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Outre un nettoyage de l'ensemble du texte, la révision 2020 a porté sur la princerie que s'attribue Louis-Charles et ce qu'elle devient après sa mort. Les péripéties de sa fille Hélène, marquise de Bauffremont ont été développées, ce qui a conduit à ajouter un nouveau chapitre. |
Sauf les malheureux Empereurs Latins (Annexe IV), ces Courtenay restent invisibles. Même la littérature n'a guère prêté attention aux superbes sujets qu'ils offrent. Leur nom apparaît rarement dans les histoires et ne sert pas d'aliment à une "cuisine narrative", tout juste d'épice. Avec quelques autres patronymes "immémoriaux", ce nom symbolise 'la féodalité' : les femmes quenouillent et les hommes guerrouillent ...Iolande de Bourgogne, Jeanne de Toulouse, Isabelle de France, Amicie de Courtenay, quittèrent la quenouille que filaient alors les reines et suivirent leurs maris outre-mer (Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, in œuvres complètes, T3, Ed Lefèvre 1838, p 401) ou ... Reine, oui, reprit la première en riant, si c’était vraiment la fille du prince de Courtenay, le plus vieux nom de France... cette branche antique, la plus noble qui soit dans la chrétienté... Qui osera désormais porter l’écusson aux cinq [trois] besants d’or, plus éclatant que celui des lis ? (Nerval, 1852, Les confidences de Nicolas, Les illuminés).
D'un autre côté, ce nom devient plaisanterie quand un descendant de la dernière Courtenay (Bauffremont) s'en pare, témoin cette plaisanterie d'Emile Cabanon vers 1815, tant répétée depuis et attribuée à tant de gens, qui lui fit forcer les portes du Théâtre-Français un jour de représentation extraordinaire : « — Votre nom? lui demanda le contrôleur en l'arrêtant. — Prince de Courtenay... branche éteinte» et il passa.
Il fallait l'excentricité du "Sâr" Péladan pour être séduit par ces figures de la Décadence
Latine : le Prince royal de Courtenay, vivant avec la pensée de sa race déchue...(1866) ou Courtenay, homme-destin insuffisant, envoûté par le fait accompli social (1890).
Gibbon reste le seul grand auteur qui présente leur dossier au public (Déclin et chute, à la fin du CH. LXI).
Ils ne marquent pas l'histoire de France : comblés par Philippe Auguste, ils tombèrent de la grande scène et disparurent. L'Histoire ne les connaissant pas, il faut pêcher des indications biographiques dans les généalogies et les mémoires du temps, remonter les pistes et faire des conjectures à partir de maigres indices.
Survolons rapidement leur longue histoire.
Dans la phase post carolingienne (IXe/Xe siècles), des seigneurs de guerre, comtes de Sens, s'enracinent alentour en édifiant des forts que tiennent parentèle et alliés. Quand, au XIe, ils perdent la ville et le titre, l'une de ces familles se trouve basée à Courtenay dont elle reçoit son nom. Croisades. Alliances. Grandeur. Disparition : vers le milieu XIIe, le sire de Courtenay s'évanouit, laissant sa fille et ses terres pour reparaître en Angleterre où il fait souche. Lui et ses descendants brilleront dans l'histoire anglaise.
Sa fille, ses terres, son nom et ses armes, le roi de France, Louis VII le pieux, les donne à Pierre, son dernier frère cadet dont, à la génération suivante, l'émergence philippaugustienne "booste" le fils aîné, Pierre (ii) de Courtenay : en position de réunir grâce aux épouses que lui donne le roi, le comté de Namur et les comtés de Nevers, Tonnerre, Auxerre, il perd la fille-pivot (1199). Il croit rebondir en saisissant la couronne de l'Empire Latin de Constantinople. Cette chimère le tue puis fait le malheur et la ruine de ses descendants qui finent en fille. En 1312, l'emperière (en titre, seulement en titre) échange la terre de Courtenay contre un espoir (vain) de reconquête.
Restent, enfouies dans leurs terres humides de la Puisaye, des branches cadettes qui s'éteignent les unes après les autres, rallumées parfois par des collatéraux. Les Capétiens directs finissent, les Valois finissent. Les siècles passent. Les guerres étrangères. Les guerres religieuses. Pas un Courtenay sur l'écran radar, pas un Bléneau, pas même un Chevillon. Jamais le moindre titre nobiliaire. Sires oubliés, ils se sont oubliés eux-mêmes. Et voilà que, à l'extrême fin du XVIe siècle, une branche royale à peine moins lointaine qu'eux accède à la couronne (Bourbon). Eveillés soudain, les Courtenay au marais dormant se piquent d'annuler quatre siècles et de se faire déclarer princes royaux, excipant de leur "sang" contre leur obscurité. Leur anachronique tentative échoue mais, au bénéfice du doute, ils finissent par se faire reconnaître comme méconnus. Ils se qualifient de princes de Courtenay, prétention qu'on tolère in memoriam et peut-être en partie par provision : si seulement l'un d'entre eux devenait digne de son origine ! Las, le dernier se suicide sans raison apparente (1730).
Ainsi, en un millénaire, "Courtenay" recouvre successivement les vrais (Courtenay de Courtenay, puis Courtenay anglais), les demi-vrais (Courtenay royaux), leurs descendants tardifs (Courtenay sans Courtenay) et, parallèlement, les étrangers qui ont reçu ou acquis la terre de Courtenay après son abandon (nouveaux Courtenay).
Les Courtenay royaux résultent d'une substitution (§1) : Pierre est fait Courtenay. C'est le plus jeune des fils du roi Louis VI le gros, après Philippe qui meurt à peine couronné, Louis qui le remplace, Henri futur archevêque de Reims, Robert futur comte de Dreux, Philippe futur archidiacre de Paris. Comme pour illustrer que "bien mal acquis ne profite jamais", les beaux fruits qui pleuvent sur les descendants de Pierre pourrissent et les empoisonnent. Ils s'étiolent (§2)
En 1015, le dernier comte de Sens fromonide (cf. Annexe III), Renaud le mauvais, perd l'ancestrale guerre contre l'évêque quand celui-ci (Léotheric) se donne au Roi (Robert II) dont les troupes prennent la ville et massacrent la population (Glaber, L III, CH6). Li cuens Renarz eschapa et s'enfui touz nuz. Si Renaud perd ses habits et sa ville, le groupe familial tient toujours ses campagnes : deux générations avant, Renaud le vieux a semé l'arrière-pays de bases armées, dont Chateau-Renard, Joigny, Courtenay... C'est dans ce dernier lieu, aujourd'hui dans le Loiret à la limite de l’Yonne, que l'un des chefs des bandes familiales, Athon (Hatton, Hutton), se fortifie, se fait dominus, prend la terre en surnom et épouse l'une des fameuses Montlhéry sisters. Voilà la naissance des Courtenay.
Le fils cadet d'Athon, Jocelyn, appuyé par le clan parent des Montléry-Puiset, trouve gloire, honneur et richesse à la suite de la première croisade : après d'héroïques péripéties, il devient prince de Galilée, puis comte d'Edesse en 1118 (Annexe VI) : son arrière petite-fille, Sybille, sera la dernière vraie reine de Jérusalem que perdra son calamiteux époux, Guy de Lusignan.
Quant au fils aîné, Milon, héritier de Courtenay, il épouse en 1095, Hermangarde, la fille unique de Renaud (ii) comte de Nevers. Ils ont trois fils : deux disparaissent et le troisième est ce Renaud (Regnaud, Rainard, Régnier) à partir duquel les Courtenay scissionnent mystérieusement.
Renaud, s'il n'est pas des premiers du royaume, appartient aux grands (proceres regni). Arrière-cousin du Roi par son aïeule maternelle quatrième, lié à ce qui compte dans la noblesse du temps, il épouse la fille de Guy du Donjon, descendant des comtes de Corbeil. Elle lui donne deux filles. En 1147, ce Renaud part en croisade avec le roi. Ses frères ayant décédé, il hérite de son père et rentre avant le roi. Et, en 1151, Renaud disparaît, laissant derrière lui ses terres et ses filles. Le Roi Louis VII case la cadette en la mariant à Avelon, sire de Suilly (en Donziais) et donne l'ainée, Isabeau, à son frère Pierre. Ce dernier prend le nom, les armes (d'or à trois tourteaux de gueules) et les terres de Courtenay. Rien ne serait plus ordinaire si Renaud était décédé ou si, vivant et incapable de produire un fils, il avait tout abandonné à sa fille à charge de transmettre le nom et tout ce qui va avec. Mais il n'a fait ni l'un ni l'autre. Renaud est si bien vivant et capable de procréation que, en Angleterre, il engendrera le lignage des Lords Courtenay (ou Courtney, Curtney) qui dure encore aujourd'hui.
On lit en France : Pierre épousa Isabeau, héritière de Courtenay. Comme si Renaud était mort.
On lit en Angleterre : Renaud se querella avec le Roi qui saisit ses biens et fit épouser sa fille à son frère (He quarrelled with King Louis VII, who seized Renaud's French possessions and gave them along with Renaud's daughter Elizabeth to his youngest brother).
Sans ce mystère, la mutation de Renaud en "anglais" ne surprendrait pas : "France" et "Angleterre" n'ont pas encore divergé, les nobles des deux côtés parlent la même langue et s'enchevêtrent. Depuis la conquête normande, beaucoup de nobles sont possessionnés des deux côtés du canal, à commencer par le roi d'Angleterre, duc de Normandie, et le Comte de Blois, roi d'Angleterre. Le cousinage est universel et les fidélités volatiles, comme l'illustre, entre autres, la perpétuelle oscillation des Poitevins ou des Comtes de Boulogne, à la jointure "géopolitique" des deux Royaumes en formation : Henri accueillera - et même attirera - ceux qui sont mécontents de Louis. Et réciproquement, Louis protégera Becket et les fils révoltés d'Henry.
On ne sait pas ce qui est arrivé à Renaud. Trois conjectures peuvent être faites (et se cumuler). La première est locale, la seconde outre-mer, la troisième royale.
Localement, les guerres du Puiset ne sont pas loin et Louis VII, comme son père et son grand-père, aura fort à faire avec les seigneurs de son voisinage.
Outre-mer, un écho nous est parvenu d'une dispute. Renaud aurait heurté Louis lorsque tout ce monde était en Palestine et que la conduite de la reine à Antioche faisait débat (Aurell, 2005). Raymond de Poitiers, le trop bel oncle d'Eléonore, avait toutes les raisons d'orienter la croisade vers la reprise d'Edesse dont le comte titulaire (Jocelyn II) était le cousin germain de Renaud. Tout poussait ce dernier à partager l'avis de ceux (Raymond, Jocelyn, Aliénor et ses vassaux poitevins, maints barons) qui combattaient l'obstination de Louis à aller à Jérusalem, puis à viser Damas (une erreur et un échec). Ces tensions ont pu provoquer ou causer son retour prématuré. La question de la Reine est lourde d'implications, présentes (Edesse ou Damas ?), prochaines (donnera-t-elle un fils au Roi ?) et futures (Plantagenêt). Peut-être Renaud se mêle-t-il des trois. Peu d'années plus tard, toute ambiguïté est dissipée : Renaud s'entremet dans l'union d'Eléonore avec Henri Plantagenêt, bientôt Roi d'Angleterre, qu'elle épouse très vite après son "démariage" de Louis (1152).
Quoique ce soit vraisemblable, on ne peut pas prouver que Renaud a comploté avec Robert de Dreux. La dénonciation de ses méfaits par le comte de Champagne est-elle un indice que Renaud a apporté son concours aux démarches illicites dont le frère du Roi, Robert, était le centre ou le drapeau ?... une conspiration, qui, par ses ramifications, par le rang et la naissance de son auteur, était le plus grand danger qu'ait encore couru le trône des Capétiens. C'est celle de Robert de Dreux, frère du roi, en 1149 (Combes, 1853). Robert, héritier présomptif puisque le Roi moine n'a pas de fils, en désaccord avec lui à propos de Damas, a quitté la croisade prématurément en même temps que Renaud (fin 1148 ou début 1149) : les perturbateurs du repos public sont de retour, écrit au Roi le Régent, le vieux Suger, abbé de St Denis, qui a difficilement surmonté les révoltes de 1147/48. Maints seigneurs s'irritent contre les empiètements royaux ; maints évêques, abbés ou chanoines s'irritent des réformes ecclésiastiques de Suger ; grands et petits s'irritent du rançonnement du peuple pour (ou sous prétexte de) financer la croisade ; le droit de Suger à gouverner est contesté par les "royaux", les deux autres frères du Roi, Philippe, du chapitre de Ste Corneille à Compiègne et Henri, évêque de Beauvais, soutenus par la Reine-mère ; jusqu'à Louis VII qui craint que son Régent n'abuse du pouvoir et ne se prenne pour le roi.
Dans ce contexte de crise, les mécontents poussent Robert le perfide à prendre le pouvoir. Au siècle suivant, les prétentions de Robert s'amplifieront à titre posthume : une légende courra en Bretagne (dont son petit-fils sera devenu comte et s'alliera aux Anglais) : Robert aurait été le frère aîné de Louis, indument évincé de la Couronne. Quelques historiens la reprendront (cf. Duchêne, 1631).
Aîné ou non, Robert escompte l'appui de Thibaut le grand, le puissant comte de Champagne, frère d'Etienne de Blois, roi d'Angleterre, et compétiteur historique du roi dont il a encore récemment souffert : Louis, en 1142/1143, a envahi la Champagne et, entre autres destructions, pris, pillé et incendié Vitry où des centaines d'habitants, réfugiés dans l'église, ont brûlé avec elle. Mais, par jalousie ou prudence, ou influencé par son fils Henri, loyal au roi, Thibaut se range du côté de Suger, avec Thierry, le puissant comte de Flandres. Le comte de Vermandois reste ambigu et le Chancelier Cahors hésitant.
Suger fait face avec détermination. Soutenu par les autorités de l'Eglise, Bernard de Clairvaux et le Pape (Eugène III), l'abbé de St Denis convoque un "parlement", une assemblée des Grands, à Soissons pour le 8 mai 1149. Il ne parvient pas à la réunir. Les rapports de force, incertains ou fluctuants la repoussent de trois mois, le 4 août. Robert n'a pas pu imposer sa manière de trancher le débat : combattre en duel son principal opposant, Henri de Champagne, fils du comte, et prouver par sa victoire que Dieu soutient sa cause. La méthode "parlementaire" de Suger triomphe. Robert, aveuglé par sa haine contre Henri, manque d'habileté ; l'art oratoire de Suger et ses menaces d'excommunication submergent les hésitants que la proclamation réaffirmée de la loyauté des armes de Flandres et Champagne impressionne. Les Grands, mis en demeure de renier publiquement leur fidélité au Roi, de surcroît croisé, renâclent à sauter ce double pas. S'opposer, combattre, marchander se passe dans le jeu. On condamne (éventuellement, on exécute) les "mauvais conseillers" du Roi, on ne touche pas au Roi. Désavouer le Roi, c'est renverser le jeu. Robert échoue à dissocier Suger du roi et à se faire désigner Régent à sa place pour, au retour d'un Louis démoralisé par son échec en Palestine, "satisfaire" son vœu notoire de rejoindre un couvent et "recueillir" la couronne.
Robert reconnaît qu'il a perdu la partie et demande pardon. La Vie de Suger écrite par son admirateur contemporain, Guillaume, donne de l'affaire une version, à la fois anecdotique et glorieuse : Avant que le roi fût de retour, son frère (Robert) revint de Jérusalem. Quelques hommes du peuple, qui toujours est facile à se laisser entraîner vers les nouveautés, se mirent à courir sur le passage de ce prince et lui souhaiter une longue vie et le pouvoir suprême; il y en eut même parmi le clergé, qui, mécontens que certaines choses se fissent dans le royaume autrement qu'ils ne voulaient, cherchèrent à séduire Robert par de perfides adulations, à lui inspirer une confiance aveugle dans son sang royal, et à le pousser à quelques démarches illicites... Mais comme un lion qui sent sa force, le juste Suger, instruit des projets présomptueux de Robert, et voulant empêcher qu'il ne le troublât dans l'exercice du pouvoir qui lui était confié... s'entendit avec les fidèles du royaume, et ne cessa de s'opposer aux efforts du frère du roi, que lorsqu'il eut par sa prudence réprimé l'audace de Robert (Vie de Suger, L III, Ed. Guizot 1825, p 187/188). Cette source et les autres (lettres de et à Suger etc.) sont reprises dans L'art de vérifier les dates (continué par Saint-Allais, Tome 3, 1818, 2, 160) : La malheureuse expédition de Damas le [Robert] brouilla avec le Roi... Il fut des premiers, après la levée du siége, à reprendre la route de France. Son arrivée dans ce royaume y jeta le trouble par les tentatives qu'il fit, de concert avec plusieurs mécontents pour enlever la régence du royaume à Suger. Sa partie était si bien faite, qu'il se vit sur le point de réussir...
Robert et les siens ont failli avoir une deuxième chance. Leur position se rétablirait si le Roi, absent depuis deux ans, ne rentrait pas ou, rentré, désavouait Suger. Le hasard joue contre eux : parti en juin (1149) de Palestine, Louis VII, intercepté par des "pirates" byzantins, est sauvé par des navires siciliens qui passaient par là. Ensuite, pris dans une violente tempête, il lui échappe par miracle. Arrivé en août en Sicile, il rencontre les barons et prélats accourus à sa rencontre pour renouveler leurs accusations contre Suger qui le troublent (animum turbaverunt), quoique le pape Eugène le défende énergiquement. Les hésitations de Louis lui font prolonger son séjour en "Italie". Lorsque, en novembre, il approche enfin, il doute encore de Suger qu'il convoque à une entrevue préalable à Cluny : Ayant reçu, en effet, sur l'état de notre royaume, une foule de bruits différents, et ne sachant pas ce qu'il y a de certain à cet égard, nous voulons apprendre de vous-même comment nous devons agir envers chacun, et contre qui nous devons nous tenir en garde. Peut-être pense-t-il à se garder du Régent puisqu'il le fait venir secrètement et seul, ce qui le met à sa discrétion.
Mais, par affection ? respect ? persuasion ? démoralisation ?, Louis se laisse convaincre par Suger de son innocence et de son dévouement. Il le complimente publiquement et, à la Cicéron, le qualifie de père de la patrie. Robert, quoique battu, a encore une chance d'attraper la couronne : pendant quinze ans le Roi engendrera fille après fille. Ce n'est qu'après un troisième mariage, maints pèlerinages et une intervention divine que naîtra enfin Philippe dieudonné (1165),
plus
tard auguste.
Revenons à notre Renaud. S'il a fait partie du groupe de Robert, Suger, ne pouvant pas tirer vengeance du frère du Roi, aura puni ses amis, et donné l'héritière et les biens de Renaud au petit frère du Roi qui n'a pas suivi Robert. Cette hypothèse n'en exclut pas une autre : Renaud, compromis, menacé peut-être, s'enfuit et passe au Plantagenêt dans les bagages d'Eleanor.
Sans reprendre ce que narrent tous les livres d'histoire, rappelons que Louis prend très mal les "trahisons" du Plantagenêt.
D'une part, après beaucoup d'hésitations, Louis, en tant que suzerain, lui a naguère accordé la Normandie que son père (Geoffroy d'Anjou) a arraché au roi d'Angleterre (Etienne de Blois). Henry le tricheur (Grandes chroniques) a prêté foi et hommage puis s'est dédit.
D'autre part, après le mariage de Henry avec Eleanor (mai 1152), les deux époux règnent sur la Normandie, l'Aquitaine, la Bretagne, le Poitou, le Maine, le Berry, l'Auvergne etc. et prétendent au comté de Toulouse. Les historiens modernes ont représenté cette menace stratégique par d'impressionnantes cartes rétrospectives qui, toutefois, exagèrent la marginalisation de Louis car la suzeraineté sur de vastes ressorts, d'ailleurs partiellement mouvants du roi de France, ne signifie pas contrôle du territoire.
En outre, ce mariage de l'ex épouse du roi moine avec le jeune et pétulant angevin apparaît comme une insulte personnelle et un déni féodal puisque le bafoué est le suzerain des époux qui auraient dû demander son aveu.
Le courroux du roi se traduit en actes. Dès le mois suivant le mariage, le Roi attaque la Normandie. Soutenu par Henri de Champagne, il s'allie aux ennemis d'Henry : son frère, Geoffroy, qui veut l'Anjou et son cousin, Etienne, qui défend sa couronne d'Angleterre. La multiplicité des enjeux provoque celle des champs de bataille : Angleterre, Anjou, Aquitaine, Normandie... Après maintes péripéties, la mort du fils d'Etienne (1153) permet à Henry de s'assurer la couronne d'Angleterre à la mort du roi (1154). En 1156, il prête à nouveau hommage au roi de France pour la Normandie, au nom de son fils toutefois. En quatre ans, Henry a gagné sur tous les tableaux. Et, plus encore, puisque, lui, il a déjà eu d'Alienor deux fils dont un vivant alors qu'elle n'avait donné que des filles à Louis !
Cause ou conséquence de la brouille avec son roi, il est dit que Renaud a contribué efficacement au rapide remariage d'Aliénor avec Henry (having been very instrumental in effecting the match). Qu'il ait été partisan de la reine depuis Antioche ou qu'il le soit devenu après son retour, il a trempé dans la préparation de ce coup d'éclat. En effet, celui-ci n'a pas pu être conçu, décidé et exécuté en huit semaines, même s'il est accéléré par les tentatives de capture auxquelles Aliénor échappe de justesse lorsque, de Paris, elle rentre en Aquitaine : la chasse à l'héritière était ouverte.
Aliénor, anticipant ou souhaitant son "divorce", se serait mise d'accord avec Henry au cours de l'été 1151, quand il vient à Paris avec son père prêter hommage pour la Normandie. Renaud a pu jouer un rôle à ce moment ou dans les mois suivants. Une fois le mariage célébré et la guerre commencée, il ne lui restait qu'à défendre Aliénor en combattant activement pour Henry. Comme nous le verrons, le roi d'Angleterre récompense Reginald en le faisant baron de Sutton (Berkshire) en 1161, puis, en 1173, en lui donnant l'occasion de devenir baron d'Okehampton, "patron" de l'abbaye de Forde, gouverneur du chateau d'Exeter et sheriff du Devon. Sa descendance joue un rôle marquant dans les western countries. Devenus comtes héréditaires de Devon, ils comptent dans les soixante familles qui constituent la ruling elite de l'Angleterre (Davies) et sont actifs dans son histoire, notamment pendant la "guerre des deux roses" où leur adhésion à Lancastre leur vaut décapitations et forfaitures. Ils se relèvent avec la victoire Tudor qui les refait comtes. Henry Courtney est même promu "marquis d'Exeter" par le bon plaisir de Henry VIII qui, ultérieurement, le fait décapiter pour complot papiste. Son fils Edward, enfermé à la Tour par Henry VIII, est libéré quinze ans plus tard par l'avènement de la reine Mary. Elle le rétablit comte du Devon, envisage de l'épouser... et le renvoie à la Tour presqu'aussitôt. Après sa mort sans postérité (1556), le titre quitte la famille pour presque trois siècles et lui revient en 1831(cf. Annexe V).En France, sans procès ni guerre locale, sans confiscation ni reprise, les domaines de Renaud ont été saisis ou au moins retenus par le Roi. Si Renaud, de son vivant, s'était dépouillé volontairement, un acte de donation serait mentionné quelque part. Et l'aurait-il fait au profit d'une fille trop jeune pour ne pas tomber en tutelle ? Non, il s'est enfui ou a été chassé. Le Roi prend la fille en garde et l'élève à la cour, puis la donne, elle et ses biens, à son frère cadet comme s'ils étaient sans maître. Ce marcottage éradique les vrais Courtenay et greffe la lignée sur une nouvelle souche.
Pierre le coucou devient "sire de Courtenay" et en prend les armes pour ce qu'elle (la fille) lui fut accordée à celle charge (du Tillet), comme si le roi voulait effacer Renaud. Ces Courtenay réinitialisés forment une seconde Maison qui répudiera la première.
Plus tard, on dira que Pierre, tel Esaü, a échangé cupidement ses (maigres) droits à la royauté contre un (copieux) plat de lentilles. Dans son temps, le changement de nom ne choque pas. La substitution se pratique couramment en l'absence d'héritier et, dans une alliance asymétrique, à l'instar d'une adoption, le petit s'honore de prendre le nom du grand. Or Courtenay vaut beaucoup plus que ce petit Pierre, tellement insignifiant que, seul de toute sa fratrie, il ne porte pas de nom royal. Ses frères s'appellent Philippe (comme le père du Gros), Louis (le Hlodowig emblématique), Henri (comme le grand-père du Gros), Robert (comme l'arrière grand-père et le fondateur de la dynastie), Hugues (comme le premier Capet), et encore un Philippe. Lui, c'est Pierre, un nom qui, jamais en France, n'a été ni ne sera royal. Pierre, comme si la liste était épuisée et la réserve d'héritiers pleine. A ce moment, chez les puissants, les noms importent (Werner) et programment des destins. Dans le code royal Pierre signifie zéro.
Jusqu'à son mariage, Pierre n'a pas été activé : ni son père, ni son frère Roi, ne lui ont donné le moindre office ou enfieffé la moindre terre. Cette inconsistance, jointe à son nom apostolique (Pierre fait sens dans le code épiscopal), le voue à l'Eglise. Il sera repêché de justesse et par hasard.
Au contraire, Robert, héritier présomptif, a été lancé tôt dans les eaux "anglo-françaises". Après un mariage avec la comtesse de Montfort, il est uni à la Dame de Braine, de la maison des comtes de Salisbury. Il prend les armes de Braine (échiqueté d'or et d'azur à la bordure de gueules) et les garde. Puis, dès 1135, il trouve un nom (surnom) quand le Roi lui attribue en fief héréditaire le comté de Dreux dont il transmett nom et armes à trois siècles de descendants qui les porteront jusqu'à la fille finale (Jeanne †1346). Une branche cadette donnera une dynastie de Comtes puis Ducs de Bretagne en ligne directe jusqu'en 1341.
Après 1150, Robert, devenu loyal et/ou prudent, jouera un rôle de premier plan dans les guerres royales tandis que notre Pierre restera "junior", sans rien à lui.
Tandis que la continuité patrilinéaire se poursuit du côté anglais où demeurent les vrais Courtenay descendus d'Athon directement par mâles, Pierre devient "la tige" d'une nouvelle lignée, Courtenay par fille et capétienne par mâle : du Bouchet, l'historiographe des Courtenay, les fera commencer à Louis VI et renverra les anciens Courtenay au paragraphe traitant de l'origine de l'épouse de Pierre : les Courtenay ne veulent pas d'autre ancêtre que Louis VI le gros.
Notons et soulignons que ces deux lignées divergentes s'ignoreront, du début jusqu'à la fin. Quoique les tiers les connaissent toutes deux, ils ne les rapprochent pas. Début XVIIe, le roi d'Angleterre s'étonnera devant les Courtenay résiduels français venus chercher son soutien : nous avons ici des gens de votre nom.
Pour expliquer cette troublante gémellité (même nom, mêmes armes –Or, three Torteaux Gules–, même ancêtre Athon), on fera sortir les Courtenay anglais d'un fils d'Athon qui aurait conquis l'Angleterre avec Guillaume le Bâtard. C'est la version qu'adoptera sans grande conviction du Bouchet : Athon... fut père de Josselin I du nom, Sr de Courtenay, & comme je crois, d'un autre fils qui suivit Guillaume à la conquête d'Angleterre & qui donna origine à la Maison qui a porté le nom & les Armes de Courtenay au même Royaume & qui subsiste encore (p 7/8).
Cette indifférence réciproque surprend en un temps d'alliances multiples, de cousinage intense et de va-et-vient continuels. Elle traduit une rupture, définitive quoique implicite, dont la mémoire survit au souvenir. En France, Renaud le "bad boy" n'existe pas. Après son retour de croisade, il s'évanouit.
Les Courtenay d'ici s'obscurcissant peu à peu tandis que les autres, de longue main plantés en grandeur (du Tillet), brillent dans l'histoire d'Angleterre. Très vite, le nom Courtenay ne renverra plus qu'à ces derniers, si anglais que l'origine du nom se perd, les généalogistes les plus fantaisistes en faisant le sobriquet anglo-normand d'un ancêtre who had a snub nose, from the Old French 'court, curt', short, with 'nez', nose !
Ironique revanche, seuls les vrais, les anglais, restent connus, y compris de l'Histoire de France où ils font des passages remarqués : le cartel que, en 1386, Richard II d'Angleterre pousse son Courtenay à lancer à Guy de la Trémoille, chambellan du duc de Bourgogne, a été célébré par Froissart, ainsi que la joute subséquente avec le sire de Clary, chambellan du roi. Après le traité de Troyes, l'admiral de Henry VI d'Angleterre, Edward Courtenay devient "amiral de France" (1439), titre auquel il figure au tome 7 du Père Anselme (Grands officiers de la Couronne), sa notice étant suivie d'une généalogie des Courtenay d'Angleterre, supposés issus d'un compagnon de Guillaume le Conquérant.
Dans l'histoire millénaire des longs Courtenay, les nôtres existent à peine, par fille et pour peu de temps. Si j'ose une fantaisie : ce sont de bien courts Courtenay !
A moins de trente ans, le petit Pierre épouse Courtenay, une collection de terres et de droits localisés dans les départements actuels du Loiret et de l'Yonne, entre la Bourgogne et le petit cœur capétien, à la jointure des deux grandes "autoroutes" du temps que sont la Seine et la Loire : Courtenay, Montargis, Chateau-Renard, Champignelles, Tanlay, Charny, Chante-Coq, etc. Il reste à la marge de l'action royale. Une seule mention de lui nous est parvenue : il est noté parmi les trois barons laïcs envoyés pour traiter d'une paix avec Henri II d'Angleterre en 1178. C'est à la génération suivante, avec l'émergence royale philippaugustienne que leur origine profitera aux fils aînés de Pierre, Pierre le deuxième et Robert : leur destin rivalisera momentanément avec celui des Dreux.
Pierre meurt avant 1183 et la dame de Courtenay, Elisabeth/Isabeau, lui survit vingt ans, jusqu'en 1205. Malgré le raid dont elle a été l'objet, elle a été bonne fille et engendré un grand nombre d'enfants : cinq garçons et six filles atteignent l'âge actif, capital humain exceptionnel en ces temps de surmortalité infantile et maternelle. Les fils héritent de leur mère, le père n'ayant rien. Selon l'usage, l'aîné, Pierre second du nom, reçoit la plus grande part, dont Courtenay et Chateau-Renard ; Robert devient sire de Champignelles, Guillaume et Jean héritent de seigneuries périphériques, respectivement Tanlay et Yerres. Quant aux filles, elles sont toutes mariées noblement. Exploit rare, tout le monde est casé, jusqu'à la moindre fille :
Commençons par l'aîné. Pierre, ii du nom, prend un beau départ. Le roi Philippe le pourvoit richement en épouses : d'abord Agnès, héritière des comtés de Nevers, Auxerre et Tonnerre ; puis, à la mort de celle-ci, Yolande du Hainaut, future comtesse de Namur et sœur de la reine. Leur frère, Baudoin, comte de Flandre et du Hainaut, sera le premier empereur latin de Constantinople (1204). Leur autre frère, Henri, le second empereur (1205). A sa mort (1216), cette couronne s'offre à Pierre, comme mâle le plus proche (cf. Annexe IV). Si ce titre lui assure une (petite) place dans les livres d'histoire, les Dreux en ont une plus grande comme tige des Ducs de Bretagne. Ils ont la meilleure part : la Bretagne est souvent rétive, mais le fantôme d' "Empire" latin la dépasse en malice. Cette dignité empoisonnée tue Pierre si vite qu'il n'atteint même pas Constantinople ! L'empérière trop vite disparue, leur premier fils évite le piège latin et c'est le deuxième, Robert, qui succède. De 1220 à 1228, il ne montre que la faiblesse de son esprit et la bassesse de son courage (du Cange). Il finit par s'enfuir et meurt. Le dernier héritier de Pierre, Baudoin, étant trop jeune, Jean de Brienne exerce la régence et lui fait épouser sa fille. Devenu enfin empereur, Baudoin se débat pendant trente ans pour sauver sa couronne. Vainement : les Grecs reprennent Constantinople en 1261. Baudoin ne parvient pas à la reconquérir, pas plus que son fils Philippe qui, de surcroît, reste sans successeur. Deux générations de filles empérières choisissent leur mari pour une offensive qui ne se fait jamais. L'échec total dévorera leurs biens et, en 1313, la terre même de Courtenay leur échappera.
Passons au second fils de Pierre et d'Isabeau. Robert reçoit Champignelles en héritage et s'active sur la scène politico-militaire. Il participe à la conquête de l'Angleterre par son petit cousin, Louis le Lion, futur VIII, que les barons anglais révoltés ont élu Roi à la place de Jean sans terre. L'aventure tourne mal et Robert commande la dernière flotte de secours, défaite à la bataille des cinq îles (1217). Louis, une fois roi (1223), le garde à ses côtés et le promeut bouteiller, office rémunérateur et prestigieux. Robert fait avec Louis toutes les expéditions languedociennes ("albigeoises") et reçoit en inféodation royale Conches et Nonancourt en Normandie. Il a épousé Mahaut, Dame de Mehun. Ils font huit enfants : les guerriers se partageront ses terres et les clercs obtiendront l'archevêché de Reims, lequel, outre les avantages matériels attachés, fait de son titulaire le couronnateur des Rois. Au début du XIVe siècle, le petit-fils de Robert, lui-même nommé Robert, aura le rare privilège de sacrer successivement trois rois : tous les fils de Philippe le Bel (Louis X le Hutin, Philippe V le Long et Charles IV le Bel).
Si les plus jeunes fils de Pierre et Isabeau, Guillaume et Jean, respectivement sires Tanlay et Yerres, ne font rien de remarquable, les filles (Alix, Constance, Eustachie, Clémence), constituent un précieux capital relationnel qui n'est pas gaspillé mais investi aux alentours puis, après annulation ou décès de leur mari, réinvesti au delà de la petite "France" royale. Pour autant qu'on puisse saisir les faits, leurs premiers mariages se font avec des sires voisins de Courtenay et leurs remariages nettement au-dessus et plus loin, sans doute à la faveur de la fortune de leurs frères aînés qui en fait des instruments diplomatiques.
Alix (†1218), d'abord unie à un sire de Joigny, épouse Aymar Taillefer, Comte d'Angoulême. Ils engendrent cette fameuse Isabelle que Jean sans terre, pour prévenir l'union des comtés d'Angoulême et de la Marche, arrachera à son fiancé, Hugues de Lusignan, et épousera, précipitant les comtes dans l'alliance française. Cette erreur politique est aussi matrimoniale. Les méfaits et débordements d'Isabelle (ultérieurement remariée à Hugues) lui vaudront d'être appelée Jezabel en Angleterre (Vincent, 1999).
Eustachie épouse d'abord un petit sire de Pacy-sur-Armançon, puis Guillaume, Comte de Sancerre ; Clémence, un vicomte de Thiern ; Constance, un sire de Chateaufort puis Guillaume, sire de la Ferté Arnaud.
Maintes fortunes ne dépassent pas trois générations. La descendance mâle de Pierre n'ira pas beaucoup plus loin. Les branches se fanent et, par fille, chanoine ou absence de postérité, finissent les unes après les autres : la branche aînée dès 1285, emportant la visibilité de la maison Courtenay ; la branche de Tanlay en 1383 ; celle d'Yerre en 1384 et, enfin, la plus résistante, celle de Robert, Champignelles, vers 1472 (cf. schéma infra).
Alors que, pendant six générations, les Champignelles ont réussi à garder leurs terres groupées, le dernier, Jean, iv du nom, (mort après 1472) liquide tout. Rallié à Charles VII, il épouse une fille de l'Amiral de France (Jacques, Sr de Dampierre), puis en 1444 Marguerite de Droizy, la veuve d'Etienne de Vignolles (la Hire). Plus soucieux d'argent que de terres, il vend Champignelles à Jacques Cœur, ce qui lui vaut le sobriquet de Jean sans terre. Il meurt en 1472 sans postérité et sans biens (mais non sans avoir doté son bâtard). Un siècle et demi après l'évaporation du patrimoine Courtenay de la branche ainée (1313), c'est le tour de celui des Champignelles cadets (issus de Robert le Bouteiller). Toutes les lignes de descendance directe de Louis VI sont à présent rompues. Restent, ici et là, produits des partages, des héritages et des alliances, des cousins, sires de Bléneau, sires de la Ferté-Loupière, et plus tard des sires d'Arrablay, sires de Bontin etc.
Et soudain, en 1603, des revenants, les sieurs Gaspard de Bléneau, Jacques de Chevillon et leurs frères Jean des Salles, René, abbé des Eschalis, et Jean de Frauville, adressent au roi Henri IV une supplique pour être reconnus comme princes du sang en tant que Courtenay issus de Louis VI par mâles : Libellus Supplex Regi oblatus à Dominis de Courtenay, 15. Ianuarij 1603, sic signatum: Gaspardus, Jacobus, Ioannes, Renatus, Ioannes. Ainsi commence une offensive qui durera plus de cent ans, tant qu'il y aura des mâles pour la soutenir.
Jean IV sans terre ne fut-il pas le dernier de la dernière branche ? à sa mort (1472), n'a-t-il pas laissé que des bâtards ? son arrière grand-père, Jean III de Champignelles, un combattant de la bataille de Poitiers, ne fut-il pas le dernier qu'un Roi, Jean le bon, ait appelé cousin (dans des lettres de 1379) ? Ne sont-ils pas tous morts et enterrés ?
La résurrection courtenaise passerait par le miracle de l'oncle.
Le conditionnel s'impose car des doutes subsistent (cf. Annexe II). L'oncle du sans terre aurait repris, du vivant même du neveu, le flambeau que l'indigne néglige. Egalement nommé Jean, il a déjà Bléneau, entré dans sa famille par mariage. Il a épousé la riche Catherine, fille de François de L'Hôpital, seigneur de Soisy-aux-Loges (Choisy), Conseiller & Chambellan du Roi. L'oncle providentiel rassemble les terres ancestrales, lègue Bléneau à son fils aîné Jean, Chevillon etc à Pierre, Arrablai à Charles, et tout recommence. Surgissent de nouveaux sires dont sortiront nos Chevillon princiers : en s'assimilant aux anciens Ferté-Loupière, issus du petit-fils de Robert le bouteiller, ils se rattacheront à la branche cadette issue de Pierre "de France" et, par lui, à Louis VI le gros.
Gibbon écrit malicieusement (il sera abondamment recopié) :
Après la mort de Robert, grand-bouteiller de France, ils descendirent du rang de princes à celui de barons ; les générations suivantes se confondirent avec les simples gentilshommes, et dans les seigneurs campagnards de Tanlai et de Champignelles on ne reconnaissait plus les descendants de Hugues Capet. Les plus aventureux embrassèrent sans déshonneur la profession de soldat ; les autres, moins riches et moins actifs, descendirent, comme leurs cousins de la branche de Dreux, dans l’humble classe des paysans. Durant une période obscure de quatre cents ans, leur origine royale devint chaque jour plus douteuse, et leur généalogie, au lieu, d’être enregistrée dans les annales du royaume, ne peut être vérifiée que par les recherches pénibles des généalogistes.
En 1603, les descendants de Jean de Bléneau réclament la qualité royale que leur obscurité a fait oublier. Voilà, nous nous sommes absentés quelques siècles ! nous sommes de retour ! c'est nous ! Hé, cousins ! faites-nous un peu de place sous les lys ! Nous aussi, nous sommes des Capétiens, des Robertides ! les tout derniers cadets de Louis le gros, maintenant que ce qui restait de Robert de Dreux a disparu avec la mort de Jean de Morainville en 1590 !
Demandons-nous comment cette idée folle a pu leur venir (§1). Examinons ensuite comment ils la mettent à exécution (§2).
On voit leur action, on devine leurs raisons, on ne sait rien de leurs arrière-pensées, de leurs discussions, de leurs préparatifs. Le contexte de la fin du XVIe siècle nous offre néanmoins une série de facteurs convergents : i) des preuves crédibles toutes faites, ii) la nouvelle splendeur des "royaux", iii) l'accession au trône du très lointain cousin Bourbon-Vendôme (Henri IV), le tout excité par (iv) la sommation de prouver leur noblesse.
Rappelons d'abord la tendance générale. A partir des Xe/XIe siècles, la généalogie constitue le versant notarial de la territorialisation de la noblesse car les origines légitiment des droits. Le rétrécissement du groupe lignager et sa verticalisation centrent les descentes sur les mâles. Plus tard, le Roi, s'institutionnalisant, se fait l'origine et la mesure de toute noblesse. Les exigences fiscales et militaires de la royauté engendrent les enquêtes de noblesse. En 1452, pour la première fois, Charles VII ordonne aux baillis & sénéchaux de dresser des listes des nobles de leur ressort. Les ordonnances de Louis XIV marqueront le terme de cette nomenclaturisation royale : grande enquête de 1664 et, surtout, projet d'une liste officielle exhaustive (vs Nobiliaires) qui sera entrepris cinquante ans plus tard par d'Hozier (Catalogue général de la noblesse, 1738/68).
Parallèlement, le roi se donne le privilège de transsubstantiation : le droit de transformer un roturier en noble. Le premier anoblissement connu est le fait de Philippe III le
Hardi en 1270 ; dans les cinquante ans qui suivent, on en compte une quinzaine ; puis, outre les usurpations pures et simples, ils deviennent innombrables. La concurrence de cette nouvelle noblesse conduit l'ancienne à une réévaluation du fait nobiliaire à l'aune de l'hérédité. Cette réévaluation, facilitée par le rôle croissant des notaires laïcs et l'imprimerie, se généralise au XVIe. Si la construction d'une conscience lignagère de la parenté... fut l'œuvre du long moyen âge, les moyens de la manifestation scripturaire de ce savoir et de ses représentations se développèrent de manière spectaculaire en moins d'un siècle, entre le XVe et le XVIe (Butaud, 2006).
Si cette tendance excita nos sieurs à fouiller (ou à faire fouiller) la confusion de leurs archives, ils manquaient de moyens pour prouver leur descente de Louis VI qui, au fil du temps, des changements de branches et des croisements de lignes, était devenue embrouillée. Nul ne s'était soucié de les enregistrer, eux, les cadets résiduels oubliés. Leur médiocrité (quelques terres, quelques guerres) est éclipsée par la splendeur (factice mais toujours admirée) de la branche ainée des descendants de Pierre "de France". S'inspirant de la chronique dite de Baudouin d'Avesne, le manuscrit du lignage de Coucy, de Dreux, Bourbon & Courtenay (1303) ne traite déjà que de la ligne des empereurs et ignore absolument les cadets.
Mais, au milieu du XVIe, le Recueil des Rois fait la différence. Jean du Tillet, greffier en chef du Parlement de Paris, a été chargé par Henri II de rassembler plusieurs choses mémorables pour l'intelligence de l'estat des affaires de France, savoir la généalogie des Rois et l'ordre du Royaume. C'est le dictionnaire de la monarchie. Justifié par les Registres que l'auteur a consulté dans le Trésor des Chartes, ce catalogue fait autorité et sera largement copié et recopié par les historiens et généalogistes. Le chapitre dédié à Louis le gros inclut un paragraphe sur les comtes de Dreux, un sur les Dreux de Bretagne et un sur la branche de Courtenay. Là, quelques pages très denses balaient la descente de Pierre de Courtenay et, en particulier, de la branche de Robert de Champignelles qui dure encore en la personne du contemporain François de Bléneau et de ses fils, encores mineurs d'ans (les futurs solliciteurs, Gaspard de Bléneau et Jean des Salles). Remarquons que l'exhaustivité ou la complaisance de du Tillet ne s'étend pas jusqu'aux cousins Chevillon dont sortira le futur prince.
Le Recueil, quoique non publié, est largement connu : du Tillet en a solennellement offert le manuscrit aux Rois (Henri II autour de 1550, Charles IX en 1566), ce qui a diffusé leur contenu à la Cour. Après le décès du Tillet, le Recueil fait l'objet de deux éditions pirates en 1578 (trois, en incluant la traduction latine imprimée en Allemagne), puis, par les soins de ses fils, d'une première édition autorisée en 1580. De plus, en 1579, paraît, chez Gabriel Buon, la compilation de Belleforest (Les Grandes Annales et histoire générale de France) qui emprunte ses Courtenay à du Tillet (Livre 3, CH XLV). Quoique le contemporain La Popelinière range l'infatiguable Belleforest parmi les insignes menteurs qui ont barbouillé l'Histoire particulière, générale & universelle, à leur fantaisie et, que son style nous soit absolument indigeste, on le lisait avec plaisir sous Henri III.
Tout ceci permet d'admettre que, à cette époque devenue friande de généalogies, nos sires (et tout le monde) piochaient avec gourmandise dans du Tillet. Pour la première fois, le chemin est tracé et balisé, de Louis le gros aux Bléneau contemporains.
Aux temps mérovingiens, tous les fils du Roi franc étaient Rois chevelus et se partageaient l'héritage. Lentement, la royauté a appris à le concentrer sur le fils aîné, ce qui a dévalorisé les autres. Mis à part l'aîné qui reçoit la couronne, les enfants de Roi restent des personnes privées dont les droits sur le patrimoine personnel du père ne diffèrent pas de ceux des rejetons des autres féodaux (Lewis).
Un fils ! double exigence : un enfant et un mâle. Il fallut trente ans, trois mariages et une intervention divine pour que Louis VII en ait un. Plus tard, les fils de Philippe le Bel feront quenouille l'un après l'autre. En même temps que la royauté s'institutionnalise, elle apprend à chérir ses fils et ses cousins, capables de la couronne. On ne les laisse plus errer tout nus à la recherche d'une héritière. On les habille, on les catalogue, on les dote, on les pensionne. A la fin de cette évolution, le Roi ne procédera plus de l'accord des Grands mais de Dieu via le Sang. Aussi les Princes prendront-ils le pas sur les Grands.
Quand la royauté devient une "figure collective", émerge cette notion de prince du sang qui trouve sa consécration dans le fameux édit de décembre 1576 par lequel Henri III tranche un ancien débat (souvent très chaud) sur la hiérarchie au sein des Pairs (pairs impairs donc !). Elle se base sur l'ancienneté. Un comte passe devant un duc s'il est plus vieux pair. Mais quid des Princes ? Viennent-ils dans l'ordre normal des pairs (ancienneté) ou précèdent-ils les autres en raison de leur capacité à la couronne ? L'article unique de l'ordonnance déclare la préséance des Princes de notre Sang sur tous les autres pairs (Cosandey, 2008). Les voilà exhaussés au-dessus de la noblesse et même des plus grands.
Le texte est le suivant (Code Henri III, Lyon, 1594, Livre 18, Titre 4, §1, p 910) : 1. ORDONNONS que les Princes de notre Sang, Pairs de France précéderont & tiendront Rang, selon leur degré de Consanguinité, devant les autres Princes & Seigneurs, Pairs de France, de quelque qualité qu'ils puissent estre, tant és Sacres & Couronnement des Roys que és Seances des Cours de Parlement, & autres...
Dans son temps, au début de ces Etats généraux de Blois qui se termineront par la victoire de la Ligue, c'est une (vaine) pique contre les Guise qui, à l'occasion des sacres, intriguèrent pour que les Pairs (qu'ils sont) passent avant les Princes (qu'ils ne peuvent pas être).
Dans le futur de la monarchie, cette ordonnance affirmera la majesté royale : les Pairs passaient devant le Sang à l'époque où ils faisaient le Roi ; désormais, le Roi "autocratisé" divinise son Sang qui précède les Pairs. Cet édit cérémoniel proclame la suprématie du Sang royal.
Comment nos sires ne se sentiraient-ils pas aspirés par cette "figure collective" de la Royauté ? Pierre, le fils cadet de Louis VI ne fut pas prince car la catégorie n'existait pas ; maintenant qu'elle resplendit, elle aspire Pierre et tous ses descendants. Il suffit de mettre le bâton carré dans le trou rond pour inscrire rétrospectivement les Courtenay présents dans l'ordre royal.
N'imaginons pas que la crise de succession ouverte par l'extinction des Valois à la suite de la mort d'Alençon (1584) et de l'assassinat de Henri III (1589) ait donné à quelqu'un l'idée que nos sires auraient pu être une solution. Lorsque, dans le tumulte du début des années 1590, les "catholiques français", coincés entre les Espagnols et le Bourbon huguenot également haïs, rêvaient de trouver ou d'inventer un Capétien acceptable, nul n'alla chercher dans l'annuaire, à la page 69 de l'édition de 1578 du Recueil de du Tillet, un Gaspard de Bléneau pour le dire capable de la couronne et le jeter dans l'arène où s'affrontent le jeune duc de Guise, le vieux cardinal de Bourbon, le roi de Navarre, les fils de Louis de Condé (le Cardinal de Vendôme et le comte de Soissons).
Quelle figure ferait le pauvre Gaspard dans ce chaos que les plus habiles et les plus forts échouent à ordonner depuis des années ? un cavalier dans une bataille de chars ! un parapluie dans un tremblement de terre ! une bouée non gonflée dans une éruption volcanique ! Rédhibitoire. Gaspard qui ? Gaspard combien ? En tant que personnes, les Bléneau sont peu connus. En tant que maison royale, ignorés. En tant qu'acteurs politiques et militaires, inexistants.
Mais, après le couronnement de Henri IV, comment les Bléneau-Chevillon ne rapprocheraient-ils pas leur destin de celui des Bourbon désormais régnants ? A l'origine des Bourbon (resp. Courtenay), un Aymard du Xe siècle (resp. Athon). Puis, une quenouille : Béatrice de Bourbon (resp. Isabeau de Courtenay). La grenouille se transforme en princesse par le baiser d'un mariage royal : Robert de Clermont, fils cadet du Roi Louis IX, épouse Béatrice et, par substitution, devient Bourbon ; Pierre, fils cadet de Louis VI, devient Courtenay par Isabeau.
Aymard... Béatrice ´ Robert, fils de Louis IX = Bourbon royaux
Athon... Isabeau ´ Pierre, fils de Louis VI = Courtenay royaux
Si, en 1598, pour légitimer un successeur, il a fallu remonter aussi loin que le XIIIe siècle (et aussi haut en amont de la généalogie royale), pourquoi, à l'occasion d'une autre extinction, ne pousserait-on jusqu'au XIIe ? Loyseau le dira, après Balde (commentaire du Libri feodorum) : hérite de la Couronne le dernier parent le plus proche, fût-ce au millième degré !
On peut supposer que la Requête de 1603 résulte d'une longue maturation sous l'effet des rayons de la splendeur royale (preuves, princes, Bourbon). Le fruit mûrissait lentement sur cette branchette de l'arbre généalogique capétien quand un coup de vent le fit tomber.
Au début de son règne (1598), Henri IV ayant appris que durant les troubles il s'était fait quantité de faux Nobles qui s'exemptaient de la taille, il ordonna qu'il en serait fait recherche (Perefixe, 1662). Nos sieurs, endormis dans leurs terres, sont soumis à la taille, sauf à prouver leur noblesse. Eveillés de leur sommeil séculaire, ils s'échauffent et, les premiers, revendiquent leur origine : si leurs pères n'avoient rien demandé, c'est que personne ne s'étoit avisé de contester leur état... Voyez l'édition 1756 de l'Histoire de France du Père Daniel (Tome XII, Observations..., p 639/641, qui s'appuient sur un Recueil de pièces sur la maison de Courtenai imprimé à Paris en 1613) :
Ce fut sous le règne de Henri IV que la maison de Courtenay réclama la qualité et les prérogatives des princes du sang, comme descendue en ligne masculine de Pierre... Messieurs de Courtenai vivaient depuis longtemps retirés dans leurs terres, & l'ainé de leur maison ayant été assigné pour qu'il eût à produire ses titres de noblesse, cette recherche donna lieu à la demande solennelle (15 février 1603) qu'ils firent au roi d'être reconnus pour princes de la maison de France.
Le chancelier leur dit qu'ils ne devoient point presser le roi sur cette affaire ; que leur qualité était assez connue, & que leurs pères s'étant contentés de la situation où ils se trouvoient eux-mêmes, ils ne devoient point aspirer à de plus grandes prérogatives. Cette réponse ne les satisfit pas; ils répondirent que si leurs pères n'avoient rien demandé, c'est que personne ne s'étoit avisé de contester leur état...
Voyez notre sang ! Nos sieurs ne savaient pas, ou ils voulaient ignorer, que le "sang" ne suffit pas. On peut leur appliquer ce passage de l'Ecriture : dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures (Jean 14:2) ! La leur est tout en bas. Contrairement à ce que laisse croire la pseudo-biologie du "sang" et de la "race", le sang n'est pas donné. Le rang valide le sang (cf. Annexe 1) : le sang reçu de la nature par les voies légitimes se conserve, se reconnaît et s'enrichit par les œuvres. Seuls les grands deviennent Grands. Un précipice engloutit ceux qui manquent de vertu, tels nos Courtenay : Ainsi la vertu personnelle est nécessaire aux gentilshommes, afin qu'ils puissent soutenir leur qualité. Plus leurs maisons ont de rang & d'élévation, plus ils se trouvent déshonorez par la pesanteur qui les accable, & plus est profond le précipice où leur défaut de mérite les fait tomber (de la Roque 1678, préface). Et, en 1632, Cardin-Lebret, dans la même phrase, ouvrait et fermait la porte aux Courtenay. Il cite Balde (quae etiamsi in millesimo gradu sit) pour affirmer que cette loi salique appelle les mâles indéfiniment [mon soulignement] à la succession du Royaume [...], bien que régulièrement la consanguinité finisse au dixième ou au septième degré, mais il ajoute: pourvu qu'ils aient joui des droits, des rangs, des privilèges et des autres prérogatives qui leur sont attribuées; & que par leurs actions, ils n'aient point dérogé à la grandeur de leur noblesse et aux mérites de leur naissance (Œuvres, ed. 1643, p. 12).
Plus le sang est noble, plus il a besoin d'être soutenu : grandes dignités, conquêtes, victoires, reconnaissance publique (fortune, alliances etc.). Et presque tout en haut, les Princes
de
France. Le Roi est le soleil, les Princes les étoiles qui brillent d'un
monde d'Avantages &. de prérogatives, comme l'écrit le flatteur André du Chesne (1609, p 650) sur le mode lyrique : Le train des Princes de France est admirable & tout Royal, aussi est-il que leur équipage monstre la grandeur des maistres qu'ils servent, qui sont les premiers & plus grans Monarques de la Chrétienté. Le Ciel a son Soleil, & il a ses estoilles : aussi la France a son Roy & si elle a ses Princes... en quelque part que se soient parquez ces Princes, ils ont esté veuz & recognus brillans & eclatans d'un monde d'Avantages &. de prérogatives, qui les ont tousiours accompagnez, & qui les ont fait admirer de toutes les nations de la terre, & sur tous les princes des Couronnes estrangeres...
Voilà nos Courtenay en action. Croyant arracher la décision, ils saisissent le Roi (i) et, à titre justificatif, établissent un discours des origines (ii). Des accidents romanesques déplacent le problème (iii) et –hasard ou malédiction ?– leur arbre généalogique est frappé par la foudre (iv).
Nous verrons que leur prétention est soutenue (excitée ?) par de grands personnages qui, par eux, teinteraient de capétien leur ascendance (Richelieu), leur descendance (Mazarin) ou les deux (Sully), avec l'aide des preuves et panégyriques dont fait commerce l'historiographe Du Chesne, aussi accommodant qu'inépuisable. Ces patronages ne suffiront pas à obtenir leur reconnaissance mais leur donneront une posture de "méconnus" dont ils tireront profit.
L'adresse initiale à Henri IV date de janvier 1603 : Libellus supplex Regi oblatus à Dominis de Courtenay, 15. Ianuarij 1603, sic signatum: Gaspardus, Jacobus, Ioannes, Renatus, Ioannes. Elle est assumée, dans l'ordre de préséance, par le chef de la maison ainée, Gaspard (Gaspardus) de Bléneau, celui de la maison cadette Jacques (Jacobus) de Chevillon, le frère cadet du premier, Jean des Salles (le premier Ioannes), celui du second, René (Renatus), abbé des Eschalis, et le dernier frère Jean (le second Ioannes) de Frauville, futur Chevillon par la mort de Jacques en 1617. Dernier de la liste, ce Jean est le moteur de l'entreprise : il servit le roi Henri IV dans ses guerres, depuis le commencement de son règne jusqu'à la paix de Vervins : ce fut celui de toute sa famille qui agit avec plus de vigueur durant plusieurs années pour obtenir le rang dû à leur naissance (Moreri, 1718, T2, p 589). Quand les choses se gâteront nous le verrons passer en Angleterre avec son cousin Jean des Salles.
La requête, interceptée, égarée ou ignorée, est réitérée un mois plus tard, puis à nouveau en décembre 1603, et encore ensuite à l'initiative de Jacques de Chevillon. Ambition de cadets ? Les Chevillon sont plus remuants que les Bléneau. Jacques avait participé aux guerres catholiques (siège d'Issoire en 1577, siège de la Fère en 1580) et, gentilhomme de la chambre du Roi Henri III, il aurait déjà essayé de le convaincre.
Leur requête n'est pas négligée. Le Conseil du Roi l'examine le 6 février 1604 et ne décide rien. Nouveau mémoire, nouvelle remontrance au Roi (7 janvier 1605). Nouvelle requête le 22 janvier 1608. Le chancelier (Silleri) l'adresse au Procureur général pour avis des avocats généraux au Parlement. Après le rapport du Chancelier au Roi, les Courtenay sont avisés de laisser là leur affaire. La porte leur claque au nez.
Le Roi n'accepte ni ne refuse une requête qu'il préférerait oublier. S'il n'est pas sourd au cri du sang, la naïveté de celui-ci heurte l'évolution institutionnelle et "iconique" de la royalité. Le sang royal de nos sieurs, pour autant qu'ils en aient, est trop pauvre : ils ne sont pas Bourbon ; leur ancêtre ne naquit pas Prince puisque la position n'existait pas ; ils n'ont rien fait depuis qui leur aurait permis de le devenir. Ils ressemblent à une vieille pièce romaine en cuivre : on s'incline devant sa rareté, on ne la met pas en circulation car elle n'a pas cours et ne vaut rien en tant que monnaie.
On comprend que le Roi n'accepte pas cette requête venue du fond des temps, on s'étonne qu'il ne la rejette pas. Certes, Henri IV préfère promettre et ne pas tenir plutôt que refuser, sachant que les cadeaux espérés rendent plus fidèles que les cadeaux reçus. Et quant au fond, le Roi ne peut ni dénier son sang ni avouer le leur : ces gens ne comptent pas, ne représentent rien, ne pèsent rien en termes de pouvoir, d'influence, de places fortes, de commandements, de réseaux et d'alliances étrangères. Moitié humblement, moitié par rhétorique, ils l'avouent dès la première requête de 1603 : les armées, les forteresses, les partisans qui accompagnent cette juste requête sont la juste confiance qu'ils ont de votre bonté & justice, l'humble submission...& les très humbles supplications que la Loi perpetuelle de votre royaume vous présente pour eux...
Et, surtout, pense et dit le Roi, cette petite affaire est de grande conséquence.
D'abord, voilà une noveleté. Jamais un tel "procès en paternité" n'a été ouvert (et jamais il ne le sera). Ces sieurs sortis de l'ombre demandent à être reconnus pour se faire connaître ! Et derrière eux, combien de rejetons oubliés de branches éteintes végètent-ils dans les marges des arbres généalogiques ? et, parmi ceux-ci, combien d'inavouables ? combien de redoutables ?
Le sang ! le sang ne fait pas tout. Henri reconnaîtra ses bâtards. Quoiqu'il les admette à la cour et leur accorde des honneurs et prééminences, ils sont fils de Henri de Bourbon, non pas fils de Roi. Nos sieurs ont quelque chose de bâtard. La solution consiste-t-elle à les appeler "cousins" et à leur donner quelques cadeaux ? Non. Ici, les droits privés ne se dissocient pas des droits publics : tout vrai cousin royal relève de la Couronne. Or la gestion des Princes du Sang constitue une gageure, on ne cesse, on ne cessera de le constater. Il en faut pour alimenter le réservoir de successeurs qui garantit la continuité de la Couronne. Mais ce réservoir bouillonne et déborde souvent. Leurs droits constitutionnels les échauffent et transforment les frères du Roi, le dauphin, les cousins, en compétiteurs. S'ils n'y pensent pas d'eux-mêmes, des malcontents le font pour eux et brandissent leur drapeau royal contre le Roi régnant. Toute l'histoire de France montre et montrera que ce mal nécessaire reste un mal. Alors l'empirer ? en rajouter ? Le premier effet sera de mécontenter les autres.
Et de quelle autorité en rajouter ? Le Roi peut-il faire des Princes du Sang autrement que dans le lit de sa femme légitime ? Si un Roi se donne ce droit, il se substitue à Dieu (Louis XIV le fera, sa mort le défera). On a vu récemment les Guise, quasi rois, bloqués au nom des droits des Princes du Sang qu'ils ne pouvaient pas devenir car cet état n'est pas "datif". S'il l'avait été ? Le Sang ! les généalogies ! que prouvent-elles ? Les Guise n'ont-ils pas "établi" leur ascendance carolingienne ?
Ce n'est pas tout. Contre Guise encore, mais sur la base d'une longue cristallisation, s'est imposé le "mythe historique" des descendants de St Louis. Le sang lignager vient de Hugues "Capet", le sang divin de St Louis (cf. Annexe I). Capet demeure le gênant ancêtre, l'aventurier que tout le travail d'image de la royauté depuis Philippe le Bel a consisté à estomper. Et voilà que, comme des chiens fous, ces sieurs déboulent dans ce jeu de quilles bien rangées, criant "et nous ?", "et le Gros !" et "Capet !". Ne peuvent-ils sentir, que Jean-Baptiste n'est pas Jésus ? qu'il ne faut pas confondre le prophète et le messie ? les précurseurs et les descendants ? Nos sieurs viennent comme le souvenir douloureux d'une jambe amputée. Ils portent avec eux l'usurpateur capétien qu'on cherche à oublier.
Ces raisons de fond sont amplifiées par une circonstance : Sully soutient la prétention des Courtenay dans l'espoir de se rehausser lui-même. Si le roi a besoin de lui et l'appelle parfois mon ami, il n'a pas envie de transformer en cousin de ce ministre aux ambitions démesurées dont il se méfie. Faisons un retour en arrière : en 1583, Maximilien, pauvre guerrier huguenot qui partage avec ses frères la maigre terre de Rosny, commence sa fortune en épousant Anne de Courtenay, dame de Bontin, elle-même huguenote. Elle meurt en 1589, avant que Rosny entre dans les bonnes grâces de Henri IV et bénéficie des promotions associées. Dans l'auto-glorification que constituent ses Mémoires, Rosny, devenu duc et pair etc, écrira que, alors que, tout jeune, il était amoureux d'une belle fille, il aurait suivi le conseil de raison de son homme de confiance, le poussant vers Anne : Monsieur tournez votre cœur à droit: car là, vous trouverez des biens, une extraction Royalle (mon soulignement) et bien autant de beauté lorsqu'elle sera en âge de perfection (Œconomies, [1638], ed 1664, T1, p 57).
Pour la suite, lisons Le Laboureur (Additions aux mémoires de Castelneau, Le Laboureur, Paris, 1659, T2, p 688) : Sully, restaurateur de sa maison et quasi homme nouveau, fut longtemps à fixer son extraction... Ange Capel S. du Luat, plus célèbre pour sa témérité que pour sa doctrine, luy mit cette impression en la tête au sujet des Princes de Courtenay, dont ce Duc favorisoit les droits à cause d'Anne de Courtenay sa première femme, & fit une Genealogie pour le faire descendre de l'Ainé de la Maison de Courtenay, qui nuisit dautant plus à la cause qu'il protégeait, que le Roy Henry IV. qui commençoit à se laisser persuader par la quantité des Titres de la Maison de Courtenay, s'offensa de sa prétention & n'en voulut plus oüir parler: & ainsi pour avoir voulu mêler la Fable avec la Verité par l'indiscrétion de cet Auteur, il rendit vain ce grand amas de pièces justificatives dont les Princes de Courtenay espéraient leur rétablissement.
Ainsi, les ambitions des Courtenay sont-elles torpillées par l'exagération de leur protecteur qui, dans l'Histoire généalogique de la maison de Béthune (du Chesnes) fera attribuer à sa grand-mère Anne de Melun (qui a apporté Rosny) une descente еn ligne feminine des Roys de FRANCE ; d'ANGLETERRE, de NAVARRE, dе CASTILLE, & de PORTVGAL, & des Empp. de Constantinople (du Chesne, 1639, p 426 sq).
On comprend que l'affaire de nos sieurs apparaisse de grande conséquence. N'ouvrons pas cette boite, nul ne sait ce qui en sortirait, aujourd'hui et plus tard. Demandons leur de laisser là leur affaire et accordons leur quelques bienfaits gracieux.
Mais nos sieurs, trop avancés pour reculer ou déjà identifiés à leur posture, protestent qu'on leur refuse justice. Le chancelier répond alors : et bien messieurs, s'il ne tient qu'à cela, l'on vous fera justice mais non pas telle que vous la demandez. Cela laisse entendre qu'on peut les renvoyer au néant. Par quel moyen ? Il en est beaucoup. Entre autres, si le piège qu'ils tendent (ou dans lequel ils tombent) exclut le oui et le non, il reste une échappatoire facile : saper la preuve généalogique. Si leur ascendance, déjà douteuse, s'effondre, leur question disparaît. Or, d'une part, leur descente directe par les mâles présente de nombreux zigzags et changements de lignes et, d'autre part, sur une aussi longue période, toute reconstitution a une dimension conjecturale qui l'expose aux attaques.
Nos sieurs, ulcérés, menacent de se retirer hors du royaume. Le Chancelier comprend qu'ils rejoindraient une Cour étrangère où, protestant de leur dignité méprisée et de l'injustice subie, ils recevraient le soutien de tel ou tel compétiteur externe ou interne (comme il adviendra en 1614) ; au lieu d'étouffer la revendication, l'exil aggraverait son danger. Aussi le Chancelier se calme et les calme. Il promet de présenter à nouveau leurs observations au Roi : nouveau mémoire, nouvelle remontrance (14 juin 1608). Le Roi, ne pouvant plus l'éluder, s'abrite derrière la gravité du cas pour le renvoyer à un Grand Conseil solennel où opineraient les Princes, les Présidents du Parlement et plusieurs personnes notables.
Pour combattre les hésitations du Roi et les manigances de leurs ennemis, nos sieurs élaborent et répandent leur discours des origines. Dès le début, ils se sont attachés l'un des du Tillet, Hélie (Discours sur la généalogie et maison de Courtenay: issue de Louys le Gros, sixiesme du nom, Roy de France, Paris 1603 ; Représentation du mérite de l'instance faicte par Messieurs de Courtenay pour la conservation de la dignité de leur maison, 1603). Il travaille au grand récapitulatif de 1607 que L'Estoile attribue à Castrain, un homme de lettres à tout faire.
Nos sieurs prennent l'Europe entière à témoin en faisant approuver leur démarche par vingt professeurs de théologie et jurisconsultes étrangers, de Bologne à Heidelberg, qui rédigent (ou signent, ou sont présumés signer) une série d'arguments bibliques et romains. Ce recueil de plus de mille pages en latin, imprimé à Paris en 1607, n'indique ni nom d'imprimeur ni privilège. C'est une collection de références comme on en prépare pour les procès : De stirpe et origine domus de Courtenay quae coepita Ludouico Crasso huius nominis sexto Francorum Rege Sermocinatio - Addita sunt responsa celeberrimorum Europae Iurisconsultorum (Discours sur les racines et origines de la maison de Courtenay qui commença à Louis le Gros, sixième roi des Francs - avec les réponses des plus célèbres jurisconsultes d'Europe), redoublé d'un "mémo" d'Hélie pour le Grand Conseil : Représentation du procédé tenu en l'instance faicte devant le roy par Messieurs de Courtenay pour la conservation de l'honneur de leur maison & droit de leur naissance. Ensemble les noms des docteurs & iurisconsultes qui ont esté consultez sur ce subiect auec un resultat abregé des advis qu'ils en ont donné, Paris, 1608.
Le De stirpe lance un défi : Si falso, puniendum; si vere, non negandum (si c'est faux qu'on nous punisse, si c'est vrai, qu'on cesse de nier). Le Roi ne peut ni l'un ni l'autre.
Le contenu reprend les suppliques précédemment adressées au Roi et récapitule les démarches effectuées. La partie démonstrative, basée sur le Recueil de du Tillet, tient plus du plaidoyer d'avocat que de la preuve généalogique (cette tentative attendra du Bouchet sous Louis XIV).
Le fructueux parallèle avec la maison de Dreux est développé en détails et la perte du nom discutée à l'infini. La fausse évidence de l'argument, artificieusement troussé, permet de longues dissertations appuyées sur une multitude de références. Pierre et Robert, les deux cadets de Louis le Gros, sont aussi royaux que le sixième et dernier fils de St Louis, Robert de Clermont. Seulement, ce dernier, devenu un Bourbon substitué par son mariage en 1272, maintint sa "royalité" en gardant les fleurs de lis dans ses armes et aujourd'hui ses descendants règnent, tandis que, faute de cette précaution, la royalité des Dreux s'est dissoute comme celle des Courtenay. Pourtant, leur changement de nom et d'armes ne devrait pas compter : du Tillet ("des noms & surnoms des français") et les feudistes établissent clairement que, en ces temps où les usages flottent encore, lorsque quelqu'un acquiert une terre (achat, héritage, mariage, don), il la prend en surnom. D'innombrables exemples l'attestent. Plus encore, un régent ou un tuteur emprunte, pendant la durée de son mandat, la titulature de son protégé puisqu'il en exerce les fonctions. Des surnoms identiques recouvrent des positions différentes, voire des lignages différents. Le "surnom" initial finit par servir de nom aux descendants (même si, comme nos Courtenay, ils perdent la terre toponymique). Les terres font le surnom de ceux qui les ont, les ont eues, les auront et aussi de quelques uns qui ne les auront pas.
Ces surnoms ne comptent pas, seules les qualités importent (fils aîné de..., fils de..., frère de..., unique héritier de..., héritier de..., seigneur ou
dame de...) et elles ne se perdent pas quand le nom change. Il s'ensuit que la transformation de Pierre, fils de Louis VI, en sire de Courtenay ou de Robert en comte de Dreux n'a pas affecté leur royalité. On peut les nommer rétrospectivement Pierre
ou Robert de France.
Plus subtilement encore, la référence à Dreux rehausse Courtenay par ricochet. Puisque les maisons de Dreux et Courtenay finissent toutes deux méconnues, la première parle de la seconde. Or, avant que, à la fin du XIVe siècle, la Couronne rachète leur comté, les Dreux ont appartenu au Conseil des Pairs et maintes chroniques mentionnent leurs grandes actions, toutes splendeurs dont auraient pu briller aussi les Courtenay.
Remarquons que ce parallèle entre les fils de Louis le Gros et de St Louis se limite aux signes (le nom, les armes). Il ignore soigneusement le contenu, les attributs nécessaires de la grandeur : la vertu, les biens, la renommée, les alliances, font toute la différence entre des Bourbon qui sont toujours restés illustres et des Courtenay obscurs, comme l'écrira sous Louis XIV un historien d'Henri IV, admirant ...la vertu qui a toujours donné de l'éclat à leurs actions [des Bourbon] ; le bon ménage & l'oeconomie qu'ils ont apportée à conserver leurs biens & les augmenter; les grandes alliances dont ils ont esté fort soigneux... de sorte que les peuples les voyant toujours riches, puissans, sages, en un mot dignes de commander, s'étoient imprimez dans l'esprit une certaine persuasion comme Prophetique, que cette Maison viendrait un jour à la Couronne (Perefixe, 1662, Histoire d'Henri le Grand, Paris, ch. Jolly).
Au total, cette lourde sermocination (mille pages en mauvais latin) extrait, délaye et hyperbolise les quelques pages de du Tillet pour, sur cette base renforcée, plaider la reconnaissance des "Courtenay". Tout est prêt pour le Grand Conseil... que le Roi ne réunit jamais.
Depuis maintenant plusieurs années, nos sieurs sont à Paris, sollicitent, s'agitent et dépensent beaucoup d'argent et d'efforts. Ils comprennent (ou on leur fait comprendre) qu'ils n'arriveront à rien. Ils ne renoncent pas, ils suspendent leur action, attendant des circonstances plus favorables.
Mais le Conseil n'ayant jamais été assemblé, MM de Courtenay, las de solliciter inutilement, se désistèrent de leur poursuite sans cesser de soutenir qu'elle était juste et légitime.
Les Sieurs, dégoûtés, rentrent chez eux. Gaspard de Bléneau meurt (1609) : de fatigue ? de déception ? parce que c'était son heure ? Son fils Edme lui succède... et la pièce dont le rideau venait de tomber recommence. A la première représentation, solennelle et procédurière, succèdent des épisodes héroï-comiques : drame conjugal, meurtre, prison, exil, révolte...
On connaît la mésaventure d'Edme par des manuscrits des cousins (partiellement reproduits dans du Bouchet et intégralement conservés à la BNF) et par une note de Lelong dans sa Bibliothèque historique en marge de la mention de la pièce n°25336 : Les Princes de la maison de Courtenay... s'étaient pourvus par-devant Henri IV pour être rétablis & confirmés en leur rang & qualité de Princes du Sang. Ce Roi ne jugea pas à propos de pourvoir d'abord à leur Requête. Quelques temps après en 1609 le Sr de Courtenay-Bleneau, ainé de cette branche, ayant tué dans son château de Neuvy, le fils du baron de la Rivière-Champlemy, qui attentait à son honneur...
Un beau jour de 1609, Edme apprend qu'un voisin, le jeune Rivière-Champlémy, vient d'entrer de force au château pour abuser de son épouse. Edme accourt, trouve le méchant enfermé, enfonce la porte et le tue. On ne sait rien de la sagesse de Madame, ni des circonstances qui la laissèrent sans protection, ni du hasard qui permit à Edme de ne pas s'éloigner. Cela sent le rendez-vous amoureux dénoncé ou le piège tendu par un mari jaloux... Le prévôt des maréchaux d'Auxerre enquête. Le père de la victime réclame justice, lui-même assez grand personnage puisque bailli de Sens et descendant du grand Bureau de la Rivière. Et le cas pourtant simple (le déshonneur excusait l'homicide) devient toute une affaire. Bléneau réclame d'être jugé par la grand chambre en tant que Prince du sang, ce que le père conteste.
Le Roi saisi du cas, le transmet au Parlement qui déboute Edme et, suivant les voies ordinaires, envoie le dossier à la Tournelle, la chambre criminelle. Devant ce qu'il perçoit comme un déni (et une menace), Edme pour préserver son honneur quitte le pays le 8 mai 1610. Il se retire en Flandre (espagnole) d'où il écrit au Roi pour s'expliquer. On ne sait pas ce qu'aurait fait le roi (rien, vraisemblablement) puisqu'il meurt assassiné le 14 mai.
L'instabilité politique subséquente ouvre de nouvelles opportunités. Edme compte sur Henri II de Bourbon-Condé, premier prince du sang et challenger de la Régente. Condé reconnut publiquement ses droits et s'établit son protecteur. Après quelques mois, se fiant au soutien de Condé, Edme revient se constituer prisonnier. Pour maintenir ses droits, il proteste, dans l'acte d'écrou, de sa qualité royale et du cas de force majeure, protestation ultérieurement rayée en exécution d'un arrêt du 4 septembre 1610 pris par le Procureur (après la mort du Roi & pendant la Régence, le père du Sr de la Rivière obtint que le procès serait continué, nonobstant la qualité de Prince du Sang que ledit de Blénau et ses proches parents qui étaient intervenus produisaient).
Malheureusement pour Edme les circonstances troubles de la Régence italienne et du Remuement des Princes ne le servent pas. Condé se révèle un protecteur dangereux. Il promet tout à tous et se comporte de manière aussi indécise que brouillonne. Il prend la tête de l'opposition des Princes aux favoris de la Reine, allant jusqu'à l'insurrection et aux opérations armées.
A ce point, l'oncle et son cousin, les Srs de Salles (Bléneau) et de Fréauville (Chevillon), qui n'avaient pas ménagé leur appui à Edme, jugent prudent de s'éloigner. Réglementairement, ils demandent à la Régente l'autorisation de se retirer hors du royaume (24 janvier 1613) : VM nous pardonnera si contraints de l'oppression que nous ressentons avoir été faite à l'honneur de notre maison en la procédure criminelle que l'on a tenue à l'encontre de Mr de Courtenay-Bléneau, nous la supplions... Sans réponse, ils mettent leurs affaires en ordre et partent : de Calais, au moment d'embarquer, le 19 décembre, ils écrivent au Parlement les motifs de leur exil. Ils passent en Angleterre où le roi Jacques leur accorde l'hospitalité qu'ils ont demandée. De là, ils multiplient lettres et explications, protestent de leur bonne foi et de la nécessité dans laquelle ils se trouvèrent de se mettre à l'abri de l'insécurité juridique et des manœuvres de leurs ennemis. L'un de ces mémoires récapitulatifs euphémise la mort de Rivière-Champlémy, qualifiée d'accident inopinément survenu à M de Bléneau ! Ils espèrent que Condé inscrira leur statut princier dans la liste des cadeaux qu'il demande à la Cour pour faire la paix. De son côté, Condé semble se servir d'eux pour le représenter en Angleterre dont l'ambassadeur à Paris, actif dans la politique française, combat le projet espagnol de la Régente (le double mariage par échange des Princesses) que Condé, et plus encore ses alliés huguenots refusaient aussi.
Dans les trente et un articles du Traité de paix proposé par les rebelles à la Cour lors de la conférence de Loudun (Bouchitté, 1862), figure un article Courtenay, l'art. 9, rédigé toutefois avec beaucoup de circonspection :
Art 9. Que droit soit faict à MM de Courtenay, suivant l'ordre et les loix du royaume, suivant les requestes par eux plusieurs fois présentées pour la conservation de l'honneur de leur maison, tant du vivant du défunt Roy que depuis; et pour le regard de certaines procédures criminelles faictes à l'encontre du sieur de Courtenay-Bleneau, que ce qui pourroit avoir esté faict contre les formes et la justice soit réparé.
Les Réformés et les Princes présentent tant de demandes que beaucoup restent en suspens. Les députés de la Cour (dont fait partie Jacques Auguste de Thou) répondent en marge : au 9°. Ce fait n'est du pouvoir des depputez et renvoient au Roi. Selon une autre version du document (manuscrit de la bibliothèque Mazarine) la Cour rejette la revendication sous-jacente au §9 : Il est vray que les sieurs de Courtenay ont présenté à ceste fin plusieurs requestes au feu Roy, prère de SM ; mais il les a toujours rejettées après meure délibération, comme les jugeant préjudiciables au bien de sa couronne et à la dignité de sa maison.
La lettre écrite par de Thou à Jean de Thumery, datée du 6 mai 1616, juste après les négociations (p 604 du tome X de l'édition Scheurleer de 1740) témoigne que les Courtenay manquent de soutien car il n'y a déjà que trop de Princes du sang :
Quant aux demandes des Sieurs de Courtenay, qui étoient contenuës dans le huitiéme [neuvième] article, & qui ont été si souvent agitées dans le Conseil de Henri le Grand, & au Parlement, on n'y fit aucune réponse. Ceux qui les avoient proposées par considération pour un Seigneur de cette maison qui s'étoit attaché au Prince de Condé, étoient eux-mêmes fort éloignés d'appuyer ces prétentions; car à l'exception du Prince de Condé, il n'y avoit personne qui ne souhaitât que le nombre de Princes du sang diminuât, plutôt que de le voir augmenté.
Suite à cette paix du 3 mai 1616, Condé devient chef du Conseil. Opposant maladroit à la politique et à la personne de Concini, il se heurte aux autres membres. Ses erreurs et ses prétentions conduisent au coup de majesté de son arrestation quelques mois plus tard. Il reste enfermé trois ans, à La Bastille puis à Vincennes.
Les deux cousins, perdant espoir, jugent le temps venu de faire leur paix et rentrent en 1617, soit qu'un séjour de deux ans ait épuisé les charmes de l'Angleterre et/ou leurs finances, soit que la mort de Jacques de Chevillon, début janvier, appelle à Paris son frère Jean.
Nos sieurs ont suivi Condé pour rien ! Après les troubles, leur position se détériore. Non seulement leur cas irrite, mais comment leur pardonnerait-on cet impertinent §9 de Loudun ?
En 1618 paraît à nouveau le Recueil de du Tillet, une réimpression de l'édition de 1607. Nos Courtenay tardifs sont toujours à leur place, arrimés à Louis le Gros (p 90). Un an après, ils ont disparu : dans la nouvelle génération de la généalogie royale, l'Histoire de la maison de France des frères Louis et Scévole de Sainte-Marthe, historiographes du Roi, nos sieurs n'existent plus.
Du Tillet filait jusqu'aux Bléneau de son temps la postérité de Guillaume, fils de Robert le Bouteiller (lui-même second fils de Pierre). Les frères Sainte-Marthe, eux, à la rubrique des enfants de Robert, indiquent seulement Guillaume de Courtenay, seigneur de Champignelles (Tome 2, p 1375) et ne notent aucun enfant. Dans l'édition suivante, beaucoup plus détaillée (1627, tome 2, p 545), les Sainte-Marthe développent la postérité du fils aîné de Robert, Pierre, seigneur de Conches et de Mehun, donnent quelques informations sur Robert, évêque d'Orléans, et Jean, archevêque de Reims, et oublient encore la postérité de Guillaume seigneur de Champignelles. Si la troisième et dernière édition (1647) réintègre Guillaume et son fils, elle ne descend pas plus loin.
Pourtant les Sainte-Marthe qui se basent sur du Tillet connaissent la descendance qu'il décline, de Guillaume à nos sieurs. Pourquoi ne la reprennent-ils pas ? Est-ce fortuit ? Les Sainte-Marthe réorganisent et rationalisent la lourde et confuse présentation de du Tillet. On peut penser qu'ils élaguent les branches mortes ou insignifiantes. Mais du Bouchet, l'historiographe des Courtenay, en fera un roman, celui de la persécution du Procureur (du Bouchet, 1656, p 192) qui, après avoir maltraité Edme, supprimerait son ascendance : les Sainte-Marthe qui avaient fidèlement suivi du Tillet ont été forcés de refaire leur copie. Une déclaration écrite de leur main attesterait que lorsque, en mai 1619, ils ont soumis leur lettre de privilège au Parlement pour enregistrement
...le Procureur General remarqua en la page 1375 de la feuille cottée MMMMmmmm qu'en parlant de Guillaume de Courtenay Seigneur de Champignelles, ces termes estoient portez " fut destiné à l'Eglise & ne voulut suivre cette profession selon du Tillet, qui fait descendre de luy les Seigneurs de CHAMPIGNELLES & DE BLENEAU ": et lors mondit sieur le Procureur General nous auroit [avait] dit; Que pour quelques considerations, il n'estoit à propos d'insérer les dits termes....
Les Sainte-Marthe résisteraient-ils à un tel conseil ? historiographes du Roi appointés, leur maison de France la glorifie sans limite. Leur docilité ou leur bienveillance semble inépuisable. Plus tard, ils avaliseront la prétention de Richelieu de descendre lui-même de Louis le
gros !
Toutefois, on s'étonne de la manière. Par quel hasard un Procureur général surchargé d'affaires, tombe-t-il sur la p 1375, feuille MMMMmmmm, à l'occasion de l'enregistrement d'une lettre de privilège déjà accordée, opération qui relève de la routine administrative la plus banale dont le Procureur ne s'occupe pas ?
Bien sûr, il y a Loudun. En 1619, tout le monde s'en souvient encore. Condé est en prison depuis 1616, le roi affirme sa volonté de pouvoir (Concini †1617). La prétention des Courtenay perd sa base si l'on supprime leur ascendance. Certes, la manière est tortueuse et l'on aurait pu, avant l'impression, suggérer aux Sainte-Marthe d'oublier Guillaume. Pourquoi cette déclaration écrite des Sainte-Marthe ? Comment et où du Bouchet l'a-t-il trouvée ? Tant de mystères conduisent à se demander si l'imaginatif du Bouchet n'a pas inventé l'intervention du procureur (cf. Annexe II) pour blanchir ses clients. Si leur droit à réclamer a paru d'abord incontestable, l'accumulation des refus le sape peu à peu. Louis XIV le dira : pourquoi vous reconnaîtrais-je si mes prédecesseurs ne l'ont pas fait ? Un méchant procureur sert d'échappatoire.
Dans la deuxième moitié du siècle, les commentaires accompagnant la réédition de la Satyre Ménipée, ce populaire pamphlet contre la Ligue des années 1590, offrent une autre hypothèse. Dupuy et Le Duchat (1664, 1677 et 1696), en remarque au vers qui se disent [les Guise] (mais trés-faussement) descendus de Charlemagne, exposent l'affaire de Rozière (le généalogiste des Guise) et ajoutent curieusement (Le Duchat, 1709, T2, p 410) à propos des Courtenay : Les partisans de cette maison ne sçachans à quoy attribuer le refus que l'on fait de reconnoistre Mrs. de Courtenay pour Princes du Sang, ont crû leur rendre un grand service en publiant sur la foy de quelques autheurs modernes que le Roy Louis VII. n'estoit que le 3. fils de Louis le Gros, que Mrs. de Courtenay descendent de Pierre , 2. fils de ce Roy & qu'ainsy en les reconnoissant pour Princes, il faudroit en même temps leur restituer la Couronne... [quoique les Courtenay ne l'aient jamais prétendu et que les preuves l'infirment] cette imagination est si agréable à ceux qui ont pris party pour cette maison, que cela les console en quelque façon de ce que Mrs. de Courtenay ne jouissent pas du rang qu'ils croyent qui leur est dû.
Les Courtenay seraient, encore une fois, desservis par leurs défenseurs ! Une telle rumeur, ou, pis encore, une telle cabale, lèse la majesté royale et expliquerait le procédé expéditif du procureur.
Jean, revenu d'Angleterre et devenu chef de la maison Chevillon en 1617, attend la défaite de la reine-mère en 1620 pour recommencer ses poursuites pour la gloire de sa maison sans rien obtenir. D'une manière ou d'une autre, nos sieurs se sont liés à Richelieu, leur cousin par les Rochechouart. Gaspard (II) de Bléneau le sert. Richelieu lui aurait promis de le faire prince... Toujours la malchance, Richelieu meurt trop tôt.
Rappelons l'alternative posée dans le De stirpe et origine domus de Courtenay : si nous avons tort qu'on nous punisse, si nous avons raison qu'on ne le nie pas. Puisque le deuxième terme de l'alternative (si vere, non negandum) est inaccessible, nos sieurs exploitent le premier (Si falso, puniendum) et transforment l'absence de punition en reconnaissance de fait. Ils avancent dans l'ombre de Richelieu et Mazarin qui sont intéressés à leur promotion. Le hasard offre un calendrier favorable : Louis de Chevillon se fera prince avant la mort de Mazarin et, aussitôt, affirmera ses droits contre les nouveaux "fils de France" lorrains. Ensuite, son fils Louis-Charles, de grande mine et parfaitement bien fait, capitalisera les fruits de cent ans d'efforts. Demi-succès fragile ! au moment où les Courtenay tardifs allaient (peut-être) toucher au but, ils s'éteignent et la fille finale qui, par malice ou naïveté, se prenait pour une princesse est renvoyée au néant.
Quel rôle Gaspard tient-il auprès du cousin Cardinal qui, au moins une fois, écrit Le Laboureur, le qualifie de prince du sang ? quelle assurance en reçoit-il ? dans quelle intention ? Leur cousinage est la seule chose certaine : leurs grand-mères étaient sœurs, Claude et Françoise de Rochechouart.
Mutatis mutandis, Richelieu, comme Sully, fait des Courtenay un petit fer parmi les innombrables qu'il a au feu pour assurer sa fortune et sa gloire. Mathieu de Morgues qui, après avoir quitté le service de Richelieu, devient son principal dénonciateur lui prête un projet tordu (Lettre de Mr le cardinal de Lyon à Mr le Cardinal de Richelieu son frère, l'an 1631) : faire reconnaître les Courtenay pour se donner une origine royale grâce à sa parenté avec eux ! Mr de Lyon est supposé reprocher à Richelieu l'effronterie avec laquelle vous vous faites descendre de Louys le Gros & tomber dans la branche de ceux de Courtenay, lesquels vous avez resolu de faire déclarer Princes du sang afin de vous faciliter l'exécution de vos desseins... (p 35) à quoi Richelieu aurait répondu : notre généalogie... me fournira, après que j'auray esteint toute la race Royale, renversé la Loy Salique, & chassé ces morfondus de Courtenay, à conquerir le Royaume... (p 38). Richelieu aurait besoin des morfondus pour empiler leur descente mâle de Louis le gros sur celle qu'il s'attribue.
Il est certain que Richelieu, comme Sully et tant d'autres, veut ajuster son ascendance à la magnificence qu'il a acquise. Il se fait inscrire par les Sainte-Marthe dans la descente de Jeanne de Dreux, donc de Robert, donc de Louis VI (édition de 1627, Tome 2, p 1016). Il fait développer le thème par le complaisant Duchêne (1631) : le Cardinal sort de Louis le Gros, par femmes, via son arrière grand-mère, la bien nommée Anne Le Roy. Des femmes ! Duchêne transcende l'objection : une royalité partielle, même féminine, apporte, prétend-il pour le compte de Richelieu, une royalité entière en raison de la grandeur du Sang des descendantes d'un Roi, grandeur qui ne se divise pas, ne se dilue pas et confère tant d'excellence & de Splendeur à tous ceux qui ont mérité l'honneur de descendre d'elles. La plus minime fraction de royalité suffit pour être tout royal. A ce train, si dans l'ascendance de chacun se cache un pendu et un roi, que de royaux !
Après la mort du Cardinal, Le Laboureur écrit malicieusement en 1659 qu'il a fait empiler les généalogies afin
qu'il
parut comme par l'effet de Cylindre, qu'il estoit l'extrait d'un nombre presqu'infiny des Rois, d'Empereurs & de grands Princes, dont chacun avoit fourny sa portion de son estre. Les ascendances se cumulent et l'effet de cylindre traduit l'additivité de la Splendeur ! dans ce temps, le discours généalogique est une forme de la rhétorique de l'éloge, comme le montre clairement la célébration emphatique du Cardinal par Duchêne : ... la splendeur de cette extraction avec laquelle il est venu dans le monde est la moindre partie des Grandeurs qui égalent maintenant la gloire de son Nom à l'étendue de l'Univers... Les suréminentes & extraordinaires Vertus, qui ont tousiours éclaté vivement en luy...
Laissons la grandeur supposée du Cardinal et celle qu'il aurait pu tirer de sa cousinerie avec des Courtenay Princes du sang. Voyons la chose sous l'angle politique : sublimer un Courtenay pourrait faire pièce au prince trop agité qu'est le frère du Roi, Monsieur, Gaston, trop longtemps héritier naturel, ainsi qu'aux non moins agités Condé. Un Roi sans enfant a besoin d'une réserve de princes de son sang et, si possible, dociles. Mais pêcher pour cela un Courtenay au fond des âges aurait déclenché une crise de régime que les difficultés intérieures comme extérieures imposaient d'éviter. Aussi ne pouvait-il pas en être vraiment question. Toutefois, après l'emprisonnement de Condé et l'exil de Gaston, l'hypothèse Courtenay pouvait servir de moyen de pression ou de négociation : certes, le roi n'a pas de fils, mais on pourrait se passer de vous, il y a quelqu'un en réserve.
Même si nos Courtenay s'exagèrent la bonne volonté de Richelieu, la fumée crachée par de Morgues laisse penser qu'un feu flambait quelque part et qu'ils ont espéré arriver à quelque chose par cette voie. En effet, ils se sont suffisamment approchés du gouvernement pour que, plus tard, Louis tente de placer son fils auprès de Mazarin.
Saint-Simon raconte avec amusement que le Cardinal, cherchant des nids dans les cieux pour caser ses nièces chéries, songea à faire déclarer celui-ci prince du sang et à lui en donner une. Il l'aurait marié à Hortense la plus belle de ses nièces, à qui il donnait tant de millions : pour essayer ses capacités, il prit le jeune homme avec lui en voyage diplomatique (1659) et en fut tellement déçu qu'il le renvoya. L'histoire n'est pas avérée et Saint-Simon écrit un siècle plus tard. Toutefois, au témoignage d'Omer Talon qui, lui, est contemporain, Mazarin avoit balancé quelque temps entre le grand-maître (marquis de La Meilleraye, grand-maître de l'artillerie qui épousera Hortense en 1661) et le prince de Courtenay, qu'il eût fait reconnoître prince du sang, s'il avoit été capable de soutenir une si grande naissance (Éd. 1828, T. IV, p 204). Même si Louis-Charles n'a pas pu la soutenir, sa grande naissance est assez reconnue pour le mettre en balance avec un vrai Grand (qui, du reste, fera le malheur de son épouse).
Revenons en 1653. Voyant venir sa fin, Gaspard de Bléneau, le chef de la maison Courtenay, sans fils légitime à qui la léguer, la transfère à son arrière petit-cousin, Louis de Chevillon (leur aïeul commun date de deux siècles : Jean de Bléneau, † 1460), à la charge de la transmettre à Louis-Charles, son fils, et de la conserver à ceux de son nom et armes et de payer ses dettes jusqu'à concurrence de 80000 livres. La mort de Gaspard en 1655 éteint sa branche et resserre la famille autour du Chevillon, non pas un Chevillon quelconque, "le" Chevillon royal, celui qui a trouvé son programme dans son berceau.
Son père, Jean, (†1639) l'a nommé Louis comme Clovis et les douze autres : bluff ? espoir ? sentiment que le temps est venu ? Pour la première fois en cinq siècles un descendant de Pierre reçoit ce nom sacré. Dans une famille qui prétend à la royalité, Louis fait drapeau et trompette. Pendant des siècles, les aînés sont allés de Pierre en Pierre, les Champignelles de Robert en Robert, les Bléneau de Jean en Jean... Louis est resté tabou, ou du moins absent de la liste dans laquelle on puise. Ce nom pèse lourd. Depuis Hlodowig (Clovis), il signifie le Roi. La plupart des Rois l'ont porté. Le Roi régnant le porte. Dorénavant, il honore l'un de ces Chevillon qui descend, en zigzags mâles, de Louis le gros : Chevillon issu de Ferté-Loupière issu de Bléneau issu de Champignelles issu de Guillaume issu de Robert issu de Pierre issu du Gros.
Nous avons vu que, depuis le début des sollicitations sous Henri IV, Jean de Chevillon a joué un rôle moteur dans le "projet Courtenay", alors même qu'il n'était encore que le cadet d'une branche cadette. Il a rassemblé et convaincu les autres, ameuté l'Europe. Ce fut celui de toute sa famille qui agit avec plus de vigueur durant plusieurs années pour obtenir le rang dû à leur naissance (Moreri). Pendant son exil volontaire en Angleterre (1614-17), il est admis et reçu par le roi Jacques qu'il décide sans difficulté à s'immiscer dans les affaires françaises en écrivant au roi : ...nous n'avons pu (s'agissant d'un sujet qui semble si juste et si honorable) leur refuser [aux Courtenay] le droit d'hospitalité qu'ils nous ont requis, et ayant toujours affectionné la maison de France, de laquelle les histoires font foy qu'ils sont issus par masles légitimement, nous avons pensé encore que ne seriez point marry qu'adioustassions à leurs très-humbles supplications celte recommendation de notre part, pour vous prier de mettre la Iustice de leur cause en considération... Votre très-affectionné frère et cousin, JACQUES, rex. De notre palais de Westmenster [sic], le 9 de juillet 1614.
A la mort de son frère aîné Jacques, Jean lui donne une splendide sépulture dans l'abbaye familiale de Fontaine-Jean (où lui-même se fera enterrer), les deux statufiés en manteau de cour. Il a combattu les Espagnols avec Henri IV et, après la paix de Vervins (1598), a épousé Madeleine "de Marle" (Lecorgne) dont le père Jérôme (†1590) était officier des cérémonies de France. Est-ce un hasard que le frère de Madeleine
soit marié à la fille de Hélie du Tillet qui a contribué à "documenter" la campagne des Courtenay ?
Madeleine est alors une jeune veuve mais il faut attendre 1606 pour voir apparaître leur premier enfant, une fille (Amicie). Peut-être les informations nous manquent et y-a-t-il eu des enfants morts-nés ou des accidents ? peut-être les époux ont-ils été séparés ? Habituellement, les naissances se succèdent, année après année. Après Amicie, nous avons Louis en 1610, puis Robert (le futur abbé des Eschalis) et une autre fille, Madeleine.
A la naissance de son premier fils, Jean, voyant son frère ainé et son cousin Bléneau dépourvus de fils, anticipe leur succession, et en choisissant le nom du petit Louis marque sa vocation à la royalité et l'y assigne. Louis (1610-1672) ne l'oubliera pas, ne trahira pas son nom. s'activera et, quoique le but reste inaccessible, il assiéra le titre factice de Prince, capitalisant les efforts de la génération précédente. Son fils Louis-Charles (1640-1723) décolle enfin. Las, la fusée princière explose en vol ! à la génération suivante, le malheureux Charles-Roger déserte (1730). La maison chute en femme, la fausse princerie se perd, quoique, par gloriole, les descendants de sa sœur s'en décorent ensuite.
Détaillons. Après avoir quelque peu servi (à Suse en 1629 et, en 1635, vraisemblablement en Valteline), en 1638, Louis saute le fossé (moins profond que plus tard) qui sépare l'épée et la robe. Il épouse la fille d'un cadet de la puissante famille parlementaire de Harlay, Philippe, trente ans ambassadeur du roi à Constantinople. Lucrèce de Harlay a pour mère la fille du tuteur du jeune Rosny (Sully), son cousin. Lucrèce, pendant la longue absence de ses parents, est confiée aux parents piémontais de sa mère. A moins que ceux-ci ne l'aient dotée, ce mariage n'est pas une bonne affaire financière pour Louis car l'ambassade et les imprudences de Philippe de Harley le ruinent. Mais cette alliance achève le "décrassage" parisien du Courtenay. En récompense de ses longs et pénibles services, Philippe obtient l'érection en comté de la terre de Césy dont, finalement, Lucrèce hérite par la mort de ses frères. Voilà Louis, comte de Césy par sa femme. Sans que nous en connaissions les détails, Louis est dans la clientèle (et probablement au service) de Richelieu, puis de Mazarin, ce qui ne l'empêche pas de flirter avec Condé pendant la Fronde dans l'espoir d'obtenir enfin sa reconnaissance, tandis que son frère abbé sert le cardinal de Retz pendant son exil à Rome (et, en 1658, passe un mois à la Bastille pour cela, selon Patin : lettres à Charles Spon, 9 avril et 7 mai).
Son ascendance étant notoire, quoique non validée, Louis se proclame Prince. Cela brille mais ne pèse guère. L'important, le présomptueux, le coup d'éclat, c'est que, à cette occasion, il prend les armes de France, les trois lys royaux, en plein, écartelé de Courtenay avec la couronne de fils de France.
Si fils de France (famille du roi) ou prince du sang (héritier de secours) sont des catégories définies dont les membres sont listés et hiérarchisés, et les privilèges codifiés ; si, depuis que le Roi a renversé la pyramide "féodale" en se faisant la source de la noblesse, il nomenclature et classe les ducs et pairs, les simples ducs, marquis et comtes ; si prince souverain a une signification précise ; le statut du prince étranger demeure ambigu et prince tout court n'est qu'un qualificatif indéterminé. Cette étiquette sans labellisation tire son sens de l'étymologie ("premier"), pour autant que ceux qui la prennent le croient et que ceux qui les entourent l'acceptent. Ce prince ressemble à une forme soutenue d'un monsieur qui a perdu sa fonction de marqueur de noblesse : ni un titre, ni un rang, pas même une qualité.
Quoique, depuis que la couronne de France a commencé à retrouver son obéissance... n'y sont princes [stricto sensu] que ceux qui naissent des princes (du Tillet), les usurpateurs sont nombreux et la pratique admet des princes de politesse. En 1712, L'État de la France listera une quarantaine de ces princes de courtoisie quoique pourtant ceux qui les possèdent ne tiennent point rang de Princes, s'ils ne le sont d'ailleurs, mais seulement celui qui leur est dû. La liste de ces principautés à la Gérolstein inclut celle de Courtenay, au Prince de Courtenay, alors que pourtant le nom et la terre de Courtenay appartiennent aux Boulainvillers, comtes de Courtenay. Double écart que, pourtant, jamais Saint-Simon ne relève : imbu des "rangs", il ne chicane pas un Louis-Charles qui n'en a pas. Il le dénomme tout du long prince de Courtenay, ce qui contraste avec la guerre féroce qu'il livre à la princerie des Bouillon-Latour qui, félons héréditaires, avaient reçu, depuis Henri IV, un si prodigieux amas de bienfaits (qu'ils avaient) tourné en poison. Il est vrai que, avec les Courtenay, il n'y a pas matière à jalousie, ils n'ont (et n'auront) jamais ni grâces, ni titres, ni dignités, ni honneurs.
Du Bouchet enregistre cette acceptation (et traduit son ambiguïté) : Louis de Courtenay premier du nom, surnommé communément par un concert universel, le Prince de Courtenay.
Mais, si Prince ne tire pas à conséquence, l'adjonction de trois lys aux trois tourteaux des Courtenay est un coup d'éclat. Louis ne s'affiche pas Prince en général, il proclame une ascendance royale, imitant Jean de Perusse d’Escars (c1500-1595) qui, lointain descendant de Saint-Louis par sa mère, osa écarter ses
armes de fleurs de lys et se fit prince de Carency. Henri III, quoique cérémonieux, laissa faire Perusse qui, chevalier
de l'ordre du Saint-Esprit, occupait des emplois importants et, une génération plus tard, nul ne s'interrogeait plus. Mentionnons aussi ces Caussade, bâtards de Bourbon: au XVIIIe, ils profiteront de leur haute position pour insinuer des demi-fleurs de lys dans leur blason. Et S. Simon le père dont les siècles avaient privé la famille de ses noms et terres ancestraux qui végétaient dans l'obscurité lorsque la faveur royale l'érigea en Duc et pair (1635), s'empara des premiers et acheta les secondes. De plus, il obtint, par titre, d'ajouter aux armes des Rouvroy, l'échiqueté du Vermandois (surmonté de trois fleurs de lys depuis Philippe Auguste) afin d'affirmer son (indirecte) ascendance carolingienne [voir].
Le fils n'y pense pas lorsqu'il écrit : Comme les rangs, les honneurs et les distinctions sont peu à peu tombés en pillage en France, aussy ont fait les noms, les armes, les Maisons ; s'ente qui veut et qui peut.
Comment reçoit-on l'innovation de Louis ? Nos documents n'en contiennent nulle trace. Aucun étonnement, aucune réprobation, aucune procédure ne semblent saluer l'apparition de la nouvelle petite étoile à l'extrême périphérie du ciel royal. Lorsqu'on en parle, c'est comme si elle avait été là depuis Louis le gros.
Cela s'opère dans les années 1650. En 1661, le qualificatif de Prince de Courtenay s'emploie déjà couramment, quoique sans conséquence. Cette dénomination ne saurait dater d'avant 1655 ou au plus 1653, quand le passage de Gaspard de Bléneau à Louis de Chevillon met en scène la recomposition des biens et honneurs familiaux. Peut-être la Fronde l'a-t-elle rendu audacieux ? Louis se fleurdelise, avec l'indulgence ou l'approbation de Mazarin, et, pour consolider cette avancée, il fait appel à du Bouchet, un généalogiste à tout faire, alors non dépourvu de réputation. Il fallait mettre au goût du jour le De stirpe du temps de Henri IV, cette Sermocination, lourde plaidoirie en latin. Les temps ont changé, le public devient plus difficile, l'historiographie plus subtile. L'Histoire généalogique de la Maison royale de Courtenay paraît en 1661, l'année même de la mort de Mazarin et du début du "règne personnel" de Louis XIV.
Quelques années suffisent à du Bouchet, professionnel aguerri dont l'atelier fonctionne depuis longtemps, pour rassembler et mettre en forme les documents, malgré la taille de l'ouvrage et l'abondance des preuves qu'il contient. Ce n'est plus un factum comme le De stirpe, mais un vrai livre, avec un imprimeur (Preuveray), un libraire (du Puis) et un privilège royal (du 7 février 1661).
L'argumentaire s'appuie sur de diserts exposés généalogiques qui nourrissent de chartes la descente par mâles de Louis VI jusqu'aux Courtenay tardifs. La tirer en ligne droite étant malheureusement impossible, du Bouchet masque les zigzags en juxtaposant les lignées et en "floutant" les transitions de l'une à l'autre. La filiation par les mâles passe par de fréquents glissements d'ainé en puiné et des soupçons de transmission collatérale demeurent. Les preuves incontestables n'existent pas, les contre-preuves non plus. Tout le monde le sait, généalogies et falsifications vont de pair, que ce soit pour fabriquer une ascendance noble, l'enjoliver, la faire remonter plus loin, ou encore lui trouver une origine prestigieuse. Autant que les vérifications de noblesse, la vanité fait vivre toute une industrie, grise ou criminelle, qu'illustre la maxime : les généalogistes ont fait plus de nobles que le Roi (Furetière, 1690).
Les sceptiques demandent : cette origine royale certaine, pourquoi n'a-t-elle pas été certifiée ? La réponse de du Bouchet, recopiée du De Stirpe, mobilise l'évolution des "lois du Royaume" et aligne d'innombrables exemples pour montrer que les temps anciens n'attribuaient aux "royaux" ni nom, ni armes, ni titulature, ni apanage, ni cérémonial ; qu'il faut attendre Louis IX pour que quelque chose de ce genre commence à apparaître ; et que cette incurie fit le malheur des descendants des fils cadets de Louis VI, Dreux et Courtenay etc.
Néanmoins tout le monde connaît leur origine. La preuve par la hache : s'apparenter au Roi à tort constitue un crime de lèse-majesté, or aucun des Courtenay demandeurs n'a perdu sa tête ! Ergo, ils ne réclament pas à tort. Si la demande reste insatisfaite, sa légitimité est reconnue : depuis un siècle, nous arborons publiquement, et devant le Roi lui-même, notre prétention royale ; rien de plus facile que de nous l'interdire. Nul ne l'a fait car on peut discuter les droits, pas nier "la nature" (descendance).
L'entreprise de naturalisation a commencé tôt. On lit par exemple dans la Requête de 1609 que cet honneur leur est naturel, acquis et fait propre de naissance à un chacun d'eux par le droit du sang : n'appartenant pas à la branche régnante (Bourbon), nous ne saurions être Prince du sang ; mais notre filiation nous désigne comme Prince du sang royal de France. La première qualité se décide, la seconde se constate. Si nous ne descendons pas de Saint-Louis, tous ensemble, nous sommes l'isssuance de Capet.
Cette malicieuse distinction remplace l'Histoire par la biologie pour sauter par dessus les siècles de construction de l'institution royale qui ont délimité et théorisé le statut de successeur (cf. Annexe I).
Le frontispice du livre affiche les armes royales du "Prince", avec dais d'hermine, couronne, heaume surmonté d'une fleur de lys et angelots. Avec la Maison royale, Louis a construit sa forteresse, érigé le monument de sa grandeur, accumulé les munitions en cas de contestation. L'ouvrage sera largement recopié par les faiseurs d'annuaires. De même que la valeur d'une lettre de change augmente avec le nombre des signatures qui la garantissent, de même chaque nouvelle reprise de du Bouchet accroît sa crédibilité ! Cela se voit dès le Père Anselme (1674). Au siècle suivant, de La Chesnaye (Dictionnaire de la Noblesse 1757-1765) suit ses traces et, à qui mieux-mieux, tous les compilateurs de catalogues de la maison royale ou de la noblesse.
Ce bluff capture les générations futures. Dans son temps, il a un air de défi comme si Louis disait : m'en empêcherez-vous ? Remarquons la date du Privilège : février 1661. Mazarin meurt en mars et le coup est parti quand commence le règne personnel de Louis XIV.
Sommes-nous devant la version offensive du ni ni ? Le prince sent-il qu'en passant de la statique (ni reconnus, ni déniés) à la dynamique (j'avance, faites moi reculer), il exploite l'indécidabilité en assimilant l'absence de réaction à une approbation ? On le croit lorsqu'on lit le préambule de la Requête solennelle de 1666 : Avant que de presser V.M. par leurs plaintes ; ils ont creu, SIRE, estre obligez d'exposer à l'examen de toute l'Europe, les Preuves invincibles de leur Extraction Royalle: L'histoire Généalogique, qui contient leur filiation & ses Preuves authentiques, est imprimée depuis cinq ans avec la permission de V.M. Et cette vérité est confirmée par le tesmoignage de tous les Historiens.
Les Courtenay tardifs s'affirment (et peut-être se croient) aussi capétiens que le roi, sans pousser l'outrecuidance jusqu'à l'impudence. Dans ses additions aux Mémoires de Dangeau, Saint-Simon dévoile le secret : Ces messieurs-là... ont évité de rien faire volontairement qu'on pût opposer à leur droit (Dangeau, T4, p17-18, à la date 3 fev 1692). Louis n'est pas un desperado. Il joue ses quelques cartes avec habileté, et non à quitte ou double comme un Pranzac dont le Parlement condamna la prétention à la "royalité" (Guillard, 1689, T4). Pour bien montrer la différence, Du Bouchet lance en 1667 une Responce à la requeste que M. de Pranzac, prince du sang imaginaire, s'est persuadé avoir présentée au Roy.
L'impertinence de Louis reste prudente. Sully, Richelieu, Mazarin, ont encouragé ou excité les prétentions des Courtenay dont ils espéraient tirer profit. N'en doutons pas, Louis, avant de se fleurdeliser, savait qu'on le laisserait faire. Même si les faux princes fleurissent et si la "société" du temps est plus fluide que l'Etiquette de Versailles et les querelles de rang le laissent voir, prendre les armes royales, c'est toucher à la hache.
Quand, en 1661, le Grand Louis commence son règne personnel, il trouve notre Louis déjà "royalisé" et il l'accepte. Maître des distinctions, le roi qui accorde ou refuse un tabouret de grâce à celles qui ne l'ont pas de droit, laisse à Louis son fauteuil virtuel, à condition qu'il ne s'assoie pas, et sans accompagner cet honneur d'honneurs ni d'aucune gratification. En un mot, il le reconnaît comme méconnu !
Patin écrit (à Falconet, le 28 février 1662) : La reine est grosse et sur cette nouvelle, le roi a dit : Nous ne manquerons pas de petits Courtenay, c’est-à-dire de pauvres princes, et incommodés. Tout est là et rien de plus : sans préjudice ni conséquence, le roi cousine à la mode de Bretagne avec ce lointain parent que tout le monde connait comme tel. Saint-Simon s'étonne : les Courtenay portaient de France... sans qu'on les en ait empêchés, et ont toujours drapé avec le roi, ce qui jusqu'à sa mort n'a été souffert qu'aux gens qui en avoient le droit (Saint-Simon, add. Dangeau déjà citée). Draper sa maison de noir pour marquer la mort d'une personne royale, s'associer ainsi au deuil du roi, cela signifie l'appartenance à la famille. C'est interdit aux autres.
L'indifférence est peu probable tant ce roi a le souci de l'étiquette. Ces si lointains cousins respectueux semblent lui inspirer une ombre d'indulgence. Sans rien leur concéder, le roi les laisse prétendre. Son sang personnel (le sien, ses enfants —légitimes ou pas) a une telle prééminence sur le sang royal en général que ce dernier compte moins.
Une illustration : dès le début de son gouvernement, en 1662, le jeune roi agrège à sa famille royale les Princes Lorrains qui n'en sont pas, niant la biologie du sang. Ce faisant, il transgresse les "lois fondamentales", pour lesquelles, si le Roi fait la Loi, si le Roi est la Loi, il ne dispose pas de la Couronne ; Dieu seul y pourvoit par les voies naturelles du mariage légitime ; faire autrement revient à se substituer à la Providence, à remplacer les voies de droit par des décisions arbitraires !
Louis XIV exploite la situation désespérée du duc de Lorraine, Charles IV, le cauchemar de Richelieu, pour lui faire promettre de lui léguer la Lorraine, afin de déguiser l'annexion déjà réalisée en fusion des deux Etats (cf. Spangler, 2003) : les princes du sang de Lorraine, réputés princes du sang de France, en auraient les privilèges et pourraient donc prétendre à la Couronne au cas où les Bourbon s'éteindraient. Charles s'en amuse, disant que plus habile qu'aucun Roi qui eût jamais été, il avait fait vingt-quatre Princes du Sang dans un jour.
Le Traité de Montmartre est signé le 6 février 1662. Les Princes et les ducs pairs de France n'en veulent pas plus que les Princes et la noblesse de Lorraine, ni le Parlement de Paris dont le Roi force l'enregistrement (27 février). Le traité est invalidé d'avance puisqu'il lui faut être contresigné par tous les Princes du sang de Lorraine. Que, matériellement, le Traité soit sans effet, n'empêche pas qu'il blesse ceux dont la promotion putative des Lorrains affecte l'honneur. Le Traité dispose que les Princes lorrains marchent devant tous les autres Princes issus de Maisons Souveraines étrangères, ou enfans naturels des Rois & leurs descendans, & jouissent des privilèges & prérogatives des Princes de son sang. Le bâtard de Henri IV, les ducs & pairs rétrograderaient d'une case et les Courtenay l'espoir :
Le Duc de Vendôme [bâtard
légitimé
de Henri IV] présenta une Requête, par laquelle il supplioit de considérer, qu'Henri quatre avoit réglé qu'il auroit le pas immédiatement après les Princes du sang, & que Sa Majesté elle-même le lui avoit conservé ; après-quoi il forma son opposition. Le Prince de Courtenai en fit autant. II fût suivi des Duc & Pairs , qui remontrèrent , que la grâce accordée aux Princes Lorrains blessoit leur dignité...
Vendôme et les ducs & pairs remontrent contre l'augmentation du nombre de ceux après lesquels ils passent. Notre Prince Louis, dès le 12 février, écrit au Roi pour la préservation des droits de sa Maison.
Audace soigneusement calculée : Louis ne conteste pas, il se lamente car ce traité rouvre une vieille plaie jamais guérie. Lorsque, au siècle précédent, les Guise, cadets de Lorraine, voulaient tout avaler, on les a contenus en bloquant à St Louis la "proximité à la Couronne" (cf. Annexe I), ce qui a mis hors course les Courtenay. Et voilà que, d'un coup, les Lorraine, sautant par dessus St Louis, entrent dans le Sang alors que les Courtenay attendent toujours dehors ! Voilà un dernier outrage et une dernière injustice. Le Prince Louis s'attriste : des Capétiens, il ne reste plus aujourd'hui que la famille du Bourbon régnant... et les Courtenay oubliés. Les Bourbon venant à manquer, la Couronne devrait revenir, non aux Lorraine qui sont "étrangers" et l'ont toujours été, mais aux Courtenay. Lisons le Mémoire présenté au Roy par Monsieur le Prince de Courtenay en suite de sa protestation, le 13 Février 1662 :
... ne restant plus de la Maison Royale, que celle de BOURBON, qui Règne heureusement en la Personne de Vostre Majesté, & celle de COURTENAY, à laquelle on veut faire le dernier outrage & la dernière injustice. Car SIRE, quoy qu'elle soit seule capable de succéder à la Couronne après la Maison de BOURBON, On a stipulé au préjudice du droit de sa Naissance, dans le Traitté que V. M. vient de faire avec Monsieur de Lorraine, Que la Maison de BOURBON venant à défaillir, celle de Lorraine succèderait à la Couronne...
Il n'est pas surprenant que cette "protestation" reste sans réponse. L'étonnant, c'est que Louis ose écrire cela, le signer du titre de Prince, le présenter au Roi, et que ce dernier le laisse faire. En ce sens, cette "protestation" marque à la fois l'apogée et le périgée du satellite Courtenay qui, repoussé encore plus loin par les Lorraine, arrive au point le plus avancé d'une offensive centenaire : à cinquante-deux ans, le "Prince" Louis a pu écrire au roi et publier ne restant plus de la Maison Royale, que celle de BOURBON... & celle de COURTENAY et on ne l'a pas sanctionné parce qu'il sait jusqu'où aller trop loin et prend garde de ne marcher sur les pieds de personne au-dessus de lui.
Avant de mourir dix ans plus tard (1672) il a le temps, en 1669, de marier son fils Louis-Charles l'ainé de ses sept enfants vivants, alors âgé de vingt-neuf ans, qu'il a programmé pour prendre sa suite comme prince virtuel.
Louis-Charles, né en 1640 avec un prénom doublement royal, jouira des conquêtes de son père et bénéficiera d'une exceptionnelle longévité (†1723). Lui aussi sait se tenir, ne dispute le pas à personne et ne prétend pas entrer chez le Roi en carrosse. On l'admet à la cour sans autre qualité que le cousinage de fait admis par Louis XIV qui lui en accordera une fois la reconnaissance implicite, se déplaçant pour lui rendre visite en personne à l'occasion de la mort au combat de son fils, ce qui fut extrêmement remarqué, parce qu'il [le Roi] ne faisait plus depuis longtemps cet honneur à personne. Quand Louis-Charles essaie de marquer de nouveaux points, on l'écarte sans méchanceté : en 1695, tout incommodé qu'il étoit, il paie les 2000 francs de capitation tariffés aux Princes du sang : On ne les voulut pas recevoir. Il soutint qu'il les payeroit en entier, ou rien du tout, et oncques depuis il ne l'a payée, même depuis qu'elle fut répartie autrement (Saint-Simon, ibid). Bref, il peut dire, non faire ; affirmer, non confirmer. Quoiqu'il soit aussi (ou plus) habile que son père et enragé procédurier, il n'obtient pas davantage. Dans le contexte de la querelle des légitimés, la protestation qu'il adresse au Régent (1715) est un geste, aussi nécessaire que vain, pour la conservation des droits de sa naissance. Ces droits ne survivront pas à Louis XIV.
Retraçons rapidement la vie de Louis-Charles. Sa participation aux premières guerres de Louis XIV reste mineure : on le voit à la désastreuse campagne en Algérie (Jijel) en 1664, en Flandres en 1667 ; blessé au siège de Douai, il se signale encore à celui de Lille & à la guerre de Hollande en 1672.
En 1669, son père étant encore vivant, il épouse Marie de Bussy [Bucy], d'une branche cadette des Lamet [Lameth], ancestrale noblesse d'épée picarde. Marie est fille du défunt Antoine (†1652), gouverneur de la ville et citadelle de Mézières, place stratégique. Avec sa sœur Catherine, elle a hérité des biens et terres paternels par le décès de leur frère et de leur mère en 1666. Marie, avant sa mort (1676), donne deux fils Louis-Charles, Louis-Gaston (1669) et Charles-Roger (1671) : l'avenir de la princerie paraît assuré.
Louis-Charles reste veuf douze ans et, le 14 Juillet 1688, se remarie dans la robe. Il épouse Hélène (†1713), fille de Bernard du Plessis-Besançon (1600-70), grand serviteur de Marie de Médicis, puis de Richelieu, puis de Mazarin. Si Bernard a des titres militaires (Lieutenant-Général des Armées du Roi, & Gouverneur d'Auxonne qui commandait les frontières de la Franche-Comté), il est administrateur et diplomate, plutôt que guerrier. Sa famille est (Blanchard, 1647, Catalogue des conseillers), des plus nobles & plus anciennes & mieux alliées de Paris, & qui a eu l'honneurd'avoir produit sept Conseillers du Parlement de pere en fils, depuis Hugues de Besançon qui l'estoit en 1314. Hélène est veuve de Jean Le Brun (†1676), sr du Breuil, président au grand conseil. En 1689, elle a de Louis-Charles une fille, nommée Hélène comme elle.
L'espoir de Louis-Charles, son fils aîné, Louis-Gaston, fut tué mousquetaire au siège de Mons en 1691, sans avoir eu le temps de se marier et d'engendrer. Avec lui disparaît l'avenir de la Maison. La porte se ferme, que les générations précédentes avaient peiné à entrebâiller. C'est peut-être le vrai sens de la visite de condoléance dont l'honore le Roi : finis. En ce qui concerne le garçon, il n'y avait pas grand chose à en dire si l'on en croit les Mémoires du cardinal Dubois : C'était un beau jeune homme de vingt et un ans— Je viens de faire en neuf mots toute son oraison funèbre.
Familier de la Cour, Louis-Charles voit ses moyens financiers réduits par le décès de son épouse en 1713 : Madame de Courtenay mourut à Paris après une longue maladie ; elle ne paraissait point en ce pays-ci [la Cour]. Elle avait un bien considérable qui faisait subsister M. de Courtenay qui va être présentement fort mal dans ses affaires car le bien de sa femme revient aux enfants qu'elle avait de son premier mariage avec le président le Brun (Dangeau, T15, à la date du 29 novembre).
Saint Simon écrit qu'il fut sauvé de l'affreuse pauvreté où il avait vécu par les libéralités de la Régence. L'information vient de Dangeau (à la date 6. fev 1720, T16, p 229) : Le roi a donné 200,000 francs à M. de Courtenay le père; on lui a donné le choix de cette somme ou de 20,000 francs de pension; il a mieux aimé prendre les 200,000 francs. "Le roi", i.e le Régent, i.e son principal ministre, Dubois qui, commente Saint-Simon, quand il n'était encore qu'un petit abbé, avoit été reçu familièrement chez lui ; il s'en souvint, et lui procura cette grâce sans qu'il eût songé à en demander aucune. A peu près en même temps, le dernier fils, Charles-Roger reçut aussi une gratification de Dubois qui se piqua de lui donner une part de ses gains dans la spéculation du Mississipi : 200,000 francs d'actions. Ces cadeaux inattendus répondent-ils à la Protestation de 1715 et cachent-ils quelque chose (cf. infra) ?
M. Charles.Loüis, Prince de Courtenay, est mort à Paris le 28. Avril dernier... Il était fils de Louis Prince de Courtenay... écrit Le Mercure de Mai 1723 (p 1005-6) qui termine prudemment sa notice nécrologique par : Les Généalogistes, font descendre la Maison de Courtenay de Pierre de France, premier du nom. septiéme & dernier fils du Roy Louis le Gros.
A quatre-vingt trois ans, Louis-Charles prend fin avec la Régence, en 1723, la même année qu'Orléans et Dubois, des suites d'une chute qu'il avait faite dans l'escalier du président Nicolay. Reste le fils cadet qui n'est pas doté du Louis magique. Il l'a marié en 1704 à Marie Claire Geneviève, fille de Claude "de Bretagne", Marquis d'Avaugour, Comte de Vertus et Goëllo. Elle est veuve du surintendant des bâtiments du roi de Portugal, seigneur d'Azambujeira. Quand Louis-Charles disparait, le couple n'a pas d'enfant. Il n'en aura pas. Charles-Roger ne reprend pas le flambeau : il servit peu et fut un très pauvre homme et fort obscur quoique riche (Saint-Simon, TXIII, p181/182). Ce pauvre riche se suicide sans raison apparente en 1730 et, pour l'honneur, l'on affecte de croire à un accident. Ainsi fine la maison Courtenay.
Charles-Roger, l'ultime Courtenay, est l'homme de l'échec et du renoncement. C'est peut-être pour corriger cette image et conserver ses droits que sa sœur Hélène aurait affirmé qu'il adhérait fidèlement aux prétentions familiales. Elle-même, magnifiée par son mariage avec Bauffremont, les affirmera hautement, mais en vain. Les Bauffremont eux-mêmes arriveront au bord de l'extinction, tandis que ce qui reste des Courtenay anglais réussit le saut vers la splendeur.
Hélène aurait confié l'histoire suivante à Danjan, garde des archives du duc d'Orléans, (pour qu'il le raconte à d'autres) : le grand âge de son père rapprochant le moment qui ferait de Charles-Roger l'héritier du nom et des droits, on (Dubois ?) lui a proposé de renoncer, pour lui et ses descendants, à ce fantôme de gloire. En compensation, il recevrait une pluie de bienfaits. Charles-Roger aurait refusé avec indignation de sacrifier son honneur. L'anecdote est publiée par La Place qui affirme la tenir de Danjan (1786, Pièces intéressantes et peu connues, Tome 2, p 182 sq). Le récit, avec quelque fantaisie, montre un Louis-Charles, inquiet, rassuré fièrement par son fils. Les faux Souvenirs de la marquise de Créquy en rajoutent, brossant du vieux "prince" un tableau gothique aussi spectaculaire que farfelu : dans un château médiéval, sous une tente impériale entourée de symboles byzantins, Louis-Charles met à l'épreuve la fermeté de son fils. Tout est inventé, mais la caricature est trop amusante pour ne pas la citer :
Le vieux Prince de Courtenay vivait encore... il entendit raconter au fond de son Auxerrois que...le Prince Charles-Roger s'était engagé par écrit à retrancher de ses armoiries l'écu de France... Le père en tomba malade de chagrin ; il se coucha sous la tente de l'Empereur Baudouin de Courtenay, qu'ils faisaient toujours déployer pour achever les épousailles et pour se faire administrer l'extrême-onction. On écrivit au fils de la part du malade, et le voilà parti pour Cézy. Il entra sous la tente impériale de ses grands-pères, qui se trouvait tendue dans le milieu d'une salle immense dont toutes les ouvertures étaient fermées à la lumière du jour. On entrevoyait un vieux Labarum, ou je ne sais quelle bannière de Byzance, au chevet de la couchée. Le vieux prince était couvert d'un grand linceul ; il avait l'air et la voix d'un mourant, et la scène était éclairée seulement par quelques cierges qui étaient placés sur une sorte d'autel avec des reliquaires...
Le vieux Prince se mit à le sermonner sur la nécessité de ne plus se raidir contre les Bourbons, qui ne consentiraient jamais à lui former un apanage, à moins qu'il n'eût réduit ses armoiries à l'écusson de Courtenay proprement dit...
— N'achevez pas, Monseigneur ! n'achevez pas ! ...
— Mais s'il en est ainsi, reprit le vieillard, vous ne consentirez donc point à diffamer nos armes...
— Jamais ! jamais !
— Monsieur, répliqua vigoureusement son père en se mettant sur son séant, c'est une résolution qui vous fait honneur, et, du reste, elle est heureuse pour vous ; car, ajouta-t-il en tirant un pistolet de dessous son linceul, si je vous avais vu faiblir, j'allais vous faire sauter la cervelle...
Charles-Roger se fit sauter la cervelle lui-même, sept ans après la mort de son père. Après lui, le dernier Courtenay mâle, ne subsiste que sa demi-sœur Hélène, épouse Bauffremont, éblouie de sa flatteuse qualité de princesse.
M. de Baufremont, avec bien de l'esprit et beaucoup de bien et de désordre, était un fou sérieux, très sottement glorieux, qui se piquait de tout dire et de tout faire, et qui avait épousé une Courtenay plus folle que lui encore en ce genre (Saint-Simon, XIV, 13).
Hélène de Courtenay, futurement héritière
de son nom par la mort du prince Charles-Roger de Courtenay, son frère, est issue du second mariage de Louis-Charles. En 1712, son père l'unit à Louis-Bénigne (1684-1755), chevalier
de l'ordre espagnol de la Toison d'or, grand bailli d'Aval, marquis de Bauffremont, prince de Listenois, seigneur du duché de Pont-de-Vaux , vicomte de Salins et de Marigny, etc.
Déjà bien pourvu en titres et en biens en Franche-Comté, il a hérité des honneurs de son frère ainé, Jacques-Antoine, mort au combat en 1710, et s'est enrichi de la succession Gorrevod, un contentieux enfin tranché par le Parlement de Paris en 1712, une complexe affaire de double substitution que les Bauffremont disputent depuis 1681 à d'autres héritiers et que revendique aussi la fille de son frère. Il trouve dans le paquet maints titres et terres, ainsi que la dignité de Prince d'Empire de Gorrevod, creuse, mais magnificente. On peut supposer que le prince Louis-Charles et Hélène de Besançon ont été séduits par tant de brillant et ont vidé leurs caisses pour doter Hélène. Le mariage est du 5 mars 1712. D'après les registres de baptême, il produira sept enfants vivants jusqu'en 1720, dont quatre garçons.
Le premier, né en novembre 1712, nommé Louis, a pour parrain son grand-père, le prince Louis-Charles qui, n'espérant pas grand chose de son fils Charles-Roger, lui transfère ainsi sa prétention royale. Le mariage d'Hélène la fait, en passant par la Bourgogne, accéder à un niveau supérieur de richesse, d'illustration et de présomption qui augmentera la sienne. Eloignons-nous d'Hélène un instant pour caractériser les Bauffremont, des franc-comtois à la conquête de leurs conquérants.
Un mot d'abord de la tante dont l'esprit plut tant à Madame de Duras, l'épouse du gouverneur de la Franche-Comté conquise, qu'elle eut le malheur de l'emmener à Paris et de l'installer chez elle. Mademoiselle de Bauffremont brouilla les époux et, maitresse de Duras, le traitait de manière si despotique que, parcequ'il était doyen des maréchaux de France, on ne l'appelait, elle, que madame la connétable (Dangeau, T10, p 308, 21 avril 1705).
Le père, aussi haut que puissant seigneur en Bourgogne comtale espagnole, se rallie à la France quand elle annexe le pays. Le régiment Bauffremont-Dragons fait partie des armées du Roi.
Jacques-Antoine, le fils aîné, épouse en 1706 la seconde fille du comte de Mailly-Rubempré : aussi relevé que soit Mailly (menin du dauphin, mestre de camp général des dragons de France en 1691), c'est la mère qui compte, Sainte-Hermine, parente et protégée de la toute-puissante Maintenon. Veuve depuis 1699, la comtesse de Mailly, sans biens et chargée d'une troupe d'enfants, garçons et filles (Saint-Simon, II, 24), ne peut doter celles-ci, mais son accès à Maintenon lui permet de leur trouver de riches époux : les deux belles Françoise, mariées contre leur gré, auront beaucoup d'amants (et la seconde fera scandale). Jacques-Antoine prend la sienne sans rien et se rattrape l'année suivante en escroquant 1200 pistoles à sa belle-mère sous prétexte de le racheter d'une captivité imaginaire. Deux ans après, il en obtient la Toison d'or : Mme de Mailly, qui n'avait pas donné grand'chose à Mme de Listenais [épouse de Jacques-Antoine] en mariage, fit en sorte, par Mme de Maintenon et Mme la duchesse de Bourgogne, de faire donner la Toison à Listenais son gendre, malgré la belle équipée dont j'ai parlé et dont elle avait été la dupe... Cette Toison parut assez sauvage, non pour la naissance, mais par toutes autres raisons (Saint-Simon, VII, 20, année 1709). Jacques-Antoine est tué en défendant Aire contre les hauts alliés. Son frère lui succède à la tête du régiment familial et dans ses honneurs. En 1711 Louis-Bénigne se rend en Espagne restituer la Toison vacante par la mort de son frère et se débrouille pour se la faire attribuer. Encore une toison sauvage !
Louis-Bénigne, aussi fou que son frère, militairement actif depuis 1701 (année où il entre au service dans les mousquetaires), participe à la vie de la Cour. Le roi lui donne des brevets dans sa compagnie de gendarmes bourguignons, puis l'autorise à vendre sa charge au profit de sa nièce quand il lui accorde le régiment de son frère. Après les sièges de Douai du Quesnoy (sept, oct 1712), Louis-Bénigne ne participe plus aux opérations de la guerre de succession d'Espagne.
La mort du roi en 1715 entraîne un grand remue-ménage. La Régence et la mauvaise santé du petit roi Louis XV rendent aiguë la question successorale. Les Princes du sang réclament contre les princes légitimés que Louis XIV a faits leurs égaux. Les légitimés dénient au Parlement le droit de trancher la question et en appellent à la majorité du roi ou aux états-généraux. Les Ducs et Pairs prétendent gouverner. Les simples ducs se soulèvent contre eux. Dans cette confusion, la noblesse "ordinaire" s'agite contre les Ducs, s'assemble et réclame les états-généraux. Bauffremont se précipite dans cette petite Fronde dont le Régent refuse de recevoir le manifeste contre les ducs et princes. Orléans rappelle sévèrement à la noblesse qu'il est son chef au nom du roi et qu'elle n'a pas le droit de s'assembler d'elle-même. Si d'aucuns sont impressionnés et abandonnent, nombre d'irréductibles (vraisemblablement excités en sous-main par la duchesse du Maine) envoient au Parlement de Paris le 17 juin 1717 un acte signé de 39 gentilshommes, par lequel ils protestent de nullité de tout ce qui s'est fait dans l'affaire des Princes au conseil de Régence et de tout ce qui sera fait sans l'assemblée des états généraux, attendu qu'il s'agit de la succession à la couronne et que le droit d'y nommer appartient à la noblesse (Mathieu Marais, T1, p 206-7). Les six meneurs sont emprisonnés, qui à la Bastille, qui à Vincennes, et, parmi eux, notre Bauffremont. Ils sont libérés le 16 juillet, après qu'ait été publié l'Edit qui règle la question au détriment des légitimés. Pendant ce mois, la plupart des femmes de MM. les gentilshommes prisonniers ont permission de les voir; mais on l'a refusé sèchement à madame de Bauffremont qu'on accuse d'avoir tenu des discours très-forts (Dangeau, T 17, p 116-7, à la date du 25 juin).
Hélène se prend-elle pour une héroïne de la Fronde ? Partage-t-elle le sentiment que Saint-Simon prête à Bauffremont, qu'il n'en voulait qu'aux ducs et ... que, ne pouvant pas le devenir; il les voulait détruire ? Bauffremont continue : l'année suivante, "la noblesse" soutient les simples maréchaux contre les maréchaux-ducs et leur prééminence. Bauffremont fait des impertinences au grand maréchal de Villars, est mis derechef à la Bastille (2 avril 1718) pour une lettre qu'il lui a écrite. Il seroit difficile d'être plus fou, plus hasardeux, plus audacieux que l'étoit Bauffremont, commente Saint-Simon. Enhardi par sa rapide libération (5 avril), Bauffremont refuse de présenter des excuses et le Régent lui-même se prostitue (Saint-Simon) à les réconcilier. Beaufremont sortit riant comme un fou, sans que le maréchal ni lui eussent proféré une seule parole. On peut juger du dépit du maréchal et de MM. ses confrères. Je crois pourtant que Beaufremont eut ordre de se taire et de ne pas pousser les choses plus loin, car il ne parla plus. Il pouvait être content de tout ce qu'il avait débité, et d'en sortir de cette étrange façon. Saint-Simon est enragé contre Bauffremont et ses amis qui prétendent représenter la Noblesse alors qu'il n'en sont qu'une petite partie et que, pour lui, seuls les Ducs et Pairs incarnent la Noblesse ! Il continue : Beaufremont, victorieux des maréchaux de France, le voulut être bientôt après des princes du sang et ajoute que avec de l'esprit et de la valeur et un des premiers noms de Bourgogne, il serait difficile d'être plus hardi, plus entreprenant, plus hasardeux, plus audacieux, plus fou, qu'il l'a été toute sa vie.
En effet, Bauffremont agite la noblesse de Bourgogne contre son gouverneur, le Prince de Condé qui, furieux, apporte à Paris plusieurs lettres que M. de Bauffremont avoit écrites à des gentilshommes de ce pays-là, et se plaint fort de lui (Dangeau). Les maréchaux de France rirent tout bas à leur tour de se trouver en, si bonne compagnie, s'amuse Saint-Simon.
Quoique son nom ne soit pas mentionné, il serait étonnant que Louis-Bénigne n'ait pas participé aux intrigues embrouillées de la duchesse du Maine qu'on désigne par conspiration de Cellamare qui éclate en décembre 1718 et, outre l'arrestation du duc et de la duchesse, vient à point pour justifier la guerre contre l'Espagne (déclarée en janvier 1719). Bauffremont, arguant de sa Toison, en fait dispenser son régiment par le Régent (L'obéissance et la reconnaissance prétendent avoir même empire sur moi) ; et, de ce fait, n'est pas compris dans la promotion d'officiers généraux du 1er février destinée à remplir les cadres. Il ne sera promu (à effet du 1er février) que le 16 juillet et, à l'automne 1719 rejoindra Berwick en Catalogne, brigadier de dragons sous Cilly, à l'aile droite de l'armée. Ensuite, la longue parenthèse pacifique Dubois-Fleury met les guerriers en vacance. Bauffremont cède son régiment à son fils en 1730 et participe à la guerre de succession de Pologne qui commence en 1733. En 1734, il est nommé Maréchal de Camp, puis en 1738 lieutenant-général des armées du roi, sans servir en cette qualité. Il mourra en 1755.
Nous nous sommes un peu éloignés d'Hélène pour peindre le milieu dans lequel elle vit et donner le contexte de l'incident de 1737 qui, de manière presque fortuite, mettra fin à la longue revendication courtenaise. Les descendants d'Hélène ne feront que se flatter de leur origine capétienne sans plus la revendiquer.
Dans les années 1730, en Franche-Comté, Louis-Bénigne se fait enjoindre par le procureur de Vesoul de justifier d'ici quinze jours la qualité de Haut et Puissant Seigneur qu'on lui a donnée dans un acte qu'il a signé pour nommer le juge d'une de ses baronnies, acte soumis pour validation à la chambre de Vesoul. En effet, les Edits de nos anciens souverains (espagnols), notamment celui de 1650, portent qu'il ne sera loisible à qui que ce soit de se qualifier noble, s'il ne l'est d'ancienneté ou par patentes du Prince; que nul ne pourra se qualifier de haut et puissant Seigneur s'il n'est issu de Maison tenue de toute antiquité pour illustre et principale. Il s'agissait d'empêcher l'usurpation des titres et qualités qui distinguent la haute noblesse sans les dénier aux maisons à qui ils sont légitimement acquis par leur naissance et par une possession de tout temps.
On pourrait penser que la hauteur de Bauffremont est si notoire dans la comté qu'elle n'a pas besoin d'être documentée dans chaque procédure, même si tout le monde ne croit pas que la Maison de Bauffremont tire son origine de Baufremontius Roi des Bourguignons vers l'an 417. Y-a-t-il quelque malice dans l'exigence du tribunal ou n'est-elle que routine et procédure ? Chaque Maison tient prêt un dossier de pièces justificatives. Vingt ans plus tard, Louis, le fils, aura la même affaire, avec cette fois, la chambre des comptes de Dôle. On l'enjoindra le 22 mars 1753 ; dès le 26, il fournira ses pièces et le 30 la chambre rendra un arrêt qui le maintient dans sa qualité : une semaine. Mais son père, le glorieux Louis-Bénigne, atteint au vif, prend la mouche, excité peut-être par des contingences locales dont nous ignorons tout. Son défenseur, Pouhat de Tallans, avocat au Parlement de Besançon, répond pour lui longuement, de manière circonstanciée et détaillée en déniant le droit du procureur à contester sa qualité (Mémoire pour messire Louis-Bénigne, marquis de Bauffremont... contre le sieur Jean Champion, procureur du roy au bailliage et présidial de Vesoul).
Jusque là, tout est banal. Quoique cela nous paraisse dérisoire, nous savons que, alors, le rang, le pas, la qualité, définissent l'identité sociale et individuelle, bien plus que les titres qui sont galvaudés. Mais le mémoire de Pouhat de Tallans fuite, soit parce que Bauffremont y voit un monument à sa grandeur, soit parce qu'il porte sur un détail curieux qui intéressera le public. De larges extraits en sont publiés à Paris dans les Observations sur les écrits modernes (1736, Lettre 99) dont le directeur, Desfontaines, est friand de polémiques. Entre autres illustrations de l'excellence de Bauffremont, l'avocat mentionnait que, pour l'admission de ses fils au sein des chevaliers de Malte, les preuves de noblesse ont été remplacés, du côté paternel par la liste des alliances pures et distinguées de sa famille et pour ce qui est du côté maternel, ils n'ont eu qu'à vérifier que Madame leur mère est Hélène de Courtenay, Princesse du Sang Royal de France. Au moyen de cette filiation et par le respect qu'on porte partout à ce Sang auguste, il a été décidé dans un Chapitre Général... qu'ils étaient dispensés de toute autre preuve.
Rappelons le secret du vieux Louis, ne
rien faire volontairement qu'on pût opposer à leur droit. Hélène a déjà pris la qualité de princesse du sang royal dans des actes privés, son contrat de mariage, certains actes baptistaires de ses enfants. Ici, le zèle de l'avocat la lui donne, même indirectement, dans un acte public. Si les quatre mots problématiques étaient restés enfouis dans les papiers du greffe de Vesoul, au fond d'une Province, à l'extrémité du Royaume, nul ne s'en serait soucié. Mais les voilà sur la place publique, les salons en parlent et nul doute qu' Hélène et Louis-Bénigne s'en vantent. Le premier avocat-général du roi au Parlement de Paris s'offusque.
C'est Gilbert de Voisins (1684-1769), marquis de Villennes, en poste depuis vingt ans (1718), précédemment conseiller au Conseil des Finances du Régent, et ultérieurement, conseiller d’Etat (1740), 1er Président du Grand-Conseil (1744), conseiller d’Etat ordinaire (1747), membre du Conseil des Dépêches (1757). Non seulement le personnage est considérable et expérimenté, mais il est réputé pour sa rectitude, son dévouement au roi et sa connaissance de la procédure.
Il saisit le Parlement et requiert que les mots Heleine de Courtenay, Princesse du Sang Royal de France soient biffés du mémoire, interdits d'emploi à Bauffremont et à tous autres, et que la lettre 99 soit supprimée. Gilbert de Voisins est un homme sérieux qui reprend toute l'affaire depuis Henri IV. S'agissant d'un cas qui, à ses yeux, intéresse le Roy,
l'Etat, & la Cour, il porte lui-même la parole des gens
du roi dont, avec le Procureur, il est le chef. Voisins argumente avec soin : des choses qui, hasardées au loin resteraient sans conséquence, ont été mises sous nos yeux ; nous ne pouvons pas garder le silence. L'argument de forme (la qualité royale n'ayant jamais été reconnue, son usage est illicite) n'élude pas le fond de la question : de Voisins rappelle (et tous les mots font mouche) les tentatives de quelques personnes de la maison de Courtenay pour s'arroger, s'il eût été possible, quelque commencement de possession d'une pareille qualité ; il souligne l'enjeu : que le caractère auguste qui distingue en France les Princes du Sang Royal ne puisse au gré de l'opinion et des conjectures, devenir l'objet d'ambitieuses prétentions... et le danger d'un tel précédent : l'exemple demeurerait toujours capable de tirer à conséquence pour d'autres Maisons.
Il faut lire en entier l'Extrait
des Registres du Parlement que publie le Journal Historique sur les Matières du temps, 1737, T41 p 180 :
CE
JOUR [7 février 1737], les Gens du Roy sont entrez, & Maître Pierre Gilbert de Voisins, Avocat dudit Seigneur Roy, portant la parole, ont dit :
Qu'il
ne leur est pas permis de se taire sur un Mémoire imprimé du sieur Marquis de Bauffremont, qui d'ailleurs leur seroit étranger par son objet dont la connoissance est soumise à un autre Tribunal : mais dans lequel ils trouvent ce qui intéresse le plus nécessairement leur ministere, & ce qui appartient le plus immédiatement à l'autorité de la Cour.
Qu'on
y lit à la page 7. que la Dame Marquise de Bauffremont est effectivement Heleine de Courtenay, Princesse du Sang Royal de France : & que comme si ce n'étoit pas assez qu'un tel Mémoire eût été hasardé au fond d'une Province, à l'extrémité du Royaume ; un Ecrivain qui met au jour des feuilles successives, sous le titre d'Observations sur les Ecrits modernes, vient de lui donner un nouveau degré de publicité à Paris, jusques sous nos yeux, par l'extrait qu'il en a fait dans ses feuilles du 12 Janvier, dans lequel il a transcrit les propres termes de l'endroit où est employée cette qualité,
Qu'ils
[les gens du roi] ne s'étendront point sur ce qui se passa en la Cour au commencement du dernier siécle, aux premiéres tentatives de quelques personnes de la maison de Courtenay, pour s'arroger, s'il eût été possible, quelque commencement de possession d'une pareille qualité. Que les monumens qui reposent dans le Greffe de la Cour en font foi : & que ce qu'on y voit à ce sujet sera à jamais une preuve mémorable du zêle de ceux qui exerçoient alors le Ministére, dont ils ont l'honneur d'être revêtus.
Mais
que ni la mémoire des choses passées, ni l'exemple de leurs Prédécesseurs, ne sont nécessaires pour autoriser une démarche qu'ils ne pourroient omettre, sans manquer au plus sacré de leurs devoirs, & sans être responsables de leur silence au Roy, à l'Etat, & à la Cour.
Qu'on
ne peut trop sentir de quelle extrême conséquence il est, que le caractére auguste qui distingue en France les Princes du Sang Royal, ne puisse au gré de l'opinion & des conjectures, devenir l'objet d'ambitieuses prétentions. Qu'autrement, plus une Maison seroit illustre, plus les traces de son ancienne origine se perdroient dans la nuit des tems reculez, & plus il lui seroit facile de se laisser éblouir aux idées flateuses dont la témérité ou l'artifice chercheroient à repaître son ambition : & que lors même qu'elle viendroit à s'éteindre, son exemple demeureroit toujours capable de tirer à conséquence pour d'autres Maisons.
Que
ce sont ces considérations, dont la Cour saura mieux peser encore toute l'importance, qui leur ont dicté les Conclusions qu'ils ont l'honneur de lui remettre, avec le Mémoire, & les Feuilles imprimées, qui en sont l'occasion, & le sujet.
La cour ayant délibéré rend un arrêt conforme aux conclusions, interdisant d'employer lesdits Titres & Qualité pour ladite Heleine de Courtenay, & notamment à tous Libraires & Imprimeurs, & tous autres, de les employer dans aucuns livres ou Imprimez &c., et condamnant à les biffer dans le Mémoire et dans les Observations. C'est tout, aucune punition, juste un rappel à la Loi pour Baufremont et tous autres. De fait, la lettre 99 est réimprimée avec des pointillés à la place du passage incriminé.
Depuis Henri IV, les Courtenay tardifs réclamaient un jugement dont le Chancelier les avait menacés : l'on vous fera justice mais non pas telle que vous la demandez. Si Louis XIV avait laissé faire le Prince Louis, l'arrêt de 1737 désavoue tout et annule les avancées. La mort du dernier mâle a anéanti le capital historique et clot le dossier : impensable de s'arroger quelque commencement de possession d'une pareille qualité.
Hélène prend feu. Quoique, trop âgée et probablement défigurée par la variole qui l'a frappée en 1719, elle ne puisse payer de sa personne et offrir à Louis XV une beauté que nul n'a célébrée, elle l'attend au bas du petit escalier par où il rentre quand il revient de la chasse (Duc de Luynes), démarche qui viole la procédure de la Cour, avec, dit-on, la permission du Cardinal Fleury. Elle lui tend la Requête de Hélène de Courtenay contre un arrêt du Parlement de Paris, du 7 février 1737, qui lui a rayé la qualité de princesse du sang royal de France. Le roi, si même il la lit, ne donne pas suite mais, à travers le Roi, c'est au public qu'elle s'adresse, excitant l'intérêt par son geste "héroïque". Les gazettes hollandaises font connaître à Paris ce qu'il serait imprudent de publier en France : la Lettre historique & politique concernant l'état présent de l'Europe d'avril 1737 (Amsterdam), donne le texte intégral de la Requête, repris dans le Supplément au corps universel diplomatique du droit des gens (T2, partie II, 1739, Amsterdam). Admirons la vitesse des réactions : les extraits du Mémoire Bauffremont sont publiés à Paris en janvier, l'arrêt du Parlement est du 7 février, Hélène donne sa requête au roi le 22 février, le texte est diffusé en avril ! On en parle, comme en témoignent les Mémoires du duc de Luynes (T1, p 198-9) : La requête de Mme de Bauffremont fait ici beaucoup de bruit. Elle est de la maison de Courtenay et prétend par cette raison être princesse du sang de France, et ce n'est pas, à ce qu'il paroit, sans beaucoup de fondement... Quoiqu'elle ne puisse pas jouir des honneurs sans une gràce particulière, étant mariée, elle paroit soutenir sa prétention avec beaucoup de vivacité.
J'allongerais trop mon propos en donnant le détail de cette remarquable plaidoirie. Elle est si habile, si bien composée, si proprement écrite que, même quand Hélène, enragée, aurait imité la duchesse du Maine en remplissant son lit d'in folios et en passant les nuits à rédiger, trois semaines ne suffiraient pas. Les Bauffremont et les Voisins habitent à côté, les premiers rue Taranne, les seconds rue de Seine. Ils se rencontrent chez des tiers. Voisins n'a pas d'animosité personnelle, il est probable qu'il les a informés par avance. A moins que, en provoquant la publication du mémoire de l'avocat, Louis-Bénigne et/ou Hélène aient prévu la suite et préparé d'avance leur riposte avec l'habile Pouhat de Tallans, ou bien que, depuis la mort de son frère (1730), Hélène, anticipant un clash inévitable à présent qu'aucun mâle n'assume plus la posture, se prépare et travaille sa défense au lieu de faire de la tapisserie.
Hélène, exploitant à fond le ni ni, va droit au but :
...La Suppliante convient (quelque triste & douloureux que soit cet aveu pour elle) que ses Ayeuls n'ont pû parvenir à se faire accorder le Rang & les Honneurs attachez depuis Henri III. au Titre de Prince du Sang: Quoique, ni sous ce Regne, ni sous aucun autre, on ne leur ait jamais contesté d’être descendus en Ligne directe de Pierre de France, dernier Fils de Louïs VI... elle soutient, que jamais V. M. ni les Rois ses Prédécesseurs (seuls en droit de juger ce Point important) n’ont decidé qu'ils ne fussent pas Prince du Sang Royal de France. Si votre Auguste Bis-Ayeul, à qui ils en demandèrent les Prérogatives, en lui présentant leur Généalogie, les leur refusa, il leur en laissa du moins le Titre ; persuadé, que rien ne pouvait leur ravir ce qu’ils ne tenoient que de la Nature.
Comprenez les deux points essentiels :
1) les Rois... seuls en droit de juger ce Point important : il n'est pas dans la juridiction du Parlement de Paris de se prononcer là-dessus, l'arrêt est nul ;
2) la filiation (non contestée) est une chose, les droits associés une autre. Qu'est ce que le Parlement peut comprendre à l'honneur de la vraie Noblesse ? L'Auguste Bis-Ayeul (Louis XIV)
a
refusé les prérogatives et laissé le titre qui vient de la nature. Le feu Roi... Maître des rangs dans son Royaume, n’a voulu en accorder qu’aux Princes de sa Branche: Princes, par cette Raison, qualifiez seulement de Prínces du Sang. Ce grand Roi, persuadé que les Droits de la Nature sont inviolables, persuadé que l’on ne peut descendre en Ligne directe & légitime d’un Roi de France, sans être Prince du Sang Royal de France, n’a jamais défendu aux Princes de Courtenay de prendre ce Titre. Ils l’ont pris devant sa propre Personne... S’il leur a donc refusé les Honneurs accordez aux Princes de sa Branche, il a en même tems voulu que les Princes de Courteney demeurassent en possession de prendre les Qualitez indicatives de leur Maison. Si l’on pouvoit supposer dans ce grand Monarque une autre Volonté, il leur auroit défendu de prendre ces Qualitez: mais il savoit, on le repete ici, que la Nature les leur ayant données, la Nature seule [et non le Parlement !] pouvoit les leur ôter.
Tout ce que demande la suppliante c'est qu'on lui laisse la qualité indicative de sa naissance, un symbole, non un droit :
la Suppliante est en Droit de se qualifier Princesse du Sang Royal de France. Cette Qualification forme la seule & simple Indication du Sang dont elle sort: elle n’en reçoit, ni Rang, ni Prérogatives : elle ne prend point la Qualité de Príncesse du Sang à laquelle ces Honneurs ont été accordez & qui n’a été communiquée qu’aux seules Princesses de la Branche Regnante...
Louis, l'héritier, le fils aîné d'Hélène et Louis-Bénigne, colonel-propriétaire du régiment Bauffrement depuis 1730 par la démission de son père, a été marié en 1735 à Marie-Susanne-Ferdinande, fille unique du comtois Henri-François de Tenarre, marquis de Montmain, lieutenant-général des armées du roi, gouverneur de Seyssel. Les époux habiteront, quai des Théatins à Paris, aujourd'hui quai Voltaire, le spectaculaire Hôtel de Bauffremont (ex Hôtel d'Orrouer). Louis, brillant soldat, couvert de titres militaires, obtiendra du lorrain Empereur François Ier, non seulement la confirmation du titre de prince de l'Empire, mais son extension à ses frères et à leur descendants (diplôme donné à Vienne, le 8 juin 1757) et, de plus, en considération de leurs alliances avec la maison de Bourgogne et de la splendeur de leur maison, l'empereur leur octroie le titre de cousin que, par implication, naturalise le roi de France, frère de l'Empereur, (arrêté du 13 décembre 1759).
Mais Louis a besoin d'un héritier qu'il échoue à produire. Marié en 1735 quand son épouse n'a encore que treize ans, leur premier enfant n'arrive que quinze ans plus tard, en 1750. Non seulement c'est une fille, mais la naissance se passe mal puisqu'il faut aussitôt ondoyer le bébé in articulo mortis et, son sort étant incertain, le baptiser très vite. La mère vivra encore des dizaines d'années mais semble ne plus pouvoir enfanter. La fille unique est glorieusement dotée de sept prénoms, comme les infantes d'Espagne : Louise-Francoise-Benigne-Octavie-Marie-Jacqueline-Laurence.
Une fille donc, et pas d'espoir de fils. Pour sortir de l'impasse, Louis considère ses frères. Le premier, Charles-Roger, un tantinet dissipé, ne lui inspire pas confiance. Il s'amuse à la cour du "roi" Stanislas dont il est maitre de camp et chambellan (c'est le prince incomparable de Mmes du Deffand et de Boufflers). Quoique toutes les mères le poursuivent, il ne se mariera pas et mourra sans postérité. Le plus jeune frère, François-Auguste, disparaît tôt ou se révèle inapte : il ne laisse aucune trace. Les sœurs ne valant rien en l'occurence, seul le second frère, Joseph-François paraît capable de succéder et de produire une nouvelle génération pour maintenir le nom mais, à quarante-huit ans, chef d'escadre des armées navales, il n'est pas marié. Il faut donc lui faire avoir une descendance et lui transmettre l'héritage.
Louis résout en même temps les deux problèmes: à douze ans, la fille aux sept prénoms est unie à son vieil oncle en 1762, avec l'indispensable dispense papale. Joseph-François doit quitter la croix de Malte, et la petite la qualité prestigieuse de chanoinesse de Remiremont. La mort de Louis (1769) profite à ses deux frères et met fin aux activités navales que Joseph a menées jusqu'alors avec détachement. Il prend livraison de son épouse que sa mort (1781) laissera dans une extrême pauvreté d'argent
à cause de la multitude de ses créanciers. Leur premier enfant naît en 1770, c'est une fille. Le premier garçon (Alexandre) vient en 1773. Il assurera la succession, et mourra en 1833, prince de Bauffremont et du Saint-Empire, marquis de Bauffremont et de Listenois, comte de l'Empire (1810), pair de France (1815), premier duc de Bauffremont (1817), chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Il laisse deux fils vivants par qui la lignée
des Princes de Bauffremont-Courtenay continue jusqu'à aujourd'hui.
Mais, irrémédiablement, le suicide de Charles-Roger (1730) et son absence de postérité, ont mis fin à la descente directe par mâle de Louis VI au nom de laquelle Hélène avait pu se prétendre princesse du sang royal de France.
Tandis que les Courtenay français finissent ainsi de finir, les Courtenay anglais refleurissent.
Depuis la mort du bel Edward en 1556, il ne restait qu'une branche collatérale, issue, au XIVe siècle, de Hugh Courtenay, baron d'Okehampton et 3ème/11ème comte du Devon : les Courtenay of Powderham, obscurs quoique prospères. En 1762, ils émergent et accèdent à la pairie avec le titre héréditaire de viscount Courtenay of Powderham-Castle. En 1830, le 3ème viscount, William "Kitty" Courtenay, actionné par son petit-cousin et héritier William, pétitionne pour être restauré dans les honneurs d'Edward (comte de Devon), au motif que son arrière-grand père sixième, William of Powderham, était en 1556 next in descent, donc héritier mâle d'Edward (Harris, 1832).
N'examinons pas ici les arguments juridiques et personnels (cf. Annexe V). La question de fait est la même que celle que le chancelier d'Henri IV posa à nos sieurs : si vous, les C. de Powderham, avez ce droit depuis 1556, comment l'avez-vous oublié pendant 275 ans ? comment avez-vous pu accepter en 1644 d'être faits baronnet ? et en 1762 de devenir pairs en tant que viscount ? des dignités bien inférieures à celle à laquelle vous prétendez aujourd'hui que vous auriez pu prétendre. Sous-entendu : vous saviez que le titre d'Edward était éteint par sa mort et non endormi en attendant que vous le découvriez. La preuve en est que la Couronne a disposé du titre et que vous n'avez pas protesté. Pourrait-il y avoir en même temps deux comtes de Devon ?
Comme leurs cousins français, les Courtney résiduels savaient qu'ils n'avaient pas de droits et regrettaient vaguement la grandeur perdue de leur maison. L'occasion fait le larron. Quand une "fenêtre d'opportunité" s'ouvre (ou est ouverte), on tente sa chance. Malgré la différence des contextes (juridique, généalogique, et historique), des ambitions (suprême en France, seulement majeure en Angleterre) et des résultats, les deux cas Courtenay se ressemblent : la dignité d'une maison survit-elle tant qu'un héritier, fût-ce au millième degré, peut la réclamer ? même s'il ne la réclame pas ? même s'il en est indigne (Kitty) ?
Encore une fois, les Courtenay anglais l'emportent sur leurs cousins français : le Committee for Privileges accepte la demande et la House of Lords agrée ! Ici, le rang suit le sang. Il remonte Edward de sept degrés jusqu'à son ancêtre Hugh (†1377) et redescend quinze degrés jusqu'au troisième vicomte.
Voilà de quoi rendre jaloux les Courtenay royaux. Reginald a vengé Renaud !
Et, amusante coïncidence, en Angleterre, Courtney et ses dérivés (Courtneylee, Courtlyn) apparaît comme prénom masculin dès le XVIIe (et féminin au XXe), avec pour étymologie : Court dweller (courtisan, homme ou femme de cour, et par extension courtois) ! C'est, dit aujourd'hui un dictionnaire en ligne de noms de bébés, A name with upper-class connotations.
1 | Pierre, dernier fils de Louis VI le gros, x Isabeau de Courtenay | ||
2 | Robert de Champignelles, 2nd fils de Pierre, x Mahaud de Mehun | ||
3 | Guillaume x Marguerite de Chalons | ||
4 | Jean x Jeanne de St-Briçon | ||
5 | Jean II x Marguerite de St-Verain, Dame de Bléneau | ||
6 | Jean III † puis son frère Pierre x Agnès de Melun | ||
7 | Pierre II Champignelles | Jean Bléneau etc x Catherine de l'Hopital-Soisy | |
8 | Jean IV †1472 | Jean II Bléneau
x Marguerite de Boucard | Pierre,
Ferté
Loupière, Chevillon, Brenay x Perrine de la Roche |
9 | Jean III x Catherine de Bar | Jean
Chevillon x Louette de Chantier | |
10 | François xx Hélène de Mortisaut | Guillaume
x
Marguerite Fretel | |
11 | Gaspard x Edmée du Chesnay | Jacques
† puis son frère Jean II x Madeleine de Marle | |
12 | Edme x Catherine du Sart | "Prince"
Louis x Lucrèce de Harlay | |
13 | Gaspard II †1655 //=> Louis Chevillon | Louis-Charles
†
1723 x Marie de Lameth xx Hélène Duplessis-Besançon | |
14 | 1.
Louis-Gaston
†1691 1'. Charles-Roger † 1730 2. Hélène x Bauffremont // | ||
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