16/08/2020

Esambe Josilonus
Esambe Josilonus
©2017 rev. 2020

Contre le roi pour le roi — la Fronde (1648-1552)

Ce titre, tout en définissant clairement le terrain historique, semble s'amuser à obscurcir l'objet de l'analyse. Contre le roi pour le roi, qu'est-ce que cela signifie ? Voilà précisément la question à laquelle est consacrée cette étude ! Est-ce une figure de style pour habiller une opposition injustifiable ? un paradoxe ? une contradiction ? une ambivalence ? une dialectique ? Le roi appartient à la couronne, et non la couronne au roi. Ce principe "constitutionnel" en forme d'antimétabole donne aux défenseurs de la Couronne la charge, et parfois la regrettée obligation, d'en défendre les droits contre les décisions inconsidérées d'un roi mal informé.

Sur un fond de soulèvements populaires anti-fiscaux et de guerre extérieure (Espagne), les troubles français de 1620/1675 culminent en péripéties héroïques : tumulte de la rue Saint-Denis (8/13 jan 1648) ; articles "anti-absolutistes" de l'assemblée des cours souveraines (juillet 1648) ; barricades de Paris (août 1648) ; fuites du roi-enfant, de sa mère régente et de leur Mazarin (13 sep 1648 et 6 jan 1649) ; siège de Paris (début 1649) ; emprisonnement des Princes (janvier 1650) ; levées d'armes dans les provinces ; feintes disgrâces de Mazarin (février 1651 et août 1652) ; la guerre civile partout, et la crise constitutionnelle qu'évoque ces mots du cardinal de Retz, si souvent cités : L'on chercha en s'éveillant, comme à tâtons, les lois : l'on ne les trouva plus ; l'on s'effara, l'on cria, l'on se les demanda ; et dans cette agitation les questions que leurs explications firent naître, d'obscures qu'elles étaient et vénérables par leur obscurité, devinrent problématiques (Régnier, 1872, OC, T1, p 294).

La Fronde a été dramatisée. On l'a qualifiée de "révolution manquée" ou, au contraire, de "défaite victorieuse" (victory in defeat). Ne s'agit-il pas plutôt d'un simple épisode de l'instabilité propre aux "sociétés d'ancien régime" ?


Le droit des peuples et celui des rois ne s'accordent jamais si bien ensemble que dans le silence (Retz, ibid.). Cet accord constitue la question constitutionnelle de l'ancien régime, irrésolue et insoluble. En janvier 1649, le "croupion" anglais (rump Parliament) apporte une réponse radicale, l'exécution de Charles I, suivie de l'abolition de la chambre des Lords et de la royauté. Il est plus facile de trancher la tête d'un roi que le dilemme organique : dix ans plus tard, la royauté est restaurée.

Au delà de la France et de l'Angleterre, le synchronicité concerne toute l'Europe et même plus : partout, anomalies météoriques, mauvaises récoltes et épidémies, soulèvements populaires, complots et insurrections des Grands, renversement des monarques. Nous vîmes une mauvaise constellation menacer le bonheur des rois...
La Fronde serait-elle une manifestation locale de la "crise générale du XVIIe siècle" dont des historiens ont cherché le scénario, à l'échelle ouest-européenne, puis européenne, enfin eurasiatique ou mondiale ? Ma première partie (Crise ou instabilité ?) écartera cette explication. Des facteurs circonstanciels nous devrons passer aux facteurs structurels.

La comparaison avec  les troubles anglais, à la fois concomitants et proches, montre que, malgré leurs différences, les deux séquences s'inscrivent dans le même paradigme, le dissensus consensuel, dont le Parlement est à la fois le théâtre et l'acteur (2ème partie).

Aussi, pour analyser la Fronde, faut-il examiner spécifiquement le Parlement de Paris (3ème partie) : fondamentalement, son discours autour de 1650 est celui qu'il a toujours tenu. La défense de la Couronne contre le roi s'appuie sur des lieux communs séculaires.

Cela nous conduit (4ème partie) à analyser la "médiévalité" du Parlement de la Fronde. Il lui doit de ne pas être seulement un tribunal mais de participer de la curia regis. Il lui doit aussi sa tournure d'esprit et son langage.

Cette étude vise à inscrire la scène ("fronde parlementaire") dans l'acte (Roi/Royaume), et l'acte dans la pièce : les sociétés ante industrielles en Europe. Le Parlement de la Fronde appartient à son passé.

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I. Crise ou instabilité ? 

Les historiens qui liaient transformations économiques et sociales n'imaginaient pas le passage d'un "mode de production" à un autre sans rupture déchirante, expliquant du même coup la "grande divergence" et l'avance cumulative de l'Europe sur le reste du monde. Ces conceptions font sourire, aujourd'hui que nous avons grandi et que, en sortant du structuralisme, de l'industrialisme, du modernisme et de l'eurocentrisme, nous (hélas, pas tous !) avons découvert les points communs de toutes les sociétés non industrielles, notamment leur instabilité et violence chroniques qui disqualifient la notion de "crise" (§2) et donc anéantissent le thème de la crise du XVIIe siècle dont je retracerai d'abord l'évolution historiographique (§1).

1. La crise du "XVIIe siècle"

Après avoir esquissé l'arrière-plan du thème (a), nous verrons sa fortune dans les années 1960 et sa reformulation aujourd'hui (b).

a) l'arrière-plan

Il est double : dans l'espace, la concomitance des troubles dans plusieurs pays européens (i) ; dans le temps, l'idée d'une rupture autour de 1650 (ii).

i- rapprochements européens

Les Parisiens du temps de la Fronde n'avaient pas besoin de regarder vers Londres, Ils avaient devant eux la reine Henriette d'Angleterre, réfugiée en France depuis 1643. Fille de Henri IV, elle a levé des fonds et des armées pour Charles I dans la guerre civile, elle a vu et vécu une révolution. De nombreux émigrés royalistes ont également traversé et travaillent à une restauration qui se fera en 1660. Quand les troubles commencent à Paris en 1648, Henriette les juge pires que les commencements de ceux d'Angleterre [1]. Mazarin, comme le montrent ses carnets secrets (Chéruel), s'inquiète de la rébellion anglaise dont il attribue les victoires aux concessions du roi : ce jugement lui inspire une fermeté épisodique, souvent à contretemps.

Si seules les élites éclairées suivent le détail des événements à travers la Gazette de Renaudot, l'exécution du roi-martyr le 30 janvier (9 février) 1649 constitue un global event européen monstrueux. L'information arrive à un moment chaud : le gouvernement a fui Paris, l'assiège et la capitale révoltée guerroie contre les armées royales de Condé. La décapitation de Charles, unanimement réprouvée, montrant où conduit l'opposition au roi, rappelle les sujets égarés au devoir d'obéissance, ce qui concourt à la paix entre la ville et la Cour (Rueil, 12 mars 1649). Quoique Charles ne soit pas le seul roi qui connaisse une fin tragique, il est le premier auquel on fait un procès public, même fallacieux ; qu'on exécute judiciairement devant la foule, même réticente ; et dont les juges assument la condamnation, même à contrecœur [2].

Dans ce siècle de fer (guerre de Trente Ans), dans cette période de grandes & étranges révolutions, le drame anglais est le plus sombre d'une série noire [3] : comètes ; guerres et extorsions fiscales corrélatives ; "petit âge de glace", mauvaises récoltes, famines, épidémies ; révoltes populaires ; soulèvements nobiliaires... De la Catalogne (1641) à Naples (1647) et la Suède (1650) ; de la guerre civile anglaise (1642/49) aux révolutions turque (1648) et chinoise (1630/1644-83), toute l'Europe, toute l'Eurasie, paraît un tel brasier que la Fronde française a l'air d'une plaisanterie [4]. Les horribles comètes de 1618 semblent avoir ouvert une période tragique [5] : Par une fatalité singulière, ce temps funeste à Ibrahim l’était à tous les rois (Voltaire)  [6].

Sans dresser la liste de tous ces drames, survolons les six révolutions que Merriman rapproche pour la première fois en 1936 (Six contemporeneous revolutions [7]) : Catalogne, Portugal, Naples, Angleterre, France, Pays-Bas.

La Catalogne se révolte (1640/1652) à la suite de la tentative castillane (Olivares) d'augmenter sa contribution (financière et militaire) aux guerres de l'empire, au mépris de sa constitution (fueros). En effet, la Catalogne, d'abord unie à l'Aragon, puis à la Castille avec ce dernier (Ferdinand et Isabelle), a conservé ses institutions. Autre singularité : la Catalogne est tournée vers la Méditerranée, la Castille vers l'Atlantique. Les violences des troupes castillanes suscitent une émeute populaire à Barcelone (12 mai 1640) qui se transmet aux campagnes : la sauvegarde de l'autonomie et des "libertés" ne masque pas les oppositions entre les masses et les nobles qui font appel à la France. Avec cette aide, et à la faveur de la "révolution" portugaise, les Catalans triomphent d'abord et Olivares est disgracié (1643). Puis la Castille reprend l'avantage et la promesse du maintien des "libertés", comme la réaction aux violences des troupes françaises, conduisent à la réconciliation.

Le cas du Portugal est plus simple : la fin de sa dynastie "nationale" (1580) l'a réuni à la Castille qui capte son commerce et ne défend pas ses colonies. La tentative d'Olivares d'augmenter les taxes suscite l'opposition qui, encouragée par la promesse d'un soutien de la France et par l'insurrection catalane, provoque un coup d'Etat dynastique, remettant la couronne dans la ligne royale portugaise (Bragance), en décembre 1640 [8]. S'ensuit une guerre entre les deux pays (jusqu'en 1668), très largement déterminée par le contexte international.

Sept ans après, c'est la révolution de Naples, possession aragonaise (Alphonse le Magnifique) à présent soumise à la Castille. Le traitement "colonial" et la pression fiscale entrainent un soulèvement populaire contre le vice-roi castillan. En octobre, sont proclamés la fin de la domination espagnole, la "république" et l'appel à la France. Son aide manquant d'efficacité (Guise et ambiguïtés de la noblesse locale), les Castillans répriment, punissent et reprennent le contrôle (1648).

La "révolution puritaine" anglaise est d'une autre ampleur : sur fond de pression fiscale "illégale" (tonnage & poundage), d'autoritarisme royal et de conflit ecclésiastique et religieux (épiscopat anglican vs Puritains), les liens entre l'opposition anglaise et les presbytériens écossais armés mettent Charles I en position de faiblesse. L'usurpation croissante des prérogatives royales par le Parlement culmine fin 1641 quand il se donne le contrôle de l'armée. S'ensuivent la fuite du roi et sept années de guerre civile que la non convergence des paires en conflit-négociation (armée, Ecossais, Presbytériens, roi : six binômes) conclut par l'exécution de Charles (janvier 1649) et la proclamation de la "république" cromwellienne (1653).

La Fronde française, à la différence des soulèvements populaires antifiscaux réitérés, mobilise la "classe politique" et naît de l'affaiblissement du gouvernement en raison de la minorité du roi : le Parlement et les Grands disputent le pouvoir à Mazarin et se le disputent. De 1648 à 1652 ou, plus largement, de 1643 à 1661, s'emboitent et s'enchevêtrent les luttes pour les "libertés" (privilèges) du Parlement, des gros bourgeois, des Grands, de la noblesse seconde et du clergé.

Enfin, la "révolution des Pays-Bas" ne mérite guère cette appellation. Le passage d'une semi-monarchie à une oligarchie bourgeoise est dû à un accident : la variole dont meurt le Stadhouder Guillaume II d'Orange à 24 ans alors qu'il était en pleine affirmation politique, marchant sur les traces de son oncle Maurice. De son vivant, soutenu, bon gré mal gré, par Leurs Hautes Puissances Messeigneurs les États généraux des Provinces Unies, Guillaume avait toutes les cartes en main, malgré l'opposition craintive de la Hollande. Sa mort soudaine libère les énergies et la Hollande prend le leadership (de Witt), jusqu'à ce que l'année de tous les désastres (1672) permette à Guillaume III, fils posthume du précédent Guillaume, de rétablir une semi-monarchie, avant de devenir roi "constitutionnel" en Angleterre (1688).

Quoique chaque séquence ait sa propre dynamique que les historiens du XIXe siècle, soucieux de construire une histoire nationale, travailleront à recueillir et expliciter, toute cette agitation dans des pays voisins et à des dates voisines pousse à la généralisation. La "grande rébellion" anglaise, devenue "révolution" pour donner un ancêtre à la révolution française (Guizot) ou pour illustrer la "révolution bourgeoise" libératrice des forces productives, semble être la matrice de la démocratie représentative. Ainsi expliqués par leur futur commun, industriel et démocratique, les troubles du XVIIe siècle perdent leur contexte et se ressemblent, en tant qu'origines de la "modernité".

ii- le XVIIe : une rupture ?

L'historiographie française a longtemps chéri le siècle de Louis XIV dont elle voyait les germes dans l'association gouvernementale de Richelieu et Louis XIII. Elle le créditait d'avoir commencé à réaliser la centralisation nationale qu'achèverait la Révolution et l'Empire. La Fronde apparaissait aux libéraux comme une aspiration démocratique (prématurée) et aux centralisateurs comme une protestation réactionnaire dont le chaos avait pour seul mérite de faire accepter par réaction un absolutisme stabilisateur [9]. En position intermédiaire entre le dynamisme anglais couronné par la révolution industrielle et la suprématie mondiale et, d'autre part, le conservatisme espagnol débouchant sur la ruine, le déclin et le repli, la France semblait se réformer d'en haut (colbertisme). La crise de la conscience européenne qu'étudiait Hazard en 1932 faisait de la période 1680-1715 une rupture intellectuelle, un passage du moyen-âge tardif à la modernité, de la stabilité au mouvement, de la clôture à l'ouverture, bref une libération de l'esprit : l'Europe devient une pensée qui ne se contente jamais, toute la modernité est déjà là. Finis sæculi novam rerum faciem aperuit (la fin du siècle révéla une nouvelle face des choses). Après un paradoxal équilibre, la Renaissance connaît son achèvement.

L'histoire sociale quantitative (Simiand etc.) va dans le même sens. Le mouvement des prix et des monnaies montrerait un retournement de la conjoncture longue : vers 1650, à l'expansion inflationniste du XVIe succède une phase B, porteuse de perturbations et d'innovations car les entrepreneurs sont supposés s'adapter à la baisse des prix et à la rigidité des salaires en diminuant leurs coûts de production [10].

De son côté, l'historiographie anglo-saxonne était d'autant plus encline à faire du dix- septième siècle une période de crises qu'elle le polarisait sur les révolutions anglaises "fondatrices" de la démocratie représentative, du capitalisme, de la révolution industrielle, de la prépondérance britannique et de la domination occidentale. Nous le verrons, la fortune du thème de la "crise du XVIIe" à partir des années 1950 ne résulte pas d'analyses historiques mais d'une nécessité logique : "la fin du féodalisme" au XVe siècle et la "révolution industrielle" sont séparées par trois siècles qui, d'une manière ou d'une autre, doivent avoir le caractère d'une transition. Quoique, en 1954, la "crise générale" naisse d'une problématique marxiste (Hobsbawm), plus généralement, le thème reflète la notion de "modernité" : si, pendant trois siècles, les sociétés européennes oscillent entre féodalisme et modernité, comment les qualifier ? on les fera "prémodernes" (early modern). En tant que telles, elles accumuleront les forces et les tensions qui feront explosion dans les révolutions. Alors, entre les lueurs des siècles "prémodernes", le XVIe siècle "renaissant" et le XVIIIe rayonnant, il reste un trou obscur (two early modern periods separated by a no man's land, de Vries, 2009) : ce sera la crise du XVIIe.

b) deux générations du thème

Dans les années 1960, la révolution communiste mondiale que craignait Merriman est souhaitée par Hobsbawm dont l'enthousiasme se transfère à la "révolution du XVIIe", suscitant d'intéressantes critiques (i). Cette première génération de "crise du XVIIe" est renouvelée aujourd'hui par le globalisme climatique (ii).

 

i- Hobsbawm (1954)

L'article initial d'Hobsbawm repose sur une argumentation économique dans laquelle l'histoire n'est présente qu'en creux, par l'allusion toute-puissante aux révolutions "bourgeoises" anglaises [11] : après un riant XVIe siècle (hausse des prix et expansion démographique), la conjoncture longue se retournerait, l'économie entrerait en crise, multipliant les conflits de répartition et de "classes", lourds d'implications politiques.

N'entrons pas dans le détail d'un long débat dans lequel les généralistes ou les outsiders parlent beaucoup plus que les dix-septiémistes qui ne peuvent pas s'affranchir des faits ni passer par dessus les innombrables différences locales. Le thème ne fonctionne qu'à la condition de rester dans le vague ; produit des généralisations structuralistes, il a besoin de notions englobantes qui, aussi fallacieuses soient-elles, suscitent des comparaisons. C'est la vertu du vice: l'intérêt des dix-septiémistes pour le thème est moins historique qu'heuristique car il contribue à décloisonner les histoires nationales.

Dans les années 1950, les oppositions immédiates à l'article d'Hobsbawm anticipent la critique radicale que feront plus tard les "révisionnistes". Il n'est pas surprenant qu'elles émanent de spécialistes de la période qui n'acceptent pas que l'approche transitionnelle sacrifie l'Histoire à un concept.

Dès 1959, Trévor-Roper conteste l'explication économique d'Hobsbawm : la "crise" (qu'il accepte : they have so many common features that they appear almost as a general revolution) est de nature politico-sociale (a crisis in the relations between society and the State...[12]). Trévor-Roper sera quelque peu malmené dans la suite du débat. Pourtant, il ne se limite pas à une chronologie (années de troubles en période de contraction économique vs l'expansion du XVIe), ni à l'opposition court/country (que ses adversaires lui reprocheront comme typiquement anglaise). Pour lui, les luttes constitutionnelles (et leurs péripéties locales) expriment un conflit structurel : la croissance de l'Etat aux XVe/XVIe s'est faite sur un mode médiéval (Etat Renaissance) parasitaire. Le splendide gaspillage subséquent pèse trop lourd sur la "société". Alors l'Etat entre en crise : d'un côté, il innove en transformant la structure politico-sociale ("centralisation") ; de l'autre, son organisation et son financement reposent sur un socle ancien inadapté. La rationalisation "mercantiliste" consiste appliquer aux royaumes des politiques et des modes de gouvernance qui ont fait leurs preuves dans les villes. C'est aussi nécessaire que difficile. Si les Pays-Bas se débarrassent de l'Etat parasite dans le cours de la lutte contre l'Espagne et triomphent, l'Espagne échoue à se recalibrer et sombre. L'Angleterre ne fait pas une révolution mais un nettoyage. La France se trouve dans une situation intermédiaire, la réformation viendra d'en haut (Colbert). Quoique Trévor-Ropper se livre plus à un essai d'interprétation qu'à une démonstration historique, il ouvre une autre voie qu'Hobsbawm, en récusant le déterminisme économique et en posant l'autonomie du politique.

Plus aiguë est, en 1969, la critique de Elliott. Sans théoriser ni généraliser, Elliott raisonne en historien de la période dont il a une connaissance approfondie par ses travaux sur l'Espagne des XVIe et XVIIe siècles. Il qualifie d'anachronique l'importance que la révolution puritaine reçoit de la révolution industrielle dont elle serait le prélude [13]. Au contraire, il faut analyser les troubles dans leur propre temps. Elliott s'étonne de la focalisation sur les années 1640 alors qu'on rencontre tant d'autres troubles dans le passé, notamment pendant les années 1560 que personne n'a songé à qualifier de "crise du XVIe".

Nous ne devrions pas, soutient-il, privilégier les soulèvements populaires : en quoi, dans leur temps,  sont-ils constitutifs de "crise" ? Nous, aujourd'hui, choqués par la misère des masses, nous leur prêtons notre indignation (et écrivons leur programme). Il faut oser poser la question brutale : dans leur temps, cette misère et ces révoltes importent-elles ? did they make any difference [14]. Les fréquentes furies populaires sont des faits habituels que, tout en les craignant, des membres de la classe dirigeante tentent d'utiliser. Mais, pour réussir, ces mécontents, toujours une minorité, ont besoin que, dans leur "classe gouvernante", une partie des non engagés penche vers eux. Leur succès dépend donc de l'évolution de la balance roi-émeutes qui pousse les non engagés dans un sens ou dans l'autre [15]. Trop d'émeutes les fait basculer du côté du gouvernement. Dans une société verticale, l'intérêt de classe n'existe pas, les solidarités sont limitées et la dépendance des rebelles à l'égard de l'étranger (Ecosse pour l'Angleterre, Espagne pour la Fronde etc.) atteste de leur faiblesse et de leur fragilité.

Elliott, trente cinq ans plus tard, dans sa contribution au livre bilan édité par Philip Benedict (2005, Early modern Europe : from crisis to stability), reprend ces idées. Il insiste sur l'instabilité essentielle des sociétés européennes prémodernes (the inherently unstable character of early modern European societies, endlessly prone to riots and revolts) et, par conséquent, le caractère non exceptionnel des troubles du milieu du XVIIe [16]. Plutôt que des "révolutions", ce sont des réactions au dynamisme de l'absolutisme. Le débat, quoique biaisé, a eu le mérite d'ouvrir les unes sur les autres des histoires nationales insulaires. Toutefois, la sympathie pour les révoltés a limité les comparaisons aux "sociétés" en ébullition, sans les confronter aux autres, celles qui, au même moment, sont restées non révolutionnaires (parfois paradoxalement : Castille [17]). En conclusion, Elliott note avec amusement que la crise du XVIIe européen est ressuscitée par des historiens du climat [18].

ii- le globalisme climatique

Ce nouvel avatar est à la fois puissant et frustrant. Tandis que, initialement, le thème s'inscrivait dans l'histoire européenne, et même ouest-européenne, avec (révolution industrielle oblige) une forte référence à l'Angleterre, aujourd'hui, le rejet de l'eurocentrisme élargit l'horizon. C'est une crise globale, à l'échelle du continent eurasiatique et, dans une certaine mesure, de toute la planète, que montre à présent Geoffrey Parker, un vétéran du vieux débat (cf. Parker, Smith, 1978). Son énorme ouvrage (Parker, 2013) surfe allègrement sur notre sensibilité au changement climatique et à la mondialisation. Il dépasse les histoires nationales et l'histoire comparée en magnifiant le facteur climatique commun : le "petit âge glaciaire" que les technologies actuelles lui paraissent permettre de documenter directement.

Quoique remarquable, ce livre ne convainc pas. L'auteur pose fortement son "paradigme glaciaire" (refroidissement, événements climatiques extrêmes, séismes et volcans, mauvaises récoltes, famines, épidémies) : la démographie qu'avait stimulée le bon climat du XVIe se heurte aux ressources réduites ; une catastrophique dépopulation d'un tiers rétablira la proportion. Le lecteur n'est pas surpris de voir ces calamités s'accompagner de troubles. Mais l'auteur ne définit pas le schéma de ces troubles très divers et laisse à l'intuition du lecteur le soin de deviner leurs rapports avec la crise climato-alimentaire. Or, des révoltes populaires ne font pas une crise politique, toute crise politique n'aboutit pas à une révolution et la nature de la "crise" n'est pas explicitée. Jan de Vries : He has converted the crisis of specialists into a thumping good read with a contemporary moral [19]. La préface à la nouvelle édition (2014) ne répond pas à cette critique fondamentale.  Le lecteur doit se satisfaire des points communs et des synchronicités : il y a presque partout, presque en même temps, crise alimentaire et troubles socio-politiques. Mais quelle est la matrice qui, à partir des accidents  climatiques, engendre des "rébellions" politiques et permettrait de parler de global crisis ? Le lecteur ne le saura pas, l'auteur ne lui donne pas la séquence globale, seulement des développements locaux (quasiment monographiques) dont l'empilement crée l'apparence d'un lien entre dérèglement climatique et dérèglement "social" [20].

En réponse à la proclamation de ces thèses en 2009 (JIH, 2009), de Vries, lui-même dubitatif à l'égard du "petit âge glaciaire" [21], s'étonnait déjà de cet usage du climat : The crisis concept has a natural ally in the Little Ice... With climate, as with so much of the general crisis literature, there is a great deal of suggestive correlation but much less in the way of convincing causation  [22].

En effet, les relations causales n'ont qu'une fausse évidence : l'impact des températures et du climat sur les récoltes n'est pas linéaire ; complexe, il dépend, en particulier, du moment où la perturbation impacte le calendrier agricole. D'autre part, le lien entre récoltes et population n'a rien d'arithmétique : l'intuition malthusienne sur laquelle s'appuie Parker (ressources/population) est discutée par les démographes. L'explication des swings démographiques, est à chercher du côté de la fertility response [23], non de la mortalité qui est chroniquement élevée.

2. De la "prémodernité" à l'altérité

Le nouveau climat historiographique (a) et la mondialisation (b) disqualifient la notion de "prémodernité" (c).

a) après le tournant des 1980s

En 2008, l'American Historical Review (AHR) fait le bilan du débat sur la crise du XVIIe (The General Crisis of the Seventeenth Century Revisited). Shank, interrogeant la crise du concept de "crise" et l'usage que peuvent encore en faire les historiens, caractérise la position épistémologique présente : pour l'historiographie devenue consciente d'elle-même (self-conscious), le débat sur la crise générale ne peut pas être évalué indépendamment du cadre qui l'a déterminé. La crise du XVIIe n'est pas un donné qui attendait les travaux des historiens, mais un construit qui connecte l'analyse empirique à des hypothèses théoriques pour déterminer en même temps un objet ("la société du XVIIe") et ses attributs (la dynamique de crise). Les réifications qui sous-tendent la crise générale suscitent aujourd'hui le scepticisme et rendent son avenir problématique [24].

Dans son article de 2005 déjà cité Elliott note le tournant "déconstructiviste" qu'opère à partir des années 1970/80 le reflux du déterminisme et du structuralisme, tout en exprimant sa réticence à l'égard du "révisionnisme" postmoderne [25] qui, pourtant, me semble-t-il, renforce et développe l'une de ses thèses les plus importantes : les instruments forgés pour les sociétés "modernes" sont anachroniques car les sociétés "prémodernes" (appelons-les ainsi encore un instant) présentent une instabilité inhérente. La notion de "crise" et, a fortiori, celle de "révolution" n'ont pas cours. Elles y ont été projetées, au milieu du XXe siècle, par la crainte (Merriman, 1938) ou l'espoir (Hobsbawm, 1954) d'une révolution communiste mondiale, aujourd'hui aussi incongrue que la question de la prédestination et de la grâce qui, en son temps, fut vitale et sanglante.

Aujourd'hui, la critique du concept de "prémodernité" repose sur deux arguments liés : 1) cette caractérisation sert à boucher un trou dans la transition à la modernité ; 2) cette périodisation et cette transition n'ont de sens que dans l'histoire européenne : west vs rest. De même que l'achèvement des Etats-nations avait engendré des histoires nationales segmentées, de même la mondialisation suscite le besoin d'une histoire globale (world history) qui explique autrement l'émergence du capitalisme en Europe et la "grande divergence".

La légende de la révolution industrielle développait (avec des variations) le thème de la "libération des forces productives" des rapports sociaux "féodaux". Les pays qui n'en bénéficiaient pas restaient sur place, même quand, initialement, ils étaient aussi ou plus prospères que l'Europe. Pour la critique "californienne" (Goldstone, 1998), Early modern est un "dix-neuviémisme" trompeur, issu de l'eurocentrisme [26] et de la conception sociologique de l'histoire (évolution des modes de production) : le grand trou (1500/1800) entre le féodalisme et le capitalisme appelle une phase de transition (The period from 1500 to 1850… was thus neither clearly feudal, nor clearly modern, but an age of transition, or of revolutions… it could with justification be labeled the "early modern" period, and so it was).

Mais l'histoire mondiale montre que des formes marchandes développées ont existé partout, même dans l'Antiquité, même et surtout en Chine, et qu'elles ne conduisent pas au "capitalisme". Au lieu que le west soit la norme et le rest une anomalie, le rest est la norme et le basculement presque fortuit de l'Angleterre l'accident. Loin d'exprimer une "nécessité historique", la "modernisation" est simplement un fait ('modernization' is simply a fact of history). Si l'on appelle "prémodernité" l'émergence de marchés dominés par le capital et la proto-industrie, on la rencontre en des temps et des lieux très divers, parfois pendant des phases relativement longues marquées par d'importantes innovations techniques et organisationnelles. Mais voilà, ces phases ne cumulent pas. Elles pulsent, fleurissent et fanent. Elles ne débouchent pas sur la "modernité". Nous verrons (b) comment s'explique alors l'émergence d'une Europe qui, de 1500 à 1750, se trouvait loin derrière l'Asie [27].

Prenant le contre-pied de l'european story traditionnelle, l'école californienne (Kenneth Pomeranz, Roy Bin Wong, Andre Gunder Frank, Jack Goldstone...) brosse une contre-caricature très stimulante : du point de vue de l'histoire mondiale, l'Europe, longtemps, demeure une société périphérique, conflictuelle et peu innovatrice. Son passé n'explique pas sa prépondérance tardive car ce passé ressemble à celui de toutes les autres sociétés. De 1000 à 1600, la Chine est champion du monde tandis que, à l'extrême Occident du continent, des guerriers primitifs se combattent sans fin. A partir de 1500, certains d'entre eux, comme les barbares du passé, conquièrent des empires en déclin (Aztèques, Incas, Moghols). Jusque vers 1800, rien n'explique leurs succès futurs. La "grande divergence" n'a pas de racines [28].

Quoiqu'on puisse critiquer cette réécriture, rester perplexe devant ses arguments quantitatifs [29] et s'irriter de ses raccourcis [30], sa vertu heuristique est indéniable : à partir du moment où la "crise du XVIIe" cesse d'être aspirée par la "révolution industrielle", les troubles redeviennent des faits historiques dans leur propre temps. On peut interroger leur concomitance (guerre de Trente Ans ? émergence de l'Etat ?) ou faire des allers- retours enrichissants en examinant leur passé, sans que l'analyse soit biaisée par leur prétendu futur. C'est dans cette voie que s'engagent des historiens du champ.

La contribution de Dewald (2008) au forum de l'American Historical Review déjà mentionné passe en revue les contextes historiographiques de l'apparition du thème de la "crise du XVIIe", de ses développements et de la critique actuelle. Le thème, né de la rencontre de l'histoire sociale française et du structuralisme marxiste [31], s'est développé en tant qu'effort pour comprendre la modernité européenne, à la fois pour elle-même et pour les leçons à tirer en matière de "développement". Dans un second temps, le reflux du structuralisme, désencastrant le politique du social, a légitimé l'autonomie du premier, donnant raison à Trévor-Ropper et Elliott : en quittant le statut de sous-produit pour celui d'objet, le politique s'ouvre à l'examen. Dans un troisième temps, le passage de la "modernité" à la "postmodernité" relativise l'importance de l'industrie et, dans l'autre sens, révèle la "modernité" de certaines formes de capitalisme pré-industriel. Toutes ces évolutions conduisent à ne plus chercher l'origine de la divergence dans des facteurs et processus à la fois intrinsèques et déterministes (explaining divergence between Europe and the rest of the world in terms of essential qualities internal to each) mais, au contraire, à s'intéresser aux facteurs exogènes et aux hasards. De ce fait, la "crise du XVIIe" disparaît (the crisis of the seventeenth century loses most of its significance as a social historical event[32]. Ce qui se produit autour de 1650 à différents endroits du continent ouest-européen ne constitue pas une "crise", encore moins une "crise générale" transitionnelle.

 

Renonçons donc à "prémoderne" (early modern), ce qualificatif captieux, traduisant (et provoquant) une aspiration par le "futur". Récusons la rétrodiction au profit d'une approche "indigène". Les ensembles humains (pour ne plus dire "sociétés") d'ancien régime (au sens large) partagent quelque chose d'essentiel qui les distingue tous des "sociétés industrielles" : l'Europe du XVIIe est plus proche de la Chine que de l'Europe du XIXe.

Selon la légende (à laquelle certains n'ont pas renoncé), le capitalisme naît en Occident parce que celui-ci en contenait les prémisses. Pour rompre le cercle (l'œuf et la poule, la vertu dormitive de l'opium...), les "Californiens" annulent la coupure spatiale (west/rest) : la révolution industrielle en Europe n'est pas endogène.

b) redistribution des cartes

Les "révisionnistes" s'engouffrent dans une avenue, tracée dans un autre cadre, celui de la démographie historique (Wrigley, 1988, Continuity, chance & change : the character of the industrial revolution in England) : le lièvre (population) perd la course malthusienne contre la tortue quand la croissance des ressources devient exponentielle ("révolution industrielle").

Sur quoi repose l'opposition entre ces deux régimes ? Les sociétés "non industrielles" sont condamnées aux cycles. Dans les phases positives, la croissance reste asymptotique car elle repose sur des flux de ressources naturelles. La quantité d'énergie disponible, qu'elle provienne du muscle, du bois, de l'eau ou du vent, à la fois limitée et dispersée, ne permet ni la concentration des machines ni le choix de leur localisation. De plus, elle est diminuée par la concurrence que les ressources se font entre elles : le même bois ne peut pas servir de combustible et de matière première ; la nourriture de l'animal, qu'il soit source d'énergie ou de matières premières (laine, cuir, etc.), se fait aux dépens des cultures destinées à l'alimentation humaine ou à la production d'autres matières premières. Aussi, les périodes de croissance, extensive (et même intensive), finissent par buter sur les limites naturelles, ce qu'exprime le fameux pessimisme des économistes classiques (Smith, Malthus, Ricardo) : les rendements décroissent (croissance asymptotique) parce que le rapport des ressources aux besoins se dégrade. Wrigley qualifie d'organique ce type de production.

Ce qui rend possible la croissance exponentielle ("révolution industrielle"), c'est qu'elle ne se fait plus au fil de l'eau, du vent ou du muscle. Elle repose sur des ressources pré-accumulées, en stock, d'abord le charbon qui, à l'horizon des hommes de la révolution industrielle, représente un potentiel illimité que la machine à vapeur permet à la fois d'extraire (pompage) et de transformer en énergie. A partir de ce moment, l'énergie devenue disponible, transportable et concentrable, permet le capitalisme usinier et, en déchargeant les autres ressources de leur fonction énergétique, a le même effet qu'une multiplication de la superficie des forêts et des champs. Ces sociétés minérales (mineral-based) sont doublement capitalistes, dans les rapports sociaux et dans les rapports à la nature. La Hollande a profité du premier et, faute du second, n'a pas "décollé".

L'Angleterre aurait pu, aurait dû, prendre le même chemin sans une série de hasards, une bénédiction imprévue [33] (it seems prudent to regard such growth not as a structural feature.. but as an uncovenanted blessing). Cette rupture est longtemps restée inaperçue car la perspective "unitaire" (un même processus des Tudor à Victoria) a confondu deux types différents de croissance économique : avant 1800/1850, la croissance s'inscrit dans le cadre d'un régime tendanciellement stationnaire (organic society [33b]), tandis que, après 1850, une disponibilité énergétique illimitée lui donne une dynamique exponentielle, en Angleterre d'abord, puis dans les pays voisins, et enfin à l'échelle mondiale. La révolution est casual (accidentelle), non causal (structurellement déterminée). Le cas normal est la Hollande : croissance capitaliste, expansion, stagnation, déclin. Les floraisons (efflorescences) des "sociétés organiques" finissent toujours, partout et pour la même raison, par faner.

De ce fait, poursuit Wrigley, passant de "l'infrastructure" à la "superstructure",  la "révolution bourgeoise" ne conditionne pas la révolution industrielle. Elle favorise le capitalisme dans une société organique sans être un passage obligé : les nouvelles sources de croissance sont neutres à l'égard du contexte social et politique (the neutrality of the new sources of growth with respect to social and political context). Cela est vrai des révolutions industrielles initiales comme de leur exportation ou imitation. Et cela est vrai malgré l'histoire anglaise : que la révolution bourgeoise précède la révolution industrielle, c'est un fait, non une nécessité ; comme le montre la diffusion mondiale de la révolution industrielle, elle s'accommode de toutes sortes de contextes, qui peuvent ne pas changer ou changer indépendamment d'elle (out of phase) [34].

Les "Californiens" des bords du Pacifique ont adopté ce point de vue avec enthousiasme. Alors que l'Histoire était centrée sur une Europe occidentale prédestinée à inventer la croissance exponentielle et à devenir maître du monde, les cartes sont redistribuées : la continuité temporelle de la révolution industrielle (processus unitaire anglo-européen) est remplacée par une continuité spatiale (communauté fondamentale de toutes les sociétés organiques) ; tandis que, à la rupture spatiale (west/rest), se substitue une rupture temporelle anglaise accidentelle. Quant aux détails du processus de divergence, les Californiens sont moins convaincants et plus divisés [35], mais cela ne nous concerne pas ici.

Pour l'histoire "consciente d'elle-même" (self conscious), les constructions historiographiques dépendent de leurs conditions systémiques. La "modernité", née des "Lumières" du XVIIIe et du déterminisme du XIXe, se pensait en termes évolutionnistes, se centrait spontanément sur son "soi" européen et flirtait avec la révolution. La "postmodernité", libérée de l'industrie et de ses origines européennes, désillusionnée de la révolution, les regarde avec détachement.

c) banalité des troubles du XVIIe

Ainsi, les troubles du XVIIe cessent d'être un "moment" de l'ontogenèse du capitalisme européen. Les révolutions anglaises ne s'expliquent plus par la révolution industrielle à venir, ni la Fronde par la révolution de 1789. Il n'y a plus de crise du XVIIe parce que les sociétés organiques paraissent essentiellement crisiques. J'écris "paraissent" car le mot est impropre. La "crise" se définit comme l'étape cruciale d'une pathologie (Shank), guérir ou mourir : pour des systèmes dont l'état normal serait l'équilibre, le déséquilibre est une maladie qui culmine dans la crise. Mais les ensembles humains "ante-industriels", quoique dynamiquement structurés, ne font pas système et ne tendent pas à l'équilibre. Ils sont à la fois trop simples et trop complexes pour connaître la stabilité autrement que sur le mode imaginaire de la Réformation (re-formation), du retour au bon vieux temps, à l'âge d'or de nos pères ou de nos aïeux. Il est donc approprié de les qualifier d' "instables", tant économiquement (floraisons) que socialement et politiquement : une tension permanente habite les relations au sein des groupes "verticaux" et entre eux.

Rappelons la question d'Elliott : aussi choquante que soit pour nous la misère des masses, dans son temps, importe-t-elle ? nous dramatisons leurs révoltes auxquelles nous prêtons un sens positif, alors qu'elles sont réactives, parfois spontanées, parfois téléguidées par la petite noblesse [36]. Ces émotions représentent le grand ressac des "sociétés" anciennes : elles fluent et refluent presque en permanence, avec une force et des effets destructeurs variables. Protestations vouées à l'échec, au massacre ou à l'abolition, elles n'avancent que pour reculer. L'image de la bête à mille têtes, familière aux contemporains, exprime la crainte de cette puissance aveugle. Comme la destruction des digues en Hollande, exciter la bête peut anéantir un ennemi mais aussi tout le reste. Aussi (cf. encore Elliott), en période de révoltes, la fluctuation des positions antagoniques au sein de la "classe politique" dépend de la balance entre la peur de la bête et la jalousie à l'égard des autres factions et du gouvernement. Il n'y a pas d' "Etat" qui aurait le monopole de la violence et, sauf le canon — qui n'est pas présent partout et a des exigences limitatives (transport, munitions, réglage) —, la force des armes est à peu près symétrique. La violence privée (individuelle ou de groupe) est un mode d'expression naturel, une espèce de rhétorique gestuelle, articulée aux déclarations, défis et manifestes, et concomitante aux négociations permanentes.

Dans ce cadre, poser la révolte comme une déviation explosive de l'équilibre serait inopérant et trompeur. Koenigsberger (1986) remplace "équilibre" par "chaos et rivalités" et suggère que quelque sorte de révolte peut être trouvée à tout moment [37]. Tel est le "vieux normal". Ce n'est pas le nôtre et, de ce fait, nous risquons de percevoir comme pathologiques des comportements et des actions qui, dans leur contexte, sont tout ordinaires.

Les historiens du champ procèdent à une critique interne minutieuse de la problématique traditionnelle (encore largement partagée), tandis que les "Californiens", à l'aide de Wrigley, en font une critique externe ravageuse. Les deux se complètent plus encore qu'il ne semble. Voilà longtemps, j'ai reçu une impression fulgurante  en lisant que Napoléon va à la même lenteur que Jules César. Je n'ai pas rencontré d'histoire générale qui intègre le temps et l'espace. Seulement, quelques uns notent que, à l'échelle des communications, la France d'ancien régime a une dimension continentale ou que l'étroitesse de l'Angleterre en facilite le maillage. Mais les implications "socio-politiques" ne sont pas envisagées. Aussi, faute de références [38], je me contente de proposer une esquisse à deux dimensions, physique et sociale : à l'échelle des transports qui transmettent les communications (que l'on déplace le messager ou le message), l'espace est à la fois immense et flou ; et dans cet espace incertain, les "chaines de commandement" sont aussi molles qu'entremêlées. On ne peut pas savoir d'avance combien de temps un édit ou un ordre venu de Paris ou d'ailleurs mettra pour rejoindre sa destination, ni quelle sera l'intégrité de la transmission, ni quel degré de conformité aura la réponse. Exécuter les ordres, rendre compte, se faire évaluer et sanctionner, cette séquence s'inscrit dans une temporalité si longue, avec des procédures si vagues, elle offre tant d'échappatoires que, la plupart du temps, c'est un processus dissipatif.

Dans une "société" organique, la communication dépend du muscle (humain ou animal), du courant ou du vent. Elle est donc peu efficace et variable. Non seulement il faut des jours et des jours pour aller d'un point à un autre, même en poste, mais nul n'est sûr d'arriver, ni de la façon dont il sera reçu, lui et son message. Les chemins de fer, le bateau à vapeur, les routes et les moteurs, l'électricité et le téléphone, Internet, nous ont habitués à des transports rapides et à des communications tellement instantanées et multilatérales que notre imagination ne parvient pas à concevoir un monde à basse pression et plein de fuites. On dit : l'imprimerie diffuse un même message à la multitude, tandis que la parole ou le manuscrit transmettait un message déformé au petit nombre. Mais l'imprimerie n'est pas la radio, les écrits doivent être transportés matériellement et distribués physiquement : bateaux, charrettes ou hottes de colporteurs ; vent, cheval ou homme. Et les écrits se diffusent de manière orale (lectures publiques, conversations, rumeurs).

Ce n'est pas tout. L'emprise du gouvernement sur une telle "société", immense et pluricentrée, passe par des relais, des relais de relais, des relais de relais de relais etc. qu'il est absolument abusif de qualifier d' "administration" (cf. infra). Ces relais ne sont pas des fonctionnaires, des nœuds ou des effecteurs d'une "verticale du pouvoir". Les officiers appartiennent à des congrégations, à des corps, à des parentèles, à des clientèles, bref à toutes sortes de réseaux entre lesquels leur fidélité alterne.

Un exemple : l'historiographie traditionnelle de Richelieu mettait l'accent sur son "despotisme" et sur la transmission verticale de ses ordres irréductibles ; l'historiographie récente, sous l'influence américaine (Ranum), le voit coincé entre le haut (Louis XIII) et le bas qu'il meut, moins par dictat que par patronage et clientèles qui sont la colle qui fait tenir le système politique [39]. Le cardinal consacre efforts et argent à constituer, entretenir et fidéliser ces clientèles, presque toujours disputées, rarement unilatérales. D'où, en particulier, un rapport privé-public tout à fait différent de celui que nous trouvons aujourd'hui normal et éthique : la prédation des fonds publics et des honneurs nourrit, directement et indirectement, le service de l'Etat.

Cette élasticité des "chaînes de commandement" ne se limite pas à l' "administration civile", elle concerne aussi la guerre et explique de nombreuses bizarreries apparentes dans l'exécution des ordres, les finances et la conduite des opérations.

Dans toutes les sociétés organiques, les gouvernements rencontrent la même difficulté à tenir un espace qui est moins centrifuge que décentré, acentré ou polycentré, par le canal d' "agents", eux-mêmes "multicanaux" (réseaux, fidélités, alliances). En fonction de l'histoire, des traditions et des formes sociales, le  détail des modalités varie mais la majesté du "pouvoir absolu" ne suffit jamais à écraser la "société", tant il y a de pertes en ligne.

 

C'est donc dans le cadre d'ensembles humains flous, instables et conflictuels que j'examine les troubles français du milieu du XVIIe siècle dont les points communs avec d'autres ne sauraient surprendre. En Europe occidentale, à quelle comparaison utile peut-on soumettre la Fronde ? Excluons les Provinces-Unies et leur "révolution" par forfait (mort accidentelle du Prince). Excluons le Portugal qui fait un coup d'Etat dynastique. Ne retenons ni Naples ni la Catalogne dont le soulèvement exprime les problèmes structurels de "l'Espagne" (monarchie composite et "union des armes", roi absentéiste, prépondérance castillane). Reste l'Angleterre, quoique les différences (structurelles comme événementielles) soient innombrables et les issues à court terme opposées, quoique le champ historiographique des révolutions anglaises soit miné.

II. Parallèle anglais : la place du Parlement

Depuis trois siècles les historiens de la Fronde et ceux de la Grande Rébellion [40] ont creusé leurs tranchées : ramifiées et profondes, elles ne se croisent pas. Si la recherche s'est intéressée à l'influence des événements anglais sur les français, elle n'a pas jugé leur comparaison pertinente [41]. Cela me condamne à écrire un essai d'interprétation, plutôt qu'une analyse.

Pour le récit, je me base principalement sur Russel, 1971, The crisis of Parliaments, 1509-1660 et Moote, 1971, The revolt of the Judges - the Parlement of Paris and the Fronde 1643/52. Je n'ai trouvé rien d'aussi intéressant dans l'historiographie française ni dans les publications plus récentes.

Je n'essaierai pas de présenter un résumé, même sommaire, d'évènements surinterprétés par l'historiographie et d'épisodes fameux, mythifiés par la pensée politique, tels que, en Angleterre, la Grande Remontrance, l'exécution du Roi, ou en France, la Charte de la Chambre St Louis, la journée des barricades, etc. Je me limiterai aux repères indispensables.

 

Avant de commencer, notons bien un important élément contextuel : depuis le XVIe siècle, tous les gouvernements en Europe exacerbent le mécontentement car, indépendamment de leurs dépenses et de leur mode de gestion, la grande inflation lamine leurs recettes traditionnelles dont une bonne partie est fixée en valeur nominale. Pouvant difficilement ajuster celles-ci, les gouvernements courent derrière la hausse des prix, inventent de nouvelles ressources, créent de nouveaux impôts, imposent de nouvelles obligations pour s'en faire payer la dispense, s'attaquent aux privilèges et aux "libertés", pratiquent l'emprunt forcé etc. Si les prélèvements traditionnels suscitent la même mauvaise humeur que le mauvais temps, toutes ces noveletés choquent d'autant plus que, le phénomène de l'inflation étant incompris, elles apparaissent comme une offensive injustifiée, tyrannique, sur les revenus et les fortunes du public. Largement inefficace en raison du mode de perception (fermiers), la rapacité accrue des gouvernements modifie l'ordre social (ventes d'offices ou d'anoblissement, enrichissement des financiers) et l'ordre politique : leur approbation est refusée, leur imposition forcée est contestée. Lorsque, dans le cours du XVIIe, la hausse des prix ralentit, il est trop tard : les gouvernements ont pris l'habitude de la "créativité budgétaire" et les "peuples" de la rejeter.

Si les finances royales n'étaient pas dans un état aussi dramatique (aggravé par l'inévitable gaspillage et la nécessaire prodigalité), les séquences auraient été différentes. Le Parlement en est le centre puisqu'il doit consentir aux nouveaux impôts, explicitement ou implicitement. De ce fait, ce conservateur de la légitimité (union du Roi et du Royaume) devient le vecteur, le véhicule, de l'opposition au gouvernement.

 

Le texte est divisé en trois points. Le premier justifie le parallèle : en France et en Angleterre, ce sont deux parties différentes d'un même jeu (§1). J'examine ensuite chaque séquence en pensant à l'autre, d'abord la séquence anglaise (§2), ensuite la française (§3).

 

1. Parallèle

Après la longue période de la wigh history, l'effervescence des années 1960/70 a révolutionné l'historiographie anglo-saxonne. De nouvelles analyses des troubles ont montré que, ex ante, le champ des possibles, s'il était contraint, demeurait ouvert : l'évolution du jeu dépend des interactions dont certaines exercent des effets structurants qui conditionnent les "coups" suivants. Outre son intérêt propre (l'Histoire redevient une histoire), l'approche "révisionniste" de la période (qui a débordé sur le cas français) critique et rejette l'immixtion du futur dans le présent étudié : la réalité est contemporaine, même s'il nous est impossible de deviner ce que pensaient les acteurs du temps et, quand nous le pourrions, de comprendre leur pensée. Les acteurs ne poursuivent pas un programme prédéfini qui les opposerait, ils réagissent aux actions de l'autre camp et à ce qu'ils imaginent être ses intentions. Le conflit est contingency-dependent [42].

Les différences entre la France et l'Angleterre, multiples et significatives (a), seraient rédhibitoires si les deux parties ne se situaient sur le même terrain, celui du roi "absolu-limité" (b). D'où le rôle du parlement comme instance de "médiation" entre le roi et le corps politique. Parliament et Parlement se ressemblent plus qu'ils n'en ont l'air (c). Sans le vouloir, ils mettent en crise la monarchie lorsque les circonstances font de leur légitimité dérivée une légitimité alternative. En ce sens, si les deux séquences ne s'inspirent pas l'une l'autre, elles vont dans la même direction et, de plus, sont à peu près synchrones.

a) deux parties différentes

La Fronde, stricto sensu, (1648/52) marque le paroxysme des troubles de la minorité de Louis XIV qui commencent à la mort de Louis XIII (1643) et finissent à celle de Mazarin (1660). L'historiographie traditionnelle y voyait une réaction à l'ordre répressif du gouvernement de Richelieu (1629/1642), lequel, aujourd'hui, apparaît moins offensif que défensif : une tentative toujours recommencée d'imposer l'autorité royale aux peuples en révolte, aux nobles en courroux, aux Huguenots en sédition. C'est la continuation de l'effort de Henri IV dont le règne (1594/1610) n'aura apporté paix, bonheur et prospérité que dans la légende posthume. Au cours de ces phases, si l'équilibre des forces varie, l'instabilité reste permanente, tantôt manifeste, tantôt latente. Quant au beau seizième siècle, il ne fut que troubles et guerres.

De l'autre côté, la Grande Rébellion est centrée sur 1642/1649, les années de guerre civile jusqu'à l'exécution du roi dont les prémisses remontent au soulèvement écossais de 1637 et au Long Parliament de 1640. L'historiographie traditionnelle faisait de ces troubles une réaction aux tendances "absolutistes" des Stuart depuis Jacques I (1603/1625) [43], lesquelles, aujourd'hui, apparaissent comme une tentative, plutôt infructueuse, de faire face aux problèmes religieux, extérieurs, financiers et nobiliaires, légués par les Tudor du beau seizième siècle, problèmes qu'aggrave encore l'union personnelle de l'Ecosse et de l'Angleterre instaurée par le double règne des Stuart. Défendre l'autorité royale dans ces conditions représentait une gageure que même des gouvernements plus habiles auraient eu du mal à gagner. Plutôt que de chercher les racines de la "crise" loin dans le passé (Jean sans terre) ou dans le futur (le Parlement démocratique), voyons la comme un épisode dramatique de la tension permanente entre le gouvernement et la noblesse, laquelle se poursuit après 1649, de même que, en France, le règne personnel de Louis XIV hérite des structures et des problèmes antérieurs [44] et s'affiche théâtralement d'autant plus "absolu" qu'il l'est moins. A la suite des travaux de Kettering, Beik, Collins, Mettam dans les années 1980, les auteurs récents ont détourné les yeux du théâtre du Sun King et déniaisé l' "absolutisme". Délaissant la caricature (despotisme) qui a illusionné les XIXe et XXe siècles postrévolutionnaires, ils reviennent au sens contemporain [45].

Ce parallèle entre la France et l'Angleterre, les historiens l'ont refusé ou éludé. Cela s'explique, en général, par les difficultés de l'histoire comparée et, en particulier, par les innombrables écarts entre les deux séries d'évènements, à commencer par leur issue opposée : à "l'échec" de la Fronde succède l' "absolutisme" louis-quatorzien, alors que le "succès" de la Grande Rébellion, après l'interrègne et la restauration, débouche sur la Glorieuse Révolution et une forme de "monarchie parlementaire" qui, via ses théoriciens (Locke etc.), stimulera le libéralisme continental. Chateaubriand : Les guerres parlementaires de la Grande-Bretagne furent les dernières convulsions de l'arbitraire anglais expirant ; les guerres de la Fronde, les derniers efforts de l'indépendance française mourante : l'Angleterre passa à la liberté avec un front sévère, la France, au despotisme en riant (1836, Etudes historiques, tome IV, Paris, Pourrat p 324/325).

Ce biais marque l'historiographie française : l'arrimage de la grande rébellion à la révolution de 1789 attrape la Fronde au passage, et la place sous la lumière artificielle de l'absolutisme [46]. La synchronie ne signifie rien : les Anglais jouent Shakespeare, les Français Corneille [47].

En Angleterre, les passions religieuses amplifient et durcissent les positions, sinon des "masses" du moins des activistes, au point qu'on a parlé de révolution puritaine. En France, quoique le parti dévot ou les "jansénistes" se devinent parfois à l'arrière plan des alliances ou des prêches, la religion ne mobilise pas et, surtout, ne clive pas [48] : les Huguenots qui furent actifs sous Louis XIII, à présent ralliés ou résignés, ne feront pas entendre de dissonance avant d'y être forcés par Louis XIV. Au contraire, la Grande Bretagne connaît l'affrontement de l'épiscopalisme royal nouveau style (Laud) et ancien style (Bancroft) ; de l'épiscopalisme et du presbytérianisme ; du crypto-catholicisme de l'anglicanisme arminien (croyances et cultes) et des calvinistes et des sectes ; sans oublier l'hystérie antipapiste que les complots et résistances, réels comme supposés, ne cessent d'alimenter. A cet égard, l'Angleterre évoque davantage la France de la fin du XVIe que la Fronde.

Les Ecossais s'insurgent pour ne pas être alignés sur l'église anglicane (covenant, guerres des évêques). Ils sont assez à l'extérieur du royaume pour s'armer et s'organiser librement, et assez dedans pour s'impliquer dans ses rivalités. Sans envisager la dimension idéologique de positions dont la sincérité et la portée nous échappent aujourd'hui, tout se passe comme si, via l'Ecosse attardée [49], l'Angleterre était rattrapée par les conflits religieux du XVIe siècle dont, dans une certaine mesure, le schisme de Henri VIII l'avait préservée. L'Ecosse, l'alliance de grands nobles anglais avec elle, l'invasion "amicale et libératrice", le programme puritain, tout cela dynamise l'opposition au gouvernement et transforme un conflit réglé en processus divergent, potentiellement disruptif.

Il n'y a rien d'équivalent en France. Certes, l'Espagne (surtout les Pays-Bas) offre une base arrière et un soutien militaire et financier aux mécontents : la royauté castillane, aux prises avec les "révolutions" catalane, portugaise et napolitaine, voit dans les troubles français l'espoir d'obtenir la paix à des conditions acceptables. Mais la Castille, malgré ses accointances avec le parti dévot, échoue à trouver de vrais alliés insiders.

Sans pousser plus loin l'examen des singularités, notons enfin que l'apparent équivalent du Parlement anglais, les états généraux, reste hors jeu. Quoique le Parlement de Paris se voie en substitut, il ne "représente" pas le royaume, ce qui semble faire des deux parlements de simples homophones.

b) un même jeu

Si l'on en reste aux schémas d'évolution et aux étiquettes institutionnelles, la rébellion anglaise montre un combat d'avant-garde ("démocratiser la centralisation étatique") et la française un combat d'arrière-garde (restaurer les "libertés" médiévales laminées par la centralisation).

Mettons donc entre parenthèses (mieux, oublions) les catégories et le futur "constitutionnel" des deux pays pour les remplacer par une analyse empirique. Les sociétés organiques (et non pas "prémodernes") ne constituent pas des "systèmes sociaux" tendant vers l'équilibre. Leur nature est plutôt oscillatoire. L'instabilité récurrente a pour origines la limitation des ressources, la structuration "multiverticale" des allégeances et la mollesse des "chaînes de commandement". L'exercice du pouvoir royal consiste en un compromis pratique, toujours à réitérer, entre d'épisodiques ambitions "absolutistes" du monarque et les libertés de la "classe politique" [50]. Que, face au roi, on nomme celle-ci peuple ne doit pas nous tromper : elle se compose seulement des gouvernants (présumés incarner les gouvernés) : les hiérarques, les nobles (au premier chef les Grands) qui tiennent les territoires, les gras bourgeois qui tiennent les villes, la milice, les confréries, les compagnies et les associations en tous genres.

Depuis longtemps, cette dialectique connaît, de chaque côté du Canal, des phases et des moments, parfois liés (guerre de Cent Ans), souvent séparés. Elle reçoit différentes formulations, toutes paradoxales à nos yeux puisqu'elles expriment à la fois le pouvoir absolu du monarque de droit divin et les conditions de ce pouvoir (the king is under the law and yet under no man). Ce qui, pour nous, relève de l'oxymore, "un pouvoir absolu-limité" [51], traduit l'état des possibles et ne préfigure ni n'anticipe les checks and balances de la "monarchie constitutionnelle" postérieure. Loin de délimiter les rapports entre le gouvernement et la classe politique, le paradigme constitutionnel médiéval (ou tardo-médiéval) se caractérise par leur indétermination (d'où l'instabilité) [52]. Les dénominations courantes, monarchie mixte, monarchie tempérée, monarchie limitée, nous suggèrent un partage du pouvoir alors qu'elles reflètent la coopération conflictuelle, le conflit coopératif, propre à tout pouvoir de ce temps.

Cette "divergence convergente" a été explicitée à fond dans les "débats" sur la place du pape, tant par rapport aux monarques que par rapport à l'Eglise (pape/évêques, pape/concile) [53]. Les monarques affirment leur obéissance au pape et leur droit divin direct (non médié par le pape) qui assure leur liberté dans le domaine temporel et leur donne la responsabilité de la "police" de leur Eglise [54]. Et le concile de Constance (et ses suites) définit le pouvoir du pape dans l'Eglise aussi subtilement que s'énonce celui du roi : les deux sont semblablement absolus et limités [55].  

Cette ambiguïté fait consensus partout, y compris dans l'Angleterre et la France du XVIIe siècle : le jeu de langage qui conjugue et oppose "monarque" et "monarchie", s'il se prête à toutes les variations rhétoriques de l'antithèse/synthèse, peut être résumé par l'expression dominium regale et politicum [56]. Traduisons par autorité du roi et du corps politique, et osons généraliser, à l'encontre d'une longue suite d'historiens anglo-saxons qui voient de l'absolutisme tyrannique (dominium regale) sur le continent et de la démocratie embryonnaire dans l'île (regale & politicum) : aucun pays ne connaît durablement un pur dominium regale ; tous combinent regale et politicum. Ce qui varie, en fonction de l'histoire, des circonstances et des rapports de force, ce sont les modalités du et. Indépendamment des théorisations (Aristote, Augustin, d'Aquin etc.), ce type de gouvernement caractérise les royaumes médiévaux et tardo-médiévaux (substituons late medieval à early modern pour éliminer l'anticipation véhiculée par l'expression).

Les parlementaires anglais qui s'opposent au roi Charles I restent monarchistes aussi longtemps qu'ils le peuvent (cf. infra), les Frondeurs tout le temps, quoi que rêve Batifoll en 1928. Cette ambiguïté séculaire circonscrit l'espace d'un jeu de stratégie. Aussi loin qu'aillent, en temps de conflit, les formulations en faveur du regale ou du politicum, le jeu continue, avec des fortunes diverses et changeantes, tant que chaque côté a besoin de l'autre. L'indétermination des pouvoirs respectifs et des droits réciproques résulte moins d'une impossibilité logique (le "fer en bois" du dominium regale et politicum) que d'une nécessité pratique : maintenir une élasticité suffisante pour permettre la réversibilité des avantages momentanément acquis. C'est en ce sens que j'interprète la fameuse phrase du Cardinal de Retz à propos du voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut dire, tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois qui ne s'accordent (ou ne se désaccordent) jamais si bien ensemble que dans le silence. Chercher un avantage décisif et définitif, c'est quitter le jeu.

Dans ce cadre d'affrontement consensuel, les péripéties des rapports de force ne résultent pas d'une tectonique des structures. Moins encore de "programmes" qu'il est aussi vain de chercher dans les textes contemporains que d'induire de schémas sociologiques rétroprojetés ou d'importer du futur (démocratie parlementaire).

Les troubles français et anglais montrent deux "parties" sur le même terrain (dominium regale et politicum). Deux parties d'échecs singulières sont des variantes du même jeu, perpétuellement recommencé. Nous allons voir, des deux côtés, des dynamiques de même type, conduisant à des coups, tantôt semblables, tantôt différents.

c) Parliament et Parlement

Jusqu'au milieu du XVIIe siècle, les différences entre Parliament et Parlement tiennent plus aux faits qu'aux structures ou aux doctrines. Par la suite, le fossé se creuse, dans la réalité et, plus encore, dans les représentations. Le Parliament médiéval, fatherized, devient le père de la démocratie représentative et l'incarnation de la "nation". Au contraire, le Parlement, qu'on le voie féodaliser les bourgeois ou embourgeoiser la féodalité, paraît privé de base. Qu'il s'aventure trop loin et il devra se replier, tandis que, croit-on, le Parliament, appuyé sur ses mandants, d'abord défend ses droits, ensuite les étend, enfin se substitue au roi.

Dans les années 1640, le contraste semble frappant : Paris parle, Westminster agit. Le Parlement déclare Mazarin ennemi public et invite tout un chacun à lui courre sus. Le Parliament, lui, emprisonne le chef de l'Eglise et le chef du gouvernement (Laud et Strafford), les juge, les condamne et les fait exécuter, sans permettre au roi de les gracier. Ensuite, les deux institutions sont éclipsées par les chefs de guerre. En France, Condé aspire aux récompenses et finit par les trouver en Espagne. En Angleterre, Cromwell violente le Parliament, prend le pouvoir et subjugue l'Ecosse et l'Irlande.

La Fronde conduirait à l'absolutisme, la grande rébellion à la monarchie parlementaire (moyennant quelques étapes intermédiaires), validant le stéréotype de Fortescue (bonheur des Anglais participant aux décisions du roi, malheur des Français soumis au despotisme [57]). De même, la whig history a mis l'accent sur la "tradition démocratique" anglaise depuis la Grande Charte de 1215 (magna carta), matrice du pouvoir parlementaire [58] et, par implication, de la modernité. Il s'agirait donc de représentativité. Ce serait alors des états généraux et non du Parlement qu'il faudrait rapprocher le Parliament. Mais une telle comparaison repose sur une triple erreur : i) l'Angleterre ne connaît pas d'états généraux [59] et c'est tardivement (XVIIIe, XIXe)  que cette figure continentale du mythe trifonctionnel (Oratores, Bellatores, Laboratores) sera utilisée pour caractériser le Parliament ; ii) en Angleterre, jusqu'à la guerre civile, le Parliament est essentiellement une cour de justice, comme le Parlement, et non une assemblée politique ; iii) en France, les états ont échoué à s'imposer et à s'instituer : cet avortement leur a substitué le Parlement de Paris.

Parlement et Parliament constituent une paire d'homologues. Redisons-le, le hiatus constitutionnel entre la France et l'Angleterre vient du futur [60]. Il ne préexiste pas aux troubles et n'en conditionne pas l'évolution. La guerre civile aura le double effet de radicaliser le droit féodal [61] et d'annihiler le Parliament, pendant que, à Paris, le Parlement poursuit son train séculaire.

L'assimilation des deux parlements résiste à l'objection de l'élection. Des deux côtés, les Grands siègent de droit ou par décision du roi, les autres sont, en Angleterre, "élus", et en France initialement nommés, ensuite cooptés, enfin autodésignés (achat de la charge). En cela, les formats du Parliament et du Parlement s'éloignent et s'opposent, si l'on s'abuse sur la signification et la portée de l'élection des Commoners par les comtés et certains bourgs [62]. Comme les députés aux états, leur cooptation au sein des gens de bien se fait sous l'influence des "caïds" locaux et des réseaux de patronage. Dans une large mesure, les élus anglais, des comtés comme des bourgs, appartiennent à la petite noblesse (knights of the country), sont des cadets de la noblesse, ou leurs hommes d'affaires, ou leurs "clients" [63]. Ainsi les Commons n'émanent nullement du "pays" mais de la gentry (pas toute, les segments localement dominants).

La gentry n'a pas d'équivalent en France. A la différence de la noblesse seconde française, elle ne s'occupe pas seulement de ses propres affaires (favorisées ou bridées par le gouvernement), elle constitue l'appareil local de "l'Etat" (sheriffs et surtout justices [64]). Même opposée au gouvernement, elle en reste le bras local (one party state). Lorsque, excitée par certains Grands et durcie par l'excitation religieuse, l'opposition passera de Westminster au comté, le royaume cessera d'être viable jusqu'au jour où le gouvernement redeviendra, comme le comté, une "coopérative" de la gentry sous la direction des Grands. Dieu bénisse la reine Anne !

En France, la noblesse jouit de pouvoirs locaux propres et certains de ses membres reçoivent du roi des charges, mais la plupart des fonctions judiciaires et "administratives" échappent à la distribution des faveurs par la vente des offices : l'épée ne le pardonne pas à la plume (cf. les états de 1614 [65]). La marchandisation procure des ressources considérables au Trésor (la moitié des recettes publiques !) et, en même temps, soustrait en partie les places et les revenus associés au don/contre-don des réseaux de clientèle. Dans cette mesure, elle crée un embryon d' "appareil d'Etat" (à la fois hypertrophié et sous-développé) qui, s'il n'est pas totalement à la main du gouvernement (propriété des charges), n'est plus à celle de la noblesse (sauf intimidation, patronage ou jeu d'influence).

Quoique cette différence entre gentry et noblesse seconde ait des implications "socio-politiques" importantes [66], elle ne fait pas des députés aux Commons des "représentants", sinon du peuple du moins de ceux qui comptent dans le comté ou dans le bourg. Ils ne sont pas tels, ils ne se voient pas tels et ils n'argumentent pas contre le roi sur cette base [67]. Ils interfacent leur base locale et la Cour : d'un côté, ils transmettent les pétitions, publiques et privées, les soutiennent et essaient de leur obtenir une bonne fin ; de l'autre, ils ont le privilège de voir le roi (même de loin) et espèrent grappiller des faveurs qui renforceront leur prestige et position locale. Quand ils seront en opposition avec le roi, ils ne prendront pas appui sur leurs mandants, ils formuleront une protestation juridique. La common law (Coke) et/ou le droit naturel (Parker) serviront à en appeler du roi mal conseillé au roi mieux informé, à l'instar du Parlement de Paris.

2. La séquence anglaise

Il faut d'abord préciser le contexte spécifique (a). J'examine ensuite la dynamique du conflit coopératif (b). La partie se développe autrement qu'en France parce que les rois occupent des positions symétriques (c).

a) contexte

Je retiens trois points principaux : i) l'héritage Tudor ii) la fragilité d'un Etat composite, iii) l'échauffement religieux.

i- Tudors et Stuarts

En Angleterre, longtemps, on a aimé opposer l'absolutisme méprisant des Stuarts à la bienveillance de la Good Queen Bess (devenue telle post mortem, précisément comme contre-figure des Stuarts). Si j'ose l'expression, les Tudors se présentent comme des "rois majoritaires" et leurs successeurs Stuarts comme des "rois minoritaires" (et donc agressifs). La recherche récente relativise cette opposition : les seconds n'étaient pas si noirs, ni les premiers si blancs. Au-delà de leurs caractéristiques personnelles et de leurs préférences religieuses, tous ont fait ce qu'ils pouvaient pour 1) éroder les franchises et le pouvoir autonome des grands nobles et les intégrer à la cour [68], 2) cogérer le pays avec la gentry qui tient les comtés, et 3) adapter la position internationale de la petite puissance qu'est alors l'Angleterre aux variations de l'équilibre continental (France, Empire, Espagne).

Le roi d'Ecosse, Jacques VI, succède à sa cousine Elizabeth et devient Jacques I d'Angleterre. Cela ne provoque pas de rupture fondamentale [69], pas plus que lorsque son fils Charles lui succède. Leurs démêlés avec le Parlement, emphatisés ex post, restent dans les limites traditionnelles. Lors des disputes (notamment sur les questions financières), la parole royale exagère ses prétentions comme le fait, dans l'autre sens, le discours parlementaire. En dehors des cas où le Parlement s'aventure sur le terrain des affaires de l'Etat, "domaine réservé" du monarque (politique "internationale" et matrimoniale), le conflit standard a pour termes : subsides vs réformation des abus. Le roi veut se faire allouer des ressources additionnelles avant d'entendre les réclamations ; au contraire, le Parlement dont la finance représente le principal levier veut que le roi fasse d'abord justice. L'issue du marchandage dépend des circonstances.

Comme de règle, les protestations n'attaquent pas le roi, elles visent les ministres ou favoris dont la fonction d'interface inclut celle de fusible. Puisque, par définition, le Roi ne peut errer, les mauvaises décisions ne peuvent pas être siennes, elles s'imputent au favori s'il en a, aux ministres, aux conseillers, à l'entourage [70]. Le Roi doit alors les défendre puisque ce sont ses hommes et, lorsque ce n'est plus possible, savoir les lâcher : en général, cet exercice ambigu, souvent acrobatique, n'affecte pas la "face" du roi. Même les ministres des finances, ces pièces opératoires qui ont, partout, vocation à être sacrifiés (et remplacés à l'identique), ne peuvent pas être démis et punis sans combat. Si la cible touche de très près au roi (Buckingham), l'abandonner à la vindicte, serait un peu s'abandonner soi-même : n'oublions pas l'extravagante extension de la notion d'honneur en ces temps.

Même la dizaine d'années (1628/40) pendant laquelle Charles I ne convoque pas de Parlement ne constitue pas une période aberrante. Pour se passer de consentement, le gouvernement, nécessairement, étend la prérogative royale : mais des rois ont déjà légiféré par proclamations, jugé directement (star chamber comme formation judiciaire du privy council), et imposé des contributions extraordinaires en cas de nécessité militaire (shipmoney). En 1637, le cas Hampden, gagné de justesse par le gouvernement (7 juges sur 12), est exemplaire : Hampden est condamné à payer au motif que le roi a le droit de taxer discrétionnairement s'il y a nécessité, et qu'il appartient au roi, non au tribunal, de se prononcer sur cet état de nécessité [71].

Le gouvernement pouvait oublier le Parlement et ignorer les mécontents impuissants. Jusqu'à quand ? Si la souveraineté appartient au King in Parliament, leur poids relatif varie. Dans l'Histoire anglaise, une phase d'affirmation du pôle royal finit par être suivie de la phase contraire, la transition étant souvent chaotique.

Russell (1971) dit, en termes volontairement anachroniques, que l'Etat anglais de ce temps (on est tenté de généraliser à tous les "Etats" late medieval) est un one party state, dans lequel les dissensions, semblables à celles qui existent de nos jours à l'intérieur d'un parti, ne rompent pas la solidarité. Des membres de la gentry protestent contre le gouvernement, réclament la convocation d'un Parlement, pendant qu'ils continuent, en grommelant, à exercer leurs fonctions d'appareil d'Etat sur le territoire, y compris en collectant les impôts royaux "illégaux" : whatever members may have felt, they still helped to work the machinery of local government...It is a part of the politics of the early Stuart period [1620s] that the Crown's opponents at Westminster were also, as an essential part of their social status, its devotal servants in their own districts (Russell, p 302).

"L'esprit de parti" est tellement enraciné que la scission, lorsqu'elle se fera, ira à reculons et en hésitant. Jusqu'au bout, les oppositionnels, même radicalisés, négocieront avec le roi, négociations vaines et trompeuses, perpétuellement rompues et reprises, qui nous surprennent, et pas seulement parce que nous connaissons la suite. Si, selon le terme emphatique utilisé par Jacques I, le roi est le "mari" du royaume [72] (représenté par la landed class), ce vieux couple acrimonieux n'imagine pas de se séparer. Le divorce étant aussi impensable qu'impossible, le blocage et la peur conduiront à l'assassinat du "mari".

Charles aurait pu continuer longtemps sans Parlement et coopérer avec la gentry par d'autres canaux. Seulement, l'insurrection écossaise (guerres des évêques) l'oblige en 1640 à en convoquer un pour obtenir les subsides nécessaires au financement des opérations militaires. Après avoir simulé une menace de guerre extérieure pour justifier les taxes non autorisées, il se trouve sans ressources suffisantes pour faire face à une guerre intérieure.

Ce poids additionnel déséquilibre une situation instable que, bientôt, la révolte irlandaise poussera au point de rupture.

ii- l'Etat composite (multiple monarchie)

Loin de la tradition ("absolutisme Stuart"), les "troubles" rencontrent une autre histoire : la crise d'une monarchie composite (Koenigsberger, Elliott), synchrone de celle que connaît l'Espagne avec les "révolutions" catalane et portugaise : It is rather ironic that one senses at present the existence of numerous direct parallels between two political systems that have for so long been presented as polar opposites. Perhaps the most striking similarity is the shared condition of ‘multiple monarchies’... (Amelang, 2006, p 50).

Après des siècles de combats aux issues diverses, de forteresses et de repeuplement, le pays de Galles a été uni à l'Angleterre sous Henri VIII (acts de 1536 et 1543) ; l'accession du roi d'Ecosse à la couronne d'Angleterre a créé une union personnelle entre les deux royaumes (1603)  ; et le "royaume d'Irlande", en attendant d'être à son tour uni, est sous domination anglaise.

Dans les Espagnes, le mariage de Ferdinand et d'Isabelle (1469) a uni l'Aragon (déjà une monarchie composite incluant la Catalogne) et la Castille ; puis, la mort sans descendant du roi du Portugal a permis à Philippe II de s'emparer de cette couronne (1580).

Ces monarchies composites agglomèrent des ensembles territoriaux qui ne s'agrègent pas. Chacun garde ses lois, ses institutions, ses "libertés", notamment nobiliaires et municipales, et, dans une certaine mesure, son agenda. Le mécontentement de la classe politique locale se nourrit de l'asymétrie de ces unions imparfaites : la "périphérie" (pour faire bref) est privée de la présence royale (et des faveurs) par les gens du "centre" qui monopolisent la Cour et les relations de clientèle associées (cf. Elliott, 1955 [73]).

Lorsque, en Espagne, les besoins financiers et militaires de la guerre poussent Olivarès à passer par dessus les "constitutions" locales pour réaliser l'union des armes, la Catalogne se révolte et les difficultés qui en résultent pour la Castille favorisent la "révolution" portugaise, avec dans les deux cas le soutien français. Pourtant, la Castille tient. Si Olivarès est disgracié, si le Portugal et son outremer sont perdus, l'union avec la Catalogne est rétablie. Mais c'est une défaite dans la victoire : à l'heure où la compétition "internationale" prend une dimension organisationnelle et demande de transformer les ressorts en territoires, la monarchie composite de type médiéval est obsolète, ce que traduira le dépeçage de l'empire qui terminera la guerre de succession d'Espagne (traités d'Utrecht et de Rastatt, 1713 et 1714).

Le pays de Galles et l'Irlande relèvent en partie d'un schéma de conglomération (quoiqu'ils conservent des structures propres), tandis que l'Ecosse est un cas d'agglomération. Jacques a eu l'idée de fusionner les deux royaumes en se faisant roi de Grande-Bretagne, mais ni le Parlement anglais ni les Ecossais n'en voulurent. L'union personnelle se révèle d'autant plus fragile que l'Ecosse est un chaos ethnique, nobiliaire, ecclésiastique, religieux et international (alliance française) : peu de ses rois meurent dans leur lit. Jacques lui-même, couronné à l'âge de six mois à la suite de l'abdication forcée de sa mère (Mary Queen of Scots), est successivement capturé par tel ou tel groupe gouvernant sous son nom, tandis que son précepteur imposé, le monarchomaque Buchanan, le gave de calvinisme presbytérien à la sauce locale (Wormald, 1983).

Comme Olivarès, Charles I veut imposer une forme d'assimilation et, le but commandant le moyen, décide d'en haut, en court-circuitant le corps politique écossais. Son erreur nous paraît encore plus grande que celle d'Olivarès car, si nous comprenons les raisons de ce dernier (la guerre avec la France et l'épuisement de la Castille), nous restons perplexes devant l'assimilation religieuse que veulent imposer Charles et son primat Laud, rompant avec la prudence de Jacques qui, assez habilement, avait réussi à faire coexister les évêques et les Presbytériens (as near as can be). La provocation que représente l'exportation en Ecosse du Book of Common Prayer (1637) suscite le covenant, la révolte, la guerre et permet aux mécontents anglais impuissants d'importer le coin qu'ils glisseront entre le roi et le royaume [74]. Sans cesse, au cours des troubles, en Angleterre et même en Irlande, l'Ecosse, tantôt passager clandestin, tantôt cavalier libre, arbitrera entre les parties anglaises.

Question contrefactuelle : quid de l'Angleterre du XVIIe si le roi était resté anglais ? par exemple, si Arbella Stuart, descendante de Henri VII au même degré que Jacques, avait succédé à Elizabeth, laissant à part l'Ecosse qui serait restée l'éternel voisin dangereux.

iii- l'échauffement religieux

Il faut enfin préciser le paysage religieux. Décrivons sommairement l'éventail des tendances : une "gauche" puritaine et une "droite" catholique, avec à "l'extrême gauche" les Presbytériens écossais et à "l'extrême droite" les Jésuites et leurs affiliés (Jesuits are nothing but Puritan papists, James I, 1609). Au "centre", penchant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, l'église anglicane majoritaire. Les tensions sont à la fois religieuses (théologie et culte), organisationnelles (évêques vs synodes et anciens), et patrimoniales (bénéfices). Elles s'approchent de la rupture lorsque l'épiscopalisme anglican adopte l'arminianisme, the english protestant equivalent of the earlier catholic conter-reformation (Solt, 1990), une doctrine corrigeant les excès du calvinisme. Les Puritains lui reprochent de flirter avec le catholicisme : le refus de la prédestination redonne leur place aux œuvres et l'église, l'autel et le surplis sont réhabilités au détriment du prêche.

Notre vision est biaisée car nous surpondérons les "idéologies" articulées, celles qui correspond most closely to our notions of what an ideology should be (Elliott). En outre, il nous est impossible de distinguer dans ces querelles la part de la conviction et de l'affichage. Qu'il y ait un noyau de convaincus, voire de fanatiques, cela est certain. Mais ne confondons pas l'analyse des textes et l'analyse politique. La scission au sein du one party State ne s'explique pas par le hiatus religieux : la masse des "non engagés" ne bascule que lorsque la valeur de l'option d'attente devient nulle. Alors, à la suite de cette radicalisation négative, le drapeau des "durs" recouvre des positions et des intérêts, non pas communs, mais, à cet instant, moins opposés entre eux qu'aux positions et des intérêts d'un "camp" adverse qui s'est formé de la même façon, comme nous allons le voir.

b) dynamique

En 1640, la mobilisation politique et militaire des Puritains écossais contre leur propre roi Charles I déborde sur l'Angleterre dont il est également roi (union personnelle depuis Jacques VI & I). Cette insertion des Ecossais dans les rapports de force anglais rompent leur relatif équilibre [75]. Adamson (2007) a minutieusement analysé la manière dont se noue l'alliance entre certains grands nobles anglais et les Ecossais qui leur apportent (leur vendent) le levier pour faire pression sur le roi [76]. Les brethern écossais n'en sont pas moins haïs et craints par tradition séculaire. Dans ce jeu à trois (three sided), chaque pole craint que les deux autres se regroupent et essaie de les en empêcher en s'alliant avec l'un ou l'autre. Mais chaque paire (roi-Ecossais, roi-Parlement, Parlement-Ecossais) assemblant des intérêts différents ou divergents, l'affrontement dans l'affrontement rend les accords fragiles et versatiles, ce qui finira par faire déraper le jeu et évanouir les règles.

En 1640, la révolte écossaise oblige Charles à convoquer un Parlement, le premier depuis douze ans (1628). N'en obtenant pas les subsides demandés pour financer la guerre, il le dissout (short Parliament). Mais la débandade de l'armée royale et le franchissement de la frontière par les Ecossais permettent le coup d'Etat des Grands : appuyés sur leur clientèle et renforcés par la pression écossaise, ils imposent au roi la convocation d'un nouveau Parlement ainsi que les conditions (coûteuses) d'une trêve et, enfin, soustraient au gouvernement les négociations avec les Ecossais. Cela contraint le gouvernement à composer avec le nouveau Parlement (long Parliament) puisque ses difficultés financières ne lui permettent pas de payer les indemnités promises par les Grands aux Ecossais [77]. Toutefois, le piège ne se referme qu'à moitié car ce Parlement ne fait pas bloc contre le roi. Le one party State dure encore et les "tendances au sein du parti" varient en fonction des clientèles, des circonstances, des accidents et des humeurs [78]. Maintes décisions importantes (devenues légendaires par la suite) ne recueillent qu'une faible majorité ou résultent de manœuvres en commission ou de subterfuges [79]. Le Roi reste au centre du jeu qui, comme aux échecs, ne vise pas à le prendre mais à le bloquer. A l'inverse, les pièces de sa couleur cherchent à retrouver des degrés de liberté et à contrôler l'échiquier.

Dans cette partie métaphorique, Strafford (Thomas Wentworth) tient la place de la dame. Sa perte est-elle pour le roi une défaite tactique ou stratégique ? Pendant les dix années précédentes, Strafford a été gouverneur (Lord Deputy) de l'Irlande qu'il a soumis à toutes sortes d'exactions financières au bénéfice du roi, sans ménager ni les anglo-irlandais ni les colons. Appelé en renfort du gouvernement anglais à la fin de 1639, l'ouverture écossaise lui est fatale : le nouveau Parlement le met d'emblée en accusation devant la chambre des Lords en même temps que Laud, le primat de l'église anglicane. Si le procès de Strafford affaiblit le gouvernement, son excellente défense fait tourner court la procédure d'impeachment (avril 1641). Les Commons l'inculpent alors de forfaiture (attainder), les Lords le déclarent tel, le Roi signe le bill, Strafford est décapité (mai 1641). La trahison qui l'incrimine consiste à avoir nui à l'unité  du Roi et du Royaume en soutenant trop le roi [80] ! On est toujours dans l'ambivalence regale & politicum. Strafford effraie. Partisan de la manière forte, il aurait pu sortir le roi de l'impasse s'il n'avait pas raté tous ses coups : en novembre 1640, il manque l'arrestation préventive des leaders de l'opposition ; l'armée d'Irlande qu'il pourrait jeter dans la balance a la mer à franchir ; une fois pris, la tentative de le libérer et de faire de la Tour la base de la résistance armée du gouvernement avorte et déclenche (ou permet) une mobilisation populaire. Malgré ces échecs et malgré les Ecossais, les Commons ont encore peur de Strafford et craignent qu'il renvoie le parlement et réprime les oppositionnels. Les Lords ont peur. Le Roi a peur, il recule devant l'épreuve de force et  Strafford est décapité. Quelle importance ? Strafford n'est pas Buckingham. Quoique premier conseiller, il n'est ni favori, ni premier ministre. Avec lui, le roi perd une grosse pièce, pas encore la partie. L'agressivité dont semblent ex post avoir fait preuve les deux côtés exprime, dans son temps, une défensive désespérée [81]. Les Commons redoutent un ajournement ou une dissolution et cherchent à s'en prémunir (bill des 3 ans etc.). Les Lords, encore plus divisés que la chambre basse tant que les évêques siègent, penchent, les uns pour les opposants des Commons, les autres pour le gouvernement, les derniers hésitent. Le roi, lui, craint de perdre sa prérogative et de se faire réduire à l'état de pupett king, de duc de Venise. Troublé et apeuré, il n'a pas conscience de la force fondamentale de sa position, tandis que les véhéments conseils de résistance de la Reine (Henriette) portent à faux : elle n'a pas compris que l'unité du Roi et du Royaume, et non leur division, est le cœur de la question.

Le Parlement vote des bills qui réduisent la prérogative, les impose au roi qui les signe et ne les respecte pas. Le Parlement fait des remontrances, le roi promet et ne tient pas. Puisque le Roi ne peut errer [82], on change ses conseillers (privy council), remplacés par des hommes du Parlement. Le roi en séduit certains et neutralise les autres en contournant son council. A la fin, après avoir tout tenté, il ne restera qu'à changer le roi...

La peur, davantage que les idées de quelques excités, meut les Commons et, lorsque la tension est extrême, pousse la masse des hésitants vers les radicaux : ainsi la pression de la foule et la rumeur d'un coup d'Etat royal soutenu par un débarquement français procurent une majorité à la condamnation de Strafford. L'anxiété est telle que quand un plancher s'effondre, les commoners prennent le craquement pour une détonation ou une explosion, croient sentir l'odeur de la poudre, dégainent leur épée aux cris de trahison, appellent aux armes et ameutent la Cité (19 mai 1641) !

A l'été 1642, le départ du roi pour l'Ecosse affole le Parlement [83] qui a perdu la faveur des Ecossais en raison des retards de paiement de l'indemnité et de ses réticences à adopter leur presbytérianisme. Si le roi s'allie à ses sujets écossais, ainsi renforcé, il prendra l'ascendant sur le Parlement. C'est presque le cas. Charles fait d'énormes concessions et d'innombrables promesses mais, comme d'habitude,  la division des Ecossais empêche l'affaire d'aboutir. L'échec du "gambit" écossais pèse d'autant plus lourd que, au même moment, la monarchie composite craque de l'autre côté (insurrection irlandaise et "massacres"), mettant le Parlement devant un dilemme : la situation irlandaise l'oblige à voter des subsides au roi pour lever une armée, mais, si le roi a une armée, ne s'en servira-t-il pas en Angleterre ? Pour se protéger, le Parlement s'empare de la prérogative royale de faire la guerre et prend l'armée sous son contrôle. Le roi revenu tente maladroitement d'arrêter cinq leaders des Commons, joue de malchance, la Cité s'émeut. Inquiet, début 1642, le roi quitte Londres.

Cela n'ouvre pas encore la guerre civile. Les deux partis mettront longtemps à se constituer et à se cristalliser [84]. La négociation se poursuit en permanence : en effet, la souveraineté appartient au King in Parliament, pas au Parlement, encore moins aux Commons. Les "Presbytériens" des Commons se méfient de leurs alliés radicaux ("indépendants") autant que du gouvernement. Ils voudraient retrouver une forme d'unité avec le roi. Les escarmouches militaires ne donnant pas l'avantage au Parlement, il se résout à faire à nouveau appel aux Ecossais [85] (aux conditions habituelles : argent et alignement religieux).

Les Ecossais qui ont provoqué la crise vont la résoudre. Cela prouve que, factuellement, les faiblesses de la monarchie composite comptent plus que la prétendue fragilité constitutionnelle de l'Angleterre ou le conflit de la gentry avec la Cour. La coopération conflictuelle entre le gouvernement et la gentry (Parlement) constituait un système instable mais non explosif. C'est la poudre écossaise qui le fait sauter.

Sautons les péripéties. Le roi, finalement battu, se rend aux Ecossais qui le vendent au Parlement (1647). S'ensuit une course au roi entre les "Presbytériens" du Parlement et les "radicaux" de l'armée de Cromwell. Chacun s'en empare tour à tour et négocie avec lui, à la grande peur de l'autre. Finalement, c'est la menace que constitue ce roi, défait et dépouillé mais toujours Roi, qui pousse l'armée à finir le jeu : épuration forcée du Parlement pour faire voter la constitution d'un tribunal. Jugement du roi pour trahison. Condamnation et exécution hâtive (début 1649) [86].

Cela prouve a contrario que Charles se trouve pat et non pas mat. Pour sortir de la longue impasse et éviter la partie nulle, l'armée renverse l'échiquier. Dix ans plus tard, en 1660, après la parenthèse cromwellienne [87], le roi rappelé (Monk), revient et le jeu reprend (Charles II, Jacques II). Ce ne sont pas les divergences en matière de constitution qui ont provoqué la guerre civile : au contraire, comme le soutient Eccleshall, c'est la guerre civile qui a engendré une radicalisation des positions constitutionnelles. L'ambivalence regale & politicum donne des arguments à chaque camp [88].

c) le roi en Angleterre et en France

Notons d'abord que la problématique de l'Etat composite ("polyroi") ne s'applique pas à la France ("monoroi"). Bien que le territoire n'existe pas encore et qu'une multitude de ressorts enchevêtrés constituent un espace hétérogène hérissé de "libertés", il n'y a qu'un seul et unique royaume, la Navarre ne comptant que pour mémoire de l'ancienne union personnelle d'Henri IV.

Prenons une vue très cavalière des deux pays. Au XVIe siècle, les règnes français de François Ier et Henri II (1515/1559) sont grosso modo homologues au règne anglais de Henry VIII (1509/1547) : des gouvernements autoritaires et batailleurs (trop vite qualifiés de pré-absolutistes) qui, tant mal que bien, "tiennent" leur royaume. Les difficultés politico-religieuses de leurs successeurs révèlent l'instabilité sous-jacente : François II, Charles IX, Henri III (1559/1589) d'une part ; Edward et Mary (1547/1558) d'autre part. Dans une certaine mesure, quoique décalés dans le temps, les règnes d'Elizabeth (1558/1603) et Henri IV (1589/1610), également mythifiés ex post, semblent revenir à la stabilité mais ne font que balayer la poussière sans la ramasser [89]. Il ne faut pas s'étonner des crises d'éternuement qui les suivent ! Les gouvernements de Louis XIII (1610/1643) et Jacques I (1603/1625) sont conflictuels, ceux du premier Louis XIV (1643/1661) et de Charles I (1625/1649) tumultueux. Ensuite (second Louis XIV, Charles II), l'instabilité redevient praticable.

Les successions anglaises, historiquement problématiques, se règlent fréquemment par la force. Les Tudor comme les autres : Henry VII, Mary et, moindrement, Elizabeth. La glorious revolution qui substituera à Jacques II sa fille Marie (et son mari des Provinces-Unies, Guillaume III d'Orange) ne s'écartera pas de cette tradition de prédominance du fait sur le "droit" [90].

Au contraire, en France, la succession est sans problème tant qu'il y a des fils, et même en leur absence. Elle se fait dans l'ordre de proximité à la Couronne. Les fils suivent les pères (Henri II, François II). Les frères suivent les frères (Charles IX, Henri III). Quand il n'y a plus de Capétiens directs (Charles IV), on va chercher les Valois. Plus de Valois ? on va chercher les Bourbons, fils de St Louis. La Ligue ne contestait pas le recours au Bourbon, elle refusait que celui-ci soit huguenot. Le fils de Henri IV lui succède et Louis Dieudonné, fils de Louis XIII, succède à son père.

Sauf les débuts de Henri IV, ces dévolutions ne suscitent ni contestations ni disputes. Toutefois, la règle dynastique qui désigne le successeur et assure la continuité de la Couronne a un inconvénient. Le nouveau roi peut être trop jeune et il se produit alors un vide, non pas constitutionnel mais politique : si la couronne a une tête pour se poser, le gouvernement reste vacant, ouvrant la question de la régence et, surtout, de la prépondérance au Conseil : au XVIe siècle, après la mort de Henri II, la jeunesse de François II, puis la minorité de Charles IX ; au XVIIe, la minorité de Louis XIII, roi à neuf ans, puis de Louis XIV, roi à cinq ans. Les Mères s'emparent de la régence (Catherine de Médicis, Marie de Médicis, Anne d'Autriche) et représentent le Roi [91]. Pour régner, il leur faut contrôler le Conseil. Autour d'elles, point ne manquent de parents du roi (en premier, ses successeurs désignés ou possibles), ni de Grands : tous cherchent à s'introduire au Conseil. Ces ambitieux comptent (naissance, honneur, fortune, terres, puissance militaire) et leur poids personnel est multiplié par le "réseau" dont ils sont la tête et qu'ils alimentent en distribuant leurs faveurs ou en devenant les distributeurs ou redistributeurs des faveurs royales. Ils ont des parents et des alliés, des clients, des appuis ; par eux, ils tiennent des provinces, des forteresses, des évêchés, des abbayes et bénéfices ; ils se rapprochent ou s'éloignent des réseaux concurrents, et aussi des Cours étrangères, toujours tentées d'exploiter les opportunités qui s'offrent.

Mais, quoique ces minorités françaises excitent des troubles, elles ont aussi pour effet de les limiter en cachant le roi derrière sa débilité. L'enjeu est le gouvernement (conseil) : qui le compose, qui le contrôle, qui agit au nom du Roi. L'enfant-roi est un zéro qui donne sa valeur au nombre auquel il est associé : 1 et 0 font 10, c'est dix fois plus que 1 ! De ce fait, les troubles français suivent une autre ligne que les anglais.

Dans les deux cas, le gouvernement est attaqué. Dans l'un, le roi finit par être détruit, dans l'autre les opposants. L'enchaînement de circonstances qui, là, conduit et, ici, ne conduit pas à l'issue fatale, s'explique par la place occupée par le roi : en France, elle est vide ; en Angleterre, remplie, et même trop remplie. L'enfant Louis XIV, en tant que Roi, incarne le pouvoir et la légitimité ; en tant que personne, il reste hors jeu. On se bat en son nom, on le fait parler, on parle à sa place, on dénonce sa capture ou le non respect de son autorité, mais la tempête ne le touche pas, elle frappe le gouvernement, Mazarin et les sous-ministres en premier, la Régente en second. La trop grande proximité de Mazarin à la Régente, fâcheuse, surtout après Strafford [92], est aussi une deuxième ligne de défense : quand cela deviendra inévitable, le duo se défera, la reine fera la concession majeure (et simulée) d'exiler Mazarin pour sauver sa propre légitimité.

Au contraire, en Angleterre, le roi est présent, très présent ; actif, très actif. Il ne sait pas ou ne peut pas utiliser les coupe-circuits. Aussi l'opposition au gouvernement finit-elle par se polariser sur sa personne. Les "révisionnistes", brisant avec l'historiographie traditionnelle et la "proto-démocratie" du mythe de la grande charte, décryptent les interactions dont le cumul engendre un processus divergent. A part quelques excités, ni le peuple ni les opposants anglais ne nient la monarchie ni ne veulent la tête du roi.

Ici, son inexistence politique protège un roi mineur et le conserve ; là, un roi majeur s'expose aux hasards du combat et perd. Perd-il vraiment ? si l'homme laisse sa tête, le Roi est magnifié par le drame, assomption que médiatise le christique Eikon Basilike (The King’s Book —The portraiture of his sacred majesty in his solitudes and sufferings) : il devient le roi martyr des Anglicans (Fast Day du 30 janvier) et même des Catholiques [93].

3. La séquence française

Comme en Angleterre, le drame de la souveraineté se joue sur la grande scène du Parlement. Après avoir rappelé la capacité du Parlement de Paris (a), nous verrons comment son esprit de retour l'empêche de déraper; A la différence de son homologue anglais, il parvient à ne pas se séparer de son roi (b).

a) le Parlement de Paris

Singularité française : les parlementaires possèdent leur charge et la transmettent à leur héritier. Au lieu de l'assemblée d'amateurs, épisodique et confuse,  qui siège à Westminster, le Parlement de Paris est un corps permanent et réglé de professionnels [94] . Les Commons n'ont de réflexes de corps que dans des situations extraordinaires, quand leur survie collective paraît menacée. Au contraire, le Parlement se comporte en permanence comme un corps. Si cette différence influe sur le déroulement des évènements, les deux instances procèdent de leur Roi, quoique leur histoire n'ait pas suivi le même parcours, ni emprunté les mêmes formes. Contester le gouvernement se fait au nom du Roi et du bien public (common wealth) du Royaume [95]. A Westminster, les opposants s'appuient à la fois sur les antiquités (les périodes de faiblesse des rois médiévaux dont ils vont laborieusement chercher les traces [96]) et sur leur base locale (county/country) ; à Paris, sur la mémoire du passé (registres) et sur la Loi. Dans les deux cas, quelques leaders habiles et convaincus, articulés aux grands nobles, tentent de contrôler une masse relativement indifférente et insoucieuse. Dans les deux cas, le gouvernement ne soumet au parlement que les noveletés, souvent financières : tout le reste est réputé avoir été consenti jadis, soit explicitement, soit tacitement. Le malheur du gouvernement, c'est de devoir multiplier ces noveletés : outre les circonstances particulières qui, à tort ou à raison, appellent des ressources supplémentaires, l'inflation, érodant la valeur des recettes, en exige de nouvelles pour maintenir au même niveau la "dépense publique".

Nous examinerons le potentiel du Parlement (i) puis les circonstances du premier épisode de la Fronde (janvier 1648).

i- le potentiel du Parlement

Tribunal de dernière instance (cour souveraine), le ressort du Parlement de Paris couvre les deux tiers du royaume. Aussi incongru que cela nous paraisse aujourd'hui, la justice n'est pas une fonction séparée, elle appartient au Roi dont elle constitue le premier attribut. Le potentiel du Parlement en est à la fois restreint et élargi.

Premièrement, restreint. La justice déléguée au Parlement doit céder le pas à la justice intrinsèque du Roi. Le roi-justicier (ou le gouvernement sous son nom) a le droit de juger lui-même en exilant, emprisonnant ou exécutant quiconque ; de soustraire des affaires au Parlement pour les faire juger par commission, de lui en retirer (évocation), d'accorder des privilèges de juridiction (commitimus). Les deux systèmes judiciaires sont enchevêtrés : à différents niveaux, le Parlement du Roi se rencontre avec la justice directe du roi, notamment le Conseil du Roi (grand conseil).

Deuxièmement, élargi. Symbiote de la Royauté, le Parlement de Paris constitue l'une des principales pièces de son appareil. Les trois institutions anglaises (Roi, Lords, Commons) fusionnent à Paris. Le Roi a son trône au Parlement, les Grands leur siège, et tout un cérémonial minutieux exalte leur prééminence. Lorsque le roi a besoin d'habiller une décision, il recourt au Parlement qu'il autorise alors, qu'il incite même, à juger du bien commun du royaume. Ainsi François Ier pour nullifier le Traité de Madrid ; ainsi Marie de Médicis et Anne d'Autriche pour se faire attribuer la régence. Inversement, lorsque le Parlement enhardi, s'appuyant sur ces cas, s'oppose au gouvernement, les mêmes lui interdisent solennellement et pour toujours d'entreprendre sur le roi, de se mêler des affaires d'Etat et le renvoient sèchement à sa légitimité dérivée et à ses devoirs qui sont de rendre la justice entre personnes privées, non de s'immiscer dans les choses publiques.

Les matières financières incarnent cette ambiguïté. Discrétionnairement, un gouvernement use et abuse des expédients (emprunts forcés, création et vente de charges etc.), toujours insuffisants. Il invente alors de nouvelles ressources fiscales. Ces noveletez rompent l'ordre (présumé consenti) du royaume et doivent être validées, sans quoi l'impôt, à la fois illégal et illégitime, sera contesté devant les tribunaux ou refusé, voire rejeté par la force. Dans la France de la première moitié du XVIIe, les besoins sont sans limite car les finances publiques présentent une faiblesse endogène et cumulative : les recettes fiscales n'alimentent pas le "budget", elles servent de garantie (nous dirions aujourd'hui de "collatéraux") aux emprunts auprès des financiers. Créer un nouvel impôt (et donc potentiellement des recettes futures) permet de nouveaux emprunts. La perte en ligne est énorme car les traitants dont les remboursements futurs sont tout sauf garantis (même en leur concédant la perception des dits impôts et l'usage de la force pour les faire rentrer) compensent l'incertitude par une prime de risque et n'avancent, estime-t-on, que 50 à 60% du montant attendu. D'où leur fortune et leur impopularité. D'où aussi la nécessité récurrente de nouveaux impôts. En les enregistrant dans les formes le Parlement légalise et légitime ces exactions, ce qui, comme en Angleterre, lui donne un levier. En effet, si le Roi tout-puissant se soustrait au Parlement, il perd du même coup la caution de la Loi et se rapproche de la figure universellement réprouvée du tyran [97]. Le Parlement, ainsi sollicité de consentir à la place des états généraux qu'on ne convoque plus depuis 1614, joue avec l'idée qu'il en exerce les fonctions [98].

En tant qu'organe du roi (conseil), il doit enregistrer les édits en les accompagnant, s'il y a lieu, de conseils judicieux (remontrances). En tant qu'organe du Royaume (tradition, états généraux), il doit défendre le bien public et, si les édits lui nuisent, s'y opposer.

"Sociologiquement", le Parlement n'est pas une institution désincarnée. Il est articulé aux Grands par des relations de clientèles. Les parlementaires, anoblis ou en voie de l'être, achètent des terres et, bastard feodalists, partagent des intérêts avec la noblesse. Ils participent aussi aux réseaux financiers des fermiers qui avancent au roi le montant des impôts futurs, ce qui les solidarise avec les gouvernements. Ils investissent dans les rentes de l'Hôtel de ville ce qui les solidarise avec les autres créanciers.

De plus, le Parlement de Paris, le plus ancien et le plus grand de tous ceux du royaume, se voit et est souvent perçu comme le père des autres. Au-delà des circonstances locales et des conflits de juridiction, l'affinité de culture et de statut entre les parlementaires, engendre un esprit de communauté que, à certains égards, partage la multitude des officiers qui ont payé le droit d'exercer (ou d'occuper) des fonctions publiques, des trésoriers aux forestiers [99].

Enfin, ce Parlement est à Paris où résident aussi généralement la Cour et les Grands, de sorte que les péripéties urbaines prennent rapidement une couleur politique [100]. Il siège au cœur de l'espace symbolique de la royauté, l'ancien palais de St Louis, dans l'île de la cité qu'il partage avec Notre Dame et l'évêché. En face, sur la rive droite, l'Hôtel de Ville. Un peu plus bas, le Petit Bourbon, le Louvre, le Palais-Royal etc. Le Parlement exerce des pouvoirs de police et, bien davantage que l'Hôtel de Ville, assume les fonctions municipales. Les Parlementaires habitent autour du Palais. Ils sont des personnages importants et influents de leur quartier, souvent colonels de sa milice. Ils partagent avec les gros bourgeois (et tous ceux qui possèdent quelque avoir) la peur de l'émeute et du pillage.

ii- les  circonstances

La minorité de Louis XIV et le gouvernement de la reine (Mazarin etc.) ouvrent une fenêtre d'opportunités à des forces que le gouvernement de Richelieu-Louis XIII s'était efforcé, non sans mal, de comprimer. De tous leurs incessants combats, un seul est gagné, la pacification des Huguenots : leur religion reste tolérée mais ils sont démantelés ; ils ne constituent plus un "parti" ; ils ont perdu leurs "républiques" et leurs bases militaires. Ce compromis praticable résiste aux dévots, qui voudraient les éradiquer (comme le fera Louis XIV) [101]. Curieusement, alors que, en Angleterre, les controverses et fanatismes religieux semblent rejouer le drame du XVIe siècle continental [102], le terrain de la Fronde apparaît essentiellement "laïc". Même si les curés participent, même si des prélats s'engagent, ils prêchent et s'agitent politiquement. Quant aux Huguenots, ils n'interviennent pas en tant que tels [103], seulement comme personnes ou groupes, au même titre que les autres.

Dans les années 1643/48, l'agitation reste dans les limites de l'ordinaire, quoique les effets fiscaux de la guerre avec l'Espagne (sur trois fronts, Catalogne, Italie, Flandres) suscitent des révoltes rurales. Le surintendant Eymery multiplie les nouvelles taxes (édit du Toisé de 1644, édit du domaine de 1645, taxe des Aisés, édit du tarif de 1646). Ayant gratté la laine sur le dos de toutes les bêtes à impôt possibles, y compris les bêtes à corne (bourgeois), il finit par pointer la tondeuse sur les chiens de berger, les officiers (nouveaux offices diminuant la valeur des anciens, renchérissement de la Paulette), déjà titillés par la concurrence que leur font les commissaires [104] et les agents des traitants.

La haine d'Eymery et le mécontentement contre le gouvernement explosent. Mazarin, étant à la fois ministre principal et favori de la Régente, cette double qualité rend difficile à la reine de faire sauter ce fusible qui, comme jadis Buckingham pour Charles, la touche de trop près. Mazarin aura beau jeter du lest (changements de ministres), il cristallisera sur sa personne toutes les oppositions, celle des Grands qui voudraient être à sa place, celles du menu peuple souffrant des impôts, celles des officiers, celles des gros bourgeois, celles des soldats non payés. Vive le roi, à bas le Mazarin, tel sera le cri commun [105] qui, de fait, conteste les choix gouvernementaux de la Régente et donc ses pouvoirs, et donc, en parlant à l'anglaise, pose la question de la prérogative.

Trop souvent, on néglige, ou même on ignore, le tout premier épisode de la Fronde, en janvier 1648. Pourtant, il anticipe tous les autres, au moins en ce qui concerne le Parlement. Il survient après plusieurs années de tensions parallèles : d'un côté, mouvements de mécontentement des bourgeois ; de l'autre, refus successifs du Parlement d'enregistrer des édits fiscaux sur lesquels il accumule les remontrances. Le gouvernement, empêché d'instituer de nouveaux impôts, relance ceux qui, précédemment concédés par le Parlement, avaient été suspendus par prudence. Le Conseil... témoigna au Parlement que puisqu'il ne voulait point de nouveaux édits, il ne devait pas au moins s'opposer à l'exécution de ceux qui avaient été vérifiés autrefois dans la Compagnie ; et sur ce fondement, il remit sur le tapis une déclaration qui avait été enregistrée il y avait deux ans (Retz, OC1, 299), l'édit du Domaine, qui allait à taxer d'une année de revenus les propriétaires de terres dans le ressort du Domaine royal.

Le tumulte de la rue St Denis (8/13 janvier 1648) assemble des centaines de bourgeois qui refusent de se laisser tondre. Ils huent tout ensemble le gouvernement et le Parlement [106]. Le peuple se mutina : attention, il s'agit du gras peuple, les propriétaires, pas du menu peuple. Ils prennent les armes. Le gouvernement fait entrer la troupe dans Paris. Cette violation des privilèges de la ville suscite la crainte et l'exaspération des bourgeois et du Parlement : l’affaire de la rue Saint-Denis constitue l’aboutissement violent d’une contestation bourgeoise qui sert de toile de fond à l’opposition du parlement et forme à vrai dire la condition de sa possibilité politique (Desimone, 1990).

Lorsque, aussitôt après (15 janvier), la Régente conduit l'enfant-roi au Parlement pour imposer en lit de justice l'enregistrement de cinq ou six édits tous plus ruineux les uns que les autres, le Parlement, obligé de respecter la présence royale, ne cède pas sans de fortes protestations de l'avocat-général du roi, Omar Talon, et même du Premier Président (Molé) qui commence à trouver délicat d'être à la fois l'homme du roi (qui le nomme) et le chef du corps que constitue le Parlement.

Ce 15 janvier n'est pas encore critique. Un Parlement qui grogne et obéit ne gêne pas vraiment : les paroles volent, les édits restent. Seulement voilà, dès le lendemain, le Parlement, toutes chambres réunies, entreprend d'examiner librement les édits qu'il vient d'enregistrer de force. Examiner, c'est-à-dire discuter, contester. Examiner après enregistrement, cela revient à annuler le lit de justice et à passer par dessus le roi.

Comment le Parlement ose-t-il faire preuve d'une telle audace ? L'argent, nerf de la guerre, est aussi le nerf de ces crises politiques, en France, en Angleterre, partout. Impensable, impossible, de s'opposer à la majesté royale, ce serait un scandale et un blasphème (cf. 3ème partie). Mais il en va autrement des demandes de subsides ou d'institution d'impôts, dont l'incessant renouvellement multiplie la colère des redevables.

Tous les conseillers ne contestent pas. Le Parlement, loin d'être homogène, compte des amis des traitants, des partisans du gouvernement, beaucoup d'indifférents, quelques opposants et un certain nombre d'hommes qui soutiendraient le gouvernement s'ils le pouvaient, s'il était soutenable. Ces membres se disputent entre eux en raison de rivalités de personnes, de réseaux ou d'intérêts. Et, rapidement, ils ne le feront plus en champ clos puisque la grand chambre s'ouvre aux dignitaires ecclésiastiques, aux ducs et pairs et aux grands officiers de la Couronne.

Mais quoique les personnes se divisent, leur compagnie s'inscrit dans la logique d'un corps, cimenté par des procédures, organisé par des règles et dirigé par le Premier Président. Le corps se voit uni, non pas au roi en tant que gouvernement, mais au Roi en tant qu'incarnation du bien public du Royaume. Son devoir de conseil l'oblige à défendre (respectueusement) l'intérêt du Royaume quand le gouvernement s'en écarte.

Tout se passe comme si, au quotidien, cette doctrine, restait latente, dormante, tandis que défilent les affaires judiciaires et les querelles, tandis que chacun cherche à s'enrichir, à s'anoblir, à s'allier, à caser sa famille. Le "corps" du Parlement, épaissement cuirassé, ne sent pas les piqures d'épingle. Il faut que le fer traverse la carapace pour éveiller la doctrine : on cherche alors les précédents, quelqu'un s'en souvient, sinon on les trouve dans les Registres. Fondamentalement, le discours, toujours le même (3ème partie), exprime ce que Moote (1971) appelle la via media. Dans le conflit, à un moment d'échauffement, les opinions et les arrêts subséquents peuvent outrepasser la doctrine. Ensuite, s'exerce ce que Retz qualifie finement d'esprit de retour : ... bien qu'il parût de la chaleur et même qu'il y eût de l'emportement très-souvent dans cette compagnie, il y avait toujours un fond d'esprit de retour, qui revivait à toute occasionIl y eut des moments... où ils revinrent à leur emportement, ou par les accidents qui survinrent, ou par l'art de ceux qui les y ramenèrent ; mais le fond pour le retour y demeura toujours (OC2, p 273). Invariablement, le Parlement revient à sa "ligne historique". En ce sens, il constitue une force de rappel qui, à partir d'un certain degré de déséquilibre, entre en action. Dans les faits, ce schéma se traduit de manière souvent confuse et désordonnée. Il ne peut en être autrement lorsque des fonctions publiques aussi essentielles sont exercées de manière privée par des hommes privés, articulés à la "société".

Retz, et dans une moindre mesure Mazarin, perçoivent cette importance fondamentale du Parlement : le gouvernement ou l'émeute peuvent violer les parlementaires mais, ce faisant, perdent la légitimité qu'apporte le Parlement et se détruisent eux-mêmes. Encore Retz : Nous soulèverions demain le peuple si nous voulions; le devons-nous vouloir ? Et si nous le soulevons, et si nous ôtons l'autorité au Parlement, en quel abîme jetons-nous Paris dans les suites ? (OC2, p 271).

b) dynamique

 Le Parlement va très loin contre le gouvernement. L'excitation l'approche de la ligne rouge que, toutefois, il ne passe pas (i). Malgré la rébellion nobiliaire, il reste au centre du jeu (ii). [107]

- la fronde parlementaire

Revenant le lendemain sur le lit de justice du 15 janvier 1648, le Parlement engage l'examen des édits fiscaux. Il leur apporte tant de rectifications qu'elles équivalent à une annulation de ce qui a été clairement signifié comme la volonté expresse du "roi". Tout le monde perçoit et ressent ce défi [108]. La reine (Mazarin) répond en mettant les parlementaires au pied du mur : elle défendit au Parlement de continuer à prendre connaissance des édits jusques à ce qu'il lui eût déclaré en forme si il prétendait donner des bornes à l'autorité du Roi (Retz, OC1, 307). Danger ! La reine a touché à la hache ! Elle pose la question qu'il faut taire, à laquelle il ne faut pas même penser. Si il y a de la révolte à s'imaginer qu'on puisse se révolter (comme elle dira au cours de l'été), il y a du sacrilège à imaginer des bornes à l'autorité du Roi. Pis encore, la reine exige une réponse sur une question dont la résolution pouvait estre préjudiciable à l'Estat…(d'Ormesson) [109].

L'unité du Roi et du Royaume est un entre-deux qu'il faut réaménager en permanence et dont il faut cacher la tension. La questionner ouvertement trahit une aigreur maladroite (si c'est la reine) ou une malice (si Mazarin). Certes, la question embarrasse le Parlement : répondre non, c'est se lier les mains pour l'avenir et s'obliger à obéir au gouvernement ; répondre oui, c'est s'avouer séditieux et, en explicitant ces bornes, énoncer les cas de désobéissance légitime dont la connaissance doit rester implicite et recouverte d'un silence religieux et sacré. Le Parlement, tenté par la réponse affirmative, est retenu par les plus habiles qui l'empêchent de tomber dans le piège. Si le Parlement eût répondu… à la ridicule et pernicieuse proposition que le Cardinal lui fit de déclarer si il prétendait mettre des bornes à l'autorité royale, si, dis-je, les plus sages du corps n'eussent éludé la réponse, la France, à mon opinion, courait fortune, parce que la Compagnie se déclarant pour l'affirmative, comme elle en fut sur le point, elle déchirait le voile qui couvre le mystère de l'État ...Ce fut un miracle que le Parlement ne levât pas dernièrement ce voile, et ne le levât pas en forme et par arrêt, ce qui serait bien d'une conséquence plus dangereuse et plus funeste que la liberté que les peuples ont prise, depuis quelque temps, de voir à travers… (Retz, OC2, p 105 [110]).

Le Parlement ne donne pas de réponse. Il biaise, comme il le fera l'année suivante pendant le siège de Paris, en refusant de recevoir le héraut envoyé par la Cour ou d'ouvrir les messages royaux afin de ne pas désobéir en forme aux ordres qu'ils portent. Si cette attitude manque de panache et frôle le ridicule, elle est la seule praticable : l'unité conflictuelle ne fonctionne que dans l'implicite [111]. Et sur ce terrain, le Parlement est plus fort que le gouvernement : l'infinie prolixité de sa rhétorique, la multitude des précédents que sa longue histoire lui fournit, les règles ou artifices de procédure qu'il peut invoquer, la confusion même des débats et du phrasé, tout cela lui donne une élasticité qui ne manque pas d'efficacité, à défaut d'élégance. Le Parlement, aussi éternel que l'Etat, peut atermoyer, pas le gouvernement auquel il faut du cash tout de suite. Outre l'aigreur de la reine (le mot revient sans cesse sous la plume de Retz pour qualifier son comportement) et le discrédit que ses négociations contradictoires valent à Mazarin [112], l'urgence fragilise le gouvernement et le prédispose aux décisions rapides et intempestives, aux ruptures imprudentes et aux comportements risqués : une fois la table renversée, retrouver la position des pièces est une gageure.

Le Parlement, lui, reste dans le jeu, quoique maints parlementaires soient excédés par les mesures qui les atteignent avec les autres officiers (Paulette, privation de gages, cassation de leurs arrêts par le Conseil du roi) et par la pression urbaine des bourgeois spoliés que répercute à l'intérieur l'agitation des "jeunes" des chambres des Requêtes et des Enquêtes.

Outre les moyens routiniers (délais, procédures, délibérations, arrêts, etc.), le Parlement tient en réserve une arme extraordinaire, c'est l'union : union de toutes ses chambres en assemblée ; union du Parlement avec les autres Cours Souveraines du royaume (cour des comptes, cour des aides, grand conseil) ; union avec les Parlements provinciaux... En s'unissant, le Parlement projette une figure collective du Royaume, en elle-même subversive puisque le Royaume ne saurait avoir d'autre représentation que le roi. Ainsi, lorsque Grand Conseil, Chambre des Comptes, Cours des aides et Parlement s'unissent (arrêt du Parlement du 13 mai 1648) et envoient leurs délégués statuer ensemble à la chambre St Louis, le simple fait de l'union est condamnable et condamné [113] : le Conseil d'en haut casse immédiatement l'arrêt d'union et interdit l'assemblée des cours sous peine de rébellion, ce qui n'empêche pas les délégués de se retrouver, tranquille impudence qui, jointe aux moins tranquilles agitations des bourgeois, oblige le gouvernement à accepter ce qu'il ne peut empêcher (28 juin).

On a voulu faire des articles de la chambre St Louis (juillet 48) un brouillon ou un prototype de charte constitutionnelle. C'est à la fois moins et plus [114]. Moins : seulement un énième programme de réformation. Plus : alors que le droit d'initiative appartient au seul "roi", les cours se le donnent, se réunissent et statuent discrétionnairement. Ce sont des lois, et non des pétitions au roi comme les cahiers des états généraux. Sans se soucier d'approbation royale, ces articles sont aussitôt validés par des arrêts du Parlement.

Après une tentative de compromis, la réaction du gouvernement sera encore une fois maladroite : l'arrestation de Broussel et Blanc-Mesnil (26 août 1648). Elle provoque en contrecoup la fameuse journée des barricades (27 août), pendant laquelle les bourgeois armés (milice), mobilisés à la fois contre la Cour et contre le bas peuple, naviguent au plus près entre la crainte de la répression (l'armée de Condé approche) et celle de l'émeute et du pillage [115].

Citons rapidement les étapes suivantes : première fuite de la Cour (13 septembre) ; sa jonction encore incertaine avec l'armée (Condé hésite) ; les craintes de Paris d'être insulté ou affamé ; la première attaque du Parlement contre Mazarin, le mauvais conseiller (réactivation de l'arrêt anti Concini de 1617 interdisant aux estrangers de s'immiscer dans les affaires du royaume) [116] ; les pourparlers de St Germain fin septembre ; l'acceptation (évidemment insincère) par le gouvernement de la plupart des articles de la chambre St Louis et d'une réduction des impôts (déclaration royale du 22 octobre enregistrée dès le 24).

Début 1649, cette séquence se reproduit, amplifiée et dramatisée : après la deuxième fuite du roi (6 janvier), Paris prend les armes et les troupes royales l'encerclent (Condé a opté [117]). Le Parlement, dénonçant l'enlèvement de l'enfant-roi par Mazarin, lance contre lui des arrêts de plus en plus enflammés [118] : dès le 8 janvier 1649, il le déclare ennemi du Roi et de l'État, perturbateur du repos public, et enjoint à tous les sujets du Roi de lui courir sus. Mazarin avec qui les négociations ne sont pas (et ne seront jamais) rompues, se prête bien à ce rôle de tampon, tant par sa fonction que par sa personne. Il semble avoir été créé pour cela : son origine, son accent, son enrichissement, ses erreurs, ses nièces, tout fait caricature [119]. Cette polarisation sur un tampon aussi élastique (il négocie toujours, il promet toujours), jointe, de l'autre côté, à l'esprit de retour du Parlement qui le ramène à la fin, sinon à l'obéissance, du moins au respect, vont protéger, non la monarchie que nul n'attaque, mais le gouvernement de la Régente, au prix de l'abandon des ministres les plus haïs et des deux retraits simulés du Cardinal.

Nous voilà à peu près à l'inverse de la configuration anglaise d'un roi régnant depuis longtemps, avec un historique de contentieux et un conseil divisé qui n'a d'autre tête que lui (Strafford, trop isolé, ne sert pas à grand chose). En France : roi mineur donc vierge dont l'image est partout et la personne nulle part ; Régente, tantôt dans les coulisses, tantôt sur la scène, moquée dans sa personne, mais soutenue par sa part de sacralité et l'ombre du roi ; premier ministre incontournable, actif sur tous les terrains et apte à prendre tous les coups.

- les Princes

Sans détailler la pression des bourgeois (peur, rentes etc.), la menace du menu peuple, et la via media que, en tirant des bords, le Parlement n'abandonne pas, il nous reste à envisager le troisième sommet du triangle, les princes et la haute noblesse. Le gouvernement a pour figure Mazarin, le Parlement Molé, les Grands Condé [120], quoique de nombreux autres acteurs de premier plan (et une multitude au second plan) les entourent, les défendent et les combattent, dans un permanent marchandage d'honneur et d'intérêt [121].

L'historiographie, pour ordonner des évènements embrouillés, distingue la Fronde parlementaire (1648/49) et la Fronde des princes (1650/53) [122]. Elle leur ajoute parfois une Fronde de la seconde noblesse [123], voire une Fronde ecclésiastique [124]. Une telle catégorisation biaise l'analyse, d'abord par les présupposés sociologiques implicitement introduits, ensuite par le raccourcissement de l'horizon temporel, enfin par la disjonction de ces diverses sortes de troubles.

Comme les circonstances prendraient trop de place et nous égareraient, restons-en aux grands traits : Condé, général victorieux (Lens, 20 août 1648), hésite d'abord entre la Cour et Paris, se rallie à la Cour (siège de Paris, début 1649), n'en obtient pas les avantages espérés, s'oppose, est emprisonné par le gouvernement pour la joie de Paris (janvier 1650) qui se réconcilie, mais l'arrestation provoque prises d'armes et rébellions en province [125]. Puis, Paris se retourne à nouveau contre le gouvernement : Condé est libéré et Mazarin "exilé" (février 1651). Condé poursuit son opposition, et, ignorant la majorité du roi (septembre 1651), fait la guerre à l'armée royale en Guyenne [126]. Battu, il court sur Paris (début 1652) que vise également l'armée royale. Condé finit par entrer dans Paris (juillet 1652), tente d'en prendre le contrôle, se l'aliène, s'en va (septembre 1652) et rejoint l'armée espagnole. Condamné et déchu (1654), il combattra avec les Espagnols, se fera vaincre par les anglo-français à la bataille des dunes (1658) et, sang royal oblige, sera blanchi et réintégré par la Paix des Pyrénées (1659).

Le cousin Condé semble renouer avec une tradition familiale [127], moins personnelle que structurelle, les premiers dans le sang prétendant aux premiers rangs. Mutatis mutandis, son comportement ressemble à celui de son père pendant la minorité de Louis XIII et à celui de son grand-père pendant les troubles de la succession de Henri III. Appuyés sur un patrimoine, des alliances et une clientèle considérables, ancrés dans leur "bourbonité" de fils de St Louis qui les fait participer de la Couronne, les Condé ne s'opposent pas à la monarchie, pas même au monarque. Ils veulent un rôle prépondérant au conseil et un maximum de faveurs royales, tant pour eux que pour les redistribuer : honneurs, provinces, places fortes, abbayes, charges, pensions etc. Du coup, ils se heurtent aux ministres [128], à la Régente qui ne veut pas se laisser mettre en tutelle et à l'armée royale, obligée de s'opposer aux prises d'armes qu'ils font pour appuyer leurs exigences. Notre Condé (Louis II de Bourbon-Condé) embarrasse le ministre premier qui ne peut ni négliger son capital symbolique et militaire, ni le laisser faire. Son arrestation (en compagnie de son frère Conti et de son beau-frère Longueville) est un coup de Majesté dont son père avait déjà été frappé en 1616.

Dans une monarchie de type dynastique les les cousins (Condé ici) ou le frère ou l'oncle du roi (Gaston d'Orléans ici) constituent un problème récurrent, surtout quand le roi n'a pas (ou pas encore) de fils. Il faut des princes du sang pour que le réservoir de successeurs ne s'assèche jamais. Leur "royalité" doit être reconnue et magnifiée afin de les mettre en position de régner si besoin mais, du coup, ces rois virtuels ont un potentiel qui en fait des compétiteurs ou des drapeaux. Leur nom seul pèse, même quand leur personne ne vaut rien : ce chef de parti était un zéro qui ne multipliait que parce qu’il était prince du sang (Retz, OC2, p 180)... Je connaissais bien la faiblesse de M. le prince de Conti, presque encore enfant [le jeune frère de Condé]; mais je savais, en même temps, que cet enfant était prince du sang. Je ne voulais qu'un nom pour animer ce qui, sans un nom, ne serait que fantôme (id, p 120). Ce nom, un tel nom, transforme une cabale privée en faction publique. Ailleurs, Retz parle d'une position revêtue : de même que, dans une fortification, une couche de briques ou de gazon protège le rempart du canon, en politique, un nom défend une faction de l'illégitimité [129].

Puisque la plupart sont contre le Mazarin, des alliances et des convergences se nouent et se dénouent. Bien que Condé et le Parlement ne s'apprécient guère, leur opposition commune au gouvernement les fait plusieurs fois converger. Ces coalitions se font et défont, pour des raisons de personnes, d'honneur, d'argent ou de fait. Leur instabilité, plus encore que le manque de sens politique ou le caractère de Condé, explique l'incohérence de ses aventures.

Que, appuyés sur le mécontentement de la noblesse seconde, les Grands aient des ambitions prédatrices, rien de moins étonnant dans ce temps. Nous l'avons noté, l'extension et le contrôle des réseaux d'influence dépend du poids symbolique de la tête de réseau et de sa capacité à distribuer et redistribuer honneurs et gratifications. Comme il en va de même de haut en bas, du centre à la périphérie du réseau, chaque maillon doit recevoir le plus possible, à la fois pour se servir et répercuter. Aussi l'appétit de la tête de réseau est-il insatiable. Nous retrouvons ici les troubles anglais : les Tudor ont diminué le pouvoir militaire et territorial privé des Grands et, dans une certaine mesure, les ont intégrés à la Cour (privy council) ; l'accès aux honneurs et largesses que distribue le roi devient une condition du maintien des réseaux nobiliaires et de l'influence territoriale, tant pour les Grands que pour la gentry, poussés à tenter de contrôler la Cour.

Présenter comme successives la Fronde parlementaire et la Fronde des princes constitue une double erreur de perspective. Dans la crise que rencontre (et provoque) le gouvernement, toutes les parties réagissent, chacune suivant sa tradition et avec ses moyens, le Parlement avec des arrêts, les Grands avec des armées. Si la minorité du roi et la propension presque hystérique de Mazarin à négocier laissent ouverts les canaux de communication, la durée de l'affrontement augmente la pression populaire et durcit l'expression des positions qui s'échauffent, sans toutefois aller aux extrêmes : ni la monarchie ni le monarque ne sont pris à partie.

D'autre part, le Parlement de Paris reste actif, même après avoir fait la "paix" avec la Cour. Il continue à combattre et à condamner Mazarin et, sans satisfaire toutes les demandes de Condé, assume des initiatives de plus en plus entreprenantes dans Paris. Moins impressionnante que les chevauchées des princes, sa via media déplaît à tous. Le mettre à la raison est une tentation permanente dont Retz exprime bien le danger : le lendemain, nous ne serions plus rien. Aussi moqué et vilipendé qu'il soit, le Parlement, du fait même de ses longues robes, de ses bonnets carrés et de ses lentes procédures, reste l'incarnation de l'unité du Roi et du Royaume. A condition de ne pas outrepasser son rôle quand la possibilité le tente ou que la rue le pousse. Il deviendrait factieux s'il allait trop loin car son potentiel n'a pas de limite : ils [les parlementaires] peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu'ils croient pouvoir, au risque, en embrasant le peuple, de se consumer eux-mêmes et de hasarder l'Etat (Retz, OC2, p 104).

Ni les soulèvements ruraux antifiscaux ou l'émeute urbaine, ni les prises d'armes des Grands, ni les rivalités et les alliances, ni la grogne de la noblesse [130] et de la bourgeoisie ne sont des phénomènes nouveaux. Intempéries de la météorologie "sociale", ils accompagnent tout gouvernement d'ancien régime. L'intéressant, le singulier, de la Fronde, c'est cette action persistante et prolongée du Parlement, à la fois résolue et confuse, audacieuse et prudente, qui, selon la configuration des rapports de force et les circonstances, lui donne l'apparence tantôt d'une boussole, tantôt d'un frein, tantôt d'un amplificateur.

In fine Condé enfui en septembre 1652 et Monsieur incapable de se décider à agir [131], le gouvernement risque le jeune roi dans Paris (21 octobre), quitte ou double imprudent, aveugle et téméraire (Retz)  que l'évènement justifiera pourtant, restaurant la Majesté du roi et biffant les désordres. L'amnistie royale ne concerne pas seulement les personnes (presque toutes) mais les mouvements : que le tout demeure nul, & comme non advenu, & que la mémoire en demeure à jamais éteinte & supprimée.

Le 22 octobre 1652, le roi vainqueur tient le lit de justice au Louvre, dans la galerie des peintures. Le Roy étant arrivé en grand'pompe, Tambours battants, jusqu’au Parquet, passa au milieu d'icelui, & prit sa séance dans son lit de Justice... [132]. Une fois encore, il est fait défense au Parlement de prendre ci-après aucune connaissance des affaires générales de notre Etat, et à nouveau, on interdit aux conseillers de mélanger le service de l'Etat et celui des Grands [133] .

Outre la sortie de Paris de Monsieur, Duc d'Orléans, la punition des Grands les plus compromis [134] et l'exil d'une dizaine seulement de Parlementaires, le roi dit son courroux par la voix du procureur général (Nicolas Fouquet) [135]. Le chancelier prononce l'arrêt d'enregistrement des déclarations royales, aussitôt publiées à son de trompe et cri public.

Tout vaincu et soumis qu'il est, le Parlement dénonce la contradiction entre l'Edit d'amnistie et la sanction de douze de ses membres [136] : la déclaration doit être révoquée, non registrée ni publiée. Le Chancelier répond que le roi communiquera leur instance à son Conseil, ce qui ne contenta point. Si la présence du Roy empêcha que ceux qui y trouvaient à redire ne déclarassent leur sentiment, ils le font le lendemain, une fois revenus au Palais. La Fronde, officiellement et symboliquement close, le séculaire jeu de tir à la corde reprend : game over, play again ! [137]

Conclusion

Les Espagnols ne jouent pas le rôle des Ecossais ; le petit Louis ne joue pas celui de Charles et la crise ne mord pas sur lui, enveloppé qu'il est du Mazarin et de la Régente ; la transcendance religieuse n'est pas activée et ne sublime pas les factions en partis. Aussi, en France, les écarts de route, même larges, ne dérapent pas en divergences, alors qu'ils semblent le faire en Angleterre [138]. Cependant les schémas sont du même type.

Le roi bénéficie d'un consensus, enthousiaste, résigné ou grognon, auquel adhèrent les oppositionnels eux-mêmes, toujours minoritaires et divisés, fussent-ils en résonance avec un ressentiment antifiscal général. Ce n'est pas, comme la guerre des roses, une lutte entre concurrents au trône pour éliminer le rival, droit contre droit, alliés contre alliés, épées contre épées. Dans le cadre du paradigme monarchique, le combat contre le gouvernement et ses mauvaises pratiques, aussi séditieux soit-il, s'exprime révérenciellement. Au plus chaud des affrontements armés, la négociation est permanente et réversible (versatilité). Cette acrobatie est pratiquée sans effort par des antagonistes qui ont plus en commun qu'en dispute.

Le Parliament à Westminster, le Parlement à Paris se trouvent en porte-à-faux puisque le roi seul est supposé incarner l'intérêt général (bien public, commonwealth). Ce hiatus les voue à des exercices rhétoriques d'une portée illimitée, jouant dangereusement sur l'ambivalence roi/royaume ou personne/fonction du roi (cf. 3ème et 4ème parties). Aussi sont-ils au milieu des troubles dont ils constituent le centre de gravité. La disjonction des séquences française et anglaise [139] ne les empêche pas d'être colinéaires. N'opposons pas un Parlement judiciaire à un Parliament politique. Les deux sont la Haute Cour de leur royaume qui, naturellement, sert de théâtre aux affrontements du corps politique. Les deux combattent le gouvernement au nom du Roi qui ne peut errer. Voilà pour le parallélisme.

Quant à la distance, outre les différences entre les dynamiques événementielles (place du roi),  elle s'explique par deux raisons structurelles, déjà mentionnées : i) le Parlement de Paris est plus solide, plus stable, plus institué, mieux fondé qu'un Parliament éphémère qui souffre de sa précarité et, pour se défendre, doit aller trop loin ; ii) en Angleterre, le surpoids écossais déséquilibre la balance séculaire du roi et du royaume : ce facteur est à la fois factuel (common prayer book et la suite) et historique (monarchie composite).

Aussi, les évènements coupent le Parliament de son roi concret tandis que l'abstraction du sien (roi mineur) et un contexte moins dramatique, permet au Parlement de Paris de lui rester uni, quoique parfois de haute voltige. Se désunir du roi, c'est se perdre. Le Parliament de 1640, après avoir connu beaucoup de défections et d'évictions, est, de fait, liquidé par l'armée, fin 1648 (épuration du 6 décembre) [140]. Ce n'est pas le Parliament  qui, en janvier 1649, condamne et fait exécuter Charles, mais un comité ad hoc désigné par son croupion (rump parliament).

Dans le "système d'instabilité" qui caractérise la gouvernance d'ancien régime, la versatilité va de pair avec la constance. Le Parlement est au cœur de ce paradoxe. Pour comprendre le rôle du Parlement de Paris dans la Fronde, il faut examiner en profondeur comment, depuis plus d'un siècle, il pratique et théorise la "désobéissance obéissante" (3ème partie). Exutoire des mécontentements et défenseur du Roi contre le roi, le Parlement met le désordre au service de l'ordre. Son esprit de retour est une force d'équilibre.

III.  Le discours du Parlement

Le discours du Parlement de Paris pendant la Fronde, s'il s'adapte à la circonstance, n'est pas circonstanciel. J'oserai-je dire qu'il nous fait entendre la voix de la voie médiane (via media). Avant de l'écouter dans un épisode caractéristique (section 2), nous le mettrons en perspective : le Parlement de François Ier est déjà celui de la Fronde (section 1).

En 1648 et en 1527, ce sont les mêmes thèmes, les mêmes figures et presque les mêmes mots qui sont au service d'un conflit coopératif  [141]. Tout se résume à cette maxime attribuée à Solon : les Royaumes se gouverneront bien si les sujets obéissent aux Rois, & les Rois aux Lois. L'obéissance des uns conjointe à la bienveillance des autres assure l'union du Roi et du Royaume. Ajoutons l'inépuisable lieu commun de la solidarité de la tête et des membres, et nous avons l'essentiel de la harangue de Guillart (1527) comme de celles de Molé et de Talon (1648). Je renvoie à la partie suivante l'étude du système racinaire de ces fleurs de rhétorique.

Quoique, de François Ier à la Fronde, en 150 ans, le Parlement ait "grandi", que son éloquence française, ses routines et ses procédures se soient affinées, sa tradition enrichie, il est toujours le même. "Il" ? je n'ignore pas qu'il n'est jamais monolithique, ni ses chambres, ni ses membres : les voix autorisées suscitent parfois en son sein mécontentement, réprobation ou révolte. Mais elles sont autorisées [142], et des hommes tels que les Présidents ou l'avocat général, et en particulier le premier d'entre eux, naviguant au plus près entre le programme structurel et les contingences immédiates, expriment la vérité du Parlement en tant qu'institution.

1. François Ier

Nous examinerons d'abord l'institution (a) pour rechercher ce qui lui donne la légitimité et l'audace de tenir un discours d'Etat dont nous verrons un exemple dans le lit de justice qui clôt la crise de 1526/27 (b).

a) l'institution

Beaucoup plus complexe qu'on ne le pense, le Parlement du Roi est à la fois une instance transcendante (i), un instrument (ii) et une compagnie (iii).

i- transcendance du Parlement

Le Parlement ne meurt jamais. Tout roi, aussi longtemps que dure son règne, finit par laisser la place à un autre. Le Parlement demeure quand le roi meurt. Alors, le grand deuil s'impose à tous, sauf à la Justice Souveraine. Le Chancelier a défense de jamais le prendre, même pour raisons personnelles, et il est le seul dignitaire à rester en dehors des funérailles auxquelles le corps du Parlement participe, mais en robes rouges qui représentent et, ici, manifestent aux yeux du royaume, la continuité de la Justice et celle de la Couronne [143].

Au moment charnière entre deux règnes, ce sont les mêmes conseillers que le nouveau roi confirme en bloc. Quand les membres décèdent et sont remplacés, c'est, dans une large mesure, un renouvellement à l'identique (transmission). Cette éternité du corps constitue un fait structurel majeur que cachent les péripéties de court terme.

Le Parlement, incarnant la Justice, ne se limite pas à trancher les litiges, mais contribue à régler, à réfréner la puissance absolue des rois qui n'est pour ce moindre mais d'autant est plus digne qu'elle est mieux réglée, écrit en 1519 Seyssel (Grand Monarchie) qui poursuit : Et si elle était plus ample et absolue, elle en serait pire et plus imparfaite: tout ainsi que la puissance de Dieu n'est point jugée moindre pour autant qu'il ne peut pécher ni mal faire, ains en est d'autant plus parfaite (I, 12).

L'unité du roi et de la Couronne, l'unité du roi et du royaume, ne sont jamais acquises mais visées ou invoquées à travers des oppositions (souvent fortes) du gouvernement et du corps politique, oppositions que le Parlement tente de réduire en usant d'une dialectique séculaire. Il ne désobéit au roi que pour mieux lui obéir. Sous la Fronde, un siècle après François Ier, rien d'important n'a été ajouté, malgré les phases très chaudes des conflits politico-religieux de la deuxième moitié du XVIe et les élaborations radicales des polémistes.

Dès les XIVe et XVe siècles, la très-obéissante cour du roi a appris et capitalisé la rhétorique et la pratique "frondeuses", à la fois sur le plan tactique et stratégique. Le Parlement, en même temps qu'il s'incorpore, prend forme et force. Sisyphe ne remonte pas continuellement son lourd rocher sans développer sa musculature !

"Constitutionnellement", le Parlement partage l'ambivalence du temps. Là où nous voyons contradiction ou même confusion, s'exprime une dialectique séculaire entre le roi et le royaume, l'un et le multiple, le pouvoir absolu et relatif, la toute-puissance et ses limites. L'avocat-général Talon exprimera clairement (31 Juillet 1648) ce système de forces en mouvement. Que la contradiction cesse, et l'un des éléments du système glissera, par hyperactivité, vers l'autodestruction, ruinant la stabilité du système tout entier. La contradiction est l'être du système (Descimon, 1984) [144].

Même s'il arrive au Parlement de faire preuve d'ingéniosité ou d'astuce, il n'invente rien, il partage un paradigme, une culture, une rhétorique qui irriguent la societas christiana depuis longtemps. Il n'innove pas, il conjugue (cf. 4ème partie). Et, procès après procès, génération après génération, il accumule une tradition.

Le Parlement ne fait pas la Loi du Royaume, il la dit, il l'incarne. Il est à la fois le moyen et la limite du pouvoir du roi. Si, parfois, les deux se percutent, ils reviennent en ligne : le roi gouverne dans la Loi et par la Loi, même lorsqu'elle n'est que l'habillage du racket fiscal.

Les conseillers du Parlement, initialement choisis parmi les clercs, éduqués avec eux, jamais bien loin de la Sorbonne, toujours soucieux des libertés gallicanes, défenseurs de la Couronne, fût-ce contre le roi, (et très conscients de leurs intérêts personnels et collectifs) ont pour fonds de commerce ce paradigme des moyens et des fins [145]. D'où, indépendamment des circonstances particulières et des différences langagières, la similitude de tous les conflits "constitutionnels" entre Parlement et gouvernement, similitude qui désingularise le Parlement de la Fronde et l'apparente à celui de François Ier auquel je me réfère ici en sautant les épisodes intermédiaires, les disputes du règne de Louis XIII (Fayard, 1876, T. 2) comme les riches affrontements de la deuxième moitié du XVIe siècle qui, surdéterminés par le contexte politico-religieux, se prêtent mal à la comparaison avec la Fronde, perturbation essentiellement "laïque".

Le discours du Parlement, même après avoir quitté le latin pour le français, s'enracine dans le passé et non dans le futur. Il est le produit d'une "culture" médiévale (4ème partie) et non d'une "prémodernité" qui tendrait vers la monarchie limitée [146]. Ne prenons pas pour des germes démocratiques la moindre apparence de représentation, ou pour de l'absolutisme la plus modeste proclamation de toute puissance ! Loin d'innover, le Parlement de la Fronde s'emploie à empêcher le char de l'Etat de quitter la route.

ii- coopération avec le gouvernement

L'élite du Parlement, ceux des conseillers qui pensent et qui parlent, ceux qui suivent le cursus honorum et deviennent avocat du roi, procureur du roi, président à mortier, Premier Président, voire garde des sceaux ou Chancelier ; cette élite, soucieuse de ses intérêts personnels et familiaux ; liée à l'Eglise par son éducation [147] et ses parents ; liée à la noblesse par ses terres, ses mariages et ses conseils ; liée à la finance par ses intérêts [148] ; liée à la bourgeoisie par son origine, son habitat, ses fonctions municipales ; cette élite a un fond de convictions d'évidence : elle est catholique gallicane, elle est royale et loyale, elle est formaliste et légaliste.

Une part de son activité, en appel mais aussi en première instance, concerne ce que nous appelons aujourd'hui le "droit privé", une autre le "droit public", surtout le "contentieux administratif". Parallèlement, puisque le Parlement juge par délégation, le Roi conserve sa capacité judiciaire : les mêmes affaires relèvent aussi du conseil du roi. D'où, malgré la symbiose des deux institutions [149], des conflits de juridiction, particulièrement sensibles lorsque le roi utilise le second contre le premier, retire une affaire au Parlement (évocation) ou la fait juger par commissaires, même s'il en choisit parmi les conseillers du Parlement.

Les grandes disputes attirent l'attention par leur côté théâtral (et parce qu'on veut y voir l'anticipation d'un XVIIIe libéral). Cependant, l'essentiel et la quasi-totalité du travail du Parlement s'exerce en coopération continue avec le gouvernement, formelle et informelle (cf. Houllemare, 2007) [150]. Sans cela, inexplicable serait l'étonnante résilience de l'institution, sa longue fortune et l'ascension sociale des parlementaires. Malgré gesticulations et emportements, les heurts, lorsqu'il surviennent, sont gérés de part et d'autre avec précaution et précision : le Parlement sait qu'il est sous le roi, et le gouvernement a besoin — que le lecteur pardonne l'oxymore ! — d'une instance "indépendante dépendante", une instance qui, tout à la fois, dise le Droit et juge en sa faveur [151]. Comme tout plaideur, le gouvernement consent à la juridiction dans l'espoir que la justice lui profite et que, après vérification, la Grand Chambre enregistre et publie Edits, Ordonnances et autres Lettres Patentes.

Cet enregistrement sera souvent occasion de tensions, notamment en matière religieuse et fiscale. Les historiens lui ont cherché une origine, une date ou un texte. Ils n'en ont pas trouvé : la pratique apparaît spontanément car c'est une opération naturelle et banale sur le plan technique, juridique et politique.

Techniquement, l'enregistrement relève du dispositif de publication de la volonté royale dont les actes, trompetés et criés aux carrefours, placardés sur les portes des églises, doivent être connus et gardés dans la mémoire publique. Dans la mesure où ils affectent des droits existants ou futurs susceptibles de procès, aucune institution n'est mieux placée pour les conserver que le juge en dernier ressort, le Parlement, universel, sédentaire et éternel.

Juridiquement, il peut arriver que la volonté royale modifie ou contrecarre involontairement des "lois" antérieures ou des coutumes, produisant ce que nous appelons de "l'insécurité juridique". La soumettre à l'examen des juristes du Parlement constitue une vérification de conformité, débouchant éventuellement sur des remarques ou des conseils de reformulation.

Politiquement [152], en tant que section particularisée de la curia regis, le Parlement et ses membres instruits ont un devoir de conseil que le roi les requiert d'accomplir ou auquel ils se sentent obligés en conscience.

Ce faisant, le Parlement  apporte sa caution juridique et morale à la décision royale. Le roi peut le forcer (lettres de jussion ou séance royale) ou décider de se passer de l'enregistrement, mais, sans le "tampon" librement apposé par le Parlement, l'acte est celui d'un gouvernement, pas de la Couronne. Ce pourquoi il arrive que des souverains étrangers demandent l'enregistrement d'un traité. Le Parlement sait de quel pouvoir il dispose : lorsque, effrayé ou poussé à bout, il enregistre sous la contrainte, il ajoute une formule restrictive, comme de expresso mandato regis, et tout le monde comprend que cela ne vaut rien [153].

Tous les moyens du roi tout-puissant sont en fin de compte inutiles : emprisonner ou exiler discrétionnairement des parlementaires, créer un Parlement concurrent à Orléans, obliger le Parlement de Paris à trotter derrière la cour, l'exiler à Pontoise ou pis encore, le supprimer... et après ? Une instance à la botte du gouvernement, ou bien n'a pas de légitimité et ne sert à rien, ou bien s'autonomise et tout est à refaire. Aussi, la plupart du temps, les menaces ou des punitions limitées servent à faire pression, et le roi se contente de renvoyer sèchement le Parlement à son devoir qui est de juger entre Jean et Paul (maître Pierre et maître Jean, dira Louis XIII), et de lui interdire solennellement et pour toujours de s'immiscer dans les affaires de l'Etat [154]. Mais cela ne dure pas car il arrive vite que le roi ait à nouveau besoin de la caution du parlement dans une affaire d'Etat ou que la conscience du Parlement l'oblige à entreprendre.

Le Parlement étant une cour, l'examen préalable à l'enregistrement suit une procédure judiciaire : instruction, discussion par articles, recueil des avis, proclamation du résultat par arrêt. Ce cadre formel offre de nombreuses possibilités : pour ne pas trancher au fond ou pour reculer l'échéance, le Parlement perd autant de temps qu'il veut en jouant avec l'horloge et le calendrier, et en exploitant la procédure dont il connaît tous les détails et les artifices.

Quoiqu'il aime à s'identifier au Sénat romain ou aux états généraux, le Parlement, et tout particulièrement son premier président, connaît exactement sa position. Prosterné devant la majesté du roi présent, le roi-ci, qui impose l'enregistrement en lit de justice, il se donne toute liberté pour contester le roi absent, le roi-là, et en appeler du roi au roi mieux informé : puisque le Roi ne peut errer, il aura été mal renseigné, et surtout mal conseillé — c'est le topos préféré des "bons" conseillers. Sa certaine science ne saurait lui dicter quelque chose d'injuste, ni sa bonté vouloir contrarier le bien commun ou la coutume. Les observations du Parlement (remontrances) visent alors à remettre le roi sur le chemin royal dont des méchants l'ont fait dévier.

Entre le roi-ci et le roi-là, il arrive parfois que la marge de manœuvre soit étroite et l'exercice délicat, voire périlleux. Il est impossible au roi d'errer, et au Parlement de se rebeller. Pour exprimer respectueusement leurs objections ou leurs refus, ces hommes instruits et habiles parlent le langage dont ils ont hérité et emploient tout naturellement le vocabulaire et la grammaire de l'ambivalence. Quoique le roi soit au-dessus de tous, la Loi du Roi est au-dessus de lui. Pas plus que Dieu tout-puissant, le Roi ne peut vouloir ce qui est injuste et donc contraire à l'ordre du monde [155]. Si l'omnipotence ne se discute pas (ce serait sacrilège), le débat sur sa traduction concrète est infini [156].

Une statistique de "conflictualité" qu'on établirait à partir des historiens du Parlement n'aurait pas de sens dans cet univers instable où guerre et paix, inimitié et amour, sont un continuum. Le combat représente un mode normal d'expression et de négociation, entre personnes, entre groupes ou institutions, entre Princes ou entre "Etats". Chaque côté avance le plus loin possible pour être mieux placé dans l'accord qui viendra. L'affrontement fait partie du jeu et ne le met pas en cause — c'est pourquoi les pourparlers ne cessent jamais [157].

iii- le Parlement comme organisation

La période archaïque de l'histoire du Parlement de Paris s'achève vers 1250 (Langlois, 1890). Au XIIIe siècle, l'activité judiciaire de la curia regis cristallise en un Parlement, où se mêlent grands personnages et jurisconsultes, clercs et laïcs (cf. 4ème partie). Ces derniers finiront par constituer le Parlement au quotidien, sans préjudice du droit d'accès des premiers, et bien sûr du plus grand d'entre eux, le roi.

Sans décrire ici les débuts du Parlement [158], du cocon à la métamorphose, notons un point essentiel : aux XIVe et XVe siècles, son combat identitaire le transforme en une compagnie. Sans préméditation, le Parlement a dû se battre presque en permanence : contre les nominations arbitraires auxquelles procède le roi à titre de cadeau ou de paiement ; pour maintenir l'équilibre entre les lais et les clercs qui lui permet de se considérer à la fois comme une cour  ecclésiastique et une cour civile ; pour ses gages, toujours en retard et trop souvent oubliés, et ses privilèges, notamment fiscaux. Il ira jusqu'à la "grève" (suspension de la justice).

Il a contesté le privilège de juridiction ecclésiastique, en particulier les empiètements de la justice et de la finance papales (libertés de l'Eglise gallicane), et fait de l'appel au pape un cas de trahison (comme le praemunire anglais).

Pendant les troubles de la "guerre de cent ans", il a navigué, tant bien que mal, entre Armagnacs et Bourguignons, alternativement maîtres de Paris et du roi [159]. Il a été épuré, parfois sauvagement (1418). Concurrencé par des états généraux, souvent factieux. Divisé entre un parlement "anglais" à Paris et un parlement du dauphin à Poitiers (1418/1436), heureusement réunifiés par Charles VII. Maltraité par Louis XI et doublé par Louis XII [160].

Le Parlement a dû, souvent, céder à la force. Il ne fut pas le seul dans la confusion de ces temps, aggravée par la famine, la peste, les révoltes populaires et le schisme papal. Si les Parlementaires manquent d'héroïsme, s'ils paraissent même couards, et pour la plupart opportunistes, le Parlement, pris ensemble, est obstiné : aussi loin qu'on le dévie, il reviendra à sa ligne. La Justice qui ne meurt jamais l'inscrit dans l'éternité. Quand il ne peut pas faire autrement, il plie, tantôt très vite, tantôt après avoir résisté et subi menaces ou même sanctions. Tout en cédant, il résiste encore, en inscrivant qu'on l'a forcé, en réservant sa conscience ou en notant le point dans ses registres, officiels ou secrets [161]. A la fin, les circonstances se transforment, les conseillers ou favoris du roi tournent, le roi change d'idée ou meurt, un nouveau arrive. Le Parlement est toujours là, avec ses robes rouges et sa mémoire. Il retourne à la page qu'il a marquée.

Cette continuité est en partie une affaire de traditions et de registres, en partie une affaire d'héritages. Même avant que les charges de conseillers deviennent officiellement vénales, la nomination par le roi se paie, en services, en monnaie ou en cadeaux. Plus que les gages aléatoires (auxquels cependant ils ne renoncent jamais), les candidats recherchent la position et les privilèges. Même avant que les charges deviennent officiellement transmissibles, les conseillers sécurisent leur succession en préemptant leur remplacement par un fils ou un neveu qu'ils ont éduqué à cette fin. Ces dynasties parlementaires ont été largement étudiées. Elles font apparaître un modèle auxquels les outsiders, procureurs arrivistes, gendres en puissance, profiteurs en tous genres, tentent ou affectent de se conformer.

L'historiographie traditionnelle a attribué tous les maux de l'ancien régime à la vénalité des offices, sans voir qu'elle a le mérite d'en ouvrir le marché, ce contre quoi proteste la noblesse qui demande qu'il reste fermé et réservé à la faveur [162] . La faveur va et vient, tandis que le droit sacré de propriété soustrait habituellement les détenteurs aux caprices royaux. De l'autre côté, les ventes d'offices et recettes associées deviennent une ressource de plus en plus indispensable à un Trésor toujours aux abois qui, avec une inventivité sans limite, les multiplie par dédoublement, addition, création, superposition, etc. Cette inflation chagrine et parfois révolte les officiers en poste dont elle dévalorise la charge. Nuisible aux individus, elle profite aux corps car elle renforce, non seulement leur effectif mais leur collégialité et leur indépendance [163].

b) la crise de 1526/27

Remonter à François Ier est utile pour prendre date, et possible car déjà sous François Ier, le Parlement est un organe tout à la fois judiciaire, constitutionnel, administratif et politique, comme en témoigne, entre autres, son rôle, à Paris, en 1525, pendant la captivité du roi et l'absence de la Régente [164]. Les deux Parlements occupent la même place dans "l'appareil d'Etat" et, accessoirement, le trio gouvernemental a la même composition (roi, mère, ministre principal), avec des différences dans les personnes [165].

Parmi les nombreux heurts entre François Ier et le Parlement [166], je retiens le contentieux de 1526/27 liés à la régence (i) qui donne lieu à une intéressante harangue du Parlement  lorsque le roi le tance — lit de justice du 24 juillet 1527 et édit du même jour (ii).

i- les circonstances

Ce 24, le trio gouvernemental dont les griefs sont innombrables marque le point contre le Parlement. Aux vieilles histoires encore pendantes (Concordat, Semblançay, Berquin [167], duc de Bourbon), s'ajoutent les onze mois de la captivité du roi (à la suite de Pavie) : la Régente installée à Lyon, le Parlement se trouvant, à Paris, la seule autorité constituée, il a pris en charge, tant l'administration de la ville que la défense des frontières du Nord-Est ; la Régente en a reçu des conseils et remontrances qu'elle n'a pas toujours appréciés. En outre, l'insatiable chancelier Duprat a vu condamnées ses prétentions sur l'abbaye de St Benoît sur Loire et sur l'archevêché de Sens : échauffourées sur le terrain et lutte entre le Grand Conseil et le Parlement, avec annulation réciproque des arrêts et prise à partie des personnes [168], réveillant le conflit avec le roi à propos du Concordat [169]. Le chancelier a été indéfectiblement soutenu par la reine-mère et, depuis son retour, par le roi qui, en décembre 1526, annule et condamne les actions illégales du Parlement [170]. Le 24 juillet, après le lit de justice où il imposera sa décision, le roi, en conseil étroit, rendra le fameux Edit, interdisant pour toujours au Parlement de s'entremettre en quelque façon que ce soit du fait de l'Estat ny d'autre chose que de la justice [171]. Le Parlement ne doit pas entreprendre, c'est le roi qui le saisit, comme il le fait, dès le lendemain, le requérant, en forme de cour des Pairs, de traiter une affaire d'Etat (Bourbon [172]) et, six mois après, d'annuler le traité de Madrid : le roi qui ne peut renier sa signature (en garantie de laquelle il a envoyé ses enfants en prison à sa place) a besoin qu'une autorité supérieure le désavoue !

Le 24 Juillet 1527, le Roi, en son Siège & Trône Royal fleurdelisés, et entouré des Grands [173], par la voix de son Chancelier Duprat dit à la Cour que s'ils voulaient aucune chose dire audit Seigneur, qu'ils le dissent. Ce fut le quatrième président qui parla pour le Parlement. Charles Guillart a soixante-dix ans, dont quarante-cinq passés au Parlement sous trois rois : conseiller au Parlement depuis 1482, conseiller du roi et maître des requêtes en 1496, nommé président à mortier au Parlement par Louis XII en 1508, c'est un des ces bons et gros hommes qui connaissent tout des affaires, de ceux que les rois emploient comme membres ou présidents de commissions extraordinaires ou ambassadeurs. Il quittera sa charge en 1534 et mourra en 1537. Quelqu'un de poids.

Sa longue harangue est reproduite par Godefroy (1649, Cérémonial français, T2, p 465-474) qui la tire d'un registre du Parlement. Elle fait neuf pages bien tassées, environ cinq mille mots et le discours oral, s'il fut identique, aura duré une bonne heure ou plus. Le style pompeux de Guillart, commun aux orateurs du temps [174], enrobe une affectation d'érudition qui n'est pas seulement pédantisme : elle permet au locuteur d'exprimer son opinion par la voix d'une autorité, à la fois une couverture et une marque de respect puisqu'il ne peut pas dire je devant le roi dont la majesté écrase sa personne.

Le discours est diffus car, à proprement parler, il n'a pas d'objet : le roi leur a demandé s'ils voulaient aucune chose dire. Guillart sait qu'il y a beaucoup de choses, chacune plus chaude que l'autre, qu'il faut toutes évoquer ; que la cause, déjà jugée, doit pourtant être défendue, pour le passé et l'avenir, sans toutefois manquer en rien au respect dû au royal antagoniste [175].

ii- la harangue de Guillart

Guillart entre en matière en rejetant le procès qu'on fait au Parlement. Usant d'une dérobade classique, il affecte d'y voir un malentendu ou une machination. Fermant volontairement les yeux aux signes évidents de la colère royale, il craint que le roi ne doute de sa cour fidèle qui, pourtant, l'a toujours réputé saint en tant que vicaire de Dieu sur la terre[176]

Tout de suite, il mobilise Cicéron pour dire que l'administrateur du royaume doit penser au commun profit et non pas à ses intérêts propres : Cicéron au premier Livre de ses Offices dit : Que ainsi que la tutelle est introduite pour l'utilité de ceux qu'on administre  & non pour le profit de celui qui administre, aussi est le gouvernement & l'administration de la chose publique… On peut l'entendre a minima comme une simple exhortation à la bienveillance, ou a maxima comme l'assimilation du roi à un administrateur, un agent de la chose publique.

Subordination de tous à la Dignité royale, et subordination de la Dignité à sa mission, voilà les deux pôles du discours de Guillart qu'il présente comme un commentaire sur la leçon : les Royaumes, Empires, & Monarchies ne peuvent être sans Religion, Justice, & Force…

Passons sur la religion [177] et sur les évocations [178] qui, importantes en 1527, n'ont pas d'échos sous la Fronde. Guillart convoque Solon pour proclamer que, si le roi est au-dessus de tous, la Loi est au-dessus de lui.  Solon interrogé en quelle manière les Royaumes se gouverneront bien, répondit : Si les sujets obéissent aux Rois, & les Rois aux Lois. Dans le contexte, cela va loin. Guillart oppose la fermeté de la Loi (implicitement : et du Parlement qui la dit) à l'inconsistance de la grâce ou faveur : La Loi est toujours ferme, & ne se meut par nul respect de grâce ou faveur.

Comme en matière religieuse, il s'agit de l'ordre du monde : le Roi n'existe pas sans sujets ; leur nécessaire union par la Loi se fait grâce au Parlement (bonnes Lois, Ordonnances, & bons Officiers) et (implicitement) serait défaite avec lui s'il était dessaisi par le conseil d'Etat, une juridiction ad hoc jugeant par influence et non par droit. Le poncif de la tête et des membres est amplifié : outre leur légendaire solidarité, ce qui unit le Roi et ses sujets, c'est le Parlement :

Ainsi que les membres ne peuvent vivre sans chef, & [que] le chef sans membres ne peut durer, aussi le Roi sans sujets, & les sujets sans Roy ne peuvent longuement & raisonnablement vivre ; & est nécessaire qu'ils aient union ensemble, laquelle se garde moyennant bonnes Lois, Ordonnances, & bons Officiers…

C'est ici (ici, au Parlement, et pas ailleurs) le lieu & vrai siège de votre Trône, quand vous y êtes séant [179]… Cette vôtre Cour a toujours été l'honneur & la Souveraine de France, & doit être honorée tellement que les Arrêts & Jugements d'icelle doivent être gardés sans les enfreindre ; autrement c'est corrompre votre vie civile, & grandement diminuer votre autorité ; & quand vous y contrevenez, & les empêchez, vous êtes dissemblable & contraire à vous même.

Soulignons cette formulation : dissemblable & contraire à vous même. Le Roi n'est pas schizophrène ! Comme Dieu, il est naturellement juste. Ergo : s'il erre, il est sous l'emprise de la folie ou de mauvais conseillers et, quoique le mot ne soit pas dit, s'il persistait, il deviendrait tyran.

Guillart sait que le roi est tout-puissant. Il le dit par respect, et il le pense. Ce serait un sacrilège d'en disputer : Nous ne voulons révoquer en doute, ou disputer de votre puissance, ce serait espèce de sacrilège, & savons bien que vous êtes pardessus les Lois, & que les Lois ou Ordonnances ne vous peuvent contraindre, & n'y êtes contraint par puissance coactive. Nous devinons la suite : vous n'y êtes contraint, vous vous contraignez. De même, Dieu tout-puissant ne peut pas tout, non par limitation externe (puissance coactive), mais de sa propre volonté : nous entendons dire, que vous ne voulez, ou ne devez pas vouloir, tout ce que vous pouvez, ains [mais] seulement ce qui est en raison bon & équitable, ce qui n'est autre chose que Justice…

Encore une formulation d'anthologie : vous ne voulez, ou ne devez pas vouloir, tout ce que vous pouvez ! c'est l'antique différence entre pouvoir absolu et pouvoir ordonné (positif) : Ordonner les choses de puissance absolue, & non positive, est comme les faire sans raison & à volonté, qui tient plus de la nature brute que raisonnable.

Pour atténuer la violence de l'attaque (nature brute), Guillart reconnaît que, dans tel ou tel cas particulier & singulier (urgence ou nécessité), le roi peut et doit utiliser son pouvoir absolu. Ce sont des exceptions qui doivent le rester : Nous ne voulons pas pourtant dire que en aucun cas particulier & singulier vous n'en puissiez user, mais le moins, ou non en user est le mieux…

Puis Guillart revient aux affaires ecclésiastiques, cette fois sur le plan judiciaire [180]. Quant au dernier des trois points (la Force, après la Religion, Justice), il l'enfonce au galop, comme rageusement : Le repos des peuples ne peut être sans Justice, Justice ne peut être sans force, Force ne peut être sans gens d'armes, Gens d'armes ne peuvent être sans gages, Gages ne peuvent être sans tailles & subsides, qui  ne doivent être employés à autres usages; car c'est pécune publique & sacrée… à ne pas gaspiller.

Et Guillart, après avoir dignement défendu le Parlement et attaqué ses adversaires, conclut en revenant à son point de départ (les Royaumes... ne peuvent être sans Religion, Justice, & Force). Capitalisant son âge et son expérience, il admoneste le jeune roi de trente-trois ans : vous serez un grand roi si vous en faites l'effort. Et pour conclusion : en maintenant la liberté de l'Eglise, observant l'intégrité de Justice, & gardant la Discipline militaire, ce que vous saurez très-bien faire, & mieux que autre, si vous y voulez prendre un peu de labeur... Vous serez un des plus glorieux, triomphants & renommés Roys qui oncques fut.

Ayant dit cela, il peut sans honte se prosterner au pied du monarque [181].

Ne faisons pas de la soumission du roi aux Lois un synonyme de monarchie limitée, ce serait méconnaître la pensée de l'homme de gouvernement qu'est Guillart et le sens de son discours. Dans l'autre sens, le désaveu du roi, le vexant Edit du Conseil Etroit, n'est pas une proclamation d'absolutisme. Cette manifestation d'autorité ne tire guère à conséquence. Sa signification cavalière au Parlement, sans permettre ni réponse ni débat, ou bien relève de la mise en scène, ou bien traduit un mouvement d'humeur compréhensible d'un roi que le Parlement a débordé. Qu'un roi dise au Parlement de ne pas toucher aux choses de l'Etat et de s'occuper de la justice, c'est une ritournelle permanente.

Le Parlement, il le sait aussi bien que le roi, appartient au corpus Regis et a vocation à coopérer avec le gouvernement (et réciproquement). Les fréquentes tensions sont internes au one party State. Le roi, surtout lorsqu'il a tort, doit user de moyens de droit, ce qui l'oblige à passer par le Parlement, à le ménager et à se justifier. A propos des créations d'offices excessives, le roi, François comme les autres, s'excuse sur l'exception, le coup parti (l'argent déjà reçu et dépensé) ; il promet qu'il ne recommencera pas. Ou bien, à propos des prêts forcés : il y avait urgence, c'est la dernière fois, cela ne fait pas jurisprudence, ils seront remboursés. On comprend qu'un roi, surtout lorsqu'il est psychologiquement instable, s'irrite de cette position d'enfant désobéissant qui promet de ne plus mal faire. De fait, il ressemble souvent au sale gamin qui dépend de ses domestiques (le gouvernement) et qui grogne contre son précepteur (le Parlement) auquel, quand il peut, il fait des crasses.

J'ai d'abord trouvé curieux que Godefroy, en 1649, reproduise le discours de Guillart dans son Cérémonial Français  qui traite de la disposition et décoration des lieux, des personnes et leurs titres, et surtout de l'ordre de préséance. Historiographe du roi après son père Théodore, Denis Godefroy, loyaliste pendant la Fronde, aurait ignoré le discours de Guillart s'il l'avait cru séditieux [182]. Il ne l'est pas. C'est un ornement, comme les tapisseries bleues et les fleurs de lis. Guillart, avec une superbe assurance, fait au roi la leçon habituelle du Parlement. Il est dans son rôle. Berquin, Duprat etc., sont des affaires sensibles, pas un problème "constitutionnel". Guillart utilise le langage standard, les arguments standard, la posture standard pour défendre l'action passée et future du Parlement : l'union du Roi et du Royaume se fait par la Loi au Parlement ; lui substituer le caprice ou la brigue rend les décisions gouvernementales contestables et donc désunit le royaume. C'est la vieille doctrine, c'est la doctrine du Parlement de la Fronde.

2. La Fronde

La "scène publique" s'est élargie depuis 1527 et s'élargira encore après la Fronde par la circulation ou l'impression des mémoires des participants. Les querelles religieuses du XVIe siècle ont excité les plumes, libéré l'expression, multiplié les pamphlets, les impressions et distributions clandestines. Richelieu, pour imposer et défendre sa ligne, a conduit une guerre de communication (Deloche, 1920). Pendant la Fronde, les antagonistes (Mazarin, Condé, Retz...) entretiennent des machines de propagande, hard- et software, presses et publicistes, sans oublier les multiples publications spontanées, politiques, polémiques, chansonnières, ordurières, qui s'arrachent sur le Pont Neuf. Enfin, dans la chaleur des quatre années de troubles, le parlement divisé, poussé "à gauche" par les agités Messieurs des Enquêtes et les rentiers de l'Hôtel de Ville, sa grand chambre devenue arène politique ouverte (les Grands), parle beaucoup, inspire beaucoup d'écrits, et agit beaucoup (arrêts, décisions, négociations) : ce flot tumultueux noie la parole du corps.

Qui l'exprime ? Comment défend-elle la liberté du Parlement ? (a) Ce Parlement traite-t-il  autrement qu'en 1527 la question de sa place dans l'Etat, lorsqu'il répond à la tentative du gouvernement (31 Juillet 1648) de le renvoyer une fois de plus à l'exercice ordinaire de la Justice ? (b).

a) La liberté du Parlement

Premier Président depuis 1641, Mathieu Molé, la grand' barbe [183], appartient à la fois au Parlement et au gouvernement qu'il mécontente tous deux. Talon dit de Molé : sans honneur dans sa Compagnie, & sans estime dans le Palais Royal… la modération qu'il voulait apporter dans les affaires, lui fut imputée à lâcheté de part & d'autre. Il est dans la même position ! Omer Talon, premier avocat général du roi, ne se limite pas à porter la parole du gouvernement, il est la voix de la Couronne. En 1648, Molé a soixante-quatre ans et Talon cinquante-trois. Les deux, hommes d'envergure et de courage, ont vécu les années Richelieu et la première Fronde après sa disparition. Ils sont, comme presque tout le monde, pour le roi et pour la Couronne, contre les ministres et les rapaces fiscaux qui usurpent le nom du roi : les attaquer sans Le contester, tel est l'exercice [184]. A travers les complexes péripéties politiques de la Fronde, la position constitutionnelle tenue par le Parlement reste d'une grande simplicité. Le roi n'est jamais en cause ; la critique porte sur les abus des ministres (et du premier d'entre eux). Cette épure classique est toutefois brouillée par la reine-régente qui tient de trop près au Mazarin. Elle invoque la majesté royale sans être bien crédible, du fait à la fois de son aigre versatilité et du caractère temporaire de sa "royauté". La situation se clarifiera à partir de la majorité du roi (septembre 1651) et de la rébellion de Condé : à Paris, la question du pouvoir se posera et se résoudra rapidement. Nul ne peut résister au roi-ci.

Le Parlement devant céder au roi présent, le gouvernement multiplie les lits de justice pour lui forcer la main. Il en abuse tant que le Parlement ne se sent plus lié, d'autant moins que la personne physique du roi montre à tous un enfant que le gouvernement instrumentalise. L'enfant-roi, à peine  capable de prononcer la phrase d'entrée qu'on lui a apprise, est-il investi du pouvoir magique comme un roi adulte ? Celui-ci appartient-il au roi ou à la couronne ? Dans le premier cas, il est trop jeune, le petit Louis doit attendre sa majorité de quatorze ans pour gouverner ; dans le second, il a reçu la Dignitas à 4 ans, 8 mois et 9 jours, par la mort du roi-père. Le Parlement n'ouvre pas ce débat, il le contourne en contestant la contrainte : les décisions qu'il ne prend pas librement n'ont ni sens, ni efficacité. Aussi, le lendemain, le roi absent, le Parlement  fait comme si le lit de justice n'avait pas eu lieu et examine comme si de rien n'était.

En janvier 1648, la Régente brandit son petit roi de dix ans pour forcer l'enregistrement d'une série d'expédients financiers que le Parlement repousse depuis des années et qui viennent de soulever les bourgeois (tumulte de la rue St Denis). Le Premier Président et l'avocat général critiquent les édits bursaux (Molé et Talon) et le procédé employé pour les faire passer (Talon).

Le Premier Président [185], se félicitant au nom des peuples de la guérison du roi, exprime la crainte que, par les édits fiscaux, cette grande joie... ne se changeât en sanglots ou pis encore. Il appelle le gouvernement à la prudence [186]et conteste l'argument de nécessité, avancé une fois de plus par le Chancelier : la guerre est un prétexte trop commode pour qu'on y mette jamais fin [187].

L'avocat général, Talon, au cours de ses entretiens préalables avec Mazarin, l'a mis en garde contre l'abus des lits de justice. Il dit publiquement que la venue du Roy au Parlement était toujours une action fâcheuse : elle durcit inutilement les positions. Talon annonce à l'avance que le Parlement ne se sent pas obligé par ce qu'il décide sous la contrainte [188]. Mais il va plus loin. Après avoir défendu la liberté du Parlement, il généralise : cette obéissance [des sujets] est une marque plus certaine de leur soumission volontaire que du pouvoir absolu du prince. L'obéissance volontaire fait la solidité des royaumes. Le despote qui règne sur des esclaves est faible et incertain [189].

S'ensuit l'habituel tableau au noir de la misère des peuples : Il y a, Sire, dix ans que la campagne est ruinée... Certes, tout va bien, Madame la Régente : Que dans la minorité d'un jeune prince, qui est le temps ordinairement de la disgrâce et de la déchéance des monarchies, non-seulement nous ayons ressenti la tranquillité publique dans toutes les provinces du royaume, mais que nous ayons vu les armes françaises victorieuses… tout va bien, sauf le pays qui agonise et mourra de ces impôts supplémentaires [190].

Le lendemain du lit de justice où le Parlement a enregistré les maudits édits, il en entreprend l'examen comme si le lit n'avait pas eu lieu (Talon : examiner les Edits que le Roy avait fait vérifier en sa présence, ce qui n’avait jamais été fait). La Régente lui pose alors la question taboue (si il prétendait donner des bornes à l'autorité du Roi) que le Parlement a la sagesse de ne pas entendre.

Puis, en avril, toutes les cours souveraines, excitées par le droit annuel (taxe supplémentaire sur la transmission des offices), prennent position contre le gouvernement et ses expédients : la chambre des comptes, la cour des aides et même le grand conseil demandent l'union avec le Parlement qui l'accorde (arrêt du 13 mai 1648). Comme il y avait longtemps que les Remontrances étaient inutiles, les Cours se saisissent elles-mêmes de la réformation de l’Etat. Outre ce programme, le seul fait que les cours prennent l'initiative est un défi : une forme de ligue & de parti dans l’Etat, une nouvelle puissance, un contre-pouvoir, donc une sédition. L'union est aussitôt interdite, punie par des arrestations, cassée par un arrêt du Conseil d'En-Haut (7 juin) [191], arrêt ignoré par le Parlement, réitéré (15 juin) [192], et enfin, les cours ne  cédant toujours pas et des foules de Parisiens agités les soutenant, autorisée.

Molé dit joliment à la Reine (30 juin) : [les cours] sont-elles pas [déjà] toutes jointes à leur corps qui est leur monarque? leur union est celle du corpus regis ; en l'attaquant, il était à craindre que ce coup porté contre le Parlement ne fût un contrecoup à l’autorité Royale.

Malgré la tentation de recourir à la force, le gouvernement, contraint par la situation militaire extérieure, plie en attendant des jours meilleurs. La Chambre St Louis se réunit, dresse un programme de réformation que le Parlement transforme en arrêts de sa propre initiative. Le gouvernement tente de passer par dessus en présentant ses propres ordonnances de réformation : c'est le lit de justice  de fin Juillet auquel nous arrivons.

b) la place du Parlement dans l'Etat

i- objet de la séance du 31 Juillet 1648

Cette fois, la voix du vieux Séguier (Chancelier sans états d'âme depuis 1635) semble reprendre la chanson du Parlement : respecter les lois, réprimer les abus, soulager le peuple. Il ne dupe personne, on le voit tout de suite, on le verra les jours suivants quand le Parlement, à nouveau, examinera froidement les textes qu'il a enregistrés devant le roi. On reviendra vite au conflit ouvert, fin août, quand, tranquillisé par la victoire de Condé contre les Espagnols (Lens), le gouvernement fera arrêter Broussel et quelques autres, avec, en retour, la fameuse journée des barricades.

Mais, en attendant, ce 31 juillet affiche la concorde retrouvée. Pour une fois le Chancelier  ronronne [193]. Le voilà tout amour, sincérité, affection... et astuce : le roi accorde à son peuple ce que les cours demandaient, donc la chambre St Louis peut se disperser, elle n'a plus d'objet maintenant que nous sommes tous réformateurs [194]. De plus, elle est dangereuse à cause des funestes effets qu’elle pourrait causer à l'Etat... Pensez aux ennemis : ils voient dans ces assemblées une sédition dont ils se réjouissent et ils attendent le déchirement du pays pour l'envahir. Le Parlement doit le comprendre et décevoir leurs espoirs [195]. Et ceci est d'autant plus nécessaire que, pendant que le Parlement s'occupe de l'Etat, il ne rend pas la justice et les sujets en souffrent [196]. Voilà les conseillers  mis devant leurs responsabilités, tant directes à l'égard des justiciables, qu'involontaires à l'égard des espérances des ennemis.

Le Parlement ne croit pas que le gouvernement soit devenu réformateur et la chambre  St Louis inutile. Du Portail : Messieurs du Parlement ayant reconnu par la seule lecture qui avait été faite de la Déclaration, le Roy séant, que c’était une Pilule bien dorée, & un Poison bien préparé, ils s’assemblèrent dès le lendemain pour la revoir, alléguant que la Vérification qui en avait été faite en la présence du Roy & sans la Liberté des suffrages, ne devait point être considérée… Et enfin qu’à examiner la Déclaration, c’était une illusion, une fourbe & une tromperie depuis le commencement & jusque à la fin (Journal, 1649, p 160).

Ce jour, Molé, sans aborder le fond, va à l'essentiel. Au lieu d'adhérer au "reset" du Chancelier, il défend le rôle qu'a tenu le Parlement : les Rois dépendent des Lois. C'était l'argument de Guillart. Molé rappelle que les Roys se devaient à leurs Etats & aux Lois, sous lesquelles ils devaient être régis ; & lors qu’elles étaient violées, leurs Couronnes chancelaient. Le Parlement n'a touché à la Couronne que pour l'empêcher de vaciller et peut-être de tomber : que par ces considérations le Parlement voyant l’excès du dérèglement avait été contraint d'y mettre la main pour sauver le Royaume… Sa fidélité au roi a causé l'apparente désobéissance du Parlement. Maintenant, on lui donne enfin raison et cela devrait être gardé en mémoire dans l'avenir : que le Parlement ne défaudrait jamais à sa fidélité envers le Roy, qu’aussi il espérait qu'à l’avenir on n'imputerait plus à désobéissance les justes résistances qu’il apporterait aux choses qu’il jugerait préjudiciables au service du Roy & au bien de l'Etat.

Les Lois viennent de Dieu : ces lois ne sont point les ouvrages des hommes, cet ordre des polices humaines est une ombre de celui de l'Éternel qui le diffuse par les canaux des rois. NB les rois sont des canaux, pas des sources ! Les prêtres de la loi (l'expression n'est pas dans le discours) doivent la conserver et la célébrer : cette sagesse divine qui se déroule en terre par l'esprit des princes souverains, comme par des canaux choisis par le Tout-Puissant pour se communiquer aux hommes. Quels soins ces fidèles officiers ne doivent-ils pas prendre pour les maintenir en l'état qu'ils doivent être ? (Mémoires, ed. Champollion, p 237) [197].

A ce point de la cérémonie, les huissiers ouvrent les portes et le greffier lit la déclaration royale [198]. Cette séance est toute en subtilités. En adoptant (en feignant d'adopter) les articles des cours souveraines, le "roi" traite les arrêts du Parlement comme de simples remontrances dont il fait des textes législatifs qu'il donne à enregistrer au Parlement [199], lui offrant son propre bien (après l'avoir dénaturé). Et la conclusion annoncée par Séguier : puisque le Roi a réalisé les vœux de la chambre St Louis, elle n'a plus de raison d'être ; le Roi la convoquera si besoin : ordonnant qu'à l'avenir aucune assemblée ne pourra être faite en la chambre Saint-Louis que lorsqu'elle sera ordonnée par notre cour de parlement avec notre permission.

ii- les Lois, marques de l'alliance publique

Talon définit d'emblée l'enjeu de cette journée, l'annihilation du Parlement sous couvert de sa célébration : Votre Majesté, séant dans son lit de justice, autorise par sa présence la lecture d'une déclaration qui prévient les sentiments de cette compagnie, interrompt ses délibérations, et nous rend aujourd'hui toutes nos fonctions inutiles (Mémoires, 1732, Vol 5, p 132 sq.). Il suit ce chemin délicat en prenant pour véhicule une métaphore astronomique compliquée à laquelle il revient tout au long (par coquetterie ? pour se couvrir ?) : peut-être un astre exerce-t-il plus de puissance seul qu'en conjonction mais il y a grande différence entre le gouvernement du Ciel et celui de la terre. La puissance des rois vient de leurs sujets : sans les peuples les Etats ne subsisteraient point, & la Monarchie ne serait qu’une idée. Notez bien, la Monarchie ne serait qu’une idée ! Le roi a besoin de ses sujets : Il n'appartient qu’à Dieu seul d'être suffisant de lui-même, subsistant dans la plénitude de son Etre, sans besoin & sans dépendance de ses créatures.

Le balancement de la phrase suivante est remarquable : Dieu inspirant le roi, l'obéissance lui est due, quoiqu'il fasse ; mais le roi lui-même obéit aux lois publiques dont l'observation garantit la soumission des sujets :... les sentiments intérieurs de notre conscience nous obligent de croire que les Souverains agissent dans la conduite de leurs Etats par les voies que Dieu leur inspire, &... qu'il n'appartient point à leurs Sujets de les interroger, ni leur demander compte de leurs actions. Il y a pourtant (mon soulignement) des Lois publiques dans les Etats, qui sont les fondements des Monarchies, les pierres angulaires des Royautés, les marques de l'alliance publique (idem), qui témoignent [de] la soumission que les Sujets doivent à leur Souverain & [de] la protection qui leur est due.

Ensuite, répondant aux anciens reproches, Talon justifie que le Parlement s'occupe de la chose publique et définit habilement son rôle en filant la métaphore astronomique : le Soleil qui est le père & l’auteur des nuées… ne les accuse pas pourtant de résistance & de rébellion, bien qu'elles arrêtent la force de ses rayons, [ce] qui les empêche de mal faire à la terre… En s'interposant, le Parlement, comme les nuages, protège le pays sans pour autant porter atteinte au roi qui est son père et son auteur. Les Lois qui inspirent le Parlement sont celles de la Couronne : ainsi les Rois ne sont point en tutelle, lorsqu'ils défèrent aux ordres publics ; la Majesté de l’Empire n'est point diminuée  quand ils déférent aux Ordonnances qu'ils ont faites.

S'ensuit une dénonciation des financiers et des détournements qu'ils opèrent à leur profit. Le Parlement n'a pas aggravé la crise des finances en refusant les nouveaux impôts. Au contraire, il a suspendu ses travaux pour mettre fin à cette crise. Et il conclut : la réformation  du royaume n'est pas achevée par la déclaration royale, il faut poursuivre [200].

Conclusion

Au delà des différences circonstancielles qu'il m'a bien fallu noter pour ne pas rester sur un plan purement linguistique, comment ne pas être frappé par la similitude des situations et des discours ? Dans les deux cas, le Parlement défend sa place centrale dans l'ordre du royaume, non seulement pour son propre intérêt, mais pour le bien public. Si tout doit céder devant la dignité de la personne royale, celle-ci doit céder à la mission royale. Le Parlement est une pièce maitresse de cette dialectique.

Cette doctrine se traduit par des discours interchangeables. Le Solon (le roi obéit aux lois) et le Cicéron (le roi tuteur) de Guillart pourraient être cités par Talon dont la métaphore du soleil et ses nuages pourrait être employée par Guillart. L'union du roi et de ses sujets se fait par la Loi (Guillart : bonnes Lois, Ordonnances, & bons Officiers ; Talon : Lois qui sont les marques de l'alliance publique). Le roi tout-puissant s'autolimite (Guillart : vous ne voulez, ou ne devez pas vouloir, tout ce que vous pouvez ; Talon : les Rois ne sont point en tutelle, lorsqu'ils défèrent aux ordres publics).

Le Roi tient de Dieu ; tout-puissants, l'un et l'autre ne veulent que ce qui est juste ; supérieur à tous et à tout, le Roi se soumet aux Lois et règne par les Lois. Première différence avec le tyran. Deuxième différence liée : si le Roi concentre en lui-même le pouvoir absolu, il ne décide pas seul mais par conseil et par consentement [201].

Les spéculations médiévales, traitées rationnellement comme des thèmes de science politique, conduisent où l'on veut, au despotisme comme au parlementarisme. En pratique, nul ne songe à les exploiter ainsi car personne ne se soucie d'inventer un meilleur mode de gouvernement. Le meilleur, c'est celui de nos aïeux. Au gouvernement d'aujourd'hui, on oppose un passé idéalisé... Le futur rêvé est le passé : la réformation, celle du Royaume ou celle de l'Eglise, vise à corriger les abus qui se sont introduits et à revenir à l'âge d'or antérieur [202]. Sans aller jusqu'à parler de "conservatisme révolutionnaire", dans certaines circonstances, l'appel au passé devient oppositionnel.

Cela me pousse à radicaliser la signification de l'esprit de retour. Nous avons vu le Parlement, en toute révérence de la Majesté royale, mobiliser des arguments simples, ancestraux, (le bien public, les lois, le pouvoir ordonné) et les tendre au roi comme ces miroirs qu'on écrit pour l'éducation des princes. Le plus étonnant pour nous, c'est que le roi ou ce qui en tient lieu, y est sensible. Il fait pression, il menace, il bouscule le Parlement mais il ne peut pas passer par-dessus le "rappel à la loi". Il lui faut s'excuser, chercher des précédents, promettre de s'amender.

Finalement, le régulateur de la monarchie, c'est une image, celle du tyran, ce contre-modèle sur le plan juridique, religieux et politique. Le Parlement est la vigie de la nef de l'Etat qui signale l'approche de cet écueil. Ou, comme dit Talon, empruntant à l'Histoire Naturelle de Pline : Nous ressemblons à ces oiseaux séleucides [203] ... On ne sait ni d’où viennent ces oiseaux, ni où ils vont; car on ne les voit jamais que lorsqu’on a besoin de leurs secours.

Ce rôle, le Parlement le joue sans enthousiasme, lorsque la nécessité et ses convictions ne lui permettent plus de faire autrement. A reculons, plutôt qu'avec la malice qu'on lui a trop généreusement prêtée. On pourrait lui donner pour devise son propos de 1525 (quand la situation dramatique l'oblige à se mêler du gouvernement, sachant pourtant déjà que cela lui sera reproché) : toutes foiz, si [cependant] le faut-il faire.

IV. "Médiévalité" du Parlement

Cette quatrième partie a presque le caractère d'un appendice. Elle contient des justifications qui, mises dans le texte, auraient entraîné de trop longs détours. Mais ces développements sont nécessaires pour parachever ma démonstration : l'analyse de la Fronde doit se détacher de son futur, qu'il soit proche ("l'absolutisme" louis-quatorzien) ou lointain (la monarchie représentative ou la démocratie parlementaire).

Pour cela, deux points sont à traiter, de nature bien différente, que je réunis néanmoins car, ensemble, ils contribuent à l'étude du "système racinaire" du Parlement de la Fronde. Le premier, historique, envisage l'origine et la nature du Parlement : dérivé de la Curia Regis, il en tire sa légitimité à traiter de la chose publique. Le second, théorique, explore la base argumentaire et logique de la rhétorique parlementaire.

Les deux ancrent les Parlements du XVIIe siècle dans la "médiévalité" qui donne son titre à cette partie, non seulement comme origine mais comme environnement. Le lecteur qui se souvient de ma discussion liminaire (1ère partie) à propos de "pré-moderne" et "tardo-médiéval" (early modern, late medieval) comprendra que, pour moi, le "XVIIe siècle" appartient à son passé, non à son futur.

1.  Origines du Parlement

La Justice est la fonction fondamentale du Roi, sans pour autant se séparer des autres. Aussi lorsque l'affirmation royale entraine une inflation judiciaire (a), l'instance la plus proche du roi, le Parlement issu de la Curia Regis reste polyvalent : haute cour du Royaume, il dit le droit dans tous les domaines. Parlement et Parliament sont donc homologues (b). Leur capacité "constitutionnelle" s'enracine dans la dialectique du roi et de la couronne (c).

a) inflation judiciaire

Capter la Justice apporte influence (arbitrage des conflits) et richesse (magnum emolumentum) : amendes, confiscations, tutelles.

Le "roi-juge", loin de représenter une adaptation séculière du "roi-prêtre" (infra), en est un aspect, tout aussi biblique. La Justice de Dieu garantit l'ordre du monde. A cette fin, Dieu élit ses "vicaires" (pape et évêques, empereur et rois...). Le roi défend l'ordre divin contre la confusion engendrée par le péché : tout péché est un crime, et inversement. Sur cette base, à partir du XIIe siècle, les Capétiens s'emploient à faire de la paix de l'Eglise la paix du Roi dont celui-ci devient le garant et le juge des violations. Ils ne sont pas seuls à emprunter cette voie (Harding, 2001 [204]).

Louis VI et ses successeurs cherchent à imposer leur cour (curia regis) comme recours judiciaire, dans les causes ecclésiastiques au nom de la mission du roi de "protéger" l'Eglise, comme dans les causes féodales au nom de la suzeraineté directe ou indirecte du roi qui prétend juger en première instance ou en appel [205]. Les résultats restent longtemps modestes. Les gens d'Eglise se réclament de leurs propres cours et du tribunal du pape (qui commence à jouer le même jeu que les rois). Les seigneurs éludent la justice du roi, en ne comparaissant pas, en atermoyant ou en réglant eux-mêmes leurs disputes, par les armes ou par arbitrage [206]. Le roi doit imposer sa "paix" par la guerre. Sa capacité judiciaire est un instrument de puissance (immixtion dans les affaires féodales) et augmente avec sa puissance.

Le tournant s'opère au XIIIe siècle et une convention tenace l'attribue à Louis IX : La cour des premiers Capétiens était avide de procès; celle de saint Louis en fut au contraire rassasiée (Luchaire, 1883, p 100). C'est que, outre la justice féodale dans un royaume élargi, la curia regis doit juger les causes royales. Il s'ensuit l'émergence rapide du Parlement et son développement extensif et intensif.

Au fur et à mesure que le roi prend la maîtrise du domaine royal, l'étend et augmente sa prise sur le royaume, il lui faut, sinon administrer (un trop grand mot pour l'époque), du moins exercer sa souveraineté [207]. Toutes les sociétés organiques butent sur le problème du long-distance policy making (Vollrath). La lenteur et l'incertitude des transports et des communications en général rendent les médiations inévitables [208], solution problématique car, partout et en tous temps, les délégués tendent à capturer leur fonction, à l'exercer à leur propre profit, à s'autonomiser et, comme le sol est la base de la richesse et du pouvoir, à se territorialiser.

Si le roi met en place une forme de verticalité, les "pesanteurs" poussent à l'horizontalité : les baillis (dans les pays d'oïl) et les sénéchaux (dans les pays d'oc), ces agents du roi, interprètent sa volonté, utilisent à leur profit le pouvoir qui leur est délégué, et doivent employer une multitude d'agents qui font de même [209]. Le gouvernement est assailli par les plaintes, parfois violentes, du menu peuple, tondu et retondu, et aussi des nobles, des évêques et des abbés, que ces officiers royaux concurrencent ou même molestent. En outre, ces délégués et délégués de délégués provoquent des pertes en ligne importantes, en termes de ressources fiscales et d'autorité. Aussi le pays réclame-t-il, presque en permanence, la réformation du Royaume et le gouvernement poursuit cette tâche impossible, par des enquêtes, des inspections et –c'est ce qui nous intéresse ici– en multipliant les lois qui doivent guider et contraindre ses agents et en ouvrant contre eux un recours judiciaire.

Le Parlement reçoit les plaintes contre les baillis et sénéchaux et juge en appel les décisions de leurs cours [210]. Il s'ensuit une saturation de l'agenda du Parlement qui l'incite à rationaliser son organisation et sa procédure (style), et à concentrer son activité sur la fonction d'appel en limitant les jugements rendus en première instance.

La spécialisation d'une partie de la curia regis en Parlement résulte ainsi de deux mouvements emboités. Le premier, de longue durée, supraféodal, vise à substituer – et substitue en partie – la cour du roi aux cours ecclésiastiques et seigneuriales. Le décollage de la royauté la fragmente en de multiples segments locaux qui, à la fois, assurent et affaiblissent sa difficile emprise sur les pays. D'où le deuxième mouvement : un dispositif de régulation qui croît avec le problème auquel il répond. Imparfait comme il est (éloignement, longueur, obscurité et coût des procédures), ce dispositif ne remplace pas la perpétuelle et impossible réforme du royaume qui, chaque réforme en nécessitant une autre, restera à l'ordre du jour jusqu'à la fin. Ces "dysfonctionnements" mettent le Parlement au centre de la "proto-administration" royale : il juge au nom du roi les agents du roi, ce qui, cas après cas, génération après génération, le pousse à élaborer une doctrine de la Couronne, ou du moins une tradition.

b) dérivation du Parlement de la Curia Regis

Le roi, s'il règne gratia dei, ne gouverne pas tout seul mais par conseil, concile, colloque, assemblée, non du peuple, mais des Grands, ecclésiastiques et laïcs. Le conseil, n'est pas pour eux un droit mais un devoir. Les décisions importantes se prennent d'un commun accord, éventuellement sous-tendu ou contraint par des rapports de force et d'influence : la parole engage, fût-elle prononcée à contrecœur ou arrachée par la violence.

La curia regis est une assemblée des Grands (i) qui se décline en diverses instances (ii). Parliament et Parlement sont de même type (iii).

i- la Curia Regis

Le gouvernement ne peut être que collectif. D'une part, la souveraineté du roi ou empereur sur son dominium passe par la médiation de Grands ou de big men et celle de leurs hommes qui combinent leurs intérêts propres et ce qu'ils doivent à une obéissance d'autant plus conditionnelle que la distance au roi croît. D'autre part, sauf à s'aventurer à s'imposer par la guerre, le roi doit, dans le cadre de serments réciproques, associer les Grands à la décision, dans l'espoir qu'ils la partagent, la respectent et la mettent en œuvre. Ces derniers pratiquent identiquement dans leur ressort, leurs dépendants aussi et ainsi de suite.

Selon le cas, la décision de la curia regis concerne des questions ecclésiastiques, patrimoniales, militaires, judiciaires ou tout à la fois. On nomme parlements ces réunions où l'on parle. Le mot [211] nous pousse à l'anachronisme (souveraineté populaire), faussant notre vision de ces instances archaïques dont la composition, le statut et les fonctions devraient pourtant nous éclairer. Faire remonter l'actuel Parlement anglais au conseil des barons de Jean sans terre, c'est prendre l'alchimie pour la  base de la physique nucléaire !

Le roi ne peut pas gouverner sans ses barons. Quand le roi est fort, le conseil est un devoir auquel les barons ont l'obligation de déférer. Quand les barons sont forts, c'est un droit auquel le roi a l'obligation de déférer. La tension droit/devoir résume l'histoire de cette "gouvernance" à la fois conflictuelle et collective (osons un nouvel oxymore : dissension consensuelle).

La curia regis étroite (conseil privé pris dans la maison du roi) s'occupe des affaires courantes, la curia large affirme et réalise la "communion" du Roi et du Royaume dans les affaires clivantes, quand il faut faire adhérer les Grands au roi ou l'inverse [212].

Les historiens du droit, aussi intéressantes que soient leurs recherches, partent des institutions présentes et remontent leur ascendance. S'intéressant moins au droit du passé qu'au passé du droit (Thireau, 1997), ils projettent sur les "institutions" archaïques des caractères qu'elles n'ont pas : il n'y a pas alors de spécialisation des fonctions ni de définition des institutions ; les unes et les autres varient selon les circonstances. On qualifie cette fluidité de confusion des pouvoirs, expression qui n'est pas sans connotation péjorative. Disons plutôt, avec McIlwain, fusion de pouvoirs indéterminés [213]. Les gouvernants réagissent, tant mal que bien, aux situations et répondent, tant mal que bien, aux besoins. Ils ne suivent pas des règles préétablies, ils ne suivent pas de règles du tout, ils font face : quelque chose ne marche plus ou ne satisfait plus ? on le supprime rarement, on crée autre chose. Là où notre esprit darwinien cherche une sélection par l'efficacité, il rencontre un empilement de toutes sortes de formes dont l'élan initial survit rarement : les circonstances changent, les comportements s'adaptent, les positions acquises se défendent [214].

ii- des cours de justice dérivées de la Curia

Rendre la justice est à la fois l'attribut le plus transcendant de la souveraineté et son instrument le plus immanent (affirmation de pouvoir, élimination d'ennemis, punitions, amendes, confiscations). Les gouvernants, rois, princes, évêques, grands, nobles, syndics de ville, ont le droit/devoir de justice. L'enchevêtrement des ressorts et des pouvoirs provoque des conflits de juridiction qui sont des conflits de souveraineté. Le "tribunal" du monarque est tout autant une justice de cassation ou d'appel qu'une justice directe sur les gens de sa maison et, plus généralement, sur ceux qu'il a avoués siens. La curia regis fonctionne aussi comme tribunal suprême mais, compte tenu de sa composition (les Grands) et de sa durée (courte), elle ne juge que les affaires qui affectent le consensus, les grandes causes et les grands personnages. Les affaires des gens de la maison du roi, les contentieux entre personnes privées, les conflits de juridiction, toujours jugés au nom du roi, se délèguent à des instances qui, par accoutumance, deviennent peu à peu judiciaires. Naturellement, la curia regis et ses déclinaisons accompagnent le roi et se déplacent avec lui, ce qui rend indéterminés le temps et le lieu de la justice.

Pour les fixer quelque peu, une annexe est établie dans la plus grande ville, avec un calendrier d'ouverture (sessions). Séparées des cours qui entourent et suivent le roi nomade, ces "annexes" les concurrenceront ou s'y opposeront (ainsi, en France, le Parlement et le Conseil [215]). Comme ces instances sont des collections de places, d'offices, dont l'attribution fait l'objet de compétition, elles entrent dans les jeux de clientèle et les relations de pouvoir.

Génération après génération, les "juges" capitalisent des savoirs (coutumes, jurisprudence), des procédures et des traditions qui créent un "habitus professionnel", rendant de plus en plus nécessaire un apprentissage spécial et un cursus gradué : sans fermer l'accès (un juge ignare n'a besoin que d'un assesseur ou d'un collègue qualifiés), cette évolution tend à faire exister la Loi à côté du Roi. Il se trouve conjointement sous et sur la Loi : dispensateur ultime de toute justice, le Roi règne conformément aux Lois, à la différence du tyran [216].

Encore sous Jacques I, le fameux juge Edward Coke (1552-1634) s'inscrit dans cette tradition : la Loi (common law) est une essence de sagesse distillée par le temps [217] ; le roi règne sub Deo & lege ; les conflits entre le roi et ses sujets relèvent des juges ; le Parlement (les deux chambres et le roi) forment la Haute Cour du Royaume (Allen : the old conception of Parliament as primarily and essentially a High Court), elle-même subordonnée à la Loi ; le Parliament ne fait pas les lois, il dit le droit en se prononçant sur des cas [218] ; s'il en est empêché par un désaccord entre ses trois composantes (Commons, Lords, King), la charge revient aux autres cours. Inversement, il juge en appel des autres cours ou à leur place, lorsque la loi existante ne leur permet pas de trancher. McIlwain (1910) montre que, jusqu'à la guerre civile, l'essence du Parliament reste judiciaire : tribunal suprême du royaume, le Parliament ne vote pas des lois, il rend des arrêts. Dans ce contexte, ce n'est pas avec le roi qu'il est en concurrence, mais avec les autres cours du royaume [219].

Sous Charles I, la dynamique du conflit finira par faire apparaître une conception de type "moderne". Elle est nettement exprimée par le commoner Henry Parker (1604-1652) : le Parlement ne se limite pas à dire le droit (law-declaring), il fait le droit (law-making). Il a une capacité législative basée sur le droit naturel et la raison qui s'imposent à tous, même au Roi.

D'un côté, ces deux conceptions partagent la vieille idée que le roi absolu (nul ne peut le juger) se soumet au bien public, à peine de devenir tyran. De l'autre, elles s'écartent à propos de la nature de cette limitation (positive ou transcendante) et des modalités d'arbitrage (judiciaire ou politique). La longue guerre civile anglaise produit une mutation conceptuelle que, en France, la courte "guerre de Paris" n'a pas le temps de provoquer (paix de Rueil) ; quant à la "Fronde des nobles", elle manque d'inventivité : ainsi, pour l'essentiel, la France en reste à la conception traditionnelle, ce qui explique la place et le rôle du Parlement de Paris comme juge du bien public.

iii- Westminster et Paris

Ecartons d'abord les états généraux : ils ne jouent pas un vrai rôle institutionnel en France et n'existent pas en Angleterre dont la structuration se fait selon la tenure et non pas l'ordre [220]. La France a connu d'innombrables assemblées de Grands, avant que le roi, un jour, leur adjoigne des députés de quelques bonnes villes (1302) [221]. Si, ponctuellement, quelques sessions des états marquent l'Histoire, environ une fois par siècle, elles restent sans suite et n'engendrent pas de tradition [222]. On en appelle aux états généraux contre le gouvernement en place. Les monarchomaques de la fin XVIe, Huguenots comme Liguards, les proclament dépositaires de la souveraineté. Les Grands à la mort de Louis XI, les Princes après celle de Henri IV, la noblesse pendant la Fronde réclament des états généraux. Image du bien commun, incarnation du royaume, plus souvent invoqués que convoqués, ils tendent au mythe.

Le Parlement en tant que corps a toujours refusé de députer aux états (quoique de nombreux parlementaires y participent à titre personnel en tant que députés du tiers). Il se place au-dessus d'eux, à côté du roi : celles des pétitions des états qu'accepte le roi se traduiront en actes législatifs que le Parlement enregistrera (non sans réserver ou exercer son droit de remontrance) [223]. Le Parlement prétend à une légitimité supérieure au motif qu'il représente la Loi, la tradition du royaume et sa continuité. Et il l'obtient, parce qu'il est royal, permanent et professionnel et les états si rares et si confus.

Initialement, le Parlement de Paris, comme la cour des common pleas à Londres, ne se singularise que par sa sédentarité. C'est un guichet annexe de la justice du monarque, ouvert en un lieu et en un temps définis tandis que le Conseil nomadise avec le roi. Le premier juge au nom du roi, le second a une capacité directe et prononce les jugements du roi (quoique celui-ci, habituellement, ne participe pas aux séances). Mais les common pleas, le king's bench, la cour de l'Echiquier restent des tribunaux. Les Parlements de Paris et de Westminster sont de nature supérieure (curia et consilium) parce qu'ils ne se composent pas uniquement de juges. Héritiers directs de la curia regis large, ils associent le roi, les Grands (ecclésiastiques et civils) et les professionnels du droit pour instruire et juger des affaires selon la coutume (dont l'ancienneté atteste le caractère consensuel). Haute Cour (High Court) du Royaume, ils connaissent des conflits de juridiction et des cas de trahison [224].

L'unité du Roi et du Royaume que Westminster exprime par l'accord de trois institutions distinctes siégeant séparément (les Commons, les Lords et le roi [225]) est, à Paris, incorporée. A la différence des états généraux où les trois ordres délibèrent à part, l'instance supérieure du Parlement, la Grand Chambre, ignore les ordres. Tous conseillers, les membres siègent ensemble : la hiérarchie se traduit dans les places, le cérémonial et l'ordre des votes, alors qu'à Westminster elle est matérialisée par la division en trois instances.

Dans les deux Parlements la place des juristes évolue à l'envers. Westminster les réduit  à un rôle d'assistance technique (jurisconsultes), pendant que les compétences juridiques se diffusent parmi les membres (universités, Inns of Court). Au contraire, en France, au quotidien, les juristes se substituent aux "politiques", emplissent le Parlement et, devenus propriétaires de leur charge, forment une espèce de corporation, engendrant, entretenant et cristallisant des rituels de procédure qui affirment son identité et qui, en s'imposant aux tiers (et au roi), les prennent au piège de l'argumentation judiciaire.

Malgré cette juridisation, le Parlement conserve son originelle articulation mystique à la Couronne : le Parlement est la cour des pairs, le Roi y a son siège fleurdelisé et l'occupe quand il veut comme juge suprême ; les ducs et pairs (ecclésiastiques et laïcs) siègent de droit à la Grand' Chambre, ainsi que les grands officiers du roi [226] ; parmi les conseillers et les autres officiers, la parité entre clercs et lais est de droit (pas toujours de fait), ce qui autorise le Parlement à revendiquer une autorité sur les affaires ecclésiastiques et sur les affaires du Royaume en général, autorité à la fois déléguée et transcendante puisque, si le Roi est la loi en flux, le Parlement est la loi en stock, mémoire et conservation du droit réputé consensuel. Il est donc fondé à examiner la conformité des noveletés à la tradition.

La force du Parlement provient d'une tradition continue de plusieurs siècles et d'archives complètes (registres publics et secrets) puisque les jugements et les arrêts sont écrits. Le Parlement de Paris, institution permanente, incarne la continuité de l'Etat. Il réunit, chaque jour ouvrable de chaque session, des conseillers à vie dont certains, pénétrés de leur fonction, se spécialisent et capitalisent leur expérience et celle de l'institution. La transmission héréditaire engendre des "dynasties familiales" qui programment et éduquent leurs fils ou neveux.

Au contraire  [227], le Parliament, convoqué exceptionnellement quand le roi ne peut pas faire autrement, suspendu (prorogé) ou dissout à sa discrétion, est discontinu, en tant qu'institution et en tant que personnel : si quelques commoners sont régulièrement "réélus", les péripéties personnelles et locales, les changements dans les rapports de force et d'influence, font qu'il y a toujours une masse d'hommes neufs, pressés de rentrer chez eux. Seuls les Lords siégeant à vie, peuvent, s'ils en ont envie, capitaliser l'expérience de ces rares moments parlementaires. Le Parliament, terriblement conscient et soucieux de sa précarité, devient vite craintif, donc agressif. Sa dispute avec Charles I lui fait redouter d'être dissout, voire mis entre parenthèses et oblitéré, comme l'ont été les états généraux sur le continent. Pour se défendre, il empiète sur la prérogative royale (Triennal Act et Own consent Act, 1641) et l'outrepasse de plus en plus, mais il n'y aura pas de "gouvernement parlementaire". Le Parliament ne sait pas et ne veut pas gouverner. Quoique il soit allé loin dans l'opposition, à la fin, il retourne à sa mission, l'unité du Roi et du Royaume, c'est-à-dire la coopération entre le gouvernement et la gentry.

c) le Parlement entre Roi et Couronne

Un évolutionnisme atavique a longtemps cherché à identifier l'origine de la notion de Couronne (assimilée à l'Etat) et à en suivre la différenciation d'avec la personne du roi. Nous ne prendrons pas cette route : la Couronne ne se substitue pas au roi, ils existent ensemble. Ils sont les deux faces de la monarchie : la couronne est au roi, le roi à la couronne.

En les séparant, le parlement anglais se justifie d'exercer, à partir de 1641, les pouvoirs de la Couronne, sans et contre Charles I : la Couronne veut un "agent" fidèle, le roi ne l'est plus, le parlement le sera.

Mais, à l'inverse, un roi séparé de la couronne peut la recevoir du Ciel : un millénaire plus tôt, la royauté des chefs de guerre francs étant personnelle et familiale, les usurpateurs Pépinides demandèrent leur légitimité à Dieu via l'Eglise : par l'onction divine, la Couronne tombe du ciel sur la tête de l'élu. Ainsi, un droit divin primitif justifie le roi en tant que "agi" par la couronne.  Les Carolingiens, par un fine bit of historical revisionism (Giesey, 1961  [228] ), rétroprojettent cette conception sur les Mérovingiens en appelant le baptême de Clovis un sacre. De même, à leur suite, les premiers Capétiens. Pour un usurpateur, le sacre divin a l'avantage d'ignorer la famille royale légitime. Les Capétiens, ne pouvant pas encore invoquer le droit dynastique qu'ils viennent de violer, instrumentalisent le sacre : le roi, de son vivant, fait approuver son fils successeur (rex designatus), puis le fait couronner (rex consecratus). Cela dure et fonctionne pendant les trois siècles laborieux où les Capétiens se débattent avec la "féodalité". Après leur réussite (Philippe II auguste), sans renoncer aux avantages du droit divin et de l'onction sacrée (Reims), les rois enracinent leur succession dans le droit des fiefs qu'ils utilisent pour affirmer leur suzeraineté.

Quand le culte royal ne reposait pas sur le "sang" [229] mais sur l'abstraction de la Couronne, la dignitas conférée par Dieu, chaque succession devait être négociée et réalisée, tandis que le sang héréditaire réduit les "coûts de transaction". Une fois le droit du sang substitué au fait du sang, le sacre –toujours nécessaire– cesse d'être constitutif, le roi devenant tel à l'instant de la mort du roi-père (le mort saisit le vif –cf. Krynen, 1984). En France, l'affirmation du sang royal mâle à partir du XIVe ne se fait pas au détriment de la Couronne mais en combinaison avec elle. On ne revient pas au tribalisme germanique [230]. Le Sang et la Couronne se développent conjointement, quoiqu'ils restent distincts.

Familière aux juristes romains qui distinguaient ce qui appartient à César tanquam imperatorem et ce qui lui appartient tanquam Titium, la différence n'est pas opposition. La métaphore christique des "deux corps" du Roi [231] exprime avec grandiloquence une banalité (il y a un homme, il y a une mission), mais la personne privée du roi est elle-même "publique" : on ne sépare pas sa santé (physique et morale) de celle du royaume (statum nostrum et regni nostri[232]. Fonctionnellement, le roi se sert de la couronne autant qu'il s'y subordonne [233].

La "dépatrimonialisation" du domaine et sa transcendance quasi étatique (fiscus non moritur) ne datent pas du sacre de Charles V le sage (1364) où il promet de respecter l'inaliénabilité et l'intangibilité du domaine de la Couronne. A partir de là, l'Etat dominerait le roi. Mais de tels serments n'ont pas attendu Charles V [234] et n'ont jamais soumis les rois. Leurs promesses solennelles ne les empêchent pas d'aliéner le domaine, soit par force, soit par complaisance, soit par étourderie. Lorsque ce roi (ou son successeur) veut revenir en arrière, il rappelle son serment et il invoque le "droit de la Couronne".

En Angleterre, l'acte qui sépare la tête du roi Charles I de la couronne du royaume ne résulte pas de leur dissociation progressive au cours des siècles qui vont de la Magna Carta au long Parliament, mais de la tension presque permanente, souvent chaotique, parfois sanglante, entre les deux. Dix ans plus tard, Charles II les réunira et il faudra bien du temps et bien des circonstances pour "mettre au propre" le brouillon constitutionnel du long parliament.

En France, la fin des Capétiens directs en 1328 et le conflit de succession entre héritiers français et anglais font surgir une série de "cas" constitutionnels dont les solutions balisent la royauté : d'abord, bien sûr, la question des filles (Taylor, 2001) ; ensuite la question de la régence, en raison de l'absence involontaire du roi (physique pour Jean le bon, mentale pour Charles VI) ; enfin la question de la succession, avec l'exhérédation du Dauphin (traité de Troyes, 1420). Les historiens de la pensée surestiment la contribution de Terrevermeille à l'exaltation de la Couronne. Pour défendre le dauphin [235], Terrevermeille soutient que la Couronne n'appartient pas au roi, qu'il ne peut pas en disposer, qu'il en est seulement l'administrateur. L'idée n'est pas nouvelle [236] : le roi épouse le Royaume comme l'évêque épouse son diocèse, par la même symbolique de l'anneau ; l'époux doit respecter la dot de "sa conjointe" [237]. Cette thématique du roi administrateur de la Couronne définit le champ d'intervention du Parlement dans la chose publique.

Les "cas" de transmission problématique évoqués plus haut avaient été réglés par des assemblées de Grands et par les faits. En l'absence de consensus, ce serait, dit-on, à l'assemblée générale du royaume (les états) de décider : on élargirait la scène pour augmenter le degré de liberté. Cela ne s'est jamais fait : outre l'incertitude du résultat (comment ces états convergeraient-ils vers une solution que les Grands n'ont pas trouvée ?), la Couronne est dative et non attributive : la question n'est pas de savoir qui la mérite mais qui a le droit de la recevoir (ce qui, par la bénédiction divine, la lui fera mériter ex post).

Un épisode extrême, la succession de Henri III. Après la mort de Henri II, ses fils se sont succédés, faute d'avoir eux-mêmes un fils : François II, Charles IX, Henri III. La mort du quatrième frère, le duc d'Anjou, laisse Henri sans successeur naturel dans un contexte politico-religieux très conflictuel (Ligue etc.). Il a désigné l'huguenot Navarre, descendant au onzième degré de St Louis, que les Catholiques refusent. Mais les rivalités parmi ces derniers (entre Liguards et Politiques et au sein des premiers) les empêchent de choisir entre Guise, Mayenne et l'Espagne. Aussi la Ligue réunit des "états généraux" (partiels et factieux) à Paris. C'est alors (28 juin 1593) que le Parlement a l'audace de rendre un arrêt qui annulle tous traités faits ou à faire qui appelleraient au trône de  France un prince ou une princesse étrangère, comme contraire à la loi salique et autres fois fondamentales de l'état. Rien que de banal sur le plan juridique, mais ce rappel du droit de la Couronne déboute les étrangers (donc les Guise) et les femmes (donc la petite-fille de Henri II, la candidate espagnole) et passe la  balle au Bourbon de Navarre. Bien sûr, cet arrêt ne met pas la couronne sur sa tête, il lui reste à vaincre militairement, à obtenir des ralliements et à se faire catholique. Même si l'arrêt est dû à une fraction (à tout prendre illégale) du Parlement [238], c'est un grand moment pour cette institution qui se rêve gardienne de la Couronne, donc "tuteur" des Etats généraux et du Roi, et s'enivre de son éternité institutionnelle. L'arrêt est accepté et reçu parce que, à cet instant, le Parlement tient son rôle : il n'innove pas, il conserve. La loi salique constitue un corpus juridique élaboré de longtemps pour habiller un contenu politique : au-delà du préjugé (les lys ne filent point), elle empêche que la couronne ne sorte du Royaume.

Un autre exemple à propos d'une question à la fois territoriale et constitutionnelle : Henri IV devenu roi, cherche à garder la Navarre au lieu de l'incorporer au domaine royal. En 1591, un procureur général aussi dévoué à Henri que Jacques de la Guesle, s'y oppose  [239]. Pour lui, la Couronne saisit à la fois le Roi et ses biens : c'est ce que nous disons aujourd’hui au Roi, & soutenons pour le Roi contre le Roi, c'est à dire pour les droits de la couronne (du Jour, 1611, Remonstrances de Messire de la Guesle, p 134) : insoumission  (pour le Roy contre le Roy) par fidélité à la Couronne.

Le bien public est opposable au monarque. Préférer son bien privé au bien public est la définition même du tyran, dont la figure est universellement condamnée, voire contestée (désobéissance passive ou active, déposition) : c'est en tant que traître au bien public (common wealth) que Charles I d'Angleterre sera exécuté en 1649.

2.  Contradiction ou dialectique ?

A maintes reprises, je me suis dissocié de la notion de "prémodernité" : la révolution industrielle du XIXe siècle est une fracture, pas un moment dans une généalogie. En remontant la modernité à une révolution renaissante, une révolution du XIIe siècle, une révolution papale du XIe siècle, nous  prêtons notre langue à ces temps (a) car nous ne comprenons pas la leur, sauf quelques bribes que nous mésinterprétons, faute de connaitre leur référentiel "vernaculaire" dont je tenterai une exploration (b).

a) le poids du présent

Notre ignorance nous fait annexer des temps étrangers avec la même naïveté brutale que nos ancêtres annexaient des territoires étrangers. L'entreprise est aussi compréhensible (i) que fallacieuse (ii).

i- la révolution papale (Berman)

La dissociation des deux sphères du sacré et du profane [produit] une libération d'énergie et de créativité analogue au processus de la fission nucléaire (Berman, 1983, p 101). De ce big bang naît la modernité. Berman fait un système de la transformation du roi-prêtre en roi-juge, radicalisant l'approche de Congar (1958) ou Tierney (1995) [240].

L'idée paraît séduisante : deux absolutismes simultanés se limitent l'un l'autre. Le pape et l'empereur (les rois) répondant de la Chrétienté devant Dieu, chacun se trouve garant de l'autre. Donc, quand rien ne les opposerait, ni rivalité politico-territoriale, ni concurrence épiscopale ou fiscale, ni mégalomanie, leur commune responsabilité les forcerait à entreprendre l'un sur l'autre. De ce fait, le pouvoir absolu que confère une mission aussi divinement illimitée se divise, se dédouble, à l'occasion se heurte et, in fine, se neutralise. Le pape échoue à gouverner le monde et l'empereur à gouverner l'église. L'histoire sépare les frères siamois, la coupure succède à la symbiose. Le pouvoir politique devient temporel et doit se refonder [241] : la Loi remplace, sans l'annuler, la divine providence. Au "dualisme fusionnel" du roi-prêtre succède celui du roi-juge qui se base sur la Loi. Le Parlement, incarnant la Loi du Royaume, bride le pouvoir du roi. CQFD.

Le premier volume de Law and Revolution de Harold Berman en 1983 [242], coupe le souffle aux historiens du droit qui le saluent avec embarras. Quant aux historiens, ils préfèrent ignorer ce curieux monument juridico-conceptuel [243]. Pour Berman, l'autonomisation du droit canon par rapport au droit romain fonde l'impérialisme papal (Grégoire VII), lequel, en divisant la société chrétienne en membres actifs et passifs (clercs pasteurs et laïcs à paître) , désacralise la fonction impériale/royale. Celle-ci, réduite à l'univers temporel, cherche des lois pour s'affirmer et les trouve par imitation des canons. Il s'ensuit des chevauchements de juridiction qui sont à la fois un problème (conflits) et une chance (espace de liberté).

Cette révolution papale fait passer le monde chrétien occidental de l'indifférenciation "théocratique" du spirituel et du temporel à leur scission-subordination. L'autonomie dominatrice du spirituel fait naître en retour une sphère "séculière" à délimiter et aménager. D'où le droit et la justice comme nouveaux fondements du pouvoir temporel. La révolution papale met fin à l'antiquité "tardo-tardive" et crée le système juridique dont naît notre modernité.

Le "roi-prêtre" n'avait besoin que de diacres et de thuriféraires. Amputé de sa dimension religieuse (désormais monopolisée par l'Eglise) et reconverti en "roi-juge", il lui faut du droit et des juges. Ceux-ci, croissant avec le pouvoir royal, tendent à s'affirmer en tant que "prêtres séculiers" (sacerdotium temporale) [244] et deviennent une espèce de "clergé laïc" qui a toutes les lois afférentes présentes à l'esprit (Kantorowicz [245]). En bref, l'Etat de Droit est en marche.

Seulement, tout cela ne va pas. Passons sur la surestimation du "moment" Grégoire VII [246] et sur le pseudo-concept de "révolution papale" [247]. Passons même sur l'absence de soubassement historiographique. Ce qui coince, c'est le postulat, le dualisme des théocraties. "Théocratie" (et ses variantes "césaropapisme", "papocésarisme", "augustinisme politique"...) n'a pas de sens dans un univers religieux où, organiquement, Dieu est le gouvernant suprême. Ce faux-concept nous entraîne dans une arène fantomatique où se combattent des principes qui découlent de la séparation présente de l'Eglise et de l'Etat, du spirituel et du temporel. Ce dualisme n'appartient pas au temps étudié mais au nôtre [248].

C'est ce que soutient l'historiographie postmoderne, curieusement, presque à la même date que l'ouvrage de Berman (Van Engen, 1986), opposant l'altérité à la continuité (deJong, 1994 [249]).

ii- un passé caméléon

Il n'y a pas si longtemps qu'on a compris que le présent fait le passé. Les présents s'enchaînent et nous lèguent des générations de passés. Si les inputs de la connaissance historique résultent d'un processus d'accumulation (sources), les outputs constituent des couches successives dont chacune est à comprendre, à relativiser et, si possible, à exploiter à partir de l'esprit de son temps.

L'analyse du médiévalisme américain (Freedman & Spiegel, 1998) révèle un intéressant contraste : alors que le médiéviste européen est tenté par la continuité, l'américain l'a posé spontanément dans son altérité (otherness). Pour lui, le moyen-âge européen est nativement "autre" puisque l'Amérique ne le connaît pas, ne vit pas dans ses traces architecturales, urbanistiques etc., et, pour autant que la rébellion des treize colonies ait été une révolution, les Etats-Unis se sont constitués en rupture avec le moyen-âge (nobles, couronne, parlement...) que le XIXe savant américain "étrangifie" (otherize).

Expliquer l'origine de l'Etat moderne américain en sautant le moyen-âge européen, passe par le teutonic germ (Baxter, 1881 ; Cabot-Lodge [250]), populaire jusqu'à sa dévalorisation par le nazisme qui rend suspecte la Genossenschaft [251]. Pour trouver un autre palliatif au moyen-âge, la recherche revient alors à la romanité qui renforce le thème de la "renaissance du XIIe" (Haskins : individualisme, rationalité, droit), ce qu'on retrouve chez Berman. Enfin, de nos jours, la contre culture, puis le postmodernisme et la "démodernisation" générale, redécouvrent le "gothisme" (Melve, 2006).

Ce type d'analyse incite à méditer sur les couches successives de la représentation du moyen-âge. Ainsi, son historiographie allemande ne peut être dissociée, ni de la catastrophe de la Réception du Droit Romain, ni de l'arrière-plan Kulturkampf des éminents archivistes de la fin du XIXe, ni de la "malédiction" du Staatlichkeit [252], ni, pour la période récente, de la critique du droit nazi (Wolter, 1992 ; Chapoutot, 2010). De même, en France, la Restauration [253], puis l'espèce de Kulturkampf  des débuts de la IIIe République ont marqué, à la fois les recherches et la constitution des "sources" dont héritent les historiens contemporains.

Il est vertigineux de penser que les documents (secondaires autant que primaires !) sont moins des sources que des textes [254], de surcroît, difficiles à décoder en raison de l'intertextualité induite par le jeu cumulatif des références. D'autre part, concevoir que le discours sur ces discours est aussi un discours titille le pyrrhonisme et débouche sur des questions épistémologiques complexes. Il n'est donc pas surprenant que "l'historien historisant" rejette ces interprétations et que même l'historien conscient défende son habitus professionnel contre la meta history [255].

Pourtant, la déchristianisation  des sociétés occidentales a "désencapsulé" le facteur religieux. En le redécouvrant de l'extérieur, on aperçoit que, dans une très large mesure, la littérature historique sur le fait religieux médiéval (ou, au XXe, son omission délibérée dans certains pays ou par certaines écoles) était un discours interne à la Chrétienté davantage qu'une analyse. La séparation et l'opposition modernes entre l'Eglise et l'Etat ont ébloui [256] le regard porté sur un "passé étranger" (foreign past) où Eglise et Etat sont à peine émergents et où spirituel et temporel ne se dissocient pas. Nous prétextons de la reductio ad unum pour dépasser des contradictions imaginaires car ce qui est antinomique pour nous ne l'est pas, ou pas toujours, pour les "médiévaux". Les historiens les plus avisés sont conscients des pièges linguistiques : l'anachronisme (Eglise, Etat, par exemple), la polysémie de mots essentiels comme status (état, estate), l'intertextualité (importation dans la politique de métaphores cléricales comme celle de l'époux), l'hypertextualité (à partir des Ecritures ou des Romains) etc.

Les arguments utilisés par le Parlement nous paraissent des acrobaties rhétoriques que nous admirons (et dont l'audace nous étonne) alors que, s'ils sont utilisables face à la majesté royale, c'est qu'ils reprennent un solide fonds de lieux communs médiévaux dont la dialectique nous échappe. Le paragraphe suivant est une exploration de cette culture de l'ambivalence. Ceux qui la partage font preuve de plus d'agilité (ou d'artifice) que nous. Ce qui nous apparait comme un paradoxe est souvent une banalité.

b) lieux communs

Plusieurs dialectiques théologiques et juridiques maîtrisées par une "technostructure"  mixte [257], délimitent et ensemencent le champ sémantique où proliférera l'expression politique. J'envisage trois thèmes, sans entrer dans les détails de leur inépuisable complexité. Outre leur valeur d'exemples d'un mode de pensée, ils éclairent les débats que j'ai retracés : le roi qui peut tout ne doit pas vouloir tout (i) ; le roi est l'agent du Royaume (ii) ;  le roi gouverne par consentement (iii).

 i- autolimitation de la toute puissance

Les "médiévaux" ont débattu intensément la question, pour nous hallucinante: jusqu'où s'étend la toute-puissance de Dieu ? lui permet-elle de tout faire ?

Par définition, Dieu le Juste ne peut pas commettre d'injustice [258]: est-ce de l'impuissance ? Si Dieu tout-puissant lui-même rencontre une espèce de limite, il en ira de même, a fortiori, de tous les vicaires à qui il confère, sous lui, la toute-puissance ici-bas ! Voilà un argument omnibus et facile d'emploi: vous ne devez pas vouloir tout ce que vous pouvez car vous deviendriez étranger à vous-même.

Dieu peut tout faire, mais il ne le fait pas parce qu'il ne se le permet pas ! Nulle force externe ne le lui interdit (rien ne lui est interdit), c'est une force interne, sa propre volonté. Nous avons rencontré cette formulation dans la bouche du Parlement s'adressant au Roi.

Jetons un coup d'œil sur ce veritable cat's cradle of philosophical conundrums qui agite encore ces postmédiévaux que sont les théologiens du XXe siècle (Oakley) [259].

Au XIe siècle, Anselme de Canterbury (Anselme du Bec) s'interroge sur la miséricorde divine. Pourquoi le pécheur doit-il expier au lieu d'être pardonné ? pourquoi Dieu, dans sa miséricorde infinie, ne lui fait-il pas grâce ? La question est cruciale pour le salut de l'âme, et vitale pour le "business model" de l'entreprise ecclésiastique qui, de plus en plus, tirera d'immenses revenus de sa fonction d'intermédiation dans la pénitence et le rachat. Anselme connaît la réponse: oportet ut justus misereatur juste (Augustin: il convient que le juste ait pitié justement). Donc l'ordre juste de l'univers, la iustitia ou rectitude de Dieu, requiert que le prix soit payé [260]. Dieu pardonnerait volontiers. Il ne le fait pas, il se l'interdit car ce ne serait pas juste.

Sans évoquer ici la pluralité des mondes dont Tempier en 1277 condamne la négation comme une usurpation de la raison sur la puissance divine [261], ce débat donne lieu à des spéculations qui, pour nous, confinent à l'extravagance. Saint Jérôme au IVe siècle: Dieu tout-puissant peut-il rendre la virginité à celle qui l'a perdue ? [262] Pierre Damien répond positivement et expose (1066) comment Dieu, s'il est tout-puissant, peut faire que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé et même que Rome n'ait jamais été fondée [263].

Il suffit de croire. Plus subtile est la distinction entre "pouvoir absolu" et "pouvoir ordonné" [264] (le Lombard, d'Aquin): 1) Dieu peut "tout" (pouvoir absolu) ; 2) il peut tout ce qu'il veut ; 3) il veut ce qui est conforme à l'ordre qu'il a institué (pouvoir ordonné). D'Aquin: il y a pourtant des choses qui ne sont pas soumises à sa puissance, parce qu’il leur manque d’être possibles [265]. Un commentateur du XVIIIe siècle l'exprime joliment: c’est l’état bienheureux de sa nature de ne pouvoir faire ce qui ne lui est point convenable. En bref, comme le dit sobrement un catéchisme d'aujourd'hui: l'omnipotence de Dieu inclut l'autolimitation.

Comment ne pas penser à la fameuse maxime tardo-antique digna vox (Théodose in Codex, 1, 14, 4) ? Digna vox maiestate regnantis legibus alligatum se principem profiteri: adeo de auctoritate iuris nostra pendet auctoritas (c'est un propos digne de majesté de celui qui règne que le prince se déclare lui-même soumis à la loi ; car notre autorité elle-même dépend de celle du droit).

L'omnipotence inclut l'autolimitation ! le tout-puissant (Dieu, pape, empereur, roi) n'est pas soumis à une contrainte –sans quoi il ne serait plus tout-puissant– , il se soumet à sa propre loi [266]. Tous les contemporains instruits connaissent ce "koan". Je dis "koan" car ce n'est pas un dogme, au contraire, c'est un défi pour l'esprit auquel chacun répond à sa façon [267] . Ce n'est pas seulement un exercice de théologien, il se diffuse dans la societas christiana dont il imprègne les structures mentales. Le Parlement ne dira donc rien d'extraordinaire lorsque, s'opposant au roi, il lui rappellera la nécessité de se conformer à sa propre nature en agissant justement. Il usera d'un lieu commun que les dialectiques de la personne et de l'office, de la tête et des membres complètent et diversifient comme nous allons le voir.

ii- oblitération de la personne par l'office

L'office absorbe la personne, la Couronne le roi.

Encore une fois, cela commence par un problème théologique. Très tôt, la Chrétienté a dû se prononcer sur la validité des sacrements délivrés par des personnes indignes: les donatistes, les simoniaques, les impurs. Question cruciale pour les contemporains qui risquaient de se trouver débaptisés, déconsacrés, désordinés, dessaisis, à cause des erreurs antérieures ou ultérieures d'un prêtre ou d'un prélat.

Au tout début du IVe siècle, la persécution de Dioclétien avait poussé nombre de prêtres ou évêques africains à remettre aux autorités les livres et vases sacrés, voire à sacrifier aux dieux païens. La paix revenue, les "ultras", entraînés par l'évêque Donat, considèrent que ces lapsi, ayant perdu leur autorité spirituelle en déchéant, les sacrements qu'ils ont conférés ne valent rien et doivent être réitérés. Le concile romain de 313 condamne Donat et statue: un sacrement est effectif indépendamment de celui qui le délivre car il est "activé" par la présence mystique du Christ, non par la personne physique du prêtre.

Cette ligne théologique sera développée extensivement par la suite car la question ne cesse de se poser, en raison des abus et des insuffisances du clergé, et aussi chaque fois qu'un prélat est condamné [268]. La réponse constante: le prêtre ne fait pas le sacrement, Dieu le fait à travers lui.

Outre le baptême etc., cette thèse s'applique à l'ordination des clercs, à la consécration d'un dignitaire ecclésiastique, comme au sacre du roi ou de l'empereur: le clerc ou le prélat sont seulement des instruments de Dieu, leurs qualités personnelles ne comptent pas. Ce principe a deux faces: d'un côté, l'indignité éventuelle de l'opérateur, pape ou évêque, ne vicie ni le couronnement de l'empereur ou du roi, ni les ordinations, ni les autres sacrements qu'il a délivrés ; d'un autre côté, en annulant la personne, ce principe lui permet d'exercer sa fonction sacrée (et d'en bénéficier), quels que soient ses défauts ou crimes en tant qu'individu [269].

Le principal transcende l'agent. C'est aussi ce que le Droit permet de conclure. Au Ve siècle, Léon I utilise le droit romain de l'héritage pour absorber la personne du pape dans sa fonction: l'héritier se substitue au décédé dans ses droits et devoirs, il en devient la réincarnation légale [270]. Le vif est le mort. Ergo, tout pape, bon ou mauvais, méritant ou inepte, saint ou débauché, "héritant" de St Pierre, est St Pierre. Sa propre personne est, si j'ose l'expression, "transsubstantiée". Les papes ne se succèdent pas les uns aux autres, chacun succède à St Pierre [271].

Un millénaire plus tard, le même droit civil romain sera appliqué aux fiefs par Balde, avec le même résultat: les générations de fils n'héritent pas les unes des autres, chacune confie à la suivante le patrimoine du progenitor du nom. La transmission du fief, à travers les investitures successives, réaffirme les droits concédés par l'investiture initiale: le père ne meurt jamais et retient ses droits dont la suite des fils est l'administrateur perpétuel [272].

La ligne théologique et la ligne juridique, quoiqu'indépendantes, convergent vers la notion de dignitas qui constitue "le principal" (principalis) dont chaque détenteur successif est "l'agent" (instrumentalis).

Dignitas numquam perit, dit la glose du Décret Quoniam Abbas incorporé en 1215 aux Canons. Le cas était le suivant: le successeur d'un abbé peut-il exercer des fonctions qui avaient été déléguées à son prédécesseur ou doit-il solliciter une nouvelle délégation ? Le pape Alexandre III répond: la délégation ayant été attribuée à l'abbé en tant qu'abbé et non en tant que personne, elle appartient à la dignitas et non à untel [273].

En tant que porteurs et effecteurs de la même dignitas, prédécesseurs et successeurs sont une même personne. On ne dit rien d'autre lorsqu'on proclame que le roi ne meurt jamais. Le roi est la couronne.

iii- consentement et approbation

Le "consentement" requis des membres d'un "groupe" est une participation, non une approbation: le tyran décide seul en suivant son caprice, l'autorité légitime décide en public avec ses sujets.

"La corporation", également originée dans le droit romain, n'est pas la matrice démocratique que certains ont cru voir, émerveillés par la maxime QOT (quod omnes tangit ab omnibus tractari et approbari debet): ce qui touche tout le monde doit être pris en mains et approuvé par tous [274].

Une multitude de groupements humains, des communes aux abbayes, des chapitres cathédraux ou collégiaux aux congrégations de métiers, des Royaumes aux Eglises, l'Empire même, suivent le modèle de l'universitas (corporation) ou lui sont assimilables. Cela implique une norme de concernement collectif qui, même sous sa forme la plus radicale, le "conciliarisme" (ecclésiastique ou civil), ne s'oppose en rien au principe monarchique [275].

On a fait de la théorie médiévale de la corporation la base de la constitution des Etats ou du gouvernement de l'Eglise [276]. Mais l'origine de la notion (le Digeste) comme son développement (pratique médiévale) n'ont rien d'univoque. A l'instar de Maitland au début du XXe, Avi-Yonah (2005) met en relation la corporation médiévale et le droit des sociétés (corporates[277]. Il ramène à trois les types alternatifs de "corporation" et montre la différence de leurs effets sur l'objectif et la gouvernance:

1) la conception agrégative est la préférée des médiévistes en raison de son potentiel "démocratique": la corporation, étant la somme de ses membres, peut admettre des formes de représentation et de délégation de pouvoir [278];

2) la conception réelle distingue entre l'entité et ses membres: la corporation, resserrée sur elle-même, s'identifie à son "management" qui, une fois accepté par les "actionnaires", se substitue à eux pour gérer au mieux de l'intérêt de l'entité ;

3) la conception artificielle nie que la corporation – persona ficta comme on dira à partir d'Innocent III – puisse tirer son existence d'elle-même [279]. Puisque, en regroupant des personnes, elle se constitue en une espèce de république (ad exemplum rei publicae), elle doit être explicitement autorisée par l'autorité publique [280], sa "charte" approuvée et les actions qui sortent des limites de la charte (ultra vires) réprimées [281].

Seule l'agrégation est compatible avec le schéma "proto-démocratique" cher aux auteurs modernes, abusés par l'usage qui en a été fait plus tard (notamment par les parlementaires anglais du XVIIe) pour légitimer et légaliser l'opposition au roi [282]. Les autres conceptions, sans ignorer les droits des membres, les subordonnent à l'objectif choisi (corporation réelle) ou reçu (artificielle).

Dans la pratique médiévale, la conception agrégative n'est pas la norme. Les trois coexistent, se concurrencent et la première se trouve souvent dominée. Or, si la corporation médiévale (rêvée), complémentée par le QOT, se prête à descendre vers la démocratie comme une rivière vers la mer, les types de corporation (effectifs) dessinent un paysage ouvert où l'on découvre toutes sortes d'arguments politiques dans un sens ou dans l'autre. Considérons le Royaume (ou l'Eglise) comme une corporation (ou une corporation de corporations) réelle et non pas agrégative: son gouvernement (papal ou royal) doit respecter et servir les intérêts de cette entité, fût-ce au détriment des "membres" que leur manque d'information ou de réflexion ou leur égoïsme rendent incapables de savoir ce qu'il faut faire.

La conception agrégative elle-même ouvre un jeu entre la tête et les membres  [283]. La première n'est pas subordonnée aux seconds qui la choisiraient, la contrôleraient et, éventuellement, la sanctionneraient pour incapacité. Le QOT (ce qui touche tout le monde doit être approuvé par tous) n'a que l'apparence d'une règle décisionnelle. Post (1946) a montré que QOT ne signifie pas que "tous" décident, QOT énonce un principe de procédure: tous les ayant-droits doivent être convoqués, à peine de nullité de la décision.

En effet, la plupart des formulations médiévales du QOT ne mentionnent pas l'approbation de tous les intéressés, mais leur leur présence [284]: ils ne décident pas, ils acceptent la juridiction qui rendra la décision, chacun ayant, bien sûr, toute latitude de s'employer à ce qu'elle lui soit favorable. De même, lorsque un gouvernement convoque des assemblées pour légitimer des levées fiscales extraordinaires (états généraux ou réunions de notables), les délégués n'ont pas pour mandat de discuter la volonté du roi mais d'y consentir, à charge pour eux d'essayer d'arracher pour leur communauté les conditions les moins lourdes (évidemment au détriment des autres)  [285]. Le roi ne partage pas la décision avec ses sujets, il décide au milieu de ses sujets, sur la scène publique (dirions-nous) et non, comme un tyran, dans son cabinet avec ses favoris.

D'autre part, les relations au sein de la corporation sont complexes. Même au sein des corporations agrégatives, le bien collectif l'emporte sur les droits individuels des membres. C'est la major ou même la sanior pars du groupe qui le représente. La corporation n'a pas pour but le bien de chacun de ses membres (moins encore celui de leur personne), elle cherche celui de l'entité que, pris ensemble, ils constituent. Il revient donc aux plus conscients de la gouverner. Le choix des dirigeants résulte d'une cooptation des optimates. Une riche et complexe jurisprudence traite des rapports et des droits respectifs de la tête et des membres, de l'évêque et de son chapitre, du pape et des cardinaux, des syndics et des bourgeois etc.

Bien sûr, le QOT a été invoqué par des membres pour défendre des droits individuels ou collectifs ou, obliquement, pour se soustraire au consentement obligé en prétextant l'absence ou la non convocation d'autres parties prenantes [286]. Mais un principe de procédure étant neutre, le QOT a souvent été utilisé au profit de la tête. Le gouvernement a su en tirer parti de deux façons:

1) le QOT couvrant tous les ayant-droits, non seulement effectifs mais potentiels (héritiers, héritiers d'héritiers, héritiers possibles etc.), il permet au roi de s'impliquer: en tant que suzerain, il est concerné par tous les litiges entre ses sujets, directement pour ceux qu'il a enfieffés, indirectement pour ceux que ses tenants ont enfieffés. Ainsi le "bien public" (du roi) s'introduit dans les affaires privées que la curia regis a, dès lors, vocation à juger ;

2) la représentation complète (plenitudo potestatis) exigée et assurée par le QOT rend obligatoires pour tous les mandants les taxations que leurs mandataires ont consenti. Ils ne peuvent pas refuser en disant qu'ils ne savent pas, qu'ils n'ont pas (ou n'auraient pas) consenti: leurs délégués l'ont fait pour eux. Les assemblées convoquées par le roi pour entendre sa décision la rendent légale et obligatoire pour tous les sujets. Paradoxalement, les états généraux sont un outil du pouvoir [287].

Conclusion

Résumons.

Nous avons questionné d'abord l'existence de la Fronde (1ère partie): malgré des formes et des accidents toujours singuliers, au même moment, des troubles frappent plusieurs pays voisins, ce qui suggère des facteurs communs, socio-politiques, économiques, ou climatiques. Ma discussion conduit à écarter cette généralisation et à rejeter la notion de "crise": les "sociétés ante-industrielles" (organiques) sont essentiellement instables et les désordres du milieu du XVIIe suivent et précèdent une multitude d'autres.

Il aurait été permis (quoique frustrant) de s'arrêter là, si les formes et accidents de la commotion française n'eussent appellé la comparaison avec ce que, en même temps, connaît l'Angleterre. Malgré d'innombrables différences, dans les deux cas, le Parlement est au centre (2ème partie). Cela incite à quitter la synchronie pour la diachronie et à inscrire la Fronde dans le jeu séculaire du Parlement entre le roi et la couronne.

Ce Parlement qu'on regarde trop souvent à partir de l'aval (démocratie représentative), je l'ai tourné vers l'amont. Je l'analyse dans son passé, et non dans un avenir qui serait son futur. Ces temps ne sont pas "pré-modernes", ils sont autres. Examinant l'expression de l'ambivalence du Parlement (contre le roi pour le roi), je constate sa similitude sous la Fronde et sous François Ier (3ème partie).

En dépit de circonstances particulières (Mazarin, Duprat...), les deux épisodes se comprennent en étudiant leur base et leur "logiciel" médiéval (4ème partie): le Parlement appartient au Corpus Regis, ce qui le contraint à défendre les droits de la Couronne, fût-ce contre la personne du roi. Cette dialectique institutionnelle s'exprime par des discours que notre logique binaire trouve paradoxaux ou artificieux.

Quoique la Fronde soit "laïque", les "sociétés" européennes de ce temps, en plus d'être organiques, sont chrétiennes [288]. Cette double essence caractérise un très long continuum, du IVe siècle au début du XIXe, dont nous ne partageons pas et ne comprenons plus le langage. Il nous faut donc plonger dans la "médiévalité", cette antiquité "tardo-tardive" que Dieu gouverne. Nous y rencontrons peu de principes univoques: "pouvoir absolu-limité" fait partie d'un monde de créatures dialectiques qui,  s'incorporant aux structures de pensée, nourrissent le discours du Parlement.

L'historiographie des XIXe et XXe siècles cherchait dans le XVIIe les germes de l'Europe industrielle et démocratique et, pour boucher le trou entre la fin du moyen-âge et la modernité, inventait une période de transition qualifiée de pré-moderne (early modern) dans laquelle l'histoire des idées projetait ses catégories. La modernité s'appropriait un passé étranger, adoptant un "père" (fatherizing) qui ne pouvait s'en défendre.

Aujourd'hui, la "démodernisation" délimite autrement l'espace et le temps. D'une part, "l'Europe du XVIIe" relève du même type que les autres "sociétés" ante-industrielles, toutes marquées par une instabilité récurrente. D'autre part, elle n'est plus coupée de sa base médiévale dont la pensée politique arpente les topoi.

Les temps modernes de l'Europe commencent (et finissent ?) avec son long XIXe siècle, industriel et démocratique, et non avec l'Europe des XVIe-XVIIe siècles. Nous ne sommes pas nés de cette Europe-là qui, seulement, nous habille. Elle n'est pas matrice mais forme. Cela ne simplifie pas l'analyse. DeJong [289] formule avec acuité le dilemme anthropologique de l' "étrangification". Il faut la pousser assez loin et pas trop: reconnaître, pour l'explorer, tout ce qui est autre, et s'arrêter avant l'exotisme. Nous ne pouvons pas annuler ou oublier tout le travail de pensée de la construction des Etats-Nations et son interprétation du passé en termes généalogiques. C'est ainsi qu'est écrite l'historiographie que nous lisons. C'est ainsi que nous avons été formatés. Ce sont nos lieux communs. Trompée et trompeuse, cette entreprise a eu des effets, elle a créé du lien. Elle a fait qu'un passé étranger est entré "dans  la famille" et que, depuis des générations, nous l'avons toujours connu tel.

Nulle période n'est plus caractéristique de cette ambiguïté que le XVIIIe siècle français dont la modernité rétrospective nous abuse. L'analyse précédente resterait inachevée si, en appendice, je ne la soumettais pas au test du XVIIIe.
Mon objet était la Fronde, mon sujet le Parlement. Et après ? se demandera-t-on. Ce Parlement "médiéval" ne rajeunit-il pas au XVIIIe ? Sa guerre avec le gouvernement ne contribue-t-elle pas à désacraliser le Roi, affaiblir les ministres, agiter l'opinion, dévoiler le mystère de l'Etat, exciter cette Révolution qui engloutira les Parlements et guillotinera les "conseillers"?

Refusant de lire le XVIIIe à l'envers, à partir des évènements de la fin du siècle, je cherche s'il y a une rupture dans la doctrine et la pratique du Parlement. Je prétends que non: invariant, il devient étranger.

Appendice : la médiévalité du Parlement à l'épreuve du XVIIIe siècle: lire

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Notes

 



[1] 1ère partie

La Reyne d'Angleterre qui estoit venue ce iour-là de Sainct Germain, ayant aussi representé que les troubles d'Angleterre n'avoient iamais été si grands dans leur commencement, ny les esprits si eschauffez ny si unis... Du Portail, 1649, Véritable récit, p 299.

[2] Marie Stuart, reine d'Ecosse, la grand-mère de Charles, avait eu un procès secret et avait été exécutée en privé. Encore la reine Elisabeth n'avait-elle pas assumé cette décapitation, pourtant populaire en raison des innombrables complots "papistes" de Marie. Elle avait protesté contre cette initiative malheureuse et pris le deuil.

[3]  Salmonet, 1649, Histoire des troubles de la Grande-Bretagne, Paris, ch. Antoine Vitré: Je ne veux rien prononcer sur les mœurs du siècle où nous sommes, je peux bien assurer seulement qu'il n'est pas des meilleurs, étant un siècle de fer, qui est un mauvais réformateur de la vie des hommes, la guerre apportant d'ordinaire un débordement de vices avec la désolation des Provinces. Toujours est-il fameux pour les grandes & étranges révolutions qui y sont arrivées. On y a vu des personnes monter sur des trônes possédés par de grands & de puissants Rois sans donner pas un coup d'épée, & en prendre possession avec autant de facilité, comme si ce n'eût été qu'un petit héritage. On y a vu des Princes humiliés… Et on a vu en d'autres lieux des Sujets qui n'osaient regarder leur Souverain en face, avoir eu l'audace de le citer devant un tribunal, où auparavant ils ne parlaient en sa présence qu'en tremblant, & au mépris de la plus fière puissance de la terre, mettre un enfant sur son trône. Les révoltes y ont été fréquentes, tant dans l'Orient que dans l'Occident, & cette nation qui méprise d'avoir commerce avec le reste des hommes, a vu le grand mur qui la sépare de ses barbares voisins rompu & ses Provinces désolées… Mais entre toutes les révolutions qui sont arrivées en ce siècle, celle de la Grand' Bretagne est la plus considérable, la plus étrange & la plus funeste dans toutes ses circonstances.

[4] Surtout lorsqu'on en exagère les péripéties amoureuses et personnelles. Le siècle de Louis XIV de Voltaire caricature: Les discordes civiles qui désolaient l’Angleterre, précisément en même temps servent bien à faire voir les caractères des deux nations. Les Anglais avaient mis dans leurs troubles civils un acharnement mélancolique et une fureur raisonnée: ils donnaient de sanglantes batailles ; le fer décidait tout ; les échafauds étaient dressés pour les vaincus... Les Français, au contraire, se précipitaient dans les séditions par caprice, et en riant: les femmes étaient à la tête des factions ; l’amour faisait et rompait les cabales...

[5] Comiers Claude, 1665, La nouvelle science des Comètes & histoire générale de leurs présages, Lyon, ch. Mathevet: En l'année 1618, il sembla que le Ciel se préparait à ses derniers jours, en produisant comme tout à la fois & à la hâte tout ce qu’il pouvait faire d’extraordinaire. Tellement qu'on put compter plus de huit Comètes dans la même année… grandes & continuelles pluies…/incendies/…Evangéliques de Bohème /début de la guerre de trente ans/…toute l'Europe trembla de frayeur, voyant le Grand Seigneur Osman passer le Danube… Plusieurs accusent cette épouvantable Comète d'avoir été complice des malheurs d'Allemagne.

[6] Par une fatalité singulière, ce temps funeste à Ibrahim l’était à tous les rois. Le trône de l’empire d’Allemagne était ébranlé par la fameuse guerre de Trente Ans. La guerre civile désolait la France, et forçait la mère de Louis XIV à fuir de sa capitale avec ses enfants. Charles Ier, à Londres, était condamné à mort par ses sujets. Philippe IV, roi d’Espagne, après avoir perdu presque toutes ses possessions en Asie, avait perdu encore le Portugal. Le commencement du dix-septième siècle était le temps des usurpateurs presque d’un bout du monde à l’autre. Cromwell subjuguait l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande. Un rebelle, nommé Litching, forçait le dernier empereur de la race chinoise à s’étrangler avec sa femme et ses enfants, et ouvrait l’empire de la Chine aux conquérants tartares. Aurangzeb, dans le Mogol, se révoltait (Voltaire, 1756, Essai sur les mœurs, Chap. 191).

[7] A la fin des années 1930, Merriman, inquiet de la révolution communiste mondiale (Is the 'world revolution', of which we hear so much, an imminent probability ?), s'interroge sur les connexions entre les crises du XVIIe et les leçons à en tirer.

Son plan est le suivant: I. THE SIX REVOLUTIONS: (1)The Revolt in Catalonia (2) The Revolution in Portugal (3) The Uprising in Naples (4) The Puritan Revolution (5)The Fronde (6) The Revolution in the Netherlands ; II. PARALLELS AND PHILOSOPHIES ; III. CROSS-CURRENTS: (1) France and Catalonia (2) France and Portugal (3) France and Naples (4) Catalonia and Portugal (5) Portugal and England (6) Holland and Portugal (7) Spain and the Fronde (8) France and the Netherlands (9)France and England (10) Spain and England (11) England and Holland. CONCLUSION.

Outre la préoccupation (issue de Ranke ?) de désingulariser la révolution puritaine et d'en faire le gagnant d'une course antimonarchique générale, le parallèle 1648/1848 alimente la réflexion de l'auteur: malgré leurs points communs, ces révolutions sont restées isolées et, aujourd'hui, la force du nationalisme rend une telle segmentation encore plus probable. Cependant, il oublie de noter que, si les révolutions ne se sont pas secourues, les monarques non plus. Loin de là, ils ont excité les dissensions et cherché à en tirer profit: la France en Catalogne et, plus modérément, à Naples (Guise) et au Portugal, comme les Espagnols avec la Fronde. Même l'exécution de Charles I dont tous les monarques étaient plus ou moins parents et directement intéressés à la vengeance, n'a pas suscité l'ombre d'une intervention. Pour autant qu'il y ait un message de l'histoire, il est ambigu !

Si Merriman initie le thème de la "crise révolutionnaire du 17ème siècle", il inaugure aussi la confusion conceptuelle comme le montrent les termes qu'il emploie: The Revolt in Catalonia ; The Revolution in Portugal ; The Uprising in Naples ; The Puritan Revolution ; The Fronde ; The Revolution in Netherlands. Il laisse "la Fronde" indéterminée et réserve le terme "révolution" aux mouvements qui ont abouti à un changement de gouvernement au moins temporaire. Les qualifier tous "d'antimonarchiques" (anti-monarchical rebellions) est abusif ou formel car ils ne s'opposent pas au principe monarchique mais au gouvernement de leur monarque. Catalogne, Portugal et Naples montrent des insurrections (diverses) contre l'étranger, représenté par le roi de Castille. France, Angleterre et Pays-Bas, des contestations (très diverses aussi) de la tendance "absolutiste" du gouvernement.

[8] Merriman: it looks to us rather like a contest between two different states than like an internal struggle over conflicting theories of government. But to the men of that day -especially to the Spaniards of that day- it appeared in a very different light. It originated in the violation by Olivares of the autonomous privileges granted by Philip II in 1582, in the desire of the government at Madrid to obliterate the last traces of that spirit of separatism which is the common heritage of all the Iberian peoples.

[9] Mousnier, 1954: Le siècle n’était que trouble, agitation, chaos. Les sociétés européennes semblaient aller à l'anarchie, à la dissolution et au néant. Le continent n'en émergea que grâce aux gouvernements forts qui émergèrent après 1650. Le titre de son ouvrage est tout un programme: Les XVIe et XVIIe siècles. Les progrès de la civilisation européenne et le déclin de l'Orient.

[10] Simiand, François, 1932, Recherches anciennes et nouvelles sur le mouvement général des prix du XVIe au XIXe siècle, Domat-Montchrestien, 4° partie - esquisse d’une recherche des concomitances au mouvement général des prix. Simiand avec autant d'ingéniosité statistique et de scrupules de méthode que de naïveté, construit et périodise la tendance des prix à long terme et, par élimination successive des facteurs explicatifs possibles, la rattache, non pas au montant du stock de monnaie, mais à la variation de sa variation. Ce mouvement général [des prix en Europe occidentale] nous a paru se caractériser par une grande hausse, sans doute au total, depuis le XVIème siècle jusqu'au XIXème siècle, mais qui se différencie dans ce laps de temps en phases bien marquées de caractère très différent, opposé et alternatif… La première phase, très nettement, est une phase de hausse relativement très forte, qui va du début du XVIème siècle jusque, nous semble-t-il, au milieu du XVIIème siècle (mon soulignement). Ensuite, se distingue une seconde phase, qui est, nous semble-t-il, au minimum un arrêt de la hausse, un palier ou même une régression, qui irait de ce milieu du XVIIème siècle jusqu'environ au troisième ou quatrième quart du XVIIIème siècle…(p 423) ... il est tout à fait manifeste qu’à partir du milieu du XVIIème siècle au moins, un changement très notable intervient, qui est un changement dans le taux d’accroissement de ce stock [monétaire]. Ce n'est pas le passage d'une hausse de ce stock à une baisse de ce stock ; c'est le passage d'un taux d'accroissement relativement très élevé à un taux d'accroissement relativement bas, et qui s'abaisse encore dons le cours du XVIIIème siècle (p 545). La stagnation des prix explique la détérioration des finances publiques dont les recettes croissaient dans la phase inflationniste (?) et, faute de compréhension du phénomène par les contemporains, les vains efforts des gouvernements pour la combattre en augmentant les impôts. Elle explique aussi le « mercantilisme » défensif de la période: quand les prix haussent, il n'est pas besoin de se défendre contre eux. Mais surtout, elle pousse les entrepreneurs à augmenter le rendement pour maintenir leur marge malgré la diminution du chiffre d'affaires:…nous pouvons comprendre qu'il soit ressenti dans ces périodes une pression sans cesse accrue sur le prix de revient et sur ses éléments, notamment le coût de transformation…[le moyen d’ajustement est] l'augmentation du rendement et constitue certainement une part du progrés économique.

[11] Hobsbawm, "The crisis of the 17th century (Past &Present, 1954, N° 5&6, repr. in Trevor Aston, 1965, Crisis in Europe, 1560/1600), initialement publié sous le titre "The General Crisis of the European Economy in the Seventeenth Century": the european economy passed through a 'general crisis' during the 17th, the last phase of the general transition from a feudal to a capitalist economy (mon soulignement)...the english revolution with all its far-reaching results is therefore the most decisive product of the 17th century crisis.

Elliott 2005 résume ainsi sa démarche: In addressing his central question of "Why did the expansion of the later fifteenth and sixteenth centuries not lead straight into the epoch of the eighteenth- and nineteenth-century Industrial Revolution ?" Hobsbawm extended the discussion to embrace Europe as a whole. His answer pointed to internal contradictions in the European economy and to the "failure to surmount certain general obstacles which still stood in the way of the full development of capitalism." At the heart of this failure was the failure to revolutionize the "social framework" of a still feudal and agrarian society, which succeeded in holding the emerging forces of capitalism in check. The seventeenth century thus becomes a century of "general crisis".

Rappelons encore l'héroïque tentative de Porchnev de faire de la Fronde une révolution bourgeoise manquée. La bourgeoisie trahit sa "mission historique" car les offices l'ont féodalisée. L'Etat "féodalo-absolutiste" assure le triomphe des exploiteurs sur les masses (Porchnev Boris, 1963, Les soulèvements populaires en France de 1623 à 1648. Paris, S.E.V.P.E.N.).

[12] Such, as it seems to me, was ‘‘the general crisis of the seventeenth century.’’ It was a crisis not of the constitution nor of the system of production, but of the State, or rather, of the relation of the State to society. Different countries found their way out of that crisis in different ways...

[13] ...the decisive element in the concentration of interest on the revolutions of the 1640s is clearly the supreme importance attributed to the Puritan Revolution in England, as the event which precipitates the collapse of Europe's feudal structure and the emergence of a capitalist society. If the Puritan Revolution is seen as the essential prelude to the Industrial Revolution, it is obvious that a constellation of revolutions benefiting from its reflected glory, is likely to outshine... But it would be foolish to ignore the possibility that, in using a concept of revolution which is relatively recent in origin, we may unconsciously be introducing anachronisms or focusing on certain problems which accord with our own preoccupations.

[14] An age as acutely attuned as ours to the distress signals of the poor and the starving, may be correspondingly less sensitive to the cries of the more fortunate for freedom from arbitrary power. The innumerable peasant revolts -the "soulèvements populaires"- which are now being analysed in such painstaking detail, provide a terrifying revelation of the misery in which most of Europe's population lived. But we should not, I believe, be afraid to ask the apparently brutal question: did they make any difference ?

[15] The crucial question  then becomes the attitude adopted by the mass of the uncommitted among the ruling class. Will they rally behind the crown and the agents of royal authority in an emergency, or will they allow the leaders of the insurrection to have their way ? The answer is likely to depend on a delicate balance between the ruling class's persistent fear of social upheaval, and its feeling of alienation from the crown...

[16] …In view of this inherent instability of early modern societies, frequent revolts can scarcely be seen as a cause for surprise. Given this, one has to question the uniqueness of the clustering of revolutions in the 1640s, and with it the whole notion of a general crisis of the seventeenth century.

[17] Benedict Philip, Introduction, 2005, Early modem Europe: from crisis to stability:

If any minimal consensus emerged from the discussion about why so many revolts happened at once in the middle of the seventeenth century, it is surely that the financial strain imposed by the Thirty Years' War bred political discontent in the many lands involved in the war, as were five of the six that experienced the "six contemporaneous revolutions." Few lands, however, felt the strain of war taxation and conscription more than Castile, where taxes were notoriously higher than in the other parts of the Spanish Monarchy, yet Castile did not revolt (mon soulignement). Few lands suffered a more disheartening and costly defeat than Denmark. Few lands bore a heavier burden in terms of military service than Sweden, especially its Finnish provinces. Yet these kingdoms did not revolt (mon soulignement).

[18] It is ironical that, at a time when the dominant trend has been toward the deconstruction of the economic and political crises of the seventeenth century, in one area at least the trend has been in the opposite direction. Meteorological historians have for some time now been informing those who wish to listen of a general deterioration of climate in the seventeenth century, with a drop in temperatures which they relate to fluctuations in sunspots and to a dramatic increase in volcanic activity. So there looms ahead of us the possibility of another debate, this time on the global crisis of the seventeenth century.

[19]  The problem with Parker’s approach revolves around how we view the task of historical explanation. The seventeenth-century general crisis, more than most historical conceptions, is based on theory. Its various theorists all supposed that something was guiding and challenging the actors that few if any of them could fully understand. Thus, the crisis does not emerge directly from the testimony of contemporaries. It is the historian’s task to cast the evidence into a theoretical framework. Global Crisis certainly relies on abstractions unknown to contemporaries, most notably the Little Ice Age. But by converting this notion into a historical actor, Parker sidesteps the challenge of measurement and testing in favor of an evocative narration of catastrophe and survival. He has converted the crisis of specialists into a thumping good read with a contemporary moral. This strategy will revive interest in the crisis framework in a way that no specialist work could, for which all of us who study the early modern world should be grateful. The task of explanation, however, remains (Jan de Vries, 2014, The Crisis of the Seventeenth Century: The Little Ice Age and the Mystery of the “Great Divergence”, Journal of Interdisciplinary History, XLIV:3,Winter, 369–377).

[20] La dernière partie est la moins intéressante. L'auteur présente le recovery post crise pour montrer qu'il est à l'origine de la "grande divergence" (contre Pomeranz), l'Occident ayant réagi en s'adaptant tandis que l'Orient revenait seulement au status quo ante. Les données utilisées s'éparpillent sur tout le siècle, y compris la phase noire de la crise, ce qui, non seulement ne prouve pas la thèse mais l'improuve.

[21] de Vries, 1977, "Histoire du climat et economie: des faits nouveaux, une interpretation différente", Annales E. S. C., 32, 198-226. Il conclut: d'une part, j'ai donc pu ... construire une série chronologique de 340 années qui permis de dégager des périodes climatiques Ces périodes remettent en question l'existence du Petit âge glaciaire ainsi que le modèle cyclique de variations de température qui lui est associé ; d'autre part, quant aux effets, pour l'essentiel les influences du climat sur la société sont limitées ou hypothétiques.

[22] Pour lui, l'idée de "crise du 17ème" est, du côté théorique, un obsolète héritage des Lumières, et, du côté empirique, le reflet des transformations structurelles que connaît alors l'Europe atlantique (De Vries, 2009, "The Economic Crisis of the Seventeenth Centurv after Fifty Years", The Journal of Interdisciplinary History, Vol. 40, No. 2, Autumn).

[23] McCants (ibid, JIH, 2009)  constate bien un retournement du mouvement de la population (the expansion came to an abrupt halt after the first two decades of the seventeenth century) mais ne trouve pas de preuve du lien postulé avec le climat.

There can be no doubt that people suffered when the harvest was short, but it became increasingly clear that they did not actually starve to death nearly as often as scholars once assumed. No amount of rigorous statistical testing has been able to discover any consistently strong relationship between harvest failures and mortality crises using data from Western Europe (p 208).

Finally, the important contribution of marriage behavior to the demographic equation seems to have been remarkably different for Europe than for all other agricultural societies; it fluctuated over a relatively small range in comparison to the gap between Europe and all other areas (p 214).

[24] Shank, 2008, "Crisis: A Useful Category of Post- Social Scientific Historical Analysis?": Viewed from this newly detached vantage point, the general crisis debate now appears as a classic product of Enlightenment social scientific history, and something that cannot be evaluated without evaluating the social scientific frameworks that overdetermined its creation… the "seventeenth-century crisis" was not a detached object "out there" awaiting discovery by rigorous empirical historians, but a conceptual frame that led empirical details to be joined together with theoretical assumptions in the production of both an object of study (seventeenth century society) and its characteristic attributes (crisis dynamics) at the same time… Skepticism about the reifications at the center of the general crisis debates makes it hard to argue for salvaging this framework from out of the historiographical dustbin.

Dans la dernière partie de son article, l'auteur, toutefois, remarque que Clio a deux faces: science et rhétorique. Si la "crise" est perdue pour la science, son acception rhétorique peut être productive pour comprendre la modernité à travers sa propre narration (understanding modernity through its narration, not its scientific analysis).

[25]...historical determinism was in retreat, as the contingent and the individual were rediscovered, political history was reinvented, the art of narrative (to Lawrence Stone's astonishment) was revived, the revisionists settled down to the systematic deconstruction of everything we thought we knew and understood before their demolition squads appeared on the scene. Such a climate was hardly propitious to the general crisis theory, or indeed to any other theory. The links, or presumed links, between the economy and politics had been snapped, and what had once been seen as great revolutions were all too easily reduced to the contingency of day-to-day events.

[26]  By the early twentieth century, in the work of Emile Durkheim and Max Weber, the problem of the origins of the modern world had become the central problem of sociology... this particular sociological theory defines "early modern" primarily through contradistinction from a "feudal" mode of production that had no exact analogue (or even close analogue except perhaps in Japan) outside of Europe... the problem with using "early modern" simply as a code to denote the period 1500-1850 is that China, Korea, Southeast Asia, Russia, the Middle East, and Africa are, in effect, left out of the account. For these regions, the years 1500-1850 do not denote a particular regime or cultural era.

[27] The belief that "early modern" is a sensible adjective for the period 1500 to 1850 rests on the belief that no other term captures the period of transition between feudalism and capitalism, an era marked by the emergence of markets dominated by merchant capital and proto-industry. Perhaps then, the best way to check for the existence of "early modern" societies outside of Europe is to simply seek for markets, merchant capital, and proto-industrial (e.g. household market-oriented) production… Scholars of all parts of the world have been remarkably successful in demonstrating that Europe had no monopoly on markets, merchants, and market-oriented households. Unfortunately, such scholars have perhaps been too successful. We now have evidence of "early modern" practices in eighteenth century Japan, thirteenth century China, eleventh century Java, and even of an entire capitalist "world system" in the Indian Ocean basin in the thirteenth century. Perhaps most startling of all is the study of "early modern" business practices in land-leasing among Egyptian landlords at least from Graeco-Roman times, and even more, among Assyrian merchants operating in Anatolia not in this era, but c. 1900 B.C.!…these studies also raise the question- how can merchant practices in isolation, or in networks of long-distance trade, which are found as far back as 4000 years ago, and are so widespread as to be found throughout Asia from the tenth century onward, be meaningfully "early modern?"… In other words, "early modern" can mean almost nothing, or almost everything, and as such, is a wholly meaningless term. It developed out of the need to fill in a space in the Marxist theory of stages of history, where it fills the gap between feudalism and industrial capitalism in Europe by interpolating commercial practices that have been widespread from the earliest days of commerce, while erroneously concluding that those practices represent something new, something essentially Western, and something closely tied to the emergence of "modern" societies. In fact, none of these latter propositions are valid. Thus the term "early modern" is founded on a series of errors, and has no useful application to world history…despite considerable economic growth, specialization, and market activity, /these societies/ showed no signs of becoming "modern" in the functionalist sense described above… from 1500 to 1750 the nations of Europe were a group of squabbling minor nations, tearing each other apart in fights over some of the least productive, most barren, and weakest territories on the globe, minor players fighting over the crumbs left behind by the advance of the great Asian societies.

Voir aussi: Goldstone, 2002, "Efflorescences and Economic Growth in World History: Rethinking the 'Rise of the West’ and the Industrial Revolution", Journal of World History, Vol. 13, No. 2 ; sa critique (Bryant Joseph M. , 2006, "The West and the Rest Revisited: Debating Capitalist Origins, European Colonialism, and the Advent of Modernity", Canadian Journal of Sociology 31/4) ; et la réponse de Goldstone (2008: "Capitalist Origins, the Advent of Modernity, and Coherent Explanation: A Response to Joseph M. Bryant", ibid 33/1).

[28] Goldstone, 2000, "The Rise of the West-or Not ? A Revision to Socio-economic History", Sociological Theory 18:2:

The California school reverses this emphasis and sees Europe as a peripheral, conflict-ridden, and low-innovation society in world history until relatively late… During this period, from 1000 AD to 1600, China explores central Asia and sends enormous fleets of ships westward to the coast of Africa, but can find no civilization producing goods that it does not produce better at home. In contrast, Chinese goods are sought throughout the known world. On the far western periphery of Eurasia, in western Europe, is a savage but nimble race of warriors, skilled forgers of arms and armor, clever with clockworks and other trinkets but dependent on crude iron and cruder steel, and with no skills in the production of silks… or other valuables… In the fifteenth and sixteenth centuries, they send small fleets to the Indian Ocean and adjacent seas, and manage to establish a few outposts on the fringes of eastern civilizations. From there, they compete with vaster fleets of Arab, Chinese, and Indian merchants in the carrying trade of East Asia, creating a small fortune for some lucky merchants but having no real impact on Asian civilizations for the next two hundred years… It has been a general pattern that smallish groups of underdeveloped, barbarian peoples on the periphery of great and populous civilizations can achieve stunning geopolitical victories when the great civilizations are in decline… The triumphs of the West prior to industrialization turn out, on closer inspection, to be made of similar material. The most stunning conquests were those of the Aztecs and the Incas by Spain… As to the British conquest of India, it was not greatly dissimilar to that by Spain in the Americas… In sum, until well into the 1800s, the European conquests are not greatly different from the other great barbarian conquests of history: Ruthless and mobile bands coming on great civilizations torn by internal dissension and decay frequently emerge as conquerors… These findings force us to face two very simple principles: (1) most conditions in Europe do not seem broadly different from those in the advanced regions of Asia until relatively recently, c. 1800; and (2) the later great divergence need not be rooted in great and long-standing prior differences, but could well be the result of small differences and chance events that created oddly exceptional political and cultural conditions not in "Europe," but in small parts of Europe...

[29] L'histoire quantitative de ces exotismes que sont les sociétés organiques méconnaît les problèmes sous-jacents. D'abord le manque de données "indigènes" et les difficultés de leur reconstitution. Les statisticiens et économètres disposent aujourd'hui de "bases de données" synthétiques dont ils n'ont pas l'idée d'interroger la validité. Ensuite et surtout, c'est la question de la signification de ces données et le danger d'anachronisme. Par exemple, les séries de prix peuvent être, sinon relevées, du moins induites dans une certaine mesure. Mais quelle est la signification du prix dans une "société" dualiste où le lien au marché est la plupart du temps partiel et indirect ? De même les comparaisons du revenu par tête dans le temps ou entre pays, supposent l'estimation du "revenu national" (et qu'un tel agrégat ait un sens pour ces sociétés) et de la population. Cet indicateur dont l'usage demande déjà beaucoup de prudence dans nos sociétés, vaut-il quelque chose lorsqu'on le rétroprojette ? On sait que les disettes proviennent moins de l'insuffisance de la production que de problèmes de distribution, y compris physique (transport, stokage).

[30] Par exemple, Peer Vries qui partage les postulats critiques des "Californiens" trouve qu'ils généralisent trop. Ils exagèrent les ressemblances entre l'Europe occidentale et l'Asie orientale. Les temps et les lieux restent flous. Il manque encore une analyse historique précise des trajectoires, des développements politiques, militaires, culturels et institutionnels (Vries, 2010, "The California School and Beyond: How to Study the Great Divergence ?", History Compass, Volume 8, Issue 7, July, Pages 730–751, Blackwell). De fait, le manuel pédagogique de Goldstone (2008, Why Europe? The Rise of the West in World History,1500–1850) caricature une nouvelle orthodoxie.

[31] Dewald: The concept of a seventeenth-century crisis has endured, in short, less because of what it says about specific events in the early modern period than as an effort to understand European modernity already before World War II, French social historians viewed 1650 as a turning point..as a moment of structural change, whose effects remained visible in their own times…Given this background, French social historians were prepared to welcome Hobsbawm's vision of a turning point coming in the mid-seventeenth century…by the 1970s, then, two versions of seventeenth-century social crisis had emerged. British and French historians agreed on the fact and timing of crisis, as manifested in stagnating prices and populations, and in political upheavals as well. They also shared an attentiveness to commonalities that cut across the continent's political boundaries, suggesting that a truly European history of the period could-and should- be written. Beyond these agreements, they differed significantly in orientation, with British historians emphasizing the period's structural changes and innovations, the French its traditionalism and "blockages".

[32] Dewald: It requires no special historical theory to view the seventeenth century -with its wars, assassinations, plagues, and rebellions- as an age of plural crises. But it is another story to speak of these multiple events as somehow linked, manifestations of a single European or even global crisis… At the center of the debate are questions about preconditions for Europe's eighteenth- and nineteenth-century successes, notably its industrialization and imperial expansion… The concept of a seventeenth-century crisis has endured, in short, less because of what it says about specific events in the early modern period than as an effort to understand European modernity (mon soulignement)

Just as the idea's initial emergence responded to contemporary assumptions about modernization and its traumas, as well as to scholarly discoveries, so also revisions to it express historians' growing skepticism about concepts such as modernity and tradition, in past and present alike. A first source of change has been a retreat -among historians as among other intellectuals- from what might be termed structuralist thinking… Hobsbawm and his contemporaries shared the belief that political turmoil expressed deep social trouble. More recently, however, revisionist scholars in a variety of fields have reemphasized the autonomy of political forces, questioning the importance of social causes in bringing on such events as the English and French revolutions. Politics, they have argued, follows its own logic…

The crisis idea offered historians of the 1950s and 1960s a powerful tool for understanding Europe's transition to modernity. As transition itself has come to seem a more elusive phenomenon, the usefulness of crisis as an explanation for it has tended to evaporate… More important still, historians have become less certain about placing British industrialization at the center of European modernity. Just as even the least theoretically inclined historians have become poststructuralists, they have also become members of post-industrial societies, whose economic achievements often come from small workshops and in non-industrial forms. With such examples before us, the modernities of pre-industrial capitalism have become more visible…

...these views undermine what bas been a central theme in Western social theory, that of explaining divergence between Europe and the rest of the world in terms of essential qualities internal to each. Divergence may have come only late in Europe's story, and it may have resulted from exogenous forces, rather than from the continent's culture or social organization. From this vantage point, the crisis of the seventeenth century loses most of its significance as a social historical event.

[33] Dans les données initiales, mentionnons l'épuissement des forêts anglaises, la disponibilité du charbon et le réseau de transport fluvial pour l'acheminer. Dans la dynamique, l'épuisement des couches superficielles et la nécessité de pomper à laquelle répond la machine à vapeur (Newcomen): le faible rendement qui, rédhibitoire pour tout autre usage, n'est pas un obstacle puisque le charbon abonde sur place. Ultérieurement, les perfectionnements (Watt) rendent la machine apte à tous les usages et permettent de concentrer l'énergie et la production dans des agglomérations usinières localisées en fonction des transports mondiaux.

English history appears at first blush to afford support for the view that the modernization process culminated abruptly in an industrial révolution...Yet, there is strong historical evidence casting doubt on any automatic association of the characteristics often grouped under the descriptive label of modernization with the industrial revolution /Holland/...a different sort of capitalism was required (p 102/103)... it seems prudent to regard such growth not as a structural feature..but as an uncovenanted blessing (p 114)... the english economy was capitalist in both sens of the word, but the connection btw the two was initially casual rather than causal (p 115)...until the middle of the 19th century it was till reasonable to fear a fate for England similar to what had overtaken Holland. Hence the predominance ot the stationary state in the prognostications of the classical economists (p 116)...

[33b] Organic vs mineral based. Je préférais parler de "flux" et de "stock". Pour l'auteur, il s'agit de qualifier le régime énergétique mais "organique" est aussi une qualification sociale inopportune. Si le mot peut se comprendre comme naturel (comme on dit "engrais organique" vs "engrais "chimique"), dans la tradition politique de la droite anti-révolutionnaire continentale, le concept de société organique s'oppose à l'individualisme libéral: chacun appartient à un ordre ou à une communauté et s'y identifie. Cette supposée harmonie est brisée par la révolution (politique et industrielle) qui conduit au chaos: cf. Bonald, de Maistre, etc pour la France , et, différemment, Gierke et sa Genossenschaftstheorie pour l'Allemagne. L'exploitation totalitariste du thème au XXe siècle rend inacceptable l'expression de société organique pour qualifier les "sociétés" ante industrielles, cet âge d'or  de la pensée anti-révolutionnaire. De plus, ces "sociétés" sont caractérisées non par l'ordre et l'harmonie mais par l'instabilité et la confusion. Des analyses aussi profonds que Furet et Nolte font de la "question de Rousseau" (qu'est-ce qu'une société si nous sommes des individus ?) le drame existentiel du libéralisme auquel auraient répondu communisme et fascisme antilibéraux, imposant la dictature de leuruniversel sur le particulier. Mais cela revient à prendre l'idéologie "organique" (ex post) pour sa réalité historique. Les "sociétés organiques" se rêvent d'autant plus ordonnées (chacun à sa place) qu'elles sont désordonnées (cf. l' "absolutisme").

[34] If the sweep of English history during the centuries before and during the industrial revolution represents a unitary and progressive phenomenon it is natural to suppose that the later stage can only be reached after having first traversed the earlier stages. It is reasonable to expect for example that a bourgeois state should precede an industrial revolution. But whereas it may be logical to expect this to be true in relation with the kind of economic growth that characterized the advanced organic economy, it is much lesss certain that the same should be true in relation to the mineral-based energy economy. To the degree that the original association between the latter and its predecessor was a matter of coincidence rather than necessity in the land of its origin, its successful translation to other countries with very different social, political, legal and economic structures is not a matter of great surprise. It is in keeping with what might be termed the neutrality of the new sources of growth with respect to social and political context (mon soulignement) that many things should not have changed at the time of the gradual transfer to a mineral-based energy economy or they should have changed out of phase with the economic changes (p 118).

[35] Goldstone, 2008, "Capitalist Origins, the Advent of Modernity, and Coherent Explanation:A Response to Joseph M. Bryant", Canadian Journal of Sociology, 33-1:

…the California School is far from united, and thus far from coherent, on how the changes occurred. For Frank, China was suffering a temporary reversal due to internal conflicts in the late 18th through early 20th centuries that allowed Europe to temporarily overtake it. For Pomeranz, the contingent combination of coal and colonies provided Europe with resources that it managed to lever into a modernizing leap. For Wong, technological improvements in key fields of production in Europe in the 18th century opened a new pathway for progress, which the technological improvements that China made in other fields (hydraulics, botany) did not provide. For myself, I argue that a combination of changes in methods of scientific investigation and social networks of entrepreneurs and engineers, which emerged mainly in Britain in the late 17th and early 18th centuries, catalyzed a shift to an innovation-driven and energy-intensive economy that marked a sharp departure from the limits that had previously bound all organic economies.

[36] Bloch Marc, 1952, Les caractères originaux de l'histoire rurale française, T1: Aux yeux de l’historien, qui n’a qu’à noter et à expliquer les liaisons des phénomènes, la révolte agraire apparaît aussi inséparable du régime seigneurial que, par exemple, de la grande entreprise capitaliste, la grève. Presque toujours vouées à l’échec et au massacre final, les grandes insurrections étaient, de toute façon, trop inorganiques pour rien fonder de durable.

Si, dans certaines circonstances, la révolte s'attaque à tous les "nantis", dans beaucoup d'autres elle est excitée contre le fisc par la noblesse (cf. Mousnier, 1958, "les soulèvements populaires en France avant la Fronde", Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°4).

[37] Dewald, 2008, op. cit.: H. G. Koenigsberger pushed the argument /d’Elliott/ farther still, suggesting that political violence was in fact the normal condition of early modern life. Models imported from the social sciences, he suggested, had misled historians into imagining a baseline equilibrium against which the seventeenth-century rebellions exploded. In fact there was no such equilibrium. Instead, he suggested, the chaos and competition of early modern life ensured that some form of rebellion could be found throughout the period (mon soulignement).

Cf. Koenigsberger, H. G., 1986, "The crisis of the 17th century: a farewell ?", CH7 de Koenigsberger, Politicians and Virtuosi: Essays in Early Modern History.

[38] Harold Innis, avec sa thèse de 1923 sur le Canadian Pacific Railway comme constitutif de la nation canadienne, me faisait espérer trouver dans Empire and Communications (1950) une réflexion et une analyse générale de la dimension politique des communications. Hélas, il les réduit aux "médias", étudiant l'oral et l'écrit, l'écrit et l'imprimé, les rapports entre la plume et le glaive et les biais "sociétaux" produits par les différents types de supports.

Je n'ai pas trouvé la référence de la remarque sur Napoléon prêtée à Paul Valéry.  Les historiens de l'économie ou les économistes des transports notent la lenteur des déplacements mais, confinés à leur spécialité, n'en tirent pas d'inférence pour l'Histoire générale. Cf Klein Olivier 2001, Les horizons de la grande vitesse : le TGV, une innovation lue à travers les mutations de son époque, thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2 (P1, C1):‘La véritable mesure de la distance [est] la vitesse de déplacement des hommes’ a encore écrit Fernand Braudel (1986, tome 1, p. 105) auquel on peut largement se référer lorsqu’il s’agit d'aborder les temps longs. Celle-ci n’a pas augmenté de manière uniforme au cours du temps, loin s’en faut. On peut, semble-t-il, distinguer au moins deux périodes bien différentes. Durant la première, rien ne bouge, entendons que l’on se déplace toujours à la même vitesse. Paul Valéry, repris par Braudel, a dressé paraît-il ce constat : ‘Napoléon va à la même lenteur que Jules César’ . Des siècles au pas de l’homme ou, au mieux, du cheval. Les indices sont nombreux qui attestent de cette lenteur. C’est elle, à travers l’immensité du territoire qu’elle engendre, qui explique la conservation de nos particularismes locaux et finalement, que « la France se nomme diversité », selon le titre du premier chapitre de L’identité de la France (Braudel, 1986, tome 1, p.111 et suivantes, « Le morcellement de la France s’explique enfin »).

Tout récemment, la géographie historique et l'histoire relationnelle ont commencé à reconceptualiser l'espace "médiéval". Cf. Gravel, 2009, "Distances, rencontres, communications. Les défis de la concorde dans l’Empire carolingien", Memini, n°13, pp 85-98 ; Études rurales, 2011, n°188, Archéogéographie et disciplines voisines (notamment Buscail, "Le domaine royal: entre territoires et réseaux").

[39] Bergin Joseph, 2011, "Three Faces of Richelieu: A Historiographical Essay", French History, Vol. 23, Issue 4, p. 517-536: the entire political landscape of his day was one in which ties of patronage and clientage were at work everywhere, from top to bottom, and that such ties were the real glue of the political system.  

Cf. Kettering Sharon, 1986, Patrons, Brokers and Clients in Seventeenth-Century France, Oxford

[40] 2ème partie

Je reprends l'expression traditionnelle sans chercher à donner un sens particulier à "rébellion". Tribout 2008 montre la complexité du champ linguistique: p 37/38 La série révolte, rébellion, sédition, quant à elle, permet d'insister davantage sur une opposition déclarée au pouvoir, opposition nette, qui a lieu au grand jour, comme en témoignent le mécanisme et le sens de la préfixation communs à tous ces vocables: la sed-itio, c'est en effet l'action de se mettre à part, de rompre de la concorde civile, de même que re-volvere, c'est se retourner, faire volte-face, affronter le pouvoir, mouvement que rappelle aussi le préfixe intensif ou itératif de re-bellare, qui signifie, à proprement parler, reprendre la guerre - ce qui, autrement dit, en tenant compte de la pensée politique contemporaine, rejoint l'idée que le mouvement de révolte rallume la discorde originelle pacifiée par l'instauration de la société civile. On peut toutefois introduire une nuance dans cette catégorie: si révolte et rébellion semblent indifféremment utilisés pour la noblesse ou le peuple, bien que sans doute davantage pour la noblesse, souvent avec l'idée d'organisation et de programme politique précis, sédition met l'accent sur un type d'acteurs bien précis, le tiers état: peuples, mercenaires, bourgeois de bas étage, agissant avec une certaine spontanéité (qu'ils soient ou non conduits par la noblesse)…p 98 Ainsi, comme l'écrit Louis Marin [1989, "Pour une théorie baroque de l'action politique"], dans un commentaire inspiré des Considérations de Naudé, le prince, à travers le recours au coup d'État, "pose son acte «aux limites» de son pouvoir". Mieux, "le coup d'État du prince, c'est le pouvoir d'État faisant en quelque sorte régression à la violence originaire de sa fondation, à son fondement de force. Le coup d'État révèle, dans l'instant même de sa manifestation, le fondement du pouvoir, il est l'apocalypse de son origine"

p 168 Les révolutions évoquent certes un changement radical dans le personnel politique de telle ou telle cour, mais elles impliquent un pouvoir continué; plus encore, elles se placent du côté du pouvoir, tandis que les conjurations impliquent une résistance à ce dernier. C'est ce qui explique la recrudescence des ouvrages historiques ayant pour titre «Histoire des révolutions», face à la relative rareté des titres en «conjurations»; on observe même des phénomènes de réécriture allant explicitement en ce sens: un ouvrage de Vertot, intitulé, lors de sa première publication en 1689, Histoire de la conjuration de Portugal, est ainsi rebaptisé Histoire des révolutions de Portugal dans les éditions suivantes.

[41] Jettot, 2012, "Les dixseptiémistes français et les îles britanniques" ; Meyer Jean, 1985, "L’Histoire vue de l'Angleterre: histoire anglaise", Revue historique, 274/2 ; Hutton Ronald E., 2004, Debates in Stuart History, Palgrave Macmillan.

[42] Christianson, 1976, p 52: The spatial-temporal continuum need not mean "just one damn thing after another" for the historian, any more than it does for the physicist or the social scientist. It demands a framework which takes account of seemingly random events, one with a method of careful contextualism, and one wary of any teleological constructs. Historians ought to feel more at home in a model of the universe that stresses will, chance, uniqueness, patterns, and even irrationality than in one dominated by the search for universal, mechanistic, deterministic laws...p 53 With their eyes focussed on later thinkers like Hobbes and Locke, historians.. found it hard to imagine that sensible "forward looking" people in Tudor and Stuart England could have sympathized with such stuff. The "divine right of kings" may well seem strange to those brought up on a strict diet of Locke and his followers, but it appeared neither outlandish nor foolish to those who believed in an hierarchical universe and society…p 54 When they finally placed the "divine right of kings" in its proper social and intellectual context, historians observed that it appealed to contemporaries of James VI and I precisely because it reflected their perception of nature and society. By demonstrating that parliamentarians did not look forward to the future sovereignty of the people, or even of the House of Commons, but backward toward an Ancient Constitution, recent studies knocked away the last prop of the old Whig tradition in this area...

Adamson, 2007, p 503: the determinism of the old whig and marxist-inspired 'grand narratives'... was exploded by the revelation in the 1990s of just how reluctant and contingency-dependent the entire conflict turned out to be.

Ce "révisionnisme" n'a pas plu aux historiens traditionnels et n'a pas fait consensus. Une fois passé l'effet de mode de cette excitante révolution, on s'en débarrasse en en faisant un phénomène générationnel de jeunes en colère (Hutton) et, après l'avoir caricaturée comme le remplacement du déterminisme par l'aléatoire (road accidents), on vogue à nouveau paisiblement sur le main stream ou sur tel ou tel de ses multiples bras (histoire du genre, histoire régionale, histoire des sorcières, histoire des sans histoire, etc.)

[43] La lecture whig fait de James 1&6 un théoricien de l'absolutisme, voire son seul théoricien anglais. Elle déroule son atavisme français (Mary queen), la True Law (1598), le Basilikon Doron (1599), les discours au Parlement. Et, enchaînant Charles I à Jacques I qui l'aurait programmé, elle trouve là les raisons de l'opposition entre le Roi et le Parlement et, après tant d'épisodes décrédibilisants, de l'issue fatale. A la suite de cette malheureuse contre-offensive Stuart (en deux étapes), Guillaume d'Orange renouerait avec le trend millénaire du King in Parliament.

La True Law de James I paraît tellement scandaleuse aux yeux du Parlementarisme anglais ultérieur que, aujourd'hui encore, les b, a, ba sur la constitution anglaise en font un repoussoir, citant les extraits concernant le Roi overlord au-dessus du Parlement), comme si c'était une théorie et non une argumentation en partie rhétorique.

[44] En raison des practical limitations on the power of the French monarchs stemming from the general weakness of the means of enforcement available to them and from the structure of society over which they ruled (Lossky, 1984, cf. p 3 et sq pour le détail des limitations). Et p 6: Since just about everybody was convinced that the chief purpose of society was the maintenance of privileges, a government that flagrantly tampered with them was courting a revolt or even a revolution... Any kind of reform from above had to be undertaken with the utmost caution and carried out piecemeal so as not to arouse general apprehension and resistance. This conservative nature of society served as an effective brake on any innovating tendencies of the crown... p 12 The curtailment of parlementary powers by Louis XIV has been much exaggerated by historians taking at their face value the lamentations voiced by parlementary figures of the time. A recent study by Professor Albert Hamscher makes necessary a thorough revision of this view... p14 Simultaneously with the increase in the intendants' independence the importance of the governors of provinces grew…Was Louis XIV unaware of the administrative decentralization and of the aristocratic revival taking place under his very nose ? This is unlikely...L'auteur conclut (p 15) one must invent a concept of "limited absolutism".

Hamscher, 1976, p 119: Nevertheless, while he [Louis XIV] achieved better political control of Parlement than Mazarin had attained, he introduced few lasting innovations in the court's duties and powers, and he never fully excluded the magistrates from participating in affairs of state. The political decline of Parlement, although striking to contemporaries and historians alike, was neither complete nor irreversible, as the Sun King's successors learned in the following century…p 153 Without question, Louis could have reduced Parlement to a mere ornament of the royal administration if he had been able to capture the control of magisterial appointment, break the social bonds between the judges, diminish their conception of themselves as a privileged elite in state and society, or erode the basis of their wealth. He did none of these things, however, and his control of the court was restricted to redefining its political authority.

Deyon, 1964, p 354/5: Colbert doit admettre dans son instruction du 28 mai 1681 « que presque tous, ou au moins un nombre considérable de gentilshommes, officiers et personnes puissantes, font faire le rôle des tailles dans leurs châteaux, leurs maisons ou par leur ordre ». La solidarité effective des officiers de justice, de finance et des nobles, tous également propriétaires seigneuriaux et fonciers, paralysait en ce domaine la volonté des conseils et des commissaires. La déclaration royale du 12 février 1685 prit acte de l'inefficacité fréquente des taxations d'office… Elle manifestera une grande sévérité envers les émeutes populaires de 1675 et laissera se dérouler, dans plusieurs provinces, un effort de réorganisation seigneuriale gravement dommageable aux intérêts paysans.

[45] Campbell, 2011: It [absolutism] could be described as a power that was absolved from the restraints of other powers, but in the sense of having the final word, rather than in the sense of having freed itself from all practical or legal restrictions. There was a difference between absolute power and absolute authority – for authority was never conceived as giving kings the right to exercise complete or unlimited power over their subjects… This form of monarchy should never be confused with arbitrary authoritarianism, and for this reason the use of the term ‘absolutism’ to describe this government continues to sow considerable confusion... The word ‘absolutism’ was invented at the end of the eighteenth century as a propagandist condemnation of authoritarian monarchies, deliberately associating them with ‘despotism’ or ‘tyranny’, so it reflects a very misguided idea of the more complex realities of the earlier period... In recent years there has been a change of perspective and we have learnt to take other important elements into account: the role of patronage and clientage; the function of the court; political management; and the persuasive significance of the representation of monarchy in image and ritual... A much more complete understanding of absolute monarchy has become possible. Instead of interpreting absolute monarchies solely through the history of theory and institutions, we should try to understand the spirit or way of thinking that gave rise to them, and the ways in which early modern men operated within them... At this time, the rather hazy notion of absolute monarchy therefore included elements of representation and consent. Even though the monarchy in the seventeenth century developed institutions and powers that made it very much more powerful, and a separate entity from society, the legacy of this more consensual or rights-based tradition continued to make itself felt... Instead of accepting the idea of the making of the modern state, as Tocqueville did, most historians of the reign today stress the many weaknesses and contradictions that led Louis to create a working compromise with the elites, whose subjection owed more to the rewards on offer than it did to a policy of crushing noble power... This compromise then became a permanent element in the structure, preventing subsequent reforms. Louis XIV was a master of political theatre and political management, able to create and manipulate an illusion of power without perhaps depriving other authorities and bodies of their powers as much as was thought... In the last twenty-five years historians have come to understand the importance of patronage and clientage not only for social mobility but also for political control. As conflict was endemic between centre and periphery and between institutions in this corporate society, and because the monarchy rarely had the leisure to resolve issues in wartime, workable compromises had to be found. Although official documentation was careful to avoid any suggestion of negotiation between crown and corps, the reality was different. Governors and intendants, loyal clients of royal ministers or of the king himself, would intervene behind the scenes to manage assembles and effect solutions. Ministers would try bluff, threats, often in parallel with covert intervention. Over generations these techniques created an impression of obedience and most of the time genuine obedience. Complex networks of patronage and clientage stretching out into the provinces, and back, came together at the royal court. Largely as a consequence of recognising the importance of patronage, historians have re-evaluated the role of the court in the absolute monarchies... It was on the one hand increasingly above society, and on the other deeply embedded in it and dependent upon the social conceptions that structured it (mes soulignements).

Ainsi Collins, 2009, The State in Early Modern France, 2nd Edition, note: Our modern, anachronistic view focuses the term “absolute” downward – to mean the king did not have to consult his subjects; the focus should be upward – when the king of France referred to his “absolute power”, he meant that he did not have to answer to an earthly superior, whether lay (the Emperor) or ecclesiastical (the Pope). For the Académie Française a sovereign was an “independent Prince, who does not hold of another power”... absolutism was not all that absolute...the king of France did not require consent to make public policy, but he did require cooperation. To get that cooperation, he had to operate within bounds fixed by society as a whole... every modern study of an early modern “absolute” state demonstrates that kings had to negotiate the exercise of their power.

Hamscher, 1987, p 1: Students of Louis XIV's France have increasingly recognized the need for balanced and nuanced interpretations of the domestic absolutism associated with the Sun King's personal rule, 1661-1715. The most traditional image of Louis in those years as the personification of Hobbes's Leviathan loses some of its luster when viewed from the vantage point of detailed studies of the reign. In many areas of national life, determined efforts by the king and his ministers to eradicate the disorder of the civil wars of mid-century and to provide the realm with a more efficient administration and regulated economy often ended in failure and frustration. A number of individual policies and broad programs of reform were abandoned or significantly modified under the impact of local opposition, foreign entanglements and war finance, and the inertia resulting from those large, "structural" forces of history that so limited the ability of any seventeenthcentury government to accomplish fundamental change. Even the leading personalities at the center of power, the king included, approached the daily conduct of affairs in a more flexible and restrained way than historians several generations ago suspected... The bitter controversies of the Richelieu and Mazarin years indeed,.. can easily obscure the role that accommodation, consensus, and good will played during Louis XIV's personal rule...p 151 the civil wars of mid-century had left an important legacy, one that ensured that the decline of the parlements, like the resurgence of royal authority itself, had significant limits. After 1661, there was a growing recognition in the highest circles of government that the monarchy's limited resources and bureaucratic apparatus should be directed toward controlling certain crucial sectors of the state's activities-war, financial policy, and a few areas of domestic administration. For the more "ordinary" aspects of governing the realm, the king's traditional officials should be left a free hand, unharassed by overzealous superior authorities. The spirit of innovation inherent in Louis XIV's absolutism was thus balanced by a conservative commitment to work through rather than to destroy traditional institutions.

De même, l' "absolutisme" castillan, longtemps présumé modèle du français, n'en est plus un aux regards des historiens "révisionnistes". Cf. Amelang, 2006, p 46: The key was the relations between central government, focused around but hardly limited to the figure of the monarch, and a wide range of elites located at both the center and the multiple peripheries of the imperial system. This ‘wide range’ should moreover be taken quite literally, as it comprises groups as diverse as urban oligarchies; all levels of the territorial aristocracy, whose principal bulwark of power continued to be the seigneurial regime; state bureaucrats; the Church; merchant and financial interests; and the military, among others.

[46] Sainte-Aulaire, 1827 (préface): Ou je me suis bien abusé moi-même, ou les troubles de la minorité de Louis XIV ne paraîtront pas sans analogie avec ceux dont nous avons été les témoins ; et dans les institutions qui nous ont été accordées en 1814, on reconnaîtra celles que nos pères réclamaient en 1648… Nous savons aujourd'hui que le despotisme est la punition de l'anarchie; qu'il peut durer plus ou moins de temps, mais qu'il ne fonde rien pour l'avenir… mais ni l'un [Louis XIV] ni l'autre [Napoléon] n’avaient résolu les grandes questions politiques agitées, avant eux, dans la réunion des compagnies souveraines en 1648, et dans l'Assemblée constituante en 1790. Gloire au monarque législateur qui le premier a concilié les droits des rois et ceux des peuples ! Rendons grâces à Louis XVIII… La connaissance approfondie, le jugement impartial des temps passés, doit ainsi nous ramener à une appréciation plus éclairée des bienfaits du temps présent, et tel est le but de mon livre...

Capefigue, 1836, lui, cherche "le peuple" dans le grand mouvement de centralisation: Le pouvoir royal se centralise; il heurte de front tous les obstacles… Ce passage d'un état social à un autre ne put s'opérer sans de vives secousses… Quand Richelieu meurt, arrive une autre régence… Le peuple vient sur la place publique avec une tendance déjà remuante ; les parlementaires et les princes rapetissent ce mouvement à leur taille: tout se souille d'un caractère d'intrigues. C'est une affaire de boudoirs plutôt qu'un mouvement de masses. Je relèverai pourtant la Fronde, en séparant les deux esprits qui la dominèrent: l'un, venant de la place publique, énergique comme elle, réveillant les vieux souvenirs des halles de Paris sous Charles VI, et de la municipalité catholique sous la Ligue ; l'autre, émanant de l'esprit tracassier et parlementaire, et de la noblesse abâtardie depuis qu'elle a subi la grande coupe réglée de Richelieu (préface, lettre au Comte Molé).

Guizot, 1846, fait des "deux révolutions" l'expression d'une tendance séculaire à la liberté: soit qu’on regarde aux doctrines générales des deux révolutions ou aux applications qu’elles en ont faites, qu’il s’agisse du gouvernement de l’Etat ou de la législation civile, des propriétés ou des personnes, de la liberté ou du pouvoir, on ne trouvera rien dont l’invention leur appartienne, rien qui ne se rencontre également, qui n’ait au moins pris naissance dans les temps qu’on appelles réguliers (Préface, p x).

Descimon, 1984, p 306: La Fronde semble inciter l'historien à se placer — inconsciemment— en situation polémique: on est pour ou contre ; en France, depuis Adolphe Chéruel, presque toujours pour Mazarin. Cette prise de parti renversait la tradition historiographique antérieure. L'histoire libérale duXIXe siècle (Sainte-Aulaire, Barante...) recherchait dans les événements de 1648 un mythe des origines. La Fronde («parlementaire») fut le miroir imaginaire de la monarchie constitutionnelle. Dans la perspective nationaliste des historiens républicains de la fin du siècle, elle n'éclairait que « l'inachèvement de l'Etat et de la patrie » (Ernest Lavisse). Mazarin et Louis XIV avaient, eux, contribué au grand oeuvre.

Alors que, à la suite de beaucoup d'autres, Denis, 1892, entendait la Fronde expirer le dernier soupir de nos libertés, Batifoll, 1928, assourdit le lecteur du fracas d'une révolution imaginaire anticipant 1789 ! Qu'on en juge: ce mouvement démocratique n'est pas à ce point une surprise dans notre histoire. Il semble qu'il y ait eu au cours de chaque siècle en France une heure où l'on ait vu apparaître brusquement des théories antimonarchiques hardies de contrôle du pouvoir par les représentants de la nation, de vote des lois et des impôts par eux, de souveraineté appartenant non au roi mais au peuple … Si le roi ne voulait pas céder, c'était un litige dont la procédure comportait pour le peuple un soulèvement devant aboutir à une décision qui appartenait au sort des armes, «selon la volonté de Dieu!»... L'opinion remarquait en effet qu'outre-Manche un peuple s'avisait de renverser un roi de son trône... Il ne faut pas croire que ces idées ne fussent que le fait de folliculaires isolés, obscurs, mal écoutés. Elles étaient l'expression de courants d'opinion réels, se répandant peu à peu, dans la bourgeoisie, dans le peuple et trouvant leur écho autour du roi, de la reine, de Mazarin, par les bouches les plus autorisées, quoique avec les précautions oratoires nécessaires…La violence de la crise de l'idée monarchique en France, vers les années 1648 à 1652 est une chose singulièrement étrange !…La monarchie fut discutée par le populaire sur la voie publique. Les rois étaient-ils donc nécessaires à la France, demandait-on ? Non! répondaient les libelles. L'ancienne Rome s'en était passé. Elle les avait chassés, les Français en feraient autant…Ainsi, méprisée, menacée, la royauté paraissait être près de sa chute. Songeait-on au moins à ce qui pourrait la remplacer ? On y songeait et c'est ici que les similitudes avec 1789 vont sembler encore plus singulières…Le populaire se mit à discuter les mérites respectifs des régimes monarchique et républicain…Et cependant tout ce mouvement révolutionnaire du milieu du XVIIe siècle a brusquement tourné court et n'a pas réussi.

[47] Pour une analyse historique du romantisme frondeur, cf. Rubel, 2012: échapper à l'anachronisme par "l'histoire des mentalités". L'honneur aventureux reste une norme morale (véhiculée par les salons et les dames porteuses, médiatrices et productrices d’une culture littéraire, dont le point central était les représentations romantiques et héroïques idéales de la vie noble):

p 89 La recherche a déjà reconnu et analysé le fait que la participation à la Fronde – précisément dans le cas des princes de sang et de la haute noblesse – fut également une question d’honneur... p 105 on se sentait obligé d’agir audacieusement et avec honneur, afin d’acquérir gloire et admiration...p 108 Les raisons des frondeurs de se soulever violemment contre la Cour, qui correspondent plutôt à nos représentations d’une action politique rationelle, ne doivent sûrement pas être mésestimées. Pourtant il faut également insister sur le fait qu’au-delà du domaine simplement politico-économique, on peut identifier également d’autres forces sociales qui ont influencé durablement les évènements historiques et qui, dans leur dynamique propre que l’on ne doit pas sous-estimer, ont percé le niveau superficiel du pouvoir et de la domination. Seul le regard bourgeois, c’est-à-dire celui du vainqueur historique de la modernité, voit dans les faits de guerre de la vieille élite, marqués par une compréhension traditionelle de l’honneur, des parades, voire des Don-Quichotteries.

[48] Cf. Tricoire, 2012. Une génération avant, l'alliance de Richelieu avec les Réformés allemands (guerre de trente ans) contre le roi catholique avait soulevé l'opposition du parti dévot et conduit à la condamnation des "Jansénistes".

Le Guern, 2003, À l'origine, le groupe qui deviendra le noyau du mouvement janséniste est constitué de ceux qui prennent la défense de Saint-Cyran contre les persécutions de Richelieu... Ce ne sont pas les jésuites qui ont fait le jansénisme, c'est Richelieu. Il faut donc chercher la véritable origine de l'interminable querelle du jansénisme dans l'hostilité de Richelieu envers Saint-Cyran... L'hostilité de la Cour a sans doute pour origine l'attitude de Richelieu envers Saint-Cyran, mais elle a été renforcée par les liens de sympathie qui se sont tissés entre le groupe des amis d'Arnauld et les familles des membres du Parlement. Parmi les amis de Port-Royal, on compte beaucoup d'adversaires de Mazarin, ce qui a pu donner l'impression que les jansénistes étaient du côté de la Fronde, alors qu'ils ne s'y sont jamais impliqués.

Taveneaux, 1968, p 31/32: Pour Bérulle, et avec lui tout le parti dévot, il était criminel d'invoquer la raison d'État comme un absolu et de contrecarrer l'action de l'Empire et de l'Espagne, l'un et l'autre attachés à la restauration de la chrétienté, fin suprême de la Contre-Réforme… L’appui diplomatique de la France aux puissances protestantes, puis son entrée en guerre en mai 1635, provoquèrent la rupture [avec les « bons français » de Richelieu]. On savait Saint-Cyran profondément hostile à ces alliances, favorable au contraire au rapprochement avec l'Espagne ; on connaissait aussi son intimité avec Jansénius qui, précisément en cette année 1635, publiait un violent pamphlet, le Mars gallicus où il s'attaquait à la fois aux options politiques de la France et à l'essence même de sa monarchie. L'ouvrage, qui servait les intérêt de l'Espagne, ... devait aussi, par voie de conséquence, amener la condamnation du jansénisme et de ses représentants: Richelieu, « qui ne pouvoit souffrir de résistance dans le royaume et qui n'avoit nul scrupule d'employer toute son autorité pour perdre ceux qu'il n'avoit pu gagner en les engageant dans ses intérêts » [Godefroy Hermant, 1910, Mémoires sur l'histoire ecclésiastique du XVIIe siècle], décida l'arrestation de Saint-Cyran puis, en 1638, son internement au château de Vincennes ; l'abbé ne devait recouvrer la liberté que cinq ans plus tard, après la mort du cardinal. Ces mêmes raisons politiques contribuèrent à l'interdiction de l’Augustinus, dont l'auteur avait combattu la politique de la France… Par là fut confondue « la cause de la religion avec celle de l'État » [idem]. L'extension des controverses amena des sentences plus radicales… Cette procédure, où la diplomatie romaine voyait une occasion inespérée de s'imposer à l'Église de France, devait ajouter une dimension politique nouvelle à l'histoire du jansénisme.

[49] Wormald, 1991, dans le chapitre consacré à la noblesse écossaise sous Jacques I, souligne que, plus encore qu'en Angleterre, le baronnage tient les gouvernements locaux et, très largement, l'église: dans la première partie de son règne, Jacques n'attaque pas la noblesse écossaise en tant que catégorie, il pardonne et gratifie généreusement. Dans la seconde phase, il l'achète avec les largesses anglaises. Charles qui n'a pas eu d'éducation écossaise négligera cette noblesse et en aura la plus grande partie contre lui.

[50] Pour Shennan, 1969, la fundamental stability from the mid 15th century se caractérise par une constant tension, constant pressure and counter pressure... between the crown and the various component parts of the state, tensions si ordinaires qu'elles n'ont pas d'incidence sur la pensée politique.

[51] McIlwain, 1947: Fortescue did not say that the government of England was a mere regimen politicum; he said it was regimen politicum et regale. It was at the same time both "political" and "regal," limited and absolute; and these, for him, were not mutually exclusive terms as they are for us... there is no warrant for our assumption of such anachronisms as mixed monarchy, or "republican" control, or "checks and balances"... Within the frame of what we might call the constitution, government proper, as distinguished from jurisdictio, was "limited" by no coercive control, but only by the existence beyond it of rights definable by law and not by will... the medieval constitutionalism disclosed by the English historical materials was no monopoly of England or of Englishmen, but a datum …A generation or two ago it was the fashion to account for England's unique retention of her medieval constitutionalism by some mysterious quality of the English race or blood... Such arguments have now, happily, been left by historians to the propagandists, and they are refuted by the evidences, plentiful and widely scattered, of the existence in many lands of a medieval constitutionalism not essentially unlike England's...

Eccleshall, 1978, p 157: ...moderate success of Tudor government in satisfying the expectations of a broad section of dominant groups. The theory of absolute monarchy was a vehicle which served to convey their desire for national unity, while that of limited monarchy originated in the political developments by which a degree of unity was achieved. Sans partager l'idée d'unité nationale de l'auteur, je reprends le balancement: l'absolu incarne l'unité du corps politique, la limitation la réalise en élaborant des compromis. Sur le plan du principe, le Roi ne peut être qu'absolu. Sur le plan empirique, un gouvernement praticable ne peut être que relatif.

[52] Pagès, 1932, p 13: Il y avait d'une part un monarque absolu, à qui personne, ou peu s'en faut, ne contestait la « pleine puissance », c'est-à-dire une puissance sans limite ; et d'autre part des individus, des corps, des compagnies, des provinces pourvus de « franchises » ou de privilèges, qu'ils tenaient soit d'un contrat, soit d'une concession du souverain, soit encore, et plus fréquemment, d'un long usage. Entre ces deux éléments, la contradiction était flagrante, puisque le respect des franchises et des privilèges mettait une limite à la « pleine puissance » royale. Aussi les rois n'ont-ils jamais consenti à reconnaître dans leur ensemble les franchises et les privilèges de leurs sujets, c'est-à-dire à les rendre irrévocables ; mais ils n'ont pas songé davantage à en nier l'existence.

[53] Genet, 1991, p 25/26: de fait, l'ecclésiologie est un laboratoire de la science politique aussi productif que les spectaculaires débats générés par les affrontements de la papauté et des états laïcs. Là encore, on ne pense pas forcément au plus important: l'impact culturel et religieux des conciles, la masse même de la littérature ecclésiologique suscitée par le Grand Schisme d'Occident puis par la crise conciliaire, de Pise à Bâle, font trop négliger les implications politiques du retour à la théologie augustinienne, que l'on songe à son versant italien et pontifical - Gilles de Rome est l'auteur politique le plus populaire dela période -, ou, plus encore, à son versant anglais ; l'introduction de la théologie augustinienne de la grâce telle que l'interprètent Richard Fitzralph ou John Wyclif est en effet une étape décisive dans la définition des sphères respectives d'activité de l'État et de l'Église: définition qui ne repose plus sur des légitimités concurrentes, mais sur des êtres différents. La théorie du dominium de Wyclif est passée à Jan Hus, et de là au moins partiellement aux théologiens protestants du XVIe siècle. Surtout, ce passage s'est fait dans le contexte englobant de la théologie de la grâce et l'on aboutit aussi à ce paradoxe que le retour à une théologie politique augustinienne prôné par une papauté effrayée par les nominalistes et même par l'aristotélisme a plus fait pour l'autonomisation de l'État et du politique que la lutte frontale entre la papauté et l'Empire.

[54] L'exemplaire conflit entre Philippe IV le bel et le pape Boniface VIII peut se comparer mutatis mutandis avec le contentieux anglais de Henri VIII: les besoins de la guerre entraînent la taxation royale de l'Eglise à laquelle le pape s'oppose en menaçant le roi d'excommunication ; contre le pape, le roi en appelle au soutien de son "peuple" ("états généraux" de 1302) auquel le pape répond par une proclamation d'absolutisme théocratique (unam sanctam). S'ensuivent l'incrimination royale du pape qui, de son côté, dépose Philippe et le remplace par le duc d'Autriche (lequel a la prudence de ne pas donner suite). Le roi convoque une assemblée (Louvres, 1303), fait saisir le pape (Anagni) qui meurt.

Pour des raisons fiscales, judiciaires, politiques et militaires, les rois argumentent en faveur de l'indépendance des deux glaives (et la prééminence de facto du temporel). Dans cette lutte, ils s'approprient l'appareil de souveraineté que les papes ont forgé sur le modèle impérial. On ne doit pas sous-estimer la référence que constitue le gouvernement de l'Eglise pour la conceptualisation du gouvernement des royaumes, tant en positif (le roi est pape en son royaume) qu'en négatif (pape/concile). Cette grande affaire a besoin du "peuple" uniquement en tant qu'horizon (Chrétienté, bien public). Le peuple, en tant que fiction logique, sera importé de deux lieux: théoriquement, d'Aristote (les citoyens de la cité) ; juridiquement, du droit impérial romain tardif (lex regia, la fameuse "délégation de pouvoir" du peuple souverain à l'empereur). En tant que réalités politiques, les diverses parties du peuple sont, non pas représentées, mais synthétisées par leurs majores: la famille par le pater familias, les paysans par leur seigneur, les villes par leur syndic, les seigneurs par leurs Grands, et la totalité des sujets par le roi.

[55] Cf. la formulation de Pascal: en considérant l'Eglise comme unité, le Pape qui en est le chef est comme tout. En la considérant comme multitude, le pape n'en est qu'une partie... La multitude qui ne se réduit pas à l'unité est confusion, l'unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie (Pensées, fragment, 871).

[56] Au XVe siècle, le juge Fortescue (de Laudibus Legum Angliae) compose l'expression à partir de la distinction entre dominium regale et dominium politicum. Il en fait la caractéristique de la monarchie anglaise (le roi règne par Law) et le repoussoir de la tyrannie française (le roi règne par Will): du fait de leur Constitution, les Anglais mangent à leur faim, les Français rongent des racines !

Carlyle, 1936, vol. VI, p142: Fortescue cites as from St Thomas Aquinas… the description of the two forms of government, the "dominium regale" and the "dominium politicum". The ruler who has the "dominium regale" governs according to laws which he has himself made, while the ruler who has the "dominium politicum" governs according to laws made by the citizens. Fortescue, however, adds that there is a third form of "dominium" which is "politicum et regale", and he gives as an example of this, the Kingdom of England, where the King cannot make laws without the consent of his three Estates, and the judges are bound by their oaths to give judgment according to the law of the land, even if the King were to command the contrary ; while on the other hand the people cannot make laws without the authority of the kings, who succeed each other by hereditary right. Fortescue deals with this subject again in other terms in the treatise 'De Laudibus' and contrasts the character of English constitutional Law with that of the Roman Law, and its doctrine, " Quod Principi placuit legis habit vigorem", and with the "Regimen Regale" of the King of France; and again, in the "Governance of England," where he suggests that the earliest kings possessed the "Dominium Regale"…p 143 We have thus so far found nothing to suggest that the conception of the source and authority of law was different in the fifteenth century from that of the fourteenth century. The law proceeded from the Prince, no doubt, but it was from the Prince acting with the community.

p 173 The people indeed approve the government of the king, so long as he does not become a tyrant, but it was to avoid this danger that St Thomas had desired that the kingdom should be so ordered that the royal power should be restrained by the Law…p 174 Some English kings had therefore endeavoured to shake off the "iugum politicum", not understanding that the real power of both kinds of kings was the same, and that it was not a "yoke" but "liberty", to rule the people "politice", a security to the people and a relief to the king.

Nombreux sont les auteurs anglo-saxons, même au XXe siècle, qui acceptent ou revendiquent l'héritage de Fortescue, faisant du dominium regale l'expression d'un absolutisme "à la romaine" et du regale & politicum anglais, la matrice de la démocratie parlementaire ou, en d'autres termes, distinguant une monarchie "pure" et une monarchie "limitée" ou "mixte". Quelques autres rejettent cette conception et montrent que, pour les contemporains, la monarchie est à la fois absolue et limitée. Mais, leur raison étant choquée par cette contradiction et l'approche par les textes les poussant au système, ils cherchent à définir un schéma constitutionnel et, pour cela, à retrouver une cohérence derrière l'incohérence apparente. Leur déconstruction est plus intéressante que leur reconstruction. Ainsi, par exemple, McIlwain, 1947, démontre l'ambivalence (absolu et limité) mais, ne l'acceptant pas, il extrait de Bracton, Fortescue et autres juges (NB: ce sont des juges), une distinction entre le "gouvernement" (gubernatio) et la "justice" (jurisdictio): dans l'exercice du premier, le roi serait absolu ; dans celui du second, il serait soumis à la loi. La faiblesse de cette constitution résiderait dans l'absence de mécanisme légal pour sanctionner sa violation par le roi: Clearly a struggle was going on in England between will and law about the year 1539 /Statute of Proclamations/, and it was to last for one hundred and fifty years.

Plus récemment, Blythe, 1986, étudiant la référence de Fortescue à Thomas d'Aquin, souligne l'ambiguïté de la philosophie politique de ce dernier et, au lieu de l'accepter et d'en chercher la signification, il s'emploie à la dissiper: In many places Thomas exalts kingship and calls it the best government for man. But the king's power, unlike God's, should be "tempered" so as to remove the opportunity to tyrannize. Pour lui, Thomas est totalement partisan du dominium regale mais, les hommes étant imparfaits, tout roi est exposé à devenir tyran. Thomas admits that regal kingship is best abstractly but denies that it is best considering the nature of man. Le remède est donc de tempérer son pouvoir et de le faire régner, non pas regale, mais politice (mixed monarchy). Dans l'autre sens, le political monarch, limité et appuyé par la loi commune, fait de ses sujets des sujets de droit et canalise dans la légalité leur propension à se révolter.

Cette ingénieuse reconstitution est sévèrement critiquée par Molnar, 2002, pour lequel la pensée politique de Thomas est irréductiblement incohérente. C'est précisément cette "incohérence", celle de Thomas et de la multitude des théoriciens politiques médiévaux et tardo-médiévaux, qu'il faudrait interroger au lieu de la réduire à nos schémas de pensée. Ce que j'appelle un monde "multivertical" peut être rendu par les mots de Christianson: a mosaic of stepped pyramids, each displaying considerable variations in shape and size. S'ensuivent de perpétuels conflits, négociations et compromis, les limites opérationnelles du dominium regale font qu'il est aussi un dominium politicum. Cette tension (au demeurant variable) s'exprime de diverses façons (elles-mêmes variables) qui ne peuvent pas se ramener à une règle "constitutionnelle".

Nous avons d'autant plus de mal à saisir ce qui nous apparaît comme un paradoxe ou une contradiction que notre théorie de la souveraineté nous aveugle. Ainsi Figgis, 1914, considère que l'émergence de l'Etat fait surgir confusément le concept de souveraineté et pose la question: qui est souverain ? le roi ? les juges ? les états ?: The Divine Right of Kings on its political side was little more than the popular form of expression for the theory of sovereignty... The question, in whom the sovereignty should ultimately be vested, could only be decided by a century of struggle (p 234). Pourtant, parallèlement, Figgis souligne que le droit divin des rois est d'abord une affirmation du roi, non contre les juges ou les états, mais contre le pape (de même, Allen: droit divin n'est pas synonyme d'absolutisme. C'est une doctrine de l'origine qui laisse ouverts les effets. Le droit divin est compatible avec la mixed monarchy).

L' "absolutisme Tudor" construit une image divine du Roi, en tant que nécessité et sous-produit de la dispute de Henri VIII avec le Pape. Comme cinq siècles avant, lors de la grande "querelle des investitures", et avec les mêmes arguments, pour contrebalancer et annuler les prétentions papales, il faut hisser le Roi à la même hauteur que le pape. Le thème de l'obéissance inconditionnelle et totale des sujets au Roi n'est pas, en lui-même, un programme absolutiste, il vise à ôter tout levier au pape. In words the Divine Right of Kings implied sheer absolutism with the exception of the succession ; in reality it was an assertion of the inherent right of the civil as against the ecclesiastical authority. Et, en retour, dès cette époque, avant Parsons, avant les monarchomaques, les papistes invoquent la "souveraineté populaire" et la capacité du peuple à démettre le roi lorsqu'il méfait, en particulier par impitié (cf. Reginald Pole, 1535, Défense de l'unité de l'Église, ed. Egretier, 1967, Vrin ; Pro ecclesiasticae unitatis defensio, résumé dans Gilbert William, 1998, Renaissance and Reformation, CH21).

De la même façon, Allen, 1928, p107: Knox (le premier) taught that it was the duty of the subject to realize the genevan ideal of the state by force, if force were sufficient.. [en 1558, son First Blast et son Appellation] asserted definitively that rebellion again idolatrous sovereigns was a duty [non seulement pour les nobles du corps politique mais] it is a duty for all. [Idem Goodman, 1558, How Superior ought to be obeyed:] p 119 it was upon the community that Goodman conferred authority ...[elle] may always revoke the authority it has given to an unworthy prince. Idem Ponet, 1556, a Treatise of politicke power.

Sans surprise, les papistes soutiennent l'hérédité de la couronne pour que Marie Queen of Scots s'en réclame, et la dénient lorsque James commence à ressembler à un successeur: la couronne ne s'hérite pas, elle se mérite, disent-ils alors (Parsons, 1594, A conference about the next succession to the crown of England). McIlwain commente: It is hardly too much to say that this book was the chief storehouse of facts and arguments drawn upon by nearly all opponents of the royal claims for a century, Protestant as well as Catholic (p li). En effet, ces arguments seront repris par les Puritains, tant en 1647 que lors de l'affaire de l'exclusion bill de 1679. Le débat peuple/roi emprunte les termes du débat roi/pape. Nous, aujourd'hui, faisons de roi/pape une alternative que nous projetons sur roi/peuple, confondant légitimation par le discours et programme constitutionnel.

[57] Fortescue pour qui le dominium regale & politicum est la forme normale de gouvernance pense que c'était le cas en France du temps de St Louis etc mais que la guerre de Cent Ans a poussé au despotisme. Il dresse un tableau pitoyable de la situation française. Cf. Carlyle, 1936, vol. VI, p 174: ... He points out how the French people were preyed upon by the gens d'armes, were oppressed by ordinary and special taxation, by the burden of the Gabelle on salt, which they were compelled to buy, and their consequent poverty, their miserable food and clothing. The nobles indeed were not liable to taxation, but they were liable to be punished and even executed without any proper trial before the ordinary Judges, but in the King's "Camera". In England, on the contrary, no one, not even the King, could take a man's possessions without payment ; without the consent of the Kingdom in Parliament, nor could anyone be brought before any court, except that of the Ordinary Judge ; and the people were well clothed and well fed.

[58] Pour Graves, 1985, La vision "orthodoxe" (jusqu'aux années 1960) s'inscrit dans le courant whig. Surpolitisant le Parlement dès les origines, elle oblitère son rôle et sa fonction de coopération au sein de la classe dirigeante et voit (cf. Neale) les Parlements Tudor à la lumière du XVIIe: prépondérance des commons, présence d'un parti d'opposition (Puritains) et conflits récurrents avec le roi.

Les "révisionnistes" (Elton nouveau), en étudiant le Parlement Tudor dans son temps retrouvent la fonction de coopération: most of the conflict & lobbying was between competing interests within the governing class and not between the Crown and that class. There were no sign of escalating political tension. Nor is there any substancial evidence that the roots of Stuart conflict can be traced back to the Tudor Parlements (Graves, p. 3). Au cours du XVIe, le Parlement reste dans la main du roi (à travers le privy council, le chancelier, le speaker, les men of business). Il devient véritablement bicaméral et ses procédures se standardisent afin de gagner du temps (trois lectures, comités, dialogue des deux chambres), sans que cela traduise un rôle politique accru. Son personnel administratif se développe (clerks et registres) et le rôle des juristes d'appoint diminue (dans la upper room par apprentissage, aux commons parce qu'ils s'y trouvent élus). L'essentiel de l'activité des commons est d'ordre judiciaire: la chambre est débordée par les pétitions et les bills "privés". Le Parlement est aussi nécessaire à la governing class (bills privés) qu'à la couronne, avec souvent concurrence de priorités. Graves p 157: in the 1530s King in Parliament became the constitutional sovereign and the limitations on statute fell away... In the process Parliament became a popular clearing-house for the business and interests non only of the Crown but also of the governing class.

[59] Pollard, 1920, p12/13: ...from first to last its communal organization has forbidden its separation into "estates". Its description as "three estates" arose in the fifteenth century out of a mistaken French analogy, and the phrase was never a true definition of an English parliament… So far from the English parliament being a system of three estates, it was the difference between such systems and the English parliament that enabled parliament to survive and grow while every system of estates dwindled away and died. Their division into estates was fatal to their permanence and power...

Cottret, 1986, cite la déclaration de Maitland à ses etudiants en 1887-1888: Point n'est besoin de vous inciter a la vigilance à l'encontre de l'erreur, naguère commune, qui consiste a voir dans le Roi l'un des états du royaume (...). Les trois états sont le clergé, les barons et les Communes, ceux qui prient, ceux qui guerroient, ceux qui travaillent. Cottret poursuit p 131: Le bourgeois Hooker /1572/, parlementaire, fier de son etat, nous livre le ressort par lequel le Parlement, Lords et Communes convoqués par le Roi, en vient à revendiquer sa représentativité: il est bien l'émanation du pays comme l'écrit encore son contemporain Thomas Smith dans le De Republica Anglorum de 1583. Il était normal qu'en retour on projette sur le pays la tripartition du Parlement: Roi, Lords et Communes. Singulière dialectique de la représentation et de l'objet representé: le Parlement, émanation du pays en vient a remodeler le pays à son image. Ce schéma insulaire a donc une origine autochtone.

Pollard, 1920, CH 4, "The myth of the three estates", p 61: While the high court of parliament was the correct and official description of the two houses in the sixteenth and seventeenth centuries, the "three estates" was the more popular and inaccurate designation applied to them in the eighteenth and nineteenth ; and the phrase has become so deeply embedded in historical terminology that it is accepted as synonymous with parliament without any critical examination of its real relevance…

p 66 no one save its ex-officio members, the chancellor, the treasurer, and so forth has ever sat in the house of lords except in response to a special writ of summons; and the vast majority of the military tenants-in-chief received no special writ, and were represented in the house of commons… Least of all is the house of commons a third "estate". It is no mere assembly of bourgeois like the old tiers état in France. Its most important and turbulent element in the middle ages consists of the knights of the shire…p 67 it [the commons] was no estate of the realm; it was a concentration of all the communities of England, shires, cities, and boroughs...p 75 The mere fact that the knights of the shire could separate from the other barons [summoned by a special writ] and throw in their lot with the burgesses [summoned by a general writ] proves that the lines of demarcation were not deep or fundamental...p78 Estates-general could only vote taxes and petition for redress ; they could not impeach, or pass acts of attainder, or enforce the responsibility of ministers. For they were not a court of law, and it was from its armoury as the sovereign court that parliament drew the weapons it used with most effect against the crown. Its procedure by bill was borrowed from chancery, its powers of judicature were inherited from the curia fegis, its acts have always been "due process of law" …p 79 [In France, estates-general] were not numbered among the "cours souverains" of France, and the judicial functions performed by the English parliament were left In France to the non-representative parlements.

[60] Nombreux aujourd'hui sont ceux qui partagent cette idée mais, à ma connaissance, elle n'a pas été appliquée à la comparaison des deux institutions. Côté anglais, Adams, 1908, soutient que l'importance de la magna carta ne vient pas de son présent mais de son futur: pour tous ceux qui auront à s'opposer au roi, la charte exprimera et symbolisera l'idée qu'il existe des limites à son pouvoir, thèse qui, par la répétition, s'enracinera au point de paraître "constitutionnelle" ; p 237/8 it was practically pure feudal law both in its details and in its underlying principle… I am saying merely that it is a statement of feudal law. It was not Magna Carta but the circumstances of the future which gave to the fact that there was a body of law above the king creative power in English history… Nor did feudal law furnish, except in a few particulars and these much transformed, the body of law by which the king was bound. The great work of Magna Carta was not done by its specific provisions; the secret of its influence is to be found in its underlying idea…

McIlwain, 1910, après avoir cité ce passage, commente (p 55/56): It is one of the purposes of the brilliant article from which these quotations are taken to show that this idea of fundamental law, from which alone Magna Charta derived its immense importance, was the one formative idea in the English constitution whose development created the limited monarchy; that even Parliament itself, in its unintended devlopment from the King's Council into the representative lawmaking organ of the state, is significant largely because in time it became the guardian of this great idea. Thus it is not the circumstances surrounding its origin, but the "circumstances of the future" ; not its true interpretation, but the glosses made on it by after generations that have given Magna Charta its place.

[61] Le "droit à l'insurrection" pour défendre le commonwealth contre un roi tyrannique s'appuie sur la clause 61 de la magna carta qui met en place une "machinerie" coercitive which will take hold of abuses when the king refuses to reform them (Adams) qui, en dernière instance, légalise la révolte: If the king still refused redress the last resort was insurrection, which is declared legal, and defined as limited in character, and temporary only. Le roi étant suprême, aucun autre appel que la guerre n'est possible contre lui, mais seulement en cas de diffidatio lorsqu'il a renié son devoir féodal.

Ainsi, le recueil de coutumes connu sous le nom d' Etablissements de St Louis (1272/1273) formule comme une banalité le droit d'un sire à faire la guerre à son roi lorsque celui-ci lui vée (refuse) sa justice (Livre I, LIII. De semondre son home por aler guerroier contre le roi): Se li bers a son home lige et il li die: «venez vous en o moi, car je vueil guerroier encontre le roi mon seignor, qui m'a veé le jugemant de sa cort» li hom doit respondre en tel meniere à son seignor: «sire, je irai volentiers savoir au roi s'il est einsinc come vous le me dites». Adonc il doit venir au roi et li doit dire: «sire, mes sires m'a dit que vous li avez veé le jugement de votre court; por ce en sui je venuz à vos por savoir en la vérité; car mes sires m'a semons que je aille en guerre encontre vous». Et se li rois die: «je ne ferai ja à vostre seignor nul jugemant en ma cort», li hom s'en doit tantost retorner à son seignor; et li sires le doit porveoir de ses despens. Et se il ne s'an voloit aler o lui, il en perdroit son fié par droit. Et se li rois li avoit respondu: «je ferai droit volantiers à vostre seignor, en ma cort», li hom devroit venir à son seignor et dire: «sire, li rois m'a dit qu'il vous fera volentiers droit en sa cort» ; et se li sires dit: «je n'anterrai jamais en sa cort, mais venez-vous en o moi, si come je vous ai semons», adonques porroit bien li hom dire: «je n'i irai mie». Il n'en perdroit ja par droit nule riens de son fié (Viollet, Les établissements de Saint Louis, T2, p 75/77).

[62] Sayles, 1975: la date charnière est 1327, quand à partir de ce parlement "révolutionnaire" ((déposition d'Edward II), les commons (élus) sont chargés de recevoir les pétitions que les Lords jugeront. De là les deux chambres, leurs fonctions et leurs rapports.

[63] Russel, 1971, p 41: many of the Commons were sons and brothers of Lords and it seems difficult to consider the two houses as if they represented two separate interests...

p 218 it has become conventional to say that during the Elizabethan period there was a great increase in the vigour and self-assertiveness of Parliament...219 it is likely that peers as well as privy councillors tended to use their friends and sympathizers in the Commons as a method of lobbying the queen... discontented back-bench lords often found it easier to engineer protests against current policy in the House of Commons than in the House of Lords, soumise à l'influence du privy council et des évêques.

[64] Russel, 1971, p 49: the largest amount of local work was done by the JPs, whose importance increased as that of the sheriff diminished. They were a 14th century institution but their powers were considerably extended during the Tudor period... the source of most of the JPs' detailed instructions and the destination of their reports on local conditions was the Privy Council... [dont la plupart des fonctions judiciaires sont assurées par la star chamber] p 50 this court was not invented by Henry VII but was simply a formalization of the jurisdiction the Coucil had always had to hear cases.

[65] La noblesse demande d'abord la suppression du droit annuel ("Paulette") grâce auquel les offices devenaient héréditaires et, plus tard, la suppression des offices par remboursement des charges (Beaufort). Au-delà des manoeuvres (rapports de force entre les ordres), sa préoccupation est de remettre les offices sur le marché des faveurs afin d'en avoir sa "juste part".

Deyon, 1964, p 351: En 1614, l'effort de l'ordre paraît tout entier dirigé contre la vénalité des charges et contre les officiers de justice et de finances, usurpateurs de la qualité noble. Le cahier de 1614 réclame pour la noblesse ancienne le monopole des offices et charges de la maison du roi, celui des ordres de chevalerie et des états les plus honorables des Parlements, le rétablissement des justices seigneuriales et la répression sévère des usurpations de noblesse. Le tiers répond obliquement en déclarant accepter la suppression de la Paulette moyennant la réduction des pensions payées aux nobles (tirant argument de la nécessité de compenser le manque à gagner pour le Trésor).

[66] Pour Constant, 1987, in Constant, 2004, si elles sont considérées comme dissemblables, c'est parce qu'elles ont évolué différemment au XVIIe siècle. Jusque là, malgré les particularités (dérogeance en France, transmission de la noblesse au seul aîné en Angleterre), elles se ressemblent. Mais, au XVIIe, la noblesse anglaise deviendrait une classe politique tandis que la tentative de la noblesse française échouerait du fait de l'hostilité des Grands et du gouvernement d'une part, et de son attachement à ses privilèges (notamment fiscaux) d'autre part.

 Lachman, 1989, à partir des rapports noblesse/roi, tente une explication sociologique de la différence entre la réussite de l'horizontal absolutism anglais et son échec en France: p 151 Prior to the Reformation, lay landlords had been members of political blocs led by magnates. The removal of magnates to the royal court and the elimination of their private armies disrupted magnate hegemony in the counties. The magnates in essence were absorbed into the royal elite, becoming court retainers and the king's obedient allies in Parliament. The remaining lay landlords became what historians describe as "the gentry". In many counties, the number of gentry tripled in the century following the Reformation because new families were able to purchase former monastic and royal lands… The gentry's main source of new power came from the absence of crown and clerical interference in the management of their relations with the peasantry. After the Reformation, clerical courts lost the power to regulate peasant land tenure (Hill 1963, pp.84-92). Crown efforts to protect peasant land rights were limited by the paucity of judges under direct crown control and by tenants' inability to afford the cost of appealing adverse decisions by JPs to the king's courts. As a result, gentry-dominated county commissions of the peace assumed the generally unchecked power to regulate peasants' copyhold tenures (Kerridge 1969, pp. 54-58) and to determine the residence and wages of landless peasants (Kelly 1977)…p 154 Thus, for the gentry. the royal court became not a source of patronage and status, but a threat to their income and property…p 155 As a result, the gentry could challenge crown authority on the national level without risking its authority over peasants on the local level… the English king was militarily and ideologically superfluous to gentry class rule. In contrast. the crown, once it had exhausted its monastic endowment, became dependent upon the gentry for the resources needed to wage foreign wars.

159 The differential abilities of each elite in the two countries to extend its organizational authority at the expense of rivals resulted in two different patterns of absolutism. The English development is described as horizontal absolutism to emphasize the monarch's ability to sever clerics' and some aristocrats' ties to agrarian production while absorbing the heads of those two elites within a unified national court. Those crown "victories" created two separate sites of political power: an isolated monarchy on the national level, and a unified gentry that did not have to share with other elites its access to peasant production on the local level… The Frondes, in contrast, fit less well into the archetypal struggle between tax-collecting state officials and tax-paying state subjects. The French crown's inability to achieve horizontal dominance over national rivals forced it to cede areas of sovereignty to the institutions now controlled by other elites. The French crown could weaken rival elites only by creating more sovereign institutions, and thereby new venal elites. The Frondeurs' defeat was less a consequence of the crown's independent capacity to deploy force, and more a consequence of the embedding, over two centuries, of each elite's interests within a vertically organized state.

[67] Dans le cours de la guerre civile apparaîtra un argument quantitatif (Herle, in Eccleshall, 1978, p167), reprise du vieux lieu commun "plusieurs voient mieux qu'un seul": the justification of parliament had assumed a quantitative dimension. It was judged superior to absolute monarchy on the ground that it represented a wider range of interests (tandis que le roi est seul). A partir du moment où le Parlement n'est plus a trustee of objective reason mais une représentation, it was inevitable that certain groups should attack the exclusiveness of parliament and demand representation of an even larger number of interests... Now that parliament had been proclaimed a market-place...it could only be a matter of time before attention was drawn to its unrepresentative nature.

Borgeaud, 1890, p 308: Le ministre presbytérien Edwards, qui publie, en 1646, sous le titre significatif de Gangraena plusieurs traités dénonçant les errements des sectaires (Lilburne etc), indique l'année 1645 comme celle où s'est répandue cette idée monstrueuse que le peuple, étant souverain, a le droit de demander des comptes, non seulement au roi et aux lords, mais à la chambre des communes, que ses représentants reçoivent un mandat limité, non des pleins pouvoirs. De l'autre côté, le royaliste Filmer (Patriarcha) en prend argument pour dénier la légitimité des commons qui représentent seulement les intérêts d'une minorité, excluant the major part of the common people !

[68] Russel, 1971, p 163: though Civil War were avoided, english society was still often violent and coarse... bastard feudalism still existed... it was in the 1590s that the government at last began to gain real control over bastard feudalism ; p 164: here another piece of patronage was created for the crown or the Lord Lieutnant and another perquisite for local gentry... the militia meant that many local gents held such military power as they had within a Crown force and subject to Crown patronage.

Stone, 1972, p 60: Elizabeth and her advisers abandoned all ambitions to develop a continental-style monarchy and settled down to manage the political institutions as they found them... The Elizabethan State was remarkably deficient [money, bureaucracy, troops]...p 63 early Tudor deliberately built up the authority of the gentry as a means of destroying the local power base of their over-mighty subjects, the great territorial magnates [who] had constructed the most formidable monopolies... p 74 in the short run, the decline of the influence of the aristocracy meant increased dependence of the gentry on the crown; in the long run, it meant the liberation of the gentry from the influence of either noble or crown. By 1640..they were full citizens of the commonwealth...p 124 what one sees in the 1620s & 30s is the emergence of a kind of aristocratic constitutionalism which sought to revive the medieval tradition.

[69] Lee, 1984:…What Russell's analysis has demonstrated is that as long as James was king, parliament was not confrontational ; it looked for a lead from the crown, and was anxious to follow such a lead whenever it could. La fameuse pétition-protestation serait, au contraire de la légende, un geste défensif des Commons qui had retreated so far depuis 1614 that they could retreat no further à peine de se reconnaître eux-même obsolètes. Stephen White reaches the same conclusion in his study of Sir Edward Coke... White says, although there were tensions and disagreements, James's parliamentary difficulties should not be exaggerated... In the words of John Peter Kenyon [Kenyon J. P., 1978, Stuart England, Viking, Penguin Books Ltd 1990], « He spoke and wrote like a tyrant, but he acted like a circumspect constitutional monarch, and he had much more to put up with from Parliament than they from him. »..It is time, perhaps, for a thorough reassessment of the whole of the parliamentary history of James's reign without reference to what was to follow...

[70] Comme le dit en France le frondeur Joly, 1653, p 2: comment se fait-il que le bon naturel de nos Roys nous ait esté si souvent infructueux?…C’est qu’en mesme temps que leurs inclinations ont panché du coté du bien de leurs subjets, elles ont esté diverties par la malice de leurs Favorits & Ministres, qui prenans trop l’ascendant sur les esprits de leurs Maistres, leur ont, s'il faut ainsi dire, crevé les yeux… p 3 Il ne ſaut donc pas que les Roys s'imaginent qu’on les accuse, ni qu’on les blasme, quand on leur represente qu'ils sont séduits & trompez par telles personnes. Et il poursuit, en appelant à restaurer la "constitution" renversée: depuis quarante ans les Ministres qui ont esté des veritables Maires du Palais, ou, pour mieux dire, nos Roys effectifs & qui nous ont gouvernez avec une verge de fer ont non seulement corrompu & tout à fait ruïné nos meilleures Loix, mais aussi ont gravé dans les ames de nos Princes, & de ceux qui les approchent, & mesmes de quelques-uns de nos Magistrats, des opinions nouvelles tout a fait contraires & opposées à ces anciennes qui n'ont esté violées que par les infractions qu'en ont fait nos derniers Courtisans.

[71] Aussi, en 1641, lorsque le rapport de forces est devenu favorable au Parlement, les Lords annulent ce jugement.

Rapin, 1733, T8, p 29: le 26. de Février 1641, les Seigneurs se firent apporter les Registres de la Cour de l’Echiquier, où était inséré le Jugement rendu sur l‘affaire de Monsieur Hambden, ceux de la Chambre Etoilée, & des autres Cours où le même jugement était enregistré, & les firent canceller en leur presence, aussi bien que les opinions extrajudiciaires des juges. Ils ordonnèrent de plus, que leur présent Ordre serait lu dans toutes les Assises; & enfin, ils firent préparer un Bill sur ce sujet.

[72] En 1604, l'image sert à justifier l'union des deux royaumes que propose Jacques: Que l’homme n’entreprenne donc point de séparer ce que Dieu a conjoint. Je suis le Mari, l'Isle est ma Femme légitime. Je suis la Tête, elle est le Corps. Je suis le Berger, les Anglais & les Ecossais sont mon Troupeau...  J’espere donc qu'il ne se trouvera personne assez déraisonnable pour vouloir que moi, qui suis un Roi Chrétien, sous l’Evangile, je tombe dans le crime de Polygamie ; que je sois Mari de deux Femmes & qu’étant une seule Tête, je me joigne à un Corps double & monstrueux (Rapin, L18, p 22, Discours du roi au 1er Parlement).

Même image en 1624 pour attaquer la jalousie du Parlement:…Les plus mauvaises [herbes], parmi vous, sont les jalousies ; il faut les déraciner. Pour mes actions, j'ose les soutenir devant Dieu: mais la jalousie est d’une étrange profondeur. Je suis le Mari, vous êtes la Femme, & il est ordinaire que la Femme soit jalouse de son Mari. Mais à Dieu ne plaise qu'il en soit ainsi de vous... (Rapin, p 230).

[73] L'historiographie "révisionniste" récente met l'accent sur le clubbish condominium of interests between the king and court on the one hand, and regional and national elites on the other, non pas comme équilibre mais comme conflit-négociation permanent (Amelang, 2006).

[74] Récapitulons en dix épisodes le jeu des facteurs extérieurs (d'après Wormald, 1991):

1. L'Ecosse déborde sur l'Angleterre (1637/1641): covenant contre l'uniformité induite par l'union des royaumes et soutien politico-militaire écossais au Parlement pour affaiblir le roi et l'obliger à transiger.

2. Insurrection irlandaise (1642): Wormald p 111 if the irish revolt was partly inspired by the exemple of the scots, it was also inspired by fear of them (la victoire du Parlement renforcerait la répression anticatholique). Question anglaise: qui contrôlera l'armée de répression et sera donc susceptible de s'en servir en Angleterre ?

3. Les Ecossais interviennent en Irlande (1643). Irlande et Ecosse sont liées. D'une part, les Ecossais ont, avec les Highlands de l'ouest, le même problème gaélique que les Anglais en Irlande: les révoltés permanents utilisent l'Irlande comme base de repli, tandis que les Irlandais viennent volontiers à leur secours. D'autre part, la "plantation" de l'Irlande du Nord est ouverte aux Ecossais qui y sont nombreux. L'armée écossaise intervient discrétionnairement en Ulster anglais pour protéger les Ecossais et éviter la formation d'une base catholique qui déstabiliserait les Highlands. Cette action renverse la situation (p 112: had the Scots not sent an army to Ulster, the Irish confederates might well have succeeded).

4. 1644: le roi signe une trêve avec les Irlandais pour se concentrer sur l'Angleterre. Les Ecossais, craignant son succès, envoient une armée en Angleterre, ce qui assure la victoire du Parlement mais a pour contrecoup en Ecosse la révolte royaliste de Montrose.

5. La trêve entre Charles et les Irlandais se transforme en alliance: secours irlandais à Montrose (victoires 1644/45). Du coup, les Ecossais diminuent leur engagement en Angleterre, ce qui les empêche de s'approprier la victoire sur le roi (et d'obtenir l'adhésion au covenant, l'association égalitaire etc). Forfaits, ils rendent (vendent) le roi au Parlement (Jan 1647).

6. Affaiblis, ne pouvant plus espérer du Parlement les garanties d'autonomie qu'ils souhaitent, les Ecossais modérés tentent de les obtenir du roi auquel ils s'allient ! quoique l'Engagement Treaty (dec 1647) soit refusé par la Kirk et une partie de la noblesse (Argyl). Nouvelle invasion écossaise de l'Angleterre mais, cette fois, avec le roi (Hamilton) ! Echec: défaite militaire en Angleterre (Preston, Aug. 1648), soulèvement écossais anti engager (Loudoun, Eglinton and Cassillis, soutenus par Argyll, Leven and David Leslie), avec l'appui de Cromwell et de l'armée anglaise. Le Treaty of Stirling (Sept 1648) met fin au gouvernement des engagers.

7. 1649: exécution de Charles I, répression de l'Irlande.

8. Alliance écossaise de Charles II. Les Ecossais veulent un roi à leurs conditions. In May 1650, Charles signed the Treaty of Breda in which he agreed to the Covenanters' terms, abandoned the loyal Marquis of Montrose and repudiated Ormond's treaty with the Irish. Il débarque en Ecosse (June 1650). Invasion anglaise de l'Ecosse 1650/51. Charles II, couronné à Scone (1 Jan 1651), attaque en Angleterre. Battu à Worcester, Sept 1651. Fuite en France. Défaites écossaises, occupation et incorporation (28 oct 1651: Parliament issues a declaration for the incorporation of Scotland into a single Commonwealth with England).

9. A la Restauration anglaise, Charles II tente de se restaurer aussi en Ecosse. Après la glorieuse révolution, le heurt des Parlements anglais et écossais (notamment à propos des successions royales) sera solutionné par leur "union", moyennant des garanties (religion et droit) et le bénéfice du libre-échange entre les deux pays.

10. Jacobite risings résiduels (1708, 1715, 1719, 1744, 1745, 1759).

[75] Russel, 1971, p 320: until 1637 it looked as if Charles was going to succeed [quoiqu'il] was certainly isolated... but if peers had no armies, Charles did not need to worry if they sulked in their tents. The machinery of local government was still working whatever those who ran it may have felt about government policy...p 323 [malgré le Hampden case] King Charles's government did not fall by any mistakes in its dealings with the English opposition, but through overconfidence in its handling the poor and despised kingdom of Scottland... Though Charles had few friends, his enemies were powerless [mais] p 324 if King Charles were to start a war and needed the help of Parliament, these men might be able to make conditions for their support.

En Ecosse comme en Catalogne, les nobles sont mécontents d'être privés de la présence et des probendes du roi et marginalisés dans les emplois, y compris locaux.

p 324-5: however..the scottish opposition, like the english, seemed to be powerless. They were handicapped by the fact that the two greatest forces in scottish politics, the peers and the puritan ministers, did not work easily together. Scottish ministers tended to be as clericalist as any bishop, and the anticlericalism of the scottish peers was as strong as that of the English. Charles provided these two groups with a common cause... the most inflammatory thing about the /prayer/ book was not its contents but the manner of its imposition [proclamation].

[76] Adamson, 2007, scrutant à la loupe les journées de 1640/41, met l'accent sur la direction politique de la "rébellion": les Lords du "groupe Warwick", relayés aux Commons par leurs "clients", tant ecclesiastiques que laïcs. Les Lords associent les préoccupations religieuses (presbytériennes) au vieux programme "médiéval" de contrôle du Roi par les Grands, neutralisés par les Tudors et ranimés par leur "spoliation" Stuart.

[77] Rapin, 1733, T 8, p 5/6: Telle étant la disposition générale du Parlement, il est manifeste, qu'il devoit regarder l‘entrée des Ecossois en Angleterre comme un avantage très considerable que la Providence accordoit aux Anglois, pour empêcher que le Roi ne pût rompre les mesures qu‘on pourrait prendre contre lui. Le Roi se trouvoit dans une absolue nécessité d’entretenir une Armée pour se soutenir contre les Ecossois, sans avoir pour cela d’autre moyen que l’assistance du Parlement… Ainsi, l’interêt du Parlement étoit de tenir le Roi dans cette nécessité, afin de le mettre hors d’état de s’opposer aux résolutions qui seroient prises par les deux Chambres. On ne doit donc pas trouver étrange, que le Parlement ne fit pas beaucoup d’attention à ce que le Roi souhaitoit le plus, savoir, qu’on le mit en état de pouvoir chasser les Ecossois hors du Royaume ; puisqu’au contraire, c’étoit la présence des Ecossois qui donnoit aux deux Chambres une superiorité qu‘elles n’avoient pas envie de perdre... p54 Le Roi s’étoit flaté que le Parlement prendrait sa cause en main contre l’Ecosse… Mais, pour comprendre combien cette espérance était vaine, il n’y a qu'à considerer que c’étoient les Chefs du parti contraire au Roi, qui avoient encouragé les Ecossois à entrer en Angleterre… C’étoit cette invasion des Ecossois, qui avoir obligé le Roi à convoquer un Parlement; & c’étoit cela même qui mettoit le Parlement en état de rompre toutes les mesures du Roi, & de l‘obliger à souffrir la réparation des Griefs… Il auroit donc agi contre ses propres intérêts, & directement contre la fin qu’il se proposoit, s’il avoit fourni au Roi les moyens de chasser les Ecossois

[78] Russel, 1971, p 333: the greatest difficulty in leading was that Parliament did not recognize the concept of leadership [votes aléatoires sous le drapeau restore a working partnership between the King and the gentry]... most of these future royalists were as deeply opposed to the King in 1640 as his long-standing opponents... début 1641, the King had still not conceded power to them and though they were as frightened of the 'rascal multitude' as the King was, they may have hoped to show him that if did not settle with them, he could expect something a good deal worse..the result was an atmosphere of panic... p 336 in introducing this bill [contre les customs farmers] the leaders were much weakening their chances of a settlement with the King, and as time passed the King was much improving his chances of a settlement with the Scotts.

[79] Adamson, 2007: la contre-offensive de Strafford (armer la Tour contre la Cité et accuser les douze pairs pétitionnaires de trahison pour connivence avec une armée "étrangère") effraie les "rebelles" qui n'ont pas le contrôle de la chambre basse dont environ la moitié est réticente (cf. la "division" sur le comité irlandais destiné à préparer l'accusation de Strafford). Le groupe est obligé de tout risquer (11 nov): il met la chambre sous pression (rumeurs de complot papiste et de coup d'état du roi appuyé par l'armée d'Irlande) et attaque Strafford de manière très oblique. La Chambre apeurée les laisse manipuler le comité qui déclare aux Lords qu'il va leur transmettre une mise en accusation de Strafford et leur demande de le suspendre en attendant qu'elle soit rédigée. Strafford, venu à la chambre haute pour se défendre, est arrêté.

[80] Adamson, 2007: le procès de Strafford, initialement engagé pour faire pression sur le roi dans la négociation, passe par une révolution conceptuelle. Utiliser l'armée irlandaise pour soutenir le roi est tout le contraire d'une trahison. Pour que cela en devienne une, il faut, politiquement, remplacer la fidélité au roi par la fidélité au commonwealth. Et, légalement, prouver l'intention par au moins deux témoins, alors qu'il n'y en a qu'un, très incertain. L'échec prévisible du procès trop public provoque une initiative ultra aux commons (attainder). Elle obtient un succès improbable (approuvée par les présents à 4 contre 1, la moitié des memebres étant absents), à cause de la peur d'un coup d'état militaire du roi qui dissoudrait le Parlement (panic-driven consensus), tandis que le groupe Bedford (Pym) continue à manœuvrer pour garder ouverte la négociation avec le roi. Elle échoue. Strafford est à tuer parce qu'il fait trop peur (en tant que moteur de la contre-attaque du roi).

[81] Adamson, 2007. La dynamique de l'affrontement n'est pas programmatique (religieuse et/ou constitutionnelle) mais contingente et réactive: peur du roi d'être réduit à la figuration, peur du Parlement de dissolution/annulation, à laquelle s'ajoute la peur de la répression pour les conjurés. Nul ne veut la tête du Roi qui, outre sa position "constitutionnelle", dipose d'un soutien actif et passif croissant avec ses malheurs. Au contraire, les conjurés sont des traitres et le savent: étant et se sentant les plus menacés, leur ligne stratégique est commandée par la survie. L'activisme s'impose, quitte à utiliser des moyens désespérés (absentéisme, manipulations, voies de fait, mobilisations de foule). De l'autre côté, la ligne stratégique du roi ne se laisse (et ne se laissera pas) pas facilement inventer: reconquérir ses prérogatives, oui, mais jusqu'où ? Il aurait fallu une chose impossible, tant à ce roi personnellement qu'à tout roi de ce temps: qu'il conçoive un compromis acceptable, qu'il l'impose à ses adversaires et qu'il le respecte, au moins pendant un temps suffisant.

Le Parlement doit se sécuriser en empêchant sa dissolution, d'abord, en droit, en faisant accepter par le roi les bills (triennal, non dissolution), ensuite, en fait, en le privant des moyens militaires et administratifs qui lui permettraient de se passer du Parlement ou de l'attaquer. De même, les conjurés, d'abord satisfaits de soumettre le roi à des contraintes légales (bills), comprennent qu'il leur faut contrôler le gouvernement (privy council) et qu'ils n'y parviendront qu'en contrôlant tous les rouages du gouvernement (grands officiers, juges etc), c-a-d en faisant du roi le pupett-King qu'il redoute. Même si Adamson rejette l'idée de baronial war, le processus, au moins en partie, relève de ce schéma classique: capturer le Roi au nom du "bien public" (commonwealth) et éventuellement de la religion pour agir à sa place. L'habillage va chercher dans le magasin médiéval qui n'a cessé de se remplir depuis la querelle des investitures.

[82] Déjà Pym au cours des premières séances du long parlement (1640): Ce n‘est pas empêcher le service du Roi, que de réparer les Griefs: c’est plutôt le procurer…Le Roi ne peut faire du tort à personne. La Loi rejette toutes les fautes sur ses Ministres. C’est ainsi que l‘influence du Ciel donne de la vigueur à toutes les créatures sublunaires, mais que la malignité des maladies epidémiques procède des mauvaises qualités de la Terre, ou de l‘Air…(griefs)…Tous ces Griefs ne sont pas moins préjudiciables au Roi qu’à ses Sujets; puisqu’ils interrompent la correspondance entre lui & eux (Rapin, Livre 20).

[83] Adamson, 2007: concurrence entre Charles et Warwick pour s'allier aux Ecossais, eux-mêmes divisés entre Argyll et Montrose. Warwick, effrayé par les implications du voyage du roi, se décide à payer enfin les Ecossais (en levant une poll tax) et engage ostensiblement l'alignement religieux (root & branch), au prix d'une double impopularité dans le pays.

[84] Russel, 1971 p 339: it seems that neither side really wanted the war but both were too frightened of the other's intentions to trust any settlement... any attempt to analyse the causes of this war must take account of the way it began. Hypotheses which attempts to explain why people might have wanted to fight a civil war are valueless for explaining a situation in which they did not want to fight one... there seems to be only one explanation: sheer fear of the intentions of the other side...p 340 breakdown of a system of government which the Parlementarians desesperatly wanted to preserve but which could not keep up with inflation or with division in religion. The argument of 1641 was not about how to replace this system of government: it was about whom to blame for its failure... Those who made the war were a small number of people in Parliament. Those who took sides in it were a large number of people all over the country. This distinction should be remembered in attempts to make social analyses of the allegiance of the public. The motives which might impel a man to chose between sides which already existed were very different from those which might impel a man to make a side... p 342 in the autumn of 1642, the majority of England's leading citizens appear to have been surprised, not to say dismay or incredulous, to find themselves at war. Even in the King's camp there was a strong body of feeling in favour of negotiation rather than war. At Westminster, the aim had never been to start a war, but to use the threat of war to force Charles to come to a political settlement...p 345 ...in Parliament there was little attempt to justify resistance to the King, because many of the members maintained throughout the war that they were not fighting against the King but for him... Parlementary commissions were issued in the name of King & Parliament, and this fiction was sustained by a distinction between the public and private capacities of the king... The arguments of the parlementarians were not expressed in terms of Parlementary sovereignty but in terms of unity... p 346 for most of them, the guarantee of co-operation between the King and the gentry, and the terms on which it took place, was the rule of law ["fundamental law"]...if they were to win a victory, they were likely to be embarrassed by it...they were "sturdy reactionaries" [Kenyon] who wanted, not a brave new world, but a return to the old world of Grindal, Leicester and Walsingham...p 347 the Parlementary conservatives were entitled to wonder whether in the end they might not find their allies more dangerous ennemies than the King... p 348 moreover, some of the Parliament's supporters who were not gentry showed an alarming vigour in prosecuting the war...the split [in the Parliament] was not about whether they sympathized with the radicalism of some of their supporters: they did not. The split was about whether they regarded their radical supporters or the King as their worst ennemies.

[85] Russel, 1971, p 354: Pym and his friends could only see one way to change the situation without handing over control of the army to people radical enough to drive some of their supporters over the King, and that was to induce the Scotts to come in England as their allies. The Scotts were conservative enough not to wish to make any dangerous use of victory.

[86] La crainte de la pression du peuple et la radicalisation de l'armée pousse les Presbytériens du parlement à chercher un compromis avec le roi (1647/48) et à licencier l'armée ce qui, faute de paiement des arriérés, l'émeut (agitators). L'armée se révolte contre le parlement et s'empare du roi pour empêcher leurs négociations: juin 47 declaration of the army. L'armée restaure le parlement et tente à son tour de négocier avec le roi contre Parlement: Cromwell veut subordonner le roi au parlement et le parlement aux électeurs. Le roi tente de tirer parti des divisions et signe un accord avec les Presbytériens et les Ecossais (dec 47): son retour est bloqué par l'armée qui mate les émeutes et bat les Ecosais (Preston, aug 48). La carte du roi jouée par le parlement est coupée par l'armée qui demande justice, capture à nouveau le roi, purge le parlement (réduit à la minorité d'indépendants aux ordres du Conseil de l'armée). Annulation du roi et des Lords.

Moote, 1972: le Parlement anglais en se coupant du roi perd sa légitimité et se livre à l'armée (p 171: In England where the parliament broke with royal sovereignty while in the process of achieving basic reforms, that break irreparably damaged the english Parlimanent's raison d'être as an integral element of royal authority. Hence radical revolution in England swept aside Parliament along with Crown, leaving only the cromwellian military element to fill the vacuum).

Cela aurait pu arriver au Parlement de Paris si son tropisme royal ne lui avait pas permis de contrôler les Grands et de ne pas s'abandonner aux Condéens: p 219 the major reason for France's not following the english path is, beyond question, attributable to the ability of the Parlement of Paris to retain its via media of 1648. The timorous judges payed their moderation by antagonizing their noble allies. However the price of a ..coalition... would have been much higher... and left nothing but anarchy...We need to avoid forced, misleading comparisons between the Great Rebellion and the Fronde. The ability of the military and parlementary wings of the english revolution to remain united until they had toppled Charles from his throne had only a negative lesson for the Parlement of Paris. Such a combination was to be avoided since it had undermined the position of the moderate parlementary wing as part of the Crown, leading to Parliament's abdication of effective power in the post revolution english state... p 232 Paradoxically, as law & order gave way increasingly to anarchy and civil war, the immense prestige of the Parlement as the leading body of law enforcement in the realm made support from the tribunal all the more desirable for all outside parties.

[87] Russel, 1971, p 388: the basis of Cromwell's power in the 1650s was that he was the only man who could command the support of both these conflicting interests [army-gentry]...391 the Instrument [of government 1653]...return to the constitutional tradition of the pre-war Parlementarians... return to the constitutional ideas of 1641 and with it, a number of men of 1641 came back towards the centre of power... p 397 on 25 May 1660 Charles II landed. He came to take over the constitution of 1641, the ancient constitution the Parlementarians gentry had always wanted to preserve... King & Gentry resumed their partnership and resumed the attempt to secure an unattainable unity of religion and to work an outdated constitution.

[88] Christianson, 1976, p51: Both of these changes took place for some radicals in 1643 - certainly by 1645 - but that poses another question, that of the results of the civil war. The potential for a revolutionary ideology existed in 1642 - it had existed at least since the publication of Sir Thomas More's Utopia in 1516 or Bishop Ponet's A Shorte Treatise in 1556- but potentiality and actuality are two different things, even in the realm of ideas. The changed conditions of civil warfare, then, produced both revolutionary actions and the revolutionary ideology of mid-seventeenth century England.

Eccleshall, 1978, p 2: the unwitting authors of the [medieval] period have been fathered with the ideological conflicts of the civil war and beyond...p 5 My purpose is to provide an account of two contrasting styles of thought, each reflecting the differing intentions of their authors but not initiated by them as rival or mutually exclusive theories. In a transformed environment, the turmoils of civil war,... they were to be combatively deployed in an ideological battle... They are to be understood as arising within the frameword of the medieval world view... p 152 Between the time Hooker wrote [1594] and the onset of military struggle, political thinking entered a sort of limbo. The theory of absolute monarchy did not undergo drastic changes. It was simply appropriated by extremists... p 153 within the space of few years following the Civil War, the intellectual scene was to be altered.. by a deluge of political thinking. Initially the theory of mixed government was elevated to unprecedented heights of popularity. For both sides it became a form of window-dressing... but as constitutional stalemate gave way to military confrontation...les arguments familiers prennent une radically transformed signifiance... p 158 by 1640 disappointment had turned in hostility... It was intra-class strife not inter-class warfare, which acted as a catharsis on political thinking.

[89] Some compare Queen Elizabeth to a sluttish housewife who swept the house but left the dust behind the door (un 5th monarchist en 1653, cité par Stone, p 116). Cf. Coveney, 1977, Introduction, p 12: the accelerating collapse of the /french/ monarchy following the death of Henri II...thrust the late-medieval state into a major political crisis... the continuing factor in the late medieval France political situation was one of very marked potential instability, which was punctuated by periods when the potentialities fron strenghtened government were realised…p 13 the reign of Henri IV  was not however one of really major achievement… p14 the monarchy resumed where it had left off...p 20 in 1610 there were only unresolved problems for the future...

[90] Tant il est vray que l'Angleterre, comme elle semble être séparée du commerce du reste des hommes‚ semble aussi éloignée des maximes de l'humanité. Elle ne produit point de loups, mais elle est pleine de tygres. (Advertissemens aux Roys & aux Princes‚ pour le Traité de la Paix & le sujet de la mort du Roy de la Grand’Bretagne;

Peuple plus cruel que les eaux qui l’environnent. Ce n’est pas la première fois qu’ils ont exercé leur cruauté sur la personne sacrée de leurs Roys... (1649, Dernières paroles du Roy d’Angleterre) ;

...cette alternative presque réglée, qui se trouve chez les Anglois d'un règne heureux, florissant, applaudi; & d'un règne malheureux, troublé, finissant par la catastrophe d'un Roy déposé, mis aux fers, souvent sacrifié à l'ambition d'un usurpateur sanguinaire...  (d'Orléans, 1675).

Rapin, L18, p 8/9: si l’on peut produire quelques exemples des Rois qui ont succédé de Père en Fils, & qu'on en veuille conclure que c’est par un Droit héréditaire; il sera aussi facile de faire voir, que ce Droit s’évanouit quand on remonte à la source. Par exemple, si l’on suppose, qu'Elisabeth, Marie, Edouard VI. & Henri VIII. ont possédé la Couronne par un Droit héréditaire, quoiqu'il y aurait beaucoup à dire sur les Reines, la source de ce Droit se trouve dans Henri VII. qui n’était Héritier naturel, ni de la Maison d’York, ni de la Maison de Lancastre. Henri VI. & Henri V. ont succédé de Père en Fils à Henri IV., qui n’était pas le plus prochain Héritier de Richard II. Edouard III. n'a pas pu Succéder par un Droit héréditaire à Edouard II. son Père, qui était encore en vie. Edouard II. Edouard I. & Henri III. forment la plus longue Succession héréditaire de Père en Fils qui se trouve dans l’Histoire d'Angleterre: mais ils tiraient leur Droit de Jean sans Terre, qui certainement n'était pas le plus prochain Héritier de Richard I. Je passe sous silence les Rois précédents, parce que la chose est trop manifeste pour qu’il soit nécessaire de s'y arrêter. Ainsi, de vingt-trois Rois qu’il y avait eu depuis la Conquête jusqu'à Jaques I., il y en avait au moins plus de la moitié, qui n’étaient pas montez sur le Trône par un Droit héréditaire.

L'hérédité ex ante ne commande pas le droit de succession à la couronne anglaise car sa dévolution se fait souvent de facto: la pratique est si tumultueuse que l'hérédité s'établit ex post pour légitimer le vainqueur. Pour autant que Henri VII ait eu des droits héréditaires, Marie Queen of Scots, par sa mère, arrière petite fille directe de Henri VII, était incontestable face à Edouard, Marie, Elisabeth dont, en droit, deux des trois sont illégitimes (Act du 08/06/1536 déclarant Marie & Elisabeth bâtardes): le premier mariage n'ayant pas été proprement annulé, Elisabeth se trouve sans titre.

[91] Bonin, 2003, p 117: S'il existe ainsi un droit à la régence, mère et oncle le partagent. L'un d'eux est-il prioritaire ? Paradoxalement, à la fois l'oncle et la mère s'appuient sur la loi salique, l'un parce qu'elle l'appelle au pouvoir (à la réserve que des oncles maternels furent concernés au Moyen Age, voire des bâtards), l'autre parce que justement elle lui interdit la tentation d'une usurpation. Dès lors leurs arguments s'opposent et se renversent.

Cosandey, 1997: ... En interdisant aux femmes de monter sur le trône, la loi de dévolution les installe ainsi plus sûrement à la tête de l'État lors de minorités royales: exclues de la couronne, elles ne peuvent prétendre à l'héritage et donc, en aucun cas, constituer une menace pour le jeune roi… sujette exerçant un pouvoir délégué, la régente ne bénéficie pas de l'impunité réservée au roi. Elle agit au nom du roi et pour lui, mais conduit une politique que les détracteurs peuvent condamner au nom même du souverain. Mais ces critiques se maintiennent dans le domaine de la politique menée par la régente, et ne concernent pas l'édifice monarchique. En ce sens, l'évaluation des troubles provoqués par une minorité royale change d'échelle par rapport à la période antérieure au XVe siècle, et cette translation se caractérise par une modification du rôle des institutions: les États généraux, souverains jusqu'alors dans la nomination à la régence, cèdent progressivement le pas au Parlement de Paris, dont l'intervention est déterminante au XVIIe siècle. Ce transfert de compétence accompagne et corrobore l'image d'une régence de continuité, la crise politique qui justifiait autrefois le recours aux États généraux devenant dès lors une crise régulée par le simple arbitrage du Parlement… Il reste qu'il y a bien substitution du Parlement aux États généraux, indiquant une évolution dans la conception intrinsèque de la régence. A l'inverse des États généraux dont la convocation, ponctuelle, doit répondre à une situation d'exception (de crise ou de rupture politique), le Parlement, instance permanente, symbolise la continuité de l'État…[la régente] n'est pas là pour innover, et son gouvernement n'étant qu'une parenthèse dans le cursus de passation des pouvoirs, il ne doit pas laisser de traces… Installée au coeur de l'État parce que participative de la substance royale, la reine perd par la présence de son époux toute capacité agissante, mais gagne par la mise en scène de son appartenance monarchique une force dont elle bénéficie à son veuvage. Effacée tant que s'exerce la toute puissance d'un roi absolu qui n'entend partager avec personne son autorité souveraine, la reine, une fois dégagée de la tutelle maritale, laisse éclater le principe de royauté dont elle a été investie à son mariage. A condition, bien sûr, que le nouveau monarque ne soit pas en état de remplir seul sa fonction royale...

[92] Motteville, II, p 327: C'est pourquoi elle [la reine] répondit toujours sur cet article, à ceux qui lui en parlèrent, qu'elle ne vouloit pas faire la même faute qu'avoit faite le roi d'Angleterre, abandonnant son ministre à la rage publique, de peur qu'elle ne causât d'aussi mauvais effets contre elle que ce prince en ressentoit alors en sa propre personne et en son Etat... p 357 Elle me fit l'honneur de me dire ce qu'elle avoit déjà dit à d'autres, et que je pense avoir déjà aussi écrit, qu'elle croyoit être obligée de le retenir [Mazarin], de peur qu'il ne lui en arrivât autant qu'au roi d'Anglelerre, et qu'après l'avoir chassé on ne vînt jusqu'à elle; que les princes, la voyant sans ministre, lui en voudroient donner un; que, ne se pouvant accorder là-dessus, comme il étoit raisonnable de le croire, cela feroit naitre des brouilleries plus grandes que les premières; et qu'enfin elle le vouloit conserver, non-seulement parce qu'elle étoit satisfaite de ses bonnes intentions et de sa fidélité, mais parce qu'elle étoit persuadée qu'en le soutenant elle rétabliroit l'autorité royale, et empêcheroit qu'on ne lui otât la régence.

[93] Popularité phénoménale du Eikon Basilike dont de Marsys donne une controversial catholicizing french translation. Knachel, 1967 p 64:...de Marsys had taken it upon to clothe the english royalists in a dress more attractive to french catholics... p 73 In any case, Saumaise, not Hobbes /non traduit et ambigu/ was the chief reliance of the english royalists to present their case to the continent. 1649 Saumaise, Defensio regia pro Carolo (1650 Apologie pour le roi d'Angleterre) ; contra: Milton, 1651.

Martyr, en France, en tant que cryptocatholique ; en Angleterre, en tant que défenseur de l'anglicanisme. Rapin, comme Huguenot continental, proteste. T8, p 723: Bien des gens lui donnent le surnom de Martyr, prétendant qu’il a souffert la mort pour soutenir la vérité de la Religion Protestante contre les Presbytériens & les Indépendants; & ils appellent le jour de sa mort, qui se célèbre tous les ans le 30. de Janvier, le jour de son Martyre. Mais premièrement, il y a eu une trop grande complication de causes qui l'ont amené à cette triste catastrophe pour pouvoir attribuer sa mort uniquement à la Religion. 2. Quand même il serait vrai que la Religion a été la seule cause de sa mort, tout le monde ne conviendrait pas qu’il mourut pour soutenir la Vérité de la Religion Protestante, puisque, parmi les Protestants, il n’y a que les Anglais seuls, ou plutôt un grand nombre d’Anglais, qui regardent l’Episcopat comme un Dogme de la Foi…etc

Voir Haffemayer, 2012 et 2014 ; Lacey, 2014.

[94] Moote, 1971, p 11: Generations of historians have erroneously inferred that the parlementary judges were doomed to political impotence because they lacked Parliament's legislative and representative traits, while the truth is that French parlements combined many of the powers of Parliament and the chief English courts, King's Bench and Common Pleas. The only correct conclusion is that the corporations of French officials were more powerful, and better suited to the French situation than any legislative, representative assembly could have been, whether it was an Estates General, a Parliament, or a modern type of legislature.

[95] Evidemment, il en va de même en France. Cubbels, 1957, p 176/7: les officiers tiennent leur pouvoir du prince, et c'est parce que la puissance royale, seul principe de gouvernement, leur est communiquée, qu'ils peuvent éventuellement se dresser contre les erreurs de la personne royale… Tirant son être de la puissance royale, le Parlement ne pourrait lui porter atteinte, et ne saurait le vouloir. Ainsi, les remontrances du 27 juin 1648 justifient l'union des compagnies: « Sont-elles pas toutes jointes à leur corps qui est leur monarque » …le seul pouvoir est bien la souveraineté royale, d'origine divine. Reste à dire que le Parlement en est l'émanation, pour justifier les résistances politiques de l'assemblée.

[96] Allen, 1938, p 28: as far as possible the house ignored the practice and the precedents of the 16th century and went back for its standing ground to times of which it really knew next to nothing (mythe de l'ancienne constitution saxonne parfaite: cf. Coke).

Russel, 1971, p 40: However most of these precedents for parlementary independance date from a period before 1450 and at the beginning of the 16th century Parlement seems to have been in decline...

Cf. Le Quéau, 2012: dès Jacques I, les "antiquaires" sont appelés en renfort des "droits du Parlement" pour établir leur caractère immémorial et les remonter à Edouard le confesseur, voire aux Saxons.

[97] Pour le roi anglais son parlement est une ressource de son magasin qu'il prend (convocation) et repose (dissolution): le roi peut se passer du parlement pour gouverner, il peut faire des proclamations à la place des statutes, il peut lever des fonds de façon plus ou moins prédatrice. Mais c'est mieux avec le Parlement que sans: légiférer et taxer en Parlement donne au roi une sanction collective, renforce la légitimité de la décision royale ou lui en confère une (Henri VIII). La co-législation (fût-elle manipulée ou forcée) surhausse la qualité de la décision royale et diminue les frottements. Cela ne ressemble-t-il pas au jeu du roi de France avec son Parlement de Paris ? Le roi peut s'en passer, tant pour la justice que pour la législation et la finance, mais c'est mieux avec: l'approbation ou l'enregistrement des décisions royales (fût-elle manipulée ou forcée) renforce leur légitimité ou lui en confère une. N'oublions pas non plus la théatralité de la politique de ce temps.

[98] Le Président Le Coigneux l'exprime ainsi (3 fev 1648): qu'il y avoit dans nos roys deux qualités: l'une d'homme l'autre de roy, lesquelles estoient tellement connexes que, sans préjudice à la dernière, nos roys avoient trouvé bon que l'on examinast ordinairement leurs actions dans le parlement; que cela se faisoit avec beaucoup de justice, puisque la cour estant establie par les roys pour l'autorisation de tous les contrats qui se passent dans leur royaume, leurs esdits et déclarations en font partie, dans laquelle autresfois le consentement des peuples estoit nécessaire, et maintenant celuy des officiers de justice, auxquels on a remis cette puissance de consentir la levée des impositions, comme à ceux qui, avec le plus de suffisance et de raison, sçavent mesnager la gloire du prince et la nécessité du pauvre peuple (Journal d'Olivier Lefèvre d'Ormesson, T1, ed Chéruel, 1860, Collection et documents inédits sur l’histoire de France, 3ème série, N3, p 435/6).

Le chanoine frondeur Claude Joly, à la suite d'autres, explique cette délégation au Parlement par les commissaires que les états généraux chargeaient de représenter leur volonté "posthume", thèse logiquement séduisante mais historiquement infondée. Joly, 1653, p 440/441: Non seulement il estoit autres fois nécessaire pour faire des levées en France que les Estats y consentissent; mais nous voyons encores que, comme ils avoient droict de nommer des Commissaires pour l’exécution & manutention de ce qu'ils avoient resolu: dont aucuns mesmes tiennent auec beaucoup de vray-semblance que le Parlement a pris son origine, & le droict de verification des Edicts, ces Commissaires examinans toutes les Lettres qui leur estoient présentées par le Roy pour voir s'il n’y avoit rien qui dérogeast aux délibérations des Estats, les refusans s'ils y trouvoient quelque chose qui fust, ou contraire, ou nouvelle, auec ces mots qui sont encores en usage, nec possumus, nec debemus, pource que cela excedoit leur pouuoir...

[99] Moote, 1971, p23: Its internal weaknesses, its unrepresentative nature, and the fact that it was neither english Parliament nor french Etats Généraux are far less significant than its members' ability to act as a body, their prestige and their position among the many judicial and financial corporations of the realm, and their claim to be the symbolic center of the Crown of France.

[100] Descimon, 1984, p 315: La scène centrale [de la Fronde], c'est Paris. Car Paris est le lieu de l'Etat-système et donc celui où se rencontrent les chefs de parti. Non que la province ne pèse très lourd dans la guerre civile, mais Paris est un champ de bataille proprement politique. Les partis y discourent, s'y mesurent, s'y toisent, s'y allient. Chaque fois que tous les chefs de partis sont à Paris, la situation est extrêmement instable.

[101] Jacques I, lui, avait échoué à pacifier ses catholiques. Après la conspiration des poudres (1605), il tenta de les rallier, en proposant un serment purement politique, par lequel, indépendamment de leur religion et de leur culte, ils s'engageraient à obéir au roi, sans permettre au pape de s'immiscer dans le gouvernement de l'Angleterre: condamné par Rome et les Jésuites, repoussé par toutes les sortes de "protestants" anglais, ce compromis habile ne prit pas.

[102] La "révolution" anglaise donne une idée de ce qu'auraient pu donner les troubles français de la fin XVIe en l'absence de la stabilisation Henri IV: une tentative de conjuguer Monarchie et états généraux dont les péripéties politico-militaires conduisent à l'élimination "judiciaire" du Roi et à la dictature d'un chef de guerre à la posture religieuse.

[103] Knachel, 1967, p 108: huguenot leaders set a double task for themselves. They had to convince the King that he had nothing to fear from their party; and they had to insure that the rank and file did not defect from the loyalty

Amyrault, 1650: ...Lors que les Indépendants d'Angleterre eurent fait mourir leur Roy, ils jugèrent bien que cette action causerait de l'horreur dans les esprits: c'est pourquoi ils publièrent une espèce de Manifeste pour leur justification…qu'ils y soutiennent que le Psalmiste n'y désigne aucunes personnes singulièrement privilégiées, soit Roys, ou Sacrificateurs, ou Prophètes; & que son dessein est seulement de célébrer la protection que Dieu a toujours étendue sur son Eglise, pour laquelle ils prétendent qu'il est dit là qu'il a châtié jusques aux Roys. Comme je courais cet Ecrit de l'œil, je ne trouvai pas étrange que ceux qui ont Commis un tel attentat, & qui ont renversé le Royaume d'Angleterre c'en dessus dessous, pervertissent l'intelligence de l'Ecriture, & essayassent de montrer qu'ils n'avoient rien exécuté contre le commandement de Dieu…Et véritablement il ne fut jamais si nécessaire qu'il est maintenant, de donner à toutes sortes de personnes une vive & profonde persuasion de la souveraine Majesté des Roys, depuis que les Indépendants ne se contentant pas d'avoir fait un si lamentable exemple du leur, semblent avoir ouvertement déclaré la guerre à tous les Monarques...

[104] Pagès, 1932, n°1, p 37: L'emploi de commissaires est, pour elle [la monarchie], une sorte de réflexe défensif contre la trop grande indépendance des officiers. Aussi les commissaires ont-ils joué leur rôle de très bonne heure. En fait, on ne peut guère concevoir la Monarchie absolue sans commissaires.

Pagès, n°2, p 116: Le gouvernement de Richelieu n'est pas seulement l'âge d'or des « commissions extraordinaires », il l'est aussi des commissaires de toutes sortes. Richelieu, remarquons-le, les prend partout où il lui plaît, non pas seulement, ni même surtout, parmi les maîtres des requêtes, mais de préférence dans sa clientèle personnelle...

[105] Knachel, 1967, p 57: the Frondeurs repeatedly stressed that their own quarel was not with the King but with the King’s minister. How awkward then to have the english explain in this document [1649, declaration du Parliament] that the Civil War in England and the ensuing revolution, had stemmed originally from Parliament’s desire to free Charles 1 from evil advisers... p 88: Frondeur propagandists endlessly repeated that Parlement derive its glory from the majesty of the King, that members of Parlement, far from wishing the destruction of the monarchy, wanted to protect it...p 90: one of the reasons why the frondeurs reacted so violently to Mazarin’s speech [au duc d’Orléans, fev 1651], was that it confirmed that he was filling his pupil [Louis 14] with invidious comparisons of France and England… Precisely because the frondeurs were so self-conscious about being compared with the english rebels, they felt compelled to refer often to England... p 91 the Parlement of Paris and its friends were especially sensitive to discussion of England...

[106] Cubbels, 1957, p 194: Les premières manifestations hostiles du Parlement suivent de peu l'apparition des premiers symptômes de crise: le 31 janvier, le 8 février, le 13 février, et encore le 24, certains conseillers furent l'objet de violences. Le 28 février, au moment où la Cour délibérait de députer ou non à une conférence, la foule, au dehors, insultait les magistrats.

[107] Moote, 1971, écrit dans sa conclusion (p 370-: Proclaiming belief in royal absolutism and yet using every legal power at their command, the parlement steered reforms past the administration while avoiding the self-defeating label of rebels… The judges managed not only to bring about reform but to avoid a major civil war and blantly illegal actions of the sort which allowed the english Parliament to be crusched between the extremes of caroline absolutism and cromwellian dictatorship.

Moote, 1971, p xii: From my initial examination of sources, it became clear that the role played by the Parlement of Paris... was the factor that explain most satisfactorily all phases of the Fronde... for the enigma of the Fronde and the baffling, ambivalent role of the parlementary judges are two sides of the same coin... the unique composition of that peculiarly French institution, the Parlement of Paris sheds more light on the French version of the crisis than does any other factor, either within France or in Europe as a whole...

p 11: Indeed the french Parlementarians were in one major respect far more potent institution than their english namesake, the Stuart Parlementarians. Generations of historians have erroneously inferred that the parlementary judges were doomed to political impotence because they lacked Parliament's legislative and representative traits, while the truth is that French parlements combined many of the powers of Parliament and the chief English courts, King's Bench and Common Pleas. The only correct conclusion is that the corporations of French officials were more powerful, and better suited to the French situation than any legislative, representative assembly could have been, whether it was an Estates General, a Parliament, or a modern type of legislature...

[108] Moote, 1971, p 109: the judges went far enough in opposing the taxes..while remaining so deferential to royal absolutism that they could not be incriminated as rebels or traitors. This was the great strength of the Parlement in the early months of 1648 and it was to be the key to parlementarian actions and successes during the course of the Fronde..

[109] D'Ormesson écrit dans son journal (ed Chéruel, 1860, T1, p 442): Le samedy 8 février...j'appris qu'à la cour l'on estoit fasché de la vérification de l'esdit avec modification, parce qu'il jugeoit l'affaire au fond et donnoit la liberté au parlement, à l'avenir, de corriger les esdits et y changer, quoyqu'ils eussent esté apportés par le roy…p 448: La nouveauté et la conséquence de cette proposition /la demande de la Reine/ me surprennent, voyant que du costé de la cour l'on veuille porter les choses aux extrémités, et pousser le parlement pour s'engager à faire d'estranges choses, si le parlement disoit pouvoir modifier les esdits vérifiés en présence du roy; mais ils croient que le parlement laschera le pied, et, ce faisant, pour nostre esdit ne pourra plus prendre d'autre avis que des remonstrances. Pour moy, je crois que le parlement ne doit point se déclarer, mais respondre par civilités, sans s'esclaircir de ses intentions, une résolution précise sur cette proposition estant périlleuse de tous costés...

p 450 (20 fev): [M. de Broussel] a remonstré l'importance de la proposition et taxé le conseil de ceux qui l'avoient dictée à la reyne; que c'estait mettre le point de la souveraineté en compromis en demandant une response sur une question dont la résolution pouvoit estre préjudiciable à l'Estat… qu'il ne falloit donc point agiter telles questions, dont les seules propositions ébranlent l'autorité du roy et diminuent l'obéissance des peuples.

[110] Sainte-Beuve commente (1851, p 57): Retz définit en termes singulièrement heureux l'antique et vague constitution de la France, ce qu'il appelle le mystère de l’Etat. Il fait voir que... du côté de la cour, on avait, avec une insigne maladresse, mis le Parlement en demeure de définir ces cas où l'on pouvait désobéir et ceux où on ne le devait pas faire.

[111] La Ligue et la Rébellion anglaise sont des repoussoirs qui fixent les bornes de la contestation. Le Parlement "frondeur" ne veut pas poser la question constitutionnelle, ni même répondre lorsqu'elle lui est posée: partie intégrante de la Couronne, il s'appuie sur elle pour s'opposer au gouvernement. Les libéraux du XIXe se sont désolés de la stérilité de la Fronde en matière de théorie politique. Les libelles sont des dénonciations, des insultes, des encouragements et, lorsqu'ils abordent le point constitutionnel, ce n'est pas en doctrine mais comme argument polémique réversible).

Lemaire 1907, p 164: Le mouvement de réaction et les troubles dont la minorité de Louis XIV fut l'occasion donnèrent naissance à une abondante littérature, où les lois fondamentales furent naturellement invoquées. Pourtant la Fronde fut pauvre d'idées politiques. Des milliers de brochures qui parurent alors et qu'on a appelées mazarinades, le plus grand nombre sont des écrits de circonstance sur l'évènement. du jour, ou de violentes diatribes contre la tyrannie des premiers ministres... Il y en a peu qui s'élèvent jusqu'à de vraies conceptions politiques, et l'idée qui les inspire généralement, est que le Parlement, les cours souveraines, sont en vertu des lois fondamentales. une « puissance seconde », qui doit tempérer l'absolutisme royal en le paralysant au besoin tout à fait. Cette théorie n'était pas nouvelle (monarchie composée). Mais ajoute-t-il pour se consoler en retrouvant une tradition "démocratique" p 169: Si les théories a priori, si les idées générales ne se font guère jour dans la volumineuse littérature de la Fronde, c'est qu'elle emprunte très souvent aux publicistes huguenots ou ligueurs (cf Joly, 1652).

Néanmoins, Lacour-Gayet (1898, L'éducation politique de Louis XIV, p 314 sq): Les polémiques dues à la Fronde avaient fait renaitre les doctrines de la Ligue sur la souveraineté populaire, avec ce caractère spécial que, dégagées des excès de langage du fanatisme religieux et ne se réclamant plus d'une thèse confessionnelle, ces doctrines se cantonnèrent de préférence sur le terrain de l'histoire et du droit naturel [pacte primitif, droits/devoirs réciproques].

[112] Le frondeur Joly, 163, lui prête la maxime Qu'il n'est pas esclave de sa parole et l'oppose à la Foi que doivent garder les rois à leurs promesses. Joly, en 1652, fait de la méfiance la cause de la perpétuation de la guerre civile: p 515 Messieurs les Princes, qui sont sans doute las de la guerre aussi bien que nous, se rangeraient volontiers auprès de sa Majesté, qui est le centre de leur lustre & de leur grandeur. Mais l’expérience qu'ils ont de tant de paroles données par le passé aux Grands & aux petits, & incontinent après violées, leur fait si fort appréhender cette réunion, qui les obligerait de se confier entre les mains de cet ennemi mal réconcilié, qu’ils aiment mieux, par manière de dire, périr les armes à la main, que de se voir trahir, & confiner à la première occasion dans des prisons perpétuelles, quand ils seront au pouvoir de ce Ministre & de ses associez…p 517 Ainsi nous pouvons dire que la défiance & l'ambition sont les véritables causes de tous nos malheurs, qui sont d’autant plus déplorables, que ces maladies d’esprit sont incurables. Dont il s'ensuit que nous ne sommes pas à la fin de nos maux...Mais Joly est dans l'action, et partisan.

En considérant la totalité du jeu politique Descimon 1984 met en avant ce que les acteurs ont en commun, p 314/5: il faut formuler l'hypothèse d'un fonds commun de représentations partagé par ces hommes politiques, ce partage autorisant la subtilité des calculs et provoquant — au double sens du mot — le radicalisme des tentatives pour déborder l'adversaire. Il n'est pas question ici de «mentalités», mais de politique: de représentations de l'action, de préceptes pour la mener à bien. De ceux-ci, on trouve la trace aussi bien dans les Mémoires de Retz, les Carnets de Mazarin, la correspondance de Condé que dans les écrits de leurs «amis»: Naudé et Berthod (Mazarin), Joly (Retz), Lenet (Condé), Sarrasin (Conti)... Tous sont persuadés qu'il n'y a de liberté que dans l'action pour l'homme bien né. Faute d'agir, il est neutralisé par l'événement… L'image du théâtre, si familière également au cardinal de Retz, et à bien d'autres écrivains politiques, concentre des notions antagonistes que le spectacle réconcilie dans son faste illusionniste: subtils secrets de l'agencement des machines, d'un côté, et somptuosité ostentatoire de leurs effets, de l'autre ; trouble sur l'identité des personnages, mais clarté apparente des rôles ; succession de performances qui révèlent bien plus l'habileté de l'acteur que la vérité du texte…

[113] Moote, 1971, p 127: the most obvious fear in royal circles was that the four courts in the capital would undermine royal absolutism by the very fact of their agreement to meet in special assembly

[114] Le texte intégral se trouve dans Isambert, Recueil général, T17, art. 99. Les auteurs du XIXe l'ignorent ou le magnifient selon leurs thèses. Capefigue, pour qui la bourgeoisie parlementaire et municipale se soucie trop d'ordre pour ne pas trahir le menu peuple représenté par les quarteniers, n'a pas envie de traiter de son rôle dans la réformation politique et préfère citer le théologien politique dont l'auteur est inconnu. Au contraire, Sainte-Aulaire, axé sur le "libéralisme bourgeois", lui donne une grande place (T1, CH4) et document in sources du T3.

Moote, 1971, p168: [Mazarin, obnubilé par les impôts et la guerre] feared that the reforms of the Chambre St Louis would lead to something similar to the civil war and virtual destruction of monarchy in England which had resulted from the parlementary reforms of the early 40's, [malgré] p171...the reforming judges' refusal to deal with underlying constitutional issues...

[115] Mousnier, 1949, p 71: Mais il semble que ce soit la peur qui chez eux ait joué le plus grand rôle et les ait poussés à s’armer. C’est par terreur panique qu’ils sont devenus belliqueux. Ils redoutent d'abord les attentats de vagabonds et du menu peuple contre les personnes et les propriétés. Mais ils craignent encore plus, comme à tout moment de l'Ancien Régime, comme en particulier aux barricades de 1588, les soldats, ces mercenaires dont la seule présence dans une ville était une menace de pillages, brutalités, viols et destructions. Le soulèvement du peuple en faveur de Broussel a signifié pour beaucoup d’entre eux l’arrrivée des troupes royales donc un risque pour leur vie, pour leurs femmes et leurs filles, et pour leurs biens, même si ces troupes ne devaient pas marcher contre eux-mêmes. Et c’est pourquoi ils ont édifié des barricades. Richet, 1990, montre que la technique des barricades a été inventée en 1588 pour segmenter les sous-espaces urbains et les protéger de la population flottante et des gens sans aveu.

[116] Le Parlement donna, même avec gaieté, arrêt par lequel il étoit ordonné que très-humbles remontrances seroient faites à la Reine pour la supplier de ramener le Roi à Paris et de faire retirer les gens de guerre du voisinage que l'on prieroit les princes et ducs et pairs d'entrer au Parlement pour y délibérer sur les affaires nécessaires au bien de l'État, et que le provôt des marchands et échevins seroient mandés pour recevoir les ordres touchant la sûreté de la Ville. Le Premier Président qui parloit presque toujours avec vigueur pour les intérêts de sa compagnie, mais qui étoit dans le fond dans ceux de la cour, me dit.. "N'admirez-vous pas ces gens ici? Ils viennent de donner un arrêt qui peut très-bien produire la guerre civile et parce qu'ils n'y ont pas nommé le Cardinal, ..ils croient que la Reine leur en doit de reste" (Retz, OC2, p 73/74). En réponse, la Reine invite le Parlement à la rejoindre à Ruel et le Conseil donne un arrêt qui portoit cassation de celui du Parlement et défenses de délibérer sur la proposition de 1617 contre le ministère des étrangers (p 82).

[117] Retz, OC2, p 113: Ceux qui ont voulu croire qu'il [Condé] avoit voulu, dans les commencements, aigrir les affaires… pour se rendre plus nécessaire à la cour… font autant d'injustice et à sa vertu et à la vérité, qu'ils prétendent faire d'honneur à son habileté. Ceux qui croient que les petits intérêts, c'est-à-dire les intérêts de pension, de gouvernement, d'établissements, furent l'unique cause de son changement ne se trompent guères moins. La vue d'être l'arbitre du cabinet y entra assurément, mais elle ne l'eût pas emporté sur les autres considérations; et le véritable principe fut qu'ayant tout vu d'abord également, il ne sentit pas tout également. La gloire de restaurateur, du public fut sa première idée celle de conservateur de l'autorité royale fut la seconde.

[118] Moote, 1971, p 193: How could the parlement refurbish their old sophistries of the legalist revolt of the judges and adapt them to military defense of the reforms of 1648 ?...the parlement met the dilemma... the parlement made the distinction between loyalty to the Crown and obedience to the orders of king's agents... In January a solemn declaration charged the cardinal with usurping royal authority... p 196: the parlementaries were specially uncomfortable with comparisons between their 'legitimate' defense of Paris and the illegally constituted dictatorship of the ultra catholic Leaguers... they decid to organize the city's defense through the existing courts and other public authorities in the capital..representing the Crown... The Parlement's efforts to obscure the fact that it was at war with the monarch were complicated by the very different pressures from its noble allies... p 197: from the beginning the Parlement took every precaution to keep the nobles in a subordinate position... p 199: pressures to expand the defensive war into an offensive campaign were more difficult to overcome than the temptation to engage in treason...p 206: Repeatedly they refused to issue orders beyond their authority and brushed aside all requests to authorize an offensive war.

[119] Bénichou, 1948, p 84: Mazarin n'avait ni la naissance ni les prestige de Richelieu. L'image abhorée du mauvais conseiller se colorait en lui d'une teinte de bassesse et de roture dont son prédécesseur avait été exempt. Les scélérats de l'entourage royal, tels que les imaginait la noblesse, étaient de préférence des roturiers, des parvenus. Mazarin vint à point pour donner corps à cette idée traditionnelle.

Cf Corneille,  La mort de Pompée, 1644, IV, 2: ainsi que la naissance ils ont les esprits bas/ un cœur né pour servir sait mal comme on commande.

[120] Descimon, 1984, p 317: La spécificité de Condé réside dans la place qu'il occupe dans le système de l'Etat. La longue série des victoires, de Rocroy à Lens, fait de lui un chef «héroïque» célébré dans des poésies et des chansons. Ce qui transforme le 2 juillet 1652 — la déroute du faubourg Saint-Antoine — en victoire morale, ce n'est pas tant l'action de Mademoiselle que le spectacle offert par Condé aux Parisiens. Il apparaît couvert de poussière et de sang, la cuirasse cabossée, épuisé: il est soudain la figure palpable de ses «vertus héroïques» (ce qui n'est pas pour rien dans le « coup » du 4 juillet)... Et puis, Condé est un prince du sang. Il faut prendre garde à cela: prince du sang, c'est une position dans l'Etat. Une position de puissance, non pas comme archaïsme, nostalgie féodale, mais au cœur même de l'Etat absolutiste...p 318 Le geste de frapper un prince du sang est plus lourd de subversion que la sédition fomentée par ce prince. Condé est aussi l'Etat. Il reste l'Etat, même quand il est chef de parti. Si l'on voulait donner un nom à la politique condéenne, à ce mélange d' «héroisme» guerrier, de manipulation, d'enrégimentement du peuple, de calcul subtil, de pari sur la «fortune» et la «vertu», de prises d'armes, il faudrait peut-être l'appeler césarisme.

[121] Bénichou, 1948, p 75: L'honneur, dont Montesquieu fera le principe de tout état monarchique non corrompu par le despotisme, est fait à la fois, dans chaque sujet, de fidélité et de dignité, et ne consent à accorder la première que quand la seconde est sauve. Faute de satisfaire à cette exigence fondamentale, on légitime la rébellion. Bénichou, dans le chapitre "le drame politique dans Corneille", fait de Nicomède et d'Artamène (Grand Cyrus) la représentation rêvée d'une Fronde qui se terminerait dans la générosité (éviction des mauvais conseillers, pardon royal et gratifications): p 86 la situation ainsi créée par l'absolutisme est chez Corneille le point de départ du drame politique. Dans ce drame, la noblesse va s'attribuer, face à la tyrannie, le beau rôle d'une révolte légitime et salvatrice. Ce qui disculpe la noblesse de sa rébellion, ce sont les injustes traitements dont elle est l'objet.../car/ le défaut des rois est justement d'ignorer la reconnaissance...p 87 Le spectacle de Nicomède injustement persécuté fut donné en 1651 alors que "les princes" étaient encore en prison (id Grand Cyrus, 1649)...p 90 les grands du temps de la Fronde utilisaient le peuple pour se faire redouter de la cour...Nicomède et Laodice protègent, contre la foule qu'ils ont eux-mêmes déchainée, le couple royal...p 91 L'émeute du Cyrus ne finit pas autrement... Nicomède trace donc le tableau d'une Fronde imaginaire, d'une Fronde qui se serait terminée par la victoire et par l'élévation des princes /cf aussi Cinna/...p 92 la réconciliation se fait moyennant le dépouillement de la tyrannie pour la plus grande gloire de la vraie et bonne royauté... La pensée aristocratique confond l'espérance d'une constitution avec le souvenir des "anciennes lois".

Bénichou, p 78: On n'était pas d'un parti ; plus exactement, ce qu'on appelait parti n'était pas comme aujourd'hui un groupement aux frontières marquées...il y avait des intrigues de personnes et des clientèles privées, variables comme le jeu politique lui-même..de la cour à la rébellion, et, dans la rébellion, d'un clan à l'autre, poussés plus souvent par l'intérêt du moment que par des politiques suivies... p 79 la versatilité est parmi les caractères les plus généraux de l'époque....

Un autre éclairage de cette versatilité est apporté par Béguin, 2001. Elle note d'abord que la structuration des partis ne traduit pas mécaniquement celle des clientèles: dans une certaine mesure, elle relève d'une morale de l'action, une stratégie opportuniste qui, souvent, consiste à se rallier à un parti pour se faire racheter par l'autre ; p 44: En effet, ces «quatre années de guerre sans honneur pour personne», comme les désignait Lavisse, ont pu être regardées comme l'indice de l'éclipse durable, sinon définitive, des normes et des valeurs qui régissaient une «politique ancienne», dans laquelle la fidélité, l'amitié, l'honneur de la parole donnée prévalaient et expliquaient la vigueur des relations interpersonnelles. Je voudrais montrer que cette explication procède en grande partie d'une confusion, qui postule une continuité factice entre les réseaux durables de clients ou de fidèles forgés en dehors des guerres civiles et les partis qui se constituent à la faveur de celles-ci. Partant, elle méconnaît la dynamique de la crise politique comme le contexte plus général qui a préludé à son éclosion... p 48 En effet, les partis diffèrent des clientèles par un mode de structuration étranger à celles-ci. Ils sont cimentés par une multitude de promesses, de traités qui consignent par écrit les conditions de l'association, tandis que les liens du clientélisme sont par définition informels. Toutes ces conventions tendent à conjurer la probabilité de renoncements individuels...p 52 c'est une versatilité longtemps assimilée à une turbulence inconséquente et illogique qui retrouve une intentionnalité et une cohérence possibles à l'aide de ces schemes de pensée. En effet, l'opportunisme, pour être opérant et fructueux, exige une participation momentanée ou feinte à la rébellion: c'est elle qui fixe en quelque sorte le prix du ralliement ultérieur à Mazarin, qui rétribuait généreusement les défections...

A sa suite, Brière, 2008, note p 101: La puissance des grands étant proportionnelle à la quantité et à la qualité de leur clientèle, il est courant de voir que les dédommagements négociés lors de leur amnistie concernent également leurs clients. Les plus grands, notamment, souhaitent que le gouvernement indemnise leurs adhérents. Le cas est éloquent pour le duc d'Orléans. En effet, le Traité de Limours - l'amnistie du duc négociée et signée le 28 octobre 1652 - contient 26 articles, dont 14 concernent ses clients. Après s'être entendu sur l'avenir des troupes du duc et son gouvernement du Languedoc, le gouvernement accorde entre autres, le brevet de maréchal de camp en faveur du comte de Hollac pour un régiment allemand, la restitution du château d'Amboise au marquis de Sourdis, le rétablissement de Monsieur de Montbazon dans ses anciens gouvernements, comme pour le duc de Rohan dans son gouvernement d'Anjou et d'Angers, ainsi qu'un dédommagement de 90 000 livres à Louvière pour le gouvernement de La Bastille. Sept ans plus tard, en 1659, le Prince de Condé effectue des demandes semblables à la monarchie par le biais du plénipotentiaire espagnol Don Luis de Haro. Il souhaite que soient rétablis dans leurs charges tous ceux qui l'ont suivi. Puisque la plupart de ces charges ont dorénavant de nouveaux propriétaires, la Cour ne peut acquiescer à cette requête. Elle s'engage cependant à rétablir les adhérents du Prince dans leurs biens et leur promet des charges à leur retour en récompense de leurs futurs services... [en effet] p 112 pour qu'une réconciliation soit réussie, elle implique - grâce à l'amnistie - l'oubli des fautes commises par le révolté. Par conséquent, la monarchie doit veiller à ce que l'honneur de ses sujets de haute naissance soit conservé. Un grand, de retour à la cour et dans le royaume, jugeant sa dignité entachée, risque à nouveau de se révolter. C'est pourquoi, à l'été 1659, Mazarin fait tout en son pouvoir pour que le Prince de Condé retrouve tous ses honneurs dans le royaume...

[122] Descimon, 1984, donne une élégante formulation de cette distinction en strates (p 320): De 1648 à 1652, le mouvement général de la Fronde se résume à un processus d'englobement hiérarchique. Prise de parole, puis figuration, tel est le canevas des rôles contestataires. La voix des anciens révoltés est couverte par les nouveaux dont le statut social est supérieur. En janvier 1648, le signal des troubles est donné par la bourgeoisie traditionnelle. Mais quand le Parlement intégra les revendications de la Ville à son propre projet réformateur, la bourgoisie municipale fut condamnée au silence. Et quand les grands entrèrent dans le jeu, l'opposition parlementaire, à son tour, fut annihilée. Processus de délégation involontaire qui est le reflet politique de la structure sociale. (Doit-on rappeler qu'il est impossible d'isoler dans la Fronde une contestation vraiment populaire ? Le petit peuple peut se soulever pour ses revendications matérielles, mais il n'accède jamais immédiatement à l'autonomie du politique.) La logique du consensus absolutiste conduisit à l'englobement final de la Fronde par le roi. La parole du souverain majeur qualifie, toute ambiguïté cessante, la Fronde comme révolte. La récupération royaliste venait couronner la logique de la crise, elle réalisait paradoxalement la fusion des macro et micro-dynamiques frondeuses. Mazarin prend le risque d'instituer le roi en parti, et gagne.

[123] Constant, 1984, cherche à montrer l'existence d'un mouvement autonome de la petite noblesse mais celui-ci est localisé (autour de Paris) et limité. L'auteur ne convainc pas qu'on se trouve devant autre chose qu'une émotion de ceux que Deyon, 1964 qualifiaient de prolétariat noble.

p 342 Parler de « la troisième Fronde » pourrait paraître hérétique aux yeux des spécialistes habitués à entendre évoquer celle des Princes, la vieille Fronde, la nouvelle, voire l'union des deux. Pourtant la gentilhommerie essaya bien en 1651-52 de jouer sa carte de façon autonome sans plus de réussite d'ailleurs que les officiers ou la grande noblesse. On ne peut comprendre cependant l'établissement de la monarchie absolue, les structures mises en place par Louis XIV, leur triomphe et leur durée pendant presque cent cinquante ans si on n'a pas à l'esprit l'échec de la troisième Fronde qui fut une tentative pour construire en France un Etat nobiliaire…p 346 Un autre thème mobilisateur déjà apparu en 1651: la lutte contre les désordres des gens de guerre. Cette obligation de se défendre contre cette véritable gangrène qui rongeait les campagnes allait donner au mouvement son caractère original. Alors que l'assemblée de 1651 avait été parisienne et concernait surtout la noblesse seconde des barons et des marquis, le mouvement des bailliages unis de 1652 partit de la base…p 347 Partie de Beauce et du Perche, l'entreprise s'étendit progressivement au Vexin et à la Normandie…p 349 En réalité, la Cour avait été impressionnée par le mouvement nobiliaire. Elle était aux prises avec le parti condéen. En ce début de juillet 1652, Bordeaux comme Paris échappaient à son autorité. L'insurrection battait son plein dans la capitale… Mais la victoire de Mazarin sur les Princes eut lieu sans le secours de la noblesse. La Cour ne parla plus ni de Gisors, ni d'Etats généraux, ni d'assemblées de noblesse. La partie la plus militante fut très déçue et se tourna vers l'aile la plus radicale de la Fronde. Elle participa avec Ailly d'Annery et Jaucourt de Bonnesson à la révolte de 1658-59 [en Orléanais]…350 Le mouvement de 1652 ne put se développer que dans quelques provinces: l'Orléanais, le Vexin, le Valois, grâce à l'action du marquis de Sourdis et du baron d'Annery, la Normandie où Longueville régnait en maître… p 351 Ailleurs la noblesse ne rencontra pas pareille facilité… L'élément le plus neuf de cette période est sans doute l'éclosion un peu partout d'assemblées qui s'organisent et cherchent à imposer un nouveau cadre politique à la monarchie…p 352 Les princes ne concevaient d'assemblées de noblesse que pour appuyer leur action… p 352 En fait, la Noblesse portait en elle une contradiction qui l'empêchait de réaliser ses objectifs. Elle souhaitait, soit contrôler le gouvernement grâce aux Etats, soit bénéficier de la possibilité de réunir des assemblées de noblesse [à l’instar du clergé]…353 De plus, la majorité des gentilshommes demeurait fidèle à la vieille tradition capétienne du roi chef de guerre et de la noblesse, responsable en dernier ressort. En conséquence, ils ne souhaitaient pas de bouleversement. Ils cherchaient simplement à occuper des charges dans l'armée, l'administration ou l'Eglise.

Pour une approche élargie, cf. Constant, 2004.

[124] Golden Richard M., 1981, The Godly Rebellion. Parisian Cures and the Religious Fronde, 1652-1662, Chapel Hill. Cette "fronde" commencerait après l'arrestation et l'emprisonnement de Retz en décembre 1652 et se terminerait vers 1656/57. Que Retz s'appuie sur les curés jansénistes de Paris et sur la cabale des dévôts, inquiète Mazarin et le gouvernement, surtout après la conversion de Conti en 1655, son adhésion à la Cie du St Sacrement et sa tendance au jansénisme: Il avait cru s'attacher l'ancien frondeur en lui faisant épouser sa nièce, Anne-Marie Martinozzi; et soudain il voyait sa conquête lui échapper (Allier, 1902). Mais, malgré ses lettres et mandements (condamnés à être brûlés par le bourreau), Retz échoue à présenter son éviction de l'archevêché de Paris comme un cas intéressant les libertés gallicanes et l'assemblée du clergé de 1655/56 ne prend pas son parti.

[125] Moote, 1971, p 256 /l'arrestation de Condé/ based on vague charges of treasonous intentions gave Condé's noble followers a cause they had previously lacked... p 260 what is often described as a single rebellion was in fact several, loosely connected uprising, each of which had some Condean leadership, armies composed of petty nobles and their peasants, and at least tacit support from some judges, civic officials and townspeople... 261 royal efforts to aid the war effort by arbitrary recruitement, taxation and justice caused many sovereign courts and lesser corps to raise their own rebellions

[126] Moote, 1971, p 323: When Condé refused to seek peace..the Parlement was drawn into a quasi mazarin position in spite of itself. After hesitating for weeks to verify a royal declaration which condemned Condé as an 'ennemy of the state' the Parlement registered on dec 4, 1651... /it/ was precisely what Mazarin had been impatiently waiting for: après son bannissement par le Parlement, il peut se considérer rappelé pour combattre l'ennemi de l'Etat. Mais le Parlement ne le laisse pas faire et poursuit sa difficile via media: p 329 the parlement attempt to convince subjects that Mazarin's restoration was illegal caught the royal entourage by surprise (dec 29, 51)...p 330 the royal attempt to combine Molé's diplomatic language with a writen decree enunciating the king's express will [rappeler Mazarin] failed to halt the parlement's attacks on Mazarin; on the contrary it led it to draw up an elaborate apology for the decision of december 29...asserting that Mazarin had seized possession of Louis 14...  p 330 the parlement as a whole did not want civil war..and, as so often in the past, the specter of the 16th century League came back to haunt the Palace. Orléans and Condean nobles at parlementary debates pleaded in vain that union with the princes against Mazarin was very different from an antimonarchical, dictatorial league... p 343 [dans la 1ère moitié 1652] Condé & Orléans were rebuffed every time they renewed their calls for parlementary support and the parlement held out against constant terrorist attacks by mobs incited by Condé & Beaufort.

Après la brève dictature condéenne et le rump parlement qui la soutient par force, p 349 Mazarin's departure opened the way for serious negociations to end the civil war... by indicating their willingness to reach an accord with the administration, the parlement and other authorities at the capital ended the nobles' last hope of victory.

[127] Béguin (1989, Les Princes de Condé, rebelles, courtisans et mécènes) met l'accent sur la stratégie de réconciliation initiée par Henri après les troubles de la minorité de Louis XIII. L'alliance politique et familiale avec Richelieu permet à la maison de reconstituer et d'augmenter à la fois son patrimoine et son influence, notamment en récupérant les fidèles et les biens des Montmorency, puis une bonne partie de l'héritage du Cardinal. Le changement de règne posait deux problèmes: la méfiance de la reine-régente à l'égard d'alliés de Richelieu et l'avidité du nouveau ministre premier qui avait sa fortune à faire. Le vieux Prince Henri ne cesse de conseiller à Louis de ne pas s'opposer à la cour. Et, de fait, dans cette logique patrimoniale et opportuniste, il est difficile d'expliquer que le grand Condé en vienne à la rupture et à la rébellion qui le ruineront. Après sa pacification (1659), la reconstruction de sa fortune passera par son ralliement à la Cour que son fils (ventre à terre) poussera jusqu'à la flagornerie. 

L'intéressante analyse des réseaux et moyens de clientèle à laquelle se livre ici Béguin est centrée sur l' "entreprise Condé" et n'aborde la Fronde qu'indirectement. La logique patrimoniale est une dimension de l'action de Condé mais n'épuise pas l'explication.

[128] Béguin, 2000: La détérioration des relations du Grand Condé et de Mazarin illustre au plus haut point les tensions suscitées par les objectifs similaires et donc antinomiques des deux principaux héritiers de l'ère Richelieu. Le conflit insidieux, puis ouvert, qui les opposa avait pour objet principal la dévolution des charges et des gouvernements, mais aussi les alliances avec les familles aristocratiques susceptibles de conforter le crédit de l'un ou de l'autre au sein du royaume et auprès d'Anne d'Autriche...Bénéficiaires de l'ordre établi à la mort de Louis XIII, ils [les Condé] engageaient parents et alliés à collaborer à son maintien en contrepartie de charges et de pouvoirs que Mazarin ne pouvait toutefois accorder sans compromettre ses propres desseins. Cette rivalité a pris une importance cruciale au lendemain de la première fronde de 1648-1649... Le traité des Pyrénées (novembre 1659), dont les clauses secrètes prévoyaient la restitution des principales charges et dignités du Grand Condé atténua l'ampleur du processus de substitution, au terme de tractations significatives, destinées à ménager un modus vivendi entre les intérêts contradictoires du prince et du cardinal. Ce retour dérangea quelque peu le nouvel équilibre forgé à la faveur de la Fronde et du pragmatisme politique qui avait incité des familles illustres à entrer dans l'alliance de Mazarin pour prendre part à la curée des maisons évincées. Toutefois, c'est un royaume où les acteurs aristocratiques de la première fronde (à l'exception notable du cardinal de Retz) occupaient désormais des positions de premier plan qui fut légué au jeune Louis XIV. Ainsi, les secousses périodiques infligées aux familles en place incitent à considérer la suppression de la fonction de premier ministre comme une condition préalable à une stabilité recherchée par les possesseurs de charges.

Joly, 1653, p 229/30: On se plaint quelquesfois de ce que les Princes du sang prennent les armes, & s’allient ou se retirent auec les ennemis de l’Estat… Mais il faut aussi advouer qu’assez souvent les Ministres sont cause que ces personnes illustres lesquels ils haïssent tousiours, pour ce qu'ils sont autant d’obstacles à leur grandeur, se portent à ces extremitez fascheuses, leur faisans quelquesfois des querelles à plaisir, & les persecutans si fort, qu'ils sont contraints de se jetter eux-mesmes dans le precipice.

[129] Descimon, 1984, p 313: La «vertu» du parti, pour reprendre le vocabulaire de Talon, et son efficience — autrement dit sa vie — n'existent que par la position de son chef dans l'Etat. Ce chef accède à la parole en tant que force fonctionnelle de l'Etat-système, alors que seul l'éclatement de celui-ci le fait chef de parti. Noter que dans ce contexte, le symbolique est aussi une "force fonctionnelle".

[130] Deyon, 1964, p 345: Loin de notre esprit l'intention d'affirmer que le privilège fiscal n'existait plus dans les pays de taille réelle…Cependant, et c'est ce qu'à notre avis l'on oublie trop souvent, ils [les nobles] étaient contribuables et ressentirent probablement avec les autres contribuables l'augmentation du volume global des tailles et impositions directes. On devine déjà les conséquences possibles d'une telle évolution. D'Épernon, gouverneur de Guyenne, savait certainement à quoi s'en tenir, lorsqu'il écrivait le 25 mars 1649 à Séguier «La noblesse et principalement au pays où les tailles sont réelles, s'intéresse aux intérêts du peuple»…p 351 Constatons en tout cas qu'il existe au milieu du XVIIeme siècle une sorte de prolétariat noble, réserve d'hommes inépuisable pour tous les fauteurs de troubles… Une grande partie de la noblesse française éprouva ainsi le sentiment que la monarchie absolue en menaçant ses privilèges violait les lois fondamentales qui consacraient la condition des personnes...

[131] Cf. Retz, OC4, p 392 sq: L'on dit que l'on ne doit jamais combattre contre les principes; ceux de la peur se peuvent encore moins attaquer que tous les autres ils sont inabordables…Cette lettre du Roi à Monsieur lui fut apportée le 18 /octobre/ au soir; il m'envoya querir aussitôt, et il me dit que la conduite de la cour étoit incompréhensible qu'elle jouoit à perdre l'État, et qu'il ne tenoit à rien qu'il ne fermât les portes au Roi…il étoit dans un emportement inconcevable, et l'on eût dit, de la manière dont il parloit qu'il étoit à cheval, armé de toutes pièces et prêt à couvrir de sang et de carnage les campagnes de Saint-Denis et de Grenelle…Je ferai demain la guerre, reprit Monsieur d'un ton guerrier, et plus facilement que jamais…Le peuple n'est-il pas toujours à moi? reprit Monsieur. Oui, Monsieur, lui repartis-je. Monsieur le Prince /Condé/ ne reviendra-t-il pas si je le mande? ajouta-t-il. Je le crois, Monsieur, lui dis-je. L'armée d'Espagne ne s'avancera-t-elle pas si je le veux? continua-t-il. Toutes les apparences y sont, Monsieur, lui répliquai-je. Vous attendez, après cela, ou une grande résolution, ou du moins une grande délibération grande résolution, ou du moins une grande délibération: rien moins; et je ne vous saurois mieux expliquer l'issue de cette conférence, qu'en vous suppliant de vous ressouvenir de ce que vous avez vu quelquefois à la comédie italienne…

Voilà comme finit la conversation, Monsieur concluant que, bien qu'il fût très-fâcheux que le Roi vînt à Paris sans concert avec lui et sans une amnistie vérifiée au Parlement, il n'étoit toutefois pas de son devoir ni de sa réputation de s'y opposer, parce que personne ne pouvoit ignorer qu'il ne le pùt, si il le vouloit, et qu'ainsi tout le monde lui feroit justice, en reconnoissant qu'il n'y avoit que la considération et le repos de l'État qui l'obligeât à prendre une conduite qui, pour son particulier, lui devoit faire de la peine…

…Je m'étonnois bien plus que les ministres exposassent la personne du Roi au mécontentement, à la défiance et à la frayeur de Monsieur, aux craintes d'un parlement qui avoit sujet de croire que l'on le venoit étrangler, et au caprice d'un peuple qui avoit toujours de l'attachement pour des gens desquels le Cardinal étoit bien loin d'être assuré. L'événement a tellement justifié la conduite que la cour tint en cette occasion, qu'il est presque ridicule de la blâmer. J'estime /pourtant/ qu'elle fut imprudente, aveugle et téméraire au delà de ce que l'on en peut exprimer. Je ne dirai pas sur ce chef, comme sur l'autre, que je ne sais pas, je dirai que je sais, et de science certaine, que, si Monsieur eût voulu, la Reine et les sous-ministres eussent été ce jour-là séparés du Roi. Les courtisans se laissent toujours amuser aux acclamations du peuple, sans considérer qu'elles se font presque également pour tous ceux pour qui elles se font.

[132] ... un chacun étant assis Monsieur le Chancelier harangua, ensuite Monsieur Molé Garde des Sceaux & premier Président, après Monsieur le Chancelier commanda au Greffier de lire les Déclarations du Roy (Journal du Parlement, 1652, p 232/233).

Ces déclarations sont l'Edit du Roi portant amnistie générale de tout ce qui s’est fait à l’occasion des mouvements passés jusqu’à présent, la déclaration du Roi pour l’affermissement de la tranquillité publique et la déclaration du Roi pour le rétablissement du parlement en la ville de Paris plus un édit de vacations.

[133] Et d’autant que la plus grande partie des désordres remarqués ci-dessus, a procédé de la liberté que nos Officiers se sont donnés de s’intéresser dans les affaires des Princes & Grands de notre Royaume…nous défendons à tous nosdits Officiers de prendre soin ou direction des affaires desdits Princes & Grands de notre Royaume.

[134] Princes de Condé, de Conty, Duchesse de Longueville, Duc de la Rochefoucault, prince de Talmont & leurs adhérents & domestiques

[135] Denis Talon qui, son père étant trop malade, prend la plume à sa place pour finir ses Mémoires (Ed. Champollion, p 513): Après la lecture des lettres, M. le procureur général parla, et fit un discours assez sensé, mais en termes peu élégans; parla hautement du parlement de Pontoise. Le sens de son discours fut… que les rois étoient débiteurs de deux choses à leurs peuples, de la paix et de la justice; que le premier ne dépendoit pas d'eux… mais que la justice, les souverains la devoient à leurs peuples en toute rencontre; que cette vertu ne pouvoit souffrir violence, et que sitôt qu'elle se trouvoit dans l'oppression elle avoit recours à son centre, qui étoit le prince, de l'autorité duquel elle étoit émanée ; et fit ensuite la réduction et l'application à ce qui s'étoit passé dans Paris. L'on s'est étonné que M. le procureur général ayant à vivre dans le parlement, avoit voulu faire cette insulte à sa compagnie; et M. Le Tellier m'a dit qu'en cette occasion il avoit manqué de prudence, parce que lorsque l'accommodement se faisoit sous main, la seule chose que l'on desirât ce fut que M. le chancelier et M. le garde des sceaux dans leurs discours ne fissent point insulte à ceux qui étoient demeurés à Paris; ce qui leur fut accordé et exécuté: de sorte que lui qui étoit de la compagnie le devoit d'autant moins faire. Mais, quoi que l'on ait dit, je ne puis être convaincu que M. le procureur géneral, qui est un des plus déliés de la cour, ait fait une action de cette nature sans un ordre précis de ceux qui gouvernent.

[136] les sieurs Broussel, Viole, de Thou, Portail, Bitault, Fouquet de Croisy, Coulon, Machault, Fleury, Martineau & Genou.

[137] Pour Moote, il est exagéré d'en faire une crushing defeat du Parlement (Shennan: deprive it of all the hard-won gains of 1648 and 49). La restauration des droits du roi dans leur totalité était le but de son retour à Paris. Des négociations préalables ont eu lieu, des accords ont été faits sous main. Comme tant de fois, le Parlement se fait défendre de s'occuper des affaires d'Etat. En outre, le roi interdit aux parlementaires de se charger des affaires des Grands ; la compagnie n'est pas punie ni épurée en masse, comme le demandaient Le Tellier et d'Alligre, seules les têtes les plus symboliques de l'opposition (Broussel etc) sont bannies. Pas plus. Et, surtout, souligne Moote, la situation reste trop incertaine pour que le gouvernement puisse déjà répondre au double défi qu'était la grande ordonnance réformatrice d'octobre 1648 reprenant les articles des cours réunies: this was the strange and ambiguous legacy of a series of revolts which had ended in a royaliste revival, without giving the royal administration the sweeping victory so often described by historians (p 354). D'ailleurs, les dix années suivantes seront une quasi Fronde (Cheruel).

Moote, 1971: …Parlement refusing to admit that it was a rebel body...p 351 the lit of oct 22, 1652 has been described as a crushing defeat for the Parlement of Paris... but...the major concession by the judges [réunifiés avec Pontoise] was their registration of a declaration forbidding all parlementary interference with so called state affairs... this was an important gesture but in relation to the actual structure of the french government, which retained its confusion of powers and allowed the parlement to counter royal absolutism without breaking with it, the declaration had a hollow ring...p 354 significantly nothing was done at the lit to undo the reforms enacted four years earlier. That omission..indicated the limitations of the royal victory...this was the strange and ambiguous legacy of a series of revolts which had ended in a royal revival without giving the royal administration the sweeping victory so often described by historians...p 355 .../Louis 14/ did not eliminate the underlying confusion of powers .../and/ failed to provide a comprehensive theory capable of destroying the ideological basis of the permanent officers' evading...their obstructionnism was subdued, it was not eradicated. The absolutism of Louis 14 was in many respects a façade...p 357 the decade of 1652 to 61 was in reality a miniature Fronde involving strikes or threatened strikes by judges, lawyers, merchants, rentiers and peasants…p 363 after 1661, relations between the central administration and its officiers were less troubled but the counting of remonstrances is not an accurate way to measure officals' opposition since it overloocks their higly effective tactic of retreating to secondary and even tertiary defense and their equally successful substitution of the tactic of slowing down implementation of royal decisions in place of openly remonstrating against them...

Coveney, 1977, Introduction, p 41: It was however essentially a pragmatic absolutism which emerged under Louis 14...the "two monarchies" /late medieval et modern/ continued to exist after 1653 and indeed after 1661. The balance may have swung in the sovereign direction but the traditional constitution survived /"victory in defeat"/...p 42 the priority given to the maitres des requêtes in their 'enquête générale' /1664/ was in fact to construct an inventory of the political reliability of the ruling class...p 45 it is manifest that an ambiguous policy was pursued in the solution of the central problems confronting the monarchy in the mid 17th century: on the one hand, an abrupt, even brutal, assertion of royal sovereignty /institutional egotism/; on the other a pragmatic policy of wide accommodation within the political praticalities... p 54 /dans les années 1680/ it became clear that the crisis within the late-medieval constitution was over. The stability of the multiple constitution of the Ancient Regime was achieved..by a finer political appreciation on the part of the government of the limits within which the practice of absolutism was possible .

[138] Moote, 1971, p 12: the officers thought of themselves as royal representatives, or, more preciseley, an integral element of the 'Crown'..flexible double-edged weapon of offense and defense...p 13 the english commons lost control over the course of the revolution partly because it openly defied the king whose approval alone made its acts legal. That situation was prevented during the Fronde because the parlement knew how to employ the governemental confusion of powers, so that they could act independently of the monarch and still remain part of the Crown... p 123 as the summer of 48 approached...the situation had come about without a civil war, without even a categorical denial of royal absolutism by the Parlement. Try as she did, the regent could not come to grips with an opposition which cloaked its every act with the mantle of legalism...

[139] Knachel, 1967, p 48: In spite of the many indications that the english experience had left its mark on cardinal Mazarin and on Queen regent, it would be foolish to give it undue emphasis. English influence was but one of many elements which contributed to their picture of the Fronde and to the decisions they adopted. For all of their attitudes and their actions, there are explanations which can be offered free of connection with England…p 49 Fear of revolution tended to produce an undue sense of crisis with the french government and led to defensive reactions which were often excessive...

[140] Citons encore une fois Moote (1972, p 171): In England where the parliament broke with royal sovereignty while in the process of achieving basic reforms, that break irreparably damaged the english Parliament's raison d'être as an integral element of royal authority. Hence radical revolution in England swept aside Parliament along with Crown, leaving only the cromwellian military element to fill the vacuum.

[141] 3ème partie

 Houllemare, 2006: Considérer toute l’activité du Parlement comme une parole suppose de s’engager dans trois principales directions. Tout d’abord, il s’agit de réfléchir sur la nature de cette parole en utilisant une grille de lecture rhétorique, d’autant plus utile que la rhétorique est aussi un élément fondamental de la formation des juristes au XVIe siècle. Il faut aussi considérer le contexte de prononciation de chaque discours... Plutôt que de placer sa confiance dans les textes normatifs et de considérer le discours comme manipulatoire, il faut considérer que le langage est l’outil principal de la vie politique. Le discours et l’action sont indissociables /cf Pocock, Skinner/... Dans tous ces actes de langage, la rhétorique, l’art de convaincre par le discours, joue un rôle capital... De fait, lorsqu'on lit les Mémoires  de Talon, de Molé ou du Cardinal de Retz, on voit que les scènes publiques ne sont que des moments dans un processus de discussion/négociation permanent et souvent multilatéral.

[142] Toutefois, il n'existe aucun moyen de connaître le verbatim, le texte des discours tels qu'ils ont été prononcés. Le greffier n'a pas de magnétophone ! Lorsque les harangues figurent au registre, elles sont ce qu'il fallait qu'ils soient. Lorsqu'elles sont reproduites, souvent plusieurs années après, les témoins ou leur auteur les arrangent ou les adaptent. Cependant cette difficulté est mineure. Si, comme chacun, j'apprécie quelques phrases d'anthologie que j'aimerais avoir été prononcées, ce qui importe à mon analyse, c'est que le sens ne varie pas selon les versions.

[143] Ainsi, aux funérailles de Henri IV: La Cour de Parlement avec robbes rouges & bonnets carrez, & au milieu d’eux estoit porté le lict où estoit l'effigie du Roy par les Porteurs de sel, qui avoient des bourelets de velours noir en escharpe, és coins de l'effigie estoient six Presidens en robbe rouge, & les manteaux fourrez par dessus avec leurs mortiers, les gardes Escossoises les environnoient (Coulon Louis, 1645, Le trésor de l'histoire de France, p 172).

[144] Watner, 2005, p 83:  It probably never entered into the minds of any medieval thinkers that the concept “limited government” could be a contradiction in terms. Despite the arrestingly modern intonations of the more radical of the medieval consent theorists, medieval consent was always conditioned on the presupposition that some sort of authority must exist and that political rulership was natural to man.

Descimon, 1984, p 312: Dans ses développements sur ce qu'il appelle l' « Etat baroque », Ernst Kossmann [1954, La Fronde, Leyde] insiste avec bonheur sur la fonctionnalité des contradictions. Il appuie sa démonstration sur le célèbre discours d'Omer Talon, prononcé lors du lit de justice du 31 juillet 1648. L'avocat général présente l'Etat comme un système de forces en mouvement: "Ainsi l'économie générale de la nature consiste non seulement dans la différence mais dans la contradiction de ses principes, qui, travaillant incessamment pour se détruire, subsistent dans cette guerre domestique, en telle sorte que la désolation totale de l'univers et la destruction de nos corps particuliers ne peut arriver naturellement que lorsque l'un des éléments ou l'une des qualités ayant abattu et surmonté toutes les autres, cette vertu prédominante consommera son sujet par la force de son activité". Que la contradiction cesse, et l'un des éléments du système glissera, par hyperactivité, vers l'autodestruction, ruinant la stabilité du système tout entier. La contradiction est l'être du système.

[145] Tous les acteurs de la justice et les politiques (ce sont souvent les mêmes) adhèrent à ce paradigme et en usent, en gros et en détail: Selon les besoins de la cause, l’avocat d’une partie qui fonde ses prétentions sur une décision royale se fera le chantre d’une toute-puissance législative capable de déroger à la loi parce que telle est sa volonté, une volonté détachée de toute raison, à laquelle on ne peut demander «Cur ita facis ?». Cela est typique dans le cadre des litiges sur l’attribution d’un office. En revanche, pour écarter des lettres royales contestées, l’avocat invoquera une capacité législative royale limitée, encadrée par le devoir de légiférer pour la nécessité et l’utilité, qui seules fondent la possibilité de créer du droit nouveau (Petit-Renaud, 2000, p29/30).

[146] D'innombrables auteurs créditent généreusement Aristote et Polybe d'avoir "civilisé" la pensée politique des "médiévaux" en leur apportant les concepts dont ils manquaient pour devenir prémodernes (un étonnant court-circuit temporel !), notamment celui de "monarchie mixte" et de politeia, à partir de leurs premières traductions en latin, respectivement au XIIIe et fin XVe.

La critique interne (eg Terney, Blythe) montre les origines médiévales (voire early medieval) de concepts et théories politiques auxquels Aristote (et dans une moindre mesure Polybe) apporteront seulement leur autorité et des éléments de vocabulaire: de nouveaux habits pour une prospère tradition. Tierney 1995, p 5: as all serious historians now realize, most Early Modern ideas have their roots in the Middle Ages. Blythe, 1992, p 307: Still more did Protestants hesitate to use explicitly the theories of the devilish papists. Both did in fact resort to such unsavory authorities on occasion, but more typically they clothed their essentially medieval ideas of divided government and mixed constitutions in Polybian or ancient Aristotelian garb. Eventually this charade was forgotten... But developmentally the origin of all the major ideas of Early Modem mixed constitutionalism were indisputably medieval and Aristotelian. It is true, but perhaps too weak, to say, as I have, that the medieval tradition made the enthusiastic reception of Polybius possible — it might be better to say that Polybius added a few concepts and some vocabulary to a thriving tradition. It was only later that the framework of medieval mixed constitutionalism disappeared and the Polybian superstructure alone remained visible.

Une vieille, très vieille, construction indigène a su exploiter très librement le matériel biblique, patristique et romain sans utiliser –et sans avoir besoin– de l'exotisme de la cité grecque. Au reste, quand on voit la façon dont les "médiévaux" exploitent les autorités, on ne peut qu'être sceptique à l'égard de la révolution qu'aurait constitué la réception d'Aristote (dans la traduction fautive de Moerbeke): les médiévaux se servent des autorités (quelles qu'elles soient) comme de collections dans lesquels ils piquent des éléments pour les réassembler selon leurs besoins du moment. On peut généraliser ce propos d'Ullman 1955 à propos des premiers recueils de droit canon: The collections of the eleventh century are not so much collections of "canon law" in the strict meaning of the term as guide-books or handbooks of sources which contain in their totality the jus, the presupposition being that each individual text was based on justitia. D'où la conséquence (Tierney 1995, p 77):  It often happened that passages of Roman law that had been inert, lacking any real force in the Roman Empire itself, took on a new life and significance when they were reappropriated in the different society of medieval Europe.

[147] Lemaître Nicole, "Epilogue", in Barralis, 2014: Les hommes d’Église et les hommes d’État reçoivent en effet la même formation et sont issus des mêmes milieux de notables, y compris encore dans les collèges de Jésuites du XVIIe siècle. Clerc ou laïc, celui qui a un savoir a encore un pouvoir entre Moyen Âge et Révolution. D’où les interrogations actuelles des médiévistes et modernistes sur le rôle de l’université dans les réseaux personnels. Un rôle difficile à quantifier, car dès lors que le gradué est entré dans le système bénéficial ou la carrière des honneurs, les sources sont lacunaires et ne mentionnent pas toujours les grades, qui sont tout sauf la rente qu’ils deviendront plus tard. Les clercs partagent avec les laïcs une même culture juridique puis théologique, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, avant que les séminaires ne créent des phénomènes de génération proprement cléricaux entre la fin du XVIIe et surtout la fin du XVIIIe siècle…

[148] Doucet, 1921, p 51/52: Il est vrai que ces familles ne limitaient pas leur ambition au Parlement et qu'il serait inexact de les qualifier strictement de parlementaires. Leurs membres recherchaient également tous les offices de quelque importance… Ce sont d'ailleurs ces mêmes familles que nous retrouvons dans les hauts emplois financiers, comme trésoriers, receveurs généraux ou généraux des finances… nous ne pouvons pas distinguer une aristocratie judiciaire distincte de l'aristocratie financière dans cette élite de l'administration royale qui ne constituait qu'un seul groupe d'administrateurs, d'hommes de loi et de financiers agissant, se contrôlant et se jugeant réciproquement...

[149] Le conseil du roi et le Parlement de Paris partagent la même tête, le Chancelier parlant pour le roi, et, dans une certaine mesure, les mêmes membres: pour les jeunes maîtres des requêtes, le Conseil est une propédeutique où se forment les futurs conseillers du Parlement dont certains sont membres des deux institutions.

[150] Houllemarre, 2007, p 95: Toute une tradition historiographique insiste sur cette opposition récurrente du Parlement au roi, par le biais de cette procédure [enregistrement], notamment à l'occasion de la Fronde ou au XVIIIe siècle. Pour le XVIe siècle, le débat autour des lits de justice a donné l'impression, par extension, que ce rôle d'opposition définissait l'essentiel de la fonction politique du Parlement. Ceci est particulièrement net sous le règne de François Ier... p 96: … Menaces et reproches ne sont donc qu'un temps de l'échange langagier qui se termine par un apaisement et des concessions réciproques. À ce titre, il s'agit d'un moment de négociation discursive entre des acteurs interdépendants...p 97: Ce rappel à l'ordre royal ne signifie pas que ces échanges langagiers glosent ou illustrent un affrontement politique entre un roi autoritaire et un Parlement qui abuse de sa position: ils définissent les positions respectives des protagonistes dans l'État... p 99: Une large partie des relations entre roi et Parlement reste cependant hors du regard du public. Le dialogue formel se double d'un dialogue informel, au moins aussi fréquent, qui se fait individuellement, par des intermédiaires ou des acteurs privilégiés, et qui concerne toutes sortes de décisions royales… p 105: Les formes publiques du dialogue politique doivent être replacées dans un ensemble de relations moins formalisées et souvent plus personnelles. Ces dernières, malheureusement, sont peu documentées dans les archives...

[151] Maugis, 1913, T1, p 1:  Le Parlement, quand il résume lui-même, au XVIe siècle, ou par la bouche de ses chefs les plus illustres, les principales circonstances de son histoire, fait toujours partir du règne de Philippe VI et des grandes ordonnances de 1343 et 1345 l'achèvement de sa constitution en corps homogène et permanent, à effectif fixe, réparti en sections régulières... C'est aussi le temps où se pose, par une conséquence toute naturelle, la question des garanties de sa permanence et de son recrutement. Il ne saurait y avoir de corps véritablement permanent qui émane uniquement du choix du prince et ne soit assuré de lui survivre. Le problème est doublement grave quand il s'agit d'un corps qui se conçoit comme l'interprète suprême de la puissance souveraine, non pas tant du prince qui passe que du principe qui demeure. Il est aussi de ceux qui ne comportent pas de solution radicale, la pleine indépendance du corps finissant par détruire la souveraineté du prince et la vertu même du principe qui ne saurait subsister que par lui, comme l'autorité sans limites d'un homme ruine et avilit la dignité de la corporation qui parle en son nom. Il n'y avait place, dans ce règlement délicat, que pour des compromis.

[152] Langlois, 1890, p 111: Jamais les attributions respectives des cours souveraines [Parlement, Chambres des comptes, Conseil] ne furent nettement distinguées, parce que la capacité juridique de chacune d'elles, restreinte par l'usage, resta virtuellement illimitée... Ce fameux droit d'enregistrement des ordonnances royales, dont le Parlement fit plus tard tant d'étalage, n'a pas d'autre source que la persistance du mélange des fonctions de justice et de gouvernement.

[153] Ou, encore plus net: iteratis vicibus facto de expresso mandato regis. Et même une fois: Lecta, publicata et registrata ad onus et absque prejudicio oppositionum, de expresso mandato domini nostri regis, pluribus et reiteratis vicibus, tam per litteras missivas quam per nuncios facto (Maugis). Le roi tente alors parfois d'interdire ou de faire biffer cette mention dévalorisante. Le Parlement (ou, à défaut, le greffier, comme de sa propre initiative) ajoute quelque chose comme "biffé par la volonté expresse du roi". Les raffinements spécieux sont innombrables. Dans certains cas, il enregistre par provision, en attendant que le roi mieux informé annule ou modifie. Dans les circonstances les plus graves où la pression est extrême, il enregistre sans commentaires mais il "oublie" de publier, fait constater par plusieurs notaires qu'il a cédé à la force et, pour se souvenir du cas quand les circonstances seront plus favorables, note l'affaire in mente curie, dans le registre secret qui est caché à l'extérieur du Parlement et auquel le gouvernement n'a pas accès.

[154] Cf. la série de ces interdictions pour toujours citée en référence dans l'Edit de St Germain (février 1641), EDIT qui défend aux parlemens et autres cours de justice de prendre à l'avenir connaissance des affaires d'état et d'administration, et qui supprime plusieurs charges de conseillers au parlement de Paris (texte dans Isambert, Tome XVI, N°342, p 529 sq, ed. 1829):

...À ces causes, après avoir vu divers réglemens faits par les rois nos précédesseurs et par nous sur le fait de la juridiction et pouvoir de nos cours de parlement, et premièrement ce qui a été ordonné par le roi Jean, qu'il ne seroit traité d'aucune matière d'état en nosdites cours de parlement, si ce n'est par commission spéciale, et qu'elles auroient seulement la cognoissance en fait de la justice ;

Les lettres-patentes en forme de déclaration du roi François Ier, registrées en notre cour de parlement de Paris, par lesquelles il défend à ladite cour de s'entremettre en quelque façon que ce soit du fait de l'état ny d'autre chose que de la justice...

Arrêt du conseil d'estat, le roi Charles IXe, séant en icelui,...avec défenses à l'avenir de mettre en dispute ni autrement délibérer sur les édits et ordonnances qui leur seront envoyées, choses qui appartiendront à l'estat

Arrêt donné en nostre conseil, [faisant] défenses à notredite cour de s'entremettre des affaires d'estat, sinon lorsqu'il leur sera commandé...

Arrêt donné en notre conseil,[faisant] défenses à la cour de s'entremettre ni prendre connoissance à l'avenir des affaires de l'état et gouvernement, sinon lorsqu'ils en auront reçu exprès commandement.

Arrêt de nostre conseil...

[155] Les recueils de droit du XIIIe siècle sont bon à citer (ci-dessous) mais ils n'ont pas inventé une loi constitutionnelle nouvelle. Comme le montre la référence à la toute-puissance divine, le thème est ancien et consubstantiel à l'idée monarchique.

Li prince n'est pas su la loi mes la loi est sus le Prince (Livre de Justice et de Plet, I, 2, §3), entre 1260 et 1270. Rex est sub Deo et Lege (Bracton à peu près au même moment).

Cf. Harding, 2001, p 145, à propos de Bracton: The king has no equal within his realm... The king must not be under man but 'under God and under the law, because law makes the king’. Since no writ runs against the king, he can only be petitioned for remedy against his own justices, and 'if he does not it is punishment enough for him that he awaits God’s vengeance'… p 146 an injurious grant may be referred to the king for amendment in his court, where, 'if he is without bridle, that is without law', the earls and barons 'ought to put the bridle on him'…in the tractate ‘Of Actions’... again the king is seen to need a 'bridle': although the law is formally what 'pleases the prince', it has to be 'rightly decided with the counsel of his magnates, deliberation and consultation having been had thereon'.

Jean de Salisbury, 1159, Policraticus, Bk III, Ch 15: although there are many forms of high treason, none of them is so serious as that which is executed against the body of justice itself. Tyranny is, therefore, not only a public crime, but, if this can happen, it is more than public. For if all prosecutors may be allowed in the case of high treason, how much more are they allowed when there is oppression of laws which should themselves command emperors ? Surely no one will avenge a public enemy, and whoever does not prosecute him transgresses against himself and against the whole body of the earthly republic (Ed. Cambridge UP, 1990, p 25).

Le "droit de résistance" à un gouvernant impie ou despotique se heurte à la sacralité de l'oint. D'où le rôle de l'Eglise pour l'annuler. Cf. Kern, 1914, p 116: There was one circumstance, however, which decided that in the early Middle Ages, the idea of absolute sovereignty found less support than that of the monarch's responsibility... The weakness of such a position was that it had the Church against it, and the Church surely knew better than its opponents what Christian duty was... It was precisely to express this distinction between the untouchable office and the fallible person of the ruler that the theory of tyranny was devised. If the unworthy monarch were ipso facto no longer ruler, who dare forbid the Church to declare this fact authoritatively ?

[156] La plenitudo potestatis, la plénipotence, n’est pas le pouvoir absolu mais, dans un cadre de délégation (de Dieu au pape ou au roi, du roi à l'ambassadeur, d'une assemblée à son député etc), le pouvoir du proctor de faire tout ce que le dominus peut faire (he could do everything that the dominus himself could do), et donc de ne pas faire ce que le mandant ne ferait pas ou qui lui nuirait, ce qui ouvre sur une casuistique sans limite. Post, 1943, p 359: but, as Azo says, the procurator of Caesar [Dig. 1.19] can only administer — he cannot alienate to the Caesar's injury. This idea was transferred by Bartolus and Baldus to the ordinary proctor. Thus, once more, if the proctor had libera administratio or plena potesta, he should not act in such a way as to damage his dominus…

[157] A l'appui de la distinction entre affrontement dans et hors le jeu, je ne résiste pas à citer Jansenius (ce Mars gallicus de 1635 qui vaudra à son ami Duvergier de Hauranne la vindicte de Richelieu). Prendre les armes contre le roi pour défendre ses intérêts particuliers est une banalité, tandis que les prendre en haine du roi serait le plus grand crime (p 204): Car il y a certains degrés au crime de rébellion, comme en celui de lèse Majesté. Le plus haut & le pire de tous, c'est quand on prend les armes, non pour quelque intérêt particulier, comme il arrive assez souvent, après quoi on retourne à l'obéissance qu'on doit à son Prince: mais pour une haine générale qu'on a contre lui, & par une si grande aversion de tout ce qui regarde son service que le seul nom de Monarchie passe pour horrible, & la fidélité qu'on lui doit, & qu'on lui veut rendre, pour un crime de sédition.

[158] On s'est fourvoyé, écrit Langlois, 1890, p 82, toutes les fois qu'on a essayé d'accrocher, comme à autant de clous, l'histoire de la Curia regis des capétiens directs aux textes dépareillés qui sont tombés sous la main. Cf. les classiques: Maugis, Aubert, Doucet. Et nos contemporains: Shennan, Daubresse...

[159] La fonction légitimatrice du Parlement est attestée par les efforts, parfois violents, des antagonistes pour obtenir sa caution. Ainsi, après la mort de Louis XI, pendant la minorité de Charles VIII, le duc d'Orléans, qui devint plus tard Louis XII, mécontent de n'avoir pas obtenu la régence, se rendit au Parlement, accompagné de plusieurs gentilshommes, le 17 janvier 1484, et fit présenter, par son chancelier, des remontrances au sujet de la mauvaise administration du royaume par Anne de Beaujeu (Glasson, 1901, p 10). Le Parlement, peu désireux d'entrer dans cette querelle, se défausse en invoquant son incompétence. Lui qui est et sera si souvent accusé de s'occuper indument des affaires de l'Etat et de vouloir mettre le roi en tutelle, fait le modeste: il n'est fait que pour la justice ! Isambert, 1827, Recueil général des anciennes lois françaises, T11, p 122/123: Par monsieur le Premier Président [Denys Lemercier] a été dit que le bien du royaume consiste en la paix du roy et de son peuple qui ne peut être sans l’union des membres dont les grands princes sont les principaux… Et quant à la cour, elle est instituée par le roy pour administrer justice, et n'ont point ceux de la cour l'administration de guerre, de finances, ni du faict et gouvernement du roy, ni des grands princes; et sont Messieurs de la cour du Parlement gens élevez et lettrez pour vacquer et entendre au faict de la justice, et quand il plairoit au roy leur commander plus avant, la cour luy obéiroit ; car elle a seulement l'oeil et regard au roy qui en est le chef et sous lequel est ; et par ainsi venir faire ses remontrances à la cour et faire autres exploits sans le bon plaisir et exprès consentement du roy ne se doit pas faire.

[160] Louis XII, dès son accession au trône, confirme les membres du Parlement et proclame son amour de la Justice (ciment du royaume), amour qu'il pousse si loin qu'il en veut une qui lui appartienne en propre ! Il réalise le projet de Charles VIII d'établir son Grand Conseil comme cour suprême particulière pour passer par dessus le Parlement autant que de besoin (lettre de Juillet 1498 confirmant l'institution du Grand Conseil, Isambert, T11, p 296 sq). Les protestations du Parlement conduisent le Roi  à lui accorder la préséance sur le Conseil et à décider que ses membres y auront l'entrée (déclaration du13 Juin 1499).

[161] C'est le cas avec le Concordat de Bologne de 1516. Cet accord entre François Ier et le pape annule la pragmatique sanction de Bourges dans laquelle le Parlement (et le pape) voient la charte de la liberté de l'Eglise gallicane. Le roi, pour s'allier au pape dansd les guerres d'Italie, lui fait cette concession (triomphalement proclamée par le 5ème concile de Latran). On peut y voir une victoire du "gallicanisme régalien" sur le "gallicanisme ecclésiastique". Désormais, le roi et le pape se partagent la collation des bénéfices qui ne se fait plus par l'élection canoniale (laquelle n'était souvent qu'un faux-semblant). Le Parlement s'était déjà opposé à Louis XI lorsque, pour amadouer le pape, il avait (temporairement) dénoncé la Pragmatique. Celle-ci tient à cœur au Parlement et à l'Université. Le pape, méfiant à l'égard du roi, a requis l'enregistrement du concordat dans les six mois. Le Parlement refuse longtemps et, forcé de céder, trouve une échappatoire: le concordat n'est qu'un contrat privé entre le roi et le pape, entre monsieur François et monsieur Léon ; le Parlement, pour sa part, continuera à juger les contentieux bénéficiaux selon la Pragmatique.

[162] Par exemple, aux états généraux de 1614, la noblesse demande la suppression de l'hérédité des offices et, même, leur suppression des offices par remboursement des charges. Elle souhaite remettre les offices sur le marché des faveurs afin d'en avoir sa "juste part". Le tiers lui fait la réponse du berger à la bergère: il accepte la suppression de la Paulette à condition que le manque à gagner subséquent pour le Trésor soit compensé par une réduction du même montant des pensions payées aux nobles.... Rien ne se fait !

[163] Pagès, 1932, p 25…En favorisant la création, non seulement d'offices nouveaux, mais aussi de nouveaux officiers dans chaque office, la vénalité tend à renforcer la tendance à l'exercice collectif des offices, à la collégialité. Désormais, il n'est plus guère d'office qui soit exercé par un individu ; presque tous le sont par un collège, par une « compagnie ». On répète volontiers le dicton: « Officiers sont bêtes de compagnie. » Or la collégialité dilue la responsabilité ; elle accroît l'indépendance ; elle rend moins forte la prise du gouvernement central — du Conseil — sur les officiers locaux. Elle favorise en même temps l'esprit de corps…

[164] Doucet, 1926, p 33: Comme le Parlement hésitait à agir seul, il créa dans son voisinage un organisme dans lequel il associait à son action la Chambre des Comptes, le clergé, la municipalité et les habitants de Paris. Ce fut la Chambre du Conseil ou l'Assemblée de la salle verte... p 41: le Parlement lui-même se trouvait placé au dessus de la population parisienne comme dépositaire de l'autorité royale. L'Assemblée devait donc lui servir à exercer cette autorité sur la municipalité, la Chambre des Comptes et les officiers royaux. Tel était le principe posé par le Parlement dès le 10 mars...p 51: En définitive, au milieu de cette confusion (régente à Lyon, conseil divisé, gouverneur absent ou incapable), il n'existait qu'un seul organisme pourvu de l'autorité nécessaire pour imposer une direction: c'était le Parlement... p 51/52: Dès le 7 mars, en même temps qu'on se préoccupait d'organiser l'Assemblée de la salle verte, le Parlement prit hâtivement les mesures les plus urgentes… p 53: A Paris, c'était non seulement la défense mais toute l'administration municipale qu'il fallait diriger pour éviter les pillages et l'agitation populaire (guet, portes, mendiants, alimentation, étrangers, remparts, bandes armées pillardes, ennemis aux frontières, troupes non payées et non avitaillées)… p 92: Aux rivalités des gouverneurs, à l'intransigeance de la municipalité parisienne, le Parlement avait presque imposé une discipline et l'Assemblée de la salle verte, qui réunissait, sous la direction du Parlement, toutes les autorités de la capitale, devant laquelle comparaissaient les gouverneurs et les envoyés de la régente, manifestait aux yeux de tous le prestige de la Cour… p 94: Le Parlement n'ignorait pas que, malgré ses précautions, il s'était gravement compromis... " toutes foiz, si le faut-il faire".

[165] Cependant les personnes ne sont pas du même type.

Premièrement: les couples roi/mère diffèrent. François Ier est en pleine possession de ses moyens, sa mère, Louis de Savoie, a été régente temporaire et ne tient sa puissance que de la complaisance du roi. Le petit Quatorze, mineur impuissant au début des événements, est représenté par sa mère qui a, sur l'outsider Louise, l'avantage et l'inconvénient d'être la veuve du roi-père, devenue régente à son décès par un coup de force du Parlement.

Deuxièmement: le ministre n'est plus le Chancelier mais le favori, Mazarin, de sorte que le contentieux se focalisera sur lui et sur les étrangers. Duprat aussi était une espèce de favori mais, lui, sortait d'Auvergne, et du Parlement dont il avait été Premier Président, alors que Mazarin vient de nulle part et incarne, en pire, la continuité de Richelieu.

[166] Outre le combat continuel contre les évocations, citons: la succession d'Armagnac (1515) ; le Concordat (1517/18) ; la création par le roi d'une multitude d'offices contre argent (1518/22) ; la succession Bourbon revendiquée par Louise de Savoie et la trahison corrélative du connétable (1523/24) ; l'enregistrement de l'ordonnance de Villers-Cotteret (1539). Par contre, le Parlement joue de bon cœur le jeu du roi pour le soustraire aux obligations du traité de Madrid.

[167] Louis de Berquin, traducteur d'Erasme, de Luther et de Hutten, n'est pas l'objectif principal du Parlement ultracatholique mais l'Ecole de Meaux (Briçonnet, Lefèvre etc) est trop protégée par la cour pour l'attaquer directement. Le Parlement et la Sorbonne d'une part, le roi d'autre part, se disputent Berquin. En mai 1523, il est perquisitionné sur ordre du Parlement et ses livres soumis pour examen à la Sorbonne qui procède, malgré les interventions du roi, et rend sa sentence le 26 juin, déclarant tous les écrits de Berquin  impies et contaminés par l'hérésie luthérienne.

Doucet 1921, T1, p 339: La Faculté avait devancé le roi: celui-ci après avoir autorisé l'examen des livres de Berquin et déclaré qu'il n'entendait protéger aucun hérétique, écrivait le 24 juin pour défendre de procéder à cet examen, dont le chancelier et plusieurs autres seraient chargés, mais, lorsque la lettre fut présentée, la procédure était terminée et il ne restait plus qu'à la transmettre au Parlement avec les livres saisis.

Le 1 août, le Parlement le fait enfermer à la Tour Carrée, malgré les efforts du roi pour le transférer au Louvre "à cause de sa santé". Par lettres patentes du 5 août 1523, le roi soustrait Berquin au Parlement en évocant l'affaire au Grand Conseil. Mais le Parlement a déjà livré Berquin à l'évêque: Ces lettres [d'évocation] étaient apportées à la Cour par le capitaine Frédéric, le 8 août, au moment même où Berquin venait d'être livré à l'évêque. Finalement, Berquin est exfiltré par le roi. Après Pavie, dans ses Remontrances du 10 avril 1525, le Parlement constate les progrès de l'hérésie, déplore la protection qui couvre les plus notoires et rappelle  le cas de Berquin, tiré des prisons par puissance extraordinaire et absolue.

En 1528, la profanation d'une statue de la Vierge rue des Rosiers (4 juin) et l'affichage des placards indignent l'opinion et le roi lui-même. Le Parlement repart en guerre contre le malheureux Berquin, le condamne rapidement (16 avril 1529) et le fait exécuter encore plus vite avant que le roi revienne à Paris:  la Grand'Chambre hâta l'affaire – jugé à dix heures, condamné à mort, Berquin était exécuté à midi (Aubert 1908).

[168] Maugis, 1913, T1, p567sq en donne une narration qui, à son habitude, est peu favorable au Parlement: A St Benoît comme à Sens, un fort parti de moines et de chanoines, avait, avec l'appui de la Cour [du Parlement], procédé à une double élection, tandis que la régente instituait, de son côté, Duprat en personne... Enhardie sans doute par la réponse faite à ses remontrances, la Cour, passant outre à l'évocation, avait décerné mandat d'exécution pour faire mettre hors de Saint-Benoît, les gens du chancelier et installer, à leur place, ceux de l'évêque de Paris canoniquement élu. La chose n'avait pas été sans violence, ni scandale; il y avait même eu mort d'homme… La régente s'était montrée encore assez réservée, en déclarant qu'elle retirait les procès et différends de Sens et de Saint-Benoît au Grand Conseil, aussi bien qu'à la Cour, « ne voulant qu'ils entrassent en querelle ». Elle avait, pour en connaître et décider, de bons et notables personnages...

[mais]…arrivaient, coup sur coup, la notification de la cassation des arrêts au Grand Conseil et de la proclamation qui en était faite, à Paris et Orléans… La Cour ainsi provoquée, aiguillonnée d'ailleurs par son propre parquet, par les Chambres des Enquêtes qui réclament, chaque jour, l'assemblée plénière pour y faire entendre leurs remontrances particulières, confirme ses arrêts, en décrète derechef l'exécution, fait défense aux parties, comme à ses officiers mis en cause, de se pourvoir ou de comparaître ailleurs que devant elle. Le 27 juillet, enfin, prenant ouvertement le chancelier à  partie, elle décide d'écrire derechef à, la régente de le renvoyer à, Paris, "parce qu'il y a lieu de conférer avec lui d'aucunes matières touchant grandement le bien du roi et de la chose publique".

…Loin de songer à céder, on soulève, au même instant, une nouvelle querelle, l'acceptation de l'appel des religieux de Saint Euvertre d'Orléans contre l'évocation de l'élection de leur abbé, en dépit des défenses formelles de la régente. Défenses supposées et sans valeur, dit-on, qui ne peuvent émaner de son vouloir !… Une nouvelle procédure s'engage donc à Orléans, par-dessus la première, marquée par les mêmes péripéties, – exploits en sens contraires des exécuteurs d'arrêts contradictoires de la Cour et du Grand Conseil: bailli d'un côté, lieutenant général de l'autre, huissiers contre huissiers, décrets de prise de corps, etc.

…Ce ne sont encore là que rébellions et insolences de robins vaniteux et infatués. L'énorme, l'invraisemblable prétention, c'est d'en appeler aux Grands contre le ministre, de convoquer la Cour des Pairs contre la régente et son gouvernement… [le 5 septembre], la Cour décrète les résolutions suivantes: "L'on écrira, au duc de Vendôme et à son frère le cardinal, Pairs de France, au comte de Saint-Pol et au Sire de Lautrec, de présent à Lyon, pour obtenir, par leur crédit, la révocation de toutes ces entreprises; enfin, à tous les Pairs de France, pour les prier de venir à Paris, à la Saint-Martin, conférer avec la Cour des choses concernant le bien du roi, de la justice et des sujets. Que si le chancelier ne se présente, dedans le 15 novembre, il sera ajourné à comparoir en personne".

[169] Le conflit de juridiction traduisait et réveillait le refus obstiné du Parlement d'accepter l'abrogation de la Pragmatique Sanction de Bourges et le Concordat de 1516 dont le roi était si fier. Tandis que le Concordat supprimait les élections canoniales et partageait les nominations entre le pape et le roi, le Parlement persistait à juger d'après la Pragmatique: il tenait donc pour les élus de Sens et St Benoît contre le nommé qui se trouvait être le puissant Chancelier.

[170] Doucet, 1926, T2, p 226: ...le jugement, rendu le 10 décembre sous forme de lettres patentes délibérées au Conseil, déclarait l'intervention du Parlement à Saint-Benoît illégale comme contraire à l'édit de Louis XII et aux évocations ordonnées par la régente. On insistait sur les conséquences politiques de cette résistance, sur cet appel à la rébellion adressé à certains esprits mal intentionnés, sur cet encouragement donné aux ennemis du loi au moment où celui-ci négociait avec eux. En conséquence, toutes les décisions du Parlement étaient annulées.

[171] On parle souvent de l'asservissement du Parlement sous Richelieu. Il n'est pas pis que sous François Ier. La déclaration du roi du 21 février est tout aussi catégorique et tout aussi vaine que celle de François. Richelieu meurt l'année suivante. Puis le roi (13 mai 43). Et aussitôt, le 18 mai, le Parlement attribue la plénitude de la régence à la reine, contrairement à la volonté du roi, pourtant clairement exprimée (et dument enregistrée).

[172] Doucet, 1926, T2, p 246: par l'article XXVII du traité de Madrid, il [François I] s'était engagé à restituer au duc de Bourbon tous ses domaines et à le considérer lui-même comme dégagé de tout lien de vassalité envers la couronne, ce qui devait mettre fin à toutes les procédures (mai 1527, prise et sac de Rome par l'armée de Charles Quint et  mort de Bourbon)... Le 10 juillet 1627, le procès était repris au Parlement sur la requête du procureur général…p 249 Le 26 juillet, le roi venait présider au Parlement une assemblée de la Cour des pairs… p 250 Il ne restait plus qu'à rédiger l'arrêt pour la lecture duquel une seconde réunion eut lieu le 27 juillet.

[173] Godefroy, T2, p 463/4: Le Roy estoit en son Siège & Trône Royal, au Parquet de Parlement, tenant son Lict de Iustice: Pour monter auquel y avoit sept degrez, couverts d'un tapis de veloux bleu, semé de fleurs de lys d'or en façon de broderie, & au dessus un ciel de mesme. Et a l’entour derrière ledit sieur, & sous ses pieds, y avoit quatre grands carreaux de mesme. Au costé dextre du Roy, aux hauts sièges dudit parquet, estoient le Roy de Navarre, Chevalier de l'Ordre, soy disant Pair de France... Le Duc de Vendosmois, Chevalier de l'Ordre, Pair de France, ... Le Comte de Sainct Paul, Chevalier de l'Ordre, Lieutenant Général & Gouverneur du Dauphiné... Le Comte de Guise, Chevalier  de l'Ordre, Lieutenant General,& Gouverneur de Champagne & Brie... Messire Anne de Montmorency, Chevalier de l'Ordre Grand Maistre, & Marechal de France, & Gouverneur de Languedoc. Messire Galiot de Genouillac, Chevalier de l'Ordre, Grand Escuyer, Maistre de l'Artillerie de France, & Seneschal d'Armagnac. Messire Robert Stuart, Chevalier de l'Ordre, Capitaine de cent Lances des Ordonnances, & de la Garde Ecossoise du Corps du Roy. Au costé senestre du Roy, aux hauts sièges dudit parquet, estoient: Le Cardinal de Bourbon, Evesque & Duc de Laon, Pair de France ; L'Evesque & Duc de Langres, Pair de France ; L'Evesque & Comte de Noyon, Pair de France ; L'Archevesque de Bourges, Primat d'Aquitaine & soy-disant Primat des Gaules , & l'Evesque de Lisieux. Aux pieds du Roy estoient, Le Duc de Longueville Grand Chambellan de France... Messire Louys de Brezé, Chevalier de l'Ordre, ...Gouverneur, & grand Seneschal de Normandie & premier Chambellan,... Messire lean de la Barre Chevalier, .., Prevost de Paris.

[174] Cf. les recueils utiles et nécessaires à tous ceux qui parlent en public collationnés par Gilbault Laurent: 1654, Trésor des Harangues, Remonstrances et oraisons funèbres, Paris, ch. Michel Bobin ; 1660, Trésor des Harangues et des remonstrances faites aux ouvertures du Parlement, Paris, ch. Nicolas Le Gras ; 1685,  Tome 1 Le Tresor Des Harangues, Faites Aux Entrées Des Rois, Reines, Princes, Princesses & autres personnes de Condition, Tome 2 Trésor des Harangues et des remonstrances faites aux ouvertures du Parlement, Paris ch. Michel Bobin.

[175] Maugis, ne pardonnant pas au Parlement de ne pas être les Etats Généraux de 1789, l'assassine: plus de paroles, que de courage; c'est la règle ordinaire des assemblées (Maugis, 1913, T1, 581). Au contraire Aubert (1926, T2, p 251/2): Cet honnête Guillart… qui s'efforçait d'envelopper ses pensées parfois audacieuses dans des formules abstraites, savait à l'occasion faire preuve de courage, et il n'y manqua pas cette fois, comme s'il jugeait la situation désespérée et les ménagements inutiles.

[176] … craignant, à notre très-grand déplaisir, votre naturelle bonté, clémence & amour  avoir été pervertie & aliénée de cette vôtre, très humble, très obéissante, & très loyale Cour… Ainsi nous devons révérer les Roys comme donnés & élus de Dieu, & comme préposés aux choses sacrées & divines, les devons réputer Saints.

Cette rhétorique divine sera encore en usage un siècle après. Mailfait, 1902, Note 2, p 190/191: On relève souvent, dans les discours d'Omer Talon, ce rapprochement entre la personne royale et la Divinité; on le trouve, en particulier, dans les Mémoires, pp. 106, 158, 186, 259, 260, 410, 417. Cf. aussi le discours du 18 mai 1643 (Rives, 1, p. 46). Du reste, cette affectation n'est point particulière à Omer Talon ; elle est un signe de l'éloquence de ce temps: le 28 avril 1648, le président de la cour des aides harangue le prince de Conti et lui dit "que ce n'était point une flatterie des peuples ni une invention de la politique d'appeler les princes les enfants des dieux et leurs véritables images etc ..." (Histoire du temps, p. 41)- Le 4 aout 1648, le prince de Conti était encore à la cour des aides ; s'adressant à lui, le premier président Molé appela les rois « les enfants des dieux » (Ibid., p. 167). Cf. aussi le discours de Retz au roi le 12 septembre 1652 (Journal du Parlement, pp. 164 et 167.) Cf. le discours du président de Nesmond au roi le 30 mars 1652 (ibid., p. 264) - Mme de Motteville dit (Mem, II,p. 18) que les rois " participent en quelque façon au suprême pouvoir de Dieu mème " - Le 29 juin 1652, le prieur de l’abbaye de Saint-Denis harangue le roi: " Le sujet de celte harangue fut que les rois étant en terre les images vivantes de Dieu etc ... " (Extrait du livre des choses mémorables de l'abbaye de Saint-Denis en France, publié pour la Société de l’Histoire de France, t. III, p 412) - Presque dans le même ordre d'idées, on comparait le duc d'Orléans et le prince de Condé à deux planètes. (Journal d'Ormesson, p. 166.) - Le 8 janvier 1647, Cohon, évêque de Dol , fait l'oraison funèbre du prince de Condé (le père du Grand Condé): il compare le duc d' Anguien et le prince de Conti aux colonnes d’Hercule,  aux colonnes de feu et de nue du désert, etc. (Ibid., pp. 374. Le 4 février 1648, Broussel compare le Parlement à la lune [dont, bien sûr, le roi est le soleil] (Ibid., p . 438).

[177] Guillart vise implicitement les efforts du roi pour soustraire Berquin à la Sorbonne et au Parlement (le roi l'a sprti de sa prison) et, plus généralement, le flirt de la Cour avec le cercle de Meaux. Le roi très-chrétien rendra compte à Dieu de son gouvernement. Il doit combattre et punir les sacrilèges, irrévérents, et impies et tout mettre hors les mauvaises & pernicieuses Doctrines, tant pour l'amour de Dieu que pour l'unité du Roi et du Royaume car n'y a rien qui tant tienne les sujets ès choses publiques en obéissance & union dessous les Roys, que foy Religieuse.

[178] La Justice, essence du Parlement, est l'occasion des plus grands différends, notamment avec le Conseil du roi. Guillart commence par un  tir de barrage, citant ou évoquant le philosophe, Cicéron, Aristote, Homère, St Augustin, Solon, Lycurgue, César, la Bible, St Ambroise, pour en arriver à la vénalité des charges et aux évocations. Le gouvernement, pour avoir de l'argent, vend les offices à n'importe qui, sans vérifier s'il a les qualités requises. Elles font défaut, dit Guillard, sous-entendant: ce n'est pas par méchanceté que le Parlement s'est opposé aux "fournées" d'officiers et que, lorsqu'on lui a imposé de nouveaux membres, il a refusé de les recevoir ou, reçus par force, les a maintenus à l'écart.

Quant aux évocations (largement utilisées dans les affaires de St Benoit et Sens), Guillart ne les condamne pas en principe car elles participent de la justice retenue du roi. C'est leur abus qu'il critique subtilement: le Parlement est LA cour du roi, il n'y a donc pas de raison de juger ailleurs ! Guillart y revient plus loin, à propos de la multiplication des évocations, une nouveauté inique: Aussi cette façon d'évoquer... semble nouvelle invention pour faire injustice, & sous couleur de Justice, qui serait s'il se faisait à cette intention, double iniquité… Et Guillard enfonce son clou, avec un marteau qui a déjà servi et servira encore: Ainsi qu'au monde n'y a qu'un Soleil, & n'y en peut avoir deux... aussi en France n’y a qu'un Roi, & pareillement n'y doit avoir qu'une Souveraine Justice. Deux souveraines justices déchireraient entre elles le royaume et romprait son union: & n’y en saurait avoir deux longuement, que ne s'engendrassent divisions entre les Nobles, Communautés & sujets ; ce qui est la désolation des Royaumes, ainsi que dit l'Evangile… Et il insiste, faisant une allusion transparente à la guerre que viennent de se livrer le Conseil et le Parlement: Et comme ainsi qu'au regard corporel, c'est chose cruelle de voir un corps humain se démembrer par morsure ; semblablement au regard de l’esprit & de la raison, ce n'est pas moindre cruauté de voir les Justices principales divisées, & faisant choses contraires…

[179] Outre sa signification constitutionnelle, la phrase est vraie au sens le plus littéral: il n'y avait alors d'autre salle du trône que la chambre du Parlement au Palais-Royal, une fois munie de son appareil de fleurs de lys et de sièges. C'était donc naturellement là que se tenaient les assemblées que le roi présidait en majesté et auxquelles la Grand chambre participait tout naturellement.

[180] Il dénonce très clairement les abus commis dans les affaires de Sens et St Benoit, explicitement nommées. Il regrette le viol de la liberté de l'Eglise et s'indigne des manœuvres scandaleuses et indiscrètes du Conseil, explicitement désigné.

[181] Dans le même mouvement, il lance une dernière flèche à la Régente et au Chancelier dont le gouvernement suscitait la crainte que dissipe par la restitution du roi au royaume. Sa dernière phrase: Votre très-humble & obéissante Cour est consolée & éjouie de votre présence & venue, autant que furent les Apôtres quand ils virent Dieu, après la Résurrection… en vous restituant au Royaume, vous l'avez délivré de très-grande crainte & péril de servitude, & icelui restitué en son ancienne splendeur & autorité.

[182] Le Cérémonial français de 1649, en deux volumes d'environ 1000 pages chacun, développe et complète le Cérémonial de France (1619) de Théodore Godefroy le père (mort à Münster où il faisait partie de la délégation française). Il recueille, de première ou de seconde main, tout ce qu'on sait sur les circonstances et l'ordre de toutes les sortes de cérémonies royales. Noter que, si l'ouvrage, imprimé chez Cramoisy, porte la date 1649, le privilège royal qui le protège en date du 30 octobre 1648 a été donné par le roi en son conseil à St Germain en Laye où la cour s'était réfugiée après avoir fui Paris.

[183] Poème sur la barbe du prem. presid., [Bruxelles], 1649:

Je chante d'un chant satirique / Une laide barbe cynique, / La barbe et le menton barbu / De Molé, juge corrompu ; / Barbe sale, barbe vilaine ! / Barbe infâme , barbe inhumaine, / Barbe qu'a fait un partisan / Aux frais du pauvre paysan; / Barbe affreuse, barbe maudite / Barbe d'un diable d'hypocrite / Barbe d'un infante Martin, / Grand defendeur de Mazarin / Qui s'offriroit pour un ecu / De serviette à torcher le cul / Barbe qui tout prend et devore / Barbe que tout le monde abhorre / Barbe ravalée en pendant , / Barbe à qui je porte une dent, / Barbe cruelle, barbe fière ! / Barbe que je souhaite en bière...

[184] Leurs discours sont connus d'abord par leurs mémoires, ensuite par les contemporains, en particulier la série Journal du Parlement, attribuée à l'avocat Nicolas Johannes du Portail (différents titres: Histoire du temps présent, Journal de tout ce qui s'est fait et passé en la cour du Parlement de Paris ; et multiples éditions contemporaines). Les Mémoires de Mathieu Molé s'arrêtent en 1650 et n'ont été édités qu'au XIXe siècle, sous les auspices de son descendant. Les Mémoires de Talon ou des extraits ont circulé en manuscrit et ont fait l'objet d'une première édition en 1732 à la Haye (cf. Mailfait, 1902) et de plusieurs éditions au XIXe.

[185] Le texte de la réponse de Molé, dans ses Mémoires, est beaucoup moins vif que celui que donne en 1649 l'Histoire du temps (attribuée à du Portail), soit que Molé ou un autre les ait réécrits (il ne meurt qu'en 1656), soit que, au contraire, la sympathie de du Portail pour le Parlement les ait rendus plus vifs à son oreille ou à sa plume. Cependant les Mémoires d'Omer Talon, dont, dans les dernières pages, la plume a été tenue par son fils Denis donnent des textes très proches de ceux de du Portail. Par exemple, les différentes leçons de son discours  du 15 janvier (du Portail, 1732, XIXe) comprennent toutes la forte phrase sur la misère des peuples (Ces malheureux ne possèdent aucuns biens en propriété que leurs âmes, parce qu'elles n'ont pu être vendues). Du Portail fait dire à Talon: le peuple compte toujours entre les mauvaises plantes les Mirthes & les Lauriers (que l'on gagne à la guerre, laquelle affame le peuple) tandis que les mémoires de 1732 s'expriment encore plus vivement: l’honneur des Batailles gagnées, la gloire des Provinces conquises, ne peut nourrir ceux qui n'ont point de pain, lesquels ne peuvent compter les mirthes, les palmes & les lauriers entre les fruits ordinaires de la terre. Et l'édition Champollion de 1839 le formule à peu près pareil: l'espérance de la paix, l'honneur des batailles gagnées, la gloire des provinces conquises, ne peut nourrir ceux qui n'ont point de pain, lesquels ne peuvent compter les myrtes, les palmes et les lauriers entre les fruits ordinaires de la terre.

[186] Ainsi que la postérité s'étonnerait de voir que dans le temps que tous les sujets rendaient grâces à Dieu de leur avoir conservé un Prince de si grande espérance, l’on abusât de son nom & de sa minorité pour la vérification de plusieurs Edits, qui allaient achever la ruine de l’Etat par des impositions extraordinaires, & par la création d’une infinité d’Officiers… Qu’il était à craindre que cette grande joie, que les peuples avoient témoignée pour la guérison de leur Prince, ne se changeât en sanglots, & en soupirs, ou plutôt en quelque horrible désespoir, qui les porterait à des choses funestes à l’Etat... (selon du Portail).

[187] Le texte donné par du Portail est piquant: que l’on voyait bien que la guerre était le monstre qu'on ne voulait point étouffer, quelque chose que l'on pût dire, afin que cela servît toujours d'occasion à ceux qui abusaient de l’autorité Royale, de dévorer ce qui restait de biens aux particuliers, & de prendre encore les débris de leur naufrage, qui n'avait été causé que par la tempête qu'ils avaient excitée eux-mêmes dans toute l'Europe, ou qu'ils avaient tout au moins entretenue par des inventions & des artifices Punissables

Mémoires de Talon: On nous déclare assez souvent qu'il y a une loi souveraine, à laquelle toutes les autres doivent céder; que le moment public de la France doit servir de règle véritable pour le commandement du prince et pour l'obéissance de ses sujets; que les justes plaintes de ces peuples ne peuvent arrêter le cours violent et impétueux de cette malheureuse immortelle qui passe de siècle en siècle et donne crédit et autorité à tous les maux qui se commettent, à laquelle il est inutile d'opposer ou lois ou exemples, puisqu'elle renverse tout ce qui lui résiste.

[188] Quoique Talon, in fine, conclue par force à l'enregistrement des édits fiscaux (La présence du Roi, mon maître, me commande de requérir l'enregistrement des édits), il prévient clairement que cet enregistrement ne vaut rien: autrefois, le Roi venait en son Parlement pour soumettre à sa sagesse les grandes affaires de l'Etat et non pour le brutaliser (ces actions n'étaient pas lors considérées, au lieu qu'elles sont à présent comme des effets de Puissance souveraine, qui donne de la terreur partout mais plutôt comme des Assemblées de Délibération & de Conseil). La liberté des délibérations conditionne la valeur de l'enregistrement. Enchaîner le Parlement par la puissance souveraine invalide les Edits: les faire passer pour vérifiés  lorsque V.M. les a fait lire & publier en sa présence [est] une espèce d'illusion dans la morale & de contradiction dans la politique (Talon, 1732, Vol.4, p 183 sq.).

[189] La puissance de Votre Majesté vient d'en haut, laquelle ne doit compte de ses actions, après Dieu, qu'à sa conscience; mais il importe à sa gloire que nous soyons des hommes libres, et  non pas des esclaves ; la grandeur de son Etat et la dignité de sa couronne se mesurent par la qualité de ceux qui lui obéissent. Aussi, une entreprise comme celle d'aujourd'hui (édits  fiscaux et lit de justice) qui donne de l'étonnement et de la frayeur dans l'esprit des peuples est-elle de nature à affecter la bienveillance des sujets à l'égard de l'autorité légitime, bienveillance qui se diminue et se perd facilement lorsque les hommes sont persuadés que l'ordre du gouvernement public attire sur eux les misères qu'ils ressentent, et la  pesanteur des fléaux qui les persécutent.

[190] ... pourtant ces félicités publiques de l'État, auxquelles nous ajoutons de bon cœur le recouvrement de la santé du Roi notre maître,… n'empêchent pas les nécessités particulières du royaume, lequel est languissant, affaibli, épuisé par la fréquence des levées extraordinaires de deniers, qui sont le sang du peuple et les nerfs de l'État, qui produisent une maladie d'inanition, dans laquelle les remèdes sont aussi peu supportables que le mal.

Et il termine en contestant la nécessité des nouvelles exactions et en appelant à mettre fin aux dépenses inutiles et aux gaspillages de la cour pour ne pas exaspérer le peuple: & méprisant toutes sortes de dépenses inutiles & superflues, triomphez plutôt du luxe de votre siècle et de celui des siècles passés, que non pas de la patience, de la misère et des larmes de vos sujets.

[191] Ce jourd’huy dixième Juin, le Roy en son Conseil, la Reyne Régente sa Mère présente, sur ce qui lui auroit été représenté, que par un Arrêt de la Cour du treizième May, les quatre Compagnies souveraines de cette ville de Paris se seroient jointes sans autorité ni fondement légitime: sa Majesté a cassé ledit Arrêt comme pernicieux à son autorité Royale, & ordonné que le present Arrêt sera exécuté, & que la minute de celui de la Cour sera tirée des Registres d’icelle, pour celuy-cy être mis en son lieu & place: Et fait sadite majesté très-expresses inhibitions & défenses auxdites Compagnies de se plus assembler à peine de désobeyssance. Fait au Conseil d’Etat du Roy tenu à Paris le dixieme Iuin mil six cens quarante-huict (Journal contenant tout ce qui s’est faict et passé en la cour de parlement de Paris, toutes les chambres assemblées, sur le sujet des affaires du temps présent ès années 1648 & 1649, p 4).

A quoi le Parlement répond par un arrêt convoquant les chambres réunies: Ce jour la Cour toutes les Chambres assemblées, ayant délibéré sur le susdit Arrêt du Conseil, ... Vu ledit Arrêt & les Conclusions du Procureur General: A arrêté & ordonné qu'en exécutant l‘Arrêt [d'union] du treizième May dernier, présentement l'un des Secretaires de ladite Cour ira de la part d'icelle vers les trois Compagnies Souveraines de cette ville, les avertir d'envoyer leurs Députez demain à deux heures de relevée en la Salle Sainct Louys, pour conférer auec les Députez de ladite Cour (ibid).

[192] Comme ledit arrêté est une désobéissance pleine de mépris et injurieuse à l'autorité royale qui ne peut souffrir sans sa diminution que des officiers qui n'ont point d'autre puissance que celle qui leur est donnée par les rois, pour l'exercer dans les règles qui leur sont prescrites, s'en servent par une usurpation violente, pour s'opposer aux volontés de leur roi et leur maître ; et ce qui donne encore plus d'étonnement est que les grâces qu'ils ont reçues de Sa Majesté aient produit tant de méconnoissance et d'ingratitude: il est difficile de juger quelle peut être leur intention, ni ce qu'ils peuvent assurer de leurs violences, s'ils pensent abattre l'autorité royale et la soumettre à leurs injustes desseins, ainsi il est nécessaire d'arrêter le cours de l'exécution à cet arrêté si contraire aux ordonnances royales et lois de l'état, qui ne souffrent aucune assemblée extraordinaire sans l'autorité et la puissance du roi; au contraire, ce seroit établir une puissance nouvelle, dont les conséquences seroient dangereuses et préjudiciables à l'ordre et autorité du gouvernement public, dont les inconvéniens pourroient avec le temps dégénérer en une espèce de révolte et de faction. Ainsi les ennemis de cette couronne se prévalent de leur procédé comme d'une sédition, qui seroit par leurs vœux prête d'éclore dans le royaume... Sa Majesté en son Conseil, la Reyne Regente sa mère présente, a cassé & annulé, casse & annule ledit Arrêt, comme fait par attentat & entreprise sur son autorité & ordonne que l’Arrêt du Conseil du 10 Iuin sera exécuté...15. Iuin1648.

[193] Il commence ainsi: Le roi m’a commandé de vous assurer qu’il n’est point venu en son parlement pour y faire des actes d’une Justice sévère en désirant de vous des vérifications fâcheuses, mais pour y donner à ses Officiers & à ses sujets des témoignages de sa bonté & de son amour.

[194] Aussi [leurs Majestés] promettaient-elles des marques si signalées de leur amour envers le peuple que le Parlement jugerait fort à propos la cessation des Assemblées de la Chambre de Saint Louys...

[195] Qu’ainsi le Roy s'assurait que le Parlement contribuerait ce qui était en lui pour faire évanouir ces espérances, quoique frivoles, des ennemis par la cessation des Assemblées de la chambre de S. Louys.

[196] Le Parlement doit rentrer dans l’exercice ordinaire de la Justice distributive aux sujets du Roy qui la réclamaient depuis si longtemps, comme de sa part sa Majesté promettait de donner toujours à son Parlement des marques très-assurées de son affection (du Portail).

[197] Il conclut en appelant à la remise en ordre des finances, à ne plus dépendre des traitants, ces usures malheureuses, ces prêts illicites, ces prêts des prêts, ces sangsues publiques et, au lieu d'augmenter les impôts sur le peuple ruiné, prendre l'argent où il est: Il est temps, Sire, de presser ces éponges et leur faire rendre ce que, si injustement, elles retiennent il y a si longtemps.

[198] Habilement, elle commence comme une harangue du Parlement ! Comme il n'y a rien qui maintienne et conserve davantage les monarchies en leur perfection que l'observation des bonnes lois, il est du devoir d'un grand prince de veiller, pour le bien et le salut de ses sujets, à ce qu'elles ne soient corrompues par les abus qui se glissent insensiblement dans les États les plus parfaits, afin d'en éviter la ruine qui pourrait arriver, si par négligence ces maux se rendoient si puissants qu'ils ne pussent porter les remèdes (Isambert, T17, p 87). D'où l'appel occasionnel à des assemblées qui, après avoir examiné ces maux, soumettent des remontrances qui sont envoyées ensuite dans les compagnies souveraines établies principalement pour autoriser la justice des volontés des rois, et la faire recevoir par les peuples. De telles assemblées, à la différence de la Chambre St Louis, sont convoquées par le souverain et elles ne font pas de lois elles-mêmes.

[199] comme nous n'avons pas moins d'amour que les rois nos prédécesseurs pour la conservation de notre État, le bien et le repos de nos peuples, nous avons jugé à propos de pourvoir aux désordres que nous avions été averti s'être formés dans notre royaume et qui pourraient enfin corrompre sa bonne constitution, s'il n'y étoit pourvu. A cette fin nous avons envoyé deux déclarations en notre cour de parlement, l'une à propos des impositions et levées, l'autre pour la punition des malversations commises au fait de nos finances, plus quelques règlements sur la distribution de la justice et la disposition de nos finances.

[200] Après les compliments d'usage et les remerciements à leurs Majestés pour leur bienveillance, Talon ajoute que la déclaration du roi n'achève pas la réformation du royaume. Tout juste le début du début. Il ne faut pas s'arrêter en chemin, ce qui sous-entend qu'il n'est pas encore temps pour le Parlement de cesser de s'occuper des besoins de l'Etat (et que la Chambre St Louis n'a pas fini): ainsi nous espérons que V.M. ayant commencé d'apporter quelque règlement dans les désordres, qu'elle continuera incessamment…

[201] Audren, 1997, p 571:  Plus le pouvoir royal parvient à aligner d'alliés derrière la norme qu'il construit, plus elle apparaît comme légitime. Un des acquis les plus originaux de la recherche historique récente est d'avoir mis en lumière qu'aucune norme n'est légitime en soi. Cette légitimité est composée, elle est celle des réseaux, des ressources qu'une telle norme mobilise. Une norme édictée substitue une voix unique aux cris et aux bruits de la société politique. Mais cette voix est excessivement fragile car les alliés menacent à chaque instant de trahir, de briser le réseau..

[202] Mais ce futur passé est d'autant moins accessible que des déséquilibres donnent de l'inertie au présent. Le développement de la royauté, s'il n'institue pas un "Etat", ajoute des couches de complexité à la structure "socio-politique". Les guerres et les besoins financiers croissants subséquents ont des effets sociaux (ruine des peuples, enrichissement des financiers), politiques et administratifs (verticalisation croissante et heurt avec les structures traditionnelles). La faiblesse du rendement fiscal rend impossible de financer les dépenses, même en faisant périodiquement rendre gorge aux financiers et en spoliant les créanciers (qu'ils aient été volontaires ou forcés). Si Jacques I avait su et pu équilibrer son budget, il n'aurait pas eu besoin de convoquer le Parliament. De même si Charles I n'avait pas provoqué l'invasion écossaise qui l'oblige à payer une armée... En France, la coûteuse participation (directe et indirecte) à la Guerre de Trente ans poursuivie encore dix ans après les Traités de Westphalie par une guerre sur trois fronts contre l'Espagne, multiplie les impôts et les expédients (offices etc.) et, ceux-ci devant passer par le Parlement, multiplie les heurts avec lui.

[203] Les Habitans du mont Casius en Séleucie, demandèrent à JUPITER un Oiseau qui mangeât les Sauterelles qui gâtaient .& ravageaient leurs bleds (Gaspard Guillard de Beaurieu, Jean-Baptiste-François Hennebert, Cours d'histoire naturelle, Volume 4, ch. Desaint, 1770). Pline (Liv. X.) les oppose à ces gens qui ne paraissent que lors qu'ils ont besoin de secours, & qui ne visitent leurs amis que quand ils ont quelque chose à leur demander.

[204]  4ème partie

Harding, 2001, p 75: …The peace of God was important in the long term for its development of ideas of injuries committed ‘against the common utility’ and procedures for the trial and punishment of peace-breakers which would be drawn upon by the authorities of secular states… p 76 For enforcement the peace of God depended ultimately on the cooperation of the lay princes and their vassals...p 78 [au XIe siècle] Normandy provides the best example of a transition from God’s peace to a secular lord’s peace which was territorial in coverage … 82 But it was in Germany that Landfrieden, detailed codes of peace regulations applied to whole regions of the country, became a lasting instrument of royal government in the ordering of the state.…p 84 As in France, so in Germany, the eleventh century saw the ideal of peace achieving greater importance, but in this case it was the emperor’s peace rather than God’s…86 In Germany the first reaction to the Gregorian turmoil was rather for bishops to belatedly promulgate the truce of God in their dioceses…p 87 The first Landfriede for the whole kingdom was promulgated by Henry IV and the bishops together at Mainz in 1103...

[205] Langlois, 1890, p 100: L'extension et l'exercice du droit d'appel universel paraissent enfin avoir été la préoccupation cardinale des successeurs de saint Louis: de nombreuses ordonnances défendirent aux barons du royaume d'entretenir sur leurs terres plusieurs degrés de juridiction en vue de frustrer le roi des appels de leurs hommes…

[206] Luchaire, 1883, p 274: Dès la fin du XIe siècle, le nombre des affaires ecclésiastiques dont la cour du roi s'attribue la connaissance [protection, empiètements, crimes ou différends internes] devient de jour en jour plus considérable… p 279 Pour les seigneurs laïques, le moyen le plus simple de s'opposer aux progrès de la justice royale, c'était de ne point la reconnaître, et de faire défaut en cas de sommation. C'est ce qui arrive fort souvent au XIe siècle, et encore assez fréquemment au siècle suivant… p 280 Ce procédé, commode et efficace sous les rois faibles, l'est moins sous les princes capables d'énergie: car, avec ces derniers, le refus de comparution est presque toujours suivi d'une guerre. C'est là un des traits caractéristiques du règne de Louis le Gros… grâce aux efforts de Louis VI, l'autorité judiciaire du roi obtient de plus en plus, au XIIe siècle, le respect et l'obéissance, même des grands vassaux. Ils se laissent citer plusieurs fois, allèguent des excuses, mais finissent généralement par comparaître devant la cour… Lorsque la féodalité laïque ne voulait point récuser ouvertement la justice du roi, elle cherchait parfois à y échapper en invoquant une juridiction différente… p 282 II arrivait aussi que le seigneur poursuivi par la justice du roi se retranchait derrière cette loi ou coutume féodale en vertu de laquelle un suzerain ne pouvait punir un arrière-vassal que si le seigneur direct de celui-ci avait refusé d'en faire justice… p 283 La défiance qu'inspirait cette justice aux grands feudataires les faisait recourir à un autre procédé dont les rois eux-mêmes se servirent en certains cas, celui de l’arbitrage… p 285 Il semblait que la société ecclésiastique...dût accepter aussi plus aisément la juridiction d'une cour qui était surtout occupée à défendre le clergé contre les vexations des laïques. Il n'en fut rien cependant…Ive de Chartres, pressé par le roi Philippe Ier de se rendre à sa cour, en 1098, .. déclare qu'il est prêt à se justifier vel in ecclesia, si ecclesiastica sunt negotia; vel in curia, si sunt curialia…

Luchaire, 1883, p 322: au XIe et même au XIIe siècle, les arrêts de condamnation n'étaient pas aussi fréquents qu'ils le deviendront par la suite, à raison de la difficulté que le roi trouvait à les faire exécuter. La cour employait d'ordinaire tous ses efforts à amener entre les deux parties un accord à l'amiable garanti par serment (pax, compositio, finis, concordia), ou le désistement volontaire du défendeur…

[207] Il s'agit d'autant moins d'administration que cette extension du domaine ne suit pas le modèle de "colonisation progressive" que les historiens du XIXe ont imposé (y compris à l'historiographie d'aujourd'hui) comme processus d'unification nationale (cf. Buscail, 2011). Le roi ne collectionne pas les territoires, il collectionne des droits qui se combinent et se concurrencent avec d'autres droits: la détention médiévale est enchevêtrée. Au niveau local, le roi ne détient pas tous les droits…(Buscail, p 77). Selon sa forte expression (p 78): Dans ce contexte, le domanium est l’ensemble des maîtrises sociofoncières (biens, droits et acteurs) sur lesquelles le roi tente d’exercer son dominium de manière plus nette qu’ailleurs…Ainsi (p 81) Les domaines du roi: des réseaux de réseaux… A une échelle micro-locale (prévôtés de Janville et Yèvre-le-Châtel), Buscail reconstitue un graphe impressionnant de l'intersécance et des réseaux de réseaux socio-fonciers du roi (p 85, Fig. 5). Voilà pourquoi la cartographie historique basée sur le concept de "territoire" et l'échelle "nationale" est une illusion trompeuse.

[208] Les remarques de Gravel (2009) sur l'empire carolingien s'appliquent à toute la période: Il faut aborder les relations du point de vue des éloignements qui les définissent. Pour que les conséquences de la distance puissent être comprises, il faut s’émanciper de nos repères, qui sont ceux d’une civilisation qui a vaincu tous les obstacles de la géographie. Investir l’histoire des grands réseaux des sociétés préindustrielles passe par ce changement de perspective. Cette approche révèle l’importance de la rencontre pour le politique. Le face-à-face est un acte relationnel d’autant plus crucial qu’il ne se réalise que difficilement... Les distances géographiques comptent parmi les facteurs cardinaux de l’histoire préindustrielle... les réseaux de pouvoir se forment et se transforment au fil des rencontres des petits et des grands acteurs.

[209] Harding, 2001, p 118: Though the territorial marking-out of bailliages and sénéchaussées was dictated by the requirements of tax-collecting, it was essentially as agents of royal justice that the corps of baillis extended the king’s authority throughout France… p 119 the bailli also had a role like the English sheriff’s in bringing royal justice to the local community all the time… Through his bailliffs the French king could, however, bring down to the local level the offer of effective inquiry and arbitration.

Lorsque les baillis/sénéchaux reçoivent des lettres royaux à publier et à crier dans leurs circonscription, ils en donnent leur propre mode d'emploi (lettre d'attache) et, souvent, légifèrent localement pour leur application (Dupont-Ferrier, 1902).

Le bailli (ou le sénéchal) représentait le roi dans sa circonscription. Sa compétence peut donc être définie d’un mot: elle était universelle (Langlois, 1911, p 351). Lui aussi a besoin d'agents locaux, prévôts/bailes, auxquels il lui faut déléguer son autorité et qui, à leur tour, en confient tout ou partie à des sergents et à des notaires dont la multitude infinie dévore le pays. Ces milliers de petits tyrans obscurs (Langlois) achètent leur charge à l'autorité qui est supposée les contrôler.

Langlois, 1911, p353/4: Les prévôts (dans le Nord) et les bailes (dans le Midi) administraient les localités, sous la surveillance et la responsabilité du bailli et du sénéchal. Ils étaient, en général, fermiers de leurs charges. Le bailli ou le sénéchal adjugeait les prévôtés au plus offrant, pour un certain temps (une ou plusieurs années)... A la fois juges de paix, commissaires de police, percepteurs et maires, les prévôts cumulaient donc, comme les baillis eux-mêmes, tous les pouvoirs. Confier une autorité pareille au dernier enchérisseur, sous cette seule réserve qu’il ne fût pas un homme «vil» ou «malfamé», c’était donner ouverture à d’effroyables abus…p 355 La «multitude infinie» des sergents, qui «dévoraient la substance des sujets», a été, au XIIIe siècle, dénoncée sans relâche par les peuples et condamnée par les rois…p 356 Les charges de «notaires du roi» n’étaient pas moins enviées que les places de sergents ; on se plaignait également qu’elles fussent trop nombreuses ; les notaires pullulaient, jusque dans les villages… Lorsque (Dupont-Ferrier, 1902), au XVe siècle, le rôle personnel du bailli diminue, c'est au bénéfice de cette troupe des fonctionnaires du Bailliage qui semble comme la monnaie de l’ancien bailli et grandit à mesure que le Bailli se diminue. Or, comment ces officiers, appelés dans le principe à aider ce bailli, sont-ils pratiquement arrivés à le remplacer ? Comment se groupent-ils en Conseil pour former une sorte de "Lieutenant collectif", aux aptitudes universelles, toujours présent, et d’une activité que rien ne lasse ?

[210] Harding, 2001, p 155: But the most important aspect of the sworn inquest into the king’s rights was paradoxically its power to reveal the grievances of the wider populace, to whom it gave an alternative to the hazardous appeal of felony and the expensive writ for bringing injuries before the king’s courts… p 156 The general inquest of 1247 was the turning-point in the development of French justice because it was instructed [inquisitors] to listen to anyone in the realm, ‘whoever they might be’, who had grievances against King Louis himself, his predecessors, or his bailiffs, provosts, foresters and serjeants and their households… p 157 [it] tell the same story of a vastly extended hierarchy of royal agents using their new-found authority for their own ends… p 160 The inquiries into the abuses of royal officials focused the realm upon the ruler in a new way and spurred the emergence of the new high courts called parliaments...p 165 For Beaumanoir the king’s court is simply the last resort for vassals who fail to obtain justice from their own lords and successive overlords… But the records show how much the king’s feudal jurisdiction was reinforced by the parlement’s supervision of the activities of baillis and enquêteurs. Parlement was the court for appeals from their decisions, and petitions against officials and others which it received directly it might refer to the baillis and sénéchaux for inquiry... ..p 167 The rise of parlement and of the baillis was a single process(mon soulignement) ..p 185 The contrast with the developments surrounding the French parlement was that other central courts existed in England /Exchequer, Chancery, Common pleas, King's bench/ to mop up the ordinary run of plaints... Elected knights of the shire and burgesses, irrelevant to parliaments in which the king’s council dealt with the petitions of individual subjects, learnt to support and press petitions they recognized as of general concern... p 186 The presentation on behalf of the community of bills which the king might turn into statutes was, however, the function which made the representatives of the shires and boroughs an essential element of parliament.

Très vite, de ce fait, les baillis (dont certains étaient membres du Parlement) ne siègent plus quand leurs causes sont évoquées et, finalement, ne siègent plus du tout.

Langlois, 1890, p 107: Le règlement de 1291 ordonna aux baillis et aux sénéchaux de quitter la Chambre des plaids pendant que les maîtres délibéraient, à moins qu'ils ne fussent du conseil ; fussent-ils conseillers en titre, ils durent se retirer également si la délibération des juges les concernait. Enfin, en 1303, l'incompatibilité du mandat de bailli ou de sénéchal et de l'office de conseiller du roi fut solennellement proclamée; les chefs de l'administration locale ne parurent plus à la Chambre des plaids que comme des plaideurs ordinaires.

[211] Pour éviter d'inconscients anachronismes, il vaudrait mieux remplacer le mot parlement par diète (du latin dies, jour): les deux ont le même sens contemporain et, aujourd'hui, diète en Europe occidentale, n'éveille pas d'écho trompeur. L'existence de ces diètes résulte de la nécessité de faire consensus au sein des "puissants". Un peu partout, les conflits avec les barons d'abord, avec les bonnes villes ensuite, ou le besoin de mobiliser les uns et les autres derrière un "projet" royal, ont assemblé, sous l'autorité du monarque, ces diètes, des réunions du corps politique. Elles sont composées des délégués de ceux qui gouvernent, généralement organisés en collèges selon leur proximité à la Couronne: la plupart du temps une chambre haute avec les Grands, ecclésiastiques et laïcs, et une ou plusieurs chambres basses, avec la petite noblesse et les villes privilégiées, parfois les paysans libres. Si la diète anglaise remonte conventionnellement à 1215 (grand conseil), la diète hongroise date de 1222 et a la même origine, une insurrection des barons. La coïncidence des dates est amusante, car la Hongrie n'a rien d'un modèle de "démocratie", ni dans le passé (coopérative nobiliaire), ni dans le présent. Sauf exception, ces diètes sont dans la main du monarque qui les convoque quand il en a besoin, définit leur agenda et leur met fin, actant le consensus quand elles ont satisfait ses demandes ou le dissensus quand elles les ont refusées. Elles ne constituent pas une méthode ordinaire de gouvernement mais un moyen de gestion des crises.

[212] Contre la téléologie de la démocratie représentative, Sayles, 1975, soutient que, en Angleterre, du XIIIe au XVe, Grand Conseil et Parlement sont substitutifs. La "constitution" réside dans la balance entre le Roi et les Grands, nullement entre le Roi et le "peuple": p 127 the preservation of the balance between the power of the King and the power of the Lords is the sum total of medieval 'constitutionalism'. La représentation des contés et villes est accessoire et la fonction du Parlement est d'ordre judiciaire: recevoir les pétitions et leur donner accès au Grand Conseil. A partir du parlement "révolutionnaire" de 1327 (déposition d'Edward II), les Commons (élus) reçoivent les pétitions que les Lords jugeront.

Graves, 1985: le rôle des commons s'affirme ; p 47 the knights & burgesses seceded to form a separate and new house which only gradually came to be accepted as part of Parliament proper ; p 54 although many bills were couched in the old petitionary form, the Commons were no longer a mere supplicant...both houses now recorder their assents as equal partners in a bicameral legislative process ; les Commons deviennent une chambre quand en 1489 the judges were unanimous that an Act only had validity if the Commons as well as the Lords and King had assented to it. Cependant, les Lords restent prépondérants en raison de leur puissance personnelle et de leur proximité au roi (grand conseil). De là les deux chambres, leurs fonctions et leurs rapports. Les commons demeurent une dépendance du grand conseil (Sayles, p 125, they represented a mode of procedure, but they had no independant control over it): leurs fonctions extrajudiciaires sont limitées et accessoires. C'est, suggère l'auteur sans l'argumenter, la ruine des Grands au cours de la guerre des roses qui déséquilibre le Parlement au profit des commons et permettra à Henri VIII d'en faire une machine de législation et de gouvernement (à son service mais potentiellement conflictuelle en raison du rôle accru qui lui est donné).

[213] McIlwain, 1910, p 119: ... It is the fusion of indefinite powers which is the most fundamental fact in English central institutions in the middle ages. It will be seen that this applies not to Parliament merely, but to all the other courts of the King as well and it thus furnishes the key to the great problem which claims our main attention in this essay, the relations existing between the King's High Court of Parliament and his other courts... p 146 The stream of political thought in one sense is the converse of what we find in nature. As we follow it back toward its sources we find that instead of narrowing, it becomes ever wider. Institutions that are now narrow and definite become as we trace them back indistinguishable from others that we have always considered equally definite. To ignore this fact is fatal.

[214] Mousnier, 1947, p 42: …dans cette monarchie, c'est perpétuellement que les mêmes évolutions recommencent et que des faits semblables réapparaissent comme si la structure, l'être de cette société, contenait les causes profondes des événements que nous étudions en successions chronologiques où nous voyons, avec raison d'ailleurs, (dit-il) des successions causales.

[215] Si le Parlement ne peut pas méconnaître l'autorité du Conseil, il la limite à celle du roi en personne. Lebret, 1632, écrit (de la souveraineté du roi, p 82, ed. 1643): Les Parlements ont sur eux le Roy, assisté de son Chancelier et de son Conseil d'État, pour en recevoir la correction, si en quelque chose ils outrepassent la puissance qui leur a été donnée, ou s'ils viennent à faire quelque chose qui soit contraire au bien du service de Sa Majesté et à l'utilité du Royaume... Mousnier (1947, p 60) commente: Elles /les cours souveraines/ reconnaissent l'autorité supérieure du Roi qui a "la suprême puissance déférée à un seul" avec "le droit de commander absolument" [Lebret], mais non pas l'autorité de son Conseil seul et en corps. Elles refusent même au Conseil de former un corps. Elles ne voient en lui que les "commis" du Roi, des hommes de confiance, des "domestiques", non une "compagnie". Lorsque le Roi n'est pas avec ses Conseillers, les Cours ne reconnaissent aucune supériorité au Conseil qui néanmoins se déclarera au nom du roi "première compagnie du royaume" par les règlements de 1654, du 1er avril 1655 et du 4 mai 1657.

[216] Le frondeur Joly, 1653, commentant la lex regia: p 157/8 il paroist que pas un peuple n'a jamais eu intention de se sousmettre purement & simplement, & sans aucune réserve, à la discrétion d'un Roy: mais seulement sous condition & à la charge que le Roy gouuerneroit suivant la disposition de la Loy ; qui est un contract synallagmatique, lequel se forme de deux pièces également essentielles, sçauoir est, de la proposition qui en est faite de la part du Roy ou du peuple d'une part, & de l'acceptation libre de l'autre. Dont il s'ensuit que le Roy n’est point maistre absolu de cette Loy, pour la destruire & la ruïner quand bon luy semble puisque par le contract le peuple n’est point sousmis à luy, qu'à condition de la conseruer & entretenir.

Plus généralement encore, Mousnier, 1947, p 43: toute décision royale prend l'aspect d'un arrêt de justice, en vertu duquel sont expédiés déclarations, brevets, commissions. C'est de son rôle de souverain justicier que le Roi tire, en principe, tous ses pouvoirs et, selon les contemporains, il «juge» les affaires d'État avec son Conseil comme il juge les affaires contentieuses entre particuliers, comme tous ses officiers, même ceux de finances, sont des juges, qui administrent par arrêts, fait européen à cette époque.

[217] De fait, la grande question qui agite "l'espace public" jusqu'en 1640, celle de la suprématie en matière religieuse, voit s'impliquer les tribunaux, bien davantage que le Parlement. Allen, 1938, p 138: the most serious opposition to Bancroft's scheme of reform came neither from the house nor from the puritans but from the common law courts (supremacy of the Common Law sur les ecclesiastical courts). Cf. Coke 1609.

[218] Allen, 1938: Questions at issue between King and subjects, questions as to what the King could or could not do in given circumstances, were to him merely questions of a law.

Allen, 1938: In many cases, he says, the common law will control acts of Parliament and sometimes adjudge them to be utterly void: for when an act of Parliament is against common right and reason, or repugnant, or impossible to be performed, the common law will control it and adjudge such acts to be void. Bonham's case: "When an Act of Parliament is against common right and reason or repugnant or impossible to be performed, the Common Law will control it and adjudge such Act to be void".

Paradoxalement, l'affirmation politique du Parlement renforce son caractère judiciaire. Russsel, 1971, p 295: In chasing these grievances the House showed an increased willingness to act in an executive and judicial capacity... in short assuming much the same sort of authority as most of them enjoyed in their own counties as member of the Bench. In questioning monopolies, they took this authority a stage further, by bringing some of the offenders to a formal trial [Mompesson]... they decided to call in the Lords to condemn Mompesson... the reference of Mompesson's case to the Lords was the first step towards the revival of the procedure known as impeachment whereby the Commons acted as prosecutors and the Lords as judges...[medieval precedents]...p 296 Chancelor Bacon was therefore impeached for corruption... the Lords & Commoners had recovered their power, not used since the 15th century, to remove those of the King's ministers who did not command their confidence...

[219] McIlwain, 1910, en particulier CH. 3, Parliament as a Court. p 109: The word Parliament has come to carry with it the idea of a lawmaking assembly … Men in time became so familiar with that idea that they were not conscious of the great and unwarranted assumption they were making when speaking of Tudor and pre-Tudor times ; for Parliament, up to the time of the Tudors, was hardly thought of primarily or principally as a legislature: it was still in reality "The High Court of Parliament"…p 110 Parliament still seemed primarily a law-declaring machine… This I believe to have been the view prevailing, among lawyers at least, as late as the assembling of the Long Parliament… p 115 In the middle ages the boundary is indistinguishable between "acts" of Parliament that are particular and acts that are general, between acts that are private and acts that are public, between acts administrative, acts legislative, and acts judicial. Only gradually do these distinctions appear; and for a long period after they do, it is the judicial functions of the Assembly that dwarf the others…p 117/8 It was the King's great and extraordinary court of justice, in which he was to grant redress when the ordinary tribunals were unable or unwilling to grant relief… p 119 We can never understand the institutions of mediaeval England if we consider Parliament as a "court of justice" which in addition exercised other distinct powers, or as a legislature with an addendum of other duties… p 122 [Doddrige sous Elizabeth: « Now for the nature of a parliament, it is consilium, and it is curia »…; Lambard, 1591: « It hath also jurisdiction in such cases which have need of helpe, and for which there is no helpe by any Law, already in force »]…p 124 The making of new law is looked at as the decision of a new case, or as the reversal of an error of a preceding Parliament…[Pour Thomas Smith, 1583] p 126 the constitution of the commonwealth consists primarily of its courts and its various forms of law… p 129 The contrast upon which Smith's attention is focused is not the contrast between the powers of the Prince and of the Parliament, but between the powers of Parliament and of those other courts…p 130/1 It was true of Smith, as it was of Coke, that he looked on Parliament primarily as the highest and most honourable court, "absolute" ["absolute" is here taken to mean not subject to appeal] and supreme, "the most authenticall" in the realm…p 134 Nothing is clearer from contemporary records, however, than the fact that some of these «courts» were, under the Tudors, almost as "legislative" in character as Parliament itself…p 135 The Star Chamber, although primarily a judicial tribunal, participated in the legislative powers usurped by the King and his Council. The Star Chamber not only expounded the laws, but even made laws…p 136 [between 1485 and 1640]… the other "courts" were almost as serious rivals of Parliament in this sphere as in the sphere of judicature p 137 It required the shock of civil war to teach men that the High Court of Parliament bad become the Sovereign Legislature of the Kingdom… p 148 As the conflict between King and Parliament grew closer, statements of Parliament's supremacy became more frequent, but on the very eve of Parliament's great practical demonstration of its legislative sovereignty, and in fact long after that, men kept on citing the old precedents for judicial supremacy, and it is often clear that they themselves did not notice that the legislative power they were actually advocating was anything different from the old powers of the High Court of Parliament…

p 197 We all know that in France the "Parliament" actually remained a "court ;" we are aware that Massachusetts had her legislative "General Court" and that in England itself, up to modem times, the Parliament was habitually called a court; but we have never taken this seriously. We have not accepted the fact that in the middle ages Parliament really was primarily a court, and only incidentally a "legislature".

Cf. aussi Pollard, 1920, CH2, The High Court of Parliament.

[220] Pollard, op cit, p 62: In the first place we have been taught by Maitland and others that there is little about status in the English law of the thirteenth century, but a great deal about tenure. The most important body in the community consisted of the military tenants-in-chief of the crown ; but this tenurial distinction did not correspond with any social or class division…p 63 The most striking feature, in fact, of English society in the early middle ages is the confusion of classes ; but there can be no system of estates where nothing is based upon status ; for status is the Latin for estate; and Edward I was the last man to have thought of organizing a parliament upon a theory which had no foundation in law.

Secondly, neither Edward nor any one else in the England of the thirteenth and fourteenth centuries seems to have had any clear conception of what was meant by an "estate"…p 64 That there was something natural, if not also divine, in the separation of mankind into three classes seemed as clear to medieval philosophers as it did to nineteenth century railway companies. The idea was as old as Plato ; parliament itself in 1401 speaks of a trinity of estates ; and Wycliffe writes of the "state of priests, state of knights, and state of commons".  This corresponds to a common philosophical distinction… But it is a long step from this analogy to the theory that parliament was organized upon the basis of three estates ; and in practice there was little in common between the two. The first estate was the church ; but in parliaments, after the reign of Edward II at any rate, the church is represented only by the bishops, some abbots, and one or two priors ; and they are summoned, or rather, are liable to summons, not because they represent the church, but because they hold land per baroniam, by military tenure-in-chief of the crown… p 66 Least of all is the house of commons a third "estate". It is no mere assembly of bourgeois like the old tiers état in France. Its most important and turbulent element in the middle ages consists of the knights of the shire, barones minores, milites, or chivalers, as they are called, who were tenants-in-chief of the crown,who often called themselves "nobles"…

[221] Philippe IV le bel met en demeure son clergé, ses nobles et son "peuple" de s'associer à lui pour dénoncer la prétention du pape Boniface VIII de travailler à la réformation du royaume, à la correction du roi et au bon gouvernement de la France. Le roi procède de même en 1308 pour lancer l'offensive contre les Templiers, accusés de tous les crimes. On a coutume de dater de là les états généraux, quoique rien ne soit institué et que les grandes décisions (comme la succession des Capétiens après la mort du dernier fils de Philippe) restent dans les mains d'assemblées de grands (que des historiens trop pressés confondent avec les états). Convoqués à partir de la guerre de cent ans pour consentir à des noveletés fiscales (subsides), ils serviront ponctuellement de théâtre à des situations de crise (Paris 1357, Tours 1484, Blois 1588...).

[222] Dans un royaume de dimension continentale où plusieurs provinces ont conservé leurs propres états, les généraux sont l'exception. L'habitude, ce sont des assemblées ad hoc: états provinciaux, assemblées du clergé, assemblées de grands, assemblées de notables.

Fawtier, 1953, p 277: ...les causes de l'espacement des États généraux, et, dans l'ensemble, de leur faible popularité, sont faciles à comprendre. La France, on ne saurait assez le redire, est, au Moyen Age, le plus grand Royaume de la Chrétienté. Elle est également le Royaume le plus peuplé. Les distances des frontières de ce royaume à la capitale sont grandes…Puisqu'il fallait tôt ou tard consentir, point n'était besoin pour cela de quitter ses affaires… p 278 Pour toutes ces raisons on peut dire qu'il n'y a jamais eu en France de véritables États généraux. Il n'y a jamais eu que des assemblées de représentants d'une partie plus ou moins grande de la France p 279 On parle beaucoup des États généraux de 1355-1358. Mais, même ces États généraux de 1355-1358, étaient seulement des États généraux de Languedoil... les États de Languedoc se réunirent à Toulouse, indépendamment des États rassemblés à Paris, et [...] même, jusqu'à un certain point, ils aidèrent à les combattre…p 281 La véritable décision en France n'appartient pas aux États généraux, elle appartient aux États provinciaux, aux assemblées locales...

[223] Joly, 1653, p 288: les résolutions prises dans les assemblées des Estats des derniers temps, ne sont conçeuës qu'en forme de demandes, qui sont rédigées en cahiers, & présentées au Prince, pour estre accordées par luy, & pour estre par après authorisées par les Cours Souveraines, afin d’avoir force & vigueur de Loy, suiuant l'usage qui s'observe à présent.

[224] Pollard, 1920, p 34: the addition [au King’s council] of earls, prelates, barons and popular representatives, while it added to the taxing powers of the assembly, added nothing to the judicial and legislative authority wielded by the council in parliament... Parliament, therefore, in its judicial and legislative aspect, seems to be at first simply a talk or parley of the council in full session. Soon, of course, it comes to be used of parleys between the king in council and other constitutional elements. By the Provisions of Oxford twelve elected barons are to meet the king's council at three parliaments a year. Simon de Montfort "afforces" the elected barons with elected knights of the shire and burgesses ; and the growing financial needs of the crown promoted frequent recourse to those representative elements which alone could produce an adequate financial supply. But this financial business was not the original nor the most frequent cause of parliaments... p 36 Primarily a parliament /"King in Council in Parliament"/ is a high court of justice.

Fawtier, 1953, p 279: le Parlement d'Angleterre est, avant tout, une Haute Cour de Justice. C'est là que sont présentées les pétitions des sujets ou des communautés du royaume ; c'est par ce moyen qu'un certain nombre d'affaires peuvent trouver plus rapidement leur solution, c'est, avant tout, un moyen d'accélérer le cours de la justice. C'est pourquoi les Anglais trouvent presque qu'il n'y a pas assez de parlements, et en veulent au moins un par an... ils n'auraient pas formulé de telles demandes si le Parlement d'Angleterre n'avait été qu'une occasion de voter des subsides… D'autre part, l'Angleterre du Moyen Age est un tout petit royaume, dont il est possible de réunir, sans difficultés, les représentants…p 281 les comtés anglais étant, comme nous l'avons dit, de véritables unités politiques, avec leur cour de comté qui n'est pas, sur certains points, sans présenter de fortes ressemblances avec le Parlement en tant que cour judiciaire, il sera possible de leur demander d'envoyer des délégués au Parlement du royaume…p 282 Le Parlement se réunit, les pétitions sont reçues, mais elles ne sont examinées et étudiées qu'une fois le subside voté. On peut agir ainsi parce que l'acceptation d'un subside par les délégués des comtés et des villes engage ces comtés et ces villes, au lieu qu'en France, l'assentiment des représentants des bonnes villes ou des bailliages n'engage personne tant que l'assemblée du bailliage ou les assemblées municipales ne l'ont pas ratifié… Dans ces conditions, il était impossible aux États généraux de jouer véritablement un rôle politique dans le royaume. L'irrégularité de leurs convocations, leur dispersion dans les différentes parties du royaume, le nombre même de leurs délégués, ont empêché la création d'une tradition. Il n'y a point de rôle des assemblées françaises, il n'y a pas de clercs pour en dresser les procès-verbaux.

[225] Rapin, 1733, T7, L18, p 181: Si l’on considère le Parlement comme un Composé du Roi & des deux Chambres, on peut sans crainte lui attribuer un pouvoir sans bornes, par rapport aux affaires qui concernent le Royaume. Mais si on regarde le Parlement comme un composé seulement des deux Chambres séparées du Roi, on ne peut point disconvenir que ses Droits ne soient bornez. C’est proprement tout le Peuple, séparé du Roi. Il a ses Libertez mais il ne lui appartient pas de les étendre autant qu’il veut: il faut nécessairement, que le consentement du Roi y intervienne. Cela est encore plus vrai quand une des Chambres agit seule, sans la concurrence de l’autre: car alors elle ne représente qu’une partie du Peuple… p 182 Le terme de Prérogative royale n’est gueres moins ambigu que celui de Parlement… Si elle a des bornes, qui est-ce qui les a marquées ? Où sont ces bornes, au-delà desquelles elle ne peut point aller ? Je suis persuadé qu’il n'est pas moins difficile de décider ces questions, que celles qui regardent les Privileges du Parlement.

Rapin conclut sagement (p 183), comme Retz, que tout doit rester dans l'implicite. Les rois qui ont voulu remuer ces sortes de questions l'ont fait pour leur malheur: Puis donc qu’il est si difficile de décider les questions qui s’élèvent sur la Prérogative Royale, & sur les Privilèges des deux Chambres, ou de chacune en particulier ; la sagesse & la bonne politique demandent, que les Rois & les Parlemens évitent comme un écueil, de s’engager dans de semblables contestations (mon soulignement). Aussi peut-on avoir remarqué.. que les Rois les plus sages..comme Edouard I, Edouard III., Henri V., Edouard IV., Henri VIII, Elisabeth, n'ont jamais eu des différens de cette nature avec leurs Parlemens. Au contraire, ceux qui se sont le moins distinguez par leur prudence & par leur capacité tels que Henri III., Edouard II., Richard II., se sont perdus, pour avoir voulu remuer ces sortes de questions. Jaques I. est le premier qui, en ces derniers tems, s'est rengagé dans cette querelle. Il a été imité par son Fils & par ses Petits-Fils ; & ces Princes, bien loin de réussir dans leurs projets, n'ont fait que se rendre très malheureux.

[226] Mousnier, 1947, p 32/33: Dans les cas graves, le Roi reconstitue la Curia Regis: c'est lorsqu'il tient un lit de justice... Alors, au Parlement toutes chambres assemblées, viennent les principaux vassaux du Roi et ses plus fidèles palatins: Princes du Sang, autres princes, ducs et pairs, officiers de la Couronne, Conseillers d'État, Maîtres des Requêtes. Et, après avoir pris leur avis à tous, le Chancelier proclame l'Édit enregistré, comme si la volonté royale ne pouvait s'imposer ou n'était parfaite qu'avec tout ce grand conseil.

[227] Les parlementaires, soucieux de se dissocier du Parliament régicide, soulignent la différence entre les deux institutions et la supériorité de la leur: ils sont professionnels, non élus, ce qui les rend responsables alors que l'élu, ne courant que le risque de ne pas être reconduit, est organiquement irresponsable.

Du Teil, 1649: [A Westminster] Les gens de Justice n’y ont point de voix & ne s’y trouvent que pour décider les difficultez touchant ce qui regarde la Loy & la Justice: en quoi ces Parlemens diffèrent extrement des nostres, où les gens de Justice font le principal corps. Il y a encore une autre différence qui est que les Parlemens d’Angleterre se font par élection & les nostres au contraire. D’où vient que nous devons être bien plus asseurez de la sincérité de nos Parlemens…[car] s’il leur arrivait de mal verser, ils peuvent être châtiez de tout le corps par la perte de leurs charges. Là où les Parlemens d’Angleterre ne se formant que par élection… chacun s’en retourne en sa province; et s’il arrive que leur conduite ait été ruineuse au public, à peine en peut-on reconnoistre les autheurs & le pis qu’il leur puisse arriver est de n’être pas élus une seconde fois. Outre que la Noblesse & le Clergé y présidant en qualité de Juges & d’arbitres, il peut arriver, par les attachements qu’ils ont au Souverain, qu’ils trahissent la cause du Peuple; ce qui ne peut arriver en nos Parlemens où la Noblesse & le Clergé peuvent bien empescher qu’on ne fasse tort au Souverain mais non pas contraindre le Parlement d’en faire au Peuple.

Joly, 1653, p 411: maintenant un Ministre n'ayant pas la liberté entiere de disposer de tous les grands Offices, & ses affidez n’ayans pas tousiours les moyens d’y entrer, il ne peut pas estre Maistre absolu de tous les grands Officiers du Royaume: dont il y a plusieurs qui n'ayant obligation à personne qu'à leur argent, se maintiennent dans l’exercice libre de leurs Charges & dans le devoir auquel leur conscience & leur honneur les oblige.

[228] Giesey, 1961, p 4, colonne de droite: Pepin relied upon clerical consecration as a substitute sanction for the kin-right he had violated, and within a century this clerical blessing had become the sine qua non of kingly power. Hincmar of Rheims it was, probably, who then linked the Carolingian consecration with Clovis' baptism (which was taken to he an aspect of his coronation) and thus constructed the myth according to which the Merovingians had also derived legitimacy from consecration. This fine bit of historical revisionism put the church in the central position as the ordainer of kings… ; p 5, colonne de gauche, Sacral kingship embodies no idea of continuity of a race or family of rulers… ; p 5d Whatever precautions the early Capetians took to guarantee that royal succession stayed within their family, they did not try to create a dynastic mystique. The cult that grew up concerning royalty in France in the High Middle Ages did not focus upon the ruling family, but upon the abstract notion of the crown, the royal dignity, and other impersonal abstractions of the realm. As long as consecration remained the central event in succession, the crown and office were exalted more than the family…

[229] Miramon, 2008, p 160/1: les historiens de la noblesse et de la royauté féodale, surtout ceux critiques des thèses de Bloch, ont été envoûtés par la mystique du sang… La vérité, semble-t-il pressentie par Marc Bloch, c’est que l’utilisation de la terminologie du sang héréditaire réapparaît dans le premier quart du XIVe siècle. Les pages qui suivent s’attacheront à le montrer en enquêtant sur l’apparition du sang noble et du sang royal.

[230] Quoique Giesey, entraîné par la logique de sa reconstruction juridique, voie dans la mystique du sang une sorte de retour au primitisme mérovingien: p 40d This is not the place to go into the mystique de sang which became a major prop of Bourbon absolutism…p 41d it tended to vitiate the spirit of the juristic formulae. For, rather than the royal succession seeming to be a fulfillment of a customary law upon which the whole body of the realm had agreed centuries before -a notion which all Frenchmen could uphold honorably- the concept of the Princes of the Blood insinuated a kind of dynastic mystique...p 42d …the progressive exaltation of the Princes of the Blood...- instead of merely enjoying the chance that the law some day would call them to a great duty-was a kind of self-centeredness that led the Capetian dynasty away from the vital juristic basis of the fundamental law.

[231] La double nature du Christ, affirmée depuis les premiers conciles du Ve siècle, troouve une application politique au concile de Latran IV (1215) qui proclame la transsubstanciation. Rigaudière, 1997, p 93: Cette dualité corpus verum/corpus mysticum pénètre lentement la pensée politique qui voit en elle un schéma applicable à la société politique. Le corpus verum Christi trouve sa réplique dans le corpus naturale regis - corps physique, mortel et privé du roi – tandis que le corpus mysticum figure le corps immortel et public du roi à travers l’État qu’il représente et la dignitas qu’il anime…

[232] Maitland, 1901, p 35 à propos des Plowden’s reports dont Kantorowicz fera si grand usage: we may find much curious argumentation about the king’s two ‘bodies’, and I do not knowwhere to look in the whole series of our lawbooks for so marvellous a display of metaphysical – or we might say metaphysiological – nonsense…(mon soulignement) ; p 37  the theory of the two kings or two persons stubbornly refuses to do any real work in the cause of jurisprudence. We might have thought that it would at least have led to a separation of the land that the king held as king from the land that he held as man, and to a legal severance of the money that was in the Exchequer from the money that was in the king’s pocket. It did nothing of the sort. All had to be done by statute, and very slowly and clumsily it was done…

[233] Rigaudière, 1997, p 89: ... juristes et praticiens s’efforcèrent toujours davantage de distinguer rex et corona que de les séparer. L’un ne pouvait rien sans l’autre. La couronne, dépositaire de biens, ne pouvait les gérer seule sans le secours du prince, pas plus qu’elle ne pouvait exercer, sans son intermédiaire, les droits dont elle était titulaire… Ainsi s’opéra en même temps, autour de la couronne, un double phénomène de dépatrimonialisation et de "publicisation" dont elle se trouva être la première bénéficiaire... p 92 Semblable raisonnement transforme, dès le règne de Philippe le Bel, l’ancien impôt féodal en impôt royal d’abord, avant d’en faire un impôt levé au profit exclusif de la couronne.. C’est en se réfugiant derrière la tuitio rei publicae, la communis utilitas et l’imminens necessitas propter guerram, la defensio regni et surtout la defensio regni et coronae que légistes et souverains du XIVe siècle réussissent à légitimer l’impôt en lui trouvant un nouveau bénéficiaire: le royaume tout entier, l’État et, mieux encore, la couronne. C’était, une nouvelle fois, transférer du roi vers la couronne un ensemble de prérogatives… Du XIIIe siècle au XVe siècle, la corona regni dans laquelle théoriciens, gouvernants et praticiens s’accordent à voir avant tout une entité et un symbole, s’impose véritablement comme une force attractive et structurante.

[234] Cazelles, 1982, p 512: l’inaliénabilité du domaine de la couronne est jurée par le roi de France au moment du sacre de Reims. On admet, en général, que la clause a été introduite dans le serment du sacre sous Charles V. Elle est en réalité antérieure et Jean le Bon semble avoir déjà juré de ne pas aliéner le domaine…513 Une telle volonté est bien dans la ligne de la politique conçue et suivie à partir de 1360. L'inaliénabilité et l'intangibilité de ce qui constitue le domaine de la couronne deviennent un des principes fondamentaux du régime nouveau. Elles étaient déjà latentes dans les décennies antérieures et la révocation des dons faits par les rois est une pratique des derniers Capétiens et des premiers Valois.

Rigaudière, 1997, p 88: Ce 'droit de la couronne du royaume' contribue à fonder une entité véritablement autonome et de plus en plus distincte, tout à la fois, du rex et du regnum. Cette autonomie..ne cesse de se renforcer sous les règnes de saint Louis, de Philippe le Bel et de ses fils... p 90 Le statut du domaine offre sûrement la plus saisissante de ces évolutions vers l’élaboration progressive d’un corps de normes de droit public qui, à travers la coutume et la pratique, place cet ensemble de droits et de biens en dehors d’une gestion privée qui serait abandonnée à la seule initiative du roi… Cette union, particulièrement forte, entre les divers composantes du domaine et la corona a largement contribué à conditionner leur statut que théoriciens, praticiens, juges et administrateurs royaux s’efforcent de définir tout au long des XIVe et XVe siècles. Ils parviennent, non sans difficulté, à travers leurs écrits et leur comportement à faire lentement triompher trois grands principes qui font du domaine de la couronne un ensemble de biens inaliénables, indisponibles et imprescriptibles. Législation et jurisprudence ne les consacrent qu’avec retard et timidité, tant les souverains successifs, de Philippe V à Charles VII ont, en dépit de leur volonté affichée de préserver les biens de la couronne, procédé à des aliénations nouvelles ou révoqué de manière souvent inefficace des aliénations antérieures.

[235] Giesey, p 12d: he who succeeds to the realm of France cannot be called the heir of him to whom he succeeds, nor his patrimonial successor; he is successor only by simple succession…; p 15d « The father and the son, granted that they may be differentiated, nevertheless have been supposed as one and the same species and nature… » ; 17g After the editio princeps of TerreRouge's treatise itself in 1526, however, its ideas were common coinage. Especially widespread became the fundamental distinction between hereditary succession and simple succession…

Le contexte importe plus que le texte: l'accession du duc de Bourgogne, Jean sans peur, au gouvernement puis le transfert de la couronne à Henri VI d'Angleterre (Traité de Troyes, 1420). Si Terrevermeille a peut-être servi la propagande du dauphin, ce sont les victoires militaires et politiques de ce dernier qui ont réglé la question. En quelque sorte, c'est le droit divin: en donnant la victoire à Charles contre Edouard, Dieu a annulé l'exhérédation qu'une victoire anglaise, au contraire, aurait confirmée ! Ne confondons pas un conflit de terrain et un débat académique ! On trouve des arguments pour tout. Les gisements hétéroclites des antiques, du droit romain, du droit canon, des pères de l'Eglise, de la Bible, des coutumes, constituent une réserve inépuisable d'autorités et de matériaux pour l'habileté rhétorique des théoriciens et plaideurs. Il serait hasardeux de rechercher ce qui fait consensus, plus hasardeux encore de reconstituer des filiations et totalement outrecuidant de formuler une théorie. Si l'on ignore presque tout des pensées des 99% de la population, la très mince "technostructure" a en commun matériaux et technique dialectique. Les conclusions sont affaires de circonstances: même si la guerre passe aussi par des plaidoiries, à la fin, le champ de bataille juge

[236] De même, le pape est administrateur de l'Eglise, arguèrent les maitres de la Sorbonne, dès le désaccord sur l'exemption des prêcheurs.  Cf. Congar, 1960, p 148: A l'intérieur de cette Ecclesia, évêques et pape ne sont que des ministres. Ils n'ont pas une autorité discrétionnaire ni créatrice de droits, mais une autorité de service, chacun à son plan, subordonnée aux règles générales que l'Eglise s'est données dans ses conciles… Bref, le pape est le ministre suprême dans un cadre constitué qui comporte, à titre essentiel, le pouvoir ordinaire des évêques. Il a un pouvoir suprême d'ordre exécutif, non d'ordre constitutif…

[237] Citons, par exemple, le Premier Président de Selve qui, en décembre 1527, argumente pour annuler le Traité de Madrid que François Ier affecte de soumettre au jugement de la cour. Le Parlement, pas plus que le roi, ne veut abandonner le duché de Bourgogne à l'empereur. De Selve nie que la question puisse même se poser car le Roi est tenu d'entretenir les droits de la Couronne, laquelle est à lui & à son peuple & à ses sujets commune ; A lui comme le chef, & aux peuple & sujets comme aux membres: Et est un mariage fait entre ledit Seigneur & ses dits sujets ; le droit de ce mariage que ledit Seigneur est tenu garder, est d'entretenir & conserver les droits de sa Couronne.

[238] Ce Parlement séant à Paris se compose de magistrats qui, par adhésion à la Ligue, par tactique, par peur ou par prudence, sont restés quand les autres, en exécution des ordres royaux, partaient à Tours. Il a souffert des "Seize" qui firent exécuter le Premier Président Brisson et deux autres conseillers en 1591. Le retour de Mayenne l'a quelque peu revivifié. En 1593, quelques têtes (du Vair, Marillac, Le Maistre...) veulent sortir de l'impasse et bousculent les autres. Ce Parlement factieux vire de bord et fait preuve d'une audace effrayée. L'arrêt Lemaistre le lave de ses compromissions. Henri IV l'en récompensera et répondra aux protestations des loyalistes: pendant que le parlement de Tours faisait ses affaires, le Parlement de Paris faisait les miennes. Quoique l'arrêt ne dénoue pas d'un coup l'embrouillamini, le rappel des lois fondamentales trace une limite et exerce un effet catalytique.

[239] Le texte est dans: du Jour (ed), 1611, Les Remonstrances de Messire Jacques de la Guesle, Paris, ch. Chevalier. De la Guesle a, parmi les premiers, rejoint Henri III à Tours et "remonté" le Parlement. Dès la mort du Roi, il se rallie à Henri de Bourbon qu'il espère voir devenir catholique. En l'occurence, le 29 juillet 1591, le procureur plaide pour le rejet des lettres patentes du 13 Avril 1590 (qui ont déjà l'objet de nombreuses pressions et lettres de jussion) par lesquelles Bourbon cherche à maintenir son patrimoine propre séparé du domaine royal afin de pouvoir plus facilement l'aliéner pour payer la guerre (cf. de Waele, Michel, 1995, Une question de confiance? Le parlement de Paris et Henri IV, 1589-1599, PhD, McGill University, CH 10).

[240] Tierney, 1995, p 69 The most obvious significance of the medieval church-state struggle for the history of freedom is that it prevented rulers in either sphere from becoming absolute theocratic sovereigns... In the circumstances that actually existed, it was impossible for any ruler to consolidate a position of absolute power; and since, in the conflicts between church and state, each side always sought to limit the power of the other, the situation encouraged theories of resistance to tyranny and of constitutional limitations on government... 85 These are significant observations, for the medieval church certainly did play a major role in the development of Western representative institutions. This came about mainly in two ways. In the first place, the church limited the power of kings so that they could not reign as absolute theocratic monarchs; they needed the consent of their people in order to rule effectively. Then the church developed its own practice of holding representative councils

[241] Tellenbach, 1936, p124: the Investiture Contest was settled by compromise in England, France and Germany... The Church had been compelled to abandon many of its demands and had been unable entirely to set aside the rights of the laity. No other course had been left to it than to give up the theory of the spirit character of clerical property and its inseparability from the spirit office... 125 As a result it might seem as if the reformed papacy had been defeated./.but such a conclusion would be false. The main intention had been to deprive the laity of their spiritual functions. The lay  princes were driven out of the ecclesiastical sphere, and from now on their power was purely secular...135 lay investiture was most successfully defended when its defenders fell back on the argument that it was a purely secular act.Tellenbach, p166: It is further probable, as has often been pointed out recently, that the papacy's attacks on the Divine Right of Kinggs led directly to later attempts to set the state on new, and this time, secular foundations [cf. Brackmann, in Barraclough, 1938, vol 2]. Conclusions such as this, the truth of which is difficult to demonstrate, must however be handled with great caution...

[242] Berman, 1983. Ce premier volume a été suivi (II) de la révolution "germanique" (Luther) et anglaise (Calvin) et aurait dû l'être (III) de la révolution française et russe. Le tout pour démontrer que les systèmes de droit évoluent en continu par des ruptures du paradigme religieux.

p 287 La révolution papale donna naissance - nouveautés dans l'histoire - à un état ecclésiastique séparé et autonome, l'Eglise catholique romaine, avec un corps de droit ecclésiastique séparé et autonome, le droit canon. Par cette création même elle créait, autres nouveautés historiques, des entités politiques sans fonctions ecclésiastiques et pourvues d'un ordre légal non ecclésiastique...

p 546  Finalement, un nouveau type de droit royal prit forme: dans le sillage de la révolution papale. L'autorité spirituelle du roi sur l'Eglise ayant été abrogée, il gouvernait désormais en chef séculier, dont la tâche principale était de maintenir la paix et de faire régner la justice dans son royaume La révolution papale, en privant empereurs et rois de leur caractère sacral d'ultimes dirigeants de l'Eglise, les avait réduits au statut de monarques temporels. Mais simultanément, elle avait agrandi le pouvoir des rois en appuyant le nouveau concept territorial de la royauté qui contribua à les transformer de chefs de clans et suzerains féodaux, en dirigeants suprêmes d'une aire géographique déterminée.

[243] Cf. le forum du trentenaire in 2013, Rechtsgeschichte 21 (RG21), Journal of the Max Planck Institute for European Legal History.

Le style prophétique et la personnalité de l'auteur (catholique proclamé et spécialiste du "droit soviétique") laissent perplexe: Law has to be believed in or it will not work (Berman, H.J., 2003, "The Interaction of Law and Religion", translated by Liang Zhiping, China University of Political Science and Law Press, Beijing cit. in Wang Jing, 2013, "Law and Revolution in China", RG21).

[244] Dig. 1.1.1:  Cuius merito quis nos sacerdotes appellet: iustitiam namque colimus et boni et æqui notitiam profitemur, æquum ab iniquo separantes, licitum ab illicito discernentes, bonos non solum metu pœnarum, verum etiam præmiorum quoque exhortatione efficere cupientes, veram nisi fallor philosophiam, non simulatam affectantes (On peut proprement nous appeler prêtres du droit car nous cultivons la justice et faisons profession de connaître ce qui est bon et équitable, séparant le vrai du faux et ce qui est licite de l’illégal ; désirant rendre les hommes bons par la crainte de la punition mais aussi par l’espoir de la récompense, visant –à moins que je ne me trompe– une vraie et non une feinte philosophie).

On pourrait citer à l'appui de Berman, Kantorowicz, 1961: Le proemium des Institutes de Justinien s'ouvre par une remarque philosophique de portée générale: «La majesté impériale doit non seulement être ornée d'armes, mais elle doit également être armée de lois [armis decorata-legibus armata], pour être à même de gouverner justement en tout temps, en paix comme en guerre»…le roi-auteur des lois commençait à éclipser le roi-protecteur des lois des siècles précédents, et le rex legislator supplante le rex Justus, dont la coloration était plus religieuse. L'image créée par Justinien et Tribonien relègue dans l'ombre celle de Melchisédech, dont le nom était traduit par rex Justitiar... le statut de roi et prêtre est également revendiqué par Roger II  [1140, Assises de Sicile], mais il récupérait le caractère quasi sacerdotal non par l'intermédiaire de l'Église (car cela était devenu impossible après l'époque grégorienne), mais à travers les hautes prétentions de la philosophie du droit romain — celle qui est issue du prologue du Digeste, dans lequel les juristes sont comparés à des prêtres… La métaphore du caractère quasi sacerdotal des docteurs en droit, et par conséquent aussi du roi qui est le judex judicum en son royaume, a fait l'objet de fréquents débats et de fréquentes interprétations de la part des glossateurs... Baldus défendait toujours, au XIVe siècle, la doctrine selon laquelle legum professores dicuntur sacerdotes car, dit-il, il y a un sacerdotium spirituale aussi bien qu'un sacerdotium temporale...

[245] Kantorowicz, 1961, p 9: ...le roi était censé juger normalement par l'intermédiaire de ses juges qui étaient des juristes professionnels, et dont on attendait qu'ils aient, en place du roi, toutes les lois afférentes au cas en question présentes à l'esprit, in scrinio pectoris… A partir de la fin du XIIIe siècle, les juristes trouvèrent également une raison à une telle coutume. Originaire d'Italie du Sud, André d'Isernie, qui écrivait aux alentours de 1300, n'était sans doute pas le premier à affirmer sans détour que le roi devait se reposer sur les juristes parce que raro princeps iurista invenitur, «il se trouve rarement un prince qui soit un juriste»..p 11 /de même Fortescue, De laudibus, éd. Chrimes, chap. VIII, 22 sq., qui / ajoutait que l'expérience juridique nécessaire aux juges pouvait à peine être atteinte en vingt ans d'études. L'auteur rappelle à la suite la fameuse réplique de Coke au roi Jacques I: que les affaires qui concernent la vie, l'héritage, les biens ou les fortunes de ses sujets ne se décident pas par la raison naturelle, mais par une raison artificielle et par le jugement de la loi, qui requièrent une longue étude et expérience avant que l'on puisse parvenir à leur connaissance (Coke, Twelth Part of the Reports, 63-65).

[246] Même en prenant Grégoire pour un marqueur plutôt que l'effecteur messianique que systématise Berman, la simple histoire de son règne  laisse dubitatif: il s'est beaucoup exprimé (lettres etc.), ce qui lui donne dans l'historiographie une place que ne méritent pas ses actions brouillonnes. Si on enlève la connexion lorraine (comtesse Matilde) que reste-t-il de lui ? La réforme de l'Eglise a commencé avant lui et il en a perturbé la marche plutôt qu'il ne l'a poussée en avant.

Cf. Ullmann 1953, The growth of papal government, Chap. IX, Gregory VII: If indeed "reform" was what distinguished the Hildebrandine Papacy, one may be forgiven for asking why this epitheton ornans is not bestowed upon the emperors immediately preceding this period. For, as we hoped to show, the Saxon and quite especially the early Salian emperors were indeed imbued with the spirit of reform and were successful to a not negligible extent.

Barraclough, 1968, Medieval Papacy, p89 ... thus Gregory died a failure, without having achieved any of his objects ... few of his statements found a permanent place in the law of the church... he stands a lonely figure and the course of development passes him by... p90 not Gregory but in the 11th century Leo IX and Urban II, and in the 13th, Eugenius III and Alexander III...are the popes who laid the foundations of the papal monarchy and by comparison with them Gregory's stormy pontificate appears almost as a distraction, if not a deviation... Gregory led the church into a blind alley. The attempt to bring the state into subordination to the church, with its inevitable corollary, the immersion of the papacy in politics, brought about a strong reaction in which the most influential reformers of the next generation played a leading part [Bernard etc]..the consequences of Gregory's intemperate policies had to be liquidated and this was the task of his successors down to Calixtus II (1119/24). Only could the papacy proceed with the work of establishing its primacy within the church, which Leo IX hab begun.

Logan, 2013, Chap. 7: the pontificate of Gregory VII was a failure, perhaps even a monumental failure. He disturbed the forward progress of reform by picking unnecessary fights with secular rulers.

[247] Tierney ne partage pas l'idée de révolution papale de Berman. A partir d'une analyse beaucoup plus fouillée des textes, il met en évidence la continuité et la diversité de la pensée politique, de l'early medieval au post medieval: il n'y a pas un corpus constitué mais des thèses contradictoires qu'on emprunte, transforme et développe quand nécessaire.

En sens inverse, Leyser en fait la "première révolution européenne" (Leyser, 1991: On the Eve of the First European Revolution) en postulant un mouvement de masse résultant d'un ébranlement moral (doutes et aspirations religieuses, sensibilité aux hérésies) que traduiraient les "assemblées de paix" et la "révolte saxonne". Cf. Leyser, 1994. Chap. 1, p 13: The upsurge and mobilisation of the masses in the battle for the libertas ecclesiae and what Gregory VII called justitia also changed their relations with the nobility which had hitherto ruled alone and unchallenged.: p 14 the great Saxon rising of 1073 fused and merged with the cause of the fideles sancti Petri, Gregory VII's following in the Reich. L'implication des "liberi" et des paysans des deux côtés expliquerait à la fois la durée et l'intensité de la guerre. Ainsi, p 19: On the one hand the dynamic was a new intolerance towards a state of affairs which, even if not rightful, had so far passed muster… Joined to this on the other hand was the emergence of the masses, their participation in the peace movement, the cult of the saints and the dark quest for a more articulate, do-it-yourself lay religion. Without these congeries of men and women in which all social orders acted together, the struggle against simony, clerical marriage and in the end that for power itself would have been inconceivable.

[248] Sans évoquer ici Gélase et Grégoire le Grand, donnons un exemple: depuis longtemps, on prend les impressionnantes pénitences de Louis le Pieux pour une victoire de l'Eglise, une manifestation de la tendance hiérocratique des évêques et du pape. De Jong (2003, 2009), quittant la logomachie pour l'anthropologie  nie que la distinction "Etat"-"Eglise" ait alors un sens: il faut les penser fusionnés. Sur la base des témoignages disponibles, elle montre que le fils de Charlemagne s'offre lui-même en sacrifice pour apaiser Dieu et éloigner les calamités qui affectent son royaume (penitential state).

[249]  deJong, 1994: This change of perspective is not only the result of an increased sense of the otherness of the doctrine of Virgin Birth. It also requires the conviction that Aboriginal people and catholics are equally rational... There are obvious dangers in singling out the distant past as being more suitable to anthropological investigation. If one goes overboard in stressing alterity, this may lead to archaising interpretations, exoticism, revived evolutionism, and ultimately, to a self-defeating epistemological stance... Anthropologists have sailed between this Scylla and Charybdis in their own fashion. Just as medievalists have had to think of medieval people as being perhaps less 'medieval', anthropologists have had a hard time ridding themselves of the infamous notion of primitivity. Ignorance has long been the hallmark of both 'medievals' and 'primitives' alike.

[250] Gingras, 2016: Un élève de Henry Adams, Henry Cabot Lodge, est le premier à obtenir à Harvard un PhD en histoire, avec une thèse d’histoire médiévale significativement intitulée "The Germanic Origins of Anglo-Saxon Land and Law", avant d’être élu à la Chambre des représentants (1887-1893) puis au Sénat (1893-1924) où il défendra avec vigueur le rôle de libérateur des États-Unis, notamment à Cuba et aux Philippines, dans la Guerre de 1898. Deux ans après la signature du traité de Paris, qui cédait les Philippines, Porto Rico et Guam aux États-Unis, Henry Cabot Lodge défendait le rôle providentiel de l’intervention américaine auprès de ces populations en faisant intervenir son savoir de médiéviste. Dans un discours au Sénat prononcé le 7 mars 1900, il affirme: "In the village communities of China, you can find forms of local self-government which are as successful as they are ancient. The Malays of Java and of the Philippines as well display the same capacity... But this local self-government never went beyond the town or the village; it never grew and spread, as was the case with the Teutonic tribes and their descendants".L’ancienneté des pratiques du self-government est un gage de réussite et, à ce titre, les États-Unis et, plus généralement, les descendants anglo-saxons des vieilles tribus teutonnes sont les meilleurs garants de l’implantation des libertés partout dans le monde...

La thèse « teutonne » est contestée à partir des années 1890, notamment par Frederick Jackson Turner...[qui] défend l’idée que la réussite du modèle américain est directement liée à son rapport à l’espace et, précisément, à la conquête de l’Ouest. Charles Homer Haskins, qui enseigne alors à l’université Johns Hopkins de Baltimore, abordera l’étude du Moyen Âge dans cette perspective... il s’intéresse au processus de centralisation à l’œuvre au cours d’un long XIIe siècle, période qu’il est l’un des premiers à qualifier de Renaissance, notamment à travers les institutions normandes représentant à ses yeux le parfait exemple de rationalisation administrative, juridique et politique d’un espace multiethnique (celui qu’occupent les Normands en Europe et qui passe par le Nord de la France, les îles britanniques et avance même jusqu’en Sicile). Pour Charles Haskins, dans un monde aux frontières mouvantes, l’administration centrale joue un rôle régulateur et civilisateur, notamment en exerçant le monopole de la violence à travers le droit et la constitution... Avec Haskins, la médiévistique est, encore une fois, très proche de la politique puisque le professeur... sera l’un des trois principaux conseillers du président Woodrow Wilson à la conférence de paix de Paris...

[251] One function of the Teutonic germ theory had been to enable Americans conceptually to by-pass feudal institutions, so hated by revolutionary founders such as John Adams.

Sur l'impact du nazisme, cf. note 36: Mcllwain provides the most interesting example…In "Medieval Institutions in the Modern World," Speculum, 16 (1941): 275-83, Mcllwain allowed present events in Germany to reorient completely his notion of the place of Roman law in Western constitutionalism, ..now Mcllwain confessed that "for myself it has been the tribal excesses of present-day Germany which, as much as anything else, have led me to question the group theory of von Gierke's Genossenschaftsrecht either as an explanation of medieval life or as a principle of practical politics" (pp. 279-80). Moreover, Mcllwain opined, the Nazi repudiation of Roman law suggested that medievalists had greatly overemphasized the despotic character of that great legal corpus and had, conversely, greatly under-rated the "importance of Roman constitutionalism in the early development of our own" (p. 278).

[252] L'Etat-nation apparaissant la norme et les historiens nationaux ou nationalistes du XIXe travaillant à scénariser le processus historique de constitution de leur Etat, les historiens germaniques se sont heurtés à "l'échec" de l'Etat en Allemagne et l'ont attribué, factuellement aux manœuvres françaises, théoriquement au "malheur" (unglück) de la réception du droit romain. Cf. Kern, 1914 ; Tellenbach, 1936 ; Barraclough, 1938 ; Barraclough, 1946.

Maitland (Introduction à sa traduction de 1900 de Gierke, Political theories of the Middle Age, p 17 de la trad. française): [En Allemagne] en regardant en arrière, on commença à considérer la Réception comme une honte et un désastre, et à voir en elle la cause déterminante de l'émiettement de la nation… p36: Pour la Genossenschaftstheorie de l'Allemagne moderne la tâche qui restait à faire était donc de recouvrer, de rendre à la vie 'l'idée organique' et de lui donner une forme scientifique…

[253] Guénée Bernard, 1964, p 333/4: l'influence de l' Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du Tiers Etat, le prestige de Michelet, le succès durable du Dictionnaire d' A. Chéruel, qui est à la fois l'élève de Michelet et le lecteur convaincu de Thierry, imposent pour longtemps à tous comme une évidence le schéma de Thierry à peine modifié par les idées de Michelet: la royauté, alliée à la bourgeoisie, venant à bout de l'Église et de la féodalité, cette image est sans doute ce que Louis-Philippe a légué de plus durable à la France. La réforme érudite, qui commence à s'imposer sous le Second Empire, a beau forger aux historiens français un nouvel esprit..les oeuvres les plus modernes et les plus estimables sont toujours offertes au public dans un vieux cadre louis-philippard.

[254] Freedman, 1998, op. cit.: As a result of this development, the idea of history has been transformed from narration to representation, based on the conviction that the investigation of the past occurs only through the mediatory and mediating texts it bequeaths, and, therefore, what is 'recovered' is not so much the truth of the past as the images of itself that the past produces... Together, these two movements are creating a 'new medievalism' (in the title of a recent collection of essays), one that is, in Eugene Vance's words, 'a science not of things and deeds but of discourses; an art not of facts but of encodings of facts' [Eugene Vance, "Semiotics and Power: Relics, Icons and the Voyage de Charlemagne at Jerusalem" in The New Medievalism, Marina S. Brownlee, Kevin Brownlee, and Stephen G. Nichols, eds., Baltimore, Md., 1991, p 227].

[255] Metahistory is a fascinating subject in its  own right, considered as a branch of epistemology or linguistics, but it has little to do with the activity of a simple working historian (Tierney Brian, 1982, preface, p vii), en écho de cette phrase de Pocock: Any text may be an actor in an indefinite series of linguistic processes (Pocock, John G.A., 1987, "The concept of a language and the 'métier d’historien': some considerations on practice", in Pagden Anthony (ed), The languages of political theory in early-modern Europe, Cambridge UP, pp19-38, p. 31).

[256] Sauf quelques vues pragmatiques. Cf. Le Bras à propos de Maitland: La ligne de bataille passe souvent au moyen âge entre un pape et un roi associés pour une levée de décimes ou une limitation des empiétements des officialités et, d'autre part, des évêques, des clercs récalcitrants, que soutiennent de leurs vœux des fermiers sur qui retombera l'impôt ou des bouchers qui portent la tonsure... l'Église et l'État ne sont point deux personnes que l'on rencontre sur les chemins (Le Bras, 1930, p 395/396).

[257] Tierney 1982, p 10/11: Frequent interchanges of personnel occurred between the two spheres of government; a medieval king's 'clerks' were also 'clerics', often holders of ecclesiastical benefices [Becket!]...p 11 trained canonists staffed the chanceries of kings as well as the bureaucracy of the church… In discussing the 'configuration' of medieval society there is one more complexity to be considered… A typical medieval guild displayed a fusion of secular and religious functions that would be hard to parallel in any modern institution... p 25 similarities arose because the various parties involved - royal administrators, curial bureaucrats, organizers of new orders - were all drawing on a common pool of legal doctrines [roman, canonic] that they found both persuasive and useful... p 30 Around 1200 any competent Roman or canon lawyer could discriminate between ruling and owning, between jurisdiction and holy orders, between making law and finding law, between legislating and judging, between allegiance to a person and allegiance to an office.

Davis, in Barralis, 2014: the rewarding by the crown of diplomats and administrators with ecclesiastical benefices not only represented an astute use of ecclesiastical patronage but also frequently blurred the line between the categorisation of men as clerical or lay.

Lemaître, "Epilogue", in Barralis, 2014: Il a fallu l’océan des commentaires juridiques défendant les droits personnels des clercs pour qu’une frontière entre clercs et laïcs soit peu à peu dressée puis reconstruite en permanence tant elle n’était pas évidente. Les hommes d’Église et les hommes d’État reçoivent en effet la même formation et sont issus des mêmes milieux de notables, y compris encore dans les collèges de Jésuites du XVIIe siècle... Les clercs partagent avec les laïcs une même culture juridique puis théologique, jusqu’à la fin du XVIIe siècle... On comprend dès lors qu’il n’y a pas d’opposition le plus souvent entre les deux services du roi et de Dieu, pas plus qu’entre service de soi et service du groupe. Le roi se fait acteur de la réforme des institutions comme de l’Église.

[258] Une question encore plus vertigineuse ne semble pas avoir été posée: si Dieu voulait et faisait l'injustice, cesserait-il d'être Dieu comme le pape cesse d'être pape s'il devient hérétique (canon si papa) ? La réponse serait vraisemblablement du même type: puisque Dieu exclut l'Injustice, l'acte injuste n'a que l'apparence divine et constitue une mystification du Diable. De même, le roi qui agit contre le bien public n'en est plus un: il devient un tyran. Le verdict des hommes est une déclaration, une constatation, pas un jugement. De même que celui qui ne croit pas est déjà jugé (Marc 16.16), de même l'anti-dieu, l'anti-pape ou l'anti-roi !

Concernant le pape, cette faille dans sa divinité (Arquillère, 1911, p 43 le point vulnérable de la papauté du moyen âge: le cas d'hérésie) sera exploitée par tous ceux qui en auront besoin: Nogaret, le concile de Constance etc.

Cf. ca 1150, Décret de Gratien, pars prima, dist. XL, c. 6, Si papa (ex Gestis Bonifacii martyris): Hujus (papae) culpas istic redarguere praesumit mortalium nullus, quia cunctos ipse judicaturus a nemine est judicandus, nisi reprehendatur a fide devius (Personne ne saurait avoir la présomption de reprendre les fautes du pape, juge universel qui échappe au jugement des hommes, excepté s'il tombe dans l'hérésie).

Mgr Arquillère, 1911b, p 581: /si papa/ apparaît dans les collections canoniques antérieures les plus favorables aux prérogatives pontificales. Au XIe siècle, au temps de la papauté grégorienne, elle a pris place dans la compilation du cardinal Deusdedit. Au XIIe siècle, un canoniste français, Yves de Chartres, l'a insérée dans trois recueils qui ont joui d'une grande autorité…Cette doctrine qui reçut une application solennelle au moment de la condamnation du pape Honorius (7 novembre 689) parait très ancienne. Le pape Damase semble s'y être soumis au synode de Rome (378). Le pape Symmaque, en 501, a consenti à comparaître devant le concile de Rome convoqué par Théodoric. Léon III s'est disculpé des accusations portées contre lui, dans un synode réuni à Rome en l'an 800…Opinion que partage Mgr Martin, 1937, p 124: qu'il reflète une tradition déjà solide au VIIIe siècle, cela ne fait aucun doute…

Tierney 1953, p 381: Huguccio used the canonistic doctrine that a heretical Pope was liable to despotism as an argument to prove that a tyrannical king might in certain circumstances be deposed by his barons…p 382 No doubt it was the most widely accepted and the most orthodox theory

[259] Les ouvrages de référence sur la question sont: Oakley Francis, 1984, Omnipotence, Covenant, and Order: An Excursion in the History of Ideas from Abelard to Leibniz ; Ithaca and London ; Courtenay  William J, 1990, Capacity and volition: A history of the distinction of absolute and ordained power, Quodlibet: ricerche e strumenti di filosofia medievale, Bergamo, Lubrina ; Boulnois Olivier, 1994, La Puissance et son ombre: de Pierre Lombard à Luther, Aubier.

[260]  Augustinus,  De Vera Et Falsa Poenitentia Ad Christum Devotam, ed. Migne, L1, Cap. X

Berman, p 192:  Pourquoi Dieu dans sa pitié ne peut-il pardonner librement à l'homme son péché comme un geste de grâce? La réponse est que cela laisserait non corrigée la perturbation de l'ordre de l'univers et ce désordre non réparé constituerait un défaut de justice. L'ordre juste de l'univers, la iustitia ou rectitude de Dieu, requiert que le prix soit payé. La grâce accordée par pitié est fille de la justice, disait Anselme, elle dérive de la justice et ne peut opérer contre la justice. Berman ajoute en note 35: Dans Cur Deus Homo, Anselme demande s'il conviendrait à Dieu de remettre les péchés par le pardon seul, sans requérir de satisfaction ni de punition. Il déclare que il ne sied pas que Dieu remette quelque chose dans son royaume de façon irrégulière (inordinatum) et que traiter également le coupable et le noncoupable « ne serait pas convenable pour Dieu». Il ajoute: "Observez encore ceci: chacun sait que la justice des hommes est soumise à la loi... mais si le péché n'est ni remis ni puni, il n'est donc soumis à aucune loi... L'injuste, par conséquent, s'il est remis par le pardon seul, sera plus libre que le juste, ce qui est très choquant" (Cur Deus Homo, livre I, chap. 12, Migne, PL 158.377). Anselme revient sur le problème au livre I, chap. 24, déclarant que pour Dieu, simplement pardonner  à l'homme sa désobéissance serait favoriser l'homme à cause de son péché. "Véritablement, une telle miséricorde de la part de Dieu serait contraire à sa nature, il est impossible que son pardon soit de cette espèce".

[261] Malgré le disparate des dizaines de thèses que l'évêque de Paris à la requête du pape condamne comme hérétiques, il s'agit pour lui de défendre la toute puissance et la liberté de Dieu contre le "nécessitarisme" rationnel inspiré par Aristote-Averroes. Il n'y a pas une "double  vérité", celle de la Foi et celle de la Raison, il n'y en a qu'une. Cette libération de la Théologie est, en sens inverse, celle de la Raison: paradoxalement, le dogmatisme de Tempier serait à l'origine de la révolution scientifique (Duhem).

[262] Variante: la plenitudo potestatis du pape lui permet-il de changer la substance d'une chose ? La question s'est posée, non pas à propos de la virginité perdue mais du vœu monastique (Bourreau, 1998): les vœux essentiels font partie de la nature du moine que le pape ne peut pas altérer en le déliant: sa puissance ne lui permet pas de redéfinir la substance du moine mais –admirez l'astuce !– elle peut redéfinir la qualité d'une personne en transformant (temporairement ou définitivement) un "moine" en "non moine" qui, conformément à la nature du "non moine", ne sera pas tenu par les vœux !

La polémique du XIIIe siècle à propos des frères mendiants repose la question: le Pape peut-il changer la nature de l'Eglise ? …le pape ne saurait dispenser contre le 'statut général de l'Église'. Les séculiers, quand ils combattaient les privilèges particuliers accordés aux mendiants en matière de pastorale (confession et prédication dans les paroisses, au détriment des curés et des évêques), arguaient des constitutions, du statut général de l'Église et notamment des canons du concile de Latran IV (Bourreau #16). Les séculiers protestaient contre l'exemption accordée par le pape aux prêcheurs en leur permettant de confesser à la place du curé de paroisse. Ils arguaient que cette confession ne dispensait pas du curé et qu'il fallait la refaire pour que le sacrement de pénitence soit valable.

En réponse, les prêcheurs retournent l'argument des limites du pape: l'essence des sacrements étant immuable, le pape peut s'il le veut en changer les ministres, mais ni lui ni aucun statut ne peut modifier cette essence et faire que des péchés remis aient encore besoin de rémission (Glorieux, 1925, p479).

[263] Pierre Damien, 1066, de divina omnipotencia: Dispute sur une question par laquelle on demande comment Dieu, s'il est tout-puissant, peut faire que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé: 1. Prologue ; 2. Si Dieu peut rendre la virginité à celle qui l'a perdue...4. Que la volonté de Dieu est pour toutes choses la cause de leur existence ; 5. Que Dieu peut indubitablement rendre vierge celle qui ne l'est plus ; 6. Comment il est possible que ce qui est arrivé ne soit pas arrivé ; 7. Que cette question concerne plutôt l'enchaînement des mots que le mystère de l'Eglise ; 8. Que Dieu, dans le sein de sa présence, renferme à la fois tous les temps et tous les lieux ..12. Que Dieu peut tout, soit qu'il le fasse, soit qu'il ne le fasse pas ; 13. Que celui qui a créé la nature change aussi la nature...

Dans les distinctions 42, 43, 44 du Livre I des Sentences, Le Lombard demande (Oakley, 2002) whether God of his omnipotence could have made or arranged things other than he had, whether he could have created a world better than he did, or whether, even, he could undo the past–that is, so act that an actual historical event should not have occurred (Oakley, p 4).

Lombard, patronné par le Concile de Latran de 1215 (2ème canon), devient le text book de la théologie (il ne sera remplacé par d'Aquin qu'au XVIe), puis des Arts. En amont, il fait le pont avec d'innombrables autorités patristiques. En aval, il est l'objet d'une multitude de commentaires.

[264] La puissance absolue est in abstracto, virtuelle (tout ce que Dieu pourrait faire), la puissance ordonnée in concreto, effective (tout ce qu'il fait). Cette distinction que Oakley compare à une construction antisismique sur la ligne de faille de la pensée occidentale, entre la plaque grecque de la nécessité et la plaque biblique de la liberté divine discrétionnaire, voire colérique, diffuse très vite: p 6 it was discussed at the start in specialized academic treatises addressed to fellow theologians. But it speedily found its way into Faculty of Arts circles, where it assumed a broad role in connection with issues pertaining to natural or philosophical theology and natural philosophy... Similarly, and long before the thirteenth century was over, the distinction had begun to break out from the restricted academic circles in which it had been nurtured, and was heading out towards the homiletic, humanist, and even vernacular literary settings into which it was later to find its way.

Naturellement, les débats sont sans fin sur la nature de chacune des puissances et leurs rapports.

[265] Cf. d'Aquin, Summa, 1ère partie, Ia, Q 25 — LA PUISSANCE DIVINE, art4, Dieu peut-il faire que les choses passées n’aient pas été ? – solutions... #2: De même que si Dieu peut tout en raison de la perfection de sa puissance, il y a pourtant des choses qui ne sont pas soumises à sa puissance, parce qu’il leur manque d’être possibles (mon soulignement). Ainsi, à considérer l’immutabilité de la puissance divine, Dieu peut tout ce qu’il a pu ; mais certaines choses ont été possibles autrefois, quand elles étaient faisables, qui aujourd’hui ne le sont plus, parce qu’elles ont été faites. Ainsi, on dit que Dieu ne peut pas les faire, pour exprimer qu’elles-mêmes ne peuvent pas être faites. #3 Dieu peut faire que toute tare de l’âme ou du corps disparaisse de la femme déflorée, mais il ne peut pas faire qu’elle ne l’ait pas été...

[266]  Marrone, 1972: la conception traditionnelle des canonistes définit the pope's absolute power as his right to act outside the ordinary course of the law to meet emergencies, ce qui s'applique aussi aux princes (maxime Necessitas non habet legem qui se répand et se décline à partir du XIIe). C'est la capacité of a ruler to act extralegally for the community's good. Tout "absolu" que soit ce pouvoir, il est contraint par le "bien commun". Similarly canonists began to claim that the pope could act outside the ordinary course of church law by his plenitude of power for the church's good, although he could not act in opposition to the general state or well-being of the church.

Ne pas s'opposer à l'état général de l'Eglise, c'était l'argument des séculiers contre l'exemption papale accordée aux mendiants. Un de leurs défenseurs, Henri de Gand a l'idée de définir le "pouvoir absolu"  comme un péché légitime (power used sinfully but validly). Puisque Dieu ne saurait pêcher, il ne lui reste que le "pouvoir ordonné".

Une autre manière de prendre la question est de distinguer droit divin et droit positif, comme le fait d'Aquin (Contra impugnantes, ch4): que l’autorité du Siège romain ne peut rien faire ni changer à l’encontre des décisions des saints pères, il faut répondre que cela est vrai pour les choses que les décisions des saints pères ont décrété être de droit divin, comme les articles de foi qui ont été déterminés par les conciles. Mais il a été laissé au pape de disposer de ce que les saints pères ont déterminé être de droit positif, afin qu’il puisse le changer ou en dispenser selon l’opportunité du moment ou des situations [selon l’utilité de l’Eglise].

Oakley, p 16 parle des powerful harmonics it generated in the legal and constitutional thinking of the period, whether in relation to the pope, or to the emperor, or to the prerogatives claimed by the kings of France and England...p 7/8: By the mid-thirteenth century, moreover, the great decretalist Hostiensis had introduced it by analogy into canonistic argumentation, where, referring explicitly to the theological usage of potentia dei absoluta et ordinata, he invoked it in an attempt to elucidate what the pope, in the absoluteness of his plenitude of power, could do that was not open for him to do when acting in accordance with his merely ordained or ordinary power. By the time of Aquinas’s death in 1274, then, those employing the distinction were already easing it into the familiar and prominent role it was to play during the fourteenth century and beyond. That role was to extend …In that later phase the potentia dei absoluta was invoked…to make the point that while the prince (royal and imperial as well as papal) should indeed live and discharge his duties within the limits set by the law, he was not bound to do so by necessity. Instead, he did so out of benevolence, that is to say, by freely choosing so to bind himself in the normal or ordinary exercise of his power, while retaining, of his absolute power, the /8/ prerogative of being able to act above or aside from the law–just as God does in the case of miracles...p 14 The only force capable of binding omnipotence without denying it is, after all, the omnipotent will itself... Just as an absolute monarch, to evoke the analogy that was so obvious as to have entered theological discourse before the thirteenth century was out...

[267] Oakley, p 10: by the potentia dei absoluta–and here Aquinas’s formulation is classical– medieval thinkers simply meant God’s power in abstracto, his ability, that is, to do many things that he does not in fact choose to do... p 11  In the years that followed, however, it became increasingly clear that many a medieval thinker had in fact understood the absolute power in precisely such an operationalized or presently-active sense (and especially so in relation to divine miraculous action)... far from being a later-medieval development, “the tendency [among theologians] to interpret potentia absoluta as a type of action rather than a neutral sphere of unconditioned possibility had its roots in the same [early-thirteenth century generation as the formulators” of the classical definition [Tachau]...p 12 no more than a century later that same tendency had come to be widely prevalent among the disciples of Scotus and among such “nominalist” figures as Robert Holcot and Adam Wodeham. Holcot, indeed, himself attested to the fact that in the Oxford circles of his day the understanding of the absolute power as a presently-active one involving an overriding of the order established de potentia ordinata was, rather than the classical version, the way in which the distinction was usually understood... Small wonder, then, that by 1375-76, when Pierre d’Ailly came to comment at Paris on Lombard’s Sentences, both understandings of the distinction were so well-established that he felt it necessary to allude to both.

[268] Ainsi (de Jong 2009), Ebo (Ebbon) archevêque de Reims, déposé et puni comme responsable du jugement de Louis le pieux en 833, est obligé de s'accuser de toutes sortes de crimes qui, s'ils avaient été connus, l'auraient empêché de devenir évêque. Quid alors des ordinations de prêtres et d'évêques qu'il a effectuées, notamment entre son rétablissement par Lothaire en 840 et sa nouvelle déposition par Charles le Chauve en 841 ? Son successeur Hincmar refuse de les reconnaître et, en 853, les ordinations d'Ebon seront également déclarées illégales par le concile de Soissons. La dispute continuera bien après sa mort.

Après que, au concile de Westminster (1102), Anselme ait déposé une série de prélats pour simonie, sans remettre en cause les sacrements distribués, Gilbert Crespin, abbé de Westminster, développera l'argumentation dans son influent de simoniacis (Melve, 2007, p 24, Note 79).

[269] Tellenbach, 1936, p 49  note (avec amusement ?) que cette thèse neutralise les défauts des prêtres qui, n'ayant pas besoin d'être aussi saints que les sacrements qu'ils administrent, peuvent donc vivre dans le péché et, en particulier, échapper au strict célibat que Grégoire voulait leur imposer: [in] the sacramental hierarchy...a sharp distinction was always made between office and person  ; a priest was not necesssarily holy because he had been consacred... they had no desire to be as holy as the sacraments which they administered. The same distinction between office and person was made in the case of the pope /ses mérites sont ceux que Pierre a légués, non les siens propres/.

Il s'ensuit un corollaire: le pape ou l'évêque ne font pas le roi, l'évêque ou le prêtre, et de ce fait ne sont pas supérieurs à eux car c'est Dieu qui agit par leur canal. Le modèle du fief ne s'applique pas puisqu'il s'agit de sacrements: que le pape oigne l'Empereur et le couronne ne lui donne pas de pouvoir sur lui et ne le fait pas dépendre de lui. Dieu seul gouverne.

Tellenbach, p 65: In the 9th century [Louis the Pious, Nicolas 1]... those who wielded the priestly authority had not yet expressly asserted their personal superiority over the king... In particular, the consecration of king or emperor did not make either the officiating bishop or the pope his superior, for the consecration was a sacrament and as such dispensed by Christ alone; bishop and pope were merely His instruments...king and archbishop alike owed their consecration only to God. Bien sûr, les "instruments" n'admettront pas ce corollaire. Ils chercheront à rendre leur médiation constitutive en s'assimilant à Dieu dont ils se prétendent le représentant et non le simple outil.

[270] In the eyes of the law, he was the reincarnation of the deceased (Burdick William L.,  2004, The Principles of Roman Law and Their Relation to Modern Law, The Lawbook Exchange Ltd., p 601).

[271] Cf Ulmann, 1972, History of papacy, p 20/21: Leo imposed the juristic theme of inheritance so that the pope became St Peter's heir in regard to his powers, though not of course in regard to his personal status which was, understandably, not transferable or inheritable. In other words, the office, the objective legal status, the powers of St Peter were inherited by the pope, but not his subjective merits... The great advance of this Leonine theme lay in the separation of the (objective) office of the pope (which was the same as St Peter’s) from the (subjective) personality of the pope..wether he was a 'good' or a 'bad' pope.. subjective standards and personal qualifications were irrelevant.. the office, in a word, absorbed the man.

Cette conception affleure au moment des heurts entre le pape et les évêques francs sous Louis le Pieux. Une lettre de 833 supposée écrite par le pape Grégoire en réponse à l'accusation qu'il venait excommunier les évêques francs, miner leur autorité et déshonorer le pouvoir impérial les admoneste ainsi (de Jong, 2009, p 220): pensez-vous que vous pouvez me déposer sans déshonorer le siège de Pierre ? mais, pour montrer que sa personne s'efface derrière sa dignité, il ne recourt pas au droit romain mais aux Ecritures, citant assez librement Jean, 11.51: Caïphe était impie mais son siège était sacré. Traduction:  Caïphe usait du don de prophétie inhérent à la fonction de grand-Prêtre légitime ; mais puisqu'il est impossible d'user de l'attribut d'une charge sans posséder la légitimité de ladite charge elle-même, Jean affirme donc que Caïphe était grand-Prêtre légitime. Et donc Grégoire, quels que soient les reproches qu'on lui adresse, est pape légitime puisque, par son origine, son siège est sacré.

[272] Giesey, 1961, p 38, colonne de droite: Balde...argued that the heir acquires the fief not from his immediate predecessor but from the first progenitor. The possession of the fief thereby comes less from a series of separate investitures than from a continual reaffirmation of the original investiture. The first possessor held the fief in his mort main, as it were, while his descendants exercised perpetual administration. In this light should be interpreted such arguments as 'the father does not die, but lives on in the son', which are drawn mostly from civil law. Fin  XVe, début XVIe, cette conception est renforcée par la distinction entre "héritage" (qui s'attribue ou non, s'accepte ou non) et suitas. Cf. id, p 24d: Suitas leveled all heirs: if you possessed the ius suitatis, you succeeded to the inheritance as surely if you were a twenty-first cousin as if you were the son of the deceased. In effect, every heir seems like a son, and if the speculation on suitas had gone far enough, it might have developed a maxim such as quicumque heres est filius...p 25d the advantage of suitas is evident: suitas was a state of heir -worthiness which the successor held in his own right, and it was constant in its potency- there was no such thing as a weaker or stronger ius suitatis. Henry of Navarre iure suitate was as fully legitimate successor as a son of Henry III would have been

[273] Rigaudière, 1997, p 93: Dans la mesure où la délégation a été consentie à l’origine à la fonction, à la dignitas d’abbé, elle vaut pour tous les abbés successifs, sans avoir à être renouvelée. Tout simplement parce que la dignitas se perpétue aussi longtemps qu’elle a des titulaires pour en exercer les prérogatives. Ce texte et la pratique qu’il engendra, suscitèrent de nombreux commentaires de la part des canonistes dont la conclusion la plus saillante fut apportée au début du XIIIe siècle: dignitas numquam perit, individua vero quotidie pereunt, La dignité ne périt jamais, même si les individus meurent chaque jour. C’était assez pour que la décrétale Quoniam abbas fût introduite au Liber extra de Grégoire IX, sous l’intitulé particulièrement évocateur: Une délégation faite à la dignité sans exprimer un nom propre est transmise au successeur, position que reprend Bernard de Parme († 1263) dans la Glose ordinaire quand il écrit que prédécesseur et successeur sont considérés comme une seule personne, dans la mesure où la dignité ne meurt pas. C’est le fameux adage Dignitas non moritur dont l’Eglise devait faire grand usage mais, aussi, juristes et praticiens des monarchies pour arracher un peu plus la dignitas à la personne du roi et dépersonnaliser son pouvoir.

[274] Tierney, 1982, se réclamant de Figgis, p 26, se laisse aller à une simplification: In the Roman law model of a corporation all power resided in the community and was delegated to an official who acted on behalf of the community. Similarly, in Roman constitutional law, the emperor derived his power from a grant by the people…

[275] Pour Azo, dans la corporation dont l'empereur (germanique) est le chef, il est supérieur aux parties mais inférieur au tout (qui l'inclut). On aperçoit là la figure du futur king in Parliament ou du pape en concile.

Tierney 1982, p 26: At the beginning of the thirteenth century, the Roman lawyer Azo found a solution in a distinction between the people as a corporate whole, a universitas, and the people as a collection of individuals. The emperor was held to be greater than each individual so that each was subordinate to him; but he was not greater than the corporate whole from which his own power was derived... p 58 The emperor does not have more power than the whole people but than each individual of the people.

Tierney 1995, p 77: Condensed into the epigrammatic phrase, maior singulis minor universis (greater than each, less than all), this argument was endlessly repeated in later discussions.

On peut discuter à l'infini du tout et des parties. La belle maxime maior singulis minor universis signifie seulement que la mission du Prince est le bien public. La tête appartient au corps. Elle commande les membres dans l'intérêt du corps. A partir de là, on déduit ce qu'on veut !

[276]  Tierney 1982, p 38: the essential point is that during the twelfth and thirteenth centuries many new communities - both religious and secular - were coming into existence through acts of voluntary consent on the part of the members who formed them and that much deliberate reflection about the right ordering of such communities was taking place…

Ce fut le mérite de Tierney (cf. Tierney, 1955) de démontrer que le "conciliarisme" ne naît pas des thèses d'Ockham et Marsile mais résulte, comme ces thèses elles-mêmes, de l' underlying juridical conception of the church and the state as corporate entities, développée en particulier pendant la dispute séculiers/mendiants. Toutefois, Tierney n'envisage pas la polysémie de la corporation (p xv: normal rule of corporation law specifying that the consent of a whole community could be expressed by its greater part). Que every whole is greater than its part et que (Hostiensis, Zabarella) la tête et les membres doivent décider ensemble n'implique pas de modalités particulières et n'a d'ailleurs de sens que par rapport à une définition du "tout" et des "parties" dont l'évidence n'est qu'apparente. Cf. d'Aquin (Seconds Analytiques, Expositio Posterior., lib. 1 lct. 7 n. 8): que le tout soit plus grand que la partie n'est pas une démonstration mais une induction. Scito enim quid est totum et quid est pars, cognoscitur quod omne totum est maius sua parte quia in talibus propositionibus, ut supra dictum est, praedicatum est de ratione subiecti ): une fois qu’on sait ce qu’est un tout et une partie, on connaît aussitôt que le tout est plus grand que sa partie: car dans de telles propositions le prédicat fait partie de la définition du sujet.

Mais la discussion peut aller encore plus loin si l'on considère que le "tout" n'est qu'un nom sans substance et n'existe pas. Il est simpliste d'écrire comme Berman lorsque l'on considère la corporation comme la totalité de ses parties 'en tant que parties', il devient aisé de discerner les droits et devoirs des membres en tant que membres et ceux des dirigeants en tant que dirigeants (Berman, 1983, p 233).

[277] Avi-Yonah, discutant le droit américain des sociétés, montre que la responsabilité sociale des entreprises dépend du type de corporation que retiennent les tribunaux: pour la conception agrégative, la responsabilité de l'entreprise consiste à dégager des profits pour les actionnaires ; la conception artificielle fait de l'entreprise une espèce d'agence de l'Etat ; seule la conception réelle permet à l'entité d'imposer ses objectifs à long terme aux actionnaires et, dans une certaine mesure, à l'Etat. L'auteur identifie des cycles longs au cours desquels la représentation dominante passe de l'une à l'autre forme.

Déjà Maitland remarquait que la dominance de la conception artificielle au moment où, en Angleterre, se constituaient les sociétés par actions et les associations avait conduit à la prédominance de la forme du trust, ce partnership unincorporate.

[278] Tierney privilégie cette conception agrégative au sein de laquelle il distingue les corporations simples (de type roman law) basées sur la délégation et les complexes (de type canon law) basées sur la coopération: dans les premières, le député serait un agent ; dans les seconds une personnification.

Tierney, 1953, p 384: The canonist was very much interested, however, in the more practical problems concerning the constitutional structure of corporate groups, and about them there is a large and complex canonistic literature ; p 385  representation as meaning mere personification...and representation as involving an actual delegation of authority from the parties represented. La référence des canonistes est  la relation entre un évêque et son chapitre (Tierney, 1982): l'évêque personnifie l'Eglise mais ne la représente pas (le chapitre est représenté par son proctor) ; un acte affectant le bien commun  de l'Eglise doit être décidé en commun (p 82/83: In the simple model all power resided in the community and its exercise was delegated to a presiding officer who was essentially a subordinate agent of the community… In a complex corporation, head and members ruled co-ordinately…).

[279] Maitland (Introduction à sa traduction de 1900 de Gierke, Political theories of the Middle Age, p 21 de la trad. française) souligne la différence entre la conception dite romaine de la corporation (artificielle) et la conception "vivante" revendiquée par les germanistes: p 21 La personnalité d'une corporation, n'étant qu'une fiction légale /persona ficta/, doit avoir son origine dans un acte du pouvoir, dans une déclaration de la volonté de l'État... Ce n'est pas dans la théorie de la représentation, mais dans une tutelle du genre de celle du Droit Romain qu'il [Savigny] cherche une analogie exacte… Enfin il faut absolument abandonner certaines images populaires comme celle du « corps » et des « membres»...p 30 Quelle qu'ait pu être l’universitas romaine,..il est certain que le compagnonnage (Genossenschaft) [est] un organisme vivant et une personne réelle avec un corps, des membres et une volonté à elle..c'est une personne collective et elle a une volonté collective… 34 M. Gierke attribue à ses Allemands du moyen âge...un sens profond du caractère organique que présentent tous les groupes sociaux permanents...

Gierke, p 167 (§ Développement de l'idée de la Souveraineté Populaire) déplore que la conception "romaine" (antique-moderne) ait dévoré la conception organique "médiévale": Un des traits distinctifs des théories politiques du Moyen Age, c'est que dans chaque groupe humain elles n'hésitent pas à reconnaître une communauté [Genossenschaft] qui, dès son origine, est douée de droits actifs...Mais, ici aussi, nous voyons apparaître de plus en plus clairement l'antagonisme latent entre le tour d'esprit caractéristique du Moyen Age, dont l'influence est d'abord prédominante, et la façon de penser antique-moderne, dont le progrès est de plus en plus marqué.

Wolter, 1992, p 106: Les fascistes ont adopté l'opinion des germanistes très tôt. Déjà dans le programme du parti national-socialiste (NSDAP) de 1920 ils ont proclamé: « Nous exigeons le remplacement du droit romain qui sert à l'ordre mondial matérialiste par un droit commun allemand » (position 19). Cf. Chapoutot, 2010.

[280] Dig. 3, 4, 1, 1 (trad. Huot): Il n'est pas permis indistinctement à toutes personnes de s’ériger en commnunauté, de former une société, un collége ou quelque autre association semblable; car cela est défendu… Il y a fort peu de cas où ces sortes d'associations soient permises… Le privitège de ceux à qui il est permis de s'établir en corps de communauté...c'est d'avoir, à l'exemple de la république, des biens communs, un coffre commun, et de faire administrer les affaires de la communauté par un agent ou syndic, comme cela se fait dans une rêpublique /Quibus autem permissum est corpus habere collegii societatis sive cuiusque alterius eorum nomine, proprium est ad exemplum rei publicae habere res communes, arcam communem et actorem sive syndicum, per quem tamquam in re publica, quod communiter agi fierique oporteat, agatur fiat/.

Ainsi, les colons du Mayflower et d'autres colonies américaines à leur suite ont-ils dû justifier le coup de force de leur auto-incorporation. Cf. Enlow, 2001, p 23: The view that the people are separate, superior, and antecedent to government requires that they be self-incorporating (mon soulignement). This idea was present in America before the American Revolution. The Pilgrims on board the Mayflower announced that even without a state to incorporate them they could, in the presence of God and one another, covenant and combine to form a “civil body politic”…p 24 Following the Pilgrims’ example, in 1647 the colonists of Rhode Island erected themselves into a corporation by their own act: Wee do jointly agree to incorporate ourselves and soe to remain a Body politicke …the people had to incorporate before they could take steps towards forming the new government…

Inversement, les colonies à charte s'opposeront aux intrusions du Parlement de Westminster avec l'argument que, en leur accordant leur charte, il leur a délégué sa juridiction pour leurs affaires intérieures et s'est donc désaisi.

[281] Harding 2001, p 93: Also at Roncaglia /1158/ Frederick issued an edict of perpetual peace /to be sworn every five years/…The stability of the commonwealth was seen to rest on the conduct of lordships and urban communities: other associations ‘within or outside cities’, even of blood-relatives, were totally forbidden…mais, finalement, le pouvoir impérial ne parvient pas à imposer l'interdiction: p 102 It was at the provincial level that legislation for social peace and its judicial application would coincide to make states…The great Rhine League of 1254–7 was formed by the swearing of ‘a holy peace’…

[282] Citons, outre Locke: Figgis, 1900 ; McIlwain, 1940 ; Tierney, 1982 ; Watner, 2005... En faisant de l'Etat une corporation (ou une corporation de corporations), on lui innoculerait le ferment du constitutionnalisme: la limitation du pouvoir par les droits des membres exprimés par le contrat que serait la Loi.

[283] Les maximes du type le Prince est fait pour le peuple, non le peuple pour le Prince ne traduisent pas un "contrat", elles expriment simplement la subordination du Prince au bien commun au moyen d'une figure de style (antimétabole) dont on use et abuse sur le modèle de Marc, 2, 27 Le sabbat a été fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le sabbat ou non ut edam vivo, sed edo ut vivam (cf; John Smith, 1673, The Mysterie of Rhetorick unveil’d, p 100 sq).

[284] La référence au Codex (C 5.59.5.2 quod omnes similiter tangit, ab omnibus comprobetur) est remplacée par une référence au Digeste (D 42.1.47 De unoquoque negotio praesentibus omnibus, quos causa contingit, iudicari oportet: aliter enim iudicatum tantum inter praesentes tenet).

[285] Post, 1946, Note 14: The formulas used in the mandates along with plena potestas reinforce this conclusion ; generally, the powers are given to the representatives to consent to what is ordained by the king and his council quod per consiliurn domini regis ordinaretur... p 377 it is an expression of the medieval theory of the king's ruling according to law and the rights of privileged individuals and corporations, which, according to the Roman principle of consent (Quod omnes tangit), sent representatives to defend their legal rights by petition in the king's court and council…p 380 this consent was consultative and judicial, before the King and bis council, or before commissioners, not a sovereign limitation of the royal prerogative… p 380/1 More clearly and logically than in the secular state, the Roman judicial conciliar character of assemblies was developed in the Church... If by the Roman principle, QOT, the lower clergy had the right of consent, it was consent, after judicial and conciliar process, to what the council of prelates decided… p 397 the principle that all who were interested in the business must be given a hearing, that all must be summoned and informed of the business, and that they should send properly instructed attorneys to court to consent to the decision of the case...was a fundamental ideal of English and French law in the 13th century... p 404 "Full powers" was consent to the decision of king and court and council, consent given before the assembly was held. But in the assembly the representatives had the right to use all legal means of shaping the final decision in favor of their constituents…

[286] Ainsi, en Angleterre, au XIIIe siècle, sous Henri III et Edouard I, pour se soustraire à la décision royale, les magnats se réclamèrent du QOT, arguant: les squires et des bourgs, affectés également, auraient dû consentir à la taxation ; tous les intéressés n'étant pas là, la décision ne pouvait pas être prise. Les grands contribuèrent ainsi à la formation des commons pour que la "scène publique" soit emplie par la représentation de tout le commonwealth.

[287] Dans l'Allemagne du XVe siècle, ce sont les Princes qui, non sans mal, rassemblent en "états généraux" les multiples stande et communautés pour imposer à tous le caractère contraignant des décisions prises. Barraclough, 1946, p 344: the struggle in the fifteenth century between the princes and the independent estates and communities focused on finance..In the first place, it was necessary to create a properly constituted body, representative of the whole community, with which the princes (as the heads of the executive government) could negotiate over finance and taxation…p 346 That policy... was predicated upon a few basic principles. First there was the categoric denial of the assumed right of the estates to meet together, without summons from above...p 347 In order to make grants of taxation by the estates binding, however, two further changes were necessary: the introduction of the majority principle and of the representative principle...(mon soulignement) ; p 349 Single communities and provincial estates might hold out, hoping to preserve their privileges and exemptions; but in the end they had to comply, if they did not wish to run the risk of losing the right to participate in the levying and administration of taxes...p 352 It was the princes who created the Landtag or States-General, forcing the old existing associations into a constitutional mould.

[288] La plupart des Occidentaux d'aujourd'hui vivent dans un monde postchrétien où les références religieuses ne font pas sens et ont perdu leur familiarité culturelle. Cela explique que, depuis les années 1980, des historiens, inspirés par les anthropologues, aient rompu avec le continuisme pour "étrangifier" (otherize) le moyen-âge, ce passé étranger (foreign past). Cf. Van Engen John, 1986 ; deJong Mayke, 1994. Ils n'ignorent pas plus la dimension religieuse qu'ils ne la réduisent aux écrits survivants d'une minuscule élite ou aux textes officiels.

[289] Cf. deJong Mayke, 1994: Historians may have become more mindful of structure and 'longue durée', but still being historians, they are on the lookout for change rather than continuity... neither should the roots of modern society be looked for in the period between 1000 and 1300. The great devide between the Middle Ages in the sense of a past which has become a foreign country and modernity is to be situated around the year 1800 (mon soulignement). 'Bongo-Bongoism' is a tiresome pastime, unless early medievalists are prepared take a long-term view, applying themselves to the real issue at hand: continuity and discontinuity, otherness and similarity… In many respects, the Middle Ages are a foreign country which should be treated as such, but at the same time it remains important to retain a sense of equality and affinity with the distant past. Medievalists can only perform this balancing act when they become their own anthropologists, observing themselves in the process of creating new myths of origin.