Texte tabli par le marquis de Chantrac, Veuve Jules Renouard, libraire de la Socit de lÕhistoire de France, 1870 (4 tomes, assembls ici en un seul volume Ñ graphie modernise ©2025).
Pourquoi offrir lire les Mmoires de Franois de Bassompierre (1579-1646), crits la Bastille o il est enferm pendant prs de quinze ans (1631-1644) ?
Les historiens discutent leur vracit, les littraires y voient un exercice d'auto-justification, le lecteur se perd dans l'embrouillamini des rivalits courtisanes et militaires et s'ennuie un peu aux siges de Montauban et de la Rochelle.
Mais, malgr Tallemant, malgr Saint-Simon, je suis tomb sous le charme du portrait "en beau" que Bassompierre trace de lui-mme travers quarante annes d'existence : un bon gros garon amoureux de la vie, quoiqu'il la risque allgrement ; un paresseux, quoiqu'il ait mille affaires de femmes (amoureux en tant dÕendroits, bien voulu en la plupart), de duels, de famille, de fortune ; un insouciant, quoiqu'il soit fidle en amiti et intensment loyal Henri IV, puis la reine-mre, puis Louis XIII, non seulement par ralisme (Je serai toujours paroissien de celui qui sera cur) mais par reconnaissance et, osons-le dire, par dvotion, ce qui ne l'empche pas d'tre au mieux avec les Grands que le gouvernement cherche rduire. Familier du roi qu'il n'hsite pas contredire, il suscite les jalousies et, sans autre boussole que la mine que lui fait le monarque, danse sur un fil qui se rompra.
Bassompierre dpense insouciamment argent, nergie et intelligence. Bien pourvu en parentle (notamment dans l'Empire) et en relations, apprci de ses Suisses et de leurs matres des cantons, il dborde de vitalit et de personnalit. Ses Mmoires, non destins la publication, sont les seuls de cette priode s'intituler Journal de ma vie. On a qualifi le flamboyant Bassompierre de "Gascon lorrain" parce qu'il vante ses exploits et sa perspicacit. Il a toujours raison. Cette outrecuidance l'aveuglera-t-elle au moment fatal de la Journe des dupes ? Le roi l'aime et l'Etat ne peut pas se passer de lui, pense-t-il, son sjour la Bastille sera court. Hlas ! Ce chien fou est le contraire de Richelieu et le triomphe de celui-ci ne peut tolrer celui-l [1]. Une fois la Bastille, ce Bassompierre qui tait toujours en mouvement n'existe plus (nÕayant rien dire de moi qui croupis dans cette misrable prison). Au moins, la diffrence de tant d'autres, n'y laisse-t-il pas sa tte et, sans sortir des murailles, jouit d'une tonnante libert.
Mon
texte de rfrence est celui de l'dition Chanterac d'aprs le ms autographe. Mais l'diteur de 1870, par scrupule, refuse de moderniser l'criture de Basssompierre: ce serait, dit-il, la dfigurer et la priver de ce quÕelle peut avoir de charme. Certes, pour un auteur de ce temps, le texte de Bassompierre est relativement fluide mais le lecteur se fatigue corriger prindrent en prirent, vindrent en vinrent, et mille autres tournures de ce genre, sans parler des accents manquants et autres archasmes. Aussi, pour permettre de mieux apprcier le journal, j'ai fait l'effort de moderniser la graphie, sans, bien sr, toucher la syntaxe etau vocabulaire, me limitant mettre entre crochets le sens de certains mots par trop obsoltes. Le mme souci de simplification m'a fait supprimer les abondantes notes de l'diteur qui, parfois utiles, sont souvent frustrantes.
[1] Son contemporain Fontenay-Mareuil crit dans ses Mmoires (Collection complte des mmoires relatifs l'histoire de France, ed Petitot, 1826, T.51, pp183-4) : le cardinal de Richelieu obligea le Roy le faire, quelque rpugnance qu'il y et... vraisemblablement pour la crainte qu'il avait de lui; car n'tant pas aussi souple et aussi soumis qu'il falloit que le fussent ses amis, et ayant mme eu en diverses occasions de petits differends ensemble, il I'apprhendait plus que tous les autres de la cour, croyant que dans les grands entretiens qu'il avait avec le Roy, parce qu'il lui toit si agrable qu'il lui parloit souvent en particulier, il pourroit trouver des occasions de lui nuire, et s'en servir. De sorte que sur ce fondement, et non pour aucune faute qu'il et commise, il le ft mettre en prison, et n'osa depuis s'en ddire ni l'en tirer, quelques pressantes sollicitations qui lui en fussent faites.