽmoriel, la perpŽtuitŽ de la Couronne (dignitas numquam moritur) entra”ne celle du sang.
Sous Henri IV, Charles Loyseau, dans son TraitŽ des ordres et des simples dignitŽs (Chp. 7, Des princes, ¤68 sq.), prŽcise : Mais quant au Royaume il n'est pas dŽfŽrŽ selon l'ordre des successions ordinaires, & selon les degrez de parentŽ, mais selon l'Ordre & prŽrogative des branches & familles derivŽes de la maison de France : & encore en chacune d'icelles selon la prŽrogative des personnes, en prŽfŽrant toujours les aisnez, comme chefs de la branche ou famille.
En thŽorie, nos Courtenay, en admettant leur descente, seraient donc appelŽs ˆ rŽgner, si le dŽfaut d'hŽritiers obligeait ˆ remonter ˆ Louis VI.
Telle Žtait la ligne gŽnŽrale des arguments du De stirpe Mais, en fait, nous allons le voir, nos Courtenay ne sont pas en position d'exercer leur droit. Cette incapacitŽ rŽsulte de deux raisons qui se renforcent l'une l'autre : ils sont sans Žtat (b) et sans attache (c). En effet, le lien au "gŽnarque" doit tre constituŽ, rŽputŽ, visible et acceptŽ ; et ce gŽnarque lui-mme avoir cours dans le royaume. Dans la cha”ne des anctres, lequel choisir ? le consensus qui fixe l'origine varie avec les Žpoques. Ces translations n'annulent pas les prŽdŽcesseurs dŽclassŽs, elles les rejettent dans l'ombre.
Si la parentŽ biologique se mesure, le sang royal est aussi une fidŽlitŽ ˆ la personne du roi (Miramon, 2008) et le rang qui la traduit se reoit, se conquiert et se consolide de gŽnŽration en gŽnŽration.
Quoique Pierre, le dernier fils de Louis VI, Courtenay par son mariage, n'ait gure comptŽ sous Louis VII, Philippe Auguste a mobilisŽ et honorŽ ses fils.
La ligne ainŽe, issue de Pierre "II", richement mariŽ ˆ des hŽritires, a ŽtŽ glorifiŽe par le titre ronflant d'empereur d'Orient qui, tout illusoire qu'il fžt, la mettait de pair avec les souverains europŽens. Elle s'Žteint avec son dernier m‰le, Philippe ( 1283). Catherine Žpouse Charles de Valois. Quant ˆ ses filles, demi-sÏurs du roi Philippe VI, l'a”nŽe se perdra dans les rivalitŽs de la cour de Naples et l'autre dans les dŽboires de son mari, Robert d'Artois.
Le frre de Pierre "II", Robert de Champignelles, bien pourvu par Philippe Auguste, exerce de grands emplois, guerroie aux c™tŽs de Louis VIII
et en reoit l'un des premiers offices royaux. Cette rŽussite personnelle ne profite pas ˆ ses descendants rŽduits ˆ leurs terres, comme tant de familles qui furent un jour grandes. Au XVIIe, lorsqu'ils sortent du brouillard, nul ne les reconna”t car ils n'ont plus de figure.
D'innombrables Maisons se sont ainsi Žvanouies dans leur obscuritŽ. Les termites du temps rongent les arbres gŽnŽalogiques qui s'effritent et se dŽcomposent. Parfois, un baliveau voisin aura l'air d'un surgeon qui revivifie le vieil arbre, comme le petit Rasse avec Saint-Simon et Vermandois. Nos Courtenay, eux, n'ont pas eu la chance de fournir ˆ un roi quelque favori ou maitresse qui les aurait relancŽs et re-liŽs ˆ leurs origines.
Rares sont les Maisons qui, comme les Bourbon, aprs avoir dŽcollŽ par le mariage d'un cadet royal avec une riche hŽritire (une fille Courtenay !), se maintiennent ˆ travers les sicles : ducs et pairs, dans leur branche a”nŽe, comtes dans les branches cadettes, ils participent aux Žvnements, nouent de grands mariages, accumulent charges, fiefs, clients et richesses. Ds Franois I, aprs la mort du Duc d'Alenon (a•eul commun, Philippe III, huit gŽnŽrations plus t™t), leur a”nŽ est officiellement dŽclarŽ seconde personne du royaume. Ils sont, sinon prŽdestinŽs comme on l'Žcrira sous Louis XIV, du moins marquŽs aux yeux de tous de l'estampille royale. Perefixe, thurifŽraire de Henri IV, admire ...la vertu qui a toujours donnŽ de l'Žclat ˆ leurs actions [des Bourbon] ; le bon mŽnage & l'oeconomie qu'ils ont apportŽe ˆ conserver leurs biens & les augmenter ; les grandes alliances dont ils ont estŽ fort soigneux... de sorte que les peuples les voyant toujours riches, puissans, sages, en un mot dignes de commander, s'Žtoient imprimez dans l'esprit une certaine persuasion comme Prophetique, que cette Maison viendrait un jour ˆ la Couronne (Perefixe, 1662, Histoire d'Henri le Grand, Paris, ch. Jolly).
On est loin de nos Courtenay auxquels, en 1632, Cardin-Lebret, dans la mme phrase, ouvrait et fermait la porte. Il cite Balde pour affirmer que cette loi salique appelle les m‰les indŽfiniment ˆ la succession du Royaume [...] mais il ajoute cette remarquable restriction : pourvu qu'ils aient joui des droits, des rangs, des privilges et des autres prŽrogatives qui leur sont attribuŽes (Îuvres, Žd. 1643, p. 12).
En effet, le cercle des dignitŽs doit se fermer, la dignitŽ de la personne Žgaler celle de l'office qu'elle est susceptible d'assumer (Rossi, 2018) : une position honorable exige un homme honorable. Pour occuper une dignitŽ supŽrieure, il faut tre ˆ la fois le plus digne et reconnu comme tel (only someone worthy of honour [in moral, social and legal terms] should occupy a honourable position.... the holder of a superior dignitas should not only be worthier [dignior], but also appear such).
Un roi ne tombe pas du ciel, tel le soliveau de la fable au milieu des grenouilles. Outre la lŽgitimitŽ divine, il a besoin d'avantages quantitatifs et qualitatifs : des rŽseaux, des amis, des obligŽs et, pour les entretenir, des ressources ; et surtout, rŽputation et grandeur, une grandeur reconnue par ses pairs et admirŽe par ses infŽrieurs.
En mme temps que la royautŽ s'institutionnalise, elle apprend ˆ chŽrir et ˆ hiŽrarchiser ses fils et ses cousins proches, capables de la couronne. On ne les laisse plus errer tout nus ˆ la recherche d'une hŽritire. On les habille, on les catalogue, on les dote, on les pensionne. La royautŽ devient une "figure collective", et les Princes des reprŽsentations du Roi. A la fin de cette Žvolution, le Roi ne procde plus de l'accord des Grands mais de Dieu via le Sang. Aussi les Princes du sang prendront-ils le pas sur les Grands (cf. l'Ždit de dŽcembre 1576).
Le Roi est le soleil, ses Princes les Žtoiles qui brillent d'un monde d'Avantages &. de prŽrogatives, comme l'Žcrit le flatteur du Chesne (1609, p. 650) sur le mode lyrique : Le train des Princes de France est admirable & tout Royal, aussi est-il que leur Žquipage monstre la grandeur des maistres qu'ils servent, qui sont les premiers & plus grans Monarques de la ChrŽtientŽ. Le Ciel a son Soleil, & il a ses estoilles : aussi la France a son Roy, & si elle a ses Princes... en quelque part que se soient parquez ces Princes, ils ont estŽ veuz & recognus brillans & eclatans d'un monde d'Avantages &. de prŽrogatives, qui les ont tousiours accompagnez, & qui les ont fait admirer de toutes les nations de la terre, & sur tous les princes des Couronnes estrangeres...
Il aurait ŽtŽ difficile ˆ nos Courtenay de bŽnŽficier pendant douze gŽnŽrations de chance et d'habiletŽ. Mais surtout ils viennent de trop loin. Leurs misres (la gentrification et l'incertitude gŽnŽalogique) tiennent au temps de leur origine : alors, le flou des rangs traduisait la prŽcaritŽ de la position royale, encore insŽrŽe dans la compŽtition des Grands. L'absence formelle de la catŽgorie seigneur du sang reflŽtait les hiŽrarchies : les chartistes notent que, en telle occasion solennelle, un petit-fils de Louis VI le gros passe aprs une multitude de barons.
La voie du sang se termine en cul de sac. Apparus dans la pŽriode d'inachvement royal, nos Courtenay ne pouvaient pas prendre un train qui n'Žtait pas sur les rails. On les crŽditera d'une prime d'obscuritŽ qui compense ˆ peu prs leur dŽbit (mŽdiocritŽ et obscuritŽ gŽnŽalogique), sans rendre leur compte positif. Au bŽnŽfice du doute, on ne les expulse pas du jeu comme leurs prŽtentions inou•es le mŽriteraient. Possibles, ils restent non plausibles.
NŽs ˆ l'Žpoque o la royautŽ Žtait fragile, ils se fondent dans la baronnie par avarice (Belleforest), en prenant le nom et les armes de leurs femmes dont ils faisaient plus d'estat que de celles de la Maison de France qui leur appartenaient par extraction (Loyseau). C'Žtait logique alors, mais quatre sicles aprs, l'improbable a eu lieu : la branlante maison royale s'est consolidŽe, organisŽe et ŽpurŽe. Les aventuriers Robertiens sont ˆ prŽsent noyŽs dans les fondations de l'Ždifice saint-louisien, dominŽ par le clocher bourbonien sur lequel Louis XIV tentera de planter sa flche.
Les usurpateurs capŽtiens s'ancrrent ˆ Charlemagne par des mariages avec ses lointaines descendantes et par des lŽgendes. Louis IX, transformant Saint-Denis en symbole, rŽinstalle les tombeaux des rois : dans la croisŽe du transept, huit carolingiens au sud, huit capŽtiens au nord, et, au milieu Louis VIII, son pre, issu du mŽlange des sangs. Les deux "races" se joignent visuellement (Lewis)... pour en produire une nouvelle. En effet, la vie et la mort Ždifiantes de Louis IX, sa saintetŽ, dŽplacent le point d'origine. La succession historique des CapŽtiens devient une "autogense", mettant en eux-mmes leur principe (Philippe le bel). Les souffrances de Saint Louis et sa rŽsurrection au ciel (canonisation de facto puis de jure en 1297) rachtent les CapŽtiens antŽrieurs de leur pchŽ originel d'usurpation et de leurs difficultŽs ˆ s'imposer. Philippe de Valois, en poursuivant la construction du mythe, renforcera sa propre lŽgitimitŽ : le fils de comte est arrire-petit-fils du Saint.
Le reditus est pŽrimŽ. Foin de Charlemagne ! nous avons le n™tre. La flche du temps s'inverse miraculeusement : d'hŽritiers des discutables guerriers Robertiens, les premiers CapŽtiens se mŽtamorphosent en prŽcurseurs de Saint-Louis (proportionnellement ˆ leurs mŽrites). Quant aux "fils de St Louis", ils appartiennent ˆ une race surŽminente, surmaturŽe, qui, fin XVIe, Žcrasera les derniers "carolingiens" (Guise).
A partir de St Louis commence la sacralisation de toute la dynastie. C'est alors Ñet alors seulementÑ que les enfants du Roi deviennent des "royaux" (rŽaux) et reoivent des apanages : sont Princes tous ceux, et uniquement ceux, qui descendent de St Louis dont l'iconisation est ˆ la fois la cause et l'effet de sa fonction sŽminale. Tous adoptent les symboles royaux, dont les lys qui, au dŽbut XIIIe, deviennent l'emblme, non seulement du roi mais de ses fils, une constellation de cadets qui sont ˆ la fois des princes territoriaux et des personnages de qualitŽ royale (Lewis, p. 203). Ces RŽaux (regales) constituent encore un groupe familial dans lequel le rang rŽsulte de l'‰ge. Plus tard, il s'organisera selon la distance ˆ la couronne jusqu'ˆ la complexe nomenclature louis-quatorzienne (le dauphin, les autres fils de France, les petits-fils de France, le premier prince du sang, les autres princes, eux-mmes hiŽrarchisŽs).
La famille royale, qu'elle soit directe ou par alliance, se dŽfinit par la proximitŽ au roi rŽgnant ou ˆ ses prŽdŽcesseurs immŽdiats. Mme les "filles de France", quoique inaptes ˆ la Couronne, jouissent de sa splendeur et jouent un r™le politique actif (Cazelles, 1958).
Nos Courtenay, s'ils appartiennent bien ˆ l'arbre commun, touchent aux racines, pas aux branches supŽrieures que dore le soleil : trop loin de la cour, ils n'ont pas rechargŽ leur royalitŽ par des alliances. Ils la perdent quand elle s'ancre ˆ Saint-Louis. De Thou, au tout dŽbut des tentatives Courtenay, Žcrit qu'on n'avoit jamais donnŽ en France le nom de Prince, qu'ˆ ceux qui Žtoient issus de nos Rois de m‰le en m‰le ; qu'on ne mettoit de ce nombre aujourd'hui que les descendans de S. Louis ; & que les seigneurs de Courtenai & de Dreux n'Žtoient pas mme regardez comme Princes, quoiqu'ils eussent pour tige Louis le Gros (Livre XXV de l'Histoire universelle, T. 3 de l'Žd. Londres, 1734, p 515).
Et le processus de concentration continue ! Issu de Saint-Louis, le bon roi Henri rŽinitialise l'origine. Le "subgŽnarque" est promu "gŽnarque". Les primo-capŽtiens ont engendrŽ les saint-louisiens dont sortent les Valois, et enfin les Bourbon (incluant leurs diverses branches) auxquels, jusqu'ˆ la fin, s'identifiera la dynastie.
L'ultime rŽtrŽcissement Žchoue, c'est celui que tente la mŽgalomanie de Louis XIV, identifiant le mystique sang royal ˆ son propre sperme : Henri III avait donnŽ la prŽsŽance aux princes du sang royal sur les Grands, Louis force la royalitŽ de ses b‰tards. Il se veut, lui et lui seul, la fontaine du sang royal dont il ouvre le robinet (b‰tards) ou le ferme (Anjou espagnols).
On le voit, des descendants de Louis VI le gros, mme lŽgitimes, viennent de trop loin. Ils n'ont pas su ni pu accompagner les transformations de la monarchie. Elle les a laissŽs en route : ils n'Žmargent pas aux lys. Leur origine fait d'eux des hŽritiers sans hŽritage. Il est trop tard, beaucoup trop tard. La cause a ŽtŽ entendue et jugŽe, le sang a coulŽ, la boite est refermŽe.