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MƒMOIRES DE MADEMOISELLE DE MONTPENSIER, ed. ChŽruel (1858-59)
A une Žpoque o la langue reste floue et les nobles peu lettrŽs (leurs filles encore moins), sa graphie illisible et son expression trs orale dŽfient l'Žditeur : le laborieux ChŽruel mŽrite toute notre reconnaissance [1]. Un seul exemple, pris dans la correspondance de Mademoiselle : Monsieur mon cousin, Jay ete extrememant surprise daprandre quil iut quelque proposition de paix je vous avoue quelle mest fort suspecte... Il est vrai que ses contemporains Žcrivent vilintan et jay utor ! NŽanmoins, son style est aussi direct qu'elle-mme, bien loin de celui de Retz, entortillŽ comme ses intrigues. Le texte coule bien et se lit avec plaisir quand la syntaxe ne s'embrouille pas.
Couvrant soixante ans et trois rgnes (Richelieu, Mazarin, Louis XIV), ces deux mille pages autobiographiques frustrent l'historien car, ˆ la diffŽrence des mŽmorialistes, Mademoiselle n'Žcrit pas son temps mais sa vie. Elle ignore ce qui ne la concerne pas directement et porte sur les choses et les gens un regard biaisŽ par ses ressentiments. C'est un rŽcit de soi (Cousson), le seul de son Žpoque. A cause de sa grandeur, Mademoiselle se juge un objet digne de sa propre attention, jusqu'au moindre dŽtail.
Mademoiselle, souvent dupŽe, est dÕune innocence qui confine ˆ la btise. Son naturel, sa na•vetŽ, sa prolixitŽ, en font un informateur anthropologique de premier ordre : elle reflte un monde auquel nous sommes totalement Žtrangers, socialement, historiquement, culturellement. Elle nous offre un tŽmoignage brut des splendeurs et misres de la Grandeur. Petite-fille de France, elle cherche (vainement) ˆ s'Žtablir ˆ sa hauteur en Žpousant le roi, son frre, CondŽ, l'empereur, le roi d'Espagne, le duc de Savoie... Elle conna”tra avec Lauzun (PŽguilin) la triste fin du hŽron qui a nŽgligŽ la carpe et le brochet, la tanche et le goujon !
Quoique ses biographes en abusent, la rŽfŽrence ˆ Corneille ne manque pas de pertinence pour cadrer la tragicomŽdie d'une Mademoiselle, toujours battante, toujours battue, que dŽfinit cette phrase programmatique : je ne sais ce que cÕest dÕtre hŽro•ne: je suis dÕune naissance ˆ ne jamais rien faire que de grandeur et de hauteur en tout ce que je me mlerai, et lÕon appellera cela comme l'on voudra.
Sa grandeur et sa richesse lui apportent d'infinis soucis, tant domestiques que politiques. Ses dŽmlŽs avec son pre, le dŽtestable Gaston, frre de Louis XIII, combinent le heurt des caractres et celui des intŽrts car son pre la pille sans scrupule. Et pourtant, tout en criant, elle se soumet ˆ lui, pas seulement par force car elle l'aime autant qu'elle le mŽprise...
Concernant la prŽsente Ždition numŽrique :
[1] Une premire Ždition parut en 1718 (d'aprs un manuscrit de la Bibliothque royale comportant des lacunes), mais le RŽgent et le garde des Sceaux d'Argenson en exigrent la suppression. D'autres Žditions suivirent: ˆ Paris (1728, 6 vol. in 12), puis de nouveau Amsterdam (1729, Jean FrŽdŽric Bernard) et Anvers (1730). Puis nouvelle Ždition ˆ Amsterdam (1735-1736, 7 vol., J. Westien et G. Smith) d'aprs un manuscrit (plus complet) donnŽ par Mademoiselle au prŽsident de Harlay. Les Žditions se succŽdrent : Londres (1746), Amsterdam (1766), Ma‘stricht (1776), Paris (1823, Petitot). Le texte fut repris dans la collection Michaud et Poujoulat avec des notes et une chronologie, mais le style en avait ŽtŽ revu, arrangŽ, parfois embelli. L'historien Adolphe ChŽruel donna ˆ son tour une Ždition critique des MŽmoires tels qu'ils avaient ŽtŽ primitivement Žcrits (Žd. Fasquelle, Paris, 1858-1860, 4 vol.) en y adjoignant de nombreuses notes explicatives.