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Ce titre, tout
en définissant clairement le
terrain historique, semble s'amuser à obscurcir l'objet de l'analyse. Contre le roi pour le roi, qu'est-ce que
cela signifie ? Voilà précisément la question à laquelle est
consacrée
cette étude ! Est-ce une figure de style pour habiller une
opposition
injustifiable ? un paradoxe ? une contradiction ? une
ambivalence ? une dialectique ? Le
roi appartient à la couronne, et non la couronne au roi. Ce
principe
"constitutionnel" en forme d'antimétabole donne aux défenseurs de la
Couronne la charge, et parfois la regrettée obligation, d'en défendre
les
droits contre les décisions inconsidérées d'un roi mal
informé. Sur un fond de soulèvements populaires anti-fiscaux et de guerre extérieure (Espagne), les troubles français de 1620/1675 culminent en péripéties héroïques : tumulte de la rue Saint-Denis (8/13 jan 1648) ; articles "anti-absolutistes" de l'assemblée des cours souveraines (juillet 1648) ; barricades de Paris (août 1648) ; fuites du roi-enfant, de sa mère régente et de leur Mazarin (13 sep 1648 et 6 jan 1649) ; siège de Paris (début 1649) ; emprisonnement des Princes (janvier 1650) ; levées d'armes dans les provinces ; feintes disgrâces de Mazarin (février 1651 et août 1652) ; la guerre civile partout, et la crise constitutionnelle qu'évoque ces mots du cardinal de Retz, si souvent cités : L'on chercha en s'éveillant, comme à tâtons, les lois : l'on ne les trouva plus ; l'on s'effara, l'on cria, l'on se les demanda ; et dans cette agitation les questions que leurs explications firent naître, d'obscures qu'elles étaient et vénérables par leur obscurité, devinrent problématiques (Régnier, 1872, OC, T1, p 294). La
Fronde
a été dramatisée. On l'a qualifiée de "révolution manquée" ou, au
contraire, de "défaite victorieuse" (victory in defeat). Ne
s'agit-il pas plutôt d'un simple épisode de l'instabilité
propre aux "sociétés d'ancien régime" ?
Le droit des peuples et celui des rois ne s'accordent jamais si bien ensemble que dans le silence (Retz, ibid.). Cet accord constitue la question constitutionnelle de l'ancien régime, irrésolue et insoluble. En janvier 1649, le "croupion" anglais (rump Parliament) apporte une réponse radicale, l'exécution de Charles I, suivie de l'abolition de la chambre des Lords et de la royauté. Il est plus facile de trancher la tête d'un roi que le dilemme organique : dix ans plus tard, la royauté est restaurée. Au delà de la France et de l'Angleterre, le synchronicité concerne toute l'Europe et même plus : partout, anomalies météoriques, mauvaises récoltes et épidémies, soulèvements populaires, complots et insurrections des Grands, renversement des monarques. Nous vîmes une mauvaise constellation menacer le bonheur des rois... La Fronde serait-elle une manifestation locale de la "crise générale du XVIIe siècle" dont des historiens ont cherché le scénario, à l'échelle ouest-européenne, puis européenne, enfin eurasiatique ou mondiale ? Ma première partie (Crise ou instabilité ?) écartera cette explication. Des facteurs circonstanciels nous devrons passer aux facteurs structurels. La comparaison avec les troubles anglais, à la fois concomitants et proches, montre que, malgré leurs différences, les deux séquences s'inscrivent dans le même paradigme, le dissensus consensuel, dont le Parlement est à la fois le théâtre et l'acteur (2ème partie). Aussi, pour analyser la Fronde, faut-il examiner spécifiquement le Parlement de Paris (3ème partie) : fondamentalement, son discours autour de 1650 est celui qu'il a toujours tenu. La défense de la Couronne contre le roi s'appuie sur des lieux communs séculaires. Cela nous conduit (4ème partie) à analyser la "médiévalité" du Parlement de la Fronde. Il lui doit de ne pas être seulement un tribunal mais de participer de la curia regis. Il lui doit aussi sa tournure d'esprit et son langage. Cette étude
vise à inscrire la scène
("fronde parlementaire") dans l'acte (Roi/Royaume), et l'acte dans la
pièce : les sociétés ante industrielles
en Europe. Le Parlement de la Fronde appartient à son passé.
I. Crise ou instabilité ?Les historiens qui liaient transformations économiques et sociales n'imaginaient pas le passage d'un "mode de production" à un autre sans rupture déchirante, expliquant du même coup la "grande divergence" et l'avance cumulative de l'Europe sur le reste du monde. Ces conceptions font sourire, aujourd'hui que nous avons grandi et que, en sortant du structuralisme, de l'industrialisme, du modernisme et de l'eurocentrisme, nous (hélas, pas tous !) avons découvert les points communs de toutes les sociétés non industrielles, notamment leur instabilité et violence chroniques qui disqualifient la notion de "crise" (§2) et donc anéantissent le thème de la crise du XVIIe siècle dont je retracerai d'abord l'évolution historiographique (§1). 1. La crise du "XVIIe siècle"Après avoir esquissé l'arrière-plan du thème (a), nous verrons sa fortune dans les années 1960 et sa reformulation aujourd'hui (b). a) l'arrière-planIl est double : dans l'espace, la concomitance des troubles dans plusieurs pays européens (i) ; dans le temps, l'idée d'une rupture autour de 1650 (ii). i- rapprochements européensLes Parisiens du temps de la Fronde n'avaient pas besoin de regarder vers Londres, Ils avaient devant eux la reine Henriette d'Angleterre, réfugiée en France depuis 1643. Fille de Henri IV, elle a levé des fonds et des armées pour Charles I dans la guerre civile, elle a vu et vécu une révolution. De nombreux émigrés royalistes ont également traversé et travaillent à une restauration qui se fera en 1660. Quand les troubles commencent à Paris en 1648, Henriette les juge pires que les commencements de ceux d'Angleterre [1]. Mazarin, comme le montrent ses carnets secrets (Chéruel), s'inquiète de la rébellion anglaise dont il attribue les victoires aux concessions du roi : ce jugement lui inspire une fermeté épisodique, souvent à contretemps. Si seules les élites éclairées suivent le détail des événements à travers la Gazette de Renaudot, l'exécution du roi-martyr le 30 janvier (9 février) 1649 constitue un global event européen monstrueux. L'information arrive à un moment chaud : le gouvernement a fui Paris, l'assiège et la capitale révoltée guerroie contre les armées royales de Condé. La décapitation de Charles, unanimement réprouvée, montrant où conduit l'opposition au roi, rappelle les sujets égarés au devoir d'obéissance, ce qui concourt à la paix entre la ville et la Cour (Rueil, 12 mars 1649). Quoique Charles ne soit pas le seul roi qui connaisse une fin tragique, il est le premier auquel on fait un procès public, même fallacieux ; qu'on exécute judiciairement devant la foule, même réticente ; et dont les juges assument la condamnation, même à contrecœur [2]. Dans ce siècle de fer (guerre de Trente Ans), dans cette période de grandes & étranges révolutions, le drame anglais est le plus sombre d'une série noire [3] : comètes ; guerres et extorsions fiscales corrélatives ; "petit âge de glace", mauvaises récoltes, famines, épidémies ; révoltes populaires ; soulèvements nobiliaires... De la Catalogne (1641) à Naples (1647) et la Suède (1650) ; de la guerre civile anglaise (1642/49) aux révolutions turque (1648) et chinoise (1630/1644-83), toute l'Europe, toute l'Eurasie, paraît un tel brasier que la Fronde française a l'air d'une plaisanterie [4]. Les horribles comètes de 1618 semblent avoir ouvert une période tragique [5] : Par une fatalité singulière, ce temps funeste à Ibrahim l’était à tous les rois (Voltaire) [6]. Sans dresser la liste de tous ces drames, survolons les six révolutions que Merriman rapproche pour la première fois en 1936 (Six contemporeneous revolutions [7]) : Catalogne, Portugal, Naples, Angleterre, France, Pays-Bas. La Catalogne se révolte (1640/1652) à la suite de la tentative castillane (Olivares) d'augmenter sa contribution (financière et militaire) aux guerres de l'empire, au mépris de sa constitution (fueros). En effet, la Catalogne, d'abord unie à l'Aragon, puis à la Castille avec ce dernier (Ferdinand et Isabelle), a conservé ses institutions. Autre singularité : la Catalogne est tournée vers la Méditerranée, la Castille vers l'Atlantique. Les violences des troupes castillanes suscitent une émeute populaire à Barcelone (12 mai 1640) qui se transmet aux campagnes : la sauvegarde de l'autonomie et des "libertés" ne masque pas les oppositions entre les masses et les nobles qui font appel à la France. Avec cette aide, et à la faveur de la "révolution" portugaise, les Catalans triomphent d'abord et Olivares est disgracié (1643). Puis la Castille reprend l'avantage et la promesse du maintien des "libertés", comme la réaction aux violences des troupes françaises, conduisent à la réconciliation. Le cas du Portugal est plus simple : la fin de sa dynastie "nationale" (1580) l'a réuni à la Castille qui capte son commerce et ne défend pas ses colonies. La tentative d'Olivares d'augmenter les taxes suscite l'opposition qui, encouragée par la promesse d'un soutien de la France et par l'insurrection catalane, provoque un coup d'Etat dynastique, remettant la couronne dans la ligne royale portugaise (Bragance), en décembre 1640 [8]. S'ensuit une guerre entre les deux pays (jusqu'en 1668), très largement déterminée par le contexte international. Sept ans après, c'est la révolution de Naples, possession aragonaise (Alphonse le Magnifique) à présent soumise à la Castille. Le traitement "colonial" et la pression fiscale entrainent un soulèvement populaire contre le vice-roi castillan. En octobre, sont proclamés la fin de la domination espagnole, la "république" et l'appel à la France. Son aide manquant d'efficacité (Guise et ambiguïtés de la noblesse locale), les Castillans répriment, punissent et reprennent le contrôle (1648). La "révolution puritaine" anglaise est d'une autre ampleur : sur fond de pression fiscale "illégale" (tonnage & poundage), d'autoritarisme royal et de conflit ecclésiastique et religieux (épiscopat anglican vs Puritains), les liens entre l'opposition anglaise et les presbytériens écossais armés mettent Charles I en position de faiblesse. L'usurpation croissante des prérogatives royales par le Parlement culmine fin 1641 quand il se donne le contrôle de l'armée. S'ensuivent la fuite du roi et sept années de guerre civile que la non convergence des paires en conflit-négociation (armée, Ecossais, Presbytériens, roi : six binômes) conclut par l'exécution de Charles (janvier 1649) et la proclamation de la "république" cromwellienne (1653). La Fronde française, à la différence des soulèvements populaires antifiscaux réitérés, mobilise la "classe politique" et naît de l'affaiblissement du gouvernement en raison de la minorité du roi : le Parlement et les Grands disputent le pouvoir à Mazarin et se le disputent. De 1648 à 1652 ou, plus largement, de 1643 à 1661, s'emboitent et s'enchevêtrent les luttes pour les "libertés" (privilèges) du Parlement, des gros bourgeois, des Grands, de la noblesse seconde et du clergé. Enfin, la "révolution des Pays-Bas" ne mérite guère cette appellation. Le passage d'une semi-monarchie à une oligarchie bourgeoise est dû à un accident : la variole dont meurt le Stadhouder Guillaume II d'Orange à 24 ans alors qu'il était en pleine affirmation politique, marchant sur les traces de son oncle Maurice. De son vivant, soutenu, bon gré mal gré, par Leurs Hautes Puissances Messeigneurs les États généraux des Provinces Unies, Guillaume avait toutes les cartes en main, malgré l'opposition craintive de la Hollande. Sa mort soudaine libère les énergies et la Hollande prend le leadership (de Witt), jusqu'à ce que l'année de tous les désastres (1672) permette à Guillaume III, fils posthume du précédent Guillaume, de rétablir une semi-monarchie, avant de devenir roi "constitutionnel" en Angleterre (1688). Quoique chaque séquence ait sa propre dynamique que les historiens du XIXe siècle, soucieux de construire une histoire nationale, travailleront à recueillir et expliciter, toute cette agitation dans des pays voisins et à des dates voisines pousse à la généralisation. La "grande rébellion" anglaise, devenue "révolution" pour donner un ancêtre à la révolution française (Guizot) ou pour illustrer la "révolution bourgeoise" libératrice des forces productives, semble être la matrice de la démocratie représentative. Ainsi expliqués par leur futur commun, industriel et démocratique, les troubles du XVIIe siècle perdent leur contexte et se ressemblent, en tant qu'origines de la "modernité". ii- le XVIIe : une rupture ?L'historiographie française a longtemps chéri le siècle de Louis XIV dont elle voyait les germes dans l'association gouvernementale de Richelieu et Louis XIII. Elle le créditait d'avoir commencé à réaliser la centralisation nationale qu'achèverait la Révolution et l'Empire. La Fronde apparaissait aux libéraux comme une aspiration démocratique (prématurée) et aux centralisateurs comme une protestation réactionnaire dont le chaos avait pour seul mérite de faire accepter par réaction un absolutisme stabilisateur [9]. En position intermédiaire entre le dynamisme anglais couronné par la révolution industrielle et la suprématie mondiale et, d'autre part, le conservatisme espagnol débouchant sur la ruine, le déclin et le repli, la France semblait se réformer d'en haut (colbertisme). La crise de la conscience européenne qu'étudiait Hazard en 1932 faisait de la période 1680-1715 une rupture intellectuelle, un passage du moyen-âge tardif à la modernité, de la stabilité au mouvement, de la clôture à l'ouverture, bref une libération de l'esprit : l'Europe devient une pensée qui ne se contente jamais, toute la modernité est déjà là. Finis sæculi novam rerum faciem aperuit (la fin du siècle révéla une nouvelle face des choses). Après un paradoxal équilibre, la Renaissance connaît son achèvement. L'histoire sociale quantitative (Simiand etc.) va dans le même sens. Le mouvement des prix et des monnaies montrerait un retournement de la conjoncture longue : vers 1650, à l'expansion inflationniste du XVIe succède une phase B, porteuse de perturbations et d'innovations car les entrepreneurs sont supposés s'adapter à la baisse des prix et à la rigidité des salaires en diminuant leurs coûts de production [10]. De son côté, l'historiographie anglo-saxonne était d'autant plus encline à faire du dix- septième siècle une période de crises qu'elle le polarisait sur les révolutions anglaises "fondatrices" de la démocratie représentative, du capitalisme, de la révolution industrielle, de la prépondérance britannique et de la domination occidentale. Nous le verrons, la fortune du thème de la "crise du XVIIe" à partir des années 1950 ne résulte pas d'analyses historiques mais d'une nécessité logique : "la fin du féodalisme" au XVe siècle et la "révolution industrielle" sont séparées par trois siècles qui, d'une manière ou d'une autre, doivent avoir le caractère d'une transition. Quoique, en 1954, la "crise générale" naisse d'une problématique marxiste (Hobsbawm), plus généralement, le thème reflète la notion de "modernité" : si, pendant trois siècles, les sociétés européennes oscillent entre féodalisme et modernité, comment les qualifier ? on les fera "prémodernes" (early modern). En tant que telles, elles accumuleront les forces et les tensions qui feront explosion dans les révolutions. Alors, entre les lueurs des siècles "prémodernes", le XVIe siècle "renaissant" et le XVIIIe rayonnant, il reste un trou obscur (two early modern periods separated by a no man's land, de Vries, 2009) : ce sera la crise du XVIIe. b) deux générations du thèmeDans les années 1960, la révolution communiste mondiale que craignait Merriman est souhaitée par Hobsbawm dont l'enthousiasme se transfère à la "révolution du XVIIe", suscitant d'intéressantes critiques (i). Cette première génération de "crise du XVIIe" est renouvelée aujourd'hui par le globalisme climatique (ii). i- Hobsbawm (1954)L'article initial d'Hobsbawm repose sur une argumentation économique dans laquelle l'histoire n'est présente qu'en creux, par l'allusion toute-puissante aux révolutions "bourgeoises" anglaises [11] : après un riant XVIe siècle (hausse des prix et expansion démographique), la conjoncture longue se retournerait, l'économie entrerait en crise, multipliant les conflits de répartition et de "classes", lourds d'implications politiques. N'entrons pas dans le détail d'un long débat dans lequel les généralistes ou les outsiders parlent beaucoup plus que les dix-septiémistes qui ne peuvent pas s'affranchir des faits ni passer par dessus les innombrables différences locales. Le thème ne fonctionne qu'à la condition de rester dans le vague ; produit des généralisations structuralistes, il a besoin de notions englobantes qui, aussi fallacieuses soient-elles, suscitent des comparaisons. C'est la vertu du vice: l'intérêt des dix-septiémistes pour le thème est moins historique qu'heuristique car il contribue à décloisonner les histoires nationales. Dans les années 1950, les oppositions immédiates à l'article d'Hobsbawm anticipent la critique radicale que feront plus tard les "révisionnistes". Il n'est pas surprenant qu'elles émanent de spécialistes de la période qui n'acceptent pas que l'approche transitionnelle sacrifie l'Histoire à un concept. Dès 1959, Trévor-Roper conteste l'explication économique d'Hobsbawm : la "crise" (qu'il accepte : they have so many common features that they appear almost as a general revolution) est de nature politico-sociale (a crisis in the relations between society and the State...[12]). Trévor-Roper sera quelque peu malmené dans la suite du débat. Pourtant, il ne se limite pas à une chronologie (années de troubles en période de contraction économique vs l'expansion du XVIe), ni à l'opposition court/country (que ses adversaires lui reprocheront comme typiquement anglaise). Pour lui, les luttes constitutionnelles (et leurs péripéties locales) expriment un conflit structurel : la croissance de l'Etat aux XVe/XVIe s'est faite sur un mode médiéval (Etat Renaissance) parasitaire. Le splendide gaspillage subséquent pèse trop lourd sur la "société". Alors l'Etat entre en crise : d'un côté, il innove en transformant la structure politico-sociale ("centralisation") ; de l'autre, son organisation et son financement reposent sur un socle ancien inadapté. La rationalisation "mercantiliste" consiste appliquer aux royaumes des politiques et des modes de gouvernance qui ont fait leurs preuves dans les villes. C'est aussi nécessaire que difficile. Si les Pays-Bas se débarrassent de l'Etat parasite dans le cours de la lutte contre l'Espagne et triomphent, l'Espagne échoue à se recalibrer et sombre. L'Angleterre ne fait pas une révolution mais un nettoyage. La France se trouve dans une situation intermédiaire, la réformation viendra d'en haut (Colbert). Quoique Trévor-Ropper se livre plus à un essai d'interprétation qu'à une démonstration historique, il ouvre une autre voie qu'Hobsbawm, en récusant le déterminisme économique et en posant l'autonomie du politique. Plus aiguë est, en 1969, la critique de Elliott. Sans théoriser ni généraliser, Elliott raisonne en historien de la période dont il a une connaissance approfondie par ses travaux sur l'Espagne des XVIe et XVIIe siècles. Il qualifie d'anachronique l'importance que la révolution puritaine reçoit de la révolution industrielle dont elle serait le prélude [13]. Au contraire, il faut analyser les troubles dans leur propre temps. Elliott s'étonne de la focalisation sur les années 1640 alors qu'on rencontre tant d'autres troubles dans le passé, notamment pendant les années 1560 que personne n'a songé à qualifier de "crise du XVIe". Nous ne devrions pas, soutient-il, privilégier les soulèvements populaires : en quoi, dans leur temps, sont-ils constitutifs de "crise" ? Nous, aujourd'hui, choqués par la misère des masses, nous leur prêtons notre indignation (et écrivons leur programme). Il faut oser poser la question brutale : dans leur temps, cette misère et ces révoltes importent-elles ? did they make any difference ? [14]. Les fréquentes furies populaires sont des faits habituels que, tout en les craignant, des membres de la classe dirigeante tentent d'utiliser. Mais, pour réussir, ces mécontents, toujours une minorité, ont besoin que, dans leur "classe gouvernante", une partie des non engagés penche vers eux. Leur succès dépend donc de l'évolution de la balance roi-émeutes qui pousse les non engagés dans un sens ou dans l'autre [15]. Trop d'émeutes les fait basculer du côté du gouvernement. Dans une société verticale, l'intérêt de classe n'existe pas, les solidarités sont limitées et la dépendance des rebelles à l'égard de l'étranger (Ecosse pour l'Angleterre, Espagne pour la Fronde etc.) atteste de leur faiblesse et de leur fragilité. Elliott, trente cinq ans plus tard, dans sa contribution au livre bilan édité par Philip Benedict (2005, Early modern Europe : from crisis to stability), reprend ces idées. Il insiste sur l'instabilité essentielle des sociétés européennes prémodernes (the inherently unstable character of early modern European societies, endlessly prone to riots and revolts) et, par conséquent, le caractère non exceptionnel des troubles du milieu du XVIIe [16]. Plutôt que des "révolutions", ce sont des réactions au dynamisme de l'absolutisme. Le débat, quoique biaisé, a eu le mérite d'ouvrir les unes sur les autres des histoires nationales insulaires. Toutefois, la sympathie pour les révoltés a limité les comparaisons aux "sociétés" en ébullition, sans les confronter aux autres, celles qui, au même moment, sont restées non révolutionnaires (parfois paradoxalement : Castille [17]). En conclusion, Elliott note avec amusement que la crise du XVIIe européen est ressuscitée par des historiens du climat [18]. ii- le globalisme climatiqueCe nouvel avatar est à la fois puissant et frustrant. Tandis que, initialement, le thème s'inscrivait dans l'histoire européenne, et même ouest-européenne, avec (révolution industrielle oblige) une forte référence à l'Angleterre, aujourd'hui, le rejet de l'eurocentrisme élargit l'horizon. C'est une crise globale, à l'échelle du continent eurasiatique et, dans une certaine mesure, de toute la planète, que montre à présent Geoffrey Parker, un vétéran du vieux débat (cf. Parker, Smith, 1978). Son énorme ouvrage (Parker, 2013) surfe allègrement sur notre sensibilité au changement climatique et à la mondialisation. Il dépasse les histoires nationales et l'histoire comparée en magnifiant le facteur climatique commun : le "petit âge glaciaire" que les technologies actuelles lui paraissent permettre de documenter directement. Quoique remarquable, ce livre ne convainc pas. L'auteur pose fortement son "paradigme glaciaire" (refroidissement, événements climatiques extrêmes, séismes et volcans, mauvaises récoltes, famines, épidémies) : la démographie qu'avait stimulée le bon climat du XVIe se heurte aux ressources réduites ; une catastrophique dépopulation d'un tiers rétablira la proportion. Le lecteur n'est pas surpris de voir ces calamités s'accompagner de troubles. Mais l'auteur ne définit pas le schéma de ces troubles très divers et laisse à l'intuition du lecteur le soin de deviner leurs rapports avec la crise climato-alimentaire. Or, des révoltes populaires ne font pas une crise politique, toute crise politique n'aboutit pas à une révolution et la nature de la "crise" n'est pas explicitée. Jan de Vries : He has converted the crisis of specialists into a thumping good read with a contemporary moral [19]. La préface à la nouvelle édition (2014) ne répond pas à cette critique fondamentale. Le lecteur doit se satisfaire des points communs et des synchronicités : il y a presque partout, presque en même temps, crise alimentaire et troubles socio-politiques. Mais quelle est la matrice qui, à partir des accidents climatiques, engendre des "rébellions" politiques et permettrait de parler de global crisis ? Le lecteur ne le saura pas, l'auteur ne lui donne pas la séquence globale, seulement des développements locaux (quasiment monographiques) dont l'empilement crée l'apparence d'un lien entre dérèglement climatique et dérèglement "social" [20]. En réponse à la proclamation de ces thèses en 2009 (JIH, 2009), de Vries, lui-même dubitatif à l'égard du "petit âge glaciaire" [21], s'étonnait déjà de cet usage du climat : The crisis concept has a natural ally in the Little Ice... With climate, as with so much of the general crisis literature, there is a great deal of suggestive correlation but much less in the way of convincing causation [22]. En effet, les relations causales n'ont qu'une fausse évidence : l'impact des températures et du climat sur les récoltes n'est pas linéaire ; complexe, il dépend, en particulier, du moment où la perturbation impacte le calendrier agricole. D'autre part, le lien entre récoltes et population n'a rien d'arithmétique : l'intuition malthusienne sur laquelle s'appuie Parker (ressources/population) est discutée par les démographes. L'explication des swings démographiques, est à chercher du côté de la fertility response [23], non de la mortalité qui est chroniquement élevée. 2. De la "prémodernité" à l'altéritéLe nouveau climat historiographique (a) et la mondialisation (b) disqualifient la notion de "prémodernité" (c). a) après le tournant des 1980sEn 2008, l'American Historical Review (AHR) fait le bilan du débat sur la crise du XVIIe (The General Crisis of the Seventeenth Century Revisited). Shank, interrogeant la crise du concept de "crise" et l'usage que peuvent encore en faire les historiens, caractérise la position épistémologique présente : pour l'historiographie devenue consciente d'elle-même (self-conscious), le débat sur la crise générale ne peut pas être évalué indépendamment du cadre qui l'a déterminé. La crise du XVIIe n'est pas un donné qui attendait les travaux des historiens, mais un construit qui connecte l'analyse empirique à des hypothèses théoriques pour déterminer en même temps un objet ("la société du XVIIe") et ses attributs (la dynamique de crise). Les réifications qui sous-tendent la crise générale suscitent aujourd'hui le scepticisme et rendent son avenir problématique [24]. Dans son article de 2005 déjà cité Elliott note le tournant "déconstructiviste" qu'opère à partir des années 1970/80 le reflux du déterminisme et du structuralisme, tout en exprimant sa réticence à l'égard du "révisionnisme" postmoderne [25] qui, pourtant, me semble-t-il, renforce et développe l'une de ses thèses les plus importantes : les instruments forgés pour les sociétés "modernes" sont anachroniques car les sociétés "prémodernes" (appelons-les ainsi encore un instant) présentent une instabilité inhérente. La notion de "crise" et, a fortiori, celle de "révolution" n'ont pas cours. Elles y ont été projetées, au milieu du XXe siècle, par la crainte (Merriman, 1938) ou l'espoir (Hobsbawm, 1954) d'une révolution communiste mondiale, aujourd'hui aussi incongrue que la question de la prédestination et de la grâce qui, en son temps, fut vitale et sanglante. Aujourd'hui, la critique du concept de "prémodernité" repose sur deux arguments liés : 1) cette caractérisation sert à boucher un trou dans la transition à la modernité ; 2) cette périodisation et cette transition n'ont de sens que dans l'histoire européenne : west vs rest. De même que l'achèvement des Etats-nations avait engendré des histoires nationales segmentées, de même la mondialisation suscite le besoin d'une histoire globale (world history) qui explique autrement l'émergence du capitalisme en Europe et la "grande divergence". La légende de
la révolution industrielle
développait (avec
des variations) le thème de la "libération des forces productives" des
rapports sociaux "féodaux". Les pays qui n'en bénéficiaient pas
restaient sur place, même quand, initialement, ils étaient aussi ou
plus
prospères que l'Europe. Pour la critique "californienne" (Goldstone,
1998), Early modern est un "dix-neuviémisme"
trompeur, issu de l'eurocentrisme [26]
et de la conception
sociologique de l'histoire (évolution des modes de production) :
le grand
trou (1500/1800) entre le féodalisme et le capitalisme appelle une
phase de
transition (The period from 1500 to 1850…
was thus neither clearly feudal, nor clearly modern, but an age of
transition,
or of revolutions… it could with justification be labeled the "early
modern" period, and so it was). Mais l'histoire mondiale montre que des formes marchandes développées ont existé partout, même dans l'Antiquité, même et surtout en Chine, et qu'elles ne conduisent pas au "capitalisme". Au lieu que le west soit la norme et le rest une anomalie, le rest est la norme et le basculement presque fortuit de l'Angleterre l'accident. Loin d'exprimer une "nécessité historique", la "modernisation" est simplement un fait ('modernization' is simply a fact of history). Si l'on appelle "prémodernité" l'émergence de marchés dominés par le capital et la proto-industrie, on la rencontre en des temps et des lieux très divers, parfois pendant des phases relativement longues marquées par d'importantes innovations techniques et organisationnelles. Mais voilà, ces phases ne cumulent pas. Elles pulsent, fleurissent et fanent. Elles ne débouchent pas sur la "modernité". Nous verrons (b) comment s'explique alors l'émergence d'une Europe qui, de 1500 à 1750, se trouvait loin derrière l'Asie [27]. Prenant le contre-pied de l'european story traditionnelle, l'école californienne (Kenneth Pomeranz, Roy Bin Wong, Andre Gunder Frank, Jack Goldstone...) brosse une contre-caricature très stimulante : du point de vue de l'histoire mondiale, l'Europe, longtemps, demeure une société périphérique, conflictuelle et peu innovatrice. Son passé n'explique pas sa prépondérance tardive car ce passé ressemble à celui de toutes les autres sociétés. De 1000 à 1600, la Chine est champion du monde tandis que, à l'extrême Occident du continent, des guerriers primitifs se combattent sans fin. A partir de 1500, certains d'entre eux, comme les barbares du passé, conquièrent des empires en déclin (Aztèques, Incas, Moghols). Jusque vers 1800, rien n'explique leurs succès futurs. La "grande divergence" n'a pas de racines [28]. Quoiqu'on puisse critiquer cette réécriture, rester perplexe devant ses arguments quantitatifs [29] et s'irriter de ses raccourcis [30], sa vertu heuristique est indéniable : à partir du moment où la "crise du XVIIe" cesse d'être aspirée par la "révolution industrielle", les troubles redeviennent des faits historiques dans leur propre temps. On peut interroger leur concomitance (guerre de Trente Ans ? émergence de l'Etat ?) ou faire des allers- retours enrichissants en examinant leur passé, sans que l'analyse soit biaisée par leur prétendu futur. C'est dans cette voie que s'engagent des historiens du champ. La contribution de Dewald (2008) au forum de l'American Historical Review déjà mentionné passe en revue les contextes historiographiques de l'apparition du thème de la "crise du XVIIe", de ses développements et de la critique actuelle. Le thème, né de la rencontre de l'histoire sociale française et du structuralisme marxiste [31], s'est développé en tant qu'effort pour comprendre la modernité européenne, à la fois pour elle-même et pour les leçons à tirer en matière de "développement". Dans un second temps, le reflux du structuralisme, désencastrant le politique du social, a légitimé l'autonomie du premier, donnant raison à Trévor-Ropper et Elliott : en quittant le statut de sous-produit pour celui d'objet, le politique s'ouvre à l'examen. Dans un troisième temps, le passage de la "modernité" à la "postmodernité" relativise l'importance de l'industrie et, dans l'autre sens, révèle la "modernité" de certaines formes de capitalisme pré-industriel. Toutes ces évolutions conduisent à ne plus chercher l'origine de la divergence dans des facteurs et processus à la fois intrinsèques et déterministes (explaining divergence between Europe and the rest of the world in terms of essential qualities internal to each) mais, au contraire, à s'intéresser aux facteurs exogènes et aux hasards. De ce fait, la "crise du XVIIe" disparaît (the crisis of the seventeenth century loses most of its significance as a social historical event) [32]. Ce qui se produit autour de 1650 à différents endroits du continent ouest-européen ne constitue pas une "crise", encore moins une "crise générale" transitionnelle. Renonçons donc à "prémoderne" (early modern), ce qualificatif captieux, traduisant (et provoquant) une aspiration par le "futur". Récusons la rétrodiction au profit d'une approche "indigène". Les ensembles humains (pour ne plus dire "sociétés") d'ancien régime (au sens large) partagent quelque chose d'essentiel qui les distingue tous des "sociétés industrielles" : l'Europe du XVIIe est plus proche de la Chine que de l'Europe du XIXe. Selon la légende (à laquelle certains n'ont pas renoncé), le capitalisme naît en Occident parce que celui-ci en contenait les prémisses. Pour rompre le cercle (l'œuf et la poule, la vertu dormitive de l'opium...), les "Californiens" annulent la coupure spatiale (west/rest) : la révolution industrielle en Europe n'est pas endogène. b) redistribution des cartesLes "révisionnistes" s'engouffrent dans une avenue, tracée dans un autre cadre, celui de la démographie historique (Wrigley, 1988, Continuity, chance & change : the character of the industrial revolution in England) : le lièvre (population) perd la course malthusienne contre la tortue quand la croissance des ressources devient exponentielle ("révolution industrielle"). Sur quoi repose l'opposition entre ces deux régimes ? Les sociétés "non industrielles" sont condamnées aux cycles. Dans les phases positives, la croissance reste asymptotique car elle repose sur des flux de ressources naturelles. La quantité d'énergie disponible, qu'elle provienne du muscle, du bois, de l'eau ou du vent, à la fois limitée et dispersée, ne permet ni la concentration des machines ni le choix de leur localisation. De plus, elle est diminuée par la concurrence que les ressources se font entre elles : le même bois ne peut pas servir de combustible et de matière première ; la nourriture de l'animal, qu'il soit source d'énergie ou de matières premières (laine, cuir, etc.), se fait aux dépens des cultures destinées à l'alimentation humaine ou à la production d'autres matières premières. Aussi, les périodes de croissance, extensive (et même intensive), finissent par buter sur les limites naturelles, ce qu'exprime le fameux pessimisme des économistes classiques (Smith, Malthus, Ricardo) : les rendements décroissent (croissance asymptotique) parce que le rapport des ressources aux besoins se dégrade. Wrigley qualifie d'organique ce type de production. Ce qui rend possible la croissance exponentielle ("révolution industrielle"), c'est qu'elle ne se fait plus au fil de l'eau, du vent ou du muscle. Elle repose sur des ressources pré-accumulées, en stock, d'abord le charbon qui, à l'horizon des hommes de la révolution industrielle, représente un potentiel illimité que la machine à vapeur permet à la fois d'extraire (pompage) et de transformer en énergie. A partir de ce moment, l'énergie devenue disponible, transportable et concentrable, permet le capitalisme usinier et, en déchargeant les autres ressources de leur fonction énergétique, a le même effet qu'une multiplication de la superficie des forêts et des champs. Ces sociétés minérales (mineral-based) sont doublement capitalistes, dans les rapports sociaux et dans les rapports à la nature. La Hollande a profité du premier et, faute du second, n'a pas "décollé". L'Angleterre aurait pu, aurait dû, prendre le même chemin sans une série de hasards, une bénédiction imprévue [33] (it seems prudent to regard such growth not as a structural feature.. but as an uncovenanted blessing). Cette rupture est longtemps restée inaperçue car la perspective "unitaire" (un même processus des Tudor à Victoria) a confondu deux types différents de croissance économique : avant 1800/1850, la croissance s'inscrit dans le cadre d'un régime tendanciellement stationnaire (organic society [33b]), tandis que, après 1850, une disponibilité énergétique illimitée lui donne une dynamique exponentielle, en Angleterre d'abord, puis dans les pays voisins, et enfin à l'échelle mondiale. La révolution est casual (accidentelle), non causal (structurellement déterminée). Le cas normal est la Hollande : croissance capitaliste, expansion, stagnation, déclin. Les floraisons (efflorescences) des "sociétés organiques" finissent toujours, partout et pour la même raison, par faner. De ce fait, poursuit Wrigley, passant de "l'infrastructure" à la "superstructure", la "révolution bourgeoise" ne conditionne pas la révolution industrielle. Elle favorise le capitalisme dans une société organique sans être un passage obligé : les nouvelles sources de croissance sont neutres à l'égard du contexte social et politique (the neutrality of the new sources of growth with respect to social and political context). Cela est vrai des révolutions industrielles initiales comme de leur exportation ou imitation. Et cela est vrai malgré l'histoire anglaise : que la révolution bourgeoise précède la révolution industrielle, c'est un fait, non une nécessité ; comme le montre la diffusion mondiale de la révolution industrielle, elle s'accommode de toutes sortes de contextes, qui peuvent ne pas changer ou changer indépendamment d'elle (out of phase) [34]. Les "Californiens" des bords du Pacifique ont adopté ce point de vue avec enthousiasme. Alors que l'Histoire était centrée sur une Europe occidentale prédestinée à inventer la croissance exponentielle et à devenir maître du monde, les cartes sont redistribuées : la continuité temporelle de la révolution industrielle (processus unitaire anglo-européen) est remplacée par une continuité spatiale (communauté fondamentale de toutes les sociétés organiques) ; tandis que, à la rupture spatiale (west/rest), se substitue une rupture temporelle anglaise accidentelle. Quant aux détails du processus de divergence, les Californiens sont moins convaincants et plus divisés [35], mais cela ne nous concerne pas ici. Pour l'histoire "consciente d'elle-même" (self conscious), les constructions historiographiques dépendent de leurs conditions systémiques. La "modernité", née des "Lumières" du XVIIIe et du déterminisme du XIXe, se pensait en termes évolutionnistes, se centrait spontanément sur son "soi" européen et flirtait avec la révolution. La "postmodernité", libérée de l'industrie et de ses origines européennes, désillusionnée de la révolution, les regarde avec détachement. c) banalité des troubles du XVIIeAinsi, les troubles du XVIIe cessent d'être un "moment" de l'ontogenèse du capitalisme européen. Les révolutions anglaises ne s'expliquent plus par la révolution industrielle à venir, ni la Fronde par la révolution de 1789. Il n'y a plus de crise du XVIIe parce que les sociétés organiques paraissent essentiellement crisiques. J'écris "paraissent" car le mot est impropre. La "crise" se définit comme l'étape cruciale d'une pathologie (Shank), guérir ou mourir : pour des systèmes dont l'état normal serait l'équilibre, le déséquilibre est une maladie qui culmine dans la crise. Mais les ensembles humains "ante-industriels", quoique dynamiquement structurés, ne font pas système et ne tendent pas à l'équilibre. Ils sont à la fois trop simples et trop complexes pour connaître la stabilité autrement que sur le mode imaginaire de la Réformation (re-formation), du retour au bon vieux temps, à l'âge d'or de nos pères ou de nos aïeux. Il est donc approprié de les qualifier d' "instables", tant économiquement (floraisons) que socialement et politiquement : une tension permanente habite les relations au sein des groupes "verticaux" et entre eux. Rappelons la question d'Elliott : aussi choquante que soit pour nous la misère des masses, dans son temps, importe-t-elle ? nous dramatisons leurs révoltes auxquelles nous prêtons un sens positif, alors qu'elles sont réactives, parfois spontanées, parfois téléguidées par la petite noblesse [36]. Ces émotions représentent le grand ressac des "sociétés" anciennes : elles fluent et refluent presque en permanence, avec une force et des effets destructeurs variables. Protestations vouées à l'échec, au massacre ou à l'abolition, elles n'avancent que pour reculer. L'image de la bête à mille têtes, familière aux contemporains, exprime la crainte de cette puissance aveugle. Comme la destruction des digues en Hollande, exciter la bête peut anéantir un ennemi mais aussi tout le reste. Aussi (cf. encore Elliott), en période de révoltes, la fluctuation des positions antagoniques au sein de la "classe politique" dépend de la balance entre la peur de la bête et la jalousie à l'égard des autres factions et du gouvernement. Il n'y a pas d' "Etat" qui aurait le monopole de la violence et, sauf le canon — qui n'est pas présent partout et a des exigences limitatives (transport, munitions, réglage) —, la force des armes est à peu près symétrique. La violence privée (individuelle ou de groupe) est un mode d'expression naturel, une espèce de rhétorique gestuelle, articulée aux déclarations, défis et manifestes, et concomitante aux négociations permanentes. Dans ce cadre, poser la révolte comme une déviation explosive de l'équilibre serait inopérant et trompeur. Koenigsberger (1986) remplace "équilibre" par "chaos et rivalités" et suggère que quelque sorte de révolte peut être trouvée à tout moment [37]. Tel est le "vieux normal". Ce n'est pas le nôtre et, de ce fait, nous risquons de percevoir comme pathologiques des comportements et des actions qui, dans leur contexte, sont tout ordinaires. Les historiens du champ procèdent à une critique interne minutieuse de la problématique traditionnelle (encore largement partagée), tandis que les "Californiens", à l'aide de Wrigley, en font une critique externe ravageuse. Les deux se complètent plus encore qu'il ne semble. Voilà longtemps, j'ai reçu une impression fulgurante en lisant que Napoléon va à la même lenteur que Jules César. Je n'ai pas rencontré d'histoire générale qui intègre le temps et l'espace. Seulement, quelques uns notent que, à l'échelle des communications, la France d'ancien régime a une dimension continentale ou que l'étroitesse de l'Angleterre en facilite le maillage. Mais les implications "socio-politiques" ne sont pas envisagées. Aussi, faute de références [38], je me contente de proposer une esquisse à deux dimensions, physique et sociale : à l'échelle des transports qui transmettent les communications (que l'on déplace le messager ou le message), l'espace est à la fois immense et flou ; et dans cet espace incertain, les "chaines de commandement" sont aussi molles qu'entremêlées. On ne peut pas savoir d'avance combien de temps un édit ou un ordre venu de Paris ou d'ailleurs mettra pour rejoindre sa destination, ni quelle sera l'intégrité de la transmission, ni quel degré de conformité aura la réponse. Exécuter les ordres, rendre compte, se faire évaluer et sanctionner, cette séquence s'inscrit dans une temporalité si longue, avec des procédures si vagues, elle offre tant d'échappatoires que, la plupart du temps, c'est un processus dissipatif. Dans une "société" organique, la communication dépend du muscle (humain ou animal), du courant ou du vent. Elle est donc peu efficace et variable. Non seulement il faut des jours et des jours pour aller d'un point à un autre, même en poste, mais nul n'est sûr d'arriver, ni de la façon dont il sera reçu, lui et son message. Les chemins de fer, le bateau à vapeur, les routes et les moteurs, l'électricité et le téléphone, Internet, nous ont habitués à des transports rapides et à des communications tellement instantanées et multilatérales que notre imagination ne parvient pas à concevoir un monde à basse pression et plein de fuites. On dit : l'imprimerie diffuse un même message à la multitude, tandis que la parole ou le manuscrit transmettait un message déformé au petit nombre. Mais l'imprimerie n'est pas la radio, les écrits doivent être transportés matériellement et distribués physiquement : bateaux, charrettes ou hottes de colporteurs ; vent, cheval ou homme. Et les écrits se diffusent de manière orale (lectures publiques, conversations, rumeurs). Ce n'est pas tout. L'emprise du gouvernement sur une telle "société", immense et pluricentrée, passe par des relais, des relais de relais, des relais de relais de relais etc. qu'il est absolument abusif de qualifier d' "administration" (cf. infra). Ces relais ne sont pas des fonctionnaires, des nœuds ou des effecteurs d'une "verticale du pouvoir". Les officiers appartiennent à des congrégations, à des corps, à des parentèles, à des clientèles, bref à toutes sortes de réseaux entre lesquels leur fidélité alterne. Un exemple : l'historiographie traditionnelle de Richelieu mettait l'accent sur son "despotisme" et sur la transmission verticale de ses ordres irréductibles ; l'historiographie récente, sous l'influence américaine (Ranum), le voit coincé entre le haut (Louis XIII) et le bas qu'il meut, moins par dictat que par patronage et clientèles qui sont la colle qui fait tenir le système politique [39]. Le cardinal consacre efforts et argent à constituer, entretenir et fidéliser ces clientèles, presque toujours disputées, rarement unilatérales. D'où, en particulier, un rapport privé-public tout à fait différent de celui que nous trouvons aujourd'hui normal et éthique : la prédation des fonds publics et des honneurs nourrit, directement et indirectement, le service de l'Etat. Cette élasticité des "chaînes de commandement" ne se limite pas à l' "administration civile", elle concerne aussi la guerre et explique de nombreuses bizarreries apparentes dans l'exécution des ordres, les finances et la conduite des opérations. Dans toutes les sociétés organiques, les gouvernements rencontrent la même difficulté à tenir un espace qui est moins centrifuge que décentré, acentré ou polycentré, par le canal d' "agents", eux-mêmes "multicanaux" (réseaux, fidélités, alliances). En fonction de l'histoire, des traditions et des formes sociales, le détail des modalités varie mais la majesté du "pouvoir absolu" ne suffit jamais à écraser la "société", tant il y a de pertes en ligne. C'est donc dans le cadre d'ensembles humains flous, instables et conflictuels que j'examine les troubles français du milieu du XVIIe siècle dont les points communs avec d'autres ne sauraient surprendre. En Europe occidentale, à quelle comparaison utile peut-on soumettre la Fronde ? Excluons les Provinces-Unies et leur "révolution" par forfait (mort accidentelle du Prince). Excluons le Portugal qui fait un coup d'Etat dynastique. Ne retenons ni Naples ni la Catalogne dont le soulèvement exprime les problèmes structurels de "l'Espagne" (monarchie composite et "union des armes", roi absentéiste, prépondérance castillane). Reste l'Angleterre, quoique les différences (structurelles comme événementielles) soient innombrables et les issues à court terme opposées, quoique le champ historiographique des révolutions anglaises soit miné. II. Parallèle anglais : la place du ParlementDepuis trois siècles les historiens de la Fronde et ceux de la Grande Rébellion [40] ont creusé leurs tranchées : ramifiées et profondes, elles ne se croisent pas. Si la recherche s'est intéressée à l'influence des événements anglais sur les français, elle n'a pas jugé leur comparaison pertinente [41]. Cela me condamne à écrire un essai d'interprétation, plutôt qu'une analyse. Pour le récit, je me base principalement sur Russel, 1971, The crisis of Parliaments, 1509-1660 et Moote, 1971, The revolt of the Judges - the Parlement of Paris and the Fronde 1643/52. Je n'ai trouvé rien d'aussi intéressant dans l'historiographie française ni dans les publications plus récentes. Je n'essaierai pas de présenter un résumé, même sommaire, d'évènements surinterprétés par l'historiographie et d'épisodes fameux, mythifiés par la pensée politique, tels que, en Angleterre, la Grande Remontrance, l'exécution du Roi, ou en France, la Charte de la Chambre St Louis, la journée des barricades, etc. Je me limiterai aux repères indispensables. Avant de commencer, notons bien un important élément contextuel : depuis le XVIe siècle, tous les gouvernements en Europe exacerbent le mécontentement car, indépendamment de leurs dépenses et de leur mode de gestion, la grande inflation lamine leurs recettes traditionnelles dont une bonne partie est fixée en valeur nominale. Pouvant difficilement ajuster celles-ci, les gouvernements courent derrière la hausse des prix, inventent de nouvelles ressources, créent de nouveaux impôts, imposent de nouvelles obligations pour s'en faire payer la dispense, s'attaquent aux privilèges et aux "libertés", pratiquent l'emprunt forcé etc. Si les prélèvements traditionnels suscitent la même mauvaise humeur que le mauvais temps, toutes ces noveletés choquent d'autant plus que, le phénomène de l'inflation étant incompris, elles apparaissent comme une offensive injustifiée, tyrannique, sur les revenus et les fortunes du public. Largement inefficace en raison du mode de perception (fermiers), la rapacité accrue des gouvernements modifie l'ordre social (ventes d'offices ou d'anoblissement, enrichissement des financiers) et l'ordre politique : leur approbation est refusée, leur imposition forcée est contestée. Lorsque, dans le cours du XVIIe, la hausse des prix ralentit, il est trop tard : les gouvernements ont pris l'habitude de la "créativité budgétaire" et les "peuples" de la rejeter. Si les finances royales n'étaient pas dans un état aussi dramatique (aggravé par l'inévitable gaspillage et la nécessaire prodigalité), les séquences auraient été différentes. Le Parlement en est le centre puisqu'il doit consentir aux nouveaux impôts, explicitement ou implicitement. De ce fait, ce conservateur de la légitimité (union du Roi et du Royaume) devient le vecteur, le véhicule, de l'opposition au gouvernement. Le texte est divisé en trois points. Le premier justifie le parallèle : en France et en Angleterre, ce sont deux parties différentes d'un même jeu (§1). J'examine ensuite chaque séquence en pensant à l'autre, d'abord la séquence anglaise (§2), ensuite la française (§3). 1. ParallèleAprès la longue période de la wigh history, l'effervescence des années 1960/70 a révolutionné l'historiographie anglo-saxonne. De nouvelles analyses des troubles ont montré que, ex ante, le champ des possibles, s'il était contraint, demeurait ouvert : l'évolution du jeu dépend des interactions dont certaines exercent des effets structurants qui conditionnent les "coups" suivants. Outre son intérêt propre (l'Histoire redevient une histoire), l'approche "révisionniste" de la période (qui a débordé sur le cas français) critique et rejette l'immixtion du futur dans le présent étudié : la réalité est contemporaine, même s'il nous est impossible de deviner ce que pensaient les acteurs du temps et, quand nous le pourrions, de comprendre leur pensée. Les acteurs ne poursuivent pas un programme prédéfini qui les opposerait, ils réagissent aux actions de l'autre camp et à ce qu'ils imaginent être ses intentions. Le conflit est contingency-dependent [42]. Les différences entre la France et l'Angleterre, multiples et significatives (a), seraient rédhibitoires si les deux parties ne se situaient sur le même terrain, celui du roi "absolu-limité" (b). D'où le rôle du parlement comme instance de "médiation" entre le roi et le corps politique. Parliament et Parlement se ressemblent plus qu'ils n'en ont l'air (c). Sans le vouloir, ils mettent en crise la monarchie lorsque les circonstances font de leur légitimité dérivée une légitimité alternative. En ce sens, si les deux séquences ne s'inspirent pas l'une l'autre, elles vont dans la même direction et, de plus, sont à peu près synchrones. a) deux parties différentesLa Fronde, stricto sensu, (1648/52) marque le paroxysme des troubles de la minorité de Louis XIV qui commencent à la mort de Louis XIII (1643) et finissent à celle de Mazarin (1660). L'historiographie traditionnelle y voyait une réaction à l'ordre répressif du gouvernement de Richelieu (1629/1642), lequel, aujourd'hui, apparaît moins offensif que défensif : une tentative toujours recommencée d'imposer l'autorité royale aux peuples en révolte, aux nobles en courroux, aux Huguenots en sédition. C'est la continuation de l'effort de Henri IV dont le règne (1594/1610) n'aura apporté paix, bonheur et prospérité que dans la légende posthume. Au cours de ces phases, si l'équilibre des forces varie, l'instabilité reste permanente, tantôt manifeste, tantôt latente. Quant au beau seizième siècle, il ne fut que troubles et guerres. De l'autre côté, la Grande Rébellion est centrée sur 1642/1649, les années de guerre civile jusqu'à l'exécution du roi dont les prémisses remontent au soulèvement écossais de 1637 et au Long Parliament de 1640. L'historiographie traditionnelle faisait de ces troubles une réaction aux tendances "absolutistes" des Stuart depuis Jacques I (1603/1625) [43], lesquelles, aujourd'hui, apparaissent comme une tentative, plutôt infructueuse, de faire face aux problèmes religieux, extérieurs, financiers et nobiliaires, légués par les Tudor du beau seizième siècle, problèmes qu'aggrave encore l'union personnelle de l'Ecosse et de l'Angleterre instaurée par le double règne des Stuart. Défendre l'autorité royale dans ces conditions représentait une gageure que même des gouvernements plus habiles auraient eu du mal à gagner. Plutôt que de chercher les racines de la "crise" loin dans le passé (Jean sans terre) ou dans le futur (le Parlement démocratique), voyons la comme un épisode dramatique de la tension permanente entre le gouvernement et la noblesse, laquelle se poursuit après 1649, de même que, en France, le règne personnel de Louis XIV hérite des structures et des problèmes antérieurs [44] et s'affiche théâtralement d'autant plus "absolu" qu'il l'est moins. A la suite des travaux de Kettering, Beik, Collins, Mettam dans les années 1980, les auteurs récents ont détourné les yeux du théâtre du Sun King et déniaisé l' "absolutisme". Délaissant la caricature (despotisme) qui a illusionné les XIXe et XXe siècles postrévolutionnaires, ils reviennent au sens contemporain [45]. Ce parallèle entre la France et l'Angleterre, les historiens l'ont refusé ou éludé. Cela s'explique, en général, par les difficultés de l'histoire comparée et, en particulier, par les innombrables écarts entre les deux séries d'évènements, à commencer par leur issue opposée : à "l'échec" de la Fronde succède l' "absolutisme" louis-quatorzien, alors que le "succès" de la Grande Rébellion, après l'interrègne et la restauration, débouche sur la Glorieuse Révolution et une forme de "monarchie parlementaire" qui, via ses théoriciens (Locke etc.), stimulera le libéralisme continental. Chateaubriand : Les guerres parlementaires de la Grande-Bretagne furent les dernières convulsions de l'arbitraire anglais expirant ; les guerres de la Fronde, les derniers efforts de l'indépendance française mourante : l'Angleterre passa à la liberté avec un front sévère, la France, au despotisme en riant (1836, Etudes historiques, tome IV, Paris, Pourrat p 324/325). Ce biais marque l'historiographie française : l'arrimage de la grande rébellion à la révolution de 1789 attrape la Fronde au passage, et la place sous la lumière artificielle de l'absolutisme [46]. La synchronie ne signifie rien : les Anglais jouent Shakespeare, les Français Corneille [47]. En Angleterre, les passions religieuses amplifient et durcissent les positions, sinon des "masses" du moins des activistes, au point qu'on a parlé de révolution puritaine. En France, quoique le parti dévot ou les "jansénistes" se devinent parfois à l'arrière plan des alliances ou des prêches, la religion ne mobilise pas et, surtout, ne clive pas [48] : les Huguenots qui furent actifs sous Louis XIII, à présent ralliés ou résignés, ne feront pas entendre de dissonance avant d'y être forcés par Louis XIV. Au contraire, la Grande Bretagne connaît l'affrontement de l'épiscopalisme royal nouveau style (Laud) et ancien style (Bancroft) ; de l'épiscopalisme et du presbytérianisme ; du crypto-catholicisme de l'anglicanisme arminien (croyances et cultes) et des calvinistes et des sectes ; sans oublier l'hystérie antipapiste que les complots et résistances, réels comme supposés, ne cessent d'alimenter. A cet égard, l'Angleterre évoque davantage la France de la fin du XVIe que la Fronde. Les Ecossais s'insurgent pour ne pas être alignés sur l'église anglicane (covenant, guerres des évêques). Ils sont assez à l'extérieur du royaume pour s'armer et s'organiser librement, et assez dedans pour s'impliquer dans ses rivalités. Sans envisager la dimension idéologique de positions dont la sincérité et la portée nous échappent aujourd'hui, tout se passe comme si, via l'Ecosse attardée [49], l'Angleterre était rattrapée par les conflits religieux du XVIe siècle dont, dans une certaine mesure, le schisme de Henri VIII l'avait préservée. L'Ecosse, l'alliance de grands nobles anglais avec elle, l'invasion "amicale et libératrice", le programme puritain, tout cela dynamise l'opposition au gouvernement et transforme un conflit réglé en processus divergent, potentiellement disruptif. Il n'y a rien d'équivalent en France. Certes, l'Espagne (surtout les Pays-Bas) offre une base arrière et un soutien militaire et financier aux mécontents : la royauté castillane, aux prises avec les "révolutions" catalane, portugaise et napolitaine, voit dans les troubles français l'espoir d'obtenir la paix à des conditions acceptables. Mais la Castille, malgré ses accointances avec le parti dévot, échoue à trouver de vrais alliés insiders. Sans pousser plus loin l'examen des singularités, notons enfin que l'apparent équivalent du Parlement anglais, les états généraux, reste hors jeu. Quoique le Parlement de Paris se voie en substitut, il ne "représente" pas le royaume, ce qui semble faire des deux parlements de simples homophones. b) un même jeuSi l'on en reste aux schémas d'évolution et aux étiquettes institutionnelles, la rébellion anglaise montre un combat d'avant-garde ("démocratiser la centralisation étatique") et la française un combat d'arrière-garde (restaurer les "libertés" médiévales laminées par la centralisation). Mettons donc entre parenthèses (mieux, oublions) les catégories et le futur "constitutionnel" des deux pays pour les remplacer par une analyse empirique. Les sociétés organiques (et non pas "prémodernes") ne constituent pas des "systèmes sociaux" tendant vers l'équilibre. Leur nature est plutôt oscillatoire. L'instabilité récurrente a pour origines la limitation des ressources, la structuration "multiverticale" des allégeances et la mollesse des "chaînes de commandement". L'exercice du pouvoir royal consiste en un compromis pratique, toujours à réitérer, entre d'épisodiques ambitions "absolutistes" du monarque et les libertés de la "classe politique" [50]. Que, face au roi, on nomme celle-ci peuple ne doit pas nous tromper : elle se compose seulement des gouvernants (présumés incarner les gouvernés) : les hiérarques, les nobles (au premier chef les Grands) qui tiennent les territoires, les gras bourgeois qui tiennent les villes, la milice, les confréries, les compagnies et les associations en tous genres. Depuis longtemps, cette dialectique connaît, de chaque côté du Canal, des phases et des moments, parfois liés (guerre de Cent Ans), souvent séparés. Elle reçoit différentes formulations, toutes paradoxales à nos yeux puisqu'elles expriment à la fois le pouvoir absolu du monarque de droit divin et les conditions de ce pouvoir (the king is under the law and yet under no man). Ce qui, pour nous, relève de l'oxymore, "un pouvoir absolu-limité" [51], traduit l'état des possibles et ne préfigure ni n'anticipe les checks and balances de la "monarchie constitutionnelle" postérieure. Loin de délimiter les rapports entre le gouvernement et la classe politique, le paradigme constitutionnel médiéval (ou tardo-médiéval) se caractérise par leur indétermination (d'où l'instabilité) [52]. Les dénominations courantes, monarchie mixte, monarchie tempérée, monarchie limitée, nous suggèrent un partage du pouvoir alors qu'elles reflètent la coopération conflictuelle, le conflit coopératif, propre à tout pouvoir de ce temps. Cette "divergence convergente" a été explicitée à fond dans les "débats" sur la place du pape, tant par rapport aux monarques que par rapport à l'Eglise (pape/évêques, pape/concile) [53]. Les monarques affirment leur obéissance au pape et leur droit divin direct (non médié par le pape) qui assure leur liberté dans le domaine temporel et leur donne la responsabilité de la "police" de leur Eglise [54]. Et le concile de Constance (et ses suites) définit le pouvoir du pape dans l'Eglise aussi subtilement que s'énonce celui du roi : les deux sont semblablement absolus et limités [55]. Cette ambiguïté
fait consensus partout, y
compris dans
l'Angleterre et la France du XVIIe siècle : le jeu de langage qui
conjugue
et oppose "monarque" et "monarchie", s'il se prête à toutes
les variations rhétoriques de l'antithèse/synthèse, peut être résumé
par
l'expression dominium regale et politicum
[56].
Traduisons par autorité du roi et du
corps politique, et osons généraliser, à l'encontre d'une
longue suite d'historiens anglo-saxons qui voient de l'absolutisme
tyrannique (dominium regale) sur le continent et de
la démocratie embryonnaire dans l'île (regale
& politicum) : aucun pays ne connaît durablement un pur dominium regale ; tous combinent regale
et politicum. Ce qui varie, en fonction de
l'histoire, des
circonstances et des rapports de force, ce sont les modalités du et. Indépendamment des théorisations
(Aristote, Augustin, d'Aquin etc.), ce type de gouvernement caractérise
les
royaumes médiévaux et tardo-médiévaux (substituons late
medieval à early modern pour
éliminer l'anticipation véhiculée par l'expression). Les parlementaires anglais qui s'opposent au roi Charles I restent monarchistes aussi longtemps qu'ils le peuvent (cf. infra), les Frondeurs tout le temps, quoi que rêve Batifoll en 1928. Cette ambiguïté séculaire circonscrit l'espace d'un jeu de stratégie. Aussi loin qu'aillent, en temps de conflit, les formulations en faveur du regale ou du politicum, le jeu continue, avec des fortunes diverses et changeantes, tant que chaque côté a besoin de l'autre. L'indétermination des pouvoirs respectifs et des droits réciproques résulte moins d'une impossibilité logique (le "fer en bois" du dominium regale et politicum) que d'une nécessité pratique : maintenir une élasticité suffisante pour permettre la réversibilité des avantages momentanément acquis. C'est en ce sens que j'interprète la fameuse phrase du Cardinal de Retz à propos du voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut dire, tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois qui ne s'accordent (ou ne se désaccordent) jamais si bien ensemble que dans le silence. Chercher un avantage décisif et définitif, c'est quitter le jeu. Dans ce cadre d'affrontement consensuel, les péripéties des rapports de force ne résultent pas d'une tectonique des structures. Moins encore de "programmes" qu'il est aussi vain de chercher dans les textes contemporains que d'induire de schémas sociologiques rétroprojetés ou d'importer du futur (démocratie parlementaire). Les troubles français et anglais montrent deux "parties" sur le même terrain (dominium regale et politicum). Deux parties d'échecs singulières sont des variantes du même jeu, perpétuellement recommencé. Nous allons voir, des deux côtés, des dynamiques de même type, conduisant à des coups, tantôt semblables, tantôt différents. c) Parliament et ParlementJusqu'au milieu du XVIIe siècle, les différences entre Parliament et Parlement tiennent plus aux faits qu'aux structures ou aux doctrines. Par la suite, le fossé se creuse, dans la réalité et, plus encore, dans les représentations. Le Parliament médiéval, fatherized, devient le père de la démocratie représentative et l'incarnation de la "nation". Au contraire, le Parlement, qu'on le voie féodaliser les bourgeois ou embourgeoiser la féodalité, paraît privé de base. Qu'il s'aventure trop loin et il devra se replier, tandis que, croit-on, le Parliament, appuyé sur ses mandants, d'abord défend ses droits, ensuite les étend, enfin se substitue au roi. Dans les années 1640, le contraste semble frappant : Paris parle, Westminster agit. Le Parlement déclare Mazarin ennemi public et invite tout un chacun à lui courre sus. Le Parliament, lui, emprisonne le chef de l'Eglise et le chef du gouvernement (Laud et Strafford), les juge, les condamne et les fait exécuter, sans permettre au roi de les gracier. Ensuite, les deux institutions sont éclipsées par les chefs de guerre. En France, Condé aspire aux récompenses et finit par les trouver en Espagne. En Angleterre, Cromwell violente le Parliament, prend le pouvoir et subjugue l'Ecosse et l'Irlande. La Fronde conduirait à l'absolutisme, la grande rébellion à la monarchie parlementaire (moyennant quelques étapes intermédiaires), validant le stéréotype de Fortescue (bonheur des Anglais participant aux décisions du roi, malheur des Français soumis au despotisme [57]). De même, la whig history a mis l'accent sur la "tradition démocratique" anglaise depuis la Grande Charte de 1215 (magna carta), matrice du pouvoir parlementaire [58] et, par implication, de la modernité. Il s'agirait donc de représentativité. Ce serait alors des états généraux et non du Parlement qu'il faudrait rapprocher le Parliament. Mais une telle comparaison repose sur une triple erreur : i) l'Angleterre ne connaît pas d'états généraux [59] et c'est tardivement (XVIIIe, XIXe) que cette figure continentale du mythe trifonctionnel (Oratores, Bellatores, Laboratores) sera utilisée pour caractériser le Parliament ; ii) en Angleterre, jusqu'à la guerre civile, le Parliament est essentiellement une cour de justice, comme le Parlement, et non une assemblée politique ; iii) en France, les états ont échoué à s'imposer et à s'instituer : cet avortement leur a substitué le Parlement de Paris. Parlement et Parliament constituent une paire d'homologues. Redisons-le, le hiatus constitutionnel entre la France et l'Angleterre vient du futur [60]. Il ne préexiste pas aux troubles et n'en conditionne pas l'évolution. La guerre civile aura le double effet de radicaliser le droit féodal [61] et d'annihiler le Parliament, pendant que, à Paris, le Parlement poursuit son train séculaire. L'assimilation des deux parlements résiste à l'objection de l'élection. Des deux côtés, les Grands siègent de droit ou par décision du roi, les autres sont, en Angleterre, "élus", et en France initialement nommés, ensuite cooptés, enfin autodésignés (achat de la charge). En cela, les formats du Parliament et du Parlement s'éloignent et s'opposent, si l'on s'abuse sur la signification et la portée de l'élection des Commoners par les comtés et certains bourgs [62]. Comme les députés aux états, leur cooptation au sein des gens de bien se fait sous l'influence des "caïds" locaux et des réseaux de patronage. Dans une large mesure, les élus anglais, des comtés comme des bourgs, appartiennent à la petite noblesse (knights of the country), sont des cadets de la noblesse, ou leurs hommes d'affaires, ou leurs "clients" [63]. Ainsi les Commons n'émanent nullement du "pays" mais de la gentry (pas toute, les segments localement dominants). La gentry n'a pas d'équivalent en France. A la différence de la noblesse seconde française, elle ne s'occupe pas seulement de ses propres affaires (favorisées ou bridées par le gouvernement), elle constitue l'appareil local de "l'Etat" (sheriffs et surtout justices [64]). Même opposée au gouvernement, elle en reste le bras local (one party state). Lorsque, excitée par certains Grands et durcie par l'excitation religieuse, l'opposition passera de Westminster au comté, le royaume cessera d'être viable jusqu'au jour où le gouvernement redeviendra, comme le comté, une "coopérative" de la gentry sous la direction des Grands. Dieu bénisse la reine Anne ! En France, la noblesse jouit de pouvoirs locaux propres et certains de ses membres reçoivent du roi des charges, mais la plupart des fonctions judiciaires et "administratives" échappent à la distribution des faveurs par la vente des offices : l'épée ne le pardonne pas à la plume (cf. les états de 1614 [65]). La marchandisation procure des ressources considérables au Trésor (la moitié des recettes publiques !) et, en même temps, soustrait en partie les places et les revenus associés au don/contre-don des réseaux de clientèle. Dans cette mesure, elle crée un embryon d' "appareil d'Etat" (à la fois hypertrophié et sous-développé) qui, s'il n'est pas totalement à la main du gouvernement (propriété des charges), n'est plus à celle de la noblesse (sauf intimidation, patronage ou jeu d'influence). Quoique cette différence entre gentry et noblesse seconde ait des implications "socio-politiques" importantes [66], elle ne fait pas des députés aux Commons des "représentants", sinon du peuple du moins de ceux qui comptent dans le comté ou dans le bourg. Ils ne sont pas tels, ils ne se voient pas tels et ils n'argumentent pas contre le roi sur cette base [67]. Ils interfacent leur base locale et la Cour : d'un côté, ils transmettent les pétitions, publiques et privées, les soutiennent et essaient de leur obtenir une bonne fin ; de l'autre, ils ont le privilège de voir le roi (même de loin) et espèrent grappiller des faveurs qui renforceront leur prestige et position locale. Quand ils seront en opposition avec le roi, ils ne prendront pas appui sur leurs mandants, ils formuleront une protestation juridique. La common law (Coke) et/ou le droit naturel (Parker) serviront à en appeler du roi mal conseillé au roi mieux informé, à l'instar du Parlement de Paris. 2. La séquence anglaiseIl faut d'abord préciser le contexte spécifique (a). J'examine ensuite la dynamique du conflit coopératif (b). La partie se développe autrement qu'en France parce que les rois occupent des positions symétriques (c). a) contexteJe retiens trois points principaux : i) l'héritage Tudor ii) la fragilité d'un Etat composite, iii) l'échauffement religieux. i- Tudors et StuartsEn Angleterre, longtemps, on a aimé opposer l'absolutisme méprisant des Stuarts à la bienveillance de la Good Queen Bess (devenue telle post mortem, précisément comme contre-figure des Stuarts). Si j'ose l'expression, les Tudors se présentent comme des "rois majoritaires" et leurs successeurs Stuarts comme des "rois minoritaires" (et donc agressifs). La recherche récente relativise cette opposition : les seconds n'étaient pas si noirs, ni les premiers si blancs. Au-delà de leurs caractéristiques personnelles et de leurs préférences religieuses, tous ont fait ce qu'ils pouvaient pour 1) éroder les franchises et le pouvoir autonome des grands nobles et les intégrer à la cour [68], 2) cogérer le pays avec la gentry qui tient les comtés, et 3) adapter la position internationale de la petite puissance qu'est alors l'Angleterre aux variations de l'équilibre continental (France, Empire, Espagne). Le roi d'Ecosse, Jacques VI, succède à sa cousine Elizabeth et devient Jacques I d'Angleterre. Cela ne provoque pas de rupture fondamentale [69], pas plus que lorsque son fils Charles lui succède. Leurs démêlés avec le Parlement, emphatisés ex post, restent dans les limites traditionnelles. Lors des disputes (notamment sur les questions financières), la parole royale exagère ses prétentions comme le fait, dans l'autre sens, le discours parlementaire. En dehors des cas où le Parlement s'aventure sur le terrain des affaires de l'Etat, "domaine réservé" du monarque (politique "internationale" et matrimoniale), le conflit standard a pour termes : subsides vs réformation des abus. Le roi veut se faire allouer des ressources additionnelles avant d'entendre les réclamations ; au contraire, le Parlement dont la finance représente le principal levier veut que le roi fasse d'abord justice. L'issue du marchandage dépend des circonstances. Comme de règle, les protestations n'attaquent pas le roi, elles visent les ministres ou favoris dont la fonction d'interface inclut celle de fusible. Puisque, par définition, le Roi ne peut errer, les mauvaises décisions ne peuvent pas être siennes, elles s'imputent au favori s'il en a, aux ministres, aux conseillers, à l'entourage [70]. Le Roi doit alors les défendre puisque ce sont ses hommes et, lorsque ce n'est plus possible, savoir les lâcher : en général, cet exercice ambigu, souvent acrobatique, n'affecte pas la "face" du roi. Même les ministres des finances, ces pièces opératoires qui ont, partout, vocation à être sacrifiés (et remplacés à l'identique), ne peuvent pas être démis et punis sans combat. Si la cible touche de très près au roi (Buckingham), l'abandonner à la vindicte, serait un peu s'abandonner soi-même : n'oublions pas l'extravagante extension de la notion d'honneur en ces temps. Même la dizaine d'années (1628/40) pendant laquelle Charles I ne convoque pas de Parlement ne constitue pas une période aberrante. Pour se passer de consentement, le gouvernement, nécessairement, étend la prérogative royale : mais des rois ont déjà légiféré par proclamations, jugé directement (star chamber comme formation judiciaire du privy council), et imposé des contributions extraordinaires en cas de nécessité militaire (shipmoney). En 1637, le cas Hampden, gagné de justesse par le gouvernement (7 juges sur 12), est exemplaire : Hampden est condamné à payer au motif que le roi a le droit de taxer discrétionnairement s'il y a nécessité, et qu'il appartient au roi, non au tribunal, de se prononcer sur cet état de nécessité [71]. Le gouvernement pouvait oublier le Parlement et ignorer les mécontents impuissants. Jusqu'à quand ? Si la souveraineté appartient au King in Parliament, leur poids relatif varie. Dans l'Histoire anglaise, une phase d'affirmation du pôle royal finit par être suivie de la phase contraire, la transition étant souvent chaotique. Russell (1971) dit, en termes volontairement anachroniques, que l'Etat anglais de ce temps (on est tenté de généraliser à tous les "Etats" late medieval) est un one party state, dans lequel les dissensions, semblables à celles qui existent de nos jours à l'intérieur d'un parti, ne rompent pas la solidarité. Des membres de la gentry protestent contre le gouvernement, réclament la convocation d'un Parlement, pendant qu'ils continuent, en grommelant, à exercer leurs fonctions d'appareil d'Etat sur le territoire, y compris en collectant les impôts royaux "illégaux" : whatever members may have felt, they still helped to work the machinery of local government...It is a part of the politics of the early Stuart period [1620s] that the Crown's opponents at Westminster were also, as an essential part of their social status, its devotal servants in their own districts (Russell, p 302). "L'esprit de parti" est tellement enraciné que la scission, lorsqu'elle se fera, ira à reculons et en hésitant. Jusqu'au bout, les oppositionnels, même radicalisés, négocieront avec le roi, négociations vaines et trompeuses, perpétuellement rompues et reprises, qui nous surprennent, et pas seulement parce que nous connaissons la suite. Si, selon le terme emphatique utilisé par Jacques I, le roi est le "mari" du royaume [72] (représenté par la landed class), ce vieux couple acrimonieux n'imagine pas de se séparer. Le divorce étant aussi impensable qu'impossible, le blocage et la peur conduiront à l'assassinat du "mari". Charles aurait pu continuer longtemps sans Parlement et coopérer avec la gentry par d'autres canaux. Seulement, l'insurrection écossaise (guerres des évêques) l'oblige en 1640 à en convoquer un pour obtenir les subsides nécessaires au financement des opérations militaires. Après avoir simulé une menace de guerre extérieure pour justifier les taxes non autorisées, il se trouve sans ressources suffisantes pour faire face à une guerre intérieure. Ce poids additionnel déséquilibre une situation instable que, bientôt, la révolte irlandaise poussera au point de rupture. ii- l'Etat composite (multiple monarchie)Loin de la tradition ("absolutisme Stuart"), les "troubles" rencontrent une autre histoire : la crise d'une monarchie composite (Koenigsberger, Elliott), synchrone de celle que connaît l'Espagne avec les "révolutions" catalane et portugaise : It is rather ironic that one senses at present the existence of numerous direct parallels between two political systems that have for so long been presented as polar opposites. Perhaps the most striking similarity is the shared condition of ‘multiple monarchies’... (Amelang, 2006, p 50). Après des siècles de combats aux issues diverses, de forteresses et de repeuplement, le pays de Galles a été uni à l'Angleterre sous Henri VIII (acts de 1536 et 1543) ; l'accession du roi d'Ecosse à la couronne d'Angleterre a créé une union personnelle entre les deux royaumes (1603) ; et le "royaume d'Irlande", en attendant d'être à son tour uni, est sous domination anglaise. Dans les Espagnes, le mariage de Ferdinand et d'Isabelle (1469) a uni l'Aragon (déjà une monarchie composite incluant la Catalogne) et la Castille ; puis, la mort sans descendant du roi du Portugal a permis à Philippe II de s'emparer de cette couronne (1580). Ces monarchies composites agglomèrent des ensembles territoriaux qui ne s'agrègent pas. Chacun garde ses lois, ses institutions, ses "libertés", notamment nobiliaires et municipales, et, dans une certaine mesure, son agenda. Le mécontentement de la classe politique locale se nourrit de l'asymétrie de ces unions imparfaites : la "périphérie" (pour faire bref) est privée de la présence royale (et des faveurs) par les gens du "centre" qui monopolisent la Cour et les relations de clientèle associées (cf. Elliott, 1955 [73]). Lorsque, en Espagne, les besoins financiers et militaires de la guerre poussent Olivarès à passer par dessus les "constitutions" locales pour réaliser l'union des armes, la Catalogne se révolte et les difficultés qui en résultent pour la Castille favorisent la "révolution" portugaise, avec dans les deux cas le soutien français. Pourtant, la Castille tient. Si Olivarès est disgracié, si le Portugal et son outremer sont perdus, l'union avec la Catalogne est rétablie. Mais c'est une défaite dans la victoire : à l'heure où la compétition "internationale" prend une dimension organisationnelle et demande de transformer les ressorts en territoires, la monarchie composite de type médiéval est obsolète, ce que traduira le dépeçage de l'empire qui terminera la guerre de succession d'Espagne (traités d'Utrecht et de Rastatt, 1713 et 1714). Le pays de Galles et l'Irlande relèvent en partie d'un schéma de conglomération (quoiqu'ils conservent des structures propres), tandis que l'Ecosse est un cas d'agglomération. Jacques a eu l'idée de fusionner les deux royaumes en se faisant roi de Grande-Bretagne, mais ni le Parlement anglais ni les Ecossais n'en voulurent. L'union personnelle se révèle d'autant plus fragile que l'Ecosse est un chaos ethnique, nobiliaire, ecclésiastique, religieux et international (alliance française) : peu de ses rois meurent dans leur lit. Jacques lui-même, couronné à l'âge de six mois à la suite de l'abdication forcée de sa mère (Mary Queen of Scots), est successivement capturé par tel ou tel groupe gouvernant sous son nom, tandis que son précepteur imposé, le monarchomaque Buchanan, le gave de calvinisme presbytérien à la sauce locale (Wormald, 1983). Comme Olivarès, Charles I veut imposer une forme d'assimilation et, le but commandant le moyen, décide d'en haut, en court-circuitant le corps politique écossais. Son erreur nous paraît encore plus grande que celle d'Olivarès car, si nous comprenons les raisons de ce dernier (la guerre avec la France et l'épuisement de la Castille), nous restons perplexes devant l'assimilation religieuse que veulent imposer Charles et son primat Laud, rompant avec la prudence de Jacques qui, assez habilement, avait réussi à faire coexister les évêques et les Presbytériens (as near as can be). La provocation que représente l'exportation en Ecosse du Book of Common Prayer (1637) suscite le covenant, la révolte, la guerre et permet aux mécontents anglais impuissants d'importer le coin qu'ils glisseront entre le roi et le royaume [74]. Sans cesse, au cours des troubles, en Angleterre et même en Irlande, l'Ecosse, tantôt passager clandestin, tantôt cavalier libre, arbitrera entre les parties anglaises. Question contrefactuelle : quid de l'Angleterre du XVIIe si le roi était resté anglais ? par exemple, si Arbella Stuart, descendante de Henri VII au même degré que Jacques, avait succédé à Elizabeth, laissant à part l'Ecosse qui serait restée l'éternel voisin dangereux. iii- l'échauffement religieuxIl faut enfin préciser le paysage religieux. Décrivons sommairement l'éventail des tendances : une "gauche" puritaine et une "droite" catholique, avec à "l'extrême gauche" les Presbytériens écossais et à "l'extrême droite" les Jésuites et leurs affiliés (Jesuits are nothing but Puritan papists, James I, 1609). Au "centre", penchant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, l'église anglicane majoritaire. Les tensions sont à la fois religieuses (théologie et culte), organisationnelles (évêques vs synodes et anciens), et patrimoniales (bénéfices). Elles s'approchent de la rupture lorsque l'épiscopalisme anglican adopte l'arminianisme, the english protestant equivalent of the earlier catholic conter-reformation (Solt, 1990), une doctrine corrigeant les excès du calvinisme. Les Puritains lui reprochent de flirter avec le catholicisme : le refus de la prédestination redonne leur place aux œuvres et l'église, l'autel et le surplis sont réhabilités au détriment du prêche. Notre vision est biaisée car nous surpondérons les "idéologies" articulées, celles qui correspond most closely to our notions of what an ideology should be (Elliott). En outre, il nous est impossible de distinguer dans ces querelles la part de la conviction et de l'affichage. Qu'il y ait un noyau de convaincus, voire de fanatiques, cela est certain. Mais ne confondons pas l'analyse des textes et l'analyse politique. La scission au sein du one party State ne s'explique pas par le hiatus religieux : la masse des "non engagés" ne bascule que lorsque la valeur de l'option d'attente devient nulle. Alors, à la suite de cette radicalisation négative, le drapeau des "durs" recouvre des positions et des intérêts, non pas communs, mais, à cet instant, moins opposés entre eux qu'aux positions et des intérêts d'un "camp" adverse qui s'est formé de la même façon, comme nous allons le voir. b) dynamiqueEn 1640, la mobilisation politique et militaire des Puritains écossais contre leur propre roi Charles I déborde sur l'Angleterre dont il est également roi (union personnelle depuis Jacques VI & I). Cette insertion des Ecossais dans les rapports de force anglais rompent leur relatif équilibre [75]. Adamson (2007) a minutieusement analysé la manière dont se noue l'alliance entre certains grands nobles anglais et les Ecossais qui leur apportent (leur vendent) le levier pour faire pression sur le roi [76]. Les brethern écossais n'en sont pas moins haïs et craints par tradition séculaire. Dans ce jeu à trois (three sided), chaque pole craint que les deux autres se regroupent et essaie de les en empêcher en s'alliant avec l'un ou l'autre. Mais chaque paire (roi-Ecossais, roi-Parlement, Parlement-Ecossais) assemblant des intérêts différents ou divergents, l'affrontement dans l'affrontement rend les accords fragiles et versatiles, ce qui finira par faire déraper le jeu et évanouir les règles. En 1640, la révolte écossaise oblige Charles à convoquer un Parlement, le premier depuis douze ans (1628). N'en obtenant pas les subsides demandés pour financer la guerre, il le dissout (short Parliament). Mais la débandade de l'armée royale et le franchissement de la frontière par les Ecossais permettent le coup d'Etat des Grands : appuyés sur leur clientèle et renforcés par la pression écossaise, ils imposent au roi la convocation d'un nouveau Parlement ainsi que les conditions (coûteuses) d'une trêve et, enfin, soustraient au gouvernement les négociations avec les Ecossais. Cela contraint le gouvernement à composer avec le nouveau Parlement (long Parliament) puisque ses difficultés financières ne lui permettent pas de payer les indemnités promises par les Grands aux Ecossais [77]. Toutefois, le piège ne se referme qu'à moitié car ce Parlement ne fait pas bloc contre le roi. Le one party State dure encore et les "tendances au sein du parti" varient en fonction des clientèles, des circonstances, des accidents et des humeurs [78]. Maintes décisions importantes (devenues légendaires par la suite) ne recueillent qu'une faible majorité ou résultent de manœuvres en commission ou de subterfuges [79]. Le Roi reste au centre du jeu qui, comme aux échecs, ne vise pas à le prendre mais à le bloquer. A l'inverse, les pièces de sa couleur cherchent à retrouver des degrés de liberté et à contrôler l'échiquier. Dans cette
partie métaphorique, Strafford (Thomas
Wentworth) tient la place de la dame. Sa perte est-elle pour le roi une
défaite
tactique ou stratégique ? Pendant les dix années précédentes, Strafford a été gouverneur (Lord Deputy)
de l'Irlande qu'il a soumis à toutes sortes d'exactions financières au
bénéfice
du roi, sans ménager ni les anglo-irlandais ni les colons. Appelé en
renfort du
gouvernement anglais à la fin de 1639, l'ouverture écossaise lui est
fatale : le nouveau Parlement le met d'emblée en accusation devant
la
chambre des Lords en même temps que Laud, le primat de l'église
anglicane. Si
le procès de Strafford affaiblit le gouvernement, son excellente
défense fait
tourner court la procédure d'impeachment
(avril
1641). Les Commons l'inculpent alors
de forfaiture (attainder), les Lords
le déclarent tel, le Roi signe le bill, Strafford est
décapité (mai 1641). La trahison
qui l'incrimine
consiste à avoir nui à l'unité du
Roi et du Royaume en soutenant trop le roi [80] ! On
est toujours dans l'ambivalence regale
& politicum. Strafford effraie. Partisan de la manière forte,
il aurait
pu sortir le roi de l'impasse s'il n'avait pas raté tous ses
coups : en
novembre 1640, il manque l'arrestation préventive des leaders de
l'opposition ; l'armée d'Irlande qu'il pourrait jeter dans la
balance a la
mer à franchir ; une fois pris, la tentative de le libérer et de
faire de
la Tour la base de la résistance armée du gouvernement avorte et
déclenche (ou
permet) une mobilisation populaire. Malgré ces échecs et malgré les
Ecossais,
les Commons ont encore peur de
Strafford et craignent qu'il renvoie le parlement et réprime les
oppositionnels. Les Lords ont peur.
Le Roi a peur, il recule devant l'épreuve de force et
Strafford est décapité. Quelle
importance ? Strafford n'est pas Buckingham. Quoique premier
conseiller, il n'est ni favori, ni premier ministre. Avec
lui, le roi perd une grosse pièce, pas encore la partie. L'agressivité
dont
semblent ex post avoir fait preuve
les deux côtés exprime, dans son temps, une défensive désespérée [81]. Les Commons redoutent un ajournement ou
une
dissolution et cherchent à s'en prémunir (bill
des 3 ans etc.). Les Lords, encore
plus divisés que la chambre basse tant que les évêques siègent,
penchent, les
uns pour les opposants des Commons, les
autres pour le gouvernement, les derniers hésitent. Le roi, lui, craint
de
perdre sa prérogative et de se faire réduire à l'état de pupett
king, de duc de Venise.
Troublé et apeuré, il n'a pas conscience de la force fondamentale de sa
position, tandis que les véhéments conseils de résistance de la Reine
(Henriette) portent à faux : elle n'a pas compris que l'unité
du Roi et du Royaume, et non leur
division, est le cœur de la question. Le
Parlement vote des bills qui réduisent la prérogative,
les impose au roi qui les signe et ne les respecte pas. Le Parlement
fait des
remontrances, le roi promet et ne tient pas. Puisque le
Roi ne peut errer [82], on change
ses conseillers (privy council),
remplacés par des hommes du Parlement. Le roi en séduit certains et
neutralise
les autres en contournant son council.
A la fin, après avoir tout tenté, il ne restera qu'à changer le roi... La
peur, davantage que les
idées de quelques
excités, meut les Commons et, lorsque
la tension est extrême, pousse la masse des hésitants vers les
radicaux :
ainsi la pression de la foule et la rumeur d'un coup d'Etat royal
soutenu par
un débarquement français procurent une majorité à la condamnation de
Strafford.
L'anxiété est telle que quand un plancher s'effondre, les commoners
prennent le craquement pour une détonation ou une
explosion, croient sentir l'odeur de la poudre, dégainent leur épée aux
cris de trahison, appellent aux armes et
ameutent la Cité (19 mai 1641) ! A
l'été 1642, le départ du
roi pour l'Ecosse
affole le Parlement [83] qui a
perdu la faveur des Ecossais en raison des retards de paiement de
l'indemnité
et de ses réticences à adopter leur presbytérianisme. Si le roi s'allie
à ses
sujets écossais, ainsi renforcé, il prendra l'ascendant sur le
Parlement. C'est
presque le cas. Charles fait d'énormes concessions et d'innombrables
promesses
mais, comme d'habitude, la division
des Ecossais empêche l'affaire d'aboutir. L'échec du "gambit"
écossais pèse d'autant plus lourd que, au même moment, la monarchie
composite craque de l'autre côté (insurrection irlandaise
et "massacres"), mettant le Parlement devant un dilemme : la
situation irlandaise l'oblige à voter des subsides au roi pour lever
une armée,
mais, si le roi a une armée, ne s'en servira-t-il pas en
Angleterre ? Pour
se protéger, le Parlement s'empare de la prérogative royale de faire la
guerre
et prend l'armée sous son contrôle. Le roi revenu tente maladroitement
d'arrêter cinq leaders des Commons,
joue de malchance, la Cité s'émeut. Inquiet, début 1642, le roi quitte
Londres. Cela
n'ouvre pas encore la
guerre civile. Les
deux partis mettront longtemps à se constituer et à se
cristalliser [84]. La
négociation se poursuit en permanence : en effet, la souveraineté
appartient au King in Parliament, pas
au Parlement, encore moins aux Commons.
Les "Presbytériens" des Commons
se méfient de leurs alliés radicaux ("indépendants") autant que du
gouvernement. Ils voudraient retrouver une forme d'unité avec le roi.
Les
escarmouches militaires ne donnant pas l'avantage au Parlement, il se
résout à
faire à nouveau appel aux Ecossais [85] (aux
conditions habituelles : argent et alignement religieux). Les
Ecossais qui ont
provoqué la crise vont
la résoudre. Cela prouve que, factuellement, les faiblesses de la monarchie composite comptent plus que la
prétendue fragilité constitutionnelle de l'Angleterre ou le conflit de
la gentry avec la Cour. La coopération
conflictuelle entre le gouvernement et la gentry (Parlement)
constituait un système instable mais non
explosif. C'est la
poudre écossaise qui le fait sauter. Sautons
les péripéties. Le
roi, finalement
battu, se rend aux Ecossais qui le vendent au Parlement (1647).
S'ensuit une
course au roi entre les "Presbytériens" du Parlement et les
"radicaux" de l'armée de Cromwell. Chacun s'en empare tour à tour et
négocie avec lui, à la grande peur de l'autre. Finalement, c'est la
menace que
constitue ce roi, défait et dépouillé mais toujours Roi, qui pousse
l'armée à
finir le jeu : épuration forcée du Parlement pour faire voter la
constitution d'un tribunal. Jugement du roi pour trahison.
Condamnation et exécution hâtive (début 1649) [86]. Cela
prouve a
contrario que Charles se trouve pat et non pas mat. Pour sortir
de la longue impasse et éviter la partie nulle, l'armée renverse
l'échiquier.
Dix ans plus tard, en 1660, après la parenthèse cromwellienne [87], le roi
rappelé (Monk), revient et le jeu reprend (Charles II,
Jacques II).
Ce ne sont pas les divergences en matière de constitution qui ont
provoqué la
guerre civile : au contraire, comme le soutient Eccleshall, c'est
la
guerre civile qui a engendré une radicalisation des positions
constitutionnelles. L'ambivalence regale
& politicum donne des arguments à chaque camp [88]. c) le roi en Angleterre et en FranceNotons d'abord que la problématique de l'Etat composite ("polyroi") ne s'applique pas à la France ("monoroi"). Bien que le territoire n'existe pas encore et qu'une multitude de ressorts enchevêtrés constituent un espace hétérogène hérissé de "libertés", il n'y a qu'un seul et unique royaume, la Navarre ne comptant que pour mémoire de l'ancienne union personnelle d'Henri IV. Prenons une vue très cavalière des deux pays. Au XVIe siècle, les règnes français de François Ier et Henri II (1515/1559) sont grosso modo homologues au règne anglais de Henry VIII (1509/1547) : des gouvernements autoritaires et batailleurs (trop vite qualifiés de pré-absolutistes) qui, tant mal que bien, "tiennent" leur royaume. Les difficultés politico-religieuses de leurs successeurs révèlent l'instabilité sous-jacente : François II, Charles IX, Henri III (1559/1589) d'une part ; Edward et Mary (1547/1558) d'autre part. Dans une certaine mesure, quoique décalés dans le temps, les règnes d'Elizabeth (1558/1603) et Henri IV (1589/1610), également mythifiés ex post, semblent revenir à la stabilité mais ne font que balayer la poussière sans la ramasser [89]. Il ne faut pas s'étonner des crises d'éternuement qui les suivent ! Les gouvernements de Louis XIII (1610/1643) et Jacques I (1603/1625) sont conflictuels, ceux du premier Louis XIV (1643/1661) et de Charles I (1625/1649) tumultueux. Ensuite (second Louis XIV, Charles II), l'instabilité redevient praticable. Les successions anglaises, historiquement problématiques, se règlent fréquemment par la force. Les Tudor comme les autres : Henry VII, Mary et, moindrement, Elizabeth. La glorious revolution qui substituera à Jacques II sa fille Marie (et son mari des Provinces-Unies, Guillaume III d'Orange) ne s'écartera pas de cette tradition de prédominance du fait sur le "droit" [90]. Au contraire, en France, la succession est sans problème tant qu'il y a des fils, et même en leur absence. Elle se fait dans l'ordre de proximité à la Couronne. Les fils suivent les pères (Henri II, François II). Les frères suivent les frères (Charles IX, Henri III). Quand il n'y a plus de Capétiens directs (Charles IV), on va chercher les Valois. Plus de Valois ? on va chercher les Bourbons, fils de St Louis. La Ligue ne contestait pas le recours au Bourbon, elle refusait que celui-ci soit huguenot. Le fils de Henri IV lui succède et Louis Dieudonné, fils de Louis XIII, succède à son père. Sauf les débuts de Henri IV, ces dévolutions ne suscitent ni contestations ni disputes. Toutefois, la règle dynastique qui désigne le successeur et assure la continuité de la Couronne a un inconvénient. Le nouveau roi peut être trop jeune et il se produit alors un vide, non pas constitutionnel mais politique : si la couronne a une tête pour se poser, le gouvernement reste vacant, ouvrant la question de la régence et, surtout, de la prépondérance au Conseil : au XVIe siècle, après la mort de Henri II, la jeunesse de François II, puis la minorité de Charles IX ; au XVIIe, la minorité de Louis XIII, roi à neuf ans, puis de Louis XIV, roi à cinq ans. Les Mères s'emparent de la régence (Catherine de Médicis, Marie de Médicis, Anne d'Autriche) et représentent le Roi [91]. Pour régner, il leur faut contrôler le Conseil. Autour d'elles, point ne manquent de parents du roi (en premier, ses successeurs désignés ou possibles), ni de Grands : tous cherchent à s'introduire au Conseil. Ces ambitieux comptent (naissance, honneur, fortune, terres, puissance militaire) et leur poids personnel est multiplié par le "réseau" dont ils sont la tête et qu'ils alimentent en distribuant leurs faveurs ou en devenant les distributeurs ou redistributeurs des faveurs royales. Ils ont des parents et des alliés, des clients, des appuis ; par eux, ils tiennent des provinces, des forteresses, des évêchés, des abbayes et bénéfices ; ils se rapprochent ou s'éloignent des réseaux concurrents, et aussi des Cours étrangères, toujours tentées d'exploiter les opportunités qui s'offrent. Mais, quoique ces minorités françaises excitent des troubles, elles ont aussi pour effet de les limiter en cachant le roi derrière sa débilité. L'enjeu est le gouvernement (conseil) : qui le compose, qui le contrôle, qui agit au nom du Roi. L'enfant-roi est un zéro qui donne sa valeur au nombre auquel il est associé : 1 et 0 font 10, c'est dix fois plus que 1 ! De ce fait, les troubles français suivent une autre ligne que les anglais. Dans les deux cas, le gouvernement est attaqué. Dans l'un, le roi finit par être détruit, dans l'autre les opposants. L'enchaînement de circonstances qui, là, conduit et, ici, ne conduit pas à l'issue fatale, s'explique par la place occupée par le roi : en France, elle est vide ; en Angleterre, remplie, et même trop remplie. L'enfant Louis XIV, en tant que Roi, incarne le pouvoir et la légitimité ; en tant que personne, il reste hors jeu. On se bat en son nom, on le fait parler, on parle à sa place, on dénonce sa capture ou le non respect de son autorité, mais la tempête ne le touche pas, elle frappe le gouvernement, Mazarin et les sous-ministres en premier, la Régente en second. La trop grande proximité de Mazarin à la Régente, fâcheuse, surtout après Strafford [92], est aussi une deuxième ligne de défense : quand cela deviendra inévitable, le duo se défera, la reine fera la concession majeure (et simulée) d'exiler Mazarin pour sauver sa propre légitimité. Au contraire, en Angleterre, le roi est présent, très présent ; actif, très actif. Il ne sait pas ou ne peut pas utiliser les coupe-circuits. Aussi l'opposition au gouvernement finit-elle par se polariser sur sa personne. Les "révisionnistes", brisant avec l'historiographie traditionnelle et la "proto-démocratie" du mythe de la grande charte, décryptent les interactions dont le cumul engendre un processus divergent. A part quelques excités, ni le peuple ni les opposants anglais ne nient la monarchie ni ne veulent la tête du roi. Ici, son
inexistence politique protège un
roi mineur et le
conserve ; là, un roi majeur s'expose aux hasards du combat et
perd.
Perd-il vraiment ? si l'homme laisse sa tête, le Roi est magnifié
par le
drame, assomption que médiatise le christique Eikon
Basilike (The
King’s Book —The portraiture of his sacred majesty in his solitudes and
sufferings) : il devient le roi
martyr des Anglicans (Fast Day du 30 janvier) et même
des
Catholiques [93]. 3. La séquence françaiseComme en Angleterre, le drame de la souveraineté se joue sur la grande scène du Parlement. Après avoir rappelé la capacité du Parlement de Paris (a), nous verrons comment son esprit de retour l'empêche de déraper; A la différence de son homologue anglais, il parvient à ne pas se séparer de son roi (b). a) le Parlement de ParisSingularité française : les parlementaires possèdent leur charge et la transmettent à leur héritier. Au lieu de l'assemblée d'amateurs, épisodique et confuse, qui siège à Westminster, le Parlement de Paris est un corps permanent et réglé de professionnels [94] . Les Commons n'ont de réflexes de corps que dans des situations extraordinaires, quand leur survie collective paraît menacée. Au contraire, le Parlement se comporte en permanence comme un corps. Si cette différence influe sur le déroulement des évènements, les deux instances procèdent de leur Roi, quoique leur histoire n'ait pas suivi le même parcours, ni emprunté les mêmes formes. Contester le gouvernement se fait au nom du Roi et du bien public (common wealth) du Royaume [95]. A Westminster, les opposants s'appuient à la fois sur les antiquités (les périodes de faiblesse des rois médiévaux dont ils vont laborieusement chercher les traces [96]) et sur leur base locale (county/country) ; à Paris, sur la mémoire du passé (registres) et sur la Loi. Dans les deux cas, quelques leaders habiles et convaincus, articulés aux grands nobles, tentent de contrôler une masse relativement indifférente et insoucieuse. Dans les deux cas, le gouvernement ne soumet au parlement que les noveletés, souvent financières : tout le reste est réputé avoir été consenti jadis, soit explicitement, soit tacitement. Le malheur du gouvernement, c'est de devoir multiplier ces noveletés : outre les circonstances particulières qui, à tort ou à raison, appellent des ressources supplémentaires, l'inflation, érodant la valeur des recettes, en exige de nouvelles pour maintenir au même niveau la "dépense publique". Nous examinerons le potentiel du Parlement (i) puis les circonstances du premier épisode de la Fronde (janvier 1648). i- le potentiel du ParlementTribunal de dernière instance (cour souveraine), le ressort du Parlement de Paris couvre les deux tiers du royaume. Aussi incongru que cela nous paraisse aujourd'hui, la justice n'est pas une fonction séparée, elle appartient au Roi dont elle constitue le premier attribut. Le potentiel du Parlement en est à la fois restreint et élargi. Premièrement, restreint. La justice déléguée au Parlement doit céder le pas à la justice intrinsèque du Roi. Le roi-justicier (ou le gouvernement sous son nom) a le droit de juger lui-même en exilant, emprisonnant ou exécutant quiconque ; de soustraire des affaires au Parlement pour les faire juger par commission, de lui en retirer (évocation), d'accorder des privilèges de juridiction (commitimus). Les deux systèmes judiciaires sont enchevêtrés : à différents niveaux, le Parlement du Roi se rencontre avec la justice directe du roi, notamment le Conseil du Roi (grand conseil). Deuxièmement, élargi. Symbiote de la Royauté, le Parlement de Paris constitue l'une des principales pièces de son appareil. Les trois institutions anglaises (Roi, Lords, Commons) fusionnent à Paris. Le Roi a son trône au Parlement, les Grands leur siège, et tout un cérémonial minutieux exalte leur prééminence. Lorsque le roi a besoin d'habiller une décision, il recourt au Parlement qu'il autorise alors, qu'il incite même, à juger du bien commun du royaume. Ainsi François Ier pour nullifier le Traité de Madrid ; ainsi Marie de Médicis et Anne d'Autriche pour se faire attribuer la régence. Inversement, lorsque le Parlement enhardi, s'appuyant sur ces cas, s'oppose au gouvernement, les mêmes lui interdisent solennellement et pour toujours d'entreprendre sur le roi, de se mêler des affaires d'Etat et le renvoient sèchement à sa légitimité dérivée et à ses devoirs qui sont de rendre la justice entre personnes privées, non de s'immiscer dans les choses publiques. Les matières financières incarnent cette ambiguïté. Discrétionnairement, un gouvernement use et abuse des expédients (emprunts forcés, création et vente de charges etc.), toujours insuffisants. Il invente alors de nouvelles ressources fiscales. Ces noveletez rompent l'ordre (présumé consenti) du royaume et doivent être validées, sans quoi l'impôt, à la fois illégal et illégitime, sera contesté devant les tribunaux ou refusé, voire rejeté par la force. Dans la France de la première moitié du XVIIe, les besoins sont sans limite car les finances publiques présentent une faiblesse endogène et cumulative : les recettes fiscales n'alimentent pas le "budget", elles servent de garantie (nous dirions aujourd'hui de "collatéraux") aux emprunts auprès des financiers. Créer un nouvel impôt (et donc potentiellement des recettes futures) permet de nouveaux emprunts. La perte en ligne est énorme car les traitants dont les remboursements futurs sont tout sauf garantis (même en leur concédant la perception des dits impôts et l'usage de la force pour les faire rentrer) compensent l'incertitude par une prime de risque et n'avancent, estime-t-on, que 50 à 60% du montant attendu. D'où leur fortune et leur impopularité. D'où aussi la nécessité récurrente de nouveaux impôts. En les enregistrant dans les formes le Parlement légalise et légitime ces exactions, ce qui, comme en Angleterre, lui donne un levier. En effet, si le Roi tout-puissant se soustrait au Parlement, il perd du même coup la caution de la Loi et se rapproche de la figure universellement réprouvée du tyran [97]. Le Parlement, ainsi sollicité de consentir à la place des états généraux qu'on ne convoque plus depuis 1614, joue avec l'idée qu'il en exerce les fonctions [98]. En tant qu'organe du roi (conseil), il doit enregistrer les édits en les accompagnant, s'il y a lieu, de conseils judicieux (remontrances). En tant qu'organe du Royaume (tradition, états généraux), il doit défendre le bien public et, si les édits lui nuisent, s'y opposer. "Sociologiquement", le Parlement n'est pas une institution désincarnée. Il est articulé aux Grands par des relations de clientèles. Les parlementaires, anoblis ou en voie de l'être, achètent des terres et, bastard feodalists, partagent des intérêts avec la noblesse. Ils participent aussi aux réseaux financiers des fermiers qui avancent au roi le montant des impôts futurs, ce qui les solidarise avec les gouvernements. Ils investissent dans les rentes de l'Hôtel de ville ce qui les solidarise avec les autres créanciers. De plus, le Parlement de Paris, le plus ancien et le plus grand de tous ceux du royaume, se voit et est souvent perçu comme le père des autres. Au-delà des circonstances locales et des conflits de juridiction, l'affinité de culture et de statut entre les parlementaires, engendre un esprit de communauté que, à certains égards, partage la multitude des officiers qui ont payé le droit d'exercer (ou d'occuper) des fonctions publiques, des trésoriers aux forestiers [99]. Enfin, ce Parlement est à Paris où résident aussi généralement la Cour et les Grands, de sorte que les péripéties urbaines prennent rapidement une couleur politique [100]. Il siège au cœur de l'espace symbolique de la royauté, l'ancien palais de St Louis, dans l'île de la cité qu'il partage avec Notre Dame et l'évêché. En face, sur la rive droite, l'Hôtel de Ville. Un peu plus bas, le Petit Bourbon, le Louvre, le Palais-Royal etc. Le Parlement exerce des pouvoirs de police et, bien davantage que l'Hôtel de Ville, assume les fonctions municipales. Les Parlementaires habitent autour du Palais. Ils sont des personnages importants et influents de leur quartier, souvent colonels de sa milice. Ils partagent avec les gros bourgeois (et tous ceux qui possèdent quelque avoir) la peur de l'émeute et du pillage. ii- les circonstancesLa minorité de Louis XIV et le gouvernement de la reine (Mazarin etc.) ouvrent une fenêtre d'opportunités à des forces que le gouvernement de Richelieu-Louis XIII s'était efforcé, non sans mal, de comprimer. De tous leurs incessants combats, un seul est gagné, la pacification des Huguenots : leur religion reste tolérée mais ils sont démantelés ; ils ne constituent plus un "parti" ; ils ont perdu leurs "républiques" et leurs bases militaires. Ce compromis praticable résiste aux dévots, qui voudraient les éradiquer (comme le fera Louis XIV) [101]. Curieusement, alors que, en Angleterre, les controverses et fanatismes religieux semblent rejouer le drame du XVIe siècle continental [102], le terrain de la Fronde apparaît essentiellement "laïc". Même si les curés participent, même si des prélats s'engagent, ils prêchent et s'agitent politiquement. Quant aux Huguenots, ils n'interviennent pas en tant que tels [103], seulement comme personnes ou groupes, au même titre que les autres. Dans les années 1643/48, l'agitation reste dans les limites de l'ordinaire, quoique les effets fiscaux de la guerre avec l'Espagne (sur trois fronts, Catalogne, Italie, Flandres) suscitent des révoltes rurales. Le surintendant Eymery multiplie les nouvelles taxes (édit du Toisé de 1644, édit du domaine de 1645, taxe des Aisés, édit du tarif de 1646). Ayant gratté la laine sur le dos de toutes les bêtes à impôt possibles, y compris les bêtes à corne (bourgeois), il finit par pointer la tondeuse sur les chiens de berger, les officiers (nouveaux offices diminuant la valeur des anciens, renchérissement de la Paulette), déjà titillés par la concurrence que leur font les commissaires [104] et les agents des traitants. La haine d'Eymery et le mécontentement contre le gouvernement explosent. Mazarin, étant à la fois ministre principal et favori de la Régente, cette double qualité rend difficile à la reine de faire sauter ce fusible qui, comme jadis Buckingham pour Charles, la touche de trop près. Mazarin aura beau jeter du lest (changements de ministres), il cristallisera sur sa personne toutes les oppositions, celle des Grands qui voudraient être à sa place, celles du menu peuple souffrant des impôts, celles des officiers, celles des gros bourgeois, celles des soldats non payés. Vive le roi, à bas le Mazarin, tel sera le cri commun [105] qui, de fait, conteste les choix gouvernementaux de la Régente et donc ses pouvoirs, et donc, en parlant à l'anglaise, pose la question de la prérogative. Trop souvent, on néglige, ou même on ignore, le tout premier épisode de la Fronde, en janvier 1648. Pourtant, il anticipe tous les autres, au moins en ce qui concerne le Parlement. Il survient après plusieurs années de tensions parallèles : d'un côté, mouvements de mécontentement des bourgeois ; de l'autre, refus successifs du Parlement d'enregistrer des édits fiscaux sur lesquels il accumule les remontrances. Le gouvernement, empêché d'instituer de nouveaux impôts, relance ceux qui, précédemment concédés par le Parlement, avaient été suspendus par prudence. Le Conseil... témoigna au Parlement que puisqu'il ne voulait point de nouveaux édits, il ne devait pas au moins s'opposer à l'exécution de ceux qui avaient été vérifiés autrefois dans la Compagnie ; et sur ce fondement, il remit sur le tapis une déclaration qui avait été enregistrée il y avait deux ans (Retz, OC1, 299), l'édit du Domaine, qui allait à taxer d'une année de revenus les propriétaires de terres dans le ressort du Domaine royal. Le tumulte de la rue St Denis (8/13 janvier 1648) assemble des centaines de bourgeois qui refusent de se laisser tondre. Ils huent tout ensemble le gouvernement et le Parlement [106]. Le peuple se mutina : attention, il s'agit du gras peuple, les propriétaires, pas du menu peuple. Ils prennent les armes. Le gouvernement fait entrer la troupe dans Paris. Cette violation des privilèges de la ville suscite la crainte et l'exaspération des bourgeois et du Parlement : l’affaire de la rue Saint-Denis constitue l’aboutissement violent d’une contestation bourgeoise qui sert de toile de fond à l’opposition du parlement et forme à vrai dire la condition de sa possibilité politique (Desimone, 1990). Lorsque, aussitôt après (15 janvier), la Régente conduit l'enfant-roi au Parlement pour imposer en lit de justice l'enregistrement de cinq ou six édits tous plus ruineux les uns que les autres, le Parlement, obligé de respecter la présence royale, ne cède pas sans de fortes protestations de l'avocat-général du roi, Omar Talon, et même du Premier Président (Molé) qui commence à trouver délicat d'être à la fois l'homme du roi (qui le nomme) et le chef du corps que constitue le Parlement. Ce 15 janvier n'est pas encore critique. Un Parlement qui grogne et obéit ne gêne pas vraiment : les paroles volent, les édits restent. Seulement voilà, dès le lendemain, le Parlement, toutes chambres réunies, entreprend d'examiner librement les édits qu'il vient d'enregistrer de force. Examiner, c'est-à-dire discuter, contester. Examiner après enregistrement, cela revient à annuler le lit de justice et à passer par dessus le roi. Comment le Parlement ose-t-il faire preuve d'une telle audace ? L'argent, nerf de la guerre, est aussi le nerf de ces crises politiques, en France, en Angleterre, partout. Impensable, impossible, de s'opposer à la majesté royale, ce serait un scandale et un blasphème (cf. 3ème partie). Mais il en va autrement des demandes de subsides ou d'institution d'impôts, dont l'incessant renouvellement multiplie la colère des redevables. Tous les conseillers ne contestent pas. Le Parlement, loin d'être homogène, compte des amis des traitants, des partisans du gouvernement, beaucoup d'indifférents, quelques opposants et un certain nombre d'hommes qui soutiendraient le gouvernement s'ils le pouvaient, s'il était soutenable. Ces membres se disputent entre eux en raison de rivalités de personnes, de réseaux ou d'intérêts. Et, rapidement, ils ne le feront plus en champ clos puisque la grand chambre s'ouvre aux dignitaires ecclésiastiques, aux ducs et pairs et aux grands officiers de la Couronne. Mais quoique les personnes se divisent, leur compagnie s'inscrit dans la logique d'un corps, cimenté par des procédures, organisé par des règles et dirigé par le Premier Président. Le corps se voit uni, non pas au roi en tant que gouvernement, mais au Roi en tant qu'incarnation du bien public du Royaume. Son devoir de conseil l'oblige à défendre (respectueusement) l'intérêt du Royaume quand le gouvernement s'en écarte. Tout se passe comme si, au quotidien, cette doctrine, restait latente, dormante, tandis que défilent les affaires judiciaires et les querelles, tandis que chacun cherche à s'enrichir, à s'anoblir, à s'allier, à caser sa famille. Le "corps" du Parlement, épaissement cuirassé, ne sent pas les piqures d'épingle. Il faut que le fer traverse la carapace pour éveiller la doctrine : on cherche alors les précédents, quelqu'un s'en souvient, sinon on les trouve dans les Registres. Fondamentalement, le discours, toujours le même (3ème partie), exprime ce que Moote (1971) appelle la via media. Dans le conflit, à un moment d'échauffement, les opinions et les arrêts subséquents peuvent outrepasser la doctrine. Ensuite, s'exerce ce que Retz qualifie finement d'esprit de retour : ... bien qu'il parût de la chaleur et même qu'il y eût de l'emportement très-souvent dans cette compagnie, il y avait toujours un fond d'esprit de retour, qui revivait à toute occasion… Il y eut des moments... où ils revinrent à leur emportement, ou par les accidents qui survinrent, ou par l'art de ceux qui les y ramenèrent ; mais le fond pour le retour y demeura toujours (OC2, p 273). Invariablement, le Parlement revient à sa "ligne historique". En ce sens, il constitue une force de rappel qui, à partir d'un certain degré de déséquilibre, entre en action. Dans les faits, ce schéma se traduit de manière souvent confuse et désordonnée. Il ne peut en être autrement lorsque des fonctions publiques aussi essentielles sont exercées de manière privée par des hommes privés, articulés à la "société". Retz, et dans une moindre mesure Mazarin, perçoivent cette importance fondamentale du Parlement : le gouvernement ou l'émeute peuvent violer les parlementaires mais, ce faisant, perdent la légitimité qu'apporte le Parlement et se détruisent eux-mêmes. Encore Retz : Nous soulèverions demain le peuple si nous voulions; le devons-nous vouloir ? Et si nous le soulevons, et si nous ôtons l'autorité au Parlement, en quel abîme jetons-nous Paris dans les suites ? (OC2, p 271). b) dynamiqueLe Parlement va très loin contre le gouvernement. L'excitation l'approche de la ligne rouge que, toutefois, il ne passe pas (i). Malgré la rébellion nobiliaire, il reste au centre du jeu (ii). [107] - la fronde parlementaireRevenant le lendemain sur le lit de justice du 15 janvier 1648, le Parlement engage l'examen des édits fiscaux. Il leur apporte tant de rectifications qu'elles équivalent à une annulation de ce qui a été clairement signifié comme la volonté expresse du "roi". Tout le monde perçoit et ressent ce défi [108]. La reine (Mazarin) répond en mettant les parlementaires au pied du mur : elle défendit au Parlement de continuer à prendre connaissance des édits jusques à ce qu'il lui eût déclaré en forme si il prétendait donner des bornes à l'autorité du Roi (Retz, OC1, 307). Danger ! La reine a touché à la hache ! Elle pose la question qu'il faut taire, à laquelle il ne faut pas même penser. Si il y a de la révolte à s'imaginer qu'on puisse se révolter (comme elle dira au cours de l'été), il y a du sacrilège à imaginer des bornes à l'autorité du Roi. Pis encore, la reine exige une réponse sur une question dont la résolution pouvait estre préjudiciable à l'Estat…(d'Ormesson) [109]. L'unité du Roi et du Royaume est un entre-deux qu'il faut réaménager en permanence et dont il faut cacher la tension. La questionner ouvertement trahit une aigreur maladroite (si c'est la reine) ou une malice (si Mazarin). Certes, la question embarrasse le Parlement : répondre non, c'est se lier les mains pour l'avenir et s'obliger à obéir au gouvernement ; répondre oui, c'est s'avouer séditieux et, en explicitant ces bornes, énoncer les cas de désobéissance légitime dont la connaissance doit rester implicite et recouverte d'un silence religieux et sacré. Le Parlement, tenté par la réponse affirmative, est retenu par les plus habiles qui l'empêchent de tomber dans le piège. Si le Parlement eût répondu… à la ridicule et pernicieuse proposition que le Cardinal lui fit de déclarer si il prétendait mettre des bornes à l'autorité royale, si, dis-je, les plus sages du corps n'eussent éludé la réponse, la France, à mon opinion, courait fortune, parce que la Compagnie se déclarant pour l'affirmative, comme elle en fut sur le point, elle déchirait le voile qui couvre le mystère de l'État ...Ce fut un miracle que le Parlement ne levât pas dernièrement ce voile, et ne le levât pas en forme et par arrêt, ce qui serait bien d'une conséquence plus dangereuse et plus funeste que la liberté que les peuples ont prise, depuis quelque temps, de voir à travers… (Retz, OC2, p 105 [110]). Le Parlement ne donne pas de réponse. Il biaise, comme il le fera l'année suivante pendant le siège de Paris, en refusant de recevoir le héraut envoyé par la Cour ou d'ouvrir les messages royaux afin de ne pas désobéir en forme aux ordres qu'ils portent. Si cette attitude manque de panache et frôle le ridicule, elle est la seule praticable : l'unité conflictuelle ne fonctionne que dans l'implicite [111]. Et sur ce terrain, le Parlement est plus fort que le gouvernement : l'infinie prolixité de sa rhétorique, la multitude des précédents que sa longue histoire lui fournit, les règles ou artifices de procédure qu'il peut invoquer, la confusion même des débats et du phrasé, tout cela lui donne une élasticité qui ne manque pas d'efficacité, à défaut d'élégance. Le Parlement, aussi éternel que l'Etat, peut atermoyer, pas le gouvernement auquel il faut du cash tout de suite. Outre l'aigreur de la reine (le mot revient sans cesse sous la plume de Retz pour qualifier son comportement) et le discrédit que ses négociations contradictoires valent à Mazarin [112], l'urgence fragilise le gouvernement et le prédispose aux décisions rapides et intempestives, aux ruptures imprudentes et aux comportements risqués : une fois la table renversée, retrouver la position des pièces est une gageure. Le Parlement, lui, reste dans le jeu, quoique maints parlementaires soient excédés par les mesures qui les atteignent avec les autres officiers (Paulette, privation de gages, cassation de leurs arrêts par le Conseil du roi) et par la pression urbaine des bourgeois spoliés que répercute à l'intérieur l'agitation des "jeunes" des chambres des Requêtes et des Enquêtes. Outre les moyens routiniers (délais, procédures, délibérations, arrêts, etc.), le Parlement tient en réserve une arme extraordinaire, c'est l'union : union de toutes ses chambres en assemblée ; union du Parlement avec les autres Cours Souveraines du royaume (cour des comptes, cour des aides, grand conseil) ; union avec les Parlements provinciaux... En s'unissant, le Parlement projette une figure collective du Royaume, en elle-même subversive puisque le Royaume ne saurait avoir d'autre représentation que le roi. Ainsi, lorsque Grand Conseil, Chambre des Comptes, Cours des aides et Parlement s'unissent (arrêt du Parlement du 13 mai 1648) et envoient leurs délégués statuer ensemble à la chambre St Louis, le simple fait de l'union est condamnable et condamné [113] : le Conseil d'en haut casse immédiatement l'arrêt d'union et interdit l'assemblée des cours sous peine de rébellion, ce qui n'empêche pas les délégués de se retrouver, tranquille impudence qui, jointe aux moins tranquilles agitations des bourgeois, oblige le gouvernement à accepter ce qu'il ne peut empêcher (28 juin). On a voulu faire des articles de la chambre St Louis (juillet 48) un brouillon ou un prototype de charte constitutionnelle. C'est à la fois moins et plus [114]. Moins : seulement un énième programme de réformation. Plus : alors que le droit d'initiative appartient au seul "roi", les cours se le donnent, se réunissent et statuent discrétionnairement. Ce sont des lois, et non des pétitions au roi comme les cahiers des états généraux. Sans se soucier d'approbation royale, ces articles sont aussitôt validés par des arrêts du Parlement. Après une tentative de compromis, la réaction du gouvernement sera encore une fois maladroite : l'arrestation de Broussel et Blanc-Mesnil (26 août 1648). Elle provoque en contrecoup la fameuse journée des barricades (27 août), pendant laquelle les bourgeois armés (milice), mobilisés à la fois contre la Cour et contre le bas peuple, naviguent au plus près entre la crainte de la répression (l'armée de Condé approche) et celle de l'émeute et du pillage [115]. Citons rapidement les étapes suivantes : première fuite de la Cour (13 septembre) ; sa jonction encore incertaine avec l'armée (Condé hésite) ; les craintes de Paris d'être insulté ou affamé ; la première attaque du Parlement contre Mazarin, le mauvais conseiller (réactivation de l'arrêt anti Concini de 1617 interdisant aux estrangers de s'immiscer dans les affaires du royaume) [116] ; les pourparlers de St Germain fin septembre ; l'acceptation (évidemment insincère) par le gouvernement de la plupart des articles de la chambre St Louis et d'une réduction des impôts (déclaration royale du 22 octobre enregistrée dès le 24). Début 1649, cette séquence se reproduit, amplifiée et dramatisée : après la deuxième fuite du roi (6 janvier), Paris prend les armes et les troupes royales l'encerclent (Condé a opté [117]). Le Parlement, dénonçant l'enlèvement de l'enfant-roi par Mazarin, lance contre lui des arrêts de plus en plus enflammés [118] : dès le 8 janvier 1649, il le déclare ennemi du Roi et de l'État, perturbateur du repos public, et enjoint à tous les sujets du Roi de lui courir sus. Mazarin avec qui les négociations ne sont pas (et ne seront jamais) rompues, se prête bien à ce rôle de tampon, tant par sa fonction que par sa personne. Il semble avoir été créé pour cela : son origine, son accent, son enrichissement, ses erreurs, ses nièces, tout fait caricature [119]. Cette polarisation sur un tampon aussi élastique (il négocie toujours, il promet toujours), jointe, de l'autre côté, à l'esprit de retour du Parlement qui le ramène à la fin, sinon à l'obéissance, du moins au respect, vont protéger, non la monarchie que nul n'attaque, mais le gouvernement de la Régente, au prix de l'abandon des ministres les plus haïs et des deux retraits simulés du Cardinal. Nous voilà à peu près à l'inverse de la configuration anglaise d'un roi régnant depuis longtemps, avec un historique de contentieux et un conseil divisé qui n'a d'autre tête que lui (Strafford, trop isolé, ne sert pas à grand chose). En France : roi mineur donc vierge dont l'image est partout et la personne nulle part ; Régente, tantôt dans les coulisses, tantôt sur la scène, moquée dans sa personne, mais soutenue par sa part de sacralité et l'ombre du roi ; premier ministre incontournable, actif sur tous les terrains et apte à prendre tous les coups. - les PrincesSans détailler la pression des bourgeois (peur, rentes etc.), la menace du menu peuple, et la via media que, en tirant des bords, le Parlement n'abandonne pas, il nous reste à envisager le troisième sommet du triangle, les princes et la haute noblesse. Le gouvernement a pour figure Mazarin, le Parlement Molé, les Grands Condé [120], quoique de nombreux autres acteurs de premier plan (et une multitude au second plan) les entourent, les défendent et les combattent, dans un permanent marchandage d'honneur et d'intérêt [121]. L'historiographie, pour ordonner des évènements embrouillés, distingue la Fronde parlementaire (1648/49) et la Fronde des princes (1650/53) [122]. Elle leur ajoute parfois une Fronde de la seconde noblesse [123], voire une Fronde ecclésiastique [124]. Une telle catégorisation biaise l'analyse, d'abord par les présupposés sociologiques implicitement introduits, ensuite par le raccourcissement de l'horizon temporel, enfin par la disjonction de ces diverses sortes de troubles. Comme les circonstances prendraient trop de place et nous égareraient, restons-en aux grands traits : Condé, général victorieux (Lens, 20 août 1648), hésite d'abord entre la Cour et Paris, se rallie à la Cour (siège de Paris, début 1649), n'en obtient pas les avantages espérés, s'oppose, est emprisonné par le gouvernement pour la joie de Paris (janvier 1650) qui se réconcilie, mais l'arrestation provoque prises d'armes et rébellions en province [125]. Puis, Paris se retourne à nouveau contre le gouvernement : Condé est libéré et Mazarin "exilé" (février 1651). Condé poursuit son opposition, et, ignorant la majorité du roi (septembre 1651), fait la guerre à l'armée royale en Guyenne [126]. Battu, il court sur Paris (début 1652) que vise également l'armée royale. Condé finit par entrer dans Paris (juillet 1652), tente d'en prendre le contrôle, se l'aliène, s'en va (septembre 1652) et rejoint l'armée espagnole. Condamné et déchu (1654), il combattra avec les Espagnols, se fera vaincre par les anglo-français à la bataille des dunes (1658) et, sang royal oblige, sera blanchi et réintégré par la Paix des Pyrénées (1659). Le cousin Condé semble renouer avec une tradition familiale [127], moins personnelle que structurelle, les premiers dans le sang prétendant aux premiers rangs. Mutatis mutandis, son comportement ressemble à celui de son père pendant la minorité de Louis XIII et à celui de son grand-père pendant les troubles de la succession de Henri III. Appuyés sur un patrimoine, des alliances et une clientèle considérables, ancrés dans leur "bourbonité" de fils de St Louis qui les fait participer de la Couronne, les Condé ne s'opposent pas à la monarchie, pas même au monarque. Ils veulent un rôle prépondérant au conseil et un maximum de faveurs royales, tant pour eux que pour les redistribuer : honneurs, provinces, places fortes, abbayes, charges, pensions etc. Du coup, ils se heurtent aux ministres [128], à la Régente qui ne veut pas se laisser mettre en tutelle et à l'armée royale, obligée de s'opposer aux prises d'armes qu'ils font pour appuyer leurs exigences. Notre Condé (Louis II de Bourbon-Condé) embarrasse le ministre premier qui ne peut ni négliger son capital symbolique et militaire, ni le laisser faire. Son arrestation (en compagnie de son frère Conti et de son beau-frère Longueville) est un coup de Majesté dont son père avait déjà été frappé en 1616. Dans une monarchie de type dynastique les les cousins (Condé ici) ou le frère ou l'oncle du roi (Gaston d'Orléans ici) constituent un problème récurrent, surtout quand le roi n'a pas (ou pas encore) de fils. Il faut des princes du sang pour que le réservoir de successeurs ne s'assèche jamais. Leur "royalité" doit être reconnue et magnifiée afin de les mettre en position de régner si besoin mais, du coup, ces rois virtuels ont un potentiel qui en fait des compétiteurs ou des drapeaux. Leur nom seul pèse, même quand leur personne ne vaut rien : ce chef de parti était un zéro qui ne multipliait que parce qu’il était prince du sang (Retz, OC2, p 180)... Je connaissais bien la faiblesse de M. le prince de Conti, presque encore enfant [le jeune frère de Condé]; mais je savais, en même temps, que cet enfant était prince du sang. Je ne voulais qu'un nom pour animer ce qui, sans un nom, ne serait que fantôme (id, p 120). Ce nom, un tel nom, transforme une cabale privée en faction publique. Ailleurs, Retz parle d'une position revêtue : de même que, dans une fortification, une couche de briques ou de gazon protège le rempart du canon, en politique, un nom défend une faction de l'illégitimité [129]. Puisque la plupart sont contre le Mazarin, des alliances et des convergences se nouent et se dénouent. Bien que Condé et le Parlement ne s'apprécient guère, leur opposition commune au gouvernement les fait plusieurs fois converger. Ces coalitions se font et défont, pour des raisons de personnes, d'honneur, d'argent ou de fait. Leur instabilité, plus encore que le manque de sens politique ou le caractère de Condé, explique l'incohérence de ses aventures. Que, appuyés sur le mécontentement de la noblesse seconde, les Grands aient des ambitions prédatrices, rien de moins étonnant dans ce temps. Nous l'avons noté, l'extension et le contrôle des réseaux d'influence dépend du poids symbolique de la tête de réseau et de sa capacité à distribuer et redistribuer honneurs et gratifications. Comme il en va de même de haut en bas, du centre à la périphérie du réseau, chaque maillon doit recevoir le plus possible, à la fois pour se servir et répercuter. Aussi l'appétit de la tête de réseau est-il insatiable. Nous retrouvons ici les troubles anglais : les Tudor ont diminué le pouvoir militaire et territorial privé des Grands et, dans une certaine mesure, les ont intégrés à la Cour (privy council) ; l'accès aux honneurs et largesses que distribue le roi devient une condition du maintien des réseaux nobiliaires et de l'influence territoriale, tant pour les Grands que pour la gentry, poussés à tenter de contrôler la Cour. Présenter comme successives la Fronde parlementaire et la Fronde des princes constitue une double erreur de perspective. Dans la crise que rencontre (et provoque) le gouvernement, toutes les parties réagissent, chacune suivant sa tradition et avec ses moyens, le Parlement avec des arrêts, les Grands avec des armées. Si la minorité du roi et la propension presque hystérique de Mazarin à négocier laissent ouverts les canaux de communication, la durée de l'affrontement augmente la pression populaire et durcit l'expression des positions qui s'échauffent, sans toutefois aller aux extrêmes : ni la monarchie ni le monarque ne sont pris à partie. D'autre part, le Parlement de Paris reste actif, même après avoir fait la "paix" avec la Cour. Il continue à combattre et à condamner Mazarin et, sans satisfaire toutes les demandes de Condé, assume des initiatives de plus en plus entreprenantes dans Paris. Moins impressionnante que les chevauchées des princes, sa via media déplaît à tous. Le mettre à la raison est une tentation permanente dont Retz exprime bien le danger : le lendemain, nous ne serions plus rien. Aussi moqué et vilipendé qu'il soit, le Parlement, du fait même de ses longues robes, de ses bonnets carrés et de ses lentes procédures, reste l'incarnation de l'unité du Roi et du Royaume. A condition de ne pas outrepasser son rôle quand la possibilité le tente ou que la rue le pousse. Il deviendrait factieux s'il allait trop loin car son potentiel n'a pas de limite : ils [les parlementaires] peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu'ils croient pouvoir, au risque, en embrasant le peuple, de se consumer eux-mêmes et de hasarder l'Etat (Retz, OC2, p 104). Ni les soulèvements ruraux antifiscaux ou l'émeute urbaine, ni les prises d'armes des Grands, ni les rivalités et les alliances, ni la grogne de la noblesse [130] et de la bourgeoisie ne sont des phénomènes nouveaux. Intempéries de la météorologie "sociale", ils accompagnent tout gouvernement d'ancien régime. L'intéressant, le singulier, de la Fronde, c'est cette action persistante et prolongée du Parlement, à la fois résolue et confuse, audacieuse et prudente, qui, selon la configuration des rapports de force et les circonstances, lui donne l'apparence tantôt d'une boussole, tantôt d'un frein, tantôt d'un amplificateur. In fine Condé enfui en septembre 1652 et Monsieur incapable de se décider à agir [131], le gouvernement risque le jeune roi dans Paris (21 octobre), quitte ou double imprudent, aveugle et téméraire (Retz) que l'évènement justifiera pourtant, restaurant la Majesté du roi et biffant les désordres. L'amnistie royale ne concerne pas seulement les personnes (presque toutes) mais les mouvements : que le tout demeure nul, & comme non advenu, & que la mémoire en demeure à jamais éteinte & supprimée. Le 22 octobre 1652, le roi vainqueur tient le lit de justice au Louvre, dans la galerie des peintures. Le Roy étant arrivé en grand'pompe, Tambours battants, jusqu’au Parquet, passa au milieu d'icelui, & prit sa séance dans son lit de Justice... [132]. Une fois encore, il est fait défense au Parlement de prendre ci-après aucune connaissance des affaires générales de notre Etat, et à nouveau, on interdit aux conseillers de mélanger le service de l'Etat et celui des Grands [133] . Outre la sortie de Paris de Monsieur, Duc d'Orléans, la punition des Grands les plus compromis [134] et l'exil d'une dizaine seulement de Parlementaires, le roi dit son courroux par la voix du procureur général (Nicolas Fouquet) [135]. Le chancelier prononce l'arrêt d'enregistrement des déclarations royales, aussitôt publiées à son de trompe et cri public. Tout vaincu et soumis qu'il est, le Parlement dénonce la contradiction entre l'Edit d'amnistie et la sanction de douze de ses membres [136] : la déclaration doit être révoquée, non registrée ni publiée. Le Chancelier répond que le roi communiquera leur instance à son Conseil, ce qui ne contenta point. Si la présence du Roy empêcha que ceux qui y trouvaient à redire ne déclarassent leur sentiment, ils le font le lendemain, une fois revenus au Palais. La Fronde, officiellement et symboliquement close, le séculaire jeu de tir à la corde reprend : game over, play again ! [137] ConclusionLes Espagnols ne jouent pas le rôle des Ecossais ; le petit Louis ne joue pas celui de Charles et la crise ne mord pas sur lui, enveloppé qu'il est du Mazarin et de la Régente ; la transcendance religieuse n'est pas activée et ne sublime pas les factions en partis. Aussi, en France, les écarts de route, même larges, ne dérapent pas en divergences, alors qu'ils semblent le faire en Angleterre [138]. Cependant les schémas sont du même type. Le roi bénéficie d'un consensus, enthousiaste, résigné ou grognon, auquel adhèrent les oppositionnels eux-mêmes, toujours minoritaires et divisés, fussent-ils en résonance avec un ressentiment antifiscal général. Ce n'est pas, comme la guerre des roses, une lutte entre concurrents au trône pour éliminer le rival, droit contre droit, alliés contre alliés, épées contre épées. Dans le cadre du paradigme monarchique, le combat contre le gouvernement et ses mauvaises pratiques, aussi séditieux soit-il, s'exprime révérenciellement. Au plus chaud des affrontements armés, la négociation est permanente et réversible (versatilité). Cette acrobatie est pratiquée sans effort par des antagonistes qui ont plus en commun qu'en dispute. Le Parliament à Westminster, le Parlement à Paris se trouvent en porte-à-faux puisque le roi seul est supposé incarner l'intérêt général (bien public, commonwealth). Ce hiatus les voue à des exercices rhétoriques d'une portée illimitée, jouant dangereusement sur l'ambivalence roi/royaume ou personne/fonction du roi (cf. 3ème et 4ème parties). Aussi sont-ils au milieu des troubles dont ils constituent le centre de gravité. La disjonction des séquences française et anglaise [139] ne les empêche pas d'être colinéaires. N'opposons pas un Parlement judiciaire à un Parliament politique. Les deux sont la Haute Cour de leur royaume qui, naturellement, sert de théâtre aux affrontements du corps politique. Les deux combattent le gouvernement au nom du Roi qui ne peut errer. Voilà pour le parallélisme. Quant à la distance, outre les différences entre les dynamiques événementielles (place du roi), elle s'explique par deux raisons structurelles, déjà mentionnées : i) le Parlement de Paris est plus solide, plus stable, plus institué, mieux fondé qu'un Parliament éphémère qui souffre de sa précarité et, pour se défendre, doit aller trop loin ; ii) en Angleterre, le surpoids écossais déséquilibre la balance séculaire du roi et du royaume : ce facteur est à la fois factuel (common prayer book et la suite) et historique (monarchie composite). Aussi, les évènements coupent le Parliament de son roi concret tandis que l'abstraction du sien (roi mineur) et un contexte moins dramatique, permet au Parlement de Paris de lui rester uni, quoique parfois de haute voltige. Se désunir du roi, c'est se perdre. Le Parliament de 1640, après avoir connu beaucoup de défections et d'évictions, est, de fait, liquidé par l'armée, fin 1648 (épuration du 6 décembre) [140]. Ce n'est pas le Parliament qui, en janvier 1649, condamne et fait exécuter Charles, mais un comité ad hoc désigné par son croupion (rump parliament). Dans le "système d'instabilité" qui caractérise la gouvernance d'ancien régime, la versatilité va de pair avec la constance. Le Parlement est au cœur de ce paradoxe. Pour comprendre le rôle du Parlement de Paris dans la Fronde, il faut examiner en profondeur comment, depuis plus d'un siècle, il pratique et théorise la "désobéissance obéissante" (3ème partie). Exutoire des mécontentements et défenseur du Roi contre le roi, le Parlement met le désordre au service de l'ordre. Son esprit de retour est une force d'équilibre. III. Le discours du
Parlement
Le discours du Parlement de Paris pendant la Fronde, s'il s'adapte à la circonstance, n'est pas circonstanciel. J'oserai-je dire qu'il nous fait entendre la voix de la voie médiane (via media). Avant de l'écouter dans un épisode caractéristique (section 2), nous le mettrons en perspective : le Parlement de François Ier est déjà celui de la Fronde (section 1). En 1648 et en 1527, ce sont les mêmes thèmes, les mêmes figures et presque les mêmes mots qui sont au service d'un conflit coopératif [141]. Tout se résume à cette maxime attribuée à Solon : les Royaumes se gouverneront bien si les sujets obéissent aux Rois, & les Rois aux Lois. L'obéissance des uns conjointe à la bienveillance des autres assure l'union du Roi et du Royaume. Ajoutons l'inépuisable lieu commun de la solidarité de la tête et des membres, et nous avons l'essentiel de la harangue de Guillart (1527) comme de celles de Molé et de Talon (1648). Je renvoie à la partie suivante l'étude du système racinaire de ces fleurs de rhétorique. Quoique, de François Ier à la Fronde, en 150 ans, le Parlement ait "grandi", que son éloquence française, ses routines et ses procédures se soient affinées, sa tradition enrichie, il est toujours le même. "Il" ? je n'ignore pas qu'il n'est jamais monolithique, ni ses chambres, ni ses membres : les voix autorisées suscitent parfois en son sein mécontentement, réprobation ou révolte. Mais elles sont autorisées [142], et des hommes tels que les Présidents ou l'avocat général, et en particulier le premier d'entre eux, naviguant au plus près entre le programme structurel et les contingences immédiates, expriment la vérité du Parlement en tant qu'institution. 1. François IerNous examinerons d'abord l'institution (a) pour rechercher ce qui lui donne la légitimité et l'audace de tenir un discours d'Etat dont nous verrons un exemple dans le lit de justice qui clôt la crise de 1526/27 (b). a) l'institutionBeaucoup plus complexe qu'on ne le pense, le Parlement du Roi est à la fois une instance transcendante (i), un instrument (ii) et une compagnie (iii). i- transcendance du ParlementLe Parlement ne meurt jamais. Tout roi, aussi longtemps que dure son règne, finit par laisser la place à un autre. Le Parlement demeure quand le roi meurt. Alors, le grand deuil s'impose à tous, sauf à la Justice Souveraine. Le Chancelier a défense de jamais le prendre, même pour raisons personnelles, et il est le seul dignitaire à rester en dehors des funérailles auxquelles le corps du Parlement participe, mais en robes rouges qui représentent et, ici, manifestent aux yeux du royaume, la continuité de la Justice et celle de la Couronne [143]. Au moment charnière entre deux règnes, ce sont les mêmes conseillers que le nouveau roi confirme en bloc. Quand les membres décèdent et sont remplacés, c'est, dans une large mesure, un renouvellement à l'identique (transmission). Cette éternité du corps constitue un fait structurel majeur que cachent les péripéties de court terme. Le Parlement, incarnant la Justice, ne se limite pas à trancher les litiges, mais contribue à régler, à réfréner la puissance absolue des rois qui n'est pour ce moindre mais d'autant est plus digne qu'elle est mieux réglée, écrit en 1519 Seyssel (Grand Monarchie) qui poursuit : Et si elle était plus ample et absolue, elle en serait pire et plus imparfaite: tout ainsi que la puissance de Dieu n'est point jugée moindre pour autant qu'il ne peut pécher ni mal faire, ains en est d'autant plus parfaite (I, 12). L'unité du roi et de la Couronne, l'unité du roi et du royaume, ne sont jamais acquises mais visées ou invoquées à travers des oppositions (souvent fortes) du gouvernement et du corps politique, oppositions que le Parlement tente de réduire en usant d'une dialectique séculaire. Il ne désobéit au roi que pour mieux lui obéir. Sous la Fronde, un siècle après François Ier, rien d'important n'a été ajouté, malgré les phases très chaudes des conflits politico-religieux de la deuxième moitié du XVIe et les élaborations radicales des polémistes. Dès les XIVe et XVe siècles, la très-obéissante cour du roi a appris et capitalisé la rhétorique et la pratique "frondeuses", à la fois sur le plan tactique et stratégique. Le Parlement, en même temps qu'il s'incorpore, prend forme et force. Sisyphe ne remonte pas continuellement son lourd rocher sans développer sa musculature ! "Constitutionnellement", le Parlement partage l'ambivalence du temps. Là où nous voyons contradiction ou même confusion, s'exprime une dialectique séculaire entre le roi et le royaume, l'un et le multiple, le pouvoir absolu et relatif, la toute-puissance et ses limites. L'avocat-général Talon exprimera clairement (31 Juillet 1648) ce système de forces en mouvement. Que la contradiction cesse, et l'un des éléments du système glissera, par hyperactivité, vers l'autodestruction, ruinant la stabilité du système tout entier. La contradiction est l'être du système (Descimon, 1984) [144]. Même s'il arrive au Parlement de faire preuve d'ingéniosité ou d'astuce, il n'invente rien, il partage un paradigme, une culture, une rhétorique qui irriguent la societas christiana depuis longtemps. Il n'innove pas, il conjugue (cf. 4ème partie). Et, procès après procès, génération après génération, il accumule une tradition. Le Parlement ne fait pas la Loi du Royaume, il la dit, il l'incarne. Il est à la fois le moyen et la limite du pouvoir du roi. Si, parfois, les deux se percutent, ils reviennent en ligne : le roi gouverne dans la Loi et par la Loi, même lorsqu'elle n'est que l'habillage du racket fiscal. Les conseillers du Parlement, initialement choisis parmi les clercs, éduqués avec eux, jamais bien loin de la Sorbonne, toujours soucieux des libertés gallicanes, défenseurs de la Couronne, fût-ce contre le roi, (et très conscients de leurs intérêts personnels et collectifs) ont pour fonds de commerce ce paradigme des moyens et des fins [145]. D'où, indépendamment des circonstances particulières et des différences langagières, la similitude de tous les conflits "constitutionnels" entre Parlement et gouvernement, similitude qui désingularise le Parlement de la Fronde et l'apparente à celui de François Ier auquel je me réfère ici en sautant les épisodes intermédiaires, les disputes du règne de Louis XIII (Fayard, 1876, T. 2) comme les riches affrontements de la deuxième moitié du XVIe siècle qui, surdéterminés par le contexte politico-religieux, se prêtent mal à la comparaison avec la Fronde, perturbation essentiellement "laïque". Le discours du Parlement, même après avoir quitté le latin pour le français, s'enracine dans le passé et non dans le futur. Il est le produit d'une "culture" médiévale (4ème partie) et non d'une "prémodernité" qui tendrait vers la monarchie limitée [146]. Ne prenons pas pour des germes démocratiques la moindre apparence de représentation, ou pour de l'absolutisme la plus modeste proclamation de toute puissance ! Loin d'innover, le Parlement de la Fronde s'emploie à empêcher le char de l'Etat de quitter la route. ii- coopération avec le gouvernementL'élite du Parlement, ceux des conseillers qui pensent et qui parlent, ceux qui suivent le cursus honorum et deviennent avocat du roi, procureur du roi, président à mortier, Premier Président, voire garde des sceaux ou Chancelier ; cette élite, soucieuse de ses intérêts personnels et familiaux ; liée à l'Eglise par son éducation [147] et ses parents ; liée à la noblesse par ses terres, ses mariages et ses conseils ; liée à la finance par ses intérêts [148] ; liée à la bourgeoisie par son origine, son habitat, ses fonctions municipales ; cette élite a un fond de convictions d'évidence : elle est catholique gallicane, elle est royale et loyale, elle est formaliste et légaliste. Une part de son activité, en appel mais aussi en première instance, concerne ce que nous appelons aujourd'hui le "droit privé", une autre le "droit public", surtout le "contentieux administratif". Parallèlement, puisque le Parlement juge par délégation, le Roi conserve sa capacité judiciaire : les mêmes affaires relèvent aussi du conseil du roi. D'où, malgré la symbiose des deux institutions [149], des conflits de juridiction, particulièrement sensibles lorsque le roi utilise le second contre le premier, retire une affaire au Parlement (évocation) ou la fait juger par commissaires, même s'il en choisit parmi les conseillers du Parlement. Les grandes disputes attirent l'attention par leur côté théâtral (et parce qu'on veut y voir l'anticipation d'un XVIIIe libéral). Cependant, l'essentiel et la quasi-totalité du travail du Parlement s'exerce en coopération continue avec le gouvernement, formelle et informelle (cf. Houllemare, 2007) [150]. Sans cela, inexplicable serait l'étonnante résilience de l'institution, sa longue fortune et l'ascension sociale des parlementaires. Malgré gesticulations et emportements, les heurts, lorsqu'il surviennent, sont gérés de part et d'autre avec précaution et précision : le Parlement sait qu'il est sous le roi, et le gouvernement a besoin — que le lecteur pardonne l'oxymore ! — d'une instance "indépendante dépendante", une instance qui, tout à la fois, dise le Droit et juge en sa faveur [151]. Comme tout plaideur, le gouvernement consent à la juridiction dans l'espoir que la justice lui profite et que, après vérification, la Grand Chambre enregistre et publie Edits, Ordonnances et autres Lettres Patentes. Cet enregistrement sera souvent occasion de tensions, notamment en matière religieuse et fiscale. Les historiens lui ont cherché une origine, une date ou un texte. Ils n'en ont pas trouvé : la pratique apparaît spontanément car c'est une opération naturelle et banale sur le plan technique, juridique et politique. Techniquement, l'enregistrement relève du dispositif de publication de la volonté royale dont les actes, trompetés et criés aux carrefours, placardés sur les portes des églises, doivent être connus et gardés dans la mémoire publique. Dans la mesure où ils affectent des droits existants ou futurs susceptibles de procès, aucune institution n'est mieux placée pour les conserver que le juge en dernier ressort, le Parlement, universel, sédentaire et éternel. Juridiquement, il peut arriver que la volonté royale modifie ou contrecarre involontairement des "lois" antérieures ou des coutumes, produisant ce que nous appelons de "l'insécurité juridique". La soumettre à l'examen des juristes du Parlement constitue une vérification de conformité, débouchant éventuellement sur des remarques ou des conseils de reformulation. Politiquement [152], en tant que section particularisée de la curia regis, le Parlement et ses membres instruits ont un devoir de conseil que le roi les requiert d'accomplir ou auquel ils se sentent obligés en conscience. Ce faisant, le Parlement apporte sa caution juridique et morale à la décision royale. Le roi peut le forcer (lettres de jussion ou séance royale) ou décider de se passer de l'enregistrement, mais, sans le "tampon" librement apposé par le Parlement, l'acte est celui d'un gouvernement, pas de la Couronne. Ce pourquoi il arrive que des souverains étrangers demandent l'enregistrement d'un traité. Le Parlement sait de quel pouvoir il dispose : lorsque, effrayé ou poussé à bout, il enregistre sous la contrainte, il ajoute une formule restrictive, comme de expresso mandato regis, et tout le monde comprend que cela ne vaut rien [153]. Tous les moyens du roi tout-puissant sont en fin de compte inutiles : emprisonner ou exiler discrétionnairement des parlementaires, créer un Parlement concurrent à Orléans, obliger le Parlement de Paris à trotter derrière la cour, l'exiler à Pontoise ou pis encore, le supprimer... et après ? Une instance à la botte du gouvernement, ou bien n'a pas de légitimité et ne sert à rien, ou bien s'autonomise et tout est à refaire. Aussi, la plupart du temps, les menaces ou des punitions limitées servent à faire pression, et le roi se contente de renvoyer sèchement le Parlement à son devoir qui est de juger entre Jean et Paul (maître Pierre et maître Jean, dira Louis XIII), et de lui interdire solennellement et pour toujours de s'immiscer dans les affaires de l'Etat [154]. Mais cela ne dure pas car il arrive vite que le roi ait à nouveau besoin de la caution du parlement dans une affaire d'Etat ou que la conscience du Parlement l'oblige à entreprendre. Le Parlement étant une cour, l'examen préalable à l'enregistrement suit une procédure judiciaire : instruction, discussion par articles, recueil des avis, proclamation du résultat par arrêt. Ce cadre formel offre de nombreuses possibilités : pour ne pas trancher au fond ou pour reculer l'échéance, le Parlement perd autant de temps qu'il veut en jouant avec l'horloge et le calendrier, et en exploitant la procédure dont il connaît tous les détails et les artifices. Quoiqu'il aime à s'identifier au Sénat romain ou aux états généraux, le Parlement, et tout particulièrement son premier président, connaît exactement sa position. Prosterné devant la majesté du roi présent, le roi-ci, qui impose l'enregistrement en lit de justice, il se donne toute liberté pour contester le roi absent, le roi-là, et en appeler du roi au roi mieux informé : puisque le Roi ne peut errer, il aura été mal renseigné, et surtout mal conseillé — c'est le topos préféré des "bons" conseillers. Sa certaine science ne saurait lui dicter quelque chose d'injuste, ni sa bonté vouloir contrarier le bien commun ou la coutume. Les observations du Parlement (remontrances) visent alors à remettre le roi sur le chemin royal dont des méchants l'ont fait dévier. Entre le roi-ci et le roi-là, il arrive parfois que la marge de manœuvre soit étroite et l'exercice délicat, voire périlleux. Il est impossible au roi d'errer, et au Parlement de se rebeller. Pour exprimer respectueusement leurs objections ou leurs refus, ces hommes instruits et habiles parlent le langage dont ils ont hérité et emploient tout naturellement le vocabulaire et la grammaire de l'ambivalence. Quoique le roi soit au-dessus de tous, la Loi du Roi est au-dessus de lui. Pas plus que Dieu tout-puissant, le Roi ne peut vouloir ce qui est injuste et donc contraire à l'ordre du monde [155]. Si l'omnipotence ne se discute pas (ce serait sacrilège), le débat sur sa traduction concrète est infini [156]. Une statistique de "conflictualité" qu'on établirait à partir des historiens du Parlement n'aurait pas de sens dans cet univers instable où guerre et paix, inimitié et amour, sont un continuum. Le combat représente un mode normal d'expression et de négociation, entre personnes, entre groupes ou institutions, entre Princes ou entre "Etats". Chaque côté avance le plus loin possible pour être mieux placé dans l'accord qui viendra. L'affrontement fait partie du jeu et ne le met pas en cause — c'est pourquoi les pourparlers ne cessent jamais [157]. iii- le Parlement comme organisationLa période archaïque de l'histoire du Parlement de Paris s'achève vers 1250 (Langlois, 1890). Au XIIIe siècle, l'activité judiciaire de la curia regis cristallise en un Parlement, où se mêlent grands personnages et jurisconsultes, clercs et laïcs (cf. 4ème partie). Ces derniers finiront par constituer le Parlement au quotidien, sans préjudice du droit d'accès des premiers, et bien sûr du plus grand d'entre eux, le roi. Sans décrire ici les débuts du Parlement [158], du cocon à la métamorphose, notons un point essentiel : aux XIVe et XVe siècles, son combat identitaire le transforme en une compagnie. Sans préméditation, le Parlement a dû se battre presque en permanence : contre les nominations arbitraires auxquelles procède le roi à titre de cadeau ou de paiement ; pour maintenir l'équilibre entre les lais et les clercs qui lui permet de se considérer à la fois comme une cour ecclésiastique et une cour civile ; pour ses gages, toujours en retard et trop souvent oubliés, et ses privilèges, notamment fiscaux. Il ira jusqu'à la "grève" (suspension de la justice). Il a contesté
le privilège de juridiction
ecclésiastique, en
particulier les empiètements de la justice et de la finance papales (libertés
de l'Eglise gallicane), et fait de
l'appel au pape un cas de trahison (comme le praemunire
anglais). Pendant les troubles de la "guerre de cent ans", il a navigué, tant bien que mal, entre Armagnacs et Bourguignons, alternativement maîtres de Paris et du roi [159]. Il a été épuré, parfois sauvagement (1418). Concurrencé par des états généraux, souvent factieux. Divisé entre un parlement "anglais" à Paris et un parlement du dauphin à Poitiers (1418/1436), heureusement réunifiés par Charles VII. Maltraité par Louis XI et doublé par Louis XII [160]. Le Parlement a dû, souvent, céder à la force. Il ne fut pas le seul dans la confusion de ces temps, aggravée par la famine, la peste, les révoltes populaires et le schisme papal. Si les Parlementaires manquent d'héroïsme, s'ils paraissent même couards, et pour la plupart opportunistes, le Parlement, pris ensemble, est obstiné : aussi loin qu'on le dévie, il reviendra à sa ligne. La Justice qui ne meurt jamais l'inscrit dans l'éternité. Quand il ne peut pas faire autrement, il plie, tantôt très vite, tantôt après avoir résisté et subi menaces ou même sanctions. Tout en cédant, il résiste encore, en inscrivant qu'on l'a forcé, en réservant sa conscience ou en notant le point dans ses registres, officiels ou secrets [161]. A la fin, les circonstances se transforment, les conseillers ou favoris du roi tournent, le roi change d'idée ou meurt, un nouveau arrive. Le Parlement est toujours là, avec ses robes rouges et sa mémoire. Il retourne à la page qu'il a marquée. Cette continuité est en partie une affaire de traditions et de registres, en partie une affaire d'héritages. Même avant que les charges de conseillers deviennent officiellement vénales, la nomination par le roi se paie, en services, en monnaie ou en cadeaux. Plus que les gages aléatoires (auxquels cependant ils ne renoncent jamais), les candidats recherchent la position et les privilèges. Même avant que les charges deviennent officiellement transmissibles, les conseillers sécurisent leur succession en préemptant leur remplacement par un fils ou un neveu qu'ils ont éduqué à cette fin. Ces dynasties parlementaires ont été largement étudiées. Elles font apparaître un modèle auxquels les outsiders, procureurs arrivistes, gendres en puissance, profiteurs en tous genres, tentent ou affectent de se conformer. L'historiographie traditionnelle a attribué tous les maux de l'ancien régime à la vénalité des offices, sans voir qu'elle a le mérite d'en ouvrir le marché, ce contre quoi proteste la noblesse qui demande qu'il reste fermé et réservé à la faveur [162] . La faveur va et vient, tandis que le droit sacré de propriété soustrait habituellement les détenteurs aux caprices royaux. De l'autre côté, les ventes d'offices et recettes associées deviennent une ressource de plus en plus indispensable à un Trésor toujours aux abois qui, avec une inventivité sans limite, les multiplie par dédoublement, addition, création, superposition, etc. Cette inflation chagrine et parfois révolte les officiers en poste dont elle dévalorise la charge. Nuisible aux individus, elle profite aux corps car elle renforce, non seulement leur effectif mais leur collégialité et leur indépendance [163]. b) la crise de 1526/27Remonter à François Ier est utile pour prendre date, et possible car déjà sous François Ier, le Parlement est un organe tout à la fois judiciaire, constitutionnel, administratif et politique, comme en témoigne, entre autres, son rôle, à Paris, en 1525, pendant la captivité du roi et l'absence de la Régente [164]. Les deux Parlements occupent la même place dans "l'appareil d'Etat" et, accessoirement, le trio gouvernemental a la même composition (roi, mère, ministre principal), avec des différences dans les personnes [165]. Parmi les nombreux heurts entre François Ier et le Parlement [166], je retiens le contentieux de 1526/27 liés à la régence (i) qui donne lieu à une intéressante harangue du Parlement lorsque le roi le tance — lit de justice du 24 juillet 1527 et édit du même jour (ii). i- les circonstancesCe 24, le trio gouvernemental dont les griefs sont innombrables marque le point contre le Parlement. Aux vieilles histoires encore pendantes (Concordat, Semblançay, Berquin [167], duc de Bourbon), s'ajoutent les onze mois de la captivité du roi (à la suite de Pavie) : la Régente installée à Lyon, le Parlement se trouvant, à Paris, la seule autorité constituée, il a pris en charge, tant l'administration de la ville que la défense des frontières du Nord-Est ; la Régente en a reçu des conseils et remontrances qu'elle n'a pas toujours appréciés. En outre, l'insatiable chancelier Duprat a vu condamnées ses prétentions sur l'abbaye de St Benoît sur Loire et sur l'archevêché de Sens : échauffourées sur le terrain et lutte entre le Grand Conseil et le Parlement, avec annulation réciproque des arrêts et prise à partie des personnes [168], réveillant le conflit avec le roi à propos du Concordat [169]. Le chancelier a été indéfectiblement soutenu par la reine-mère et, depuis son retour, par le roi qui, en décembre 1526, annule et condamne les actions illégales du Parlement [170]. Le 24 juillet, après le lit de justice où il imposera sa décision, le roi, en conseil étroit, rendra le fameux Edit, interdisant pour toujours au Parlement de s'entremettre en quelque façon que ce soit du fait de l'Estat ny d'autre chose que de la justice [171]. Le Parlement ne doit pas entreprendre, c'est le roi qui le saisit, comme il le fait, dès le lendemain, le requérant, en forme de cour des Pairs, de traiter une affaire d'Etat (Bourbon [172]) et, six mois après, d'annuler le traité de Madrid : le roi qui ne peut renier sa signature (en garantie de laquelle il a envoyé ses enfants en prison à sa place) a besoin qu'une autorité supérieure le désavoue ! Le 24 Juillet 1527, le Roi, en son Siège & Trône Royal fleurdelisés, et entouré des Grands [173], par la voix de son Chancelier Duprat dit à la Cour que s'ils voulaient aucune chose dire audit Seigneur, qu'ils le dissent. Ce fut le quatrième président qui parla pour le Parlement. Charles Guillart a soixante-dix ans, dont quarante-cinq passés au Parlement sous trois rois : conseiller au Parlement depuis 1482, conseiller du roi et maître des requêtes en 1496, nommé président à mortier au Parlement par Louis XII en 1508, c'est un des ces bons et gros hommes qui connaissent tout des affaires, de ceux que les rois emploient comme membres ou présidents de commissions extraordinaires ou ambassadeurs. Il quittera sa charge en 1534 et mourra en 1537. Quelqu'un de poids. Sa longue harangue est reproduite par Godefroy (1649, Cérémonial français, T2, p 465-474) qui la tire d'un registre du Parlement. Elle fait neuf pages bien tassées, environ cinq mille mots et le discours oral, s'il fut identique, aura duré une bonne heure ou plus. Le style pompeux de Guillart, commun aux orateurs du temps [174], enrobe une affectation d'érudition qui n'est pas seulement pédantisme : elle permet au locuteur d'exprimer son opinion par la voix d'une autorité, à la fois une couverture et une marque de respect puisqu'il ne peut pas dire je devant le roi dont la majesté écrase sa personne. Le discours est diffus car, à proprement parler, il n'a pas d'objet : le roi leur a demandé s'ils voulaient aucune chose dire. Guillart sait qu'il y a beaucoup de choses, chacune plus chaude que l'autre, qu'il faut toutes évoquer ; que la cause, déjà jugée, doit pourtant être défendue, pour le passé et l'avenir, sans toutefois manquer en rien au respect dû au royal antagoniste [175]. ii- la harangue de GuillartGuillart entre en matière en rejetant le procès qu'on fait au Parlement. Usant d'une dérobade classique, il affecte d'y voir un malentendu ou une machination. Fermant volontairement les yeux aux signes évidents de la colère royale, il craint que le roi ne doute de sa cour fidèle qui, pourtant, l'a toujours réputé saint en tant que vicaire de Dieu sur la terre …[176] Tout de suite, il mobilise Cicéron pour dire que l'administrateur du royaume doit penser au commun profit et non pas à ses intérêts propres : Cicéron au premier Livre de ses Offices dit : Que ainsi que la tutelle est introduite pour l'utilité de ceux qu'on administre & non pour le profit de celui qui administre, aussi est le gouvernement & l'administration de la chose publique… On peut l'entendre a minima comme une simple exhortation à la bienveillance, ou a maxima comme l'assimilation du roi à un administrateur, un agent de la chose publique. Subordination de tous à la Dignité royale, et subordination de la Dignité à sa mission, voilà les deux pôles du discours de Guillart qu'il présente comme un commentaire sur la leçon : les Royaumes, Empires, & Monarchies ne peuvent être sans Religion, Justice, & Force… Passons sur la religion [177] et sur les évocations [178] qui, importantes en 1527, n'ont pas d'échos sous la Fronde. Guillart convoque Solon pour proclamer que, si le roi est au-dessus de tous, la Loi est au-dessus de lui. Solon interrogé en quelle manière les Royaumes se gouverneront bien, répondit : Si les sujets obéissent aux Rois, & les Rois aux Lois. Dans le contexte, cela va loin. Guillart oppose la fermeté de la Loi (implicitement : et du Parlement qui la dit) à l'inconsistance de la grâce ou faveur : La Loi est toujours ferme, & ne se meut par nul respect de grâce ou faveur. Comme en matière religieuse, il s'agit de l'ordre du monde : le Roi n'existe pas sans sujets ; leur nécessaire union par la Loi se fait grâce au Parlement (bonnes Lois, Ordonnances, & bons Officiers) et (implicitement) serait défaite avec lui s'il était dessaisi par le conseil d'Etat, une juridiction ad hoc jugeant par influence et non par droit. Le poncif de la tête et des membres est amplifié : outre leur légendaire solidarité, ce qui unit le Roi et ses sujets, c'est le Parlement : Ainsi que les membres ne peuvent vivre sans chef, & [que] le chef sans membres ne peut durer, aussi le Roi sans sujets, & les sujets sans Roy ne peuvent longuement & raisonnablement vivre ; & est nécessaire qu'ils aient union ensemble, laquelle se garde moyennant bonnes Lois, Ordonnances, & bons Officiers… C'est ici (ici, au Parlement, et pas ailleurs) le lieu & vrai siège de votre Trône, quand vous y êtes séant [179]… Cette vôtre Cour a toujours été l'honneur & la Souveraine de France, & doit être honorée tellement que les Arrêts & Jugements d'icelle doivent être gardés sans les enfreindre ; autrement c'est corrompre votre vie civile, & grandement diminuer votre autorité ; & quand vous y contrevenez, & les empêchez, vous êtes dissemblable & contraire à vous même. Soulignons
cette formulation : dissemblable & contraire à
vous même. Le Roi n'est
pas
schizophrène ! Comme Dieu, il est naturellement juste. Ergo
: s'il erre, il est sous l'emprise
de la folie ou de mauvais conseillers et, quoique le mot ne soit pas
dit, s'il
persistait, il deviendrait tyran. Guillart sait que le roi est tout-puissant. Il le dit par respect, et il le pense. Ce serait un sacrilège d'en disputer : Nous ne voulons révoquer en doute, ou disputer de votre puissance, ce serait espèce de sacrilège, & savons bien que vous êtes pardessus les Lois, & que les Lois ou Ordonnances ne vous peuvent contraindre, & n'y êtes contraint par puissance coactive. Nous devinons la suite : vous n'y êtes contraint, vous vous contraignez. De même, Dieu tout-puissant ne peut pas tout, non par limitation externe (puissance coactive), mais de sa propre volonté : nous entendons dire, que vous ne voulez, ou ne devez pas vouloir, tout ce que vous pouvez, ains [mais] seulement ce qui est en raison bon & équitable, ce qui n'est autre chose que Justice… Encore une formulation d'anthologie : vous ne voulez, ou ne devez pas vouloir, tout ce que vous pouvez ! c'est l'antique différence entre pouvoir absolu et pouvoir ordonné (positif) : Ordonner les choses de puissance absolue, & non positive, est comme les faire sans raison & à volonté, qui tient plus de la nature brute que raisonnable. Pour atténuer la violence de l'attaque (nature brute), Guillart reconnaît que, dans tel ou tel cas particulier & singulier (urgence ou nécessité), le roi peut et doit utiliser son pouvoir absolu. Ce sont des exceptions qui doivent le rester : Nous ne voulons pas pourtant dire que en aucun cas particulier & singulier vous n'en puissiez user, mais le moins, ou non en user est le mieux… Puis Guillart revient aux affaires ecclésiastiques, cette fois sur le plan judiciaire [180]. Quant au dernier des trois points (la Force, après la Religion, Justice), il l'enfonce au galop, comme rageusement : Le repos des peuples ne peut être sans Justice, Justice ne peut être sans force, Force ne peut être sans gens d'armes, Gens d'armes ne peuvent être sans gages, Gages ne peuvent être sans tailles & subsides, qui ne doivent être employés à autres usages; car c'est pécune publique & sacrée… à ne pas gaspiller. Et Guillart,
après avoir dignement défendu
le Parlement et
attaqué ses adversaires, conclut en revenant à son point de départ (les Royaumes... ne peuvent être sans
Religion, Justice, & Force). Capitalisant son âge et son
expérience, il
admoneste le jeune roi de trente-trois ans : vous serez un grand
roi si vous en faites l'effort. Et pour
conclusion : en maintenant la
liberté de l'Eglise, observant l'intégrité de Justice, & gardant la
Discipline militaire, ce que vous saurez très-bien faire, & mieux
que
autre, si vous y voulez prendre un peu de labeur... Vous serez un des
plus
glorieux, triomphants & renommés Roys qui oncques fut. Ayant dit cela, il peut sans honte se prosterner au pied du monarque [181]. Ne faisons pas de la soumission du roi aux Lois un synonyme de monarchie limitée, ce serait méconnaître la pensée de l'homme de gouvernement qu'est Guillart et le sens de son discours. Dans l'autre sens, le désaveu du roi, le vexant Edit du Conseil Etroit, n'est pas une proclamation d'absolutisme. Cette manifestation d'autorité ne tire guère à conséquence. Sa signification cavalière au Parlement, sans permettre ni réponse ni débat, ou bien relève de la mise en scène, ou bien traduit un mouvement d'humeur compréhensible d'un roi que le Parlement a débordé. Qu'un roi dise au Parlement de ne pas toucher aux choses de l'Etat et de s'occuper de la justice, c'est une ritournelle permanente. Le Parlement, il le sait aussi bien que le roi, appartient au corpus Regis et a vocation à coopérer avec le gouvernement (et réciproquement). Les fréquentes tensions sont internes au one party State. Le roi, surtout lorsqu'il a tort, doit user de moyens de droit, ce qui l'oblige à passer par le Parlement, à le ménager et à se justifier. A propos des créations d'offices excessives, le roi, François comme les autres, s'excuse sur l'exception, le coup parti (l'argent déjà reçu et dépensé) ; il promet qu'il ne recommencera pas. Ou bien, à propos des prêts forcés : il y avait urgence, c'est la dernière fois, cela ne fait pas jurisprudence, ils seront remboursés. On comprend qu'un roi, surtout lorsqu'il est psychologiquement instable, s'irrite de cette position d'enfant désobéissant qui promet de ne plus mal faire. De fait, il ressemble souvent au sale gamin qui dépend de ses domestiques (le gouvernement) et qui grogne contre son précepteur (le Parlement) auquel, quand il peut, il fait des crasses. J'ai d'abord trouvé curieux que Godefroy, en 1649, reproduise le discours de Guillart dans son Cérémonial Français qui traite de la disposition et décoration des lieux, des personnes et leurs titres, et surtout de l'ordre de préséance. Historiographe du roi après son père Théodore, Denis Godefroy, loyaliste pendant la Fronde, aurait ignoré le discours de Guillart s'il l'avait cru séditieux [182]. Il ne l'est pas. C'est un ornement, comme les tapisseries bleues et les fleurs de lis. Guillart, avec une superbe assurance, fait au roi la leçon habituelle du Parlement. Il est dans son rôle. Berquin, Duprat etc., sont des affaires sensibles, pas un problème "constitutionnel". Guillart utilise le langage standard, les arguments standard, la posture standard pour défendre l'action passée et future du Parlement : l'union du Roi et du Royaume se fait par la Loi au Parlement ; lui substituer le caprice ou la brigue rend les décisions gouvernementales contestables et donc désunit le royaume. C'est la vieille doctrine, c'est la doctrine du Parlement de la Fronde. 2. La FrondeLa "scène publique" s'est élargie depuis 1527 et s'élargira encore après la Fronde par la circulation ou l'impression des mémoires des participants. Les querelles religieuses du XVIe siècle ont excité les plumes, libéré l'expression, multiplié les pamphlets, les impressions et distributions clandestines. Richelieu, pour imposer et défendre sa ligne, a conduit une guerre de communication (Deloche, 1920). Pendant la Fronde, les antagonistes (Mazarin, Condé, Retz...) entretiennent des machines de propagande, hard- et software, presses et publicistes, sans oublier les multiples publications spontanées, politiques, polémiques, chansonnières, ordurières, qui s'arrachent sur le Pont Neuf. Enfin, dans la chaleur des quatre années de troubles, le parlement divisé, poussé "à gauche" par les agités Messieurs des Enquêtes et les rentiers de l'Hôtel de Ville, sa grand chambre devenue arène politique ouverte (les Grands), parle beaucoup, inspire beaucoup d'écrits, et agit beaucoup (arrêts, décisions, négociations) : ce flot tumultueux noie la parole du corps. Qui l'exprime ? Comment défend-elle la liberté du Parlement ? (a) Ce Parlement traite-t-il autrement qu'en 1527 la question de sa place dans l'Etat, lorsqu'il répond à la tentative du gouvernement (31 Juillet 1648) de le renvoyer une fois de plus à l'exercice ordinaire de la Justice ? (b). a) La liberté du ParlementPremier Président depuis 1641, Mathieu Molé, la grand' barbe [183], appartient à la fois au Parlement et au gouvernement qu'il mécontente tous deux. Talon dit de Molé : sans honneur dans sa Compagnie, & sans estime dans le Palais Royal… la modération qu'il voulait apporter dans les affaires, lui fut imputée à lâcheté de part & d'autre. Il est dans la même position ! Omer Talon, premier avocat général du roi, ne se limite pas à porter la parole du gouvernement, il est la voix de la Couronne. En 1648, Molé a soixante-quatre ans et Talon cinquante-trois. Les deux, hommes d'envergure et de courage, ont vécu les années Richelieu et la première Fronde après sa disparition. Ils sont, comme presque tout le monde, pour le roi et pour la Couronne, contre les ministres et les rapaces fiscaux qui usurpent le nom du roi : les attaquer sans Le contester, tel est l'exercice [184]. A travers les complexes péripéties politiques de la Fronde, la position constitutionnelle tenue par le Parlement reste d'une grande simplicité. Le roi n'est jamais en cause ; la critique porte sur les abus des ministres (et du premier d'entre eux). Cette épure classique est toutefois brouillée par la reine-régente qui tient de trop près au Mazarin. Elle invoque la majesté royale sans être bien crédible, du fait à la fois de son aigre versatilité et du caractère temporaire de sa "royauté". La situation se clarifiera à partir de la majorité du roi (septembre 1651) et de la rébellion de Condé : à Paris, la question du pouvoir se posera et se résoudra rapidement. Nul ne peut résister au roi-ci. Le Parlement devant céder au roi présent, le gouvernement multiplie les lits de justice pour lui forcer la main. Il en abuse tant que le Parlement ne se sent plus lié, d'autant moins que la personne physique du roi montre à tous un enfant que le gouvernement instrumentalise. L'enfant-roi, à peine capable de prononcer la phrase d'entrée qu'on lui a apprise, est-il investi du pouvoir magique comme un roi adulte ? Celui-ci appartient-il au roi ou à la couronne ? Dans le premier cas, il est trop jeune, le petit Louis doit attendre sa majorité de quatorze ans pour gouverner ; dans le second, il a reçu la Dignitas à 4 ans, 8 mois et 9 jours, par la mort du roi-père. Le Parlement n'ouvre pas ce débat, il le contourne en contestant la contrainte : les décisions qu'il ne prend pas librement n'ont ni sens, ni efficacité. Aussi, le lendemain, le roi absent, le Parlement fait comme si le lit de justice n'avait pas eu lieu et examine comme si de rien n'était. En janvier 1648, la Régente brandit son petit roi de dix ans pour forcer l'enregistrement d'une série d'expédients financiers que le Parlement repousse depuis des années et qui viennent de soulever les bourgeois (tumulte de la rue St Denis). Le Premier Président et l'avocat général critiquent les édits bursaux (Molé et Talon) et le procédé employé pour les faire passer (Talon). Le Premier Président [185], se félicitant au nom des peuples de la guérison du roi, exprime la crainte que, par les édits fiscaux, cette grande joie... ne se changeât en sanglots ou pis encore. Il appelle le gouvernement à la prudence [186]et conteste l'argument de nécessité, avancé une fois de plus par le Chancelier : la guerre est un prétexte trop commode pour qu'on y mette jamais fin [187]. L'avocat général, Talon, au cours de ses entretiens préalables avec Mazarin, l'a mis en garde contre l'abus des lits de justice. Il dit publiquement que la venue du Roy au Parlement était toujours une action fâcheuse : elle durcit inutilement les positions. Talon annonce à l'avance que le Parlement ne se sent pas obligé par ce qu'il décide sous la contrainte [188]. Mais il va plus loin. Après avoir défendu la liberté du Parlement, il généralise : cette obéissance [des sujets] est une marque plus certaine de leur soumission volontaire que du pouvoir absolu du prince. L'obéissance volontaire fait la solidité des royaumes. Le despote qui règne sur des esclaves est faible et incertain [189]. S'ensuit
l'habituel tableau au noir de la
misère des peuples : Il y a, Sire, dix ans que la
campagne est
ruinée... Certes, tout va bien, Madame la Régente : Que dans la minorité d'un jeune prince, qui
est le temps ordinairement de la disgrâce et de la déchéance des
monarchies,
non-seulement nous ayons ressenti la tranquillité publique dans toutes
les
provinces du royaume, mais que nous ayons vu les armes françaises
victorieuses…
tout va bien, sauf le pays qui agonise et mourra de ces impôts
supplémentaires [190]. Le lendemain du lit de justice où le Parlement a enregistré les maudits édits, il en entreprend l'examen comme si le lit n'avait pas eu lieu (Talon : examiner les Edits que le Roy avait fait vérifier en sa présence, ce qui n’avait jamais été fait). La Régente lui pose alors la question taboue (si il prétendait donner des bornes à l'autorité du Roi) que le Parlement a la sagesse de ne pas entendre. Puis, en avril, toutes les cours souveraines, excitées par le droit annuel (taxe supplémentaire sur la transmission des offices), prennent position contre le gouvernement et ses expédients : la chambre des comptes, la cour des aides et même le grand conseil demandent l'union avec le Parlement qui l'accorde (arrêt du 13 mai 1648). Comme il y avait longtemps que les Remontrances étaient inutiles, les Cours se saisissent elles-mêmes de la réformation de l’Etat. Outre ce programme, le seul fait que les cours prennent l'initiative est un défi : une forme de ligue & de parti dans l’Etat, une nouvelle puissance, un contre-pouvoir, donc une sédition. L'union est aussitôt interdite, punie par des arrestations, cassée par un arrêt du Conseil d'En-Haut (7 juin) [191], arrêt ignoré par le Parlement, réitéré (15 juin) [192], et enfin, les cours ne cédant toujours pas et des foules de Parisiens agités les soutenant, autorisée. Molé dit
joliment à la Reine (30
juin) : [les cours] sont-elles pas [déjà] toutes jointes à leur corps qui est leur
monarque? leur union est celle du corpus
regis ; en l'attaquant, il était
à craindre que ce coup porté contre le Parlement ne fût un contrecoup à
l’autorité Royale. Malgré la tentation de recourir à la force, le gouvernement, contraint par la situation militaire extérieure, plie en attendant des jours meilleurs. La Chambre St Louis se réunit, dresse un programme de réformation que le Parlement transforme en arrêts de sa propre initiative. Le gouvernement tente de passer par dessus en présentant ses propres ordonnances de réformation : c'est le lit de justice de fin Juillet auquel nous arrivons. b) la place du Parlement dans l'Etati- objet de la séance du 31 Juillet 1648Cette fois, la voix du vieux Séguier (Chancelier sans états d'âme depuis 1635) semble reprendre la chanson du Parlement : respecter les lois, réprimer les abus, soulager le peuple. Il ne dupe personne, on le voit tout de suite, on le verra les jours suivants quand le Parlement, à nouveau, examinera froidement les textes qu'il a enregistrés devant le roi. On reviendra vite au conflit ouvert, fin août, quand, tranquillisé par la victoire de Condé contre les Espagnols (Lens), le gouvernement fera arrêter Broussel et quelques autres, avec, en retour, la fameuse journée des barricades. Mais, en attendant, ce 31 juillet affiche la concorde retrouvée. Pour une fois le Chancelier ronronne [193]. Le voilà tout amour, sincérité, affection... et astuce : le roi accorde à son peuple ce que les cours demandaient, donc la chambre St Louis peut se disperser, elle n'a plus d'objet maintenant que nous sommes tous réformateurs [194]. De plus, elle est dangereuse à cause des funestes effets qu’elle pourrait causer à l'Etat... Pensez aux ennemis : ils voient dans ces assemblées une sédition dont ils se réjouissent et ils attendent le déchirement du pays pour l'envahir. Le Parlement doit le comprendre et décevoir leurs espoirs [195]. Et ceci est d'autant plus nécessaire que, pendant que le Parlement s'occupe de l'Etat, il ne rend pas la justice et les sujets en souffrent [196]. Voilà les conseillers mis devant leurs responsabilités, tant directes à l'égard des justiciables, qu'involontaires à l'égard des espérances des ennemis. Le Parlement ne croit pas que le gouvernement soit devenu réformateur et la chambre St Louis inutile. Du Portail : Messieurs du Parlement ayant reconnu par la seule lecture qui avait été faite de la Déclaration, le Roy séant, que c’était une Pilule bien dorée, & un Poison bien préparé, ils s’assemblèrent dès le lendemain pour la revoir, alléguant que la Vérification qui en avait été faite en la présence du Roy & sans la Liberté des suffrages, ne devait point être considérée… Et enfin qu’à examiner la Déclaration, c’était une illusion, une fourbe & une tromperie depuis le commencement & jusque à la fin (Journal, 1649, p 160). Ce jour, Molé, sans aborder le fond, va à l'essentiel. Au lieu d'adhérer au "reset" du Chancelier, il défend le rôle qu'a tenu le Parlement : les Rois dépendent des Lois. C'était l'argument de Guillart. Molé rappelle que les Roys se devaient à leurs Etats & aux Lois, sous lesquelles ils devaient être régis ; & lors qu’elles étaient violées, leurs Couronnes chancelaient. Le Parlement n'a touché à la Couronne que pour l'empêcher de vaciller et peut-être de tomber : que par ces considérations le Parlement voyant l’excès du dérèglement avait été contraint d'y mettre la main pour sauver le Royaume… Sa fidélité au roi a causé l'apparente désobéissance du Parlement. Maintenant, on lui donne enfin raison et cela devrait être gardé en mémoire dans l'avenir : que le Parlement ne défaudrait jamais à sa fidélité envers le Roy, qu’aussi il espérait qu'à l’avenir on n'imputerait plus à désobéissance les justes résistances qu’il apporterait aux choses qu’il jugerait préjudiciables au service du Roy & au bien de l'Etat. Les Lois viennent de Dieu : ces lois ne sont point les ouvrages des hommes, cet ordre des polices humaines est une ombre de celui de l'Éternel qui le diffuse par les canaux des rois. NB les rois sont des canaux, pas des sources ! Les prêtres de la loi (l'expression n'est pas dans le discours) doivent la conserver et la célébrer : cette sagesse divine qui se déroule en terre par l'esprit des princes souverains, comme par des canaux choisis par le Tout-Puissant pour se communiquer aux hommes. Quels soins ces fidèles officiers ne doivent-ils pas prendre pour les maintenir en l'état qu'ils doivent être ? (Mémoires, ed. Champollion, p 237) [197]. A ce point de la cérémonie, les huissiers ouvrent les portes et le greffier lit la déclaration royale [198]. Cette séance est toute en subtilités. En adoptant (en feignant d'adopter) les articles des cours souveraines, le "roi" traite les arrêts du Parlement comme de simples remontrances dont il fait des textes législatifs qu'il donne à enregistrer au Parlement [199], lui offrant son propre bien (après l'avoir dénaturé). Et la conclusion annoncée par Séguier : puisque le Roi a réalisé les vœux de la chambre St Louis, elle n'a plus de raison d'être ; le Roi la convoquera si besoin : ordonnant qu'à l'avenir aucune assemblée ne pourra être faite en la chambre Saint-Louis que lorsqu'elle sera ordonnée par notre cour de parlement avec notre permission. ii- les Lois, marques de l'alliance publiqueTalon définit d'emblée l'enjeu de cette journée, l'annihilation du Parlement sous couvert de sa célébration : Votre Majesté, séant dans son lit de justice, autorise par sa présence la lecture d'une déclaration qui prévient les sentiments de cette compagnie, interrompt ses délibérations, et nous rend aujourd'hui toutes nos fonctions inutiles (Mémoires, 1732, Vol 5, p 132 sq.). Il suit ce chemin délicat en prenant pour véhicule une métaphore astronomique compliquée à laquelle il revient tout au long (par coquetterie ? pour se couvrir ?) : peut-être un astre exerce-t-il plus de puissance seul qu'en conjonction mais il y a grande différence entre le gouvernement du Ciel et celui de la terre. La puissance des rois vient de leurs sujets : sans les peuples les Etats ne subsisteraient point, & la Monarchie ne serait qu’une idée. Notez bien, la Monarchie ne serait qu’une idée ! Le roi a besoin de ses sujets : Il n'appartient qu’à Dieu seul d'être suffisant de lui-même, subsistant dans la plénitude de son Etre, sans besoin & sans dépendance de ses créatures. Le balancement de la phrase suivante est remarquable : Dieu inspirant le roi, l'obéissance lui est due, quoiqu'il fasse ; mais le roi lui-même obéit aux lois publiques dont l'observation garantit la soumission des sujets :... les sentiments intérieurs de notre conscience nous obligent de croire que les Souverains agissent dans la conduite de leurs Etats par les voies que Dieu leur inspire, &... qu'il n'appartient point à leurs Sujets de les interroger, ni leur demander compte de leurs actions. Il y a pourtant (mon soulignement) des Lois publiques dans les Etats, qui sont les fondements des Monarchies, les pierres angulaires des Royautés, les marques de l'alliance publique (idem), qui témoignent [de] la soumission que les Sujets doivent à leur Souverain & [de] la protection qui leur est due. Ensuite, répondant aux anciens reproches, Talon justifie que le Parlement s'occupe de la chose publique et définit habilement son rôle en filant la métaphore astronomique : le Soleil qui est le père & l’auteur des nuées… ne les accuse pas pourtant de résistance & de rébellion, bien qu'elles arrêtent la force de ses rayons, [ce] qui les empêche de mal faire à la terre… En s'interposant, le Parlement, comme les nuages, protège le pays sans pour autant porter atteinte au roi qui est son père et son auteur. Les Lois qui inspirent le Parlement sont celles de la Couronne : ainsi les Rois ne sont point en tutelle, lorsqu'ils défèrent aux ordres publics ; la Majesté de l’Empire n'est point diminuée quand ils déférent aux Ordonnances qu'ils ont faites. S'ensuit une dénonciation des financiers et des détournements qu'ils opèrent à leur profit. Le Parlement n'a pas aggravé la crise des finances en refusant les nouveaux impôts. Au contraire, il a suspendu ses travaux pour mettre fin à cette crise. Et il conclut : la réformation du royaume n'est pas achevée par la déclaration royale, il faut poursuivre [200]. ConclusionAu delà des différences circonstancielles qu'il m'a bien fallu noter pour ne pas rester sur un plan purement linguistique, comment ne pas être frappé par la similitude des situations et des discours ? Dans les deux cas, le Parlement défend sa place centrale dans l'ordre du royaume, non seulement pour son propre intérêt, mais pour le bien public. Si tout doit céder devant la dignité de la personne royale, celle-ci doit céder à la mission royale. Le Parlement est une pièce maitresse de cette dialectique. Cette doctrine se traduit par des discours interchangeables. Le Solon (le roi obéit aux lois) et le Cicéron (le roi tuteur) de Guillart pourraient être cités par Talon dont la métaphore du soleil et ses nuages pourrait être employée par Guillart. L'union du roi et de ses sujets se fait par la Loi (Guillart : bonnes Lois, Ordonnances, & bons Officiers ; Talon : Lois qui sont les marques de l'alliance publique). Le roi tout-puissant s'autolimite (Guillart : vous ne voulez, ou ne devez pas vouloir, tout ce que vous pouvez ; Talon : les Rois ne sont point en tutelle, lorsqu'ils défèrent aux ordres publics). Le Roi tient de Dieu ; tout-puissants, l'un et l'autre ne veulent que ce qui est juste ; supérieur à tous et à tout, le Roi se soumet aux Lois et règne par les Lois. Première différence avec le tyran. Deuxième différence liée : si le Roi concentre en lui-même le pouvoir absolu, il ne décide pas seul mais par conseil et par consentement [201]. Les spéculations médiévales, traitées rationnellement comme des thèmes de science politique, conduisent où l'on veut, au despotisme comme au parlementarisme. En pratique, nul ne songe à les exploiter ainsi car personne ne se soucie d'inventer un meilleur mode de gouvernement. Le meilleur, c'est celui de nos aïeux. Au gouvernement d'aujourd'hui, on oppose un passé idéalisé... Le futur rêvé est le passé : la réformation, celle du Royaume ou celle de l'Eglise, vise à corriger les abus qui se sont introduits et à revenir à l'âge d'or antérieur [202]. Sans aller jusqu'à parler de "conservatisme révolutionnaire", dans certaines circonstances, l'appel au passé devient oppositionnel. Cela me pousse à radicaliser la signification de l'esprit de retour. Nous avons vu le Parlement, en toute révérence de la Majesté royale, mobiliser des arguments simples, ancestraux, (le bien public, les lois, le pouvoir ordonné) et les tendre au roi comme ces miroirs qu'on écrit pour l'éducation des princes. Le plus étonnant pour nous, c'est que le roi ou ce qui en tient lieu, y est sensible. Il fait pression, il menace, il bouscule le Parlement mais il ne peut pas passer par-dessus le "rappel à la loi". Il lui faut s'excuser, chercher des précédents, promettre de s'amender. Finalement, le régulateur de la monarchie, c'est une image, celle du tyran, ce contre-modèle sur le plan juridique, religieux et politique. Le Parlement est la vigie de la nef de l'Etat qui signale l'approche de cet écueil. Ou, comme dit Talon, empruntant à l'Histoire Naturelle de Pline : Nous ressemblons à ces oiseaux séleucides [203] ... On ne sait ni d’où viennent ces oiseaux, ni où ils vont; car on ne les voit jamais que lorsqu’on a besoin de leurs secours. Ce rôle, le
Parlement le joue sans
enthousiasme, lorsque la
nécessité et ses convictions ne lui permettent plus de faire autrement.
A reculons,
plutôt qu'avec la malice qu'on lui a trop généreusement prêtée. On
pourrait lui
donner pour devise son propos de 1525 (quand la situation dramatique
l'oblige à
se mêler du gouvernement, sachant pourtant déjà que cela lui sera
reproché) : toutes foiz, si
[cependant] le faut-il faire. IV. "Médiévalité" du ParlementCette quatrième partie a presque le caractère d'un appendice. Elle contient des justifications qui, mises dans le texte, auraient entraîné de trop longs détours. Mais ces développements sont nécessaires pour parachever ma démonstration : l'analyse de la Fronde doit se détacher de son futur, qu'il soit proche ("l'absolutisme" louis-quatorzien) ou lointain (la monarchie représentative ou la démocratie parlementaire). Pour cela, deux points sont à traiter, de nature bien différente, que je réunis néanmoins car, ensemble, ils contribuent à l'étude du "système racinaire" du Parlement de la Fronde. Le premier, historique, envisage l'origine et la nature du Parlement : dérivé de la Curia Regis, il en tire sa légitimité à traiter de la chose publique. Le second, théorique, explore la base argumentaire et logique de la rhétorique parlementaire. Les deux ancrent les Parlements du XVIIe siècle dans la "médiévalité" qui donne son titre à cette partie, non seulement comme origine mais comme environnement. Le lecteur qui se souvient de ma discussion liminaire (1ère partie) à propos de "pré-moderne" et "tardo-médiéval" (early modern, late medieval) comprendra que, pour moi, le "XVIIe siècle" appartient à son passé, non à son futur. 1. Origines du ParlementLa Justice est la fonction fondamentale du Roi, sans pour autant se séparer des autres. Aussi lorsque l'affirmation royale entraine une inflation judiciaire (a), l'instance la plus proche du roi, le Parlement issu de la Curia Regis reste polyvalent : haute cour du Royaume, il dit le droit dans tous les domaines. Parlement et Parliament sont donc homologues (b). Leur capacité "constitutionnelle" s'enracine dans la dialectique du roi et de la couronne (c). a) inflation judiciaireCapter la Justice apporte influence (arbitrage des conflits) et richesse (magnum emolumentum) : amendes, confiscations, tutelles. Le "roi-juge", loin de représenter une adaptation séculière du "roi-prêtre" (infra), en est un aspect, tout aussi biblique. La Justice de Dieu garantit l'ordre du monde. A cette fin, Dieu élit ses "vicaires" (pape et évêques, empereur et rois...). Le roi défend l'ordre divin contre la confusion engendrée par le péché : tout péché est un crime, et inversement. Sur cette base, à partir du XIIe siècle, les Capétiens s'emploient à faire de la paix de l'Eglise la paix du Roi dont celui-ci devient le garant et le juge des violations. Ils ne sont pas seuls à emprunter cette voie (Harding, 2001 [204]). Louis VI et ses successeurs cherchent à imposer leur cour (curia regis) comme recours judiciaire, dans les causes ecclésiastiques au nom de la mission du roi de "protéger" l'Eglise, comme dans les causes féodales au nom de la suzeraineté directe ou indirecte du roi qui prétend juger en première instance ou en appel [205]. Les résultats restent longtemps modestes. Les gens d'Eglise se réclament de leurs propres cours et du tribunal du pape (qui commence à jouer le même jeu que les rois). Les seigneurs éludent la justice du roi, en ne comparaissant pas, en atermoyant ou en réglant eux-mêmes leurs disputes, par les armes ou par arbitrage [206]. Le roi doit imposer sa "paix" par la guerre. Sa capacité judiciaire est un instrument de puissance (immixtion dans les affaires féodales) et augmente avec sa puissance. Le tournant s'opère au XIIIe siècle et une convention tenace l'attribue à Louis IX : La cour des premiers Capétiens était avide de procès; celle de saint Louis en fut au contraire rassasiée (Luchaire, 1883, p 100). C'est que, outre la justice féodale dans un royaume élargi, la curia regis doit juger les causes royales. Il s'ensuit l'émergence rapide du Parlement et son développement extensif et intensif. Au fur et à mesure que le roi prend la maîtrise du domaine royal, l'étend et augmente sa prise sur le royaume, il lui faut, sinon administrer (un trop grand mot pour l'époque), du moins exercer sa souveraineté [207]. Toutes les sociétés organiques butent sur le problème du long-distance policy making (Vollrath). La lenteur et l'incertitude des transports et des communications en général rendent les médiations inévitables [208], solution problématique car, partout et en tous temps, les délégués tendent à capturer leur fonction, à l'exercer à leur propre profit, à s'autonomiser et, comme le sol est la base de la richesse et du pouvoir, à se territorialiser. Si le roi met en place une forme de verticalité, les "pesanteurs" poussent à l'horizontalité : les baillis (dans les pays d'oïl) et les sénéchaux (dans les pays d'oc), ces agents du roi, interprètent sa volonté, utilisent à leur profit le pouvoir qui leur est délégué, et doivent employer une multitude d'agents qui font de même [209]. Le gouvernement est assailli par les plaintes, parfois violentes, du menu peuple, tondu et retondu, et aussi des nobles, des évêques et des abbés, que ces officiers royaux concurrencent ou même molestent. En outre, ces délégués et délégués de délégués provoquent des pertes en ligne importantes, en termes de ressources fiscales et d'autorité. Aussi le pays réclame-t-il, presque en permanence, la réformation du Royaume et le gouvernement poursuit cette tâche impossible, par des enquêtes, des inspections et –c'est ce qui nous intéresse ici– en multipliant les lois qui doivent guider et contraindre ses agents et en ouvrant contre eux un recours judiciaire. Le Parlement reçoit les plaintes contre les baillis et sénéchaux et juge en appel les décisions de leurs cours [210]. Il s'ensuit une saturation de l'agenda du Parlement qui l'incite à rationaliser son organisation et sa procédure (style), et à concentrer son activité sur la fonction d'appel en limitant les jugements rendus en première instance. La spécialisation d'une partie de la curia regis en Parlement résulte ainsi de deux mouvements emboités. Le premier, de longue durée, supraféodal, vise à substituer – et substitue en partie – la cour du roi aux cours ecclésiastiques et seigneuriales. Le décollage de la royauté la fragmente en de multiples segments locaux qui, à la fois, assurent et affaiblissent sa difficile emprise sur les pays. D'où le deuxième mouvement : un dispositif de régulation qui croît avec le problème auquel il répond. Imparfait comme il est (éloignement, longueur, obscurité et coût des procédures), ce dispositif ne remplace pas la perpétuelle et impossible réforme du royaume qui, chaque réforme en nécessitant une autre, restera à l'ordre du jour jusqu'à la fin. Ces "dysfonctionnements" mettent le Parlement au centre de la "proto-administration" royale : il juge au nom du roi les agents du roi, ce qui, cas après cas, génération après génération, le pousse à élaborer une doctrine de la Couronne, ou du moins une tradition. b) dérivation du Parlement de la Curia Regis
Le roi, s'il règne gratia dei, ne gouverne pas tout seul mais par conseil, concile, colloque, assemblée, non du peuple, mais des Grands, ecclésiastiques et laïcs. Le conseil, n'est pas pour eux un droit mais un devoir. Les décisions importantes se prennent d'un commun accord, éventuellement sous-tendu ou contraint par des rapports de force et d'influence : la parole engage, fût-elle prononcée à contrecœur ou arrachée par la violence. La curia regis est une assemblée des Grands (i) qui se décline en diverses instances (ii). Parliament et Parlement sont de même type (iii). i- la Curia RegisLe gouvernement ne peut être que collectif. D'une part, la souveraineté du roi ou empereur sur son dominium passe par la médiation de Grands ou de big men et celle de leurs hommes qui combinent leurs intérêts propres et ce qu'ils doivent à une obéissance d'autant plus conditionnelle que la distance au roi croît. D'autre part, sauf à s'aventurer à s'imposer par la guerre, le roi doit, dans le cadre de serments réciproques, associer les Grands à la décision, dans l'espoir qu'ils la partagent, la respectent et la mettent en œuvre. Ces derniers pratiquent identiquement dans leur ressort, leurs dépendants aussi et ainsi de suite. Selon le cas, la décision de la curia regis concerne des questions ecclésiastiques, patrimoniales, militaires, judiciaires ou tout à la fois. On nomme parlements ces réunions où l'on parle. Le mot [211] nous pousse à l'anachronisme (souveraineté populaire), faussant notre vision de ces instances archaïques dont la composition, le statut et les fonctions devraient pourtant nous éclairer. Faire remonter l'actuel Parlement anglais au conseil des barons de Jean sans terre, c'est prendre l'alchimie pour la base de la physique nucléaire ! Le roi ne peut pas gouverner sans ses barons. Quand le roi est fort, le conseil est un devoir auquel les barons ont l'obligation de déférer. Quand les barons sont forts, c'est un droit auquel le roi a l'obligation de déférer. La tension droit/devoir résume l'histoire de cette "gouvernance" à la fois conflictuelle et collective (osons un nouvel oxymore : dissension consensuelle). La curia regis étroite (conseil privé pris dans la maison du roi) s'occupe des affaires courantes, la curia large affirme et réalise la "communion" du Roi et du Royaume dans les affaires clivantes, quand il faut faire adhérer les Grands au roi ou l'inverse [212]. Les historiens du droit, aussi intéressantes que soient leurs recherches, partent des institutions présentes et remontent leur ascendance. S'intéressant moins au droit du passé qu'au passé du droit (Thireau, 1997), ils projettent sur les "institutions" archaïques des caractères qu'elles n'ont pas : il n'y a pas alors de spécialisation des fonctions ni de définition des institutions ; les unes et les autres varient selon les circonstances. On qualifie cette fluidité de confusion des pouvoirs, expression qui n'est pas sans connotation péjorative. Disons plutôt, avec McIlwain, fusion de pouvoirs indéterminés [213]. Les gouvernants réagissent, tant mal que bien, aux situations et répondent, tant mal que bien, aux besoins. Ils ne suivent pas des règles préétablies, ils ne suivent pas de règles du tout, ils font face : quelque chose ne marche plus ou ne satisfait plus ? on le supprime rarement, on crée autre chose. Là où notre esprit darwinien cherche une sélection par l'efficacité, il rencontre un empilement de toutes sortes de formes dont l'élan initial survit rarement : les circonstances changent, les comportements s'adaptent, les positions acquises se défendent [214]. ii- des cours de justice dérivées de la CuriaRendre la justice est à la fois l'attribut le plus transcendant de la souveraineté et son instrument le plus immanent (affirmation de pouvoir, élimination d'ennemis, punitions, amendes, confiscations). Les gouvernants, rois, princes, évêques, grands, nobles, syndics de ville, ont le droit/devoir de justice. L'enchevêtrement des ressorts et des pouvoirs provoque des conflits de juridiction qui sont des conflits de souveraineté. Le "tribunal" du monarque est tout autant une justice de cassation ou d'appel qu'une justice directe sur les gens de sa maison et, plus généralement, sur ceux qu'il a avoués siens. La curia regis fonctionne aussi comme tribunal suprême mais, compte tenu de sa composition (les Grands) et de sa durée (courte), elle ne juge que les affaires qui affectent le consensus, les grandes causes et les grands personnages. Les affaires des gens de la maison du roi, les contentieux entre personnes privées, les conflits de juridiction, toujours jugés au nom du roi, se délèguent à des instances qui, par accoutumance, deviennent peu à peu judiciaires. Naturellement, la curia regis et ses déclinaisons accompagnent le roi et se déplacent avec lui, ce qui rend indéterminés le temps et le lieu de la justice. Pour les fixer quelque peu, une annexe est établie dans la plus grande ville, avec un calendrier d'ouverture (sessions). Séparées des cours qui entourent et suivent le roi nomade, ces "annexes" les concurrenceront ou s'y opposeront (ainsi, en France, le Parlement et le Conseil [215]). Comme ces instances sont des collections de places, d'offices, dont l'attribution fait l'objet de compétition, elles entrent dans les jeux de clientèle et les relations de pouvoir. Génération après génération, les "juges" capitalisent des savoirs (coutumes, jurisprudence), des procédures et des traditions qui créent un "habitus professionnel", rendant de plus en plus nécessaire un apprentissage spécial et un cursus gradué : sans fermer l'accès (un juge ignare n'a besoin que d'un assesseur ou d'un collègue qualifiés), cette évolution tend à faire exister la Loi à côté du Roi. Il se trouve conjointement sous et sur la Loi : dispensateur ultime de toute justice, le Roi règne conformément aux Lois, à la différence du tyran [216]. Encore sous Jacques I, le fameux juge Edward Coke (1552-1634) s'inscrit dans cette tradition : la Loi (common law) est une essence de sagesse distillée par le temps [217] ; le roi règne sub Deo & lege ; les conflits entre le roi et ses sujets relèvent des juges ; le Parlement (les deux chambres et le roi) forment la Haute Cour du Royaume (Allen : the old conception of Parliament as primarily and essentially a High Court), elle-même subordonnée à la Loi ; le Parliament ne fait pas les lois, il dit le droit en se prononçant sur des cas [218] ; s'il en est empêché par un désaccord entre ses trois composantes (Commons, Lords, King), la charge revient aux autres cours. Inversement, il juge en appel des autres cours ou à leur place, lorsque la loi existante ne leur permet pas de trancher. McIlwain (1910) montre que, jusqu'à la guerre civile, l'essence du Parliament reste judiciaire : tribunal suprême du royaume, le Parliament ne vote pas des lois, il rend des arrêts. Dans ce contexte, ce n'est pas avec le roi qu'il est en concurrence, mais avec les autres cours du royaume [219]. Sous Charles I, la dynamique du conflit finira par faire apparaître une conception de type "moderne". Elle est nettement exprimée par le commoner Henry Parker (1604-1652) : le Parlement ne se limite pas à dire le droit (law-declaring), il fait le droit (law-making). Il a une capacité législative basée sur le droit naturel et la raison qui s'imposent à tous, même au Roi. D'un côté, ces deux conceptions partagent la vieille idée que le roi absolu (nul ne peut le juger) se soumet au bien public, à peine de devenir tyran. De l'autre, elles s'écartent à propos de la nature de cette limitation (positive ou transcendante) et des modalités d'arbitrage (judiciaire ou politique). La longue guerre civile anglaise produit une mutation conceptuelle que, en France, la courte "guerre de Paris" n'a pas le temps de provoquer (paix de Rueil) ; quant à la "Fronde des nobles", elle manque d'inventivité : ainsi, pour l'essentiel, la France en reste à la conception traditionnelle, ce qui explique la place et le rôle du Parlement de Paris comme juge du bien public. iii- Westminster et ParisEcartons d'abord les états généraux : ils ne jouent pas un vrai rôle institutionnel en France et n'existent pas en Angleterre dont la structuration se fait selon la tenure et non pas l'ordre [220]. La France a connu d'innombrables assemblées de Grands, avant que le roi, un jour, leur adjoigne des députés de quelques bonnes villes (1302) [221]. Si, ponctuellement, quelques sessions des états marquent l'Histoire, environ une fois par siècle, elles restent sans suite et n'engendrent pas de tradition [222]. On en appelle aux états généraux contre le gouvernement en place. Les monarchomaques de la fin XVIe, Huguenots comme Liguards, les proclament dépositaires de la souveraineté. Les Grands à la mort de Louis XI, les Princes après celle de Henri IV, la noblesse pendant la Fronde réclament des états généraux. Image du bien commun, incarnation du royaume, plus souvent invoqués que convoqués, ils tendent au mythe. Le Parlement en tant que corps a toujours refusé de députer aux états (quoique de nombreux parlementaires y participent à titre personnel en tant que députés du tiers). Il se place au-dessus d'eux, à côté du roi : celles des pétitions des états qu'accepte le roi se traduiront en actes législatifs que le Parlement enregistrera (non sans réserver ou exercer son droit de remontrance) [223]. Le Parlement prétend à une légitimité supérieure au motif qu'il représente la Loi, la tradition du royaume et sa continuité. Et il l'obtient, parce qu'il est royal, permanent et professionnel et les états si rares et si confus. Initialement, le Parlement de Paris, comme la cour des common pleas à Londres, ne se singularise que par sa sédentarité. C'est un guichet annexe de la justice du monarque, ouvert en un lieu et en un temps définis tandis que le Conseil nomadise avec le roi. Le premier juge au nom du roi, le second a une capacité directe et prononce les jugements du roi (quoique celui-ci, habituellement, ne participe pas aux séances). Mais les common pleas, le king's bench, la cour de l'Echiquier restent des tribunaux. Les Parlements de Paris et de Westminster sont de nature supérieure (curia et consilium) parce qu'ils ne se composent pas uniquement de juges. Héritiers directs de la curia regis large, ils associent le roi, les Grands (ecclésiastiques et civils) et les professionnels du droit pour instruire et juger des affaires selon la coutume (dont l'ancienneté atteste le caractère consensuel). Haute Cour (High Court) du Royaume, ils connaissent des conflits de juridiction et des cas de trahison [224]. L'unité du Roi et du Royaume que Westminster exprime par l'accord de trois institutions distinctes siégeant séparément (les Commons, les Lords et le roi [225]) est, à Paris, incorporée. A la différence des états généraux où les trois ordres délibèrent à part, l'instance supérieure du Parlement, la Grand Chambre, ignore les ordres. Tous conseillers, les membres siègent ensemble : la hiérarchie se traduit dans les places, le cérémonial et l'ordre des votes, alors qu'à Westminster elle est matérialisée par la division en trois instances. Dans les deux
Parlements la place des juristes
évolue à l'envers. Westminster les réduit à
un rôle d'assistance technique (jurisconsultes),
pendant que les compétences juridiques se diffusent parmi les membres
(universités, Inns of Court). Au
contraire, en France, au quotidien, les juristes se substituent aux
"politiques",
emplissent le Parlement et, devenus propriétaires de leur charge,
forment une
espèce de corporation, engendrant, entretenant et cristallisant des
rituels de
procédure qui affirment son identité et qui, en s'imposant aux tiers
(et au
roi), les prennent au piège de l'argumentation judiciaire. Malgré cette juridisation, le Parlement conserve son originelle articulation mystique à la Couronne : le Parlement est la cour des pairs, le Roi y a son siège fleurdelisé et l'occupe quand il veut comme juge suprême ; les ducs et pairs (ecclésiastiques et laïcs) siègent de droit à la Grand' Chambre, ainsi que les grands officiers du roi [226] ; parmi les conseillers et les autres officiers, la parité entre clercs et lais est de droit (pas toujours de fait), ce qui autorise le Parlement à revendiquer une autorité sur les affaires ecclésiastiques et sur les affaires du Royaume en général, autorité à la fois déléguée et transcendante puisque, si le Roi est la loi en flux, le Parlement est la loi en stock, mémoire et conservation du droit réputé consensuel. Il est donc fondé à examiner la conformité des noveletés à la tradition. La force du Parlement provient d'une tradition continue de plusieurs siècles et d'archives complètes (registres publics et secrets) puisque les jugements et les arrêts sont écrits. Le Parlement de Paris, institution permanente, incarne la continuité de l'Etat. Il réunit, chaque jour ouvrable de chaque session, des conseillers à vie dont certains, pénétrés de leur fonction, se spécialisent et capitalisent leur expérience et celle de l'institution. La transmission héréditaire engendre des "dynasties familiales" qui programment et éduquent leurs fils ou neveux. Au contraire [227], le Parliament, convoqué exceptionnellement quand le roi ne peut pas faire autrement, suspendu (prorogé) ou dissout à sa discrétion, est discontinu, en tant qu'institution et en tant que personnel : si quelques commoners sont régulièrement "réélus", les péripéties personnelles et locales, les changements dans les rapports de force et d'influence, font qu'il y a toujours une masse d'hommes neufs, pressés de rentrer chez eux. Seuls les Lords siégeant à vie, peuvent, s'ils en ont envie, capitaliser l'expérience de ces rares moments parlementaires. Le Parliament, terriblement conscient et soucieux de sa précarité, devient vite craintif, donc agressif. Sa dispute avec Charles I lui fait redouter d'être dissout, voire mis entre parenthèses et oblitéré, comme l'ont été les états généraux sur le continent. Pour se défendre, il empiète sur la prérogative royale (Triennal Act et Own consent Act, 1641) et l'outrepasse de plus en plus, mais il n'y aura pas de "gouvernement parlementaire". Le Parliament ne sait pas et ne veut pas gouverner. Quoique il soit allé loin dans l'opposition, à la fin, il retourne à sa mission, l'unité du Roi et du Royaume, c'est-à-dire la coopération entre le gouvernement et la gentry. c) le Parlement entre Roi et CouronneUn évolutionnisme atavique a longtemps cherché à identifier l'origine de la notion de Couronne (assimilée à l'Etat) et à en suivre la différenciation d'avec la personne du roi. Nous ne prendrons pas cette route : la Couronne ne se substitue pas au roi, ils existent ensemble. Ils sont les deux faces de la monarchie : la couronne est au roi, le roi à la couronne. En les séparant, le parlement anglais se justifie d'exercer, à partir de 1641, les pouvoirs de la Couronne, sans et contre Charles I : la Couronne veut un "agent" fidèle, le roi ne l'est plus, le parlement le sera. Mais, à l'inverse, un roi séparé de la couronne peut la recevoir du Ciel : un millénaire plus tôt, la royauté des chefs de guerre francs étant personnelle et familiale, les usurpateurs Pépinides demandèrent leur légitimité à Dieu via l'Eglise : par l'onction divine, la Couronne tombe du ciel sur la tête de l'élu. Ainsi, un droit divin primitif justifie le roi en tant que "agi" par la couronne. Les Carolingiens, par un fine bit of historical revisionism (Giesey, 1961 [228] ), rétroprojettent cette conception sur les Mérovingiens en appelant le baptême de Clovis un sacre. De même, à leur suite, les premiers Capétiens. Pour un usurpateur, le sacre divin a l'avantage d'ignorer la famille royale légitime. Les Capétiens, ne pouvant pas encore invoquer le droit dynastique qu'ils viennent de violer, instrumentalisent le sacre : le roi, de son vivant, fait approuver son fils successeur (rex designatus), puis le fait couronner (rex consecratus). Cela dure et fonctionne pendant les trois siècles laborieux où les Capétiens se débattent avec la "féodalité". Après leur réussite (Philippe II auguste), sans renoncer aux avantages du droit divin et de l'onction sacrée (Reims), les rois enracinent leur succession dans le droit des fiefs qu'ils utilisent pour affirmer leur suzeraineté. Quand le culte royal ne reposait pas sur le "sang" [229] mais sur l'abstraction de la Couronne, la dignitas conférée par Dieu, chaque succession devait être négociée et réalisée, tandis que le sang héréditaire réduit les "coûts de transaction". Une fois le droit du sang substitué au fait du sang, le sacre –toujours nécessaire– cesse d'être constitutif, le roi devenant tel à l'instant de la mort du roi-père (le mort saisit le vif –cf. Krynen, 1984). En France, l'affirmation du sang royal mâle à partir du XIVe ne se fait pas au détriment de la Couronne mais en combinaison avec elle. On ne revient pas au tribalisme germanique [230]. Le Sang et la Couronne se développent conjointement, quoiqu'ils restent distincts. Familière aux juristes romains qui distinguaient ce qui appartient à César tanquam imperatorem et ce qui lui appartient tanquam Titium, la différence n'est pas opposition. La métaphore christique des "deux corps" du Roi [231] exprime avec grandiloquence une banalité (il y a un homme, il y a une mission), mais la personne privée du roi est elle-même "publique" : on ne sépare pas sa santé (physique et morale) de celle du royaume (statum nostrum et regni nostri) [232]. Fonctionnellement, le roi se sert de la couronne autant qu'il s'y subordonne [233]. La "dépatrimonialisation" du domaine et sa transcendance quasi étatique (fiscus non moritur) ne datent pas du sacre de Charles V le sage (1364) où il promet de respecter l'inaliénabilité et l'intangibilité du domaine de la Couronne. A partir de là, l'Etat dominerait le roi. Mais de tels serments n'ont pas attendu Charles V [234] et n'ont jamais soumis les rois. Leurs promesses solennelles ne les empêchent pas d'aliéner le domaine, soit par force, soit par complaisance, soit par étourderie. Lorsque ce roi (ou son successeur) veut revenir en arrière, il rappelle son serment et il invoque le "droit de la Couronne". En Angleterre, l'acte qui sépare la tête du roi Charles I de la couronne du royaume ne résulte pas de leur dissociation progressive au cours des siècles qui vont de la Magna Carta au long Parliament, mais de la tension presque permanente, souvent chaotique, parfois sanglante, entre les deux. Dix ans plus tard, Charles II les réunira et il faudra bien du temps et bien des circonstances pour "mettre au propre" le brouillon constitutionnel du long parliament. En France, la fin des Capétiens directs en 1328 et le conflit de succession entre héritiers français et anglais font surgir une série de "cas" constitutionnels dont les solutions balisent la royauté : d'abord, bien sûr, la question des filles (Taylor, 2001) ; ensuite la question de la régence, en raison de l'absence involontaire du roi (physique pour Jean le bon, mentale pour Charles VI) ; enfin la question de la succession, avec l'exhérédation du Dauphin (traité de Troyes, 1420). Les historiens de la pensée surestiment la contribution de Terrevermeille à l'exaltation de la Couronne. Pour défendre le dauphin [235], Terrevermeille soutient que la Couronne n'appartient pas au roi, qu'il ne peut pas en disposer, qu'il en est seulement l'administrateur. L'idée n'est pas nouvelle [236] : le roi épouse le Royaume comme l'évêque épouse son diocèse, par la même symbolique de l'anneau ; l'époux doit respecter la dot de "sa conjointe" [237]. Cette thématique du roi administrateur de la Couronne définit le champ d'intervention du Parlement dans la chose publique. Les "cas" de transmission problématique évoqués plus haut avaient été réglés par des assemblées de Grands et par les faits. En l'absence de consensus, ce serait, dit-on, à l'assemblée générale du royaume (les états) de décider : on élargirait la scène pour augmenter le degré de liberté. Cela ne s'est jamais fait : outre l'incertitude du résultat (comment ces états convergeraient-ils vers une solution que les Grands n'ont pas trouvée ?), la Couronne est dative et non attributive : la question n'est pas de savoir qui la mérite mais qui a le droit de la recevoir (ce qui, par la bénédiction divine, la lui fera mériter ex post). Un épisode
extrême, la succession de
Henri III. Après la mort de Henri II, ses fils se sont
succédés,
faute d'avoir eux-mêmes un fils : François II,
Charles IX,
Henri III. La mort du quatrième frère, le duc d'Anjou, laisse
Henri sans
successeur naturel dans un contexte politico-religieux très conflictuel
(Ligue etc.).
Il a désigné l'huguenot Navarre, descendant au onzième degré de St
Louis, que
les Catholiques refusent. Mais les rivalités parmi ces derniers (entre
Liguards
et Politiques et au sein des premiers) les empêchent de choisir entre
Guise,
Mayenne et l'Espagne. Aussi la Ligue réunit des "états généraux"
(partiels et factieux) à Paris. C'est alors (28 juin 1593) que le
Parlement a l'audace de rendre un arrêt qui annulle tous traités
faits ou à
faire qui appelleraient au trône de France un prince ou une
princesse
étrangère, comme contraire à la loi salique et autres fois
fondamentales de
l'état. Rien que de banal sur le
plan juridique, mais ce rappel du droit de la Couronne déboute
les
étrangers (donc les Guise) et les femmes (donc la petite-fille de
Henri II, la candidate espagnole) et passe la balle au
Bourbon de
Navarre. Bien sûr, cet arrêt ne met pas la couronne sur sa tête, il lui
reste à
vaincre militairement, à obtenir des ralliements et à se faire
catholique. Même si l'arrêt est dû
à une fraction (à tout prendre illégale) du Parlement [238], c'est un grand moment pour cette institution qui se rêve
gardienne de la Couronne, donc "tuteur" des Etats généraux et du Roi,
et s'enivre de son éternité institutionnelle. L'arrêt est accepté et
reçu parce
que, à cet instant, le Parlement tient son rôle : il n'innove pas,
il
conserve. La loi salique constitue un corpus juridique élaboré
de
longtemps pour habiller un contenu politique : au-delà du préjugé (les
lys ne filent point), elle empêche que la couronne ne sorte du
Royaume. Un
autre exemple à propos d'une
question
à la fois territoriale et constitutionnelle : Henri IV devenu
roi,
cherche à garder la Navarre au lieu de l'incorporer au domaine royal.
En 1591,
un procureur général aussi dévoué à Henri que Jacques de la Guesle, s'y
oppose
[239]. Pour lui, la Couronne saisit à la fois le Roi et
ses
biens : c'est ce que nous disons aujourd’hui au Roi,
&
soutenons pour le Roi contre le Roi, c'est à dire pour les
droits de la couronne (du Jour, 1611, Remonstrances
de Messire de la Guesle, p 134) : insoumission (pour le Roy contre
le
Roy) par fidélité à la Couronne. Le bien
public est opposable au monarque. Préférer son bien privé au bien public est la définition même du tyran,
dont la figure est
universellement condamnée, voire contestée (désobéissance passive ou
active,
déposition) : c'est en tant que traître au bien public (common
wealth) que Charles I
d'Angleterre sera exécuté en 1649. 2. Contradiction ou dialectique ?A maintes reprises, je me suis dissocié de la notion de "prémodernité" : la révolution industrielle du XIXe siècle est une fracture, pas un moment dans une généalogie. En remontant la modernité à une révolution renaissante, une révolution du XIIe siècle, une révolution papale du XIe siècle, nous prêtons notre langue à ces temps (a) car nous ne comprenons pas la leur, sauf quelques bribes que nous mésinterprétons, faute de connaitre leur référentiel "vernaculaire" dont je tenterai une exploration (b). a) le poids du présentNotre ignorance nous fait annexer des temps étrangers avec la même naïveté brutale que nos ancêtres annexaient des territoires étrangers. L'entreprise est aussi compréhensible (i) que fallacieuse (ii). i- la révolution papale (Berman)La dissociation des deux sphères du sacré et du profane [produit] une libération d'énergie et de créativité analogue au processus de la fission nucléaire (Berman, 1983, p 101). De ce big bang naît la modernité. Berman fait un système de la transformation du roi-prêtre en roi-juge, radicalisant l'approche de Congar (1958) ou Tierney (1995) [240]. L'idée paraît
séduisante : deux
absolutismes simultanés se limitent l'un l'autre. Le pape et l'empereur
(les
rois) répondant de la Chrétienté devant Dieu, chacun se trouve garant
de
l'autre. Donc, quand rien ne les opposerait, ni rivalité
politico-territoriale,
ni concurrence épiscopale ou fiscale, ni mégalomanie, leur commune
responsabilité les forcerait à entreprendre l'un sur l'autre. De ce
fait, le
pouvoir absolu que confère une mission aussi divinement illimitée se
divise, se
dédouble, à l'occasion se heurte et, in fine, se neutralise. Le pape
échoue à
gouverner le monde et l'empereur à gouverner l'église. L'histoire
sépare les
frères siamois, la coupure succède à la symbiose. Le pouvoir politique
devient
temporel et doit se refonder [241] :
la Loi remplace, sans l'annuler, la divine providence. Au "dualisme
fusionnel" du roi-prêtre succède celui du roi-juge qui se base sur la
Loi.
Le Parlement, incarnant la Loi du Royaume, bride le pouvoir du roi. CQFD. Le premier volume de Law and Revolution de Harold Berman en 1983 [242], coupe le souffle aux historiens du droit qui le saluent avec embarras. Quant aux historiens, ils préfèrent ignorer ce curieux monument juridico-conceptuel [243]. Pour Berman, l'autonomisation du droit canon par rapport au droit romain fonde l'impérialisme papal (Grégoire VII), lequel, en divisant la société chrétienne en membres actifs et passifs (clercs pasteurs et laïcs à paître) , désacralise la fonction impériale/royale. Celle-ci, réduite à l'univers temporel, cherche des lois pour s'affirmer et les trouve par imitation des canons. Il s'ensuit des chevauchements de juridiction qui sont à la fois un problème (conflits) et une chance (espace de liberté). Cette révolution papale fait passer le monde chrétien occidental de l'indifférenciation "théocratique" du spirituel et du temporel à leur scission-subordination. L'autonomie dominatrice du spirituel fait naître en retour une sphère "séculière" à délimiter et aménager. D'où le droit et la justice comme nouveaux fondements du pouvoir temporel. La révolution papale met fin à l'antiquité "tardo-tardive" et crée le système juridique dont naît notre modernité. Le "roi-prêtre" n'avait besoin que de diacres et de thuriféraires. Amputé de sa dimension religieuse (désormais monopolisée par l'Eglise) et reconverti en "roi-juge", il lui faut du droit et des juges. Ceux-ci, croissant avec le pouvoir royal, tendent à s'affirmer en tant que "prêtres séculiers" (sacerdotium temporale) [244] et deviennent une espèce de "clergé laïc" qui a toutes les lois afférentes présentes à l'esprit (Kantorowicz [245]). En bref, l'Etat de Droit est en marche. Seulement, tout cela ne va pas. Passons sur la surestimation du "moment" Grégoire VII [246] et sur le pseudo-concept de "révolution papale" [247]. Passons même sur l'absence de soubassement historiographique. Ce qui coince, c'est le postulat, le dualisme des théocraties. "Théocratie" (et ses variantes "césaropapisme", "papocésarisme", "augustinisme politique"...) n'a pas de sens dans un univers religieux où, organiquement, Dieu est le gouvernant suprême. Ce faux-concept nous entraîne dans une arène fantomatique où se combattent des principes qui découlent de la séparation présente de l'Eglise et de l'Etat, du spirituel et du temporel. Ce dualisme n'appartient pas au temps étudié mais au nôtre [248]. C'est ce que soutient l'historiographie postmoderne, curieusement, presque à la même date que l'ouvrage de Berman (Van Engen, 1986), opposant l'altérité à la continuité (deJong, 1994 [249]). ii- un passé caméléonIl n'y a pas si longtemps qu'on a compris que le présent fait le passé. Les présents s'enchaînent et nous lèguent des générations de passés. Si les inputs de la connaissance historique résultent d'un processus d'accumulation (sources), les outputs constituent des couches successives dont chacune est à comprendre, à relativiser et, si possible, à exploiter à partir de l'esprit de son temps. L'analyse du médiévalisme américain (Freedman & Spiegel, 1998) révèle un intéressant contraste : alors que le médiéviste européen est tenté par la continuité, l'américain l'a posé spontanément dans son altérité (otherness). Pour lui, le moyen-âge européen est nativement "autre" puisque l'Amérique ne le connaît pas, ne vit pas dans ses traces architecturales, urbanistiques etc., et, pour autant que la rébellion des treize colonies ait été une révolution, les Etats-Unis se sont constitués en rupture avec le moyen-âge (nobles, couronne, parlement...) que le XIXe savant américain "étrangifie" (otherize). Expliquer l'origine de l'Etat moderne américain en sautant le moyen-âge européen, passe par le teutonic germ (Baxter, 1881 ; Cabot-Lodge [250]), populaire jusqu'à sa dévalorisation par le nazisme qui rend suspecte la Genossenschaft [251]. Pour trouver un autre palliatif au moyen-âge, la recherche revient alors à la romanité qui renforce le thème de la "renaissance du XIIe" (Haskins : individualisme, rationalité, droit), ce qu'on retrouve chez Berman. Enfin, de nos jours, la contre culture, puis le postmodernisme et la "démodernisation" générale, redécouvrent le "gothisme" (Melve, 2006). Ce type
d'analyse incite à méditer sur les
couches successives de la représentation du moyen-âge. Ainsi, son
historiographie allemande ne peut être dissociée, ni de la catastrophe
de la Réception
du Droit Romain, ni de l'arrière-plan Kulturkampf des
éminents archivistes de la fin du XIXe, ni de la
"malédiction" du Staatlichkeit [252],
ni, pour la période récente, de la critique du droit nazi (Wolter,
1992 ;
Chapoutot, 2010). De même, en France,
la Restauration [253],
puis l'espèce de Kulturkampf des
débuts de la IIIe République ont
marqué, à la fois les recherches et la constitution des "sources"
dont héritent les historiens contemporains. Il est vertigineux de penser que les documents (secondaires autant que primaires !) sont moins des sources que des textes [254], de surcroît, difficiles à décoder en raison de l'intertextualité induite par le jeu cumulatif des références. D'autre part, concevoir que le discours sur ces discours est aussi un discours titille le pyrrhonisme et débouche sur des questions épistémologiques complexes. Il n'est donc pas surprenant que "l'historien historisant" rejette ces interprétations et que même l'historien conscient défende son habitus professionnel contre la meta history [255]. Pourtant, la déchristianisation des sociétés occidentales a "désencapsulé" le facteur religieux. En le redécouvrant de l'extérieur, on aperçoit que, dans une très large mesure, la littérature historique sur le fait religieux médiéval (ou, au XXe, son omission délibérée dans certains pays ou par certaines écoles) était un discours interne à la Chrétienté davantage qu'une analyse. La séparation et l'opposition modernes entre l'Eglise et l'Etat ont ébloui [256] le regard porté sur un "passé étranger" (foreign past) où Eglise et Etat sont à peine émergents et où spirituel et temporel ne se dissocient pas. Nous prétextons de la reductio ad unum pour dépasser des contradictions imaginaires car ce qui est antinomique pour nous ne l'est pas, ou pas toujours, pour les "médiévaux". Les historiens les plus avisés sont conscients des pièges linguistiques : l'anachronisme (Eglise, Etat, par exemple), la polysémie de mots essentiels comme status (état, estate), l'intertextualité (importation dans la politique de métaphores cléricales comme celle de l'époux), l'hypertextualité (à partir des Ecritures ou des Romains) etc. Les arguments utilisés par le Parlement nous paraissent des acrobaties rhétoriques que nous admirons (et dont l'audace nous étonne) alors que, s'ils sont utilisables face à la majesté royale, c'est qu'ils reprennent un solide fonds de lieux communs médiévaux dont la dialectique nous échappe. Le paragraphe suivant est une exploration de cette culture de l'ambivalence. Ceux qui la partage font preuve de plus d'agilité (ou d'artifice) que nous. Ce qui nous apparait comme un paradoxe est souvent une banalité. b) lieux communsPlusieurs dialectiques théologiques et juridiques maîtrisées par une "technostructure" mixte [257], délimitent et ensemencent le champ sémantique où proliférera l'expression politique. J'envisage trois thèmes, sans entrer dans les détails de leur inépuisable complexité. Outre leur valeur d'exemples d'un mode de pensée, ils éclairent les débats que j'ai retracés : le roi qui peut tout ne doit pas vouloir tout (i) ; le roi est l'agent du Royaume (ii) ; le roi gouverne par consentement (iii). i- autolimitation de la toute puissanceLes "médiévaux" ont débattu intensément la question, pour nous hallucinante: jusqu'où s'étend la toute-puissance de Dieu ? lui permet-elle de tout faire ? Par définition, Dieu le Juste ne peut pas commettre d'injustice [258]: est-ce de l'impuissance ? Si Dieu tout-puissant lui-même rencontre une espèce de limite, il en ira de même, a fortiori, de tous les vicaires à qui il confère, sous lui, la toute-puissance ici-bas ! Voilà un argument omnibus et facile d'emploi: vous ne devez pas vouloir tout ce que vous pouvez car vous deviendriez étranger à vous-même. Dieu peut tout faire, mais il ne le fait pas parce qu'il ne se le permet pas ! Nulle force externe ne le lui interdit (rien ne lui est interdit), c'est une force interne, sa propre volonté. Nous avons rencontré cette formulation dans la bouche du Parlement s'adressant au Roi. Jetons un coup d'œil sur ce veritable cat's cradle of philosophical conundrums qui agite encore ces postmédiévaux que sont les théologiens du XXe siècle (Oakley) [259]. Au XIe siècle, Anselme de Canterbury (Anselme du Bec) s'interroge sur la miséricorde divine. Pourquoi le pécheur doit-il expier au lieu d'être pardonné ? pourquoi Dieu, dans sa miséricorde infinie, ne lui fait-il pas grâce ? La question est cruciale pour le salut de l'âme, et vitale pour le "business model" de l'entreprise ecclésiastique qui, de plus en plus, tirera d'immenses revenus de sa fonction d'intermédiation dans la pénitence et le rachat. Anselme connaît la réponse: oportet ut justus misereatur juste (Augustin: il convient que le juste ait pitié justement). Donc l'ordre juste de l'univers, la iustitia ou rectitude de Dieu, requiert que le prix soit payé [260]. Dieu pardonnerait volontiers. Il ne le fait pas, il se l'interdit car ce ne serait pas juste. Sans évoquer ici la pluralité des mondes dont Tempier en 1277 condamne la négation comme une usurpation de la raison sur la puissance divine [261], ce débat donne lieu à des spéculations qui, pour nous, confinent à l'extravagance. Saint Jérôme au IVe siècle: Dieu tout-puissant peut-il rendre la virginité à celle qui l'a perdue ? [262] Pierre Damien répond positivement et expose (1066) comment Dieu, s'il est tout-puissant, peut faire que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé et même que Rome n'ait jamais été fondée [263]. Il suffit de croire. Plus subtile est la distinction entre "pouvoir absolu" et "pouvoir ordonné" [264] (le Lombard, d'Aquin): 1) Dieu peut "tout" (pouvoir absolu) ; 2) il peut tout ce qu'il veut ; 3) il veut ce qui est conforme à l'ordre qu'il a institué (pouvoir ordonné). D'Aquin: il y a pourtant des choses qui ne sont pas soumises à sa puissance, parce qu’il leur manque d’être possibles [265]. Un commentateur du XVIIIe siècle l'exprime joliment: c’est l’état bienheureux de sa nature de ne pouvoir faire ce qui ne lui est point convenable. En bref, comme le dit sobrement un catéchisme d'aujourd'hui: l'omnipotence de Dieu inclut l'autolimitation. Comment ne pas penser à la fameuse maxime tardo-antique digna vox (Théodose in Codex, 1, 14, 4) ? Digna vox maiestate regnantis legibus alligatum se principem profiteri: adeo de auctoritate iuris nostra pendet auctoritas (c'est un propos digne de majesté de celui qui règne que le prince se déclare lui-même soumis à la loi ; car notre autorité elle-même dépend de celle du droit). L'omnipotence inclut l'autolimitation ! le tout-puissant (Dieu, pape, empereur, roi) n'est pas soumis à une contrainte –sans quoi il ne serait plus tout-puissant– , il se soumet à sa propre loi [266]. Tous les contemporains instruits connaissent ce "koan". Je dis "koan" car ce n'est pas un dogme, au contraire, c'est un défi pour l'esprit auquel chacun répond à sa façon [267] . Ce n'est pas seulement un exercice de théologien, il se diffuse dans la societas christiana dont il imprègne les structures mentales. Le Parlement ne dira donc rien d'extraordinaire lorsque, s'opposant au roi, il lui rappellera la nécessité de se conformer à sa propre nature en agissant justement. Il usera d'un lieu commun que les dialectiques de la personne et de l'office, de la tête et des membres complètent et diversifient comme nous allons le voir. ii- oblitération de la personne par l'officeL'office absorbe la personne, la Couronne le roi. Encore une fois, cela commence par un problème théologique. Très tôt, la Chrétienté a dû se prononcer sur la validité des sacrements délivrés par des personnes indignes: les donatistes, les simoniaques, les impurs. Question cruciale pour les contemporains qui risquaient de se trouver débaptisés, déconsacrés, désordinés, dessaisis, à cause des erreurs antérieures ou ultérieures d'un prêtre ou d'un prélat. Au tout début du IVe siècle, la persécution de Dioclétien avait poussé nombre de prêtres ou évêques africains à remettre aux autorités les livres et vases sacrés, voire à sacrifier aux dieux païens. La paix revenue, les "ultras", entraînés par l'évêque Donat, considèrent que ces lapsi, ayant perdu leur autorité spirituelle en déchéant, les sacrements qu'ils ont conférés ne valent rien et doivent être réitérés. Le concile romain de 313 condamne Donat et statue: un sacrement est effectif indépendamment de celui qui le délivre car il est "activé" par la présence mystique du Christ, non par la personne physique du prêtre. Cette ligne théologique sera développée extensivement par la suite car la question ne cesse de se poser, en raison des abus et des insuffisances du clergé, et aussi chaque fois qu'un prélat est condamné [268]. La réponse constante: le prêtre ne fait pas le sacrement, Dieu le fait à travers lui. Outre le baptême etc., cette thèse s'applique à l'ordination des clercs, à la consécration d'un dignitaire ecclésiastique, comme au sacre du roi ou de l'empereur: le clerc ou le prélat sont seulement des instruments de Dieu, leurs qualités personnelles ne comptent pas. Ce principe a deux faces: d'un côté, l'indignité éventuelle de l'opérateur, pape ou évêque, ne vicie ni le couronnement de l'empereur ou du roi, ni les ordinations, ni les autres sacrements qu'il a délivrés ; d'un autre côté, en annulant la personne, ce principe lui permet d'exercer sa fonction sacrée (et d'en bénéficier), quels que soient ses défauts ou crimes en tant qu'individu [269]. Le principal transcende l'agent. C'est aussi ce que le Droit permet de conclure. Au Ve siècle, Léon I utilise le droit romain de l'héritage pour absorber la personne du pape dans sa fonction: l'héritier se substitue au décédé dans ses droits et devoirs, il en devient la réincarnation légale [270]. Le vif est le mort. Ergo, tout pape, bon ou mauvais, méritant ou inepte, saint ou débauché, "héritant" de St Pierre, est St Pierre. Sa propre personne est, si j'ose l'expression, "transsubstantiée". Les papes ne se succèdent pas les uns aux autres, chacun succède à St Pierre [271]. Un millénaire plus tard, le même droit civil romain sera appliqué aux fiefs par Balde, avec le même résultat: les générations de fils n'héritent pas les unes des autres, chacune confie à la suivante le patrimoine du progenitor du nom. La transmission du fief, à travers les investitures successives, réaffirme les droits concédés par l'investiture initiale: le père ne meurt jamais et retient ses droits dont la suite des fils est l'administrateur perpétuel [272]. La ligne théologique et la ligne juridique, quoiqu'indépendantes, convergent vers la notion de dignitas qui constitue "le principal" (principalis) dont chaque détenteur successif est "l'agent" (instrumentalis). Dignitas numquam perit, dit la glose du Décret Quoniam Abbas incorporé en 1215 aux Canons. Le cas était le suivant: le successeur d'un abbé peut-il exercer des fonctions qui avaient été déléguées à son prédécesseur ou doit-il solliciter une nouvelle délégation ? Le pape Alexandre III répond: la délégation ayant été attribuée à l'abbé en tant qu'abbé et non en tant que personne, elle appartient à la dignitas et non à untel [273]. En tant que porteurs et effecteurs de la même dignitas, prédécesseurs et successeurs sont une même personne. On ne dit rien d'autre lorsqu'on proclame que le roi ne meurt jamais. Le roi est la couronne. iii- consentement et approbationLe
"consentement"
requis des membres d'un "groupe" est une participation, non une
approbation: le tyran décide seul en suivant son caprice,
l'autorité
légitime décide en public avec ses sujets. "La
corporation", également
originée dans le droit romain, n'est pas la matrice démocratique que
certains ont
cru voir, émerveillés par la maxime QOT (quod omnes tangit ab omnibus tractari et
approbari debet): ce
qui touche tout le
monde doit être pris en mains et approuvé par tous [274]. Une
multitude de groupements
humains, des communes aux abbayes, des chapitres cathédraux ou
collégiaux aux
congrégations de métiers, des Royaumes aux Eglises, l'Empire même,
suivent le
modèle de l'universitas (corporation)
ou lui sont assimilables. Cela implique une norme de concernement
collectif
qui, même sous sa forme la plus radicale, le "conciliarisme"
(ecclésiastique ou civil), ne s'oppose en rien au principe
monarchique [275]. On a fait de la théorie médiévale de la corporation la base de la constitution des Etats ou du gouvernement de l'Eglise [276]. Mais l'origine de la notion (le Digeste) comme son développement (pratique médiévale) n'ont rien d'univoque. A l'instar de Maitland au début du XXe, Avi-Yonah (2005) met en relation la corporation médiévale et le droit des sociétés (corporates) [277]. Il ramène à trois les types alternatifs de "corporation" et montre la différence de leurs effets sur l'objectif et la gouvernance: 1) la conception agrégative est la préférée des médiévistes en raison de son potentiel "démocratique": la corporation, étant la somme de ses membres, peut admettre des formes de représentation et de délégation de pouvoir [278]; 2) la conception réelle distingue entre l'entité et ses membres: la corporation, resserrée sur elle-même, s'identifie à son "management" qui, une fois accepté par les "actionnaires", se substitue à eux pour gérer au mieux de l'intérêt de l'entité ; 3) la conception artificielle nie que la corporation – persona ficta comme on dira à partir d'Innocent III – puisse tirer son existence d'elle-même [279]. Puisque, en regroupant des personnes, elle se constitue en une espèce de république (ad exemplum rei publicae), elle doit être explicitement autorisée par l'autorité publique [280], sa "charte" approuvée et les actions qui sortent des limites de la charte (ultra vires) réprimées [281]. Seule l'agrégation est compatible avec le schéma "proto-démocratique" cher aux auteurs modernes, abusés par l'usage qui en a été fait plus tard (notamment par les parlementaires anglais du XVIIe) pour légitimer et légaliser l'opposition au roi [282]. Les autres conceptions, sans ignorer les droits des membres, les subordonnent à l'objectif choisi (corporation réelle) ou reçu (artificielle). Dans la pratique médiévale, la conception agrégative n'est pas la norme. Les trois coexistent, se concurrencent et la première se trouve souvent dominée. Or, si la corporation médiévale (rêvée), complémentée par le QOT, se prête à descendre vers la démocratie comme une rivière vers la mer, les types de corporation (effectifs) dessinent un paysage ouvert où l'on découvre toutes sortes d'arguments politiques dans un sens ou dans l'autre. Considérons le Royaume (ou l'Eglise) comme une corporation (ou une corporation de corporations) réelle et non pas agrégative: son gouvernement (papal ou royal) doit respecter et servir les intérêts de cette entité, fût-ce au détriment des "membres" que leur manque d'information ou de réflexion ou leur égoïsme rendent incapables de savoir ce qu'il faut faire. La conception agrégative elle-même ouvre un jeu entre la tête et les membres [283]. La première n'est pas subordonnée aux seconds qui la choisiraient, la contrôleraient et, éventuellement, la sanctionneraient pour incapacité. Le QOT (ce qui touche tout le monde doit être approuvé par tous) n'a que l'apparence d'une règle décisionnelle. Post (1946) a montré que QOT ne signifie pas que "tous" décident, QOT énonce un principe de procédure: tous les ayant-droits doivent être convoqués, à peine de nullité de la décision. En effet, la plupart des formulations médiévales du QOT ne mentionnent pas l'approbation de tous les intéressés, mais leur leur présence [284]: ils ne décident pas, ils acceptent la juridiction qui rendra la décision, chacun ayant, bien sûr, toute latitude de s'employer à ce qu'elle lui soit favorable. De même, lorsque un gouvernement convoque des assemblées pour légitimer des levées fiscales extraordinaires (états généraux ou réunions de notables), les délégués n'ont pas pour mandat de discuter la volonté du roi mais d'y consentir, à charge pour eux d'essayer d'arracher pour leur communauté les conditions les moins lourdes (évidemment au détriment des autres) [285]. Le roi ne partage pas la décision avec ses sujets, il décide au milieu de ses sujets, sur la scène publique (dirions-nous) et non, comme un tyran, dans son cabinet avec ses favoris. D'autre part, les relations au sein de la corporation sont complexes. Même au sein des corporations agrégatives, le bien collectif l'emporte sur les droits individuels des membres. C'est la major ou même la sanior pars du groupe qui le représente. La corporation n'a pas pour but le bien de chacun de ses membres (moins encore celui de leur personne), elle cherche celui de l'entité que, pris ensemble, ils constituent. Il revient donc aux plus conscients de la gouverner. Le choix des dirigeants résulte d'une cooptation des optimates. Une riche et complexe jurisprudence traite des rapports et des droits respectifs de la tête et des membres, de l'évêque et de son chapitre, du pape et des cardinaux, des syndics et des bourgeois etc. Bien sûr, le QOT a été invoqué par des membres pour défendre des droits individuels ou collectifs ou, obliquement, pour se soustraire au consentement obligé en prétextant l'absence ou la non convocation d'autres parties prenantes [286]. Mais un principe de procédure étant neutre, le QOT a souvent été utilisé au profit de la tête. Le gouvernement a su en tirer parti de deux façons: 1) le QOT couvrant tous les ayant-droits, non seulement effectifs mais potentiels (héritiers, héritiers d'héritiers, héritiers possibles etc.), il permet au roi de s'impliquer: en tant que suzerain, il est concerné par tous les litiges entre ses sujets, directement pour ceux qu'il a enfieffés, indirectement pour ceux que ses tenants ont enfieffés. Ainsi le "bien public" (du roi) s'introduit dans les affaires privées que la curia regis a, dès lors, vocation à juger ; 2) la représentation complète (plenitudo potestatis) exigée et assurée par le QOT rend obligatoires pour tous les mandants les taxations que leurs mandataires ont consenti. Ils ne peuvent pas refuser en disant qu'ils ne savent pas, qu'ils n'ont pas (ou n'auraient pas) consenti: leurs délégués l'ont fait pour eux. Les assemblées convoquées par le roi pour entendre sa décision la rendent légale et obligatoire pour tous les sujets. Paradoxalement, les états généraux sont un outil du pouvoir [287]. ConclusionRésumons. Nous avons questionné d'abord l'existence de la Fronde (1ère partie): malgré des formes et des accidents toujours singuliers, au même moment, des troubles frappent plusieurs pays voisins, ce qui suggère des facteurs communs, socio-politiques, économiques, ou climatiques. Ma discussion conduit à écarter cette généralisation et à rejeter la notion de "crise": les "sociétés ante-industrielles" (organiques) sont essentiellement instables et les désordres du milieu du XVIIe suivent et précèdent une multitude d'autres. Il aurait été permis (quoique frustrant) de s'arrêter là, si les formes et accidents de la commotion française n'eussent appellé la comparaison avec ce que, en même temps, connaît l'Angleterre. Malgré d'innombrables différences, dans les deux cas, le Parlement est au centre (2ème partie). Cela incite à quitter la synchronie pour la diachronie et à inscrire la Fronde dans le jeu séculaire du Parlement entre le roi et la couronne. Ce Parlement qu'on regarde trop souvent à partir de l'aval (démocratie représentative), je l'ai tourné vers l'amont. Je l'analyse dans son passé, et non dans un avenir qui serait son futur. Ces temps ne sont pas "pré-modernes", ils sont autres. Examinant l'expression de l'ambivalence du Parlement (contre le roi pour le roi), je constate sa similitude sous la Fronde et sous François Ier (3ème partie). En dépit de circonstances particulières (Mazarin, Duprat...), les deux épisodes se comprennent en étudiant leur base et leur "logiciel" médiéval (4ème partie): le Parlement appartient au Corpus Regis, ce qui le contraint à défendre les droits de la Couronne, fût-ce contre la personne du roi. Cette dialectique institutionnelle s'exprime par des discours que notre logique binaire trouve paradoxaux ou artificieux. Quoique la Fronde soit "laïque", les "sociétés" européennes de ce temps, en plus d'être organiques, sont chrétiennes [288]. Cette double essence caractérise un très long continuum, du IVe siècle au début du XIXe, dont nous ne partageons pas et ne comprenons plus le langage. Il nous faut donc plonger dans la "médiévalité", cette antiquité "tardo-tardive" que Dieu gouverne. Nous y rencontrons peu de principes univoques: "pouvoir absolu-limité" fait partie d'un monde de créatures dialectiques qui, s'incorporant aux structures de pensée, nourrissent le discours du Parlement. L'historiographie des XIXe et XXe siècles cherchait dans le XVIIe les germes de l'Europe industrielle et démocratique et, pour boucher le trou entre la fin du moyen-âge et la modernité, inventait une période de transition qualifiée de pré-moderne (early modern) dans laquelle l'histoire des idées projetait ses catégories. La modernité s'appropriait un passé étranger, adoptant un "père" (fatherizing) qui ne pouvait s'en défendre. Aujourd'hui, la "démodernisation" délimite autrement l'espace et le temps. D'une part, "l'Europe du XVIIe" relève du même type que les autres "sociétés" ante-industrielles, toutes marquées par une instabilité récurrente. D'autre part, elle n'est plus coupée de sa base médiévale dont la pensée politique arpente les topoi. Les temps modernes de l'Europe commencent (et finissent ?) avec son long XIXe siècle, industriel et démocratique, et non avec l'Europe des XVIe-XVIIe siècles. Nous ne sommes pas nés de cette Europe-là qui, seulement, nous habille. Elle n'est pas matrice mais forme. Cela ne simplifie pas l'analyse. DeJong [289] formule avec acuité le dilemme anthropologique de l' "étrangification". Il faut la pousser assez loin et pas trop: reconnaître, pour l'explorer, tout ce qui est autre, et s'arrêter avant l'exotisme. Nous ne pouvons pas annuler ou oublier tout le travail de pensée de la construction des Etats-Nations et son interprétation du passé en termes généalogiques. C'est ainsi qu'est écrite l'historiographie que nous lisons. C'est ainsi que nous avons été formatés. Ce sont nos lieux communs. Trompée et trompeuse, cette entreprise a eu des effets, elle a créé du lien. Elle a fait qu'un passé étranger est entré "dans la famille" et que, depuis des générations, nous l'avons toujours connu tel. Nulle période
n'est plus caractéristique de cette ambiguïté que le XVIIIe siècle
français dont la modernité rétrospective nous abuse. L'analyse
précédente resterait inachevée si, en appendice, je
ne la soumettais pas au test du XVIIIe. Refusant de lire
le XVIIIe à l'envers, à partir des évènements de la fin du siècle, je
cherche s'il y a une rupture dans la doctrine et la pratique du
Parlement. Je prétends que non: invariant, il devient étranger. Appendice : la médiévalité du Parlement à
l'épreuve du XVIIIe siècle: lire |
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& Kegan · Trevor-Roper Hugh Redwald, 1959, "The general crisis of 17th cent" (Past & Present, 16), repr in Trevor Aston, 1965 · Trevor-Roper Hugh Redwald, 1967, The Crisis of the Seventeenth Century - religion, the Reformation and social change, Liberty Fund, Indianapolis · Tribout Bruno, 2008, Les récits de conjuration sous le règne de Louis XIV, thèse Montréal/Sorbonne · Tricoire Damien, 2012, "La Fronde, un soulèvement areligieux au XVIIe siècle ? De l’opposition « dévote » sous Richelieu aux mazarinades de 1649", XVIIe siècle, N° 257, 64e année, N° 4 · Turner Ralph V., 1977 “The Origins of Common Pleas and King's Bench”, The American Journal of Legal History, vol. 21, no. 3, pp. 238–254 · Ullmann Walter, 1955, The growth of papal government in the middle ages, A Study in the Ideological Relation of Clerical to Lay Power, Second edition 1962, Methuen · Ullmann Walter, 1972, A short history of the papacy, Methuen · Valois Noël, 1886, Etude historique sur le conseil du roi, Paris, Imprimerie nationale · Van Engen John, 1986, "The Christian Middle Ages as an Historiographical Problem", The American Historical Review, Vol. 91, No. 3, pp. 519-552 · Viollet Paul, 1870, "Examen critique d'un ouvrage de Mr Gérin sur la pragmatique sanction de saint Louis", In: Bibliothèque de l'école des chartes, tome 31. pp. 162-193 · Viollet Paul, 1921, "Guillaume Durant le jeune, évèque de Mende", Histoire littéraire de la France, vol. XXXV, suite du XIVe siècle, pp 1-139 · Vollrath Hanna, 2004, "The Western Empire under the Salians", chap. 3 of The New Cambridge Medieval History, T4, part 2, edited by David Luscombe and Jonathan Riley-Smith · Vries Peer, 2010, "The California School and Beyond: How to Study the Great Divergence ?", History Compass, Volume 8, Issue 7, July, Pages 730–751, Blackwell Publishing Ltd · Walters Dafydd Bened, 1996, "Authority and power: conflicting ideas about sovereignty in the 12th & 13th centuries", in Centre de Rech. en hist. du droit & des institutions, La Souveraineté , U. Saint-Louis, Bruxelles · Watner Carl, 2005, "Quod omnes tangit: consent theory in the radical libertarian tradition in the middle ages", Journal of libertarian studies, volume 19, no. 2 (spring), p 67–85 · Wolter Udo, 1992, "La réception du droit romain dans les pays germaniques à la fin du moyen age et ses répercussions sur la pensée juridique européenne", Revue d'histoire des Facultés de droit et de la science juridique, n° 13 · Wormald Jenny, 1983, "James VI and I: two kings or one?", History, Volume 68, Issue 223, pages 187–209 · Wormald Jenny, 1988, Mary queen of scots — a study in failure · Wormald Jenny, 1991, (ed), Scotland Revisited, A History Today Book · Wrigley Edward Anthony, 1988, Continuity, chance & change - the character of the industrial revolution in England, Cambridge UP · Wrigley Edward Anthony, 2005, "The transition to an advanced organic economy: half a millennium of English agriculture", Economic History Review, Vol. 59/33, pp. 435-480, Aug. 2006 · Zeller Gaston, 1934, "Les Rois de France candidats à l'empire – essai sur l'idéologie impériale en France", Revue historique, 59e année, CLXXIII, 2e fasc. p 273-311, 3e fasc. p 497-534 |
||||
Notes
[1] 1ère
partie La Reyne
d'Angleterre qui estoit venue ce
iour-là de Sainct Germain, ayant aussi representé que les troubles
d'Angleterre
n'avoient iamais été si grands dans leur commencement, ny les esprits
si
eschauffez ny si unis... Du
Portail, 1649, Véritable récit,
p 299. [2] Marie Stuart, reine d'Ecosse, la grand-mère
de Charles, avait eu un procès secret et avait été exécutée en privé.
Encore la
reine Elisabeth n'avait-elle pas assumé cette décapitation, pourtant
populaire
en raison des innombrables complots "papistes" de Marie. Elle avait
protesté contre cette initiative malheureuse et pris le deuil. [3] Salmonet, 1649, Histoire
des
troubles de la Grande-Bretagne, Paris, ch. Antoine Vitré: Je ne veux rien prononcer sur les mœurs du
siècle où nous sommes, je peux bien assurer seulement qu'il n'est pas
des
meilleurs, étant un siècle de fer, qui est un mauvais réformateur de la
vie des
hommes, la guerre apportant d'ordinaire un débordement de vices avec la
désolation des Provinces. Toujours est-il fameux pour les grandes &
étranges révolutions qui y sont arrivées. On y a vu des personnes
monter sur
des trônes possédés par de grands & de puissants Rois sans donner
pas un
coup d'épée, & en prendre possession avec autant de facilité, comme
si ce
n'eût été qu'un petit héritage. On y a vu des Princes humiliés… Et on a
vu en
d'autres lieux des Sujets qui n'osaient regarder leur Souverain en
face, avoir
eu l'audace de le citer devant un tribunal, où auparavant ils ne
parlaient en
sa présence qu'en tremblant, & au mépris de la plus fière puissance
de la
terre, mettre un enfant sur son trône. Les révoltes y ont été
fréquentes, tant
dans l'Orient que dans l'Occident, & cette nation qui méprise
d'avoir
commerce avec le reste des hommes, a vu le grand mur qui la sépare de
ses barbares
voisins rompu & ses Provinces désolées… Mais entre toutes les
révolutions
qui sont arrivées en ce siècle, celle de la Grand' Bretagne est la plus
considérable, la plus étrange & la plus funeste dans toutes ses
circonstances. [4]
Surtout lorsqu'on
en exagère les péripéties amoureuses et personnelles. Le siècle de Louis XIV de
Voltaire caricature: Les discordes
civiles qui désolaient l’Angleterre, précisément en même temps servent
bien à
faire voir les caractères des deux nations. Les Anglais avaient mis
dans leurs
troubles civils un acharnement mélancolique et une fureur raisonnée:
ils
donnaient de sanglantes batailles ; le fer décidait tout ;
les
échafauds étaient dressés pour les vaincus... Les Français, au
contraire, se
précipitaient dans les séditions par caprice, et en riant: les
femmes
étaient à la tête des factions ; l’amour faisait et rompait les
cabales... [5] Comiers Claude, 1665, La nouvelle science des
Comètes & histoire générale de leurs
présages, Lyon, ch. Mathevet: En
l'année 1618, il sembla que le Ciel se préparait à ses derniers jours,
en
produisant comme tout à la fois & à la hâte tout ce qu’il pouvait
faire
d’extraordinaire. Tellement qu'on put compter plus de huit Comètes dans
la même
année… grandes & continuelles pluies…/incendies/…Evangéliques de
Bohème
/début de la guerre de trente ans/…toute l'Europe trembla de frayeur,
voyant le
Grand Seigneur Osman passer le Danube… Plusieurs accusent cette
épouvantable
Comète d'avoir été complice des malheurs d'Allemagne. [6] Par
une fatalité singulière, ce temps funeste à Ibrahim l’était à tous les
rois. Le
trône de l’empire d’Allemagne était ébranlé par la fameuse guerre de
Trente
Ans. La guerre civile désolait la France, et forçait la mère de Louis
XIV à
fuir de sa capitale avec ses enfants. Charles Ier, à Londres, était
condamné à
mort par ses sujets. Philippe IV, roi d’Espagne, après avoir perdu
presque
toutes ses possessions en Asie, avait perdu encore le Portugal. Le
commencement
du dix-septième siècle était le temps des usurpateurs presque d’un bout
du
monde à l’autre. Cromwell subjuguait l’Angleterre, l’Ecosse et
l’Irlande. Un
rebelle, nommé Litching, forçait le dernier empereur de la race
chinoise à
s’étrangler avec sa femme et ses enfants, et ouvrait l’empire de la
Chine aux
conquérants tartares. Aurangzeb, dans le Mogol, se révoltait (Voltaire,
1756, Essai sur les mœurs, Chap.
191). [7] A la fin des années 1930, Merriman, inquiet
de la révolution communiste mondiale (Is
the 'world revolution', of which we hear so much, an imminent
probability ?), s'interroge sur les connexions entre les
crises du
XVIIe et les leçons à en tirer. Son plan est le
suivant: I. THE SIX
REVOLUTIONS: (1)The Revolt in Catalonia (2) The Revolution in
Portugal
(3) The Uprising in Naples (4) The Puritan Revolution (5)The Fronde (6)
The
Revolution in the Netherlands ; II. PARALLELS AND
PHILOSOPHIES ; III.
CROSS-CURRENTS: (1) France and Catalonia (2) France and Portugal
(3)
France and Naples (4) Catalonia and Portugal (5) Portugal and England
(6)
Holland and Portugal (7) Spain and the Fronde (8) France and the
Netherlands
(9)France and England (10) Spain and England (11) England and Holland.
CONCLUSION. Outre la
préoccupation (issue de Ranke ?) de désingulariser la révolution
puritaine
et d'en faire le gagnant d'une course antimonarchique générale, le
parallèle
1648/1848 alimente la réflexion de l'auteur: malgré leurs points
communs,
ces révolutions sont restées isolées et, aujourd'hui, la force du
nationalisme
rend une telle segmentation encore plus probable. Cependant, il oublie
de noter
que, si les révolutions ne se sont pas secourues, les monarques non
plus. Loin
de là, ils ont excité les dissensions et cherché à en tirer
profit: la
France en Catalogne et, plus modérément, à Naples (Guise) et au
Portugal, comme
les Espagnols avec la Fronde. Même l'exécution de Charles I dont
tous les
monarques étaient plus ou moins parents et directement intéressés à la
vengeance, n'a pas suscité l'ombre d'une intervention. Pour autant
qu'il y ait
un message de l'histoire, il est ambigu ! Si Merriman
initie le thème de la "crise révolutionnaire du 17ème siècle", il
inaugure aussi la confusion conceptuelle comme le montrent les termes
qu'il
emploie: The Revolt in
Catalonia ; The Revolution in
Portugal ; The Uprising
in Naples ; The Puritan Revolution ;
The Fronde ; The Revolution
in
Netherlands. Il laisse "la Fronde" indéterminée et réserve le
terme "révolution" aux mouvements qui ont abouti à un changement de
gouvernement au moins temporaire. Les qualifier tous
"d'antimonarchiques" (anti-monarchical
rebellions) est abusif ou formel car ils ne s'opposent pas au
principe monarchique
mais au gouvernement de leur monarque. Catalogne, Portugal et Naples
montrent
des insurrections (diverses) contre l'étranger, représenté par le roi
de
Castille. France, Angleterre et Pays-Bas, des contestations (très
diverses
aussi) de la tendance "absolutiste" du gouvernement. [8] Merriman: it looks to us rather like a contest
between two different states than
like an internal struggle over conflicting theories of government. But
to the
men of that day -especially to the Spaniards of that day- it appeared
in a very
different light. It originated in the violation by Olivares of the
autonomous
privileges granted by Philip II in 1582, in the desire of the
government at
Madrid to obliterate the last traces of that spirit of separatism which
is the
common heritage of all the Iberian peoples. [9] Mousnier, 1954: Le siècle n’était que trouble,
agitation, chaos. Les sociétés
européennes semblaient aller à l'anarchie, à la dissolution et au néant.
Le continent n'en émergea que grâce aux
gouvernements forts qui émergèrent après 1650. Le titre de son
ouvrage est
tout un programme: Les XVIe et
XVIIe siècles. Les progrès de la civilisation européenne
et le
déclin de l'Orient. [10] Simiand, François, 1932, Recherches anciennes
et nouvelles sur le
mouvement général des prix du XVIe au XIXe siècle,
Domat-Montchrestien, 4°
partie - esquisse d’une recherche des concomitances au mouvement
général des
prix. Simiand avec autant d'ingéniosité statistique et de scrupules de
méthode
que de naïveté, construit et périodise la tendance des prix à long
terme et,
par élimination successive des facteurs explicatifs possibles, la
rattache, non
pas au montant du stock de monnaie, mais à la variation de sa
variation. Ce mouvement général [des prix en Europe
occidentale] nous a paru se caractériser par une grande hausse, sans
doute au
total, depuis le XVIème siècle jusqu'au XIXème siècle, mais qui se
différencie
dans ce laps de temps en phases bien marquées de caractère très
différent,
opposé et alternatif… La première phase, très nettement, est une phase
de
hausse relativement très forte, qui va du début du XVIème siècle
jusque, nous
semble-t-il, au milieu du XVIIème siècle (mon
soulignement). Ensuite, se
distingue une seconde phase, qui est, nous semble-t-il, au minimum un
arrêt de
la hausse, un palier ou même une régression, qui irait de ce milieu du
XVIIème
siècle jusqu'environ au troisième ou quatrième quart du XVIIIème siècle…(p
423) ... il est tout à fait manifeste
qu’à partir du milieu du XVIIème siècle au moins, un changement très
notable
intervient, qui est un changement dans le taux d’accroissement de ce
stock
[monétaire]. Ce n'est pas le passage
d'une hausse de ce stock à une baisse de ce stock ; c'est le
passage d'un
taux d'accroissement relativement très élevé à un taux d'accroissement
relativement bas, et qui s'abaisse encore dons le cours du XVIIIème
siècle (p 545).
La stagnation des prix explique la détérioration des finances publiques
dont
les recettes croissaient dans la phase inflationniste (?) et, faute de
compréhension du phénomène par les contemporains, les vains efforts des
gouvernements pour la combattre en augmentant les impôts. Elle explique
aussi
le « mercantilisme » défensif de la période: quand
les prix haussent, il n'est pas besoin
de se défendre contre eux. Mais surtout, elle pousse les
entrepreneurs à
augmenter le rendement pour maintenir leur marge malgré la diminution
du
chiffre d'affaires:…nous pouvons
comprendre qu'il soit ressenti dans ces périodes une pression sans
cesse accrue
sur le prix de revient et sur ses éléments, notamment le coût de
transformation…[le
moyen d’ajustement est] l'augmentation du
rendement et constitue certainement une part du progrés économique. [11] Hobsbawm, "The crisis of the 17th
century (Past &Present, 1954, N°
5&6, repr. in Trevor Aston, 1965, Crisis
in Europe, 1560/1600), initialement publié sous le titre "The
General
Crisis of the European Economy in the Seventeenth Century": the
european economy passed through a
'general crisis' during the 17th, the
last phase of the general transition from a feudal to a capitalist
economy (mon
soulignement)...the english revolution
with all its far-reaching results is therefore the most decisive
product of the
17th century crisis. Elliott 2005
résume ainsi sa démarche: In
addressing his central question of "Why did the expansion of the later
fifteenth and sixteenth centuries not lead straight into the epoch of
the
eighteenth- and nineteenth-century Industrial Revolution ?"
Hobsbawm
extended the discussion to embrace Europe as a whole. His answer
pointed to
internal contradictions in the European economy and to the "failure to
surmount certain general obstacles which still stood in the way of the
full
development of capitalism." At the heart of this failure was the
failure
to revolutionize the "social framework" of a still feudal and
agrarian society, which succeeded in holding the emerging forces of
capitalism
in check. The seventeenth century thus becomes a century of "general
crisis". Rappelons
encore l'héroïque tentative de Porchnev de faire de la Fronde une
révolution
bourgeoise manquée. La bourgeoisie trahit sa "mission historique" car
les offices l'ont féodalisée. L'Etat "féodalo-absolutiste" assure le
triomphe des exploiteurs sur les masses (Porchnev Boris, 1963, Les soulèvements populaires en France de
1623 à 1648. Paris, S.E.V.P.E.N.). [12] Such,
as it seems to me, was ‘‘the general crisis of the seventeenth
century.’’ It
was a crisis not of the constitution nor of the system of production,
but of
the State, or rather, of the relation of the State to society.
Different
countries found their way out of that crisis in different ways... [13] ...the
decisive element in the concentration of interest on the revolutions of
the
1640s is clearly the supreme importance attributed to the Puritan
Revolution in England, as the event which precipitates the
collapse of Europe's feudal structure and the emergence of a capitalist
society. If the Puritan Revolution is seen as the essential prelude to
the
Industrial Revolution, it is obvious that a constellation of
revolutions
benefiting from its reflected glory, is likely to outshine... But it
would be
foolish to ignore the possibility that, in using a concept of
revolution which
is relatively recent in origin, we may unconsciously be introducing
anachronisms or focusing on certain problems which accord with our own
preoccupations. [14] An age
as acutely attuned as ours to the distress signals of the poor and the
starving, may be correspondingly less sensitive to the cries of the
more fortunate
for freedom from arbitrary power. The innumerable peasant revolts -the
"soulèvements populaires"- which are now being analysed in such
painstaking detail, provide a terrifying revelation of the misery in
which most
of Europe's population lived. But we should not, I believe, be afraid
to ask
the apparently brutal question: did they make any difference ? [15] The
crucial question then becomes the
attitude adopted by the mass of the uncommitted among the ruling class.
Will
they rally behind the crown and the agents of royal authority in an
emergency,
or will they allow the leaders of the insurrection to have their
way ? The
answer is likely to depend on a delicate balance between the ruling
class's
persistent fear of social upheaval, and its feeling of alienation from
the
crown... [16] …In
view of this inherent instability of early modern societies, frequent
revolts
can scarcely be seen as a cause for surprise. Given this, one has to
question
the uniqueness of the clustering of revolutions in the 1640s, and with
it the
whole notion of a general crisis of the seventeenth century. [17] Benedict Philip, Introduction, 2005, Early
modem Europe: from crisis to
stability: If any
minimal consensus emerged from the
discussion about why so many revolts happened at once in the middle of
the
seventeenth century, it is surely that the financial strain imposed by
the
Thirty Years' War bred political discontent in the many lands involved
in the
war, as were five of the six that experienced the "six contemporaneous
revolutions." Few lands, however, felt the strain of war taxation and
conscription more than Castile, where taxes were notoriously higher
than in the
other parts of the Spanish Monarchy, yet Castile
did not revolt (mon
soulignement). Few lands suffered a more
disheartening and costly defeat than Denmark. Few lands bore a heavier
burden
in terms of military service than Sweden, especially its Finnish
provinces. Yet these kingdoms did not revolt (mon
soulignement). [18] It is
ironical that, at a time when the dominant trend has been toward the
deconstruction of the economic and political crises of the seventeenth
century,
in one area at least the trend has been in the opposite direction.
Meteorological historians have for some time now been informing those
who wish
to listen of a general deterioration of climate in the seventeenth
century,
with a drop in temperatures which they relate to fluctuations in
sunspots and
to a dramatic increase in volcanic activity. So there looms ahead of us
the
possibility of another debate, this time on the global crisis of the
seventeenth century. [19] The problem with
Parker’s approach revolves
around how we view the task of historical explanation. The
seventeenth-century
general crisis, more than most historical conceptions, is based on
theory. Its
various theorists all supposed that something was guiding and
challenging the
actors that few if any of them could fully understand. Thus, the crisis
does not
emerge directly from the testimony of contemporaries. It is the
historian’s
task to cast the evidence into a theoretical framework. Global Crisis
certainly
relies on abstractions unknown to contemporaries, most notably the
Little Ice
Age. But by converting this notion into a historical actor, Parker
sidesteps
the challenge of measurement and testing in favor of an evocative
narration of
catastrophe and survival. He has converted the crisis of specialists
into a
thumping good read with a contemporary moral. This strategy will revive
interest in the crisis framework in a way that no specialist work
could, for
which all of us who study the early modern world should be grateful.
The task
of explanation, however, remains (Jan de Vries, 2014, The Crisis of
the
Seventeenth Century: The Little Ice Age and the Mystery of the “Great
Divergence”, Journal of Interdisciplinary
History, XLIV:3,Winter, 369–377). [20] La dernière partie est la moins
intéressante. L'auteur présente le recovery
post crise pour montrer qu'il est à l'origine de la "grande
divergence" (contre Pomeranz), l'Occident ayant réagi en s'adaptant
tandis
que l'Orient revenait seulement au status
quo ante. Les données utilisées s'éparpillent sur tout le siècle, y
compris
la phase noire de la crise, ce qui, non seulement ne prouve pas la
thèse mais
l'improuve. [21] de Vries, 1977, "Histoire du climat et
economie: des faits nouveaux, une interpretation différente", Annales E. S. C., 32, 198-226. Il
conclut: d'une part, j'ai donc pu
... construire une série chronologique de 340 années qui permis de
dégager des
périodes climatiques Ces périodes remettent en question l'existence du
Petit
âge glaciaire ainsi que le modèle cyclique de variations de température
qui lui
est associé ; d'autre part, quant aux effets, pour
l'essentiel les influences du climat sur la société sont limitées
ou hypothétiques. [22] Pour lui, l'idée de "crise du
17ème" est, du côté théorique, un obsolète héritage des Lumières, et,
du
côté empirique, le reflet des transformations structurelles que connaît
alors
l'Europe atlantique (De Vries, 2009, "The Economic Crisis of the
Seventeenth Centurv after Fifty Years", The Journal of
Interdisciplinary History, Vol. 40, No. 2, Autumn). [23] McCants (ibid, JIH, 2009) constate bien un retournement du mouvement de la population (the expansion came to an abrupt halt after the first two decades of the seventeenth century) mais ne trouve pas de preuve du lien postulé avec le climat. There can be
no doubt that people suffered
when the harvest was short, but it became increasingly clear that they
did not
actually starve to death nearly as often as scholars once assumed. No
amount of
rigorous statistical testing has been able to discover any consistently
strong
relationship between harvest failures and mortality crises using data
from
Western Europe (p 208). Finally, the
important contribution of
marriage behavior to the demographic equation seems to have been
remarkably
different for Europe than for all other agricultural societies; it
fluctuated
over a relatively small range in comparison to the gap between Europe
and all
other areas (p 214). [24] Shank, 2008, "Crisis: A
Useful Category of Post- Social
Scientific Historical Analysis?": Viewed
from this newly detached vantage point, the general crisis
debate now appears as a classic product of Enlightenment social
scientific
history, and something that cannot be evaluated without evaluating the
social
scientific frameworks that overdetermined its creation… the
"seventeenth-century crisis" was not a detached object "out
there" awaiting discovery by rigorous empirical historians, but a
conceptual frame that led empirical details to be joined together with
theoretical assumptions in the production of both an object of study
(seventeenth century society) and its characteristic attributes (crisis
dynamics) at the same time… Skepticism about the reifications at the
center of
the general crisis debates makes it hard to argue for salvaging this
framework
from out of the historiographical dustbin. Dans la
dernière partie de son article, l'auteur, toutefois, remarque que Clio
a deux
faces: science et rhétorique. Si la "crise" est perdue pour la
science, son acception rhétorique peut être productive pour comprendre
la
modernité à travers sa propre narration (understanding
modernity through its narration, not its scientific analysis). [25]...historical
determinism was in retreat, as the contingent and the individual were
rediscovered, political history was reinvented, the art of narrative
(to
Lawrence Stone's astonishment) was revived, the revisionists settled
down to
the systematic deconstruction of everything we thought we knew and
understood
before their demolition squads appeared on the scene. Such a climate
was hardly
propitious to the general crisis theory, or indeed to any other theory.
The
links, or presumed links, between the economy and politics had been
snapped,
and what had once been seen as great revolutions were all too easily
reduced to
the contingency of day-to-day events. [26] By the early
twentieth century, in the work
of Emile Durkheim and Max Weber, the
problem of the origins of the modern world had become the central
problem of
sociology... this particular sociological theory defines "early
modern" primarily through contradistinction from a "feudal" mode
of production that had no exact analogue (or even close analogue except
perhaps
in Japan) outside of Europe... the
problem with using "early modern" simply as a code to denote the
period 1500-1850 is that China, Korea, Southeast Asia, Russia, the
Middle East,
and Africa are, in effect, left out of the account. For these regions,
the
years 1500-1850 do not denote a particular regime or cultural era. [27] The
belief that "early modern" is a sensible adjective for the period
1500 to 1850 rests on the belief that no other term captures the period
of
transition between feudalism and capitalism, an era marked by the
emergence of
markets dominated by merchant capital and proto-industry. Perhaps then,
the
best way to check for the existence of "early modern" societies
outside of Europe is to simply seek for markets, merchant capital, and
proto-industrial (e.g. household market-oriented) production… Scholars
of all
parts of the world have been remarkably successful in demonstrating
that Europe
had no monopoly on markets, merchants, and market-oriented households.
Unfortunately, such scholars have perhaps been too successful. We now
have
evidence of "early modern" practices in eighteenth century Japan,
thirteenth century China, eleventh century Java, and even of an entire
capitalist "world system" in the Indian Ocean basin in the thirteenth
century. Perhaps most startling of all is the study of "early modern"
business practices in land-leasing among Egyptian landlords at least
from
Graeco-Roman times, and even more, among Assyrian merchants operating
in
Anatolia not in this era, but c. 1900 B.C.!…these studies also raise
the
question- how can merchant practices in isolation, or in networks of
long-distance trade, which are found as far back as 4000 years ago, and
are so
widespread as to be found throughout Asia from the tenth century
onward, be
meaningfully "early modern?"… In other words, "early
modern" can mean almost nothing, or almost everything, and as such, is
a
wholly meaningless term. It developed out of the need to fill in a
space in the
Marxist theory of stages of history, where it fills the gap between
feudalism
and industrial capitalism in Europe by interpolating commercial
practices that
have been widespread from the earliest days of commerce, while
erroneously
concluding that those practices represent something new, something
essentially
Western, and something closely tied to the emergence of "modern"
societies. In fact, none of these latter propositions are valid. Thus
the term
"early modern" is founded on a series of errors, and has no useful
application to world history…despite considerable economic growth,
specialization, and market activity, /these societies/ showed no signs
of
becoming "modern" in the functionalist sense described above… from
1500 to 1750 the nations of Europe were a group of squabbling minor
nations,
tearing each other apart in fights over some of the least productive,
most
barren, and weakest territories on the globe, minor players fighting
over the
crumbs left behind by the advance of the great Asian societies. Voir
aussi: Goldstone, 2002, "Efflorescences and Economic Growth in
World
History: Rethinking the 'Rise of the West’ and the Industrial
Revolution", Journal of World History, Vol. 13,
No. 2 ; sa critique (Bryant Joseph M. , 2006, "The West and the
Rest
Revisited: Debating Capitalist Origins, European Colonialism, and
the
Advent of Modernity", Canadian
Journal of Sociology 31/4) ; et la réponse de Goldstone
(2008:
"Capitalist Origins, the Advent of Modernity, and Coherent Explanation:
A
Response to Joseph M. Bryant", ibid
33/1). [28] Goldstone, 2000, "The Rise of the
West-or Not ? A Revision to Socio-economic History", Sociological
Theory 18:2: The
California school reverses this emphasis
and sees Europe as a peripheral, conflict-ridden, and low-innovation
society in
world history until relatively late… During this period, from 1000 AD
to 1600,
China explores central Asia and sends enormous fleets of ships westward
to the
coast of Africa, but can find no civilization producing goods that it
does not
produce better at home. In contrast, Chinese goods are sought
throughout the
known world. On the far western periphery of Eurasia, in western
Europe, is a
savage but nimble race of warriors, skilled forgers of arms and armor,
clever
with clockworks and other trinkets but dependent on crude iron and
cruder
steel, and with no skills in the production of silks… or other
valuables… In
the fifteenth and sixteenth centuries, they send small fleets to the
Indian
Ocean and adjacent seas, and manage to establish a few outposts on the
fringes
of eastern civilizations. From there, they compete with vaster fleets
of Arab,
Chinese, and Indian merchants in the carrying trade of East Asia,
creating a
small fortune for some lucky merchants but having no real impact on
Asian
civilizations for the next two hundred years… It has been a general
pattern
that smallish groups of underdeveloped, barbarian peoples on the
periphery of
great and populous civilizations can achieve stunning geopolitical
victories
when the great civilizations are in decline… The triumphs of the West
prior to
industrialization turn out, on closer inspection, to be made of similar
material. The most stunning conquests were those of the Aztecs and the
Incas by
Spain… As to the British conquest of India, it was not greatly
dissimilar to
that by Spain in the Americas… In sum, until well into the 1800s, the
European
conquests are not greatly different from the other great barbarian
conquests of
history: Ruthless and mobile bands coming on great civilizations torn
by
internal dissension and decay frequently emerge as conquerors… These
findings
force us to face two very simple principles: (1) most conditions in
Europe do
not seem broadly different from those in the advanced regions of Asia
until
relatively recently, c. 1800; and (2) the later great divergence need
not be
rooted in great and long-standing prior differences, but could well be
the
result of small differences and chance events that created oddly
exceptional
political and cultural conditions not in "Europe," but in small parts
of Europe... [29] L'histoire quantitative de ces exotismes que
sont les sociétés organiques
méconnaît les problèmes sous-jacents. D'abord le manque de données
"indigènes" et les difficultés de leur reconstitution. Les
statisticiens et économètres disposent aujourd'hui de "bases de
données" synthétiques dont ils n'ont pas l'idée d'interroger la
validité.
Ensuite et surtout, c'est la question de la signification de ces
données et le
danger d'anachronisme. Par exemple, les séries de prix peuvent être,
sinon
relevées, du moins induites dans une certaine mesure. Mais quelle est
la
signification du prix dans une "société" dualiste où le lien au
marché est la plupart du temps partiel et indirect ? De même les
comparaisons du revenu par tête dans le temps ou entre pays, supposent
l'estimation du "revenu national" (et qu'un tel agrégat ait un sens
pour ces sociétés) et de la population. Cet indicateur dont l'usage
demande
déjà beaucoup de prudence dans nos sociétés, vaut-il quelque chose
lorsqu'on le
rétroprojette ? On sait que les disettes proviennent moins de
l'insuffisance de la production que de problèmes de distribution, y
compris
physique (transport, stokage). [30] Par exemple, Peer Vries qui partage les
postulats critiques des "Californiens" trouve qu'ils généralisent
trop. Ils exagèrent les ressemblances entre l'Europe occidentale et
l'Asie
orientale. Les temps et les lieux restent flous. Il manque encore une
analyse
historique précise des trajectoires, des développements politiques,
militaires,
culturels et institutionnels (Vries, 2010, "The California School and
Beyond: How to Study the Great Divergence ?", History
Compass, Volume 8, Issue 7, July, Pages 730–751,
Blackwell). De fait, le manuel pédagogique de Goldstone (2008, Why Europe? The Rise of the West in World
History,1500–1850) caricature une nouvelle orthodoxie. [31] Dewald: The concept of a
seventeenth-century crisis has endured, in short, less
because of what it says about specific events in the early modern
period than
as an effort to understand European modernity already before World War
II,
French social historians viewed 1650 as a turning point..as a moment of
structural change, whose effects remained visible in their own
times…Given this
background, French social historians were prepared to welcome
Hobsbawm's vision
of a turning point coming in the mid-seventeenth century…by the 1970s,
then,
two versions of seventeenth-century social crisis had emerged. British
and
French historians agreed on the fact and timing of crisis, as
manifested in
stagnating prices and populations, and in political upheavals as well.
They
also shared an attentiveness to commonalities that cut across the
continent's
political boundaries, suggesting that a truly European history of the
period
could-and should- be written. Beyond these agreements, they differed
significantly in orientation, with British historians emphasizing the
period's
structural changes and innovations, the French its traditionalism and
"blockages". [32] Dewald: It requires no special historical
theory to view the seventeenth
century -with its wars, assassinations, plagues, and rebellions- as an
age of
plural crises. But it is another story to speak of these multiple
events as
somehow linked, manifestations of a single European or even global
crisis… At
the center of the debate are questions about preconditions for Europe's
eighteenth- and nineteenth-century successes, notably its
industrialization and
imperial expansion… The concept of a seventeenth-century crisis has
endured, in
short, less because of what it says about specific events in the early
modern
period than as an effort to understand
European modernity (mon soulignement)… Just as the
idea's initial emergence responded
to contemporary assumptions about modernization and its traumas, as
well as to
scholarly discoveries, so also revisions to it express historians'
growing
skepticism about concepts such as modernity and tradition, in past and
present
alike. A first source of change has been a retreat -among historians as
among
other intellectuals- from what might be termed structuralist thinking…
Hobsbawm
and his contemporaries shared the belief that political turmoil
expressed deep
social trouble. More recently, however, revisionist scholars in a
variety of
fields have reemphasized the autonomy of political forces, questioning
the
importance of social causes in bringing on such events as the English
and
French revolutions. Politics, they have argued, follows its own logic… The crisis
idea offered historians of the
1950s and 1960s a powerful tool for understanding Europe's transition
to
modernity. As transition itself has come to seem a more elusive
phenomenon, the
usefulness of crisis as an explanation for it has tended to evaporate…
More
important still, historians have become less certain about placing
British
industrialization at the center of European modernity. Just as even the
least
theoretically inclined historians have become poststructuralists, they
have
also become members of post-industrial societies, whose economic
achievements
often come from small workshops and in non-industrial forms. With such
examples
before us, the modernities of pre-industrial capitalism have become
more
visible… ...these
views undermine what bas been a
central theme in Western social theory, that of explaining divergence
between
Europe and the rest of the world in terms of essential qualities
internal to
each. Divergence may have come only late in Europe's story, and it may
have resulted
from exogenous forces, rather than from the continent's culture or
social
organization. From this vantage point, the crisis of the seventeenth
century
loses most of its significance as a social historical event. [33] Dans les données initiales, mentionnons
l'épuissement des forêts anglaises, la disponibilité du charbon et le
réseau de
transport fluvial pour l'acheminer. Dans la dynamique, l'épuisement des
couches
superficielles et la nécessité de pomper à laquelle répond la machine à
vapeur
(Newcomen): le faible rendement qui, rédhibitoire pour tout autre
usage,
n'est pas un obstacle puisque le charbon abonde sur place.
Ultérieurement, les
perfectionnements (Watt) rendent la machine apte à tous les usages et
permettent de concentrer l'énergie et la production dans des
agglomérations
usinières localisées en fonction des transports mondiaux. English history appears at first blush to afford support for the view that the modernization process culminated abruptly in an industrial révolution...Yet, there is strong historical evidence casting doubt on any automatic association of the characteristics often grouped under the descriptive label of modernization with the industrial revolution /Holland/...a different sort of capitalism was required (p 102/103)... it seems prudent to regard such growth not as a structural feature..but as an uncovenanted blessing (p 114)... the english economy was capitalist in both sens of the word, but the connection btw the two was initially casual rather than causal (p 115)...until the middle of the 19th century it was till reasonable to fear a fate for England similar to what had overtaken Holland. Hence the predominance ot the stationary state in the prognostications of the classical economists (p 116)... [33b] Organic vs
mineral based. Je
préférais parler de "flux" et de "stock". Pour l'auteur, il s'agit de
qualifier le régime énergétique mais "organique" est aussi une
qualification sociale inopportune. Si le mot peut se comprendre comme naturel (comme on dit
"engrais organique" vs "engrais "chimique"), dans la tradition
politique de la droite anti-révolutionnaire continentale, le concept de
société organique
s'oppose à l'individualisme libéral: chacun appartient à un ordre ou à
une communauté et s'y identifie. Cette supposée harmonie est brisée par
la révolution (politique et industrielle) qui conduit au chaos: cf.
Bonald, de Maistre, etc pour la France , et, différemment, Gierke et sa
Genossenschaftstheorie pour
l'Allemagne. L'exploitation totalitariste du thème au XXe siècle rend
inacceptable l'expression de société
organique pour qualifier les "sociétés" ante industrielles, cet
âge d'or de la pensée anti-révolutionnaire. De plus, ces
"sociétés" sont caractérisées non par l'ordre et l'harmonie mais par
l'instabilité et la confusion. Des analyses aussi profonds que Furet et
Nolte font de la "question de Rousseau" (qu'est-ce qu'une société si nous sommes
des individus ?) le drame existentiel du libéralisme
auquel auraient répondu communisme et fascisme antilibéraux, imposant
la dictature de leuruniversel
sur le particulier. Mais cela
revient à prendre l'idéologie "organique" (ex post) pour sa réalité
historique. Les "sociétés organiques" se rêvent d'autant plus ordonnées
(chacun à sa place) qu'elles sont désordonnées (cf. l' "absolutisme"). [34] If the
sweep of English history during the centuries before and during the
industrial
revolution represents a unitary and progressive phenomenon it is
natural to
suppose that the later stage can only be reached after having first
traversed
the earlier stages. It is reasonable to expect for example that a
bourgeois
state should precede an industrial revolution. But whereas it may be
logical to
expect this to be true in relation with the kind of economic growth
that
characterized the advanced organic economy, it is much lesss certain
that the
same should be true in relation to the mineral-based energy economy. To
the
degree that the original association between the latter and its
predecessor was
a matter of coincidence rather than necessity in the land of its
origin, its
successful translation to other countries with very different social,
political, legal and economic structures is not a matter of great
surprise. It
is in keeping with what might be termed the neutrality of
the new sources of growth with respect to social and
political context (mon
soulignement) that many things should not
have changed at the time of the gradual transfer to a mineral-based
energy
economy or they should have changed out of phase with the economic
changes
(p 118). [35] Goldstone, 2008, "Capitalist Origins,
the Advent of Modernity, and Coherent Explanation:A Response to Joseph
M.
Bryant", Canadian Journal of
Sociology, 33-1: …the
California School is far from united,
and thus far from coherent, on how the changes occurred. For Frank,
China was
suffering a temporary reversal due to internal conflicts in the late
18th
through early 20th centuries that allowed Europe to temporarily
overtake it.
For Pomeranz, the contingent combination of coal and colonies provided
Europe
with resources that it managed to lever into a modernizing leap. For
Wong,
technological improvements in key fields of production in Europe in the
18th
century opened a new pathway for progress, which the technological
improvements
that China made in other fields (hydraulics, botany) did not provide.
For
myself, I argue that a combination of changes in methods of scientific
investigation and social networks of entrepreneurs and engineers, which
emerged
mainly in Britain in the late 17th and early 18th centuries, catalyzed
a shift
to an innovation-driven and energy-intensive economy that marked a
sharp
departure from the limits that had previously bound all organic
economies. [36] Bloch Marc, 1952, Les caractères originaux de
l'histoire rurale française, T1: Aux yeux de
l’historien, qui n’a qu’à noter
et à expliquer les liaisons des phénomènes, la révolte agraire apparaît
aussi
inséparable du régime seigneurial que, par exemple, de la grande
entreprise
capitaliste, la grève. Presque toujours vouées à l’échec et au massacre
final,
les grandes insurrections étaient, de toute façon, trop inorganiques
pour rien
fonder de durable. Si, dans
certaines circonstances, la révolte s'attaque à tous les "nantis",
dans beaucoup d'autres elle est excitée contre le fisc par la noblesse
(cf.
Mousnier, 1958, "les soulèvements populaires en France avant la
Fronde", Revue d'histoire moderne et
contemporaine, n°4). [37] Dewald, 2008, op. cit.: H.
G.
Koenigsberger pushed the argument /d’Elliott/ farther still, suggesting
that
political violence was in fact the normal condition of early modern
life.
Models imported from the social sciences, he suggested, had misled
historians
into imagining a baseline equilibrium against which the
seventeenth-century
rebellions exploded. In fact there was no such equilibrium. Instead, he
suggested, the chaos and competition of
early modern life ensured that some form of rebellion could be found
throughout
the period (mon soulignement). Cf.
Koenigsberger, H. G., 1986, "The crisis of the 17th century: a
farewell ?", CH7 de Koenigsberger, Politicians and
Virtuosi: Essays in Early Modern History. [38] Harold Innis, avec sa thèse de 1923 sur le Canadian
Pacific Railway comme
constitutif de la nation canadienne, me faisait espérer trouver dans Empire
and Communications (1950) une réflexion et une analyse générale de
la dimension politique des
communications. Hélas, il les réduit aux "médias", étudiant l'oral et
l'écrit, l'écrit et l'imprimé, les rapports entre la plume et le glaive
et les
biais "sociétaux" produits par les différents types de supports. Je n'ai pas trouvé la référence de la
remarque sur Napoléon prêtée à
Paul Valéry. Les historiens de l'économie ou les économistes des
transports notent la lenteur des déplacements mais, confinés à leur
spécialité, n'en
tirent pas d'inférence pour l'Histoire générale. Cf Klein Olivier 2001, Les horizons de la grande vitesse : le
TGV, une innovation lue à travers les mutations de son époque,
thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2 (P1, C1):‘La véritable
mesure de la distance [est] la vitesse de déplacement des hommes’ a encore écrit Fernand Braudel (1986,
tome 1, p. 105) auquel on peut largement se référer lorsqu’il s’agit
d'aborder les temps longs. Celle-ci n’a pas augmenté de manière
uniforme au cours du temps, loin s’en faut. On peut, semble-t-il,
distinguer au moins deux périodes bien différentes. Durant la première,
rien ne bouge, entendons que l’on se déplace toujours à la même
vitesse. Paul Valéry, repris par Braudel, a dressé paraît-il ce constat
: ‘Napoléon va à la même lenteur que Jules César’ . Des siècles au pas de l’homme ou, au
mieux, du cheval. Les indices sont nombreux qui attestent de cette
lenteur. C’est elle, à travers l’immensité du territoire qu’elle
engendre, qui explique la conservation de nos particularismes locaux et
finalement, que « la France se nomme diversité », selon le titre du premier chapitre de
L’identité de la France (Braudel, 1986, tome 1, p.111 et suivantes, «
Le morcellement de la France s’explique enfin »). Tout récemment,
la géographie historique et l'histoire relationnelle ont commencé à
reconceptualiser l'espace "médiéval". Cf. Gravel, 2009,
"Distances, rencontres, communications. Les défis de la concorde dans
l’Empire carolingien", Memini,
n°13, pp 85-98 ; Études rurales,
2011, n°188, Archéogéographie et
disciplines voisines (notamment Buscail, "Le domaine royal: entre
territoires et réseaux"). [39] Bergin Joseph, 2011, "Three Faces of
Richelieu: A Historiographical Essay", French
History, Vol. 23, Issue 4, p. 517-536: the
entire political landscape of his day was one in which ties of
patronage and clientage were at work everywhere, from top to bottom,
and that
such ties were the real glue of the political system. Cf. Kettering
Sharon, 1986, Patrons, Brokers and
Clients in Seventeenth-Century France, Oxford [40] 2ème
partie Je reprends
l'expression traditionnelle sans chercher à donner un sens particulier
à
"rébellion". Tribout 2008 montre la complexité du champ
linguistique: p 37/38 La série
révolte, rébellion, sédition, quant à elle, permet d'insister davantage
sur une
opposition déclarée au pouvoir, opposition nette, qui a lieu au grand
jour,
comme en témoignent le mécanisme et le sens de la préfixation communs à
tous
ces vocables: la sed-itio,
c'est en effet l'action de se mettre à part, de rompre de la concorde
civile,
de même que re-volvere, c'est se
retourner, faire volte-face, affronter le pouvoir, mouvement que
rappelle aussi
le préfixe intensif ou itératif de re-bellare,
qui signifie, à proprement parler, reprendre la guerre - ce qui,
autrement dit,
en tenant compte de la pensée politique contemporaine, rejoint l'idée
que le
mouvement de révolte rallume la discorde originelle pacifiée par
l'instauration
de la société civile. On peut toutefois introduire une nuance dans
cette
catégorie: si révolte et rébellion semblent indifféremment
utilisés pour
la noblesse ou le peuple, bien que sans doute davantage pour la
noblesse,
souvent avec l'idée d'organisation et de programme politique précis,
sédition
met l'accent sur un type d'acteurs bien précis, le tiers état: peuples,
mercenaires, bourgeois de bas étage, agissant avec une certaine
spontanéité
(qu'ils soient ou non conduits par la noblesse)…p 98
Ainsi, comme l'écrit Louis Marin [1989,
"Pour une théorie baroque de l'action politique"], dans un
commentaire inspiré des
Considérations de Naudé, le prince, à travers le recours au coup
d'État, "pose
son acte «aux limites» de son pouvoir".
Mieux, "le coup d'État du prince, c'est le pouvoir d'État faisant
en
quelque sorte régression à la violence originaire de sa fondation, à
son
fondement de force. Le coup d'État révèle, dans l'instant même de sa
manifestation, le fondement du pouvoir, il est l'apocalypse de son
origine"… p 168 Les
révolutions évoquent certes un
changement radical dans le personnel politique de telle ou telle cour,
mais
elles impliquent un pouvoir continué; plus encore, elles se placent du
côté du
pouvoir, tandis que les conjurations impliquent une résistance à ce
dernier.
C'est ce qui explique la recrudescence des ouvrages historiques ayant
pour
titre «Histoire des révolutions»,
face à la relative rareté des titres en «conjurations»;
on observe même des phénomènes de réécriture allant explicitement en
ce sens: un ouvrage de Vertot, intitulé, lors de sa première
publication
en 1689, Histoire de la conjuration de Portugal, est
ainsi rebaptisé Histoire des révolutions de Portugal
dans les éditions suivantes. [41] Jettot, 2012, "Les dix‑septiémistes
français et les îles
britanniques" ; Meyer Jean, 1985, "L’Histoire vue de
l'Angleterre: histoire anglaise", Revue historique,
274/2 ; Hutton Ronald E., 2004, Debates in Stuart
History, Palgrave
Macmillan. [42] Christianson, 1976, p 52: The
spatial-temporal continuum need not mean
"just one damn thing after another" for the historian, any more than
it does for the physicist or the social scientist. It demands a
framework which
takes account of seemingly random events, one with a method of careful
contextualism, and one wary of any teleological constructs. Historians
ought to
feel more at home in a model of the universe that stresses will,
chance, uniqueness,
patterns, and even irrationality than in one dominated by the search
for
universal, mechanistic, deterministic laws...p 53 With
their eyes focussed on later thinkers like Hobbes and Locke,
historians.. found it hard to imagine that sensible "forward looking"
people in Tudor and Stuart England could have sympathized with such
stuff. The
"divine right of kings" may well seem strange to those brought up on
a strict diet of Locke and his followers, but it appeared neither
outlandish
nor foolish to those who believed in an hierarchical universe and
society…p 54 When they finally placed the "divine
right of kings" in its proper social and intellectual context,
historians
observed that it appealed to contemporaries of James VI and I precisely
because
it reflected their perception of nature and society. By demonstrating
that
parliamentarians did not look forward to the future sovereignty of the
people,
or even of the House of Commons, but backward toward an Ancient
Constitution,
recent studies knocked away the last prop of the old Whig tradition in
this
area... Adamson, 2007,
p 503: the determinism of the old whig
and marxist-inspired 'grand narratives'... was exploded by the
revelation in
the 1990s of just how reluctant and contingency-dependent
the entire conflict turned out to be. Ce
"révisionnisme" n'a pas plu aux historiens traditionnels et n'a pas
fait consensus. Une fois passé l'effet de mode de cette excitante
révolution,
on s'en débarrasse en en faisant un phénomène générationnel de jeunes
en colère
(Hutton) et, après l'avoir caricaturée comme le remplacement du
déterminisme
par l'aléatoire (road accidents), on
vogue à nouveau paisiblement sur le main
stream ou sur tel ou tel de ses multiples bras (histoire du genre,
histoire
régionale, histoire des sorcières, histoire des sans histoire, etc.) [43] La lecture whig fait de James 1&6 un
théoricien de l'absolutisme, voire
son seul théoricien anglais. Elle déroule son atavisme français (Mary queen), la True Law (1598), le Basilikon
Doron (1599), les discours au Parlement. Et, enchaînant
Charles I à
Jacques I qui l'aurait programmé, elle trouve là les raisons de
l'opposition entre le Roi et le Parlement et, après tant d'épisodes
décrédibilisants, de l'issue fatale. A la suite de cette malheureuse
contre-offensive Stuart (en deux étapes), Guillaume d'Orange renouerait
avec le
trend millénaire du King in Parliament. La True Law
de James I paraît
tellement scandaleuse aux yeux du Parlementarisme anglais ultérieur
que,
aujourd'hui encore, les b, a, ba sur la constitution anglaise en font
un
repoussoir, citant les extraits concernant le Roi overlord
au-dessus du Parlement), comme si c'était une théorie et
non une argumentation en partie rhétorique. [44] En raison des practical
limitations on the power of the
French monarchs stemming from the general weakness of the means of
enforcement
available to them and from the structure of society over which they
ruled
(Lossky, 1984, cf. p 3 et sq pour le détail des limitations).
Et
p 6:
Since just about
everybody was convinced that the chief purpose of society was the
maintenance
of privileges, a government that flagrantly tampered with them was
courting a
revolt or even a revolution... Any kind of reform from above had to be
undertaken
with the utmost caution and carried out piecemeal so as not to arouse
general
apprehension and resistance. This conservative nature of society served
as an
effective brake on any innovating tendencies of the crown... p 12 The curtailment of parlementary powers by
Louis XIV has been much exaggerated by historians taking at their face
value
the lamentations voiced by parlementary figures of the time. A recent
study by
Professor Albert Hamscher makes necessary a thorough revision of this
view...
p14 Simultaneously with the increase in
the intendants' independence the importance of the governors of
provinces
grew…Was Louis XIV unaware of the administrative decentralization and
of the
aristocratic revival taking place under his very nose ? This is
unlikely...L'auteur
conclut (p 15) one must invent a concept
of "limited absolutism". Hamscher, 1976,
p 119: Nevertheless, while he
[Louis XIV] achieved better political control of Parlement than
Mazarin
had attained, he introduced few lasting innovations in the court's
duties and
powers, and he never fully excluded the magistrates from participating
in
affairs of state. The political decline of Parlement, although striking
to
contemporaries and historians alike, was neither complete nor
irreversible, as
the Sun King's successors learned in the following century…p 153
Without question, Louis could have reduced
Parlement to a mere ornament of the royal administration if he had been
able to
capture the control of magisterial appointment, break the social bonds
between
the judges, diminish their conception of themselves as a privileged
elite in
state and society, or erode the basis of their wealth. He did none of
these
things, however, and his control of the court was restricted to
redefining its
political authority. Deyon, 1964,
p 354/5: Colbert doit admettre
dans son instruction du 28 mai 1681 « que presque tous, ou au moins un
nombre
considérable de gentilshommes, officiers et personnes puissantes, font
faire le
rôle des tailles dans leurs châteaux, leurs maisons ou par leur
ordre ».
La solidarité effective des officiers de justice, de finance et des
nobles,
tous également propriétaires seigneuriaux et fonciers, paralysait en ce
domaine
la volonté des conseils et des commissaires. La déclaration royale du
12 février
1685 prit acte de l'inefficacité fréquente des taxations d'office… Elle
manifestera une grande sévérité envers les émeutes populaires de 1675
et
laissera se dérouler, dans plusieurs provinces, un effort de
réorganisation
seigneuriale gravement dommageable aux intérêts paysans. [45] Campbell, 2011: It [absolutism] could be
described as a power that was absolved from the restraints of other
powers, but
in the sense of having the final word, rather than in the sense of
having freed
itself from all practical or legal restrictions. There was a difference
between
absolute power and absolute authority – for authority was never
conceived
as giving kings the right to exercise complete or unlimited power over
their
subjects… This form of monarchy should never be confused with arbitrary
authoritarianism, and for this reason the use of the term ‘absolutism’
to
describe this government continues to sow considerable confusion...
The word ‘absolutism’ was invented at the
end of the eighteenth century as a propagandist condemnation of
authoritarian
monarchies, deliberately associating them with ‘despotism’ or
‘tyranny’, so it
reflects a very misguided idea of the more complex realities of the
earlier
period... In recent years there has
been a change of perspective and we have learnt to take other important
elements into account: the role of patronage and clientage; the
function of the
court; political management; and the persuasive significance of the
representation of monarchy in image and ritual... A
much more complete understanding of absolute monarchy has become
possible. Instead of interpreting absolute monarchies solely through
the
history of theory and institutions, we should try to understand the
spirit or
way of thinking that gave rise to them, and the ways in which early
modern men
operated within them... At this time,
the rather hazy notion of absolute monarchy therefore included elements
of
representation and consent. Even though the monarchy in the seventeenth
century
developed institutions and powers that made it very much more powerful,
and a
separate entity from society, the legacy of this more consensual or
rights-based tradition continued to make itself felt... Instead
of accepting the idea of the making
of the modern state, as Tocqueville did, most historians of the reign
today
stress the many weaknesses and contradictions that led Louis to create
a working compromise with
the elites, whose subjection owed
more to the rewards on offer than it did to a policy of crushing noble
power... This compromise then became a permanent
element in the structure, preventing subsequent reforms. Louis XIV was
a master
of political theatre and political management, able to
create and manipulate an illusion of power without
perhaps depriving other authorities
and bodies of their powers as much as was thought... In
the last twenty-five years historians have come to understand the
importance of patronage and clientage not only for social mobility but
also for
political control. As conflict was endemic between centre and periphery
and
between institutions in this corporate society, and because the
monarchy rarely
had the leisure to resolve issues in wartime, workable compromises had
to be
found. Although official documentation was careful to avoid any
suggestion of
negotiation between crown and corps, the reality was different.
Governors and
intendants, loyal clients of royal ministers or of the king himself,
would
intervene behind the scenes to manage assembles and effect solutions.
Ministers
would try bluff, threats, often in parallel with covert intervention.
Over
generations these techniques created an impression of obedience and
most of the
time genuine obedience. Complex networks of patronage and clientage
stretching
out into the provinces, and back, came together at the royal court.
Largely as
a consequence of recognising the importance of patronage, historians
have
re-evaluated the role of the court in the absolute monarchies... It
was on the one hand increasingly above society, and on the other deeply
embedded in it and dependent upon the social conceptions that
structured it (mes
soulignements). Ainsi Collins,
2009, The State in Early Modern France,
2nd Edition, note: Our modern,
anachronistic view focuses the term “absolute” downward – to mean the
king did not have to consult his subjects; the focus should be upward –
when the king of France referred to his “absolute power”, he meant that
he did
not have to answer to an earthly superior, whether lay (the Emperor) or
ecclesiastical (the Pope). For the Académie Française a sovereign was
an
“independent Prince, who does not hold of another power”... absolutism
was not
all that absolute...the king of France did not require consent to make
public
policy, but he did require cooperation. To get that cooperation, he had
to
operate within bounds fixed by society as a whole... every
modern study of an early modern “absolute” state demonstrates
that kings had to negotiate the exercise of their power. Hamscher, 1987,
p 1: Students of Louis XIV's
France have increasingly recognized the need for balanced and nuanced
interpretations of the domestic absolutism associated with the Sun
King's
personal rule, 1661-1715. The most traditional image of Louis in those
years as
the personification of Hobbes's Leviathan loses some of its luster when
viewed
from the vantage point of detailed studies of the reign. In many areas
of
national life, determined efforts by the king and his ministers to
eradicate
the disorder of the civil wars of mid-century and to provide the realm
with a
more efficient administration and regulated economy often ended in
failure and
frustration. A number of individual policies and broad programs of
reform were
abandoned or significantly modified under the impact of local
opposition,
foreign entanglements and war finance, and the inertia resulting from
those
large, "structural" forces of history that so limited the ability of
any seventeenthcentury government to accomplish fundamental change.
Even the
leading personalities at the center of power, the king included,
approached the
daily conduct of affairs in a more flexible and restrained way than
historians
several generations ago suspected... The
bitter controversies of the Richelieu and Mazarin years indeed,.. can
easily
obscure the role that accommodation, consensus, and good will played
during
Louis XIV's personal rule...p 151 the
civil wars of mid-century had left an important legacy, one that
ensured that
the decline of the parlements, like the resurgence of royal authority
itself,
had significant limits. After 1661, there was a growing recognition in
the
highest circles of government that the monarchy's limited resources and
bureaucratic apparatus should be directed toward controlling certain
crucial
sectors of the state's activities-war, financial policy, and a few
areas of domestic
administration. For the more "ordinary" aspects of governing the
realm, the king's traditional officials should be left a free hand,
unharassed
by overzealous superior authorities. The spirit of innovation inherent
in Louis
XIV's absolutism was thus balanced by a conservative commitment to work
through
rather than to destroy traditional institutions. De même, l'
"absolutisme" castillan, longtemps présumé modèle du français, n'en
est plus un aux regards des historiens "révisionnistes". Cf. Amelang,
2006, p 46: The key was the
relations between central government, focused around but hardly limited
to the
figure of the monarch, and a wide range of elites located at both the
center
and the multiple peripheries of the imperial system. This ‘wide range’
should
moreover be taken quite literally, as it comprises groups as diverse as
urban
oligarchies; all levels of the territorial aristocracy, whose principal
bulwark
of power continued to be the seigneurial regime; state bureaucrats; the
Church;
merchant and financial interests; and the military, among others. [46] Sainte-Aulaire, 1827 (préface): Ou je me
suis bien abusé moi-même, ou les
troubles de la minorité de Louis XIV ne paraîtront pas sans analogie
avec ceux
dont nous avons été les témoins ; et dans les institutions qui nous ont
été
accordées en 1814, on reconnaîtra celles que nos pères réclamaient en
1648… Nous
savons aujourd'hui que le despotisme est la punition de l'anarchie;
qu'il peut
durer plus ou moins de temps, mais qu'il ne fonde rien pour l'avenir…
mais ni
l'un [Louis XIV] ni l'autre [Napoléon] n’avaient résolu les grandes questions
politiques agitées, avant eux, dans la réunion des compagnies
souveraines en
1648, et dans l'Assemblée constituante en 1790. Gloire au monarque
législateur
qui le premier a concilié les droits des rois et ceux des
peuples !
Rendons grâces à Louis XVIII… La connaissance approfondie, le jugement
impartial des temps passés, doit ainsi nous ramener à une appréciation
plus
éclairée des bienfaits du temps présent, et tel est le but de mon
livre... Capefigue,
1836, lui, cherche "le peuple" dans le grand mouvement de
centralisation: Le pouvoir royal se
centralise; il heurte de front tous les obstacles… Ce passage d'un état
social
à un autre ne put s'opérer sans de vives secousses… Quand Richelieu
meurt,
arrive une autre régence… Le peuple vient sur la place publique avec
une
tendance déjà remuante ; les parlementaires et les princes
rapetissent ce
mouvement à leur taille: tout se souille d'un caractère
d'intrigues.
C'est une affaire de boudoirs plutôt qu'un mouvement de masses. Je
relèverai
pourtant la Fronde, en séparant les deux esprits qui la
dominèrent: l'un,
venant de la place publique, énergique comme elle, réveillant les vieux
souvenirs des halles de Paris sous Charles VI, et de la municipalité
catholique
sous la Ligue ; l'autre, émanant de l'esprit tracassier et
parlementaire,
et de la noblesse abâtardie depuis qu'elle a subi la grande coupe
réglée de
Richelieu (préface, lettre au Comte Molé). Guizot, 1846,
fait des "deux révolutions" l'expression d'une tendance séculaire à
la liberté: soit qu’on regarde aux
doctrines générales des deux révolutions ou aux applications qu’elles
en ont
faites, qu’il s’agisse du gouvernement de l’Etat ou de la législation
civile,
des propriétés ou des personnes, de la liberté ou du pouvoir, on ne
trouvera
rien dont l’invention leur appartienne, rien qui ne se rencontre
également, qui
n’ait au moins pris naissance dans les temps qu’on appelles réguliers (Préface,
p x). Descimon, 1984,
p 306: La Fronde semble inciter
l'historien à se placer — inconsciemment— en situation polémique:
on est pour ou contre ; en France, depuis Adolphe Chéruel, presque
toujours
pour Mazarin. Cette prise de parti renversait la tradition
historiographique
antérieure. L'histoire libérale duXIXe siècle (Sainte-Aulaire,
Barante...)
recherchait dans les événements de 1648 un mythe des origines. La
Fronde
(«parlementaire») fut le miroir imaginaire de la monarchie
constitutionnelle.
Dans la perspective nationaliste des historiens républicains de la fin
du
siècle, elle n'éclairait que « l'inachèvement de l'Etat et de la
patrie » (Ernest Lavisse). Mazarin et Louis XIV avaient, eux,
contribué au
grand oeuvre. Alors que, à la
suite de beaucoup d'autres, Denis, 1892, entendait la Fronde expirer le
dernier soupir de nos libertés,
Batifoll, 1928, assourdit le lecteur du fracas d'une révolution
imaginaire
anticipant 1789 ! Qu'on en juge: ce
mouvement démocratique n'est pas à ce point une surprise dans notre
histoire.
Il semble qu'il y ait eu au cours de chaque siècle en France une heure
où l'on
ait vu apparaître brusquement des théories antimonarchiques hardies de
contrôle
du pouvoir par les représentants de la nation, de vote des lois et des
impôts
par eux, de souveraineté appartenant non au roi mais au peuple … Si le
roi ne
voulait pas céder, c'était un litige dont la procédure comportait pour
le
peuple un soulèvement devant aboutir à une décision qui appartenait au
sort des
armes, «selon la volonté de Dieu!»... L'opinion remarquait en effet
qu'outre-Manche un peuple s'avisait de renverser un roi de son trône...
Il ne
faut pas croire que ces idées ne fussent que le fait de folliculaires
isolés,
obscurs, mal écoutés. Elles étaient l'expression de courants d'opinion
réels,
se répandant peu à peu, dans la bourgeoisie, dans le peuple et trouvant
leur
écho autour du roi, de la reine, de Mazarin, par les bouches les plus
autorisées, quoique avec les précautions oratoires nécessaires…La
violence de
la crise de l'idée monarchique en France, vers les années 1648 à 1652
est une
chose singulièrement étrange !…La monarchie fut discutée par le
populaire
sur la voie publique. Les rois étaient-ils donc nécessaires à la
France,
demandait-on ? Non! répondaient les libelles. L'ancienne Rome s'en
était
passé. Elle les avait chassés, les Français en feraient autant…Ainsi,
méprisée,
menacée, la royauté paraissait être près de sa chute. Songeait-on au
moins à ce
qui pourrait la remplacer ? On y songeait et c'est ici que les
similitudes
avec 1789 vont sembler encore plus singulières…Le populaire se mit à
discuter
les mérites respectifs des régimes monarchique et républicain…Et
cependant tout
ce mouvement révolutionnaire du milieu du XVIIe siècle a brusquement
tourné
court et n'a pas réussi. [47] Pour une analyse historique du romantisme
frondeur, cf. Rubel, 2012: échapper à l'anachronisme par
"l'histoire
des mentalités". L'honneur aventureux reste une norme morale (véhiculée
par les salons et les dames porteuses,
médiatrices et productrices d’une culture littéraire, dont le point
central
était les représentations romantiques et héroïques idéales de la vie
noble): p 89 La
recherche a déjà reconnu et analysé le
fait que la participation à la Fronde – précisément dans le cas des
princes de sang et de la haute noblesse – fut également une question
d’honneur... p 105 on se sentait
obligé d’agir audacieusement et avec honneur, afin d’acquérir gloire et
admiration...p 108 Les raisons
des frondeurs de se soulever violemment contre la Cour, qui
correspondent plutôt
à nos représentations d’une action politique rationelle, ne doivent
sûrement
pas être mésestimées. Pourtant il faut également insister sur le fait
qu’au-delà du domaine simplement politico-économique, on peut
identifier
également d’autres forces sociales qui ont influencé durablement les
évènements
historiques et qui, dans leur dynamique propre que l’on ne doit pas
sous-estimer, ont percé le niveau superficiel du pouvoir et de la
domination.
Seul le regard bourgeois, c’est-à-dire celui du vainqueur historique de
la
modernité, voit dans les faits de guerre de la vieille élite, marqués
par une
compréhension traditionelle de l’honneur, des parades, voire des
Don-Quichotteries. [48] Cf. Tricoire, 2012. Une génération avant,
l'alliance de Richelieu avec les Réformés allemands (guerre de trente
ans)
contre le roi catholique avait
soulevé l'opposition du parti dévot
et conduit à la condamnation des "Jansénistes". Le Guern, 2003, À l'origine, le groupe qui deviendra le
noyau du mouvement janséniste est constitué de ceux qui prennent la
défense de
Saint-Cyran contre les persécutions de Richelieu... Ce
ne sont pas les jésuites qui ont fait le jansénisme, c'est
Richelieu. Il faut donc chercher la véritable origine de l'interminable
querelle du jansénisme dans l'hostilité de Richelieu envers
Saint-Cyran... L'hostilité de la Cour a sans doute
pour
origine l'attitude de Richelieu envers Saint-Cyran, mais elle a été
renforcée
par les liens de sympathie qui se sont tissés entre le groupe des amis
d'Arnauld et les familles des membres du Parlement. Parmi les amis de
Port-Royal, on compte beaucoup d'adversaires de Mazarin, ce qui a pu
donner
l'impression que les jansénistes étaient du côté de la Fronde, alors
qu'ils ne
s'y sont jamais impliqués. Taveneaux,
1968, p 31/32: Pour Bérulle,
et avec lui tout le parti dévot, il était criminel d'invoquer la raison
d'État
comme un absolu et de contrecarrer l'action de l'Empire et de
l'Espagne, l'un
et l'autre attachés à la restauration de la chrétienté, fin suprême de
la
Contre-Réforme… L’appui diplomatique de la France aux puissances
protestantes,
puis son entrée en guerre en mai 1635, provoquèrent la rupture
[avec les
« bons français » de Richelieu]. On
savait Saint-Cyran profondément hostile à ces alliances, favorable au
contraire
au rapprochement avec l'Espagne ; on connaissait aussi son
intimité avec
Jansénius qui, précisément en cette année 1635, publiait un violent
pamphlet,
le Mars gallicus où il s'attaquait à
la fois aux options politiques de la France et à l'essence même de sa
monarchie. L'ouvrage, qui servait les intérêt de l'Espagne, ... devait
aussi,
par voie de conséquence, amener la condamnation du jansénisme et de ses
représentants: Richelieu, « qui ne pouvoit souffrir de
résistance
dans le royaume et qui n'avoit nul scrupule d'employer toute son
autorité pour
perdre ceux qu'il n'avoit pu gagner en les engageant dans ses
intérêts » [Godefroy
Hermant, 1910, Mémoires sur l'histoire ecclésiastique du XVIIe siècle],
décida l'arrestation de Saint-Cyran puis, en
1638, son internement au château de Vincennes ; l'abbé ne devait
recouvrer
la liberté que cinq ans plus tard, après la mort du cardinal. Ces mêmes
raisons
politiques contribuèrent à l'interdiction de l’Augustinus, dont
l'auteur avait
combattu la politique de la France… Par là fut confondue « la
cause de la
religion avec celle de l'État » [idem].
L'extension des controverses amena des sentences plus radicales… Cette
procédure, où la diplomatie romaine voyait une occasion inespérée de
s'imposer
à l'Église de France, devait ajouter une dimension politique nouvelle à
l'histoire du jansénisme. [49] Wormald, 1991, dans le chapitre consacré à
la noblesse écossaise sous Jacques I, souligne que, plus encore
qu'en
Angleterre, le baronnage tient les gouvernements locaux et, très
largement,
l'église: dans la première partie de son règne, Jacques n'attaque
pas la
noblesse écossaise en tant que catégorie, il pardonne et gratifie
généreusement. Dans la seconde phase, il l'achète avec les largesses
anglaises.
Charles qui n'a pas eu d'éducation écossaise négligera cette noblesse
et en
aura la plus grande partie contre lui. [50] Pour Shennan, 1969, la fundamental stability
from the mid 15th century se caractérise par
une constant tension, constant pressure
and counter pressure... between the crown and the various component
parts of
the state, tensions si ordinaires qu'elles n'ont pas d'incidence
sur la
pensée politique. [51] McIlwain, 1947: Fortescue did not say
that the government of England was a mere regimen
politicum; he said it was regimen politicum
et regale. It was at the same time both "political" and
"regal," limited and absolute;
and these, for him, were not mutually exclusive terms as they are for
us... there is no warrant for our assumption of
such anachronisms as mixed monarchy, or "republican" control, or
"checks and balances"... Within the frame of what we might call
the constitution, government proper, as distinguished from jurisdictio, was "limited" by no coercive
control, but only by the existence beyond it of rights definable by law
and not
by will... the medieval constitutionalism disclosed by the English
historical
materials was no monopoly of England or of Englishmen, but a datum …A
generation or two ago it was the fashion to account for England's
unique
retention of her medieval constitutionalism by some mysterious quality
of the
English race or blood... Such arguments have now, happily, been left by
historians to the propagandists, and they are refuted by the evidences,
plentiful and widely scattered, of the existence in many lands of a
medieval
constitutionalism not essentially unlike England's... Eccleshall,
1978, p 157: ...moderate
success of Tudor government in satisfying the expectations of a broad
section
of dominant groups. The theory of absolute monarchy was a vehicle which
served
to convey their desire for national unity, while that of limited
monarchy
originated in the political developments by which a degree of unity was
achieved. Sans partager l'idée d'unité
nationale de l'auteur, je reprends le balancement: l'absolu
incarne
l'unité du corps politique, la limitation la réalise en élaborant des
compromis. Sur le plan du principe, le Roi ne peut être qu'absolu. Sur
le plan
empirique, un gouvernement praticable ne peut être que relatif. [52] Pagès, 1932, p 13: Il y avait d'une part
un monarque absolu, à qui personne, ou peu s'en
faut, ne contestait la « pleine puissance », c'est-à-dire une
puissance
sans limite ; et d'autre part des individus, des corps, des compagnies,
des
provinces pourvus de « franchises » ou de privilèges, qu'ils
tenaient
soit d'un contrat, soit d'une concession du souverain, soit encore, et
plus
fréquemment, d'un long usage. Entre ces deux éléments, la contradiction
était flagrante,
puisque le respect des franchises et des privilèges mettait une limite
à la
« pleine puissance » royale. Aussi les rois n'ont-ils jamais
consenti à
reconnaître dans leur ensemble les franchises et les privilèges de
leurs
sujets, c'est-à-dire à les rendre irrévocables ; mais ils n'ont
pas songé
davantage à en nier l'existence. [53] Genet, 1991, p 25/26: de fait, l'ecclésiologie
est un laboratoire de la science politique
aussi productif que les spectaculaires débats générés par les
affrontements de
la papauté et des états laïcs. Là encore, on ne pense pas forcément au
plus
important: l'impact culturel et religieux des conciles, la masse
même de
la littérature ecclésiologique suscitée par le Grand Schisme d'Occident
puis
par la crise conciliaire, de Pise à Bâle, font trop négliger les
implications
politiques du retour à la théologie augustinienne, que l'on songe à son
versant
italien et pontifical - Gilles de Rome est l'auteur politique le plus
populaire
dela période -, ou, plus encore, à son versant anglais ;
l'introduction de
la théologie augustinienne de la grâce telle que l'interprètent Richard
Fitzralph ou John Wyclif est en effet une étape décisive dans la
définition des
sphères respectives d'activité de l'État et de l'Église: définition
qui ne repose
plus sur des légitimités concurrentes, mais sur des êtres différents.
La
théorie du dominium de Wyclif est passée à Jan Hus, et de là au moins
partiellement aux théologiens protestants du XVIe siècle. Surtout, ce
passage
s'est fait dans le contexte englobant de la théologie de la grâce et
l'on
aboutit aussi à ce paradoxe que le retour à une théologie politique
augustinienne prôné par une papauté effrayée par les nominalistes et
même par
l'aristotélisme a plus fait pour l'autonomisation de l'État et du
politique que
la lutte frontale entre la papauté et l'Empire. [54] L'exemplaire conflit entre Philippe IV le
bel et le pape Boniface VIII
peut se comparer mutatis mutandis avec le
contentieux anglais de
Henri VIII: les besoins de la guerre entraînent la taxation
royale
de l'Eglise à laquelle le pape s'oppose en menaçant le roi
d'excommunication ; contre le pape, le roi en appelle au soutien
de son
"peuple" ("états généraux" de 1302) auquel le pape répond
par une proclamation d'absolutisme théocratique (unam
sanctam). S'ensuivent l'incrimination royale du pape qui, de
son côté, dépose Philippe et le remplace par le duc d'Autriche (lequel
a la
prudence de ne pas donner suite). Le roi convoque une assemblée
(Louvres,
1303), fait saisir le pape (Anagni) qui meurt. Pour des
raisons fiscales, judiciaires, politiques et militaires, les rois
argumentent
en faveur de l'indépendance des deux
glaives (et la prééminence de facto du temporel). Dans cette lutte,
ils
s'approprient l'appareil de souveraineté que les papes ont forgé sur le
modèle
impérial. On ne doit pas sous-estimer la référence que constitue le
gouvernement de l'Eglise pour la conceptualisation du gouvernement des
royaumes, tant en positif (le roi est pape en son royaume) qu'en
négatif
(pape/concile). Cette grande affaire a besoin du "peuple" uniquement
en tant qu'horizon (Chrétienté, bien public). Le peuple, en tant que
fiction
logique, sera importé de deux lieux: théoriquement, d'Aristote
(les
citoyens de la cité) ; juridiquement, du droit impérial romain
tardif (lex regia, la fameuse "délégation
de pouvoir" du peuple souverain à l'empereur). En tant que réalités
politiques, les diverses parties du peuple sont, non pas représentées,
mais
synthétisées par leurs majores: la
famille par le pater familias, les paysans
par leur seigneur, les villes par leur syndic, les seigneurs par leurs
Grands,
et la totalité des sujets par le roi. [55] Cf. la formulation de Pascal: en
considérant l'Eglise comme unité, le Pape
qui en est le chef est comme tout. En la considérant comme multitude,
le pape
n'en est qu'une partie... La multitude qui ne se réduit pas à l'unité
est
confusion, l'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie (Pensées, fragment, 871). [56] Au XVe siècle, le juge Fortescue (de Laudibus
Legum Angliae) compose
l'expression à partir de la distinction entre dominium
regale et dominium
politicum. Il en fait la caractéristique de la monarchie anglaise
(le roi
règne par Law) et le repoussoir de la
tyrannie française (le roi règne par Will):
du fait de leur Constitution, les Anglais mangent à leur faim, les
Français
rongent des racines ! Carlyle, 1936,
vol. VI, p142: Fortescue cites as
from St Thomas Aquinas… the description of the two forms of government,
the
"dominium regale" and the
"dominium politicum". The
ruler who has the "dominium regale"
governs according to laws which he has himself made, while the ruler
who has
the "dominium politicum"
governs according to laws made by the citizens. Fortescue, however,
adds that
there is a third form of "dominium"
which is "politicum et regale",
and he gives as an example of this, the Kingdom of England, where the
King
cannot make laws without the consent of his three Estates, and the
judges are
bound by their oaths to give judgment according to the law of the land,
even if
the King were to command the contrary ; while on the other hand
the people
cannot make laws without the authority of the kings, who succeed each
other by
hereditary right. Fortescue deals
with this subject again in other terms in the treatise 'De Laudibus'
and
contrasts the character of English constitutional Law with that of the
Roman
Law, and its doctrine, " Quod Principi placuit legis habit vigorem", and with the "Regimen
Regale" of the King of France; and
again, in the "Governance of England," where he suggests that the
earliest kings possessed the "Dominium Regale"…p 143 We have
thus so far found nothing to suggest that the conception of the source
and
authority of law was different in the fifteenth century from that of
the
fourteenth century. The law proceeded from the Prince, no doubt, but it
was
from the Prince acting with the community. p 173
The people indeed approve the government of
the king, so long as he does not become a tyrant, but it was to avoid
this
danger that St Thomas had desired that the kingdom should be so ordered
that
the royal power should be restrained by the Law…p 174 Some English kings had therefore
endeavoured to shake off the "iugum politicum", not
understanding that the real power of both kinds of kings
was the same, and that it was not a "yoke" but "liberty",
to rule the people "politice", a security to the people and a relief
to the king. Nombreux sont
les auteurs anglo-saxons, même au XXe siècle, qui acceptent ou
revendiquent
l'héritage de Fortescue, faisant du dominium
regale l'expression d'un absolutisme "à la romaine" et du regale & politicum anglais, la
matrice de la démocratie parlementaire ou, en d'autres termes,
distinguant une
monarchie "pure" et une monarchie "limitée" ou
"mixte". Quelques autres rejettent cette conception et montrent que,
pour les contemporains, la monarchie est à la fois absolue et
limitée. Mais, leur raison étant choquée par cette
contradiction
et l'approche par les textes les poussant au système, ils cherchent à
définir
un schéma constitutionnel et, pour cela, à retrouver une cohérence
derrière
l'incohérence apparente. Leur déconstruction est plus intéressante que
leur
reconstruction. Ainsi, par exemple, McIlwain, 1947, démontre
l'ambivalence
(absolu et limité) mais, ne l'acceptant pas, il extrait de Bracton,
Fortescue
et autres juges (NB: ce sont
des juges), une distinction entre le "gouvernement" (gubernatio)
et la "justice" (jurisdictio): dans l'exercice du
premier, le roi serait absolu ; dans celui du second, il serait
soumis à
la loi. La faiblesse de cette constitution résiderait dans l'absence de
mécanisme légal pour sanctionner sa violation par le roi: Clearly
a struggle was going on in England
between will and law about the year 1539 /Statute of Proclamations/, and it was to last for one hundred and
fifty years. Plus récemment,
Blythe, 1986, étudiant la référence de Fortescue à Thomas d'Aquin,
souligne
l'ambiguïté de la philosophie politique de ce dernier et, au lieu de
l'accepter
et d'en chercher la signification, il s'emploie à la dissiper: In many places Thomas exalts kingship and
calls it the best government for man. But the king's power, unlike
God's,
should be "tempered" so as to remove the opportunity to tyrannize.
Pour lui, Thomas est totalement partisan du dominium
regale mais, les hommes étant imparfaits, tout roi est exposé à
devenir
tyran. Thomas admits that regal kingship
is best abstractly but denies that it is best considering the nature of
man.
Le remède est donc de tempérer son
pouvoir et de le faire régner, non pas regale, mais politice (mixed monarchy).
Dans l'autre sens, le political monarch, limité et
appuyé par
la loi commune, fait de ses sujets des sujets de droit et canalise dans
la
légalité leur propension à se révolter. Cette
ingénieuse reconstitution est sévèrement critiquée par Molnar, 2002,
pour
lequel la pensée politique de Thomas est irréductiblement incohérente.
C'est
précisément cette "incohérence", celle de Thomas et de la multitude
des théoriciens politiques médiévaux et tardo-médiévaux, qu'il faudrait
interroger au lieu de la réduire à nos schémas de pensée. Ce que
j'appelle un
monde "multivertical" peut être rendu par les mots de
Christianson: a mosaic of stepped
pyramids, each displaying considerable variations in shape and size.
S'ensuivent de perpétuels conflits, négociations et compromis, les
limites
opérationnelles du dominium regale
font qu'il est aussi un dominium politicum.
Cette tension (au demeurant variable) s'exprime de
diverses façons (elles-mêmes variables) qui ne peuvent pas se ramener à
une
règle "constitutionnelle". Nous avons
d'autant plus de mal à saisir ce qui nous apparaît comme un paradoxe ou
une
contradiction que notre théorie de la souveraineté nous aveugle. Ainsi
Figgis,
1914, considère que l'émergence de l'Etat fait surgir confusément le
concept de
souveraineté et pose la question: qui est souverain ? le
roi ?
les juges ? les états ?: The
Divine Right of Kings on its political side was little more than the
popular
form of expression for the theory of sovereignty... The
question, in whom the sovereignty should ultimately be vested,
could only be decided by a century of struggle (p 234). Pourtant,
parallèlement, Figgis souligne que le droit
divin des rois est d'abord une affirmation du roi, non contre les
juges ou
les états, mais contre le pape (de même, Allen: droit divin n'est pas
synonyme
d'absolutisme. C'est une doctrine de l'origine qui laisse ouverts les
effets.
Le droit divin est compatible avec la mixed
monarchy). L'
"absolutisme Tudor" construit une image divine du Roi, en tant que
nécessité et sous-produit de la dispute de Henri VIII avec le
Pape. Comme
cinq siècles avant, lors de la grande "querelle des investitures", et
avec les mêmes arguments, pour contrebalancer et annuler les
prétentions
papales, il faut hisser le Roi à la même hauteur que le pape. Le thème
de
l'obéissance inconditionnelle et totale des sujets au Roi n'est pas, en
lui-même,
un programme absolutiste, il vise à ôter tout levier au pape. In words
the Divine Right of Kings implied sheer absolutism with the exception
of the
succession ; in reality it was an assertion of the inherent right
of the
civil as against the ecclesiastical authority. Et, en retour, dès cette époque, avant Parsons, avant
les monarchomaques, les papistes invoquent la "souveraineté
populaire" et la capacité du peuple à démettre le roi lorsqu'il méfait,
en
particulier par impitié (cf. Reginald Pole, 1535, Défense
de l'unité de l'Église, ed. Egretier, 1967, Vrin ; Pro
ecclesiasticae unitatis defensio,
résumé dans Gilbert William, 1998, Renaissance
and Reformation, CH21). De la même
façon, Allen, 1928, p107: Knox (le premier) taught
that it was the duty of the subject to realize the genevan ideal
of the state by force, if force were sufficient.. [en 1558, son First Blast et son Appellation] asserted
definitively that rebellion again idolatrous sovereigns was a duty
[non
seulement pour les nobles du corps
politique mais] it is a duty for all.
[Idem Goodman, 1558, How Superior ought
to be obeyed:] p 119 it was
upon the community that Goodman conferred authority ...[elle] may always revoke the authority it has given
to an unworthy prince. Idem Ponet, 1556, a Treatise of
politicke power. Sans surprise,
les papistes soutiennent l'hérédité de la couronne pour que Marie Queen of Scots s'en réclame, et la
dénient lorsque James commence à ressembler à un successeur: la
couronne
ne s'hérite pas, elle se mérite, disent-ils alors (Parsons, 1594, A conference about the next succession to
the crown of England). McIlwain commente:
It is hardly too much to say that this book
was the chief storehouse of facts and arguments drawn upon by nearly
all
opponents of the royal claims for a century, Protestant as well as
Catholic
(p li). En effet, ces arguments seront repris par les Puritains,
tant en
1647 que lors de l'affaire de l'exclusion
bill de 1679. Le débat peuple/roi emprunte les termes du débat
roi/pape.
Nous, aujourd'hui, faisons de roi/pape une alternative que nous
projetons sur
roi/peuple, confondant légitimation par le discours et programme
constitutionnel. [57] Fortescue pour qui le dominium regale &
politicum est la forme normale de gouvernance
pense que c'était le cas en France du temps de St Louis etc mais que la
guerre
de Cent Ans a poussé au despotisme. Il dresse un tableau pitoyable de
la
situation française. Cf. Carlyle, 1936, vol. VI, p 174: ...
He points out how the French people were
preyed upon by the gens d'armes, were oppressed by ordinary and special
taxation, by the burden of the Gabelle on salt, which they were
compelled to
buy, and their consequent poverty, their miserable food and clothing.
The
nobles indeed were not liable to taxation, but they were liable to be
punished
and even executed without any proper trial before the ordinary Judges,
but in
the King's "Camera". In England, on the contrary, no one, not even
the King, could take a man's possessions without payment ; without
the
consent of the Kingdom in Parliament, nor could anyone be brought
before any
court, except that of the Ordinary Judge ; and the people were
well
clothed and well fed. [58] Pour Graves, 1985, La vision
"orthodoxe" (jusqu'aux années 1960) s'inscrit dans le courant whig. Surpolitisant le Parlement dès les
origines, elle oblitère son rôle et sa fonction de coopération au sein
de la
classe dirigeante et voit (cf. Neale) les Parlements Tudor à la lumière
du
XVIIe: prépondérance des commons,
présence d'un parti d'opposition (Puritains) et conflits récurrents
avec le
roi. Les
"révisionnistes" (Elton nouveau), en étudiant le Parlement Tudor dans
son temps retrouvent la fonction de coopération: most of
the conflict & lobbying was between competing
interests within the governing class and not between the
Crown and that class. There were no sign of escalating political
tension.
Nor is there any substancial evidence that the roots of Stuart conflict
can be
traced back to the Tudor Parlements (Graves, p. 3). Au cours
du XVIe,
le Parlement reste dans la main du roi (à travers le privy
council, le chancelier, le speaker, les men of
business). Il devient véritablement bicaméral et ses
procédures se standardisent afin de gagner du temps (trois lectures,
comités,
dialogue des deux chambres), sans que cela traduise un rôle politique
accru.
Son personnel administratif se développe (clerks
et registres) et le rôle des juristes d'appoint diminue (dans la upper room par apprentissage, aux commons
parce qu'ils s'y trouvent élus). L'essentiel de l'activité des commons est d'ordre judiciaire: la
chambre est débordée par les pétitions
et les bills "privés". Le Parlement est aussi nécessaire à la governing class (bills privés) qu'à la
couronne, avec souvent concurrence de priorités. Graves p 157: in the 1530s King in Parliament became the
constitutional sovereign and the limitations on statute fell away... In
the
process Parliament became a popular
clearing-house for the business and interests non only of the Crown
but
also of the governing class. [59] Pollard, 1920, p12/13: ...from first to
last its communal organization
has forbidden its separation into "estates". Its description as
"three estates" arose in the fifteenth century out of a mistaken
French analogy, and the phrase was never a true definition of an
English
parliament… So far from the English parliament being a system of three
estates,
it was the difference between such systems and the English parliament
that
enabled parliament to survive and grow while every system of estates
dwindled
away and died. Their division into estates was fatal to their
permanence and
power... Cottret, 1986,
cite la déclaration de Maitland à ses etudiants en 1887-1888: Point n'est besoin de vous inciter a la
vigilance à l'encontre de l'erreur, naguère commune, qui consiste a
voir dans
le Roi l'un des états du royaume (...). Les trois états sont le clergé,
les
barons et les Communes, ceux qui prient, ceux qui guerroient, ceux qui
travaillent. Cottret poursuit p 131: Le
bourgeois Hooker /1572/,
parlementaire, fier de son etat, nous livre le ressort par lequel le
Parlement,
Lords et Communes convoqués par le Roi, en vient à revendiquer sa
représentativité: il est bien l'émanation du pays comme l'écrit encore
son contemporain
Thomas
Smith dans le De Republica Anglorum
de 1583. Il était normal qu'en retour on
projette sur le pays la tripartition du Parlement: Roi, Lords et
Communes. Singulière dialectique de la représentation et de l'objet
representé: le Parlement, émanation du pays en vient a remodeler le
pays à son
image. Ce
schéma insulaire a donc une origine autochtone. Pollard, 1920,
CH 4, "The myth of the three estates", p 61: While
the high court of parliament was the
correct and official description of the two houses in the sixteenth and
seventeenth centuries, the "three estates" was the more popular and
inaccurate designation applied to them in the eighteenth and
nineteenth ;
and the phrase has become so deeply embedded in historical terminology
that it
is accepted as synonymous with parliament without any critical
examination of
its real relevance… p 66 no
one save its ex-officio members, the
chancellor, the treasurer, and so forth has ever sat in the house of
lords
except in response to a special writ of summons; and the vast majority
of the
military tenants-in-chief received no special writ, and were
represented in the
house of commons… Least of all is the house of commons a third
"estate". It is no mere assembly of bourgeois like the old tiers état
in France. Its most important and turbulent element in the middle ages
consists
of the knights of the shire…p 67 it [the
commons] was no estate of the
realm; it was a concentration of all the communities of England,
shires,
cities, and boroughs...p 75 The
mere fact that the knights of the shire could separate from the other
barons
[summoned by a special writ] and throw in
their lot with the burgesses [summoned by a general writ] proves that the lines of demarcation were
not deep or fundamental...p78 Estates-general
could only vote taxes and petition for redress ; they could not
impeach,
or pass acts of attainder, or enforce the responsibility of ministers.
For they
were not a court of law, and it was from its armoury as the sovereign
court
that parliament drew the weapons it used with most effect against the
crown.
Its procedure by bill was borrowed from chancery, its powers of
judicature were
inherited from the curia fegis, its acts have always been "due process
of
law" …p 79 [In France, estates-general] were not
numbered among the "cours souverains" of France, and
the judicial functions performed by the English parliament were left In
France to
the non-representative parlements. [60] Nombreux aujourd'hui sont ceux qui partagent
cette idée mais, à ma connaissance, elle n'a pas été appliquée à la
comparaison
des deux institutions. Côté anglais, Adams, 1908, soutient que
l'importance de
la magna carta ne vient pas de son
présent mais de son futur: pour tous ceux qui auront à s'opposer
au roi,
la charte exprimera et symbolisera l'idée qu'il existe des limites à
son
pouvoir, thèse qui, par la répétition, s'enracinera au point de
paraître
"constitutionnelle" ; p 237/8 it was
practically pure
feudal law both in its details and in its underlying principle… I am
saying
merely that it is a statement of feudal law. It was not Magna Carta but the circumstances of the future which
gave to the fact that there was a body of law above the king creative
power in
English history… Nor did feudal law furnish, except in a few
particulars
and these much transformed, the body of law by which the king was
bound. The
great work of Magna Carta was not done by its specific provisions; the
secret
of its influence is to be found in its underlying idea… McIlwain, 1910,
après avoir cité ce passage, commente (p 55/56): It
is one of the purposes of the brilliant
article from which these quotations are taken to show that this idea of
fundamental law, from which alone Magna Charta derived its immense
importance,
was the one formative idea in the English constitution whose
development
created the limited monarchy; that even Parliament itself, in its
unintended
devlopment from the King's Council into the representative lawmaking
organ of
the state, is significant largely because in time it became the
guardian of
this great idea. Thus it is not the
circumstances surrounding its origin, but the "circumstances of the
future" ; not its true interpretation, but the glosses made on it
by
after generations that have given Magna Charta its place. [61] Le "droit à l'insurrection" pour
défendre le commonwealth contre un
roi tyrannique s'appuie sur la clause 61 de la magna carta
qui met en place une "machinerie" coercitive which
will take hold of abuses when the king
refuses to reform them (Adams) qui, en dernière instance, légalise
la
révolte: If the king still refused
redress the last resort was insurrection, which is declared legal, and
defined
as limited in character, and temporary only. Le roi étant suprême,
aucun
autre appel que la guerre n'est possible contre lui, mais seulement en
cas de diffidatio lorsqu'il a renié son devoir
féodal. Ainsi, le
recueil de coutumes connu sous le nom d' Etablissements
de St Louis (1272/1273) formule comme une banalité le droit d'un
sire à
faire la guerre à son roi lorsque celui-ci lui vée (refuse)
sa justice (Livre I, LIII. De semondre son home por
aler guerroier contre le roi): Se
li bers a son home lige et il li die: «venez vous en o moi, car je
vueil
guerroier encontre le roi mon seignor, qui m'a veé le jugemant de sa
cort» li
hom doit respondre en tel meniere à son seignor: «sire, je irai
volentiers
savoir au roi s'il est einsinc come vous le me dites». Adonc il doit
venir au
roi et li doit dire: «sire, mes sires m'a dit que vous li avez veé le
jugement
de votre court; por ce en sui je venuz à vos por savoir en la vérité;
car mes
sires m'a semons que je aille en guerre encontre vous». Et se li rois
die: «je
ne ferai ja à vostre seignor nul jugemant en ma cort», li hom s'en doit
tantost
retorner à son seignor; et li sires le doit porveoir de ses despens. Et
se il
ne s'an voloit aler o lui, il en perdroit son fié par droit. Et se li
rois li
avoit respondu: «je ferai droit volantiers à vostre seignor, en ma
cort», li
hom devroit venir à son seignor et dire: «sire, li rois m'a dit qu'il
vous
fera volentiers droit en sa cort» ; et se li sires dit: «je
n'anterrai
jamais en sa cort, mais venez-vous en o moi, si come je vous ai
semons»,
adonques porroit bien li hom dire: «je n'i irai mie». Il n'en perdroit
ja par
droit nule riens de son fié (Viollet, Les
établissements de Saint Louis, T2, p 75/77). [62] Sayles, 1975: la date charnière est 1327,
quand à partir de ce parlement "révolutionnaire" ((déposition
d'Edward II), les commons (élus)
sont chargés de recevoir les pétitions que les Lords jugeront. De là
les deux
chambres, leurs fonctions et leurs rapports. [63] Russel, 1971, p 41: many of the Commons
were sons and brothers
of Lords and it seems difficult to consider the two houses as if they
represented two separate interests... p 218 it
has become conventional to say that
during the Elizabethan period there was a great increase in the vigour
and
self-assertiveness of Parliament...219 it
is likely that peers as well as privy councillors tended to use their
friends
and sympathizers in the Commons as a
method of lobbying the queen... discontented back-bench lords often
found
it easier to engineer protests against current policy in the House of
Commons
than in the House of Lords, soumise à l'influence du privy council
et des
évêques. [64] Russel, 1971, p 49: the largest amount of
local work was done by
the JPs, whose importance increased as that of the sheriff diminished.
They
were a 14th century institution but their powers were considerably
extended
during the Tudor period... the source of most of the JPs' detailed
instructions
and the destination of their reports on local conditions was the Privy
Council...
[dont la plupart des fonctions judiciaires sont assurées par la star chamber] p 50 this court was not
invented by
Henry VII but was simply a formalization of the jurisdiction the
Coucil
had always had to hear cases. [65] La noblesse demande d'abord la suppression
du droit annuel ("Paulette")
grâce auquel les offices devenaient héréditaires et, plus tard, la
suppression
des offices par remboursement des charges (Beaufort). Au-delà des
manoeuvres
(rapports de force entre les ordres), sa préoccupation est de remettre
les
offices sur le marché des faveurs afin d'en avoir sa "juste part". Deyon, 1964,
p 351: En 1614, l'effort de
l'ordre paraît tout entier dirigé contre la vénalité des charges et
contre les
officiers de justice et de finances, usurpateurs de la qualité noble.
Le cahier
de 1614 réclame pour la noblesse ancienne le monopole des offices et
charges de
la maison du roi, celui des ordres de chevalerie et des états les plus
honorables des Parlements, le rétablissement des justices seigneuriales
et la
répression sévère des usurpations de noblesse. Le tiers répond
obliquement
en déclarant accepter la suppression de la Paulette moyennant la
réduction des
pensions payées aux nobles (tirant argument de la nécessité de
compenser le
manque à gagner pour le Trésor). [66] Pour Constant, 1987, in Constant, 2004, si
elles sont considérées comme
dissemblables, c'est parce qu'elles ont évolué différemment au XVIIe
siècle.
Jusque là, malgré les particularités (dérogeance en France,
transmission de la
noblesse au seul aîné en Angleterre), elles se ressemblent. Mais, au
XVIIe, la
noblesse anglaise deviendrait une classe
politique tandis que la tentative de la noblesse française
échouerait du
fait de l'hostilité des Grands et du gouvernement d'une part, et de son
attachement à ses privilèges (notamment fiscaux) d'autre part. Lachman,
1989, à partir des rapports
noblesse/roi, tente une explication sociologique de la différence entre
la
réussite de l'horizontal absolutism anglais
et son échec en France: p 151 Prior
to the Reformation, lay landlords had been members of political blocs
led by
magnates. The removal of magnates to the royal court and the
elimination of
their private armies disrupted magnate hegemony in the counties. The
magnates
in essence were absorbed into the royal elite, becoming court retainers
and the
king's obedient allies in Parliament. The remaining lay landlords
became what
historians describe as "the gentry". In many counties, the number of
gentry tripled in the century following the Reformation because new
families
were able to purchase former monastic and royal lands… The gentry's
main source
of new power came from the absence of crown and clerical interference
in the
management of their relations with the peasantry. After the
Reformation,
clerical courts lost the power to regulate peasant land tenure (Hill
1963,
pp.84-92). Crown efforts to protect peasant land rights were limited by
the
paucity of judges under direct crown control and by tenants' inability
to
afford the cost of appealing adverse decisions by JPs to the king's
courts. As
a result, gentry-dominated county commissions of the peace assumed the
generally unchecked power to regulate peasants' copyhold tenures
(Kerridge
1969, pp. 54-58) and to determine the residence and wages of landless
peasants
(Kelly 1977)…p 154 Thus, for the
gentry. the royal court became not a source of patronage and status,
but a
threat to their income and property…p 155 As a
result, the gentry could challenge crown authority on the national
level without risking its authority over peasants on the local level…
the
English king was militarily and ideologically superfluous to gentry
class rule.
In contrast. the crown, once it had exhausted its monastic endowment,
became
dependent upon the gentry for the resources needed to wage foreign
wars. 159 The
differential abilities of each elite in
the two countries to extend its organizational authority at the expense
of
rivals resulted in two different patterns of absolutism. The English
development is described as horizontal absolutism to emphasize the
monarch's
ability to sever clerics' and some aristocrats' ties to agrarian
production
while absorbing the heads of those two elites within a unified national
court.
Those crown "victories" created two separate sites of political
power:
an isolated monarchy on the national level, and a unified gentry that
did not
have to share with other elites its access to peasant production on the
local
level… The Frondes, in contrast, fit less well into the archetypal
struggle
between tax-collecting state officials and tax-paying state subjects.
The
French crown's inability to achieve horizontal dominance over national
rivals
forced it to cede areas of sovereignty to the institutions now
controlled by
other elites. The French crown could weaken rival elites only by
creating more
sovereign institutions, and thereby new venal elites. The Frondeurs'
defeat was
less a consequence of the crown's independent capacity to deploy force,
and
more a consequence of the embedding, over two centuries, of each
elite's interests
within a vertically organized state. [67] Dans le cours de la guerre civile apparaîtra
un argument quantitatif (Herle, in Eccleshall, 1978, p167), reprise du
vieux lieu
commun "plusieurs voient mieux qu'un seul": the
justification of parliament had assumed
a quantitative dimension. It was judged superior to absolute monarchy
on the
ground that it represented a wider range of interests (tandis que
le roi
est seul). A partir du moment où le Parlement n'est plus a
trustee of objective reason mais une représentation, it
was inevitable that certain groups should
attack the exclusiveness of parliament and demand representation of an
even
larger number of interests... Now that parliament had been proclaimed a
market-place...it could only be a matter of time before attention was
drawn to
its unrepresentative nature. Borgeaud, 1890,
p 308: Le ministre
presbytérien
Edwards, qui publie, en 1646, sous le titre significatif de Gangraena plusieurs traités dénonçant les errements
des sectaires (Lilburne etc), indique
l'année 1645 comme celle où s'est répandue cette idée monstrueuse que
le
peuple, étant souverain, a le droit de demander des comptes, non
seulement au
roi et aux lords, mais à la chambre des communes, que ses représentants
reçoivent un mandat limité, non des pleins pouvoirs. De l'autre
côté, le
royaliste Filmer (Patriarcha) en
prend argument pour dénier la légitimité des commons qui
représentent seulement les intérêts d'une minorité,
excluant the major part of the common
people ! [68] Russel, 1971, p 163: though Civil War
were avoided, english
society was still often violent and coarse... bastard feudalism still
existed... it was in the 1590s that the government at last began to
gain real
control over bastard feudalism ; p 164: here
another piece of patronage was created
for the crown or the Lord Lieutnant and another perquisite for local
gentry... the
militia meant that many local gents held such military power as they
had within
a Crown force and subject to Crown patronage. Stone, 1972,
p 60: Elizabeth and her advisers
abandoned all ambitions to develop a continental-style monarchy and
settled
down to manage the political institutions as they found them... The
Elizabethan
State was remarkably deficient [money, bureaucracy,
troops]...p 63 early Tudor deliberately built up the
authority of the gentry as a means of destroying the local power base
of their
over-mighty subjects, the great territorial magnates [who]
had constructed the most formidable
monopolies... p 74 in the short
run, the decline of the influence of the aristocracy meant increased
dependence
of the gentry on the crown; in the long run, it meant the liberation of
the
gentry from the influence of either noble or crown. By 1640..they were
full
citizens of the commonwealth...p 124 what one
sees in the 1620s & 30s is the emergence of a kind of
aristocratic constitutionalism which sought to revive the medieval
tradition. [69] Lee, 1984:…What Russell's analysis has
demonstrated is that as long as James was
king, parliament was not confrontational ; it looked for a lead
from the
crown, and was anxious to follow such a lead whenever it could. La
fameuse
pétition-protestation serait, au contraire de la légende, un geste
défensif des Commons qui had retreated so
far depuis
1614 that they could retreat no further à peine de se
reconnaître
eux-même obsolètes. Stephen White reaches
the same conclusion in his study of Sir Edward Coke... White says,
although
there were tensions and disagreements, James's parliamentary
difficulties
should not be exaggerated... In the words of John Peter Kenyon [Kenyon
J.
P., 1978, Stuart England, Viking,
Penguin Books Ltd 1990], « He spoke
and wrote like a
tyrant, but he acted like a circumspect constitutional monarch, and he
had much
more to put up with from Parliament than they from him. »..It is
time,
perhaps, for a thorough reassessment of the whole of the parliamentary
history
of James's reign without reference to what was to follow... [70] Comme le dit en France le frondeur Joly,
1653, p 2: comment se fait-il
que le bon naturel de nos Roys nous ait esté si souvent
infructueux?…C’est
qu’en mesme temps que leurs inclinations ont panché du coté du bien de
leurs
subjets, elles ont esté diverties par la malice de leurs Favorits &
Ministres, qui prenans trop l’ascendant sur les esprits de leurs
Maistres, leur
ont, s'il faut ainsi dire, crevé les yeux… p 3 Il
ne ſaut donc pas que les Roys s'imaginent qu’on les accuse, ni
qu’on les blasme, quand on leur represente qu'ils sont séduits &
trompez
par telles personnes. Et il poursuit, en appelant à restaurer la
"constitution" renversée: depuis
quarante ans les Ministres qui ont esté des veritables Maires du
Palais, ou,
pour mieux dire, nos Roys effectifs & qui nous ont gouvernez avec
une verge
de fer ont non seulement corrompu & tout à fait ruïné nos
meilleures Loix,
mais aussi ont gravé dans les ames de nos Princes, & de ceux qui
les
approchent, & mesmes de quelques-uns de nos Magistrats, des
opinions nouvelles
tout a fait contraires & opposées à ces anciennes qui n'ont esté
violées
que par les infractions qu'en ont fait nos derniers Courtisans. [71] Aussi, en 1641, lorsque le rapport de forces
est devenu favorable au Parlement, les Lords
annulent ce jugement. Rapin, 1733,
T8, p 29: le 26. de Février
1641, les Seigneurs se firent apporter les Registres de la Cour de
l’Echiquier,
où était inséré le Jugement rendu sur l‘affaire de Monsieur Hambden,
ceux de la
Chambre Etoilée, & des autres Cours où le même jugement était
enregistré,
& les firent canceller en leur presence, aussi bien que les
opinions extrajudiciaires
des juges. Ils ordonnèrent de plus, que leur présent Ordre serait lu
dans
toutes les Assises; & enfin, ils firent préparer un Bill sur ce
sujet. [72] En 1604, l'image sert à justifier l'union
des deux royaumes que propose Jacques: Que l’homme
n’entreprenne donc point de séparer ce que Dieu a conjoint.
Je suis le Mari, l'Isle est ma Femme légitime. Je suis la Tête, elle
est le Corps.
Je suis le Berger, les Anglais & les Ecossais sont mon Troupeau... J’espere donc qu'il ne se trouvera
personne assez déraisonnable pour vouloir que moi, qui suis un Roi
Chrétien,
sous l’Evangile, je tombe dans le crime de Polygamie ; que je sois
Mari de
deux Femmes & qu’étant une seule Tête, je me joigne à un Corps
double &
monstrueux (Rapin, L18, p 22, Discours du roi au 1er
Parlement). Même image en
1624 pour attaquer la jalousie du
Parlement:…Les plus mauvaises [herbes],
parmi vous, sont les jalousies ; il faut les déraciner. Pour mes
actions, j'ose
les soutenir devant Dieu: mais la jalousie est d’une étrange
profondeur.
Je suis le Mari, vous êtes la Femme, & il est ordinaire que la
Femme soit
jalouse de son Mari. Mais à Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi de
vous... (Rapin,
p 230). [73] L'historiographie "révisionniste"
récente met l'accent sur le clubbish
condominium of interests between the king and court on the one hand,
and
regional and national elites on the other, non pas comme équilibre
mais
comme conflit-négociation permanent (Amelang, 2006). [74] Récapitulons en dix épisodes le jeu des
facteurs extérieurs (d'après Wormald, 1991): 1. L'Ecosse
déborde sur l'Angleterre (1637/1641): covenant
contre l'uniformité induite par l'union des royaumes et soutien
politico-militaire écossais au Parlement pour affaiblir le roi et
l'obliger à
transiger. 2. Insurrection
irlandaise (1642): Wormald p 111 if
the irish revolt was partly inspired by the exemple of the scots, it
was also
inspired by fear of them (la victoire du Parlement renforcerait la
répression anticatholique). Question anglaise: qui contrôlera l'armée
de
répression et sera donc susceptible de s'en servir en Angleterre ? 3. Les Ecossais
interviennent en Irlande (1643). Irlande et Ecosse sont liées. D'une
part, les
Ecossais ont, avec les Highlands de l'ouest, le même problème gaélique
que les
Anglais en Irlande: les révoltés permanents utilisent l'Irlande comme
base de
repli, tandis que les Irlandais viennent volontiers à leur secours.
D'autre
part, la "plantation" de l'Irlande du Nord est ouverte aux Ecossais
qui y sont nombreux. L'armée écossaise intervient discrétionnairement
en Ulster
anglais pour protéger les Ecossais et éviter la formation d'une base
catholique
qui déstabiliserait les Highlands. Cette action renverse la situation
(p 112: had the Scots not sent
an army to Ulster, the Irish confederates might well have succeeded).
4. 1644:
le roi signe une trêve avec les Irlandais pour se concentrer sur
l'Angleterre.
Les Ecossais, craignant son succès, envoient une armée en Angleterre,
ce qui
assure la victoire du Parlement mais a pour contrecoup en Ecosse la
révolte
royaliste de Montrose. 5. La trêve
entre Charles et les Irlandais se transforme en alliance: secours
irlandais à
Montrose (victoires 1644/45). Du coup, les Ecossais diminuent leur
engagement
en Angleterre, ce qui les empêche de s'approprier la victoire sur le
roi (et
d'obtenir l'adhésion au covenant,
l'association égalitaire etc). Forfaits, ils rendent (vendent) le roi
au
Parlement (Jan 1647). 6. Affaiblis,
ne pouvant plus espérer du Parlement les garanties d'autonomie qu'ils
souhaitent, les Ecossais modérés tentent de les obtenir du roi auquel
ils
s'allient ! quoique l'Engagement
Treaty (dec 1647) soit refusé par la Kirk
et une partie de la noblesse (Argyl). Nouvelle invasion écossaise de
l'Angleterre mais, cette fois, avec le roi (Hamilton) !
Echec:
défaite militaire en Angleterre (Preston, Aug. 1648), soulèvement
écossais anti engager (Loudoun, Eglinton and
Cassillis, soutenus par Argyll, Leven and David Leslie), avec l'appui
de
Cromwell et de l'armée anglaise. Le Treaty
of Stirling (Sept 1648) met fin au gouvernement des engagers. 7. 1649:
exécution de Charles I, répression de l'Irlande. 8. Alliance
écossaise de Charles II. Les Ecossais veulent un roi à leurs
conditions. In May 1650, Charles signed the Treaty of
Breda in which he agreed to the Covenanters' terms, abandoned the loyal
Marquis
of Montrose and repudiated Ormond's treaty with the Irish. Il
débarque en
Ecosse (June 1650). Invasion anglaise de l'Ecosse 1650/51.
Charles II,
couronné à Scone (1 Jan 1651), attaque en Angleterre. Battu à
Worcester,
Sept 1651. Fuite en France. Défaites écossaises, occupation et
incorporation
(28 oct 1651: Parliament issues a
declaration for the incorporation of Scotland into a single
Commonwealth with
England). 9. A la
Restauration anglaise, Charles II tente de se restaurer aussi en
Ecosse.
Après la glorieuse révolution, le
heurt des Parlements anglais et écossais (notamment à propos des
successions
royales) sera solutionné par leur "union", moyennant des garanties
(religion
et droit) et le bénéfice du libre-échange entre les deux pays. 10. Jacobite
risings résiduels (1708, 1715,
1719, 1744, 1745, 1759). [75] Russel, 1971, p 320: until 1637 it looked
as if Charles was going
to succeed [quoiqu'il] was certainly
isolated... but if peers had no
armies, Charles did not need to worry if they sulked in their tents.
The
machinery of local government was still working whatever those who ran
it may
have felt about government policy...p 323 [malgré le Hampden case] King Charles's government did
not fall by any mistakes in its dealings
with the English opposition, but through overconfidence in its handling
the
poor and despised kingdom of Scottland... Though Charles had few
friends, his
enemies were powerless [mais] p 324 if King
Charles were to start a war and needed the help of Parliament,
these men might be able to make conditions for their support. En Ecosse comme
en Catalogne, les nobles sont mécontents d'être privés de la présence
et des
probendes du roi et marginalisés dans les emplois, y compris locaux. p 324-5: however..the
scottish opposition, like the
english, seemed to be powerless. They were handicapped by the fact that
the two
greatest forces in scottish politics, the peers and the puritan
ministers, did
not work easily together. Scottish ministers tended to be as
clericalist as any
bishop, and the anticlericalism of the scottish peers was as strong as
that of
the English. Charles provided these two groups with a common cause...
the most
inflammatory thing about the /prayer/ book was not its contents but the
manner
of its imposition [proclamation]. [76] Adamson, 2007, scrutant à la loupe les
journées de 1640/41, met l'accent sur la direction politique de la
"rébellion": les Lords du "groupe Warwick", relayés
aux Commons par leurs
"clients", tant ecclesiastiques que laïcs. Les Lords associent les
préoccupations religieuses (presbytériennes) au vieux programme
"médiéval" de contrôle du Roi par les Grands, neutralisés par les
Tudors et ranimés par leur "spoliation" Stuart. [77] Rapin, 1733, T 8, p 5/6: Telle étant
la disposition générale du
Parlement, il est manifeste, qu'il devoit regarder l‘entrée des
Ecossois en
Angleterre comme un avantage très considerable que la Providence
accordoit aux
Anglois, pour empêcher que le Roi ne pût rompre les mesures qu‘on
pourrait
prendre contre lui. Le Roi se trouvoit dans une absolue nécessité
d’entretenir
une Armée pour se soutenir contre les Ecossois, sans avoir pour cela
d’autre
moyen que l’assistance du Parlement… Ainsi, l’interêt du Parlement
étoit de
tenir le Roi dans cette nécessité, afin de le mettre hors d’état de
s’opposer
aux résolutions qui seroient prises par les deux Chambres. On ne doit
donc pas
trouver étrange, que le Parlement ne fit pas beaucoup d’attention à ce
que le
Roi souhaitoit le plus, savoir, qu’on le mit en état de pouvoir chasser
les
Ecossois hors du Royaume ; puisqu’au contraire, c’étoit la
présence des
Ecossois qui donnoit aux deux Chambres une superiorité qu‘elles
n’avoient pas
envie de perdre... p54 Le Roi s’étoit
flaté que le Parlement prendrait sa cause en main contre l’Ecosse…
Mais, pour
comprendre combien cette espérance était vaine, il n’y a qu'à
considerer que
c’étoient les Chefs du parti contraire au Roi, qui avoient encouragé
les
Ecossois à entrer en Angleterre… C’étoit cette invasion des Ecossois,
qui avoir
obligé le Roi à convoquer un Parlement; & c’étoit cela même qui
mettoit le
Parlement en état de rompre toutes les mesures du Roi, & de
l‘obliger à
souffrir la réparation des Griefs… Il auroit donc agi contre ses
propres intérêts,
& directement contre la fin qu’il se proposoit, s’il avoit fourni
au Roi
les moyens de chasser les Ecossois [78] Russel, 1971, p 333: the greatest
difficulty in leading was that
Parliament did not recognize the concept of leadership [votes
aléatoires
sous le drapeau restore a working partnership
between the King and the gentry]... most of these
future royalists were as
deeply opposed to the King in 1640 as his long-standing opponents...
début
1641, the King had still not conceded
power to them and though they were as frightened of the 'rascal
multitude' as
the King was, they may have hoped to show him that if did not settle
with them,
he could expect something a good deal worse..the result was an
atmosphere of
panic... p 336 in introducing
this bill [contre les customs farmers] the
leaders were much weakening their chances of a settlement with the
King, and as
time passed the King was much improving his chances of a settlement
with the
Scotts. [79] Adamson, 2007: la contre-offensive de
Strafford (armer la Tour contre la Cité et accuser les douze pairs
pétitionnaires de trahison pour connivence avec une armée
"étrangère") effraie les "rebelles" qui n'ont pas le
contrôle de la chambre basse dont environ la moitié est réticente (cf.
la
"division" sur le comité irlandais destiné à préparer l'accusation de
Strafford). Le groupe est obligé de tout risquer (11 nov):
il met la
chambre sous pression (rumeurs de complot papiste et de coup d'état du
roi
appuyé par l'armée d'Irlande) et attaque Strafford de manière très
oblique. La
Chambre apeurée les laisse manipuler le comité qui déclare aux Lords
qu'il va
leur transmettre une mise en accusation de Strafford et leur demande de
le
suspendre en attendant qu'elle soit rédigée. Strafford, venu à la
chambre haute
pour se défendre, est arrêté. [80] Adamson, 2007: le procès de Strafford,
initialement engagé pour faire pression sur le roi dans la négociation,
passe
par une révolution conceptuelle. Utiliser l'armée irlandaise pour
soutenir le
roi est tout le contraire d'une trahison.
Pour que cela en devienne une, il faut, politiquement, remplacer la
fidélité au
roi par la fidélité au commonwealth.
Et, légalement, prouver l'intention par au moins deux témoins, alors
qu'il n'y en
a qu'un, très incertain. L'échec prévisible du procès trop public
provoque une
initiative ultra aux commons (attainder).
Elle obtient un succès
improbable (approuvée par les présents à 4 contre 1, la moitié des
memebres
étant absents), à cause de la peur d'un coup d'état militaire du roi
qui
dissoudrait le Parlement (panic-driven
consensus), tandis que le groupe Bedford (Pym) continue à manœuvrer
pour
garder ouverte la négociation avec le roi. Elle échoue. Strafford est à
tuer
parce qu'il fait trop peur (en tant que moteur de la contre-attaque du
roi). [81] Adamson, 2007. La dynamique de
l'affrontement n'est pas programmatique (religieuse et/ou
constitutionnelle)
mais contingente et réactive: peur du roi d'être réduit à la
figuration,
peur du Parlement de dissolution/annulation, à laquelle s'ajoute la
peur de la
répression pour les conjurés. Nul ne veut la tête du Roi qui, outre sa
position
"constitutionnelle", dipose d'un soutien actif et passif croissant
avec ses malheurs. Au contraire, les conjurés sont des traitres et le
savent: étant et se sentant les plus menacés, leur ligne
stratégique est
commandée par la survie. L'activisme s'impose, quitte à utiliser des
moyens
désespérés (absentéisme, manipulations, voies de fait, mobilisations de
foule).
De l'autre côté, la ligne stratégique du roi ne se laisse (et ne se
laissera
pas) pas facilement inventer: reconquérir ses prérogatives, oui,
mais
jusqu'où ? Il aurait fallu une chose impossible, tant à ce roi
personnellement qu'à tout roi de ce temps: qu'il conçoive un
compromis
acceptable, qu'il l'impose à ses adversaires et qu'il le respecte, au
moins
pendant un temps suffisant. Le Parlement
doit se sécuriser en empêchant sa dissolution, d'abord, en droit, en
faisant
accepter par le roi les bills
(triennal, non dissolution), ensuite, en fait, en le privant des moyens
militaires et administratifs qui lui permettraient de se passer du
Parlement ou
de l'attaquer. De même, les conjurés, d'abord satisfaits de soumettre
le roi à
des contraintes légales (bills),
comprennent qu'il leur faut contrôler le gouvernement (privy
council) et qu'ils n'y parviendront qu'en contrôlant tous les
rouages du gouvernement (grands officiers, juges etc), c-a-d en faisant
du roi
le pupett-King qu'il redoute. Même si
Adamson rejette l'idée de baronial war,
le processus, au moins en partie, relève de ce schéma classique:
capturer
le Roi au nom du "bien public" (commonwealth)
et éventuellement de la religion pour agir à sa place. L'habillage va
chercher
dans le magasin médiéval qui n'a cessé de se remplir depuis la querelle
des
investitures. [82] Déjà Pym au cours des premières séances du
long parlement (1640): Ce n‘est pas
empêcher le service du Roi, que de réparer les Griefs: c’est plutôt le
procurer…Le Roi ne peut faire du tort à
personne. La Loi rejette toutes les fautes sur ses Ministres. C’est
ainsi
que l‘influence du Ciel donne de la vigueur à toutes les créatures
sublunaires,
mais que la malignité des maladies epidémiques procède des mauvaises
qualités
de la Terre, ou de l‘Air…(griefs)…Tous
ces Griefs ne sont pas moins préjudiciables au Roi qu’à ses Sujets;
puisqu’ils
interrompent la correspondance entre lui & eux (Rapin,
Livre 20). [83] Adamson, 2007: concurrence entre
Charles et Warwick pour s'allier aux Ecossais, eux-mêmes divisés entre
Argyll
et Montrose. Warwick, effrayé par les implications du voyage du roi, se
décide
à payer enfin les Ecossais (en levant une poll
tax) et engage ostensiblement l'alignement religieux (root
& branch), au
prix d'une double impopularité dans le pays. [84] Russel, 1971 p 339: it seems that neither
side
really wanted the war but both were too frightened of the other's
intentions to trust any settlement... any attempt to analyse the causes
of this
war must take account of the way it began. Hypotheses which attempts to
explain
why people might have wanted to fight a civil war are valueless for
explaining
a situation in which they did not want to fight one... there seems to
be only
one explanation: sheer fear of the
intentions of the other side...p 340 breakdown
of a system of government which the Parlementarians
desesperatly wanted to preserve but which could not keep up with
inflation or
with division in religion. The argument of 1641 was not about how to
replace
this system of government: it was about whom to blame for its
failure... Those
who made the war were a small number of people in Parliament. Those who
took
sides in it were a large number of people all over the country. This distinction should be remembered in
attempts to make social analyses of the allegiance of the public. The
motives
which might impel a man to chose between sides which already existed
were very
different from those which might impel a man to make a side... p
342 in the autumn of 1642, the majority of
England's leading citizens appear to
have been surprised, not to say dismay or incredulous, to find
themselves at
war. Even in the King's camp there
was a strong body of feeling in favour of negotiation rather than war.
At
Westminster, the aim had never been to
start a war, but to use the threat of war to force Charles to come to a
political settlement...p 345 ...in
Parliament there was little attempt to justify resistance to the King,
because
many of the members maintained throughout the war that
they were not fighting against the King but for him... Parlementary
commissions were issued in the name of King & Parliament, and this
fiction
was sustained by a distinction between
the public and private capacities of the king... The arguments of
the
parlementarians were not expressed in terms of Parlementary sovereignty
but in terms of unity... p 346
for most of them, the guarantee of
co-operation between the King and the gentry, and the terms on which it
took
place, was the rule of law ["fundamental
law"]...if they were to win a
victory, they were likely to be embarrassed by it...they were "sturdy
reactionaries" [Kenyon] who
wanted, not a brave new world, but a
return to the old world of Grindal, Leicester and Walsingham...p 347
the Parlementary conservatives were
entitled to wonder whether in the end they might not find their allies
more
dangerous ennemies than the King... p 348 moreover,
some of the Parliament's supporters who were not gentry
showed an alarming vigour in
prosecuting the war...the split [in the Parliament] was
not about whether they sympathized with the radicalism of some of
their supporters: they did not. The
split was about whether they regarded their radical supporters or the
King as
their worst ennemies. [85] Russel, 1971, p 354: Pym and his friends
could only see one way
to change the situation without handing over control of the army to
people
radical enough to drive some of their supporters over the King, and
that was to
induce the Scotts to come in England as their allies. The
Scotts were conservative enough not to wish to make any dangerous
use of victory. [86] La crainte de la pression du peuple et la
radicalisation de l'armée pousse les Presbytériens du parlement à
chercher un
compromis avec le roi (1647/48) et à licencier l'armée ce qui, faute de
paiement
des arriérés, l'émeut (agitators).
L'armée se révolte contre le parlement et s'empare du roi pour empêcher
leurs
négociations: juin 47 declaration of the
army. L'armée restaure le parlement et tente à son tour de
négocier avec le
roi contre Parlement: Cromwell veut subordonner le roi au
parlement et le
parlement aux électeurs. Le roi tente de tirer parti des divisions et
signe un
accord avec les Presbytériens et les Ecossais (dec 47): son retour est
bloqué
par l'armée qui mate les émeutes et bat les Ecosais (Preston,
aug 48). La
carte du roi jouée par le parlement est coupée par l'armée qui demande
justice,
capture à nouveau le roi, purge le parlement (réduit à la minorité d'indépendants aux ordres du Conseil de
l'armée). Annulation du roi et des Lords. Moote,
1972: le Parlement anglais en se coupant du roi perd sa
légitimité et se
livre à l'armée (p 171: In England
where the parliament broke with royal sovereignty while in the process
of
achieving basic reforms, that break irreparably damaged the english
Parlimanent's raison d'être as an integral element of royal authority.
Hence
radical revolution in England swept aside Parliament along with Crown,
leaving
only the cromwellian military element to fill the vacuum). Cela aurait pu
arriver au Parlement de Paris si son tropisme royal ne lui avait pas
permis de
contrôler les Grands et de ne pas s'abandonner aux Condéens: p
219 the major reason for France's not following
the english path is, beyond question, attributable to the ability of
the
Parlement of Paris to retain its via media of 1648. The timorous judges
payed
their moderation by antagonizing their noble allies. However the price
of a
..coalition... would have been much higher... and left nothing but
anarchy...We
need to avoid forced, misleading comparisons between the Great
Rebellion and
the Fronde. The ability of the military and parlementary wings of the
english
revolution to remain united until they had toppled Charles from his
throne had
only a negative lesson for the Parlement of Paris. Such a combination
was to be
avoided since it had undermined the
position of the moderate parlementary wing as part of the Crown,
leading to
Parliament's abdication of effective power in the post revolution
english
state... p 232 Paradoxically,
as law & order gave way increasingly to anarchy and civil war, the
immense
prestige of the Parlement as the leading body of law enforcement in the
realm
made support from the tribunal all the more desirable for all outside
parties. [87] Russel, 1971, p 388: the basis of
Cromwell's power in the 1650s
was that he was the only man who could command the support of both
these
conflicting interests [army-gentry]...391 the
Instrument [of government 1653]...return to the
constitutional tradition of the pre-war Parlementarians...
return to the constitutional ideas of 1641 and with it, a number of men
of 1641
came back towards the centre of power... p 397 on
25 May 1660 Charles II landed. He came to take over the constitution
of 1641, the ancient constitution the Parlementarians gentry had always
wanted
to preserve... King & Gentry resumed
their partnership and resumed the attempt to secure an unattainable
unity
of religion and to work an outdated constitution. [88] Christianson, 1976, p51: Both of these
changes took place for some
radicals in 1643 - certainly by 1645 - but that poses another question,
that of
the results of the civil war. The potential for a revolutionary
ideology
existed in 1642 - it had existed at least since the publication of Sir
Thomas
More's Utopia in 1516 or Bishop
Ponet's A Shorte Treatise in 1556-
but potentiality and actuality are two different things, even in the
realm of
ideas. The changed conditions of civil warfare, then, produced both
revolutionary actions and the revolutionary ideology of mid-seventeenth
century
England. Eccleshall,
1978, p 2: the unwitting authors of
the [medieval] period have been fathered
with the ideological conflicts of the civil war and beyond...p 5
My purpose is to provide an account of two
contrasting styles of thought, each reflecting the differing intentions
of
their authors but not initiated by them as rival or mutually exclusive
theories. In a transformed environment, the turmoils of civil war,...
they were
to be combatively deployed in an ideological battle... They are to be
understood
as arising within the frameword of the medieval world view... p 152 Between the time Hooker wrote [1594] and
the onset of military struggle, political thinking entered a sort of
limbo. The
theory of absolute monarchy did not undergo drastic changes. It was
simply
appropriated by extremists... p 153
within the space of few years following
the Civil War, the intellectual scene was to be altered.. by a
deluge of
political thinking. Initially the theory of mixed government was
elevated to unprecedented
heights of popularity. For both sides it became a form of
window-dressing... but
as constitutional stalemate gave way to military confrontation...les
arguments familiers prennent une
radically transformed signifiance... p 158 by
1640 disappointment had turned in hostility... It was intra-class
strife not inter-class warfare, which acted as a catharsis on political
thinking. [89] Some
compare Queen Elizabeth to a sluttish housewife who swept the house but
left
the dust behind the door (un 5th monarchist en
1653, cité par Stone, p 116). Cf. Coveney, 1977,
Introduction, p
12: the accelerating collapse of
the /french/ monarchy following the
death of Henri II...thrust the late-medieval state into a major
political
crisis... the continuing factor in the late medieval France political
situation
was one of very marked potential instability, which was punctuated by
periods
when the potentialities fron strenghtened government were realised…p
13 the reign of Henri IV was
not however one of really major achievement…
p14 the monarchy resumed where it had
left off...p 20 in 1610 there
were only unresolved problems for the future... [90] Tant
il est vray que l'Angleterre, comme elle semble être séparée du
commerce du
reste des hommes‚ semble aussi
éloignée des maximes de l'humanité. Elle ne produit point de loups,
mais elle
est pleine de tygres. (Advertissemens aux Roys & aux Princes‚
pour le
Traité de la Paix & le sujet de la mort du Roy de la Grand’Bretagne) ; Peuple plus
cruel que les eaux qui
l’environnent. Ce n’est pas la première fois qu’ils ont exercé leur
cruauté sur
la personne sacrée de leurs Roys... (1649,
Dernières paroles du Roy d’Angleterre) ; ...cette
alternative presque réglée, qui se
trouve chez les Anglois d'un règne heureux, florissant, applaudi; &
d'un règne
malheureux, troublé, finissant par la catastrophe d'un Roy déposé, mis
aux
fers, souvent sacrifié à l'ambition d'un usurpateur sanguinaire... (d'Orléans, 1675). Rapin, L18, p
8/9: si l’on peut produire quelques
exemples des Rois qui ont succédé de Père en Fils, & qu'on en
veuille
conclure que c’est par un Droit héréditaire; il sera aussi facile de
faire
voir, que ce Droit s’évanouit quand on remonte à la source. Par
exemple, si
l’on suppose, qu'Elisabeth, Marie, Edouard VI. & Henri VIII. ont
possédé la
Couronne par un Droit héréditaire, quoiqu'il y aurait beaucoup à dire
sur les
Reines, la source de ce Droit se trouve dans Henri VII. qui n’était
Héritier
naturel, ni de la Maison d’York, ni de la Maison de Lancastre. Henri
VI. &
Henri V. ont succédé de Père en Fils à Henri IV., qui n’était pas le
plus
prochain Héritier de Richard II. Edouard III. n'a pas pu Succéder par
un Droit
héréditaire à Edouard II. son Père, qui était encore en vie. Edouard
II.
Edouard I. & Henri III. forment la plus longue Succession
héréditaire de
Père en Fils qui se trouve dans l’Histoire d'Angleterre: mais ils
tiraient leur
Droit de Jean sans Terre, qui certainement n'était pas le plus prochain
Héritier de Richard I. Je passe sous silence les Rois précédents, parce
que la
chose est trop manifeste pour qu’il soit nécessaire de s'y arrêter.
Ainsi, de vingt-trois Rois qu’il y avait eu depuis
la Conquête jusqu'à Jaques I., il y en avait au moins plus de la
moitié, qui
n’étaient pas montez sur le Trône par un Droit héréditaire. L'hérédité ex
ante ne commande pas le droit de
succession à la couronne anglaise car sa dévolution se fait souvent de facto: la pratique est si
tumultueuse que l'hérédité s'établit ex
post pour légitimer le vainqueur. Pour autant que Henri VII ait eu
des
droits héréditaires, Marie Queen of Scots,
par sa mère, arrière petite fille directe de Henri VII, était
incontestable face à Edouard, Marie, Elisabeth dont, en droit, deux des
trois
sont illégitimes (Act du 08/06/1536 déclarant Marie & Elisabeth
bâtardes):
le premier mariage n'ayant pas été proprement annulé, Elisabeth se
trouve sans
titre. [91] Bonin, 2003, p 117: S'il existe
ainsi un droit à la régence,
mère et oncle le partagent. L'un d'eux est-il prioritaire ?
Paradoxalement, à la fois l'oncle et la mère s'appuient sur la loi
salique,
l'un parce qu'elle l'appelle au pouvoir (à la réserve que des oncles
maternels
furent concernés au Moyen Age, voire des bâtards), l'autre parce que
justement
elle lui interdit la tentation d'une usurpation. Dès lors leurs
arguments
s'opposent et se renversent. Cosandey,
1997: ... En interdisant aux femmes
de monter sur le trône, la loi de dévolution les installe ainsi plus
sûrement à
la tête de l'État lors de minorités royales: exclues de la
couronne,
elles ne peuvent prétendre à l'héritage et donc, en aucun cas,
constituer une
menace pour le jeune roi… sujette exerçant un pouvoir délégué, la
régente ne
bénéficie pas de l'impunité réservée au roi. Elle agit au nom du roi et
pour
lui, mais conduit une politique que les détracteurs peuvent condamner
au nom
même du souverain. Mais ces critiques se maintiennent dans le domaine
de la
politique menée par la régente, et ne concernent pas l'édifice
monarchique. En
ce sens, l'évaluation des troubles provoqués par une minorité royale
change
d'échelle par rapport à la période antérieure au XVe siècle, et cette
translation se caractérise par une modification du rôle des
institutions:
les États généraux, souverains jusqu'alors dans la nomination à la
régence,
cèdent progressivement le pas au Parlement de Paris, dont
l'intervention est
déterminante au XVIIe siècle. Ce transfert de compétence accompagne et
corrobore l'image d'une régence de continuité, la crise politique qui
justifiait autrefois le recours aux États généraux devenant dès lors
une crise
régulée par le simple arbitrage du Parlement… Il reste qu'il y a bien
substitution du Parlement aux États généraux, indiquant une évolution
dans la
conception intrinsèque de la régence. A l'inverse des États généraux
dont la
convocation, ponctuelle, doit répondre à une situation d'exception (de
crise ou
de rupture politique), le Parlement, instance permanente, symbolise la
continuité de l'État…[la régente]
n'est pas là pour innover, et son gouvernement n'étant qu'une
parenthèse dans
le cursus de passation des pouvoirs, il ne doit pas laisser de traces…
Installée
au coeur de l'État parce que participative de la substance royale, la
reine
perd par la présence de son époux toute capacité agissante, mais gagne
par la
mise en scène de son appartenance monarchique une force dont elle
bénéficie à
son veuvage. Effacée tant que s'exerce la toute puissance d'un roi
absolu qui
n'entend partager avec personne son autorité souveraine, la reine, une
fois
dégagée de la tutelle maritale, laisse éclater le principe de royauté
dont elle
a été investie à son mariage. A condition, bien sûr, que le nouveau
monarque ne
soit pas en état de remplir seul sa fonction royale... [92] Motteville, II, p 327: C'est pourquoi
elle [la reine] répondit
toujours sur cet article, à ceux qui lui en parlèrent, qu'elle ne
vouloit pas
faire la même faute qu'avoit faite le roi d'Angleterre, abandonnant son
ministre à la rage publique, de peur qu'elle ne causât d'aussi mauvais
effets
contre elle que ce prince en ressentoit alors en sa propre personne et
en son
Etat... p 357 Elle me fit l'honneur
de me dire ce qu'elle avoit déjà dit à d'autres, et que je pense avoir
déjà
aussi écrit, qu'elle croyoit être obligée de le retenir [Mazarin], de peur qu'il ne lui en arrivât autant
qu'au roi d'Anglelerre, et qu'après l'avoir chassé on ne vînt jusqu'à
elle; que
les princes, la voyant sans ministre, lui en voudroient donner un; que,
ne se
pouvant accorder là-dessus, comme il étoit raisonnable de le croire,
cela
feroit naitre des brouilleries plus grandes que les premières; et
qu'enfin elle
le vouloit conserver, non-seulement parce qu'elle étoit satisfaite de
ses
bonnes intentions et de sa fidélité, mais parce qu'elle étoit persuadée
qu'en
le soutenant elle rétabliroit l'autorité royale, et empêcheroit qu'on
ne lui
otât la régence. [93] Popularité phénoménale du Eikon
Basilike dont de Marsys donne une controversial
catholicizing french
translation. Knachel, 1967 p 64:...de
Marsys had taken it upon to clothe the english royalists in a dress
more attractive to french catholics... p 73 In
any case, Saumaise, not Hobbes /non traduit et ambigu/ was
the chief reliance of the english
royalists to present their case to the continent. 1649 Saumaise, Defensio regia pro Carolo (1650 Apologie
pour le roi d'Angleterre) ;
contra: Milton, 1651. Martyr, en
France, en tant que cryptocatholique ; en Angleterre, en tant que
défenseur de l'anglicanisme. Rapin, comme Huguenot continental,
proteste. T8,
p 723: Bien des gens lui
donnent le surnom de Martyr, prétendant qu’il a souffert la mort pour
soutenir
la vérité de la Religion Protestante contre les Presbytériens & les
Indépendants; & ils appellent le jour de sa mort, qui se célèbre
tous les
ans le 30. de Janvier, le jour de son Martyre. Mais premièrement, il y
a eu une
trop grande complication de causes qui l'ont amené à cette triste
catastrophe
pour pouvoir attribuer sa mort uniquement à la Religion. 2. Quand même
il
serait vrai que la Religion a été la seule cause de sa mort, tout le
monde ne
conviendrait pas qu’il mourut pour soutenir la Vérité de la Religion
Protestante, puisque, parmi les Protestants, il n’y a que les Anglais
seuls, ou
plutôt un grand nombre d’Anglais, qui regardent l’Episcopat comme un
Dogme de
la Foi…etc Voir
Haffemayer, 2012 et 2014 ; Lacey, 2014. [94] Moote, 1971, p 11: Generations of
historians have erroneously
inferred that the parlementary judges were doomed to political
impotence
because they lacked Parliament's legislative and representative traits,
while
the truth is that French parlements combined many of the powers of
Parliament
and the chief English courts, King's Bench and Common Pleas. The only
correct
conclusion is that the corporations of French officials were more
powerful, and
better suited to the French situation than any legislative,
representative
assembly could have been, whether it was an Estates General, a
Parliament, or a
modern type of legislature. [95] Evidemment, il en va de même en France.
Cubbels, 1957, p 176/7: les officiers
tiennent leur pouvoir du prince, et c'est parce que la puissance
royale, seul
principe de gouvernement, leur est communiquée, qu'ils peuvent
éventuellement
se dresser contre les erreurs de la personne royale… Tirant son être de
la
puissance royale, le Parlement ne pourrait lui porter atteinte, et ne
saurait
le vouloir. Ainsi, les remontrances du 27 juin 1648 justifient l'union
des
compagnies: « Sont-elles pas toutes jointes à leur corps qui est leur
monarque » …le seul pouvoir est bien la souveraineté royale,
d'origine
divine. Reste à dire que le Parlement en est l'émanation, pour
justifier les
résistances politiques de l'assemblée. [96] Allen, 1938, p 28: as far as possible the
house ignored the practice and the precedents
of the 16th century and went back for its standing ground to times of
which it
really knew next to nothing (mythe de l'ancienne constitution
saxonne
parfaite: cf. Coke). Russel, 1971, p
40: However most of these
precedents for parlementary independance date from a period before
1450 and at the beginning of the
16th century Parlement seems to have been in decline... Cf. Le Quéau,
2012: dès Jacques I, les "antiquaires" sont appelés en
renfort des "droits du Parlement" pour établir leur caractère
immémorial et les remonter à Edouard le confesseur, voire aux Saxons. [97] Pour le roi anglais son parlement est une
ressource de son magasin qu'il prend (convocation) et repose
(dissolution):
le roi peut se passer du parlement pour gouverner, il peut faire des proclamations à la place des statutes,
il peut lever des fonds de
façon plus ou moins prédatrice. Mais c'est mieux avec le Parlement que
sans: légiférer et taxer en Parlement donne au roi une sanction
collective, renforce la légitimité de la décision royale ou lui en
confère une
(Henri VIII). La co-législation (fût-elle manipulée ou forcée)
surhausse
la qualité de la décision royale et diminue les frottements. Cela ne
ressemble-t-il pas au jeu du roi de France avec son Parlement de
Paris ?
Le roi peut s'en passer, tant pour la justice que pour la législation
et la
finance, mais c'est mieux avec: l'approbation ou l'enregistrement
des
décisions royales (fût-elle manipulée ou forcée) renforce leur
légitimité ou
lui en confère une. N'oublions pas non plus la théatralité de la
politique de
ce temps. [98] Le Président Le Coigneux l'exprime ainsi (3
fev 1648): qu'il y avoit dans nos
roys deux qualités:
l'une
d'homme l'autre de roy, lesquelles estoient tellement connexes que,
sans
préjudice à la dernière, nos roys avoient trouvé bon que l'on examinast
ordinairement
leurs actions dans le parlement; que cela se faisoit avec beaucoup de
justice,
puisque la cour estant establie par les roys pour l'autorisation de
tous les
contrats qui se passent dans leur royaume, leurs esdits et déclarations
en font
partie, dans laquelle autresfois le
consentement des peuples estoit nécessaire, et maintenant celuy des
officiers
de justice, auxquels on a remis cette puissance de consentir la
levée des
impositions, comme à ceux qui, avec le plus de suffisance et de raison,
sçavent
mesnager la gloire du prince et la nécessité du pauvre peuple
(Journal
d'Olivier Lefèvre d'Ormesson, T1, ed Chéruel, 1860, Collection
et documents inédits sur l’histoire de France, 3ème
série, N3, p 435/6). Le chanoine
frondeur Claude Joly, à la suite d'autres, explique cette délégation au
Parlement par les commissaires que
les états généraux chargeaient de représenter leur volonté
"posthume", thèse logiquement séduisante mais historiquement
infondée. Joly, 1653, p 440/441: Non
seulement il estoit autres fois nécessaire pour faire des levées en
France que
les Estats y consentissent; mais nous voyons encores que, comme ils
avoient
droict de nommer des Commissaires pour l’exécution & manutention de
ce
qu'ils avoient resolu: dont aucuns mesmes tiennent auec beaucoup de
vray-semblance que le Parlement a pris son origine, & le droict de
verification des Edicts, ces Commissaires examinans toutes les Lettres
qui leur
estoient présentées par le Roy pour voir s'il n’y avoit rien qui
dérogeast aux
délibérations des Estats, les refusans s'ils y trouvoient quelque chose
qui
fust, ou contraire, ou nouvelle, auec ces mots qui sont encores en
usage, nec
possumus, nec debemus, pource que cela excedoit leur pouuoir... [99] Moote, 1971, p23: Its internal
weaknesses, its unrepresentative nature, and the fact that
it was neither english Parliament nor french Etats Généraux are far
less
significant than its members' ability to act as a body, their prestige
and
their position among the many judicial and financial corporations of
the realm,
and their claim to be the symbolic center of the Crown of France. [100] Descimon, 1984, p 315: La scène centrale
[de la Fronde], c'est
Paris. Car Paris est le lieu de l'Etat-système et donc celui où se
rencontrent
les chefs de parti. Non que la province ne pèse très lourd dans la
guerre
civile, mais Paris est un champ de bataille proprement politique. Les
partis y
discourent, s'y mesurent, s'y toisent, s'y allient. Chaque fois que
tous les
chefs de partis sont à Paris, la situation est extrêmement instable. [101] Jacques I, lui, avait échoué à pacifier
ses catholiques. Après la conspiration
des poudres (1605), il tenta de les rallier, en proposant un
serment
purement politique, par lequel, indépendamment de leur religion et de
leur
culte, ils s'engageraient à obéir au roi, sans permettre au pape de
s'immiscer
dans le gouvernement de l'Angleterre: condamné par Rome et les
Jésuites,
repoussé par toutes les sortes de "protestants" anglais, ce compromis
habile ne prit pas. [102] La "révolution" anglaise donne une
idée de ce qu'auraient pu donner les troubles français de la fin XVIe
en
l'absence de la stabilisation Henri IV: une tentative de
conjuguer
Monarchie et états généraux dont les péripéties politico-militaires
conduisent
à l'élimination "judiciaire" du Roi et à la dictature d'un chef de
guerre à la posture religieuse. [103] Knachel, 1967, p 108: huguenot leaders
set a double task for
themselves. They had to convince the King that he had nothing to fear
from
their party; and they had to insure that the rank and file did not
defect from
the loyalty Amyrault,
1650: ...Lors que les Indépendants
d'Angleterre eurent fait mourir leur Roy, ils jugèrent bien que cette
action causerait
de l'horreur dans les esprits: c'est pourquoi ils publièrent une
espèce de
Manifeste pour leur justification…qu'ils y soutiennent que le Psalmiste
n'y désigne
aucunes personnes singulièrement privilégiées, soit Roys, ou
Sacrificateurs, ou
Prophètes; & que son dessein est seulement de célébrer la
protection que
Dieu a toujours étendue sur son Eglise, pour laquelle ils prétendent
qu'il est
dit là qu'il a châtié jusques aux Roys. Comme je courais cet Ecrit de
l'œil, je
ne trouvai pas étrange que ceux qui ont Commis un tel attentat, &
qui ont
renversé le Royaume d'Angleterre c'en dessus dessous, pervertissent
l'intelligence de l'Ecriture, &
essayassent de montrer qu'ils n'avoient rien exécuté contre le
commandement de
Dieu…Et véritablement il ne fut jamais si nécessaire qu'il est
maintenant, de
donner à toutes sortes de personnes une vive & profonde persuasion
de la
souveraine Majesté des Roys, depuis que les Indépendants ne se
contentant pas
d'avoir fait un si lamentable exemple du leur, semblent avoir
ouvertement
déclaré la guerre à tous les Monarques... [104] Pagès, 1932, n°1, p 37: L'emploi de
commissaires est, pour elle
[la monarchie], une sorte de réflexe
défensif contre la trop grande indépendance des officiers. Aussi les
commissaires ont-ils joué leur rôle de très bonne heure. En fait, on ne
peut
guère concevoir la Monarchie absolue sans commissaires. Pagès, n°2, p
116: Le gouvernement de Richelieu
n'est pas seulement l'âge d'or des « commissions extraordinaires », il
l'est
aussi des commissaires de toutes sortes. Richelieu, remarquons-le, les
prend
partout où il lui plaît, non pas seulement, ni même surtout, parmi les
maîtres
des requêtes, mais de préférence dans sa clientèle personnelle... [105] Knachel, 1967, p 57: the Frondeurs
repeatedly stressed that their
own quarel was not with the King but with the King’s minister. How
awkward then
to have the english explain in this document [1649, declaration du
Parliament] that the Civil War in England
and the ensuing revolution, had stemmed originally from Parliament’s
desire to
free Charles 1 from evil advisers... p 88:
Frondeur propagandists endlessly repeated
that Parlement derive its glory from the majesty of the King, that
members of Parlement,
far from wishing the destruction of the monarchy, wanted to protect
it...p 90: one of the reasons why the
frondeurs
reacted so violently to Mazarin’s speech [au duc d’Orléans, fev
1651], was that it confirmed that he was filling
his pupil [Louis 14] with invidious
comparisons of France and England… Precisely because the frondeurs were
so
self-conscious about being compared with the english rebels, they felt
compelled to refer often to England... p 91 the
Parlement of Paris and its friends were especially sensitive to
discussion of England... [106] Cubbels, 1957, p 194: Les premières
manifestations hostiles du Parlement suivent de peu
l'apparition des premiers symptômes de crise: le 31 janvier, le 8
février, le
13 février, et encore le 24, certains conseillers furent l'objet de
violences.
Le 28 février, au moment où la Cour délibérait de députer ou non à une
conférence, la foule, au dehors, insultait les magistrats. [107] Moote, 1971, écrit dans sa conclusion (p 370-: Proclaiming belief in royal absolutism
and yet using every legal power at their command, the parlement steered
reforms
past the administration while avoiding the self-defeating label of
rebels… The
judges managed not only to bring about reform but to avoid a major
civil war
and blantly illegal actions of the sort which allowed the english
Parliament to
be crusched between the extremes of caroline absolutism and cromwellian
dictatorship. Moote, 1971, p
xii: From my initial examination of
sources, it became clear that the role played by the Parlement of
Paris... was
the factor that explain most satisfactorily all phases of the Fronde...
for the enigma of the Fronde and the
baffling, ambivalent role of the parlementary judges are two sides of
the same
coin... the unique composition of that peculiarly French institution,
the
Parlement of Paris sheds more light on the French version of the crisis
than
does any other factor, either within France or in Europe as a whole... p 11: Indeed
the french Parlementarians were in
one major respect far more potent institution than their english
namesake, the
Stuart Parlementarians. Generations of historians have erroneously
inferred
that the parlementary judges were doomed to political impotence because
they
lacked Parliament's legislative and representative traits, while the
truth is
that French parlements combined many of
the powers of Parliament and the chief English courts, King's Bench
and
Common Pleas. The only correct conclusion is that the corporations of
French
officials were more powerful, and better suited to the French situation
than
any legislative, representative assembly could have been, whether it
was an
Estates General, a Parliament, or a modern type of legislature... [108] Moote, 1971, p 109: the judges went far
enough in opposing the
taxes..while remaining so deferential to royal absolutism that they
could not
be incriminated as rebels or traitors. This was the great strength of
the
Parlement in the early months of 1648 and it was to be the key to
parlementarian actions and successes during the course of the Fronde.. [109] D'Ormesson écrit dans son journal (ed
Chéruel, 1860, T1, p 442): Le
samedy 8 février...j'appris qu'à la cour l'on estoit fasché de la
vérification
de l'esdit avec modification, parce qu'il jugeoit l'affaire au fond et
donnoit
la liberté au parlement, à l'avenir, de corriger les esdits et y
changer,
quoyqu'ils eussent esté apportés par le roy…p 448: La
nouveauté et la conséquence de cette
proposition /la demande de la Reine/
me surprennent, voyant que du costé de la cour l'on veuille porter les
choses
aux extrémités, et pousser le parlement pour s'engager à faire
d'estranges
choses, si le parlement disoit pouvoir modifier les esdits vérifiés en
présence
du roy; mais ils croient que le parlement laschera le pied, et, ce
faisant,
pour nostre esdit ne pourra plus prendre d'autre avis que des
remonstrances.
Pour moy, je crois que le parlement ne
doit point se déclarer, mais respondre par civilités, sans s'esclaircir
de ses
intentions, une résolution précise sur cette proposition estant
périlleuse de
tous costés... p 450 (20
fev): [M. de Broussel] a remonstré
l'importance de la proposition et taxé le conseil de ceux qui l'avoient
dictée
à la reyne; que c'estait mettre le point
de la souveraineté en compromis en demandant une response sur une
question dont
la résolution pouvoit estre préjudiciable à l'Estat… qu'il ne
falloit donc
point agiter telles questions, dont les seules propositions ébranlent
l'autorité du roy et diminuent l'obéissance des peuples. [110] Sainte-Beuve commente (1851, p 57):
Retz définit en termes singulièrement
heureux l'antique et vague constitution de la France, ce qu'il appelle
le
mystère de l’Etat. Il fait voir que... du côté de la cour, on avait,
avec une
insigne maladresse, mis le Parlement en demeure de définir
ces cas où l'on pouvait désobéir et ceux où on ne le devait pas
faire. [111] La Ligue et la Rébellion anglaise sont des
repoussoirs qui fixent les bornes de la contestation. Le Parlement
"frondeur" ne veut pas poser la question constitutionnelle, ni même
répondre lorsqu'elle lui est posée: partie intégrante de la
Couronne, il
s'appuie sur elle pour s'opposer au gouvernement. Les libéraux du XIXe
se sont
désolés de la stérilité de la Fronde en matière de théorie politique.
Les
libelles sont des dénonciations, des insultes, des encouragements et,
lorsqu'ils abordent le point constitutionnel, ce n'est pas en doctrine
mais
comme argument polémique réversible). Lemaire 1907,
p 164: Le mouvement de réaction et les
troubles dont la minorité de Louis XIV fut l'occasion donnèrent
naissance à une
abondante littérature, où les lois fondamentales furent naturellement
invoquées. Pourtant la Fronde fut pauvre d'idées politiques. Des
milliers de
brochures qui parurent alors et qu'on a appelées mazarinades, le plus
grand
nombre sont des écrits de circonstance sur l'évènement. du jour, ou de
violentes diatribes contre la tyrannie des premiers ministres... Il y
en a peu
qui s'élèvent jusqu'à de vraies conceptions politiques, et l'idée qui
les
inspire généralement, est que le Parlement, les cours souveraines, sont
en
vertu des lois fondamentales. une « puissance seconde », qui doit
tempérer
l'absolutisme royal en le paralysant au besoin tout à fait. Cette
théorie
n'était pas nouvelle (monarchie composée). Mais ajoute-t-il pour se
consoler en retrouvant une tradition "démocratique" p 169: Si
les théories a priori, si les idées
générales ne se font guère jour dans la volumineuse littérature de la
Fronde,
c'est qu'elle emprunte très souvent aux publicistes huguenots ou
ligueurs
(cf Joly, 1652). Néanmoins,
Lacour-Gayet (1898, L'éducation politique
de Louis XIV, p 314 sq): Les
polémiques dues à la Fronde avaient fait renaitre les doctrines de la
Ligue sur
la souveraineté populaire, avec ce caractère spécial que, dégagées des
excès de
langage du fanatisme religieux et ne se réclamant plus d'une thèse
confessionnelle, ces doctrines se cantonnèrent de préférence sur le
terrain de
l'histoire et du droit naturel [pacte primitif, droits/devoirs
réciproques]. [112] Le frondeur Joly, 163, lui prête la maxime Qu'il
n'est pas esclave de sa parole et
l'oppose à la Foi que doivent garder
les rois à leurs promesses. Joly, en 1652, fait de la méfiance la cause
de la
perpétuation de la guerre civile: p 515 Messieurs
les Princes, qui sont sans doute las de la guerre aussi bien
que nous, se rangeraient volontiers auprès de sa Majesté, qui est le
centre de
leur lustre & de leur grandeur. Mais l’expérience qu'ils ont de
tant de
paroles données par le passé aux Grands & aux petits, &
incontinent après
violées, leur fait si fort appréhender cette réunion, qui les
obligerait de se
confier entre les mains de cet ennemi mal réconcilié, qu’ils aiment
mieux, par manière
de dire, périr les armes à la main, que de se voir trahir, &
confiner à la première
occasion dans des prisons perpétuelles, quand ils seront au pouvoir de
ce
Ministre & de ses associez…p 517 Ainsi
nous pouvons dire que la défiance & l'ambition sont les véritables
causes
de tous nos malheurs, qui sont d’autant plus déplorables, que ces
maladies
d’esprit sont incurables. Dont il s'ensuit que nous ne sommes pas à la
fin de
nos maux...Mais Joly est dans l'action, et partisan. En considérant
la totalité du jeu politique Descimon 1984 met en avant ce que les
acteurs ont
en commun, p 314/5: il faut
formuler l'hypothèse d'un fonds commun de représentations partagé par
ces
hommes politiques, ce partage autorisant la subtilité des calculs et
provoquant
— au double sens du mot — le radicalisme des tentatives pour
déborder l'adversaire. Il n'est pas question ici de «mentalités», mais
de
politique: de représentations de l'action, de préceptes pour la mener
à bien.
De ceux-ci, on trouve la trace aussi bien dans les Mémoires de Retz,
les
Carnets de Mazarin, la correspondance de Condé que dans les écrits de
leurs
«amis»: Naudé et Berthod (Mazarin), Joly (Retz), Lenet (Condé),
Sarrasin
(Conti)... Tous sont persuadés qu'il n'y a de liberté que dans l'action
pour
l'homme bien né. Faute d'agir, il est neutralisé par l'événement…
L'image du
théâtre, si familière également au cardinal de Retz, et à bien d'autres
écrivains politiques, concentre des notions antagonistes que le
spectacle
réconcilie dans son faste illusionniste: subtils secrets de
l'agencement des
machines, d'un côté, et somptuosité ostentatoire de leurs effets, de
l'autre ;
trouble sur l'identité des personnages, mais clarté apparente des rôles
;
succession de performances qui révèlent bien plus l'habileté de
l'acteur que la
vérité du texte… [113] Moote, 1971, p 127: the most obvious fear
in royal circles was
that the four courts in the capital would undermine royal absolutism by the very fact of their agreement to
meet in special assembly [114] Le texte intégral se trouve dans Isambert, Recueil
général, T17, art. 99. Les
auteurs du XIXe l'ignorent ou le magnifient selon leurs thèses.
Capefigue, pour
qui la bourgeoisie parlementaire et municipale se soucie trop d'ordre
pour ne
pas trahir le menu peuple représenté par les quarteniers, n'a pas envie
de
traiter de son rôle dans la réformation
politique et préfère citer le théologien
politique dont l'auteur est inconnu. Au contraire, Sainte-Aulaire,
axé sur
le "libéralisme bourgeois", lui donne une grande place (T1, CH4) et
document in sources du T3. Moote, 1971,
p168: [Mazarin, obnubilé par les impôts et la guerre] feared
that the reforms of the Chambre St Louis would lead to something
similar to the civil war and virtual destruction of monarchy in England
which
had resulted from the parlementary reforms of the early 40's,
[malgré]
p171...the reforming judges' refusal to
deal with underlying constitutional issues... [115] Mousnier, 1949, p 71: Mais il semble que ce
soit la peur qui chez eux ait joué le plus grand
rôle et les ait poussés à s’armer. C’est par terreur panique qu’ils
sont
devenus belliqueux. Ils redoutent d'abord les attentats de vagabonds et
du menu
peuple contre les personnes et les propriétés. Mais ils craignent
encore plus,
comme à tout moment de l'Ancien Régime, comme en particulier aux
barricades de
1588, les soldats, ces mercenaires dont la seule présence dans une
ville était
une menace de pillages, brutalités, viols et destructions. Le
soulèvement du
peuple en faveur de Broussel a signifié pour beaucoup d’entre eux
l’arrrivée
des troupes royales donc un risque pour leur vie, pour leurs femmes et
leurs
filles, et pour leurs biens, même si ces troupes ne devaient pas
marcher contre
eux-mêmes. Et c’est pourquoi ils ont édifié des barricades. Richet,
1990,
montre que la technique des barricades a été inventée en 1588 pour
segmenter
les sous-espaces urbains et les protéger de la population flottante et
des gens sans aveu. [116] Le
Parlement donna, même avec gaieté, arrêt par lequel il étoit ordonné
que
très-humbles remontrances seroient faites à la Reine pour la supplier
de
ramener le Roi à Paris et de faire retirer les gens de guerre du
voisinage que
l'on prieroit les princes et ducs et pairs d'entrer au Parlement pour y
délibérer sur les affaires nécessaires au bien de l'État, et que le
provôt des
marchands et échevins seroient mandés pour recevoir les ordres touchant
la
sûreté de la Ville. Le Premier Président qui parloit presque toujours
avec
vigueur pour les intérêts de sa compagnie, mais qui étoit dans le fond
dans
ceux de la cour, me dit.. "N'admirez-vous pas ces gens ici? Ils
viennent
de donner un arrêt qui peut très-bien produire la guerre civile et
parce qu'ils
n'y ont pas nommé le Cardinal, ..ils croient que la Reine leur en doit
de
reste" (Retz, OC2, p 73/74). En réponse, la Reine invite le
Parlement à la rejoindre à Ruel et le Conseil donne un arrêt qui portoit cassation de celui du Parlement
et défenses de délibérer sur la proposition de 1617 contre le ministère
des
étrangers (p 82). [117] Retz, OC2, p 113: Ceux qui ont voulu
croire qu'il [Condé]
avoit voulu, dans les commencements, aigrir les affaires… pour se
rendre plus
nécessaire à la cour… font autant d'injustice et à sa vertu et à la
vérité,
qu'ils prétendent faire d'honneur à son habileté. Ceux qui croient que
les
petits intérêts, c'est-à-dire les intérêts de pension, de gouvernement,
d'établissements, furent l'unique cause de son changement ne se
trompent guères
moins. La vue d'être l'arbitre du cabinet y entra assurément, mais elle
ne
l'eût pas emporté sur les autres considérations; et le véritable
principe fut
qu'ayant tout vu d'abord également, il ne sentit pas tout également. La gloire de restaurateur, du public fut sa
première idée celle de conservateur de l'autorité royale fut la seconde. [118] Moote, 1971, p 193: How could the
parlement refurbish their old
sophistries of the legalist revolt of the judges and adapt them to
military
defense of the reforms of 1648 ?...the parlement met the
dilemma... the
parlement made the distinction between loyalty to the Crown and
obedience to
the orders of king's agents... In January a solemn declaration charged
the
cardinal with usurping royal authority... p 196:
the parlementaries were specially uncomfortable with comparisons
between their 'legitimate' defense of Paris and the illegally
constituted
dictatorship of the ultra catholic Leaguers... they decid to organize
the
city's defense through the existing courts and other public authorities
in the
capital..representing the Crown... The Parlement's efforts to obscure
the fact
that it was at war with the monarch were complicated by the very
different
pressures from its noble allies... p 197: from
the beginning the Parlement took every precaution to keep the
nobles in a subordinate position... p 199:
pressures to expand the defensive war into an offensive campaign were
more difficult to overcome than the temptation to engage in treason...p 206: Repeatedly they refused to issue orders beyond
their authority and brushed aside all requests to authorize an
offensive war. [119] Bénichou, 1948, p 84: Mazarin n'avait ni
la naissance ni les
prestige de Richelieu. L'image abhorée du mauvais conseiller se
colorait en lui
d'une teinte de bassesse et de roture dont son prédécesseur avait été
exempt.
Les scélérats de l'entourage royal, tels que les imaginait la noblesse,
étaient
de préférence des roturiers, des parvenus. Mazarin vint à point pour
donner
corps à cette idée traditionnelle. Cf Corneille, La
mort de Pompée, 1644, IV, 2: ainsi
que la naissance ils ont les esprits bas/ un cœur né pour servir sait
mal comme
on commande. [120] Descimon, 1984, p 317: La spécificité de
Condé réside dans la place
qu'il occupe dans le système de l'Etat. La longue série des victoires,
de
Rocroy à Lens, fait de lui un chef «héroïque» célébré dans des poésies
et des
chansons. Ce qui transforme le 2 juillet 1652 — la déroute du faubourg
Saint-Antoine — en victoire morale, ce n'est pas tant l'action de
Mademoiselle que le spectacle offert par Condé aux Parisiens. Il
apparaît
couvert de poussière et de sang, la cuirasse cabossée, épuisé: il
est
soudain la figure palpable de ses «vertus héroïques» (ce qui n'est pas
pour
rien dans le « coup » du 4 juillet)... Et puis, Condé est un prince du
sang. Il
faut prendre garde à cela: prince du sang, c'est une position
dans
l'Etat. Une position de puissance, non pas comme archaïsme, nostalgie
féodale,
mais au cœur même de l'Etat absolutiste...p 318 Le geste de frapper un prince du
sang est plus lourd de subversion que la sédition fomentée par ce
prince. Condé
est aussi l'Etat. Il reste l'Etat, même
quand il est chef de
parti. Si l'on voulait donner un nom à la politique condéenne, à ce
mélange
d' «héroisme» guerrier, de manipulation, d'enrégimentement du peuple,
de calcul
subtil, de pari sur la «fortune» et la «vertu», de prises d'armes, il
faudrait
peut-être l'appeler césarisme. [121] Bénichou, 1948, p 75: L'honneur,
dont Montesquieu fera le principe
de tout état monarchique non corrompu par le despotisme, est fait à la
fois,
dans chaque sujet, de fidélité et de dignité, et ne consent à accorder
la
première que quand la seconde est sauve. Faute de satisfaire à cette
exigence
fondamentale, on légitime la rébellion. Bénichou, dans le chapitre
"le
drame politique dans Corneille", fait de Nicomède et d'Artamène (Grand Cyrus) la représentation rêvée d'une
Fronde qui se terminerait dans la générosité
(éviction des mauvais conseillers, pardon royal et
gratifications):
p 86 la situation ainsi créée par
l'absolutisme est chez Corneille le point de départ du drame politique.
Dans ce
drame, la noblesse va s'attribuer, face à la tyrannie, le beau rôle
d'une
révolte légitime et salvatrice. Ce qui disculpe la noblesse de sa
rébellion, ce
sont les injustes traitements dont elle est l'objet.../car/ le défaut des rois est justement d'ignorer
la reconnaissance...p 87 Le
spectacle de Nicomède injustement persécuté fut donné en 1651 alors que
"les princes" étaient encore en prison (id Grand Cyrus,
1649)...p 90 les
grands du temps de la Fronde utilisaient le peuple pour se faire
redouter de la
cour...Nicomède et Laodice protègent, contre la foule qu'ils ont
eux-mêmes
déchainée, le couple royal...p 91 L'émeute
du Cyrus ne finit pas autrement... Nicomède trace donc le tableau d'une
Fronde
imaginaire, d'une Fronde qui se serait terminée par la victoire et par
l'élévation des princes /cf aussi Cinna/...p 92 la
réconciliation se fait moyennant le dépouillement de la tyrannie
pour la plus grande gloire de la vraie et bonne royauté... La pensée
aristocratique confond l'espérance d'une constitution avec le souvenir
des
"anciennes lois". Bénichou,
p 78: On n'était pas d'un parti ; plus
exactement, ce qu'on appelait parti n'était pas comme aujourd'hui un
groupement
aux frontières marquées...il y avait des intrigues de personnes et des
clientèles privées, variables comme le jeu politique lui-même..de la
cour à la
rébellion, et, dans la rébellion, d'un clan à l'autre, poussés plus
souvent par
l'intérêt du moment que par des politiques suivies... p 79 la
versatilité est parmi les caractères les plus généraux de l'époque.... Un autre éclairage
de cette versatilité est apporté par
Béguin, 2001. Elle note d'abord que la structuration des partis ne
traduit pas
mécaniquement celle des clientèles: dans une certaine mesure,
elle relève
d'une morale de l'action, une
stratégie opportuniste qui, souvent, consiste à se rallier à un parti
pour se
faire racheter par l'autre ; p 44: En effet,
ces «quatre années de guerre sans honneur pour personne»,
comme les désignait Lavisse, ont pu être regardées comme l'indice de
l'éclipse
durable, sinon définitive, des normes et des valeurs qui régissaient
une
«politique ancienne», dans laquelle la fidélité, l'amitié, l'honneur de
la
parole donnée prévalaient et expliquaient la vigueur des relations
interpersonnelles. Je voudrais montrer que cette explication procède en
grande
partie d'une confusion, qui postule une continuité factice entre les
réseaux
durables de clients ou de fidèles forgés en dehors des guerres civiles
et les
partis qui se constituent à la faveur de celles-ci. Partant, elle
méconnaît la
dynamique de la crise politique comme le contexte plus général qui a
préludé à
son éclosion... p 48 En effet,
les partis diffèrent des clientèles par un mode de structuration
étranger à
celles-ci. Ils sont cimentés par une multitude de promesses, de traités
qui
consignent par écrit les conditions de l'association, tandis que les
liens du
clientélisme sont par définition informels. Toutes ces conventions
tendent à
conjurer la probabilité de renoncements individuels...p 52 c'est une versatilité longtemps assimilée à
une turbulence inconséquente et illogique qui retrouve une
intentionnalité et
une cohérence possibles à l'aide de ces schemes de pensée. En effet,
l'opportunisme, pour être opérant et fructueux, exige une participation
momentanée ou feinte à la rébellion: c'est elle qui fixe en quelque
sorte le
prix du ralliement ultérieur à Mazarin, qui rétribuait généreusement
les
défections... A sa suite,
Brière, 2008, note p 101: La
puissance des grands étant proportionnelle à la quantité et à la
qualité de leur
clientèle, il est courant de voir que les dédommagements négociés lors
de leur
amnistie concernent également leurs clients. Les plus grands,
notamment,
souhaitent que le gouvernement indemnise leurs adhérents. Le cas est
éloquent
pour le duc d'Orléans. En effet, le Traité de Limours - l'amnistie du
duc
négociée et signée le 28 octobre 1652 - contient 26 articles, dont 14
concernent ses clients. Après s'être entendu sur l'avenir des troupes
du duc et
son gouvernement du Languedoc, le gouvernement accorde entre autres, le
brevet
de maréchal de camp en faveur du comte de Hollac pour un régiment
allemand, la
restitution du château d'Amboise au marquis de Sourdis, le
rétablissement de
Monsieur de Montbazon dans ses anciens gouvernements, comme pour le duc
de Rohan
dans son gouvernement d'Anjou et d'Angers, ainsi qu'un dédommagement de
90 000
livres à Louvière pour le gouvernement de La Bastille. Sept ans plus
tard, en
1659, le Prince de Condé effectue des demandes semblables à la
monarchie par le
biais du plénipotentiaire espagnol Don Luis de Haro. Il souhaite que
soient
rétablis dans leurs charges tous ceux qui l'ont suivi. Puisque la
plupart de
ces charges ont dorénavant de nouveaux propriétaires, la Cour ne peut
acquiescer à cette requête. Elle s'engage cependant à rétablir les
adhérents du
Prince dans leurs biens et leur promet des charges à leur retour en
récompense
de leurs futurs services... [en effet] p 112 pour
qu'une réconciliation soit réussie, elle implique - grâce à
l'amnistie - l'oubli des fautes commises par le révolté. Par
conséquent, la
monarchie doit veiller à ce que l'honneur de ses sujets de haute
naissance soit
conservé. Un grand, de retour à la cour et dans le royaume, jugeant sa
dignité
entachée, risque à nouveau de se révolter. C'est pourquoi, à l'été
1659,
Mazarin fait tout en son pouvoir pour que le Prince de Condé retrouve
tous ses
honneurs dans le royaume... [122] Descimon, 1984, donne une élégante
formulation de cette distinction en strates (p 320): De
1648 à 1652, le mouvement général de la
Fronde se résume à un processus d'englobement hiérarchique. Prise de
parole,
puis figuration, tel est le canevas des rôles contestataires. La voix
des
anciens révoltés est couverte par les nouveaux dont le statut social
est
supérieur. En janvier 1648, le signal des troubles est donné par la
bourgeoisie
traditionnelle. Mais quand le Parlement intégra les revendications de
la Ville
à son propre projet réformateur, la bourgoisie municipale fut condamnée
au
silence. Et quand les grands entrèrent dans le jeu, l'opposition
parlementaire,
à son tour, fut annihilée. Processus de délégation involontaire qui est
le
reflet politique de la structure sociale. (Doit-on rappeler qu'il est
impossible d'isoler dans la Fronde une contestation vraiment populaire
? Le petit
peuple peut se soulever pour ses revendications matérielles, mais il
n'accède
jamais immédiatement à l'autonomie du politique.) La logique du
consensus
absolutiste conduisit à l'englobement final de la Fronde par le roi. La
parole
du souverain majeur qualifie, toute ambiguïté cessante, la Fronde comme
révolte. La récupération royaliste venait couronner la logique de la
crise,
elle réalisait paradoxalement la fusion des macro et micro-dynamiques
frondeuses. Mazarin prend le risque d'instituer le roi en parti, et
gagne. [123] Constant, 1984, cherche à montrer
l'existence d'un mouvement autonome de la petite noblesse mais celui-ci
est
localisé (autour de Paris) et limité. L'auteur ne convainc pas qu'on se
trouve
devant autre chose qu'une émotion de ceux que Deyon,
1964 qualifiaient de prolétariat
noble. p 342 Parler
de « la troisième Fronde » pourrait
paraître hérétique aux yeux des spécialistes habitués à entendre
évoquer celle
des Princes, la vieille Fronde, la nouvelle, voire l'union des deux.
Pourtant
la gentilhommerie essaya bien en 1651-52 de jouer sa carte de façon
autonome
sans plus de réussite d'ailleurs que les officiers ou la grande
noblesse. On ne
peut comprendre cependant l'établissement de la monarchie absolue, les
structures mises en place par Louis XIV, leur triomphe et leur durée
pendant
presque cent cinquante ans si on n'a pas à l'esprit l'échec de la
troisième
Fronde qui fut une tentative pour construire en France un Etat
nobiliaire…p 346 Un autre thème mobilisateur déjà
apparu
en 1651: la lutte contre les désordres des gens de guerre. Cette
obligation de se défendre contre cette véritable gangrène qui rongeait
les
campagnes allait donner au mouvement son caractère original. Alors que
l'assemblée de 1651 avait été parisienne et concernait surtout la
noblesse
seconde des barons et des marquis, le mouvement des bailliages unis de
1652
partit de la base…p 347 Partie
de Beauce et du Perche, l'entreprise s'étendit progressivement au Vexin
et à la
Normandie…p 349 En réalité, la
Cour avait été impressionnée par le mouvement nobiliaire. Elle était
aux prises
avec le parti condéen. En ce début de juillet 1652, Bordeaux comme
Paris
échappaient à son autorité. L'insurrection battait son plein dans la
capitale… Mais
la victoire de Mazarin sur les Princes eut lieu sans le secours de la
noblesse.
La Cour ne parla plus ni de Gisors, ni d'Etats généraux, ni
d'assemblées de
noblesse. La partie la plus militante fut très déçue et se tourna vers
l'aile
la plus radicale de la Fronde. Elle participa avec Ailly d'Annery et
Jaucourt
de Bonnesson à la révolte de 1658-59 [en Orléanais]…350 Le mouvement de 1652 ne put se développer
que dans quelques provinces: l'Orléanais, le Vexin, le Valois, grâce à
l'action du marquis de Sourdis et du baron d'Annery, la Normandie où
Longueville
régnait en maître… p 351 Ailleurs
la noblesse ne rencontra pas pareille facilité… L'élément le plus neuf
de cette
période est sans doute l'éclosion un peu partout d'assemblées qui
s'organisent
et cherchent à imposer un nouveau cadre politique à la monarchie…p 352
Les princes ne concevaient d'assemblées
de noblesse que pour appuyer leur action… p 352 En
fait, la Noblesse portait en elle une contradiction qui l'empêchait
de réaliser ses objectifs. Elle souhaitait, soit contrôler le
gouvernement
grâce aux Etats, soit bénéficier de la possibilité de réunir des
assemblées de
noblesse [à l’instar du clergé]…353 De
plus, la majorité des gentilshommes demeurait fidèle à la vieille
tradition
capétienne du roi chef de guerre et de la noblesse, responsable en
dernier
ressort. En conséquence, ils ne souhaitaient pas de bouleversement. Ils
cherchaient simplement à occuper des charges dans l'armée,
l'administration ou
l'Eglise. Pour une
approche élargie, cf. Constant, 2004. [124] Golden Richard M., 1981, The Godly Rebellion.
Parisian Cures and the
Religious Fronde, 1652-1662, Chapel Hill. Cette "fronde"
commencerait après l'arrestation et l'emprisonnement de Retz en
décembre 1652
et se terminerait vers 1656/57. Que Retz s'appuie sur les curés
jansénistes de
Paris et sur la cabale des dévôts,
inquiète Mazarin et le gouvernement, surtout après la conversion de
Conti en
1655, son adhésion à la Cie du St
Sacrement et sa tendance au jansénisme: Il avait
cru s'attacher l'ancien frondeur en lui faisant épouser sa
nièce, Anne-Marie Martinozzi; et soudain il voyait sa conquête lui
échapper
(Allier, 1902). Mais, malgré ses lettres et mandements (condamnés à
être brûlés
par le bourreau), Retz échoue à présenter son éviction de l'archevêché
de Paris
comme un cas intéressant les libertés
gallicanes et l'assemblée du clergé de 1655/56 ne prend pas son
parti. [125] Moote, 1971, p 256 /l'arrestation de Condé/ based
on vague charges of treasonous
intentions gave Condé's noble followers a cause they had previously
lacked... p 260 what is often described as a
single
rebellion was in fact several, loosely connected uprising, each of
which had
some Condean leadership, armies composed of petty nobles and their
peasants,
and at least tacit support from some judges, civic officials and
townspeople... 261 royal efforts to aid the war
effort by arbitrary recruitement, taxation and justice caused many
sovereign
courts and lesser corps to raise their own rebellions [126] Moote, 1971, p 323: When Condé refused to
seek peace..the
Parlement was drawn into a quasi mazarin position in spite of itself.
After
hesitating for weeks to verify a royal declaration which condemned
Condé as an
'ennemy of the state' the Parlement registered on dec 4, 1651...
/it/ was precisely what Mazarin had been
impatiently waiting for: après son bannissement par le Parlement,
il peut
se considérer rappelé pour combattre l'ennemi de l'Etat. Mais le
Parlement ne
le laisse pas faire et poursuit sa difficile via media:
p 329 the
parlement attempt to convince subjects that Mazarin's restoration was
illegal
caught the royal entourage by surprise (dec 29, 51)...p 330 the royal attempt to combine Molé's
diplomatic language with a writen decree enunciating the king's express
will [rappeler
Mazarin] failed to halt the parlement's
attacks on Mazarin; on the contrary it led it to draw up an elaborate
apology
for the decision of december 29...asserting that Mazarin had seized
possession
of Louis 14... p 330 the parlement as a whole did not want civil
war..and, as so often in the past, the specter of the 16th century
League came
back to haunt the Palace. Orléans and Condean nobles at parlementary
debates
pleaded in vain that union with the princes against Mazarin was very
different
from an antimonarchical, dictatorial league... p 343 [dans la 1ère
moitié
1652] Condé & Orléans were rebuffed
every time they renewed their calls for parlementary support and the
parlement
held out against constant terrorist attacks by mobs incited by Condé
&
Beaufort. Après la brève
dictature condéenne et le rump parlement qui
la soutient par force, p 349 Mazarin's
departure opened the way for serious negociations to end the civil
war... by
indicating their willingness to reach
an accord with the administration, the parlement and other authorities
at the
capital ended the nobles' last hope of victory. [127] Béguin
(1989, Les Princes de Condé, rebelles, courtisans et
mécènes)
met l'accent sur la stratégie de réconciliation
initiée par Henri après les troubles de la minorité de Louis XIII.
L'alliance
politique et familiale avec Richelieu permet à la maison
de reconstituer et d'augmenter à la fois son
patrimoine et son influence, notamment en récupérant les fidèles et les
biens
des Montmorency, puis une bonne partie de l'héritage du Cardinal. Le
changement
de règne posait deux problèmes: la méfiance de la reine-régente à
l'égard
d'alliés de Richelieu et l'avidité du nouveau ministre
premier qui
avait sa fortune à faire. Le vieux Prince
Henri ne cesse de conseiller à Louis de ne pas s'opposer à la cour. Et,
de
fait, dans cette logique patrimoniale et opportuniste, il est difficile
d'expliquer que le grand Condé en
vienne à la rupture et à la rébellion qui le ruineront. Après sa
pacification
(1659), la reconstruction de sa fortune passera par son ralliement à la
Cour
que son fils (ventre à terre)
poussera jusqu'à la flagornerie. L'intéressante
analyse des réseaux et moyens de clientèle à laquelle se livre ici
Béguin est
centrée sur l' "entreprise Condé" et n'aborde la Fronde
qu'indirectement. La logique patrimoniale est une dimension de l'action
de
Condé mais n'épuise pas l'explication. [128] Béguin, 2000: La détérioration des
relations du Grand Condé et de Mazarin illustre au
plus haut point les tensions suscitées par les objectifs similaires et
donc
antinomiques des deux principaux héritiers de l'ère Richelieu. Le
conflit
insidieux, puis ouvert, qui les opposa avait pour objet principal la
dévolution
des charges et des gouvernements, mais aussi les alliances avec les
familles
aristocratiques susceptibles de conforter le crédit de l'un ou de
l'autre au
sein du royaume et auprès d'Anne d'Autriche...Bénéficiaires
de l'ordre établi à la mort de Louis XIII, ils [les
Condé] engageaient parents et alliés à
collaborer à son maintien en contrepartie de charges et de pouvoirs que
Mazarin
ne pouvait toutefois accorder sans compromettre ses propres desseins.
Cette
rivalité a pris une importance cruciale au lendemain de la première
fronde de
1648-1649... Le traité des Pyrénées
(novembre 1659), dont les clauses secrètes prévoyaient la restitution
des principales
charges et dignités du Grand Condé atténua l'ampleur du processus de
substitution, au terme de tractations significatives, destinées à
ménager un
modus vivendi entre les intérêts contradictoires du prince et du
cardinal. Ce
retour dérangea quelque peu le nouvel équilibre forgé à la faveur de la
Fronde
et du pragmatisme politique qui avait incité des familles illustres à
entrer
dans l'alliance de Mazarin pour prendre part à la curée des maisons
évincées.
Toutefois, c'est un royaume où les acteurs aristocratiques de la
première
fronde (à l'exception notable du cardinal de Retz) occupaient désormais
des
positions de premier plan qui fut légué au jeune Louis XIV. Ainsi, les
secousses périodiques infligées aux familles en place incitent à
considérer la
suppression de la fonction de premier ministre comme une condition
préalable à
une stabilité recherchée par les possesseurs de charges. Joly, 1653,
p 229/30: On se plaint
quelquesfois de ce que les Princes du sang prennent les armes, &
s’allient
ou se retirent auec les ennemis de l’Estat… Mais il faut aussi advouer
qu’assez
souvent les Ministres sont cause que ces personnes illustres lesquels
ils
haïssent tousiours, pour ce qu'ils sont autant d’obstacles à leur
grandeur, se
portent à ces extremitez fascheuses, leur faisans quelquesfois des
querelles à
plaisir, & les persecutans si fort, qu'ils sont contraints de se
jetter
eux-mesmes dans le precipice. [129] Descimon, 1984, p 313: La «vertu» du
parti, pour reprendre le
vocabulaire de Talon, et son efficience — autrement dit sa vie —
n'existent que par la position de son chef dans l'Etat. Ce chef accède
à la
parole en tant que force fonctionnelle de l'Etat-système, alors que
seul
l'éclatement de celui-ci le fait chef de parti. Noter que dans ce
contexte,
le symbolique est aussi une "force fonctionnelle". [130] Deyon, 1964, p 345: Loin de notre
esprit l'intention d'affirmer
que le privilège fiscal n'existait plus dans les pays de taille
réelle…Cependant, et c'est ce qu'à notre avis l'on oublie trop souvent,
ils [les
nobles] étaient contribuables et
ressentirent probablement avec les autres contribuables l'augmentation
du
volume global des tailles et impositions directes. On devine déjà les
conséquences possibles d'une telle évolution. D'Épernon, gouverneur de
Guyenne,
savait certainement à quoi s'en tenir, lorsqu'il écrivait le 25 mars
1649 à
Séguier «La noblesse et principalement au pays où les tailles sont
réelles,
s'intéresse aux intérêts du peuple»…p 351 Constatons
en tout cas qu'il existe au milieu du XVIIeme siècle une
sorte de prolétariat noble, réserve d'hommes inépuisable pour tous les
fauteurs
de troubles… Une grande partie de la noblesse française éprouva ainsi
le
sentiment que la monarchie absolue en menaçant ses privilèges violait
les lois
fondamentales qui consacraient la condition des personnes... [131] Cf. Retz, OC4, p 392 sq: L'on dit que l'on
ne doit jamais combattre
contre les principes; ceux de la peur se peuvent encore moins attaquer
que tous
les autres ils sont inabordables…Cette lettre du Roi à Monsieur lui fut
apportée le 18 /octobre/ au soir; il
m'envoya querir aussitôt, et il me dit que la conduite de la cour étoit
incompréhensible qu'elle jouoit à perdre l'État, et qu'il ne tenoit à
rien
qu'il ne fermât les portes au Roi…il étoit dans un emportement
inconcevable, et
l'on eût dit, de la manière dont il parloit qu'il étoit à cheval, armé
de
toutes pièces et prêt à couvrir de sang et de carnage les campagnes de
Saint-Denis et de Grenelle…Je ferai demain la guerre, reprit Monsieur
d'un ton
guerrier, et plus facilement que jamais…Le peuple n'est-il pas toujours
à moi?
reprit Monsieur. Oui, Monsieur, lui repartis-je. Monsieur le Prince /Condé/ ne reviendra-t-il pas si je le mande?
ajouta-t-il. Je le crois, Monsieur, lui dis-je. L'armée d'Espagne ne
s'avancera-t-elle
pas si je le veux? continua-t-il. Toutes les apparences y sont,
Monsieur, lui
répliquai-je. Vous attendez, après cela, ou une grande résolution, ou
du moins
une grande délibération grande résolution, ou du moins une grande
délibération: rien moins; et je ne vous saurois mieux expliquer l'issue
de cette
conférence, qu'en vous suppliant de vous ressouvenir de ce que vous
avez vu
quelquefois à la comédie italienne… Voilà comme
finit la conversation, Monsieur
concluant que, bien qu'il fût très-fâcheux que le Roi vînt à Paris sans
concert
avec lui et sans une amnistie vérifiée au Parlement, il n'étoit
toutefois pas
de son devoir ni de sa réputation de s'y opposer, parce que personne ne
pouvoit
ignorer qu'il ne le pùt, si il le vouloit, et qu'ainsi tout le monde
lui feroit
justice, en reconnoissant qu'il n'y avoit que la considération et le
repos de
l'État qui l'obligeât à prendre une conduite qui, pour son particulier,
lui
devoit faire de la peine… …Je
m'étonnois bien plus que les ministres
exposassent la personne du Roi au mécontentement, à la défiance et à la
frayeur
de Monsieur, aux craintes d'un parlement qui avoit sujet de croire que
l'on le
venoit étrangler, et au caprice d'un peuple qui avoit toujours de
l'attachement
pour des gens desquels le Cardinal étoit bien loin d'être assuré.
L'événement a
tellement justifié la conduite que la cour tint en cette occasion,
qu'il est
presque ridicule de la blâmer. J'estime /pourtant/ qu'elle fut
imprudente, aveugle et téméraire au delà de ce que l'on en peut
exprimer. Je ne
dirai pas sur ce chef, comme sur l'autre, que je ne sais pas, je dirai
que je
sais, et de science certaine, que, si Monsieur eût voulu, la Reine et
les
sous-ministres eussent été ce jour-là séparés du Roi. Les courtisans se
laissent toujours amuser aux acclamations du peuple, sans considérer
qu'elles
se font presque également pour tous ceux pour qui elles se font. [132] ... un chacun étant assis Monsieur le Chancelier harangua, ensuite Monsieur Molé Garde des Sceaux & premier Président, après Monsieur le Chancelier commanda au Greffier de lire les Déclarations du Roy (Journal du Parlement, 1652, p 232/233). Ces
déclarations sont l'Edit du Roi portant
amnistie générale de tout ce qui s’est fait à l’occasion des mouvements
passés
jusqu’à présent, la déclaration du
Roi pour l’affermissement de la tranquillité publique et la déclaration du Roi pour le rétablissement du
parlement en la ville de Paris plus un édit de vacations. [133] Et
d’autant que la plus grande partie des désordres remarqués ci-dessus, a
procédé
de la liberté que nos Officiers se sont donnés de s’intéresser dans les
affaires des Princes & Grands de notre Royaume…nous défendons à
tous
nosdits Officiers de prendre soin ou direction des affaires desdits
Princes
& Grands de notre Royaume. [134] Princes
de Condé, de Conty, Duchesse de Longueville, Duc de la Rochefoucault,
prince de
Talmont & leurs adhérents & domestiques [135] Denis Talon qui, son père étant trop malade,
prend la plume à sa place pour finir ses Mémoires (Ed. Champollion, p
513): Après la lecture des lettres, M. le
procureur général parla, et fit un discours assez sensé, mais en termes
peu
élégans; parla hautement du parlement de Pontoise. Le sens de son
discours fut…
que les rois étoient débiteurs de deux choses à leurs peuples, de la
paix et de
la justice; que le premier ne dépendoit pas d'eux… mais que la justice,
les
souverains la devoient à leurs peuples en toute rencontre; que cette
vertu ne
pouvoit souffrir violence, et que sitôt qu'elle se trouvoit dans
l'oppression
elle avoit recours à son centre, qui étoit le prince, de l'autorité
duquel elle
étoit émanée ; et fit ensuite la réduction et l'application à ce
qui
s'étoit passé dans Paris. L'on s'est étonné que M. le procureur général
ayant à
vivre dans le parlement, avoit voulu faire cette insulte à sa
compagnie; et M.
Le Tellier m'a dit qu'en cette occasion il avoit manqué de prudence,
parce que
lorsque l'accommodement se faisoit sous main, la seule chose que l'on
desirât
ce fut que M. le chancelier et M. le garde des sceaux dans leurs
discours ne
fissent point insulte à ceux qui étoient demeurés à Paris; ce qui leur
fut
accordé et exécuté: de sorte que lui qui étoit de la compagnie le
devoit
d'autant moins faire. Mais, quoi que l'on ait dit, je ne puis être
convaincu
que M. le procureur géneral, qui est un des plus déliés de la cour, ait
fait
une action de cette nature sans un ordre précis de ceux qui gouvernent. [136] les sieurs Broussel, Viole, de Thou, Portail, Bitault, Fouquet de Croisy, Coulon, Machault, Fleury, Martineau & Genou. [137] Pour Moote, il est exagéré d'en faire une crushing
defeat du Parlement (Shennan: deprive it of all the
hard-won gains of 1648
and 49). La restauration des droits du roi dans leur totalité était
le but
de son retour à Paris. Des négociations préalables ont eu lieu, des
accords ont
été faits sous main. Comme tant de
fois, le Parlement se fait défendre de s'occuper des affaires d'Etat.
En outre,
le roi interdit aux parlementaires de se charger des affaires des
Grands ;
la compagnie n'est pas punie ni épurée
en masse, comme le demandaient Le Tellier et d'Alligre, seules les
têtes les
plus symboliques de l'opposition (Broussel etc) sont bannies. Pas plus.
Et,
surtout, souligne Moote, la situation reste trop incertaine pour que le
gouvernement puisse déjà répondre au double défi qu'était la grande
ordonnance
réformatrice d'octobre 1648 reprenant les articles des cours
réunies: this was the strange and ambiguous legacy
of
a series of revolts which had ended in a royaliste revival, without
giving the
royal administration the sweeping victory so often described by
historians (p 354).
D'ailleurs, les dix années suivantes seront une quasi Fronde (Cheruel). Moote,
1971: …Parlement refusing to admit
that it was a rebel body...p 351
the lit of oct 22, 1652 has been described as a crushing defeat for the
Parlement of Paris... but...the major concession by the judges
[réunifiés
avec Pontoise] was their registration of
a declaration forbidding all parlementary interference with so called
state
affairs... this was an important gesture but in relation to the actual
structure of the french government, which retained its confusion of
powers and
allowed the parlement to counter royal absolutism without breaking with
it, the
declaration had a hollow ring...p 354
significantly nothing was done at the lit to undo the reforms enacted
four years earlier. That omission..indicated the limitations of the
royal
victory...this was the strange and ambiguous legacy of a series of
revolts
which had ended in a royal revival without giving the royal
administration the
sweeping victory so often described by historians...p 355 .../Louis 14/ did not eliminate the
underlying confusion of powers .../and/ failed
to provide a comprehensive theory capable of destroying the ideological
basis
of the permanent officers' evading...their
obstructionnism was subdued, it was not eradicated. The absolutism of
Louis 14
was in many respects a façade...p 357 the decade of 1652 to 61 was in reality a miniature Fronde
involving
strikes or threatened strikes by judges, lawyers, merchants, rentiers
and
peasants…p 363 after 1661,
relations between the central administration and its officiers were
less
troubled but the counting of remonstrances is not an accurate way to
measure
officals' opposition since it overloocks their higly effective tactic
of
retreating to secondary and even tertiary defense and their equally
successful
substitution of the tactic of slowing down implementation of royal
decisions in
place of openly remonstrating against them... Coveney, 1977,
Introduction, p 41: It was however
essentially a pragmatic absolutism which emerged under Louis 14...the
"two
monarchies" /late medieval et modern/ continued to
exist after 1653 and indeed after 1661. The balance may
have swung in the sovereign direction but the traditional constitution
survived
/"victory in defeat"/...p 42 the
priority given to the maitres des requêtes in their 'enquête générale'
/1664/ was in fact to construct an
inventory of the political reliability of the ruling class...p 45
it is manifest that an ambiguous policy was
pursued in the solution of the central problems confronting the
monarchy in the
mid 17th century: on the one hand, an abrupt, even brutal, assertion
of royal
sovereignty /institutional egotism/;
on the other a pragmatic policy of wide accommodation within the
political
praticalities... p 54 /dans les
années 1680/ it became clear that the
crisis within the late-medieval constitution was over. The stability of
the
multiple constitution of the Ancient Regime was achieved..by a finer
political
appreciation on the part of the government of
the limits within which the practice of absolutism was possible . [138] Moote, 1971, p 12: the officers thought
of themselves as royal
representatives, or, more preciseley, an integral element of the
'Crown'..flexible double-edged weapon of offense and defense...p 13 the english commons lost control over the
course of the revolution partly because it openly defied the king whose
approval alone made its acts legal. That situation was prevented during
the
Fronde because the parlement knew how to employ the governemental
confusion of
powers, so that they could act independently of the monarch and still
remain
part of the Crown... p 123 as
the summer of 48 approached...the situation had come about without a
civil war,
without even a categorical denial of royal absolutism by the Parlement.
Try as
she did, the regent could not come to grips with an opposition which
cloaked
its every act with the mantle of legalism... [139] Knachel, 1967, p 48: In spite of the many
indications that the
english experience had left its mark on cardinal Mazarin and on Queen
regent,
it would be foolish to give it undue emphasis. English influence was
but one of
many elements which contributed to their picture of the Fronde and to
the
decisions they adopted. For all of their attitudes and their actions,
there are
explanations which can be offered free of connection with England…p 49
Fear of revolution tended to produce an
undue sense of crisis with the french government and led to defensive
reactions
which were often excessive... [140] Citons encore une fois Moote (1972,
p 171): In England where the
parliament broke with royal sovereignty while in the process of
achieving basic
reforms, that break irreparably damaged the english Parliament's raison
d'être
as an integral element of royal authority. Hence radical revolution in
England
swept aside Parliament along with Crown, leaving only the cromwellian
military
element to fill the vacuum. [141] 3ème
partie Houllemare,
2006: Considérer toute l’activité du Parlement
comme une parole suppose de s’engager dans trois principales
directions. Tout
d’abord, il s’agit de réfléchir sur la nature de cette parole en
utilisant une
grille de lecture rhétorique, d’autant plus utile que la rhétorique est
aussi
un élément fondamental de la formation des juristes au XVIe siècle. Il
faut
aussi considérer le contexte de prononciation de chaque discours...
Plutôt que
de placer sa confiance dans les textes normatifs et de considérer le
discours comme
manipulatoire, il faut considérer que le langage est l’outil principal
de la
vie politique. Le discours et l’action sont indissociables /cf
Pocock,
Skinner/... Dans tous ces actes de
langage, la rhétorique, l’art de convaincre par le discours, joue un
rôle
capital... De fait, lorsqu'on lit les Mémoires de Talon, de Molé ou du
Cardinal de Retz, on voit que les scènes publiques ne sont que des
moments dans
un processus de discussion/négociation permanent et souvent
multilatéral. [142] Toutefois, il n'existe aucun moyen de
connaître le verbatim, le texte des
discours tels qu'ils ont été prononcés. Le greffier n'a pas de
magnétophone ! Lorsque les harangues
figurent au registre, elles sont ce
qu'il fallait qu'ils soient. Lorsqu'elles sont reproduites, souvent
plusieurs
années après, les témoins ou leur auteur les arrangent ou les adaptent.
Cependant cette difficulté est mineure. Si, comme chacun, j'apprécie
quelques
phrases d'anthologie que j'aimerais avoir été prononcées, ce qui
importe à mon
analyse, c'est que le sens ne varie pas selon les versions. [143] Ainsi, aux funérailles de Henri IV: La Cour de
Parlement avec robbes rouges
& bonnets carrez, & au milieu d’eux estoit porté le lict où
estoit
l'effigie du Roy par les Porteurs de sel, qui avoient des bourelets de
velours
noir en escharpe, és coins de l'effigie estoient six Presidens en robbe
rouge,
& les manteaux fourrez par dessus avec leurs mortiers, les gardes
Escossoises les environnoient (Coulon Louis, 1645, Le
trésor de l'histoire de France, p 172). [144] Watner, 2005, p 83: It probably never entered into the minds of any medieval thinkers that the concept “limited government” could be a contradiction in terms. Despite the arrestingly modern intonations of the more radical of the medieval consent theorists, medieval consent was always conditioned on the presupposition that some sort of authority must exist and that political rulership was natural to man. Descimon, 1984, p 312: Dans ses développements sur ce qu'il appelle l' « Etat baroque », Ernst Kossmann [1954, La Fronde, Leyde] insiste avec bonheur sur la fonctionnalité des contradictions. Il appuie sa démonstration sur le célèbre discours d'Omer Talon, prononcé lors du lit de justice du 31 juillet 1648. L'avocat général présente l'Etat comme un système de forces en mouvement: "Ainsi l'économie générale de la nature consiste non seulement dans la différence mais dans la contradiction de ses principes, qui, travaillant incessamment pour se détruire, subsistent dans cette guerre domestique, en telle sorte que la désolation totale de l'univers et la destruction de nos corps particuliers ne peut arriver naturellement que lorsque l'un des éléments ou l'une des qualités ayant abattu et surmonté toutes les autres, cette vertu prédominante consommera son sujet par la force de son activité". Que la contradiction cesse, et l'un des éléments du système glissera, par hyperactivité, vers l'autodestruction, ruinant la stabilité du système tout entier. La contradiction est l'être du système. [145] Tous les acteurs de la justice et les politiques
(ce sont souvent les mêmes) adhèrent à ce paradigme et en usent, en
gros et en
détail: Selon les besoins de la
cause, l’avocat d’une partie qui fonde ses prétentions sur une décision
royale
se fera le chantre d’une toute-puissance législative capable de déroger
à la
loi parce que telle est sa volonté, une volonté détachée de toute
raison, à
laquelle on ne peut demander «Cur ita facis ?».
Cela est typique dans le cadre des litiges sur l’attribution d’un
office. En revanche, pour écarter des lettres royales contestées,
l’avocat
invoquera une capacité législative royale limitée, encadrée par le
devoir de
légiférer pour la nécessité et l’utilité, qui seules fondent la
possibilité de
créer du droit nouveau (Petit-Renaud, 2000, p29/30). [146] D'innombrables auteurs créditent
généreusement Aristote et Polybe d'avoir "civilisé" la pensée
politique des "médiévaux" en leur apportant les concepts dont ils
manquaient pour devenir prémodernes (un étonnant court-circuit
temporel !),
notamment celui de "monarchie mixte" et de politeia, à
partir de leurs premières traductions en latin,
respectivement au XIIIe et fin XVe. La critique
interne (eg Terney, Blythe) montre les origines médiévales (voire early medieval) de concepts et théories
politiques auxquels Aristote (et dans une moindre mesure Polybe)
apporteront
seulement leur autorité et des éléments de vocabulaire: de
nouveaux
habits pour une prospère tradition. Tierney 1995, p 5: as
all serious historians now realize, most
Early Modern ideas have their roots in the Middle Ages. Blythe,
1992,
p 307: Still more did
Protestants hesitate to use explicitly the theories of the devilish
papists.
Both did in fact resort to such unsavory authorities on occasion, but
more
typically they clothed their essentially medieval ideas of divided
government
and mixed constitutions in Polybian or ancient Aristotelian garb.
Eventually
this charade was forgotten... But developmentally the origin of all the
major
ideas of Early Modem mixed constitutionalism were indisputably medieval
and
Aristotelian. It is true, but perhaps too weak, to say, as I have, that
the
medieval tradition made the enthusiastic reception of Polybius possible
—
it might be better to say that Polybius added a few concepts and some
vocabulary to a thriving tradition. It was only later that the
framework of
medieval mixed constitutionalism disappeared and the Polybian
superstructure
alone remained visible. Une vieille,
très vieille, construction indigène a su exploiter très librement le
matériel
biblique, patristique et romain sans utiliser –et sans avoir
besoin– de l'exotisme de la cité grecque. Au reste, quand on voit la
façon dont les "médiévaux" exploitent les autorités, on ne peut
qu'être sceptique à l'égard de la révolution qu'aurait constitué la
réception
d'Aristote (dans la traduction fautive de Moerbeke): les
médiévaux se
servent des autorités (quelles qu'elles soient) comme de collections
dans
lesquels ils piquent des éléments pour les réassembler selon leurs
besoins du
moment. On peut généraliser ce propos d'Ullman 1955 à propos des
premiers
recueils de droit canon: The
collections of the eleventh century are not so much collections of
"canon
law" in the strict meaning of the term as guide-books or handbooks of
sources which contain in their totality the jus, the presupposition
being that
each individual text was based on justitia. D'où la conséquence
(Tierney
1995, p 77): It
often happened that passages of Roman
law that had been inert, lacking any real force in the Roman Empire
itself,
took on a new life and significance when they were reappropriated in
the
different society of medieval Europe. [147] Lemaître Nicole, "Epilogue", in
Barralis, 2014: Les hommes d’Église
et les hommes d’État reçoivent en effet la même formation et sont issus
des
mêmes milieux de notables, y compris encore dans les collèges de
Jésuites du
XVIIe siècle. Clerc ou laïc, celui qui a un savoir a encore un pouvoir
entre
Moyen Âge et Révolution. D’où les interrogations actuelles des
médiévistes et
modernistes sur le rôle de l’université dans les réseaux personnels. Un
rôle
difficile à quantifier, car dès lors que le gradué est entré dans le
système
bénéficial ou la carrière des honneurs, les sources sont lacunaires et
ne
mentionnent pas toujours les grades, qui sont tout sauf la rente qu’ils
deviendront plus tard. Les clercs partagent avec les laïcs une même
culture
juridique puis théologique, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, avant que
les
séminaires ne créent des phénomènes de génération proprement cléricaux
entre la
fin du XVIIe et surtout la fin du XVIIIe siècle… [148] Doucet, 1921, p 51/52: Il est vrai que
ces familles ne limitaient
pas leur ambition au Parlement et qu'il serait inexact de les qualifier
strictement de parlementaires. Leurs membres recherchaient également
tous les offices
de quelque importance… Ce sont d'ailleurs ces mêmes familles que nous
retrouvons dans les hauts emplois financiers, comme trésoriers,
receveurs
généraux ou généraux des finances… nous ne pouvons pas distinguer une
aristocratie judiciaire distincte de l'aristocratie financière dans
cette élite
de l'administration royale qui ne constituait qu'un seul groupe
d'administrateurs, d'hommes de loi et de financiers agissant, se
contrôlant et
se jugeant réciproquement... [149] Le conseil
du roi et le Parlement de Paris
partagent la même tête, le Chancelier parlant pour le roi, et, dans une
certaine mesure, les mêmes membres: pour les jeunes maîtres des
requêtes,
le Conseil est une propédeutique où se forment les futurs conseillers
du
Parlement dont certains sont membres des deux institutions. [150] Houllemarre, 2007, p 95: Toute une
tradition historiographique
insiste sur cette opposition récurrente du Parlement au roi, par le
biais de
cette procédure [enregistrement], notamment à l'occasion de la Fronde
ou au
XVIIIe siècle. Pour le XVIe siècle, le débat autour des lits de justice
a donné
l'impression, par extension, que ce rôle d'opposition définissait
l'essentiel
de la fonction politique du Parlement. Ceci est particulièrement net
sous le
règne de François Ier... p 96: … Menaces et
reproches ne sont donc qu'un temps de l'échange langagier
qui se termine par un apaisement et des concessions réciproques. À ce
titre, il
s'agit d'un moment de négociation discursive entre des acteurs
interdépendants...p 97: Ce rappel à l'ordre
royal ne signifie pas
que ces échanges langagiers glosent ou illustrent un affrontement
politique
entre un roi autoritaire et un Parlement qui abuse de sa position: ils
définissent les positions respectives des protagonistes dans l'État... p 99:
Une large partie des relations entre roi
et Parlement reste cependant hors du regard du public. Le dialogue
formel se
double d'un dialogue informel, au moins aussi fréquent, qui se fait
individuellement, par des intermédiaires ou des acteurs privilégiés, et
qui
concerne toutes sortes de décisions royales… p 105: Les formes publiques du dialogue politique
doivent être replacées dans un ensemble de relations moins formalisées
et
souvent plus personnelles. Ces dernières, malheureusement, sont peu
documentées
dans les archives... [151] Maugis, 1913, T1, p 1: Le
Parlement, quand il résume lui-même, au XVIe siècle, ou par la bouche
de ses
chefs les plus illustres, les principales circonstances de son
histoire, fait
toujours partir du règne de Philippe VI et des grandes ordonnances de
1343 et
1345 l'achèvement de sa constitution en corps homogène et permanent, à
effectif
fixe, réparti en sections régulières... C'est aussi le temps où se
pose, par
une conséquence toute naturelle, la question des garanties de sa
permanence et
de son recrutement. Il ne saurait y avoir de corps véritablement
permanent qui
émane uniquement du choix du prince et ne soit assuré de lui survivre.
Le
problème est doublement grave quand il s'agit d'un corps qui se conçoit
comme
l'interprète suprême de la puissance souveraine, non pas tant du prince
qui
passe que du principe qui demeure. Il est aussi de ceux qui ne
comportent pas
de solution radicale, la pleine indépendance du corps finissant par
détruire la
souveraineté du prince et la vertu même du principe qui ne saurait
subsister
que par lui, comme l'autorité sans limites d'un homme ruine et avilit
la
dignité de la corporation qui parle en son nom. Il n'y avait place,
dans ce
règlement délicat, que pour des compromis. [152] Langlois, 1890, p 111: Jamais les
attributions respectives des
cours souveraines [Parlement, Chambres des comptes, Conseil] ne furent nettement distinguées, parce que
la capacité juridique de chacune d'elles, restreinte par l'usage, resta
virtuellement illimitée... Ce fameux droit d'enregistrement des
ordonnances
royales, dont le Parlement fit plus tard tant d'étalage, n'a pas
d'autre source
que la persistance du mélange des fonctions de justice et de
gouvernement. [153] Ou, encore plus net: iteratis vicibus
facto de expresso mandato
regis. Et même une fois: Lecta,
publicata et registrata ad onus et absque prejudicio oppositionum, de
expresso
mandato domini nostri regis, pluribus et reiteratis vicibus, tam per
litteras
missivas quam per nuncios facto (Maugis). Le roi tente alors
parfois
d'interdire ou de faire biffer cette mention dévalorisante. Le
Parlement (ou, à
défaut, le greffier, comme de sa propre initiative) ajoute quelque
chose comme
"biffé par la volonté expresse du roi". Les raffinements spécieux
sont innombrables. Dans certains cas, il enregistre par
provision, en attendant que le roi mieux informé
annule ou modifie. Dans les circonstances les
plus graves où la pression est extrême, il enregistre sans commentaires
mais il
"oublie" de publier, fait constater par plusieurs notaires qu'il a
cédé à la force et, pour se souvenir du cas quand les circonstances
seront plus
favorables, note l'affaire in mente curie,
dans le registre secret qui est caché à l'extérieur du Parlement et
auquel le
gouvernement n'a pas accès. [154] Cf. la série de ces interdictions pour toujours citée en référence dans l'Edit de St Germain (février 1641), EDIT qui défend aux parlemens et autres cours de justice de prendre à l'avenir connaissance des affaires d'état et d'administration, et qui supprime plusieurs charges de conseillers au parlement de Paris (texte dans Isambert, Tome XVI, N°342, p 529 sq, ed. 1829): ...À ces causes,
après avoir vu divers réglemens faits par les rois nos précédesseurs et
par nous
sur le fait de la juridiction et pouvoir de nos cours de parlement, et
premièrement ce qui a été ordonné par le roi Jean, qu'il ne seroit
traité
d'aucune matière d'état en nosdites cours de parlement, si ce n'est par
commission spéciale, et qu'elles auroient seulement la cognoissance en
fait de
la justice ; Les
lettres-patentes en forme de déclaration du roi François Ier,
registrées en
notre cour de parlement de Paris, par lesquelles il défend à ladite
cour de
s'entremettre en quelque façon que ce soit du fait de l'état ny d'autre
chose
que de la justice... Arrêt du conseil
d'estat, le roi Charles IXe, séant en icelui,...avec défenses à
l'avenir de
mettre en dispute ni autrement délibérer sur les édits et ordonnances
qui leur
seront envoyées, choses qui appartiendront à l'estat Arrêt donné en
nostre conseil, [faisant] défenses à notredite cour de s'entremettre
des
affaires d'estat, sinon lorsqu'il leur sera commandé... Arrêt donné en
notre conseil,[faisant] défenses à la cour de s'entremettre ni prendre
connoissance à l'avenir des affaires de l'état et gouvernement, sinon
lorsqu'ils en auront reçu exprès commandement. Arrêt de nostre conseil... [155] Les recueils de droit du XIIIe siècle sont
bon à citer (ci-dessous) mais ils n'ont pas inventé une loi
constitutionnelle
nouvelle. Comme le montre la référence à la toute-puissance divine, le
thème
est ancien et consubstantiel à l'idée monarchique. Li prince
n'est pas su la loi mes la loi est
sus le Prince (Livre de Justice
et de Plet, I, 2, §3),
entre 1260 et 1270. Rex est sub Deo et
Lege (Bracton à peu près au même moment). Cf. Harding,
2001, p 145, à propos de Bracton: The king has
no equal within his realm... The king must not be under
man but 'under God and under the law, because law makes the king’. Since no writ runs against the king, he can
only be petitioned for remedy against his own justices, and 'if he
does not
it is punishment enough for him that he awaits God’s vengeance'… p 146 an injurious grant may be
referred to the king for amendment in his court,
where, 'if he is without bridle, that is without law', the
earls and barons 'ought to put the bridle on him'…in
the tractate ‘Of Actions’... again the king is seen to
need a
'bridle': although the law is
formally what 'pleases the prince', it
has to be 'rightly decided with the counsel of his magnates,
deliberation
and consultation having been had thereon'. Jean de
Salisbury, 1159, Policraticus, Bk III,
Ch 15: although there are many
forms of high treason, none of them is so serious as that which is
executed
against the body of justice itself. Tyranny is, therefore, not only a
public
crime, but, if this can happen, it is more than public. For if all
prosecutors
may be allowed in the case of high treason, how much more are they
allowed when
there is oppression of laws which should themselves command
emperors ?
Surely no one will avenge a public enemy, and whoever does not
prosecute him
transgresses against himself and against the whole body of the earthly
republic
(Ed. Cambridge UP, 1990, p 25). Le "droit
de résistance" à un gouvernant impie ou despotique se heurte à la
sacralité de l'oint. D'où le rôle de l'Eglise pour l'annuler. Cf. Kern,
1914, p
116: There was one circumstance,
however, which decided that in the early Middle Ages, the idea of
absolute
sovereignty found less support than that of the monarch's
responsibility... The
weakness of such a position was that it had the Church against it, and
the
Church surely knew better than its opponents what Christian duty was...
It was
precisely to express this distinction between the untouchable office
and the
fallible person of the ruler that the theory of tyranny was devised.
If the unworthy monarch were ipso facto no
longer ruler, who dare forbid the Church to declare this fact
authoritatively ? [156] La plenitudo
potestatis, la plénipotence, n’est pas le pouvoir absolu mais,
dans un
cadre de délégation (de Dieu au pape ou au roi, du roi à l'ambassadeur,
d'une
assemblée à son député etc), le pouvoir du proctor
de faire tout ce que le dominus peut
faire (he could do everything that the
dominus himself could do), et donc de ne pas faire ce que le
mandant ne
ferait pas ou qui lui nuirait, ce qui ouvre sur une casuistique sans
limite.
Post, 1943, p 359: but, as Azo
says, the procurator of Caesar [Dig. 1.19] can only
administer — he cannot alienate to the Caesar's injury.
This idea was transferred by Bartolus and Baldus to the ordinary
proctor. Thus,
once more, if the proctor had libera administratio or plena
potesta, he should
not act in such a way as to damage his dominus… [157] A l'appui de la distinction entre
affrontement dans et hors le jeu, je ne résiste pas à citer Jansenius
(ce Mars gallicus de 1635 qui vaudra à son
ami Duvergier de Hauranne la vindicte de Richelieu).
Prendre les armes contre le roi pour défendre ses intérêts particuliers
est une
banalité, tandis que les prendre en haine du roi serait le plus grand
crime
(p 204): Car il y a certains
degrés au crime de rébellion, comme en celui de lèse Majesté. Le plus
haut
& le pire de tous, c'est quand on prend les armes, non pour quelque
intérêt
particulier, comme il arrive assez souvent, après quoi on retourne à
l'obéissance
qu'on doit à son Prince: mais pour une haine générale qu'on a
contre lui,
& par une si grande aversion de tout ce qui regarde son service que
le seul
nom de Monarchie passe pour horrible, & la fidélité qu'on lui doit,
&
qu'on lui veut rendre, pour un crime de sédition. [158] On
s'est fourvoyé, écrit Langlois, 1890, p 82, toutes
les fois qu'on a essayé d'accrocher, comme à autant de clous,
l'histoire de la Curia regis des capétiens directs aux textes
dépareillés qui
sont tombés sous la main. Cf. les classiques: Maugis, Aubert,
Doucet.
Et nos contemporains: Shennan, Daubresse... [159] La fonction légitimatrice du Parlement est
attestée par les efforts, parfois violents, des antagonistes pour
obtenir sa
caution. Ainsi, après la mort de Louis XI, pendant la minorité de
Charles VIII, le duc d'Orléans, qui
devint plus tard Louis XII, mécontent de n'avoir pas obtenu la régence,
se
rendit au Parlement, accompagné de plusieurs gentilshommes, le
17 janvier
1484, et fit présenter, par son chancelier, des remontrances au sujet
de la
mauvaise administration du royaume par Anne de Beaujeu (Glasson,
1901,
p 10). Le Parlement, peu désireux d'entrer dans cette querelle, se
défausse en invoquant son incompétence. Lui qui est et sera si souvent
accusé
de s'occuper indument des affaires de l'Etat et de vouloir mettre le
roi en
tutelle, fait le modeste: il n'est fait que pour la
justice ! Isambert,
1827, Recueil général des anciennes lois
françaises, T11, p 122/123: Par
monsieur le Premier Président [Denys Lemercier] a été dit que le bien
du
royaume consiste en la paix du roy et de son peuple qui ne peut être
sans
l’union des membres dont les grands princes sont les principaux… Et
quant à la
cour, elle est instituée par le roy pour administrer justice, et n'ont
point
ceux de la cour l'administration de guerre, de finances, ni du faict et
gouvernement du roy, ni des grands princes; et sont Messieurs de la
cour du
Parlement gens élevez et lettrez pour vacquer et entendre au faict de
la
justice, et quand il plairoit au roy leur commander plus avant, la cour
luy
obéiroit ; car elle a seulement l'oeil et regard au roy qui en est
le chef
et sous lequel est ; et par ainsi venir faire ses remontrances à la
cour et
faire autres exploits sans le bon plaisir et exprès consentement du roy
ne se
doit pas faire. [160] Louis XII, dès son accession au trône,
confirme les membres du Parlement et proclame son amour de la Justice (ciment du royaume), amour qu'il pousse
si loin qu'il en veut une qui lui appartienne en propre ! Il
réalise le
projet de Charles VIII d'établir son Grand
Conseil comme cour suprême particulière pour passer par dessus le
Parlement
autant que de besoin (lettre de Juillet 1498 confirmant
l'institution du Grand Conseil, Isambert, T11,
p 296 sq). Les protestations du Parlement conduisent le Roi à lui accorder la préséance sur le
Conseil et à décider que ses membres y auront l'entrée (déclaration
du13 Juin
1499). [161] C'est le cas avec le Concordat de Bologne de
1516. Cet accord entre François Ier et le
pape annule la pragmatique sanction de
Bourges dans laquelle le Parlement (et le pape) voient la charte de la liberté de l'Eglise gallicane. Le roi,
pour s'allier au pape dansd les guerres d'Italie, lui fait cette
concession
(triomphalement proclamée par le 5ème concile de Latran). On peut y
voir une
victoire du "gallicanisme régalien" sur le "gallicanisme
ecclésiastique". Désormais, le roi et le pape se partagent la collation des bénéfices qui ne se fait
plus par l'élection canoniale (laquelle n'était souvent qu'un
faux-semblant).
Le Parlement s'était déjà opposé à Louis XI lorsque, pour amadouer
le
pape, il avait (temporairement) dénoncé la Pragmatique.
Celle-ci tient à cœur au Parlement et à l'Université. Le pape, méfiant
à
l'égard du roi, a requis l'enregistrement du concordat dans les six
mois. Le
Parlement refuse longtemps et, forcé de céder, trouve une
échappatoire:
le concordat n'est qu'un contrat privé entre le roi et le pape, entre
monsieur
François et monsieur Léon ; le Parlement, pour sa part, continuera
à juger
les contentieux bénéficiaux selon la Pragmatique. [162] Par exemple, aux états généraux de 1614, la
noblesse demande la suppression de
l'hérédité des offices et, même, leur suppression des offices par
remboursement
des charges. Elle souhaite remettre les offices sur le marché des
faveurs afin
d'en avoir sa "juste part". Le
tiers lui fait la réponse du berger à la bergère: il accepte
la
suppression de la Paulette à condition que le manque à gagner
subséquent pour
le Trésor soit compensé par une réduction du même montant des pensions
payées
aux nobles.... Rien ne se fait ! [163] Pagès, 1932, p 25…En favorisant la création, non
seulement d'offices nouveaux, mais aussi
de nouveaux officiers dans chaque office, la vénalité tend à renforcer
la
tendance à l'exercice collectif des offices, à la collégialité.
Désormais, il
n'est plus guère d'office qui soit exercé par un individu ; presque
tous le
sont par un collège, par une « compagnie ». On répète volontiers le
dicton: «
Officiers sont bêtes de compagnie. » Or la collégialité dilue la
responsabilité
; elle accroît l'indépendance ; elle rend moins forte la prise du
gouvernement
central — du Conseil — sur les officiers locaux. Elle favorise en
même temps l'esprit de corps… [164] Doucet, 1926, p 33: Comme le Parlement
hésitait à agir seul, il
créa dans son voisinage un organisme dans lequel il associait à son
action la
Chambre des Comptes, le clergé, la municipalité et les habitants de
Paris. Ce
fut la Chambre du Conseil ou l'Assemblée de la salle verte...
p 41: le Parlement lui-même se trouvait placé
au dessus de la population parisienne comme dépositaire de l'autorité
royale.
L'Assemblée devait donc lui servir à exercer cette autorité sur la
municipalité, la Chambre des Comptes et les officiers royaux. Tel était
le
principe posé par le Parlement dès le 10 mars...p 51: En définitive, au milieu de cette confusion
(régente à Lyon, conseil divisé, gouverneur absent ou incapable), il n'existait qu'un seul organisme pourvu de
l'autorité nécessaire pour imposer une direction:
c'était le Parlement... p 51/52: Dès le 7
mars, en même temps qu'on se préoccupait d'organiser
l'Assemblée de la salle verte, le Parlement prit hâtivement les mesures
les
plus urgentes… p 53: A
Paris, c'était non seulement la défense mais toute l'administration
municipale
qu'il fallait diriger pour éviter les pillages et l'agitation populaire
(guet,
portes, mendiants, alimentation, étrangers, remparts, bandes armées
pillardes,
ennemis aux frontières, troupes non payées et non avitaillées)…
p 92: Aux rivalités des gouverneurs, à
l'intransigeance de la municipalité parisienne, le Parlement avait
presque
imposé une discipline et l'Assemblée de la salle verte, qui réunissait,
sous la
direction du Parlement, toutes les autorités de la capitale, devant
laquelle
comparaissaient les gouverneurs et les envoyés de la régente,
manifestait aux
yeux de tous le prestige de la Cour… p 94: Le
Parlement n'ignorait pas que, malgré ses précautions, il s'était
gravement compromis... " toutes foiz, si le faut-il faire". [165] Cependant les personnes ne sont pas du même type. Premièrement: les couples roi/mère diffèrent. François Ier est en pleine possession de ses moyens, sa mère, Louis de Savoie, a été régente temporaire et ne tient sa puissance que de la complaisance du roi. Le petit Quatorze, mineur impuissant au début des événements, est représenté par sa mère qui a, sur l'outsider Louise, l'avantage et l'inconvénient d'être la veuve du roi-père, devenue régente à son décès par un coup de force du Parlement. Deuxièmement: le ministre n'est plus le Chancelier mais le favori, Mazarin, de sorte que le contentieux se focalisera sur lui et sur les étrangers. Duprat aussi était une espèce de favori mais, lui, sortait d'Auvergne, et du Parlement dont il avait été Premier Président, alors que Mazarin vient de nulle part et incarne, en pire, la continuité de Richelieu. [166] Outre le combat continuel contre les
évocations, citons: la succession d'Armagnac (1515) ; le
Concordat
(1517/18) ; la création par le roi d'une multitude d'offices
contre argent
(1518/22) ; la succession Bourbon revendiquée par Louise de Savoie
et la
trahison corrélative du connétable (1523/24) ; l'enregistrement de
l'ordonnance
de Villers-Cotteret (1539). Par contre, le Parlement joue de bon cœur
le jeu du
roi pour le soustraire aux obligations du traité de Madrid. [167] Louis de Berquin, traducteur d'Erasme, de
Luther et de Hutten, n'est pas l'objectif principal du Parlement
ultracatholique mais l'Ecole de Meaux
(Briçonnet, Lefèvre etc) est trop protégée par la cour pour l'attaquer
directement. Le Parlement et la Sorbonne d'une part, le roi d'autre
part, se
disputent Berquin. En mai 1523, il est perquisitionné sur ordre du
Parlement et
ses livres soumis pour examen à la Sorbonne qui procède, malgré les
interventions du roi, et rend sa sentence le 26 juin, déclarant tous
les écrits
de Berquin impies et
contaminés par l'hérésie luthérienne. Doucet 1921,
T1, p 339: La Faculté avait devancé
le roi: celui-ci après avoir autorisé l'examen des livres de
Berquin et
déclaré qu'il n'entendait protéger aucun hérétique, écrivait le 24 juin
pour
défendre de procéder à cet examen, dont le chancelier et plusieurs
autres
seraient chargés, mais, lorsque la lettre fut présentée, la procédure
était
terminée et il ne restait plus qu'à la transmettre au Parlement avec
les livres
saisis. Le 1 août,
le Parlement le fait enfermer à la Tour Carrée, malgré les efforts du
roi pour
le transférer au Louvre "à cause de sa santé". Par lettres patentes
du 5 août 1523, le roi soustrait Berquin au Parlement en évocant
l'affaire au
Grand Conseil. Mais le Parlement a déjà livré Berquin à l'évêque: Ces lettres [d'évocation] étaient
apportées à la Cour par le capitaine
Frédéric, le 8 août, au moment même où Berquin venait d'être livré à
l'évêque.
Finalement, Berquin est exfiltré par le roi. Après Pavie, dans ses
Remontrances
du 10 avril 1525, le Parlement constate les progrès de l'hérésie,
déplore la
protection qui couvre les plus notoires et rappelle
le cas de Berquin, tiré des prisons par
puissance extraordinaire et absolue. En 1528, la
profanation d'une statue de la Vierge rue des Rosiers (4 juin) et
l'affichage
des placards indignent l'opinion et le roi lui-même. Le Parlement
repart en
guerre contre le malheureux Berquin, le condamne rapidement (16 avril
1529) et
le fait exécuter encore plus vite avant que le roi revienne à
Paris: la
Grand'Chambre hâta l'affaire – jugé à dix heures, condamné à mort,
Berquin était exécuté à midi (Aubert 1908). [168] Maugis, 1913, T1, p567sq en donne une narration qui, à son habitude, est peu favorable au Parlement: A St Benoît comme à Sens, un fort parti de moines et de chanoines, avait, avec l'appui de la Cour [du Parlement], procédé à une double élection, tandis que la régente instituait, de son côté, Duprat en personne... Enhardie sans doute par la réponse faite à ses remontrances, la Cour, passant outre à l'évocation, avait décerné mandat d'exécution pour faire mettre hors de Saint-Benoît, les gens du chancelier et installer, à leur place, ceux de l'évêque de Paris canoniquement élu. La chose n'avait pas été sans violence, ni scandale; il y avait même eu mort d'homme… La régente s'était montrée encore assez réservée, en déclarant qu'elle retirait les procès et différends de Sens et de Saint-Benoît au Grand Conseil, aussi bien qu'à la Cour, « ne voulant qu'ils entrassent en querelle ». Elle avait, pour en connaître et décider, de bons et notables personnages... [mais]…arrivaient,
coup sur coup, la notification
de la cassation des arrêts au Grand Conseil et de la proclamation qui
en était
faite, à Paris et Orléans… La Cour ainsi provoquée, aiguillonnée
d'ailleurs par
son propre parquet, par les Chambres des Enquêtes qui réclament, chaque
jour,
l'assemblée plénière pour y faire entendre leurs remontrances
particulières,
confirme ses arrêts, en décrète derechef l'exécution, fait défense aux
parties,
comme à ses officiers mis en cause, de se pourvoir ou de comparaître
ailleurs
que devant elle. Le 27 juillet, enfin, prenant ouvertement le
chancelier à partie, elle décide d'écrire
derechef à,
la régente de le renvoyer à, Paris, "parce qu'il y a lieu de
conférer
avec lui d'aucunes matières touchant grandement le bien du roi et de la
chose
publique". …Loin de
songer à céder, on soulève, au même
instant, une nouvelle querelle, l'acceptation de l'appel des religieux
de Saint
Euvertre d'Orléans contre l'évocation de l'élection de leur abbé, en
dépit des
défenses formelles de la régente. Défenses supposées et sans valeur,
dit-on,
qui ne peuvent émaner de son vouloir !… Une nouvelle procédure s'engage
donc à
Orléans, par-dessus la première, marquée par les mêmes péripéties, –
exploits en sens contraires des exécuteurs d'arrêts contradictoires de
la Cour
et du Grand Conseil: bailli d'un côté, lieutenant général de l'autre,
huissiers contre huissiers, décrets de prise de corps, etc. …Ce ne sont
encore là que rébellions et
insolences de robins vaniteux et infatués. L'énorme, l'invraisemblable
prétention, c'est d'en appeler aux Grands contre le ministre, de
convoquer la
Cour des Pairs contre la régente et son gouvernement… [le
5 septembre], la
Cour décrète les résolutions suivantes: "L'on
écrira, au duc de Vendôme et à son frère
le cardinal, Pairs de France, au comte de Saint-Pol et au Sire de
Lautrec, de
présent à Lyon, pour obtenir, par leur crédit, la révocation de toutes
ces
entreprises; enfin, à tous les Pairs de France, pour les prier de venir
à
Paris, à la Saint-Martin, conférer avec la Cour des choses concernant
le bien
du roi, de la justice et des sujets. Que si le chancelier ne se
présente,
dedans le 15 novembre, il sera ajourné à comparoir en personne". [169] Le conflit de juridiction traduisait et réveillait le refus obstiné du Parlement d'accepter l'abrogation de la Pragmatique Sanction de Bourges et le Concordat de 1516 dont le roi était si fier. Tandis que le Concordat supprimait les élections canoniales et partageait les nominations entre le pape et le roi, le Parlement persistait à juger d'après la Pragmatique: il tenait donc pour les élus de Sens et St Benoît contre le nommé qui se trouvait être le puissant Chancelier. [170] Doucet, 1926, T2, p 226: ...le jugement,
rendu le 10 décembre sous
forme de lettres patentes délibérées au Conseil, déclarait
l'intervention du
Parlement à Saint-Benoît illégale comme contraire à l'édit de Louis XII
et aux
évocations ordonnées par la régente. On insistait sur les conséquences
politiques de cette résistance, sur cet appel à la rébellion adressé à
certains
esprits mal intentionnés, sur cet encouragement donné aux ennemis du
loi au
moment où celui-ci négociait avec eux. En conséquence, toutes les
décisions du
Parlement étaient annulées. [171] On parle souvent de l'asservissement du
Parlement sous Richelieu. Il n'est pas pis que sous François Ier. La
déclaration du roi du 21 février est tout aussi catégorique et tout
aussi vaine
que celle de François. Richelieu meurt l'année suivante. Puis le roi
(13 mai
43). Et aussitôt, le 18 mai, le Parlement attribue la plénitude de la
régence à
la reine, contrairement à la volonté du roi, pourtant clairement
exprimée (et
dument enregistrée). [172] Doucet, 1926, T2, p 246: par l'article
XXVII du traité de Madrid, il
[François I] s'était engagé à restituer
au duc de Bourbon tous ses domaines et à le considérer lui-même comme
dégagé de
tout lien de vassalité envers la couronne, ce qui devait mettre fin à
toutes
les procédures (mai 1527, prise et sac de Rome par l'armée de
Charles Quint
et mort de Bourbon)... Le 10
juillet 1627, le procès était repris
au Parlement sur la requête du procureur général…p 249 Le 26 juillet, le roi venait présider au
Parlement une assemblée de la Cour des pairs… p 250 Il ne restait plus qu'à rédiger l'arrêt pour
la lecture duquel une seconde réunion eut lieu le 27 juillet. [173] Godefroy, T2, p 463/4: Le Roy estoit en
son Siège & Trône
Royal, au Parquet de Parlement, tenant son Lict de Iustice: Pour
monter auquel
y avoit sept degrez, couverts d'un tapis de veloux bleu, semé de fleurs
de lys
d'or en façon de broderie, & au dessus un ciel de mesme. Et a
l’entour
derrière ledit sieur, & sous ses pieds, y avoit quatre grands
carreaux de
mesme. Au costé dextre du Roy, aux
hauts sièges dudit parquet, estoient le Roy de Navarre, Chevalier de
l'Ordre,
soy disant Pair de France... Le Duc de Vendosmois, Chevalier de
l'Ordre, Pair
de France, ... Le Comte de Sainct Paul, Chevalier de l'Ordre,
Lieutenant Général
& Gouverneur du Dauphiné... Le Comte de Guise, Chevalier de l'Ordre, Lieutenant General,&
Gouverneur de Champagne & Brie... Messire Anne de Montmorency,
Chevalier de
l'Ordre Grand Maistre, & Marechal de France, & Gouverneur de
Languedoc.
Messire Galiot de Genouillac, Chevalier de l'Ordre, Grand Escuyer,
Maistre de
l'Artillerie de France, & Seneschal d'Armagnac. Messire Robert
Stuart,
Chevalier de l'Ordre, Capitaine de cent Lances des Ordonnances, &
de la
Garde Ecossoise du Corps du Roy. Au
costé senestre du Roy, aux hauts sièges dudit parquet, estoient:
Le
Cardinal de Bourbon, Evesque & Duc de Laon, Pair de France ;
L'Evesque
& Duc de Langres, Pair de France ; L'Evesque & Comte de
Noyon,
Pair de France ; L'Archevesque de Bourges, Primat d'Aquitaine
& soy-disant
Primat des Gaules , & l'Evesque de Lisieux. Aux pieds du Roy
estoient, Le
Duc de Longueville Grand Chambellan de France... Messire Louys de
Brezé,
Chevalier de l'Ordre, ...Gouverneur, & grand Seneschal de Normandie
&
premier Chambellan,... Messire lean de la Barre Chevalier, .., Prevost
de
Paris. [174] Cf. les recueils utiles et nécessaires à tous
ceux qui parlent en public
collationnés par Gilbault Laurent: 1654, Trésor des
Harangues, Remonstrances et oraisons funèbres, Paris,
ch. Michel Bobin ; 1660, Trésor des
Harangues et des remonstrances faites aux ouvertures du Parlement, Paris,
ch. Nicolas Le Gras ; 1685, Tome 1
Le Tresor Des
Harangues, Faites Aux Entrées Des Rois, Reines, Princes, Princesses
&
autres personnes de Condition, Tome 2 Trésor des
Harangues et des remonstrances faites aux ouvertures du
Parlement, Paris ch. Michel Bobin. [175] Maugis, ne pardonnant pas au Parlement de ne
pas être les Etats Généraux de 1789, l'assassine: plus
de paroles, que de courage; c'est la règle ordinaire des assemblées (Maugis,
1913, T1, 581). Au contraire Aubert (1926, T2,
p 251/2): Cet honnête
Guillart… qui s'efforçait d'envelopper ses pensées parfois audacieuses
dans des
formules abstraites, savait à l'occasion faire preuve de courage, et il
n'y
manqua pas cette fois, comme s'il jugeait la situation désespérée et
les
ménagements inutiles. [176] …
craignant, à notre très-grand déplaisir, votre naturelle bonté,
clémence &
amour avoir été pervertie &
aliénée de cette vôtre, très humble, très obéissante, & très loyale
Cour…
Ainsi nous devons révérer les Roys comme donnés & élus de Dieu,
& comme
préposés aux choses sacrées & divines, les devons réputer Saints. Cette
rhétorique divine sera encore en usage un siècle après. Mailfait, 1902,
Note 2, p 190/191: On
relève souvent, dans les discours d'Omer Talon, ce rapprochement entre
la
personne royale et la Divinité; on le trouve, en particulier, dans les
Mémoires, pp. 106, 158, 186, 259, 260, 410, 417. Cf. aussi le discours
du 18
mai 1643 (Rives, 1, p. 46). Du reste, cette affectation n'est point
particulière à Omer Talon ; elle est un signe de l'éloquence de ce
temps:
le 28 avril 1648, le président de la cour des aides harangue le prince
de Conti
et lui dit "que ce n'était point une flatterie des peuples ni une
invention de la politique d'appeler les princes les enfants des dieux
et leurs
véritables images etc ..." (Histoire du temps, p. 41)- Le 4 aout
1648, le prince de Conti était encore à la cour des aides ; s'adressant
à lui,
le premier président Molé appela les rois « les enfants des dieux
»
(Ibid., p. 167). Cf. aussi le discours de Retz au roi le 12 septembre
1652
(Journal du Parlement, pp. 164 et 167.) Cf. le discours du président de
Nesmond
au roi le 30 mars 1652 (ibid., p. 264) - Mme de Motteville dit (Mem,
II,p. 18)
que les rois " participent en quelque façon au suprême pouvoir de Dieu
mème " - Le 29 juin 1652, le prieur de l’abbaye de Saint-Denis
harangue le roi: " Le sujet de celte harangue fut que les rois
étant
en terre les images vivantes de Dieu etc ... " (Extrait du livre des
choses mémorables de l'abbaye de Saint-Denis en France, publié pour la
Société
de l’Histoire de France, t. III, p 412) - Presque dans le même ordre
d'idées,
on comparait le duc d'Orléans et le prince de Condé à deux planètes.
(Journal
d'Ormesson, p. 166.) - Le 8 janvier 1647, Cohon, évêque de Dol , fait
l'oraison
funèbre du prince de Condé (le père du Grand Condé): il compare
le duc d'
Anguien et le prince de Conti aux colonnes d’Hercule,
aux colonnes de feu et de nue du désert,
etc. (Ibid., pp. 374. Le 4 février 1648, Broussel compare le Parlement
à la
lune [dont, bien sûr, le roi est le soleil] (Ibid., p
. 438). [177] Guillart vise implicitement les efforts du
roi pour soustraire Berquin à la Sorbonne et au Parlement (le roi l'a
sprti de
sa prison) et, plus généralement, le flirt de la Cour avec le cercle de
Meaux.
Le roi très-chrétien rendra compte à Dieu de son gouvernement. Il doit
combattre et punir les sacrilèges,
irrévérents, et impies et tout mettre
hors les mauvaises & pernicieuses Doctrines, tant pour l'amour
de Dieu
que pour l'unité du Roi et du Royaume car n'y
a rien qui tant tienne les sujets ès choses publiques en obéissance
& union
dessous les Roys, que foy Religieuse. [178] La Justice, essence du Parlement, est
l'occasion des plus grands différends, notamment avec le Conseil
du roi. Guillart commence par un tir
de barrage, citant ou évoquant le philosophe, Cicéron,
Aristote,
Homère, St Augustin, Solon, Lycurgue, César, la Bible,
St Ambroise, pour
en arriver à la vénalité des charges et aux évocations. Le
gouvernement, pour
avoir de l'argent, vend les offices à n'importe qui, sans vérifier s'il
a les
qualités requises. Elles font défaut, dit Guillard,
sous-entendant: ce
n'est pas par méchanceté que le Parlement s'est opposé aux "fournées"
d'officiers et que, lorsqu'on lui a imposé de nouveaux membres, il a
refusé de
les recevoir ou, reçus par force, les
a maintenus à l'écart. Quant aux évocations
(largement utilisées dans les
affaires de St Benoit et Sens), Guillart ne les condamne pas en
principe car
elles participent de la justice retenue du roi. C'est leur abus qu'il
critique
subtilement: le Parlement est LA cour du roi, il n'y a donc pas
de raison
de juger ailleurs ! Guillart y revient plus loin, à propos de la
multiplication des évocations, une nouveauté inique: Aussi
cette façon d'évoquer... semble nouvelle invention pour faire
injustice, & sous couleur de Justice, qui serait s'il se faisait à
cette
intention, double iniquité… Et Guillard enfonce son clou, avec un
marteau
qui a déjà servi et servira encore: Ainsi
qu'au monde n'y a qu'un Soleil, & n'y en peut avoir deux... aussi
en France
n’y a qu'un Roi, & pareillement n'y doit avoir qu'une Souveraine
Justice.
Deux souveraines justices
déchireraient entre elles le royaume et romprait son union: &
n’y en saurait avoir deux longuement,
que ne s'engendrassent divisions entre les Nobles, Communautés &
sujets ;
ce qui est la désolation des Royaumes, ainsi que dit l'Evangile… Et
il
insiste, faisant une allusion transparente à la guerre que viennent de
se
livrer le Conseil et le Parlement: Et
comme ainsi qu'au regard corporel, c'est chose cruelle de voir un corps
humain
se démembrer par morsure ; semblablement au regard de l’esprit & de
la
raison, ce n'est pas moindre cruauté de voir les Justices principales
divisées,
& faisant choses contraires… [179] Outre sa signification constitutionnelle, la
phrase est vraie au sens le plus littéral: il n'y avait alors
d'autre
salle du trône que la chambre du
Parlement au Palais-Royal, une fois munie de son appareil de fleurs de
lys et
de sièges. C'était donc naturellement là que se tenaient les assemblées
que le
roi présidait en majesté et
auxquelles la Grand chambre
participait tout naturellement. [180] Il dénonce très clairement les abus commis
dans les affaires de Sens et St Benoit, explicitement nommées. Il
regrette le viol de la liberté de l'Eglise et
s'indigne des manœuvres scandaleuses et
indiscrètes du Conseil, explicitement désigné. [181] Dans le même mouvement, il lance une dernière flèche à la Régente et au Chancelier dont le gouvernement suscitait la crainte que dissipe par la restitution du roi au royaume. Sa dernière phrase: Votre très-humble & obéissante Cour est consolée & éjouie de votre présence & venue, autant que furent les Apôtres quand ils virent Dieu, après la Résurrection… en vous restituant au Royaume, vous l'avez délivré de très-grande crainte & péril de servitude, & icelui restitué en son ancienne splendeur & autorité. [182] Le Cérémonial
français de 1649, en deux volumes d'environ 1000 pages chacun,
développe et
complète le Cérémonial de France
(1619) de Théodore Godefroy le père (mort à Münster où il faisait
partie de la
délégation française). Il recueille, de première ou de seconde main,
tout ce
qu'on sait sur les circonstances et l'ordre de toutes les sortes de
cérémonies
royales. Noter que, si l'ouvrage, imprimé chez Cramoisy, porte la date
1649, le privilège royal qui le protège en
date du 30 octobre 1648 a été donné par
le roi en son conseil à St Germain en Laye où la cour s'était
réfugiée
après avoir fui Paris. [183] Poème
sur la barbe du prem. presid., [Bruxelles], 1649: Je chante
d'un chant satirique / Une laide
barbe cynique, / La barbe et le menton barbu / De Molé, juge corrompu ;
/ Barbe
sale, barbe vilaine ! / Barbe infâme , barbe inhumaine, / Barbe qu'a
fait un
partisan / Aux frais du pauvre paysan; / Barbe affreuse, barbe maudite
/ Barbe
d'un diable d'hypocrite / Barbe d'un infante Martin, / Grand defendeur
de
Mazarin / Qui s'offriroit pour un ecu / De serviette à torcher le cul /
Barbe
qui tout prend et devore / Barbe que tout le monde abhorre / Barbe
ravalée en
pendant , / Barbe à qui je porte une dent, / Barbe cruelle, barbe fière
! /
Barbe que je souhaite en bière... [184] Leurs discours sont connus d'abord par leurs
mémoires, ensuite par les contemporains, en particulier la série Journal du Parlement, attribuée à
l'avocat Nicolas Johannes du Portail (différents titres: Histoire
du temps présent, Journal de tout
ce qui s'est fait et passé en la cour du Parlement de Paris ;
et
multiples éditions contemporaines). Les Mémoires
de Mathieu Molé s'arrêtent en 1650 et n'ont été édités qu'au XIXe
siècle, sous
les auspices de son descendant. Les Mémoires de Talon
ou des extraits ont circulé en manuscrit et ont fait
l'objet d'une
première édition en 1732 à la Haye (cf. Mailfait, 1902) et de plusieurs
éditions au XIXe. [185] Le texte de la réponse de Molé, dans
ses Mémoires, est beaucoup moins vif
que celui que donne en 1649 l'Histoire du
temps (attribuée à du Portail),
soit que Molé ou un autre les ait réécrits (il ne meurt qu'en 1656),
soit que,
au contraire, la sympathie de du Portail pour le Parlement les ait
rendus plus
vifs à son oreille ou à sa plume. Cependant les Mémoires d'Omer
Talon, dont, dans les dernières pages, la plume a
été tenue par son fils Denis donnent des textes très proches de ceux de
du
Portail. Par exemple, les différentes leçons de son discours du 15 janvier (du Portail, 1732, XIXe)
comprennent toutes la forte phrase sur la misère des peuples (Ces malheureux ne possèdent aucuns biens en
propriété que leurs âmes, parce qu'elles n'ont pu être vendues). Du
Portail
fait dire à Talon: le peuple compte
toujours entre les mauvaises plantes les Mirthes & les Lauriers (que
l'on gagne à la guerre, laquelle affame le peuple) tandis que les mémoires de 1732 s'expriment encore plus
vivement: l’honneur des Batailles
gagnées, la gloire des Provinces conquises, ne peut nourrir ceux qui
n'ont
point de pain, lesquels ne peuvent compter les mirthes, les palmes
& les
lauriers entre les fruits ordinaires de la terre. Et l'édition
Champollion
de 1839 le formule à peu près pareil: l'espérance
de la paix, l'honneur des batailles gagnées, la gloire des provinces
conquises,
ne peut nourrir ceux qui n'ont point de pain, lesquels ne peuvent
compter les
myrtes, les palmes et les lauriers entre les fruits ordinaires de la
terre. [186] Ainsi que la postérité s'étonnerait de voir que dans le temps que tous les sujets rendaient grâces à Dieu de leur avoir conservé un Prince de si grande espérance, l’on abusât de son nom & de sa minorité pour la vérification de plusieurs Edits, qui allaient achever la ruine de l’Etat par des impositions extraordinaires, & par la création d’une infinité d’Officiers… Qu’il était à craindre que cette grande joie, que les peuples avoient témoignée pour la guérison de leur Prince, ne se changeât en sanglots, & en soupirs, ou plutôt en quelque horrible désespoir, qui les porterait à des choses funestes à l’Etat... (selon du Portail). [187] Le
texte donné par du Portail est piquant: que l’on
voyait bien que la guerre était le monstre qu'on ne voulait
point étouffer, quelque chose que l'on pût dire, afin que cela servît
toujours
d'occasion à ceux qui abusaient de l’autorité Royale, de dévorer ce qui
restait
de biens aux particuliers, & de prendre encore les débris de leur
naufrage,
qui n'avait été causé que par la tempête qu'ils avaient excitée
eux-mêmes dans
toute l'Europe, ou qu'ils avaient tout au moins entretenue par des
inventions
& des artifices Punissables Mémoires de Talon: On nous déclare
assez souvent qu'il y a une loi souveraine, à laquelle toutes les
autres
doivent céder; que le moment public de la France doit servir de règle
véritable
pour le commandement du prince et pour l'obéissance de ses sujets; que
les
justes plaintes de ces peuples ne peuvent arrêter le cours violent et
impétueux
de cette malheureuse immortelle qui passe de siècle en siècle et donne
crédit
et autorité à tous les maux qui se commettent, à laquelle il est
inutile
d'opposer ou lois ou exemples, puisqu'elle renverse tout ce qui lui
résiste. [188] Quoique Talon, in fine, conclue par force à l'enregistrement des édits fiscaux (La présence du Roi, mon maître, me commande de requérir l'enregistrement des édits), il prévient clairement que cet enregistrement ne vaut rien: autrefois, le Roi venait en son Parlement pour soumettre à sa sagesse les grandes affaires de l'Etat et non pour le brutaliser (ces actions n'étaient pas lors considérées, au lieu qu'elles sont à présent comme des effets de Puissance souveraine, qui donne de la terreur partout mais plutôt comme des Assemblées de Délibération & de Conseil). La liberté des délibérations conditionne la valeur de l'enregistrement. Enchaîner le Parlement par la puissance souveraine invalide les Edits: les faire passer pour vérifiés lorsque V.M. les a fait lire & publier en sa présence [est] une espèce d'illusion dans la morale & de contradiction dans la politique (Talon, 1732, Vol.4, p 183 sq.). [189] La puissance de Votre Majesté vient d'en haut, laquelle ne doit compte de ses actions, après Dieu, qu'à sa conscience; mais il importe à sa gloire que nous soyons des hommes libres, et non pas des esclaves ; la grandeur de son Etat et la dignité de sa couronne se mesurent par la qualité de ceux qui lui obéissent. Aussi, une entreprise comme celle d'aujourd'hui (édits fiscaux et lit de justice) qui donne de l'étonnement et de la frayeur dans l'esprit des peuples est-elle de nature à affecter la bienveillance des sujets à l'égard de l'autorité légitime, bienveillance qui se diminue et se perd facilement lorsque les hommes sont persuadés que l'ordre du gouvernement public attire sur eux les misères qu'ils ressentent, et la pesanteur des fléaux qui les persécutent. [190] ... pourtant ces félicités publiques de l'État, auxquelles nous ajoutons de bon cœur le recouvrement de la santé du Roi notre maître,… n'empêchent pas les nécessités particulières du royaume, lequel est languissant, affaibli, épuisé par la fréquence des levées extraordinaires de deniers, qui sont le sang du peuple et les nerfs de l'État, qui produisent une maladie d'inanition, dans laquelle les remèdes sont aussi peu supportables que le mal. Et il termine en contestant la nécessité des nouvelles exactions et en appelant à mettre fin aux dépenses inutiles et aux gaspillages de la cour pour ne pas exaspérer le peuple: & méprisant toutes sortes de dépenses inutiles & superflues, triomphez plutôt du luxe de votre siècle et de celui des siècles passés, que non pas de la patience, de la misère et des larmes de vos sujets. [191] Ce
jourd’huy dixième Juin, le Roy en son Conseil, la Reyne Régente sa Mère
présente, sur ce qui lui auroit été représenté, que par un Arrêt de la
Cour du
treizième May, les quatre Compagnies souveraines de cette ville de
Paris se
seroient jointes sans autorité ni fondement légitime: sa Majesté
a cassé
ledit Arrêt comme pernicieux à son autorité Royale, & ordonné que
le
present Arrêt sera exécuté, & que la minute de celui de la Cour
sera tirée
des Registres d’icelle, pour celuy-cy être mis en son lieu &
place:
Et fait sadite majesté très-expresses inhibitions & défenses
auxdites
Compagnies de se plus assembler à peine de désobeyssance. Fait au
Conseil
d’Etat du Roy tenu à Paris le dixieme Iuin mil six cens quarante-huict (Journal contenant tout ce qui s’est faict et
passé en la cour de parlement de Paris, toutes les chambres assemblées,
sur le
sujet des affaires du temps présent ès années 1648 & 1649, p
4). A quoi le
Parlement répond par un arrêt convoquant les chambres réunies: Ce jour la Cour toutes les Chambres
assemblées, ayant délibéré sur le susdit Arrêt du Conseil, ... Vu ledit
Arrêt
& les Conclusions du Procureur General: A arrêté &
ordonné qu'en
exécutant l‘Arrêt [d'union] du
treizième May dernier, présentement l'un des Secretaires de ladite Cour
ira de
la part d'icelle vers les trois Compagnies Souveraines de cette ville,
les
avertir d'envoyer leurs Députez demain à deux heures de relevée en la
Salle
Sainct Louys, pour conférer auec les Députez de ladite Cour (ibid). [192] Comme
ledit arrêté est une désobéissance pleine de mépris et injurieuse à
l'autorité
royale qui ne peut souffrir sans sa diminution que des officiers qui
n'ont
point d'autre puissance que celle qui leur est donnée par les rois,
pour
l'exercer dans les règles qui leur sont prescrites, s'en servent par
une
usurpation violente, pour s'opposer aux volontés de leur roi et leur
maître ;
et ce qui donne encore plus d'étonnement est que les grâces qu'ils ont
reçues
de Sa Majesté aient produit tant de méconnoissance et
d'ingratitude: il
est difficile de juger quelle peut être leur intention, ni ce qu'ils
peuvent
assurer de leurs violences, s'ils pensent abattre l'autorité royale et
la
soumettre à leurs injustes desseins, ainsi il est nécessaire d'arrêter
le cours
de l'exécution à cet arrêté si contraire aux ordonnances royales et
lois de
l'état, qui ne souffrent aucune assemblée extraordinaire sans
l'autorité et la puissance
du roi; au contraire, ce seroit établir
une puissance nouvelle, dont les conséquences seroient dangereuses
et
préjudiciables à l'ordre et autorité du gouvernement public, dont les
inconvéniens pourroient avec le temps dégénérer en une espèce de
révolte et de
faction. Ainsi les ennemis de cette couronne se prévalent de leur
procédé comme
d'une sédition, qui seroit par leurs vœux prête d'éclore dans le royaume...
Sa Majesté en son Conseil, la Reyne
Regente sa mère présente, a cassé & annulé, casse & annule
ledit Arrêt,
comme fait par attentat & entreprise sur son autorité & ordonne
que
l’Arrêt du Conseil du 10 Iuin sera exécuté...15. Iuin1648. [193] Il commence ainsi: Le roi m’a commandé de vous assurer qu’il n’est point venu en son parlement pour y faire des actes d’une Justice sévère en désirant de vous des vérifications fâcheuses, mais pour y donner à ses Officiers & à ses sujets des témoignages de sa bonté & de son amour. [194] Aussi [leurs Majestés] promettaient-elles des marques si signalées de leur amour envers le peuple que le Parlement jugerait fort à propos la cessation des Assemblées de la Chambre de Saint Louys... [195] Qu’ainsi le Roy s'assurait que le Parlement contribuerait ce qui était en lui pour faire évanouir ces espérances, quoique frivoles, des ennemis par la cessation des Assemblées de la chambre de S. Louys. [196] Le Parlement doit rentrer dans l’exercice ordinaire de la Justice distributive aux sujets du Roy qui la réclamaient depuis si longtemps, comme de sa part sa Majesté promettait de donner toujours à son Parlement des marques très-assurées de son affection (du Portail). [197]
Il conclut en appelant à la remise en ordre des finances, à ne plus
dépendre
des traitants, ces usures malheureuses,
ces prêts illicites, ces prêts des prêts, ces sangsues publiques
et, au
lieu d'augmenter les impôts sur le peuple ruiné, prendre l'argent où il
est: Il est temps, Sire, de presser
ces éponges et leur faire rendre ce que, si injustement, elles
retiennent il y
a si longtemps. [198] Habilement, elle commence comme une harangue
du Parlement ! Comme il n'y a rien
qui maintienne et conserve davantage les monarchies en leur perfection
que
l'observation des bonnes lois, il est du devoir d'un grand prince de
veiller,
pour le bien et le salut de ses sujets, à ce qu'elles ne soient
corrompues par
les abus qui se glissent insensiblement dans les États les plus
parfaits, afin
d'en éviter la ruine qui pourrait arriver, si par négligence ces maux
se
rendoient si puissants qu'ils ne pussent porter les remèdes
(Isambert, T17,
p 87). D'où l'appel occasionnel à des assemblées
qui, après avoir examiné ces maux, soumettent des remontrances qui sont
envoyées
ensuite dans les compagnies souveraines
établies principalement pour autoriser la justice des volontés des
rois, et la
faire recevoir par les peuples. De telles assemblées, à la
différence de la
Chambre St Louis, sont convoquées par le souverain et elles ne font pas
de lois
elles-mêmes. [199] comme
nous n'avons pas moins d'amour que les rois nos prédécesseurs pour la
conservation de notre État, le bien et le repos de nos peuples, nous
avons jugé
à propos de pourvoir aux désordres que nous avions été averti s'être
formés
dans notre royaume et qui pourraient enfin corrompre sa bonne
constitution,
s'il n'y étoit pourvu. A cette fin nous avons envoyé deux déclarations
en notre
cour de parlement, l'une à propos des impositions et levées, l'autre
pour la
punition des malversations commises au fait de nos finances, plus
quelques
règlements sur la distribution de la justice et la disposition de nos
finances. [200] Après les compliments d'usage et les remerciements à leurs Majestés pour leur bienveillance, Talon ajoute que la déclaration du roi n'achève pas la réformation du royaume. Tout juste le début du début. Il ne faut pas s'arrêter en chemin, ce qui sous-entend qu'il n'est pas encore temps pour le Parlement de cesser de s'occuper des besoins de l'Etat (et que la Chambre St Louis n'a pas fini): ainsi nous espérons que V.M. ayant commencé d'apporter quelque règlement dans les désordres, qu'elle continuera incessamment… [201] Audren, 1997, p 571: Plus
le pouvoir royal parvient à aligner d'alliés derrière la norme qu'il
construit,
plus elle apparaît comme légitime. Un des acquis les plus originaux de
la
recherche historique récente est d'avoir mis en lumière qu'aucune
norme n'est légitime en soi. Cette légitimité est composée,
elle est celle des réseaux, des ressources qu'une telle norme mobilise.
Une
norme édictée substitue une voix unique aux cris et aux bruits de la
société
politique. Mais cette voix est excessivement fragile car les alliés
menacent à
chaque instant de trahir, de briser le réseau.. [202] Mais ce futur passé est d'autant moins accessible que des déséquilibres donnent de l'inertie au présent. Le développement de la royauté, s'il n'institue pas un "Etat", ajoute des couches de complexité à la structure "socio-politique". Les guerres et les besoins financiers croissants subséquents ont des effets sociaux (ruine des peuples, enrichissement des financiers), politiques et administratifs (verticalisation croissante et heurt avec les structures traditionnelles). La faiblesse du rendement fiscal rend impossible de financer les dépenses, même en faisant périodiquement rendre gorge aux financiers et en spoliant les créanciers (qu'ils aient été volontaires ou forcés). Si Jacques I avait su et pu équilibrer son budget, il n'aurait pas eu besoin de convoquer le Parliament. De même si Charles I n'avait pas provoqué l'invasion écossaise qui l'oblige à payer une armée... En France, la coûteuse participation (directe et indirecte) à la Guerre de Trente ans poursuivie encore dix ans après les Traités de Westphalie par une guerre sur trois fronts contre l'Espagne, multiplie les impôts et les expédients (offices etc.) et, ceux-ci devant passer par le Parlement, multiplie les heurts avec lui. [203] Les
Habitans du mont Casius en Séleucie, demandèrent à JUPITER un Oiseau
qui
mangeât les Sauterelles qui gâtaient .& ravageaient leurs bleds (Gaspard
Guillard de Beaurieu, Jean-Baptiste-François Hennebert, Cours
d'histoire naturelle, Volume 4, ch. Desaint, 1770). Pline
(Liv. X.) les oppose à ces gens qui ne
paraissent que lors qu'ils ont besoin de secours, & qui ne visitent
leurs
amis que quand ils ont quelque chose à leur demander. [204] 4ème partie Harding, 2001,
p 75: …The peace of God was
important in the long term for its development of ideas of injuries
committed
‘against the common utility’ and procedures for the trial and
punishment of
peace-breakers which would be drawn upon by the authorities of secular
states…
p 76 For enforcement the peace of
God depended ultimately on the cooperation of the lay princes and their
vassals...p 78 [au XIe siècle] Normandy
provides the best example of a transition from God’s peace to a secular
lord’s
peace which was territorial in coverage … 82 But it
was in Germany that Landfrieden, detailed codes of peace
regulations applied to whole regions of the country, became a lasting
instrument of royal government in the ordering of the state.…p 84
As in France, so in Germany, the eleventh
century saw the ideal of peace achieving greater importance, but in
this case
it was the emperor’s peace rather than God’s…86 In
Germany the first reaction to the Gregorian turmoil was rather for
bishops to belatedly promulgate the truce of God in their dioceses…p
87 The first Landfriede for the whole kingdom
was promulgated by Henry IV and the bishops together at Mainz in 1103... [205] Langlois, 1890, p 100: L'extension et
l'exercice du droit d'appel
universel paraissent enfin avoir été la préoccupation cardinale des
successeurs
de saint Louis: de nombreuses ordonnances défendirent aux barons du
royaume
d'entretenir sur leurs terres plusieurs degrés de juridiction en vue de
frustrer le roi des appels de leurs hommes… [206] Luchaire, 1883, p 274: Dès la fin du XIe
siècle, le nombre des
affaires ecclésiastiques dont la cour du roi s'attribue la connaissance
[protection,
empiètements, crimes ou différends internes]
devient de jour en jour plus considérable… p 279 Pour
les seigneurs laïques, le moyen le plus simple de s'opposer aux
progrès de la justice royale, c'était de ne point la reconnaître, et de
faire
défaut en cas de sommation. C'est ce qui arrive fort souvent au XIe
siècle, et
encore assez fréquemment au siècle suivant… p 280 Ce
procédé, commode et efficace sous les rois faibles, l'est moins sous
les princes capables d'énergie: car, avec ces derniers, le refus de
comparution est presque toujours suivi d'une guerre. C'est là un des
traits
caractéristiques du règne de Louis le Gros… grâce aux efforts de Louis
VI,
l'autorité judiciaire du roi obtient de plus en plus, au XIIe siècle,
le
respect et l'obéissance, même des grands vassaux. Ils se laissent citer
plusieurs fois, allèguent des excuses, mais finissent généralement par
comparaître
devant la cour… Lorsque la féodalité laïque ne voulait point récuser
ouvertement la justice du roi, elle cherchait parfois à y échapper en
invoquant
une juridiction différente… p 282 II
arrivait aussi que le seigneur poursuivi par la justice du roi se
retranchait
derrière cette loi ou coutume féodale en vertu de laquelle un suzerain
ne
pouvait punir un arrière-vassal que si le seigneur direct de celui-ci
avait
refusé d'en faire justice… p 283 La
défiance qu'inspirait cette justice aux grands feudataires les faisait
recourir
à un autre procédé dont les rois eux-mêmes se servirent en certains
cas, celui
de l’arbitrage… p 285 Il
semblait que la société ecclésiastique...dût accepter aussi plus
aisément la
juridiction d'une cour qui était surtout occupée à défendre le clergé
contre
les vexations des laïques. Il n'en fut rien cependant…Ive de Chartres,
pressé
par le roi Philippe Ier de se rendre à sa cour, en 1098, .. déclare
qu'il est
prêt à se justifier vel in ecclesia, si ecclesiastica sunt negotia;
vel in
curia, si sunt curialia… Luchaire, 1883,
p 322: au XIe et même au XIIe
siècle, les arrêts de condamnation n'étaient pas aussi fréquents qu'ils
le
deviendront par la suite, à raison de la difficulté que le roi trouvait
à les
faire exécuter. La cour employait d'ordinaire tous ses efforts à amener
entre
les deux parties un accord à l'amiable garanti par serment (pax,
compositio, finis, concordia), ou le
désistement volontaire du défendeur… [207] Il s'agit d'autant moins d'administration
que cette extension du domaine ne suit pas le modèle de "colonisation
progressive" que les historiens du XIXe ont imposé (y compris à
l'historiographie d'aujourd'hui) comme processus d'unification
nationale (cf.
Buscail, 2011). Le roi ne collectionne pas les territoires, il
collectionne des
droits qui se combinent et se concurrencent avec d'autres droits: la détention médiévale est enchevêtrée. Au
niveau local, le roi ne détient pas tous les droits…(Buscail, p
77). Selon
sa forte expression (p 78): Dans
ce contexte, le domanium est
l’ensemble des maîtrises sociofoncières (biens, droits et acteurs) sur
lesquelles le roi tente d’exercer son dominium de
manière plus nette qu’ailleurs…Ainsi (p 81) Les
domaines du roi: des réseaux de
réseaux… A une échelle micro-locale (prévôtés de Janville et
Yèvre-le-Châtel), Buscail reconstitue un graphe impressionnant de l'intersécance et des réseaux de réseaux
socio-fonciers du roi (p 85, Fig. 5). Voilà
pourquoi la cartographie historique basée sur le concept de
"territoire" et l'échelle "nationale" est une illusion
trompeuse. [208] Les remarques de Gravel (2009) sur l'empire
carolingien s'appliquent à toute la période: Il faut
aborder les relations du point de vue des éloignements qui les
définissent. Pour que les conséquences de la distance puissent être
comprises,
il faut s’émanciper de nos repères, qui sont ceux d’une civilisation
qui a
vaincu tous les obstacles de la géographie. Investir l’histoire des
grands
réseaux des sociétés préindustrielles passe par ce changement de
perspective.
Cette approche révèle l’importance de la rencontre pour le politique.
Le
face-à-face est un acte relationnel d’autant plus crucial qu’il ne se
réalise
que difficilement... Les distances géographiques comptent parmi les
facteurs
cardinaux de l’histoire préindustrielle... les réseaux de pouvoir se
forment et
se transforment au fil des rencontres des petits et des grands acteurs. [209] Harding, 2001, p 118: Though the territorial
marking-out of bailliages and sénéchaussées was
dictated by the requirements of tax-collecting, it was essentially as
agents of
royal justice that the corps of baillis extended the king’s authority
throughout France… p 119 the bailli
also had a role like the English sheriff’s in bringing royal justice to
the
local community all the time… Through his bailliffs the French king
could,
however, bring down to the local level the offer of effective inquiry
and
arbitration. Lorsque les
baillis/sénéchaux reçoivent des lettres
royaux à publier et à crier dans leurs circonscription, ils en
donnent leur
propre mode d'emploi (lettre d'attache)
et, souvent, légifèrent localement pour leur application
(Dupont-Ferrier,
1902). Le bailli (ou le sénéchal) représentait le roi dans sa circonscription. Sa compétence peut donc être définie d’un mot: elle était universelle (Langlois, 1911, p 351). Lui aussi a besoin d'agents locaux, prévôts/bailes, auxquels il lui faut déléguer son autorité et qui, à leur tour, en confient tout ou partie à des sergents et à des notaires dont la multitude infinie dévore le pays. Ces milliers de petits tyrans obscurs (Langlois) achètent leur charge à l'autorité qui est supposée les contrôler. Langlois, 1911,
p353/4: Les prévôts (dans le Nord)
et les bailes (dans le Midi) administraient les localités, sous la
surveillance
et la responsabilité du bailli et du sénéchal. Ils étaient, en général,
fermiers de leurs charges. Le bailli ou le sénéchal adjugeait les
prévôtés au
plus offrant, pour un certain temps (une ou plusieurs années)... A la
fois
juges de paix, commissaires de police, percepteurs et maires, les
prévôts
cumulaient donc, comme les baillis eux-mêmes, tous les pouvoirs.
Confier une
autorité pareille au dernier enchérisseur, sous cette seule réserve
qu’il ne
fût pas un homme «vil» ou «malfamé», c’était donner ouverture à
d’effroyables
abus…p 355 La «multitude infinie»
des sergents, qui «dévoraient la substance des sujets», a été, au XIIIe
siècle,
dénoncée sans relâche par les peuples et condamnée par les rois…p 356
Les charges de «notaires du roi» n’étaient
pas moins enviées que les places de sergents ; on se plaignait
également
qu’elles fussent trop nombreuses ; les notaires pullulaient,
jusque dans
les villages… Lorsque (Dupont-Ferrier, 1902), au XVe
siècle, le rôle personnel du bailli diminue, c'est au bénéfice
de cette troupe des fonctionnaires du
Bailliage qui semble comme la monnaie de l’ancien bailli et grandit à
mesure
que le Bailli se diminue. Or, comment ces officiers, appelés dans le
principe à
aider ce bailli, sont-ils pratiquement arrivés à le remplacer ?
Comment se
groupent-ils en Conseil pour former une sorte de "Lieutenant
collectif", aux aptitudes universelles, toujours présent, et d’une
activité
que rien ne lasse ? [210] Harding, 2001, p 155: But the most
important aspect of the sworn
inquest into the king’s rights was paradoxically its power to reveal
the
grievances of the wider populace, to whom it gave an alternative to the
hazardous appeal of felony and the expensive writ for bringing injuries
before
the king’s courts… p 156 The
general inquest of 1247 was the turning-point in the development of
French justice
because it was instructed [inquisitors] to listen to anyone in the
realm,
‘whoever they might be’, who had grievances against King Louis himself,
his
predecessors, or his bailiffs, provosts, foresters and serjeants and
their
households… p 157 [it] tell the
same story of a vastly extended hierarchy of royal agents using their
new-found
authority for their own ends… p 160 The inquiries
into the abuses of royal officials focused the realm upon
the ruler in a new way and spurred the emergence of the new high courts
called
parliaments...p 165 For Beaumanoir
the king’s court is simply the last resort for vassals who fail to
obtain
justice from their own lords and successive overlords… But the records
show how
much the king’s feudal jurisdiction was reinforced by the parlement’s
supervision of the activities of baillis and enquêteurs. Parlement was
the
court for appeals from their decisions, and petitions against officials
and
others which it received directly it might refer to the baillis and
sénéchaux
for inquiry... ..p 167 The rise of
parlement and of the baillis was
a single process…(mon soulignement) ..p
185 The contrast with the
developments surrounding the French parlement was
that other central courts existed in England /Exchequer, Chancery,
Common
pleas, King's bench/ to mop up the ordinary run of plaints... Elected
knights
of the shire and burgesses, irrelevant to parliaments in which the
king’s
council dealt with the petitions of individual subjects, learnt to
support and
press petitions they recognized as of general concern... p 186
The presentation on behalf of the community
of bills which the king might turn into statutes was, however, the
function
which made the representatives of the shires and boroughs an essential
element
of parliament. Très vite, de ce fait, les baillis
(dont certains
étaient membres du Parlement) ne siègent plus quand leurs causes sont
évoquées
et, finalement, ne siègent plus du tout. Langlois, 1890,
p 107: Le règlement de 1291 ordonna
aux baillis et aux sénéchaux de quitter la Chambre des plaids pendant
que les
maîtres délibéraient, à moins qu'ils ne fussent du conseil ;
fussent-ils
conseillers en titre, ils durent se retirer également si la
délibération des
juges les concernait. Enfin, en 1303, l'incompatibilité du mandat de
bailli ou
de sénéchal et de l'office de conseiller du roi fut solennellement
proclamée; les
chefs de l'administration locale ne parurent plus à la Chambre des
plaids que
comme des plaideurs ordinaires. [211] Pour éviter d'inconscients anachronismes, il vaudrait mieux remplacer le mot parlement par diète (du latin dies, jour): les deux ont le même sens contemporain et, aujourd'hui, diète en Europe occidentale, n'éveille pas d'écho trompeur. L'existence de ces diètes résulte de la nécessité de faire consensus au sein des "puissants". Un peu partout, les conflits avec les barons d'abord, avec les bonnes villes ensuite, ou le besoin de mobiliser les uns et les autres derrière un "projet" royal, ont assemblé, sous l'autorité du monarque, ces diètes, des réunions du corps politique. Elles sont composées des délégués de ceux qui gouvernent, généralement organisés en collèges selon leur proximité à la Couronne: la plupart du temps une chambre haute avec les Grands, ecclésiastiques et laïcs, et une ou plusieurs chambres basses, avec la petite noblesse et les villes privilégiées, parfois les paysans libres. Si la diète anglaise remonte conventionnellement à 1215 (grand conseil), la diète hongroise date de 1222 et a la même origine, une insurrection des barons. La coïncidence des dates est amusante, car la Hongrie n'a rien d'un modèle de "démocratie", ni dans le passé (coopérative nobiliaire), ni dans le présent. Sauf exception, ces diètes sont dans la main du monarque qui les convoque quand il en a besoin, définit leur agenda et leur met fin, actant le consensus quand elles ont satisfait ses demandes ou le dissensus quand elles les ont refusées. Elles ne constituent pas une méthode ordinaire de gouvernement mais un moyen de gestion des crises. [212] Contre la téléologie de la démocratie
représentative, Sayles, 1975, soutient que, en Angleterre, du XIIIe au
XVe, Grand Conseil et Parlement sont
substitutifs. La "constitution" réside
dans la balance entre le Roi et les Grands, nullement entre le Roi et
le
"peuple": p 127 the
preservation of the balance between the power of the King and the power
of the
Lords is the sum total of medieval 'constitutionalism'. La
représentation
des contés et villes est accessoire et la fonction du Parlement est
d'ordre
judiciaire: recevoir les pétitions et leur donner accès au Grand
Conseil.
A partir du parlement "révolutionnaire" de 1327 (déposition
d'Edward II), les Commons (élus)
reçoivent les pétitions que les Lords jugeront. Graves,
1985: le rôle des commons
s'affirme ; p 47 the knights
& burgesses seceded to form a separate and new house which only
gradually
came to be accepted as part of Parliament proper ; p 54 although many bills were couched in the old
petitionary form, the Commons were no longer a mere supplicant...both
houses
now recorder their assents as equal partners in a bicameral legislative
process ; les Commons
deviennent une chambre quand en 1489 the
judges were unanimous that an Act only had validity if the Commons as
well as
the Lords and King had assented to it. Cependant, les Lords restent
prépondérants en raison de leur puissance personnelle et de leur
proximité au
roi (grand conseil). De là les deux chambres, leurs fonctions et leurs
rapports. Les commons demeurent une
dépendance du grand conseil (Sayles, p 125, they
represented a mode of procedure, but they had no independant
control over it): leurs fonctions extrajudiciaires sont
limitées et
accessoires. C'est, suggère l'auteur sans l'argumenter, la ruine des
Grands au
cours de la guerre des roses qui déséquilibre le Parlement au profit
des commons et permettra à Henri VIII d'en
faire une machine de législation et de gouvernement (à son service mais
potentiellement conflictuelle en raison du rôle accru qui lui est
donné). [213] McIlwain, 1910, p 119: ... It
is the fusion of indefinite powers which is the most fundamental fact
in
English central institutions in the middle ages. It will be seen
that this
applies not to Parliament merely, but to all the other courts of the
King as
well and it thus furnishes the key to the great problem which claims
our main
attention in this essay, the relations existing between the King's High
Court
of Parliament and his other courts... p 146 The
stream of political thought in one sense is the converse of what we
find in nature. As we follow it back toward its sources we find that
instead of
narrowing, it becomes ever wider. Institutions that are now narrow and
definite
become as we trace them back indistinguishable from others that we have
always
considered equally definite. To ignore this fact is fatal. [214] Mousnier, 1947, p 42: …dans cette
monarchie, c'est perpétuellement
que les mêmes évolutions recommencent et que des faits semblables
réapparaissent comme si la structure, l'être de cette société,
contenait les
causes profondes des événements que nous étudions en successions
chronologiques
où nous voyons, avec raison d'ailleurs, (dit-il) des
successions causales. [215] Si le Parlement ne peut pas méconnaître
l'autorité du Conseil, il la limite à
celle du roi en personne. Lebret, 1632, écrit (de la
souveraineté du roi, p 82, ed. 1643): Les
Parlements ont sur eux le Roy, assisté
de son Chancelier et de son Conseil d'État, pour en recevoir la
correction, si
en quelque chose ils outrepassent la puissance qui leur a été donnée,
ou s'ils
viennent à faire quelque chose qui soit contraire au bien du service de
Sa
Majesté et à l'utilité du Royaume... Mousnier (1947, p 60)
commente: Elles /les cours
souveraines/ reconnaissent l'autorité
supérieure du Roi qui a "la suprême puissance déférée à un seul" avec
"le droit de commander absolument" [Lebret], mais non
pas l'autorité de son Conseil seul et en corps. Elles
refusent même au Conseil de former un corps. Elles ne voient en lui que
les
"commis" du Roi, des hommes de confiance, des
"domestiques", non une "compagnie". Lorsque le Roi n'est
pas avec ses Conseillers, les Cours ne reconnaissent aucune supériorité
au
Conseil qui néanmoins se déclarera au nom du roi "première
compagnie
du royaume" par les règlements de 1654, du 1er avril 1655 et du 4 mai
1657. [216] Le frondeur Joly, 1653, commentant la lex regia:
p 157/8 il paroist que pas un peuple n'a jamais eu
intention de se sousmettre purement & simplement, & sans aucune
réserve, à la discrétion d'un Roy: mais seulement sous condition &
à la
charge que le Roy gouuerneroit suivant la disposition de la
Loy ; qui est un contract synallagmatique, lequel se forme de
deux pièces également essentielles, sçauoir est, de la proposition qui
en est
faite de la part du Roy ou du peuple d'une part, & de l'acceptation
libre
de l'autre. Dont il s'ensuit que le Roy n’est point maistre absolu de
cette
Loy, pour la destruire & la ruïner quand bon luy semble puisque par
le
contract le peuple n’est point sousmis à luy, qu'à condition de la
conseruer
& entretenir. Plus
généralement encore, Mousnier, 1947, p 43: toute
décision royale prend
l'aspect d'un arrêt de justice,
en vertu duquel sont expédiés déclarations, brevets, commissions. C'est
de son
rôle de souverain justicier que le Roi tire, en principe, tous ses
pouvoirs et,
selon les contemporains, il «juge» les affaires d'État avec son Conseil
comme
il juge les affaires contentieuses entre particuliers, comme tous ses
officiers, même ceux de finances, sont des juges, qui administrent par
arrêts,
fait européen à cette époque. [217] De fait, la grande question qui agite
"l'espace public" jusqu'en 1640, celle de la suprématie en matière
religieuse, voit s'impliquer les tribunaux, bien davantage que le
Parlement.
Allen, 1938, p 138: the most
serious opposition to Bancroft's scheme of reform came neither from the
house
nor from the puritans but from the common law courts (supremacy of
the
Common Law sur les ecclesiastical courts). Cf. Coke 1609. [218] Allen, 1938: Questions at issue
between King and
subjects, questions as to what the King could or could not do in given
circumstances, were to him merely questions of a law. Allen,
1938: In many cases, he says, the
common law will control acts of
Parliament and sometimes adjudge them to be utterly void: for when an
act of
Parliament is against common right and reason, or repugnant, or
impossible to be
performed, the common law will control it and adjudge such acts to be
void. Bonham's
case: "When an Act of Parliament is against common right and
reason
or repugnant or impossible to be performed, the Common Law will control
it and
adjudge such Act to be void". Paradoxalement,
l'affirmation politique du Parlement renforce son caractère judiciaire.
Russsel, 1971, p 295: In chasing
these grievances the House showed an increased willingness to act in an
executive and judicial capacity... in short assuming much
the same sort of authority as most of them enjoyed in
their own counties as member of the Bench. In questioning
monopolies, they
took this authority a stage further, by bringing some of the offenders
to a
formal trial [Mompesson]... they
decided to call in the Lords to condemn Mompesson... the reference of
Mompesson's case to the Lords was the first step towards the revival of the procedure known as
impeachment whereby the Commons acted as prosecutors and the Lords
as
judges...[medieval precedents]...p 296 Chancelor
Bacon was therefore impeached for corruption... the Lords
& Commoners had recovered their power, not used since the 15th
century, to
remove those of the King's ministers who did not command their
confidence... [219] McIlwain, 1910, en particulier CH. 3,
Parliament as a Court. p 109: The
word Parliament has come to carry with it the idea of a lawmaking
assembly …
Men in time became so familiar with that idea that they were not
conscious of
the great and unwarranted assumption they were making when speaking of
Tudor
and pre-Tudor times ; for Parliament, up to the time of the
Tudors, was
hardly thought of primarily or principally as a legislature: it was
still in
reality "The High Court of Parliament"…p 110 Parliament
still seemed primarily a law-declaring
machine… This I believe to have been the view prevailing, among lawyers
at
least, as late as the assembling of the Long Parliament… p 115
In the middle ages the boundary is
indistinguishable between "acts" of Parliament that are particular
and acts that are general, between acts that are private and acts that
are
public, between acts administrative, acts legislative, and acts
judicial. Only
gradually do these distinctions appear; and for a long period after
they do, it
is the judicial functions of the Assembly that dwarf the others…p 117/8
It was the King's great and extraordinary
court of justice, in which he was to grant redress when the ordinary
tribunals
were unable or unwilling to grant relief… p 119 We
can never understand the institutions of mediaeval England if we
consider Parliament as a "court of justice" which in addition
exercised other distinct powers, or as a legislature with an addendum
of other
duties… p 122 [Doddrige sous Elizabeth: « Now for
the
nature of a parliament, it is consilium, and it is curia »…;
Lambard,
1591: « It hath also jurisdiction in such cases which have
need of
helpe, and for which there is no helpe by any Law, already in
force »]…p 124 The making of new law is looked
at as the
decision of a new case, or as the reversal of an error of a preceding
Parliament…[Pour Thomas Smith, 1583] p 126 the
constitution of the commonwealth consists primarily of its courts
and its various forms of law… p 129 The contrast
upon which Smith's attention is focused is not the contrast
between the powers of the Prince and of the Parliament, but between the
powers
of Parliament and of those other courts…p 130/1 It
was true of Smith, as it was of Coke, that he looked on Parliament
primarily as the highest and most honourable court, "absolute"
["absolute"
is here taken to mean not subject to appeal] and supreme,
"the most
authenticall" in the realm…p 134 Nothing
is clearer from contemporary
records, however, than the fact that some of these «courts» were, under
the
Tudors, almost as "legislative" in character as Parliament itself…p 135
The Star Chamber, although primarily a
judicial tribunal, participated in the legislative powers usurped by
the King
and his Council. The Star Chamber not only expounded the laws, but even
made
laws…p 136 [between 1485 and 1640]… the other
"courts" were almost as serious rivals of
Parliament in this sphere as in the sphere of judicature p 137
It
required the shock of civil war to teach men that the High Court of
Parliament
bad become the Sovereign Legislature of the Kingdom… p 148
As the conflict between King and Parliament
grew closer, statements of Parliament's supremacy became more frequent,
but on
the very eve of Parliament's great practical demonstration of its
legislative
sovereignty, and in fact long after that,
men kept on citing the old precedents for judicial supremacy, and it is
often
clear that they themselves did not notice that the legislative power
they were
actually advocating was anything different from the old powers of the
High
Court of Parliament… p 197 We
all know that in France the
"Parliament" actually remained a "court ;" we are
aware that Massachusetts had her legislative "General Court" and that
in England itself, up to modem times, the Parliament was habitually
called a
court; but we have never taken this seriously. We have not accepted the
fact
that in the middle ages Parliament really was primarily a court, and
only
incidentally a "legislature". Cf. aussi
Pollard, 1920, CH2, The High Court of Parliament. [220] Pollard, op
cit, p 62: In the first
place we have been taught by Maitland and others that there is little
about
status in the English law of the thirteenth century, but a great deal
about
tenure. The most important body in the community consisted of the
military
tenants-in-chief of the crown ; but this tenurial distinction did not
correspond with any social or class division…p 63
The most striking feature, in fact, of English society in the early
middle ages is the confusion of classes ; but there
can be no system of estates where nothing is based upon
status ; for status is the Latin for estate; and Edward I was
the last
man to have thought of organizing a parliament upon a theory which had
no
foundation in law. Secondly,
neither Edward nor any one else in
the England of the thirteenth and fourteenth centuries seems to have
had any
clear conception of what was meant by an "estate"…p 64 That
there was something natural, if not also divine, in the separation of
mankind
into three classes seemed as clear to medieval philosophers as it did
to
nineteenth century railway companies. The idea was as old as Plato ;
parliament
itself in 1401 speaks of a trinity of estates ; and Wycliffe writes of
the
"state of priests, state of knights, and state of commons". This corresponds to a common
philosophical distinction… But it is a long step from this
analogy to the theory that parliament was organized upon the basis of
three
estates ; and in practice there was little in common between the
two. The
first estate was the church ; but in parliaments, after the reign of
Edward II at any rate, the church is represented only by the
bishops, some
abbots, and one or two priors ; and they are summoned, or rather,
are
liable to summons, not because they
represent the church, but because they hold land per baroniam, by
military
tenure-in-chief of the crown… p 66 Least
of all is the house of commons a third "estate". It is no mere
assembly of bourgeois like the old tiers état in France. Its most
important and
turbulent element in the middle ages consists of the knights of the
shire,
barones minores, milites, or chivalers, as they are called, who were
tenants-in-chief of the crown,who often called themselves "nobles"… [221] Philippe IV le bel met en demeure son clergé, ses nobles et son
"peuple" de s'associer à lui pour dénoncer la prétention du pape
Boniface VIII de travailler à la réformation
du royaume, à la correction du roi et au bon gouvernement de la France.
Le
roi procède de même en 1308 pour lancer l'offensive contre les
Templiers,
accusés de tous les crimes. On a coutume de dater de là les états
généraux,
quoique rien ne soit institué et que les grandes décisions (comme la
succession
des Capétiens après la mort du dernier fils de Philippe) restent dans
les mains
d'assemblées de grands (que des historiens trop pressés confondent avec
les
états). Convoqués à partir de la guerre de cent ans pour consentir à
des noveletés fiscales (subsides), ils serviront
ponctuellement de théâtre à des situations de crise (Paris 1357, Tours
1484,
Blois 1588...). [222] Dans un royaume de dimension continentale où
plusieurs provinces ont conservé leurs propres états,
les généraux sont
l'exception. L'habitude, ce sont des assemblées ad hoc:
états provinciaux, assemblées du clergé, assemblées
de grands, assemblées de notables. Fawtier, 1953, p
277: ...les causes de l'espacement
des États généraux, et, dans l'ensemble, de leur faible popularité,
sont
faciles à comprendre. La France, on ne saurait assez le redire, est, au
Moyen
Age, le plus grand Royaume de la Chrétienté. Elle est également le
Royaume le
plus peuplé. Les distances des frontières de ce royaume à la capitale
sont
grandes…Puisqu'il fallait tôt ou tard consentir, point n'était besoin
pour cela
de quitter ses affaires… p 278 Pour
toutes ces raisons on peut dire qu'il n'y a jamais eu en France de
véritables
États généraux. Il n'y a jamais eu que des assemblées de représentants
d'une
partie plus ou moins grande de la France p 279 On
parle beaucoup des États généraux de 1355-1358. Mais, même ces États
généraux de 1355-1358, étaient seulement des États généraux de
Languedoil...
les États de Languedoc se réunirent à Toulouse, indépendamment des
États
rassemblés à Paris, et [...] même, jusqu'à un certain point, ils
aidèrent à les
combattre…p 281 La véritable
décision en France n'appartient pas aux États généraux, elle appartient
aux
États provinciaux, aux assemblées locales... [223] Joly, 1653, p 288: les résolutions
prises dans les assemblées
des Estats des derniers temps, ne sont conçeuës qu'en forme de
demandes, qui
sont rédigées en cahiers, & présentées au Prince, pour estre
accordées par
luy, & pour estre par après authorisées par les Cours Souveraines,
afin
d’avoir force & vigueur de Loy, suiuant l'usage qui s'observe à
présent. [224] Pollard, 1920, p 34: the addition [au
King’s council] of earls, prelates, barons and popular
representatives, while it added to the taxing powers of the assembly,
added
nothing to the judicial and legislative authority wielded by the
council in
parliament... Parliament, therefore,
in its judicial and legislative aspect, seems to be at first simply a
talk or
parley of the council in full session. Soon, of course, it comes to be
used of
parleys between the king in council and other constitutional elements.
By the
Provisions of Oxford twelve elected barons are to meet the king's
council at
three parliaments a year. Simon de Montfort "afforces" the elected
barons with elected knights of the shire and burgesses ; and the
growing
financial needs of the crown promoted frequent recourse to those
representative
elements which alone could produce an adequate financial supply. But
this
financial business was not the original nor the most frequent cause of
parliaments... p 36 Primarily a
parliament /"King in Council in Parliament"/ is a high
court of justice. Fawtier, 1953,
p 279: le Parlement d'Angleterre est,
avant tout, une Haute Cour de Justice. C'est là que sont présentées les
pétitions des sujets ou des communautés du royaume ; c'est par ce moyen
qu'un
certain nombre d'affaires peuvent trouver plus rapidement leur
solution, c'est,
avant tout, un moyen d'accélérer le cours de la justice. C'est pourquoi
les
Anglais trouvent presque qu'il n'y a pas assez de parlements, et en
veulent au
moins un par an... ils n'auraient pas formulé de telles demandes si le
Parlement d'Angleterre n'avait été qu'une occasion de voter des
subsides…
D'autre part, l'Angleterre du Moyen Age est un tout petit royaume, dont
il est
possible de réunir, sans difficultés, les représentants…p 281 les comtés anglais étant, comme nous l'avons
dit, de véritables unités politiques, avec leur cour de comté qui n'est
pas,
sur certains points, sans présenter de fortes ressemblances avec le
Parlement
en tant que cour judiciaire, il sera possible de leur demander
d'envoyer des
délégués au Parlement du royaume…p 282 Le
Parlement se réunit, les pétitions sont reçues, mais elles ne sont
examinées et étudiées qu'une fois le subside voté. On peut agir ainsi
parce que
l'acceptation d'un subside par les délégués des comtés et des villes
engage ces
comtés et ces villes, au lieu qu'en France, l'assentiment des
représentants des
bonnes villes ou des bailliages n'engage personne tant que l'assemblée
du
bailliage ou les assemblées municipales ne l'ont pas ratifié… Dans ces
conditions, il était impossible aux États généraux de jouer
véritablement un
rôle politique dans le royaume. L'irrégularité de leurs convocations,
leur
dispersion dans les différentes parties du royaume, le nombre même de
leurs
délégués, ont empêché la création d'une tradition. Il n'y a point de
rôle des
assemblées françaises, il n'y a pas de clercs pour en dresser les
procès-verbaux. [225] Rapin, 1733, T7, L18, p 181: Si l’on
considère le Parlement comme un
Composé du Roi & des deux Chambres, on peut sans crainte lui
attribuer un
pouvoir sans bornes, par rapport aux affaires qui concernent le
Royaume. Mais
si on regarde le Parlement comme un composé seulement des deux Chambres
séparées du Roi, on ne peut point disconvenir que ses Droits ne soient
bornez. C’est proprement tout le Peuple, séparé
du Roi. Il a ses Libertez mais il ne lui appartient pas de les étendre
autant
qu’il veut: il faut nécessairement, que le consentement du Roi y
intervienne. Cela est encore plus vrai quand une des Chambres agit
seule, sans
la concurrence de l’autre: car alors elle ne représente qu’une
partie du
Peuple… p 182 Le terme de
Prérogative royale n’est gueres moins ambigu que celui de Parlement… Si
elle a
des bornes, qui est-ce qui les a marquées ? Où sont ces bornes,
au-delà
desquelles elle ne peut point aller ? Je suis persuadé qu’il n'est
pas
moins difficile de décider ces questions, que celles qui regardent les
Privileges du Parlement. Rapin conclut
sagement (p 183), comme Retz, que tout doit rester dans
l'implicite. Les rois qui ont voulu remuer ces sortes de
questions l'ont fait pour leur malheur: Puis
donc qu’il est si difficile
de décider les questions qui s’élèvent sur la Prérogative Royale, &
sur les
Privilèges des deux Chambres, ou de chacune en particulier ; la sagesse
&
la bonne politique demandent, que les Rois & les Parlemens évitent
comme un
écueil, de s’engager dans de semblables contestations (mon
soulignement). Aussi peut-on avoir
remarqué.. que les Rois les plus sages..comme Edouard I, Edouard III.,
Henri
V., Edouard IV., Henri VIII, Elisabeth, n'ont jamais eu des différens
de cette
nature avec leurs Parlemens. Au contraire, ceux qui se sont le moins
distinguez
par leur prudence & par leur capacité tels que Henri III., Edouard
II.,
Richard II., se sont perdus, pour avoir
voulu remuer ces sortes de questions. Jaques I. est le premier qui,
en ces
derniers tems, s'est rengagé dans cette querelle. Il a été imité par
son Fils
& par ses Petits-Fils ; & ces Princes, bien loin de réussir
dans leurs
projets, n'ont fait que se rendre très malheureux. [226] Mousnier, 1947, p 32/33: Dans les
cas graves, le Roi reconstitue la
Curia Regis: c'est lorsqu'il tient un lit de justice... Alors, au
Parlement toutes chambres assemblées, viennent les principaux vassaux
du Roi et
ses plus fidèles palatins: Princes du Sang, autres princes, ducs
et
pairs, officiers de la Couronne, Conseillers d'État, Maîtres des
Requêtes. Et,
après avoir pris leur avis à tous, le Chancelier proclame l'Édit
enregistré,
comme si la volonté royale ne pouvait s'imposer ou n'était parfaite
qu'avec
tout ce grand conseil. [227] Les parlementaires, soucieux de se dissocier
du Parliament régicide, soulignent la
différence entre les deux institutions et la supériorité de la
leur: ils
sont professionnels, non élus, ce qui les rend responsables alors que
l'élu, ne
courant que le risque de ne pas être reconduit, est organiquement
irresponsable. Du Teil,
1649: [A Westminster] Les gens de
Justice n’y ont point de voix & ne s’y trouvent que pour décider
les
difficultez touchant ce qui regarde la Loy & la Justice: en quoi
ces
Parlemens diffèrent extrement des nostres, où les gens de Justice font
le
principal corps. Il y a encore une autre différence qui est que les
Parlemens
d’Angleterre se font par élection & les nostres au contraire. D’où
vient
que nous devons être bien plus asseurez de la sincérité de nos Parlemens…[car]
s’il leur arrivait de mal verser, ils peuvent
être châtiez de tout le corps par la perte de leurs charges. Là où les
Parlemens d’Angleterre ne se formant que par élection… chacun s’en
retourne en
sa province; et s’il arrive que leur conduite ait été ruineuse au
public, à
peine en peut-on reconnoistre les autheurs & le pis qu’il leur
puisse
arriver est de n’être pas élus une seconde fois. Outre que la Noblesse
& le
Clergé y présidant en qualité de Juges & d’arbitres, il peut
arriver, par
les attachements qu’ils ont au Souverain, qu’ils trahissent la cause du
Peuple;
ce qui ne peut arriver en nos Parlemens où la Noblesse & le Clergé
peuvent
bien empescher qu’on ne fasse tort au Souverain mais non pas
contraindre le
Parlement d’en faire au Peuple. Joly, 1653, p
411: maintenant un Ministre n'ayant
pas la liberté entiere de disposer de tous les grands Offices, &
ses
affidez n’ayans pas tousiours les moyens d’y entrer, il ne peut pas
estre
Maistre absolu de tous les grands Officiers du Royaume: dont il y a plusieurs qui n'ayant obligation à
personne qu'à leur argent, se maintiennent dans l’exercice libre de
leurs
Charges & dans le devoir auquel leur conscience & leur
honneur les
oblige. [228] Giesey, 1961, p 4, colonne de droite: Pepin
relied upon clerical consecration as a
substitute sanction for the kin-right he had violated, and within a
century
this clerical blessing had become the sine qua non of kingly power.
Hincmar of
Rheims it was, probably, who then linked the Carolingian consecration
with
Clovis' baptism (which was taken to he an aspect of his coronation) and
thus
constructed the myth according to which the Merovingians had also
derived
legitimacy from consecration. This fine bit of historical revisionism
put the
church in the central position as the ordainer of kings… ; p
5,
colonne de gauche, Sacral kingship
embodies no idea of continuity of a race or family of rulers… ;
p 5d Whatever precautions the
early Capetians took to guarantee that royal succession stayed within
their
family, they did not try to create a dynastic mystique. The cult that
grew up
concerning royalty in France in the High Middle Ages did not focus upon
the
ruling family, but upon the abstract notion of the crown, the royal
dignity,
and other impersonal abstractions of the realm. As long as consecration
remained the central event in succession, the crown and office were
exalted
more than the family… [229] Miramon, 2008, p 160/1: les historiens de la
noblesse et de la royauté féodale, surtout ceux
critiques des thèses de Bloch, ont été envoûtés par la mystique du
sang… La
vérité, semble-t-il pressentie par Marc Bloch, c’est que l’utilisation
de la
terminologie du sang héréditaire réapparaît dans le premier quart du
XIVe
siècle. Les pages qui suivent s’attacheront à le montrer en enquêtant
sur
l’apparition du sang noble et du sang royal. [230] Quoique Giesey, entraîné par la logique de
sa reconstruction juridique, voie dans la mystique du sang une sorte de
retour
au primitisme mérovingien: p 40d This
is not the place to go into the mystique de sang which became a major
prop of
Bourbon absolutism…p 41d it
tended to vitiate the spirit of the juristic formulae. For, rather than
the
royal succession seeming to be a fulfillment of a customary law upon
which the
whole body of the realm had agreed centuries before -a notion which all
Frenchmen could uphold honorably- the concept of the Princes of the
Blood
insinuated a kind of dynastic mystique...p 42d …the
progressive exaltation of the Princes of the Blood...- instead of
merely enjoying the chance that the law some day would call them to a
great
duty-was a kind of self-centeredness that led the Capetian dynasty away
from
the vital juristic basis of the fundamental law. [231] La double nature du Christ, affirmée depuis
les premiers conciles du Ve siècle, troouve une application politique
au
concile de Latran IV (1215) qui proclame la transsubstanciation.
Rigaudière,
1997, p 93: Cette dualité corpus
verum/corpus mysticum pénètre lentement
la pensée politique qui voit en elle un schéma applicable à la société
politique. Le corpus verum Christi
trouve sa réplique dans le corpus naturale regis -
corps physique, mortel et privé du roi – tandis que le corpus
mysticum figure le corps immortel et
public du roi à travers l’État qu’il représente et la dignitas qu’il anime… [232] Maitland, 1901, p 35 à propos des Plowden’s
reports dont Kantorowicz fera si grand usage: we may
find much curious argumentation about the king’s two ‘bodies’,
and I do not knowwhere to look in the whole series of our lawbooks for
so
marvellous a display of metaphysical – or we might say
metaphysiological – nonsense…(mon
soulignement) ; p 37 the
theory of the two kings or two persons
stubbornly refuses to do any real work in the cause of jurisprudence.
We might
have thought that it would at least have led to a separation of the
land that
the king held as king from the land that he held as man, and to a legal
severance of the money that was in the Exchequer from the money that
was in the
king’s pocket. It did nothing of the sort. All had to be done by
statute, and
very slowly and clumsily it was done… [233] Rigaudière, 1997, p 89: ... juristes et
praticiens s’efforcèrent
toujours davantage de distinguer rex et
corona que de les séparer. L’un ne
pouvait rien sans l’autre. La couronne, dépositaire de biens, ne
pouvait les
gérer seule sans le secours du prince, pas plus qu’elle ne pouvait
exercer,
sans son intermédiaire, les droits dont elle était titulaire… Ainsi
s’opéra en
même temps, autour de la couronne, un double phénomène de
dépatrimonialisation
et de "publicisation" dont elle se trouva être la première
bénéficiaire... p 92 Semblable
raisonnement transforme, dès le règne de Philippe le Bel, l’ancien
impôt féodal
en impôt royal d’abord, avant d’en faire un impôt levé au profit
exclusif de la
couronne.. C’est en se réfugiant derrière la tuitio rei publicae, la communis utilitas et l’imminens
necessitas propter
guerram, la defensio regni et surtout la defensio
regni et coronae que légistes et souverains du XIVe siècle
réussissent à légitimer l’impôt en lui trouvant un nouveau
bénéficiaire:
le royaume tout entier, l’État et, mieux encore, la couronne. C’était,
une
nouvelle fois, transférer du roi vers la couronne un ensemble de
prérogatives… Du
XIIIe siècle au XVe siècle, la corona regni dans
laquelle théoriciens, gouvernants et praticiens s’accordent à
voir avant tout une entité et un symbole, s’impose véritablement comme
une
force attractive et structurante. [234] Cazelles, 1982, p 512: l’inaliénabilité
du domaine de la couronne
est jurée par le roi de France au moment du sacre de Reims. On admet,
en
général, que la clause a été introduite dans le serment du sacre sous
Charles
V. Elle est en réalité antérieure et Jean le Bon semble avoir déjà juré
de ne
pas aliéner le domaine…513 Une telle
volonté est bien dans la ligne de la politique conçue et suivie à
partir de
1360. L'inaliénabilité et l'intangibilité de ce qui constitue le
domaine de la
couronne deviennent un des principes fondamentaux du régime nouveau.
Elles
étaient déjà latentes dans les décennies antérieures et la révocation
des dons
faits par les rois est une pratique des derniers Capétiens et des
premiers
Valois. Rigaudière,
1997, p 88: Ce 'droit de la couronne
du royaume' contribue à fonder une entité véritablement autonome et de
plus en
plus distincte, tout à la fois, du rex et du regnum. Cette
autonomie..ne cesse
de se renforcer sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Bel et
de ses
fils... p 90 Le statut du
domaine offre sûrement la plus saisissante de ces évolutions vers
l’élaboration
progressive d’un corps de normes de droit public qui, à travers la
coutume et
la pratique, place cet ensemble de droits et de biens en dehors d’une
gestion
privée qui serait abandonnée à la seule initiative du roi… Cette union,
particulièrement forte, entre les divers composantes du domaine et la corona a largement contribué à conditionner leur
statut que théoriciens, praticiens, juges et administrateurs royaux
s’efforcent
de définir tout au long des XIVe et XVe siècles. Ils parviennent, non
sans
difficulté, à travers leurs écrits et leur comportement à faire
lentement
triompher trois grands principes qui font du domaine de la couronne un
ensemble
de biens inaliénables, indisponibles et imprescriptibles. Législation
et
jurisprudence ne les consacrent qu’avec retard et timidité, tant les
souverains
successifs, de Philippe V à Charles VII ont, en dépit de leur volonté
affichée
de préserver les biens de la couronne, procédé à des aliénations
nouvelles ou
révoqué de manière souvent inefficace des aliénations antérieures. [235]
Giesey, p 12d: he who
succeeds to the realm of France
cannot be called the heir of him to whom he succeeds, nor his
patrimonial
successor; he is successor only by simple succession…; p 15d «
The father and the son, granted that they
may be differentiated, nevertheless have been supposed as one and the
same
species and nature… » ; 17g After
the editio princeps of TerreRouge's treatise itself in 1526, however,
its ideas
were common coinage. Especially widespread became the fundamental
distinction
between hereditary succession and simple succession… Le contexte importe plus que le texte: l'accession du duc de Bourgogne, Jean sans peur, au gouvernement puis le transfert de la couronne à Henri VI d'Angleterre (Traité de Troyes, 1420). Si Terrevermeille a peut-être servi la propagande du dauphin, ce sont les victoires militaires et politiques de ce dernier qui ont réglé la question. En quelque sorte, c'est le droit divin: en donnant la victoire à Charles contre Edouard, Dieu a annulé l'exhérédation qu'une victoire anglaise, au contraire, aurait confirmée ! Ne confondons pas un conflit de terrain et un débat académique ! On trouve des arguments pour tout. Les gisements hétéroclites des antiques, du droit romain, du droit canon, des pères de l'Eglise, de la Bible, des coutumes, constituent une réserve inépuisable d'autorités et de matériaux pour l'habileté rhétorique des théoriciens et plaideurs. Il serait hasardeux de rechercher ce qui fait consensus, plus hasardeux encore de reconstituer des filiations et totalement outrecuidant de formuler une théorie. Si l'on ignore presque tout des pensées des 99% de la population, la très mince "technostructure" a en commun matériaux et technique dialectique. Les conclusions sont affaires de circonstances: même si la guerre passe aussi par des plaidoiries, à la fin, le champ de bataille juge [236] De même, le pape est administrateur de
l'Eglise, arguèrent les maitres de la Sorbonne, dès le désaccord sur
l'exemption des prêcheurs. Cf.
Congar, 1960, p 148: A
l'intérieur de cette Ecclesia, évêques et pape ne sont que des
ministres. Ils
n'ont pas une autorité discrétionnaire ni créatrice de droits, mais une
autorité de service, chacun à son plan, subordonnée aux règles
générales que
l'Eglise s'est données dans ses conciles… Bref, le pape est le ministre
suprême
dans un cadre constitué qui comporte, à titre essentiel, le pouvoir
ordinaire
des évêques. Il a un pouvoir suprême d'ordre exécutif, non d'ordre
constitutif… [237] Citons, par exemple, le Premier Président de Selve qui, en décembre 1527, argumente pour annuler le Traité de Madrid que François Ier affecte de soumettre au jugement de la cour. Le Parlement, pas plus que le roi, ne veut abandonner le duché de Bourgogne à l'empereur. De Selve nie que la question puisse même se poser car le Roi est tenu d'entretenir les droits de la Couronne, laquelle est à lui & à son peuple & à ses sujets commune ; A lui comme le chef, & aux peuple & sujets comme aux membres: Et est un mariage fait entre ledit Seigneur & ses dits sujets ; le droit de ce mariage que ledit Seigneur est tenu garder, est d'entretenir & conserver les droits de sa Couronne. [238]
Ce Parlement séant à Paris se compose de
magistrats qui,
par adhésion à la Ligue, par tactique, par peur ou par prudence, sont
restés
quand les autres, en exécution des ordres royaux, partaient à Tours. Il
a
souffert des "Seize" qui firent exécuter le Premier Président Brisson
et deux autres conseillers en 1591. Le retour de Mayenne l'a quelque
peu
revivifié. En 1593, quelques têtes (du Vair, Marillac, Le Maistre...)
veulent
sortir de l'impasse et bousculent les autres. Ce Parlement factieux
vire de
bord et fait preuve d'une audace effrayée. L'arrêt Lemaistre le lave de
ses
compromissions. Henri IV l'en récompensera et répondra aux
protestations des
loyalistes: pendant que le parlement de Tours faisait
ses
affaires, le Parlement de Paris faisait les miennes. Quoique
l'arrêt ne
dénoue pas d'un coup l'embrouillamini, le rappel des lois
fondamentales
trace une limite et exerce un effet catalytique. [239] Le texte est dans: du Jour (ed), 1611, Les Remonstrances de Messire Jacques de la Guesle, Paris, ch. Chevalier. De la Guesle a, parmi les premiers, rejoint Henri III à Tours et "remonté" le Parlement. Dès la mort du Roi, il se rallie à Henri de Bourbon qu'il espère voir devenir catholique. En l'occurence, le 29 juillet 1591, le procureur plaide pour le rejet des lettres patentes du 13 Avril 1590 (qui ont déjà l'objet de nombreuses pressions et lettres de jussion) par lesquelles Bourbon cherche à maintenir son patrimoine propre séparé du domaine royal afin de pouvoir plus facilement l'aliéner pour payer la guerre (cf. de Waele, Michel, 1995, Une question de confiance? Le parlement de Paris et Henri IV, 1589-1599, PhD, McGill University, CH 10). [240] Tierney, 1995, p 69 The most obvious
significance of the
medieval church-state struggle for the history of freedom is that it
prevented
rulers in either sphere from becoming absolute theocratic sovereigns... In the
circumstances that actually existed, it was impossible for any ruler to
consolidate a position of absolute power; and since, in the conflicts
between
church and state, each side always sought to limit the power of the
other, the
situation encouraged theories of resistance to tyranny and of
constitutional
limitations on government... 85 These
are significant observations, for the medieval church certainly did
play a
major role in the development of Western representative institutions.
This came
about mainly in two ways. In the first place, the church limited the
power of
kings so that they could not reign as absolute theocratic monarchs;
they needed
the consent of their people in order to rule effectively. Then the
church
developed its own practice of holding representative councils… [241] Tellenbach, 1936, p124: the Investiture
Contest was settled by
compromise in England, France and Germany... The Church had been
compelled to
abandon many of its demands and had been unable entirely to set aside
the
rights of the laity. No other course had been left to it than to give
up the
theory of the spirit character of clerical property and its
inseparability from
the spirit office... 125 As a result
it might seem as if the reformed papacy had been defeated./.but such a
conclusion would be false. The main intention had been to deprive the
laity of
their spiritual functions. The lay princes
were driven out of the ecclesiastical sphere, and
from now on
their power was purely secular...135
lay investiture was most successfully defended when its defenders fell
back on
the argument that it was a purely secular act.Tellenbach,
p166: It is further probable, as has often been
pointed out recently, that the papacy's attacks on the Divine Right of
Kinggs
led directly to later attempts to set the state on new, and this time,
secular
foundations [cf. Brackmann, in Barraclough, 1938, vol 2]. Conclusions such as this, the truth of which
is difficult to demonstrate, must however be handled with great
caution... [242] Berman, 1983. Ce premier volume a été suivi
(II) de la révolution "germanique" (Luther) et anglaise (Calvin) et
aurait dû l'être (III) de la révolution française et russe. Le tout
pour
démontrer que les systèmes de droit évoluent en continu par des
ruptures du
paradigme religieux. p 287 La
révolution papale donna naissance -
nouveautés dans l'histoire - à un état ecclésiastique séparé et
autonome,
l'Eglise catholique romaine, avec un corps de droit ecclésiastique
séparé et
autonome, le droit canon. Par cette création même elle créait, autres
nouveautés
historiques, des entités politiques sans fonctions ecclésiastiques et
pourvues
d'un ordre légal non ecclésiastique... p 546 Finalement, un nouveau type de droit royal
prit forme:
dans le sillage
de la révolution papale. L'autorité spirituelle du roi sur l'Eglise
ayant été
abrogée, il gouvernait désormais en chef séculier, dont la tâche
principale
était de maintenir la paix et de faire régner la justice dans son
royaume La
révolution papale, en privant empereurs et rois de leur caractère
sacral d'ultimes
dirigeants de l'Eglise, les avait réduits au statut de monarques
temporels.
Mais simultanément, elle avait agrandi le pouvoir des rois en appuyant
le
nouveau concept territorial de la royauté qui contribua à les
transformer de
chefs de clans et suzerains féodaux, en dirigeants suprêmes d'une aire
géographique déterminée. [243] Cf. le forum du trentenaire in 2013, Rechtsgeschichte
21 (RG21), Journal of the Max Planck Institute for
European Legal History. Le style
prophétique et la personnalité de l'auteur (catholique proclamé et
spécialiste
du "droit soviétique") laissent perplexe: Law has to
be believed in or it will not work (Berman, H.J., 2003,
"The Interaction of Law and Religion", translated by Liang Zhiping,
China University of Political Science and Law Press, Beijing cit. in
Wang Jing,
2013, "Law and Revolution in China", RG21). [244] Dig. 1.1.1: Cuius
merito quis nos sacerdotes appellet: iustitiam namque colimus et boni
et æqui
notitiam profitemur, æquum ab iniquo separantes, licitum ab illicito
discernentes,
bonos non solum metu pœnarum, verum etiam præmiorum quoque exhortatione
efficere cupientes, veram nisi fallor philosophiam, non simulatam
affectantes
(On peut proprement nous appeler prêtres du droit car nous cultivons la
justice
et faisons profession de connaître ce qui est bon et équitable,
séparant le
vrai du faux et ce qui est licite de l’illégal ; désirant rendre
les
hommes bons par la crainte de la punition mais aussi par l’espoir de la
récompense, visant –à moins que je ne me trompe– une vraie et non
une feinte philosophie). On pourrait
citer à l'appui de Berman, Kantorowicz, 1961: Le proemium
des Institutes de Justinien s'ouvre par une remarque
philosophique de portée générale: «La majesté impériale doit non
seulement
être ornée d'armes, mais elle doit également être armée de lois [armis
decorata-legibus armata], pour être à
même de gouverner justement en tout temps, en paix comme en guerre»…le
roi-auteur des lois commençait à éclipser le roi-protecteur des lois
des
siècles précédents, et le rex legislator
supplante le rex Justus, dont la
coloration était plus religieuse. L'image créée par Justinien et
Tribonien
relègue dans l'ombre celle de Melchisédech, dont le nom était traduit
par
rex Justitiar... le statut de roi et
prêtre est également revendiqué par Roger II [1140,
Assises de Sicile], mais il récupérait le
caractère quasi sacerdotal non par
l'intermédiaire de
l'Église (car cela était devenu impossible après l'époque grégorienne),
mais à
travers les hautes prétentions de la philosophie du droit romain —
celle
qui est issue du prologue du Digeste, dans lequel les juristes sont
comparés à
des prêtres… La métaphore du caractère quasi sacerdotal des docteurs en
droit,
et par conséquent aussi du roi qui est le judex judicum
en son royaume, a fait l'objet de fréquents débats et de fréquentes
interprétations de la part des glossateurs... Baldus défendait
toujours, au
XIVe siècle, la doctrine selon laquelle legum professores dicuntur
sacerdotes car, dit-il, il y a un
sacerdotium spirituale aussi bien qu'un sacerdotium
temporale... [245] Kantorowicz, 1961, p 9: ...le roi était
censé juger normalement par
l'intermédiaire de ses juges qui étaient des juristes professionnels,
et dont
on attendait qu'ils aient, en place du roi, toutes les lois afférentes
au cas
en question présentes à l'esprit, in scrinio pectoris…
A partir de la fin du XIIIe siècle, les juristes trouvèrent également
une raison à une telle coutume. Originaire d'Italie du Sud, André
d'Isernie,
qui écrivait aux alentours de 1300, n'était sans doute pas le premier à
affirmer sans détour que le roi devait se reposer sur les juristes
parce que
raro princeps iurista invenitur, «il se
trouve rarement un prince qui soit un juriste»..p 11 /de même
Fortescue, De laudibus, éd. Chrimes, chap. VIII, 22 sq., qui / ajoutait que l'expérience juridique
nécessaire aux juges pouvait à peine être atteinte en vingt ans d'études.
L'auteur rappelle à la suite la fameuse réplique de Coke au roi
Jacques I: que les affaires qui concernent la
vie,
l'héritage, les biens ou les fortunes de ses sujets ne se décident pas
par la
raison naturelle, mais par une raison artificielle et par le jugement
de la
loi, qui requièrent une longue étude et expérience avant que l'on
puisse
parvenir à leur connaissance (Coke, Twelth Part of the Reports,
63-65). [246] Même en prenant Grégoire pour un marqueur
plutôt que l'effecteur messianique que systématise Berman, la simple
histoire
de son règne laisse
dubitatif: il s'est beaucoup exprimé (lettres etc.), ce qui lui
donne
dans l'historiographie une place que ne méritent pas ses actions
brouillonnes.
Si on enlève la connexion lorraine (comtesse Matilde) que reste-t-il de
lui ? La réforme de l'Eglise a commencé avant lui et il en a
perturbé la
marche plutôt qu'il ne l'a poussée en avant. Cf. Ullmann
1953, The growth of papal government,
Chap. IX, Gregory VII: If indeed
"reform" was what distinguished the Hildebrandine Papacy, one may be
forgiven for asking why this epitheton ornans is not bestowed upon the
emperors
immediately preceding this period. For, as we hoped to show, the Saxon
and
quite especially the early Salian emperors were indeed imbued with the
spirit
of reform and were successful to a not negligible extent. Barraclough,
1968, Medieval Papacy, p89 ... thus
Gregory died a failure, without having
achieved any of his objects ... few of his statements found a permanent
place
in the law of the church... he stands a lonely figure and the course of
development passes him by... p90 not
Gregory but in the 11th century Leo IX and Urban II, and in the 13th,
Eugenius
III and Alexander III...are the popes who laid the foundations of the
papal
monarchy and by comparison with them Gregory's stormy pontificate
appears
almost as a distraction, if not a deviation... Gregory led the church
into a blind
alley. The attempt to bring the state into subordination to the church,
with
its inevitable corollary, the immersion of the papacy in politics,
brought
about a strong reaction in which the most influential reformers of the
next
generation played a leading part [Bernard etc]..the
consequences of Gregory's intemperate policies had to be liquidated
and this was the task of his successors down to Calixtus II (1119/24).
Only
could the papacy proceed with the work of establishing its primacy
within the
church, which Leo IX hab begun. Logan, 2013,
Chap. 7: the
pontificate of Gregory VII was a failure, perhaps even a monumental
failure. He disturbed the forward progress of reform by picking
unnecessary
fights with secular rulers. [247] Tierney ne partage pas l'idée de révolution
papale de Berman. A partir d'une analyse beaucoup
plus
fouillée des textes, il met en évidence la continuité et la diversité
de la
pensée politique, de l'early medieval
au post medieval: il n'y a pas
un corpus constitué mais des thèses contradictoires qu'on emprunte,
transforme
et développe quand nécessaire. En sens
inverse, Leyser en fait la "première révolution européenne" (Leyser,
1991: On the Eve of the First
European Revolution) en postulant un mouvement de masse résultant
d'un
ébranlement moral (doutes et aspirations religieuses, sensibilité aux
hérésies)
que traduiraient les "assemblées de paix" et la "révolte
saxonne". Cf. Leyser, 1994. Chap. 1, p 13: The
upsurge and mobilisation of the masses in the battle for the libertas
ecclesiae and what Gregory VII called justitia also changed their relations with the
nobility which had hitherto ruled alone and unchallenged.:
p 14 the great Saxon rising of 1073 fused and
merged with the cause of the fideles sancti Petri,
Gregory VII's following in the Reich. L'implication des
"liberi" et des paysans des deux côtés expliquerait à la fois la
durée et l'intensité de la guerre. Ainsi, p 19: On
the one hand the dynamic was a new intolerance towards a state of
affairs which, even if not rightful, had so far passed muster… Joined
to this
on the other hand was the emergence of the masses, their participation
in the
peace movement, the cult of the saints and the dark quest for a more
articulate, do-it-yourself lay religion. Without these congeries of men
and
women in which all social orders acted together, the struggle against
simony,
clerical marriage and in the end that for power itself would have been
inconceivable. [248] Sans évoquer ici Gélase et Grégoire le
Grand, donnons un exemple: depuis longtemps, on prend les
impressionnantes pénitences de Louis le Pieux pour une victoire de
l'Eglise,
une manifestation de la tendance hiérocratique des évêques et du pape.
De Jong
(2003, 2009), quittant la logomachie pour l'anthropologie nie que
la
distinction "Etat"-"Eglise" ait alors un sens: il
faut les penser fusionnés. Sur la base des témoignages disponibles,
elle montre
que le fils de Charlemagne s'offre lui-même en sacrifice pour apaiser
Dieu et
éloigner les calamités qui affectent son royaume (penitential
state). [249] deJong, 1994: This
change of
perspective is not only the result of an increased sense of the
otherness of
the doctrine of Virgin Birth. It also requires the conviction that
Aboriginal
people and catholics are equally rational... There are obvious dangers
in
singling out the distant past as being more suitable to anthropological
investigation. If one goes overboard in stressing alterity, this may
lead to
archaising interpretations, exoticism, revived evolutionism, and
ultimately, to
a self-defeating epistemological stance... Anthropologists have sailed
between
this Scylla and Charybdis in their own fashion. Just as medievalists
have had
to think of medieval people as being perhaps less 'medieval',
anthropologists
have had a hard time ridding themselves of the infamous notion of
primitivity.
Ignorance has long been the hallmark of both 'medievals' and
'primitives' alike. [250] Gingras, 2016: Un élève de Henry Adams,
Henry Cabot Lodge, est le premier à obtenir à
Harvard un PhD en histoire, avec une thèse d’histoire médiévale
significativement intitulée "The
Germanic Origins of Anglo-Saxon Land and Law", avant d’être élu
à
la Chambre des représentants (1887-1893) puis au Sénat (1893-1924) où
il
défendra avec vigueur le rôle de libérateur des États-Unis, notamment à
Cuba et
aux Philippines, dans la Guerre de 1898. Deux ans après la signature du
traité
de Paris, qui cédait les Philippines, Porto Rico et Guam aux
États-Unis, Henry
Cabot Lodge défendait le rôle providentiel de l’intervention américaine
auprès
de ces populations en faisant intervenir son savoir de médiéviste. Dans
un
discours au Sénat prononcé le 7 mars 1900, il affirme: "In the village communities of China, you can
find forms of local self-government which are as successful as they are
ancient. The Malays of Java and of the Philippines as well display the
same
capacity... But this local self-government never went beyond the town
or the
village; it never grew and spread, as was the case with the Teutonic
tribes and
their descendants".L’ancienneté
des pratiques du self-government est un gage de réussite et, à ce
titre, les
États-Unis et, plus généralement, les descendants anglo-saxons des
vieilles
tribus teutonnes sont les meilleurs garants de l’implantation des
libertés
partout dans le monde... La thèse «
teutonne » est contestée à partir
des années 1890, notamment par Frederick Jackson Turner...[qui] défend
l’idée
que la réussite du modèle américain est directement liée à son rapport
à
l’espace et, précisément, à la conquête de l’Ouest. Charles Homer
Haskins, qui
enseigne alors à l’université Johns Hopkins de Baltimore, abordera
l’étude du
Moyen Âge dans cette perspective... il s’intéresse au processus de
centralisation à l’œuvre au cours d’un long XIIe siècle, période qu’il
est l’un
des premiers à qualifier de Renaissance, notamment à travers les
institutions
normandes représentant à ses yeux le parfait exemple de rationalisation
administrative, juridique et politique d’un espace multiethnique (celui
qu’occupent
les Normands en Europe et qui passe par le Nord de la France, les îles
britanniques et avance même jusqu’en Sicile). Pour Charles Haskins,
dans un
monde aux frontières mouvantes, l’administration centrale joue un rôle
régulateur et civilisateur, notamment en exerçant le monopole de la
violence à
travers le droit et la constitution... Avec Haskins, la médiévistique
est, encore une fois, très proche de la politique puisque le
professeur... sera
l’un des trois principaux conseillers du président Woodrow Wilson à la
conférence de paix de Paris... [251] One
function of the Teutonic germ theory had been to enable Americans
conceptually
to by-pass feudal institutions, so hated by revolutionary founders such
as John
Adams. Sur l'impact du
nazisme, cf. note 36: Mcllwain
provides the most interesting example…In "Medieval Institutions in the
Modern World," Speculum, 16
(1941): 275-83, Mcllwain allowed present events in Germany to reorient
completely his notion of the place of Roman law in Western
constitutionalism,
..now Mcllwain confessed that "for myself it has been the tribal
excesses of present-day Germany which, as much as anything else, have
led me to
question the group theory of von Gierke's Genossenschaftsrecht either
as an
explanation of medieval life or as a principle of practical politics" (pp. 279-80). Moreover, Mcllwain opined,
the Nazi
repudiation of Roman law suggested that medievalists had greatly
overemphasized
the despotic character of that great legal corpus and had, conversely,
greatly
under-rated the "importance of Roman constitutionalism in the
early
development of our own" (p.
278). [252] L'Etat-nation apparaissant la norme et les
historiens nationaux ou nationalistes du XIXe travaillant à scénariser
le
processus historique de constitution de leur Etat, les historiens
germaniques
se sont heurtés à "l'échec" de l'Etat en Allemagne et l'ont attribué,
factuellement aux manœuvres françaises, théoriquement au "malheur" (unglück) de la réception du droit romain.
Cf. Kern, 1914 ; Tellenbach, 1936 ; Barraclough, 1938 ;
Barraclough,
1946. Maitland
(Introduction à sa traduction de 1900 de Gierke, Political
theories of the Middle Age, p 17 de la trad.
française): [En Allemagne] en
regardant en arrière, on commença à considérer la Réception comme une
honte et
un désastre, et à voir en elle la cause déterminante de l'émiettement
de la
nation… p36: Pour la Genossenschaftstheorie de l'Allemagne moderne la tâche qui restait
à faire était donc de recouvrer, de rendre à la vie 'l'idée organique'
et de
lui donner une forme scientifique… [253] Guénée Bernard, 1964, p 333/4: l'influence
de l' Essai sur l'histoire
de la formation et des progrès du Tiers Etat,
le prestige de Michelet, le succès durable du Dictionnaire d' A.
Chéruel, qui
est à la fois l'élève de Michelet et le lecteur convaincu de Thierry,
imposent
pour longtemps à tous comme une évidence le schéma de Thierry à peine
modifié
par les idées de Michelet: la royauté, alliée à la bourgeoisie, venant
à bout
de l'Église et de la féodalité, cette image est sans doute ce que
Louis-Philippe a légué de plus durable à la France. La réforme érudite,
qui
commence à s'imposer sous le Second Empire, a beau forger aux
historiens
français un nouvel esprit..les oeuvres les plus modernes et les plus
estimables
sont toujours offertes au public dans un vieux cadre louis-philippard. [254] Freedman, 1998, op. cit.: As
a result of
this development, the idea of history has been transformed from
narration to
representation, based on the conviction that the investigation of the
past
occurs only through the mediatory and mediating texts it bequeaths,
and,
therefore, what is 'recovered' is not so much the truth of the past as
the
images of itself that the past produces... Together, these two
movements are
creating a 'new medievalism' (in the title of a recent collection of
essays),
one that is, in Eugene Vance's words, 'a science not of things and
deeds
but of discourses; an art not of facts but of encodings of facts' [Eugene Vance, "Semiotics and Power:
Relics, Icons and the Voyage de Charlemagne at Jerusalem" in The
New
Medievalism, Marina S. Brownlee, Kevin
Brownlee, and Stephen G. Nichols, eds., Baltimore, Md., 1991, p 227]. [255] Metahistory
is a fascinating subject in its own
right, considered as a branch of epistemology or linguistics, but it
has little
to do with the activity of a simple working historian (Tierney
Brian, 1982,
preface, p vii), en écho de cette phrase de Pocock: Any
text may be an actor in an indefinite series of linguistic
processes (Pocock, John G.A., 1987, "The concept of a language and
the
'métier d’historien': some considerations on practice", in Pagden
Anthony (ed), The languages of political
theory in early-modern Europe, Cambridge UP, pp19-38, p. 31). [256] Sauf quelques vues pragmatiques. Cf. Le Bras
à propos de Maitland: La ligne de
bataille passe souvent au moyen âge entre un pape et un roi associés
pour une
levée de décimes ou une limitation des empiétements des officialités
et,
d'autre part, des évêques, des clercs récalcitrants, que soutiennent de
leurs
vœux des fermiers sur qui retombera l'impôt ou des bouchers qui
portent la
tonsure... l'Église et l'État ne sont
point deux personnes que l'on rencontre sur les chemins… (Le
Bras,
1930, p 395/396). [257] Tierney 1982, p 10/11: Frequent
interchanges of personnel occurred
between the two spheres of government; a medieval king's 'clerks' were
also
'clerics', often holders of ecclesiastical benefices [Becket!]...p 11
trained canonists staffed the chanceries of
kings as well as the bureaucracy of the church… In discussing the
'configuration' of medieval society there is one more complexity to be
considered… A typical medieval guild displayed a fusion of secular and
religious functions that would be hard to parallel in any modern
institution...
p 25 similarities arose because the
various parties involved - royal administrators, curial bureaucrats,
organizers
of new orders - were all drawing on a common pool of legal doctrines [roman,
canonic] that they found both persuasive
and useful... p 30 Around 1200
any competent Roman or canon lawyer could discriminate between ruling
and
owning, between jurisdiction and holy orders, between making law and
finding
law, between legislating and judging, between allegiance to a person
and
allegiance to an office. Davis, in
Barralis, 2014: the rewarding by
the crown of diplomats and administrators with ecclesiastical benefices
not
only represented an astute use of ecclesiastical patronage but also
frequently
blurred the line between the categorisation of men as clerical or lay. Lemaître,
"Epilogue", in Barralis, 2014: Il a fallu l’océan
des commentaires juridiques défendant les droits
personnels des clercs pour qu’une frontière entre clercs et laïcs soit
peu à
peu dressée puis reconstruite en permanence tant elle n’était pas
évidente. Les
hommes d’Église et les hommes d’État reçoivent en effet la même
formation et
sont issus des mêmes milieux de notables, y compris encore dans les
collèges de
Jésuites du XVIIe siècle... Les
clercs partagent avec les laïcs une même culture juridique puis
théologique,
jusqu’à la fin du XVIIe siècle... On
comprend dès lors qu’il n’y a pas d’opposition le plus souvent entre
les deux
services du roi et de Dieu, pas plus qu’entre service de soi et service
du
groupe. Le roi se fait acteur de la réforme des institutions comme de
l’Église. [258] Une question encore plus vertigineuse ne
semble pas avoir été posée: si Dieu voulait et faisait
l'injustice,
cesserait-il d'être Dieu comme le pape cesse d'être pape s'il devient
hérétique
(canon si papa) ? La réponse
serait vraisemblablement du même type: puisque Dieu exclut
l'Injustice,
l'acte injuste n'a que l'apparence divine et constitue une
mystification du
Diable. De même, le roi qui agit contre le bien public n'en est plus
un:
il devient un tyran. Le verdict des
hommes est une déclaration, une constatation, pas un jugement. De même
que celui qui ne croit pas est déjà jugé (Marc
16.16), de même l'anti-dieu, l'anti-pape ou l'anti-roi ! Concernant le
pape, cette faille dans sa divinité (Arquillère, 1911, p 43
le point vulnérable de la papauté du moyen âge: le cas d'hérésie)
sera exploitée par tous ceux qui en auront besoin: Nogaret, le
concile de
Constance etc. Cf. ca 1150,
Décret de Gratien, pars prima, dist. XL, c. 6, Si papa (ex Gestis
Bonifacii
martyris): Hujus (papae) culpas
istic redarguere praesumit mortalium nullus, quia cunctos ipse
judicaturus a
nemine est judicandus, nisi reprehendatur a fide devius (Personne
ne
saurait avoir la présomption de reprendre les fautes du pape, juge
universel
qui échappe au jugement des hommes, excepté s'il tombe dans l'hérésie). Mgr Arquillère,
1911b, p 581: /si papa/ apparaît
dans les collections canoniques
antérieures les plus favorables aux prérogatives pontificales. Au XIe
siècle,
au temps de la papauté grégorienne, elle a pris place dans la
compilation du
cardinal Deusdedit. Au XIIe siècle, un canoniste français, Yves de
Chartres,
l'a insérée dans trois recueils qui ont joui d'une grande
autorité…Cette
doctrine qui reçut une application solennelle au moment de la
condamnation du
pape Honorius (7 novembre 689) parait très ancienne. Le pape Damase
semble s'y
être soumis au synode de Rome (378). Le pape Symmaque, en 501, a
consenti à
comparaître devant le concile de Rome convoqué par Théodoric. Léon III
s'est
disculpé des accusations portées contre lui, dans un synode réuni à
Rome en
l'an 800…Opinion que partage Mgr Martin, 1937, p 124: qu'il
reflète une tradition déjà solide au
VIIIe siècle, cela ne fait aucun doute… Tierney 1953,
p 381: Huguccio used the canonistic
doctrine that a heretical Pope was liable
to despotism as an argument to prove that a tyrannical king might in
certain
circumstances be deposed by his barons…p 382 No
doubt it was the most widely accepted and the most orthodox theory [259] Les ouvrages de référence sur la question
sont: Oakley Francis, 1984, Omnipotence,
Covenant, and Order: An Excursion in the History of Ideas from Abelard
to
Leibniz ; Ithaca and London ; Courtenay
William J, 1990, Capacity and volition: A
history of the distinction of absolute and
ordained power, Quodlibet: ricerche e strumenti di filosofia
medievale,
Bergamo, Lubrina ; Boulnois Olivier, 1994, La
Puissance et son ombre: de Pierre Lombard à Luther, Aubier. [260] Augustinus,
De
Vera Et Falsa Poenitentia Ad Christum
Devotam, ed. Migne, L1, Cap. X Berman, p
192: Pourquoi Dieu dans
sa pitié ne peut-il
pardonner librement à l'homme son péché comme un geste de grâce? La
réponse est
que cela laisserait non corrigée la perturbation de l'ordre de
l'univers et ce
désordre non réparé constituerait un défaut de justice. L'ordre juste
de
l'univers, la iustitia ou rectitude de Dieu, requiert que le prix soit
payé. La
grâce accordée par pitié est fille de la justice, disait Anselme, elle
dérive
de la justice et ne peut opérer contre la justice. Berman ajoute en
note
35: Dans Cur Deus Homo, Anselme
demande s'il conviendrait à Dieu de remettre les péchés par le pardon
seul,
sans requérir de satisfaction ni de punition. Il déclare que il ne sied
pas que
Dieu remette quelque chose dans son royaume de façon irrégulière
(inordinatum)
et que traiter également le coupable et le noncoupable « ne serait
pas
convenable pour Dieu». Il ajoute: "Observez
encore ceci: chacun sait que la justice des hommes est soumise à la
loi... mais
si le péché n'est ni remis ni puni, il n'est donc soumis à aucune
loi...
L'injuste, par conséquent, s'il est remis par le pardon seul, sera plus
libre
que le juste, ce qui est très choquant"
(Cur Deus Homo, livre I, chap. 12, Migne, PL 158.377). Anselme revient
sur le
problème au livre I, chap. 24, déclarant que pour Dieu, simplement
pardonner à l'homme sa
désobéissance serait favoriser l'homme à cause de son péché. "Véritablement,
une telle miséricorde de la part de Dieu serait contraire à sa nature,
il est
impossible que son pardon soit de cette espèce". [261] Malgré le disparate des dizaines de thèses que l'évêque de Paris à la requête du pape condamne comme hérétiques, il s'agit pour lui de défendre la toute puissance et la liberté de Dieu contre le "nécessitarisme" rationnel inspiré par Aristote-Averroes. Il n'y a pas une "double vérité", celle de la Foi et celle de la Raison, il n'y en a qu'une. Cette libération de la Théologie est, en sens inverse, celle de la Raison: paradoxalement, le dogmatisme de Tempier serait à l'origine de la révolution scientifique (Duhem). [262] Variante: la plenitudo potestatis du
pape lui permet-il de changer la substance
d'une chose ? La question s'est posée, non pas à propos de la
virginité
perdue mais du vœu monastique (Bourreau, 1998): les vœux
essentiels font
partie de la nature du moine que le pape ne peut pas altérer en le
déliant: sa puissance ne lui permet pas de redéfinir la substance
du
moine mais –admirez l'astuce !– elle peut redéfinir la qualité
d'une personne en transformant (temporairement ou définitivement) un
"moine" en "non moine" qui, conformément à la nature du
"non moine", ne sera pas tenu par les vœux ! La polémique du
XIIIe siècle à propos des frères mendiants repose la question: le
Pape
peut-il changer la nature de l'Eglise ? …le pape ne
saurait dispenser contre le 'statut général de l'Église'.
Les séculiers, quand ils combattaient les privilèges particuliers
accordés aux
mendiants en matière de pastorale (confession et prédication dans les
paroisses, au détriment des curés et des évêques), arguaient des
constitutions,
du statut général de l'Église et notamment des canons du concile de
Latran IV (Bourreau #16). Les séculiers
protestaient
contre l'exemption accordée par le pape aux prêcheurs en leur
permettant de
confesser à la place du curé de paroisse. Ils arguaient que cette
confession ne
dispensait pas du curé et qu'il fallait la refaire pour que le
sacrement de
pénitence soit valable. En réponse, les
prêcheurs retournent l'argument des limites du pape: l'essence
des sacrements étant immuable, le pape peut s'il le veut en
changer les ministres, mais ni lui ni aucun statut ne peut modifier
cette
essence et faire que des péchés remis aient encore besoin de rémission (Glorieux,
1925, p479). [263] Pierre Damien, 1066, de divina omnipotencia:
Dispute
sur une question par laquelle on demande comment Dieu, s'il est
tout-puissant,
peut faire que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé: 1.
Prologue ;
2. Si Dieu peut rendre la virginité à celle qui l'a perdue...4. Que la
volonté
de Dieu est pour toutes choses la cause de leur existence ; 5. Que
Dieu
peut indubitablement rendre vierge celle qui ne l'est plus ; 6.
Comment il
est possible que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé ; 7. Que
cette
question concerne plutôt l'enchaînement des mots que le mystère de
l'Eglise ; 8. Que Dieu, dans le sein de sa présence, renferme à la
fois
tous les temps et tous les lieux ..12. Que Dieu peut tout, soit qu'il
le fasse,
soit qu'il ne le fasse pas ; 13. Que celui qui a créé la nature
change
aussi la nature... Dans les distinctions
42, 43, 44 du Livre I des Sentences, Le
Lombard demande (Oakley,
2002) whether God of his omnipotence
could have made or arranged things other than he had, whether he could
have
created a world better than he did, or whether, even, he could undo the
past–that is, so act that an actual historical event should not have
occurred (Oakley, p 4). Lombard,
patronné par le Concile de Latran de 1215 (2ème canon), devient le text book de la théologie (il ne sera
remplacé par d'Aquin qu'au XVIe), puis des Arts.
En amont, il fait le pont avec d'innombrables autorités patristiques.
En aval,
il est l'objet d'une multitude de commentaires. [264] La puissance
absolue est in abstracto, virtuelle
(tout ce que Dieu pourrait faire), la puissance ordonnée in
concreto, effective (tout ce qu'il fait). Cette distinction que
Oakley compare à une construction antisismique sur la ligne de faille
de la
pensée occidentale, entre la plaque grecque de la nécessité et la
plaque
biblique de la liberté divine discrétionnaire, voire colérique, diffuse
très
vite: p 6 it was discussed at
the start in specialized academic treatises addressed to fellow
theologians.
But it speedily found its way into Faculty of Arts circles, where it
assumed a
broad role in connection with issues pertaining to natural or
philosophical
theology and natural philosophy... Similarly, and long before the
thirteenth
century was over, the distinction had begun to break out from the
restricted
academic circles in which it had been nurtured, and was heading out
towards the
homiletic, humanist, and even vernacular literary settings into which
it was
later to find its way. Naturellement,
les débats sont sans fin sur la nature de chacune des puissances
et leurs rapports. [265] Cf. d'Aquin, Summa, 1ère partie, Ia,
Q 25 — LA PUISSANCE DIVINE,
art4, Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ? –
solutions... #2: De même que si Dieu peut
tout en raison de la perfection de sa puissance, il y a
pourtant des choses qui ne sont pas soumises à sa puissance,
parce qu’il leur manque d’être possibles (mon soulignement). Ainsi, à considérer l’immutabilité de la
puissance divine, Dieu peut tout ce qu’il a pu ; mais certaines choses
ont été
possibles autrefois, quand elles étaient faisables, qui aujourd’hui ne
le sont
plus, parce qu’elles ont été faites. Ainsi, on dit que Dieu ne peut pas
les
faire, pour exprimer qu’elles-mêmes ne peuvent pas être faites. #3 Dieu peut faire que toute tare de l’âme ou
du corps disparaisse de la femme déflorée, mais il ne peut pas faire
qu’elle ne
l’ait pas été... [266] Marrone,
1972: la conception traditionnelle des canonistes définit the pope's absolute power as his right to act
outside the ordinary course of the law to meet emergencies, ce qui
s'applique aussi aux princes (maxime Necessitas
non habet legem qui se répand et se décline à partir du XIIe).
C'est la
capacité of a ruler to act extralegally
for the community's good. Tout "absolu" que soit ce pouvoir, il est
contraint par le "bien commun". Similarly
canonists began to claim that the pope could act outside the ordinary
course of
church law by his plenitude of power for the church's good, although he
could
not act in opposition to the general state or well-being of the church. Ne pas
s'opposer à l'état général de
l'Eglise, c'était l'argument des séculiers contre l'exemption papale
accordée
aux mendiants. Un de leurs défenseurs, Henri de Gand a l'idée de
définir le
"pouvoir absolu" comme un
péché légitime (power used sinfully but
validly). Puisque Dieu ne saurait pêcher,
il ne lui reste que le "pouvoir ordonné". Une autre
manière de prendre la question est de distinguer droit
divin et droit positif,
comme le fait d'Aquin (Contra
impugnantes, ch4): que l’autorité du Siège romain ne peut
rien faire
ni changer à l’encontre des décisions des saints pères, il
faut répondre que cela est vrai pour les choses que les décisions
des saints pères ont décrété être de droit divin, comme les articles de
foi qui
ont été déterminés par les conciles. Mais il a été laissé au pape de
disposer
de ce que les saints pères ont déterminé être de droit positif, afin
qu’il
puisse le changer ou en dispenser selon l’opportunité du moment ou des
situations [selon l’utilité de l’Eglise]. Oakley, p 16
parle des powerful harmonics it generated
in the legal and constitutional thinking of the period, whether in
relation to
the pope, or to the emperor, or to the prerogatives claimed by the
kings of
France and England...p 7/8: By
the mid-thirteenth century, moreover, the great decretalist Hostiensis
had
introduced it by analogy into canonistic argumentation, where,
referring
explicitly to the theological usage of potentia dei absoluta et
ordinata, he invoked it in an attempt to elucidate
what the pope, in the absoluteness of his plenitude of power, could do
that was
not open for him to do when acting in accordance with his merely
ordained or
ordinary power. By the time of Aquinas’s death in 1274, then, those
employing
the distinction were already easing it into the familiar and prominent
role it
was to play during the fourteenth century and beyond. That role was to
extend
…In that later phase the potentia dei absoluta was
invoked…to make the point that while the prince (royal and
imperial as well as papal) should indeed live and discharge his duties
within
the limits set by the law, he was not bound to do so by necessity.
Instead, he
did so out of benevolence, that is to say, by freely choosing so to
bind
himself in the normal or ordinary exercise of his power, while
retaining, of
his absolute power, the /8/ prerogative of being able to act above or
aside
from the law–just as God does in the case of miracles...p 14 The only force capable of binding
omnipotence without denying it is, after all, the omnipotent will
itself...
Just as an absolute monarch, to evoke the analogy that was so obvious
as to
have entered theological discourse before the thirteenth century was
out... [267] Oakley, p 10: by the potentia dei
absoluta–and here Aquinas’s formulation is classical–
medieval
thinkers simply meant God’s power in abstracto, his ability, that is,
to do
many things that he does not in fact choose to do... p 11 In the years that followed,
however, it became
increasingly clear that
many a medieval thinker had in fact understood the absolute power in
precisely
such an operationalized or presently-active sense (and especially so in
relation to divine miraculous action)... far from being a
later-medieval
development, “the tendency [among theologians] to interpret potentia
absoluta
as a type of action rather than a neutral sphere of unconditioned
possibility
had its roots in the same [early-thirteenth century generation as the
formulators” of the classical definition [Tachau]...p 12 no more than a century later that same
tendency had come to be widely prevalent among the disciples of Scotus
and
among such “nominalist” figures as Robert Holcot and Adam Wodeham.
Holcot,
indeed, himself attested to the fact that in the Oxford circles of his
day the
understanding of the absolute power as a presently-active one involving
an
overriding of the order established de potentia ordinata was, rather
than the
classical version, the way in which the distinction was usually
understood...
Small wonder, then, that by 1375-76, when Pierre d’Ailly came to
comment at
Paris on Lombard’s Sentences, both understandings of the distinction
were so
well-established that he felt it necessary to allude to both. [268] Ainsi (de Jong 2009), Ebo (Ebbon) archevêque
de Reims, déposé et puni comme responsable du jugement de Louis le
pieux en
833, est obligé de s'accuser de toutes sortes de crimes qui, s'ils
avaient été
connus, l'auraient empêché de devenir évêque. Quid alors des
ordinations de
prêtres et d'évêques qu'il a effectuées, notamment entre son
rétablissement par
Lothaire en 840 et sa nouvelle déposition par Charles le Chauve en
841 ?
Son successeur Hincmar refuse de les reconnaître et, en 853, les
ordinations
d'Ebon seront également déclarées illégales par le concile de Soissons.
La
dispute continuera bien après sa mort. Après que, au
concile de Westminster (1102), Anselme ait déposé une série de prélats
pour
simonie, sans remettre en cause les sacrements distribués, Gilbert
Crespin,
abbé de Westminster, développera l'argumentation dans son influent de simoniacis (Melve, 2007, p 24,
Note 79). [269] Tellenbach, 1936, p 49 note (avec
amusement ?) que cette thèse neutralise les défauts des prêtres
qui,
n'ayant pas besoin d'être aussi saints que les sacrements qu'ils
administrent,
peuvent donc vivre dans le péché et, en particulier, échapper au strict
célibat
que Grégoire voulait leur imposer: [in] the
sacramental hierarchy...a sharp distinction was always made
between office and person ; a
priest was not necesssarily holy because he had been consacred... they
had no
desire to be as holy as the sacraments which they administered. The
same
distinction between office and person was made in the case of the pope
/ses
mérites sont ceux que Pierre a légués, non les siens propres/. Il s'ensuit un
corollaire: le pape ou l'évêque ne font pas le roi, l'évêque ou
le
prêtre, et de ce fait ne sont pas supérieurs à eux car c'est Dieu qui
agit par
leur canal. Le modèle du fief ne s'applique pas puisqu'il s'agit de
sacrements: que le pape oigne l'Empereur et le couronne ne lui
donne pas
de pouvoir sur lui et ne le fait pas dépendre de lui. Dieu seul
gouverne. Tellenbach,
p 65: In the 9th century [Louis
the Pious, Nicolas 1]... those who
wielded the priestly authority had not yet expressly asserted their
personal
superiority over the king... In particular, the consecration of king or
emperor
did not make either the officiating bishop or the pope his superior,
for the
consecration was a sacrament and as such dispensed by Christ alone;
bishop and
pope were merely His instruments...king and archbishop alike owed their
consecration only to God. Bien sûr, les "instruments"
n'admettront pas ce corollaire. Ils chercheront à rendre leur médiation
constitutive en s'assimilant à Dieu dont ils se prétendent le
représentant et
non le simple outil. [270] In the
eyes of the law, he was the reincarnation of the deceased (Burdick
William
L., 2004, The Principles of
Roman Law and Their Relation to Modern Law, The
Lawbook Exchange Ltd., p 601). [271] Cf Ulmann, 1972, History of papacy, p
20/21: Leo
imposed the juristic theme of inheritance so that the pope became St
Peter's
heir in regard to his powers, though not of course in regard to his
personal
status which was, understandably, not transferable or inheritable. In
other
words, the office, the objective legal status, the powers of St Peter
were
inherited by the pope, but not his subjective merits... The great
advance of
this Leonine theme lay in the separation of the (objective) office of
the pope
(which was the same as St Peter’s) from the (subjective) personality of
the
pope..wether he was a 'good' or a 'bad' pope.. subjective
standards and personal qualifications were irrelevant.. the
office, in a word, absorbed the man. Cette
conception affleure au moment des heurts entre le pape et les évêques
francs
sous Louis le Pieux. Une lettre de 833 supposée écrite par le pape
Grégoire en
réponse à l'accusation qu'il venait excommunier les évêques francs,
miner leur
autorité et déshonorer le pouvoir impérial les admoneste ainsi (de
Jong,
2009, p 220): pensez-vous que vous
pouvez me déposer sans déshonorer le siège de Pierre ? mais,
pour
montrer que sa personne s'efface derrière sa dignité, il ne recourt pas
au
droit romain mais aux Ecritures, citant assez librement Jean,
11.51: Caïphe était impie mais son siège était
sacré. Traduction: Caïphe
usait du don de prophétie inhérent à la fonction de grand-Prêtre
légitime ;
mais puisqu'il est impossible d'user de l'attribut d'une charge sans
posséder
la légitimité de ladite charge elle-même, Jean affirme donc que Caïphe
était
grand-Prêtre légitime. Et donc Grégoire, quels que soient les reproches
qu'on
lui adresse, est pape légitime puisque, par son origine, son siège est
sacré. [272] Giesey, 1961, p 38, colonne de
droite: Balde...argued that the
heir acquires the fief not from his immediate predecessor but from the
first
progenitor. The possession of the fief thereby comes less from a series
of
separate investitures than from a continual reaffirmation of the
original
investiture. The first possessor held the fief in his mort main, as it
were,
while his descendants exercised perpetual administration. In this light
should
be interpreted such arguments as 'the father does not die, but
lives on in
the son', which are drawn mostly from civil
law. Fin XVe, début XVIe, cette
conception est renforcée par la distinction entre "héritage" (qui
s'attribue ou non, s'accepte ou non) et
suitas. Cf. id, p 24d: Suitas leveled all
heirs: if you possessed the ius suitatis, you succeeded to
the inheritance as surely if you were a twenty-first cousin as if you
were the
son of the deceased. In effect, every heir seems like a son, and if the
speculation on suitas had gone far enough, it might have developed a
maxim such
as quicumque heres est filius...p 25d the
advantage of suitas is
evident: suitas was a state of heir -worthiness which the successor
held in his
own right, and it was constant in its potency- there was no such thing
as a
weaker or stronger ius suitatis.
Henry of Navarre iure suitate was as
fully legitimate successor as a son of Henry III would have been… [273] Rigaudière, 1997, p 93: Dans la mesure où
la délégation a été
consentie à l’origine à la fonction, à la dignitas
d’abbé, elle vaut pour tous les abbés successifs, sans avoir à être
renouvelée. Tout simplement parce que la dignitas se
perpétue aussi longtemps qu’elle a des titulaires pour en exercer les
prérogatives. Ce texte et la pratique qu’il engendra, suscitèrent de
nombreux
commentaires de la part des canonistes dont la conclusion la plus
saillante fut
apportée au début du XIIIe siècle: dignitas numquam perit,
individua vero
quotidie pereunt, La dignité ne périt
jamais, même si les individus meurent chaque jour. C’était
assez pour que la décrétale Quoniam abbas fût
introduite au Liber extra de Grégoire
IX, sous l’intitulé particulièrement évocateur: Une délégation
faite à la
dignité sans exprimer un nom propre est transmise au successeur, position que reprend Bernard de Parme (†
1263) dans la Glose ordinaire quand il écrit que prédécesseur et
successeur
sont considérés comme une seule personne, dans
la mesure où la dignité ne meurt pas. C’est le fameux adage Dignitas
non
moritur dont l’Eglise devait faire grand
usage mais, aussi, juristes et praticiens des monarchies pour arracher
un peu
plus la dignitas à la personne du roi
et dépersonnaliser son pouvoir. [274] Tierney, 1982, se réclamant de Figgis, p 26,
se laisse aller à une simplification: In
the Roman law model of a corporation all power resided in the community
and was
delegated to an official who acted on behalf of the community.
Similarly, in
Roman constitutional law, the emperor derived his power from a grant by
the
people… [275] Pour Azo, dans la corporation dont
l'empereur (germanique) est le chef, il est supérieur aux parties mais
inférieur au tout (qui l'inclut). On aperçoit là la figure du futur king in Parliament ou du pape en concile.
Tierney 1982,
p 26: At the beginning of the
thirteenth century, the Roman lawyer Azo found a solution in a
distinction
between the people as a corporate whole, a universitas,
and the people as a collection of individuals. The emperor was held
to be greater than each individual so that each was subordinate to him;
but he
was not greater than the corporate whole from which his own power was
derived...
p 58 The emperor does not have more
power than the whole people but than each individual of the people.
Tierney 1995,
p 77: Condensed into the
epigrammatic phrase, maior singulis minor universis
(greater than each, less than all), this argument was endlessly
repeated in later discussions. On peut
discuter à l'infini du tout et des parties. La belle maxime maior
singulis minor universis signifie
seulement que la mission du Prince est le bien
public. La tête appartient au corps. Elle commande les membres dans
l'intérêt du corps. A partir de là, on déduit ce qu'on veut ! [276] Tierney 1982, p 38: the
essential point is that during the twelfth and thirteenth centuries
many new
communities - both religious and secular - were coming into existence
through
acts of voluntary consent on the part of the members who formed them
and that
much deliberate reflection about the right ordering of such communities
was
taking place… Ce fut le
mérite de Tierney (cf. Tierney, 1955) de démontrer que le
"conciliarisme" ne naît pas des thèses d'Ockham et Marsile mais
résulte, comme ces thèses elles-mêmes, de l' underlying
juridical conception of the church and the state as
corporate entities, développée en particulier pendant la dispute
séculiers/mendiants. Toutefois, Tierney n'envisage pas la polysémie de
la corporation (p xv: normal rule
of corporation law specifying
that the consent of a whole community could be expressed by its greater
part).
Que every whole is greater than its part et
que (Hostiensis, Zabarella) la tête et les membres doivent décider
ensemble
n'implique pas de modalités particulières et n'a d'ailleurs de sens que
par
rapport à une définition du "tout" et des "parties" dont
l'évidence n'est qu'apparente. Cf. d'Aquin (Seconds
Analytiques, Expositio Posterior., lib. 1 lct. 7 n.
8): que le tout soit plus grand que la partie n'est pas une
démonstration
mais une induction. Scito enim quid est
totum et quid est pars, cognoscitur quod omne totum est maius sua parte
quia in
talibus propositionibus, ut supra dictum est, praedicatum est de
ratione
subiecti ): une fois qu’on sait ce qu’est un tout et une partie,
on
connaît aussitôt que le tout est plus grand que sa partie: car dans de
telles
propositions le prédicat fait partie de la définition du sujet. Mais la
discussion peut aller encore plus loin si l'on considère que le
"tout" n'est qu'un nom sans substance et n'existe pas. Il est
simpliste d'écrire comme Berman lorsque
l'on considère la corporation comme la totalité de ses parties 'en tant
que
parties', il devient aisé de discerner les droits et devoirs des
membres en
tant que membres et ceux des dirigeants en tant que dirigeants (Berman,
1983, p 233). [277]
Avi-Yonah, discutant le droit américain
des sociétés, montre que la responsabilité sociale des entreprises
dépend du
type de corporation que retiennent les tribunaux: pour la
conception
agrégative, la responsabilité de l'entreprise consiste à dégager des
profits
pour les actionnaires ; la conception artificielle fait de
l'entreprise
une espèce d'agence de l'Etat ; seule la conception réelle permet
à
l'entité d'imposer ses objectifs à long terme aux actionnaires et, dans
une
certaine mesure, à l'Etat. L'auteur identifie des cycles longs au cours
desquels la représentation dominante passe de l'une à l'autre forme. Déjà Maitland remarquait
que la dominance de la conception artificielle au moment où, en
Angleterre, se
constituaient les sociétés par actions et les associations avait
conduit à la
prédominance de la forme du trust, ce partnership
unincorporate. [278] Tierney privilégie cette conception
agrégative au sein de laquelle il distingue les corporations simples
(de type roman law) basées sur la délégation et
les complexes (de type canon law) basées
sur la coopération: dans les premières, le député serait un
agent ;
dans les seconds une personnification. Tierney, 1953,
p 384: The canonist was very
much interested, however, in the more practical problems concerning the
constitutional structure of corporate groups, and about them there is a
large
and complex canonistic literature ; p 385
representation
as meaning mere personification...and representation as involving an
actual
delegation of authority from the parties represented. La référence
des
canonistes est la relation entre un
évêque et son chapitre (Tierney, 1982): l'évêque personnifie
l'Eglise
mais ne la représente pas (le chapitre est représenté par son proctor) ; un acte affectant le bien
commun de l'Eglise doit être décidé en
commun (p
82/83: In the simple model all power
resided in the community and its exercise was delegated to a presiding
officer
who was essentially a subordinate agent of the community… In a complex
corporation, head and members ruled co-ordinately…). [279] Maitland (Introduction à sa traduction de
1900 de Gierke, Political theories of the
Middle Age, p 21 de la trad. française) souligne la différence
entre la
conception dite romaine de la corporation (artificielle) et la
conception
"vivante" revendiquée par les germanistes: p 21 La
personnalité d'une corporation, n'étant
qu'une fiction légale /persona ficta/,
doit avoir son origine dans un acte du pouvoir, dans une déclaration de
la
volonté de l'État... Ce n'est pas dans la théorie de la représentation,
mais
dans une tutelle du genre de celle du Droit Romain qu'il [Savigny] cherche une analogie exacte… Enfin il faut
absolument abandonner certaines images populaires comme celle du «
corps » et
des « membres»...p 30 Quelle
qu'ait pu être l’universitas romaine,..il
est certain que le compagnonnage (Genossenschaft)
[est] un organisme vivant et une personne
réelle avec un corps, des membres et une volonté à elle..c'est une
personne
collective et elle a une volonté collective… 34 M.
Gierke attribue à ses Allemands du moyen âge...un sens profond du
caractère organique que présentent tous les groupes sociaux
permanents... Gierke, p 167
(§ Développement de l'idée de la Souveraineté Populaire) déplore que la
conception "romaine" (antique-moderne)
ait dévoré la conception organique "médiévale": Un
des traits distinctifs des théories
politiques du Moyen Age, c'est que dans chaque groupe humain elles
n'hésitent
pas à reconnaître une communauté [Genossenschaft] qui,
dès son origine, est douée de droits actifs...Mais, ici aussi,
nous voyons apparaître de plus en plus clairement l'antagonisme latent
entre le
tour d'esprit caractéristique du Moyen Age, dont l'influence est
d'abord
prédominante, et la façon de penser antique-moderne, dont le progrès
est de
plus en plus marqué. Wolter, 1992, p
106: Les fascistes ont adopté
l'opinion des germanistes très tôt. Déjà dans le programme du parti
national-socialiste (NSDAP) de 1920 ils ont proclamé: « Nous exigeons
le
remplacement du droit romain qui sert à l'ordre mondial matérialiste
par un
droit commun allemand » (position 19). Cf. Chapoutot, 2010. [280] Dig. 3,
4, 1, 1 (trad. Huot): Il n'est
pas permis indistinctement à toutes personnes de s’ériger en
commnunauté, de
former une société, un collége ou quelque autre association semblable;
car cela
est défendu… Il y a fort peu de cas où ces sortes d'associations soient
permises… Le privitège de ceux à qui il est permis de s'établir en
corps de
communauté...c'est d'avoir, à l'exemple de la république, des biens
communs, un
coffre commun, et de faire administrer les affaires de la communauté
par un
agent ou syndic, comme cela se fait dans une rêpublique /Quibus autem
permissum
est corpus habere collegii societatis sive cuiusque alterius eorum
nomine,
proprium est ad exemplum rei publicae habere res communes, arcam
communem et actorem
sive syndicum, per quem tamquam in re publica, quod communiter agi
fierique
oporteat, agatur fiat/. Ainsi, les
colons du Mayflower et d'autres
colonies américaines à leur suite ont-ils dû justifier le coup de force
de leur
auto-incorporation. Cf. Enlow, 2001, p 23: The
view that the people are separate, superior, and antecedent to
government
requires that they be self-incorporating
(mon soulignement). This idea was present
in America before the American Revolution. The Pilgrims on board the
Mayflower
announced that even without a state to incorporate them they could, in
the
presence of God and one another, covenant and combine to form a “civil
body
politic”…p 24 Following the
Pilgrims’ example, in 1647 the colonists of Rhode Island erected
themselves
into a corporation by their own act: Wee do jointly agree to
incorporate
ourselves and soe to remain a Body politicke
…the people had to incorporate before they could take steps towards
forming the
new government… Inversement,
les colonies à charte s'opposeront aux intrusions du Parlement de
Westminster
avec l'argument que, en leur accordant leur charte, il leur a délégué
sa
juridiction pour leurs affaires intérieures et s'est donc désaisi. [281] Harding 2001, p 93: Also at Roncaglia
/1158/ Frederick issued an edict of perpetual peace
/to be sworn every five years/…The
stability of the commonwealth was seen to rest on the conduct of
lordships and
urban communities: other associations ‘within or outside cities’, even
of
blood-relatives, were totally forbidden…mais, finalement, le
pouvoir
impérial ne parvient pas à imposer l'interdiction: p 102 It
was at the provincial level that
legislation for social peace and its judicial application would
coincide to
make states…The great Rhine League of 1254–7 was formed by the swearing
of ‘a holy peace’… [282] Citons, outre Locke: Figgis, 1900 ;
McIlwain, 1940 ; Tierney, 1982 ; Watner, 2005... En faisant
de l'Etat
une corporation (ou une corporation de corporations), on lui
innoculerait le
ferment du constitutionnalisme: la limitation du pouvoir par les
droits
des membres exprimés par le contrat que serait la Loi. [283] Les maximes du type le Prince est fait pour le
peuple, non le peuple pour le Prince ne
traduisent pas un "contrat", elles expriment simplement la
subordination du Prince au bien commun
au moyen d'une figure de style (antimétabole) dont on use et abuse sur
le
modèle de Marc, 2, 27 Le sabbat a été
fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le sabbat ou non
ut edam vivo, sed edo ut vivam (cf; John
Smith, 1673, The Mysterie of Rhetorick
unveil’d, p 100 sq). [284] La référence au Codex (C 5.59.5.2 quod
omnes similiter tangit, ab omnibus
comprobetur) est remplacée par une référence au Digeste
(D 42.1.47 De
unoquoque negotio praesentibus omnibus,
quos causa contingit, iudicari oportet: aliter enim iudicatum tantum
inter
praesentes tenet). [285] Post, 1946, Note 14: The formulas used in
the mandates along with plena potestas reinforce this
conclusion ; generally, the powers are given to the representatives to
consent
to what is ordained by the king and his council quod per
consiliurn domini
regis ordinaretur... p 377 it is an
expression of the medieval theory
of the king's ruling according to law and the rights of privileged
individuals
and corporations, which, according to the Roman principle of consent (Quod
omnes tangit), sent representatives to
defend their legal rights by petition in the king's court and council…p 380 this consent was consultative and judicial,
before the King and bis council, or before commissioners, not a
sovereign
limitation of the royal prerogative… p 380/1 More
clearly and logically than in the secular state, the Roman
judicial conciliar character of assemblies was developed in the
Church... If by
the Roman principle, QOT, the lower clergy had the right of consent, it
was
consent, after judicial and conciliar process, to what the council of
prelates
decided… p 397 the principle
that all who were interested in the business must be given a hearing,
that all
must be summoned and informed of the business, and that they should
send
properly instructed attorneys to court to consent to the decision of
the
case...was a fundamental ideal of English and French law in the 13th
century...
p 404 "Full powers"
was consent to the decision of king and court and council, consent
given before
the assembly was held. But in the assembly the representatives had the
right to
use all legal means of shaping the final decision in favor of their
constituents… [286] Ainsi, en Angleterre, au XIIIe siècle, sous
Henri III et Edouard I, pour se soustraire à la décision
royale, les
magnats se réclamèrent du QOT, arguant:
les squires et des bourgs, affectés
également, auraient dû consentir à la taxation ; tous les
intéressés
n'étant pas là, la décision ne pouvait pas être prise. Les grands
contribuèrent
ainsi à la formation des commons pour
que la "scène publique" soit emplie par la représentation de tout le commonwealth. [287] Dans l'Allemagne du XVe siècle, ce sont les
Princes qui, non sans mal, rassemblent en "états généraux" les
multiples stande et communautés pour
imposer à tous le caractère contraignant des décisions prises.
Barraclough,
1946, p 344: the struggle in the
fifteenth century between the princes and the independent estates and
communities focused on finance..In the first place, it was necessary to
create
a properly constituted body, representative of the whole community,
with which
the princes (as the heads of the executive government) could negotiate
over
finance and taxation…p 346 That
policy... was predicated upon a few basic principles. First there was
the
categoric denial of the assumed right of the estates to meet together,
without
summons from above...p 347 In
order to make grants of taxation by the estates binding, however, two
further
changes were necessary: the introduction
of the majority principle and of the representative principle...(mon
soulignement) ; p 349 Single
communities and provincial estates might hold out, hoping to preserve
their
privileges and exemptions; but in the end they had to comply, if they
did not
wish to run the risk of losing the right to participate in the levying
and
administration of taxes...p 352 It
was the princes who created the Landtag or States-General, forcing the
old
existing associations into a constitutional mould. [288] La plupart des Occidentaux d'aujourd'hui
vivent dans un monde postchrétien où les références religieuses ne font
pas
sens et ont perdu leur familiarité culturelle. Cela explique que,
depuis les
années 1980, des historiens, inspirés par les anthropologues, aient
rompu avec
le continuisme pour "étrangifier" (otherize) le
moyen-âge, ce passé étranger (foreign past). Cf. Van
Engen John, 1986 ; deJong Mayke, 1994.
Ils n'ignorent pas plus la dimension religieuse qu'ils ne la réduisent
aux
écrits survivants d'une minuscule élite ou aux textes officiels. [289] Cf. deJong Mayke, 1994: Historians may have become more mindful of structure and 'longue durée', but still being historians, they are on the lookout for change rather than continuity... neither should the roots of modern society be looked for in the period between 1000 and 1300. The great devide between the Middle Ages in the sense of a past which has become a foreign country and modernity is to be situated around the year 1800 (mon soulignement). 'Bongo-Bongoism' is a tiresome pastime, unless early medievalists are prepared take a long-term view, applying themselves to the real issue at hand: continuity and discontinuity, otherness and similarity… In many respects, the Middle Ages are a foreign country which should be treated as such, but at the same time it remains important to retain a sense of equality and affinity with the distant past. Medievalists can only perform this balancing act when they become their own anthropologists, observing themselves in the process of creating new myths of origin. |