X.
S. SIMON, EN PICARDIE, DANS LE VERMANDOIS.
(D'aprs l'Ždition Faugre, 1893, Ecrits inŽdits de S. Simon, T8 et 4eme des DuchŽs-Pairies, pp. 410-660)
En mme temps que S.
Simon procde aux additions au Journal de Dangeau, de 1729 ˆ 1738, ses Nottes sur les DuchŽs-pairies (que termine la Maison de S. Simon) monumentalisent cette institution, peut-tre en rŽaction ˆ la nouvelle rŽglementation des honneurs de la Cour (1732) qui, fondŽe sur la seule anciennetŽ de noblesse (1400 ou avant), dŽvalorise la pairie dont S.Simon se fait le syndic de faillite (Poisson).
La Maison de S. Simon, rŽdigŽe entre 1735 et 1737 se divise en trois chapitres : 1) un exposŽ gŽnŽalogique qui cherche ˆ enter S.Simon aux comtes de Vermandois carolingiens (35 pages dans l'Žd. Faugre) ; 2) la vie de Claude, le refondateur, favori de Louis XIII (60 pages) ; 3) celle de son fils Louis, l'auteur (165 pages !). La 2nde partie sera reprise dans les MŽmoires, la 3me dŽveloppŽe ˆ l'infini, la 1re ŽludŽe car mieux que personne, il [Louis] connaissait "les chimres et les rŽalitŽs" de ces gŽnŽalogies "qui n'ont d'autre fruit que de dŽsoler ceux qui ne peuvent montrer de vŽritŽ" ; et cependant son orgueil d'une part, d'autre part les traditions de famille, l'obligeaient ˆ soutenir une lŽgende qui manquait manifestement de bases solides, qui n'avait jamais trouvŽ pour dŽfenseurs que des gens sans crŽdit, et ˆ laquelle personne ne voulait ajouter foi. C'est
Boislisle qui l'Žcrit dans son examen critique des origines et de la vie du Duc Claude (appendice 2 au T1 de son Ždition des MŽmoires).
Je le publie en complŽment car, plus nuancŽ que la fŽroce dŽnonciation de ChŽruel (1865) [1], il permet de confronter le rŽcit ˆ l'Histoire [2].
D'innombrables Žtudes sur Saint Simon renvoient ˆ la Note, cette autobiographie rŽdigŽe ˆ la troisime personne [3]. Le texte, peu publiŽ [4], est rŽbarbatif : l'Žcriture ˆ la diable de l'auteur va rarement ˆ la ligne, ne craint pas les paragraphes de cinq pages et change constamment de sujet. Les Nottes sur les DuchŽs-pairies depuis 1500 jusqu'en 1730 sont un brouillon (un fatras disent certains) mlant gŽnŽalogies et anecdotes. Elles renvoient les unes aux autres, dont certaines ne seront pas Žcrites puisque l'ouvrage s'interrompt au milieu du chapitre sur La Rochefoucauld, lui-mme simple appendice ˆ Maison de S. Simon ˆ cause de la dispute de prŽsŽance qui, de l'accord de 1645 ˆ la dŽcision du roi de 1712, a agitŽ les deux Ducs de S.Simon. L'Auteur ne finit pas La Rochefoucauld et, au lieu de poursuivre jusqu'en 1730 comme annoncŽ dans le titre, dŽcide d'aborder autrement la dernire pŽriode.
La Note sur S.Simon est ainsi ˆ la fois un terminus et une bifurcation : Poisson, 1975, s'interrogeant sur les seize annŽes qui sŽparent le retrait de S.Simon et le dŽbut du chantier des MŽmoires, suggre que les dŽveloppements autobiographiques de la Note ont provoquŽ le dŽclic [5].
En
numŽrique, l'excellente Ždition des MŽmoires du site rouvroy.medusis prŽsente
le texte intŽgral de la premire Ždition dÕAdolphe ChŽruel sans inclure la Note. De celle-ci,
on trouve une version PDF sur Gallica (Faugre), et un epub
de Google (Ždition Boislisle), ˆ peu prs propre mais sauvagement brut.
J'ai
donc dŽcidŽ de tenter de rendre la Note comestible en introduisant des sauts de page et des sous-titres. Je me suis basŽ sur l'Ždition Faugre, dernier Žpisode des efforts des Archives pour s'approprier les manuscrits de S. Simon
[6].
J'ai
Žvidemment respectŽ scrupuleusement le texte et ses bizarreries, ˆ trois exceptions prs : toutte(s), tiltre, et vefve m'ont
semblŽ
choquer trop un Ïil du XXIe sicle et je les ai remplacŽs par toute(s),
titre et veuve.
J'ai
recherchŽ et mis en notes les textes appartenant aux autres titres des DuchŽs-Pairies citŽs par S. SImon et rŽfŽrencŽs par Faugre. Quelques Žclaircissement ajoutŽs ˆ la prŽsente Ždition sont dŽsignŽs par "NDE".
Enfin, en complŽment, on trouvera en appendice :
1)
la
lettre d'Žrection du duchŽ & pairie de S. Simon (1635) et deux autres pour comparaison ;
2)
trois
documents relatifs au conflit de prŽsŽance entre S. Simon et La Rochefoucauld ;
3)
une
prŽsentation du mŽmoire de S. Simon (1712) sur la sŽparation des couronnes de France et d'Espagne (Renonciation),
non
pour l'affaire elle-mme mais parce qu'il exprime la surŽminence de la pairie, illusion-clef de la position de S. Simon, de sa pensŽe et de ses actions : pour lui, depuis Charlemagne, les Pairs, et eux seuls, partagent avec le roi le pouvoir
constitutif et lŽgislatif.
***
Essayons
de clarifier le mŽli-mŽlo gŽnŽalogique par lequel l'auteur ouvre son texte :
1)
Au XIe sicle, Herbert (1045 - c. 1080), comte de Vermandois en Picardie, Žpouse Adle, comtesse de CrŽpy et Valois. Herbert est le fils d'Herbert, fils d'Albert, fils d'Herbert, fils d'Herbert, fils de PŽpin, fils de Bernard d'Italie, fils de PŽpin d'Italie, fils de Charlemagne.
Son
fils, Eudes, dit l'insensŽ, est dŽshŽritŽ au profit de sa sÏur qui Žpouse Hugues "le grand", fils de Henri I, roi de France.
2)
Eudes l'insensŽ Žpouse l'hŽritire du seigneur de S. Simon. Ils engendrent cinq gŽnŽrations de S. Simon jusqu'ˆ Jacques, dont la fille Marguerite Žpouse Mathieu, seigneur de Rouvroy. Leur petit-fils, Mathieu II le borgne, transmet S. Simon ˆ son ainŽ, Gaucher. Le cadet, Gilles, dont descend notre duc et pair, est seigneur de Rasse.
3)
Cinq gŽnŽrations plus tard, la faveur royale fait de Claude de Rasse un duc et pair. Devant trouver une terre pour assoir sa dignitŽ, il rachte S. Simon ˆ son arrire-arrire cousin Isaac et devient Rouvroy de S. Simon.
DŽtaillons :
Charlemagne ; PŽpin d'Italie ; Bernard d'Italie ; PŽpin, sr de PŽronne & St Quentin ; Herbert I ; Herbert II, Comte de Vermandois ; Albert II, Comte de Vermandois ; Herbert IV, Comte de Vermandois ; Herbert V, Comte de Vermandois × Adle, Comtesse CrŽpy & Valois ;
Eudes l'insensŽ, dŽshŽritŽ, × Avide, hŽritire du sr de S. Simon ;
Eudes II, sr de S. Simon ; Jean I, sr de S. Simon (quitte le nom de Vermandois au profit de S. Simon) ; Jean II, sr de S. Simon ; Simon, sr de S. Simon ; Jacques, sr de S. Simon ;
Marguerite × Mathieu, sr de Rouvroy ; Jean, sr de Rouvroy ; Mathieu II, le
borgne, sr de Rouvroy. En sort une branche ainŽe et une cadette
* branche ainŽe:
Gaucher,
sr de Rouvroy (ainŽ) ; Jean "II", sr de Rouvroy, dit S. Simon ; Louis, sr de S.Simon (quitte le nom de Rouvroy au profit de S. Simon). D'o une branche Sandricourt (omise ici) et une S.Simon.
Franois,
sr de S.Simon 1545 ; Titus, sr de S.Simon 1609. D'o une branche MontblŽru (omise ici) et une S.Simon ; Charles, sr de S.Simon ; Isaac, sr de S.Simon, vend la terre de S.Simon ˆ son arrire-cousin Claude
* branche cadette
Gilles
(cadet), sr de Rasse ; Guillaume, sr de Rasse ; Louis I, sr de Rasse 1578 ; Franois, sr de Rasse 1620 ; Louis II, sr de Rasse 1643
Claude
de Rasse 1693
(fils
cadet du prŽcŽdent), devient en 1635 Claude de Rouvroy, duc de S. Simon (suite ˆ l'achat de la terre ˆ son arrire-cousin Isaac) et Pair de France ; Louis, duc et Pair. Ses enfants prŽdŽcŽdŽs, le duchŽ-pairie est Žteint par son dŽcs, 1755.
Josilonus, 2024
[NDE 2024 : Les Notes n'en ont pas. Celui que je postule ici prŽcde la note consacrŽe aux Maisons d'Albret, d'Armagnac et de Chastillon-sur-Marne (Faugre, t. IV, p. 339 sq). Quoique sa date reste incertaine, ce prŽambule s'applique particulirement bien ˆ ces Nottes, Žcrites dans la pŽriode d'inactivitŽ et d'hŽsitations que traverse S. Simon aprs la mort du RŽgent, quand l'Žviction du Duc de Bourbon (1726) ne le remet pas en selle.]
Un grand loisir qui tout ˆ coup succde ˆ des occupations continuelles de tous les temps de la vie, forme un grand vuide qui n'est pas aisŽ, ny ˆ suporter ny ˆ remplir. Dans cet estat l'ennuy irrite et l'application dŽgouste. Les amusements, on les dŽdaigne. Cet estat ne peut estre durable ; ˆ la fin on cherche malgrŽ soy ˆ en sortir. Ce qui rappelle le moins tout ce qu'on a quittŽ et qui mesle quelque application lŽgre ˆ l'amusement, c'est ce qui convient le mieux. De mŽdiocres recherches de dattes et de faits pris par Žclaircissement dans les livres, d'autres sortes de faits qu'on a veus ou qu'on a sceus d'original sont de ce genre, quand ces autres faits qu'on trouve en soy mesme ont quelque pointe, quelque singularitŽ, quelque concordance fugitive et qui peut mŽriter d'estre sauvŽe de l'oubli. L'esprit y voltige quelque temps sans pouvoir se poser encore, jusqu'ˆ ce que le besoin de se nourrir de quelque chose contractŽ par une si longue habitude devienne supŽrieur au dŽgoust gŽnŽral : et que par l'affoiblissement des premiers objets ˆ mesure qu'ils s'Žloignent, il saisisse au hasard la premire chose qui se prŽsente ˆ luy. Un malade repousse bien des plats sans vouloir y gouster, et plusieurs autres encore dont il n'a fait que taster et encore avec peine.
L'esprit languissant de vuide, effleure ainsy bien des objets qui se prŽsentent, avant que d'essayer d'accrocher son ennuy sur pas un. A la fin la raison se fait entendre, mais en luy permettant le futile pour le raccoustumer peu ˆ peu ; et comme le futile n'a jamais estŽ de son goust, il ne pelotte pas longtemps sans approfondir davantage.
Telle a estŽ l'occasion et le progrs de ce qu'on ne peut appeler qu'un Žcrit et dont on ne fait soy mesme que le cas qu'il mŽrite c'est ˆ dire qu'il a estŽ utile ˆ amuser en le faisant, fort bon aprs ˆ en allumer le feu, peut estre aussy ˆ monstrer ˆ quelqu'un de peu instruit et de fort paresseux, d'un coup d'Ïil aisŽ et grossier, ce qu'il ignore, et qu'il vaudroit toutesfois mieux ne pas ignorer ; une sorte de rapsodie copiŽe pour les dattes et certains faits gŽnŽalogiques quelquefois mesme historiques o on s'est laissŽ nŽgligemment entraisner au fil de l'eau ˆ raconter et ˆ raisonner, emportŽ par la matire parce qu'on n'a pas voulu prendre la peine de se retenir et qu'on ne l'a estimŽe que pour soy et pour l'amusement qu'on y a pris.
On s'est proposŽ de s'Žclaircir et de se rendre raison ˆ soy mesme en se soulageant d'autant la mŽmoire ; et tout cela ensemble l'a grossi, n'ayant d'abord comptŽ que sur quelque chose de trs court.
L'histoire gŽnŽalogique et chronologique de la Maison de France, des Ducs, des Officiers de la Couronne, etc., consŽquemment des plus illustres et des plus heureuses Maisons ainsy que des plus grands et des plus fortunŽs personnages, s'est offerte ˆ l'amusement qu'on cherchoit.
La variŽtŽ et la section frŽquente de sa matire a moins dŽplu que beaucoup d'autres. Le vaste du total a noyŽ. On a cherchŽ mollement de certaines choses ; on a jettŽ nŽgligemment sur le papier quelques prŽcisions fort courtes pour se rapprocher de ce qui fuyoit trop loin, et c'est ce qui a produit le titre de Courtes Nottes. Aprs on a voulu voir plus avant et avec moins de rapiditŽ des choses amusantes par elles mesmes, qui lient et rapellent l'histoire et qui deviennent infiniment morales par les rŽflections qui naissent naturellement sur les fortunes de diverses tant de sortes de personnages, et de ce que ces fortunes et eux mesmes sont enfin devenus. On a cherchŽ ˆ se faire un group [sic] du principal de chaque Maison de Duc et de ce qui a pu rŽveiller la curiositŽ sur chacun d'eux quand il y a eu matire ; puis par des tables ni autre sorte de group exact et prŽcis du total. De lˆ est venue l'idŽe d'Žclaircir ces matires par une liste pour ainsy dire, de touttes les Maisons de la Noblesse du Royaume qui ont eu des alliances directes avec la Maison rŽgnante de Hugues Capet. On s'est bornŽ lˆ par paresse, comme on a fait sur les DuchŽs en se restraignant ˆ commencer depuis l'an 1500, et en n'y comprenant ny les Provinces ŽrigŽes ny les Souverains qui ont obtenu des Žrections, ny les six Pairies ecclŽsiastiques qui n'en ont point par Žcrit. Cette liste a eu le sort de l'Žcrit qui luy a donnŽ lieu. La seicheresse et le cahos stŽrile et confus d'un amas de noms a dŽplu, et on s'est estendu ˆ quelque peu d'historique pour s'amuser ˆ faire ou ˆ se raffraischir connoissance avec les personnages qui ont contractŽ ces alliances, ˆ monstrer ce qu'en est devenue la postŽritŽ, sans trouver aussy ce nouvel amusement un travail...
Nottes sur les DuchŽs-Pairies existants
I. Uzs (1565), pour Antoine, Comte de Crussol, et Jacques et Galliot, ses frres
Il. Elboeuf (1582), pour Charles de Lorraine, Marquis d'EIboeuf
III. Montbazon (1595), pour Hercules de Rohan
IV. Thouars (1599), pour Louis III de la TrŽmoille
V. Sully (1606), pour Maximilien de BŽthune, Marquis de Rosny
VI. MaillŽ, dit Luynes (1619), pour Charles d'Albert
VII. Brissac (1620), pour Charles de CossŽ, Mareschal de France
VIII-IX. Richelieu (1631), et Fronsac (1634), pour M. le Cardinal de Richelieu, etc..
X.
Saint-Simon en Picardie, dans le Vermandois (1635), pour Claude-de Saint-Simon
XI. La Rochefoucauld (1657), pour Franois, Comte de La Rochefoucauld...
NDE. Rappelons les principaux personnages (je me limite aux enfants survivants de Louis XIV) :
Premier
fils lŽgitime de Louis XIV, Louis de France (1661-1711), dit Monseigneur, ou le Grand
Dauphin ; son fils Louis, duc de Bourgogne, (1682-1712), Petit
Dauphin, Žpouse en 1697 Marie-AdŽla•de de Savoie (1685-1712), la jeune duchesse
de
Bourgogne ; il en vient en 1710 Louis (XV).
Second
fils lŽgitime, Philippe, Duc d'Anjou, V d'Espagne.
Troisime
fils lŽgitime : Charles (1686-1714), duc
de
Berry.
B‰tards : Louis Auguste, duc du Maine (1670-1736), lŽgitimŽ (1673), Žpouse, 1692, Louise-BŽnŽdicte de Bourbon-CondŽ, fille de Mr
le
Prince ; Franoise-Marie (1677Ð1749), lŽgitimŽe (1681), mariŽe, 1692, ˆ Philippe, duc d'OrlŽans, futur rŽgent de France ; Marie-Anne (1666-1739), lŽgitimŽe (1667), Žpouse, 1680, le prince Louis-Armand de Bourbon-Conti ; Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1678-1737) Žpouse, 1723, Marie-Victoire-Sophie de Noailles, Fille du marŽchal duc Anne-Jules de Noailles et de Marie-Franoise de Bournonville (1656-1748).
Le frre du roi, Monsieur : Philippe dÕOrlŽans (1640-1701). Dont : Philippe (1674-1723), d'abord duc de Chartres, duc d'OrlŽans ˆ la mort de son pre en 1701 ; on lui fait Žpouser en 1692 Franoise-Marie, b‰tarde du roi. Dont : Mademoiselle, Marie-Louise-ƒlisabeth (Joufflotte),
qui Žpouse en 1710 le duc de Berry.
Mr
le Grand, grand Žcuyer du roi : de 1666 ˆ 1713, Henri de Lorraine, comte de Brionne ; de 1713 ˆ 1718, Louis de Lorraine, comte d'Armagnac.
Et enfin, l'omniprŽsent duc de Beauvilliers (1648-1714) : premier gentilhomme de la Chambre du roi, 1666 ; gouverneur des fils de France, 1689, 1690, 1693 ; Conseil d'en haut, 1691. Il a ŽpousŽ, 1671, Henriette-Louise (fille de Jean-Baptiste Colbert et de Marie Charron de MŽnars), devenant ainsi beau-frre du duc de Chevreuse, conseiller occulte du roi (ministre incognito).
***
Saint
Simon n'est point le nom de la Maison des Ducs de Saint
Simon. Pour l'expliquer, il faut reprendre les choses de bien loin.
Bernard,
Roy
d'Italie, aprs PŽpin, son pre, second fils de l'Empereur
Charlemagne, prit les armes contre l'Empereur Louis le DŽbonnaire, fut contraint de se rendre ˆ sa discrŽtion, privŽ de la veŸe et de ses Estats, mourut 17 avril 818, trois jours aprs avoir estŽ aveuglŽ, laissa PŽpin I, seigneur de PŽronne et de Saint Quentin, qui laissa Herbert I, frre de BŽatrix, femme de Robert, Roy de France. Herbert I laissa Herbert II, comte de Vermandois, dont il transmit le nom ˆ sa postŽritŽ, et laissa Albert I, comte de Vermandois, et plusieurs autres enfans, entre lesquels, Alix, espousa, 934, Arnoul, comte de Flandres, et Leutgarde, premire femme de Guillaume I, Duc de Normandie.
Albert
I
laissa Herbert IV, comte de Vermandois ; celuy cy Othon, comte de Vermandois, pre d'Herbert V, comte de Vermandois, qui assista au sacre du Roy Philippe I en 1059, et vivoit encore en 1076. Longtemps avant 1068, il avoit esponsŽ Adelle, comtesse de Crespy et de Valois, sÏur du bienheureux Simon, comte de Crespy, et fille de Raoul II, comte de Crespy et de Valois, et d'Aix, comtesse de Bar sur Aube, sa premire femme.
Cet
Herbert
V, comte de Vermandois, laissa un fils et une fille. Le fils Eudes, dit l'InsensŽ, seigneur de Saint Simon, fut deshŽritŽ vers 1077 par le Conseil des Barons de France, parce qu'il estoit de petit entendement et sans gouvernement. On reviendra ˆ luy aprs avoir parlŽ de sa sÏur Adelle, qui, par cette exhŽrŽdation, fut comtesse de Vermandois, de Crespy et de Valois. Elle espousa : 1¡ Hugues le Grand, troisiesme fils d'Henri I, Roy de France, et d'Anne de Russie, dont postŽritŽ ; 2¡ Renaud II, comte de Clermont en Beauvoisis. Ainsy Hugues le Grand, troisime fils du petit fils d'Hugues Capet, devint tige des derniers comtes de Vermandois.
Eudes
I de Vermandois, seigneur de Saint Simon, l'InsensŽ
et le DeshŽritŽ, vivoit encore en 1083. Il espousa Avide, fille du seigneur de Saint Simon, entre Ham et la Fre, dont il eut cette seigneurie, aujourd huy le DuchŽ Pairie de Saint Simon, et laissa Eudes II, dit Farin de Vermandois, seigneur de Saint Simon, pre de Jean I.
Ce
Jean I est le premier qui prit le nom de Saint Simon en quittant celuy de Vermandois, en quoy il fut imitŽ par sa postŽritŽ, et cŽda les droits et les prŽtentions qu'il avoit sur le Vermandois et le Valois au Roy Philippe Auguste qui fit faire une enqueste pour prouver qu'il descendoit des comtes de Vermandois. Ce Jean I l'accompagna ˆ la Terre Sainte, 1188, servit au sige d'Acre, 1191, et vivoit encore, 1195. Il fut pre de Jean II, seigneur de Saint Simon, qui se trouva ˆ la bataille de Bouvines, 1214, et qui de sa femme, Marguerite de Beauvoir, eut Simon, seigneur de Saint Simon, qui vivoit encore en 1260, et qui de sa femme, BŽatrix de Coudun, laissa Jacques, seigneur de Saint Simon, dernier masle de cette branche aisnŽe de Vermandois, seigneurs de Saint Simon.
Ce
Jacques, seigneur de Saint Simon, eut un fils, Jacques II, mort sans alliance avant 1333, et deux filles, Marguerite et BŽatrix, de sa femme Agns, dame d'Estouilly, fille de Beaudouin de Campremy, seigneur d'Estouilly, laquelle vivoit encore en 1354.
Margueritte, l'aisnŽe, espousa Mathieu de Rouvroy, dit le
Borgne, et de ce mariage descend toute la maison dont sont issus de masle en masle les Ducs de Saint Simon. Ce mariage prŽcŽda l'an 1332. BŽatrix, la cadette, estoit aussy mariŽe, 1332, ˆ Raoul, seigneur de FrŽmicourt, chevalier, et en 1334, ˆ Guillaume, seigneur de PrŽcy sur Oise, duquel vint Philippe de PrŽcy, pre de Louis, seigneur de PrŽcy, qui se voyant sans enfans de Catherine de Nantouillet, sa femme, fit donation de sa terre de PrŽcy et de plusieures autres, le 7 juillet 1451, ˆ Gilles de Saint Simon, second fils de Mathieu II de Rouvroy, seigneur de Saint Simon, son cousin issu de germain, et ce Gilles est le chef de la branche des Ducs de Saint Simon.
Aprs
avoir
monstrŽ comment cette Maison des comtes de Vermandois, issue masculinement de Charlemagne, est tombŽe, comment elle a quittŽ le nom de Vermandois pour celuy de Saint Simon, et comment par l'hŽritire de ces Vermandois, devenus Saint Simon, qui espousa Mathieu de Rouvroy, toute leur postŽritŽ, qui est la Maison dite de Saint Simon, a pris ce nom jusqu'aux Ducs de Saint Simon qui descendent de ce mariage de masle en masle, voyons l'autre branche unique de cette Maison de Vermandois.
Eudes I, frre puisnŽ d'Herbert IV, comte de Vermandois, pre d'Eudes l'InsensŽ et le DŽshŽritŽ et d'Adelle, femme d'Hugues le Grand, troisime fils du Roy de France Henry I, laquelle, par cette exhŽrŽdation, porta tous les biens de sa Maison ˆ son mary, cet Eudes, dis je, puisnŽ de son pre, et surnommŽ Pied de loup, fut seigneur de Ham, et pre de Lancelin de Ham, dont le fils Eudes II, seigneur de Ham, et mary d'Isabelle de BŽthencourt, ne porta plus du tout le nom ny les armes de Vermandois, ny pas un de sa postŽritŽ, mais uniquement le nom de Ham, et d'or ˆ trois croissants de gueules. Cela remarquŽ, il suffit d'ajouster qu'il y eut cinq gŽnŽrations depuis luy, et que cette branche finit sous le Roy Jean, tout au plus tard sous Charles V, sans rien d'illustre en aucun genre, ny avoir jamais figurŽ. Venons maintenant ˆ la Maison de Rouvroy, dont les armes sont de sable, ˆ la croix d'argent chargŽe de cinq coquilles de gueules.
Cette Maison qui a toutes les marques d'anciennetŽ et d'illustration qu'on peut dŽsirer, et qui n'a dŽchu qu'ˆ mesure qu'elle a vieilli, manque au dessus de Mathieu, mari de Marguerite de Saint Simon, ou plustost de Vermandois, de beaucoup d'anciens titres. Mais par les quittances pour service de guerre, patentes et sceaux de leurs armes, les antŽcesseurs de Mathieu ne sont contestŽs d'aucun gŽnŽalogiste. Le premier qu'on connaisse porte un Žclat qui montre bien, par ce peu qu'on en voit, qu'il estoit grand seigneur, et qu'il avoit une longue suitte d'ancestres, dans ces temps reculŽs o la fortune ne donnoit pas des gens nouveaux pour commander en chef ˆ un royaume. C'est :
Renaut de Rouvroy, fait gouverneur du royaume de Navarre aprs Eustache de Beaumarchez, qui cessa de l'estre en 1277, sous Philippe III le Hardi, fils et successeur de Saint Louis.
Alphonse de Rouvroy, sŽneschal de Beaucaire, 1296, fait gouverneur du royaume de Navarre en 1297, sous Philippe IV le Bel. Il est qualifiŽ gouverneur et rŽformateur du royaume de Navarre dans un titre de 1325, sous Charles IV le Bel, au bas duquel est un sceau en cire rouge sur lequel paroist une croix chargŽe de cinq coquilles, avec un lambel. Il pouvoit avoir un frre aisnŽ, ou un frre de son pre aisnŽ, et cette briseure, en ces temps reculŽs, ne se portoient [sic] que par les puisnŽs de la premire noblesse. Il y a des sceaux ˆ cheval, armŽ, l'espŽe ˆ la main, bardŽs des mesmes armes, avec les noms de baptesme, le miles, et de Roboreto.
Guillaume de Rouvroy est qualifiŽ chevalier banneret de la baillŽe de Vermandois dans une quittance qu'il donna en 1302, sous Philippe le Bel, pour ses gages de deux chevaliers et douze escuyers de sa compagnie, du service qu'il avoit rendu en l'ost de Flandres. Il en donna une pareille ˆ Paris, 20 avril 1303. Nicolas et Gilles de Rouvroy donnrent quittance la mesme annŽe, 1302, 5 septembre, ˆ Arras, pour gages d'eux et de leurs gens en l'ost de Flandres.
Jean, seigneur de Rouvroy, d'Harly, du Mesnil et de Saint Laurent, cŽda au chapitre de Saint Quentin la justice de ses terres, et se retira en 1315 au royaume de Naples, auprs du roy Robert.
Guy de Rouvroy, seigneur du Plessier et de Coivrel, espousa PŽronne de MoØ. Il mourut en 1316, sous Philippe V le Long, et fut enterrŽ en l'Žglise de Tous les Saints ˆ Saint Quentin, o sa tombe a estŽ trouvŽe dans la case matte du boulevard de la Reine auprs duquel estoit l'Žglise de Tous les Saints et l'hostel de Saint Simon, ruinŽ au retranchement de cette ville sous Charles IX, en laquelle Žglise, les anciens seigneurs de cette Maison avoient leur sŽpulture, suivant le testament de Gaucher de Saint Simon, dit le Borgne de Rouvroy. Sur cette tombe est gravŽ un chevalier armŽ, hors la teste, avec ces mot : Ç Cy gist M. Guy, dit de Rouvroy, fils jadis Monseigneur Jarremont, seigneur de Rouvroy, qui trŽpassa 1316. PriŽs Dieu pour son ‰me. È On prŽtend qu'ƒlŽonor, fille d'Adam, seigneur de Magny et de Boilancourt en Vermandois, fut femme de ce Jarremont, ou Jean, seigneur de Rouvroy.
Avant d'aller plus loin, il faut dire un mot de la dispute qui est entre les historiens et gŽnŽalogistes, dont les uns prŽtendent que ces Rouvroy, et Mathieu de Rouvroy qui espousa Marguerite de Saint Simon, c'est ˆ dire de Vermandois, et leur postŽritŽ, aujourd'hui la Maison des Ducs de Saint Simon, sont Vermandois ; et les autres qu'ils n'en sont point, mais Rouvroy, et que cette Maison prend son origine et son nom de la terre de Rouvroy en Picardie.
Ceux qui sont de cette opinion allguent qu'on ne voit par aucun titre que Mathieu de Rouvroy, ny ses auteurs, soyent issus par masles des comtes de Vermandois ; que leur nom de Rouvroy est tout diffŽrent et leurs armes de mesme, et on les a icy expliquŽes exprs ; qu'avant Mathieu, nul vestige des armes de Vermandois avec celles de Rouvroy ; que, lors du mariage de Mathieu avec la fille hŽritire de Saint Simon Vermandois, nulle marque qu'ils fussent tous deux de la mesme maison. Enfin, pour les modernes, que le premier Duc de Saint Simon, dans sa faveur, ne l'a ny recherchŽ ny prŽtendu, et que ce qui est insŽrŽ dans les lettres d'Žrection du DuchŽ Pairie de Saint Simon, que les sieurs de Saint Simon sont issus en ligne directe des comtes de Vermandois, ne prouve point que ce soit de masle en masle, et n'exprime qu'une vŽritŽ connue, avŽrŽe par les titres, et qui n'a jamais estŽ ny pu estre mise en disputte, savoir que les sieurs de Saint Simon descendent masculinement du mariage de Mathieu de Rouvrov avec Marguerite de Saint Simon Vermandois, laquelle estoit bien vŽritablement issue de masle en masle des comtes de Vermandois, et masculinement du sang de Charlemagne.
Ceux qui soutiennent l'opinion contraire, comme MŽzeray, dans l'abrŽgŽ qu'il a fait luy mesme de son histoire de France, et qui la donne pour certaine, sans entrer dans une dispute, et plusieurs autres, s'appuyent sur l'inŽgalitŽ du partage entre les deux sÏurs, dont l'aisnŽe, qui espousa Mathieu de Rouvroy, eut tout, la cadette n'eut qu'une lŽgitime, comme si son frre, qui mourut incontinent sans avoir estŽ mariŽ, eust vescu et fait lignŽe, et prŽtendent qu'une telle diffŽrence entre deux sÏurs estoit non seulement insuportable, mais illicite, si Mathieu n'eust pas estŽ de leur mesme Maison ; que cependant, ny le premier mari de la cadette, ny son second mari, ne s'en plaignirent pas, et que le petit fils de cette cadette s'en trouva si peu lŽsŽ, ˆ l'exemple de son pre et de son grand pre, qui estoit le second mari, que se voyant luy mesme sans enfans de sa femme, il fit donation de sa terre de PrŽcy, et de plusieures autres, ˆ Gilles de Saint Simon, seigneur de Rasse, son cousin, et second fils du petit fils de cette sÏur aisnŽe de sa grand'mre ; que dans ces anciens temps, on n'estoit point soigneux ˆ marquer et ˆ rŽviser les choses connues, et que la seule inŽgalitŽ entre deux sÏurs, dont l'aisnŽe emporte tout, et la cadette est rŽduite ˆ une simple lŽgitime, sans s'en plaindre, ny ses deux maris, ny leur postŽritŽ, est une preuve de leur opinion qui n'a pas eu besoin d'estre autrement rappelŽe dans ce mariage de Mathieu. Ils prŽtendent en tirer une fort expresse de cette tombe trouvŽe ˆ Saint Quentin. C'est un Guy de Rouvroy, seigneur du Plessier et de Coivrel, fils de Jarremont ou Jean, auquel on ne peut se mŽprendre par l'Žpitaphe, antŽrieur de plusieurs annŽes au mariage de Mathieu, enterrŽ dans la sŽpulture de la Maison de Saint Simon Vermandois. Nulle autre chose dans l'Žpitaphe que son nom et celuy de son pre, sa reprŽsentation en chevalier armŽ, et l'annŽe de sa mort, qui fait foy qu'elle a de longtemps prŽcŽdŽ le mariage de Mathieu de Rouvroy avec Marguerite de Saint Simon Vermandois ; par consŽquent, que ce chevalier mis dans cette sŽpulture, n'y estoit qu'au droit de sa Maison, puisqu'on n'enterroit personne dans la sŽpulture d'autruy, et d'une Maison telle que celle lˆ, quoyque si dŽchue, sans cause trs particulire que ceux de cette Maison, dont il y avoit encore alors des masles et de la branche de Vermandois Saint Simon, et de celle de Vermandois Ham, n'auroient pas obmise dans l'Žpitaphe en permettant cette sŽpulture. Ils tirent une autre preuve de ce qu'il est dit que les anciens seigneurs de Saint Simon, c'est ˆ dire Vermandois (car les Vermandois Saint Simon n'estoient plus connus que sous ce nom d'anciens seigneurs de Saint Simon depuis que sous Philippe Auguste, ˆ qui ils cŽdrent leurs droits, ils quittrent entirement le nom de Vermandois pour celuy de Saint Simon), de ce qu'il est dit que les anciens seigneurs de Saint Simon, c'est ˆ dire Vermandois, avoient lˆ leur sŽpulture suivant le testament de Gaucher de Saint Simon, dit le Borgne de Rouvroy.
Or, qui estoit ce Gaucher ? On n'en trouve aucun dans la gŽnŽalogie de Saint Simon Vermandois prŽdŽcesseurs de Marguerite, femme de Mathieu de Rouvroy. Il faut donc venir ˆ l'arrire petit fils de l'hŽritire et de Mathieu, qui, en 1416, estoit chambellan du Roy Charles VI, et qui vivoit dans un temps trop proche pour avoir pu citer faux. Ainsy la sŽpulture de la Maison de Saint Simon Vermandois est constante, la sŽpulture de Guy dans ce tombeau est certaine, l'Žpoque en est escrite sur la pierre, antŽrieure au mariage de Mathieu avec l'hŽritire de Saint Simon Vermandois, et si toutes ces choses rŽunies prouvent que Guy, et par consŽquent Mathieu de Rouvroy, sont Vermandois, rien dans l'Žpitaphe, ny ailleurs, qui marque pourquoy Guy, n'en estant pas, auroit estŽ mis dans leur sŽpulture. A ce raisonnement, ils en ajoustent un autre tirŽ des paroles gravŽes sur la tombe, qui sont telles : Ç Cy gist M. Guy, dit de Rouvroy, fils jadis de Monseigneur Jarremont, qui trŽpassa 1316. PriŽs Dieu pour son ‰me È. Ils prŽtendent que de ce mot, Ç dit de Rouvroy È, il conste que Rouvroy estoit un nom estranger ˆ Guy, sans quoy l'Žpitaphe eut mis simplement Ç Guy de Rouvroy È ; d'o il rŽsulte que Rouvroy n'estant pas son nom, et se trouvant dans la sŽpulture des Vermandois, ce dernier nom estoit le sien, et qu'il estoit Vermandois luy mesme ; que si ce mot, Ç dit de Rouvroy È, ne se trouve nulle part ailleurs d'aucun Rouvroy, c'est que l'Žpitaphe a voulu lever l'embarras d'un Rouvroy enterrŽ avec les Vermandois, et montrer qu'il estoit Vermandois luy mesme ; et si elle ne luy a pas donnŽ ce dernier nom, c'est parce qu'il ne le portoit pas.
Ils en infrent que ces Rouvroy estoient une branche de Vermandois qui, par mariage avec l'hŽritire de Rouvroy, ou pour avoir eu Rouvroy en partage, en ont pris le nom et les armes, comme sans sortir de la Maison de Vermandois et dans ces temps lˆ mesmes, la branche aisnŽe avoit tout ˆ fait quittŽ le nom de Vermandois pour prendre celuy de Saint Simon seul, et la branche cadette avoit encore plus fait, puisqu'avec son nom, elle avoit quittŽ entirement ses armes, et ne portoit plus que le nom et les armes de Ham jusqu'ˆ son extinction. Ny les uns, ny les autres, nulle part, ne sont appelŽs Ç dit de Saint Simon È, Ç dit de Ham È, et toutesfois ils n'en estoient effectivement que dits, puisqu'ils estoient Vermandois, mais ce mot Ç dit de Rouvroy È, a estŽ mis sur la tombe de Guy pour lever toute obscuritŽ sur cette sŽpulture. Ils remarquent que cette tombe a estŽ trouvŽe sous Charles IX, c'est ˆ dire au temps du plus grand abbaissement de la Maison de Saint Simon, et plus de soixante ans avant que la fortune ait commencŽ ˆ la relever.
Ils rŽpondent ˆ la diffŽrence entire du nom et des armes de Vermandois et de Saint Simon ce qui vient d'estre dit des Saint Simon Vermandois et des Ham Vermandois, ce qui est arrivŽ aux branches Royales de Dreux et de Courtenay qui avoient quittŽ les armes de leur origine masculine pour prendre celles, la premire de son apanage, l'autre de l'hŽritire que son chef espousa, et ce que nul gŽnŽalogiste n'ignore estre arrivŽ ˆ tant de particuliers, dont nous avons aujourd'huy sous les yeux Mrs de Monaco, d'Humires, de Richelieu, et tant d'autres en exemple, qui ont quittŽ en entier les noms, armes et livrŽes de leur Maison pour en prendre d'estrangres. Enfin, que personne ne s'est avisŽ de rŽvoquer en doute que Guy, enterrŽ avec les Vermandois en 1316, et Mathieu, espoux de Catherine de Saint Simon Vermandois avant 1532, tous deux du nom de Rouvroy, ne fussent du mesme nom et Maison, et que si Guy estoit Vermandois, Mathieu l'estoit aussy, et toute la Maison de Saint Simon qui en est masculinement descendue, et qu'il est plus qu'apparent que ce Guy estoit pre de Mathieu.
Leurs raisons sont que Guy, suivant la tombe, est fils de Jarremont ou Jean, et on n'en connoit qu'un avant luy ; on ne sauroit donc s'y mŽprendre. Or, la femme de ce Jean n'est point nommŽe, et toutesfois des mŽmoires luy donnent pour femme ƒlŽonor, fille d'Adam, seigneur de Magny et de Boilancourt, en Vermandois. De mesme, la femme de Guy est nommŽe avec luy PŽronne de MoØ, et la mre de Mathieu ne l'est point. Mais Guy et Mathieu, dont les Žpoques d'annŽes fixes et certaines se rencontrent ˆ estre pre et fils, sont tous deux, l'un aprs l'autre, seigneurs des mesmes seigneuries, le Plessier et Coivrel, ce qui forme une preuve, et la terre de Saint Simon, apportŽe en dot ˆ Mathieu de Rouvroy par sa femme, Catherine de Saint Simon Vermandois, n'est jamais sortie de sa postŽritŽ masculine, et fait aujourd'huy le DuchŽ Pairie de Saint Simon.
Pour finir un destail curieux, mais trop long, ceux qui prŽtendent que la Maison de Saint Simon est masculinement issue des comtes de Vermandois rŽpondent encore ˆ l'objection tirŽe de ce que le premier Duc de Saint Simon, dans sa faveur, ne l'a jamais prŽtendu, et de ce qui est insŽrŽ dans les lettres d'Žrection du DuchŽ de Saint Simon. Ils disent donc que quelque destituŽes de droit, de raison et de sens commun que pussent estre des visions fondŽes sur le sang de Charlemagne contre huit sicles, il n'en falloit pas tant ˆ un ministre tel que le Cardinal de Richelieu pour perdre un favori qu'il n'avoit pas donnŽ, avec qui il comptoit quelquefois, contre son grŽ asseurŽment, et qu'il vint ˆ bout enfin de chasser ˆ Blaye sur une querelle d'Allemand, et de l'y tenir jusqu'ˆ sa mort, comme on le verra ˆ son article ; qu'il estoit donc de la prudence du favori d'Žviter toute occasion de prise sur luy, et de se contenter de sa naissance reconnue depuis les vice rois de Navarre au sicle de Saint Louis, sans en rechercher une dont l'apparence pouvoit bien estre fondŽe, mais non pas sur des titres clairs et exprs, d'Žviter mesme tout ce qui en pouvoit devenir occasion la plus ŽloignŽe. Il ne voulut donc jamais Žcouter la moindre chose sur la Maison de Vermandois, et se contenta de ce qui en est dans ses lettres d'Žrection, comme il y est exprimŽ, et qui contient une vŽritŽ que personne ne peut reprendre, et de manire qui sans marquer formellement une descente masculine, ne l'exclut pas.
Le second Duc de Saint Simon, son fils, ami intime du Duc de Chevreuse malgrŽ la grande diffŽrence d'‰ge, estant chez luy, ˆ Dampierre, en eut une vŽritable dispute avec luy. Mr de Chevreuse, en se promenant et parlant de Maisons, vint ˆ celle de Saint Simon et ˆ la dispute entre les gŽnŽalogistes et les historiens, et entraisnŽ par l'autoritŽ de MŽzeray, il voulut persuader Mr de Saint Simon de prŽtendre estre Vermandois. Mais celuy cy, content d'une alliance directe et bien nette de Vermandois depuis quatre sicles, dont il sortoit de masles en masles bien prouvŽs, et de vice rois de Navarre encore plus ŽloignŽs, luy demanda ce que luy produiroit cette prŽtention, ce qui luy reviendroit mesme d'une preuve bien claire d'estre d'une Maison rŽduite ˆ l'estat particulier ds 818, par la mort violente de Bernard, Roy d'Italie, dŽgradŽe en 1077 par l'exhŽrŽdation d'Eudes pour enrichir de tous ses biens Hugues de France, troisime fils du Roy Henry I, qui espousa sa sÏur, anŽantie dans Jean I, fils du fils de ce deshŽritŽ, forcŽ par le Roy Philippe Auguste ˆ luy cŽder jusqu'ˆ ses droits et ses prŽtentions sur le Vermandois et le Valois, et ˆ quitter son nom de Vermandois pour ne porter plus que celuy de Saint Simon. Il ajousta que les chimres luy avoient toujours tant dŽplu dans les autres, que quoyque cette prŽtention pust trs bien n'en estre pas une, il en vouloit Žviter jusqu'ˆ l'ombre et ˆ la ressemblance, et demeurer comme il estoit, d'une naissance avŽrŽe et prouvŽe grande, sans l'embarrasser de rien d'Žquivoque ou qui pust passer pour tel, et aprs avoir longtemps disputŽ, ils ne se persuadrent ny l'un ny l'autre.
Mais, quoi qu'il en soit de cette question, il est temps d'en venir ˆ la Maison de Saint Simon Vermandois, ou Rouvroy. On se souviendra de ce qui a estŽ dit cy dessus des antŽcesseurs de Mathieu de Rouvroy. On commencera donc par luy et par trois illustres borgnes, et qui en portoient et signoient le sobriquet. On le remarque icy comme une curiositŽ de ces anciens temps, et comme une marque apparente qu'ils avoient perdu chacun un Ïil ˆ la guerre, qu'ils firent tous trois avec grande rŽputation, comme on le voit dans les histoires.
Mathieu
I
de Rouvroy, dit le Borgne, chevalier, seigneur du Plessier Saint Just et de Coivrel, en Beauvaisis, servoit au sige de Lille sous le comte d'Alenon, 1359, suivant Froissart, tome I, chapitres xlvIIi et LXXXIX, et demeura prisonnier des Anglais en Hainault, 1340, o il estait allŽ au voyage du Duc de Normandie ; servit en d'autres occasions ; fut gouverneur de Lille en Flandres, et enfin, sous le Duc de Bourgogne, aux guerres de Picardie et de Flandres, 1352 et 1353, avec trois chevaliers et vingt escuyers. Il fut commis en 1356, avec Simon de Clermont, pour faire la reveue des gendarmes qui estoient au service du Roy Jean, suivant un acte scellŽ de deux sceaux, l'un, une clef en pal, l'autre, une croix chargŽe de cinq coquilles. Il servoit encore en 1358, et mourut vers 1370, sous Charles V. Il signa l'acte susdit simplement : Ç le
Borgne de Rouvroy È. Il espousa Marguerite, fille aisnŽe de Jacques, seigneur de Saint Simon, issu, comme on vient de voir, de masle en masle des comtes de Vermandois du sang de Charlemagne, et d'Agns de Campremy, dame d'Estouilly. Marguerite estoit sÏur de Jacques II, mort sans alliance, et de BŽatrix, femme, 1332, de Raoul de FrŽmicourt, chevalier, dont il ne paroist point de postŽritŽ, puis remariŽe aprs 1334, ˆ Guillaume, seigneur de PrŽcy sur Oyse, dont postŽritŽ. Mathieu de Rouvroy partagea, aprs la mort de son beau pre, de sa belle mre et de son beau frre, avec Guillaume de PrŽcy et sa belle sÏur, et il eut la terre de Saint Simon, la moitiŽ de celle de Gavre, en CambrŽsis, et la moitiŽ de celle de Coudun. Ce partage est du 29 may 1354 et 5 septembre 1337, scellŽ de deux sceaux en cire rouge, dont l'un est une croix chargŽe de cinq coquilles, et signŽ ainsy : Ç Mathieu, dit le Borgne de Rouvroy È. La diffŽrence de cette signature d'avec celle de la reveue des gens d'armes cy dessus fournit encore aux raisonnements de ceux qui prŽtendent que Mathieu estoit Vermandois comme sa femme ; l'une est simplement le nom sous lequel il estoit connu, l'autre, o il s'agit d'un acte et d'un partage avec la sÏur de sa femme, il met son nom de baptesme, et n'ajouste pas seulement le nom de Rouvroy, mais Ç dit le
Borgne de Rouvroy È. Le rapport de cette signature avec l'Žpitaphe susdite leur donne encore plus lieu de fortifier leur opinion. A cela ceux qui pensent autrement rŽpondent que sa femme, bien constamment Vermandois, signe au mesme acte, et ne met que Marguerite de Saint Simon. Les autres rŽpliquent que depuis la cession de Jean I de Vermandois, seigneur de Saint Simon, ˆ Philippe Auguste, de ses droits sur le Vermandois et le Valois, et qu'en mesme temps, il cessa de porter le nom de Vermandois pour se tenir au seul nom de Saint Simon, sa postŽritŽ n'a jamais signŽ autrement que le nom seul de Saint Simon, que seul elle portoit. A cela d'autres rŽpliques. Mais en voilˆ assŽs pour la curiositŽ.
Du mariage de Mathieu de Rouvroy avec Marguerite de Saint Simon Vermandois : Marguerite, femme de Jean d'Humires ; Marie, religieuse de Poissy, puis abbesse de Notre Dame de Fervacques ;
et Jean de Rouvroy, dit le Borgne, seigneur de Saint Simon, de Pont Avesne, d'Estouilly, de Coudun (biens de sa mre, et cependant la sÏur de sa mre avoit postŽrite vivante), du Plessier Saint Just et de Coivrel, se trouva aux batailles de CrŽcy, sous Philippe de Valois, 1346, et de Poictiers, sous le Roy Jean, 1356, et ˆ la reprise d'Abbeville et de Saint Valery en Ponthieu, 1369 ; rendit aveu de sa terre de Saint Simon ˆ l'abbŽ de Saint Bertin, 1370 ; estoit lieutenant de Roy en la province de Rheims, 1381, suivant un arrest du Parlement qui fait mention de luy de cette annŽe. Il fut aussy escuyer de la Reyne, la trop fameuse Isabeau de Bavire, femme de Charles VI et mre dŽnaturŽe de Charles VII ; fit hommage au Roy Charles VI, 24 dŽcembre 1382, de sa terre du Quesnoy, et ne vivait plus en 1392. Il avoit espousŽ Jeanne de Bruyres, dite de Montigny en Artois, et en laissa cinq fils : Mathieu, l'aisnŽ, dont on parlera aprs ; Guillaume, dit le Gallois, servoit avec un chevalier et huit escuyers de sa compagnie, 1378 et 1379, et fut fait prisonnier ˆ la bataille d'Azincourt, 1415, sous Charles VI, o Monstrelet dit qu'il fut tuŽ ; Jacques, dont rien, sinon que dans une vente qu'il fit ˆ Charles VI, 1392, il est qualifiŽ fils de Mathieu de Rouvroy, chevalier ; Pierre, aussy qualifiŽ chevalier dans un titre du TrŽsor de 1400 ; Jean, employŽ en qualitŽ de chevalier banneret, ˆ trois chevaliers bacheliers et onze escuyers, dans les registres du TrŽsor, fut tuŽ ˆ la bataille d'Azincourt. Aucun ne fut mariŽ que :
Mathieu II de Rouvroy, dit le Borgne, comme son pre et son ayeul, seigneur de Saint Simon, Pont Avesne, Flavy le Martel, Estouilly, Coudun, Plessier Saint Just et Coivrel, vendit ces deux dernires terres, 1389, au Chancelier de Corbie. Ce Matthieu II servit en qualitŽ de chevalier banneret avec dix escuyers devant Arras, 1414, et fut tuŽ l'annŽe suivante, 1415, ˆ la bataille d'Azincourt, avec son frre, selon Monstrelet. Il espousa Jeanne de Havesquerque, dite de Wicque, fille et hŽritire de Pierre de Havesquerque, seigneur de Rasse, de Bray, de Raimbaucourt, chastelain d'Orchies et de Bailleul, et de Jeanne de Lallain. On a dit Ç hŽritire È, parce qu'on voit toutes les terres de son pre passŽes ˆ ses enfans.
De ce mariage, trois filles : Jeanne, chanoinesse de Sainte Aldegonde de Maubeuge ; Isabeau, mariŽe, 1417, ˆ Jean de Braque, chevalier, puis ˆ Aubert Sorel, bailly et capitaine de Chauny et de Noyon ; et PŽronne, mariŽe ˆ Pierre d'Oinville, chevalier ; et deux fils : Gaucher, seigneur de Saint Simon, et Gilles, seigneur de Rasse, qui a fait la branche des Ducs de Saint Simon. Voyons d'abord la branche aisnŽe.
Gaucher de Rouvroy, seigneur de Saint Simon, du Pont Avesne, de Flavy le Martel, d'Estouilly, de Coudun, vicomte de Chartres et de Ham, fut ŽlevŽ auprs de Jean, Duc de Bourgogne, dont il fut chambellan, 1416, puis chambellan du Roy Charles VI, qui, en 1418, luy donna le gouvernement et capitainerie de Riblemont en Thierache. Il le servit en ses guerres contre les Anglois et se signala ˆ la journŽe de Mons en Vimeu, 1421, o il suivit Philippe le Bon, Duc de Bourgogne, dont il suivoit le parti, qu'il quitta, 1424. Dans une quittance de l'an 1426, qu'il donna pour affaires de famille ˆ Mathieu, seigneur de Roye, de Muret et de Germigny, est un sceau en cire rouge avec un escusson d'une croix chargŽe de cinq coquilles, supportŽ par deux sauvages. Il donna, en 1448, ˆ l'abbŽ de Saint Bertin, son aveu, comme ses pres avoient tous fait, de sa terre de Saint Simon ; mourut 1458, et fut enterrŽ dans la chapelle qu'il avoit bastie et fondŽe en l'Žglise des Cordeliers de Saint Quentin. Il n'est point dit que celuy cy fust borgne. Il espousa, 1416, en premires nopces, Jeanne, fille de Robert, seigneur de Waurin, chambellan du Duc de Bourgogne, et de [N... de] Gaucourt, dont il eut un fils unique, Antoine de Rouvroy, dit de Saint Simon, qui fut un des tenants au tournoy de Dijon avec l'hŽritier de Clves, au rapport d'Olivier de la Marche, p. 302 et 305, vendit ˆ Gilles de Saint Simon, son oncle paternel, la terre de Rasse et plusieures autres que son pre luy avoit donnŽes, aprs avoir fondŽ un hospital en la ville de Rasse et une chapelle dans le chasteau, ce que son pre confirma, 16 avril 1450 ; se fit Cordelier ˆ Besanon, sans avoir estŽ mariŽ.
Son pre ayant perdu sa premire femme, 1421, se remaria, 2 juin 1422, ˆ Marie, veuve de Jean de Hangest, seigneur de Genlis, capitaine de Chauny, fille d'AmŽ de Sarrebruche, seigneur de Commercy, dont Jean II, auquel on reviendra ; Aubert, abbŽ de Saint Satur, prieur de Villeselve, chanoine et trŽsorier de l'Žglise cathŽdrale de Noyon, conseiller clerc au Parlement de Paris ; et en ces temps reculŽs, les ecclŽsiastiques de la premire noblesse y estoient souvent conseillers clercs ; celuy cy le fut depuis 1454 jusqu'en 1458, qu'il mourut ; Isabeau, mariŽe ˆ Jean d'Aunoy, seigneur de Louvres, OrvillŽ, etc, dit le Gallois ; Jeanne, dite la belle Blanche, fut une des douze dames et demoiselles ˆ hacquenŽes ornŽes de drap d'or qui accompagnrent Isabelle, fille de Jean I, Roy de Portugal, femme de Philippe le Bon, Duc de Bourgogne, vivant lors et mre de Charles dernier Duc de Bourgogne, ˆ son entrŽe, 1442, en la ville de Besanon, pour y recevoir l'Empereur FrŽdŽric ; elle espousa ensuite Jean, seigneur de Berghes sur l'Escault ; Marguerite, chanoinesse de Mons, 1431, puis mariŽe ˆ Jean du Moulin, seigneur de Fontenay en Brie et de Messy, duquel la mre estoit Marie de Courtenay ; et Jacqueline, mariŽe : 1¡ ˆ Jean d'Inchy, seigneur de Bogy et de Marquais; 2¡ ˆ Philippe, seigneur de Sombrin. Revenons au fils aisnŽ :
Jean II de Rouvroy, seigneur de Saint Simon, etc, chambellan du Roy Louis XI, dont il tenoit le parti ˆ la bataille de MontlhŽry, o il se trouva, 15 juillet 1465. Il se jetta avec sa compagnie d'ordonnance, 1471, dans Amiens assiŽgŽe par le Duc de Bourgogne, o, pendant le sige, il fit un combat singulier contre Baudoin de Lannoy, un des principaux seigneurs de la cour du Duc de Bourgogne, suivant Olivier de la Marche, p. 334 et 355. Mourut ˆ Amiens, 6 novembre 1492, et fut enterrŽ dans le chÏur des Chartreux de Noyon, comme un des principaux bienfaiteurs de cette maison. Il avoit espousŽ Jeanne, fille de Jean de la TrŽmoille, seigneur de Dours, baron d'Engoutsen, et de Jeanne de CrŽquy ; elle mourut ˆ Amiens, 25 juillet 1500, et fut enterrŽe en la Chartreuse de Noyon, prs de son mary. Ils laissrent deux fils : Louis, et un ecclŽsiastique, un troisime, mort enfant, une fille religieuse, et Franoise, qui espousa Louis d'HŽdouville, seigneur de Sandricourt, et qui fut une des dames de la Reine Anne de Bretagne. Elle et son mary firent toute la despense et les honneurs du cŽlbre tournoy du Pas d'armes de Sandricourt, commencŽ 16 septembre 1493. Elle bastit et fonda, 1498, un couvent de Minimes ˆ Amiens, et donna, 1507, par testament, ˆ Jean de Saint Simon, son neveu, la terre de Sandricourt et autres dont elle s'estoit rendue adjudicatrice aprs la mort de son mari sans enfans.
Louis, fils aisnŽ de Jean II, fut seigneur de Saint Simon, etc, quitta le nom de Rouvroy, et prit celuy de Saint Simon seul, et sa postŽritŽ aprs luy. On n'en sait autre chose, sinon qu'il avoit une pension des Roys Louis XI, Charles VIII et Louis XII, qu'il servit Charles VIII en Italie, se trouva ˆ la bataille de Fornoue, et qu'en 1498, il obtint l'establissement d'une foire ˆ Saint Simon. Il espousa Yolande, fille de GŽrard de Rochebaron et de Michle de Monchy. La Reine Anne de Bretagne la choisit pour estre dame d'honneur de RenŽe, Duchesse de Ferrare, sa seconde fille, et la conduire en Italie. Elle estoit auprs d'elle quand elle fit son testament, et mourut, 1544. Elle n'eut qu'une fille, morte sans alliance, et quatre fils : Franois, seigneur de Saint Simon ; Jean, seigneur de Sandricourt, tige de la branche de Saint Simon Sandricourt, dont on parlera aprs celle cy ; et deux ecclŽsiastiques, Philippe, protonotaire du Saint Sige, aumosnier du Roy et employŽ en plusieures nŽgotiations importantes, abbŽ de Genlis, doyen de Saint Quentin, tuteur de ses neveux, et bienfacteur des Cordeliers de Saint Quentin ; et Charles, abbŽ de Saint Sauve de Montreuil et prieur de Quercy.
Leur frre aisnŽ, Franois, seigneur de Saint Simon, etc, estoit mineur ˆ la mort de son pre, et eut pour curateurs Charles de Hangest, evesque comte de Noyon, et Louis d'Haluyn, gouverneur de Picardie. Il fit le voyage de la Terre Sainte, o il fut fait chevalier du Saint SŽpulcre, et servit depuis le Roy dans ses guerres. Il commandait en 1521 dans Saint Quentin et aux environs, estoit gentilhomme de la chambre du Roy Franois I, 1531, commandoit une partie des troupes qui secoururent Landrecies, 1543, assiŽgŽe par Charles V, et mourut, 1545, aprs avoir beaucoup despensŽ ˆ la guerre et vendu plusieures de ses terres, entr'autres celle de Ham, ˆ la Duchesse de Vendosme, 28 juillet 1528. De sa premire femme, Magdeleine, fille de Guy de Refuge, seigneur de Dammartin, escuyer tranchant du Roy, et de Jeanne de May, il n'eut qu'un fils, mort jeune, 1560, et sans alliance, aprs avoir estŽ guidon de la compagnie d'ordonnance du Duc de Nevers et s'estre trouvŽ, 1557, ˆ la bataille de Saint Quentin ; une fille religieuse ; et une autre mariŽe ˆ N. de Gerbes, maistre d'hostel du Roy.
Il se remaria ˆ Franoise, fille d'Antoine de Blecourt, seigneur de BŽthencourt, de Vaux et des Marests, et d'Antoinette du Bois. Elle se remaria au seigneur de Montbleru, le survescut sans en avoir eu d'enfans, se fit adjuger la terre de Montbleru, et la laissa ˆ son fils unique, qui fut :
Titus, seigneur de Saint Simon, etc. Il fut gentilhomme de la chambre de Charles IX, qui le fit chevalier de Saint Michel. Il se trouva ˆ la bataille de Senlis, 17 may 1589, commandant une compagnie de chevaux lŽgers, servit Henry IV en toutes ses guerres lorsqu'il fut parvenu ˆ la Couronne, et mourut 1609. Il n'eut qu'une fille, morte enfant, de sa premire femme, Antoinette, veuve de Florent, seigneur de Sorel, et fille de Gabriel de Montmorency, seigneur de Bours, et de Michelle de Bayencourt. Il espousa : 2¡ Franoise, fille de Jean d'Averhoust, seigneur de la Lobbe, et de Franoise de Verrieres. De ce mariage, trois fils : Isaac, seigneur de Saint Simon ; Louis, qui servit au sige de la Rochelle, 1622, et mourut, 1658, sans enfans de Michelle, fille de Jean Bouchard, seigneur d'Hellecourt et de Ravenel, et de Jeanne du Plessis Biache ; et Charles de Saint Simon, seigneur de MontblŽru, tige de cette branche, dont on parlera aprs celle cy.
Isaac, seigneur de Saint Simon, etc, servit si dignement au sige d'Amiens, 1597, par Henry IV, qu'il en eust une pension de ce Prince. Il leva, en 1616, une compagnie de 200 hommes d'infanterie, avec laquelle il se jetta dans Saint Quentin, qu'il maintint contre les efforts du Mareschal d'Ancre. Il servit au sige de la Rochelle, 1622, et fut envoyŽ, 1625, en la Valteline, auprs du marquis de CÏuvres, depuis le premier Mareschal Duc d'EstrŽes, gŽnŽral de l'armŽe du Roy, et y comanda un corps avec lequel il se distingua. Puis, en 1629, il passa les Alpes avec 400 hommes qu'il comandoit, et joignit l'armŽe du Roy. Il fut, en 1631, gouverneur de Saverne, de Phaltzbourg et d'autres places en Alsace. Il cŽda par eschange ˆ Claude de Saint Simon, son cousin au sixime degrŽ, la terre de Saint Simon, pour la faire Žriger en DuchŽ Pairie, qui, jusqu'alors, n'estoit pas sortie de la Maison d'aisnŽ en aisnŽ depuis plus de trois cents ans qu'elle y estoit entrŽe par le mariage de Mathieu de Rouvroy avec Marguerite de Saint Simon Vermandois. Isaac, seigneur de Saint Simon, devenu seigneur de Vaux par une partie de cet Žchange, mourut en aoust 1645. Il avoit espousŽ, 1611, Marie, fille de Nicolas d'Amerval, seigneur de Liancourt, chevalier de Saint Michel, bailly et gouverneur de Chauny, et d'A. Gouffier : ce Nicolas d'Amerval qui avoit espousŽ la trop fameuse Gabrielle d'EstrŽes, maistresse d'Henry IV, dont il eut CŽsar, Duc de Vendosme, qu'il voulut faire Dauphin et sa mre Reine, et pour cela rŽpudier la Reine sa femme, fille d'Henry II, et espouser la belle Gabrielle. Ce fut pour exŽcuter cet estrange dessein que Gabrielle se fit juridiquement dŽmarier, et que Henry IV fora par les plus cruelles menaces Nicolas d'Amerval ˆ y donner les mains. Il espousa ensuite Anne Gouffier, et survescut longtemps Gabrielle, morte la veille de Pasques 1599, comme tout cela se voit plus au long, titre d'EstrŽes [t. VI, p. 119].
Du mariage d'Isaac, seigneur de Saint Simon, et de Marie d'Amerval : Claude de Saint Simon, seigneur de Vaux ; cinq filles religieuses, dont la dernire, Charlotte, mourut ˆ cinquante cinq ans, 26 janvier 1672, religieuse de Port Royal, dont sa vie avoit paru digne ; et Anne qui, 12 juillet 1643, espousa son cousin, Charles Franois Gouffier, marquis de CrvecÏur, etc, dont elle n'eut point d'enfans, mais 150 000 livres des hŽritiers de son mari, et se retira dans un couvent o elle mourut, 17 septembre 1681.
Claude de Saint Simon, seigneur de Vaux, etc, mena une vie trs obscure. Il espousa Henriette, fille d'Antoine le Clerc, sieur de Lesseville, maistre des comptes, et de Cl. Poncher. Il eut deux fils : l'aisnŽ, Nicolas, espousa Marie le Bossu, fut, s'il se peut, plus obscur que son pre, et acheva de se ruiner entirement, ce que le pre avoit bien avancŽ. Il ne laissa qu'une fille. Michel Billard, sieur de Laurires, solliciteur de procs et fils d'un procureur du Mans qui, ˆ force de friponneries, avoit acquis quelque bien, fit connoissance avec la mre et la fille, mineure sous la tutelle de son oncle, trouva moyen de se faire conseiller au grand conseil, donna de l'argent ˆ la mre, et, en sa prŽsence, et soufflant les bans, l'espousa clandestinement ˆ Chaillot o elles n'avoient aucune demeure. L'oncle n'en fut averti que bien tard aprs, et voulut faire casser le mariage. C'estoit un procs, et par consŽquent de l'argent, dont le cadet mal mariŽ d'un pre ruinŽ n'avoit gures. Il se laissa aller aux menaces et aux promesses de Laurires, qui le plaida depuis, et perdit son procs contre ses enfans. Cet oncle, second fils de Claude de Saint Simon, seigneur de Vaux, fut :
Titus Eustache de Saint Simon, fort estimŽ et considŽrŽ dans le rŽgiment des gardes, o son anciennetŽ le fit capitaine et brigadier. Il mourut 1er septembre 1712, ˆ cinquante huit ans. Il avoit espousŽ, 17 mars 1687, Claire EugŽnie, fille de Guillaume d'Hauterive, mareschal des camps et armŽes du Roy, et de Marie de la Croix, dont il a laissŽ beaucoup d'enfans. Ceux qui ont vescu sont :
Titus
Bernard,
mort colonel d'un rŽgiment d'infanterie de son nom, ˆ vingt quatre ans, sans avoir estŽ mariŽ ;
Claude,
d'abord
chanoine rŽgulier de l'abbaye de Saint Victor, ˆ Paris, passŽ ensuite dans l'ordre de Malthe, o il est bailly, grand'croix, gŽnŽral des galres de la Religion, commandeur ;
Autre
Claude,
abbŽ de Jumige, 20 janvier 1716, ˆ vingt ans. Fait prestre ˆ Rome..., evesque comte de Noyon, Pair de France..., et reeu au Parlement..., puis evesque de Metz, le premier sans qu'il eust estŽ demandŽ, et le second aprs l'avoir opiniastrement refusŽ ;
H.,
connu
sous le nom de Marquis de Saint Simon, eut ˆ quatorze ans le rŽgiment vacant par la mort de son frre, et sert avec distinction en l'armŽe d'Italie o il a estŽ fait mareschal de camp, 1734 ;
Marie
Eliz.
mariŽe ˆ vingt quatre ans, 10 mars 1728, ˆ Guy Claude Rolland de Montmorency Laval, seigneur de Chatton et Vallon au Maine, gouverneur de Landrecies, servant ˆ l'armŽe d'Allemagne, o il a estŽ fait lieutenant gŽnŽral, 1754 ;
Marie
Magdeleine,
abbesse du PrŽ, au Mans ;
ƒliz.
mariŽe...
ˆ... de la Richardie.
La
branche
de Montbleru, sortie par Charles de Saint Simon, de Titus, seigneur de Saint Simon, et de Franoise d'Averhoust, dont il fut le troisime fils, n'a eu que trois gŽnŽrations. Celuy cy espousa l'hŽritire de PrunelŽ, dont il eut deux fils, qui, comme leur pre, ont servi avec rŽputation toute leur vie. Le cadet, dit le comte de Saint Simon, aprs force combats singuliers, fut tuŽ brigadier ˆ la teste de son rŽgiment de cavalerie ˆ la bataille de Neerwinden, 29 juillet 1695. L'aisnŽ avoit eu plusieurs enfans, dont deux, l'un tuŽ ˆ la guerre, l'autre noyŽ lieutenant de vaisseau. Il n'en reste qu'un, dont le fils unique est capitaine de cavalerie dans le rŽgiment de cavalerie d'un des fils du Duc de Saint Simon.
La branche de Sandricourt, sortie de Louis, seigneur de Saint Simon, et d'Yolande de Rochebaron, par Jean de Saint Simon, leur second fils, subsiste aussy. Outre les terres qu'il eut en partage, le don de sa tante paternelle y en ajousta plusieures autres avec celle de Sandricourt. Il fut premier pannetier de la Reine ƒlŽonor d'Autriche, deuxime femme de Franois I, et mourut aprs 1550. Il avoit espousŽ, 21 dŽcembre 1521, Louise, fille de Roland de Montmorency, baron de Fosseux, et de Louise d'Orgemont. Ils laissrent quinze enfans, dont dix filles : Jeanne, mariŽe, 1599, ˆ Jean, seigneur d'Amilly, etc. ; Louise, mariŽe, 1551, ˆ Claude de Clermont, baron de Montoison, chevalier de Saint Michel ; Marthe, mariŽe, 1577, ˆ Pierre Dauvet, seigneur du Marais, etc. ; Charlotte, mariŽe, 1556, ˆ Adrien de Gallot, seigneur de Fontaine la Guyon, etc, capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances, dont elle n'eut point d'enfans. Toutes les autres furent religieuses, et la quatrime sauta les murs, se fit huguenotte, et se maria ˆ LŽon Pellisari.
Des cinq fils, l'un fut tuŽ sans alliance aux guerres d'Escosse ; et un autre fut ecclŽsiastique. Louis continua la postŽritŽ. Jean, seigneur d'HŽdouville, etc, servit ; est qualifiŽ chevalier, porteur de guidon de la compagnie de quatre vingts lances du Duc de Nevers, Il fut chef de la vŽnerie du duc d'Alenon, Fils de France, et capitaine de l'Isle Adam. Il espousa, 1576, par dispense, Genevive, fille de Claude de Montmorency, seigneur de Fosseux, et d'A., dame d'Aumont, dont une fille unique, mariŽe ˆ Charles de Pertuis, chevalier, seigneur des Vosseaux. Cette Montmorency estoit veuve en premires nopces de Gilles de PellevŽ, seigneur de Rebais.
Charles, seigneur de Sandricourt, etc, escuyer d'escurie du Roy Henry II, mort vers 1560, qui, d'Antoinette de GlŽry, dite de Biche, fille de Jean de ClŽry, seigneur d'Esne, etc, et de Marguerite de Grainville, dont une fille unique, mariŽe, 10 septembre 1572, [ˆ] Claude de CrŽquy II, dit le Sage, seigneur de Bernieules, chambellan de Franois, Duc d'Alenon, Fils de France.
Louis I, seigneur de Sandricourt, etc, escuyer de Franois, Duc d'Alenon, 1589, chevalier de Saint Michel et chambellan du Roy Charles IX. Il espousa, 8 septembre 1572, Marguerite, fille de Claude de CrŽquy, seigneur de Bernieules, dont on vient de parler tout ˆ l'heure, et de Marguerite de Guisancourt, dont un fils tuŽ au sige de Dourlens sans alliance, et :
Louis II, seigneur de Sandricourt, etc, gentilhomme de la Chambre du Roy. Il espousa, 1607, Marguerite, fille de Guy de Monceaux, dit Auxy, seigneur de Saint Samson, etc. et de Suzanne de Serocourt, dont cinq filles : une morte jeune, et quatre religieuses, desquelles une fondatrice des Ursulines de Clermont en Beauvoisis, un fils mort jeune, et autre.
Louis III, seigneur de Sandricourt, etc, mort ˆ soixante six ans, 1608, qui, de Marie le Bossu, fille d'Eustache, seigneur de Courbevoye, et de Marguerite Belle, dont il laissa autre Louis, qui continua la postŽritŽ ; Franois, dit le comte de Sandricourt, mort sans alliance, brigadier et gouverneur de Nismes, 1717 ; Louis Franois, tuŽ ˆ Senef, 11 aoust 1674, dans le rŽgiment des gardes ; le chevalier de Sandricourt, mort ˆ Namur, 1693 ; et quantitŽ de filles religieuses, dont une premire religieuse et premire prieure de Bonsecours ˆ Paris.
Louis IV, seigneur de Sandricourt, espousa, 1678, Marie Anne, fille unique et hŽritire de Charles Michel de Monthomer et de Magdeleine Grongnet de VassŽ, morte 1727, veuve, ˆ soixante quinze ans, dont un fils unique :
Louis V, seigneur de Sandricourt, etc, lieutenant gŽnŽral des armŽes du Roy, servant en Italie, qui a plusieurs enfans de... de Gourgue.
La branche dont les Ducs de Saint Simon sont issus sort de Gilles de Rouvroy, dit Saint Simon, second fils de Mathieu II de Rouvroy, dit Saint Simon, et de Jeanne, hŽritire d'Havesquerque.
Gilles, seigneur de Rasse, prs Douay, qui a donnŽ le nom ˆ cette branche, du Plessier Choisel, prs Senlis, de Bray, BersŽe, Raimbaucourt, chastelain d'Orchies et de Bailleul par acquisition, 1450, d'Antoine de Rouvroy, dit Saint Simon, son neveu, de PrŽcy et de plusieures autres terres par donation de Louis, seigneur de PrŽcy, sou cousin, dont a estŽ fait mention plus haut, fut ŽlevŽ prs de Charles VII. Il a rendu sa vie mŽmorable ˆ la postŽritŽ par les signalŽs services qu'il rendit ˆ ce Prince, suivant les chroniques de Monstrelet, d'Alain Chartier, et l'histoire d'Artus, comte de Richemont, ConnŽtable de France et mort Duc de Bretagne. Il fut l'un des seigneurs qui, en 1419, allrent secourir la forteresse cŽlbre alors de Saint Martin le Gaillard, sur la Seine, assiŽgŽe par les Anglois, et il y fut fait chevalier ; se signala ˆ la dŽfaite des mesmes ennemis prs de BaugŽ, en Anjou, 1421 ; servit en Picardie l'annŽe suivante, et se trouva, 1425, ˆ la bataille de Verneuil. En 1424, Charles VII le fit son chambellan et le mit auprs du Connestable de Richemont, fils, frre et oncle des Ducs de Bretagne, et qui le fut luy mesme. Gilles fut aussy son chambellan et maistre d'hostel, et fort employŽ par luy en toutes affaires de confience. Il le suivit aussy en toutes ses expŽditions militaires. Il alla au secours de Montargis en 1426, fut pourveu de la charge de capitaine et bailly de Senlis, 1430, et, en cette qualitŽ, il acquit, 6 dŽcembre 1448, des hŽritiers de Jacques de Pacy, chevalier, la terre et seigneurie du Plessier Choisel, prs Senlis, qui est toujours demeurŽe ˆ sa postŽritŽ, o le pre et le frre aisnŽ du premier Duc de Saint Simon sont morts, et qui a estŽ vendue aprs la mort de cet aisnŽ, pour payer ses debtes, en 1691. Gilles assista ˆ l'assemblŽe d'Auxerre, 1432, pour aviser aux moyens d'une paix gŽnŽrale, et, en 1435, au traitŽ de paix fait ˆ Arras. Il servit au sige de Montereau en 1437, et estoit ˆ la suite de Charles VII ˆ son entrŽe ˆ Paris. Il se trouva au sige de Meaux, 1439, ˆ ceux de Creil et de Pontoise, 1441 ; fut prŽsent, ˆ Chinon, ˆ l'hommage que Franois I, Duc de Bretagne, rendit ˆ Charles VII, 1445, et les annŽes suivantes, servit au recouvrement de la Normandie. Charles VII, par ses lettres du 24 avril 1448, luy donna la seigneurie d'Ossemer en dŽdommagement de deux mil escus d'or et d'autres pertes qu'il avoit souffertes. Il commanda les archers et les gens d'armes ˆ la bataille de Fourmigny, 1450. Il fut, avec les Pairs de France et les hauts barons du Royaume, l'un des juges du procs criminel du Duc d'Alenon, 1458, et assista en 1461, au sacre de Louis XI, qui l'establit, en 1465, l'un des seigneurs pour la garde et seuretŽ de la ville de Paris. Il se rendit auprs de luy ˆ PŽronne, et le suivit au sige de Lille. Il fonda une chapelle qu'il bastit dans la cathŽdrale de Senlis, 1471, o luy et toute sa postŽritŽ a eu sa sŽpulture, et qui s'appelle encore ˆ prŽsent la chapelle du Grand Bailly. Il mourut chevalier de Saint Michel ˆ prs de cent ans, plein de rŽputation et d'honneurs mŽritŽs par les plus singuliers et les plus grands services. Il avoit espousŽ Jeanne, fille de Robert de Flocques, seigneur de Grumesnil, mareschal hŽrŽditaire de Normandie et bailly d'Evreux, homme illustre en son temps et fort renommŽ ˆ la guerre, et de Jacq. Crespin, dame de Grumesnil, etc, qui se remaria ensuite ˆ Louis de Villiers. Il en eut Jacq. mariŽe ˆ Valeran de Sains, seigneur de Marigny, eschanson du Roy, bailly et gouverneur de Sentis ; Antoine, dit Floquet, gentilhomme de la chambre du Roy Charles VIII, mort sans alliance, 1490, enterrŽ ˆ l'abbaye de Saint Corneille de Compigne ; et leur aisnŽ :
Guillaume de Saint Simon, seigneur de Rasse, etc, chambellan du Roy Franois I, le suivit en Italie, 1514, se trouva ˆ la bataille de Marignan, et mourut sur la fin de 1525, aprs avoir transigŽ avec le chapitre de Senlis et confirmŽ la donation de son pre. Il espousa Marie, fille et unique hŽritire de Jean de la Vacquerie, seigneur de Verguigneul, et de Marie de FrŽmault, dont il laissa trois fils : MŽry, seigneur de PrŽcy, mari de GŽraude, fille d'Antoine du Prat, seigneur de Nantouillet, Chancelier de France, depuis Cardinal et Archevesque de Sens, qui fit le fameux concordat entre LŽon X MŽdicis, et Franois I, et de Franoise Veny d'Arbouze, dont il n'eut qu'une fille, dame de PrŽcy, de Balagny, etc, mariŽe, 1556, ˆ Jean de Canonville, seigneur de Raffetot, et en secondes nopces ˆ Louis de MontafiŽ, seigneur en partie de MontafiŽ et comte de Varizelles, en Piedmont, chevalier de Saint Michel. Leur petite fille espousa le comte de Soissons, Prince du Sang et Grand Maistre de France, pre de celuy qui fut tuŽ ˆ la bataille de Sedan.
Antoine de Saint Simon, seigneur de Grumesnil, fut le troisime, qui fit la branche de Grumesnil, qui finit en 1665, ˆ la quatrime gŽnŽration, sans rien qui mŽrite d'estre remarquŽ. Jean de Boufflers, seigneur de Rouverel, prs Mondidier, grand voyageur qui avoit parcouru toute l'Europe, espousa AimŽe de Saint Simon, morte 1596, petite fille d'Antoine.
Louis I
de
Saint Simon, seigneur de Rasse, etc, fut le second de ces trois frres et servit fort aux guerres de Franois I. Henry II le fit, 1547, bailly et gouverneur de Hesdin, puis de Senlis, et Charles IX luy permit de cŽder ˆ son fils aisnŽ ce dernier gouvernement, 1570. Il mourut huit ans aprs, ˆ quatre vingt neuf ans. Il avoit espousŽ, 29 novembre 1531, Antoinette, veuve de Louis de Maricourt. baron de Moucy le Chastel, etc, et fille de Robert de Mailly, seigneur de Rumesnil, etc, et de Franoise d'Yaucourt, dont : Franois de Saint Simon, seigneur de Rasse ; Louis de Saint Simon, seigneur de Camberonne et de Vaux, qui, de Julienne, veuve de Jean de Mailly, seigneur d'Auvilliers, et fille de Jean de Conti, seigneur de Roquencourt, prs Mondidier, et d'Anne d'Herbelot, eut une seule fille, mariŽe, 1616, ˆ Robert, seigneur de ChŽry, en Bourgogne, etc ; et Anne de Saint-Simon, sÏur de Franois et de Louis, mariŽe : 1¡ 1558, ˆ Jean Perdriel, seigneur de Bobigny ; 2¡ 1570, ˆ Nicolas Popillon, seigneur d'Ansac, dont elle fut la seconde femme, et n'en eut point d'enfans ; 3¡ 1572, [ˆ] Louis de la Fontaine, seigneur de Lesches, etc ; 4¡ 1585, ˆ Charles de Nolent, seigneur de Saint Contest, dont elle estoit veuve 1597, et mourut vers 1602.
Franois de Saint Simon, seigneur de Rasse, fils aisnŽ de Louis I, cy dessus, et d'Antoinette de Mailly, et seigneur du Plessis Choisel, d'InvillŽ, de Bray, de BersŽe, de Raimbaucourt, d'OuillŽ et de Saint LŽger, chastelain d'Orch•es et gouverneur et bailly de Senlis ds 1568, servit Charles IX, Henry III et Henry IV, dans toutes les guerres de son temps. Il fut blessŽ au sige de Rouen, 1562, ˆ la bataille de Saint Denis, 1567, se trouva ˆ celles de Jarnac et de Montcontour, 1569, et mareschal de camp ˆ la prise de Saint-Denis, 1591. Alors il n'y avoit point de lieutenants gŽnŽraux. Il mourut 1620. Il perdit deux fils et trois filles jeunes et sans alliance, en eut une religieuse, et eut deux fils qui vescurent. Il avoit espousŽ : 1¡ Anne, dame d'Ansac, fille de Nicolas Popillon et de Cl. Fraguier, sa premire femme. Il eut de celle lˆ : Louis II de Saint Simon, seigneur de Rasse, et Estienne de Saint Simon, seigneur de Saint LŽger, prs Dourlens, qui de Gilberte, fille de Jacques, seigneur de Boffles, et de Marie de Bigan, n'eut que deux fils morts sans alliance. Franois de Saint Simon se remaria ˆ Jeanne, fille de Jean Picquet, chevalier, seigneur d'Esguenon, et de Franoise d'HŽricourt, dont Marie de Saint Simon, mariŽe ˆ Marc de Bucy, seigneur de Seloine et d'HŽnonville ; et Franoise de Saint Simon, mariŽe, [1¡] 1586, ˆ Robert Collan, seigneur de Rollecourt, dont la mre estoit Mailly ; 2¡ ˆ Charles de Grambus, seigneur d'Yvrancheul ; 3¡ ˆ Jean de Sueres, seigneur de Belain en Artois.
Louis
II de Saint Simon, seigneur de Rasse, du Plessis Choisel, d'InvillŽ et de Vaux, prs Meulan, gouverneur et Bailly de Senlis, servit Henry IV en toutes ses guerres, ˆ la bataille d'Ivry, au sige de Paris, 1590, ˆ celuy de Rouen, 1591, ˆ celuy d'Amiens, 1597. Il espousa, 28 avril 1594, Denise, fille et hŽritire de Louis de la Fontaine, chevalier, seigneur de Lesche, de Vaux sur Meulan, de Boubiers, etc, et de Jeanne de Canjon, dame des Orgereux. Il en eut trois fils : Charles, marquis de Saint Simon ; Claude, Duc de Saint Simon, et le Commandeur de Saint Simon ; et deux filles : Jeanne, mariŽe, 11 fŽvrier 1619, ˆ Louis de Fay, seigneur de Chasteaurouge et de Gressonsac, dont la mre estoit Ailly ; et Louise, mariŽe, 1624, ˆ Laurent du Chastelet, seigneur de Fresnires.
Ce
Louis
II de Saint Simon, seigneur de Rasse, se trouva ruinŽ par une suite de malheurs domestiques, et en dernier lieu parce que son pre avoit rŽpondu pour son cousin germain de Mailly, comme c'estoit fort la coustume en ce temps lˆ dans les familles, et qu'il fallut payer en son lieu. Il se retira donc, aprs avoir longtemps servi, dans son chasteau du Plessier, prs Senlis, et mit, comme c'estoit fort la mode alors, ses deux fils aisnŽs pages de Louis XIII ˆ la petite escurie. Il eut le bonheur de jouir pleinement de leur fortune. Son second fils, qui la fit trs promptement, et qui, dans la suite, l'acheva, ne manquoit point toutes les semaines de l'aller voir au moins quelques heures, tant que Louis XIII estoit ˆ Paris ou aux environs, et ce Prince l'en louoit, quoyqu'il eust des emplois fort assidus auprs de luy, et ce fils faisoit ˆ son pre un hommage continuel de sa faveur et de son crŽdit avec une joye qui fut toujours la mesme, et prenoit ses conseils sur tout. Le sage pre n'en voulut jamais sortir de sa retraite, ny voir la Cour, et ce mesme fils luy estant venu apprendre que le Roy les avoit tous deux nommŽs chevaliers de l'ordre du Saint Esprit pour la Pentecoste prochaine de 1633, il luy rŽpondit qu'il estoit trop vieux et trop retirŽ pour aller faire connoissance avec une Cour qu'il n'avoit jamais veue, ny pour se soucier de monstrer chez luy un cordon bleu ; que puisque c'estoit pour faire plaisir ˆ son fils que le Roy le luy donnoit, il vouloit qu'il priast le Roy de le donner ˆ son autre fils, qui estoit l'aisnŽ, et qui, estant jeune, et ˆ la Cour et ˆ la guerre, le porteroit longtemps et avec bien plus de plaisir que luy ; et cela fut fait de la sorte. Il vescut tout le rgne de Louis XIII, et ne le survescut que d'un mois, estant mort chez luy ˆ soixante quinze ans, en juin 1643. Parlons maintenant de ces trois frres, premirement, de l'aisnŽ, puis du troisiesme, et du second, pour plus de suite, le dernier.
Charles, marquis de Saint Simon, seigneur du Plessis Choisel, d'InvillŽ, d'OuillŽ la Versine et Pont Sainte Maixance, et bailly et gouverneur de Senlis aprs son pre, eut, en 1650, le rŽgiment de Navarre, et fut deux ans aprs lieutenant gŽnŽral. Il eut aussy le gouvernement de Pecquais, en Languedoc, et la capitainerie de Chantilly tant que le Roy eut ce chasteau, puis conserva celles des plaines et des forests de Senlis et de Halatre ; chevalier du Saint Esprit, 1633, par la volontŽ de son pre, en sa place, comme il vient d'estre dit ; et vescut jusqu'ˆ la mort de Louis XIII, et longtemps depuis, dans la plus intime union avec son frre, qui avoit huit ans moins que luy, et qui dŽfŽroit beaucoup ˆ son esprit et ˆ sa sagesse. Il emporta le prix de la bonne mine ˆ sa promotion dans l'ordre, et le porta cinquante sept ans. Il espousa au chasteau de la Versine, prs Chantilly, 14 septembre 1634, Louise de Crussol, fille d'Emmanuel, Duc d'Uzs, et de Cl. Ebrard de Saint Sulpice.
Avant d'aller plus loin, il faut expliquer cette Louise de Crussol et son premier mariage, pour l'intelligence de ce qui [va] suivre. Mademoiselle de Crussol estoit fille et sÏur des deux Ducs d'Uzs chevaliers du Saint Esprit et chevaliers d'honneur de la reine Anne d'Autriche : elle estoit sÏur aussy des marquis de Saint Sulpice et de MonsalŽs, qui, tous deux, ont fait branche, et tante paternelle du Duc d'Uzs gendre du Duc de Montauzier, et du marquis de Florensac. Mademoiselle de Crussol : 1¡ marquise de Portes ; 2¡ marquise de Saint Simon, espousa : 1¡, en 1626, Antoine Hercules de Budos, marquis de Portes, vice Amiral de France, chevalier du Saint Esprit, 1619, tuŽ, 1629, au sige de Privas, prs d'estre Mareschal de France et surintendant des finances. De ce mariage, deux filles : Marie FŽlice de Budos, morte ˆ Paris, fille, fŽvrier 1695 ; et Diane Henriette de Budos, premire femme du Duc de Saint Simon. Ainsy les deux frres espousrent la mre et la fille, et de ce premier mariage du Duc de Saint Simon vint la Duchesse de Brissac.
Ce marquis de Portes, premier mari de la marquise de Saint Simon et pre de la premire Duchesse de Saint Simon, eut un frre, dont le fils unique mourut, 1645, et un autre frre, Evesque d'Agde, mort 1629, la mesme annŽe que luy, et quatre sÏurs : Louise de Budos, mariŽe : 1¡ ˆ Jacques de Gramont, seigneur de Vachres; 2¡ ˆ Agde, 29 mars 1593, ˆ Henry, Duc de Montmorency, Pair et Connestable de France, chevalier du Saint Esprit et gouverneur de Languedoc, veuf depuis deux ans ; et de ce mariage, le Duc de Montmorency, Amiral, puis Mareschal de France, qui eut la teste coupŽe ˆ Tolose, 1632, sans postŽritŽ ; et Charlotte Marguerite, mariŽe, 3 mars 1609, ˆ Henry de Bourbon, Prince de CondŽ, laquelle mourut ˆ Chastillon sur Loing pendant la prison de Mr le Prince, le hŽros, et de Mr le Prince de Conti, ses enfans, et du Duc de Longueville, son gendre, 2 dŽcembre 1650, ˆ cinquante six ans. La Connestable, sa mre, estoit morte ˆ Chantilly, 26 septembre 1598. Il y avoit encore trois autres sÏurs du marquis de Portes et de la Connestable, l'une, mariŽe ˆ Alexandre GuŽrin de Chasteauneuf, baron de Tournel ; l'autre, ˆ CŽsar, comte de Disimieux ; la dernire, abbesse de la TrinitŽ de Caen. Par cette explication, on voit que le marquis de Portes estoit beau frre du dernier Connestable de Montmorency, que le marquis de Portes survescut longtemps ˆ sa sÏur et ˆ luy, et que Mademoiselle de Portes et la premire Duchesse de Saint Simon, mre de la Duchesse de Brissac, estoient cousines germaines de Madame la Princesse, mre de Mr le Prince, le hŽros, de Mr le Prince de Conti et de Madame de Longueville.
Cela
expliquŽ,
revenons au marquis de Saint Simon, qui n'eut point d'enfans, et qui se retira de bonne heure au Plessier, o il recevoit beaucoup de visites, de soins et d'amitiŽs de Mr le Prince et de Mr le Duc, depuis dernier Prince de CondŽ, qui n'appeloient jamais sa femme que leur tante. Ces empressements n'aboutirent qu'ˆ une tromperie trop plaisante pour ne la pas rapporter. Ils vouloient tirer du bonhomme la capitainerie des chasses des plaines et des forests de ces pais lˆ, qu'il avoit, et son gouvernement de Senlis. Ce dernier, ils n'en purent venir ˆ bout. Pour l'autre, Mr le Prince, le dernier, arrive de bonne heure, l'aprs disnŽe, au Plessier, et leur conte que le Roy, fatiguŽ des plaintes continuelles touchant les capitaineries des chasses des lieux o il ne va jamais, a rŽsolu de les supprimer, et que l'Ždit en va paroistre ; que celle de Senlis, d'Halatre et de Chantilly y est comprise comme les autres, encore qu'il n'y ait aucunes plaintes, mais pour ne point faire d'exception ; que le remboursement sera nul, ou court et lent ; que s'ils avoient envie de se dŽlivrer de l'embarras de cette suppression et l'accommoder de cette capitainerie, il espŽroit qu'entre ses mains, le Roy ne la supprimeroit pas, et que cela luy feroit un plaisir infini ˆ cause de la chasse et du gibier, dont eux, leurs gens et leurs amis demeureroient les maistres toute leur vie. Tant de caresses furent ajoustŽes, qu'ils se laissrent aller ˆ la crainte de la suppression et ˆ faire ce plaisir ˆ Mr le Prince, qui leur en donna galamment trois cens pistoles, et ˆ la vŽritŽ, leur tint parole pour la chasse et le gibier le reste de leur vie. Mais quand ils virent aprs qu'il ne se parloit point de suppression, et qu'il n'en avoit jamais estŽ question, ils se plaignirent amrement de la supercherie, et le pa•s bien plus qu'eux, qui estoit en paix et en honneste libertŽ avec eux, et qui tomba dans un dur esclavage sous Mr le Prince, qui estendit fort cette capitainerie au delˆ de ses anciennes bornes, et que Mr le Duc, son petit fils, a reculŽes depuis au triple. Mr le Prince demanda le baillage et le gouvernement de Senlis, croyant le marquis de Saint Simon mourant ou mort, un peu avant qu'il mourust en effet, et en fut refusŽ, et le Roy le dit au Duc de Saint Simon ˆ qui il le destinoit. Le marquis de Saint Simon mourut au Plessier, sans enfans, 25 janvier 1690, ˆ quatre vingt neuf ans, et sa femme, ˆ Paris, ˆ quatre vingt onze, 10 avril 1695. Elle avoit perdu Mademoiselle de Portes, sa fille aisnŽe, quelques annŽes auparavant, ˆ qui Mr le Prince de Conti faisoit fort sa cour, et ˆ qui aussy elle lŽgua ses terres de Languedoc sous une condition qui seurement, n'aura pas estŽ tenue. C'estoit que le sceel qui servirait ˆ la justice de ces terres et ˆ toute autre chose les concernant, seroit mi partie de Bourbon et de Budos. Telle fut la vanitŽ d'une vieille dŽvoste, qui mouroit d'un cancer, et qui ne pardonna jamais au Duc de Saint Simon d'avoir prŽfŽrŽ sa sÏur ˆ elle.
Louis
de Saint Simon, chevalier de Malthe, fut capitaine au rŽgiment des gardes, et c'estoit fort la mode alors. Il eut un commandement particulier au sige de la Rochelle, fut abbŽ de Saint Sauveur de Blaye et commandeur de Pieton en Flandres et de PŽzenas en Languedoc. C'estoit un homme d'esprit, mais qui aimoit mieux son plaisir que toutes choses, et fort aimable aussy. Il mourut 2 juin 1679.
Claude
de
Saint Simon, fait Duc et Pair, fournira des curiositŽs dignes d'estre rapportŽes.
I. Diane Henriette [1629-1670], seconde fille d'Antoine Hercules de Budos, marquis de Portes, etc, chevalier du Saint Esprit, vice Amiral de France, et de Louise de Crussol Uzs, remariŽe lors ˆ Charles, marquis de Saint Simon, chevalier du Saint Esprit, frre aisnŽ du Duc de Saint Simon, qu'elle espousa au chasteau de la Versine, prs de Chantilly, 26 septembre 1644 ; morte de la petite vŽrole, ˆ Paris, 2 dŽcembre 1670, ˆ quarante ans, universellement regrettŽe pour sa vertu, sa douceur, et parfaitement belle. Elle estoit amie intime de la princesse de Conti Martinozzi, et luy donnoit ˆ disner toutes les semaines avec Madame de Gamaches en tiers, et souvent Madame de Longueville. Le Duc de Saint Simon alloit disner ailleurs, pour les laisser en libertŽ passer leurs journŽes ensemble.
Elle fut exilŽe immŽdiatement aprs l'entrŽe du Roy et de la Reine ˆ Paris, ˆ huit ou dix lieues de Paris et de la Cour, son mari estant lors ˆ Blaye, ou il avoit reeu la Cour superbement, mais cet exil ne dura que deux mois, et elle fut rappelŽe avec les autres qui le furent, pour la mesme cause, sans qu'elle ny aucun d'eux en eust fait la moindre dŽmarche. L'occasion en fut que le Cardinal Mazzarin, qui aimoit extrmement sa fameuse niepce, qu'il avoit mariŽe au comte de Soissons Savoye, et pour laquelle il inventa la charge de surintendante de la maison de la Reine, voulut qu'ˆ l'entrŽe, le comte de Soissons prŽcŽdast les Ducs et la Maison de Lorraine. Ceux cy se contentrent de marcher autour de la Reine, mais les Ducs ne voulurent point cŽder, et aprs bien des allŽes et venues, s'abstinrent tous de se trouver ˆ l'entrŽe, et la virent par les fenestres de l'hostel de Sully, pour la pluspart. Peu de jours aprs, plusieurs d'eux et quelques duchesses furent exilŽs, et le tinrent ˆ honneur ; dont le Cardinal Mazzarin se trouva Žgalement picquŽ et embarrassŽ. Le Duc de Saint Simon, qui estoit ˆ Blaye, approuva fort sa femme et fŽlicita les exilŽs.
Elle estoit destinŽe ˆ estre dame d'honneur de la Reine, lorsqu'elle mourut. Madame de Montausier, qui l'estoit, avoit quittŽ la Cour, il y avoit dŽjˆ du temps, attaquŽe de cette maladie de corps et d'esprit si singulire dont on a parlŽ au titre de Montausier [tome VI, page 317]. Elle ne voyoit dŽjˆ presque plus personne, et on jugeoit qu'elle n'en reviendroit pas. En effet, elle mourut le 15 de novembre suivant, 1671, prs d'un an aprs la Duchesse de Saint Simon.
Celle cy fut mre de la Duchesse de Brissac, et toutes deux parfaitement belles. On a parlŽ de cette dernire au titre de Brissac [T. VIII, page 344].
II. Charlotte [c1640-1725], fille de Franois de l'Aubespine, marquis d'Hauterive, etc, et d'ƒlŽonor, hŽritire de la branche aisnŽe de la Maison de Volvyre, marquise de Ruffec, etc. Sa mre estoit sÏur du premier Duc de Mortemart.
Mr d'Hauterive estoit petit fils du secrŽtaire d'Estat qui mit cette charge le premier hors de page, et qui commena ˆ signer pour Henry IV ; et on verra au titre de Villeroy, qu'il fit leur fortune, qu'ils ont bien seu pousser depuis, en luy donnant sa fille et une de ses deux charges de secrŽtaire d'Estat en mariage. Mr d'Hauterive servit toute sa vie avec grande rŽputation, fut lieutenant gŽnŽral et colonel gŽnŽral des troupes franoises en Hollande, dont le Roy secouroit les Estats, et c'estoit l'Žcole o tout ce qu'il y avoit de plus distinguŽ en France alloit apprendre ˆ faire la guerre sous Mr d'Hauterive. Il estoit si bien avec le Prince d'Orange, qu'il lui donna le gouvernement de BrŽda, de l'agrŽment du Roy, et sans quitter ses emplois. Il avoit parole d'estre Mareschal de France et chevalier du Saint Esprit incontinent, lorsque le garde des sceaux de Chasteauneuf, son frre, fut arrestŽ et mis au chasteau d'Angoulesme, o il demeura quatorze ans. Cette anecdote est curieuse. Il avoit toujours aimŽ les dames, quoyque grave et grand homme d'Estat. Il estoit amoureux de la fameuse Duchesse de Chevreuse. Les histoires et les mŽmoires de leur temps, surtout pendant la minoritŽ de Louis XIV, sont pleins de ces deux grands personnages masle et femelle, et de l'union intime qui fut toujours entr'eux. Elle ha•ssoit le Cardinal de Richelieu plus encore qu'elle n'a ha• le Cardinal Mazzarin depuis, et ce Premier Ministre, qui estoit galant, en estoit aussy amoureux. Il tomba fort malade ˆ Bordeaux, et y demeura, la Cour revenant ˆ Paris, et si mal, qu'on crut qu'il n'en reviendroit pas ; mais pas assŽs pour qu'il ne fust pas trs curieux de voir les lettres des principaux personnages, pour dŽcouvrir leurs sentiments pour luy dans une occasion si critique, et il fut bien servi. Il en intercepta en effet du garde des sceaux ˆ Madame de Chevreuse, qui plaisantaient sur son mal, sur sa mort aparament prochaine, et qui l'appelloient cul pourri. C'est que la maladie dont il mourut longtemps depuis, et dont alors on ignoroit la cure par l'opŽration de la fistule, et de laquelle il se cacha tant qu'il put, commenoit lors ˆ se dŽclarer. Le dŽpit d'estre dŽcouvert, insultŽ, mocquŽ, mesprisŽ, comme un homme dŽjˆ mort, luy fit rŽsoudre leur perte. A son retour, il supposa ce qui luy fut nŽcessaire pour cela, et il en vint ˆ bout. Madame de Chevreuse, avertie ˆ temps, s'enfuit, puis se sauva en Espagne. En ces prŽtieux moments, le marquis d'Hauterive, qui comptoit sur son baston et dont le manteau de l'Ordre estoit fait, jouoit avec les filles de la Reine. Mr de Charost, capitaine des gardes en quartier, venoit d'apprendre par le Cardinal mesme, ˆ qui il estait fort attachŽ, ce qui se passoit. Il avoit portŽ le mousquet en Hollande sous Mr d'Hauterive, estoit demeurŽ intimement de ses amis, et ne l'appelloit jamais que Ç mon colonel È. Dans le mesme instant, il quitte le Cardinal, cherche Mr d'Hauterive, le trouve au jeu, et luy dit ˆ l'oreille : Ç SauvŽs vous, mon colonel, actuellement on arreste vostre frre È. Mr d'Hauterive ne fait semblant de rien, mais, un moment aprs, feint un besoin pressant, court chŽs luy, y prend de l'argent et son meilleur cheval, et se sauve. On envoya, moins d'un quart d'heure aprs, l'arrester. Le Cardinal, outrŽ de sa fuite, s'en prit au comte de Charost, qui le luy avoua, et ajouta : Ç M'aviŽs vous dŽfendu de le luy dire ? Vous saviŽs bien ˆ quel point nous sommes amisÈ. Le Cardinal s'appaisa, ne l'estima que d'avantage, et ne l'en aima pas moins. On envoya tout sceller chez Mr d'Hauterive, et courir aprs luy, et surtout ordre ˆ Madame de Bouillon de l'arrester s'il passoit ˆ Sedan, comme on s'en doutoit. Il y passa en effet. Madame de Bouillon, qui avoit receu l'ordre, n'osa le recevoir, mais luy fit tenir des chevaux et de l'argent ˆ la porte de Sedan, et luy manda de se haster de passer outre, et l'ordre qu'elle avoit receu. Il estoit ami intime de Mr et de Madame de Bouillon, et par luy, et par la liaison du Prince d'Orange, qu'il alla trouver, et qui le reeut ˆ bras ouverts ; il y demeura pendant toute la disgr‰ce de son frre.
Au scellŽ, il arriva un estrange contre temps. Un lieutenant des gardes du corps fut envoyŽ pour veiller ˆ ce qu'on ne dŽtournast rien. Il se trouva que c'estoit encore un homme qui avoit servi en Hollande, et fort attachŽ aux deux frres. En arrivant, il expliqua sa commission ˆ la marquise d'Hauterive, fort civilement, et ajousta qu'il la prioit et s'attendoit bien qu'on ne romproit rien, mais que, du reste, il avoit le sommeil si dur que rien ne l'Žveilloit. C'estoit parler franois ; mais cela fut inutile. Un secrŽtaire confident du garde des sceaux, car les deux frres logeoient ensemble ˆ Paris, avoit toutes les clefs de ses papiers, et il avoit pris une telle Žpouvante qu'il s'en estoit fuy, et si bien cachŽ que jamais on ne peut le trouver, tellement que Madame d'Hauterive n'osant et ne pouvant mesme faire lever ny rompre les serrures, il n'y eut pas un papier de destournŽ. Ils faisoient bien foy d'une entire innocence ˆ l'Žgard du Roy et de l'Estat, mais les lettres originales de Madame de Chevreuse s'y trouvrent, et c'estoit le vŽritable crime.
Cette Duchesse de Saint Simon estoit fort vertueuse, et fort belle aussy. Madame de Montespan, de qui elle estoit issue de germaine, la fit dame du palais de la Reine aux premires qu'on luy nomma, et le luy manda par un billet. Il arriva qu'elle estoit sortie, et son mari chez luy, lorsque le gentilhomme de Madame de Montespan la demanda, et qu'on le fit parler au Duc de Saint Simon. Il ouvrit la lettre, prit une plume, et manda bien poliment ˆ Madame de Montespan qu'ˆ son aage, il avoit pris une femme pour luy, et non pas pour la Cour, et la remercia. Quand la Duchesse fut revenue, son mari luy conta le billet et sa rŽponse. Elle en fut bien faschŽe, mais il n'y parut point.
Elle n'a eu qu'un fils unique, le Duc de Saint Simon d'aujourd'huy, et est morte ˆ Paris d'apoplexie, 7 octobre 1725, ˆ quatre vingt sept ans. Elle avoit infiniment d'esprit ; mais fort retirŽe toute sa vie.
Il
[Claude]
fut avec son frre page de Louis XIII de la petite escurie. Le Roy aimoit passionŽment la chasse. On ne connoissoit point alors les routes percŽes dans les forests, ny la manire de prendre les cerfs en une heure ou deux, ˆ force d'hommes et de chiens. Le Roy y estoit fort ardent. Le page s'aperceut de son impatience ˆ relayer dans la crainte de manquer la chasse, et chercha en luy mesme quelque moyen de l'y servir ˆ son grŽ, quand ce seroit ˆ son tour ˆ lui prŽsenter le relais. Il le trouva aisŽment, parce que le Roy estoit dispos, lŽger, et trs bel et bon homme de cheval. Lorsque ce fut ˆ luy ˆ le relayer, il luy tourna son cheval frais la teste ˆ la croupe de l'autre, tellement que sans mettre pied ˆ terre, le Roy n'eut qu'ˆ sauter de l'un sur l'autre. Cette invention, qui satisfaisoit son impatience, luy plut tant, qu'il demanda le mesme page ˆ l'autre relais, et l'y vouloit toujours avoir.
Bientost
il
luy parla lorsqu'il estoit ˆ sa suite, et peu ˆ peu, il prit goust ˆ luy ; mais ayant envie de faire sa fortune, comme luy mesme le luy a dit depuis, il se fit secrtement informer de sa naissance, pour n'y estre pas trompŽ comme il l'avoit estŽ lˆ dessus ˆ un homme qu'il avoit prodigieusement ŽlevŽ, qu'il luy nomma, et qu'on croit icy devoir taire. Content sur la naissance, qu'il trouva susceptible de ses plus grandes gr‰ces, il s'informa de mesme du personnel, autant qu'en ce premier aage on pouvoit l'estre. Mr de Baradat estoit lors Premier Escuyer et avoit estŽ favory, mais il ne cessoit de se dŽtruire luy mesme par la continuelle affectation de ses contradictions jusque sur les moindres choses. Cela dura assŽs longtemps et alla toujours augmentant, bien loin de s'en corriger sur les avis de ses amis et sur ceux que le Roy, par bontŽ, luy faisoit donner luy mesme. Enfin il fut chassŽ, et Mr de Saint Simon, estant encore page, fut, ˆ son grand estonnement, et de toute la Cour, nommŽ Premier Escuyer, 5 mars 1627, n'ayant pas vingt ans.
Tost
aprs,
il eut la capitainerie des chasses et le gouvernement de Saint Germain en Laye, de Meulan et de Versailles, o le Roy, lassŽ, et sa suite plus que luy, d'avoir couchŽ souvent, partie dans un moulin ˆ vent, partie dans une sale hostellerie ˆ rouliers, qui estoit alors tout Versailles, aprs de longues chasses dans les forests de Saint LŽger et des environs, qui ne leur permettoient pas de regaigner Saint Germain, y fit bastir un petit chasteau qui ne contenoit que le lieu o est maintenant la petite cour de marbre, et o le Roy, d'abord fort ˆ l'estroit, puis un peu plus au large, couchait ˆ des retours de chasse, avec huit ou dix courtisans qui l'y avoient suivi.
Franois de Silly, Duc non vŽrifiŽ de la Rocheguyon, chevalier du Saint Esprit et Grand Louvetier de France, estant mort sans postŽritŽ au sige de la Rochelle, 19 janvier 1628, le Roy donna cette charge, le dernier fŽvrier 1628, ˆ Mr de Saint Simon, et, le 4 mars suivant, c'est ˆ dire trois jours aprs, il luy donna encore celle de Premier Gentilhomme de sa Chambre, de Mr de Blainville, qui l'avoit depuis longtemps, et qui venoit de mourir sans enfans et n'ayant qu'un frre cadet, sans proportion plus jeune que luy, qui n'estoit jamais sorti de sa province de Normandie, et qui fut pre de la comtesse de Saint GŽran, dame du palais de la Reine, si connue dans le monde et ˆ la Cour o elle a demeurŽ jusqu'ˆ la mort de Louis XIV, et se retira aprs aux Filles de Sainte Marie du faubourg Saint Jacques, o elle est morte, veuve depuis longtemps et sans postŽritŽ, en 1731. Mr de Blainville, son oncle, s'appelloit Jean de Varignier, avoit estŽ Ambassadeur en Angleterre, chevalier du Saint Esprit, 1619, et avoit espousŽ, 1611, Catherine Voisin, dame de Tourville et d'Infreville.
Mr de Saint Simon vendit cette charge, lorsqu'il fut fait Duc et Pair, au Duc de Lesdiguires, pour Monsieur de Canaples, son petit fils cadet, qui a depuis estŽ le Duc de CrŽquy, cŽlbre par son ambassade de Rome et l'affaire des Corses ; et comme il estoit alors enfant, et son pre mort, ce fut ˆ condition que Mr de Lesdiguires l'exerceroit lorsqu'il seroit ˆ la Cour ; mais il passoit presque toute sa vie en DauphinŽ. Pour Mr de la Rocheguyon, il estoit fils de cette cŽlbre Antoinette de Pons, marquise de Guiercheville, et de son premier mary, qui, se remariant ˆ Mr de Liancourt Premier Ecuyer, pre de celuy qui fut fait Duc et Pair, ne le fit qu'ˆ condition de conserver ce nom, pour ne pas s'appeller comme la belle Gabrielle, alors Madame de Liancourt. Les curiositŽs de cette femme forte se voyent au titre de Liancourt la Rocheguyon [tome VI, page 212].
Mr
de la Rocheguyon estoit un homme fort ˆ la mode par la considŽration de sa mre, qui le survescut de neuf ans, et par luy mesme ; chevalier du Saint Esprit, 1619, avec dispense d'aage, et Duc, 1621, sans avoir estŽ enregistrŽ. Il n'eut point d'enfans de Gillonne Goyon, fille du comte de Thorigny et de la Longueville. En luy s'est esteinte la maison de Silly. AssŽs peu aprs, Pierre Anthonis, seigneur de Roquemont, cornette des chevaux lŽgers de la garde, homme de fort peu, mais grand chasseur, achepta cette charge de Mr de Saint Simon, qui n'avoit aucun bien de patrimoine et qui estoit Premier Escuyer et Premier Gentilhomme de la Chambre, et toutesfois la luy revendit en 1636. Il mourut en 1652, et sa famille s'est Žvanouye depuis dans son obscuritŽ.
Mr
de Saint Simon fut conseiller d'Estat, 28 avril 1630, distinction qui se donnoit dŽjˆ ˆ presque tous les seigneurs, et qui n'avoit plus gures ds lors que le nom.
Le
Duc de Luxembourg, frre du feu Connestable de Luynes et du Mareschal Duc de Chaulnes, mourut ˆ Paris, 25 novembre de cette mesme annŽe 1630. Il estoit capitaine des chevaux lŽgers de la garde du Roy et Gouverneur de Blaye, et ne laissoit qu'une fille au maillot et un fils qui n'avoit pas quatre mois. Le Roy apprit cette mort ˆ Mr de Saint Simon, et, en mesme temps, luy dit qu'il luy donnoit une des deux charges, ˆ son choix, qu'il laissoit vacantes. Mr de Saint Simon n'avoit jamais rien demandŽ pour luy, et se trouvoit trs suffisamment establi. Il le reprŽsenta, et supplia le Roy de disposer des deux emplois en faveur de gens qui le mŽritassent mieux que luy, et qui estoient dans le besoin de ses gr‰ces. Le Roy insista ; luy aussy. A la fin, le Roy se fascha, luy dit que c'estoit sa volontŽ, et luy donna jusqu'au lendemain pour luy venir dire son choix. Le lendemain, le Roy luy demanda s'il l'avoit fait. Mr de Saint Simon luy rŽpondit que, n'osant plus luy rien reprŽsenter de ce qu'il avoit fait la veille, quoyque la mesme chose fust toujours dans son cÏur, il n'avoit pu rien choisir, et croyoit mieux faire qu'ˆ s'en raporter ˆ celuy que sa bontŽ feroit elle mesme. Le Roy, content de la rŽponse, l'en loua, et luy dit que la charge des chevaux lŽgers, plus brillante et plus sensible, luy feroit seurement plus de plaisir, mais que, de soliditŽ, elle n'en avoit aucune, au lieu que le gouvernement de Blaye, qui paroissoit pour lors peu de chose, estoit par sa position, de quoy faire compter avec son gouverneur et la Cour, et tous les partis qui pourroient, aprs luy, s'Žlever contr'elle ; que c'estoit le chemin d'une figure et d'une grande fortune, et que, par ces raisons, il le prŽfŽroit ˆ la charge des chevaux lŽgers, et luy conseilloit de le prŽfŽrer aussy. Ce fut de la sorte qu'il eut Blaye, le 27 septembre 1630, et il se trouva par l'Žvnement, qui sembloit alors si esloignŽ, pour ne pas dire impossible, que le Roy fust prophte.
En
1631 et 1632, il commanda 5000 gentilshommes de tous les arrires bans du Royaume dans l'armŽe du Mareschal de la Melleraye, et en 1635, ˆ vingt sept ans juste, fut chevalier du Saint Esprit avec son frre aisnŽ, comme il a estŽ dit cy dessus, son frre ayant trente cinq ans juste. Sur quoy on remarquera qu'entre chevaliers faits en mesme promotion, non Ducs ny Princes de Maison actuellement Souveraine, les offices de la Couronne, non pas mesme les lettres de Duc non vŽrifiŽes, ne donnoient aucune prŽsŽance, beaucoup moins les grandes charges de la maison du Roy, comme les exemples en sont continuels jusqu'ˆ Louis XIV, et encore, en sa seconde grande promotion de 1688 que, pour la premire fois, parmi les chevaliers qu'il fit, il mesla les Mareschaux de France et les Ducs ˆ brevet ˆ la suite des Ducs, et aprs les Mareschaux de France et les Ducs ˆ brevet meslŽs ensemble, il donna le premier lieu aux charges de sa Maison, suivant leur rang, et aprs eux, au chevalier d'honneur de Madame la Dauphine de Bavire, qui estoit Dangeau, car son premier escuyer estoit le Mareschal de Bellefonds ; et Mr le Duc, Premier Ministre en 1624 [1724], l'observa de mesme en la nombreuse promotion qu'il fit, la premire aprs celle de 1688.
A la fin de 1634, le Roy confia ˆ Mr de Saint Simon qu'il se raccomodoit avec Monsieur, que le traitŽ estoit fait, et qu'il l'attendoit ˆ tout moment de Bruxelles, d'o il se dŽroba, et arriva sans que personne seut rien de cet accomodement. Le Roy ajousta qu'il avoit rŽsolu de le faire Duc et Pair, non si tost, ˆ cause de son aage, mais que ne pouvant se rŽsoudre ˆ en faire d'autres sans luy, qu'il l'alloit faire prŽsentement ; qu'ˆ la vŽritŽ, il y avoit une condition qui luy paroistroit dure, mais que Monsieur, qui avoit, par le traitŽ, demandŽ que Puylaurens le fust, avoit aussy stipulŽ que si, ˆ cette occasion, il en faisoit d'autres, Puylaurens passeroit le premier ; puis ajousta qu'il cherchast trs promptement une terre ˆ achepter, car il n'en avoit aucune susceptible d'estre ŽrigŽe, et de se haster. La condition de la prŽsŽance de Puylaurens parut en effet si dure ˆ Mr de Saint Simon, qu'il eut la folie de balancer vingt quatre heures, comme si Puylaurens, qui le devoit prŽcŽder comme son ancien, ne l'eust pas prŽcŽdŽ de bien plus haut et de bien plus loin s'il n'eust pas estŽ Duc et Pair aussy.
Il
songea,
tout aussytost qu'il eut acceptŽ, ˆ avoir la terre de Saint Simon, par les raisons qu'on en a veues cy devant dans la gŽnŽalogie, qui avoit estŽ apportŽe en mariage par Marguerite de Saint Simon Vermandois, plus de trois sicles auparavant, ˆ Mathieu de Rouvroy, et qui avoit depuis estŽ transmise de pre en fils et d'aisnŽ en aisnŽ, sans estre jamais sortie de la Maison, dont l'aisnŽ la possŽdoit actuellement. Il l'Žchangea donc pour la terre de Vaux, prs Meulan, avec un gros retour en argent que luy donna Mr de Saint Simon, trs pressŽ de finir cette affaire. Aiguillon fut enregistrŽ au mois de septembre 1634, et Mr de Puylaurens fut reeu au Parlement incontinent aprs ; et Mr de Saint Simon fut enregistrŽ et reeu Duc et Pair tout ˆ la fois, le premier fŽvrier 1635. Il n'eut pas longtemps la peine d'estre prŽcŽdŽ par le Duc de Puylaurens. Celuy cy fut arrestŽ quinze jours aprs, et conduit ˆ Vincennes, o, six mois aprs, il mourut sans postŽritŽ de la nice du Cardinal de Richelieu, qu'il venoit d'espouser. On a veu cette prompte et terrible catastrophe, titre d'Aiguillon
Puylaurens [tome VI, page 83].
Mr
de Saint Simon suivit Louis XIII dans tous ses voyages et ses expŽditions militaires, le servant dans ses deux charges, et en 1658 et 1659, il commanda la cavalerie de l'armŽe de Mr le Prince, pre du hŽros, sur les frontires d'Espagne.
Arrivant
dans
la faveur sans autre appuy que la faveur mesme, et sans autre appuy que le Roy tout seul, il trouva le Cardinal de Richelieu dŽjˆ establi au plus haut point de la fortune. Il n'en estoit point connu, et ce Premier Ministre n'aimoit pas ˆ voir Žlever personne sans sa participation et son appuy. Cela mesme luy dŽplut d'autant plus dans Mr de Saint Simon, qu'il ne luy fut en rien redevable d'aucun de tous les degrŽs de la sienne, qu'il deut tous ˆ la bontŽ du Roy, sans luy en avoir demandŽ pas un, et ˆ qui aussy il demeura immŽdiatement attachŽ, sans dŽpendance aucune du Premier Ministre.
Mr
de Saint Simon, quoyque si jeune et si rapidement ŽlevŽ, fut, au tesmoignage de tous ceux qui en ont escrit et laissŽ des histoires et des mŽmoires de ces temps lˆ, un favori sans envie, qui ne se mesla que de bien servir Louis XIII, et ˆ luy plaire directement, qui fit du bien tant qu'il put, et il le put beaucoup, et jamais mal ˆ personne. Les mŽmoires du Mareschal de Bassompierre sont les seuls qui s'en expliquent peu favorablement, sans allŽguer aucun fait ny aucune chose, et dont le coup de patte, en deux mots, est, par cela mesme, et par l'indŽcence et l'absurditŽ de l'injurieux mŽpris, indigne de croyance. Ce Mareschal estoit tout rempli du fiel de sa longue prison et de tout ce qu'elle luy avoit fait perdre, et du despit de se voir, au sortir de la Bastille, tombŽ du personnage qu'il avoit si longtemps fait ˆ la Cour et dans le monde, dans l'ordre commun de tous les autres grands seigneurs, tandis qu'il voyoit si au dessus de luy, en faveur, en dignitŽ et en figure, un homme qu'il avoit laissŽ tout jeune, quoyque dŽjˆ Premier Escuyer et Premier Gentilhomme de la chambre, si fort d'ailleurs derrire luy par l'aage, la reprŽsentation, le personnage et les establissements. Mais il y avoit quelque chose de plus personnel. Il ne pouvoit pardonner ˆ Mr de Saint Simon la fameuse journŽe des Duppes, qui changea toutes ses espŽrances en quatorze annŽes de prison, et qui se passa prŽcisŽment comme le Vassor la raconte dans son histoire de Louis XIII. Mais il luy en a ŽchappŽ des particularitŽs qui donnrent lieu ˆ ce renversement des choses. On donnera donc cette curiositŽ entire, parce qu'on la sait d'original.
Tout
ce qui reste d'histoire et de mŽmoires des rgnes d'Henry IV et de Louis XIII, ceux mesmes qui sont les plus favorables ˆ Marie de MŽdicis, laissent une estrange idŽe de cette Reine. On y voit une femme haute et ambitieuse de dominer et de gouverner, qui ne sait par o s'y prendre, et qui, faute d'esprit et de sens, s'abandonne ˆ des femmes de chambre et ˆ des valets qu'elle Žlve, puis qu'elle craint, et dont elle devient l'esclave. Une humeur insuportable la rendoit toujours jalouse, chagrine, souponneuse et mŽcontente, qui, jointe ˆ son entire incapacitŽ et ˆ son dŽfaut de discernement, luy donnoit une lŽgretŽ qui l'attachoit sans mesure aux personnes pour qui elle se prenoit, et la dŽtachoit de mesme de celles ˆ qui elle avoit les plus grandes obligations, de qui elle pouvoit attendre le plus de service, et qui luy estoient le plus sincrement attachŽes. Ces mesmes dŽfauts la fermoient aux conseils qui n'estoient pas conformes ˆ ses passions, et, si l'affection pour elle et la considŽration de l'importance de ce dont il s'agissoit, opiniastroit ceux qui luy parloient ˆ la vouloir persuader, elle se figuroit aussy tost que c'estoit pour quelque intŽrt cachŽ qui les regardoit, et les prenoit en dŽfience et en aversion.
On
voit tout ce que Henry IV, si doux et si patient dans l'intŽrieur domestique, eut sans cesse ˆ souffrir d'elle, et Mr de Sully, si ha• et si ennemi des maistresses, et aussy intimement avec Henry IV dans tous ces demeslŽs domestiques que dans les affaires d'Estat, n'en estre pas mieux avec la Reine, qu'il accuse enfin assŽs ouvertement du meurtre du Roy son mari, en quoy il n'est pas le seul ; et ce qui parut incontinent aprs du dŽgagement de la Reine, de son application ˆ se procurer toute l'autoritŽ ds les premiers moments, la description qui nous reste de son cabinet et de sa manire d'y traiter d'affaires, le mesme jour et les suivants, laissent d'estranges soupons d'une veuve si peu estourdie et si peu touchŽe d'un coup subit qui affligea la pluspart de l'Europe, et qui l'estourdit toute entire.
Que
si l'on joint ˆ ces considŽrations le soin qu'on prit d'estouffer tout ce qui pouvoit conduire ˆ toute connoissance de ce qui regardoit cet Žpouventable crime, et l'adresse avec laquelle on Žvita de laisser parler le meurtrier et avec laquelle on hasta son supplice, tout cela ensemble laisse d'estranges impressions dans l'esprit. De lˆ, si on passe ˆ l'Žducation du Roy, son fils, ˆ qui elle laissa ignorer tout, jusqu'ˆ lire et ˆ escrire, qu'elle tint dans une vraye prison sans souffrir que nul en approchast, exceptŽ quelque peu de valets de confiance ; ˆ son abandon ˆ l'Espagne contre toutes les veues d'Henry IV, contre le sentiment de tout ce qu'il avoit laissŽ d'excellents ministres, contre le vÏu de tout l'Estat ; ˆ sa dŽpendance du Mareschal d'Ancre, et encore plus de sa femme, malgrŽ les scnes qu'elles avoient si souvent ensemble ; on plaindra un Roy et un Estat qui se trouvent soumis ˆ une mre et ˆ une rŽgente pareille. Ce n'est pas tout.
Aprs
la
catastrophe du Mareschal d'Ancre, relŽguŽe ˆ Blois, et tirŽe de lˆ et mise ˆ la teste d'un parti par le plus surprenant exploit qu'un particulier pust exŽcuter dans le milieu du Royaume, devant tout au Duc d'Espernon et se trouvant encore dans sa dŽpendance, elle ne peut se tenir de luy tesmoigner son ingratitude et de le traiter avec tous les soupons, toutes les jalousies et toutes les hauteurs possibles.
RaccomodŽe
avec
le Roy son fils et revenue au timon de l'Estat, elle ne put encore se contenter d'une situation si brillante, ny se garantir de l'entraisnernent ˆ de nouveaux partis qui allumrent une nouvelle guerre entre elle et le Roy son fils, qu'il termina par sa victoire, au Pont de CŽ, d'un parti qui estoit devenu redoutable.
TraitŽe
ensuite
en Reine et en mre, et bien-tost aprs rentrŽe encore une fois dans la confiance de son fils et dans toute l'autoritŽ et le secret des resnes du gouvernement, elle ne put rŽsister ˆ la jalousie qu'elle coneut de sa propre et unique crŽature, qu'elle seule avoit ŽlevŽe au plus haut point, et dont l'attachement et les services l'avoient remise au point o elle se voyoit ˆ la Cour et dans l'Estat. Le Cardinal de Richelieu luy devint odieux. Ses respects, ses soins, toutes les mesures qu'il put prendre ne la ramenoient que pour des moments. Elle voyoit, elle sentoit ses torts, et le peu de fondement de ce qui la mettoit en dŽfiance, et puis en colre. Aussytost aprs, c'estoit ˆ recommencer. Une Cour remplie de gens de tous estats, formŽs par les grandes affaires, o chacun, suivant le sien, avoit estŽ nourri par les suites de la ligue, du parti Huguenot, de ces guerres civiles de la Reine mre, ne fut pas longtemps sans s'apercevoir de la situation d'esprit de Marie de MŽdicis pour le Cardinal de Richelieu, ny sans chercher ˆ en profiter contre une puissance toujours odieuse dans un sujet ˆ tous les autres. La haine Žclata.
La
Reine
ne voulut plus se trouver avec luy aux Conseils ; elle espŽra qu'une telle option ˆ faire par le Roy son fils ne pouvoit que luy estre favorable et perdre le Cardinal. C'est aussy ce qui fut si prs d'arriver, que, la Reine et son parti s'en tenant seurs, ˆ deux jours de lˆ, un conseil fut tenu entre les principaux personnages pour dŽlibŽrer de ce qu'on ferait du Cardinal aprs sa chute, qui, par la connoissance exacte qu'en eut le Cardinal, Žprouvrent chacun la mesme peine que chacun avoit proposŽe contre luy, et c'est ce qui fit donner ˆ ce conseil et ˆ cette journŽe cŽlbre le nom de la JournŽe des Dupes. Mais voicy l'anecdotte.
La
Reine
mre, qui s'estoit en apparence raccomodŽe avec le Cardinal de Richelieu, pour l'endormir mieux sur le point de le perdre, ne pouvoit plus souffrir ny luy, ny pas un de ses parents. Elle avoit souvent traitŽ extrmement mal Madame de Combalet, sa niepce, qui fut depuis faite Duchesse d'Aiguillon, et qui estoit lors sa dame d'atour. Il fut question de les raccomoder aussy. Le Roy avoit presque consenti ˆ l'Žloignement du Cardinal des affaires pour quelque temps, pour contenter la Reine. Quelque dangereuse que fust cette supension et cet exil, le Cardinal se voyoit forcŽ de le subir. La Reine et ceux qui la menoient comptoient bien d'achever assez seurement de perdre radicalement le Cardinal, ds qu'il seroit ŽloignŽ, pour empescher ˆ jamais son retour ; et luy, dans une telle destresse, ne songeoit qu'ˆ se sŽparer bien d'avec la Reine, de raccomoder les siens avec elle pour y tenir par ce lien, et ˆ faire valoir un sacrifice dont il craignoit tout, dans l'espŽrance de se sauver et de l'abrŽger.
La
Cour estoit ˆ Paris, la Reine dans son palais de Luxembourg, qu'elle avoit basti pour elle ; et le Roy, pour en estre plus prs dans ces moments de crise, s'estoit logŽ dans la rue Tournon, ˆ l'hostel des Ambassadeurs extraordinaires. Il avoit instamment demandŽ ˆ la Reine sa mre, qui avoit chantŽ pouille et chassŽ de sa prŽsence Madame de Combalet, de luy pardonner et de la recevoir en gr‰ce, en considŽration de ce qu'elle s'estoit elle mesme raccomodŽe avec le Cardinal, et surtout en faveur de la complaisance qu'elle exigeoit de sa retraite pour un temps. La Reine y consentit et promit au Roy qu'elle la recevroit bien, elle et le Cardinal, qui devoit la luy amener, qu'elle vouloit qu'il y fust prŽsent et tesmoin qu'elle s'acquitteroit ˆ son grŽ, ˆ luy, de la
parole qu'elle luy en donnoit. Ce devoit estre le lendemain matin. Le soir de ce lendemain, le Roy devoit aller ˆ Versailles ; la Reine mre devoit l'y aller trouver le jour suivant et y faire avec luy les changements ˆ peu prs convenus, et cependant, le Cardinal sortir de Paris le mesme jour que le Roy, aussy tost aprs son dŽpart, et s'en aller ˆ Richelieu.
Tout
cela
arrangŽ de la sorte, le Roy s'en va ˆ pied ˆ Luxembourg, et trouve la Reine sa mre ˆ sa toilette. Comme elle fut achevŽe, on fit sortir tout le monde. Le Roy seul demeura et Mr de Saint Simon. Alors arriva le Cardinal, menant sa nice ˆ la Reine, qui luy firent leurs compliments les plus respectueux. La Reine rougit de colre et se contint un moment, puis Žclata en reproches contre l'oncle et la nice, de lˆ en injures et en fureurs, les chassa de sa chambre, et leur dŽfendit d'estre si insolents que d'oser jamais se prŽsenter devant elle. Le Roy, qui ne s'attendait ˆ rien moins, demeura dans un estonnement inconcevable, et le favori stupŽfait, qui n'osoit presque respirer. Le Cardinal et la nice sortirent outrŽs de rage, et la nice en pleurs. Le Roy, ˆ diverses reprises, avoit essayŽ vainement de mettre, si on ose dire, le holˆ ! d'arrester la furie de la Reine, qui luy faisoit profŽrer les plus basses et les plus grossires injures, et de la rappeler ˆ elle mesme et ˆ ce qu'elle luy avoit promis. Mais le robinet estoit tournŽ ; rien ne put ralentir cette fougue, soit que la prŽsence eust rallumŽ une colre de l'emportement de laquelle elle ne fut plus maistresse, soit qu'elle eust voulu monstrer par lˆ qu'il n'y avoit plus de retour, et que, seure, comme elle se le croyoit, de l'Žloignement imminent, puisque c'estoit le jour mesme, elle se crust au dessus de tout et en estat de pouvoir oster toute espŽrance pour l'avenir, et au Roy, toute envie d'y travailler.
Il
sortit
un moment aprs le Cardinal, aprs une rŽvŽrence assŽs seiche ˆ la Reine sa mre, s'en retourna ˆ pied chez luy, passa droit dans son cabinet, y fit entrer Mr de Saint Simon seul avec luy, et dŽfendit, en y entrant, que, pour quelque chose que ce pust estre, personne en ouvrist la porte. En entrant, il se jetta sur un lit de repos, et il estoit tellement suffoquŽ de cette estrange scne, qu'ˆ l'instant, tous les boutons de son pourpoint pŽtrent et sautrent en place tout ˆ la fois. Aprs s'estre un peu remis en silence, puis repris les principales choses de cet ŽvŽnement, il se mit ˆ raisonner avec son favori sur la grande affaire de la journŽe, qui estoit le 11 novembre 1630.
Mr
de Saint Simon, comme on l'a dit, n'avoit aucune dŽpendance du Cardinal, mais, pendant ce qui se venoit de passer ˆ Luxembourg en sa prŽsence, et depuis, dans le cabinet du Roy, tout jeune qu'il estoit alors, il avoit fait de grandes rŽflexions. L'humeur et l'incapacitŽ de la Reine, toujours livrŽe ˆ aussy incapables qu'elle, un nombre de gens qui voudroient partager l'autoritŽ du maniement des affaires, et qui, s'entrechoquant par leurs cabales, y mettroient la confusion dans la situation o l'Estat et la Cour se trouvoient, luy faisoient apprŽhender de tristes suites. Il pensoit de l'autre costŽ ˆ l'abatement du parti Huguenot, ˆ l'humiliation de l'Espagne et du duc de Savoye, ˆ la capacitŽ, ˆ la sagacitŽ, ˆ la vigilance du Cardinal de Richelieu qui avoit si puissamment aidŽ le Roy ˆ l'exŽcution de ces grandes choses, mais qui toutes fumoient encore et avoient besoin du mesme secours. Il se reprŽsenta la difficultŽ de trouver une teste pareille ˆ celle du Cardinal, et de la mettre et la maintenir aprs ˆ la teste des affaires, o elle Žprouveroit les mesmes traverses intestines, et par les mesmes motifs d'envie et de jalousie que le Cardinal. Tout cela le dŽtermina, dans ces moments critiques, ˆ soustenir un homme, pour le bien de l'Estat et l'avantage et le soulagement du Roy, ˆ qui uniquement il estoit attachŽ, et de qui ses paroles seroient mieux reeues, comme non suspectes, parce que le Roy savoit bien qu'il ne tenoit ny ne vouloit tenir ˆ autre qu'ˆ luy seul, et ˆ luy immŽdiatement.
Le
Roy le pressa de luy parler librement : il le fit, et la conversation fut de trois grosses heures. Tout fut bien pesŽ. balancŽ, discutŽ. Le Roy s'estoit engagŽ ; il avoit peine ˆ y manquer. Il avoit peine aussy ˆ se priver de son Premier Ministre. Il sentit tout le poids des raisonnements de Mr de Saint Simon, il y entra, il combattit pour les deux costŽs ; enfin il se rendit ˆ ne pas sacrifier un Ministre qui le servoit si utilement, au caprice intarissable de la Reine sa mre, qui en prendrait tout aussy aisŽment contre un autre, puisque celuy cy estoit sa crŽature et l'ouvrage de ses mains, et ˆ ne se pas jetter au milieu d'une trouppe d'ambitieux qui ne seroient d'accord ensemble que jusqu'au moment du dŽpart du Cardinal, et s'entreheurteroient tous aprs par la mesme ambition qui les avoit unis.
Saint
Simon,
qui connut l'importance de serrer la mesure, voyant le Roy rŽsolu ˆ garder le Cardinal, se tourna tout aussytost ˆ y mettre le sceau ds le jour mesme, et il en vint aisŽment ˆ bout, parce qu'il reprŽsenta que ce seroit se dŽlivrer de beaucoup de choses importunes qui dureroient toujours tant que la chose ne seroit pas consommŽe, et il se fit commander d'envoyer dire au Cardinal de venir ce soir lˆ mesme trouver le Cardinal (sic) ˆ Versailles.
L'attente
cependant
estoit grande dans le logis du Roy, aprs ce qui avoit estŽ sceu de la retraite rŽsolue du Cardinal et ce qui avoit transpirŽ ˆ quelques-uns de la scne du Luxembourg, lorsqu'on vit sortir Mr de Saint Simon du cabinet et demander s'il n'y avoit point lˆ quelques uns de ses gentilshommes, car alors, ny longtemps depuis, on ne vivoit pas comme aujourd'huy, et les seigneurs en avoient toujours plusieurs qui les accompagnoient partout. Tourville, qui estoit ˆ Mr de Saint Simon, et pre du Mareschal de France si cŽlbre depuis ˆ la mer, se prŽsenta. M. de Saint Simon le mena dans l'embrasure d'une fenestre et luy ordonna d'aller de sa part dire au Cardinal de Richelieu qu'il y avoit plus de trois heures qu'il estoit seul avec le Roy, enfermŽ dans son cabinet, qu'il en sortoit exprs pour luy mander que le Roy luy commandoit de se rendre ce soir mesme auprs de Sa MajestŽ, ˆ Versailles, et d'ajouster que c'estoit luy qui le luy mandoit, et qu'il y vinst sur sa parole. On peut juger si le cercle estoit grand et les yeux attentifs sur le maistre et sur le gentilhomme, aprs une si longue closture avec le Roy dans des moments si curieux et si dŽcisifs. Tourville partit, et Mr de Saint Simon rentra dans le cabinet du Roy. Bientost aprs, le Roy mangea un morceau, puis s'en alla tout de suite ˆ Versailles.
A l'arrivŽe de Tourville chez le Cardinal, il trouva son carrosse ˆ six chevaux et les bagages chargŽs dans sa cour, et grande confusion parmi le domestique. A la mention de la part de qui il venoit, toutes les portes tombrent devant luy, et les principaux domestiques l'environnrent et l'accompagnrent jusqu'au cabinet du Cardinal, cherchant dans ses yeux et dans son maintien des nouvelles de leur sort. Il trouva le Cardinal seul avec son ami le Cardinal de la Valette, barricadŽ contre qui que ce pust estre, dans un extrme abattement, et que le Cardinal de la Valette avoit empeschŽ deux ou trois fois de partir, et qui le fit attendre malgrŽ luy que le Roy fust parti luy mesme. Tous deux furent bien agrŽablement surpris, mais le Premier Ministre ˆ tel point, qu'il se le fit rŽpŽter. Il embrassa estroitement Tourville, et le chargea de dire ˆ Mr de Saint Simon ce qui se peut imaginer d'un tel homme, qui, de prŽcipitŽ, se verroit remis dans sa place.
Peu
de moments aprs, il partit avec son ami pour Versailles, et les histoires sont pleines de ce qui s'y passa. Telle fut la journŽe des Dupes, et avec une exactitude sur laquelle on peut compter [Voir
titre d'Espernon, tome V. page 303]. Le Cardinal, raffermi dans sa place, n'y estoit pas sans inquiŽtude, quelque puissant qu'il parust, et il est maintes fois arrivŽ ˆ Mr de Saint Simon de le voir entrer dans sa chambre, la nuit, ˆ toutes les heures, de l'Žveiller, et de luy dire, tout effarouchŽ, qu'il estoit perdu, et recourir ˆ ses conseils et ˆ ses offices. Il Žprouva bien un jour, et tout le Conseil avec luy, qu'il n'estoit pas le maistre ; ce fut lors des rapides prospŽritŽs des ennemis de la France. Les ImpŽriaux avoient repris Philipshourg, Spire et Mayence, en 1635, et l'annŽe suivante, les Espagnols prirent la Capelle, le Catelet et Corbie, ce qui porta l'alarme jusque dans Paris. Le Roy, aussytost aprs l'arrivŽe du courrier qui apporta la nouvelle de la perte de cette dernire place, assembla le Conseil, et il vouloit que Mr de Saint Simon y fust toujours prŽsent, non pour y opiner, mais pour le former aux affaires, et, en particulier, luy en proposoit quelquefois, pour voir o alloit son sentiment, et le rectifier ou l'approuver. En ce Conseil, le Cardinal de Richelieu parla le premier et conclut ˆ des partis timides, et tout le Conseil aprs luy. Le Roy les laissa parler, puis leur dit qu'aprs les avoir bien attentivement ŽcoutŽs, il ne pouvoit estre de leur sentiment ; que ses troupes estoient estonnŽes, Paris, et par consŽquent les provinces effrayŽes, et par une suite nŽcessaire, les bourses fermŽes ; qu'il n'y avoit que l'audace qui pust remŽdier ˆ ces maux en encourageant ses troupes, en rasseurant Paris, et, en ouvrant les espŽrances et les cÏurs de ses sujets, ouvrir les bourses ; qu'il estimoit que cela ne se pouvoit faire que par sa prŽsence ; et tout de suite, se tournant ˆ Mr de Saint Simon, luy ordonna que le plus nŽcessaire fust prest ˆ partir avec sa personne le surlendemain, et que le reste suivroit quand il pourroit. Le Cardinal demeura consternŽ d'une rŽsolution si hardie et si pŽrilleuse, et tout le Conseil avec luy, car ils voyoient bien tous qu'il ne s'alloit pas mettre ˆ la teste de ses troupes pour ne rien tenter. Les remonstrances furent inutiles. Le Roy, qui avoit pris son parti, leva le Conseil, et l'exŽcuta avec un succs qui passa les espŽrances, et que le Cardinal attendit avant d'oser joindre l'armŽe, qui repoussa les Espagnols, reprit Corbie, et fit tout ce que les histoires de ces temps lˆ racontent.
Le
Roy, pernicieusement ŽlevŽ, n'avoit pu, dans les suites, supplŽer ˆ la perfidie de cette Žducation. Il n'avoit donc point d'acquis, et une difficultŽ d'organe qui le faisoit bŽgayer, le rendoit timide ˆ parler. Une mre telle que la sienne, un frre toujours prest ˆ toutes sortes de partis et qui fut sans cesse ˆ la teste de ceux qui se formrent sous luy, qui prirent les armes, qui se lirent aux ennemis de l'Estat avec d'autant plus de hardiesse que Monsieur estoit prŽsomptif hŽritier de la couronne d'un Roy ˆ qui on dŽsespŽroit de voir naistre des enfans ; des guerres domestiques et estrangres de toutes parts, et de puissants restes des factions de la Ligue et de celle des Huguenots ; tout cela ensemble engageoit le Roy ˆ laisser ˆ son Premier Ministre le nom de faire beaucoup de choses que le Roy faisoit, et que le Premier Ministre exŽcutoit, et se tiroit par l'adresse de cette conduite de beaucoup d'importunitŽs, de traverses et d'embarras ; et le Premier Ministre aussy en savoit bien profiter pour s'attirer la louange des plus grandes choses, mŽprisŽe par la modestie du Roy, et pour accroistre aussy son pouvoir effectif, que la complaisance du Roy pour son grand et utile travail, et souvent aussy sa politique, ne resserroit pas. Mais il estoit des choses, et de toutes les natures, qui passoient son pouvoir, comme ce qui vient d'estre dit de Corbie, comme le passage des Alpes, malgrŽ la peste, comme l'opiniastretŽ ˆ forcer le Pas de Suze, ce qu'on a veu ailleurs, et une infinitŽ de choses semblables.
Il y en avoit d'autres qu'il dŽsiroit passionŽment, et qu'il n'osoit mesme entamer, dont voicy un exemple. Il aimoit fort le Chancelier SŽguier, et cet ambitieux et rusŽ magistrat prit si bien son temps, qu'il en obtint parole de faire donner le tabouret ˆ sa femme. Le Cardinal sentoit son impuissance ; il connaissoit l'affection et la distinction du Roy pour les seigneurs, et combien il seroit ŽloignŽ d'accorder le tabouret ˆ la femme du chef de la justice et des magistrats, et cette grande prŽrogative au dessus de celles des officiers de la couronne. Il n'osa donc en faire la proposition, et alla trouver Mr de Saint Simon chez luy, pour l'y engager. Le favory eut peine ˆ s'y rŽsoudre, mais le Cardinal l'en pria si instamment, qu'aprs luy avoir reprŽsentŽ la difficultŽ qu'il y auroit ˆ vaincre la rŽpugnance du Roy, il promit d'y travailler. Il le fit en effet, et avec beaucoup de peine, il obtint le principal. La toilette estoit alors une heure de privance, non de cour publique comme elle l'est devenue depuis, et ce fut pour cette heure lˆ seulement, mais bien exclusivement ˆ toute autre, que ce tabouret fut obtenu. Il en est demeurŽ lˆ jusqu'au temps de la dernire Dauphine de Savoye.
La Duchesse du Lude estoit sa dame d'honneur, obligeante au possible, cherchant ˆ se faire des amis, et l'estant fort du Chancelier de Pontchartrain et de sa femme. Ils complotrent qu'un jour de toilette qu'il devoit y avoir tout de suite une audience, la Chancelire y demeureroit ; et cela fut exŽcutŽ. La surprise fut grande ; on murmura, la Duchesse du Lude fit l'ignorante, et dit qu'elle avoit toujours cru que ce tabouret s'estendoit ˆ toute la matinŽe jusqu'au disner exclusivement, et qu'elle le devoit bien savoir, puisqu'il avoit estŽ accordŽ pour sa grand'mre, et qu'ˆ tout prendre, puisque la toilette estoit devenue heure publique de Cour, et que la Chancelire avoit continuŽ d'y estre assise, quoyque ce ne fust plus une heure de particulier et de privance, elle ne voyoit pas ce qu'une audience immŽdiate ˆ la toilette et sans interruption avoit de plus. Le Roy ne laissa pas de le trouver mauvais, mais ce fut tout. Il ne voulut pas donner le dŽgoust au Chancelier, ny ˆ sa femme, de reformer l'usurpation, mais il dŽclara qu'il ne prŽtendoit pas au moins que ce tabouret s'estendit davantage, et, en effet, il en est demeurŽ lˆ, c'est ˆ dire ˆ la toilette et aux audiences immŽdiates et de suite ˆ la toilette, et nulle part ailleurs.
Jusqu'ˆ la dernire rŽgence, il ne s'estoit point trouvŽ de femmes de Garde des Sceaux. Argenson en avoit une lorsqu'il eut les sceaux. Il n'y avoit point de Reine, encore moins de Dauphine, mais il obtint le tabouret pour sa femme ˆ la toilette de Madame, devant laquelle il n'y a que les dames assises devant la Reine qui pussent s'asseoir. Cet exemple a servi ˆ Mr Chauvelin, Garde des Sceaux, dont la femme a eu le tabouret comme la Chancelire.
Mr de Saint Simon fit une autre chose bien plus considŽrable ˆ la prire de Monsieur. Il estoit hŽritier prŽsomptif de la Couronne, et il n'avoit qu'une fille unique alors, si connue depuis sous le nom de Mademoiselle et de Mademoiselle de Montpensier. Il estoit fort peinŽ, quoyqu'elle fust enfant, de ne luy voir aucune prŽfŽrence sur les Princesses du Sang, quoyque si diffŽrentes d'elles par la proximitŽ. Il en parla ˆ Mr de Saint Simon, et la petite Princesse, qui venoit voir le Roy, son oncle, qui s'y amusoit, en parla elle meme au favori. Il crut qu'il y avoit justice ˆ distinguer la proximitŽ du Sang, et plus encore qu'il estoit fort important d'unir de plus en plus Monsieur au Roy par un bienfait touchant dont l'Žclat n'augmentoit point sa puissance ny ses richesses. Il imagina donc ce rang mitoyen entre le Fils de France et le Prince du Sang, tel qu'on la veu si longtemps aux trois filles de Gaston, et ensuite aux enfans de Monsieur, frre de Louis XIV, que ce Roy accrut d'un chancelier, d'une compagnie de gardes, et de quelques autres distinctions, ˆ la mort de Monsieur, en faveur de Mr son fils, qui a depuis estŽ RŽgent, ou plustot en faveur de Madame la duchesse d'OrlŽans, sa bastarde. Monsieur en seut un grŽ extrme ˆ Mr de Saint Simon, et Mademoiselle ne l'a oubliŽ de sa vie, et le luy a constamment tesmoignŽ en toutes occasions. Mr le Prince n'en parut point blessŽ, et le hŽros, son fils, estoit encore petit garon ; mais quand Mr le Prince en auroit eu quelque peine, la suite l'auroit bien effacŽe.
On a parlŽ d'une grande maladie que le Cardinal de Richelieu eut ˆ Bordeaux l'hyver de 1632 ˆ 1633, ˆ propos des lettres de galanterie de la Duchesse de Chevreuse et du Garde des Sceaux de Chasteauneuf, qui traitoient le Cardinal de cul pourry, qui se rŽjouissoient de sa mort prochaine, et qui coustrent les sceaux et quatorze ans de prison ˆ l'un, et la fuite en Espagne ˆ l'autre. Pendant cette maladie, le Roy, qui estoit agitŽ de la difficultŽ de remplir la place de Premier Ministre, si le Cardinal venoit ˆ mourir, en parla ˆ Mr de Saint Simon et voulut qu'il luy en dist son avis. Mr de Saint Simon, aprs y avoir bien pensŽ, luy proposa Mr le Prince, et en persuada le Roy. Cependant le Cardinal se trouva mieux et guŽrit. Ce secret, comme tant d'autres, estoit demeurŽ entre le Roy et Mr de Saint Simon. Trois ou quatre ans aprs, ce dernier fut bien surpris d'entendre Mr le Prince luy faire des remerciements et des protestations d'amitiŽ Žternelle, comme ˆ l'homme du monde ˆ qui il devoit le plus, et le plus gratuitement, et ne pouvoit comprendre ce qu'il luy vouloit dire. Mr le Prince, voyant sa surprise et taschant inutilement de luy mettre le doigt sur la lettre, luy dit enfin de quoy il luy devoit tant de reconnoissance et d'amitiŽ. L'estonnement du favori fut encore plus grand, mais il nia le fait, en luy disant bien qu'il ne se dŽfendoit ny des dŽsirs, ny de l'opinion qu'il avoit de luy pour cette grande place, mais bien d'avoir estŽ ˆ portŽe de s'en estre expliquŽ au Roy. Alors Mr le Prince, admirant et le secret et la modestie, l'embrassa estroitement, l'assura qu'il l'en aimoit et l'en estimoit, s'il se pouvoit, encore davantage, et luy apprit que c'estoit du Roy luy mesme qu'il le savoit. Alors Mr de Saint Simon n'eut plus ˆ se dŽfendre. Le Roy luy avoua qu'il l'avoit dit exprs ˆ Mr le Prince par amitiŽ pour luy, et Mr le Prince fit de ce moment profession ouverte d'obligation et d'amitiŽ la plus estroite avec Mr de Saint Simon, qui a durŽ jusqu'ˆ sa mort, et qu'il n'oublia rien pour inspirer ˆ sa famille, laquelle en usa comme on verra bientost.
Il faut dire, avant de sortir de cette matire, que cette liaison fut utile ˆ Tourville. Lorsque le mariage du fameux Duc d'Anghien se traitoit avec la fille du Mareschal de BrŽzŽ, Mr le Prince demanda au Duc de Saint Simon un gentilhomme en qui il pust prendre confience pour mettre auprs de Mr son fils, et qui, en mesme temps, pust estre agrŽable au Cardinal de Richelieu. Mr de Saint Simon luy donna Tourville un moment avant sa disgr‰ce. Il fut goustŽ et fort estimŽ ˆ l'hostel de CondŽ, o il establit sa femme, ses filles, et avana sa famille. Il faut dire ˆ leur honneur qu'ils ont tous cultivŽ avec grand soin le Duc de Saint Simon toute leur vie, et que le baston de Mareschal de France, si bien mŽritŽ par le fils, n'a rien altŽrŽ en luy de ce souvenir et de cette reconnoissance.
On
a veu, titre de Bellegarde et d'Halluyn Schomberg [tome VI, pages 29 et 38], les deux rŽprimandes que le Roy fit ˆ son favory. On n'en rŽpŽtera donc rien icy, et on vient ˆ la disgr‰ce dont on vient de parler. Le Cardinal n'avoit aucun lieu de se plaindre du Duc de Saint Simon, et luy avoit mesme plusieurs obligations essentielles. Il estoit ami particulier du fameux Duc de Weimar, du Cardinal de la Valette, du Mareschal de la Melleraye, jusqu'ˆ leur mort, et ces deux derniers tenoient intimement au Cardinal de Richelieu. Aussy fut ce moins luy que Chavigny, secrŽtaire d'Estat, qui la brassa.
Il
estoit
vray que le Cardinal estoit toujours peinŽ de voir vis ˆ vis de luy un favory sans dŽpendance de luy, sans lacune avec le Roy, sans haine et sans jalousie dans la Cour, et dont la conduite ne donnoit aucune prise. Il l'estoit encore d'en avoir besoin assez souvent, et quoiqu'il le trouvast disposŽ ˆ luy complaire, au moins presque toujours, il luy sembloit rude de ne pas trouver tout en soy mesme, et il n'estoit pas ŽloignŽ de se compter comme dŽrobŽ ce qu'il trouvoit mesme de secours d'ailleurs, pour ne pas dire d'appuy, en certaines occasions.
Chavigny
estoit
lors au plus haut point de faveur et de confience auprs du Cardinal. Il estoit aussy fort bien avec le Roy. Il mesnageoit sourdement la Reine, parce qu'il voyoit la santŽ du maistre et du Premier Ministre dans un mauvais estat. Son ambition sans mesure prenoit toutes sortes de formes et de partis, et ne se contenoit par rien que par l'utile ; et d'ailleurs ses principes estoient nuls. Les histoires et les mŽmoires de ces temps sont pleins des personnages qu'il fit tant qu'il put auprs de Monsieur, dont il ne fut le confident et chancelier que pour en estre l'espion, et le pousser ˆ demi, pour avoir le mŽrite de le ramener ˆ diverses reprises, et aprs la mort de Louis XIII, tantost ˆ la Reine, tantost au Parlement, tantost ˆ Mr le Prince, jamais au Roy ny ˆ l'Estat, et toujours par toute voye, ˆ soy mesme ; ˆ la fin emprisonnŽ, puis raccomodŽ en double perfidie, et finalement estre tout auprs de Mr le Prince pendant sa courte toute puissance, pousser l'insolence ˆ toutes sortes d'excs, luy devenir suspect, en tomber malade, et mourir de rage d'une visite qu'il reeut de Mr le Prince, o il luy reprocha toutes ses trahisons, sans mesnager les termes ny les injures, en prŽsence de la fleur de ses amis et, en nombre, qu'il y mena exprs.
Chavigny,
qui
Žlevoit ˆ tout ses pensŽes et ses espŽrances, voulut Žloigner le seul homme qui tenoit autant au Roy par le cÏur et la confience que le Cardinal y tenoit par la capacitŽ et les affaires, et qui d'ailleurs ne se pouvoit gaigner par rien. Il estoit trop bon courtisan pour ne pas paroistre des amis du favori, mais, comptant avoir un interest pressant de l'Žloigner dans l'espŽrance de gaigner aprs assez de terrain auprs du Roy pour succŽder au Cardinal, s'il venoit ˆ manquer le premier, il se mit ˆ donner au Cardinal des jalousies et des ombrages qui rŽussirent ˆ le mettre de moitiŽ avec luy pour se dŽlivrer du Duc de Saint Simon.
De
le brouiller avec le Roy, nul moyen ; les affaires ne leur pouvoient estre d'aucun secours, il ne s'en mesloit pas, sinon du Roy ˆ luy, quand il luy en parloit ; mais ˆ force de chercher, ils trouvrent un pige ; Saint Simon y donna et y fut pris. Chavigny avoit la guerre dans son dŽpartement. Il envoya ordre ˆ Saint LŽger, qui avoit de la rŽputation ˆ la guerre, de se jeter dans Bapaume, menacŽ par les ennemis, et laisserent [sic] cette place sans vivres. Saint LŽger estoit frre du pre du Duc de Saint Simon, et qui, lassŽ d'escrire inutilement ˆ Chavigny pour avoir des vivres, il se plaignit amrement qu'on le mettoit dans cette place pour le dŽshonorer. Saint Simon fut trouver Chavigny, qui promit merveilles, mais les ennemis investirent Bapaume presque aussytost, en formrent le sige, et le prirent fort promptement, parce que Saint LŽger n'y put tenir faute de vivres d'aucune espce. Le Cardinal et Chavigny excitrent les cris publics et la sensibilitŽ du Roy d'une telle perte, le fermrent aux reprŽsentations, contre lesquelles ces deux hommes l'avoient prŽvenu en le persuadant que personne n'oseroit attaquer l'oncle d'un favori qui prenoit fait et cause.
Mr
de Saint Simon rapporta le tŽmoignage de toute la garnison, les lettres de son oncle avant le sige, et demanda avec hauteur un conseil de guerre pour juger Saint LŽger. Il traita Chavigny comme il le mŽritoit, et parla au Cardinal de Richelieu d'une faon trs nouvelle ˆ ce Premier Ministre. PicquŽ au dernier point d'une injustice et d'une malignitŽ qui attaquoit 1'honneur de son oncle, et de ne trouver pas dans cette occasion, l'ŽquitŽ du Roy dans son entier, il menaa de se retirer. C'est o on l'attendoit, et il fut pris au mot, tellement que, sans ordre, mais par un consentement qu'il s'estoit attirŽ, il partit pour Blaye, o il demeura dix huit mois, au bout desquels le Cardinal de Richelieu mourut. Ny luy, ny Chavigny n'osrent pourtant le tracasser ˆ Blaye. Il y vescut, tout esloignŽ qu'il estoit, comme un homme encore dans la faveur, et y reeut, de temps en temps, des lettres du Roy. Ds que le Cardinal fut expirŽ, le Roy luy depescha un courrier avec une lettre de sa main, pleine de bontŽs et de son ancienne confience, par laquelle il luy ordonnoit de partir sur le champ pour le venir trouver, et il revint mieux avec le Roy que jamais pendant les cinq mois que ce Prince survescut au Cardinal. Louis XIII, en mourant, luy en donna une puissante marque.
Ce
n'est
pas icy le lieu de parler de la magnificence, de la majestŽ, de l'hŽro•que fermetŽ, de l'estonnante grandeur d'‰me, de la sublime saintetŽ de sa mort. Les historiens, si libŽraux en encens pour le cardinal de Richelieu, qui en estoit si avide et qui le recherchoit si ouvertement et l'acheptoit de toute sa puissance ; si avares, au contraire, de louanges pour un Roy modeste et qui savoit Žgalement les mŽriter au poids et des hommes justes et ŽclairŽs et au poids encore du sanctuaire, mais qui les savoit Žviter et mŽpriser du fond d'un cÏur pur et d'une ‰me vŽritablement Royale ; les historiens, dis je, accablŽs par l'Žclat d'une mort si prodigieusement grande en tout, n'ont pu s'en taire, et tous l'ont dŽcrite avec admiration. Il suffit icy de remarquer que, de longue main confirmŽ dans le mŽpris de tout ce qui passe et dans le dŽsir et l'espŽrance d'une meilleure vie, il disposa de tout comme un homme qui part pour un voyage qu'il entreprend de son plein grŽ, sans regret ˆ rien de ce qu'il quitte, mais avec toute la prudence d'un bon pre de famille qui voit tout, qui pense ˆ tout, et qui pourvoit ˆ tout avec ordre et sagesse. Il connoissoit trop la Reine et Monsieur pour ne resserrer pas, autant qu'il seroit possible, l'autoritŽ de l'une et de l'autre, et les suites firent voir la justesse d'une disposition dont la rupture pensa bien des fois perdre l'Estat.
Dans
le mesme esprit, il pourveut ˆ tout ce qui vacquoit, pour estre seur des mains ˆ qui il le remettoit et Žloigner d'autant les choix qu'il avoit lieu de craindre qui ne fussent pas si bons aprs luy. L'office de Grand Escuyer n'avoit pas estŽ rempli depuis la mort de Mr de Cinq Mars, il y avoit prs d'un an. Il le donna au Duc de Saint Simon, avec un Žloge magnifique pour luy, comme exprimant le motif de son choix. Chavigny tenoit la plume, et eut l'infidŽlitŽ de laisser le nom en blanc. Il estoit bien seur que le Roy, en l'estat o il estoit, ne reliroit pas luy mesme, comme il arriva, et de telles gens pardonnent moins les offenses qu'ils ont faites que celles qu'ils ont reeues. Toutes les dispositions des vacances estoient dans le mesme papier, que le Roy signa luy mesme, et Chavigny aprs luy, comme secrŽtaire d'Estat, qui, depuis la mort du Cardinal, faisoit ce qu'il y avoit de plus important ou de plus de confience.
Le
Roy luy mesme apprit au Duc de Saint Simon le beau prŽsent qu'il luy faisoit, et les courtisans luy en firent leurs compliments. Ds que la Reine n'eut plus rien au-dessus d'elle, Chavigny alla luy porter toutes les dispositions du Roy, car, pour son testament, et tout ce qui regardoit le gouvernement, le Roy luy mesme l'avoit fait lire tout haut en prŽsence des Princes du Sang, des Pairs, des officiers de la Couronne, des principaux seigneurs et du Parlement, qu'il avoit mandŽs exprs dans sa chambre. En remettant ces dispositions ˆ la Reine, et en mesme temps celles de tout ce qui estoit vacquant, Chavigny eut soin de luy faire sa cour d'avoir laissŽ en blanc le nom du Grand Escuyer, pour que Mr de Saint Simon, ˆ qui le Roy avoit donnŽ cette charge, en eust ˆ elle autant d'obligation qu'au Roy, ou, si elle le jugeoit suffisamment partagŽ de ce qu'il avoit d'ailleurs, elle eust moyen de se faire, par un prŽsent de cette qualitŽ, une crŽature des plus considŽrables et des plus utiles.
Chavigny
parloit
ˆ une femme bien soulagŽe de se trouver veuve, maistresse de ses volontŽs, et, ˆ son avis, de la Cour et de l'Estat. Son intimitŽ avec la Reine sa belle mre et avec Monsieur dans tous les temps, son cÏur tout Espagnol et les tristes aventures qui luy en estoient arrivŽes, dont une entre autres, bien Žclatante, au Val de Gr‰ce, quand le Chancelier SŽguier la fut fouiller et se l'acquit ˆ jamais par l'important service qu'il luy rendit alors, ses liaisons avec Madame la Princesse, avec Madame de Chevreuse et avec toutes personnes suspectes au Roy ; tout cela ensemble, et d'autres peut estre, plus domestiques et plus intimes, avoient rendu ce mariage peu heureux et avoit donnŽ ˆ la Reine plus que de l'Žloignement pour tous ceux que le Roy avoit aimŽs, quand ils n'avoient pas pris la prŽcaution des contrepoids.
Mr
de Saint Simon, tout uni, accoustumŽ ˆ ne tenir qu'au Roy, content de sa faveur et de n'en avoir jamais fait usage que pour obliger et servir, et d'avoir toujours respectŽ la Reine sans estre jamais entrŽ en rien qui eust pu luy dŽplaire, mais s'en tenant lˆ ˆ son Žgard, n'en pouvoit, de la sorte, estre regardŽ avec affection, sans laquelle l'estime et l'irrŽprochable est une faible ressource chez la pluspart des femmes, et mesme des hommes, beaucoup moins contre les mauvais offices de l'adroit Chavigny, qui, dans ces premiers moments, et longtemps aprs encore, fut le bras droit de la Reine. Quoyqu'elle eust parfaitement ha• le Cardinal de Richelieu, elle en aimoit les niepces du Camboust, et ces contrariŽtŽs d'inclinations ne sont pas rares dans les femmes, et mesme dans les Cours, et, toute sa vie, elle aima avec distinction la Duchesse d'Espernon et la comtesse d'Harcourt, sa sÏur. Le comte d'Harcourt s'estoit acquis une grande rŽputation ˆ la teste des armŽes de mer et de terre, et c'estoit un cadet d'ElbÏuf, qui n'estoit pas riche. Tout cela ensemble le fit Grand Escuyer, mais sans oser le dŽclarer si tost.
Mr
de Saint Simon, plongŽ dans la plus tendre et la plus profonde douleur, et tout occupŽ de la perte de ce qui luy estoit le plus vivement cher, ne pensa ny ˆ la perte du monarque, ny ˆ sa fortune. Il fit toutes les fonctions de Grand Escuyer en portant le jeune Roy jusque dans sa place au premier lit de justice, o luy mesme n'eut pas la force de demeurer. Il les fit encore ˆ Saint Denis, o on luy a ou• dire plus d'une fois, et avec larmes encore, quoyqu'il y eust prs de cinquante ans, qu'il luy avoit fallu le dernier effort pour ne se pas jetter dans le caveau lorsqu'il y jeta l'espŽe Royale. Cependant ses amis, car il s'en estoit fait beaucoup, et qui luy demeurrent, le pressrent d'envoyer chercher ses provisions de Grand Escuyer ; sa douleur luy faisoit tout oublier. A la fin, il y envoya.
La
rŽponse
fut d'abord embarrassŽe, puis suivie de la dŽclaration du comte d'Harcourt. On peut juger si ces choses sont de nature ˆ estre rŽtractŽes. Celle cy subsista donc. Le Duc, outrŽ du tort qu'il recevoit, envoya appeller le comte. Celuy cy estoit aussy brave que grand capitaine. Sa rŽputation, si establie, luy persuada qu'il pouvoit refuser le combat, et que ravir un office de la Couronne, et se battre encore pour cela, c'estoit trop.
La
Reine
leur envoya des gentilshommes pour demeurer auprs d'eux, et qui y demeurrent en effet jusqu'ˆ ce que Mr de Saint Simon, de dŽpit, s'en alla ˆ Blaye, et se dŽfit de ses charges de Premier Escuyer et de Grand Louvetier.
La
Reine
les fit tomber ˆ deux crŽatures ˆ elle. Outre que tout estoit devenu indiffŽrent ˆ Mr de Saint Simon, pourveu qu'il se dŽfist, il estoit ami du prŽsident Bailleul, et l'a mesme estŽ de son fils jusqu'ˆ la fin de sa vie. Le pre avoit estŽ maistre des requestes, ambassadeur en Savoye, prŽsident au Grand Conseil, puis lieutenant civil, enfin prŽsident ˆ mortier. De lˆ, il devint chancelier de la Reine, qui, six semaines aprs qu'elle fut RŽgente, le fit Ministre d'Estat et surintendant des finances. Ce fut donc ˆ son frre qu'il vendit la charge de Grand Louvetier. Il avoit estŽ maistre d'hostel du Roy, et servi ˆ la guerre. Il cŽda sa charge de Grand Louvetier, en 1651, ˆ son fils, qui, quatre ans aprs, la vendit au marquis de Saint Herem.
Pour celle de Premier Escuyer, en voicy l'histoire, que les mŽmoires et les histoires de ces temps lˆ ont conservŽe pour l'extraction et l'heureux hazard. Henry IV ayant presque rŽduit la Ligue, et passant puis en Normandie, s'arresta chŽs un gentilhomme sur son chemin, par hazard, pour faire repaistre une heure. Le gentilhomme le pressa de luy faire l'honneur de luy permettre de luy prŽsenter un morceau de ce qui seroit le plus tost prest. Le Roy l'accepta, et cependant, se promena par tout le logis. Il entra dans une espce de salle d'armes o il y avoit plusieurs mousquets et fusils, qu'il trouva d'une singulire propretŽ. Le Roy, qui estoit curieux en armes, les examina pour s'amuser, en attendant le disner, et se rŽcrioit, ˆ chaque pice, sur le poli, le luisant, la propretŽ dont elle estoit tenue. A force d'admirer, le Roy luy demanda qui en avoit soin. Le gentilhomme luy dit que c'estoit un Hollandois nommŽ Beringhen, qu'il avoit depuis quelque temps ˆ son service. Ç Vous estes bien heureux, repartit vivement le Roy, d'avoir un homme si propre, si soigneux et si entendu. Que je le voye, je vous en prie, ce Hollandois ! je n'ai de ma vie pu trouver personne qui tint mes armes approchant de celles lˆ ; et si, toute ma vie, j'en ay cherchŽ. È Beringhen arrive ; le Roy le questionne sur sa manire de nettoyer ces armes et de les entretenir comme il les voyoit. Le Hollandois, qui estoit jeune, ne s'embarrassa point, et par lˆ, plut tellement ˆ Henry IV, qu'il se rŽcria encore au gentilhomme qu'il estoit bien heureux d'avoir cet homme lˆ, et que, pour luy, il en voudroit bien avoir un pareil, mais sans espŽrer le trouver. Sur cela, le gentilhomme le luy offre. Le Roy avec bontŽ refuse, et dit qu'il ne veut pas l'en priver, et si mal payer son escot. Redoublement de combat ; ce qu'il y avoit autour du Roy, qui voyoit qu'il en mouroit d'envie, se joint au gentilhomme pour l'en presser ; enfin le Roy l'accepte.
Le Hollandois avoit de l'esprit, et fit si bien que, du soin des armes d'Henry IV, il devint un de ses premiers valets de chambre. Il acquit du bien, espousa Magdeleine Bruneau, qui aparamment estoit riche, achepta Armainvilliers, en Brie, et laissa son fils premier valet de chambre de Louis XIII ; et c'est de luy qu'on va parler. NŽ par son esprit pour mieux, il se mesla dans beaucoup d'intrigues, et s'attacha ˆ celle qui luy rirent le mieux. L'estat de la santŽ du Roy et l'aage du Dauphin luy persuadrent que le meilleur parti pour luy estoit de se livrer ˆ la Reine. Il le fit en entier, et y courut plus d'une fois risque de toute sa petite fortune, tant qu'ˆ la fin il fut non seulement chassŽ, mais il s'enfuit aux Pays Bas, o, pour l'amour de la Reine, les Espagnols luy donnrent asyle. Il ne se trompa pas ; ce fut semer pour recueillir.
Si tost que la Reine se vit la maistresse, elle le manda, et il accourut de Bruxelles, o il estoit. De premier valet de chambre ˆ Premier Escuyer, le sault estoit un peu fort ; aussy la Reine temporisa t'elle. Mr de Saint Simon, outrŽ de la charge de Grand Escuyer, ne vouloit plus ou•r parler de la sienne de Premier Escuyer, quoyque sans dŽpendance ny rien de commun avec l'autre, et sur ce pied lˆ ds le temps d'Henry III, que Mr de Liancourt, pre du Duc, l'avoit. Il la vouloit vendre ˆ quiconque, mais la Reine trouvoit toujours moyen d'Žluder. Il revint de Blaye pour tascher ˆ conclure avec quelqu'un, et s'en retourna sans l'avoir pu. Enfin, en aoust 1645, la Reine crut la distance suffisante, et fit traiter avec Mr de Saint Simon de manire ˆ luy faire entendre qu'il falloit ou vendre ˆ Beringhen, ou se rŽsoudre ˆ garder sa charge. Il crut au moins en tirer gros d'un tel achepteur, mais la Reine fit la faveur entire, ne voulut pas au delˆ de 400 000 livres, et donna un brevet de pension au Duc de 30 000 livres, dont, ˆ la vŽritŽ, il ne fut jamais payŽ que la premire annŽe.
Beringhen, favori important, riche et Premier Escuyer, espousa, en 1646, la sÏur du marquis d'Huxelles, dont le pre estoit mort en 1629 au sige de Privas, et la mre en 1641, qui estoit fille de Mr Phelypeaux d'Herbault, trŽsorier de l'Espargne. Le marquis d'Huxelles, qui n'avoit pas vingt sept ans, mais beaucoup d'ambition, et qui se sentoit des talents, fut bien aise de faire un mariage qui aidast ˆ sa fortune, et en effet il avoit un brevet de chevalier du Saint Esprit et un autre de Mareschal de France lorsqu'il fut tuŽ en aoust 1658, au sige de Gravelines. C'est le pre du Mareschal d'Huxelles, qui fut plus heureux que luy, encore par Beringhen fils, qui luy valut la protection toute puissante de Mr de Louvois et de Barbezieux ; aprs quoy, aidŽ de Beringhen, il seut arriver par luy mesme, et estant mort sans avoir estŽ mariŽ, il a donnŽ tout ce qu'il avoit, et il avoit beaucoup, au fils du mesme Beringhen, Premier Escuyer et chevalier du Saint Esprit aprs son pre et son grand pre.
Mais, pour revenir au premier des trois, il a seu passer sa vie dans la faveur, et une longue vieillesse dans une retraite, dans sa maison ˆ Paris, qui luy a fait un grand honneur. Il avoit eu le surprenant bonheur de marier son fils, avec sa charge, ˆ une fille du Duc d'Aumont et de la sÏur de Mr de Louvois. La meilleure compagnie et la plus distinguŽe de la Cour et de la ville se picquoit de l'aller voir, et toutes les fois que, trs rarement, il alloit faire sa cour, c'estoit toujours avec une distinction trs marquŽe. Une fois, entre autres, le Roy, engouŽ de Versailles, qu'il rendoit chaque jour plus somptueux, voulut mener ce vieillard dans ses jardins et dans les plus beaux appartements. Le bonhomme suivoit, et ne disoit mot. A la fin, le Roy luy demanda ce qu'il luy en sembloit. Il hŽsita. Le Roy l'asseura qu'il pouvoit parler librement. Ç Je diray donc, Sire, puisque vous me le commandŽs, que Versailles est un favori sans mŽrite È. Le Roy fut plus qu'estonnŽ, mais ne l'en aima pas moins, et l'en estima peut estre davantage. Sur les fins, n'allant plus ˆ la Cour depuis plusieures annŽes, Messeigneurs les Ducs de Bourgogne et d'Anjou allant voir quelques curiositŽs ˆ Paris, le Roy ordonna au Duc de Beauvillier, leur gouverneur, de les mener chŽs Beringhen, qu'il voulut qui les vist par amitiŽ, et qu'il voulut, par estime, que ces Princes l'eussent veu.
Puisqu'on en a tant dit, encore une bagatelle qui monstre bien la diffŽrence des temps. Sa belle fille rencontra sur le midy, dans une rue longue et fort estroite, vers l'Žchelle du Temple, au Marais, la Duchesse de Brissac Saint Simon, teste pour teste, chacune dans leur carrosse, et alors, ny longues annŽes depuis, on ne connoissoit point, surtout les femmes, les carrosses sans armes et sans marques, qui en pouvoit avoir, ny les gens sans livrŽes. Les voilˆ donc timon ˆ timon et ˆ qui reculeroit, car de place ˆ costŽ, ny mesme ˆ tourner, aucune. Madame de Beringhen ˆ crier que le carosse du Roy et ses livrŽes ne reculoit pour personne ; Madame de Brissac, qu'il s'agissoit des gens, et non des carrosses et des livrŽes, et que c'estoit ˆ Madame de Beringhen ˆ luy cŽder. Madame de Beringhen en convint de personne ˆ personne, mais elle maintint toujours que l'Žquipage l'emportoit. Ce beau et sage dialogue de ces deux jeunes femmes finit par dŽfendre aux cochers de reculer, et leurs gens de se battre, et se rŽsoudre ˆ rester lˆ, ˆ qui useroit la patience de l'autre. Midi sonne ; un heure, deux heures. Les dames envoyent chercher de petits pains au premier boulanger, rŽsolues de coucher lˆ. A la fin, un valet de pied, plus sage qu'elles, sans dire mot, s'en va au bonhomme Beringhen, qui estoit en peine de ne voir point revenir sa belle fille, et luy conte la belle aventure o ces deux femmes s'estoient engagŽes.
Aussytost le bonhomme demande son carrosse et s'y en va luy mesme, met pied ˆ terre au bout de la rue, et va droit au cocher du Roy, le baston haut, le frappe et le fait reculer. Sa belle fille, surprise au dernier point de voir lˆ naistre son beau pre, qui ne sortoit presque plus de chŽs luy, crie que le cocher n'a aucun tort, que c'est elle qui luy a dŽfendu de reculer. Le bonhomme ne fait pas semblant d'entendre, et frappe de plus belle, injurie le cocher, dit qu'il luy apprendra bien ˆ faire manquer sa belle fille au respect qu'elle doit ˆ Madame la duchesse de Brissac, et le fait reculer fort loin ; puis, quand il l'a laissŽ en train, et avec ordre de gaigner le bout de la rue ainsy, ˆ reculons, et le tout sans avoir dit ny rŽpondu un seul mot ˆ sa belle fille, qui crevoit de rage dans ce carrosse, il va ˆ la portire de Madame de Brissac, luy fait toutes les excuses du monde, et ne la voulut jamais quitter qu'elle n'eust avancŽ et ne fust en est‰t de sortir par le mesme bout de la rue par o sa belle fille avoit reculŽ. Cette sottise, qui fit grand bruit dans le monde et qui le fit rire, fit grand honneur au vieux Beringhen. Il mourut avec toute sa teste et presque toute sa santŽ, et sa considŽration entire, ˆ quatre vingt neuf ans, chŽs luy, ˆ Paris, au milieu de sa famille, 30 avril 1692, sans avoir jamais quittŽ l'habit de son temps, c'est ˆ dire le pourpoint et le manteau, le rabat, les roses aux souliers et aux jarretires, et son cordon bleu au col, comme le portent les prŽlats, qu'il avoit eu en 1661.
Les
troubles
qui agitrent l'Estat donnrent lieu ˆ beaucoup de gens de se faire valoir, et ˆ beaucoup d'autres d'y chercher leurs avantages. La durŽe des premiers ne fut pas longue, par l'union de Monsieur et de Mr le Prince avec la Cour, qui la ramena ˆ Paris en aoust 1649, aprs avoir durŽ deux ans ; mais il arriva que ce service, mis ˆ un trop haut prix, au grŽ du Cardinal Mazzarin, par Mr le Prince, en attira de nouveaux en les brouillant ensemble. Mr le Prince fut arrestŽ avec Mr le Prince de Conti, son frre, et le Duc de Longueville, leur beau frre, le 18 janvier 1650, comme ils estoient au Palais Royal pour le Conseil ; et en mesme temps, les deux Princesses de CondŽ eurent ordre de se retirer ˆ Chantilly, puis en Berry. Madame de Longueville s'enfuit en Normandie, puis, par mer, aux Pa•s Bas. Madame la Princesse douairire, en l'absence de la Cour, vint ˆ Paris, et alla au Parlement implorer le secours de cette compagnie pour Messieurs ses enfans ; puis, obligŽe de sortir de Paris par les ordres reitŽrŽs de la Cour, elle se retira ˆ Chastillon sur Loing, chez la Duchesse de Chastillon, depuis Duchesse de Mecklbourg, sÏur de Boutteville, depuis Mareschal de Luxembourg, o elle mourut le 2 dŽcembre la mesme annŽe, ˆ cinquante sept ans.
Madame
sa
belle fille, aprs avoir estŽ quelque temps en Berry, gaigna Bordeaux avec les Ducs de la Rochefoucauld et de Bouillon, o ils firent rŽvolter la ville et partie de la province, tandis qu'ils envoyrent implorer le secours d'Espagne jusque dans Madrid, et que, Mr de Turenne soutenoit leur parti avec Madame de Longueville, ˆ Stenay. Les mŽmoires de Lesnet dŽcrivent trs bien tous ces mouvements ; mais sa passion pour son parti, et la mesme raison dans Mr de la Rochefoucauld, ont trompŽ Lesnet et ce Duc, pour en parler modŽrŽment, sur Mr de Saint Simon, ce qui fit, dans la suite, une grande affaire entre eux, dont on parlera en son temps.
Mr
le Prince et ses deux compagnons de prison en furent dŽlivrŽs par le Cardinal Mazzarin en personne, mais peu rŽconciliŽs avec luy, qui, unis ˆ Monsieur et ˆ un grand parti [sic], le Cardinal fut contraint de sortir du Royaume. Mr le Prince, ˆ qui on avoit fait Žchanger la Bourgogne pour la Guyenne avec Mr d'Espernon, fort brouillŽ avec le Parlement de Bordeaux et une partie de la province, s'y retira, y fit un grand parti, puis traversa dŽguisŽ tout le Royaume, luy quatre ou cinquime, avec Mr de la Rochefoucauld pre et fils, et arriva ˆ Saint Cloud ; d'o suivit, en juillet 1652, le combat de la porte de Saint Antoine ˆ Paris et la retraite de Mr le Prince en Flandres jusqu'ˆ la paix des PyrŽnŽes, en 1660.
Le
Duc de Saint Simon estoit, dans tous ces temps lˆ, en son gouvernement de Blaye, extrmement mŽcontent de la Cour, et sur le vol de la charge de Grand Escuyer, et sur le marchŽ qu'on luy avoit fait faire de sa charge de Premier Escuyer. A ces sujets capitaux, il s'en joignoit bien d'autres moindres d'un favory peu accoustumŽ ˆ la dŽfaveur. On a veu sa liaison intime avec Mr le Prince, et sa source, qui dura jusqu'ˆ sa mort, et qui s'estendit ˆ Mr le Prince son fils, qui fit une si Žclatante figure. Elle s'accrut encore par le mariage de Mr de Saint Simon avec la cousine germaine de la mre de Mr le Prince, enfants du frre et de la sÏur. On voit dans les mŽmoires de Lesnet qu'au commencement de la prison de Mr le Prince [sic], tout ce qui se pratiqua pour engager le marquis de Saint Simon, qui estoit lors ˆ Paris, ˆ donner la main ˆ Madame la Princesse douairire ˆ l'entrŽe du Parlement, qu'il y consentit et l'exŽcuta, et les espŽrances et les soins que Lesnet et d'autres se donnrent pour tourner cette marque d'attachement ˆ engagement, et par lˆ y entraisner le Duc son frre, avec lequel il avoit une grande crŽance. De toutes ces choses, il n'en arriva aucune.
Le
marquis
de Saint Simon, voyant Madame la Princesse, dans ces premiers moments, abandonnŽe de tout le monde, ne crut pas manquer ˆ son devoir de sujet de remplir celuy d'ami et d'alliŽ si proche, et, cela fait, s'en tint lˆ, et ne put estre ŽbranlŽ.
Le
Duc, son frre, sur lequel ils avoient comptŽ, et comme outrŽ contre la Cour, et comme liŽ ˆ Mr le Prince par tant de puissantes chaisnes, n'en connut aucune autre que celle de sa reconnoissance pour la mŽmoire du feu Roy et de son devoir envers l'Estat et la Couronne. Il n'y eut rien que Mr le Prince, aprs Madame la Princesse, et Madame de Longueville dans la suite, ne tentassent pour l'engager ˆ eux. Ils avoient grande raison, parce qu'en la posture o Mr le Prince s'estoit mis en Guyenne, s'il eust eu Blaye pour luy, il partageoit la France ˆ la rivire de Loire.
L'Espagne
agit
de son costŽ ; les promesses ne furent pas ŽpargnŽes, non plus que les actuelles rŽalitŽs offertes. Tout fut mŽprisŽ. Jamais Mr le Prince ny Madame de Longueville ne le purent engager mesme ˆ une entrevue, dont ils luy laissoient la disposition des seuretŽs et du lieu. Le Roi d'Espagne y envoya une seconde fois. Alors le Duc de Saint Simon assembla ce qu'il y avoit de principal ˆ Blaye, et, dans cette assemblŽe, il vit le gentilhomme que le Roy d'Espagne luy envoyoit, qui se trouva bien estonnŽ de toute cette compagnie. Mr de Saint Simon luy dit que, pour la premire fois, il n'avoit voulu ny voir ny entendre celuy qui estoit venu de la part du Roy d'Espagne vers luy ; que, pour celle cy, il se croiroit coupable de ne le pas voir en prŽsence de la meilleure compagnie qu'il avoit pu rassembler, non pas pour l'Žcouter, mais pour luy dire que le seul respect qui estoit toujours deu aux testes couronnŽes, et plus encore au Roy d'Espagne, si proche du nostre, l'empeschoit de le faire jetter publiquement dans la Gironde pour apprendre aux autres ˆ venir taster la fidelitŽ d'un homme de bien ; qu'il eust ˆ partir sur l'heure, et qu'il protestoit que, s'il en revenoit un troisime, il luy feroit essuyer le traitement qu'il mŽritoit et qu'il luy vouloit bien Žpargner. On peut croire que la nŽgociation fut finie avant d'avoir commencŽ, et que l'envoyŽ n'eut rien de plus pressŽ que de gaigner pais, et qu'il n'en revint plus.
Mr
le Prince, et tout son parti, en fut d'autant plus outrŽ que, comme on l'a dit, la consŽquence estoit infinie pour luy, et qu'au lieu de partager le Royaume ˆ la Loire, comme il auroit fait avec Blaye, il ne put pas mesme, sans Blaye, soustenir utilement la Guyenne ; et c'est ce qui luy fit prendre le parti de ce pŽrilleux voyage dont on vient de parler. Mr de Saint Simon, bloquŽ dix huit mois dans Blaye, y entretint la garnison ˆ ses dŽpens, l'habilla, leva des troupes du sien, et entretint de mesme cinq cents gentilshommes qui l'estoient venu joindre, sans avoir jamais pris quoy que ce soit ˆ personne, ny sur le pa•s. Il y estoit extrmement aimŽ et considŽrŽ, et il estoit averti si ˆ point nommŽ, de Bordeaux, de ce qui se passoit de plus secret, et dans la ville et dans le conseil du parti de Mr le Prince, et dans le Parlement, si bien encore de ce qui se passoit et se projettoit dans la ville et dans la province, que, par ses troupes, ou par les avis qu'il donnoit ˆ ceux qui servoient le Roy, il dŽconcerta toujours le parti opposŽ et rompit toutes ses mesures. Il avoit encore aprovisionnŽ sa place ˆ ses frais, et de bouche et de guerre, et fait fondre du canon ; et il luy en cousta plus de deux cent mil escus, qu'il emprunta de tous les costŽs, et dont il fit rŽpondre sa femme.
La
Cour vint en Poitou, o le Cardinal Mazzarin la rejoignit de son exil, puis en Guyenne. Lˆ, elle sentit la grandeur du service du Duc de Saint Simon, et jusqu'ˆ quel point la continuation de sa fidŽlitŽ estoit importante. Elle ne sentit pas moins combien, personnellement, elle la mŽritoit peu, et elle s'inquiŽta de ce qu'au moins il ne faisoit pas valoir ce service dans les conjonctures si dŽlicates d'attachement, de liaison d'amitiŽ, de parentŽ la plus proche d'une part, et d'excs de trop juste mŽcontentement de l'autre. Ce silence et cette conduite droite, ferme, unie, la dŽtermina.
La
Reine,
le Cardinal Mazzarin, et par eux, le Roy, escrivirent au Duc de Saint Simon les lettres de louanges et de remerciements les plus flatteuses, pour ne rien dire de plus fort, et les luy envoyrent par le marquis de Saint MŽgrin, qu'ils choisirent pour sa probitŽ et parce qu'il estoit ami du Duc de Saint Simon, et luy donnrent de plus une lettre de crŽance. On expliquera aprs qui estoit ce marquis de Saint MŽgrin. Aprs avoir rendu les lettres dont il estoit chargŽ, il tira sa lettre de crŽance et l'expliqua. Ce fut l'offre ˆ Mr de Saint Simon du rang de Prince comme on venoit de le donner ˆ Mr de Bouillon, un baston de Mareschal de France, ou toute autre chose grande qu'il aimeroit le mieux, avec tout ce qu'on pourroit d'argent dans un temps o la Cour n'en avoit gures.
Mr
de Saint Simon, sans s'Žmouvoir, rŽpondit par un refus net et prŽcis de tout, et ajousta qu'il ne se dŽshonoreroit pas en donnant lieu de croire que ces gr‰ces n'estoient pas des rŽcompenses gratuites de sa fidŽlitŽ et de ses services, mais le prix qu'il les avoit fait achepter. Mr de Saint MŽgrin admira ce prodige de gŽnŽrositŽ et de dŽlicatesse, puis l'exhorta ˆ recevoir ce qu'on luy vouloit donner sans qu'il y eut la moindre part, et ˆ se contenter de ce tesmoignage de sa conscience, soutenu du seu du Roy, de la Reine, du Cardinal et de tout le ministre, et ajousta que, l'occasion manquŽe, il n'y reviendroit jamais. Mr de Saint Simon sourit, et luy demanda si, ˆ l'expŽrience qu'il avoit des Cours, il croyoit le luy apprendre, et ajousta qu'il y comptoit parfaitement, mais qu'il demeureroit pur et ˆ ses yeux et aux yeux les plus malins, ce qu'il estimoit plus que toutes les fortunes. Saint MŽgrin y demeura trois jours, dans l'espŽrance de luy faire accepter quelque chose, et se tourna enfin au manque de respect de refuser les gr‰ces de son Roy. A cela aussy peu accessible qu'aux autres raisons, le Duc rŽpondit que, dans un temps o on n'auroit pas un besoin essentiel de luy, il ne luy entreroit jamais dans l'esprit de ne pas accepter avec joye les gr‰ces qui luy seroient offertes par le Roy, et qu'il le prioit de l'en bien asseurer, et la Reine, sans toutesfois rien faire entendre qu'il dŽsirast s'en assurer pour lors, parce que, ny au temps prŽsent de besoin de ses services et de sa fidŽlitŽ, ny pour un temps ˆ venir, il ne souilleroit point son honneur de cette tache qu'il se fust fait achepter par le fils et la veuve d'un maistre ˆ qui il devoit tout.
Ce
fut tout ce que Saint MŽgrin en put tirer. Mr de Saint Simon luy remit ses rŽponses au Roy, ˆ la Reine et au Cardinal. La premire estoit, en deux mots, pleine d'attachement, de soumission et de respect ; la seconde marquoit courtement et hautement qu'il n'y avoit ny injustices, ny sujets de mŽcontentement, pour grands et justes qu'ils fussent, qui pussent balancer sa fidŽlitŽ au fils et ˆ la veuve de son maistre, sans ajouster rien qui adoucist la clartŽ de cette nette expression ; la troisime fut une rŽponse toute pure de compliment, et comme ˆ un homme dont il se soucioit peu d'en avoir reeu, parce qu'il ne luy avoit pas donnŽ lieu de l'aimer depuis son Premier Ministre.
L'intŽrieur
de
la Cour admira, et la Reine et le Cardinal furent doublement satisfaits de se voir de plus en plus parfaitement asseurŽs de Mr de Saint Simon et de n'avoir ˆ luy rien donner ; peut-estre mesme s'en mocqurent-ils ensemble. L'avis de Saint MŽgrin se trouva vŽritable. Le pŽril passŽ, il ne fut plus question de rien pour le Duc de Saint Simon, et luy aussy se garda bien de faire souvenir de ce qu'il avoit fait, ny de songer ˆ demander la moindre chose. Il demeura chargŽ de debtes toute sa vie, et de billets de l'Espargne, dont Mr Foucquet alloit entrer en payement quand il fut arrestŽ, mais dont, ny avant, ny depuis, Mr de Saint Simon n'a jamais tirŽ quoy que ce soit.
Mais
voicy
la contre partie. Le comte d'Harcourt commandoit, sous les yeux de la Cour, l'armŽe du Roy en Guyenne. Un beau matin, il s'Žclypsa, gaigna l'Alsace et Brisac, qu'il ne tint pas ˆ luy qu'il ne fist rŽvolter et qu'il ne s'en fist souverain, pour la joindre aprs luy ˆ la Lorraine. L'issue de cette double trahison fut qu'ayant manquŽ le principal de son coup, la crainte qu'il ne se cantonnast et ne donnast encore beaucoup de peine fit son accomodement. On luy donna plusieurs domaines du Roy en patrimoine et le gouvernement d'Anjou, qu'on mit pour lui sur le pied des grands gouvernements.
Telles
furent
les conduites de celuy ˆ qui la charge de Grand Escuyer fut dŽrobŽe, et de celuy ˆ qui on la donna ; telles furent leurs rŽcompenses. Le Roy pourtant, tout enfant qu'il estoit, n'a jamais oubliŽ ce service, quoyqu'il ne l'ayt jamais rŽcompensŽ. Il traita toute sa vie le Duc de Saint Simon sans familiaritŽ et sans gr‰ces, mais avec une considŽration distinguŽe en tout ; et luy qui fut si jaloux, et plus encore ses ministres, de toute autre autoritŽ immŽdiate, il la conserva si entire ˆ Mr de Saint Simon ˆ Blaye, que, tant qu'il vescut, il y fut tellement le maistre, et mesme sans y estre, que non seulement ses ordres y estoient seuls reconnus pour tout, mais que, si quelqu'un de l'Žtat major mouroit, la disposition luy en estoit laissŽe, et si quelqu'un d'eux luy dŽplaisoit, sans autre raison, il l'ostoit, et mettoit qui il vouloit en sa place, et le Roy ne refusoit jamais de le pourvoir ; et, dans une maladie o on le crut mort, ˆ la fin de sa vie, estant ˆ Blaye, et dont il revint, ce gouvernement ayant estŽ demandŽ au Roy, il le trouva mauvais, et demanda ˆ d'Aubigny, frre de Madame de Maintenon, qui l'en pressoit, si Mr de Saint Simon n'avoit pas un fils, qui alors n'avoit que quinze ou seize ans.
Mr
le Prince n'oublia non plus, de sa vie, de s'estre mŽcomptŽ en espŽrant mettre ce Duc dans son parti. Ces Princes oublient aisŽment les services, et celuy lˆ en fut fort accusŽ dans tous les temps ; mais pour les mŽcontentements qu'ils prennent, quelque injustement que ce soit, ils ne s'effacent jamais. Celui cy passa jusqu'ˆ sa postŽritŽ la plus reculŽe, avec une singulire attention, quoyqu'elle paroisse peu ˆ portŽe d'aucune faon d'en Žprouver de mesme genre.
On
a promis plus haut de dire un mot du marquis de Saint MŽgrin, pour ne nŽgliger pas les curiositŽs de toutes les sortes qui se prŽsentent. Il s'appelloit Jacques d'Esthuert ou Stuert, dit de Caussade, parce que la Maison de Caussade estant fondue dans la sienne, elle fut obligŽe de joindre le nom et les armes de Caussade ˆ ceux de Stuert, et Stuert est une seigneurie dans le DuchŽ de Rohan, en Bretagne. Jacques fut marquis de Saint MŽgrin et comte de la Vauguyon, Grand Seneschal de Guyenne, capitaine des chevaux-lŽgers de la garde, chevalier du Saint Esprit, 1661, et le cinquante cinquime de la promotion, qui fut de soixante trois. Son pre estoit Louis, lieutenant gŽnŽral des armŽes du Roy et capitaine de cinquante hommes d'armes des ordonnances ; et sa mre, Diane d'Escars, Princesse de Carency, mariŽe en premires nopces au comte de Maure, dont elle n'eut qu'une fille, qui porta le comtŽ de Maure dans la maison de Rochechouart Mortemart. Or Diane d'Escars estoit fille de J. d'Escars qui eut des emplois considŽrables, pour qui la Vauguyon fut ŽrigŽ en comtŽ en 1586, par Henry III, qui le fit chevalier du Saint Esprit, le onzime de la premire promotion ; et ce J. d'Escars estoit fils de Franois d'Escars, qui eut aussy de grands emplois sous Franois I, et d'Isabeau, fille et hŽritire de Charles de Bourbon, Prince de Carency en Artois, laquelle vit esteindre cette branche.
Ainsy
Mr
de Saint MŽgrin dont on parle icy, estoit, par sa mre, petit fils de J. d'Escars, fils de l'hŽritire de Bourbon Carency, ˆ qui on reviendra ensuite. Mr de Saint MŽgrin eut un fils et une fille de la fille du Mareschal de Roquelaure, et prit assez tard le nom de comte de la Vauguyon, pour laisser le nom de Saint-MŽgrin ˆ son fils, qui, dans une grande jeunesse, monstra du mŽrite, et devint le favori de la Reine et du Cardinal Mazzarin. Il estoit colonel d'un rŽgiment d'infanterie et d'un de cavalerie, capitaine des chevaux lŽgers de la garde par dŽmission de son pre, et de ceux de la Reine ; avoit commandŽ une armŽe en chef en Catalogne ; et fut tuŽ, ˆ trente six ans, au combat de la porte Saint Antoine, 2 juillet 1652, amrement regrettŽ de la Reine et du Cardinal Mazzarin, qui le firent enterrer dans l'Žglise de l'abbaye de Saint Denis ; et le petit Mancini, neveu du Cardinal, qui mourut d'accident encore au collge, qui promettoit beaucoup, et que son oncle aimoit extrmement, eut les chevaux lŽgers de la garde, et Mr de Navailles aprs luy, l'annŽe suivante. Ce jeune favori laissa un seul fils, qui mourut ˆ sept ou huit ans, et sa veuve, Anne Le Ferron, se remaria au Duc de Chaulnes, qui eut les chevaux lŽgers ˆ la disgr‰ce de Mr et de Madame de Navailles, en 1666, et qui fut depuis ambassadeur ˆ Aix la Chapelle et plusieures fois ˆ Rome, et gouverneur de Bretagne, qu'il Žchangea, malgrŽ luy, avec Mr le comte de Tolose, pour la Guyenne, et en mourut de douleur, comme on l'a veu titre de
Chaulnes [tome VI, page 51].
La
sÏur unique de Mr de Saint MŽgrin, tuŽ ˆ la bataille de Saint Antoine, espousa, en 1655, BarthŽlemy de Quelen, comte du Broutay, mareschal de camp, colonel du rŽgiment de Navarre, et qui avoit eu les chevaux lŽgers de la Reine, lequel fut tuŽ au sige de Tournay ; en 1667, et au mois de janvier suivant, sa veuve se remaria ˆ AndrŽ de BŽthoulat, seigneur de Fromenteau, dont Madame de Beauvais, premire femme de chambre de la Reine mre si accrŽditŽe, devint amoureuse et fit la fortune, qu'il acheva aprs. C'estoit un trs petit gentilhomme, sans un sol, qui fut employŽ en Allemagne, dans le Nord, et enfin ambassadeur en Savoye, en Espagne, conseiller d'Estat d'espŽe, chevalier du Saint Esprit, 1688, qui se tua de deux coups de pistolet, dans son lit, ˆ Paris, le matin du 29 novembre 1695, ˆ soixante quatre ans, aprs avoir donnŽ plusieures marques Žclatantes de folie depuis deux ou trois ans. Il n'eut point d'enfans de sa femme, qui estoit morte un mois juste avant luy, au chasteau de Saint MŽgrin, ˆ plus de quatre vingts ans. De son premier mari, elle avoit eu un fils, Nicolas de Quelen, comte de la Vauguyon et, du Broutay, marquis de Saint MŽgrin, mort ˆ Versailles, 8 janvier 1725, o pourtant il n'estoit presque jamais venu, et, de Magdeleine de Busset, des bastards de Bourbon, il a laissŽ un fils qui s'appelle le comte de la Vauguyon, qui a un rŽgiment, et qui a espousŽ une fille du Duc de BŽthune en 1734.
Luy,
ou son pre, a imaginŽ une couronne toute singulire, qu'il porte ˆ ses armes : ce sont une et deux demies fleurs de lys, et des perles entre deux. On ne sait d'o ces fleurs de lys ˆ sa couronne, puisque, outre qu'il n'est point de la Maison de sa mre, cette Maison est bastarde de Bourbon et n'a pas droit de fleurdeliser sa couronne. S'il tire cette chimre de l'hŽritire de Bourbon Carency, c'est de bien loin et par de longs destours, puisqu'elle a estŽ mariŽe dans la Maison de Perusse Escars, une Escars, sa petite fille, dans Esthuert, et une Esthuert, petite fille de cette Escars, au grand pre de ce comte de la Vauguyon gendre du Duc de BŽthune. Mais, quand il seroit propre fils de l'hŽritire de Bourbon Carency, on n'a jamais veu qu'une Princesse du Sang, mariŽe ˆ un seigneur, communiquast autre chose ˆ ses enfans que le grand lustre de son alliance, mais jamais de marques d'honneurs, de rang, ny la moindre prŽtention ˆ pas une de ces choses, dans le grand nombre de Maisons o il est entrŽ des Princesses du Sang.
Ce
qu'il
y a icy de plus rare, c'est que cette branche de Bourbon Carency n'a jamais estŽ rŽputŽe ny traitŽe comme Princes du Sang, depuis Jean de Bourbon, chambellan de Charles VI, troisime fils de Jean de Bourbon, comte de la Marche, et de Catherine, comtesse de Vendosme, et frre cadet de Jacques de Bourbon, comte de la Marche, qui n'eut qu'une fille unique mariŽe ˆ Bernard d'Armagnac, comte de Pardiac et par elle Duc de Nemours, et de Louis de Bourbon, comte de Vendosme, tige de la Maison Royale aujourd'huy rŽgnante.
Ce
Jean de Bourbon, Prince de Carency, leur troisime frre, n'eut point d'enfans de Catherine d'Artois, sa premire femme, et en avoit fait plusieurs ˆ Jeanne, fille d'Hamelin de Vendosmois et d'Alix de BessŽ, du vivant de Gervais Roussart, son mari, aprs la mort duquel il l'espousa, sans bans et en secret, par permission de l'official du Mans, du 3 septembre 1420, au curŽ de Savigne sur Bray, de les marier, mesme hors de l'Žglise. Eugne IV valida, en 1438, ce mariage dŽjˆ consommŽ, et lŽgitima les enfans nŽs avant le mariage mesme et pendant la vie du premier mari. La sÏur du Prince de Carency, veuve de Jean des Croix, et Jacques d'Armagnac, fils de la fille du comte de la Marche, frre aisnŽ du Prince de Carency, contestrent l'estat de ces enfans. Ils s'accomodrent ; mais aucun de ces enfans ne fut reconnu pour seigneur du Sang, comme on parloit alors. Un seul des quatre eut un fils, mariŽ trois fois, qui n'eut point d'enfans de ses deux premires femmes, et qui, de Marie d'Alegre, qui fut la troisiesme, eut deux fils, morts sans alliance, une fille de mesme, et Isabelle, qui fut son unique hŽritire, qui espousa Franois d'Escars, comme on le voit cy dessus. Mais voilˆ une digression trop longue. Retournons au Duc de Saint Simon.
Il
estoit
ˆ Blaye lors du sacre de Louis XIV, et n'y put mesme venir servir de Pair ˆ cause des troubles de ces temps lˆ, et qu'on avoit besoin de luy en Guyenne. On a veu mesme, titres d'Espernon, et d'ElbÏuf, et de Roannois Gouffier, [tome VII, page 202], par le destail des Pairs vivans alors, la rŽduction o on fut, faute de Pairs prŽsents, d'y faire servir de Pairs ce qui, ˆ leur dŽfaut, y ressembloit le plus.
Le
marquis
de Saint Simon estoit ˆ Paris, et, comme un des plus anciens chevaliers du Saint Esprit, il fut nommŽ pour porter au sacre une des offrandes, qu'y portent toujours de simples chevaliers du Saint Esprit depuis l'institution de l'ordre. Peu de temps avant le sacre de Louis XV, on dŽbita, sans nom d'auteur, une relation du sacre de Louis XIV, o on mit tout ce qu'on voulut, et entre autres, o on se mŽprit exprs aux deux frres, et le Duc de Saint Simon y fut mis au lieu du marquis, comme ayant portŽ une des offrandes. Le Duc de Saint Simon dit la mŽprise ˆ Mr le Duc d'OrlŽans, qui ne parut pas faire aucun cas du livre qui paroissoit, et ˆ beaucoup d'autres, lorsque l'occasion s'offroit de parler de ce livre nouveau, que la curiositŽ de la mesme cŽrŽmonie assŽs prochaine avoit mis entre les mains de tout le monde. Mr de Saint Simon en demeura lˆ, et ne crut pas qu'il y eust autre chose que simple mŽprise dans ce petit livre, par quelque auteur peu instruit et qui avoit peut estre ignorŽ que son oncle eust existŽ, ny seu l'anciennetŽ de la Pairie de son pre, ny qu'on eust manquŽ de Pairs ˆ ce sacre, ny que Mr de Rouannois, etc, qui en servit, ne l'estoit pas.
Il
se trouva nŽantmoins que le livre estoit un guet ˆ pend pour tromper l'incurie et l'ignorance parfaite des Ducs, et celle du public. Dreux, Grand Maistre des CŽrŽmonies, avoit eu une prise fort indŽcente, ˆ Saint Denis, ˆ la pompe funbre de Louis XIV, sur le salut, avec les ducs d'Uzs, de Luynes et de Brissac, et qui, en toute occasion, se monstra plus que partial contre les Ducs, qui le laissoient faire. Le Cardinal du Bois estoit aussy picquŽ contre les Pairs, qui, plustost que de cŽder au Cardinal de Rohan et ˆ luy, lorsqu'en 1722 (sic), sortirent du Conseil de RŽgence lorsque ces Cardinaux y furent admis, et fit exiler le chancelier Daguesseau par la mesme raison ; en sorte qu'estant lors le maistre de tout, il n'est chose qu'il n'intervertist en ce sacre, au prŽjudice des Ducs, dont aucun, mesme de ceux que leurs charges y conduisoient, n'y voulut assister, exceptŽ le Premier Gentilhomme de la Chambre en annŽe, dont on ne put empescher la fonction, et le capitaine des gardes en quartier, qui ne put quitter la sienne. Mais le Mareschal de Tallard, Duc enregistrŽ, et qui vit son fils Pair sans avoir pu l'estre, comme on le verra ˆ son titre, fut nommŽ, comme chevalier du Saint Esprit, pour porter la premire offrande. Ou il ignora ce qu'il devoit ˆ sa dignitŽ de Duc, qui n'avoit jamais estŽ mise ˆ cette fonction, et mesme ˆ celle de Mareschal de France, ou il n'osa ne le pas oublier, de peur de se brouiller, et fit la fonction au grand scandale de tout le monde, dont il s'excusa ensuite comme il put.
Le
Cardinal
du Bois fut bientost aprs encore plus faschŽ. Il prŽtendit assister au lit de justice du..., et y prŽcŽder les Pairs ecclŽsiastiques. Mr de Tavannes, evesque comte de Chaalons, et depuis Archevesque de Rouen avec conservation de rang et d'honneurs, se trouvoit le seul ˆ Paris, et le Cardinal n'imaginoit pas que ce jeune prŽlat osast luy faire difficultŽ, ny aucun des la•cs l'y soustenir. Il s'en expliqua mesme, puis en parla avec lŽgeretŽ et sŽcuritŽ ˆ Mr de Chaalons. Celuy cy, avec toutes les mesures deues ˆ sa puissance, luy rŽpondit trs nŽgativement qu'il ne laisseroit point dŽgrader en luy une dignitŽ qui, surtout au Parlement, prŽcŽdoit toutes les autres, et que Louis XIV y avoit constamment maintenue contre la prŽtention formelle des Cardinaux de Bouillon, de Bonsy et autres de ce temps lˆ. Il en parla sur le mesme ton ˆ Mr le Duc d'OrlŽans, qui, luy mesme, depuis sa RŽgence, n'avoit point altŽrŽ cette dŽcision du feu Roy. Le Cardinal du Bois, en furie, menaa de jetter Mr de Chaalons en bas, s'il ne luy cŽdoit le rang, et Mr de Chaalons luy fit dire qu'il en tenteroit l'avanture, o, peut estre, il ne succomberoit pas. Deux jours aprs, le lit de justice se tint. Mr de Chaalons y arriva de bonne heure, et le Cardinal du Bois, ny pas un autre Cardinal, n'osa s'y prŽsenter.
Mr
de Saint Simon eut une affaire avec Mr de Vardes, et une autre avec Mr de la Rochefoucault, qu'il ne faut pas oublier. La premire eut une origine tout ˆ fait ridicule. Un parent de l'un jeta un dŽvolu sur le bŽnŽfice du parent de l'autre. Le procs devint vif ; chacun eut recours ˆ son parent, qui, au lieu de les accomoder, se brouillrent si bien que Mr le Prince prit leur parole. Longtemps aprs il la leur rendit, comme n'estant plus question de rien entre eux ; mais, au bout de quelques mois, le procs du dŽvolu, qu'on avoit aussy arrŽstŽ, se renouvela, et en mesme temps la querelle ; mais ils Žvitrent l'Žclat pour avoir plus aisŽment la commoditŽ de se battre.
Vardes,
le
plus jeune de beaucoup et le plus faschŽ, convint du lieu et de la manire, qui fut que sur les onze heures du matin, tous deux gaigneroient dans leur carrosse, avec chacun son second, le dernier bout de la rue Saint HonorŽ, alors presque dŽsert et point passant ; que le carrosse de Mr de Vardes se mettroit en estat de couper celuy de Mr de Saint Simon ; que, sur cela, les cochers s'attaqueroient ˆ coups de fouet, et que les maistres, prenant parti chacun pour le sien, mettroient pied ˆ terre et se battroient, en sorte que cela ne paroistroit qu'un rencontre tout fortuit et une querelle sur le champ.
Mr
de Saint Simon eut la prŽcaution d'aller voir le matin plusieurs magistrats du Parlement de ses amis, pour mieux monstrer qu'il n'avoit pas songŽ ˆ se battre, puis s'en alla faire sa cour, au Palais Royal, au Roy et ˆ la Reine. De lˆ, il proposa au Mareschal de Gramont d'aller faire quelques visites ensemble, et le Mareschal l'accepta. Descendant ensemble le degrŽ, le Duc fit semblant d'avoir oubliŽ quelque chose ˆ dire ˆ quelqu'un en haut, fit ses excuses au Mareschal, remonta, parla en effet ˆ ce qu'il rencontra, puis monta dans son carrosse, o il y avoit deux bonnes espŽes, car on n'en portoit point en ce temps lˆ, l'une pour luy, l'autre pour la Roque Saint Chamarant, qui commandoit son rŽgiment de cavalerie. La passe au colet des cochers s'exŽcuta comme ils en estoient convenus, au lieu et ˆ l'heure marquŽe, et le combat pareillement.
Le
bonheur
favorisa le Duc. Vardes, blessŽ au bras, fit un faux pas, tomba, et fut dŽsarmŽ. Mr de Saint Simon luy dit de demander la vie, ou qu'il le tueroit. Vardes rŽpondit qu'il estoit trop gŽnŽreux pour le tuer. Saint Simon dit qu'il le balafreroit ; l'autre luy rŽpondit encore la mesme chose : sur quoy, le Duc cassa l'espŽe de Vardes et alla sŽparer les deux seconds. Revenus ˆ Vardes, qui se trouvoit un peu mal, ils le firent monter dans le carosse du Duc de Saint Simon, qui se trouva le plus proche. Le Duc monta avec luy, et le ramena chez luy.
La
Duchesse
de Chastillon, depuis de Mecklbourg, qui logeoit lˆ tout contre, entendant le bruit des cochers, se mit ˆ la fenestre, et vit tranquillement le combat des maistres. Il ne fut pas longtemps sans faire grand bruit dans la ville. Les amis de chacun des deux accoururent chez eux. Le Roy et la Reine envoyrent chez le Duc de Saint Simon, ˆ qui ses prŽcautions de visites et de cour, le matin, avoient si bien rŽussy, qu'on n'imagina pas qu'il eust eu aucun dessein de se battre ; ce qui, joint ˆ la dŽposition des tesmoins de la querelle des cochers et de celuy de Mr de Vardes, qui avoit voulu couper l'autre, fit passer la chose pour une simple rencontre, mais Vardes pour l'agresseur.
Mr
de Saint Simon fut, ds l'aprs disnŽe, au cercle de la Reine, o il reeut de grands compliments, et o il apprit que Vardes avoit estŽ conduit ˆ la Bastille, o il fut six semaines ou deux mois. Cette distinction le picqua presque autant que son infortune, et il ne l'a jamais pardonnŽ qu'ˆ la mort. Mr de Saint Simon, dans ces temps lˆ souvent et longuement ˆ Blaye, Mr de Vardes ensuite disgraciŽ et exilŽ en Languedoc pendant prs de vingt-cinq ans, ne se trouvrent gures en mesmes lieux, mais ne se voyoient point, quand ils y estoient, et se saluoient froidement. Peu aprs le retour de Mr de Vardes ˆ Paris et ˆ la Cour, o jamais il ne fut bien, mesme alors, depuis sa disgr‰ce, il tomba dans une longue maladie dont il mourut ˆ Paris, 5 septembre 1688. A son retour, ny depuis, ils ne s'estoient point veus ; mais Mr de Vardes, plus mal, et songeant sŽrieusement ˆ sa conscience, fit prier le Duc de Saint Simon de vouloir bien l'aller voir. Il y fut, et le raccommodement fut tel qu'entre gens de qualitŽ braves et honnestes gens. Depuis ce jour lˆ, Mr de Saint Simon le visita souvent, jusqu'ˆ sa mort et en fut toujours receu avec ouverture.
L'autre
affaire
eut une origine plus sŽrieuse et plus importante, et cependant n'alla pas si loin. Si tost que les MŽmoires
de Mr de la Rochefoucauld commencrent ˆ paroistre, Mr de Saint-Simon fut averti qu'on y lisoit qu'il avoit donnŽ sa parole ˆ Mr le Prince pour Blaye, et qu'ensuite il luy en avoit manquŽ.
Tout
aussy
tost, il monte en carrosse, va chez le libraire, qui en avoit tirŽ encore un trs petit nombre d'exemplaires, en feuilleta un, trouva l'endroit, et mit en marge de sa main : Ç L'auteur en a menti È. Il en fit autant ˆ deux ou trois autres, et l'eust fait ˆ tous, si le libraire, qui s'en aperut, n'eut promptement soustrait ce qu'il en avoit, et n'eust protestŽ qu'il n'en avoit pas davantage de tirŽ.
Mr
de la Rochefoucauld fut promptement averti, et par le libraire, et par l'Žclat que fit le Duc de Saint Simon. La valeur ne manquoit ny au pre ny au fils, et l'un et l'autre en ont donnŽ plusieures marques, et en ont portŽ sur leur visage, l'un et l'autre, qui seroient glorieuses, s'ils les avoient reeŸes en combattant pour le Roy, et non contre leur devoir, au combat de Saint Antoine ; mais Mr de la Rochefoucauld, le pre, qui, aprs avoir estŽ le bouttefeu de son temps, estoit devenu le Caton de la France dans sa vieillesse, avec une grande considŽration et beaucoup d'amis que son esprit, son acquis, son mŽrite et la faveur naissante de son fils luy donnoient, n'estima pas devoir prendre l'affirmative sur une chose qui renouvelloit tout ce qu'il dŽsiroit ensevelir dans l'oubli.
Des
amis
communs se mirent entre deux ; on accusa le malentendu, l'imprimeur, ce que l'on put ; on reforma l'endroit ; on le laissa subsister en d'autres exemplaires, qu'on se garda bien de dŽbiter alors, et tout fut appaisŽ et estouffŽ. Mais il en fut comme de Mr de Vardes ; jamais Mr de Saint Simon et Mrs de la Rochefoucauld pre et fils ne furent amis. Les divers partis qu'ils avoient suivi [s] ne les avoient pas disposŽs de longue main ˆ l'estre ; la dispute de leur prŽsŽance, dont il sera parlŽ ˆ la fin de ce titre, ne les avoit pas rapprochŽs, quoyque commencŽe ds l'autre rgne, et cette aventure ne contribua pas ˆ les rendre amis : mais les biensŽances entre eux furent toujours conservŽes.
On
finira
par remarquer une mŽprise du continuateur du P. Anselme, que, pour son peu d'importance, il aura copiŽe peut estre du MorŽri. Ils disent que le Duc de Saint Simon fut fait lieutenant gŽnŽral pour servir, en 1652, sous le comte d'Harcourt, en Guyenne. Ce Prince estoit GŽnŽral d'armŽe, et en grande rŽputation depuis si longtemps que Mr de Saint Simon n'auroit pu faire difficultŽ de servir sous luy ; mais, aprs l'Žvnement de la charge de Grand Escuyer, la chose estoit impossible, et, dans le fait, il ne luy a jamais obŽi, ny eu aucun rapport ˆ luy en Guyenne. Il estoit, ˆ la vŽritŽ, lieutenant gŽnŽral pour pouvoir commander et faire remuer des troupes, parce que la Cour ne se fioit en personne plus qu'en luy aprs les preuves de fidŽlitŽ et de dŽsintŽressement qu'il avoit donnŽes, et parce que son crŽdit et sa considŽration en Guyenne estoient fort utiles au service du Roy ; mais il y agissoit avec indŽpendance, quoyque avec concert avec les Gouverneurs de la province et les GŽnŽraux des troupes du Roy, exceptŽ avec le comte d'Harcourt, avec lequel il n'eut, et il ne luy fut demandŽ aucun rapport ; et cette indŽpendance des Gouverneurs, des lieutenants gŽnŽraux et des comandants en chef en Guyenne, luy en est demeurŽe toute sa vie, et a mesme passŽ ˆ son fils, comme on le verra bientost.
Le
reste
de sa vie s'est passŽ dans la considŽration et parmi un grand nombre d'amis, que, toute sa vie aussy, il eut soin de mŽriter. C'estoit l'homme du monde le plus obligeant, le plus libŽral, et qui a le plus donnŽ, et ami jusqu'ˆ s'estre dŽfait du gouvernement de Versailles et de Saint Germain par pure amitiŽ au prŽsident de Maisons, ˆ qui cela estoit si principal pour Maisons, et qui fut depuis surintendant des finances. Tout ce qu'il a eu de biens en tout genre a estŽ des bienfaits de Louis XIII, ayant renoncŽ ˆ la succession de pre et de mre en faveur de son frre aisnŽ. Aussy jamais rien de pareil ˆ la vŽnŽration, ˆ la vivacitŽ, ˆ la tendresse de sa reconnoissance pour ce Prince, qu'il a transmise toute entire ˆ son fils, qui, ˆ son exemple, ne manque jamais d'assister ˆ son anniversaire ˆ Saint Denis, o aucun autre ne se trouve de tant qui luy doivent leurs prodigieuses fortunes ; et le pre n'y estoit pas moins seul que le fils.
Mr
de Saint Simon eut, ˆ la mort de son frre, le Gouvernement et le Baillage de Senlis, que Mr le Prince demandait avec empressement, ˆ cause de la biensŽance de Chantilly, et mourut peu d'annŽes aprs, subitement, de pure vieillesse, 5 may 1693, ˆ quatre vingt sept ans, doyen des chevaliers de l'Ordre, qu'il avoit portŽ soixante ans, et son frre cinquante six, et doyen de tous les seigneurs de France, et ayant survescu Louis XIII et sa faveur cinquante ans.
Outre
les
anecdottes et les curiositŽs, qui ont menŽ loin, on s'est un peu estendu sur un favori assŽs peu connu parce qu'il ne s'est pas meslŽ d'affaires, mais qui a toujours estŽ estimŽ pour sa rare probitŽ et la raretŽ plus grande encore d'avoir surmontŽ l'envie par sa conduite. Sa vertu, encore inconnue, fut prŽvenue par la faveur, et, depuis, reconnue et abandonnŽe, elle ne s'abandonna jamais elle mesme, et conserva, dans un si long oubli, toute sa rŽputation et sa dignitŽ. Passons ˆ son fils, qui donnera lieu aussy aux curiositŽs anecdotes.
Louis,
Duc
de Saint-Simon, Grand d'Espagne de la premire classe, etc, nŽ ˆ Paris, 16 janvier 1675, a estŽ ouvertement et publiquement meslŽ dans tant de grandes ou de curieuses affaires, et de si bonne heure, et si longtemps, que cet article en sera peut estre trop allongŽ, dans l'esprit de ces notes de recueillir tout ce qui peut estre fugitif, mais qui est exactement vŽritable.
[Son Žpouse :] Marie Gabrielle, fille aisnŽe de Guy de Durfort, Duc de Lorge, Mareschal de France, chevalier du Saint Esprit, capitaine des gardes du Corps, gouverneur de Lorraine, etc, et de Geneviefve FrŽmont, mariŽe 8 avril 1695, ˆ dix sept ans, sÏur du Duc de Lorge et de la Duchesse de Lausun, etc.
Une
Žducation
fort resserrŽe, qui le sŽpara fort du commerce des gens de son ‰ge, au genre de vie desquels il n'estoit pas d'ailleurs naturellement tournŽ, luy fit d'abord Žprouver la solitude et le denuement qui rendent l'entrŽe dans le monde fort Žpineuse. Sans parens proches, fils d'un homme de la Cour de Louis XIII, et d'une mre qui, par devoir et par goust, n'avoit jamais connu et aimŽ que la plus grande retraite pour elle et pour luy, il plut au Roy au sige de Namur, mousquetaire, qui luy donna une compagnie l'annŽe suivante, et, ˆ la mort du Duc de Saint Simon, ses gouvernements, qu'il luy avoit toujours destinŽs par rapport aux services de son pre ˆ Blaye, ˆ qui mesme il s'en estoit engagŽ.
Il
se trouva aux siges d'Huy et de Charleroy, et ˆ la bataille de Nerwinde, o il estoit ˆ la gauche de premire ligne. Il y plut aussy aux troupes et aux officiers, et, en arrivant de l'armŽe, il eut un rŽgiment de cavalerie, en novembre 1693. Le procs du Mareschal Duc de Luxembourg contre seize Pairs, ses anciens, qu'il remit sur le tapis dans l'apogŽe de sa gloire, lia intimement Mr de Saint Simon avec les Ducs de la TrŽmoille, de Chaulnes, de la Rochefoucauld et plusieurs autres du mesme intŽrest, et quoyqu'il eust commencŽ par toutes les dŽfŽrences possibles pour Mr de Luxembourg, il ne put Žviter l'aigreur, puis l'Žclat le plus violent personnellement entre eux, qu'il soutint avec beaucoup de hauteur, et il obtint de changer la destination de son rŽgiment sur le point d'aller en Flandres, qui fut envoyŽ en Allemagne, o, sans le savoir, il se fit fort remarquer du Mareschal Duc de Lorge, qui commandoit l'armŽe. Il cultiva avec grand soin ce peu d'amis que son pre avoit conservŽs dans un si grand aage, et tous jusqu'ˆ leur mort, et, sur tous, ce grand et cŽlbre abbŽ de la Trappe, pour qui il prit un attrait singulier ds la premire fois que son pre l'y mena de sa terre de la FertŽ, qui n'en est qu'ˆ cinq lieues. Cet homme si saint et si illustre prit aussy une amitiŽ vŽritable pour ce jeune homme, qui l'alloit voir tous les ans tant qu'il vescut, et qui luy a rendu devant et aprs sa mort, arrivŽe en 1700, et ˆ sa Maison, des services trs considŽrables. Mr de Saint Aignan avoit estŽ des amis de son pre. Cela avoit engagŽ Mr de Beauvilliers de distinguer Mr de Saint Simon chez les Princes, dont il estoit gouverneur, et chez luy, quand rarement il y alloit.
PressŽ
par
sa mre de se marier, comme les fils uniques, il refusa plusieurs partis fort riches, fit gouster ses raisons ˆ sa mre ; charmŽ des vertus et de la situation du Duc de Beauvilliers, et sans destour ny entremetteur, luy porte un estat bien au vray de ses affaires, et luy demande sa fille en mariage, sans autre condition que celles que luy mesme estimera pouvoir la rendre heureuse avec luy, sur cet estat de son bien. La surprise et la reconnoissance furent pareilles. L'aisnŽe voulut absolument estre religieuse ; la cadette estoit contrefaite, la troisime non encore nubile et inclinant ˆ la religion. Mr de Saint Simon voulut attendre ; mais il fut ds lors regardŽ par le Duc et la Duchesse de Beauvilliers comme leur gendre, et, toute leur vie, ils y prirent le mesme intŽrest. Ce fut le nÏud, entre eux, de l'amitiŽ la plus intime, la plus tendre, la plus Žgale, la plus ˆ l'Žpreuve de tout. Ce fut elle qui commena ˆ porter ce jeune homme, et qui l'auroit conduit ˆ tout, sans les malheurs qui arrivrent dans la famille Royale. Ce fut elle aussy qui avant et depuis la mort des Ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, servit le plus fidlement, et le plus utilement leur famille. On a veu cy devant, titre de Chevreuse [MaillŽ, dit Luynes, tome VIII, page 299], que ces deux beaux frres n'estoient qu'un. L'intimitŽ avec l'un asseuroit celle de l'autre. Outre cela, le feu Duc de Luynes avoit estŽ le plus intime ami du feu Duc de Saint Simon, quoyque tout fut tombŽ avec eux. Ce fut donc de la sorte que son fils, si jeune encore, se trouva initiŽ avec ces deux seigneurs, alors si accrŽditŽs, et qui d'ailleurs, retirŽs dans le plus petit cercle d'amis trs particuliers, et enveloppŽs de leur vertu et de leur retenue, estoient regardŽs comme le sanctuaire de la Cour.
A la paix de Ryswick, la rŽforme se fit sans reigle. Le rŽgiment et la compagnie mesme du Duc de Saint Simon furent rŽformŽes (sic). Barbezieux, qui les savoit bonnes, les incorpora dans ceux de son beau frre et de ses amis, et mourut aussytost. Chamillart, qui luy succŽda dans la charge de SecrŽtaire d'Estat de la guerre, estant dŽjˆ Contr™leur GŽnŽral des finances et Ministre d'Estat, voulut signaler son premier commencement par une promotion la plus estrangement nombreuse qui eust jamais estŽ faite. Il y eut soixante brigadiers, et quoyqu'on eust lieu, en toutes faons, d'estre content du service du Duc de Saint Simon, il fut oubliŽ, et il se trouva six brigadiers moins anciens que luy, dont le comte d'Ayen, maintenant le Mareschal Duc de Noailles. Il fut picquŽ au vif, son beau pre de mesme. Ils ne se plaignirent point ; mais par le conseil des Mareschaux de Lorge et de Duras et de Mr de Beauvillier, sans lequel il ne faisoit rien, il Žcrivit au Roy que sa santŽ ne luy permettoit pas de continuer le service, et luy prŽsenta sa lettre. Le Roy, picquŽ luy mesme ˆ son tour, comprit bien que la rŽforme, la promotion, la conjoncture de la paix toute rŽcente, estoient les causes vŽritables, et la santŽ le voile, et fut des annŽes sans en revenir.
Il
luy arriva, ˆ la fin de 1700, une aventure qui ajousta d'autres ennemis ˆ ceux que le procs de Mr de Luxembourg luy avoit faits de la famille et des amis de ce Mareschal, du Premier PrŽsident d'Harlay, et de quelques autres, et ˆ laquelle sa jeunesse donna lieu, sans toutesfois avoir pu s'y attendre. Mr de Lorraine vint, avec Madame la Duchesse de Lorraine, rendre au Roy sa foy et hommage pour le DuchŽ de Bar. On a veu cy devant, titres de Guise et d'ElbÏuf [tome
V,
page 47, et tome VIII, pages 68 et 72], jusqu'o alla le pouvoir du chevalier de Lorraine sur Monsieur, et la ruse et l'adresse qui luy fit obtenir ˆ Mr de Lorraine l'incognito dans son sŽjour en France, et les foiblesses de Monsieur, que Mr son fils rendit inutiles dans les tentatives que fit Mr de Lorraine pour s'Žgaler ˆ celuy dont il avoit l'honneur d'estre beau frre.
La
cŽrŽmonie
de l'hommage, avant, pendant ny aprs laquelle personne ne devoit estre couvert, sinon, aprs, le Roy et Mr de Lorraine seuls et un moment, estoit que le Premier Gentilhomme de la Chambre en annŽe, au moment que l'hommage alloit commencer, prenoit l'espŽe, le chapeau et les gants de Mr de Lorraine, et les donnoit au premier valet de chambre du Roy, qui les gardoit pendant l'hommage, et, au moment qu'il estoit fini, les rendoit directement ˆ Mr de Lorraine, lequel les reprenoit de ses mains, sans plus passer par celles du Premier Gentilhomme de la Chambre.
Mr
de Saint Simon, frappŽ de toutes les entreprises et tentatives de Mr de Lorraine, le fut aussy de le voir, dans cette action, servi par un Premier Gentilhomme de la Chambre qui se trouvoit en mesme temps Duc et Pair. Il craignit que la fonction n'influast sur la dignitŽ avec des gens si hardis et si heureux ˆ prŽtendre et ˆ obtenir, et il ne sentit pas qu'en cette occasion, la fonction du Premier Gentilhomme de la Chambre n'estoit pas de servir, mais de despouiller le vassal devant le Roy, leur commun seigneur souverain, et celle du premier valet de chambre seulement de le servir en luy rendant ce dont il avoit estŽ dŽpouillŽ pour rendre son hommage. Confondant donc ce qui se distingue d'une manire si palpable, il ne pensa qu'ˆ son objet.
Le
vieux
Duc de Gesvres et le marquis son fils, depuis Duc de Tresmes, son survivancier, estoient en annŽe. Le pre avoit estŽ des amis du feu Duc de Saint Simon, et il n'y avoit amitiŽ ny caresses qu'il ne fist ˆ son fils, qui, par lˆ, se crut ˆ portŽe de luy pouvoir proposer de laisser faire la fonction de l'hommage au marquis de Gesvres. Ce bonhomme estoit un des mŽchants hommes qu'il y eust ˆ la Cour, uniquement conduit par son caprice, qui ne laissoit pas d'avoir des amis, parce qu'il l'estoit fort quand il s'y mettoit, et hardi ˆ parler et ˆ servir, mais dangereux, mesme avec eux, au dernier point, plein de fantaisies, le flŽau de sa famille, et pour tout dire en un mot, une espce de fou. La proposition luy entra de travers ; il la rejetta. Mr de Saint Simon n'insista point, pour ne le point fascher, et s'en crut quitte pour un coup d'espŽe dans l'eau.
Point
du
tout : ds l'aprs disnŽe, le vieux Duc s'en alla chez Madame d'Armagnac luy en faire une gorge chaude, qu'il continua aprs tant qu'il luy plut. Ce fut une pluye, que Mr de Saint Simon n'eut d'autre parti que de laisser passer, mais qui ne luy concilia pas la Maison de Lorraine, et qui l'Žloigna pour toujours de ce bas et perfide vieillard. S'il fut sujet ˆ avoir des ennemis considŽrables, cela fut compensŽ par des amis qui ne l'estoient pas moins, que le hazard luy donna, et d'un aage o le sien ne le portoit pas.
Outre
les
Ducs de Beauvillier et de Chevreuse, il avoit eu toute la confiance du Mareschal de Choiseul, qui avoit succŽdŽ au Mareschal de Lorge dans le commandement de l'armŽe d'Allemagne, les deux dernires campagnes de la guerre, dont il luy confioit tout le secret et toutes ses veues.
Le
Mareschal
de Boufflers, alors dans son premier brillant, avoit une alliance avec sa Maison, et, dans les courts voyages qu'il faisoit ˆ la Cour, lia avec luy une amitiŽ Žtroite, qui se tourna aprs en une entire confiance. Il y avoit quelque Žloignement fomentŽ entre les Ducs de Chevreuse et de Beauvillier et luy. Mr de Saint Simon se fit une estude de les rapprocher ; il en vint ˆ bout, au point qu'estant tous trois la fleur de la probitŽ, ils se goustrent, et devinrent amis jusqu'ˆ la mort ; et dans ces temps lˆ, Mrs de Chevreuse et de Boufflers estant personnellement choquŽs l'un contre l'autre pour l'affaire d'un chevau lŽger, ils prirent Mr de Saint Simon pour seul arbitre, qui les accommoda, puis les rŽunit.
La
Mareschale
de Villeroy, qui tenoit, par son esprit et par la situation de son mari, un grand estat ˆ la Cour, comme on le verra au titre de Villeroy, p...., n'oublia jamais que Mr de Saint Simon avoit sauvŽ la dignitŽ de Duc et Pair dans sa Maison, et l'aima tendrement toute sa vie. Il ne fut pas moins intimement avec la Duchesse de Villeroy, qui, par d'autres ressorts, tenoit un grand coin ˆ la Cour. Elle estoit toujours mal avec
sa
belle mre ; il les raccommoda encore, et si parfaitement, qu'elles passrent le reste de leur vie dans la plus intime union et la plus tendre.
Plusieurs
courtisans
et plusieures dames du plus intŽrieur de la Cour, des plus importantes et des plus instruites, furent en Žtroite liaison avec luy, et les principaux Ministres voulurent y estre.
Le
Chancelier
de Pontchartrain avoit mariŽ son fils ˆ la sÏur du comte de Roucy, qui estoit cousine germaine de la Duchesse de Saint Simon, et qui, par conformitŽ de mÏurs, d'esprit et de vertu, devint sa plus intime amie. Le commerce de cette liaison donna lieu au Chancelier, qui estoit un petit homme tout brillant, d'esprit et de vivacitŽ, de connoistre le Duc de Saint Simon et de le gouster assŽs pour en vouloir faire un ami solide, malgrŽ une si grande disproportion d'aage. Il le prit donc un jour en particulier, et, sans dŽtour, il luy demanda son amitiŽ. Le jeune homme prit cela pour un compliment flatteur, et y rŽpondit de mesme ; mais le Chancelier, qui vouloit mieux, s'expliqua plus nettement, luy dit qu'il la dŽsiroit par le cas qu'il faisoit de luy, et qu'il y compteroit seurement, s'il faisoit tant que de la luy promettre, avec les propos les plus obligcans, en l'asseurant bien aussy de la sienne. L'autre luy rŽpondit franchement que, quelque honneur qu'elle luy fist et quelque dŽsir qu'il en eust, puisqu'il s'agissoit d'Žcarter le compliment et de parler effectivement, il ne la pouvoit promettre qu'avec une condition : que Mr de Beauvillier estoit son plus ancien ami, et le meilleur, sans proportion avec personne ; qu'ils estoient depuis longtemps fort mal ensemble ; qu'ˆ cela, il n'y touchoit point, mais qu'il ne pouvoit s'engager vrayment a estre de ses amis qu'en se conservant entier, premirement et sans partage, ˆ Mr de Beauvillier. Le Chancelier aussytost l'embrassa, luy dit qu'il l'en aimoit devantage, et qu'il acceptoit d'autant plus volontiers la condition, qu'elle l'asseuroit mieux de 1'amitiŽ d'un si seur et si fidle amy ; et de ce moment, rien de plus intime qu'ils le furent, et d'une intimitŽ la plus complte en toute confience jusqu'ˆ sa mort, comme on aura occasion de le voir. Ce fut la mesme chose avec sa femme, qui n'estoit qu'une avec luy et valoit autant en son genre que luy dans le sien, et bien connue pour telle.
A peu de temps de lˆ, le Mareschal de Lorge estant mort, et son fils entestŽ de la dernire fille de Chamillart, alors tout puissant Ministre par ses deux places, et plus encor par sa prodigieuse faveur, il l'espousa. Chamillart, qui dans ce brillant tourbillon, ne laissa pas de conserver de la modestie, de la raison et une singulire bontŽ, avoit seu que le Duc de Saint Simon souffroit impatiemment cette mŽsalliance de son beau frre, fort en estat de rŽparer celle o la condition du Mareschal de Lorge l'avoit forcŽ de tomber. Le mariage fait, o Chamillart et les siens n'oublirent rien pour que Mr de Saint Simon fust content d'eux, [il] luy parla en particulier sur la peine de ce mariage. L'autre eut la franchise de ne la nier point, et de luy en dire la raison, le moins durement qu'il put. La conversation finit de la part de Chamillart par toutes les avances et les protestations possibles, et par luy demander son amitiŽ. Elle fut parfaite entre eux, et rŽciproque jusqu'ˆ sa mort, et on verra que celle de Mr de Saint Simon ne fut pas inutile ˆ ces puissants Ministres, qui faisoient l'objet de l'adoration de la Cour et qui donnoient le ton ˆ tout. Celuy cy estoit assŽs ˆ gauche avec les Pontchartrains. Mr de Saint Simon en usa pour eux, en cette occasion, avec Chamillart, comme il avoit fait avec le Chancelier sur le Duc de Beauvillier, et Chamillart en usa aussy comme le Chancelier avoit fait. La brouillerie alla toujours en augmentant, et Mr de Saint Simon ne put les rŽconcilier comme il fit ˆ la fin les deux autres ; mais il demeura leur ami ˆ tous, de toutes les heures et de toute sorte de confience, sans qu'il y ait jamais eu entr'eux le plus lŽger ombrage ˆ son Žgard, quoyque, trs souvent, ils ne se contraignissent en rien, devant luy, les uns sur les autres. Outre mil curiositŽs de Cour et de chaque journŽe, il savait par eux une infinitŽ de choses les plus importantes, et quantitŽ qui regardoient l'Estat et les affaires prŽsentes, qu'ils agitoient mesme trs souvent avec luy dans la plus grande confience, ce qui n'a jamais foibli jusqu'ˆ la fin de leur fortune et de leur vie.
On
s'est
estendu sur cet article d'amis importants ou considŽrables, par les raisons qu'on verra par la suite, et par la singularitŽ d'un homme de cet aage, qui, voyant tout et sachant tout de la premire main, pointoit dŽjˆ le personnage qu'il fut depuis, bien moindre qu'il sembloit alors le devoir estre, tandis qu'il en estoit un effectif sous le manteau.
Sa
femme
n'en estoit pas un moindre. Un excellent esprit, un sens toujours juste et droit en tout, une vertu exquise, mais si douce qu'elle fut toujours respectŽe, aimŽe, et jamais enviŽe, et que, tandis qu'elle estoit en vŽnŽration aux personnes les plus avancŽes, les jeunes et les moins sages ne la craignoient point. Une figure aimable, mais qui imposoit de soy mesme, sans rien que de naturel et de simple, et un mŽlange si aisŽ de dignitŽ et d'affabilitŽ, achevoit de luy gaigner tout le monde. La considŽration personnelle qu'elle eut bientost acquise, et qui a toujours estŽ en augmentant, en donna beaucoup ˆ son mari. Leur union estoit celle des mariages des premiers temps, et son mari, qui la respecta et l'aima toujours tendrement, eut le bon esprit de la consulter sur tout, et le bon sens, trs souvent, de la croire. Elle luy fut infiniment utile au dedans et au dehors, et le soustint en plusieures occasions dangereuses. C'est encore une autre singularitŽ fort grande qu'un mariage de cette sorte, et de deux personnes en estat, en volontŽ et en usage continuel de se pousser chacun ˆ part, de concert, et de se soustenir mutuellement ; et la suite monstrera qu'on a eu raison de ne le pas passer sous silence.
Madame
de
Saint Simon fut occasion d'une Žpoque que les suites ont rendue fort considŽrable dans celles de la vie du Duc de Saint Simon. Il avoit passŽ son enfance et sa premire petite jeunesse chez Mr le Duc de Chartres, et, comme cet aage peut Žgaler pour l'expression, il se peut dire que l'amitiŽ s'estoit mise entre ces deux enfans. Le Prince estant entrŽ dans le monde et dŽlivrŽ du joug d'une excellente Žducation, il se livra ˆ la jeunesse plus aagŽe que luy, qui le mit dans la dŽbauche, o il se picqua de les surpasser, goust malheureux, dans lequel il n'est que trop demeurŽ toute sa vie. Mais ce n'est pas encore icy le lieu de s'estendre sur Mr le Duc d'OrlŽans, qui est le nom qu'il prit ˆ la mort de Monsieur.
Madame
la
Duchesse d'OrlŽans eut envie d'aller passer un mois ˆ Saint Cloud et d'y avoir une cour qui luy fist honneur, et qui pourtant [n]e luy fust pas incommode. Elle chercha donc avec choix de qui la composer. Les dames de la Cour estoient toutes partagŽes entre les filles du Roy, du temps qu'il n'y avoit que Madame de fille de France, et, quoyque toutes les vissent, elles alloient cependant plus ordinairement et plus familirement chez l'une des trois que chez les deux autres. L'arrivŽe d'une Duchesse de Bourgogne n'avoit rien changŽ ˆ cela parce qu'elle surnageoit de si haut ˆ ces Princesses, qu'il n'y avoit rien entre elles qui pust se ressembler, et parce qu'aussy on voyoit les Princesses tout le jour, et que ce n'estoit que par distinction et par privance qu'on estoit admis chez Madame la Duchesse de Bourgogne hors la toilette.
Madame
de
Saint Simon, arrivant ˆ la Cour avant qu'il y eust une Duchesse de Bourgogne, s'estoit adonnŽe chez Madame la Duchesse d'OrlŽans, plustost que chez les deux autres, par des convenances d'aages et d'entours ; et comme elles se partageoient les dames que le Roy nommoit pour Marly, c'estoit presque toujours avec cette Princesse que Madame de Saint Simon y alloit. Elle fut donc conviŽe du voyage de Saint Cloud, et fort pressŽe de n'y pas manquer, parce qu'il se trouvoit dans le mesme temps qu'elle devoit aller ˆ la FertŽ, terre o son mari alloit passer tous les ans quelques semaines de l'estŽ, ˆ vingt quatre lieues de Paris. Estant ˆ Saint Cloud, o il y avoit aussy quelques dames, qui, du temps de Monsieur, y estoient toujours, Madame de Fontainemartel, qui en estoit une et qui estoit femme du premier escuyer de Madame d'OrlŽans et belle sÏur du marquis d'Arcy, chevalier du Saint Esprit, qui avoit estŽ Gouverneur, et fort considŽrŽ jusqu'ˆ sa mort, de Mr le Duc d'OrlŽans, estoit des amies de Mr de Saint Simon.
Il
s'estoit
ŽcartŽ de Mr le Duc d'OrlŽans lorsqu'il luy vit prendre le genre de vie dont on a parlŽ, et ne le voyoit ou point, ou comme point, depuis ce temps lˆ. Madame de Fontainemartel en avoit souvent demandŽ raison ˆ Mr de Saint Simon, sans y avoir rien gaignŽ. Tout d'un coup elle s'avisa, en ce voyage, d'en demander aussy raison ˆ Mr le Duc d'OrlŽans, qui y rŽpondit le plus obligeamment du monde pour Mr de Saint Simon, et qui tesmoigna toute sorte de dŽsir de renouer commerce avec un homme qu'il avoit toujours aimŽ, et qui ne s'estoit ŽloignŽ, ajouta t'il, que parce qu'il estoit trop sage pour luy. Il en parla ˆ Madame de Saint Simon, et vouloit le presser de venir ˆ Saint Cloud. Au retour, ˆ Versailles, il continua ˆ tesmoigner les mesmes choses. Mr de Saint Simon alla donc chez luy, et, de ce moment, l'amitiŽ se renoua si bien, qu'il ne se passoit gures de semaines que Mr de Saint Simon ne le vist deux ou trois fois, et toujours trs longtemps, teste ˆ teste, et bientost aprs plus souvent. Avec l'amitiŽ vint la confience, et, aprs, la confience sans rŽserve. Les suites en ont ŽtŽ si grandes, et donnent tant de curieuses anecdotes, qu'il a estŽ nŽcessaire de s'estendre un peu sur cette liaison si intime, et qui a durŽ telle jusqu'ˆ la mort dŽplorable de ce Prince.
Avant
d'aller
plus loin, il faut s'arrester ˆ ce qui, de soy, ne mŽriteroit pas la peine de tenir icy la moindre place sans une considŽration gŽnŽalogique.
Comme
les
rangs, les honneurs et les distinctions sont peu ˆ peu tombŽs en pillage en France, aussy ont fait les noms, les armes, les Maisons ; s'ente qui veut et qui peut. De cela, nulle justice. Le seul parti est le mŽpris, et de laisser faire.
Mr
du Rouvroy, maintenant premier lieutenant gŽnŽral des armŽes navales, avoit un pre obscur, qui portoit ce nom et les armes, c'est ˆ dire la croix ˆ cinq coquilles, telle que la portent les Ducs de Saint Simon et ceux de cette Maison, mais non l'Žchiquier de Vermandois, comme toute cette Maison le porte. On dit Ç son pre È, car on ne sait de quand ils ont pris ce nom et ces armes. Il estoit fort jeune quand il se maria. Ses deux sÏurs avoient estŽ filles d'honneur de Madame. L'aisnŽe, dont la beautŽ fit longtemps du bruit, et son esprit aussy, avoit ds lors espousŽ Saint Vallier, capitaine de la Porte ; l'autre, qui devint Madame d'Oysy, et qui estoit encore alors fille d'honneur. Le mariage de leur frre ne fut point ˆ leur grŽ. Ne pouvant le rompre, elles vinrent trouver le feu Duc de Saint Simon, pour l'y intŽresser, comme en chose qui regardoit sa Maison.
Il
leur rŽpondit le plus civilement qu'il put, mais le plus nettement aussy, que, pour sa Maison, il ne les reconnoissoit point pour en estre ; que pas une des branches qui en sont n'avoient jamais ou• parler de la leur ; que s'ils avoient des titres pour prouver qu'ils en estoient, il seroit ravi de les voir bien existants, mais que, jusque lˆ, il ne pouvoit que les plaindre de leur dŽplaisir, sans avoir aucune raison d'y entrer. Les deux belles se mirent a pleurer pour attendrir le vieillard, sur qui les appas avoient toujours eu du pouvoir ; mais voyant les leurs inutiles, elles se retirrent outrŽes, et s'en allrent essayer d'intŽresser Monsieur et Madame ˆ les faire avouer par le Duc de Saint Simon.
En
effet,
Monsieur l'envoya prier d'aller au Palais Royal, et luy parla de cette parentŽ comme chose qu'il avoit toujours voulu croire et qu'il affectionnoit. Mr de Saint Simon luy rŽpondit avec beaucoup de respect que c'estoient lˆ de ces choses uniquement du ressort des titres, des preuves, en un mot, de la vŽritŽ, sur lesquelles le Roy mesme ne pouvoit rien ; qu'il estoit tout prest de voir ce qu'on luy voudroit produire en preuve, mais que, jusqu'ˆ ce qu'il fust persuadŽ par cette voye lˆ, il ne pouvoit reconnoistre ce que ny luy, ny pas un de sa Maison, n'avoit jamais reconnu ; que, si ces dames avoient des preuves, elles avoient grand tort de ne les avoir pas monstrŽes depuis longtemps, et bien plus de tort encore, si elles n'en avoient point, de prŽtendre se faire reconnoistre par beaux langages, puis par autoritŽ.
Monsieur,
qui
vit bien que Mr de Saint Simon parloit raison, luy fit bien des honnestetŽs, et il n'en fut pas parlŽ davantage. Le frre se maria. La femme qu'il espousa se trouva une personne d'esprit, de sens, et d'une vertu trs aimable et peu commune. Elle estoit connue de Madame la Princesse de Conti, fille du Roy ; elle s'attacha ˆ elle. Monseigneur, qui n'en bougeoit dans ces temps lˆ, la traitoit avec bontŽ. Mesdemoiselles de Lislebonne, Madame de Chastillon, dame d'atours de Madame, la Duchesse d'Aumont, sa sÏur, Madame d'UrfŽ, dame d'honneur de Madame la Princesse de Conti, devinrent ses amies et ses protectrices ; et quand au personnel, elle estoit sur un pied fort agrŽable dans l'intŽrieur de cette petite cour, et avec beaucoup d'autres personnes. Il ne luy manquoit, pour aller ˆ Marly et estre de tout, que de se voir sur le pied d'une femme de qualitŽ, et de pouvoir manger ˆ table et entrer dans les carrosses de la Reine ou de ce qui la reprŽsentoit. C'estoit une femme pleine de douceur, de raison, de modestie, qui ne s'empressoit de rien, et qui se soucioit fort peu de ces choses par une solide piŽtŽ. Mais son mari n'estoit pas de mesme. Le feu Duc de Saint Simon estoit mort il y avoit longues annŽes ; il espŽra la tentative faite de son temps, oubliŽe ; il se mit ˆ faire sa cour au Duc de Saint Simon, comme ˆ un ami de Mr de Pontchartrain, pour son avancement dans la marine.
Celuy
cy
sentit de loin ce que l'autre cherchoit, et, sans en faire semblant, mais se tenant sur ses gardes, il luy rendit utilement plusieurs bons offices. C'estoit un trs bon officier en tout genre, mais peu compatible par sa hauteur et son humeur, qui luy a enfin rompu le col ˆ la porte de la fortune, nombre d'annŽes aprs cecy. Il y eut quelque chose dont il fut mŽcontent ; il s'en plaignit amrement ˆ Mr de Saint Simon, et, dans la chaleur du discours, il luy lascha qu'il espŽroit qu'il n'abandonneroit pas dans cette occasion un homme qui avoit l'honneur de luy appartenir.
Mr
de Saint Simon, qui l'y attendoit toujours, luy rŽpondit qu'il parleroit encore de son mieux ˆ Mr de Pontchartrain, et par estime, et par dŽsir de le servir, mais que, de parentŽ, il n'en connoissoit point, ny pas un de sa Maison avec luy. C'estoit cheminant dans un degrŽ, ˆ Versailles, que cela se passoit. Rouvroy ne rŽpliqua mot et demeura court, laissant aller Mr de Saint Simon.
Le
lendemain,
le Duc d'Aumont luy en vint parler avec tous les tours du monde, comme ˆ son ami, ˆ qui il conseilloit de ne se pas faire une affaire pour un rien avec Madame la Princesse de Conti, qui avoit Monseigneur en crouppe ; et cent autres propos auxquels il estoit maistre passŽ. Mr de Saint Simon l'Žcouta tout du long, le paya de l'histoire de son pre avec Monsieur lors du mariage de Rouvroy, luy rŽpŽta les mesmes propos qui avoient fermŽ la bouche ˆ Monsieur, et l'asseura qu'aucune considŽration ne luy feroit faire un mensonge, ny estre de moitiŽ de celuy d'un autre ; qu'il laissoit Mr de Rouvroy porter ses armes et le nom de Rouvroy sans l'y avoir troublŽ, qu'il estoit bien aise qu'il les trouvast aparamment les meilleures, puisqu'il les choisissoit pour les prendre, mais que, de le reconnoistre pour estre de sa Maison, rien n'estoit plus inutile ˆ espŽrer, s'il n'avoit point de titres en preuve, comme, au contraire, s'il en avoit, rien de plus aisŽ que de l'y forcer en les monstrant.
Madame
d'UrfŽ
vint ˆ l'appuy de la boule de la part de Madame la Princesse de Conti. Plusieurs personnes s'en meslrent, qui toutes eurent mesme rŽponse. Les autres branches furent sondŽes, puis attaquŽes, qui rŽpondirent comme avoit fait le Duc de Saint Simon. Le bruit que cela fit retomba en honte sur celuy qui l'avoit excitŽ, et qui ne put ny monstrer, ny allŽguer la moindre preuve. Sa femme demeura au mesme estat qu'elle estoit. Il fut outrŽ, ne vit plus le Duc de Saint Simon, et ce fut tout.
On
a cru devoir rapporter cela parce qu'on n'a point parlŽ de ce Rouvroy dans la gŽnŽalogie de la Maison de Saint Simon. Il s'est fait mettre dans celle que le cŽlbre Imhoff en a faite, qui est entirement dŽfectueuse, ainsy que le sont toutes ses gŽnŽalogies franoises. Il est estonnant qu'ayant travaillŽ les estrangres ˆ nous avec tant de soin, mesme celles qui le luy estoient, comme les italiennes et les espagnoles, il ait eu si peu ou d'attention ou de circonspection pour ce qui regarde la France, et qu'il se soit cru en droit d'y reigler les rangs avec autant d'ignorance et de fait et de droit. La moindre lecture luy eust appris que les Ducs ont sans cesse prŽcŽdŽ les Maisons de Rohan et de Bouillon, et qu'il est encore ˆ naistre que pas un de ces Maisons en ait jamais prŽcŽdŽ aucun, et l'eust tirŽ de l'erreur que celle de la TrŽmoille ait approchŽ des honneurs que ces deux lˆ ont obtenus.
Mais
ˆ propos d'honneurs et de distinctions, il arriva une affaire au Duc de Saint Simon qui mŽrite de n'estre pas oubliŽe, et qui fait voir ce que c'est que les Ducs et les Princes estrangers.
De
tout temps, il y avoit des filles d'honneur des Reines et des Filles de France, et c'estoient toujours elles qui questoient ˆ la chapelle, aux festes o on a coustume de le faire devant le Roy.
La
chambre
des filles de la Reine, puis celle de Madame la Dauphine ayant estŽ cassŽes, enfin celle de Madame, et la dernire Dauphine n'en ayant jamais eu, il ne se trouva plus assŽs de filles qui vinssent ˆ la Cour pour remplir cette fonction. On la donna donc aux plus jeunes femmes, que la dame d'honneur de Madame la Dauphine, et souvent la Princesse elle mesme, avertissoit ˆ chaque fois entre celles qui se trouvoient toutes portŽes. Les Duchesses questrent sans en faire aucune difficultŽ. Le hazard fit longtemps qu'on ne nomma point de Princesses. Elles imaginrent de s'en faire une distinction, et tandis qu'elles questoient toutes sans difficultŽ dans les paroisses et dans les Žglises des monastres de Paris, elles en firent de quester ˆ Versailles et en Žvitrent les occasions, puis s'excusrent sur des prŽtextes qui ne monstroient rien. A la fin, quelques Duchesses crurent s'apercevoir qu'il y avoit de l'affectation.
Elles
pressrent
la Duchesse du Lude de s'en Žclaircir par le fait, qui Žvita longtemps, et qui, ˆ la fin, fut nettement, et sans prŽtexte, refusŽe par Mademoiselle d'Armagnac, de concert avec toute la Maison de Lorraine. La queste refusŽe fut remplacŽe de la Duchesse de Saint Simon, ˆ qui son mari la fit refuser de mesme. Lˆ dessus, grand bruit. Mr le Grand estoit une manire de favori, pour qui le Roy avoit de plus une considŽration infinie. Il alla trouver le Roy, luy fit force mensonges, et tous avec artifice, pour le mettre en colre, et luy faire entendre que c'estoit ˆ luy directement que ce refus manquoit de respect. La familiaritŽ, la bassesse incroyable devant le Roy, la flatterie sans cesse et sans mesure, une assiduitŽ de tout temps, et le plus grand estat de la Cour en despense et en reprŽsentation luy tenoient lieu de mŽrite, et l'habitude non interrompue ds la premire jeunesse avoit conciliŽ l'amitiŽ. L'esprit, qui estoit nul, ostoit crainte et contrainte, et c'estoit un autre grand attrait ; mais le plus fort de tous estoit la persuasion du Roy qu'il aimoit sa personne.
Le
Roy donc se laissa surprendre, jusqu'ˆ trouver bon le refus de Mademoiselle d'Armagnac et faire un crime au Duc de Saint Simon de celuy de sa femme. Celuy cy fut bientost averti, et alla promptement au remde avec une hardiesse grande pour son aage et pour la conjoncture. Il attendit le Roy ˆ la porte de son cabinet, comme il sortoit de disner, et luy demanda permission de le suivre et de luy dire un mot. Le Roy, sans le dŽfendre, mais aussy sans rŽpondre, entre, et voyant un moment aprs Saint Simon entrŽ avec luy, se haussa d'un pied, et, d'un air de colre, luy demanda ce qu'il y avoit. L'autre, sans s'embarrasser, luy expliqua l'artifice, la surprise et l'adresse de ces Messieurs ˆ se fabriquer des distinctions par leurs sourdes, puis hardies entreprises, et par leurs mensonges et leurs calomnies pour les soustenir. Il se mit ˆ expliquer celle dont il s'agissoit.
Le
Roy luy en allŽgua de mesme, que l'autre nia seichement, en interrompant le Roy avec force, et comme il luy avoit parlŽ d'abord du ton qu'il aimoit, c'est ˆ dire avec tout le respect et la soumission qui luy estoit deue, il ne craignit pas aprs de parler avec hauteur sur la chose. Finalement, il l'emporta, et le Roy l'asseura qu'il estoit content de sa conduite et qu'il feroit quester Mademoiselle d'Armagnac, et toutes celles de mesme rang, ce qui fut exŽcutŽ.
Mr
le Grand, bien qu'outrŽ, s'en fit un mŽrite ds que le Roy luy en parla, mais il compta bien d'en tirer parti, et le tira bien en effet. Il laissa couler sept ou huit mois sans rien dire et sans rien remuer. Le vendredy saint d'aprs, en 1707, que Mr de la Rochefoucauld passoit toujours aux Loges de Saint Germain, et que la Cour estoit fort dŽserte, Mr le Grand va ˆ la porte du cabinet du Roy, un demi quart d'heure avant l'office du matin, et luy fait demander ˆ luy parler. Lˆ il estale sa soumission sur la queste, la justice du Roy, qui veut tenir la balance Žgale entre les Princes et les Ducs, l'avantage de ces derniers de suivre immŽdiatement les Princes du Sang en rang d'anciennetŽ ˆ l'Adoration de la Croix aprs le Roy, la douleur de la Maison de Lorraine de s'en voir ainsy exclue, sa modŽration de n'y prŽtendre que l'ŽgalitŽ par l'exclusion des Ducs de s'y trouver.
Le
pathŽtique,
le flatteur, l'adresse, et surtout le moment imminent, et l'absence de ceux d'entre les Ducs en estat de rŽpondre et de se faire Žcouter, emporta le Roy ; et, de ce jour lˆ, les Ducs ont cessŽ de se trouver ˆ l'Adoration de la Croix, ou d'y aller, car elle fut en mesme temps ostŽe aux Officiers de la Couronne et aux Grands Officiers de la Maison du Roy, qui, aprs les Ducs, y alloient aussy en rang d'offices et de charges.
Peu
aprs,
les Ducs en essuyrent une autre. Lorsque le Roy communioit, les quatre coins de la nappe estoient tenus par deux aumosniers du costŽ de l'autel, et de l'autre costŽ, par deux Princes du Sang. S'il ne s'en trouvoit qu'un, par luy ˆ droite et par un Duc ˆ gauche, et, s'il n'y avoit point de Prince du Sang, par deux Ducs. L'aumosnier de quartier et de jours nommoit au Roy tout bas, vers le Pater, les Ducs qui estoient ˆ la chapelle : par o le Roy disoit qu'il choisissoit ceux qu'il vouloit, et les renommoit ˆ l'aumosnier, qui se levoit, alloit ˆ chacun d'eux, et les avertissoit en leur faisant ˆ chacun une rŽvŽrence. Personne, comme on le juge bien, ne contestoit au Roy qu'il pust choisir ; mais il sentoit si bien qu'intervertir l'ordre seroit une espce d'affront, que jamais il n'a choisi que les deux plus anciens ; si bien mesme qu'allant ˆ la chapelle, un jour de communion, et voyant marcher devant luy les Ducs de Saint Simon et de la Force, il fit demander au premier, tout bas, par le Mareschal de Noailles, lequel estoit l'ancien des deux. Quand Monsieur s'y trouvoit, ou Monseigneur, qui que ce soit ne tenoit l'autre coin, qui demeuroit pendant.
Or,
il arriva que Mr le Duc d'OrlŽans et Mr le Duc, fils de Mr le Prince, s'y trouvrent ensemble, et que Mr le Duc d'OrlŽans fut seul averti. Mr le Duc, dŽjˆ trs impatient du rang de Petit Fils de France, n'en avoit jamais ŽprouvŽ cette inŽgalitŽ si marquŽe, qu'il ne croyoit deue qu'aux Fils de France. Il fut donc fort picquŽ ; il s'en plaignit au Roy vivement, et voyant qu'il n'y pouvoit revenir, il se rejetta sur les Ducs, et il obtint qu'encore que luy mesme eust servi avec plusieurs, ce qu'il ne put nier, il serviroit dŽsormais seul quand il n'y auroit point d'autre Prince du Sang ; et cela a estŽ exŽcutŽ de la sorte, ˆ quoy le Roy trouva son compte pour ses bastards.
A la fin de 1705, le Cardinal de Janson estoit revenu de Rome aprs un long et utile sŽjour. Nul autre Cardinal qui pust l'y remplacer, et point d'ambassadeur depuis longues annŽes. Madame des Ursins, triomphante ˆ nostre Cour, et preste ˆ retourner rŽgner plus que jamais en Espagne, prŽtendoit de grands dŽdommagements de la manire dont le Roy l'avoit fait revenir, et y estoit soustenue par le Roy et la reine d'Espagne, et fort appuyŽe de Madame de Maintenon, tellement qu'outre ce qu'elle obtint pour elle mesme, elle ne prŽtendit pas moins que de faire un des frres Duc, bien qu'aveugle, et l'autre Cardinal, comme tout cela se voit dans le titre de Noirmoustier [Royan, tome VII, pages 367 et 383]. On y voit aussy quel estoit l'abbŽ de Noirmoustier, et sa rŽputation ˆ Rome. Le Pape prit la proposition ˆ offense, et, dans cette situation, le Roy songea ˆ un ambassadeur.
D'Antin
le
dŽcouvrit et fit l'impossible pour l'estre, dans l'espŽrance d'arriver par lˆ ˆ estre Duc et Pair. Dangeau, qui, ˆ force de vieillir et d'estre gastŽ par la fortune qu'il avoit faite, et par les privances de sa femme, qui retomboient quelquefois sur luy, visoit depuis longtemps ˆ ce grand emploi dans la mesme veue, et entretenoit un commerce avec le Cardinal Ottoboni, protecteur de France ; mais leurs menŽes se faisoient secrtement. Le Roy, qui ne vouloit faire Ducs ny l'un ny l'autre, et qui vit bien qu'il seroit importunŽ lˆ dessus de celuy ˆ qui il donneroit cette ambassade, rŽsolut de choisir un Duc, et, un matin, au Conseil, il s'en expliqua, et, tout de suite, proposa le Duc de Saint Simon, ˆ quoy les Ministres applaudirent.
Il
leur en demanda le secret jusqu'ˆ ce que les choses fussent assŽs dŽsespŽrŽes ˆ Rome pour l'abbŽ de Noirmoustier, dont l'Espagne ne vouloit point dŽmordre, et la saison plus praticable, pour dŽclarer l'ambassadeur. Mais, comme on garde lˆ dessus des mesures avec Rome, qui donne toujours le choix entre quelques sujets pour la nonciature de France, Torcy le dit ˆ Gualterio au sortir du Conseil, en grande confidence. Ce nonce estoit tout franois, et il estoit fort des amis du Duc de Saint Simon, par des hazards d'affaires d'un ami commun qui meineroient trop loin. Il vint donc, tout courant, le dire ˆ Saint Simon, qui, ˆ trente ans qu'il avoit lors, estoit fort loin d'en avoir la pensŽe, ny le dŽsir non plus, par l'estat de ses affaires. Sa surprise fut telle qu'il fallut que le nonce luy dist d'o et comment il le savoit, pour le persuader.
Mr
de Saint Simon courut chez le Chancelier et chez Chamillart, pour leur faire mil reproches, et pour s'instruire encore mieux. Ils s'excusrent sur le secret imposŽ par le Roy, et sur ce que, le croyant capable de l'emploi, ils n'avoient pu ne pas applaudir ˆ la proposition que le Roy en avoit faite. On alloit ˆ Marly ce jour lˆ, o il vit le Duc de Beauvillier, qui luy en rŽpondit autant, et, pour l'instruction, il n'en seut de plus que ce que luy avoit dit le nonce, que le choix venoit du Roy de luy mesme.
D'Antin
et
Dangeau se virent peu aprs Žconduits, puisque le choix estoit fait, et ˆ la fin, de qui, et de l'un ˆ l'autre, la chose commena ˆ se dire ˆ l'oreille. Pendant ce temps lˆ, Mr de Saint Simon et sa femme taschoient de s'en dŽbarrasser avec autant de soin que les autres dŽsiroient et s'affligeoient ; mais, tout considŽrŽ, les trois Ministres susdits, Monseigneur le Duc de Bourgogne, auquel on va venir, et ce que le Duc de Saint Simon avoit d'amis ˆ consulter furent pour accepter, dans la seuretŽ de se perdre pour toujours par un refus.
La
chose,
ˆ la fin, devint publique. Ces trois Ministres sŽparŽment conseillrent au Duc de faire une part entire des affaires de l'ambassade ˆ sa femme et d'en prendre les conseils, ce qu'on observe comme la chose du monde la plus rare, qui monstre le mieux quelle estoit la Duchesse de Saint Simon ˆ l'aage de vingt sept ans, et en mesme temps la plus opposŽe au cours ordinaire, qui craint toujours les femmes des ambassadeurs, qu'on destourne de les mener, et ˆ qui on ne dŽfend rien plus expressŽment que de leur rien communiquer.
A la fin, le Pape se laissa vaincre sur la promotion de l'abbŽ de Noirmoustier, et, ds ce moment, il ne fut plus question d'ambassade. Chamillart en avertit le Duc de Saint Simon dans l'instant, ˆ Marly, au sortir d'un Conseil, et ce fut pour luy une dŽlivrance plus grande encore qu'elle ne paroissoit alors, puisque la perte de l'Italie, arrivŽe par la perte de la bataille de Turin, le 7 septembre de cette annŽe 1706, prŽcŽdŽe de la perte de celle de Ramillies, le jour de la Pentecoste, auroit mis l'ambassadeur de France ˆ Rome dans une cruelle situation.
Tout
ce rŽcit n'est que pour expliquer ce qui en rŽsulta. Ce choix du Roy, et de luy mesme, sans que personne luy en eust parlŽ, sans que le Duc de Saint Simon y eust jamais songŽ, sans qu'il l'eut dŽsirŽ, fit peur ˆ beaucoup de gens qui ne le craignoient point ˆ son aage, et qui de lˆ rŽsolurent de le perdre. Ils n'avoient rien ˆ pouvoir allŽguer qui les conduisist ˆ ce dessein, mais ils connoissoient bien ˆ qui ils avoient affaire. Ils se mirent donc ˆ vanter au Roy ce qu'ils voulurent supposer : l'esprit, l'application, les connoissances, la capacitŽ du Duc de Saint Simon, qui, dans leur bouche, devint un homme ˆ aller ˆ tout. Cela flattoit le choix que le Roy en avoit fait, mais cela le rendit trs suspect, par la frayeur qu'il concevoit des gens de cette sorte ; et, ˆ force de le vanter, luy en donnrent un tel Žloignement, qu'il en fut rŽellement perdu, et que s'en apercevant trop bien, il n'y put apporter aucun remde.
Voilˆ
de
ces anecdotes instructives qu'il seroit grand dommage de laisser dans l'oubli, et qui marquent bien les caractres. Mais ces mesmes gens, peu contents d'avoir rŽussy parce que, faute de mieux, 'avoit estŽ par le bon costŽ, et qu'ils craignirent un retour voulurent l'achever de tuer sans ressource, et par lˆ mesme, luy donnrent lieu de se ressusciter. C'est une autre anecdote qu'il ne faut pas obmettre.
En
voicy
une bien singulire, pour ne pas intervertir l'ordre des temps. Le Duc de Chevreuse estant montŽ, une aprs disnŽe, dans une petitte entresol (sic) de l'apartement o logeoit le Duc de Saint Simon ˆ Versailles, et o il ne recevoit personne que des amis de confience, s'ouvrit avec luy, beaucoup plus que ses naturelles mesures ne le comportoient, sur le mauvais gouvernement qui perdoit l'Estat. De l'un ˆ l'autre, il alla plus loin, et venant au futur, il expliqua ce qu'il pensoit, et proposa tout (sic) une autre manire pour n'avoir plus cinq Roys ou cinq tyrans dans les personnes du Contr™leur GŽnŽral des finances et des secrŽtaires d'Estat, chacun dans son dŽpartement, et ensemble pour le gros des affaires.
Mr
de Saint Simon Žcoutoit avec une telle surprise qu'il en estoit absorbŽ et ne rŽpondoit pas un mot. A la fin, Mr de Chevreuse, ˆ qui ce silence estoit nouveau, luy demanda plus brusquement que sa nature s'il disoit des sottises, et qu'il le prioit de luy parler naturellement. L'autre ouvroit les yeux, sans regarder rien, et se contentoit d'approuver, sans entrer en raisonnement. Mr de Chevreuse le pressa davantage. A la fin, Mr de Saint Simon reprenant ses esprits : Ç Vous voilˆ donc, luy dit il, Monsieur, bien estonnŽ de mon silence ! AttendŽs un instant ; vous en allŽs voir la cause, et vous le serŽs bien davantage. È
Aussytost
il
tire une clef de sa poche, se tourne, ouvre une armoire, en tire trois petits cahiers de sa main, et les donne au Duc de Chevreuse sans luy dire un mot. Celuy cy regarde, parcourt avec aviditŽ, et ne va pas loin sans demeurer immobile. Ç Eh bien ! Monsieur, luy dit Saint Simon, ne vous l'avois je pas bien dit ? J'ay estŽ bien estonnŽ, mais vous l'estes davantage È.
Ces
trois cahiers contenoient tout le mesme plan de gouvernement exactement et prŽcisŽment tel que le Duc de Chevreuse venoit d'expliquer. Saint Simon avoit de plus Žcrit le nom de ceux qu'il croyoit propres pour entrer dans chacun des Conseils, en estre prŽsident et secrŽtaire, leurs fonctions, et des Conseils et de leurs membres, leurs appointements et la balance de la masse de tous ces divers appointements avec ceux des Ministres, des SecrŽtaires d'Estat, du Contr™leur GŽnŽral et des Intendants des Finances, de beaucoup plus forts que ce qu'il destinoit : le tout pour qu'on ne pust opposer ny la difficultŽ des choix, ny celle de la despense, si jamais il se trouvoit ouverture ˆ un changement de gouvernement lors d'un changement de rgne.
Il
y avoit bien six mois que ces cahiers estoient faits ; c'en estoit le premier brouillon, et sans rature. Il n'y en avoit point eu de copie ; et non seulement Mr de Saint Simon ne les avoit monstrŽs ˆ personne, mais il s'estoit bien gardŽ d'en ouvrir la bouche ˆ qui que ce soit, et c'en estoit bien une marque, puisqu'il n'en avoit pas dit un mot aux Ducs de Chevreuse et de Beauvillier, qui, en confience d'affaires et en amitiŽ, estoient d'autres luy mesmes (sic), et par qui seuls de tels projets pouvoient cheminer.
Aprs
la
premire surprise et les raisonnements qui suivirent, Mr de Chevreuse les emporta pour les monstrer au Duc de Beauvillier et ˆ Monseigneur le Duc de Bourgogne. Ils furent tellement goustŽs, qu'on alla plus loin, et peut estre s'en trouveroit il encore quelque chose dans les papiers du Duc de Chevreuse ou dans ceux du Duc de Saint Simon, qui fut chargŽ d'y travailler suivant le plan de Monseigneur le Duc de Bourgogne ; mais cela meineroit trop loin, et est bientost, et trop tost, devenu inutile. Il suffit de ce qui vient d'estre rapportŽ. Tel (sic) fut la source et l'origine de l'establissement des Conseils ˆ la mort de Louis XIV, et le fondement de ce que Mr le Duc d'OrlŽans dit au Parlement, qu'il les avoit puisŽs dans la cassette de feu Monseigneur le duc de Bourgogne ; mais ces Conseils, tels qu'ils estoient rŽsolus par ce Prince, estoient bien plus simples et bien plus dŽmeslŽs que ceux que Mr le Duc d'OrlŽans fit. On en verra la raison.
Ds
lors,
Mr de Saint Simon estoit un personnage par ceux qui l'estoient en tout, avec lesquels il estoit dans la plus intime confience. Mr de Beauvillier l'avoit initiŽ dans celle de Monseigneur le Duc de Bourgogne, qu'il voyoit en secret par les derrires, et que, de concert avec luy, il voyoit en public avec mesure, pour dŽrober au monde, et encore plus au Roy, un commerce qui ne rouloit que sur tout ce qu'il y avoit de plus important lorsque ce Prince seroit le maistre, et, en attendant, sur tout ce qui se prŽsentoit. Le scrupule de sa charitŽ ne l'empeschoit pas de vouloir estre instruit, et Mr de Saint Simon ne luy cachoit rien sur tout ce qui entroit dans les affaires ou qui composoit la Cour. Il le chargeoit souvent de plusieurs mŽmoires sur diffŽrentes matires, et de divers projets ˆ faire. C'estoit toujours teste ˆ teste, souvent et longtemps ; et du Chesne, premier valet de chambre, qui estoit l'introducteur, estoit seul dans le secret ; mais le Prince n'en avoit gures pour les Ducs de Beauvillier et mesme de Chevreuse, avec qui Saint Simon n'estoit qu'un.
Il
fut destinŽ ˆ estre gouverneur du Prince qui naquit au Duc de Bourgogne en janvier 1707, et qui mourut quelques jours aprs luy, et sa femme pour succŽder ˆ la Duchesse du Lude, qui survescut longtemps sa Princesse, mais qui, dans des infirmitŽs continuelles, ne sembloit pas devoir aller loin. Ils le savoient l'un et l'autre, et Madame la Duchesse de Bourgogne dŽsiroit autant la Duchesse de Saint Simon que Monseigneur le Duc de Bourgogne ; mais la Princesse ignoroit les particuliers secrets avec le Duc de Saint Simon, et ne les apprit que par une avanture qui mŽrite d'estre racontŽe, quoyque icy hors l'ordre des temps. C'estoit ˆ Marly, dans le cabinet de Monseigneur le Duc de Bourgogne, o on a depuis fait le grand escalier qui monte en haut.
Mr
de Saint Simon, en y entrant, avoit proposŽ au Prince, lors Dauphin, de mettre le verrouil ˆ une porte qui estoit ˆ costŽ de la cheminŽe, derrire la chaise o il estoit assis, vis ˆ vis Mr de Saint Simon, une table entre eux deux. Cette porte estoit la communication de l'appartement de Madame la Dauphinc. Le Dauphin dit qu'elle ne viendroit point ˆ ces heures lˆ, et ne mit point de verrouil. La conversation finie, ils se levrent tous deux, Žchangrent des papiers, et comme le Prince tiroit une clef pour en enfermer, et que Mr de Saint Simon en avoit dans ses mains, et qu'il y en avoit encore sur la table ˆ trayer pour laisser au Prince ou pour mettre dans ses poches, la porte s'ouvre, et la Dauphine se prŽsente.
La
surprise
de tous les trois, car heureusement elle vint seule, les tint plusieurs instants sans parler. Elle rompit le silence la premire, en rougissant, et dit qu'elle ne le croyoit pas trouver en si bonne compagnie, et ajousta en souriant qu'elle estoit venue mal ˆ propos, avec embarras. Le Dauphin, souriant aussy, luy dit qu'il estoit vray, et qu'elle feroit bien de s'en aller. Ds qu'elle fut sortie : Ç Eh bien! Monsieur, luy dit Saint Simon, le verrouil ? È car il ne vouloit point estre appelŽ Monseigneur. Ñ J'aurois mieux fait de vous croire, rŽpondit le Prince, mais je la connois ; elle ne dira rien. ÑJe le crois, rŽpliqua le Duc ; mais c'est grand bonheur qu'elle soit venue seule et sans dames. È
Un
Žvnement
avoit achevŽ de mettre Mr de Saint Simon au dernier point d'intimitŽ et de confience avec ce Prince et son ancien gouverneur. Se promenant avec ce dernier dans le milieu des jardins bas de Marly, au printemps de 1708, ils se trouvrent d'avis opposŽ sur la campagne qu'on se proposoit de faire faire en Flandre ˆ Monseigneur le Duc de Bourgogne avec Mr de Vendosme. Il suffit icy de dire que Saint Simon maintint ˆ Beauvillier qu'elle seroit funeste ˆ l'Estat, et plus encore au jeune Prince, et qu'il luy en expliqua les raisons et les suites.
Beauvillier,
tout
mesurŽ qu'il estoit, mais libre au dernier point avec Saint Simon, luy fit une leon sur la charitŽ, et finit par se mettre en colre. L'autre l'asseura qu'il ne luy en parleroit plus, mais qu'il ne se dŽpartoit de quoy que ce soit de ce qu'il luy venoit de dire. Trois semaines aprs l'arrivŽe du jeune Prince ˆ l'armŽe, on commena ˆ sentir quelque chose ; la prŽdiction s'accomplit dans toute son estendue, et, ˆ chaque Žvnement, Mr de Beauvillier venoit consulter Saint Simon, et Madame la Duchesse de Bourgogne luy envoyoit aussy Madame de Nogaret, une de ses dames du palais, sÏur de Biron, et qui avoit beaucoup d'esprit, raisonner avec luy sur ce qu'il y avoit ˆ faire et ˆ mander au Prince.
Lors
des
grands mouvements du sige de Lille, qu'on alloit, disoit on, faire lever, et accabler l'armŽe ennemie, un soir que, chez Chamillart, dans le particulier des familiers de la maison, on triomphoit d'avance, Saint Simon, impatientŽ d'une telle dupperie, ne put s'empescher de le tesmoigner. On le pressa, et luy qui ne vouloit pas s'expliquer, mais en colre de l'aveuglement, s'Žchappa ˆ quelque chose qu'il crut fort simple, et qui l'estoit en effet : ce fut de parier que Lille ne seroit point secouru, mais pris. Cani, fils et survivancier de Chamillart, dit qu'il parieroit, et en effet ils parirent une pistolle, parce que Saint Simon dit qu'il estoit si seur de son fait, qu'il ne vouloit pas parier plus gros.
Chamillart,
qui
estoit prŽsent, prit les deux pistoles, puis mena Saint Simon en un coin pour luy demander son motif, dans l'estonnement o il estoit de cette sŽcuritŽ si contraire ˆ tout ce qui se passoit et se pouvoit pour lors. Le Duc luy rŽpondit d'autant plus sincrement qu'il savoit ˆ qui il avoit affaire, et qu'il n'espŽroit pas de luy ouvrir les yeux. Cela demeura quelque temps entre le peu de gens qui en avoient estŽ tesmoins ; mais quand on vit la suitte des Žvnements de ce sige, le pari se redit de bouche en bouche et fit un grand bruit. Le Duc ne se put assez contenir pendant, toute cette campagne, o tout estoit rŽuni contre Monseigneur le Duc de Bourgogne, et au milieu de la Cour, o on ne prenoit pas son parti impunŽment.
Tout
cela
ensemble Žmut contre luy des personnes trs considŽrables et trs importantes, par des raisons qui tenoient ˆ celles du pari, et qui, trouvant dŽjˆ le Roy indisposŽ contre luy depuis les cruelles louanges de l'Ambassade de Rome, le perdirent entirement auprs de luy, comme un homme qui le ha•ssoit, qui souhaitoit les malheurs de l'Estat, qui les annonoit d'avance, et qui triomphoit aprs l'Žvnement. Le Roy le crut aisŽment, et longtemps sans que Mr de Saint Simon s'en pust apercevoir. Le retour de M. le Duc de Bourgogne, et l'accueil qu'il ne put s'empescher de faire au Duc de Saint Simon, acheva, par la jalousie et la crainte de l'avenir, ce qui estoit si bien commencŽ.
En
mesme
temps, Chamillart, devenu infirme, commenoit ˆ menacer ruine, et eust estŽ perdu, si, averti et tourmentŽ par Saint Simon, il n'eust estŽ trouver le Roy, l'informer de ce qu'il avoit lieu de craindre, luy exposer sa conduite, et se resigner ˆ ses volontŽs. Mais luy mesme, accablŽ du poids Žnorme de ses deux places, se vouloit depuis longtemps dŽcharger des Finances. Chevreuse et Beauvilliers, ˆ force de patience, de contours et d'efforts, estoient venus ˆ bout, depuis cinq ans, de rapprocher Desmarests, fils d'une sÏur de Mr Colbert et chassŽ ˆ sa mort, et par son conseil mesme, avec un Žclat qui n'a gures eu d'exemple, longtemps exilŽ chez luy, ˆ Maillebois, sans oser en sortir, puis longues annŽes sans revenir ˆ Paris, enfin souffert ˆ Paris, sans approcher de la Cour. Le Roy s'estoit monstrŽ longtemps inexorable et fort persuadŽ de ses infidŽlitŽs, jusqu'ˆ ce que le dŽsarroy des affaires de finances et l'accablement de Chamillart, ami de Chevreuse et de Beauvillier, arracha Desmarests de l'opprobre par le crŽdit de Chamillart, qui le fit agrŽer pour Directeur des Finances avec Arrnenonville, longtemps depuis Garde des Sceaux.
Tous
deux
estoient amis de Saint Simon, mais Desmarests sur tout, dont la longue et profonde disgr‰ce avoit estŽ ouvertement protŽgŽe par le feu Duc de Saint Simon, dont la terre de la FertŽ estoit ˆ quatre lieues de Maillebois, et dont le poids et l'exemple imposrent aux voisins en plus d'une manire. Ces deux Directeurs, jaloux l'un de l'autre, faisoient souvent leurs plaintes ˆ Saint Simon, qui parloit ˆ Chamillart et qui t‰chait ˆ les accorder ; mais, quand il fut question des Finances en chef, que Chevreuse et Beauvilliers vouloient pour Desmarests, et qui, contre l'ordinaire, dŽpendoient entirement de l'inclination de celuy qui les quittoit, Saint Simon, ˆ qui on eut recours, fit pencher la balance pour Desmarests, qui, publiquement, luy en tesmoigna toute sa reconnoissance.
L'annŽe
suivante,
1709, le 9 juin, Chamillart, poussŽ par les affaires et par une formidable cabale, ˆ la teste de laquelle estoient Madame de Maintenon, Monseigneur et sa belle fille, Madame la Duchesse de Bourgogne, fut chassŽ, et ne l'auroit peut estre pas estŽ encore, tant il tenoit personnellement au Roy, s'il avoit cru Saint Simon, qui le pressoit de se servir du mesme remde dont il s'estoit si bien trouvŽ l'annŽe prŽcŽdente ; mais il ne le voulut jamais, et rŽpondit qu'il ne pouvoit suffire ˆ son travail et ˆ se dŽfendre, qu'il devoit trop au Roy pour perdre un moment de travail et d'application tant qu'il le laisseroit en place, et pour ne la pas quitter trs librement quand il ne luy plairoit plus de l'y conserver ; et il l'exŽcuta avec la mesme gŽnŽrositŽ et tranquillitŽ. Saint Simon ne l'abandonna point dans sa disgr‰ce, et, quoyque ce fust offenser directement Madame de Maintenon qu'aller pour cet ex Ministre au delˆ de la simple biensŽance, il ne le quitta point les deux jours qu'il demeura ˆ l'Estang, puis aux deux campagnes prs Paris o il se retira, le reeut ensuite avec ses filles ˆ la FertŽ, avec plus d'Žclat que s'il eust estŽ en place, et mena sa belle sÏur de la FertŽ ˆ Courcelles, quand il l'eut acheptŽ, ce mesme automne, et y demeura prs d'un mois.
Saint
Simon
s'estoit bien apereu, dans l'hyver prŽcŽdent, du changement plus marquŽ du Roy ˆ son Žgard. Il n'alloit plus ˆ Marly, et, ˆ l'entrŽe de l'estŽ, Godet, Evesque de Chartres, son ami intime et le tout de Madame de Maintenon, l'avoit averti qu'il estoit perdu, et, ce luy sembloit, avec peu de ressource. DespitŽ contre la Cour par tout ce qu'il y voyoit chaque jour, Chamillart chassŽ, le Chancelier plus qu'ŽreintŽ, Beauvillier plus timide encore qu'ˆ l'ordinaire par la triste situation de son pupille, Saint Simon rŽsolut de se retirer, et ne pouvant aller ˆ Blaye par ce qui se verra en son temps, voulut passer l'hyver ˆ la FertŽ, l'y joindre ˆ l'estŽ, et renoncer tout ˆ fait, non seulement ˆ la Cour, mais mesme ˆ Paris, exceptŽ pour des instants indispensables ˆ la ville pour affaires.
La
mort d'un homme qui, depuis quarante ans, avoit un soin principal de ses affaires, fut l'occasion, et la sage et judicieuse adresse de sa femme fut la cause de la rupture de ce projet, et, par l'Žvnement, il devint la premire Žpoque d'un plus grand vol. Elle le persuada par la nŽcessitŽ de ses affaires d'aller ˆ Paris, par celle de la biensŽance, de coucher ˆ Versailles, par o nŽcessairement il falloit passer de la FertŽ ˆ Paris, et par l'amitiŽ deue ˆ celle du Chancelier et de la Chancelire, de passer et de coucher ˆ Pontchartrain, qui estoit aussy le droit chemin. L'habile Duchesse les avoit avertis de tout, et estoit de concert avec eux. Elle avoit encore averti tous les amis particuliers qu'elle et son mari avoient ˆ la Cour, et, chose rare, ils en avoient au delˆ de plusieurs. Saint Simon, investi ˆ Pontchartrain et ˆ Versailles, et ne pouvant ny rŽsister aux raisons, beaucoup moins aux empressements et l'amitiŽ de tant de gens considŽrables, ny renoncer ˆ son projet, rŽsolut d'avoir un Žclaircissement avec le Roy ˆ quelque prix que ce fust, pour revenir sur l'eau de bonne sorte, ce qu'il n'y avoit pas lieu de croire, ou pour avoir de quoy se dŽbarrasser de l'importunitŽ de ses amis.
Ny
le Chancelier, ny le Duc de Beauvillier, ny d'autres, n'osrent jamais se charger de demander au Roy cette audience, tant ils le savoient aliŽnŽ du Duc de Saint Simon. Il s'adressa ˆ Mareschal, premier chirurgien, qui, l'estant de la CharitŽ auparavent, avoit toujours estŽ le sien jusqu'ˆ ce qu'il fust au Roy, qui estoit de ses amis homme vray, fort homme d'honneur, et avec le Roy comme l'ont toujours estŽ ses domestiques du bas intŽrieur, c'est ˆ dire mieux que Ministres et favoris. Saint Simon ne fit que coucher ˆ Versailles, et vint ˆ Paris, o deux jours aprs, Mareschal luy manda de revenir, et qu'il auroit son audience.
RetournŽ
ˆ
Versailles, il apprit un orage prest ˆ fondre sur Mr le Duc d'OrlŽans, qui avoit donnŽ ˆ Saint Cloud un souper ˆ l'Electeur de Bavire, avec Madame d'Argenton, sa maistresse, si libre et si indŽcent qu'il avoit comblŽ la mesure, en sorte que ce Prince, dŽjˆ fui de chacun comme pestifŽrŽ, estoit au moment d'estre envoyŽ ˆ Villers Cotterests. Bezons, presque sa crŽature et Mareschal de France de sa faon, en parla ˆ Saint Simon, quoyque sans aucune liaison ensemble, et celuy cy sentit le danger si pressant, qu'il rŽsolut ˆ l'heure mesme de faire chasser Madame d'Argenton par Mr le Duc d'OrlŽans et de le raccommoder avec le Roy par ce sacrifice. Il le dit ˆ Besons, qui frŽmit d'abord d'un projet contre l'amour et l'habitude, mais qui convint que ce remde estoit l'unique. Il convint aussy qu'il ne se pouvoit exŽcuter qu'en gardant le Prince ˆ veue, et Besons se laissa persuader d'y seconder le Duc pourveu que celuy cy se chargeast de porter la parole. Il s'en alloit ˆ Paris, et promit de revenir ds que l'autre le manderoit.
Ds
l'aprs
disnŽe, le premier coup fut portŽ, et Besons, mandŽ, arriva le lendemain malin. Trois jours furent employŽs ˆ cette affaire, sans que l'un ou l'autre quittassent le Duc d'OrlŽans un moment tandis qu'il eut les yeux ouverts, et, presque tout le jour, tous deux ensemble. Le combat fut Žtrangement violent, et Besons a souvent dit ˆ ses amis qu'il en perdoit quelquefois connoissance et qu'il croyoit quelquefois que le plancher alloit fondre sous eux aux fortes attaques du Duc de Saint Simon.
Ce
ne fut pas tout. Le Prince et sa femme estoient fort mal ensemble, et jamais Saint Simon n'avoit voulu mettre le pied chez elle. Sa confidente, la Duchesse de Villeroy, qui ne l'estoit pas moins de Madame la Duchesse de Bourgogne, et intime amie de Saint Simon, luy parloit souvent de ce triste mesnage, en furie contre Mr le Duc d'OrlŽans. Voyant avancer son ouvrage, il le crut trs imparfait s'il ne raccommodoit le Duc et la Duchesse d'OrlŽans, et il en savoit assŽs pour ne pas juger la chose aisŽe. NŽantmoins il l'entreprit, et c'est o il eut le plus d'adresse et de difficultŽ. Tout cela ensemble dura trois jours.
Le
matin
du dernier, la Duchesse de Villeroy luy parlant de Mr le Duc d'OrlŽans : Ç Que diriŽs vous, Madame, s'il se raccommodoit avec Madame la Duchesse d'OrlŽans, et s'ils vivoient intimement ensemble È ? La colre redoubla, et elle regarda cela comme une folie. Le soir mesme, Mr le Duc d'OrlŽans Žcrivit ˆ Madame de Maintenon, envoya Mademoiselle de Chausseraye ˆ Paris congŽdier et tout rompre avec Madame d'Argenton, et alla tout de suite se raccommoder avec Madame sa femme. Il avoit exigŽ pour condition, du Duc de Saint Simon, qu'il la verroit et qu'il seroit le lien entre eux deux.
Le
Roy reeut son neveu avec joye et tendresse, Madame de Maintenon fit semblant de l'imiter, et Saint Simon se servit de cette conjoncture pour unir parfaitement le Duc d'OrlŽans avec Monseigneur le Duc de Bourgogne et le Duc de Beauvillier. Le lendemain matin de cette soirŽe, Saint Simon fut voir la Duchesse de Villeroy, dont l'estonnement estoit sans pareil, et la joye de mesme, Il luy conta tout ce qu'il crut devoir servir ˆ la parfaite rŽunion. Elle estoit chargŽe de la Duchesse d'OrlŽans de le prier de l'aller voir l'aprs disnŽe, de bonne heure, pour la trouver seule, et, en attendant, luy fit de sa part des remerciments infinis ; mais ils ne furent rien en comparaison de ceux de la Princesse ; ses paroles et ses larmes furent des traits Žgalement Žloquents et partis du plus vif sentiment. De ce moment l'amitiŽ et la confience la plus intime fut liŽe entre eux deux, et Mr le Duc d'OrlŽans en tiers, qui en estoit l'objet, et les choses ont subsistŽ de la sorte plus de huit annŽes. On en verra la fin en son temps.
Cependant
Saint
Simon, sur le point de son audience, craignit que le Duc d'OrlŽans ne crust qu'elle roulast sur luy ; ce qui engagea le Duc ˆ luy en faire devant Besons toulte la confidence. En effet, le Roy la retarda, pour la donner avec plus de loisir, et le dit ˆ Saint Simon en luy ordonnant de se trouver le lendemain ˆ l'issue de son lever. Quant tout le monde fut sorti du cabinet, avant la messe, il le fit appeller par Nyert, premier valet de chambre. Le teste ˆ teste dura plus de demie heure. Le pari de Lille, ses motifs, ses raisons, et beaucoup d'autres choses, dont le Roy vuida son sac, furent discutŽes, la pluspart ˆ fond, quelque autre (sic), comme les raisons du pari, avec dŽlicatesse, et la conversation finit par toutes sortes de marques d'estime et de bontŽ du Roy, qui fut si content de cette audience, qu'il avoit fallu luy arracher, qu'il ne s'en put taire ˆ Mareschal et ˆ d'autres, et qu'il a toujours depuis traitŽ le Duc de Saint Simon en consŽquence.
Mais
il avoit une ennemie dont il se doutoit un peu, mais non au point qu'il l'a seu de Chamillart aprs la mort du Roy, pendant la vie duquel il luy en avoit toujours fait un secret. C'estoit Madame de Maintenon, avec laquelle, avant son premier refroidissement pour luy, il en avoit eu jusqu'ˆ des disputes vives. Ce n'estoit pas que Saint Simon eust estŽ jamais ˆ portŽe d'elle, mais d'autres gens l'en avoient fait ha•r, et on ajousteroit le craindre, si, dans sa situation, cela pouvoit estre vraysemblable ; mais l'expŽrience monstre souvent des vŽritŽs qui ne le sont pas.
Les
bagatelles,
entre des choses plus importantes, sont des ombres dans des tableaux. Des quatre premiers valets de chambre du Roy, et on se souvient encore quels personnages et de quel crŽdit, le feu Duc de Saint Simon en avoit fait deux, ce Nyert cy et Bontemps, c'est ˆ dire leurs pres.
Celuy
de
Nyert estoit ˆ Mr de Mortemart, excellent joueur de luth, avec une belle voix. Mr de Saint Simon voyait le Roy s'ennuyer les soirs, dans le sŽjour qu'il fit dans les Alpes, en 1629, pour chercher, malgrŽ le Cardinal de Richelieu et l'opinion de tous ses GŽnŽraux, un moyen d'attaquer le Pas de Suze, qu'il trouva enfin luy seul, et dont il remporta aussy la gloire de soldat, comme le premier ˆ l'attaque, et celle de GŽnŽral qui en fit toute l'ordonnance et la disposition aprs en avoir trouvŽ le moyen ˆ force de soins, d'opiniastretŽ et de laborieuses recherches, au mois de mars 1629. Le Roy aimoit la musique ; Saint Simon luy proposa d'entendre Nyert, et le Roy y prit un grand plaisir. Ce Nyert estoit un fort honneste homme, ˆ qui Mr de Saint Simon vit jour de faire la fortune, et en profita. Sans rien dire ˆ Nyert, il en parla ˆ Mr de Mortemart, qui, non seulement y consentit, mais en pria gŽnŽreusement Mr de Saint Simon ; et tant fut procŽdŽ, qu'avant de repasser les monts, le Roy prit Nyert ˆ luy, que la protection du Duc de Saint Simon fit ensuite premier valet de chambre. Le fils qui luy a succŽdŽ, et qui a donnŽ lieu ˆ cette anecdotte, s'en est monstrŽ magnifiquement et trs gratuitement ingrat.
La
fortune
de Bontemps vint d'une autre cause. Il estoit chirurgien dans Paris, allant saigner dans les maisons. Il avoit saignŽ Mr de Saint Simon quelquefois. Le Roy eut besoin de l'estre, et ne se fioit plus pour cette opŽration ˆ la main hors d'habitude et pesante de Portail, son premier chirurgien, bisayeul du Premier PrŽsident, ou mesme son grand pre. Dans l'embarras d'un choix, Mr de Saint Simon proposa Bontemps sur son expŽrience. Il fut acceptŽ, et saigna le Roy depuis. Enfin il devint premier valet de chambre par la mesme protection qui l'avoit introduit. Son fils, que tout le monde a tant connu, aimŽ et estimŽ, et qui a tant mŽritŽ de l'estre, en a conservŽ jusqu'ˆ la mort la plus parfaite reconnoissance. Son fils, qui luy a succŽdŽ, s'adressa au Duc de Saint Simon pour obtenir sa survivance au sien peu de mois aprs la mort du Roy. Mr de Saint Simon la demanda, et l'obtint ˆ l'heure mesme, et le dit sur le champ ˆ Bontemps. De ce moment, il n'a jamais ou• parler de luy, de son fils, ny de pas un d'eux, exceptŽ pour une impertinence qu'il ne tint pas ˆ luy de luy faire. Tel est le monde.
L'enchaisnement
du
discours a fait obmettre une autre curiositŽ connue de bien peu de personnes. Il n'y en a point qui ayent ignorŽ l'Žpouventable affaire que la Princesse des Ursins suscita au Duc d'OrlŽans, l'esclat avec lequel elle fit arrester Flotte et Renaud, deux domestiques qu'il avoit laissŽs en Espagne, le peu de mesnagement avec lequel cela fut poussŽ en nostre Cour ; mais il s'en faut bien que la vŽritable cause n'en ait estŽ seue, jusqu'ˆ quel degrŽ d'extrŽmitŽ la chose fut portŽe, et ce qui l'arresta tout court au moment fatal.
Madame
des
Ursins estoit parvenue ˆ rŽgner despotiquement en Espagne, en leurrant Madame de Maintenon, ˆ force d'esprit, d'artifices, de respects et de souplesses, qu'elle mesme y rŽgnoit par elle et n'y pouvoit rŽgner que par elle. Un Prince tel que le Duc d'OrlŽans en Espagne estoit un surveillant et un contrepoids fascheux. Il faut pourtant dire qu'elle n'oublia rien pour estre bien avec luy. Plusieurs manquements essentiels dans le service des trouppes le peinrent, mais sans aller ˆ la rupture, quoyqu'il y eust des mŽcontes et des mŽcontentements. Ce que le sŽrieux n'avoit pu faire, la plaisanterie l'opŽra, mais cruellement.
Le
Prince,
soupant ˆ Madrid, trop guayement, un soir, pour estre en si nombreuse compagnie, s'Žchappa ˆ une santŽ qu'on a peine ˆ raporter, mais dont les termes sont impossibles ˆ supplŽer ; il faut donc les suporter. Il beut ˆ la santŽ du con
capitaine [NDE: Mme de Maintenon] et du con
lieutenant [Princesse des Ursins], et la porta ˆ la compagnie. Le lieutenant le seut un quart d'heure aprs, et, ˆ l'instant, l'Žcrivit en propres termes au capitaine ; et toutes deux ne l'oublirent jamais. En effet, jamais ridicule si cruellement acenŽ, ny dupperie plus ridiculement dŽvoilŽe, avec un mŽpris qui portoit sur tout, et en public. De lˆ la haine et la persŽcution de delˆ et de deˆ les PyrŽnŽes ; de lˆ la conduite imprudente du Prince tournŽe en crime Žnorme, tandis que la mesme lŽgretŽ qui luy avoit si imprudemment arrachŽ cette santŽ ridicule, luy fit follement ajouster foy aux vÏux des Espagnols et ˆ l'amitiŽ du GŽnŽral Anglois, et sonder si, au cas que le Roy cessast de soutenir le Roy son petit fils, comme la chose s'en alloit faitte, et consŽquemment Philippe V, hors d'estat de se soustenir par luy mesme, renonast ˆ ses Couronnes, il les pourroit obtenir.
Monseigneur,
remuŽ
par des ressorts qu'ˆ son inseu on faisoit agir, s'Žloigna, pour cette unique fois, de son caractre. Il devint furieux, et n'alloit pas ˆ moins qu'ˆ une instruction criminelle, et ˆ faire perdre la teste au Duc d'OrlŽans, ˆ qui, de sa vie, il ne l'a pardonnŽ. Le Roy, pressŽ par tout ce qu'il avoit de plus familier et de plus intime, balanoit encore entre une extrme colre et le respect de son propre sang ; et cependant le Duc d'OrlŽans, abandonnŽ de tout le monde sans exception, que du seul Duc de Saint Simon, n'osoit paroistre que dans les moments indispensables, et dissipoit par sa prŽsence tout ce qui se trouvoit de gens ds qu'ils l'apercevoient.
Le
Roy, de plus en plus pressŽ, cŽda enfin, et se rŽsolut ˆ cet effroyable Žclat. Il en parla sŽparŽment ˆ quelques ministres, surtout au Chancelier, ˆ qui il demanda les formes de cet estrange procs, et le chargea de ce qui le regardoit. Le Chancelier, ˆ qui ces matires, pour estre de longtemps inusitŽes, estoient peu connues, et qui savoit qu'elles l'estoient davantage au Duc de Saint Simon, son ami trs intime, ne luy dit pas le secret, mais le promena sur la matire des instructions criminelles en forme de Pairie. Aprs le premier quart d'heure de cette conversation : Ç Ne me rŽpondŽs point, luy dit le Duc, mais permettŽs que je parle. Cecy est pour Mr le Duc d'OrlŽans, je le voy bien. La manire est telle que je vous la viens d'expliquer ; mais je vous avertis de ne vous y pas commettre, car vous vous y casseriŽs le nŽs. Ñ Comment ? rŽpondit vivement le Chancelier, et, si le crime, tel qu'on le publie, se trouve prouvŽ, cela va tout de suite ! Ñ Quand cela seroit, rŽpliqua [le Duc], je n'en serois pas embarrassŽ un moment; j'irois au Parlement, j'opinerois, et nous verrions. ÑEh ! comment diable ! opineriŽs vous donc sur un crime que nous suposons avŽrŽ ? reprit l'autre encore plus vivement. Ñ Le voicy, dit Saint Simon : Je laisserois le fond ˆ costŽ, et je mettrois en question la compŽtence du tribunal. Je prouverois bien aisŽment qu'il n'est pas dŽcidŽ si ce crime est de lse MajestŽ dans un Prince non sujet, et qui n'agit ny contre son souverain, ny contre un souverain de qui il ne reoit aucune gr‰ce ny pension, et bien plus aisŽment encore que, quand mesme le crime seroit de lse MajestŽ, il est de lse MajestŽ d'Espagne, non de France ; que le tribunal est Franois, qu'il ne peut connoistre que des crimes de lse MajestŽ contre le Roy et sa Couronne, mais qu'il n'a nul pouvoir, nul trait, nul caractre, de juger rien en ce genre qui regarde une Couronne estrangre : par quoy l'assemblŽe est vaine, incompŽtente et incapable d'entendre ˆ aucune instruction lŽgitime, ny de rendre aucun jugement valable en la matire qu'on a mis mal ˆ propos devant elle. Voilˆ, ajousta t'il, ce que je dirois, et je n'en dirois pas davantage. Je ne voy pas qu'on y pust rŽpondre, et aussy peu passer outre. È
Le
Chancelier,
qui estoit debout au milieu de son cabinet, ˆ Versailles, baissa la teste, fit quelques pas, puis regardant le Duc avec embarras : Ç Vous en savŽs bien, luy dit il ; qui vous en a tant appris? È puis rebaissa la teste, et, les mains derrire le dos, se promena dans ce petit lieu, sans dire un mot, ny l'autre non plus. Cela fut assŽs long, et le Premier Escuyer, qui survint, changea la scne. Le lendemain, il y avoit Conseil, et le Chancelier, qui estoit Ministre, demeura seul avec le Roy ensuite.
Ds
le soir, on commena ˆ se dire tout bas qu'on ne croyoit pas que le procs criminel eust lieu, et, de ce jour lˆ, il tomba dans le puits, et il n'en fut plus question. Longtemps depuis, Saint Simon a seu du Chancelier qu'il ne s'estoit pas trompŽ quand il avoit cru que c'estoit par rapport au Duc d'OrlŽans qu'il le promenoit sur l'instruction criminelle en forme de Pairie ; que son avis l'avoit frappŽ, et paru sans rŽplique, et que l'ayant objectŽ au Roy, il avoit estŽ rŽsolu d'abandonner ce funeste projet.
Mais
si l'Žclat fut arrestŽ, la haine n'en fut que plus forte, et c'estoit dans les suites rŽcentes de cette affaire que le Duc d'OrlŽans combla la mesure par ce souper de Saint Cloud dont il ne se tira que par quitter sa ma”tresse et se raccommoder avec sa femme. L'audience qu'il eut lˆ dessus de Madame de Maintenon seroit charmante dans des MŽmoires ; c'est dommage que ce ne soit pas icy sa place, pour y voir la rage de la haine trompŽe, et la vieille galante s'intŽresser magistralement au sort et ˆ l'utile traittement d'une maistresse comme telle que, la veille mesme, [elle] persŽcutoit comme auparavent au Duc d'OrlŽans [sic], et en en faisant un crime ˆ ce Prince.
Le
croiroit
on? Il en recueillit trs promptement le fruit, et Madame de Maintenon en fut une des principales causes.
Madame
la
Duchesse, maistresse absolue de Monseigneur et de tout ce qui l'approchoit le plus intimement, travailloit ˆ marier sa fille, depuis Princesse de Conti, ˆ Mr le Duc de Berry. L'Žloignement des deux sÏurs estoit extrme, et Madame la Duchesse avoit beau jeu par la haine de Monseigneur pour Mr le Duc d'OrlŽans, telle qu'il ne pouvoit s'empescher de la montrer jusqu'ˆ l'indŽcence. Une cabale puissante vint au secours.
Le
Duc de Saint Simon la forma, et la Duchesse de Villeroy y contribua beaucoup. Saint Simon avoit eu un procs contre Madame de Lussan, dame d'honneur de Madame la Princesse, qu'il gaigna, mais dans lequel Mr le Duc et Madame la Duchesse en usrent si mal, ˆ la diffŽrence de Mr le Prince, que Mr de Saint Simon cessa de les voir, mesme aux occasions. Mr le Duc, sans qui Madame la Duchesse ne s'en seroit pas tant mise en peine, venoit de mourir ; mais entre sa fille et celle de Mr le Duc d'OrlŽans, il ne pouvoit estre sans crainte de l'une et sans dŽsir pour l'autre. Il suffira icy de dire que Mr et Madame la Duchesse de Bourgogne, Mr le Duc de Berry par eux, Madame de Maintenon et les deux bastards, irritŽs du procs de Mr du Maine pour la succession de Mr le Prince, mort un an auparavent, les Ducs de Chevreuse et de Beauvillier, le Pre Tellier, qui, ds son arrivŽe ˆ la Cour, faisoit la sienne ˆ Saint Simon d'une manire surprenante, le Mareschal de Boufflers, d'autres personnages encore, se rŽunirent.
Quand
la
mine fut chargŽe, bien concertŽe et preste ˆ jouer, question fut d'attacher le grelot, et Mr le Duc d'OrlŽans ne put jamais s'y rŽsoudre, tant il craignoit le Roy. La ressource de Madame la Duchesse d'OrlŽans fut que du moins il escrivist au Roy pour luy demander ce mariage, et qu'il luy donnast sa lettre luy mesme. Il y consentit pour se redimer de vexation. Saint Simon estoit en tiers entre eux deux, et Madame la Duchesse d'OrlŽans le pria d'aller avec luy faire cette lettre. Ils s'en allrent au premier pavillon, o il logeoit lors ˆ Marly, et Madame d'OrlŽans au chasteau. Quand ils furent dans la chambre de Mr le Duc d'OrlŽans, il proposa ˆ Mr de Saint Simon de faire la lettre ensemble. Cela ne put aller loin, et finit par Mr de Saint Simon la faire seul, et le Prince le regarder escrire. Il la trouva ˆ son grŽ ; Madame sa femme aussy. Il la transcrivit le lendemain et la ferma.
Mais
pour
la donner, ce fut une autre crise. On s'estend lˆ dessus par le personnage si principal que ce Prince va bientost faire. La lettre demeura cinq ou six jours dans sa poche, tantost sous un prŽtexte, tantost sous un autre ; tant qu'enfin, la chose pressant de plus en plus par le concert et le dŽsir de toute la cabale rŽunie et ajustŽe, ce fut une scne muette de comŽdie italienne entre Mr le Duc d'OrlŽans et Mr de Saint Simon, le matin, dans le salon de Marly. Le premier vouloit, disoit il, entrer chez le Roy pour donner sa lettre, et s'Žloignoit toujours ; l'autre le tournoit de l'Žpaule pour l'y ramener. Ils piroŸŽtrent tant de la sorte, qu'ils craignirent enfin qu'on ne s'en apereust, et qu'ˆ la fin le Prince, prenant, comme on dit des enfans, son escousse, entra chez le Roy, tira son coup de pistolet, et sortit aussy tost, laissant le Roy merveilleusement surpris de ce qu'il luy avoua qu'il n'osoit mesme luy indiquer rien de ce que la lettre contenoit.
Le
Roy fut charmŽ, touchŽ, attendri de la lettre, et la loua outre mesure. Madame de Maintenon et Madame la Duchesse de Bourgogne, ˆ qui il la monstra le soir, ajoustrent aux applaudissements. Le Pre Tellier eut son tour, et joua son rolle. Bref, l'affaire fut, ds ce jour lˆ, rŽsolue, mais dans le dernier secret, dont la Duchesse d'OrlŽans fut aussy tost avertie. Cela dura quinze jours, et puis le mariage fut dŽclarŽ. Monseigneur fut outrŽ de colre, et n'osa bransler devant le Roy ; mais, dans son petit particulier, il ne se contraignit pas. On ne sait comment les choses transpirent. Deux jours aprs cette rŽsolution prise, on retourna ˆ Versailles. Ds le lendemain, le Premier Escuyer rencontrant le Duc de Saint Simon dans la galerie : Ç Monsieur, luy dit il tout bas avec un air sournois, voilˆ un grand mariage ; je vous en fais mon compliment, car c'est vous qui l'avŽs fait. È Celuy cy, cacha comme il peut l'excs de sa surprise, ignora tout, et passa chemin.
Longtemps
avant
qu'on en fust lˆ, Saint Simon avoit estŽ fort sondŽ pour la place de Dame d'Honneur [de la future duchesse de Berry] pour sa femme, et toujours il avoit ŽludŽ.
Mais
la Duchesse de Saint Simon fut trouver Madame la Duchesse de Bourgogne un matin, dans son cabinet, ˆ qui elle demanda en gr‰ce de luy parer une place qui ne convenoit ny ˆ son mari ny ˆ elle. La discussion fut longue, et tendre de la part de la Princesse, qui la vouloit lˆ comme un degrŽ pour venir ˆ elle, et pour y avoir, en attendant, quelqu'un avec qui elle estoit ˆ son aise ; mais enfin, aprs avoir plaidŽ longtemps pour persuader la Duchesse, elle luy promit de la servir ˆ son grŽ, quoyque fort ˆ contre cÏur. On a veu, titres de
Ventadour et de Choiseul, tome V, page 428, et tome VI, p. 276], comment la Mareschale de Praslain fut ˆ Madame, sans que, par l'employ de son mari, cela pust estre autrement, et par quelles estranges raisons Madame de Ventadour y fut ensuite, et quelle en fut la surprise du Roy, et la difficultŽ qu'il en fit.
On
verra, dans un autre genre, les mesmes raisons faire succŽder la Duchesse de Brancas ˆ la Duchesse de Ventadour, cy aprs, titre de
Villars
Brancas, p.... Mr et Madame de Saint Simon estoient bien loin d'estre ny ruinŽs, ny brouillŽs ensemble, et ces exemples singuliers et nouveaux ne les pouvoient regarder. C'est ce qui fut bien expliquŽ ˆ Madame la Duchesse de Bourgogne et ˆ Monseigneur le Duc de Bourgogne par Mr de Beauvillier.
Le
jour de la dŽclaration du mariage [du D. de Berry avec la fille du D. d'OrlŽans, 1710], Madame la Duchesse d'OrlŽans le proposa nettement au Duc de Saint Simon, qui le refusa de mesme. La Princesse se mit ˆ pleurer quelque temps, puis se retira. Tout fut bientost reiglŽ, et le Roy, qui, accousturnŽ dŽsormais ˆ voir des Duchesses ˆ Madame, en voulut une pour la future Duchesse de Berry, en prit la liste entre Madame de Maintenon et Madame la Duchesse de Bourgogne, et s'arresta sur Madame de Saint Simon. Madame de Maintenon y applaudit, et c'estoit fait sans la Princesse, qui proposa de continuer la liste. Le Roy en fut surpris, et luy demanda si elle avoit quelque chose contre Madame de Saint Simon. La vivacitŽ de sa rŽponse la trahit. Le Roy la pressa de s'expliquer, puisque ce n'estoit ny faute d'estime, ny faute d'amitiŽ et de confience. Elle s'en tint ˆ faire continuer. A chacune, le Roy ou passoit ou avoit quelque exclusion preste, et finalement conclut qu'il n'y avoit que Madame de Saint Simon. Madame la Duchesse de Bourgogne objecta son aage : sur quoy, louanges de tous les trois, et le Roy, de plus en plus curieux, ˆ presser sa petite fille de s'expliquer. Elle n'en voulut rien faire ; mais le Roy, faschŽ, mit le doigt sur la lettre : Ç Je voy bien ce que c'est, dit il ; son mari est glorieux, il croit cette place au dessous de luy et n'en voudra point È, en regardant la Princesse, qui se mit ˆ sourire en baissant les yeux. Ç Oh bien, dit le Roy, nous verrons s'il me dŽsobŽira, et pour une place que je mettray en tout et par tout sur le pied de celle de la Duchesse du Lude [Marguerite-Louise-Suzanne de BŽthune, dame d'Honneur de la duchesse de Bourgogne]. È
Mr
et Madame de Saint Simon se tinrent ˆ Paris. Mais, pour le faire court, le Mareschal de Boufflers fut chargŽ de menacer le Duc de Saint Simon d'un exil au loin, s'il faisoit la moindre difficultŽ d'accepter, et l'alloit trouver ˆ Paris pour ce message, lorsqu'il le trouva a Sve [sic], forcŽ d'aller ˆ Versailles par tout ce qu'on luy mandoit de menaant. Le Mareschal l'arresta, luy fit mettre pied ˆ terre, et lˆ s'acquitta de sa commission. Le Roy dit ensuite ˆ Mr de Saint Simon, en revenant de la messe, qu'il luy vouloit parler dans son cabinet.
Lˆ,
il luy dora la pilulle, comme il savoit mieux faire qu'homme de son Royaume ; puis, s'avanant ˆ tout ce qui estoit lˆ et attendoit ˆ l'autre bout du cabinet, dŽclara la Dame d'Honneur, qui fut en tout sur le pied de la Duchesse du Lude, et qui eut dans cette place les distinctions les plus continuellement marquŽes. Mr de Saint Simon, non moins outrŽ que sa femme, en alla dire son avis ˆ Mr et ˆ Madame la Duchesse d'OrlŽans, et ne leur mascha rien. Il leur dit aussy que, puisqu'il en falloit passer par lˆ, il ne leur en reparleroit de sa vie, mais qu'il leur en vouloit dŽcharger son cÏur une fois pour toutes. Sur l'un et l'autre point, il leur tint parole, et n'en fut pas plus mal avec eux [10].
Mais
voicy
qui va caractŽriser Monseigneur, et gures moins ceux de sa particulire confience, par une de ces vŽritŽs qui n'ont pas la vraysemblance. Du Mont, son Žcuyer particulier et Gouverneur de Meudon, avoit toute la sienne de tous les temps. C'estoit un homme de peu d'esprit, mais fort honneste homme, quoyque fort duit [habile, expŽrimentŽ] ˆ la Cour, o il avoit passŽ sa vie. Son pre, gentilhomme simple et pauvre, mais de bon lieu, estoit aussy un fort homme d'honneur. Il devoit sa premire fortune d'Escuyer du feu Roy au feu Duc de Saint Simon, qui luy avoit fait donner cet employ, o il l'avoit distinguŽ et tirŽ de pair. Il est mort Sous-Gouverneur du Roy, et la Bourlie, pre de Guiscard, eut sa place. Du Mont fils n'a jamais oubliŽ ce que son pre devoit ˆ feu Mr de Saint Simon, et s'est toujours picquŽ de le tesmoigner ˆ son fils.
Un
mois au plus aprs le mariage dont on vient de parler, on estoit ˆ Marly, et, au retour de la messe du Roy, du Mont dit tout bas, en passant, au Duc de Saint Simon, qu'il le prioit de l'aller attendre sous les berceaux au bas de la rivire, qui estoit une superbe cascade en face du derrire du chasteau, et fort ŽloignŽ de tout, surtout ˆ ces heures lˆ. Mr de Saint Simon voulut rŽpondre, et du Mont s'Žchappa comme un homme qui fuit. Ils se joignirent quelques moments aprs au rendŽs vous. Du Mont luy dit qu'il luy estoit trop attachŽ pour ne luy en pas donner une marque qui luy coustoit fort, mais que, tout balancŽ, et Monseigneur n'ayant point demandŽ le secret, il le croyoit trop important pour ne l'en pas avertir ; que, suivant Monseigneur, deux jours auparavent, le matin, ˆ Versailles, chez Madame la Princesse de Conti, qui estoit seule, et luy, du Mont, en tiers, Monseigneur, en colre et d'abordŽe, avoit dit, comme avec surprise, ˆ Madame la Princesse de Conti, qu'il la trouvoit bien tranquille ; que, sur ce qu'elle avoit rŽpondu qu'elle ne voyoit rien qui peust l'empescher de l'estre : Ç Mr de Saint Simon, rŽpliqua Monseigneur, qui vient de faire le mariage de la Duchesse de Berry, et qui va faire exiler vous et Madame la Duchesse ! È
La
Princesse
voulut en rire ; mais la colre du Prince, et sa sŽrieuse opinion que la chose estoit rŽelle et telle qu'il la disoit, empescha la rŽplique, et il entra quelqu'un qui finit la conversation. Du Mont demanda le secret pour quelque temps, et de ne rien faire qu'il ne l'eust averti ; et, aprs avoir balancŽ la conduite ˆ tenir, ils convinrent que, dans ces commencements, Mr de Saint Simon s'abstiendroit d'aller chez Monseigneur, o dŽjˆ il n'alloit gures, et l'Žviteroit mesme ˆ Marly, sans affectation. Six semaines aprs, ˆ Marly encore, du Mont crut qu'il y avoit assŽs de temps pour que Monseigneur pust se persuader que cela s'estoit seu sans luy, et laissa Mr de Saint Simon libre.
Alors
la
Duchessse de Saint Simon en parla ˆ Madame la Duchesse de Bourgogne, qui haussa les espaules de cette stupiditŽ ; et, quoique plus libre en apparence qu'en effet avec Monseigneur, elle prit son temps de luy en parler, allant de Marly ˆ Meudon, seule avec luy, dans son vis ˆ vis. Monseigneur d'abord luy maintint que rien n'estoit plus vray. Cependant, peu ˆ peu, la Princesse luy monstra si bien la folie d'une part, l'impossibilitŽ de l'autre, d'entreprendre de persuader le Roy de chasser ses deux filles, et de plus sans cause ny prŽtexte, et sans aucun intŽrest mesme en Mr de Saint Simon pour le dŽsirer, que Monseigneur commena ˆ revenir et ˆ estre honteux d'une si lourde duperie, et sa belle fille, qui n'aimoit rien de ce qui le gouvernoit, luy reprŽsenta fort ˆ propos ce qu'il devoit penser, et lˆ dessus, et sur toute autre chose possible, de ceux qui avoient eu la hardiesse de luy prŽsenter un appast si grossier et si peu capable de prendre personne. Il mourut bientost aprs, de la petite vŽrole, ce qui causa une grande rŽvolution ˆ la Cour, et mit le nouveau Dauphin et son espouse au plus triomphant pinacle, et tout ce qui leur tenoit intimement avec eux.
Ce
fut alors que le Roy se reposa de beaucoup de choses sur son petit fils. Il s'en falloit bien que toutes les vŽritŽs eussent percŽ jusqu'ˆ luy ; mais quelques unes avoient suffi pour laver les prŽventions de la campagne de Flandres, et la vertu et la conduite de ce Prince, puissamment aidŽes de la Dauphine et de Madame de Maintenon, avoient vaincu la jalousie et les anciens dŽgousts. Ce fut donc alors que le Dauphin travailla plus ˆ son aise, et ˆ connoistre les hommes, et ˆ se faire des plans pour quand il seroit le maistre.
Dans
cet
intime secret, trois seules personnes estoient admises, ˆ l'entire exclusion de toutes autres. Ces trois lˆ estoient les Ducs de Beauvillier, de Chevreuse et de Saint Simon, qui tous trois n'avoient point de secret l'un pour l'autre, et qui, tous trois, s'entendoient en tout parfaitement. Le dernier, qui devoit aux deux autres une si heureuse situation, estoit souvent chargŽ de travaux particuliers qui ne se confioient ˆ personne, et qui estoient d'autant plus pŽnibles, qu'avec ce secret, ils demandoient une grande exactitude, et qu'il ne parust point du tout occupŽ.
Parmi
ces
riches avant gousts de la plus solide espŽrance, et la plus radieuse, Saint Simon se trouvoit tourmentŽ d'un ver rongeur, qui va donner une nouvelle anecdote. Il voyoit le prŽsent et l'avenir ; tout luy estoit dŽcouvert ; il estoit acteur dans presque toutes choses, mais tout cela dans le plus intime secret et sous les voiles les plus espais, pour estre cachŽ au Roy et ˆ la Cour, qui dŽjˆ le considŽroit comme allant faire une principale figure. Ce ver rongeur estoit l'Žloignement rŽciproque, jusqu'ˆ ne se pouvoir souffrir, de ses deux plus intimes amis, le Duc de Beauvillier et le Chancelier, qui en alloit estre la victime. Outre l'amitiŽ, il estoit persuadŽ que sa ruine en seroit une pour l'Estat, par la privation de ses lumires et de sa longue expŽrience. Il vit Pontchartrain perdu, et la rŽsolution prise de le chasser dans le voyage de Marly, o on estoit, et d'o on alloit ˆ Fontainebleau.
C'estoit
un
homme infiniment gauche, brutal, dŽsagrŽable, mais infiniment encore plus mŽchant foncirement, et malin encore, car il avoit les deux jusqu'ˆ aimer le mal pour le mal. Il estoit universellement dŽtestŽ, et de plus, le flŽau de sa famille. Mais, tel qu'il estoit, sa chute entraisnoit celle de son pre, qui ne pouvoit demeurer avec cet affront, et c'estoit bien aussy le compte de Beauvillier. Saint Simon estoit lors brouillŽ ˆ mort avec Pontchartrain, sur les milices de Blaye, qu'il luy avoit enlevŽes par un Ždit en faveur des capitaines gardes costes. Son pre, sa mre, sa femme avoient inutilement fait l'impossible pour les raccommoder. A cause d'eux, avec qui l'intimitŽ n'en souffrit pas la moindre chose, il ne voulut pas Žclater ; mais il ne le voyoit plus, et Beauvillier, toujours la teste dans un sac, n'en savoit rien.
Dans
cette
situation, Saint Simon entreprit de rompre la rŽsolution prise et preste ˆ Žclater de chasser Pontchartrain, et la chose estoit d'autant plus difficile, que le Dauphin, qui le vouloit plus que pas un, avoit mis la Dauphine de cette partie, et par elle Madame de Maintenon. Le rŽcit seroit trop-long ; mais Saint Simon fit si bien qu'il regaigna Beauvillier, et par luy le Dauphin, et fit avorter la chute. Il alla aprs plus loin, et il parvint, dans la fin de ce mesme Marly, ˆ faire admettre Pontchartrain ˆ travailler chez le Dauphin et ˆ aller en rendre compte au Duc de Beauvillier, sur la Marine s'entend, et tout cela sans se raccommoder avec Pontchartrain. Lˆ dessus, on va ˆ Fontainebleau.
Ds
qu'on
y fut, Saint Simon alla chez le Chancelier, qui ne venoit ˆ Marly que le matin, pour le moment du Conseil, et s'en retournoit sans y disner, et qui avoit entirement ignorŽ ce qui s'y estoit passŽ. Le Duc le luy conta de point en point, et le Chancelier en frŽmit. Il le tint assŽs en lesse pour luy bien faire sentir tout le danger, et surtout toute la reconnoissance qu'il devoit ˆ l'unique libŽrateur de son fils, qu'il n'aimoit ny n'estimoit, mais qui estoit son fils unique, et dont les enfans n'estoient pas en aage de songer ˆ eux. Quand il eut bien savourŽ l'un et l'autre, et que sa curiositŽ eut estŽ vivement excitŽe de savoir ˆ qui il devoit le salut de sa famille et de toute sa fortune, Mr de Saint Simon, qui alloit ˆ son but, luy dit qu'il ne vouloit pas luy faire la douleur de le luy nommer, et qu'il craignoit de plus qu'outre la surprise, il n'en mourut de honte, aprs la constante conduite qu'il avoit eue avec luy ; et tout de suite luy dŽclara que c'estoit Mr de Beauvillier.
En
effet,
la surprise et la honte furent extrmes. Le Chancelier l'avoua au Duc ; mais tout de suite aussy, en galant homme, il le conjura d'aller trouver cet ennemy gŽnŽreux et de luy dire de sa part qu'il luy rendoit les armes ; que, de sa vie, il ne le trouveroit que dŽvouŽ ˆ luy plaire et ˆ luy tesmoigner la plus vive et la plus continuelle reconnoissance ; que jamais il n'opineroit contre son avis au Conseil ; qu'il luy demandoit ˆ genoux son amitiŽ, et qu'il mouroit sur les charbons jusqu'au premier Conseil, qu'il luy demandoit la gr‰ce de luy permettre de profiter de l'obscuritŽ de l'entre deux portes pour se jetter ˆ son col.
Saint
Simon
s'estoit bien gardŽ de rien monstrer au Duc de Beauvillier de son dessein, dont bien luy prit ; il auroit avortŽ. Il quitta le Chancelier dans ce petit jardin intŽrieur de la Chancellerie, o cette conversation s'estoit passŽe, et alla droit trouver le Duc de Beauvillier. C'estoit le moment de ne luy plus rien cacher, et il luy dit tout. Au premier mot, cet homme si doux, si solidement pieux, se hŽrissa. Il demanda avec chagrin ˆ Saint Simon pourquoy il avoit contŽ au Chancelier l'affaire de son fils, et l'obligation qu'il luy en avoit. Saint Simon le laissa exhaler, puis le ramena en luy demandant s'il ne luy seroit pas plus doux, et ˆ l'Estat, sans comparaison, plus utile, de pouvoir compter solidement sur le Chancelier et agir de concert et avec confience, pour le bien, avec un homme de cet esprit, de cette expŽrience, de ce mŽrite, que d'en estre en garde, en croisire, quelque supŽrieur de crŽdit qu'il luy fust, ou de le perdre par le faire chasser, ou l'obliger ˆ force de dŽgousts de se retirer de luy mesme.
Saint
Simon
ajousta qu'il savoit bien qu'il estoit le premier dans son cÏur, et dans toute confience sans proportion avec nul autre, mais que, dans cette distance, le Chancelier y estoit le premier aprs luy ; que leur inimitiŽ, pour parler nettement, luy avoit toujours fait une peine infinie, mais qu'il se sentoit le cÏur rongŽ, depuis que, par le grand vol qu'avoit pris le Dauphin, et luy mesme par consŽquent, il n'avoit pu en gouster la joye par le contrecoup qu'il en sentoit porter ˆ plomb sur le Chancelier ; qu'il avoit ardemment soupirŽ aprs une rŽconciliation sincre, ˆ laquelle, ˆ force d'Žloignement des deux parts, il n'avoit jamais osŽ songer ˆ travailler, mais que, l'occasion en estant venue, il l'avoit embrassŽe avec la plus sensible joye qu'il eust eu de sa vie, et que, pour n'en pas manquer l'effet, il s'estoit bien gardŽ de le laisser apercevoir de rien jusqu'ˆ ce qu'il ne pust plus reculer.
Beauvillier
n'estoit
point content, d'autant qu'il fallut se rendre, et qu'en se rendant, il falloit et se raccommoder et lier de bonne foy. Il chargea donc le Duc de Saint Simon de luy tesmoigner sa joye qu'il fust content de luy ; qu'il verroit ˆ la suite qu'il mŽriteroit son amitiŽ ; qu'il n'acceptoit en aucune sorte qu'il fust toujours de son avis au Conseil, mais bien qu'il attendoit dŽsormais qu'il ne l'y prendroit plus en grippe, surtout dans ce qui regardoit les matires de Rome, et qu'en opinant librement, mais civilement quand on n'estoit pas de mesme avis, on n'en devoit pas estre moins bons amis ; qu'il seroit ravi de profiter le lendemain de l'entrŽe du Conseil pour l'embrasser dans cette profondeur de l'entre deux portes (qui n'y est plus depuis que le feu Roy, la dernire annŽe de sa vie, fit accommoder son appartement), et qu'il avoit impatience du moindre prŽtexte qui pust, sans faire une nouvelle, le mener ˆ la Chancellerie l'asseurer luy mesme de tout ce qu'il prioit le Duc de Saint Simon de luy dire.
En
effet
ils s'embrassrent et se dirent un mot ˆ l'oreille dans cette obscuritŽ, entrant le lendemain au Conseil ; et peu de jours aprs, le Duc de Chevreuse, qui ne seut rien de tout cela que le soir mesme, par le Duc de Beauvillier, pretexta une affaire pour luy, pour laquelle il mena son beau frre ˆ la Chancellerie, ˆ heure convenue pour qu'il n'y eust personne, non pas mesme le Duc de Saint Simon, pour que la visite parust plus simple. Il seut par tous les deux qu'ils estoient parfaitement contents l'un de l'autre, et, depuis ce moment, l'amitiŽ fut vŽritable entre eux et sans la moindre lacune, et le Chancelier regretta sincrement et mesme amrement Mr de Beauvillier, qui mourut quatre ans aprs.
Le
Chancelier,
qui sentoit tout le poids naissant et ˆ venir du Duc de Beauvillier, fut trs sensible ˆ une rŽconciliation si fort ˆ point nommŽ. Le Duc ensuite en gousta aussy la douceur, et Saint Simon jouit entre eux deux du plaisir le plus sensible. Le Chancelier saisit ce moment pour raccommoder son fils avec luy. Saint Simon y rŽsista tant qu'il put ; mais enfin il ne se put dŽfendre du Chancelier, qui exigea qu'il recevroit son fils chez luy, qui iroit luy tesmoigner sa double reconnoissance. Ce fut tout, car le Duc ne voulut ny excuses ny accommodement sur l'affaire de Blaye, et le Chancelier espŽra du temps qu'elle reviendroit au premier estat, ˆ quoy il estoit attentif ˆ travailler, pour que, la cause estant cessŽe, l'effet pust cesser avec elle. On s'est un peu estendu sur cette affaire ; mais cette nature d'affaire est si rare dans les Cours, qu'on a cru que de s'y estendre seroit gratifier une louable curiositŽ ; et de plus on verra qu'elle a trait ˆ une autre.
La
Byzantine
monstre en grand ce qui arrivoit en petit en France. Plus l'empire Grec diminuoit, plus l'ambition inventoit et multiplioit les dignitŽs et leurs marques. Aussy, plus la dignitŽ de Duc et Pair avoit estŽ multipliŽe et sans cesse ŽlaguŽe, plus on s'empressoit d'y parvenir, et jusqu'ˆ la chicane y estoit employŽe.
D'Antin,
hors
d'espŽrance d'y arriver de faveur, se servit de ce dernier moyen, qu'il est convenu depuis n'avoir estŽ qu'un chausse-pied pour y atteindre par gr‰ce, et il y rŽussit. Le procs qu'il intenta pour le DuchŽ Pairie d'Espernon, tirŽ plus qu'ˆ l'alembic, et par une indigne cucurbitte, qui vint en quatriesme ou cinquiesme de ce mesme genre, fit naistre au Roy la pensŽe de couper pied ˆ tant d'ineptes prŽtentions, et, en mesme temps, de donner quelque chose de solide aux Ducs pour la conservation de leur dignitŽ dans leur postŽritŽ, pour se livrer ˆ cette occasion ˆ toute licence d'Žlever de plus en plus ses bastards, et gratifier encore les Princes du Sang, pour leur faire avaler doucement cette grandeur nouvelle de sa bastarde postŽritŽ.
Le
Chancelier,
chargŽ de faire l'Ždit, en confia le projet au Duc de Saint Simon, qui y travailla avec luy. Il combattit en vain la prŽfŽrence de la reprŽsentation des anciens Pairs au Sacre, des bastards sur les Pairs, et plusieurs autres articles, surtout la fixation et les diffŽrences d'aage, inou•es jusqu'alors, pour estre reeus au Parlement. Les usurpations de ce corps sur les Pairs ne purent y trouver place. Ce n'estoit pas le temps d'arrester les entreprises de ce corps, que celuy de prŽsenter ˆ l'enregistrement un Ždit qui portoit les bastards dans les nues, et qui ostoit en leur faveur plusieures choses aux magistrats.
Il
fallut
donc se contenter de cette Žcorce de prŽtexte qui n'alloit qu'ˆ consolider les dignitŽs dans la descendance masculine des impŽtrants et couper la racine aux prŽtentions sauvages d'y arriver. C'est ce qui fut exŽcutŽ par l'Ždit de 1711 [infra],
qui est entre les mains de tout le monde. On verra en son ordre, titre d'Aiguillon, p...., ce qui est arrivŽ du laconisme de cet Ždit, prŽveu par le Duc de Saint Simon qui ne put gaigner sur le Chancelier de s'estendre davantage. On renvoye ˆ la fin de cet article, qui ne sera que trop long, ce qui se passa avant et depuis cet Ždit, entre les Ducs de Saint Simon et de la Rochefoucauld, o on verra la raison de la prŽsŽance de l'un sur l'autre.
Le
fruit
de cet Ždit fut uniquement pour les enfans de Madame de Montespan ; les bastards par delˆ leurs espŽrances ; et le lŽgitime, condamnŽ par l'Ždit, en fut consolŽ par une Žrection nouvelle en sa faveur. Le Duc de Chevreuse, avec toute sa modŽration, son instruction et sa sagesse, nourissoit deux prŽtentions qui le rendoient toujours favorable aux plus absurdes. Aussy s'estoit on bien gardŽ de luy faire confidence de l'Ždit, ny ˆ pas un autre Duc qu'ˆ Saint Simon, et ˆ aucun magistrat qu'au Premier PrŽsident et aux Gens du Roy, encore sur le point de l'exŽcution. L'Ždit sabra aussy les prŽtentions du Duc de Chevreuse, et on verra au titre de
Chaulnes, comment son second fils fut fait Duc et Pair.
Ce
seroit icy le lieu de commencer une curieuse anecdotte, et qui a eu des suites qui ne le sont pas moins. On en remarque seulement icy l'Žpoque, et on la remet tout entire au titre de
Noailles.
La
France
pleurera longtemps le funeste commencement de l'annŽe 1712, qui luy enleva en huit jours le Dauphin et la Dauphine, et, peu de jours aprs, l'aisnŽ des deux Princes qu'ils laissrent. La douleur extrme du Duc de Saint Simon l'auroit alors retirŽ de tout, pour toujours, sans sa femme, qui l'arresta avec peine.
Il
regretta
beaucoup le Duc de Chevreuse, qui mourut vers la fin de la mesme annŽe. Il estoit Gouverneur de Guyenne, et ce Gouvernement fut donnŽ au Comte d'Eu, second fils du Duc du Maine. Voicy encore des curiositŽs. Anciennement, Mr et Madame du Maine avoient fait tout ce qu'ils avoient pu pour attirer Mr de Saint Simon chez eux, et il s'en estoit toujours dŽfendu avec une opiniastretŽ qui n'avoit pu estre entamŽe. La mesme cause fondoit ces deux diffŽrentes conduites. Mr du Maine vouloit, par l'amitiŽ des personnes, familiariser Saint Simon ˆ son rang, et celuy cy, ennemy de la contrainte, et plus encore de la faussetŽ, ha•ssoit trop ce rang pour se lier ˆ la personne. On verra, titres d'Eu, etc, p...,, qu'il estoit fort connu du Roy mesme pour cela.
MalgrŽ
une
rŽserve dont la persŽvŽrance fut forcŽe ˆ passer les bornes de la biensŽance, Mr du Maine ne voulut point se tenir pour offensŽ, et les choses demeurrent entre eux sur un pied fort honneste, mais jamais plus frŽquent que les occasions. On a veu ˆ l'article prŽcŽdent la presque indŽpendance de Mrs de Saint Simon pre et fils dans leur Gouvernement de Blaye. Le Mareschal de Montrevel, qui commandoit en Guyenne, usurpa peu ˆ peu toute l'autoritŽ du Duc de Saint Simon ˆ Blaye, et profita de ses diffŽrentes situations ˆ la Cour et du goust que la galanterie, l'art de s'habiller au goust du Roy, et les louanges outrŽes, avec une Žloquence purement musicale, avoit donnŽ au Roy pour luy. Enfin ils en vinrent ˆ une rupture, et le Mareschal se vanta que, s'il venoit jamais en Guyenne, il le manderoit ˆ Bordeaux et ne luy donneroit pas la main chez luy.
A la mort de Mr de Chevreuse, Mr de Saint Simon songea ˆ faire distraire tout ˆ fait Blaye du Gouvernement de Guyenne ; mais, le voyant donnŽ au Comte d'Eu, il fut trouver Mr du Maine et le pria de voir ses prŽtentions, de demander au Mareschal de Montrevel, qui estoit lors par congŽ ˆ la Cour, ses raisons, et juger ce qui devoit appartenir ˆ l'un et ˆ l'autre, pour en faire faire un reiglement par le Roy, au moyen duquel chacun seut ˆ quoy s'en tenir pour toujours et pust vivre en paix. Mr du Maine, dont le Mareschal reprŽsentoit le fils en Guyenne, fut fort touchŽ de ce procŽdŽ. Il examina les raisons de l'un et de l'autre ; le reiglement se fit par le Roy avec luy et la Vrillire, SecrŽtaire d'Estat, en tiers, qui avoit le dŽpartement de Guyenne.
L'indŽpendance
demeura
au Duc de Saint Simon, telle qu'il la prŽtendoit, avec dŽfense au Mareschal de l'y troubler, ny de se mesler en rien de son Gouvernement ; et quant au rang, on fut honteux de la folie du Mareschal, et, pour la voiler, en dŽcidant ce point comme les autres, il fut dit, qu'avenant que le Gouverneur ou Commandant GŽnŽral de Guyenne ou le Gouverneur de Blaye fussent Officiers de la Couronne, ils vivroient ensemble en Guyenne sur le pied de leurs dignitŽs, et non de leurs Gouvernements.
Cette
bagatelle,
dont toutesfois le Mareschal ne s'est jamais consolŽ, ne mŽriteroit icy aucune place, sans l'incident que voicy. Pontchartrain, brouillŽ avec Saint Simon sur les milices de Blaye, avoit longuement vescu avec luy comme son amy. Il savoit le peu de commerce qu'il avoit avec Mr du Maine. La pluspart de cette affaire se passa ˆ Marly, o Mr de Saint Simon alla plusieures fois chez Mr de Maine. Pontchartrain, qui n'en logeoit pas loin, le seut ; il s'en estonna, il chercha ˆ en aprofondir la cause, il la trouva, et tout aussy tost il prŽvint le Roy sur son Ždit des gardes costes, de manire que, Mr de Saint Simon gaignant contre Montrevel ce point des milices comme les autres, il se trouva qu'il le perdit en effet par la rŽserve expresse de cet Ždit, que le Roy voulut, et que Mr du Maine et la Vrillire, qui la trouvoient injuste, ne purent jamais empescher.
Un
acharnement si noir et si mŽditŽ, aprs ce que Saint Simon avoit fait pour sauver Pontchartrain, l'outra contre luy, et, dans sa colre, il fut trouver la Chapelle, un de ses premiers commis, qui avoit lors depuis longtemps sa confience, et qu'il perdit bientost aprs parce qu'il avoit celle de son pre et beaucoup d'amis considŽrables. Il luy conta le salaire qu'il recevoit du salut de Ponchartrain, et le chargea de luy dire de sa part qu'il savoit bien toute la disproportion de puissance qui estoit entre eux, mais qu'il n'ignoroit pas aussy qu'en mettant le tout pour le tout, et sans estre retenu par rien pour perdre un homme, il arrivoit quelquefois qu'on y rŽussissoit, et qu'il pouvoit compter qu'il postposeroit tout ˆ sa vengeance, exceptŽ le mensonge et le crime.
La
Chapelle,
ŽpouvantŽ et hors de moyen d'excuser l'un ny d'apaiser l'autre, courut, ds qu'il fut libre, avertir le Chancelier, qui envoya d'abord prier le Duc de Saint Simon qu'il le pust voir dans la journŽe. Il y alla, et le trouva seul, se promenant dans son cabinet, fort affligŽ. Il eut beau dire, conjurer, dŽclamer contre son fils, demander gr‰ce ; tout fut inutile. Mr de Saint Simon se plaignit que la Chapelle luy eust donnŽ cette douleur, mais il tint ferme et, ce qui est infiniment rare, le Chancelier ne l'en aima ny moins tendrement ny avec moins de confience, et ne le vit pas moins presque tous les jours, et la Chancelire de mesme, quoiqu'il ne vist ny ne parlast plus ˆ leur fils. Celuy cy voyoit le Dauphin mort ; il s'estoit rasseurŽ dans sa place, et ne craignit plus rien. Il en a fait bientost aprs une dure pŽnitence, ˆ laquelle il n'est pas encore accoustumŽ depuis vingt ans.
[Voir aussi Appendice III]
Ds
avant
la mort du Duc de Chevreuse, il fut apparamment question de pourvoir d'avance ˆ l'Žducation du Dauphin qui est maintenant sur le trosne. Le Duc de Beauvillier, incommodŽ et au lit ˆ Vaucresson, entretenant le Duc de Saint Simon, teste ˆ teste, d'affaires, comme depuis longues annŽes cela leur arrivoit continuellement, le promena sur cette Žducation et sur les personnes qui, en tous degrŽs, y pouvoient estre admises ou prŽfŽrŽes.
De
lˆ, passant plus avant, il le pria de luy rŽpondre sincrement et sans aucun compliment ˆ une question qu'il luy alloit faire, mais uniquement au vray et selon son cÏur. Ç Si, d'icy ˆ quelque temps, luy dit il, le Roy me mettoit ˆ la teste de cette Žducation comme Chef, et non plus comme Gouverneur, dont ma santŽ ne me permettroit plus de remplir les fonctions, vous estes mon ancien de bien loin ; parlŽs moy librement, auriŽs vous peine ˆ estre Gouverneur? Ñ Sous nul autre que vous, luy respondit Saint Simon, je ne le voudrois estre ; mais vous qui l'avŽs estŽ dŽjˆ, qui estes tout ce que vous estes, et plus que tout cela ˆ mon Žgard, comme mon propre pre, et que j'ay toujours aimŽ et respectŽ de mesme, je seray sous vous tout ce que vous voudrŽs, non seulement sans rŽpugnance, mais avec un sensible plaisir. Aprs cela, ajousta t'il, puisque vous me parlŽs de cecy, qui est si important, il faut vous dire vray, et je vais vous le dire sans modestie et sans prŽsomption, comme je le dirois d'un autre ; un tel et un tel dont vous m'avŽs parlŽ d'abord, (et on ne les nomme pas parce qu'ils vivent l'un et l'autre), ne vous y trompŽs pas, et pesŽs les bien. Un tel est meilleur que moy, et je me croy meilleur que l'autre. È Les larmes vinrent aux yeux de Beauvillier. Il embrassa tendrement Saint Simon. Apparamment aussy que les projets changrent, peut estre par sa santŽ ; jamais depuis ils ne s'en sont parlŽs.
Voicy
encore
une autre confience de ces deux hommes, bien curieuse. Ce fut ˆ Fontainebleau, au voyage que Bullingbrooke y fit, qui fut suivi de l'Ambassade du Duc d'Aumont en Angleterre, c'est ˆ dire ˆ la fin de l'automne 1712. Ds le prŽcŽdent Fontainebleau, qu'on commenoit ˆ espŽrer de dŽtacher l'Angleterre de la Grande Alliance et d'arriver par lˆ ˆ la paix, il fut question entre les Ducs de Beauvillier, de Chevreuse, de Saint Simon, et deux autres, et on le retouchera ailleurs, de la manire de rendre valides les Renonciations respectives aux Couronnes de France et d'Espagne, qui devoient estre le fondement radical de la paix. Le secret estoit extresme. La difficultŽ ne tomboit que sur nos Princes, et non sur l'Espagne, o la solemnitŽ de las CortŽs validoit tout sans retour. D'Estats GŽnŽraux en France, impossible d'en prononcer seulement le nom au Roy, et c'estoit d'un Žquivalent en force qu'il s'agissoit.
Beauvillier
pressa
tant Saint-Simon de faire un mŽmoire lˆ dessus que, sans-secours, il le fit [11], et tous les soirs, Beauvillier venoit, sans flambeaux, avec un seul laquais, de l'autre bout du chasteau, voir ce qui avoit estŽ Žcrit dans la journŽe. I1 fut content du mŽmoire, Chevreuse aussy. Il estoit estendu et fort appuyŽ sur l'histoire, autant que le pouvoit estre un (sic) chose sans exemple ; et pour lors les choses en demeurrent lˆ.
L'annŽe
suivante,
1712, au mesme Fontainebleau, mesme affaire se remit sur le tapis entre les mesmes, exceptŽ le Duc de Chevreuse, malade ˆ Paris, o il mourut vers la fin de la mesme annŽe. On avoit perdu le Dauphin et la Dauphine ; l'Angleterre s'estoit dŽclarŽe ; Bullingbroocke estoit, de la part de la reine Anne, ˆ Fontainebleau ; la rŽsolution de la forme des Renonciations des Ducs de Berry et d'OrlŽans ˆ la Couronne d'Espagne et de l'admission juridique et solemnelle de la Renonciation du Roy d'Espagne ˆ la Couronne de France pressoit.
Le
Duc de Saint Simon avoit l'entire confience de Mr le Duc d'OrlŽans, et, en affaires, il avoit aussy celle de Mr le Duc de Berry, et il l'avoit seul, car ce dernier Prince aimoit et considŽroit le Duc de Beauvillier, mais rien moins qu'avec la plŽnitude du Dauphin son frre. Ils n'avoient pas estŽ sans beaucoup raisonner avec Saint Simon de cette grande affaire. Saint Simon leur avoit remonstrŽ l'importance, pour eux, des formes ˆ leur acquŽrir un droit inou• dans la monarchie ; que, pour se l'asseurer, il ne leur suffisoit pas de l'achepter par leur Renonciation ˆ leurs droits sur l'Espagne, ny d'avoir celle du Roy d'Espagne ˆ la Couronne de France en la forme la plus lŽgale et la plus authentique qu'on la pouvoit dŽsirer ; que la premire de ces deux choses estoit estrangre ˆ la France, que la seconde n'estoit que la moindre moitiŽ de leur seuretŽ, parce qu'encore que le Roy d'Espagne renonast valablement pour luy ˆ la Couronne de France, la France ne renonoit ny ˆ luy ny ˆ sa postŽritŽ, et par consŽquent n'admettoit ses cadets, ˆ son prŽjudice, qu'autant que les formes y seroient gardŽes telles qu'il se pust vŽritablement monstrer que la France, autant que la chose estoit possible, avoit effectivement et librement acceptŽ et admis la Renonciation du Roy d'Espagne.
De
lˆ la discussion de ces formes, et le mŽmoire du Duc de Saint Simon, qui les proposoit et les prouvoit, et qui monstroit en mesme temps que nulles autres ne les pouvoient supplŽer. Les deux Princes y estoient donc arrestŽs, et l'un et l'autre en avaient parlŽ plus d'une fois en ces termes au Duc de Beauvillier. On ne finiroit point d'entrer dans le destail de ce mŽmoire. Il suffit de dire que Beauvillier en estoit aussy persuadŽ que Saint Simon, mais qu'il ne l'estoit pas moins en mesme temps de l'impossibilitŽ d'y rŽsoudre le Roy, ennemy jusqu'au nom de tout ce qui sembleroit ajouster quelque chose ˆ sa puissance. Cela peinoit infiniment le Duc, d'autant qu'aprs force examens, nulle solution.
Le
lendemain
d'une de ces conservations [sic] qui n'avoient rien produit entre luy et le Duc de Saint Simon, il l'envoya chercher et luy dit que la discussion qu'ils avoient faite tous deux ensemble l'avoit empeschŽ de dormir toute la nuit ; qu'il ne voyoit aucun moyen de faire venir le Roy ˆ ce qui en effet estoit nŽcessaire ; qu'il estoit vray qu'en se passant ˆ moins, la soliditŽ n'y estoit pas, mais qu'au bout il falloit bien en sortir par quelque chose, puisque la paix ne se pouvoit sans cela, et que les Princes se contentassent des formes qu'on pourroit raisonnablement espŽrer du Roy, quoyqu'encore avec peine ; et que c'estoit ˆ quoy il devoit travailler avec eux.
La
rŽponse
de Saint Simon fut facile : ce fut de luy demander s'il abuseroit de la confience des Princes pour les tromper. Cela accabla Beauvillier davantage. Il rŽpliqua que ce n'estoit point les tromper, mais leur monstrer la difficultŽ telle qu'elle estoit, entre des formes valables et seures, mais impossibles, et d'autres formes praticables qui ne laisseroient pas de valoir, quoyque avec moins de soliditŽ ; mais que, dans une affaire qu'il falloit finir, et qui ne se pouvoit consommer qu'au grŽ et ˆ la volontŽ du Roy, ils ne devoient ny se brouiller avec luy, ny rŽduire les choses ˆ l'impossible. D'autres considŽrations importantes et sensibles furent aprs discutŽes, et la fin de la conversation fut que tous deux y penseraient encore le reste de la journŽe et se reverroient le lendemain, ˆ pareille heure et en pareil lieu.
Le
lendemain
donc, ils se retrouvrent ; et d'abord Beauvillier, avec un air peinŽ, demanda ˆ Saint Simon quelle rŽsolution il luy apportoit, et voulut de suite entamer de nouveau la matire. Saint Simon l'interrompit, et luy dit qu'une nouvelle discussion estoit superflue et ne leur donneroit aucune nouvelle lumire, aprs avoir tant dŽbattu ; que, pour luy, plus il y pensoit, moins il estoit ŽbranslŽ, et moins voyoit il rien qui pust le faire changer d'opinion, ny le persuader d'en faire changer aux Princes ; qu'il ne se sauveroit pas non plus avec luy en luy proposant d'essayer de les Žbransler, parce qu'il estoit vray que lˆ dessus ils avoient en luy seul toute leur confience ; qu'il n'estoit donc plus question entre eux deux de raisonnement sur cette matire, tant et tant retournŽe et aprofondie, et sur laquelle il estoit et demeureroit fermŽ en son opinion ; mais qu'il restoit ˆ luy, Beauvillier, une autre voye plus courte et plus simple ; qu'il le regardoit comme un homme d'une vertu ˆ laquelle il falloit cŽder, et qu'il luy procuroit des lumires que d'autres n'avoient pas ; que sa probitŽ et ses connoissances rasseuroient sur tout ce qui estoit de leur ressort ; que, de plus, il le regardoit comme son pre et comme son maistre en tout ; qu'il estoit sans exception le seul homme dans le monde ˆ qui il feroit un pareil sacrifice ; dont il sentoit tout le poids et toute la grandeur, mais qu'il le luy feroit tout entier ; partant, que, laissant toute autre voye, il usast avec luy de celle d'autoritŽ, et que, si absolument il le vouloit, il agiroit contre ses principes, contre ses connoissances, contre sa conviction, et agiroit de bonne foy contre tout ce qu'il avoit fait, pensŽ, persuadŽ, pour rŽduire les Princes au point o il voudroit qu'ils le fussent.
Beauvillier,
que
la premire partie de ce discours avoit accablŽ, fut attendri jusqu'aux larmes de la dernire, et se jetta au col de Saint Simon, qu'il tint longtemps embrassŽ en luy disant les choses les plus touchantes. Puis il ajousta qu'il le mettoit dans un prodigieux embarras.
L'autre
rŽpliqua
que c'estoit pourtant ˆ luy ˆ prendre son parti, et qu'aprs cette dŽfŽrence, telle qu'il ne la rendroit ˆ aucun autre homme vivant sur la terre, il n'avoit plus rien ˆ luy dire. Mr de Beauvillier demanda vingt quatre heures pour se consulter soy mesme ˆ loisir, et pria Saint Simon de revenir encore chez luy le lendemain, ˆ la mesme heure.
ArrivŽ
au
rendŽs vous, la conversation fut courte. Le Duc de Beauvillier avoit passŽ ces vingt quatre heures, et surtout la nuit, dans une agitation extrme. Il demanda au Duc de Saint Simon s'il n'avoit rien de nouveau ˆ luy dire. Ç Pas un seul mot, rŽpondit l'autre. J'ay laissŽ ma langue, et n'ay apportŽ que des oreilles pour recevoir vos ordres, et quels qu'ils soyent, les exŽcuter. È Beauvillier, de nouveau attendri, l'embrassa encore, protestant de tout sentiment d'une dŽfŽrence si unique, et de s'en souvenir sans cesse, avec l'estonnement et la gratitude qu'elle mŽritoit ; puis luy dit que, puisqu'il le vouloit, et faute d'autre moyen possible, il usoit donc de cette autoritŽ que luy mesme luy donnoit et luy prescrivoit, et le prioit de travailler ˆ faire consentir les Princes ˆ s'accommoder de bonne gr‰ce de ce qui se pourroit tirer du Roy pour les formes, sans le choquer, ˆ quoy luy mesme s'employeroit de son mieux, mais qui ne pouvoit aller au delˆ de ce qu'il luy avoit dit qui pourroit estre, et qui fut en effet pratiquŽ aprs.
Le
Duc de Saint Simon luy rŽpondit : Ç Monsieur, vous le voulŽs ainsy ; il ne m'en faut plus davantage. Vous serŽs obŽi, ou je ne pourray ; mais j'espre encore le pouvoir. È Ils s'embrassrent encore, et longtemps et fort tendrement. Il n'en fut pas dit davantage sur l'affaire, et, pour abrŽger ce que cette estrange et unique faon de la terminer faisoit dire au Duc de Beauvillier, Saint Simon se pressa de se retirer.
Il
ne s'estoit pas lˆ chargŽ d'une besogne bien aisŽe. Il falloit nettement paroistre aux Princes avoir changŽ d'avis ; il falloit appuyer un tel changement de raisons, en un mot dŽtruire ce qu'il avoit ŽdifiŽ, et plaider pour ainsy dire contre soy mesme et contre son sentiment, bien inculquŽ et bien persuadŽ, sans en avoir changŽ. Il luy falloit du tour, par consŽquent du temps. Heureusement, les affaires luy en donnrent. Les Renonciations se reculrent, et il eut le loisir de venir ˆ bout de persuader aux Princes qu'en cette occasion, o ils ne pouvoient rŽussir qu'en forant la main au Roy, par la nŽcessitŽ de leurs Renonciations pour la paix, et en essuyant les accompagnements et les suites d'une fermetŽ si nouvelle et si amre au Roy, tellement le maistre dans son Royaume et dans sa famille, le mieux devenoit le plus grand ennemi du bien, duquel il se falloit contenter quand autrement on ne pouvoit obtenir davantage.
Tout
le monde sait en quelles formes se firent ces Renonciations au Parlement. Dreux, Grand Maistre des CŽrŽmonies, se voulut dispenser de convier les Pairs, de la part du Roy, de s'y trouver, et le Roy, qui y trouvoit le compte des bastards, que Dreux ne refusoit pas de convier comme les Princes du Sang, ordonna aux Ducs qu'il trouva sous sa main de s'y trouver et de le dire de sa part aux autres. C'estoit une nouveautŽ comme bien d'autres que Dreux essayoit d'introduire. Plusieurs Pairs rŽsolurent de ne s'y pas trouver, s'ils n'estoient conviŽs en la manire deŸe et accoustumŽe. Les deux Princes intŽressŽs le seurent, et le craignirent pour la validitŽ ; ils en parlrent au Roy deux jours auparavent, et le Roy ordonna ˆ Dreux de convier tous les Pairs de sa part et cela fut exŽcutŽ. PrŽvenons les temps et achevons cette matire, pour n'avoir plus ˆ y revenir. Il s'y trouvera encore de la curiositŽ.
Mr
le Duc de Berry, informŽ de la manire dont cela se passeroit, se trouva bien empeschŽ de sa rŽponse au compliment que le Premier PrŽsident devoit luy faire, et qu'il dŽsiroit avoir pour savoir mieux qu'y rŽpondre. Il confia ses embarras ˆ la Duchesse de Saint Simon, qui, par un greffier du Parlement attachŽ au Premier PrŽsident, eut son discours ; mais le Prince n'en fut pas plus avancŽ, et la Duchesse de Saint Simon luy proposa que son mari luy fist une rŽponse. Il l'accepta comme une dŽlivrance. Il la trouva trop longue pour la retenir ; elle fut abrŽgŽe ˆ la moitiŽ d'une page de papier ˆ lettre ; il la trouva bien, et l'apprit parfaitement par cÏur. ArrivŽ en sŽance, le Premier PrŽsident luy fit le discours qu'il avoit veu. Quand ce fut ˆ rŽpondre, plus de mŽmoire au premier mot. Il toussa, il rougit, il rŽpŽta : Ç Monsieur, Monsieur...; È il se tourna au Duc d'OrlŽans ; bref, il n'en put sortir davantage, et le Premier PrŽsident, voyant bien qu'il en demeureroit lˆ, fit, en homme d'esprit, commencer l'affaire.
C'estoit
justement
le jour que la Duchesse de Tallard, qui venoit d'estre mariŽe, recevoit ses visites sur son lit, ˆ Versailles, dans l'appartement de la Duchesse de Ventadour, sa grand'mre, o la vieille Montauban estoit une de celles qui faisoit les honneurs. En arrivant de Paris, quelqu'un pria Mr le Duc de Berry de passer lˆ avant d'aller chez luy, parce qu'il estoit tard et qu'on n'attendoit plus que luy pour finir cette ennuyeuse cŽrŽmonie. La Montauban, qui, par le jeu, estoit fort familire avec luy, et qui ne savoit pas un mot de ce qui s'estoit passŽ aux Renonciations, fut ˆ luy d'un air de joye, et luy fit des compliments sur son discours et sur ce que personne n'avoit jamais parlŽ avec tant de modestie, de libertŽ et de dignitŽ, et n'avoit jamais tant charmŽ une [sic] si nombreuse et auguste auditoire. Moins il rŽpondoit, plus elle le louoit.
Sa
visitte
fut muette et d'un instant, pour accourir chez luy, o il entra dans son cabinet, et fit appeller la Duchesse de Saint Simon. Lˆ, seul avec elle, il luy conta son aventure parmi tant de larmes et de sanglots qu'elle en fut effrayŽe ; puis il entra en furie contre la Montauban, qu'il crut s'estre mocquŽe de luy, et qu'elle ne pouvoit ignorer qu'il estoit demeurŽ court. De lˆ, se rŽpandant contre son Žducation, il parla avec plus d'esprit et de connoissance qu'on n'en eust deu attendre. Il se plaignit amrement qu'on ne luy avoit rien appris ; qu'on n'avoit songŽ qu'ˆ le tenir bas et estouffer tout en luy, parce qu'il avoit quelquefois monstrŽ des pointes, et qu'on craignoit un troisiesme cadet contre un aisnŽ ; enfin qu'estant devenu plus grand, on l'avoit achevŽ d'abrutir ˆ force de jeu et de chasses, pour le dŽgouster de toute occupation, et qu'on estoit parvenu ˆ faire de luy un gros sot, qui ne pouvoit dire une parole et qui venoit de se dŽshonorer ; et lˆ dessus, les larmes, les sanglots, les dŽsespoirs. Ë peine, en trs long temps, Madame de Saint Simon put elle le remettre, et il luy en parla souvent depuis avec une amertume toujours nouvelle. Il estoit vray que jamais il n'avoit voulu rien apprendre ; mais il ne l'estoit pas moins qu'on l'avoit craint, et qu'ˆ force de le tenir bas, on l'avoit rendu si timide, qu'il n'avait pas tout le tort.
Les
Ducs de Berry et d'OrlŽans allrent en pompe ˆ Paris pour cette action [12], qui fut le 15 mars 1713, les Ducs de Saint Simon et de Saint Aignan, ce dernier premier gentilhomme de la chambre du Duc de Berry, avec eux, dans leur carrosse, en habit de Parlement, avec trois premiers officiers des Princes, dont un de Mr le Duc d'OrlŽans. On descendit ˆ la Sainte Chapelle. Les deux Princes y entendirent la messe dans les deux hautes chaires les plus proches de l'autel, sur un drap de pied qui retomboit sur les deux chaires basses au dessous d'eux, qui estoient vuides, et chacun leur carreau sous leurs genoux. Du mesme costŽ, aux chaires hautes, estoient les Ducs de Saint Simon et de Saint Aignan, chacun sur un carreau, une chaire vuide entre celle de Mr le Duc d'OrlŽans et celle du Duc de Saint Simon. Personne dans les chaires hautes au delˆ de ces deux Ducs, ny de l'autre costŽ, mais les principaux de la suite des Princes aux principales chaires basses des deux costŽs.
Le
reste
du cŽrŽmonial, on l'obmet, parce qu'il a estŽ imprimŽ, et on ajouste seulement icy ce qu'on a affectŽ de n'y pas mettre. L'action commena aux bas siges et continua aux hauts siges, et ces deux sortes de sŽances prŽsentrent aux deux Princes des scandales dont il ne purent se taire plusieurs jours durant, mais qui n'en subsistrent pas moins. Ils se trouvrent choquŽs pour eux mesmes de ce que le banc des PrŽsidents ˆ mortiers estoit plus haut que le leur par un excs de rembourrage, et de ce que le Premier PrŽsident se trouvoit joignant le petit degrŽ du coin qui monte en haut, tandis qu'il y a sur celuy des Pairs deux places entirement dŽbourrŽes joignant le mesme degrŽ, au moyen de quoy on ne s'y pourroit asseoir qu'avec beaucoup d'incommoditŽ, et l'indŽcence encore de ce que la teste de ceux qui y seroient assis n'auroit presque pas excŽdŽ le coude des PrŽsidents. Cela reculoit donc le premier des Pairs deux places plus loin que le Premier PrŽsident, et Mr le Duc de Berry essuya cette reculade.
Ils
avoient
bien ou• parler du bonnet ; mais, quand ils en virent la pratique, leur estonnement alla ˆ l'indignation, et ils ne s'en purent pas cacher. Lorsque la sŽance d'en bas fut finie, ce fut une autre surprise de voir les PrŽsidents se lever et sortir sans qu'aucun Pair branslast de sa place, quoyque les Princes du Sang fussent debout, parce que les PrŽsidents ne se lvent plus pour les Pairs, et se contentent d'oster leur bonnet et de s'incliner lorsqu'ils arrivent. Les Princes et les Pairs sortirent de la sŽance aprs qu'elle fut levŽe et que les magistrats furent passŽs ˆ la buvette. Ils en essuyrent toute la longueur avec assŽs d'impatience, et la toilette des PrŽsidents dura prs d'une heure pour mettre leurs grandes robes fourrŽes de petit gris. Un moment avant que de rentrer en place, ils firent avertir les Princes, qui prirent les leurs, et les Pairs ˆ leur suite, qui tous estoient en place avant que les PrŽsidents arrivassent.
Dans
ce trs court intervalle, Mr le Duc d'OrlŽans s'avana de sa place et fit signe au Duc de Saint Simon. Il ne comprit rien ˆ ce signe jusqu'ˆ ce que, de main en main, et son anciennetŽ le mettoit assŽs prs des Princes du Sang, on luy dit que Mr le Duc de Berry et Mr le Duc d'OrlŽans le prioient de leur aller parler. Il longea donc ce qui restoit de banc de luy ˆ eux. C'estoit pour luy demander s'ils se lveroient ˆ l'arrivŽe des PrŽsidents, le Premier PrŽsident ˆ leur tte, et il leur dit que non, de ne se point couvrir en attendant, et de s'incliner lŽgrement lorsque le Premier PrŽsident, suivi des autres, serait tout contre. Mr le Duc, qui joignoit Mr le Duc d'OrlŽans, se trouva embarrassŽ de la rŽponse, parce que les Princes du Sang se lvent pour les PrŽsidents, et il demanda au Duc ce qu'il feroit. Ç Tout ce qu'il vous plaira, luy rŽpondit le Duc ; vous savŽs vostre cŽrŽmonial, et ce n'est pas ˆ moy ˆ le rŽgler. È Et lˆ dessus se retira ˆ sa place.
A peine fut-il assis, que le Premier PrŽsident, suivi des autres, dŽboucha la lanterne de la beuvette. Mr le Duc de Berry et Mr le Duc d'OrlŽans en usrent prŽcisŽment comme il vient d'estre dit, et Mr le Duc, qui n'en voulut pas faire plus qu'eux, les imita entirement, et les autres Princes du Sang tout de mesme, les Pairs pareillement, mais c'est leur usage depuis que les PrŽsidents ne se lvent plus pour eux : de faon que personne des hauts siges ne bransla pour leur arrivŽe.
L'amertume
s'en
peignit sur leur visage ; mais ils avoient ˆ faire, dans les Princes, ˆ trop forte partie pour s'en oser plaindre. Ils le passrent doucement sous silence, et se consolrent par leurs registres ˆ y escrire ce qu'ils voulurent. Mr le Duc de Berry et Mr le Duc d'OrlŽans furent encore plus choquŽs de leur sŽance en haut. Le banc des PrŽsidents ˆ mortiers, sur lequel les conseillers se mettent ˆ leur suite pour achever de le remplir, ˆ la diffŽrence d'en bas, o il ne se met aucun conseiller sur le banc des PrŽsidents, ce banc, dis je, d'en haut, est rembourrŽ d'un pied plus haut sous les PrŽsidents que sous les conseillers, et il y a dix places de la sorte. Lorsque les dix PrŽsidents ˆ mortiers n'y sont pas tous, ce qui arrive sans cesse, bien plus, s'il n'y a qu'un ou deux PrŽsidents, mesme le seul Premier PrŽsident, le plus ancien de ceux des conseillers qui seoyent de suite sur ce mesme banc s'arreste au rembourrŽ et le laisse entirement vuide ; ce qui fait un petit trosne aux PrŽsidents.
Le
banc des Pairs, qui a pourtant la droite, est prŽcisŽment de la mesme ŽlŽvation de la place des conseillers, et plus bas d'un pied que le rembourrage des PrŽsidents, et a de plus trois places tellement dŽbourrŽes, joignant le coin du Roy, qu'il est impossible de s'y asseoir, et que qui s'y mettroit dŽpasseroit ˆ peine de la teste les genoux du Premier PrŽsident. La reculade est donc lˆ tout autrement sensible qu'en bas, et, tandis que le premier du banc des Pairs est ˆ ce niveau du banc des conseillers et ˆ cette distance du coin du Roy, le Premier PrŽsident, ou, en son absence, le PrŽsident qui tient la sŽance, a le coude sur l'exhaussement du coin du Roy, qui luy sert comme d'un bras de fauteuil, et met d'ordinaire, familirement, son mortier dessus.
Mr
le Duc de Berry et Mr le Duc d'OrlŽans essuyrent donc toutes ces diffŽrences, que les PrŽsidents peu ˆ peu se sont procurŽes par leur tapissier, et en furent vŽritablement picquŽs. Ils se promirent bien d'en parler au Roy de faon ˆ faire remettre les choses en ordre. Le premier n'en eut gures le temps [ 1714], et encore moins la hardiesse ; et si quelle hardiesse ! Pour l'autre, on verra bientost ce qu'il en fit quand il fut le maistre de reigler les choses.
Aprs
la
sŽance, ces deux Princes furent disner au Palais Royal, o Mr le Duc d'OrlŽans donna un superbe festin, tout maigre. Eux mesmes, entre les deux sŽances, et les principaux officiers de leur Maison, avoient priŽ beaucoup de Pairs et beaucoup de gens de qualitŽ qui s'estoient trouvŽs au Parlement. La pluspart des conviŽs s'y rendirent, et les deux Princes eurent soin que les Ducs y fussent placŽs les premiers aprs eux, et en leur rang d'anciennetŽ entre eux. Aprs quoy, ils retournrent ˆ Versailles en pompe, et accompagnŽs comme ils estoient venus.
La
paix,
exceptŽ de l'Empereur et de l'Empire, suivit incontinent, et celle cy fut signŽe ˆ Rastadt, au commencement de l'annŽe suivante, 1714.
La
brusque
mort de Mr le Duc de Berry, sans enfans, arrivŽe ˆ Marly, ˆ vingt huit ans, plein de force et de santŽ, 4 may 1714, renouvela cruellement les horreurs rŽpandues ˆ la mort de son incomparable frre et de Madame la Dauphine et du petit Dauphin.
Plust
ˆ Dieu pouvoir entirement obmettre une calomnie si complte, mais si estrangemenl hideuse, puisqu'il n'est pas permis de percer ce mystre d'iniquitŽ si dŽtestable, mais dont l'effet a estŽ trop public, trop important, et a trop violemment et trop longuement influŽ dans les choses les plus principales, pour pouvoir estre obmis dans un lieu o il s'agit du Duc de Saint Simon, qui y a fait une figure si heureuse, et en mesme temps si difficile. On a remis au plus tard qu'on a pu l'horreur de cette intrigue, sur laquelle on passera mesme avec la lŽgretŽ d'un oyseau qui vole, sans toucher ˆ rien, par les airs. Ces temps ne sont pas assŽs reculŽs pour qu'on ait oubliŽ ce qui s'y passa, ce qui s'en rŽpandit, l'Žclat Žnorme qui en rŽsulta.
L'abandon
o
Mr le Duc d'OrlŽans tomba fut universel. Le plus intime, ce qui seul restoit d'intime, estoient ses parties. On le savoit ; qui, avec cela, auroit osŽ luy parler ? Cette excommunication civile estoit au point de se destourner ˆ sa rencontre et de voir les pelotons de gens ensemble, dans le salon de Marly, se dissiper ˆ l'instant qu'il approchoit de quelqu'un ; en sorte qu'ˆ la lettre il n'avoit qui que ce fust ˆ qui parler.
Le
Duc de Saint Simon fut l'unique qui demeura fidle ˆ l'amitiŽ et qui ne changea quoy que ce soit ˆ sa conduite ˆ l'Žgard de ce Prince. Il eut cette fortune, qu'il recueillit de sa conduite et de toute la suite de sa vie, qu'avec beaucoup d'ennemis puissants et dangereux, aucun n'osa hazarder de jetter aucun soubon sur luy, et il n'entra dans la teste de personne, sans exception, la moindre idŽe sur son compte. Mais s'il eut ce bonheur sans comparaison au dessus de tous les autres, il n'en essuya pas moins une persŽcution trs fascheuse.
La
mort de ce Dauphin, dont la terre n'estoit pas digne, avoit dŽvoilŽ assŽs de choses qu'il importoit alors moins de cacher, pour que les mieux informŽs de la Cour ne le fussent bien de la grandeur de la perte qu'y avoit fait [sic] Mr de Saint Simon, quoyqu'on fust encore bien loin d'en savoir toute l'estendue ; mais on en connoissoit assŽs pour ne douter pas que nul Žvnement la luy pust remplacer. Outre ces motifs d'ambition, on connoissoit aussy ceux de son cÏur, et sa franchise et sa libertŽ au milieu de la Cour estoient telles, qu'il y estoit toujours ˆ dŽcouvert sur ses affections et sur le degrŽ mesme de ses affections.
Aux
bruits
qui s'estoient rŽpandus avec tant d'Žclat et de scandale, on ne pouvoit allier la constance de l'attachement de Saint Simon pour le Duc d'OrlŽans, encore moins cette constance unique dans l'abandon universel. C'estoit donc un contredit puissant, et ce contredit estoit infiniment incommode, parce qu'il estoit public et de tous les jours. On chercha donc ˆ s'en dŽlivrer, et, pour cela, ˆ tascher d'effrayer le Duc sur sa conduite avec un Prince perdu auprs du Roy, et perdu d'une manire si cruelle, et ˆ laquelle le monde prenoit parti avec un Žclat si uniforme et si peu mesurŽ. Madame de Maintenon, si retenue en toutes ses dŽmarches, menaa, et devant gens par qui elle comptoit bien que le Duc en seroit averti. Il le fut en effet, et tous ses amis le persŽcutrent de cŽder au temps et ˆ l'orage. Il rŽsista ˆ tous ; mais il cŽda au Duc de Beauvillier, qui exigea qu'il partiroit de Marly pour la FertŽ, et, qu'il y resteroit un temps court, mais jusqu'ˆ ce qu'il le rappellast.
Le
temps
en effet fut court ; mais, au retour, Saint Simon vescut ˆ son ordinaire avec le Duc d'OrlŽans, et en public et en particulier. Les menaces continurent, et les vives reprŽsentations de ses amis. A la fin, on se lassa, et ceux qui le craignoient coneurent encore plus de frayeur d'une telle fermetŽ, et si fort unique, qu'ils ne doutrent pas qu'il ne devint le premier personnage, si Mr le Duc d'OrlŽans, au droit de sa naissance, arrivoit jamais au timon. Mais, sous ces superficies, que de curiositŽs ensevelies, et que d'anecdottes qu'on peut dire Žgalement bonnes ˆ orner et ˆ dŽcorer la plus excellente histoire, et ˆ ne voir jamais le jour !
Cette
annŽe
1714 fut fatale au Duc de Saint Simon par la perte civile [sic] et naturelle de ses deux plus intimes amis, mais l'un bien plus que l'autre.
La
premire
arriva le 2 juillet, par la retraite du Chancelier de Pontchartrain ; l'autre, le dernier aoust de la mesme annŽe 1714, par la mort du Duc de Beauvillier. Le premier estoit son esprit, l'autre son ‰me. Ce dernier avoit estŽ affligŽ au dernier point par la mort de ses deux fils. Celle du Duc de Chevreuse luy avoit fait un vuide d'une grande amertume ; mais la mort de son Dauphin l'atterra.
Pour
le Chancelier, il avoit toujours eu l'intervalle entre la vie et la mort dans le cÏur. Sa femme, qui, en tout genre, se pouvoit dire la femme forte, l'avoit toujours destournŽ de la retraite et, en mourant trs saintement et trs courageusement, luy avoit fait promettre d'attendre trois mois aprs sa mort, dans l'espŽrance que ce terme seroit suffisant pour l'arrester, et dans l'impuissance d'en obtenir davantage. Il tint parole, et ˆ elle et ˆ soy, car, au bout du terme, jour pour jour, il s'enfuit dans la solitude.
Outre
son
aage et les veŸes de piŽtŽ, outre qu'il n'avoit pu s'accoustumer ˆ la diminution de sa faveur, il prŽvoyoit, en habile homme, deux orages sur le point d'Žclater, dans lesquels il ne voulut pas estre emportŽ, et il n'y vit de salut que la retraite. C'estoient les rŽsolutions extresmes contre le Cardinal de Noailles et tout ce qui n'adoroit pas la fameuse constitution Unigenitus, et ce qui se tramoit pour porter les bastards jusqu'ˆ la Couronne. Rien ne fut donc capable de le destourner d'un parti pris sur de tels fondements.
La
surprise
du Roy fut grande lorsque le Chancelier luy demanda la permission de se retirer ; il ne croyoit pas la chose en elle mesme possible. L'ancien goust et l'habitude journalire le firent rŽsister longtemps ; il demanda un dŽlay au Chancelier, au bout duquel il fallut bien le laisser aller. Luy mesme rapporta les Sceaux au Roy, ˆ Marly, avec l'air le plus ordinaire, le plus simple, mais le plus serein. Le Roy le combla d'amitiŽs et de marques utiles et honorables d'estime, sans qu'il en eust demandŽ pas une, et exigea qu'il le verroit au moins une fois ou deux l'annŽe en particulier. Il se prŽsentera plus d'une occasion de parler de luy pendant la RŽgence, et de la manire dont il se conduisit dans sa retraite. Il avoit exigŽ du Duc de Saint-Simon de revoir son fils ad
honores, et le Duc, qui y avoit eu toutes les peines du monde, ne laissa pas ignorer au pre, par propos distincts et trs nets, ny au fils par une conduite trs expressive, que ce n'estoit que rancune tenant, et rancune toute entire.
Voysin,
qui
avoit succŽdŽ ˆ Chamillart dans la place de SecrŽtaire d'Estat de la Guerre, y joignit les Sceaux et celle de Chancelier tout aussytost que Pontchartrain y eut renoncŽ. C'estoit moins la crŽature que l'‰me damnŽe de madame de Maintenon, par consŽquent de Mr du Maine, et il n'estoit pas mesme de la connoissance de Mr de Saint Simon. Torcy, quoyque cousin germain de ses deux meilleurs amis, n'estoit au vray que leur cousin germain, et des hazards avoient fait que jamais Saint Simon et luy n'avoient pris ensemble, et de lˆ, sans avoir jamais eu rien ˆ dŽmesler, ne s'aimoient point.
NancrŽ,
qui
avoit toujours estŽ fort bien avec Mr le Duc d'OrlŽans, qui l'avoit fait capitaine de ses Suisses, et qui s'estoit fourrŽ chez Torcy parce qu'il avoit de l'esprit et de l'intrigue, fut chargŽ par luy d'exorciser ce Prince dans le temps qu'il estoit si fort question des formes des Renonciations. Il y perdit son latin ; il crut que Mr de Saint Simon retenoit ce Prince, et le dit ˆ Torcy, lequel le redit au Roy. Mr de Saint Simon en fut averti par Mr le Duc de Berry, ˆ qui le Roy en parla, de sorte qu'il ne voulut plus voir ce Prince qu'avec mesure, mais sans changer rien ˆ l'Žgard de Mr le Duc d'OrlŽans, ny de langage avec l'un et avec l'autre, jusqu'ˆ la violence qu'il se laissa faire lˆ dessus par le Duc de Beauvillier, qu'on a veue plus haut. Cette aventure indisposa fort Saint Simon contre Torcy, comme on le verra bientost.
Desmarests,
en
faveur duquel Chamillart avoit abdiquŽ les finances, avoit tesmoignŽ, comme on l'a veu plus haut, la plus gŽnŽreuse amitiŽ et les plus grands services des Ducs de Saint Simon pre et fils dans sa longue et profonde disgr‰ce [sic], le jour qu'il les eut, sa reconnoissance ˆ Saint Simon devant tout le monde, dans les termes les plus forts, jusqu'ˆ luy faire excuse de n'avoir pas eu le temps d'aller chez luy ds que la chose fut faite. Il estoit ˆ son aise avec luy sur l'argent.
Il
savoit
qu'il n'avoit jamais voulu se mesler d'aucune sorte d'affaire du temps de Pontchartrain et de Chamillart, et Saint Simon luy parlait depuis ˆ peine de celles que les terres et les affaires qui s'y font par le Roy en temps de guerre et de nŽcessitŽ forcent tout le monde d'avoir au Contr™leur GŽnŽral. Il croyoit donc pouvoir compter sur [une] amitiŽ si bien cimentŽe, et d'ailleurs si peu ˆ charge ; mais il se trompa, et il Žprouva que l'exil et les malheurs n'avoient pu, en vingt annŽes, instruire Desmarests sur ses vŽritables amis.
Le
Ministre
et la faveur luy tournrent la teste, et il s'abandonna ˆ une humeur farouche et brutale, qui ne connoissoit personne. Saint Simon, qui s'apereut de ce changement, et qui n'avoit jamais estŽ empressŽ, s'Žloigna tellement, que Chevreuse et Beauvillier s'en apereurent aussy ; mais ils Žchourent et ne purent rŽchauffer Desmarests, sans cause toutefois, et sans Žclaircissement aucun.
Quelque
temps
aprs, Saint Simon, forcŽ de luy aller parler de plusieures choses qu'il avoit laissŽ accumuler pour expŽdier matire plus ˆ la fois, en essuya une algarade folle. Il ne dit mot, parce que c'estoit teste ˆ teste, et qu'il n'y eut rien de formel ˆ la personne, mais il le sentit si bien qu'on en verra la suite. Tout ce qu'il avoit demandŽ se fit pourtant ds le lendemain, et luy fut envoyŽ tout musquŽ, tant Desmarests, revenu ˆ soy, fut honteux. Mais il avoit affaire ˆ un homme qui n'avoit jamais ŽprouvŽ rien d'approchant de qui que ce fust, et qui n'estoit pas pour se contenter d'une expŽdition prompte et gracieuse aprs une rŽception qui l'avoit estŽ si peu ; et onques depuis il ne luy parla d'aucune affaire, ny ne voulut approcher de luy. Desmarests le sentit, et apparemment le mesprisa. Il luy en cousta bientost aprs sa place, et au delˆ, comme on verra en son lieu.
Le
Mareschal
de Villeroy avoit eu les deux places de Chef du Conseil des Finances et de Ministre d'Estat, que la mort de Mr de Beauvillier avoit fait vacquer. Sa femme et sa belle fille, si intimes amies du Duc de Saint Simon, n'estoient plus depuis longtemps, et, de leur vivant mesme, il ne pouvoit s'accommoder des grands airs du Mareschal, et le marquoit si librement, qu'elles le luy reprochoient souvent, sans qu'il prist la peine de s'en cacher ˆ elles, ny mesme de s'en contraindre, ny de s'en excuser. A cette disposition, le Mareschal, dans ces temps cy, ajousta un travers digne de tant d'autres.
Le
Duc d'EstrŽes et le comte d'Harcourt, qui, longtemps depuis, s'est fait appeler M. de Guise d'une terre en Lorraine ˆ qui il a fait donner ce nom, eurent un dŽmeslŽ si fort et si public, qu'il y fallut mettre ordre. Jamais les Ducs n'ont reconnu, ny n'ont estŽ soumis au tribunal des Mareschaux de France ; les Princes estrangers non plus. Le Mareschal de Villeroy oublia d'une part qu'il estoit Duc et Pair, et de l'autre qu'il estoit beau frre de Mr le Grand, et de tous temps liŽ avec luy d'une amitiŽ intime. Il ne se souvint que de son baston, souvenir et oubli en luy aussy estranges l'un que l'autre.
Le
Duc et le comte renvoyrent plus viste que le pas les gardes qu'il leur envoya. Il fit grand bruit, et pretendit les soumettre. Les Ducs et les Princes estrangers, pour cette fois unis, n'en firent pas un moins grand, et le Mareschal eut le dŽmenti tout du long. Le Roy, sans mention des Mareschaux de France, ny de l'insulte faite ˆ leurs gardes, envoya le Duc et le comte ˆ la Bastille, puis commit trois Mareschaux de France par commission, et non en qualitŽ de Mareschaux de France, et sans qu'aucun autre en pust estre, pour les accommoder.
Ils
sortirent
de la Bastille par ordre du Roy, sans mention des Mareschaux, furent conduits chez le Mareschal de Villeroy, o estoient les deux autres commissaires, et y furent reeus avec toute sorte d'honneurs. Il n'y fut pas fait la moindre mention de ce qu'ils avoient fait ˆ leurs gardes et dit sur leur tribunal. Le Mareschal de Villeroy parla toujours au nom du Roy, et, par son autoritŽ, de la commission qu'ils avoient tous trois de luy, les firent embrasser ; aprs quoy chacun des deux s'en alla libre chez soy. Cette affaire, qui fut d'abord soutenue avec hauteur par le Mareschal, Žchauffa la bile au Duc de Saint Simon, qui se lascha en propos plus que libres sur luy. Il le seut, et Mr de Saint Simon affecta, ˆ Marly, des faons avec luy peu convenables, et qui finirent par luy refuser le salut dans l'apogŽe de sa faveur.
Ainsy,
de
tous les Ministres, il n'y en avoit plus aucun avec qui il fust bien, aprs avoir estŽ si intimement et si longtemps liŽ avec tous, ou presque tous, et avec les plus considŽrables. Un seul restoit, qui l'estoit fort peu, SecrŽtaire d'Estat et non Ministre. C'estoit la Vrillire. Son grand pre et son pre, tous deux SecrŽtaires d'Estat, avoient estŽ fort amis du feu Duc de Saint Simon. La Vrillire l'estoit de celuy cy, et la Guyenne, qu'ils avoient dans leur dŽpartement, leur avoit donnŽ occasion de faire essentiellement plaisir au pre et au fils.
Il
falloit
ce court tableau de la situation d'alors de Mr de Saint Simon avec tous les Ministres et les SecrŽtaires d'Estat pour mieux estre au fait des suites ; mais il le faut achever, puisque nous y sommes. Mr de Saint Simon avoit toujours estŽ des amis des JŽsuites, parce que son pre l'estoit, mais sans s'en donner aucun soin. Il n'estoit mesme en liaison qu'avec un seul, lorsque le pre Tellier devint confesseur du Roy. Il fut trs surpris qu'estant extŽrieurement de si peu de chose, ce maistre JŽsuite n'eust rien de plus pressŽ, ds les premiers jours, que de se faire prŽsenter ˆ luy, et le cultiva toujours depuis jusqu'ˆ la confience, dont l'autre se seroit trs bien passŽ.
Il
la luy fit de la manire dont il s'y vouloit prendre pour former l'assemblŽe des quarante Žvques pour recevoir la Constitution Unigenitus, et ils eurent lˆ dessus, et sur toutes les suites de cette estrange affaire, des disputes ˆ s'Žtrangler. Tellier prenoit tout ˆ merveilles ; mais la Duchesse de Saint Simon disoit souvent ˆ son mari qu'avec ces disputes lˆ, il se feroit chasser ou mettre ˆ la Bastille ; et le mari luy rŽpondoit qu'il ne pouvoit empescher le confesseur de venir chez luy et de luy parler, ny s'empescher, soy, de luy rŽpondre avec franchise et de soustenir son opinion. Il s'en falloit bien que le JŽsuite luy dist tout ; mais il luy en disoit assŽs pour luy faire souvent horreur, et ce fut une des sources si principales o il puisa les connoissances qui, fortifiŽes de tout ce qui se passa depuis, et qu'il vit toujours de fort prs, luy donnrent cette horreur de la Constitution et de ses supposts qu'il ne cachoit point, mme du temps du feu Roy, et qu'il monstra depuis davantage, parce qu'il se trouva en place de parler plus d'une fois lˆ dessus.
Si
Dieu eust laissŽ plus longtemps le Dauphin sur la terre, cette estrange affaire n'auroit pas tant ny [si] longtemps troublŽ l'ƒglise et l'Estat. Le Roy la luy avoit renvoyŽe, Saint Simon luy avoit fourni Besons, lors Archevesque de Bordeaux, mort depuis Archevesque de Rouen, pour y travailler sous luy, et ce prŽlat rendoit exactement compte ˆ Saint Simon de ce qui s'y passoit. Le Dauphin eut une telle horreur du pre Tellier, par la dŽcouverte que produisit la fameuse lettre de Bochart Champigny, trŽsorier de la Sainte Chapelle de Vincennes, ˆ Bochart de Saron, son oncle, Evesque de Clermont, que le Dauphin vouloit que le confesseur fust chassŽ.
Dans
les
suittes, il voulut que Saint Simon y entrast plus directement, et, la dernire fois qu'il travailla, ˆ Marly, avec le Duc, immŽdiatement avant le retour ˆ Versailles, o aussy tost aprs Madame la Dauphine se mit au lit de la maladie dont elle mourut si promptement, ce Prince, raisonnant sur cette affaire, dit au Duc qu'on ne luy persuaderoit jamais que le Cardinal de Noailles fust JansŽniste et que ce ne fust pas un trs homme de bien et trs droit, et il ordonna ˆ Saint Simon de s'instruire ˆ fonds, et de toute cette affaire, de plus en plus, et de toute la matire des libertŽs de l'ƒglise Gallicane, pour travailler ˆ fonds sur l'une et sur l'autre avec luy.
Sa
mort, qui suivit de si prs celle de Madame la Dauphine, mit fin ˆ ces projets, et donna libre cours ˆ l'ambition, qui trouva si abondamment son compte ˆ pousser cette affaire, et ˆ la faire durer par toutes sortes de voyes, et ne s'en lasser pas encore aujourd'hui, au bout de vingt trois ans.
Mais
pour
achever ce qui regarde Saint Simon et Tellier, un jour que ce dernier avoit demandŽ une longue audience ˆ l'autre ˆ Versailles, dans son arrire cabinet, il luy dit des choses si estranges que Saint Simon, qui l'avoit vis ˆ vis de luy entre deux bougies, et une table entre eux deux, fut tellement frappŽ d'un homme qui, pour soy ny pour ses parents, qui n'existoient pas, n'avoit rien ˆ gaigner que vengeance et diminution, sans en faire meilleure chre, ny un seul pas vers aucune autre fortune, enfin tellement hors de soy par rapport aux jugements de Dieu, dont son visage le monstroit si proche, que tout ˆ coup il l'interrompit, et tout cruement luy demanda quel aage il avoit. L'extrme surprise du confesseur fit revenir Saint Simon ˆ soy, et le jetta dans la mesme surprise. Tellier luy demanda pourquoy il luy faisoit cette question ; qu'il avoit soixante dix sept ans. L'autre en sortit lestement par luy dire que, le voyant vis ˆ vis de luy, avec si bon visage, la curiositŽ l'en avoit pris, et tout de suite rentra en matire.
Lorsque
Amelot,
conseiller d'Estat, et qui s'est acquis tant d'honneur dans ses Ambassades, fut envoyŽ par le feu Roy ˆ Rome, pour tascher de faire tenir en France un Concile national, Tellier en parla, ˆ Marly, ˆ Saint Simon ; puis, aprs divers contours, il luy dit que le projet estoit de le tenir ˆ Senlis, et Mailly, Archevesque de Rheims, depuis Cardinal, de la province de qui est Senlis, estoit ennemi personnel du Cardinal de Noailles et tout ˆ leur dŽvotion. Le confesseur ajousta au Duc qu'il estoit Gouverneur de Senlis, et que rien ne conviendroit davantage qu'il fust commissaire du Roy au Concile. Saint Simon frŽmit ˆ la proposition, et la refusa tout plat, avec Žmotion.
Il
sentoit
que cet employ seroit sa perte, parce qu'il y faudroit estre le bourreau ˆ gage des chefs de la Constitution, ou la victime de la reigle et de la libertŽ qu'il y auroit voulu maintenir, au lieu d'y estre le ministre des violences. Le confesseur, surpris d'un refus si net et si sec : Ç Quoy donc! dit il avec surprise, est ce parce que vous estes Duc et Pair et que les commissaires des Empereurs aux anciens Conciles n'estoient que comtes, et que vous croyŽs cet employ au dessous de vous ? È
Saint
Simon
sourit ˆ une si folle idŽe, et luy rŽpondit qu'il n'ignoroit pas qu'un Duc et Pair de France estoit bien loin d'aller ˆ la cheville du pied d'un comte d'Orient, ny mesme d'un prŽfet du prŽtoire, mais que, n'ayant ny la science ny les talents propres ˆ cet employ, rien au monde ne le luy feroit accepter. Le Tellier, qui y vouloit estre maitre de tout, espŽroit apparamment forcer Saint Simon, par le Roy, ˆ exŽcuter ses volontŽs, et en auroit craint d'autres par leurs liaisons avec les Cardinaux de Rohan et de Bissy.
L'affaire
Žchoua
ˆ Rome, o ils ne veulent pas souffrir, ny moins avouer, que les ƒvesques soyent juges de la foy, ˆ plus fortes raisons en choses o le Pape a parlŽ. Ce mesme Amelot, de retour, conta ˆ Mr de Saint Simon, dans le cabinet de ce dernier, qu'un jour, le Pape, qui le traitoit avec toute sorte de bontŽ et de confience, se mit ˆ dŽplorer avec luy l'estat o la Constitution avoit mis les choses, et surtout son autoritŽ ; que, lˆ dessus, Amelot prit la libertŽ de luy demander pourquoy, ne s'agissant que de la condamnation d'un livre peu estendu, il ne s'estoit pas contentŽ de quelques propositions, au lieu d'en avoir tirŽ un si grand nombre ; que, lˆ dessus, le Pape s'estoit pris ˆ pleurer amrement, et luy rŽpondit qu'il ne vouloit ny donner la Constitution, ny au moins tant de propositions ; qu'il n'avoit accordŽ la Constitution que sur les plus vives, longues, continuelles instances du Roy et des chefs de cette affaire, et que sur ce qu'ils luy avoient tous rŽpondu que le Roy estoit si absolu et si parfaitement maistre dans son Royaume, que tout seroit reeu sans la moindre difficultŽ ; qu'ˆ l'Žgard de ce nombre excessif de propositions extraites du livre, il s'estoit battu ˆ la perche pour qu'il y en eust moins (ce fut l'expression franoise par laquelle Amelot rendit l'italienne, en appuyant dessus, comme celle qui l'exprimoit le mieux), mais que, le Pre Tellier ayant dit et asseurŽ au Roy qu'il y avoit dans ce livre plus de cent propositions condamnables, il n'en avoit pu estre quitte, quoy qu'il eust fait, ˆ meilleur marchŽ qu'ˆ cent une, pour contenter le Pre Tellier et faire voir au Roy qu'il luy avoit dit vray. Cette espce de disgression estoit trop curieuse pour l'obmettre. Revenons maintenant aux personnages que nous avons interrompus, et ˆ la faon dont Mr de Saint Simon estoit avec eux dans les fins de la vie du Roy.
Resteroit
ˆ
dire comment Mr de Saint Simon estoit avec Mr du Maine : du dernier mal et du moins mesnagŽ de la part de Saint Simon, plus de huit mois avant la mort du Roy, dont les causes et les suites se verront mieux au titre d'Eu, etc. Mr le Comte de Tolose ne figurait point, et, de Princes du Sang, il n'y avoit que des enfans. Au milieu d'une position si difficile, et malgrŽ l'aversion de Madame de Maintenon et tout ce qui s'estoit pratiquŽ de suivi et de fort pour Žcarter Mr de Saint Simon de Mr le Duc d'OrlŽans, un hazard le rasseura enfin sur les terreurs de ses amis. Ce fut ˆ Marly, au retour du dernier voyage du Roy ˆ Fontainebleau.
Mr
le Duc d'OrlŽans, que Mr de Saint Simon avoit quittŽ, il n'y avoit que trs peu, pour aller ˆ la promenade du Roy, se trouva si mal tout d'un coup, qu'on cria au secours de tous costŽs. Mr de Saint Simon, qui venoit de quitter la promenade sur ses fins, pour se venir chauffer dans un petit salon en attendant que le Roy rentrast, demanda pour qui on crioit si haut MarŽchal et les autres noms de la FacultŽ ; et un garon bleu, toujours courant, luy dit que c'estoit pour Mr le Duc d OrlŽans.
A l'instant, Mr de Saint Simon y monta, et ne le quitta qu'aprs minuit, et y fut presque toujours seul, assŽs peu de gens y estant venus, et chacun deux ou trois minutes. Madame et Madame d'OrlŽans et Madame la Duchesse de Berry estoient restŽes incomodŽes ˆ Versailles. Le Roy, qui dans d'autres temps y seroit accouru, et qui y auroit envoyŽ des gens qualifiŽs de sa part en outre, se contenta de luy mander par MarŽchal qu'il avoit peine ˆ monter. MarŽchal y vint ˆ trois ou quatre reprises depuis, ce mesme jour, comme de luy mesme, mais par ordre du Roy, qui, ˆ chaque fois qu'il redescendoit, s'informoit qui estoit avec son neveu. Mr de Saint Simon fut toujours nommŽ, le plus souvent seul, et le Roy ne rŽpondoit rien.
A la dernire fois, vers son coucher, Mr de Saint Simon ayant encore estŽ nommŽ : Ç Il est fort de ses amis, dit le Roy, il y a longtemps ; je voudrois bien qu'il les eust tous de mesme, car il est fort honneste homme ; il ne luy donnera que de bons conseils, et je serois en repos, s'il n'en avoit point d'autres. È Voilˆ comme quelquefois on Žchappoit aux toiles les mieux tendues, et ce qui montre l'utilitŽ d'une conduite Žgale et suivie, et de n'estre pas facilement susceptible des plus spŽcieuses frayeurs.
Avant
d'entrer
dans un champ, non pas plus long, mais plus vaste, encore une anecdotte en soy trs curieuse, et dont le souvenir, dans les suittes, ne le deviendra pas moins. Le Roy, conduit un train de chasse sur la Constitution par le Pre Tellier, Madame de Maintenon et les Cardinaux de Rohan et Bissy, avoit entrepris d'en faire une loy, et de la faire enregistrer comme telle au Parlement. Cette compagnie monstra une rŽsistance qui irrita le Roy, les derniers mois de sa vie, au point de prendre la rŽsolution d'aller luy mesme au Parlement y faire faire cet enregistrement. On le seut, et luy mesme y donna lieu pour Žbransler le corps, qui n'en fut point Žmu, et le Lit de Justice fut arrestŽ, au dernier voyage de Marly, pour les premiers jours que le Roy seroit de retour ˆ Versailles ; et, dans la vŽritŽ, il seroit allŽ ˆ Paris, si sa santŽ devenue plus mauvaise n'eust fait diffŽrer le voyage, qui ne fut rompu depuis que par l'impossibilitŽ de le faire dans l'estat o le Roy tomba si promptement et qui dura si peu.
Lors
donc
que les mieux informŽs estoient au fait de ce Lit de Justice, et qu'ils n'en douttoient pas, Mr le Duc d'OrlŽans, raisonnant lˆ dessus avec Mr de Saint Simon, luy demanda ce qu'il feroit. Saint Simon luy dit que les Pairs prestoient serment ˆ leur rŽception, d'assister le Roy en ses hautes et importantes affaires ; qu'on ne pouvoit doutter que celle dont il se devoit agir en ce Lit de Justice ne fust de cette qualitŽ ; que de plus les Pairs y seroient ˆ l'ordinaire, et de droit et de nŽcessitŽ, conviŽs de la part du Roy par le Grand Maistre des CŽrŽmonies ; que ce seroit donc, et l‰chetŽ insigne, et manquer ˆ un serment prŽcis, de ne s'y pas trouver, et pis encore que l'un et l'autre, d'y aller pour y trahir le Roy, l'Estat, la religion, et sa propre conscience ; que, de se dire pour excuse l'inutilitŽ d'opiner contre ce qui estoit rŽsolu avant que d'y aller, c'estoit se tromper et voiler sa misre, pour ne pas dire son infamie, puisque, lorsqu'on est obligŽ de dire son avis, on ne rŽpond ny du succs, ny que l'avis soit suivy, mais uniquement de le donner selon ses lumires, en son honneur et conscience ; que, par toutes ces raisons, son parti estoit bien pris d'avoir mis ordre chez luy ˆ ses affaires, son pacquet fait, sa chaise de poste preste, d'aller au Parlement, d'y opiner avec tout le respect, la mesure, mais toute la force possible, contre l'enregistrement, et d'attendre en paix ou l'exil ou la Bastille.
Mr
le Duc d'OrlŽans embrassa Mr de Saint Simon, et luy dit qu'il l'affermissoit dans sa rŽsolution pareille ; qu'il auroit ˆ suer plus que Saint Simon, parce [que], sa place joignant le coin du Roy, il le perceroit de ses regards, l'interromperoit ou s'emporteroit peut estre, et ne perdroit pas un mot de ses paroles ; mais, quoy qu'il luy en deust couster, qu'il opineroit nettement contre l'enregistrement. Cette conversation, telle qu'on la rapporte, est certaine de mot ˆ mot. Est ce le mesme Prince qui a fait depuis un Grand Conseil, en personne, et fait aprs au Parlement ce que le Roy, son oncle, ne put exŽcuter ?
Il
y avoit longtemps que, dans l'intŽrieur, on s'apercevoit que la santŽ du Roy tomboit, et c'estoit la matire de beaucoup d'entretiens de Mr le Duc d'OrlŽans avec Mr de Saint Simon, qui seul avoit toute sa confience. Que de curiositŽs importantes et domestiques Žchaperont icy, et que de regrets ne mŽritent ils pas [sic] ! Que de dangers et d'assauts de famille ; que de confience en garde continuelle ; que de balance ˆ la bouche dans les moments les plus intimes et les plus libres ; que de choses ˆ parer et de loin et de prs et ˆ bout portant, avec l'apparence d'un dŽsir Žgal et le manteau d'un intŽrest commun ! Des alliances, des unions, des conventions, des mariages, et tout cela des chaisnes qu'il falloit prendre pour des guirlandes de fleurs, et ne les Žviter que comme dŽlices par une sage prudence qui les avoit en veue encore plus que soy ! Au caractre dont on verra le Duc d'OrlŽans, ˆ celuy de Saint Simon, qui, dans cet intŽrieur intime de famille, ne pouvoit cacher qu'il estoit le seul ˆ qui le Prince s'ouvroit de tout, et qui estoit attaquŽ autant et plus que le Prince, il est incroyable d'avoir ŽchappŽ ˆ ces piges sans les avoir brisŽs, qui estoit un autre Žcueil mortellement ˆ craindre.
Parmi
ces
Žpines de tous les jours, il falloit prendre un plan et cacher qu'on y songeast ˆ ce qui, par estat, estoit un autre soy mesme, et avec qui il falloit vivre comme l'estant en effet, et le cacher avec le mesme soin qu'aux ennemis les plus dŽclarŽs. Ce plan, le croiroit on ? mais cette expression reviendroit sans cesse, Mr le Duc d'OrlŽans, qui, outre qu'il n'avoit rien de plus pressŽ ny de plus important, et ne savoit que faire de soy toutes les journŽes, ne put prendre la peine d'y travailler un moment, et s'en voulut dŽcharger sur le Duc de Saint Simon. Celuy cy, qui le connoissoit bien, s'en estoit doutŽ, mais il s'estoit bien gardŽ de l'escrire. Voicy ce qu'il luy proposa :
Une
sorte
de gouvernement entirement diffŽrent de celuy du Roy, qui en eust la force, et qui en ostast les inconvŽnients ; qui fit aimer le Prince ; qui luy multipliast les gr‰ces ˆ faire ; qui luy donnast lieu de connoistre les gens et de s'en servir ˆ propos, ou de les laisser de mesme ; qui donnast de l'Žmulation et de l'employ ˆ la noblesse, qui la tirast de l'opprobre de n'estre bonne qu'ˆ se faire tuer et de la servitude du tiers estat, et qui peu ˆ peu restablist chacun dans son degrŽ et dans son ordre.
Les
Conseils,
tels qu'on a veu cy devant, que, sans concert l'un avec l'autre, les Ducs de Chevreuse et de Saint Simon les avoient imaginŽs et que le Dauphin les avoit adoptŽs, parurent remplir toutes ces vues. Mr de Saint Simon ajousta que Mr le Duc d'OrlŽans, qui, pour avoir passŽ sa vie particulier et tastŽ jusqu'alors de diverses fortunes, devoit connoistre les gens, devoit aussy beaucoup peser son choix pour ces Conseils ; qu'il devoit considŽrer qu'ˆ la mort du Roy, il seroit trop tard pour tout ; que ce moment seroit le commencement d'un tourbillon d'affaires, de cŽrŽmonies, de disputes, de reiglements, presque tous bagatelles par rapport ˆ luy et au gouvernement, mais bagatelles instantes, indispensables, qui emporteroient nŽcessairement tout son temps et ne luy en laisseroient aucun pour les choses importantes et solides, qui devoient estre toutes rŽsolues, prestes et m‰chŽes ; que, pour cela, il devoit, aprs un meur examen, nommer ˆ par soy tous ces Conseils, et, jusqu'ˆ la mort du Roy, en remplir, ˆ par soy aussy, les places comme vacantes, si quelqu'un de ceux qu'il auroit choisis mouroit, ou s'il s'apercevoit ˆ la conduite qu'il se fust mŽcomptŽ en le choisissant ; que de mesme il devoit prŽvoir tout ce qu'il estoit possible, et l'arrester d'avance, de sens rassis, pour n'avoir plus alors ˆ choisir, ˆ raisonner, ˆ balancer, mais seulement ˆ produire et ˆ dŽclarer ce qu'il auroit arrestŽ depuis longtemps, et comprendre que, mesme avec ces prŽcautions, il surviendroit alors tant de choses imprŽveues que ce luy seroit un double soulagement d'avoir reiglŽ de loin tout ce qu'il auroit pu prŽvoir ; mais surtout de ne s'ouvrir ˆ personne d'aucun choix.
Il
luy recommanda, sur toutes choses, de ne rien changer aux personnes, quelles qu'elles pussent estre, ny ˆ rien de ce qui concerneroit l'Žducation du petit Dauphin, en cas que le Roy en disposast avant que de mourir, et, s'il n'en disposoit point, de chercher ce qu'il y auroit de plus seur et de plus reconnu pour la probitŽ, et, s'il se pouvoit avec, pour les talents, pour les mettre auprs du jeune Prince, mais ˆ condition que, depuis le Gouverneur jusqu'au moindre domestique intŽrieur, aucun d'eux n'eust jamais eu avec luy de liaison particulire d'amitiŽ ou d'attachement ; ce que, aprs les horreurs qu'il ne devoit pas oublier dans cette occasion si dŽlicatement importante, il devoit regarder comme la plus formelle et la plus irrŽparable exclusion ; qu'il croyoit qu'il ne devoit point changer le sŽjour de Versailles ; que c'estoit l'air natal du jeune Dauphin ; que Paris estoit un cahos sujet ˆ toutes sortes d'inconvŽnients, au mauvais air et ˆ l'embarras des sorties et des promenades pour le petit Prince, ˆ une foule chez luy qui seroit d'autant plus accablante qu'elle se trouveroit plus meslŽe ; que luy mesme devoit craindre les plaisirs de Paris par leur facilitŽ, et ne manquer pas de loger hors du palais que le Roy habiteroit ; qu'il se devoit souvenir des embarras o le sŽjour de Paris avoit mis tant de fois la Cour dans la dernire MinoritŽ ; qu'une distance de quatre lieues empeschoit bien des mouvements, ostoit bien des occasions, et donnoit du temps et de la tranquillitŽ dans des Žmotions et des troubles : enfin, rien ˆ gaigner ˆ Paris, tout ˆ y risquer, et rien que de sage, d'honneste et d'utile ˆ se tenir o le Roy avoit passŽ sa vie, et o son successeur estoit nŽ sans en estre encore jamais sorti.
Enfin
Mr
de Saint Simon luy proposa d'assembler des Estats GŽnŽraux, et de les convoquer pour le plus tost que faire se pourroit, ˆ Saint Germain, du moment que le Roy ne seroit plus. Il luy remonstra que l'estat des finances estoit tel qu'il n'y avoit que trois partis ˆ prendre : 1¡ faire une entire banqueroute ˆ toutes les debtes du Roy, et mettre ainsy une infinitŽ de gens ˆ l'aumosne, dont beaucoup avoient prestŽ ou de bonne foy ou forcŽment ; 2¡ continuer et chercher mesme ˆ augmenter les imposts de toutes les sortes, pour soustenir les dŽpenses indispensables, et trouver peu ˆ peu chaque annŽe ˆ rembourser des debtes du Roy ; 3¡ prendre un milieu en admettant par choix et par lumire une partie des debtes, et les payer, et en rejetter une autre, et faire ˆ celles lˆ ou banqueroute entire ou banqueroute en partie. L'inconvŽnient du premier, on l'a dit. Celuy du second seroit le dŽsespoir gŽnŽral dans un temps o on espŽreroit respirer, et o, au contraire, on se trouveroit pis que jamais, et pour longues annŽes. Et ˆ l'Žgard de celuy du troisime, c'estoit de ne contenter personne, d'ouvrir la porte ˆ toutes les injustices d'une liquidation sans fin, qui, nŽcessairement passeroit par des mains infinies, et par consŽquent peu seures, et de faire encore plus crier tout le monde que par aucun des deux autres ; que, dans ce malheur des choses, celuy qui gouvernoit estoit toujours l'objet du mŽcontentement et de la haine, qu'il estoit bien sage d'Žviter ; que les Estats GŽnŽraux n'estoient ˆ craindre que pour ceux ˆ qui on pouvoit imputer ; qu'il estoit hors de toute atteinte de ce costŽ lˆ, puisqu'il estoit de la plus grande notoriŽtŽ que jamais il ne s'estoit meslŽ de rien ; que, tout ce mal ˆ faire estant nŽcessairement portŽ par tout le Royaume, rien de plus juste ny de plus naturel que ce fust tout le Royaume qui choisit son genre de peine, c'est ˆ dire un de ces trois partis ; qu'il y avoit un sicle qu'on n'avoit veu d'Estats GŽnŽraux ; que, depuis bien longtemps, on soupiroit aprs une assemblŽe de cette nature, sans oser en prononcer le nom ; que, si le premier acte de son autoritŽ estoit de prŽvenir ces dŽsirs de toute la France, il s'en feroit adorer et se prŽpareroit la RŽgence la plus glorieuse et la plus paisible ; que tout estoit donc ˆ y gaigner pour luy, et quoy que ce soit ˆ y perdre, ny ˆ y risquer ; que, de plus, il se souvinst que la Renonciation du Roy d'Espagne n'avoit pu estre revestue que des formes que le Roy avoit bien voulu accorder, et qu'assemblant ainsy les Estats GŽnŽraux, c'estoit le moyen infaillible d'y faire passer, admettre et autoriser cette Renonciation sans qu'il y parust songer, ny y mettre rien du sien. Les destails seroient un livre ; mais tel fut le gros, qui, en tout et par tout, fut goustŽ, approuvŽ et rŽsolu.
Question
ensuite
des Ministres d'alors, SecrŽtaires d'Estat, Contr™leur GŽnŽral et confesseur. Saint Simon alla ˆ les congŽdier tous, hors la Vrillire, en quoy l'amitiŽ luy fit faire une grande faute dans son projet. Voysin, tout ˆ Madame de Maintenon et ˆ Mr du Maine, et il parut encore depuis tout autrement ˆ eux, ne pouvoit garder les Sceaux, ny demeurer dans le Conseil, et sa charge de SecrŽtaire d'Estat tomboit d'elle mesme par le Conseil de Guerre. Saint Simon proposa les Sceaux pour le bonhomme Daguesseau, dont la probitŽ, les lumires et la piŽtŽ luy avoient acquis la plus haute rŽputation, et qui estoit lors trs ancien Conseiller d'Estat, et depuis trs longtemps Conseiller au Conseil Royal des Finances. Les charges de Torcy et de Pontchartrain tomboient aussy par le Conseil des Affaires Estrangres et par celuy de Marine. Torcy n'avoit jamais mesnagŽ Mr le Duc d'OrlŽans, et luy avoit toujours estŽ ou contraire, ou pour le moins trs suspect, au point que Mr et Madame d'OrlŽans avoient une dent marquŽe contre Mr et Madame de Castries de ce que, malgrŽ un attachement ˆ eux de tant de titres, ils estoient amis intimes de Mr et de Madame de Torcy. Pontchartrain sappŽ de longue main par Saint Simon auprs du Prince, il n'eut pas de peine ˆ se rŽsoudre d'en faire une victime agrŽable au public, et de Desmarests de mesme, pareillement sappŽ, et dont l'employ tomboit par le Conseil des Finances. Le Mareschal de Villeroy, se trouvant doyen des Mareschaux de France, estoit assŽs naturellement portŽ ˆ la teste du Conseil de Guerre, o il estoit encore moins important qu'ˆ la teste des Finances.
Et
pour le confesseur, si estrangement incompatible avec le Cardinal de Noailles, que Saint Simon vouloit remettre, et tous les siens, ˆ flot, et le porter ˆ la teste du Conseil de Conscience, il reprŽsenta au Prince, qui penchoit aussy vers le Cardinal, que le Tellier, odieux au point o il se l'estoit rendu, et dangereux au point qu'il l'avoit monstrŽ, n'estoit bon qu'ˆ confiner ˆ la Flche ; que, par lˆ, il feroit justice au monde et ˆ ce JŽsuite, mais qu'il se la devoit aussy ˆ luy mesme, et n'oublier pas les services essentiels qu'il en avoit reeus ; qu'ainsy il luy falloit donner 12,000 livres de pension, un ordre bien prŽcis ˆ ses supŽrieurs de le laisser vivre ˆ son grŽ et d'avoir pour luy tous les Žgards et tous les respects possibles ; ordre ˆ l'Intendant de la Province d'y tenir la main, de voir souvent par ses yeux comment cela se passeroit, et en rendre compte, et donner ˆ ce confesseur toutes espces d'amusements, de compagnies et de douceurs non suspectes, ny qui pussent le devenir, et de veiller en mesme temps sur ses lettres et ses commerces, et bien prendre garde qu'ils ne fussent dangereux.
A l'Žgard de la Vrillire, Saint Simon le proposa pour tenir la plume au Conseil de RŽgence en qualitŽ d'unique SecrŽtaire d'Estat, mais sans opiner ny raporter, et de le rŽduire ˆ la signature, en amandement de ce trs peu, de choses qui, en affaires, ne passeroient point par les Conseils, et des pures grˆces. Pour tout le reste, il devoit estre signŽ par le Chef de chaque Conseil et par un Conseiller de son Conseil en semaine, par tour, qui l'accompagneroit au Conseil de RŽgence les jours qu'il y viendroit rapporter les affaires de son Conseil ; et, pour troisime signature, celle du secrŽtaire particulier de ce Conseil.
A ce premier plan gŽnŽral, Mr de Saint Simon ajousta une vie dŽcente, des dŽlassements qui le fussent, un respect de conduite pour ce qui en mŽritoit, un mesnagement d'abbŽ de peu de mÏurs qui veut devenir Evesque, si le Prince avoit le malheur de ne se vouloir pas contenir toujours, et, en ce cas, toujours des passades, et jamais de maistresses ; d'estre en garde contre les nouveautŽs, et tout autant contre les destails par luy mesme qu'il avoit tant blasmŽs, et qui absorberoient inutilement tout son temps ; jamais ny survivances, ny brevets de retenue, qu'il falloit peu ˆ peu trouver moyen d'acquitter, et par lˆ ne rendre plus les charges et les gouvernements hŽrŽditaires ; estre le maistre des gr‰ces, se les approprier toutes, c'est ˆ dire ne les accorder qu'ˆ la justice, ˆ la raison, au mŽrite, au service qu'on s'en doit proposer, et par lˆ se faire une solide rŽputation, picquer l'Žmulation, et tenir le monde par l'espŽrance, qui se retient rarement par la reconnoissance ; enfin tenir un milieu entre Louis XI et Louis XII ; que les ennemis du Duc d'OrlŽans ne devinssent pas ceux du RŽgent, mais que la sagesse luy fist faire un choix qui fist sentir qu'il oublioit, quand il vouloit, par des considŽrations justes et raisonnables, et qu'il savoit aussy se souvenir quand il estoit ˆ propos.
Il
ajousta
encore deux choses importantes : ne point toucher aux monnoyes, dont la facilitŽ et la commoditŽ entraisne, mais dont l'usage a toujours estŽ pernicieux et ˆ l'Estat et aux Rois qui s'y sont laissŽ sŽduire ; et l'exactitude religieuse et scrupuleuse ˆ tenir parole, et comme Roy, dans les traitŽs et les alliances ˆ faire en son nom, et comme RŽgent, en se rendant trs sobre ˆ promettre et entirement dŽpendant de sa parole une fois donnŽe ; chose en soy infiniment honorable, mais Žgalement utile, et qui a plus d'une fois et ennobli et sauvŽ Louis XII et Franois I, malgrŽ les lourdes duperies dans lesquelles ils se laissrent prendre si souvent.
Il
ne fut peut estre jamais d'assortiment si bizarre que celuy d'un Prince si ŽlevŽ par sa naissance, et depuis par nos malheurs, et d'un serviteur distinguŽ par son rang, par sa naissance, par un attachement si fort ˆ toute Žpreuve, et dans la plus intime confience de ce Prince, et confience inŽbranlable jusqu'ˆ la mort, du caractre dont estoit Mr le Duc d'OrlŽans et de celuy de Mr de Saint Simon. Comme ce dernier est plein de vie, on se gardera de le donner ; c'est une loy qu'on s'est faite dans ces nottes. Mais, pour le Prince, qui n'est plus, et dont on aura continuellement ˆ parler dans la suitte, il Žclaircira tout d'un coup trop de choses pour qu'il ne soit pas nŽcessaire d'essayer de le tracer. On s'exprime de la sorte parce qu'il n'y en eut peut estre jamais de si difficile ˆ rendre, et tout ce qui vit et qui l'a connu un peu particulirement n'en sauroit disconvenir.
Le
premier
trait rempliroit tout, s'il n'estoit pas nŽcessaire de l'estendre. C'eust estŽ un Prince en tout genre accompli, s'il n'eust pas estŽ sans cesse entraisnŽ par une facilitŽ inconcevable, qui se tournoit continuellement en la plus dŽplorable foiblesse. Madame, qui le connoissoit bien et qui l'aimoit avec la plus grande tendresse, l'a dŽfini ˆ sa manire par un conte inimitable. Ç Toutes les fŽes, dit elle, furent invitŽes ˆ mes couches ; toutes s'y trouvrent, et chacune doŸa mon fils d'un talent particulier, en sorte qu'il les possŽda tous. Une malheureuse vieille fŽe, toute chenue, toute tortue, tomba dans l'oubli. Elle en fut picquŽe ˆ l'excs, et accourut sur son baston pour estre de la feste. Elle trouva tout achevŽ et mon fils douŽ de tous les talents. De rage, la mŽchante, qui ne les pouvoit oster, le doŸa de les luy rendre tous inutiles, et s'en alla plus contente que pas une de s'estre vangŽ[e] d'elles et de l'oubli aux despens de mon fils. È
Mais
venons
au fait. Jamais plus d'esprit, et fort rarement autant ; un esprit droit, juste, allant toujours au but du premier coup d'Ïil ; un esprit de toutes les sortes et qui, sans peine, se proportionnoit ˆ tous. Avec cela, une douceur charmante, qui tempŽroit tellement et la supŽrioritŽ de son esprit avec les autres, si petits qu'ils fussent, et celle de son rang, que jamais personne n'est sorti d'avec luy que content, c'est trop peu dire, que charmŽ. Le goust des sciences, et des plus abstraites, et en mesme temps celuy des arts, soustenu d'une mŽmoire qui ne perdoit ny ne confondoit jamais, donnoient ˆ cet esprit tout l'ornement imaginable, et la prodigieuse facilitŽ d'une Žlocution nette, courte, prŽcise, y ajoustoit des gr‰ces qui ne se trouyoient qu'en luy. Jamais tant de politesse, ny de politesse mieux sŽante, plus digne, plus convenable ˆ chacun dans ses proportions, mais politesse jusqu'avec les moindres ; et tout cela ensemble faisoit qu'il plaisoit toujours et ˆ tous. Il estoit admirable pour discerner les caractres et pour dŽfinir chacun en deux mots qui faisoient un portrait parlant ; et toutesfois trs rŽservŽ lˆ dessus ; mais il connoissoit parfaitement les hommes, et avoit aussy fort vescu avec eux. Il aimoit la guerre et tout ce qui y avoit rapport ; il en parloit comme les maistres, et les vieux capitaines estoient ravis de l'entretenir. Sa valeur, digne de ses pres, estoit en luy innŽe ; il ne concevoit pas qu'on pust estre autrement, et plus d'une fois il s'est ŽchappŽ ˆ l'Žgard d'autruy ˆ le comprendre trop peu. Point de finesse d'intelligence pareille ˆ la sienne en tout genre. D'un mot, il voyoit, il entendoit, il distinguoit, il rendait tout. Jusqu'au corps rŽpondoit ˆ l'esprit par la finesse de son oreille. Personne aussy ne savoit mieux ce qu'il falloit dire ˆ chacun et comment prendre chaque personne. Son raisonnement estoit Žgalement clair et profond, avec une pŽnŽtration et une estendue d'esprit trs rare, et son discours naturellement Žloquent, plein, nerveux, n'allant qu'ˆ ce qu'il vouloit faire entendre, et y allant droit, avec prŽcision et en Žcartant les mots. L'entendre raisonner affaires, guerre, sciences, faits d'histoire, arts, c'estoit un dŽlice, surtout lorsqu'il se trouvoit vis ˆ vis de quelqu'un capable d'en discourir avec luy. En libertŽ, il avoit des traits frŽquents et uniques. Il contoit courtement et plaisamment, et se mettoit toujours ˆ costŽ et ˆ l'unisson de qui estoit avec luy. S'il pinoit quelquefois dans cette libertŽ, c'estoit avec un sel et une justesse qui emportoit la pice, et presque toujours d'un seul mot. Quelle image charmante dans un particulier ! mais dans un RŽgent dont la puissance ne le changea en rien, quel bonheur pour le Royaume, sans le malheur de son Žducation et de son mariage !
Voyons
en
les tristes fruits. Ce n'est pas de sa premire Žducation dont on entend parler. D'abord, en attendant un vray choix, il fut livrŽ ˆ Saint Laurent, Sous-Introducteur des Ambassadeurs prs de Monsieur, dont les mÏurs, la piŽtŽ, l'application, le savoir, le discernement, l'esprit, la sagesse, la connoissance du monde et des gens, et un don unique pour Žlever un grand Prince se pouvoient dire estre tous au supresme degrŽ. Un homme si rare eut bientost toute la confience de Monsieur et de Madame, qui le laissrent pleinement maistre, et qui, tant qu'il vescut, malgrŽ ce peu qu'il estait nŽ, ne laissrent partager son autoritŽ ˆ personne. Mais quel malheur ! il devint infirme dans les derniers temps de sa vie, et il avoit un valet qui avoit servi Faure, docteur de l'Archevesque de Rheims, le Tellier. [C'Žtoit] le curŽ de Saint Eustache, son ami, qui le luy avoit donnŽ, aprs l'avoir fait estudier par charitŽ, parce qu'il avoit de l'esprit. Saint Laurent luy fit escrire certaines choses, pour se soulager, que le Prince mettoit aprs en latin ou en franois. De lˆ, il eut le soin de l'escritoire et de la table d'estude ; puis il fut chargŽ par Saint Laurent de quelques recherches d'endroits de divers auteurs pour la mesme estude. Le trouvant trs comode pour toutes ces petittes choses, et devenant mal sain, il aima mieux s'en servir que d'un estranger, quand sa santŽ interromperoit son assiduitŽ, qui estoit prodigieuse ; et, pour s'en servir moins indŽcemment pour le Prince, il luy fit prendre le petit collet. Quel chemin, grand Dieu! pour le Cardinalat et le Premier Ministre, et que vos voies sont incomprŽhensibles !
Du
Bois,
devenu figure d'abbŽ, commena ˆ supplŽer ˆ Saint Laurent pour les leons quand il ne les pouvoit faire. Il avoit beaucoup de belles lettres, bien de l'esprit, du mange encore plus, une ambition singulire pour un drosle de cette lie du peuple ; ny mÏurs, ny cÏur, ny ‰me, chose bien commode pour la faire rŽussir, avec une confience et une hardiesse supresme, enveloppŽe de tous les hommages convenables ˆ son nŽant. Non seulement il osa chercher ˆ plaire au Prince en l'instruisant ainsy par accident, mais il luy plut encore, et Saint Laurent, pour le mettre mieux au fait pour quand il ne pouvoit faire la leon, le fit demeurer ˆ toutes.
De
lˆ, il devint l'abbŽ du Bois, et s'initia secrtement auprs du Marquis d'Effiat, Premier Escuyer de Monsieur, et du chevalier de Lorraine. Saint Laurent, pour le malheur du jeune Prince et de l'Estat, mourut peu aprs, et assŽs brusquement pour n'avoir pu rien dire sur l'Žducation de son pupille. L'abbŽ du Bois continua les leons les premiers jours, puis les premires semaines ; enfin, portŽ par ses deux patrons, aidŽs du goust funeste de son jeune maistre, Monsieur, pour ne point dŽranger des Žtudes dont les progrs estoient vrayement extraordinaires, consentit ˆ les luy laisser achever, sans nom d'abord, parce qu'on n'osa en proposer, et, quelque temps aprs, avec le titre de PrŽcepteur, que ses deux patrons, trs dignes de luy, comme luy d'eux, arrachrent avec grand peine de Monsieur.
Le
voilˆ
donc enfin Monsieur l'abbŽ du Bois et PrŽcepteur en titre, dont il seut tirer toutes sortes de grands partis. La vanitŽ de Monsieur, qui voulut des gens titrŽs pour Gouverneurs de Mr son fils, fit que ces Gouverneurs ne se contraignoient gures de leur employ, outre qu'ils n'y durrent pas. Les Mareschaux de Navailles, Duc ˆ brevet, et d'Estrades, et Mr de la Vieuville, Duc ˆ brevet, y moururent en peu de temps, l'un aprs l'autre ; et dŽjˆ le discernement du jeune Prince alloit ˆ considŽrer, mais ˆ ne faire aucun cas du premier, ˆ aimer et ˆ honorer le second, et ˆ mŽpriser le troisiesme. On obmet le marquis d'Arsy, qui fut le quatriesme et qui y mourut aussy, mais qui ne le prit qu'entrant dans le monde, et pour qui le jeune Prince eut une amitiŽ, un respect, une confience, dont il a toujours depuis estendu le souvenir ˆ sa famille et jusqu'ˆ ses principaux domestiques, et disoit que, s'il avoit quelque chose de bon, il le devoit au marquis d'Arsy, qui, en effet, estoit un homme d'esprit, de vertu, d'honneur et d'un mŽrite distinguŽ.
Avec
de tels Gouverneurs et des sous Gouverneurs pareils ˆ ces trois premiers, il ne fut pas difficile au PrŽcepteur de conserver et de gaigner de plus en plus la confience du Prince, et de luy inspirer ses propres sentiments. En luy conservant les semences de vertus que Saint Laurent luy avoit si soigneusement inculquŽes, il auroit eu trop de peine ˆ se contrefaire, et trop d'obstacles ˆ parvenir. Il comprenoit bien qu'avec un Prince qui alloit estre livrŽ au grand monde, et bientost aprs ˆ soy mesme et ˆ sa jeunesse, ce seroit aller contre le fil de l'eau et mettre une trop longue parenthse ˆ son ambition, que le temps nŽcessaire ˆ une bonne Žducation pour ramener ˆ la sagesse et ˆ la vertu les fougues des premires annŽes. Malheureusement le jeune Prince ne profita que trop de ses abominables instructions, et, ce qui est terrible, c'est que, l'ayant depuis connu parfaitement et pleinement mŽprisŽ, car cette Žnorme fortune n'a pas estŽ sans de longs et de fascheux nuages avant de prendre le grand essor, ses perverses leons n'en reeurent pas le moindre affoiblissement.
Cette
confience
fut telle que, le Roy ayant rŽsolu de loin de le marier ˆ Mademoiselle de Blois, et s'y estant pris pour gaigner Monsieur par le chevalier de Lorraine, comme on l'a veu en son article, page 69, au titre d'ElbÏuf, on ne trouva pas une meilleure voye de gaigner Mr le Duc de Chartres que celle de l'abbŽ du Bois. Le chevalier de Lorraine en rŽpondit, et il remplit parfaitement son attente. Du Bois en eut sur le champ des abbayes considŽrables, et ds lors, il auroit fait une fortune dans l'ƒglise, si le Roy, bientost aprs informŽ de ses pernicieuses mÏurs, ne s'en fust fait un scrupule. Ce mariage, si estrange et si nouveau, et dont Madame, dans sa furie ne laissa rien ignorer ˆ son fils, n'avoit jamais pu estre goustŽ de luy, mais luy avoit estŽ persuadŽ par crainte.
Bientost
aprs,
livrŽ au monde et gastŽ au fond comme il l'avoit estŽ par du Bois, il se livra ˆ la dŽbauche et aux dŽbauchŽs, bien moins par goust que par air et par la vanitŽ d'une certaine audace, pour afficher qu'il estoit mariŽ contre son grŽ, et que la considŽration du Roy, et beaucoup moins de sa fille, ne le retenoit en rien. Telles furent les sources des dereiglements de cÏur et d'esprit d'un Prince nŽ pour la vertu, pour la piŽtŽ, pour le sŽrieux, et tellement pour le sŽrieux, qu'il n'a jamais pu parvenir ˆ se divertir dans aucune dŽbauche. Il n'aimoit ny le vin, ny la table, et il se crevoit de boire et de manger ; et, pour les femmes, il les poussa jusqu'ˆ un temps o il avouoit luy mesme qu'il n'en avoit plus besoin, et quelque chose mesme davantage. Ceux qui faisoient ses parties de plaisir s'apercevoient tellement de son ennuy, que l'ennuy leur prenoit ˆ eux mesmes. Il luy falloit du bruit, mesme du fracas, et des choses hors de l'ordinaire, pour l'y rŽveiller, des choses estranges, outrŽes dans la dŽbauche ; et des dŽbauches dans des jours saints, par exemple des vendredis saints, estoient pour luy d'un goust exquis.
Ce
qu'il
y avoit de plus outrŽ, de plus emportŽ, surtout de plus continuŽ en ce genre, estoit le but o il tendoit, et cette qualitŽ seule qu'il trouvoit dans le Grand Prieur de Vendosme, que, pour tout le reste, il mesprisoit parfaitement, luy avoit imprimŽ une admiration qui alloit au respect, et qui luy en acquit une considŽration, pendant la RŽgence, qui allarma les honnestes gens, qui lui valut des trŽsors, et qui fut au moment de le mettre dans le Conseil de RŽgence, dont il ne fut exclu que par les chimres de rang, et le fracas que le RŽgent craignit de la retraitte du Duc de Saint Simon et des autres pour un si indigne sujet. La religion suivit les mÏurs ; mais il ne put jamais venir ˆ bout de deux choses : l'une, l'effacer de son esprit ; l'autre, de voir le diable, pour ˆ quoy arriver, il n'est folie qu'il n'ait tentŽe.
Pour
le verre d'eau, il est vray qu'on y a veu, en sa prŽsence, des choses trs singulires, et d'autres qui se passoient ˆ 1'heure mesme en des lieux ŽloignŽs, bagatelles celles cy ˆ la vŽritŽ, mais exactes en tout et vŽrifiŽes sur les lieux un moment aprs. Quelque ŽloignŽ que le Duc de Saint Simon fust de ces sortes de curiositŽs, et quelques choses qu'il ne se soit contraint en aucun temps de luy dire sur sa vie, il ne pouvoit s'empescher de luy confier ses avantures, et il luy en conta deux, entre sa nomination au commandement de l'armŽe d'Italie et son dŽpart, qui la suivit de prs, qui, toutes les deux, mŽritent de trouver place icy.
Voicy
la
premire. Il eut curiositŽ de voir la mort du Roy. La personne qui regardoit dans le verre, trs jeune, trs subalterne, qui n'avoit jamais estŽ ˆ Versailles, ny veu personne de ce monde lˆ, s'Žcria avec frayeur et fit la description de la chambre du Roy ˆ Versailles, de sa personne dans son lit, et de toutes celles qui y estoient. Elle ne parla ny de Monseigneur, ny de Mr et Madame la Duchesse de Bourgogne, ny de Mr le Duc de Berry, alors tous en vie et pleins de santŽ, et des annŽes encore aprs. Cela surprit fort Mr le Duc d'OrlŽans et donna lieu ˆ Mr de Saint Simon de fronder par le fait la vision de cette fille. Il se trouva, lors de la mort du Roy, qu'elle avoit dit vray de point en point, et que les personnes qui naturellement s'y devoient trouver prŽsentes, et qu'elle n'avoit point veues, estoient mortes.
L'autre
avanture
exera fort Mr le Duc d'OrlŽans, qui n'y comprenoit rien, et donna lieu ˆ Mr de Saint Simon de luy faire honte et de la chose et de ses perquisitions avec luy mesme de ce que ce pouvoit estre. Il eut envie de savoir ce qu'il deviendroit ; il faut le rŽpŽter, c'estoit sur son dŽpart pour l'armŽe d'Italie ; ainsy tous nos Princes estoient lors, et furent longtemps aprs, pleins de vie et de santŽ. Il vit en plein jour, et sans rien de fermŽ, sa figure comme en grand portrait ou sur une glace, et, sur sa teste, mais sans y toucher, une couronne fermŽe, de la mesme forme qu'elles sont, mais diffŽrente de toutes en ce qu'elle n'avoit ny pointes, ny fleurons, ny fleurs de lys, mais une autre sorte d'ornement qui en tenoit lieu, et qu'il n'a jamais veu ailleurs ; et il est vray que neuf ans aprs, il est devenu plŽnirement Roy, sans toutesfois l'estre. Ce fut dans le salon de Marly, revenant de Paris, o ces deux choses venoient de luy arriver, dont il estoit tout plein, qu'il le conta ˆ Mr de Saint Simon, tous deux assis dans un coin, teste ˆ teste, comme on peut bien le penser.
Pour
la religion, il tascha toujours de s'en dŽfaire, et ne le put jamais. Aprs qu'il eut rompu avec Madame d'Argenton et qu'il se fut raccommodŽ avec Madame la Duchesse d'OrlŽans, Saint Simon saisit ce vuide pour essayer de rappeler la religion dans son cÏur. Il fut surpris d'y trouver si peu de peine, mais il le fut bien davantage de la sincŽritŽ et de la lumire qu'il luy trouva. Il se prŽpara plus de deux mois ˆ faire ses Pasques par une confession gŽnŽrale, qui luy cousta tant, qu'il en fut, sur la fin, deux jours malade.
Le
surprenant,
c'est qu'ˆ la Pentecoste, il voulut encore communier. Madame la Duchesse d'OrlŽans et Mr de Saint Simon furent ses directeurs. Il estoit vray qu'il avoit menŽ une vie exacte et qu'il s'estoit fort appliquŽ ˆ d'excellentes lectures ; mais tant d'estranges annŽes avoient prŽcŽdŽ, que Mr de Saint Simon ny Madame la Duchesse d'OrlŽans ne furent pas de l'avis du Pre du TrŽvoux, JŽsuite, son confesseur en titre, et qui venoit de le devenir d'effet. Ils trouvrent que le devoir paschal, l'exemple, le divorce avec sa maistresse, qui luy avoit infiniment coustŽ, avoient deu le faire approcher de la Sainte Table ; mais que, s'en approcher encore six semaines aprs, c'estoit trop pour un pŽcheur de sa sorte, ˆ qui la pŽnitence et la sŽparation convenoient si fort, et qui, par ses dŽsirs, par ses Ïuvres, par son humilitŽ et ses autres dispositions, devoit entretenir une faim si sainte, pour mŽriter dans les suites d'estre admis ˆ la rassasier plus dignement. Le Prince s'y soumit par persuasion, mais avec douleur.
La
vŽritŽ
est qu'elle ne dura gures, non plus que sa conversion. Il revit ses pernicieuses compagnies ; il ne put soustenir leurs propos, ny peut estre l'ennuy de la vie qu'il s'estoit proposŽe, car il s'ennuyoit de tout, et il se replongea dans toutes ses dŽbauches, qui le conduisirent promptement ˆ sa premire impiŽtŽ ; mais il ne reprit point de maistresse en titre, et vescut fort bien avec Madame la Duchesse d'OrlŽans.
Il
sembleroit
qu'on appuyeroit trop sur les dereiglements de ce Prince ; il est pourtant vray qu'on glisse dessus comme avec des patins. Un mot du Roy l'a dŽfini avec la dernire justesse : Ç Mon neveu, dit il un jour ˆ MarŽchal, son premier chirurgien, qui luy en parloit, mon neveu est un fanfaron de crimes. È Jamais homme ne fut plus ŽloignŽ d'en commettre aucun de ceux qui ne sont pas de dŽbauche, et toutefois il s'en donna malheureusement des dehors, dont l'ambition et la haine d'autruy ne surent que trop funestement profiter.
Sa
curiositŽ
pour les arts et les sciences luy donna du goust pour Žtudier les drogues, les simples, les mŽtaux, et s'amuser aux opŽrations de chimie. Il eut un laboratoire, qui devint un de ses plus grands malheurs, et le plus iniquement qu'il put estre possible. Mr de Saint Simon, qui n'en approchoit non plus que de ses parties de dŽbauches, ne put venir ˆ bout de le luy faire rompre qu'aprs les plus tristes expŽriences du pernicieux usage qu'il avoit prŽveu qu'on en feroit.
Un
trait
de Mr le Duc d'OrlŽans, et, comme on dit, en bonnet de nuit et en robe de chambre, o on ne voit gures de hŽros, en dira plus lˆ dessus que toutes les apologies. On a veu cy dessus ˆ quel point on luy avoit aliŽnŽ Monseigneur, jusqu'ˆ le rendre le plus ardent avocat de sa perte dernire et de son procs criminel sur l'affaire d'Espagne. Non seulement il ne le luy avoit point pardonnŽ, mais ses yeux, toujours si morts, estinceloient ds qu'il l'apercevoit, et sa faon de vivre avec ce cousin germain estoit si estrangement et si continuellement marquŽe, qu'elle passoit l'indŽcence et estoit apereue des plus obscurs courtisans. Le mariage de Madame la Duchesse de Berry avoit comblŽ la mesure. Cependant le Roy vieillissoit, et Monseigneur alloit succŽder. Quelle dŽlivrance que sa mort pour M. le Duc d'OrlŽans qui estoit bien avec Monseigneur le Duc de Bourgogne, et intimement avec le peu de ceux qui avoient le plus de part en sa confience et en ses secrets pour l'avenir ! Voicy toutesfois ce qui arriva. Il soupoit ˆ Versailles, chez M. le Duc de Berry, lorsque, de la sŽcuritŽ la plus parfaite, on leur vint annoncer l'agonie de Monseigneur. Ils coururent chez Madame la Duchesse de Bourgogne, qui alloit voir le Roy entre les deux escuries, passant de Meudon ˆ Marly, ds que Monseigneur seroit expirŽ. Sur le minuit, la Princesse, avertie que le Roy estoit en chemin, alla l'attendre. Mr et Madame la Duchesse d'OrlŽans s'en allrent chez eux, en attendant son retour, Mr le Duc d'OrlŽans ne fit que traverser l'appartement de Madame d'OrlŽans et gaigna son cabinet par le sien.
Un
moment
aprs, Madame la Duchesse d'OrlŽans pria Mr de Saint Simon, qui causoit avec la Duchesse de Villeroy, d'aller trouver Mr le Duc d'OrlŽans. Il y fut, le trouva seul dans un arrire cabinet, le dos tournŽ, qui ne bransla pas l'entendant entrer. Mr de Saint Simon luy demanda ce qu'il faisoit lˆ, et le fit retourner avec peine, mais, quelle fut sa surprise ! fondant en larmes. Ç Monsieur, s'Žcria t'il avec cette libertŽ d'ancien serviteur, est ce que vous devenŽs fou tout d'un coup. A qui en avŽs vous? Ñ Le Prince, honteux et en sanglotant : Vous voyŽs, rŽpondit il ; je say tout ce que vous m'allŽs dire, et je le sentiray dans quelque temps. Pour ˆ cette heure, c'est foiblesse, si vous voulŽs ; mais il estoit bonhomme, il m'avoit aimŽ tant qu'on l'avoit laissŽ ˆ luy mesme ; les entrailles parlent, laissŽs moy pleurer. È
L'admiration
succŽda
ˆ la surprise dans Saint Simon. Il se tut, baissa les yeux, et demeura abysmŽ dans la contemplation d'une vertu si pure, si simple, si estrangement rare, et si inconnue de tous les hommes dans ce Prince, par les cruelles enveloppes que le tissu de sa vie y avoit seu mettre quoyque faussement. Ils demeurrent ainsy en silence plus d'un gros quart d'heure, au bout duquel Mr de Saint Simon, inquiet de la vraysemblance et de l'accusation d'une ridicule comŽdie, l'exhorta d'arrester ses larmes et de mettre ses yeux en estat de paroistre devant le monde, o il alloit rentrer au retour de Madame la Duchesse de Bourgogne, qui ne tarda pas, et chez qui aussytost ils allrent. Voilˆ qui est incroyable, et toutesfois exactement vray, et qui rŽpond plus que pleinement ˆ tout. Mais t‰chons d'avancer dans un champ si vaste et si abondant.
La
foiblesse
de ce Prince estoit telle, que personne, ny luy mesme, ne se pouvoit rien promettre de ce qu'il avoit le plus fermement rŽsolu en affaires, ou promis, qu'il ne fust exŽcutŽ avant qu'on l'eust perdu de veue ; et luy souvent se laissoit aller, sentant bien qu'il faisoit mal et qu'il s'en repentiroit. De lˆ naissoit un autre dŽfaut, que tous ses grands talents aggravaient encore. C'estoit une faussetŽ ˆ l'Žpreuve de tout, dans les choses les plus capitales et dans les riens les plus abjects. Il en estoit venu jusqu'ˆ s'en picquer, et il estoit vray qu'il savoit amuser, tromper et duper les gens avec un naturel et un art que nul autre n'a possŽdŽ comme luy. De lˆ ses tours de souplesse continuels ; de lˆ ces voyes obliques de choix et de goust pour les choses les plus unies et les plus communes, qui en avoient le moins de besoin ; de lˆ, devenu le maistre, cent paroles de la mesme chose qu'il ne pouvoit tenir qu'ˆ un, les embarras avec les autres, les compliments, les messŽances, les nouveaux engagements avec mesme foy et mesme succs, les tours d'espigle, on n'oseroit dire de page, pour se cacher parmy les dŽgagements sans nombre de ses apartements ; puis, les rŽcits plaisants pour se dŽdommager ˆ ses soupers de dŽbauche, et les reparties vives et dures qui Žchappoient quelquefois, et que le RŽgent remboursoit. De lˆ jamais ny don, ny gr‰ce, ny plaisir ˆ personne, mais tout arrachŽ de luy, ou ˆ force ouverte, d'autoritŽ, ou d'impudence, ou de la persŽcution la plus cruellement suivie, ou de l'industrie et de la hardiesse secourue de traits subits.
Cette
faussetŽ
tournŽe en nature, dont il s'applaudissoit, estoit un des fruits de l'Žducation de l'abbŽ du Bois, dont un autre encore plus terrible fut l'opinion gŽnŽrale qu'il n'y avoit que des fripons et des femmes galantes, et que ce peu, ˆ son avis presque imperceptible, d'honnestes gens et de femmes sages, n'estoient que des personnes qu'une mauvaise Žducation avoit rendus tels [sic] en leur raccourcissant les veues et l'esprit par la gne et la contrainte, et que c'estoit dommage, parce que, sans cela, ils auraient eu bien plus de l'un et de l'autre ; et cela mesme, il l'a reprochŽ plus d'une fois au Duc de Saint Simon.
Mais
celuy
cy luy fit un jour un autre reproche qui le picqua au vif, et qu'il pardonna ˆ l'amitiŽ, sans que l'autre s'en mist en peine, mais qu'il n'a pu oublier. On le rapporte parce que cela caractŽrise. Mr le Duc d'OrlŽans aimoit peu, s'accommodait de tout, ha•ssoit et se f‰choit encore moins. Quelqu'un du premier rang et de faveur peu commune, deux ans devant la mort du Roy, fit un tour ˆ Mr le Duc d'OrlŽans, hardy et sanglant, et qui portait loin ; et ce quelqu'un vouloit que ce Prince le crust bien affectionnŽ pour luy. Il le seut, et, ˆ son ordinaire, ne le sentit point, et vescut avec luy comme s'il ne se fust rien passŽ. Madame la Duchesse d'OrlŽans, qui sentoit tout, et souvent trop, outrŽe de ce procŽdŽ contre l'un et contre l'autre, ne seut pis faire ˆ Mr son mari que de le conter ˆ Mr de Saint Simon, en tiers avec eux, ˆ Marly. A ce rŽcit, Mr de Saint Simon, picquŽ, regardant Mr le Duc d'OrlŽans, qui riochoit en baissant la teste : Ç Pour cela, Monsieur, luy dit il, il faut avouer la vŽritŽ. C'est que, depuis Louis le DŽbonnaire, il n'y en eut jamais un si dŽbonnaire. È A ce mot, le Prince se redressa, rougit, marmotta tout bas entre ses dents, se retint, et, les yeux animŽs : Ç Pour cela aussy! rŽpondit il. Cela est par trop fort aussy. È L'autre, sans s'en embarrasser : Ç Au moins, luy dit il, pour le coup, vous estes en colre ; c'est que j'ay mis le doigt sur l'abcs. Mais, au nom de Dieu, taschŽs ˆ voir qui a raison et contre qui vous devŽs estre faschŽ, et j'auray tout ce que je dŽsire. È Mr d'OrlŽans fut prompt ˆ reprendre ses sens et ˆ tourner la chose en plaisanterie, pour se dŽlivrer de l'exhortation contre ce quelqu'un dont il s'agissoit.
Cinq
ou six ans aprs, sans que jamais depuis ils s'en fussent reparlŽs [sic], comme on s'alloit placer pour le Conseil de RŽgence, Mr le Duc d'OrlŽans appella Mr de Saint Simon dans une fenestre, et, d'un air dont il ne luy avoit parlŽ en sa vie, luy dit qu'il avoit ˆ se plaindre de luy et des vers qu'il avoit faits. Le Duc, surpris au dernier point, et des vers pour le moins autant que de la plainte, l'asseura qu'il n'y comprenoit rien, et que luy mesme savoit bien qu'il n'avoit jamais pu faire non seulement deux vers, mais un unique. Le Prince insista du mesme ton, et l'autre le pressa de s'expliquer. Ce fut enfin par un pontneuf qui couroit et dont le refrain obligeant estoit : Ç Le RŽgent est dŽbonnaire. È A ce mot, voilˆ Mr de Saint Simon dŽpitŽ de sa crŽdulitŽ, qui le querella de ce qu'il s'en souvenoit encore ; et le Prince ˆ Žclatter de rire.
Une
autre
fois, il se fascha encore vivement contre le Duc de Saint Simon, et celle cy et celle du Ç dŽbonnaire È sont les deux uniques. On la raconte encore par cette mesme raison qu'elle caractŽrise. C'estoit les premires annŽes de la RŽgence. Ils se promenoient seuls dans la galerie de Coipel et dans ce grand salon du Palais Royal qui l'enfile, et parloient de choses fort importantes, sur lesquelles ils n'estoient pas d'accord, car la foiblesse et la mollesse gastoient bien des affaires, et Mr de Saint Simon n'y espargnoit pas le poinon au RŽgent. En cette occasion, il l'appuya peut-estre trop ferme, et en chose o le Prince sentit vivement sa faute et son dŽfaut. La colre le saisit, et, se tournant tout ˆ coup ˆ Saint Simon : Ç Cela vous est bien aisŽ ˆ dire, luy rŽpondit il d'un air furieux, ˆ vous qui est immuable comme Dieu, et d'une suite enragŽe ! È Saint Simon sourit, et luy rŽpliqua que c'estoient lˆ de grandes qualitŽs, et que, s'il estoit vray qu'il les eust, et en degrŽ trop fort, il voudroit bien qu'on les pust refondre ensemble et qu'il prist beaucoup de son trop, qui seroit un grand bien pour l'Estat, qui estoit entre ses mains, et pour luy mesme. Mr le Duc d'OrlŽans s'apaisa, et continua de traiter l'affaire dont il s'agissoit ; mais il crut avoir dit ˆ Suint Simon les plus fortes injures, tant il estoit loin du caractre qu'il luy reprochait.
Sa
faiblesse
extresme le rendoit Žgalement timide et soubonneux. Timide, on a veu cy dessus ˆ quel point il craignait le Roy, et la peine estrange qu'il eut ˆ luy donner une lettre que mesme il n'avoit pas faite, et qui fut le sceau du grand mariage de Madame la Duchesse de Berry. Cent mil autres traits, et en tous les genres, s'en fourniroient aisŽment et ˆ l'Žgard de toutes sortes de personnes. Soubonneux, celuy cy est incroyable, et est pourtant exactement vray. Avant de le raconter, il faut faire souvenir que, si Mr le Duc d'OrlŽans avoit de l'amitiŽ, de l'estime, de la confience, et tout cela dans la plus grande estendue, pour quelqu'un, c'estoit pour Saint Simon. C'est le seul homme sur qui jamais il se soit expliquŽ en ces termes, et qu'il ait recommandŽ ˆ son fils d'aimer comme le meilleur, le plus seur et fidle ami qu'il ait jamais eu dans tous les temps de sa vie, et qui luy avoit rendu les plus grands et les plus importants services, et dans des temps trs dangereux, et avant qu'il y eust aucune apparence qu'il pust avoir aucun crŽdit. Le chevalier de Conflans et Mr d'Estampes estoient dans son carrosse avec eux, s'en retournant du Conseil de RŽgence au Palais Royal, et cela dura tout le trajet, ds en montant en carrosse. Le dŽsintŽressement, la probitŽ, la vŽritŽ, et tout le reste fut exaltŽ. Apparemment que Mr le Duc d'OrlŽans, estoit plein, dans ce moment, de quelque chose, et ces Messieurs le furent tellement de cette leon si nouvelle en Mr le Duc d'OrlŽans, qu'ils la racontrent ˆ leurs amis en sortant de carrosse.
Voicy
le
contraste. Mr de Saint Simon, dans un intervalle d'affaires, prit congŽ une aprs disnŽe de Mr le Duc d'OrlŽans, au Palais Royal, aprs avoir travaillŽ avec luy, et partoit le lendemain pour aller se dŽlasser huit ou dix jours en sa maison de la FertŽ, ˆ vingt quatre lieues de Paris. Arrivant chez luy, il dŽfendit sa porte pour qui que ce fust, parce qu'il savoit une partie faite de gens qui ne vouloient pas, par rapport ˆ eux, qu'il fist ce petit voyage, et qu'il se vouloit Žpargner l'importunitŽ de gens importants alors. Peut estre une heure aprs, on luy vint dire que Mr de Biron vouloit forcer la porte et disoit qu'il avoit ordre de Mr le Duc d'OrlŽans de luy parler. Aussytost il le fit prier d'entrer ; mais il faut ajouster que c'estoit ˆ la Pentecoste, que tous les Colonels estoient allŽ passer six semaines ou deux mois ˆ leurs rŽgiments, et que les deux fils de Mr de Saint Simon estoient aux leurs. Biron, entrant dans la chambre, sans s'asseoir et d'abordŽe, demande ˆ Saint Simon o est le Marquis de Ruffec, son second fils. Saint Simon, surpris, luy demande ˆ son tour ce qu'il en veut faire, et si c'est cela qui l'ameine. Biron dit que oui, que Mr le Duc d'OrlŽans en est en peine, et veut le savoir. Ç En peine! reprit Saint Simon ; mais cela est admirable ! je ne fais que quitter Mr le Duc d'OrlŽans, qui ne m'en a pas ouvert la bouche ; et de plus, il ne peut pas ignorer que mes fils ne soyent ˆ leur rŽgiment, comme tous les autres, puisque tous deux ont pris congŽ de luy pour y aller. Ñ Ho bien, reprit Biron, voulŽs vous le savoir ? En vous quittant, il est descendu dans le petit jardin, o nous l'attendions avec les dames, parce que Madame la Duchesse d'OrlŽans est ˆ son couvent ; et fort peu aprs est entrŽ un homme qui luy a monstrŽ des lettres en particulier. Mr le Duc d'OrlŽans est revenu fort rveur, puis m'a demandŽ si je savois o estoit le Marquis de Ruffec. Je me suis offert de venir le savoir de vous ; il m'a dit que je luy ferois grand plaisir, parce qu'il venoit d'apprendre qu'il avoit passŽ ˆ Madrid. È C'estoit fort peu avant cette guerre d'Espagne, et fort longtemps avant l'Ambassade du Duc de Saint Simon, qui n'y connoissoit qui que ce fust.
A ce rŽcit, voilˆ Mr de Saint Simon ˆ rire de tout son cÏur, puis ˆ admirer un soubon si compltement absurde, et tout de suite ˆ dire ˆ Biron : Ç TenŽs, Monsieur, il faut guŽrir les malades et en avoir pitiŽ. Le Marquis de Ruffec est ˆ Besanon, o est son rŽgiment, et de plus il y est logŽ chez Mr de LŽvy, Commandant dans la Province. Dites ˆ Mr le Duc d'OrlŽans, de ma part, que, sur le champ, il y dŽpesche un courrier ; par ce moyen, il verra le fonds qu'il doit faire sur les avis qu'il reoit È.
Ce
ne fut pas tout. Biron demanda ˆ Saint Simon s'il avoit des lettres de son fils, et s'il vouloit bien luy en confier une. Mr de Saint Simon en avoit eu de Besanon, mais il ne les avoit pas gardŽes. Biron insistant, et Mr de Saint Simon ne comprenant pas pourquoy, il luy dit ˆ la fin que Mr le Duc d'OrlŽans vouloit voir de son Žcriture, parce qu'il en avoit de celle du Marquis de Ruffec, datŽe de Madrid. Autre Žclat de rire de Saint Simon, qui promit ˆ Biron que, si sa femme en avoit par hazard gardŽ quelque lettre, il la luy enverroit, mais qu'outre le ridicule du soupon, la proposition d'une chose aussy aisŽe et aussy prompte que l'envoy et le retour d'un courrier ne laissoit rien ˆ dŽsirer.
Biron
s'en
retourna. La Duchesse de Saint Simon revint de la ville. Elle avoit une lettre fraische du Marquis de Ruffec, qu'elle avoit gardŽe pour la monstrer ˆ quelqu'un, parce qu'elle estoit plaisante et bien Žcrite. Mr de Saint Simon l'envoya sur le champ ˆ Mr de Biron, au Palais Royal. Un garon rouge, ˆ tout hazard, l'attendoit, et la leur porta ˆ table, o Mr le Duc d'OrlŽans la confronta ˆ l'autre, et n'y trouva pas la moindre ressemblance (cela le soulagea encore plus que le rapport de Biron), puis leut la lettre tout haut, et ils s'en divertirent. Au retour de la FertŽ, Mr de Saint Simon en fit honte ˆ Mr le Duc d'OrlŽans. On seut depuis que ce galand de Madrid y escroquoit le monde sous le nom de Mr de Ruffec, et qu'il Žcrivoit comme tel en France, pour qu'on vist ses lettres ˆ Madrid et qu'elles confirmassent ce qu'il vouloit estre. Il fut reconnu et pris longtemps aprs ˆ Bayonne, en revenant, et mis en prison. C'estoit le fils d'un huissier de Madame, grand avanturier de son mestier, et qui avoit dŽjˆ fait d'autres fredaines.
En
voilˆ
assŽs pour maintenant sur Mr le Duc d'OrlŽans pour le faire connoistre. Ajoustons y seulement deux traits. Il estoit rediseur et tracassier comme Monsieur, et se plaisoit ˆ mettre aux mains tout ce qui l'approchoit. Quand il devint le maistre, ce plaisir d'habitude se tourna en politique. Le divide et regna devint sa maxime favorite : il l'appliqua en toutes sortes d'occasions, tantost avec une dŽlicatesse qui en augmentoit le poison, quelquefois avec une audace qui y ajoustoit un estrange poids. Nul, sans exception, de ses plus chers, de ses maistresses, de ceux qu'il se croyoit les plus nŽcessaires, tout, jusqu'ˆ ses plus proches et ˆ ses plus intimes, essuya bien des fois, et en bien des sortes, ce cruel goust et cette horrible politique. Il rŽussit aussy ˆ brouiller tout le monde, et il s'en applaudissoit ouvertement ; il se vantoit d'avoir dŽmasquŽ chacun.
Cela
joint
ˆ une faussetŽ exquise et une foiblesse parfaite, dans un Prince si dŽliŽ, si fin, si souponneux et d'autant d'esprit, donne un champ vaste ˆ comprendre ce que c'estoit que de le connoistre parfaitement et de l'approcher intimement.
L'autre
trait
n'estoit pas moins fascheux, d'autant qu'il ne se mit au net qu'avec sa puissance ; c'est qu'il comptoit pour rien ses amis et ses serviteurs asseurŽs, et pour tout ses ennemis, et les plus marquŽs plus que les autres. Il ne craignoit rien des premiers, tout des autres. Tout luy coustoit donc, comme perdu, quand il s'agissoit de ses amis, et tout estoit pour ses ennemis, dans l'espoir de les regaigner ; et bien qu'il y fust trompŽ et duppŽ sans cesse, et que ses bienfaits n'ayent le plus souvent servi que d'armes contre luy, jamais il ne put revenir de cette abominable maxime, que Saint Simon luy reprochoit d'autant plus amrement qu'il ne le mit gures, pour soy, en estat de la luy faire personnellement sentir, et que, s'il aima jamais et estima quelqu'un, ce fut luy sur tout autre ; ainsy, ce reproche n'en estant pas un de Saint Simon pour sa vade [pour son compte], il le luy pressa sans cesse, mais avec aussy peu de succs que sur quantitŽ d'autres choses gŽnŽrales et particulires, et toutes bien importantes. On s'en peut dŽjˆ apercevoir ˆ ce qu'on a veu que Saint Simon luy proposa sur la manire de commencer sa RŽgence et de gouverner.
Il
faut terminer ses propositions lˆ dessus par celle qu'il luy fit pour la manire de se faire dŽclarer RŽgent ; mais, avant que l'Žnoncer, il faut un mot de reigle et d'histoire. On sait qu'en France le mort saisit le vif. Le grand, le mŽdiocre, le petit, tout est assujetti ˆ cette reigle. Le Roy meurt ; son fils, ou, s'il n'en a point, le plus proche de la Couronne, la recueille ˆ l'instant, sans forme et sans cŽrŽmonie. Il en est de mesme des fiefs et des biens chez les particuliers, et Louis XIV, si attentif ˆ tout mettre en sa main, n'a jamais imaginŽ que le fils aisnŽ d'un Duc Pair ou VŽrifiŽ eust besoin de sa permission, ou de son agrŽment mesme, non seulement le fils, mais l'hŽritier masle le plus proche issu de l'impŽtrant, pour prendre le nom, le rang et les marques de Duc ˆ la mort de celuy ˆ qui il avoit droit de succŽder ; et jamais aucun ne luy en a parlŽ que dans des cas litigieux, pour tacher de tirer droit de son aveu, que le Roy alors se gardoit bien de donner.
Il
en est de mesme de la RŽgence. Un mineur succde ˆ la Couronne ; le plus proche de la Couronne en aage est RŽgent de droit, et ne le doit ˆ personne qu'ˆ sa naissance jointe ˆ son aage. Mais ce qui a troublŽ ce droit, ce sont les mres des Rois mineurs, et, sur leur exemple, les dispositions des Rois mourants, dont la plus singulire fut celle de Louis XI, qui nomma sa fille RŽgente du Royaume et administratrice de la personne de son fils mineur ; aussy ne fut ce pas sans troubles et sans effusion de sang que cette disposition eut lieu, qui ne le deut qu'ˆ la victoire. Catherine de MŽdicis, dont les diverses RŽgences suivirent celle de Madame de Beaujeu, sans aucune entre deux, les eut toutes trois sans le ministre du Parlement ; et, lorsque, pour prŽvenir d'une annŽe la majoritŽ de Charles IX, dont elle avoit grand besoin, on crut qu'il falloit quelque appareil pour habiller cette loy nouvelle en coustume sous entendue par celle des majoritŽs, et faire accroire au monde avec authoritŽ que quatorze ans vouloient dire, dans les Rois, treize ans commencŽs, Catherine, se trouvant lors en Normandie pour la rŽduction du Havre de Gr‰ce, se fit accompagner des Pairs et des Officiers de la Couronne au Parlement de Rouen, o le jeune Roy, tenant son Lit de Justice, se dŽclara majeur, et la Reine sa mre plus RŽgente que jamais. Le Parlement de Paris cria, dŽputa, rŽclama sa qualitŽ de Cour des Pairs ; on luy rŽpondit que la Cour des Pairs estoit partout o le Roy estoit assistŽ des Pairs de France, et le Parlement de Paris n'en eut aucune autre satisfaction. Encore ne s'agissoit il lˆ que de la dŽclaration de la majoritŽ, et d'une majoritŽ anticipŽe, qui a fait loy pour treize ans commencŽs, et non de la RŽgence, dont le Parlement de Paris ne s'estoit jamais meslŽ.
Mais
ˆ la mort d'Henry IV, tout ce qui l'accompagna, le trouble gŽnŽral, l'absence des Princes du Sang et de beaucoup de ce qu'il y avoit alors de Pairs et d'Officiers de la Couronne, la situation des esprits, et la personnelle de la Reine, fit prendre un parti nouveau pour brusquer les affaires, et avoir recours ˆ une cŽlŽbritŽ nouvelle qui, par intŽrest et par une sorte d'authenticitŽ, les asseurast entre ses mains. Aussytost donc que le corps d'Henry IV, assassinŽ dans son carrosse allant ˆ l'Arsenal, eust estŽ ramenŽ au Louvre, Mr d'Espernon fit environner le palais du rŽgiment des gardes, envoya chercher tous les membres du Parlement chez eux, et, grandement accompagnŽ, lut ˆ la Compagnie le rŽcit du malheur qui venoit d'arriver, de la nŽcessitŽ pressante de pourvoir ˆ l'Estat, du droit, fondŽ sur tant d'exemples, que la Reine avoit ˆ la RŽgence ; et, ˆ la chaude, ne sortit point qu'elle ne luy eust estŽ dŽfŽrŽe.
Sur
ce dernier exemple, Anne d'Autriche, qui savoit, avec toute la France, les dispositions de Louis XIII, parce que luy mesme, prŽvoyant tout avec une tranquillitŽ et une lumire admirable, les avoit, deux jours avant sa mort, dŽclarŽes aux Princes du Sang, aux Pairs, aux Officiers de la Couronne, aux principaux de sa Cour et au Parlement, qu'il avoit mandŽs dans sa chambre ; la Reine, dis je, qui avoit grand intŽrest de les faire casser pour estre absolue et dŽliŽe des entraves que le Roy avoit mises ˆ son autoritŽ, gaigna Monsieur, M. le Prince et les Ministres du Conseil nŽcessaire, qui, tous, furent les dupes du Cardinal Mazzarin, car Mr de Beauvais n'estoit que l'homme de paille, et ne sachant o ny comment faire abroger des dispositions si sages et si solennellement faites et dŽclarŽes, elle crut, avec raison, flatter assez le Parlement, en l'en rendant juge, pour s'en devoir tout promettre, et, en mesme temps, y obtenir de Monsieur et de Mr le Prince une abdication si publique et si formelle qu'ils ne s'en pussent jamais dŽdire. C'est ce qui la fit aller au Parlement avec le feu Roy, o elle eut en effet tout ce qu'elle s'estoit proposŽ, et donna ce second exemple en faveur du Parlement, plus fort encore que le premier.
Mr
le Duc d'OrlŽans ne se trouvoit dans aucun de ces cas. Point de mre, point de sÏur du Dauphin ; nul m‰le, nulle femelle plus proche que luy ; nul mesme de son rang ; nul Prince du Sang qui comptast aucun Roy parmi ses ancestres en deˆ de Saint Louis, et il estoit fils unique du second fils de Louis XIII ; aucun Prince du Sang qui eust vingt cinq ans, Mr le Duc, le plus aagŽ de tous, estant nŽ 18 aoust 1692. Nulle dispute donc sur la RŽgence, qu'il saisissoit de plein droit.
Mr
de Saint Simon luy reprŽsenta donc la facilitŽ, sans mŽlange d'aucun inconvŽnient, d'interrompre une nouveautŽ dont le Parlement tiroit tant d'avantage, jusqu'ˆ prŽtendre au droit exclusif de disposer des RŽgences, et consŽquemment de les reigler, de les modifier, de leur imposer des loix, et d'en vouloir corriger l'exercice et la puissance par la sienne toutes les fois qu'il le trouvoit ˆ propos, comme on en a eu tant de funestes expŽriences, qui ont si cruellement agitŽ l'Estat pendant la minoritŽ de Louis XIV, jusqu'ˆ le rŽduire, avec la RŽgente, sa mre, de se sauver furtivement de Paris en pleine nuit des Rois, et d'en sortir d'autres fois encore, de partager l'Estat, de faire naistre des guerres civiles, d'attirer une armŽe Žtrangre jusqu'aux faubourgs de Paris, et d'y voir une bataille qui mit l'autoritŽ Royale ˆ deux doigts de sa ruine ; que, pour prŽvenir tant de suites fascheuses de la confirmation d'une autoritŽ si nouvelle et si peu fondŽe, et donner aussy quelque chose ˆ la solennitŽ ˆ laquelle on s'Žtoit accoustumŽ depuis ces deux derniers exemples uniques, il y avoit un moyen, qui, en gratifiant les plus grands seigneurs, sans leur rien donner, mettroit de son costŽ toutes les forces de l'Estat contre le vain mŽcontement du Parlement ; que ce moyen estoit qu'au moment de la mort du Roy, qui rassemblerait ˆ Versailles tout ce qu'il y a de considŽrable, il mandast les Princes du Sang, les Pairs, les Ducs hŽrŽditaires, les Officiers de la Couronne, les Gouverneurs des Provinces, et, pour caresser la noblesse, les chevaliers du Saint Esprit ; et, de ces deux derniers genres, il y en avoit bien peu qui ne fussent pas aussy des trois premiers ; les faire asseoir sur des bancs en quarrŽ dans la galerie ou dans la pice de la Musique, et luy les prŽsidant au milieu des Princes du Sang et des deux bastards, sur un banc aussy, par respect pour le lieu, et les SecrŽtaires d'Estat aux dernires places ; que lˆ, aprs un court Žloge de Louis XIV sur l'occasion prŽsente, il leur dist en peu de mots que, devenant RŽgent par le droit de sa naissance, il avoit voulu les assembler pour leur recommander l'amour de l'Estat, l'attachement au nouveau Roy et l'application aux fonctions de leurs charges, avec quelque chose en gŽnŽral de lŽgrement flatteur, et pour leur dŽclarer que, le malheur des affaires ayant mis les finances fort en arrire, et les besoins et les debtes estant infinies, et la pauvretŽ des peuples, et de beaucoup encore qui n'estoient pas peuple, extrme, il ne croyoit pas pouvoir mieux commencer son administration que par la convocation des Estats GŽnŽraux, pour avoir leur conseil et pour que, ce mal des finances estant gŽnŽral, ce fust aussy le GŽnŽral de l'Estat qui y mist la main, et n'avoir pas ˆ se reprocher ses mŽprises ou son peu de lumire s'il continuait ˆ les laisser gouverner ˆ l'ordinaire, ou s'il y mettait luy-mesme la main ; qu'en attendant que cette assemblŽe pust estre formŽe, on ne changeroit rien dans les finances pour les fonds ; que, pour la forme du Gouvernement, il estoit persuadŽ qu'il n'appartenoit qu'ˆ un Prince tel que Louis XIV de tout faire par soy mesme ; que, pour luy, il s'avouoit si neuf ˆ tout, par l'Žloignement o il avoit toujours estŽ tenu de toutes les affaires, qu'il regarderoit comme une trs dangereuse faute de le vouloir imiter, et, comme un orgueil qui mŽriteroit d'estre chastiŽ par l'aveuglement, de nŽgliger une nouvelle forme de Gouvernement en qui se trouvoient deux avantages et auxquels il ne pouvoit ne se pas laisser entraisner. Le premier estoit de profiter des lumires de plusieurs, qui mesme s'Žclaireraient et se contrebalanceroient les uns les autres, ce qui mettroit dans la suite l'Žmulation dans tous les estats et formeroit d'excellents sujets pour succŽder ˆ ceux qu'il croyoit avoir dŽjˆ trouvŽs, dont il espŽroit se servir utilement dans son administration ; l'autre, que ce plan de Gouvernement s'estant trouvŽ dans la cassette de Mr le Dauphin Bourgogne, il seroit honteux de ne pas adopter pour soy, et pour aider une autoritŽ prŽcaire telle que la sienne, un projet qu'un Prince si accompli, et que sa naissance destinoit ˆ la Couronne, avoit fait pour s'en servir lorsqu'il y seroit parvenu ; qu'il avoit rŽsolu de suivre les choix de ce Prince autant que cela demeuroit possible ; qu'il n'estoit temps maintenant, parmi leurs justes larmes, que d'aller provisoirement au plus pressŽ, et non d'establir, ny de dŽclarer rien encore, mais que, sur ces deux points gŽnŽraux de l'AssemblŽe des Estats et de la forme du Gouvernement, il vouloit prendre leur avis, comme de ce qu'il y avoit de plus noble, de plus distinguŽ et de plus intŽressŽ ˆ l'Estat.
Il
n'estoit
pas douteux qu'en cet instant de trouble et de surprise, on ne rŽpondist par acclamation. C'estoit aussy de ce premier mouvement qu'il se falloit contenter, se lever incontinent, en ordonnant aux SecrŽtaires d'Estat de dŽpescher les ordres aux Provinces pour les Estats GŽnŽraux ˆ Saint Germain, puis retourner dans son appartement et entrer en pleine fonction de RŽgent, et donner les ordres ˆ toutes choses. Premirement, o est celuy qui eust branslŽ, qui eust osŽ commencer ? avec qui et avec quoy, le RŽgent estant en possession du droit, des troupes, des finances et de la personne du Roy ? Les trois quarts et demi de ceux qui auroient composŽ l'AssemblŽe, charmŽs d'avoir estŽ comptŽs pour quelque chose pour la premire fois de leur vie, et dans l'espŽrance de l'estre davantage ˆ l'avenir par entrer dans le Gouvernement, o les places alloient estre distribuŽes en nombre, auroient estŽ entirement gaignŽs, et le trs peu qu'un intŽrt particulier aliŽnoit n'auroient osŽ souffler, faute de moyens et par crainte. Le public auroit portŽ le RŽgent sur les pavois ˆ la mention effective d'Estats GenŽraux, et le Parlement, seul et abandonnŽ, sans droit et sans force de soy ny d'autruy, se seroit contentŽ de se plaindre, et auroit appris, par cette premire leon, ˆ estre sage et ˆ ne passer pas ses bornes.
Aussy
Mr
le Duc d'OrlŽans gousta t'il extrmement ce projet. A tant de choses qu'on voit icy qui luy ont estŽ proposŽes, et qu'il a goustŽes et rŽsolues, et que l'on va voir qu'il n'en a suivi aucune, on seroit tentŽ de croire qu'il amusoit et se mocquoit de Saint Simon. Point du tout. Rien de plus sŽrieux que son approbation de toutes ces choses ; rien de plus certain que sa rŽsolution arrestŽe et dŽterminŽe de les exŽcuter toutes. Mais il faut se souvenir de sa foiblesse, qu'on verra dŽsormais dominer et surnager ˆ tout, et on verra comment chacune de ces choses a ŽchouŽ, presque toutes malgrŽ luy, quoyque par luy, toutes avec repentir, et bien d'autres encore dans les suittes, et ces repentirs sans opŽrer que nouveaux repentirs, ny remŽdier en rien ˆ cette incomparable foiblesse.
Pour
aller
d'ordre, il faut commencer par dire ce qui fit avorter ce dernier projet, et ce qui fit suivre les dernires routes battues d'aller au Parlement pour la RŽgence.
La
santŽ
du Roy diminuoit de jour en jour. L'intŽrieur, qui y estoit infiniment attentif, et qui s'en apercevoit le mieux, redoubla ses efforts. La dŽclaration pour rendre les bastards du Roy habiles ˆ succŽder ˆ la Couronne parut tout ˆ coup, et, incontinent aprs, celle du testament clos du Roy dŽposŽ au Parlement pour y estre ouvert et leu aprs sa mort en prŽsence des Princes du Sang, des Pairs et de toute cette Compagnie. Ce n'est pas icy le lieu de s'estendre sur des Žvnements si curieux et si extraordinaires ; leur court, mais seur et important dŽtail, sera plus ˆ sa place au titre d'Eu.
Cette
nŽcessitŽ
de savoir le contenu de ce testament, et celle de ne le pouvoir apprendre qu'en plein Parlement, fit changer de plan ˆ Mr le Duc d'OrlŽans. Sa timiditŽ luy fit aprŽhender de se trouver dans cette AssemblŽe un moment aprs, pour ainsy dire, l'avoir offensŽe par une conduitte diffŽrente ˆ son Žgard des deux dernires Reyncs RŽgentes. Il sentit, avec tout le monde, que ce testament si secret estoit inutile, si le Roy avoit voulu laisser les choses aprs lui dans l'ordinaire et dans le droit. Fait par Voysin et ignorŽ de tout le reste du monde ˆ l'exception de Madame de Maintenon et de Mr du Maine, peut estre du Mareschal de Villeroy, [il] n'en estoit que plus suspect ; et ce quy ajoustoit le dernier degrŽ, c'estoit, ce depost si entirement contraire ˆ la nature de celuy par qui il estoit fait.
Mr
le Duc d'OrlŽans, contre qui ce tout sembloit, et avec trop de raison, rŽuni, craignit donc de trouver, ˆ l'ouverture du testament, des dispositions estranges, et d'avoir, comme la Reine mre sur celles de Louis XIII, besoin du Parlement pour s'en dŽlivrer [13]. C'en est plus qu'il n'en faut dans un homme aussy naturellement timide ; et, dans la vŽritŽ, c'estoit hazarder que suivre le premier plan, qui auroit rŽuni le Parlement avec les bastards, avec ceux qui seroient trouvŽ [sic] bien traittŽs par le testament, avec ceux encore qui, aliŽnŽs ou indiffŽrents, auroient voulu faire compter avec eux ; en un mot, pour une forme, risquer de former un groupe et un parti contre soy ds le premier moment de sa RŽgence, et avoir ˆ lutter.
Mr
de Saint Simon le sentit, et comprit de plus que Mr le Duc d'OrlŽans n'estoit pas bastant pour soutenir sa rŽsolution premire. Ainsy il la laissa tomber. Mais, puisqu'on en est encore aux propositions, en voicy bien une autre, exactement vraye en tous ses points, et qui manque entirement du vraysemblable, soit qu'on la considre en elle mesme, soit qu'on regarde de qui elle vint, et de qui soustenue avec une ardeur que rien ne put rallentir jusqu'au bout.
Maisons,
PrŽsident
ˆ mortier, trs riche, de beaucoup d'esprit, de plus encore d'ambition, et contraint par aucun principe, ˆ force de servir les gens du grand monde dans leurs affaires, de les attirer chez luy par la bonne chre, d'abord ˆ Maisons, par la beautŽ du lieu et sa proximitŽ de la Cour, puis ˆ Paris, s'estoit fait des amis du haut et du moyen parage, et avoit mis sa maison ˆ la mode. Sa femme, dont le peu d'esprit estoit tout tournŽ ˆ la galanterie, mais encore plus ˆ intrigue et ˆ ambition, l'y secondoit merveilleusement, et y avoit sacrifiŽ l'insolence PrŽsidentale. Luy aussy, parmi ce monde si distinguŽ, avoit seu Žviter la fatuitŽ du Premier PrŽsident de Mesmes, et il vivoit avec les magistrats du Parlement avec tant de soins et de politesse, que son peu de capacitŽ en procs s'estouffoit sous l'amour que tous luy portoient, duquel rŽsultoit une considŽration fort grande dans la Compagnie, dont il savoit trs bien faire usage, et augmenter la sienne au dehors. Soit ignorance, soit raison, luy et sa femme n'estoient qu'un. Mesmes amis, et souvent, pour le mari, de ridicules ; mais tout passoit sous la loy de la mode, et ceux lˆ n'estoient pas les moins utiles. Point de secret que partagŽ entr'eux deux ; mesmes veues, mesmes desseins, et sur tout concert entr'eux deux admirable, pour contribuer chacun au succs.
Deux
mots
peindront ce couple, et ces deux mots feront frŽmir. Ils n'avoient qu'un fils unique, et point de filles. Ce qu'ils cherchrent avec le plus de soin fut un prŽcepteur pour ce fils qui eust du savoir, de l'esprit et du monde ; mais surtout, et c'est ˆ cecy qu'ils s'attachrent comme au plus principal, et sans quoy ils n'auroient pu le prendre, surtout qu'il ne crust point en Dieu, et qu'il prist toutes sortes de soins pour empescher leur fils d'y croire. Le dŽmon le leur procura tel qu'ils le dŽsiroient. Il suivit scrupuleusement leur volontŽ, conforme ˆ ce qu'il pensoit luy mesme, et rŽussit pleinement ˆ faire un athŽe de son disciple. Ce prŽcepteur en devint l'ami de tous les trois. On verra bient™t la foudre les Žcraser au plus haut point des espŽrances. Pour le prŽcepteur, il a estŽ parfaitement connu depuis ; ce qu'il est devenu ne vaut pas le dire.
Maisons
avoit
perdu ses pas auprs de Mr le Duc et de Mr le Prince de Conti, par leur mort. Quoique devancŽ par le Premier PrŽsident auprs de Mr du Maine, il s'y tourna. L'achapt de sa maison de Paris, bastie d'abord pour le Duc de Beauvillier, qui s'en dŽgousta, le lia avec ce seigneur, que sa charitŽ et sa sŽparation, tant qu'il pouvoit du monde, rendoit souvent duppe, et l'approcha quelque peu du Dauphin. Tout cela perdu, il songea ˆ Mr le Duc d'OrlŽans. Il tenta deux routtes ; la plus immŽdiate, qui luy rŽussit, et qui fut par Canillac directement au Prince, ne le destourna point de tascher ˆ s'appuyer de l'autre ; c'estoit le Duc de Saint Simon par Mr de Beauvillier. Il arriva qu'elles se croisrent.
Canillac,
dont
on parlera bientost, avoit entestŽ Mr le Duc d'OrlŽans du grand usage qu'il pouvoit faire de Maisons dans le Parlement, et Mr le Duc d'OrlŽans, plein de cette idŽe, pressa Saint Simon de lier avec lui, tandis que le Duc de Beauvillier luy en parloit aussy comme d'une chose utile et que Maisons dŽsiroit ardemment. Saint Simon, blessŽ du bonnet, dont l'Žclat commenoit, et dont on parlera au titre d'Eu, avoit peine ˆ s'accommoder d'un PrŽsident ˆ mortier. Mais la souplesse et les avances de ce dernier, aidŽes des vives instances du Prince et des fortes exhortations du Duc, vainquirent enfin sa rŽpugnance ; et ce fut fort prs de la fin du Duc de Beauvillier.
L'importance,
qui
estoit le charme du PrŽsident, luy fit proposer une promenade nocturne, teste ˆ teste, dans la plaine de Grenelle, dans le carrosse du Duc de Saint Simon, avec un seul laquais ; et, dans la suitte, il ne venoit point ˆ Versailles qu'il ne vist Saint Simon en particulier, chez lui, vers la fin de la matinŽe ; et cela arrivoit tous les dimanches. Sa PrŽsidence et sa liaison avec Mr du Maine, duquel il ne se contraignoit pas avec Mr le Duc d'OrlŽans et ses serviteurs particuliers, tant il s'y croyoit en seuretŽ, estoient suspects [sic] ˆ Saint Simon, qui craignoit qu'il ne mangeast ˆ deux r‰teliers ˆ la fois ; et en effet il donna ˆ disner, en petit particulier, chez luy, ˆ Paris, ˆ Mr du Maine et ˆ Mr le Comte de Tolose, le jour qu'ils sollicitrent le Parlement pour l'enregistrement de la dŽclaration de leur habiletŽ ˆ la Couronne.
Maisons,
qui
l'avoit seue avant personne, et peut estre de la premire main, Žcrivit ˆ Saint Simon, qui estoit ˆ Marly, une lettre si pressante pour le venir trouver sur l'heure, que, ne l'ayant reeue qu'en se mettant ˆ table chez Lausun, son beau frre, il n'osa n'y pas disner, mais, incontinent aprs, il courut ˆ Paris savoir ce qu'il y avoit de si pressŽ. Maisons luy apprit la dŽclaration avec des fureurs et des dŽclamations que le Duc de Noailles, qui y survint et qui y estoit attendu, poussa au plus haut point, et qui rendirent Saint Simon presque muet et immobile, jusque lˆ qu'ils s'en faschrent. Donner aprs cela un disner particulier aux bastards sollicitant leur dernire apothŽose, fut un contraste Žpineux ; aussy en fut il fort embarrassŽ avec Saint Simon, qui se garda bien de le pousser, et qui, aprs lui avoir mis le doigt sur la lettre pour voir sa contenance, prit en payement tout ce qu'il voulut. Ajoustons tout de suitte que la dernire gr‰ce que le Roy ait accordŽe en mourant, ce fut la charge de Maisons, qui venoit d'expirer, ˆ son fils de dix sept ans, et ˆ la pressante demande de Mr du Maine. Il falloit tout cela pour faire connoistre Maisons et servir de prŽface ˆ la proposition qu'on va voir.
Le
testament
du Roy, dŽposŽ par luy mesme entre les mains du Premier PrŽsident, crŽature abandonnŽe de Mr du Maine, et aux gens du Roy, avoit estŽ, par son ordre, portŽ tout de suitte dans l'Žpaisseur de la muraille d'une tour du Palais qui est derrire la beuvette de la Grand'Chambre et le cabinet particulier du Premier PrŽsident, d'o seulement on entroit dans la tour. La niche, bien vožtŽe, bien barricadŽe de portes et de barres de fer, avoit trois serrures, toutes trois nŽcessaires pour l'ouvrir, dont les trois diffŽrentes clefs estoient gardŽes par le Premier PrŽsident, le doyen du Parlement et le Procureur GŽnŽral, et, par dessus le tout, il y avoit de la maonnerie qu'il falloit rompre au marteau pour dŽcouvrir les portes et les serrures. La porte de la tour estoit sans maonnerie, mais asseurŽe de fer avec les mesmes prŽcautions ; et tout cela ne devoit estre ouvert qu'aprs la mort du Roy, par un arrest du Parlement, toute sa Compagnie et les Princes du Sang et les Pairs sŽants, en prŽsence desquels le testament devoit estre, sur le champ de l'arrest, apportŽ par les trois dŽpositaires et leu publiquement ˆ haute voix, ˆ huis clos.
Ce
fut dans cette disposition des choses que Maisons, aprs avoir souvent exagŽrŽ tout ce qu'il y avoit ˆ craindre pour Mr le Duc d'OrlŽans d'un testament fait avec un si profond secret, par des mains si ennemies, et dŽposŽ avec de si injurieuses et de si fortes prŽcautions, proposa ˆ Saint Simon de forcer la tour et d'en tirer cette fatale pice aussy tost que le Roy ne seroit plus. La surprise de celuy cy fut extrme d'ou•r sortir une telle violence de la bouche d'un homme qui passoit pour sage et qui estoit PrŽsident ˆ mortier. Luy, ˆ son tour, fut estonnŽ, ou le fit, de trouver de l'opposition ˆ son avis. Saint Simon luy demanda si c'estoit sŽrieusement qu'il faisoit une proposition si estrange en soy, si dangereuse pour ses suittes, et si peu pratiquable dans sa mŽcanique.
On
ne s'arrestera pas aux difficultŽs de l'exŽcution ˆ main armŽe, ˆ la sŽdition dont on auroit couru les risques, ˆ l'indignation de toute la France et de toute l'Europe, ˆ la fureur du Parlement violŽ dans le lieu et la chose les plus inviolables et les plus sacrŽes [sic], au cri de tout ce qui y avoit intŽrest, ou par la forme ou dans le fond, qui auroit estŽ secondŽ du cri public, ˆ toute confience anŽantie pour toujours, et ˆ la terreur des suittes d'une telle ouverture de scne, si capable d'unir et d'armer tout le monde contre le RŽgent.
Mais,
au
bout, il falloit monstrer ou suprimer le testament. Le monstrer : o estoit le profit de cette violence ? Le suprimer : c'estoit pour y faire croire tout ce qu'on auroit voulu y supposer, mettre un feu dans tous les esprits ˆ ne jamais esteindre, et se perdre et se dŽshonorer en toutes sortes de faons. Voilˆ pour le succs de la tentative.
Qu'eust
ce
estŽ de l'entreprendre, et de n'y pas rŽussir ? Persuader une folie de ce genre eust estŽ le plus grand coup qu'eussent pu faire les plus mortels et les plus ambitieux ennemis du RŽgent ; et qui sait si la proposition n'en venoit pas d'eux, et si Mr du Maine, qui avoit fait faire le testament pour soy, ne s'en estoit pas prŽcautionnŽ d'un double signŽ et autentique en second original, pour le produire au besoin. Quoy qu'il en soit d'une chose qui n'a pu estre aprofondie, mais qui portoit la plus complte folie ou la plus dŽtestable trahison sur le front, et peut estre l'une et l'autre, Maisons ne cessa jamais ses instances, tant auprs de Saint Simon qu'au Duc d'OrlŽans mesme, qu'il en pressoit continuellement.
Le
merveilleux
est que ce Prince, le plus soubonneux qui ait jamais vescu, n'en prit nul soubon de Maisons, et l'alloit mettre et Žlever ˆ tout, quand Dieu, qui se plaist ˆ confondre l'audace de ses ennemis, laissa croistre celuy cy en considŽration, en importance, en espŽrances les plus flatteuses, les plus certaines, les plus imminentes, le frappa ˆ l'instant d'une maladie de cinq ou six jours, qui luy laissa d'abord le temps de se flatter, parmi la foule qui s'empressoit chez luy de tout ce qu'il y avoit de plus distinguŽ, puis de gouster la mort, la fortune qui Žchappe, le dŽsespoir qui suit ; luy refusa tout autre usage de ces moments si prŽcieux, et l'enleva cinq ou six jours devant le Roy, c'est ˆ dire devant le jour de l'accomplissement de ses dŽsirs et du fruit des travaux de toute sa vie.
Sa
femme,
outrŽe, enragŽe, se prit ˆ ce qu'elle put pour conserver de la considŽration et un petit tribunal chez elle, o on cabaloit tant qu'on pouvoit ; mais une subite apoplexie la surprit trois ou quatre ans aprs, dans son jardin, luy laissa la teste assŽs libre pour ˆ son tour gouster la mort ˆ longs traits, et l'emporta en deux fois vingt quatre heures, sans s'estre reconnue un moment. Leur fils unique, duit [exercŽ] ˆ l'impietŽ et la politique, manŽgea plus que son ‰ge ne comportoit, avec beaucoup d'art et d'esprit, des biens immenses, une despense pareille, et dŽjˆ beaucoup de considŽration, parce qu'il n'oublioit rien en aucun genre pour s'en attirer. Quelques annŽes aprs sa mre, dont il fut longtemps inconsolable, il fut frappŽ de la petitte vŽrole, et au mesme instant, d'une telle terreur qu'il fut emportŽ en trois jours. Il n'avoit point eu d'enfans de deux femmes. Il mourut le dernier de sa famille, et ses grands biens devinrent la proye d'un nombre de collatŽraux. C'est donc bien littŽralement de ces magistrats qu'il se peut dire avec le Prophte : Ç J'ay veu l'impie ŽlevŽ comme le cdre du Liban ; je n'ay fait que passer, il n'estoit dŽjˆ plus, et il n'en est restŽ aucun vestige. È
Parmy
tous
ces soins, il fut question de savoir si Mr le Duc d'OrlŽans avoit ses arrangements prts, comme Saint Simon le luy avoit si fortement recommandŽ, et ˆ tant de reprises. Jusqu'alors il s'estoit contentŽ de ses rŽponses vagues ˆ sa question, qui l'estoit de mesme, parce qu'en mme temps, il luy avoit recommandŽ le plus profond secret, et qu'il ne vouloit monstrer aucune curiositŽ ; mais, les choses pressant, il le pressa aussy sur le gŽnŽral, et il vit clairement que le Prince n'y avoit pas seulement pensŽ.
Alors
il
fut moins question de reproches que de tascher ˆ rŽparer un si long et prŽcieux temps perdu, et Mr le Duc d'OrlŽans, avouant sa coupable nŽgligence, voulut que Saint Simon lui aidast ˆ la rŽparer. Celuy cy n'osa s'y refuser, dans la crainte pressante que, s'il n'y mettoit la main, Mr le Duc d'OrlŽans n'en daignast encore prendre la peine, et que, le Roy mort, tout se trouvast ˆ faire ˆ la fois.
Pour
premier
dŽbut, le Prince lui demanda ce qu'il vouloit estre. L'autre se deffendit du choix ; il rŽpondit que c'estoit au Prince ˆ le mettre ou ˆ le laisser, et luy ˆ ne se point produire. ForcŽ enfin, il luy dit qu'il luy parleroit de soy comme d'un autre ; que, puisqu'il le vouloit employer dans ce nouveau Gouvernement, il se croyoit moins incapable des affaires du Dedans que des autres, parce qu'il s'y estoit toujours appliquŽ, comme il avoit pu, avec goust. Ç Chef de ce Conseil donc? È dit le Prince. Ñ Ç Non, pas cela, rŽpondit le Duc ; cela est trop fort pour moy ; mais une place dans ce Conseil. È Mr d'OrlŽans se prit ˆ rire, et dit qu'il se mocquoit, mais qu'il luy destinoit une autre place, qui estoit d'estre Chef du Conseil des Finances. Saint Simon refusa tout net, dit qu'il n'entendoit et n'administroit pas seulement les siennes, qu'il ignoroit jusqu'ˆ la valeur de la monnoye, et que rien ne les lui feroit accepter. Aux instances flatteuses du Prince, il rŽpondit qu'il espŽroit bien de n'estre pas seulement tentŽ dans cette place, mais que son incapacitŽ donneroit lieu ˆ chacun de le tromper, de piller, et qu'avec les meilleures intentions du monde, il ruineroit l'Estat et un monde de particuliers, dont il ne se vouloit pour rien charger devant Dieu ny devant les hommes. Ce motif estoit trs vŽritable ; mais il en avoit encore un autre, c'est qu'il se sentoit portŽ par des raisons trs fortes ˆ faire la banqueroutte entire, soit par les Estats GŽnŽraux rŽsolus, soit aprs par luy mesme ; qu'il considŽroit avec terreur la ruine de tant de familles, qui y seroit certaine, et que, ce compte ˆ rendre au dernier jour, il ne put s'y rŽsoudre ; si bien que Mr le Duc d'OrlŽans se faschant, il luy dŽclara qu'il iroit plutost ˆ la Bastille. Tout en colre, le Prince luy demanda donc qui diable il y pourroit mettre, ds qu'il y vouloit un seigneur ?
Ç Un
fait
exprs, luy rŽpondit Saint Simon, et tellement qu'il n'y en a pas un autre ; un Duc et Pair de beaucoup d'esprit et de talents, qui meurt d'envie de faire, qui est puissamment riche, grandement establi en charges et en alliances les plus nombreuses et les mieux en fortune ; un homme enfin qui a tout ce qui faut pour ne point se laisser tromper, et tel qu'il faudroit qu'il eust le diable au corps pour voler en l'estat o il est ; qui n'a besoin que de se faire un nom, et qui meurt d'envie de l'acquŽrir ; en un mot, c'est le Duc de Noailles. Ñ Bon ! dit le Prince, pour que sa mre mette tout dans ses poches ? Ñ Sa mre, rŽpondit Saint Simon, n'a mis dans ses poches que par ordre du Roy aux Contr™leurs GŽnŽraux. Le Chancelier et Chamillart me l'ont dit tous deux d'elle et de sa fille, la Duchesse de Guiche, et de plus il s'en faut beaucoup que la mre fasse rien faire de ses volontŽs ˆ son fils. È
La
conversation
fut courte, par l'humeur que Mr le Duc d'OrlŽans avoit prise du refus si prŽcis et si opiniastre de Mr de Saint Simon, et qui dura trois ou quatre jours. C'estoit dans les fins du dernier voyage du Roy ˆ Marly. Il menaoit de plus en plus ruine : la nŽcessitŽ des prŽparations, si fort arriŽrŽes, ramena Mr le Duc d'OrlŽans ˆ en reprendre la matire avec M. de Saint Simon. Il le pressa encore des Finances avec aussy peu de succs ; puis il voulut encor qu'il choisist son employ. Il persista ˆ celuy auquel il se croyoit le plus propre dans le Conseil du Dedans. Mr le Duc d'OrlŽans rŽpondit que, pour la place de Chef de ce Conseil, ˆ la bonne heure, mais qu'une simple place ne se pouvoit pas proposer ; que, s'il vouloit celle de Chef, il la luy donneroit, mais que, pour luy parler franchement, ds qu'il ne vouloit point absolument des Finances, rien ne convenoit tant ˆ l'un et ˆ l'autre que d'estre du mesme Conseil ; et cela fut arrestŽ de la sorte.
Pour
ce mesme Conseil, ils convinrent qu'il y falloit Mr le Duc, malgrŽ sa jeunesse, pour qu'il y eust au moins un Prince du Sang, et c'estoit le plus aagŽ, et de plus l'aisnŽ de tous, exceptŽ Mr de Chartres, et qu'on ne pouvoit, sans injure, en exclure Mr du Maine et Mr le Comte de Tolose. Mr de la Vrillire, poulliŽ [tirŽ vers le haut] deux ans durant par Saint Simon, qui ne se rebuta point de la peine de Mr le Duc d'OrlŽans ˆ le conserver et ˆ l'accroistre mesme de cet employ unique, et qui disoit qu'on s'en mocqueroit, passa enfin.
Mais,
quand
il fut question des autres, ce fut la difficultŽ. Ils parlrent donc des places de Chef des autres Conseils. Saint Simon, faute de mieux, proposa le Mareschal d'Huxelles pour celuy des Affaires Estrangres, parce qu'il revenoit de la paix d'Utrecht aprs avoir estŽ ˆ Gertruydensberg, et, qu'entre les seigneurs, c'estoit celuy ˆ qui elles l'estoient le moins. Harcourt, quoyque plus que suspect par sa liaison intime avec Madame de Maintenon et Mr du Maine, ne put estre laissŽ, par la rŽputation qu'il avoit : Mr de Saint Simon le reprŽsenta, et Mr le Duc d'OrlŽans en convint. Ainsy la place du Conseil du Dedans luy fut destinŽe. Son estat apoplectique leur fit juger qu'il auroit besoin d'un coadjuteur tacite. Mr de Saint Simon en fit la rŽflection, et proposa d'Antin, dont l'esprit, le liant, la capacitŽ y estoient merveilleusement propres. Il en fut Chef quand ce vint ˆ fondre la cloche, parce que, Harcourt ayant reprŽsentŽ qu'il n'estoit plus en estat de se charger d'un si pŽnible employ, il fut mis dans le Conseil de RŽgence. A l'Žgard de la Guerre et de la Marine, ils comptrent le Mareschal de Villeroy pour le premier, et Mr le Comte de Tolose, comme Amiral, pour le second, et avec luy le Mareschal de TessŽ, comme GŽnŽral des Galres, et les deux Vice Admiraux. Pour le Conseil de Conscience, ils convinrent aisŽment du Cardinal de Noailles ; mais Mr le Duc d'OrlŽans alloit, pour celuy lˆ, ˆ temporiser, et comme le Roy alloit et venoit encore, Mr de Saint Simon n'insista pas. Il y a de quoy estre surpris de voir toujours, dans des choix et des rŽsolutions si importantes, Saint Simon la partie active et Mr d'OrlŽans la passive. C'est toutes fois ˆ quoy il faut s'accoustumer ; au moins pour le dernier, on verra peu de choses sortir de sa volontŽ, et tout de celle des autres. Sans changer donc ce personnage passif, il en changea d'actifs, et en eut plus d'un ˆ la fois, et souvent plusieurs, bientost aprs qu'il fut le maistre. C'est une estrange vŽritŽ, mais bien rŽelle, et qu'il est bon d'annoncer de bonne heure pour faire cesser le doutte et la surprise sur tout ce qui est ˆ raconter.
Si
Mr de Beauvillier et l'Archevesque de Cambray eussent vescu, ils estoient tous deux destinŽs aux plus grandes places, et de la plus estroitte confience, et comme l'un et l'autre avoient estŽ Gouverneur et PrŽcepteur des trois Enfans de France, et aucun des deux connu pour avoir de liaison particulire avec Mr le Duc d'OrlŽans, son projet, fait par le Duc de Saint Simon, estoit de les faire, l'un chef de l'Žducation du Roy, avec le choix des Sous Gouverneurs et tout ce qui appartient ˆ l'Žducation, et mesme d'un Gouverneur sous luy, autre que Saint Simon, exclu par son attachement pour Mr le Duc d'OrlŽans, et Mr de Cambray chef des estudes, avec le mesme choix pour tout ce qui y appartient, et d'un Evesque pour PrŽcepteur sous luy. La mort du premier, un an devant le le Roy, celle de l'autre, sept ou huit mois aprs, le rendirent inutile, et, quand ˆ l'Žducation, les dispositions du Roy ˆ cet Žgard l'auroient fait Žchouer.
Mr
de Saint Simon avoit grand soin d'informer Mr de Beauvillier de toutes ces choses ; c'estoit luy, qui, depuis longtemps, l'avoit liŽ avec Mr le Duc d'OrlŽans, presque malgrŽ le Duc, qui, s'il l'eust voulu, le pouvoit aisŽment par Mr de Chevreuse, que Mr le Duc d'OrlŽans aima toute sa vie par un commerce de science et de raisonnement que [le] Duc entretenoit pour le ramener ˆ la religion. A l'Žgard de l'Archevesque, les mesmes raisons de sciences et de raisonnement avoient liŽ l'amitiŽ entr'eux, jusque lˆ que, dans la plus profonde disgr‰ce de ce prŽlat, Mr le Duc d'OrlŽans se dŽclara toujours pour luy, et, malgrŽ l'absence, l'aima toujours et l'en fit souvent asseurer.
Le
rare est que [M. de] Cambray, qui, par ricochet de Mr de Beauvillier, et, des derniers temps, de Mr de Chevreuse, savoit beaucoup de choses, craignoit estrangement Mr de Saint Simon, quoiqu'il n'ignorast pas combien, par attachement pour ces deux Ducs, il affermissoit et entretenoist Mr d'OrlŽans en sa faveur. Il estoit sorti de la Cour avant que d'avoir connu Saint Simon ; on luy en avoit fait peur ; sa liaison plus qu'intime, qu'il n'ignoroit pas, avec ce qui le lui estoit le plus, ne le rasseuroit pas, et le plaisant estoit que les Ducs l'avoŸoient ˆ Saint Simon, et se chargeoient, mesme de sa part, de diminuer ses craintes. Le fait estoit qu'il ne pouvoit, comme Beauvillier, se flatter avec Saint Simon d'une obŽissance aveugle et d'un abandon entier, et qu'accoustumŽ ˆ l'un et ˆ l'autre dans son petit troupeau, jusqu'ˆ l'ombre d'avoir ˆ compter avec quelqu'un, tel qu'il pust estre ˆ son Žgard, luy estoit devenu [sic] insuportable. Il mourut sachant ce qui l'attendoit, et chŽrissant cette planche aprs ses naufrages. Il fut donc question de le remplacer.
Mr
de Saint Simon avoit persuadŽ Mr le Duc d'OrlŽans de former son Conseil, en trs estroit nombre, sur le modle des Estats GŽnŽraux, et, pour cela, d'y mettre un Evesque. Mr de Saint Simon luy en proposa deux, qui y pouvoient d'autant mieux vacquer qu'ils n'avoient plus de diocse. C'estoient Chavigny, ancien Evesque de Troyes, et Canisy, ancien Evesque de Limoges, qui, tous deux, menoient une vie fort sainte dans leur retraitte o le dernier n'avoit rien de public ˆ expier. Saint Simon n'avoit eu de sa vie aucune liaison avec le premier, et, pour le dernier, ˆ peine savoient ils le nom de l'un de l'autre ; mais voicy ce qui excita Saint Simon.
Au
plus fort de la guerre et d'une chertŽ qui mit la famine dans plusieures provinces, dont le Limosin fut des plus maltraittŽs, Canisy, dont la rŽsidence et la vie vrayment Žpiscopale avoient toujours estŽ d'un grand exemple, vendit tout, jusqu'ˆ sa vaisselle, pour secourir les pauvres. A bout de moyens et de toute industrie, il escrivit au Roy une lettre si pathŽtique sur ses devoirs et sur la misre de son peuple, que le Roy, ˆ qui elle avoit estŽ directement rendue, en tomba dans une mŽlancholie dont la durŽe donna les plus vives inquiŽtudes qu'il ne tombast malade ˆ son plus secret intŽrieur, ˆ qui il n'en put cacher la cause. Madame de Maintenon, furieuse contre le PrŽlat, luy escrivit une lettre pleine de reproches, et l'avertit qu'il ne s'avisast jamais de retomber dans une pareille faute. L'ƒvesque, qui n'avoit aucun commerce avec elle, ne se troubla point. Il luy rŽpondit qu'avant de tenter ce remde, il avoit usŽ tous ceux de ses moyens et de son industrie ; qu'il estoit comptable ˆ Dieu de son troupeau ; que le Roy l'estoit de ses peuples, et que, n'ayant plus de ressource pour eux qu'en luy, il se seroit cru trs coupable de ne le pas avertir comme il avoit fait ; qu'il estoit au dŽsespoir, et de l'impression que sa lettre avoit pu faire sur sa santŽ, et qu'elle luy eust dŽplu ˆ elle, mais que, devant plus ˆ Dieu qu'aux hommes, loin de se repentir de ce qu'il avoit fait, il recommenceroit encore quand la mesme nŽcessitŽ en presseroit sa conscience, et que nulle considŽration ne luy feroit trahir les devoirs de son caractre. Le bout de tout cela fut que son diocse eut du secours et que Madame de Maintenon ne le luy pardonna pas. Au bout de quelques annŽes, il se dŽmit et se retira pour toujours en Normandie, partie dans sa famille, partie dans son abbaye de... Un tel homme parut ˆ Saint Simon digne d'estre mis sur le chandelier et trs propre ˆ dire ˆ Mr le Duc d'OrlŽans des vŽritŽs trs importantes.
Mr
de Troyes avoit du savoir, possŽdoit ˆ fonds toutes les matires temporelles du ClergŽ, connoissoit extrmement le monde, avoit estŽ fort ˆ la mode parmi le plus distinguŽ, et avoit menŽ une longue vie de jeu, de dames, de bonne chre et de dissipation peu dŽcente. Venant sur l'aage, les remords le prirent. Il essuya un long combat en soy mesme ; il essaya quelque rŽsidence ; il succomba ˆ chaque retour ˆ Paris ; enfin, voyant qu'il ne pouvoit rŽsister aux occasions ny dŽlier ses chaisnes, il les rompit tout ˆ coup, se dŽmit sans rien demander, et s'enfuit dans une Chartreuse, ˆ la porte de Troyes, o il vescut longtemps en grande pŽnitence. Son neveu fut nommŽ ˆ son EveschŽ. L'union fut intime entre eux ; il voulut bien enfin passer quelque partie de l'annŽe avec luy, mais sans voir presque personne.
Aprs
plusieures
annŽes, le Roy lui ordonna de le venir voir ˆ Fontainebleau, et il y venoit quatre ou cinq jours tous les ans. C'estoit ˆ qui le verroit de ses anciens amis et de cette foule de connoissances ; la saintetŽ Žclatoit en sa personne ˆ travers cette politesse et cette aisance de la Cour et du grand monde qu'il n'avoit pu perdre, et il s'enfuyoit hors d'haleine, ravi de se retrouver dŽbarrassŽ dans sa solitude. Il y avoit vingt ans qu'il y estoit lorsque le Roy mourut. Il estoit frre de la Mareschale de ClŽrambault, que Madame aimoit extrmement et qui passoit sa vie auprs d'elle, et Madame, qui aimoit Mr de Troyes avec confience, luy avoit fait donner parole que, sans mesme estre mandŽ, il viendroit ds qu'il la sauroit malade, parce qu'elle vouloit mourir entre ses mains. Tout cela luy fit donner la prŽfŽrence sur Mr de Limoges. Mais que les pensŽes des hommes sont tŽnŽbreuses, et leurs veues trompeuses et courtes ! Mr de Troyes arriva sans se faire prier, et parut dans tout l'Žclat de sa retraitte. Il en retint tout le maintien dans les commencements, et on ne se pouvoit promettre de personne autant que de luy le poids nŽcessaire et capable d'imposer ˆ l'extŽrieur de Mr le Duc d'OrlŽans, de le ramener peu ˆ peu ˆ une conduitte plus dŽcente, et de le contenir, sinon de le fixer. Sed,
si sal evanuerit, in quo salietur ? comme dit le Sauveur du monde [Mathieu, 5.13].
Mr
de Troyes s'humanisa bientost, et, si l'aage, le fonds qu'il avoit fait dans sa longue retraitte, les occupations, qui d'abord furent effectives, l'empeschrent de redevenir le Troyen, il ne put longtemps tenir contre les amusements du monde, et, peu ˆ peu, on le vit s'y livrer insensiblement et en remplir des journŽes que la soustraction des affaires ne remplissoient plus [sic]. Ses vrais amis en eurent de la peine, sa plus intime famille en rougit ; mais il n'eut honte de rien. Le jeu, les toilettes, les disners, en un mot tout ce qui estoit le plus indŽcent dans un homme tel que luy, hors le crime, il s'y abandonna, et rŽsista aux reprŽsentations que ses plus familiers amis osrent luy en faire. Il y persŽvŽra mesme aprs qu'il ne fut plus mention d'affaires, ni mme de Conseils, et il poussa cette dŽplorable vie jusqu'ˆ une grande vieillesse. Une maladie le fit rentrer en luy mesme, mais par degrŽs et toujours en s'Žchappant, jusqu'ˆ ce qu'enfin il se dŽfit de son Žquipage et s'enferma dans une belle maison qu'il avoit louŽe des Chartreux, o il ne s'occupa plus que de l'autre vie. Il vescut de la sorte quelques annŽes, dans la pŽnitence et la sŽparation, faisant de grandes aumosnes, voyant ˆ peine l'Archevesque de Sens, son neveu, et la Mareschale de Charost, sa nice, depuis Duchesse de Luynes, qu'il logeoit avec luy ; conserva sa santŽ et sa teste jusqu'ˆ la fin, et mourut ainsy, moins de maladie que de vieillesse, 15 septembre 1731, ˆ quatre vingt neuf ans, aprs avoir survescu ˆ tout et ˆ soy.
Le
Mareschal
de Villeroy, dont la figure a tant variŽ en sa vie, a paru si grande la dernire annŽe de la vie du feu Roy, et si folle, puis si ridicule dans les suittes, ne put n'estre pas de ce Conseil de RŽgence, surtout aprs ce que le testament du Roy dŽclara pour luy, ny quitter le Conseil des Finances. Le Duc de Noailles y fut mis, en apparence sous luy, mais en effet en Chef, et, comme ce Mareschal ne pouvoit mesme avoir le nom de tant de choses, on ne dit pas vacquer, puisqu'en effet il estoit incapable de vacquer ˆ pas une, le Mareschal de Villars fut mis ˆ la teste du Conseil de Guerre.
Dosons,
destinŽ
pour estre dans ce dernier Conseil, fit tant auprs de Mr le Duc d'OrlŽans qu'il se fourra dans celuy de RŽgence, au scandale universel. Mais rien n'estant arrestŽ ˆ la mort du Roy, tout alla comme il put, et on en verra encore mieux les raisons au titre de
Noailles. Ainsi le Conseil de RŽgence fut d'abord uniquement composŽ de :
Mr le Duc d'OrlŽans,
Mr le Duc,
Mr le Duc du Maine,
Mr le Comte de Tolose,
Mr Voysin, Chancelier,
Mr le Duc de Saint Simon,
Mr le Mareschal Duc de Villeroy,
Mr le Mareschal Duc d'Harcourt,
Mr le Mareschal de Besons,
Mr l'ancien Evesque de Troyes.
Et, huit jours aprs : Mr de Torcy ; Mr de la Vrillire, SecrŽtaire d'Estat et du Conseil de RŽgence, sans voix pendant plus d'un an ; Mr le Cardinal de Noailles, Chef du Conseil de Conscience ; Mr le Mareschal Duc de Villeroy, Chef du Conseil de Finance ; Mr le Duc de Noailles, PrŽsident du Conseil de Finances ; Mr le Mareschal Duc de Villars, Chef du Conseil de Guerre ; Mr le Duc de Guiche, PrŽsident du Conseil de Guerre ; Mr le Comte de Tolose, comme Amiral, Chef du Conseil de Marine ; Mr le Mareschal d'EstrŽes, PrŽsident du Conseil de Marine ; Mr le Mareschal d'Huxelles, Chef du Conseil des Affaires Estrangres ; Mr le Duc d'Antin, Chef du Conseil des Affaires du Dedans du Royaume, ou de ce qui s'appeloit avant et depuis, du Conseil des DŽpesches.
Et
les Chefs des Conseils, seuls, entroient chacun leur jour au Conseil de RŽgence pour y rapporter les affaires de leurs Conseils : l'Archevesque de Bordeaux, frre du Mareschal de Besons, ou un autre du Conseil de Conscience, au lieu du Cardinal de Noailles, exclus pour les difficultŽs de rang ; le Mareschal d'EstrŽes, pour celuy de la Marine, et le Duc de Noailles, pour celuy des Finances. Le rang s'y rŽgloit par l'anciennetŽ de la Pairie pour ceux qui estoient Pairs, ou du DuchŽ VŽrifiŽ pour ceux qui n'estoient pas Pairs ; puis les Mareschaux de France avant tous autres.
Pontchartrain
entra
quelques mois dans ce Conseil sans opiner et sans fonction quelconque. La Vrillire en tenoit la plume comme secrŽtaire, et la Marine estoit dŽvolue ˆ l'Amiral et au Conseil de ce nom. Restoit la Maison du Roy et Paris, qu'Argenson, lieutenant de police, faisoit avec indŽpendance.
C'estoit
donc
une nulle que le Chancelier [Pontchartrain], son pre, sorti de sa retraitte de l'Institution pour aller supplier Mr le Duc d'OrlŽans, par les derrires, incognito, soustint quelque temps, appuyŽ du Marquis d'Effiat et de Dosons. Les avanies qu'il y reeut par un long mŽmoire de ses prŽvarications que le Comte de Tolose leut luy mesme, et de sa faon avouŽe, en plein Conseil de RŽgence, les commentaires du MarŽchal d'EstrŽes, les dŽrisions et les mŽpris de tous les autres, et tout cela en sa prŽsence, et sans qu'il ait jamais osŽ y rŽpondre une parole, rendent incroyable ˆ qui l'a veu comment il put y tenir. Son Ždit des garde costes fut cassŽ au premier Conseil de RŽgence o il se traita de Marine, et avec un scandale qui deut dŽdomager Saint Simon. Mais il [S. Simon] se lassa enfin de l'y voir accablŽ de honte et d'opprobres sans pouvoir en estre rassasiŽ ; il proposa un matin ˆ Mr le Duc d'OrlŽans, ˆ Vincennes, de s'en dŽfaire, de donner sa charge ˆ son fils, encore enfant, et de la faire exercer par la Vrillire qui, Phelypeaux comme luy et SecrŽtaire d'Estat effectif, ne pourroit embler une charge de SecrŽtaire d'Estat alors en pointure. Par lˆ il se vengeoit pleinement de son ennemi, sauvoit sa famille, et fermoit la bouche au Chancelier de Pontchartrain, son ami.
Saint
Simon
fut chargŽ par le RŽgent de luy faire une lettre pour ce Chancelier et de la luy apporter au Palais Royal, l'aprs disnŽe. Il l'approuva, la transcrivit, la ferma et la donna ˆ Saint Simon. Celuy cy envoya, le lendemain matin, la Vrillire ˆ l'Institution, pour qu'il fust prŽsent ˆ la rŽception de la lettre du RŽgent, qu'il luy envoya avec un billet dont il l'accompagna, et suivit luy mesme, un quart d'heure aprs. Il avoit eu soin, par la lettre du RŽgent, de dŽfendre au Chancelier de le voir qu'il n'eust reeu la dŽmission de son fils et fait expŽdier la charge au petit fils ; et le tout estoit tournŽ au plus flatteur pour le Chancelier. Aussy, ds qu'il entra dans sa chambre : Ç Ah ! Monsieur, s'Žcria t il, voilˆ de vos tours ! Vous Žcrasez mon fils, vous sauvez le fils de feue Madame de Pontchartrain, mon honneur et ma famille. Vous voilˆ vous mesme ! È et tout de suitte l'embrassa.
Saint
Simon
le fit souvenir en deux mots de ce qui s'estoit passŽ ; qu'il n'avoit jamais rŽtractŽ sa menace, ny rendu son amitiŽ ˆ son fils. Il ajousta : Ç Voilˆ, Monsieur, ce que je vous avois dit que je ferois. Je l'ay fait, il est vray ; mais j'ay fait aussy ce que je ne vous avois pas promis, et dont vous ne trouverez point d'exemple de la considŽration personnelle qui vous est icy tesmoignŽe, jointe ˆ toute la seuretŽ qui se pouvoit donner pour la charge. È Le Chancelier ne laissa pas de sentir l'Žclat de son fils, quoyque si mŽritŽ, et que tout le public applaudit sans garder la moindre mesure. Aussytost Pontchartrain, mandŽ par son pre, arriva chŽs luy, et Saint Simon sortit un instant auparavent. Force luy fut de donner sa dŽmission ˆ l'heure mesme et de demeurer enseveli dans l'obscuritŽ, sous l'exŽcration publique, On a voulu raconter tout de suitte ce qui regarde Pontchartrain.
Voysin,
plus
que tout autre, devoit pŽrir sous la juste vengeance du RŽgent, et Saint Simon, qui d'ailleurs n'avoit aucun lieu de rancune contre ce Chancelier, ne cessoit d'en presser Mr le Duc d'OrlŽans. Celuy cy tergiversa dans les derniers jours de la vie du Roy, et tout ˆ la fin, avoua ˆ Saint Simon qu'il n'avoit pu refuser au Mareschal de Villeroy, si complice de l'autre, de luy laisser les Sceaux et le Ministre moyennant sa dŽmission de sa charge de SecrŽtaire d'Estat. Le rare fut que, restŽ en ces grandes places, il ne fut plus question de cette dŽmission. Fort longtemps aprs, Saint Simon ne cessant de presser le RŽgent lˆ dessus, elle fut donnŽe, mais payŽe au double, aprs se l'estre fait payer presque entire une autre fois, dans les derniers mois du feu Roy.
Pour
Torcy,
le secret de la poste le sauva malgrŽ Saint Simon, et son entrŽe au Conseil de RŽgence ne fut retardŽe d'une huitaine que pour faire au vieil Evesque de Troyes la galanterie de le luy faire prŽcŽder.
Desmarets,
qui,
dans les dernires semaines de la vie du Roy, s'estoit enfin avisŽ de rechercher Saint Simon, et qui s'y prit par les Duchesses de Chevreuse et de Beauvillier qui estoient pour luy l'endroit le plus sensible, en fut constamment rejetŽ, et ne mit jamais le pied au Conseil de RŽgence.
Tel,
en gros et trs gros, estoit l'estat des choses ˆ la mort de Louis XIV.
D'entrer
maintenant
dans ce qui se passa depuis jusqu'ˆ la mort de Mr le Duc d'OrlŽans par rapport ˆ Mr de Saint Simon, ce ne seroit plus anecdottes, mais une histoire entire. Il y fit une figure si continuelle et si considŽrable, qu'il faudroit raconter une infinitŽ d'affaires et de choses les plus curieuses, mais qui feroient des volumes. On se contentera donc de dire que, ds l'entrŽe, il voulut tout quitter, ce qui se verra au titre de Noailles..., et fut ˆ grand'peine retenu par les efforts suivis de Mr le Duc d'OrlŽans.
Quelque
temps
aprs, ce Prince, excŽdŽ dŽjˆ des menŽes et des manires du Mareschal de Villeroy, voulut le chasser et faire Gouverneur du Roy Saint Simon qui le refusa avec la dernire force par les raisons cy devant allŽguŽes contre un Gouverneur du Roy attachŽ au RŽgent, et, par mesmes raisons, fit en sorte que le Mareschal fut conservŽ. Mais, quelques annŽes aprs, ce dernier en fit tant, que la mesme chose fut remise sur le tapis, et, qu'un mois durant, Mr le Duc d'OrlŽans et Mr le Duc, non seulement en pressrent, mais en persŽcutrent le Duc de Saint Simon, qui fut, ˆ le refuser, aussy opiniastre qu'eux. Le rare fut que le Mareschal de Villeroy le seut, et ne put pardonner ˆ Saint Simon d'avoir pu avoir sa place, sans aucun grŽ de l'avoir non seulement refusŽe, mais de la luy avoir conservŽe, et ne le luy a pardonnŽ que lorsqu'enfin il fut arrestŽ et envoyŽ ˆ Lyon, et qu'il vit le Duc de Charrost Gouverneur du Roy, contre lequel il Žclatta. A son retour de Lyon, Saint Simon fut le premier homme qu'il visita, et depuis, jusqu'ˆ sa mort, l'a toujours cultivŽ avec toutes sortes de prŽvenances et d'ouvertures.
Les
Sceaux
furent aussy offerts ˆ Mr de Saint Simon, avec autant de persŽcution que l'avoit estŽ la place de Gouverneur du Roy, et refusŽs avec la mesme opiniastretŽ. Il ne vouloit ny dŽpouiller Daguesseau, qui les tenoit alors, ny faire un mŽtier qu'il ignoroit et qui ne l'honoroit point, ny sceller ou refuser de sceller des Ždits, etc, qu'il ne croyait pas justes. De ces refus, l'abbŽ du Bois luy fit un crime quelque temps aprs, et encore de ne s'estre pas trouvŽ au Grand Conseil lorsque le RŽgent y mena les Princes du Sang, les Pairs et les Mareschaux de France pour l'affaire de la Constitution, au refus du Parlement. Il y eut ainsy parfois de petites froideurs entre S. A. R. et Saint Simon, mais qui, tost aprs, rŽchauffoient l'amitiŽ et la confience. Saint Simon sauva encore le Parlement, qu'on avoit persuadŽ au RŽgent de rembourser en billets, pour nommer aprs annuellement, par commission, ˆ toutes ces magistratures. On revint ˆ la charge, et il l'empescha une seconde fois, quelque mal qu'il fust avec cette Compagnie, et surtout avec les chefs, pour le bonnet et ses suittes. Ce qu'il fit ˆ l'Žgard de l'abbaissement des bastards et de l'expulsion de Mr du Maine se verra nŽcessairement au titre d'Eu. On se contente de cotter les choses les plus principales, pour ne pas garder un silence entier. On peut juger par lˆ de tant d'autres choses dont on se tait, et de ce que ce seroit que l'explication destaillŽe des unes et des autres en estendue et en curiositŽ.
[1721] Mr
le
Duc d'OrlŽans confia ˆ Mr de Saint Simon sa rŽconciliation avec l'Espagne et le double mariage du Roy avec l'Infante [Marie-Anne de Bourbon], et du Prince des Asturies avec une fille de Mr le Duc d'OrlŽans, lorsqu'on fut d'accord, et quatre mois avant que qui que ce soit en eust connoissance. Du Bois avoit fait cette grande affaire, et, dans la crainte et la jalousie extrme qu'il avoit de Mr de Saint Simon, avoit exigŽ du RŽgent qu'elle [sic] ne luy en parlast pas. Il tint jusqu'ˆ la conclusion, puis en recommanda le secret ˆ Saint Simon pour personne plus que pour Du Bois.
C'est
ce
qui procura au Duc de Saint Simon, malgrŽ l'autre, l'Ambassade pour la demande de l'Infante, qui le fit Grand d'Espagne de premire classe, et son second fils, et la Toison d'Or ˆ l'aisnŽ. Saint Simon estoit d'avis qu'on ne fist point d'Žclat et que tout demeurast secret, au moins quant au mariage du Roy, pour ne point effaroucher l'Europe jusqu'au temps de les marier effectivement ; mais le RŽgent luy dit qu'ils vouloient le rendre public, et que l'Infante fust ŽlevŽe icy.
Lˆ
dessus,
Saint Simon proposa qu'au moins, on Žvitast le dŽgoust entre deux enfants qui s'importuneroient et s'embarrasseroient l'un l'autre avant le temps, la dŽpense, et surtout la pernicieuse Žducation de la Cour ; de mettre l'Infante au Val de Gr‰ce, monastre Royal, magnifique, ŽcartŽ, en bon air, avec un trs grand jardin, et dans l'appartement de la Reine Mre ; d'engager absolument la Duchesse de Beauvillier ˆ en estre la Gouvernante, dont l'esprit, la piŽtŽ, l'usage du monde et de la Cour, et la qualitŽ de veuve du Gouverneur du Roy d'Espagne et du pre du Roy rendoit le choix accompli, et de luy laisser la disposition entire et absolue de l'Žducation et du domestique ; qu'une ou deux fois l'annŽe, le Roy et l'Infante se visiteroient, et que, la visite se passant en collation et en discours de Gouverneur et de Gouvernante, ils n'auroient pas le temps de s'ennuyer l'un de l'autre ; que l'Infante ne sortist qu'une fois ou deux l'annŽe, et dans les carrosses du Roy, et demeurast ainsi sŽparŽe jusqu'au jour de son mariage.
Le
RŽgent
trouva tout cela merveilleux ; mais Du Bois, qui, ˆ son inseu, travailloit ˆ son Cardinalat et vouloit se servir du Cardinal de Rohan ˆ Rome, comme on verra au titre de Rohan
Rohan, se le voulut dŽvouer et se concilier le Mareschal de Villeroy, ˆ quoy il se trompa lourdement, et voulut la Duchesse de Ventadour ; et, pour l'amour de celle cy, joueuse et folle du monde autant que la Duchesse de Beauvillier estoit sainte et retirŽe, loger l'Infante au Louvre, et toujours ˆ la Cour. On en a veu le succs avant son renvoy [1725] ; et c'est ainsy que les intŽrests particuliers, et des plus petits particuliers, dŽcident les plus importantes affaires des Rois et de leurs Estats.
Mr
le Duc de Saint Simon eut donc l'honneur de signer, avec le Roy et la Reine d'Espagne et leur Royale famille, le contract de mariage du Roy et de l'Infante, et revint comblŽ d'honneurs et de leurs bontŽs, et de toutes les marques d'estime et d'amitiŽ de toute leur Cour.
Du
Bois,
dŽjˆ Cardinal, auroit bien voulu le retenir en Espagne, et cette Cour aussy l'y garder ; mais ce n'estoit pas lˆ son dessein. En arrivant, il se brouilla plus que jamais avec ce Cardinal, comme on le verra encore au titre de Noailles ; mais il t‰cha de se raccommoder pour faire accroire au monde que Saint Simon avoit contribuŽ ˆ le faire Premier Ministre, ˆ quoy, en effet, il s'opposa le plus fortement, et d'une manire qui, tout au plus, ne pouvoit estre permise qu'ˆ luy.
Exclus
ˆ
son retour, avec les autres Ducs, du Conseil de RŽgence, et dŽgoustŽ de voir le RŽgent entirement livrŽ au Cardinal du Bois, longtemps Premier Ministre d'effet avant de l'estre dŽclarŽ, Saint Simon se retiroit peu ˆ peu, toujours retenu et ramenŽ par Mr le Duc d'OrlŽans. Mais, ˆ la fin, lassŽ de ne pouvoir procurer aucun bien, il se retira de plus en plus et fit des sŽjours allongŽs ˆ La FertŽ. Il s'y trouvoit lorsque le Cardinal du Bois mourut [1723]. Force courriers l'en avertirent, dŽpeschŽs exprs ; mais il ne bransla point de chez luy, et s'en retourna ˆ Paris assez longtemps aprs. La rŽception qu'il reeut de Mr le Duc d'OrlŽans le fit souvenir de celle de son pre par Louis XIII, mandŽ de Blaye aussytost aprs la mort du Cardinal de Richelieu. Le succs en fut aussy le mesme, sinon que Mr le Duc d'OrlŽans ne survescut pas si longtemps son Ministre.
On
ne peut finir le trs court abrŽgŽ de cette matire sans ajouster que Mr de Saint Simon s'opposa constamment, et dans le cabinet et en plein Conseil de RŽgence, ˆ la Banque, et encore plus aux autres trop fameuses opŽrations du cŽlbre Law, ˆ la participation desquelles il tint ferme ˆ ne prendre aucune part ; en quoy peu de seigneurs l'imitrent, si on en excepte les Ducs de La Rochefoucauld, de Villeroy et de Villars, ces deux derniers Mareschaux de France. Saint Simon estima la Banque utile dans une RŽpublique ou en Angletterre, o les finances sont entre les mains des communes, mais pernicieuse dans un pa•s absolu, o un changement de Ministre, l'aviditŽ d'un favori ou d'une maistresse, une nŽcessitŽ de guerre qui tourne mal, et cent autres choses, en peuvent faire abuser et ruiner tout ce qui a en Banque ; et ˆ l'Žgard de tout ce qui a estŽ si connu, et qui sera toujours incroyable, sous le nom de Mississipi, il a toujours pensŽ et dit que, ds que ce n'estoit point la transmutation chimŽrique des mŽtaux, il ne pouvoit comprendre ces tours de passe passe sans que la corde cassast enfin et ruinast tout crŽdit et tout le monde, dont tout le bien passeroit ainsy successivement en mil mains, et, pour peu de fortunes trs illicites, ruineroit l'Estat et des millions de familles particulires. L'expŽrience fatale n'a que trop monstrŽ s'il avoit raison.
La
mort funeste au Roy et ˆ l'Estat de Mr le Duc d'OrlŽans mit Mr le Duc [Louis IV Henri de Bourbon-CondŽ] en sa place de Premier Ministre, par le secours de Fleury, ancien ƒvesque de FrŽjuls, PrŽcepteur du Roy et qui avoit ds lors toute sa confience. Saint Simon, de son seu, avoit empeschŽ deux fois qu'il ne fust renvoyŽ, et depuis avoit, de son seu encore, travaillŽ ˆ le faire Cardinal.
A l'Žgard de Mr le Duc, il estoit dans toute sa confience, et le lien et le moyen entre Mr le Duc d'OrlŽans et luy. Mr le Duc parloit au Duc de Saint Simon de son domestique mesme avec la dernire ouverture, et trouvoit bon qu'il luy dist librement son avis. Ces intimitŽs si familires ne sont gures sans de grands dangers. Un jour qu'aprs un long entretien teste ˆ teste, Mr le Duc fit ˆ Saint Simon quelques plaintes des rŽserves qu'il Žprouvoit de M. le Duc d'OrlŽans, Saint Simon luy rŽpondit qu'avec un peu de rŽflection sur luy mesme il les trouveroit raisonnables, ou il mettroit S. A. R. en estat de n'en plus avoir ; qu'il vivoit avec la personne du monde [Mquise de Prie] qui, avec le plus de beautŽ, avoit aussy le plus d'esprit ; qu'il laissoit les exhortations ˆ l'aage et ˆ la conscience, puisque, se livrant ˆ aimer, il ne pouvoit mieux placer ses inclinations, mais qu'ˆ la faon dont Mr le Duc d'OrlŽans vivoit avec ses maistresses, qui ne pouvoient jamais tirer rien de luy sur aucune affaire, ny y avoir la plus lŽgre influence, il n'estoit pas estrange qu'il ne jugeast pas de mesme de luy, Mr le Duc, avec Madame de Prie, et qu'il ne falloit pas luy dissimuler que la crainte du pouvoir et de l'esprit de cette dame sur le sien ne tinst, ˆ son Žgard, Mr le Duc d'OrlŽans plus en rŽserve qu'il ne voudroit y estre.
Mr
le Duc reeut trs bien cet avis, et se lava du soubon le mieux qu'il put. S'il estoit lŽgitime, on l'a veu tant que son Gouvernement a durŽ. Mr de Saint Simon n'avoit jamais cachŽ combien il estoit contraire aux maistresses de Mr le Duc d'OrlŽans et ˆ tout ce qui l'approchoit ˆ titre de dŽbauche. Il y a lieu de croire que cette conduitte le fit craindre ˆ Madame de Prie. On va voir qu'elle y seut tost aprs mettre un tel ordre qu'elle demeura en repos lˆ dessus.
Mr
de Saint Simon, dŽgoustŽ du monde et des affaires, affligŽ par amitiŽ, par une liaison de toute sa vie, par reconnoissance, de Mr le Duc d'OrlŽans au dernier point, rebutŽ de voir que tout luy rompoit aux mains, ce Prince aprs le Dauphin, entendit sans peine le langage de l'Evesque de FrŽjuls qui alla tout d'abord avec insinuation ˆ une honneste retraitte. Ce PrŽlat avoit fait un Prince du Sang Premier Ministre tout tel qu'il le crut luy convenir, c'est ˆ dire qui luy osteroit l'envie de la place et luy en laisseroit toute l'autoritŽ, tant par la difficultŽ du Prince ˆ y suffire que par la nŽcessitŽ de la dŽpendance par rapport au Roy. On s'apereut bientost de son essor rapide, et qu'il tendoit ˆ dŽpeupler la Cour de tout ce qui avoit un maintien. Il rŽussit pleinement au dernier, et se trompa lourdement ˆ l'autre. Madame de Prie, qui voulut rŽgner, et rŽgner ˆ dŽcouvert, devint un tel obstacle aux vues du PrŽlat, qu'aprs une longue lutte pour se dŽfaire d'elle, qui n'est plus de ces anecdottes, et elle de luy, tout tendit ˆ des extrŽmitŽs o la chute de l'un et de l'autre firent place ˆ la puissance de Mr de FrŽjuls, telle que jamais Roy de France n'a joui d'une pareille.
Mr
de Saint Simon suivit donc son goust, ou plustost son dŽgoust, en suivant les insinuations de ce PrŽlat, mais sans avoir lieu de se croire le moins du monde diminuŽ dans la confience et l'amitiŽ de Mr le Duc, Premier Ministre, qui luy en donna toujours les mesmes marques, quoyque plus rarement, parce que Mr de Saint Simon ne s'y prŽsentait presque point, jusqu'ˆ la promotion de l'Ordre du Saint Esprit dŽclarŽe deux mois aprs. Saint Simon n'imagina pas de le demander, ny Mr le Duc de ne le pas faire. Mr de FrŽjuls, qui garda toujours avec Mr de Saint Simon tous les dehors qui n'incommodoient point ses inquiŽtudes, le vit sur la liste que Mr le Duc prŽsenta au Roy la surveille du Chapitre, et le dit ˆ l'AbbŽ de Saint Simon, depuis Evesque de Metz, le lendemain matin. Le soir de ce mesme jour, Mr le Duc rapporta au Roy cette mesme liste, pour la luy faire signer et la faire lire le lendemain, jour de la Chandeleur, 1724, au Chapitre. Mr de FrŽjuls fut bien estonnŽ de n'y plus trouver [Saint] Simon, et d'y voir en son lieu Saint Nectaire ajoustŽ. Cela fit devant le Roy une altercation assez longue, dont la fin fut que Saint Nectaire demeura, et que Saint Simon ne fut point remis.
Il
en rit, vit tout le monde, jouit de l'estonnement public et de l'embarras que Mr le Duc n'en put cacher, ˆ qui, jusqu'ˆ ceux qui n'aimoient point Saint Simon, en demandrent la cause. Mais, avec cette conduitte, Saint Simon se le tint pour dit et cessa de voir Mr le Duc, et dŽfendit ˆ ses enfans de le voir, et d'une faon publique, sans cesser d'aller de loin ˆ loin ˆ Versailles.
Il
ne tint pas ˆ Mr le Duc de se raccommoder avec luy et de faire sa femme Dame d'Honneur de la Reine. Du Vernay, vray roy d'effet alors, que Saint Simon ne connoissoit point, sonda le guŽ autour de luy, et en fit toutes les avances. Tout ce qu'il vouloit estoit que Saint Simon allast chez Mr le Duc, comme s'il ne se fust rien passŽ, avec toutes les seuretŽs possibles d'y estre reeu avec toute la joye et la distinction possible ; et Saint Simon se tint ferme ˆ ne vouloir ou•r parler de rien qu'autant que Mr le Duc feroit en premier toutes les dŽmarches, et de plus ne vouloit point de la place de Dame d'Honneur, ny la Duchesse de Saint Simon non plus.
Cette
conduitte
avec un Prince du Sang qui se tenoit Roy de France, combla la mesure de l'Žloignement rŽciproque ; en sorte que Saint Simon, de longue main liŽ avec des personnes distinguŽes presque au mesme point que luy avec Mr le Duc, et avec d'autres qu'il vouloit perdre, garda moins que jamais de mesures. On verra, au titre d'Eu, qu'il estoit brouillŽ avec Madame la Duchesse d'OrlŽans, qui, dans les suittes, tenta inutilement de se raccommoder avec luy, et qu'il n'estoit pas mieux avec Mr son fils ; de sorte que, libre de toutes sortes d'engagements, de places et de veues, il vescut pour luy mesme. Il ne laissa pas de presser la chutte de Mr le Duc ; mais ces curiositŽs intimes ne sont pas du ressort de ces anecdottes.
En
gros, beaucoup de choses furent concertŽes de Mr de FrŽjuls ˆ luy, et, ˆ l'instant que Mr le Duc fut expulsŽ, le soir mesme, Mr de FrŽjuls le luy manda. Il eut part aussy aux changements qui suivirent ; mais il eut soin de bien inculquer ˆ Mr de FrŽjuls qu'il ne vouloit rien, et que, ce PrŽlat touchant ˆ la Pourpre, ce ne seroit pas la peine ˆ luy d'entrer au Conseil pour en sortir aussytost.
Il
a donc vescu depuis avec la considŽration de ce Premier Ministre et de ses subalternes, qu'il a deue ˆ sa conduitte sŽparŽe et retirŽe sans se mesler de rien, faisant six mois ses dŽlices de sa maison de la FertŽ, et les six autres mois dans sa maison de Paris, avec ses amis et ses livres, et allant une fois ou deux l'annŽe ˆ la Cour.
En
1728,
il fut chevalier de l'Ordre, sans y avoir pensŽ, et s'en tint depuis ˆ aller ˆ la Cour aux cŽrŽmonies de l'Ordre, voyant, toutes les fois qu'il s'y prŽsentoit, le Cardinal Fleury en particulier, qui luy parloit souvent d'affaires, parce qu'il savoit bien que cela ne pouvoit aller loin, ny au delˆ de ce qu'il vouloit. De mesme les autres Ministres, ˆ qui sa raretŽ imposoit, et sa rŽserve ˆ demander, sinon des choses indispensables, et fort peu d'autres ; ˆ quoy il a toujours trouvŽ toute sorte de facilitŽ.
Dans
cette
situation, qu'il appelloit d'un homme mort au monde, il est pourtant vray qu'il fut craint et comptŽ, et qu'on regarda comme une fortune et un trait d'habiletŽ d'Angervilliers d'avoir seu marier sa fille unique au second fils du Duc de Saint Simon. Il estoit Ministre d'Estat et SecrŽtaire d'Estat de la Guerre, mais en butte ˆ Chauvelin, Garde des Sceaux et tout puissant adjoint au Premier Ministre du Cardinal, qui vouloit perdre Angervilliers, et qui fit l'impossible pour rompre ce mariage. Il avoit raison : il fut sa perte. Saint Simon l'empescha par trois fois, et la dernire avec un si puissant retour, que Chauvelin en fut ŽbranslŽ ds lors, et que sa fortune ne porta jamais depuis santŽ auprs du Cardinal jusqu'ˆ sa chutte.
Il
est temps maintenant de passer ˆ ses enfans.
Jacques
Louis
de Saint Simon, dit le Duc de Ruffec, nŽ 29 juillet 1698 [ 1746]. Son pre luy obtint de Mr le Duc d'OrlŽans, au commencement de la RŽgence, la survivance de son Gouvernement de Blaye et un rŽgiment de cavalerie, que sa mauvaise santŽ l'obligea ˆ quitter vingt ans aprs. Lors de l'Ambassade de son pre en Espagne, il luy obtint l'ordre de la Toison d'Or, qu'il y reeut des mains du Roy d'Espagne, et, ˆ son retour, il se dŽmit de son DuchŽ Pairie en sa faveur [14].
[Il Žpouse :] Catherine Charlotte ThŽrse d'Aure, seconde fille du dernier Mareschal Duc de Gramont, mort ds lors, et de.... de Noailles, fille et sÏur des MarŽchaux Ducs de Noailles. Elle estoit veuve sans enfans de Philippe Alexandre de Bournonville, frre de la Duchesse de Duras, et elle estoit sÏur du Duc de Gramont, Pair de France, Gouverneur de Bayonne, Navarre, BŽarn, etc., Colonel du rŽgiment des Gardes Franoises ; du Comte de Gramont, tous deux depuis Lieutenants GŽnŽraux et chevaliers du Saint Esprit, 1728 ; et de la Duchesse de Gontault, Dame du Palais de la Reine.
Dont une seule fille.
Armand
Jean de Saint Simon, Marquis de Ruffec, nŽ 12 aoust 1699. Son pre obtint de Mr le Duc d'OrlŽans, RŽgent, la survivance de son Gouvernement et Baillage de Senlis pour luy, et un rŽgiment de cavalerie, en mesme temps, l'un et l'autre, que son frre, et, lors de son Ambassade, il obtint pour luy la Grandesse d'Espagne de premire classe, conjointement avec luy, et luy fit faire sa couverture. Il est Mareschal de Camp.
[Il
Žpouse :]
[N....] fille unique et hŽritire de Bauyn, sieur d'Angervilliers, Ministre et SecrŽtaire d'Estat de la Guerre, et de [N....] Maupeou. MariŽe ˆ Paris. Elle estoit veuve sans enfans du dernier Longueil, sieur de Maisons, PrŽsident ˆ mortier au Parlement de Paris.
Charlotte de Saint Simon, mariŽe :... ˆ [N....] Henin LiŽtard, comte de Bossut, Prince de Chimay, Grand d'Espagne de la premire classe, chevalier de l'Ordre de la Toison d'Or, Lieutenant GŽnŽral des armŽes du Roy et du Roy d'Espagne, frre du Cardinal d'Alsace, Archevesque de Malines.
Sans enfans.
Il
faut ajouster pour l'intelligence des anecdottes qui se trouveront au titre de Noailles, que, quelque grand et dŽsirable parti que fust Madame de Bournonville, le Duc de Saint Simon eut toutes les peines du monde ˆ y consentir, et que l'agonie, pour ainsy dire, de plusieures annŽes, du Prince de Bournonville, comme il se faisoit appeler, quoyque sans aucuns honneurs, fut ˆ peine assez longue pour arriver ˆ ce but, auquel les Noailles tendoient de toutes leurs forces, et mesme ˆ dŽcouvert, pour parvenir ˆ une rŽconciliation entre les Ducs de Saint Simon et de Noailles, qui se fit telle quelle, et qui se put ˆ peine obtenir du premier ˆ la dŽclaration du mariage.
Reste
ˆ
voir en deux mots pourquoy Saint
Simon est mis icy avant La
Rochefoucauld, qu'on va voir ŽrigŽ longtemps avant l'autre ; mais il ne le fut pas plus tost, et enregistrŽ aussy, que celuy qui l'avoit obtenu se trouva subitement meslŽ dans des intrigues contre le Gouvernement qui l'empeschrent de se faire recevoir, qui Žclatrent en guerres civiles, et consŽquemment en proscriptions, qui durrent longtemps ; en sorte que le Duc de Saint Simon fut reeu Duc et Pair en mesme temps qu'ŽrigŽ et enregistrŽ, et avant que le Duc de la Rochefoucauld eust estŽ reeu luy mesme au Parlement [15].
Lorsqu'ˆ
la
fin son abolition luy eut frayŽ son retour ˆ la Cour et qu'il voulut procŽder ˆ sa rŽception, il prŽtendit prŽcŽder Mr de Saint Simon, comme ŽrigŽ et vŽrifiŽ avant luy ; et Mr de Saint Simon s'y opposa, et, comme reeu avant luy au serment de Duc et Pair au Parlement, il prŽtendit avoir fixŽ son rang et prŽcŽder Mr de la Rochefoucauld. La chose demeura en ces termes, sans se trouver en aucune cŽrŽmonie ensemble, jusqu'au Lit de Justice de ..., que le Roy, qui n'avoit pas encore multipliŽ les Pairs, voulut estre accompagnŽ de tous ceux qui se trouvrent ˆ Paris, et qui envoya au Parlement, chose fort singulire, un brevet, qui fut enregistrŽ, portant alternative de rang, et, pour la premire fois, de tirer la prŽsŽance au sort entre Mr de la Rochefoucauld, d'une part, et MMrs de Retz et de Saint Simon, d'autre, qui avoient la mesme cause comune contre luy.
Les
choses
durrent de la sorte jusqu'en ..., que le Duc de Saint Simon d'aujourd'huy se fit recevoir au Parlement. Sa liaison avec le Duc de la Rochefoucauld par le procs commun de prŽsŽance contre le Mareschal Duc de Luxembourg et son fils, l'extrme disproportion d'aage, et plus encore, s'il se peut, de figure et de faveur, engagrent Saint Simon de faire proposer ˆ Mr de la Rochefoucauld, par le Duc de la TrŽmoille, intimement liŽ ˆ eux par ce mesme intŽrest contre Mr de Luxembourg, de laisser subsister l'alternative et de prŽcŽder Saint Simon ˆ sa rŽception. Mr de la Rochefoucauld, qui ne douttoit pas de sa cause, et encore moins de sa faveur, voulut un jugement, exigea une forme estrange, et finalement se fascha et ne voulut plus ou•r parler de rien.
Arriva
ensuitte
l'Ždit de 1711 [infra], dont on a parlŽ cy dessus, et, comme il estoit fait en partie pour finir toutes ces questions, celle cy s'y trouva dŽcidŽe en faveur du Duc de Saint Simon. Mr de la Rochefoucauld, dŽjˆ aveugle, mais toujours espce de favori, cria si haut qu'il obtint du Roy rŽvision de sa cause, jugŽe sans l'avoir entendu, et le Roy, qui ne put s'en dŽfendre, la luy accorda, ˆ condition que luy seul seroit juge, au raport du Chancelier de Pontchartrain. Pendant l'instruction, le feu s'y mit par un mŽmoire fort indiscret de Mr de la Rochefoucauld, auquel Mr de Saint Simon rŽpondit par un autre si fascheux, que MMrs de la Rochefoucauld, pre et fils et famille, furent ravis que le Duc de Noailles, lors intimement avec le Duc de Saint Simon, s'entremist pour faire supprimer l'un et l'autre, et, en portant l'excuse et le dŽsaveu formel de la Rochefoucauld ˆ Saint Simon, restablir entre eux la biensŽance.
Tout
dit
de part et d'autre, sans vouloir, de pas une des deux, y rien ajouster, le Roy prit une aprs disnŽe ˆ Versailles pour entendre seul le rapport du Chancelier, et rendit un arrest qui donna au Duc de Saint Simon toute prŽsŽance, et en tous lieux, cŽrŽmonies, sŽances et assemblŽes quelconques, sur Mr de la Rochefoucauld, qui avoit voulu tenter le partage de prŽsŽance au Parlement et ˆ la Cour, comme elle est entre les Ducs d'Uzs et de la TrŽmoille. Ce fut une pilule que MMrs de la Rochefoucauld pre et fils ne purent digŽrer. Le pre l'emporta sur l'estomac en l'autre monde ; le fils et tous les siens la gardrent longtemps sur le leur.
Il
est pourtant vray que, le fils s'estant fait recevoir Pair ˆ la haste, le matin que Mr le Duc d'OrlŽans vint au Parlement pour la RŽgence, Mesmes, Premier PrŽsident, avec qui Saint Simon estoit aux dernires extrŽmitŽs, proposa ˆ Mr de la Rochefoucauld, en pleine sŽance, de renouveller sa prŽtention contre Mr de Saint Simon, et que Mr de la Rochefoucauld ne le voulut jamais. Le jour mesme, il luy cŽda, au Parlement, la prŽsŽance, et toujours depuis, sans aucune difficultŽ.
Mais
il est vray aussy que, lorsqu'en 1728 Saint Simon fut fait chevalier de l'Ordre, Breteuil, qui en estoit prŽvost et grand maistre des cŽrŽmonies, le vint voir, et luy insinua doucement qu'il pourroit avoir quelque difficultŽ pour la prŽsŽance avec le Duc de la Rochefoucauld. Le Duc de Saint Simon sourit, mena Breteuil dans son cabinet, et luy montra l'arrest. Breteuil le trouva si net et si prŽcis qu'il fut surpris que La Rochefoucauld pust rien prŽtendre. Il avoua qu'il n'avoit tenu ce discours ˆ Saint Simon qu'ˆ la prire de la Rochefoucauld, et promit de luy dire son avis sur ce qu'il venoit de voir. La chose en demeura lˆ, et Saint Simon eut, sans la moindre disputte, la prŽsŽance aux cŽrŽmonies de l'Ordre, comme partout ailleurs, sur le Duc de la Rochefoucauld.
A Paris en janvier 1635
(P.
Anselme,
T4, p 389 sq Ñ sauts de ligne ajoutŽs)
Louis
par
la grace de Dieu roy de France & de Navarre, ˆ tous prŽsens et ˆ venir, salut. Les rois nos prŽdecesseurs n'ont point donnŽ de plus asseurŽes marques de leur bienveillance envers ceux qui par leurs agrŽables, assidus & signalez services, se sont acquis leurs bonnes graces, qu'en les honorant de titres & qualitez non seulement attachŽes ˆ leurs personnes, mais qui par une perpetuelle mŽmoire s'Žtendissent ˆ leur postŽritŽ, rendant leur nom mŽmorable & leur maison ornŽe de prŽrogatives & prŽŽminences spŽciales, ce qu'ils ont fait tant plus volontiers, que telles marques d'honneur estoient les plus grandes & convenables rŽcompenses, par lesquelles les ames genereuses peuvent estre excitŽes aux actions de vertu & de courage ; & pour ce que nous ne dŽsirons pas moins qu'aucuns autres princes & monarques qui ayent estŽ, dŽpartir ces mmes honneurs & dignitez ˆ ceux de qui la naissance, les vertus & bonnes actions ont sceu bien mŽriter de nous & de la chose publique,
considŽrans
l'antiquitŽ
& noblesse de la maison des sieurs de Saint Simon, issus en ligne directe des comtes de Vermandois ; & ayant Žgard aux grands & recommandables services que plusieurs de cette maison ont faits pour la deffense & conservation des droits de nostre couronne & de nostre estat ; entr'autres Jean
de S. Simon, seigneur de Rouvroy, qui ds l'an mil deux cens quatorze [1214] servant le roy Philipppe-Auguste en la bataille de Bouvines, signala son courage & son adresse par la prise du comte de Boulogne ; & Alphonse de Saint Simon, aussi seigneur de Rouvroy, de qui l'employ important marque la fidŽlitŽ & le mŽrite, par le gouvernement du royaume de Navarre qui lui fut commis en qualitŽ de viceroy ds l'an mil trois cent quarante [1340], auquel temps et la mesme annŽe Mathieu de Saint Simon du Rouvroy son frre fut fait prisonnier de guerre au voyage qui se fit en Haynault par le roi Jean, lors duc de Normandie, & duquel Mathieu deux de ses fils ayant par la perte de leur sang & de leur vie en la bataille d'Azincourt contre les Anglois, & l'annŽe mil quatre cent quinze [1415] laissŽ Gilles
de
Saint Simon leur frere seul hŽritier de leurs vertus comme de leurs biens, il aurait en mil quatre cens dix-neuf [1419] si dignement servi l'estat contre l'invasion des Anglois, lesquels il contraignit de lever le siege devant la ville de Gisors, que pour mŽmoire & marque de sa valeur il y fut par le feu roy Charles VII crŽŽ chevalier de son ordre, & depuis employŽ en toutes les expeditions de son temps o en plusieurs batailles & sieges de ville il perpetua son nom, sa prudence & sa valeur pour la gloire de ses descendans, qui depuis ont toujours continuŽ leurs soins, fidelitez & affections envers les rois nos prŽdecesseurs & nous.
Tous
lesquels
advantages de naissance et de service estant par une succession lŽgitime, heureusement transmis en la personne de nostre amŽ & feal chevalier de nos ordres, conseiller en nos conseils d'estat & privŽ, grand-louvetier de France, gouverneur & nostre lieutenant-general en nos ville & citadelle de Blaye, messire Claude
de
Saint Simon, seigneur dudit S. Simon, baron de Benay, vicomte de Clastre, seigneur des chastellenies, terres & seigneuries du Pont-Artan, Avennes, Gauchy, Voigny-l'EsquipŽe, Pontruet & autres lieux, nous aurions, ds ses jeunes ans qu'il a eu l'honneur d'estre nourri prs de nostre personne, remarquŽ en luy tant de genereuses actions & inclinations ˆ la vertu, tant de sagesse en sa conduite, & tant d'ardeur & de zele pour nostre service, que le jugeant digne de nostre singuliere affection, nous l'aurions eslevŽ consŽcutivement & par degrez aux plus grandes charges, dignitez & offices de nostre maison, en toutes lesquelles charges chacun a peu voir avec combien d'honneur, de prudence & de fidelitŽ il s'est conduit & s'en est acquittŽ dignement.
A ces causes, dŽsirant tŽmoigner le grand contentement & satisfaction que nous en avons, & par une marque qui demeure ˆ ceux de sa maison, donner des preuves de la volontŽ en laquelle nous sommes de le bien & favorablement traiter ˆ l'avenir ; savoir faisons, que de l'avis d'aucuns princes de nostre sang & autres grands & notables personnages de nostre conseil, & de nostre propre mouvement, certaine science, pleine puissance & authoritŽ royale, avons ˆ la dite terre & seigneurie de S. Simon situŽe en nostre pa•s & comtŽ de Vermandois, uni et incorporŽ, & par ces prŽsentes signŽes de nostre main, unissons & incorporons, les baronnies, vicomtŽ, terres & seigneuries, justices, chasteaux, bourgs & villages de Benay, Clastre, Pont, Artan, Avennes, Gauchy, Vigny-l'EsquipŽe, Thorigny, Pontruel, Savy, Rumigny, Pithon, Aubigny, Iverny, Corbeny, Dury & fiefs des halles de S. Quentin & de S. Prix, leurs appartenances & dependances & autres y jointes, & qu'il pourra y joindre cy-aprs, qui relevent ˆ prŽsent en plein fief de nous ˆ cause de notredite comtŽ de Vermandois ; & le tout avons crŽŽ & ŽrigŽ, ordonnŽ & establi, & par ces prŽsentes signŽes de nostre main, crŽons & Žrigeons, ordonnons & establissons en nom, titre & dignitŽ de duchŽ & Pairie : voulons & nous plaist, lesdites terres, baronnie & seigneuries & lieux estre dits & appelez ds-maintenant et cy-aprs, perpetuellement & ˆ toujours, le
duchŽ de S. Simon, pour en jouir & user du jour de la prŽsente Žrection, perpetuellement & ˆ toujours, & le relever ˆ une seule foy & hommage, tant de nous que de nostre couronne, par ledit sieur de Saint Simon, & aprs son decs par ses hoirs masles, avec les honneurs, authoritez, prŽrogatives, scŽance, proffits & privileges qui appartiennent ˆ la dite dignitŽ, ainsi que les autres ducs & Pairs en usent & jouissent, & ce sous le ressort de nostre cour de parlement de Paris, & laquelle terre de S. Simon, ses adjonctions, appartenances & dependances, & toutes les autres terres que le dit sieur de S. Simon pourroit acquŽrir & annexer audit duchŽ, nous avons en tant que besoin est ou serait, distraite & exemptŽe, distrayons & exemptons de toutes nos autres cours & jurisdictions, fors & exceptŽ les cas royaux dont la connaisance appartiendra ˆ nos juges pardevant lesquels ils auroient accoustumŽ de ressortir ; voulant ledit sieur de S. Simon & ses hoirs masles estre dits & rŽputez ducs
de S. Simon & Pairs de France ; & qu'en tous actes tant de la dite duchŽ & Pairie qu'autres, ils puissent prendre le titre & la qualitŽ de duc de Saint Simon & Pair de France, de laquelle duchŽ-pairie le dit sieur duc de Saint Simon a presentement fait la foi & hommage, et prestŽ le serment de fidelitŽ, ainsi qu'il est accoustumŽ, auquel l'avons reu, sans que lui ni ses hoirs masles soient tenus aux rŽunions ordonnŽes par les dŽclarations des rois nos prŽdecesseurs, & sans que nos successseurs rois puissent prŽtendre ˆ faute d'hoirs masles dudit sieur de Saint Simon aucun droit de propriŽtŽ & reversion dudit duchŽ, en vertu de l'Ždit du mois de juillet mil cinq cens soixante-six [1566] [16] sur l'Žrection des terres en duchŽ & Pairie, comtez & marquisats, de la rigueur desquels Ždits & dŽclarations, nous les avons dŽchargez & dispensez, dŽchargeons & dispensons par ces presentes, nonobstant tous Ždits, ordonnances & dŽclarations ˆ ce contraires, ausquelles & aux derogatoires d'icelles nous avons dŽrogŽ & dŽrogeons par cesdites presentes.
Si
donnons en mandement ˆ nos amez & feaux conseillers les gens tenans nostre cour de parlement & chambres de nos comptes ˆ Paris, & ˆ tous nos autres justiciers & officiers, ou leurs lieutenans presents & advenir, & ˆ chacun d'eux comme il appartiendra, que de cette nostre presente creation & Žrection en duchŽ & Paierie, & de tout le contenu en cesdites presentes ils fassent, souffrent & laissent ledit sieur de saint Simon & ses successeurs masles, jouir & user pleinement, paisiblement, perpetuellement & ˆ toujours, sans permettre ni souffrir leur tre fait aucun trouble & empchement, & ˆ celle fin faire publier, enregistrer ces presentes : car tel est nostre plaisir, nonobstant toutes ordonnances & constitutions quelconques de nous ou de nos prŽdecesseurs rois, par o l'on voudroit pretendre le nombre des Pairs de France avoir ŽtŽ prefix et limitŽ ; ˆ quoi de nostre certaine science, pleine puissance & authoritŽ royale, nous avons dŽrogŽ & dŽrogeons par ces presentes ; & afin que ce soit chose ferme & stable & ˆ toujours, nous avons ˆ icelle fait mettre nostre scel ; sauf en autres choses nostre droit & l'autruy en toutes.
DonnŽ
ˆ Paris au mois de janvier l'an de grace mil six cens trente-cinq, & de nostre regne le vingt-cinquieme.
SignŽ
LOUIS,
& sur le reply, par le roy, BOUTHILLIER, & scellŽ de cire verte en lacs de soye rouge & verte; et le reply est Žcrit: LeŸs, publiŽes & registrŽes oui le procureur general du roy, pour estre executŽes selon leur forme & teneur, ledit messire Claude de saint S. Simon impetrant rež en la dignitŽ de duc & Pair de France, & a eu rang & seance en ladite cour. A Paris en parlement le premier fevrier mil six cens trente-cinq. SignŽ, DU
TILLET
RegistrŽs
semblablement en la chambre des comptes, ouy le procureur general du roy, pour jouir par l'impetrant de l'effet & contenu en icelles selon leur forme & teneur, le 31, jour de mars 1635. SignŽ, BOURLON.
Pour
comparer :
A Paris, mars
1633
(P.
Anselme,
T3, p 562 sq Ñ sauts de ligne ajoutŽs)
[suite ˆ la rŽvolte de Montmorency, ses biens confisquŽs sont attribuŽs ˆ CondŽ. Noter que par hoirs & successeurs on dŽsigne ici indiffŽremment masles & femelles]
Louis
par
la grace de Dieu, roy de France & de Navarre: A tous prŽsens & ˆ venir, salut.
Le
titre
du duchŽ & Pairie de la terre & seigneurie de Montmorency, ayant estŽ dŽclarŽ esteint & supprimŽ par arrest rendu au parlement de Toulouse le 30. octobre dernier, & les biens du feu duc de Montmorency ˆ nous acquis & confisquez. Comme notre intention n'a point estŽ de profiter desd. biens, ains d'en gratifier ses hŽritiers, spŽcialement en faveur de nos trs-chers & trs-amez cousin & cousine le prince & princesse de CondŽ, ausquels nous avons donnŽ, quittŽ & remis partie desd. biens ainsi ˆ nous acquis, & voulant temoigner combien les services de nostred. cousin nous sont agrŽables, & ne desirant que lad. terre de Montmorency par nous ˆ eux delaissŽe, soit par eux tenŸe sous moindre titre, dignitŽ & qualitŽ qu'elle a estŽ par les prŽdecesseurs ducs de Montmorency, ni ledit arrest avoir lieu en ce regard, ains plustost augmenter & amplifier la dignitŽ de ladite terre en consideration de l'honneur que nosdit cousin & cousine ont de nous approcher de parentŽ de si prs :
Scavoir
faisons
que nous, pour ces causes & autres bonnes considŽrations ˆ ce nous mouvans, avons par ces presentes signŽes de nostre main & de notre grace speciale pleine puissance & autoritŽ royalle, icelle terre & seigneurie de Montmorency, avec les terres unies & incorporŽes ˆ icelle, circonstances & dependances quelconques, ˆ la reserve neantmoins de la terre, seigneurie & justice de Chantilly, Vineuil, S. Fremin, Aspremont, Pontarme, Montpilloir, S. Nicolas & autres dependances de ladite terre de Chantilly si aucuns y a, non comprises au don & remise par nous faite,
de
nouveau, crŽŽ & ŽrigŽ, crŽons & Žrigeons en titre, qualitŽ, dignitŽ & prŽŽminence de duchŽ & Pairie de France, pour en jouir & user par nostredit cousin & cousine les prince et princesse de CondŽ, & aprs leur deceds par leurs hoirs & successeurs masles & femellles, seigneurs dudit Montmorency ˆ toujours perpetuellement en titre de duc & pair de France, & tout ainsi que les autres Pairs en jouissent tant en justice, sceances, jurisdiction qu'autrement sous le ressort de nostre parlement de Paris, ainsi & selon que les ducs de Montmorency en jouissaient avant l'arrest du 30. octobre dernier passŽ, extinction & suppression d'icelui duchŽ & Pairie, & laquelle terre & seigneurie de Montmorency, circonstances & dependances telles que dessus, nous avons distraites & exceptŽes de tous autres juges en tous cas, fors & exceptŽ des cas royaux, comme il Žtait avant ledit arrest.
Voulons
&
nous plaist nosdits cousin & cousine & leurs successeurs masles & femelles seigneurs desd. lieu, estre dits & nommez ducs de Montmorency & Pairs de France, & que ladite terre & seigneurie de duchŽ & Pairie, avec les autres y jointes & incorporŽes, ˆ la reserve susdite, icelui nostredit cousin & cousine tiennent en titre de duchŽ & Pairie ˆ foy & hommage de nous, sans que pour raison de la presente creation & erection nosd. cousin, & cousine soient tenus de nous payer aucuns droits d'indemnitŽ, ni ˆ aucun de nos officiers ou autres seigneurs quelconques, attendu qu'il y a estŽ cy-devant satisfait ; dont & de quoy entant que besoin est ou serait, nous avons dechargŽ & dispensŽ nostre dit cousin & cousine, laquelle terre & seigneurie ils tiendront de nous ˆ foy & hommage en titre de duchŽ & Pairie, ˆ cause de nostre grosse Tour du Louvre, & de laquelle nostredit cousin nous a ds ˆ present fait la foy & hommage, ainsi qu'il est accoustumŽ & serment de fidelitŽ, auquel nous l'avons receu,
sans
que nostre dit cousin & cousine leurs hoirs & successeurs masles & femelles soient tenus aux rŽunions ordonnŽes par les declarations des roys Charles IX et Henri III nos predecesseurs, de la rigueur desquelles nous les avons dŽchargŽ & dispensŽ, dechargeons & dispensons par cesdites presentes nonobstant tous Ždits, ordonnances & declarations ˆ ce contraires, ausquelles & ˆ la dŽrogatoire d'icelles nous avons dŽrogŽ & dŽrogeons par cesd. presents.
Si
donnons
en mandement ˆ nos amez et feaux les gens tenans nostre cour de parlement de Paris & chambre des comptes aud. lieu, chacun en droit soi, que ces presentes nos lettres d'Žrections ils ayent ˆ enregistrer, & du contenu en icelles faire jouir & user pleinement paisiblement & perpetuellement nostred. cousin & cousine, & leurs hoirs et successeurs masles & femelles, sans souffrir ni permettre qu'il leur soit fait, mis ou donnŽ aucun trouble, destourbier ou empeschement quelconque au contraire.
Car
tel est nostre plaisir, & afin que ce soit chose ferme & stable ˆ toujours, nous avons fait mettre nostre scel ˆ cesdites presentes, sauf en autres choses nostre droit & l'autruy en toutes.
DonnŽ
ˆ Paris au mois de mars l'an de grace 1633 & de nostre regne le vingt-trois.
SignŽ, LOUIS. Et sur le reply par le roy PHELIPEAUX. Et scellŽ sur lacs de soye du grand sceau de cire verte. Et sur le reply est Žcrit:
RegistrŽes,
oŸy le procureur general du roy, pour jouir par les sieur prince & princesse de CondŽ de l'effet & contenu en icelles. A Paris en parlement le 9. jour de mars 1633. SignŽ DU TILLIT [sic]. Volume six des ordonnances de Louis treize, fol 114. Plus sur led. reply est Žcrit : Registrees
semblablement en la chambre des comptes, oŸy le procureur general du roy, pour jouir par lesd. sieur prince & princesse de l'effet & contenu en icelles, les bureaux assemblez, le 11. jour de mars 1633. SignŽ, BOURLON
mars 1622
(P.
Anselme,
T3, p 378 sq Ñ sauts de ligne ajoutŽs)
[Erection en duchŽ-Pairie de la baronnie du fils Bernard pour l'avantage du pre Jean-Louis, Duc d'Epernon. Le dŽfaut d'hoir m‰le annulerait l'Žrection et remettrait la baronnie en son Žtat prŽcŽdent, sans rŽversion ˆ la Couronne Ñ ce que conteste le Parlement]
LOUIS par la grace de Dieu, roy de France & de Navarre : A tous presens & advenir, salut.
La vertu a cela de propre, qu'ˆ sa considŽration on donne ˆ ce qui n'est point les honneurs & les grades les plus Žminens, ausquels nul ne devroit estre eslevŽ, que ses services & son sang ne l'eussent mŽritŽ. En l'establissement des duchez & Pairies, cela s'observe, le fils estant dŽja estimŽ successeur du pere, quoique ˆ naistre, & c'est l'estime du pre & ce qu'il vaut, qui donne ˆ l'autre ses prŽŽminences. Puisque la loy du royaume est telle, ˆ plus forte raison ceux dont la valeur les rend recommandables doivent aspirer ˆ cette dignitŽ, laquelle ils possedent sans l'avoir, estant comme deue au plublicq & ˆ eux, & afin que leur exemple incite les autres ˆ executer des actions Žgales aux leurs, & que d'icelles ils ayent la rŽcompense, si en cela la naissance se rencontre, d'autant plus y doit-on incliner, & lors ce que le prince fait tourne ˆ l'honneur de l'estat, ˆ sa gloire & au contentement de tous ceux qui n'ont rien en plus grande recommandation. Et quand le merite des peres parle aussi bien pour leurs enfans, c'est encore une surcharge de grace pour d'autant plus facilement faire reussir ce que l'on desire.
Que la personne de nostre trs-cher et bien-amŽ cousin Jean-Louis de la Vallette, duc d'Epernon, Pair de France, soit de celle qui doit aider ˆ eslever la grandeur des siens, ses signalŽs services le montrent, & les charges dont les rois nos prŽdŽcesseurs l'ont honorŽ, & nous lui confiant ˆ prŽsent l'une de nos armŽes qu'il a exploitŽ ˆ nostre contentement, & ˆ l'avantage du royaume, ce qui le fait valoir par son courage & sa vigilance, & rendre formidable ˆ nos ennemis.
Que nostre trs-cher & bien-amŽ cousin Bernard, marquis de la Valette, colonel general de l'infanterie Franoise, gouverneur & lieutenant general ˆ Metz & pays Messin, & maintenant notre lieutenant-general en ladite armŽe commandŽe par nostredit cousin le duc d'Espernon, soit aussi de ceux ˆ qui les honneurs sont destinez, sa valeur & son affection se font assez connoistre, & que outre ce qui est de particulier ˆ sa personne, & les avantages qu'il a d'estre fils de nostredit cousin, l'honneur qu'il a d'estre issu du costŽ de sa mere de cette grande & illustre maison de Foix, & de cette sorte nous attoucher, le doit porter ˆ estre pourveu de toutes les dignitez qui passent ˆ la postŽritŽ.
Pour donc lui tŽmoigner la bienveillance que nous lui portons, tant ˆ cause de ce qui est cy-dessus remarquŽ, que pour avoir estŽ nourri dez sa jeunesse auprs de nous ; mettant ausssi en considŽration combien la terre & baronnie de Villebois en Angoumois est ancienne, de belle & grande estendue & de revenu suffisant & convenable ˆ lui faire porter le tire de duchŽ & Pairie.
Pour ces causes & autres bonnes & grandes considŽration ˆ ce nous mouvans, de l'avis de nostre trs-honorŽe dame & mere, des princes de nostre sang, autres princes & officiers de nostre couronne, & autres grands & notables personnages de nostre conseil, & de nostre propre mouvement, grace spŽciale, pleine puissance & authoritŽ royale,
nous avons crŽŽ & ŽrigŽ, crŽons & Žrigeons par ces prŽsentes signŽes de nostre main, lad. terre & baronnie de Villebois & ce qui en dŽpend en titre, nom, dignitŽ & prŽŽminence de duchŽ & Pairie de France, & icelui nom de Villebois commuŽ & commuons de nostre mme puissance & authoritŽ en celui de la Valette ;
Voulons icelle baronnie estre dorŽnavant dite & appelŽe duchŽ de la Valette & Pairie de France, & consequement nostredit cousin & ses successseurs masles seigneurs dudit lieu, nommez & reputez ducs de la Valette & Pairs de France, pour en jouir par lui, & aprs son dŽcs sesdits hoirs, successeurs masles, seigneurs dudit de la Valette, perpetuellement & ˆ toujours, en nom, titre & dignitŽ de duchŽ & Pairie de France, avec les honneurs, authoritez, prŽrogatives, prŽŽminences, franchises & libertez ˆ ducs & Pairs appartenans, & tout ainsi que les autres ducs & Pairs de France en usent, tant en justice & jurisdiction, sŽance en nos cours de parlement avec voix et opinion delibŽrative, que en tous autre droits quelconques, soit en assemblŽes de noblesse & faits de guerre, que autres lieux & actes de sŽance, d'honneur & rang, et ce sous le ressort de notre cour de parlement de Paris, en laquelle voulons que les appellations qui seront interjettŽes des officiers dudit duchŽ, ressortissent nuement & sans moyen, & ˆ cette fin avons icelui duchŽ & ce qui en dŽpend, distrait & exceptŽ, distrayons & exceptons de tous nos autres juges, cours & jurisdictions o elles avoient accoustumŽ de ressortir, tant en premiere instance que par appel, auparavant la prŽsent Žrection, & en tout cas, fors & exceptŽ les cas royaux seulement, dont la connoissance appartiendra ˆ nos juges, pardevant lesquels ils avoient accoustumŽ ressortir, tant en premiere instance que par appel, auparavant cette dite prŽsente Žrection ;
lequel duchŽ & Pairie nostre dit cousin tiendra nuement & ˆ plein fief ˆ cause de notre Tour du Louvre et couronne de France, sous une seule foy & hommage-lige, laquelle foy & hommage il sera tenu de faire & prester en qalitŽ de duc & Pair de France, & comme tel voulons & entendons & nous plaist, que tous ses vassaux et subjets le reconnoissent, & quand le cas y Žchera, lui fassent & prestent & sesdits enfans, heritiers & successeurs masles, les foy & hommage, & autre reconnoissance, baillent aveu & dŽnombrement, fassent & payent les devoirs selon la nature des terres qu'ils tiennent de lui audit titre & qualitŽ de duc & Pair de France.
Et pour l'exercice de la jurisdiction dudit lieu, voulons que nostredit cousin & ses successeurs ducs de la Valette puissent faire crŽŽer & establir un siege de duchŽ & Pairie audit lieu, auquel il y aura un sŽnŽchal, un lieutenant, un procureur, un greffier & le nombre de notaires, sergens & officiers accoustumez pour y exercer la justice, & connoistre par appel des causes qui auront estŽ traitŽes en premiere instance pardevant les juges particuliers des justices relevant dudit duchŽ ; les appelations du sŽnŽchal ressortiront, comme dit est, en nostre cour de parlement de Paris.
Comme nous voulons que la connoissance de toutes les causes dependantes de ladite Pairie & qui seront de l'essence d'icelle appartiennent directement ˆ nostred. cour, & y soient dŽvolues en premiere instance comme des autres Pairies de France ;
demeurant au surplus ladite baronnie perpetuellement unie audit ditre & dignitŽ de duchŽ & Pairie de France, l'heritage des enfans & autre heritiers masles d'icelui nostredit cousin, & advenant le dŽfaut d'hoirs masles ˆ l'advenir, lesdites dignitez de duc & Pair de France demeureront esteintes & supprimŽes, sans que par le moyen de cette presente crŽation & Ždit fait au mois de juillet 1566 sur l'Žrection des terres & seigneuries en duchez & marquisats, l'on puisse prŽtendre ledit duchŽ & Pairie estre unis & incorporez ˆ nostre couronne, & puissions nous & nos successeurs rois vendiquer le dit duchŽ & Pairie, auquel Ždit & autres precedens ou subsequens, mme aux declarations des derniers decembre 1581 & mars 1582 verifiez en nostre dite cour de parlement ;
attendu les causes qui nous meuvent d'honorer nostredit cousin & sa posteritŽ desdits titres & qualitez de duc & Pair de France, & que l'intention desdits Ždits & declarations est pour empcher ceux qui, par importunitŽ & sans mŽrite, voudroient aspirer ˆ tel honneur. Nous avons pour le regard de nostre dit cousin & ses filles & des enfans qui viendront d'elles en loyal mariage, soit masles ou femellles, & autres hŽritiers ou ayans cause, dŽrogŽ & dŽrogeons ; voulons qu'ils jouissent de ladite baronnie & ses appartenances au mme titre & qualitŽ qu'elle estoit cy-devant, & comme si ladite crŽation de duchŽ & Pairie n'avait estŽ faite, sans laquelle condition et dŽrogation nostredit cousin n'eust voulu accepter nostre present don & liberalitŽ, ne consentir en aucune sorte la prŽsente crŽation & Žrection.
Si donnons en mandement ˆ nos amŽs & fŽeaux les gens tenans nos cours de parlement & chambre de nos comptes, & autres nos justiciers & officiers qu'il appartiendra, & chacun en droit soy, que ces prŽsentes ils fassent lire, publier & enregistrer, & du contenu en icelles jouir & user pleinement & paisiblement nostre dit cousin le duc de la Valette, sesdits hoirs & successeurs & ayans cause, ses sujets & vassaux, sans leur faire, mettre ou donner, ni souffrir estre fait, mis ou donnŽ aucun trouble, dŽtourbier ni empchement au contraire, lequel si fait, mis ou donnŽ, lui Žtoit, le fassent rŽparer incontinent & sans delay, & remettre au premier estat & deu, contraignant ˆ ce faire & souffrir tous ceux qu'il appartiendra par toutes voyes deu‘s & raisonnables :
car tel est nostre plaisir, nonobstant lesdits Ždits, les autres ordonnances & declarations faites pour la rŽunion & reversion ˆ nostredite couronne des duchez, marquisats & comtez de nouvelle Žrection, & quelques autres lettres ˆ ce contraires, ausquelles & aux dŽrogatoires des dŽrogatoires y contenu‘s, nous avons de nos mouvemens, puissance & authoritŽ que dessus, dŽrogŽ & dŽrogeons ; & afin que ce soit chose ferme & stable ˆ toujours, nous avons ˆ icelle fait mettre nostre scel, sauf en autres choses nostre droit & l'autruy en toutes.
DonnŽ ˆ Paris au mois de mars l'an de grace mil six cens vint-deux, & de nostre regne le dousiŽme. SignŽ LOUIS. Et sur le reply: par le roy, DE LOMENIE, & scellŽ du grand sceau de cire verte en lacs de soye rouge.
RegistrŽes, ouy le procureur general du roy, pour jouir par l'impetrant & ses hoirs masles, de l'effet & contenu d'icelles, pour le regard du titre, prerogatives & prŽŽminences de duc & Pair seulement, & sans nŽanmoins aucune distraction de ressort, & rien innover en la justice qui demeurera aux officiers du roy pour l'exercer ainsi qu'ils ont accoustumŽ, & que les ordonnances du 29. aout 1566., 80. 81. article 279 deux janvier & 10. avril 1582 seront ˆ l'avenir gardŽes & observŽes, & ledit seigneur roy trs-humblement suppliŽ de n'en accorder aucune dispense. A Paris en parlement le 4 septembre 1631. SignŽ DU TILLET.
Arrest de reception en la digitŽ de duc & Pair de France du sieur mquis de la Valette du 5 septembre 1631
BREVET ET ACCORD DE PRESEANCE FAIT ENTRE MESSIEURS LES DUCS DE RETZ & DE SAINT SIMON, D'UNE PART ; & MONSIEUR LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULT, D'AUTRE (1645)
(P. Anselme, 1728, T4, p 392)
Aujourd'hui, sixime septembre mil six cent quarante cinq, le roy Žtant ˆ Paris, aurait estŽ informŽ du diffŽrend qui est entre les sieurs duc de Rets & de saint Simon Pairs de France, alencontre du sieur duc de la Rochefoucault, aussi Pair de France, au sujet du rang par eux reciproquement prŽtendu, & que le feu roy de glorieuse mŽmoire en avait remis le jugement ˆ sa cour de parlement, & qu'en attendant icelui lesdits sieurs ducs de Rets & de saint Simon qui sont conjoints & qui n'ont entre eux aucune contestation, se seroient accordez avec ledit sieur duc de la Rochefoucault jusqu'ˆ la dŽcision & sans prŽjudice de leurs droits, ils assisteront alternativement aux actions publiques & de ceremonies, mme en la cour de parlement : scavoir lesdits sieurs ducs de Rets et de saint Simon ensemble, ou l'un d'eux, une fois, & ledit sieur duc de la Rochefoucault une autre ;
mais sadite majestŽ ayant desirŽ d'estre assistŽe & accompagnŽe tant dudit sieur de Rets que dudit sieur de la Rochefoucault en son lit de justice, qu'elle a fait indiquer au jour de demain, ledit sieur duc de la Rochefoucault s'en seroit voulu excuser pour ne prŽjudicier ˆ la convention arrtŽe entre eux, suivant laquelle il appartenait ausdits sieurs duc de Rets & de saint Simon d'y assister ˆ son exclusion ; ce que sa majestŽ n'ayant pas eu agrŽable aurait commandŽ audit sieur duc de la Rochefoucault de la servir en cette occasion ; et pour cet effet sadite majestŽ voulant en tout & par tout conserver leurs droits, leur auroit commandŽ de tirer au sort qui le premier auroit la presŽance, ˆ quoi lesdits sieurs ducs de Rets & de la Rochefoucault auroient satisfait ; et par l'Žvenement la preseance seroit Žchu‘ au dit sieur duc de Rets qui s'est soumis de la quitter audit sieur duc de la Rochefoucault ˆ la premiere occasion de ceremonie qui se pourra presenter ; et pour eviter dorŽnanvant toute autre contestation, ils auroient suppliŽ sa majestŽ de decider par manire de provision de quelle faon ils auraient ˆ en user ˆ l'avenir : ce que sa majestŽ ayant mis en considŽration, & attendu que lesdits sieurs ducs de Rets & de saint Simon ne sont qu'un intŽrest & prŽtention de preseance sur led. sieur de la Rochefoucault, contre lequel ils ne peuvent que ou perdre ou gagner leur cause que conjointement.
A dŽclarŽ & dŽclare par l'avis de la reine regente sa mere, que lesdits sieurs ducs de Rets, de saint Simon & de la Rochefoucault se trouvant desormais ensemble audit parlement ou autres ceremonies, ledit sieur de la Rochefoucault prŽcedera une fois lesdits sieurs ducs de Rets & saint Simon, lesquels prŽcederont aussi une fois ledit sieur duc de la Rochefoucault, & ainsi successivement : c'est-ˆ-dire, qu'encore que l'un desdits sieurs ducs de Rets & de saint Simon se soit trouvŽ seul en une ceremonie, leur tour aura estŽ rempli comme si tous deux ensemble s'y estoient rencontez, & qu'aussi le tour dudit sieur de la Rochefoucault sera rempli, quoiqu'il ait seulement prŽcedŽ l'un d'eux ;
lequel ordre de sadite majestŽ veut estre observŽ jusqu'au jugement & dŽcision de leur differend, sans que cela puisse porter prŽjudice ni aux uns ni aux autres ; & ˆ cette fin en sera envoyŽ lettre en ladite cour, contenant les choses ci-dessus expliquŽes, pour estre mises au registre secret & servir aux parties ce que de raison, & cependant le present brevet que sa majestŽ a voulu estre signŽ de sa main & estre contresignŽ par moi conseiller secretaire d'Žtat & de ses commandemens & finances.
SignŽ LOUIS, & plus bas DE LOMENIE.
Nous soussignez reconnoissons que le brevet Žcrit de l'autre part & la lettre de cachet y mentionnŽe sont entierement conformes ˆ ce que chacun de nous a exposŽ ou fait exposer au roy, & aux conditions sous lesquelles nous sommes demeurez d'accord d'acccompagner conjointement sa majestŽ en son lit de justice le septime du mois de septembre dernier ; & que conformŽment ˆ l'ordre qui nous est prescrit par sadite majestŽ, de l'avis de la reine regente sa mere, nous sommes convenus de l'executer de bonne foi, & de nous entreceder alternativement la prŽseance dans le parlement & autres lieux de ceremonies, jusques ˆ ce que nos rangs aient estŽ absolument decidez par arrest, sans nous prŽvaloir en justice ni ailleurs des occasions o nous nous serons prŽcedez ; ˆ quoi nous supplions la cour de n'avoir non plus d'Žgard en reglant nos prŽtentions, que si nous n'avions jamais rien fait qui semblast y dŽroger, ce qu'aussi nous n'entendons faire en faon quelconque. Fait ˆ Paris ce quatorzime jour de novembre mil six cens quarante-cinq. SignŽ, LA ROCHEFOUCAULT, P. DE GONDI-RETS.
ƒDIT DU ROY PORTANT RéGLEMENT GƒNƒRAL POUR LES DUCHƒZ ET PAIRIES (MAY 1711)
Faugre, T3, pp. 497-502
Louis par la gr‰ce de Dieu, Roy de France et de Navarre ; ˆ tous prŽsens et ˆ venir, salut. Depuis que les anciennes Pairies la•ques ont ŽtŽ rŽunies ˆ la Couronne dont elles estoient ŽmanŽes, et que pour les remplacer, les Roys nos prŽdŽcesseurs en ont crŽŽ de nouvelles, d'abord en faveur des seuls Princes de leur sang, et ensuite en faveur de ceux de leurs sujets que la grandeur de leur naissance et l'importance de leurs services en ont rendus dignes ; les titres de Pairs de France aussi distinguŽs autrefois par leur raretŽ qu'ils le seront toujours par leur ŽlŽvation, se sont multipliŽs. Toutes les grandes Maisons en ont dŽsirŽ l'Žclat ; plusieurs l'ont obtenu et par une espce d'Žmulation de faveur et de crŽdit elles se sont efforcŽes ˆ l'envi de trouver dans le comble mme des honneurs, de nouvelles distinctions par des clauses recherchŽes avec art, soit pour perpŽtuer la Pairie dans leur postŽritŽ au delˆ des bornes naturelles, soit pour faire revivre en leur faveur des rangs qui estoient Žteints et des titres qui ne subsistoient plus.
Dans cette multitude de dispositions nouvelles et singulires que l'ambition des derniers sicles a ajoustŽe ˆ la simplicitŽ des anciennes Žrections, les officiers de nostre Parlement de Paris, juges naturels sous nostre autoritŽ des diffŽrends illustres qui se sont ŽlevŽz au sujet des Pairies, entra”nez d'un c™tŽ par le poids des rgles gŽnŽrales et retenus de l'autre par la force des clauses particulires qu'on opposoit ˆ ces mmes rgles, ont cru devoir suspendre leur jugement et se contenter de rendre des arrts provisionnels, comme pour Nous marquer par lˆ que leur respect attendoit de Nous une dŽcision suprme, qui fixant pour toujours le droit des Pairies, pžt distinguer les diffŽrents degrŽz d'honneur qui sont dus aux Princes de nostre sang, ˆ Nos Enfans LŽgitimŽz et autres Pairs de France ; affermir les vŽritables principes de la transmission des Pairies, ou masculines ou fŽminines, et dŽterminer souverainement le sens lŽgitime de toutes les expressions Žquivoques, ˆ l'ombre desquelles on a si souvent opposŽ en cette matire la Lettre de la Gr‰ce ˆ l'Esprit du prince qui l'avoit accordŽe. C'est cette Loy dŽsirŽe depuis si longtemps que nous avons enfin rŽsolu d'accorder aux souhaits des premiers magistrats, ˆ l'avantage des grandes Maisons de nostre Royaume, au bien mesme de nostre ƒtat, toujours intŽressŽ dans les rglements qui regardent une DignitŽ si Žminente. Nous avons cru devoir y ajouster des dispositions non moins importantes soit pour conserver l'Etat et la splendeur des Maisons honorŽes de cette DignitŽ, soit pour prŽvenir tous les diffŽrends qui se pourroient former ˆ l'avenir ˆ l'occasion de l'ƒrection ou de l'Extinction des Pairies, soit enfin pour terminer les contestations qui sont pendantes en nostre Cour de Parlement, tant entre plusieurs des Ducs et Pairs et nostre cousin le duc de Luxembourg, qu'entre le sieur marquis d'Antin et plusieurs autres desdits Ducs et Pairs ; et rŽunir par l'autoritŽ souveraine de nostre Jugement les esprits et les intŽrests de Personnes qui tiennent un rang si considŽrable auprs de nous. A ces causes, de nostre propre mouvement, pleine puissance et autoritŽ royale, avons dit, dŽclarŽ et ordonnŽ, disons, dŽclarons et ordonnons par le prŽsent ƒdit :
ARTICLE PREMIER. Ñ Que les Princes de Sang royal seront honorŽz et distinguez en tous lieux suivant la DignitŽ de leur rang et l'ŽlŽvation de leur Naissance. Ils reprŽsenteront les anciens Pairs de France aux sacres des Roys, et auront droit d'entrŽe, sŽance et voix dŽlibŽrative en nos cours de Parlement ˆ l'‰ge de quinze ans, tant aux audiences qu'au Conseil sans aucune formalitŽ, encore qu'ils ne possdent aucunes Pairies.
II. Ñ Nos Enfans LŽgitimŽz, et leurs enfans et descendans masles, qui possŽderont des Pairies, reprŽsenteront pareillement les anciens Pairs aux sacres des Roys, aprs et au deffaut des Princes du sang, et auront droit d'entrŽe et voix dŽlibŽrative en nos cours de Parlement tant aux audiences qu'au Conseil ˆ l'‰ge de vingt ans, en prestant le serment ordinaire des Pairs, avec sŽance immŽdiatement aprs lesdits Princes du sang, conformŽment ˆ nostre dŽclaration du 5 may 1694, et ils prŽcŽderont tous les Ducs et Pairs quand mesme leurs DuchŽz et Pairies seroient moins anciennes que celles desdits Ducs et Pairs ; et en cas qu'ils ayent plusieurs pairies et plusieurs enfans masles, leur permettons (en se rŽservant une Pairie pour eux) d'en donner une ˆ chacun de leurs dits enfans, si bon leur semble, pour en jouir par eux aux mesmes honneurs, rang, prŽsŽance et dignitŽ que cy dessus, du vivant mesme de leur Pre.
III. Ñ Les Ducs et Pairs reprŽsenteront aux sacres les anciens Pairs lorsqu'ils y seront appellŽz au deffaut des Princes du sang et des Princes LŽgitimŽz qui auront des Pairies ; ils auront rang et sŽance entre eux avec droit d'entrŽe et voix dŽlibŽrative, tant aux audiences qu'au Conseil de nos cours de parlement, du jour de la premire rŽception et prestation de serment en nostre Cour du Parlement de Paris, aprs l'enregistrement des lettres d'ƒrection et seront reus audit Parlement ˆ l'‰ge de vingt-cinq ans, en la manire accoustumŽe.
IV. Ñ Par les termes d'hoirs et successeurs et par les termes d'ayans cause, tant insŽrŽz dans les lettres d'ƒrection cy devant accordŽes, qu'ˆ insŽrer dans celles qui pourront estre accordŽes ˆ l'avenir, ne seront et ne pourront estre entendus que les enfans masles descendus de celuy en faveur de qui l'Žrection aura estŽ faite, et que les masles qui en seront descendus de masles en masles et en quelque ligne et degrŽ que ce soit.
V. Ñ Les clauses gŽnŽrales insŽrŽes cy devant dans quelques lettres d'Žrection de DuchŽs et Pairies en faveur des femelles et qui pourroient l'estre dans d'autres ˆ l'avenir, n'auront aucun effet qu'ˆ l'Žgard de celle qui descendra et sera de la Maison et du nom de celuy en faveur duquel les lettres auront ŽtŽ accordŽes, et ˆ la charge qu'elle n'Žpousera qu'une personne que Nous jugerons digne de possŽder cet honneur et dont Nous aurons agrŽŽ le mariage par des Lettres patentes qui seront adressŽes au Parlement de Paris et qui porteront confirmation du DuchŽ en sa personne et descendans masles ; et n'aura ce nouveau Pair rang et sŽance que du jour de sa rŽception audit Parlement sur nos dites Lettres.
VI. Ñ Permettons ˆ ceux qui ont des DuchŽz et Pairies d'en substituer ˆ perpŽtuitŽ le chef-lieu avec une certaine partie de leur revenu, jusqu'ˆ quinze mille livres de rente, auquel le titre et DignitŽ desdits DuchŽz et Pairies demeurera annexŽ sans pouvoir estre sujet ˆ aucunes dettes ny dŽtractions, de quelque nature qu'elles puissent estre, aprs que l'on aura observŽ les formalitŽz prescrites par les ordonnances pour la publication des substitutions ; ˆ l'effet de quoy dŽrogeons au surplus ˆ l'Ordonnance d'OrlŽans et ˆ celle de Moulins, et ˆ toutes autres Ordonnances, Usages et Coustumes qui pourroient estre contraires ˆ la prŽsente disposition.
VII. Ñ Permettons ˆ l'aisnŽ des Masles descendans en ligne directe de celuy en faveur duquel l'ƒrection des DuchŽz et Pairies aura estŽ faite, ou ˆ son deffaut ou refus ˆ celuy qui le suivra immŽdiatement, et ensuite ˆ tout autre masle de degrŽ en degrŽ, de les retirer des filles qui se trouveront en estre propriŽtaires, en leur remboursant le prix dans six mois, sur le pied du denier vingt-cinq du revenu actuel, et sans qu'ils puissent estre reus en ladite DignitŽ, qu'aprs en avoir fait le payement rŽel et effectif et en avoir apportŽ la quittance.
VIII. Ñ Ordonnons que ceux qui voudront former quelque contestation sur le sujet desdits DuchŽz et Pairies et des rangs, honneurs et prŽsŽances accordŽz par nous aux dits Ducs et Pairs, Princes et Seigneurs de nostre Royaume, seront tenus de nous reprŽsenter, chacun en particulier, l'intŽrest qu'ils prŽtendent y avoir, afin d'obtenir de nous la permission de le poursuivre, et de procŽder en nostre Parlement de Paris pour y estre jugŽz, si Nous ne trouvons pas ˆ propos de les dŽcider par nous mesmes ; et en cas qu'aprs y avoir renvoyŽ une demande, les parties veuillent en former d'autres incidemment ou qui soient diffŽrentes de la premire, elles seront tenues pareillement d'en obtenir de Nous de nouvelles permissions, et sans qu'en aucuns cas ces sortes de contestations et de procs puissent en estre tirez par la voye des ƒvocations.
IX. Ñ Voulons que nostre cousin le duc de Luxembourg et de Piney ait rang tant en nostre cour de Parlement de Paris qu'en tous autres lieux, du 22 may 1662, jour de la rŽception du feu duc de Luxembourg son pre en consŽquence de nos lettres du mois de mars de l'an 1661, et que les arrests rendus le 20 de may 1662 et 13 avril 1696 soient exŽcutŽz diffinitivement, sans que nostre dit cousin puisse prŽtendre d'autre rang, sous quelque titre et prŽtexte que ce puisse estre. Et ˆ l'Žgard dudit marquis d'Antin voulons pareillement qu'il n'ait rang et sŽance que du jour de sa rŽception, sur les nouvelles lettres que Nous luy accorderons.
X. Ñ Voulons et ordonnons que ce qui est portŽ par le prŽsent Ždit pour les Ducs et Pairs, ait lieu pareillement pour les Ducs non Pairs, en ce qui peut les regarder. Si donnons en mandement ˆ nos amŽz et fŽaux Conseillers, les gens tenans nostre cour de Parlement ˆ Paris, que nostre prŽsent ƒdit ils ayent ˆ faire lire, publier et enregistrer le contenu en iceluy, garder et observer selon sa forme et teneur : Car tel est nostre plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable ˆ toujours, nous y avons fait apposer nostre scel.
DonnŽ ˆ Marly au mois de may l'an de gr‰ce mil sept cent onze, et de nostre Rgne le soixante-neuvime.
SignŽ : Louis. Et plus bas, par le Roy Phelypeaux.
Extrait des registres du conseil d'Žtat
(P. Anselme, 1728, T4, p394)
Le roy s'estant fait rŽpresenter tous les actes, titres & mŽmoires remis ˆ sa majestŽ par les sieurs ducs de S. Simon & de la Rochefoucault, au sujet de la contestation qu'ils ont entre eux, sur le rang & la prŽsŽance qu'ils prŽtendent respectivement l'un sur l'autre, tant au parlement qu'aux cŽrŽmonies publiques, & partout ailleurs.
Et voulant bien ˆ la trs-humble & Trs-instante priere des deux parties, terminer enfin lui-mme un procs qui dure depuis plus de soixante ans & sur lequel il avait ds 1645 donnŽ un brevet registrŽ au parlement, qui rgle que par provision ils auroient alternativement en chaque occasion le rang & la prŽsŽance, l'un devant l'autre, jusqu'ˆ ce que le procs fžt dŽfinitivement jugŽ ; aprs avoir tout veu & considerŽ & examinŽ avec l'attention & l'exactitude qu'exige une affaire de cette nature,
Le roy estant en son conseil, a ordonnŽ & ordonne que le sieur duc de S. Simon aura le pas, le rang & la prŽsŽance sur le sieur duc de la Rochefoucault, tant en toutes cŽrŽmonies qu'au parlement & partout ailleurs. Et ˆ cet effet que toutes lettres nŽcessaires seront expediŽes. Fait au conseil d'estat du roy, sa majestŽ y estant, tenu ˆ Versailles le dix-huitime jour de mars mil sept cens quatorze. SignŽ PHELYPEAUX.
[RegistrŽ au Parlement le 24 mars 1714 ; signifiŽ le 27 ˆ M. de la Rochefaucaut, en son domicile, par exploit de le Vieil Huisssier]
MŽmoire
succint
sur les formalitŽs desquelles nŽcessairement la renonciation du Roy d'Espagne tant pour luy que pour sa postŽritŽ doit estre revestue en France pour y estre justement et stablement validŽe
Ce mŽmoire de 1712 ne nous intŽresse pas ici pour l'affaire elle-mme, mais parce qu'il exprime la surŽminence de la pairie, illusion-clef de la position de S. Simon, de sa pensŽe et de ses actions.
Pour mettre fin ˆ la guerre de succession d'Espagne (1701-1714), l'Europe exige la garantie que les deux Couronnes ne s'uniront jamais [17]. La renonciation du roi d'Espagne [18] ne suffit pas, il faut aussi que la France "divorce" de lui et de ses descendants, ce que les principes multisŽculaires qui rŽgissent la succession ˆ la Couronne interdisent. D'autre part, l' "oubli" des engagements solennels pris lors du mariage Marie-ThŽrse d'Espagne avec Louis XIV, inspire la mŽfiance ˆ l'Žgard des promesses et des serments officiels. De quelles formes user alors ? Ce seroit s'exposer aux derniers malheurs que de laisser les choses imparfaittes, ou faussement consolidŽes par des formes incompŽtentes (p 323) [19].
Que, sous la pression des circonstances et forcŽ par Louis XIV, le duc d'Anjou (Philippe V), hŽritier potentiel de la couronne de France, renonce ˆ son droit qui, ˆ l'instar d'un autre duc d'Anjou (le futur Henri III) partant en Pologne, lui fut explicitement conservŽ lorsqu'il devint roi d'Espagne [20], ce serait une affaire personnelle. Mais quid aprs lui ? Pour rassurer l'Europe, il doit, sans en avoir le pouvoir, dŽpossŽder aussi ses successeurs et hŽritiers et les vider de leur sang royal de France, de mme que si moi et mes descendans n'eussions pas ŽtŽ nez, ni ne fussions pas au monde, parce que nous devons tre tenus et rŽputez pour tels..., dit-il dans son Acte solennel de renonciation devant les CortŽs. Ce deni du principe naturel de succession ˆ la Couronne, non seulement en change l'ordre au profit de Berry, mais surtout, ™te sa prŽrogative lŽgitime et sacrŽe ˆ une branche entire de la famille royale, pour le prŽsent et l'avenir. En France, le droit du sang rŽgit de toute ŽternitŽ la succession et il n'est au pouvoir de personne de dŽfaire ce que Dieu a voulu.
S. Simon traite cavalirement cette difficultŽ : si la loi de succession est contraire au salut de l'Etat, changeons-la.
Qui peut changer une des lois fondamentales du Royaume ? S. Simon soutient que, en France, le pouvoir constitutif et lŽgislatif n'appartient pas au roi en personne qui, tout puissant vivant, ne compte plus, mort. De quelque faon qu'un roi dispose de la Couronne, sa dŽcision est nulle, comme en tŽmoignent la non exŽcution des testaments de Charles V, de Louis XIII (et bient™t de Louis XIV), ainsi que l'Žchec de l'exhŽrŽdation du dauphin par Charles VI et celle de Henri de Navarre par Henri III.
Ce pouvoir n'appartient pas aux Etats gŽnŽraux dont la fonction est de se plaindre et consentir [21].
Il n'appartient pas non plus au Parlement, malgrŽ ses prŽtentions, car il n'a d'autre commission que de rendre la justice : Une jurisdiction contentieuse, pour cŽlbre et pour dŽcorŽe qu'elle puisse estre, ne fut jamais le lieu de la sanction des loix gŽnŽrales de l'Estat.
Moins encore aux autoritŽs empruntŽes que sont ministres, secrŽtaires d'Etat, surintendant des finances..., tous agents exŽcutifs, sans office, sans charge sans titre, sans rang, sans soliditŽ quelconque.
Depuis 1300 ans (Pharamond !), le pouvoir constitutif et lŽgislatif s'exerce par la conjonction du Roi et des Grands : rien sans eux, tout avec eux. Les lois sur la Couronne, aussi choquantes qu'elles aient pu para”tre en leur temps (succession du fils ainŽ, majoritŽ de quatorze ans etc), sont restŽes invariablement respectŽes parce qu'elles avaient ŽtŽ dŽcidŽes dans les formes : les Loix faittes avec les formes qui les rendent telles se soustiennent d'elles mesmes, et il n'est plus question de les confirmer. Or ces formes ne sont autres que l'intervention et le concours de ceux qui seuls ont la puissance constitutive et lŽgislative pour faire avec le Roy les grandes sanctions de l'Estat (p 294).
Sans nom ou sous d'autres noms, les Pairs de France sont aussy anciens que la Monarchie [grands vassaux], et leur nom et leur essence effective connue telle qu'elle est se trouve assise aux costŽs du trosne (p 202)... toujours les mesmes depuis Pharamond (p 329). Les Pairs d'aujourd'hui, comme leurs prŽdŽcesseurs, reoivent fief et office, tandis que les Ducs hŽrŽditaires ont fief sans office [22], et les grands officiers de la Couronne office sans fief. A eux tous, ils reprŽsentent le corps de la monarchie et statuent inaltŽrablement sur les grandes sanctions du Royaume. InŽgaux en dignitŽ et en puissance, ils ont pour cÏur les Pairs, laterales regis, fleurons prŽtieux de la Couronne, colonnes de l'Estat, modŽrateurs du Royaume.
Seule, leur assemblŽe est apte ˆ disposer de la Couronne, affirme S. Simon qui saute par-dessus l'impossibilitŽ de dŽfaire la parentŽ naturelle entre les Bourbon d'Espagne et de France, prŽsents et futurs, et d' "exsanguer" Philippe, petit fils de France, et ses descendants.
Ne s'occupant que l'aspect formel (centrŽ sur les Pairs), S. Simon prŽconise une Žnorme machine qui verrouillerait dŽfinitivement les renonciations en engageant la totalitŽ du royaume, par une dŽcision du Roi et des Grands, suivie du consentement explicite des sujets : une rŽunion solennelle des Grands prŽsidŽe par le Roi, o les Pairs dont on n'a pas besoin d'ouvrir la bouche feront librement leurs propositions, et les autres ˆ l'appel de leur nom ; toutes portes ouvertes et en prŽsence de la Cour. Ensuite, le Roi dŽclarera le rŽsultat de la dŽlibŽration qui sera acclamŽ, enregistrŽ sans dŽbat par les Parlements, puis approuvŽ par les Žtats gŽnŽraux (ou les assemblŽes provinciales), et que tous, autoritŽs et reprŽsentants, jureront d'observer ˆ jamais.
On sait que Louis XIV, peu dŽsireux de s'engager ˆ jamais, fera simplement enregistrer par le Parlement de Paris garni de Pairs sa propre acceptation de la double renonciation, celle de Berry et OrlŽans ˆ l'Espagne et, surtout, du roi d'Espagne ˆ la France [23].
Les numŽros de page renvoient ˆ Faugre, 1880, ƒcrits inŽdits de Saint-Simon, T. 2 (pp. 181-408).
pp. 182-4 L'extrme abondance de la matire ˆ traitter demanderoit des annŽes et les plus gros volumes. L'extrme brivetŽ du temps qui reste pour le choix des formalitŽs ne permet ny l'un ny l'autre. La France languit aprs la paix ; nulle frontire ne luy reste contre ses ennemis, et son Žpuisement est arrivŽ ˆ son dernier pŽriode. La paix vient comme s'offrir ˆ elle dans les temps les plus calamiteux de sa durŽe ; et au moment qu'elle avoit moins lieu de l'espŽrer, Dieu dans sa misŽricorde, et qui conduit aux portes de l'enfer et qui en ramne, dispose le cÏur, les affaires et les interests de l'ennemi le plus ancien et le plus dangereux qu'elle ait ŽprouvŽ de tout temps, pour luy servir de bouclier, de guide et d'ange tutŽlaire et de paix. L'Angleterre s'offre, se dŽclare, s'accorde, et secondŽe d'un succs inespŽrŽ se trouve en estat de se faire Žcouter par tout le reste de la grande alliance, ˆ des conditions infiniment plus supportables que celles qu'on avoit estŽ rŽduit de regretter. A la teste de ces conditions est placŽe la cause du soulvement gŽnŽral de l'Europe. Tout ce qui la compose veut sŽparer ˆ jamais les deux Couronnes, dont l'union sur la mesme teste seroit terrible ˆ tous, et peut-estre encore aux deux monarchies.
Les deux Rois y consentent : celuy d'Espagne a signŽ l'instrument authentique de la plus expresse renonciation ˆ la couronne de France ; et puisque nos malheurs sans exemple et sans fonds comme un prŽcipice, peuvent, pour qu'il n'y manque rien, estre appelŽs d'autant plus Žnormes qu'ils ne sont pas assŽs complets, il s'agit de seconder la triste option de Sa MajestŽ Catholique par une validation juste et solide ; et dont la solennitŽ insolite est ardemment poursuivie par l'Angleterre pour ses alliŽs, sans qu'on ait rien de bien bon ˆ y opposer, si on fait une juste attention au souvenir qu'elle retrace du peu de soliditŽ et de durŽe qu'a eu la renonciation de la feue reyne, insŽrŽe dans son contract de mariage, dressŽ par les deux premiers ministres de France et d'Espagne en personne, signŽ et jurŽ par les deux Rois en personne et en face l'un de l'autre, enregistrŽ dans tous les parlements du royaume, et garanti par toutes les puissances de l'Europe, le Roy bien plus que majeur, et ayant la reyne sa mre prŽsente. Le Roy d'Espagne rompt les liens qui le rattachoient ˆ la France, dans le cas de succession possible, et c'est maintenant ˆ la France ˆ l'imiter, et ˆ rompre en mesme temps tous les liens qui en ce mesme cas l'attachoient ˆ luy [mon soulignement]. Il faut que luy et ce royaume s'affranchissent d'une manire mutuelle des liens qui les tiennent mutuellement liŽs : et c'est de cette seconde partie qu'il s'agit, puisque la premire est dŽjˆ accomplie.
Qu'elle le puisse, ne doit pas tomber en question, si on n'en veut faire une de savoir si les Estats sont faits pour les loix, ou les loix pour les Estats, comme JŽsus-Christ disoit aux Juifs du sabat et de l'homme. Les loix ne sont faites que pour la conservation des Estats auxquels elles sont propres ; et s'il est constant qu'elles ne doivent pas changer, il l'est encore davantage que, n'estant faites que pour la conservation, elles doivent par ce mesme esprit cesser et changer lorsque, par la mutation des choses, elles viennent ˆ opŽrer la destruction de l'Estat.
[La question est donc de savoir ˆ qui, en France, appartient le pouvoir constitutif et lŽgislatif. Les rois de la 1re race (Placita), comme des suivantes, ont prononcŽ les dŽcisions rŽsultant des dŽlibŽrations des Grands. C'est donc dans leur union que rŽside ce pouvoir :]
p 286 De toutes ces justes nŽgatives, justes dis-je, et par l'usage constant et suivi et par la nature des choses, il rŽsulte que le pouvoir lŽgislatif et constitutif pour faire avec le Roy les grandes sanctions du Royaume, ne peut estre entre les mains de personne sinon des Pairs, des Ducs hŽrŽditaires et des officiers de la Couronne. Tout nous rameine ˆ nos principes ; tout les suit, tout les confirme ; tout nous monstre que ce droit supresme ne peut reposer que sur l'une de ces trois choses, fief et office, fief sans office, office sans fief ; et que hors de lˆ tout n'est que confusion et que dŽsordre, qu'usurpation non suivie, qu'attentat ˆ l'esprit du gouvernement de la Nation, que renversement des choses contre leur nature et contre leur conservation, que dŽgradation de la Monarchie, que pŽril de sa dissolution, que dangers les plus pressants pour la dignitŽ et pour la vie mesme de nos Rois, comme Henry III en est un funeste et rŽcent exemple ; en un mot, qu'on ne peut s'Žcarter tant soit peu de cet ordre sans ne savoir plus ou poser le pied, ny ˆ qui se doit estendre l'admission, non plus qu'o la borner comme il arrive lorsqu'on a passŽ les reigles certaines, et qu'on a perdu les mesures vŽritables hors desquelles tout n'est plus qu'un vague dont profitte qui peut et dont l'Estat est la proye, comme il n'est que trop cruellement arrivŽ toutes les fois que les malheurs et les dŽsordres des temps ont ouvert l'entrŽe ˆ qui l'a voulu saisir,
Pouvoir constitutif et lŽgislatif pour faire avec le Roy les grandes sanctions du Royaume rŽside uniquement aux fiefs et offices unis ou sŽparŽs ; c'est-ˆ-dire, privativement ˆ qui que ce soit, aux Pairs, aux Ducs hŽrŽditaires et aux Officiers de la Couronne [mon soulignement].
p 294 les Loix faittes avec les formes qui les rendent telles se soustiennent d'elles mesmes, et qu'il n'est plus question de les confirmer. Or ces formes ne sont autres que l'intervention et le concours de ceux qui seuls ont la puissance constitutive et lŽgislative pour faire avec le Roy les grandes sanctions de l'Estat.
p 298 Henry III dŽclara le Roy de Navarre inhabile ˆ succŽder ˆ sa couronne, privŽ et exclu de sa succession, incapable de rŽgner ; les Estats GŽnŽraux prononcrent une dŽclaration semblable avec le Roy, et sŽparŽment de luy ; les Parlements du Royaume rendirent tous des arrests solemnels en conformitŽ... il [Navarre] comprit qu'en ce nouveau genre si inou• de persŽcution il ne se pouvoit suffire ˆ soy mesme, et que des Juges incompŽtents l'ayant condamnŽ, leur puissance, leur nombre, le grand nom des Estats GŽnŽraux, le nom majestueux du Roy, celuy des Parlements, tout cela le mettoit en nŽcessitŽ d'appeller d'eux comme incompŽtents, aux seuls Juges compŽtents en une telle cause, et il ne balana point de s'adresser ˆ eux dans un cas si extraordinaire et si pressant. Il en appella donc aux Pairs de France, et cet appel qu'il interjettoit, il le dŽclara partout dans le Royaume, il l'y rendit de notoriŽtŽ publique aprs l'avoir fait savoir au Roy, aux Estats, aux Parlements ; et pour que de tous ceux qui sans droit l'avoient osŽ proscrire, aucun n'ignorast son appel lŽgitime devant des juges lŽgitimes... [p 302] Disons qu'Henry IV para le coup mortel portŽ ˆ son droit de succŽder, par un appel si juridique et si conforme au droit dont les Pairs sont de tout temps revestus et en possession d'effet et d'usage ; et tellement reconnus en cette puissance, que c'estoit la seule voye par laquelle il pust sauver sa succession, et tellement la bonne et l'unique qu'elle sauva en effet son droit par ce seul acte, dont ceux qui avoient entrepris de l'exclure de la succession ˆ la Couronne par des formes Žclattantes et d'une apparence si fort juridique, furent tellement Žtourdis, qu'ils en quittrent prise aussy tost sur les formes ; et que n'osant ny mŽpriser ny contester l'appel aux Pairs, comme il a estŽ dit, ils laissrent tout cela ˆ costŽ par le silence, et ne songrent plus qu'ˆ en Žtouffer le bruit et poursuivre l'effet de leurs entreprises par les armes et les crimes, et toutes les autres voyes par lesquelles ils avoient jusqu'alors marchŽ...
p 306 Rien ne met le comble avec tant d'Žvidence aux preuves diverses du pouvoir lŽgislatif et constitutif des Pairs et ˆ leur droit de juger de la Couronne et aux fondements et ˆ la chaisne de ces preuves, que ces quatre exemples si Žclattants [la loi de succession du roi Robert, attribution de la couronne ˆ l'extinction des CapŽtiens directs, loi sur la majoritŽ des rois de Charles V, juridicitŽ de l'accession de Henri IV], choisis parmi tant d'autres qui fournissent avec abondance tout ce qui peut estre raisonnablement dŽsirŽ la dessus.
pp. 313-5 ...Les Rois ne peuvent rien reigler seuls de grand et d'important pour l'administration de leur Royaume ; s'ils entreprennent de le faire, tout cde, tout ploye, tout s'humilie sous leur voix, sous leur main, sous leur autoritŽ, et surtout en France : ils sont seurs que l'obŽissance et la soumission leur survit, mais ils ne le sont pas moins que ce n'est d'un instant et qu'aussy tost que leur mort a affranchi leurs sujets du respect ˆ leurs ordres, ils ne les observent qu'autant qu'eux mesmes le jugent ˆ propos, et qu'ils le jugent rarement. Ainsy la jalousie du peu d'Žgard que l'autoritŽ Royale a eu pour eux en ces rencontres se rŽveille aux dŽpends de tout le fruit des meilleures ordonnances, et il leur suffit pour les dŽtruire de n'y avoir pas estŽ appellŽs suivant leur droit ; au lieu que quand cette forme essentielle y a estŽ observŽe, la mesme jalousie leur fait deffendre et protŽger ce qui a estŽ dŽcernŽ avec eux... Et de mesme que tout est rempli d'exemples du respect inviolable qui a maintenu jusqu'ˆ nous sans la moindre idŽe d'atteinte les ordonnances les plus apparemment abstruses, lorsqu'elles ont estŽ revestues des formes qui les ont fait considŽrer comme des Loix ; aussy tout est il plein d'exemples du peu de durŽe de toutes les ordonnances les plus justes et les plus sages, les plus convenables, les plus raisonnables, si tost qu'elles n'ont estŽ que l'ouvrage d'un Roy mort, quelqu'obŽi, quelqu'applaudi que ce Prince et ces mesmes ordonnances ayent estŽ de leur vivant...
pp. 316-7 Henry III prŽtendoit si peu ˆ ce pouvoir uniquement rŽsident en sa MajestŽ seule, qu'il se fit appuyer en la dŽclaration de l'inhabilitŽ de son beau-frre ˆ luy succŽder, par les Estats GŽnŽraux et par les vŽrifications des Parlements, c'est-ˆ-dire par ce qu'il y avoit de plus Žclattant, de plus imposant et de moins impropre ˆ substituer ˆ ceux lˆ ˆ qui seulement il appartenoit de statuer avec luy une Loy si grave et si importante au Royaume ; et luy et la Ligue en sentirent si bien le deffaut qu'ils n'osrent le relever ds qu'il le fut par l'appel d'Henry IV aux Pairs que Henry III n'avoit pas osŽ assembler, ny moins encore les chefs de la Ligue tenter cette unique voye lŽgislative, parce qu'encore qu'il y eust beaucoup de Pairs de leur Maison, aucun de ceux du sang ny des autres, tels que les Ducs de Montmorency, de Nevers, d'Usez, d'Epernon, etc., n'eussent consenti ˆ une Loy si criante ; que par cela seul elle eust estŽ arrestŽe, et le contraire effet en eust sorti ; de manire que sentant d'une part l'impossibilitŽ d'agir juridiquement en ce rencontre pour faire une constitution lŽgislative qui la fust en vŽritŽ, et d'autre part combien moins encore d'apparence ˆ faire parler le Roy tout seul en vertu de sa puissance Royale en cette occasion qui requŽroit toute autre chose, ils aimrent mieux essayer ˆ fasciner les yeux au monde en joignant au Roy tout ce qu'au deffaut de ceux lˆ seulement dont la jonction seule opŽroit une Loy, ceux au moins dont le grand nom et le grand nombre imposeroient, que de dŽcouvrir du premier coup d'oeil leur impuissance en ce genre ˆ toute la Monarchie et ˆ toute l'Europe, en faisant statuer par le Roy tout seul qui s'appuyant des Estats GŽnŽraux et des Parlements, les interessoit au moins en cette hardie entreprise ; chose qui en marque effectivement l'impuissance ˆ supplŽer aux Pairs, puisqu'avec tout ce grand interest de s'introduire puis de s'affermir dans un droit si auguste, tous, comme il a estŽ remarquŽ plus haut, demeurrent dans un entier silence ˆ l'appel interjettŽ aux Pairs.... Rien n'achve donc avec tant d'avantage la rŽfutation de ce sentiment si nouveau, qu'il ne fait que de paroistre et de naistre, que le Roy seul a droit de faire les Loix et les grandes sanctions du Royaume. Sa foiblesse se manifesta en faisant demeurer court ceux qui l'osrent produire, ds la simple question si le Roy vivant avoit pouvoir de disposer de son Royaume aprs luy ; ils en sentirent tout l'embarras, et de leur aveu que le Roy n'avoit point cette puissance, il rŽsulta qu'elle estoit nulle au monde, puisque selon eux ny le Roy ne l'avoit, ny personne en sa prŽsence ; par quoy la succession naturelle devoit avoir son cours sans qu'elle pust jamais estre intervertie, d'o il se concluoit contre l'axiome certain qui se voit au commencement de ce MŽmoire, que les Loix sont faittes pour les Estats, et non les Estats pour les Loix ; ce qui dŽriveroit nŽantmoins de ces principes avec l'inconvŽnient encore de ne pouvoir Žviter les dŽsordres d'une succession contestŽe ˆ faute d'hŽritiers sans contradiction...
p 338 [en faisant les plus proches de leur sang ducs & pairs] nos Monarques leurs pres et leurs frres disoient nettement en ces Lettres si autentiques et si publiques, qu'ils les Žlevoient, honoroient, dŽcoroient, illustroient, relevoient, exhaussoient, extolloient de la dignitŽ de Pair de France : termes qui eussent estŽ certainement ineptes ˆ appliquer ˆ des personnes si augustes, et qui souvent ont succŽdŽ ˆ la Couronne, si cette dignitŽ qui ds lors ne pouvoit plus augmenter leur grandeur ny leur rang, n'eust ajoustŽ ˆ leur personne quelque chose d'auguste qui en fust digne, et qui n'y fust pas sans elle ; disons plus, quelque chose d'aussy auguste qu'eux mesmes, et nous n'irons pas trop loin puisque les expressions des Rois vont beaucoup au delˆ. Or ce quelquechose qui n'estoit ny aptitude ˆ la Couronne, ny rang, ny grandeur nouvelle, ny souverainetŽ mesme qui n'eust pu estre dŽsignŽe en ces termes sans blesser la majestŽ du sang des Rois, ne pouvoit estre autre chose que cette puissance constitutive et lŽgislative des Pairs hŽrŽditairement et sublimement rŽsidente en eux, tant rŽpŽtŽe, et qui ne pouvoit estre en ces Princes tous fils de France radieux qu'ils estoient, sans la Pairie qui en ce sens ajoustoit assŽs ˆ la dignitŽ de leur personne, pour que les Rois s'en expliquassent par ces expressions si significatives...
p 359 Pour faire une juste application de tout le tissu de ce MŽmoire avec ce que les malheurs de la France luy prŽsentent ˆ faire dans la conjoncture d'aujourd'huy sur la renonciation du Roy d'Espagne ˆ la Couronne de France pour luy et pour toute sa postŽritŽ, on croit avoir suffisamment prouvŽ qui sont ceux en qui rŽside, et privativement ˆ tous autres, la puissance lŽgislative et constitutive de l'Estat et de la Couronne mesme, pour n'avoir plus besoin que de dire que c'est ˆ ceux lˆ seulement qu'il appartient de former avec le Roy la grande sanction qui doit reigler dŽsormais la succession ˆ la Couronne ; laquelle par leur intervention se trouvera revestue des formes qui la rendront une loy durable et receue par la postŽritŽ, telles que nous avons veu celles de la succession ˆ la Couronne sous Robert et sur la loy salique en faveur de Philippe de Valois ; celle sous Charles V sur l'aage de la MajoritŽ des Rois, et qu'on en auroit pu allŽguer tant d'autres...
pp. 360-1 Fief et office, Fief sans office, office sans fief, ˆ quoy se rŽduit toute grande lŽgislation dans l'Estat, peuvent n'avoir pas un droit Žgal ˆ toutes les grandes lŽgislations. Une seule semble sŽparŽe de toutes les autres, qui est celle qui reigle la succession ˆ la Couronne, et paroist ne devoir estre faitte que par les seuls Pairs ; eux seuls agissent avec puissance au sacre, les hauts Barons ny les Ducs hŽrŽditaires aprs eux n'y ont jamais assistŽ, et les Officiers de la Couronne n'y servent qu'en obŽissance, et dans une distance et une diffŽrence de fonctions infinies de celle des Pairs. Eux seuls sont les dŽpositaires des dŽpouilles Royales aux obsques, et y jouissent d'une sorte de paritŽ modifiŽe avec les fils de France mesme, qui est unique en eux et qui exprime leur droit singulier de juger de la Couronne, lorsqu'elle est dŽbatue d'une manire toute dŽmonstrative, et qui n'est par eux partagŽ qu'avec eux mesmes... l'introduction des hauts Barons aux AssemblŽes dont Žmanoient les grandes sanctions du Royaume, et une fois unique celle de la succession ˆ la Couronne, ne fut jamais regardŽe comme de droit au milieu de son plus continuel usage ; que ny tous ne s'y sont jamais trouvŽs, ny qu'aucun ne s'y est jamais prŽsentŽ qu'auparavant mandŽ, et appellŽ spŽcialement pour cela par le Roy, ˆ la diffŽrence des Pairs...
p 374 Le droit Žtroit nous auroit restraint aux seuls Pairs de France par tout ce qui a estŽ raportŽ ˆ cet Žgard, et nous auroit fait rejetter les Ducs hŽrŽditaires avec les officiers de la Couronne pour cette lŽgislation du premier ordre et qui ne regarde que la seule succession ˆ la Couronne, si nous n'avions apperceu que l'admission de ces autres Grands pouvoit enfin estre soustenue sans pŽril pour la validitŽ de la sanction, et que leur intervention y ajouteroit du poids par la dignitŽ de leurs fiefs, de leurs offices et de leurs propres personnes...
[1] Sainte-Beuve, 1868, Nouveaux lundis, Tome 10: Il est arrivŽ ˆ M. ChŽruel le contraire de ce qui arrive aux autres Žditeurs: plus il a vŽcu avec son auteur, moins il l'aaimŽ ; en le suivant de trop prs, il lui a retirŽ, sinon de son admiration, du moins de son estime. ChargŽ il y a quelques annŽes par M. Hachette de donnerl'Ždition des MŽmoires de Saint-Simon d'aprs le manuscrit, il en est sorti avec une quantitŽ de remarques critiques et de notes rectificatives qu'il nousprŽsente aujourd'hui rŽunies et coordonnŽes en un respectable volume [1865, Saint-Simon considŽrŽ comme historien de Louis XIV]... il construit autour de l'Ïuvre dont il fait le siŽge, une suite d'excellents etsolides chapitres comme autant de forts avancŽs qui la brident et qui l'entament... Et pourtant, dirai-je, Ñ et pourtant, Ñ lorsqu'on adonnŽ raison ˆ M. ChŽruel sur presque tous les points, lorsqu'on a reconnu la justesse de la plupart de ses observations, pourtant rien n'est changŽ aumŽrite de Saint-Simon ; il reste ce qu'il est...
[2] Sur la question de la "vŽritŽ" chez S. Simon, on se reportera ˆ l'ouvrage de Doumic que je publie paralllement. Il conclut : nous avons maintes fois surpris Saint-Simon en flagrant dŽlit d'erreurs et de ces erreurs si flagrantes qu'on se demande si elles ne sont pas volontaires... Saint-Simon est la vŽritŽ de l'art et non celle de la vie... Aussi les MŽmoires ne sont-ils pas le tableau de la sociŽtŽ franaise au XVIIesicle, ils sont le tableau d'une sociŽtŽ crŽŽe par Saint-Simon d'aprs cette sociŽtŽ (p. 294). Si le XIXe, vexŽ d'avoir d'abord pris S. Simon pour un historien, a fait la chasse aux erreurs, le XXe a prŽfŽrŽ les analyser.
[3] Le "il", "le duc", "l'autre", etc. de la note sont paradoxalement plus personnels que le "je" des MŽmoires : Saint-Simon fera le choix d'un autre genre, celui des MŽmoires, d'un autre mode, celui de la premire personne du singulier et non plus la troisime mais nulle part ailleurs, et en tous cas pas dans les MŽmoires o le moi est davantage diluŽ dans la chronique curiale, on ne retrouve cette densitŽ, cette continuitŽ, cette concentration sur soi (de Weerdt-Pilorge Marie-Paule, 2013, "RŽcits singuliers et effets de perspective de l'Žcriture de soi dans la Note sur la maison de Saint-Simon", In: Cahiers Saint Simon, n¡41. SingularitŽ chez Saint-Simon, pp. 13-22).
[4] Dans les Žditions rŽcentes, on le trouve notamment dans l'IntŽgrale avortŽe de Pauvert (Oeuvres compltes, tome 1, 1964) et dans Les sicles et les jours, Textes Žtablis et commentŽs par Yves Coirault, HonorŽ Champion, 2000. Le texte a ŽtŽ jadis publiŽ par Boislisle, 1886, en supplŽment de l'Ždition ChŽruel-Regnier des MŽmoires (T. 21) et par Faugre, 1893, Ecrits inŽdits de S. Simon, T8 et 4eme des DuchŽs-Pairies.
[5] Poisson Georges, 1975, Monsieur
de
Saint Simon, p. 356 :
Il
est possible que, chez notre duc, cette Žvolution dŽfinitive, celle qui dŽboucha sur la mise en route des MŽmoires, ait ŽtŽ provoquŽe par la rŽdaction de la Note
sur Louis de Saint-Simon.
Nous avons dit qu'il avait menŽ de front les Additions et les Notes sur les duchŽs-pairies. Tant qu'il s'Žtait, pour ces dernires, consacrŽ aux autres familles ducales, il ne s'Žtait pas dŽcidŽ ˆ une Ïuvre de plus longue haleine et nous avons vu, par le commentaire de Dangeau en 1737, qu'ˆ cette date, il n'avait pas encore pris cette rŽsolution. La Note sur Louis de Saint-Simon avait mme, vers 1736-1738, ŽtŽ interrompue, peut-tre pour passer ˆ un autre exercice. Mais, Ñ c'est une hypothse, mais qui nous semble logique Ñ aprs 1738, il la reprit, et s'Žtait vu alors peu ˆ peu emportŽ par son rŽcit. Mme Himelfarb [Introduction ˆ la nouvelle Ždition des MŽmoires, PlŽiade] a justement observŽ que Ç la deuxime moitiŽ, le dernier tiers en tous cas de la Note n'a plus rien ˆ voir avec les perspectives, la finalitŽ, le champ de vision des autres Notes, et fait excroissance ; ce sont dŽjˆ les MŽmoires. La retombŽe sur les trs sches fiches consacrŽes aux Bassets frappe par sa h‰te et son dŽsŽquilibre, comme si Saint-Simon avait b‰te de passer ˆ autre chose È. Peut-on donc repousser jusqu'au second trimestre de 1739 l'achvement de cette dernire Note ? Rien, ˆ notre connaissance, ne s'y oppose. Ainsi Saint-Simon expŽdie-t-il les trois courtes notices sur ses enfants, abandonne le chapitre La Rochefoucauld aprs l'avoir amorcŽ, et se lance dans sa grande Ïuvre.
[6] NDE. Par son testament, S.Simon ™tait ses papiers ˆ son unique hŽritire, sa petite fille, la comtesse de Valentinois qui les aurait dilapidŽs avec le reste. Il les lŽguait ˆ l'Žvque de Metz, Claude de Rouvroy de Saint-Simon, l'un des fils d'Eustache-Titus de Saint-Simon, chef de la branche a”nŽe de la Maison et cousin au quinzime degrŽ du Duc qui, ˆ sa mort (1712) avait pris ses enfants sous sa protection. L'Žvque dut disputer les papiers aux crŽanciers. Il mourut intestat (1760), laissant comme hŽritiers naturels son frre a”nŽ, Claude le mauvais, et sa sÏur, la MarŽchale de Montmorency, laquelle, de crainte que les papiers tombent en mauvaises mains, prŽtexta de l'ambassade d'Espagne pour les faire rŽquisitionner par Choiseul: le notaire-sŽquestre reut l'ordre de se dessaisir des cinq caisses de manuscrits qui furent transportŽes aux Affaires Etrangres et inventoriŽes par Ledran. Cela donna lieu ˆ la lŽgende noire de la sŽquestration des manuscrits : depuis prs d'un sicle tous les ministres en ont gardŽ avec la plus vive sollicitude le manuscrit sous vingt clŽs... Le ministre ˆ la mort de l'auteur redouta la dŽcharge de cette grosse artillerie de scandale (Le Figaro 22/12/1828, annonant la publication de l'intŽgrale par le marquis de S.Simon)
De fait, l'asile se rŽvŽla une prison, en raison de l'inertie, l'incurie ou la jalousie des archivistes. Seuls les MŽmoires sont "libŽrŽs" ˆ la Restauration. MalgrŽ d'incessantes plaintes et dŽnonciations, les Archives du M.A.E. restent closes jusqu'en 1880. Prosper Faugre, leur directeur de 1866 ˆ 1880, le Hudson Lowe de S. Simon, en monopolise les papiers pour les publier lui-mme (InŽdits, 1880-1893). Aujourd'hui ces Archives sont ouvertes mais plus de la moitiŽ des manuscrits ont disparu ou ne sont pas rŽpertoriŽs.
Pour un historique des tribulations des manuscrits, voir Baschet Armand, 1874, Le duc de Saint-Simon, son cabinet et l'historique de ses manuscrits, Paris, Plon.
[10] NDE: sans parler de la personnalitŽ de "Joufflotte", l'outrance consiste ˆ donner ˆ une femme assise la charge d'une femme debout et
ˆ rŽcompenser par une indignitŽ les efforts de S. Simon en vue de ce mariage. NŽanmoins S. Simon y gagne d'tre casŽ au ch‰teau, lui qui se trouvait "ˆ la rue" depuis qu'il avait dž quitter, 1709, l'appartement de son feu beau-pre, le MarŽchal de Lorge : la Dame d'Honneur de la Duchesse de Berry jouit d'un luxueux appartement tout prs de sa princesse, au premier Žtage de l'aile nord du Ch‰teau. Le Roi prit
un soin marquŽ de nous former le plus agrŽable appartement de Versailles qui, de plus, est pourvu de cheminŽes et d'une cuisine, commoditŽ assez rare. Voilˆ notre duc installŽ officiellement, ce dont il rve depuis longtemps. En effet, n'ayant pas de charge ˆ la Cour, il ne bŽnŽficie pas d'un logement ˆ titre personnel et dŽpendait de la complaisance de parents ou amis. Il est ˆ prŽsent le "consort" de sa femme qui ira ex officio aux Marlys quand la dŽfaveur royale en privera le duc.
Cf.
Lemoine
Pierre, 1984, "Les logements de Saint-Simon au ch‰teau de Versailles", In: Cahiers Saint Simon, n¡12. L'A. expose la nŽcessitŽ d'avoir, outre un h™tel en ville pour y mettre ses domestiques et ses Žquipages, au moins un pied-ˆ-terre au Ch‰teau, sans lequel la
Cour est impossible, tant pour changer d'habits plusieurs fois par jour que pour entretenir le
commerce et la sociŽtŽ dont on tire imperceptiblement tant d'avantages.
[11] NDE : MŽmoire succint sur les formalitŽs desquelles nŽcessairement la renonciation du Roy d'Espagne tant pour luy que pour sa postŽritŽ doit estre revestue en France pour y estre justement et stablement validŽe, In: Faugre, 1880, ƒcrits inŽdits de Saint-Simon, T. 2, 181 sq. On en trouvera quelques extraits ci-dessous, Appendice 3.
[12] MalgrŽ les demandes anglaises (Žtats gŽnŽraux), la formalitŽ est rŽduite au minimum : le roi prend acte des renonciations et le signifie par lettres patentes registrŽes ce 15 mars en Parlement (Lettres patentes du Roy qui admettent la renonciation du roi d'Espagne ˆ la couronne de France et celles de M. le duc de Berry et de M. le duc d'OrlŽans ˆ la couronne d'Espagne, et qui rŽvoquent les lettres patentes de S. M. de dŽcembre 1700. DonnŽes ˆ Versailles, Mars 1713).
[13] NDE. On sait que, par ce Testament, Louis XIV voulait empcher OrlŽans de devenir RŽgent et confiait (via la fiction du petit roi) ˆ Maine le pouvoir rŽel.
[14] NDE. S. Simon se dŽmet de sa pairie, 1723, au profit de son fils Jacques-Louis, dŽsormais dit Ç duc de Ruffec È. Ë la mort de celui-ci, 1746, la pairie et le titre passent ˆ son cadet, Armand-Jean qui dŽcde ˆ son tour en 1754. La pairie retourne alors au pre et s'Žteint avec ce dernier (1755).
[15] NDE: Erection avril 1622 ; arrt de vŽrification du 4 septembre 1631 ; serment et rŽception 1637 : ladite cour a arrestŽ & ordonnŽ que ledit sieur de la Rochefoucaud sera reu ˆ faire &. prester le serment en ladite dignitŽ de duc & Pair de France, ˆ l'instant mandŽ, aprs qu'il a fait ledit serment a estŽ receu, jurŽ, promis bien & fidelement servir le roy... Fait en parlement le 24 Juillet 1637.
[16] NDE. Edit portant qu'il ne sera ŽrigŽ des terres en duchŽs etc qu'ˆ charge de rŽversion ˆ la couronne... en cas d'extinction de la postŽritŽ masculine des titulaires, Paris, juillet 1566. Cette dispense est habituelle, sauf les protestations du Parlement (cf. La Valette) et celles de S. Simon qui veut assimiler la pairie et l'apanage des enfants royaux, lequel est rŽversible par extinction (cf. infra : renonciations).
[17] NDE. Premier petit-fils lŽgitime de Louis XIV, Philippe n'est sŽparŽ de la Couronne de France que par un prince en bas ‰ge de santŽ fragile (futur Louis XV), suite ˆ la double mort du Grand Dauphin (1711) et du Duc de Bourgogne (1712). D'autre part, son frre cadet, le duc de Berry, et le Duc d'OrlŽans pouvaient prŽtendre ˆ la couronne d'Espagne. D'o les renonciations symŽtriques.
[18] Madrid, 5 novembre 1712. Acte solennel de renonciation du roi d'Espagne aux droits que lui confre sa naissance, pour lui et ses enfants, sur la succession Žventuelle ˆ la couronne de France, afin d'obtenir la paix, malgrŽ la lŽsion Žvidente, Žnorme et trs Žnorme qui en rŽsulte pour lui et pour eux.
[19] NDE. S. Simon est d'autant plus soucieux de verrouiller l'exclusion des Bourbon d'Espagne qu'elle rapproche OrlŽans du pouvoir. La mort de Berry (1714) fera du Duc le futur RŽgent (ou roi, dans l'hypothse du dŽcs de l'enfant Louis), moyennant la rŽtrogradation de Maine et Toulouse, fils de roi devenus indžment fils de France.
[20] NDE. Louis XIV, en dŽcembre 1700, signa et fit enregistrer les lettres patentes maintenant ˆ Philippe V et ˆ ses descendants tous leurs droits de naissance, texte ˆ peu prs identique ˆ celui des lettres qu'obtint Henri III partant pour la Pologne, le prince de Conti appelŽ, lui aussi en Pologne, en 1657, le duc d'Alenon au moment o se nŽgociait pour lui un mariage avec la reine Elisabeth d'Angleterre. Sixte de Bourbon (1914, Le TraitŽ d'Utrecht et les lois fondamentales du royaume) compare le TraitŽ d'Utrecht au TraitŽ de Troyes de 1420 et y voit la rupture de lŽgitimitŽ qui conduira la monarchie franaise ˆ sa perte.
[21] Cf. Liard AndrŽ, 1901, "Saint Simon et les Žtats-gŽnŽraux", Revue Historique, 26e annŽe, T 65, janvier-avril.
[22] p 256-7: les duchŽs non pairies... dont le majestueux rayon illustre son possesseur de telle sorte qu'il luy communique une dignitŽ rŽelle et des honneurs semblables ˆ ceux des Pairs, des honneurs dis-je et non des fonctions de juge ; non ce pouvoir lŽgislatif et constitutif des Pairs, non tout ce que nous voyons de propre en eux ˆ titre de leur office exprimŽ par leurs fonctions au sacre, aux licts de justice et partout, et signifiŽ par tous les noms que nous avons raportŽs qui leur ont estŽ donnŽs par les Rois et par tant d'autres en place de le faire. Ces sortes de Ducs non Pairs n'ont point ce serment auguste qui marque si radicalement quels sont les Pairs et dont nous parlerons dans la suitte, en un mot ces Ducs n'ont qu'un fief... Le Pair a deux dignitŽs : celle de son fief ŽrigŽ en DuchŽ ou ComtŽ, et celle de sa Pairie. Le Duc simple n'en a qu'une qui est celle de son fief ŽrigŽ en DuchŽ, Žgale ˆ la dignitŽ du Pair quant ˆ son DuchŽ ; en sorte qu'il est exactement vray de dire que tous deux associŽs ˆ la mesme dignitŽ de fief, possdent la premire dignitŽ du Royaume, quoy que... le Pair soit supŽrieur par la jonction en luy de la dignitŽ supresme de son office.
[23] NDE. Tout laisse supposer que cette procŽdure, plus qu'insuffisante, vise ˆ rŽserver l'avenir et ˆ permettre, dans des temps meilleurs, de dŽclarer juridiquement nul un engagement contraire aux lois fondamentales du Royaume et dont les formes furent inadŽquates.
Pour le rŽcit de cette sŽance du Parlement, voir MŽmoires, tome 10, CHAPITRE XV.`
Les rŽfŽrences sont ˆ l'Ždition Faugre.
(a)
Titre d'EstrŽes [t. VI, p. 119]
La trop belle et cŽlbre Gabrielle, mariŽe ˆ Nicolas d'Amerval sieur de Liencourt prs Neelle en Picardie, dont elle n'eut point d'enfans.Ce M. de Liencourt avoit espousŽ en premires noces Anne Gouffier, fille de Franois seigneur de CrvecÏur, lieutenant gŽnŽral puis commandant en chef enPicardie, chevalier du St-Esprit ˆ la premire promotion, dont il eut deux filles, dont l'une espousa en 1611 l'aisnŽ de la Maison de Saint-Simon quivendit la terre de Saint-Simon ˆ Claude de Saint-Simon, son cousin, lorsqu'il fut fait duc et pair, pour la faire Žriger en DuchŽ-Pairie. Estant devenu veuf,il se remaria pour son malheur ˆ cette belle Gabrielle dont Henry IV devint amoureux et en eut CŽsar duc de Vendosme pendant ce mariage. Mais comme il lesincommodoit tous deux, le Roy les fit dŽmarier par une sentence du 7 janvier 1595, quoyque M. de Liencourt eust dŽclarŽ et protestŽ dans son testament, faittrois semaines auparavent et dŽposŽ ˆ deux notaires d'Amiens, que s'il est sur le point de consentir ˆ la dissolution de son mariage avec Gabrielle, c'estcontre sa volontŽ et par force, pour le respect du Roy et de crainte de perdre la vie.
Il ne laissa pas nŽantmoins de se marier aprs en troisimes nopces avec une la Marck, fondŽ sur cette sentence de dissolution de son mariageprononcŽe par l'Official d'Amiens ; et Gabrielle demeura libre entre les bras du Roy qui la fit marquise de Monceaux qu'il fit bastir pour elle et oils se plaisoient beaucoup, puis duchesse de Beaufort. Le plaisant fut que M. d'ElbÏuf, outrŽ de la prŽsŽance de M. de Vendosme, luy demanda juridiquement lasuccession universelle de Gabrielle, fondŽ par les pices qu'il produisit, et entre autres ce testament du sieur d'Amerval et la sentence de l'Officiald'Amiens, que la duchesse d'ElbÏuf n'estoit que bastarde de Gabrielle comme venue d'Henry IV et d'elle depuis la dissolution de son mariage, au lieu que M.de Vendosme estoit nŽ pendant que le mariage subsistoit...
(b) Titre de Montausier [tome VI, page 315-7]
S'il y a eu lieu d'estre surpris de voir Madame de Montausier en la place de Madame de Navailles, il y eut grande matire depuisde s'estonner bien davantage, ou plustost d'estre faschŽ de s'estre si estrangement trompŽ. Le Roy aprs et durant mesme d'autres amours fit enfin deMadame de Montespan la Sultane favorite. L'Žclat fut prodigieux. Une femme mariŽe ravie ˆ son mary, et tous deux de la qualitŽ dont ils estoient, et raviepubliquement par autoritŽ supresme, l'Europe n'estoit pas accoustumŽe ˆ ce qui seroit mesme une estrange nouveautŽ en Asie o il n'y a que des serrails et desesclaves. Mais le scandale vaincu par l'effroy et par l'ambition, mit bientost tout aux pieds de cette maistresse.
M. de Montespan d'autant plus enragŽ qu'il ne se pouvoit dissimuler qu'un si profond malheur venoit de sa faute, et d'autant moinsmaistre de soy qu'il estoit plus amoureux de sa femme, fit tant des siennes qu'elle ne se crut pas en seuretŽ ˆ Saint Germain, et que pour l'y mettre, leRoy la donna ˆ garder ˆ Madame de Montausier chŽs qui elle logea. M. de Montespan devenu plus furieux s'appliqua ˆ gaigner du mal avec le mesme soinque d'ordinaire on l'Žvite. Son projet estoit de gaster sa femme et de le comuniquer au Roy. Il en fut averti et chargea Madame de Montausier deredoubler sa vigilance.
M. de Montespan ne laissa pas de parvenir jusqu'ˆ sa femme, mais ds qu'elle l'aperceut, elle fit les hauts cris et courut entre les brasde Madame de Montausier o il courut aprs elle. Lˆ se passa une scne terrible. Les paroles ne furent plus mesnagŽes ; il n'y eut injures poursales et atroces qu'elles fussent qu'il ne vomist en face ˆ Madame de Montausier avec les plus sanglants reproches, et comme il voulut passer mesmeen sa prŽsence et ˆ force de bras ˆ l'exŽcution de ce qu'il avoit projettŽ, elles eurent l'une et l'autre recours aux cris les plus perants qui firentaccourir tout le domestique en prŽsence de qui, ne pouvant mieux, les mesmes injures furent rŽpŽtŽes et luy enfin emmenŽ de force hors de lˆ non sans avoirfort jouŽ du moulinet et achevŽ de jetter les deux dames dans la plus mortelle frayeur. Soit peur, soit dŽsespoir de reproches si sanglants, si justes, sipublics, la vŽritŽ est que Madame de Montausier n'en est jamais revenue.
Elle se trouva d'abord fort mal et elle fut du temps au lit sans voir presque personne. M. de Montausier qui n'estoit pas dans l'apartementalors, sentit vivement tout le poids d'un affront dont il estoit presqu'aussy honteux de se faire justice que de la demander. Le soir mesme l'ordre futexpŽdiŽ de mettre M. de Montespan ˆ la Bastille, qui dans la vŽritŽ estoit au dessus de tout chastiment et ne les craignoit gures, et qui en sortit bientostaprs pour estre conduit dans ses terres de Guyenne o il demeura longtemps.
Cependant Madame de Montausier reparut dans le monde, mais si changŽe et surtout du costŽ de l'esprit qu'on ne la reconnoissoit pas. Ellefit sa charge durant quelques mois ; descendant un jour chŽs la Reine par un petit degrŽ de son apartement, Žtroit et si obscur qu'il y falloit tout lejour de la lumire, elle vit ou crut voir au destour du degrŽ une espce de pauvre vieille femme hideuse dont la figure la frappa tant qu'elle s'arresta,criant ˆ son escuyer qui descendoit devant elle s'il n'avoit donc pas aperceu cette femme et de la faire retirer pour qu'elle pust passer. Dans le moment lavieille se jette ˆ son oreille, la saisit, luy parle malgrŽ elle, disparoist ou s'enfuit, car le secret fut tellement imposŽ ˆ ce peu qui suivit Madame deMontausier par ce petit degrŽ particulier, que rien de cette avanture n'a jamais estŽ bien mis au net, sinon ce que Madame de Montausier en raconta ellemesme d'abord confusŽment en personne troublŽe, qui Žvita aprs d'en plus parler. Quoy qu'il en soit, vision, rŽalitŽ, chimre d'un cerveau agitŽ, Madamede Montausier Žperdue resta sur ce degrŽ assŽs longtemps sans revenir ˆ soy, et ˆ la fin remise continua son chemin chŽs la Reine, o elle conta ˆ peu de cequ'elle y trouva le plus de ses amis, ce qui venoit de luy arriver, mais sans rendre rien de ce qui luy avoit estŽ dit par cette vieille.
Ses propos parurent si ŽgarŽs ˆ ces personnes et toute sa contenance si estonnŽe ˆ tout ce qui se trouva chŽs la Reine, que ses amies luypersuadrent qu'elle se trouvoit mal, et la ramenrent chŽs elle d'o elle ne sortit plus depuis que pour aller mourir ˆ Paris. Elle languit prs d'un an ˆSaint Germain sans presque voir personne, et encore plus longtemps ˆ Paris dans une entire solitude o elle mourut ˆ la fin, et M. de Montausier qui luy avoitrendu tous les devoirs de la plus tendre amitiŽ en fut inconsolable...
(c)
Titre de Brissac [T. VIII, page 344].
Gabrielle Louise, fille unique de Claude, duc de Saint Simon, et de sa premire femme,
Henriette de Budos.
MariŽe 17 avril 1663.
Morte sans postŽritŽ ˆ Paris, de la petite vŽrole,
ˆ trente huit ans, 24 fŽvrier 1684, l'une des plus belles femmes de son temps, ainsy que sa mre. Fort comptŽe dans le monde, de beaucoup d'esprit, presque jamais ˆ la Cour.
(d)
Titre de Liancourt la Rocheguyon [tome VI, page 212].
Son fils vola bien plus haut encore ; mais avant d'y venir il ne faut pas passer sous silence son importante mre, l'ornement de laCour de son temps, o elle fut toute sa vie si grandement comptŽe et o elle servit tant ˆ son mari et ˆ son fils. Elle s'appelloit Antoinette de Pons. Sonpre estoit Antoine sire de Pons comte de Maronnes, capitaine des cent gentilshommes de la Maison du Roy, Lieutenant GŽnŽral au Gouvernement deSaintonge, chevalier du Saint-Esprit de la premire promotion, mort 1580, et sa mre estoit Marie de Montchenu dame de Guercheville. De plusieurs frres etsÏurs qu'elle avoit eus, morts sans postŽritŽ, il ne luy resta que sa sÏur aisnŽe qui eut Marennes et la pluspart des biens, qui avoit espousŽ Henry desbastards d'Albret comte de Miossens, chevalier du Saint-Esprit 1595 ; et le mareschal d'Albret fut leur petit fils.
Antoinette de Pons avoit espousŽ en premires nopces Henry de Sully, comte de la Rocheguyon, chevalier du Saint-Esprit 1585, mort l586,dont elle avoit eu un fils unique qui fut grand Louvetier en 1619, chevalier du Saint-Esprit la mesme annŽe, Duc ˆ brevet 1621, mort 1628 au siŽge de laRochelle, sans postŽritŽ d'ƒlŽonor Goyon fille du comte de Torigny fils du mareschal de Mattignon, et de LŽonor de Longueville, par quoy la Rocheguyonvint ˆ son frre utŽrin par leur mre qui en 1594 espousa M. de Liancourt.
C'estoit alors le fort des amours d'Henry IV et de Gabrielle d'EstrŽes qui s'appelloit encore alors Mme de Liencourt, qui ne fut dŽmariŽequ'en 1595 comme on le voit au titre d'EstrŽes page 119, et qui ne quitta ce nom qu'alors pour s'appeller Madame de Beaufort.La diffŽrence de Liancourt ˆ Liencourt qui n'en faisoit point dans la prononciation, ne put satisfaire Antoinette de Pons ; elle ne put serŽsoudre ˆ porter un nom si semblable ˆ celuy de la maistresse dŽclarŽe du Roy ; quoyque toute puissante elle luy en fit l'affront pour n'estre pas confondueavec elle par le nom, et elle n'espousa M. de Liancourt qu'ˆ condition expresse qu'elle ne porteroit jamais son nom et qu'elle s'appelleroit la marquise deGuercheville ; tellement que le mari et la femme portrent toute leur vie diffŽrents noms quoyque vivant ensemble dans la plus parfaitte union.
Cela monstroit une fire et austre vertu ; aussy fut elle en cette dame, dont la beautŽ avoit Žpris Henry IV ˆ qui elle futinaccessible et ˆ qui elle rŽpondit fermement qu'elle n'estoit pas d'assez bonne Maison pour estre sa femme, mais qu'elle estoit de trop bonne Maisonaussy pour estre sa maistresse. Aussy disoit il d'elle que c'estoit la seule qui luy eust rŽsistŽ, et ds lors il asseura que puisqu'elle estoit si femmed'honneur, il la feroit Dame d'honneur de la Reine et la fit en effet lorsqu'il espousa Marie de MŽdicis, estant lors femme de M. de Liancourt, et malgrŽ1'affront qu'elle avoit fait ˆ sa maistresse, Madame de Guercheville fut dans cette place la premire cause de la fortune du cardinal de Richelieu.
Ses ouvrages de piŽtŽ et de controverse le luy firent connoistre ; et comme il avoit intŽrest de plaire ˆ une femme de cettevertu et de cette considŽration, il le voulut et y rŽussit si bien qu'elle le produisit ˆ la Reine et devint si bien sa protectrice auprs d'elle, qu'elle lemit dans ce degrŽ de faveur et de confience qui luy valut par elle tout ce qu'il fut depuis. Elle ne courut point la fortune de la Reine, soit qu'elle sefust retirŽe d'auprs d'elle ou qu'elle eust cessŽ de la suivre, et il ne paroist point qu'elle ny son fils ayent rien souffert du cardinal de Richelieucomme les personnes distinguŽes par leur attachement ˆ cette Princesse si mal conseillŽe. Mme de Guercheville vescut en grand honneur jusque dans un aagefort avancŽ, ayant grand lieu d'estre satisfaite du florissant estat o elle laissoit le fils unique et la fille unique qu'elle avoit eus de M. deLiancourt, et mourut ˆ Paris le 16 janvier 1652.
(e)
Titre d'Aiguillon Puylaurens [tome VI, page 82-4]
...ElevŽ par son pre auprs de Gaston, il [Puylaurens] en sut gaigner les bonnes gr‰ces jusqu'ˆ le possŽder entirement. Il en futsuccessivement gentilhomme ordinaire de sa chambre, Maistre de la Garderobe, premier Chambellan, Surintendant de ses terres, domaines, forests et apannages,le confident de tous ses projets, l'arbitre de toutes exŽcutions, le tesmoin de son mariage clandestin avec une sÏur du duc Charles IV de Lorraine, dansl'espŽrance d'espouser l'autre sÏur, la cŽlbre princesse de Phaltzbourg dont il avoit la parole et de M. de Lorraine.
Il estoit celuy sans qui au moins rien ne se faisoit, fort courtisŽ de la Reine mre, du duc de Lorraine, du duc d'ElbÏuf, en un mot detout ce qui approchoit de Gaston. Brave, spirituel, poli, haut, fier, magnifique, ferme, trs redouttŽ, trs odieux aux Ministres, mais estimŽ, enviŽet ha•. Il sceut tirer avec droiture un prodigieux parti d'une Courotte [sic] plongŽe dans toutes sortes de misres et de foiblesses, et faire enfinl'avantage de Gaston et le sien en le remettant dans son devoir. Tant et de si vifs interests s'opposoient ˆ l'acommodement de Monsieur, que s'il ne fut paspŽnŽtrŽ il fut au moins soubonnŽ.
Monsieur estoit ˆ Bruxelles avec son favori auprs de la Reine mre. Puylaurens y essuya des coups de pistolet par des assassins qu'onne put prendre et qui ne firent que haster son dŽsir de conclurre. Il en vint en effet ˆ bout ˆ l'entier contentement de son Maistre qui obtint tout ce qu'ilvoulut exceptŽ l'article de Madame qu'il ne vouloit point abandonner et que le Roy ne vouloit point reconnoistre, tellement que sur cet article il se fallutcontenter respectivement d'espŽrances. Puylaurens ˆ qui cet article ne tenoit plus au cÏur depuis qu'il avoit reconnu qu'il ne devoit plus compter de devenirbeau frre de Madame, avoit donnŽ lˆ dessus des espŽrances sur lesquelles le Roy et le cardinal de Richelieu comptrent beaucoup, et luy eut paroled'espouser une niepce du Premier Ministre, d'estre fait Duc et Pair en arrivant, et d'estre enregistrŽ et receu au Parlement le premier si ˆ cetteoccasion le Roy en faisoit d'autres.
Tout fut exŽcutŽ ˆ la lettre. Monsieur dŽrobŽ aux siens malgrŽ toute leur vigilance, partit de Bruxelles, estoit bien loin avant qu'ons'en fust apperceu, et arriva droit ˆ la Cour avec son favori triomphant qui espousa aussytost aprs Margueritte Philberte du Cambout, tante paternelle desduc et cardinal de Coislin, sÏur de leur pre et de la dernire duchesse d'Espernon, tous petits enfans de la tante paternelle du cardinal de RichelieuchŽs lequel il parut incontinent comme le maistre, et fut incontinent receu Duc et Pair.
Mais tant de fortune n'estoit que pour l'Žpitaphe. Gaston pressŽ de dehors et jamais en estat de consistance, pressa et insista surMadame que Louis XIII ne vouloit pas reconnoistre. Gaston s'impatienta et menaa hors de saison. On l'avoit sŽparŽ de ses alliŽs et cependant on s'estoitmis hors d'estat de le craindre. On ne le mesnagea donc plus, et on s'en prit ˆ son favori dont la prospŽritŽ en particulier comblŽe sembloit devoir rŽpondrede son maistre.
Puylaurens fut subitement arrestŽ et mis ˆ la Bastille ; et comme son esprit et son courage estoient redouttŽs, on ne l'y laissa paslongtemps. Ce fut le dernier homme distinguŽ qui passa par les Oubliettes, infernale invention de Louis XI qui en avoit fait faire dans toutes ses prisonset jusque dans presque toutes ses maisons. Pour le duc de Puylaurens, crut qui voulut que sa mort avoit estŽ naturelle.
Sa femme ds qu'il fut arrestŽ cria misŽricorde ˆ son oncle, qui sans s'Žmouvoir ny se dissimuler, l'asseura qu'elle n'y perdroit rien, eten effet trois ans aprs, la remaria au cŽlbre comte d'Harcourt frre du duc d'ElbÏuf. Elle n'avoit point d'enfans ny presque eu le temps de devenir grossede son premier mari.
Du second elle eut le comte d'Armagnac etc., et toute cette nombreuse branche de la Maison de Lorraine est sortie de ce mariage. Ainsys'esteignit le DuchŽ-Pairie d'Aiguillon, presqu'aussytost que rŽŽrigŽ.
(f)
Titre
d'Espernon [tome V. page 303 sqq]
... La Reine Mre qui avoit produit, ŽlevŽ, introduit le cardinal de Richelieu dans les affaires, bientost aprs ne put plus lesouffrir. Aprs bien des ruptures, des rŽconciliations et de vaines tentatives contre luy, elle l'attaqua enfin si vivement auprs du Roy, secondŽe d'uneformidable cabale, qu'elle ne doutta point de sa perte. Les chefs principaux de cette cabale y comptrent tellement, qu'ils agitrent entre eux ce qu'on feroitde cet homme toujours ˆ craindre quoyque perdu, par la force de son grand gŽnie, et embarassant encore par sa pourpre. Les uns opinrent ˆ se contenterde l'exil, comme le garde des sceaux Marillac, d'autres ˆ luy couper la teste, comme le mareschal son frre, d'autres ˆ une prison perpŽtuelle comme lemareschal de Bassompierre, d'autres ˆ le tenir toujours hors du Royaume.
Tout paroissoit si certain le 29 novembre 1631, qu'on fut persuadŽ que si la Reine Mre eust suivi le Roy qui alloit ce jour lˆ ˆVersailles, le cardinal estoit perdu. Mais ce sont conjectures d'escrivains qui ajustent les choses au vraysemblable o d'autres ont sceu et transmis lavŽritŽ. L'ordre de se retirer ˆ Richelieu devoit estre portŽ au cardinal au moment du dŽpart du Roy pour Versailles. Il l'attendoit si bien que, tous sesballots faits et son carrosse attellŽ, il estoit enfermŽ chŽs luy seul avec le cardinal de la Valette qui ne l'abandonna point, et avec deffenses expresses delaisser entrer qui que ce fust, et dans un abattement inconcevable.
La Reine Mre logeoit au Luxembourg qu'elle avoit basti, et le Roy pour estre plus prs d'elle s'estoit mis ˆ l'hostel des Ambassadeursextraordinaires dans la rue Tournon. Ce mesme jour 29 novembre 1631, le Roy sur le point de l'exŽcution, mais inquiet d'un si grand parti ˆ prendre, s'enfermadans son cabinet seul avec M. le Premier, qui fut depuis le duc de Saint-Simon, et dŽfendit que pour quoy que ce pust estre personne n'en approchast. Lˆ, ilouvrit son cÏur ˆ son favori avec d'autant plus d'Žpanchement qu'il savoit bien qu'il n'avoit autre dŽpendance ny attachement qu'ˆ sa personne, vivantŽgalement bien avec tous les partis, et sans liaison particulire avec aucun.
L'entretien fut long, entier, plein. Le premier escuyer, quoyque bien jeune, connoissoit les besoins de l'Estat et la capacitŽ dupremier ministre ŽprouvŽe par ses services et ses succs contre le parti huguenot, ˆ l'abbaissement de M. de Savoye, au restablissement de M. deMantoue, aux alliances d'Allemagne, ˆ l'autoritŽ acquise ˆ Rome, ˆ la rŽputation du dehors, ˆ la crainte du dedans o le bon ordre commenoit ˆ serestablir et les plus puissants ˆ n'oser plus se flatter d'impunitŽ ˆ leurs dangereuses menŽes auparavent suivies trs ordinairement de rŽcompenses pourles gaigner et les dŽsunir. Il sentoit bien que la premire et principale cause de toutes ces grandes choses rŽsidoit dans la personne du Roy, mais il n'enestoit pas moins persuadŽ de la nŽcessitŽ d'un ministre sous luy et de ce gŽnie pour l'exŽcution de ses projets et de ses volontŽs, et pour le soulager de beaucoupde choses ; et qu'il n'estoit pas possible que ce ministre, quel qu'il fust, n'encourust toute la haine de l'affoiblissement et de la cheutte despartis, qui ne pouvoient subsister avec leurs cabales qu'aux despends du Roy et du Royaume. Il considŽroit l'esprit altier, lŽger, incapable de la Reine Mre,combien Monsieur se monstroit dŽjˆ remuant, et combien il estoit dangereux tant que le Roy n'auroit point d'enfans, et que sa santŽ plus affermie n'enaugmenteroit pas l'espŽrance.
Toutes ces choses jointes ˆ la difficultŽ d'un autre choix qui eust une consistance stable et se pust conserver la mesme rŽputation, et enattendant l'estat incertain des affaires, se prŽsentrent ˆ l'esprit du premier escuyer. Il crut aussy les devoir reprŽsenter au Roy et il le fit avec tant desuccs, que le Roy l'en remercia, et prit son parti si ferme en faveur du cardinal de Richelieu que rien ne le put Žbranler depuis, quoyqu'il ne l'aitpas toujours cru et qu'il se soit souvent trouvŽ dans d'estranges inquiŽtudes.
La rŽsolution bien pesŽe, bien prise et reprise, il fut question de l'exŽcuter. Le premier escuyer sortit du cabinet du Roy et appellaun de ses gentilshommes. C'estoit le pre du mareschal de Tourville, qu'il donna depuis ˆ M. le Prince comme un homme de confience, qui luy en demandoitun pour mettre auprs de M. son fils lorsqu'il espousa mademoiselle de BrŽzŽ. Il dit ˆ l'oreille ˆ Tourville d'aller de ce pas chŽs le cardinal de Richelieu,de percer jusqu'ˆ luy quelque enfermŽ qu'il pust estre, et de luy dire qu'il luy mandoit de s'en venir tout aussytost ˆ Versailles, qu'il luy rŽpondoitqu'il y seroit bien receu ; et ajousta ˆ Tourville de ne pas oublier de luy dire qu'il estoit sorti exprŽs du cabinet du Roy, o il estoit seul avecluy depuis plus de deux heures, pour luy donner cet ordre et qu'il y estoit rentrŽ aussytost.
Tourville l'exŽcuta fort bien et fut embrassŽ plus d'une fois. Toutes les portes estoient tombŽes devant luy au nom du favori ˆ qui ilrapporta que le cardinal Žperdu, et seul renfermŽ avec le cardinal de la Valette, tout estant emballŽ et attelŽ chŽs luy, alloit enfin monter en carosselorsqu'il arriva, en ayant dŽjˆ estŽ empeschŽ plus d'une fois par l'autre cardinal son amy, et sans attendre d'ordre davantage, s'en alloit ˆ Richelieu.
Ds le lendemain on vit des fruits de l'arrivŽe ˆ Versailles de ce soir lˆ. Les sceaux furent ostŽs ˆ Marillac, et le mareschal son frrearrestŽ. Le cardinal n'ignoroit aucune des opinions prises contre luy, ny par qui, et fut exact ˆ tous au tallion. Mais il ne se picqua pas dereconnoissance. Le pre et les deux frres du cardinal de la Valette n'en furent pas moins maltraittŽs ; le premier escuyer ˆ la fin ŽloignŽ en songouvernement ; le dernier duc de Montmorency poussŽ ˆ bout pour l'amirautŽ, malgrŽ le signalŽ service rendu ˆ Lyon, et jettŽ aprs dans larŽvolte, eut le col coupŽ. Il y en a une infinitŽ d'autres exemples, tels que la Reine Mre et M. de la Vieuville le surintendant des finances qui le fitentrer dans le conseil, et qu'il perdit six mois aprs...
(g) Titres de Bellegarde et d'Halluyn Schomberg [tome VI, pages 29 et 38]
Titre
Bellegarde p 29-31
Pendant les premires annŽes de cette disgr‰ce [de M. de Bellegarde], il attira une leon de Louis XIII et devant le monde, ˆ son favoriM. de Saint-Simon, qui estoit dŽjˆ premier escuyer et premier gentilhomme de la chambre du Roy, capitaine des cent hommes d'armes des ordonnances, conseillerd'Estat, gouverneur de Blaye, Saint-Germain et Versailles, et grand louvetier de France, peut estre mesme chevalier du Saint-Esprit, car il le fut ˆ laPentecoste 1635. Toutes ces qualitŽs sont nŽcessaires ˆ marquer par rapport ˆ ce qui va suivre.
Il estoit ami de M. de Bellegarde, il luy Žcrivoit assŽs souvent, et l'exilŽ s'accommodoit de tout d'un favori qui vouloit bien sesouvenir de luy. Un jour que M. de Saint-Simon n'avoit pas eu le temps de luy escrire, par ses emplois et par sa faveur qui l'obligeoit ˆ une grandeassiduitŽ, il se mit ˆ faire sa lettre dans un coin de l'antichambre du Roy en attendant qu'il sortist pour la chasse. Le Roy sortit plus tost qu'on necroyoit, et prit le favori sur le fait, qui cacha son papier comme il put. Mais le Roy qui s'en aperut dans le moment voulut savoir ce que c'estoit, et del'aveu de la lettre passa ˆ la curiositŽ de la vouloir lire. Au premier mot, le Roy prit un air sŽvre et luy demanda si c'estoit en effet au duc de Bellegardequ'il Žcrivoit, puis ajousta qu'il avoit peine ˆ le croire.
M. de Saint-Simon s'excusa sur l'amitiŽ et qu'il ne croyoit pas devoir rompre commerce ˆ cause de la disgr‰ce. Ç Non, dit le Roy, ce n'estpas cela aussy que je trouve mauvais, et je vous en loue ; mais je trouve estrange ou que vous abusiŽs de sa disgr‰ce, ou que vous ne sachiŽs pas encorecomment on doit escrire ˆ un duc et pair, quelque familier que l'on soit avec luy, quand on n'est pas officier de la Couronne È. Et dŽchirant la lettre :Ç TenŽs, lui dit il, ce n'est pas qu'il y ait rien de mal dedans, mais pour vous apprendre ˆ escrire Monseigneur ˆ qui vous le devŽs, et non pas Monsieur, et que cela ne vous arrive de vostre vie.È
Qui fut bien estourdi, ce fut le favori, qui n'eut pas un mot ˆ rŽpondre, et l'assistance bien estonnŽe d'une si seiche rŽprimande devanttant de gens. Le Roy aparamment songea, en gaignant son carrosse, qu'il avoit trop mortifiŽ son favori ; et prest il y monter, se tourna ˆ luy, et commerŽpondant ˆ sa pensŽe sur ce qui se venoit de passer : Ç Est ce, luy dit il, que vous n'aspirŽs pas ˆ devenir duc et pair, et que vous n'espŽrŽs pas queje vous le fasse ? È En effet, il le fit en janvier 1635...
Titre
d'Halluyn Schomberg p 38
M. de Schomberg se remaria, 24 septembre 1646, ˆ la dame d'atours de la Reine. C'estoit Mme d'Hautefort, la cŽlbre maistresse de LouisXIII, qui l'eust pu estre de mesme de saint Louis avec lequel ce petit fils avoit une aussy parfaitte ressemblance en chastetŽ et en justice qu'en valeur,en grandeur de courage, en sagesse et en piŽtŽ.
Un trait sceu de la bouche du mesme duc de Saint Simon citŽ au prŽcŽdent article en chose sceue aussy de luy mesme, fera sentir toute laforce de cette vŽritŽ. Ce sera un peu aux dŽpends du favory, mais il estoit alors bien jeune et bien galant, et on ne fera qu'imiter la droiture etl'estendue de sa juste reconnoissance en le sacrifiant ˆ son bienfaicteur. Il luy parloit sans cesse de Mlle d'Hautefort, et ne parloit qu'ˆ elle chŽs laReine dont elle estoit fille d'honneur, et ˆ qui chacun faisoit sa cour.
Un jour enfin, M. de Saint Simon lassŽ de voir et d'entendre toujours les mesmes choses sans qu'elles allassent plus loin, en tesmoigna auRoy sa surprise, et ajousta que si le compliment l'embarrassoit ˆ faire ˆ Mlle d'Hautefort qu'il l'en chargeast, et que pour un amant Roy, il en viendraitbientost ˆ bout.
A ce mot Louis XIII fronant le sourcil : Ç Ne vous avisŽs jamais, luy dit il, de me tenir un pareil langage. Je suis amoureux etje ne m'en puis dŽfendre, parce que je suis homme et sujet aux passions ; mais je dois les vaincre pour ne pas pŽcher, et avec d'autant plus de soinqu'estant Roy, j'aurois plus de facilitŽ ˆ les satisfaire, et que je dois plus d'exemple. È
Quel oracle, mais quelle fidle pratique de toute sa vie ! C'est ce Roy qui taschant de prendre un billet des mains de Mlle d'Hautefortqu'elle ne vouloit pas luy monstrer, respecta l'asyle de sa gorge o elle le jetta, comptant bien qu'avec luy le billet y seroit en seuretŽ ; et voilˆl'action dont sa Cour se moqua, mais que les Romains auroient immortalisŽe, et que les saints canonisent.
(h)
Titre de Chaulnes [tome VI, page 51].
...Mais voicy la fin de ce seigneur. Le Roy s'estoit engagŽ ˆ Monsieur, au mariage de M. le duc de Chartres, de luy donner le premier grandgouvernement de province qui viendroit ˆ vacquer. Presque tous estoient en survivance, ou entre des mains d'aage ˆ les garder bien longtemps. Celuy deBretagne estoit un des plus beaux et le seul qui, par l'aage du gouverneur sans enfans, donnoit une espŽrance raisonnable. Le Roy eut un autre dessein etl'exŽcuta.
Il aimoit M. et Mme de Chevreuse de tout temps, qui estoit fort mal dans ses affaires ; il estoit importunŽ de l'amirautŽ deBretagne, qui avoit valu des trŽsors pendant toute la guerre, en d'autres mains que de M. le comte de Tolose, amiral de France. Il fit proposer tout d'un coupˆ M. de Chaulnes, mais proposer de faon ˆ n'estre pas Žconduit, de troquer de gouvernements, et en mesme temps pour paroistre luy faire un bon traittement,la survivance de celuy de Guyenne pour le duc de Chevreuse.
Il fallut obŽir et puis en mourir. M. de Chaulnes, accoustumŽ de toute sa vie ˆ la Bretagne et adorŽ des Bretons, tomboit sans euxen une terre estrangre et dans un vuide de considŽration, d'affaires et de commandement qu'il ne put supporter. Il n'en cacha point sa douleur, ny laBretagne la sienne.
On luy proposa d'aller en Guyenne avec tout pouvoir ; il protesta qu'il ne voulait jamais ouir parler de Guyenne, et jetta tout sondŽpit sur M. et Mme de Chevreuse dont il crut que c'estoit l'ouvrage ; et il ne voyoit pas que par lˆ le Roy combloit M. le comte de Tolose et se tiroitde l'embarras prochain de son engagement avec Monsieur qui Žclatta de son costŽ autant qu'il en estoit capable, qui ne voulut pas voir M. le comte de Tolosequand il alla chez luy, et qui dŽclama sur l'aveuglement de mettre la Bretagne entre les mains de 1'amiral.
On le laissa dire, et quelques jours aprs il fut appaisŽ avec un peu d'argent pour acommoder quelque chose de nouveau ˆ Saint-Cloud.Pour M. et Mme de Chaulnes ils ne le pardonnrent point ˆ M. et Mme de Chevreuse, quoy qu'ils pussent dire et protester. Ils ne firent plus quelanguir et moururent, M. de Chaulnes six mois aprs ˆ Paris, 4 septembre 1698, ˆ 74 ans sans postŽritŽ, et Mme de Chaulnes comme il a estŽ dit, quatre moisaprs luy, de douleur qui ne luy permit pas de le survivre.
Ainsy fut esteint le duchŽ pairie de Chaulnes.
(i)
Titre de Roannois Gouffier [tome VII, page 202-4]
Pour commencer par le sacre de Louis XIV, il faut expliquer quels estoicnt les Ducs existants lors, ceux qui furent choisis pour yreprŽsenter les anciens pairs, et les raisons venues jusqu'ˆ nous de la prŽfŽrence.
Monsieur
frre du Roy servit de duc de Bourgogne. M. de Vendosme, de duc de Normandie. M.d'ElbÏuf, de duc de Guyenne. M. de Candale, de comte de Tolose. M. de Roannois, de comte de Flandres. M. de Bournonville, de comte de Champagne.
Le
mareschal d'EstrŽes servit de Connestable, comme doyen des mareschaux de France.
M.
SŽguier, chancelier.
Le
mareschal de Villeroy servit de grand maistre.
Le
duc de Joyeuse, grand chambellan.
Le
cardinal Grimaldi servit de grand aumosnier.
Le
comte de Vivonne, premier gentilhomme de la Chambre.
Sang royal.
Pairs et ducs existants lors de ce sacre, 1654.
Monsieur
frre du Roy. Monsieur oncle du Roy. MM. les princes de CondŽ, Duc d'Anguyen, Prince deConti. Ducs de Guise; Uzs; Joyeuse; Espernon; Luxembourg; ElbÏuf; Retz, beau pre; Ventadour; Montbazon; Vendosme; Beaufort; la TrŽmoille; Sully; Luynes; Lesdiguires;Brissac; Schomberg; Chaulnes; Richelieu; Candale; Retz, gendre; Saint-Simon; la Rochefoucauld; la Force; Aiguillon Monaco; Rohan, Ch.; 28. Bouillon.
Ducs vŽrifiŽs :
Longueville,
Nemours,
Roannois, Pont de Vaux, 5. Brancas.
Et
puisque M. de Bournonville a reprŽsentŽ un des six anciens Pairs en ce sacre, il faut donnerceux qui estoient lors ducs non vŽrifiŽs, dits ˆ brevet : Le mareschal de la Mothe, M. de Damville, Le mareschal de Villeroy, M. de Verneuil, M. deCrŽquy, Le mareschal d'EstrŽes, Le mareschal de Gramont, M. de Tresmes, M. de Mortemart [ces sept furent faits, enregistrŽs et receus ducs et pairs en lit dejustice, dŽcembre 1663]
Le
chancelier SŽguier, M. de Noirmoustier, M. de Vitry, MM. de la Vieuville pre et fils, MM.de Navailles pre et fils, M. d'Arpajon, M. de Bournonville, Le mareschal de l'Hospital, M. de Roquelaure pre, M. d'Orval.
Il faut se rappeler la situation de la Cour d'alors et des troubles qui avoient causŽ la guerre civile, et le combat que M. le Princeavoit donnŽ contre les troupes du Roy et sous ses yeux ˆ la porte et dans le fauxbourg Saint-Antoine le 2 juillet 1652, d'o il se retira peu aprs enFlandres, ne se trouvant pas assŽs fort, depuis que Monsieur Gaston eut fait son acommodement qui rendit le cardinal Mazzarin le maistre, aprs lequelGaston demeura confinŽ le reste de ses jours ˆ Blois, sans aucune sorte de considŽration...
(j)
Titre de MaillŽ,
dit Luynes [T. VIII, page 299-302]
...L'union extrme et en tous les temps si sagement entretenue dans la famille de Mr Colbert a estŽ un exemple trs rare ˆ la Couret des plus singuliers pour toutes les familles, mais s'il faut ainsy s'exprimer, l'Žlixir de cette union se trouvoit en celle des ducs de Chevreuseet de Beauvillier et en celle des deux sÏurs leurs Žpouses. Ces quatre personnes lˆ vescurent toute leur vie ensemble et n'eurent jamais qu'un cÏur etqu'une ‰me, presque jamais que les mesmes sentiments et les mesmes amis.
Le vol rapide et si distinguŽ que Mr de Beauvillier prit sur tous ses Žgaux et sur son beau frre, n'altŽra cette union en rien, et Mr deChevreuse regardoit comme siens et avec plus de complaisance encore, tous les avantages de son beau frre en qui cela mesme produisoit un retour infini. Ilfut tel qu'il rŽsolut de l'associer ˆ sa charge de gouverneur des Enfans de France, et que sans luy en faire rien apercevoir, il en fit la proposition auRoy, comme d'un grand avantage pour leur Žducation et d'un extrme soulagement pour luy mesme. C'estoit bien faire l'Žloge de tous les deux.
Le Roy y pensa et y consentit ensuitte, et rŽsolut avec le duc de Beauvillier, au sortir de son lever, de le dŽclarer dans la journŽe. Mrde Beauvillier, seur de son fait ˆ ce qu'il eut tout lieu de croire avec une rŽponse si positive d'un prince aussy peu sujet ˆ un changement subit, ne crutrien hazarder en rŽpandant sa joye dans le sein de son beau frre et de sa belle sÏur. Mais quelle surprise ! pas un mot de toute la journŽe !Le lendemain matin, le duc de Beauvillier fait souvenir le Roy de ce qu'il luy avoit dit la veille et ne le met pas en question, et reoit pour rŽponse qu'ila changŽ d'avis, et que, rŽflection faitte, deux hommes Žgaux en cet employ feroient un embarras ˆ tout ce qui en dŽpendoit et aux Princes mesmes, etaccablant le duc de marques d'estime, d'amitiŽ et de confiance, il lui tesmoigna qu'il luy feroit plaisir de n'y plus penser.
Jamais mortification ne fut pareille, non pas mesme celles qu'il Žprouva pour soy mesme quelques annŽes aprs. Mr de Chevreuse eut lapeine de le consoler et n'eut pas besoin de l'estre. Cette anecdotte a estŽ sceue d'un bien petit nombre de gens, en voicy une autre qui n'a pas estŽ moinssecrette.
C'est
que le duc de Chevreuse estoit ministre d'Estat sans avoir jamais paru l'estre. A force decommerce intime, malgrŽ la disproportion d'aage, le duc de Saint Simon s'en apperceut enfin, il le dit ˆ Mr de Beauvillier qui le lui avoua et luy contaensuitte comment cela se faisoit. Il en parla aprs au duc de Chevreuse qui rougit de surprise et qui se mocqua, mais qui avoua aussy quand il sceut cequ'avoit dit son beau frre. L'Žpoque, je ne la dirai pas, mais elle ne peut gure estre que vers 1692 ou 1693, au plus tard. La manire dont celas'establit, je l'ignore de mesme. Les secrets, mesme avouŽs, se sentent toujours de ce qu'ils sont avec des gens aussy rŽservŽs. Mais selon touteapparence, Mr de Beauvillier ne fut que moyen et vŽhicule, et la pensŽe en vint du Roy. Pour le reste, voicy comment il se passoit.
Mr de Beauvillier qui fut fait ministre d'Estat ˆ la mort de Mr de Louvois, c'est ˆ dire au commencement de l'estŽ de 1692, avoit ordre duRoy de communiquer ˆ Mr de Chevreuse tout ce qui se traittoit au Conseil. Mr de Pomponne, leur ami intime, et qui estoit rentrŽ au Conseil en mesme temps queMr de Beauvillier y avoit estŽ appellŽ, eut aussy le mesme ordre quelque temps aprs affin que tous trois pussent raisonner ensemble. Enfin Mr de Croissy,oncle de leurs femmes, et qui avoit les affaires estrangres, eut ordre aussi de luy communiquer les dŽpesches.
Quelquefois, l'un d'eux rendoit compte au Roy, en entrant ou en sortant du Conseil, des avis de Mr de Chevreuse, mais trs souvent, c'est ˆdire quatre ou cinq fois la semaine, Mr de Chevreuse le disoit luy mesme, tantost ˆ une heure, tantost ˆ une autre, dans le cabinet du Roy, et celaduroit souvent longtemps ; quelquefois, pour choses courtes ou pressŽes, au souper du Roy, ˆ l'oreille. On ne comprenoit point ˆ la Cour le sujet de cesconversations si continuelles. Ny affaires domestiques, ny celles des chevaux lŽgers n'y pouvoient suffire. On estoit tentŽ de croire qu'il se faisoit defeste, et bientost on estoit dŽmontŽ par voir Mr de Chevreuse appellŽ, puis rappellŽ par le Roy, et d'autrefois attaquŽ tout bas de conversations ausouper, et ˆ diverses reprises. Il falloit la longanimitŽ incomparable de Mr de Chevreuse pour s'accomoder d'un pareil incognito bon tout au plus pour unchausse pied et insuportable ˆ la longue.
Mais le Roy qui au dessus de tout, encore plus par sa conduitte que par sa souverainetŽ, ne laissoit pas d'avoir ses mesnagements etses craintes, il tiroit ainsy les lumires qu'il dŽsiroit de Mr de Chevreuse, et ne le mettant point dans le Conseil, il prŽvenoit toutes autres dŽmarchespour y entrer et la jalousie de ceux qui y estoient, ou qui, comme secrŽtaires d'Estat, pŽtilloient et se flattoient d'y entrer. Et Mr de Chevreuse,indiffŽrent sur l'extŽrieur de la place qu'il occupoit intŽrieurement et en effet, et ˆ tout ce que cet extŽrieur attire, estoit peut estre le seul hommede France capable d'une pareille indiffŽrence...
(k)
Titres
de
Guise et d'ElbÏuf [T. V, p 47, et T. VIII, p 68 et 72]
Titre
de Guise, p 47
C'est ce mesme duc de Lorraine qui se prŽvalant de la triste foiblesse de Monsieur, dont il avoit l'honneur d'estre gendre, pour lechevalier de Lorraine et de la complaisance du feu Roy pour son frre, entreprit d'estre icy incognito, exceptŽ l'instant de sa foy et hommage de Bar,et se prenant au rang dŽcidŽ de Madame sa femme de petitte fille de France et qui n'estoit pas incognito, Žvita les princes du sang et osa vouloir prŽcŽderMonsieur son beau frre, petit fils de France, dans le carrosse de Monsieur qui l'eust laissŽ faire si M. son fils ne l'eust pris de faon ˆ ne luy pluspermettre de l'hazarder ; luy dont le pre, mari d'une Reine sÏur de l'Empereur rŽgnant et ˆ la teste de ses armŽes en Hongrie, y a toujoursnettement et constamment cŽdŽ en tout et partout ˆ Messieurs les princes de Conti qui y estoient allŽs, et sans l'aveu du feu Roy, servir devolontaires ; luy dont les grand oncle et grand pre, ducs de Lorraine, ont estŽ si souvent et si longtemps ˆ Paris sans nul incognito, avec les Žgardsqui leur estoient deus, mais sans ŽgalitŽ avec les princes du sang, ny supŽrioritŽ d'aucune sorte avec les ducs ; luy, qui abusant de la facilitŽde M. son beau frre dans sa rŽgence, y a redoublŽ un incognito que son fils vient de renforcer, et obtint de luy l'Altesse Royale jusqu'ˆ laquelle legendre d'Henri II n'osa lever les yeux, et dont les pres connestables et grands chambellans de France tout ducs de Lorraine qu'ils estoient, setrouvoient encore trop proches pour en estre oubliŽs ; luy enfin, sans vouloir convenir de cette vŽritŽ de droit et de fait redoublŽ souvent etmodernement que la Lorraine passe aux filles en excluant les masles plus ŽloignŽs, s'est arrogŽ de faire chez luy une loy salique. Mais si chez soy onfait ce qu'on veut, de telles lois et si nouvelles n'ont aprs de considŽration que celle des conjonctures et des temps...
Titre
d'ElbÏuf, T. VIII, 68-74
Philippe, ou le Chevalier de Lorraine, qui ne fut jamais chevalier que de nom mais qui d'effet fut abbŽ de Saint-Benoist sur Loire, deSaint-Pre de Chartres et de la TrinitŽ de Tiron, toutes trois de la nomination de Monsieur, comena ˆ servir en Italie au sige de Turin, 1658. Il fut enHongrie avec le secours que le Roy envoya ˆ l'Empereur sous Messieurs de Coligny et de la Feuillade o il se distingua en 1664 ˆ la bataille de RaabgaignŽe contre les Turcs o ce secours eut tant de part, et deux ans aprs sur la flotte d'Hollande au combat qu'elle donna ˆ celle d'Angleterre.
Sa figure estoit charmante. Elle ne luy fut pas inutile auprs de Monsieur qu'il gouverna despotiquement toute sa vie. Cela dŽpluthorriblement ˆ Madame Henriette d'Angletterre qui estant extresmement bien avec le Roy le fit chasser, et les mŽdisans dirent qu'il luy en cousta la vie. LeChevalier de Lorraine avoit d'abord estŽ conduit ˆ Pierre Encise, mais Monsieur fit tant de bruit que Madame eut peur et luy fit permettre d'aller en Provenceet presque aussy tost aprs en Italie. Il fut arrestŽ le 10 janvier 1670 et Madame mourut, comme chacun l'a sceu, le 30 juin de la mesme annŽe.
Le Chevalier de Lorraine s'estoit avant sa disgr‰ce trouvŽ ˆ plusieurs siges en Flandres. Le Roy mŽditant ses conquestes d'Hollande voulutfaire cesser le mŽcontentement de Monsieur et permit au Chevalier de Lorraine de revenir en France, puis de le suivre. Il se trouva donc aux expŽditions de1672, au sige de Maestricht, 1675, et ˆ ceux de Besanon et de Saint-Omer, 1664, et sous Monsieur ˆ la bataille de Montcassel que ce Prince gaigna en 1677et ˆ la prise de Saint-Omer par le mesme ; aprs quoy on se garda bien de plus laisser Monsieur ˆ la teste d'aucune armŽe. Son favory fut lieutenantgŽnŽral et ne servit plus.
Il fut toute sa vie Žgalement bien avec Monsieur qui le logeoit au Palais Royal, luy donnoit infiniment et ne voyoit que par ses yeux.Ce mal nŽcessaire accoustuma le Roy au Chevalier de Lorraine bien servi par son frre et par le mareschal de Villeroy, tellement que le Roy vint enfin ˆ sepersuader qu'il en avoit besoin pour tenir son frre souple ˆ ses volontŽs et le mesnagea sur ce pied lˆ toute sa vie de la faon la plus marquŽe dont saMaison profita, outre le gros argent de la main ˆ la main et d'autres dons qu'il tira du Roy.
Le mariage de Mr. le duc de Chartres le fit payer d'avance. Le Roy l'avoit fort dans la teste, mais il ne savoit comment en faire laproposition, beaucoup moins comment venir ˆ bout de Monsieur au point de forcer Madame qu'on ne pouvoit se flatter d'y amener. C'estoit une Allemande haute,droitte, franche, ŽlevŽe dans le culte de la puretŽ des quartiers et dans l'horreur de toute bastardise, combien plus des fruits d'un double adultre, etdans la premire nouveautŽ de leur voir espouser des Princes du Sang si infŽrieurs ˆ Mr. de Chartres.
Le Roy s'ouvrit au Chevalier de Lorraine qui fit son marchŽ qu'ˆ la premire promotion de l'Ordre du Saint-Esprit qui ne pouvoit tarderparce qu'il n'y avoit presque plus de chevaliers, la Maison de Lorraine y seroit comprise avec la prŽsŽance sur tous. Moyennant cela, il rŽpondit dumariage sur sa teste. Le Roy y prit confience entire et luy accorda ce qu'il voulut. En 1661, ils avoient prŽcŽdŽ les Ducs par le crŽdit de la Reine Mrequi allŽgua l'exemple de 1619 et qui en donna la mesme excuse. C'estoit que Louis XIII et Louis XIV, ˆ leur sacre, avoient jurŽ les Statuts de l'Ordre nonsur l'original premier qui donnoit aux Ducs la prŽsŽance sur les Princes issus de Maison souveraine, mais sur les derniers qui la donnoient ˆ ceux cy mesmenon Ducs sur les Ducs non Princes de Maison souveraine. On a veu ce trait de la puissance de la Ligue, titre de Guise, tome V, page 89, et ˆ combien dereprises, ˆ mesure qu'elle augmentoit, MM. de Guise changrent les premiers Statuts. Toutesfois le Roy estoit peinŽ et ce fut ce qui retarda la promotionjusqu'ˆ l'indŽcence...
Revenons
maintenant
ˆ la promotion. Autre embarras pour le Roy. Il vouloit faire le ducde Vendosme. Il vouloit qu'il prŽcŽdast les Lorrains, et dans ce goust d'Žlever les bastards si loin toutesfois encore de celuy auquel il cŽda depuis, il nepouvoit ne le pas vouloir. Sa parole pourtant estoit engagŽe au Chevalier de Lorraine pour toute prŽsŽance. Il s'en tira comme avec les Ducs. Les Statutsqu'il avoit jurŽs ˆ son sacre portoient prŽsŽance des Ducs Princes sur les Princes non Ducs. Mais il restoit de faire Mr. d'ElbÏuf ancien de Mr. deVendosme ou de ne point faire ce dernier. Mais le Roy ne put s'y rŽsoudre. La feste estoit pour les bastards.
Il envoya Mr. de Louvois, chancelier de l'Ordre, dire de sa part ˆ Mr le Grand chez luy, la veille de la promotion, qu'il ne pouvoit sedispenser d'y comprendre Mr de Vendosme, qu'au mesme titre des Statuts qui le ferait prŽcŽder les Ducs, il devait l'estre par Mr. de Vendosme, que ledŽdomagement contre les Ducs estoit infini ; mais que pour luy marquer son amitiŽ encore davantage et le consoler d'estre prŽcŽdŽ par Mr. de Vendosme, ilcomprendroit dans la promotion luy, Mr. le Grand, son fils aisnŽ et ses deux frres. Ils furent si aises avec trop de raison d'estre quatre ˆ prŽcŽder lesDucs et si contens d'une distinction aussy grande que celle du message d'un ministre du poids dont estoit Mr. de Louvois et qui estoit enragŽ pour songendre sur le pre duquel tomboit aussy la prŽsŽance sur les Ducs, qu'ils receurent bien la chose et que le Chevalier de Lorraine n'osa souffler et nepas accomplir l'engagement qu'il avoit pris dont l'extresme difficultŽ ne devint que trop publique par les larmes publiques et les propos publics deMadame lors de l'exŽcution et par le soufflet qu'elle appliqua ˆ son fils en pleine galerie, allant luy baiser la main devant toute la Cour, de rage de cequ'il avoit consenti, pris entre le Roy et Monsieur.
Le titre suivant en fournira encore d'autres sur cette mesme promotion. Ce fut au Chevalier de Lorraine que Mr. de Lorraine, gendre deMonsieur, venu peu aprs la restitution de son estat et son mariage faire sa foy et hommage ˆ Louis XIV, fut redevable de l'estrange et surprenant incognitoet des autres choses qu'il usurpa icy, comme on le voit, tome V, page 47, titre de Guise. On dit : au Chevalier de Lorraine, parce qu'outre [que] ce fut luy qui fit obtenir tout par Monsieur, ilfallut encore luy suggŽrer quelque raison approchante de quelque plausible pour un incognito si nouveau et si injurieux surtout aux Princes du Sang. Ce futcelle des bastards esloignŽs encore de ce comble o ils furent depuis portŽs mais [qui] ds lors jouissoient depuis longtemps par usage de tout l'extŽrieurdes Princes du Sang.
Le Chevalier de Lorraine sceut habilement profiter de la foiblesse du Roy sur ce point. Il lui fit reprŽsenter par Monsieur que Mr. deLorraine ne faisoit pas plus de difficultŽ qu'avoient fait ses pres de cŽder partout nettement aux Princes du Sang, mais que pour les Princes, ses filslŽgitimŽs, qu'il luy seroit dur d'avoir pour eux une dŽfŽrence si marquŽe, qu'ayant tout l'extŽrieur des Princes du Sang, il ne s'y pouvoit mettre lamoindre diffŽrence qu'aux despends de Mr. de Lorraine ou des bastards ; et dans cet embarras proposa et fit passer l'incognito.
Et puis ce mesme duc de Lorraine que Monsieur avoit dit au Roy ne faire pas la moindre difficultŽ de cŽder partout aux Princes du Sang,osa disputer ˆ Mr. le duc de Chartres, petit fils de France, sous les yeux de Monsieur et dans son carrosse : et Monsieur, d'ailleurs si jaloux du rangde son fils si supŽrieur et si distinguŽ de celuy des Princes du Sang, le laissoit faire et l'appuyoit de son silence, n'osant mieux, en sorte que Mr. deLorraine l'eust emportŽ sans la fermetŽ de Mr. le duc de Chartres qui fut telle qu'il n'osa plus s'Žgaler et se contint ds lors et depuis ˆ son Žgard dans ladŽfŽrence continuelle et le respect qu'il luy devoit.
Le Chevalier de Lorraine, comme on l'a dit cy devant, passoit pour avoir espousŽ Mademoiselle de Lislebonne, quoyqu'avec forceabbayes de la nomination de Monsieur. Luy et elle estoient les deux testes de leur Maison et des testes dignes des Guises. Il vescut toute sa vie dans unetrs grande considŽration, menant une vie qui en mŽritoit peu et plus avec des complaisans du Palais Royal qu'avec bonne compagnie. De la chasse, de latyrannie, de la basse dŽbauche, de l'argent ˆ toutes mains qu'il dŽpensoit aussy trs librement.
A la mort de Monsieur, il conserva le plus beau logement du Palais Royal, mais il remercia Mr. le duc d'OrlŽans de la grosse pension qu'ilavoit de Monsieur et que Mr. le duc d'OrlŽans luy voulut continuer, ˆ laquelle le Roy supplŽa. Sa vie depuis tomba dans l'obscuritŽ et il mourut subitement,jouant ˆ l'hombre chŽs luy, au Palais Royal, 8 dŽcembre 1702, ˆ prs de soixante ans, dix huit mois aprs Monsieur. Il avoit conservŽ une belle figure,noble, haute, mesme insolente, si cela se pouvoit dire d'un homme de sa naissance. Il avoit suivi la Cour aux siges de Mons et de Namur en 1691 et1692, et Monsieur en 1695 sur les costes de Normandie ou de Bretagne o le Roy l'envoya sur la menace des descentes des puissances maritimes, mais dans ces siges et ˆla suitte de Monsieur sur les costes, uniquement comme courtisan...
(l)
Titre de Noirmoustier [Royan, tome VII, pages 367 et 383]
367
Elle
[Maintenon] pressoit donc le dŽpart [de Mme des Ursins], et l'autre en tira avantage. Ce furentencore des manges infinis, mais elle capitula une rŽparation Žclattante et un avenir certain, et elle obtint tout ce qu'elle demanda qui fut ce qu'ellen'auroit osŽ imaginer dans un aucun autre temps de sa vie. Un DuchŽ vŽrifiŽ pour Mr. de Noirmoustier son frre, mariŽ fort inŽgalement, qui en avoit estŽfort brouillŽ avec elle, qui estoit aveugle depuis quarante ans et qui n'avoit pas songŽ ˆ la Cour de tout ce long espace d'annŽes. Le Cardinalat pour l'abbŽ,son autre frre, qu'elle avoit voulu perdre et fait pourchasser ˆ l'Inquisition, mais qui servirent l'un et l'autre ˆ sa grandeur et ˆ sontriomphe. Mr. Amelot pour ambassadeur, mais entirement subordonnŽ ˆ elle. Rentrer dans toutes les affaires d'Estat sans luy rien cacher, et trouver toutesles dispositions qu'elle feroit en Espagne bonnes, et qu'on n'y enverrait personne de principal ou de confience sans que ce fust de concert avec elle etqu'il ne se conduisist conformŽment ˆ cela, et de l'argent sur le tout.
Ainsy comblŽe d'honneurs et de gloire, elle acheva son triomphe en France pour aller rŽgner ˆ dŽcouvert et sans contradiction nyconcurrence en Espagne o en effet elle exera l'empire le plus absolu et le plus indŽpendant, et o elle fut receue avec les adorations du Roy et de laReine qui furent au devant d'elle, et qui le jour mesme la remirent en possession de sa charge et aussytost aprs du timon des affaires et de leurCour, o, ˆ visage dŽcouvert, elle fut seule toute puissante.
Nostre Cour luy tint en tout exactement parole, et Amelot, si connu par luy mesme et par le succs de ses prŽcŽdentes ambassades, fit lˆson chef d'Ïuvre, chargŽ des finances et du gros des affaires qu'il vint ˆ bout de gouverner avec une dextŽritŽ singulire sans s'Žcarter en rien de sadŽpendance de la Princesse, sans perdre ses bonnes gr‰ces, servant trs utilement et s'acquŽrant le cÏur et l'estime de tous les Espagnols o samŽmoire est encore chre et rŽvŽrŽe.
Madame des Ursins toutefois ne rŽgna pas en paix...
p 382-3... Joseph Emmanuel de la TrŽmoille Noirmoustier, Cardinal, fut longtemps petit abbŽ bossu et contrefait, fortpauvre et dŽdommagŽ de sa figure comme on le remarque ordinairement de ses pareils, par beaucoup d'esprit, de saillies, de fasceties dont l'aage et ladignitŽ ne le purent jamais deffaire. AbbŽ comme cadet sans bien et sans extŽrieur, gaillard et plaisant par nature, il fut toujours bien esloignŽ del'esprit ecclŽsiastique et de la rŽgularitŽ des mÏurs. Cela joint au peu de choix des compagnies et ˆ nulle application ˆ aucun genre d'estude l'esloignades bienfaits de son estat et ravala souvent sa naissance ˆ des personnages de bouffon.
Le grand establissement de sa sÏur [des Ursins] ˆ Rome luy ouvrit une porte o, retenu par le libertinage et l'habitude de Paris, il eutgrand'peine ˆ se rŽsoudre d'entrer et dans laquelle il entra en effet assŽs tard. A Rome, il vescut comme il avoit fait ˆ Paris, et il n'estima pas avoirplus ˆ se contraindre dans un lieu o cette conduitte n'est jamais un obstacle ˆ la fortune qu'il avoit fait dans sa patrie o la licence perdoit ceux de sonmestier.
Cependant Madame des Ursins fit tant par ses amis, nos cardinaux franois, qu'on le fit auditeur de Rote, 1693, quoyqu'il ne sceustgures ny droit ny latin et qu'il ne s'instruise et ne se prononce rien dans ce tribunal qu'en cette langue. Il s'en acquitta donc comme il put et encore mieuxd'en jouir luy et ses amis qui n'estoient pas de la premire volŽe, et on vient de voir sur sa sÏur dans quelle estime il pouvoit estre, puisque malgrŽ sonaage et son employ, elle luy mit l'Inquisition aux trousses, dont ˆ la fin il eut une telle peur qu'elle le fit fuir et sŽjourner du temps ˆ Naples.
Cette belle avanture replastrŽe et luy rendu ˆ ses fonctions il ne paroist pas qu'il se fust corrigŽ, puisque ClŽment XI, Albane, fut plusde quatre mois ˆ luy refuser la pourpre, ˆ l'offrir sans difficultŽ ˆ tout autre sujet en sa place pour qui la France et l'Espagne la voudroient, et ˆs'Žcrier que c'estoit abuser de luy et dŽshonorer son Pontificat et la pourpre que de le forcer ˆ la donner ˆ un sujet si obscur de vie et de conduitte et toutesfois si publiquement et en tant de faons si dŽcriŽ...
(m)
Titres
de Ventadour et de Choiseul [T. V, p. 428, et T. VI, p. 276]
Ventadour,
V, 428
Charlotte de la Motte Houdancourt, fille de Philippe, mareschal de France, chevalier du Saint-Esprit, duc ˆ brevet, et de Charlottede Prie, gouvernante des enfans de France, sÏur des duchesses d'Aumont et de la FertŽ. Un air modeste, une grande beautŽ, beaucoup de douceur attirrent surelle beaucoup de regards et une compassion gŽnŽrale d'avoir un tel mari et fort jaloux. Aprs nombre d'Žclats, de sŽparations, de changements de demeures,d'aventures bizarres et de spectacles divers, rŽduitte fort ˆ l'estroit dans un couvent sans plus d'espŽrance, elle se prit ˆ un fer rouge et consentit ˆ estredame d'honneur de Madame avec toutes les pensions et les distinctions dont Monsieur put adoucir cette place.
Le Roy en fut si surpris quand on le fit sonder lˆ dessus par le dernier mareschal de Villeroy, ami de toute sa vie de Mme de Ventadour,qui en poursuivoit la sŽparation avec grande impatience, que le Roy demanda si sa famille y consentoit. C'estoit la premire duchesse qui avoit pris une telleplace. Elle la quitta longtemps depuis la mort de Monsieur, sous prŽtexte de santŽ et de retraitte. Elle s'estoit mise dans la dŽvotion, et bientost aprselle eut la survivance de sa mre qui en fut outrŽe. Elle n'a eu qu'une fille unique qui se trouvera aux titres d'Albret et Chasteauthierry, et deRohan-Rohan o elle a estŽ successivement mariŽe...
Polisy
dit Choiseul, VI, p. 276
Colombe le Charron, fille du sieur de Saint Ange dame d'honneur de Madame, morte d'apoplexie ˆ soixante dix-huit ans, 26 janvier1681. Seroit il permis de dire une sottise parmi des curiositŽs sŽrieuses ? Marly ramena la mŽmoire de la mareschale du Plessis. Ellen'estoit pas belle, le Mareschal vivoit fort bien avec elle, mais on prŽtendoit qu'il n'estoit pas aussy souvent son mary qu'elle l'auroit dŽsirŽ ; etcomme les dames qui vouloient aller ˆ Marly, par la coustume que Louis XIV avoit establie ne demandoient point comme faisoient les hommes, mais seprŽsentoient seulement pendant et aprs son souper celles qui n'y avoient pas pu trouver place la surveille du voyage, cela s'appelloit se prŽsenter pourMarly ; et comme il s'en falloit toujours beaucoup que toutes celles qui s'y estoient prŽsentŽes fussent menŽes, on plaisantoit quelquefois lesŽconduittes en leur disant qu'elles s'estoient prŽsentŽes comme la mareschale du Plessis...