Texte tabli par le marquis de Chantrac, Veuve Jules Renouard, libraire de la Socit de lÕhistoire de France, 1870 (4 tomes, assembls ici en un seul volume Ń graphie modernise ©2025).
SÕil est en gnral conseill aux auteurs de ne parler dÕeux-mmes que le moins possible, cette recommandation doit tre encore plus expresse pour le simple diteur, dont le mrite consiste seulement reproduire dÕune manire fidle lÕĻuvre dÕautrui, et la commenter avec discrtion et sobrit. Je ne dirai donc de moi que peu de chose, et en lieu o il sera permis de ne pas me lire. Uni par les liens les plus chers la dernire hritire dÕun nom qui va sÕteindre, jÕai entrepris de restituer lÕĻuvre historique, jusquÕici dfigure, du personnage qui a rendu ce nom clbre. Quelle garantie meilleure pourrais-je donner du soin religieux avec lequel jÕai accompli ce travail ?
Le journal de la vie du marchal de Bassompierre parut pour la premire fois en 1665, Cologne, chez Pierre du Marteau, en deux volumes in-12, sous ce titre: Mmoires du marchal de Bassompierre, contenant lÕhistoire de sa vie et de ce qui sÕest fait de plus remarquable la cour de France pendant quelques annes. Une prface est en tte de lÕouvrage. Cette jolie dition, imprime avec les caractres et les fleurons des Elsevier, et place par Brunet parmi celles qui peuvent sÕajouter leur collection, est remplie de fautes grossires, dÕomissions et dÕinterversions qui altrent le sens chaque phrase ; les noms propres y sont dfigurs de manire devenir souvent mconnaissables ; tout annonce enfin quÕelle a t donne sur une copie inexacte par un diteur inintelligent. M. Paulin Paris me pardonnera si je dcharge ici un innocent de lÕaccusation mal fonde quÕil fait peser sur lui lorsquÕil dit, dans les Historiettes de Tallemant des Raux [1], que Ē les mmoires du marchal de Bassompierre ont t donns par les soins trs-peu vigilants de Claude de Malleville, son secrtaire, membre de lÕAcadmie franaise. Č Ce pote, qui avait honor sa muse par des vers o il dplorait les malheurs du marchal et cherchait flchir la rigueur du cardinal de Richelieu, ne vivait plus depuis longtemps, et le libraire qui, en 1649, publiait ses Ļuvres aprs sa mort, disait au lecteur: Ē Les dernires annes de sa vie ayant t donnes toutes entires ce cher Maistre dont il avait si longtemps pleur la captivit, il nÕa pas eu le loisir de revoir soigneusement ses ouvrages. Č
Une autre dition des Mmoires parut la mme anne Cologne, chez Pierre du Marteau, en trois volumes petit in-12 : elle est beaucoup moins jolie que la prcdente, quÕelle reproduit avec quelques fautes dÕimpression de plus, et la prface de moins. LÕdition de Cologne, P. du Marteau, 1666 ( la sphre), 2 vol. in-12, est assez jolie, dit Brunet, et peut remplacer lÕdition originale.
Enfin jÕai sous les yeux une dition de 1692, Cologne, P. du Marteau, 2 vol. petit in-12, o se trouve la prface, et o les Mmoires sont annoncs sur le titre comme Ē reveus et corrigs en cette nouvelle dition Č ; une autre de 1692, Amsterdam, chez Andr de Hoogenhuysen ( la sphre), avec privilge de Messieurs les tats de la Hollande, 2 vol. petit in-12, dition revue et corrige (toujours sur le titre), et reproduisant la prface ; une de 1703, Cologne, Jean Sambix le jeune, la couronne dÕor, 2 vol. in-12, sans prface ; une de 1721, Amsterdam, chez Henri Deroubec, 4 vol. in-12, sans prface, avec quelques figures ; et une de 1723, Amsterdam, aux dpens de la Compagnie, 4 petits vol. in-12, la sphre, galement sans prface.
CÕest l que sÕarrte la liste assez nombreuse des ditions anciennes, toutes publies en pays tranger. Plus rcemment, les Mmoires du marchal de Bassompierre ont t donns dans la collection Petitot et dans la collection Michaud. LÕditeur de la premire de ces deux collections dclare quÕil a choisi pour texte lÕdition de 1665, en la purgeant de quelques fautes. JÕignore quelles sont les erreurs quÕil a fait disparatre ; mais ce que je puis dire, cÕest que les plus graves de celles qui dparent lÕdition de 1665 et les suivantes, se trouvent fidlement reproduites dans le texte de la collection Petitot. Quant celui de la collection Michaud, il sÕannonce simplement comme une rptition du prcdent.
La conclusion tirer de ce cour expos bibliographique, cÕest que, de toutes les ditions existantes, anciennes ou nouvelles, aucune nÕest compltement satisfaisante, aucune mme ne peut tre considre comme srieuse. CÕest donc avec raison que la Socit de lÕhistoire de France a jug utile de donner une dition exacte dÕun ouvrage qui renferme des dtails intressants sur les rgnes dÕHenri IV et de Louis XIII. Le but tait facile atteindre : il sÕagissait seulement de reproduire le manuscrit autographe de lÕauteur. Il existe diffrentes copies de ce manuscrit ; je me bornerai signaler celles qui me sont connues. En prsence dÕun pareil document, les copies nÕauraient dÕintrt quÕautant quÕelles offriraient des variantes indiquant une modification voulue dans la pense ou dans lÕexpression ; mais dans celles que jÕai eues sous les yeux et que jÕai examines, les variantes sont simplement des fautes.
Les copies conserves la Bibliothque nationale sont :
1”
Le manuscrit Fr. 17476-17477 (prcdemment Saint-Germain franais, no 1028), 2 vol. in-folio, relis en vlin. Le premier volume porte en tte du premier feuillet le nom de Malleville, probablement crit par lui-mme, ce qui doit faire penser que ce manuscrit lui a appartenu, et quÕil a pass de ses mains dans la bibliothque du chancelier Sguier, devenue depuis bibliothque de Coislin, et de l dans la bibliothque de lÕabbaye de Saint-Germain-des-Prs.
2”
Le manuscrit portant les nos 4062-4063-4064-4065-4066 du Fonds franais (prcdemment 9186-9190), 5 vol. petit in-folio, relis en maroquin rouge aux armes de Philippe de Bthune, comte de Selles, et appartenant la collection dite Fonds de Bthune.
3”
Les deux volumes portant les Nos 10315-10316 du Fonds franais (prcdemment Supplment franais no 36841-2. Ces deux volumes in-folio sont relis en maroquin rouge, aux armes dÕOrlans en losange, surmontes de la couronne ducale ; il est probable quÕils ont appartenu Mlle de Montpensier.
La bibliothque de lÕArsenal possde dans son Fonds de France, sous la dsignation Fr. Histoire. 192, un volume in-folio, provenant du sminaire des Missions trangres, et intitul : Copie des Mmoires de M. de Bassompier. Il renferme seulement la matire du second volume du manuscrit original.
Enfin
la bibliothque de la ville de Meaux possde les 2e et 3e volumes dÕune copie qui porte lÕex libris de lÕabbaye de Saint-Faron de Meaux, aprs celui de Philippe Bergerat, prtre. Ces deux volumes ont pour titre : Memoires
de
Monsieur le marchal de Bassompierre touchant ce qui sÕest pass en France durant sa vie tant dans le cabinet que dans les armes.
Je
puis encore citer une copie que je nÕai pas vue, mais que lÕobligeance de M. Gustave Masson mÕa signale et quÕil a dcrite avec le plus grand dtail. Ce manuscrit, qui se compose de trois volumes in-folio relis en veau plein avec armes, appartient au British Museum, o il figure au catalogue sous lÕindication Harleian library (fonds Harleien), nos 4586-4588. Il provient de la bibliothque du comte de Brienne, et fut achet par le comte dÕOxford avec une quantit dÕautres ouvrages prcieux vers le commencement du sicle dernier [2].
Ces diverses copies prsentent entre elles quelques diffrences ; mais toutes renferment un trs-grand nombre de fautes grossires assez semblables ces traits caractristiques qui font reconnatre les membres dÕune mme famille et attestent leur commune origine : dÕo on peut conclure quÕelles ont t faites les unes sur les autres, ou peut-tre toutes sur lÕune dÕelles. Les mmes fautes, les mmes omissions se rencontrant dans lÕdition de 1665, et par consquent dans les suivantes, on doit supposer que cette dition a t donne sur une de ces copies, ou sur une copie semblable, qui est peut-tre reste hors de France. Je ferai connatre quelques-unes de ces fautes en la place o elles se trouvent ; mais je me garderai de les signaler toutes : ce serait augmenter le volume de lÕouvrage dans des proportions dmesures, et risquer de lasser inutilement la patience du lecteur. Il lui suffit de savoir que je lui donne un texte rigoureusement conforme au manuscrit original dont jÕai dj parl, et sur lequel il est temps de donner quelques dtails.
Ce manuscrit existe la Bibliothque nationale sous les Nos 17478-17479 du Fonds franais (prcdemment Saint-Germain franais, n” 1029), ces numros faisant suite ceux de la premire copie que jÕai mentionne. Il se compose de deux volumes in-folio couverts dÕune reliure molle en vlin. Le premier volume renferme 424 feuillets et se termine au milieu dÕune phrase qui se continue sur le premier feuillet du second volume. Ce premier feuillet porte le numro 425, et la suite des numros se continue jusquÕau chiffre 667, aprs lequel le texte sÕachve sur 74 feuillets non numrots [3]. Il est remarquer que la phrase qui commence le second volume ne se trouve pas dans la plupart des copies, et quÕelle manque dans toutes les ditions imprimes. Les deux volumes sont en entier de la main du marchal de Bassompierre, dÕune bonne et lisible criture, avec une orthographe relativement correcte, dont les incertitudes et les variations nÕaccusent point chez lÕauteur un dfaut dÕinstruction, et doivent tre attribues seulement lÕabsence dÕune lgislation fixe cet gard. Les mots, qui aujourdÕhui ne peuvent paratre que revtus dÕune livre uniforme comme les soldats des modernes bataillons, se prsentaient alors sous la plume de lÕcrivain avec le costume bigarr des routiers de nos vieilles bandes, et les gens de lettres eux-mmes usaient sur ce point de la libert qui leur tait laisse.
LÕouvrage, ainsi que son titre lÕindique, est crit sous la forme dÕun journal : les dates sont rappeles chaque page, en haut de la marge, par mois et par anne, et chaque changement dans le cours dÕune page est indiqu, galement en marge, par une mention correspondante.
On sait que le marchal de Bassompierre crivit ses mmoires pendant les tristes loisirs de sa captivit : leur rdaction dura plusieurs annes, ainsi quÕon peut le voir par quelques circonstances de son rcit que je signalerai en leur lieu ; mais le manuscrit dont je mÕoccupe est une mise au net qui parat avoir t faite par lui dÕune seule haleine, et sur laquelle on ne remarque quÕun trs-petit nombre de corrections, et quelques additions parfois marginales, parfois interlinaires.
La premire question rsoudre, en commenant la reproduction du texte de ces mmoires, tait celle de lÕorthographe quÕil convenait dÕadopter. En prsence du manuscrit autographe dÕun auteur du commencement du XVIIe sicle, il mÕa sembl quÕil nÕy avait point hsiter. Le style des crivains de cette poque de transition entre la langue de Montaigne et de Brantme et celle de Balzac ou de Mme de Svign a encore un caractre avec lequel sÕaccorderait mal lÕorthographe moderne. Adapter cette orthographe la phrase du marchal de Bassompierre, ce serait la dfigurer et la priver de ce quÕelle peut avoir de charme : autant vaudrait, dans le beau portrait de Van-Dyck [4], le dpouiller du pourpoint de velours noir crevs et de la collerette empese, pour le revtir de lÕajustement de nos jours. Dans la copie que jÕai crite moi-mme sur le manuscrit, jÕai donc conserv lÕorthographe de lÕauteur, toutefois avec quelques lgres modifications dtermines par cette considration quÕil sÕagissait ici principalement dÕune Ļuvre historique dont il importait de rendre la lecture claire et suffisament facile. Ainsi jÕai fait disparatre la confusion entre lÕadjectif dmonstratif et lÕadjectif possessif, lorsque cette confusion rendait le sens douteux, ce qui arrive dans la plupart des cas ; jÕai adopt pour les noms propres une orthographe uniforme, qui permettra au lecteur de nÕavoir pas se demander, chaque fois que ces noms reparatront sous ses yeux, quel est le personnage ou quel est le lieu auquel ils se rapportent. Sauf ces exceptions et quelques autres qui mÕont paru ncessaires, je le rpte, jÕai reproduit le texte tel quÕil tait, et jÕai mme pris soin dÕcrire exactement comme lÕauteur certains mots, certains temps de verbes qui paraissent chez lui affecter une forme particulire.
Comme lÕusage des manchettes nÕest pas habituel dans les publications de la Socit, jÕai reproduit dans le titre courant lÕordre de dates marginales adopt par lÕauteur. Cette disposition tait ncessaire pour conserver lÕouvrage sa physionomie de journal et pour mettre en leur place exacte des faits souvent trs-dtaills.
Parfois il arrive que les additions marginales ou interlinaires interrompent le sens, et mme la phrase ; dans ces cas je les ai places en note avec cette mention : Addition de lÕauteur.
Enfin jÕai ajout lÕouvrage un sommaire divis par annes, une table alphabtique des noms de lieux et de personnes qui se rencontrent dans les Mmoires, et des notes places le plus ordinairement au bas des pages, mais renvoyes lÕappendice lorsque leur tendue tait trop considrable.
Dans ces conditions, jÕespre, sous les auspices de la Socit de lÕhistoire de France, et avec lÕaide amicale de mon commissaire responsable, tre arriv donner une dition des Mmoires du marchal de Bassompierre qui ne laissera rien dsirer sous le rapport de lÕexactitude, et qui pourra tre considre la fois comme une premire dition et comme une dition dfinitive. Parmi celles qui lÕont prcde, lÕdition de 1665 restera comme un des livres de la collection des Elseviers ; elle pourra mme tre paye fort cher par les bibliophiles, si elle ne porte pas au front le stigmate de Jouxte la copie imprime qui fltrit la rimpression de mme date, si elle sort des mains dÕun amateur illustre avec une belle reliure, ou si, par un coup de fortune, lÕexemplaire est non rogn ; mais cette dition, mme recherche, sera destine seulement figurer sur les rayons de lÕarmoire favorite : pour la lecture et pour le travail, si lÕon ne veut tre arrt chaque pas par un non-sens ou par une inextricable confusion de noms ou de choses, on ne pourra se servir que de celle dont la Socit mÕa confi la publication.
La biographie du marchal de Bassompierre a t faite par lui dans ses mmoires : quelques pages suffiront pour la rsumer, et pour lÕachever depuis lÕpoque o sÕarrte son rcit jusquÕ sa mort.
Franais de Bassompierre naquit au chteau dÕHarouel en Lorraine, le 12 avril 1579. Sa famille tait illustre : elle descendait des comtes de Ravenstein, dont elle portait les armes pleines, dÕargent trois chevrons de gueules, et fut reconnue par lÕempereur Ferdinand III comme une branche cadette de lÕancienne maison de Clves. Ses anctres avaient servi les ducs de Bourgogne, puis les ducs de Lorraine : un dÕeux avait combattu pour Ren II la bataille de Nancy. Depuis ce temps, les barons de Betstein ou de Bassompierre occupaient les plus hautes charges la cour de Lorraine. Les guerres de religion leur fournirent lÕoccasion de prendre du service en France : les oncles et le pre du marchal amenrent au roi des rgiments de retres et de lansquenets ; son pre se maria en France avec une nice du marchal de Brissac, Louise le Picart de Radeval ; de grands domaines, situs en Normandie, lui furent engags pour le payer de ses services militaires. Ami du duc de Guise, engag dans la Ligue, le baron de Betstein combattit contre Henri IV Arques, et dut ensuite se retirer en Lorraine : mais aprs que la paix, ngocie par lui, eut t conclue entre le roi et le duc de Lorraine, quand le roi fut en possession inconteste de sa couronne, la mre de Bassompierre, franaise de naissance, devenue veuve et tutrice de ses enfants, voulut prsenter ses fils la cour de France. CÕtait en 1598 : ils avaient alors achev leur ducation et visit les cours de Bavire et de Florence, lÕAllemagne et lÕItalie. En France ils retrouvaient, parmi les princes et les grands seigneurs, des amis de leur pre qui les accueillaient et les entouraient la cour. Aussi doit-on regarder comme peu vraisemblable lÕhistoire que raconte Tallemant des Raux (t. III, p. 333) dÕune mystification pratique par Sygongne sur Franois de Bassompierre. Bientt le roi se prit dÕune vive amiti pour le jeune courtisan, et ds lors commena pour ce dernier cette vie dÕaventures galantes et de folies de jeunesse quÕil faut lui laisser raconter lui-mme, et laquelle la campagne de Savoie, en 1600, et la campagne de Hongrie, en 1603, firent une courte diversion. Parmi ses nombreuses passions, il y en eut une qui le rapprocha encore du roi : il aima Charlotte-Marie de Balsac, sĻur de la marquise de Verneuil ; dans ce commerce troubl, sa destine eut quelque ressemblance avec celle dÕHenri IV : comme lui il eut des brouilles et des raccommodements, comme lui il fut poursuivi par une promesse de mariage : les deux sĻurs, pousses par leur mre, avaient la passion de se faire pouser ; un long procs, qui lui causa beaucoup de tourments, se termina seulement en 1615 par un jugement dfinitif qui le dlivra de cette obsession.
Cependant, au milieu de ces folies, la perspective dÕun brillant tablissement se prsenta au jeune seigneur : le conntable de Montmorency conut la pense de lui faire pouser sa fille et lui en fit lui-mme la proposition. Il faut lire dans les Mmoires le rcit de cet intressant pisode : quelle dignit dans lÕoffre de ce grand seigneur, g, combl dÕhonneurs, qui veut donner sa fille un jeune homme digne dÕelle par sa naissance, mais encore inconnu et nÕayant pas fait fortune ; et quelle noble simplicit dans la modestie et dans la reconnaissance du jeune homme qui sent le prix de lÕhonneur quÕil reoit, mais qui en mme temps ne sÕen juge pas indigne ! Le mariage allait donc sÕaccomplir, lorsque le roi intervint : le tendre monarque avait vu Mlle de Montmorency, et il avait conu pour elle une folle passion ; il aimait mieux laisser tomber la menace dÕune infortune conjugale sur son parent que sur son ami, et il priait Bassompierre de renoncer en faveur du prince de Cond la perspective de cette belle alliance. Bassompierre dfra au dsir du roi, non sans regret, car il aimait Mlle de Montmorency, toutefois Ē dÕun amour rgl de mariage Č, ce qui lui permit de se consoler avec dÕautres amours que ne temprait pas la mme rgle.
Le roi, comme pour ddommager Bassompierre, lui confia bientt une mission secrte et importante : il le chargea de faire au duc de Lorraine des ouvertures relatives un projet de mariage entre sa fille et le dauphin de France. Le jeune ambassadeur, moiti Franais et moiti Lorrain, sut se placer tous les points de vue et prsenter au duc tous les arguments qui pouvaient le dcider. Le caractre irrsolu de ce prince lÕempcha de donner une rponse positive. Que de maux eussent t pargns la Lorraine, si sa runion la France se ft accomplie par cette voie pacifique, au lieu dÕtre achete par de longues guerres ! Mais les grandes penses dÕHenri IV ne devaient pas voir leur accomplissement, et aprs le coup fatal qui lÕenleva la France, le souci des intrts gnraux fit place aux intrigues et aux ambitions personnelles : les protestants, ne se sentant plus ni suffisament contenus ni suffisament protgs, commencrent remuer, et tout annona que la guerre civile claterait bientt sur la France. Une premire prise dÕarmes des princes et des grands en 1614 fut pour Bassompierre lÕoccasion dÕune haute promotion : il obtint les provisions de la charge de colonel gnral des Suisses, rachete par lui au duc de Rohan. Un second soulvement, en 1615, donna lieu une campagne laquelle il prit part, mais qui fut conduite avec une grande mollesse : les gnraux du roi semblaient craindre de poursuivre trop vivement leurs adversaires et de remporter sur eux un avantage dcisif. Bassompierre restait fidle la reine-mre, lÕaidait faire arrter le prince de Cond, et repartait en 1617 pour aller combattre les princes rvolts. Mais bientt la mort du marchal dÕAncre venait changer la face des choses, et Bassompierre faisait ce quÕil avait loyalement annonc la reine lorsquÕil lui disait :
Ē Si le roi sÕen tait un de ces jours all Saint-Germain et quÕil eut mand M. dÕEpernon et moi de lÕy venir trouver, et quÕensuite il nous eut dit que nous nÕeussions plus vous reconnatre, nous sommes vos trs obligs serviteurs, mais nous ne pourrions faire autre chose que de venir prendre cong de vous et vous supplier trs humblement de nous excuser si nous ne vous avions aussi bien servie pendant votre administration de lÕtat comme nous y tions obligs. Č
Ė la fin de 1619 il fut fait chevalier des ordres, et en 1620 il rassembla activement une arme pour combattre les mcontents groups autour de la reine-mre, et conduisit cette arme aux Ponts-de-C o se termina encore un soulvement sans consistance et sans racines.
Mais dj le duc de Luynes sentait que sa faveur pouvait courir quelque danger : il crut voir un rival dans Bassompierre et lui fit accepter lÕexil honorable dÕune ambassade en Espagne. L, Bassompierre ngocia les affaires de la Valteline et des Grisons et fit le trait de Madrid, qui ne devait gure tre excut. Revenu en France dans le cours de lÕanne 1621, il prit part la guerre engage contre les protestants, guerre srieuse cette fois, et joua, comme marchal de camp, un rle actif dans le sige de Montauban, termin par un chec pour lÕarme royale.
Confident involontaire des chagrins du roi et de son irritation contre le conntable de Luynes, Bassompierre vit sans regret comme sans joie la mort de ce favori en dcadence, mais il ne chercha point le remplacer dans lÕesprit du roi, et repoussa mme les ouvertures qui lui furent faites ce sujet par des personnages intresss le pousser au poste rest vacant ; il se contenta, pendant la campagne importante de 1622, de servir bravement lÕaffaire de lÕle de Ri et aux siges de Royan, de Ngrepelisse, de Saint-Antonin, de Lunel, de Montpellier. Tallemant des Raux, peu bienveillant en gnral pour Bassompierre, lui rend cependant justice en cette occasion, et dit quÕaux Sables-dÕOlonne Ē il paya de sa personne et monstra le chemin aux autres : car il se mit dans lÕeau jusquÕau cou. Č Le roi qui, au commencement de cette campagne, lui avait donn la charge de premier marchal de camp, le fit marchal de France, aux applaudissements de lÕarme, le 12 octobre 1622. Quelques jours peine aprs que Bassompierre a reu du roi le bton de marchal, Richelieu vient son tour recevoir le bonnet de cardinal : ainsi ces deux fortunes ennemies, dont lÕune doit renverser lÕautre, arrivent presque au mme moment leur point culminant. La conformit absolue de leurs armes offre encore un rapprochement assez bizarre.
Le nouveau marchal avait alors de lÕinfluence dans les conseils du roi : il parvint faire nommer Caumartin garde des sceaux et retarder la chute de Schomberg, surintendant des finances. Le marquis de la Vieuville, pendant la courte dure de sa puissance, chercha vainement le perdre, et ne russit mme pas lui aliner lÕesprit du roi. En 1625, le marchal de Bassompierre fut envoy comme ambassadeur extraordinaire en Suisse, o son influence personnelle tait ncessaire pour contrebalancer les influences allemande et espagnole, et resserrer les liens de lÕalliance avec la Confdration. En 1626, il fut ambassadeur en Angleterre pour ngocier le rtablissement des ecclsiastiques et des serviteurs franais auprs de la reine. En 1627 et en 1628, il eut un grand commandement au sige de la Rochelle, dont il a laiss dans ses mmoires un rcit malheureusement plus rempli de faits personnels sans importance que de dtails militaires.
Aprs la chute de ce boulevard des protestants, le cardinal de Richelieu tourna ses vues plus librement du ct de la politique trangre, et lÕanne 1629 commenait peine que dj le roi repartait, mais cette fois pour lÕItalie. Au passage du dfil de Suse, le marchal de Bassompierre ajoutait un fleuron sa couronne de gloire militaire, puis il revenait prendre part au sige de Privas et la dernire campagne du Languedoc, qui se termina par la pacification dfinitive de cette contre depuis longtemps agite par les guerres religieuses. Quelques semaines sÕtaient peine coules, et dj les affaires dÕItalie ramenaient les armes du roi dans ce pays : le marchal, au commencement de 1630, tait de nouveau ambassadeur en Suisse, o il faisait une leve, puis il allait prendre la part principale dans la rapide conqute de la Savoie.
Ce fut l que se termina la vie active de Bassompierre : bientt survint la maladie du roi, pendant laquelle sÕaccumulrent les griefs du cardinal contre ses ennemis ; le marchal fut plac sur cette liste fatale, et soit quÕil et refus Richelieu de mettre les Suisses sa disposition en cas de mort du roi, soit que, dans le conseil des ennemis du cardinal, il et, comme on le dit, opin pour son emprisonnement, soit enfin que sa qualit de Lorrain et dÕami des Guise et de la reine-mre ft suffisante pour le rendre suspect, sa perte dut tre ds lors rsolue. Aprs la journe des Dupes, pendant laquelle le marchal fut, sÕil faut en croire ses protestations, dÕune ignorance peut-tre un peu affecte, lÕorage qui grondait sur les ttes les plus illustres tomba successivement sur chacune dÕelles. Bassompierre alla hardiment au-devant du danger, et vint trouver le roi Senlis aprs avoir brl Ē plus de six mille lettres dÕamour Č, parmi lesquelles se trouvaient peut-tre quelques papiers politiques. Il fut arrt le 25 fvrier 1631, et commena cette longue captivit qui ne devait se terminer quÕaprs la mort du cardinal. Un chagrin plus amer allait encore se joindre au chagrin de son emprisonnement : la princesse de Conti, cette femme aimable et spirituelle avec laquelle lÕunissait un mariage secret, venait dÕtre loigne de la cour ; deux mois aprs, elle mourait au chteau dÕEu, succombant la douleur de la sparation : le pote Malleville lÕatteste dans lÕlgie qui commence par ces vers :
Quand Armide eut appris quÕun funeste sjour
Lui retenoit lÕobjet qui causoit son amour,
Et que le beau Daphnis, la gloire des fidles,
Perdoit la libert quÕil ostoit aux plus belles,
Elle accusa les Dieux dÕun si prompt changement
Et dÕun si rude coup eut tant de sentiment,
Que dessus un papier tout moite de ses larmes
Elle imprima soudain ses mortelles alarmes,
Dchargea sa colre, et de sang et de pleurs
Fit ce mourant tableau de ses vives douleurs :
Daphnis, le seul objet qui reste en ma mmoire,
Mon dsir, mon espoir, ma richesse et ma gloire,
Si ce triste discours qui confirma ma foi
Peut forcer les prisons et passer jusquÕ toy,
Entends ce que lÕamour mÕoblige de te dire,
Et de quelques soupirs honore mon martyre.
Enferm dans la Bastille, Bassompierre ne fit pas entendre une plainte : il chercha plutt, par ses paroles et par ses actes, flchir la rigueur du tout-puissant ministre. Ainsi, quand il se dcida vendre sa charge, il insista pour quÕelle tombt entre les mains dÕun parent de Richelieu ; il protesta vivement lorsquÕil pensa quÕon pouvait le ranger parmi les mcontents ou parmi les adversaires du cardinal ; il prta sa maison de Chaillot ce dernier toutes les fois quÕelle lui fut demande ; enfin, ce qui lÕhonore davantage, lorsquÕen 1636 la France fut envahie, il sÕoffrit noblement servir comme un loyal soldat. Tout fut inutile. Les personnages les plus considrables sollicitrent sa libert ; les potes sÕintressrent son sort, et leurs vers, sÕils sont moins connus de la postrit que les vers du fabuliste aux Nymples de Vaux, nÕattestrent pas moins la reconnaissance courageuse de ceux pour lesquels le marchal avait sans doute t un Mcne.
Le pote Maynard sÕattira la dfaveur du cardinal de Richelieu par sa fidlit au marchal de Bassompierre et au comte de Cramail.
Malleville adressa Richelieu une lgie dans laquelle il demandait la libert du marchal, et, par un artifice potique, se plaignait de ne pouvoir louer convenablement le cardinal pendant que son matre et son protecteur languissait en prison. Bassompierre, disait-il,
Bassompierre
est captif, et durant sa disgrace
JÕaurois tort dÕaspirer aux faveurs du Parnasse.
Aussi-tt quÕil fut pris, mon cĻur le fut dÕennuy,
Et ma langue lie mme heure que lui.
Si parfois ta vertu sollicite ma plume,
Sa douleur attidit le beau feu qui mÕallume,
Et mon bras, partageant ses chaisnes et ses fers,
NÕ plus de mouvement pour crire des vers.
Et il commenait ainsi le rcit des hauts faits de son hros :
Tu sais que Bassompierre, aussi vaillant quÕun Dieu,
A fait des actions dignes dÕun autre lieu,
Et que ses qualitez qui nÕont point eu dÕexemples
Au lieu dÕune prison mriteroient des temples.
Tu sais quÕen le tirant de la captivit
Ė tous les gens dÕhonneur tu rends la libert,
Que chacun le dsire, et que sa dlivrance
Est un des biens publics que tu dois la France.
Cependant, pour tromper lÕennui de la captivit, on cherchait la Bastille se donner quelques divertissements, et Bassompierre, toujours galant malgr son ge, eut, dit-on, une liaison avec Mme de Gravelle, prisonnire comme lui. On y conspirait mme, et il eut lÕhonneur de mriter la dfiance du jeune abb de Retz, qui venait prluder sa vie dÕintrigue par des complots nous avec le comte de Cramail, mais soigneusement cachs au marchal, que lÕon trouvait Ē trop causeur. Č
Enfin Richelieu mourait le 4 dcembre 1642, et bientt le marchal de Bassompierre pouvait inscrire ces vers dans son Repertoire :
Enfin sur lÕarriere saison
La fortune dÕArmand sÕaccorde avec la mienne :
France je sors de ma prison [5]
Quand son me sort de la sienne.
Regarde si cÕest justement
QuÕil mÕa tenu douze ans dedans cette misere
Puis quÕun si subit changement
Me rend ma libert premire.
Ce ne fut cependant pas sans peine que les illustres prisonniers de la Bastille parvinrent en sortir. Mazarin et Chavigny demandaient leur mise en libert ; Sublet de Noyers sÕy opposait. LÕordre dÕlargissement fut donn seulement le 18 janvier 1643, et comme les captifs dlivrs nÕtaient pas encore autoriss revenir la cour, le marchal refusait de sortir de sa prison : ses amis le dcidrent en prendre son parti, et il se retira, suivant lÕordre du roi, au chteau de Tillires.
Henri Arnauld, abb de Saint-Nicolas dÕAngers, dans un journal adress la prsidente Barillon (Manuscrits de la Bibliothque nationale, Fr. 3778), racontait ainsi les pripties de cette dlivrance, que lÕinvisible influence de Richelieu semblait encore entraver :
Ē Du 4 janvier 1643... On fait esperer aux deux marechaux qui sont dans la Bastille quÕils ne passeront pas ce mois. Č
Ē Du 7 janvier... Les prisonniers de la Bastille sont dans de grandes esprances dÕune prochaine libert. Č
Ē Du 11 janvier... Je ne vois pas que les esprances que lÕon donne ces messieurs de la Bastille aient un fondement trop assur. Je souhaitte extremement me tromper dans le jugement que jÕen fais. Č
Ē Du 18 janvier... Depuis ma lettre cripte je suis all la Bastille, o M. de Romefort est venu de la part de M. de Chavigny dire Mrs de Bassompierre, de Vitry et de Cramail que le roi leur donnoit leur libert, mais condition que le premier ira Tillieres chez M. son beau-frre, M. de Vitry Chteauvilain et M. de Cramail en lÕune de ses maisons. Ces deux derniers ont reu cella avec joie ; mais M. de Bassompierre est jusques icy trs rsolu ne vouloir point sortir soubz cette condition l, et choisir de demeurer plustt dans la Bastille, et tous ses amis et serviteurs ne peuvent rien gagner sur lui pour cela. CÕest demain quÕils doivent sortir : peut-tre cy et l changera-t-il dÕavis. Č
Ē Ce mercredi 21 janvier 1643. Lundi Mrs de Bassompierre, de Vitry et le comte de Cramail sortirent de la Bastille, ces deux derniers avec une joie extrme, et pour ce qui est du premier, ses parents et ses amis eurent toutes les peines imaginables lui persuader dÕaccepter sa libert condition dÕaller Tillieres, et je creus cent fois quÕil nÕen ferait rien : jÕy fus depuis 10 heures du matin jusquÕ 9 heures du soir quÕils sortirent... Ils ont trois ou quatre jours pour demeurer icy : ils ont vu tous Mrs les ministres. CÕest non sans quelque esprance que M. le marchal de Bassompierre ne demeurera pas longtemps o il va. Č
Ē Du 25 janvier... Ces trois personnes sorties de la Bastille eurent dfense de voir Monsieur. Ils sont partis. Le marquis de Saint-Luc porta au roi une lettre de remerciement de M. le marechal de Bassompierre. Le roi aprs lÕavoir leue deux fois dit : Je ne veux point que lÕon capitule avec moi, et le marechal de Bassompierre est un des premiers qui mÕa dit que je ne le devois pas faire ; sÕil ne se fut rsolu dÕaller Tillieres, je lÕaurois laiss dans la Bastille o il se fut nourry ses dpens. Je gagne par leur sortie quarante-cinq mille livres par an. Oui, sire, rpondit Saint-Luc, et cent mille benedictions [6]. Č
Ē Mardi 28 janvier... M. le marechal de Bassompierre est parti ce matin de Chaliot pour tre demain Tillieres. Č
Ē Du 11 mars... M. le marchal de Bassompierre sÕennuye de telle sorte Tillieres quÕil tesmoigne se repentir dÕtre sorty de la Bastille et dÕavoir suivy en cela le conseil de ses amis. Č
Quelques mois aprs, et bien peu de temps avant sa mort, Louis XIII autorisa le comte de Cramail et les marchaux de Vitry et de Bassompierre reparatre la cour.
Douze ans sÕtaient couls depuis que Bassompierre tait entr la Bastille ; pendant ce long espace de temps bien des choses avaient chang : la rgence dÕAnne dÕAutriche inaugurait maintenant une cour nouvelle. Bassompierre, avec ses anciennes habitudes de magnificence et de galanterie, y parut un peu vieilli : toutefois, dans lÕopinion de Mme de Motteville, Ē les restes du marchal de Bassompierre valaient mieux que la jeunesse de quelques uns des plus polis de ce temps l. Č Ces jeunes gens formrent la cabale des Importants dont le rgne phmre se termina par lÕemprisonnement du duc de Beaufort. Ė cette cabale appartenait le marquis de la Chtre, qui avait eu la charge de colonel gnral des Suisses aprs M. de Coislin, successeur du marchal de Bassompierre. Il fut oblig de sÕen dfaire, et le marchal en reprit possession, condition de payer M. de la Chtre la somme de 400,000 livres quÕil avait reue de M. de Coislin. Sa dmission tait considre comme nulle, et la charge comme nÕayant pas t vacante [7]. Le marquis de la Chtre, dans ses mmoires, se plaint cette occasion du marchal de Bassompierre et de M. de Brienne : ce dernier lui fit une rponse que lÕon trouve dans un Recueil de diverses pices, imprim Cologne, MDCLXIV.
Le marchal ne jouit pas longtemps de ce retour de faveur. Le 12 octobre 1646, ses gens le trouvaient mort dans son lit Provins, o il sÕtait arrt en revenant dÕune maison de M. Bouthillier, ancien surintendant des finances, Ē cette mort subite, dit la Gazette de France, ayant dÕautant plus tonn les assistants que ce seigneur avait acquis ds sa jeunesse lÕaffection dÕun chacun. Č On eut mme quelque soupon dÕempoisonnement, comme on le voit par un rcit que le cur de Chaillot avait insr dans un registre des dcs, aujourdÕhui brl, mais heureusement dpouill par M. Cocheris avant les tristes vnements de 1871 : Ē Son corps a t ouvert, crit le cur : on a eu quelque mauvais soupon de sa mort, comme dÕordinaire on souponne mal de la mort des grands, principalement quand ils meurent de la sorte [8]. Č Le corps avait t rapport dans un carrosse au chteau de Chaillot : les intestins, la langue et la cervelle furent enterrs dans lÕglise de la paroisse devant le grand autel ; le cĻur et le reste du corps furent remis par le cur aux minimes de Migeon dont le couvent tait attenant au chteau, et dposs dans une chapelle gauche du grand autel, dans le chĻur de leur glise. Le duc de Chevreuse, Ē et autres seigneurs et dames de grande qualit, avec grand nombre de bourgeois et habitants de Chaliot, Č assistrent la crmonie funbre.
Le marchal de Bassompierre laissait deux fils. LÕun tait n de Charlotte-Marie dÕEntragues : il sÕappelait Louis de Bassompierre ; du vivant de son pre il tait entr dans lÕtat ecclsiastique. Il est parl de lui lÕAppendice, XV, p. 399-400. Ajoutons ce qui est dit son sujet que madame de Svign fait son loge dans ses lettres. Le 1er juillet 1676 elle crivait : Ē Hlas ! propos de dormir, le pauvre Monsieur de Saintes sÕest endormi cette nuit au Seigneur dÕun sommeil ternel. Il a t vingt-cinq jours malade, saign treize fois, et hier matin il toit sans fivre, et se croyoit entirement hors dÕaffaire. Il causa une heure avec lÕabb Ttu (ces sortes de mieux sont quasi toujours tratres), et tout dÕun coup il est retomb dans lÕagonie, et enfin nous lÕavons perdu. Comme il toit extrmement aimable, il est extrmement regrett. Č Et le 31 juillet 1676 : Ē Monsieur dÕAlby est mort ; il laisse des trsors au duc du Lude : Hlas ! comme notre pauvre Monsieur de Saintes a dispos saintement de son bien au prix de cet avare ! Č
Ē Ce digne prlat, disait la Gazette du 4 juillet, a laiss ses amis sensiblement affligs, les pauvres de son diocse dans la dernire dsolation, et tous ceux qui le connaissoient difis des actions exemplaires de sa vie, et de sa rsignation chrtienne la mort. Č
LÕautre fils du marchal tait ce Franois de la Tour, n de son union secrte avec la princesse de Conti, union que les contemporains ont regarde comme certaine, mais quÕil nÕa nulle part indique dans ses mmoires. Trs-discret en gnral sur le nom des femmes auprs desquelles il a eu des succs, comme sÕil voulait changer en vrit ce vers des Contreveritez de la cour :
Que
Bassompierre fait lÕamour sans dire mot,
il garde sur ses rapports avec la princesse une discrte rserve, et son motion contenue lorsquÕil annonce sa mort est le seul indice de ses sentiments pour elle. Le nom de cette femme illustre revient cependant sous sa plume dans un de ses Discours acadmiques, o il dit :
Ē De l quelques autheurs peut-tre trop passionnez pour lÕintrt de leur sexe ont tir cette conjecture que les femmes estoient moins judicieuses que les hommes, pour tre dÕune constitution plus humide ; mais nÕy eut-il que cette illustre princesse dont la maison de Lorraine par descendance, et celle de Bourbon par alliance, est honnore, nÕavons-nous pas trs ample sujet de condamner lÕerreur de cette consequence et dÕadvouer plus tt que leur complexion molle et dlicate ne peut produire que des esprits espurez et subtils, et ensuite le temperament veritable pour la beaut de lÕesprit, la delicatesse des penses et la clart du jugement. Aussi bien loing dÕadherer une opinion si contraire mon sentiment je crois que le prix des meilleures choses et le dernier ornement des plus beaux ouvrages, voir mmes la reputation dÕun honnte homme dpend de leur estime, et quelque amour que nous ayons naturellement pour nos Ļuvres, je commencerai seulement dÕtre satisfaict de celle cy quand jÕaurai reconnu quÕelles ne la jugent pas tout faict indigne de leur approbation. Č
Franois de la Tour fut bless le 10 aot 1648, la prise de Vietri dans le royaume de Naples, et mourut probablement de sa blessure. CÕest sans doute de lui que parle la Gazette de France, lorsquÕelle annonce, la date du 27 janvier 1648, que le sieur de Bassompierre, capitaine de vaisseau, sÕest distingu dans les combats donns entre lÕarme du roi commande par le duc de Richelieu, et celle dÕEspagne aux ordres de don Juan dÕAutriche, dans le golfe de Naples. On peut lire quelques dtails sur lui au tome IV, Appendice, XIX, p. 362-364.
Des trois neveux de Bassompierre, lÕan, Anne-Franois, marquis de Bassompierre, fut tu en duel en mai 1646, sans avoir t mari (P. Anselme, t. VII, p. 468). Le second, Charles, baron de Dommartin, pousa Henriette dÕHaraucourt : sa postrit masculine a continu seulement jusquÕ la seconde gnration. Le troisime, Gaston-Jean-Baptiste, marquis de Baudricourt et de Bassompierre, a laiss une descendance, attache successivement au service de la Lorraine et de la France : Charles-Jean-Stanislas-Franais, marquis de Bassompierre, mort en 1837, a t le dernier reprsentant mle de cette ligne. Les familles qui peuvent aujourdÕhui porter le nom de Bassompierre ne se rattachent par aucun lien la maison de Betstein.
Le marchal de Bassompierre laissa une succession obre, dont la liquidation fut dÕune longueur sans exemple. Ė son inventaire, commenc en lÕhtel o il demeurait, rue Neuve-des-Petits-Champs, le 15 octobre 1646, et continu jusquÕen janvier 1647, ses neveux se portrent dÕabord comme hritiers et en mme temps comme cranciers. Au cours de lÕinventaire un jugement dclara le futur vque de Saintes seul hritier bnficiaire du marchal. Ce prlat mourut sans avoir rien recueilli de la succession. La baronnie de Bassompierre et le marquisat dÕHarouel furent soumis des adjudications que compliqurent les changements de domination subis par la Lorraine. Des procdures et des arrts nombreux intervinrent pendant toute la dure du sicle et la premire moiti du sicle suivant. En dposant des conclusions longuement motives, lÕavocat gnral de Montureux adressait la cour de Nancy les paroles suivantes :
Ē Si le marchal de Bassompierre sÕtoit content dÕimmortaliser son nom par ses glorieux exploits dans la guerre, par ses sages conseils dans le cabinet, et par les heureux succs que son grand gnie lui procura dans les ngociations importantes dont il fut charg, sa maison aurait aujourdÕhuy lÕavantage dÕunir la possession de ses grands biens la gloire dont il lÕa comble. Mais la magnificence de ce seigneur tant encore infiniment suprieure sa fortune, les dpenses quÕil a faites et les dettes quÕil a contractes pour y subvenir, ont t telles que lÕon empruntoit communment son nom pour exprimer le titre de Magnifique, et quÕelles ont mis ses affaires aussi bas que sa naissance, son mrite et son rang toient levez, ce qui fait quÕil a laiss ses hritiers beaucoup plus dÕhonneurs que de biens. Č
Ē Il y a plus de soixante ans quÕon les voit contester en diffrens tribunaux pour sauver quelques tables du naufrage, et le fameux procs touchant le marquisat dÕHarouel vient seulement dÕtre termin. Mais comme si la justice ambitionnoit de voir la mmoire de ce grand homme se perptuer dans son sanctuaire comme elle se perptue partout ailleurs, il semble que les difficultez de sa succession renaissent de leurs cendres pour ne devoir jamais finir. En sorte quÕaprs de si longues poursuites de leur part sur le dcret du marquisat dÕHarouel, il est aujourdÕhuy question de dcider du mrite de celui de la baronnie de Bassompierre dont la perte leur serait dÕautant plus sensible que cette terre, en portant leur nom, porte le titre de leur noblesse et de leur gloire. Č
Enfin le 25 octobre 1719, les hritiers de Georges-African, marquis de Removille, frre du marchal de Bassompierre, cdrent au prince de Craon tous leurs droits contre la succession vacante et abandonne, et se dsintressrent ainsi de cette longue procdure. Toutefois il paraissent encore le 23 octobre 1752 dans un acte confirmatif du trait de cession.
Les fastueuses prodigalits du marchal de Bassompierre, les dpenses ncessites par ses grandes charges, ses galanteries peut-tre, furent les causes principales de sa ruine. Mais parmi ses sources de dpenses on peut compter la composition dÕune riche bibliothque, et la protection gnreuse quÕil accorda aux gens de lettres, protection atteste par le nombre considrable des ouvrages qui lui furent ddis ; la nomenclature suivante est probablement incomplte :
Les
chastes
destines de Chloris, ou Roman des histoires de ce temps, ml de prose et de vers, par le sieur du Souhait. Paris, Fr. Huby. 1609.
Philis, tragdie, par Chevalier. Paris, Jean Jannon. mdix.
LÕart
de
rgner, ou le sage gouverneur, tragi-comdie, par Gillet de la Tessonnerie. Une dition de 1649 de ce pome fait partie de la collection des Elseviers.
Lettres
amoureuses
et morales des beaux esprits de ce temps, recueillies par F. de Rosset.
Les
jours
caniculaires, composez en latin par messire Simon Maiole dÕAst, mis en franais par F. de Rosset.
Le
sommaire
armorial. Paris, Pierre Billaine. mdcxxxviii.
Peristandre,
ou
lÕillustre captif, roman en prose, par Demoreaux. Paris, Antoine Robinot. mdcxxxxii..
La
conduite
du courtisan, petit trait en prose, par Franais de Soucy, sieur de Gerzan. Paris, Jean Bessin. mdcxxxxvii.
Orasie, roman, par mademoiselle de Senneterre, ddi au marchal par son diteur. Paris, veuve de Nicolas de Sercy. 1646.
Le
livre De admirandis naturĻ reginĻ deĻque mortalium arcanis, soixante dialogues crits en latin par Lucilio Vanini, qui se faisait appeler Jules Csar. Paris, Adrien Prier. mdcxi. LÕauteur de la Vie de Lucilio Vanini, en racontant que Bassompierre lÕavait eu un moment pour aumnier, fait peser sur ce dernier, assez injustement mon avis, lÕaccusation de nÕavoir pas t Ē autrement fort charg de religion. Č Au contraire le clbre athe, comme sÕil et voulu placer son livre sous un patronage sr, lui disait dans son ptre ddicatoire : S¾penumero adversus h¾reticos te disserentem excipiens, suspicabar an ab ipso Deo consult donatum fuerit cognomentum, BassompetrĻus, Petri S. EcclesiĻ basis [9].
LÕinventaire de la bibliothque du marchal de Bassompierre, lÕune des plus belles de son temps [10], fut fait aprs sa mort par les libraires Sbastien Cramoisy et Jacob Chevalier. Cet inventaire imprim est la bibliothque Mazarine sous le no 18611. Il renferme plus de sept cents numros. On ne saurait dire combien de fois seraient dcupls aujourdÕhui les prix de quelques-uns des ouvrages qui y sont mentionns.
Bassompierre, dÕailleurs, tait lui-mme un crivain. Outre ses Mmoires, dont le style, toujours ais et correct, possde des qualits diverses, appropries aux sujets divers quÕils traitent, outre ses Ambassades, publies, dÕune manire trs-incomplte, Cologne, chez P. du Marteau, en 1668, il a compos un certain nombre de discours acadmiques et de traits et lettres sur divers sujets, qui sont conservs en manuscrit autographe la Bibliothque nationale. (Fr. 19196, prcdemment Saint-Germain franais n” 1030, et auparavant Ex bibliotheca mss. Coislinian, n” 1550). Une copie en deux volumes, contenant quelques morceaux de plus, porte les nos 19195 et 19197 (prcdemment Saint-Germain franais n” 1030 et Ex bibliotheca mss. Coislinian, nos 1549 et 1551). Il a encore crit de sa main un Repertoire o se trouvent des penses, ou personnelles, ou extraites de diffrents ouvrages, des pices de vers en diverses langues, des morceaux dtachs, etc. Le tout est renferm dans quatre petits volumes in-4o qui figurent la Bibliothque nationale sous les nos 14224-14227 du Fonds latin (prcdemment Saint-Germain Franais, 1999), et dans un cahier joint un volume in-folio de la bibliothque de lÕArsenal (Fr. Histoire. 192). Bassompierre se venge de la rserve quÕil avait longtemps garde, en inscrivant dans ce recueil des pitaphes sanglantes sur le cardinal de Richelieu, et mme sur le P. Joseph. Peut-on sÕen tonner, ou le blmer de ce changement ? Le despotisme nÕengendre-t-il pas toujours le culte servile de sa puissance et lÕinsulte sa chute ?
On a publi en 1802 un livre intitul : Nouveaux Mmoires du marchal de Bassompierre (Paris, Locard fils. An X. 1802), extraits des papiers du prsident Hnault. M. Hippeau a vu une copie de ces mmoires dans les papiers du chteau de Tillires, o le marchal fut relgu aprs sa dlivrance, et il en conclut quÕils peuvent justement lui tre attribus. Comme ils ne sont pas autographes, et que leur authenticit nÕest pas absolument certaine, la Socit nÕa pas jug propos de les ajouter au Journal de ma vie.
Enfin les Remarques sur lÕhistoire des rois Henri IV et Louis XIII, par Scipion Dupleix, telles du moins quÕelles ont t mises en circulation et plus tard imprimes, sont nergiquement renies par le marchal qui on les attribuait. Elles nÕen sont pas moins curieuses, surtout si on les rapproche de la rponse de Scipion Dupleix. On peut voir ce sujet les Mmoires (t. IV, p. 232 et suiv.) et lÕAppendice, XIII, mme tome, p. 355-356.
Je ne puis mieux terminer cette notice quÕen rapportant sur la personne de Bassompierre et sur son Ļuvre le jugement dÕun homme qui fut, comme lui, militaire, courtisan et crivain, et qui subit comme lui lÕpreuve dÕune longue disgrce. Bussy-Rabutin crit le 16 aot 1671 Mme de Scudry :
Ē Je nÕai point vu de mmoires plus agrables ni mieux crits que ceux du marchal de Bassompierre. Je ne sais si lÕide que jÕai de lui ne me prvient pas en leur faveur. CÕtoit un homme de grande qualit, beau, bien fait, quoique dÕune taille un peu paisse. Il avait bien de lÕesprit et dÕun caractre fort galant. Il avait du courage, de lÕambition et lÕme dÕun grand roi. Encore quÕil se loue fort souvent, il ne ment pas. Mais jÕeusse voulu quÕil nous et rapport les ordres du roi, les lettres particulires de Sa Majest, celles des ministres et des gnraux dÕarme, et mme celles des matresses avec ses rponses [11]. Car comme lÕhistoire nÕest que le portrait des gens dont on parle, rien ne fait mieux connotre leur caractre que leurs lettres, outre que le marchal et mieux tabli les choses quÕil nous a dites. Et il ne faut pas que pour lÕexcuser, on dise quÕayant crit de mmoire sa vie, il ne pouvait se souvenir de tous ces ordres et de toutes les lettres dont je viens de parler, car il est certain quÕon les garde dÕordinaire pour sa famille. Mais pour ce quÕil dit quÕil a crit sa vie de mmoire, cela ne peut pas tre. Le moyen de sÕimaginer que lÕon puisse crire par le seul ressouvenir les choses quÕon a faites et dites jour par jour trente ans auparavant. Ainsi le marchal, en voulant faire estimer sa mmoire, fait mpriser son jugement. Il nous a dit encore des bagatelles inutiles, moins que de nous en dire un plus grand dtail, que de dire quÕun tel jour il eut une bonne fortune, quÕun autre il sÕembarqua avec une dame blonde, quÕun autre il donna dner, sans nous dire ni les dames, ni les messieurs, ni les aventures, ni ce qui se passa dÕagrable ces repas, qui sont des choses dont le lecteur peut avoir de la curiosit. Mais avec tout cela les beauts de ses mmoires sont trs-grandes et les dfauts sont trs-petits. SÕil sÕtoit donn la peine de les relire avec un de ses amis, il aurait t les bagatelles ou il les aurait rendues curieuses par les particularits quÕil en aurait dites, comme celle de sa lingre. Quoique cette bonne fortune ne lui fasse pas grand honneur, lÕaventure est si extraordinaire quÕon est bien aise de la savoir. Enfin cÕest un malheur au cardinal de Richelieu et une tache sa vie que dÕavoir perscut un aussi galant homme que le marchal de Bassompierre, et lÕon ne peut aimer celui-ci, comme il est impossible de sÕen dfendre, sans har lÕautre. Č
Marquis de Chantrac.
Je souhaiterais, pour mon contentement particulier, dÕavoir reu, au commencement de ma jeunesse, le conseil (que vous me donnez aprs quÕelle est presque termine) de faire un papier journal de ma vie ; il mÕet servi dÕune mmoire artificielle, non-seulement des lieux o jÕai pass lorsque jÕai t aux voyages, aux ambassades, ou la guerre, mais aussi des personnes que jÕy ai pratiques, de mes actions prives et publiques, et des choses plus notables que jÕy ai vues et oues, dont la connaissance me serait maintenant trs utile, et le souvenir doux et agrable. Mais puisque, faute dÕavertissement ou de considration, jÕai t priv de cet avantage, jÕaurai recours celui que me donne lÕexcellente mmoire que la nature mÕa dpartie, pour rassembler le dbris de ce naufrage, et rtablir cette perte autant que je pourrai, continuant a lÕavenir de suivre votre salutaire conseil, duquel toutefois je nÕuserai point pour lÕeffet que vous me proposez, de laisser celui qui voudra dcrire ma vie la matire de son Ļuvre ; car elle nÕa pas t assez illustre pour mriter dÕtre donne la postrit, et pour servir dÕexemple ceux qui nous survivront, mais seulement pour remarquer le temps de mes accidents et juger quelles annes mÕont t sinistres ou heureuses, et afin aussi que si Dieu me fait la grce de parvenir jusques cette vieillesse qui affaiblit les facults de lÕme et de lÕesprit, et particulirement celles de la mmoire, je trouve dans ces journaux de ma vie ce que jÕaurai perdu dans mon souvenir, lesquels tant ncessaire de remplir pour la plupart de choses basses, ridicules, ou inutiles aux autres, ne seront jamais revues que de moi, quand jÕy voudrai chercher quelquÕune de mes actions passes, ou de vous qui tes un second moi-mme, et pour qui je nÕai rien de secret ou cach, quand vous voudrez apprendre ou connatre quelque chose de mon extraction, de mes anctres, des biens quÕeux et moi ont possds, de ma personne et de ma vie.
Entre les bonnes maisons de lÕempire en Allemagne, celle de Ravenspourg a t, de temps immmorial, tenue des plus anciennes et illustres, dont les seigneurs ont possd les comts de Ravenspourg et de Ravenstein, les baronnies de Bettstein et dÕAlbe, avec la ville de Guenep et plusieurs autres terres, par longues annes. Le pnultime comte de la dite maison, nomm Wlrich IIIe, eut deux enfants auxquels il partagea les biens de sa succession en lÕanne....., et donna son fils an, nomm Ewerard, les comts de Ravenspourg et de Ravenstein avec la seigneurie de Guenep, et laissa au pun, nomm Simon, les baronnies de Bettstein et dÕAlbe, avec plusieurs autres terres dans le pays de Westrich, et cent florins dÕor de rente perptuelle sur chacune des villes de Cologne, de Strasbourg, et de Metz. Or Ewerard, dernier comte de Ravenspourg, nÕayant quÕune fille quÕil voulait donner en mariage au fils an de Simon son frre, qui retournait son bien faute dÕhoirs mles, suivant les constitutions impriales, il en fut empch par lÕempereur Adolph de la maison de Nassau, qui tait oncle maternel de..... marquis de Juliers, qui les dites comts de Ravensbourg et de Ravenstein taient fort commodes pour tre voisines de ses terres ; et voulut que la dite fille fut marie au dit marquis son neveu, auquel il donna, par une patente de bulle dÕor, les dites comts, comme dvolues de par sa femme, fille du dernier comte : et par ce moyen le fils de Simon et ses descendants demeurrent privs de leur lgitime et paternel hritage ; et le dit marquis de Juliers en ayant t mis en possession, lui et ses successeurs en ont joui sans que le procs intent sur ce sujet par ceux de la maison de Bettstein contre les marquis de Juliers, qui est pendant la chambre impriale de Spire, ait pu encore tre jug, ni que les descendants de Simon de Ravenspourg et de Bettstein, qui ont depuis, toutes les dites, prtendu et demand la qualit et le rang de comtes de Ravenspourg, aient pu obtenir autre chose sinon que, quand la litispendance serait juge, on leur ferait droit ; et cependant, quÕils prendraient le rang et la sance de barons de Bettstein.
Les descendants de ce Simon servirent les ducs de Bourgogne en charges honorables de guerre, jusques ce quÕen lÕanne [1475], le duc Charles de Bourgogne ayant conquis une petite ville dÕempire, nomme Epinal, de laquelle mes anctres taient de longtemps burgraves ou protecteurs, et ayant le dit duc Charles fait esprer mon trisaeul, nomm Simon IIe, de lui donner la dite ville aprs la conqute dÕicelle, en investit, contre sa promesse, le seigneur de Neuchtel, marchal de Bourgogne : ce qui fit que le dit Simon quitta son service et se mit dans le parti du duc de Lorraine et des Suisses, qui taient lors en guerre avec le dit Charles, et leur mena trois cents chevaux ses dpends, comme les chroniques en font foi. Et de la bourgravie du dit Epinal est encore demeur en notre maison le cens que la dite ville payait nos anctres lorsquÕelle tait ville libre : lequel cens se comprend dÕune certaine cuiller ou mesure de tout le grain qui se vend en la dite ville.
Ce mme Simon de Bettstein avait pous la fille ane du comte dÕOgervillier ; un seigneur de Crouy ayant pous la seconde, et la troisime fut marie au Reingraf ; le dit comte nÕayant que ces trois filles, auxquelles il partagea son bien ; et pour la part de mon trisaeul churent les terres de Rosieres, Pulligny, Acraigne, Remoncourt et Chicourt, avec la cuiller de la fe, comme au Reingraf chut la bague, et au seigneur de Crouy le gobelet. Il se dit de ces trois pices quÕelles furent donnes au seigneur dÕOgervillier, pre de ces filles, par une fe qui tait amoureuse de lui, et qui le venait trouver tous les lundis en une salle dÕt, nomme en allemand sommerhause, o il venait coucher tous les lundis, sans y manquer, faisant croire sa femme quÕil allait tirer lÕafft au bois, et de l se retirer l : ce qui ayant donn, au bout de deux ans, ombrage sa femme, elle tcha de dcouvrir ce que cÕtait, et entra un matin en t dans cette sommerhause, o elle vit son mari couch avec une femme de parfaite beaut, et tous deux endormis, lesquels elle ne voulut rveiller, seulement tendit sur leurs pieds un couvre-chef quÕelle avait sur sa tte, lequel tant aperu de la fe son rveil, elle fit un grand cri, et plusieurs lamentations, disant quÕelle ne pouvait jamais plus voir le comte son amant, ni tre cent lieues proche de lui, et le quitta, lui faisant ces trois dons pour ses trois filles, quÕelles et leurs descendants devaient soigneusement garder, et ce faisant, quÕils porteraient bonheur en leurs maisons et descendants.
Le mme Simon, aprs la mort du duc Charles le Terrible, se remit au service de la maison de Bourgogne et dÕAutriche, qui furent incorpores par le mariage de Maximilian, fils de lÕempereur Frederich, et de Marie, hritire de Charles de Bourgogne.
Simon de Bettstein eut plusieurs enfants mles ; mais le dernier seulement, nomm aussi Simon IIIe, eut ligne ; lequel fut mari Alix, sĻur ane du seigneur de Baudricourt, marchal de France et gouverneur de Provence et de Bourgogne, laquelle fut hritire par moiti, avec son autre sĻur, marie au seigneur de Chaumont, frre du cardinal dÕAmboyse. Et les biens du dit marchal furent partags entre les deux sĻurs, par leur frre, de faon que tout ce qui lui appartenait au-del de la Meuse, du ct de Lorraine et dÕAllemagne, chut sa sĻur ane, marie mon bisaeul qui eut aussi lÕtat de Baillif de Vosges, lequel fut conserv en la maison pour la commodit des terres qui y sont enclaves, et a pass de suite aprs lui Geoffroy, Franais, et Glaude Antoine, ses descendants ; et ce qui serait de la Meuse du ct de la France cherrait au partage de la seconde, qui tait femme du seigneur de Chaumont sur Loire, lequel eut aussi la capitainerie de Vaucouleurs sur Meuse.
Ce Simon fut colonel de trois mille lansquenets sous lÕempereur Maximilian en plusieurs occasions diverses, et finalement fit guerre par sept ans conscutifs contre la ville impriale de Metz pour son fait particulier, ligu avec le baron de Beaupart, de la maison de Bavire : au bout desquelles sept annes lÕempereur les pacifia, ordonnant la dite ville de payer ces deux seigneurs, pour leurs frais et autres intrts, quatorze mille florins.
Il laissa un fils, nomm Geoffroy, qui fut mari une fille de la maison de Ville, qui fut aussi colonel de retres et de lansquenets sous lÕempereur Maximilian ; qui sur la fin de ses jours, se retira en un ermitage auquel il passa religieusement cinq annes de sa vie, puis trpassa, laissant trois fils et trois filles.
LÕan, nomm Maximilian, eut pour partage tous les biens paternels de la maison de Bettstein, qui fut mari une comtesse de Lininguen, et eut dÕelle un fils nomm Theodorich, qui est mort sans enfants, ce qui a investi Christofle, dernier fils de Franais, des biens paternels de la maison.
Le deuxime, nomm Tiedrich, fut grand prvt de Mayence, chanoine de Wirtsbourg, et eut plusieurs autres bnfices.
Le troisime et dernier, nomm Franois, qui fut mon grand-pre, eut la succession de sa grand-mre Alix de Baudricourt, qui consistait aux terres de Harouel, Removille, Chastelet, Baudricourt, Ville sur Illon, Ormes, Mandres, et autres seigneuries, comme aussi le bailliage de Vosges. Il fut nourri [entretenu] page dÕhonneur du duc Charles de Luxembourg, prince des Flandres, infant dÕEspagne, et depuis empereur Charles Quint, duquel il fut puis aprs gentilhomme de la chambre, et ensuite capitaine de sa garde allemande. Il fut colonel de lansquenets en plusieurs guerres, en France, en Italie, en celle dÕIngolstat, en la bataille gagne contre Maurice de Saxe, et fut enferm au sige de Vienne en Autriche, par Soliman, et suivit lÕempereur en lÕentreprise de Tunis. LÕempereur lÕenvoya ensuite son ambassadeur extraordinaire prs de sa nice Chrtienne, reine de Danemark, douairire de Milan et de Lorraine, pour lÕassister au gouvernement de la Lorraine pendant la minorit du duc Charles son fils, qui fut mis sous la tutelle dÕelle, et de son oncle Nicolas, comte de Vaudemont, sous la protection de lÕempereur Charles Ve. Mais au bout de six ans, le roi Henri deuxime de France ayant fait une puissante arme pour assister les protestants dÕAllemagne contre lÕempereur Charles Quint, il prit en passant les villes impriales de Metz, Toul, et Verdun ; vint en Lorraine, dÕo il chassa la reine de Danemark, et envoya le duc Charles en son royaume pour y tre lev avec les enfants de France ; laissa lÕadministration de la Lorraine au comte de Vaudemont : et mon grand-pre, Franois de Bettstein, qui sÕtait retir en Vosges avec quelques troupes, tant venu Rosieres sous un sauf conduit, pour traiter avec le marchal de Saint-Andr, il fut conclu quÕil remettrait ce quÕil tenait en Vosges entre les mains du roi, quÕil sortirait de la Lorraine avec les troupes quÕil y avait, sans y pouvoir plus rentrer, et que pour assurance plus grande, il donnerait un de ses enfants en otage, moyennant quoi la jouissance de ses biens lui serait accorde ; ce quÕil fit, et y envoya le plus jeune de trois quÕil avait, nomm Christofle de Bettstein, mon pre, qui tait lors page dÕhonneur du duc Charles Emanuel de Savoie : et lui, se retira auprs de son matre lÕempereur Charles, avec lequel il revint au sige de Metz, tant colonel de 3000 lansquenets. Puis le sige tant lev, et lÕempereur ayant remis ses tats entre les mains de son fils unique le roi dÕAngleterre, depuis nomm Philippe deuxime, roi dÕEspagne, ledit empereur retint, pour lÕaccompagner en la retraite quÕil fit au monastre de Just en Espagne o il finit saintement ses jours, sa compagnie des gardes espagnole, et laissa lÕallemande et la flamande, au roi son fils ; mais il voulut que les deux capitaines dÕicelles, (qui taient mon grand-pre et le marquis de Renty), vinssent avec lui jusques au dit monastre de Just (o il se retira) ; la porte duquel il leur dit adieu, et leur donna chacun un beau diamant pour souvenance de lui, et pour marque de leur fidlit, que nous avons depuis soigneusement gard. Mon grand-pre, son retour en Flandres, trouva que le roi catholique lui avait conserv sa charge de capitaine de la garde allemande, mais non celle de gentilhomme de la chambre ; ce qui fut cause quÕil se retira. Et parce quÕil ne pouvait venir habiter en Lorraine, o tait son principal bien, il se tint chez son cousin le duc dÕArscot, qui, en secondes noces, avait pous la tante paternelle du duc Charles de Lorraine, de laquelle est issu le marquis dÕAvray, pre du duc de Crouy, dernier mort. Mais le dit Franois de Bettstein, peu de mois aprs, soit de maladie particulire, ou de regret dÕavoir perdu son bon matre lÕempereur, et dÕtre exil de son bien, ou bien de poison, dont on se douta fort, dcda prs dudit duc dÕArscot, laissant six enfants de sa femme, dame Marguerite de Dommartin, sĻur ane du comte de Fontenoy, savoir : trois mles, Glaude Antoine, Bernhart, et Christofle ; et trois filles, Yolande, abbesse dÕEpinal, Madeleine, comtesse dÕAusbourg, et Marguerite, coadjutrice de Remiremont.
Glaude Antoine de Bassompierre, premier n de Franois, fut gouverneur et Baillif de Vosges comme ses prdcesseurs, et le fut aussi de lÕvch de Metz, aprs quÕil en et chass Salsede, lequel sÕy tait rvolt contre son matre, Mr le cardinal de Lorraine, vque de Metz, qui employa mes oncles, et mon pre, pour lÕen tirer. Ce mme Glaude Antoine fut aussi lieutenant colonel, tant de la cavalerie que de lÕinfanterie de son oncle Mr le Reingraf, qui avait pous la sĻur de Marguerite de Dommartin sa mre. Le dit Reingraf fut envoy avec les 1000 lansquenets de son rgiment et les 1500 retres quÕil commandait, pour assiger le Havre occup par les Anglais, auquel sige Glaude Antoine de Bettstein fut pris en une sortie et envoy en Angleterre, et ne fut dlivr que par la paix qui fut faite entre la France et lÕAngleterre. Il avait pous dame Anne du Chastelet, sĻur du seigneur de Deully, de laquelle il eut une seule fille, nomme Yolande, qui fut marie Erard de Livron, seigneur de Bourbonne, de laquelle il a eu plusieurs fils et filles. Finalement, le dit Glaude Antoine tant venu Paris pour faire la capitulation des deux rgiments de quinze cents chevaux retres chacun, dont le roi Charles avait fait colonels le comte Charles de Mansfeld, son cousin germain, et Christofle de Bassompierre, son frre cadet, en se jouant avec eux, il reut un petit coup dÕpe dans le bas du ventre, qui ne lui entrait pas lÕpaisseur dÕun demi-doigt, dont il mourut par une gangrne qui se mit dans sa plaie.
Quant Bernard de Bassompierre, second fils de Franois, il pousa une hritire de la maison de Maugiron et de Montblet, de laquelle il nÕeut aucuns enfants : il se trouva en plusieurs occasions de guerre, en charges honorables, au service de lÕempereur Maximilian : finalement il mourut de maladie en la ville de Vienne, o il est enterr en lÕglise cathdrale, au retour du sige de Ziguet en Hongrie, o il tait colonel dÕun rgiment de lansquenets.
Des filles, Yolande lÕane a pass sa vie saintement dans son abbaye dÕEpinal, et est morte ge de quatre vingt et neuf ans.
La deuxime, Madeleine, a eu plusieurs enfants, dont le fils an, baron de Raville, a t lieutenant de roi au duch de Luxembourg, et justicier des nobles.
La troisime, Marguerite, fut premirement dame, puis coadjutrice de lÕabbaye de Remiremont, et puis se voulut marier contre le gr de ses frres au seigneur de Vaubecourt ; ce quÕayant excut, mes oncles le turent. Elle se retira chez sa sĻur lÕabbesse dÕEpinal ; et quelque temps de l, sÕen tant alle en Bourgogne avec la doyenne dÕEpinal pour se divertir, elle y pousa un gentilhomme nomm le sieur de Viange, duquel elle eut une fille qui a depuis t abbesse dÕEpinal, et un fils qui fut mari la sĻur du seigneur de Marcoussay, qui a laiss trois fils.
Reste parler de Christofle de Bassompierre, mon pre, dernier des enfants de Franois, qui lÕavait destin tre chevalier de Malte, et mis page dÕhonneur du duc Philebert Emanuel de Savoie, dÕo il le retira pour lÕenvoyer en France lors quÕil fut contraint dÕy donner un de ses fils pour otage.
Ce Christofle, pour tre encore fort petit, ne fut point mis avec le roi dÕEcosse dauphin, comme dÕautres de sa sorte, mais avec Mr dÕOrlans son frre, qui depuis fut le roi Charles neuvime, lequel cause de la conformit de lÕge, ou pour quelque inclination, le prit en grande affection et lui fut fort priv ; de sorte quÕaprs la mort des rois Henry et Franois deuxime, ses pre et frre, tant parvenu la couronne, la paix tant faite avec Espagne, et Mr de Lorraine ayant pous madame Glaude, seconde fille de France, mon dit pre, tant libre de sÕen retourner vers ses frres, fut retenu auprs du dit roi (mineur encore), jusques ce quÕaprs le grand voyage de Bayonne en lÕanne 1564, son frre an, le colonel de Harouel, lui ayant donn son enseigne colonelle, il alla servir en Hongrie avec cette charge, tant lors g de dix sept ans. Ce fut en ce voyage que Mr de Guise, Henry de Lorraine, y fut aussi envoy mme ge, par le cardinal de Lorraine, son oncle, trouver le duc de Ferrare, son oncle maternel, qui tait, cette anne-l, gnral de lÕarme de lÕempereur en Hongrie, lorsque Soliman, empereur des Turcs, assigea Siguet, la prit et y mourut ; et que le dit cardinal le recommanda mon oncle le colonel pour en avoir soin jusques ce quÕil fut auprs de monsieur de Ferrare : ce quÕil fit, et de toute la noblesse qui alla avec lui, qui taient de plus de cent gentilshommes de condition qui marchrent jusques Siguet avec le rgiment de mon oncle, qui sÕembarqua Ulm. Ce fut en ce voyage que cette forte amiti se fit entre Mr de Guise et feu mon pre, qui depuis jusques sa mort, lui a constament gard son cĻur et son service ; et que mon dit sieur de Guise lÕa chri sur tous ses autres serviteurs et affectionns, lÕappelant lÕami du cĻur.
Mon pre demeura deux ans en Hongrie, et ne sÕen revint quÕaprs le dcs de feu mon oncle, son frre le colonel, lequel mourut Vienne comme a t dit ci-dessus. Il fut rappel par le roi Charles IXe, lors fait majeur, qui peu de temps aprs, lui donna la charge de colonel de quinze cents chevaux retres, quÕil nÕavait encore dix neuf ans accomplis. Il donna aussi pareille charge en mme temps son cousin germain, le comte Charles de Mansfeld, qui avait aussi t nourri jeune avec lui, et quÕil aimait fort : et tous deux ayant pri feu mon oncle Glaude Antoine de Bassompierre de venir les aider faire leurs capitulations, le malheur arriva feu mon pre que, se jouant avec son pe, lÕhtel de Tanchou au march neuf, il blessa au petit ventre mondit oncle dÕune fort lgre blessure qui, pour avoir t nglige, lui causa la mort.
Ces deux cousins, avec dÕautres colonels (qui furent aussi employs), servirent utilement le roi aux guerres civiles des huguenots, principalement aux batailles de Jarnac et de Moncontour, auxquelles mon pre, faisant tout devoir digne de lui, et de sa charge, fut bless : en la premire, au bras gauche dÕun coup de pistolet qui lui emporta lÕos du bras nomm la noix, qui conjoint les deux os, et donne le mouvement au coude, dont il fut estropi ; et en lÕautre bataille, qui se donna la mme anne, il eut un autre coup de pistolet au bras droit, au mme lieu que le prcdent, qui lÕestropia dudit bras comme auparavant il lÕtait du gauche. Et est remarquer que deux autres colonels, assavoir le Reingraf, neveu de celui dont a t parl ci-dessus, et qui avait pous la cousine germaine de mon pre, nomme Diane de Dommartin, fille du comte de Fontenoy son oncle, laquelle par le dcs dudit Reingraf, qui mourut de cette blessure, tant devenue veuve, fut remarie au marquis de Havray, et le comte Peter Ernest de Mansfeld qui avait pous la sĻur de mon grand-pre, lequel avait t envoy par le duc dÕAlbe au secours du roi avec des troupes : ces trois colonels, dis-je, furent blesss mme endroit et au mme bras droit, et furent mis en mme chambre, panss par un mme chirurgien, nomm matre Ambroise Paray, qui en fait mention en son livre. Le Reingraf mourut par la fivre qui lÕemporta ; et les deux autres chapprent par le bnfice dÕune eau excellente qui avait t donne autrefois par le baron de la Guarde Mr le cardinal de Lorraine, de laquelle Mr de Guise secourut lors feu mon pre, qui en fit part au comte de Mansfeld son oncle, dont le lit tait proche du sien ; laquelle eau, prise dans une cuiller, empchait trois heures la fivre de venir, ce qui les sauva. Il est de plus remarquer que matre Ambroise Parai ayant dclar aux dits colonels quÕils ne devaient esprer aucun mouvement au bras, cause que la noix du coude tait emporte, et quÕils pouvaient choisir sÕils voulaient avoir le bras droit ou courbe, mon pre donna le choix son oncle de prendre lÕune faon, et quÕil prendrait lÕautre, afin de voir par le succs celui qui aurait le plus heureusement lu : ledit comte choisit dÕavoir le bras tendu, disant quÕavec icelui il pourrait allonger une estocade, et mon pre lÕayant laiss courb, il sÕen aida beaucoup mieux que son oncle ne fit du sien ; car il lui fut du tout inutile, l o mon pre se servait du sien en beaucoup de choses, et ne paraissait pas tant estropi.
Mon pre servit aussi avec ses retres en plusieurs autres voyages et occasions, comme la venue du comte palatin Casimir en France, puis en Guyenne contre les huguenots ; ayant prcdemment t envoy par le roi Charles, avec mille chevaux, au secours du duc dÕAlbe, o il fut la bataille de Meminguen, et demeura un an en Flandres nanmoins la solde et par le commandement du roi : ce que fit pareillement le comte Charles de Mansfeld, fils du comte Peter Ernest.
Aprs cela tant revenus en France, la paix se fit, le mariage du roi de Navarre tant rsolu avec la dernire fille de France, madame Marguerite : il se consomma Paris, et la Saint-Barthlemy ensuite, o mon pre se trouva : et peu de temps aprs, la bonne volont que le roi Charles portait au comte Charles et lui, le porta les vouloir marier avec les deux filles du marchal de Brissac, ce que le comte de Mansfeld reut grce : mais mon pre qui tait pauvre et cadet de sa maison, lui ayant remontr que ces filles, qui taient en grande considration et de peu de bien, ne seraient pas bien assorties avec lui, qui nÕen avait gure, et qui en avait besoin ; mais que, sÕil lui voulait faire la faveur de le marier avec la nice dudit marchal, nomme Louyse le Picart de Radeval, qui tait hritire, et qui madame de Moreuil, sa tante, voulait donner cent mille cus, il lui ferait bien plus de bien, et lui causerait sa bonne fortune : ce que le roi Charles fit, malgr les parents, et malgr la fille mme, qui ne le voulait point, parce quÕil tait pauvre, tranger et allemand. Enfin il lÕpousa ; et peu de jours aprs il sÕachemina au sige de la Rochelle, que Mr le duc dÕAnjou, frre du roi, investit ; auquel sige lui vint la nouvelle de son lection au royaume de Pologne, et dsira que feu mon pre lui accompagnt : ce quÕil fit avec un grand et noble quipage, et lui fit rendre, en passant, beaucoup de service par ses parents, comme lui-mme lui en rendit de trs bons par son entremise vers les princes l o il passa, cause de la langue allemande. Mais comme ledit roi lu voulut partir de Vienne en Autriche, le roi Charles son frre lui ayant mand les brouilleries qui commenaient en France par Mr dÕAlenon et le roi de Navarre, son frre et beau-frre, et comme il avait besoin dÕune leve de mille chevaux retres, il envoya mon pre une commission pour les lever : ce quÕil fit, sÕen revint, et les amena en France la mort du roi Charles, et la reine mre Catherine, rgente, les conserva jusques au retour de Pologne du roi Henry IIIe son fils, lequel lui fit depuis faire une autre leve la rvolte de Mr dÕAlenon, et lÕarrive en France du duc des Deux-Ponts. Et quelques annes aprs il remit ses tats et pensions au roi, pour se mettre de la ligue en lÕanne 1585, en laquelle il amena de grandes leves de retres, de Suisses, et de lansquenets, sur son crdit. Aprs quoi les ligueurs sÕtant accommods avec le roi, Sa Majest voulut quÕil ft une nouvelle leve de quinze cents chevaux en lÕanne 1587, lorsque la grande arme des retres vint en France sous la conduite de Mr de Bouillon et du baron de Dauno. Et bien que ce rgiment fut avec le roi sur la rivire de Loire, la personne de mon pre, et quelques troupes quÕil leva la hte, demeura sur les frontires dÕAllemagne et en Lorraine avec Mr de Guise, et fut la journe du Pont Saint-Vincent, auquel lieu le travail quÕil prit lui causa une fivre continue de laquelle il fut lÕextrmit, et fut plus de six mois sÕen remettre.
1588. Ensuite les barricades de Paris tant survenues en lÕanne 1588, et la paix de Chartres sÕtant jure, le roi assembla les tats Blois. En ce mme temps Mr le duc de Savoie [Charles-Emmanuel Ier] ayant envahi le marquisat de Saluces, le roi envoya qurir feu mon pre pour lui faire faire quatre mille lansquenets dont il lui donna la capitulation : et mon pre sÕen voulant aller pour faire sa leve, il lui commanda dÕarrter encore quinze jours pour recevoir lÕordre du Saint-Esprit au jour de lÕan prochain, quoi se prparant, Mr de Guise fut tu la surveille de Nol, et le roi envoya en mme temps Mr de Grillon, matre de camp du rgiment des gardes [chez mon pre], pour le prendre, afin de dtourner les leves que lÕon pourrait faire pour la ligue en Allemagne, (se doutant bien que lÕaffection que mon pre avait pour Mr de Guise le porterait venger sa mort ; mais comme un des gens de mon pre lui eut dit que les portes du chteau avaient t fermes), se doutant de ce qui tait arriv et de ce quÕil lui pourrait advenir, [il] fit prparer deux bons chevaux, sur lesquels lui et un des siens tant monts, ils sortirent de la ville de Blois comme on en levait le pont, et sÕen vint Chartres quÕil fit rvolter. Puis, tant arriv Paris, il fut men droit lÕhtel de ville o, en une grande assemble qui tait l, fort anime la guerre, il leur parla de lÕaccident arriv ; et lui ayant demand son avis sur ce quÕils devaient faire, il leur dit librement que si ils avaient un million dÕor de fonds pour commencer la guerre, il leur conseillait de lÕentreprendre : sinon, que ce serait le meilleur de sÕaccorder avec le roi aux plus avantageuses conditions que lÕon pourrait, pourvu que les restes de la maison de Guise fussent remis en dignit et honneur, comme quelques serviteurs du roi qui taient dans Paris avaient dj propos. LÕassemble se retira en suspens de ce quoi ils se devaient rsoudre, nÕayant point de fonds comptant pour commencer la guerre ; et une grande partie dÕiceux accompagna mon pre lÕhtel de Guise, qui fut voir la veuve du dfunt duc, et la consoler au mieux quÕil peut.
Il arriva ensuite que, le lendemain matin, un maon qui avait fait une cache au trsorier de lÕpargne Molan dans une poutre de son logis, la dcouvrit messieurs de la ville, o ils trouvrent 330000 cus au soleil : alors, tout le monde cria la guerre, et fut donn de cette somme mon pre 100000 cus au soleil pour les leves de 4000 chevaux retres, de 6000 lansquenets, et de 8000 Suisses, quoi il sÕobligea, et partit en mme temps pour donner ordre les mettre sur pied. Et toutes ces forces se trouvrent, au commencement de juillet de lÕanne suivante 1589, aux environs de Langres, o le duc de Nemours les vint recevoir avec quelques troupes franaises : et la mort du roi Henry troisime tant arrive le 2e dÕaot suivant, Mr du Maine [duc de Mayenne], avec une puissante arme, alla pousser le roi de Navarre Dieppe, et y eut Arques quelque combat : et en mars de lÕanne suivante 1590, la bataille dÕIvry donne, en laquelle mon pre fut bless en deux endroits. Et sÕtant sauv, et retir en Allemagne, puis revenu en Lorraine, puis en France, dÕo il retourna en lÕanne 1592, sur la fin, en Lorraine, et vers ce temps-l lÕvque de Strasbourg tant dcd, il accourut Saverne pour faire brigue en faveur de Mr le cardinal Charles de Lorraine, pour le faire lire vque ; ce qui lui russit heureusement par la promesse quÕil fit au chapitre quÕen cas que cette lection caust du trouble, il serait gnral de leur arme. Comme il advint, parce que les chanoines protestants qui taient Strasbourg lurent le frre du marquis de Brandebourg vque : et il fut assist, outre ses propres forces, de celles de la ville de Strasbourg et du duc de Wurtemberg. Nanmoins mon pre conquit toute lÕvch de de le Rhin, et prit Moltsich, Tachtein, Banfeld, et plusieurs autres places que les protestants avaient saisies.
Aprs quoi sÕtant retir en Lorraine, et quitt, par la conversion du roi Henry IVe, tous les desseins quÕil pouvait avoir en France, il prit le soin de rtablir les affaires de Mr le duc de Lorraine, de traiter la paix avec le roi, et pour cet effet, en lÕanne 1594, il alla Laon que le roi tenait assig, fit la paix entre le roi et Mr de Lorraine, et obtint quÕil demeurerait en neutralit entre le roi dÕEspagne et lui ; et le roi, ayant envoy le sieur de Sancy en Lorraine pour ratifier le trait, ils convinrent aussi de quelque suspension dÕarmes, et ensuite dÕune paix entre les deux lus vques de Strasbourg : et en mme temps y eut quelque pourparler de mariage entre Mr le marquis du Pont, fils an du duc de Lorraine, et Madame, sĻur du roi, qui ne put pour lors russir cause de sa religion. Si fit bien celui du duc de Bavire et de la plus jeune fille du duc de Lorraine, nomme Elisabeth, qui se consomma au carme-prenant de lÕanne 1595, auquel mon pre, en qualit de grand matre, donna lÕordre pour le faire somptueusement russir. Cette mme anne il fonda le couvent des Minimes en la ville neuve de Nancy, et en lÕanne suivante 1596, il mourut au chteau de Nancy le 22 dÕavril, la nuit du dimanche au lundi de Quasimodo.
Il laissa de sa femme, Louyse de Radeval, cinq enfants vivants, savoir trois mles et deux filles, dont je suis le premier n.
Le deuxime fut Jean de Bassompierre, qui fut nourri avec moi, et vnmes en France ensemble. Il fut en Hongrie en lÕanne 1599, et en revint, la suivante, la conqute que le roi fit en Savoie ; puis en lÕanne 1603, sÕtant brouill avec le roi sur le sujet du comt de Saint-Sauveur que nous tenions en engagement, il le quitta et se mit au service du roi dÕEspagne, qui lui donna un rgiment entretenu : et pendant quÕil le mettait sur pied, il sÕen alla au sige dÕOstende ; et sÕtant trouv la prise que les Espagnols firent du bastion du Porc-pic, il fut bless dÕune mousquetade au genou, dont on lui coupa la jambe, et en mourut peu de temps aprs en lÕanne 1604.
Le troisime fils, nomm George Affrican, destin pour tre dÕglise, ne voulut prendre cette profession, oui bien celle de chevalier de Malte, o il fut envoy, et y fit ses caravanes, voyages, et sjours : et comme il tait cinq journes prs de faire les vĻux, la mort de mon frre de Removille tant advenue Ostende, ma mre et moi lui dpchmes en diligence pour empcher quÕil ne les ft, et le ramener Rome, et puis en Espagne : de l, revenu en Lorraine, il se maria en lÕanne 1610 Henriette de Tornielle, fille du comte de Tornielle, grand matre de Lorraine. Il fut bailli et gouverneur de Vosges, et grand cuyer de Lorraine ; puis, en lÕanne 1632, mourut au retour dÕun voyage en guerre quÕil avait fait en Allemagne avec Mr le duc Charles IVe de Lorraine, lorsque, le roi de Sude ayant dfait lÕarme de lÕempereur la bataille de Leipzig, Mrs le duc de Bavire et de Lorraine, vinrent avec leurs forces se joindre aux restes de celle du comte de Tilly pour lui rsister.
Il laissa six enfants, trois fils et trois filles, savoir : lÕan, Anne Franais.
Les filles sont Yolande Barbe de Bassompierre, marie Mr de Houailly : la seconde, Marguerite Anne, coadjutrice dÕEpinal : et la troisime, Nicole Henriette, [dame] secrte de Remiremont.
Anne Franois de Bassompierre, qui naquit le ... jour de mars de lÕanne 1612, fut nourri et lev chez son pre jusques en lÕanne 1624 quÕil me fut envoy en France, o lÕayant tenu quelques mois, je le renvoyai tudier, et apprendre la langue allemande, Fribourg en Briscau, o il fut recteur, et y demeura jusques au commencement de lÕanne 1626 que je le retirai des tudes, et le fis venir prs de moi Soleure, o jÕtais all ambassadeur extraordinaire pour le roi ; puis le ramenai en France, et le mis en lÕacadmie de Benjamin jusques au commencement de lÕanne 1628 quÕil vint me trouver devant la Rochelle, et y demeura tant que le sige dura ; puis me suivit au Pas de Suse, et en la guerre contre les huguenots de Languedoc lÕanne 1629 : laquelle finie (par la soumission quÕils firent au roi), il sÕen alla au sige de Bois le Duc, o il demeura tant quÕil dura avec lÕarme des Hollandais. De l, tant revenu me trouver, je le laissai prs du roi, mÕen allant, en 1630, ambassadeur extraordinaire en Suisse ; et revint avec Sa Majest la guerre et conqute de Savoie. Puis au retour, au commencement de lÕanne 1631, comme le roi me fit mettre prisonnier, je le laissai auprs de Sa Majest ; et alla en sa suite au voyage de Bourgogne lorsque Monsieur son frre sortit de France : au retour duquel mon neveu reut commandement de sortir de France, et sÕen alla trouver son pre en Lorraine et Mr de Lorraine, auprs duquel il demeura, et fut la guerre dÕAllemagne aprs la bataille de Leipzig au retour de laquelle, comme a t dit ci-dessus, le marquis de Removille, son pre, tant mort, Mr le duc de Lorraine continua son fils les charges quÕil possdait de son vivant, qui taient le bailliage de Vosges et lÕtat de grand cuyer, et le tint fort cher, et en ses bonnes grces : et lorsquÕil mit une arme sur pied, il le fit marchal de camp ; laquelle, en son absence, ayant t dfaite en lÕanne 1633, et les affaires de Mr le duc de Lorraine ruines par le roi qui occupa le duch, et que le duc lÕet cd son frre, mon neveu voulut courre la fortune de lÕancien duc son matre, qui lui donna sous lui le commandement de ses troupes rduites quatre cents chevaux, quÕil joignit celles de lÕempereur, qui taient en Alsace sous la charge du marquis Eduart de Baden et du comte de Salm, doyen de Strasbourg ; lesquelles le jour du 12 mars 1634 furent dfaites par le comte Frederich Otto Reingraf : et mon neveu, combattant vaillament et acqurant beaucoup dÕhonneur, fut pris et bless dÕun grand coup de pistolet au bras aprs avoir rendu des preuves signales de son courage, et men Rouffach.
Quant aux deux autres enfants mles de George Affrican de Bassompierre, mon frre, ils sont encore jeunes et aux tudes, pendant quÕen la Bastille jÕcris ceci.
Les filles de Christofle de Bassompierre, mon pre, (au moins de celles qui le survcurent, car il en avait premirement eu une ane, nomme Diane, qui mourut lÕge de dix ans, en lÕanne 1584, Rouen), furent, Henriette, marie en 1603 messire Timoleon dÕEpinay, marchal de Saint-Luc, premirement gouverneur de Brouage et des les, puis lieutenant gnral en Guyenne ; laquelle mourut, en novembre de lÕanne 1609, dÕune mauvaise couche, laissant deux fils et deux filles : lÕan Louis, comte dÕEstelan, le second Franois, seigneur de Saint-Luc ; et deux filles, lÕane Rene, marie au marquis de Beuvron, et lÕautre nomme Henriette, qui fut premirement religieuse Saint-S., puis abbesse dÕEstival, quÕelle quitta pour se faire feuillantine, dÕo ne pouvant souffrir lÕaustrit, elle sÕest mise Saint-Paul de Reims. LÕautre fille de Christofle, nomme Catherine, fut marie, en 1608, Mr le comte de Tillieres, duquel elle a plusieurs fils et filles.
Il a t ncessaire de faire prcder ce prsent journal de ma vie tout ce qui a t narr ci-dessus pour donner une parfaite intelligence de mon extraction, des alliances de ma maison et des prdcesseurs que jÕai eus ; ensemble des biens qui sont venus de ligne droite ou collatrale en la maison de Bettstein, et de ceux que nous prtendons lgitimement nous appartenir. Maintenant je ferai un ample narr de ma vie, sans affectation ni vanit ; et comme cÕest un journal de ce que jÕen ai pu recueillir de ma mmoire, ou que jÕen ai trouv dans les journaux de ma maison qui mÕont donn quelque lumire aux choses particulires, vous ne trouverez pas trange si je dis toutes choses par le menu, plutt pour servir de mmoire, que pour en faire une histoire, mon dessein tant bien loign de cette malsante ostentation.
Je suis issu troisime enfant en ordre de feu Christofle de Bassompierre et de Louyse de Radeval, et premier de ceux qui les ont survcus, qui taient cinq en nombre, comme a t dit ci-dessus.
1579. Je naquis le dimanche jour de Pques fleuries, 12e jour du mois dÕavril, 4 heures du matin, en lÕanne 1579, au chteau de Harouel en Lorraine, et le mardi 21e suivant je fus tenu sur les fonts de baptme par Charles de Lorraine, duc de Mayenne, Jean, comte de Salm, marchal de Lorraine, et Diane de Dommartin, marquise de Havray, et fus nomm Franois.
1584. On mÕleva en la mme maison jusques en octobre [de] lÕanne 1584, qui est le plus loin dÕo je me puisse souvenir, que je vis Mr le duc de Guise, Henry, qui tait cach dans Harouel pour y traiter avec plusieurs colonels de retres, lansquenets, et Suisses, pour les leves de la Ligue. Ce fut lorsque lÕon commena me faire apprendre lire et crire, et ensuite les rudiments. JÕeus pour prcepteur un prtre normand, nomm Nicole Cire. Sur la fin de cette mme anne, ma mre tant alle en France, auquel voyage ma sĻur ane, nomme Diane, mourut, on nous mena, mon frre Jean et moi, Epinal, pour tre nourris chez ma tante lÕabbesse dÕEpinal pendant lÕabsence de ma mre, qui tant revenue cinq mois aprs, elle nous vint qurir, et nous ramena Harouel en lÕanne 1585 que nous passmes au mme lieu, et celle de 1586, sur la fin de laquelle Mr de la Roche Guyon et Mr de Chantelou sÕy retirrent ; et mon pre y vint aussi, o il demeura fort peu. Un intendant des finances de France, nomm Videville, sÕy vint aussi rfugier ; mais, cause de ces autres, il voulut sÕaller tenir Removille dÕo mon pre revenait se refaire dÕune grande maladie.
1587. Au commencement de lÕanne 1587 ma mre accoucha de mon jeune frre Affrican. On nous mena Nancy sur lÕarrive de la grande arme des retres qui brlrent le bourg de Harouel sur lÕautomne. Mon pre eut une trs grande maladie Nancy, quÕil eut au retour du voyage de Montbliard, et que Mrs de Lorraine et de Guise eurent t quelques jours Harouel.
1588. En lÕanne 1588 on nous donna un autre prcepteur nomm Gravet, et deux jeunes hommes, appels Clinchamp et la Motte ; ce premier pour nous apprendre bien crire, et lÕautre danser, jouer du luth, et la musique. Nous ne bougemes de Harouel ou Nancy, o mon pre arriva la fin de lÕanne, chapp de Blois : et nous continumes tudier et apprendre ces autres choses les annes 1589 et 1590, comme aussi en 1591, o je vis Nancy la premire fois Mr de Guise, qui tait chapp de sa prison. Nous allmes, mon frre et moi, au mois dÕoctobre (1591), tudier Fribourg en Briscau, et fmes de la troisime classe : nous nÕy demeurmes que cinq mois, parce que Gravet, notre prcepteur, tua la Motte, qui nous montrait danser ; et ce dsordre nous fit revenir Harouel, dÕo, la mme anne, ma mre nous mena au Pont Mousson pour y continuer nos tudes. Nous nÕy demeurmes que six semaines la troisime, puis vnmes passer les vacances Harouel (1592) ; et au retour nous montmes la seconde, o nous fmes un an ; et aux autres vacances de lÕanne 1593, que nous montmes la premire, nous allmes aux vacances Harouel : lÕanne 1594 [nous allmes] passer le carme prenant Nancy, o nous combattmes la barrire, habills la suisse, le jeune Rosne, les deux Amblise, et Vignolles, aux noces de Montricher qui pousa la sĻur de Tremblecourt, o il se fit force magnificences. Puis nous retournmes au Pont Mousson jusques aux vacances que nous allmes passer Harouel : lesquelles finies, nous retournmes en la mme classe. Puis peu de temps aprs, feu mon pre tant de retour du sige de Laon (o il avait t traiter la neutralit de Lorraine), il nous ramena un gouverneur nomm George de Springuesfeld, Allemand, et nous fit venir Nancy le trouver pour nous le donner, o nous demeurmes jusques aprs la Toussaints : puis retournmes au Pont Mousson, o nous demeurmes jusques au carme prenant de lÕanne suivante 1595 que nous vnmes Nancy aux noces de Mr le duc de Bavire et de madame Elisabeth, dernire fille de S. A. de Lorraine, et le suivmes en Bavire lorsquÕil ramena sa femme en son pays ; passmes par Luneville, Blamont, Salbourg et Saverne, o Mr le cardinal de Lorraine, lgat, et vque de Strasbourg, les festoya trois jours : puis ils passrent Haguenau, de l Wissembourg o ils furent logs chez le commandeur des Teutons, qui tient rang de prince. De l ils allrent Landau, puis Spire o le grand prvt de lÕvch, nomm Metternich, les festina ; puis ils arrivrent Heidelberg, reus, logs, et dfrays par le palatin Frederich lecteur, qui avait pous la fille ane du prince Guillaume dÕOrange. De l nous allmes passer au duch de Wurtemberg, et le duc nous vint trouver une ville de son Etat, nomme Neustadt, o il festina le duc de Bavire qui, aprs y avoir sjourn deux jours, en partit pour aller Donauwert, auquel lieu, cause de lÕinondation du Danube, nous fumes contraints de sjourner trois jours : et le dernier, comme le duc tait dans un bateau pour aller reconnatre le passage pour le lendemain, un de ses pages de valise [porte-malle] qui tait derrire lui, auquel il commanda de tirer un coup de pistolet pour avertir la duchesse devant les fentres de laquelle il passait en bateau, le pistolet faillit de prendre feu, et comme il le voulait rebander, il lcha, tuant un vieux seigneur qui tait entre le duc et moi, assis sur une mme planche, lequel se nommait Notarft. Nous partmes le lendemain de Donauwert, et passmes le Danube avec grande difficult, et fmes deux jours fort mal logs pour les dtours quÕil nous convint faire : enfin le troisime nous arrivmes un chteau du duc de Bavire nomm Isrech, et le lendemain Landshout qui est la seconde ville de la Bavire : nous y passmes la semaine sainte, o il y eut force pnitents. Puis aprs Pques, ayant pris cong du duc et de la duchesse, nous nous en vnmes faire notre stage de chanoines Ingolstadt, o nous trouvmes les trois ducs frres du duc Maximilian, qui y taient aux tudes ; qui taient le duc Philippe, vque de Ratisbonne, qui fut depuis vque de Passau et cardinal : le duc Ferdinand, coadjuteur de Cologne, qui depuis en a t lecteur : et le duc Albert, plus jeune des enfants du duc Guillaume lors rgnant. Nous y continumes peu de temps la rhtorique, puis allmes la logique que nous fmes compendieuse [abrge] en trois mois, et de la passmes la physique, tudiant quand et quand [en mme temps] en la sphre.
Nous allmes au mois dÕaot Munchen, le duc nous ayant pris de venir passer la cervaison (quÕils nomment la hirsfaist) avec lui. Nous vmes le duc Guillaume et la duchesse Madeleine sa femme, et ses deux filles : la princesse Marianne, depuis marie lÕarchiduc Ferdinand, prsentement empereur, et la princesse Madeleine qui, depuis, a t femme du duc de Neubourg et de Juliers. Nous allmes Notre-Dame de Ettinguen, Wasserbourg, et Straubynge, qui taient vers le lieu o la chasse se faisait : puis au bout dÕun mois, quÕelle fut finie, nous vnmes continuer nos tudes jusque en octobre que nous quittmes la physique lorsque nous fmes parvenus aux livres De anima : et parce que nous avions encore sept mois de stage faire, je me mis tudier en mme temps aux institutes du droit, o jÕemployai une heure de classe, une autre heure aux cas de conscience, une heure aux aphorismes dÕHippocrate, et une heure aux thiques et politiques dÕAristote ; auxquelles tudes je mÕoccupai de telle sorte que mon gouverneur tait contraint de temps en temps de mÕen retirer pour me divertir.
1596. Je continuai le reste de cette anne-l mes tudes, et le commencement de celle de 1596. Mon stage finit Pques, auquel temps mon cousin le baron de Boppart vint aborder en Ingolstadt, sÕen allant en Hongrie : il passa Pques avec nous, et le lundi de Pques nous nous embarqumes avec lui sur le Danube et allmes Regensburg ; il en partit le lendemain, et nous allmes trouver Mr le cardinal de Bavire qui tait vque de Ratisbonne, lequel nous logea en son palais, et nous y retint trois jours, au bout desquels nous prmes cong de lui et allmes Nuremberg, o nous tions lorsque feu mon pre mourut ; de Nuremberg nous revnmes par Eichstat Ingolstadt, o nous demeurmes encore prs dÕun mois : et puis, ayant reu les nouvelles de la mort de mon pre, nous allmes Munchen prendre cong du duc et de la duchesse de Bavire, et passant par Augsbourg et Ulm, nous revnmes Harouel, trouver notre mre, puis Nancy faire les funrailles de notre pre. Et ayant demeur quelque temps en Lorraine, mon frre et moi partmes pour aller en Italie, accompagns du sieur de Mallaville, vieux gentilhomme qui nous tenait lieu de gouverneur, de Springuesfeld qui lÕavait prcdemment t, et dÕun gentilhomme de feu mon pre, nomm dÕArandel, et passmes par Strasbourg, Ulm, Augsbourg et Munchen, o nous vmes le duc et la duchesse, puis par Wasserbourg, Notre Dame dÕEttinguen, Bourghaus et Innsbruck ; de l Brixen, puis Trente et Vrone, o les comtes Ciro et Alberto de Canossa (dont le dernier, qui avait t nourri page du duc de Bavire, sÕen tait revenu avec nous), nous vinrent prendre lÕhtellerie, et nous menrent en leur palais, o ils nous firent une grande rception et traitement. Le lendemain nous en partmes pour aller Mantoue, puis Bologne, dÕo nous passmes lÕApennin pour arriver Florence, ayant prcdemment pass par Pratolin, maison de plaisance du grand duc qui tait lors Lambrogiano, lequel nous fit rgaler notre arrive, et nous fit donner des carrosses pour lÕaller trouver le jour dÕaprs Lambrogiano o nous fumes logs et dfrays dans le chteau : le lendemain nous lui fmes la rvrence, puis Madame, de qui feu mon pre tait grand serviteur ; elle voulut que je la menasse pendant quÕelle se promenait au jardin, o ayant rencontr la princesse Marie, depuis reine de France, elle nous prsenta elle. Aprs dner nous partmes de Lambrogiano et retournmes Florence, o ayant demeur quatre jours, nous nous acheminmes Rome par Sienne et Viterbo ; et y ayant sjourn huit jours pour faire nos stations, chelle sainte, et autres dvotions, et pour y visiter les cardinaux qui nous avions adresse, nous partmes pour aller Naples, passant par Gayette, Capoue, et Aversa. Plusieurs gentilshommes franais et trangers y vinrent avec nous sous la sret dÕun bien ample passeport qui nous fut donn par le duc de Sessa, ambassadeur dÕEspagne Rome, lequel (outre quÕil tait ami particulier de feu notre pre), avait sjourn au Pont Mousson un mois pour attendre la sret dÕaller en France, pendant que nous y tions aux tudes, o nous lÕavions souvent visit.
tant arrivs Naples, nous allmes faire la rvrence au vice-roi, nomm don Henrique de Gousman, comte dÕOlivares, et lui portmes les lettres de recommandation du duc de Sessa, lÕouverture desquelles ayant appris notre nom, nous demanda si nous tions enfants de Mr de Bassompierre, colonel des retres en France, qui tait venu au secours du duc dÕAlbe en Flandres, envoy par le feu roi Charles : et comme nous lui emes dit que nous les tions, il nous embrassa avec grande tendresse, nous assurant quÕil avait aim mon pre comme son propre frre, et que cÕtait le plus noble et franc cavalier quÕil eut jamais connu ; quÕil ne nous traiterait pas seulement comme personnes de qualit, mais comme ses propres enfants : ce que vritablement il excuta depuis par tous les tmoignages dÕaffection et de bonne volont dont il se peut imaginer. JÕappris monter cheval sous Jean Baptiste Pignatelle ; mais au bout de deux mois son extrme vieillesse ne lui permettant plus de vaquer soigneusement nous instruire, et en remettant lÕentier soin son creat [sous-cuyer] Horatio Pintaso, mon frre demeura toujours son mange ; mais pour moi, je mÕen retirai, et vins celui de Cesar Mirabbello, qui le tenait proche de la porte de Constantinople. Je fus aussi, la mme anne, voir les singularits de Bayes et de Putsolle, et lÕanne suivante 1597 mon frre eut la petite vrole, et moi ensuite : aprs que nous en fmes guris, nous partmes de Naples en carme, et revnmes Rome logs en un petit palais qui est dans la place de Santa-Trinita, tirant vers les Minimes.
Mr le duc de Luxembourg vint ambassadeur ordinaire du roi vers Sa Saintet.
Sainte-Offange tua Roquemengarde, gentilhomme provenal, et sÕtant retir notre logis, nous le sauvmes dans les Minimes, et de l chez le cardinal Montalte.
Peu de temps aprs Pques nous partmes de Rome pour aller Florence o nous demeurmes apprendre nos exercices, moi sous Rustico Picardini monter cheval, et mon frre sous Lorensin : pour les autres exercices nous emes mmes matres, comme messer Agostino pour danser, messer Marquino pour tirer des armes, Julio Parigi pour les fortifications, auxquelles Bernardo de la Girandole quelquefois assistait, et nous enseignait aussi : nous les continumes tout lÕt, et vmes aussi les ftes de Florence, comme le calcho, le paillo [palio] de la course des chevaux, les comdies, et quelques noces dedans et dehors le palais. Puis aprs la Toussaint, je fus Pratolin porter les premires nouvelles au grand duc de la prise dÕAmiens. De l nous allmes par Pistoya, Pise, et Luques Livorne ; et tant revenus Florence, nous primes cong de Leurs Altesses, et nous acheminmes Bologne ; puis par la Romagne, Fayensa, Imola, Forli, Pesaro, Sinigalla et Ancone, nous arrivmes la veille de Nol Notre Dame de Lorette, et y fmes la nuit nos pques dans la chapelle : le cardinal Gallo nous fit loger au palais de Lorette nomm la Santa Casa, et dfrayer aussi ; et le lendemain, jour de Nol, il me fit tre un des tmoins lÕouverture des troncs des aumnes, qui montrent quelque six mille cus pour ce quartier dernier de lÕanne.
Force gentilshommes franais se rencontrrent aussi Lorette quand et nous [avec nous], et primes tous ensemble rsolution de passer en Hongrie la guerre devant que de revenir chez nous ; et nous lÕtant entre-promis, nous partmes le lendemain de Nol tous ensemble pour nous y acheminer, assavoir : Mrs de Bourlemont et dÕAmblise frres, Mrs de Foucaude et Chaseneuil frres, Mr de Clermont dÕAntragues, Mr le baron de Crapados, et mon frre et moi. Mais comme le naturel des Franais est changeant, trois journes de l quelques uns de ceux qui nÕavaient pas la bourse assez bien fournie pour un si long voyage, ou qui avaient plus dÕenvie de retourner bientt la maison, mirent en avant quÕen vain nous allions chercher la guerre si loin, puisque nous lÕavions si prs de nous ; que nous tions parmi lÕarme du pape, qui sÕacheminait la conqute de Ferrare, dvolue au pape par la mort du duc Alphonse nouvellement dcd, que don Cesar dÕEste dtenait contre tout droit ; que cette guerre nÕtait pas moins juste et sainte que celle de Hongrie, et tait si prochaine que dans huit jours nous serions aux mains avec les ennemis, l o, quand nous irions en Hongrie, les armes ne se mettraient en campagne de plus de quatre mois. Ces persuasions prvalurent sur nos esprits, et conclmes que le lendemain nous irions Forli offrir tous ensemble notre service au cardinal Aldobrandin, lgat de lÕarme, et que je porterais la parole au nom de tous ; et lÕexcutai au mieux que je pus. Mais le lgat nous reut si maigrement, et nous fit si peu de bon accueil, que le soir, la gte, nous ne pouvions assez tmoigner le ressentiment, et la colre que nous avions de son mpris. Alors, feu mon frre commena dire que vritablement nous avions eu ce que nous mritions ; que, nÕtant point sujets du pape, ni obligs cette guerre, nous nous tions all inconsidrment offrir dÕassaillir un prince de la maison dÕEste, qui la France avait tant dÕobligation, qui avaient tous t si courtois aux trangers, principalement aux Franais, et si proches parents non seulement des rois de France dont ils taient sortis par filles, mais aussi de Mrs de Nemours, et de Guise ; et que, si nous valions quelque chose, nous irions offrir nos vies et notre service au secours de ce pauvre prince que lÕon voulait injustement spolier dÕun Etat possd par une si longue suite dÕanctres. Ces mots finis, il nÕeut pas seulement lÕapprobation de tout le reste de la compagnie, mais encore une ferme rsolution dÕaller ds le lendemain droit Ferrare pour nous y jeter. Ce que jÕai voulu reprsenter ici, premirement pour faire connatre lÕesprit volage et inconstant des Franais, et puis ensuite que la fortune est la plupart du temps matresse et directrice de nos actions, puisque nous qui avions fait dessein de donner nos premires armes contre les Turcs, les portmes contre le pape.
Ainsi nous arrivmes la veille du jour de lÕan 1598 Bologne, o nous trouvmes le chevalier Verdelli et quelques autres, qui se joignirent nous pour aller Ferrare, et partmes le 2e pour arriver le 3e Ferrare, o nous fumes logs et reus chez le duc avec toute sorte dÕhonneur et de bonne chre. Nous y trouvmes, dj arriv, Mr le comte de Sommerive, second fils de Mr le duc du Maine, et quelques autres gentilshommes franais qui sÕtaient venus offrir don Cesar. Mais il tait si peu rsolu la guerre, quÕil nous parlait continuellement du peu de moyen quÕil avait de la faire ; quÕil nÕavait point trouv dÕargent aux coffres du feu duc ; que le roi dÕEspagne sÕtait dj dclar pour le pape, et que le roi, son avis, en ferait de mme ; que les Vnitiens qui le portaient la guerre, ne le voulaient secourir ouvertement, et que ce quÕils lui promettaient sous main tait peu de chose. Enfin le jour des Rois, comme il entra avec une grande troupe de seigneurs et gentilshommes pour our la messe en une grande glise prochaine du palais, tous les prtres, nous voyant arriver, quittrent les autels sans achever les messes quÕils avaient commences, et se retirrent de devant nous comme devant des excommunis. Cela acheva de perdre le dessein peu rsolu de don Cesar de conserver Ferrare, et ds lÕaprs dne fit partir la duchesse dÕUrbin, sĻur du feu duc Alfonse, pour aller traiter avec le lgat Aldobrandin. Ce que nous autres considrant, nous prmes le lendemain cong de lui pour aller chacun o bon lui sembla.
Mon frre et moi allmes coucher le 6e du mois Rovigo, et le lendemain Padoue, o nous trouvmes Mr de Tilly qui y faisait ses exercices, lequel nous donna le lendemain dner, et le jour suivant sÕen vint avec nous Venise, o nous sjournmes huit jours. Puis tant revenus Padoue, nous prmes notre chemin par Mantoue et Pavie droit Gnes o nous achevmes de passer le carme-prenant, et o mon frre et moi, tous deux devenus amoureux de la fille du consul des Tudesques, nomme Philippine (o nous tions logs), nous querellmes jusques au point dÕtre quelques jours sans nous parler.
Nous fmes, pendant notre sjour Gnes, pris par les marquis Ambroise et Federic Spinola aux noces de leur sĻur quÕils mariaient au prince du Bourg de Valdetare, de la maison de Candi, ce quÕils firent en notre endroit, ports ( mon avis), par la prire du sieur Manfredo Ravasguieri, qui Mr le comte de Fiesque nous avait recommands.
Nous partmes de Gnes le premier jeudi de carme, et passant par Tortone, nous arrivmes le samedi dÕaprs Milan. Le lendemain nous fmes pris dner par les marquis de Marine, cousins du comte de Fiesque, qui nous firent un magnifique festin, au partir duquel ils nous menrent voir les plus remarquables glises, et autres lieux de la ville ; et le lendemain nous emes permission dÕentrer au chteau, auquel le castellan nous fit une collation avec beaucoup de compliments.
Nous partmes de Milan aprs y avoir sjourn quatre jours, avec le chevalier Verdelli, et lÕambassadeur dÕEspagne en Suisse, nomm Alfonse Casal. Nous passmes Come, puis Lugano et Bellinzona ; de l nous montmes le Saint-Gothard par un fort mauvais temps, et vnmes coucher Altdorf. Le lendemain nous nous mmes sur le lac de Wallestat et de Lucerne, et arrivmes le soir Lucerne, o lÕambassadeur Alfonse Casal nous voulut traiter et loger. Nous en partmes le lendemain, et en deux jours nous vnmes Basle ; puis Tanne, Remiremont, et Epinal chez notre tante, o nous fmes jusques aprs Pques, que, ma mre retournant de France, nous la fmes trouver Harouel, o aprs y avoir demeur quelques jours, nous fmes Nancy.
Septembre. Ń Les dputs du duc de Clves vinrent peu aprs demander madame Antoinette, seconde fille du duc de Lorraine, en mariage, et portrent au duc de Bar une procuration pour lÕpouser en son nom ; aprs quoi ils lÕemmenrent Dsseldorf. Puis en septembre, Mr lÕarchiduc Albert sÕen allant en Italie, pour de l, sÕaller marier en Espagne avec lÕinfante, Mr de Vaudemont lÕalla trouver sur le chemin Valdrevange : mon frre et moi lÕaccompagnmes, et don Diegue dÕIvvarra, qui faisait prs de lui lÕoffice de majordome major, nous ayant mens sa chambre aprs que Mr de Vaudemont se ft retir, il nous fit beaucoup de bon accueil, disant que notre nom et notre maison lui taient chers et toute la sienne.
Au retour de ce petit voyage, nous nous prparmes pour celui de France, ayant prcdemment t Luxembourg pour en avoir permission de Mr le comte Peter Ernest de Mansfeld, notre tuteur honoraire, qui nous la donna fort malaisment, parce quÕil voulait que nous nous missions au service du roi catholique ; et ce fut condition quÕaprs que nous aurions t quelque temps la cour du roi, et en Normandie (o ma mre lui fit croire que nous avions quelques affaires), que nous passerions de l en la cour dÕEspagne, et que nous ne nous embarquerions en lÕune ni en lÕautre jusques aprs notre retour de toutes les deux : il nous fit promettre de plus, que quand nous voudrions faire ce choix, que nous suivrions lÕavis qui nous serait donn sur ce sujet par nos principaux parents et amis.
Octobre. Ń Nous partmes donc de Harouel, mon frre et moi, avec ma mre et mes deux sĻurs, en fort bel quipage, le lendemain de la Saint-Franois, le 5e jour dÕoctobre de la mme anne 1598 ; et passant par Toul, Ligny, Saint-Dizier, Vittri, Fere Champenoise, Provins, et Nangis, nous arrivmes Paris le 12e du mme mois dÕoctobre, et vnmes loger lÕhtel de Montlor, en la rue de Saint-Thomas du Louvre.
Le roi tait pour lors Monceaux avec une grande maladie, de laquelle il fut en grand danger. Il nÕy avait prs de lui, de la connaissance de ma mre, que Mr de Schomberg, pre du marchal, auquel elle crivit pour savoir quand nous pourrions faire la rvrence Sa Majest ; il lui rpondit quÕil nÕtait pas propos dÕy penser seulement, en lÕtat o le roi tait ; et quÕil lui conseillait de nous retenir Paris jusques ce que, Sa Majest y venant, nous puissions recevoir cet honneur. Nous sursmes donc ; et cependant nous fmes la cour Madame, sa sĻur, qui tait destine duchesse de Bar, et tout tait ds lors conclu. Elle eut dessein de me faire pouser Mlle Catherine de Rohan, afin de lÕarrter prs dÕelle en Lorraine o jÕavais quelque bien : mais mon inclination nÕtait pas lors au mariage.
Plusieurs des amis de feu mon pre, ou des parents de ma mre, nous vinrent voir ; comme Dunes, Chanvallon, le marchal de Brissac, Mrs de Saint-Luc frres ; mais plus particulirement que personne, Mr le comte de Gramont, qui, en ce temps-l, recherchait ma sĻur ane : et advint quÕun jour que le roi commenait se mieux porter, Mr le Grand, qui tait premier gentilhomme de la chambre, vint faire un tour Paris, et Mr de Gramont lÕayant su, me vint prendre pour me mener le saluer : mais comme il tait all chez Pregontat se baigner, je ne pus excuter mon dessein que le lendemain matin. Sa courtoisie ordinaire le porta me faire plus de compliments que je ne mritais, et me pressa de demeurer dner chez lui, o les plus galants de la cour taient convis. Pendant le dner, ils proposrent de faire un ballet pour rjouir le roi, et lÕaller danser Monceaux ; quoi chacun sÕtant accord, quelques-uns de la compagnie furent des danseurs, et dÕautres quÕils choisirent, qui nÕtaient pas prsents. Ils me dirent quÕil fallait que jÕen fusse ; quoi je tmoignai un passionn dsir : mais nÕayant point encore fait la rvrence au roi, il me semblait que je ne le devais pas entreprendre. Mr de Joinville dit lors : Ē Cela ne vous en doit point empcher ; car nous arriverons de bonne heure Monceaux : vous ferez la rvrence au roi, et le soir, aprs, nous danserons le ballet. Č De sorte que je lÕappris avec onze autres, qui taient Mrs le comte dÕAuvergne, de Joinville, de Sommerive, le Grand, Gramont, Termes, le jeune Schomberg, Saint-Luc, Pompignan, Messillac, et Maugeron : ce que jÕai voulu nommer, parce que cÕtait une lite de gens qui taient lors si beaux et si bien faits, quÕil nÕtait pas possible de plus. Ils reprsentaient des barbiers, pour se moquer, mon avis, du roi, quÕune carnosit, quÕil avait lors, avait mis entre les mains de gens de ce mtier, pour sÕen faire panser.
Aprs que nous emes appris le ballet, nous nous acheminmes Monceaux pour le danser. Mais comme le roi fut averti que nous y allions, il envoya par les chemins nous dire que, nÕayant point de couvert pour nous loger Monceaux, qui nÕtait, en ce temps l, gure logeable, nous nous devions arrter Meaux, o il enverrait le soir mme six carrosses pour amener avec nous tout lÕquipage du ballet. Par ainsi je fus frustr de mon attente de le saluer avant ledit ballet. Nous nous habillmes donc Meaux, et nous mmes avec la musique, pages, et violons, dans les carrosses qui nous avaient mens, ou que le roi nous envoya, et dansmes ledit ballet, aprs quoi, comme nous tmes nos masques, le roi se leva, vint parmi nous, et demanda o tait Bassompierre. Alors tous ces princes et seigneurs me prsentrent lui pour lui embrasser les genoux : il me fit beaucoup de caresses, et nÕeusse jamais cru quÕun si grand roi et eu tant de bont et de privaut vers un jeune homme de ma sorte. Il me prit, puis aprs, par la main, et me vint prsenter madame la duchesse de Beaufort, sa matresse, qui je baisai la robe ; et le roi, afin de me donner moyen de la saluer et baiser, sÕen alla dÕun autre ct.
Nous demeurmes jusques une heure aprs minuit Monceaux, et puis nous en revnmes coucher Meaux, et le lendemain Paris.
Madame la duchesse eut cong du roi pour venir Paris le voir danser encore une fois chez Madame, lÕhtel de la reine mre, o il se dansa un jour aprs ; et les douze masques prirent pour danser les branles Mlle de Guise, madame la duchesse, Catherine de Rohan, Mlle de Luce, madame de Villars, de la Pardieu, mes demoiselles de Retz, de Bassompierre, de Haraucourt, dÕAntragues, de la Patriere, et de Mortemer : lesquelles jÕai voulu nommer parce que, quand ces vingt-quatre hommes et dames vinrent danser les branles, toute lÕassistance fut ravie de voir un choix de si belles gens ; de sorte que, les branles finis, on les fit recommencer encore une autre fois sans que lÕon se quittt : ce que je nÕai jamais vu faire depuis. Madame, sĻur du roi, ne dansa point, parce quÕelle avait un peu de goutte un pied : mais elle retint lÕassemble depuis dix heures du soir jusques au lendemain quÕil tait grand jour.
Le roi, peu de jours aprs, recouvra sa sant, et sÕen alla changer dÕair Saint-Germain, passant par Paris. Il logea au doyenn de Saint-Germain o logeait madame la duchesse ; et tant Saint-Germain en Laye, il fit baptiser le dernier fils naturel quÕil avait eu de madite dame la duchesse : il fut nomm Alexandre par Madame, sĻur du roi, et Mr le comte de Soissons, qui le tinrent sur les fonts ; et le soir de la crmonie on dansa le grand ballet des Etrangers, duquel jÕtais, de la troupe des Indiens.
Janvier.Ń Cette anne-l finit, et celle de 1599 commena par la crmonie de lÕordre du Saint-Esprit, en laquelle furent nomms et reus chevaliers Mrs le duc de Ventadour, le marquis de Tresnel, Mr de Chevrieres, le vicomte dÕAuchy, Mrs de Palaiseau, le comte de Choisy, Poyanne et Belin.
Le lendemain arriva Mr le duc de Bar qui venait pouser Madame, lequel Mr de Montpensier eut charge dÕaller au-devant, et de lÕamener Paris : le roi vint au-devant entre Pantin et la Chapelle ; et aprs quÕil lÕet embrass, il le laissa entre les mains de Mr de Montpensier, et sÕen alla passer le reste du jour la chasse. Peu de jours aprs il fut mari avec Madame, Saint-Germain, par Mr lÕarchevque de Rouen, frre btard du roi, lequel fut longtemps avant que de pouvoir tre persuad de faire cet acte, cause de la religion que Madame professait. Aprs dner on dansa le grand bal, auquel je menai Mlle de Longueville.
La cour revint Paris, et la cour de parlement vint faire remontrance au roi, tendant ne vrifier lÕdit de Nantes en faveur de ceux de la religion, auxquels le roi rpondit en fort bons termes : jÕy tais prsent.
Fvrier. Ń Sa Majest sÕen alla de l faire un tour Fontainebleau pendant la foire de Saint-Germain, pour ordonner les btiments quÕil voulait y tre faits au renouveau [printemps] ; pendant lÕabsence duquel il se fit ce dsordre dans la foire, de plusieurs princes contre Mr le Grand, o Mr de Chevreuse se brouilla avec Termes : nous accompagnmes Mr le Grand au retour ; et nous rencontrmes avec eux en la rue de Bussy, sans que les uns ni les autres fissent autre chose que se morguer. Mr de Montpensier arrta Termes en son htel, et Mr le Grand tant revenu au sien avec force seigneurs, Mr dÕEsguillon y vint sur la minuit offrir Mr le Grand, sÕil voulait mener son frre sur le pr, quÕil y mnerait Mr de Joinville, et quÕils auraient affaire ensemble. Il rpondit que son frre tait entre les mains de Mr de Montpensier, et quÕil tait serviteur de Mr de Joinville et le sien, nÕtant pas en tat de lui en dire davantage. Cette brouillerie fit revenir le roi de Fontainebleau, qui accommoda le tout, retenant nanmoins Mr de Termes en arrt jusques aprs le partement de Madame, qui sÕen alla le jeudi deuxime jour de carme. Le roi fut ce jour-l la chasse, et de l coucher Fresne, o madame la duchesse se trouva, et alla le lendemain dner Monceaux, o le lendemain Madame arriva dner, qui il fit un superbe festin, et puis lÕalla accompagner jusques Jouarre, dÕo elle partit le lendemain, accompagne de Mrs de Montpensier et de Nemours qui la menrent jusques Chalons.
Aprs le partement de Madame, le roi alla passer son carme Fontainebleau, et la plupart de la cour vint passer par Paris, et y fit quelque sjour. Madame de Retz y revint de Noisy un soir, et Mr le duc de Joyeuse mÕamena avec lui au-devant dÕelle : lui et moi nous mmes dans son carrosse, et revnmes avec elle descendre lÕhtel de Retz, o nous y fmes collation, et nous en retirmes sur le minuit. Il fut tout ce jour de la meilleure compagnie du monde. Je lui donnai le bon soir la porte derrire de son logis quÕil ne fit que traverser, et sÕen alla rendre aux Capucins, o il y a fini saintement ses jours. Le lendemain matin le pre Archange, capucin qui prchait Saint-Germain, le dit en son sermon, o jÕtais sur le jub avec Mrs de Montpensier, dÕEpernon, et le Grand, qui nÕen furent pas plus tonns que moi, mais plus affligs, encore que je le fusse bien fort ; car jÕhonorais particulirement ce seigneur-l.
Je mÕen allai deux jours aprs Fontainebleau, o un jour, comme on eut dit au roi que jÕavais de belles portugaises et autres grandes pices dÕor, il me demanda si je les voulais jouer au cent contre sa matresse ; quoi mÕtant accord, il me faisait demeurer prs dÕelle jouer, pendant quÕil tait la chasse, et le soir il prenait son jeu. Cela me donna grande privaut avec le roi et elle : lequel un jour mÕayant mis en discours de ce qui mÕavait convi de venir en France, je lui avouai franchement que je nÕy tais point venu dessein de mÕembarquer son service, mais seulement dÕy passer quelque temps, et de l en aller faire autant en la cour dÕEspagne, avant que de faire aucune rsolution de la conduite et vise de ma fortune ; mais quÕil mÕavait tellement charm, que, sans aller plus loin chercher matre, sÕil voulait de mon service, je mÕy vouais jusques la mort. Alors il mÕembrassa, et mÕassura que je nÕeusse su trouver un meilleur matre que lui, qui mÕaffectionnt plus, ni qui contribut plus ma bonne fortune et mon avancement. Ce fut un mardi de mars, que je me compte depuis ce temps-l franais, et puis dire que depuis ce temps-l jÕai trouv en lui tant de bont, de familiarit, et de tmoignages de bonne volont, que sa mmoire sera, le reste de mes jours, profondment grave dans mon cĻur.
Avril.Ń La semaine sainte arriva, qui me fit demander cong au roi dÕaller faire mes pques Paris ; lequel me dit que je mÕen viendrais le mardi avec lui Melun, o il allait conduire sa matresse, qui les voulait aussi faire Paris. Comme nous fmes le soir Melun, le roi mÕenvoya appeler comme il soupait, et me dit : Ē Bassompierre, ma matresse vous veut demain amener avec elle dans son bateau Paris : vous jouerez ensemble par les chemins. Č Il la vint le lendemain conduire jusques ce quÕelle sÕembarqua, et me fit mettre avec elle, qui vint aborder proche de lÕArsenal, o le marchal de Balagni et le marquis de CĻuvres, qui lÕattendaient, lÕaidrent sortir, et la menrent au prochain logis de lÕArsenal, o demeurait madame la marchale de Balagni sa sĻur. L, la vinrent trouver madame et mademoiselle de Guise, madame de Retz et ses filles, et quelques autres dames, qui lÕaccompagnrent aux tnbres au petit Saint-Antoine, o la musique des tnbres tait excellente, puis la conduisirent son logis du doyenn Saint-Germain. Elle pria Mlle de Guise de demeurer auprs dÕelle : mais une heure aprs, lui ayant pris une grande convulsion dont elle revint, comme elle voulut commencer une lettre quÕelle crivait au roi, la seconde convulsion lui prit si violente, quÕelle ne revint depuis plus elle. Elle dura en cet tat la toute la nuit et le lendemain, quÕelle accoucha dÕun enfant mort ; et le vendredi-saint, six heures du matin, elle expira. Je la vis en cet tat le jeudi aprs midi, tellement change quÕelle nÕtait pas reconnaissable.
Le vendredi-saint, comme nous tions au sermon de la passion Saint-Germain de lÕAuxerrois, la Varrenne vint dire au marchal dÕOrnano que madame la duchesse venait de mourir, et quÕil tait propos dÕempcher le roi de venir Paris, lequel sÕy acheminait en diligence, et quÕil le suppliait dÕaller au-devant de lui pour lÕen divertir. JÕtais auprs dudit marchal au sermon, lequel me pria dÕy venir avec lui : ce que je fis, et trouvmes le roi par del la Saussaye, proche de Villejuive, qui venait sur des courtauds toute bride. Lors quÕil vit monsieur le marchal, il se douta quÕil lui en venait dire la nouvelle ; ce qui lui fit faire de grandes lamentations. Enfin on le fit descendre dans lÕabbaye de la Saussaye, o on le mit sur un lit. Il tmoigna tout lÕexcs du dplaisir qui se peut reprsenter. Enfin, tant venu un carrosse de Paris, on le mit dedans pour sÕen retourner Fontainebleau, tous les principaux des princes et seigneurs tant accourus le trouver : nous allmes donc avec lui Fontainebleau, et comme il fut en cette grande salle de la chemine, o il monta dÕabord, il pria toute la compagnie de sÕen retourner Paris prier Dieu pour sa consolation. Il retint prs de lui Mr le Grand, le comte du Lude, Termes, Castelnau de Chalosse, Montglat et Frontenac ; et comme je mÕen allais avec tous ceux quÕil avait licencis, il me dit : Ē Bassompierre, vous avez t le dernier auprs de ma matresse ; demeurez aussi auprs de moi pour mÕen entretenir. Č De sorte que je demeurai aussi, et fmes huit ou dix jours sans que la compagnie se grosst, sinon de quelques ambassadeurs qui se venaient condoloir avec lui, et puis sÕen retournaient aussitt.
Mais peu de jours se passrent sans quÕil comment une nouvelle pratique dÕamour avec Mlle dÕAntragues vers laquelle il dpcha souvent le comte du Lude et Castelnau. Enfin madame dÕAntragues vint se tenir Malerbes, et chacun dit au roi quÕil fallait que, pour passer son ennui, il sÕallt divertir : il y alla donc, et en fut fort amoureux. Nous nÕtions que dix ou douze avec lui, mangeant dÕordinaire sa table, logs dans le mme chteau.
Mai. Ń Nous allmes de l au Hallier, et madame dÕAntragues Chemaut, o le roi allait toute heure. Le roi eut au Hallier une grande prise avec Mr le comte dÕAuvergne, en prsence de Sainte-Marie du Mont et de moi, dans la galerie ; et il sÕen alla de l (juin) Chteauneuf, les dames sÕen retournant Paris.
De Chteauneuf nous vnmes la veille de la Saint-Jean Orlans, o tait madame la marchale de la Chastre, et ses deux filles, de Senetere et de la Chastre, qui taient bien belles : mais le roi, le lendemain de la Saint-Jean, partit en poste, et sÕen vint Paris loger chez Gondi, parce que madame dÕAntragues logeait lÕhtel de Lyon. Nous y demeurmes quelques jours : mais enfin, sur un dsordre qui arriva au comte du Lude allant trouver Mlle dÕAntragues de la part du roi, que son pre et son frre firent rumeur, et lÕemmenrent le lendemain Marcoussis : le roi alla un matin Marcoussis en sÕen retournant en poste Blois, o nous ne fmes gure sans revenir Paris ; dÕo le roi revint en un jour en poste, courant neuf chevaux, dont jÕtais de la troupe.
Juillet. Ń Il vint loger chez le prsident de Verdun, o nous soupmes, puis couchmes le roi, et nous mmes jouer aux ds, Mr de Roquelaure, Marcilly, cuyer du roi, et moi. Nous oumes peu aprs crier le roi quÕon vnt lui, et tait sorti de sa chambre. Nous y accourmes, et trouvmes quÕil disputait la porte de sa chambre avec Berringuen quÕil y avait enferm, qui le sens tait tourn par le soleil ardent qui lui avait donn sur la tte le jour, en venant en poste avec le roi. Nous retirmes Berringuen de l, et Mr de Roquelaure coucha en la chambre du roi au lieu de lui.
Le roi nÕavait point dÕquipage en ce voyage, et dnait chez un prsident, soupait chez un prince ou un seigneur, selon ce quÕil leur envoyait mander. Il ne possdait pas encore Mlle dÕAntragues, et couchait parfois avec une belle garce nomme la Glaude. Il advint quÕun soir aprs souper de chez Mr dÕElbeuf, le roi sÕen vint coucher chez Zamet avec cette garce, et comme nous lÕemes dshabill, ainsi que nous nous voulions mettre dans le carrosse du roi, qui nous ramenait en nos logis, Mrs de Joinville, et le Grand, eurent querelle sur quelque chose que ce premier prtendit que Mr le Grand et dit au roi, de Mlle dÕAntragues et de lui ; de sorte que Mr le Grand fut bless la fesse, le vidame du Mans reut un coup travers du corps, et la Rivire un coup dans les reins. Aprs que Mr de Praslain et fait fermer les portes du logis, et que Mr de Chevreuse sÕen ft all, ils me prirent dÕaller trouver le roi, et lui conter ce qui sÕtait pass ; lequel se leva avec sa robe et son pe, et vint sur le degr o ils taient, moi portant le flambeau devant lui. Il se fcha extraordinairement, et envoya la nuit mme dire au premier prsident quÕil le vnt trouver le lendemain avec la cour de parlement ; ce quÕils firent sur les neuf heures du matin. Il leur commanda de faire informer de lÕaffaire, et dÕen faire bonne justice ; ce quÕils firent, et firent assigner le comte de Cramail, Barraut, Chaseron, et moi, pour dposer du fait : et le roi nous commanda dÕaller rpondre aux commissaires, qui taient Mrs de Fleuri, et de Turin, conseillers de la grandÕchambre, ce que nous fmes : et le procs fut instruit. Mais lÕinstante prire que monsieur, madame, et mademoiselle de Guise firent au roi, lÕaffaire ne passa pas plus avant ; et deux mois aprs, Mr le conntable accorda cette querelle Conflans.
Le roi, au bout de deux jours, sÕen retourna Blois, et tt aprs (aot) alla Chenonceau voir la reine Louise qui sÕy tenait lors : il devint un peu amoureux dÕune des filles de la reine, nomme la Bourdaisiere. Il sÕen revint passer lÕt Fontainebleau, allant de fois autre voir Mlle dÕAntragues Malesherbes (septembre), o il en jouit ; et sur lÕautomne, tant de retour Paris, il la fit loger (octobre) lÕhtel de Larchant.
Il alla aussi en poste Orlans, sur le passage de la reine Louise, qui sÕen allait Moulins, et il demeura trois jours Orlans avec elle.
En ce mme temps le cardinal Andrea dÕAutriche passa Orlans, qui y fit la rvrence au roi.
Novembre. Ń Sur la fin de lÕautomne le roi vint Monceaux, dÕo je pris cong de lui pour aller en Lorraine traiter avec S.A., afin quÕil me dlivrt de la caution que feu mon pre tait pour lui, de cent cinquante mille cus quÕil avait emprunts pour le mariage de madame la grand duchesse, sa fille, de laquelle rponsion lÕon mÕinquitait Paris.
Dcembre.Ń Je demeurai six semaines en Lorraine, plutt pour lÕamour que je portais Mlle de Bourbonne que pour cette autre affaire.
Janvier. Ń Enfin je revins la veille des Rois de lÕanne 1600. Mr le duc de Savoie tant quelques jours auparavant arriv prs du roi, qui tait ce soir-l en un grand festin chez Mr de Nemours o le bal se tint ensuite, je lui fus faire la rvrence, et puis il me prsenta Mr de Savoie, lui disant beaucoup de bien de moi.
Ce soir mme vint la nouvelle de la retraite de Canise, laquelle le roi loua infiniment, et lÕaction de Mr de Mercure. Et Mr le comte de Soissons ayant dit l-dessus quÕil sÕtonnait que Mr de Mercure lÕet faite : car il ne lÕestimait pas capitaine ; le roi lui repartit ainsi : Ē Et quÕen diriez-vous sÕil ne vous et pas pris prisonnier, et dfait votre frre ? Č
Trois jours aprs, Mrs dÕAuvergne et de Biron dansrent le ballet des Turcs ; et autant aprs, Mrs de Montpensier, de Guise, et le Grand, dansrent celui des Amoureux, duquel jÕtais : Mr le comte dÕAuvergne, et quelques-uns de nous, dansrent lÕimproviste celui des Lavandires ; et peu aprs, celui des Nymphes : finalement Mr de Nemours dansa celui des Docteurs gracieux ; nous fmes aussi quelques ftes cheval (fvrier).
Je fus cet hiver-l chez madame de Senteni, et puis je devins amoureux de la Raverie : le roi le devint aussi de madame de Boinville et de Mlle Clin.
Mars. Ń Mr de Savoie partit vers la mi-carme. Le roi le fut conduire une lieue de Paris, et sÕen alla faire ses pques Fontainebleau, o peu aprs se fit la confrence en la salle des tuves sur la vrification des articles du livre de Mr du Plessis Mornai contre la messe, o je me trouvai. Mr de Vaudemont lÕy vint trouver.
Avril. Ń Je mÕen allai voir ma mre en Lorraine o je ne demeurai que huit jours.
Mai. Ń Puis le roi tant venu faire ses adieux aux princesses Paris, son dmariement tant fait avec la reine Marguerite, et son mariage conclu avec la princesse Marie de Mdicis, il sÕachemina Lyon en poste, ayant envoy la cour devant, lÕattendre Moulins, o il sjourna quinze jours auprs de la reine Louise, cause, principalement, de la Bourdaisiere, quÕil aimait.
Juillet. Ń Enfin nous arrivmes Lyon o le roi sjourna trois mois, attendant lÕeffet du trait quÕil avait fait avec Mr le duc de Savoie pour la restitution du marquisat de Saluces : enfin il sÕachemina Grenoble, o il arriva le 14e dÕaot. JÕen partis le jour mme pour me trouver la prise de la ville de Montmlian, que Mr de Crquy ptarda dÕun ct avec son rgiment, et Mr de Morges de lÕautre, avec quelques compagnies de celui des gardes. JÕtais avec mon cousin de Crquy, lequel fut plus heureux que Morges, parce que son ptard lui fit ouverture pour entrer en la ville, et lÕautre ne fit quÕun trou fort petit, de sorte que nos gens furent rompre la porte par laquelle les gardes devaient entrer. Nous fmes barricade contre le chteau qui nous tira force canonnades. Il y eut quelque dsordre entre les troupes que menait Morges, et celles de Mr de Crquy, sur un des chevau-lgers du roi qui fut tu par un gentilhomme de Dauphin, nomm Pilon, le prenant pour un ennemi : Mr de Crquy ayant apais la rumeur, il voulut faire remettre lÕpe au fourreau un chevau-lger, nomm Beuseins, Barnais, lequel lui dit quÕil tirt lui-mme la sienne ; ce qui renouvela la noise, qui fut enfin apaise par la prudence de Mr de Crquy. JÕy demeurai tout le lendemain, et la nuit aussi, pendant laquelle nous allmes donner une alarme ceux du chteau, sondant leur foss. Ils nous tirrent extrmement et de mousquetades et de coups de canon : et comme les autres se fussent retirs par dessous la barricade par o ils taient entrs, jÕen perdis la piste ; de sorte que je fus plus dÕune heure la merci du feu du chteau, vingt pas du foss. Enfin Mr de Crquy, en peine de moi, envoya un sergent me chercher, que je fus bien aise de trouver, et plus encore le trou de la sortie.
Je mÕen revins le soir dÕaprs trouver Mr de Grillon, qui menait le rgiment des gardes Chambery, o la nuit mme nous gagnmes les faubourgs, et perant les maisons, vnmes jusques contre la porte de la ville. Le roi y vint le lendemain six heures du matin, et ayant fait sommer la ville, Mr de Jacob, qui en tait gouverneur, vint parler de dessus la muraille Mr de Villeroy, avec lequel il capitula que, si dans trois jours il nÕtait secouru, il rendrait au roi la ville et le chteau de Chambery, et que cependant le roi pourrait sÕapprocher jusques sur le foss, et y planter mme ses batteries. Le roi nÕavait que son seul rgiment des gardes, qui nÕtait pas de quinze cents hommes, trois compagnies suisses, et le rgiment de Crquy avec quelque quatre cents chevaux : et il fallait assiger Chambry et Montmlian tout la fois et sÕopposer aux ennemis ; et si mauvais quipage de lÕartillerie quÕaux quatre canons quÕil avait tirs du fort de Baraut, il commit Vignoles, Termes, Constenant, et moi, commissaires pour en excuter chacun un, ce que nous fmes lÕenvi lÕun de lÕautre ; mais ce fut en vain, car le jour venu, le roi entra Chambry.
Le lendemain la pointe du jour, Mr des Diguires [Lesdiguires] (que le roi avait fait lieutenant gnral en son arme), partit avec tout ce quÕil put emmener de force et tous nous autres volontaires qui tions avec le roi, au nombre de dix ou douze ; et passant la merci des canonnades de Montmlian et de Miolans, vnmes repatre Saint-Pierre dÕAlbigny, puis attaquer une escarmouche Conflans, et passer plus dÕune lieue au-del, pensant y trouver Albigny log avec les troupes de Mr de Savoie : mais il en tait parti le matin ; de sorte quÕil nous fallut retourner Saint-Pierre dÕAlbigny, o nous ne pmes arriver quÕ trois heures aprs minuit, ayant t vingt et quatre heures cheval par un chaud excessif.
Le lendemain Mr Lesdiguires fit sommer Miolans, qui se rendit, et ne voulut point investir ce jour-l Conflans, tant pour la traite du jour prcdent, que parce que cÕtait la fte de Saint-Barthlemy, jour funeste ceux de la religion. Mais le lendemain matin il sÕy achemina avec trois compagnies du rgiment des gardes, et sept de celui de Crquy avec quelque cavalerie. Les gardes avaient lÕavant-garde, et se htrent de devancer le rgiment de Crquy, comme ils firent ; et firent leurs approches par le bas de la place, dans le faubourg que ceux de la ville avaient brl deux jours auparavant, lorsque nous parmes devant la ville : mais peu aprs sÕy tre logs, tant vus et battus par derrire, dÕune maison plate o il y avait quarante mousquetaires, la premire sortie que firent ceux de Conflans, un quart dÕheure aprs, ils rembarrrent les gardes jusques au bas de la montagne. Alors parut le rgiment de Crquy, qui revint prendre avec eux le premier logement. Ceux des gardes, au dner de Mr Desdiguieres vinrent demander un des deux canons destins pour battre la place, afin de forcer cette maison plate qui leur incommodait si fort leur logement. Alors Mr de Crquy, qui tait piqu de ce que les gardes ne lÕavaient pas attendu pour donner ensemble leur gauche lÕinvestissement, offrit Mr Desdiguieres de la prendre sans canon, qui le prit au mot ; et lÕaprs-dne Mr Desdiguieres sÕen vint de lÕautre ct de lÕIsre, vis vis de la dite maison, pour en voir lÕbattement. Un ptardier, nomm Bourquet, attacha un ptard la porte, qui fit plus de bruit que de mal ; mais il y avait une grange tenant la maison, que lÕon sapa, et puis on y mit le feu, qui les contraignit de se rendre misricorde : et Mr de Crquy les amena tous lis Mr Desdiguieres, qui puis aprs alla par en haut lui sixime (dont jÕtais lÕun), reconnatre le lieu o il logerait sa batterie ; et tant sur le haut, un des capitaines du rgiment de Crquy, qui tait un de ces six, nomm la Couronne, parlant avec moi, reut une mousquetade de la ville, qui lui rompit la cuisse. Mr Desdiguieres nous montra o il ferait sa batterie, que nous tenions un lieu inaccessible pour le canon ; mais il nous dit : Ē Demain dix heures mes deux canons seront monts, si je puis gagner ce soir quarante cus Mr de Bassompierre, pour en donner vingt aux Suisses, et vingt aux Franais qui la monteront. Č Ce quÕil fit, ayant premirement fait mener ses canons, munitions, gabions, et plateformes, au pied de la montagne, si droite quÕ peine un homme y pouvait monter pied, et fit creuser des loges pour tenir ceux qui serviraient guinder [hisser] les canons ; qui taient comme des marches o ils se pouvaient tenir, et mit, en montant, cinquante Suisses dÕun ct, et cinquante Franais de lÕautre, avec des cbles ; et avait dÕespace en espace, en montant, fait faire des relais pour reposer le canon, et donner loisir aux Franais et Suisses de remonter aux marches plus hautes : et ainsi ayant premirement fait guinder les gabions, puis les plateformes, les munitions et les affts, finalement monta les canons avec une diligence incroyable, et dont nous nÕavions encore vu en France lÕexprience. La batterie fut prte onze heures, et on commena battre le derrire du chteau, qui est au haut de la ville, contre lÕattente des assigs, qui ne se fussent jamais douts que lÕon les et pris par l. Le roi arriva la batterie sur les deux heures aprs midi, comme nous nous tions prpars pour aller lÕassaut ; ce quÕil ne voulut permettre, et renvoya qurir par Perne, exempt de ses gardes, huit ou dix volontaires, qui tions prts donner : et en mme temps ceux de la ville firent une chamade pour se rendre ; et sortirent deux heures aprs, avec honorable capitulation, mille trente soldats commands par un marquis de Versoy, baron de Vatteville, et nous nÕtions pas tant les assiger.
Le roi partit le lendemain, et vint coucher Saint-Pierre dÕAlbigny. Le jour dÕaprs il dna au chteau de Miolans. Il trouva dedans cinq prisonniers que Mr de Savoie y tenait depuis longues annes, qui ne pouvaient endurer la clart du jour en sortant : il donna la libert quatre, et le cinquime ayant t reconnu pour avoir fait de grandes mchancets en France, fut envoy Lyon, o peu de jours aprs il fut mis sur une roue. De l le roi vint coucher Chamoux pour faire le sige de Charbonnieres que Mr de Grillon avait dj investie. Mr de Sully y amena force canons, quÕil fit guinder lÕexemple de Mr des Diguieres, et le mme jour quÕil fut en batterie, le chteau se rendit (septembre). Nous fmes douze jours ce sige, au bout desquels, et aprs la prise de Charbonnieres, le roi sÕen alla Grenoble.
Je mÕen voulus aller avec Mr des Diguieres en la valle de Maurienne quÕil allait conqurir ; mais le roi me commanda de le suivre. Il vint coucher la Rochette, et le lendemain dner Grenoble ; dÕo, ayant su que madame de Verneuil arrivait Saint-Andr de la Cte, il partit pour sÕy en aller, et me fit prter un des chevaux de son curie pour le suivre. Je fis cette traite au trot, dont jÕtais si las quÕ lÕarrive je nÕen pouvais plus. Ė lÕabord le roi et madame de Verneuil se brouillrent, de sorte que le roi sÕen voulut retourner de colre, et me dit : Ē Bassompierre, que lÕon fasse seller nos chevaux pour nous en retourner. Č Je lui dis que je dirais bien que lÕon sellt le sien, mais que, quant au mien, je me dclarais du parti de madame de Verneuil pour demeurer avec elle : et en mme temps je fis tant dÕalles et de venues pour accorder deux personnes qui en avaient bonne envie, que jÕy mis la paix ; et couchmes Saint-Andr. Le lendemain le roi sÕen retourna Grenoble, y menant madame de Verneuil, et y demeura huit ou dix jours ; puis sÕen revint Chambry o il ne sjourna gure quÕil ne sÕen allt Aix (octobre), puis Nissy o Mr de Nemours le reut fort bien. Il y demeura trois jours, pendant lesquels Mr de Biron le vint trouver, et quitta pour cet effet le sige de Bourg. Nous allmes cependant visiter Genve, o nous vmes Theodore de Bze. Le roi partant de Nissy vint coucher Faverge, qui fut brl en partie la mme nuit par lÕinadvertance de la cuisine de la bouche, o le feu se prit. De Faverge le roi alla Beaufort, et le lendemain vint dner au dessus du col de Cormette quÕil voulut reconnatre, comme une des avenues par laquelle le duc de Savoie pouvait rentrer en son pays. Il sÕen revint coucher Beaufort, le lendemain Saint-Pierre dÕAlbigny, et le jour dÕaprs, passant par les batteries de Montmlian, il sÕen revint Chambry ; mais il logea en un autre logis que le sien, quÕil avait quitt pour le donner monsieur le lgat qui approchait : cÕtait le cardinal Aldobrandin, neveu du pape Clment VIIIe, lors sant.
Cependant lÕarme du roi croissait infiniment, et tous les princes et seigneurs de France y venaient lÕenvi. Les batteries commencrent tirer contre Montmlian : mais aprs le premier jour elles cessrent, parce que le comte de Brandis qui en tait gouverneur, parlementa, et enfin traita que, si dans un mois la place nÕtait secourue par une arme, quÕil la rendrait au roi. Alors monsieur le lgat arriva Chambry, qui y fut reu magnifiquement ; et en passant proche de Montmlian, on mit lÕarme en bataille, qui faisait montre gnrale ce jour-l.
Le roi, en mme temps, sÕen alla Moustiers, parce que le duc de Savoie avait regagn toute cette valle de Saint-Maurice qui est depuis le petit Saint-Bernard jusques au pas du Ciel, qui tait gard par les rgiments de Navarre et de Chambord.
Novembre. Ń Le roi y vint, et y fit attaquer une grande escarmouche, o il fut toujours, pour commander et nous faire retirer, la merci dÕinfinies mousquetades qui lui furent tires. Il sÕen retourna coucher Moustiers, et de l vint Chambry par Montmlian qui lors lui fut livr, suivant la capitulation prcdente. Il y trouva monsieur le lgat, avec lequel il eut diverses confrences sans rien rsoudre.
Madame de Verneuil sÕen retourna en France, et le roi alla assiger le fort Sainte Catherine ; et aprs quÕil lÕeut pris, il le remit entre les mains de ceux de Genve, qui le rasrent lÕheure mme (dcembre) : dont le lgat fut tellement offens, quÕil sÕen voulait retourner tout court, et on eut grand peine de le retenir. Enfin le roi revint sur la fin de lÕanne Lyon, o il trouva la reine qui y avait dj fait son entre, et le mme soir consomma son mariage.
Puis quelques jours aprs, monsieur le lgat tant arriv, il lÕpousa en face dÕglise.
Janvier.Ń Peu de jours aprs le roi conclut la paix entre Mr de Savoie et lui, au gr du lgat, duquel il se licencia, et partit une nuit en poste de Lyon pour sÕen revenir Paris ; et sÕtant embarqu sur lÕeau Roanne, il vint descendre Briare, ayant appris par le chemin la mort de la reine Louise. De Briare, il vint coucher Fontainebleau, et [le] lendemain dna Villejuive, et passant la Seine au bac des Tuileries sÕen alla coucher Verneuil, nÕayant que quatre personnes avec lui, dont jÕtais un. Nous demeurmes trois jours Verneuil, puis vnmes Paris. Le roi logea chez Montglat, au prieur de Saint-Nicolas du Louvre, o il eut toujours les dames souper quÕil envoyait convier, et cinq ou six princes, ou de nous qui tions venus avec lui.
Enfin la reine arriva Nemours, et le roi, courant soixante chevaux de poste, lÕy alla trouver, et la mena Fontainebleau, o ayant demeur cinq ou six jours, elle arriva Paris, loge chez Gondy. Le mme soir le roi lui prsenta madame de Verneuil, qui elle fit bonne chre. Nous allmes la loger chez Zamet, parce que le Louvre nÕtait pas encore apprt. Enfin la reine y vint loger, et le lendemain elle sÕhabilla la franaise, prenant le deuil de la reine Louise. Nous dansmes quelques ballets, et courmes en camp ouvert sur le pont au Change au carme-prenant.
Je pris cong du roi pour aller en Lorraine voir ma mre malade, o je demeurai prs de trois mois, et revins comme madame de Bar et S.A. son beau-pre vinrent en France voir le roi (juin), qui vint au-devant dÕeux Monceaux quÕil avait peu de jours auparavant donn la reine, qui fit de grands festins sa belle-sĻur et Mr de Lorraine. Ce fut l o jÕous un conseil, o le roi me fit demeurer, de peur que je ne mÕen allasse Paris, parce que je lui gagnais son argent : il demanda si il donnerait quelque chose madame de Verneuil pour la marier un prince quÕelle disait la vouloir pouser si elle avait encore cent mille cus. Mr de Believres dit : Ē Sire, je suis dÕavis que vous donniez cent mille beaux cus cette demoiselle pour lui trouver un bon parti. Č Et comme M. de Sully eut rpondu quÕil tait bien ais de nommer cent mille beaux cus, mais difficile de les trouver, sans le regarder le chancelier rpliqua : Ē Sire, je suis dÕavis que vous preniez deux cent mille beaux cus, et que vous les donniez cette damoiselle pour la marier, et trois cent mille ettout [aussi], si moins il ne se peut, et cÕest mon avis. Č Le roi se repentit depuis de nÕavoir cru et suivi ce conseil.
Juillet. Ń De l le roi alla Verneuil, dÕo il partit lÕimproviste pour sÕen aller en poste Calais (aot). Il me renvoya de Verneuil trouver la reine, et sa sĻur, et S.A., pour leur faire compliment de sa part. Je retourna le trouver Calais, et pris cong de lui pour aller au sige dÕOstende, et quelque temps aprs, tant un soir venu trouver le roi Calais (septembre), je trouvai Mr de Biron prt sÕembarquer pour aller en Angleterre, qui me dbaucha pour lui accompagner.
Nous ne trouvmes point la reine Londres ; elle tait en progrs [en voyage] quarante milles de l en un chteau nomm Basin qui appartient au marquis de Vinsester : la reine nous fit recevoir un autre chteau qui est une lieue de Basin, nomm la Vigne, dÕo lÕon vint prendre Mr de Biron pour le mener Basin. Il fut fort honorablement reu de la reine, qui vint le lendemain la chasse avec plus de cinquante dames sur des haquenes contre le chteau de la Vigne, et envoya dire Mr de Biron quÕil vnt la chasse. Le lendemain il prit cong de la reine, et sÕen revint Londres, o aprs y avoir sjourn trois jours, il retourna passer la mer qui le porta Boulogne, et fmes contraints de prendre terre au port Saint-Jean, et dÕarriver minuit Boulogne ; auquel lieu nous arriva la nouvelle de la naissance de monsieur le dauphin, qui naquit le jour de Saint-Cosme, 27e septembre. Nous nous en revnmes en poste trouver le roi Fontainebleau, o il demeura (octobre) jusques ce que la reine fut releve de couche (novembre), et puis sÕen revint Paris, dÕo madame sa sĻur, et Mr de Lorraine, prirent cong de lui pour retourner en leur pays (dcembre).
Peu aprs fut la brouillerie de madame de Verneuil avec le roi, cause sur ce que madame de Villars donna au roi des lettres quÕelle avait crites au prince de Joinville, et lui, lui avait bailles. LÕaffaire se raccommoda sur ce que Mr le duc dÕEsguillon amena au roi un clerc de Bigot, qui confessa avoir contrefait ces lettres, et le prince de Joinville fut banni.
Janvier.Ń JÕallai, peu de jours aprs, voir ma mre en Lorraine, et mÕen revins pour le carme-prenant de lÕanne 1602, auquel les Suisses vinrent jurer le renouvellement de lÕalliance.
Fvrier.Ń Crquy se battit contre Chambaret. La Bourdaisiere se maria au vicomte dÕEstoges. Nous dansmes le ballet des Saisons, et quelques autres.
Mars.Ń Le roi alla en carme Fontainebleau, auquel lieu Laffin le vint trouver la mi-voye [ la moiti du carme], et lui donna les traits de Mr de Biron avec Espagne et Savoie.
Avril. Ń Le roi sÕen alla vers Pques Blois, puis Tours, et de l Poitiers (mai), pour donner ordre aux affaires du Poitou.
Juin. Ń De l nous vnmes passer la Fte-Dieu Blois ; puis Orlans, o le comte dÕAuvergne vint trouver le roi ; de l Fontainebleau, o Mr de Biron vint un matin. Le roi le pressa longuement, au jardin des pins, de lui dire ce qui tait de ses pratiques, et quÕil lui pardonnerait : il en fit de mme lÕaprs-dner, le soir, et le lendemain encore ; et sur le soir le roi donna lÕordre pour le prendre, ce qui fut fait en entrant du cabinet du roi en la chambre Saint-Louis, o Vittri lÕarrta. JÕtais dans la chambre, retir la fentre avec Mr de Montbason, Monglat, et La Guelle. Nous nous approchmes, et lors il dit Mr de Montbason quÕil allt de sa part supplier le roi que lÕon ne lui tt point son pe, et puis nous dit : Ē Quel traitement, Messieurs, un homme qui servi comme moi ! Č Mr de Montbason lui vint dire que le roi voulait quÕil rendit son pe ; il se la laissa ter : lors, on le mena avec six gardes en la chambre en ovale, et en mme temps le roi dit au comte dÕAuvergne quÕil passt au petit cabinet de Lomenie, et dit Mr le Grand, Mr du Maine, et moi, que nous demeurions auprs de lui. Ė quelque temps de l, il nous renvoya relever par Termes, Gramont, et Monglat, et lors fit lire les lettres que Laffin lui avait donnes, crites de la main de Mr de Biron, par lesquelles tout apparaissait de sa conspiration. Nous nous retirmes au jour ; et le lendemain matin ils furent mens tous deux, au-dessus de la chambre de Mr le Grand, et une autre chambre proche de l, sparment. Puis le jour dÕaprs ils sÕembarqurent sur la rivire Valvins, et furent mens par eau descendre lÕArsenal, dÕo on les mena la Bastille. Le roi arriva ce mme jour Paris. Le lendemain quÕils furent arrivs, le roi remit lÕaffaire de Mr de Biron au parlement, qui prit pour leurs commissaires Mrs de Fleuri et de Turin, conseillers la grandÕchambre, qui assistrent Mr le chancelier de Believres et Mr le premier prsident de Harlai instruire le procs. Le roi, cependant, sÕalla tenir Saint-Maur des Fosss, et le parlement fit appeler les pairs de France pour intervenir au jugement de Mr de Biron, lequel, aprs lÕinstruction parfaite de son procs, fut men par eau au Palais, par Mr de Montigni, gouverneur de Paris, avec quelques compagnies des gardes ; o il fut ou sur la sellette, les chambres assembles, et le lendemain toutes les voix furent recueillies, et Mr de Biron condamn avoir la tte tranche en Grve, et ses biens confisqus. Ses parents et amis se jetrent, pendant sa prison, plusieurs fois aux pieds du roi pour lui demander misricorde, et Sa Majest leur rpondit humainement quÕil avait pareil regret quÕeux son malheur, et quÕil lÕaimait ; mais quÕil devait aimer davantage le bien de sa couronne, qui lÕobligeait faire servir dÕexemple celui qui, ayant plus reu de grces, avait plus grivement failli ; et quÕil avait de bons juges, et lgitimes, auxquels il en laissait le jugement. Enfin le... de juillet, il fut excut en la cour de la Bastille, et fut plus agit et transport en cette dernire action que lÕon nÕet cru. Il fut le soir mme enterr Saint-Paul, lÕentre du chĻur de lÕglise, o tout le monde lui alla jeter de lÕeau bnite.
Aot-Septembre. Ń Nous passmes quelque partie de lÕt Saint-Germain ; puis le roi, passant par Paris pour aller Fontainebleau, pardonna au comte dÕAuvergne, et le mit en libert (octobre).
Novembre. Ń La reine accoucha de sa premire fille, maintenant reine dÕEspagne, le 22e de novembre, Fontainebleau, en la mme chambre en ovale o monsieur le dauphin tait n. Nous revnmes Paris sur lÕhiver. Nous fmes un carrousel et plusieurs ballets (dcembre).
Janvier.Ń Saubole se barricada Metz contre Mr dÕEpernon. Le roi y alla, tira Saubole (fvrier), et y mit Requien en sa place.
Mars. Ń Madame, sĻur du roi, vint trouver Leurs Majests Metz, puis Mr le duc de Lorraine, et le duc et duchesse des Deux Ponts. Et le lendemain de Pques, le roi fut coucher Nomeny, et le jour dÕaprs (avril) il arriva Nancy, o il fut reu avec tout lÕapparat et la magnificence imaginable. Madame y dansa un ballet, et aprs que le roi eut demeur huit jours Nancy, il sÕen retourna Fontainebleau, o il fit une dite, et moi aussi. Il eut une rtention dÕurine la veille de la Pentecte (mai), qui le mit en peine, mais il en fut tt dlivr (juin).
Juillet. Ń Mr de Saint-Luc pousa ma sĻur ane au mois de juillet de cette mme anne, et le roi fut Saint-Germain, Monceaux, Tremes, Nanteuil, Villers Coterets et Soissons : puis, tant retourn Paris, je pris cong de lui pour mÕen aller en Hongrie.
Mes parents allemands, qui avaient vu tous mes anctres entirement adonns aux armes, souffraient impatiemment que je passasse ma vie dans lÕoisivet que la paix de France nous causait, et bien que jÕeusse t la conqute du roi en la Savoie, et au sige dÕOstende, ils me pressaient continuellement de quitter la cour de France, et me jeter dans les guerres de Hongrie, et pour cet effet me procurrent le rgiment de trois mille hommes de pied que le cercle de Bavire devait fournir lÕanne 1603. Je refusai cette charge cette anne-l, nÕtant pas propos que, sans avoir aucune pratique ni connaissance du pays, jÕy allasse de plein saut y commander trois mille hommes ; mais bien me rsolus-je dÕy aller volontaire, avec le meilleur quipage que je pourrais ; et pour cet effet, je mÕapprtai le mieux quÕil me fut possible (aot) ; et ayant envoy mon train mÕattendre Ulm pour y apprter un bateau de colonel, et se fournir de tout ce qui serait ncessaire, je partis le 16e dÕaot de cette mme anne 1603, de Paris, et arrivai le 18e Nancy, o je demeurai jusques au 22e et ayant eu des carrosses de relais, je vins coucher Salbourg. Le 23e, je vins dner Saverne chez Mr le doyen Frants de Creange, et coucher Strasbourg. Je demeurai un jour pour faire changer en ducats lÕargent que jÕavais avec moi, et dans un carrosse de louage jÕen partis le 25e et arrivai le 28e Ulm. JÕy demeurai le 29e et vis lÕarsenal de la ville, qui est bien beau, et mÕembarquai le 30e sur le Danube, avec tout mon quipage, dans deux grands bateaux.
Septembre. Ń JÕarrivai le troisime jour dÕaprs, le matin, Neubourg, o le duc, pre de celui dÕ prsent, mÕenvoya enlever et mÕamener en son chteau, o je fus extrmement bien reu : il me retint tout le jour, et le soir il me fit festin aussi beau quÕil se peut. Je pris cong de lui pour partir le lendemain matin, que je vins dner Ingolstat ; puis passant par Ratisbonne, Passau, et Lints, jÕarrivai Vienne en Autriche le 9e de septembre, o je trouvai Mr le prince de Joinville, le Reingraf Frederich, Quinterot, et dÕautres, qui me vinrent trouver aussitt que je fus arriv, et vinrent souper chez moi le lendemain.
Je me trouvai bien en peine lorsque je sus que celui qui commandait cette anne-l lÕarme de lÕempereur en Hongrie tait le Rosworm, lequel tait mon ennemi capital, parce quÕtant autrefois lieutenant des gardes de mon pre la Ligue, lorsque Schartsembourg en tait capitaine, et puis ensuite aux troubles de la France tant devenu capitaine, il tua assez mal le lieutenant, nomm Petoncourt, brave gentilhomme ; et ayant t envoy pour garder le Blancmesnil par mon pre, tant, pendant son sjour, devenu amoureux dÕune jeune demoiselle qui tait refugie au Blancmesnil avec sa mre, il lÕenleva, sous assurance de lÕpouser, et en ayant joui quelque temps, en fit jouir plusieurs autres, et puis la renvoya : ce qui tant venu la connaissance de feu mon pre, il tcha de le faire attraper ; mais lui, avec une douzaine des gardes de feu mon pre, rdait la campagne, et tant venu proche dÕAmiens, logea une maison du mayeur, proche de la ville, en laquelle le feu se prit ; le mayeur ayant fait sortir quelques gens pour teindre le feu, [ils] trouvrent Rosworm quÕils prirent, dont mon pre tant averti, le mit au Racht [ la Justice] pour lui faire trancher la tte : ce qui et t excut si Mr de Vitry, matre de camp de la cavalerie lgre, qui il avait connaissance, et lui avait fait quelque service, ne lui eut donn moyen de se sauver. Depuis ce temps-l, comme il tait brave homme et eut suivi les armes, il tait parvenu cette grande charge ; et sÕtait de telle sorte dclar notre ennemi, que lÕon eut quelque avis quÕil nous avait voulu faire assassiner Ingolstat : de quoi feu mon pre ayant fait plainte au duc de Bavire qui lui avait donn la conduite de son rgiment, il lui en ta cette anne-l la commission, ce qui lÕanima dÕautant plus contre mon dit pre et nous, ses enfants. Toutes ces raisons taient suffisantes pour me faire apprhender de me mettre en lieu o il et toute puissance, et moi dnu dÕassistance et dÕamis. CÕest pourquoi le soir, aprs souper, je communiquai cette doute mon cousin le Reingraf, qui entra dans mon sentiment, et me dconseilla dÕaller en lÕarme, si je nÕavais de bonnes prcautions prcdentes, et quÕil tait dÕavis que je mÕen allasse en Transilvanie sous le gnral George Basta, ami de feu mon pre, et homme de grande rputation pour les armes. Nous en demeurmes l pour ce soir, et le lendemain il me mena faire la rvrence lÕarchiduc Ferdinand, depuis empereur, lequel me fit bon accueil. Ce mme matin vint aussi lÕaudience le docteur Pets, un des principaux conseillers de lÕempereur Rodolphe, arriv le soir auparavant Vienne, o lÕempereur lÕavait envoy pour confrer des affaires avec lÕarchiduc son frre ; lequel tait ami du Reingraf qui me le fit aussi saluer : et comme il tait homme libre, il dit au Reingraf que sÕil lui voulait donner dner ce jour-l, il lui ferait plaisir, parce quÕautrement il irait dner tout seul lÕhostellerie ; le Reingraf lui dit quÕil le mnerait dner chez un autre lui-mme, qui tait moi, son cousin et son frre, et je lÕen priai instament ; ce quÕil accepta tel si [ condition], que le lendemain nous viendrions dner avec lui : car son train arrivait le jour mme.
Or ce docteur Pets nÕaimait pas le Rosworm, et le Reingraf lui ayant dit lÕtat o jÕtais avec lui, aprs le dner, lui et moi tant moiti ivres, il mÕen parla et me dit que je me devais soigneusement garder du Rosworm qui tait le plus mchant de tous les hommes, et quÕil mÕoffrait lÕassistance du colonel Pets, son frre, qui avait trois mille lansquenets en lÕarme ; que le Reingraf, mon cousin, y avait six cents chevaux franais, et autant de la cavalerie de Moravie, quÕil commandait conjointement ; et que je cherchasse encore quelque support en lÕarme ; que de son ct il tcherait de mÕy en trouver, et quÕil sÕoffrait dÕtre entirement mon ami : dont je le remerciai avec les paroles plus exquises que je pus. Sur cela nous nous sparmes avec promesse dÕaller le lendemain dner chez lui : il en pria aussi Mr le prince de Joinville et Quinterot, qui avaient dn avec lui chez moi. Je dis au Reingraf ce que le docteur Pets mÕavait dit du Rosworm, et il fut bien aise que le dit docteur se ft dclar pour moi, et son frre aussi ; car il nÕaimait pas Rosworm.
Le lendemain nous vnmes lÕhostellerie o le docteur Pets nous devait traiter, o nous trouvmes le colonel Zeiffrid Colovich, qui tait arriv le soir de lÕarme, et dna avec nous. Pendant le dner, Colovich et moi fmes brouderchaft [fraternit] avec grandes protestations dÕamiti ; et aprs dner, le docteur Pets lui conta devant moi ce qui tait du Rosworm et de moi, et que, puisque nous tions frres, quÕil fallait quÕil me maintnt en lÕarme et empcht que le Rosworm ne me ft aucun dplaisir : ce quÕil me promit et jura de faire de tout son pouvoir qui nÕtait pas si petit quÕil nÕet mille chevaux allemands du rgiment dÕAutriche, quÕil commandait, outre douze cents Hongrois dont il tait colonel ; et que son frre Ferdinand de Colovich avait quinze cents lansquenets ; quÕau reste le Rosworm tait ha en lÕarme, et quÕil nÕoserait rien entreprendre ouvertement, car ce serait une mchancet trop manifeste ; et que, pour le reste, je viendrais loger en son quartier, o il empcherait bien toute sorte de supercherie ; quÕil retournerait le lendemain lÕarme, quÕil lui dirait quÕil mÕaurait vu Vienne, et quÕil pressentirait sÕil aurait agrable que je le visse, et quÕau pis aller il me tiendrait en son quartier des Hongrois, et que nous ne nous soucierions pas de lui.
Le landgraf de Hessen de Darmestat tait arriv depuis peu Vienne pour aller lÕarme, et avait t pri par le docteur Pets ce mme festin, pendant lequel le dit docteur dit quÕil avait le jour auparavant dn chez moi la franaise, et quÕil nÕavait jamais fait meilleure chre, et quÕil fallait que le lendemain jÕen donnasse la compagnie, qui me promirent dÕy venir, et le Colovich de retarder son partement jusques aprs dner, pour tre de la partie. Ils y vinrent tous, et je leur fis bonne chre. Aprs dner Colovich partit, bien intentionn pour moi, auquel je priai de plus de parler Mr le comte Frederich de Holloe, et son frre le comte Casemir, chanoine de Strasbourg, dont le premier tait colonel de mille chevaux, et le second de cinq cents arquebusiers retres, comme aussi au colonel de Mersbourg, qui taient tous trois mes parents, et le Reingraf leur crivit aussi par lui.
Je demeurai Vienne jusques au 21e de septembre, tant pour mÕy pourvoir de tentes, chariots, chevaux, et autres ustensiles ncessaires lÕarme, o il faut tout porter, parce que lÕon campe, que pour attendre Mr le prince de Joinville, qui mÕavait pri de le mener dans mes bateaux, tant venu sans quipage. Nous partmes donc ensemble ce jour-l, et vnmes coucher quatre lieues de Vienne, dÕo nous nous tions embarqus assez tard.
Le lendemain 22e nous vnmes coucher Presbourg (autrement Possonia), ville capitale de la Hongrie, que possde maintenant lÕempereur. L, nous trouvmes le colonel Germanico Strasoldo, qui menait trois mille Italiens lÕarme : son lieutenant colonel tait Alessandro Rodolfi, et allaient quand et lui [avec lui] en ce voyage, volontaires, les seigneurs Mario et Pompeo Frangipani, le marquis Martinaingue, et le marquis Avogadro. Ils vinrent trouver Mr le prince de Joinville, et lui firent tous cinq la rvrence avec beaucoup dÕoffres dÕamiti, et moi aussi, disant que nous devions tre trs unis ensemble, puisque nous tions tous trangers ; ce que nous leur prommes de notre part.
Le 23e nous navigumes tout le jour, et sur le soir il nous prit envie de nous arrter au gte en une le dserte, et y faire tendre nos tentes pour voir si rien nÕy manquait : mais nous trouvmes la nuit une telle quantit de moucherons (nomms cousins), qui nous gtrent le visage de telle sorte, quÕoutre que nous en fmes toute la nuit inquits outre mesure, le lendemain nous nÕtions pas reconnaissables, tant nous avions nos visages enfls.
Le 24e nous fmes coucher Gomar, o le gouverneur de la forteresse, nomm Jean de Molard, nous vint trouver pour nous prier de venir loger chez lui, dont nous nous excusmes sur notre embarquement que nous voulions faire de grand matin. Il envoya le soir un esturgeon de prsent Mr le prince de Joinville, et moi un autre, et nous manda quÕil esprait nous revoir le lendemain Strigonie, parce que lÕvque dÕAgria et le seigneur Eliachiasy, dputs de lÕempereur pour traiter la paix, avec le comte de Altheim et lui, venaient dÕarriver, qui sÕen allaient Strigonie, o devait tre la confrence.
Nous partmes de Gomar le 25e de bon matin pour tcher de passer Strigonie et viter la rencontre de ces dputs : mais le comte de Altheim nous vint qurir, et nous amena des chevaux pour monter la forteresse. Il fit Mr le prince de Joinville et moi un beau festin souper, o nous bmes mdiocrement : mais de malheur, les dputs susdits tant venus sur la fin du souper, on fit resservir de nouveau, et fmes jusques minuit table, o nous nous ivrmes tellement, que nous perdmes toute connaissance : on nous ramena dans nos bateaux, dÕo nous partmes le lendemain 26e pour aller coucher Vats. Nous emes la nuit quelques alarmes des Turcs, ou pour mieux dire, des Hongrois, qui feignaient tre Turcs pour venir piller : ce qui nous fit passer la nuit dans nos bateaux. Et le 27e de septembre nous passmes auprs de lÕle de Vats, garde par quinze cents lansquenets sous la charge du colonel Ferdinand Colovich, lequel nous attendit dner dans son bateau, et nous traita fort bien, en ayant eu ordre de son frre le colonel Zeifrid Colovich duquel jÕai parl ci-dessus.
Peu aprs que nous fmes dans son bateau, il me retira en sa chambre, o il me donna une lettre de son frre en crance sur lui, par lequel il me mandait que je pouvais en assurance venir saluer le gnral Rosworm en la compagnie de Mr le prince de Joinville ; que Mr de Tilly, qui, cette anne-l, tait sergent major gnral de cavalerie et infanterie de lÕarme, lequel avait autrefois t aufwarter [soldat] de feu mon pre, et qui mÕaffectionnait fort, lui avait dit que le gnral lui avait assur quÕil ne me voulait point de mal en mon particulier, mais quÕaussi il ne voulait point avoir de privaut avec moi, et que je le pourrais saluer en la dite compagnie, et puis ne le gure pratiquer. Il me dit de plus quÕil mÕassurait que plus de la moiti de lÕarme sÕopposerait lui sÕil me voulait faire quelque violence ou mauvais traitement, et que les deux comtes de Hollac, celui de Zolms, le Reingraf, les colonels de Mersbourg, de Pets, de Strasolde, et lui, joints ensemble, taient plus puissants que le gnral ; quÕau reste jÕenvoyasse mes tentes en son quartier des Hongrois qui avaient lÕavant-garde, et que jÕy aurais autant de pouvoir que lui.
Cette nouvelle me rjouit fort, car jÕtais en peine de mon abord avec Rosworm, et en peine aussi, si je ne le voyais point, quÕil ne me voult souffrir lÕarme, o nous arrivmes sur les trois heures aprs midi du mme jour. Et aprs que Mr le prince de Joinville eut salu le Rosworm au-devant de sa tente, je le saluai aussi, et lui moi, puis Mr de Tilly qui mÕentretint jusques ce que Mr de Chevreuse et monsieur le gnral se sparrent : et lors je mÕen vins en mes tentes, qui taient tendues lÕavant-garde chez Colovich qui mÕy mena, puis sÕen alla.
Aprs souper le dit Colovich me manda quÕil me viendrait prendre incontinent, et que je fusse cheval devant ma tente : ce que je fis, et allmes ensemble passer le pont lÕle dÕOdom, qui tait contre notre camp. Il y avait quelque six-vingt [120] Hongrois de ceux du Colovich, qui taient en garde dans lÕle, qui nous dirent que les Turcs passaient dans lÕle une lieue au-dessus, et quÕils faisaient un pont de bateaux pour la traverser. Colovich me fit prendre un de ses chevaux pour quitter le mien qui nÕtait pas assez vite, et allmes reconnatre les Turcs avec cette cavalerie : mais ds quÕils nous ourent venir, ils rentrrent dans les caques (qui sont petits vaisseaux du Danube arms), et sÕen retournrent de lÕautre ct vers lÕarme des Turcs. CÕtait quelque petit nombre de Turcs qui taient venus reconnatre le lieu o ils se camperaient aprs tre passs. Ils ne discontinurent pas pourtant la fabrique de leur pont de bateaux, quÕils avaient dj conduite depuis leur rive jusques une petite le que le Danube fait en ce lieu-l ; et de cette le avaient dj avanc vers nous quatre bateaux, lesquels, le matin suivant 28e septembre, nous rompmes coups de canon, et en fut aussi tir grande quantit du camp des Turcs nous, la rivire entre deux : puis nous nous retirmes au camp, et proche du pont je vis premirement empaler deux prebecs (ou fugitifs de notre arme vers celle du Turc).
Nous passmes le reste de la journe en lÕattente de ce que les Turcs voudraient entreprendre : ce qui nous apparut la nuit prochaine ; car ils passrent en lÕle dÕOdom au mme lieu quÕils avaient reconnu et descendu la nuit prcdente, au nombre de quelque dix mille hommes, tant de pied que de cheval, sur des caques et pontons, et commencrent se retrancher dessein, mon avis, dÕy faire passer ensuite tout le reste de leur arme, si nous ne les en eussions chasss.
Cette petite arme tait des troupes que le frre de lÕcrivan qui avait tant excit de troubles en Asie les annes prcdentes, avait emmenes au camp de Bude, aprs avoir appoint avec lÕempereur des Turcs, lorsque son frre fut mort, aux conditions dÕtre bacha et gouverneur de la Bosnie. Et parce quÕil amenait avec lui lÕlite des rebelles qui taient en grande rputation au Levant, il demanda, avant quÕentrer en son gouvernement, de venir passer un t en la guerre de Hongrie : et, comme lÕcrivan, impatient de repos (tant les deux armes le Danube entre deux), se plaignit quÕil nÕavait point dÕoccasion de faire paratre la valeur de ses gens, il offrit au sardar (qui est dire le gnral bacha) de passer du ct des chrtiens, et de sÕy fortifier en sorte quÕil y pourrait puis aprs passer loisir, et nous combattre.
Le Colovich monta cheval avec ses Hongrois ds la minuit ; et moi, et quelques gentilshommes franais qui mÕaccompagnaient, allmes avec eux : mais ils demeurrent dans le grand retranchement (que lÕon avait fait pour y contenir toute lÕarme), qui tait gard par le rgiment de Strasolde, italien.
Sur la pointe du jour de Saint-Michel, 29e du mois de septembre, nous sortmes du grand retranchement avec deux cents Hongrois pour reconnatre les ennemis : mais nous nÕemes pas fait trois cents pas, que nous trouvmes en tte quelque cent chevaux. Les dits Hongrois, selon leur coutume, sÕtaient tous carts a et l pour faire la dcouverte, et nÕavions pas trente chevaux avec nous, qui prirent tous la fuite en les voyant : mais moi, qui ne pouvais croire que les Turcs se fussent tant avancs, et qui voyais fort peu de diffrence entre eux et les Hongrois, je crus que cÕtaient des ntres, jusques ce quÕun Hongrois fuyant me cria : Ē Heu ! Domine, adsunt Turcae. Č Ce qui me fit retirer aussi. Mais les Turcs ne nous approchrent jamais de trente pas, craignant les embuscades ; car cÕtait dans des taillis que nous tions, et eux taient loigns de plus dÕune lieue hongroise de lÕarme qui tait passe de notre ct.
Le gnral Rosworm vint peu de temps aprs, qui fit passer dans lÕle toute lÕarme, quatre mille hommes prs quÕil laissa la garde de notre camp : et aprs quÕelle fut passe et mise en bataille, il prit le premier une bche, et commena combler le dit retranchement, nous y faisant tous travailler pour animer les soldats ; ce qui ayant t fait en moins de demie heure, il envoya quatre compagnies hongroises du rgiment dÕAnadasti pour escarmoucher les Turcs, qui prirent en mme temps la fuite, et les Hongrois leur donnrent la chasse prs de trois quarts de lieue. Le Rosworm envoya quatre compagnies de carabins ligeois pour les soutenir ; mais comme les Hongrois eurent rencontr mille chevaux turcs qui venaient soutenir les fuyards, ils prirent eux-mmes la fuite, et les Turcs les poursuivirent vivement. Ils taient bien monts, tant pour poursuivre que pour fuir ; mais les carabins, qui ne lÕtaient pas lÕgal dÕeux, furent assez malmens des Turcs, qui en turent plus de quarante avant que les rgiments de cavalerie dÕAutriche et Moravie eussent fait tte, et quÕils se fussent retirs entre ces deux escadrons.
Ils se mirent lors escarmoucher, ce quÕils entendent parfaitement bien, et mieux que les chrtiens, et nous nous mlmes quelque trente volontaires, Franais ou Italiens, en cette escarmouche, parmi les Hongrois : ce qui dura plus de deux heures, et insensiblement nous nous tions beaucoup plus avancs que le gnral ne nous lÕavait ordonn, ce qui avait t cause que les dits rgiments dÕAutriche et de Moravie sÕtaient aussi avancs pour favoriser notre escarmouche. Cela obligea le Rosworm dÕenvoyer le Colovich avec ordre de faire la retraite selon quÕil lui avait ordonne, qui tait en une forme nouvelle et que nous nÕavions encore vu pratiquer. Car aprs que Colovich fut venu premirement aux Hongrois qui escarmouchaient, puis nous, pour nous dire que, sans discontinuer lÕescarmouche, nous perdissions toujours petit petit du terrain, il sÕen retourna ces deux mille chevaux quÕil spara en cinq escadrons, quÕil mit comme un cinq dÕun d : il mit, puis aprs, le capitaine la tte, et le lieutenant la queue de chaque escadron ; puis un point nomm, il fit faire chaque homme des deux premiers escadrons, qui taient en tte, demi-tour gauche, les ayant pour cet effet un peu largis en leurs rangs ; puis lÕescadron ayant la tte tourne devers notre camp, et le lieutenant tant la tte, ces deux escadrons susdits sÕallaient, au trot, remettre derrire les deux escadrons qui faisaient les deux derniers points du cinq du d, laissant autant de distance entre les quatre bataillons quÕil en fallait pour y placer le cinquime pour faire le cinq du d parfait ; puis ils se remettaient la tte tourne devers lÕennemi. Cependant nous perdmes autant de terrain que ces deux escadrons en avaient quitt, lÕescadron du milieu soutenant notre escarmouche ; lequel se retira peu aprs en la mme forme que les deux premiers, et se logea entre les quatre ; et puis les deux derniers escadrons en firent de mme, et ainsi conscutivement jusques ce que, sans dsordre, nous fmes rejoints dans le corps de lÕarme. Alors le gnral la fit toute marcher en bataille droit aux ennemis qui nous attendirent bravement, bien quÕingaux. Comme nous marchions, on nous battait de cinquante canons de lÕautre ct du Danube ; ce qui nous fit quelque peu de mal : mais comme nous emes pass huit ou neuf cents pas, ils ne nous purent plus endommager.
Monsieur le gnral retint auprs de lui Mr le prince de Joinville et monsieur le landgraf avec ses volontaires italiens : mais je mÕtais drob peu auparavant avec huit ou dix gentilshommes franais, et mÕallai mettre la pointe gauche, au rgiment du comte Casimir de Hoenloe, mon cousin, qui me fit lÕhonneur de me mettre sa droite, et ces gentilshommes au premier rang de son escadron. Nous chargemes les premiers un gros de quelques mille chevaux turcs, et tions soutenus de deux mille chevaux, assavoir mille retres du Colovich, et mille du comte Frederich de Hoenloe. Le colonel et moi, avec ses officiers et les Franais que jÕavais amens, chargemes fort bien ; mais les cinq cents chevaux qui taient arquebusiers retres, nÕen firent pas de mme ; ains faisant le caracol [retournement], chaque rang en dchargeant, ils montrrent le flanc aux Turcs qui les chargrent vivement, et nous eussent dfaits si ces deux susdits escadrons ne se fussent avancs, qui nous donnrent loisir de nous rallier, et de les charger de nouveau ; lesquels cette seconde charge ne tinrent plus, et nous les menmes battant jusques sur la rive du Danube, o il sÕen fit une terrible boucherie ; car en mme temps lÕaile droite de notre arme avait charg et dfait lÕaile gauche des Turcs. Ainsi tout fut rompu, et de ces dix mille hommes passs en demeura plus de sept mille sur la place, et plus de mille noys, voulant repasser le Danube nage. Il y eut quelque mille chevaux qui sÕcartrent dans lÕle, qui furent ensuite aussi dfaits, et la plupart tus.
Il mÕarriva un accident en ce combat, qui me pensa perdre. JÕtais mont sur un cheval dÕEspagne alezan, beau et bon, qui mÕavait cot mille cus de Geronimo Gondy ; mais il tait un peu ardent. Il reut dans le combat un coup de sagaie au dessus de lÕĻil, qui le fit battre la main, de sorte quÕil rompit sa gourmette. Je ne mÕen aperus point dans la premire charge ; mais lorsque les ennemis lchrent le pied, je mÕaperus quÕen peu de temps je nÕtais pas seulement le premier des poursuivants, mais plus avant que je ne voulais dans les fuyards, de sorte que, voulant retenir lÕardeur de mon cheval, je vis quÕil mÕtait impossible de lÕarrter. Lors, je le pris par une des rnes pour le faire tourner gauche, ce quÕil fit ; mais il prit sa course dans un gros de mille Turcs, qui se retiraient nÕayant point combattu, et sÕallait jeter dedans, sans que Des Estant, qui me servait dÕcuyer, se jeta la bride, quÕil lui haussa de telle sorte quÕil me donna loisir de me jeter terre vingt pas des Turcs, qui nÕosrent tourner pour me venir tuer, dont ils montraient grand dsir ; car jÕavais des armes dores, graves, trs belles, et quantit de plumes et dÕcharpes sur moi et sur mon cheval. Le dit Des Estant, en se jetant mon cheval, se pera la jambe de mon pe, que jÕavais laisse pendue mon bras, pour me saisir des rnes.
Sur ces entrefaites Mr le prince de Joinville, qui suivait la victoire, me voyant en cet tat, me crut bless, et sÕen vint moi, qui remontai en diligence sur un autre cheval, et poursuivis les Turcs jusques lÕeau. Puis nous revnmes au lieu o tait le Rosworm et autres chefs, assis sur des Turcs morts ; qui me voyant me voulut parler devant tous ces messieurs, et aprs mÕavoir lou de mÕavoir vu bien faire, et que je ne serais pas de la maison dÕo jÕtais issu si je nÕtais vaillant, il me dit ensuite : Ē Feu Mr de Bettstein, votre pre, a t mon matre, mais il mÕa voulu faire indignement mourir. Je veux oublier ce dernier outrage pour me ressouvenir de la premire obligation, et tre dsormais (si vous voulez), votre ami et votre serviteur. Č
Alors je descendis de cheval et le vins saluer, et lÕassurer de mon service, avec les paroles plus efficaces dont je me pus imaginer. Puis il se retourna vers les deux princes, de Joinville et landgraf de Hessen, et les colonels et autres officiers qui taient l, et leur dit : Ē Messieurs, je ne saurais faire cette rconciliation et nouvelle assurance dÕamiti avec Mr de Bettstein en meilleur lieu, aprs une meilleure action, ni devant de plus nobles tmoins. Je vous prie tous demain dner, et lui aussi, pour la reconfirmer. Č Ce que nous lui prommes.
Lors nous nous assmes, Mr de Joinville et moi, comme les autres, sur les corps de ces Turcs morts, et appris pour lors une chose que depuis jÕai connue nÕtre sans raison : un des lieutenants du marchal de camp, vieux colonel nomm Hermestein, nous dit que lÕon pouvait discerner les Turcs dÕavec les chrtiens qui taient l morts, non seulement par la circoncision, mais aussi par les dents, que les Turcs avaient toutes gtes et pourries, cause des turbans dont ils couvrent trop leurs ttes ; que nous ne trouverions point aux Hongrois qui ne la couvrent que de ce petit bonnet : ce que nous trouvmes vritable en plus de cinquante Turcs qui avaient les dents gtes ; et ceux qui nÕtaient point circoncis les avaient fort blanches et nettes.
Aprs cette victoire nous repassmes toute lÕarme de lÕautre ct du Danube, en notre camp, qui nÕy arriva pas toute quÕil ne fut le lendemain 30e de grand jour ; auquel le gnral commanda que lÕon tut tous les prisonniers du jour prcdent, parce quÕils embarrassaient lÕarme : qui fut une chose bien cruelle de voir tuer de sang froid plus de huit cents hommes rendus.
Je vins dner chez le Rosworm, selon la promesse que je lui en avais faite, avec tous les principaux de lÕarme, o nous confirmmes avec le verre, et mille protestations, lÕamiti (quÕil mÕa toujours depuis fidlement garde), que nous avions faite sur le champ de bataille. Aprs dner nous nous mmes jouer la prime, et demeurai jusques minuit dans sa tente, y ayant encore fait collation.
Octobre. Ń Le lendemain premier jour dÕoctobre, le conseil de guerre se tint, auquel on admit les deux princes, et on me fit aussi cet honneur de mÕy appeler, l o fut agit le diffrend dÕentre le baron de Sirai et le colonel de Steremberg qui commandait un rgiment de mille chevaux du royaume de Bohme. Cette querelle demeura plusieurs jours tre appointe parce que lÕon leur ordonna, sur peine dÕinfamie, de vider leur diffrend par le combat ; ce que Steremberg refusa quand Sirai lÕaccorda, et puis, lorsque Steremberg, persuad par ses amis, lÕeut accept, Siraine le voulut point. Enfin le conseil, pour ne les dshonorer tous deux, ordonna au comte de Zults, grand matre de lÕartillerie, et au colonel de Hofkirich de les appointer entre eux sans quÕils sÕadressassent plus au conseil.
Nous demeurmes en repos jusques au dimanche 6e jour dÕoctobre, que quelques Tartares de lÕarme du Turc, ayant pass le Danube nage ( quoi ils sont coutumiers), vinrent donner proche de la tte de notre camp sur quelques gens qui coupaient du foin pour les chevaux de lÕarme. Ils pouvaient tre quelque douze cents, qui, ayant vu que la cavalerie sortait du camp pour les combattre, sÕenfuirent de telle vitesse quÕils disparurent en moins de rien, et allrent repasser le Danube comme ils lÕavaient prcdemment pass.
JÕai dit ci-dessus que les Turcs avaient pass le bras du Danube qui tait entre eux et lÕle dÕOdom, la faveur dÕune petite le de quinze cents pas de tour qui tait au milieu de ce bras du Danube, entre la grande le et eux, et quÕils avaient fait un pont de bateaux depuis leur rive jusques la petite le, et comme nous avions, coups de canon, rompu celui quÕils avaient commenc de faire depuis la dite petite le jusques celle dÕOdom ; ce qui les avait contraints de passer (lors quÕils vinrent nous), sur des caques et radeaux. Ils gardrent encore, depuis la bataille, cette petite le, et conservrent le pont, qui leur donnait communication de leur arme elle. Ils y mirent aussi six canons, desquels ils tiraient ceux qui sÕapprochaient.
Le gnral sÕavisa de se saisir de cette le et de ces canons ; et de fait, fit accommoder un bateau o il y avait dessus deux caques de poudre, dans lesquelles il y avait des ressorts qui y devraient mettre le feu ds quÕils dbanderaient, et on avait mis une perche chacune de ces caques, auxquelles taient attaches des cordes qui faisaient dbander les ressorts quand elles rencontraient quelque rsistance qui les faisait plier ; puis on conduisit ce bateau au fil de lÕeau du pont des Turcs qui donnait communication la petite le, et lorsquÕil vint passer entre deux bateaux, ces perches qui furent arrtes par le pont firent lÕeffet que lÕon sÕen tait promis, et rompirent le pont. Le Rosworm avait ordonn quarante caques qui, dans la nuit obscure qui tait entre le jeudi et le vendredi 11e dÕoctobre, devaient descendre dans lÕle, tuer cent ou six-vingt Turcs qui y taient de garde, et jeter les pices de canon sur des radeaux quÕ cet effet on avait ordonns.
Le tout fut conduit avec un trs bon ordre, hormis quÕune demi-heure devant, les Hongrois destins faire lÕexcution ayant demand dÕtre secourus de cinquante piquiers ou hallebardiers pour soutenir un choc de cavalerie, sÕil y en avait dans lÕle, le Rosworm dit quÕils fissent ce qui leur avait t ordonn, et quÕil ne voulait pas hasarder ses piquiers cette excution, ce qui piqua tellement les Hongrois quÕils ne voulurent point donner dans lÕle, quÕils eussent sans difficult prise, et les canons aussi : car le bateau avec les caques donna contre le pont, et le rompit ; et les Turcs qui taient dans lÕle prirent lÕpouvante de telle sorte quÕils se jetrent dans le Danube pour gagner leur camp, dont plusieurs se noyrent, et nos Hongrois demeurrent au milieu du Danube sur leurs vaisseaux sans vouloir sÕavancer. Nous tions de lÕautre ct du Danube, vis vis de la petite le, pour voir excuter cette entreprise, bien marris de voir que, par la lchet ou mchancet des Hongrois, nous eussions perdu cette occasion.
Le gnral sÕen retourna bien en colre, disant force choses infmes contre les Hongrois ; ce quÕil continua encore le lendemain, principalement lorsque les trois colonels hongrois, Colovich, Anadasti, et Dourgi, le vinrent trouver pour lui faire prendre raison en paiement ; et leur dit que ces troupes hongroises taient sans courage, auxquelles il ne donnerait jamais emploi ni excution faire : ce que ces colonels rapportrent leurs gens, lesquels revinrent le lendemain samedi 12e octobre, dire de la part des Hongrois au gnral quÕaucune lchet ni poltronnerie nÕavait empch les Hongrois dÕassaillir lÕle, mais bien le mpris quÕil avait fait dÕeux, de nÕavoir voulu hasarder cinquante piquiers lansquenets pour les soutenir ; et que, pour preuve que ce nÕtait point la crainte qui avait dtourn leur dessein, ils offraient dÕaller au dessous de notre camp passer en caque le Danube, et faire un fort sur lÕautre rive du ct des ennemis, en la plaine qui est entre Bude et leur camp, en laquelle ils faisaient patre leurs chameaux au nombre dÕenviron dix mille.
Le Rosworm qui connaissait de quelle importance il tait de construire un fort entre Bude et le camp des ennemis, qui les et empchs dÕenvitailler Bude, et aussi voulant faire donner sur les doigts des Hongrois qui nÕavaient pas voulu descendre lÕle, pensa quÕil ferait infailliblement lÕun ou lÕautre. CÕest pourquoi il loua hautement la gnreuse rsolution des Hongrois ; de laquelle il donnait lÕhonneur aux colonels, quÕil disait leur avoir persuad, et lÕheure mme leur fit fournir des caques, des outils, et un ingnieur, pour tracer un fort sur le bord de lÕautre rive, o nos caques allaient quelquefois prendre terre du ct des ennemis, et enlevaient toujours quelque chameau ou buffle, ou quelque malheureux Turc. CÕest pourquoi lÕarme turquesque ne prit point alarme lors quÕils virent aborder deux caques leur rive, deux heures avant la nuit du dit samedi : et aprs que lÕingnieur leur eut trac le fort, ils passrent autres cinq caques avec quelque cinquante travailleurs, qui nÕtonnrent pas ces gardeurs de chameaux. Mais comme la nuit fut venue, il passa jusques huit cents Hongrois, qui travaillrent sans intermission toute la nuit, et furent le matin relevs par cinq cents autres, lesquels continurent le retranchement ; de sorte quÕil y avait un foss de deux toises autour, creux dÕune toise, et le fort relev de prs de dix pieds. Cela donna telle frayeur aux Turcs que toute notre arme ne se voulut camper entre Bude et eux, quÕils se rsolurent de chasser les ntres de ce fort.
La plaine o il tait assis a plus dÕune demi-lieue tant de long que de large, faite en demie lune, qui est borne par les coteaux, par le camp des ennemis et par Bude en lÕarc, et par la rivire en la corde : ces coteaux font cinq valles, outre celle de Bude et celle du camp, et Bude y a la citadelle sur une montagnette, nomme le Blockhaus.
Ds le matin du dimanche 13e octobre les Turcs mirent leurs chameaux en haie, avec chacun une banderole dessus, sur le haut des coteaux, ce qui faisait fort belle vue : et ne fut vu dans toute cette plaine aucun homme ni bte, si ce nÕtait quelque Turc qui passait parfois du camp Bude, ou aux valles, pour porter les ordres.
Le Rosworm fit loger sur la rive de lÕle dÕOdom, vis vis de la plaine des ennemis, quarante canons de batterie ; fit venir au-dessous du dit fort toutes les caques de notre arme qui taient au nombre de soixante, pour recevoir et repasser les Hongrois, en cas quÕils fussent presss de se retirer ; et fit passer en lÕle dÕOdom trois mille chevaux dans notre grand retranchement, et le rgiment du colonel Pets, pour aider aux Italiens de Strasolde, qui y taient logs, de le garder. Je fus le matin dans le nouveau fort, et vis lÕtat de ceux qui taient dedans, que je trouvais bien plus rsolus le construire quÕ le garder : je le dis au retour Rosworm ; mais il me dit quÕil ne sÕattendait pas de conserver ce fort, et quÕayant t construit en une nuit, ce serait merveille sÕil nÕtait dtruit en un jour.
Sur les deux heures aprs midi nous commenmes voir contre-monter lÕarme navale des Turcs, qui tait en ordre de croissant, compose de cinquante-deux caques. Dedans ce croissant taient deux galres vingt-huit bancs, et un peu plus avant une caque entre les deux galres, mais plus avance, qui portait le tambour-major des Turcs : ces deux galres allaient toujours tirant de leur grosse artillerie ; et les caques, chacune, des deux fauconneaux quÕelles portent. Elles nÕeurent pas contre-mont trois cents pas que du Blockhaus de Bude furent tires trois voles de canon, qui tait le signal pour attaquer le fort, et en mme temps sortirent des cinq valles susdites, de Bude, et du camp, plus de vingt-cinq mille chevaux qui couvrirent la plaine, ayant tous le sabre la main, quÕils faisaient passer par dessus leurs ttes leur mode, ce qui faisait paratre infinis miroirs la lueur du soleil, qui, ce jour-l, fut trs beau et clair. Ils vinrent de furie donner notre nouveau fort, et ceux qui ne purent monter servirent de marchepied aux autres pour y entrer, et y turent plus de trois cents de nos Hongrois, le reste sÕtant sauv dans les caques qui taient leur bord pour les ramener au notre. Plusieurs Turcs se jetrent cheval dans le Danube pour attaquer nos caques, dont quelques uns furent tus, et deux amens de notre ct avec les chevaux.
Cependant lÕarme de Danube des Turcs sÕapprochait toujours, tirant incessament, et donna dans les escadrons de retres qui taient en bataille dans lÕle dÕOdom, de sorte quÕil les fallut faire tirer lÕcart, et mettre le rgiment de Pets sur le ventre. Mais lÕheure mme le comte de Zults ayant fait pointer six canons de batterie contre les galres et caques des Turcs, il les fora de sÕen retourner.
Ce fut chose trange que, de quarante canons points contre la plaine o taient les Turcs, qui tirrent par trois fois, il nÕy eut jamais que deux voles de canon qui rasassent lÕhorizon, lesquelles firent chacune une rue par o elles passrent, faisant voler tant de ttes, jambes, et bras en lÕair que, si les autres canonnades eussent fait de mme, ils eussent tu plus de deux mille hommes. Le gnral en attribuait la faute au jour de dimanche, auquel les canonniers et pointeurs sÕtaient enivrs.
Aprs la prise de ce fort les Turcs continurent leur aise de ravitailler Bude, qui tait leur principal dessein : et est certain que, si on leur et pu empcher ce ravitaillement, ce qui se ft pu faire si nous nous fussions de bonne heure camps de lÕautre ct du Danube, Bude ne pouvait plus tenir. Le Rosworm en fut fort blm : mais il sÕexcusait sur ce que, sÕil et pass de lÕautre ct de la rivire, o Bude est situe, que les Turcs eussent infailliblement pris le poste o nous tions logs et ensuite la ville de Pest sans difficult, dÕo ils eussent avec plus de commodit ravitaill Bude quÕils nÕavaient fait par del, et quÕelle ne pouvait faillir dÕtre secourue.
Les Turcs, pour prendre leur revanche du fort que nous avions voulu construire de leur ct, mirent vis vis de notre camp, sur un petit lieu relev proche de Bude, qui y commande, vingt pices de canon, desquelles ils tirrent en batterie par plusieurs jours dans notre camp, non sans quelque dommage. Une aprs-dne que nous jouions la prime avec le gnral et deux autres, une vole de canon pera sa tente en deux endroits : elle tait remarquable pour tre violette, ce qui les y fit souvent pointer leurs pices. Une autre vole renversa la tente du jeune Schomberg, frre du marchal dernier mort, comme je lÕtais all voir, et fmes, quatorze personnes, ensevelis dessous, dont un nomm Boisrot fut bien bless du mt qui chut sur sa tte. Enfin le Rosworm quitta le tertre o il tait log, et se campa en une valle prochaine, dÕo le canon ne le pouvait plus offenser ; et les Turcs, voyant que leur batterie ne nous incommodait plus, la cessrent au bout de cinq jours quÕils lÕeurent continue.
Enfin le gnral, voyant que son sjour en ce mme camp lui tait inutile, et que lÕon le blmait Vienne et Prague de ce quÕavec une si belle arme (car elle tait de trente-cinq mille hommes de pied et de dix mille chevaux), il ne sÕtait os loger du ct des ennemis, mme aprs cette grande dfaite dÕOdom qui les avait affaiblis de quantit dÕhommes, et de leurs meilleurs soldats, il se rsolut de passer de leur ct, et, pour cet effet, fit construire un double pont, pour entrer en lÕle de Vats, et pour en sortir du ct de Saint-Andr, cinq lieues au dessus de Bude. Il alla dner le dimanche 20e dans lÕle de Vats, et passa sur le premier pont, alla visiter lÕautre qui tait fort avanc, puis sÕen revint au camp, dÕo il partit avec toute lÕarme le mardi suivant 22e ; et ayant pass le premier pont, se campa dans lÕle, o il sjourna le lendemain ; et le jeudi 24e lÕarme passa le second pont, qui traversait le bras du Danube voisin de Saint-Andr, et nous campmes assez prs de l.
LÕarme turquesque ne changea point son camp, encore que nous eussions quitt le ntre ancien : mais seulement cinq jours aprs que nous fmes camps sous Saint-Andr, qui fut le dimanche 27e, ils vinrent quelque vingt mille chevaux une lieue prs de notre arme, et sÕtant mis dans une plaine proche dÕune montagne qui les couvrait de notre vue, ils envoyrent cinq cents chevaux lÕescarmouche pour nous attirer dans leur embuscade, dont un Hongrois qui demeurait proche de l nous vint avertir ; ce qui fut cause que nous continumes lÕescarmouche tout le jour sans nous avancer lorsquÕils faisaient semblant de fuir.
Nous demeurmes camps sans rien faire, proche de Saint-Andr, jusques au mardi 5e de novembre, que le gnral partit soleil couch avec cinq mille chevaux, et sÕen vint droit Bude toute la nuit ; et arrivmes la pointe du jour en la ville basse de Bude, qui nÕest point ferme, o lÕon avait donn avis au gnral que quantit des principaux Turcs de lÕarme taient venus loger. Nous donnmes jusques aux curies du roi sans rencontrer personne que de pauvres habitants hongrois ; seulement trouvmes-nous dans les bains quelque trente Turcs qui furent tus comme ils se baignaient. Mais en nous retournant lÕartillerie de la ville et du chteau nous salua rudement, et tua dix ou douze retres. Nous nous en revnmes au camp de Saint-Andr, ayant endur cette nuit-l un trs grand froid.
Or la coutume des armes turquesques qui viennent faire la guerre en Europe, est de ne camper pas plus longuement que jusques au jour de la Saint-Martin, qui est lÕonzime de novembre, si ce nÕest quÕils soient sur la fin dÕun sige, et que le gnral demande encore trois jours en sa faveur, aprs lesquels expirs ils ont pouvoir de couper impunment les cordages des tentes du dit gnral, et, le lendemain, de piller la proviand (qui est le magasin des vivres), et puis sÕen aller sans autre ordre : et comme cette anne-l le dessein des Turcs ne fut autre que dÕavitailler la ville de Bude, qui ptissait et commenait dÕtre affame, le sardar bacha (qui est leur gnral), crut avoir satisfait ses ordres, lÕayant suffisament pourvue de vivres pour deux ans ; de sorte quÕil ne voulut point retenir lÕarme en campagne plus longuement que leur coutume ordinaire, et dlogea du camp o il tait log depuis trois mois, pour sÕen retourner Belgrade, et, de l, licencier lÕarme : dont le gnral fut averti le jour de la Saint-Martin au soir, comme je jouais la prime avec lui dans sa tente, par un homme que lui envoya celui qui commandait dans Pest, qui avait vu leur dlogement et avait envoy quelques hussards ctoyer la rivire jusques Belgrade, dont il lui mandait quÕil lui donnerait avis de temps en temps jusques ce que lÕarme fut dbande : ce quÕil fit le lendemain, et le jour dÕaprs, qui tait le 13e, il lÕassura que la plupart de lÕarme tait envoye en ses garnisons, et que les troupes dÕAsie sÕembarquaient sur le Danube pour sÕen retourner. Ce quÕayant su aussi par divers espions hongrois qui taient en la dite arme des Turcs, il fit repasser lÕarme le 15e de novembre en lÕle de Vats, o il sjourna le lendemain pour licencier ou mettre en diverses garnisons une grande partie de lÕarme. Il envoya le colonel Gaisperguer avec son rgiment de lansquenets de quinze cents hommes Pest, qui est vis vis de Bude ; et parce quÕils faisaient difficult dÕy entrer sÕils nÕavaient un prt, attendant leurs montres, le gnral me pria de prter deux mille ducats pour leur donner, mÕassurant de me les faire rendre dans peu de jours : ce quÕil fit, sachant que je ne manquais pas dÕargent, leur ayant gagn la prime, depuis que jÕtais arriv lÕarme, plus de huit mille ducats.
Mr le prince de Joinville, Mr le landgraf de Hessen, monsieur le Reingraf, Schomberg, et les volontaires italiens sÕen retournrent de Vats, et moi je suivis lÕarme volante de trois mille chevaux et de huit mille hommes de pied que le gnral retint, avec laquelle il partit le 17e de lÕle, et vint camper quatre lieues loin de la rivire, et le lendemain il vint assiger la ville de Hatwan qui ne tint que trois jours, puis se rendit ; il y mit le rgiment de Roemer, de quinze cents hommes, en garnison, et vint loger trois lieues de l : puis le lendemain il vint camper devant Strigonie, de lÕautre ct du pont de bateaux qui y tait fait. Nous en dlogemes le lendemain 24e de novembre aprs avoir rompu lÕarme, quÕil licencia ou envoya en diverses garnisons, et vnmes dner et coucher Javarin par un froid extrme. Le lendemain nous en partmes, et vnmes coucher Gomar, o je sjournai trois jours avec le Rosworm, qui tait amoureux de la Sra Anna Regina de Holnec, sĻur de la femme du gouverneur de Gomar, Jean de Mollart, laquelle tait dame de la reine dÕEspagne, et lÕavait accompagne jusques Madrid ; mais elle ne voulut demeurer en Espagne, et sÕen tait retourne lÕanne auparavant. Elle pensait pouser le Rosworm ; mais cÕtait un vieux matois qui ne sÕentendait pas au mariage.
Nous partmes de Gomar le 29e, et arrivmes le 30e et dernier de novembre Vienne en Autriche, o je trouvai dj arrivs Mrs de Joinville, Reingraf, Schomberg, et autres qui avaient t dans lÕarme. JÕy trouvai aussi mes amis Carle de Harach, Zeifrid Bremer, Quinterot, et autres, desquels je reus tant de gracieux accueil et de courtoisies, que je demeurai six semaines au dit Vienne, o je passai extrmement bien mon temps (dcembre).
Je fus en Moravie en une belle maison de Mr Maximilian de Lichtenstein, mon bon ami, nomme Raurau, en compagnie de Carle de Harach, de Mr de Joinville, et de Schomberg. Puis Mr le prince de Joinville ayant renvoy son train, vint loger quinze jours mon logis, o il fut reu au mieux quÕil fut possible ; puis il en partit en poste pour sÕen aller Prague, et de l en France.
Janvier.Ń Je partis de Vienne le 18e de janvier de lÕanne 1604, et arrivai par la poste le 22e Prague o je trouvai le Rosworm, qui, depuis notre rconciliation, mÕavait port une trs troite amiti. Il vint le lendemain matin 19e, me prendre en son carrosse mon logis, et mÕamena la salle du palais de Prague, o nous nous promenmes jusques ce que les conseils se levassent, et lors tous les seigneurs des conseils vinrent donner le bonjour au Rosworm, lequel ils respectaient fort cause de la charge quÕil avait eue de marchal de camp gnral de lÕarme ; et puis ensuite il me prsenta eux, les priant de mÕaimer, et leur disant beaucoup de bien de moi.
Il me mena de l dner chez un vieux seigneur nomm Prechethovits, qui tait burgrave de Carlestein, qui est la seule forteresse du royaume de Bohme, en laquelle la couronne, et tous les titres et enseignements du dit royaume sont gards : il avait deux fils, lÕun grand fauconnier de lÕempereur, lÕautre un jeune seigneur qui avait t camarade du Rosworm en la dernire arme, et qui, lÕanne prsente, prtendait le rgiment de cavalerie que le royaume de Bohme devait envoyer en Hongrie ; et parce que le Rosworm pouvait beaucoup pour lui faire obtenir, ils recherchaient tous avec passion ses bonnes grces. Le dit Rosworm tait amoureux de la dernire des quatre filles du dit burgrave, nomme panna Sibilla : les autres trois taient, la comtesse de Millesimo, lÕane ; la seconde avait pous Carle Colovich, frre du colonel Zeifrid Colovich ; et la troisime, nomme panna Ester, tait une jeune dame dÕexcellente beaut, en l'ge de dix huit ans, veuve depuis six mois dÕun gentilhomme nomm Briczner, avec qui elle avait t un an marie.
Nous fumes noblement reus et traits chez ce Mr de Prechethovits, et aprs dner nous dansmes, o je commenai de devenir amoureux de madame Ester, cette veuve, qui me fit paratre nÕtre pas marrie de mon dessein, que je lui dcouvris en partant du logis, comme ses sĻurs allaient conduire le Rosworm ; car elle y correspondit de sorte quÕelle me donna moyen de lui crire, et me manda les lieux o elle allait, pour mÕy trouver. JÕallai aussi parfois la voir sous la couverture de lÕamiti que jÕavais contracte lÕarme avec son jeune frre, Wolf de Prechethovits ; mais comme le carme-prenant approchait, son pre sÕen allant Carlestein, elle fut force de partir.
Au sortir de ce dner et du bal de chez Prechethovits, le Rosworm, pensant mÕobliger, mÕembarqua en une assez mauvaise affaire. Il avait trait avec un hte de la Nouvelle-Ville, que pour deux cents ducats, il lui livrerait ses deux filles, qui taient trs belles ; et je pense quÕil surprit ce pauvre homme tant ivre, pour lui faire cette promesse, comme il apparut ensuite. Car, comme nous fmes arrivs deux cents pas de cette hostellerie, nous descendmes de carrosse, quÕil commanda de tourner et de nous attendre l ; et le Rosworm et moi, avec un sien page bohme pour nous servir de truchement, allmes en cette hostellerie : nous trouvmes le pre dans son pole avec ses deux filles qui travaillaient leurs ouvrages, qui fut aucunement [quelque peu] tonn de nous voir, et plus encore lorsque le Rosworm lui fit dire que nous lui portions chacun cent ducats pour avoir le pucelage de ses deux filles, comme il lui avait promis. Lors, il sÕcria quÕil nÕavait jamais promis telle chose, et ouvrant la fentre, cria par deux fois : Mortriau ! Mortriau ! qui veut dire : au meurtre ! Alors le Rosworm lui porta le poignard la gorge, et lui fit dire par le page que, sÕil parlait aux voisins, ou sÕil ne commandait ses filles de faire notre volont, il tait mort, et me dit cependant que je prisse une des filles, et que je mÕen jouasse. Moi, qui pensais tre venu une affaire o toutes les parties taient dÕaccord, fus bien tonn lorsque je vis quÕil nous fallait forcer des filles, et en la prsence de leur pre. Je dis au Rosworm que je ne mÕentendais point de forcer des filles. Il me dit lorsque, si je ne le voulais faire, je vinsse tenir le poignard la gorge du pre, et quÕil ferait son devoir avec une des dites filles : ce que je fis grand regret, et ces pauvres filles pleuraient. Le Rosworm commenait en baiser une, quand un grand bruit du voisinage, mu au cri quÕavait fait lÕhte, lui fit lcher prise, et me dire quÕil nous fallait payer de courage et de bonne mine, ou nous tions perdus, et lors il fit dire lÕhte quÕil le tuerait sÕil ne nous faisait sortir des mains du peuple. Cet hte avait une jupe volante, sous laquelle il lui mit sa dague quÕil lui tenait contre la chair, et me fit donner le poignard du page pour en faire de mme : et ainsi sortmes du pole jusques en la rue, lÕhte intimid disant toujours au peuple que ce nÕtait rien, jusques ce quÕtant un peu loigns, nous retirmes nos dagues de dessous sa jupe, et lÕhte recommena crier comme devant : Mortriau ! Mortriau ! ce qui convia le peuple de courir aprs nous avec infinis coups de pierre. Alors le Rosworm me cria : Ē Mon frre, sauve qui peut ! si vous tombez, ne vous attendez point que je vous relve ; car chacun doit songer soi. Č Nous courions assez vite ; mais une pluie de pierres nous incommodait grandement, dont lÕune ayant donn par les reins du Rosworm le porta par terre ; et moi, pour ne faire ce quÕil avait dit quÕil me ferait, le relevai, et lÕaidai vingt pas, au bout desquels nous trouvmes heureusement notre carrosse, auquel nous tant jets nous fmes toucher jusques ce que nous fussions en sret dans la Vielle-Ville, tant chapps des pattes de plus de quatre cents personnes.
Le jour dÕaprs, 24e de janvier, le Rosworm me fit obtenir lÕantichambre de lÕempereur, qui est un lieu rserv aux fort grands seigneurs et princes, en laquelle je me trouvais de deux jours lÕun : et cinq ou six jours aprs, jouant la paume contre le grand Wallenstein, qui faisait la charge de grand chambellan de lÕempereur depuis la mort de Peter de Mollart, dcd depuis huit jours, lÕempereur nous vint voir jouer travers dÕune jalousie qui tait en une fentre qui regardait sur le jeu de paume, et y demeura longtemps ; et le lendemain matin, comme jÕtais en son antichambre, il me fit appeler pour lui faire la rvrence, o il me traita fort bnignement, disant quÕil connaissait ma race, qui avait toujours fidlement servi leur royale maison ; quÕil avait eu bonne information de moi en cette dernire guerre dÕHongrie ; et que, si je prtendais quelque charge, quÕil serait bien aise de mÕen gratifier. Il me parla en espagnol, et voulut que je lui rpondisse aussi.
Fvrier. Ń Peu de jours aprs, mÕarriva la nouvelle de la mort du baron de Siray, tu par monsieur le Reingraf mon cousin : ce qui mÕobligea de parler aux principaux du conseil en faveur du Reingraf, et pour lÕexcuser, et enfin de demander sur ce sujet audience lÕempereur, qui me fut promptement accorde, et me rpondit favorablement, et ensuite me fit dire par le comte de Furstemberg quÕil avait rform les six compagnies de cavalerie du Reingraf trois, et les quatre de carabins du Rosworm deux ; et que, si je voulais lever encore trois nouvelles compagnies de cavalerie, et deux de carabins, que lÕempereur me retiendrait son service en qualit de colonel de mille chevaux ; ce que jÕacceptai, voyant la longue paix de France, et convi aussi par lÕamour extrme que je portais madame Ester. Les trois compagnies de chevau-lgers furent donnes Champgaillart, vieux soldat franais ; don Baltasar Marrada, Espagnol ; et Jean Paul, Italien ; qui les avaient dj commandes sous le Reingraf, et qui les renforcrent du dbris des autres. Pour les deux compagnies de carabins, le capitaine la Rame en eut une, et le capitaine Merguelot, tous deux ligeois, lÕautre. Je fis donner la cornette de Champgaillart Cominges, et sa lieutenance La Croix, qui depuis a t colonel.
CÕtait pendant le carme-prenant que lÕon traitait de ma capitulation, auquel temps on parle peu dÕaffaires en ces pays du nord ; et je ne pressais pas fort mes expditions, tant perdument amoureux de madame Ester, laquelle, aprs plusieurs esprances quÕelle me donna, et sa sĻur au Rosworm, de revenir passer le carnaval Prague, enfin elles furent retenues Carlestein par la maladie du burgrave leur pre. Nous le passmes bien gaiement en ftes et festins continuels, et jouant la petite prime fort grand jeu, entre cinq ou six que nous tions, assavoir le prsident du royaume nomm Steremberg, Adam Galpopel, le grand prieur de Malte, Kinsky lÕan, et le Rosworm et moi ; et nÕtait soir quÕil nÕy et deux ou trois mille dallers de perte ou de gain.
Celui qui faisait lÕoffice de grand cuyer de lÕempereur, nomm Bruscofschi, se maria avec une riche femme, o le Rosworm et moi, fmes convis ; et un des quatre jours que cette noce dura, nous voulmes faire des masques cheval, et nous promener par la ville avec de trs beaux habits. Nous fmes huit de partie, assavoir le Rosworm et moi, qui marchions les premiers ; Walestein le Longuo et le Kinsky allaient aprs ; Haraud et Charnin, deux gentilshommes de la chambre de lÕempereur, suivaient ; et le jeune Schomberg, avec le comte Wolf de Mansfeld taient les derniers. Comme nous passmes devant la maison de ville de la Vieille-Ville, quelques sergents nous vinrent dire en langue esclavonne, au Rosworm et moi, qui ne lÕentendions pas, que lÕempereur avait dfendu dÕaller en masque par la ville : quoi nous ne fmes autre rponse, sinon que nous nÕentendions point lÕesclavon. Ils nous laissrent lors passer ; mais comme ce vint au retour, ils tendirent les chanes toutes les avenues de la place de la maison de ville, hormis celle par o nous entrions ; et des que nous fmes passs, ils la tendirent aussi, et lors ils commencrent par les derniers, et prirent par la bride le cheval du comte de Mansfeld et celui de Schomberg, et les menrent en prison ; puis se saisirent ensuite de Haraud et de Charnin, et du Wallenstein et du Kinsky, lesquels, souffrant impatiemment cet outrage, et nÕayant point dÕpes pour lÕempcher, nous crirent que nous prissions garde nous. Alors le Rosworm se saisit de son pe, et moi de la mienne, que nos laquais portaient devant nous ; et sans les tirer des fourreaux, nous regardions que lÕon ne saist pas la bride de nos chevaux : ce que un sergent ayant voulu faire moi, le Rosworm lui donna de son pe avec le fourreau sur la main de telle sorte que, le fourreau sÕtant coup, il blessa bien fort le dit sergent la main. Alors, plus de deux cents sergents se mirent sur nous ; et nous deux, de notre ct, mmes nos pes nues la main, lesquelles ils vitaient : mais chaque passade que nous faisions, ils nous dchargeaient de grands coups de hampes de hallebarde sur les reins et sur les bras : ce qui dura quelque temps, jusques ce quÕun chef de justice sortant de la maison de ville, haussa son bton (que lÕon nomme rgiment) ; alors tous les archers mirent leurs hallebardes en terre, et le Rosworm (qui savait la coutume), y jeta aussi son pe, et me cria que je jetasse aussi vitement la mienne ; ce que je fis : autrement jÕeusse t dclar rebelle lÕempereur, et pour tel, puni. Alors Rosworm me pria de parler quand le juge nous interrogerait, afin que lÕon ne le connt point. Il me demanda qui jÕtais, et lui ayant dit sans dguiser, il me demanda qui tait mon compagnon ; je lui dis que cÕtait Rosworm. Alors il nous fit de grandes excuses ; et le Rosworm qui tait bien marri de ce que je lÕavais nomm, quand il vit quÕil ne sÕen pouvait plus ddire, se dmasqua en colre, menaant le juge et les sergents de les faire rigoureusement chtier, et quÕil sÕen plaindrait lÕempereur et au chancelier : eux tchrent le mieux quÕils purent de le rapaiser ; mais il avait t trop battu, et moi aussi, pour se contenter de paroles. On nous rendit nos six compagnons plus heureux que nous, car ils nÕeurent que la peur, et nous nous retirmes : puis le soir, comme si de rien nÕet t, nous retournmes aux noces. Mais le lendemain le Rosworm vint trouver le chancelier du royaume, auquel il parla fort arrogamment, et le chancelier fit mettre, pour nous satisfaire, plus de cent cinquante sergents prisonniers, les femmes desquels taient tout le jour la porte de mon logis pour obtenir grce, et moi jÕen sollicitais assez le Rosworm ; mais il tait inexorable, et les fit demeurer quinze jours en prison, pendant la rigueur de lÕhiver, dont deux en moururent. Enfin, grand peine, je les fis dlivrer.
Quelques jours aprs il se fit une belle assemble de dames chez le grand chancelier, o nous allmes danser un petit ballet, qui fut trouv beau pour tre en Bohme, o il ne sÕen danse pas souvent.
Pendant ce temps-l, comme nous jouions un soir au quinola, Adam Galpopel et Kinsky se querellrent, et se battirent le lendemain, o Adam Galpopel fut bless la jambe. Le grand prieur de Bohme, et lÕambassadeur de Venise qui tait venu jouer avec nous chez Adam Galpopel, qui nous tenions compagnie pendant que sa blessure le tint au lit ou au logis, se querellrent aussi sur le sujet de Saint-Jean et de Saint-Marc, ce qui donna rire la cour.
Or, dans la ville de Prague, le nouveau calendrier se pratique ; mais dans la campagne, parmi les hussites, il ne sÕobserve point ; de sorte quÕaprs que le carme-prenant fut pass Prague, il dura encore dix jours de plus la campagne, et le burgrave de Carlestein nous convia, le Rosworm et moi, avec deux autres seigneurs, lÕun nomm Slabato, et lÕautre Colobrat, de le venir passer Carlestein, o quantit de dames et de seigneurs se devaient trouver aussi : ce que nous fmes ds notre mercredi des Cendres, et nous mmes tous quatre en carrosses, qui tions les quatre amoureux des quatre filles du burgrave ; car Colobrat aimait de longue main la comtesse Millesimo, et Slabato tait depuis peu embarqu avec la femme de Hans Colovich. Nous y trouvmes plus de vingt dames, parmi lesquelles il y en avait de trs belles : et ne faut pas demander si nous fmes bien venus et vus des quatre filles du logis, mais principalement de la mienne, qui fut ravie de me voir, et moi elle ; car jÕen tais extrmement amoureux, et puis dire quÕen toute ma vie je nÕai pass dix journes plus agrablement, ni ne les employai mieux que je fis celles-l : ce fut une continuelle fte, tant perptuellement table, ou au bal, ou en schlitte [traneau], ou en une autre meilleure occupation.
Enfin, aprs le carnaval pass, nous nous en revnmes Prague, avec grand regret dÕelles et de nous, mais avec grande satisfaction de notre petit voyage. Ma matresse me promit quÕelle viendrait bientt Prague : mais comme son pre retomba malade, elle ne le put, mais elle me fit venir dguis Carlestein, o je fus cinq jours et six nuits cach en une chambre prs de la sienne, au bout desquels, et de ma vigueur, je mÕen revins Prague, o, aprs avoir tir mes expditions, et assignation pour lÕargent de ma leve sur le landsfried de Lorraine, je pris cong de lÕempereur pour mÕen revenir en France (avril), et partis de Prague, le jeudi devant Pques fleuries en poste avec un de mes amis nomm Cocorjovits, et vnmes coucher Carlestein pour dire adieu au burgrave, ses fils et filles, mais en effet pour prendre cong de ma matresse, et en esprance, mme en ferme crance lors, de retourner la trouver aussitt que ma leve serait faite, que je ferais acheminer par le Danube en Hongrie, pendant que jÕirais faire un tour la cour de lÕempereur.
JÕen partis le lendemain, et vins coucher Cocorjovits, o il me fut fait trs bon traitement par le matre de la maison, et y avait assez belle compagnie de dames : mais elles ne me touchaient gure au cĻur ; car jÕy avais donn trop de place panna Ester Prechethovits. Je nÕavais avec moi que le seul Guittaut, et un valet allemand que jÕavais t forc de prendre, cause que les miens taient demeurs malades Prague. Le samedi lendemain il nous fit encore festin dner, o il nous enivra, et puis nous prta son carrosse, qui me mena Bilsem, dÕo je partis le jour de Pques fleuries pour aller coucher Ratisbonne. JÕen partis le lundi, et couchai Brouk, et le mardi jÕarrivai Munchen.
Le mercredi je vins saluer Mr le duc Maximilian, lequel me fit lÕhonneur de mÕoffrir le rgiment de trois mille lansquenets que le cercle de Bavire entretenait en Hongrie, et quÕen quelque anne que je voulusse le recevoir, pourvu que je lÕen avertisse devant Pques, quÕil me le donnerait ; dont je lui rendis trs humbles grces : et mÕayant fait dfrayer, jÕen partis le mercredi-saint en un carrosse quÕil me prta, qui me mena, le lendemain jeudi-saint, dner Augsbourg, o je demeurai le vendredi, samedi, et dimanche de Pques, pour quelques affaires que jÕy avais, et en partis le lendemain de Pques, et mÕen revins en trois jours Strasbourg dner, et coucher Saverne.
Je me mis table pour souper avant que dÕaller voir les chanoines au chteau ; mais comme je commenais, ils arrivrent pour me prendre, et me mener loger au chteau. CÕtaient Mr le domdechent [doyen du chapitre] de Creange, et les comtes de Quesle et de Reiffercheid. Ils avaient dj soup, et taient demi ivres. Je les priai que, puis quÕils me trouvaient table, ils sÕy missent plutt que de me mener attendre le souper au chteau, ce quÕils firent ; et en peu de temps de notre soif, Guittaut et un mien compre, matre de monnaies de Lorraine, et moi, nous les achevmes si bien dÕivrer, quÕil les fallut remporter au chteau, et moi, je demeurai mon hostellerie, et le lendemain, la pointe du jour, je montai cheval, pensant partir ; mais ils avaient, la nuit, envoy dfendre que lÕon ne me laisst pas sortir : car ils voulaient avoir leur revanche de ce que je les avais enivrs. Il me fallut donc demeurer ce matin-l dner, dont je me trouvai bien mal ; car, afin de mÕenivrer, ils me mirent de lÕeau de vie dans mon vin, mon avis, bien quÕils mÕaient depuis assur que non, et que cÕtait seulement dÕun vin de Lebsberg, qui est si fort et si fumeux, que je nÕen eus pas bu dix ou douze verres que je ne perdisse toute connaissance, et que je ne tombasse en une telle lthargie, quÕil me fallut saigner plusieurs fois, et me ventouser, et me serrer avec des jarretires les bras et les jambes. Je demeurai Saverne cinq jours en cet tat, et perdis de telle sorte le got du vin, que je fus, depuis, plus de deux ans, non seulement sans en pouvoir boire, mais mme sans en pouvoir sentir sans horreur.
Aprs que je fus guri, je mÕen vins en deux jours Harouel, o je ne demeurai gure sans aller Nancy. Je trouvai du changement la cour de Lorraine par la mort de Madame, sĻur du roi, duchesse de Bar.
Mai. Ń Aprs que jÕy eus sjourn quelques jours, je fus Epinal, non tant pour y voir ma tante, que ma cousine de Bourbonne, nouvellement marie au comte des Cars, de qui jÕavais t extrmement amoureux ; et si feu ma mre nÕy eut point eu de rpugnance, jÕeusse cru ne vivre pas malheureux, mari avec elle : mais je ne lui voulus pas dplaire. Je la trouvai qui arrivait comme moi chez ma tante, o nos anciens feux se rallumrent, et notre sjour de quatre jours Epinal y aida fort. Mr de Couvonges tait venu avec moi, et sa femme avec ma cousine ; nous allmes la conduire Ville-sur-Yllon, avec ma cousine de Viange. De l nous allmes Mirecourt, voir monsieur et madame de Marcossay, puis revnmes au dit Ville-sur-Yllon, dÕo nous nous sparmes de ma cousine des Cars, non sans y avoir tous deux bien du regret ; et elle sÕen retourna Bourbonne, et nous Epinal, et de l Nancy : et le lendemain que jÕy fus arriv, jÕallai Toul au devant de ma mre, qui revenait de France, et lÕemmenai Harouel, o madame dÕEpinal la vint voir le lendemain : et le jour dÕaprs, on rapporta le corps de feu mon frre de Removille, qui avait t bless dÕune mousquetade au genou la prise du Porc-Epic au sige dÕOstende ; duquel coup il lui fallut couper la jambe, et en mourut cinq jours aprs ; qui me fut un sensible dplaisir et une signale perte ; car cÕtait un homme de grand cĻur et de bon jugement, et qui, avec apparence, tait pour faire une grande fortune. Je lÕavais laiss auprs du roi en mÕen allant en Hongrie, pour terminer lÕaffaire de Saint-Sauveur, laquelle je dduirai, comme celle qui mÕa fait changer mes desseins, et qui me fit quitter la charge que jÕavais en Hongrie, qui fut aussi cause de la mort de mon frre.
Une tante de ma mre, nomme madame de Moreuil, lui donna soixante mille cus, la mariant avec feu mon pre : et pour assurer cet argent ma mre, il le fallut employer en chose qui lui tnt nature de propre ; ce que lÕon fit en prenant en engagement du roi le comt de Saint-Sauveur le Vicomte, de Saint-Sauveur Lendelin, et la baronnie de Nehou, pour quarante mille cus que mon pre fournit comptant ; et depuis, on suppla encore des autres vingt mille cus que lÕon devait employer de la dite donation de madame de Moreuil, et ce, par dit dÕalination vrifie aux parlements et chambres des comptes o il appartenait. Or dans le contrat dÕengagement il tait port que, si les dites terres nÕavaient de revenu autant que montait lÕintrt de notre argent au denier vingt, qui tait neuf mille livres par an, ce qui en manquerait nous serait pay sur la recette gnrale de Caen. Il arriva que, aprs la bataille de Moncontour, comme lÕon licencia les retres, on paya leurs dcomptes au mieux que lÕon put ; et comme lÕon nÕavait pas tout lÕargent comptant quÕil fallait pour les payer, on convia feu mon pre, et Schomberg, de prendre des rentes sur lÕhtel de ville de Paris, ou dÕautres engagements, pour une partie de la somme qui leur tait due, et leurs retres, et lÕautre partie comptant : et feu mon pre qui vit que les terres de Saint-Sauveur qui lui taient dj engages, valaient beaucoup plus que lÕintrt des premires sommes pour lesquelles il les tenait, offrit de prendre encore quarante mille cus sur les mmes terres en engagement ; ce que les ministres de France acceptrent avec joie, et lui en donnrent les expditions que lui mme dsira. Et comme il ne savait point certaines lois de la France particulires, il ne se soucia point de faire vrifier aux chambres des comptes cette dernire partie, et jouit, prs de trente ans, des dites terres en cette faon.
Advint que, en lÕan 1595, Mr de Schomberg, tant redevable mon pre de la somme de 32000 cus, offrit mon pre que, sÕil voulait prendre cette somme sur le roi, et en surcharger encore les terres de Saint-Sauveur, quÕil ferait ajouter encore par le roi vingt et quatre mille livres de plus, qui taient dues feu mon pre pour restes de paiements de retres, lesquelles 24000 taient, en bonne forme, dclares dettes de la couronne. Feu mon pre, pour sortir dÕaffaires avec Mr de Schomberg, qui en ce temps-l nÕtait pas bien dans les siennes, et pour tre pay de ce reste dont il nÕtait point assign, accepta ce parti, et eut les expditions ncessaires pour ce dernier surengagement, qui furent vrifies au parlement comme les autres. Et lors, on avertit feu mon pre quÕil tait besoin de les faire aussi vrifier aux chambres des comptes de Paris et de Rouen : ce que voulant faire, et de celle aussi des quarante mille cus prcdents, la chambre en refusa la vrification : et bien que ma mre, depuis sa viduit, en et obtenu diverses jussions, elle nÕy put parvenir.
Il arriva quÕen lÕanne 1601, le duc de Wurtemberg poursuivant le remboursement de quelques sommes dÕargent quÕil avait prtes au roi pendant la guerre, on lui dit quÕil chercht lui-mme les moyens de se faire payer, par lÕinvention de quelque parti, ou la dcouverte de quelques terres qui ne fussent encore engages, ou qui le fussent si bas prix que lÕon lui pt surengager pour plus grande somme ; quoi son rsident, nomm Bunichhause, qui y travaillait, fut aid par le procureur gnral de la chambre des comptes de Rouen, nomm le Menil Basire, qui lui promit, moyennant dix mille cus, quÕil lui fournirait des engagements suffisants pour sa somme, et que, sÕil le voulait introduire chez Mr de Rosny, quÕil lui dclarerait : ce que Bunichhause ayant fait, il dit au marquis de Rosny que nous tenions les domaines de Saint-Sauveur le Vicomte, de Lendelin, et de Nehou, pour soixante mille cus, et quÕil tait port par le contrat, que, si les dites terres nÕtaient de trois mille cus de revenu, le roi sÕobligeait de payer ce quÕil y manquerait sur la recette gnrale de Caen ; ce qui faisait rciproquement en faveur du roi, que si les terres valaient davantage, que le surplus devait tre restitu au roi : par ainsi, si le roi se vouloir faire justice lui-mme, non seulement il serait quitte du premier engagement de 180000 livres, mais encore du deuxime de 120000 livres, et du dernier de pareille somme de 120000 livres ; et que, par la supputation quÕil en avait faite, nous demeurerions redevables de plus de 60000 livres au roi, quand bien S. M. nous compterait les 180000 livres actuellement dbourses par nous, dix pour cent ; vu que, des autres sommes qui taient de dettes de service, qui nÕtaient et ne pouvaient tre vrifies en engagement de domaine, le roi nÕtait oblig aucun intrt.
Mr de Sully prit cet avis avec applaudissement, et crut que, sans bourse dlier, il pourrait payer le duc de Wurtemberg quÕil affectionnait pour tre protestant, et parce aussi quÕil lÕavait autrefois connu. Il le proposa au roi, et lÕassura que nous aurions sujet dÕtre plus que contents si le roi nous faisait don de ce que nous lui serions redevables de reste ; de sorte quÕen lÕanne 1601, comme je revins dÕAngleterre, je trouvai que, par un arrt du conseil, il tait ordonn que ma premire somme de 60000 cus me serait actuellement rembourse avec les intrts au denier dix ; que les deux autres, de chacune 40000 cus, me seraient pareillement rembourses, mais sans intrts, et que je rendrais compte des fruits des dits domaines depuis lÕanne 1569 que jÕen tais entr en jouissance.
Je me plaignis grandement au roi de cette injustice de son conseil, et lui fis voir comme mon pre, tranger et ignorant des lois de la France, avait trait de bonne foi, que sÕil nÕet pris sur les dits domaines la seconde somme de 40000 cus, que lÕon [la] lui et donne comptant, comme lÕon avait fait aux autres colonels ; que si on en faisait de mme tous les anciens dtenteurs des domaines ou droits sur le roi, qui, par leur industrie ou la suite des temps avaient t augments, outre que lÕon ruinerait quantit de grandes maisons, cela apporterait ce prjudice que tous les domaines quÕils tiennent dpriraient ; et que, quand cette rgle serait gnrale, elle devrait avoir exception pour nous qui tions trangers, qui servions de bonne foi, et qui avions apport du soulagement aux affaires du roi, nÕayant pas reu notre argent comptant que lÕon nous devait donner, mais pris un enchrissement sur une terre que nous possdions dj ; que, cela considr, il trouverait que le revenu de ces domaines nÕavait point excd lÕintrt de notre somme ; que, sÕil y avait quelque chose redire, cÕtait sur la partie de Mr de Schomberg, de laquelle le comt de Nanteuil nous serait garant.
Le roi prit assez bien mes raisons : mais pour cela il ne fit pas casser lÕarrt donn, si bien en suspendre lÕexcution plus de deux annes, pendant lesquelles nous jouissions, mais avec incertitude de nos affaires, et crainte que, si un jour on excutait lÕarrt, la recette que nous continuions de faire tomberait plus lourdement sur nous, de sorte que de temps en temps je pressais le roi de me faire justice, soit en me remboursant, ou en cassant lÕarrt : et comme je mÕen voulus aller en Hongrie, je le pressai de mÕexpdier, lequel me promit quÕil me donnerait contentement, et que dans deux mois au plus tard je serais satisfait ; mais que je fisse bien comprendre mes raisons Mr de Sully, qui ne mÕtait pas favorable en cette affaire. Je lui dis que je reviendrais avant ce temps-l (car je lui celai mon voyage de Hongrie, craignant quÕil ne mÕen dtournt, et lui dis seulement que jÕallais en Lorraine et en Allemagne), et que cependant je lui laissais mon frre qui lui en parlerait de temps en temps ; ce quÕil trouva bon. Et quand mon frre, qui tait un esprit colre et chaud, lui en parla, le roi lui dit quÕ mon retour il me contenterait ; mon dit frre le pressa de telle sorte que le roi se fcha, et mon frre ne parla pas au roi avec le respect et la retenue quÕil devait : ce qui fut cause que le roi lui parla fort aigrement ; et mon dit frre, le lendemain, prit cong de lui, et sÕen alla en Flandres servir le roi dÕEspagne, auquel lieu il fut trs bien appoint, et eut commission de faire un rgiment dÕinfanterie. Mais comme il ne devait tre, en la place, montre quÕ la fin du mois de juillet, il sÕen alla, en attendant, voir le marquis Spinola devant Ostende, o il fut tu. Et comme je revins peu de temps avant sa mort en Lorraine, o je levais cinq cents chevaux pour aller en Hongrie, et mon frre un rgiment de gens de pied pour servir en Flandres, le roi crut que jÕavais tout fait quitt son service ; ce qui fut cause quÕil fit saisir par le prsident dÕEnfreville et le baron de la Lutumiere le chteau de Saint-Sauveur, et en chasser ceux qui taient dedans de ma part. Mais ayant su que je mÕen allais en Hongrie, et non en Flandres, et que mon frre tait mort, il me fit crire par Zamet quÕil sÕtonnait fort de ce que je voulais quitter son service sans sujet, et que il nÕavait encore fait excuter lÕarrt du conseil, si bien ter des mains de mon frre, qui tait espagnol, une place des siennes ; quÕil me tiendrait ce quÕil mÕavait promis, de me donner contentement, et quÕil me mettrait toujours en mon tort.
Juillet. Ń Je me crus oblig dÕcrire Sa Majest une lettre de plainte, accompagne de tant de respect, et de dplaisir, de ce quÕil me voulait ter le moyen de pouvoir avec honneur demeurer son service ; et dÕcrire aussi Zamet une plus ample lettre, o je disais mes raisons ; laquelle le roi reut en bonne part, et vit celle de Zamet, puis mÕcrivit deux mots de sa main, me commandant de le venir trouver, et quÕil me tmoignerait combien il mÕtait bon matre ; ce que je fis : et connaissant que je ne pouvais en mme temps tre en France et en Hongrie, que mon affaire de France nÕtait pas de celles qui se terminent en un mois, et quÕelle mÕy arrterait longtemps ; considrant aussi quÕelle mÕimportait de cent cinquante mille cus, je me rsolus de mÕenvoyer excuser vers lÕempereur par un gentilhomme que jÕy envoyai, que jÕadressai au Rosworm, pour moyenner que Sa Majest ret mes excuses en bonne part sur les raisons que je lui allguai : ce que, par sa bont, elle fit de telle sorte quÕelle me fit mander par le mme Rosworm quÕelle ne pourvoirait point de colonel ses troupes trangres, et que, si lÕanne dÕaprs jÕy voulais revenir, elle me conserverait la capitulation quÕelle mÕavait faite. Et bien que jÕeusse dj fait quelques frais, je rendis lÕargent que jÕavais reu, entirement ; dont on me loua la cour de lÕempereur.
Aot. Ń Je partis donc de chez moi, et mÕen vins Paris, o je fus extrmement bien reu de mes amis, qui mÕy retinrent trois jours avant que dÕaller trouver le roi qui tait Fontainebleau, et mÕy voulurent accompagner ; de sorte que nous courions prs de quarante chevaux de poste : car Mrs de Pralain, de Laval, de Crquy, comte de Sault, Gordes, Saint-Luc, Sainte-Marie-du-Mont, Richelieu, et moi, courmes ensemble.
Le roi tait dessus cette grande terrasse devant la cour du cheval blanc, quand nous arrivmes, et nous y attendit, me recevant avec mille embrassades ; puis me mena en la chambre de la reine sa femme, qui logeait en la chambre du bout, regardant sur lÕtang ; et fus bien reu des dames, qui ne me trouvrent point mal fait pour un Allemand invtr dÕune anne dans le pays. Il me prta ses chevaux pour courre le cerf le lendemain qui tait le jour de Saint-Barthlemy, 24me dÕaot : il ne voulut point courre ce jour, auquel pareil il avait couru tant de fortune autrefois. Aprs la chasse je le vins trouver la salle des tuves, o nous joumes au lansquenet avec la reine et lui.
Je devins lors amoureux dÕAntragues, et lÕtais encore dÕune autre belle dame. JÕtais aussi en fleur de jeunesse, et assez bien fait, et bien gai.
Septembre. Ń Le roi devint amoureux de la comtesse de Moret, qui sÕappelait Bueil, et tait nourrie avec madame la princesse de Cond.
Sa Majest me fit lÕhonneur de me rtablir au chteau de Saint-Sauveur, et de me donner main leve des domaines quÕil avait fait saisir : ce qui mÕobligea dÕaller en Normandie sur la fin de septembre, et vins chez Sainte-Marie-du-Mont, o je demeurai trois jours (octobre), et o Mrs de Montgomery, la Luserne, et Canisy me vinrent voir, et mÕaccompagnrent Saint-Sauveur, mÕayant prcdemment fait embrasser le prsident dÕEnfreville de qui je me plaignais, et le baron de la Lutumiere, desquels (mÕayant montr les lettres par lesquelles le roi leur commandait de prendre Saint-Sauveur) je demeurai satisfait. Je mÕen revins (aprs avoir demeur huit jours Saint-Sauveur), chez Sainte-Marie, qui me mena le lendemain chez son beau fils de Longaunai Damigny, o nous trouvmes ces mmes Montgomery et la Luserne, qui ne mÕabandonnrent que je ne fusse de retour Rouen. Nous passmes Sainte-Croix, o tait madame de Silly, puis Lisieux o le marchal de Fervaques nous festoya, puis Rouen, o nos amis nous retinrent deux jours, au bout desquels je mÕen revins Fontainebleau trouver le roi, o le conntable de Castille arriva, qui le roi fit fort bon accueil.
Je passais en ce temps-l une fort belle vie la cour, qui quitta Fontainebleau aprs la Toussaints pour venir Paris (novembre) ; le roi ayant peu auparavant fait arrter le comte dÕAuvergne, en Auvergne, et lÕamener la Bastille, et peu aprs Mr dÕAntragues quÕil envoya la Conciergerie, et madame de Verneuil qui fut garde par le chevalier du guet en un logis qui est en la rue Saint-Paul, appartenant Heudicourt. On instruisit le procs tous trois ; mais il nÕy eut point de jugement que pour Mr le comte dÕAuvergne, qui fut condamn avoir la tte tranche. Mais le roi transmua la peine en une prison perptuelle, en partie en considration de madame dÕAngoulme qui en fit de merveilleuses instances, mais davantage, mon avis, pour une raison quÕil nous dit, que le feu roi Henry troisime, son prdcesseur ne lui avait, en mourant, recommand particulirement que Mr le comte dÕAuvergne et Mr le Grand, et quÕil ne voulait pas quÕil ft dit quÕil et fait mourir un homme que celui qui lui avait laiss le royaume lui avait si affectionnment recommand.
Janvier.Ń Mais toutes ces condamnations et grces ne furent donnes quÕau commencement de lÕanne 1605, que le roi tait Paris, o nous passmes le carme-prenant en ftes et ballets.
Fvrier. Ń JÕeus querelle contre Termes, et mon frre de Saint-Luc le fut appeler pour moi, qui se devait battre contre Montespan. Mr de Montpensier nous accorda, et fmes toujours depuis extrmement amis.
Le roi permit Mrs de Nemours et de Sommerive de courir les rues masqus le mardi-gras 20me fvrier. Ils rencontrrent Mrs de Vitry, de Saint-Luc, comte de Sault, et moi, qui venions de nous prparer pour lÕentre dÕun combat de barrire, et nous demandrent si nous voulions tre de la partie ; dont les ayant remercis, ils nous dirent : Ē Gardez-vous donc de nous rencontrer, car nous nÕpargnerons personne coups de bourrelets. Č Alors Vitry le pre rpondit : Ē Messieurs, nous vous prparerons la collation au cimetire Saint-Jean, si vous la voulez venir prendre. Č Et ainsi nous tant spars, nous nous rsolmes de courre aussi les rues. Mais comme nous ne nous tions apprts que tard, il y avait apparence que leur troupe et t plus forte que la notre : sur quoi Mr de Vitry nous dit : Ē Si vous me voulez croire, nous nous mettrons une douzaine de parents ensemble, arms de toutes pices dÕarmes dores, dont nous ne manquons pas, et mettrons huit ou dix hommes masqus devant nous, et aurons de bons bourrelets lÕaron de la selle. Nous ne demanderons rien personne ; mais si lÕon nous attaque, ou nos masqus, alors nous nous pourrons dfendre, et avec grand avantage. Č Ce que nous fmes, et nous mmes, Mr de Vitry et son fils, Mr de Crquy et le comte de Sault, Mr de Saint-Luc et le commandeur son frre, Mr de Senecey et Beauvais-Nangis, Tremon, frre de Senecey, et moi, tous arms de belles armes dores jusques aux grves [armures pour les jambes] et aux solerets [armures pour les pieds], sur de grands coursiers, avec des selles dÕarmes, avions nos pes au ct, et des bourrelets aux mains, de cordes de puits couvertes de taffetas incarnat. Nous mmes devant nous huit ou dix masques cheval, non arms que de bourrelets, et partmes de derrire la place royale, de chez Vitry, et marchant par la rue Saint-Antoine, deux deux, nous arrivmes en la place du cimetire Saint-Jean, en mme temps que la grande bande, qui pouvait tre de deux cents chevaux, commena paratre du ct de la rue de la Verrerie ; et ds quÕils eurent aperu les masques qui marchaient devant nous, ils vinrent la charge : et nos masques, selon lÕordre que nous leur avions donn, sÕtant retirs derrire nous, qui parmes lors, et les chargemes rudement, nos genouillres les incommodaient fort, et leurs bourrelets ne blessaient que nos armes ; de sorte quÕils jugrent pour le mieux de se retirer dans leur gros qui tait encore dans la rue de la Verrerie, lequel ils mirent en dsordre ; et nous, cependant, les poursuivant toujours, jÕeus le contentement quÕun de mes rivaux de Mlle dÕAntragues, de qui jÕtais lors amoureux, fut bien frott devant elle, qui tait aux fentres de son logis nous regarder. Enfin ils sÕcartrent, et nous leur passmes travers. Ce fut le mardi 20me de fvrier [22me], et le jeudi 22me [24me] jÕeus une bonne fortune.
Le dimanche 25me [27me], se fit le combat la barrire, le seul qui se soit fait du rgne du feu roi, ni de celui de son fils le roi prsent rgnant. Notre partie tait les chevaliers de lÕAigle, et tions le comte de Sault, Saint-Luc, et moi, qui entrions ensemble. Feu Mr de Vitry tait notre marchal de camp, qui eut meilleure grce en cette action-l quÕaucun autre qui sÕen mlt alors : aussi tait-ce un trs honnte et brave homme, et original sa mode.
Mars. Ń Le mardi suivant, qui tait le 27me fvrier [premier jour de mars], le matin, le roi tant aux Tuileries, dit Mr de Guise : Ē Ah ! Guisart, Antragues nous mprise tous pour idoltrer Bassompierre. Je ne vous en parle pas sans le bien savoir. Č Mr de Guise rpondit : Ē Sire, vous ne manquez pas de moyens pour vous venger, et pour moi je nÕen ai point dÕautre que celui de chevalier errant, en le dfiant de rompre trois lances camp ouvert cette aprs-dne, au lieu quÕil plaira Votre Majest nous ordonner. Č Le roi nous lÕaccorda, comme souvent il nous arrivait de faire pareilles parties, et nous dit que ce serait dans le Louvre, et quÕil en ferait sabler la cour. Il prit Mr de Joinville, son frre, pour son second, et Mr de Termes pour tiers ; et moi, je pris Mr de Saint-Luc et Mr le comte de Sault.
Nous vnmes tous six dner et nous armer chez Saint-Luc ; et comme nous avions toujours des harnais et livres prpares tous vnements, nous fmes arms dÕarmes argentes, et nos panaches incarnats et blancs, comme nos bas de sayes aussi : et Mr de Guise et sa troupe, cause de la prison de la marquise de Verneuil, de qui il tait lors amoureux couvert, sÕhabilla et arma de noir et or.
Nous vnmes donc au Louvre ; et notre quipage qui entra le premier, et nos personnes aussi, nous mmes du ct du vieux corps de logis, et Mr de Guise qui vint aprs, se mit au-dessous des fentres de la reine, vis vis de nous. Notre carrire tait le long de la salle des Suisses. Il advint que Mr de Guise tait mont sur un petit cheval nomm Lespesnes, et moi sur un grand coursier que le comte de Fiesque mÕavait donn. Il prit le bas du ruisseau, et moi le haut du pav, de sorte que jÕtais fort haut au prix de lui ; et au lieu de rompre sa lance en haussant, il la rompit en baissant, tellement quÕaprs avoir rompu le premier clat contre mon casque, il rompit le second contre la tassette ; qui glissa jusques dans la fente des chausses, par o elle entra dans mon ventre, et sÕarrta dans ce grand os qui joint la hanche et les reins ; et l, la lance se rompit pour la seconde fois, et mÕen demeura un tronon, plus long que le bras, attach aux os de la cuisse, qui me sortait du ventre. Je rompis ma lance dans sa salade, et bien que je me sentisse mortellement bless, jÕachevai ma carrire, et on me vint aider descendre proche du petit degr du roi, o Mr le Grand me prit et Guittaut lÕan, qui mÕaidrent monter chez Mr de Vendme sous la chambre du roi ; et un gentilhomme de Mr le Prince, pensant que le tronon que jÕavais dans le corps fut seulement au bas de saye, me lÕarracha, sans y penser, si propos, que les chirurgiens eussent eu peine de le faire si adroitement. Alors tous mes boyaux sortirent de mon ventre, et tombrent au ct droit de mes chausses : le nombril me tenait contre le dos, et la quantit de sang que je perdais mÕempcha de me pouvoir soutenir ; de sorte que lÕon me jeta sur le lit de Mr de Vendme, l o, aprs tre dsarm, on visita ma plaie, on me remit les boyaux dans le ventre le mieux que lÕon put ; puis avec une longue tente [rouleau de charpie] et force bandages, on les y tint ferme. Le roi, monsieur le conntable, et tous les principaux de la cour taient l, la plupart pleurant, ne pensant pas que je dusse vivre une heure. Je ne fis pas nanmoins mauvaise mine, ni ne crus jamais mourir. Plusieurs dames y taient, qui me virent panser, et je voulus toute force retourner mon logis ; pour quoi faire la reine mÕenvoya sa chaire o on la portait, car pour lors elle tait grosse. Le peuple me suivait en y allant, avec apparence de dplaisir. Comme jÕarrivai mon logis, je perdis la vue, ce qui me fit penser que jÕtais bien mal ; et lÕon me fit confesser et saigner quasi en mme temps. Cependant je ne croyais pas mourir, et ne faisais que rire.
Le roi, ds que je fus bless, fit cesser le tournoi, et ne permit quÕaucun autre court, depuis, cette course en camp ouvert ; ayant t la seule qui ait t faite cent ans auparavant en France, et nÕa t recommence depuis.
Sur les onze heures du soir du jour de ma blessure, la vue me revint, que jÕavais perdue sept heures auparavant ; qui donna la premire esprance de ma vie, que jusques alors on avait tenue dsespre. Mais comme quelques tranches [douleurs] violentes mÕeussent en mme temps tourment, on crut que jÕallais passer, et les prtres commencrent me parler de mon salut : je disais toujours que je me sentais mieux quÕils ne pensaient ; et les tranches sÕtant apaises, je me mis reposer avec peu de fivre, et dormis jusques six heures du matin, que lÕon me saigna derechef pour arrter le sang qui coulait perptuellement de ma plaie, et le divertir. Lors, je mÕaffaiblis fort ; mais peu aprs, mÕtant remis dormir, je crus mon rveil tre tout fait guri. Aussi nÕeus-je depuis aucun accident ni mal, sinon quand on me faisait rire avec excs ; car ma tente sortait quelquefois du ventre, et mes boyaux aussi. Enfin je me guris une cuisse prs, dÕo jÕavais perdu le mouvement ds que je fus bless.
Il ne se peut dire combien je fus visit pendant ma blessure, et principalement des dames. Toutes les princesses y vinrent, et la reine y envoya trois fois ses filles, que Mlle de Guise y amenait passer les aprs-dines entires : et elle, qui croyait tre oblige de mÕassister puisque son frre mÕavait bless, y tait la plupart du temps. Ma sĻur de Saint-Luc, qui coucha toujours au pied de mon lit, tant que je fus en danger, recevait les dames : et le roi, hormis le lendemain de ma blessure, vint toutes les aprs-dines me voir, et en partie aussi pour y voir les bonnes compagnies. Enfin je sortis le seizime jour ; mais jÕavais toujours une tente dans le ventre. Plus de trois semaines aprs on me portait dans une chaise ; car je nÕavais nul affermissement sur le ct droit, et allais potence [bquille] jusques aprs que ma blessure fut ferme, que je mÕappuyais sur un bton, ayant toujours un grand frmissement en toute la cuisse et jambe droite.
Avril. Ń Peu de jours aprs Pques de la mme anne, en tirant mon mouchoir dans le cabinet du roi, je laissai tomber une lettre dÕAntragues que Sardini releva, et le marquis de CĻuvres lui ayant dit quÕelle tait lui, il lui donna, lequel la montra au roi, et puis demanda me parler la nuit, devant lÕhtel de Soissons, seul : il y mena nanmoins le comte de Cramail, et aprs mÕavoir reproch quelques mauvais offices quÕil disait que je lui avais rendus, me dit que lÕestime quÕil faisait de moi, et le dsir quÕil avait dÕacqurir mon amiti ternelle, lÕavait fait rsoudre me servir plutt que de me nuire en cette prsente occasion ; et quÕayant trouv une lettre quÕAntragues mÕcrivait, sans sÕen prvaloir dÕaucune sorte, il venait de la renvoyer par Sardini Antragues mme ; et quÕil me priait que, par ce soin quÕil avait pris pour moi, je lui rendisse dsormais des preuves dÕune rciproque amiti. Lors, moi qui croyais quÕil me parlt sans feintise, lui fis mille protestations de service et dÕaffection. Il me dit que le roi savait que cette lettre lui tait tombe entre les mains, et quÕil fallait que je lui envoyasse promptement une lettre que quelque autre femme mÕet crite, pour lui montrer ; ce que je fis en diligence, et envoyai lÕheure mme Antragues savoir si elle avait reu cette lettre. Mais comme elle mÕeut mand quÕelle nÕavait vu personne de la part du marquis, alors, forcen de colre, et perdu dans ce ressentiment, jÕallai droit au logis du dit marquis pour ravoir ma lettre, ou pour lÕoutrager : mais par les chemins je rencontrai Mr dÕEsguillon et Mr de Crquy qui mÕarrtrent pour savoir mon dessein : Ē Je vas, leur rpondis-je, chez le marquis de CĻuvres, ravoir une lettre quÕil a trouve, quÕAntragues mÕcrivait ; et sÕil ne me la rend, je suis rsolu de le tuer. Č
Lors ils me remontrrent que je courais un pril extrme, sans moyen dÕen chapper, dÕaller tuer un homme dans son logis parmi tous ses gens ; et que lui, serait bien lche sÕil me la rendait, y allant de la sorte ; mais quÕil valait mieux y envoyer un de mes amis, et Crquy sÕoffrit dÕy aller. Il trouva le marquis fort loign de me la rendre, comme il sÕtait auparavant offert, parlant moi : au contraire il dit quÕil se voulait servir de lÕoccasion que la fortune lui prsentait de se venger de moi. Crquy lui dit que cette affaire ne se passerait pas ainsi, et que, ma vie y tant attache, il ne devait point rechercher ce qui peut-tre lui pourrait causer un grand malheur. Enfin il pria Crquy de revenir le lendemain six heures du matin ( mon avis parce quÕil avait lors envoy par La Varrenne la lettre au roi). Il y retourna, et ils demeurrent dÕaccord quÕil porterait lui mme neuf heures la lettre Antragues : ce que jÕaccordai, rsolu nanmoins de me battre avec ce chicaneur ; mais je voulais auparavant sortir Antragues dÕintrt. Le marquis lui porta, comme il avait promis, et Antragues mÕcrivit pour me prier que je fusse ami du marquis, et que je me trouvasse au logis dÕelle sur les cinq heures du soir, o il viendrait aussi, et quÕelle voulait que nous nous promissions devant elle une rciproque amiti.
Comme je voulais sortir de mon logis, Mr le Grand y arriva, qui me dit quÕaprs avoir habill le roi, il lui avait command de me venir trouver pour me dfendre de sa part, sur peine de la vie, de nÕavoir rien demander au marquis, et que je lÕoffenserais si je le faisais. Je lui rpondis que je mÕtonnais pourquoi il me faisait cette dfense, vu que je nÕavais rien demander au dit marquis ; et quÕil mÕtait bien ais dÕobir au commandement du roi.
Je mÕen vins au Louvre, rsolu de laisser passer deux ou trois jours sans rien dire au marquis, et de le quereller, puis aprs, sur quelque autre sujet, mais en toute faon me battre avec lui ; et ainsi le conclmes Crquy et moi, qui me fit promettre de me servir de lui en cette affaire. Mais comme je revins dner mon logis avec plusieurs de mes amis, Le Terrail y arriva, qui me dit quÕtant all pour voir le marquis de CĻuvres, on lui avait dit quÕil nÕy tait pas ; mais que, sÕil y venait de ma part, que lÕon lui ferait voir : ce qui lui faisait croire quÕil y avait quelque chose dmler entre nous deux. Alors je dis Mr de Crquy quÕil nÕy avait plus lieu de patienter, et quÕil lÕallt appeler de ma part. Nous sortmes donc en cachette, Crquy et moi, qui me mena derrire le faubourg Saint-Germain, et puis alla qurir le marquis. Mais il fit tant de refuites [chappatoires], que Cramail, qui parlait Crquy de sa part (car il ne lui voulut jamais parler lui-mme), lÕentretint dÕexcuses jusques au soir ; et cependant ils avertirent le roi, et lÕon me vint prendre o jÕtais, et on me donna des gardes ; puis le lendemain on nous accorda, et ne voulus autre contentement que celui du rcit de tout ce qui sÕtait pass, qui nous avait empchs de nous battre.
Le roi me fit dfendre de venir au Louvre, ni me trouver o il serait, disant que je lÕavais offens dÕavoir fait appeler le marquis aprs les dfenses quÕil mÕen avait fait faire. Je ne me mis gure en peine de ne pouvoir voir le roi, de qui je nÕtais pas satisfait ; et comme, peu de temps aprs, il alla Fontainebleau, je demeurai Paris passer mon temps. Mais parce que son indignation sÕtendait aussi bien sur mon cousin de Crquy que sur moi, et quÕil devait prendre possession du rgiment des gardes, que Mr de Grillon avait remis en ses mains, ce que le roi ne voulait plus permettre ; joint aussi que les dames nous trouvaient dire la cour, on fit office envers la reine pour faire notre accord avec le roi, et nous y faire revenir ; ce quÕelle obtint : et quelque temps aprs que le roi eut t nous y voyant sans nous parler, il sÕen ennuya, et vcut avec nous comme auparavant.
Lors, Mr de Crquy prit possession du rgiment des gardes, et moi je mÕen vins aux bains de Plombires pour ma cuisse, et emmenai avec moi bonne compagnie de la cour outre mes gentilshommes, comme Bellot, Charmeil, Messillac, et le baron de Neufvi. JÕavais avec moi la bande de violons dÕAvignon, que La Pierre commande : jÕavais une espce de musique, et tous les divertissements quÕun jeune homme riche, dbauch, et mauvais mnager, pouvait dsirer. Ma sĻur de Saint-Luc tait venue en Lorraine voir notre mre ; mon frre y tait aussi, et la jeunesse de Lorraine mÕaccompagnait toujours. Nous menmes une douce vie Plombires, o je me guris entirement (juin). JÕy tais amoureux dÕune dame de Remiremont, Bourguignonne, nomme madame de Fuss (juillet). Enfin je ne mÕy ennuyai point durant trois mois que jÕy sjournai.
Aot. Ń JÕen partis sur ce que lÕon me manda que le roi allait en Limousin avec quelque espce dÕarme, et que peut-tre y aurait-il guerre. Ma sĻur tait arrive peu de jours avant moi Paris, chez laquelle je vins loger, et demeurai huit ou dix jours sans mÕy ennuyer. La prsidente de Verdun y tait nouvellement arrive avec sa nice Maupeou, avec qui je mÕapprivoisai. JÕtais voisin de la Patriere qui tait de mes amies.
Je rompis avec Antragues sans y conserver aucune intelligence, et puis jÕallai, avec bonne compagnie de dames, passer deux jours Savigny chez la comtesse de Sault, aprs lesquels je mÕen allai Orlans la veille de la grande clipse de soleil qui fut cette anne-l.
Je vis en passant Mr le chancelier de Bellievre Artenay, qui avait laiss les sceaux, en partant de Tours, entre les mains de Mr le garde des sceaux de Silleri. Je le trouvai quÕil se promenait en un jardin, avec quelques matres des requtes, qui revenaient avec lui. Il me dit : Ē Monsieur, vous voyez un homme qui sÕen va chercher une spulture Paris. JÕai servi les rois tant que jÕai pu le faire, et quand ils ont vu que je nÕen tais plus capable, ils mÕont envoy reposer, et donner ordre au salut de mon me, quoi leurs affaires mÕavaient empch de penser. Č Il me rpondit aussi quelque temps aprs, que je lui disais quÕil ne laisserait pas de servir encore, et de prsider aux conseils comme chancelier : Ē Mon ami, un chancelier sans sceaux est un apothicaire sans sucre. Č
JÕarrivai ce mme soir Orlans, o jÕy trouvai la reine qui revenait de Tours, sa grossesse lÕayant empche de suivre le roi Limoges. Elle me donna des lettres pour le roi, et me commanda de lui dire et faire des plaintes de madame de Guiercheville, qui nÕavait voulu attendre mesdames les princesse de Conty et duchesse de Longueville, quoiquÕelle lui eut mand, pour entrer au carrosse du corps ; et de ce quÕen la tanant sur ce sujet, elle lui avait rpondu assez arrogament. Ce fut o je vis la premire fois madame la princesse de Conty aprs son mariage.
Je partis le jour de lÕclipse, qui parut comme jÕapprochais de Romorantin. JÕarrivai trois jours de l Limoges o je trouvai le roi, qui me fit trs bonne chre ; et ds le mme soir je me mis jouer avec lui, et gagnai durant le voyage plus de cent mille francs.
Octobre. Ń Nous revnmes par la Maison-Fort, Nansay, Aubigny et Montargis, Fontainebleau, o la reine et les dames taient (novembre), et peu de temps aprs, le roi sÕen retourna de Fontainebleau Paris y finir cette anne (dcembre).
Janvier.Ń Nous commenmes celle de 1606 par la foire de Saint-Germain, o Crquy eut quelques paroles avec Haraucourt, et ensuite avec le marquis de CĻuvres (fvrier), dont la querelle dura longtemps, et fut cause de celle du comte de Sault et de Nantouillet, qui donna la mort ce dernier.
La reine accoucha de madame de Savoie le 10e de fvrier, et pendant ses couches, lorsquÕelle commena se mieux porter, il [le roi] me faisait entrer pour jouer avec elle.
Nous fmes quelques ballets et un carrousel qui fut couru au Louvre et lÕArsenal, qui tait de quatre troupes : la premire tait de lÕEau, dont Mr le Grand et les principaux de la cour taient ; celle qui entrait aprs tait la Terre, que Mr de Nevers menait ; la troisime tait le Feu, que Mr de Rohan conduisait ; et la quatrime lÕAir, de laquelle tait chef Mr le comte de Sommerive.
Mars. Ń Sur la fin du carme le roi partit pour aller assiger Sedan; mais Mr de Bouillon se mit la raison, et sÕtant soumis au roi, il eut grce de lui. Le roi crivit une lettre Mr de Guise, Mr le Grand, et moi, par laquelle il nous donnait avis de la soumission de Mr de Bouillon, et nous conviait de lÕaller promptement trouver pour tre son entre Sedan. Nous partmes donc ensemble le lundi de Pques, et allmes coucher la Fert. Le lendemain nous couchmes Reims, o nous trouvmes Mr de Montpensier et Mr dÕEpernon, avec mesdames de Guise, de Conty et de Nevers. Le mercredi nous couchmes proche de la Cassine, et le jeudi nous vnmes Doncheri trouver le roi qui se prparait pour entrer le lendemain vendredi Sedan. Le dit vendredi Mr de Bouillon arriva devant que le roi ft lev, et se mit genoux devant son lit, o il lui parla longuement ; puis le roi tant habill, le roi fit lire son abolition devant le mme Mr de Bouillon, qui lui ayant fait une nouvelle protestation de sa fidlit, lui mit en main. Ds cette heure-l Mr de Bouillon vcut comme il soulait [avait coutume de] faire auparavant, nous mena dner la table des chambellans, quÕil tint, et se fcha contre les contrleurs du roi quÕils ne la servaient pas bien son gr : mme, quand les troupes se mirent en bataille devant la ville pour le passage du roi, il leur fit changer dÕordre, et leur commanda avec la mme audace quÕil avait accoutum, tant cet homme tait coutumier de commander partout.
Avril. Ń Le roi sjourna cinq jours Sedan, au bout desquels il vint coucher Mousson, puis Buzancy o je le quittai pour mÕen retourner Paris, o Antragues tait de nouveau arrive, de qui jÕtais amoureux.
Le roi me commanda dÕaller de sa part trouver la reine Marguerite qui avait perdu Saint-Julien Dat, son galant, quÕun gentilhomme nomm Charmont avait tu, qui le roi avait fait ensuite trancher la tte.
Il me donna aussi des lettres porter madame de Verneuil et la comtesse de Moret. Je mÕen allai chez la premire, parce que sa sĻur y tait ; et lui ayant dit ensuite que jÕen allais porter une autre la comtesse de Moret, elle eut envie de la voir, et mÕayant fait commander de lui donner par Antragues, de qui jÕtais lors amoureux, je lui donnai : elle lÕouvrit, et aprs lÕavoir lue, me la rendit, disant que je ferais faire, en une heure, un chiffre pareil celui qui tait sur le cachet de la lettre, et quÕaprs, je la fisse refermer, et il nÕy paratrait pas. Je la crus, et, ayant le lendemain envoy mon valet de chambre avec la lettre, pour faire faire un pareil cachet, il se rencontra, par malheur, au graveur qui avait fait le mme cachet pour le roi, lequel, sans faire semblant de rien, fit tant quÕil tint la lettre du roi, et lors sauta au collet de mon valet pour lÕarrter : lui, qui tait fort, se dmla de lui, lui laissant son manteau et chapeau, et sÕenfuit chez moi fort perdu, croyant que, sÕil tait pris, il serait pendu deux heures aprs. Je le fis cacher, et mÕen allai trouver la comtesse de Moret, laquelle je dis que, par malheur, pensant ouvrir un poulet quÕune dame mÕavait crit, jÕavais ouvert celui que je lui portais de la part du roi ; et que, craignant quÕelle nÕet pens que je lÕeusse fait dessein, jÕavais voulu faire faire un nouveau cachet pour le refermer ; mais que mon valet lÕtant all faire graver chez celui-mme qui les faisait pour le roi, il avait retenu la lettre ; et que, si elle la voulait avoir, il fallait quÕelle lÕallt faire demander ce graveur nomm Turpin. Elle ne fit que rire de cet accident, ne pensant pas que cÕet t autrement que par hasard que jÕeusse ouvert sa lettre, quÕelle mÕet fait voir ou le roi me lÕet montre, si jÕen eusse eu la curiosit : cÕest pourquoi, sans entrer en autre claircissement, elle envoya redemander sa lettre ; mais le graveur lui manda quÕelle nÕtait plus en sa puissance, mais bien en celle du prsident Sguier, qui prsidait la Tournelle, qui il lÕavait porte, lequel tait un homme peu obligeant et austre, quÕelle, ni moi, ne connaissions point particulirement. Cela me mit bien en peine : enfin je mÕavisai dÕaller trouver madame de Lomenie, pour tcher, par son moyen, de faire touffer cette affaire, soit en faisant retirer cette lettre, ou en crivant son mari pour le faire entendre au roi dÕun biais quÕil ne sÕen fcht point. Je la trouvai fort empche faire une dpche la cour, et me pria de mÕasseoir jusques ce quÕelle et achev une lettre fort importante quÕelle crivait son mari. JÕeus aussitt soupon que cÕtait sur le sujet qui mÕamenait vers elle, et lui demandai sÕil tait arriv quelque chose de nouveau qui ft si press mander. Elle me dit que oui, et que lÕon avait voulu contrefaire les cachets du roi, et que par malheur, celui qui les faisait contrefaire sÕtait sauv, mais que la lettre de la main du roi tait demeure, laquelle elle envoyait son mari, afin que le roi mandt qui il lÕavait crite, et par qui il lÕavait fait porter, moyennant quoi on esprait de dcouvrir le fond de cette affaire, et quÕelle voudrait quÕil lui et cot deux mille cus, et quÕelle en ft pleinement claircie. Je lui promis pour cette somme, si elle me la voulait bailler, de lui dcouvrir, et lui dis ensuite la mme excuse que jÕavais faite madame de Moret : et comme elle et son mari taient de mes intimes amis, elle apaisa le tout, pourvu que je voulusse moi-mme aller Villiers-Cterets, o le roi se trouverait le lendemain, pour tre porteur dÕune autre dpche quÕelle ferait son mari sur ce sujet, et de la nouvelle, ainsi que je lui avais dite : ce que je fis, et pris la rponse de la lettre que jÕavais donne madame de Verneuil, et [de] celle que madame de Moret nÕavait point reue, qui se riait avec le roi de cette affaire et de lÕapprhension o jÕavais t, lequel ne fit quÕen rire ; dont je fus bien aise, et mÕen revins Paris voir ma matresse, qui tait loge en la rue de la Coutellerie, o jÕavais une entre secrte par laquelle jÕentrais au troisime tage du logis, que sa mre nÕavait point lou ; et elle, par un degr drob de sa garde-robe, me venait trouver lorsque sa mre tait endormie.
Mai. Ń Le roi fit, peu de jours de l, son entre par la porte de Saint-Antoine Paris, o il lui fut tir quantit de canonnades par rjouissance. Il voulut que Mr de Bouillon marcht immdiatement devant lui : ce quÕil fit, mais avec une telle assurance et audace, que lÕon nÕet su juger si cÕtait le roi qui le menait en triomphe, ou lui le roi, qui demeura quelques jours Paris, puis sÕen alla Fontainebleau. Et comme il tait amoureux dÕAntragues, et Mr de Guise, comme plusieurs autres aussi, qui avaient tous jalousie de moi quÕils pensaient tre mieux avec elle, ils complotrent tous de me faire pier pour voir si jÕentrais en son logis, et si je la voyais en particulier ; et le roi commanda ceux qui il avait donn charge dÕy prendre garde, de se confier Mr de Guise, et de lui donner avis sÕils apercevaient quelque chose.
Il arriva, un soir que jÕy devais aller, et que lÕon mÕpiait, au mois de mai, que, soupant chez Mr le Grand, il vint faire une forte pluie : ce qui mÕobligea de prendre un des manteaux de pluie de Mr le Grand ; et sans penser que la croix de lÕordre tait attache dessus, je m'en allai sur les onze heures du soir au logis dÕAntragues. Je fus suivi par les espions du roi et ceux de Mr de Guise, qui lÕen vinrent aussitt avertir, et lui dirent quÕils avaient vu entrer un jeune chevalier du Saint-Esprit par une porte de derrire au logis de madame dÕAntragues. Mr de Guise ne le pouvait croire, et y envoya deux de ses valets de chambre pour voir et reconnatre le chevalier quand il sortirait, qui ne pouvait tre que Mr le Grand, vu quÕil nÕy avait que lui de jeune chevalier Paris, capable dÕavoir cette bonne fortune. Je vis bien, en sortant, ces deux valets de chambre que je connaissais, et pour cela je me dguisai le plus que je pus, croyant quÕinfailliblement ils mÕauraient dcouvert : mais eux, voyant cette croix du Saint-Esprit, jugrent que cÕtait Mr le Grand, et en assurrent Mr de Guise. JÕcrivis aussitt Antragues que les valets de Mr de Guise mÕavaient vu sortir, que je craignais que nous ne fussions dcouverts ; et quÕelle inventt quelque excuse ou change, si il lui en parlait.
Sur les neuf dix heures du matin, Mr de Guise, qui avait la puce lÕoreille, vint voir Mr le Grand : mais on lui dit la porte quÕil avait toute la nuit eu un grand mal de dents, et que lÕon ne le verrait que sur le soir ; ce qui confirma davantage Mr de Guise en la croyance quÕayant veill toute la nuit, il avait voulu dormir la grasse matine. Il sÕen vint de l en mon logis, et me trouvant encore au lit, me dit : Ē Je vous prie, prenez votre robe de chambre, et que je vous dise un mot. Č Je crus assurment quÕil me voulait dire que lÕon mÕavait vu sortir de chez Antragues, et me rsolus de nier fermement. Mais lui, au contraire : Ē Que diriez-vous, dit-il, si le grand cuyer tait mieux que vous et que tout le monde, dans lÕesprit dÕAntragues, et non seulement dans son esprit, mais dans son lit encore ? Č Je lui dis que je nÕen croyais rien, et que lui, ni elle, nÕavaient aucun dessein lÕun pour lÕautre. Ē ļ Dieu, dit-il, que les amoureux sont aiss tromper ! Je lÕai cru comme vous, et cependant il est fort vrai quÕil a t toute cette nuit avec elle, et nÕen est sorti quÕ quatre heures du matin : on lui a vu entrer, et mes valets de chambre mme lÕen ont vu sortir avec tant de ngligence, quÕil nÕa pas seulement voulu prendre un manteau sans croix de lÕordre pour se dguiser. Č Et aussitt appela un des dits valets, nomm dÕUrbal, qui il demanda devant moi sÕil nÕavait pas vu sortir Mr le Grand de chez Antragues. Il lui rpondit : Ē Oui, Monseigneur, aussi visiblement que je vois maintenant Mr de Bassompierre que voil. Č Je nÕosais regarder au visage ce valet, qui mÕavait vu le matin mme sortir de l, et pensais que ce fut une fourbe pour se moquer de moi : mais comme je me tournais dÕun autre ct, jÕaperus sur une forme le manteau de Mr le Grand, que mon valet avait pli, et laiss la croix dcouvert, qui devait avoir t cent fois aperue de Mr de Guise, sÕil nÕeut t troubl alors : je mÕen allai asseoir dessus, de peur quÕil ne sÕaperut de cette croix ; et, faisant lÕafflig comme lui, et disant mille choses contre la lgret dÕAntragues, je ne me voulus lever de dessus ce manteau, quoique Mr de Guise me prit de me promener avec lui, jusques ce que jÕeus dit mon valet que, comme Mr de Guise se tournerait, il emportt ce manteau une garde-robe, et le cacht, de peur quÕapercevant cette croix, mon amour et ma bonne fortune de la nuit passe ne ft aussi aperue.
Je mandai leur mprise Antragues, qui, par mchancet, fit fort bonne chre, lÕaprs dne, Mr le Grand, afin que Mr de Guise et le roi se confirmassent en cette crance, pour leur faire perdre soupon de moi. Et quand, le lendemain, Mr de Guise, (qui ne sÕen put taire, bien que lui et moi fussions demeurs dÕaccord que nous ne lui en dirions rien), et fait la guerre Mr le Grand de sa nouvelle amour, Mr le Grand ne lui en ta pas la crance par sa rponse ambigu, et le dit Antragues, qui lui dit : Ē Puisque Mr de Guise a cette opinion, faisons semblant quÕil y a de la finesse entre nous. Č De sorte que toute la jalousie du roi et de Mr de Guise tomba sur Mr le Grand, lequel ils hassaient comme peste. Mais, pour notre malheur, ils en avertirent la mre, laquelle, y prenant garde de plus prs, un matin, voulant cracher, et levant le rideau de son lit, elle vit celui de sa fille dcouvert, et quÕelle nÕy tait pas (juin). Elle se leva tout doucement, et vint dans sa garde-robe, o elle trouva la porte de cet escalier drob, quÕelle pensait qui fut condamne, ouverte : ce qui la fit crier, et sa fille, sa voix, se lever en diligence et venir elle. Moi, cependant, je fermai la porte, et mÕen allai, bien en peine de ce qui serait arriv de toute cette affaire ; qui fut que sa mre la battit, quÕelle fit rompre la porte pour entrer en cette chambre du troisime tage o nous tions la nuit, et fut bien tonne de la voir meuble des beaux meubles de Zamet avec des plaques et des flambeaux dÕargent. Alors tout notre commerce fut rompu : mais je me raccommodai avec la mre par le moyen de Mlle dÕAsy, chez laquelle je la vis, et lui demandai tant de pardons, avec assurance que nous nÕavions point pass plus outre que le baiser, quÕelle feignit de le croire. Elle sÕen vint Fontainebleau, et moi aussi, mais sans oser parler Antragues quÕen cachette, parce que le roi ne le trouvait pas bon. Toutefois les amants sont assez ingnieux pour trouver les moyens de quelques rares rencontres.
Le roi mÕenvoya, peu aprs, son ambassadeur extraordinaire en Lorraine, pour assister de sa part aux noces de Mr le duc de Bar, son beau-frre, avec la fille de Mr le duc de Mantoue, nice de la reine, et aussi pour prier en mme temps madame la duchesse de Mantoue de venir tre marraine de monsieur le dauphin, et Mr de Lorraine dÕtre parrain de madame Elisabeth, dernire fille de France, maintenant reine dÕAngleterre. Je partis un soir de la cour, et veux dire une aventure qui me survint, qui, pour nÕtre de grande consquence, est nanmoins extravagante.
Il y avait quatre ou cinq mois que, toutes les fois que je passais sur le petit pont (car en ce temps l le Pont Neuf nÕtait point fait), quÕune belle femme, lingre lÕenseigne des deux Anges, me faisait de grandes rvrences, et mÕaccompagnait de la vue autant quÕelle pouvait ; et comme jÕeus pris garde son action, je la regardais aussi, et la saluais avec plus de soin. Il advint que, lorsque jÕarrivai de Fontainebleau Paris, passant sur le petit pont, ds quÕelle mÕaperut venir, elle se mit sur lÕentre de sa boutique, et me dit, comme je passais : Ē Monsieur, je suis votre servante trs humble. Č Je lui rendis son salut, et, me retournant de temps en temps, je vis quÕelle me suivait de la vue aussi longtemps quÕelle pouvait. JÕavais men un de mes laquais en poste, pour le renvoyer le soir mme avec des lettres pour Antragues et pour une autre dame Fontainebleau. Je le fis lors descendre et donner son cheval au postillon pour le mener, et lÕenvoyai dire cette jeune femme que, voyant la curiosit quÕelle avait de me voir et de me saluer, si elle dsirait une plus particulire vue, jÕoffrais de la voir o elle me le dirait. Elle dit ce laquais que cÕtait la meilleure nouvelle que lÕon lui et su apporter, et quÕelle irait o je voudrais, pourvu que ce ft condition de coucher entre deux draps avec moi.
JÕacceptai le parti, et dis ce laquais, sÕil connaissait quelque lieu o la mener, quÕil le ft : il me dit quÕil connaissait une maquerelle, nomme Noiret, chez qui il la mnerait, et que si je voulais quÕil portt des matelas, des draps, et des couvertes de mon logis, quÕil mÕy apprterait un bon lit. Je le trouvai bon, et, le soir, jÕy allai et trouvai une trs belle femme, ge de vingt ans, qui tait coiffe de nuit, nÕayant quÕune trs fine chemise sur elle, et une petite jupe de rvche [flanelle] verte, et des mules aux pieds, avec un peignoir sur elle. Elle me plut bien fort, et, me voulant jouer avec elle, je ne lui sus faire rsoudre si je ne me mettais dans le lit avec elle, ce que je fis ; et elle sÕy tant jete en un instant, je mÕy mis incontinent aprs, pouvant dire nÕavoir jamais vu femme plus jolie, ni qui mÕait donn plus de plaisir pour une nuit : laquelle finie, je me levai et lui demandai si je ne la pourrais pas voir encore une autre fois, et que je ne partirais que dimanche, dont cette nuit-l avait t celle du jeudi ou vendredi. Elle me rpondit quÕelle le souhaitait plus ardemment que moi, mais quÕil lui tait impossible si je ne demeurais tout dimanche, et que la nuit du dimanche au lundi elle me verrait : et comme je lui en faisais difficult, elle me dit : Ē Je crois que maintenant que vous tes las de cette nuit passe, vous avez dessein de partir dimanche ; mais quand vous vous serez repos, et que vous songerez moi, vous serez bien aise de demeurer un jour davantage pour me voir une nuit. Č Enfin je fus ais persuader, et lui dis que je lui donnerais cette journe pour la voir la nuit au mme lieu. Alors elle me rpartit : Ē Monsieur, je sais bien que je suis en un bordel infme, o je suis venue de bon cĻur pour vous voir, de qui je suis si amoureuse que, pour jouir de vous, je crois que je vous lÕeusse permis au milieu de la rue, plutt que de mÕen passer. Or une fois nÕest pas coutume ; et, force dÕune passion, on peut venir une fois dans le bordel ; mais ce serait tre garce publique dÕy retourner la seconde fois. Je nÕai jamais connu que mon mari et vous, ou que je meure misrable, et nÕai pas dessein dÕen connatre jamais dÕautre : mais que ne ferait-on point pour une personne que lÕon aime, et pour un Bassompierre ? CÕest pourquoi, je suis venue au bordel ; mais Õa t avec un homme qui a rendu ce bordel honorable par sa prsence. Si vous me voulez voir une autre fois, ce pourra tre chez une de mes tantes, qui se tient en la rue du Bourg lÕAbb, proche de celle des Ours, la troisime porte du ct de la rue de Saint-Martin. Je vous y attendrai depuis dix heures jusques minuit, et plus tard encore, et laisserai la porte ouverte, o, lÕentre, il y a une petite alle que vous passerez vite ; car la porte de la chambre de ma tante y rpond ; et trouverez un degr qui vous mnera ce second tage. Č
Je pris le parti, et ayant fait partir le reste de mon train, jÕattendis le dimanche pour voir cette jeune femme. Je vins dix heures, et trouvai la porte quÕelle mÕavait marque, et de la lumire bien grande, non seulement au second tage, mais au troisime et au premier encore ; mais la porte tait ferme. Je frappai pour avertir de ma venue ; mais jÕous une voix dÕhomme qui me demanda qui jÕtais. Je mÕen retournai la rue aux Ours, et tant revenu pour la seconde fois, ayant trouv la porte ouverte, jÕentrai jusques ce second tage, o je trouvai que cette lumire tait la paille des lits, que lÕon y brlait, et deux corps nus tendus sur la table de la chambre. Alors je me retirai bien tonn, et en sortant, je rencontrai des corbeaux [hommes qui enlevaient les pestifrs] qui me demandrent ce que je cherchais ; et moi, pour les faire carter, mis lÕpe la main, et passai outre. MÕen revenant mon logis, un peu mu de ce spectacle inopin, je bus trois ou quatre verres de vin pur, qui est un remde dÕAllemagne contre la peste prsente, et mÕendormis pour mÕen aller en Lorraine le lendemain matin, comme je fis ; et quelque diligence que jÕaie su faire depuis pour apprendre ce quÕtait devenue cette femme, je nÕen ai jamais su rien savoir. JÕai t mme aux deux Anges, o elle logeait, mÕenqurir qui elle tait ; mais les locataires de ce logis-l ne mÕont dit autre chose, sinon quÕils ne savaient point qui tait lÕancien locataire. Je vous ai voulu dire cette aventure, bien quÕelle soit de personne de peu ; mais elle tait si jolie que je lÕai regrette, et eusse dsir pour beaucoup de la pouvoir revoir.
JÕarrivai en poste Nancy deux heures aprs que mon quipage y fut venu, et ne trouvai aucun des princes, ni gure de gentilshommes, parce quÕils sÕen taient tous alls recevoir madame de Mantoue et sa fille Blamont o ils devaient le lendemain arriver. Ma mre tait Nancy, qui me prta son carrosse pour envoyer en relais Lunville ; et je me servis du mien le lendemain jusques ce que jÕeusse trouv le sien, qui me mena Blamont, l o je vis les princes et princesses de Lorraine et de Mantoue : et aprs avoir fait mes premiers compliments, je mÕen revins les attendre Nancy, o je fus trait, log, et dfray, fort magnifiquement. Les noces se firent, o jÕassistai de la part du roi. On y dansa fort, et on fit un carrousel assez beau, auquel Mr de Vaudemont menait une bande, et moi lÕautre.
Aprs les noces, je priai, au nom du roi, S.A. de Lorraine et madame de Mantoue de venir en France tenir sur les fonts les enfants du roi ; qui reurent cette grce de Sa Majest avec le respect et lÕhonneur convenable.
Juillet. Ń Puis je mÕen revins Paris loger chez le comte de Fiesque, bien en peine de nÕavoir point dÕhabillement neuf pour le baptme du roi, ayant mis tous ceux que jÕavais aux noces de Lorraine. Mais comme ma sĻur, madame de Verderonne, et la Patriere me fussent venues voir mon arrive, et mÕeussent dit comme tous les tailleurs et brodeurs taient occups de telle sorte que lÕon nÕen pouvait fournir, quelque argent que lÕon leur voult donner, mon tailleur, nomm Tallot, vint avec mon brodeur me dire que, sur le bruit des magnificences du baptme, un marchand dÕAnvers avait apport la charge dÕun cheval de perles lÕonce, et que lÕon me pourrait faire avec cela un habit qui surpasserait tous les autres du baptme, et que mon brodeur sÕy offrait, si je lui voulais donner six cents cus de la faon seulement. Ces dames et moi rsolmes lÕhabillement, pour faire lequel il ne fallait pas moins de cinquante livres de perles. Je voulus quÕil ft de toile dÕor violette, et des palmes qui sÕentrelaceraient. Enfin, devant que de partir, moi, qui nÕavais que sept cents cus en bourse, fis entreprendre un habillement qui me devait coter quatorze mille cus, et en mme temps fis venir le marchand, qui mÕapporta les chantillons de ses perles, avec lequel je conclus le prix de lÕonce. Il me demanda quatre mille cus dÕarrhes ; et moi, je le remis au lendemain matin pour les lui donner. Mr dÕEpernon passa devant mon logis, qui sachant que jÕy tais arriv, me vint voir, et me dit que bonne compagnie venait ce soir souper, et jouer puis aprs, son logis, et quÕil me priait dÕtre de la partie. JÕy portai mes sept cents cus, avec lesquels jÕen gagnai cinq mille. Le lendemain le marchand vint ; je lui donnai ses quatre mille cus dÕarrhes : jÕen donnai aussi au brodeur, et poursuivis, du gain que je fis au jeu, non seulement dÕachever de payer lÕhabillement et une pe de diamants de cinq mille deux cents cus, que jÕeus encore cinq ou six mille cus de reste pour passer mon temps.
Nous allmes avec le roi Villers-Cotterts pour recevoir Mr de Lorraine et madame de Mantoue qui y arrivrent. En ce voyage le roi, tant la chasse, se dtourna pour aller voir madame des Essars, qui tait chez sa tante lÕabbesse de Sainte-Perrinne ; qui parut, lÕarrive du roi, plus belle quÕelle nÕa jamais t depuis, quoique sa beaut ait longuement dur.
Aot. Ń Le roi ramena ses compre et commre Paris, o on leur fit partout des magnifiques festins. Mais la peste croissant Paris, on changea le lieu du baptme, qui se devait faire Paris, en Fontainebleau (septembre), o il se fit avec grande magnificence le 14e septembre. Je servis, au festin royal, madame de Mantoue, avec Mrs de Crquy et de Termes. Le soir je menai, au grand bal, Mlle de Montmorency ; et le roi nous donna le rang de faveur, qui est le dernier, parce que le roi ne se retournant jamais aux pauses pour sÕentretenir quatre quatre selon la coutume, il donne la dernire place celui et celle qui se doivent retourner pour entretenir la reine et lui. Le lendemain il y eut un chteau plein de feux dÕartifice, quÕil fit fort beau voir. Et peu de jours aprs, la peste augmentant Fontainebleau, les parrains et lgat ayant pris cong du roi, il retint peu de personnes avec la reine et lui, et sÕalla tenir Montargis. Madame dÕAntragues y vint : jÕy passai bien mon temps avec sa fille, et avec dÕautres aussi (octobre).
Novembre. Ń Nous revnmes vers la Toussaints Fontainebleau, et peu de jours aprs Paris, o madame dÕAntragues et sa fille arrivrent (dcembre).
Janvier.Ń LÕanne 1607 se commena quasi avec le carme-prenant, et ce carme-prenant par le ballet des Echecs, qui ne fut pas si beau que dÕautres, mais plus ingnieux quÕaucun autre qui se soit dans (fvrier). Ce ne fut pas le seul ; car ce carnaval en foisonna, aprs lequel je fus pri par Mr de Lorraine dÕassister aux tats de son pays, auxquels il se doutait, comme il advint aussi, quÕil y aurait de grandes difficults, lesquelles il esprait de surmonter si jÕy tais. Je demandai deux ou trois fois cong au roi pour mÕy en aller ; mais parce que je gagnais son argent au jeu, et que le jeu se romprait par mon absence, il ne me voulait permettre de mÕen aller (mars). Enfin je le fus trouver Chantilly : il me dit quÕil ne me dirait point adieu, et moi, mÕinclinant, lui dis que si ferais bien moi, et ainsi mÕen allai. Il me fit dire que je ne lui avais point dit adieu, aprs quÕil fut couch, et que je ne mÕen allasse pas. Mais moi qui perdais le temps des tats de Lorraine, mÕen allai le matin Paris, et rencontrant Mrs dÕEsguillon et de Bouillon par les chemins, les priai de ne pas dire au roi quÕils mÕeussent rencontr ; mais eux, malicieusement, lui dirent ds quÕils furent arrivs Chantilly.
Alors le roi envoya deux exempts de ses gardes, Saint-Georges et Du Puis avec commandement au prvt de Meaux pour les assister me prendre en passant ; ce qui leur fut ais de faire, car jÕy arrivai le soir au gte. JÕenvoyai, la nuit mme, le jeune Guittaut au roi, et crivis Mr de Villeroy, lequel manda aux dits exempts et prvt quÕils me laissassent aller, pourvu que ce ft pour venir trouver le roi ; ce que je fis. Il se moqua de moi quand il me vit, et me dit que jÕavais vu, par le bon ordre quÕil avait donn pour me prendre, que lÕon ne partait pas de son royaume sans son cong ; quÕil voulait que je demeurasse encore dix jours avec lui, au bout desquels il me promettait de me donner cong, et que mon sjour ne me serait point infructueux : car pendant ce temps-l il accorda avec moi cette grande affaire que jÕavais pour les domaines de Saint-Sauveur, lesquels je lui rendis, et lui la somme entire de quatre cent vingt mille livres que jÕen prtendais ; mais je consentis que mon remboursement ne serait quÕen quatre ans, dans les termes desquels je fus ponctuellement et entirement satisfait.
JÕavertis aussi, pendant mon sjour, Mr le prince de Joinville et madame de Moret du dessein que le roi avait de les surprendre ensemble, et de leur faire un sanglant affront. Mais eux, qui pensaient que je leur en parlais pour mon intrt particulier, nÕy pourvurent pas comme il fallait. Nanmoins on ne les surprit pas ensemble : mais le roi en dcouvrit assez pour chasser Mr de Chevreuse de la cour, et en et fait autant dÕelle si elle nÕet t sur le point dÕaccoucher ; et le temps raccommoda lÕaffaire.
Je mÕen allai en Lorraine aprs les dix jours accomplis de ce dernier sjour, et peu de temps aprs revins inconnu Paris, voir madame de Morret, pour mÕoffrir de la servir en son dplaisir : et, ayant t rencontr, par les chemins, par Mr de Tremes qui sÕallait marier Mlle de Luxembourg, et suivi par un courrier de Mr de Lorraine qui dit Chanvallon que jÕtais arriv devant lui, il y eut bruit de mon arrive, et madame dÕAntragues tint sa fille en tat de ne me pouvoir voir.
Je partis le mardi Saint-de Paris, et mÕen revins faire pques Nancy, o je trouvai Mr le prince de Joinville, qui y demeura quasi autant que moi.
La reine accoucha de Mr dÕOrlans Fontainebleau le 16e avril.
S.A. de Lorraine fut fort maltrait de sa noblesse en ces derniers tats, et en prit un dplaisir qui lÕa accompagn jusques la mort. JÕallai ceux du Barrois avec lui, qui se terminrent selon son dsir : et ensuite nous fmes aux bains de Plombires (mai) ; moi, seulement pour passer mon temps.
Juin. Ń Je revins ensuite prs du roi, qui passa tout son t en ses maisons de Saint-Germain et de Fontainebleau, chasser (juillet, aot).
Septembre. Ń Il reut don Pedre de Tolede, vers lÕautomne, Fontainebleau.
Je fis quelques voyages Chemaut et Beaumont (novembre), et sur la fin de lÕanne ma mre sÕen vint Paris, que je logeai (dcembre).
Janvier.Ń En lÕanne 1608 je mÕembarquai avec une dame blonde. Je gagnai fort au jeu cette anne-l, et donnai beaucoup la foire (fvrier). Nous fmes force ballets, comme celui des Inconstants, celui de matre Guillaume, et autres, que lÕon dansa la ville. JÕavais de plus matresses en cour, et tais bien avec Antragues.
Mars. Ń Mr de Vendme dansa aussi un ballet dont le roi voulut que nous fussions, Cramail, Termes et moi, quÕon nommait lors les Dangereux : nous le fmes danser chez Mr de Montpensier, qui se leva pour le voir, bien quÕil sÕen allt mourant.
Le roi vint le lendemain chez lui, passer le contrat de mariage de Mr le duc dÕOrlans et de Mlle de Montpensier, sa fille ; auquel il fit donation de son bien, en excluant ses hritiers, si elle venait mourir devant Monsieur.
On fit une grande assemble chez le marquis de CĻuvres, o il se joua une comdie qui tait de toutes femmes blondes, parentes ou allies du dit marquis.
Mr de Montpensier mourut.
Avril. Ń Nous allmes, Mr de Crquy et moi, nous enfermer aux Chartreux pour y faire nos pques.
Madame de Simi mourut.
Le roi sÕen alla Fontainebleau, o la reine accoucha de Mr dÕAnjou le 7e dÕavril ; et je demeurai Paris, o je passai extrmement bien mon temps. Je feignais dÕtre malade du poumon, de sorte que lÕon ne me voyait quÕ midi, et toute la cour tait chez moi passer le temps jusques sur les neuf heures du soir, que je feignais me devoir retirer cause de mon mal ; mais cÕtait pour tre toute la nuit en bonne compagnie.
Mai. Ń Le roi revint la Pentecte, et jaloux de la bonne vie que nous menions, voulut tre de la partie. LÕon avait jou fort grand jeu chez moi pendant que le roi tait Fontainebleau, et moi feint malade, et avais introduit un marchand portugais, nomm Duarte Fernandes, qui faisait bon tout ce que lÕon jouait, fournissant les marques ceux qui lui donnaient du fonds, ou des gages, pour sa sret. Il y avait huit ou dix honntes gens de la ville qui taient de notre partie ; et de la cour Mrs de Guise, de Crquy, et moi : ceux de la ville taient Autreville, Almeras, Chevry, Chastelain, Fedeau, Choisy de Can, et autres. Le roi voulut quÕils vinssent tous les jours jouer avec lui, soit quÕil ft au Louvre, o chez Mrs de Roquelaure ou Zamet.
Juin. Ń JÕtais en grand heur ; mais, sur ces entrefaites, il me fallut aller Rouen, o ma mre tait, pour un procs que nous avions contre les hritiers dÕun nomm le Clerc, que nous gagnmes. Je revins Paris, o nous continumes le grand jeu, et lÕamour, plus que devant.
Juillet. Ń La reine Marguerite donna une bague courre, une partie qui se fit lÕArsenal, o il se fit une grande fte. Les tenants de la partie taient Mrs de Crquy, Rosny, Gramont, et Marillac, lesquels voulurent que personne ne court sÕil nÕtait en partie de quatre : et parce que Mrs de Guise, de Joinville, de Termes, de Bassompierre, gnral des galres, et comte de Sault, sÕtaient joints ensemble pour faire une partie, nous leur fmes dire que nous tions lis six dÕune partie, qui ne nous pouvions sparer, lesquels ne voulurent accorder aucune partie de plus ou moins de quatre : ce qui fut cause que nous six ne voulmes point courre ; mais nous vnmes voir la fte, fort bien pars. Et parce quÕen ces grandes assembles ceux qui ont plusieurs affaires de dames, comme j'avais lors, sont fort embarrasss, je pensais que jÕaurais l bien de la peine ; mais la fortune mÕassista de telle sorte que, sans rien perdre ni ngliger, je contentai tout. Et enfin mÕtant mis sans dessein au-dessous du lieu o la reine tait, sur un chafaud o tait Mlle de Montmorency, Peraut qui tait prs dÕelle, et qui avait t avec moi en Hongrie, me fora de prendre son sige ; et lors pour la premire fois, je lui parlai, et tchai de mÕinsinuer en ses bonnes grces, sans penser ce qui mÕest depuis arriv. Aprs la fte je fus ravi de voir que jÕavais content toutes celles avec qui jÕavais intelligence, et que pas une nÕet pris ombrage dÕune autre ; ce qui est bien rare en pareilles occasions.
La chaleur de cette anne-l fit que lÕeau de la rivire fut si bonne pour sÕy baigner que, plus dÕun mois durant, on voyait, depuis Charenton jusques en lÕle du Palais, plus de quatre mille personnes dans lÕeau.
En ce temps-l Mr le duc de Lorraine, Charles IIIe, mourut, et je fus pri dÕaller ses funrailles ; ce que je fis, et demeurai trois semaines en ce voyage. Il ne se peut dire le soin que les dames eurent de me faire souvent savoir de leurs nouvelles, et de mÕenvoyer des courriers, des lettres et des prsents. LÕtoile de Venus tait bien en ascendant sur moi alors. Je revins Paris, et quatre dames en carrosse vinrent par del Pantin, faisant semblant de se promener, qui me mirent dans leur carrosse, et me ramenrent jusques la porte de Saint-Honor, o je remontai sur mes chevaux de poste pour entrer Paris. Je trouvai quÕAntragues en tait partie pour sÕaller marier Malesherbes avec un comte dÕAch, dÕAuvergne, qui la recherchait ; mais ce mariage se rompit sur les articles.
Ds que le roi sut que jÕtais arriv Paris, il mÕcrivit pour me faire promptement venir la cour, me mandant que jÕavais jusques alors t tenu le plus grand joueur de sa bande, mais quÕil tait depuis peu arriv un Portugais, nomm Pimentel, qui me passait de beaucoup. Je mÕy en allai un matin avec Mr de Pralain qui avait eu nouvelle de la mort de Mr de la Guiche, lieutenant gnral en Lyonnais, et allait pour en demander la charge au roi ; mais il trouva, son arrive, quÕ lÕinstance de Mr de Villeroy, le roi lÕavait donne Mr dÕAlaincourt, qui tait lors son ambassadeur Rome.
Nous demeurmes quelques jours Fontainebleau, jouant le plus furieux jeu dont lÕon ait ou parler. Il ne se passait journe quÕil nÕy et vingt mille pistoles, pour le moins, de perte et de gain. Les moindres marques taient de cinquante pistoles, lesquelles on nommait quinterottes, parce que celles-l allaient bien vite, lÕimitation de ces chevaux dÕAngleterre que Quinterot avait amens en France plus dÕun an auparavant, qui ont depuis t cause que lÕon sÕest servi des chevaux anglais, tant pour la chasse que pour aller par pays, ce qui ne sÕusait point auparavant. Les marques plus grandes taient de cinq cents pistoles, de sorte que lÕon pouvait tenir dans sa main la fois plus de cinquante mille pistoles de ces marques-l. Je gagnai cette anne-l plus de cinq cent mille francs au jeu, bien que je fusse distrait par mille folies de jeunesse et dÕamour. Le roi sÕen revint Paris, et de l Saint-Germain, continuant ce mme jeu, auquel Pimentel gagna plus de deux cent mille cus.
La marquise de Verneuil, et madame dÕAntragues et son autre fille, revinrent Paris aprs avoir failli Malesherbes le mariage du comte dÕAch, et allrent loger, la marquise Conflans chez Cenamy, et madame dÕAntragues la maison de Mr de Vienne au mme bourg : et comme les sĻurs venaient souvent loger ensemble, Mr de Guise et moi faisions la nuit les chevaliers errants, et les allions trouver. Enfin elles revinrent Paris : madame dÕAntragues logea chez Mlle dÕAsy, la rue de Jouy, o nous emes querelle, Antragues et moi, et je rompis entirement avec elle qui sÕen alla Chemaut, et moi Monceaux, o le roi tait venu aux premiers jours du mois dÕaot.
Pimentel sÕen alla de l, et le roi revint peu de jours aprs Paris, o Mr de Mantoue, beau-frre du roi, arriva. Le roi le reut avec toute la bonne chre possible ; et comme il tait grand joueur, il fut ravi de se mettre dans ce grand jeu, qui lui tait extraordinaire. Nous le festoymes tous, lÕun aprs lÕautre (septembre). Nous fmes devant lui le ballet des Dieux marins, et puis nous courmes la bague, masqus, lÕArsenal. Le roi le mena de l Fontainebleau ; et aprs lui avoir tenu quelque temps avec grande compagnie de dames, chasses, jeux, et autres divertissements, il prit cong du roi, qui le fut conduire jusques Nemours, et me commanda de lÕaccompagner jusques Montargis, o je le quittai, et mÕen revins Fontainebleau, auquel lieu, le lendemain, Mr le prince fit appeler Mr le prince de Joinville, lesquels le roi accorda (octobre).
Je mÕen revins Paris, et un jour tant all voir monsieur le conntable qui mÕaimait fort, et me lÕavait toujours tmoign, il me dit quÕil me voulait le lendemain donner dner, et que je ne manquasse pas de mÕy trouver ; ce que je fis. Il y avait aussi convi Mrs dÕEpernon, de Roquelaure, Zamet, et un matre des requtes nomm la Cave. Quand nous fmes arrivs, il commanda que lÕon fermt sa porte, et quÕil ne voulait que rien lÕinterrompt de jouir de cette bonne compagnie de ses familiers amis ; et ne voulut que personne, outre ses officiers, ft en sa chambre, que Mr du Tillet Girard, et Ranchin, son mdecin, auxquels il fit donner dner dans sa garde-robe, pour pouvoir tre, aprs dner, auprs de lui. Aprs que nous emes fait bonne chre, et que nous nous fmes levs de table, il nous fit seoir en sa ruelle, et fit sortir tout le monde, commandant Ranchin de se tenir la porte, et la refuser tous ceux qui voudraient entrer. Nous ne savions ni ne nous doutions pas seulement de ce quÕil voulait faire. Enfin, aprs que toutes choses furent en lÕordre quÕil dsirait, il nous dit :
Ē Messieurs, il y a longtemps que je pense vous assembler pour le sujet prsent, comme de mes plus chers et meilleurs amis, auxquels je nÕai rien sur le cĻur qui vous puisse tre cach, pour vous dire que jÕai reu, pendant ma vie, dÕinfinies grces et faveurs de Dieu qui, mÕayant fait natre dÕun pre grand et illustre, m'a conduit par la main, durant une longue et heureuse vie, au sommet des plus grands honneurs, charges, et dignits. Ce nÕest pas quÕelle nÕait t souvent entremle de grandes traverses et dplaisirs, partie desquels, par la grce de Dieu, jÕai soufferts avec patience, ou surmonts avec courage et gnrosit : les dsordres advenus notre maison sur la fin de la vie du roi Charles et durant le rgne du roi Henry troisime, mÕont donn moyen dÕexercer la souffrance, et de louer Dieu de mÕen avoir si heureusement tir : jÕai eu aussi plusieurs afflictions domestiques, comme la perte de feu mon fils dÕOffemont, et la mort de feu ma femme, qui me laissa sur les bras deux petits enfants en bien bas ge, les mariages de mes deux filles anes, qui nÕont pas t trop heureux, encore que jÕeusse cherch des partis avantageux pour moi et pour elles. Nanmoins, tant dj avanc sur mon ge, Dieu mÕa fait la grce de me donner un fils qui promet dj beaucoup de lui pour la conservation de notre maison, et une fille bien ne, qui tant dsormais en tat de la pouvoir marier, jÕai cherch de la marier selon son contentement et le mien ; ce qui me fait chercher un mari pour ma fille, et un gendre pour moi, selon notre cĻur et notre dsir : et bien que je puisse avoir le choix de tous les princes de la France, je nÕai point tant regard de la loger en minence quÕen commodit, et pour y vivre le reste de mes jours et le cours des siens avec joie et contentement ; et lÕestime que je fais de longue main de la maison, personne, bien, et autres avantages que la naissance donns Mr de Bassompierre que voici, mÕont convi dÕoffrir lui qui nÕy pense pas, ce que dÕautres, de plus grande qualit que lui, rechercheraient peut-tre avec soin, et que je leur refuserais : ce que jÕai voulu faire en prsence de mes meilleurs amis, qui sont aussi les siens particuliers, et vous dire, Monsieur de Bassompierre (sÕadressant moi), que vous ayant, depuis que je vous connais, toujours chrement aim comme mon enfant, je vous en veux encore donner cette prsente preuve, de vous le faire tre en effet, vous mariant avec ma fille, que jÕestime devoir tre heureuse avec vous, connaissant, comme je fais, votre bon naturel ; que vous le serez, et honor, dÕpouser la fille et petite fille de conntables, et de la maison de Montmorency ; et que je le serai aussi le reste de mes jours, si je vous vois tous deux contents et heureux ensemble. Je lui donnerai cent mille cus en mariage prsentement, et cinquante mille que mon frre lui lguera aprs sa mort : et si rien ne vous empche de vous marier, je donne maintenant charge Girard, que voil, de traiter avec vos gens, ou votre mre, si elle est ici, des articles et conventions ncessaires. Č
Il avait les larmes aux yeux de joie, quand il acheva ce discours, et moi, confus de cet honneur inopin qui mÕtait si cher, je ne savais quelles paroles employer, qui fussent dignes de ce que jÕavais lui dire. Enfin je lui rpondis quÕun honneur si grand et si inespr, que sa bont me faisait prsentement recevoir, mÕtait la parole, et ne me laissait quÕune admiration de ma bonne fortune ; que comme ce bien tait au-dessus de mon attente et de mon mrite, quÕil ne pouvait tre pay que par des trs humbles services et des soumissions infinies ; que ma vie serait trop courte pour y satisfaire, et que je ne lui pouvais offrir quÕun cĻur qui serait ternellement esclave de ses volonts ; quÕil ne donnerait pas un mari madame sa fille, mais une crature dont elle serait incessament adore comme une desse, et respecte comme une reine, et quÕil nÕavait pas tant choisi un gendre quÕun serviteur domestique de sa maison, de qui toutes les actions dpendraient de ses seules intentions et volonts ; et que si, en lÕexcs que la joie faisait en mon cĻur, il me restait encore quelque sorte de considration, je lui demandais permission de lui dire mon unique apprhension, qui tait que Mlle de Montmorency (qui avait le choix de tous les princes de France qui taient lors marier), nÕet regret de quitter la qualit de princesse dont elle doit avec raison tre assure, pour occuper celle dÕune simple dame, et que jÕaimerais mieux mourir et perdre la grce prsente que monsieur le conntable me faisait, que de lui causer le moindre dgot ou mcontentement.
Sur cela, comme jÕtais en un sige assez bas, proche de lui, je mis un genou en terre, et lui pris la main, que je lui baisai ; et lui, mÕembrassant, me tint un assez long temps en cet tat : aprs quoi il me dit que je ne me misse pas en peine de cela ; et quÕavant que me parler, il avait voulu pressentir lÕintention de sa fille, qui tait trs dispose faire toutes les volonts de son pre, et particulirement en celle-l qui ne lui tait pas dsagrable.
Lors, Mrs dÕEpernon et de Roquelaure approuvrent le choix que monsieur le conntable avait fait de ma personne, lui en disant plus de bien quÕil nÕy en avait, comme aussi Zamet, la Cave, et du Tillet Girard ; puis mÕembrassrent tous, louant le choix de monsieur le conntable, et mon bonheur. Ensuite monsieur le conntable leur dit quÕil nÕtait pas propos dÕventer cette affaire, et quÕil la confiait leur secret jusques ce quÕil ft temps de la divulguer ; parce quÕil nÕtait pas alors aux bonnes grces du roi pour nÕavoir pas voulu consentir au mariage que le roi voulait faire de Mr de Montmorency avec Mlle de Verneuil, sa fille. Ils lui promirent tous de nÕen point parler, comme je fis aussi ; et me dit que je le vinsse trouver sur le soir ; que madame dÕAngoulme, sa belle-sĻur, le devait venir trouver, et quÕil me parlerait devant elle et sa fille de sa rsolution de me la donner en mariage ; et me dit devant elle : Ē Mon fils, voil une femme que je vous garde ; saluez-la. Č Ce que je fis, et la baisai. Puis il lui parla, et madame dÕAngoulme, qui tmoigna tre fort satisfaite de lÕlection que son beau-frre avait faite de moi pour sa nice.
Ma mre pria madame la princesse de Conty de la mener le lendemain chez madame dÕAngoulme, qui lui dit en arrivant : Ē Nous serons les deux mres de nos nouveaux maris, et ne sais qui, de vous ou de moi, Madame, en aurons le plus de joie. Č Elle fut de l voir monsieur le conntable, qui lui dit quÕelle tnt la chose secrte, et que, cependant, leurs deux conseils sÕassemblassent pour rsoudre les articles, ce quÕils firent. Mais il la pria que Mr le prsident de Jambeville nÕy ft point appel, parce, dit-il, que cela se divulguerait trop, et quÕelle prt un homme seul qui se joignt avec Mr du Tillet Girard : ce quÕelle fit de la personne de Mr de Beauvilliers, qui avait soin de mes affaires en France, personne fort capable et intelligente ; et eux deux firent un projet des articles, que monsieur le conntable garda et signa, ce que fit ma mre aussi.
Janvier.Ń Monsieur le conntable ne pouvait en ce temps-l vivre sans me voir, tant il mÕaimait, et ne songeait quÕ mon tablissement. Il voulait que de lÕargent quÕil me devait donner, jÕen employasse cinquante mille cus pour avoir la charge de colonel-gnral de la cavalerie lgre de France, quÕavait Mr dÕAngoulme. Mais ma mre offrit de dbourser les dits cinquante mille cus pour cette charge, et que monsieur le conntable, sans bourse dlier, me donnt, pour les cent mille cus promis, la terre de Fre en Tertenois qui demeurerait propre mademoiselle sa fille et ses enfants : quoi il sÕaccorda, et lors il me dit que je prparasse mes affaires pour le venir trouver sans bruit Chantilly o madame dÕAngoulme viendrait, et que nous nous marierions sans crmonie. Mais Mr de Roquelaure, qui tchait par tous moyens de remettre bien monsieur le conntable avec le roi, lui dit que sÕil mariait sa fille sans le dire prcdemment au roi, que ce serait un acte de mpris dont le roi sÕoffenserait encore davantage quÕil nÕtait ; quÕil trouverait aussi mauvais que je lui eusse cel mon mariage, et quÕil mÕen voudrait mal.
Or le roi avait quelque temps auparavant dsir de me faire tre son premier gentilhomme de la chambre la place de Mr le duc de Bouillon, qui nÕy avait pas la sujtion ncessaire, et mÕavait promis de me donner vingt mille cus pour mÕaider la rcompenser. Il avait aussi pour cet effet donn charge La Barauderie, sÕen allant voir Mr de Bouillon, de lui en parler, ce quÕil avait fait ; et il lui avait rapport que mon dit sieur de Bouillon demandait cinquante mille cus pour rcompense de cette charge, mais quÕil croyait quÕil lÕabandonnerait pour quarante cinq mille cus, et que Mr de Bouillon sÕen venait la cour pour y conclure cette affaire incontinent aprs son arrive ; ce que Mr de Roquelaure, qui mÕaimait tendrement, nÕignorait pas, et mme avait aid y disposer le roi : lequel Mr de Roquelaure ajouta monsieur le conntable que, connaissant lÕhumeur du roi comme il faisait, il lÕassurait quÕil serait bien aise dÕavoir ce prtexte pour se ddire des vingt mille cus quÕil mÕavait promis.
Je fus aussi de la mme opinion, et parce que monsieur le conntable ne voyait point lors le roi, il voulut que je lui en fisse lÕouverture en prsence de Mr de Roquelaure, lequel dirait aussi au roi que monsieur le conntable lÕavait pri dÕen demander de sa part la permission Sa Majest ; ce que nous fmes tous deux des le mme soir ; et le roi agra tellement cette affaire, quÕil dit que non seulement il la trouvait bonne, mais mme quÕen cette considration il sÕaccorderait avec mon dit sieur le conntable, et que je lui allasse lÕheure mme dire de sa part quÕil le vnt voir le lendemain, assur quÕil lui ferait bonne chre : ce que je courus lui dire, dont il fut merveilleusement satisfait.
Incontinent le bruit de mon mariage courut par la cour, et le roi, pour mÕobliger, voulut aller le lendemain chez madame dÕAngoulme, aprs avoir vu le matin monsieur le conntable, qui il fit fort bonne chre : il dit dÕabord madame dÕAngoulme quÕil venait, comme mon ami particulier, voir mademoiselle sa nice, et se rjouir avec elle de ce quÕelle lÕavait bien loge, et fit beaucoup dÕautres apparences de tendresse pour moi.
Le soir mme arriva Mr de Bouillon auquel le roi dÕabord parla de sa charge sur mon sujet, lequel lui dit quÕil tait venu ce dessein. Je le saluai, comme les autres qui taient l : mais jÕoubliai, le lendemain, de lÕaller voir chez lui, comme certes je devais, puisquÕil tait neveu de monsieur le conntable, et sans cela ; et tout cela le piqua contre moi, outre ce quÕil a eu toute sa vie une particulire jalousie de Mr dÕEpernon, par le moyen duquel il pensait que ce mariage sÕtait fait : et le soir dÕaprs, comme il entretenait le roi qui avait vu chez la reine Mlle de Montmorency, que tout le monde avait trouve parfaite en beaut, et lui aussi, il lui dit quÕil sÕtonnait grandement de quoi Sa Majest avait permis de marier cette fille, vu que Mr le Prince tait prt se marier, quÕil nÕtait pas expdient dÕallier hors de la France, et quÕil nÕy avait plus de filles pour lui, que Mlle du Maine et elle, quÕil pt pouser ; que le roi ne serait jamais conseill dÕaucun qui aimt son service, de le marier avec Mlle du Maine, parce que les restes de la Ligue taient trop puissants encore pour les accrotre dÕun tel chef ; et que Mlle de Montmorency ne lui donnerait que les mmes allis quÕil avait dj, puisquÕil tait petit-neveu de monsieur le conntable, et quÕil suppliait trs humblement Sa Majest de peser ce conseil quÕil lui donnait, et de faire rflexion dessus. Le roi lui dit quÕil y penserait, et puis se coucha.
Le lendemain la reine commena de recorder un grand ballet quÕelle voulait danser pour le carme-prenant.
CÕtait le 16me de janvier de lÕanne 1609.
Elle fit sortir tout le monde de la grandÕsalle du Louvre, et sÕy en alla. Le roi les alla voir apprendre, et ne mena que Mr le Grand, et Montespan, son capitaine des gardes, avec lui. Mr le Grand, selon sa coutume de faire des admirations des choses nouvelles, et particulirement de Mlle de Montmorency, qui tait digne de toute admiration, infusa dans lÕesprit du roi, ais animer, lÕamour qui, depuis, lui fit faire tant dÕextravagances.
Le soir mme il fut atteint de la goutte, qui le tint plus de quinze jours au lit, et pour mon malheur aussi elle prit monsieur le conntable, qui lÕempcha dÕaller faire nos noces Chantilly, comme il avait t arrt.
Je sus cependant la mauvaise intention de Mr de Bouillon contre moi ; et il dit Mr de Roquelaure, qui me le dit aprs, que Mr de Bassompierre voulait avoir sa charge de premier gentilhomme de la chambre, et ne lui en parlait point ; quÕil voulait pouser sa nice, et ne lui en disait mot ; mais quÕil brlerait ses livres, ou il nÕaurait ni sa charge, ni sa nice : et pour cet effet commena mettre les fers au feu vers Mr le Prince, lui proposant le mariage de lui et de Mlle de Montmorency ; que cette alliance lui donnait pour parents tous les grands de la France, et que des parents dÕune personne de sa qualit taient ses cratures ; quÕil devait prfrer ce parti un plus grand cette occasion ; et que sÕil le perdait, quÕil ne pourrait plus se marier, parce que le roi ne lui souffrirait point de se marier hors de France, et quÕen France il nÕy avait plus que Mlle du Maine marier, quoi le roi ne consentirait jamais : de sorte quÕil branla son esprit consentir quÕil en parlt de sa part monsieur le conntable, auquel jÕavais dj donn avis que Mr de Bouillon me voulait traverser. Mais monsieur le conntable me dit que je ne me devais pas mettre en peine de cela ; que quelque parti que lÕon lui propost, il le refuserait, et quÕil connaissait trop bien lÕesprit de Mr de Bouillon pour sÕy laisser sduire. Aussi lui rpondit-il fort aigrement lorsquÕil lui en parla, et lui dit que sa fille nÕtait point chercher parti, puisquÕelle en avait un tout trouv, et quÕil avait lÕhonneur dÕtre grand oncle de Mr le Prince, ce qui lui suffisait.
Pendant la goutte du roi, il commanda Mr le Grand de veiller une nuit prs de lui, Gramont une autre nuit, et moi une autre, et nous relayer ainsi de trois en trois nuits durant lesquelles, ou nous lui lisions le livre dÕAstre qui lors tait en vogue, ou nous lÕentretenions lorsquÕil ne pouvait dormir, empch par son mal. CÕtait la coutume que les princesses le venaient voir, et madame dÕAngoulme plus privment que pas une : le roi en tait bien aise, et entretenait sa nice quand madame dÕAngoulme parlait quelquÕun de nous, lui disant quÕil la voulait aimer comme sa fille, quÕelle demeurerait au Louvre lÕanne de mon exercice de premier gentilhomme de sa chambre, et quÕil voulait quÕelle lui dit franchement si ce parti lui agrait, parce que, sÕil ne lui tait agrable, il saurait bien rompre ce mariage, et la marier mme Mr le Prince son neveu (si elle voulait). Elle lui rpondit que, puisque cÕtait la volont de son pre, elle sÕestimerait bien heureuse avec moi. Il mÕa dit, depuis, que cette parole lui fit rsoudre de rompre mon mariage, craignant quÕelle ne mÕaimt trop, son gr, si je lÕpousais.
Il fut veill cette nuit-l par Mr de Gramont, et ne dormit gure ; car lÕamour et la goutte tiennent ceux quÕils attaquent fort rveills.
Il mÕenvoya chercher le lendemain ds huit heures du matin par un garon de la chambre ; et comme je le fus venu trouver, il me dit pourquoi je ne lÕavais pas veill la nuit prcdente ? Je lui rpondis que cÕtait la nuit de Mr de Gramont, et que la prochaine tait la mienne. Il me dit quÕil nÕavait jamais su fermer lÕĻil, et quÕil avait souvent pens moi ; puis me fit mettre sur un carreau genoux devant son lit (comme cÕtait la coutume de ceux qui lÕentretenaient au lit). Il continua de me dire quÕil avait pens moi et de me marier. Moi, qui ne pensais rien moins quÕ ce quÕil me voulait dire, lui rpondis que, sans la goutte de monsieur le conntable, cÕen serait dj fait. Ē Non, ce dit il, je pensais de vous marier avec Mlle dÕAumale, et, moyennant ce mariage, renouveler le duch dÕAumale en votre personne. Č Je lui dis sÕil me voulait donner deux femmes ? Lors il me rpondit, aprs un grand soupir :
Ē Bassompierre, je te veux parler en ami. Je suis devenu non seulement amoureux, mais furieux et outr de Mlle de Montmorency. Si tu lÕpouses, et quÕelle tÕaime, je te harai ; si elle mÕaimait, tu me harais. Il vaut mieux que cela ne soit point cause de rompre notre bonne intelligence ; car je tÕaime dÕinclination et dÕaffection. Je suis rsolu de la marier mon neveu le prince de Cond, et de la tenir prs de ma femme. Ce sera la consolation et lÕentretien de la vieillesse o je vas dsormais entrer. Je donnerai mon neveu, qui est jeune et aime mieux la chasse que les dames, cent mille francs par an pour passer son temps, et je ne veux autre grce dÕelle que son affection, sans rien prtendre davantage. Č
Comme il me disait cela, je considrais que, quand je lui rpondrais que je ne voulais pas quitter ma poursuite, ce serait une impertinence inutile, parce quÕil tait tout-puissant ; je mÕavisai de lui cder de bonne grce, et lui dis :
Ē Sire, jÕai toujours ardemment dsir une chose qui mÕest arrive lorsque moins je lÕattendais ; qui tait de pouvoir, par quelque preuve signale, tmoigner Votre Majest lÕextrme et ardente passion que je lui porte, et combien vritablement je lÕaime. Certes il ne sÕen pouvait rencontrer une plus haute que celle-ci, de quitter sans peine et sans regret une si illustre alliance, une si parfaite dame, et si violemment aime de moi, puisque, par cette pure et franche dmission et rsignation que jÕen fais, je plais en quelque sorte Votre Majest. Oui, Sire, je mÕen dsiste pour jamais, et souhaite que cette nouvelle amour vous apporte autant de joie que la perte me causerait de tristesse, si la considration de Votre Majest ne mÕempchait de la ressentir. Č
Alors le roi mÕembrassa et pleura, mÕassurant quÕil ferait pour ma fortune comme si jÕtais un de ses enfants naturels ; et quÕil mÕaimait chrement, que je mÕen assurasse, et quÕil reconnatrait ma franchise et mon amiti. L-dessus lÕarrive des princes et seigneurs me fit lever ; et comme il mÕeut rappel, et mÕeut encore dit quÕil me voulait faire pouser sa cousine dÕAumale, je lui dis quÕil avait eu la puissance de me dmarier, mais que de me marier ailleurs, cÕest ce que je ne ferais jamais : et l-dessus finit notre dialogue.
JÕallai dner chez Mr dÕEpernon, et lui dis ce que le roi mÕavait dit le matin, lequel me dit : Ē CÕest une fantaisie du roi, qui passera comme elle est venue. Ne vous en alarmez point : car Mr le Prince, qui connatra le dessein du roi dÕabord, ne sÕy engagera pas. Č Ce que je me persuadai aussi parce que je le dsirais, et nÕen dis plus mot personne. Il est vrai que, comme, sous le ciel, il nÕy avait lors rien si beau que Mlle de Montmorency, ni de meilleure grce, ni plus parfaite, elle tait fort avant en mon cĻur ; mais comme cÕtait un amour rgl de mariage, je ne le ressentais pas si fort que je devais.
Il arriva que, lÕaprs-dne, le roi joua trois ds, selon sa coutume, ayant fait mettre une table la ruelle de son lit : comme nous jouions sur le soir avec lui, madame dÕAngoulme arriva avec sa nice quÕil avait envoy qurir, laquelle il entretint fort longtemps de lÕautre ct du lit. Cependant je regardais sa nice, qui ne savait rien de toute cette affaire, et je ne me pouvais imaginer quÕelle ft pour russir en cette sorte. Aprs quÕil et parl la tante, il entretint longuement la nice : puis ayant repris sa tante, comme Mlle de Montmorency se retira, moi la regardant, elle haussa, mon avis, les paules, pour me montrer ce que le roi lui avait dit. Je ne mens point de ce que je vas dire : cette seule action me pera le cĻur, et me fut si sensible que, sans pouvoir continuer le jeu, je feignis de saigner du nez, et sortis du premier cabinet et du second. Les valets de chambre mÕapportrent sur le petit degr mon manteau et mon chapeau. JÕavais laiss mon argent lÕabandon, que Berringuen serra, et ayant rencontr au bas du degr le carrosse de Mr dÕEpernon, je montai dedans, et dis au cocher quÕil me ment mon logis. Je rencontrai mon valet de chambre, avec lequel je montai ma chambre, lui dfendant de dire que jÕy fusse, et y demeurai deux jours me tourmenter comme un possd, sans dormir, boire, ne manger. On crut que jÕtais all la campagne, comme je faisais parfois de pareilles quipes. Enfin mon valet, craignant que je ne mourusse, ou ne perdisse le sens, dit Mr de Pralain, qui mÕaimait fort, lÕtat o jÕtais, lequel me vint trouver pour me divertir ; aussi que lÕon mÕenvoya me commander de vivre, ce que je fis par son commandement, et par les persuasions de Mr de Pralain, qui mÕamena ce soir mme la cour, o dÕabord jÕtonnai tout le monde de me voir en deux jours si amaigri, pale, et chang, que je nÕtais pas reconnaissable.
Mars. Ń Deux ou trois jours aprs, Mr le Prince se dclara de vouloir pouser Mlle de Montmorency, et me rencontrant, me dit : Ē Monsieur de Bassompierre, je vous prie de vous trouver cette aprs-dne chez moi, pour mÕaccompagner chez madame dÕAngoulme, o je vas offrir mon service Mlle de Montmorency. Č Je lui fis une grande rvrence, mais je nÕy allai point.
Cependant, pour ne demeurer oisif, et me rconforter de ma perte, je me divertis en me raccommodant avec trois dames que jÕavais entirement quittes, pensant me marier : lÕune desquelles fut Antragues, que je vis chez madame de Senteny, et les autres par rencontre, sans y penser, et mÕy rembarquai.
Sur le commencement de lÕanne 1609, ma mre sÕen retourna en Lorraine.
Mr le Prince continua sa recherche, et enfin fiana sa matresse (avril). JÕtais un matin chez le roi, quÕil vint me dire, comme plusieurs autres : Ē Monsieur de Bassompierre, je vous prie de vous trouver cette aprs-dne chez moi, pour mÕaccompagner au Louvre mes fianailles. Č Le roi qui le vit parler moi, me demanda ce quÕil mÕavait dit : Ē Une chose, Sire, lui rpondis je, que je ne ferai pas. Č Ē Et quoi ? Č dit il. Ē Que je lÕaccompagne pour se venir fiancer. NÕest il pas assez grand pour y aller tout seul, et ne se saurait-il fiancer sans moi ? Je vous rponds que, sÕil nÕa dÕautre accompagneur que moi, il sera fort mal suivi. Č Le roi dit quÕil voulait que je le fisse, et moi lui rpondis que je lui suppliais trs humblement de ne me le point commander, car je ne le ferais pas ; que Sa Majest se devait contenter que jÕavais abandonn ma passion au premier de ses dsirs et de ses volonts ; quÕelle sÕen devait contenter, sans me vouloir forcer dÕtre men en triomphe, aprs mÕavoir ravi ma femme prtendue et tout mon contentement. Le roi, qui tait le meilleur des hommes, me dit : Ē Je vois bien, Bassompierre, que vous tes en colre ; mais je mÕassure que vous ne manquerez pas dÕy aller, quand vous aurez considr que cÕest mon neveu, premier prince de mon sang, qui vous en a pri lui-mme ; Č et sur cela me quitta et prit Mrs de Pralain et de Termes, et leur commanda de venir dner avec moi et me persuader dÕy aller, puisque cÕtait de mon devoir et de la biensance : ce que je fis aprs leur remontrance ; mais ce fut de sorte que je ne partis que lorsque les princesses amenrent la fiance au Louvre, et quÕelle passa devant mon logis ; ce qui mÕobligea de lÕaccompagner avec ces messieurs qui avaient dn chez moi, et puis, de la porte du Louvre, nous nous en retournmes trouver Mr le Prince, que nous rencontrmes comme il sortait du Pont Neuf pour y venir. Les fianailles se firent en la galerie du Louvre ; et le roi, par malice, sÕappuyant sur moi, me tint contre les fiancs tant que la crmonie dura.
Deux jours aprs, je tombai malade de la fivre tierce : et aprs que jÕen eus eu quatre accs, un matin, aprs avoir pris mdecine, un gentilhomme gascon, nomm Nol, me vint trouver au lit, et me dit quÕil dsirait se battre avec moi lorsque je serais en sant. Je lui rpondis que jÕen avais revendre quand cÕtait pour me battre, et me levai sur lÕheure avec ma mdecine dans le corps, et lÕallai trouver au rendez-vous quÕil mÕavait donn, qui tait Bictre, par un extrme brouillard, y ayant deux pieds de neige sur la terre. Comme nous fmes en prsence, deux Gascons, nomms la Graulas et Carbon, avec un nomm le Fay, vinrent passer prs de nous pour nous arrter, et lui me dit : Ē Ė une autre fois ! Č Mais je lui criai quÕil montt cheval ; ce quÕil fit, et notre parole nous nous pmes approcher et rencontrer : mais comme jÕy arrivais, Carbon, qui nous voulait sparer, rencontra le cheval de Nol de flanc, et le porta par terre. CÕtait un grand embarras dans lÕpaisseur de ce brouillard ; car je faillis tuer l Graulas, le prenant pour No. Enfin je mÕen allai Gentilly, ne pouvant plus supporter ma mdecine ; et Trigny, La Feullade, et quelques autres, arrivrent, qui me ramenrent bien malade au logis. Toutefois, parce quÕil y avait un ballet de filles qui se dansait le soir lÕArsenal, o le roi, la reine, et les princesses taient, et que je fus convi de mÕy trouver, je ne laissai pas dÕy aller en lÕtat que jÕtais, et dÕy demeurer jusques au lendemain ; dont je fus si malade que jÕen pensai mourir, et ne me levai du lit que le mardi-gras pour aller lÕArsenal, o lÕon courait une bague que Mlle de Montmorency donnait. Je ne courus point, car jÕtais encore trop faible ; mais le roi mÕappela auprs de lui pour lui aider entretenir la dame qui donnait la bague, ce que je fis assez bien : mais il y eut une brouillerie pour un gant qui lui manquait, lequel dÕAndelot, sans son su, donna Mr le Grand, qui le porta sur son chapeau en courant, ce que je fis voir au roi.
Le ballet de la reine se dansa le premier dimanche de carme, qui fut le plus beau, et le dernier aussi, de tous ceux quÕelle a danss : aprs quoi le roi sÕen alla Fontainebleau.
Je demeurai Paris, o il arriva un accident qui mÕapporta un peu de scandale. Un cuyer de la reine, Italien, nomm Camillo Simoni, tait log en une petite rue qui est devant la Monnaie, tirant vers Saint-Germain, au coin de laquelle, devant la porte de la dite Monnaie, madame dÕAntragues tait loge en une maison picote. Cet cuyer Camille aimait son htesse ; et, ayant trouv un jeune homme couch avec elle, lui ou ses gens, lui donnrent force coups dÕpe, et le mirent en chemise hors du logis, et la grandeur de ses blessures ne lui permirent pas de faire cinquante pas sans mourir, tombant au dessous des fentres de la chambre dÕAntragues. QuelquÕun, passant la nuit, et voyant ce corps mort, crut que cÕtait moi, cause du lieu o il tait, et vint battre la porte de mon logis, disant que lÕon mÕavait assassin au logis de madame dÕAntragues, et puis jet par la fentre, et que mes gens allassent, ou me secourir promptement si jÕtais encore en vie, ou mÕemporter si jÕtais mort. Par hasard jÕtais sorti de mon logis, dguis, pour aller voir une dame ; ce qui leur confirma tellement cette opinion quÕils coururent inconsidrment o tait ce corps, quÕils prirent pour tre le mien, et les plus zls sÕtant jets dessus, empchrent les plus considrs de le mieux reconnatre, et tous lÕemportrent chez moi. Aucuns des miens venus au devant, criant, avec des flambeaux, on sÕaperut enfin que cÕtait un autre homme, et le rapportrent chez un chirurgien voisin, o la justice sÕen vint tt aprs saisir : ce qui causa un assez grand scandale et moquerie de mes gens par la ville.
Peu de temps aprs Mr le Prince sÕalla marier Chantilly. Le roi revint de Fontainebleau Paris, comme firent, tt aprs les noces, ceux de Chantilly. Deux jours aprs monsieur le conntable fut un peu malade, et je le vis : et puis il se fit un bal chez la reine Marguerite, o madame la nouvelle princesse parut ; jÕy eus bien des embarras pour un habillement bleu que jÕy portai.
Le lendemain le roi alla Fontainebleau, et les princesses et dames aux Tuileries, o il y eut une excellente musique. Le lendemain elles partirent pour aller Fontainebleau, et moi jÕy allai en poste, et arrivai comme on faisait mettre lÕeau au grand canal : le roi gagea mille cus contre moi que dans deux jours il serait rempli, et il ne le fut pas en huit.
Mesdames les princesses demeurrent huit jours la cour, puis sÕen allrent Valery ; et deux jours aprs le roi me fit une proposition de faire un voyage en Allemagne et en Lorraine, feignant y aller pour dÕautres affaires ; et nanmoins cÕtait pour disposer le duc de Lorraine au mariage de sa fille ane avec monsieur le dauphin. Il me permit aussi dÕoffrir jusques douze mille cus de pension aux particuliers que je jugerais pouvoir aider cette affaire. Et pour davantage mÕanimer le servir en cette occasion, il mÕoffrit de me marier Mlle de Chemilli quÕil venait de dmarier dÕavec Mr de Montmorency, qui il voulait faire pouser Mlle de Vendme sa fille : il mÕoffrit aussi de faire rtablir en ma faveur la terre de Beaupreau en duch et pairie ; mais jÕtais lors tellement perdu dÕamour, que je lui dis que, sÕil me voulait faire quelque grce, ce ne serait pas par mariage, puisque par mariage il mÕavait tant fait de mal.
Je mÕapprtai donc pour partir, et parce que je mourais dÕenvie de voir les noces de Mr de Vendme, qui, dans dix jours, se devaient faire Fontainebleau, je demeurai Paris, feignant dÕy avoir des affaires, et en ce sjour jÕy perdis 25000 cus au jeu. Enfin jÕy allai inconnu ; et aprs y avoir vu la crmonie, je mÕen revins Paris, et tt aprs en Lorraine ; et sans passer Nancy, allai droit Harouel, o je demeurai quelques jours avec ma mre, ma tante dÕEpinal, et quantit de noblesse qui mÕy vint voir, et puis mÕen vins Nancy, comme si je nÕy avais autre affaire quÕ y saluer les princes et y passer mon temps.
Je fis le lendemain appeler un gentilhomme nomm Mr de Ludre, sur ce quÕen passant devant sa porte, il avait frapp un de mes cuisiniers ; mais il me fit tant dÕexcuses et de satisfactions que nous demeurmes amis.
Je passai quatre ou cinq jours Nancy sans parler de rien S.A., et puis lui dis que je le suppliais trs humblement de me vouloir donner une heure dÕaudience particulire, lorsquÕil en aurait la commodit ; ce quÕil mÕaccorda dans sa galerie ds lÕaprs-dne mme, l o, sans lui rien dguiser, je lui dis navement la cause de mon voyage, et lui prsentai la lettre de crance du roi, que jÕaccompagnai des paroles que je pensai tre utiles mon dessein.
Mr le duc de Lorraine tait prince timide et irrsolu, qui sÕtonna dÕabord de ma commission, et plus encore de ma proposition, et se persuada facilement que quantit de troupes franaises pied et cheval, qui taient venues border sa frontire sur le sujet de la mort arrive en ce temps-l du dernier duc de Clves, y taient mises dessein de lÕattaquer, en cas quÕil ne rpondt conformment aux intentions du roi. Il me demanda si le roi mÕavait donn cet ordre de lui parler, en partant dÕauprs de lui, ou sÕil me lÕavait envoy depuis mon arrive en Lorraine ; et lui ayant dit que jÕtais venu exprs, dpch du roi qui mÕavait lui mme donn mon instruction et voulu crire de sa propre main la lettre que je lui avais apporte, afin que cette ngociation ne ft vente ni connue que quand il serait temps, et quÕil mÕavait assur de nÕen avoir fait aucune part ses ministres, il me dit l-dessus quÕil sÕtonnait bien que jÕeusse t trois semaines en Lorraine avant que de lui faire cette ouverture, et quÕil croyait que je lÕavais supersede [diffre] dessein de faire venir loger toutes ces troupes en son voisinage avant que de lui parler.
Je mÕaperus bien quÕil avait de grands ombrages, et pour le remettre, je lui rpondis lors que les mmes raisons qui avaient convi le roi de ne parler de son dessein quÕ moi seul, afin quÕil ne ft point vent, mÕavaient port retarder jusques cette heure lui en faire lÕouverture ; quÕexprs jÕavais sjourn quelques jours en ma maison pour blouir les yeux de ceux qui eussent pu voir quelque jour en ce prsent affaire, ou qui se fussent pu douter que jÕeusse quelque chose traiter avec Son Altesse de la part de Sa Majest, des intentions de laquelle il devait bien juger, puisquÕil mÕavait voulu commettre cette proposition, moi de qui le frre a tout son bien en Lorraine, qui ai lÕhonneur dÕtre son vassal du bien que jÕy ai, et pour lui qui ma maison a de trs troites obligations ; que, sÕil voulait tromper Son Altesse, il ne se ft pas voulu servir de mon industrie pour ce sujet, et que, quand il lÕet voulu faire, je nÕeusse pas accept cette charge ; que je ne la veux persuader en aucune chose, mais seulement lui dire purement et franchement ma commission, lui supplier de la tenir fort secrte, et puis mÕy faire telle rponse quÕil lui plairait, que je rapporterais Sa Majest sans y rien ajouter, dguiser ou diminuer ; que je ne lui demandais point une rponse prsente, et quÕil la pouvait mrement et loisir peser, et considrer, avant que de me la faire ; mais que je le suppliais trs humblement quÕil choist seulement une ou deux personnes pour sÕen conseiller, afin de ne divulguer point une chose qui, pour beaucoup de respects [aspects], devait tre cele et cache.
Il se remit un peu ce discours, et me demanda quel temps je lui donnais pour me rpondre. Je lui rpliquai que ce serait celui quÕil voudrait prendre, et que, pour couvrir davantage ma ngociation, je mÕen irais, sÕil le trouvait bon, me promener pour quinze jours en Allemagne, afin que, si mon retour, on me voyait plus assidu lÕentretenir, lÕon juget plutt que ce ft pour les affaires dÕAllemagne que pour celles de France que je lui parlasse. Il trouva mon dessein fort bon, et me dit quÕil avait dj mme choisi celui auquel il voulait confier cette affaire, et de qui il dsirait prendre le conseil et lÕavis, qui tait mon voisin, le sieur Bouvet, prsident de Lorraine, et quÕaprs lui avoir parl ds aujourdÕhui il lui commanderait de me voir, et de confrer avec moi, et quÕil me rpondait de son silence et secret. Je lui rendis trs humbles grces, et approuvai son lection.
Il me demanda l-dessus quel dessein le roi faisait approcher de la Lorraine de si grandes forces. Je lui assurai que cÕtait sur le sujet de la mort de son beau-frre le duc de Clves, et que le roi apprhendait que la maison dÕAutriche se voult approprier ses tats, ce quÕil ne voulait souffrir en aucune faon, lui tant trs important de ne la laisser si fort agrandir, mmement [particulirement] en son voisinage.
Comme jÕachevais ce discours, le prsident Bouvet arriva, avec lequel je le laissai pour mÕaller prparer de partir pour Allemagne, o jÕavais aussi affaire de la part du roi avec le marquis de Dourlach, lÕlecteur palatin, et le duc de Wurtemberg.
Ce soir mme Mr le prsident de Lorraine, qui tait mon proche voisin, me vint voir, comme il avait souvent accoutum de faire. Je vis bien quÕil me voulait parler, et parce quÕil y avait grande compagnie en mon logis, je lui dis : Ē Mon voisin, allons nous promener en notre commun parterre, Č (qui est cette place de la rue Neuve enferme de barrires). Il me dit quand nous y fmes : Ē Vous nous avez bien taill de la besogne aujourdÕhui, et avez mis en telle confusion notre duc, que je ne lÕai de ma vie vu plus en peine, et ne se trouve pas moins empch vous rpondre quÕ ne vous rpondre pas. Č Je lui dis : Ē Au moins ne lui ai-je fait aucune proposition qui lui soit honteuse, et quand il aurait cherch une bonne alliance pour sa fille par tout le monde, il nÕen et su rencontrer une plus noble ; plus commode pour le voisinage, ni un plus grand et meilleur parti que celui que je lui suis venu offrir : et sÕil en sait quelquÕun de plus sortable ou meilleur, il le peut prendre sans nous offenser. Č Ē Ce nÕest pas cela, de par Dieu, me dit-il, il nÕest que trop bon, et nous nous passerions bien moins. Č
Aprs cela je lui dduisis tout mon fait (encore plus amplement que je nÕavais fait au duc), que jÕappuyai des meilleures raisons que Dieu me voulut inspirer. Il me dit ensuite que le duc lui avait assur que je ne le presserais point de la rponse quÕaprs le retour dÕun voyage que jÕallais faire en Allemagne, et que, cependant, il tait bien aise de laisser remettre cet esprit alarm, et de songer son aise un bon conseil lui donner l-dessus, quoi il se trouvait bien empch. Je lui offris, de la part du roi, de lÕintresser ; mais il me rpondit quÕil tait bon serviteur de son matre, lequel tait puissant de lui faire plus de bien quÕil ne lui en fallait, et pour toute sa famille. Il me demanda quand je partirais pour Allemagne, et je lui dis que je ne prendrais que le lendemain pour mÕapprter et attendre monsieur le Reingraf que jÕavais envoy qurir, qui mÕavait promis que nous ferions ce voyage de compagnie. Il mÕassura que le duc, et lui, garderaient le secret.
Je partis donc aprs que le Reingraf fut venu, et allmes coucher Blamont, et le lendemain Salbourg chez le colonel Lutsbourg, notre ami. Le lendemain nous vnmes coucher Saverne, o les chanoines nous festinrent, et le jour aprs Strasbourg, o nous sjournmes deux jours avec Mrs de Ribeaupierre, Flecstein, Han, et autres, qui nous y taient venus trouver. De l nous allmes dner Liechtenau et coucher Canstatt, o se rencontrrent Mr et madame la comtesse de Hannau, beau-frre et sĻur du Reingraf, qui nous voulurent donner souper, o nous nous enivrmes tous trangement.
Le lendemain, nous nous sparmes de nos htes, eux pour aller Liechtenau, et nous pour venir dner un chteau du marquis de Baden, o il demeurait lors pour la cervaison. Il tait la chasse avec sa femme (sĻur du Reingraf), quand nous y arrivmes ; nous ne laissmes pas dÕy tre bien reus et traits. Ils revinrent le soir fort tard ; et nous ayant envoy faire des compliments, il remit au lendemain nous voir, qui tait un dimanche. Il nous envoya encore faire ses excuses sÕil ne nous voyait quÕ dner, cause du prche. Nous vnmes donc dner avec lui, et sa femme et ses enfants, o il fit au Reingraf et moi tout bon accueil. Aprs dner il nous entretint encore quelque temps, et nous pria fort de demeurer quelques jours la chasse avec lui, dont nous nous excusmes ; et en prenant cong de lui, feignant de lui faire des compliments, afin que le Reingraf ne sÕen apert pas, je lui dis que jÕavais lui parler de la part du roi secrtement, et que je le suppliais trs humblement quÕil me renvoyt qurir, feignant de me vouloir donner quelque commission pour Sa Majest ; ce quÕil fit trs accortement : car aprs nous avoir conduits jusques la porte de la salle, comme il se fut dj retir pour sÕen aller, il se retourna tout court, et me cria : Ē Monsieur de Bettstein, jÕavais oubli de vous demander si vous vous achemineriez bientt en France, aprs votre retour en Lorraine. Č Et comme je lui eusse dit que je mÕy en irais aussitt, il me dit : Ē Me voudriez-vous bien obliger de vous vouloir charger dÕune affaire que jÕai avec S. Mt, et tcher de mÕen sortir ? Je vous en serais infiniment redevable ; Č et, lui ayant assur que je tiendrais cette commission honneur, Ē Je vous prie donc de vouloir venir en ma chambre, tandis que le Reingraf ira voir et entretenir sa chre sĻur. Č Je le suivis et, tant demeurs seuls, je lui donnai la lettre que le roi lui crivait en crance sur moi, et lui dis ensuite que le roi mÕavait command de le voir sur lÕaccident depuis peu arriv par la mort du duc de Clves, tant pour recevoir de lui quelque bon conseil et avis de la faon quÕil sÕy devait comporter pour empcher lÕagrandissement de la maison dÕAutriche, qui lui tait si prjudiciable, comme aussi de savoir de lui quelle part il voudrait prendre en cette affaire (qui ne lui importait pas moins quÕ S. Mt), en cas quÕelle voult se dclarer ouvertement pour sÕopposer lÕinvasion que lÕempereur ou le roi dÕEspagne voudraient faire des tats de Clves et de Juliers, soit sous ombre de protection, de squestre, ou autrement.
Il me rpondit sur le champ quÕil rendait grces trs humbles S. Mt de lÕhonneur quÕil recevait par sa lettre et par ma lgation ; que sa prudence nÕavait point besoin de conseil, ni son pouvoir dÕaucune assistance ; nanmoins quÕil lui dirait que la chose principale quoi le roi avait songer, nÕtait pas seulement dÕempcher lÕagrandissement de la maison dÕAutriche, mais encore dÕamoindrir sa puissance, laquelle, pendant sa vie, ne lui pourrait pas nuire ; mais aprs sa mort, si elle rencontrait des successeurs moins sages, et moins gnreux que lui, elle pourrait causer la ruine de la France ; que quand Sa dite Majest voudrait fermement sÕemployer cette Ļuvre, elle se pouvait assurer de sa personne, de ses tats, de ses moyens et de sa vie, pour les employer son service ; mais que ce serait peu de chose de lui seul en Allemagne, si dÕautres princes, touchs de mmes intrts, ne se conjoignaient mmes desseins, et quÕil osait donner ce conseil au roi de faire pareillement rechercher messieurs lÕlecteur palatin et autres princes de la mme maison, Mr le marquis dÕAnspach, qui tait un trs brave et gentil prince, aim dans lÕAllemagne, et qui tirerait avec lui beaucoup de seigneurs de lÕempire, et aussi Mrs le duc de Wurtemberg et landgraves de Hessen et de Darmstadt ; tous lesquels le dit marquis me dit quÕil sÕassurait que Sa Majest trouverait trs disposs son service, et suivre ses entreprises et desseins.
Je mÕavisai lors dÕune chose que le roi approuva grandement depuis, qui fut que quand je le vis se porter si franchement dans les intrts du roi, de lÕy ancrer encore davantage par la confiance que le roi prendrait de lui, et lui dis, sans en avoir charge, que le roi mÕavait aussi command de voir ces autres princes, si je le pouvais faire sans doute ni soupon, comme jÕavais fait lui, que jÕtais venu saluer comme ayant lÕhonneur de lui appartenir ; et que je devais aussi passer Stuttgart vers Mr le duc de Wurtemberg, mais quÕtant all aux noces de Mr le marquis dÕAnspach, si jÕy fusse all, cela et donn lÕombrage que le roi apprhendait, et que le bien de cette affaire consistait au secret que lÕon y devait tenir. Il fut fort aise de voir que nous avions en France le secret en recommandation, car il nous apprhendait de ce ct-l, et me tmoigna quÕen cela consistait le bien de nos affaires. Je poursuivis donc lui dire que jÕavais dpch Sa Majest pour lui mander lÕabsence de ce prince, et celle du palatin, qui tait all la hirschfaist au Haut-Palatinat, et quÕil mÕavait mand l-dessus que je me gardasse bien de passer outre, mais quÕaprs avoir vu Mr le marquis de Baden, si je rencontrais en lui la confiance et la satisfaction quÕil sÕen attendait et promettait, je le priasse quand et quand de prendre la principale direction de tout ce dessein, et que je prisse les ordres de lui, non seulement de ce que jÕaurais faire pour le service de Sa Majest, mais encore une instruction et formulaire de la faon quÕelle devait agir en cette affaire, quels princes elle devait faire parler pour cette grande union et confdration pour le bien gnral, par quels moyens les y attirer, quelles lettres leur crire et en quelle teneur, quelles personnes des leurs gagner ou employer, et enfin tout le gros et le dtail de cette affaire.
Ce prince prit mon discours de la mme main que je lui prsentais, accepta la charge que le roi lui donnait, avec grandes actions de grces, promit de sÕy employer avec tout le soin et lÕindustrie que Sa Majest saurait dsirer ; que, puisquÕelle lui commandait, il mÕenverrait des amples mmoires et avis de ce quÕil faudrait faire, et ce par un sien secrtaire, jeune homme, mais bien entendu, et en qui il se confiait entirement (nomm Huart), des quÕil aurait mis au net tous les papiers ncessaires ; que ce secrtaire demeurerait prs du roi comme solliciteur de son affaire suppose, auquel il crirait de temps en temps ; et aurait aussi soin de lui faire tenir les lettres et autres ordres du roi qui seraient ncessaires. Il fit ensuite appeler ce secrtaire, et, en la prsence de monsieur le Reingraf (qui enfin, pour nous hter de partir, tait revenu chez le marquis), me dit que cÕtait le personnage quÕil envoyait en la cour de France solliciter son affaire, laquelle il me recommandait, et le solliciteur aussi ; et quÕil me priait quÕil mÕaccompagnt en France, ce que je lui promis ; et le Reingraf ne se douta jamais de tout ce que jÕavais trait avec lui, de quoi je fis une ample dpche au roi, qui en fut extraordinairement satisfait, et de tout mon procd avec le dit marquis.
Nous revnmes encore le mme jour, mais bien tard, coucher Canstatt. Le lendemain nous vnmes dner Liechtenau, o nous trouvmes ma cousine la comtesse de Hannau, qui y tait demeure un peu malade, ce disait-elle ; mais en effet cÕtait pour y attendre et voir son frre et moi. Nous demeurmes avec elle jusques sur le soir, que nous allmes coucher Strasbourg, o nous sjournmes trois jours passer le temps, le dernier desquels le secrtaire Huart arriva (aot), qui mÕapporta toutes les instructions et mmoires dont le marquis sÕtait pu aviser ; et le lendemain nous nous en retournmes Nancy par les mmes gtes que nous avions prises en allant.
JÕy trouvai une ample dpche du roi sur plusieurs diverses choses, et entre autres, pour sonder lÕintention de Mr de Lorraine sur les prsentes occurrences des affaires de Clves, duquel je ne pus tirer autre chose sinon quÕil conserverait soigneusement la neutralit entre les deux couronnes, que Leurs deux Majests lui avaient consentie et accorde.
Je nÕeus pas une si prompte expdition sur notre affaire du mariage de madame sa fille avec monsieur le dauphin ; car au bout de dix-huit jours je le trouvai sans rsolution, et sans rponse me faire : et seulement, aprs avoir souvent consult avec le prsident Bouvet, il conclut quÕil me dirait, la premire audience quÕil me donnerait, que moi et les miens avaient toujours t si affectionns toute sa maison ; que mon frre, et moi, y ayant de grands biens et quelques parents ; tant aussi homme de bien et dÕhonneur comme il me connaissait, il ne se saurait mieux adresser quÕ moi pour se conseiller, de la rsolution quÕil devait prendre, et de la rponse quÕil devait faire au roi.
JÕavoue que ce discours me surprit, que je trouvai captieux. Enfin je lui rpondis que : Ē Si, ds le commencement de ce pourparler, je nÕeusse pris le personnage de commissaire du roi, jÕeusse de bon cĻur accept celui de conseiller de Son Altesse, et mÕen fusse acquitt, sinon avec suffisance, au moins avec candeur et probit ; que maintenant je nÕtais plus libre dÕaccepter aucune condition, puisque jÕen avais dj une tablie ; mais que je pouvais bien lui dire toutes les rponses quÕil pouvait faire, et lui laisser, puis aprs, le choix de celle quÕil jugerait la plus convenable. Č
Ē QuÕen la proposition que je lui avais faite, il y avait cinq sortes de personnes sur lesquelles il devait faire rflexion, assavoir : madame sa fille ; lui-mme ; les princes de sa maison, et qui ont lÕhonneur de porter son nom ; ceux qui ont, par leurs femmes ou alliances, prtention sur le duch de Lorraine et ses autres tats ; et finalement ses sujets, tant ecclsiastiques, nobles, que roturiers : de toutes lesquelles diffrentes personnes il devait soigneusement considrer leurs divers intrts au prsent sujet. Č
Ē Que celui de madame sa fille nÕtait autre que dÕtre bien et grandement marie, et, si elle avait pour dot un grand hritage, tirer du ct de son mari un grand douaire ; de faire que les enfants quÕelle aura, qui seront grands princes par elle, le soient encore plus grands par son futur mari, et que, bien que sa qualit soit trs grande dÕelle-mme, elle lÕaccroisse et lÕaugmente encore par son mariage. Č
Ē LÕintrt de Son Altesse vient ensuite, qui a bien plus de branches que celui de madame sa fille. Car, outre quÕil doit dsirer le bien et la grandeur de madame sa dite fille, quoi lÕaffection paternelle le porte, il doit aussi avoir soin de la sienne particulire, qui est de vivre heureusement et paisiblement, aim et honor de ses voisins, respect et obi de ses sujets, et estim des uns et des autres. Č
Ē LÕintrt des princes de sa maison lui doit tre recommand comme le chef dÕicelle, lesquels princes ont trois diffrentes souches : la plus ancienne, et par consquent plus loigne, est celle de Claude de Lorraine, dont est issue la maison de Guise ; celle dÕaprs, et qui approche plus votre personne, est celle de Nicolas de Vaudemont, pre de la feue reine Louise ; et la dernire est celle de monsieur son frre : qui doivent tous dsirer, comme Son Altesse aussi, que les duchs et autres terres de la maison soient perptus en la mme race, et ne tombent point, par succession collatrale, en dÕautres familles quÕen celle mme de Lorraine. Č
Ē LÕintrt des princes collatraux ne la doit pas beaucoup toucher ; nanmoins il les faut peser en cette prsente affaire. Č
Ē Finalement celui de vos vassaux et sujets, qui Son Altesse ne tient pas seulement lieu de souverain, mais de pre, lui doit tre en singulire recommandation. Č
Ē JÕai dj dit les intrts des princes de sa maison, parlant de ceux de Son Altesse ; qui auraient craindre que, sÕil manquait la race de Lorraine un prince souverain, la qualit de princes, avec le temps, ne se perdt en eux-mmes, comme nous avons vu en la maison de Luxembourg et dÕautres. Č
Ē Les princes, parents collatraux, ont intrt que la Lorraine ne tombe point dans les mains dÕun roi de France, de peur dÕtre incorpore au royaume ; comme, de ce sicle, nous avons vu pareil exemple au duch de Bretagne, duquel ceux de Ferrare, Nemours, et Lorraine, ont t exclus, aussi bien que lÕinfante dÕEspagne, et le duc de Savoie, et Son Altesse mme, qui est descendu de la seconde fille hritire de France, [quoiquÕils] y eussent un droit clair et apparent. Č
Ē Finalement, les vassaux et sujets de Votre Altesse, accoutums la domination de trs bons princes, (qui prient tous les jours Dieu pour la continuation de ce bonheur par la procration de ligne masculine Son Altesse), ont intrt de demeurer en lÕheureux tat o ils sont, apprhendent toutes nouveauts ou changements, craignent lÕaltration de leurs privilges, le gouvernement de seigneurs envoys de la France pour les rgir, qui nÕauront pas tant de soin de les bien conserver et maintenir, que de faire leurs affaires particulires leurs dpens ; quÕils deviendraient province frontire de la France vers lÕAllemagne, par consquent toujours foule de garnisons et de logements de gens de guerre, la premire attaque, et qui servira de place dÕarme et de thtre jouer toutes les tragdies entre les Franais et leurs voisins ennemis. Č
Ē Voil, ce me semble, tous les intrts qui se rencontrent considrer et peser la prsente proposition. Č
Ē La premire, qui est celle de madame votre fille, vous doit porter lÕexcution de ce que lÕon vous propose. Car quel meilleur parti pourrait elle trouver en toute la chrtient, quÕun dauphin de France, hritier infaillible de la couronne ? Quelle plus grande qualit que dÕtre la premire des reines chrtiennes ? Que peut-elle dsirer de plus avantageux pour ses enfants, que de les voir rois de France aprs son mari, et ducs de Lorraine aprs elle ? Enfin toutes choses conspirent, quant elle, ce dessein, et pour son bien, que, comme pre, vous lui devez procurer, vous nÕen sauriez souhaiter davantage. JÕajoute que si vous et madame leur mre veniez manquer avant quÕtre maries, elles tomberaient entre les mains de la reine leur grand tante, et belle-mre de lÕune, qui en aurait soin comme de ses propres filles, et auraient la protection du roi et dÕelle contre les violences ou injustices que son oncle, ses parents, ou dÕautres princes voudraient exercer sur elle. Č
Ē Mais votre maison, et les princes qui en sont descendus, vous sont chers : vous dsirez de laisser votre succession en la mme maison dÕo elle vous est venue, et de perptuer votre nom. JÕavoue que ce sont des dsirs lgitimes et biensants, et que lÕaffection fraternelle vous doit toucher bien vivement, et tcher de faire tomber ses fils, par mariage, ce que, par procration, vous nÕavez pu procurer aux vtres successivement. Mais si S.A. votre pre nÕet point laiss dÕenfants mles, la race de Mdicis et possd la Lorraine ; si le duc Franois, votre grand pre, nÕet point laiss le duc Charles son fils, son successeur, le duc de Bavire le serait maintenant ; et si le duc Antoine, votre bisaeul, nÕet eu deux fils, Franois son successeur et Nicolas de Vaudemont, le marquis dÕAvrai rgnerait maintenant sur les Lorrains en la place de Votre Altesse : telles sont les lois humaines, auxquelles il nous faut conformer. Č
Ē Quant aux princes vos allis, et qui, par succession collatrale, peuvent parvenir la vtre, ils ne vous doivent toucher en aucune faon, et devez plutt dsirer que vos petits fils soient rois de France, et ducs de Lorraine par succession, que ceux [de] la maison de Mdicis, et toutes les autres branches quÕelle a faites ; que celle de Bavire avec celle dÕAutriche, et les palatins de Neubourg ; que Mr de Vendme, ou le duc de Crouy, ou les descendants de son frre ou de ses sĻurs. Č
Ē Reste parler de vos vassaux et sujets, qui ce changement sera fcheux, mais la condition nÕen sera point empire. La Bretagne, pour tre incorpore la France, nÕen a pas t de plus malheureuse condition : ses privilges et immunits lui ont t conserves, et les personnes et biens des Bretons plus puissament contregards par un roi de France quÕils nÕeussent t par un duc de Bretagne : la condition de chaque corps de la Bretagne sÕest accrue et amliore par cette runion ; car lÕordre ecclsiastique a t capable de possder les amples bnfices consistoriaux de la France ; la noblesse sÕy est enrichie et agrandie, parce quÕil se fait bien de plus hautes fortunes en des grands royaumes quÕen des petites provinces ; et le tiers-tat est parvenu aux grandes et lucratives charges de judicature et des finances de France. Et puis, cette incorporation de la Lorraine la France nÕest pas effective : car si madame votre fille nÕa point dÕenfants, il nÕy a rien de fait ; si ses enfants ne sont mles, les filles seront duchesses de Lorraine, comme celle-ci le doit tre aprs votre mort ; si elle a plusieurs mles, le second, ou le troisime, ainsi quÕil sera stipul, sera duc de Lorraine, et sÕil nÕy en a quÕun, peut-tre que les Lorrains mmes, qui auront dj par plusieurs annes prouv la douce domination des rois de France, demanderont eux-mmes cette runion comme ont fait les Bretons, non quÕils nÕeussent t plus aises dÕavoir un prince particulier, mais de peur de tomber sous la puissance dÕun duc de Savoie, dÕun roi dÕEspagne, ou de Votre Altesse mme, quÕils nÕaffectionnaient pas tant que la France, et qui ne les eussent pas si bien su gouverner et protger que les rois de France. Č Ē Voil, en somme, tous les intresss et tous leurs intrts, qui ne touchent Votre Altesse quÕen un seul point, qui est celui des princes de sa maison, qui pourront dchoir si la souverainet venait tre change en autre main, quoi ils ont t et sont en tout temps sujets, si votre tat tombait en la maison de Bavire, Mdicis, ou autres mdiocres princes ; mais ils ne perdraient pas la qualit de princes pour cela : car sÕil y et eu des princes du sang de Bretagne lors de sa runion la couronne, ils nÕeussent pas pour cela perdu leur qualit, et nos rois eussent t obligs de la leur conserver, non seulement par justice, mais par leur propre considration : je dis davantage, que si, maintenant que le duch de Clves va tomber dans une autre race, celle de Nevers subsistait en France, qui en est descendue, elle conserverait la dignit de prince, bien que la souverainet en fut distraite. Voil lÕintrt que ces princes de la maison de Lorraine y peuvent avoir ; car pour la succession, ils en sont tous si loigns, cause des filles qui ont t maries dÕautres maisons, quÕils ne songent pas seulement dÕy pouvoir parvenir : la maison de Guise a plus de cent ttes avant que la couronne de Lorraine puisse venir tomber sur la sienne ; celle de Mercure est tombe en quenouille ; et sans cela, beaucoup de princes et princesses de la maison de Mdicis leur passeraient devant. Il nÕy a que monsieur votre frre et ses enfants qui ptiront de tout ceci, que je plains infiniment ; mais tout considrer, il ne perd pas tant comme il manque de gagner. Car cela dpend premirement de votre volont, secondement de celle de madame votre fille, ensuite de la ligne qui en proviendra, qui est douteuse aux cousins germains ; et semble que Dieu ne bnisse pas de si proches alliances, en les privant souvent dÕenfants, comme il se voit de celle de Mr le duc de Bavire et de madame votre sĻur qui devaient, selon le jugement humain, avoir une belle et nombreuse ligne, tant tous deux si bien faits et en la fleur de leur ge ; nanmoins, depuis quinze ans quÕils sont maris, ils nÕont pas eu seulement le doute dÕen avoir : et quand bien Votre Altesse donnerait monsieur son frre sa fille ane pour son fils an, elle donnerait la seconde quelque prince tranger, qui tomberait votre duch si lÕane nÕavait point dÕenfants de monsieur votre neveu, qui serait la mme chose, mais bien moins avantageuse, que si elle lÕet marie avec monsieur le dauphin, qui nÕaura pas moins de volont que de puissance dÕagrandir un jour son oncle et ses cousins germains. Č
Ē Voil, Monsieur (lui dis-je), les divers intrts et la consquence dÕiceux, que jÕai voulu reprsenter Votre Altesse, avant que de lui dire les conseils quÕelle a prendre l-dessus, et que je lui puis donner sans prjudice de manquer au devoir auquel la personne que je reprsente maintenant mÕoblige. Maintenant je lui talerai toutes les rponses quÕelle peut faire ; et puis elle-mme les ayant toutes mrement considres, choisira celle quÕelle voudra faire au roi, laquelle je lui porterai fidlement, et sans lui rien cacher ni dguiser. Č
Ē Elle peut donc, premirement, rpondre au roi que les intrts de la maison de Lorraine, et le dsir de perptuer sa succession et ses tats en sa mme famille, lui sont si considrables quÕelle est rsolue de marier madame sa fille un prince de son sang, qui est un refus absolu, et lequel, bien que je me fusse rsolu de ne donner point mon avis sur le choix des conseils divers que je lui avais proposs, nanmoins jÕtais trop son serviteur pour ne lui pas dire que je ne lui conseille pas dÕuser de termes si crus, attendu que nier qui peut forcer, est lÕart de se ruiner : joint aussi que, faisant cette rponse, vous ferez infailliblement une autre action qui sera encore pire, qui est que, si les affaires dÕAllemagne appellent la personne et lÕarme du roi, ou sur votre frontire, ou par votre pays pour le passage, vous tes comme oblig, par ce prcdent refus, dÕenvoyer mesdames vos filles en Bavire pour en loigner la proie ; et, tant en Bavire, qui sait si Mr le duc de Bavire nÕaimera pas autant cette riche hritire pour un de ses neveux que pour celui de sa femme ? Č
Ē La seconde rponse que vous pouvez faire au roi, est de lui dire que monsieur le dauphin ni madame votre fille nÕtant point en ge nubile, vous nÕy voulez point inutilement penser avant le temps de le pouvoir conclure. Cette seconde rponse est un refus absolu, et qui sera reu du roi pour tel : mais Votre Altesse pourrait ajouter, pour lÕadoucir, que vous assurez nanmoins Sa Majest que, lorsque cela sera, vous nÕentendrez aucune proposition que lÕon vous veuille faire sur ce sujet, sans savoir premirement si Sa Majest continue au dessein de lui faire lÕhonneur de songer son alliance pour monsieur le dauphin ; y ajoutant encore (si vous voulez), que tout trait que lÕon pourrait faire avant ce temps-l ne lierait point Sa Majest, et engagerait Votre Altesse, qui rend trs humbles grces Sa dite Majest de celle quÕil lui fait de jeter les yeux sur sa fille au dessein quÕil a de marier monsieur le dauphin. Č
Ē La troisime rponse que Votre Altesse peut faire au roi est de le remercier trs humblement de lÕhonneur quÕil lui fait, quÕelle reoit avec toute sorte de respect et de joie ; quÕelle lui supplie trs humblement que cette affaire soit traite avec toute sorte de secret et de silence pendant quelque temps quÕelle tchera de disposer ses sujets lÕagrer, et ses parents y consentir ; ce quÕelle fera le plus tt quÕil lui sera possible. Č
Ē LÕautre rponse est de recevoir au pied de la lettre lÕoffre du roi, vous y conformer et la conclure avec joie et contentement, faisant de bonne grce ce que vous tes rsolu de faire. Č
Ē De ces quatre rponses Votre Altesse peut choisir celle quÕil lui plaira, et lorsquÕelle me lÕaura donne, je la porterai Sa Majest sans y rien changer ni altrer. Č
Ces divers conseils que je lui donnai le tinrent un peu pensif ; et moi, l-dessus, je le quittai, le laissant avec le prsident Bouvet, qui avait t en tiers toute cette confrence : lequel prsident, revenant le soir son logis, me rencontra devant ma porte, me promenant avec plusieurs seigneurs et gentilshommes ; je les quittai pour me promener avec lui, qui me dit :
Ē Je pensais que ce que vous aviez propos S.A. lui et donn moyen de se rsoudre ; mais vous lÕavez plus embarrass quÕauparavant, et je crois que, si vous ne lui eussiez donn quÕun seul conseil, il lÕet suivi, parce quÕil veut suivre tous les quatre, ne sachant lequel choisir. Je lÕai laiss en cette incertitude, penchant nanmoins sur le troisime avis, qui est dÕaccepter la semonce, mais de la tenir secrte jusques ce quÕil soit temps, et que cependant, qui a temps a vie, il y pourra arriver tant de choses, que les affaires prendront quelque biais que ni vous, ni nous, nÕeussions pas peut-tre pens. Il mÕa command encore, en partant, de vous dire quÕil vous recommandait le secret, et que vous vous pouviez disposer de partir dans deux jours ; car demain, sans remise, il rsoudrait sa rponse, et votre dpche, laquelle serait seulement verbale, relative sur la lettre quÕil crirait au roi, en rponse de la sienne, qui nÕavait aussi t que de crance. Č
Je dis lors au dit prsident que jÕavais charge expresse du roi de donner S.A. la demande que je lui avais faite, crite et signe de ma main, qui tait dj toute prte ma chambre ; mais quÕil voulait aussi que sa rponse fut signe de la sienne, et que, pour plusieurs raisons, je ne la pouvais pas prendre autrement ; que lÕaffaire tait de consquence, sujette dsaveu ; que jÕtais jeune, et nouveau ministre, qui, outre cela, tais vassal de S.A., qui serais aisment souponn dÕavoir ajout ou diminu, supprim ou invent quelque chose en lÕaffaire, et que je nÕtais pas homme pour faire appeler S.A. au combat, quand elle voudrait nier ce quÕelle mÕaurait donn charge de dire de sa part : cÕtait pourquoi je voulais que sa lettre et son seing parlassent, et que moi seulement en fusse le porteur.
Bouvet me dit que difficilement pourrait-il faire cela : Ē Ni moi, rpondis-je, rapporter rien que je ne lÕaie, crit et sign. Č Sur quoi nous nous sparmes ; et lÕayant pri de faire savoir S.A. cette mienne dtermine rsolution, il me pria de songer aussi de ma part quelque expdient qui ne fut point cela, et ft nanmoins cela mme. Je lui rpondis sur lÕheure que jÕen avais un en main qui me dchargeait, et ne lÕengageait pas ; qui tait de lÕenvoyer, lui prsident, ou quelque autre personne affide, porter sa rponse au roi avec une lettre de crance, et quÕil nÕy avait point dÕautre moyen que lÕun de ces deux l.
Je mÕen vins le lendemain matin voir le duc, qui ne me parla en aucune faon de cette affaire, parce quÕil y avait force monde ; mais bien me dit-il que si je le venais dbaucher incontinent aprs dner, quÕil ferait quelque partie la paume avec moi. JÕy vins selon ce quÕil mÕavait dit ; et, lÕayant trouv dans sa galerie, il me dit quÕil tait tout rsolu de se conformer aux volonts du roi, et recevoir lÕhonneur quÕil lui voulait faire : seulement dsirait-il de gagner et disposer les principaux de son tat pour leur faire goter ce mariage, et le pallier [cacher] cependant ses parents jusques ce quÕil fut temps de le dcouvrir ; suppliant trs humblement Sa Majest de le vouloir cependant tenir secret, me priant aussi de recevoir cette rponse de sa part pour la porter au roi avec une lettre de crance relative sur moi.
Je lui rpondis lors que jÕtais venu avec lettre de crance, qui tait mon pouvoir de traiter avec lui, mais que sÕil ne voulait donner quÕune lettre de crance sans autre chose, quÕil y pouvait envoyer quelquÕun de sa part pour la porter, et que je me chargerais seulement de trait, ou rponse authentique signe, avec la lettre de crance pour lÕaccompagner. Il me dit quÕil craignait que cette rponse signe de lui ne ft vue, et que cela lui pouvait importer la vie mme. Je lui dis que je nÕavais pas moins dÕintrt de la tenir secrte pour les mmes raisons, et que je lui rpondais que le roi le ferait aussi.
Enfin il se rsolut de me faire donner une lettre, non de crance, mais de rponse ce que jÕavais ngoci avec lui : ce quÕil fit, et je la rapportai au roi, prenant cong de lui deux jours aprs pour lÕaller trouver ; lequel fut extraordinairement satisfait du bon succs de toutes les affaires quÕil mÕavait commises, et me fit de trs grandes dmonstrations de sa bienveillance.
Septembre. Ń Ė peine eus-je achev de lui rendre compte des choses quÕil mÕavait ordonnes, quÕil prit aussi audience de moi pour me parler de sa passion vers madame la Princesse, et de la malheureuse vie quÕil menait loign dÕelle : et vritablement cÕtait un amour forcen que le sien, qui ne se pouvait contenir dans les bornes de la biensance. Je lui fis mon tour mes plaintes de lui-mme, qui avait fait fouiller et prendre les lettres que mon valet de chambre, sÕen revenant en poste de la cour, mÕapportait : ce quÕil me nia fortement ; mais je le savais bien, en ayant t averti auparavant par la reine, qui dit madame la princesse de Conty quÕelle en avist mon homme, ce quÕelle fit ; et lui, sur cet avis, bailla un messager quÕil connaissait toutes les lettres quÕil avait porter, lequel les lui rendit aprs Saint-Dizier. On avait fait rapport au roi que mon dit valet me portait des lettres de bonne part (aussi faisait-il, et de diverses personnes) ; mais il fut habile. Ce qui mit plus en peine le roi, fut quÕil mÕavait crit, et on ne trouva jamais sa lettre sur mon homme, qui il lÕavait donne ; de sorte quÕil se douta bien quÕil avait envoy son paquet par une autre adresse, parce que je lui rendis rponse de sa lettre. Enfin il me nia toujours quÕil et fait dtrousser mon homme, et mÕen voulut faire souponner des personnes qui nÕy avaient pas pens.
Ce jour mme la reine me parla dÕune affaire de grande consquence, en laquelle je la servis adroitement, et selon ses intentions.
Trois jours aprs, qui fut le 12me de septembre, jÕeus une bonne fortune.
Je me souviens quÕen ce temps la, comme le roi prit un jour mdecine, il se promenait aprs dner dans sa galerie : Mr de Bouillon entama un discours de la grandeur de lÕEspagne, de sa vise la monarchie, laquelle elle sÕacheminait grands pas, si tous les autres princes chrtiens ne sÕunissaient ensemble pour lÕen empcher, et que, sans les Hollandais, elle y serait dj parvenue ; que la trve que le roi avait mme aid faire entre le roi dÕEspagne et eux, tait grandement profitable lÕEspagnol, dommageable eux, et au roi ; que, finalement, le roi devait, de toute sa puissance, procurer lÕagrandissement des Etats et la ruine de lÕEspagnol, comme de celui qui devait un jour opprimer, avec la France, tout le reste de la chrtient.
Il eut non seulement une paisible, mais favorable audience ; et comme il tait beau parleur, et nergique, il ravit dÕadmiration plusieurs esprits assez ignorants, qui taient l. Je me trouvai cette proposition, et comme je nÕavais pas lÕesprit proccup en sa faveur comme les autres, je remarquai son discours plusieurs choses fausses, beaucoup de vaines, et quantit qui servaient plutt dÕornement au langage que dÕaide la persuasion. Je dis lors Mrs de Roquelaure et de Trigny, qui haut louaient le grand jugement de Mr de Bouillon, et disaient quÕil nÕy avait plus rien dire aprs ce quÕil avait dit, que, si lÕon voulait prendre le contre-pied de ce dont il avait discouru, il y aurait plus de raisons dire, et plus probables, que celles quÕil avait proposes, et quÕil avait appuy tout son discours sur de faux fondements et suppositions. Aprs que Mr de Bouillon fut parti, Trigny dit au roi, qui louait les belles et bonnes raisons quÕil avait dduites, que je disais que lÕon en pourrait faire de mme prendre le parti de lÕEspagnol contre les Hollandais : Ē Ayons-en le plaisir, Č rpliqua le roi ; et sur ce, mÕappela, et me commanda de lui parler contre les Hollandais, quoi je mÕembarquai, aprs mÕen tre excus plusieurs fois ; et Dieu mÕinspira si bien que jÕy russis mieux que ceux qui mÕcoutaient ne lÕeussent cru : auxquels le roi adressant sa parole, leur dit : Ē Il faut avouer le vrai, que Mr de Bouillon a raison, mais que Bassompierre nÕa pas tort. Č Et le soir mme le roi me commanda de mettre par crit ce que je lui avais dit, et que je le donnasse Mr de Villeroy. Je lui dis quÕil se moquait de moi ; que je ne me mlais pas de bien dire, et moins de bien crire, lÕun et lÕautre nÕtant pas de ma profession, et moins de ma suffisance ; que je ne me ressouvenais plus de ce que jÕavais dit devant lui en la galerie, et que ce que jÕen avais fait avait plutt t dessein de contrarier Mr de Bouillon que je nÕaimais pas, que pour me dbiter pour un beau parleur. Enfin il me fora de lui mettre par crit, ce que je fis en meilleure forme que je ne lÕavais dit.
Octobre. Ń Le roi alla peu de jours aprs passer le reste de son automne Fontainebleau, dÕo je fis quelques courses Malesherbes.
Les fils de don Virginio Ursino y arrivrent.
Mr de Chevreuse, dcouvert de voir en priv madame de Moret, dit au roi quÕil la voulait pouser : ses parents accommodrent cette affaire ; et lui, sÕen alla en Lorraine, dÕo il ne revint quÕaprs la mort du roi.
Pimentel tait revenu la cour, et le jeu tait grossi par son arrive.
Le roi revint Paris aprs la Toussaints.
Ma sĻur de Saint-Luc accoucha dÕun enfant mort, et elle le suivit dix jours aprs ses couches, dont je pensai dsesprer de dplaisir.
Antragues revint de Chemaut.
La reine accoucha de madame Henriette Marie, sa dernire fille, le 26e de novembre.
Mr le Prince partit de la cour pour sÕen aller Muret, dÕo il partit le dernier de novembre, jour de Saint-Andr, avec Rochefort, et Toiras et un valet, qui portaient en croupe madame la Princesse sa femme, mademoiselle de Serteau, et une femme de chambre nomme Philipotte, et sÕen alla Landrecies. Le roi jouait en son petit cabinet quand dÕElbene premirement, puis le chevalier du guet, lui en portrent la nouvelle, et jÕtais le plus proche de lui : il me dit lors lÕoreille : Ē Bassompierre, mon ami, je suis perdu ; cet homme emmen sa femme dans un bois. Je ne sais si a t pour la tuer, o pour lÕemmener hors de France. Prends garde mon argent, et entretiens le jeu ce pendant que jÕen vas savoir de plus particulires nouvelles. Č Lors il entra avec dÕElbene dans la chambre de la reine, qui couchait dans son cabinet depuis ses couches de sa dernire fille, de laquelle elle sÕtait trouve fort mal.
Aprs que le roi fut parti, Mr le Comte me pria de lui dire ce que cÕtait ; je lui dis que son neveu et sa nice sÕen taient alls : puis ensuite Mrs de Guise, dÕEpernon, et de Crquy mÕayant fait la mme demande, je leur fis la mme rponse. Alors chacun se retira du jeu ; et moi, prenant lÕoccasion de rapporter au roi son argent quÕil avait laiss sur la table, jÕentrai o il tait. Je ne vis jamais un homme si perdu ni si transport : le marquis de CĻuvre, le comte de Cramail, dÕElbene, et Lomenie, taient avec lui ; chaque proposition ou expdient quÕun des trois lui donnait, il sÕy accordait, et commandait Lomenie dÕen faire lÕexpdition, comme dÕenvoyer le chevalier du guet aprs Mr le Prince avec ses archers ; de dpcher Ballagny Bouchain pour tcher de lÕattraper ; dÕenvoyer Vaubecourt, qui tait lors Paris, sur la frontire de Verdun, pour empcher son passage par l ; et dÕautres choses ridicules.
Il avait envoy qurir ses ministres, lesquels, leur arrive, lui donnrent chacun pour conseil un plat de leur mtier, ou un trait de leur humeur. Monsieur le chancelier arriva le premier, qui le roi dit lÕaffaire, et lui demanda ce quÕil lui semblait propos de faire sur cela. Il rpondit posment que ce prince ne prenait pas le bon chemin ; quÕil et t dsirer que lÕon lÕet mieux conseill, et quÕil devait avoir modr son ardeur. Le roi lui dit en colre : Ē Ce nÕest pas ce que je vous demande, Monsieur le chancelier, cÕest votre avis. Č Alors il dit quÕil fallait faire de bonnes et fortes dclarations contre lui, et tous ceux qui le suivraient, ou donneraient aide, soit dÕargent, soit de conseils.
Comme il disait cela, Mr de Villeroy entra, et le roi, impatient, lui demanda son avis, aprs lui avoir dit la chose. Il haussa les paules, et montra dÕtre bien tonn de cette nouvelle, puis dit quÕil fallait dpcher tous les ambassadeurs du roi vers les princes trangers pour leur donner avis du dpart de Mr le Prince sans permission du roi et contre sa dfense, et pour leur faire faire les offices ncessaires auprs des princes o ils rsidaient pour ne le retenir en leurs tats, ou le renvoyer Sa Majest.
Mr le prsident Jeannin tait venu en compagnie de Mr de Villeroy, qui le roi demanda aussi son avis. Il lui dit, sans hsiter, que Sa Majest devait incontinent dpcher un de ses capitaines des gardes du corps aprs, pour tcher de le ramener, et ensuite chez le prince aux tats duquel il serait all, le menacer, au cas quÕil ne lui remt entre les mains, de lui faire la guerre : car, son avis, son dpart nÕa point t prmdit, ni [il] nÕa point fait faire dÕoffice prcdent pour tre reu et protg ; il sera sans doute all en Flandres, et lÕarchiduc, qui ne connat point Mr le Prince, qui nÕa point dÕordre exprs dÕEspagne pour le maintenir, et qui respecte et craint le roi, ne se le voudra pas jeter pour peu de chose sur les bras, et sans doute, ou vous le renverra, ou le chassera de ses tats.
Le roi prit got cet expdient ; mais il ne se voulut rsoudre quÕil nÕeut aussi ou parler Mr de Sully l-dessus ; lequel arriva assez longtemps aprs, avec une faon brusque et rude. Le roi alla lui, et lui dit : Ē Monsieur de Sully, Mr le Prince est parti, et a emmen sa femme. Č Ē Sire (lui dit-il), je ne mÕen tonne point ; je lÕavais bien prvu, et vous lÕavais bien dit ; et si vous eussiez cru le conseil que je vous donnai, il y a quinze jours, quand il partit pour aller Muret, vous lÕeussiez mis dans la Bastille, o vous le trouveriez maintenant, et je vous lÕeusse bien gard. Č Le roi lui dit : Ē CÕest une affaire faite, il nÕen faut plus parler ; mais que dois-je faire cependant ? Dites mÕen votre opinion. Č Ē Par Dieu, je ne sais, rpondit-il, mais laissez-moi retourner lÕArsenal o je souperai et me coucherai, et cette nuit je penserai quelque bon conseil que je vous rapporterai demain au matin. Č Ē Non, ce dit le roi, je veux que vous mÕen donniez un tout cette heure. Č Ē Il y faut donc penser, Č (lui dit-il), et sur cela il se tourna vers la fentre qui regarde dedans la cour, et se mit peu de temps jouer du tabourin dessus, puis sÕen vint vers le roi qui lui dit : Ē Eh bien, avez-vous song ? Č Ē Oui, Č lui dit il. Ē Et que faut-il faire ? Č demanda le roi. Ē Rien, Č lui rpliqua-t-il. Ē Comment rien ! Č ce dit le roi. Ē Oui, rien, dit Mr de Sully : si vous ne faites rien du tout, et montrez de ne vous en pas soucier, on le mprisera ; personne ne lÕaidera, non pas mme ses amis et serviteurs quÕil a par de ; et dans trois mois, press de la ncessit, et du peu de compte que lÕon fera de lui, vous le raurez la condition que vous voudrez : l o, si vous montrez dÕen tre en peine, et dÕavoir dsir de le ravoir, on le tiendra en considration ; il sera secouru dÕargent par ceux de de ; et plusieurs, croyant vous faire dplaisir, le conserveront, qui lÕeussent laiss l, si vous ne vous en fussiez pas souci. Č
Le roi, qui tait dans le trouble et dans lÕimpatience, ne put recevoir cet avis, et sÕarrta celui Mr le prsident Jeannin, qui tait plus brusque et plus selon son humeur prsente, et dpcha le lendemain Mr de Pralain, tant vers Mr le Prince que vers lÕarchiduc.
JÕai voulu dduire par le menu ces diffrentes opinions qui ont quelque connexit cette vasion de Mr le Prince, et dire ensuite que Mr de Pralain trouva encore monsieur et madame la Princesse Landrecies, avec lesquels nÕayant pu rien traiter pour leur retour, il passa Bruxelles vers lÕarchiduc, auquel il dclara ce que le roi lÕavait charg de lui dire. LÕarchiduc fut assez surpris, et bien quÕil et donn quelque esprance Rochefort, qui lÕtait all trouver de la part de Mr le Prince, de le recevoir et protger dans ses tats, il lui envoya nanmoins prier dÕy vouloir seulement passer sans sÕy arrter. Mais depuis, anim par les persuasions du marquis Spinola, il le reut et garda dans ses pays : ce fut ce qui fit enfin rsoudre le roi excuter ce grand dessein quÕil avait longtemps cout, souvent fait esprer de lÕentreprendre, mais o il ne sÕtait voulu jusques alors entirement jeter : lequel ne sera pas hors de propos, ni du prsent sujet, dÕen parler maintenant, et de reprendre les choses leur source, pour en donner une plus claire intelligence.
Comme ceux de la religion nÕont jamais eu un plus puissant ennemi que le roi dÕEspagne, ni quÕils aient plus craint et redout, aussi ont ils tourn leurs principaux projets et desseins son abaissement et ruine ; et lors quÕils ont eu accs lÕoreille de quelque prince, ils lÕont toujours anim lui faire la guerre. Mrs de Bouillon, de Sully et des Diguieres, principaux personnages de cet tat, et les plus grands et habiles du parti huguenot en France, quoique toujours contraires et anims les uns contre les autres, se sont nanmoins en tout temps unis conseiller et presser le roi, voire mme lÕulcrer et envenimer contre la maison dÕAutriche, et le roi dÕEspagne particulirement ; quoi ils taient aids par la propre inclination du roi, aline du roi dÕEspagne par son ressentiment des outrages reus par lui en ces dernires guerres, et par lÕapprhension de sa grandeur, qui, par raison dÕtat, lui devait tre suspecte : de sorte quÕils trouvaient libre accs vers le roi, et paisible audience, mme avec approbation, quand ils lui parlaient contre Espagne, et nÕeussent pas manqu dÕexcution, si le roi, las et recru de tant de guerres passes, son peuple ruin, et ses finances puises, nÕet voulu passer, autant que le bien de son tat et son honneur lui pouvaient permettre, le reste de ses jours en paix dans un heureux et fcond mariage, parmi une nombreuse famille, et dans les divertissements qui ne le dtournaient des choses qui pouvaient tre utiles au bien de son tat, pour lequel il a toujours eu une parfaite sollicitude.
Ces raisons, qui dtournaient Sa Majest dÕentreprendre une guerre longue et douteuse avec le roi dÕEspagne (et de laquelle, comme il disait souvent, il ne pouvait esprer aucun avantage quÕune paix, aprs avoir beaucoup consomm de temps, dÕargent et dÕhommes, avec la dsolation de leurs deux frontires, avec restitution de ce qui aurait t occup de lÕune des parties sur lÕautre), nÕempchaient pas nanmoins que le roi ne prt son parti quand il verrait une bonne occasion de le devoir faire ; et il ne trouva pas mauvais que Mr de Sully ft quelque ouverture au roi Jacques dÕAngleterre (vers lequel il tait all de sa part son nouvel avnement la couronne), sur une troite ligue et conjonction de ces deux couronnes contre celle dÕEspagne, en cas quÕelle voult continuer ses ordinaires progrs. Mais ces sages princes, tous deux venus de loin de si grandes successions, songeaient plutt aux moyens de les bien rgir et conserver, que de les accrotre par des moyens non moins prjudiciables la chrtient quÕ leurs particuliers tats, et se lirent ensemble dÕune troite amiti sans passer les termes, ou contrevenir la paix que le roi avait avec Espagne, et que celui dÕAngleterre contracta peu de temps aprs.
Mais il arriva ensuite que Mr le duc de Savoie, brave et gentil prince, et impatient de paix et de repos, ne se put longuement contenir oisif aprs la paix que lui avait donne le roi au commencement de lÕanne 1601 ; et ce prince rempli de grands dsirs, qui avait ce malheur dÕtre situ entre deux voisins plus puissants que lui, ne pouvant longuement se contenir en un tat tranquille, animait toujours lÕun ou lÕautre dÕentrer en guerre, et sÕoffrait celui qui voudrait tre agresseur. Mais comme le roi Philippe IIIe fut un prince adonn la paix, il ne trouva pas son compte avec lui : joint quÕil tait piqu de ce que lÕinfante Isabelle avait eu pour son partage les grands tats de Flandres, et que lÕinfante Catherine sa femme ne lui et apport que quarante mille ducats de rente en dot, assigns sur le royaume de Naples, desquels il tait assez mal pay ; il prtendait quÕau moins la cadette devait avoir le duch de Milan, puisque lÕane avait eu les Pays-Bas ; et parce quÕil ne lÕavait pas, il pensait que lÕon lui dtnt injustement : cÕest pourquoi il sÕadressa diverses fois au roi pour le porter la guerre, lui offrant, avec son assistance et son service, des grandes pratiques et intelligences quÕil disait avoir dans et sur le duch de Milan.
Le roi qui connaissait lÕhumeur de ce prince, et qui se dfiait de sa fidlit, fit plusieurs difficults dÕentrer en aucune pratique avec lui : finalement, lui ayant fait dire quÕil donnerait telles assurances de son immuable affection que Sa Majest en dsirerait, elle fut conseille de lÕcouter ; et S.A. de Savoie envoya lors un seigneur nomm le comte de Gatinare, et un de ses secrtaires en qui il se confiait fort, que le dit comte fit semblant de dbaucher pour lÕaccompagner en ce voyage qui avait pour apparence la congratulation de la naissance dÕun des enfants de France.
Le comte de Gatinare, aprs avoir eu audience, feignit dÕavoir la goutte pour prtexte de sjourner ; et, commenant se gurir, le roi sachant quÕil tait joueur, lui commanda de venir jouer avec lui, et afin quÕil pt tre plus prs pour revenir le soir, le roi mÕordonna de lui donner tous les soirs souper, et peu auparavant que lÕon nous servt manger, ce secrtaire venait chez moi en cachette lui dire ce quÕil avait trait avec Mr de Villeroy en cette journe, et sÕil y avait quelque difficult, il en parlait le soir au roi avant le jeu. Le roi me fit cette grce de me dire cette affaire, aprs une pre dfense de la cacher aux yeux et la connaissance de tout le monde ; ce quÕil fit peut-tre forc de sÕy confier, de peur que, lÕapercevant, je ne la dcouvrisse, puisque les rendez vous se faisaient en mon logis.
Il fit plusieurs grandes propositions au roi, auxquelles le roi ayant rpondu quÕil nÕy avait aucune apparence quÕil se pt fier en lui, vu que son principal ministre, qui il avait donn sa sĻur naturelle en mariage, Mr dÕAlbigny, tait entirement espagnol. Il manda lors au roi que, dans peu de jours, il lui lverait de ce ct-l toute sorte dÕombrage ; comme il fit : car huit jours aprs nous oumes dire la prison, et ensuite la mort du dit Albigny.
Le roi, voyant que le duc ne se jouait pas, mais faisait bon escient ; anim par les vives persuasions de Mr de Sully, et de Mr des Diguieres, qui le duc sÕtait premirement adress, et qui avait propos au roi cette conjonction de Mr de Savoie lui ; voyant aussi les avantages que Sa dite Majest en pouvait retirer, et les amples offres que Mr de Savoie lui faisait ; foment par la rpublique de Venise, qui offrait de se joindre ce mme dessein ; fit un trait trs secret avec mon dit sieur duc de Savoie, par lequel il promettait sa fille ane au prince de Pimont, son fils, en mariage ; que, de la conqute de Milan, qui se ferait par les armes communes de Sa Majest, de la rpublique, et de Mr de Savoie, la Gira dÕAdda serait pour les Vnitiens, et le reste pour le duc, qui, moyennant ce, quitterait le duch de Savoie et sa prtention de Genve au roi, pourvu quÕil en ft trois annes paisible possesseur ; que la protection de Gnes serait au roi, avec les places que le roi dÕEspagne occupe entre Gnes et Provence ; que le duc de Savoie serait gnral, sous le roi, des trois armes, et Mr des Diguieres lieutenant-gnral, lequel serait en mme temps honor par Sa Majest dÕun bton de marchal de France, ce quÕil reut la fin de lÕanne 1609 Fontainebleau.
Tous ces grands avantages, ni lÕoffre que lui firent les Etats de Hollande de rompre la trve quÕils avaient faite pour douze ans avec Espagne lorsquÕil voudrait y rompre la paix, ne le purent encore mouvoir dÕentrer en guerre ouverte avec lÕEspagnol, bien quÕil en ft prement sollicit de tous cts. Enfin la mort du duc de Clves lÕayant un peu branl, la protection que lÕarchiduc donna Mr le Prince, le jetrent tout fait accomplir le trait de Savoie, et attaquer en mme temps, avec une puissante arme, les Pays-Bas : quoi lui arriva de surcrot la prise de Juliers par lÕarchiduc Lopold, qui y entra comme commissaire de lÕempereur ; ce que le roi trouva de telle importance, quÕil se rsolut de tirer cette place des mains de la maison dÕAutriche, le roi dÕAngleterre concourant mme dessein.
Janvier.Ń Voil ce qui se passa sur cette affaire jusques au commencement de lÕanne 1610 en laquelle monsieur le grand duc [de Toscane], comme amiable compositeur, qui apprhendait les guerres en Italie, qui craignait, sÕil demeurait neutre, quÕil serait fourrag de lÕun et de lÕautre parti, et que, sÕil se dclarait, il ne ft ruin, sÕemploya en diverses ngociations de tous cts, pour empcher une rupture ouverte. Il envoya en diligence le marquis Botty en Espagne ; et, y ayant trouv toutes choses disposes la paix, il le fit repasser par la France pour moyenner un bon accommodement, mme avec esprance de rendre madame la Princesse, et que lÕon conviendrait dÕun tiers pour la dposition de Juliers, le roi consentant mme le duc de Saxe : mais comme cÕtait un pays catholique, lÕEspagnol nÕy voulut consentir. Enfin le marquis Botty demanda au roi sÕil se contenterait quÕil ft ouverture de me mettre le dpt de Juliers en main, pourvu que je prtasse serment lÕempereur, lequel consentirait que jÕen prtasse pareillement au roi, de ne mÕen point dessaisir quÕavec son consentement, quoi le roi sÕaccorda volontiers ; mais la rponse nÕen vint quÕaprs le dcs de Sa Majest, laquelle cependant continuait les prparatifs dÕune grande et forte guerre pour le printemps prochain. Elle dpcha Mr le marchal des Diguieres en Dauphin pour prparer toutes choses pour son passage au renouveau : elle le fit son lieutenant-gnral sous Mr le duc de Savoie, Mr de Crquy colonel de son infanterie, et moi de sa cavalerie lgre ; ce quÕil fit de si bonne grce, un soir que jÕy pensais le moins, que je mÕen sentis doublement oblig. Il me donna quand et quand une compagnie de cent chevau-lgers, dont je donnai la lieutenance un vieux capitaine nomm la Tour, que lÕon nommait un des quatre vanglistes de Mr de Bouillon en Champagne : la cornette fut pour Mr de Bourbonne ; et un nomm Salvert mon marchal des logis. Il me donna aussi cinquante gardes, desquelles je fis capitaine Cominges, et lieutenant Lambert. Il voulut quÕenfin je prtasse le serment de conseiller dÕtat, que je nÕavais voulu prter deux ans auparavant, et me donna encore quatre mille cus de pension. Enfin il nÕy eut sorte de faveur quÕil ne me ft, me donnant une charge, sans lÕen requrir, laquelle il avait refuse Mr dÕEsguillon, qui lui en avait fait de grandes poursuites, lui disant quÕil la gardait pour tel qui nÕy pensait pas.
Cependant Antragues devint grosse.
Le roi me pressa dÕpouser Mlle de Chemilli, et voulait renouveler en ma personne le duch de Beaupreau ; mais jÕtais dans mes hautes folies de jeunesse, amoureux en tant dÕendroits, bien voulu en la plupart, que je nÕavais pas le loisir de songer ma fortune.
Le roi fit danser un ballet monsieur le dauphin ; et, parce que cÕet t une fte assez mlancolique sÕil nÕy et eu que ces petits enfants qui en eussent t, le roi commanda que les galants de la cour en dansassent un immdiatement avant le sien ; ce que nous fmes.
Avril. Ń Madame la princesse de Conty accoucha, en carme, dÕune fille qui ne vcut que dix jours.
Mai. Ń Puis nous entrmes dans ce malheureux mois de mai, fatal la France par la perte que nous fmes en icelui, de notre bon roi !
Je dirai plusieurs choses des ressentiments que le roi avait de mourir, et qui prvirent sa mort. Il me dit, peu devant ce temps-l : Ē Je ne sais ce que cÕest, Bassompierre, mais je ne me puis persuader que jÕaille en Allemagne, et le cĻur ne me dit point que tu ailles aussi en Italie. Č Plusieurs fois il me dit, et dÕautres aussi : Ē Je crois mourir bientt. Č Et le premier jour de mai, revenant des Tuileries par la grande galerie (il sÕappuyait toujours sur quelquÕun), et lors il tenait Mr de Guise dÕun ct et moi de lÕautre, et ne nous quitta quÕil ne ft prs dÕentrer dans le cabinet de la reine : il nous dit lors : Ē Ne vous en allez point ; je mÕen vas hter ma femme de sÕhabiller, afin quÕelle ne me fasse point attendre dner, Č parce quÕil mangeait ordinairement avec elle. Nous nous appuymes, en attendant, sur ces balustres de fer qui regardent dans la cour du Louvre ; lors, le mai que lÕon y avait plant au milieu, tomba sans tre agit de vent ni autre cause apparente, et chut du ct du petit degr qui va la chambre du roi : je dis lors Mr de Guise : Ē Je voudrais quÕil mÕet cot quelque chose de bon, et que cela ne ft point arriv : voil un trs mauvais prsage. Dieu veuille garder le roi, qui est le mai du Louvre ! Č Il me dit : Ē Que vous tes fou de songer cela ! Č Je lui rpondis : Ē On ferait en Italie et en Allemagne bien plus dÕtat dÕun tel prsage que nous ne faisons ici : Dieu conserve le roi et tout ce qui lui attouche ! Č Le roi, qui nÕavait fait quÕentrer et sortir du cabinet de la reine, tait venu tout doucement nous couter, s'imaginant que nous parlerions de quelque femme, out tout ce que jÕen avais dit, nous interrompit alors, disant : Ē Vous tes des fous de vous amuser tous ces pronostiques : il y a trente ans que tous les astrologues, et charlatans qui feignent de lÕtre, me prdisent chaque anne que je cours fortune de mourir ; et, celle que je mourrai, on remarquera lors tous les prsages qui mÕen ont averti en icelle, dont lÕon fera cas, et on ne parlera pas de ceux qui sont advenus les annes prcdentes. Č
La reine eut une passion particulire de se faire couronner avant le partement du roi pour aller en Allemagne. Le roi ne le dsirait pas, tant pour viter la dpense, que parce quÕil nÕaimait gure ces grandes ftes : toutefois, comme il tait le meilleur mari du monde, il y consentit, et retarda son partement pour aller en Allemagne jusques aprs quÕelle aurait fait son entre Paris. Il me commanda de mÕy arrter aussi, ce que je fis, et aussi parce que madame la princesse de Conty me pria dÕtre son chevalier la crmonie du sacre et de lÕentre.
La cour alla donc coucher le 12e de mai Saint-Denis pour se prparer au lendemain 13e, qui fut le jour du sacre de la reine, qui se fit en la plus grande magnificence quÕil fut possible. Le roi y fut extraordinairement gai. Aprs le sacre il y eut, au logis de la descente des ambassadeurs, quelque brouillerie entre celui dÕEspagne et de Venise. Le soir tout revint Paris.
Le lendemain matin, 14e du dit mois, Mr de Guise passa par mon logis, et me prit pour aller trouver le roi qui tait all our messe aux Feuillants : on nous dit par les chemins quÕil tait all au retour par les Tuileries ; nous allmes donc lui couper chemin, et le trouvmes dans le berceau, sÕen revenant, et parlait Mr de Villeroy, quÕil quitta pour prendre Mr de Guise et moi ses deux cts, et nous dit dÕabord : Ē Je viens des Feuillants, o jÕai vu la chapelle que Bassompierre y fait faire, qui y a fait mettre sur la porte : Quid retribuam Domino pro omnibus que retribuit mihi ? Et moi jÕai dit que pour lui, qui tait allemand, il y fallait ajouter : Calicem salutaris accipiam. Č Mr de Guise sÕen mit rire bien fort, et lui dit : Ē Vous tes, mon gr, un des plus agrables hommes du monde, et notre destine portait que nous fussions lÕun lÕautre ; car si vous nÕeussiez t quÕun homme mdiocre, je vous eusse eu mon service, quelque prix que cÕet t ; mais puisque Dieu vous a fait natre un grand roi, il ne pouvait pas tre autrement que je ne fusse vous. Č Le roi lÕembrassa et lui dit, et moi aussi : Ē Vous ne me connaissez pas maintenant, vous autres : mais je mourrai un de ces jours, et quand vous mÕaurez perdu, vous connatrez lors ce que je valais, et la diffrence quÕil y a de moi aux autres hommes. Č Je lui dis lors : Ē Mon Dieu, Sire, ne cesserez-vous jamais de nous troubler en nous disant que vous mourrez bientt ? Ces paroles ne sont point bonnes dire ; vous vivrez, Dieu aidant, quantit de longues et heureuses annes. Il nÕy a point de flicit au monde pareille la vtre : vous nÕtes quÕen la fleur de votre ge, en une parfaite sant et force de corps, plein dÕhonneur plus quÕaucun des mortels, jouissant en toute tranquillit du plus fleurissant royaume du monde, aim et ador de vos sujets, plein de biens, dÕargent ; de belles maisons, belle femme, belles matresses, beaux enfants qui deviennent grands. Que vous faut-il plus, ou quÕavez-vous dsirer davantage ? Č Il se mit lors soupirer, et me dit : Ē Mon ami, il faut quitter tout cela. Č Ē Et ce propos aussi, lui rpondis-je, pour vous demander quelque chose ; mais cÕest en payant : assavoir cent paires dÕarmes de votre arsenal, qui nous manquent, et que nous ne pouvons avoir, quelque prix que nous en voulions donner. Ce nÕest pas pour ma compagnie ; car elle est complte et arme comme il faut : mais Mr de Varennes en a besoin de vingt-cinq, Mr des Bordes de vingt-cinq, et le comte de Charlus de cinquante. Č Il me rpondit lors : Ē Bassompierre, je vous les ferai donner : mais nÕen dites mot ; car tout le monde mÕen demanderait, et je dgarnirais mon arsenal. Venez-y cette aprs-dne, car jÕirai voir Mr de Sully, et je lui commanderai de vous les faire dlivrer. Č Je lui dis : Ē Sire, je donnerai lÕheure mme lÕargent quÕelles valent Mr de Sully, afin quÕil les remplace. Č Et il me rpondit la fin dÕune chanson qui dit :
Que je nÕoffre personne,
Mais vous je les donne.
Lors je lui baisai la main, et me retirai, comme il entra dans sa chambre, pour mÕen aller dner lÕhtel de Chalons avec Mr de Guise et Mr de Roquelaure.
Aprs dner je vins passer chez Descures, la Place Royale, pour des routes quÕil me fallait pour diverses compagnies ; puis jÕallai attendre le roi lÕArsenal, comme il mÕavait dit. Mais hlas ! ce fut en vain ; car peu aprs on vint crier que le roi avait t bless, et que lÕon le rapportait dans le Louvre. Je courus lors comme un insens, et pris le premier cheval que je trouvai, et mÕen vins toute bride au Louvre. Je rencontrai devant lÕhtel de Longueville Mr de Blerancourt qui revenait du Louvre, qui me dit lÕoreille : Ē Il est mort ! Č Je courus jusques aux barrires que les gardes franaises et suisses avaient occupes, les piques basses, et passmes, Mr le Grand et moi, sous les barrires, puis courmes au cabinet du roi, o nous le vmes tendu sur son lit, et Mr de Vic, conseiller dÕtat, assis sur le mme lit, qui lui avait mis sa croix de lÕordre sur la bouche, et lui faisait souvenir de Dieu. Milon, son premier mdecin, tait la ruelle, pleurant, et des chirurgiens qui voulaient le panser ; mais il tait dj pass : bien vmes-nous une chose, quÕil fit un soupir, ce qui, en effet, nÕtait quÕun vent qui sortait ; alors le premier mdecin cria : Ē Ah ! cÕen est fait, il est pass ! Č Mr le Grand, en arrivant, se mit genoux la ruelle du lit, et lui tenait une main quÕil baisait ; et moi je mÕtais jet ses pieds, que je tenais embrasss, pleurant amrement. Mr de Guise arriva lors, pleurant aussi, qui le vint embrasser ; et en ce mme instant, Catherine, femme de chambre de la reine, vint appeler Mr de Guise, Mr le Grand, et moi. Nous la trouvmes sur un lit dÕt en son petit cabinet, nÕtant encore habille ni coiffe, qui tait dans une extrme affliction, ayant prs dÕelle messieurs le chancelier et de Villeroy. Nous nous mmes tous trois genoux, et lui baismes lÕun aprs lÕautre la main, avec assurance de notre fidlit son service. Lors Mr de Villeroy lui dit :
Ē Madame, il faut suspendre ces cris et ces larmes, et les rserver lorsque vous aurez donn la sret messieurs vos enfants, et vous : commandez, sÕil vous plait, Mr de Guise dÕaller lÕhtel de ville avec le plus de gens quÕil pourra amasser, et faire que le corps de ville vienne reconnatre le roi et vous ; que Mr de Bassompierre prenne ce quÕil pourra ramasser de tant de chevau-lgers qui sont sous sa charge, et qui sont maintenant Paris, et quÕil marche par la ville pour apaiser le tumulte et la sdition. Ne manquez pas vous-mme, Madame, et ce qui vous doit tre si cher, qui sont vos enfants. Mr le Grand demeurera auprs du corps du roi, et, sÕil est besoin, auprs de monsieur le dauphin. Č
Elle nous pria donc de nous acheminer, ce que nous fmes en diligence. LÕon nous fit sortir par le Jeu de paume ; et allmes pied mon logis, o je trouvai quantit de gens qui sÕy taient rendus ce bruit. Mr de Guise tait seul et pied, qui me pria de lÕaccompagner jusques lÕhtel de ville avec ce que jÕavais de gens, qui pouvaient tre quarante chevaux : mais comme, dans un tonnement pareil, chacun se joint au plus grand nombre, tous ceux qui couraient perdus par la ville se joignirent nous, de sorte que nous tions plus de trois cents chevaux quand nous arrivmes lÕhtel de ville, o je laissai Mr de Guise avec une partie de cette troupe, et je marchai vers le cimetire Saint-Jean. Puis en sortant pour aller la rue Saint-Antoine, nous rencontrmes Mr de Sully avec quelque quarante chevaux, lequel tant prs de nous, commena, avec une faon plore, de nous dire : Ē Messieurs, si le service que vous aviez vou au roi quÕ notre grand malheur nous venons de perdre, vous est aussi avant empreint en lÕme quÕil le doit tre tous les bons Franais, jurez tout prsentement de conserver la mme fidlit que vous lui avez rendue au roi son fils et successeur, et que vous emploierez votre sang et votre vie pour venger sa mort. Č Ē Monsieur, lui rpondis-je, cÕest nous qui faisons faire ce serment aux autres, et qui nÕavons point besoin dÕexhortateur une chose quoi nous sommes si obligs. Č Je ne sais si ma rponse le surprit, ou sÕil se repentit dÕtre venu si avant hors de son fort ; il partit en mme temps et nous tourna visage, et sÕalla enfermer dans la Bastille, envoyant en mme temps enlever tout le pain quÕil put trouver aux halles et chez les boulangers. Il dpcha aussi en diligence vers Mr de Rohan, son gendre, pour lui faire tourner tte avec six mille Suisses qui taient en Champagne, et dont il tait colonel-gnral, et marcher droit Paris : ce qui fut depuis un des prtextes que lÕon prit pour lÕloigner des affaires ; joint ce quÕil ne put jamais tre persuad par Mrs de Pralain et de Crquy, qui le vinrent semondre de se prsenter au roi comme tous les autres grands, et nÕy vint que le lendemain, que Mr de Guise lui amena avec peine : aprs quoi il contremanda son gendre avec les Suisses, qui sÕtaient dj avancs une journe vers Paris.
Mr dÕEpernon qui, aprs avoir mis lÕordre ncessaire aux gardes franaises devant le Louvre, tait venu baiser la main du roi et de la reine sa mre, fut envoy par elle au parlement, reprsenter que la reine avait des lettres de rgence expdies du feu roi qui pensait partir pour aller en Allemagne ; que son intention avait une autre fois t, lorsquÕil fut si mal Fontainebleau, de la dclarer rgente aprs sa mort ; quÕil lui appartenait plutt quÕ tout autre ; que lÕurgence de lÕaffaire prsente requrait dÕy pourvoir promptement, et quÕil tait du bien de lÕtat quÕils en dlibrassent promptement : ce quÕils firent, et la dclarrent rgente de France pendant la minorit du roi, lequel la reine fit coucher quelques jours en sa chambre, jusques aprs les funrailles du feu roi, quÕil prit son appartement.
Tous les grands et princes prsents tmoignrent lÕenvi leur zle au service du roi, et leur obissance la reine ; et Mr de Nevers, qui lors commandait lÕarme de Champagne, fit prter le serment en leur nom.
Le soir on pansa le corps du roi, et on le lava avec la mme crmonie que sÕil et t en vie : Mr du Maine lui donna sa chemise ; Mr le Grand servit, et lÕon me commanda de servir, et reprsenter la place de Mr de Bouillon.
Le lendemain matin samedi, 15e de mai, tous les princes, ducs, officiers, et autres du conseil, sÕassemblrent au Louvre, o, dÕun commun accord et sans aucune discordance, on ratifia ce qui avait t fait au parlement pour la rgence de la reine ; et pour lÕautoriser davantage, on fut dÕavis de mener le roi aux Augustins, o pour lors se tenait le parlement, auquel lieu, les pairs sants, fut reconfirme la rgence, et le roi, de sa bouche, lÕapprouva : puis il revint au Louvre ; et on mit le corps du feu roi en vue la chambre du trpas, o lÕon lui donna de lÕeau bnite jusques sur les cinq heures du soir quÕil fut ouvert, et je fus ordonn prsent, afin dÕautoriser, avec messieurs les premiers gentilshommes de la chambre, et quatre ou cinq autres, seigneurs ou conseillers dÕtat. Il avait deux coups [qui lui entraient dans le corps], lÕun desquels tait lger, mais lÕautre lui coupait la veine arterieuse : il tait dÕune trs bonne disposition, et nÕavait dans son corps aucune chose qui ne tmoignt une longue vie ; cÕtait le plus pais estomac, au rapport des mdecins et chirurgiens prsents, que lÕon ait vu ; il avait le poumon gauche un peu attach aux ctes. Aprs cela on mit ses entrailles dans un pot, et son cĻur en une caisse de plomb que lÕon porta aux Jsuites, et lÕon embauma son corps qui fut mis au cercueil, et reposa huit ou dix jours dans la mme chambre, y ayant deux autels aux cts, o il se disait des messes tant que le temps le permettait, avec grand nombre de moines, et ses aumniers qui y taient jour et nuit prier. Il y avait aussi des gentilshommes et seigneurs destins, outre les officiers particuliers de sa maison, pour se relever de deux en deux heures, tant de jour que de nuit : il y a une heure principale qui est de dix douze heures du matin, en laquelle Mr le Comte et Mr de Guise, Mr dÕEpernon, Mr le marchal de Laverdin, Mr de Crquy, Saint-Luc, la Rochefoucaut, comte de Gurson, Narmoustiers, Termes et moi tions destins en ce lieu-l que lÕon appelle la chambre du trpas, puis ensuite en la salle de lÕeffigie, et celle du deuil ; mais lors nous y assistions en longs manteaux seulement.
Le mardi 18e Mr le Comte arriva avec quelque deux cents chevaux de ses serviteurs et amis ramasss ; mais comme il trouva toutes les affaires faites, ce fut lui se soumettre la reine, qui ne laissa pas de lui donner le gouvernement de Normandie, que possdait le roi, tant dauphin.
On avisa lors de licencier lÕarme qui tait sur le point dÕentrer en Italie, laquelle on donna un mois de paye aux chefs pour distribuer leurs soldats, non encore tout fait mis sur pied ; et quant celle qui tait en Champagne, on en rserva dix mille hommes de pied, savoir sept mille Franais et trois mille Suisses, pour envoyer Juliers, et on licencia le reste.
En ce mme temps le marquis Botty, qui traitait lÕaccommodement, eut pouvoir dÕoffrir la reine que lÕon mettrait entre mes mains, en dpt, le duch de Juliers, dont je ferais serment lÕempereur, au roi, au roi dÕEspagne, celui dÕAngleterre, et aux Etats ; et que je ne mÕen dessaisirais point quÕavec leur gnral consentement, et aprs que lÕon aurait dcid qui il devrait appartenir. La reine-mre fut trs aise quÕune si noble chose lui ft arrive au commencement de sa rgence, quÕun sien particulier serviteur (car, aprs la mort du roi, elle me retint avec 4000 cus de pension), ft choisi pour lui confier le dpt, et en voulut avoir le consentement du roi dÕAngleterre et des Etats de Hollande : celui-l y consentit volontiers ; mais les Hollandais ne le voulurent faire, et privrent ma bonne fortune dÕun tel avantage qui mÕtait si important.
Toutes les villes et provinces du royaume vinrent lÕenvi aprs la mort du roi, par leurs dputs, saluer le roi, et reconnatre la reine rgente.
Le corps du roi fut port en la salle de parade, ou de lÕeffigie, laquelle fut servie comme si le roi et vcu. Nous la vnmes garder alors avec les longues robes, le chaperon sur lÕpaule, et les bonnets carrs en tte, ce qui dura plus de trois semaines (juin), au bout desquelles lÕeffigie fut te, la salle tendue de noir, et le cercueil dcouvert ; ayant une couverture de velours noir, au lieu du lit, qui tait dessus. Alors nous gardmes le corps avec le caperon en tte ; et le roi vint en grandÕcrmonie jeter de lÕeau bnite sur le corps du roi son pre ; et le lendemain on porta le corps Notre Dame, le jour dÕaprs Saint-Ladre, et de l Saint-Denis, et le subsquent se fit le service et lÕoraison funbre.
Peu de temps aprs les obsques du feu roi, Mr le Prince, qui sÕtait retir Milan, en partit pour venir la cour ; et son arrive, il y eut plus de quinze cents gentilshommes, seigneurs, ou princes, qui lui allrent au-devant (juillet). Il fit dire une messe Saint-Denis pour le feu roi en passant ; puis, en cette grande compagnie, vint faire la rvrence au roi et la reine rgente, qui, peu de jours aprs (aot), lui donna lÕhtel de Gondy, quÕelle acheta quarante mille cus.
Antragues accoucha le 17e dÕaot.
Septembre. Ń Le roi sÕachemina en septembre Reims pour se faire sacrer ; ce qui fut fait le 10e dÕoctobre ; et le lendemain fit la crmonie du Saint-Esprit, en laquelle il fit Mr le Prince chevalier.
Je mÕen allai pendant ce temps-l en Lorraine, o le roi envoya son ambassadeur Mr de Richelieu, visiter le duc de Lorraine.
Madame la comtesse dÕAuvergne sÕen alla en Flandres trouver madame la Princesse sa sĻur, quÕelle ramena Mr le Prince son mari, au retour du sacre.
Je revins la cour (octobre), o le marquis dÕAncre eut querelle contre Mr le Grand, de qui jÕtais ami ; mais la reine me commanda dÕassister le dit marquis dÕAncre, ce que je fis avec nombre de mes amis qui me voulurent accompagner (novembre, dcembre).
Janvier.Ń LÕanne 1611 commena par lÕloignement de Mr de Sully, lequel, par lÕinstance et la brigue des deux princes du sang, fut recul des affaires : on lui ta la surintendance des finances, et la garde du trsor royal, quand et [avec] la Bastille, que la reine prit pour elle, et la donna en garde Mr de Chasteauvieux, et sous lui, un de ses gentilshommes servants, nomm Vansay : on fit trois directeurs pour manier les finances, qui furent Mrs de Chateauneuf, prsidents de Thou et Jeannin ; mais ce dernier on y ajouta la charge de contrleur gnral des finances, ce qui lui en donna lÕentier maniement, lÕexclusion des autres qui assistaient seulement la direction.
On mit sur pied les compagnies de gendarmes et de chevaux lgers du roi pour accompagner Sa Majest lorsquÕelle irait aux champs, chacune compose de deux cents matres ; et celle de gendarmes passa en ce mme temps par la ville de Paris, en trs bel quipage.
Mr le duc de Guise, ds le vivant du feu roi, avait commenc fort secrtement la recherche de madame de Montpensier ; mais il ne sÕosait dcouvrir, parce que le roi y et difficilement consenti. Aprs sa mort, cette affaire se rchauffa, et bien que Mr le Comte et Mr dÕEpernon fissent quelques efforts pour en empcher la perfection, et que madame de Verneuil et fait bruit de certains articles de mariage, nanmoins il se paracheva vers le carme-prenant, en lÕhtel de Montpensier la rue de Grenelle ; qui est maintenant celui de Bellegarde.
Il arriva, trois jours aprs ces noces, que Mr le prince de Conty querella Mr le comte de Soissons son frre, parce que leurs carrosses, en passant, sÕtaient choqus, et leurs carrossiers battus. Mr de Guise, qui la reine avait, le soir mme, command dÕaller trouver Mr le prince de Conty pour assoupir cette noise, partit le lendemain matin de lÕhtel de Montpensier, o il avait couch, pour aller lÕabbaye Saint-Germain o Mr le prince de Conty logeait, et avait avec lui vingt-cinq ou trente chevaux. Il passa par hasard devant lÕhtel de Soissons, qui tait son chemin ; ce qui offensa Mr le Comte, et manda ses amis de le venir trouver, leur disant que Mr de Guise lÕtait venu braver. Alors les amis de Mr de Guise accoururent lÕhtel de Guise en telle foule quÕil sÕy trouva plus de mille gentilshommes. Mr le Comte envoya supplier Mr le Prince de le venir trouver, et ensemble allrent au Louvre demander la reine quÕelle leur fasse raison de lÕinsolence de Mr de Guise. Nanmoins Mr le Prince faisait en cette affaire lÕamiable compositeur, et disait quÕil ne se dclarait point, et que seulement il les voulait accorder, et empcher le dsordre.
Cette brouillerie continua tout ce jour, et le lendemain, auquel la reine, craignant plus grand dsordre, fit commander que les chanes fussent prtes dÕtre tendues au premier commandement, et que, dans les quartiers, on ft prt de prendre les armes au premier ordre quÕelle en enverrait.
Cependant tout le jour suivant fut employ vainement chercher les moyens dÕaccommodement, chacun des deux princes ayant un capitaine des gardes du corps prs de sa personne pour le garder. Le soir Mr le Prince envoya prier Mr de Guise de lui envoyer un de ses amis confidents : Mr de Guise se conseilla avec les princes et seigneurs qui lÕassistaient, du choix quÕil devait faire pour cet envoi ; et enfin, par leurs avis, il me pria dÕy aller.
Je le trouvai chez Mr de Beaumont, en la place Dauphine, et me fit souper avec lui : aprs souper, sÕtant retir en une chambre avec moi, il me commena dire lÕaffection quÕil portait Mr de Guise, lequel il pensait avoir grandement oblig, de se montrer neutre en une affaire o il y allait de lÕintrt de sa maison, de laquelle il tait le premier prince, et par consquent chef aprs la maison royale ; que cela le devait porter, non seulement croire son conseil, mais suivre ses opinions et intentions ; que cependant, cause du grand nombre dÕamis quÕil avait rencontrs en cette occasion, il se tenait fier, voulant traiter du pair avec les princes du sang, qui peuvent tre ses rois et ses matres, et que cela lÕoffensait ; et que, si Mr de Guise nÕacquiesait aux choses quÕil avait proposes pour lÕaccommodement de cette querelle, il se dclarerait ouvertement contre lui et pour Mr le Comte son oncle, ainsi que son devoir lÕobligeait sÕil nÕet t proccup par lÕaffection singulire quÕil avait pour Mr de Guise ; et quÕil me priait de lui rapporter ce quÕil mÕavait dit, et lui faire savoir de plus que, sÕil sÕtait dclar contre lui, les deux-tiers de ceux qui lÕassistaient se retireraient en mme temps pour le venir trouver, comme ils lui avaient la plupart fait dire.
Je lui dis que jÕtais venu le trouver seulement pour couter ce quÕil lui plairait de me dire, et le rapporter ensuite Mr de Guise en mmes termes que je lÕaurais entendu, quoi je ne manquerais pas, mÕoffrant de plus de lui en venir rapporter la rponse ; et lors je me tus.
Mr le Prince, qui aime que lÕon lui rponde et conteste ses opinions, afin de les fortifier de raisons, comme cÕest en vrit le plus habile et capable prince que jÕaie jamais pratiqu, me dit de plus : Ē Venez , Monsieur de Bassompierre ; nÕai-je pas raison de mander cela Mr de Guise, et de me retirer de lui, et lÕabandonner, sÕil ne veut suivre mes conseils et avis, et garder le respect biensant, et d aux princes du sang ? Č
Ē Monsieur, lui rpondis je, personne ne vous peut donner conseil sans faire un acte dÕarrogance et de prsomption ; car vous tes si habile et capable, quÕil ne se peut rien ajouter ce que vous dites, ou proposez. Nanmoins, puisque vous me commandez de vous parler franchement, je le ferai avec le respect et la soumission que je dois, et vous dirai que ce singulier effet dÕamiti que vous dites avoir fait paratre Mr de Guise, ne mÕa pas beaucoup apparu en cette occasion, et moins encore cette neutralit que vous me proposez. Car il ne sÕest fait que la seule action dÕaller trouver la reine pour lui demander justice de Mr de Guise, en laquelle vous tes venu trouver Mr le Comte en son logis pour lui accompagner ; vous lÕavez prsent, et avez comme souscrit la requte : vous avez t plusieurs fois trouver Mr le Comte, et vous nÕavez pas mis le pied dans lÕhtel de Guise. Vous me direz peut-tre que Mr le Comte est votre oncle ; aussi lÕest bien Mr le prince de Conty, et an de Mr le Comte ; qui est venu loger lÕhtel de Guise, qui est celui qui a la querelle avec son frre, et non Mr de Guise qui, non dessein (comme il est prt dÕaffirmer), mais parce que cÕtait son chemin ; non avec ostentation, car il nÕavait que ses domestiques, a pass, non devant la porte, mais un coin du logis de Mr le Comte : qui est tout ce en quoi il a pu contrevenir au respect quÕil doit aux princes du sang, lequel il gardera toujours, jusques ce que son honneur nÕy soit point engag, ni sa personne outrage. Č
Ē Que Mr de Guise tiendra toujours honneur que Mr le Prince se mle de lÕaccommodement, et le tient si juste quÕil ne voudra rien proposer qui puisse nuire, ou offenser Mr de Guise, lequel ne doit faire aucune satisfaction, puisquÕil nÕa fait aucune offense ; que cÕest Mr le prince de Conty, et non lui, qui a la querelle ; que si le passage proche dÕun coin de la maison de Mr le Comte lui a donn de lÕombrage, Mr de Guise affirmera que sans dessein (quÕil serait bien marri dÕavoir eu), il a pass devant lÕhtel de Mr le Comte, quÕil respecte, et qui il veut tre trs humble serviteur tant quÕil lui fera lÕhonneur de lÕaimer, et que lÕintrt de Mr le prince de Conty ne lÕen empchera point ; mais que, de le supplier de lÕexcuser de quoi il a t dans une rue libre et passante, de ce quÕil a march par la ville avec son train ordinaire, et de ce quÕil assistera toujours Mr le prince de Conty, son beau-frre, contre lui, quÕil ne le fera jamais ; quÕil nÕanimera point Mr le prince de Conty contre lui ; mais quand il le sera jusques la brouillerie, quÕil lÕassistera toujours de sa personne et de ses amis, lesquels, en cette prsente querelle, il nÕavait mendis ni pratiqus : lui pouvant assurer que, quand je le vins trouver (sur ce que plusieurs qui dnaient chez moi, et mon beau-frre de Saint-Luc entre autres, avaient t mands pour venir trouver Mr le Comte), je ne trouvai pas quatre gentilshommes en lÕhtel de Guise outre ses domestiques, et que la grande foule (qui y vint depuis), y a t porte franchement et sans recherche ; et tiens les amis de Mr de Guise, qui lÕassistent prsentement, si affectionns lui et si fidles, quÕaucune considration particulire ne les pourra pas branler du dessein que si franchement et volontairement ils ont dj embrass : que finalement Mr de Guise se confiera en Mr le Prince en tout ce o son honneur ne sera point engag et touch, et quÕil achterait lÕhonneur des bonnes grces de Mr le Prince au plus haut prix quÕelles se pourront acqurir ; mais quÕil me permette de lui dire aussi que lÕamiti et le service dÕun tel prince comme Mr de Guise ne doit point tre maintenant nglige par Mr le Prince, qui il a fait voir, par ce petit chantillon, de quelle suite et nombre dÕamis il le pourrait un jour assister et servir ; et que, pour mon particulier, je lui suppliais trs humblement de me pardonner si, en excutant son commandement, je lui avais parl avec tant de franchise et de libert. Č
Il me rpondit quÕil avait trouv bon, et fort bien pris ce que je lui avais dit, et quÕune grande partie tait considrer ; mais quÕil fallait aussi que les amis de Mr de Guise, et ceux auxquels il avait croyance, fomentassent plutt lÕaccommodement que la discorde, laquelle, enfin, leur pouvait beaucoup plus nuire que profiter ; que nous avions dj oblig Mr de Guise par notre assistance ; que nous nous en devions contenter, et concourir lÕaccord : ce que je lui assurai que non seulement moi, qui tais en petite considration parmi tant de princes, ducs, et officiers, qui lÕassistaient, mais que tous ceux quÕil tenait en quelque estime, et dont il se conseillait en cette affaire, conspiraient lÕaccord, et sÕy portaient entirement.
Lors, il me licencia, me priant de cooprer, en tout ce que je pourrais, en cet accord, et quÕil me remettrait bien ensuite avec Mr le Comte ; dont je le remerciai trs humblement. Je pris donc cong de lui, et, en partant, il me dit que le marquis de Narmoustier, et plusieurs autres qui assistaient Mr de Guise, lui avaient fait dire que quand il se dclarerait contre lui, quÕils lÕabandonneraient, et quÕil ne les avait pas voulu empcher de lÕaller trouver. Je lui rpondis en riant : Ē Monsieur, quand le marquis de Narmoustier, et ces autres que vous dites, auraient abandonn la cour de lÕhtel de Guise, lÕherbe nÕy crotrait pas pour cela ; mais il faut les accorder, et je mÕassure, Monsieur, que du ct de Mr de Guise, la difficult nÕen viendra point, pourvu que lÕon ne veuille de lui que choses raisonnables. Č
Sur cela je mÕen retournai lÕhtel de Guise, o je fis mon rcit de ce que lÕon mÕavait dit, et de ce que jÕavais rpondu, que lÕon trouva bon ; et le lendemain, aprs plusieurs alles et venues, lÕaccord fut fait, et Mr du Maine parla pour et au nom de Mr de Guise.
La mort du roi empcha la foire de Saint-Germain ; mais on permit aux marchands trangers qui y taient venus, de vendre aux halles des Tuileries, o les rendez-vous se donnrent comme on et fait la foire.
Mr le Comte fut mortellement offens contre ceux qui avaient assist Mr de Guise en sa querelle, mais particulirement contre moi, qui faisais profession auparavant dÕtre son serviteur, et parce que jÕavais fait les alles et venues, et contestations sur le fait de leur accord : pour sÕen venger, il voulut que je ne visse plus Antragues, et fit dire son pre, et ses frres et mre, que je dshonorais leur maison par ma longue frquentation avec sa fille, et leur sĻur ; que leur tant alli en quelque sorte, il y prenait intrt, et ayant envoy qurir madame dÕAntragues, lui en parla en la mme faon.
Or quand, lÕt prcdent, madame dÕAntragues sÕavisa de la grossesse de sa fille, elle la chassa de son logis ; et elle, mÕayant fait prier de lui donner une promesse de mariage pour apaiser sa mre, elle mÕoffrit toutes les contre-promesses que je dsirerais dÕelle, et que ce quÕelle en dsirait tait pour pouvoir accoucher en paix et avec son aide. Je fus consulter Mrs Chauvelin, Boutheillier, et Arnaut, fameux avocats, lesquels me dirent quÕune obligation qui avait une quittance tait de nul effet ; que nanmoins cÕtait toujours le meilleur de nÕen point faire : mais comme je dsirais de lui complaire, je la lui donnai ; et elle moi, diverses lettres par lesquelles elle la dclarait nulle. Mais la mre qui avait vu la promesse, et non les lettres de nullit dÕicelle, dit lors Mr le Comte quÕelle nÕtait pas si mal habile quÕil pensait, et quÕelle tait bien assure de son fait : sur quoi Mr le Comte la pressant, elle lui dit quÕelle avait une promesse de mariage de moi sa fille, qui jÕavais fait un enfant. Alors Mr le Comte, bien aise dÕavoir trouv occasion de me pouvoir nuire, lui assura de sa protection, et lui pria de suivre son conseil en cette affaire, de laquelle il lui promettait de la faire heureusement sortir.
Cette femme folle, pour satisfaire la colre de Mr le Comte, se remit du tout entre ses mains ; et lui, la conseilla de me presser dÕexcuter cette affaire, et, en cas de refus, de me faire citer par devant lÕofficial. Elle ne manqua pas au premier prcepte ; et moi mÕtant moqu de cette demande, et lui ayant fait parler rudement par Richelieu que je lui envoyai, elle mÕenvoya citer environ quinze jours devant Pques. JÕavais reu une minute auparavant une lettre qui mÕavait extrmement rjoui, et rentrais en mon logis quand un appariteur me donna cette citation, et plusieurs autres personnes ensuite des requtes pour leur donner quelque chose : je pensais que ce billet ft du nombre et de la qualit de celles-l, que je mis dans ma poche avec les autres, et fus deux jours sans savoir ce que cÕtait, jusques ce quÕayant donn plusieurs papiers un secrtaire pour voir ce que cÕtait, il vit cette citation, et me lÕapporta.
Je reconnus bientt la main qui mÕavait jet cette pierre, et Mr le Comte publia hautement quÕil me mettrait en un tat auquel je prirais, ou mon honneur. JÕassemblai conseil de mes avocats pour savoir comment je me devais comporter en cette occurrence, lesquels furent unanimement dÕavis que je ne pouvais ni ne devais en justice rien craindre, mais quÕun si puissant ennemi que Mr le Comte, qui lÕentreprenait, tait fort redouter, et quÕils me conseillaient que je tirasse lÕaffaire de longue, jusques ce que le temps me fut favorable. La reine se dclara ouvertement pour moi, et tout ce que jÕavais besoin de son assistance, elle me fit la grce de lÕemployer en ma faveur. Je mÕen vins donc Fontainebleau, dlayant [diffrant] les rassignations pour comparatre devant lÕofficial de Paris, et quand je ne pus plus, jÕappelai de tout ce quÕil procdait, Sens.
Avril. Ń Comme nous tions Fontainebleau, le samedi saint, aprs avoir fait mes pques, le marquis Spinola arriva, et la reine me commanda de le recevoir et traiter, ce que je fis, et lui donnai dner ; puis il passa outre pour sÕacheminer en Espagne, et moi, jÕallais cependant battre la campagne ; puis je revins Paris sur une proposition dÕaccord que lÕon me voulait faire faire avec Antragues, quoi je ne me voulus accorder.
Aprs Pques, tous les princes tant Fontainebleau, la reine faisait jouer la prime avec elle Mr le Comte, Mr de Guise, et Mr dÕEpernon, tachant de les rapprivoiser ensemble ; je jouais aussi en cette partie, et fort grand jeu : mais peu aprs Mr le Comte partit pour aller en Normandie, et Mr le Prince en Guyenne ; mesdames les princesses vinrent prendre cong de la reine (mai), puis sÕy acheminrent aussi.
Les Morisques qui sÕtaient, du temps du feu roi, adresss Mr de la Force, avec offre de se rebeller en Espagne, si le roi leur voulait faire surgir, en des ctes quÕils proposaient, quatre navires chargs dÕarmes pour les armer, et les assister de quatre mille hommes avec Mr de la Force pour les commander ; lÕentreprise ayant, tt aprs sa mort, t dcouverte, le secrtaire de Mr de la Force pendu Saragosse, qui la tramait ; les Morisques furent cette anne-l entirement chasss dÕEspagne.
LÕassemble de ceux de la religion se tint lors Saumur, l o Mr de Bouillon fit le partisan de la reine contre Mrs de Rohan et de Sully qui voulaient manier lÕassemble. On fit commandement Schomberg de se retirer Nanteuil tant que lÕassemble durerait (juin-juillet-aot). Il tait lors amoureux, et sa matresse arrivait, dont Mr de Reims tait lors favoris : je le cachai chez moi, o il demeura quatre jours, et le rappointai avec sa matresse.
Je commenai aussi lors une amour laquelle jÕtais bien pre ; aussi lÕaffaire le valait.
Septembre. Ń Nous retournmes sur lÕautomne Fontainebleau avec toute la cour. Il y faisait fort beau ; car la reine allait la chasse cheval, accompagne des dames et princesses aussi cheval, et suivie de quatre ou cinq cents gentilshommes ou princes. Madame la princesse de Conty tomba de dessus sa haquene, et se blessa (octobre).
Madame la duchesse de Lorraine, nice de la reine, la vint trouver Fontainebleau : la reine alla au-devant dÕelle, et la reut en grand apparat ; et puis, vers la Toussaints, la cour revint Paris, o Mr le Prince et Mr le Comte revinrent aussi de leurs gouvernements (novembre).
La reine alla Saint-Germain sur le sujet de la maladie de Mr le duc dÕOrlans, son second fils, qui mourut deux jours aprs, savoir le 16me novembre : toute la cour en prit le deuil ; et madame de Lorraine sÕen retourna (dcembre). Voil o finit cette anne.
Janvier.Ń Au commencement de celle de 1612 jÕappelai, comme dÕabus, des procdures des officiaux de Sens et de Paris, et y fus reu, et renvoy au parlement de Paris, duquel je demandai vocation cause des parentles de Mr de Gi, ce que jÕobtins ; mais Mr le Comte me fit par force donner le parlement de Rouen, que jÕapprhendais sur toutes choses, parce quÕil en tait gouverneur : nanmoins il en fallut passer par l.
Ce mme mois, un gentilhomme de Berry, nomm Vattan, pour quelque rbellion justice, fut attaqu et pris dans sa maison par quatre compagnies des gardes, men Paris, excut en Grve au mme jour que Mr le Grand y arriva bien accompagn, et que tant de gens allrent au-devant de lui, quÕil avait plus de mille chevaux son entre.
Fvrier. Ń Cependant la foire de Saint-Germain se tint, et le carme-prenant approchant, la reine, qui tait encore en son second deuil, nÕosait faire des assembles, et toutefois se voulait rjouir, nous commanda, Mr de Vendme, Mr de Chevreuse, et moi, de lui faire des ballets tous les dimanches ; ce que nous fmes, partageant les frais entre nous trois. Le premier se dansa en la chambre de madame la princesse de Conty, qui donna souper la reine, o il nÕy avait que les dames mandes et des princes, comme Mr de Guise, de Nevers, de Reims, et quelques seigneurs particuliers, le voir danser ; et au sortir du Louvre, nous lÕallions ensuite danser la ville : le second fut en lÕappartement de madame de Vendme, o madame de Mercure festina la reine ; le troisime chez madame de Guise, qui lui donna souper en sa chambre ; et le quatrime et dernier chez madame de Guercheville, sa dame dÕhonneur.
Les doubles mariages entre France et Espagne se conclurent lors, et fut concert un jour entre les parties, auquel on le dclarerait par ftes et rjouissances publiques, qui fut le...... Pour cet effet la reine, qui a surpass en grandeur de courage, magnificence et gnrosit, toutes les autres princesses du monde, voulut faire faire quelque fte excellente qui passt de beaucoup celle des Espagnols. Elle commanda Mr de Guise, Mr de Nevers, et moi, dÕtre tenants, et nous donna le camp, croyant bien que, puisquÕelle commettait cette affaire en nos mains, nous nÕpargnerions rien pour la rendre parfaite, comme elle le fut aussi. Elle entreprit de faire unir et parfaire la Place Royale dans le temps quÕil y avait jusques au jour de la fte, et fit mettre sur le grand bastion cent canons et deux cents boites pour faire les salves, et ordonna monsieur le conntable et quatre marchaux de France de donner lÕordre ncessaire, de nous ouvrir le camp, et dÕtre les juges du tournoi : elle commanda Mr dÕEpernon de border les barrires avec mille mousquetaires du rgiment des gardes et cinq cents Suisses : elle fit partager les places des chafauds, et les fentres des maisons de la dite Place Royale par le grand marchal des logis, et fit donner quartier, tant aux tenants quÕaux assaillants, aux rues prochaines, tant pour leurs personnes et quipages que pour leurs machines. La fte se publia en grande magnificence, trois semaines devant, par toutes les principales places de Paris, o un nombre infini de personnes se trouva pour la voir.
La mort de Mr le duc Vincence de Mantoue, dont la nouvelle arriva cinq jours aprs que la fte fut publie, pensa tout renverser ; car il tait beau-frre de la reine, et chef de la maison de Mr de Nevers, qui, pour cette cause, nous dit quÕil ne pouvait tre tenant de la fte avec nous : ce quÕayant su, Mr de Chevreuse me pria de lui donner mon consentement pour prendre la place de Mr de Nevers, sÕassurant quÕil aurait de bon cĻur celui de Mr de Guise son frre ; ce que je lui promis : et en mme temps Chastaigneraye, qui tait capitaine des gardes du corps de la reine, lequel sÕtait, cette anne-l, mari Mlle de Lomenie, qui tait fille dÕhonneur de la reine, demanda Mr de Guise que, suivant lÕancienne coutume, comme le mari de lÕanne une fille de la cour, il ft prfr tre tenant, puisquÕil y vaquait une place par la retraite de Mr de Nevers ; ce que Mr de Guise lui promit en cas que jÕy consentisse. Mais nous nous tions dj tous deux diversement engags, et Mr de Joinville tant venu parler son frre, [il] lui dit quÕil avait donn sa parole Mr de la Chastaigneraye, comme je dis aussi la Chastaigneraye que jÕtais engag Mr de Joinville ; de sorte que nous primes pour expdient de les recevoir tous deux : et deux ou trois jours aprs, Mr de Nevers, qui ne pouvait souffrir quÕune si belle fte se passt sans lui, nous vint dire que, puisque la reine, qui tait la belle-sĻur du duc de Mantoue dcd, voulait bien tre la fte, lui qui nÕtait que le cousin remu de germain, pouvait bien tre tenant, et nous priait de le reprendre de notre bande ; de faon que nous fmes cinq tenants.
Il nÕy eut jamais un carme si beau dans Paris que fut celui-l ; car depuis neuf heures du matin jusques midi, et depuis trois heures jusques six aprs dner, il y avait toujours vingt ou trente gendarmes qui rompaient en lice, o couraient la bague ou la quintaine, et un chacun tait tellement occup faire faire des diverses machines, et le peuple les venir voir, que cÕtait un continuel divertissement.
Enfin le ... de mars, trois heures aprs midi, les reines, princesses et dames, ayant pris place aux chafauds, outre lesquels il y en avait tout lÕentour de la Place Royale, depuis le premier tage jusques au pav, et deux cent mille spectateurs ; aprs que les canons et boites qui taient sur le bastion eurent fait un salve, lequel fini, les mille mousquetaires qui fermaient la place avec les barrires, en firent un autre trs beau, Mr de Pralain, marchal de camp des tenants, sortit du palais de la Flicit, dans lequel on oyait toutes sortes de musiques : il tait trs bien mont et par, suivi de douze estafiers habills de velours noir, tout bands de passement dÕor ; lequel vint de notre part demander monsieur le conntable (qui tait en un chafaud particulier avec Mrs les marchaux de Bouillon, de la Chastre, de Brissac, et de Souvr), le camp quÕil nous avait promis. Messieurs les conntable et marchaux descendirent, et vinrent devant lÕchafaud du roi et de la reine, et monsieur le conntable dit la reine : Ē Madame, les tenants me demandent le camp que je leur ai ci-devant promis par lÕordre de Votre Majest. Č La reine lui dit : Ē Monsieur, donnez-leur. Č Alors monsieur le conntable dit Mr de Pralain : Ē Prenez-le ; le roi et la reine vous lÕaccordent. Č Alors il revint nous, et le palais fut ouvert de la grande porte, qui tait vis vis de celle des Minimes, et nous entrmes, prcds de tout notre quipage, chariots dÕarmes, machines, gants, et autres choses si belles, quÕil nÕest pas possible de les pouvoir assez bien reprsenter par crit : seulement dirai-je quÕil y avait, en notre seule entre des tenants, prs de cinq cents personnes et deux cents chevaux, tous habills et caparaonns de velours incarnat et de toile dÕargent blanche, et nos habillements, en broderie, si riches quÕil ne se pouvait davantage : notre entre cota aux cinq tenants cinquante mille cus. Aprs nous entrrent les troupes, de Mr le prince de Conty, celle de Mr de Vendme, qui dansrent un ballet cheval, fort beau ; Mr de Montmorency, qui entra seul ; et Mrs le comte dÕAyen et le baron dÕUcelles sous les noms dÕAmadis et de Galaor. Nous courmes contre tous ces assaillants : puis, la nuit sÕapprochant, la fte fut spare par un nouveau salve de canonnades et boites, suivi aussi de celui des mille mousquetaires ; et la nuit venue, il y eut le plus beau feu dÕartifice sur le chteau de la Flicit, qui se soit encore fait en France.
Le lendemain, deux heures, nous rentrmes, en la mme sorte que le premier jour, dans le camp, et les troupes, de Mr de Longueville qui entra seul, des Nymphes, des chevaliers de la Fidlit, celle dÕEffiat et Arnaut, et la dernire des douze Csars, lesquelles coururent toutes : et puis, mmes salves, et mmes feux dÕartifice que le jour prcdent, ayant t faits ; parce que le peuple innombrable de Paris nÕavait pu voir cette fte, nous partmes tous, chaque troupe comme elle tait entre, avec son quipage et machines, et celle des tenants la dernire, et sortant par le portail de la Place Royale qui va en la rue Saint-Antoine, nous allmes le long de la dite rue jusques au cimetire Saint-Jean ; puis, passant par les rues de la Verrerie et Pourpointerie, entrmes en celle de Saint-Denis, et prenant main gauche, vnmes au pont Notre-Dame, o les reines taient venues pour voir passer la fte ; et nous, en sortant du petit Chatelet, entrant en la rue de la Harpe, vnmes descendre vers le Pont-Neuf, lequel pass, chacun se spara.
Le lendemain nous revnmes tous arms, en fort bel quipage, courre la bague que donna Madame, qui tait destine tre princesse dÕEspagne, laquelle bague Rouillac gagna.
Avril. Ń La cour sÕen vint passer Pques Fontainebleau o, un peu aprs, arrivrent le marquis Spinola, le comte de Buquois et don Rodrigo Calderon, favori du duc de Lerme (mai). La reine me commanda de les recevoir de sa part, ce que je fis ; et furent dfrays aux dpens du roi pendant leur sjour Fontainebleau ; dÕo en partant, je les menai Paris, et, en passant, leur fis festin Essonne, et deux autres fort somptueux Paris.
Juin. Ń Monsieur le conntable prit cong du roi, de la reine, et de ses amis, bientt aprs, pour sÕen aller mourir en Languedoc : nous le fmes conduire Moret o il nous festina, et aprs nous dit adieu, ses principaux amis, avec tant de larmes que nous pensions quÕil mourrait en ce lieu-l. CÕtait un bon et noble seigneur, et qui mÕaimait comme si jÕeusse t son propre fils : jÕai grande obligation dÕhonorer sa mmoire.
Juillet. Ń Mr du Maine partit aussi de Fontainebleau pour sÕacheminer en ambassade extraordinaire en Espagne, pour les fianailles doubles des prince et princesse dÕEspagne avec Madame et le roi ; et en mme temps partit aussi dÕEspagne, pour venir en France ce mme effet, le duc de Pastrane, qui fit son entre Paris en mme temps que lui la fit Madrid, comme aussi en mme jour se fit la crmonie de lÕune et de lÕautre (aot). Mr de Guise eut charge de lÕamener lÕaudience, et nous tous de lÕaccompagner, en si bel quipage que je mÕassure que les Franais ne le furent pas de mme en Espagne. Le jour de la crmonie Mr de Nevers eut quelque dml avec Mr le prince de Conty ; mais cela sÕaccommoda sur lÕheure.
Le duc de Pastrane sÕen retourna aprs avoir achev ce pourquoi il tait venu en France ; et peu aprs (octobre) advint cette accusation que lÕon voulut faire Mr le Grand dÕavoir eu quelque pratique avec un magicien.
Mr de Fervaques, marchal de France, et lieutenant-gnral en Normandie, tait en trs mauvaise intelligence avec Mr le Comte : il vint Paris et sÕaccompagna de trois cents gentilshommes, pour se mettre en tat de nÕtre pas surpris par le dit seigneur. Je le servis et assistai aussi de ma personne et de mes amis, tant quÕil fut Paris, ce qui rengregea [augmenta] la haine que le dit comte avait dj contre moi.
Peu de jours aprs, je pris cong de la cour pour mÕen aller en Lorraine ; mais en effet je demeurai cach Paris, o je demeurai, ou la campagne, prs dÕun mois, y passer divinement bien mon temps, et mieux que je nÕai fait de ma vie depuis. Enfin je mÕen allai en Lorraine, o le lendemain (novembre) je reus une lettre que la reine me fit lÕhonneur de mÕcrire, par laquelle elle me mandait la mort de feu Mr le Comte, et me commandait de la venir trouver aussitt, ce que je fis, et arrivai le jour du baptme de Mr le Comte, fils du dernier mort. Je saluai la reine lÕhtel de Soissons, o elle tait lors avec une trs grande et belle compagnie, de qui je fus bien vu et reu.
En ce temps-l la face de la cour changea entirement ; car il se fit une troite union de Mr le Prince, Mrs de Nevers, du Maine, de Bouillon, et du marquis dÕAncre, et la reine se jeta entirement de ce ct-l. Les ministres furent discrdits, et nÕavaient plus de pouvoir, et tout se faisait selon le dsir de ces cinq personnages, lesquels, par le moyen du marquis dÕAncre qui tait lors mon intime ami, et du baron de Luz lequel jÕavais deux mois auparavant remis bien avec la reine, ils me voulurent aimer et favoriser. Mrs de Guise, dÕEpernon, de Joinville, et grand cuyer, furent fort reculs.
Dcembre. Ń Mr le Grand, en ce mois, mand de venir la cour par Mrs de Guise et dÕEpernon, pour fortifier leur parti chancelant, comme il sÕy acheminait, la reine envoya Descures au devant de lui Villeneuve-la-Guier, qui lui dfendit de sa part de venir Paris, ce qui le fit en mme temps retourner en son gouvernement de Bourgogne.
On parla de faire dix chevaliers de Saint-Esprit, quatre princes et six gentilshommes, dont je devais tre lÕun : mais Mr le Prince voulant augmenter ce nombre de deux qui ne plaisaient pas la reine, elle aima mieux rompre la crmonie que de les y admettre. Ainsi nous nÕemes point lÕordre. Si eus bien moi celui de lÕaccolade le samedi 28me de dcembre, et finis mon anne avec cette bonne bouche.
Janvier.Ń Celle de 1613 commena par la mort du baron de Luz, tu le 5me de janvier midi, en la rue Saint-Honor, par Mr le chevalier de Guise ; dont la reine fut extraordinairement courrouce. JÕallai en mme temps au Louvre o je la trouvai pleurant, ayant envoy qurir les princes et les ministres, pour tenir conseil sur cette affaire quÕelle avait infiniment cĻur. Elle me dit lors : Ē Vous voyez, Bassompierre, en quelle faon on sÕadresse moi, et le brave procd de tuer un vieil homme, sans dfense, ni sans dire gare. Mais ce sont des tours de la maison : cÕest une copie de Saint-Paul. Č Je lui dis que je serais fort tromp si Mr le chevalier de Guise faisait une lche action, et que peut-tre que, quand la reine aurait su lÕentire vrit, lÕaffaire ne se serait pas passe si crment ; que nanmoins je nÕen savais autre chose que ce qui sÕen venait de dire ; que jÕtais trs marri que Mr le chevalier eut offens Sa Majest, et encore davantage quÕavec lÕoffense le baron de Luz y fut pri, qui tait mon ami et un trs habile homme, qui servait Sa Majest avec satisfaction du service quÕil rendait.
Alors le conseil fut assembl dans lÕentresol, o jÕaidai descendre la reine, me rencontrant prs dÕelle. On murmura fort de cette action, et chacun fut scandalis de ce que lÕon vint dire quÕil y avait grand nombre de noblesse assemble lÕhtel de Guise, et que Mr de Guise devait venir trouver la reine bien accompagn. Sur cela on conseilla la reine dÕenvoyer Mr de Chasteauvieux trouver mon dit sieur de Guise, lui dfendre de venir trouver la reine jusques ce quÕelle lui mandt, et commander, de la part de Sa Majest, toute la noblesse qui tait alle chez lui, de se retirer. Mr Dolet qui tait prsent, dit lors : Ē Madame, demandez aussi avis en cas que, contre votre commandement, Mr de Guise vienne vous trouver, ce que vous aurez faire. Č Alors Mr de Bouillon dit quÕil nÕaurait garde de le faire ; mais en cas quÕil le ft, quÕil le faudrait arrter. Mr de Chasteauvieux fit ce qui lui tait ordonn, et dit au retour que quelques-uns avaient un peu fait les difficiles de se retirer, et que Mr de Guise leur avait fait instance de sortir, puisque la reine le commandait : et comme on lui demanda qui taient ces difficiles, il en nomma trois ou quatre, et entre autres Mr de la Rochefoucaut ; alors on anima la reine contre lui qui, moins que les autres (tant matre de la garde robe du roi), devait avoir fait refus dÕobir, et sur cela il fut rsolu de le chasser de la cour. Il fut aussi rsolu que le parlement serait saisi de cette affaire, et que lÕon en informerait.
La reine fut aucunement rapaise par la prompte obissance de Mr de Guise, et de ce que le chevalier tant venu, aprs avoir tu le baron de Luz, lÕhtel de Guise, Mr de Guise lÕen avait fait sortir, et tenir la campagne. Cela me fit enhardir de dire la reine que Mr de Guise mÕavait fait prier de savoir dÕelle quand et en quelle faon il pourrait venir trouver Sa Majest, laquelle me dit : Ē QuÕil y vienne lÕentre de la nuit, et sans se faire accompagner. Č Je pris de l occasion de lÕaller trouver, tant pour lui dire que pour lÕamener ; et il parla la reine avec tant de soumissions et de respects quÕil la remit un peu : mais madame de Guise sa mre, venant voir la reine aprs quÕelle fut retire, lui parla si haut quÕelle la fcha de nouveau.
Nous allmes faire nos Rois chez Mr de Bthune, et il nÕy eut, cause de cet accident, aucune rjouissance au Louvre, bien que la reine sÕy ft prpare.
Le lendemain, Mr de la Rochefoucaut eut commandement de sÕen aller, ce qui affligea fort Mr de Guise, et en parla la reine, qui lui refusa. Il en parla ensuite au marquis dÕAncre, qui lui dit quÕil nÕoserait en ouvrir la bouche, et que Mr le Prince serait plus propre de faire cette affaire quÕaucun autre. Cela mit en lÕesprit de Mr de Guise de se mettre bien avec Mr le Prince et ces autres messieurs qui taient en crdit : quoi il nÕeut gure de peine de parvenir ; car ds que lÕon pressentit quÕil tait anim contre la reine, ces messieurs le firent rechercher. Pendant cette pratique, Mr le marquis dÕAncre, qui la fomentait, fut encore pri par lui dÕintercder pour le rappel du comte de la Rochefoucaut ; mais il lui dit que jÕen parlasse de sa part la reine, et quÕil appuierait mon discours : ce que je fis par plusieurs fois, tant devant le dit marquis quÕen son absence.
Cependant lÕaccommodement de Mr de Guise avec Mr le Prince sÕachevait, et Mr de Guise me pria de ne parler plus la reine de la Rochefoucaut, parce que Mr le Prince lui avait promis de le faire rappeler, avec lequel Mr de Guise me dit quÕil se mettrait lÕavenir si bien que, quand la reine serait fche contre lui, ce ne seraient plus les verges avec lesquelles elle le fouetterait.
Or, Mr le Prince et ces messieurs (tenant Mr de Guise en leur dvotion, et Mr dÕEpernon traitant aussi avec eux pour sÕy runir, les ministres ayant t dcrdits), crurent avoir empit toute lÕautorit, et commencrent penser leur tablissement. Ils commencrent par la demande du Chteau-Trompette pour Mr le Prince, disant quÕil nÕtait pas raisonnable que, dans la ville capitale du gouvernement dÕun premier prince du sang, il y et une citadelle qui ne dpendt de lui. On fit premirement courir le bruit par la cour, que la reine lui avait donn cette capitainerie, pour voir comme cela serait pris, et pour disposer la chose, comme de tous ces derniers temps on en a ainsi us, de faire prvenir par des bruits les choses que lÕon a envie de faire. La reine fut avertie de ce bruit, et mme on lui dit que lÕon lui voulait demander cette place ; mais elle crut que ceux qui lui disaient, le faisaient dessein dÕaliner lÕaffection quÕelle portait ces cinq personnages ligus et troitement unis ensemble, de son consentement, pour son service.
Enfin un matin, 11me de janvier, Mr de Bouillon ayant feint que la goutte lÕavait pris un pied la nuit prcdente, pour faire rompre cette glace quelque autre quÕ lui, Mr de Nevers, accompagn de Mr du Maine et du marquis dÕAncre, lui dit que Mr le Prince, qui sÕtait li si troitement son service quÕil en avait abandonn toutes sortes dÕintrts, mritait bien que la reine en et une particulire reconnaissance, et quÕil appart par ses bienfaits combien ses services lui taient agrables ; que pour ce sujet, il les avait pris de lui venir demander la capitainerie du Chteau-Trompette, avec une ferme assurance de nÕen tre point refus par Sa Majest, laquelle lui, parlant, et ses deux adjoints, conseillaient dÕaccorder de bonne grce et franchement une chose si lgitime et de si petite consquence ; que le dlai de son consentement quipollerait [quivaudrait], voire serait pire quÕun refus, et qui toucherait vivement Mr le Prince.
La reine, surprise de cette harangue, rougit dÕabord, puis ne leur rpondit autre chose, sinon quÕelle y aviserait : et comme ils lui repartirent quÕils lui suppliaient trs humblement, par une rponse absolue, de tirer Mr le Prince de lÕimpatience o il tait en cette attente, elle leur redit encore quÕelle y aviserait, et se leva du sige o elle tait dans le cabinet du conseil, et sÕen vint au sien, pleine de colre et de dpit ; et aprs avoir un peu rv, se tournant devers ces messieurs, qui lÕavaient suivie, leur dit : Ē Je sais une affaire dÕamour de Bassompierre, quÕil ne pense pas que je sache, et qui le mettrait bien en peine sÕil le savait. Č Mr de Nevers lui dit : Ē Madame, il lui faut dire. Č Puis me faisant signe, il me dit : Ē La reine a vous dire quelque chose ; Č et la reine ayant dit : Ē Non, non, je ne lui dirai pas, Č cela me mit en peine, et me fit instament supplier la reine de me le vouloir dire. Alors elle sÕen alla la seconde fentre de son cabinet, et me dit :Ē Ce nÕest pas pour cela que je vous veux parler, mais pour vous demander si Mr de Guise ne vous parle plus du retour du comte de la Rochefoucaut. Č Je lui dis : Ē Madame, il y a trois jours quÕil ne mÕen a parl ; et lors il me pria de nÕen faire plus dÕinstance Votre Majest, me disant quÕil ferait cette affaire-l par le moyen de Mr le Prince, avec lequel il se mettrait dsormais si bien, que ce ne seraient plus les verges avec lesquelles vous le fouetteriez quand vous seriez fche lui ; et quÕil pensait quÕil ne pouvait faillir de suivre le parti de Mr le Prince, puisque Mr le marquis dÕAncre, votre crature, le suivait. Č
Lors la reine ne se put tenir de jeter quatre ou cinq larmes, se tournant devers la fentre, pour nÕtre aperue pleurer ; et, ce que je nÕavais jamais vu, elles ne coulrent point, comme quand on a accoutum de pleurer, mais se dardrent hors des yeux sans descendre sur les joues. Elle me dit ensuite : Ē Ah ! Bassompierre, ces mchants mÕont fait quitter ces princes et les mpriser, mÕont fait aussi abandonner et ngliger les ministres, et puis, me voyant dnue dÕassistance, veulent empiter mon autorit, et me ruiner : voil quÕils me viennent insolemment de demander le Chteau-Trompette pour Mr le Prince, et ne sont pas pour en demeurer l ; mais si je puis, je les en empcherai bien. Č Je lui dis lors : Ē Madame, ne vous affligez pas : quand vous voudrez, je mÕassure que vous raurez ces princes et ministres votre dvotion ; pour le moins faut-il tenter les moyens de le faire. Č Elle me dit : Ē Je ne vous puis pas parler davantage ; mais trouvez-vous la fin de mon dner, et cependant je penserai quelque chose. Č
Cela dit, elle retourna avec une telle gaiet, et riant, devers la compagnie, que lÕon nÕet su juger quÕelle eut aucune tristesse, ni quÕelle eut pleur, et les entretint jusques ce quÕils sÕen allrent, lorsquÕelle se mit table.
Je fis semblant de mÕen aller aussi avec eux, et ayant trouv Mr de Guise au bas du degr dans la cour, qui ne voulait pas monter chez la reine, puisquÕil tait venu si tard, je lui dis : Ē Eh ! bien, Monsieur, faites vous enfin revenir le pauvre la Rochefoucaut ? Car il mourra, sÕil faut quÕil passe le temps de la foire de Saint-Germain Onsain. Č
Cela lui donna occasion de se promener dans la cour avec moi, et de me dire : Ē Oui, par Dieu, il reviendra, et si, je nÕen aurai point dÕobligation la reine, qui mÕet pu plus obliger en cette affaire quÕen nulle autre quÕelle et su jamais faire pour moi. Mais jÕai trouv une duret de cĻur en elle qui a gel le mien, lequel a toujours t passionn pour son service. Elle mÕet plus fait faire dÕune parole que le reste du monde ne saura jamais avec toutes sortes de bienfaits ; mais elle mÕa trop nglig : jÕai chang de matre, qui ne mÕagre pas tant quÕelle, mais que je nÕabandonnerai pas, puisquÕelle mÕy a donn, et forc de le prendre, qui est Mr le Prince et sa cabale, o je me suis soumis ; ce que je mÕassure que vous approuverez, puisque vous en tes aussi. Č
Je pris occasion de lui rpondre : Ē Monsieur, je vous avoue que je suis serviteur de tous les particuliers de la cabale que vous dites, mais que je ne suis point de la cabale en gros, ni nÕen serai jamais, que de celle du roi et de la reine rgente. Je serai toujours paroissien de celui qui sera cur, et vous me pardonnerez si je vous dis que vous nÕtes pas bien conseill. Vous tiez vous-mme votre cabale, coq de paroisse, et indpendant que du roi, avec lequel vous aviez toujours le dessus des autres : et maintenant vous prenez matre ; vous vous soumettez et vous donnez des personnes desquelles, quand vous y serez tout fait embarqu, vous recevrez des indignits quÕil vous faudra souffrir, au lieu que vous nÕavez pu endurer quelques petites froideurs et refus bien fonds de la reine. Vous voulez quÕen mme temps que vous lui venez de tuer, quasi sur sa robe, le baron de Luz, elle aille faire, votre requte, revenir un domestique du roi, quÕelle nÕa fait quÕloigner, le pouvant emprisonner avec quelque apparence de raison, pour avoir refus de se retirer de chez vous sur un commandement qui lui en tait fait de sa part, et avoir parl trop hautement celui quÕelle avait envoy. Faites-vous justice vous mme, et vous trouverez que vous lui devrez de reste. Č
Il me quitta pour aller trouver madame sa sĻur, et dner avec elle, et me dit : Ē Je mÕassure quÕun jour elle confessera elle-mme, quand ces gens ici la tyranniseront, quÕelle a eu tort de me perdre, et quÕelle me recherchera un jour ; et moi lors je me tiendrai sur mes pieds de derrire, et me ferai acheter chrement. Č
Je mÕamusai encore expressment parler deux ou trois personnes, et quand je pensai que la reine pouvait avoir achev de dner, je feignis que quelquÕun me priait de lui aller sur lÕheure demander quelque chose, et remontai chez elle. Elle tait encore assise devant la table o elle avait dn, et ds que jÕentrai, elle sÕen leva, et sans regarder derrire elle, elle sÕen alla en son cabinet. JÕallai aprs, feignant tre press de lui dire un mot.
Elle me dit en entrant : Ē Je nÕai mang que du poison en mon dner, tant jÕai lÕestomac gt et perverti ; si ceci me dure longtemps, je crois que je perdrai lÕesprit : Bassompierre, en un mot, il faut que tu tches de me ramener Mr de Guise ; offre-lui cent mille cus comptant que je lui ferai donner. Č Ē Madame, lui rpondis-je, je vous y veux fidlement et utilement servir. Č Ē Offrez-lui encore, me dit elle, la lieutenance gnrale de Provence pour son frre le chevalier ; offrez sa sĻur la rserve de lÕabbaye de Saint-Germain, et lui assurez du retour de la Rochefoucaut. Enfin, pourvu que je le retire de cette cabale, et quÕil me soit assur, je te donne la carte blanche. Č Je lui dis quÕelle me garnissait si bien en partant, que je mÕassurais que je ne retournerais point vers elle sans avoir fait emplette.
Je lui parlai ensuite de rappeler Mr dÕEpernon. Elle me dit : Ē Je le souhaiterais avec passion ; mais cÕest un homme que jÕai offens, et il ne pardonne jamais. Č Je lui repartis : Ē Oui bien quelquefois, Madame, ses ennemis, mais non pas ses matres. Č Elle me dit lors : Ē Si Mr dÕEpernon se veut souvenir de ce que jÕai fait pour lui et pour ses enfants, il connatra que je lui ai t bonne matresse. Si vous y pouviez voir quelque jour, vous me feriez un signal service de le tenter. Faites la guerre lÕĻil : je ne me confie de tout ceci quÕ vous. Č
Je lui dis lors : Ē Madame, rappelez les anciens ministres ; ils ne vous seront pas inutiles en cette occasion. Č Elle me dit : Ē JÕy ai pens ; mais qui emploierai-je pour cet effet ? Č Ē Moi, Madame, lui dis-je, pour Mr de Villeroy et le prsident Jeannin, et le commandeur de Sillery vers monsieur le chancelier son frre : et sÕils se veulent runir ensemble, vous parlerez un des trois pour tous, afin de ne rien alarmer jusques ce que vous veuillez dcouvrir au monde vos intentions ouvertement. Č Elle me dit : Ē Vous avez raison : je mÕen vas envoyer qurir le chevalier ; voyez les autres, et jugez ce que je mÕen dois promettre. Pour moi jÕai bon courage, et suis capable de courir toute sorte de hasard pour conserver mon autorit contre ceux qui mÕen veulent dpouiller. Č
Sur cela je partis, et je passai chez madame de Guise la mre, qui tait passionne pour la reine. Elle me dit : Ē Mon Dieu, Monsieur, que je trouve mon fils cabr contre la reine ! Est-ce vous qui lÕy portez ou son caprice ? Car je vous ai vu longtemps parler avec lui l-bas en la cour. Č Je lui rpondis que non, mais que la reine avait tort dÕtre si retenue pour si peu de chose que du retour de la Rochefoucaut, et de ne vouloir faire supersder les procedures que lÕon faisait contre Mr le chevalier de Guise, et quÕil faudrait quÕelle cdt un peu de sa naturelle fiert ; que pour moi je nÕimprouvais pas que Mr de Guise et un peu de ressentiment. Sur cela je la quittai ; et elle, voyant ensuite la reine, lui dit que jÕanimais son fils contre elle, et lui fit savoir tout ce que je lui avais dit ; dont la reine fut bien aise, et que je nÕeusse rien dcouvert madame de Guise de notre dessein.
Je mÕen vins la chambre de madame la princesse de Conty, o je trouvai Mr de Pralain qui parlait Mr de Guise. Cela me donna le moyen de parler elle, et de lui dcouvrir ce qui se passait, et des moyens quÕil y avait de remettre leur maison et de le bien remettre avec la reine, pourvu que lÕon embrasst chaudement lÕoccasion qui se presentait en nos mains, et que nous ne la laissions chapper. Elle tait la plus habile, la plus adroite, secrte, et capable princesse que jÕaie jamais connue, et qui savait aussi bien sa cour. Je lui jetai ses pieds lÕabbaye de Saint-Germain et le retour de la Rochefoucaut seulement : bien lui dis-je que quand il y faudrait ajouter une bonne somme dÕargent, que je lui en rpondais ; mais je ne parlai point de la lieutenance gnrale de Provence. Elle fut ravie de voir quÕelle pouvait parler les mains garnies. Je lui priai dÕenvoyer qurir madame sa belle-sĻur, et de mettre promptement les fers au feu, parce que cette affaire devait tre faite ou faillie dans vingt et quatre heures ; ce quÕelle fit, et, peu aprs, monsieur son frre tant parti, Mr de Pralain se mit en tiers avec nous, qui fit aussi de son ct ce quÕil put.
JÕallai de l chez Zamet, avec lequel ayant communiqu des moyens que nous pourrions tenir pour gagner Mr dÕEpernon, Peronne, de bonne fortune, arriva chez lui, qui tait affectionn au service de la reine, et portait impatiemment que Mr dÕEpernon, son matre, sÕen ft retir, et quÕil et eu sujet de le faire. Il fut fort rjoui de voir une conjoncture propre le remettre bien avec elle, me pria de voir sur ce sujet Mr le prsident de Villiers Sguier, et quÕil sÕy en irait devant mÕy attendre, cependant que je passerais chez Mlle du Tillet. Le prsident Sguier sÕy porta entirement, et de ce pas alla trouver Mr dÕEpernon avec Mr de Peronne. JÕallai aussi trouver la reine Marguerite, qui aimait Mr dÕEpernon, et la priai dÕaider cette affaire.
Je revins le soir au Louvre, et en y entrant, je trouvai la porte un nomm Vernegues, qui me pria, de la part de Mr dÕEpernon, dÕaller chez lui, afin de savoir de ma bouche les choses que les autres lui avaient dites, tant de la demande du Chteau-Trompette comme de la disposition de la reine de les rappeler prs dÕelle ; et lors, lui en ayant encore dit davantage que les autres, et anim se jeter franchement son service ; oubliant toutes les frasques passes, il me dit une chose que jÕai depuis retenue : quÕaux grandes affaires, et de consquences comme celle-l, il ne fallait point sÕamuser chicaner, mais se porter franchement et noblement ce que lÕon se voulait rsoudre ; et que je pouvais assurer la reine de son trs humble et fidle service sans intrt, parti, ni capitulation, et que quand elle lui voudrait donner une heure pour le voir, quÕil lui en donnerait de plus particulires assurances. En mme temps il reut une lettre de la reine Marguerite, qui lÕexhortait ce dont il se venait de rsoudre. Nous convnmes aussi que je ne lÕaccompagnerais point aller trouver la reine, et que je ne le viendrais plus voir, de peur de dcouvrir lÕaffaire, et tombmes dÕaccord que Mr Zamet ferait les alles et venues.
Je mÕen revins au Louvre avec cet heureux commencement, et entrai dans le petit cabinet, disant Selvage quÕelle ft savoir la reine que jÕy tais. Elle ne tarda gure venir, et fut ravie dÕentendre que je lui apportais dj assurance de Mr dÕEpernon et bonnes esprances de Mr de Guise. Elle me demanda lors ce que jÕavais fait avec Mrs de Villeroy et prsident Jeannin ; je lui dis quÕil me semblait nÕavoir pas mal travaill en cette journe que jÕavais passe sans manger : elle me pria dÕy aller promptement, ce que je lui dis que je ferais aprs que jÕaurais vu madame de Guise (qui, en sortant dÕauprs dÕelle, mÕtait alle attendre chez madame la princesse de Conty), et lui dis que je mÕtonnais fort de ce quÕelle ne lui avait point parl en deux heures quÕelle avait t prs dÕelle : elle me dit quÕ cause de madame de la Trimouille qui ne lÕavait point abandonne, elle ne lÕavait su faire ; et que je lui disse de sa part ; aussi que pour nÕalarmer personne, elle nÕet peut-tre pas entrepris de lui parler, quand mme elle en et eu la commodit.
Je montai aussitt la chambre de madame la princesse de Conty, o je trouvai madame la duchesse de Guise et elle, qui sÕentretenaient. Je me mis en tiers, et disposai ma dite dame de Guise porter son mari au service particulier de la reine, et que le lendemain au matin Zamet viendrait lui parler, comme tous deux seraient dans le lit, et quÕelle ferait en sorte quÕil le trouverait port conformment notre dsir.
Je ne voulais point quÕil parut que je mÕentremlasse de cette affaire ; cÕest pourquoi je jetai Zamet partout, auquel je mandai que je le priais quÕil se trouvt le lendemain sept heures chez Beauvilliers, la rue de Paradis : et, mÕayant t donn par madame la princesse de Conty des confitures pour souper, je mÕen allai de ce mme pas chez Mr le prsident Jeannin, et lui ayant fait les premires ouvertures de lÕoccasion qui sÕoffrait de se rtablir puissament, et que jÕavais charge de leur parler tous, il mordit la grappe, et reut cette affaire en rendant grces Dieu, et la crut aussitt, parce, me dit-il, que Mr de Bouillon avait mand le matin mme Mr de Villeroy que la reine allait donner le Chteau-Trompette Mr le Prince, et quÕil lui conseillait dÕanimer Sa Majest le faire de bonne grce, afin que Mr le Prince lui en st gr lui.
Il me dit quÕil voyait une difficult entre eux, qui tait la mauvaise intelligence de monsieur le chancelier et de Mr de Villeroy depuis quelques jours en . Je lui dis que cette affaire lui appartenait, et que, comme leur ami commun, il lui serait ais de raccommoder deux hommes, en un temps o le bien de leur fortune dpendait de leur union. Nous rsolmes enfin tous deux dÕaller trouver lÕheure mme Mr de Villeroy, bien quÕil fut plus de neuf heures du soir ; qui nous dit dÕabord quÕil y avait longtemps quÕil mÕattendait, et que monsieur le chancelier lui avait envoy le chevalier son frre qui lui avait dit que je le devais voir, comme aussi les bonnes nouvelles que la reine lui avait mandes. Il me dit aussi quÕil serait propos que je renvoyasse mon carrosse et mes gens, ce que jÕavais dj fait. Il tait plus de minuit quand nous nous sparmes. Il laissa la carte blanche Mr le prsident Jeannin pour lÕaccommoder avec monsieur le chancelier, qui en avait dj fait les avances par lÕenvoi de son frre vers lui.
Ils me prirent dÕassurer la reine que, comme ils nÕavaient jamais respir que son service, ils continueraient jusques leur dernier soupir la servir ; que, quand la reine les avait loigns, ils sÕtaient contenus, sans sÕappuyer ni approcher de personne, attendant que leur service ft agrable ou utile Sa Majest, laquelle ils le vouaient de nouveau avec un vrai zle et sincre affection ; quÕils se verraient demain tous trois ensemble chez monsieur le chancelier, et puis ensuite, pour ne point clater le dessein de la reine, un dÕeux se trouverait, comme par hasard, en quelque lieu auquel la reine pt parler et rsoudre avec lui ce quÕil lui plairait dÕordonner aux deux autres ; quÕil leur semblait que Mr le prsident Jeannin serait le plus propre pour lÕaller trouver, comme le moins suspect ; quÕil leur semblait aussi que le lieu de Luxembourg nÕtait pas mal propos, auquel la reine va ordinairement pour voir commencer son btiment et planter ses arbres ; que sÕil plait Sa Majest que ce soit en quelque autre lieu, elle leur fera savoir par le chevalier de Sillery, ou bien que je leur manderai.
Ainsi, je sortis par la porte de lÕcurie de lÕhtel de Villeroy, et mÕen vins manger et coucher mon logis. JÕcrivis amplement la reine tout ce qui sÕtait pass en notre confrence pour lÕter de peine, et envoyai qurir le lendemain matin Sauveterre, qui je mis ma lettre en main pour la donner la reine pendant quÕelle sÕhabillerait.
Je mÕen allai cependant de bon matin chez Beauvilliers, o je trouvai Mr Zamet dj arriv, lequel je priai dÕaller au lever de Mr de Guise et lui parler, lui offrant jusques cent mille cus, avec le retour de la Rochefoucaut, lÕtouffement de lÕaffaire de son frre le chevalier, et les bonnes grces de la reine lÕavenir. Il trouva Mr de Guise, selon sa coutume, extravagant dÕabord, puis concluant tout ce quÕil voulut, y ayant t prpar par sa femme le soir et la nuit prcdente.
Lors, ils mÕenvoyrent qurir, et je lui donnai parole de la part de la reine (qui me lÕavait command), dÕeffectuer tout ce que Mr Zamet lui avait promis. Il demanda que son rabiennement [raccommodement] avec elle ne part pas tout fait dÕabord, afin quÕil ait loisir de rompre honntement avec Mr le Prince, o il tait aucunement engag. Il voulut que personne ft auprs de la reine quand il lui parlerait, tant pour ne faire souponner, que pour lui parler encore plus franchement et avec de plus efficaces paroles : ce quÕil fit le mme jour, 12me de janvier, sur les six heures du soir.
Je revins mon logis, o jÕcrivis une autre lettre la reine, par laquelle je lui fis savoir ce que jÕavais fait avec Mr de Guise, et lÕenvoyai Sauveterre ; puis allai trouver Mr dÕEpernon, o je trouvai dj Mr Zamet arriv. Il me dit beaucoup de choses quÕil avait dire contre la reine, et conclut quÕelle tait notre matresse, notre reine, rgente du royaume, femme et mre de nos deux matres, et que nous devions tout souffrir dÕelle sans nous refroidir de la servir en toutes occasions, et principalement en celle-ci, o elle avait besoin de ses serviteurs ; que, pour lui, il tenait affront que lÕon lui offrt rien, et croirait tre ingrat et indigne du nom quÕil portait et des charges et honneurs quÕil possdait, sÕil demandait quelque chose, ou capitulait [ngociait] avec son matre, auquel pour le servir il tait dj pay et rcompens ; suppliait seulement la reine quÕ lÕavenir elle tmoignt plus de fermet en sa conduite, et quÕelle considrt davantage ceux qui lui taient fidles serviteurs, et les conservt mieux que par le pass ; quÕil la viendrait trouver lorsquÕelle lui commanderait.
Je mÕen vins donc au Louvre, o la reine tait entoure de tous ces princes. Elle sÕen vint aprs le conseil en son cabinet, et prit prtexte de me demander si je lui voulais vendre un grand diamant que jÕavais au doigt, que lÕempereur Charles-Quint avait autrefois donn mon grand-pre, et je me le tirai du doigt, et lui prsentai : elle sÕapprocha de la fentre pour le regarder ; je lui dis lors : Ē LÕaffaire est faite avec Mr dÕEpernon, mieux et plus noblement que Votre Majest ne se ft pu imaginer : il vous demande quelle heure il vous plait quÕil vous vienne trouver cet effet. Č Elle, regardant toujours le diamant, me dit : Ē Je mÕen vas aussitt aprs dner Luxembourg, parler au prsident Jeannin ; et au retour je lÕattendrai. Č JÕeus loisir de lui dire : Ē Si, au retour de Luxembourg, Votre Majest voulait aller passer chez la reine Marguerite, qui a une ardente passion pour Votre Majest, et se tue de bien faire ? Č Elle me rpondit : Ē Oui, jÕirai ; et sur le soir, que Mr dÕEpernon vienne. Č Je le dis Zamet qui tait l, et que si Mr dÕEpernon arrivait premier que la reine, quÕils se missent tous deux dans le petit cabinet, o il nÕentrerait quÕeux dÕeux : ce que je dis aussi Selvage de la part de la reine, afin quÕelle les y mt. La reine avait dit au chevalier de Sillery quÕil ft venir Mr le prsident Jeannin Luxembourg, et quÕen sortant de table elle et son carrosse.
Je mÕen vins dner, et aussitt allai passer chez la reine Marguerite, qui je fis dire que la reine la viendrait voir au retour de Luxembourg ; et, continuant mon chemin par la rue de Seine, je vis le carrosse de Mr le marquis dÕAncre chez Mr de Bouillon. JÕy descendis, et entretins Sardini, tandis que Mr le marquis dÕAncre parlait Mr de Bouillon, qui avait lors les gouttes. Quelque temps aprs, on vint dire au marquis dÕAncre que la reine tait Luxembourg : il prit cong de Mr de Bouillon ; et lui, Sardini, et moi, montmes en son carrosse. Il fut fort tonn, en arrivant au premier jardin de Luxembourg, quÕil vit la reine en une alle seule, se promenant avec le prsident Jeannin ; mais il le fut bien davantage quand il voulut y aller faire le tiers, que Chastaigneraye lui dit que personne ne pouvait passer, et quÕil en avait commandement trs exprs de la reine : il prit une autre alle avec Sardini et moi, fort embarrass de ce long entretien ; lequel fini, la reine sÕen vint chez la reine Marguerite, et de l au Louvre, o elle trouva Mr dÕEpernon et Zamet dans son petit cabinet, et Mr de Guise dans le grand.
Elle parla premirement Mr de Guise, qui lui fit toutes les protestations dÕune entire fidlit ; renonant tout ce quÕil se pourrait tre oblig prcdemment, forc par le mauvais traitement, le mpris de Sa Majest, et la croyance que lÕon ne pouvait avoir accs vers elle que par le moyen de Mr le Prince et ses consorts. Il lui supplia que, pour les raisons prallgues, elle ne lui tmoignt pas, par sa bonne chre, quÕil se ft entirement runi avec elle, et quÕelle lui fit dire par madame sa sĻur, ou par moi, ou qui il lui plairait, ce qui serait de ses volonts.
Cela fini, la reine fit semblant de sÕen aller rafrachir en son petit cabinet, et alla parler Mr dÕEpernon, lequel, sans sÕamuser aux plaintes ni aux reproches, quoi elle sÕattendait, lui fit tant de soumissions et tant de protestations de son fidle service, que la reine en fut toute confuse, et si satisfaite quÕelle revint peu de temps aprs avec un visage joyeux et content. JÕtais auprs de la porte de son petit cabinet, parlant madame la princesse de Conty, quand elle sortit. Elle nous dit : Ē Voici peut-tre la plus grande et la plus pnible journe que jÕaie eue de ma vie, et my pare que cÕest une comdie o il y a eu molto intrigue, et la fin cÕest toute paix et toute rjouissance. Č Madame la princesse de Conty lui dit : Ē Dieu soit lou, Madame, que tout russisse votre contentement, et que vous soyez satisfaite de mon frre, et de mes amis, comme Mr dÕEpernon. Č Elle lui dit : Ē Pourquoi ne nommez-vous aussi Bassompierre, qui y a tant travaill, et si bien quÕil ne sera jamais que je ne le reconnaisse, et fasse pour lui ? Et vous serez tmoin que je lui promets un tat de premier gentilhomme de la chambre du roi, quand je le devrais acheter de mes propres deniers. Č Je lui rendis trs humbles grces, et lui dis que je mÕestimais bien heureux si je lui avais rendu quelque service agrable, et que je la suppliais trs humblement de vouloir me dgager de la parole que jÕavais donne de sa part madame la princesse de Conty du don de la rserve de lÕabbaye de Saint-Germain-des-Prs, puisquÕelle avait contribu tout soin et industrie imaginable, non seulement envers monsieur son frre, mais aussi vers Mr dÕEpernon, pour les animer ce quoi certes dÕeux-mmes elle les avait trouvs ports, qui tait de bien et dignement servir Votre Majest contre tout le monde. Elle lui confirma de bonne grce, et madame la princesse lui fit lors un double remerciement, tant de celle quÕelle venait de recevoir dÕelle, que de ce quÕelle avait voulu assoupir lÕaffaire de monsieur le chevalier.
Aprs, madame la princesse sÕtant retire, je lui dis que jÕavais assur Mr de Guise du retour de la Rochefoucaut, et de cent mille cus, mais que je ne lui avais point parl de la lieutenance gnrale de Provence pour monsieur le chevalier son frre, ayant tch de faire comme ces valets bons mnagers, qui rapportent au fond du sac une partie de lÕargent que leur matre leur avait donn pour dpendre, et que, si elle voulait lui faire cette gratification, elle serait bien plus grande maintenant quÕelle nÕet t si je lÕeusse faite auparavant, ou bien elle pourrait rserver lui faire cette grce une autre occasion. La reine, qui tait la plus gnreuse et librale princesse que notre sicle ait porte, me dit que je lui allasse dire de sa part quÕelle lui accordait cette grce, mais quÕil la tnt cache, et que mme il ne lÕen remercit que par la bouche de madame la princesse sa sĻur, et encore que ce ft lorsquÕelle serait seule avec elle. Elle me dit ensuite que les ministres taient trs bien avec elle, et que le lendemain dimanche, 13me de janvier, au matin, ils viendraient la trouver neuf heures, tous trois.
En cet instant Mr dÕEpernon, et Zamet et Peronne, entrrent dans le cabinet de la reine, qui avaient demeur quelque temps dans le petit, aprs que la reine en fut sortie, pour ne point montrer quÕils lui eussent parl. La reine, dÕabord, lui fit fort bonne chre, et lui dit que cÕtait merveille de le voir l le soir aprs sa grande maladie, et quÕil fallait quÕil se conservt mieux. Il lui dit que, Dieu merci, ses jambes prs, il ne sÕen sentait plus. La reine lui fit donner un sige prs dÕelle, et le convia la comdie. Mr le duc du Maine et le marquis dÕAncre entrrent chez la reine en ce mme temps, qui, voyant Mr dÕEpernon prs dÕelle, et assis, nÕen furent pas moins tonns que de la mauvaise chre quÕelle leur fit. Ils sÕapprochrent de la table o jÕtais et me dirent : Ē QuÕest ceci ? Y a-il longtemps que Mr dÕEpernon est l ? Č Je leur dis que oui, et quÕelle lui avait fait fort bon accueil, et quÕil me semblait que cÕtaient des fruits de la confrence que nous avions vue Luxembourg entre elle et le prsident Jeannin. Ils me demandrent si Mr de Guise avait t ici : je leur dis que oui, mais quÕil nÕy avait fait quÕentrer et sortir ; que je ne savais sÕil avait parl la reine, au moins ne mÕen tais-je point aperu, si avait bien madame la princesse de Conty, et en ma prsence, qui la reine avait fait force caresses. Alors la reine dit Sauveterre : Ē Que lÕon porte un sige la comdie pour Mr dÕEpernon, car je veux quÕil la vienne our, et pour Zamet aussi. Č Alors le marquis dÕAncre me dit en ces termes : Ē Par Dio, Mousu, je me ride moi delle chose deste monde : la reine a soin dÕun sige pour Zamet, et nÕen a point pour Mr du Maine ; fiez-vous lÕamore dei principi ! Č
JÕai voulu dire au long tout ce qui se passa en cette journe et en la prcdente, parce que je servis extrmement et judicieusement en toutes deux, et y eus la part que vous voyez.
Je menai madame la princesse de Conty la comdie, et lui dis, en allant, comme la reine donnait la lieutenance gnrale de Provence son frre le chevalier, dont elle fut ravie, et me pria de lÕaller dire monsieur son frre ; mais je ne me voulus trop hter, de peur quÕil nÕen ft bruit, et il tait important de ne rien faire clater encore, ce quÕelle approuva ; mais elle ne se sut empcher quÕau sortir de la comdie elle ne lÕcrivit madame la duchesse de Guise sa belle-sĻur.
Le lendemain, dimanche matin, les trois ministres vinrent de bonne heure chez la reine, qui ne faisait que sortir du lit : elle les fit entrer, et sortir ses femmes, sur lesquelles elle ferma la porte de son cabinet, o elle avait couch, et demeura avec eux prs de trois heures. Mr le Prince y arriva sur les dix heures, et ayant battu la porte, on ne lui ouvrit point, encore quÕil y et attendu longtemps : on lui dit que la reine tait avec ces messieurs. Comme il sÕen allait, je le rencontrai, qui me dit : Ē Savez-vous bien que les trois barbons sont enferms avec la reine, il y a plus dÕune heure, et que lÕon ne mÕy a point voulu laisser entrer ? Č JÕen fis lÕtonn, et lui dis : Ē Monsieur, ds hier nous vmes les avant-coureurs de cette affaire : la reine parla plus de deux heures au prsident Jeannin dans le jardin de Luxembourg, et ensuite Mr dÕEpernon la vint trouver, qui elle fit aussi bonne chre comme elle la fit mauvaise Mrs du Maine et marquis dÕAncre. Č Ē Par Dieu, ce me dit-il, ces coquins-l nous ont tout gt. Č Ē Mais gardez, Monsieur, lui rpondis-je, que ce ne soit vous-mme qui en soyez cause, qui ne pouvez attendre dÕtre affermi en votre autorit et ancr bien avant en son affection, que vous la venez presser de vous donner le Chteau-Trompette, qui ne doit tre quÕun chantillon des autres prtentions que vous et vos amis et serviteurs montrent dj dÕavoir : on mÕa dit que cela lÕa cabre, et quÕelle en avait de trs vifs ressentiments. Č Il me rpondit que jÕavais raison, et que ce nÕavait t son avis ; mais que Mr de Bouillon lÕavait forc de ce faire, et puis lÕavait abandonn au besoin, et nÕavait voulu se trouver la demande que les autres en avaient faite, mais avait feint une goutte. Je lui dis l-dessus, aprs avoir un peu rv : Ē Monsieur, vous me faites penser une chose qui peut-tre est fausse, mais qui nÕest pas aussi sans quelque fondement. La reine disait hier du bien de Mr de Bouillon, et montrait de lÕaffectionner, en mme temps quÕelle montrait du ddain de Mr le duc du Maine et de Mr le marquis dÕAncre : madame la princesse de Conty me dit quÕelle avait voulu persuader Mr dÕEpernon de vivre bien ensemble, et de quitter cette animosit que lÕun avait contre lÕautre, ce qui avait fait natre quelque ombrage madame la princesse de Conty que Mr dÕEpernon sÕtait runi avec vous, et que cÕtait par le moyen de la reine, vu la bonne chre extraordinaire quÕelle lui faisait. Vous savez, Monsieur, que Mr de Bouillon est intime ami de Mr de Villeroy : vous aurait-il point jou la fausse compagnie, et sÕtre tourn du ct de la reine et des ministres votre prjudice, voyant que la reine avait si mal pris votre demande du Chteau Trompette ? Vous aurait-il point exprs embarqu cette demande, pour remettre bien les ministres, et lui avec eux ? Pour moi, je souponne tout de son esprit, et nanmoins, peut-tre je me trompe ; mais plusieurs divers discours dcouvrent quelquefois une affaire bien cache. Č
Mr le Prince est de son naturel fort souponneux et dfiant : il me dit quÕil ne savait que dire de tout ceci, mais quÕil en tait bien tonn, et que mon doute nÕtait pas peut-tre hors de raison. Il me dit l-dessus : Ē Et de Mr de Guise, quÕest-ce ? Est-il chair ou poisson ? Č Je lui rpondis que je ne lÕavais point vu depuis avant-hier matin, et quÕil mÕavait pri de ne plus parler la reine du retour de la Rochefoucaut, lequel il ne voulait tenir que de lui, qui il en aurait lÕentire obligation. Il me dit : Ē Voil qui va bien. Č Et puis, aprs plusieurs autres discours, le marquis dÕAncre arriva, qui il dit la confrence de la reine et des ministres. Le marquis le supplia de remonter en-haut pour voir la reine ; mais il ne lui sut jamais persuader, et lui pria seulement de lui mander des nouvelles. Nous montmes, le dit marquis et moi, chez la reine, o il ne sut entrer que lorsque les ministres en sortirent, quÕil tait prs de midi.
Je mÕen revins dner chez moi o je trouvai Mr de Guise, qui je dis le don que la reine lui faisait de la lieutenance gnrale de Provence pour monsieur son frre, dont il eut une excessive joie, et me promit de nÕen point parler quÕil ne ft temps : il en remercia le soir la reine, lorsquÕil aperut quÕil nÕy avait personne qui le put voir faire ce compliment.
Des lors la mauvaise intelligence de la reine avec ces messieurs parut videmment : tout se fit par les ministres ; Mrs de Guise et dÕEpernon furent en faveur, bien que ce premier se tnt toujours en quelque faon accroch avec Mr le Prince ; Mr de Vendme fit donner des assurances de son service la reine par sa belle-mre, et le marquis dÕAncre montra ouvertement dÕtre mal content. Je lui ous dire une chose la reine, que je trouvai trange, sur ce que ces ministres lÕtaient venus trouver : quÕelle avait mal gard la foi quÕelle avait donne Mr le Prince, dÕavoir rappel les ministres sans son su. La reine lui dit que cÕtaient eux qui avaient demand de parler elle. Il lui repartit : Ē Ils mritaient dÕtre tous trois envoys la Bastille, dÕavoir os venir par monopole, en corps, trouver Votre Majest sans avoir t mands dÕelle. Č
Ė peu de jours de l, le jeune baron de Luz fit appeler Mr le chevalier de Guise, qui le tua. Je vis encore une chose bien trange des changements de la cour, que Mr le chevalier de Guise, qui, pour avoir tu le pre, la reine commanda au parlement dÕen connatre, dÕen informer, et de lui faire et parfaire son procs ; moins de vingt jours de l, aprs avoir de surcrot tu encore le fils du dit baron de Luz, la reine lÕenvoya visiter, et savoir comme il se portait de ses blessures, aprs quÕil ft de retour de ce dernier combat.
Il faisait lors pour moi fort beau la cour, et y passais bien mon temps. La reine jouait devant souper dans lÕentreciel (qui est un petit cabinet au dessus du sien) ; puis nous allions la comdie, o une beaut grecque venait cause de moi ; puis les soires et les nuits mÕtaient belles. Nous fmes force ballets, et entre autres celui de la Srnade, auquel la reine nous reut, en la salle haute, si somptueusement : nous lÕallmes, aprs, danser lÕhtel de Cond.
Mr le Prince fit un festin et une course de bagues ensuite, o toute la cour des hommes fut prie, hormis moi, que la reine, en rcompense, retint prs dÕelle jouer avec peu de dames, laquelle, exprs, ne se voulut point faire voir ce jour-l, pour ne montrer point sa cour dserte, cause que tout le monde tait lÕhtel de Cond. Il se fit un bal deux jours aprs lÕhtel de Longueville, o je fus pri de me trouver, et la reine, par dpit, me dit que, puisquÕelle mÕavait diverti lorsque je nÕavais point t pri chez Mr le Prince, il tait bien raisonnable que je demeurasse prs dÕelle lorsquÕune fte se faisait contre la porte du Louvre, o tout le monde tait pri, hormis elle et madame la princesse de Conty, de sorte que je demeurai jouer tout le soir avec elle, dont je fus bien brouill ailleurs.
Sur ce, le carme arriva, auquel, le premier jeudi au soir, 21me de fvrier, jÕeus une bonne fortune.
Mars. Ń Je mÕen allai, quelques jours de l, voir le marquis dÕAncre, qui fut quelque temps Amiens, faisant le malcontent. JÕen revins au bout de cinq jours, et allmes incontinent aprs Pques (avril) Monceaux o nous passions bien le temps.
De l, la reine sÕen revint Paris, et puis Fontainebleau, ayant auparavant fait le mariage de Mr de Montmorency avec la fille ane de don Virginio Ursino, duc de Bracciano (mai), laquelle elle donna de son argent cent mille cus en dot. Le lendemain il y eut bal lÕhtel de Montmorency, o je comparus avec une belle faveur dÕune dame.
Ė Fontainebleau la reine sut que Mr de Vendme, quelque parole quÕil et donne madame de Mercure, sÕtait conjoint avec Mr le Prince, et quÕil se faisait plusieurs brigues pour y rembarquer Mr de Guise, lequel avait des irrsolutions qui ne plaisaient pas Sa Majest. Elle lui en parla, et lui, lui rejura de nouveau toute sorte de fidlit. Nanmoins Mr de Vendme et le marquis de CĻuvres tant arrivs Fontainebleau, celui-l pour prendre cong de la reine en sÕen allant en Bretagne y tenir les tats, et le marquis sous prtexte de le venir conduire jusques Fontainebleau, prirent Zamet de leur donner une chambre en la conciergerie, o Mr de Guise couchait. La reine en prit ombrage, et me commanda de ne bouger dÕavec Mr de Guise jusques ce quÕil ft couch, et dÕempcher que Mr de Vendme et lui ne se parlassent, ce que je fis ; et la reine envoya encore Sauveterre veiller la nuit sur le degr de Mr de Guise, lequel aperut Mrs de Vendme et de CĻuvres monter en robe de chambre dans celle de Mr de Guise, avec lequel ils furent prs de deux heures ; et le marquis traita avec lui quÕil viendrait Paris tre arbitre de madame dÕElbeuf, o il se verrait avec Mr le Prince.
Le lendemain matin, Mr de Vendme partit, et la reine, sur le dner, envoya commander au marquis de CĻuvres de sortir de la cour, et de nÕy retourner jusques un nouveau commandement. Il sÕen revint Paris, fit le rapport de ce quÕil avait trait, et anima le marquis dÕAncre de sÕoffenser de ce que lÕon lÕavait chass, disant que cÕtait parce quÕil tait son ami, et que les ministres lui avaient fait jouer ce tour en sa considration.
Mr de Bouillon, lors, sÕavisa de proposer un accord entre madame dÕElbeuf et madame de la Trimouille sa belle sĻur, qui avaient procs ensemble, et de les disposer de choisir chacune deux de leurs principaux parents ou amis, pour voir sÕils pourraient point concerter leur diffrend. Mr du Maine proposa madame dÕElbeuf de choisir Mr de Guise et lui, madame de la Trimouille ayant dj lu Mr le Prince et Mr de Bouillon ; ce quÕelle fit, et crivit Mr de Guise pour le prier de venir Paris cet effet. Mr de Guise prit cong de la reine, qui se douta lÕheure mme de la fourbe : et en mme temps madame la princesse de Conty lÕen vint aussi avertir, et que cÕtait pour enfermer Mr de Guise avec ces trois arbitres, pour le porter quelque chose contre son service. Elle le pria donc de demeurer Fontainebleau, et dit quÕelle mÕenverrait Paris, quÕelle crirait madame dÕElbeuf quÕelle lÕavait retenu, et que mme elle me ferait en son nom solliciter lÕaffaire de ma dite dame dÕElbeuf, en cas quÕelle rompt ce compromis. Il ne voulut pas contester davantage, et demeura ; et moi je me prparai pour partir.
Je vins lÕaprs-dner trouver la reine pour recevoir ses commandements, laquelle me dit que je retardasse jusques au lendemain matin, qui tait le mardi avant la Pentecte, pour quelque chose quÕelle avait faire de moi, puis me dit si je nÕavais point de vers de Porcheres : je lui dis que non, mais que jÕen savais par cĻur. Elle se mit rire, et me dit quÕelle nÕen voulait pas en cette sorte, mais dÕcrits de sa main. Je me mis aussi rire de ce dsir, et elle me dit : Ē Je ne vous puis pas maintenant dire pourquoi ; mais ne manquez pas de mÕen rapporter, et nÕen montrez pas dÕaffectation ; car je ne veux pas quÕil paraisse que jÕen veux. Č Puis elle me parla longtemps contre le marquis dÕAncre, me disant quÕil se gouvernait si mal quÕenfin il se ruinerait ; et moi je lÕexcusai toujours le mieux que je pus. Elle me dit : Ē Il fait lÕentendu, et ne bouge dÕavec une cabale qui mÕest entirement contraire et oppose. Dites-lui que je lui mande que, sÕil nÕest jeudi au soir ici, je lÕapprendrai mÕobir ; et si ce nÕtait sa femme, je lÕaurais dj mis en un lieu dont il ne sortirait pas quand il voudrait : sa femme en enrage, et lui, fait toujours de pis en pis. Dites lui quÕil ne manque pas faire ce que je lui commande. Č Puis mÕayant encore donn quelque autre commission, selon quÕelle sÕavisa, je mÕen vins Paris, o jÕarrivai sur les dix heures du matin, le mardi.
Comme je me changeais dÕhabillements, le marquis dÕAncre arriva chez moi, qui me demanda des nouvelles de la cour, et si Mr de Guise ne venait point. Je lui dis que non, et la cause. Puis ensuite je lui fis lÕambassade dont la reine mÕavait charg. Il me dit l-dessus beaucoup de choses fort en colre : quÕil tait homme dÕhonneur, et que, si la reine manquait de parole, quÕil nÕen voulait pas manquer ses amis, avec lesquels la reine lÕavait li ; que lÕaffront quÕelle avait fait au marquis de CĻuvres sÕadressait lui, et que, pour son honneur, il ne le pouvait abandonner ; quÕil nÕirait point la cour quÕil ne lÕament. Je lui parlai ensuite un quart dÕheure fort franchement comme son ami, et lui fis connatre le tort quÕil avait en son procd, et il se remit aucunement : seulement me pria-il dÕcrire sa femme, et de lui mander quÕil tait rsolu dÕaller jeudi la cour, suivant lÕordre quÕil en avait reu de la reine ; seulement pour sa rputation il lui importait dÕamener le marquis de CĻuvres avec lui, et quÕelle fit agrer la reine quÕil lÕament, et quÕil la supplit de le voir ; aprs cela, que la reine nÕen ferait que ce quÕelle voudrait, et que, par ce moyen, il se serait dgag de ce quÕil devait, en cette occasion, son ami. Je fis ma dpche lÕheure mme devant lui, et fis partir Lambert aussitt pour la porter, lequel revint le lendemain matin, avec lÕacquiescement ; dont le marquis dÕAncre fut fort satisfait.
Il partit donc le jeudi avec le marquis de CĻuvres, et moi je nÕarrivai Fontainebleau que le samedi au soir. Je rendis compte la reine de ce quÕelle mÕavait commis, et entre autres choses, je lui donnai des vers de la main de Porcheres, [aussi bien que de son esprit]. Elle se prit rire, et me dit : Ē Il nÕest plus temps, lÕaffaire est dcouverte : jÕai souponn tort ce pauvre homme ; dont je mÕen repens. Č Je dis la reine : Ē Madame, si jÕosais, je vous demanderais lÕexplication de cette nigme. Č Elle me dit : Ē Je vous la dirai : il y a quelque temps que Gueffier, notre agent en Pimont, nous a mand que lÕon donnait des avis de par del contre le service du roi, et mme a envoy la suscription dÕun des paquets que journellement lÕon en envoyait de de. Nous ne savions qui souponner, et parce que Porcheres a t longtemps en Savoie, je lÕen accusais ; mais aujourdÕhui nous avons dcouvert toute lÕaffaire, ayant pris sur le fait celui qui les crit, comme il jetait son paquet dans la caisse de la poste : cÕest un certain bossu, blond, que vous avez souvent vu suivre la cour, Dauphinois, nomm Maignat. Č Je lui dis que je le connaissais, et que je lÕavais souvent vu en lÕantichambre de Mr le marquis dÕAncre. Elle me dit lors : Ē Aussi y avait-il affaire, et on en verra bientt davantage. Č
Je nÕy pensai pas plus avant, et mÕen allai, selon mon ordinaire, souper chez Zamet : et comme cÕtait la veille de la Pentecte, il nÕy avait, hors sa famille, que le seul Lomenie, secrtaire dÕtat, auquel, sans y penser, je dis : Ē Qui est un certain demi-prtre bossu, nomm Maignat ? Č Il me rpondit : Ē Qui vous fait me le demander ? Č Ē Parce, lui dis-je, que jÕen sais quelque chose. Č Ē Et moi, dit-il, peut-tre davantage que vous. Č Ē Joignons, lui dis-je, nos sciences, pour voir si elles se rapportent : il crivait, au nom de quelques personnes de condition, en Savoie ; Gueffier en eut quelque lumire, qui envoya par de une couverture de paquet crite de sa main ; on lÕa pris comme il jetait un paquet dans le bureau de la poste ; on lÕa dj interrog, et il commence chanter clair. Č Il me dit l-dessus : Ē Par Dieu, vous tes averti de si bonne part que je nÕai rien y ajouter, sinon que jÕai t greffier lÕinterroger, et que jÕai son interrogatoire en ma poche. Č Je lui demandai ce quÕelle chantait. Il me rpondit : Ē Puisque vous en savez dj tant, je ne vous en clerai pas le reste, o il parle clair de monsieur et de madame la marquise dÕAncre, mais surtout de Mr Dolet, qui tait leur organe ; et le tiens bien fin sÕil peut dmler cette fuse : Č puis ensuite mÕen dit tout le particulier.
Je faisais profession trs troite dÕamiti avec le marquis dÕAncre, et aimais aussi Dolet ; cÕest pourquoi durant le souper, je songeai plus dÕune fois comme je les pourrais aider et servir, et sortant de table jÕallai pour trouver le marquis ; mais il tait dj retir avec sa femme cause du bon jour du lendemain, et ne pus mme le jour suivant le voir plus tt quÕaprs dner en la chambre de la reine comme elle sÕen allait au sermon. Je lui dis : Ē Allons faire deux tours en lÕantichambre pendant le sermon, et puis nous irons vpres, et aurons vit le chaud et la presse. Č Il sÕy en vint, et en entrant me dit : Ē Que diriez-vous, Monsieur, que la reine nÕa pas encore voulu voir Mr le marquis de CĻuvres, et que ces coquins de barbons lÕen divertissent toujours ? Č Je lui dis : Ē Monsieur, je ne crois pas que les ministres fassent tant dÕeffort sur son esprit que sa propre inclination ; car je vous puis dire que ce fut la reine seule qui fit pier Mrs de Guise et de Vendme, et qui sut quÕils sÕtaient parl la nuit : bien ne vous dirai-je pas que lÕon ne lÕen et prcdemment avertie. Mais laissons cette affaire, et parlons dÕune autre plus importante, si vous la savez, comme je pense ; ou si vous ne la savez, je vous en parlerai seul : quÕest ce que de Maignat ? Č Ė ce mot, tout tonn il me dit : Ē Pourquoi, Monsieur, de Maignat ? Que vol dir Magnat ? Che cosa e Maignat ? Č Je lui dis : Ē Vous me leurrez, vous le savez mieux que moi, et vous en faites lÕignorant. Č Il me dit : Ē Par Dio, Mousou, je ne connesse point Magnat ; je nÕentende point cela ; je ne sais ce que cÕest. Č Ē Monsieur, Monsieur, lui dis je, je vous parle ici comme votre serviteur et votre ami, non pas comme un juge ou un commissaire. Maignat fut hier pris et interrog lÕheure mme, puis encore le soir, et ce matin encore : il a t pris jetant un paquet au bureau de la poste, lequel parle de beaucoup de choses et nomme les personnes par leur nom. Si vous le savez dj, je nÕai perdu que la peine de vous lÕavoir dit ; et si vous ne le savez, je pense, comme votre serviteur, gagner beaucoup de vous en avertir, afin que vous y donniez ordre et que vous pourvoyiez particulirement tirer Mr Dolet hors de cette affaire dans laquelle on tchera de lÕembarrasser. Č Il me dit fort tonn : Ē Moi, Monsour, je ne pense point que Mr Dolet conosca questo Magnat. Je ne me mle point de cela. Č Ē CÕest bien fait, Monsieur, lui rpondis-je : je ne prendrai en cette affaire que la part que vous mÕy voudrez donner pour vous y servir, qui est mon seul but, et mon intention. Č Il mÕen remercia, et puis me quitta brusquement, et moi je mÕen allai au reste du sermon et vpres aprs lesquelles la reine sÕalla promener au parc, et moi je me mis dans le carrosse du premier cuyer pour lÕy accompagner.
Comme nous nous promenions sur le canal, un des gens de Mr le marquis dÕAncre vint au galop me trouver, et me prier de sa part de le venir trouver lÕheure mme. Je me doutai bien que je lui avais mis la puce lÕoreille ; je dis nanmoins tout haut : Ē CÕest quÕil me veut gagner mon argent. Č Je montai sur le cheval de ce gentilhomme, et la reine me demandant o jÕallais, je lui dis que jÕallais jouer avec Mr le marquis. Il mÕattendait sur le haut de ce degr qui avance en la cour en ovale, et comme je montai, il me mena dans la galerie de la reine quÕil ferma sur nous, puis marcha jusques au milieu de la galerie sans dire un mot : enfin se haussant il me dit : Ē Ha, Mr Bassampier, mon bon ami, je suis perdu ; mes ennemis ont gagn le dessus sur lÕesprit de la reine pour me ruiner, Č puis se mit dire des blasphmes tranges, et pleurait amrement. Je le laissai un peu se dmener, puis je lui dis : Ē Monsieur, il nÕest pas temps de jurer et de pleurer quand les affaires pressent : il faut ouvrir son cĻur, montrer sa blessure lÕami qui on en veut confier la gurison. Je pense que vous mÕavez envoy qurir pour me dire votre mal et non pour me le pleurer : cÕest pourquoi, Monsieur, il vous faut prendre une bonne et ferme rsolution sur les divers conseils que vous donneront vos amis, choisissant celui que vous jugerez le plus convenable en lÕaffaire prsente. Č Il me dit lors : Ē Ly ministri mÕont donn cette estrette et me veulent perdre, et Mr Dolet aussi. Č Ē Monsieur, vous avez, lui dis je, beaucoup de remdes contre leur poison, dont le plus excellent est les bonnes grces de la reine, que vous possderez infailliblement quand vous voudrez rentrer en votre devoir et quitter toutes autres pratiques qui ne lui sont pas agrables : par ainsi vous nerverez les forces de vos ennemis, et redoublerez les vtres pour les dtruire et opprimer. Vous avez aussi votre innocence qui parle pour vous, et en cas quÕelle ne soit entire, il faut voir et pratiquer les commissaires de Maignat, (car je ne doute point que votre peine prsente ne soit celle-l), avoir recours la bont et misricorde de la reine qui vous recevra bras ouverts, jÕen suis fort assur, pourvu que vous lui parliez avec sincrit de cĻur et une entire rsignation entre ses mains de toutes vos volonts. Č Ē Ha, Monsieur, ce me dit-il alors, je crains que la reine proccupe par mes ennemis nÕait les oreilles bouches mes justifications et quÕelle croie entirement les ministres. Č Ē CÕest vous, repartis-je, connatre premirement vous-mme, et ensuite la reine ; si vous ne tenez pas votre affaire nette, ou quÕil y puisse avoir lieu de vous nuire et perdre, il faut que vous regardiez si vous vous pouvez sauver par le moyen de lÕaffection de la reine, dont la source ne tarira jamais vers madame votre femme : mais si vous voyez quÕelle ne soit pas assez forte pour vous empcher de tomber dans le prcipice, il faut dtourner votre personne de lÕoccasion et vous mettre en sret, et de loin plaider votre cause ou par critures ou par avocat : cÕest le meilleur remde que lÕon puisse apporter votre mal prsent ; mais comme il est chimique [violent], je ne mÕen voudrais servir quÕ lÕextrmit et en deux seules occasions : lÕune, si mon affaire est trouble (jÕentends criminelle), et encore si, tant criminelle, je jugeais que la reine ne mÕen pt ou voult pas tirer ; lÕautre, quand mme elle ne le serait pas au fond, si vous jugiez vos ennemis si puissants que leurs artifices la pussent rendre telle ; en ces deux cas lÕloignement est le gain de cause ; et afin que vous connaissiez quel ami je vous suis, et que je ne vous donne pas de conseils auxquels je nÕy prenne bonne part, en cas que vous vous y rsolviez, je mÕoffre de vous y assister, dÕtre de la partie, et de vous mettre en sret, pourvu quÕune prompte rsolution nous donne moyen non seulement de lÕentreprendre, mais aussi de lÕexcuter. Č Sur cela il me sembla tout allg, et me dit aprs plusieurs compliments : comment nous pourrions faire ? Je lui dis : Ē Conseillez-vous une demi-heure encore, et si vous y tes bien rsolu, descendez ma chambre dans la conciergerie o vous trouverez des bottes prtes, et deux coureurs qui nous mneront la premire poste, dÕo nous irons en diligence Paris et de l Amiens o je vous laisserai puis aprs pour mÕen revenir, et dirai que sans savoir votre dessein, croyant que ce ft pour une querelle particulire, vous mÕavez men avec vous, et quÕtant Amiens vous mÕavez dit la cause de votre fuite, me priant de venir trouver la reine, laquelle puis aprs je dirai les choses ncessaires pour votre raccommodement. Č Il approuva cet expdient, lequel il alla communiquer au marquis de CĻuvres et Dolet, lesquels voyant que, sÕil sÕen allait et quÕils demeurassent, ils taient perdus, et que sa considration et prsence les sauverait, le dconseillrent de prendre ce parti, disant que je le faisais dessein de le ruiner et de prendre sa place prs de la reine : ils le persuadrent de prendre le premier expdient que je lui avais propos, qui tait de recourir la reine, vers laquelle il trouva toute sorte de douceur et de bont : joint que Mr de Roissy, qui avait fait le premier interrogat Maignat, en fit un rapport favorable pour lui ; car il tait ami particulier de la marquise ; et que les deux commissaires ce procs, nomms Masurier et Mangot les y servirent bien : aussi en furent-ils bien rcompenss, lÕun de lÕtat de premier prsident de Toulouse, et lÕautre de Bordeaux, et puis de garde des sceaux. Le procs fut parachev Maignat, et les noms des marquis et marquise dÕAncre, et de Dolet, supprims ; lui condamn tre rou tout vif, ce qui fut excut le jeudi suivant, et le jour dÕaprs, la cour sÕen revint Paris.
JÕavais t peu avant lÕAscension en poste Rouen pour y reconnatre lÕair du bureau pour mon affaire et prparer toutes choses pour y retourner en bref. Je trouvai que mes parties mÕavaient fait une ruse de palais, qui est dÕavoir fait consulter par tous les fameux avocats de Rouen leur cause, afin de les rendre incapables de plaider la mienne, de sorte quÕil me fallut avoir recours prendre un avocat de Paris nomm Mauguin pour la venir plaider. Je dis mon retour cette fourbe la reine, que mes parties mÕavaient pratique : elle sÕavisa de me dire un jour : Ē Mon Dieu, Bassompierre, le procureur des Etats de Normandie, qui est si loquent, pourrait-il point plaider votre cause ? Car il a t autrefois avocat Rouen. Il est ici : je lui veux demander, Č et sur cela lÕenvoya qurir et lui commanda de lÕentreprendre ; ce quÕil fit, et sÕen acquitta parfaitement bien.
Juin. Ń Je partis tt aprs lÕarrive de la cour Paris, accompagn de plusieurs de mes amis qui voulurent venir quand et [avec] moi, et dÕautres qui y vinrent aprs, de sorte quÕil y eut telle fois plus de deux cents gentilshommes avec moi Rouen. La reine aussi crivit Mr le marchal de Fervaques, (dÕailleurs mon ami), de mÕassister de tout ce que je lui demanderais : elle commanda sa compagnie de chevau-lgers qui tait en garnison Evreux de venir en robe me trouver, et envoya de sa part Marillac avec lettres tous les prsidents et conseillers en ma recommandation : elle envoya aussi, de deux jours lÕun, des courriers pour apprendre le succs de cette affaire. Quantit de dames qui taient Rouen, beaucoup dÕtrangres qui y vinrent, et la bande de noblesse que jÕy avais mene, firent que tout le temps que je demeurai Rouen, qui fut un mois, se passa comme un carme-prenant en continuelles ftes, bals, et assembles ; et je ne rapportai de tout ce sjour quÕune vocation que par surprise ma partie obtint du conseil du roi, qui me retarda de six mois et mÕobligea de mÕen revenir.
JÕoubliais de dire que, quand je partis de la cour pour aller Rouen, jÕtais en trs troite liaison avec les trois ministres, lesquels mÕavaient employ en plusieurs choses, et mÕen avaient fait proposer dÕautres dont ils ne voulaient pas paratre les auteurs ; particulirement trois dont ils me firent faire ouverture la reine. La premire fut monsieur le chancelier qui me pria dÕinsister vers la reine pour le rasement de Quillebeuf en donnant rcompense au marchal de Fervaques, ce que la reine accorda ; Mr le prsident Jeannin me pria de parler du retour de Mr le Grand la cour, quoi je mÕemployai aussi avec effet ; et Mr de Villeroy dsira que je fisse instance la reine de permettre Mr de Souvr de rsigner la charge quÕil possdait de premier gentilhomme de la chambre Mr de Courtanvaut son fils, quoi la reine me rpondit que, lorsquÕelle rigea une troisime charge de premier gentilhomme de la chambre en faveur de Mr de Souvr, Õavait t condition de suppression, mort avenant ; quoi elle sÕtait engage Mrs le Grand, et de Bouillon de qui Mr le marquis dÕAncre lÕavait eue ; et que sans leur consentement elle ne le pouvait permettre. JÕai dit ce que dessus pour claircir ce que je dirai ensuite.
Pendant mon sjour Rouen les ministres qui avaient vu que le marquis dÕAncre avait soutenu le choc de lÕaffaire de Maignat, et en tait heureusement sorti, se persuadrent que sa faveur tait si grande auprs de la reine quÕenfin elle les opprimerait, et se rsolurent de sÕaccommoder avec lui sÕils voyaient jour de le pouvoir faire. Mr le prsident Jeannin en mit le premier les fers au feu, proposa la reine de faire que messieurs le chancelier et de Villeroy fussent unis et en bonne intelligence avec Mr le marquis dÕAncre, (car pour lui, il avait toujours t entre eux le bnin temprament) ; que ce serait le bien de son service et le repos de la cour. La reine reut cette proposition avec joie, lui rpondit quÕelle le dsirerait, et quÕil y travaillt. Alors il proposa le mariage de la fille du marquis dÕAncre avec le marquis de Villeroy, petit fils de Mr de Villeroy, et ils promirent au dit marquis de seconder toutes ses intentions et de contribuer toute leur industrie et pouvoir son agrandissement : et ainsi lÕaffaire sÕaccommoda sans mon su ni participation (juillet), ni sans mÕy comprendre ou conjoindre avec ces ingrats que jÕavais si fidlement assists et servis ; et ne tardrent gure sans me brouiller avec la reine et me ruiner avec le dit marquis.
Le commencement de lÕaffaire vint que, parmi les capitulations de leur accord, la rsignation en faveur de Mr de Courtanvaut de lÕtat de premier gentilhomme de la chambre y fut comprise, et le marquis ayant dit Mr de Villeroy quÕils avaient bien vu que leurs pratiques avaient t vaines jusques ce quÕil y et consenti, Mr de Villeroy lui dit quÕil nÕen avait jamais fait parler que par moi ; et le marquis se plaignit fortement moi de ce quÕen une chose o il avait le principal intrt, jÕeusse voulu la poursuivre, tant son ami comme jÕen faisais profession, ce quÕil me reprocha devant la reine ; mais elle lui tmoigna que ds quÕelle mÕet dit que le marquis y avait intrt, je lui avais dit que je ne le savais pas, et que, cela tant, non seulement je mÕen dsistais, mais que mme je la suppliais de nÕen rien faire quÕavec son consentement, dont il se satisfit pour lÕheure.
Il arriva aussi que la reine voulut our le plaidoyer que La Bretignere avait fait en ma cause, et quÕun soir comme il le redisait devant la reine, la marquise la voulut dtourner pour lui parler de quelque affaire, ce que la reine ne voulant faire et elle lÕen pressant, elle se fcha contre la marquise de son importunit, et la marquise contre moi, qui pensait que jÕen fusse cause.
En ce mme temps Mr le Prince fut lÕarticle de la mort Saint-Maur, attaqu dÕun pourpre [purpura] violent dont, grce Dieu, il gurit ; mais le marquis de Narmoustier, qui lÕavait vu pendant sa maladie, prit son mal et en mourut effectivement. Il avait rcompens depuis nagure la lieutenance gnrale de Poitou que possdait prcdemment Mr de Paraberes, laquelle vaqua par sa mort. Plusieurs firent instance la reine pour lÕavoir, comme Mrs de la Rochefoucaut et de Saint-Luc (aot), et la reine mÕavait donn de grandes esprances pour ce dernier. JÕavais pri particulirement, et lui aussi, le marquis dÕAncre de lÕassister en cette affaire, et il lui avait promis et moi aussi ; nanmoins (comme les intrts particuliers marchent avant toutes choses), il la fit donner Mr de Rochefort, la prire que lui en fit Mr le Prince, et la reine me dit quÕextraordinairement presse par le dit marquis, elle avait donn cette charge Rochefort, bien quÕelle et t plus porte pour Mr de Saint-Luc. Le marquis dÕAncre le jour mme me dit quÕil tait au dsespoir de quoi la reine avait donn cette charge Rochefort et quÕil me priait dÕassurer Mr de Saint-Luc quÕil avait fait ce quÕil avait pu en sa faveur, mais que lÕautorit de Mr le Prince avait prvalu ; moi qui savais ce que la reine mÕavait dit, lui rpondis que quand il voudrait tromper un tiers et mÕassocier en cette affaire, que je lui aiderais volontiers ; mais que pour tromper mon beau-frre, je lui priais quÕil en employt un autre, car je lui tais trop proche ; et ensuite Mr de Saint-Luc lui en ayant tmoign un peu de froideur, il se persuada que je lui avais anim et mÕen fit la mine ; et ensuite, assist de sa femme, commencrent imprimer dans lÕesprit de la reine que je faisais vanit de la bonne chre quÕelle me faisait, et que lÕon en parlait : ils lui dirent ensuite que je lui alinais ses serviteurs, et que je mutinais le monde contre elle.
Septembre. Ń Il arriva en ce mme temps que je revins Fontainebleau aprs avoir accommod Paris, par lÕordre de la reine, les diffrends de Mrs de Montbason et de Brissac qui taient prts se brouiller, et fait consentir Mr de Boisdauphin que La Varrenne ft lieutenant de roi dÕAnjou. La reine mÕen sut gr, et mme peu de jours avant venir Fontainebleau, mÕayant vu un jour triste, elle demanda madame la princesse de Conty ce qui en tait la cause : elle lui dit que je nÕtais pas sans beaucoup de raison de lÕtre, voyant quÕaprs tant de services, de temps, et de dpenses faites la cour, jÕy tais sans charge et sans tablissement, et elle prte de sortir de sa rgence, pendant laquelle jÕavais servi si fidlement et avec tant de passion. Elle lui dit : Ē Il a raison, mais dites-lui quÕil se fie en moi, et que je pense lui, que je nÕoublierai pas. Č Le soir mme qui tait la veille de son partement pour Fontainebleau, aprs mÕavoir donn quelques commissions pour son service Paris (o je lui avais suppli de me permettre de demeurer huit jours), elle me commanda de venir Lesigny o elle allait dner en partant de Paris, ce que je fis ; et l elle me fit encore les mmes assurances et me dit de plus que je nÕavais pas faute de gens qui me voulaient brouiller avec elle, mais que je vcusse en repos et quÕils nÕen seraient pas capables.
Nanmoins mon arrive Fontainebleau je vis, ce me semble, un peu de changement, et quelques jours aprs, le marquis et sa femme continuant leurs pratiques, jÕaperus une froideur entire. Je nÕen fis nanmoins point de semblant, et un jour (octobre) Mrs de Crquy, de Saint-Luc, et de la Rochefoucaut tant tous trois venus sans train, en intention de loger et coucher avec moi, jÕempruntai une chambre de Zamet la conciergerie o nous couchmes, Mr de la Rochefoucaut et moi, et laissai la mienne Mrs de Saint-Luc et de Crquy. Or Mrs de Saint-Luc et de la Rochefoucaut ne se parlaient point pour quelque jalousie de Mlle de Nery : nous jugemes, Mr de Crquy et moi, biensant dÕempcher cette froideur entre amis, et les ntres si particuliers ; Mr de Crquy me dit : Ē Parlez-en de votre ct votre camarade, et jÕen ferai de mme du mien, et si nous y voyons jour, demain au matin nous les ferons embrasser. Č
Je lui mandai le lendemain que, si son homme en tait content, le mien tait plus que dispos de lÕembrasser, et quÕen ce cas ils sÕen vinssent au jardin de la Diane o nous les attendrions. Le marquis dÕAncre tait de fortune alors la chambre de la reine qui nous vit promener, la Rochefoucaut et moi, ensemble ; il dit la reine : Ē Venez voir, Madame, comme Bassompierre tche dÕanimer la Rochefoucaut contre vous de ce quÕil nÕa point eu la lieutenance gnrale de Poitou. Č La reine se leva de sa petite chaire o elle se coiffait pour regarder la fentre, et vit en mme temps que Mrs de Crquy et Saint-Luc venaient nous, que nous fmes embrasser et les embrassmes aussi avec beaucoup de tmoignages de tendresse et dÕaffection. Alors le marquis prenant son temps lui dit : Ē Par Dieu, Madame, tout cela est contre vous : ils font une brigue, et je veux mourir si Bassompierre ne les assure de Mr de Rohan, Crquy de Mr des Diguieres, et les autres rciproquement eux. Il est fort ais juger par leurs gestes ; autrement quoi seraient bonnes toutes ces embrassades gens qui se voient incessament ? Č
La reine fut tellement susceptible de cette crance que, sans lÕapprofondir davantage, elle nous fit tous quatre la mine : mais les trois sÕen tant alls, ou Paris, ou en leurs pays, elle continua sur moi avec tant de violence quÕelle dit assez haut quÕil y avait des gens qui se mlaient de faire des ligues contre le service du roi et le sien, mais que si elle en pouvait dcouvrir quelque chose, quÕelle les ferait si bien chtier que les autres y prendraient exemple ; puis en carrosse, parlant de moi aux princesses, elle leur dit que je faisais des choses contre son service, dont je me pourrais bien repentir : elles me le dirent au retour, et moi Mr de Guise, qui la reine tenant ce mme discours, en repartit fort noblement, et demanda la reine moyen et heure que je lui pusse parler. Elle lui donna sa galerie, au retour de son promenoir, parce, mon avis, quÕ ces heures l le marquis ni sa femme nÕtaient point dÕordinaire prs dÕelle ; et ce qui me le fait croire est que toutes les fois que lÕon ouvrait la porte de la galerie, elle se tournait pour voir sÕils nÕentraient point. Je lui parlai assez longtemps et bien hardiment, me plaignant au lieu de mÕexcuser ; et la reine me fit paratre de la bont mme dans son courroux ; et lui ayant dit que si cÕtait pour ne me point donner la charge de premier gentilhomme de la chambre, quÕelle mÕavait promise, ce quÕelle en faisait, que je lÕen quittais pourvu quÕelle me ft la grce de me croire ce que jÕtais, fort homme de bien et incapable de manquer jamais au trs humble service que je lui avais vou, elle se fcha de ce discours, et me dit quÕelle nÕtait pas personne manquer ce quÕelle mÕavait promis, quÕelle observerait sans faute ; et que selon que je me gouvernerais lÕavenir, elle aurait connaissance si ses soupons taient vrais ou faux, et ainsi se spara de moi qui demeurai huit ou dix jours en cet tat-l sans amendement, et elle ne me parlant point.
En ce mme temps Mr le Grand revint la cour, qui fut bien vu du roi et de la reine (novembre).
Aprs avoir demeur en cet tat dÕindiffrence, ma patience sÕacheva, et me rsolus de quitter la cour, la France, et le service du roi et de la reine, et dÕaller chercher une plus heureuse fortune ailleurs, bien que de belles personnes fissent lÕimpossible pour me dtourner de ce dessein. Je le dis Sauveterre, et quÕil me trouvt une occasion de parler la reine pour me licencier dÕelle, qui sÕen devait le lendemain aller Paris voir monsieur son fils qui y tait malade, et avait pri toute la cour de lÕy laisser aller seule et de demeurer auprs du roi. Sauveterre, mon avis, lui dit ce pourquoi je dsirais lui parler ; car comme jÕentrai son cabinet, elle me dit : Ē Bassompierre, je mÕen vas demain Paris et ai command tout le monde de demeurer ici ; mais pour vous, si vous y voulez venir, je vous le permets et vous y parlerai : mais ne prenez pas mon mme chemin, afin que lÕon ne dise pas quÕ la rgle gnrale jÕy fasse quelque exception. Č Cela me ferma la bouche, et le lendemain Mrs de Crquy, Saint-Luc, et moi, nous nous en vnmes Paris et allmes attendre la reine en sa descente au Louvre, et la menmes chez Monsieur. Les autres sÕen allrent, et je demeurai jusques ce quÕelle ft en son cabinet, o jÕeus tout loisir de lui parler, et en sortis avec assurance quÕelle ne croyait rien de ce que lÕon lui avait voulu persuader, dont je lÕclaircis entirement.
La reine trouva Monsieur en meilleur tat que lÕon ne lui avait mand, et aprs avoir demeur deux jours prs de lui, elle sÕen revint passer la Toussaints et la Saint-Martin Fontainebleau (novembre), et puis sÕen revint par Villeroy Paris o elle demeura (dcembre) et parvint en lÕanne 1614 que les brouilleries commencrent se former.
Janvier.Ń Mr de Rohan avait brouill les cartes en Poitou et la Rochelle ; et Mr le Prince avec Mrs de Nevers et du Maine, joints au marchal de Bouillon, faisaient leurs pratiques, en sorte que la reine en dcouvrit quelque chose, et pour cet effet voulut mettre une arme sur pied. Mais comme le principal corps de la dite arme devait tre compos de six mille Suisses, et que Mr de Rohan tait leur colonel-gnral, la reine se rsolut de rcompenser cette charge et la tirer de ses mains. Mr de Villeroy qui a toujours affectionn la maison de Longueville, proposa la reine de la donner Mr de Longueville ; quÕelle le pourrait retirer par ce moyen dÕavec Mr le Prince. Mais elle ne sÕy voulut pas fier : elle proposa ma personne aux ministres, disant que je nÕy serais pas mal propre, tant cause de la langue allemande que jÕavais commune avec les Suisses que pour tre leur voisin. Mais Mr de Villeroy qui avait son dessein form, dit la reine que par les anciennes capitulations des rois de France avec les cantons, il tait expressment port que ce serait un prince qui serait leur colonel-gnral, et mme quÕil tait port prince du sang, mais quÕils sÕen taient relchs ; nanmoins que des princes lÕavaient toujours t, assavoir un de Beaujeu, prince du sang, et un autre ensuite ; puis Engilbert, Mr de Clves ; de l, trois princes de la maison de Longueville, dont le dernier, qui tait petit fils de Glaude de Guise, tant mort jeune, son grand pre empita ses deux charges de grand chambellan et de colonel-gnral des Suisses, dont il fit pourvoir ses deux enfants, et quÕenfin monsieur le conntable Anne de Montmorency en fit pourvoir son fils de Meru, dont les Suisses grondrent, qui nanmoins le souffrirent cause de la grande autorit et rputation de monsieur le conntable ; que Mr de Meru fut aid par Mr de Sansy pour obtenir du feu roi la charge dÕamiral de France en intention dÕtre pourvu en sa place de celle de colonel-gnral, mais que feu Mr le comte de Soissons, qui le hassait, porta les Suisses, au renouvellement de lÕalliance avec le feu roi, de demander que ce ft un prince qui fut leur colonel-gnral, et que Mr de Sully avait port le roi nommer Mr de Rohan pour cet effet, et quÕil avait crit auxdits Suisses quÕils le devaient recevoir en cette qualit puisquÕil lÕtait du sang de deux royaumes desquels il pouvait hriter, assavoir de Navarre et dÕEcosse. Sur ces raisons, la reine dsista de me proposer pour cette charge et leur nomma le chevalier de Guise, et le mme Mr de Villeroy continuant son premier dessein : Ē Cette lection donnera bien crier et un spcieux prtexte ceux qui veulent brouiller et qui se plaignent dj de la faveur que vous faites ceux de cette maison leur prjudice. Č Sur cela le conseil se leva, la reine leur disant : Ē Il faudra donc penser quelquÕun qui soit propre pour cela. Č
Comme elle fut revenue son cabinet, elle me dit : Ē Bassompierre, si vous eussiez t prince, je vous eusse donn aujourdÕhui une belle charge Č Je lui rpondis : Ē Madame, si je ne le suis, ce nÕest pas que je nÕeusse bien envie de lÕtre ; mais nanmoins je vous puis assurer quÕil y en a de plus sots que moi. Č Ē JÕeusse t bien aise que vous lÕeussiez t, me dit elle, car cela mÕet empch dÕen chercher un qui soit propre pour ce que jÕen ai maintenant affaire. Č Ē Madame, se peut-il savoir quoi ? Č Ē Ė en faire un colonel-gnral des Suisses, Č me dit elle. Ē Et comment, Madame, ne le pourrais-je pas tre si vous le vouliez ? Č Elle me dit comme ils avaient capitul avec le roi quÕautre quÕun prince ne pourrait tre leur colonel-gnral.
Comme nous nous en allions dner, je rencontrai par fortune le colonel Galaty en la cour du Louvre, qui, selon sa coutume, me vint saluer, auquel je dis ce que la reine mÕavait dit, lequel me rpondit quÕil se ferait fort de me faire agrer aux Suisses, et que, si je lui voulais commander, il partirait ds le lendemain pour en avoir leur consentement. Cela me fit remonter en la chambre de la reine pour lui dire que, si elle voulait, les Suisses y consentiraient. Elle me dit : Ē Je vous donne quinze jours, voire trois semaines de temps pour cela ; et si vous les pouvez disposer, je vous donnerai la charge. Č
Alors je parlai Galaty qui me pria de lui faire avoir son cong pour aller au pays, et quÕil partirait lÕaprs-demain, ce que je fis ; et au temps quÕil mÕavait promis il mÕenvoya une lettre des Cantons assembls Soleure pour lÕoctroi de la leve que le roi demandait, par laquelle ils mandaient au roi que, sÕil lui plaisait mÕhonorer de cette charge, ils me recevraient dÕaussi bon cĻur que quelque prince que lÕon y st mettre.
Sur cela la reine me commanda dÕenvoyer vers Mr de Rohan, lequel envoya sa procuration Mrs Arnaut et de Murat qui conclurent avec moi ; et parce que je voyais que le payement de la somme serait long, jÕoffris la reine dÕavancer lÕargent, pourvu quÕil lui plt mÕcrire quÕelle me le commandait, ce quÕelle fit ; et moi jÕeus mes expditions (mars), et prtai le serment le 12me de mars de la dite anne 1614.
Deux jours aprs vinrent les nouvelles comme Mr le Prince et Mr de Nevers avaient pris Mzires mal gard par la Vieville qui en tait gouverneur et tait lors Paris : ils se saisirent ensuite de Sainte-Menehou (avril). Ce qui obligea le roi faire une leve de six mille Suisses que je fus recevoir au commencement de mai Troyes. Ils taient en deux rgiments de trois mille hommes chacun, commands par les colonels Galaty et Feugly. Nous vnmes Basoche, puis la GrandÕParroisse et Nogent, de l Villenosse la Petite, ayant la tte tourne vers Paris. Mais je reus un courrier du roi qui me commanda dÕaller trouver avec ces deux rgiments Mr de Pralain qui assemblait lÕarme Vitry. Je mÕy en vins en quatre journes. Cette arrive des Suisses alarma les princes assembls Sainte-Menehou dÕo ils se voulurent retirer : enfin ils voulurent quÕau moins moi, qui leur tait suspect, se retirt ; et Mrs de Ventadour et prsident Jeannin, qui taient commissaires du roi pour traiter avec eux, mÕcrivirent que la reine avait besoin de mon service prs dÕelle, et quÕ mon arrive elle me dirait pourquoi cÕtait. Je mÕy en allai en diligence, et elle mÕen dit la cause.
Je demeurai peu de jours Paris sans que la paix ft conclue, en laquelle on donna Mr le Prince le chteau dÕAmboise pour place de sret ; les Suisses furent mis en garnison Sesanne et Barbonne en Brie (juin), o je les vins trouver et demeurai quelques jours avec eux faire bonne chre.
Je reus l la nouvelle de la mort du chevalier de Guise tu aux Baux, chteau de Provence, de lÕclat dÕun canon qui creva comme lui-mme y mettait le feu. Messieurs ses parents en furent extrmement affligs : jÕallai Paris les voir, et y demeurai quelques jours pendant lesquels mon cousin le comte Reingraf qui ne pouvait plus souffrir la vie dshonnte que sa sĻur lÕabbesse de Remiremont menait Paris, mÕenvoya un de ses gens me prier de donner ordre de la tirer de l, ce que je fis par la permission de la reine, et une aprs-dner la fis mettre en un carrosse, accompagne de trente chevaux, et lÕenvoyai Sesanne en mes quartiers, o de l son frre mÕenvoya la qurir.
La paix tant accomplie, la reine se rsolut de ne retenir que trois mille Suisses et licencier les autres. Pour cet effet je mÕen allai donner cong et les chanes dÕor (selon la coutume) au colonel Feugly, et amenai le rgiment de Galaty par Rosoy en Brie Milly o Mr le marchal de Brissac qui commandait la petite arme que le roi voulait mener en Bretagne avec lui, et Mr de Saint-Luc marchal de camp, se trouvrent.
Aprs leur avoir livr ce rgiment je mÕen vins Orlans trouver Leurs Majests qui en partirent le lendemain pour aller Blois, puis Pontlevoir, et Tours, de l Poitiers o il y avait eu quelque rumeur peu de temps auparavant, un gentilhomme nomm La Trie et Mr le marquis de Boysy en ayant t chasss par la brigue de lÕvque et dÕun sditieux nomm Berlan.
Le roi et la reine y demeurrent quelques jours, puis vinrent par Loudun Saumur, et de l Angers (aot), o les nouvelles arrivrent de la mort de Mr le prince de Conty.
DÕAngers nous vnmes Ansenis, et dÕAnsenis Nantes o le roi fit son entre deux jours aprs, venant de la fosse de Nantes pour la faire mieux paratre. On y tint les tats de la province, et le roi fut lÕouverture o lÕabb de Saint-Main fit une belle harangue et fort hardie contre Mr de Vendme : Mr de Rohan fut prsident aux tats : Mr de Vendme y arriva sur la fin, et lÕon rasa Blavet.
Je mÕen allai Belin, maison de Mr de Rohan, qui mÕen pria, et de l revins trouver Leurs Majests Angers, qui en partirent le lendemain, et allrent par la Flche (o on leur fit une comdie dÕcoliers), et puis Malicorne. Il parut au dit Malicorne, la nuit que le roi y fut, en une prairie, plus de huit cents feus qui avanaient et reculaient comme si cÕet t un ballet.
De l, le roi alla au Mans, puis Chartres, et Paris o les tats gnraux taient convoqus.
Octobre. Ń Madame la princesse fut en cette automne-l lÕextrmit dÕune violente petite vrole Amboise, que Mr le Prince remit entre les mains du roi, qui lui avait donne pour place de sret jusques la tenue desdits tats gnraux : et le roi tant entr en sa quatorzime anne, alla au parlement faire la dclaration de sa majorit, laissant nanmoins lÕadministration du royaume la reine sa mre, laquelle de ce jour-l ne fut plus rgente.
Novembre. Ń Les trois mille Suisses qui avaient accompagn le roi en Bretagne, furent mis en garnison Estampes leur retour, o la maladie les accueillit de sorte que plus du tiers en mourut, et on remit les compagnies de 300 hommes 160 ; puis comme ils commencrent se mieux porter, on leur changea dÕair et mit-on en garnison Meaux (dcembre).
Janvier.Ń LÕanne 1615 commena par la contestation de lÕarticle du tiers tat qui fit un peu de rumeur dans les tats ; enfin on le pltra.
La foire de Saint-Germain survint, puis le carme-prenant (fvrier), auquel Mr le Prince fit un beau ballet, et le lendemain fut la conclusion des tats.
Quelques jours aprs Madame dansa ce grand et beau ballet la salle de Bourbon o les tats sÕtaient tenus, lequel ne put tre dans le jour que lÕon avait propos, pour le grand monde qui emplit la salle, ou lÕordre qui ne fut bien gard ; pour quoi remdier, la reine commanda Mr dÕEpernon et moi de garder les avenues et ne laisser passer que ceux qui auraient des mreaux pour marque de pouvoir entrer : ainsi lÕordre fut trs bon (mars). Comme jÕtais lÕexcuter, il me vint un courrier qui mÕapporta nouvelle de lÕextrmit de la maladie de ma mre : mais la reine ne me voulut souffrir de partir quÕaprs le ballet, auquel lieu je passai bien ma soire en tant que les yeux le peuvent faire.
Je pris donc cong de la reine et des dames, et mÕen allai trouver ma mre que la joie de me voir remit en quelque sant ; et ayant demeur quinze jours avec elle, jÕallai de l voir mes amis en Allemagne (avril), et puis mÕen revins peu aprs Pques Paris.
JÕai dit ci-dessus que jÕtais all Rouen en grande compagnie quand le procs que jÕavais contre Antragues fut sur le bureau, et que mes parties, voyant quÕinfailliblement elles seraient condamnes, sÕavisrent, pour un dernier remde, de dire quÕelles avaient su que jÕavais des parents au degr de lÕordonnance, en nombre suffisant dans ledit parlement pour le pouvoir rcuser, demandrent une vocation et que cependant quÕils informeraient, le parlement ft interdit de connatre de notre procs. JÕoffris alors au parlement que si jÕavais, non le nombre de parents capable dÕvocation, mais un seul au degr de lÕordonnance, je consentais de perdre ma cause. Nanmoins il fallut cder aux formes qui leur donnaient temps dÕinformer : et par ces chicaneries, et autres semblables, firent en sorte que je ne pus depuis ce temps-l avoir jugement de mon procs. Mais comme ils nÕavaient plus de refuites, ils sÕavisrent, par le conseil de lÕvque de Beauvais qui lÕaffectionnait, dÕenvoyer demander Rome des juges dlgus pour connatre de cette affaire, ce qui nÕest point usit si les deux parties nÕen conviennent, ou que ce ne soit aprs que le diocsain, le mtropolitain, et le primat, auraient donn des sentences diverses. Nanmoins subrepticement ils en extorqurent, et demandrent lÕvque de Senlis, qui tait Mr le cardinal de la Rochefoucaut, lequel ils savaient bien quÕil ne lÕentreprendrait pas contre les formes ; lÕvque de Laon, de la maison de Nangis, et qui tait mon cousin, afin dÕavoir lieu de le rcuser ; et lÕarchevque dÕAix, qui tait un saffranier [misrable] et un fripon, tenu pour fou et qui pour douze cents cus que lÕvque de Beauvais lui avait promis, sÕoffrit de faire tout ce quÕil demanderait de lui : mais, par malheur, comme on le vint proposer Rome o il nÕtait pas moins dcri que connu pour tel quÕil tait, il fut refus, ce qui fit avoir recours une autre ruse qui tait que, puisquÕils ne se souciaient pas que la chose ft bonne et valable pourvu quÕelle ft, ils demandrent lÕvque de Dacs cause de la conformit des noms [qui sont tous deux aquensis] et nÕy avait que la diffrence dÕarchevque et dÕvque, et celle du rang ; car lÕarchevque et t nomm le premier et lÕvque le dernier. Ayant extorqu cette chose de Rome sans ma participation, rquisition, consentement, ni connaissance, lÕarchevque dÕAix (qui nÕtait ni mon vque, ni mon mtropolitain), sans tre nomm dans la commission, mais seulement lÕvque de Dacs, et, quand tout cela eut t, sans appeler ses associs en la commission, sans lesquels il ne pouvait agir, sans me faire citer, moi absent en Allemagne, envoya mon logis et parlant un Suisse, lui laissa un exploit quÕil nÕentendait point : au bout de trois jours, sans our les parties, ni contestation, ni refus mme de me prsenter, ou autre formalit, il dclara de sa pure autorit une promesse de mariage quÕil ne vit point (car elle tait avec les autres pices du procs Rouen), bonne et valable, et me condamna de lÕaccomplir quinze jours aprs Pques sur peine dÕexcommunication. Je ne sus rien de tout cela que la veille que je partis de Nancy o tait ma mre, et mÕen vins Paris o dÕabord je fis casser tout ce que ce fou enrag avait fait, et eus une prise de corps contre lui et cong de la reine, (indigne, comme tout le monde, de lÕinfamie de cet homme), non seulement de lÕexcuter, mais de prendre deux-cents mousquetaires suisses pour le conduire plus srement aux prisons de Rouen. Il se tint quelques jours cach, mais non si bien que je nÕen eusse quelque vent, quand monsieur le nonce qui craignait ce scandale, et les autres vques qui taient en peine de lÕaffront que ce galant homme allait recevoir, me parlrent de mÕen dsister, en me promettant que le clerg demanderait au pape des nouveaux juges, et le nonce me donnant parole que Sa Saintet dans trois mois au plus tard casserait, comme avait dj fait le parlement, toutes les procdures de cette bte ; ce quÕil fit, et me donna le choix des personnes quÕil dlguerait en France pour achever et terminer ce procs : mais je nÕen voulus aucun jusques ce que jÕeusse eu un plein et entier jugement du parlement o jÕtais attach et o cette cause tait retenue.
Mai. Ń Je me trouvai ce retour en de trs grandes perplexits, non seulement cause de cette affaire-l, mais aussi pour plus de seize cents mille livres que je devais Paris sans moyen de les payer ; et mes cranciers qui me voyant aller sur le sujet de lÕextrmit de la maladie de ma mre, avaient eu quelque esprance que des biens dont jÕen heriterais je les pourrais satisfaire, me voyant revenir et ma mre garantie de son mal, taient hors dÕesprance de pouvoir sortir dÕaffaires avec moi, et par consquent fort mutins. Il y avait aussi brouillerie en une maison entre un mari et une femme, dont jÕtais le principal sujet, qui me mettait en peine (juin) : mais plus que tout cela une fille grosse de sept mois, que je nÕattendais que lÕheure que lÕon sÕen apert avec un grand scandale et une mauvaise fortune pour moi.
Il arriva que peu de jours aprs jÕeus les cassations des procdures de ce bel archvque dÕAix ; que la mort de ma mre qui mÕapporta quelque cinquante mille cus dÕargent et me donna moyen de vendre pour cent mille cus de bien, et cent mille francs que jÕeus de tous les dons verifis que jÕavais (juillet) dont je traitai avec un nomm Verton, me firent payer sept cents mille livres de dettes, qui me mirent fort mon aise ; la brouillerie qui tait entre mari et femme sÕaccommoda (aot) ; la fille accoucha heureusement, et sans que lÕon sÕen appert, le 13me dÕaot ; et je mÕen allai Rouen o je gagnai mon procs contre Antragues pur et plein : de sorte que je fus dlivr en mme ou peu de temps de tous ces divers et fcheux inconveniens.
Le parlement fit des remontrances au roi, qui furent mal reues.
La reine vint tirer huit cent mille cus qui restaient en la Bastille, et fit prendre prisonnier le prsident le Jay qui fut men Amboise.
Le roi, la reine, et Madame, partirent le 18me dÕaot pour aller Bordeaux achever les doubles mariages dÕEspagne, o je pensais les devoir accompagner ; mais comme Mr le Prince et ses partisans se mirent en mme temps en campagne pour divertir le roi de son voyage et brouiller les cartes, le roi mit une arme sur pied, de laquelle il fit Mr le marchal de Boisdauphin lieutenant gnral, et Mr de Pralain marchal de camp ; il me commanda de demeurer avec eux, et laissa le rgiment des Suisses de Galaty en ladite arme.
Nous fmes conduire le roi et la reine jusques Berny, et puis revnmes Paris, o aprs avoir demeur peu de jours pendant que lÕarme se mettait sur pied, jÕallai cependant le 26me dÕaot, gagner mon procs Rouen o je vis la premire fois Mlle Tourmente avec laquelle je fis connaissance (septembre).
Ė mon retour de Rouen, qui fut le 6me, je trouvai que Mr le marchal de Boisdauphin tait dj parti pour aller Meaux, ce qui fit que je ne sjournai quÕun seul jour Paris et en partis le mardi 8me de septembre, jour de Notre Dame, et le vins trouver Meaux, dÕo il partit le lendemain avec ce quÕil avait dÕarme et vint loger Assy.
Le jeudi 10me il arriva Crpi en Vallois et y sjourna le lendemain.
Le samedi 12me il vint au Pont-Sainte-Maxence, et le lendemain monsieur le marchal envoya Mr de Pralain avec deux couleuvrines, et moi avec six compagnies de Suisses, pour assiger Creil sur Oise, ayant aussi donn rendez-vous 17 compagnies du rgiment de Pimont de sÕy trouver en mme temps, lesquelles nÕy arrivrent temps. Mr de Pralain envoya sommer le capitaine qui y commandait pour madame la Comtesse, (nomm Rimbaut), de rendre le chteau, ce quÕil fit aprs avoir vu notre canon. JÕen fus prendre possession, et peu aprs arrivrent les compagnies de Pimont desquelles jÕen laissai une Creil et revins avec les autres et les Suisses au Pont-Sainte-Maxence, o Mr le marchal sjourna encore le lundi 14me.
Le mardi 15me lÕarme vint loger Verberie, auquel lieu les ennemis vinrent la nuit nous donner quelque alarme au gu de la rivire qui est devant Verberie ; mais ils y trouvrent une compagnie de Suisses qui les fit retirer coups de mousquets.
Nous y sjournmes encore le lendemain, et le jeudi 17me nous primes le logement de Verneul pour tre plus commode pour faire tte Mr le Prince en cas quÕil voult passer la rivire dÕOise pour venir Paris, comme lÕon disait. Il prit cependant Chauny, et tant venu devant Montdidier, il en fut repouss ; et de l nous tenant en jalousie sÕil tirerait vers la rivire de Marne o vers celle dÕOise, nous obligea de demeurer audit Verneul jusques au mercredi 23me, que nous prmes le logement de Baron, o nous sjournmes le jeudi et le vendredi ; puis le samedi 26me nous prmes celui de Dammartin, et y demeurmes jusques au mercredi 30me que nous revnmes Meaux, auquel lieu notre arme se fortifia de plusieurs diverses troupes de cavalerie et infanterie qui sÕy vinrent joindre.
Nous en partmes le samedi 3me octobre et vnmes loger Fermoustier o nous sjournmes le dimanche, et le lundi 5me allmes la Fert Gaucher ; le mardi 6me Montmirail ; le mercredi Montmort, pensant pouvoir aller secourir Epernai que Mr le Prince assigeait et lÕy combattre, puisque nous nÕavions pu sauver Chteau-Thierry quÕil avait pris trois jours auparavant : mais nous emes avis comme ceux dÕEpernai avaient ouvert les portes son arme, et quÕil tait dlog pour aller Sesanne en Brie, ce qui nous fit aller le jeudi 8me loger un village nomm Baye ; et ayant envoy le rgiment de Vaubecourt gagner la chausse de Saint-Pris par o nous pouvions passer le marais de Saint-Gon qui dure prs de quinze lieues de long, il arriva que le sieur Descures marchal des logis gnral de lÕarme, en qui monsieur le marchal et Mr de Pralain avaient toute confiance et croyance, tomba extrmement malade, et ces messieurs en une telle irrsolution que lÕon ne les pouvait porter aucun dessein. Cependant nous voyions que Mr le Prince allait prendre Sesanne sur notre moustache, dont tous les chefs de lÕarme taient dsesprs ; nous allmes, Mr de Richelieu, matre de camp du rgiment de Pimont, Mrs de Vaubecourt, Bourg Lespinasse, et moi, trouver Mr de Refuges intendant des finances et de justice de notre arme, personnage de rare vertu, pour le prier dÕanimer nos gnraux et marchal de camp se rsoudre. Il nous dit quÕil nÕavait pas dj manqu de les y presser, mais quÕils lui avaient rpondu quÕil nous fallait voir la contenance et le dessein de lÕennemi pour, sur cela, former le ntre, et que la maladie de Descures auquel ils croyaient comme un ange, les tenait ainsi en suspens. Je leur dis alors : Ē Voyons Descures et le persuadons de leur mander que sÕils ne passent la chausse pour gagner Sesanne, Mr le Prince la prendrait infailliblement le lendemain ; Č ce que nous fmes, et Descures jugea comme nous quÕil nous fallait fortement passer la chausse, et leur manda quÕil la fallait ncessairement passer et aller aux ennemis. Monsieur le marchal dit quÕil voulait attendre quelques troupes qui lui devaient venir et jouer jeu sr. Sur cela Descures lui manda quÕil nÕy avait plus lieu dÕattendre, et que sÕil ne passait, il ruinait les affaires du roi. Alors il vint lui-mme pour sÕen rsoudre avec Descures, o il nous trouva ; et fut conclu que Vaubecourt passerait encore le jour-mme avec son rgiment et prendrait quelque poste avantageux ; que Pimont tiendrait le bout de de de la chausse ; et que tous deux feraient passer toute la nuit les bagages de lÕarme que nous fmes accompagner de quatre compagnies de carabins : et lÕon donna rendez-vous au reste de lÕarme au bord de la chausse au lendemain la pointe du jour ; ce qui sÕexcuta ponctuellement, et Mr de Pralain passa le vendredi 9me la chausse avec la compagnie de gens dÕarmes de la reine mre quÕil commandait, me laissant la charge et lÕordre pour faire passer le reste, puis de faire la retraite avec les neuf compagnies de chevau-lgers ordonnes pour cet effet ; ce que je fis sans dsordre, hormis que celui qui porta lÕordre aux chevau-lgers se perdit la nuit et ne leur porta quÕau jour, ce qui fut cause quÕelles arrivrent comme tout achevait de passer, et je laissai pour la retraite les compagnies de gens dÕarmes de Lorraine, Vaudemont, et Monbason, qui taient du rgiment de cavalerie dont on mÕavait donn le commandement. Comme le rgiment de Picardie, (dont Mr du Maine avait quelques jours auparavant dfait quatre compagnies au Bac Choisy, comme elles venaient au rendez vous de lÕarme), qui avait la retraite comme premier rgiment, commenait dfiler, nous vmes marcher de loin douze ou quinze gros de cavalerie qui taient nos chevau-lgers ; mais lÕon crut que cÕtaient les ennemis : je pris mes trois compagnies de gens dÕarmes pour tenir ferme et payer de nos vies pour faire passer le rgiment, ce quÕil fit, et bien vite ; mais les ayant envoy reconnatre, nous trouvmes que cÕtaient des ntres.
Ainsi nous gagnmes Sesanne en Brie et logemes notre arme aux environs : et peine taient nos carabins et chevau-lgers logs, que les ennemis vinrent porter lÕalarme quand et eux, ce qui les fit remonter cheval en diligence et envoyer leurs bagages au quartier de Pimont. Les ennemis avaient cinq gros de cavalerie qui paraissaient sur un tertre sans se bouger, sinon que quand ils nous virent avancer, ils se retirrent avec bon ordre derrire ce tertre ; et comme nous fmes halte, croyant que leur arme entire tait au vallon, ils remontrent et furent en cet tat jusques la nuit, quÕils se retirrent. Nos carabins prirent quelques valets de leur arme qui nous dirent quÕils se prparaient pour nous venir combattre le lendemain ; et je pense que les ennemis les avaient fait prendre exprs pour nous dire cette nouvelle, afin de nous cacher leur dessein qui tait de passer leur arme le marais de Saint-Gon Pleurs o il y a une chausse, afin de mettre ledit marais entre eux et nous pour pouvoir en sret aller gagner la rivire de Seine et la passer avant que nous nous pussions opposer leur passage.
Sur cet avis conforme aux apparences nous nous mmes en tat de donner bataille, en cas quÕils se prsentassent, le samedi matin 10me : mais les mmes cinq gros parurent seulement sur le mme tertre quÕils avaient fait le jour prcdent, ce quÕils ne firent autre dessein que pour nous cacher le passage de leur arme sur la chausse de Pleurs ; ce quÕils continurent encore le dimanche 11me : mais nous ne mmes notre arme en bataille, ainsi que le jour prcdent, cause du mauvais temps, nous contentant de leur opposer notre cavalerie. Ils se retirrent de meilleure heure ce jour-l quÕils nÕavaient fait le prcdent, pour aller rejoindre leur arme qui avait fait une grande traite pour arriver Mery sur Seine et passer avant quÕils nous puissent avoir sur les bras.
Nous ne smes que la nuit leur passage et dlogement, et le lendemain lundi 12me nous vnmes prendre notre logement Barbonne. En partant le matin de Sesanne les chevau-lgers eurent ordre dÕenvoyer vingt chevaux la queue de lÕarme pour prendre langue de leurs logements et de leur route : mais ils vinrent dire monsieur le marchal quÕils taient si fort harasss des deux jours prcdents auxquels il leur avait fallu tre continuellement cheval, quÕil leur tait impossible de pouvoir choisir dans tout leur corps vingt chevaux qui pussent faire cette corve. Monsieur le marchal sÕtonna de cette harangue peu coutumire dÕtre faite par des chevau-lgers, et moins au commencement dÕune guerre : je mÕoffris dÕy aller avec vingt chevaux sÕil me le voulait permettre, et au refus quÕil mÕen fit, je lui dis quÕil mÕavait fait la faveur de me donner le commandement dÕun rgiment de grosse cavalerie compos des compagnies de Lorraine, Vaudemont, Montbason, et la Chastre, lesquelles tiendraient honneur dÕtre employes aux corves que les chevau-lgers ne voudraient ou pourraient faire, et que je le suppliais quÕil me donnt la commission dÕy envoyer dix gendarmes de la compagnie de Mr de Lorraine et dix de celle de Mr de Vaudemont.
Il le trouva trs bon, et lÕheure mme jÕenvoyai lÕordre par Lambert la premire et par Des tant lÕautre, qui mÕen prirent et de trouver bon quÕils y allassent avec eux.
Ces deux troupes nous vinrent faire rapport de ce quÕils avaient pu dcouvrir du logement des ennemis, de la route quÕils tenaient, et de leur ordre : mais celle que Mr de Couvonges avait mene nous dit de plus que les gens auxquels commandait Mr du Maine, et sa personne mme, taient logs au de du marais de Saint-Gon, lequel ils leur avaient vu passer en un lieu o un homme peine, bien mont, sÕen pouvait retirer, tant dans le bourbier jusques aux sangles, et ne pouvant marcher quÕun de front. Lambert sÕalla mler parmi eux comme sÕil et t des leurs et out Mr du Maine jurant et maugrant du logement que Mr de Bouillon leur avait donn, capable de le faire perdre : il apprit aussi que leur dpartement tait Saint-Saturnin et Tas. Monsieur le marchal sur cet avis rsolut de le faire attaquer, et moi ayant demand la commission de lÕexcuter, Mr de Pralain dit quÕil la voulait faire, sur quoi je lui demandai donc dÕy tre son soldat et dÕy mener six-vingt chevaux des trois compagnies de gendarmes qui taient en lÕarme sous ma charge, ce quÕil mÕaccorda, et manda deux cent cinquante chevau-lgers de plus, cent carabins, cent gendarmes de la compagnie de la reine, et autant de celle de Monsieur, trente de la compagnie de Mr de Chevreuse, et autant de celle de Genlis : il prit de plus deux mille hommes de pied et leur donna rendez-vous un village dont il ne me souvient du nom, deux lieues dudit Saint-Saturnin, une heure aprs minuit, o ils se trouvrent. Nous partmes un peu aprs deux heures et marchmes droit Tas qui tait le logement plus avanc devers nous. Mais comme le jour nous eut pris une demie lieue dudit Tas, on conseilla Mr de Pralain de faire faire halte, sur un lieu minent, notre infanterie et de nous avancer en diligence droit Tas avant que les ennemis se pussent retirer ; et mme pour nous soutenir la retraite en cas que lÕon et fait ce logement de Saint-Saturnin pour nous donner une amorce, notre ordre tait que cinquante carabins seraient chacune de nos ailes, puis cent chevau-lgers de chaque ct plus en arrire, puis ma troupe au milieu, et derrire moi sur les ailes les deux-cents gens dÕarmes des deux grosses compagnies, et les soixante chevaux de Chevreuse et Genlis pour gros de rserve.
Nous marchmes ainsi jusques Tas o nous trouvmes les ennemis dlogs. Il arriva que, ayant pass Tas, Mr de Constenant qui commandait les chevau-lgers de lÕaile droite, lequel se faisait har de telle sorte par ceux de sa troupe quÕil les craignait plus dans le combat que les ennemis-mmes, se dbanda avec un de ses chevau-lger nomm Vallieres pour aller reconnatre la contenance des ennemis ; ce quÕayant vu, Mr de Vitry qui commandait ceux de lÕaile gauche, prit avec lui un chevau-lger et lÕalla joindre. Zamet et Montglat qui commandaient en leur absence, en firent le semblable leur imitation et donnrent toute bride jusques au corps de garde avanc de Mr du Maine, que commandait le baron de Poully, o ils perdirent un gentilhomme de Montglat nomm Loumiere : bien disent-ils quÕils blessrent le baron de Poully. En ce mme temps quelques autres chevau-lgers se voulant dbander pour suivre ces chefs, Mr de Constenant leur cria quÕils tournassent tte, ce que les carabins croyant tre dit pour eux, se retirrent, et leur imitation les chevau-lgers, tant il est de consquence de se bien expliquer.
Alors Mr de Pralain, Marillac et moi, quittant nos gros, courmes aux chevau-lgers savoir la cause de leur retraite sans lÕordre de Mr de Pralain, lesquels dirent que leurs chefs leur avaient cri. Sur cela Mr de Pralain leur dit quÕils se missent ct et derrire les deux compagnies de gens dÕarmes, et me dit lors : Ē Si je les faisais retourner leurs postes, ils ne feraient rien qui vaille ; car leurs chefs leur ont par mgarde donn lÕalarme ; Č qui fut la seule chose quÕil dit ou fit en capitaine de tout ce jour. Il me dit ensuite : Ē Mon fils, cÕest vous avoir la tte ; gouvernez-vous en sage capitaine et non en jeune vent comme ces messieurs qui ont abandonn leurs troupes. Č Sur ce, je mis ma troupe en deux gros de soixante chevaux chacun, et deux de coureurs de dix chevaux chacun, composs de gentilshommes volontaires, dont Mr de Poigny eut la charge de lÕun, et Mr de Bes de lÕautre. Ainsi nous allmes, salade en tte, droit aux ennemis qui taient douze cents pas de nous en bataille contre les haies de Saint-Saturnin, lesquels taient infailliblement perdus pour nÕavoir lieu de retraite et nÕtre que trois cents chevaux, que bons que mauvais, de troupes nouvelles leves, contre nous qui en avions le double de troupes entretenues et les plus belles du monde. Mais par malheur il arriva quÕun capitaine de carabins nomm la Haye en qui Mr de Pralain avait crance, vint mettre en lÕesprit irrsolu de Mr de Pralain quÕinfailliblement ces haies taient farcies de mousquterie, laquelle nous mettrait dÕabord la moiti de nos gens par terre et lÕautre en dsordre, ce quÕil lui imprima si bien dans lÕesprit quÕ lÕheure mme il mÕenvoya dire de me retirer. Je crus quÕil se moquait de moi et lui mandai que nos chevaux avaient rompu leur gourmette et nous emportaient droit aux ennemis, sur quoi il vint toute bride notre tte et cria halte, puis nous dit : Ē Mordieu, ne me reconnat-on pas ici pour y avoir le premier commandement ? Č Je lui dis : Ē Qui vous le dispute ? Mais je ne crois pas que Dieu vous veuille tant de mal que de vous inspirer de vous retirer voyant devant vous des ennemis en peu de nombre et qui nÕattendent que nous les joignions pour tre dfaits. Č
Il sÕapprocha lors de moi et me dit tout bas : Ē Vous ne jugez pas quÕil y a deux mille mousquetaires dans ces haies, dont je suis bien averti. Č Je lui dis : Ē Au moins, Monsieur, voyons si cela est : jÕirai, si vous voulez, escarmoucher avec vingt chevaux cinquante pas des haies ; ils ne se tiendront jamais de tirer quelque coup qui nous fera reconnatre ce qui en est : mais peine de ma vie quÕil nÕy en a point. Č Il me dit : Ē Je le sais mieux que vous, et vous prie de faire la retraite avec vos troupes. Č Je lui dis quÕelle tait bien aise faire devant des gens qui sÕenfuyaient. Et ainsi ayant Mr du Maine en nos mains, qui infailliblement y ft demeur mort ou pris avec un quart de la cavalerie de leur arme, qui et donn telle pouvante au reste quÕils se fussent dbands ensuite, Dieu nous ta lÕesprit et la connaissance de ce que nous pouvions et devions faire, et mit un tel dgot dans notre arme et telle opinion de nos chefs quÕil semblait que nous fussions nous mmes dfaits.
Ce fut le mardi 13me octobre que nous fmes cette belle affaire, o pour mieux dire que nous ne fmes rien sinon aller prendre notre logement Villenosse.
Le mercredi 14me nous arrivmes Nogent o nous emes avis que Mery sur Seine leur avait ouvert les portes, et quÕils avaient pass la rivire.
Nous la passmes le jeudi 15me et avions ordre de loger Traynel. Mais comme il nÕy a que deux petites lieues de Nogent, que le temps tait fort beau et lÕheure haute, les chefs murmurrent de cette petite traite, disant que lÕon voulait donner loisir Mr le Prince de se saisir de Sens. Descures qui tait en carrosse, bien malade, nous dit en passant que nous pourrions bien perdre Sens si nous ne nous htions davantage que nous ne faisions, et que nous pouvions bien loger Granges qui tait deux bonnes lieues de l. Je dis Mr de Pralain que je mÕassurais que monsieur le marchal le trouverait bon : il me dit que si je lui voulais aller faire rsoudre, quÕil ferait le logement de lÕarme tout prt pour faire marcher. Monsieur le marchal volait des perdreaux, et y courus et me doutant bien quÕil le trouverait bon, jÕenvoyai Cominges ds le mi-chemin dire Mr de Pralain et Descures que monsieur le marchal leur mandait de faire le logement Granges, et comme jÕeus joint monsieur le marchal, je lui dis que ces messieurs ne jugeaient le logement de Traynel propre pour lui cause quÕil y avait eu de la peste dans le chteau o il devait loger, que la traite tait trop petite et celle du lendemain pour aller Sens trop grande, mais que sÕil lui plaisait de loger une bonne lieue plus avant en un bourg nomm Granges, il y serait trs bien et propos. Il sÕy accorda, et je mÕen revins comme dj tout marchait Granges.
Il faut savoir que les ennemis marchaient cte cte de nous une lieue de distance sans savoir de nos nouvelles, ni nous dÕeux, tant tout tait en dsordre parmi nous ; et le logis de nos chevau-lgers tait le mme que Mr de Bouillon avait donn aux troupes de Mr de Luxembourg. Leurs marchaux des logis et les ntres se rencontrrent au logement ; et comme les ntres taient plus en nombre, ils chargrent ceux des ennemis et les chassrent, lesquels vinrent porter lÕalarme Mr le Prince qui fit mettre son arme en bataille, pensant nous avoir sur les bras, et la fit camper cette nuit-l en une plaine une lieue derrire nous sur le chemin de Sens o nous allions tous deux.
Il arriva encore une autre chose par cas fortuit, qui les tint en alarme, qui nous servit beaucoup : cÕest que ceux de Granges avaient retir leurs personnes et leurs biens dans lÕglise du village qui tait assez bonne pour coups de main, et mise en cet tat pour leur conservation ds les guerres de la Ligue. Ė lÕarrive de Mr de Pralain avec qui jÕtais, nous trouvmes que le prvt de lÕarme qui tait un assez bon voleur, pensant gagner beaucoup dans cette glise sÕil sÕen rendait matre, les somma de mettre ses archers dedans pour la garder, et eux ayant rpondu quÕils ne lÕouvriraient point jusques lÕarrive des chefs, ce prvt avait tir quelques arquebusades, et eux y avaient rpondu : mais lorsquÕils virent Mr de Pralain, ils lui mandrent quÕils taient prs de sortir, de revenir chacun en sa maison, et de fournir des vivres et ustensiles ce quÕil ordonnerait, ce que Mr de Pralain accepta, et leur manda quÕils ne sortissent point jusques ce que chacun ft log ; et lÕheure mme les fourriers de notre cavalerie lgre nous ayant port lÕalarme de lÕarme des ennemis qui taient sur nos bras, nous nous avanmes avec les troupes fait fait [au fur et mesure] quÕelles arrivaient, et comme monsieur le marchal vint Granges, trouvant cette contestation entre ce prvt et ces paysans renouvele, sans sÕenqurir de ce que Mr de Pralain leur avait ordonn, fit tirer trois coups de canon cette glise, et les paysans sÕtant rendus sa misricorde, commanda ce mme prvt dÕen pendre quatre des principaux, ce quÕil excuta avant notre retour, que nous lui rapportmes que les ennemis taient prs de deux lieues derrire nous et que notre tte tait forte de telle sorte que les ennemis ne pouvaient rien entreprendre cause dÕun profond ruisseau qui nous sparait ; et bien quÕils se fussent avancs demie lieue proche de Granges avec leur cavalerie, ils sÕtaient nanmoins retirs lÕentre de la nuit lorsque ces trois coups de canon avaient tir, qui leur firent croire que notre arme marchait pour les aller attaquer.
Ils se mirent donc en bataille, et y couchrent toute la nuit, et le lendemain attendirent jusques neuf heures que nous les vinssions attaquer.
Mais nous partmes au jour, dudit Granges, le vendredi 16me, et arrivmes Sens avant les ennemis lesquels sans doute se fussent empars de la ville sÕils y fussent arrivs les premiers, vu la difficult que les habitants firent de nous y recevoir et les grandes intelligences que Mr le Prince y avait. Nous nous logemes aux faubourgs, et peine pmes nous obtenir de ceux de Sens que les chefs avec leurs quipages logeassent en la ville.
LÕarme ennemie prit son logement Malay qui est une lieue de l, et y eut plusieurs escarmouches tout le temps que nous fmes vue les uns des autres, qui fut le samedi et dimanche suivant.
Ce soir les habitants de Sens tenaient leurs portes et ne laissaient entrer nos soldats quÕ la file pour acheter les denres, de sorte que monsieur le marchal, Mr de Pralain, et ceux qui taient logs dedans Sens taient en la puissance de ceux de la ville, affectionns Mr le Prince, qui tait si proche dÕeux. Comme nous fmes au conseil, on rsolut de se rendre matre de la ville, ce que je proposai de faire si lÕon mÕen donnait la charge, et ayant fait voir lÕordre que jÕy voulais tenir, il fut approuv, et lÕeus de lÕexcuter.
Donc le samedi matin 17me je fis le matin entrer plus de cent Suisses la file qui faisaient semblant dÕaller acheter des denres, et eurent ordre de se rendre la place, o il y avait un capitaine et dÕautres officiers qui leur diraient ce quÕils avaient faire. Je donnai aussi ordre un autre capitaine nomm Reding (gentil soldat), dÕentrer avec cinquante autres Suisses la file et de marchander des choses proche de la porte, afin que quand il me verrait entrer, il vint par dedans moi ; et fis tenir le capitaine Hessy avec deux cents Suisses le plus prs que je pus de la porte dÕo il ne fut point aperu, pour venir au premier signal que lÕon lui donnerait que je serais entr. JÕavais aussi fait dire au maire quÕil commandt la porte de faire entrer une escouade de Suisses pour faire garde devant le logis de monsieur le marchal, ce quÕil avait fait. Il tait aussi entr par les autres portes de la ville plus de trois cents soldats franais et quantit de capitaines et officiers, lesquels se devaient rallier au premier bruit. Ainsi sur les neuf heures du matin jÕentrai dans la ville avec six hallebardiers quÕils avaient toujours vus marcher devant moi : jÕavais aussi quatre ou cinq capitaines qui mÕaccompagnaient, qui avaient chacun deux trabans [gardes] leur suite : il y avait de plus douze ou quinze gentilshommes volontaires ou de mes domestiques. Ainsi en entrant sans faire mine de vouloir rien entreprendre, je mÕarrtai sous la porte et demandai qui tait celui qui commandait, lequel vint moi, et je le saisis : en mme temps vingt hallebardiers suisses se prsentrent aux bourgeois faisant la garde ; les cinquante Suisses sÕavancrent aussi afin que ceux qui gardaient ne fissent bruit par la ville, et les ayant dsarms, je fis entrer les deux cents Suisses de capitaine Hessy, qui furent suivis de six cents autres qui taient tout prts, et aller prendre les principales places et carrefours de la ville, o ils camprent, ayant t la garde des portes aux habitants sans aucune opposition ni dsordre : et aprs dner Mr de Pralain qui, outre la charge quÕil avait en lÕarme, tait encore lieutenant de roi dans la province, alla en la maison de ville o il dpossda le maire et les officiers souponns et en tablit en leurs places des affectionns au service du roi.
Les ennemis ne sortirent tout ce jour-l de leurs quartiers devers nous et y sjournrent, comme encore le lendemain dimanche 18me. Nous tnmes conseil pour savoir comment nous conserverions Sens, et quelles garnisons nous y laisserions, ce que nous ne pouvions faire quÕen affaiblissant notre arme : mais le lieutenant-gnral Angenou, le lieutenant criminel, et lÕarchidiacre nomm le Blanc, qui taient les plus affids au service du roi, nous assurrent que pourvu que lÕon chasst de la ville vingt-cinq habitants mutins, ils rpondaient de la conserver sans garnison ; ce que lÕon rsolut de faire, et on leur dit quÕils avisassent avec Mr de Pralain ceux quÕil faudrait chasser.
Le lundi 19me lÕarme ennemie dlogea de Malay, et je montai cheval pour voir leur dlogement et donner quelque coup de pistolet si le cas sÕy offrait. Mais ils laissrent quelque cent cinquante chevaux et cinquante carabins leur retraite ; et moi nÕen ayant que vingt, et eux se tenant serrs, aprs les avoir conduits une lieue par del Malay, mÕen revins Sens o je trouvai que lÕon avait envoy des billets vingt et cinq bourgeois pour se prparer le lendemain pour tre mens Paris avec une escorte dÕune de nos compagnies de carabins. JÕtais log chez le doyen de lÕarchevch, bon homme et bon serviteur du roi, qui me vint trouver aprs dner pour me dire que lÕon envoyait deux des chanoines, nomms Miette et lÕHermitte, dont il me pouvait rpondre du premier quÕil nÕy avait au monde un meilleur serviteur du roi, et quÕil me suppliait dÕavoir piti de lui et de lui permettre quÕil me pt parler. JÕallai la chambre du doyen o ce pauvre homme tait si perdu quÕil ne savait ce quÕil faisait : enfin lÕayant remis, il me dit quÕil nÕavait autre crime que lÕinimiti de lÕarchidiacre le Blanc, lequel lÕaccusait faussement dÕavoir dit quÕil voudrait que Mr le Prince ft roi : bien me confessait-il quÕil avait dit, voyant madame la Princesse si belle et jolie, quÕelle mritait dÕtre reine, mais quÕil nÕavait jamais entendu que ce ft de France. Moi qui tais de sa mme religion, entrepris son salut et lui promis de lÕassister. Je mÕen allai lÕheure mme au conseil o jÕtais mand chez monsieur le marchal auquel je dis le crime du chanoine Miette et la passion et intrt que jÕavais son salut, ce quÕil mÕaccorda.
JÕavais trouv en entrant la chambre de monsieur le marchal tous les condamns sortir de la ville, qui me firent tant de prires, soumissions, et piti, que mon cĻur se tourna en leur faveur ; ce qui me convia de dire Mr de Refuges : Ē Pour quel sujet veut-on dserter cette ville des principaux habitants, la plupart desquels nÕont autre crime que lÕinimiti des deux lieutenants et de lÕarchidiacre ? Pensez-vous que cela conserve mieux la ville ? Au contraire cela y fera natre tant de dissensions et de brigues par les parents et amis des chasss, que cent hommes des partisans de Mr le Prince, qui se prsenteront aux portes quand nous en serons loigns, seront capables de sÕen saisir, nÕy ayant point de garnison. Je serais dÕavis de conserver par douceur ce que vous ne voulez ou pouvez garder avec force, et en obligeant ces gens condamns, vous les rendre affectionns et fidles. Č Mr de Refuges me rpondit quÕil entrait dans mon sentiment et que si jÕen faisais la proposition, quÕil lÕappuierait de toutes les raisons que son esprit lui pourrait suggrer. Alors jÕallai parler Descures que je gagnai aussi, et quand jÕeus ces deux ma dvotion, je me sentis assur de faire faire aux autres ce que je voudrais. Donc, sur la fin du conseil, Descures ayant demand quelle compagnie de carabins monsieur le marchal voulait qui allt accompagner les bannis Paris, il lui commanda de faire lÕordonnance Montalant : je pris sur cela occasion de dire que Montalant nous serait fort ncessaire vers cette valle dÕAillan o les ennemis tournaient la tte, dÕo il tait et y avait son bien, quÕil connaissait le pays ; et ensuite je dis que ces bannis ne nous faisaient pas tant de profit les envoyer Paris que lÕescorte quÕil nous leur fallait donner nous causerait de dommage ; que lÕon mettait par cet envoi une dissension ternelle dans la ville de Sens, de laquelle Mr de Pralain ptirait un jour, et quÕils seraient plus affectionns, si on leur faisait la grce entire, que ceux-mmes qui avaient t pour nous ; et que si cÕtait moi faire, je leur pardonnerais ; que je voyais un chemin ouvert pour le faire de bonne grce, cÕest quÕils mÕavaient pri de parler pour eux et que je pourrais leur rpondre que monsieur le marchal mÕavait dit que si Mr de Pralain et moi voulions leur servir de caution, quÕil le ferait, dont je mÕassure quÕils nous prieraient instament, et que nous le ferions aprs avoir tir sret convenable de leur foi et parole ; que cela rendrait la ville trs affectionne Mr de Pralain qui avait intrt de sÕy conserver de lÕautorit ; quÕelle conserverait ses citoyens unis et que nous serions sans crainte dÕaucun sinistre accident pour le service du roi aprs que nous lÕaurions loigne. Mrs de Refuges et Descures fortifirent mon opinion de plusieurs raisons, et monsieur le marchal et Mr de Pralain y consentirent, comme firent aussi les lieutenants gnral et criminel : le seul archidiacre nous fut contraire, qui protestait que si on laissait ces gens dans la ville, quÕelle tait perdue, et que pour lui il tait rsolu, si nous le faisions, de sortir de la ville en mme temps que nous ; je le rapaisai enfin, lui disant que ces exils lui en auraient de lÕobligation, et que je ferais quÕils le prieraient dÕintercder pour eux : puis je sortis pour leur parler, qui furent ravis dÕentendre que je leur procurais avec lÕhonneur la libert de demeurer dans leur ville. Nous fmes semblant de rpondre pour eux, et ils se sont montrs depuis infiniment passionns au service du roi.
Notre arme vint le mardi 20me loger Saint-Julien du Saus et en partit le mercredi 21me pour venir loger Joigny. Mais comme quelques-uns des quartiers taient plus avancs et que lÕon avait envoy plus avant battre lÕestrade pour prendre langue des ennemis, nos coureurs vinrent jusques un ruisseau qui est au-devant de deux bourgs nomms Chanlay et ....., sans trouver personne. Un gentilhomme des miens, nomm Lambert, et un de Mr de Pralain, nomm des Combes, donnrent jusques aux portes de Chanlai quÕils trouvrent fermes et les ponts levs, et un homme dehors qui cueillait des herbes, quÕils amenrent Mr de Pralain qui menait la tte de notre arme : cÕtait un cuisinier de Mr de Luxembourg qui lÕassura que les troupes de Mr de Luxembourg taient loges audit Chanlay, qui taient prs de trois cents chevaux. Il sÕy achemina en diligence sur le rapport de Lambert et Des Combes qui lui assurrent que Chanlai tait de le ruisseau et que cÕtait un poste o nous nous pouvions tenir en bataille sans crainte dÕy pouvoir tre forcs par les ennemis sur la moustache desquels nous pouvions prendre Chanlai et les troupes qui taient dedans. Comme il y fut arriv, ses ordinaires irrsolutions le prirent, en sorte quÕil manda monsieur le marchal avec qui jÕtais lors, quÕil tait l, que les troupes de Mr de Luxembourg taient Chanlai que lÕon ne pouvait forcer sans canon, que lÕarme ennemie nÕtait quÕ une lieue de l et quÕil lui commandt sÕil se retirerait ou sÕil attaquerait Chanlai.
Monsieur le marchal lui manda quÕil ft ce quÕil verrait bon tre pour le service du roi : mais moi qui connaissais quÕil sÕen pourrait retirer de peur de nÕattirer sur lui le blme du succs que cette ambigu rponse lui laissait sur les paules, dis monsieur le marchal que ce que Mr de Pralain lui en mandait tait pour recevoir la rponse quÕil lui venait de faire, afin de se retirer et dire que sans son commandement (qui nÕtait prcis) il et pu dfaire ces gens enferms et dj en ses mains ; de sorte quÕil me commanda dÕy aller et me chargea dÕun double commandement selon ce que je verrais quÕil se fallt retirer ou opinitrer. JÕy allai donc au galop, et Dieu me fit rencontrer par les chemins les Suisses et lÕartillerie qui taient avancs : je dis au lieutenant de lÕartillerie que monsieur le marchal lui commandait de mettre deux btardes au crochet et les mener au trot Mr de Pralain, et dis en mme temps au capitaine Hessy qui conduisait le train, quÕil vnt courant avec cent hommes la suite des deux btardes, et je continuai mon chemin toute bride. Je rencontrai Richelieu et Vaubecourt qui me montrrent que si nous voulions seulement faire bonne mine, ces gens de Mr de Luxembourg taient perdus, et quÕils me priaient dÕanimer Mr de Pralain ; quÕau reste ils rpondaient de leur vie dÕempcher lÕarme entire des ennemis le passage du ruisseau, avec ces deux rgiments, mais quÕil faudrait faire avancer le canon en diligence. Je leur dis quÕil venait et que nous aurions lÕheure mme deux btardes que jÕavais fait avancer par ordre de monsieur le marchal, lequel suivait, et quÕils les fissent mettre en batterie cependant que jÕallais trouver Mr de Pralain, auquel je dis que monsieur le marchal lui mandait quÕil serait aussitt lui avec lÕarme et le canon, et quÕil garnt dÕinfanterie le bord du ruisseau, plaant la cavalerie o il jugerait propos ; quÕil lui envoyait cependant deux btardes pour escarmoucher et lever les dfenses, attendant les autres pices, et quÕil les employt dÕabord quÕelles seraient arrives ; et que sÕil me lÕordonnait, je les irais mettre en batterie en un lieu que jÕavais reconnu en passant, ce quÕil trouva bon, me disant seulement que je mandasse monsieur le marchal quÕil sÕavant promptement.
Comme je mÕen venais nos btardes, je trouvai que Mrs de Richelieu et de Vaubecourt les faisaient tirer au coin dÕune tour btie de boue et de crachat, quÕils renversrent la seconde vole, de telle faon que dix hommes de front y pouvaient monter. En mme temps Mrs de Boisdauphin et de Pralain y arrivrent et furent pris par Mrs de Constenan et de Vitry de recevoir composition ces troupes dont les chefs taient de leurs amis, et quÕils leur donnassent la vie aprs avoir pris et donn au pillage leurs armes, chevaux, et bagage, ce que monsieur le marchal accorda ces malheureux qui montraient leurs mouchoirs et chapeaux, suppliant que lÕon leur ft bonne guerre. Les deux entremetteurs pillrent les plus prcieuses choses, et ensuite nos soldats, qui selon leur coutume mirent le feu dans Chanlay.
En mme temps parurent les ennemis : mais ils ne sÕavancrent point ni nÕentreprirent de venir baiser [approcher] le ruisseau. Monsieur le marchal fut conseill par tous les chefs de se loger avec lÕarme Chanlai et ..... : mais comme lÕun tait brl et lÕautre peu logeable, que son dner tait prpar Joigny, il ne sut tre persuad de le faire, ce qui fut une grande faute ; car nous forcions par ce logement les ennemis de se jeter dans le Morvan et de perdre dans ce mchant pays leur bagage, infanterie, et canon, et prendre le haut du Nivernais passer le reste de leurs troupes qui eussent pu fuir devant nous, au lieu que nous nous amusmes trois jours Joigny et leur donnmes loisir de prendre le logis de Charny et de nous devancer la rivire de Loire. CÕtait lÕopinion de Descures, de Montalant, et de Pigeolet, qui connaissaient parfaitement bien ce pays-l, et ce quÕil fallait faire.
Ce mme Pigeolet voyant que les ennemis avaient la tte tourne devers Gien pour y passer, et, comme il tait du pays, sachant que si les ennemis y arrivaient les premiers, on leur en ouvrirait la porte, proposa monsieur le marchal de sÕy aller jeter si on lui voulait donner deux compagnies de son rgiment de Champagne et deux de celui de Boniface, avec trois charrettes pour porter du pain, du vin, et des munitions de guerre ; ce qui lui tant accord, il sÕy achemina passant travers de lÕarme des ennemis comme sÕil et t un de leurs rgiments, tambour battant, mais couchant dans les bois, et marchant travers champs, se jeta dans Gien ; et quand lÕarme ennemie y vint, elle y trouva visage de bois.
LÕarme partit de Joigny le samedi 24me pour aller prendre le logis de Charny ; mais les ennemis y tant venus les premiers, nous allmes loger Chteau-Renart pour les prvenir au passage de la rivire de Loire.
Le dimanche nous allmes Chatillon sur Loing, et y sjournmes le lundi sans aucune occasion.
Le mardi 27me nous vnmes loger Osoy sur Tres, o peu aprs notre arrive le lieutenant de Montalant nous vint donner avis comme une heure aprs que nos quatre compagnies de carabins avaient t loges leur dpartement nomm Ouson, ils y avaient t investis par lÕarme ennemie, et tout ce quÕils avaient pu faire avait t de faire partir ce lieutenant pour nous en avertir en diligence, nous mandant de plus que si le canon venait eux, ils se rendraient comme avaient fait les troupes de Mr de Luxembourg. Sur cette nouvelle monsieur le marchal fit tirer trois coups de canon, qui tait le signal pour faire venir tous les corps de lÕarme au quartier du gnral, et fit camper lÕarme jusques au lendemain matin, quÕil prit son ordre de bataille sur une ligne et mla chaque troupe de cavalerie et dÕinfanterie, avec les intervalles, et les gros de cavalerie reculs en sorte que la tte du premier cheval allait du pair avec le dernier rang du bataillon voisin.
CÕest une plaine dÕune grande lieue et demie qui est entre Osoy et Ouson, dans laquelle nous gardmes notre ordre, six pices de canon au crochet marchant au milieu de lÕarme devant le bataillon des Suisses. Nous nÕemes pas fait une demie lieue que nos carabins vinrent nous joindre, les ennemis sÕtant retirs de devant Ouson une heure devant le jour, tirant Bonny. Il y a un ruisseau en un fond vis vis dÕOuson, qui passe dedans Ouson et se va jeter dans la Loire, et la colline est petite quÕil faut remonter pour aller Bonny o sont toutes vignes dÕun ct et dÕautre du chemin qui y va. Il parut quelque cent chevaux de lÕautre ct de cette colline sur le haut, lesquels la premire vole de canon qui leur fut tire, sÕenfuirent au galop.
Nous passmes lors le vallon et marchmes quelque deux cents pas jusques ce que quatre voles de canon des ennemis nous furent tires, et nous fut command de faire halte. Le canon des ennemis tait log lÕavantage et leurs troupes mal en ordre dans le fond proche de Bonny, et si nous nous fussions toujours avancs, nous les dfaisions sans combat, comme il fut reprsent par plusieurs des chefs monsieur le marchal : mais il se fcha et dit ceux qui lui parlrent quÕil savait son mtier, quÕil avait ses ordres du roi, lesquels il saurait bien excuter et lui en rpondre. Ainsi il nous laissa canonner par les ennemis prs de quatre heures sans sÕavancer ni reculer, sans entreprendre ni seulement vouloir permettre que lÕon gagnt un bois la gauche, lequel occup et forc les ennemis de quitter leur poste, et se fussent dfaits eux mmes. Je nÕai vu, devant ni depuis, arme si leste ni de si bonne volont et qui fit meilleure mine que celle l, et puis dire que si Dieu nÕet ce jour l aveugl monsieur le marchal, il pouvait sans pril acqurir une grande gloire : il avait les ennemis entre ses mains qui ne pouvaient reculer ni refuser de combattre ; ils taient en dsordre, nÕayant toutes leurs troupes ensemble ; la cavalerie de Mr de Longueville tait trois lieues de l, qui tait la plus leste de leur arme ; ce qui tait l avait lÕpouvante, cÕtaient troupes nouvelles mal armes et qui eussent rendu peu ou point de combat.
Enfin, monsieur le marchal nous fit repasser le ruisseau, et camper lÕinfanterie avec le canon sur le haut de cette colline, ayant le ruisseau devant nous ; et lui, alla loger Ouson qui tait tout contre ; et comme la cavalerie qui tait loge deux lieues de l, Briare et autres lieux, fissent instance dÕavoir permission dÕaller loger en leurs quartiers et non de camper, vu que tout le jour prcdent, la nuit suivante, et cette prsente journe, ils avaient t sans faire repatre leurs chevaux, il leur accorda aussi facilement que sÕil nÕet pas eu les ennemis en pleine campagne devant lui, que si lors Mr le Prince ft venu avec toute son arme entire charger notre infanterie seule, dnue de la cavalerie, il nous et bien donn de la peine. Les chefs particuliers demeurrent sur le champ de bataille prs de leurs gens, avancrent leurs sentinelles et les revisitrent toute heure, ne doutant point que les ennemis eussent autre dessein que de passer la Loire ; et mme nous voyions avant la nuit leurs bagages et quelques troupes de cavalerie qui passaient.
Sur le minuit, nous vmes leurs feux plus grands et plus apparents, ce qui nous fit juger quÕil nÕy avait personne autour dÕiceux, et que les ennemis les avaient quitts : Mr de Rambures et moi nous avanmes, ayant jet devant nous le capitaine Marsillac avec vingt soldats, et vmes quÕil nÕy avait rien entre Bonny et nous, et que les ennemis passaient assurment. Nous pouvions encore dfaire leur arrire-garde et gagner les canons qui ne passrent quÕ huit heures du matin : ainsi tant retourns o les troupes taient campes, nous vnmes trouver Mrs de Richelieu, de Bourg, de Vaubecourt, de Boniface, et de la Melleraye, qui nous fmes rapport de ce que nous avions vu, qui furent dÕavis dÕenvoyer Mr dÕEspinai Boisdanebourg trouver monsieur le marchal et Mr de Pralain pour leur en donner mme avis et leur porter le ntre qui tait de faire tirer trois coups de canon pour faire venir nous la cavalerie, et cependant marcher la tte baisse droit eux, que le pays tait favorable pour lÕinfanterie, qui taient vignobles, et que lÕaffaire tait, sans rien hasarder, sre de ne faire pas un mdiocre gain pour le service du roi. Mr de Pralain nous manda quÕil tait enrag de voir que monsieur le marchal laissait passer toutes les belles occasions, et que pour lui il ne savait plus que lui dire, et quÕil ferait simplement ce quÕil lui commanderait, puisquÕil ne voulait point se servir de son conseil. Monsieur le marchal dit lÕEspinai quand il lui eut fait rapport de ce que nous lui mandions : Ē Bon, bon, mon ami, voil qui va bien, cÕest ce que je demande ; dites-leur quÕils viennent demain de bon matin me trouver, et nous tiendrons conseil de ce quÕil nous faudra faire. Č Nous pensmes dsesprer de cette rponse et fmes sur le point de faire tirer trois coups de canon et lui donner lÕalarme pour le faire lever : mais le lieutenant de lÕartillerie dit quÕil ne lÕoserait faire sans lÕordre de monsieur le marchal ou de Mr de Pralain. Ainsi nous attendmes le jour et vnmes au logis de monsieur le marchal qui nous fit attendre sa cour plus dÕune heure parce quÕil faisait panser sa jambe : de l il tint conseil, aussi gai que si tout ft all le mieux du monde, et nous dit : Ē Au moins avons nous fait enterrer hier les ennemis du roi, (parce que leur arme avait un poste couvert), et aujourdÕhui nous les ferons noyer. Č Je demandai monsieur le marchal quÕil me permt dÕaller pour le moins voir le passage des ennemis avec les gentilshommes volontaires qui me voudraient suivre ; et comme il ne me dit ni oui ni non, je pris cela pour une permission et mÕy en allai.
Je marchai jusques Bonny sans rencontrer un seul homme : les habitants me dirent, en me prsentant leurs clefs, que Mr le Prince et les autres chefs taient partis ds deux heures, mais quÕil y avait encore plus de deux mille hommes passer et deux de leurs canons quÕils avaient patients sur le haut de Neuvy (lieu de leur passage) contre nous, pour tirer si nous venions troubler leur retraite, dont ils craignaient fort. Je passai outre, et de lÕautre ct de Bonny nous trouvmes trente carabins des ennemis que nous chargemes, quelque vingt chevaux que nous tions, et les taillmes en pices, demeurant cinq de morts sur la place et quelques prisonniers. JÕenvoyai donner cet avis monsieur le marchal et Mr de Pralain : ce dernier y vint et fit avancer les rgiments sur un bruit qui avait couru dans Ouson que jÕtais engag ; mais quand il fut arriv, nÕayant point de cavalerie, et monsieur le marchal lui ayant mand quÕil nÕentreprt rien sans lui, il sÕarrta.
Nous lÕattendmes proche de Neuvy jusques aprs son dner, et il vint voir le gu o lÕarme ennemie avait pass, puis il vint prendre son logement Bonny o il demeura le lendemain vendredi 30me octobre, et tint conseil entre Mrs de Pralain, Refuges, Descures, et moi, de ce quÕil devait devenir, disant que la reine et le roi lui avaient mis cette arme en main pour conserver cette partie de la France qui est de la Loire, ce que, Dieu merci, il avait fait avec gloire et honneur, puisquÕil en avait chass les rebelles, et quÕil ne lui restait plus quÕ reprendre les villes de Chteau-Thierry, Espernay, et Mery sur Seine, pour avoir gouvern cette partie de la France quÕon lui avait confie, en telle sorte que les ennemis du roi nÕy auraient pas conserv un pouce de terre, et quÕil mditait aller prendre lesdites places, ce quÕil nÕavait pas voulu excuter sans en prendre pralablement notre avis.
Je nÕeus pas assez de patience pour attendre mon rang de lui rpondre et lui dis : Ē Comment, Monsieur ? Auriez-vous bien eu en pense de laisser le roi attaqu de Mr le Prince avec une arme qui sÕen va frache et glorieuse contre lui sans avoir eu ni tour ni atteinte, et au lieu de la suivre et de la divertir dÕaller attaquer le roi dnu de forces et qui sÕest attendu que vous empcheriez Mr le Prince de le suivre, avec celles quÕil vous a confies, songer dÕaller reprendre Mery et Espernai? Il nÕattend pas cela de vous ; Espernai ni Mery ne le presse point, cÕest Mr le Prince, qui le va attaquer ; Mr le Prince est votre tche, et cÕest contre lui que le roi vous a destin : suivez-le au nom de Dieu, Monsieur, et pour votre devoir et pour le secours du roi, qui ne sera pas sans tonnement quand il saura que Mr le Prince vous est chapp et quÕil sÕen va droit lui. Č
Quand Mrs de Refuges et Descures eurent vu que jÕavais rompu la glace, ils ne feignirent point de lui parler fort fermement, comme fit aussi Mr de Pralain quand ce vint lui parler. Il et t dsirer que nous eussions pris la piste de Mr le Prince : mais la rivire crt en un jour de deux pieds par une grande pluie qui vint et parce aussi que de sa source le temps o nous tions lui en envoyait assez pour crotre.
Il rsolut donc de sÕen aller le lendemain samedi dernier jour dÕoctobre, Gien, dÕo il dpcha Mr de Constenant avec la compagnie de chevau-lgers du roi pour aller Paris qurir une montre pour lÕarme, et lÕescorter. Cependant il se rsolut dÕaller passer la Loire Jargeau.
Le jour de la Toussaints, premier du mois, nous vint avis du matin que les retres du comte de Withenstein avaient dfait et tu Mery le marquis de Renel, et sÕen venaient passer la rivire Chteauneuf. Monsieur le marchal commanda Mr de Pralain de sÕavancer avec huit cents chevaux pour le combattre, ce que nous fmes et vnmes repatre Chatillon sur Loing, et marchmes la nuit du lundi 2me.
Mais les retres avaient fait une grande cavalcade et avaient pass Chteauneuf huit heures avant que nous y eussions pu arriver. CÕest pourquoi frustrs de notre esprance nous vnmes loger Lory o nous demeurmes le lendemain mardi 3me, tant pour rafrachir nos chevaux de ces deux traites que pour savoir des nouvelles de monsieur le marchal qui nous suivait avec lÕarme et nous donna rendez-vous pour le mercredi 4me Boiscommun.
Le jeudi 5me nous vnmes Neuville, et l le dessein de passer Jargeau fut chang, ni mme de passer Orlans, lÕinstance de Descures qui voulait viter le passage de lÕarme son pays ; de sorte que le vendredi 6me nous logemes Gidy, et le samedi Boisgency auquel lieu, o pour attendre lÕargent de la montre de lÕarme ou pour autre raison que lÕon nous cacha, nous sjournmes jusques au mardi 10me que nous allmes loger Mer ; et le mercredi 11me nous allmes passer la rivire sur le pont de Blois et loger aux environs.
Le jeudi 12me nous primes le logis de Pontlevoir ; le vendredi 13me Bler ; et le samedi 14me Cormery o nous sjournmes le dimanche ; et le lundi 16me nous vnmes Sainte Maure o nous demeurmes jusques au jeudi 19me que, Mr de Pralain tant tomb malade, et lui tant venu un ordre du roi de se saisir de lÕėle-Bouchart et de sÕassurer de Chinon, Sa Majest ayant quelque soupon du sieur de Baslon qui en tait gouverneur, monsieur le marchal mÕen donna lÕune et lÕautre commission.
Je mÕacheminai au quartier de Pimont et de trois autres rgiments quÕexprs on avait fait loger demie lieue de lÕėle-Bouchart, et fis partir six officiers avec ordre dÕassembler sous main tous les soldats qui taient alls l'ėle-Bouchart pour y faire des emplettes ou pour y ivrogner, et de les tenir en la place, devant le chteau et proche du pont, ce quÕils firent sans donner soupon de leur dessein ; et peu aprs jÕarrivai avec mon train et quelques gentilshommes volontaires une hostellerie du faubourg, o le capitaine du chteau, ds quÕil sut mon arrive, me vint trouver, et moi je lui montrai lÕordre que jÕavais de monsieur le marchal de me saisir de la place. Il fut bien tonn, et me dit quÕelle tait place de sret de ceux de la religion, que sans lÕordre particulier de Mr de la Trimoulle, il ne le pouvait faire. Je ne lui marchandai point lui dire que si je nÕtais dans demie heure dans le chteau, il serait dans trois quarts sous une potence, et le menai en mme temps la ville o je trouvai plus de quatre cents de nos soldats avec ces officiers, qui sÕtaient saisis des portes et du pont. Lors monsieur le gouverneur du chteau fut bien tonn et cria que lÕon baisst le pont. Il nÕy avait que quinze hommes dedans, que je mis dehors, et en leur place le capitaine....., du rgiment de Champagne, attendant que jÕy eusse autrement pourvu, comme je fis le lendemain, du capitaine Laur, huguenot, du rgiment de Navarre, mais bon serviteur du roi, avec sa compagnie et celle de St Cric.
Je partis une heure aprs minuit le vendredi 20me, et mÕen vins Chinon o quatre compagnies de Navarre y avaient rendez-vous. Je les mis en bataille devant le chteau, couvert toutefois, et envoyai dire Baslon que jÕtais l pour parler lui, et quÕil vnt sur ma parole. Je nÕtais pas en doute de sa fidlit au service du roi ; car je le connaissais homme de bien, et mon ami ; mais on lui avait rendu de mauvais offices auprs du roi : il me dit que cÕtait Mr de Courtenvaut ; je nÕen sais rien. Il sÕen vint lÕheure mme me trouver, et aprs lÕavoir embrass je lui dis que jÕavais charge de mettre deux cents hommes de garnison en ce chteau, qui le devaient reconnatre ; sÕil le voulait, la bonne heure, et si non, quÕen toute sret il pouvait rentrer au chteau que jÕavais charge dÕinvestir. Il ne hsita point me dire que non seulement il les recevrait, mais quÕil en sortirait lÕheure mme pour faire place un autre si lÕon avait la moindre dfiance de lui, et quÕil savait bien que je serais caution de sa fidlit si lÕon en tait en doute. Je fis donc aussitt entrer, pendant quÕil me fit apporter djeuner, les compagnies de Casteras et dÕAmpus du rgiment de Navarre, et mÕen retournai dner lÕėle Bouchart dÕo je partis aprs y avoir laiss lÕordre ncessaire, le samedi 21me, et vins me rejoindre lÕarme qui tait la Haye en Touraine, dÕo elle partit le mme jour pour aller coucher Ingrande o nous demeurmes le dimanche, et allmes, Mr de Pralain et moi, voir madame de Chappes la Guierche ; et le lundi 23me nous vnmes Montoyron ; le mardi Chauvigny o nous sjournmes le lendemain, et le jeudi 26me nous logemes Vernon, le vendredi Champagnai Saint-Hilaire ; le samedi 28me Civrai o lÕarme sjourna le dimanche, et moi je mÕen vins avec le comte de la Rochefoucaut Poitiers.
Le lundi 30me nous vnmes loger Vertueil, et le mardi premier jour de dcembre lÕarme vint Manle et y sjourna le lendemain.
Dcembre. Ń Le jeudi 3me nous vnmes Montignac et le lendemain Angoulme.
Le samedi 5me nous vnmes Chteauneuf o nous demeurmes jusques au mercredi 9me que nous vnmes loger Barbesieux o Mr le duc de Guise arriva le lendemain avec six compagnies de chevau-lgers et amena deux marchaux de camp, Mr de Montigny et Mr de Saint-Geran. Ce premier arriva devant lui pour nous apporter les lettres du roi par lesquelles il nous commandait de reconnatre doresenavant Mr de Guise pour notre gnral.
Il sjourna Barbesieux jusques au dimanche 13me quÕil fit partir lÕarme par un temps dsespr, et vint coucher Baygne o il fut contraint de sjourner le lendemain pour laisser revenir les soldats qui nÕavaient pu arriver cause du mauvais temps.
Le mardi 15me nous vnmes Jonsac o nous demeurmes jusques au samedi 19me que nous vnmes Archiac, et le dimanche Cognac ; et par les chemins Mr de la Rochefoucaut ayant fait dtourner Mr de Guise pour lui prsenter trois cents chevaux quÕil avait mis sur pied pour le service du roi, il trouva quÕils sÕtaient dbands la nuit mme pour sÕen retourner chez eux, craignant les trois armes, assavoir la notre, celle qui marchait avec le roi, et celle des ennemis qui taient proches de leurs maisons.
Nous demeurmes Cognac jusques au jeudi 24me que nous fmes loger Jarnac, et le lendemain jour de Nol Mareuil, et le jour dÕaprs Aigre o elle sjourna le dimanche 27me, et Mr de Guise y festina les Suisses.
LÕarme alla le lendemain Villefaignan ; le jour dÕaprs Sausay, et y demeura le 30me ; et le dernier de dcembre elle logea Laysey dÕo Mr de Guise alla faire lÕentreprise de Saint-Maixent qui et, si elle et t excute selon quÕil lÕavait propose, mis fin la guerre : car il prenait tous les chefs de lÕarme qui y taient venus tenter Mr de Sully pour se joindre eux. Mais Mr de Saint-Aignan qui avait ordre de gagner un pont, se dtourna pour aller dfaire quelques carabins, aprs quoi il fit sonner force fanfares, et cependant Mr le Prince et les autres passrent sur ledit pont et se retirrent en leur arme.
Mr de Guise se retira, voyant son entreprise faillie, aprs avoir t quarante heures cheval, et vint coucher le 2me janvier Couay o je le vins retrouver. Car jÕavais t mand par la reine mre de lÕaller trouver son passage dÕAngoulme pour la venir claircir dÕun avis que je lui avais envoy quÕinfailliblement Mr de Vendme tait du parti de Mr le Prince, ce quÕelle ne pouvait croire, vu les assurances contraires quÕelle en avait, et moi lui ayant encore mand que je lui rpondais que cela tait, elle me manda que je la vinsse trouver, et Mr de Guise quÕil me donnt cong, ce quÕil fit et Mrs de Montigny et de la Rochefoucaut aussi ; et partmes dÕAigre le 28me de dcembre et vnmes coucher Angoulme. Mais le roi avait chang de dessein et tait all la Rochefoucaut. Nous trouvmes Mr de Crquy arriv Angoulme, qui se joignit nous, et allmes le lendemain 29me coucher la Rochefoucaut o nous trouvmes Leurs Majests qui nous firent fort bonne chre. Nous y vmes la jeune reine aussi.
Le mercredi 30me je fus ou au conseil o jÕeus contraire Mr le prsident Jeannin qui rpondait de la fidlit de Mr de Vendme. Mais quand jÕeus donn les lettres de plusieurs particuliers qui crivaient leurs amis quÕils avaient charge, qui de Mr le Prince, qui de Mrs de Longueville ou du Maine, de se joindre Mr de Vendme, il cessa de lÕopinitrer.
JANVIER.Ń Nous demeurmes encore le jeudi dernier jour de lÕan la Rochefoucaut o je ne passai point mal mon temps ; puis sur lÕavis que nous emes que Mr de Guise tait all la guerre, nous partmes deux heures avant le jour le vendredi premier jour de lÕanne 1616 et vnmes dner Ruffec et coucher un lieu dont je ne me souviens du nom ; et le lendemain samedi 2me nous arrivmes Couai peu aprs que Mr de Guise fut revenu de son entreprise au mme lieu, o il sjourna cause que les ennemis voulurent venir donner une estrette [attaque] notre cavalerie lgre qui tait loge Saint-Sauvan ; mais comme nous emes avis de leur venue, la dite cavalerie se retira dans le quartier du rgiment de Pimont ; et le mauvais temps quÕil fit la nuit du 4 au 5me de janvier nous empcha de les suivre pour les charger leur retraite.
Nous allmes le mardi 5me voir la reine et le roi sur les chemins au partir de Civrai pour venir loger un chteau nomm...... o Mrs de Crquy, la Rochefoucaut, et moi, emes cong de Mr de Guise dÕy aller, et le mercredi 6me nous lÕallmes retrouver Lusignan dÕo il partit le lendemain pour venir loger Pamprou.
Comme nous fmes au rendez-vous, toute la cavalerie demanda cong de sÕen aller, ne leur tant plus possible de tenir la campagne en cette saison, et quelque prire que leur pt faire Mr de Guise, il ne leur put persuader, et ne lui donnrent plus que trois jours demeurer prs de lui. Comme nous fmes logs Pamprou, Mr de Guise se promenait avec moi en colre du refus des troupes de marcher et demandait mon avis de ce quÕil en devait faire : je lui dis quÕil en devait donner avis au roi et cependant les faire pratiquer pour lui donner encore quinze jours de service, aprs lesquels il me semblait bien raisonnable quÕil les mit pour deux mois en garnison, vu la saison et le mauvais temps, joint que les armes lÕhiver rarement tenaient la campagne.
Comme nous tions sur ce discours, Mr de Vitry nous manda quÕ un village demie lieue de leur quartier et une lieue de Pamprou, nomm Nanteuil, il y avait trois rgiments des ennemis logs, qui ne se doutaient de rien ; quÕil avait fait monter cheval la cavalerie lgre qui tait avec lui ; que la compagnie de gendarmes du roi, qui tait prochaine, en avait fait de mme, et que ds quÕils auraient son ordre, ils les attaqueraient.
Nous montmes lÕheure mme cheval et y courmes toute bride, Mr de Pralain, Mr de Schomberg, et moi, avec quelque vingt chevaux ; Mr de Guise suivait ; Lambert, Guittaut le jeune, et Descombes ouvrirent la barricade de lÕentre du village, et nous donnmes dedans par un ct. Les ennemis se voyant surpris ne firent aucune rsistance, et ceux qui purent se jetrent dans lÕglise, auxquels on donna la vie aprs les avoir dsarms et dvaliss. En mme temps que nous donnions par une avenue, les chevau-lgers donnrent par lÕautre, et la compagnie de gendarmes du roi que Mr de Saint-Geran amena en mme temps en fort bon ordre, fut tenue par Mr de Guise lÕavenue de Saint-Maixent en cas que les ennemis voulussent venir au secours ou que ceux qui taient dans le village (qui se nomme Nanteuil) pensassent faire leur retraite Saint-Maixent. On apporta lÕheure cinq drapeaux Mr de Guise, et lui furent prsents deux matres de camp prisonniers, dont lÕun tait Mr de Beins, frre dÕune des filles de la reine : Mr de Schomberg apporta un desdits drapeaux quÕil avait pris en entrant. Nous ne perdmes en ce combat que Mr de Chemeraut qui fut tu, et Lambert bless dÕune mousquetade charge de drages qui lui fit plus de soixante trous dont nanmoins aucun ne fut dangereux. Nous revnmes de l coucher Pamprou o nous nÕarrivmes quÕil ne fut dix heures du soir.
Le lendemain vendredi 8me lÕarme prit le logement de la Motte Saint-Esloy o nous demeurmes le samedi 9me sur un avis que lÕon donna Mr de Guise que Mr le Prince devait venir la nuit suivante pour charger un de ses quartiers, ce qui fut cause de nous faire tenir toute la nuit dans le champ de bataille du rendez-vous de lÕarme.
Le dimanche 10me lÕarme alla loger Lusignan, mene par Mr de Guise et messieurs les marchaux de camp. Mais pour moi avec Mrs de Chevreuse, Crquy, [la] Rochefoucaut, Bressieux et toute la noblesse, nous vnmes coucher Poitiers.
Mr de Guise sjourna le lendemain 11me Lusignan pour licencier lÕarme quÕil envoya en garnison, et le mardi 12me il fit marcher le reste quÕil conserva en corps pour sÕen servir o besoin serait, et logea Montereuil Boni, et y sjourna le lendemain avec les Suisses, le canon et les vivres.
Le jeudi 14me le logement fut Vouill ; le vendredi 15me Chesnechay o elle sjourna le lendemain pour le rigoureux temps de neige quÕil faisait ; le dimanche 17me Savigny et le lundi 18me Faye la Vineuse dÕo les Suisses et le canon partirent le lendemain 19me janvier pour ramener lÕartillerie Poitiers et y venir tenir garnison, et y entrrent comme la cour en partait par le plus fcheux temps qui ait t depuis longues annes.
Le jour auparavant la reine mÕenvoya qurir, comme elle tait au conseil, et me dit comme le roi avait rsolu de mettre quinze cents Suisses en garnison Poitiers et quÕelle se promettait que je donnerais bon ordre de les faire agrer par les habitants avec lÕassistance que Mr de la Rochefoucaut et le maire me donneraient, et quÕen mme temps que la cour sortirait on les ferait entrer. Je connaissais assez quel pril cÕtait dÕintroduire une garnison Poitiers, et mÕexcusai le plus que je pus dÕaccepter cette commission, disant la reine que le gouverneur de la ville et le maire taient plus que suffisants cela ; mais il fallut que jÕeusse la corve, ce qui me russit plus heureusement que je ne me lÕtais imagin ; et nÕy eut jamais aucune sdition ni rumeur, tant lÕtablissement quÕau sjour.
Je demeurai huit jours Poitiers, au bout desquels je fis rsolution dÕaller trouver le roi Tours, et pour cet effet je vins la maison de ville le mardi 26me, et voulus prendre cong de la ville avant que partir. Mais ils me dirent franchement quÕils ne me pouvaient laisser aller ; que sur la seule confiance quÕils avaient eue que je demeurerais avec les Suisses, ils avaient souffert que lÕon les et logs Poitiers, ce quÕils nÕeussent permis sans cela, et que la reine leur avait donn parole que je ne partirais de Poitiers ; que tout ce quÕils pouvaient faire tait dÕen crire la cour de laquelle ils sÕassuraient que jÕaurais ordre de demeurer. Je jugeai que de contester avec eux ce serait peine perdue : je leur dis quÕils en pouvaient crire la cour et que je ferais ce que Leurs Majests me commanderaient, sans leur dire que je supersederais ou que je mÕen irais. Ainsi lÕassemble de ville se spara aprs avoir rsolu dÕcrire la cour pour me faire demeurer : et moi le soir mme je fis porter habillements, bottes, et tout ce qui mÕtait ncessaire, au faubourg qui va Chtelleraut, dans le logis du colonel Galaty, auquel je mandai que le lendemain Mr le comte de la Rochefoucaut et moi irions dner chez lui ; jÕenvoyai mme quelques chevaux, et Mr de la Rochefoucaut aussi, coucher au mme faubourg.
Le mercredi 27me le colonel Galaty vint le matin nous prier dner, ce que nous lui accordmes et y allmes dbotts et nos gens de mme, pour ne faire souponner notre partement : et aprs dner nous allmes coucher Chtellerault, laissant Mr dÕEstissac de faire mes excuses et de dire pour son frre que dans huit jours il serait de retour.
Nous vnmes coucher Chtellerault chez Mr de Brassac, et le lendemain jeudi 28me nous arrivmes bien tard Tours.
Le vendredi 29me de janvier je vins trouver la reine son dner, qui avait reu lettres de Poitiers pour mÕy faire demeurer et qui pensait que jÕy fusse encore. Aprs son dner elle vint en sa chambre o arrivrent peu aprs Mrs le Comte, de Guise, et dÕEpernon, et tant dÕautres avec eux quÕils firent enfoncer le plancher de la chambre, o je tombai avec quarante-sept autres personnes, du nombre desquels Mrs le Comte, dÕEpernon, de Villeroy, dÕAumont, et plusieurs autres, tombrent aussi. La reine demeura sur une poutre qui tint ferme, et passant par dessus son lit sortit de sa chambre. Je fus bless lÕpaule et la cuisse, et eus deux des petites ctes enfonces, dont je me suis senti longtemps depuis.
Fvrier. Ń Nous demeurmes trois mois Tours pendant lesquels lÕon traitait de la paix Loudun o Mr le Prince et ceux de son parti taient assembls. Il y tomba malade lÕextrmit (mars), dont par la grce de Dieu il chappa ; et fut la paix conclue aprs plusieurs alles et venues des commissaires, avant laquelle je dirai trois choses :
LÕune, que la reine fut avertie par lettres de Mr de Pontchartrain, secrtaire dÕtat, qui tait un des dputs de la part du roi (avec Mrs le marchal de Brissac et de Villeroy), que monsieur le chancelier faisait instance vers Mr le Prince pour faire que lÕon demandt par la paix quÕil serait conserv dans sa charge (avril). La reine me le dit, et moi qui tais ami et serviteur de monsieur le chancelier, suppliai la reine de me permettre de lui faire savoir, afin quÕil sÕen pt justifier ou excuser, ce que la reine aprs plusieurs difficults me permit ; car elle hassait lors ledit chancelier. Je lui fis dire ce que je savais par Mr le Clerc, premier commis de Mr de Puisieux son fils, et le dit monsieur le chancelier tant venu aprs dner au conseil chez la reine, me vint dire : Ē Monsieur, je vous remercie de toute mon affection de lÕavis que vous mÕavez fait donner par Le Clerc et vous en demeure oblig, bien que lÕon mÕait dit que cÕtait vous qui aviez donn cet avis la reine : mais je ne lÕai pas voulu croire, et vous dis encore une fois que je mÕen ressens votre oblig. Č Je fus bien tonn de voir quÕil et pris avec la main gauche ce que je lui avais prsent la droite, et piqu de sa rponse je lui dis : Ē Monsieur, je vous ai donn cet avis pour votre intrt particulier et non pour le mien, pour lequel maintenant je vous ferai voir que je suis plus franc et plus noble que vous ne mÕestimez : vous saurez de la propre bouche de la reine qui lui a donn. Č Alors il me fit mille instances de ne le point faire, et que je le ruinerais : il me pria mme dÕavoir piti de sa fortune que je mettrais en compromis par cette action ; mais il nÕy sut rien gagner, car la reine sÕtant aperue de notre contestation sÕapprocha pour en savoir la cause, et lors je lui dis : Ē Madame, si Votre Majest nÕaffermit ma rputation par son tmoignage, elle est en branle dans lÕopinion de monsieur le chancelier qui croit quÕun avis que je lui ai donn, que jÕavais appris de Votre Majest (et dont je lui demande pardon de lÕavoir dcouvert), est venu de mon invention ou bien que cÕest de moi de qui Votre Majest lÕavait appris. Č Alors la reine lui dit : Ē Monsieur le chancelier, vous payez en mauvaise monnaie les bons offices que lÕon vous fait. JÕai t avertie ce matin par Pontchartrain qui Mr de Bouillon lÕa dit, que vous vous faisiez recommander Mr le Prince pour tre compris dans le trait de la paix, et Bassompierre mÕa fait de fortes instances pour vous en pouvoir avertir afin que vous vous en puissiez justifier, et cependant vous lÕaccusez de ce dont vous lui deviez tre oblig. Č Jamais homme ne fut plus surpris quÕil fut lÕheure, et tcha de faire de faibles excuses en disant quÕil nÕavait point fait ce dont Mr de Bouillon (qui lui voulait mal de longue main) lÕavait accus. Mais ds lÕheure on jugea bien quÕil ne demeurerait pas longtemps sur ses pieds.
LÕautre chose, que le roi se rsolut de faire Tours un rgiment complet de ses gardes suisses et quÕils vinrent faire la premire garde devant son logis le mardi 12me de mars.
La troisime, que pendant que la paix se traitait, la reine tenait souvent conseil sur les choses quÕelle avait rpondre, pour les rejeter ou accorder, et que messieurs le chancelier et prsident Jeannin amenaient avec eux des conseillers de robe longue comme Mrs de Vic, de Comartin, de Refuges, et autres, sans que aucun seigneur y ft appel. Or cet hiver-l chacun avait renvoy son train, et nÕy avait que Mr de Crquy et moi qui tenions table splendide et magnifique, lui dner et moi souper rglment, o tous les autres se trouvaient. Un soir aprs souper, Mrs de Montigny, Pralain, Betunes, Saint-Geran, Saint-Aignan, Crquy, Saint-Luc et quelques autres mÕappelrent pour en tre aussi de part, et se plaignirent de lÕindignit quÕils recevaient de nÕtre appels la rsolution de la paix comme ils taient employs aux hasards de la guerre, et quÕil fallait que nous allassions le lendemain ensemble faire nos plaintes la reine, et que Mr de Montigny tait pri de la compagnie, comme le plus vieux, de porter la parole ; et si je ne voulais pas tre de la partie. Je leur rpondis que ce mÕtait honneur dÕtre dÕune si honnte bande, et que je leur tais oblig, mais que je leur suppliais (bien que le plus jeune) de me permettre de leur dire que peut-tre la reine nÕavait point de coulpe cela et que cÕtait ses ministres qui introduisaient les gens de leur robe notre exclusion, et que comme nous ne nous en dmenions point, la reine ne pensait pas aussi que nous y pensassions ; de plus, que de venir ainsi tous en corps parler son matre (bien que ce soit avec juste cause) nÕest jamais approuv ni trouv bon par eux qui prennent ces plaintes publiques non prvenues pour des monopoles [cabales], et quÕau moins lui devions nous faire savoir prcdemment que nous dsirons lui parler sur ce sujet et que nous lui supplions de nous donner une bnigne audience. Ma proposition fut approuve de la compagnie qui me chargea de savoir de la reine quand il lui plairait nous our, ce que jÕacceptai, et le lendemain matin vins lÕantichambre de la reine et lui fis dire par Selvage, sa femme de chambre, que jÕavais lui parler. Elle me fit entrer comme elle se coiffait et reut favorablement ce que je lui dis, et Barbin qui tait prsent lui dit que nous avions raison et que la reine ne devait pas avoir appel les autres conseillers sans nous, et quÕil et t plus juste de nous appeler sans eux, parce que nous avions les principales charges de la guerre, y exposions nos vies pour lui acqurir la paix, de laquelle il tait raisonnable que nous fussions aussi participants. La reine me commanda de leur dire quÕils vinssent au sortir de sa messe, non pour avoir audience, mais bien pour lui donner ; et leur dire que quand elle voudrait choisir des conseillers, dÕpe ou de robe, elle prfrerait toujours les premiers aux autres, et beaucoup dÕautres belles paroles ; et leur commanda de sÕy trouver lÕaprs-dne, mme donna charge Sauveterre de les aller avertir de sÕy trouver toutes les fois que le conseil sÕassemblerait.
Elle me dit ensuite et Barbin qui tait l, comme Mr de Villeroy lui avait gard un paquet et au marchal dÕAncre pour la conclusion de la paix, qui tait que aprs avoir tout accord, Mr le Prince avait fait deux nouvelles demandes, savoir que quand il serait la cour, il et la plume, cÕest dire quÕil signt les arrts du conseil, lÕarrt de la semaine aux finances et les comptes de lÕpargne, ce qui tait directement contre lÕautorit du roi et la sienne ; lÕautre, quÕil plt Leurs Majests tirer Mr le marchal dÕAncre de Picardie pour le bien et la conservation de la paix, attendu lÕincompatibilit qui tait entre Mr de Longueville et ledit marchal, et quÕelle voyait bien que cela sortait de la boutique de Mr de Villeroy comme une pice de sa faon pour faire du mal au marchal dÕAncre quÕil hassait, ce que Mr Barbin confirma, et anima la reine autant quÕil put contre le dit Villeroy, lequel en mme temps fit dire la reine quÕil tait en son antichambre, attendant de lui pouvoir parler. Barbin dit lors la reine : Ē Madame, oyez-le sans montrer aucune altration, et puis lui demandez son avis l-dessus, et sÕil vous dit quÕil vous conseille dÕaccorder ces deux dernires demandes, il dcouvrira manifestement sa fourbe quÕil a voulu jusques maintenant couvrir : si aussi, comme je le pense, il dconseille Votre Majest de leur accorder, vous direz tantt au conseil tout haut que vous refusez ces propositions, et ce par le conseil et induction de Mr de Villeroy, qui ne lÕoserait nier ; car Votre Majest lui maintiendra, et Mr de Bassompierre et moi lui servirons de tmoins, et ainsi Votre Majest renverra la flche contre lui, quÕil avait tire sur vous, et le discrditerez par mme moyen auprs de son cher ami Mr de Bouillon. Č
La reine embrassa cet avis et fit aussitt entrer Mr de Villeroy auquel elle fit fort bon visage et lui dit : Ē Pauvre homme, vous avez bien de la peine aller et venir si souvent, et peut tre enfin nÕy gagnerez-vous rien, ni pour vous, ni pour nous ; Č puis lÕamena auprs de la fentre o Barbin et moi tions, qui nous voulmes retirer ; mais elle nous dit : Ē Ne bougez, vous en pouvez bien tre ; Č puis elle dit Mr de Villeroy : Ē Et bien, Mr de Villeroy, vous me venez porter le dernier plat pour mon dessert : Mr le Prince veut tre le rgent, il veut avoir la plume ; et Mr de Longueville veut tre absolu en Picardie dÕo il veut chasser le marchal dÕAncre. CÕest ce quÕils mÕenvolent rapporter par vous : je le sais bien ; car Philipeau (cÕtait Pontchartrain) me lÕa mand. Č Ē Madame, lui dit-il, si je savais aussi bien votre rsolution que vous tes bien informe de ma proposition, je serais prt partir pour leur aller porter de votre part. Č Alors la reine lui dit : Ē Et bien, Mr de Villeroy, que vous en semble ? Dois-je encore passer cela pour le bien de la paix, ou rejeter ces articles comme impertinents ? Dites mÕen librement votre avis avec les raisons qui me doivent porter lÕun, ou lÕautre, afin que tantt au conseil jÕen puisse mieux parler, comme y tant prpare. Č Mr de Villeroy lui dit quÕil serait bien empch de lui dire, et quÕil nÕtait pas tout son conseil, mais la moindre partie dÕicelui ; que tantt il lui ferait sa proposition, et puis quÕen son rang il en dirait son avis comme un autre selon sa conscience et que Dieu lÕinspirerait pour le bien du service du roi et de lÕtat. Ē Non, dit la reine, jÕen veux prsentement votre avis. Č Lors, comme il se vit press et en tat de ne pouvoir plus reculer, il lui dit : Ē Oui, Madame, je le dirai franchement Votre Majest, pourvu quÕelle me promette de mÕcouter jusques la fin, Č puis commena en cette sorte :
Ē JÕai toujours bien cru, Madame, que Mr le Prince et ses associs gardaient au fond de leur sac quelque article quÕils ne proposeraient que lorsque tous les autres seraient rsolus, et que cet article mettrait Votre Majest en tat, si elle le refusait, de faire croire tout le monde que non les intrts de lÕtat, mais le vtre particulier, auraient occasionn la rupture du trait. Mais je ne pensais pas quÕelle en dt tre quitte si bon march que de ces deux derniers que Votre Majest a dj su quÕils ont proposs messieurs vos commissaires et que par leur ordre je vous viens apporter, lesquels, Dieu aidant, nÕempcheront point quÕune bonne paix ne soit termine et paracheve au bien de la France et du roi. Le premier est de la plume, qui regarde Mr le Prince et qui semble choquer lÕautorit particulire de Votre Majest ; lÕautre est lÕavantage de Mr de Longueville et au prjudice de Mr le marchal dÕAncre lequel ils dsirent retirer de Picardie, lui souhaitant ailleurs toute sorte dÕautres charges et honneurs, ce que je conseille Votre Majest dÕaccepter et qui est votre avantage ; car vous le logerez et tablirez en quelque autre province aussi bien ou mieux quÕen celle-l ; vous en pourrez retirer des personnes qui ne vous y taient pas si affides, et pourrez en mme temps donner les charges que mondit sieur le marchal y avait, quelque autre bon et fidle serviteur qui fera contenir Mr de Longueville en son devoir aussi bien quÕet pu faire monsieur le marchal, lequel sera lou dÕavoir cd ses propres intrts et son tablissement au bien de la paix ; et Votre Majest aura tmoign bon march que vos serviteurs et cratures particulires ne vous sont point si chres que le repos de lÕtat. Voil mon avis quant ce point. Et pour celui de signer les arrts du conseil et les comptes de lÕpargne, que Mr le Prince demande, je vous conseille aussi, Madame, de lui accorder sans regret ni dispute ; car cela ne vous touche point, ou sÕil vous touche, cÕest votre avantage ; et voici o je me fonde, que Mr le Prince viendra la cour ou nÕy viendra point : sÕil nÕy vient point, il ne vous demande rien et vous ne lui accordez rien ; ou il y viendra, et je fais encore cet autre dilemme : ou il dpendra absolument de vous, ne respirera que votre obissance et dÕaccomplir tous vos ordres et commandements ; en ce cas vous aurez un grand avantage dÕavoir votre dvotion un premier prince du sang trs habile et entendu aux affaires, et y aurez acquis un bon serviteur et perdu un mauvais ennemi ; ou bien il persistera en ses mauvaises intentions, continuera ses brigues et ses pratiques et tchera dÕempiter votre autorit ou de la partager, et en ce cas vous ne devez point craindre de mettre la plume la main dÕun homme de qui vous tiendrez le bras. Č
Il nÕeut pas plus tt achev son discours que Barbin, qui tait dÕailleurs fort retenu et respectueux, vint assez effrontment (ce me sembla) prendre le bras de la reine quÕil lui serra, et lui dit : Ē Madame, voil le plus grand conseil et du plus grand personnage que vous sauriez trouver, auquel il vous faut tenir et nÕen point chercher dÕautre ; car cÕest lÕunique que vous pourrez prendre. Č
Je mÕtonnai de ce subit changement de Barbin, et plus encore quand jÕous la reine dire Mr de Villeroy : Ē Veramente, Monsieur de Villeroy, vous mÕavez donn un bon conseil, et comme un bon serviteur de lÕtat, du roi, et de moi ; aussi mÕy tiendrai-je, et je vous en remercie, Č puis se mit parler dÕautres affaires : et je me retirai dire ces messieurs qui mÕattendaient chez moi quÕils vinssent parler la reine au sortir de sa messe, laquelle les contenta au-del de leurs propres dsirs : et aprs, la reine ayant tenu un grand conseil o nous assistmes, comme Mr de Villeroy et fait sa proposition que chacun trouvait nÕtre recevable, la reine sans en attendre ni faire demander les opinions, nous dit :
Ē Messieurs, si jÕai jusques cette heure contest, dbattu, ou refus plusieurs articles qui mÕont t proposs pour parvenir une bonne et ferme paix, je lÕai fait pour lÕintrt du roi ou de lÕtat, qui mÕest cher lÕgal de ma vie, et me rjouis maintenant quÕil ne tienne plus quÕaux intrts de mes particuliers serviteurs ou de moi quÕelle ne sÕaccomplisse, lesquels je cde et quitte de bon cĻur pour le repos tant dsir du royaume. CÕest pourquoi je ne ferai point demander les opinions pour savoir ce que lÕon devra faire l dessus ; car jÕaccorde lÕun et lÕautre de bon cĻur, et Mr de Villeroy sÕen pourra retourner demain au matin et leur rapporter accepts par moi en la mme forme et teneur quÕils me les ont demands. Č
Ainsi la paix fut conclue peu aprs Pques, et la cour partit de Tours pour aller se tenir Blois, laissant Mr de Guise avec les chefs de lÕarme Tours pour tre en tat en cas que Mr le Prince nÕet effectivement dsarm, ce quÕil fit promptement, et lors tout retourna Blois et de l Paris o lÕon attendit quelque temps Mr le Prince ; Mrs de Vendme, du Maine, et de Bouillon, y tant prcdemment arrivs.
Mr le marchal dÕAncre demeura Lsigny o je lÕallai voir. Il fit battre (juin) par ses valets de pied un certain cordonnier qui tant capitaine de son quartier, lui avait refus la sortie de la porte de Bussy o il commandait pendant la guerre. Ses laquais furent pris par le peuple et pendus deux jours de l devant la boutique dudit cordonnier.
Juillet. Ń Enfin Mr le Prince arriva, qui fut conduit jusques au Louvre par quantit de peuple.
En ce temps-l le marchal dÕAncre tait fort mal voulu dans Paris : Mrs de Mayenne et de Bouillon le menaaient de lÕaller attaquer jusques Lsigny o il se tenait, et mme avaient eu une entreprise de lÕy ptarder, ce que nanmoins ils ne surent excuter. Le dit marchal sachant Mr le Prince arriv, me manda quÕil devait venir le jour mme Paris et que je lÕobligerais de le venir prendre trois heures la porte de Saint-Antoine, ce que je fis avec trente chevaux, et passmes devant lÕhtel du Maine. Il avait de lui quelque quarante chevaux sans les miens. Je lui prtai un petit barbe sur lequel il monta, et aprs avoir salu la reine il remonta cheval, et pouvions tre cent chevaux alors, qui vnmes lÕhtel de Cond trouver Mr le Prince, o il demeura une heure. Nous trouvmes en entrant ce cordonnier qui avait t battu de ses gens, qui en avaient t pendus, lequel sortit en mme temps pour venir mouvoir son quartier contre le dit marchal ; mais il nÕen put venir bout. On nous dit que nous trouverions, en retournant, le Pont Neuf occup, et cette occasion je me mis devant avec ce que je lui avais amen dÕhommes, et lui me suivait deux cents pas prs, voulant (en cas que la partie nÕet t gale) sÕen retourner lÕhtel de Cond, et de l prendre parti : mais il ne sÕy trouva personne.
Aot. Ń Peu de jours aprs Mr le milord de Hay, maintenant comte de Carlile, arriva avec une ambassade magnifique de la part du roi de la Grand Bretagne, dessein, ce disait on, de demander pour le prince de Galles une des filles de France : mais voyant les brouilleries qui suivirent depuis, il sÕen dsista. Il fut reu avec toute la somptuosit du monde ; chacun lui fit de grands festins, et ensuite des beaux prsents. Il avait quantit de noblesse anglaise avec lui et entre autres le comte Holland que lors on nommait Mr Riche, et Gorin.
Durant la bonne rception que lÕon lui faisait, les brigues de la cour croissaient : Mr le Prince tait en grande autorit et tous les grands taient de sa cabale et ses partisans ; Mrs de Guise mme sÕtaient mis de son ct sous le prtexte du mcontentement que chacun avait du marchal dÕAncre et de sa femme, lequel nanmoins eut lÕassurance de se venir tenir son logis du faubourg Saint-Germain : vrai est que cÕtait sur lÕassurance que Mr le Prince lui avait donne de le maintenir.
Il fit en ce temps-l aussi un tour bien hardi : le jour que Mr le Prince faisait son festin au milord de Hay, que tous les grands de la cour (qui taient ses ennemis jurs) y taient convis, il vint avec trente gentilshommes trouver Mr le Prince dans la salle mme du festin o ils taient tous, et aprs lui avoir parl assez longtemps, il prit cong de lui et sÕen retourna son logis, tous ces messieurs le morguant, et lui eux aussi. Ils mirent force propos en avant de le tuer lors, mais ce fut sans effet. Le lendemain Mr le Prince lÕenvoya qurir et lui dit quÕil avait eu beaucoup de peine de contenir ces princes et seigneurs le jour prcdent, qui le voulaient attaquer, et quÕils lÕavaient tous menacs de lÕabandonner sÕil ne quittait sa protection : cÕest pourquoi il lui dclarait quÕil ne le pouvait plus maintenir et quÕil lui conseillait de se retirer en Normandie o il tait lieutenant-gnral ; ce quÕentendu par lui, il vint au Louvre prendre cong de la reine mre, puis du roi, et partit le lendemain matin. Il ne se peut dire comme ce partement discrdita la reine lorsque lÕon vit quÕun sien serviteur nÕavait pu avoir de sret dans Paris que tant quÕil avait plu Mr le Prince, et combien cela accrut la rputation et lÕautorit de Mr le Prince.
Il arriva en ce temps-l que la reine fit sortir de prison Mr le comte dÕAuvergne, qui ds lÕanne 1605 avait t condamn avoir la tte tranche, et lequel le feu roi (ainsi que je lui ous dire en ce temps-l) la considration que le roi Henry 3me son prdcesseur en mourant lui avait particulirement recommand et Mr le Grand aussi, voulut commuer sa condamnation en prison perptuelle, sans nanmoins infirmer la sentence. Et peu de jours aprs, Mr de Longueville qui aprs la paix jure, sans passer la cour, sÕtait retir en son gouvernement de Picardie, voyant que contre ce qui avait t convenu par le trait de paix, monsieur le marchal dÕAncre conservait encore le gouvernement de Pronne, fit entreprise dessus le chteau et la ville quÕil prit en trois jours par le peu de soin ou de verdeur de ceux que ledit marchal y avait mis dedans. Cela apporta un nouveau trouble la cour. La reine dpcha Mr dÕAngoulme avec quatorze compagnies des gardes franaises et la cavalerie qui tait la plus prochaine pour investir la place, et Mr le Prince tant venu trouver la reine lui offrit son service en cette occasion, suppliant nanmoins quÕavant rien dclarer ni entreprendre contre Mr de Longueville, elle y veuille envoyer Mr de Bouillon de sa part, lequel se faisait fort de faire remettre toutes choses en lÕtat o elles taient avant ladite invasion. La reine qui avait dessein de se saisir de Mr le Prince et de ses associs, consentit cette proposition, et Mr de Bouillon partit le jour mme. La reine fit semblant de vouloir aussi envoyer au sige de Pronne quatre compagnies de Suisses ; mais sous main elle me commanda de les retarder : et ce qui donna aussi soupon Mr le Prince, cÕest que le roi nomma Mr de Crquy les quatorze compagnies qui y devaient aller, sans lui en laisser le choix comme il avait accoutum, et les six capitaines qui demeurrent taient tous ceux de qui la reine se fiait le plus. Elle fit aussi semblant dÕy envoyer sa compagnie de gendarmes qui tenait garnison Nogent, et la fit passer proche de Paris le jour quÕelle fit arrter Mr le Prince, pour tre prte en cas quÕelle en et eu besoin.
Cependant Mr le nonce tchait de raccommoder les choses et les pacifier autant quÕil pouvait, parlant tantt Mr le Prince, tantt Mrs de Guise, de Vendme et du Maine, tantt la reine, pour aviser de mettre les affaires en une bonne assiette. Quant Mr le Prince, il tait port au bien, dsirait dÕentretenir la paix et demeurer en bonne intelligence et mme dfrence avec la reine mre : mais ses partisans ne pouvaient souffrir leur runion ; et les avait combattre et se porter leurs desseins, ou les perdre et les quitter : car ils lui mettaient souvent le march la main, le menaant de se runir avec la reine qui les en faisait ( ce quÕils disaient) pressament solliciter.
Mr de Sully qui dsirait le bien et la conservation de lÕtat se maintenait avec les uns et les autres, tchant de les mettre bien autant quÕil pouvait ; et prvoyant bien que les affaires ne pouvaient subsister en lÕtat o elles taient, en avertissait quelquefois la reine mre, quelquefois Mr le Prince. Et un jour le vendredi 26me dÕaot Mr de Sully demanda le soir audience la reine, en laquelle il fit voir que les choses ne pouvaient encore subsister huit jours au point o elles taient rduites et quÕau balancement o elles taient il tait infaillible que toute lÕautorit tomberait entre les mains de Mr le Prince, ou quÕelle demeurerait aux siennes si elle la savait retenir ; que deux si grandes puissances concurrentes ne se pouvaient compatir ; que les grands et le peuple penchaient et inclinaient vers Mr le Prince ; que son autorit diminuait depuis lÕentreprise de Mr de Longueville, le partement du marchal dÕAncre et la toute puissance de Mr le Prince dans les affaires et conseils ; finalement quÕil ne la tenait pas assure dans Paris et quÕelle serait mieux avec mille chevaux la campagne avec ses enfants, que dans le Louvre, en lÕtat o taient les esprits des grands et du peuple ; quÕil avait cru tre de son devoir et des obligations quÕil avait au feu roi de lui remontrer ce que dessus, ne pouvant y apporter avec sa vie un autre remde, quÕil emploierait volontiers si par sa perte il pouvait sauver le roi, elle, et lÕtat : et ensuite il prit cong dÕelle, lui suppliant de penser ce quÕil lui venait de dire, et quÕen cas quÕelle nÕy apportt le remde convenable, il protestait de tout le mal qui lui en adviendrait, et quÕ elle seule en serait la faute puisquÕelle en avait t avertie et que le mal tait prvu.
Ė ce discours la reine rpondit que force gens lÕavertissaient du mal, mais que peu lui donnaient lÕavis du remde et moins encore aidaient lÕassoupir ; quÕelle faisait humainement tout ce qui se pouvait pour le bien de lÕtat, mais quÕil ne plaisait pas Dieu de bnir son travail, ni aux hommes de reconnatre ses bonnes et saintes intentions ni dÕy concourir ; quÕ ce sujet elle avait donn la plume Mr le Prince, ce sujet dsarm le roi, ce mme sujet dpouill le marchal dÕAncre de lÕtablissement quÕil avait en Picardie, et ensuite voyant quÕil nÕtait pas agrable aux grands elle lÕavait loign ; quÕelle faisait des grands biens un chacun et mal personne, et quÕelle ne savait plus que faire autre chose que ce quÕelle avait fait ; quÕil avist lui mme lui donner quelque bon conseil l dessus, et quÕelle serait bien aise de le suivre sÕil tait au bien du service du roi.
JÕentrai peu aprs sa chambre qui tait lors lÕentresol du Louvre, et lui dis que tous ses serviteurs sÕtonnaient dÕun assoupissement quÕils voyaient en elle pendant que lÕon empitait son autorit ; que cela dcourageait les gens de bien et animait les autres se jeter bride abattue dans le parti de Mr le Prince, qui sÕtait tellement relev depuis son arrive Paris que lÕon le tenait plus puissant que le sien ; et cependant, quÕelle sÕendormait lors quÕelle se devait le plus rveiller ; quÕelle pardonnt mon zle qui avait caus mon effronterie de lui parler si librement ; mais que je la suppliais trs humblement quÕelle considrt avec mes paroles mon intention. Elle me dit quÕelle me remerciait de lÕavis que je lui donnais ; quÕelle me tenait bon serviteur du roi et le sien, et quÕelle sÕen assurait ; que je devais croire aussi quÕelle ne dormait pas comme je pensais, mais quÕil y avait certaines choses quÕil fallait que le temps accommodt ; que cependant je persistasse en la bonne affection que jÕavais son service, et que les dames ne me fissent rien faire son prjudice, parce que celles que jÕaimais en taient alines.
Cependant la reine ne laissait pas de songer ses affaires et se prparait pour prendre Mr le Prince prisonnier avec les principaux de ses partisans, et ne se confiait de son dessein quÕ la seule marchale dÕAncre et Barbin, lequel avait fait quelque connaissance Bordeaux avec Mr de Thmines quÕil avait connu (dans la contrarit et rpugnance que faisait Mr de Roquelaure de tout ce que lÕon dsirait de lui et les formes et humeurs de Mr de Montespan) quÕil tait homme facile entreprendre ce que lÕon lui offrait et qui lui avait pri quÕen cas que la reine et besoin dÕun homme pour une grande et prilleuse excution, quÕelle le voult employer, quÕil lui offrait sa vie sans aucune rserve. Il fit tat de lui pour excuter la capture de Mr le Prince, et lÕayant propose la reine ensuite de lÕavis que jÕai dit ci-dessus que lui donna Mr de Villeroy quÕelle ne feignt point de mettre la plume la main dÕun homme de qui elle tenait le bras, lui proposa Thmines pour lÕexcution en cas quÕelle y ft force, et quelque temps auparavant lÕavait mand, et ce mme jour 26me dÕaot, il arriva.
Le samedi 27me le milord de Haieut une audience prive au cabinet de son appartement en bas, en laquelle il la pressa de faire que Mr dÕEpernon se retirt du pays dÕAunis o il tait entr et lui dit que les Rochelais demanderaient aide au roi de la Grand Bretagne, laquelle il ne leur pourrait pas dnier si on les troublait en leur religion. La reine qui sÕattendait quÕil lui dt faire ouverture du mariage de sa fille fut bien bahie de voir une si contraire harangue, et ne lui rpondit quÕen paroles gnrales quÕelle donnerait ordre de contenir chacun en son devoir et en lÕobissance du roi, en telle sorte que le roi de la Grand Bretagne ne serait point en peine dÕy intervenir.
Ce jour l je mÕembarquai avec Urf dont je devins ensuite fort amoureux.
Le dimanche 28me monsieur le nonce vint trouver la reine pour lui dire quÕil ne voyait pas jour pour aucun accommodement avec elle des princes, avec lesquels il avait parl, mais quÕil ne dsesprait pas de Mrs de Guise frres, en cas que la reine fit quelques avances de bonne chre et principalement madame la princesse de Conty leur sĻur, qui avait eu deux jours auparavant quelque prise avec la marchale dÕAncre, dont elle tait anime. La reine le pria de continuer cette pratique et dÕoffrir Mr de Guise la charge de marchal de camp gnral, en cas quÕil voulut quitter toutes pratiques avec les autres.
Le mme dimanche 28me la reine me commanda de faire demeurer les quatre compagnies suisses qui taient destines pour le sige de Pronne, et que quelque commandement que jÕen eusse, par crit ou verbal, dÕelle ou du roi, quand mme lÕun ou lÕautre feraient semblant de sÕen mettre en colre, que je dlayasse de jour en jour de les faire partir.
Le lundi 29me Mr de Bouillon revint de Pronne, qui apporta des longueurs et remises ; et cependant lorsquÕil fut avec Mr de Longueville dans Pronne, il lui marqua les lieux quÕil devait faire remparer, et en quelle forme, et lui dicta la rponse quÕil devait envoyer faire au roi, auquel il vint le lendemain mardi 30me rendre compte de ce quÕil avait ngoci avec Mme de Longueville, et fut lÕaffaire remise un autre jour pour en traiter. Mais la reine qui voyait que dÕheure en heure les brigues des princes sÕaugmentaient, que le nombre de ceux qui se jetaient dans leur cabale croissait, se voulant assurer davantage des principaux seigneurs ou officiers de la cour, nous envoya qurir lÕun aprs lÕautre et nous fit faire nouvelle protestation de le bien servir et de ne sÕattacher aucune ligue ou parti quÕ celui seul de Sa Majest.
Le dernier jour dÕaot la reine avait pris quelque petite mdecine qui lui fit tenir le lit, ce qui nÕempcha pas que Mr le Prince, Mr de Vendme, Mr du Maine et Mr de Bouillon, qui sÕen allaient dner chez Mr le prsident Jeannin Chaillot ne la vinssent trouver sur les dix heures du matin pour quelques affaires. Ils nÕavaient avec eux que chacun leur cuyer et furent plus dÕune heure et demie seuls dans la chambre de la reine. Il prit opinion Barbin que le temps tait trs propre pour les arrter tous quatre et que Dieu les avait fait venir en cet tat pour les mettre s mains de la reine. Mr de Thmines tait dans la chambre de la marchale dÕAncre qui lui parlait, et avait cinq ou six braves hommes avec lui.
Il arriva aussi que je me trouvai par hasard dedans le Louvre et que Barbin me vit, qui mÕappela et me dit que la reine lui avait command de me dire que jÕattendisse l et quÕelle me voulait parler, et mme me fit monter dans la chambre de la marchale sans que lors je susse ou me doutasse de rien. En ce mme temps la garde suisse se levait, et mÕayant demand ce que cÕtait que tous ces tambours suisses qui battaient, je lui dis que cÕtaient les deux compagnies, celle qui entrait, et celle qui sortait de garde. Il me dit lors : Ē Mandez-leur sous main quÕelles sÕentretiennent l jusques ce que vous y veniez, Č ce que je fis, et leur mandai que je les voulais voir et quÕelles mÕattendissent en bataille. Lors je me doutai de quelque chose et plus encore quand, ds quÕil et parl la marchale dÕAncre, elle sÕen alla trouver la reine, et ce que jÕai su depuis, ayant touss la porte de son cabinet, la reine qui lÕentendit, qui tait hors du lit mais en coiffure de nuit, la vint trouver, feignant dÕaller la garde-robe. La marchale lui proposa que le temps ne serait jamais plus propos pour dÕun coup de tirasse [filet] prendre ces quatre personnes ; que Mr de Thmines tait l avec six braves hommes dont il rpondait ; que jÕavais deux compagnies de Suisses devant le Louvre ; que ces messieurs nÕavaient que leurs cuyers avec eux ; quÕelle avait quarante de ses gardes dans le Louvre, les archers de la porte et les Suisses du corps sa dvotion, et quÕils seraient arrts deux heures avant que lÕon sÕen apert, pendant lesquelles le roi qui tait aux Tuileries reviendrait, et que je pourrais faire venir encore quinze cents Suisses qui seraient incontinent ici. La reine couta cette proposition, la jugea bonne en plusieurs choses et de facile excution : mais comme la rsolution aux affaires non prvues manque souvent, que la reine attendait le lendemain deux cents hommes dÕarmes de sa compagnie avec lesquels, si elle se sentait presse du peuple, elle se pourrait retirer Mantes, au milieu du bataillon suisse, avec le roi, Messieurs, et Mesdames ; joint que le roi nÕtait pas prsent pour autoriser une si grande capture, et que mme on le pourrait troubler son retour ; nÕayant aucune autre personne prs dÕelle, aima mieux remettre lÕaffaire au lendemain que de lÕexcuter lors : ce quÕayant dit la marchale, et elle Barbin, il me prit lÕheure mme et me dit que la mdecine de la reine la pressait et quÕelle remettrait me parler une autre heure, laquelle il me ferait savoir, et me dit de plus : Ē Je me plais si fort de voir vos Suisses que je vous prie de mÕexcuser si je vous ai pri de les faire arrter afin que je les puisse voir Č, et sortit quand et moi les voir entrer et sortir de garde, ce qui me fit perdre le soupon que jÕavais pris que la reine se voult saisir de ces messieurs. Ils sÕen allrent peu aprs Chaillot auquel lieu on leur donna quelque avis de prendre garde eux, que les gendarmes de la reine approchaient : mais ils crurent que cÕtait effectivement pour aller Pronne. Nanmoins ils sÕavisrent comme ils avaient tous quatre t le matin en belle prise et rsolurent de ne se plus trouver tous quatre ensemble en lieu o lÕon leur put mettre la main sur le collet.
Le soir Mr de Crquy fit un trs beau festin aux Anglais, dÕo nous nous retirmes fort tard : et le lendemain jeudi premier jour de septembre, trois heures du matin, je fus veill par un gentilhomme servant de la reine nomm la Motte qui me vint dire de sa part que je la vinsse trouver au Louvre, dguis et seul, ce que je fis, et en entrant je trouvai un des gardes du corps du roi nomm la Barre, qui tait marchal des logis des Suisses, qui tait de paillasse cette nuit-l, auquel je dis quÕil vint avec moi en lÕantichambre de la reine et quÕil mÕattendt la porte lorsque je serais entr la chambre, me doutant bien que lÕon aurait affaire des Suisses, ce qui me vint trs propos.
Je trouvai la reine en jupe entre Mrs Mangot et Barbin, Mr de Fosse un peu recul ; elle me dit en arrivant : Ē Vous ne savez pas pourquoi je vous ai envoy qurir si matin, Bassompierre ? Č Ē Madame, ce lui dis je, je sais bien pourquoi ce nÕest pas. Č Ē Je vous le dirai tantt, Č me dit elle, puis continua se promener prs dÕune demie heure. Je mÕapprochai de Foss, bien tonn de le voir l, depuis que la reine le chassa pour avoir accompagn le commandeur de Sillery en sa disgrce. Au bout de quelque temps elle entra en son cabinet avec les susdits et me dit : Ē Je veux prendre prisonniers Mr le Prince, Mrs de Vendme, du Maine, et de Bouillon. Je dsire que les Suisses soient prs dÕici onze heures du matin, comme dire vers les Tuileries, pour, si je suis force par le peuple de quitter Paris, me retirer avec eux Mantes. JÕai mis mes pierreries en un paquet et quarante mille cus en or, que voil, et emmnerai mes enfants avec moi, si, ce que Dieu ne veuille et que je ne pense pas, jÕy tais force, tant toute rsolue de me soumettre plutt quelque pril et inconvnient que ce soit, que de perdre mon autorit et de laisser dprir celle du roi. Je veux aussi, lors quÕil sera temps, que vous alliez la porte avec vos Suisses pour soutenir un effort sÕil en arrivait, et y mourir pour le service du roi comme je me le promets de vous. Č Je lui rpondis : Ē Madame, je ne tromperai point la bonne opinion que Votre Majest a de moi, et elle le connatra aujourdÕhui si le cas y chet. Cependant, Madame, trouvez bon que jÕaille faire avertir les Suisses des quartiers. Č Ē Non, dit elle, vous ne sortirez pas. Č Je lui dis : Ē Vous tes trange de vous dfier dÕun homme entre les mains de qui vous voulez ensuite fier la personne du roi, la vtre, et celle de vos enfants. JÕai cette porte un homme en qui je me fie, que jÕenverrai par les quartiers. Fiez-vous sur moi, Madame, et vous assurez que la fte ne sera point gte par moi. Č Elle me laissa sortir, et jÕenvoyai la Barre faire venir les Suisses en la forme que je lui dis : puis je rentrai. Je lui demandai ce quÕelle ferait des gardes franaises ; elle me dit quÕelle craignait que Mr de Crquy ne ft gagn pour Mr le Prince ; je lui dis lors : Ē Non pas contre le roi, Madame, pour qui je sais quÕil perdrait mille vies sÕil les avait. Č Lors elle dit : Ē Il le faut donc envoyer qurir, et vous ne sortirez tous deux que quand Mr le Prince sera entr. Č Elle envoya aussi qurir Mr de Saint-Geran cause des gendarmes du roi, et la Cure vint avec le roi quand il descendit en la chambre de la reine sur les neuf heures du matin. La reine parla ces messieurs, et comme je lui eus demand par qui elle ferait prendre Mr le Prince, elle me dit : Ē JÕy ai pourvu. Č
Mr le Prince vint sur les huit heures au conseil, et la reine regardant comme tout le monde lui donnait les placets, elle dit : Ē Voil maintenant le roi de France ; mais sa royaut sera comme celle de la fve, elle ne durera pas longtemps. Č
Sur cela la reine nous envoya la porte du Louvre, Mr de Crquy et moi, pour faire prendre les armes aux gardes, ce que nous fmes, et ce pendant elle envoya qurir Mr le Prince. Elle nous envoya dire Mr de Crquy et moi que si Mr le Prince venait la porte, que nous lÕarrtassions : nous lui mandmes que cÕtait un si grand commandement quÕil mritait bien nous tre fait de bouche, et que la reine nous lÕet dit tant en sa chambre ; que sÕil lui plaisait dÕenvoyer un lieutenant des gardes pour sÕen saisir, que nous lui donnerions main forte : et cependant je lui mandai que personne ne sortirait de la porte, o je mis trente hallebardiers suisses pendant que Mr de Crquy donnait son ordre aux Franais.
Il vint incontinent aprs un valet de chambre de la reine nous dire de sa part que Mr le Prince tait pris, et que si les autres trois venaient, nous ne les laissions pas retourner. Nous lui mandmes que pourvu quÕils y vinssent, que nous lui en rpondions : mais ils furent plus habiles. Elle envoya Saint-Geran pour prendre Mr de Vendme, mais il nÕy trouva que le nid. On avertit Mr du Maine que les portes du Louvre taient fermes : il se le tint pour dit et sÕen revint son logis, des Jsuites o il tait, puis en mme temps sortit par la porte Saint-Antoine et tourna sur la contrescarpe jusques celle de Saint-Martin o il attendit ceux qui se voulurent retirer. Mr de Bouillon tait all Charenton : on le vint avertir son retour, proche du petit Saint-Antoine, quÕil y avait rumeur au Louvre ; il monte cheval, et sur ce que lÕon lui dit que Mr du Maine lÕattendait la porte de Saint-Martin, il y alla. Aussi firent plusieurs autres, et se trouvrent bien soixante chevaux. Mr du Maine proposa de rentrer Paris et mouvoir le peuple : ils firent le premier, mais lÕautre ne leur russissant pas, ils se retirrent vers Soissons.
Deux gentilshommes de Mr le Prince, le Tremblai et Diau vinrent devant le Louvre savoir si Mr le Prince tait mort, envoys par Rochefort qui tait sur le Pont Neuf avec trente chevaux. Je dis au Tremblai : Ē Mr le Prince se porte bien : il est arrt, et nÕa nul mal. Č Sur cela ils sÕen retournrent dire cette nouvelle Rochefort qui sÕen alla en diligence jeter dans Chinon.
Le prsident le Jay alla trouver Mrs du Maine et de Bouillon, et alla avec eux Soissons.
Mr le prince de Joinville vint trouver le roi et la reine de la part de son frre et de la sienne : mais la reine, ou quÕelle ft empche dÕailleurs, ou quÕelle ne songet pas ce quÕil lui disait, ne lui ayant rien rpondu, il sÕen retourna mal satisfait et donna lÕalarme son frre. La reine sÕtant avise quÕelle nÕavait rien dit aux compliments de Mr le prince de Joinville, et aussi que monsieur le nonce lui avait assur de la fidlit de Mr de Guise le soir auparavant, envoya Mr de Pralain le trouver et lui dire de belles paroles : mais comme Mr de Guise lui eut demand si sur sa parole il pouvait aller srement au Louvre, Mr de Pralain lui dit : Ē Monsieur, je vous dis simplement ce que le roi et la reine mÕont command de vous dire : cÕest vous pour le surplus de mettre la main sur votre conscience et savoir si vous y pouvez aller, ou non. Č Cela fit rsoudre Mrs de Guise et de Joinville de partir et suivre la route de ceux qui allaient Soissons.
Peu aprs la prise de Mr le Prince, quelques mutins ou quelques uns de la maison dudit seigneur commencrent jeter premirement des pierres contre les fentres du logis du marchal dÕAncre, puis dÕautres sÕtant joints eux pour lÕesprance de piller, prirent des pices de bois de devant Luxembourg que lÕon btissait lors, pour rompre la porte dudit logis, et huit ou dix, hommes que femmes, qui taient dedans, sÕtant retirs de frayeur par la porte de derrire, et quantit de maons du Luxembourg sÕy tant joints, ils entrrent dedans et pillrent ce riche logis o ils trouvrent pour plus de deux cents mille cus de meubles. La reine commanda, sur lÕavis quÕelle en eut, Mr de Liancourt, gouverneur de Paris, dÕaller empcher ce dsordre : mais y tant all avec les archers du guet, et voyant quÕil nÕy faisait pas bon pour lui, se retira. Ils continurent tout ce jour, et lÕon les laissa faire.
Mrs de Montmorency et de Retz avec plusieurs de leurs amis sÕoffrirent la reine dÕaller ensuite de ces messieurs qui se retiraient Soissons. Elle les prit au mot, et y furent ; mais ils nÕallrent gure loin.
Le soir la reine pria le roi de faire Mr de Thmines marchal de France, dont plusieurs crirent, et principalement Montigny, de sorte que lÕon le fit aussi marchal, lequel le mme jour venant Paris et ayant rencontr Mr de Vendme qui sÕenfuyait, de qui les chevaux taient recrus, lui avait prt les siens qui taient frais. Saint-Geran voyant quÕil nÕy avait quÕ crier pour avoir, extorqua un brevet de promesse de lÕtre, et Mr de Crquy eut un brevet de duc et pair. La reine me dit le soir : Ē Bassompierre, tu ne mÕas rien demand comme les autres. Č Ē Madame, lui rpondis je, ce nÕest pas astÕheure que nous nÕavons fait que notre devoir bien simplement, de vous demander rcompense : mais jÕespre que quand, par de grands services, je lÕaurai mrit, le roi me donnera des honneurs et des biens sans que je lui demande. Č
Mr le Prince qui fut arrt par Mr de Thmines en ce passage qui va de la chambre de la reine en son cabinet en cet appartement de lÕentresol, fut men par un petit degr dans la chambre de la reine, qui est du plain-pied de la cour, o il coucha ce soir-l pendant que lÕon grillait la chambre au dessus du cabinet des livres, o on le mena le lendemain matin vendredi 2me du mois de septembre, o il fut gard par Mr le marchal de Thmines et ses enfants, et plusieurs autres gentilshommes et archers de la garde du corps.
La reine tint conseil ce jour-l, o il fut tabli un conseil de guerre et command au marchal de Brissac dÕy prsider et aux principaux chefs de guerre dÕy assister. Il fut rsolu que lÕon mettrait une arme sur pied, et me fut ordonn dÕaller lever six mille Suisses : puis le roi dsirant que je demeure prs de lui, ordonna Mr de Commartin pour y aller, comme un des anciens ambassadeurs du roi en Suisse, mais je lÕempchai, dsirant que Mr de Castille qui avait grand crdit en Suisse, y allt faire la leve, ce quÕil fit.
Le roi commanda Mr de Crquy de prendre les compagnies franaises qui sortiraient de garde pour aller chasser le peuple qui continuait non plus de piller, car cÕen tait fait, mais de dmolir la maison du marchal dÕAncre ; ce que Mr de Crquy excuta, et y mit des soldats pour la garder.
La reine ensuite songea retirer Mrs de Guise de lÕintrigue o ces autres princes taient, et pour cet effet leur fit crire par monsieur le nonce, par madame la princesse de Conty et mesdames de Guise avec lesquelles elle en confra, et y travaillrent avec soin et passion. Le sieur de Lafon, depuis abb de Foix, fut employ aux alles et venues sur ce sujet.
Le lundi 5me ce conseil de guerre propos se tint, auquel Mr le marchal de Brissac prsida, et Mrs de Pralain, Crquy, Saint-Luc, Saint-Geran, Vignoles, Chambaret, et moi, fmes ordonns pour y servir, comme aussi Mrs de Villeroy et prsident Jeannin ; auquel on fit le projet de lÕarme que le roi voulait mettre sur pied.
Le mardi 6me Mr dÕAngoulme revint de Pronne, et ayant su que ce conseil de guerre tait tabli, demanda Barbin sÕil nÕy pourrait pas aller, qui lui dit que oui. Ainsi le mercredi 7me il vint de bonne heure, prit la matresse place pour y prsider, et Mr le marchal de Brissac prit la seconde sans contestation, sur quoi Pralain auprs de qui jÕtais me dit que Mr de Brissac se faisait tort de cder au comte dÕAuvergne, et que cÕtait par inadvertance. Je savais bien que Saint-Geran voulait mal Mr dÕAngoulme cause du chteau de Bourbon-Archambaut quÕil dtenait sur madame dÕAngoulme : je me levai lors et fis signe audit Saint-Geran de me venir parler la fentre, et lui ayant dit que nous ne devions pas souffrir que le comte dÕAuvergne nous prsidt, nÕayant pas t remis en sa bonne fame et renomme depuis sa condamnation, non seulement il lÕapprouva mais fit signe Vignoles, et moi Mr de Crquy, et nous puis aprs appelmes tout le reste, et ne demeura que Mrs le comte dÕAuvergne, de Brissac, de Villeroy, et Jeannin : puis ayant appel Mr le marchal de Brissac nous lui fmes reproche de ce quÕtant prsident du conseil de guerre et marchal de France, il avait souffert Mr le comte dÕAuvergne le prcder dans le conseil, et que nous qui nÕtions rien de tout cela, ne lÕavions pas voulu endurer, ains lui en avions voulu faire le reproche et la honte. Il nous dit quÕil nÕy avait pas pens, mais que si Mrs de Saint-Geran et la Cure, Crquy et Bassompierre, lui voulaient promettre de lÕassister, car nous quatre avec nos troupes tions les matres du Louvre, quÕil le tuerait lÕaprs-dner sÕil y revenait pour se mettre au-dessus de lui, ce que les autres lui promirent, et moi plus forte raison, tant son neveu et intress dans son honneur. Mais Mr de Pralain me dit ensuite :
Ē Ce que Mr le marchal de Brissac a propos de faire est gnreux ; ce quÕil a dsir de vous autres est convenable, et ce que vous lui avez tous quatre promis, est digne de vous. Nanmoins il est de notre devoir de lÕempcher, et faut que de bonne heure on avertisse la reine quÕelle prvienne cet inconvnient, dfendant audit comte dÕAuvergne de se trouver ce conseil, ou le rompant puisquÕelle ne lÕa tabli que pour faire lÕtat de lÕarme quÕelle veut mettre sur pied, ce qui a t rsolu en ces deux conseils : ou sÕil en faut tenir quelque autre, que ce soit en sa prsence ; car nous ferions un grand outrage au roi et la reine, que nous pouvons viter ; par notre discorde nous hausserions le chevet aux malcontents abattus, et ce dsordre pourrait en mme temps tre suivi de la dlivrance de Mr le Prince prisonnier au Louvre. Č
Je lui dis que je trouvais son avis trs bon, mais que mon ge, la parentle que jÕavais avec monsieur le marchal, et lÕintrt o jÕtais embarqu, mÕempchaient de le faire. Il me dit quÕil nÕen voulait pas seulement parler moi, mais aussi toute leur compagnie, ce quÕil fit lÕheure mme et leur dit :
Ē Messieurs, dans la ferme et haute rsolution que nous venons de prendre de tuer un prince dans le Louvre et quasi entre les bras du roi et de la reine au milieu de son conseil, nous fortifiant pour cet effet des gens de guerre que ces messieurs ont sous leurs charges tout autre effet que celui quoi ils les destinent maintenant, nous nÕavons point regard le roi ni ses intrts, encore moins lÕtat des affaires prsentes ni le bien de lÕtat quoi notre entreprise rpugne directement. Je suis dÕavis avec tous vous autres que si le comte dÕAuvergne revient au conseil, lui qui est condamn mort pour les causes contenues dans son arrt et dont il nÕest ni dclar innocent ni absous, ni rtabli en sa bonne fame et renomme, nous nous y opposions et que nous contribuions de notre vie au dessein de monsieur le marchal. Mais il me semble que si, en avertissant la reine de ne lÕy faire venir et de lui commander quÕil sÕen dporte, ou quÕelle ne fasse plus tenir de conseil pour viter lÕinconvnient qui en pourrait arriver, que nous ferions notre devoir et que nous prviendrons un mal qui en peut causer la France et nous apportera peu de gloire lÕavenir, que lÕon dise que monsieur le marchal assist de tant de braves hommes ait tu avantageusement un seul homme, et peut-tre sans rsistance, peut-tre sans pe. Č
Son avis ne fut pas seulement approuv de la compagnie, mais du marchal aussi, et tous ensemble me donnrent la charge dÕen parler de telle sorte la reine que, sans lÕoffenser ni la mettre en colre, elle connt nanmoins que la compagnie ne souffrirait plus ledit comte dÕAuvergne prsider parmi elle, non pas seulement y assister, sÕil nÕtait absous ou purg prcdemment, ce quÕayant remontr Sa Majest, elle prit trs bien cette affaire et dfendit que lÕon ne tnt plus de conseil ; et Sa Majest crut quÕen faveur de Mr de Guise cette compagnie avait fait cela pour faciliter davantage son retour : elle se hta de le procurer.
Peu aprs le milord de Hai sÕen retourna en Angleterre sans avoir fait aucune proposition.
Et le dimanche 25me du mme mois, Mrs de Guise et de Chevreuse revinrent trouver Leurs Majests qui les reurent trs bien.
Ce mme jour la reine me dit au soir que je ne mÕen allasse pas quand elle donnerait le bonsoir, et quÕelle me voulait parler : et aprs que tout le monde fut retir, Mr le marchal de Thmines tant aussi demeur, elle me dit : Ē Bassompierre, ayant transporter Mr le Prince hors dÕici, je me suis voulu fier en vous de sa conduite. Voil Mr le marchal de Thmines qui lÕa pris et qui lÕa gard dans le Louvre avec peine : mais il serait craindre que si je lui tenais plus longuement, lÕon ne ft quelque entreprise pour le sauver, ce qui se pourrait faire aisment, et vous avez vu que tantt quand ces princes sont revenus de Soissons, il y avait plus de deux cents gentilshommes qui taient avec eux, ou pour lÕamour dÕeux dans le Louvre : joint aussi que cela empche que le roi et moi nÕosons quasi en sortir, et si nous voulions aller Saint-Germain ou ailleurs, il ne serait ici en sret. CÕest pourquoi je le veux mettre la Bastille et veux que vous mÕen rpondiez par les chemins et que vous vous en chargiez : car monsieur le marchal nÕa autre chose que ce qui sera dans son carrosse. Nous le ferons passer par la grande galerie dans les Tuileries, et de l avec les Suisses du faubourg Saint-Honor et les Suisses et Franais qui sont derrire et devant le Louvre, vous le mnerez par hors de la ville dans la fausse porte de la Bastille, ce que je crois que vous pourrez faire srement. Č
Elle me dit ensuite que le roi voulait tant faire pour moi que li honori, li bieni, li carichi, (ce sont ses mots), ne me manqueraient point.
Je lui rpondis que lÕhonneur de sa confiance mÕtait suffisante rcompense du petit service quÕelle dsirait de moi, lequel jÕexcuterais fort fidlement peine de ma vie, mais que si jÕosais lui conseiller de faire passer Mr le Prince travers de la ville, je lui rpondais de le conduire la Bastille en toute sret ; quÕil nÕy avait rien craindre ; que rien ne se remuerait, et que quand il y aurait gens pour ce faire (ce que non), nous serions passs devant quÕils eussent pens se mettre en tat de lÕempcher.
Mr de Thmines qui nÕapprouvait point de passer sur la contrescarpe de la ville, qui est un trs mchant chemin, fut bien aise que jÕeusse dit la mme chose la reine quÕil lui avait prcdemment propose et lÕappuya de telle sorte par dÕautres raisons quÕenfin la reine me dit : Ē Rpondez-moi de Mr le Prince, et puis faites comme tous deux vous lÕentendrez. Č
Je lui dis quÕelle envoyt qurir les deux capitaines de la garde franaise pour leur faire le commandement ; elle me dit : Ē Faites-leur de ma part. Č Ē Madame, lui rpondis je, nous ne levons pas la garde comme cela : il faut que de la propre bouche de Votre Majest ils en reoivent le commandement ; autrement ils ne le doivent faire. Č Elle me dit : Ē Cela fera rumeur : allez les trouver vous-mme ; Č ce que je fis, et envoyai en mme temps qurir les deux cents Suisses du faubourg Saint-Honor pour venir devant le Louvre sans battre tambour. Je ne trouvai que des sergents dans les corps de garde franais, que jÕamenai la reine qui leur commanda de faire ce que je leur dirais. Je pris deux cents hommes des deux compagnies franaises, cent de celle des Suisses qui taient en garde, et quelque cent cinquante qui me vinrent du faubourg : jÕenvoyai monter cheval huit gentilshommes des miens. Mrs de Vignoles, Chambaret et Bressieux qui se doutrent quÕil y avait quelque chose mÕattendirent dans la cour du Louvre lesquels y vinrent aussi, et cinq ou six gentilshommes de la reine. Il y avait douze gardes et six Suisses du corps avec leurs pertuisanes et hallebardes autour du carrosse, et quand tout fut prt, Mr de Thmines et moi vnmes dans la chambre de Mr le Prince. Il le rveilla en sursaut, ce qui lÕtonna, et eut grande apprhension. Je ne me voulus point montrer, le voyant si effray, et sortis du Louvre, faisant mettre en bataille les deux cents Franais devant lÕhtel de Longueville ; et comme le carrosse fut sorti du Louvre, dans lequel tait Mr le Prince, les trois cents Suisses le suivirent immdiatement faisant la retraite, et ainsi le menmes sans flambeaux dans la Bastille, ayant, avant sortir du Louvre, mand Mr de Guise qui tait revenu de Soissons ce jour mme, quÕil ne prt alarme de voir venir droit son logis les Franais et Suisses de la garde, et que la reine mÕavait permis de lui mander que ce nÕtait contre lui quÕils marchaient, mais pour conduire Mr le Prince la Bastille. Celui que jÕy envoyai le trouva dj habill et prt monter cheval sur lÕavis que lÕon lui avait donn que lÕon mettait les gardes en ordre pour le venir prendre.
Je devins lors extrmement amoureux de Mlle dÕUrf ; et le roi peu devant la Toussaints tomba malade de sorte que la veille de la Toussaints il lui prit une faiblesse avec une convulsion que lÕon apprhendait se devoir dgnrer en apoplexie, et on craignit que si elle lui revenait, elle ne lÕemportt. En effet ce nÕtait rien ; mais ces ttes si prcieuses on craint tout. La reine mme sur ce que lÕon lui dit du mal, me commanda de me tenir cette nuit-l au Louvre pour y amener en diligence les Suisses en cas quÕil en msadvnt. Mais le matin le roi se portant bien et ayant bien dormi, on fut dlivr de peine (novembre).
Je partis le lendemain de la Toussaints pour aller recevoir les Suisses. Et parce que Mr de Nemours tait avec une arme que le roi dÕEspagne avait leve sous son nom et lui faisait conduire contre le duc de Savoie, le roi avec qui le duc tait en parfaite intelligence, prit soin de sa conservation, commanda Mr le Grand avec quelques troupes de sÕacheminer en Bresse et dÕapporter tout lÕaide quÕil pourrait Mr le prince de Pimont qui gardait la Savoie pendant que son pre dfendait le Pimont contre le roi dÕEspagne. JÕeus ordre dÕemmener trois cents chevaux avec moi, et en cas que Mr le Grand me mandt, de tourner lui avec les Suisses et la cavalerie : mais comme jÕarrivai Provins, me vint trouver un nomm Lace que Mr le Grand dpchait au roi, qui mÕapporta de ses lettres par lesquelles il me mandait quÕil avait accommod Mr de Nemours avec Mr le prince de Pimont, et que lÕarme de Mr de Nemours tait dbande. Messieurs du parlement de Dijon mÕcrivaient aussi, comme Mr le marquis de Mirebeau, pour me prier que la paix tant faite, je ne voulusse charger la Bourgogne de la cavalerie qui tait prte dÕy entrer ; ce que je fis et lÕenvoyai loger Bergere, attendant autre ordre du roi, qui jÕen crivis, pour leur donner.
JÕarrivai Saint-Jean de Laune en mme temps que les deux rgiments suisses sous la charge des colonels Feugly et Greder que Mr de Castille avait levs et amens. Je leur fis faire leur premier serment et les amenai jusques Chatillon sur Seine, dÕo le roi mÕcrivit dÕen envoyer lÕun en Nivernais et lÕautre en Champagne, avec lÕordre des garnisons o ils devaient aller ; ce quÕayant fait je quittai mon train et vins avec dix chevaux coucher Bar sur Aube, pour le lendemain mÕen venir Bar o Mr de Lorraine tenait les tats, que je voulais voir : mais ayant appris quÕil en tait parti, jÕallai passer Chalons o je trouvai Mrs de Pralain et de Tremes auxquels ayant consign le rgiment du colonel Feugly pour le mettre en garnison, je mÕen revins la cour extrmement amoureux, o le duc de Crouy sÕtait embarqu pour pouser Urf, et me pria de traiter ce mariage, ce que je fis dessein de le rompre ; mais mes peines furent vaines, car il passa par dessus toutes les difficults que je lui proposai, et lÕpousa.
Le marchal dÕAncre tait revenu la cour. Pendant mon voyage de Bourgogne on avait t les sceaux Mr du Vair, que lÕon avait donns Mr Mangot, et sa charge de secrtaire dÕtat monsieur de Luon. La fille dudit marchal tomba malade et mourut, dont il eut et sa femme aussi un cruel dplaisir. Je dirai une chose qui se passa entre lui et moi le jour de la mort de sa fille, par laquelle on pourra voir une prescience quÕil avait de lÕaccident qui lui arriva ensuite.
Je le vins voir le matin de ce jour et lÕaprs-dne encore ; mais il me fit prier de remettre la partie une autre fois et mÕenvoya prier le soir de venir chez lui, ce que je fis lÕheure mme en ce petit logis sur le quai du Louvre o sa femme et lui sÕtaient retirs. Je le trouvai fort afflig et tchai le plus que je pus, tantt le consoler, tantt le divertir ; mais son deuil augmentait mesure que je lui parlais, et lui ne me rpondait autre chose en pleurant, sinon : Ē Segnor, je suis perdu ; Segnor, je suis ruin ; Segnor, je suis misrable. Č Enfin je lui dis quÕil considrt le personnage de marchal de France quÕil reprsentait, qui ne lui permettait ces lamentations, dignes de sa femme, indignes de lui ; que vritablement il avait perdu une fille bien aimable et utile sa fortune, mais que quatre nices lui avaient succd en la place de sa fille, qui lui apporteraient peut-tre autant de consolation, les faisant venir prs de lui, et beaucoup plus dÕappui sa fortune en sÕalliant par leur moyen de quatre grandes maisons de France dont il aurait le choix ; et plusieurs autres choses que Dieu mÕinspira de lui dire. Enfin aprs avoir encore quelque temps pleur de la sorte, il me dit :
Ē Ha ! Monsieur, je regrette vritablement ma fille et la regretterai tant que je vive ; je suis nanmoins homme qui peux supporter constament une affliction pareille celle-l : mais la ruine de moi, de ma femme, de mon fils, et de ma maison, que je vois prochaine devant mes yeux et invitable par lÕopinitret de ma femme, me fait lamenter et perdre patience ; laquelle je vous dcouvrirai comme un vritable ami duquel jÕai reu toute ma vie assistance et amiti et qui je confesse nÕavoir pas rendu la pareille et fait ce que je devais et pouvais faire : mais baste, je lÕamenderai sÕil plait Dieu. Sachez, Monsieur, que depuis le temps que je suis au monde, jÕai appris le connatre et voir non seulement les lvations de la fortune, mais les chutes et dcadences encore ; et que lÕhomme arrive jusques un certain point de bonheur aprs lequel il descend, ou bien il prcipite, selon que la monte quÕil a fait a t haute et roide. Si vous ne mÕaviez connu en ma bassesse je tcherais de vous la dguiser ; mais vous mÕavez vu Florence dbauch et scapillate [dissolu], quelquefois en prison, quelquefois banni, le plus souvent sans argent, et incessament dans le dsordre et dans la mauvaise vie. Je suis n gentilhomme et de bons parents ; mais quand je suis venu en France, je nÕavais pas un sou vaillant et devais plus de huit mille cus. Le mariage de ma femme et les bonnes grces de la reine mÕont donn beaucoup dÕintrigue du vivant du feu roi, beaucoup de biens, dÕavancement, de charges et dÕhonneurs pendant la rgence de la reine ; et jÕai travaill ma fortune et lÕai pousse en avant autant quÕun autre et su faire, tant que jÕai vu quÕelle mÕtait favorable. Mais depuis que jÕai reconnu quÕelle se lassait de me favoriser et quÕelle me donnait des avertissements de son loignement et de sa fuite, jÕai pens faire une honnte retraite, et de jouir en paix, ma femme et moi, des grands biens que la libralit de la reine nous avait donns, que notre industrie nous avait fait acqurir, et en logeant et alliant nos enfants dans notre pays natal en de bonnes familles, leur laisser aprs nous notre hritage et succession. CÕest de quoi depuis quelques mois jÕimportune ma femme en vain, et chaque coup de fouet que la mauvaise fortune nous donne, je continue de la presser. Quand jÕai vu quÕun grand parti sÕest lev en France qui mÕa pris pour prtexte de sa soulevation, quÕil mÕa dclar un des cinq tyrans quÕil voulait ruiner et dtruire ; quand Mr Dolet qui tait ma crature, mon conseil, et mon affid ami, et jÕose dire serviteur, mÕest mort ; quand un infme cordonnier de Paris mÕa fait un affront, moi marchal de France ; quand jÕai t forc de quitter mon tablissement de Picardie, ma citadelle dÕAmiens, et laisser Ancre en proie de Mr de Longueville mon ennemi ; quand jÕai t contraint de me retirer ou pour mieux dire de mÕenfuir en Normandie, jÕai fait voir ma femme que parmi les grandes obligations que nous avions Dieu, celle de nous avertir de faire notre retraite nÕtait pas des moindres. Nous avons vu ensuite saccager notre maison avec perte de plus de deux cents mille cus ; nous avons vu pendre sur notre moustache deux de nos gens pour avoir donn de notre part des btonnades ce maraud de cordonnier : que voulions nous plus attendre sinon que notre fille par sa mort nous avertit que la ntre et notre ruine est prochaine et quÕil y a encore lieu de lÕviter, si promptement nous voulons songer une retraite laquelle je pensais avoir bien prvu en offrant six cents mille cus au pape pour lÕusufruit notre vie durant du duch de Ferrare o nous eussions pass en paix le reste de nos jours et laiss encore deux millions dÕor de succession nos enfants, ce que je ne feindrai point de vous dire et de le vous faire voir. Nous avons pour un million de livres au moins de biens stables en France, au marquisat dÕAncre, Lesigny, ma maison du faubourg, et celle-ci ; jÕai rachet notre bien de Florence qui tait engag et en ai pour cent mille cus en ma part, et ai encore deux cents mille cus Florence et autant Rome ; jÕai pour un million de livres encore, outre ce que nous avons perdu au pillage de notre maison, en meubles, pierreries, vaisselle dÕargent, et argent comptant ; ma femme et moi avons encore pour un million de livres de charges, les vendre bon prix, en celles de Normandie, de premier gentilhomme de la chambre, dÕintendant de la maison de la reine, et de dame dÕatour, gardant mon office de marchal de France ; jÕai six cents mille cus sur Fedeau, et plus de cent mille pistoles dÕautres affaires. NÕest-ce pas, Monsieur, de quoi nous contenter ? Avons-nous encore quelque chose dsirer si nous ne voulons irriter Dieu qui nous avertit par des signes si vidents de notre entire ruine ? JÕai t toute cette aprs-dne avec ma femme pour la conjurer de nous retirer ; je me suis mis genoux devant elle pour tcher de la persuader avec plus dÕefficace : mais elle, plus aheurte que jamais, me reproche ma lchet et ingratitude de vouloir abandonner la reine qui nous a donn ou fait acqurir par son moyen tant dÕhonneurs et de biens : de sorte, Monsieur, que je me vois perdu sans remde ; et si ce nÕtait que jÕai tant dÕobligations ma femme comme chacun sait, je la quitterais et mÕen irais en lieu-l o les grands ni le peuple de France ne me viendraient pas chercher. Jugez, Monsieur, si jÕai raison de mÕaffliger, et si outre la perte de ma fille, ce second dsastre ne me doit pas doublement tourmenter. Č
Je lui dis ce que je pus tant pour le consoler que pour le divertir de cette pense, et puis me retirai ; et ai voulu faire voir par ce rcit comme les hommes et principalement ceux que la fortune a levs ont des inspirations et des prvoyances de leur malheur : mais ils nÕont pas la rsolution de le prvenir pour lÕviter.
JANVIER.Ń LÕanne se finit par les noces de Mr le duc de Crouy et de Mlle dÕUrf : et celle de 1617 commena joyeusement par force assembles qui se firent, fort belles, auxquelles outre les jeux, festins, et comdies, il y avait aussi de bonnes musiques. On passa bien le temps la foire de Saint-Germain.
La jeune reine infante qui lÕanne prcdente dansa un assez chtif petit ballet dÕEspagnoles au carme-prenant Tours, en voulut danser un meilleur avec des Franaises, ce quÕelle fit seulement en lÕantichambre de la reine sa belle-mre (fvrier). Nous dansmes au mme lieu, et en dÕautres la ville, le ballet du Commissaire, puis ensuite celui des Princes de Chypre qui fut trs beau.
Je gagnai cette anne-l au jeu du trictrac cent mille cus, ou Mr de Guise, ou Mr de Joinville, ou Mr le marchal dÕAncre. Je nÕtais pas mal la cour, ni avec les dames, et quantit de belles matresses.
En ce mois Mr de Thmines fut tir de la Bastille et de la garde de Mr le Prince dont il fit de grandes plaintes : on lÕapaisa, lui donnant la lieutenance de lÕarme de Champagne. JÕentrai dans la Bastille avec 400 Suisses, dÕo je tirai quelques chevau-lgers de la reine mre que Du Tiers qui en tait marchal des logis y avait mens pour aider Vansay qui y commandait dÕen chasser Mr de Thmines. JÕen fis aussi sortir la compagnie de Saint-Beat qui y tait en garnison, et lorsque Vansai en eut lev une pour y mettre, jÕen retirai les Suisses.
Au mme mois un nomm Destoy vint dire exprs en mon logis o il fut envoy par Luynes que la reine mre venait de chasser Luynes pour avoir voulu enlever le roi et lÕemmener hors de Paris et du pouvoir de la reine mre, et Maturine envoye mme effet mon logis, en partit pour venir toute plore le dire au roi et Luynes, qui fit croire au roi que cÕtait le marchal dÕAncre qui faisait courre ce bruit pour voir comme Sa Majest le prendrait, pour ensuite lÕexcuter en effet ; dont le roi sÕanima de plus en plus contre le marchal dÕAncre, et Luynes et ledit marchal en eurent de grosses paroles.
Le soir mme comme la reine me parlait de cela, je lui dis : Ē Madame, il me semble que vous ne songez pas assez vous et que, un de ces jours, lÕon vous tirera le roi de dessous lÕaile. On lÕanime contre vos cratures premirement, et puis ensuite on lÕanimera contre vous : votre autorit nÕest que prcaire, qui cessera ds que le roi ne le voudra plus, et on lÕinduira pied pied ne le vouloir plus, comme il est ais de persuader de jeunes gens de sÕmanciper. Si le roi sÕen tait un de ces jours all Saint-Germain et quÕil et mand Mr dÕEpernon et moi de lÕy venir trouver, et quÕensuite il nous et dit que nous nÕeussions plus vous reconnatre, nous sommes vos trs obligs serviteurs, mais nous ne pourrions faire autre chose que de venir prendre cong de vous et vous supplier trs humblement de nous excuser si nous ne vous avions aussi bien servie pendant votre administration de lÕtat comme nous y tions obligs. Jugez, Madame (lui dis je ensuite), ce que pourraient faire les autres officiers, et comme vous demeureriez les mains vides aprs une telle administration. Č
Le duc de Crouy emmena sa femme en Flandres au carme, et moi je mÕen allai lÕarme, qui lors tait commande par Mr de Guise et sous lui Mr le marchal de Thmines, et pour marchal de camp Mr de Pralain (mars).
Je fus grand-matre de lÕartillerie par commission, et trouvai le 17me de mars lÕarme deux jours aprs quÕelle et assig Chteau Porcien lequel se fit battre avec peu dÕeffet huit jours durant que nous lÕattaqumes par le chteau.
Nous ptardmes la nuit du 28me ensuite [la ville] sans effet, et le sieur de Vigan beau-frre de Mr le marchal de Thmines y fut tu le lendemain de Pques. Nous mmes trois canons en batterie entre la ville et le chteau, dont nous nÕemes tir trente coups que la ville parlementa.
Mr de Guise me commanda le 29me dÕy entrer avec quatre compagnies des gardes franaises et autant de suisses ; et le lendemain 30me la pointe du jour le sieur de Montereau qui commandait au chteau, demanda me parler et me dit quÕil tait prt se rendre si on lui voulait faire honorable capitulation. Je lui offris sret pour le mener Mr de Guise et le ramener aussi, lequel lui donna de sortir sans enseignes ni battre tambour ; et le soir on entra dedans, et y mit-on une des compagnies des gardes suisses et une des gardes franaises.
Le lendemain, dernier jour de mars, Mr de Guise prit huit cents chevaux et vint faire une cavalcade toute la nuit Laon sur lÕavis que le lieutenant du Pch, de Guise, lui avait donn, que le rgiment de Ballagny tait log Vaux sous Laon, ce que nous trouvmes aussi. Mais comme lÕon sÕamusa un peu faire lÕordre pour forcer ce quartier, ils en eurent lÕalarme et se sauvrent, partie dans lÕglise, partie dans les vignes qui sont sous la ville, de sorte que nous nÕy tumes que deux ou trois soldats et mmes le feu leur quartier, lequel (nous partis) ils teignirent.
Mr de Guise au retour spara son arme en trois, dont il en prit une partie et vint assiger et prendre un chteau du Rethlois nomm Voysigny. Il bailla lÕautre Mr le marchal de Thmines pour aller qurir six canons Rocroi pour battre Rethel, et me laissa avec le reste Chteau-Porcien pour recevoir aussi les nouvelles troupes qui lui venaient ; et donna un rendez-vous le samedi 8me dÕavril neuf heures du matin pour venir par trois endroits investir Rethel, ce que nous fmes : et le lendemain parce que la compagnie de chevau-lgers dÕAubilly qui tait dans la place, sortait souvent la faveur du canon de la ville et de la mousqueterie quÕil avait loge pour le favoriser, Mr le marchal de Thmines et moi avec lui, la chargea et rembarra avec perte de quelques-uns de la troupe dudit Aubilly et de quelques mousquetaires qui ne se surent assez temps retirer.
Le temps fut toujours fort pluvieux, et comme la terre est grasse au Rethlois, nous emes mille peines, principalement faire marcher nos canons qui enfonaient par dessus lÕessieu. Enfin nous prparmes une batterie de huit pices au bas de la ville : mais comme je fusse venu le matin vendredi 14me dÕavril voir si Lesine mÕavait tenu promesse dÕavoir les huit pices en batterie la pointe du jour, je trouvai quÕil nÕy en avait que deux, et une trente pas de la batterie tellement enfonce dans la terre que lÕon ne lÕen avait pu retirer : une quatrime tait cent pas de l, que les officiers y avaient laisse parce quÕen lÕamenant quelque charretier et des chevaux ayant t tus, les autres avaient dtel et sÕen taient fuis. Je pris lors cinquante Suisses qui je promis cinquante cus pour me mettre ces deux pices en batterie, et les attelai au lieu des chevaux, ayant fait premirement creuser au dessous des roues de la pice et fait mettre des fortes planches afin quÕelle ne sÕembourbt plus. Nous tirmes la premire en batterie sans que lÕon nous tirt de la ville : mais comme nous nous mmes aprs la plus loigne et que nous la tirions proche de la batterie, o nous lÕavions dj amene, et que je les aidais tirer, les ennemis nous firent une salve en laquelle deux Suisses furent tus, trois blesss, et moi dÕune mousquetade dans le petit ventre du ct droit. Je pensais tre mort, et Mr le marchal de Thmines qui tait la batterie, le crut aussi : toutefois Dieu voulut que la quantit de hardes que la balle rencontra (car elle pera cinq doubles de mon manteau, deux doubles de ma hongreline fourre, mon ceinturon et ma basque), firent quÕelle sÕarrta sur le pritoine sans le percer, de sorte que quand on sonda la plaie, la balle se rencontra dans cette paisseur de chair qui est sur le ventre, o lÕon fit une incision, et elle tomba. Je nÕen tins jamais quÕun jour le lit, bien que ma plaie ft un mois se fermer cause du drap qui tait dedans.
Le samedi 15me au soir Mr de Pralain ayant fait battre la ville avec ces quatre pices susdites, nÕen fut pas quitte si bon march que moi ; car il eut une mousquetade qui lui pera la cuisse sans toutefois offenser lÕos, dont il fut aussi guri dans un mois.
Une heure aprs que Mr de Pralain et t bless, Marolles vint au camp avec sauf-conduit quÕil avait envoy demander, et capitula au nom de Mr de Nevers pour la reddition de Rethel, laquelle ayant sign, il entra dans la ville, et, ayant apport le contreseing de Mr de Nevers, le gouverneur de la ville accepta la capitulation que Marolles avait faite et rendit la place, o Mr de Guise vint loger le lendemain qui tait le 18me dÕavril.
Le 19me il fit la montre gnrale de son arme et se rsolut dÕenvoyer qurir force canons pour assiger Mzires parce quÕil nÕy en avait plus que quatre en son arme qui ne fussent vents, ce qui ne pouvait de douze ou quinze jours tre prt. Cela fut cause que je lui demandai cong dÕaller Paris pour parachever le trait que jÕavais commenc de la vente de ma charge de colonel-gnral des Suisses avec Mr le marchal dÕAncre qui mÕen avait offert jusques six cents mille livres, et jÕen demandais six cents cinquante.
Le soir mme que jÕeus obtenu mon cong, le roi et la reine nous envoyrent visiter Mr de Pralain et moi, croyant que je fusse bien plus bless que je nÕtais, vu le lieu de ma blessure. Ils nous crivirent de trs favorables lettres tous deux, et le marchal dÕAncre me manda que si je jouais me faire tuer, quÕil serait mon hritier ; et que si je me portais en tat de venir conclure, il me donnerait pour les cinquante mille francs dont nous tions en dispute, pour dix mille cus de pierreries au dire dÕorfvres. Je partis donc ce dessein, et Mrs le marquis de Thmines, comte de Fiesque, Zamet, et plus de cinquante autres gentilshommes voulurent venir avec moi.
Nous partmes donc le 21me et ne vnmes coucher quÕ Chteau-Porcien. Mais le lendemain 22me nous fmes coucher Vely o Mr de la Cure nous vint voir ; cÕtait un samedi au soir ; et me pria de venir le lendemain our messe et djeuner en son quartier qui tait sur notre chemin, ce que je fis, et le 23me il nous fit fort bonne chre et ensuite nous conduisit devant Soissons.
Mrs de Rohan, la Rochefoucaut, Saint-Geran et Saint-Luc vinrent au-devant de nous, qui nous menrent chez Mr le comte dÕAuvergne, qui tait gnral de lÕarme et qui sÕtait amus faire des enceintes devant la ville pour empcher les sorties des ennemis qui lÕavaient malmen en un quartier o tait log Bussy-Lameth avec son rgiment sur lequel Mr du Maine fit une brave sortie menant deux pices de canon devant lui, fora ce quartier, tailla en pices le rgiment de Bussy quÕil prit prisonnier, emporta ses drapeaux que depuis il arbora sur les bastions de Soissons ; de sorte que les tranches nÕtaient point encore ouvertes et ne le devaient tre que le lendemain.
Mr le comte dÕAuvergne nous fit lÕhonneur de nous faire voir ses retranchements, nous assurant que dans quinze jours il serait matre de Soissons ; ce que je ne crus pas voyant la faon dont ils se dmenaient.
Le soir Mr de Chevry nous donna souper, Mr le comte dÕAuvergne, duc de Rohan, et moi.
Le lendemain je voulus faire le tour de la ville et menai avec moi Mr le marquis de Thmines, Zamet, et Arnaut qui nous menait, lequel sÕentendait bien la guerre et donnait de trs bonnes raisons de ce quÕil et fallu faire. Au retour nous trouvmes Mr de la Rochefoucaut ; et comme nous tions dÕune diverse arme et que nous voulions faire voir quÕen la ntre nous ne craignions point les mousquetades, nous allmes pour nous en faire tirer ; mais les ennemis nous laissrent approcher sans nous tirer, de telle sorte que pour ne vouloir point retourner que nous nÕeussions vu de leur feu, nous marchmes jusques sur le bord de leur foss. Ils ne tirrent point. Quand nous vmes leur silence, nous rompmes le ntre et leur crimes des injures. Ils nous en rpondirent, mais jamais ne tirrent. Enfin aprs avoir assez longtemps parl ensemble comme si nous eussions t de mme parti, nous nous retirmes, et eux ne nous tirrent jamais.
Je revins souper comme le jour prcdent chez le prsident de Chevry avec Mrs de Rohan et le comte dÕAuvergne : cÕtait le lundi 24me dÕavril, quÕil arriva un des commis dudit prsident comme nous soupions, lequel lui dit lÕoreille que le marchal dÕAncre avait t tu le matin. Il sÕtonna fort cette nouvelle et la dit Mr le comte dÕAuvergne au-dessous duquel il tait, qui nÕen fut pas moins tonn, et sÕentreparlrent quelque peu. Enfin je les pressai de nous dire ce que cÕtait, et ils nous dirent que le matin onze heures le marchal dÕAncre avait, du commandement du roi, t tu par Vitry ; et pria Mr de Rohan et moi de lui conseiller ce quÕil avait faire en cette occasion. Je lui demandai si le roi ou la reine lui avaient rien mand. Il me dit que non. Ē Il me semble, lui dis je, que vous devez aller visiter vos quartiers, et que les chefs en soient avertis par votre bouche, lesquels vous prierez de contenir leurs gens en tat, attendant que le roi vous ait envoy ses commandements. Č Il me pria de lui vouloir accompagner, ce que je fis. Il avait envie de faire discontinuer lÕouverture de la tranche que Mr de Saint-Luc commenait lÕheure mme ; mais je lÕen dissuadai lui disant quÕil fit toujours son devoir jusques ce que lÕon lui mandt le contraire. Sur les trois heures du matin Tavannes arriva, qui apporta Mr le comte dÕAuvergne ordre de supersder tout acte dÕhostilit contre la ville de Soissons. Le soir les ennemis furent mieux avertis que nous ; car ds que jÕtais sur le bord de leur foss o ils ne nous tirrent jamais, ils nous dirent que notre matre tait mort et que le leur lÕavait tu : mais je ne compris point pour lÕheure ce quÕils voulaient dire.
Nous partmes le lendemain mardi 25me de bonne heure de Soissons, et ayant pass lÕAisne sur le pont de bateaux nous nous jetmes sans y penser dans la cavalerie ligeoise qui avait eu avis de la mort du marchal dÕAncre qui les avait levs, dont ils taient fort tonns. De fortune ce mme matin ils taient en armes pour faire montre, et comme ils nous virent, ils firent dessein de nous prendre prisonniers pour crainte que lÕon ne les voult tailler en pices, et nous faire servir de garants ; et comme un capitaine sÕavana pour me parler, je fis lÕafflig de la mort dudit marchal et lui demandai si je pourrais tre en sret parmi eux et sÕils pourraient empcher que lÕon ne nous prt si le roi le commandait. Il me rpondit quÕils taient eux-mmes assez empchs de se garantir, et que chacun tcht faire le mieux quÕil pourrait : et ainsi sÕen revint ses gens et leur dit que nous tions des gens du marchal dÕAncre. Ainsi sans montrer que nous tirassions droit Paris, nous demeurmes un peu les voir et enfin les loignmes insensiblement et sortmes de leurs mains.
Nous vnmes coucher Nanteuil et le lendemain dner chez Zamet, et aprs dner trouver le roi qui me fit fort bonne chre et me commanda dÕaimer Mr de Luynes, et que cÕtait son bon serviteur. Je lui demandai sÕil nous permettrait de voir la reine sa mre : il me dit quÕil y aviserait.
Je vis cependant Zocoli, tailleur de ladite reine, qui venait de sa part visiter madame la princesse de Conty et madame de Guise, et lui faisais tous les soirs faire par lui mes compliments.
On avait rompu le pont du jardin du Louvre, et les gardes du roi taient en lÕantichambre de la reine, qui ne laissaient entrer que ses domestiques.
Mai. Ń On traitait cependant pour la faire partir, ce qui se fit le 3me jour de mai veille de lÕAscension. Tout le matin lÕon ne fit que charger les bagages, le roi tant cependant au conseil o il fut rsolu et mis par crit les choses que la reine devait dire au roi en se sparant, et celles que le roi lui devait rpondre. Il fut aussi convenu que lÕun ni lÕautre ne dirait rien davantage, et que quand la reine serait habille, les princesses la pourraient voir, et les hommes ensuite aprs que le roi aurait pris cong dÕelle, comme aussi que le marchal de Vitry nÕy serait point, ni le Hallier son frre ; que la Cure lÕaccompagnerait jusques Blois ; que lui et le colonel seraient auprs dÕelle quand le roi y viendrait. LÕon envoya aussi les ordinaires, et les plus affids de Mr de Luynes se tenir la chambre o soulaient tre ses gardes. Puis le roi descendit, et la reine qui lÕattendait, tait en lÕalle au sortir de sa chambre, pour entrer en son antichambre en mme temps que lui. Mrs de Vitry demeurrent la porte, et les trois Luynes marchrent devant le roi, lequel tenait lÕan par la main. Mr le prince de Joinville et moi suivions le roi et entrmes aprs lui. La reine tint bonne mine jusques ce quÕelle vit le roi : alors elle se mit fort pleurer ; mais elle se tint le mouchoir devant les yeux et son ventail au-devant, et sÕtant rencontrs, elle mena le roi jusques la fentre qui regarde sur le jardin, et lors tant son mouchoir et son ventail, elle lui dit : Ē Monsieur, je suis trs marrie de nÕavoir gouvern votre tat pendant ma rgence et mon administration plus votre gr que je nÕai fait, vous assurant que jÕy ai nanmoins apport toute la peine et le soin quÕil mÕa t possible, et vous supplie de me tenir toujours pour votre trs humble et trs obissante mre et servante. Č Il lui rpondit : Ē Madame, je vous remercie trs humblement du soin et de la peine que vous avez prise en lÕadministration de mon royaume ; dont je suis satisfait et mÕen ressens oblig. Je vous supplie de croire que je serai toujours votre trs humble fils. Č Sur cela attendait le roi quÕelle se baisst pour le baiser et prendre cong de lui, comme il avait t concert ; mais elle lui dit : Ē Monsieur, je mÕen vas et vous supplie dÕune grce en partant, que je me veux promettre que vous ne me refuserez pas, qui est de me rendre Barbin mon intendant, si, comme je le crois, vous ne vous en voulez servir. Č Le roi qui ne sÕattendait point cette demande, la regarda sans lui rien rpondre ; elle lui dit encore : Ē Monsieur, ne me refusez point cette seule prire que je vous fais. Č Il continua de la regarder sans rpondre ; elle ajouta : Ē Peut-tre est-ce la dernire que je vous ferai jamais Č ; et puis voyant quÕil ne lui rpondait rien, elle dit : Ē Or sus Č, et puis se baissa et le baisa. Le roi fit une rvrence et puis tourna le dos. Alors Mr de Luynes vint prendre cong de la reine qui il dit quelques paroles que je ne pus entendre ni celles aussi quÕelle lui rpondit, si fis bien celle quÕaprs lui avoir bais la robe, elle ajouta, qui fut quÕelle avait fait une prire au roi de lui rendre Barbin, et quÕil lui ferait service agrable et singulier plaisir de procurer que le roi lui accordt sa requte, qui nÕtait pas si importante quÕil lui dt refuser. Comme Mr de Luynes voulut rpondre, le roi cria cinq ou six fois : Ē Luynes, Luynes, Luynes ! Č Et lors Mr de Luynes faisant voir la reine quÕil tait forc dÕaller aprs le roi, le suivit. Alors la reine sÕappuya contre la muraille entre les deux fentres, et pleurant amrement, Mr de Chevreuse et moi lui baismes la robe pleurant aussi ; mais, ou elle ne nous put voir cause de ses larmes, ou elle ne nous voulut parler ni regarder, ce qui fit que jÕattendis pour prendre encore une fois cong dÕelle, ce que je fis comme elle retourna en sa chambre ; mais elle ne me vit ou voulut voir non plus que la premire fois.
Sur cela le roi se mit sur le balcon qui est devant la chambre de la reine sa femme pour voir partir la reine, et aprs quÕelle fut sortie du Louvre, il courut en sa galerie pour la voir encore passer sur le Pont Neuf, puis monta en carrosse et sÕen alla au bois de Vincennes.
La reine et tout le reste de la cour y arrivrent le lendemain 4me qui tait un jeudi jour de lÕAscension, o y arriva don Baltasar de Suniga avec sa femme, qui sÕen allaient en Espagne au retour de sa longue ambassade en la cour des empereurs.
Le vendredi 5me Mrs de Vendme, de Mayenne, et de Bouillon y vinrent faire la rvrence au roi qui les reut fort bien : et moi ce soir-l je fis autre chose.
Travail fut rou.
Le roi aprs avoir demeur prs de quinze jours audit bois de Vincennes sÕen revint Paris, et madame la Princesse peu de temps aprs sÕenferma dans la Bastille avec Mr le Prince. Madame la Princesse entra dans la Bastille le 21me de juin, veille de la petite Fte-Dieu. Le roi sÕen alla Saint-Germain o il demeura quelque temps.
Juillet. Ń On trancha la tte la marchale dÕAncre en Greve.
Geniers y eut la tte tranche.
Le roi revint Paris et ayant eu avis que Bournonville par le moyen de Barbin avait quelque intelligence avec la reine mre bien quÕil commandt sous son frre la Bastille, lÕen sortit et le mit en prison. Et quelques jours de l un matin le roi me commanda de faire tenir proche de la porte Saint-Antoine trois compagnies de Suisses ; ce que je fis : et Mr le Prince qui mÕaperut les y mener, de sa fentre, prit opinion que lÕon le voulait mettre entre mes mains, dont il tmoigna du ressentiment ; ce quÕayant su, afin de lui lever cet ombrage, je ne voulus point paratre. Ces troupes avec deux compagnies franaises et cinquante gendarmes et autant de chevau-lgers le menrent au bois de Vincennes o il demeura plus de deux ans depuis. Les gardes franaises et suisses demeurrent dans le chteau jusques ce que huit compagnies du rgiment de Normandie nouvellement tabli et mis sur pied les fussent venues relever.
Peu de jours ensuite Mr de Persan qui tait demeur gouverneur de la Bastille fut souponn dÕavoir su la pratique de Bournonville son frre et fut mis prisonnier. Le roi me mit dans la Bastille avec soixante Suisses, o je demeurai huit ou dix jours (octobre) au bout desquels le roi mÕayant command de mettre la place entre les mains [de Mr de Brante frre] de Mr de Luynes, qui il en avait donn la capitainerie, je lui rsignai.
Novembre. Ń Il y eut un jubil extraordinaire que je fis Paris ; et le lendemain jÕeus lÕaventure qui nous brouilla Mr de Montmorency et moi.
Dcembre. Ń JÕallai aprs trouver le roi Rouen, qui y faisait tenir une assemble de notables, en laquelle la paulette fut abolie.
Nous en partmes Mr de Guise et moi, et avec quatre carrosses de relais nous arrivmes le 21me dcembre, jour de Saint-Tomas, en un jour, de Rouen Paris, sur la nouvelle de lÕextrmit de la maladie de madame la Princesse qui accoucha de deux enfants ce mme soir ; qui nÕeurent vie ; et elle (dont la sienne tait dsespre, y ayant vingt heures quÕelle tait en apoplexie) revint petit petit aprs tre dlivre.
Nous repartmes de Paris la veille de Nol en mmes carrosses de relais et arrivmes le soir Rouen, qui est une diligence en carrosse qui ne sÕtait encore faite en cette saison.
JANVIER.ŃAprs que lÕassemble ft finie, le roi partit de Rouen au commencement de lÕanne 1618 et sÕen vint demeurer quelques jours au chteau de Madrid o il voulut que je vinsse loger le 17me janvier.
Pario mÕarma en Orqas.
La foire de Saint-Germain arriva en laquelle Roucelai fut outrag par Rouillac.
Fvrier. Ń Le roi dansa le ballet dÕArnaud et dÕArmide, duquel je fus.
Mars. Ń Ensuite les ducs et pairs, et officiers, trouvrent trange que le garde des sceaux qui nÕest point officier de la couronne, et mme le chancelier y tant, se plat devant eux au conseil. Mr dÕEpernon porta la parole au roi devant ledit garde des sceaux, et comme il est un peu violent, attaqua ledit garde des sceaux qui lui rpondit plus hautement quÕil ne devait. Trois jours aprs, le roi (qui ce jour-l avait pris mdecine) les fit tous deux venir en sa chambre o nous tions peu de gens, et leur commanda de demeurer amis ; et sur ce que Mr dÕEpernon se haussa encore un peu en paroles, le roi qui tait assis, se leva contre Mr dÕEpernon et le malmena : puis ensuite ayant dit quÕil voulait aller ses affaires, chacun sortit par la porte du cabinet, et Mr dÕEpernon sÕen alla par la porte de la chambre tout seul, et moi je le voulus aller accompagner nonobstant toute la brouillerie quÕil avait eue avec le garde des sceaux et avec le roi. Il se trouva un peu tonn quand il se vit enferm dans lÕantichambre et eut quelque soupon que lÕon le voulait arrter ; car toutes les portes taient fermes. Je mÕavisai de regarder si le petit degr qui est contre la porte de la chambre du roi tait point aussi ferm, et lÕayant trouv ouvert jÕy amenai Mr dÕEpernon de qui les gens lÕattendaient en la salle haute et passmes tous deux jusques devant le Louvre o il trouva son carrosse qui lÕemmena en son logis ou en quelque autre, me priant de lui envoyer donner avis si on nÕavait rien rsolu contre lui. Je parlai Mr de Luynes sur son sujet, et me dit : Ē Il veut aller Metz ; quÕil hte un peu son voyage et sÕy en aille : car ces messieurs pourraient animer le roi contre lui. Č Je vis bien quÕils dsiraient quÕil partt de la cour et allai le lendemain trouver Mr dÕEpernon et lui fis savoir lÕintention du roi et du favori. Il me pria de savoir si, venant trouver le roi pour prendre cong de lui, il serait le bien reu ; dont je lui portai parole. Il vint donc aprs le dner du roi et y reut trs bon visage. Il lui demanda cong dÕaller Metz, que le roi lui accorda ; et lui ayant dit adieu, il sÕen alla demeurer Vanves jusques ce que Mr dÕEpernon sÕen ft all, ce quÕil pensait quÕil ferait le jour dÕaprs. Il emmena Vanves monsieur son frre avec lui, qui il changea de gouverneur, mettant la place de Mr de Breves, qui lÕtait, Mr le comte du Lude.
Aprs que le roi eut demeur deux jours Vanves et quÕil sut que tout Paris tait venu visiter Mr dÕEpernon, et quÕil nÕtait point parti, que mme il avait dit Saint-Geran quÕil avait encore des affaires Paris pour cinq ou six jours, le roi sÕen fcha et me dit quÕil sÕen retournerait le lendemain au soir Paris, et que sÕil lui trouvait encore, il lui ferait un mauvais parti. Mr de Luynes mmes me dit devant le roi que je le visse et que je lui fisse savoir quÕil ne demeurt pas plus longtemps Paris sÕil tait sage. Je partis la mme heure et vins dner avec lui, auquel je dis lÕhumeur du roi, lui palliant [embellisant] les choses quÕil ne devait pas savoir si crment. Enfin aprs mÕavoir longtemps parl, il me pria dÕassurer Sa Majest que le lendemain avant midi il serait hors de Paris, comme il fit : et le roi y arriva le soir. Or Mr dÕEpernon sÕen alla Fontenay o il demeura encore sept ou huit jours ; dont le roi entra en telle colre quÕil envoya loger Rosoy ses chevau-lgers : et monsieur le chancelier qui tait ami de Mr dÕEpernon, lui manda par Guron quÕil ferait bien de partir et de sÕen aller Metz. Guron lui porta la nouvelle si chaude quÕil partit lÕheure mme, et grandes journes se rendit Metz.
Peu aprs on fit rouer Paris les Siti, et Durant, pour avoir fait quelques crits en faveur de la reine mre.
En ce temps-l le roi qui tait fort jeune, sÕamusait force petits exercices de son ge, comme de peindre, de chanter, dÕimiter les artifices des eaux de Saint-Germain par de petits canaux de plume, de faire des petites inventions de chasse, de jouer du tambour, quoi il russissait trs bien. Un jour je le louais de ce quÕil tait fort propre ce quÕil voulait entreprendre et que nÕayant jamais t montr battre le tambour, il le faisait mieux que les matres ; il me dit : Ē Il faut que je me remette sonner du cor de chasse, ce que je fais fort bien, et veux tre tout un jour sonner. Č Je lui rpondis : Ē Sire, je ne conseille pas Votre Majest dÕen sonner par trop souvent : car outre que cela fait venir les hairgnes [hernies], il nuit encore grandement au poumon, et mme jÕai ou dire que le feu roi Charles, force de sonner du cor, se rompit une veine dans le poumon, qui lui causa la mort. Č Ē Vous vous trompez, me rpliqua il, le sonner du cor ne le fit pas mourir, mais bien ce quÕil se mit mal avec la reine Catherine sa mre Monceaux, et quÕil la quitta et sÕen revint Meaux, mais si l par la persuasion du marchal de Retz qui le fit retourner Monceaux auprs de la reine sa mre ; car sÕil nÕy fut pas revenu, il ne fut pas mort si tt. Č Et comme je ne lui rpondais rien sur ce sujet, Montpouillan qui tait prsent, me dit : Ē Vous ne pensiez pas, Monsieur, que le roi st ces choses-l comme il les sait, et beaucoup dÕautres encore. Č Je lui dis : Ē Vraiment non, Monsieur, je ne le pensais pas. Č Cela me fit connatre que lÕon lui donnait beaucoup dÕapprhensions de la reine sa mre, de laquelle je me gardai bien lÕavenir de lui parler, mme en discours communs.
Quand la reine partit lÕautre anne de Paris, Roucelai eut commandement de sÕen aller aussi comme son partisan. Peu aprs mÕtant mis bien avec Mr de Luynes, je fis en sorte quÕil revnt la cour sous la caution que je fis pour lui quÕil ne ferait aucune chose qui pt dplaire au roi, et ne se mlerait de rien. Mais comme il tait homme dÕintrigue, il ne sÕen put tenir et traita avec quelques grands et princes ; puis ayant fait ses affaires de la cour, voulant en traiter dÕautres la campagne, fit donner lui mme des avis contre lui, non les vrais, mais de faux et controuvs, pour se faire chasser de la cour, ce que lÕon fit alors (juillet) : et lui sÕen alla en son abbaye de Signy dÕo il traita avec Mr de Bouillon pour la reine et ensuite runit en bonne intelligence Mrs dÕEpernon et de Bouillon pour le service de ladite reine.
Aot. Ń Vers la mi-aot le roi sÕen vint Monceaux dÕo jÕtais capitaine, o je le reus si magnifiquement que rien plus. Il y demeura dix-sept jours qui me cotrent dix mille cus.
De l il sÕen alla (septembre) Villiers-Cterets et Soissons o je pris cong de lui pour mÕen aller en Lorraine, et me permit aussi dÕaller Metz voir Mr dÕEpernon, lequel sÕen vint peu aprs Nancy (octobre) principalement pour me voir.
Je ne fus gure plus dÕun mois en mon voyage et mÕen revins en cour (novembre) o je trouvai que lÕon avait ordonn aux Espagnoles qui taient avec la reine de se retirer.
Dcembre. Ń Nous emes les comdiens espagnols cet hiver-l, et il y eut une grande comte au ciel, qui apparut plus dÕun mois durant.
JANVIER.Ń LÕanne 1619 commena par la grande maladie de la reine que Dieu enfin garantit. Madame la conntable sa dame dÕhonneur qui huit mois auparavant sÕtait retire de la cour parce que Mr de Luynes avait fait donner la superintendance de la maison de la reine sa femme, vint trouver la reine en lÕexcs de sa maladie, qui fut trs aise de la voir et commena ds lors se mieux porter : et ladite conntable demeura dsormais auprs dÕelle comme auparavant.
Mr dÕElbeuf pousa Mlle de Vendme.
Le roi consomma le mariage avec la reine sa femme.
Fvrier. Ń La foire de Saint-Germain fut suivie de force ballets, et ces ballets des noces de madame Henriette seconde fille de France avec Mr le prince de Pimont qui arriva en ce temps-l pour lÕpouser.
Aprs le carme-prenant le roi sÕen alla Saint-Germain dÕo il eut la nouvelle de lÕvasion de la reine sa mre de Blois, que Mr dÕEpernon qui contre la dfense du roi tait parti de Metz pour aller en Saintonge, sans sÕy arrter, tait venu recevoir Montrichart.
Le roi revint Paris le mme jour quÕil en eut la nouvelle, et le lendemain tint conseil pour savoir ce quÕil aurait faire. Il fut avis quÕil enverrait le pre Brulle avec lÕarchevque de Sens vers elle pour la convier de revenir, et en mme temps dresser une forte arme pour aller ruiner Mr dÕEpernon, de laquelle le roi fit lÕhonneur Mr de Crquy et moi de nous faire marchaux de camp (mars). Mr de Sens renvoya peu aprs le pre Brulle avec quelque pourparler dÕaccommodement, ce qui fit que lÕon y envoya de plus Mr le cardinal de la Rochefoucaut avec pouvoir de traiter.
Avril. Ń Le roi cependant partit au mois dÕavril pour aller sur la rivire de Loire o ses troupes sÕacheminaient. Mais comme nous arrivmes Amboise, Mr de la Rochefoucaut cardinal manda au roi comme il avait trait et conclu avec la reine sa mre, que la paix avait t conclue et jure, et que lÕon en avait en mme temps fait les feux de joie et chant le Te Deum. On trouva que ledit sieur cardinal sÕtait un peu trop ht, et quÕil en devait donner avis au roi : nanmoins on tint lÕaccord, par lequel la reine quitta le gouvernement de Normandie et on lui donna celui dÕAnjou avec le chteau dÕAngers, Chinon, et le Pont de C.
Le roi sÕavana jusques Tours.
Juin. Ń Mr le prince de Pimont alla voir la reine sa belle-mre.
Cependant nous demeurmes trois mois Tours (juin, juillet, aot) y passant trs bien notre temps. Nous allmes au Lude, la Fleche et Durtal. Nous allions et venions en poste Paris passer encore le temps. Le colonel Galaty mourut : les ministres voulurent en mon absence disposer des charges : les Suisses mÕen donnrent avis, et je vins en un jour en poste de Paris Tours o jÕeus du roi tout ce que je voulus ; et tais en ce temps-l trs bien trait. Le roi me donna aussi lÕabbaye de Annecourt pour Paule Fiesque, et dÕautres grces.
Le roi fit marchal de France Mr de Pralain, et quelque peu aprs Mr de Saint-Geran.
Septembre. Ń Enfin la reine arriva Cousieres o Mr de Luynes la vint trouver, ayant amen avec lui tous les principaux de la cour, qui salumes la reine aprs quÕil lÕet salue. Le lendemain la reine arriva Tours : la reine sa belle-fille avec les princesses et dames fut au-devant, puis le roi, et tous ensemble revinrent Tours o Leurs Majests demeurrent dix ou douze jours ensemble, puis se sparrent : la reine mre alla Chinon, et de l Angers (octobre), et le roi Amboise dÕo il se spara de la princesse et du prince de Pimont, que Mr le grand prieur eut charge dÕaccompagner jusques Turin.
Le roi de l sÕen vint Blois, puis Chasteaudun, Vendme et Chartres ; Mantes, Creil et Compigne.
Le comte du Lude mourut en ce temps-l, et la charge de gouverneur de Monsieur fut donne au colonel dÕOrnano.
Peu de jours aprs que le roi fut arriv Compigne, il en partit pour venir Chantilly. Mr de Luynes fut qurir Mr le Prince au bois de Vincennes et madame sa femme, quÕil emmena Chantilly trouver le roi, lequel les ramena Compigne dÕo ils allrent Notre Dame de Liesse.
Cependant la cour vint passer quinze jours de temps Monceaux o je fis encore pareille dpense que jÕavais faite lÕanne prcdente.
Novembre. Ń De l le roi revint Lesigny, et Mr de Luynes vint Paris prter le serment de duc et pair.
La cour vint puis aprs Saint-Germain o le chapitre de lÕordre du Saint-Esprit fut tenu, et le dernier jour de lÕan nous fmes faits chevaliers aux Augustins la manire accoutume. Le nombre fut rempli. Il y eut ce jour-l quelque brouillerie entre Mrs de Nemours et de Guise, qui fut promptement rapaise.
JÕoffris ce jour-l mon service madame la comtesse de Rochefort.
JANVIER.Ń Le premier jour de lÕanne 1620 fut commenc par la crmonie de lÕOrdre, et le lendemain par la crmonie des chevaliers trpasss.
Fvrier. Ń La foire de Saint-Germain vint ensuite, puis le carme-prenant, o il y eut force ballets et assembles, entre autres trois, assavoir : chez La Rochefoucaut ; chez Chanvallon o il y eut une fort belle comdie de personnes particulires qui ne faisaient point de profession de comdiens ; il y en eut aussi chez Fedeau o dÕAndelot se fcha contre le matre du logis et nous emes quelque petite brouillerie Mr de Montmorency et moi, mais tout fut promptement apais.
Mr de Caddenet fut fait marchal de France afin dÕpouser Mlle de Pequigny.
Mars. Ń On passa bien le temps tout le carme et le printemps, tant aux Tuileries o les galants se trouvaient avec les dames, comme aux assembles que toutes les princesses firent, ce invites par la reine.
Au milieu du carme, comme le roi tait Fontainebleau, Mr du Maine sÕen alla de la cour sans dire adieu.
Avril. Ń LÕassemble des huguenots se tenait Loudun, lesquels dclarrent quÕils ne prsenteraient point leurs cahiers, ou quÕiceux prsents, ils ne se dsassembleraient point que lÕon nÕy et rpondu ; et Mr Desdiguieres nÕeut pas assez de pouvoir pour les faire condescendre agir comme ils avaient accoutum et quÕil leur tait permis par leur dit. Ils se fortifiaient des divisions apparentes quÕils voyaient dans lÕtat, et foments par les grands qui les induisaient de tenir bon. Le roi qui se voyait dÕautres affaires sur les bras, tcha de sÕaccommoder avec ceux de la Religion qui enfin, aprs avoir prsent leurs cahiers avec les deux dputs que le roi avait choisis des six quÕils avaient nomms selon la coutume, se sparrent sur les promesses que leur firent au nom du roi Mr le Prince, Mrs de Lesdiguires et de Luynes, que dans six mois le roi leur terminerait trois affaires, assavoir : la continuation pour trois annes de leurs places de sret ; lÕtablissement de deux conseillers de leur religion au parlement, dont on tait en dispute avec eux ; et que lÕon terait de Leitoure le sieur de Fonterailles qui depuis peu sÕtait fait catholique, et que lÕon en mettrait en sa place un de la Religion, tel quÕil plairait Sa Majest : et que si dans lesdits six mois ils nÕtaient pleinement satisfaits desdits articles, ceux de la Religion de Barn auraient encore un mois aprs pour venir faire leurs trs humbles remontrances sur lÕintrt quÕils avaient lÕarrt donn au conseil pour le rtablissement des ecclsiastiques de Barn dans leurs biens, aprs lesquelles remontrances Sa dite Majest en ferait ce quÕelle jugerait bon tre : et que si lesdits trois articles nÕtaient rpondus leur contentement, ils se pourraient assembler de nouveau sans lettres patentes du roi pour leur permettre ainsi que cÕest la coutume.
Le roi cependant sÕavana Pques jusques Orlans ; mais ladite assemble sÕtant spare, il sÕen revint Paris : et Sa Majest ordonna (mai) que jÕallasse commander comme marchal de camp lÕarme quÕil avait en garnison en Champagne, pour la tenir prte marcher au premier commandement que jÕen aurais dÕElle.
Devant que je mÕacheminasse pour y aller, le roi eut divers avis des menes qui se faisaient contre lui, de lÕerrement [recrutement] des troupes ; et puis Mr de Vendme partit dÕAnet et sÕen alla Angers trouver la reine. Le roi envoya Blainville vers elle, de laquelle il ne put tirer que des paroles incertaines et ambigus qui augmentrent le soupon du roi. Mr de Nemours ensuite partit une nuit de Paris et se retira Angers, de sorte que le roi ne dut plus douter de sÕarmer puissament pour y rsister. Il me commanda de partir, et je mÕen vins le lundi 29me jour de juin pour prendre cong de Sa Majest et partir lÕaprs-dne.
Mais comme le matin jÕentrais au Louvre pour cet effet, une femme me donna avis par un billet que monsieur et madame la Comtesse taient rsolus de sÕen aller la nuit prochaine et que monsieur le grand prieur et le comte de Saint-Aignan sÕen allaient avec eux. Je rencontrai peu de temps aprs le chevalier dÕEspinay qui me confirma la mme chose. Je montai la chambre du roi et lui dis, et Mr de Luynes, le double avis que je venais de recevoir. Ils me menrent chez la reine qui sÕhabillait, afin que, personne nÕy entrant cette heure l, ils me pussent plus longuement entretenir. Le roi sÕen devait aller ce jour-l coucher Madrid : il proposa de demeurer, dÕenvoyer qurir Mr le Comte, et de lÕarrter. Mr de Luynes, et moi, lui dmes que sur des avis incertains que je prsentais comme ils me venaient dÕtre donns, et dÕarrter une telle personne sans plus grandes preuves, ne me semblait pas convenable, et que lÕaffaire mritait bien dÕtre pese et dbattue devant que de la rsoudre. Mr de Luynes lui conseilla de plus de nÕinterrompre point son voyage de Madrid de peur dÕeffaroucher le gibier, et quÕil demeurerait Paris ; quÕil me retiendrait pour ce jour-l Paris ; que le roi pourrait renvoyer ses chevau-lgers avec ordre de faire ce quÕil leur dirait, et quÕil sÕen repost sur lui ; ce que le roi agra, et partit.
Mr de Luynes me voulut mener dner chez le marchal de Chaunes avec lui : mais comme jÕtais pri dner chez Descures avec Mrs de Nevers et de Pralain, je lui dis que je mÕy trouverais au sortir de son dner ; comme je fis. Il me mena en sa maison en la mme rue Saint-Tomas (quÕil faisait btir), avec Mr de Schomberg lequel lÕanne prcdente Tours avait t fait surintendant des finances en la place de Mr le prsident Jeannin, et on avait donn Mr de Castille son gendre le contrle gnral. Il sÕenferma en une chambre avec nous et Mr de Chaunes, nÕy ayant que Modene et Contade avec. L, il fut longtemps agit ce quÕil serait faire. En mme temps arriva Mr de Brantes qui lui dit que le roi lui envoyait les chevau-lgers. Il me dit enfin : Ē Monsieur, puisque vous avez donn un si important avis au roi, que vous semble-il que lÕon puisse et doive faire sur ce sujet ? Dites mÕen votre avis, ou mme plusieurs avis, afin que nous en puissions choisir un qui soit utile au roi. Č Je lui dis :
Ē Monsieur, je vous ferai encore en ceci la mme rponse quÕen plusieurs autres pareilles occasions jÕai dj faite, que nÕayant ni le maniement ni la connaissance des affaires du roi, je ne suis pas capable de donner un bon avis en lÕair et dÕune chose o je ne vois ni le jour ni le fond. Je vous dirai nanmoins tous les avis quÕil me semble qui se peuvent prendre l-dessus, desquels vous saurez choisir le meilleur et rejeter les autres. Č
Ē Je pense quÕen cette affaire il faut parler en marchand et dire quÕil nÕy a quÕ le prendre ou le laisser, et quÕ le laisser il y a deux moyens : lÕun, de le laisser partir sans lui rien faire ne dire ; et lÕautre, de lui permettre aussi de partir, mais de lui faire savoir auparavant que lÕon est fort bien averti de son dessein, mais quÕil est indiffrent au roi quÕil lÕexcute ou non. Ė le prendre, il faut que le roi lui mande quÕil le vienne trouver Madrid, et l lui dire comme il est averti quÕil a dessein dÕaller trouver la reine mre, et que pour cet effet il se veut assurer de sa personne et le retenir prs de lui ; lÕautre, faire investir son logis, le prendre et le mettre en tel lieu de sret quÕil plaira au roi ; lÕautre, de le prendre avec sa mre et le grand prieur quand ils sortiront de leur logis, ou bien quand ils viendront la porte de la ville, ou bien Villepreux quand ils viendront au rendez-vous qui leur est donn. Č
Ē CÕest maintenant vous, Monsieur, de prendre et former deux avis : lÕun, sÕil est plus propos de le prendre ou de le laisser aller ; lÕautre, si vous jugez quÕil le faille prendre, de faire le choix dÕune des faons que je vous ai proposes, et lÕexcuter promptement et srement. Č
Sur cela Mr de Luynes fut en plus grande incertitude que devant, et mÕtonnai du peu dÕaide et de confort que ces autres messieurs l prsents lui donnaient, qui se montraient aussi irrsolus que lui. Sur cela madame la vidame envoya dire Mr de Chaunes que madame la Comtesse tait venue chez elle, et quÕelle lui priait dÕy venir. Mr de Luynes lui envoya en mme temps et lui ordonna de prendre bien garde sa contenance si il pourrait point dcouvrir son dessein. Nous demeurmes cependant, attendant de ses nouvelles qui ne tardrent gure venir, par lesquelles il nous fit savoir quÕ sa mine et ses discours il se fortifiait toujours davantage en lÕopinion de sa prochaine fuite. Alors Mr de Luynes plus perplexe que devant, se mit la blmer et ne rien rsoudre, ni ceux qui assistaient non plus, dont je fus bien tonn. Enfin je lui dis : Ē Monsieur, vous consumez le temps rsoudre, quÕil vous faudrait employer excuter. Il se fait tard ; le roi est en peine de ne savoir point de vos nouvelles : formez un dessein. Č Il me dit : Ē Vous en parlez bien votre aise ; si vous teniez la queue de la pole comme moi, vous seriez aussi en peine que moi. Č
Je vis bien lors quÕil lui fallait ajouter de nouveaux conseillers : cÕest pourquoi je lui dis : Ē Monsieur, puisque vous tes en cette apprhension, faites part aux ministres de cette affaire et les rendez participants de ce que vous excuterez. Aussi bien si vous le faites sans eux, ils vous en blmeront quoi quÕil en russisse. Č Je lui fis plaisir de lui avoir ouvert cette porte ; et les envoya aussitt convoquer chez monsieur le chancelier. Mr de Schomberg dit que Mr le cardinal de Retz tait malade et quÕil ne sÕy pourrait trouver ; je dis lors : Ē Monsieur, si vous voulez, je lui en irai parler et vous porterai son opinion chez monsieur le chancelier. Je ferai encore mieux : jÕirai, chemin faisant, passer chez monsieur le grand prieur prendre cong de lui, et verrai sa contenance. Č
Il le trouva fort bon. Ainsi jÕallai chez monsieur le grand prieur que je trouvai avec le comte de Saint-Aignan et le chevalier de lÕEspinai. Je pris cong dÕeux, et en embrassant ledit chevalier je lui dis : Ē Moi dÕun ct et vous de lÕautre, nÕest ce pas ? Y a-t-il rien de chang ? Č Il me dit : Ē Tout est prt partir onze heures du soir. Č JÕallai de l chez le cardinal : je lui parlai de la part de Mr de Luynes ; mais je le trouvai aussi irrsolu que lui et vis bien quÕil ne voulait pas charger ses paules dÕun gnreux avis duquel puis aprs on lui pt faire reproche.
Je mÕen revins chez monsieur le chancelier et trouvai que Mr le prsident Jeannin avait par de fortes raisons persuad de les laisser aller sans leur rien dire ni empcher leur dessein, disant que Mr le Comte ni madame la Comtesse nÕapportaient que de la fume et ostentation au parti de la reine et nul avantage ou profit ; et quÕtant mal intentionns au service du roi, il tait dsirer quÕils sÕen allassent de Paris dÕo le roi quasi ne se pourrait loigner, sÕils y taient ; que tous ces princes se nuiraient lÕun lÕautre, que lÕon en pourrait retirer par aprs qui lÕon voudrait, et que ce serait comme des moutons, quÕaprs que lÕun aurait franchi le saut, les autres y courraient en foule. Ainsi il fut rsolu, et les chevau-lgers renvoys.
Mr de Luynes me pria de voir leur partement et de lÕen avertir lÕheure mme afin de le mander au roi. Je lui demandai un de ses gens quÕil me donna, nomm Destois, et comme ledit chevalier mÕavait dit, ils partirent un peu aprs onze heures et se rendirent la porte Saint-Jacques dÕo je renvoyai Mr de Luynes ledit Destois et lui mandai que je serais lui lÕouverture du Louvre le lendemain matin quÕil partit pour aller trouver le roi Madrid et le ramena Paris o je pris le soir cong de lui pour aller trouver son arme de Champagne et partis (juillet) le mercredi premier jour de juillet, et vins coucher Chteau-Thierry.
Sardini y passa la nuit, qui allait faire hter Mr de Bouillon de se dclarer.
On mÕy envoya un avis que Loppes, lieutenant de la compagnie de chevau-lgers de monsieur le grand prieur, mÕattendait pour me prendre prisonnier et mÕemmener Sedan. Mais cet avis fut faux, et tant arriv Chalons jÕenvoyai qurir ledit Loppes qui avait sa maison trois lieues de l, et je lui trouvai sa foi entire : aussi lui assurai-je de la part du roi de lui donner en chef la compagnie dont il tait lieutenant.
Il mÕamena avec trente matres le vendredi 3me de bon matin Vitry o tait le rgiment de Champagne en garnison deux compagnies prs.
JÕy demeurai le samedi 4me pour voir en bataille ledit rgiment et en savoir la force et le nombre. Puis aprs avoir fait une dpche aux troupes qui taient vers le Bassigny et avoir sond la volont des officiers dudit rgiment, que je trouvai bonne, hormis dÕun des capitaines nomm Plaisance de qui le fils avait assist au dsarmement du peuple Metz, duquel on me donna soupon, comme aussi du lieutenant colonel Pigeolet qui pour lors tait absent aux eaux, et du sergent major la Faye, jÕen partis le dimanche 5me et vins coucher Sainte Menehou, et le lendemain lundi 6me je vins Verdun.
Les capitaines qui y taient en garnison vinrent au-devant de moi, et messieurs de la ville qui avaient prpar mon logis chez monsieur le doyen me vinrent saluer, et le chapitre ensuite. Je trouvai les rgiments de Picardie et celui de Vaubecourt, ce dernier assez complet sur la nouvelle de ma venue, et lÕautre qui nÕavait pas le tiers de ses hommes parce que le rgiment de Marcoussan qui sÕen tait peu devant all en Allemagne en avait dbauch une partie et lÕautre sÕtait jete avec Mr de la Valette dans Metz. Des Fourneaux frre de Descures, marchal des logis de lÕarme, se trouva l aussi, qui servit trs bien en ce voyage, et en fus fort assist.
Le mardi 7me comme je dnais avec Mr de Vaubecourt et plusieurs autres, mÕarriva un courrier du roi qui mÕapporta nouvelles comme le roi tait parti de Paris pour aller en diligence Rouen sauver la ville que Mr de Longueville, qui sÕtait jet du parti de la reine, tchait de faire rvolter. Sa Majest me mandait que je fisse en diligence assembler son arme Sainte-Menehou et que de l je la fisse marcher droit Montereau o jÕaurais de ses nouvelles et plus tt encore, et quÕil tait extrmement press dÕavoir promptement lÕarme que je lui menais ; que je laissasse en Champagne le rgiment de Vaubecourt aux lieux o je jugerais en tre le plus de besoin.
En ce mme temps Mr de Fresnel gouverneur de Clermont arriva, dont je fus bien aise, mÕassurant quÕil mÕaiderait et de conseil et de soldats pour remplir mes troupes qui taient tellement dpries, et dÕheure en heure jÕavais nouvelles de toutes parts comme la plupart des officiers quittaient le service du roi pour aller Metz, emmenant les soldats avec eux. Je me trouvai fort en peine : nanmoins aussitt aprs dner je mÕenfermai avec Vaubecourt, Fresnel, et des Fourneaux, o je voulus voir quelles forces je pouvais amener au roi, en quel temps je les pourrais rendre prs de lui, et quelle route je tiendrais, ensemble quel ordre je laisserais dans la province en partant. Ces messieurs qui avaient connaissance plus parfaite que moi de cette frontire, me dirent que je nÕen pourrais pas tirer deux mille hommes, laissant le rgiment de Vaubecourt, et que les plus fortes compagnies nÕtaient pas de vingt-cinq hommes, lesquelles nanmoins avaient leurs magasins complets et garnis ; et que pourvu quÕils eussent des gens, ils avaient de quoi les armer. Je priai lors le sieur de Vaubecourt quÕil aidt le rgiment de Picardie de quatre cents soldats, ce quÕil pouvait faire sans sÕincommoder, vu que de la terre de Beaulieu il en pourrait recouvrer tant quÕil voudrait pour les remplacer ; ce quÕil me promit de faire pourvu que je lui baillasse un cu pour soldat pour en enrler dÕautres : et moi bien aise de ce bon commencement je lui donnai en mme temps quatre cents cus. Mr de Fresnel me dit lors quÕil mÕen pourrait fournir quasi autant des terres de Clermont, et je lui donnai autres quatre cents cus. JÕenvoyai en mme temps qurir messieurs de la ville auxquels je priai de me trouver le plus de soldats quÕils pourraient en ce besoin, un cu pour soldat : ils mÕen fournirent quelque six-vingt, et ainsi je remplis le rgiment de Picardie en un instant. JÕcrivis en mme temps au Bailly de Bar et lui envoyai de lÕargent : il tait mon ami et sÕappelait Couvonges, lequel fournit prs de trois cents soldats au rgiment de Champagne. Ils sÕaidrent aussi Vitry, Saint-Dizier, et ailleurs, et en trouvrent. Ils envoyrent la valle dÕAillan six sergents qui leur amenrent trois cents soldats. JÕenvoyai Troyes, Chalons, Reims et Sens pour faire en diligence amas de soldats pour nos troupes et leur donnai lÕalarme chaude de la ncessit o tait le roi. Ainsi nous grossmes, en marchant, insensiblement notre infanterie de telle sorte que je prsentai au roi prs de la Flche huit mille hommes de pied en rang. Quant notre cavalerie, elle tait complte de neuf cents bons chevaux.
Aprs avoir commenc ce bon ordre pour grossir nos troupes, je parlai de lÕassemble de lÕarme et du temps auquel elle pourrait tre prte, et trouvmes quÕelle tait en diverses garnisons sur toute cette frontire de Champagne depuis Mousson jusques Chaumont en Bassigny, et que si je lui donnais rendez-vous Sainte-Menehou selon lÕordre que jÕen avais du roi, quÕelle nÕy pourrait tre toute assemble en douze ou quinze jours, qui serait une perte de temps grandement importante au service du roi : et ayant vu et considr la carte, il me vint en pense de faire mon rendez-vous gnral Montereau, et dÕy faire acheminer les troupes par trois divers chemins, assavoir : celles qui taient vers Mousson, Donchery, et autres lieux de cette frontire, les faire passer au-dessus de Reims, et de l par dessous le Monaim Sesanne, Barbonne, Villenosse, et Provins, Montereau ; celles de Vitry, Saint-Disiez, Ligny, et autres de ce quartier-l, les mener par Poivre et Fre-Champenoise Provins, et de l Montereau ; et quant aux garnisons de Bassigny, les faire venir par Saint-Fal, Troyes, Nogent, Bray, Pont, et Montereau.
Aprs avoir rsolu mes routes je rsolus mes traites que je fis plus grandes quÕ lÕordinaire, de neuf et dix lieues par journes : et pour cet effet je donnai ordre quÕaprs que chaque rgiment aurait fait cinq lieues, il trouverait proche de quelque rivire ou ruisseau un chariot de vin et un de pain pour rafrachir les soldats, et se reposer depuis neuf heures du matin quÕils pouvaient tre arrivs audit lieu, partant trois heures ou quatre ; il pourrait sjourner jusques trois heures aprs midi et viter de marcher par le grand chaud ; et que de l il marcherait jusques sept ou huit heures ; et ils trouveraient que la chair aurait dja t tue au village o ils arriveraient, dont je payais la moiti, et le village lÕautre. Par ce moyen le soldat se voyant quasi dfray, et considrant le soin que jÕavais de faire que rien ne leur manqut, ils marchrent grandes traites sans murmurer jusques Montereau. Et pour donner ordre toutes ces choses, outre douze ou quatorze hommes que Vaubecourt me donna pour faire ces corves, quelques-uns des miens et trois de Mr de Fresnel, comme aussi quatre ou cinq que ceux de Verdun me fournirent, les prvts et archers des rgiments y supplrent.
JÕavais ensuite une lettre de crance du roi sur moi Son Altesse de Lorraine en cas que quelque occasion me portt de lÕaller trouver pendant mon sjour par del, de laquelle je me voulus servir pour empcher les leves qui se faisaient pour Mr de la Valette ouvertement dans ses pays et par ses vassaux. Je dpchai cette fin le sieur de Cominges vers lui avec la lettre du roi et la mienne, pour le prier de la part du roi dÕempcher lesdits gentilshommes ses vassaux de faire lesdites leves, sÕil ne voulait rompre la paix qui tait entre la France et la Lorraine ; que la neutralit qui permet ses sujets dÕaller servir les divers princes sÕtendait seulement entre France et Espagne lorsquÕil y aurait guerre entre les deux rois, quÕils pourraient aller sous lequel ils voudraient indiffremment, mais non avec les sujets rebelles de lÕune ou de lÕautre couronne sans rompre ouvertement avec eux ; et que sÕils voulaient dire que les privilges de lÕancienne chevalerie leur permettaient dÕaller impunment contre le roi, et puis se retirer puis aprs en Lorraine pour viter le juste chtiment de lÕoffense faite un tel roi, que le roi en demanderait raison Son Altesse, et que si Elle rpondait quÕil ne la pouvait faire attendu leurs privilges, quÕil assurt Sa dite Altesse que le roi y pourvoirait et enverrait dans la Lorraine forces battantes pour les chtier. Ce fut en substance ce que jÕcrivis Son Altesse ou que je donnai en instruction au sieur de Comminges de lui faire entendre de la part du roi.
JÕemployai ensuite tout le reste de la journe, et la suivante mercredi 8me, faire mes dpches tous les divers corps et leur envoyer leurs routes, tablir les diverses personnes pour prparer jusques Montereau cette espce dÕtapes quÕ mes dpens je faisais faire lÕinfanterie, et envoyer de tous cts pour avoir des hommes de recrue.
Je tirai aussi quelques souponns mis en prison avant ma venue, et y laissai ceux que je vis apparemment mriter dÕy tre retenus, et partis de Verdun le lendemain jeudi 9me pour aller dner Clermont en Argonne chez Mr de Fresnel, lequel me livra trois cents quarante hommes quÕil avait levs auparavant dans son bailliage, que je dpartis dans les compagnies du rgiment de Picardie. Mr lÕvque de Verdun arriva en mme temps que moi audit Clermont dÕo je partis aprs dner pour aller coucher Sainte-Menehou.
Le vendredi 10me je vins Vitry o je trouvai mon frre, le comte de Brionne, et plusieurs autres gentilshommes lorrains qui mÕy taient venus attendre pour me voir en passant.
Le samedi 11me fut par moi employ diverses dpches et particulirement renvoyer un courrier qui le jour-mme mÕtait arriv de la part du roi, par lequel il me mandait de pourvoir toutes les charges de ceux qui sÕtaient retirs avec la reine ou avec Mr dÕEpernon, me promettant que quelque trait de paix quÕil ft, jamais il ne rtablirait ceux qui lÕavaient abandonn en cette occasion, et quÕil confirmerait ceux que jÕy aurais tablis. JÕavais bien moyen de faire des cratures et de donner force charges, y en ayant prs de quatre-vingt pourvoir de capitaines, lieutenants, enseignes, sergents majors, aides ou prvts des bandes : mais ma modestie mÕempcha de recevoir cette grce du roi, auquel je mandai que je mettrais en charge ceux quÕil plairait au roi de mÕenvoyer ; que plusieurs lieutenants mritaient les charges de leurs capitaines absents, plusieurs enseignes celles des lieutenants, dont je lui envoyai le rle et mon avis quand et quand, et demandai seulement une compagnie pour le sieur de Lambert, quÕil mÕaccorda.
JÕeus un courrier de Mr de Guise sur les cinq heures du soir, par lequel il me donnait avis que monsieur le cardinal son frre avait quitt le service du roi et sÕen allait en Champagne pour y brouiller les cartes ; quoi il me priait de pourvoir, et principalement Saint-Dizier. Je fis passer en mme temps le courrier Saint-Dizier et donnai le mme avis au sieur de Besme qui trois heures avant avait t me voir. JÕavertis aussi le sieur Courtois cornette de la compagnie de chevau-lgers de Mr de Guise, qui tait en garnison Saint-Dizier : puis sur les six heures je mÕen vins avec cette noblesse chez madame de Frenicourt qui tait lors Vitry.
Je nÕy fus pas entr que le sieur de Villedonay capitaine au rgiment de Pimont arriva en poste, qui me dit avoir me parler en particulier. Je le menai au jardin prochain, et lors il me dit que Mr le cardinal de Guise me faisait ses recommandations et me priait de lui donner souper ; quÕil avait quitt le service du roi et sÕen venait en cette province servir lÕavancement des affaires de la reine sa mre ainsi quÕil me dirait tantt, et que la grande traite quÕil avait faite me contraindrait de lÕattendre un peu tard souper. Je me trouvai bien tonn dÕour parler cet homme si franchement dÕune telle chose et un homme qui reprsentait la personne du roi et qui commandait son arme : je le fus aussi de voir comme monsieur le cardinal se venait jeter en nos mains pour sÕy faire prendre, selon ce que je devais au service du roi. Nanmoins je nÕavais aucune charge du roi de le faire ; cÕtait un homme qui jÕtais fort serviteur et de toute sa maison ; je considrais sa qualit de prince et de cardinal, et que je pouvais faillir en le prenant comme en ne le prenant pas : enfin Dieu mÕinspira de faire cette rponse Villedonn : Ē Monsieur, je crois que vous vous moquez de me dire que monsieur le cardinal vienne ici ; car je sais assurment quÕil est en Normandie dont le roi lui a donn le gouvernement. Il est trop avis pour avoir quitt son service, et quand Dieu lÕaurait abandonn jusques l quÕil lÕet fait, il est encore trop avis pour se venir jeter dans une ville de lÕobissance du roi o il y a un fort rgiment en garnison, o je suis de sa part commandant son arme, pour sÕy faire prendre prisonnier. CÕest pourquoi je vous dis que je ne crois point ce que vous me dites, et que vous mÕavez voulu donner cette nouvelle pour mÕalarmer : mais je la reois comme vous me la donnez. Č CÕtait assez lui dire, sÕil lÕet su entendre : mais lui au contraire se mit jurer quÕil me disait la pure vrit, et que dans trois heures il serait moi ; quÕil lÕavait devanc pour tre mieux mont, afin que je lÕattendisse souper. Je lui dis que je ne le croyais point, et quÕil trouverait un mauvais souper sÕil y venait, et quÕil tait trop avis pour le faire ; mais que je le croyais en Normandie et aussi bon serviteur du roi que lui tait un mdisant. Je lui dis de plus : Ē Savez-vous bien que vous parlez celui qui, sÕil croyait ce que vous dites, serait oblig de vous envoyer en prison o vous courriez grande fortune, tant capitaine aux vieux rgiments comme vous tes ? Č Lors il se mit jurer plus que devant quÕil me disait la vrit et que dans deux heures je le verrais. Alors je lui dis : Ē Monsieur de Villedonay, je ne crois pas que cela soit ; mais si par fortune il tait, vous feriez bien, et vous et lui, de ne vous trouver pas en lieu o jÕaie puissance : car je vous mettrais lÕun et lÕautre en lieu dÕo je pourrais rpondre de vous. Č Alors me voyant fch il sÕen alla, et je crus quÕil tait all avertir Mr le cardinal de Guise de ma rponse : mais au contraire il sÕen alla Saint-Dizier pratiquer le Besme et la compagnie de chevau-lgers de Mr de Guise, qui de bonne fortune ayant t prvenus par mes amis se surent bien garder de lui.
Au sortir de chez madame de Frenicourt, comme je mÕen allais souper avec toute cette grande compagnie, le lieutenant-colonel de Champagne Pigeolet arriva, qui me vint saluer, et lui ayant dit quÕil vnt souper avec moi, sÕen tait excus me disant quÕil tait malade, ce que des capitaines dudit rgiment me firent remarquer et me dirent quÕil tait du parti de Mr dÕEpernon.
Aprs souper je me retirai pour crire au roi et la cour, comme un des habitants me vint dire que Mr le cardinal de Guise serait lÕheure mme en mon logis pour y venir souper, quÕil me le mandait, et quÕun des chevins tait all qurir les clefs pour lui ouvrir la porte. Or tait-il que le soir de devant que jÕarrivai, ceux de la ville mÕtaient venus porter les clefs mon logis, et que nÕayant quÕ y demeurer un jour ou deux, je leur avais dit quÕils les gardassent, quÕelles taient en bonne main, et les leur fis rendre. Alors je mÕaperus de la faute que jÕavais faite, et en mme temps pris ce que jÕavais de gentilshommes, dix Suisses, et le corps de garde qui tait devant mon logis ; jÕenvoyai un nomm Baulac lieutenant de Cominges mettre sa compagnie en armes et la faire promptement marcher la place, o je courus, rsolu de charger furieusement tout ce que je trouverais assembl, comme je croyais tre trahi : mais je ne trouvai personne.
Je me ressouvins lors du lieutenant-colonel, devant le logis duquel je passai, lequel je pense, si je lÕeusse trouv sur pied, que je lui eusse fait mauvais parti : mais je le trouvai au lit et mme sans chandelle sa chambre, ce qui me donna bonne esprance. Il vit bien que jÕtais mu, et que par dfiance jÕtais entr chez lui ; il me dit : Ē Monsieur, le soupon que vous avez que je suis fort serviteur de Mr dÕEpernon est vritable ; mais ma foi est entire : je suis serviteur du roi, n son sujet : jÕy ai le serment auquel je ne manquerai jamais : je suis homme de bien, fiez-vous en moi. Č Alors je lÕembrassai et lui dis que je lui fierais ma propre vie sur la parole quÕil me donnait, puis lui dis quÕil demeurt la place avec la compagnie de Cominges et quÕil envoyt tenir prtes les autres, chacune en leur quartier ; car je me dfiais des habitants dont une partie sont huguenots et la dvotion de Mr de Bouillon, les autres sont catholiques et ligueurs pour la vie. Puis jÕallai en diligence la porte et rencontrai par le chemin lÕchevin avec les clefs, qui allait ouvrir monsieur le cardinal. Je lÕarrtai et lui demandai par quel ordre il allait ouvrir la porte. Lui, tonn, me demanda pardon, et moi je lui dis que je le ferais pendre dans une heure. Je le fis suivre, men par mes Suisses, et arriv que je fus la porte je trouvai que cÕtait Plaisance, celui seul du rgiment dont jÕavais soupon, qui la gardait avec sa compagnie, et que quantit dÕhabitants taient sur les remparts, qui disaient Mr le cardinal de Guise, lequel tait sur le pont, que lÕchevin serait l lÕheure mme pour lui ouvrir. Je fis dÕabord carter ces habitants, et mÕtant mis en colre contre Plaisance de lÕtat o jÕavais trouv sa garde, des habitants quÕil souffrait sur le rempart aprs la garde pose, et de ne mÕavoir envoy dire que Mr le cardinal de Guise fut la porte, et quÕil lÕet laiss entrer, et ouvrir la porte, si je nÕy eusse venu, je le menaai de lui faire dplaisir, et lui sÕexcusa assez mal. Je fis monter les soldats de la garde qui tait devant mon logis, sur le rempart, et fis dire par le sieur des tant que ceux qui taient sur le pont eussent se retirer, ou que lÕon tirerait sur eux. Monsieur le cardinal alors dit : Ē Je vous prie que lÕon fasse dire Mr de Bassompierre que cÕest le cardinal de Guise qui est la porte. Č JÕtais derrire Des tant qui lui rpondit par mon ordre : Ē Mr de Bassompierre est couch ; on ne parle point lui : retirez-vous, et promptement. Č Il ne se le fit pas dire deux fois et dlogea.
La compagnie de Plaisance nÕtait pas lors de plus de quinze hommes parce que son fils avait emmen le reste Metz pour Mr de la Valette : je laissai vingt soldats qui faisaient garde devant mon logis avec le capitaine du Pont pour les commander, lequel tait plus ancien que Plaisance, et fis semblant de vouloir renforcer la garde de la porte pour lui en ter la puissance et en tre assur. Tous ces messieurs qui mÕtaient venus voir arrivrent en file moi, de sorte que jÕavais plus de soixante hommes ma suite pour aller o le besoin serait. Je mÕen revins la place et vis que Pigeolet avait mis l et en tout le reste de la ville un trs bon ordre : aussi tait-ce un brave et entendu capitaine, et trs homme de bien.
JÕemmenai lÕchevin en mon logis, lequel pensait que le lendemain matin qui tait le dimanche 12me je le ferais pendre : mais la prire que ceux de la ville mÕen firent, je leur rendis aprs leur avoir fait quelque rprimande.
Je fis le mme jour prendre la route de Montereau au rgiment de Champagne, et je demeurai encore ce jour l Vitry, tant pour achever mes dpches et dpartements que pour jouir de la compagnie de cette noblesse qui mÕtait venue voir.
JÕen partis le lendemain lundi 13me et vins coucher Poivre o un gentilhomme huguenot nomm Despence me vint voir. Il soupa avec moi, et aprs souper, lÕayant men au jardin du gentilhomme o jÕtais log, il me demanda sÕil me pouvait parler en sret. Je lui dis que oui et quÕil me parlt librement. Il me dit quÕil tait parti de Sedan le jour dÕaprs que je partis de Sainte-Menehou, envoy par Mr de Bouillon pour me parler, lequel avait su lÕordre que jÕavais pris pour faire marcher lÕarme en extrme diligence, et le soin que jÕavais de la renforcer dÕhommes, ce quÕil avait extrmement approuv et lou, disant beaucoup de bien de moi ; mais quÕil sÕtonnait grandement pourquoi je faisais toutes ces diligences, et quelle animosit me portait contre la reine mre, quelle obligation si forte jÕavais Mrs de Luynes, et quÕil ne sÕagissait pas maintenant dÕattaquer le roi ou lÕtat, mais de savoir si lÕun et lÕautre serait gouvern par celle qui avait si bien rgi le royaume pendant la minorit du roi ou par trois marauds qui avaient empit lÕautorit avec la personne du roi ; quÕil louait ma rsolution de me tenir toujours au gros de lÕarbre, de suivre non le meilleur et plus juste parti, mais celui o la personne du roi tait et o il y a le sceau et la cire, mais que de sÕy porter avec tant de vhmence, outrepasser les ordres du roi pour diligenter davantage, employer son bien aussi profusment que je faisais pour des gens ingrats la reine leur premire bienfaitrice et ensuite leurs amis, et en se htant sans commandement ni ordre ruiner le parti de la reine femme du feu roi qui mÕa tant aim, pour se faire marcher sur la tte puis aprs par ces trois potirons venus en une nuit qui puis aprs me mpriseront et ruineront, pour avoir mon mrite et ma vertu suspecte, quÕil nÕy voyait aucune apparence ni raison, et que si je voulais retarder mon arrive de trois semaines auprs de la personne du roi avec lÕarme que je conduisais, ce que je pouvais faire suivant mme les ordres que jÕavais du roi ; si je me voulais contenter dÕamener ce que je trouvais de troupes en tre, sans mÕamuser en lever partout mes dpens pour les renforcer, et finalement ne montrer point cet excs dÕardeur et lÕanimosit au parti contraire, on ne me demandait point que je le servisse ni que je fisse rien contre mon honneur et devoir, Mr de Bouillon me serait caution de cent mille cus que lÕon me ferait tenir o je voudrais, sans que jamais personne autre que nous trois en st rien, et quÕil avait charge de me le promettre et de sÕy obliger de sa part. Je lui rpondis que je nÕavais garde de me fier en sa parole, puisquÕil mÕavait demand sret pour me parler franchement et quÕil mÕavait parl sductoirement ; que je ne pensais pas que Mr de Bouillon me connt si peu que de croire que le bien ou quelque avantage que ce ft pt me faire manquer mon devoir et mon honneur ; que ce nÕest point animosit mais ardeur et dsir de bien servir mon roi qui me porte ces soins et diligence extraordinaires ; quÕaprs Sa Majest je suis plus passionn serviteur de la reine que de personne du monde, mais quÕo il y va du service du roi je ne connais point la reine ; que je voudrais pouvoir courir et voler pour tre plus promptement o son service mÕappelle, et que mon bien ft dpendu pourvu que ses affaires fussent en bon tat ; que sÕil nÕavait fait prcder lÕassurance de me pouvoir parler devant son discours, que je lÕaurais arrt et envoy Chalons, mais que la parole que je lui avais donne mÕen empchait ; et sur ce le quittai, et je ne le revis point le lendemain avant mon partement : aussi fut-il la pointe du jour parce que Mr de Guise mÕenvoya un courrier pour me prier de le vouloir voir le lendemain mardi 14me Chalons o il passait, et quÕil avait plusieurs choses me dire.
JÕy allai dner avec lui, et il me donna une lettre du roi par laquelle il me commandait de laisser aller la compagnie de chevau-lgers dudit seigneur avec lui comme aussi celle de Mr le prince de Joinville son frre pour lÕescorter jusques Moulins, ce que je fis.
Je sus par lui comme Rouen sÕtait sauv par la diligence que le roi avait faite dÕy aller, et que Mr de Longueville en tait sorti et sÕtait retir Dieppe o peut-tre le roi irait lÕassieger, ou bien Caen. JÕeus audit lieu de Chalons un courrier du roi qui me donna le mme avis, et me commanda de casser les compagnies de chevau-lgers de Mr de Nemours et celle du matre de camp de ladite cavalerie le comte de Saint-Aignan, et ayant pris cong de Mr de Guise jÕallai coucher Fre-Champenoise.
Le mercredi 15me je cassai la compagnie du matre de camp des chevau-lgers selon lÕordre que jÕen avais du roi et mÕen vins coucher Villenosse.
Le jeudi 16me je vins dner Provins et coucher Montereau-faut-Yonne.
Je sjournai Montereau le vendredi, samedi et dimanche suivant pour recevoir toutes les troupes, les faire passer la rivire et les loger de de, comme aussi pour faire mes dpches au roi et y recevoir plusieurs recrues qui me venaient de tous cts.
Enfin jÕen partis le lundi 20me et ordonnai le logement de lÕarme Milly et aux environs pour aller le lendemain loger Etampes : et moi cependant je mÕen allai en diligence Paris, y tant mand de la reine et de monsieur le chancelier pour diverses affaires, et moi y allant pour faire faire lÕadjudication des vivres et pour les bien tablir sur ma route, que par un courrier qui le soir auparavant mÕtait venu du roi jÕavais apprise et rgle. Sa Majest me manda le succs de ses affaires qui tait la reddition de la ville de Caen aprs avoir prcdemment empch Mr de Longueville de se rendre matre de Rouen, et quÕil traitait avec celui qui tenait le chteau, que monsieur le grand prieur y avait tabli, nomm Prudent, avec esprance de conclusion au contentement de Sa Majest qui mÕenvoyait plein pouvoir de mettre en la place des capitaines rebelles de ses vieux rgiments les lieutenants que je jugerais en tre dignes, auxquels il enverrait sur mon certificat les commissions ; de mettre aussi la place desdits lieutenants promus, et des autres qui taient dserteurs, ceux que je jugerais y pouvoir capablement servir : et quant au surplus des capitaines, dont les lieutenants ne seraient mon jugement capables de monter leur place, il donnait une compagnie Lambert, et je lui enverrais lÕtat des autres pour y pourvoir, mÕassurant que si je dsirais encore quelque autre compagnie pour un des miens, qu'elle lui serait donne par prfrence ; que pour le surplus il avait destin lÕarme que je lui menais pour se venir promptement joindre lui, et quÕil prendrait sa route devers Alenon sÕil venait bout du chteau de Caen. Il ne savait pas encore que je fusse si prs de lui et ne croyait pas que de quinze jours son arme que je commandais dt tre Montereau.
Je vins donc trouver la reine Paris, que je trouvai parmi les princesses et qui me reut fort bien, me disant quÕelle ne savait si elle me devait saluer comme gnral dÕarme ou comme courrier, vu la diligence extrme que jÕavais faite. Elle envoya aussi tt qurir monsieur le chancelier et messieurs du conseil, pour le tenir, lesquels peine pouvaient croire que le lendemain lÕarme fut Etampes, ni complte de la sorte que je leur assurais.
Nous rsolmes de lÕadjudication de la munition, et que le lendemain on dlivrerait aux munitionnaires de lÕargent et leur contrat ; et ds le soir mme ils envoyrent pour faire les pains Etampes et aux autres lieux qui taient vers ma route.
Le conseil dsira que jÕallasse assieger Dreux ; mais sur ce que je leur remontrai que le roi nÕavait que ses gardes et ses Suisses avec cinq ou six cents chevaux ; que les ennemis taient plus forts que lui, et sÕils lui tombaient sur les bras ils le mettraient en peine ; quÕil faisait tat de cette arme pour joindre avec celle quÕil avait et aller chercher et battre ses ennemis partout o il les rencontrerait ; quÕeux dfaits, non seulement Dreux ne tiendrait pas, mais non plus tout le reste du parti, et quÕils avisassent si quelque retardement que mon arme ferait par lÕordre de la reine ne nuirait point au roi qui lÕattendait avec impatience. Sur cela ces messieurs se rendirent, et alors je leur proposai de la pouvoir prendre sans retardement en en faisant le semblant seulement ; que pour cet effet ils fissent prparer cinq canons pour me suivre et quÕils fissent courir le bruit que je lÕallais forcer, quoi je mÕtais engag la reine ; quÕils le fissent mme savoir messieurs de la ville de Paris qui taient ceux qui pressaient de la faire attaquer, et que si, jÕen pouvais venir bout (au nom de Dieu), sinon que jÕaurais toujours pour ma dcharge un commandement exprs que je feindrais avoir eu du roi de lÕaller trouver toutes choses cessantes.
Cela rsolu, jÕallai donner ordre toutes mes affaires et visites, et le lendemain mardi 21me jÕarrivai Etampes o je trouvai lÕarme loge aux villages prochains en de dÕEtampes.
Ils passrent le mercredi 22me travers dÕEtampes o je sjournai parce quÕelles [les troupes] ne firent que deux lieues, les plus avances au del.
Le jeudi 23me je pris mon logement Galardon auquel lieu je reus par un courrier du roi une dpche pleine de la satisfaction que Sa Majest avait de mon extrme diligence quÕ peine Elle ni Mr le Prince avaient pu croire ; que sur cette confiance Elle sÕavanait Alenon, ayant pris le chteau de Caen par la capitulation que Prudent avait faite.
JÕeus aussi une dpche de la reine par laquelle elle me donnait avis que la reine mre avait fait arrter Angers le comte de Rochefort et que Mr de Vendme le voulait mener devant le chteau de Nantes pour le faire rendre, le menaant en cas de refus de lui faire trancher la tte ; que le seul remde pour empcher cet accident tait de se saisir de madame de Mercure et des enfants de Mr de Vendme, qui taient Annet ; quÕelle me recommandait cette affaire trs importante au service du roi et qui satisferait infiniment madame la comtesse de Rochefort de qui jÕtais tant serviteur : monsieur le chancelier mÕen crivit aussi fort pressament. JÕavais alors dj envoy tous mes ordres pour aller, comme je fis, le lendemain 24me, loger Nogent le Roi, de sorte que je nÕy pus pourvoir auparavant.
Comme je fus arriv, quelques habitants de Dreux me vinrent dire que le cĻur des habitants tait au roi, mais que le chteau les tenait forcs de nÕoser se dcouvrir, o il tait entr le jour mme avec le sieur de Vismai cinquante bons hommes outre ce que Lescluselles gouverneur y avait dj : ce Vismai tait lieutenant des gardes de Mr le comte de Soissons qui le chteau et ville de Dreux sont par engagement du roi ; et que ledit Vismai avait dit ceux de la ville quÕil me viendrait parler si je lui envoyais un sauf-conduit avec un trompette, ce que je pris bonne augure et quÕils nÕtaient pas fort rsolus de tenir, bien quÕils fissent bonne mine. Je leur dis que je serais le lendemain la pointe du jour aux faubourgs de Dreux, et que sÕils me laissaient entrer seulement avec trente personnes, que je leur assurais de les dlivrer du chteau que jÕallais forcer ds que mes canons que jÕattendais le lendemain seraient arrivs ; quÕils dissent aussi pour rponse Vismai que je lui enverrais le lendemain le sauf-conduit quÕil avait dsir de moi.
JÕenvoyai aussi en mme temps lÕordre trois cents chevaux pour aller investir Annet, afin que si mon dessein de Dreux ne russissait, je ne faillisse pas celui dÕAnnet.
Je donnai aussi rendez-vous pour le lendemain samedi 25me au rgiment de Picardie de se trouver une heure devant le jour au faubourg de Dreux o je me rendrais aussi, et au rgiment de Champagne dÕaller investir ledit chteau de Dreux mme heure par la campagne derrire la ville. JÕenvoyai en mme temps la maison de Lescluselles, qui est proche de Dreux, prendre sa femme et ses enfants par une compagnie de carabins, lesquels dirent aussi en les prenant avoir ordre de brler ladite maison et de couper ses arbres, comme aussi que si ledit Lescluselles ne rendait le chteau de Dreux, que lÕon ferait mauvais parti sa femme et ses enfants. Ils trouvrent arrivant ladite maison lÕoncle dudit Lescluselles, vieux gentilhomme et bien honnte homme, qui tait venu pour persuader son neveu de ne se pas opinitrer dans cette place mal pourvue devant une arme du roi et si proche de Paris. Ce vieux gentilhomme me vint trouver avant le jour pour me supplier de faire supersder de brler la maison de son neveu jusques ce que il lui et parl, et que si je lui voulais permettre quÕil ment la femme dudit Lescluselles avec lui, il me donnerait un sien fils qui tait l avec lui, en otage de la ramener dans deux heures aprs quÕelle serait entre dans le chteau de Dreux. Je me fis un peu tenir pour lui accorder : enfin je le fis la prire de quelques gentilshommes qui marchaient avec moi, environ une heure aprs minuit, droit Dreux, ce que ce bonhomme vit, ensemble ces rgiments de Picardie et de Champagne qui marchaient. JÕenvoyai un des miens commander au capitaine de carabins que jÕavais envoy la maison de Lescluselles quÕil supersdt lÕordre que je lui avais donn jusques une nouvelle commission et quÕil donnt la femme de Lescluselles entre les mains de son oncle, recevant pareillement de lui son fils lequel il garderait srement.
JÕarrivai devant les portes de Dreux vers les deux heures et demie du matin, comme le jour commenait poindre, ayant fait faire halte au rgiment de Picardie duquel je fis prendre cent hommes pour entrer au faubourg, et avec quelque vingt chevaux je demandai entrer. Je trouvai quelque cent cinquante bourgeois, la plupart arms, la porte de la ville, qui laissrent entrer mon train : et moi au mme lieu je me mis leur parler, les louant de leur tmoignage de bonne volont au service du roi ; que jÕtais venu pour les conforter, les dlivrer de ceux qui tenaient le chteau contre le roi et les remettre en lÕtat que je voyais leur contenance quÕils dsiraient ardemment, ne manquant plus aucune chose eux sinon quÕils criassent : Vive le roi. JÕavais dit aux miens que quand je dirais : Vive le roi, ils le criassent aussi, et ces bourgeois en firent de mme, comme cÕest la coutume des peuples de suivre ce quÕils voient commenc, sans raisonner pourquoi. Quand le cri fut apais, je leur dis que ce nÕtait pas tout que dÕavoir cri : Vive le roi, quÕil fallait donner ordre que ceux du chteau qui lÕavaient entendu ne fissent une sortie sur eux, et quÕil fallait barricader lÕavenue, et que sÕils voulaient, je ferais entrer cent hommes de pied pour la faire et pour la garder, ce quÕils accordrent. Il tait grand jour quand cette compagnie entra, qui put bien tre vue des ennemis, lesquels nanmoins ne tirrent point sur nous : car la piti quÕEscluselles eut de sa femme et de son bien, le peu de prparatifs que Vismai vit y avoir dans le chteau pour soutenir un sige, leur fit tomber les armes des mains, de sorte que Vismai fit faire une chamade et me demanda sret pour me venir trouver, et il me remit la place entre les mains, o jÕtablis le capitaine Saint-Quentin, du rgiment de Picardie, gardant le respect convenable aux meubles et munitions qui appartenaient Mr le Comte.
Ds que jÕeus dn, je montai sur des coureurs et allai en diligence au rendez-vous que jÕavais donn ces trois cents chevaux prs dÕAnnet. Puis ayant parl madame de Mercure, elle monta demie heure aprs en carrosse avec les enfants de Mr de Vendme que je fis mener Paris entre les mains de la reine par la compagnie de chevau-lgers de ladite reine.
Cela fait jÕenvoyai le reste de la cavalerie que jÕavais amene, sous la conduite de Mr dÕElbene lieutenant des chevau-lgers de Monsieur, tirer droit Vendme, sur lÕavis que mÕavaient donn les sieurs de Geofres et des Boullets, capitaines de Navarre, qui y demeuraient, que si les armes du roi paraissaient audit Vendme, que la ville et le chteau se mettraient en lÕobissance du roi. Je les y avais renvoys tous deux avec ordre Des Boullets de trouver quarante hommes prts pour mettre dans le chteau, ce quÕil fit et lÕaffaire passa ainsi quÕils me lÕavaient propose : car la vue de cette cavalerie et des trompettes qui les vinrent sommer, pensant que toute lÕarme suivit, ceux qui y taient pour Mr de Vendme lchrent le pied.
Je revins dÕAnnet le soir fort tard, et le lendemain dimanche 26me je sjournai Dreux, tant pour donner lÕordre ncessaire la ville et faire mes dpches que pour casser la compagnie de chevau-lgers de Mr de Nemours selon lÕordre que jÕen avais eu du roi ds que jÕtais Poivre ; mais jÕavais trouv de si gentils soldats en cette compagnie et les chefs si dsireux de servir que jÕavais fait instance auprs du roi pour la retenir, quoi le roi ne voulut entendre et me fit un nouveau commandement de la casser, ce que je fis seulement ce jour l et avec regret.
Je vins le lundi 27me coucher Bresoles.
Le mardi vingt huit je pris mon logement Longny ; le mercredi 29me Teil o je sjournai le lendemain.
Le vendredi 31me et dernier de juillet je vins loger avec lÕarme Conarey dÕo je partis lÕaprs-dne pour venir trouver le roi au Mans, qui me reut avec grandes caresses et me tmoigna tre bien satisfait de mes soins et de ma diligence. Il me retint ce soir-l au Mans. Je renvoyai Conarey mander Des Fourneaux quÕil ft loger le lendemain lÕarme que je menais Ivry lÕvque et aux environs, o je lÕirais trouver, ce quÕil fit, et le lendemain samedi premier jour dÕaot fus coucher audit Ivry lÕvque.
Aot. Ń Le 2me jÕallai prendre quartier au Guessalart, ayant t auparavant au conseil au Mans dÕo le roi partit pour aller coucher la Suse.
Le 3me je fus trouver le roi en son quartier de la Suse, pris ordre du roi pour lui prsenter le lendemain lÕarme que je lui avais amene, laquelle il voulut faire faire montre sparment de la sienne afin de voir en quoi elle consistait.
Donc le mardi 4me jour dÕaot je partis du Guessallart, ayant donn rendez-vous huit heures du matin lÕarme en la plaine du Gros Chtaignier proche de la Flche, laquelle je mis en bataille. Le roi y arriva aprs dix heures, qui la vit et la trouva trs belle et bien complte au del de ce quÕil sÕattendait : car la montre il fut compt huit mille hommes de pied et davantage en rang, et six cents bons chevaux, sans les compagnies de la reine, (qui nÕtait encore revenue de la conduite de madame de Mercure), les compagnies de Guise et de Joinville que le roi mÕavait command de leur donner, et celles de Nemours et matre de camp, casses. Alors les deux armes furent jointes en un mme corps, et le roi fit quatre marchaux de camp sous Mr le Prince, gnral, et Mr le marchal de Pralain, lieutenant gnral, qui furent le marquis de Trainel, Crquy, Nerestan, et moi.
LÕarme alla loger par del la Flche, et le quartier du roi dans la Flche mme o le roi sjourna le mercredi 5me, que Mr le Grand et les autres dputs du roi vers la reine pour traiter la paix revinrent apporter esprance dÕaccommodement, et lÕon le tenait aussi pour certain. Nanmoins ils ne purent obtenir que le roi sÕarrtt la Flche pour en attendre la conclusion, ains partit le jeudi 6me et vint dner Duretal o il fut festin par Mr de Schomberg, et coucher au Verger.
Le vendredi 7me jÕeus ordre dÕaller attendre les troupes au rendez-vous qui tait en la plaine de Trelasay assez proche des ardoisires dÕAngers, et le roi pensait que les dputs lui viendraient l apporter les articles de la paix signs, et mme en avait eu avis et ne sÕavanait que pour faire voir quÕil avait fait la paix la vue dÕAngers. Mais ces messieurs qui devaient porter lesdits articles, furent longs partir, et voyant quÕil tait dix heures, Mr le Grand voulut encore voir la reine mre pour savoir si la nuit nÕavait rien chang, et si elle avait rien de plus lui commander.
Il parut proche de ladite plaine quelques gardes de Mr le Comte, et de fortune arriva l le rgiment de Pimont avec Mr de Fontenai leur matre de camp, auquel je fis avancer cent hommes sur lÕavenue des ardoisires. Ces gardes se retirrent derrire une maison qui tait proche dÕeux, laissant nanmoins toujours cinq ou six carabins pour nous tirer, qui tions avancs. Sur cela la compagnie dÕEure arriva, que je mis en embuscade en un chemin creux, et envoyai harceler ces gardes pour tcher de les y attirer : mais comme ils virent que nous ne voulions point tomber dans le pige quÕils nous avaient tendu derrire la maison, aussi ne voulurent-ils point tter de notre embuscade. Mr le marchal de Pralain arriva sur ces entrefaites avec Mrs de Crquy et de Nerestan, et lÕarme se trouva dans ladite plaine et aux autres prochaines en mme temps que le roi et Mr le Prince, lesquels nous ordonnrent plutt par divertissement quÕautrement, car ils attendaient les dputs tous moments, de nous en aller avec les rgiments des gardes, Picardie, et Champagne, un lieu nomm Sorges qui est un petit village la vue du Pont de C, et y attaquer quelque escarmouche pour, la faveur dÕicelle, reconnatre le retranchement des ennemis, afin que selon le rapport que nous en ferions, on pt le lendemain lÕattaquer en cas quÕil y et quelque retardement la paix. Nous demandmes deux canons pour venir sonner une aubade ceux des Ponts de C, ce qui nous fut accord. Mrs de Trainel et de Nerestan y voulurent venir avec Mr de Crquy et moi qui y tions commands bien que nous ne fussions point en semaine de charge. Comme nous fmes proches de Sorges nous fmes notre ordre tel que Mr de Crquy, ce me semble, le proposa, et passmes Sorges jusques dans un assez grand pr entour dÕalisiers qui nous couvraient aucunement de la vue des ennemis lesquels taient en une grande plaine, ayant les Ponts de C derrire eux et leurs retranchements aussi, leur main droite la Loire, leur gauche une forte haie et paisse de douze ou quinze pas, laquelle ils avaient farcie dÕarquebusiers et mousquetaires, et en leur tte ces alisiers, et nous derrire. Les quatre marchaux de camp sÕavancrent et quelques gentilshommes avec eux pour reconnatre lÕordre des ennemis et les lieux o nous devions passer et marcher : mais ds que nous parmes dans la plaine, les mousquetaires de la haie nous tirrent assez vivement ; De Vennes, capitaine de Navarre, qui tait venu avec nous y fut bless au bras, et quelques-uns de nos chevaux blesss. La cavalerie des ennemis tait en deux gros qui faisaient ferme, ayant devant eux quelque soixante carabins qui marchaient en SS [zigzag]. Nous rsolmes de chasser avant toutes choses les ennemis de cette haie, et en mme temps marcher, et ayant demand Mr de Crquy o il lui plaisait de placer les gardes (parce quÕelles ont toujours le choix), il choisit la main droite : je mis le rgiment de Picardie la gauche et celui de Champagne au milieu. Mais peu aprs Mr de Crquy reconnaissant habilement que le faible de lÕinfanterie tait le ct droit, que lÕavenue dÕAngers tait de ce ct-l, quÕil nÕattaquerait que par un coin, et que son attaque serait beaucoup plus belle par le milieu, demanda que le rgiment des gardes et le milieu ; par ainsi la main droite dudit rgiment appartenait Picardie et la gauche Champagne. Pour cet effet je dis Mr Zamet matre de camp de Picardie quÕil ft droite et puis marcht pour se venir mettre la droite des gardes, et crus quÕil ne manquerait aux ordres de guerre qui veulent quÕen prsence des ennemis les motions se fassent en marchant derrire les bataillons qui sont dj en bataille pour en tre couverts pendant que lÕon est oblig de montrer le flanc. Mais lui, par prsomption, inadvertance, ou ignorance, ou tous les trois, passa par devant les bataillons de Champagne, de sorte quÕen ce seul point, si les ennemis nous eussent chargs, nous tions capables dÕtre renverss. Mr de Crquy qui a lÕĻil trs excellent la guerre, vit aussitt cette faute et me dit : Ē Cousin, nous sommes perdus si les ennemis nous chargent : Zamet marche par devant Champagne. Č. JÕy courus lors toute bride, et en allant fis marcher les deux bataillons de Champagne devant lesquels il nÕtait encore pass, et ayant fait faire halte Picardie je le fis passer par derrire Champagne ; et les ennemis, ou ne sÕen avisrent pas, ou ne voulurent pas se servir de cette belle occasion.
En ce temps nous avions gagn la haie garde par le rgiment du marquis de la Flosseliere, nouvellement arriv et lev, et dont les soldats lchrent le pied ds quÕils se virent attaqus et coururent par la plaine jusques ce quÕils fussent derrire leur cavalerie. Alors nos gens, de la haie, tirrent la cavalerie et la firent dloger de la plaine pour se retirer dans leur retranchement. Le canon de la ville nous tira cinq ou six voles sans toucher aucun de nos bataillons : nos deux canons arrivrent qui firent riposte. Nous vmes la retraite de Mr de Retz et de ses troupes qui passaient sur les ponts avec les enseignes qui paraissaient, et vmes en mme temps les retranchements bords dÕautres troupes. Nous, voyant la retraite de la cavalerie, avanmes la persuasion de Nerestan qui nous montra le dsordre de dedans aux piques qui se mlaient, ce que lÕon pouvait aisment remarquer ; mais notre canon ne sÕavanait point, et me dit Mr de Crquy : Ē Cousin, si vous ne commandez au capitaine suisse qui conduit le canon, de forcer les charretiers qui le mnent de sÕavancer, ces poltrons-l ne le feront jamais. Č Je courus toute bride ; mais voyant que nos troupes nÕattendaient point ledit canon, mais marchaient toujours, je retournai mme instant et passant proche de Mr de Crquy, je lui dis : Ē Vous avez bonne raison, mon cousin, de me persuader dÕaller au canon pendant que lÕon va la charge Č, et passant outre me vins mettre la tte du bataillon droit du rgiment de Champagne qui me semblait en plus beau lieu pour donner, et me mis pied terre avec une hallebarde que je pris dÕun sergent. Mr de Nerestan qui tait cheval me dit : Ē Monsieur, ce nÕest pas l la place dÕun marchal de camp ; vous ne pourrez plus faire combattre les autres troupes, tant pied la tte de celle l. Č Je lui dis quÕil avait raison, mais que ces rgiments qui taient farcis de force nouvelles recrues, combattraient bien me voyant leur tte, et mal si je demeurais derrire, et puisque je les avais amens jÕavais intrt quÕils fissent bien. Alors il dit : Ē Je ne demeurerai pas cheval, vous tant pied Č, et se vint mettre ma main gauche.
En mme temps les enfants perdus des gardes et ceux de Champagne mens par Malaissis et Cominges, sÕapprochant de cent pas du retranchement, et nous trente pas derrire eux, toute la mousqueterie des ennemis qui le dfendait fit sa dcharge toute la fois. Nous jugemes bien alors quÕils nÕy entendaient rien, et quÕils taient perdus, ce qui nous fit en diligence donner dans le retranchement. Nos enfants perdus trouvrent peu de rsistance, et me souvient que Cominges me cria, tant au haut du retranchement : Ē Souvenez-vous, Monsieur, que jÕy ai mont le premier. Č Nous donnmes immdiatement aprs sans rencontrer personne devant nous, ni pril que de quantit de mousquetades que lÕon nous tirait des fentres du faubourg, qui turent et blessrent quelques-uns des ntres. Mr de Nerestan et moi nous rencontrmes au lieu que lÕon nÕavait point encore retranch, pour faire passer le charroi, de sorte que sans peine ni rsistance nous y entrmes, et notre bataillon, partie par cette ouverture, partie montant dessus le retranchement pour passer. Mais peine tions-nous passs cent hommes que dÕune fondrire qui tait au dedans de ce retranchement sortit un gros de prs de cent chevaux, mon avis, qui nous vinrent charger. Mr de Nerestan me dit lors : Ē Voici qui nous donnera des affaires Č, et se tournant vers le bataillon qui nous suivait, leur dit : Ē Prsentez vos piques, mes enfants, et tenons ferme ; car aprs quÕils auront vu que nous valons quelque chose, ils mettront de lÕeau en leur vin. Č
Sur cela je dirai une chose trange : un de nos enfants perdus qui tait demeur derrire, je nÕai jamais pu savoir depuis qui ce fut et, si, jÕeus soin de le faire chercher, ayant une pique la main, sÕadressa un chef qui marchait vingt pas devant les autres et donna un coup de pique dans lÕestomac de son cheval ; le cheval se cabra, et lui, rechargea un autre coup dans le ventre ; celui qui tait dessus, craignant dÕtre abattu, le tourna gauche, et en mme temps tout son escadron tourna aussi et alla passer sous une arche du pont o il nÕy avait gure dÕeau. Le comte de Saint-Aignan faisait combattre cet escadron, et nous le connmes fort bien avec des armes moiti dores en cte avec un chapeau gris et force plumes. Il tait au ct gauche dudit escadron et hors de rang. Mais comme lÕescadron gauchit, il fut emport avec, et dans la foule le chapeau lui tomba : il voulut demeurer pour le ramasser, comme il fit, et passmes ct de lui en allant donner au faubourg quand avec son pe il ramassait son chapeau. Je lui dis : Ē Adieu, Saint-Aignan. Č Il me rpondit baiss comme il tait : Ē Adieu, adieu. Č Il fut arrt derrire lÕescadron par deux carabins qui suivaient la victoire, et en ce mme temps Boyer passant pour nous venir dire quelque chose de la part du roi, il lui cria : Ē Boyer, je me rends toi Č, qui nous lÕavions adjug sur ce que Saint-Aignan nous dit quÕil sÕtait en cette sorte rendu lui.
Aprs que cette cavalerie sÕen fut ainsi fui, nous allmes droit au faubourg, et comme nous montions en une petite ruelle qui y va, on nous tirait toujours force mousquetades des fentres, lÕune desquelles rompit la cuisse gauche de Mr de Nerestan comme il avait la droite leve pour monter le premier degr : il tomba comme un sac tout dÕun coup et en criant me dit : Ē Je suis mort. Č Je voulus lÕaider pour le relever, mais y tant arriv son fils, un nomm Lussan, de Languedoc, et dÕautres, je passai outre o jÕavais affaire ; et avec la mme chaleur que nos enfants perdus avaient donn au retranchement et au faubourg, ils tirrent droit au pont, et moi les suivant avec ce bataillon et quelques autres qui arrivrent en mme temps des gardes, nous le passmes et donnmes dans la ville, tuant toujours les ennemis qui sÕen allaient devant nous et entrmes ple-mle.
Il y eut sur le pont deux matres de camp pris, lÕun nomm la Flosseliere que jÕempchai que les divers soldats qui y prtendaient ne le tuassent ; lÕautre nomm Boisguerin, lequel combattant et se dfendant le mieux quÕil pouvait, mÕayant aperu, me dit : Ē Monsieur de Bassompierre, je me rends vous : je suis Boisguerin que vous connaissez. Č JÕy courus et dis aux soldats que je leur laisserais sa ranon et quÕils lÕamenassent srement jusques Mr de Crquy qui faisait donner les bataillons avec un merveilleux sens et ordre. Mais il arriva que les soldats des gardes ne connaissant encore ceux de Champagne les dvalisaient comme si cÕeussent t ennemis : je lui priai de venir sur le pont remdier cet inconvnient, et avec infinies peines nous empchmes que la ville du Pont de C ne ft pille, ce que je tiens pour miracle quand des gens de guerre la prennent dÕassaut.
Deux choses furent cause que nous prmes ainsi la ville : lÕune, que lÕon nÕen sut jamais lever le pont levis ; lÕautre, que nous entrmes ple-mle avec les ennemis. Aussi avait Mr le duc de Retz emmen Betencourt avec lui pour le faire sortir avec ses troupes, et comme il revint de cette porte, il trouva que par celle du pont les gens du roi avaient pris la place. Il se jeta, comme sÕil eut t des ntres, parmi nos gens jusques ce quÕil fut prs du chteau o il courut, et lors on lÕaperut et lui tira on force mousquetades dont lÕune lui donna dans lÕpaule, qui lui rompit. Il entra quand et lui deux soldats du rgiment des gardes, lÕun nomm Poissegu qui avait t page de Mr de Guise, et un autre mousquetaire : le gouverneur crut quÕils taient des troupes dfaites, et eux feignirent dÕen tre ; il les mit aux deux canonnires qui regardent sur le pont : ils tiraient incessament, mais haut, afin de ne blesser nos gens ; ce qui nous servit beaucoup ; car ils eussent pu tuer dÕhonntes gens.
Mr le marquis de Trainel avec le rgiment de Picardie qui donna main droite, fit faire une barricade sur lÕavenue dÕAngers, comme nous aussi du ct du faubourg qui regarde une plaine aval de lÕeau. Puis Mr de Crquy et moi avismes quÕil demeurerait faire barricader contre le chteau, et le battre, sÕil ne se rendait, des mmes pices des ennemis, lesquelles taient encore sur le pont. Puis ayant pos nos gardes, je fus trouver le roi pour lui amener les principaux prisonniers et apporter les drapeaux gagns sur les ennemis. Je trouvai Mr le Grand auprs de lui au mme lieu des ardoisires o il avait fait tte du ct dÕAngers, le remerciai du soin quÕil avait eu de nous envoyer secourir de cavalerie comme il avait fait, bien quÕelle ne nous et de rien servi, puis lui rendis compte du succs de ce combat o cinq mille hommes avaient t dfaits, plus de douze cents morts ou noys et peu prs autant de prisonniers, la ville de Pont de C prise, et le chteau capitulant de se rendre le lendemain pourvu quÕil lui soit permis dÕenvoyer vers la reine. Le roi me fit extraordinairement bonne chre, et Mr de Luynes me louant Mr le Grand, qui se plaignait que comme il apportait ratification de tout ce que le roi dsirait, il nÕavait pas voulu supersder deux heures seulement, Mr le Prince qui tait l, lui dit : Ē Monsieur, cÕtait vous vous hter ; ce nÕtait pas au roi attendre, vu mmement quÕil vous lÕavait bien dit la Flche. Č
Sur cela on mit en dlibration de faire trancher la tte au comte de Saint-Aignan, attendu quÕtant officier de guerre et matre de camp de la cavalerie, il avait quitt le roi. On le voulut mettre entre les mains de monsieur le garde des sceaux : mais je mÕy opposai fermement, disant au roi et Mr le Prince que si on le traitait de la sorte, aucun homme de bien ne voudrait se hasarder dÕtre pris de ceux des ennemis, pour crainte de mourir par main du bourreau ; que nous avions reu sa foi, Mr de Crquy et moi, et quÕil tait prisonnier de guerre ; que nous lui avions pu donner cette parole en la qualit que nous avions, et que nous nÕtions point des prvts pour faire capture des pendus. JÕenvoyai en mme temps en donner avis Mr de Crquy, lequel manda quÕil sÕen reviendrait des Ponts de C et quÕil quitterait tout si lÕon ne lui mandait et assurait de supersder cette excution : ce quÕenfin nous obtnmes jusques au lendemain, et cette premire furie tant passe, il nous fut facile ensuite de rompre ce coup, et la paix qui succda accommoda son affaire sa charge prs, qui fut perdue pour lui et donne Mr de la Cure.
Le roi vint ce soir l coucher Brin, et moi je mÕen retournai au Pont de C, dont le chteau avait capitul avec Mr de Crquy.
Le lendemain samedi 8me le roi partit de Brin et vint au Pont de C passant par dessus les reliques de la dfaite, et ne lui fut pas peu dÕtonnement de voir la ville du Pont de C aussi entire et les boutiques ouvertes comme sÕil nÕy eut point eu de gens de guerre, et de deux divers partis.
Le dimanche 9me les dputs de la reine vinrent avec ceux du roi, qui conclurent la paix quÕil plut au roi donner, laquelle il signa le lundi 10me, et de l vint visiter au faubourg Mr de Nerestan qui pour le grand coup quÕil avait, nÕtait point en mauvais tat et se ft garanti si on lÕet laiss entre les mains du chirurgien Lyon : mais les autres bourreaux de chirurgiens importunrent tant le roi, comme il tait Brissac, que le septime jour dÕaprs sa blessure, tant en bon tat, on lui ta des mains pour le mettre en celles des chirurgiens du roi, o il ne vcut que deux jours.
Le roi sjourna encore le mardi au Pont de C, et le mercredi 12me en partit, et vint loger Brissac.
Le jeudi 13me dÕaot le roi envoya visiter la reine par Mr de Crquy Angers, puis mÕenvoya au Pont de C avec cinq cents chevaux pour lui faire escorte. Ensuite il commanda Mr le marchal de Pralain de la venir recevoir mi-chemin du Pont de C Brissac. Puis Mr de Brantes (nouvellement devenu duc de Luxembourg par la femme quÕil avait pouse quatre jours avant le partement du roi de Paris), vint au devant dÕelle avec force noblesse, et ensuite le roi vint cinq cents pas hors de Brissac avec Mr le Prince et Mr le duc de Luynes, qui la reut avec toute sorte de bonne chre et dÕaccueil, et demeurrent ensemble Brissac jusques au lundi 17me, quÕelle sÕen alla Chinon, et le roi Montereuil Belay ; le mardi Loudun ; le mercredi Mirebeau ; et le jeudi 20me il arriva Poitiers o il laissa Monsieur son frre, et Mrs de Pralain et de Crquy pour commander son arme ; car Mr le Prince qui en tait lieutenant-gnral tait parti de Montereuil Belai pour aller Paris faire vrifier lÕaffaire des conseillers de la Religion au parlement, et Sa Majest, sur les nouvelles quÕil eut de la prochaine arrive de la reine sa femme Tours, lÕy voulut aller voir, me commandant dÕy mener avec lui quatre mille hommes de pied et cinq cents chevaux pour lÕaccompagner : et partant le samedi 22me de Poitiers, nous vnmes coucher au Port de Piles ; et le lendemain arriva au Plessis les Tours, o Mr de Luynes lui fit, et aux dames et nous, le soir, un beau festin.
Le lundi 24me le roi tint conseil avec Mr le cardinal de Retz, Mr de Luynes et moi, pour trouver moyen de licencier onze rgiments, trois compagnies de gendarmes, cinq de chevau-lgers et deux de carabins, qui avaient t levs par ordre du roi, mais arrivs seulement aprs la paix. Et comme ds le matin, Mr de Luynes mÕayant propos cela pour empcher quÕils ne vinssent manger la Touraine, je lui dis que pourvu que jÕeusse de lÕargent pour leur payer une montre, cela serait facile, autrement non ; il me dit que Mr de Schomberg tait Poitiers, et lÕargent aussi, et que devant que lÕon et rponse et argent, toutes ces troupes fondraient sur la Touraine, et me pria que je visse avec le receveur gnral sÕil pourrait fournir lÕargent. On lÕenvoya qurir au conseil pour le persuader de trouver cent mille francs dont il se rembourserait ensuite par ses mains : mais il sÕexcusa sur son peu de crdit depuis que la paulette avait t abolie ; sur quoi je mÕavisai de proposer un expdient qui fit notre affaire : assavoir, que son remboursement serait effectif dans moins dÕun an et que le roi lui donnerait assurance de sa charge au profit de ses hritiers pendant cette anne, moyennant quoi il nous fournit cent mille livres : et moi je demandai au roi quÕil me laisst quatre jours Tours, pendant lesquels je licenciai non seulement les troupes susdites, mais encore quatre rgiments qui arrivrent de surcrot.
Ainsi le roi partit le lendemain mardi 25me pour aller Amboise, o il demeura, et moi Tours, le mercredi et le jeudi, et ne revint que le vendredi matin 28me, o il tint conseil, loua ma diligence, et le lendemain samedi 29me il partit de Tours et coucha au Port de Piles, et arriva le dimanche 30me Poitiers o la reine et les princesses arrivrent le lendemain : et le jeudi suivant, 3me de septembre, le roi voulut voir et faire faire monstre gnrale son arme.
Le vendredi 4me la reine mre arriva Poitiers.
Le samedi 5me le roi tint conseil de guerre, o Mr le Prince qui tait revenu de Paris se trouva, et rsolut de mener avec nombre de cavalerie la moiti des cinq vieux rgiments ; assavoir, les dix premires compagnies de chacun, avec deux autres moyens rgiments entretenus, et huit pices de canon, avec ses deux rgiments des gardes.
Le dimanche 6me il y eut bal chez la reine.
Le lundi les Jsuites jourent une comdie o toutes les cours allrent. Mr du Maine arriva, qui le roi fit fort maigre mine.
Le mercredi 9me le roi prit cong des reines et partit de Poitiers pour aller en Guyenne. Il mÕenvoya mener son arme la premire semaine, comme marchal de camp, que jÕallai trouver Cou.
Le jeudi 10me nous allmes Sausay.
Le lendemain nous logemes prs de Chef-Boutonne en un village dont jÕai oubli le nom, dÕo je partis le lendemain pour aller trouver le roi Saint-Jean dÕAngely.
Le dimanche 13me je fus hors de semaine et demandai cong au roi pour aller voir en Brouage mon beau-frre de Saint-Luc, et de passer par la Rochelle ; ce quÕil me permit : et lorsque lÕon le sut la cour, plus de deux cents gentilshommes voulurent y venir ; Mrs de la Rochefoucaut, de Crquy, de la Ville aux Clercs, de Seaus, et quantit dÕautres furent de la partie.
Nous dnmes Surgres, et Mr de la Rochefoucaut envoya devant au maire de la Rochelle lÕavertir de la bonne compagnie qui le venait voir, afin quÕil ne sÕen alarmt sÕil voyait inopinment tant de monde. Le maire nous vint recevoir la porte de la ville et nous mena voir le port, et puis, comme il tait tard, nous ayant conduits notre hostellerie, nous donna le bon soir, et nous pria tous le lendemain dner au logis du prsident.
Il nous vint prendre le lundi de bonne heure pour nous faire voir les fortifications de la ville : il nous mena ensuite la tour de la Chane et finalement au temple qui est bien beau, et finalement nous vnmes chez le prsident o il nous fut fait un magnifique festin de soixante serviettes, aprs lequel nous allmes en Brouage voir Mr de Saint-Luc qui nous reut le plus honorablement du monde.
Nous y sjournmes le mardi 15me et allmes voir Marennes les trois filles du comte de Marennes, qui taient trs belles.
Le lendemain nous vnmes coucher Pons.
Le jeudi 17me nous vnmes dner Plassac chez Mr dÕEpernon, o tait Mr le Grand, et de l coucher Blaye.
Le soir le roi commanda Mr de Crquy et moi de faire faire patrouilles par la ville la nuit parce quÕAubeterre tait dsespr de savoir quÕon lÕtait de sa place de Blaye ; ce que le roi fit bien noblement en le faisant marchal de France le lendemain, et lui donna outre cela cent mille cus. Le roi en donna le gouvernement Mr de Luxembourg.
Le samedi 19me le roi arriva Bordeaux.
Le dimanche 20me Mr du Maine fit un grand festin au roi dans le Chteau-Trompette, ayant Argillemont t pris le matin dans le logis du roi et mis s mains de la cour de parlement ds le soir mme pour lui faire son procs, lequel lui fut fait et parfait le mercredi suivant 23me, et condamn avoir la tte tranche ; ce qui fut excut le mme jour : et le samedi suivant 26me le roi cassa tous les jurats de Bordeaux et en mit dÕautres en la place.
Il envoya qurir le sieur de Fonterailles gouverneur de Lectoure, qui il donna cinquante mille cus en le tirant de cette place comme il avait promis ceux de la Religion assembls Loudun, attendu que ledit de Fonterailles sÕtait fait catholique et en cette profession ne pouvait commander dans Lectoure, place de sret des huguenots. Le roi y mit en son lieu le sieur de Blainville lÕan qui tait huguenot et au gr de ceux de sa religion.
Le lundi 28me le roi alla en parlement tenir son lit de justice o il blma (par la bouche de monsieur le garde des sceaux du Vair) ledit parlement de ne sÕtre gouvern selon quÕil devait en ces derniers mouvements. Il fut de l dner au Chteau-Trompette avec les principaux de la cour et ensuite tenir sur les fonts le fils de Mr le marchal de Roquelaure.
Puis le lendemain mardi dernier jour de septembre, il fut dner et coucher Cadillac chez Mr dÕEpernon, o il fut superbement reu, et revint le lendemain premier jour dÕoctobre ; et le jour dÕaprs Mr le Prince sÕen alla de la cour.
Le 4me arrivrent Bordeaux Mr de la Force et le premier prsident de Pau, sans apporter la vrification de lÕarrt de rtablissement des ecclsiastiques de Barn dans leurs biens comme il a t dit ci-dessus que lÕassemble de Loudun nÕavait demand que les trois articles du rtablissement des conseillers de la Religion au parlement de Paris, de la prolongation pour trois ans des places de sret, et du changement de gouverneur Lectoure, ce qui avait t entirement excut avant les six mois, nanmoins ceux de Barn prtendaient quÕils pourraient faire, dans un mois aprs, leurs remontrances contre cet arrt, et quÕicelles oues, le roi ferait ce quÕil verrait bon tre l dessus. Le roi fut fort indign de voir quÕils nÕavaient point vrifi ledit arrt : toutefois ils surent si bien persuader au roi quÕils ne manqueraient de le faire, et quÕil leur avait encore t permis par la concession que le roi avait faite lÕassemble de Loudun, de venir faire cette dernire remontrance avant le vrifier, et quÕils promettaient dÕaller le faire promptement vrifier sÕil plaisait au roi de leur permettre dÕy retourner, que le roi les renvoya promptement pour cet effet, et quand et [avec] eux le sieur de la Chaine un de ses ordinaires, tant pour en solliciter la prompte vrification que pour lui en mander toute heure des nouvelles. Et cependant Sa Majest partit de Bordeaux et sÕavana sept lieues vers le Barn en un bourg nomm Preignac vis vis de Cadillac au de de la Garonne pour tre plus proche de Barn pour sÕy acheminer en cas quÕils nÕexcutassent ponctuellement sa volont, et y demeura onze jours entiers.
En ce temps se donna la fameuse bataille de Prague, qui rendit lÕempereur pour lors matre de lÕAllemagne.
Au bout de dix jours la Chaine revint trouver le roi le 8me dÕoctobre, si mal instruit de ce qui sÕtait pass, quÕil ne lui put dire autre nouvelle sinon que les dputs du parlement de Pau lui viendraient le lendemain porter ce quÕils avaient rsolu, ce quÕils firent aussi le 9me : mais ce fut un refus de pouvoir entrer en vrification dudit arrt, ports, mon avis, sur lÕopinion quÕils eurent quÕen la saison bien avance le roi ne sÕembarquerait pas dans le Barn, qui est au pied des Pyrnes, et sur ce que lÕon leur manda que tous les bagages de la cour taient dj Blaye pour nous en retourner. Le roi nÕattendit point leur faire rponse lÕavis de son conseil, mais de lui-mme leur dit : Ē Puisque mon parlement me veut donner la peine dÕaller moi mme vrifier lÕarrt, je le ferai, et plus amplement quÕils ne lÕattendent Č, et sur ce entra en son conseil, rsolu de partir, mais nanmoins voulant savoir lÕopinion dÕun chacun sur ce sujet.
Dans le conseil taient Mr du Maine, Mr dÕEpernon, Mr de Pralain, Mr de Luynes, monsieur le garde des sceaux du Vair, Mr de Schomberg, Mr de Crquy, et moi. Mr du Maine discourut amplement pour dissuader le roi dÕentreprendre ce voyage, se fondant sur lÕincommodit du pays et de la saison ; sur la crainte de soulever tout le parti de la Religion, lequel pourrait faire de plus grands progrs (cependant que le roi serait en lÕextrmit de son royaume) dans la France, que lui en Barn ; sur la disette des vivres dans les Landes pour son arme ; sur le long retardement du passage de la Garonne son arme, qui de douze jours ne saurait tre trajete, et sur plusieurs autres raisons. Tous les autres du conseil prirent la contraire opinion, animant le roi dÕentreprendre le voyage de Barn, quoi le roi se rsolut, et dit Mr du Maine : Ē Je ne me mets point en peine du temps ni des chemins ; je ne crains point ceux de la Religion ; et quant au passage de la rivire que vous dites que mon arme ne saurait faire en douze jours, jÕai un moyen de la faire passer en huit : car jÕenverrai la mener par Bassompierre que voil, qui mÕa men lÕarme avec laquelle je viens de dfaire un grand parti, en la moiti moins de temps que je ne lÕavais espr. Č JÕavoue que je sentis mon cĻur chatouiller par cette louange et par la bonne opinion que le roi avait de moi, auquel je rpondis que je lÕassurais que lÕEsprance quÕil avait conue de ma diligence ne serait point vaine et que dans peu il en aurait des nouvelles.
Sur cela je pris cong de lui et mÕen vins coucher Langon, de lÕautre ct de la rivire, sur laquelle lÕarme tait pandue en divers villages et bourgs. Je portai des lettres du roi Mrs de la Cure et de Constenant qui la commandaient pour venir trouver Sa Majest, ce quÕils firent. Et ayant envoy en diligence ramasser tous les bateaux que je pus, je les partageai aux rgiments et compagnies, sans la vouloir assembler pour le passage. Je fis joindre deux bateaux en un et faire des pontons dessus, sur lesquels je posai, le 10me dÕoctobre, deux pices dÕartillerie. JÕen fis joindre deux autres sans pontons, sur lesquels je mis les affts, et en quatre voyages je passai lÕartillerie, et force dÕargent je fis en sorte quÕen tout le lendemain les munitions et vivres furent passs, et toute lÕarme aussi, et vnmes coucher en un bourg une lieue de la rivire.
Le lendemain 11me nous entrmes sur le bord des Landes et les passmes tout le jour et couchmes Catchicot ; le jour dÕaprs un autre bourg ; et le quatrime jour aprs notre passage je vins sur cette lisire de lÕArmagnac et du Barn loger Saint-Justin dÕArmagnac, o jÕeus un courrier du roi qui tait extrmement satisfait de ma diligence, et que jÕeusse rduit vingt quatre heures les douze jours que Mr du Maine nous donnait passer la Garonne, lÕayant ctoy en toutes ces journes. Il me commanda de lui envoyer le rgiment de Champagne et quelques autres troupes pour mettre en garnison dans le Barn, et de nÕy entrer point, de peur de mettre la famine tant dans sa cour que notre arme.
Je sjournai donc Saint-Justin, allant quelquefois visiter les troupes loges la Btide, Barbotans, et ailleurs, avec les officiers de lÕarme qui me firent tous cet honneur de ne bouger dÕauprs de moi, non pas mme pour aller seulement Pau.
Enfin Mr le marchal de Pralain sÕen vint de Pau Saint-Justin le 20me dÕoctobre, qui mÕapporta une fort favorable lettre du roi avec ordre de renvoyer lÕarme aux garnisons quÕil lui avait destines, et par les routes quÕil mÕenvoya.
Ce fait, nous partmes, Mr le marchal et moi, le 21me, de Saint-Justin, et vnmes coucher Catchicot, le 23me Basas, et le 24me Bordeaux.
Le roi y arriva le lendemain 25me, de qui jÕattendais toute bonne rception : mais au contraire il ne me regarda pas ; dont je fus un peu tonn. Toutefois je mÕapprochai de lui et lui dis : Ē Sire, me faites-vous la mine bon escient, ou si vous vous moquez de moi ? Č Il me dit froidement : Ē Non, je ne vous la fais point Č, et puis se retourna dÕun autre ct.
Je ne pouvais mÕimaginer dÕo me pouvait venir cette froideur depuis ses favorables lettres et mon dpart dÕauprs de lui ; et tant all saluer Mr de Luynes, il me reut si froidement que je vis bien quÕil y avait un grand changement pour moi. Je mÕen revins nanmoins la galerie de lÕarchevch o tait le roi, o je nÕeus gure demeur que Mrs le cardinal de Gondy, de Schomberg, et de Roucelai me tirrent part et me dirent que Mr de Luynes se plaignait infiniment de moi, qui avais nglig son amiti et cru pouvoir sans elle me maintenir aux bonnes grces du roi ; et quÕil disait que lÕon verrait lequel de nous deux aurait le pouvoir de mettre son compagnon par terre, que la faveur du roi ne se pouvait partager, et que, lÕayant mis en ombrage, il ne me pouvait plus souffrir la cour.
Je fus bien tonn de ces discours, et ce que je pus faire alors, ce fut de tcher de savoir dÕeux, qui taient mes amis, de quel vent mÕtait amene cette tempte puisque je nÕavais jamais rien eu dmler avec Mr de Luynes que jÕavais toujours servi et contribu sa fortune, et quÕil mÕavait promis et jur une troite amiti. Je leur demandai quelles causes Mr de Luynes allguait pour se sparer de mon amiti et pour me perscuter, voire mme ruiner, sÕil pouvait. Ils me dirent quÕil leur en avait donn cinq diffrentes :
La premire, quÕau Pont de C le roi mÕayant montr en sa prsence les articles de la paix que lui, Luynes, avait minutes et proposes, je dis au roi quÕaprs tant de rvoltes de ces messieurs, tant dÕimpunits ne me plaisaient pas, et que jÕeusse voulu que quelque exemple et donn terreur lÕavenir aux autres de nÕtre pas si prompts se rebeller ; et disait Mr de Luynes l dessus que cÕtait improuver la paix quÕil avait faite ;
Secondement que, le roi arrivant Poitiers au retour du petit voyage quÕil avait fait Tours pour voir la reine sa femme, comme on lui apporta nouvelle du retardement de la venue de la reine mre Poitiers, je dis au roi : Ē Sur ma vie, Sire, que cÕest un artifice de ses partisans pour empcher le voyage de Votre Majest en Guyenne Č ; ce que le roi imprima si fort dans son esprit quÕil avait eu mille peines de lui faire attendre la reine sa mre Poitiers ;
En troisime lieu que, mÕayant pri plusieurs fois dner Bordeaux, je lÕavais mpris et nÕavais daign y aller ;
En quatrime lieu que, le roi nous parlant tous deux, Preignac, de cette vrification quÕil attendait, jÕavais dit au roi que si ces messieurs lui donnaient la peine dÕaller en Barn, je lui conseillais de leur faire payer chrement son voyage ; ce qui tait porter le roi la cruaut ;
Et finalement, que jÕavais tellement proccup lÕesprit du roi, quÕil ne croyait rien de bien fait que ce que je faisais, vu que sans en demander lÕavis de son conseil il avait dtrn les marchaux de camp que (par la dmission que nous avions faite, Mr de Crquy et moi,) il avait tablis sur son arme, pour me la mettre en main : ce quÕil ne pouvait souffrir, se sentant assez fort pour empcher le progrs que je faisais journellement son prjudice aux bonnes grces du roi.
Quand jÕeus considr les causes de ce subit changement de lÕamiti de Mr de Luynes vers moi, je jugeai bien quÕil cherchait des prtextes pour me perdre, et que nÕen trouvant point de lgitimes dans mes actions, il en inventait en mes paroles, desquelles malicieusement il pervertissait le sens, comme je le fis clairement connatre ces messieurs qui me parlaient, lesquels ne me dguisrent point que cÕtait une pure jalousie de faveur qui le possdait lors, et quÕtant en la posture o il tait, il avait toujours les yeux ouverts sur tous ceux qui pouvaient divertir lÕaffection que le roi lui portait, et que considrant la grande inclination du roi mÕaimer, il me regardait comme le chien qui le devait mordre, et quÕils ne trouvaient pas trange quÕil me voulut billonner ; quÕau reste il leur avait dit pour me faire savoir ces cinq causes de son divorce, et que cÕtait moi y rpondre, et quÕils lui porteraient fidlement ce que je leur consignerais pour lui mettre en main, et aideraient de toute leur puissance raccommoder cette affaire ; quÕils connaissaient au cĻur de Mr de Luynes que le fond en tait bon, et que je pouvais, par ma modration et mon bon gouvernement vers le roi, remdier la jalousie de son favori.
Je leur dis donc pour rpondre par articles aux plaintes de Mr de Luynes, que jÕeusse bien cru quÕil et d trouver trange que jÕeusse conseill au roi dÕapprocher prs de sa personne les ennemis dudit duc de Luynes ; mais quÕil et trouv mauvais que jÕeusse dit au roi quÕil devait chtier ses propres ennemis, auxquels il avait conseill de pardonner, que je ne me le fusse jamais imagin, attendu que cÕtait parler en sa faveur et tmoigner sa grande dbonnairet de pardonner ceux qui lÕavaient offens, quand les indiffrents en jugeaient quelques uns de ceux-l indignes de cette grce ;
Que jÕavais conseill, selon mon devoir et ma conscience, au roi de hter son voyage de Guyenne, et de lui avoir fait connatre quÕen dlayant il perdait la belle saison et nuisait ses affaires ; que je ne lui avais pas donn ce conseil en secret ni en cachette, mais en sa propre prsence, afin quÕil le pt fortifier sÕil le dsirait, ou lÕinfirmer sÕil ne lui agrait pas, et que si lors jÕeusse vu quÕil nÕy et acquiesc, jÕeusse cess de lÕopinitrer et me fusse rendu la premire semonce ; et que ce nÕtait point de propos dlibr que jÕtais venu donner cet avis au roi, mais bien ensuite dÕune proposition quÕil en avait faite, et plutt par manire de discours que de conseil ;
QuÕil prenait ensuite un faible prtexte de rompre avec moi parce que je nÕtais pas all charger sa table de ma personne quelquefois quÕil mÕen avait convi, vu que ma modestie et la profession particulire que je faisais dÕtre son serviteur mÕavait fait faire lÕhonneur de sa maison aux trangers en leur cdant ma place sa table, et que la mienne o tous les principaux seigneurs venaient journellement dner et souper, et qui lui servait de seconde table et de dcharge la sienne, requrait ma prsence par biensance ;
Que je ne faisais autre rponse sa quatrime plainte sinon que lÕeffet avait dmontr que je donnais un bon conseil au roi puisquÕil lui avait fait suivre ponctuellement ;
Que finalement jÕtais bien malheureux si les bons services que je rendais au roi et qui lui donnaient cette bonne impression de moi, me tournaient crime, et que je devais attendre un rude chtiment si je faisais quelque faute vu que mes grands services taient improuvs, et que sÕil me voulait prescrire et rgler quelque forme de vie, je lÕobserverais si ponctuellement quÕil aurait lÕavenir sujet de croire que je nÕaspirais en quelque faon que ce soit empiter les bonnes grces du roi que par mes services et par son moyen ; et que jÕestimais si peu, et craignais si fort une faveur dÕun prince cousue dÕinclination, que si elle tait par terre devant mes pieds, je ne me daignerais pas baisser pour la relever.
Ces messieurs me dirent quÕils feraient entendre Mr de Luynes mes justes excuses sur ses injustes accusations, ds le jour mme sÕils pouvaient, sinon le lendemain 26me Blaye o le roi alla coucher ; quÕils mÕen rendraient rponse, ce quÕils firent et me dirent quÕils voyaient bien que Mr de Luynes avait pris une si forte ombrage de moi quÕil ne me pouvait souffrir la cour, et que si je mÕen voulais loigner, quÕil me ferait payer en mon absence tous mes appointements fort exactement, et que dans quelque temps quÕil ne me voulait pas limiter, il me ferait rappeler avec honneur et ferait ensuite pour moi tout ce quÕil pourrait.
Je trouvai cette proposition si crue quÕelle me mit fort en colre. Je rpondis ces messieurs qui mÕavaient envoy qurir chez Mr le cardinal de Retz que ce nÕtait point un homme de ma sorte quÕil fallait traiter en faquin, le chassant honteusement de cette faon, et que je ne mÕen irais point du tout ; que cÕtait ma rsolution, laquelle je leur priais de faire savoir Mr de Luynes ; que si lÕon souponnait de mon intgrit ou de ma fidlit, on me pouvait mettre en prison pour claircir ce doute, et que si on lÕavrait on me pouvait chtier ; mais que de me chasser de la cour pour sa fantaisie, toutes fois et quantes que je voudrais prfrer mon sjour la cour ma libert ou ma vie, que je le dfiais de le pouvoir faire ; avec beaucoup dÕautres choses que la passion et la colre me firent dire.
Ces trois messieurs taient mes amis qui voulaient mÕaider et mÕobliger : ils me dirent que cette crue rponse ne partirait point de leur bouche pour tre dite Mr de Luynes, et quÕils nÕtaient pas l seulement comme entremetteurs, mais comme mes amis qui me conseilleraient toujours et se porteraient adoucir lÕaffaire et jamais lÕaigrir, et quÕils taient dÕavis, si jÕy consentais, de dire de ma part Mr de Luynes que je mÕmerveillais quÕil et si bien trait ses ennemis au Pont de C, lesquels il tait en sa puissance de perscuter justement en se vengeant dÕeux, et que moi qui avais mis ma vie pour son service, et qui avais, par son propre aveu, si dignement agi en ces dernires brouilleries o il ne sÕagissait point de dpossder le roi de son tat, mais de lÕloigner dÕauprs de lui, et que par consquent jÕavais servi le roi, mais que cÕtait en ses intrts particuliers de lui Mr de Luynes, il me voult payer de cette ingratitude sans lÕavoir mrite ; et que je mÕassurais que quand il reviendrait lui, quÕil mÕaurait mieux considr, et pes mes actions passes, il me jugerait digne de beaucoup de rcompense et point du tout dÕun si vil chtiment comme de me chasser de la cour avec infamie, quoi je ne me pourrais jamais rsoudre.
Je leur laissai la carte blanche, les connaissant mes amis ; et eux me prirent que sans faire semblant de rien ni en parler personne, je laissasse cette affaire en leurs mains o elle nÕempirerait point : ce que je fis, et mÕen allai prendre le mot du roi, qui aprs me lÕavoir donn, se tourna dÕun autre ct. JÕavais dj bien pris garde quÕil tait toujours demeur un bout du navire pendant le chemin de Bordeaux Blaye pour ne sÕapprocher du lieu o jÕtais ; et venant tous les jours dner et souper chez Mr de Luxembourg qui traita Sa Majest trois jours durant quÕil fut Blaye, le roi ne disait mot table, comme il avait accoutum et de rire incessament avec moi : cela me mettait en peine ; car Mr de Luynes sÕen fchait et sÕen prenait moi.
Le troisime jour que le roi sjourna Blaye, qui tait le 29me dÕoctobre, je vins le soir au chteau prendre le mot, et trouvant que le roi tait ses affaires, jÕy entrai comme jÕavais de coutume. Le roi ne me dit mot sinon que peu aprs sÕtant lev, il me commanda de faire acheminer les Suisses vers Saintes, et que sa garde ft le lendemain au lieu o il allait coucher, et puis mÕtant approch lÕoreille pour lui demander le mot, il me dit : Ē Saint-Michel Č, puis ajouta : Ē Bassompierre, mon ami, ne tÕennuie point et ne fais semblant de rien. Č Je ne lui rpondis aucune chose, de peur que quelquÕun ne sÕen apert ; mais je ne fus pas marri que la source de la bont du roi ne ft pas tarie pour moi.
Sur cela je sortis pour faire prendre les armes aux Suisses, parce que le roi devait bientt aller chez Mr de Luxembourg pour y souper. Comme jÕtais en cette place devant le chteau, arrivrent Mrs du Maine et dÕEpernon que le roi avait envoy qurir, qui apercevant les gardes sur leurs armes, crurent que lÕon les allait arrter. Mr dÕEpernon me prit par la main et me dit : Ē Parlez-moi en cet ancien et parfait ami que vous mÕtes depuis longtemps : nous va-t-on coffrer ? Č Je lui dis : Ē Je ne le crois pas ; car je nÕen sais rien, et je serais infailliblement un des violons qui vous feraient danser si cela tait. Č Pourquoi donc a-t-on pris les armes ?, me dit il. Je lui rpondis : Ē Je les viens de faire prendre de moi-mme parce que le roi, aprs vous avoir parl, vient souper chez Mr de Luxembourg. Č Il me dit lors : Ē Nous courons grande fortune dÕtre arrts, et pour moi jÕen ai grand peur, mais quoi quÕil arrive, promettez moi que vous serez mon ami et que vous mÕassisterez de ce que vous pourrez, et si vous me le promettez, je sais que vous le ferez avec autant de passion quÕaucun de mes enfants. Č Je lui dis lÕheure les plus fortes paroles dont je me pus aviser pour lÕen assurer. En mme temps ils furent dlivrs de cette apprhension ; car le roi sortit et les mena souper avec lui, o il leur parla de tout ce quÕil dsirait dÕeux quand il serait hors de la province.
Le roi partit de Blaye le 30me et arriva la veille de la Toussaints Saintes, o il sjourna pour y faire ses pques.
Novembre. Ń Le soir Mr de Roucelai me vint trouver aprs souper et me dit pour finale rsolution, que Mr de Luynes voudrait mon loignement toutes les fois que la moindre humeur lui prendrait contre moi, et peut-tre ds que nous arriverions Paris ; mais quÕil ne le ferait que honorablement et sans que mon absence ft honteuse ; et que je lui disse pour cet effet ce que je dsirais ; que Mr de Schomberg et Mr le cardinal de Retz lÕavaient charg de me le venir dire en leur nom de tous trois, et que jÕavisasse de faire une rponse qui nÕaigrit rien.
JÕavais eu trois jours pour penser, en cas que lÕon me presst, par quelle porte je pourrais honorablement sortir. CÕest pourquoi, sans marchander, je lui dis que toutes les fois quÕil me ferait donner quelque gouvernement, je mÕy irais tenir ; que sÕil me donnait un emploi de guerre honorable, je lÕirais excuter ; sÕil mÕenvoyait en une ambassade extraordinaire, je mÕen acquitterais ; et que pourvu que je servisse en absence, je la prfrerais mon sjour inutile la cour : ce que Mr de Rouccelai ayant rapport ces messieurs qui taient tous deux chez Mr de Luynes, ils trouvrent ma rponse si bonne quÕils ne diffrrent point de la dire Mr de Luynes, ni lui lÕaccepter, les assurant que le lendemain par les chemins il sÕaccorderait avec moi sous ces conditions ; comme il fit de fort bonne grce, et me dit franchement que lÕestime quÕil faisait de moi et lÕaffection quÕil voyait le roi me porter, lui donnaient de lÕombrage, et quÕil tait comme un homme qui craignait dÕtre cocu, lequel nÕaimait pas de voir un fort honnte homme courtiser sa femme ; que du reste il avait une forte inclination mÕaimer, comme il me voulait tmoigner pourvu que je ne fisse point les doux yeux sa matresse : et le soir mme me fit parler au roi qui me fit fort bonne chre et me dit que je me prparasse pour revenir en poste le lendemain avec lui, ce que nous fmes.
Ayant pris la poste Poitiers, nous allmes coucher Chtellerault. Comme nous tions dans la fort, je dis Mr de Luynes : Ē Monsieur, avez-vous bien pens ce que vous faites de hasarder le roi dans une place huguenote avec trente chevaux de poste ? Ces gens sont enrags de ce que vous leur venez de faire en Barn, et vous vous venez jeter entre leurs mains : il nÕy a point de rivire passer de Chtellerault jusques la Rochelle. Č Il prit bien mon propos et fut en grand suspens, et le dit au roi, lequel dit : Ē Il y a plus de catholiques en la ville que de huguenots : La Rochebeaucourt qui en est gouverneur est homme de bien ; aussi est Foucaut le lieutenant ; Du Jon qui y a une compagnie, est crature du feu roi mon pre : je vous rponds de notre sret. Č Ce que nous trouvmes aussi, et y vnmes coucher.
Le lendemain nous couchmes Veve sur Loire, et le jour dÕaprs vnmes pour dner Orlans : mais comme le roi et vu la quantit de gens qui lui venaient faire diverses harangues, il me demanda si mon cheval tait bon, et lui ayant dit que oui, il piqua outre, moi lui servant dÕcuyer, et sÕen vint Toury que nous nÕtions que cinq chevaux avec lui.
Le lendemain 6me de novembre le roi arriva avec quarante chevaux de poste sur les dix heures du matin Paris, et vint descendre chez la reine sa mre qui achevait de sÕhabiller.
Le soir Mr de Luynes lui fit festin, et le lendemain le mena Lesigny en attendant que son train fut arriv.
Dcembre. Ń De l le roi sÕen alla en Picardie jusques Calais dÕo il envoya Mr le marchal de Chaunes vers le roi de la Grand Bretagne, et se rsolut en mme temps de mÕenvoyer son ambassadeur extraordinaire vers le roi dÕEspagne son beau pre pour lui redemander la Valteline qui avait t occupe peu auparavant sur les Grisons, anciens allis du roi, par le duc de Feria gouverneur du duch de Milan, et mÕenvoya un courrier avec un ordre Mr de Schomberg de me fournir dix mille cus pour les frais de mon voyage, et moi de me prparer pour partir incontinent aprs quÕil serait de retour Paris o il vint pour y passer les ftes de Nol et y finit heureusement lÕanne 1620.
JANVIER.Ń Ds le commencement de lÕanne 1621 je fus extrmement press de partir et on mÕavait dj donn mon instruction quand, pour le dsir de passer les Rois la cour, tantt sur une difficult que je proposai en ma dite instruction, tantt sur quelque autre sujet, je demeurai encore huit jours aprs avoir eu toutes mes dpches, et fis partir en quinze diverses bandes, en poste, quelque sept-vingt personnes qui vinrent avec moi, parmi lesquels il y avait prs de quarante gentilshommes que je voulus dfrayer tant de la bouche que des postes, de Paris Madrid, et au retour de Madrid jusques Paris, faisant mme porter toutes leurs hardes mes dpens.
Au commencement de janvier vinrent nouvelles de la mort de madame la duchesse de Retz ; et comme Mr le Prince sÕimagina que Mr le cardinal de Retz son oncle, et Mr de Schomberg son alli, proposeraient de le remarier avec la nice de Mr de Luynes, la jeune Combalet, ce qui et attir toute lÕaffection dudit duc de Luynes de leur ct et lÕet peut-tre loigne de Mrs le Prince et duc de Guise, Mr le Prince sÕavisa de me proposer Mr de Luynes pour lÕpouser, ce qui plut merveilleusement Mr de Luynes qui se voulait assurer de moi et mÕavancer cause dÕune certaine inclination quÕil avait de mÕaimer, et pour me croire utile sa fortune : ce quÕil communiqua Mr de Guise, afin dÕy aider de sa part, et lui dit quÕil fallait quÕil dispost madame la princesse de Conty de me persuader dÕembrasser ce parti, que lui de son ct mÕen ferait parler par madame la Princesse sa femme, sachant, lui disait il, que les dames ont grand pouvoir sur moi.
Fvrier. Ń Je pris cong le 9me fvrier du roi et de la cour, et parce que ce soir-l il y avait bal en la salle de Mr de Luynes, jÕy menai madame la comtesse de Rochefort en la suite de la reine. Comme je fus en haut, mesdames les princesses qui riaient bien fort, me tirrent en une fentre, et au lieu de me parler crevaient de rire : enfin elles me dirent que jÕavais autrefois parl dÕamour de belles dames, mais que jamais deux dames de si bonne maison ne mÕavaient parl de mariage que maintenant quÕelles mÕen venaient requrir. Je fus longtemps dchiffrer leur discours : enfin elles me dirent que le mari de lÕune et le frre de lÕautre les avaient charges de me sduire, mais que cÕtait en tout honneur et en loyaut de mariage, et quÕil fallait que je donnasse pouvoir Mr le Prince et Mr de Guise de traiter et conclure lÕaffaire pendant que je serais en lÕambassade extraordinaire dÕEspagne, et de le dire Mr de Luxembourg aprs lÕavoir pri de me vouloir assister en cette recherche ; ce quÕil me fallut forcement faire : et puis ayant pris cong dÕelles, je partis le lendemain mercredi 10me jour de fvrier et vins coucher Etampes, puis Saint-Laurent des Eaux, de l Montrichart, la Haye, Vivonne, Aigres, et Montlieu.
Puis le mercredi 17me je vins Bordeaux o je demeurai le lendemain pour lÕamour de Mrs dÕEpernon et de Roquelaure, et vins le vendredi 19me coucher seulement Belin, puis Castets, aprs avoir dn la Harie o jÕeus nouvelles de ce qui tait arriv Mr de Fargis, et vins coucher Castets, et le dimanche 21me jÕarrivai Bayonne o Mr le comte de Gramont me fit durant quatre jours que jÕy demeurai, la meilleure chre du monde, et tous les gentilshommes qui mÕaccompagnaient.
JÕen partis le jeudi, premier de carme et le 25me du mois, avec Mr de Gramont qui me vint conduire et dfrayer encore jusques Saint-Jean de Luz, o me vinrent nouvelles que par la mort du pape Paul cinquime, le pape Grgoire quinzime, Lodovisio, lui avait succd.
Nous allmes voir le Socoa o le roi desseignait [avait pour dessein] de faire un havre, et au dessus un fort, puis vnmes descendre Sinbourre. Ceux de Saint-Jean de Luz dansrent le soir un ballet devant moi, qui pour des Basques tait aussi beau quÕil pouvait tre.
Comme nous venions de Bayonne Saint-Jean de Luz, nous vmes en mer plus de cinquante petites barquettes une voile qui donnaient chasse une baleine qui sÕtait fait voir le long de la cte avec son baleineau ; et le soir sur les onze heures nous emes nouvelles comme le petit baleineau avait t pris, que nous fmes voir le lendemain matin vendredi 26me ; nous le fmes voir sur la grve o lÕon lÕavait chou en haute mer. Il tait de quelque cinquante pieds de long seulement, et ceux du pays ne jugeaient pas quÕil y eut plus de huit jours quÕil fut n.
Aprs la messe Jouan dÕArbelais, courrier major dÕYronet de Guypuscua, vint dner avec moi. Mr de Gramont me vint conduire jusques sur le bord de la rivire de Fontarabie qui divise la France de lÕEspagne, et me dit adieu, et Jouan dÕArbelais mÕayant conduit une lieue par del Yron me laissa aller coucher la venta de Marie Beltram.
Le samedi 27me je fus coucher Segura.
Le dimanche 28me je passai le mont Saint-Adrien, vins dner Galarette et coucher Vittoria.
Mars. Ń Le lundi premier jour de mars je vins coucher Miranda de Aro.
Le lendemain je vins Birviesca, et le jour dÕaprs Burgos dÕo, aprs avoir vu el santo crucifisso et la grande glise qui est bien belle, jÕen partis le lendemain jeudi 4me pour venir Lerma, o je fus voir la maison et les meubles qui sont bien rares.
Le vendredi 5me jÕous messe en un des couvents de religieuses que le duc y a fait btir, o jÕous une excellente musique des filles, et de l je mÕen vins au gte Aranda de Duero ; le lendemain Borseguillos, puis Buitrago ; et le lundi 8me jÕarrivai Alcovendas, auquel lieu monsieur lÕambassadeur ordinaire dÕEspagne qui tait Mr du Fargis, comte de la Roche Pot, vint me voir et souper avec moi, et Mr le comte de Chateauvillain aussi, puis sÕen retournrent la nuit coucher Madrid.
Le mardi 9me jour de mars je partis dÕAlcovendas lÕaprs-dner pour venir Madrid. Monsieur lÕambassadeur et le comte de Chateauvillain, comme aussi la famille de tous les ambassadeurs, vinrent au-devant de moi. Puis le comte de Baraxas me vint recevoir avec les carrosses du roi, dans lÕun desquels je me mis. Il tait accompagn de beaucoup de noblesse : une trs grande quantit de femmes en carrosse sortirent hors de la ville pour me voir arriver. Je descendis au logis du comte de Baraxas, que lÕon avait somptueusement apprt pour mÕy loger et dfrayer. Je trouvai l le duc de Monteleon, don Fernando Giron, don Carlos Coloma, et quantit dÕautres seigneurs que jÕavais connus en France ou ailleurs, qui mÕy attendaient pour me saluer. Je fus de l saluer la comtesse de Baraxas chez laquelle il tait venu quantit de dames pour lÕaider me recevoir, et aprs je mÕen allai souper en une table de cinquante couverts qui mÕa t tenue tant que jÕai t Madrid. Le duc dÕUcede envoya le soir un des siens pour me saluer de sa part.
Le mercredi 10me madame la princesse dÕEspagne mÕenvoya visiter, et une grande partie des dames du palais, tant vieilles que jeunes, comme dona Maria de Benavides, les comtesses de la Torre et de Castro, Leonor Pimentel, Anna Maria Menrique, Maria dÕAragon, Antonia de Mendossa, et autres. Monsieur lÕambassadeur venait tous les matins dner avec moi afin de mÕaider faire lÕhonneur de la maison. Aprs dner je fus visit par lÕarchevque de Pise, ambassadeur du grand-duc ; Cenamy, ambassadeur de Lucques ; du rsident de Lorraine et de celui de Gnes. Ensuite le duc dÕOssune me vint saluer en apparat extraordinaire : car il tait port en chaise ; il avait une robe la hongroise, fourre de martre, et quantit de pierreries sur lui de grand prix ; plus de vingt carrosses le suivaient, remplis de seigneurs espagnols ses parents et amis, ou des seigneurs napolitains, et lÕentour de sa chaise plus de cinquante capitaines tenientes ou afferes reformados, espagnols ou napolitains. Il mÕembrassa avec grande affection et privaut, me prsenta toute sa suite ; puis, aprs mÕavoir trait trois ou quatre fois dÕExcellence, il me fit souvenir quÕen un souper chez Zamet avec le roi, nous avions fait alliance ensemble et promis que je lÕappellerais mon pre, et lui mon fils, et me pria de continuer de la sorte, comme nous fmes depuis sans nulle crmonie. Il voulut ensuite saluer ceux qui taient venus avec moi, leur parlant toujours franais et disant tant dÕextravagances que je ne mÕtonnai point de la disgrce qui lui arriva peu aprs. En ce mme temps le duc de Pastrane, le comte de Saldaigne, et celui dÕArcos arrivrent, et puis le comte de Benavente, don Baltasar de Suniga, et dÕautres. Le soir le duc dÕEboly, le marquis de Mortare, et Jouan Tomas Cossa me vinrent aussi visiter.
Le jeudi 11me la comtesse de Lemos et la duchesse de Villermose mÕenvoyrent visiter, et aprs dner le comte de Keveniller ambassadeur de lÕempereur me vint saluer, et ensuite celui dÕAngleterre, de Venise, et les rsidents de Parme, dÕUrbin, et de Modne. Ds que je mÕen fus dlivr, les ducs de Penaranda, de Gandia, et de Villermosa me vinrent voir, comme aussi les marquis de Mondejar et de Canette, et don Augustin de Messia, du conseil dÕtat, que jÕavais connu au sige dÕOstende o il faisait la charge de marchal de camp gnral.
Le soir lÕauditeur du nonce, qui faisait les affaires du pape cause que le nonce tait parti dÕEspagne pour aller prendre le chapeau de cardinal, me vint faire les compliments ordinaires et me montra la copie dÕun bref quÕil devait le lendemain donner au roi sur le sujet de la Valteline, qui tait trs pressant et mon opinion plus hardi que je ne lÕeusse espr dÕun nouveau pape un roi dÕEspagne ; car il lui mandait que pour la libert dÕItalie, de laquelle la restitution de la Valteline tait importante et ncessaire, il tait rsolu non seulement dÕy employer les armes spirituelles, mais les temporelles aussi : et ledit auditeur mÕassura ensuite quÕil se joindrait en ma ngociation selon lÕordre quÕil en avait de Sa Saintet qui en faisait son propre affaire ; ce que prcdemment les ambassadeurs dÕAngleterre, de Venise, et Savoie mÕavaient dit de la part de leurs matres, et lÕambassadeur de Florence aussi, mais ce dernier avec plus de retenue et tmoignant plutt le mdiateur que le participant, cause des intrts presque gaux qui le portaient tant du ct de France que de celui dÕEspagne.
Sur le soir don Jouan de Seria, secrtaire dÕtat, me vint visiter de la part du roi, et me dire de plus, aprs plusieurs belles paroles du contentement que le roi avait de ma venue et de la bonne opinion quÕil avait de moi, que jÕaurais audience aussitt que sa sant lui pourrait permettre. Il tait fort vrai quÕil tait malade ; mais chacun croyait quÕil le feignait pour dlayer mon audience et mon expdition. Sa maladie lui commena ds le premier vendredi de carme, lors quÕtant sur des dpches, le jour tant froid, on avait mis un violent brasier au lieu o il tait, dont la rverbration lui donnait si fort au visage que les gouttes de sueur en dgouttaient ; et de son naturel il ne trouvait jamais rien redire, ni ne sÕen plaignait. Le marquis de Pobar, de qui jÕai appris ceci, me dit que voyant comme lÕardeur de ce brasier lÕincommodait, il dit au duc dÕAlve qui tait gentilhomme de la chambre comme lui, quÕil ft retirer ce brasier qui enflammait la joue du roi : mais comme ils sont trs ponctuels en leurs charges, il dit que cela appartenait au sommelier de corps, le duc dÕUcede. Sur cela le marquis de Pobar lÕenvoya chercher en sa chambre ; mais par malheur il tait all voir son btiment, de sorte que le pauvre roi, avant que lÕon et fait venir le duc dÕUcede, fut tellement grill que le lendemain son temprament chaud lui causa une fivre, cette fivre une rsiple, et cette rsiple tantt sÕapaisant, tantt sÕenflammant, dgnra enfin en pourpre qui le tua.
La maladie du roi me donna loisir de recevoir toutes mes visites, et le lendemain vendredi 12me aprs que monsieur lÕambassadeur fut arriv, qui amena le comte de Chateauvillain et don Augustin Fiesque, le duc de Monteleon et don Fernando Giron me vinrent voir pour me donner bonne esprance du succs de lÕaffaire qui mÕamenait en Espagne. Aprs dner jÕeus lÕambassadeur de Savoie, archevque de Tarentaise, et celui de Lucques, puis les marquis de Falses et de Gonsague, les comtes de Medellin, de Selada et dÕArcos, don Francesco de Bargana et don Carlos Coloma.
Le samedi 13me don Augustin Fiesque mÕenvoya un trs beau cheval. Aprs dner lÕambassadeur de Perse me vint visiter, puis le marquis de Pobar.
Le dimanche 14me Mr le duc de lÕInfantado, majordomo major, me vint visiter le matin, fort bien accompagn : les quatre matres dÕhtel du roi marchaient devant lui. CÕtait un vieux seigneur fort honnte homme, et qui me prit en si grande affection quÕil aida infiniment mon affaire et en parla fort haut. Aprs dner don Diego dÕIvarra, Tomas Carachiola, Jouan Tomas Cossa, et plusieurs autres me vinrent voir.
Je ferai en ce lieu une digression pour faire entendre les causes de mon voyage, lÕtat o je trouvai nos affaires en arrivant, et les grces et faveurs particulires que je reus de ce roi.
LÕanne prcdente, 1620, lÕempereur assist des armes dÕEspagne, avait gagn la fameuse bataille de Prague qui releva extraordinairement ses affaires et ruina celles du palatin et des autres princes protestants ligus avec lui. En ce temps-l le duc de Feria tait gouverneur du duch de Milan, homme ambitieux et vain, qui voulait quelque prix que ce ft, brouiller les cartes et faire parler de lui. Il vit que sans grande obstacle il le pouvait faire, puisque les Grisons lui donnaient quelque prtexte dÕempiter la Valteline si importante au roi dÕEspagne pour la conservation de ses tats dÕItalie et affaiblissement des autres potentats dÕicelle : il considrait que les protestants taient chtis, le roi de France occup en ses guerres civiles, et le roi dÕAngleterre amus sur lÕEsprance du mariage de lÕinfante dÕEspagne pour le prince son fils ; il en entreprit donc et excuta la conqute avec la forme et le succs que chacun sait : ce qui alarma les princes dÕItalie, offensa les Suisses, et intressa le roi leur alli en procurer et entreprendre la restitution et rtablissement aux Grisons lgitimes seigneurs dÕicelle ; et pour cet effet mÕenvoya en Espagne son ambassadeur extraordinaire pour la redemander de sa part au roi son beau-pre.
Comme je mÕy tais achemin, Mr du Fargis, ambassadeur ordinaire du roi en Espagne, pratiqua dÕavoir un logis assez beau pour sa demeure par les aposentadores qui sont obligs de loger les ambassadeurs. Ce logis lui fut donc assign ; mais comme il y voulut loger, le matre de la maison montra une exemption quÕil avait du roi et franchise pour son logis, et lÕambassadeur sÕopinitrant de lÕavoir, le matre de la maison porta ses privilges au conseil real qui ordonna quÕils lui seraient conservs : sur quoi monsieur lÕambassadeur qui avait envie dÕavoir ce beau logis, envoya deux valets y porter quelques hardes, et ensuite dit que puisque ses meubles avaient entr dans le logis, que lÕon ne lÕen pouvait dloger, et envoya ensuite tous ses gens et une partie de ceux de lÕambassadeur de Venise pour tenir bon dans cette maison. Le matre de la maison sÕalla plaindre au conseil real, qui ordonna que lÕon fit sortir les hardes et les valets de lÕambassadeur de ce logis et que lÕon y envoyt les alguazils : et parce que lÕon ne se ft jamais dout que lÕambassadeur dt faire rbellion justice (ce qui est inou en ce pays l), deux alguazils y furent seulement envoys ; mais ils y furent tus, et leurs vares (qui sont des baguettes blanches, marques de leur pouvoir), furent par drision pendues aux balcons du logis. Sur cela le peuple accourt en armes et plus de deux mille personnes investirent le logis et lÕambassadeur qui y tait entr par une porte de derrire. Par fortune un alcalde de corte (qui est comme le grand prvt en France), nomm don Sebtian de Caravaxal, honnte homme et qui nÕallumait pas le feu, y arriva, fit retirer le peuple de devant ce logis, fit sortir la famille de ces ambassadeurs de dedans et prit dans son carrosse Mr du Fargis quÕil ramena au sien sans quÕil lui ft mfait.
Mr du Fargis qui avait fait ce dsordre, fut par finesse le premier se plaindre, et demanda le lendemain audience, et en icelle, justice de lÕexcs que contre le droit des gens on avait commis contre lui, et le roi lui promit de la faire, et donna une commission cet effet. Mais quand il eut su ce qui sÕtait pass, il ordonna que sans toucher la personne des ambassadeurs de France et de Venise, on mit prisonniers tous ceux que lÕon pourrait attraper de leurs familles hors de leurs prsences : ce qui fut excut, et peu chapprent qui ne fussent pris. LÕambassadeur mme ne se sentant pas assur de la furie du peuple, se retira de la ville et dpcha au roi pour lÕavertir de lÕtat o il tait, me manda aussi de retarder mon arrive ; mais je ne le voulus faire, et mÕtant achemin Madrid, ayant prcdemment crit au duc de Monteleon et don Fernando Giron pour les prier dÕaccommoder cette affaire, ils en parlrent au roi qui leur commanda de me mander que je vinsse la bonne heure, et que jÕaurais de lui toute satisfaction, comme vritablement je reus de lui ; car le jour de mon entre Madrid il fit largir non seulement les serviteurs de ces deux ambassadeurs en ma faveur, mais encore les autres Franais qui lÕtaient pour autres sujets.
Il me fit une autre grce de me faire donner une bulle par le patriarche des Indes (qui est comme un lgat la cour), pour manger de la chair en carme, moi et cent autres avec moi. Et de plus, ce qui ne sÕtait jamais vu en Espagne, pour me divertir, il permit que lÕon jout chez moi des comdies, mmes les dfraya : ce qui fit que les seigneurs et dames, qui en tout temps sont passionns pour la comdie, le furent dÕautant plus que cÕtait en un temps inusit, et que les deux bandes des comdiens du roi sÕtaient jointes ensemble pour rendre la comdie plus complte. Aussi leur donnais-je, outre les trois cents raux que le roi leur payait de chaque comdie, mille raux extraordinairement ; et je faisais apporter durant la comdie quantit de confitures et dÕaloxa aux dames qui y venaient, qui taient de deux sortes : celles qui sÕy faisaient prier par la comtesse de Baraxas, lesquelles se tenaient sur le haut dais et avaient le visage dcouvert ; les autres sur les marches du haut dais et dans la salle, mais tapades et couvertes de leur mante. Les hommes aussi y venaient, les uns couverts, les autres ouvertement : tous les ambassadeurs sÕy faisaient prier par moi dÕy venir.
Ce jour dimanche 14me la premire comdie se joua dans une grande galerie de mon logis, fort orne et illumine, et sÕy trouva trs grande quantit de dames et de seigneurs ; aprs laquelle je donnai souper en particulier, que jÕavais fait apprter la franaise par mes gens, sept ou huit grands dÕEspagne ou seigneurs principaux.
Le lundi 15me le marquis de Renty et les comtes de Palme et de Castrilla me vinrent visiter. Puis don Jouan de Seria me fut dire de la part du roi que son mal lui continuait un peu vhment, ce qui le retarderait quelques jours de me donner audience ; nanmoins parce quÕil courait un bruit que la maladie de Sa Majest tait feinte et dessein de retarder lÕexpdition pour laquelle jÕtais venu le trouver, afin de faire voir comme ce bruit tait faux, quÕil me ferait donner des commissaires pour traiter incessament avec moi : ce que jÕacceptai de bon cĻur, et remerciai trs humblement le roi de la grce quÕil me faisait sur ce sujet.
Le soir il y eut une comdie en mon logis.
Le lendemain mardi 16me don Jouan de Seria me revint trouver de la part du roi pour me dire que Sa Majest mÕavait donn pour commissaires Mrs le comte de Benavente, don Baltasar de Suniga, un rgent du conseil dÕItalie, et lui Jouan de Seria, afin que sans intermission on traitt de mon affaire, et que pour cet effet il tait besoin que je lui misse en main ma lettre de crance du roi au roi catholique, sur laquelle on commencerait traiter.
Ce mme jour messieurs les ambassadeurs dÕAngleterre et de Venise me vinrent voir, comme aussi le duc dÕOssune.
Le mercredi 17me don Baltasar de Suniga me vint voir tant en son nom que de mes autres commissaires ses compagnons, pour me saluer de leur part et me dire quÕils avaient ordre du roi de me venir trouver, et de traiter et conclure avec moi des choses concernant ma lgation ; dont je le remerciai le mieux que je pus. Il me proposa ensuite dÕadmettre en nos confrences le seigneur Julian de Mdicis archevque de Pise, ambassadeur du grand-duc, lequel tant galement apparent, oblig, et port pour les deux couronnes, servirait de mdiateur pour nous faire convenir, et de rajusteur si en la ngociation il y arrivait quelque disconvenance et rupture : ce que jÕaccordai volontiers, tant pour ne dsobliger monsieur le grand-duc, que parce quÕil nous pouvait servir et ne nous pouvait nuire, vu que jÕtais fort rsolu de nÕoutrepasser les termes de mon instruction.
Le mme don Baltasar me notifia ensuite la mort de monsieur le grand duc beau-frre du roi catholique et mÕen ordonna le deuil.
Ce mme jour les marquis de Zara, dÕOgnion et de Montesclaros me vinrent visiter, comme aussi le comte de Monterey, don Diego dÕIvarra, et don Carlos Coloma. JÕeus le soir la comdie, donnai souper quelques seigneurs, puis allmes voir des dames.
Le jeudi 18me bien que je nÕeusse encore fait aucune visite, nÕayant point eu ma premire audience, je crus nanmoins quÕil tait propos dÕaller visiter mes commissaires : ce que je fis afin de mÕinsinuer en leurs bonnes grces, leur dire toujours quelque chose de mon affaire tant pour les instruire que pour les prparer, ensemble pour leur lever les doutes, et impressions quÕils auraient mal prises, et finalement pour avoir sujet de faire ma premire dpche au roi, qui jÕcrivis le soir mme. Je fus mon retour visit du duc de Monteleon et de don Fernando Giron. Le soir jÕeus la comdie chez moi.
Le vendredi 19me don Jouan de Seria me vint dire de la part du roi que sa sant tant meilleure, il se rsolvait de me donner audience publique le dimanche suivant, et quÕensuite lÕon mettrait mon affaire sur le tapis avec les mmes commissaires quÕil mÕavait dj nomms, pour la rsoudre et conclure sans intermission. Je fus aprs dner faire mes stations las Cruces.
Le samedi 20me je donnai dner lÕambassadeur de lÕempereur et celui de Lucques. Aprs dner les ducs dÕOssune, de Gandia, de Villermosa, et de Monteleon me vinrent voir : puis jÕallai Nostra Senora de Attoch ; et le soir il y eut chez moi comdie.
Le dimanche 21me de mars je me prparai pour aller ma premire audience ainsi que le roi me lÕavait fait savoir, comme aussi le duc de Gandia mÕavait dit le jour prcdent quÕil avait ordre de mÕy conduire. Mais sur les onze heures du matin, comme le roi sÕtait habill pour cet effet, en se voulant mettre table il eut un grand vanouissement qui le contraignit de se remettre au lit et de me mander par le comte de Baraxas quÕil lui tait du tout impossible de me voir ce jour-l.
Je fus visit lÕaprs-dner par don Fernando Giron, par le marquis dÕAyetona et par don Diego dÕIvarra. Je fus sur le soir au Prado, et mon retour je donnai la comdie aux dames et seigneurs.
Le lundi 22me le comte de Benavente se trouva mal, ce qui lÕempcha de venir chez moi confrer, et nÕy eut que don Baltasar de Suniga, le rgent Caimo et don Jouan de Seria, qui amenrent aussi Mr lÕarchevque de Pise pour entremetteur ainsi quÕil avait t convenu. Nous confrmes plus de trois heures ensemble sans toutefois nous approcher de la conclusion, chacun se tenant sur la sienne. Enfin nous nous sparmes, et monsieur lÕambassadeur et moi fmes notre dpche au roi lÕaprs-dner.
LÕon nous manda le soir que le roi se trouvait un petit mieux, ce qui nous permit de faire encore cette fois jouer la comdie.
Le mardi 23me le roi eut un grand redoublement sa fivre et on commena dÕen apprhender le succs. Il eut plusieurs vomissements avec un flux de ventre, accompagns dÕune grande mlancolie que lui causait une opinion quÕil avait de mourir : ce qui fut cause que messieurs les commissaires sÕexcusrent de me venir trouver.
Je fus voir le matin le comte de Benavente qui sÕexcusa sur sa maladie de ne pouvoir assister le lendemain notre confrence. Je vis aussi don Baltasar de Suniga qui prit heure avec moi pour le lendemain matin, de venir avec les autres commissaires pour continuer le trait ; ce quÕils firent le mercredi 24me avec monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi : puis ensuite je fus voir lÕauditeur du nonce et les ambassadeurs de Venise et de Savoie pour leur donner part de tout ce qui sÕtait pass en cette dernire confrence ; puis ensuite jÕallai visiter lÕambassadeur de Florence.
Le 25me la maladie du roi continua plus violemment quÕelle nÕavait encore fait. Je fus voir lÕambassadeur de lÕempereur.
Le vendredi 26me le roi eut un trs fcheux redoublement, ce qui fit supersder toute notre ngociation. Monsieur lÕambassadeur ordinaire me fit festin. Puis aprs jÕallai faire mes stations las Cruces.
Le samedi 27me le roi dit ses mdecins quÕils nÕentendaient rien en son mal, et quÕil sentait bien quÕil se mourait : aussi eut-il de trs mauvais accidents. Il commanda que lÕon ft des processions et prires publiques pour lui.
Ce mme jour le comte de Salasar mourut.
Le dimanche 28me on fit une solennelle procession pour porter lÕimage de Nostra Senora dÕAttoch aux Filles Descalsas. Tous les conseils y assistrent avec grand nombre de pnitents qui se fouettrent cruellement pour la sant du roi. On porta aussi le corps du beato Isidre au palais dans la chambre du roi, et on mit le Sacrement sur les autels des glises de Madrid.
Le lundi 29me quatre heures du soir, il parut au roi des ulcres sur le ventre, aux reins et aux cuisses, et les mdecins lui ayant tt le pouls, dsesprrent de sa vie : sur quoi il envoya qurir le prsident de Castille et son confesseur Alliaga et parla longtemps eux et au duc dÕUcede, qui envoyrent ensuite qurir les autres conseillers dÕtat et les prsidents des conseils, en prsence desquels il signa son testament, puis envoya qurir le prince et lÕinfant don Carlos, auxquels il donna sa bndiction, pria le prince de se servir de ses vieux serviteurs entre lesquels il lui recommanda le duc dÕUcede, son confesseur, et don Bernabe de Vinanco, puis fit entrer lÕinfante Marie et lÕinfant cardinal, qui il donna aussi sa bndiction. Madame la princesse nÕy put venir pour un vanouissement quÕelle eut comme elle entrait chez le roi. Il partagea ensuite ses reliques, puis se communia.
Le mardi 30me deux heures du matin on donna lÕextrme onction au roi, et fit recommander son me. Il signa ensuite grande quantit de papiers. Sur le midi il fit mettre contre son lit le corps de Saint-Isidre et voua de lui faire btir une chapelle. Il envoya qurir le cardinal duc de Lerma Valladolid. Le conseil dÕtat se tint deux fois ce jour-l. Sur le soir son mal redoubla avec violence et il languit toute la nuit.
Le mercredi 31me et dernier jour de mars, sur les neuf heures du matin, il rendit lÕme. On lÕenvoya signifier sur le midi aux ambassadeurs, et donner aussi permission dÕenvoyer cinq heures du soir des courriers pour en donner avis nos matres.
La reine sentit ce jour l bouger son enfant. Elle sÕen alla avec lÕinfante Marie et le cardinal aux Descalsas loger, et le nouveau roi partit dans un carrosse ferm pour aller Saint-Geronimo. Il rencontra par les chemins le corps de Notre-Seigneur que lÕon portait un malade, et selon la coutume ancienne de ceux dÕAutriche, il voulut descendre pour lÕaccompagner. Le comte dÕOlivares lui dit : Ē Advierta V. M.d que anda tapado Č, auquel il rpondit : Ē No ai que taparse delante de Dios Č [Ē Il n'y a pas se couvrir le visage en face de Dieu. Č], et descendit lÕaccompagner ; ce qui fut pris Madrid trs bonne augure.
Le nouveau roi envoya ce mme jour chasser du conseil real les oydores [auditeurs] Tapia et Benal, mal fams.
Avril. Ń Le jeudi premier jour dÕavril on mit le corps du roi dans la salle du palais, la face dcouverte, o tous les ambassadeurs lui vinrent jeter de lÕeau bnite.
Ce jour-l le secrtaire Contreras vint dire au jeune roi que le duc de Lerma sÕacheminait pour venir Madrid selon lÕordre quÕil en avait eu du roi son pre, dont le roi se fcha, et envoya don Alonso Cabrera pour le faire retourner Valladolid, et lÕalcade don Louis Paredes pour le mener prisonnier en un chteau, en cas quÕil en ft refus. On chassa aussi le secrtaire de camera, nomm Tomas dÕAngudo, et on mit ses papiers s mains du secrtaire Contreras. On ta aussi don Jouan de Seria les papiers des consultes que lÕon donna Antonio Darostichi. Le roi dclara gentilshommes de sa chambre ceux qui avaient servi le roi son pre en cette qualit, remettant nanmoins de les faire servir un autre temps. Il ta le plat [la table] au patriarche des Indes et don Bernabe de Vinanco.
Le vendredi 2me on donna la charge de camerera major de la reine la duchesse de Gandia que monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi allmes aussitt voir et saluer. Elle alla baiser la main au roi pour cette merced cinq heures du soir, conduite par le comte de Benavente et accompagne dÕautres grands et seigneurs et de dames aussi.
Environ cette mme heure on tira du palais le corps du feu roi pour le mener lÕEscurial au tombeau de ses pres. Je fus le voir passer sur la Puente Segoviana avec quasi tous les grands de Madrid et les dames. Ce fut un assez chtif convoi mon avis pour un si grand roi. Il y avait quelque cent ou six-vingt moines jeronimistes avec leurs surplis, monts sur de belles mules, qui allaient deux deux suivant le premier qui portait la croix, puis quelque trente gardes mens par les marquis de Pobar et de Falsas : puis suivait la maison du roi, les matres dÕhtel les derniers avant le duc de lÕInfantado, grand matre, qui marchait devant le corps qui tait port sur un brancard par deux mules couvertes comme le brancard de drap dÕor jusques aux sangles seulement : aprs cela marchaient les gentilshommes de la chambre et quelque vingt archers de la garde bourguignonne qui marchaient les derniers. Ils allrent coucher Pinto, et le lendemain arrivrent lÕEscurial dÕassez bonne heure pour lui faire dire un service, et puis la compagnie sÕen retourna.
Le duc dÕOssune tait sur le pont comme les autres, voir passer le corps du roi, et sÕtant arrt contre un carrosse o taient des gentilshommes qui taient venus en Espagne avec moi, il leur demanda sÕils ne savaient point quand jÕaurais audience. Mr de Rotelin et Mr le marquis de Bussy dÕAmboise lui rpondirent que lÕon mÕavait fait dire que ce serait pour le dimanche prochain. Il leur dit : Ē Je mÕen rjouis ; car jÕai assurance dÕavoir la premire aprs, en laquelle je veux dire au roi quÕil y a maintenant trois grands princes qui gouvernent le monde, dont lÕun a seize ans, lÕautre dix-sept, et lÕautre dix-huit, qui sont lui, le Grand Turc, et le roi de France, et que celui dÕeux trois qui aura la meilleure pe et sera le plus brave, doit tre mon matre. Č Ces paroles-l qui furent redites par un qui tait en son carrosse, que lÕon avait commis pour pier ses discours et ses actions, avec sa vie prcdente, et une lettre quÕil crivit au duc de Lerma, furent cause de le faire mettre en la prison o il a fini ses jours.
Ce mme soir le roi donna la charge dÕaposentador major don Louis Vanegas, vacante par la mort de son pre.
Le samedi 3me le roi donna une commanderie, vacante par la mort du comte de Salasar, au comte de Cabrilla, et le titre de comte de Anober don Rodrigo Lasso neveu de celui qui tait mort en Flandres peu de jours auparavant.
Monsieur lÕambassadeur et moi fmes voir don Baltasar de Suniga qui gouvernait les affaires depuis ce nouveau rgne.
Le dimanche 4me on mÕamena vingt carrosses dans lesquels nous nous mmes monsieur lÕambassadeur et moi et toute notre suite, conduits seulement par le comte de Baraxas cause que ce nÕtait point une audience solennelle, mais prive, dans Saint-Geronimo o le roi tait retir et mÕy admettait par grce et pour honorer le roi son beau-frre et lui montrer la promptitude avec laquelle il me voulait dpcher. Nous portions tous le deuil lÕespagnole avec la lova, la caperutza et le capirote, ce que je fis pour deux raisons : lÕune, parce que tous les grands de lÕaudience et le roi-mme la portant, jÕeusse t dcouvert, et eux non, ce qui ne mÕet t biensant ; lÕautre, que jÕen tais cause de cela trs agrable aux Espagnols, et que je tmoignais porter le grand deuil de la mort du feu roi, ce qui nÕet pas paru ainsi, si jÕeusse t habill notre mode. Je fis donc la rvrence au roi et lui fis le pesame, qui est le tmoignage du dplaisir de la mort du roi son pre, puis lui donnmes le parabien, qui est la conjouissance de son heureux avnement ses couronnes ; ce nous lui dmes aussi par prcaution de la part du roi en attendant quÕil envoyt faire ce compliment par quelque prince ou grand seigneur exprs : puis ensuite je lui parlai de nos affaires ; toutes lesquelles choses il me rpondit fort pertinemment. Aprs cela jÕallai faire la rvrence au prince don Carlos qui tait prs de lui, et puis me retirai. JÕallai de l rendre mes visites au duc de lÕInfantado et au duc dÕOssune.
Le lundi 5me jÕeus ma premire audience de la reine. Puis jÕallai faire la rvrence lÕinfante Marie et lÕinfant cardinal. Finalement je fus voir lÕinfante descalse, grand tante du roi.
Ce mme jour le conseil dÕtat sÕassembla sur le sujet de mon expdition, et don Baltasar eut charge de mÕen parler ; et cette raison il mÕcrivit, me priant de venir le lendemain our messe Saint-Geronimo, et quÕaprs, si je voulais, nous nous promnerions une heure dans les clotres : ce que je mandai monsieur lÕambassadeur ordinaire qui me vint trouver le lendemain matin mardi 6me, et aprs la messe je trouvai dans les clotres don Baltasar qui nous y attendait. Il me dit quÕil me priait de lÕexcuser sÕil ne continuait dÕtre un des commissaires pour traiter avec moi ; que la charge gnrale des affaires dÕEspagne, quÕil avait lors, lÕen dispensait lgitimement, principalement en cette saison o il en tait accabl ; mais quÕil me servirait mieux et mon expdition que sÕil tait mon commissaire, et quÕil mÕen donnait cette foi et parole dÕancien ami que nous tions ensemble de si longue main. Il me dit de plus que le comte de Benavente tait oncle du duc de Feria et par consquent port la manutention de la Valteline par les intrts de son neveu, ce qui le mettait en peine, et quÕil tramait de nous lÕter pour commissaire et nous en donner un autre qui nous fut agrable ; et sur cela mÕen nomma trois ou quatre dont il me laissa le choix pour me tmoigner comme il voulait, me disait il, lÕaccomplissement de notre Ļuvre et non la destruction. Je lui rendis mille grces de sa bonne volont et puis lui dis que puisquÕil mÕoffrait si franchement son assistance et son aide, que je lui demandais encore son conseil, et quÕil choist pour commissaire celui quÕil penserait nous tre plus propre. Il me dit que puisque je me fiais en lui, quÕil ne tromperait point ma franchise ni ma confidence, et quÕil me conseillait de me contenter des deux qui me restaient, assavoir le rgent Caimo et don Jouan de Seria, qui taient bonnes gens, faciles, et dpendants de lui, desquels il mÕassurait ; quÕil me priait aussi que de mon ct jÕapportasse lÕesprit de paix et dÕaccommodement, comme je voyais que du leur ils taient bien intentionns, ce que je lui promis. Il me dit ensuite quÕtant si avancs dans la semaine sainte, il nÕy avait aucune apparence de sÕassembler devant Pques, mais quÕincontinent aprs nous ngocierions sans intermission : quoi je fus contraint dÕacquiescer, ne pouvant faire autrement.
Je fus lÕaprs-dner rendre mes visites quelques grands et des ambassadeurs.
Le mercredi 7me dÕavril le conseil dÕtat se tint du matin, auquel assistrent le comte de Benavente, don Augustin Messia et don Baltasar de Suniga ; et puis sur le midi don Augustin Messia entra au logis du duc dÕUcede pour le voir, et tt aprs le marquis de Pobar y arriva avec quarante archers de la garde, qui le firent prisonnier de par le roi, et lÕayant mis en un carrosse lÕemmenrent en une maison fossoye, qui appartient au comte de Baraxas proche de Madrid, nomme lÕAlameda, et lui laissrent ces archers avec don Carlos Coloma pour le garder troitement.
Aprs dner je fus en une maison de la Calle Major, que lÕon mÕavait prpare pour voir passer la procession de las Cruces, qui est certes trs belle. Il y avait plus de cinq cents pnitents qui tranaient de grosses croix, pieds nus, la ressemblance de celle de Notre Seigneur, et de vingt en vingt croix il y avait sur des thtres portatifs les reprsentations diverses, au naturel, de la passion. Nous les regardions dÕun balcon o il y avait deux chaises pour monsieur lÕambassadeur ordinaire et pour moi : et parce que lÕambassadeur de Lucques, le prince dÕEboli, et le comte de Chateauvillain taient venus avec nous, je ne me voulus mettre en ces chaires pour les laisser debout, et dis monsieur lÕambassadeur ordinaire quÕil reprsentt nos deux personnes, et que pour moi, je mÕirais mettre avec des femmes qui taient assises bas au bout du balcon, et leur vins demander place parmi elles et un petit tabouret mÕy asseoir. Elles taient fort honntes femmes et qui tinrent honneur de mÕavoir parmi elles : et la fortune voulut que je me rencontrai auprs de dona Anna de Sanasare que jÕavais vue Naples vingt et cinq ans auparavant, et nous tions bien aims. Elle jugeait bien encore quÕelle mÕavait vu quelque part, mais ne pouvait sÕimaginer o : moi aussi avais bien quelque reconnaissance incertaine de son visage, mais nous tions tous deux tellement changs quÕil tait bien difficile de nous reconnatre. Enfin nous nous connmes avec grande joie de lÕun et de lÕautre ; et elle depuis mÕenvoya divers prsents et me reut plusieurs fois chez elle avec collations et compagnies. Elle avait pous un fort riche homme secrtaire du conseil de hacienda [des finances], auquel elle avait apport cent mille cus en mariage.
Le jeudi 8me on fit le comte dÕOgnion matre dÕhtel du roi pour servir lÕinfante descalse.
On mit en prison les deux secrtaires du duc dÕOssune et son trsorier.
On fit lÕaprs-dner la grande procession des pnitents, o il y eut plus de deux mille hommes qui se fouettrent. JÕous tnbres Nuestra Senora de Constantinopoli : puis toute la nuit se passa visiter les glises pour voir los monumentos de Nuestro Senor. JÕapprouvai fort quÕavec les cloches qui cessent, les carrosses cessent dÕaller par la ville : on ne va plus cheval, ni les dames en chaises : on ne porte plus dÕpe, et aucun ne sÕaccompagne de sa livre : toutes les femmes vont couvertes, et pas plus que deux deux. Il se fait aussi cette nuit-l beaucoup de dsordres par la ville que je nÕapprouve pas.
Le vendredi-saint, 9me, les pnitents continurent dÕaller par la ville.
On chassa ce jour l un rgent du conseil dÕItalie, nomm Quintana Duena marques de la Floresta, dudit conseil, pour quelques paroles peu respectueuses quÕil avait dites au comte de Benavente prsident dudit conseil.
Le samedi Saint-je fis mes pques.
On donna avis au roi que quelques gens sans emploi voulaient sauver le duc dÕOssune, ce qui fut cause que lÕon redoubla ses gardes et que lÕon mit prisonniers plus de deux cents hommes Madrid qui taient sans condition autre que de valentones [bravaches].
Le dimanche 11me, jour de Pques, le roi envoya offrir au duc de lÕInfantado la charge de cavallerisso major ; mais parce que le roi lÕavait te au comte de Saldaigne son beau-fils, il la refusa.
Le lundi 12me je fus aux Descalsas, o la reine sÕtait retire depuis la mort du roi son beau-pre : je lui donnai les bonnes ftes. Elle me dit ensuite que les dames du palais dsiraient fort de me parler, et que je devrais, pour leur satisfaire, demander lougar. Je lui rpondis que sÕil me fallait parler elles une une, que jÕy emploierais plus de temps quÕ faire le trait que jÕavais entrepris, et que je lui demandais en grce de les pouvoir entretenir en foule, et que je tcherais de mÕen bien dmler. Elle me rpondit que ce nÕtait pas la forme, quoi je lui rpliquai que Leurs Majests, quand ils accordaient des grces, cÕtait contre les formes, et quÕaux choses selon les formes on nÕa que faire des grces du roi ni dÕelle. Elle se sourit et me dit quÕelle me la voudrait bien faire, mais quÕelle nÕoserait sans en parler au roi, ce quÕelle ferait et mÕen rendrait rponse.
On dclara au comte de Saldaigne quÕil nÕtait plus cavallerisso major, et que le roi lui commandait dÕaller servir en Flandres o il lui serait donn cinq cents cus par mois dÕentretenement, comme sÕil tait grand dÕEspagne. Le roi fit couvrir comme tel ce jour-l le comte dÕOlivares et lui donna pour les fils ans de sa maison le titre de comte de Castillejo.
Ce jour-l nous nous assemblmes pour nos affaires, le rgent Caimo, don Jouan de Seria, lÕarchevque de Pise, monsieur lÕambassadeur ordinaire, et moi, en mon logis, o nous ne traitmes que les choses gnrales.
Je fus le soir chez dona Maria de Pena-Teran.
Le mardi 13me on tint conseil dÕtat, et moi je continuai de rendre mes visites.
Le mercredi 14me une dame du palais, nomme dona Mariana de Cordua, prsenta au roi une promesse de mariage que le comte de Saldaigne lui avait faite, et le roi commanda audit comte de se prparer pour lÕaccomplir, ce que ledit comte promit de faire au premier jour aprs lÕoctave ; et le duc de lÕInfantado son beau-pre qui jusques alors avait refus la charge de cavallerisso major, lÕaccepta.
Le patriarche des Indes prta le serment pour ses charges qui lui furent continues. On donna au marquis de Renty celle de capitaine de la garde allemande, et on continua au marquis de Pobar celle de la garde espagnole.
Je continuai mes visites.
Le jeudi 15me le roi dclara que suivant la clause du testament du feu roi (par laquelle il rvoquait les dons immenses quÕil avait faits), il tait au duc de Lerma quatorze cents mille cus dont son pre lui avait fait don sur los tratos de Cicilia. Ainsi ce pauvre seigneur qui avait si bien gouvern lÕEspagne par un si long temps et possd avec raison une trs longue faveur, se vit sur la fin de ses jours, en une seule heure, priv de tous ses biens qui furent pour cette somme en mme temps saisis par les officiers du roi.
Le vendredi 16me je reus une dpche du roi, par laquelle il me commettait la charge de condolance sur la mort du feu roi celui lors rgnant. JÕen donnai en mme temps avis au conseil dÕtat par un mmorial que jÕenvoyai don Baltasar de Suniga ; lequel conseil dsira que je tinsse cela secret jusques aprs lÕexpdition de lÕaffaire qui mÕamenait et quÕensuite je prendrais cong du roi, mme je mÕen irais jusques Burgos pour mÕen retourner, et ensuite que jÕenverrais un courrier pour dire quÕayant eu nouvelle commission du roi, je mÕen revenais faire cette condolance.
Le samedi 17me nous nous assemblmes avec nos commissaires pour avancer notre affaire et y vis quelque jour, dont je donnai avis au roi le jour mme par courrier exprs. Et parce que notre reine mÕavait pressamment recommand tout ce qui concernerait le duc de Lerma, et que la comtesse de Lemos, sa sĻur, et ses autres amis taient au dsespoir du mariage du comte de Saldaigne et me priaient dÕaider le rompre par tous les moyens que je pourrais inventer, je le fus trouver Saint-Geronimo o il avait une chambre et feignait dÕtre malade, et moi de lui rendre sa visite ; et aprs les rciproques compliments je lui dis que je ne savais si je lui devais donner le parabien ou le pesame de son futur mariage parce quÕencore que ce lui en ft un grand contentement, nanmoins quÕun galant de la cour comme lui nÕtait pas sans dplaisir de quitter une si douce vie quÕil menait prcdemment pour en prendre une retire, pleine de peine et de soucis, comme tait celle du mariage. Il me rpondit quÕil fallait obir au matre qui commandait dÕaccomplir ce que lÕon avait promis la matresse ; que cÕtait vritablement une dure condition quÕil mettait sur ses paules, mais que le mal tait lors sans remde. Il me sembla par son discours que le bt lui blessait et quÕil et bien voulu trouver du soulagement ; ce qui mÕobligea de lui dire quÕil y avait plus de remdes quÕil ne pensait, sÕil avait envie de gurir, et que lÕordre exprs que jÕavais de la reine infante dÕassister en ce que je pourrais monsieur le duc cardinal son pre, comme sa propre personne, mÕobligeait dans le sensible dplaisir que lui et toute sa maison avait de son forc mariage, de lui offrir en cette occasion mon aide et assistance pour lÕen tirer sÕil le dsirait. Il me rpondit lors : Ē Et quel aide et assistance me pouvez-vous apporter, puisque moi-mme ni mes parents nÕen sont pas capables ? Č Alors je lui dis que sÕil me voulait croire et se fier en moi, je le tirerais de cette peine avec son honneur et gloire ; que le duc dÕAlve grand pre de celui-ci avait mieux aim encourir le crime de rbellion, tirant son fils don Fadrique de Toledo, en pleine paix, coups de ptard dÕun chteau o on lÕavait mis pour le forcer dÕpouser contre sa volont une fille du palais qui vit encore et est la vieille marquise del Valle, que de le laisser marier une trs riche fille et dÕgale maison la sienne ; et que moi-mme avais plaid huit annes contre une grande maison qui me menaait dÕune mort infaillible en cas que je nÕpousasse une fille de la reine qui jÕavais fait un enfant et une promesse pour lui servir de couverture ; quÕen cas que son honneur et celui de sa maison lui fussent aussi chers que je le croyais, quÕil devait sans regret quitter pour un temps la cour dÕEspagne en laquelle il tait dfavoris, lui ayant t te la charge de cavallerisso major, et ses parents et amis discrdits et perscuts ; que le remde que je lui offrais tait de partir lÕentre de la nuit en poste, et sÕen aller mÕattendre Bayonne o je le suivrais dans un mois au plus tard ; que Mr le comte de Gramont le divertirait en attendant de telle sorte que ce sjour ne lui serait point dsagrable ; que sÕil nÕavait pour le prsent lÕargent pour y porter, quÕil lui tait ncessaire, que je lui fournirais mille pistoles pour son dfrai jusques mon arrive, et que je lui rpondais quÕen arrivant la cour de France, la reine lui ferait donner, jusques ce que, par son moyen, sa paix fut faite par de, mille cus par mois ; et quÕen cas quÕelle ne le ft, je le ferais du mien, et lui en donnais parole de cavallero. Il me rendit infinies grces tant pour la reine que pour moi, puis me dit : Ē Quel moyen de sortir dÕEspagne sans tre retenu ? Et si je lÕtais, on me ferait trancher la tte infailliblement. Č Je lui repartis que je ne proposais jamais ceux que je voulais servir des choses impossibles, et que je prenais sur moi sa sortie, sa conduite et sa conservation ; que lÕon mÕavait donn un passeport pour un gentilhomme que je dpchais le jour mme au roi, qui courait trois chevaux ; quÕil lui servirait de valet jusques Bayonne, encore que ce gentilhomme dt tre le sien, par les chemins ; quÕil ne partirait quÕ une heure de nuit en laquelle il fallait quÕil se rendt chez moi sans quÕil ft aperu, et quÕil me laisst le soin du reste. Il me dit quÕil se rsoudrait cela et mÕen aurait toute sa vie une sensible obligation ; quÕil voulait parler seulement auparavant deux de ses amis, et quÕil me priait que je tinsse toutes choses prtes lÕheure que je lui donnais. Je le quittai sur cela et mÕen vins achever ma dpche. Je mis mille pistoles en deux bourses et destinai un des miens nomm le Manny, mon cuyer, pour faire le voyage avec lui, lequel jÕinstruisis de ce quÕil avait faire. Mais comme lÕheure fut venue, le comte de Saldaigne saigna du nez et mÕenvoya dire quÕil ne pouvait parachever ce que nous avions rsolu ensemble, pour des raisons quÕil me dirait ds quÕil aurait le bien de me voir. Je ne sais si ses amis qui il parla lÕen dtournrent, sÕil nÕeut pas la rsolution de lÕentreprendre, ou si lÕamour quÕil avait pour cette fille le fit rsoudre lÕpouser.
Je fus voir avant sortir de Saint-Geronimo le comte dÕOlivares et don Baltasar de Suniga auxquels aprs avoir dit le bon acheminement que je voyais en nos affaires, je les priai de moyenner que plusieurs obstacles qui sÕy prsentaient encore fussent levs, ce quÕils me promirent.
Le roi fit ce mme jour majordomo major de la reine le comte de Benavente, et en dpossda le duc dÕUcede. Il fit du conseil de guerre le comte de Gondomar, absent, fit don Augustin de Messia gentilhomme de sa chambre, et le soir il fit le comte dÕOlivares sommelier de corps.
Le dimanche 18me lÕambassadeur de lÕempereur me fit festin.
On publia une jonte (ou congrgation) qui avait quelques jours auparavant t rsolue pour remdier aux dsordres de la cour et de Madrid, et principalement pour bannir les amancebades [courtisanes]. Les commissaires de cette jonte furent le docteur Villegas gouverneur de lÕarchevch de Tolede, le prieur de lÕEscurial, le marquis de Malpica, le comte de Medellin, don Alonso Cabrera, et le confesseur du roi.
JÕallai ce mme jour voir lÕinfante descalse qui me voyait volontiers cause que je lui parlais en allemand qui tait sa langue maternelle. Je fus de l chez la reine qui y tait loge, laquelle me dit que le roi trouvait bon que je parlasse aux dames du palais sans demander ni prendre lougar et en foule, et seule seule, dont je rendis trs humbles grces au roi, et elle : et ds le lendemain lundi 19me jÕemployai la permission que jÕen avais et envoyai demander audience cinq dames du palais qui vinrent lÕantichambre o on nous donna des siges. Il y avait seulement une vieille duena avec elles. La marquise de Linojosa qui venait la cour, me trouva en cet tat, ce quÕelle trouva fort nouveau et inaccoutum, et se mit de la partie, et fmes plus de deux heures en conversation, aprs laquelle je fus dner chez lÕambassadeur de Venise qui fit ce jour-l festin tous les ambassadeurs, et puis je mÕen revins chez moi ou mes commissaires se trouvrent pour confrer de nos affaires.
Le mardi 20me je fus voir lÕinquisiteur gnral Alliaga, confesseur du feu roi : puis je vins dner chez monsieur lÕambassadeur ordinaire, qui traita ceux qui le jour prcdent avaient t chez lÕambassadeur de Venise.
Aprs dner nous nous assemblmes derechef avec nos commissaires, et demeurmes presque dÕaccord de toutes choses.
Ce jour-l il fut rsolu au conseil dÕtat que la trve de Hollande ne serait plus prolonge.
Le marquis de Velada et le comte de Villamediana revinrent de leurs bannissements.
Le mercredi 21me le roi vint dans un carrosse ferm le matin aux Descalsas, o se fit le mariage du comte de Saldaigne et de dona Mariana de Cordua. Le roi mena le mari, et la reine la marie, la messe ; et puis les ayant ramens en mme crmonie jusques la porte de lÕantichambre de la reine, o le roi entra, on les mena, mari et marie, sans dner, dans un carrosse hors de la ville, desterrados [bannis], et le duc de Pastrana leur ayant prt sa maison de Pastrana huit lieues de Madrid, pour y demeurer, ils y allrent coucher.
Le jeudi 22me le duc dÕEboli me fit un fort joli festin.
On ta ce jour l aux moines de lÕEscurial une terre que le feu roi leur avait donne, nomme Campillo, qui vaut dix-huit mille cus de rente, et ce en vertu de la clause de son testament par laquelle il rvoquait les dons immenses quÕil avait faits durant sa vie.
Le vendredi 23me on envoya dire au confesseur du feu roi, nomm Alliaga, que lÕon lui tait la charge dÕinquisiteur gnral, et lÕon le ft lÕheure mme monter en une litire pour le ramener au couvent de Goett qui tait sa demeure avant quÕil vnt la cour ; ce qui lui fut annonc de la part du roi par don Jouan de Villegas gouverneur de lÕarchevch de Tolde.
Le samedi 24me le duc dÕUcede fut relgu en sa maison. On prit prisonnier son intendant nomm don Jouan de Salasar.
Je fus voir ce jour mme le comte dÕOlivares et don Baltasar de Suniga avec lesquels ayant termin toutes les difficults du trait que nous voulions faire, il fut rsolu que nous le signerions le lendemain, qui fut le dimanche 25me dÕavril, que le rgent Caimo et don Jouan de Seria vinrent le matin chez moi avec les notaires et autres officiers ncessaires pour servir de tmoins. Mr du Fargis ambassadeur ordinaire du roi sÕy trouva aussi, et tous quatre nous signmes le trait de Madrid qui depuis a tant cot de part et dÕautre pour le faire, ou effectuer ou rompre. Nous allmes tt aprs, monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi, chez les ambassadeurs leur en donner part et leur en laisser copie. Puis je fus voir sur le soir lÕinfante descalse.
Le lundi 26me jÕeus le matin audience du roi pour le remercier de mon expdition. Je lui parlai ensuite des affaires dÕAllemagne, et particulirement lui recommandai de la part du roi lÕlecteur palatin. Finalement je lui parlai amplement de la part de la reine sa sĻur, en faveur et la recommandation du duc de Monteleon. Il me rpondit sur tous les points fort judicieusement, me disant que pour ce qui tait de lÕexpdition de mes affaires, il avait lui-mme remercier le roi son beau-frre de la facilit quÕil avait apporte sur ce sujet ; que pour les affaires dÕAllemagne Dieu lui tait tmoin sÕil nÕen dsirait le repos et la tranquillit comme des siennes propres ; quÕil nÕen tait pas le chef, mais lÕempereur, ni ses troupes quÕauxiliaires, et quÕil y ferait tous les offices imaginables vers lui pour le porter une bonne paix de laquelle il savait que lÕempereur son oncle tait trs dsireux ; que pour le palatin, il nÕavait, ni toute la maison dÕAutriche, aucun sujet de lui bien faire ; nanmoins que la recommandation du roi son beau-frre lui serait en trs forte recommandation ; et que finalement pour ce qui tait du duc de Monteleon, quÕil tmoignerait dans trois jours la reine sa sĻur comme il estimait et dfrait ses prires, principalement quand elles lui taient faites en faveur de personnes si dignes que le duc de Monteleon, et que de cela je pouvais assurer et la reine sa sĻur et ledit duc. Je pris ensuite cong de lui pour la forme afin de revenir ensuite faire mon entre Madrid pour venir faire lÕoffice de condolance de la part du roi. JÕallai puis aprs prendre cong de la reine.
On ta ce jour l lÕoffice lÕasemilero major.
Le mardi je fis une ample dpche au roi, Mr le contestable de Luynes et Mr de Puisieux, pour leur rendre compte de toute ma ngociation et leur envoyer le trait de Madrid par le sieur de Cominges.
Le mercredi 28me jour dÕavril je partis de Madrid comme pour mÕen retourner en France, et allai coucher La Torre.
Ce jour l on ta lÕoffice de grand cuyer de la reine au comte dÕAltamira. On donna celui de lieutenant gnral de la mer sous le prince Philibert au marquis de Sainte Croix ; celui de gnral des galres dÕEspagne don Pedro de Leiva ; celui de gnral des galres de Naples au duc de Fernandine, fils de don Pedro de Toledo.
Le jeudi 29me je vins dner lÕEscurial o je vis tout cet admirable difice et les choses rares qui y sont.
Ce jour l on fit Madrid conseillers au conseil dÕtat le duc de Monteleon, don Diego dÕIvarra, le marquis dÕAyetona et le marquis de Montesclaros.
Le vendredi 30me je partis de lÕEscurial, vins dner au Pardo, maison de plaisance du roi, et fus coucher Alcovendas.
Ce jour-l le duc dÕOssune se gourma avec don Louis de Godoy qui avait charge de le garder dans lÕAlameda.
Mai. Ń Le samedi premier jour de mai, je fis mon entre en deuil Madrid pour venir faire lÕambassade de condolance. Aprs dner jÕallai au Sottillo o tous les cavaliers et dames de Madrid sÕallrent promener.
Le dimanche 2me on haussa le pendon [la bannnire] Madrid pour reconnatre le nouveau roi : don Rodrigo de Cardenas le porta.
Le lundi 3me jÕeus ma premire audience pour plaindre la mort du feu roi. Aprs dner on fit le service du feu roi en grande crmonie Saint-Geronimo.
Le mardi 4me on fit les honneurs du feu roi au mme Saint-Geronimo o jÕaccompagnai le roi. Le pre Florensia jsuite fit son oraison funbre.
Je fus aprs dner lÕaudience chez la reine aux Descalsas.
Comme je sortais de chez le roi le matin aprs lÕavoir ramen en sa chambre, le comte dÕOlivares et don Baltasar de Suniga me vinrent conduire et faire un tour de galerie avec moi. On parla de diverses choses : je leur demandai si le prince Philibert verrait ds ce jour mme Sa Majest, ou sÕil attendrait au lendemain le voir. Ils me dirent que le prince Philibert tait en Sicile, bien loign de pouvoir voir le roi. Je crus quÕils me faisaient les fins ; cÕest pourquoi je mÕopinitrai leur dire que si Alcala de Ennares tait Sicile, quÕil nÕen tait pas plus loign. Cela les tonna de sorte quÕils me dirent quÕils ne pensaient pas quÕil y ft. Alors je leur dis que sÕils voulaient que je lÕignorasse, au nom de Dieu soit ; que si aussi cÕtait eux qui lÕignoraient, je leur en pouvais assurer, et que je le savais de lÕambassadeur de Venise qui un courrier venait dÕarriver comme nous entrions Saint-Geronimo, qui lÕavait laiss dix lieues dÕAlcala, qui pensait arriver ce jour-l Madrid si ses mules lÕy pouvaient porter. Ils me remercirent tous deux de cet avis, et me prirent de trouver bon quÕils disent au roi quÕils le savaient de moi ; quoi je mÕaccordai. Ils rentrrent lÕheure mme chez le roi lui dire cette nouvelle, puis envoyrent incontinent assembler le conseil dÕtat auquel il fut rsolu que lÕon enverrait en diligence en Alcala de Ennares dire de la part du roi au prince Philibert de Savoie quÕil ne passt pas plus avant sans nouvel ordre, sÕil nÕaimait mieux aller attendre les commandements du roi Baraxas ; ce quÕil fit et feignit dÕy tre malade pour cacher sa dfaveur. Il avait eu ordre de ne bouger dÕItalie. Ces nouveaux favoris qui avaient vu comme du temps du feu roi il avait pris pied sur son esprit, craignaient quÕil nÕen ft de mme celui-ci et ne lui voulurent jamais permettre de voir plus de deux fois ce roi.
Le mercredi 5me je commenai faire mes adieux aux grands et fis une dpche au roi.
Le jeudi 6me don Augustin Fiesque, trsorier de la cruade, me fit festin et y pria plusieurs seigneurs espagnols.
Le vendredi 7me je continuai de faire mes adieux et allai voir don Pedro de Toledo nouvellement revenu de son bannissement ; puis jÕallai visiter le duc dÕAlve.
Le samedi 8me je fus chez la reine, puis chez lÕinfante descalse. Aprs dner je fus voir lÕalmirante de Castille. JÕenvoyai un gentilhomme Baraxas visiter le prince Philibert de Savoie.
Le roi ce jour mme fit lÕalmirante gentilhomme de sa chambre et fit couvrir grande le marquis de Castel-Rodrigo fils de don Christobal de Mora.
Le dimanche 9me de mai le roi fit son entre solennelle Madrid. Il me fit prparer un balcon la Puerta Guadalaxara. Il partit de Saint-Geronimo et vint par la Calle Major en son palais. Toutes les rues taient tendues. Devant lui marchaient les attabales, puis les gentilshommes de la bouche, puis les titulados ; aprs marchaient les massiers, puis les quatre majordomes, ensuite les grands, puis le duc de lÕInfantado, cavallerisso major, tte nue, portant lÕpe nue devant le roi qui venait aprs sous un dais trente deux btons ports par les trente deux regidores de Madrid, habills de toile dÕargent blanche et incarnate ; puis suivait le coregidor, et les cuyers du roi taient lÕentour de lui ; puis suivaient les capitaines des gardes, et ceux du conseil dÕtat, et ceux de la chambre.
Le lundi 10me je fus voir don Baltasar de Suniga pour avoir ma dpche, qui me remit au mercredi suivant.
Le mardi 11me je continuai de faire mes adieux. Je fus le soir au logis de Marte Caudado o je fis jouer une comdie en particulier avec peu de seigneurs espagnols que jÕy priai.
Le mercredi 12me jÕeus ma dernire audience du roi qui me donna de sa main ma dpche au roi, et la reine sa sĻur. Je pris ensuite cong du prince don Carlos ; de l jÕallai dire adieu au comte dÕOlivares et don Baltasar de Suniga.
Aprs dner les excuteurs du testament du roi me mirent en main un grand reliquaire qui pouvait valoir cinq cents mille cus, fort garni de belles reliques, et me chargrent de le porter la reine, que le roi son pre lui avait laiss en testament. Je fus ensuite prendre cong de la reine, de lÕinfante Marie et de lÕinfant-cardinal.
Le jeudi 13me je fus prendre cong de lÕinfante descalse ; puis je fus dire adieu au comte de Benavente, au duc de lÕInfantado et autres grands.
Le vendredi 14me jÕachevai mes adieux et fus le soir avec quelques seigneurs faire jouer une comdie chez les comdiens mmes.
Le samedi 15me je reus un prsent du roi par la main de Jouan de Seria, qui tait une enseigne de diamants de six mille cus. La comtesse de Baraxas mÕenvoya ensuite un fort beau prsent de parfums ; je lui envoyai aussi le sien qui tait une chane de diamants de quinze cents cus. Aprs dner le roi mÕenvoya encore donner un fort beau cheval de son haras. Puis ayant dit adieu la comtesse de Baraxas et force dames qui lÕtaient venue voir exprs, je partis de Madrid, le roi me faisant accompagner en sortant comme il avait fait lÕentre : puis je vins coucher Alcovendas avec monsieur lÕambassadeur ordinaire, Mr le prince dÕEboli, le comte de Chateauvillain et quelques Espagnols parents du comte de Baraxas, desquels je me dpchai le lendemain dimanche 16me, et vins dner Cabanillos et coucher Buitrago ; le lundi 17me dner Serisco de Vaxo et coucher Mirubio, le mardi dner Gumuel dÕIsans et coucher Lerme ; le mercredi Bourgos ; jeudi dner Birviesca et coucher Pancorbo ; le vendredi Vittoria ; le samedi dner Galarette, et coucher Villafranca ; le dimanche 23me dner la venta de Marie Beltram et coucher chez mon ami don Jouan dÕArbelais correro major de Guypuscua.
Le lundi 24me je dnai encore chez Arbelais et passai Saint-Jean de Luz et vins coucher Bayonne. Le comte de Gramont y arriva en mme temps que moi.
Le mardi 25me je demeurai Bayonne pour y attendre Mr dÕEpernon qui y arriva le matin. Nous allmes aprs dner voir la grotte dÕAmour et pcher.
Le mercredi 26me je fus coucher Saint-Vincent ; le jeudi la Harie ; et le vendredi 28me Bordeaux o je fus voir Mr du Maine, et madame dÕOnane nouvellement revenue dÕItalie. Il me donna le lendemain dner, et le dimanche 30me jÕallai dner Blaye et coucher Mortaigne ; le jour dÕaprs Saintes, dÕo jÕen partis le mardi premier jour de juin et vins vers Saint-Jean dÕAngeli o je trouvai lÕarme qui allait faire les approches. Je mÕy en allai et au retour je vins trouver en un chteau nomm les glises......, qui me reut fort bien.
Le mercredi 2me je vins loger Saint-Julien proche de Saint-Jean, o nous assistmes aux funrailles du comte de Maurevert matre de camp de Champagne, tu le jour de devant.
Le jeudi 3me le roi vint aussi loger Saint-Julien et aprs avoir tenu conseil, ordonna du sige et des charges de son arme. Il fit faire deux attaques, lÕune par les gardes auxquelles les marchaux de Brissac et de Pralain commandrent et sous eux Mrs de Crquy, de Saint-Luc, et moi pour marchaux de camp : celle de Picardie fut commande par le marchal de Chaunes que le roi avait fait duc et pair son partement de Paris, et sous lui par Mrs de Termes et de la Rochefoucaut marchaux de camp.
Nous entrmes dans le foss de notre ct le 21me de juin, et y fmes quatre traverses : cela se fit au jour que je commandais. Mr de la Valette et le comte de Paluau furent blesss, et Carboni tu avec Favoles et Des Herables et Du Roc : celui-ci tait Mr de Saint-Luc, et le prcdent moi, tous deux braves hommes ; Favoles tait mon aide de camp.
Le 23me on traita et la capitulation fut signe ; et le 24me, jour de Saint-Jean, Mr de Soubise sortit de la place : Mr dÕEpernon et moi y entrmes avec les gardes du roi, franaises et suisses ; puis jÕen sortis pour aller accompagner les ennemis en sortant, une lieue de la ville jusques en lieu de sret.
Le 26me le roi partit de Saint-Julien, et sÕen alla Cognac.
Durant ce sige Mr le cardinal de Guise mourut du pourpre Saintes o il sÕtait fait porter.
Nous demeurmes trois jours Cognac, et puis le roi mÕenvoya Paris pour ratifier avec monsieur le chancelier qui y tait demeur, plusieurs traits et accords que jÕavais passs en Espagne ; ce que nous fmes avec Mr le marquis de Mirabel qui avait reu une procuration particulire sur ce sujet. Mr de Crquy et moi revnmes ensemble et demeurmes, moi vingt sept jours Paris, et lui bien davantage cause dÕune blessure bien grande la tte, dÕune chute quÕil fit chez madame la comtesse de Rochefort.
Il ne se peut dire comme je passai bien mon temps en ce voyage : chacun nous festinait son tour : les dames sÕassemblaient, ou se rendaient aux Tuileries. Il y avait peu de galants dans Paris : jÕy tais en grand estime, et amoureux en divers lieux. JÕavais rapport pour vingt mille cus de rarets dÕEspagne, que je distribuai aux dames, qui me faisaient une chre excellente.
Enfin monsieur le conntable qui quelques gens de moindre toffe que nous, comme Marillac, Zamet et autres qui se voulaient avancer, avaient persuad que ce nÕtait pas son bien que des gens si qualifis que Mrs de Crquy, Saint-Luc, Termes, et moi, fussions marchaux de camp ; que nous touffions sa gloire et celle de ses frres, quÕil voulait avancer par les armes ; et que lÕon ne parlait que de nous, et point du tout de lui, ni dÕeux ; cÕtait pourquoi il devait nous donner des commissions lÕcart et introduire en notre absence des marchaux de camp de moindre mrite qui seraient ses cratures et de ses frres, qui contribueraient leurs soins et leurs peines leur honneur et leur gloire ; monsieur le conntable se laissa aisment persuader une chose qui tait si vidente, et pour cet effet il fit donner la lieutenance-gnrale de la mer Mr de Saint-Luc et lÕenvoya Brouage aprs le sige de Saint-Jean pour prparer les armements ncessaires pour rendre le roi puissant sur mer : il me commanda dÕaller Paris ratifier les contrats susdits dÕEspagne et mÕadjoignit commissaire pour les signer pour le roi avec monsieur le chancelier : Mr de Crquy avait eu une mousquetade la joue, de laquelle il nÕtait encore bien guri, qui se laissa facilement persuader dÕaller Paris, outre quÕil y avait quelques affaires. Monsieur le conntable nous dit quÕil croyait faire la paix Bergerac ; que les huguenots en faisaient rechercher le roi qui y condescendrait volontiers, et que Dieu aidant, le roi et lui nous suivraient de prs ; quÕen tout cas il nous avertirait promptement quand il serait temps de se rendre lÕarme.
Il me donna mme quelques particulires commissions pour prendre garde une union dont on lÕavait mis en alarme entre madame la Princesse, madame la Comtesse, et madame de Guise. Il croyait que Mr le Prince, et Mr de Guise et Mr le Grand nÕtaient pas fort contents de lui ; le premier pour nÕavoir plus le commandement de lÕarme du roi ; les deux autres pour avoir t faits du conseil troit du roi et puis on leur avait dit que pour quelques considrations ils nÕy entrassent pas. Il me tmoigna une grande confiance fonde sur le dessein quÕil avait de me faire pouser sa nice de Combalet, ainsi que lui avaient assur Mr le Prince et Mr de Guise comme il a t dit ci-dessus ; et ayant vu depuis comme jÕavais dignement servi en Espagne et que jÕavais bien fait ce dernier sige de Saint-Jean, il se rchauffa en ce dessein et mÕen fit parler par Rouccelai qui eut charge de savoir de moi ce que je dsirerais pour mon avancement et pour ma fortune, ce mariage se faisant : car il sÕimaginait que je lui demanderais des offices de couronne, dignits et gouvernements, et que je me ferais acheter. Mais moi je rpondis Rouccelai que lÕhonneur dÕentrer en lÕalliance de monsieur le conntable mÕtait si cher quÕil mÕoffenserait de me donner autre chose que sa nice avec sa robe ; que je ne lui demandais que cela et ne refuserais point ensuite les bienfaits dont il me jugerait digne lorsque je serais son neveu. Il fut ravi de ma franchise et me fit dire quÕil me mettrait dans la parfaite confidence du roi qui avait trs forte inclination pour moi, de laquelle lÕavenir il nÕaurait plus de jalousie comme il en avait pris lÕanne prcdente.
Il nous dit ensuite que, ou il nous crirait quand il serait temps de le venir trouver, ou quÕEsplan nous le manderait de sa part, auquel de plus il donna charge de nous mander tout ce qui se passerait. Ainsi nous partmes fort satisfaits de lui, qui aussitt dit au roi quÕil tait ncessaire quÕil ft de nouveaux marchaux de camp en son arme ; que nous tions trs propres et capables de ces charges-l, mais que nous nÕtions pas personnes tenir pied boule [tenir ferme] ni pour y rendre lÕassiduit ncessaire. Pour cet effet il lui nomma Zamet, Marillac, Constenant et Saint-Jus, le seul Termes tant demeur, qui fut tu aux approches de Clairac.
Nous tions cependant passer notre temps Paris, et Esplan nous mandait de la part de monsieur le conntable, de temps en temps, que rien ne nous obligeait de partir, et quÕil nous manderait quand il serait temps. Ainsi se passa le sige de Clairac et le roi sÕacheminait vers Montauban quand la reine mre qui tait revenue Tours, pour nous animer contre le conntable, envoya par Mr de Sardini une lettre quÕil lui avait crite, lui demandant Marillac comme le seul homme capable de rduire Montauban et la suppliant de lÕenvoyer au roi pour ne point retarder ses conqutes par son absence : il nous donna cette lettre chez madame la Princesse devant quantit dÕhommes et de femmes. Cela dpita Mr de Crquy, mais mÕanima retourner lÕarme sans attendre lÕordre de monsieur le conntable, quÕil nous avait promis, et arrivai le samedi 24me dÕaot Picacos, quartier du roi devant Montauban. Je fis difficult de vouloir servir de marchal de camp, me contentant dÕtre en ce sige colonel-gnral des Suisses. Enfin le roi mÕaccorda que je ne me mlerais point avec cette recrue de marchaux de camp ; que je le serais seul au quartier des gardes, et que, le sige fini, je conduirais lÕarme ; quoi je mÕaccordai, et vins ce mme jour au campement proche de la rivire du Tarn du ct des cornes.
On nÕavait point encore ouvert les tranches ; seulement avait-on fait deux ponts pour traverser de notre campement Monbeton o Mr du Maine logeait pour attaquer Ville Bourbon, et du quartier de Mr du Maine lÕautre quartier et attaque du Moustier. Nous allmes, Mr le marchal de Pralain et moi, visiter Mr du Maine qui nous mena le plus prs quÕil put de Ville Bourbon dessein de nous faire donner quelque mousquetade. Au retour nous nous prparmes pour ouvrir la tranche et allmes, Gamorin et moi, jusques contre les cornes de Montauban sans tre aperus ni que lÕon nous tirt ; mais au retour nous tant fourvoys du chemin, nous tombmes dans un corps de garde avanc des ntres qui nous firent une dcharge de tout leur feu brle-pourpoint : ma mandille [casaque] fut perce dÕune mousquetade ; mais Dieu merci, rien ne toucha ni Gamorin ni moi. Ensuite nous ouvrmes la tranche des gardes et en outre fmes une forte tranche en un grand chemin qui tait sur lÕeau, ce qui se fit par le rgiment de Pimont.
Le dimanche 22me monsieur le conntable vint notre campement et nous fit venir le trouver pour lui parler : et comme nous tions prs de lui, les ennemis firent une forte sortie sur Pimont qui tait la tranche susdite contre laquelle un coup de canon de la ville ayant t point, il emporta le corps du premier capitaine de Pimont nomm le Breuil, et la cuisse du lieutenant de Lambert, qui tait mon domestique nomm Casteras, brave et gentil garon qui en mourut deux heures de l. Le capitaine Lartigue, du mme rgiment, eut le pied froiss dÕune grenade, dont il mourut peu de jours aprs. Le capitaine Serroque, du rgiment de Normandie, se trouvant dans la tranche alors sortit lÕpe la main vers les ennemis, mais il fut aussitt tu dÕune mousquetade. Je courus en diligence au bruit de la sortie, et repoussmes les ennemis dans la ville ; mais nous avions dj perdu ces braves hommes.
La nuit suivante nous tirmes une ligne assez longue que nous continumes la nuit du lendemain encore, et mmes travers du grand chemin qui tait dcouvert, certains chandeliers lÕpreuve qui furent depuis nomms valobres du nom de celui qui les fit faire.
Le mardi 24me nous tirmes une autre ligne et fmes deux barricades sur les deux avenues et une paule en une traverse.
Les ennemis firent semblant de sortir la nuit, mais nous trouvant sur nos armes et en tat de les bien recevoir, ils tinrent bride en main.
La nuit du mercredi 25me nous voulmes occuper un tertre avanc born dÕun chemin creux, qui tait fort propre pour faire une batterie pour lever les dfenses de cette corne ; et pour ce sujet nous fmes tout lÕentour une couronne de quarante gabions qui nÕtaient point remplis, mais seulement nous servaient de blindes et pour amortir les mousquetades.
Le jeudi 26me onze heures, les ennemis sortirent dans ce chemin creux au dessus duquel taient poss les gabions et avec des crocs les tirrent bas vers eux. Ils avaient aussi apport quelques feux dÕartifices pour les brler en cas quÕils ne les pussent tirer du lieu o ils taient, et avaient garni leurs courtines de mousqueterie qui tiraient nos gens dcouvert lorsque ces gabions nÕy taient plus et en turent huit ou dix. Enfin nous tirions contre eux nos gabions, et nÕen purent abattre que sept. Puis quelques mousquetaires sÕtant avancs jusques sur le bord dudit chemin creux, les tiraient plomb, et quantit de pierres que nous leur fmes jeter leur firent quitter ce chemin et se retirer en la ville : et une chose que nous avions faite la nuit contre eux leur fut favorable, qui taient deux traverses contre ledit chemin, qui impossibilita notre descente eux et nous ta le moyen de donner sur leur retraite.
La nuit suivante un Suisse de ma compagnie, nomm Jaques, nous dit que si je lui voulais donner un cu, quÕil rapporterait les gabions que les ennemis avaient renverss dans le chemin pourvu que lÕon lui voult faire passage, ce que nous fmes ; et ce qui nous tonna le plus fut que cet homme rapportait les gabions sur son col, tant il tait robuste et fort. Les ennemis lui tirrent deux cents arquebusades sans le blesser, et aprs en avoir rapport six, les capitaines des gardes qui voyaient une telle hardiesse me prirent de ne mettre plus en hasard pour un gabion qui restait encore, un si brave homme : mais il leur dit quÕil y en avait encore un gabion de son march et quÕil le voulait rapporter, ce quÕil fit.
Cette mme nuit nous avanmes notre tranche jusques la tte du chemin creux.
Le vendredi 27me nous largmes nos tranches. Nous fmes une gabionnade pour une batterie de huit ou dix pices, et fmes une forte traverse au bout du chemin creux qui nous servit de tranche. Nous fmes une autre traverse sur le chemin qui est proche de la rivire.
Ce mme jour Mrs les marchaux Desdiguieres et de Saint-Geran qui avaient lÕattaque du Moustier, en firent une forte pour gagner la contrescarpe du bastion qui leur fut dispute plus de trois heures ; mais enfin ils lÕemportrent. Mais il y eut des ntres plus de six cents hommes morts ou blesss, et entre autres Saint-Jus marchal de camp y fut bless et mourut de sa plaie six jours de l : Zamet aussi marchal de camp eut le bras droit cass dÕune mousquetade, qui le rendit inutile pour tout le reste du sige, bien que pour cela il ne lÕabandonna pas. Ce fut un grand avantage que cette contrescarpe gagne, et nÕy avait plus quÕ descendre au foss et sÕattacher au bastion, lequel gagn, la ville tait prise : mais ceux qui commandaient ce quartier et sur tous Marillac opinitra que lÕon nÕy pouvait descendre en ce lieu-l cause du flanc cach quÕil y avait et un coffre [abri dfensif] qui tait dans le foss. Je vins un jour par commandement du roi au conseil Picacos, et comme on proposa de tirer gauche pour prendre sur le penchant qui regarde la rivire, jÕy contrariai par plusieurs vives raisons, me moquant de ceux qui croyaient que lÕon ne peut descendre dans un foss o il y avait des flancs cachs et des coffres, et enfin il fut rsolu que diverses personnes iraient reconnatre la possibilit ou impossibilit de cette descente, et monsieur le conntable mÕordonna dÕy aller, comme je dirai ci-aprs.
Le samedi 28me nous travaillmes au-del du chemin la sape. Nous fmes encore une autre traverse dans le chemin lÕpreuve du canon, et tirmes une ligne travers de lÕautre chemin pour aller gagner le foss de la corne.
Le dimanche 29me nous nous logemes dans le foss et fmes une tranche ou ligne tirant au chemin de main gauche. Puis nous dressmes notre batterie de huit canons. Mr de Schomberg qui faisait la charge de grand-matre de lÕartillerie par commission, vint voir la batterie que son lieutenant nomm Lesine avait fait faire. Je lui montrai comme le parc de ses poudres tait trop prs de la batterie, et que sÕil faisait vent dÕamont, que les canons en tirant jetteraient leurs tincelles jusques au parc, et pourraient mettre le feu aux poudres. Il considra bien que jÕavais raison et en parla Lesine qui lui rpondit quÕil nÕy arriverait aucun inconvnient, ce qui fit quÕil nÕy remdia point.
Le lundi 30me nous continumes nos tranches jusques une ravine droite de notre batterie. Je vins la tte de la tranche reconnatre combien nous nous tions avancs, et sortis huit ou dix pas dcouvert pour voir ce que nous aurions faire la nuit prochaine et puis me rejetai dans la tranche avant que les ennemis se fussent bien affts pour me tirer, ce que la continuelle pratique nous apprend : mais il est dangereux pour ceux qui font cette mme chose aprs nous, parce que les ennemis sont prpars, et ils reoivent les mousquetades que lÕon avait destines, et non donnes, au premier qui a paru ; comme il en arriva Mr le comte de Fiesque, qui en voulant sortir pour faire la mme chose que jÕavais faite, reut une mousquetade dans le rein droit qui lui pera jusques au bas du ventre gauche, dont il mourut le quatrime jour aprs. Ce fut un grand dommage pour tous, mais pour moi particulirement, car il mÕaimait uniquement : cÕtait un brave seigneur, homme de bien et de parole, et excellent ami.
Ce soir mme monsieur le conntable envoya commander Mr le marchal de Pralain de ne faire tirer le lendemain notre batterie, ce qui nous fit croire quÕil y avait quelque pratique dÕaccord qui se faisait dans la ville, en laquelle Esplan entrait tous les soirs de la part du roi et traitait avec Mr de la Force et ceux de Montauban. LÕon avait aussi intelligence avec un de dedans qui y avait quelque commandement, nomm le comte de Bourfranc ; mais les ennemis en ayant eu le vent sÕen dfirent un jour en une attaque qui se faisait du ct de Ville Bourbon, quÕun des leurs par derrire lui donna une mousquetade dans la tte qui lui mit en pices.
Le mardi dernier jour dÕaot nous continumes la sape vers la main gauche que nous avions commence et mmes au del du chemin une batterie de quatre canons outre la premire qui tait de huit.
Mr de Schomberg vint loger en notre quartier et pria souper Mr de Pralain et moi, et quelques autres. Comme nous nous allions mettre table, nous promenant devant sa tente, nous vmes le feu de la ville caus par leurs poudres qui furent ce jour l brles au nombre de vingt milliers.
Septembre. Ń Le lendemain mercredi premier jour de septembre sur les six heures du matin, nous commenmes une furieuse batterie aux cornes des ennemis : Mr le marchal de Pralain tait en la grande avec Mr de Schomberg, et jÕtais celle des quatre pices. Elles faisaient toutes deux beau bruit : mais aprs avoir tir une heure ou un peu plus, ce que jÕavais prdit deux jours devant monsieur le marchal et Mr de Schomberg nous arriva : car les flammches des canons portrent dans le parc des poudres et en mirent en feu dix milliers qui y taient, avec perte de quarante hommes et du lieutenant dÕartillerie Lesine qui y fut brl. Quelques gentilshommes se sentirent du feu, comme Mr de Bourbonne, le baron de Seaux et dÕautres ; mais ce fut lgrement. Il arriva par bonheur que quelque peu auparavant jÕtais all en la ligne qui tait au-devant de la batterie, et quÕayant reconnu quelque chose qui nous pouvait servir, jÕenvoyai supplier monsieur le marchal de le venir voir, ce quÕil fit ; et comme il sÕy acheminait avec Mr de Schomberg et autres des principaux, ils furent exempts du pril de ce feu. Les huit canons taient chargs et hors de batterie, prts y retourner, quand le feu prit aux poudres, qui les fit tous tirer en mme temps dans les gabions quÕils mirent en pices ; et une motte dÕun desdits gabions mÕayant donn par le ct me porta par terre et me fit perdre lÕhaleine, mais aussi fut cause que le feu passa par dessus moi sans mÕendommager.
En ce mme temps les ennemis qui aperurent notre inconvnient, firent un grand cri et firent mine de sortir. Le rgiment de Chappes tait ce jour-l de garde, qui tait la plupart en cette ligne avance : il y avait deux compagnies des gardes sur la gauche de notre batterie des quatre pices : jÕavais aussi fait venir aux deux batteries prs de deux cents Suisses tant pour la garde de la batterie que pour lÕexcution des canons. Mr de Schomberg se mit en mme temps ladite batterie de quatre pices et fit tirer de furie. Monsieur le marchal se prsenta avec les deux compagnies des gardes et les deux cents Suisses, et je me mis la tte du rgiment de Chappes, et fmes si bonne mine que les ennemis nÕosrent venir nous. Ils nous ont dit depuis le sige lev quÕils avaient plusieurs fois fait dessein dÕentreprendre sur notre ct comme ils avaient heureusement fait sur les autres, mais quÕils nous avaient trouvs toujours sur nos armes, et nos tranches tellement embarrasses pour eux et si bien dfendues quÕils nÕont os y mordre, hormis la seule fois que la grande mine joua. Nous fmes aussi en mme temps venir trois compagnies de Suisses et cinq du rgiment des gardes ; et pour leur montrer que le feu nÕavait pas consum toutes nos poudres, nous en fmes prendre de celles qui servaient pour la batterie des quatre pices et en fmes charger les huit canons de la grande batterie. Enfin dans deux heures de nouveaux gabions furent remis la place de ceux qui avaient t fracasss du canon, et toutes choses rtablies en bon ordre.
LÕaprs-dner comme nous tions regarder sur le Tarn, nous vmes comme le feu se mit aussi aux poudres du quartier de Mr du Maine, qui fit, outre la perte de huit milliers de poudre, un assez grand meurtre dÕhommes, parmi lesquels Mr de Villars frre de mre de Mr du Maine, marchal de camp, et le fils de Mr le comte de Ribeirac, jeune homme de grande esprance, y furent brls. Il sembla que ce jour l, et le prcdent, avaient t funestes pour le feu, tant aux ennemis quÕen nos deux divers quartiers.
Le jeudi 2me nous continumes notre batterie avec peu dÕeffet, puis quÕelle nÕtait tablie que pour lever les dfenses de ces cornes que nous tions rsolus de prendre pied pied ; car elles taient trs bien faites, et de grands retranchements derrire, garnis de chevaux de frise. Nanmoins nous fmes semblant de les vouloir attaquer sur les quatre heures aprs midi, sur la prire que Mr du Maine fit monsieur le marchal de faire faire quelque diversion aux ennemis pendant quÕil attaquerait une demie lune, de laquelle il fut repouss avec grande perte : car il y mourut le marquis de Thmines, marchal de camp, brave homme et courageux ; La Frette qui ne devait rien en courage et en ambition homme de son temps ; Carbon, et plus de cinquante gentilshommes.
Le vendredi 3me nous fmes une forte traverse notre batterie des quatre pices parce que dÕun bastion assez loign de la ville on la battait en rouage. Nous tirmes aussi une ligne qui nous menait la garde des deux compagnies des gardes, o nous ne pouvions aller sans tre vus de certaines pices de terre avances des ennemis.
Mr le marchal de Pralain tant peu devant la nuit la tranche, et tant press de moi de mÕordonner ce quÕil voulait qui ft fait la nuit suivante, se voyant entour de force noblesse qui lÕempchait, pour sÕen dfaire se mit dcouvert des ennemis et nous appela, moi et les aides de camp, et Toiras qui tait celui qui avait le soin de tout ce quÕil fallait pour le travail de la nuit. Comme les ennemis se furent aperus que nous leur donnions si beau jeu, ils firent une dcharge sur nous de trente mousquetades qui percrent nos chausses et nos manteaux, et cassrent la jambe de Mr de Toyras, dont nous fmes bien incommods : car il me relevait de beaucoup de peines quÕil me fallut depuis supporter.
Le samedi 4me le roi mÕenvoya commander de le venir trouver Picacos sur ce que jÕavais propos quelques jours auparavant quÕil fallait quÕen lÕattaque du Moustier o lÕon avait gagn la barricade, lÕordre tait de descendre dans le foss, le traverser et passer avec une galerie, et sÕattacher au bastion lequel en huit ou dix jours serait gagn sans aucune faute. Messieurs les marchaux de camp de ce quartier-l nÕtaient point de ce sentiment, non pas, mon avis, quÕils y reconnussent trop de pril (car ils taient braves hommes), mais par opinitret ou insuffisance. JÕaperus encore en eux une chose que jÕai plusieurs fois remarque, que force gens sont vaillants, sÕils peuvent, pour le lendemain et non pour le jour mme : car aprs avoir gagn la contrescarpe, au lieu de faire la descente, le marchal de camp qui tait en journe jugea propos de tirer une ligne le long de la contrescarpe sur la gauche, disant que cÕtait pour venir gagner la pointe du bastion o lÕon voulait sÕattacher ; peut-tre aussi tait-ce pour laisser le pril de la descente celui qui lui devait succder, et celui-l la prolongea pour remettre lÕautre la descente. Ainsi depuis huit jours que la contrescarpe tait gagne on nÕavait rien fait que couler le long dÕicelle sans fruit ni sans dessein. Il y avait un capitaine du rgiment de Chappes nomm la Moliere qui faisait la charge dÕaide de camp, qui tait cru plus que pas un, et qui donnait de grandes esprances ces messieurs sur des propositions quÕil faisait, qui nÕtaient pas bien raisonnes : et monsieur le conntable qui coutait les uns et les autres, sÕennuyait de voir que lÕon nÕavanait pas. Mr le marchal Lesdiguires nÕy tait pas toujours cru, et ds que lÕon le contestait, ou contrariait, son naturel bnin lui faisait acquiescer et suivre le courant de lÕeau, de sorte que le temps se consumait. Enfin le roi voulut tenir un bon conseil pour prendre une bonne rsolution. Je mÕy trouvai par son ordre et maintins fermement mon opinion qui tait fonde sur les rgles de lÕart, sur lÕexprience, et sur lÕapparence aussi. Mr des Diguieres seul lÕapprouva ; mais Mr le prince de Joinville qui avait commandement en ce quartier-l, Mr le marchal de Saint-Geran, Mr de Schomberg et les marchaux de camp du quartier furent du contraire, principalement Marillac qui voulait prouver par raisons que lÕon ne pouvait faire descente dans un foss o il y avait des flancs cachs et des coffres, comme si cela rendait les places imprenables : ce petit la Moliere le secondait et faisait grand bruit. Enfin je leur dis quÕils fissent assembler les ingnieurs et reconnatre le foss, et quÕen cas quÕils ne fussent de mon avis, jÕacquiescerais au leur.
La chose en demeura l, et ces messieurs de ce quartier-l sÕen tant alls, monsieur le conntable me fit entrer en son cabinet o le roi vint tt aprs, et me dit que ces messieurs lui disaient que jÕen parlais bien mon aise puisquÕen ma proposition je leur en laissais tout le pril et le hasard sans en avoir ma part ; que je les voulais mettre la boucherie, et que je ne serais pas marri de mÕen tre dfait, et que cÕtait ce qui mÕen faisait ainsi parler. Je confesse que ce discours me mit en colre, et rpondis monsieur le conntable que le cours de ma vie passe ne ferait pas juger que je fusse homme souhaiter la mort dÕautrui ; que celle de Mr de Joinville me causerait du dplaisir sans mÕapporter aucun avantage ; que Mr des Diguieres tait de mon opinion ; que pour Mr le marchal de Saint-Geran, je ne prtendais pas tre marchal de France par sa mort, mais par les bons services que je voulais rendre au roi ; quant aux marchaux de camp, tant sÕen faut que je dusse craindre quÕils me devanassent, que je ne craignais pas quÕils me dussent marcher sur les talons, aussi nÕtaient-ils pas de mon calibre ni de ma porte ; que ce que jÕen avais dit tait selon ma conscience, mon opinion, le service du roi et lÕordre de la guerre, et tellement apparent que bien que je ne profite pas courre sur le march dÕautrui, jÕoffrais au roi, sÕil me voulait faire changer de quartier contre eux, quÕ peine de mon honneur et de ma vie, dans trois semaines jÕaurais mis sur le bastion du Moustier en batterie contre la ville trois canons du roi, et que de la faon quÕils prtendaient de faire, ils nÕy seraient pas de six, et peut-tre point du tout ; que cÕtait tout ce que jÕavais leur dire, aprs quoi je nÕen parlerais jamais. Sur cela le roi qui a toujours eu assez bonne opinion de moi, dit monsieur le conntable : Ē Prenons Bassompierre au mot et le laissons faire : je suis sa caution. Envoyons les trois marchaux de camp du Moustier lÕattaque des gardes, et le mettons au Moustier : je mÕassure quÕil fera ce quÕil nous promet, et ce sera notre bien. Č Monsieur le conntable lui dit quÕil y aurait bien de la peine ce changement qui nÕagrerait ni lÕun ni lÕautre quartier, et que les gardes ne voudraient pas obir ces marchaux de camp du quartier du Moustier : enfin il me pria dÕaller sur les lieux avec Gamorini, le Meine, et les Essars, et que le lendemain je mÕen revinsse dner avec lui, lui ramenant ces trois personnages susdits, desquels il voulait aussi prendre lÕavis, ce que je fis le lendemain dimanche 5me, la pointe du jour, afin quÕil nÕy et aucun marchal de camp du quartier du Moustier qui mÕy vt. JÕy menai lesdits Gamorini, le Meine et les Essars, et Lancheres de plus qui avait la fivre, mais il se fora. Nous reconnmes exactement toutes choses, puis nous nous en revnmes Picacos faire notre rapport monsieur le conntable, qui fut conforme celui que jÕavais dit le jour prcdent, ce qui anima monsieur le conntable le faire excuter. Mais le mme jour Mr de Marillac le vint trouver, et assist de Mr de Schomberg, avec les grandes assurances quÕils lui donnrent de venir bien tt bout de Montauban, le portrent suivre leur opinion, dont mal en prit.
Le lundi 6me nous continumes de nous approcher des cornes du ct du cavain, et Mr de Faurilles, brave gentilhomme certes et expriment, duquel je recevais tant dÕassistance que jÕtais rsolu de le demander au roi pour mon compagnon marchal de camp, fut tu en un logement quÕil prtendait faire au cavain ; qui fut grand dommage.
Le mardi 7me nous fmes attachs la corne et commenmes une mine pour la faire sauter.
Il est savoir que ds le commencement du sige, sur lÕopinion que lÕon avait eue et les avis que lÕon avait reus de Montauban mme que des Cvennes il se prparait un secours par Mr de Rohan pour Montauban, et que trois ou quatre braves hommes se prparaient lever des gens pour cet effet, le roi avait envoy Mr dÕAngoulme colonel de la cavalerie lgre entre Castres et Saint-Antonin, avec des forces tant de cheval que de pied, suffisantes pour empcher que ce prtendu secours ne passt, et lÕavait fort assur de nÕen laisser passer aucun. Nanmoins je ne sais par quel malheur le dit secours compos de douze cents hommes de pied des Cvennes, conduit et command par un matre de camp nomm Beauffort et un autre, nomm Saint-Amans, passa travers des troupes de Mr dÕAngoulme sans tour ni atteinte et entra dans Saint-Antonin dessein de se venir jeter ensuite dans la fort de Gresine et venir, la tte couverte, jusques proche de Montauban hasarder dÕy entrer ; mais ceci nÕarriva quÕaprs.
Le mercredi 8me Gohas, capitaine des gardes, eut lÕpaule perce dÕune mousquetade, dans la tranche, en entrant en garde.
Le jeudi 9me nous fmes un logement fort ample dans les cornes, qui fut longuement disput par les ennemis, lequel enfin nous gagnmes. Treville, gentilhomme basque, qui portait le mousquet en la compagnie colonelle, sÕy signala fort, ce qui fit que je demandai et eus pour lui du roi une enseigne au rgiment de Navarre : mais comme je le menai Picacos pour en remercier le roi, il la refusa, disant quÕil nÕabandonnerait point le rgiment des gardes o il tait depuis quatre ans, et que si Sa Majest lÕavait jug digne dÕune enseigne en Navarre, il ferait si bien lÕavenir que sa conduite lÕobligerait lui en donner une aux gardes ; ce quÕElle a fait depuis, et plus encore.
Le vendredi 10me il nÕy avait que demi-pied de terre entre les ennemis et nous, depuis que nous avions gagn ce poste ; ce qui fut cause quÕincessament ils nous jetrent des pots feu et grenades pour nous empcher de travailler, et nous eux de mme.
Le samedi 11me Gamorini fit faire une machine pour gagner lÕminence et leur faire quitter le poste quÕils tenaient, laquelle ne nous profita point ; car les ennemis y mirent le feu. Notre mine continua cependant de sÕavancer.
Le dimanche 12me nous mmes des valobres au travers du foss de la corne, afin de passer srement, et fmes une autre grande attaque en laquelle nous leur cornmes la moiti de la corne. Mais ils avaient fait un retranchement derrire avec des chevaux de frise, et derrire eux, des mantelets lÕpreuve, derrire lesquels ils tiraient incessament, de sorte que nous fmes contraints de nous loger sur le haut.
Ce jour arriva le seigneur Pompeo Frangipani lequel je demandai au roi pour mon compagnon marchal de camp, et la faveur de Rouccelai qui tait grande vers monsieur le conntable, fit quÕil lui fut accord ; et vint servir en notre quartier sous Mrs les marchaux de Chaunes et de Pralain.
Le lundi 13me Mr du Maine fit faire une autre attaque au mme ravelin o il avait t si bien battu auparavant, et y eut mme succs et plusieurs des siens tus, ce qui donna grand cĻur aux ennemis et avilit ses gens : quant lui il tait enrag.
Le mardi 14me, il avait t rsolu quelques jours auparavant que lÕon couperait coups de canon le pont de Montauban afin dÕempcher le secours que ceux de Montauban pouvaient donner Ville Bourbon : Mr le marchal de Chaunes qui tait nouvellement arriv au camp, de retour de Toulouse o il avait t malade ds le commencement du sige, eut charge, et me la donna, de faire faire une batterie contre ledit pont. Mais comme elle tait loin et que cinq cents voles de canon nÕeussent peut-tre pas pu rompre ledit pont lequel toujours ils eussent pu refaire avec du bois, ayant remontr la grande dpense et la petite utilit qui en provenait, on me dit que je ne mÕy opinitrasse pas. Et en ce mme temps deux cents femmes qui taient laver les linges et les ustensiles sous ce pont et auprs, qui taient incommodes de ces coups de canon, sachant que Bassompierre tait avec commandement dans le quartier, qui avait toujours fait bonne guerre aux femmes, elles mÕenvoyrent un tambour pour me prier de leur part de ne point incommoder leur blanchissage, ce que je leur accordai franchement puisque jÕavais dj ordre de le faire, de sorte quÕelles mÕen surent un tel gr, et les femmes de la ville, quÕelles firent demander une trve pour me voir, et vinrent grande quantit des principales sur le haut de leurs retranchements me parler ; et moi, ce seul jour en tout le sige, je me mis en bon ordre et me parai pour les entretenir : ce qui arriva seulement le lendemain mercredi 15me, ayant t mand ds le matin pour aller trouver le roi avec Mrs les marchaux de Pralain et de Chaunes sur lÕavis que le roi eut du secours qui avait pass entre les doigts de Mr dÕAngoulme et tait arriv Saint-Antonin : Mr du Maine sÕy trouva aussi avec Mrs de Cramail et Gramont ses marchaux de camp, comme aussi Mrs de Chevreuse, Desdiguieres, de Saint-Geran et de Schomberg avec Marillac. Ce fut ce conseil o on se repentit de nÕavoir pas cru le bon avis de Mr le marchal Desdiguieres qui voulait que lÕon ft des lignes et des forts lÕentour de Montauban pour en empcher le secours. Mais comme il nÕtait plus temps, il fut rsolu trois choses : lÕune, que lÕon ferait venir Mr dÕAngoulme avec les forces quÕil avait, pour se loger entre Saint-Antonin et Montauban afin dÕempcher le passage au secours ; lÕautre, que lÕon ferait retrancher tous les chemins et avenues de Montauban ; la troisime, que de nos deux quartiers, des gardes et de Picardie, on tirerait tous les soirs mille hommes de chacun pour dfendre lesdites avenues et combattre les ennemis dans les chemins troits, tandis que Mr de Luxembourg avec cinq cents chevaux quÕil avait, garderait toute lÕavenue de Villemur Montauban et la plaine du Ramier qui tait la grande avenue, dont il se chargea (Mr de Vendme avec trois cents chevaux se chargea depuis de lÕavenue de Villemur) ; et que chaque nuit, de chaque quartier, il y aurait un chef qui irait commander ces troupes contre le secours, et que lÕon commencerait ds le lendemain jeudi 16me quÕen notre quartier messieurs les marchaux rsolurent que Mr de Pralain irait la premire nuit, Mr de Chaunes la seconde, et moi la troisime. Mais une heure devant que Mr le marchal de Pralain y dt aller, il reut une mousquetade qui lui entama la peau du ventre en effleurant seulement, de sorte quÕil fallut que jÕy allasse en sa place.
Le vendredi 17me Mrs du Maine et de Schomberg nous envoyrent prier de nous trouver au bout du pont du Tarn qui tait entre lÕattaque de Mr du Maine et la ntre : Mrs de Chaunes, de Pralain et moi, nous y trouvmes, et Mr du Maine nous pria de vouloir favoriser une nouvelle attaque quÕil voulait faire le lendemain Ville Bourbon, tant de notre canon que par quelque diversion, ce que messieurs les marchaux lui promirent.
Mr de Guise me voulut dbaucher pour aller dner avec lui chez Mr du Maine ; mais parce que Mr le marchal Desdiguieres nous avait donn rendez-vous au carero [carrire] de Ruffe, je mÕen excusai, et lui dis quÕil se prit garde de Mr du Maine qui nÕavait point plus grand plaisir que de faire tirer sur lui, ou sur ceux quÕil menait pour voir ses travaux, et quÕil sÕchaudait pour brler autrui. Mais mon grand regret ma prophtie fut en quelque sorte vritable ; car lÕaprs-dner, comme il leur montrait ses travaux, une arquebusade lui donna dans lÕĻil, qui avait prcdemment perc le chapeau de Mr de Schomberg, et le tua roide. Nous en apprmes la triste nouvelle au carero de Ruffe o messieurs les marchaux et moi tions venus trouver Mrs de Joinville, Desdiguieres et de Saint-Geran ; et l nous rsolmes de garder depuis notre quartier des gardes qui tait depuis le pont du Tarn jusques au pont de la Garrigue, et que ces messieurs du quartier de Picardie garderaient depuis ledit pont de la Garrigue jusques lÕautre pont du Tarn du ct du Moustier, et choismes nos champs de bataille en cas dÕalarme. LÕtonnement fut si grand dans le quartier de Mr du Maine par sa mort, que tous les chefs et troupes voulurent quitter ; mais Mr de Guise demeura cette nuit-l avec eux, qui les rassura. Le roi rechercha Mr de Guise de vouloir commander en ce quartier ; mais il sÕen excusa, et Mr de Thmines en eut seul le soin.
Le soir de ce jour-l Mr de Chaunes se trouva un peu mal, et fallut que jÕallasse cette nuit-l mener nos mille hommes contre le secours.
Le samedi 18me on sÕavana en nos tranches du ct du ravin. On continua la mine. Je fus Picacos par ordre du roi ; et au retour, comme cÕtait ma nuit dÕaller contre le secours, jÕy menai nos troupes.
Le dimanche 19me les ennemis vinrent mettre le feu la batterie de deux pices qui taient sur le bord de lÕeau, et se retirrent lÕheure mme quÕils lui eurent jet.
Il arriva peu de jours avant en lÕarme ce carme dchauss qui tait la bataille de Prague, et qui avait conseill de la donner : il tait estim homme de grande saintet. Monsieur le conntable lui demanda ce quÕil lui semblait que lÕon dt faire pour prendre Montauban. Il lui dit quÕil ft tirer quatre cents coups de canon coups perdus dans la ville, et que les habitants intimids infailliblement se rendraient. Ce fut pourquoi le roi mÕenvoya qurir le jour prcdent pour me commander de faire tirer les quatre cents coups de canon, comme je fis : mais les ennemis ne se rendirent pour cela.
Ce soir-l qui tait celui auquel Mr le marchal de Pralain devait veiller contre le secours, cause de sa blessure jÕy allai en sa place.
Le lundi 20me on continua nos travaux. Le soir Mr de Chaunes alla contre le secours, et parce quÕil nÕy avait encore point t et quÕil craignait, si les ennemis arrivaient, quÕil nÕy et du dsordre, il me pria dÕy aller avec lui, ce que je fis.
Le mardi 21me la mine fut quasi paracheve, et comme elle se devait faire jouer le lendemain auquel Mr de Chaunes tait en journe de commander, le capitaine des mines nomm Ramsai lui vint demander de combien il lui plaisait que lÕon la charget. Il demanda ceux qui taient prs de lui intelligents en cette affaire, de combien dÕordinaire on les chargeait. Ils lui dirent de six ou sept cents livres, et lui dit alors : Ē Je veux quÕelle fasse un grand effet : chargez-la de deux mille huit cents livres de poudre. Č Le Ramsai lui dit que cÕtait beaucoup ; mais il le voulut ainsi, croyant que ceux qui lui avaient dit de six ou sept cents, lui eussent dit de deux mille six ou sept cents.
Ce soir-l, cause de la blessure de Mr de Pralain, il fallut encore que jÕallasse veiller au secours pour lui.
Le mercredi 22me sur les neuf heures du matin il y eut une grande alarme de la venue du secours : chacun monta cheval et fit avancer les troupes ordonnes cet effet. Nanmoins Beauffort et ses troupes taient encore Saint-Antonin. Mr de Vendme qui avait quelque cavalerie, sÕen vint la plaine du Ramier vers nous, sur un faux avis que lÕon lui donna que les ennemis venaient par l. Comme ce bruit fut apais, chacun sÕen retourna.
Sur le soir comme jÕacheminais les troupes destines au secours parce que cÕtait ma nuit, je rencontrai en y allant messieurs les marchaux qui allaient aux tranches et me dirent quÕils allaient faire jouer la mine. Mr Frangipani tait avec eux, qui avait fait lÕordre que le rgiment de Chappes qui ce jour-l tait de garde, devait tenir : aussi tait Mr Frangipani en jour de commander de marchal de camp. Je leur dis quÕil me semblait quÕils la faisaient jouer bien tard et quÕil leur resterait peu de temps pour se loger dans lÕeffet de la mine ; car la nuit approchait, laquelle les mettrait en beaucoup de confusion et dsordre. Plusieurs taient de ce mme avis ; mais Mr de Chaunes (qui la voulait faire jouer en son jour), nÕy voulut consentir et me dit : Ē Je vois bien que cÕest : vous voudriez la faire jouer au jour de Mr de Pralain et de vous. Č Je lui demandai sÕil avait besoin de mon service, dont il me remercia. Je lui dis l-dessus que je laisserais aller le secours conduit par Mr de Fontenai matre de camp de Pimont, et quÕaprs avoir vu jouer la mine, jÕaurais temps de courir aprs, et suivis messieurs les marchaux qui se mirent en un lieu propre pour en voir lÕeffet, et moi auprs dÕeux. Mr de Chaunes envoya savoir si tout tait prt ; on lui manda que oui, une chose prs : cÕtait que le sieur de la Mayson (qui commandait le rgiment de Chappes aprs le matre de camp, comme premier capitaine et sergent major), voulait que lÕon abattt une petite galerie qui traversait le foss de la pice qui devait sauter, afin que les soldats allassent lÕeffet de la mine avec plus dÕordre, et Ramsai maintenait quÕil ne la pouvait laisser ter attendu que la fuse de la mine tait dessous. Mr de Chaunes me commanda dÕy aller et dÕordonner ce que je jugerais pour le mieux. JÕy courus donc, et comme jÕentrais dans cette petite galerie, je rencontrai Ramsai qui me dit : Ē Fuyez, Monsieur, car jÕai mis le feu la fuse de la mine qui fera mon avis un terrible effet. Č Je ne me le fis pas dire deux fois, et courus quarante pas de toute ma force pour mÕen loigner. Alors elle joua avec une plus grande violence que lÕon ne saurait dire, et emporta en lÕair toute la pice sous laquelle elle tait, qui fut assez longtemps sans redescendre ; enfin elle vint fondre dans la tranche sur nous. Je mis ma tte et mon corps sous un gros tonneau que je trouvai, qui ne fut pas assez fort pour soutenir et creva sous moi, et plus de mille livres de terre sur mes reins, mes cuisses et mes pieds. Je mÕen dptrai comme je pus, et tout froiss mÕen vins la mine, marchant sur les corps morts des ntres que la mine avait accabls, dont il y en avait plus de trente, et entre autres Ramsai. La mine emporta ce qui tait de notre ct et rendit les ennemis plus forts quÕils nÕtaient ; elle teignit la plus part des mches des soldats qui devaient donner, lesquels se prsentrent bravement, et quelques gentilshommes aussi, et furent un peu dans le lieu o la mine avait jou, ne pouvant monter plus avant cause quÕelle avait escarp la terre. Mais tt aprs les ennemis parurent au dessus et aux flancs, jetant pots feu, grenades et cercles sur nos gens, et tirant incessament sur eux : La Mayson qui y devait commander, fut tu dÕabord, et deux sergents. Mrs de Chaunes et de Pralain taient lÕentre et rafrachissaient continuellement de gens. Ce fut la premire fois que je vis Mr Frangipani faire sa charge quÕil excutait avec grand jugement et hardiesse, et fit ce jour l fort bien son devoir.
En mme temps les ennemis firent une sortie sur les deux compagnies des gardes qui taient au bout de la ligne qui fermait notre main gauche. Messieurs les marchaux me commandrent dÕy aller, et trente gentilshommes me suivirent, qui firent des merveilles ce soir-l, et puis dire quÕen un grand embarras comme fut celui l, la noblesse y va tout autrement que les simples soldats. JÕarrivai aux gardes comme les ennemis marchaient eux ; je les trouvai sur leurs armes en bon ordre pour les soutenir. Les deux capitaines Castelnaut et Meux furent fort aises de me voir et cette petite troupe de noblesse bien dlibre, parmi lesquels taient le comte de Torigny, Bourbonne, Manican, le baron de Seaux et dÕautres, qui proposrent dÕaller attaquer les ennemis au lieu de les attendre, ce que je trouvai bon et les capitaines aussi ; et en mme temps sortmes de notre poste, la tte baisse, aux ennemis lesquels, voyant notre rsolution, sÕarrtrent premirement, puis en nous tirant force mousquetades et quelques coups de pices dÕune courtine que lÕon nommait de Saint-Orse, rentrrent dans la ville. Je mÕen revins en mme temps avec ma noblesse au trou de la mine o je croyais que je ne serais pas inutile, me confiant que quand les ennemis retourneraient sortir sur ces deux compagnies des gardes, ils trouveraient gens qui parler.
Comme jÕarrivais au trou de la mine, je trouvai Mr le marchal de Pralain qui me dit : Ē Pour Dieu, mon fils, allez la batterie des quatre pices empcher que les ennemis qui y ont mis le feu, nÕemmnent ou nÕenclouent notre canon : je vous irai tout lÕheure secourir avec les gardes qui entrent. Č Nous tournmes lÕheure mme, tous ces gentilshommes et moi, et trouvmes les ennemis aux mains avec cinquante Suisses de ma compagnie qui taient de garde cette batterie, lesquels faisaient bravement coups de piques et de hallebardes. Je vis l pour la premire fois de ma vie, des femmes dans le combat jetant des pierres contre nous avec beaucoup plus de force et dÕanimosit que je nÕeusse pens, et en donnant aux soldats pour nous les jeter. Notre petit secours vint bien propos pour les Suisses qui avaient beaucoup de monde sur les bras, le feu la batterie, et les ennemis qui sÕefforaient de venir jusques aux quatre canons. Trois Suisses taient tendus sur la place et quantit de blesss. Ė notre arrive nous leur fmes une rude charge et les repoussmes coups de hallebarde : eux, en se retirant, nous jetaient quantit de pierres dont une bien grosse me donna sur le haut du front, qui me porta par terre vanoui : incontinent trois ou quatre Suisses mÕemportrent hors de la mle vingt pas de l, o je revins moi et retournai au combat, o peu aprs Mr de Pralain, comme il mÕavait promis, amena deux compagnies des gardes commandes par Tilladet, qui firent retirer bien vite les ennemis belles mousquetades et en turent quelques uns.
Je mÕen revins avec monsieur le marchal o la mine avait jou et o Mr de Chaunes sÕopinitrait hors de propos de faire un logement. Enfin il en demeura o il tait auparavant, et la garde nouvelle tant venue, ce fut au tour de Mr de Pralain de commander. Nous ne fmes pas plus tt arrivs prs de Mr de Chaunes que lÕon cria que les ennemis attaquaient notre garde qui nÕtait pas encore releve du ct de main droite et quÕils lui avaient fait quitter le cavain. Alors toute la noblesse avec moi y accourmes, passant par dessus les tranches dcouvert, et les vnmes prendre par derrire ; nous en tumes huit et en prmes deux, et leur fmes bien vite rentrer dans la ville. JÕavoue que notre noblesse ce jour-l fit des merveilles, et que sans elle nous eussions infailliblement reu quelque affront ; ils firent aussi un honorable rapport de moi, et messieurs les marchaux tmoignrent que jÕavais trs bien servi ce jour l : le roi mÕcrivit le lendemain une fort honnte lettre sur ce sujet.
Au sortir de l sur les neuf dix heures on me mit quelque chose sur ma tte et un bonnet fourr par dessus avec lequel jÕallai passer la nuit la garde du secours.
Le jeudi 23me nous nous occupmes raccommoder le mnage que les ennemis et notre impertinente mine avaient fait le soir prcdent.
Mr le marchal de Pralain avait veill toute la nuit dans les tranches qui taient en si mauvais tat quÕelles avaient besoin de sa prsence ; mais cela lui enflamma tellement sa blessure quÕil ne put aller cette nuit-l la garde contre le secours, et fallut que jÕy retournasse encore pour lui. Nous emes nouvelles que les ennemis taient partis de Saint-Antonin et venaient droit nous, ce qui nous fit tenir tout la nuit alerte. Mais le matin Mrs de Vendme, de Chevreuse et de Schomberg vinrent notre champ de bataille comme nous en voulions dloger, qui mÕassurrent que les ennemis taient dans la fort de la Gresine et que La Courbe capitaine des gardes de Mr de Vendme les y avait vus rentrer, nÕayant pas pu arriver de nuit pour se jeter dans Montauban. Sur cela ils prirent rsolution de les aller attaquer dans la fort de la Gresine et prirent ce quÕils purent de cavalerie et dÕinfanterie pour excuter leur dessein ; mais il y eut tant de discordance et de jalousie entre les chefs quÕils sÕen revinrent sans faire ni tenter aucun effet.
Ce fut le vendredi 24me quÕils y allrent et en revinrent aussi. Nous continumes nos tranches et jÕallai la nuit au secours ; car nos deux marchaux se trouvrent mal et me laissaient la corve.
Le samedi 25me les ennemis firent jouer sur les trois heures une mine au cavain, qui nous tua cinq hommes, mais ne gta rien notre logement. Je fus la nuit avec mille hommes contre le secours.
Le dimanche matin comme je revenais avec ces mille hommes dans notre camp, le roi mÕenvoya commander de le venir trouver Picacos. Je ne descendis point de cheval, et ainsi mal en ordre que jÕtais, ayant veill toute la nuit, et le sang caill de ma blessure la tte sÕtant pandu sur tout le visage et sur les yeux, je nÕtais pas reconnaissable. Comme jÕarrivai, le roi et monsieur le conntable me dirent que Mr de Luxembourg qui avait commandement sur six cents chevaux qui taient toutes les nuits sur pied pour empcher le secours, tait tomb malade, et quÕil fallait que jÕen prisse la charge jusques ce que le secours fut entr, ou dfait ; ce que jÕacceptai volontiers. Comme je parlais eux, la reine vint de Moissac, o elle demeurait pendant le sige, Picacos. Le roi envoya monsieur le conntable pour la recevoir et demeura parler avec moi. Comme elle entra, elle demanda monsieur le conntable qui tait ce vilain homme qui parlait au roi : il lui dit que cÕtait un seigneur du pays nomm le comte de Curton. Elle dit : Ē Jsus, quÕil est laid ! Č Monsieur le conntable dit au roi, comme il sÕapprocha de la reine : Ē Sire, prsentez Mr de Bassompierre la reine, et lui dites que cÕest le comte de Curton Č ; ce quÕil fit, et je lui baisai la robe ; puis ensuite monsieur le conntable me prsenta madame la princesse de Conty, Melle de Verneuil, madame la conntable de Montmorency, et madame sa femme, lesquelles je baisai et oyais quÕelles disaient : Ē Voil un trange homme et bien sale ; il fait bien de se tenir dans le pays. Č Alors je me mis rire, et mon ris et mes dents elles me reconnurent et eurent grand piti de moi et plus encore lÕaprs-dner quÕil y eut alarme du secours, et nous virent partir pour lÕaller combattre.
Je veillai encore cette nuit-l qui tait la mienne au secours, et avoue que je nÕen pouvais plus.
Le lundi 27me, jour de Saint-Michel, nous avions si fort en tte ce secours que nous nÕavancions pas beaucoup nos tranches. Mr le marchal de Pralain se portait mieux de sa blessure et me voyait si abattu de peine et de sommeil quÕil se rsolut dÕaller cette nuit-l la garde du secours.
JÕoubliais dire que nous avions barricad toutes les avenues des chemins que nous devions garder, et que nous mettions nos gens derrire ces barricades le long dÕun grand chemin creux qui traverse toute la plaine du Barnier entre Picacos et Montauban, prenant depuis le quartier des gardes jusques cent pas du pont de la Garrigue o il y en a un autre qui y va et le coupe.
Mr le marchal de Chaunes voulut aller la nuit la tranche, afin que je la pusse reposer toute entire, tant lÕonzime que jÕavais passe en lÕattente du secours. JÕoubliais aussi dire que Mr de Luxembourg ne put souffrir que le roi me commt la cavalerie, et dit quÕil se lverait plutt pour y aller, de sorte que lÕon en laissa la charge aux chefs des troupes. Ainsi franc et exempt de toutes corves je me mis table le soir avec plus de cinquante seigneurs ou gentilshommes qui logeaient chez moi ou aux logis attenants, lesquels mÕavaient toujours voulu accompagner toutes les fois que jÕavais veill lÕattente du secours.
Durant le souper on me vint dire quÕassurment le secours devait venir ce soir-l et que lÕon en avait quelques nouvelles, ce qui fut cause quÕaprs souper jÕallai chez Mr le marchal de Pralain et lui dis que jÕirais encore cette nuit pour lui assister et servir. Mais il me dit quÕil ne le souffrirait pas, quÕil nÕtait pas un novice qui et besoin que lÕon lui montrt sa leon ; que je lui laissasse seulement Le Meine pour lui montrer les postes, et quÕil nÕy aurait point de mal pour nous cette nuit-l ; que je mÕen allasse dormir en repos afin dÕtre en tat le lendemain et les autres jours pour y aller ; quÕil nÕavait aucune nouvelle du secours autre que celle dÕaccoutum, et que sÕil y en avait quelquÕune, il me le manderait. Sur cela je mÕen retournai mon logis et envoyai mon cuyer nomm Le Manny pour me venir dire sÕil y avait quelque nouvelle du secours. Il ne tarda gure revenir et me dire que La Courbe, capitaine des gardes de Mr de Vendme, me mandait quÕassurment nous aurions dans deux heures le secours sur les bras, et quÕil lÕavait vu marcher.
JÕtais prt de me jeter sur le lit, et dj Mr le duc de Retz et Mr de Canaples qui couchaient dans ma chambre taient endormis : je les rveillai et leur dis que lÕon me mandait que le secours venait ; mais ils crurent que je me moquais, et nÕy voulurent venir, ayant t dix nuits conscutives lÕattendre, et veiller. Je vins une galerie proche de ma chambre et dis que le secours venait et que je mÕy en allais ; mais de plus de trente gentilshommes qui y taient couchs aucun ne me crut, fors un nomm Rodon, fils de Mr de Cangs et le sieur des tant, qui vinrent avec moi. Je passai devant le quartier de Pimont et dis Mr de Fontenai quÕil mÕenvoyt deux cents hommes, ce quÕil fit : jÕen dis autant au colonel Hessy qui mÕamena aussi deux cents Suisses.
Comme jÕarrivai dans ce grand chemin qui spare la plaine du Ramier dÕavec Montauban, jÕy trouvai une extrme confusion. Monsieur le marchal avait envoy qurir cent gendarmes de la compagnie de Monsieur, frre du roi, lesquels taient dans le chemin et lÕoccupaient : Mrs de Vendme, de Chevreuse, Desdiguieres, Saint-Geran, Schomberg et Marillac y taient aussi. Il nÕy avait que les deux compagnies de Normandie qui eussent leur poste la barricade du carero de Ruffe ; cÕtaient Devenes et La Saludie qui les commandaient. Le rgiment dÕEstissac qui devait fournir quatre cents hommes les avait encore devant leur quartier, attendant lÕordre. Trois cents hommes de Pimont taient comme les autres dans le chemin, et deux cents des gardes aussi. Je rencontrai Le Meine qui menait vingt gendarmes de Monsieur dans la plaine pour prendre langue, et venir avertir. Je trouvai ensuite Mr le marchal de Pralain qui se fcha de me voir ; je lui dis : Ē On mÕa dit quÕassurment le secours venait ; si cela est, je ne vous serai pas inutile. Č Puis je lui dis : Ē Monsieur, voici bien de lÕembarras ; si les ennemis venaient dans cette confusion, ils passeraient, et ne les pourrions discerner dÕavec nos gens. Č Il me dit : Ē Ce sont ces messieurs qui font le dsordre : quel remde y peut-on apporter ? Č Ē Si ferai bien, si vous me le commandez, lui rpondis je ; car je ferai donner une alarme vers le pont de la Garrigue : ils y courront, puis je logerai Pimont pour les empcher de repasser. Cependant faites avancer ces gendarmes mille pas dans la plaine ; car cÕest l o ils joueront leur jeu si les ennemis viennent, et non ici. Č Il me dit quÕil les y voulait mener, et que si les ennemis venaient, quÕil en rendrait bon compte. Il me commanda aussi de mettre les deux cents hommes des gardes la traverse du chemin de Picacos qui va la Garrigue, ce que je fis, et tous ces messieurs sÕen allrent lÕalarme devers leur quartier, et je logeai les gardes et Pimont : puis comme tout fut dptr, Mr de Vendme arriva le dernier pour se retirer en son quartier, qui me dit quÕun sergent des ennemis sÕtait venu rendre la barricade de Normandie, qui assurait que les ennemis le suivaient de prs et quÕils taient bien prs dÕeux.
Les deux cents Suisses mÕarrivrent lors au bout du chemin devers le pont ; je les fis retourner le plus diligemment quÕils purent vers le carero de Ruffe o tait Normandie, et en mme temps jÕoyais tirer des coups de pistolet, ce qui me fit croire que cÕtait quelque cavalerie qui les attaquait. Je suivis les coups de pistolet et descendis au carero de Ruffe o un corps de garde avanc fit sa dcharge et puis se retira dans la barricade, qui se mit en tat de les attendre, et lÕheure mme les ennemis vinrent donner par deux fois dans la barricade, qui fut trs bien soutenue par ces deux compagnies de Normandie. JÕtais en impatience des Suisses, qui arrivrent en mme temps ; je leur fis laisser leurs tambours la main droite et les fis passer doucement la main gauche. Les ennemis qui ourent battre ces tambours suisses leur main gauche, nÕy voulurent pas donner ; ils se jetrent leur main droite qui tait notre gauche, et parce que le chemin tait creux (comme ils le sont tous en ce pays-l), il fallait quÕils sautassent dedans plus de quatre pieds de haut. Ils taient onze cents hommes spars en trois bataillons : celui de lÕavant-garde passa, plus haut que le lieu o taient les Suisses, proche du rgiment dÕEstissac qui tait en bataille devant son quartier et qui par inadvertance ou pour croire que cÕtaient de nos troupes (ce qui tait toutefois hors dÕapparence), le laissrent passer franc sans lui donner ni tour ni atteinte. Le bataillon qui le suivait, qui tait le corps de bataille, o taient leurs enseignes, vint descendre dans les Suisses et moi, et crus dÕabord que cÕtait le rgiment dÕEstissac qui venait au bruit de lÕattaque des ennemis notre barricade, et dÕautant plus quÕils criaient : Vive le roi ! Mais un soldat des ennemis, par mgarde ou pour y tre accoutum, dit : Vive Rohan ! Alors je criai aux Suisses que cÕtaient les ennemis, qui ne se le firent pas dire deux fois, et menrent bien les mains. JÕavais une hallebarde en main, de laquelle je voulus donner dans le corps dÕun des premiers qui descendit dans le chemin ; mais la nuit me fit faillir ma mesure, et tombai devant lui, qui fut en mme temps tu sur moi et trois ou quatre autres ensuite, et je craignis bien plus dÕtre tu des Suisses en me relevant, que des ennemis : enfin un des miens nomm le Manny, et le sieur des tant, me tirrent de dessous ces morts, et lors je mÕemployai comme les autres. De tout ce bataillon il ne se sauva pas quatre hommes qui ne fussent tus ou pris, et tus par de si grands coups que le lendemain on sÕen merveillait.
Il y avait en tout le secours onze enseignes de gens de pied. Un des capitaines qui taient dans lÕescadron en fit prendre cinq drapeaux par un homme fort et dispos et fit une rude charge pendant quÕ ct de lui cet homme passa avec les drapeaux. Ce capitaine fut incontinent tu, et ceux qui taient avec lui la charge : il respirait encore aprs le combat, et comme je disais que ceux-l avaient charg rudement et que lÕun dÕeux avait donn un coup de pistolet dans le bras du colonel Hessy, il souleva sa tte et dit : Ē CÕest moi, Monsieur, qui lui ai donn et qui meurs bien heureux dÕavoir donn moyen de sauver une partie de nos drapeaux. Č Je le fis retirer de l pour le porter panser : mais il expira avant que dÕarriver o taient les chirurgiens, dont je fus marri ; car je le voulais sauver.
Le troisime bataillon voyant comme nous avions malmen ce second, nÕosa pas se hasarder de passer et sÕen retourna dans la plaine ; mais nous envoymes le comte dÕAyen avec sa compagnie de chevau-lgers, qui les atteignit avant quÕils eussent gagn la fort de Gresine et les prit tous prisonniers.
Le matre de camp Beaufort passa avec le premier bataillon, et entendant le combat du second, y accourut cheval et fut enferm dans le chemin entre les Suisses et douze des gendarmes de la compagnie de Monsieur frre du roi, que menait le sieur de Garennes enseigne de la compagnie, et fut port par terre de plusieurs coups et prisonnier, dont depuis il gurit.
Mr le marchal de Pralain qui tait la campagne avec la cavalerie, arriva en ce temps, et voyant comme nous avions bien fait, nous loua fort. Je lui prsentai Beaufort qui lui dit que le premier bataillon allait la ville. Il courut aprs ; mais il le trouva dj entr dedans, hormis quelques paresseux quÕil tailla en pices.
Peu aprs, Modene qui tait avec la cavalerie qui avait laiss passer le secours sur ce quÕil les avait conseills de sÕen aller par un lieu o les ennemis ne venaient pas, sÕen vint me trouver et me dire que par le plus grand malheur du monde, tout le secours tait entr sans que lÕon lÕait rencontr ; quÕil avait tir deux coups de pistolets pour avertir quÕils passaient, et que personne nÕtait venu lui ; quÕil les avait mens jusques proche de la ville et les avait compts ; quÕils taient quinze cents au moins, et plusieurs autres contes et fables selon sa coutume. Je me mis en colre et lui dis quÕil nÕtait rien de tout ce quÕil me disait, et quÕil venait aprs le coup nous en faire accroire, et pour preuve je lui montrai plus de deux cents hommes morts en cent pas de place, et cent autres en peu dÕespace de l. Il me loua grandement, et puis alla toute bride dire monsieur le conntable que nÕayant pu induire la cavalerie dfaire le secours, quÕil mÕtait venu montrer par o ils passaient pour me les faire attaquer, et en me louant mdiocrement lui dit que lui avait fait des merveilles, dont il eut le lendemain la hue quand on sut ce quÕil avait fait.
Vers la pointe du jour monsieur le conntable avec Mrs de Guise et de Montmorency, arrivrent. Je lui prsentai Beaufort, Penavere gouverneur de Saint-Antonin, deux capitaines en chef prisonniers (il en demeura deux autres sur la place, deux lieutenants et trois enseignes), et six drapeaux que nous avions gagn, et le menai au lieu o le combat sÕtait fait, quÕil fut fort aise de voir, puis voulut me ramener Picacos trouver le roi auquel il me prsenta avec beaucoup dÕhonneur, et le roi me reut trs bien. LÕaprs-dner on lui mena les prisonniers qui taient prs de quatre cents, tant de ceux du comte dÕAyen que des Suisses. La plupart des blesss moururent, et le roi envoya les sains aux galres. On croyait que je fusse bless, voyant toute ma hongreline en sang ; mais cÕtait de celui des ennemis que lÕon avait tus sur moi, tant tomb.
Ce fut le mardi 28me, et je revins au soir en notre quartier o les ennemis firent jouer une mine qui faillit dÕenterrer Mr de Pralain. Les ennemis firent semblant de sortir deux ou trois fois ; mais ils nous trouvrent en tat de ne leur laisser pas faire long chemin et sÕen dsistrent. JÕeus ensuite cong dÕaller dormir, que je nÕavais pu obtenir les onze jours prcdents.
Octobre. Ń Le vendredi premier jour dÕoctobre, Mrs les marchaux de Pralain et de Chaunes firent faire une forte attaque o ils gagnrent un grand coin des cornes et se logrent de telle faon quÕentre deux terres ils pouvaient gagner jusques contre la contrescarpe de la ville la sape.
Le samedi 2me et le dimanche aussi, la pluie nous incommoda, qui fut violente et remplit nos tranches en plusieurs lieux.
Le lundi 4me le roi envoya qurir messieurs les marchaux et me fit aussi commander de les suivre Picacos. Nous dnmes avec monsieur le conntable, avec tous les chefs et marchaux de camp de lÕattaque du Moustier, avec lesquels tait toujours joint Mr de Schomberg. Il faisait ce jour-l un grand festin au milord de Hey ambassadeur dÕAngleterre, qui eut audience lÕaprs-dner, aprs laquelle le roi et monsieur le conntable vinrent en la chambre de Mr de Luxembourg qui tait malade, o il nous avait command de nous trouver pour tenir conseil de guerre. Le pre Arnoux me dit en entrant : Ē Et bien, Monsieur, Montauban se va donner au moins disant, comme les Ļuvres publiques de la France : en combien de jours offrez-vous de la prendre ? Č Je lui dis : Ē Mon pre, ce serait une offre bien prsomptueuse si lÕon donnait un jour dtermin de prendre une telle place que Montauban, et on ne peut rpondre autre chose sinon que ce sera selon la forte attaque que nous ferons, ou la dfense que feront les ennemis, ou les facilits, ou empchements que nous y rencontrerons. Č Il me dit lors : Ē Nous avons des marchands bien plus dtermins que vous ; car ces messieurs du quartier de Picardie rpondent sur leurs ttes et sur leurs honneurs de la prendre dans douze jours aprs que vous leur aurez livr vos canons. Et cÕest de quoi il se va maintenant traiter, et vous ferez chose agrable au roi et monsieur le conntable de nÕy point contrarier, si ce nÕest que vous veilliez prendre un temps encore plus court quÕeux pour mettre Montauban entre les mains du roi. Č
Le roi arriva sur lÕheure, et je fus contraint de laisser sur ce discours le pre confesseur du roi, qui me fit ce bien de me donner moyen de penser ce que nous aurions rpondre : et parce que je craignais que messieurs les marchaux qui me commandaient, par opinitret, ou jalousie, ne voulussent faire quelque refus de donner les pices de notre quartier, je les tirai part et leur dis : Ē Messieurs, on nous a envoy qurir ce conseil pour tcher de vous prendre par le bec, et de vous embarquer en une chose pour dcharger messieurs du quartier de Picardie et en charger vos paules ; cÕest pourquoi il vous faut bien prendre garde ce que vous direz. Ces messieurs nÕont pas voulu faire la descente dans le foss du bastion du Moustier, et ne savent plus o ils en sont. Ils disent que sÕils avaient vos canons avec les leurs, ils prendraient infailliblement Montauban ; ils esprent que vous ne les voudrez pas bailler, afin dÕen jeter la faute sur vous : au nom de Dieu, ne le faites pas. Vous avez dj eu lÕhonneur dÕavoir dfait le secours ; toutes choses sont encore entires pour vous : mais lÕhiver sÕapproche plus vite de nous que nous ne nous approchons de Montauban ; les maladies attaquent dj lÕarme, et elle sÕaffaiblit tous les jours. Si ces messieurs savent une finesse pour prendre Montauban, nÕenvions point leur science : ils nous pargneront bien de la peine et peut-tre des coups, et outre plus prennent sur eux une chose bien hasardeuse dont ils nous veulent dcharger. Ne me demandez pas dÕo je sais cette nouvelle, mais profitez-en. Č Messieurs les marchaux crurent que le roi me lÕavait dite, et me dirent quÕils se conformeraient en ce que je leur conseillais, et que pas un ne rpondrait sans lÕavis de tous trois, et me voulurent faire cet honneur de mÕadjoindre leurs rsolutions.
Sur cet instant le roi nous commanda de nous asseoir. Puis monsieur le conntable nous dit que la prise de Montauban tait si importante au bien du service du roi, que tous ses serviteurs se devaient porter avec une passion violente lui faire conqurir, et quitter toutes les mulations, jalousies et envies que le courage et lÕambition auraient mises dans nos cĻurs, pour cooprer tous ensemble lÕeffet de ce qui lui doit tre si utile et tout lÕtat ; que Sa Majest ne laisserait pas de savoir un trs bon gr ceux qui ne lÕauraient pas prise, lesquels il rserverait pour dÕautres occasions qui ne seraient que trop frquentes dans le progrs de cette guerre, et que pour nous exhorter cela, il nous avait assembls tant pour prendre une dtermine rsolution comme pour faire que les uns et les autres sÕentraidassent lÕexcution de ce qui serait rsolu ; et que le quartier des gardes tant le premier, cÕtait aussi lui qui il sÕadressait le premier pour savoir en combien de temps prcisment nous voulions rpondre de prendre la ville de Montauban. Mrs de Pralain et de Chaunes, et moi leur suite, aprs avoir consult ensemble, rpondmes que nous y apporterions tout le soin, et la peine imaginable, et telle que Sa Majest en serait satisfaite, et que nous ne lui en pouvions limiter dÕautre temps pour la prise sinon lui rpondre que ce serait plus tt ou plus tard selon la bonne ou mauvaise dfense des assigs et selon les facilits ou inconvnients que nous y rencontrerions. Sur cette rponse, monsieur le conntable nous dit que messieurs de lÕattaque de Picardie lÕassuraient de la prendre dans douze jours, et en mme temps Mr le marchal de Saint-Geran dit : Ē Oui, Sire, nous vous le promettons sur notre honneur et sur notre vie. Č Nous lui dmes que cÕtait un trs grand service quÕils rendaient au roi, o nous prenions la part qui appartenait de si passionns serviteurs comme nous tions Sa Majest, nous offrant, sÕil y avait quelque chose en notre puissance, capable de contribuer une si gnreuse proposition, de lÕemployer franchement. Sur cela monsieur le conntable nous dit que le roi nous en savait gr, et que ces messieurs auraient besoin des seize canons qui taient en notre quartier, lesquels nous accordmes sans rplique, offrant de plus que si pour quelque attaque ou autre occasion, ces messieurs avaient besoin de quelque secours, que messieurs les marchaux mÕenverraient avec quinze cents, voire deux mille bons hommes pour tre employs ce quÕil leur plairait me commander ; dont ils nous remercirent. Nous dmes ensuite monsieur le conntable que moyennant ce, le roi nous dchargeait, non du sige de la ville, lequel nous continuerions, mais de la prise ; ce que le roi nous accorda. Ainsi nous nous en retournmes satisfaits de nÕavoir plus rien faire que de nous conserver, et divertir les ennemis par quelques attaques, mines, et sapes, de temps en temps.
Le mardi 5me nous fmes tirer de toutes nos pices quelques coups de chacune, pour ne pas faire connatre aux ennemis que nous les voulussions ter, et toute la nuit nous en amenmes treize jusques au parc de notre artillerie.
Le mercredi 6me nous arrivrent deux btardes que nous avions demandes au roi pour escarmoucher, au lieu de nos canons, et la nuit nous tirmes des batteries les trois autres canons restants.
Le jeudi 7me nous envoymes huit cents Suisses pour faire escorte huit pices de canon qui furent envoyes au quartier du Moustier par de lÕeau, et le lendemain on y mena les autres.
Nous ne laissmes pas pour cela en notre quartier dÕavancer toujours quelques nouveaux travaux, de tenir les anciens en bon tat et nos batteries aussi, dÕlever un cavalier sur lequel nous mmes ces deux btardes qui importunaient toujours les ennemis qui surent bien tt que nous nÕavions plus de canons, dont ils se moquaient de nous.
Le samedi 9me octobre Mr de la Force fut la tte de notre travail ; je fis incontinent dfendre de tirer, et parlmes sur le haut des cornes assez longtemps ensemble, lui me tmoignant beaucoup de dsir de voir un bon accommodement, et quÕil me priait dÕagir le plus que je pourrais en la perfection de ce bon Ļuvre et dÕanimer Mr le marchal de Chaunes y porter monsieur le conntable son frre, lequel se devait dans peu de jours aboucher avec Mr de Rohan qui viendrait proche de Montauban cet effet. Ce furent les premires nouvelles que jÕen appris. Il me dit aussi quÕil tait bien marri quÕune migraine que ce jour-l avait Mr le marchal de Chaunes lÕempchait de le voir, et que ce serait quand il lui voudrait permettre ; me priant dÕassurer Mr de Pralain et lui quÕil tait leur serviteur trs humble, ce que je fis ponctuellement. Il avait avec lui Saint-Orse et Lendresse, deux capitaines braves hommes qui avaient charge de ce ct-l.
Je mÕen retournai dire messieurs les marchaux que je trouvai ensemble chez Mr de Chaunes, ce qui sÕtait pass entre Mr de la Force et moi et ce quÕil mÕavait pri de leur dire. Alors Mr de Chaunes ne nous cela plus ce qui se traitait entre monsieur le conntable et Mr de Rohan, nous priant de le tenir secret. Il me dit de plus que Mr le cardinal de Retz, Mr de Schomberg et le pre Arnoul contrariaient lÕaccommodement : les deux cause de leur profession, le troisime pour la certaine crance quÕil avait de prendre dans huit jours Montauban, et quÕil lui avait dit quÕil voulait tre dshonor et ne porter jamais pe en son ct sÕil nÕtait dans dix jours au plus tard dans la ville ; ce qui me fit rsoudre dÕy aller le lendemain matin, et leur en demandai cong.
Je ne le pus faire nanmoins parce que ce matin-l, dimanche 10me, les ennemis firent une furieuse sortie du ct de Ville Bourbon, gagnrent les premires tranches quÕils gardrent assez longtemps, emmenrent un gros mortier de fonte jeter des bombes, turent quelques soldats qui rsistrent, et eussent nettoy toute la tranche si Mr le marchal de Thmines et Mrs les comtes de Gramont et de Cramail ne fussent venus courageusement sÕopposer leur furie et les arrter sur cul. Je mÕavanai avec cinq cents hommes en mme temps sur le pont du Tarn et envoyai savoir de monsieur le marchal sÕil avait besoin de mon service et que jÕtais prs de lui avec de bons hommes. Mais lui qui avait dj mis quelque ordre et repouss les ennemis, mÕenvoya remercier : je vins nanmoins seul le trouver et voir le dgt que les ennemis avaient fait, que lui et messieurs les marchaux de camp firent rparer en peu dÕheures. Ė la vrit ce quartier-l tait trs faible depuis la mort de Mr du Maine, et dprissait tous les jours ; car les soldats quittaient : de sorte que monsieur le marchal envoya prier Mr de Pralain qui tait en jour, de lui envoyer quelques troupes de son quartier pour faire cette nuit-l la garde ; ce quÕil fit et me commanda dÕy mener sept compagnies du rgiment des gardes que jÕy laissai pour venir de l la garde de nos tranches, dont ces sept compagnies furent mal satisfaites, et dirent quÕelles nÕy viendraient pas une autre fois si je nÕy demeurais.
JÕallai cette mme aprs-dne au quartier du Moustier o je trouvai Mr le marchal de Saint-Geran et Mr de Marillac. Je fis semblant que jÕtais seulement venu pour visiter Zamet qui tait bless ; mais en effet cÕtait pour voir o ils en taient de la prise de Montauban dont ils parlaient si affirmativement. Eux dÕabord me prirent de venir voir leurs travaux, et lÕinfaillibilit quÕil y avait en la prompte prise de Montauban. Je trouvai que depuis la grande dispute que jÕavais eue avec eux pour la descente dans le foss, quÕils avaient toujours avanc gauche du long de la contrescarpe jusques ce quÕils taient venus sur le prcipice, et quÕalors ils avaient coul le long du penchant sur le Tarn par une tranche troite et incommode jusques ce quÕils eussent trouv un certain tertre qui leur faisait une place dÕarmes en lÕaplanissant. Il tait vrai quÕil nÕy avait de ce ct l autre fortification que les murailles de la ville auxquelles mmes taient attaches les maisons ; que le foss nÕavait que deux toises ou deux toises et demi de creux, qui nÕavait pas grands flancs, et mme dans le foss on y tait avec peu de pril. LÕimportance tait de battre cette muraille ; car du lieu o taient leurs batteries, qui tait fort bas, on ne pouvait voir une toise et demi prs du pied de la muraille, ce que je fis considrer ces messieurs : mais ils me dirent que les ruines des murailles y feraient un talus facile y monter, ce que je ne pus croire, et le disputai avec eux dÕautant plus fermement que le foss allait en penchant du ct de la contrescarpe. Lors, ils me dirent en secret quÕ tout vnement la place dÕarmes quÕils aplanaient alors leur ferait loger trois canons avec lesquels ils verraient le fond du foss, et quÕils avaient une invention pour les y guinder force de bras ; ce qui et t une grande affaire si elle et pu russir : mais jÕy voyais de grandes difficults, dont la principale tait que les ennemis tcheraient par mines (comme ils firent ensuite), ou en leur coupant leur tranche pour y venir (ce qui nÕtait pas impossible vu sa forme et sa situation), de les en empcher.
Je mÕen revins en notre quartier, plus confirm que jamais que ces messieurs btissaient sur de faux fondements, et le dis Mr le marchal de Chaunes, le suppliant instament de porter monsieur le conntable une bonne paix, sÕil y trouvait jour, de crainte quÕil ne ret et le roi premirement, quelque notable dommage et honte.
Il fut dÕavis de me mener le lendemain lundi 11me Picacos avec lui pour en parler moi-mme monsieur le conntable, ce que je fis fort amplement, et le laissai partir ce jour mme, fort dlibr de conclure la paix sÕil y voyait jour. Il sÕen alla quatre lieues de Picacos en un chteau nomm Renies o il avait donn sret Mr de Rohan de lui venir parler. Ils confrrent longtemps ensemble, et approchrent toutes choses de lÕaccommodement : nanmoins pour plusieurs respects monsieur le conntable ne voulut rien conclure sans en avoir prcdemment eu lÕapprobation du roi et de son conseil.
Il en revint seulement le mardi 12me bien tard, et envoya le mme soir donner rendez-vous Mrs de Chaunes et de Schomberg de le venir trouver le lendemain mercredi 13me Picacos, au conseil, o ils se rendirent, et Mr de Chaunes voulut que je le suivisse.
Monsieur le conntable proposa au conseil secret (je nÕy tais pas), les conditions dont il tait demeur comme dÕaccord avec Mr de Rohan, qui taient avantageuses et honorables pour le roi, utiles pour lÕtat, lesquelles furent trouves raisonnables par tous ceux du conseil, qui taient le roi, Mr le cardinal de Retz, monsieur le conntable, Mr de Chaunes, Mr de Schomberg, et Mr de Puisieux qui nÕy tait quÕen qualit de secrtaire dÕtat et debout, mais ne laissait pas dÕen dire souvent son avis. Mais Mr de Schomberg ajouta son opinion que bien que les articles apports par monsieur le conntable ne fussent rejeter, nanmoins quÕil ne conseillait pas que lÕon les accordt prsentement, mais que lÕon les dlayt pour quinze jours, attendu quÕen ce temps-l le roi serait matre absolu de Montauban et aurait les mmes conditions en sa puissance que lÕon lui offrait maintenant, et de plus hautes sÕil en demandait ; et comme Mr de Chaunes rpliqua quÕen cas aussi que lÕon ne prt point Montauban, si on tait assur dÕavoir les mmes conditions, Mr de Schomberg dit que cÕtait un cas quÕil ne fallait pas poser parce que la prise en tait infaillible, quÕil en rpondait au roi sur son honneur et sur sa vie, et quÕen cas que cela ne ft, il voulait que le roi lui fit trancher la tte : sur quoi il fut rsolu de remettre quinzaine le trait, et de le mander Mr de Rohan qui en attendait la rponse Renies.
Ce jour mme Mr le marchal de Thmines manda monsieur le conntable que son quartier diminuait de gens toute heure, et que ses gardes taient si petites que si les ennemis entreprenaient sur eux, il serait forc dÕabandonner leurs tranches ; que pour cet effet il le suppliait de commander quÕil entrt tous les soirs des troupes de notre quartier six cents hommes pour garder le sien. Monsieur le conntable en parla Mr de Chaunes devant moi : mais je lui dis quÕil avait t affriand de lÕenvoi que nous lui avions fait peu de jours auparavant de sept compagnies des gardes ; que nous nÕavions que les gens quÕil nous fallait pour garder notre attaque, et que les troupes enrageaient dÕtre commandes dÕaller garder un autre quartier que le leur ; finalement quÕils cherchaient leur aise au prix de notre incommodit, et leur sret en notre pril. Monsieur le conntable prit bien mes raisons et ne nous commanda rien l-dessus, renvoyant le gentilhomme quÕil lui avait envoy, qui lui dit de plus que monsieur le marchal tait assez mal dÕune fivre depuis deux jours.
Mais sur la rponse que ledit sieur marchal eut par son homme, il le renvoya le lendemain matin jeudi 14me pour lÕen presser de nouveau et protester du mal qui en pourrait arriver si lÕon nÕy pourvoyait, et quÕil quitterait le quartier ; ce qui fut cause que monsieur le conntable envoya un ordre prcis Mrs les marchaux de Pralain et de Chaunes pour envoyer les six cents hommes en garde que Mr de Thmines demandait, lequel ordre ils me donnrent pour regarder aux moyens de le pouvoir excuter. Quand je me vis si press, je mÕavisai dÕune ruse que je mis incontinent en pratique, qui fut dÕenvoyer prier Mrs les comtes de Cramail et de Gramont de venir dner chez moi qui avais quelque chose de consquence leur dclarer : quand ils furent arrivs, je leur fis voir lÕordre que jÕavais dÕenvoyer six cents hommes garder leurs tranches ; et parce quÕils taient mes anciens frres et amis, je ne lÕavais voulu faire sans leur en dire prcdemment mon avis, qui tait que ce leur tait une espce dÕaffront dÕenvoyer un marchal de camp tranger commander leur prjudice dans leur quartier, et que nos troupes nÕy voulaient aller si Frangipani ou moi ne les y allions mener et commander ; que cÕtait eux y pourvoir, et que sÕils voulaient aller aprs dner remontrer au roi et monsieur le conntable leur intrt sur ce sujet, quÕils pourraient mon avis faire rompre cet ordre, et que, ce me semble, ils devaient demander des corps entiers pour venir camper avec eux, auxquels ils commandassent ; que des troupes de Mr de Montmorency il y avait encore quatre ou cinq cents hommes des rgiments de Fabregues et de La Roquette, qui huttaient entre le quartier de Picardie et nous ; que lÕon attendait dans deux jours le rgiment de Languedoc command par Portes, et dÕautres qui viendraient tous les jours, dont on fortifierait leur quartier ; que cÕtait une vision de Mr le marchal de Thmines malade. Ils prirent mon avis de la mme main que je leur avais prsent, allrent aprs dner trouver monsieur le conntable pour le prier de changer cet ordre, mais de leur renforcer leur quartier de troupes nouvelles qui devaient venir lÕarme ; ce quÕil leur promit, et dlivra notre quartier de ce surcrot de garde.
Le vendredi 15me Mr le marchal de Thmines mÕenvoya dire que je lui vinsse parler au pont du Tarn ; ce que je fis, et le trouvai dans sa litire avec son train, sÕen allant de lÕarme par la permission qui lui en tait lÕheure mme venue du roi. Il tait fort malade, et la mine et lÕeffet : il se dressa comme il put sur la litire et me dit que lÕextrmit de sa maladie le forait de quitter son quartier, et quÕoutre cela le mauvais tat o il tait lÕet contraint de lÕabandonner ; quÕil me le consignait pour le garder, et que jÕy envoyasse des troupes au nombre que je jugerais propos. Je crus quÕil rvait de me tenir ce langage et lui dis que ce nÕtait pas moi qui il le devait remettre, mais monsieur le conntable qui lui avait mis en main ; que jÕavais charge de celui des gardes sous Mrs les marchaux de Chaunes et de Pralain, dont jÕtais bien empch de mÕacquitter ; plus forte raison ne me chargerais-je pas dÕune nouvelle commission, laquelle je ne voudrais pas accepter si le roi mme me la commettait, sÕil ne me dchargeait de celle des gardes. Sur cela il sÕmut fort, et me dit quÕil me le reprocherait un jour ; quÕil nÕet pas cru cela de moi, et quÕil protestait, en cas que je ne lÕacceptasse, du mal qui en pourrait arriver : et moi je lui dis absolument que je nÕen ferais rien. JÕai toujours cru depuis que son mal le troubla de sorte quÕil ne me connut pas, ou quÕil ne savait ce quÕil me disait : car il laissait deux marchaux de camp comme moi ; je nÕavais aucune part ni dpendance en son quartier ; je nÕeusse pu prendre cette commission que du roi seul ou de monsieur le conntable, et je ne lÕeusse jamais accepte au prjudice de mes amis.
Nous avions fait faire en notre quartier un cavalier sur lequel nous avions mis deux btardes qui voyaient et tiraient dans les pices des ennemis et les endommageaient grandement : je crois que si nous y eussions eu des canons de batterie, quÕils y eussent fait merveilles. Nous travaillions encore une mine plutt par divertissement que pour aucun autre effet, nÕayant plus autre dessein que de garder les postes avancs que nous tenions. Nous faisions quelquefois des trves de deux ou trois heures pendant lesquelles nous parlions les uns aux autres en trs grande privaut, et sans crainte les uns des autres. Messieurs de la Force, et comte dÕOrval qui avait le titre de gouverneur de Montauban, bien que son beau-pre y et le principal crdit, me priaient souvent de baiser les mains de leur part monsieur le conntable et Mrs les marchaux de Chaunes et de Pralain : je leur assurai de le faire et de moyenner une entrevue entre eux, dont ils me tmoignrent tre fort contents.
Nous continumes ainsi en notre quartier moiti guerre, moiti marchandise, jusques au mercredi 20me que monsieur le conntable mÕenvoya commander de le venir trouver chez Mr de Schomberg au quartier de Picardie o il avait dn. Il sÕenquit de moi si nous avions une mine prte jouer et une attaque faire ainsi quÕil me lÕavait command quelques jours auparavant, dont je lÕassurai que tout tait prt quand il lÕordonnerait. Il me dit lors : Ē Il faut que ce soit pour demain quand je le vous enverrai dire ; car sÕil plait Dieu, nous serons demain dans Montauban pourvu que chacun veuille bien faire son devoir. Č Je lÕassurai quÕil ne tiendrait pas ceux de notre quartier dÕy apporter toute leur industrie et pouvoir. Il me dit quÕil ne voulait rien autre de nous sinon que par une feinte attaque nous eussions divertir les ennemis pendant que du ct de Picardie on forcerait la ville. Je ne me pus tenir de lui dire : Ē Monsieur, vous en parlez avec une grande confiance : Dieu veuille quÕelle ne soit point vaine. Č JÕavais bien ou les deux jours prcdents une furieuse batterie en ce quartier-l ; mais je ne mÕapercevais point dÕaucune brche raisonnable ni dÕautre chose qui nous dt donner aucune apparence de cela : et certes je me suis mille fois depuis tonn dÕun tel aveuglement qui ait continu si longtemps et tant de diverses personnes, et nÕai jamais su quoi lÕattribuer. Mr de Schomberg mme en me disant adieu, il me dit : Ē Mon frre, je vous offre aprs demain dner dans Montauban. Č Je lui dis : Ē Mon frre, ce sera un vendredi et jour de poisson ; remettons la partie au dimanche, et nÕy manquez point. Č
Je vins rapporter lÕordre que mÕavait donn monsieur le conntable messieurs nos marchaux, lesquels me commandrent de faire charger notre mine et de tenir toutes choses prtes pour le lendemain.
Ce fut le jeudi 21me jour dÕoctobre quÕau matin le roi et monsieur le conntable partirent de Picacos ayant fait porter leur dner au quartier de Picardie, o se devait faire cette solennelle excution, avec une telle certitude que Reperan secrtaire de Mr de Schomberg convia les commis de Mr de Puisieux de venir dans sa chambre pour voir prendre Montauban ; que les chefs du quartier commandrent leurs gens dÕtre prts porter leur souper et coucher dans la ville quand on leur manderait. Ils placrent le roi, Mr de Retz, cardinal, monsieur le conntable, le pre Arnoux, Mr de Puisieux et autres en lieu o ils pussent facilement voir forcer la ville, et tant dÕautres choses plus ridicules que je ne daignerais crire.
LÕordre gnral et particulier fut fait : on nous manda de commencer la danse en notre quartier. Le roi envoya plusieurs fois savoir quoi il tenait que lÕon ne donnt, et il nÕy avait ni descente au foss, ni monte la brche, ni mme brche, qui ne fut rempare : il y avait mme une pice entre la brche et le lieu dÕo lÕon partait, qui nÕtait ni ruine, ni battue : il nÕy avait point dÕchelles pour y monter, et quand il y en et eu, point de moyen de le faire. Enfin aprs avoir consum toute la journe jusques six heures du soir, avoir tenu six cents gentilshommes et quantit de gens de marque arms tout le jour, sans agir ni tenter de faire aucune chose, si ce nÕest de faire tuer de la ville force gens qui se dcouvraient, on vint dire au roi que lÕon avait de nouveau fait reconnatre le lieu o il fallait donner, et que vritablement il nÕtait raisonnable ; et sur cela chacun sÕen retourna.
On nous avait mand sur les quatre heures aprs midi de faire jouer notre mine, ce que nous fmes en mme temps : elle fit un fort bon effet et ouvrit une grande partie des cornes sur lesquelles nous nous logemes ; mais cÕtait en vain, car nous nÕavions pas prendre la ville. La mine en faisant son effet, tua dÕune grosse motte de terre enleve le jeune frre de Mr de Saint-Chaumont nomm Miolans, dont il fut hritier de plus de vingt mille livres de rente. Du mme coup Le Plessis de Chivray fut port par terre, qui fut plus de quatre heures tenu pour mort, et passai trois ou quatre fois par dessus lui, ne le connaissant pas, cause quÕil avait le visage tourn contre terre.
Messieurs nos marchaux ni aucun de notre quartier ne voulut les jours suivants aller Picacos pour voir la contenance du monde. Mais le lendemain vendredi 22me monsieur le conntable envoya dire que quelquÕun du quartier le vnt trouver. Messieurs les marchaux me commandrent dÕy aller. Je trouvai le roi dans son cabinet avec lui, Mr le cardinal de Retz, Rouccelay, et Modene. Le roi me dit dÕabord : Ē Vous aviez bien toujours t dÕavis quÕil ne se ferait rien qui vaille du ct de Picardie. Č Je lui dis : Ē Votre Majest me pardonnera, mais je nÕai pas cru que tout ce que lÕon proposait russt : nanmoins il ne faut pas juger des choses par les vnements. Č Il me dit lors : Ē Que croyez-vous de cette batterie quÕils veulent faire sur ce tertre o ils font lÕesplanade ? Č Ē Je dis, Sire, lui rpondis-je, que sÕils la peuvent faire, la ville est nous ; mais comme nous songeons les prendre, ils songent aussi sÕempcher dÕtre pris : ce sera merveille sÕils les laissent paisiblement faire cette batterie, et ils ont prou de moyens de les troubler, et si lÕon leur empche cette batterie, vous pouvez bien remettre la prise de Montauban lÕanne qui vient. Č Ē Et moi, dit le roi, je ne me voudrais plus arrter ce quÕils veulent faire, car ce sont des trompeurs : je ne me fierai jamais ce quÕils me diront. Č Monsieur le conntable nÕavait point encore parl, qui dit lors : Ē Tout beau, Sire, ils ont cru bien faire, et en sont plus marris que vous : ce ne sont pas les premiers qui se sont tromps leur calcul. Ils rpondent encore cent pour cent que dans cinq jours ils pourront mettre leurs canons sur le tertre ; et sÕils le peuvent faire, voila Mr de Bassompierre qui vous dit que vous tes matre de Montauban : donnons-leur encore ce temps. Č Il me dit lors : Ē Mon frre de Chaunes mÕa dit plusieurs fois que Mr de la Force vous avait pri de moyenner une entrevue entre eux deux. Aurait il, votre avis, dessein de renouer la pratique de Mr de Rohan, et vous a-t-il point dit quÕil en et quelque pouvoir ? Č Je lui dis quÕil mÕavait fait paratre ce dsir, mais que lÕaffaire du jour prcdent lui tait si favorable et nous si contraire que jÕavais peur quÕils nÕen fussent maintenant loigns. Lors, il me dit que si je voyais jour pour les ajuster, que je le fisse ; que de son ct il tcherait de remettre la pratique de Mr de Rohan sur pied.
Ainsi je mÕen retournai avec cet ordre en notre quartier, que je cherchai le moyen dÕexcuter sans montrer que ce ft avec affectation, pour ne hausser davantage le chevet aux huguenots, superbes de leurs bons succs, tandis que ceux du quartier du Moustier tchaient dÕavancer leur prtendue batterie. Mais les ennemis qui taient matres de leur foss vinrent miner dessous ce travail, en sorte que la nuit du dimanche 24me au lundi 25 sur les deux heures du matin, ceux de Montauban sortirent par une fausse porte au dessus du Moustier et vinrent par lÕentre de la tranche attaquer le rgiment de Picardie qui tait en garde depuis ce coin de la contrescarpe jusques au penchant et de ce penchant vers le Tarn jusques lÕesplanade o lÕon voulait faire la batterie, et turent tous ceux qui voulurent faire rsistance ou qui ne se jetrent de la tranche dans le penchant qui va vers le Tarn, et turent quatre capitaines du rgiment de Picardie, et en mme temps firent jouer la mine quÕils avaient faite sous lÕesplanade et emportrent tout le lieu o lÕon voulait mettre la batterie.
Monsieur le conntable me commanda de me trouver le lendemain chez Mr de Schomberg o il vint dner, et lÕaprs-dner il fut agit de ce que lÕon devrait faire pour remdier au dsordre de la nuit prcdente ; ce que Mr de Marillac promit de faire, et malgr les ennemis, de mettre dans cinq jours trois pices en batterie au mme lieu o elles avaient t destines.
Mais la nuit du mercredi au jeudi 28me les ennemis firent une autre grande sortie sur Champagne qui y tait de garde et ne la put soutenir, de sorte quÕils gtrent toutes les tranches. Ils donnrent aussi par en bas sur le rgiment de Villeroy qui les laissa passer jusques aux batteries de derrire eux, et donnrent sur une des trois pices que quinze Suisses gardaient, dont ils en turent trois et chassrent le reste, et gtrent une desdites pices.
Tant de malheurs conscutifs obligrent monsieur le conntable dÕaller au quartier du Moustier et dÕassembler les chefs des autres quartiers pour prendre une finale rsolution. Chacun voyait apparemment quÕil nÕy avait plus de moyen de continuer le sige ; mais personne ne le voulait proposer. Marillac fut dÕavis de faire un fort au Moustier, qui commanderait la ville et auquel on mettrait tous nos canons et munitions en rserve pour, en un autre meilleur temps, en user, et que cÕavait t le premier avis de Mr le marchal Desdiguieres en arrivant Montauban. Monsieur le marchal dit alors quÕau commencement du sige le succs avait fait voir que son conseil tait bon et et t maintenant utile, mais quÕil nÕtait pas dÕavis de lÕexcuter astheure quÕil nous faudrait tenir une arme deux mois durant sur pied pour le mettre en perfection ; que la saison ni nos troupes ne le nous pouvaient permettre. Mr le marchal de Saint-Geran proposa de rduire les trois quartiers en un, et de continuer vivement lÕattaque du Moustier, persistant toujours que lÕon prendrait infailliblement Montauban si on lÕattaquait comme on lÕavait toujours propos. Je suppliai Mr de Schomberg de lui demander o il voulait faire la batterie, vu que la mine des ennemis avait emport la place o lÕon lÕavait destine. Il lui rpondit que cÕtait lui qui faisait la charge de lÕartillerie, de la trouver. Il lui rpliqua que sa charge tait de faire faire les batteries o les gnraux dsiraient et pour battre ce quÕils jugeaient quÕil fallait battre. Sur cela monsieur le conntable leur dit : Ē Messieurs, nous ne sommes pas ici pour dcider de vos charges, et il nÕen est pas temps. Č Puis il demanda lÕavis de plusieurs autres qui tous tournrent autour du pot, jusques ce quÕil demanda mon opinion. Je lui dis lors :
Ē Monsieur, si je reconnaissais que notre persvrance au sige de la ville de Montauban la pt porter ou forcer se rduire lÕobissance quÕelle doit au roi, je vous conseillerais de vous y opinitrer, et mÕestimerais bien heureux dÕemployer selon mon devoir, mon temps, mon travail et ma vie en lÕexcution dÕune chose tant importante lÕhonneur et au service du roi. Mais voyant lÕtat prsent de notre arme, fatigue par une longue campagne et par plusieurs grands siges quÕelle a faits cet t, diminue par la perte de quantit de braves hommes qui y sont pris, et finalement ruine par les maladies et autres incommodits, je ne feindrai point de vous dire ouvertement ce que messieurs les propinants vous ont voulu faire comprendre par leurs discours ambigus, qui est que vous devez plutt songer rendre le repos votre arme, dont vous lÕavez prive depuis huit mois, quÕ lÕemployer infructueusement en la continuation dÕun sige auquel toutes choses nous sont plus dsavantageuses au bout de trois mois quÕil est commenc, que lorsque nous lÕavons entrepris. Il est entr dans cette place plus de deux mille soldats depuis la dfaite du secours ; les habitants le sont devenus par un exercice continu durant trois mois, et ne sont pas plus enorgueillis quÕencourags, tant par leurs heureux succs de Ville Bourbon que par ces deux dernires sorties ; lÕattaque gnrale entreprise et non excute leur a enfl le cĻur et aplati celui de nos gens de guerre qui se sont persuad que nous ne la pouvions faire puisque nous ne la faisions pas ; nous sommes la fin de lÕautomne, qui est le temps auquel on a accoutum de cesser dÕentreprendre et dÕagir. Je vous en puis parler dÕautant plus librement, Monsieur, que je suis moins intress dans lÕaffaire ; car ceux de notre quartier ont t dchargs de la prise de cette ville ds que vous les dchargetes de leur artillerie. Toutes choses y sont en leur entier : les ennemis ne nous y ont donn aucun tour ni atteinte, et nos troupes qui sont vritablement aucunement dpries, ne le sont point lÕgard de celles de Ville Bourbon ou du Moustier, et nous reste encore cinq mille bons hommes de pied prts employer o il vous plaira nous commander. Ces messieurs qui commandent en ce quartier et qui soutiennent tout le faix du sige sur leurs paules, ont tant de gnrosit et de gloire, quÕils aimeraient mieux prir et mourir que de vous avoir propos de le lever ; mais moi qui nÕai pas les mmes intrts quÕeux, qui celui du service du roi mÕest cher lÕgal de ma vie, je ne marchanderai point vous dire en ma conscience, et selon le serment que jÕy ai, que vous devez, Monsieur, avec un bon ordre, une entire sret, et en temps non prcipit, quitter lÕentreprise et le sige de Montauban et rserver le roi, vous, et cette arme, une meilleure fortune et une plus commode saison. Č
Comme un chacun vit clairement que mon avis tait le seul que la saison et lÕtat de nos prsentes affaires requraient, personne nÕy contredit, bien que aucun nÕen voult proposer autant, chacun tant bien aise dÕen laisser faire la proposition un autre.
Je mÕen retournai par Picacos avec monsieur le conntable qui me dit quÕil tait rsolu de lever le sige. Je lui dis : Ē Monsieur, vous faites bien de vous coucher de peur dÕtre port par terre. Je ne mÕtonne pas que vous soyez contraint de lever un sige que vous avez entrepris sans dessein ; car vous ne vous y tes embarqu que sur lÕassurance que le comte de Bourfran vous donnait de trahir la place. Č Il me dit lorsque cÕtait Esplan qui lÕy avait embarqu, et Schomberg empch de sÕen dptrer honorablement ; que le roi tait bien mal satisfait de lui et quÕil tait fort content de moi, et quÕil me croirait dsormais aux choses de la guerre, et non lui. Il me commanda ensuite dÕembarquer Mr de la Force parler Mr le duc de Chaunes ; ce que je fis pour le vendredi 29me octobre, auquel Mr de la Force et dÕOrval avec quelques uns des principaux de Montauban sortirent de la porte de la ville qui est entre le bastion de la Garrigue et les cornes que nous attaquions, et environ deux cents pas de la ville Mr de Chaunes et moi nous y trouvmes. Nous nous salumes avec beaucoup de tendresse et dÕaffection ; ils prirent que lÕon ne parlt point en particulier, parce quÕayant affaire une ville jalouse et un peuple souponneux, cela leur pourrait porter prjudice. Il y eut beaucoup de discours de part et dÕautre, qui enfin aboutirent de leur part quÕils taient trs humbles serviteurs et sujets de Sa Majest, qui ne respiraient quÕune entire et parfaite obissance ses volonts et commandements, pourvu que le libre exercice de leur religion et les autres choses accordes par leurs dits soient ponctuellement observes ; et Mr de Chaunes conclut sur lÕassurance que le roi les recevrait en ses bonnes grces quand ils se remettraient en leur devoir.
Voil en quoi consista cette confrence et le fruit quÕelle apporta, qui fit bien juger quÕils nÕtaient pas pour raccrocher le prcdent accord, non plus que Mr de Rohan, qui nÕy voulut plus entendre ; ce qui porta le roi et monsieur le conntable se rsoudre, le mardi 2me jour de novembre, de lever entirement le sige de Montauban et dÕenvoyer cette leur volont aux chefs qui commandaient au quartier de Picardie, afin de sÕy prparer : ce quÕils firent durant quelques jours en retirant les canons en nombre de trente-deux, qui taient dans les diverses batteries, et les mirent dans le parc lequel tous les chevaux de lÕartillerie ramenrent en six voyages avec tous les affts et munitions depuis le vendredi 5me jusques au dimanche 7me, et les dchargrent sur le bord du pont du Tarn de notre ct. JÕenvoyai ces trois jours durant huit cents Suisses pour escorter, depuis le quartier de Picardie jusques au ntre, toutes les voitures des canons.
Enfin le lundi 8me de novembre trois heures du matin le quartier de Picardie leva le sige, et se retira au quartier de Ville Bourbon, laissant la ville libre de tout ce ct l jusques au commencement de celui des gardes ; et fallut que de l en avant, non seulement nous nous gardassions de la tte des ennemis, mais aussi tout notre ct gauche qui demeura dcouvert.
On employa tout ce jour-l et le suivant mardi 9me, embarquer nos canons dans les bateaux sur lesquels notre pont tait bti, pour les faire descendre le long du Tarn dans la Garonne vers Moissac.
Le mercredi 10me le roi quitta son logis de Picacos et vint loger Montbeton, quartier de Ville Bourbon ; il passa en y allant devant mon logis et me dit, la larme lÕĻil, quÕil tait au dsespoir dÕavoir reu ce dplaisir de lever le sige, et quÕil nÕavait contentement que de notre seul quartier ; quÕau reste il avait rsolu de me donner seul lÕarme mener, mais que je nÕen dise rien et quÕil nÕy avait que monsieur le conntable et lui qui en sussent rien, et que je le vinsse voir le lendemain matin Montbeton.
Mr le marchal de Pralain lui envoya en ce mme temps demander cong de se retirer de lÕarme pour se faire panser de la fivre quÕil avait depuis quatre jours, ce quÕil lui permit.
Le jeudi 11me de novembre jÕallai suivant lÕordre du roi Montbeton, lequel me voyant mal en ordre, mÕen demanda la cause : je lui dis que jÕavais couch dans la tranche. Lors, tout tonn, il me dit pourquoi je nÕavais pas encore lev le sige : je lui rpondis que cÕtait parce quÕil ne me lÕavait pas command. Il demanda monsieur le conntable sÕil ne me lÕavait pas dit, lequel rpondit quÕil croyait que cela ft fait ds le dimanche pass ainsi quÕau Moustier, et que nous avions grand tort de nÕen avoir point parl. Je lui rpondis que je nÕavais garde, et que jÕy fusse demeur toute ma vie devant que de lui en faire instance, bien quÕil nous ait fallu depuis quatre jours continuels doubler nos gardes, attendu que ceux de Montauban nÕayant plus songer quÕ nous, pouvaient nous attaquer avec leurs forces entires auxquelles notre garde ordinaire nÕet su rsister. Ils me dirent lors que je ne manquasse pas de lever le sige la prochaine nuit, et que je portasse cet ordre Mr de Chaunes de leur part ; mais comme ils me parlaient, il arriva, et lors ils lui dirent que la nuit prochaine il et quitter les tranches. Je lui dis que je ne mÕy trouverais pas sÕil le levait de nuit ; mais sÕils me voulaient permettre de le lever de jour, je le ferais et avec ordre, et avec notre honneur, et que je leur suppliais trs humblement de mÕaccorder cette grce, leur rpondant de ma tte de tout le mal qui en arriverait ; ce quÕils mÕaccordrent aprs quelque contestation, et M de Chaunes me dit que je prisse le temps que je voudrais pour ce sujet, mais quÕil y voulait tre. Je lui dis lorsque ce serait entre trois et quatre heures aprs midi de ce mme jour, et que je mÕen allais y donner ordre afin quÕ son arrive il trouvt tout prt ; et lÕheure mme je retournai la tranche pour le faire savoir aux gardes. Quelques capitaines mÕy contrarirent, disant que les ennemis me donneraient sur la queue et que je ne ferais pas ma retraite sans perte. Enfin ils me crurent, et fis lÕordre ncessaire pour bien frotter les ennemis en cas quÕils fussent venus nous troubler, puis donnai ordre de faire dcamper les Suisses, Estissac, Vaillac, Pimont, Chappes et Normandie, et les mettre en bataille entre le quartier des gardes et la queue de la tranche ; aprs quoi je demandai parler Mrs de la Force et dÕOrval et aux capitaines qui avaient la garde contre nous, lesquels arrivs, je leur dis que nous tions prs de dloger, remettant la partie au printemps prochain pour lÕachever leur perte et notre avantage, et que jÕtais venu prendre cong dÕeux et savoir si quelquÕun de nous avait manqu de payer son hte, afin de le satisfaire, ne voulant point laisser mauvaise renomme de nous. Ils mÕembrassrent et me dirent adieu, mÕassurant que cette nuit notre dpart ils nous feraient prendre le vin de lÕtrier. Je leur dis que sÕils nous voulaient faire boire, il fallait que ce ft dans une heure ; car nous voulions employer le reste de la journe. Ils nÕen crurent rien ; mais je leur assurai et jurai que je ne leur mentais point, et que leur en voulant laisser le signal, je ferais premirement mettre le feu aux huttes dÕEstissac, puis celles de Vaillac, de l aux Suisses, Pimont, Chappes, et Normandie, et quÕaprs je mettrais le feu aux choses combustibles de nos tranches ; finalement aprs lÕavoir mis notre cavalier, nous ferions immdiatement aprs notre retraite qui ne serait pas plus longue quÕau bout de la tranche. Ils me dirent que si jÕen usais de la sorte, je mÕen trouverais mauvais marchand. Comme je leur parlais ils virent embraser le quartier dÕEstissac, puis celui de Vaillac, et celui des Suisses, et ainsi les autres conscutivement, ce qui leur persuada mon dire, et me laissrent pour mÕaller prparer la collation. Mais la composition de mes tranches tait de telle faon que je nÕavais rien apprhender ; elles taient angle saillant et rentrant ; et aux angles, de petites places dÕarmes capables de quinze mousquetaires, entre la rivire du Tarn o il y avait un chemin sur le bord, et un autre grand chemin, lesquels avaient chacun cinq ou six traverses sur lesquelles on pouvait loger des mousquetaires qui enfilaient encore les tranches sans pouvoir tre dlogs : de sorte que je garnis ces traverses et ces places dÕarmes de bonne mousqueterie, et toutes les lignes, hormis la premire, furent bordes de mousquetaires en cas quÕils eussent voulu passer par dessus les tranches : et ainsi je quittai la premire ligne, mes piques en retraite pour faire tte sÕils fussent venus, et aprs cette premire ligne, comme les ennemis y voulurent entrer, ils furent salus des mousquetaires qui taient la premire place dÕarmes et des autres qui taient sur les traverses, qui leur firent bien cacher le nez, et ne parurent plus. Aprs jÕtai les mousquetaires desdites traverses et places fait fait [au fur et mesure] que je nÕen avais plus de besoin, et ainsi me vins camper deux cents pas des tranches en un lieu o le canon de la ville ne nous pouvait voir, auprs de toutes nos troupes, proche du pont, sans que je perdisse un seul homme, en plein jour, ayant suffisament averti les ennemis de notre retraite qui fut faite en la prsence de Mr de Chaunes qui lÕapprouva fort, et lors il sÕen alla loger au quartier du roi, mÕayant prcdemment ordonn dÕy passer le lendemain, aprs avoir assur le bord de de de notre pont par une bonne redoute, laquelle je fis lÕheure mme travailler, tant chose dÕimportance, attendu que tous nos canons taient sur les bateaux du pont, lequel il fallait rompre pour faire descendre notre artillerie Moissac, ce que je pensais que lÕon ferait seulement deux ou trois jours de l. JÕemployai le reste du jour poser les gardes de mon campement qui tait ouvert de tous cts, et toute la nuit faire passer nos malades et notre bagage.
Sur le point du jour je mis cinq cents hommes des gardes et cinq cents Suisses pour faire tte aux ennemis durant le passage de nos troupes et commenai faire passer dans le quartier du roi les rgiments de Vaillac et dÕEstissac quand Mr de Schomberg avec quelque trente gentilshommes passrent moi. Il me donna une lettre du roi et une de monsieur le conntable, portant crance sur lui. Il me dit premirement ce dont le roi lÕavait charg, qui tait quÕil me donnait la conduite et le commandement de son arme pour la mener devant Monheurt quÕil dsirait que jÕassigeasse cependant quÕil sjournerait Toulouse, et que si je voyais apparence de prendre bientt la ville, que je lui mandasse et quÕil passerait par l ; si aussi cÕtait une affaire de longue haleine, quÕil passerait par Lectoure pour sÕen aller Bordeaux ; quÕil avait donn charge lui Schomberg de me fournir tout ce que je dsirerais de lÕartillerie, et tout ce quÕil pourrait des finances, ses deux charges ; que le roi avait crit au marquis de Grignaux et au comte de Ribeirac qui lui amenaient chacun un rgiment, de se venir joindre moi, comme aussi Mr le marchal de Roquelaure de mÕenvoyer son rgiment et sa compagnie de gendarmes ; toutes lesquelles lettres il me donna pour les envoyer, et me conseilla que ce ft par Le Mayne qui avait connaissance en ce pays-l et de cette place ; ce que je fis lÕheure mme, et lui donnai charge dÕinvestir mme la place avec ces deux rgiments sÕils y taient arrivs plus tt que moi.
Mr de Schomberg me dit ensuite ce que monsieur le conntable lui avait charg de crance, laquelle mon avis il avait pratique et mendie, qui tait quÕayant considr que les canons qui taient sur nos bateaux nÕtaient point en sret parce quÕune redoute pouvait tre battue et force par les ennemis qui seraient matres de tout ce ct de la rivire, et que ce nous serait un grand dshonneur sÕils nous gagnaient un de nos bateaux, soit en gagnant notre redoute, soit en les attirant eux comme ils avaleraient le long du Tarn dont une des rives tait entirement eux ; cÕtait pourquoi il me priait de demeurer de avec les troupes que je voudrais choisir, hormis celles des gardes franaises et suisses, et faire rompre le pont et avaler les vaisseaux, puis mÕen venir passer la pointe de la Veyrou deux lieues de l, o il me ferait tenir des bateaux tout prts pour toute ma troupe. Je considrai bien la prilleuse commission que lÕon me donnait de faire couper ce pont et me laisser avec sept cents hommes sans pouvoir tre secouru, en un pays du tout ennemi et la vue dÕune ville o il y avait plus de trois mille hommes de combat et soixante bons chevaux qui auraient deux lieues durant me suivre, et au bout trouver un confluent de deux rivires devant moi passer en bateaux, cinquante cinquante. Je dis nanmoins Mr de Schomberg devant cette noblesse, que je savais bien que cette commission mÕavait t procure par lui qui avait voulu, pour sauver ses canons, me hasarder une ruine assure si les ennemis lÕentreprenaient comme ils feraient infailliblement, et ne manqueraient pas de bons avis de cela, et par nos gens mmes ; toutefois que je nÕavais encore refus aucun commandement que lÕon mÕet fait, et que je ne commencerais pas par celui-l, prenant nanmoins tmoins tous ces gentilshommes, si je me perdais, que je lÕavais plutt voulu faire que de manquer aux ordres et au service du roi. Mr de Schomberg me dit que vritablement cette commission tait ruineuse, mais quÕelle tait importante au service du roi qui avait une telle estime de ma suffisance et si grande opinion de ma bonne fortune quÕil tait tout assur que je la ferais heureusement russir ; quÕil avait bien fait connatre Sa Majest lÕinconvnient quÕil y avait de dgarnir ce ct du Tarn avant quÕavoir fait acheminer nos bateaux chargs de canons Moissac, mais que cÕavait t le roi qui mÕavait nomm et destin cette action, tant pour les raisons susdites que parce que jÕtais dj port sur le lieu, que jÕavais le commandement des troupes et quÕil nÕen pouvait envoyer un autre lÕexcution de cette affaire sans me faire tort ; finalement quÕil tait venu me trouver avec cette noblesse pour avoir sa part du bien et du mal qui me pourrait arriver, et quÕil mourrait avec moi.
Cette dernire offre me ferma la bouche et fit que je me mis incontinent faire lÕordre que jÕavais tenir, et effectuer celui que le roi mÕenvoyait. Je pris donc 400 hommes du rgiment de Pimont, 200 de Normandie et 200 de Chappes pour faire ma retraite, que je mis en bataille la place du rgiment des gardes, lequel, avec tout le reste de nos troupes, je fis incontinent passer le Tarn et sÕaller joindre au roi prs de Montbeton, et puis commenai faire rompre notre pont ; et fait fait que lÕon dtachait un bateau, je le faisais descendre val. Ceux de Montauban voyant toutes nos actions fort clairement, je mÕattendais toute heure de les avoir sur les bras, et quÕils sortiraient, cavalerie, infanterie et canon. Enfin nous fmes prts marcher, et je priai lors Mr de Schomberg de paratre sur un lieu un peu lev et mettre en deux rangs ces quarante chevaux quÕil pouvait avoir, vingt de front, afin de faire croire aux ennemis quÕil y en avait cent. Mais les ennemis aprs avoir escarmouch un demi quart de lieue sans nous enfoncer, furent si joyeux de nous voir retirer quÕils cessrent de nous suivre. Je fis quatre bataillons de mes huit cents hommes, et trente mousquetaires que jÕen tirai pour tre sur les ailes de trente piques qui taient les derniers et que je menais, faisant toujours marcher nos ordres spars, afin de ne nous point embarrasser. Aprs que les ennemis se furent lasss de nous suivre sans profit que de bonnes mousquetades, notre cavalerie passa par un gu que nous lui enseignmes, et nous laissa aller aprs nous avoir dit adieu, et nous continumes paisiblement notre chemin jusques la pointe de la Veyrou o nous ne trouvmes aucun bateau pour passer, comme il nous avait t promis, ce qui me mit en une grand peine : car de nous camper cette pointe, ceux de Montauban sortiraient avec deux mille hommes, leur canon et leur cavalerie, et nous viendraient dfaire ; de passer, je ne pensais pas quÕil y et de moyen. Enfin je fis sonder un lieu o il ne se trouva dÕeau que jusques la ceinture pour passer : alors je dis nos soldats que je serais leur guide, et que je mÕassurais quÕils me suivraient volontiers, encore que lÕeau fut bien froide alors. Ils me prirent de la passer sur un cheval que lÕon mÕavait men ; mais je ne le voulus faire, et commencions tous nous dchausser pour nous mettre en lÕeau, quand nous avismes descendre un bateau charg dÕavoine dans des sacs, venant de Picacos. Nous le fmes aborder, et ayant en diligence mis terre tous les sacs, nous passmes en seize fois, cinquante cinquante, et moi la dernire passe quÕil tait toute nuit. Je logeai mes troupes trois villages prochains et mÕen vins encore Moissac o le roi avait envoy le sieur des Fourneaux marchal des logis de lÕarme avec tous mes ordres ncessaires.
Je fus contraint de demeurer le lendemain, tant pour emprunter de lÕargent de toutes les bourses, o je trouvai cinq mille cus, et trois que jÕen avais encore, que de prparer des bateaux pour embarquer toute lÕinfanterie, canon, bagage, et munitions de guerre et de vivres, et que pour donner les ordres ncessaires pour nourrir notre arme : ce que je rglai jusques Agen o jÕenvoyai en diligence pour avoir trente mille pains prts. JÕallai aussi la pointe du Tarn reconnatre, et pourvoir lÕembarquement.
Le dimanche 14me je partis de Moissac et vins coucher la Magistere. Je fis passer ma cavalerie du ct gauche de lÕeau, qui est un bon pays de fourrage.
Le lundi 15me je mÕen vins Agen o je trouvai que lÕon nÕavanait gure pour notre munition, et que les jurats de la ville la dtournaient, disant que le pain enchrirait dans leur ville si on en tirait une si grande quantit pour lÕarme : ce que je ne trouvai pas bon. Messieurs de la ville mÕtant venus voir, je leur dis comme le roi mÕenvoyait nettoyer et rendre libre la rivire de Garonne, ce que jÕesprais faire dans peu de jours par la prise de Monheurt que jÕallais assiger, et que jÕavais dj fait investir ; que je mÕassurais que pour une si bonne Ļuvre ils contribueraient de tout ce qui serait en leur puissance ; que jÕavais diverses choses leur demander, les unes en payant, les autres en prt bien rendre ; de cette dernire sorte taient deux milliers de poudre menue grene que je leur priais de me prter, lesquels leur seraient remplacs quand lÕquipage de lÕartillerie passerait par devant leur ville, et que jÕy avais dj pourvu ; ce que je voulais en payant taient six cents pelles, trois cents pics et trois cents hoyaux, quelques serpes et quelques haches, que je ferais payer comptant, comme aussi trente mille pains prsentement, et dix mille par jour tant que ce sige durerait ; que je demandais quÕils prissent ce soin l et mÕen dlivrassent, et que je leur mettrais argent en main pour faire faire toute cette fourniture. Ces messieurs me firent rponse quÕils allaient assembler le conseil de ville pour en rsoudre et puis quÕils me viendraient parler, ce quÕils firent au bout dÕune heure ; et leur rponse fut quÕils trouvaient fort bon que je fisse faire les outils que je demandais, et que sÕil y en avait, on me les donnt en payant ; que pour leur poudre menue grene, ils ne sÕen voulaient dgarnir, mais que si jÕen trouvais vendre chez les marchands, ils permettraient de la sortir de la ville ; que pour la quantit de pains que je demandais, ils ne pouvaient souffrir que lÕon la tirt de leur ville, car cela y mettrait non seulement la chert, mais encore la disette : et sur cela me vinrent prsenter du vin de la ville quÕils me prirent de recevoir. Je leur rpondis :
Ē Messieurs, je ne veux ni ne dois accepter le vin de ceux qui refusent le pain au roi, ni moins demeurer en une ville que je ne crois pas qui lui soit gure plus affectionne que Montauban, et qui peut tre le serait moins si elle tait aussi forte. Je viens vous ter une taie de lÕĻil et ouvrir le commerce de votre ville avec celle de Bordeaux ; qui vous devrait obliger non dÕaccorder ce que je vous demande, mais dÕen offrir beaucoup davantage : et vous me rpondez comme si jÕtais venu de la part du roi dÕEspagne ou dÕAngleterre et non de celle de votre roi. Sachez que je vous puis ter, (voire faire pis), ce que je vous demande, et que ceux-l donnent tout, qui refusent les choses justes celui qui a les armes la main. Je me contenterai nanmoins de supersder le sige de Monheurt jusques ce que jÕaie tout ce qui mÕest ncessaire cet effet, et ferai sjourner lÕarme du roi sur vos terres et dans vos belles maisons o elle se rafrachira jusques ce que jÕaie reu les commandements du roi sur la rponse que vous me venez de faire, lesquels, je mÕassure, seront dignes de lui et de votre procder, que je saurai fort ponctuellement excuter. Č
Ce discours fini, je me tournai vers Des Fourneaux et lui dis : Ē Donnez le dpartement de toute lÕarme depuis les faubourgs de cette ville jusques une lieue la ronde, et leur ordonnez dÕy faire bonne chre et de se rcompenser des travaux et des peines quÕils ont souffertes Montauban. Č Et sur cela je tournai le dos messieurs dÕAgen et montai ma chambre. Ils voulurent suivre pour me parler ; mais je leur fis dire que jÕallais faire une dpche au roi, et que je ne les pourrais voir quÕ sept heures du soir, qui tait dans quatre heures. Ces messieurs ne furent pas moins tonns de mon procd que jÕtais indign du leur, et voyant que Des Fourneaux allait donner les dpartements, ils le prirent de les supersder ; mais lui dit quÕau contraire il les hterait, et quÕils mritaient pire traitement que celui que je leur faisais. Ils revinrent battre ma chambre, et moi je fis la sourde oreille jusques ce quÕils me firent dire par La Motte de Nort qui entra par ma garde-robe, quÕils me donneraient non seulement ce que jÕavais dsir, mais encore tout ce que je leur voudrais ordonner, et que seulement je les veuille entendre : ce quÕenfin je fis avec une forte rprimande, et eus tout ce que je voulus dÕeux. Aussi fis-je changer mes logements.
Le lendemain mardi 16me je vins coucher au Port Ste Marie, et le mercredi 17me je dnai Esguillon o Le Meine Chabans me vint trouver, qui me fit savoir comme Monheurt tait investi dÕun ct par le rgiment du marquis de Grignaux qui avait le mme soir gagn un moulin trs important et qui nous menait bien prs de la ville. JÕy allai voir aprs dner et fis passer les rgiments de Pimont et de Normandie que je fis camper joignant celui de Grignaux, tirant vers Puch, assez loigns lÕun de lÕautre pour garder la moiti de la campagne.
Je mÕen revins le soir coucher Esguillon, et le jeudi matin 18me je fis passer Navarre, Ribeirac et Champagne, qui achevrent de fermer tout fait Monheurt du ct de la terre, et ordonnai lÕattaque de de vers Esguillon aux trois rgiments premiers camps, et celle de lÕautre ct aux trois autres, toutes deux le long de la rivire.
Je logeai les compagnies de chevau-lgers de Chevreuse, Signan et Bussy Lamet Puch de Gontaut, et leur ordonnai de battre lÕestrade vers Castel-Jaloux o le vendredi 19me je fis aller loger la compagnie de gendarmes de monsieur le conntable.
Le samedi 20me le rgiment de Champagne ouvrit la tranche de son ct. On tait bien plus avanc du ct de Pimont.
Mr le marchal de Roquelaure arriva, qui je rendis le devoir et lÕobissance requise, dont il se contenta, me laissant le dtail du sige. Il me pressa dÕter la compagnie de gendarmes de monsieur le conntable, de Castel-Jaloux, parce quÕil avait au chteau dudit lieu une compagnie des siennes en garnison, pour lÕentretenement de laquelle il faisait payer ceux de la ville cinquante francs par jour. Je lui rpondis quÕil tait le matre, et quÕil pouvait donner le dpartement o il lui plairait ; que pour moi je nÕen savais point dÕautre. Il dit quÕil la fallait faire passer del la rivire devers Marmande ; quoi je contrariai, disant quÕelle nÕy serait srement. Il trouva bon de loger ses gardes Puch, dÕo je retirai vingt soldats que jÕy avais mis.
JÕordonnai aussi que chaque rgiment fermerait jusques celui qui lui tait voisin, dÕune tranche par laquelle il y et communication couvert de lÕun lÕautre, et leur fis fournir dÕoutils. Je fis faire des gabions et dresser des plateformes, afin que ds que nos canons que jÕattendais seraient venus, nous les missions en batterie, et nous avanmes des deux cts nos tranches en toute diligence : elles nÕtaient pas fort sres ni larges ; mais cÕtait un sige que nous devions dvorer sans le mcher.
Le dimanche 21me jÕenvoyai nos chevau-lgers la guerre vers Sainte Foi. Nous avanmes nos travaux jusques prs du foss des ennemis lesquels me reconnaissaient aisment aller et venir, pour tre habill dÕcarlate, mont sur un bidet blanc, et la croix de mon manteau. Ils me tendirent un pige pour me tuer en passant du quartier de Pimont celui de Normandie dont la ligne de communication nÕtait encore paracheve. Ils garnirent le bastion avanc de mousqueterie, comme ils firent aussi leur contrescarpe. Ils nÕavaient quÕune seule pice de campagne dont ils me salurent comme jÕtais encore loin et avec force gens, lesquels je quittai et ne laissai avec moi que les aides de sergent major de Champagne et de Navarre. Il y avait quelque six-vingt pas passer dcouvert, que lÕon pouvait viter en sÕloignant quelque peu, ce que je ne faisais jamais. Ils tirrent dÕabord leur pice de campagne sur ma compagnie qui tait assez loin, ce qui me convia de les prier dÕaller par le couvert, tandis que je mÕen allai avec ces deux aides de major passer plus proche de leur contrescarpe. Alors ils me firent leur salve de telle furie que je ne voyais que balles siffler l'entour de moi, dont deux portrent, lÕune dans le pommeau de la selle de mon bidet, lÕautre me pera mon manteau. Je fis carter les aides de major qui il ne le fallut pas dire deux fois, et je descendis de mon bidet pour me mettre lÕabri dÕun gros arbre qui tait proche, auquel ils tirrent plus de cent mousquetades ; mais jÕtais en sret derrire. Enfin comme je crus quÕils nÕauraient plus tirer, jÕen sortis et allai assez vite gagner la tranche de Normandie : mais ce ne fut pas sans lÕchapper belle ; car ils me tirrent encore plus de cent mousquetades de soixante pas prs. Mais comme mon heure nÕtait pas encore venue, Dieu mÕen prserva contre lÕattente et lÕopinion de ma troupe loigne qui me voyait passer par les armes : je nÕai jamais mieux cru mourir que cette fois l.
Les ennemis avaient deux barques armes avec lesquelles ils allaient et venaient librement del lÕeau et mettaient toujours quelques nouveaux soldats dedans leur ville ; ce qui mÕobligea dÕarmer un fort bateau tant pour faire escorte ceux qui montaient et descendaient la rivire que pour resserrer les ennemis.
Je fis aussi passer les rgiments de Chappes et de Vaillac de lÕautre ct de lÕeau et fis commencer un trs beau retranchement o je logeai six canons de batterie ds que lÕartillerie fut arrive, qui fut le lendemain lundi 22me, et que jÕen fis mettre quatre pices dans la batterie que jÕavais prpare au quartier de Pimont, et mme ds le soir elles en tirrent quelques voles contre les dfenses de la ville.
Mr le marchal de Roquelaure nous fit le soir un magnifique festin aux principaux de lÕarme.
Le temps tait si mauvais et les pluies si continuelles que nos soldats taient jusques au genou dans la boue : ils souffraient nanmoins ces incommodits de bon cĻur et sans murmurer.
Le marquis de Mirambeau, fils an de Mr de Boisse qui avait peu auparavant t assassin Gensac par un nomm......, tait gouverneur de Monheurt et sÕtait rvolt contre le roi la mort de son pre ; avec lequel Mirambeau jÕavais quelque pratique secrte, et en tions demeurs quatre mille cus quÕil demandait pour remettre la place s mains du roi, avec une abolition de sa dernire rvolte ; dont jÕavertis le roi sans le communiquer Mr le marchal de Roquelaure, ainsi que ledit marquis de Mirambeau mÕen avait pri : ce qui fit rsoudre le roi et monsieur le conntable de venir Monheurt afin dÕen avoir lÕhonneur de la prise.
Le roi mÕavait envoy le mme jour le sieur de Lancheres qui avait fait semblant de sÕen venir me trouver sans y tre envoy du roi : il mÕen porta une lettre, et une autre de Mr de Puisieux, par laquelle ils me mandrent que je nÕeusse prendre alarme de ce que Sa Majest avait chass dÕauprs dÕelle le pre Arnoux et que le roi lÕavait fait pour le mieux, comme il me dirait mon arrive. Je dirai en ce lieu toute cette affaire.
Depuis que Mr de Luynes avait t honor de la charge de conntable, il la voulut faire avec tant dÕautorit que cela le rendit suspect au roi, qui des particuliers soufflaient aux oreilles pour lui faire des mauvais offices, faisant voir au roi que lui ou les siens avaient toutes les bonnes places de France ; que les principaux gouvernements taient en ses mains ; que lui et ses deux frres en trois ans taient devenus ducs et pairs, de si bas quÕils taient auparavant ; quÕils possdaient, eux trois, des biens, des charges ou des gouvernements pour plus de dix millions dÕor, et quÕils devenaient insensiblement si puissants que le roi ne les pourrait pas abaisser quand il voudrait. Le roi nÕcoutait pas seulement ces discours, mais les faisait aux autres et sÕen confia premirement au pre Arnoux, puis Mr de Puisieux. Enfin aprs le sige de Saint-Jean dÕAngeli, comme monsieur le conntable revenait un matin de dner, ayant ses Suisses et ses gardes marchant devant lui et entrant dans le logis du roi, suivi de toute la cour, et des principaux de lÕarme, le roi le voyant venir dÕune fentre, me dit : Ē Voyez, Bassompierre, cÕest le roi qui entre. Č Ē Vous me pardonnerez, Sire, lui dis-je, cÕest un conntable favoris de son matre, qui fait voir votre grandeur, et qui tale vos bienfaits aux yeux de tout le monde. Č Ē Vous ne le connaissez pas, me rpondit-il ; il croit que je lui en dois de reste et veut faire le roi : mais je lÕen empcherai bien tant que je serai en vie. Č Ē Sire, lui dis-je lors, vous tes bien malheureux de vous mettre ces fantaisies en la tte ; lui, lÕest bien aussi de ce que vous prenez ces ombrages de lui, et moi je le suis encore davantage de ce que vous me les avez dcouvertes : car un de ces jours, vous et lui, vous crierez un peu et ensuite vous vous apaiserez, et aprs vous ferez comme il se fait entre mari et femme, qui chassent les valets auxquels ils ont fait part de la mauvaise volont quÕils avaient lÕun contre lÕautre, aprs quÕils se sont accords ; aussi vous lui direz que vous nÕaurez fait part du mcontentement que vous aviez de lui, quÕ moi, et quelque autre, qui en ptirons. Vous avez vu lÕanne passe que la seule opinion quÕil avait eue que vous me pouviez vouloir du bien me pensa ruiner et perdre. Č Il me fit lors de grands serments quÕil nÕen parlerait jamais, quelque raccommodement quÕil pt faire avec lui, et quÕil ne sÕtait jamais ouvert personne sur ce sujet, quÕau pre Arnoux et moi, et que sur la vie je nÕen ouvrisse jamais la bouche quÕau pre Arnoux, et encore aprs quÕil lui en aurait parl et lorsquÕil me le commanderait. Je lui dis quÕil nÕavait que faire de me le commander et que jÕavais dj fait ce commandement moi-mme, qui il importait de la fortune et de la vie.
Sur cela je fus bien aise dÕavoir eu ordre dÕaller Paris peu de jours aprs ; car je trouvais la confidence du roi trs prilleuse en ce temps-l. Je revins au commencement du sige de Montauban, et ayant eu lÕattaque des gardes commander seul de marchal de camp, je mÕy rendis si sujet que je ne venais jamais Picacos, quartier du roi, si je nÕy tais mand. Les ombrages du roi contre monsieur le conntable croissaient toute heure ; et lui, prenait moins de soin de sÕentretenir bien avec le roi quÕil ne faisait auparavant, soit quÕil se sentt assur de lÕaffection cordiale que Sa Majest lui portait, soit que les grandes affaires quÕil sÕattirait sur les bras lÕempchassent dÕy penser, ou que la grandeur lÕaveuglt ; de sorte que les mcontentements du roi croissaient bien fort, et le roi toutes les fois quÕil me pouvait parler en particulier, mÕen tmoignait de plus violents ressentiments.
Une fois que jÕtais venu le trouver, le milord de Hey, ambassadeur extraordinaire du roi de la Grand Bretagne, envoy pour sÕentremettre de la paix entre le roi et les huguenots, eut sa premire audience du roi, aprs laquelle il lÕalla prendre de monsieur le conntable. Mr de Puisieux, selon la coutume, venait entendre du roi ce que le milord lui avait dit son audience, quand le roi mÕappela en tiers et me dit : Ē Il va prendre lÕaudience du roi Luynes. Č Je fus bien tonn de ce quÕil me parlait devant Mr de Puisieux, et voulus faire lÕignorant ; mais il me dit : Ē Il nÕy a point de danger devant Puisieux ; car il est de notre secret. Č Ē Il nÕy a point de danger, Sire ! (lui dis je.) Je suis maintenant assurment perdu ; car cÕest un homme craintif, et peureux, comme monsieur le chancelier son pre, qui au premier coup de fouet confessera tout et perdra ensuite tous les complices et adhrents. Č Le roi sÕen rit et me rpondit de lui en qui je me fiais bien, et tait mon ami. Lors, le roi commena dchirer monsieur le conntable et en dire tout ce quÕil avait en sa fantaisie ulcre de ce quÕil avait adjoint la charge de conntable celle de chancelier depuis la mort de Mr le garde des sceaux du Vair qui tait dcd peu de jours auparavant.
Je vis bien quÕil tait sur le penchant de sa fortune, et me rsolus de lui remontrer quelque chose sur ce sujet, pour son bien, vu que depuis notre brouillerie il mÕavait tmoign beaucoup de bonne volont. Ce fut quelques jours de l, que me trouvant dans son cabinet avec lui, je lui dis que comme son serviteur trs humble, passionn ses intrts, je me croyais oblig de lui remontrer quÕil ne cultivait pas assez la faveur et les bonnes grces du roi, et quÕil nÕen avait pas tant de soin quÕauparavant, maintenant quÕil en devait avoir davantage ; que le roi croissait en ge, en rgne, et en connaissance des choses, et quÕen mme temps lui, qui croissait en charges, honneurs, bienfaits et obligations, devait aussi crotre en reconnaissance et en soumissions vers son roi, son matre et son bienfaiteur ; quÕau nom de Dieu il y prt garde, et quÕil pardonnt la libert que jÕavais prise de lui en parler, puis quÕelle provenait du zle et de la passion que jÕavais son service trs humble. Il me rpondit quÕil me savait gr et se sentait oblig au soin que jÕavais de sa conservation, qui me serait assurment utile et profitable, et que je lui avais commenc de lui parler en neveu, comme il esprait que je lui serais dans peu de temps ; quÕil me voulait aussi rpondre en oncle et me dire que je me reposasse sur lÕassurance quÕil me donnait quÕil connaissait le roi jusques au plus profond de son me ; quÕil savait les moyens par lesquels il le fallait conserver, aussi bien quÕil avait su ceux de lÕacqurir, et quÕil lui donnait quelquefois exprs des petits sujets de plainte qui ne servaient quÕ augmenter lÕardeur de lÕaffection quÕil avait pour lui. Je vis bien lors quÕil tait de la mme trempe de tous les autres favoris qui croient avoir clou leur fortune, qui la croient ternelle, et qui ne connaissent leur disgrce que lors quÕils nÕont plus le moyen de lÕempcher.
Depuis ce temps-l, toutes les fois que le roi me pouvait parler en particulier, cÕtait incessament en plaintes de monsieur le conntable, et ce qui mÕen fit plus mal juger fut que tout dÕun coup lÕextrme passion quÕil avait pour madame la conntable se convertit en une telle haine quÕil avertit monsieur son mari que Mr le duc de Chevreuse en tait amoureux : il me dit quÕil lui avait fait cette harangue, dont je lui dis quÕil avait trs mal fait et que cÕtait pcher de mettre mauvais mnage entre le mari et la femme. Il me dit : Ē Dieu me le pardonnera, sÕil lui plait ; mais jÕai eu un grand plaisir de me venger dÕelle, et de faire ce dplaisir lui. Č Il me dit ensuite plusieurs choses contre lui, et entre autres que devant quÕil ft six mois, quÕil lui ferait bien rendre gorge de tant de choses quÕil lui avait prises. Sur cela je partis de Montauban sans voir le roi, et la premire nouvelle que jÕen eus, fut quÕil avait t contraint dÕabandonner le pre Arnoux la haine de monsieur le conntable, mais que je mÕassurasse quÕil nÕy avait rien contre moi. Je ne laissai pas dÕen tre en grande apprhension, bien que je puisse dire que toutes les fois que le roi mÕavait parl sur son sujet, que jÕavais toujours rabattu les coups, et que jÕavais t infiniment marri que le roi et eu cette confidence avec moi.
Le mardi 23me je fis porter tous les drapeaux des rgiments de lÕarme mon logis, lÕinstance des capitaines, afin quÕils fussent dchargs de cette garde, et que celle qui tait pose devant mon logis servit quand et quand pour la garde des drapeaux. Il arriva que comme Navarre mÕenvoya les siens par vingt soldats qui les portaient et cinquante qui les accompagnaient, ceux de la ville tirrent sur eux un coup de leur pice de campagne qui emporta quatre bras droits quatre des soldats qui les portaient. Il mÕarriva aussi quÕtant la batterie et mÕtant avanc au devant pour remarquer ou reconnatre quelque chose, les canonniers ne pensant pas que jÕy fusse, mirent le feu la pice plus prochaine de moi, dont le vent me porta trs rudement par terre et me laissa un tel bruit dans lÕoreille droite avec des lancements qui mÕtaient insupportables ; et deux heures aprs une forte fivre me prit, qui ne mÕempcha pas pourtant de continuer ma charge et de faire avancer nos tranches jusques sur le bord du foss, quelque assurance que jÕeusse du marquis de Mirambeau quÕil me rendrait la place aux conditions sus mentionnes.
Je fus, le mercredi 24me, fort press de Mr le marchal de Roquelaure de faire dloger la compagnie de gendarmes de monsieur le conntable, de Castel-Jaloux, et vis que le lieutenant, nomm Mr de Nesmont, le dsirait aussi, port par la prire du jeune Vaillac qui en tait guidon, ou peut-tre parce que ceux de Castel Jaloux leur avaient promis quelque prsent pour les faire dloger. Je dis monsieur le marchal quÕil tait le matre pour me commander absolument, et que je le ferais ; que pour les envoyer del lÕeau, jÕy contredirais toujours pour le pril que jÕy voyais, si ce nÕtait que lÕon les accompagnt dÕinfanterie pour les garder, ce que nous ne pouvions durant le sige, lequel sÕen allait fini ; que sÕils nÕen voulaient attendre lÕissue, quÕil ne les pouvait loger quÕaux Tonnains : mais outre que le mme inconvnient tait Tonnains quÕ Castel-Jaloux, parce quÕils contribuaient cinquante francs par jour pour une des compagnies du rgiment de monsieur le marchal, les Tonnains appartenaient en partie Mr le comte de la Vauguyon son gendre. Enfin monsieur le marchal se fcha contre moi, et moi je ne lui dis autre chose sinon que je lui enverrais le marchal des logis des Fourneaux, et quÕil lui ordonnt ce quÕil voudrait ; que pour moi je ne mÕen mlerais plus.
JÕallai del la Garonne voir notre retranchement qui sÕen allait en dfense, dont je fus fort aise ; car je craignais fort ce ct l.
Ma fivre me rengregea [augmenta] si fort que je ne fus plus capable de servir, et dpchai au roi et monsieur le conntable pour les supplier de trouver bon que le lendemain leur arrive je me fisse porter la Reolle pour me faire panser, et de me vouloir envoyer un mdecin.
JÕeus le lendemain matin cong de mÕen aller par une trs honnte lettre du roi, et assurance que lÕon mÕenverrait le mdecin, de sorte que le lendemain jeudi 25me on me porta dans un bateau que lÕon mÕavait prpar, sur les dix heures du matin, et je baissai le long de la rivire pour aller la Reolle.
Comme je passais bien malade devant les Tonnains, mes gens me dirent que de la cavalerie passait la rivire ; je mÕimaginai aussitt que cÕtait celle de monsieur le conntable, et ne fus pas tromp. Je me fis aborder en lÕtat que jÕtais et trouvai Nesmont sur la rive, qui faisait embarquer ses bagages pour aller coucher avec la compagnie Puch de Gontaut qui est demie lieue de Marmande. Cela me mit en trs grande peine, tout perdu de mal comme jÕtais, et prvus celui qui leur arriverait. JÕenvoyai qurir Nesmont et Vaillac, et leur demandai qui leur avait donn ce dpartement : ils me dirent que le soir auparavant Mr le marchal de Roquelaure leur avait envoy, et leur avait fort recommand de dloger avant que le roi arrivt devant Monheurt. Je le crus facilement ; car le roi nÕet jamais consenti quÕils en fussent partis pour aller Puch se jeter au milieu des ennemis dans un pays huguenot. Je leur dis lorsque je les priais de supersder jusques ce que le roi et su lÕinconvnient quÕil y avait de faire passer une seule compagnie de gendarmes dans un pays du tout ennemi, sans lÕaccompagner dÕinfanterie ou la loger dans une ville ferme ; que jÕenverrais un gentilhomme avec celui quÕils enverraient au roi, et que peut-tre le roi leur donnerait pour garnison la ville de Marmande, qui leur serait un excellent quartier. Nesmont et Vaillac taient plus vaillants que considrs, et qui ne pensaient pas que le soir mme de leur arrive les ennemis les dussent venir saluer, me dirent que dj tous leurs bagages et grands chevaux taient passs et mme taient dj avancs sur le chemin de Puch de Gontaut ; que les ennemis ne sauraient tre avertis de leur arrive quÕil ne ft bien tard ; quÕils nÕauraient pas le loisir de sÕentravertir temps pour leur venir donner sur les doigts la mme nuit ; que sÕils nÕtaient bien forts ils ne leur sauraient rien faire ; quÕil y avait un chteau Puch de Gontaut o ils se pourraient retirer, et quÕils feraient bon guet ; quÕils enverraient pour avoir un autre quartier pour le lendemain. Enfin ils passrent par dessus mes avis et persuasions, et suivirent leur chemin.
Pour moi je descendis jusques Marmande, mon mal se rengregeant dÕheure en heure de telle sorte que je nÕeus pas la force dÕaller jusques la Reolle, et fus contraint de me jeter en une mchante hostellerie aux faubourgs de Marmande, o je fis tendre mon lit pour y coucher, attendant quelque mdecin ou esprant dÕen trouver Marmande, comme je fis, mais un mdecin de village. De bonne fortune mÕarriva quasi en mme temps un empirique que Mr dÕEstissac mÕavait envoy, nomm Dubourg, qui nÕtait quÕun ivrogne, mais qui avait dÕexcellents remdes. Sur les neuf heures du soir mÕarriva aussi un mdecin du roi, excellent, nomm le Mire, que le roi mÕenvoya, lequel pour mÕter ce furieux tintonain que jÕavais dans la tte, de lÕavis des autres mdecins, me fit scarifier, et appliquer des ventouses sur les paules.
Cela fut vers les onze heures du soir, quand en mme temps nous oumes tirer force coups de pistolets dans cette rue du faubourg qui est sur la Garonne : cÕtaient les gendarmes de monsieur le conntable que les ennemis poursuivaient les ayant chargs dans Puch de Gontaut le mme soir quÕils y taient arrivs. Sur ce bruit mes gens en diligence me mirent une serviette sur mes paules qui taient toutes en sang, puis me mirent ma robe de chambre, et me firent emporter en cet tat par quatre de mes hallebardiers suisses ; et cinq ou six autres, et ce quÕils purent ramasser, mÕaccompagnrent jusques prs de la porte, puis coururent se barricader dans mon logis pour tcher de sauver avec eux mes chevaux, ma vaisselle et mon quipage. Ils crurent que jÕtais entr, et ne demeura avec moi que ces quatre Suisses, les deux mdecins le Mire et Dubourg, avec deux valets de chambre. Mais comme jÕapprochai de la porte, ils me salurent de quelques mousquetades, croyant ( ce quÕils me dirent depuis), que jÕtais le ptard que lÕon leur venait attacher leur porte. Mes gens leur crirent que cÕtait le marchal de camp qui commandait lÕarme, celui quÕils taient venus saluer la descente de son bateau, et que sÕils ne mÕouvraient ils sÕen repentiraient ; mais pour tout cela ils ne surent jamais gagner autre chose sur eux, sinon quÕils me permettraient de me mettre sous un petit corps de garde ouvert qui tait au-dedans de leur barrire, quÕun homme vint ouvrir pour mÕy faire entrer, lequel la referma sur moi en mme temps et puis se jeta sur un petit pont levis qui fut lev en mme temps. Ainsi je fus enferm dans cette barrire sans pouvoir plus rien mander mes gens, lesquels croyant que je fusse entr dans la ville, ne sÕoccuprent quÕ garder mon logis ; et ceux de la ville ne me voulurent jamais ouvrir quÕil ne ft sept heures du matin. JÕtais tendu sur une table, tout rempli du sang de ma scarification qui sÕtait fig et attach la serviette que lÕon avait mise dessus, et qui sÕcorchait de temps en temps, avec un epoinonnement furieux dedans la tte, une forte fivre continue, nÕtant couvert que dÕune robe de nuit assez lgre dans un temps trs froid ; car cÕtait le vendredi 26me de novembre, que je puis dire avoir t le plus grand tourment, et mal, que jÕaie senti de ma vie, qui me fit cent fois souhaiter la mort. Enfin messieurs de Marmande mÕouvrirent les portes de leur ville et mÕy donnrent un bon logis o je fis tendre mon lit et y demeurai malade lÕextrmit dÕune fivre de pourpre qui enfin le treizime jour finit par une forte crise. Le dix septime je me fis porter sur le bateau, et lÕon me descendit la Reolle.
Le 13me de dcembre pendant ma maladie Monheurt se rendit.
Monsieur le conntable y mourut dÕune mme fivre de pourpre que celle dont je rchappai (dcembre). Il ne fut gure plaint du roi, et les affaires changrent de face, aussi bien que la cour. Mr le cardinal de Retz et Mr de Schomberg aspirrent la toute-puissance et pensrent retenir le roi ne rien faire que ce quÕils lui conseilleraient, lui faisant sur toutes choses abhorrer les favoris. Ils sÕadjoignirent promptement un garde des sceaux, qui fut Mr de Vic, auquel ils les firent bailler : et parce quÕils apprhendaient que je ne serais pas conforme tous leurs sentiments, et que le roi me parlait toute heure, et moi fort franchement lui, que jÕavais force amis, et crdit dans les gens de guerre, ils proposrent au roi de me laisser lieutenant-gnral en Guyenne, dont ils firent donner Mr de Roquelaure en rcompense deux cents mille livres et le gouvernement de Lectoure. Ils mÕen firent aussi parler par Rouccelai (qui sÕavanait aussi tant quÕil pouvait et tait aux bonnes grces des ministres), et par Mr le marchal de Pralain : ils mÕoffrirent mme dÕajouter ma charge celle de marchal de France ; mais je voulus voir le cours de ce march et attendre de voir en quelles mains tomberaient les affaires, jugeant bien que celles-l nÕtaient pas assez fortes pour les soutenir et mÕassurant que quiconque les aurait serait bien aise de mÕavoir pour ami, et de me faire plus de part au gteau que ceux-ci ne mÕen offraient. Je rpondis donc au roi quand il me parla de cette lieutenance gnrale, que je mÕestimais plus heureux de faire la charge de colonel-gnral des Suisses prs de sa personne quÕaucune autre, loign dÕelle ; que je ne faisais que sortir dÕune grande maladie qui me demandait trois mois de repos, et moi ce temps-l au roi sans autre occupation quÕen celle de ma premire charge ; ce que Sa Majest agra. Ils la donnrent enfin au marchal de Thmines, qui ils trent le gouvernement de Barn, que lÕon mÕoffrit encore ; mais jÕen fis comme de celui de Guyenne.
JÕarrivai Bordeaux six jours devant le roi, o je fus fort visit, des ambassadeurs et autres.
Enfin le roi en partit le 30me de dcembre, et vint coucher Blaye.
Le lendemain il vint dner mi-chemin de Blaye Libourne, l o il assembla (en y arrivant) ce quÕil avait l de conseil, qui taient Mrs le cardinal de Retz et de Schomberg (qui lui avaient mis en tte lÕaffaire quÕil nous proposa), puis Mrs les marchaux de Pralain, de Chaunes, et de Crquy ( qui le roi avait donn le bton cinq jours auparavant Bordeaux), Mr de Marillac, et moi ; et par la bouche de Mr de Schomberg il nous proposa un dessein que lÕon lui avait mis en tte, de faire lui mme une entreprise sur Castillon et de sÕen saisir en passant : on voulait quÕil ft semblant dÕy aller au gte, et que lÕon ferait entrer six compagnies des gardes franaises et quatre des Suisses, pour garder le roi, et puis quand Sa Majest y serait entre, elle irait se promener au chteau dÕo elle chasserait ceux qui le gardaient pour Mr de Bouillon qui ds le commencement de cette guerre avait convenu avec le roi que toutes les places quÕil avait, comme Sedan, Negreplisse, Castillon, et toutes celles de la vicomt de Turenne, demeureraient dans le service du roi sans toutefois faire la guerre ceux de la Religion ; que pareillement le roi ne les ferait molester, ni entreprendre sur elles. JÕoubliais dire que ce matin mme, par les chemins, le roi mÕavait dit que lÕon lui proposait cette affaire, laquelle il ne gotait pas ; nanmoins si tout son conseil quÕil assemblerait la dne, tait dÕavis de lÕexcuter, quÕil le ferait : je le dgotai encore davantage quÕil ne lÕtait par plusieurs vives raisons que Dieu mÕinspira de lui remontrer, lesquelles il me commanda de dire tantt aprs au conseil, et les autres dont je me pourrais aviser, quoi je songeai par les chemins.
Aprs que Mr de Schomberg et amplement dploy tout ce qui tait de cette entreprise, il conclut par son opinion qui tait de lÕexcuter en la forme propose, ce que, son avis, il jugeait trs facile ; quÕil serait utile au roi, et de rputation, dÕavoir, en sortant du sige de Montauban, pris Monheurt de force, et Castillon par entreprise. Le roi demanda ensuite lÕavis de Mr de Marillac, qui fut conforme celui de Mr de Schomberg, y ajoutant quelque particularit en la forme de lÕexcution. De l le roi me commanda de dire mon opinion, laquelle je dis en cette sorte :
Ē Sire, si par le manquement de foi et de parole vous eussiez voulu chercher votre avantage, vous en aviez, lÕanne passe, une belle occasion lorsque par la dfaite du Pont de C, aprs avoir abattu un grand parti qui sÕtait lev contre vous, il tait en votre pouvoir dÕemployer, tant les forces ennemies que les armes que vous aviez mises sur pied pour leur rsister, qui consistaient ensemble plus de cent mille hommes, pour ruiner les huguenots surpris, mal prpars, dpourvus de forces, et dnus de secours. Il ne vous manquait pas alors de justes et spcieux prtextes pour lÕentreprendre, ni dÕhabiles et senss personnages vous le persuader ; joint que le profit et utilit qui vous en revenait dÕexterminer un tel parti et de donner la paix et le repos votre tat (que soixante annes durant, cette faction lui avait t ou travers), taient assez capables dÕmouvoir et faire incliner une me moins gnreuse et bien ne que la vtre, faire ce manquement-ci, qui fut nanmoins rejet par Votre Majest, pour ne violer la foi publique qui leur avait t donne de votre part et pour ne contrevenir votre royale parole. Est-il possible, Sire, que cette foi et parole que vous avez voulu saintement garder au prjudice mme de votre religion, au dsavantage de votre tat et au dommage de votre propre et particulier intrt, vous la veuillez maintenant mettre lÕabandon pour la conqute (pour ne dire la volerie et le larcin) dÕune simple bicoque, et mettre pour un si vil prix une si grande tche votre honneur et rputation ? La ville de Castillon qui demeure en paix au milieu de la guerre, qui subsiste dans son devoir au milieu de la dfection de ceux de sa religion, et qui vit en une entire assurance parmi ses voisins sous la protection que Votre Majest a donne aux terres de Mr de Bouillon, se trouvera opprime sous titre de bonne foi en la prsence et par la propre personne de Votre Majest, et de Votre Majest qui, non par affectation, mais par une voix publique comme mane du ciel, a t attribu le titre de juste. Cela est, ce me semble, incroyable, et nanmoins il nÕest que trop vrai que lÕon lÕa os proposer Votre Majest, quÕelle lÕa daign couter et quÕelle a voulu maintenant faire dlibrer si elle le doit excuter. Č
Ē Depuis six semaines, Sire, le chef du parti huguenot, Mr de Rohan, est venu se mettre entre les mains de feu monsieur le conntable sur sa simple parole et y a trouv une entire sret : Mrs de la Force et dÕOrval, sur celle de Mr le marchal de Chaunes, sont sortis de Montauban pour confrer avec lui ; et si sur celle de Votre Majest et sur la confiance que ses peuples en doivent prendre, la ville de Castillon lui ouvre ses portes, elle en encourra sa fatale ruine. Sire, il est ais de tromper qui se fie ; mais il nÕest pas ais de tromper plus dÕune fois : une parole mal garde une seule fois prive pour jamais celui qui lÕa enfreinte de crance envers tout le monde. Je ne vois point de difficult en la prise de Castillon ; vous y serez infailliblement reu, et sans pril vous vous en rendrez matre : mais en gagnant avec reproche et honte cette chtive place, vous perdez toutes celles de la Religion qui se fiant en votre royale parole, vivent sous votre autorit, et joindrez aux rebelles huguenots, les autres huguenots obissants et fidles. Une seule arme, ou deux au plus, vous suffisent faire la guerre aux rvolts, l o six armes ne suffiront pas ceux que vous contraindrez par cette action dÕtre tels. Le seul duc de Bouillon qui vous terez Castillon, vous forcera dÕen tenir une en Champagne contre Sedan, une en Limousin contre les places de la vicomt de Turenne ; Mrs de la Trimouille et de Sully, jusques astheure trs zls votre service, chercheront leur sret, et Mr le duc des Diguieres qui vous a si bien servi cet t pass contre ceux de sa mme religion, et qui contient tout le Dauphin en paix et en obissance, ne le pourra plus contenir, ne se pourra peut-tre plus contenir lui mme, voyant que lÕon ne se peut plus fier Votre Majest, ni prendre crance en sa parole. Č
Ē Sire, je ne sais qui vous a donn ce conseil ; mais je sais bien, de quelque part quÕil vienne, quÕil est ou intress, ou malintentionn, ou inconsidr, et quÕil nÕen peut succder que perte et repentir. CÕest pourquoi, Sire, je vous conseille de conserver religieusement, toute votre vie, votre foi et parole, tant vos amis quÕ vos ennemis, vos voisins quÕ vos sujets, et par un noble et gnreux ddain rejeter comme prjudiciables toutes les propositions et avis que lÕon vous viendra donner au contraire. Č
Le roi qui nÕavait pas besoin de beaucoup de persuasions pour le divertir de cette entreprise, voyant aussi que les trois marchaux de France par leurs gestes approuvaient mon avis, nÕen voulut pas demander aux autres, mais dit quÕil avait toujours bien jug que son honneur, et sa foi, ne lui pouvaient permettre dÕexcuter ce dessein : quoi tous les autres ayant applaudi, il fut rsolu que lÕon irait coucher Libourne.
Quand le roi me parla premirement de cette affaire, il ne me dit pas que Mr de Schomberg lui eut propose, et vritablement je nÕen savais rien. Il tmoigna de grands ressentiments Mrs de Pralain et de Crquy, de lÕaigreur et vhmence dont jÕavais us en mon opinion, et quÕil nÕeut pas cru que moi, son ancien ami, lui eusse voulu faire ce tour : mais je leur rpondis quÕil nÕavait point fait la proposition comme venant de lui, mais dÕune tierce personne, et que mon serment, et mon devoir, mÕobligeaient de dire, (selon ma conscience), mes sentiments sur les avis que le roi me demandait. Nanmoins cela ne lÕapaisa pas, et demeurmes depuis en froideur, parlant nanmoins toujours ensemble.
Ainsi le roi sÕen vint coucher le dernier jour de lÕanne 1621 Libourne o il sjourna.
Janvier.Ń Le premier jour de lÕan 1622 le roi fit ses pques, et aprs lui, voulut que tous les chevaliers de son ordre, l-prsents, communiassent sa messe.
Il en partit le lendemain, marchant petites journes jusques Aigres o Mr le Prince le vint trouver, lequel comme extrmement habile et accort, fit galement bon visage tout le monde sans incliner dÕaucun ct jusques ce quÕil et reconnu le cours du march. Son dessein tait de porter le roi la continuation de la guerre huguenote, pour trois raisons, mon avis : la premire, pour lÕardente affection quÕil a sa religion, et haine contre le parti huguenot ; lÕautre, pour penser mieux gouverner le roi en temps de guerre quÕen temps de paix, car il serait infailliblement lieutenant-gnral de son arme ; et la dernire, pour lÕloigner de la reine sa mre, de monsieur le chancelier et des vieux ministres, qui tait son antipathie.
Il y avait la suite du roi lÕabb Rouccelai qui tait en parfaite intelligence avec le feu conntable, et qui lÕavait assist jusques sa mort. Cet abb, riche de patrimoine et de bnfices, de bonne maison, adroit, savant et bien fait, avait aspir au bonnet de cardinal, pour quoi parvenir il sÕtait fait clerico de camera Rome, qui est un office de cinquante mille cus que lÕon perd en devenant cardinal : il tait de plus prfet de lÕannona, intime du cardinal Borghse, et qui croyait sans difficult parvenir cet honneur, lequel pour acclrer il avait voulu rcompenser la trsorerie du pape, qui lui donnait lÕaccs infaillible au cardinalat ; mais il y avait t travers par madame la grand-duchesse qui avait ha son pre, et loign de la personne et des affaires du feu grand-duc son mari. Lui, qui pensait par lÕintercession de la reine mre pouvoir adoucir lÕesprit de madame la grand-duchesse, vint en France avec un noble quipage, apportant force prsents quÕil distribua la cour, et sÕinsinua aux bonnes grces du marchal dÕAncre ; mais sa mort, et lÕloignement de la reine mre, lui reculrent ses desseins, et lui firent donner un commandement par le roi de se retirer de la cour, o peu aprs il revint par ma sollicitation, et la caution que je voulus tre pour lui de sa fidlit. Mais comme il tait passionn au service de la reine mre, il se mit pratiquer les uns et les autres pour elle, et enfin fit lui-mme donner avis Mr de Luynes quÕil le fallait de nouveau loigner de la cour, dont on lui fit commandement. Il se retira en une de ses abbayes, nomme Signi les Bois, proche de Sedan, o il commena pratiquer Mr de Bouillon, et ensuite Mr dÕEpernon qui sÕtait retir Metz mal satisfait de la cour : il runit par ses entremises ces deux seigneurs ennemis, et les porta si bien pour la reine, quÕil fit venir Mr dÕEpernon Loches recevoir la reine mre, et lÕemmener Angoulme. Il porta aussi Mr de Saint-Luc se joindre elle, et gouverna sa cour, et son esprit quelque temps, jusques ce que monsieur lÕvque de Luon lÕtant venu retrouver Angoulme, il sapa petit petit son autorit ; quoi lÕinsolence et peu de conduite de lÕabb Rouccelai lui donna jour, lequel se retira dÕauprs de la reine la premire paix qui fut faite Angoulme, ayant auparavant rempli cette cour de factions qui firent battre le marquis de Thmines et Richelieu qui y mourut, et loigner le marquis de Mosny qui se vint jeter entre les bras de Mr de Luynes avec Rouccelai, lequel les reut tous deux ; et en peu de temps Rouccelai sÕinsinua tellement en sa bonne grce quÕil avait lÕentire faveur. Sur cela Mr le Prince sortit de prison, auquel il sÕattacha, tant pour avoir quelquÕun qui le protget contre la reine mre qui lui voulait mal de mort, que pour le runir troitement avec Mr de Luynes, ce quÕil fit, de sorte que Mr de Luynes lui fit donner la gnralit de lÕarme du roi au Pont de C. Depuis, Mr de Luynes tant mort, et Rouccelai priv de ce support, il se jeta entirement au service de Mr le Prince, et le servit utilement en plusieurs occasions.
Il avait pour amis les ministres et tous nous autres. Il savait les desseins du feu conntable, et tait adroit et rus. Mr le Prince voulut savoir de lui lÕtat de la cour, qui lui dit quÕelle tait divise entre les trois ministres qui voulaient possder lÕesprit du roi lÕexclusion de tous autres, et les trois marchaux de France et quelques-uns de nous qui nÕy consentions pas ; que le roi me parlait souvent et avait quelque crance en moi qui pourrais mÕavancer plus avant si jÕy voulais prendre soin, mais que mon intention nÕallait point la faveur prsente quoi il mÕavait voulu porter, mais quÕil mÕy avait trouv fort loign, si bien avoir auprs du roi la part en ses bonnes grces que mes services mÕy feraient mriter : il lui dit aussi que nous nÕtions pas toujours de mme sentiment avec ces ministres, et que cinq jours auparavant jÕavais prement parl au roi contre eux en un conseil. Il lui demanda si jÕtais port la guerre. Il lui rpondit que je serais toujours port tout ce qui serait au bien et lÕavantage du roi ; que jÕavais press feu monsieur le conntable dÕentendre la paix que Mr de Rohan lui proposait, sur la crainte que jÕavais que lÕon ne russt pas au sige de Montauban, et quÕil me pourrait parler et sonder mon intention. Rouccelai aussi me dit que Mr le Prince me parlerait et quÕil saurait de moi o jÕtais port ; ce qui mÕy fit songer et me prparer la rponse que je lui devrais faire.
Mr le Prince sÕaboucha premirement avec les ministres quÕil trouva enclins la guerre, loigner le roi le plus quÕils pourraient de Paris, afin de le mieux gouverner, et empcher quÕaucun favori ne puisse lÕavenir occuper la place quÕavait tenue Mr de Luynes avec tant dÕautorit, qui tait tout ce que voulait Mr le Prince, qui ne laissa pas ensuite de parler Mr le marchal de Crquy et sonder son intention : il la trouva porte la paix, et au repos de la France, si le roi la pouvait avoir des huguenots avec des conditions avantageuses et dignes de Sa Majest, sinon de poursuivre les huguenots, et les mettre la raison et en leur devoir. Il me parla ensuite et me trouva de conforme sentiment. Je lui dis de plus quÕil trouverait Mr de Pralain et tous les autres bons serviteurs du roi de mme opinion. Il me dit entre autres choses ces mots : Ē CÕest grand cas : tous vous autres, gens de guerre, qui la devriez dsirer et qui nÕattendez de parvenir que par elle, voulez la paix, et les gens de robe et dÕtat demandent la guerre. Č Je lui rpondis que je dsirais la guerre et quÕelle devait causer ma fortune et mon avancement, mais que cÕtait avec condition que ce ft le service du roi, et le bien de lÕtat ; quÕautrement je mÕestimerais mauvais serviteur du roi, et mauvais Franais, si pour mon bien particulier jÕaffectais une chose qui dt causer lÕun et lÕautre tant de mal et de prjudice. Il dit Rouccelai, aprs avoir parl Mr le marchal de Crquy et moi, que nous nÕtions pas ses gens, et quÕil aurait plus dÕacqut avec les ministres quÕavec nous. Il se comporta nanmoins avec beaucoup de discrtion, se conservant pour serviteurs les uns et les autres.
Le roi vint un soir coucher Chisay et voulut se mettre au jeu, attendant lÕheure du souper avec quelques-uns de nous. Il parlait de fortune Mr le marchal de Pralain et moi un peu auparavant quÕil se voulut asseoir, quand Mr le cardinal de Retz et monsieur le garde des sceaux arrivrent avec Mr de Schomberg. Le roi nous dit en les voyant entrer : Ē Mon Dieu, que ces gens sont fcheux ! Quand on pense passer son temps, ils me viennent tourmenter, et le plus souvent nÕont rien me dire. Č Moi, qui tais bien aise de leur donner une estrette en revanche de ce quÕils faisaient tous les jours contre moi, dis au roi : Ē Comment, Sire, ces messieurs viennent-ils sans tre mands de vous, ou sans avoir prcdemment fait savoir Votre Majest quÕil y avait quelque chose dÕimportance dlibrer, et sur ce, demand votre heure ? Č Ē Non, ce me dit-il, ils ne me le font jamais savoir, et viennent quand il leur plait, et la plupart du temps quand il ne me plait pas, comme cette heure. Č Ē Jsus, Sire, est-il possible ? lui rpondis-je ; cÕest vous traiter en colier, et eux se font vos pdagogues qui vous font venir la leon quand il leur plait. Il faut, Sire, que vous ngociez en roi, et que tous les jours, votre arrive en quelque lieu, un de vos secrtaires dÕtat vous vienne dire sÕil est arriv quelque nouvelle importante qui mrite dÕassembler votre conseil, et que sur cela vous leur mandiez quÕils vous viennent trouver, ou lÕheure mme, ou celle qui vous sera le plus commode ; et si ils ont quelque chose vous dire, quÕils vous le fassent savoir prcdemment, et lors vous leur manderez quand ils auront vous venir trouver. CÕtait ainsi que le feu roi votre pre ngociait, et comme il faut que Votre Majest en fasse, et lorsquÕils y viendront autrement, les renvoyer comme ils seront venus, et leur dire fermement une fois pour toutes. Č Le roi prit en fort bonne part ce que je lui avais remontr, et me dit que ds lÕheure mme il mettrait mon conseil en pratique, et continua de causer avec Mr le marchal de Pralain et moi. Quand cela eut un peu dur, Mr le Prince vint dire au roi : Ē Sire, ces messieurs vous attendent pour tenir conseil. Č Le roi se tourna devers Mr le Prince avec un visage mu, et lui dit : Ē Quel conseil, Monsieur ? Je ne les ai point mands ; je serais enfin leur valet : ils viennent quand il leur plait, et lorsquÕil ne me plait pas. QuÕils sÕen retournent sÕils veulent, et quÕils ne viennent que quand je leur manderai; cÕest eux prendre mon heure et me lÕenvoyer demander, et non moi la prendre dÕeux. Je veux quÕun secrtaire dÕtat se trouve tous les jours quand je descendrai la gte en quelque lieu pour me dire ce quÕil y a de nouveau, et selon cela je leur donnerai mon heure ; mais je ne prendrai jamais la leur : car je suis leur matre. Č Mr le Prince se trouva un peu surpris de cette rponse et se douta bien de quelle boutique elle venait. Il sÕen retourna leur dire, lesquels lui firent dire par Mr le Prince quÕils nÕtaient venus que pour recevoir lÕhonneur de ses commandements comme courtisans et non autrement, et que seulement Sa Majest leur voult dire un mot, aprs quoi ils sÕen retourneraient ; ce que le roi fit, mais bien brusquement, qui fut : Ē Messieurs, je mÕen vas jouer avec cette compagnie. Č Ils lui firent lors une grande rvrence et puis sÕen allrent bien tonns. Mr le cardinal de Retz envoya qurir Mr le marchal de Pralain qui tait son bon ami, et lui fit des plaintes de moi, disant que je leur avais fait jouer ce tour. Il leur dit que oui, quÕil en tait tmoin et que je nÕtais pas marri quÕils le sussent, et que je nÕtais pas rsolu dÕen faire moins lÕavenir ; quÕils me tenaient sur les rangs, et mes amis aussi, quand ils taient avec le roi, non pas lui (car sa modestie et mon amiti le divertissaient de le faire), mais Mrs de Vic et de Schomberg ; que de mon ct je ne les pargnerais pas aussi, et que le roi mÕavait dit ce quÕils lui disaient de moi, dont je nÕtais pas gure en peine, car le roi me connaissait bien.
Je vis le lendemain Mr le cardinal de Retz et lÕassurai pour son particulier de mon trs humble service ; aussi lui tais-je oblig : mais je lui dis franchement que pour les autres, je nÕtais pas de leurs amis, et que je voulais bien quÕils le sussent. Il dsira de me rabienner avec eux ; mais deux choses mÕen empchrent, et eux aussi : lÕune, que ce soir mme que monsieur le cardinal mÕavait parl le matin, arriva la nouvelle de lÕextrmit de la maladie de Mr le marchal de Roquelaure, et ces messieurs en corps avec Mr le Prince vinrent demander au roi la charge de marchal de France quÕil avait, pour M. de Schomberg ; le roi ne leur fit autre rponse sinon de leur dire : Ē Et Bassompierre, que deviendra il ? Č Cette crue rponse toucha fort Mr de Schomberg, et depuis ce jour l nous ne nous parlmes plus.
Il arriva le lendemain que le roi ne fit quÕune poste en sa journe, de quoi nous tions marris pour voir que ces messieurs faisaient exprs retarder le roi de venir Paris, pensant avec le temps empiter lÕautorit avant quÕil et vu la reine sa mre et les vieux ministres. Mr le marchal de Crquy et moi, nous chauffant en la garde-robe du roi, nous plaignions de ces petites traites. Le comte de la Rocheguyon nous dit que ce que lÕon en faisait tait pour la considration des gardes franaises et suisses, qui ne pourraient suivre autrement. Nous dmes lors que cette considration ne devait point causer ce long retardement ; que nous qui commandions lÕune et lÕautre garde, ne nous en plaignions point, et quÕelles marcheraient aussi fort quÕil plairait au roi, et que nous leur ferions faire ce que nous voudrions. Sur cette dernire parole qui fut rapporte aux ministres, ils en vinrent faire trois plats au roi, disant que nous nous vantions de faire faire aux deux rgiments des gardes ce que nous voudrions, et que nous les tournerions de quel ct il nous plairait : ils prirent le roi dans son faible, qui se fcha de voir que nous mettions son autorit en compromis. CÕtait la veille devant son arrive Poitiers : il me dit que je lui vinsse parler le lendemain matin, et me dit : Ē Je vous ai promis de vous dire tout ce que lÕon me dirait de vous : cÕest pourquoi mÕayant t rapport que vous vous vantiez de porter les Suisses faire tout ce que vous voudriez, et mme contre mon service, je vous ai bien voulu faire savoir que je ne trouve pas bon que lÕon tienne ces discours, et moins vous quÕun autre, auquel jÕai toujours eu une entire confiance. Č Je lui dis : Ē Dieu soit lou, Sire, de ce que mes ennemis cherchant tous les moyens de me nuire, nÕen peuvent trouver quÕil ne me soit ais de les dtourner et rendre vains. Celui-ci est de cette qualit, et vous en pouvez savoir la vrit par leur bouche mme, bien quÕelle nÕait pas gure accoutum dÕen sortir : demandez-leur sur quel sujet jÕai dit que je ferais faire aux Suisses ce que je voudrais, et sÕils ne vous disent que Õa t sur celui de leur faire faire de grandes ou petites traites, sur ce que nous nous plaignions, Mr de Crquy et moi, que lÕon fait faire par jour moins de chemin Votre Majest pour retourner Paris, que nÕen ferait une procession de paroisse, je veux perdre la vie ; et Votre Majest peut juger si cela vous touche, ou non, et si Elle doit prendre ce discours comme dÕune vanterie de pouvoir employer les Suisses contre votre service. Č Sur cela il appela Berringuen et Jaquinot, et leur demanda en ma prsence, qui lui dirent la mme chose, dont il demeura satisfait, et en parla ensuite Mr de Crquy comme dÕune chose quÕil avait dj claircie, et qui peu de jours aprs retourna sur le visage des auteurs ; car comme le roi tait Chtellerault, ceux du conseil lui proposrent dÕaller le lendemain coucher la Haye, auxquels il rpondit : Ē Je ne vous en croirai pas, Messieurs ; car si vous pouviez, je ne retournerais de trois mois Paris Č, et alla coucher Sainte Maure.
Mr dÕEpernon vint trouver le roi Poitiers, qui lui laissa des forces et Mrs de Saint-Luc et de la Rochefoucaut pour rsister aux huguenots de Poitou et Saintonge. On donna le gouvernement en chef de Poitou Mr de la Rochefoucaut, vacant par la dfection de Mr de Rohan. On mi-partit la lieutenance gnrale entre Mrs de la Chataigneraye et de Brassac ; mais le premier nÕen ayant voulu pour la moiti, Brassac lÕeut toute entire. Rouccelai eut, par lÕintervention de Mr le Prince, des ministres et de moi, lÕabbaye de lÕOr de Poitiers proche de Saint-Maixent, que possdait prcdemment Mr de Rohan.
Peu de jours aprs nous arrivmes Paris o messieurs le chancelier et prsident Jeannin prirent quelque crance auprs du roi et lui persuadrent de ne se pas loigner de la paix lorsque les huguenots se mettraient en leur devoir et quÕil y trouverait les conditions avantageuses ; et parce que le reste de ceux du conseil y avaient une entire rpugnance, le roi se rsolut dÕemployer Mr le duc Desdiguieres pour la traiter, avec Mr le marchal de Crquy et Mr de Bullion, et quÕil nÕen dcouvrirait aucune chose quÕ Mr de Puisieux, et moi, qui il commanda de tenir lÕaffaire trs secrte, et voulut que lÕon ft de la part de Mr Desdiguieres doubles dpches, lÕune qui se verrait et rsoudrait dans le conseil ; lÕautre, particulire, adressante Mr de Puisieux, quÕil ne communiquerait quÕau roi, et mÕen ferait part.
Fvrier. Ń Le roi manquait de marchaux de camp pour ses armes, ceux qui lÕtaient lÕan prcdent tant morts ou monts dÕautres charges, et moi je ne voulais plus servir en celle-l pour nÕy avoir des compagnons qui fussent de mon calibre ; mais le roi mÕhonora de la charge de premier marchal de camp par brevet particulier, pour donner les ordres et commander prcdemment aux autres en tous les quartiers o je me trouverais, nÕavoir point de jour affect comme les autres, qui se rendraient en mon logis o se feraient les projets de ceux de lÕarme ; et autres privilges que jÕacceptai avec trs grand contentement.
Le roi voulut que Zamet servit ; la reine mre le supplia de faire servir Marillac, et il fut ais Mr le Prince dÕobtenir la troisime place pour Mr de Valanay, lieutenant de sa compagnie de gendarmes, qui tait beau-frre de Mr de Puisieux, pour lequel monsieur le chancelier, lui, et moi, nous employmes avec efficace.
Mr le Prince eut la charge de lieutenant-gnral, et Mr de Schomberg la commission de lÕartillerie ainsi que lÕanne prcdente. Le roi voulut que Mr le marchal de Pralain vnt lÕarme, mais ne lui voulut pour lors donner autre commission que celle quÕil avait par son office.
Cependant nous passmes assez bien le temps cet hiver-l Paris, tant la cour quÕ la foire de Saint-Germain, et le carme-prenant fut accompagn de plusieurs belles comdies et grands ballets. La cour tait fort belle, et les dames aussi ; mais sur le milieu du carme (mars) il arriva un accident qui fit quelque dsordre : la reine devint grosse, et lÕtait de six semaines quand un soir, madame la Princesse tenant le lit, la reine y alla passer la soire jusques aprs minuit avec les autres princesses et dames du Louvre ; Mrs de Guise, les deux frres de Luynes, Mr le Grand, Blainville et moi, nous y trouvmes, et la compagnie fut fort gaie, quand la reine sÕen retournant coucher et passant par la grande salle du Louvre, madame la conntable de Luynes et Mlle de Verneuil la tenant sous les bras et la faisant courir, elle broncha et tomba en ce petit relais du haut dais, dont elle se blessa, et perdit son fruit. On cela lÕaffaire le plus que lÕon pt au roi tant quÕil fut Paris dÕo il se rsolut de partir le dimanche de Pques fleuries pour aller faire ses pques Orlans et de l passer par le Berry et sÕen aller Lyon pour attaquer le Languedoc et le rduire en son obissance cet t-l.
Le mme jour que le roi partit, les amis communs de Mr de Schomberg et de moi (fchs de voir notre mauvaise intelligence), travaillrent pour nous remettre bien ensemble, ce qui leur fut ais ; car nous y tions tous deux ports. Ils nous firent voir aprs vpres aux Chartreux o ils nous donnrent rendez-vous, dÕo nous sortmes trs bons amis.
On fit savoir au roi comme, et en quelle faon la reine sÕtait blesse, et on lÕanima tellement contre ces deux dames, quÕil dpcha de Touri La Foulaine la reine pour lui mander quÕil ne voulait plus que Mlle de Verneuil ni madame la conntable de Luynes fussent auprs dÕelle, et leur crivit chacune une lettre pour leur faire savoir quÕelles eussent se retirer du Louvre.
JÕai dit ci-dessus que le roi tant Poitiers pourvut aux affaires de Saintonge et de Poitou autant quÕil le jugea convenable, donnant Mr dÕEpernon le premier commandement partout o il serait de ces provinces-l, et lui laissa quatre mille hommes de pied, et quatre cents chevaux : il bailla deux mille hommes de pied et deux cents chevaux Mr de la Rochefoucaut, et pareil nombre Mr de Saint-Luc, avec ordre de reconnatre Mr dÕEpernon et dÕaller en Saintonge, Angoumois et Aunis avec leurs forces quand il leur manderait de le venir assister ; et que le premier des deux qui arriverait prs de lui, serait son lieutenant-gnral, et lÕautre servirait de marchal de camp ; que si aussi Mr dÕEpernon venait en la province de lÕun ou de lÕautre, pour les secourir, celui dans la province duquel il serait, ferait la charge de lieutenant-gnral, et lÕautre de marchal de camp ; et le roi recommanda tous trois une parfaite union et intelligence pour le bien de son service, auquel il pensait avoir suffisament pourvu par cet tablissement. Mais il arriva que Mr dÕEpernon ayant mand ces deux messieurs de le venir trouver en Saintonge avec leurs forces, ils y accoururent promptement et y demeurrent jusques ce quÕils en eussent chass Mr de Soubise qui avait lors sur pied une arme de sept mille hommes de pied, et sept cents chevaux huguenots : mais le dit sieur de Soubise sÕtant de l jet dans le gouvernement de Mr de Saint-Luc, puis ensuite dans le Poitou, Mr dÕEpernon aima mieux garder ses gouvernements avec les troupes quÕil avait, que de les employer secourir ses voisins, lesquels sÕen tant plaints au roi, et mand quÕils ne pouvaient conserver leurs gouvernements avec les troupes quÕils avaient sÕils nÕtaient secourus de plus grandes, le roi envoya vers Mr dÕEpernon un nomm le Fay pour lui ordonner que toutes choses cessantes, il et aller secourir le Poitou avec les troupes que Sa Majest lui avait laisses. Mais ledit Fay ne lui ayant pas parl son gr, il le malmena, lequel tant de retour auprs du roi, lÕanima bien fort contre Mr dÕEpernon, et lui ayant derechef renvoy, il en revint avec aussi peu de satisfaction que la premire fois, dont le roi fut fort en colre, se rsolut dÕaller lui mme secourir le Poitou et puis entrer par la Guyenne dans le Languedoc, au lieu dÕy venir, comme il avait dlibr, par le Lyonnais. Pour cet effet il sÕavana Blois, fit venir vers lui toutes ses forces (la reine sa mre tait alle faire ses pques Orlans avec lui et le voulait accompagner en tout ce voyage, la reine sa femme demeurant avec monsieur son frre), et ayant fait amasser tous les bateaux quÕil put sur la rivire, il y fit embarquer ses troupes et acheminer bonnes journes sa cavalerie sur la leve de Loire vers Nantes o il donna le rendez-vous gnral, afin dÕaller en diligence joindre Mr de Soubise qui ravageait le bas Poitou sans aucune rsistance, Mr de la Rochefoucaut nÕayant pas plus de cent chevaux et quinze cents hommes de pied pour lui rsister.
Le roi me dpcha un courrier pour me faire venir le trouver en diligence, ce qui me fit partir de Paris le mercredi 6me jour dÕavril, et vins coucher Chartres, le lendemain Orlans, puis Tours o je me mis sur la Loire et allai coucher Saumur, de l Ensenis, et le lundi 11me je fus dner Nantes o tait le roi, qui commena me faire quelques plaintes de Mr le Prince, que Arnaut et Saint-Jeri, en venant sur la rivire, lui avaient occasionnes, lesquels bien quÕils fussent ses serviteurs affids, pour jouer le double et faire voir au roi quÕils ne lÕtaient pas, parlaient mal de lui. Je rabattis ces coups autant quÕil me fut possible ; car je faisais profession dÕtre trs humble serviteur de Mr le Prince, comme je lui avais promis avant que de partir de Paris.
La reine mre qui tait venue avec le roi se trouva mal Nantes et y demeura lorsque le roi en partit pour aller chercher en bas Poitou Mr de Soubise, le mardi 12me, et alla coucher Viellevigne.
Le mercredi 13me il logea Legey o lui furent portes nouvelles par un nomm le Bois de Carquerois, quÕil avait envoy pour garder lÕle de Riez, que les ennemis lÕavaient occupe, lÕen avaient chass, et y taient logs ; que Mr de la Rochefoucaut, avec ce peu de troupes quÕil avait, sÕtait venu camper au bout de la chausse par o ils taient entrs dans lÕle de Riez, et quÕils avaient plusieurs vaisseaux Croix de Vie et Saint-Gles pour ramener leur butin qui tait grand (et leurs personnes), la Chaume et aux Sables, et de l la Rochelle. Le roi aussitt assembla son conseil pour dlibrer de ce que lÕon aurait faire, auquel la plupart furent dÕavis dÕaller le lendemain loger Aspremont et prendre le chemin de Saintonge et de Guyenne pour aller faire la guerre en Languedoc. Mr le Prince proposa dÕavancer encore une journe jusques Chalans, quand ce ne serait que pour voir la contenance des ennemis, et quÕil pourrait arriver quÕils nous donneraient jour de les aller combattre dans lÕle mme de Riez. Ce dernier avis fut suivi, et lÕordre donn pour aller le lendemain jeudi 14me loger Chalans.
Le roi voulut que lÕon marcht en quelque ordre de bataille, non tant pour crainte des ennemis, puisque Mr de la Rochefoucaut les empchait de pouvoir venir nous, que pour marcher en gens de guerre. Mr de Marillac eut ordre dÕaller faire le logement du roi et de lÕarme Chalans, et la compagnie de carabins dÕEsplan de lÕescorter. Comme il y fut arriv sur le midi, et quÕil tait occup cantonner le quartier, vinrent lui des habitants de lÕle de Peris qui confine celle de Riez, et nÕy a quÕun canal entre deux sur lequel il y a un pont nomm le pont dÕAurait : ils lui dirent quÕils avaient tellement quellement fortifi ledit pont pour empcher Mr de Soubise et son arme de les venir saccager, lequel pont ils avaient maintenu contre lÕattaque que lÕon y avait faite, et que si on leur voulait donner cinquante arquebusiers, quÕils le garderaient, et leur le, contre toute la puissance ennemie. Marillac leur demanda par o il fallait aller lÕle de Peris : ils lui dirent quÕ huit cents pas de Chalans tait une chausse par laquelle on y entrait. Lui qui pensait que cette chausse ne durerait au plus que cinq ou six cents pas, aprs avoir cantonn promptement le logis du roi, et laiss aux marchaux des logis et aides de camp le reste faire, ayant mand au roi quÕil sÕen allait Peris dÕo il lui manderait nouvelles des ennemis, sÕy achemina.
Le bas Poitou est ainsi nomm parce quÕil baisse vers la mer, et que toutes les eaux du haut Poitou y viennent descendre, desquelles il se fait de grands marcages lesquels en basse mer sont secs hormis les canaux o passent les eaux et [en] haute mer sont inonds hormis plusieurs petites mottes o il y a des maisons bties en quelques unes, et les autres servent retirer le btail jusques ce que le flux soit retir : et parce quÕil y a plusieurs petits pays qui ne sont point inonds proche de la mer, auxquels nanmoins les eaux douces empchent lÕentre, il y a des longues chausses qui y conduisent, qui sont faites angles saillants et rentrants ; et ces lieux sont nomms les parce quÕil nÕy a aucun accs sans passer lÕeau, que par ces chausses. Ainsi est faite lÕle de Riez, ainsi celle de Peris, celle de Saint-Jean des Monts, et autres.
Mr de Marillac se jeta dans la chausse qui va de Chalans Peris, ayant mis devant lui cinquante arquebusiers cheval, qui tait la compagnie dÕEsplan ; quelque trente gentilshommes volontaires lÕaccompagnrent, et passa cette chausse qui contre son attente avait plus de deux lieues de long. Il trouva son arrive que les ennemis tchaient de forcer ce pont que les habitants dfendaient encore assez bien, attendant ce secours. Il fit mettre ces carabins pied terre, et occuper la place des paysans la garde du pont, ce que les ennemis ayant aperu et mme quÕil y avait de la cavalerie dans lÕle, ralentirent leur effort. Marillac cependant donna avis au roi que, si on lui envoyait deux mille hommes, il garderait lÕle et tiendrait sur cul les ennemis jusques ce que le roi et rsolu, ou de les attaquer, ou de les laisser passer, et que cependant il se faisait fort de tenir lÕle de Peris tout ce jour. Esplan demanda parler Mr de Soubise qui le vint trouver proche du pont et lui parla, le canal entre deux : cela les amusa jusques sur le tard.
Cependant le roi tant arriv et log Chalans, eut les nouvelles de Marillac, et ayant assembl son conseil, rsolut dÕenvoyer quatorze compagnies de son rgiment des gardes pour la conservation de lÕle de Peris, et que le lendemain au jour, il se mettrait en bataille avec la cavalerie quÕil avait, la vue de Riez, cinq cents pas dÕo La Rochefoucaut tait camp, qui sÕy mettrait aussi. Il ordonna que je mettrais son infanterie en bataille sur le bord de la chausse pour faire ce que Mr le Prince mÕordonnerait, qui passerait avec Mr le marchal de Pralain dans lÕle de Peris ds la pointe du jour.
Mr le marchal de Vitry demanda de mener Peris ces quatorze compagnies des gardes, et y arriva vers la pointe du jour du vendredi 15me dÕavril ; et Mr le Prince, ds quÕil fut jour, sÕachemina en ladite le, me laissant avec lÕinfanterie lÕentre, tandis que le roi sÕalla prsenter proche de la chausse de Riez. Sur les huit heures du matin Mr le Prince me manda que je fisse passer en Peris toute lÕinfanterie, dont je donnai avis au roi, et me mis la tte, et elle y commena dÕarriver sur les dix onze heures. Je vins trouver Mr le Prince qui me commanda de faire hter les troupes le plus que je pourrais, et de les amener un gu que les paysans de Peris lui montrrent quÕen basse mer il nÕy avait pas plus dÕeau que jusques la ceinture pour traverser un bras de mer (large comme la Marne), qui sparait les les de Riez et de Peris, ce qui tait vritable, car lors plusieurs de nous le passrent aisment : mais comme le flux ne tarde gure venir, il tait douteux que toute lÕarme et eu loisir de passer. Nanmoins je la htai le plus quÕil me fut possible, et en la ramenant je dis Mr de Pralain : Ē Que pense faire Mr le Prince ? A-t-il bien considr ce quÕil entreprend ? Croit-il passer son arme entire ? NÕapprhende-t-il point que les ennemis ne le chargent quand il en aura pass un tiers, ou la moiti ? Que veut-il entreprendre sans cavalerie contre des gens qui ont sept huit cents chevaux, et huit ou dix pices de canon ? Sur quoi se fonde-t-il ? Č Il me dit : Ē Il ne nous en a parl quÕen passant, et est plutt port par lÕavis dÕArnaut que conseill par nous autres ; mais (ce me dit-il), vous tes un de ses gouverneurs, allez lui parler. Č Je ne marchandai point, et lÕtant venu trouver et dit que lÕinfanterie arrivait, je lui dis ensuite :
Ē Monsieur, quel est votre dessein de passer sans cavalerie en un pas o, si les ennemis vous font le moindre obstacle du monde, la mer vous prendra demi pass ; et quand ils vous laisseraient passer, ce vous sera un grand dsavantage dÕtre sans cavalerie ni canon ? Mais quand toutes ces considrations ne vous toucheraient point, permettez, Monsieur, que comme votre trs humble serviteur, je vous demande ce que vous ferez du roi qui est en bataille devant la chausse de Riez, et comme quoi vous voulez combattre sans lui ? Car si vous dfaites Mr de Soubise, il vous voudra mal de ce que vous ne lui aurez point fait part de lÕhonneur de la victoire ; et sÕil vous arrive quelque disgrce, il blmera votre prcipitation, et vous accusera de ne lÕavoir voulu ou daign attendre. Č
Mr le Prince ne prit pas bien mon discours, et me dit : Ē Je vois bien que vous tes de la cabale des autres qui me veulent dtourner dÕacqurir de la gloire et faire un grand service, lequel peut-tre ne se pourra pas recouvrir quand nous lÕaurons laiss chapper. Je veux donc que vous alliez tout lÕheure trouver le roi et lui dire quÕil est propos quÕil vienne promptement ici avec sa cavalerie. Č Je le suppliai de lui en crire un mot, ce quÕil fit, et je mÕy en allai en diligence. Je le trouvai au milieu de la chausse, qui dj venait, impatient de nÕavoir point de nos nouvelles, et dÕtre sans rien faire devant les ennemis, une rivire entre deux, quÕeux ni lui ne pouvaient passer. Ds quÕil fut arriv en lÕle, Mr le Prince lui mena voir le passage du gu, et les habitants nous assurrent quÕil y en avait encore un autre plus proche de lÕembouchure de la mer, et quÕ minuit prcisment lÕeau serait basse, et plus basse quÕelle nÕtait midi, car cÕtait gros dÕeau.
Le roi se logea avec les princes, et autres principaux de lÕarme, dans quinze maisons qui taient dans lÕle, envoya loger et repatre sa cavalerie dans lÕle de Saint-Jean des Monts, et fit camper son infanterie proche de son logis et vers le pont dÕAurait, retenant les marchaux des logis et sergents-majors de tous les corps pour leur porter lÕordre aprs le conseil, quÕil vint tenir lÕheure mme, o il fut rsolu de passer en basse mer avec toute lÕarme, et aller attaquer Mr de Soubise. Puis ensuite Mr le Prince prvoyant sagement les inconvnients qui peuvent arriver aux diffrents commandements, lÕimportance de passer en une heure lÕarme, et avec un grand ordre, proposa au roi dÕen commettre le soin un seul, et quÕil lui conseillait que ce ft moi, sÕassurant que je mÕen acquitterais bien. Je le remerciai trs humblement de lÕhonneur quÕil me faisait, et de la bonne opinion quÕil avait de moi, et lÕassurai que je tcherais de mÕen acquitter son contentement.
Sur cela je mÕen vins en un logis que lÕon avait laiss Mr le marchal de Pralain et aux marchaux de camp, lesquels jÕappelai pour ensemble faire lÕordre, lequel fut en cette sorte :
Que le rendez-vous de toutes les troupes serait dix heures du soir, et que lÕinfanterie se viendrait mettre en bataille la main gauche du logis o nous tions, en une plaine qui y tait, et que le rgiment des gardes ferait cinq bataillons quÕil mettrait en losanges, et serait la tte ; que derrire lui seraient les Suisses en deux gros bataillons, puis ensuite deux bataillons de Normandie, et finalement Navarre en trois bataillons ; je signalai leurs places leurs sergents-majors, puis leur donnai lÕordre et les renvoyai. Nous fmes sept corps de notre cavalerie, assavoir : les carabins dÕEsplan qui seraient la tte la main droite du logis o jÕtais ; puis la compagnie des Roches Baritaut ; ensuite les chevau-lgers de la garde du roi ; puis les gendarmes ; puis cinquante chevaux tirs des gendarmes et des chevau-lgers, qui composaient un escadron ; derrire eux la noblesse de la reine mre qui faisait un escadron avec quelques volontaires ; finalement la compagnie de chevau-lgers de Mr de Guise : et ayant donn lÕordre aux marchaux des logis de tous ces corps, je les renvoyai ; aprs quoi nous formmes nos ordres de bataille, et en fmes les trois ordres, assavoir : lÕavant-garde tait compose des carabins dÕEsplan, des chevau-lgers des Roches Baritaut et de ceux de la garde, avec les cinq bataillons du rgiment des gardes ; la bataille, des gendarmes du roi, et des Suisses ; et lÕarrire-garde, des cinq bataillons de Navarre et de Normandie avec les trois corps derniers de cavalerie. Je priai Mr de Marillac de prendre lÕordre et le soin du passage de lÕinfanterie, et Mr Zamet celui de la cavalerie.
Puis ayant mis sur le papier tous nos ordres, Mr le marchal de Pralain et nous, vnmes les montrer au roi, qui les approuva fort. Nous lui supplimes de faire des chefs de chaque escadron, des princes et officiers qui taient prs de Sa Majest ; et le roi nous ayant demand sur cela ce quÕil nous en semblait, nous lui dmes que cÕtait lui mener la bataille la tte de ses gendarmes entre deux gros bataillons de Suisses, de donner Mr le Prince, son lieutenant-gnral, lÕavant-garde, et lÕarrire-garde Mr le Comte ; les deux escadrons de lÕavant-garde aux deux marchaux de France, les deux de lÕarrire-garde Mrs de Vendme et grand prieur ; que Mr Zamet aurait soin de lÕordre de lÕavant-garde, Mr de Marillac de lÕaile gauche qui tait lÕarrire-garde, et que je serais partout comme ayant en ma tte et en ma charge toute la conduite ; et que pour le passage Mr Zamet conduirait la cavalerie et Mr de Marillac lÕinfanterie, cependant que je ferais marcher lÕun et lÕautre corps. Il approuva tout ce que nous lui proposmes, et se plut aux ordres projets.
Sur le temps que, couch sur un mchant lit, le roi confrait du passage avec nous, il arriva une grande alarme par tout le camp, comme si les ennemis nous fussent venus sur les bras, et en cet instant cinquante personnes se jetrent dans la chambre du roi, qui lui dirent que les ennemis venaient nous. Je savais bien quÕil tait impossible, car la mer tait haute, et quÕils nÕeussent su passer : cÕest pourquoi au lieu de mÕen alarmer, je voulus voir comme le roi la prendrait, afin que selon sa hardiesse ou son tonnement, jÕeusse lÕavenir me gouverner vers lui aux propositions que je lui ferais. Ce jeune prince qui tait couch sur ce lit, se leva assis cette rumeur, et avec un visage plus anim que de coutume leur dit : Ē Messieurs, cÕest l dehors quÕest lÕalarme, et non dans ma chambre, comme vous voyez, et o il faut aller Č, et en mme temps me dit : Ē Allez en diligence au pont dÕAurait, et me mandez de vos nouvelles promptement. Vous, Zamet, allez trouver Mr le Prince, et Mr de Pralain avec Marillac demeureront avec moi qui me vas armer, et me mettre la tte de mes gardes. Č Je fus ravi de voir lÕassurance et le jugement dÕun homme de son ge, si mr et si parfait. Il se trouva que cÕtait une fausse alarme que lÕon avait prise dÕune chose fort lgre, et ainsi je mÕen revins dormir deux heures, attendant le rendez-vous et pour tre en tat de passer la nuit sans dormir.
Toutes les troupes arrivrent dix heures au rendez-vous, et tout loisir nous les mmes en deux files, assavoir : les bataillons lÕun aprs lÕautre pour passer au gu de la main gauche ; et les escadrons aussi ensuite, la main droite, pour passer le gu proche de la mer ; et y arrivmes demie heure avant la basse mer. Mais celui dÕ main gauche fut trouv si haut que les gardes, qui devaient passer les premiers, me firent dire par La Hilliere sergent major, quÕil tait impossible dÕy passer. JÕy courus, et voyant combien ils y passeraient difficilement, je vins au gu de main droite que je passai et le ttai pour voir si notre infanterie y pouvait passer ; je reconnus aussi quÕil nÕy avait personne de lÕautre ct pour nous empcher : cÕest pourquoi je vins dire Mr le marchal de Vitry et Mrs de Pralain et Mr le Prince qui avaient charge des trois premiers escadrons, que le roi leur mandait de passer, ce quÕils firent en un instant ; et comme nous vmes que de lÕautre ct du passage il nÕy avait nul obstacle, je dis au roi que sÕil lui plaisait de passer, je lui mnerais en un instant son infanterie. Il entra lÕheure mme au gu et le passa, comme aussi les autres trois escadrons. Alors je fis avancer les bataillons qui taient de lÕarrire-garde et les Suisses, et fis mettre les chefs pied terre pour donner courage aux soldats de passer lÕeau. Je me mis pied dans lÕeau leur tte, et un instant les Suisses et Navarre ple-mle passrent, qui furent suivis en une telle diligence des gardes, et de Normandie, que sept mille hommes compts que le roi avait dÕinfanterie passrent en un quart dÕheure minuit, la nuit tant fort brune, un gu o il y avait de lÕeau plus haut que la ceinture, et large comme la Seine est devant le Louvre, qui nÕtait quÕ cinquante pas de la pleine mer. Cela fait, nous campmes sur le bord sans garder aucun ordre, hormis que notre cavalerie tait plus avance, et chaque bataillon alluma force feux pour se scher.
Sur les trois quatre heures du matin, la pointe du jour, lÕon marcha au plus bel ordre quÕil se pouvait penser, en lÕordre donn pour la bataille, dans les lieux plains ; et quand nous trouvions des collines, nous marchions notre avant-garde premire, suivie de la bataille, et ensuite lÕarrire-garde ; puis ds que la plaine revenait, lÕavant-garde faisait halte droite, la bataille se mettait sa gauche, et lÕarrire-garde celle de la bataille. Ainsi nous marchmes jusques la vue des ennemis prs de deux lieues, lesquels se jetrent dans les vaisseaux et dans Saint-Gles, et les autres mirent les armes bas, nous demandant misricorde, sans rendre aucun combat. La cavalerie sÕenfuit de mme ; mais ne pouvant faire une si longue retraite, la plupart fut tue en la suite de la victoire, ou par les paysans. Il y mourut sur le champ, tu de sang froid sans rsistance, plus de quinze cents hommes, et plus dÕautant prisonniers qui furent envoys aux galres ; le reste fut tu par les gens de Mr de la Rochefoucaut, ou par les paysans, de telle sorte que Mr de Soubise rentra la Rochelle avec trente chevaux de sept cents quÕil avait ; et ne sÕen retourna pas quatre cents hommes de pied de sept mille quÕil y en avait le jour prcdent dans son arme. Il y eut bien cent cinquante gentilshommes ou officiers pris, et sept pices de fonte dÕartillerie. La Chaume, assez bon chteau o il sÕen tait retir quelques-uns, se rendit le jour dÕaprs Mr de la Rochefoucaut ; et depuis il ne se prsenta, de cette guerre, dans le Poitou aucun homme dans la campagne pour les huguenots ; et changrent leurs desseins pour les tourner sur mer, quipant une arme navale dont ils firent amiral un nomm Guitton qui la mit en fort bon ordre.
Le roi, le jour mme, dna tellement quellement [tant bien que mal] Saint-Gles, et passa ce bras de mer qui est entre Saint-Gles et Croix de Vie, dans des bateaux, puis sÕen vint coucher un chteau nomm Aspremont o nous demeurmes le dimanche 17me, lundi 18me, pour rassembler nos troupes parses et qui suivaient toujours les ennemis.
Enfin nous en partmes le mardi 19me et vnmes coucher Aysen, le lendemain mercredi 20me la Roche sur Yon, le jeudi Sainte Hermine, le vendredi Fontenai le Comte, et le samedi 23me Niort, o le roi sjourna le dimanche pour tenir conseil de guerre et juger les prisonniers, qui ils appartenaient.
Le lundi Mr de Bullion fut ou au conseil, qui tait arriv le soir auparavant, envoy par Mr Desdiguieres pour porter quelques conditions proposes par ceux de la Religion, tendant la paix ; o il fut rsolu de la rponse que lÕon ferait sur chaque article. Mais le soir Mr de Puisieux fit voir au roi la dpche particulire qui lui avait t faite, et out Mr de Bullion l-dessus : il me fit lÕhonneur de mÕy appeler et de prendre mon avis sur la rponse secrte qui fut faite, qui tait lÕessentielle, la prcdente nÕtant que pour amuser les ministres du conseil qui ne voulaient la paix en aucune faon.
Le mercredi 27me dÕavril le roi partit de Niort et fut coucher Chisai.
Il est savoir que le roi tait parti de Blois pour venir en Poitou, fort anim contre Mr dÕEpernon, tant par les mauvais offices que lui avait rendus ce Fai que le roi lui avait envoy, que parce quÕil nÕavait pu tre port par les ritrs commandements du roi dÕaller secourir le Poitou et Mr de la Rochefoucaut. Mr le cardinal de Retz et Mr de Schomberg nÕtaient pas ses amis et ne parlaient pas en sa faveur ; si faisait bien Mr le Prince : je faisais aussi, selon ma petite puissance, ce qui tait de moi pour le servir. Ce fut ce qui obligea Mr le Prince de lui dpcher un gentilhomme le jour mme de la dfaite de Riez, et me commanda de lui crire sur la teneur de la dpche quÕil lui faisait, qui tait que le roi avait eu la victoire sur Mr de Soubise et quÕil allait droit lui qui il voulait mal de ce quÕil ne voulait rien faire ; que le seul moyen quÕil avait pour lÕapaiser, et nous de le servir, consistait en se mettre en campagne et assiger Royan ; que sÕil le faisait, nous tions assez puissants pour faire oublier tout le pass ; mais sÕil ne le voulait faire, nous protestions que le mal qui lui en adviendrait aurait t empch par nous sÕil nous et donn le moyen de le faire. Il nous crut et vint assiger Royan o commandait le sieur de Saint-Surin gentilhomme huguenot avec lequel, peu de jours aprs, il entra en trait de remettre la ville en lÕobissance du roi ; et de fait sortit un jour sur la parole de Mr dÕEpernon pour venir conclure le trait : mais comme il parlait Mr dÕEpernon la vue de Royan, tant entr par mer quelque secours de la Rochelle dans la ville, ils se rsolurent dÕen fermer les portes leur gouverneur, et ne tenir la capitulation quÕil avait faite, et en mme temps pointrent quelques pices sur Mr dÕEpernon qui tait avanc, et sur sa troupe. Saint-Surin bien tonn de ce subit changement, dit Mr dÕEpernon quÕil ne venait point de sa part ; quÕil ferait rparer cette faute, et quÕil ne retournerait plus avec eux, en cas quÕils ne se soumissent lÕobissance du roi. Il voulut rentrer dans la place ; mais on lui dit de dessus les murailles force injures, ce qui le fit retourner avec Mr dÕEpernon qui avait mand au roi lÕespoir quÕil avait de remettre Royan en son obissance, et le roi reut cette premire nouvelle Saint-Jean dÕAngeli o il arriva le jeudi 28me, qui tait le jour mme que le trait de Royan se rompit, et le lendemain 29me, comme le roi arriva Saintes, il en sut la nouvelle.
Il sjourna Saintes le samedi, dimanche (mai) et lundi suivant, tant pour faire avancer son arme que pour donner audience aux ambassadeurs des cantons protestants de Suisse qui lÕtaient venus trouver pour intercder pour les huguenots de la France. Je leur fis festin, puis les menai lÕaudience en laquelle ils eurent pour rponse du roi que quand les huguenots, ses sujets rebelles, rentreraient en leur devoir, il aurait les bras de sa clmence ouverts pour les recevoir, et les renvoya de Saintes en hors, dÕo il partit le mardi 3me de mai pour venir coucher Saujon o Mr dÕEpernon le vint trouver, auquel il fit bonne chre, comme Mr le Prince y avait dispos Sa Majest. Le roi lui proposa de grossir son arme de quelques troupes quÕil lui donnerait, et quÕil entreprt de rduire Royan en lÕobissance de Sa Majest afin que le roi, sans sÕarrter, pt aller promptement en Languedoc ; mais Mr dÕEpernon le refusa, et quelque prire qui lui fut faite par Mr le Prince dÕaccepter cette commission, il nÕy put tre dispos. Enfin le roi se rsolut de lÕattaquer, et Mr le Prince qui pensait que lÕon demeurerait six semaines devant, proposa au roi de lÕenvoyer en Guyenne, tant pour rduire un fort nomm Soulac que les huguenots avaient fait dans Mdoc vis vis de Blaye, et dÕautres petites places de la Guyenne, que pour aller recevoir Tonneins assig de long temps par Mrs dÕElbeuf et marchal de Thmines. Mr le Prince se chargea aussi de traiter avec Mrs de la Force et de Sully qui se voulaient remettre au service du roi. Je le dissuadai dÕentreprendre cette commission, et de ne partir dÕauprs du roi ; quoi ne lÕayant pu disposer, je le suppliai de mÕemmener avec lui ; mais il me dit que le roi ne me voudrait pas sparer de lui, et quÕil avait lÕentire crance en moi pour son arme. Il me pria de faire quÕil pt mener avec lui un des vieux rgiments, et que je tmoignasse au roi son dsir, ce que je fis, et le roi lui donna le rgiment de Normandie avec dÕautres troupes de pied et de cheval.
Il voulut avant son partement aller reconnatre Royan et ordonner des attaques. Il y vint donc, et nous amena avec lui, les chefs de lÕarme, le mercredi 4me, o nous vmes les attaques et tranches que Mr dÕEpernon avait commences, lesquelles on demeura dÕaccord de poursuivre ; et au retour dans le conseil il fut rsolu que lÕattaque du ct de la mer, main droite, serait pour les gardes, et celle de lÕautre ct, main gauche, se commettrait Picardie, laquelle Mr le marchal de Vitry avec Mrs de Seneay, Marillac, et Biron, commanderaient ; quÕ celle dÕ main droite, nomme des gardes, Mr de Pralain en aurait la charge, et moi sous lui, quelque persuasion que Pompe Targon me voulut et put faire de faire lÕattaque des gardes de lÕautre ct et lÕentreprendre, o il fit certes une batterie dÕune trs belle invention ; car comme nous tions reconnatre la place, et que nous fussions monts sur le faite dÕune maison pour mieux voir, Mr le Prince dit : Ē Si lÕon pouvait faire une batterie sur ce toit et de cette hauteur, on aurait un grand avantage battre cette demie lune. Č Pompe Targon rpondit : Ē Monseigneur vous le dit en riant, et moi je vous rponds tout de bon que dans trois jours je mettrai sur ce toit et dans cette hauteur quatre pices en batterie Č ; ce quÕil entreprit depuis, et excuta en cette forme : il tanonna la maison des quatre cts, puis la sapa et taya sur des pices de bois, et ensuite ayant mis quantit de fascines contre les tais, ils se brlrent et consumrent ; ce qui fit que la maison tomba sur elle mme et en dedans, ce qui haussa la plateforme, laquelle il fit porter ce quÕil fut ncessaire pour mettre sa batterie la hauteur quÕil avait dit.
Je persistai mon attaque droite du ct de la mer, en laquelle je mÕacheminai le jeudi 5me de mai, jour de lÕAscension ; et ayant donn le rendez-vous de lÕarme la plaine de Chastelar, elle sÕen alla prendre ses postes, et ses quartiers. Les gardes entrrent cette nuit-l dans la tranche quÕils poussrent droite jusques contre la mer, et firent une ligne gauche pour aller sÕattacher une pice des ennemis.
Le vendredi 6me nous continumes cette tranche gauche et mmes une batterie de trois canons sur le bord de la mer la droite, pour lever les dfenses des ennemis qui nous troublaient lÕattaque que nous voulions faire la demie lune. Ce soir mme je fus voir le roi en son quartier, lequel me dit que le lendemain quatre heures du matin il voulait venir notre tranche, et que je lÕattendisse au commencement dÕicelle, une longue ligne que je fis toute la nuit hausser pour lÕy faire arriver en sret.
Il vint donc le samedi 7me, accompagn de Mr dÕEpernon et de Mr de Schomberg. CÕtait la premire fois quÕil y tait jamais venu : il me fit lÕhonneur de me dire : Ē Bassompierre, jÕy suis nouveau ; dites-moi ce quÕil faudra faire pour ne point faillir Č ; quoi je ne fus gure empch, car il fit plus gnreusement que pas un de nous nÕeussions fait, et monta trois ou quatre fois sur la banquette des tranches pour reconnatre dcouvert, sÕy tenant si longtemps que nous frmissions du pril o il se mettait avec une plus grande froideur et assurance quÕun vieux capitaine nÕet su faire, et ordonna du travail de la nuit suivante comme sÕil et t un ingnieur. Je lui vis faire en retournant une action qui me plut extrmement ; car aprs tre remont cheval, un certain passage que les ennemis connaissaient, ils tirrent un coup de pice qui passa deux pieds au-dessus de la tte du roi qui parlait Mr dÕEpernon. Je marchais devant lui et me tournai, apprhendant le coup que je vis venir pour le roi ; je lui dis : Ē Mon Dieu, Sire, cette balle a failli vous tuer. Č Il me dit : Ē Non pas moi, mais Mr dÕEpernon Č ; et ne sÕtonna ni ne baissa la tte comme assez dÕautres eussent fait : puis ensuite comme quelques uns qui lÕaccompagnaient se fussent carts, il leur dit : Ē Comment avez-vous peur quÕelle tire encore ? Il faut que lÕon la recharge de nouveau. Č JÕai vu plusieurs et diverses autres actions du roi en plusieurs lieux prilleux, et dirai sans flatterie ni adulation que je nÕai jamais vu un homme, non un roi, qui y ft plus assur que lui : le feu roi son pre, qui tait en lÕestime que chacun sait, ne tmoignait pas une pareille assurance.
LÕaprs-dner Mr dÕEpernon et Mr le Comte (que je devais nommer premier) vinrent notre tranche, et comme en retournant nous fussions alls sur le bord de la mer en une prairie pour considrer seize vaisseaux que les Rochelais avaient lÕancre l prs, ils levrent les ancres, nous voyant grande troupe, et sÕapprochrent cinquante pas pour nous tirer ; et comme Mr le marchal de Pralain et moi tions pratiques de cela, quelques-uns de la troupe tant dÕavis de faire retirer Mr le Comte, Mr dÕEpernon, et nous-mmes, nous leur dmes : Ē Messieurs, vous aurez maintenant le plaisir dÕavoir des berceaux de balles de canon qui passeront par dessus vous, sans vous pouvoir offenser : quand vous verrez quÕun vaisseau tournera le flanc pour faire sa dcharge, retirez-vous dix pas de la rive, en telle sorte que vous ne puissiez voir le bas du vaisseau o sont les embrasures du canon, et aucun coup ne vous pourra toucher, si bien passer par dessus votre tte Č ; ce que chacun fit, et eurent le plaisir dÕy voir tirer deux cents voles de canon sans aucun effet.
Le soir nous fmes en notre attaque un grand travail, et mmes six pices de canon en batterie notre main gauche.
Ce soir mme Mr le Comte tomba malade de la petite vrole.
Le dimanche 8me je fus voir le roi, puis je visitai le travail de Picardie.
Sur les onze heures nos deux batteries tirrent et ne cessrent jusques la nuit, en laquelle avec quarante gabions qui nous vinrent, nous avanmes par pfalsades [palissades] jusques contre la pice que nous voulions attaquer, et fmes une place dÕarme couverte, capable de tenir mille hommes en bataille.
Le lundi 9me nous nous prparmes pour attaquer le bastion auquel nous tions joints, ce que nous rsolmes de faire pied pied ; et parce que la face dudit bastion qui tait notre droite et leur gauche tait contre la mer et manque de dfense de ce ct-l, et que de ce peu quÕelle en tirait de la ville nous les avions leves coups de canon que nous continuions toujours, nous allmes, toujours entre deux terres, jusques la gorge, quelque destourbier [trouble] que nous pussent faire les ennemis qui taient dans le bastion, coups de grenades et de pierres, quoi nous prenions aussi notre revanche. Ils avaient une mine au milieu de ce bastion o ils nous attendaient, et avaient fait un retranchement avec un petit foss en la gorge dudit bastion pour nous tirer continuellement lorsquÕaprs quÕils nous auraient travaills de leur mine, nous voudrions entreprendre de nous loger dans la pice.
Comme nous nous avancions entre ces deux terres, nous vmes jouer la mine des ennemis au quartier de Picardie, qui nous fit beaucoup de mal ; et peu aprs, ceux qui revinrent de cette attaque nous portrent les nouvelles que pour nous y tre chauds, nous y avions perdu plus de cinquante gentilshommes ou officiers. Cela me fit croire quÕils nous en gardaient autant dans notre pice, et pour cet effet je me haussai dans notre attaque du long de la mer pour reconnatre, et vis un couvert au milieu du bastion et une trane de terre releve de frais jusques la gorge ; et comme, la seconde fois que je me haussai pour reconnatre mieux, je dcouvris le foss du retranchement et au milieu du foss une motte de terre releve de frais, je ne fus plus en doute.
JÕavais trois aides de camp trs braves hommes, qui taient Coulombi, Lancheres, et Refuges, lesquels, ou par ardeur ou autrement, proposaient de donner dans le bastion, dans lequel ils disaient avoir reconnu quÕil nÕy avait pas dix hommes pour le dfendre, et que nous le prendrions infailliblement, sans nous donner la peine dÕaller coulant le long du bastion o nous ne pourrions tre de trois heures, et le persuadrent de telle sorte Mr de Pralain, quÕil mÕenvoya qurir en notre travail o jÕtais, pour me commander de faire lÕordre pour donner. Mrs de Vendme et grand prieur de France avec plusieurs autres jeunes seigneurs, y taient, qui animaient monsieur le marchal faire faire cette attaque. Je fus bien tonn quand je le vis rsolu ce dessein, et lui dis : Ē Monsieur, sÕil vous plait que sans rplique jÕaille excuter ce que vous me commandez, je ne laisserai de vous dire ce seul mot pour ma dcharge, que vous faites une chose prjudiciable au service du roi et de laquelle vous aurez, mais trop tard, un ternel repentir. Mais si, comme vous avez entendu les raisons de mes aides de camp et des autres qui vous ont persuad de faire cette attaque, vous voulez aussi entendre les miennes, je mÕassure que non seulement vous quitterez ce dessein, mais que vous me remercierez devant quÕil soit nuit de vous avoir persuad de dsister cette pratique. Č Il me dit lors : Ē Et bien, dites donc ; ce nÕest pas dÕastheure que nous nous connaissons et que je sais que vous vous plaisez contrarier les propositions dÕautrui pour faire voir votre bel esprit : quÕavez-vous remontrer contre ce que tous les autres unanimement approuvent et proposent ? Č Je lui dis lors :
Ē Monsieur, si nous nÕavions aucun autre moyen de prendre ce bastion que lÕon attaque maintenant, que celui de lÕassaut, non seulement jÕapprouverais ce conseil unanime que vous dites que lÕon vous donne maintenant, mais je vous lÕeusse propos ce matin : au lieu de le prendre pied pied comme nous le voulons faire, nous aurions pargn la peine, et le travail que nous avons dj fait et celui que nous avons encore faire. Mais je crois que toutes les fois que sans perte dÕhommes ni de temps vous pouvez faire la mme chose que vous feriez avec la mort de plusieurs braves hommes qui sÕy hasarderaient, lÕhumanit, la raison, et le service du roi, vous doivent obliger la conservation de ses serviteurs, de vos amis, et de gens qui en dÕautres occasions vous feront bon besoin : je laisse part lÕavantage quÕen prendront les ennemis, le dcouragement de vos soldats et la diminution de votre gloire et rputation, dÕavoir envoy la boucherie et perdu, sans ncessit, quantit de gens de bien que vous pouviez conserver. Č
Ē Si Royan tait la dernire place de ceux de la Religion, il serait en quelque sorte tolrable de jouer du reste et dÕy mettre le tout pour le tout ; mais ce ne serait que quand tous autres moyens nous manqueraient. Maintenant que vous avez pris rsolution dtermine par lÕavis des personnes plus intelligentes notre mtier, que vous tes au milieu de lÕexcution de ce que vous avez entrepris, que lÕeffet en est infaillible, sans perte dÕhommes, ni de rputation, et sans aucune cause apparente, de venir changer sur lÕopinion peu considre, pour ne dire indiscrte, de Lancheres qui port plus tt dÕardeur que de raisonnement, quitte la suite dÕun dessein rsolu et bon, pour vous donner un avis incertain, prilleux, et dont lÕexcution, quelque heureuse quÕelle puisse tre, vous cotera la vie de personnes qui valent mieux que ce que vous gagnerez, je nÕy vois aucune apparence. Et que serait-ce sÕil y avait une pareille mine quÕ lÕautre quartier, et quÕoutre le mal qui vous en arrivera, vous encourussiez encore le blme et la honte de ne vous avoir fait sage du malheureux exemple de vos voisins, et si je vous fais voir lÕĻil, et ceux qui le voudront remarquer, quÕil y a assurment une mine que ces messieurs les beaux reconnaisseurs de places nÕont point remarque ; que ce peu de gens quÕil y a dans la pice vous le devrait, et eux aussi, faire juger, quand nous nÕen aurions autre connaissance ; quÕun foss et de la terre releve de lÕautre ct pour servir de parapet au retranchement, de quoi ces messieurs ne parlent point ou quÕils nÕont pas remarqu, toutes ces choses vous doivent faire penser quÕils ne veulent point opinitrer cette pice cause de la mine quÕils y veulent faire jouer ou pour tuer leur aise bonnes mousquetades ceux qui seront entrs dedans ? Č
Ē Il semble que vous ayez concert avec les ennemis pour donner dans tous les piges quÕils vous tendent, et pour changer les bonnes et sres rsolutions contre les incertaines et mauvaises. Pour moi, Monsieur, si vous y voulez persister, je proteste de tout le mal qui en arrivera, que jÕai fait connatre ou remarquer, et ensuite comme marchal de camp, je ferai ce qui est simplement de ma charge, qui est de faire lÕordre ncessaire pour y donner : aprs quoi je vous demanderai par grce que vous me permettiez que je me retire mille pas des tranches pour ne voir point le dsastre, et le malheur qui en arrivera par cette prcipitation ; ce que je mÕassure que la plus part de cette compagnie nÕattribuera point tant lchet (car jÕai dj fait mes preuves ailleurs), quÕ commisration de la perte de plusieurs de mes amis. Č
Ē Que sÕil vous plait de faire une des deux choses que je vous proposerai, qui est de rompre ce dessein, ou de faire encore reconnatre mon dire, et jÕy mnerai ceux que vous ordonnerez et leur ferai voir ce que je dis : en la premire je vous rponds sur ma vie de vous rendre, dans la minuit, matre absolu du bastion sans perte dÕaucun homme, que par un grand hasard ; en lÕautre je vous ferai voir si clairement quÕil y a une mine et que cÕest un appt que les ennemis vous veulent donner pour vous y attraper, que vous vous en dsisterez entirement. Č
Je dis ce que dessus avec beaucoup de vhmence, et monsieur le marchal qui apprhendait le sinistre succs de cette affaire, et qui voyait devant ses yeux ce qui venait dÕarriver au quartier de Picardie, voulut lui-mme venir reconnatre ce que je disais. Je lui menai donc, et comme nos travailleurs avanaient toujours, nous tions dj vis vis du foss du retranchement des ennemis dans la gorge du bastion, o il vit dans le milieu la terre releve qui couvrait la fuse de la mine, et lors Lancheres fut le premier le dissuader ce quÕil lui avait prcdemment propos. Je lui montrai aussi quÕen ouvrant vis vis de ce foss du retranchement et creusant des places pour monter des mousquetaires, nous aurions lÕminence sur lÕautre pice des ennemis que nous gagnerions en mme temps. Mr de Pralain mÕembrassa et me dit : Ē Mon fils, vous avez eu bon nez, et mÕavez empch de recevoir un affront, et le roi une perte ; dont je vous remercie. Continuez comme vous lÕentendrez ; je vous en laisse le soin. Č
Ainsi jÕempchai une trs mauvaise affaire que nous allions entreprendre, et ayant continu de passer le long du bastion, toujours marchant entre deux terres, comme la nuit fut venue, je fis ouvrir dans le bastion vers le lieu o les ennemis avaient fait le foss du retranchement, et ensuite jÕenvoyai deux pionniers des mieux entendus auxquels jÕordonnai dÕaller doucement ter cette terre qui faisait minence dans ce dit foss, et quÕayant trouv une ou deux caisses carres de bois, plus longues que larges, ils les tirassent doucement sans rpandre les poudres et rasines qui taient dedans, et puis quÕils couvrissent les deux trous de plus de deux pieds de terre, et quÕils prissent bien garde de ne laisser aucune poudre dans la place ; ce quÕils excutrent trs bien, comme je vis peu de temps aprs moi-mme.
Cependant Mr le marchal de Pralain et moi, mands par le roi, lÕallmes trouver et lui dmes que nous serions matres vers la minuit non seulement du bastion, mais encore des pices qui taient derrire, jusques la simple muraille qui fermait la ville, et que, sÕil voulait, nous lui donnerions le lendemain djeuner dans le foss ; dont il fut fort aise, et se consola en quelque sorte du mauvais succs qui tait arriv lÕautre quartier o il avait perdu tant de braves hommes, et entre autres Mr de Humires, premier gentilhomme de sa chambre, qui y avait t bless mort : nous fmes voir ce pauvre gentilhomme qui tirait la fin, qui fut une trs grande perte ; car il tait trs brave et vaillant, outre ses autres bonnes parties.
Je mÕen revins nos tranches o je vis ce que mes deux pionniers avaient fait ; et fis en mme temps creuser certaines banquettes pour loger sur ce retranchement douze mousquetaires, avec un tel silence que les ennemis ne sÕen aperurent quÕ la pointe du jour lors quÕinopinment ces mousquetaires se haussrent pour les chasser de cette autre pice o ils sÕtaient retirs, ce quÕils firent aisment. Mais avant quÕen dloger, ils mirent le feu la fuse de leur mine laquelle sÕarrta au lieu o lÕon lÕavait coupe la nuit mme. Ainsi nous emes toutes leurs pices dtaches en notre puissance sans y perdre aucun homme que le sieur de Refuges, brave gentilhomme, et aussi entendu et expriment pour son ge que jÕen aie jamais vu, infatigable au travail, toujours agissant, et entreprenant, et qui et un jour t, sÕil et vcu, un grand capitaine : je lÕavais fait, dix jours auparavant, mon aide de camp, et le roi ma prire lui avait donn une compagnie au rgiment de Pimont.
Le mardi 10me, comme nous emes leurs pices dtaches en notre puissance, nous dchargemes notre aise et sans pril la mine quÕils nous avaient prpare, de laquelle nous tirmes six cents livres de poudre. Les ennemis avaient fait une barricade dans leur foss du ct de la mer et une palissade au devant, ce qui nous empchait dÕtre entirement matres de leur foss. Je la fis reconnatre par mon volontaire qui tait un jeune garon de seize ans, qui entreprenait ds lÕanne prcdente, avec dÕautres goujats, des travaux hasardeux au sige de Montauban, que les soldats ne voulaient point accepter. Il avait eu divers coups, et entre autres une mousquetade travers du corps, dont je lÕavais fait gurir. Ce coquin-l entreprenait la tche force travaux prilleux, et les goujats du camp travaillaient sous lui et gagnaient largement. Ce volontaire alla reconnatre cette barricade avec le mme port et aussi grande assurance quÕet su faire le meilleur sergent de lÕarme. Une mousquetade lui pera ses chausses, et une autre le bord de son chapeau, et puis nous vint faire son rapport qui fut trs judicieux. Josepo Gamorini qui menait nos travaux, et tait en grande estime parmi nous, comme certes il la mritait bien, fut dÕavis que selon son opinion nous allassions forcer cette barricade et avec des haches rompre la palissade, ce que nous fmes et nÕy perdmes quÕun homme, ce qui nous mit au pied de la muraille de la ville, qui tait faible et peu flanque : de sorte que le mercredi 11me de mai, le roi tant venu notre attaque ds cinq heures du matin (o il vit le lieu de la mine), entra dans les pices gagnes, puis ensuite dans le foss ; ce qui lui donna assurance de la prise de la place, dont il ne fut pas tromp ; car en mme temps on lui amena un tambour de la ville qui venait demander de capituler. Le roi rpondit quÕil ne capitulait point avec ses sujets, mais quÕil les recevrait grce aux conditions quÕil leur enverrait ; et en mme temps tant all une petite tente de Gamorini, il me fit crire les articles quÕil leur accordait et les bailla au tambour avec ordre de revenir dans une heure, et ramener quand et lui ceux de la ville, pour se venir mettre ses pieds, et recevoir et accepter la grce quÕil leur faisait, ce quÕils firent sans aucune contradiction. On fit trve pendant ce temps, et aprs dner je menai dans la place (ayant prcdemment fait embarquer les soldats ennemis), le sieur de Drouet avec deux cents hommes en garnison, ce que je fis avec mille peines ; car les soldats qui taient en cure du butin de la dfaite de Riez, voulaient toute force piller la ville de Royan.
En la nuit devant celle l Mr le marquis de Seneay, marchal de camp, fut bless, au quartier de Picardie, dÕune mousquetade dans les reins, qui ne pera pas, mais lui laissa une apostume dans le rein, qui enfin le tua Lyon vers la fin de cette mme anne.
Le roi sjourna, aprs la prise de Royan, en son mme quartier, le jeudi, vendredi, samedi et dimanche suivants, tant pour donner loisir son arme de sÕacheminer, que pour laisser les ordres convenables lÕarme quÕil voulait envoyer vers la Rochelle, en laquelle il tablit Mr le Comte gnral, qui tait encore bien malade de la petite vrole. Il fit Mr le marchal de Vitry lieutenant gnral, Mrs de Bourg, de Vignoles, de Seneterre, marchaux de camp, et le marquis de Nesle, par commission, matre de camp de la cavalerie lgre : il y envoya aussi Pompe Targon. Et le lundi 16me il alla coucher Mortaignes, le mardi 17me Mirambeau, le mercredi Montlieu o il sjourna le jeudi.
Le vendredi il vint coucher Guittre, o il passa le lendemain la rivire et vint loger Saint-Emilion, o Mr de Chevreuse, nouvellement mari avec la veuve de Mr le conntable de Luynes, le vint trouver.
Le dimanche 22me, le roi vint loger Castillon, o Mr le Prince le vint trouver, lequel pensant en son voyage prendre le fort que les huguenots avaient fait vis vis de Blaye, tait arriv Bordeaux pour y prendre quelques vaisseaux anglais qui taient la rade, lesquels ne voulant venir, Mr le Prince fit mettre du canon sur le quai qui est devant Chteau-Trompette, pour les battre ; mais eux, aprs avoir tir quelques coups de leurs vaisseaux sur ce quai, se mirent la voile et se jetrent en pleine mer. Il pensait aussi faire la capitulation de Tonneins ; mais Mrs dÕElbeuf et marchal de Thmines sachant sa venue, se htrent de recevoir la ville capitulation. Mr de la Force vers lequel il avait envoy Mr de la Ville aux Clercs, secrtaire dÕtat, auquel il avait quelque crance, fit rponse quÕil attendrait la venue du roi Sainte Foi pour achever ce quÕil avait projet avec ledit sieur de la Ville aux Clercs ; de sorte que Mr le Prince qui pensait trouver encore le roi Royan, le vit Castillon, et ne fit rien que remettre quelques chteaux de peu de consquence, comme Gensac et autres, en lÕobissance du roi.
Comme il revint, il lui sembla que le roi ne lui fit pas assez bonne chre, et voyant que jÕtais fort en ses bonnes grces, il sÕen prit moi, et me dit le lendemain lundi 23me, comme le roi fut venu loger en un chteau nomm Saint-Aulais, quÕil croyait que je ne lui eusse pas rendu tous les bons offices prs du roi quÕil sÕtait promis de moi, et me fit de grands reproches dont je me justifiai si bien quÕil demeura en apparence fort satisfait de moi, et mme le lendemain 24me que le roi sjourna audit Saint-Aulais, comme Mr de la Force eut conclu son trait par lequel le roi le devait faire marchal de France, mondit seigneur le Prince, sans en avoir t pri de Mr de Schomberg, ni de moi, vint trouver le roi et lui remontra que les plus importants chefs de son arme, qui le servaient le mieux, et sur qui il se reposait et fiait davantage, taient Mr de Schomberg qui outre la surintendance de ses finances faisait dignement la charge de grand matre de lÕartillerie, et moi, qui tais premier marchal de camp et colonel-gnral des Suisses ; que je lui avais rendu de grands services, et principalement au Pont de C, en ces derniers siges, au secours de Montauban, et la dfaite de Riez ; que nous avions grand sujet de mcontentement de voir que lÕon faisait les rebelles marchaux de France et que notre fidlit et nos services ne nous procurassent autre chose que notre ruine en nos affaires, ou des coups et maladies mortelles, et quÕil suppliait trs humblement Sa Majest de vouloir faire rflexion sur ce quÕil lui remontrait.
Le roi pensa sur ce quÕil lui avait dit, et mÕenvoya qurir, puis me dit : Ē Bassompierre, je sais que vous tes fch de ce que je fais marchal de France Mr de la Force, et que Mr de Schomberg, et vous, vous en plaignez, et avec raison ; mais ce nÕest pas moi qui en suis cause, si bien Mr le Prince qui me lÕa ainsi conseill, pour le bien de mes affaires, et afin de ne laisser aucune chose derrire moi en Guyenne, qui mÕempche de passer promptement en Languedoc : nanmoins avisez ce que vous dsirez que je fasse pour vous, que jÕaime et tiens pour mon bon et fidle serviteur. Č Je jure quÕ cette heure-l je nÕavais jamais aspir, ni pens la charge de marchal de France, et que je ne la dsirais pas perdument ; car, mon avis, cÕtait un office de vieil homme, et moi je voulais encore faire quelques annes celui de galant de la cour. CÕest pourquoi je lui rpondis que jÕtais extrmement tonn du discours quÕil me faisait, ni qui lui avait pu persuader que je me mutinasse de voir faire du bien autrui, bien moins un de mes amis, vieux seigneur, et expriment, auquel je savais que le feu roi son pre avait destin un bton de marchal de France et lui et donn sÕil et vcu encore un mois ; quÕil avait t rebelle, mais quÕil cessait maintenant de lÕtre, et que cÕtait un acte signal de la bont de Sa Majest dÕoublier les fautes de ses serviteurs, pour se ressouvenir et rcompenser leurs mrites et leurs services ; que pour moi je nÕaspirais point la charge de marchal de France, ni aucune chose quÕ ce que sa pure bont et la connaissance et reconnaissance que Sa Majest aurait de mes services, me voudrait procurer, sans lÕen requrir ni importuner, par moi, ni par autrui ; et que je La suppliais trs humblement que ma considration ne lui ft jamais retarder aucune chose qui ft de sa volont, o du bien de son service : dont Sa Majest me remercia et me dit que je me reposasse sur Elle de ma fortune. Il en parla ensuite Mr de Schomberg qui ne fut pas si modr que moi ; car il le pressa fort de le faire conjointement marchal avec Mr de la Force : il me proposa aussi, ce que me dit le roi ; mais ce fut principalement afin de fortifier sa requte.
Le mercredi 25me de mai jÕeus commandement dÕaller tirer la garnison de Sainte Foi pour y tablir les gardes franaises et suisses du roi, qui y vint au gte. Je vins donc le matin dner proche de la ville chez Mr dÕElbeuf qui y tait camp, puis entrai Sainte Foi o tout lÕordre ncessaire pour conserver la ville fut gard.
Le jeudi 26me qui tait la Fte-Dieu, le roi sjourna Sainte Foi et y fit la crmonie du Saint-Sacrement.
Il y demeura aussi le vendredi 27me et donna ce jour l Mr de la Force le bton de marchal de France, et lÕon fit passer la rivire au canon sur un pont de bateaux fait exprs ; et le samedi 28me le roi en partit et vint coucher Montsegur ; le dimanche 29me Marmande.
Le lundi nous passmes devant les Tonains, ruins rs pied rs terre [jusqu'aux fondements], comme aussi lÕtait Monheurt, et le roi vint loger Esguillon o lÕon fit camper toute son arme en un fort beau et agrable lieu, et en une belle saison.
Le lendemain 31me et dernier de mai, le roi vint au Port Sainte Marie, et le mercredi premier jour de juin, Agen, o il sjourna le lendemain.
Il sÕen alla le vendredi 3me Valanse, et le samedi Moissac o il sjourna le dimanche et le lundi.
Mr le Prince mÕy parla sur le sujet de Mr de Puisieux quÕil hassait, et dans une espce de chapelle qui est dans le clotre de lÕabbaye, o je le trouvai avec Mr de Schomberg et Mr le cardinal de Retz, ils me dirent tous trois quÕils ne pouvaient plus souffrir lÕinsolence de Mr de Puisieux, qui, nÕtant que secrtaire dÕtat, avait plus de privaut avec le roi que Mr le Prince mme, et quÕil mettait mal avec Sa Majest ceux dÕentre eux quÕil lui plaisait ; quÕil faisait des ngociations part sans leur communiquer, et quelque rsolution que le roi et prise avec son conseil, il nÕen tait rien mis en excution sÕil ne lÕavait prcdemment approuve ; que cela et t tolrable dÕun favori, mais que lui nÕtait pas de profession pour lÕtre, si serait bien moi qui tais de qualit, de mrite, et de faon pour possder la faveur dÕun grand roi ; quÕils avaient toujours empch que le roi aprs la mort de Mr de Luynes ne sÕembarqut une nouvelle affection, et quÕil et t plus propos que le roi nÕet point eu de favori ; nanmoins puisquÕils voyaient que son inclination tait porte tre possd par quelquÕun, ils aimaient bien mieux que ce ft un brave homme, de condition releve, et en estime tant pour les arts de la paix que pour ceux de la guerre, quÕun homme de plume comme Mr de Puisieux, qui mettrait tout sens dessus dessous, et quÕils taient tous rsolus de conspirer sa ruine, comme ils lÕtaient de se porter lÕagrandissement de ma fortune et de porter le roi, avec la bonne inclination quÕil avait dj pour moi, de me favoriser entirement de lÕhonneur de ses bonnes grces, pourvu que je leur voulusse promettre deux choses : lÕune, de cooprer avec eux la ruine de Mr de Puisieux et me dtacher entirement de son amiti ; lÕautre, de me joindre entirement avec eux et unir nos desseins et conseils, premirement pour le bien de son service, secondement pour notre commun intrt et conservation ; et quÕils me priaient de me rsoudre promptement ce que jÕavais faire l-dessus, et de le leur dclarer.
En ce peu de temps quÕils me parlrent, tantt lÕun, tantt lÕautre, quasi en mmes termes sur ce mme sujet, jÕeus assez de loisir pour penser o allait le but et la vise de leur discours, et ce que jÕavais leur rpondre. JÕtais fort assur que lÕaffection quÕils me portaient nÕtait pas assez grande pour me procurer un bien quÕils tenaient tre leur prjudice, et quÕils me voulaient tenter, premirement pour pntrer mon dessein, secondement pour le dcouvrir au roi ; quÕils se voulaient servir de moi pour les aider ruiner Mr de Puisieux, et aprs avec plus grande facilit me ruiner moi mme, qui ils nÕtaient pas plus obligs de garder lÕamiti et la foi, que moi jÕtais avec Mr de Puisieux qui jÕen aurais prcdemment manqu, et quÕils auraient une lgitime excuse envers moi de leur manquement, fonde sur ma propre action. Je leur rpondis donc que je ne pouvais pntrer la ncessit que le roi avait dÕavoir un favori, puisquÕil sÕen tait si facilement pass depuis huit mois ; que ses favoris devaient tre sa mre, son frre, ses parents et ses bons serviteurs, et ce suivant lÕexemple du roi son pre, et que si quelque fatalit le portait dÕen avoir, il lui en fallait laisser le choix et lÕlection ; que je nÕavais jamais ou parler dÕaucun prince qui prit des favoris par arrts de son conseil ; mais quÕen quelque faon que ce ft, ce ne serait jamais moi qui occuperait cette place, parce que je ne la mritais pas, parce aussi que le roi ne mÕen voudrait pas honorer, parce finalement que je ne la voudrais pas accepter ; que jÕaspirais une faveur mdiocre, et une fortune de mme calibre, acquise par ma vertu et mon mrite, et conserve avec sret ; que la prodigalit que jÕavais fait jusques maintenant de mon bien, et le peu de soin que jÕavais pris dÕen amasser, taient de suffisants tmoignages que jÕaspirais plutt la gloire quÕ lÕutilit ; que je voulais chercher les fortunes mdiocres et assures, mprisant la faveur de telle sorte que si elle tait terre devant moi, je ne me daignerais pas baisser pour la lever ; que cela tait ma dtermine rsolution, qui ne laissait pas de me rendre troitement oblig leur bonne volont pour moi, dont je leur rendais trs humbles grces : quant au second chef de leur discours, il me semblait bien quÕil visait Mr de Puisieux, mais quÕil tirait droit au roi ; car de lÕaccuser dÕtre aux bonnes grces de Sa Majest, dÕavoir son entire privaut, de traiter des choses particulires avec lui, et de lui demander son avis sur les choses que lÕon lui avait proposes, cÕest au roi qui lui fait ces faveurs, qui on sÕen doit prendre, et non lui qui les reoit ; que Sa Majest ne sÕtait pas oblige de dire tous ses secrets ses ministres, oui bien eux de lui dire leur avis sur ceux dont ils les consulterait ; quÕau reste Mr de Puisieux tait mon ami, comme plusieurs autres qui mÕy avaient oblig, mais non si troitement que lorsquÕil manquerait de son ct, je ne manquasse aussi du mien, mais que sÕil persvrait constament aux devoirs dÕune vritable amiti vers moi, la mienne lui serait conserve entire comme, Dieu merci, jusques prsent je lÕavais garde inviolable tous mes amis ; mais que je saurais bien toujours garder les degrs dÕamiti selon la qualit de mes amis, comme je ferais premirement de service trs humble et de respect soumis envers Mr le Prince privativement tous autres, cause de sa qualit, de celle de mon gnral quÕil possdait maintenant, et pour les faveurs quÕil avait daign me faire depuis quÕil mÕavait fait lÕhonneur de mÕassurer de ses bonnes grces ; ensuite de messieurs le cardinal et de Schomberg, par une amiti plus ancienne que celle de Mr de Puisieux, mais quÕil marcherait aussi dans son rang en mon affection, et que je ne lui manquerais pas.
Mr le Prince me dit alors que je ne serais pas toujours en tat de choisir, et que quand, pour conserver lÕamiti de Mr de Puisieux, jÕaurais perdu la sienne, et celle des trois ministres, jÕaurais tout loisir de mÕen repentir, et nÕaurais plus de moyen dÕy revenir. Je lui dis que je serais extraordinairement afflig de perdre lÕhonneur de ses bonnes grces et ensuite celles des ministres, mais quÕil me resterait la consolation de ne les avoir pas perdues par ma faute ; que je nÕachterais jamais les bonnes grces de qui que ce ft au prix de ma rputation, et que je ne voyais en cette prsente affaire, ni raison, ni apparence : et sur cela je me sparai dÕeux qui demeurrent encore quelque temps confrer ensemble.
Le roi envoya ce soir-l deux cents chevaux battre lÕestrade vers Montauban, et Mr de Valanai mÕayant pri de lui faire donner cette commission, le roi lui accorda, et lors ledit seigneur de Valanai le supplia de lui permettre de prendre la compagnie de gendarmes de Mr le Prince dont il tait lieutenant, et celle de ses chevau-lgers commande par Mr dÕOuctot, ce que le roi trouva bon. Mr le Prince tait lors au conseil des parties pour y faire passer quelque affaire, et sÕenvoya excuser dÕaller au conseil de guerre, nous mandant que sans lui en dire davantage, nous missions en excution ce qui aurait t rsolu. Comme il revint le soir chez lui, demandant Ouctot, on lui dit quÕil tait la guerre avec Mr de Valanai et ses deux compagnies ; il sÕen revint lors en colre au coucher du roi, se plaignant de ce que lÕon lui voulait faire recevoir un affront et lui faire dfaire ses deux compagnies comme lÕon avait fait lÕanne prcdente celle de monsieur le conntable, et que moi, qui avait fait faire le premier affaire, voudrais bien quÕil lui en arrivt autant. Le roi dit que je nÕy avais rien contribu, que Mr de Valanai lui avait demand la commission, et dÕy mener les deux compagnies susdites, et que Sa Majest avait t bien aise de lui accorder, pensant faire plaisir Mr le Prince. Il insista nanmoins toujours que cÕtait un tour de mon mtier que je lui avais jou, et que je nÕtais point son ami. Le roi mÕenvoya qurir aprs quÕil ft retir, et me conta tout ce quÕil avait dit ; et moi, je ne lui niai point le discours quÕil mÕavait tenu dans la chapelle du clotre. Mais comme il est trs dangereux dÕavoir la disgrce dÕune personne de cette qualit qui est votre gnral, je suppliai trs humblement le roi, ou de me remettre bien avec lui, ou de me permettre de me retirer, ne voulant attirer sa haine et sa colre sur moi.
Le lendemain mardi 7me lÕarme vint camper devant la pointe de la Veirou le matin, et lÕaprs-dner elle passa la rivire au dessous de Picacos, et vint camper devant le logis du roi qui fut Villemade, la vue de Montauban. Sur le soir le roi vint voir le campement de lÕarme, et lÕayant trouv son gr, se mit me louer devant Mr le Prince, puis lui dit : Ē Monsieur, vous tiez hier sans cause en colre contre lui, et vous pourrez savoir de Valanai si Bassompierre avait rien contribu son envoi la guerre. Je vous prie, pour lÕamour de moi, vivez bien avec lui, sur lÕassurance que je vous donne quÕil est votre serviteur ; et puis si nous lÕavions perdu en cette arme, vous savez vous mme sÕil nous ferait faute. Č Mr le Prince lui promit, et le mme soir il me dit : Ē Monsieur de Bassompierre, jÕtais hier en colre contre vous ; mais jÕai su que ce nÕtait pas vous qui aviez envoy sans mon su mes compagnies la guerre. Č Je lui dis lors : Ē Monsieur, quand cÕet t par mon induction quÕelles y fussent alles, mÕen deviez-vous vouloir mal ? LÕai-je fait pour vous desservir ? Au nom de Dieu, Monsieur, tenez-moi pour votre trs humble serviteur ; et quand vous aurez quelque chose qui vous dplaira de moi, faites-moi lÕhonneur de me le dire, et si je ne vous en satisfais, alors fchez-vous tout votre sol, et non devant. Č
Il me le promit ; et le lendemain mercredi 8me nous marchmes en bataille vers Albias, puis vnmes devant Negrepelisse que nous croyions tre obissante au roi : mais notre arrive ils tirrent sur les carabins du marchal de camp qui allait faire le logement. JÕtais lÕavant-garde, et sur cette nouvelle le roi me manda de lÕinvestir ; ce que je fis lÕheure mme, et vins loger le rgiment de Picardie qui tait le premier, la main gauche proche de lÕeau, o ils nous tirrent fort ; puis le rgiment de Navarre tant avanc, je le logeai sur le milieu la droite de Picardie. Mr le marchal de Pralain sÕy trouva, comme aussi peu aprs Mr de Chevreuse. Comme nous tions tous trois la tte de nos enfants perdus, dix ou douze soldats des ennemis nous firent signe de nous avancer, comme sÕils eussent t des ntres, et nous qui le crmes, nous tant approchs, ils nous firent leur dcharge de vingt pas et puis sÕenfuirent. Dieu voulut quÕils ne blessrent personne, qui fut un miracle ; mais peu aprs escarmouchant ils turent Esguilly, parent de Mr le marchal de Pralain, capitaine en Navarre : Mr de Chevreuse tait appuy sur son paule quand il tomba du coup.
Aprs que nous emes fait en plein jour ces deux premires approches, ce qui ne se fit pas sans pril, le rgiment des gardes arriva, qui je fis faire les siennes du ct du chteau, o je le campai. Ceux de dedans nous tirrent extrmement : Mr de Vic eut, cette dernire approche, une mousquetade en lÕpaule comme il parlait moi et me demandait lÕordre pour les chevau-lgers de la garde, dont il tait cornette ; le coup fut favorable, car il ne lui cassa point dÕos.
La nuit, Toiras capitaine du rgiment des gardes, me vint montrer un lieu trs propre pour faire la batterie et pour ruiner une simple muraille qui joignait le chteau la ville. Il y avait une mchante muraille de terre et de pierre, qui fermait un champ, laquelle pouvait couvrir de la ville et du chteau ceux qui travailleraient aux batteries et plateformes, mais il fallait aller cent pas dcouvert avant quÕy arriver. Le mpris que nous faisions de cette place et la croyance que nous avions quÕ tous moments elle viendrait capituler, fit que nous ngligemes galement, moi faire faire une ligne pour y aller couvert, et Mr de Schomberg de faire faire des gabions pour couvrir sa batterie, croyant que les canonnades ne feraient quÕun trou qui servirait dÕembrasure, et quÕil lui resterait toujours assez de cette mchante muraille pour tenir ses officiers couvert. Il nÕy avait dans Ngrepelisse rien au-dessus du mousquet, autre munition de guerre que celle que chaque habitant en pouvait avoir pour giboyer ; nul soldat tranger, nul chef qui les commandt ; la place mdiocrement bonne pour une arme de province, mais nullement capable de rsister une arme royale : et cependant les habitants ne voulurent jamais se rendre, non pas mme parlementer, quoique lÕon leur en et souvent secou la bride, car nous nÕavions pas envie de nous arrter l.
Le jeudi 9me je fis rapport au conseil du lieu que nous avions reconnu propre battre la place, que jÕavais montr Mr de Schomberg ds quatre heures du matin, ce qui fut rsolu, et on y travailla tout le jour, et la nuit on y mit les sept canons que nous avions l. Mr le Prince y vint comme on les amenait, et comme il vit que Toiras et moi tions descendus dans le foss de la ville, il sÕy jeta aussi, bien que les ennemis y tirassent incessament, mais sans effet ; car ils ne pouvaient pas plonger leurs mousquets si bas.
Le vendredi 10me jÕallai le matin aux autres quartiers de Picardie et Navarre, pour leur faire tenir des chelles prtes donner lÕescalade par leurs cts, tandis que par celui des gardes nous donnerions lÕassaut si ces coquins ne voulaient se rendre, et donnai lÕordre au rgiment des gardes, quÕil devait tenir pour lÕassaut. La batterie fut prte sur les dix onze heures du matin. Le roi tait malade ds le jour de devant ; nanmoins il se voulait lever pour voir donner lÕassaut, et Mr le Prince eut peine de le retenir. Mr le marchal de Pralain qui le soir auparavant le roi avait fait lÕhonneur de le faire lieutenant-gnral de son arme sous Mr le Prince, en vint prendre possession, et commanda dÕexcuter la batterie. Mais les sept canons, la premire vole quÕils tirrent, renversrent la muraille qui tait devant eux, de sorte que tous les officiers de lÕartillerie et les Suisses qui lÕexcutaient, ne demeurrent pas seulement la merci des mousquetades ennemies, mais aussi monsieur le marchal et nous tous. Ils turent ou blessrent en une heure une douzaine dÕofficiers, entre lesquels taient le lieutenant de lÕartillerie, et vingt Suisses. Ce petit chec nous fit mettre de lÕeau dans notre vin, et nous rsoudre de remettre la partie au lendemain, et monsieur le marchal le manda ainsi au roi par Mr de la Cure. Je considrai nanmoins que tout le mal qui nous arrivait ne venait que de trois canonnires du chteau, et proposai Mr de Schomberg dÕy faire tirer deux voles de canon chacune. Il me dit que pourvu que je fisse venir des Suisses pour excuter les canons, quÕil le ferait. Alors je pris un lieutenant nomm Guibele, brave homme, et lui dis : Ē Vas moi qurir quarante Suisses pour aider la batterie, et je leur donnerai un cu chacun Č ; ce quÕil fit promptement, et nÕemes pas tir six coups quÕils nÕeussent rompu ces trois canonnires : alors notre batterie recommena, et en peu de temps nous emes fait brche, laquelle, notre vue, les ennemis rparaient de force charrettes quÕils mirent derrire. Cependant Mr le Prince arriva, et toutes choses tant prtes, nous fmes reconnatre la brche par un sergent du Bourdet, nomm Bouttillon, lequel y eut un bras cass dÕune mousquetade : il fit nanmoins son rapport, et nous assura que la brche tait raisonnable, ce que nous trouvmes en effet incontinent aprs ; car nous allmes lÕassaut, et emportmes la place sans aucune rsistance. Tout y fut tu, hormis ceux qui se purent retirer au chteau, et les femmes, dont quelques unes furent forces, et les autres se laissrent faire de leur bon gr. On en sauva nanmoins ce que lÕon put, mais non pas la ville dÕtre entirement brle. Le chteau tint encore jusques au lendemain 11me juin, quÕil se rendit discrtion. LÕon fit pendre douze ou quinze des plus mutins, et le 12me, dimanche, le roi vint dner Mauricous, et y coucha aussi.
Mr le Prince se mit en colre contre moi dans le conseil, et me dit que cÕtait moi faire ce que Mr le marchal de Pralain me commanderait de sa part, sans rpliquer ni contester sur lÕordre donn. Je lui dis que je ferais fort ponctuellement ce qui me serait ordonn, mais que jÕavais ma voix au conseil comme un autre pour y dire mon avis, comme je ferais toujours, tant que le roi et lui lÕauraient agrable, et que lorsquÕils ne le trouveraient plus bon et quÕils me fermeraient la bouche, que je me lierais moi-mme les mains et que je me retirerais du service. Le roi prit lors mon parti et se fcha fort contre Mr le Prince.
Le lendemain lundi 13me Mr le Prince nous emmena ds la pointe du jour Saint-Antonin pour reconnatre le logement ou campement de lÕarme, et la place quand et quand [en mme temps], que Mrs de Vendme et marchal de Thmines avaient assige cinq jours auparavant. Ils avaient pour marchaux de camp Marillac, et Arpajoux, gendre de Mr de Thmines. Tous ces messieurs vinrent recevoir Mr le Prince au-dessus de la montagne, de laquelle il est ais de reconnatre Saint-Antonin ; car on y voit dedans les rues de la ville.
Il nÕy eut point de difficult pour le campement, car il fut rsolu aussitt dans le vallon o Saint-Antonin aboutit, sur le bord dÕune petite rivire nomme la Benette, qui passant travers de la ville, se va jeter dans celle de la Veirou qui la borde dÕun ct. Mais pour lÕattaque de la ville, il se rencontra que Mrs de Vendme et de Thmines avaient dj commenc quelques tranches qui venaient jusques contre cette petite rivire, dont ils avaient dtourn le cours et mis dans son lit quelques gabions en pfalsades pour servir de blindes, de sorte quÕils pouvaient par ce moyen aborder une corne avance que les ennemis avaient jete sur lÕavenue. Cette corne, ce que nous voyions clairement, tait retranche par le milieu en mme flanquement comme elle tait la tte : elle tait dfendue par ses cts de deux petits ravelins revtus, qui taient toutes les fortifications la moderne quÕavait Saint-Antonin, hormis que, des deux cts, il y avait de petits dehors qui nÕtaient que des tranches flanques pour y faire tirer des mousquetaires, et non pour les disputer : il y avait une assez bonne contrescarpe devant le foss, la tte, entre ces deux petites pices ; finalement le foss, et la muraille flanque dÕespace raisonnable par quelques petites tours. La ville avait un pont de pierre sur la rivire de la Veirou, et toute la muraille du long de la rivire sans aucune dfense, que de deux mchantes tours au haut et au bas, et environ huit cents pas au dessous de la ville, la vanne dÕun moulin qui tenait lÕeau en hauteur, qui sans cela, en cette saison, nÕet pas t dÕun pied de haut devant la ville.
Aprs que ces messieurs qui avaient commenc le sige, eurent men Mr le Prince et Mrs de Pralain et de Schomberg en lieu dÕo ils pouvaient plein voir et reconnatre la ville, il leur fut ais de leur persuader de lÕattaquer par le fond de la valle et de sÕattacher la tte de la corne : ce que Mr de Marillac principalement leur fit si facile (possible parce quÕil tait amoureux de son ouvrage commenc), que Mr le Prince, pour ne perdre temps, sÕassit sur un rocher dÕo lÕon dcouvrait clairement la ville et toutes ses avenues, et nous appela autour de lui au conseil. JÕy arrivai des derniers parce que jÕavais voulu faire une bonne reconnaissance de la place pour en faire mon rapport. Je fus bien tonn mon arrive quand je vis que chacun concluait attaquer la ville par la corne du vallon, et que lÕon ne faisait aucune rflexion sur les deux cts du haut et bas de la rivire, qui taient sans comparaison plus faciles. Je me contins toutefois, contre ma coutume, tant pour nÕinterrompre ceux qui Mr le Prince demandait lÕavis, que pour ne lui donner aucune prise de mÕattaquer, comme il avait fait le jour prcdent, et ne mÕavait parl depuis. Il arriva que, sans garder lÕordre de demander les opinions, je fus le dernier, qui Mr le Prince dit avec peine : Ē Monsieur de Bassompierre, quelle est votre opinion ? Č Je me hasardai de lui donner en cette sorte :
Ē Monsieur, si jamais aucune place a t de facile et prompte reconnaissance, cÕest celle-ci, laquelle du mme lieu o il vous plait de tenir le conseil de guerre, sans courre aucun hasard ni pril, et dÕune seule vue, vous pouvez remarquer en son tout et en toutes ses parties ; et si jamais il y a eu lieu de prendre une prompte et sre rsolution de quel ct on la doit attaquer, cÕest cette fois quÕil ne sÕy rencontre que deux endroits par lesquels on la puisse battre, et forcer, savoir celui de la valle, et ceux du haut et du bas de la rivire (que je ne compte que pour un) ; et quÕen ce dernier toutes les apparences, les avantages, et les rgles de lÕart sont pour nous, l o en lÕautre les mmes rgles de lÕart, et le sens commun nous dfend de lÕentreprendre.
Ē CÕest une maxime de guerre prouve, et gnralement approuve, que les places assises sur le bord des rivires se doivent plutt attaquer par le haut et le bas de la rivire que par tout autre endroit, attendu que lÕon nÕa quÕ se couvrir du flanc oppos la rivire, que les ennemis ne peuvent jamais parfaitement fortifier cette encoignure, que les dfenses en sont aisment leves, que lÕon peut par deux diverses batteries de et del lÕeau battre une mme pice, et que lÕon se sert dÕordinaire de la rive du fleuve comme dÕune tranche et dÕun chemin couvert. Tous ces avantages se rencontrent en lÕattaque prsente que vous pouvez faire sur le bord dÕen bas de la Veirou, et de plus encore que vous nÕaurez rien craindre de lÕautre rive, lÕordre de la guerre vous obligeant dÕy faire passer deux mille hommes pour investir la ville par del lÕeau, qui passeront aisment sur la vanne du moulin que lÕon voit dÕici et que la ville ne peut voir ; et en faisant tt aprs rompre cette vanne qui fait tenir la rivire devant la ville en quelque hauteur, elle sera si basse avant quÕil soit nuit, quÕ peine nos soldats en la passant sÕy mouilleront la cheville du pied ; et ensuite de cela on peut cette nuit prochaine faire passer deux canons et les mettre en batterie quatre cents pas de la ville sur le bord de la rivire : ce que je mÕoffre dÕexcuter, si vous me voulez faire lÕhonneur de me le commettre, et de gagner cette mme nuit les petits compartiments (pour ne dire dehors), que les ennemis ont faits depuis la rive jusques un des deux ravelins revtus qui font tte dans la valle ; puis demain, avec vingt canonnades ayant lev ces chtives dfenses de cette pice jointe lÕeau, faire venir saper et ouvrir la simple muraille de la ville, qui est le long de la rivire, et ce sans autre empchement que de ceux qui me pourront tirer de dessus le pont, lequel sera aujourdÕhui mme gagn par les ntres qui passeront de lÕautre ct, ou au pis aller sera coup en quatre coups de canon, et divis de la ville. Ainsi, en trois jours au plus tard, nous prendrons Saint-Antonin, si ds le premier ils ne se rendent la merci du roi.
Ē Voil, Monsieur, le conseil que je vous donne, et celui quÕ mon avis vous devez prendre, et rejeter absolument lÕopinion gnrale de ces messieurs, qui est de faire lÕattaque par la tte de la valle, lesquels, je mÕassure, reviendront la mienne quand ils auront plus mrement considr les inconvnients qui se rencontrent en la leur. Je ne dis pas quÕen la suivant lÕon ne prenne Saint-Antonin qui nÕest pas capable de rsister contre une arme royale et victorieuse comme la ntre, si bien de lÕarrter quinze jours si ceux de dedans se veulent bien dfendre, et vous y faire consumer force munitions de guerre, qui seraient plus ncessaires ailleurs, y employer du temps qui est bien cher aux prsents desseins du roi, et y perdre force bons hommes qui vous feront besoin dans le bas-Languedoc. Car en attaquant la ville par la valle, vous mchez et digrez lentement un sige que vous pouvez engloutir et dvorer en trois jours, et faites ce que vos ennemis dsirent. CÕest, Monsieur, une bonne maxime de guerre que de fuir la pointe de lÕpe de lÕennemi et dÕen chercher le faible pour la lier et sÕen rendre matre. Il ne faut jamais attaquer le bĻuf par les cornes ; car cÕest son fort et son avantage, et Saint-Antonin aussi : et ne demeure pas dÕaccord avec Mr de Marillac qui vous dbite que le lieu le plus faible dÕune ville est celui o les ennemis font le plus de fortifications. Cela peut tre vrai auparavant que de lÕavoir fortifie ; mais aprs cÕest dÕordinaire le plus fort. Et nous voyons clairement de ce lieu une corne fort avance en tat de dfense, avec un retranchement par le milieu, que jÕappelle une seconde corne ; deux pices revtues aux deux cts, qui la flanquent et la commandent, et de plus la contrescarpe de la ville qui la dfend. Tout cela nous donnera bien de la peine sÕil y a de braves hommes l-dedans, que vous pouvez viter en lÕattaquant au dessous de la rivire : et par l la ville est si prenable, et avec si peu de travail et de temps, que je ne me saurais assez tonner comme on se veut attacher en quelque autre endroit, et crois que la trop grande clart et lumire, que nous avons de cette place, nous blouit et aveugle. Č
Aprs que jÕeus ainsi opin, Mr le Prince se tournant vers les autres du conseil, leur dit : Ē Je vous avais bien assur que Mr de Bassompierre vous donnerait un avis tout particulier, mprisant celui de tous les autres comme des ignorants : et qui plus est, il le saura tantt si bien taler au roi quÕil le fera passer pour le meilleur. Pour moi je ne suis pas si prsomptueux, et me conforme lÕavis commun, que je dirai au roi tre le gnral, auquel le seul Mr de Bassompierre contrarie. Č Lors, je lui rpliquai: Ē Je suis bien malheureux, Monsieur, que mes bonnes intentions soient mal prises de vous. JÕen ai dit ce quÕen ma conscience jÕai cru devoir dire pour le service du roi, aprs quoi jÕen suis quitte, et reviens lÕavis commun, vous assurant que je nÕen proposerai aucun au roi : bien vous supplierai-je trs humblement de me dispenser de servir ce petit sige ; je serai plus frais tre employ un autre. Č Il me dit lors quÕil nÕen ferait rien, et quÕil me ferait bien servir puisque jÕtais premier marchal de camp. Alors je lui dis que je lui remettais cette charge, me rservant servir de celle de colonel-gnral des Suisses, et en tout ce o son particulier service trs humble le requerrait. Il me dit quÕil ne mÕavait point donn la charge, et quÕil ne la reprendrait point. Je lui dis que je la rendrais donc au roi, qui arriva sur ces entrefaites, auquel Mr le Prince, sans parler de moi, proposa, et rsolut lÕavis commun, et le roi se logea en un mchant lieu sur le haut, nomm Granges.
Peu aprs Gamorini et Mortieres vinrent trouver Mr le Prince, qui leur ayant demand ce quÕil leur semblait de lÕattaque rsolue, lui dirent que cÕtait la pire que lÕon et su choisir, mais quÕayant reconnu la place, ils croyaient que dans le lendemain les ennemis la quitteraient ; quÕau reste il la fallait attaquer et prendre selon ce que je lui avais propos : ce que Toiras qui tait avec eux ayant rapport au roi, et dÕautres ensuite ce que Mr le Prince mÕavait dit, il en fut fort fch. Mais je le suppliai trs humblement de ne lui en faire semblant, seulement de me permettre de ne point servir durant ce sige qui serait de peu de dure, ce quÕil mÕaccorda.
Il fit ensuite sommer ceux de la ville qui ne lui rpondirent quÕ belles mousquetades ; et le lieu o tait log le roi tant trs incommode, et sans eau, il se rsolut dÕaller le lendemain mardi 14me loger Queilus de Benette qui est deux petites lieues de Saint-Antonin, et dÕenvoyer camper ses gardes et Suisses dans le corps de lÕarme, ce quÕil excuta.
Le mercredi 15me Mr de Schomberg fit commencer faire une batterie de sept pices.
Les gardes entrrent le soir dans la tranche, et Marillac ayant envoy ses armes lÕpreuve la tranche pour y venir veiller, les capitaines des gardes dirent son homme quÕil les rapportt chez lui, et que Mr de Marillac ne leur commanderait point de marchal de camp. Je jure que ce fut mon insu, et que le soir mme je vins au galop dans la tranche comme volontaire pour y passer trois ou quatre heures avec eux. Ils furent ravis de mÕy voir et me dirent ce qui sÕtait pass avec Marillac. Je me doutai bien que lÕon mÕen ferait un plat ; ce qui fit que je mÕen revins avant le jour Queilus, et le matin je fus au lever du roi sans faire semblant de rien, o Mr le Prince arriva peu aprs, amenant Marillac qui fit sa plainte de la dsobissance des gardes que Mr le Prince exagra (sans me nommer toutefois) ; et le roi lui dit quÕau sortir de la garde il enverrait qurir les capitaines pour leur faire rendre compte de leur action, puis dit Mr le Prince que les gardes avaient toujours protest quÕelles ne reconnatraient point Marillac.
Le jeudi 16me Mr le Prince vint le matin dire au roi que je faisais des monopoles et des rvoltes son arme, et que je mritais chtiment, et mme de la vie. JÕentrai l-dessus, et il mÕen dit de mme. Je lui demandai de quoi lÕon mÕaccusait. Il dit lorsque le comte de Paluau et le rgiment de Navarre avaient fait le mme refus Marillac, que les gardes avaient fait le jour auparavant, et que cÕtait de mes pratiques. Je lui dis quÕil ne mÕen devait point accuser, mais la personne de Marillac qui ne leur tait point agrable, et pour preuve de mon dire, sÕil lui plaisait de commander Mr le marquis de Seneay, ou Mr de Valanay, dÕaller commander la tranche, je mÕassurais quÕils y trouveraient une entire obissance, et que ce nÕtait point le dplaisir quÕils avaient de ce que je ne servais point, mais bien de ce que Marillac servait, lequel ils nÕestimaient pas : ce que le roi approuva et leur commanda dÕy aller, disant nanmoins Marillac quÕil parlerait aux gardes pour le faire reconnatre par elles.
Aprs dner, le roi alla Saint-Antonin o lÕon lui avait fait une redoute mi-cte, de laquelle il pouvait voir tout ce qui se faisait au sige. La ville fut ce jour-l battue de sept canons qui levrent les dfenses de ces deux ravelins revtus qui dfendaient la corne, laquelle ceux des gardes qui taient ce jour-l dans la tranche voulurent faire quelque effort et nÕy russirent pas bien ; dont le roi fut fch et me commanda de les aller faire cesser. Je descendis aux tranches, et Mr de Vendme mÕayant dit quÕil me montrerait le chemin pour aller la tte du travail, je lui dis que jÕen savais un bien plus court, et montai dcouvert par dessus la tranche, et y allai tout droit, dont il mÕen pensa mal arriver ; car les ennemis sÕafftrent de telle sorte tirer contre moi que jÕeus deux mousquetades, lÕune qui me coupa mon baudrier et fit tomber mon pe, et lÕautre qui me rompit mon bton, emporta ma manchette et pera ma manche, sans mÕoffenser autrement. Le roi me les vit donner qui mÕcria de la redoute o il tait que je me retirasse ; mais je passai outre et vins la tte faire ce quÕil mÕavait command, puis retournai le trouver.
Le vendredi 17me lÕon sÕattacha la corne, et le samedi le rgiment de Normandie qui tait de garde, y fit une attaque qui ne russit pas.
Le dimanche 19me Mr le Prince vint au camp et fit donner les gardes la corne ; mais ils en furent encore repousss. Le roi vint sa redoute dÕen haut voir lÕattaque, dont il fut fort mal satisfait : jÕy vins avec lui ; car durant tout ce sige je ne servis point. Mr de Retz fut malheureusement bless derrire le roi dÕune balle mourante qui ne laissa pas de lui casser le genou, dont il est demeur estropi.
Comme le roi descendit la montagne, il rencontra Mr le Prince avec Mr de Vendme, Mrs les marchaux de Pralain, de Thmines et de Saint-Geran, et Marillac, Seneai et Arpajoux. Le roi se fcha du peu dÕavancement au sige et du peu dÕeffet des gens de guerre aux attaques. Mr le Prince lui demanda sÕil lui plaisait tenir le conseil de guerre sous un grand arbre prochain, ce qui fut fait ; et mÕayant t demand mon avis, je dis que je lÕavais dit ds le commencement du sige qui ne lÕet plus t il y a longtemps si on lÕet suivi ; que maintenant il fallait savoir ce que lÕon prtendait faire pour prendre la place, et quÕen cas que lÕon trouvt que les propositions ne fussent suffisantes, jÕoffrais encore peine de la perte de ma vie et de mon honneur, de la prendre deux jours aprs que lÕon mÕaurait donn deux canons en batterie sur la rive de la Veirou, o je les demanderais. Chacun voyait bien que cÕtait le plus ais moyen ; mais celui qui le proposait nÕtait pas agrable. Le roi toutefois sÕy portait ; mais enfin il fut rsolu que lÕon tenterait une attaque gnrale, et que, si elle ne russissait, on prendrait cet autre moyen.
On avait fait un fourneau sur la pointe de la mine, que lÕon fit jouer le lendemain matin lundi 20me, et ensuite on fit une attaque gnrale en laquelle on fit mme donner pied cent gendarmes du roi. On emporta tous les dehors jusques la contrescarpe, et la corne aussi. Mais nous y perdmes plus de quatre cents hommes, que morts que blesss, entre lesquels le comte de Paluau, matre de camp de Navarre, fut fort regrett ; cÕtait un brave jeune homme, et qui avait bien le cĻur au mtier. Le Paills sergent major de Normandie, trs brave et trs entendu, avec plusieurs autres, y moururent ; et le sieur de Coulombi aide de camp, Malicy et plusieurs autres, y furent fort blesss.
Le mardi 21me on mina la contrescarpe, puis on sÕy logea ; et le mercredi 22me la ville de Saint-Antonin se rendit discrtion. Les gardes franaises et suisses en prirent possession.
Le jeudi 23me le roi vint dner au camp chez Mr de Schomberg, et puis tint conseil pour le dcampement du jour suivant, et sÕen revint coucher Queilus.
Le vendredi 24me il en partit pour venir loger Castelnau de Montmirail. Mais comme la traite tait longue, il fut contraint, pour attendre les troupes demeures derrire, dÕy sjourner le lendemain 25me o nous nous amusmes faire un retranchement entre deux chemins, que nous garnmes de noix, et je le dfendis contre le roi qui lÕattaqua.
Le dimanche 26me le roi passa par Rabasteins et vint coucher Saint-Suplice o Mr le Prince vint rejoindre le roi. Il proposa au conseil dÕattaquer Carmain, ce quÕil faisait lÕinstante prire de ceux de Toulouse ; mais la plus grande partie du conseil ne fut point dÕavis dÕemployer le temps conqurir ces petites places, que nous pouvions plus utilement employer prendre Montpellier, Nmes, et Uzs : et parce que jÕavais fait lÕouverture de cet avis, il mÕen voulut plus de mal quÕaux autres, sa bile tant dÕailleurs mue contre moi, qui on laissa lÕarme en main pour la conduire Castelnaudary tandis que le roi sjournerait Toulouse, et jÕeus ordre de forcer le Mas Saintes Puelles en passant. Je demandai aussi permission de tenter si je pourrais avoir Carmain sans perdre ni y employer aucun temps. Mr le Prince sortit du conseil en colre et mdisant de moi qui avais empch que lÕon nÕattaqut Carmain ; ce qui me servit parce que quelques gentilshommes huguenots qui taient l, mandrent ceux de la ville que je nÕavais point dÕordre de les assiger, qui les empcha de faire entrer cinq cents hommes dedans, que ceux de Puylaurens leur envoyaient, et qui taient dj arrivs Sorese.
Le lundi 27me le roi partit de Saint-Suplice et alla Toulouse, et moi je demeurai encore Saint-Suplice.
Le mardi 28me jÕen partis avec Mr de Valanai et lÕarme, et vnmes coucher Belcastel. JÕavais plus de vingt gentilshommes huguenots du pays qui mÕaccompagnaient, lesquels ne virent point mon dessein que je voulusse attaquer Carmain ; et leur tmoignai, quand ils mÕen parlrent, que je nÕen avais aucun ordre. Nanmoins ds le jour auparavant jÕavais envoy Loubens trois commissaires de lÕartillerie avec six de mes carabins, pour faire faire en diligence vingt gabions, des fascines, tirer des solives pour faire des plateformes et tout lÕquipage ncessaire un bon sige ; et le mercredi 29me, tant arriv de bonne heure Loubens de Verdalle (qui nÕest quÕ demie lieue de Carmain), Mr de Valanai investit la ville avec la cavalerie tandis que je logeai nos rgiments, fait fait quÕils venaient, aux avenues et lieux propres pour faire les attaques. On vit quand et quand charrier les gabions et plateformes pour les batteries, et quipage pour plusieurs canons, bien que je nÕen menasse que deux avec moi ; dont ces gentilshommes huguenots tonns me demandrent si jÕavais eu quelque ordre nouveau dÕattaquer Carmain. Je leur rpondis que non, mais que le roi qui lÕavait rsolu en son conseil Saint-Suplice, mÕavait ordonn de le tenir secret, et quÕil lui et t honteux de laisser en passant cette bicoque qui avait par le pass tant incommod Toulouse, sans la ruiner et mettre en poudre, et que le lendemain ceux de Toulouse me devaient envoyer huit canons pour lÕattaquer, et que le roi voulait faire servir dÕexemple rigoureux cette mchante ville. Ils commencrent me dire que je pouvais abrger le temps, et que peut-tre si je leur faisais parler, quÕils se mettraient la raison ; que si je leur voulais permettre, un dÕeux les irait trouver, et quÕils se promettaient quÕil me rapporterait tout contentement. Je leur rpondis quÕun capitaine nÕacqurait point de gloire ni de rputation par la reddition des villes avant quÕelles soient attaques, si faisait bien par la destruction, et que jÕavais plus dsirer de la prendre par force que par anticipe composition ; nanmoins mon humeur qui nÕtait point porte la cruaut, convenait avec leur dsir, et me faisait leur assurer que si dans deux heures celui qui leur irait parler me rapportait une entire obissance, se remettant la capitulation que je leur voulais faire de la part du roi, je leur assurais quÕelle serait favorable ; et que pour les mettre davantage leur tort, je trouvais bon quÕun dÕeux sÕy achemint. Ils dputrent lÕheure mme un vieux gentilhomme voisin de l, pour leur aller tmoigner ma bonne volont, et les persuader dÕembrasser cette occasion qui seule pouvait dtourner leur entire ruine, comme ceux de Ngrepelisse et de Saint-Antonin se lÕtaient attire par leur opinitret. Je ne discontinuai cependant aucune chose de ce qui appartenait au sige, et hormis Mr de Valanay, tous ceux de lÕarme croyaient que je mÕy voulais opinitrer. Ce gentilhomme revint avant le temps que je lui avais prescrit, ramenant trois dputs de Carmain qui mÕoffrirent dÕabord de se tenir en neutralit tant que cette guerre durerait. Je ne rpondis autre chose sinon au capitaine Gohas qui les avait amens, de les remmener sans leur faire aucune rponse : et comme ces gentilshommes me priassent de ne les laisser aller de la sorte, et quÕils se porteraient obir et y porteraient aussi les habitants, je me fchai contre eux, leur reprochant quÕils mÕavaient fait recevoir un affront duquel ils connatraient dans peu de jours si je me saurais bien venger, et dis ces dputs que sÕils mÕenvoyaient lÕavenir ni tambour ni personne pour me venir parler, quÕil serait pendu sans rmission. Lors, ils me dirent que cÕtait une proposition quÕils mÕavaient faite, au dfaut de laquelle ils mÕoffraient dÕobir et de me remettre la ville une honnte capitulation. Moi qui en mourais dÕenvie me faisais tenir et ne leur voulais pas seulement rpondre : enfin je me laissai vaincre par les gentilshommes, et consentis de recevoir quatre otages des principaux de la ville, attendant que le lendemain quatre heures du matin ils sortissent avec leurs armes et bagage, sans tambour ni enseigne, et que pardon serait fait aux habitants, qui les murailles seraient rases ; que lÕon conduirait leurs gens de guerre jusques sur le chemin de Puylaurens, et nÕiraient au Mas Saintes Puelles, ni Sorese, ni Revel : toutes lesquelles choses furent ponctuellement excutes de part et dÕautre.
En ce mme temps un capitaine du rgiment de Pimont, nomm Rogles, mÕamena un gentilhomme dont il me rpondit, lequel me promit de ptarder la mme nuit la ville de Cuc, pourvu que je lui voulusse donner des gens pour sÕen rendre matre. Je commandai six compagnies dudit Pimont, que je fis commander par Rogles, de sÕy acheminer, et leur donnai cinquante chevaux dÕescorte ; et ils prirent la ville comme il me lÕavait propos, laquelle aprs avoir pille ils brlrent, et sÕen revinrent joindre lÕarme le lendemain jeudi 30me, chargs de butin ; auquel jour sur les cinq heures du matin les soldats qui taient dans Carmain sortirent selon la capitulation que je leur avais faite. Je les fis conduire srement, et mis Mr de Gohas, capitaine aux gardes, pour commander dans la ville avec quatre cents hommes, en attendant que le roi y et pourvu. Puis ayant fait sjourner lÕarme dans leurs mmes logements, et rsolu avec Mr de Valanai de celui du lendemain Saint-Felis, je lui consignai lÕarme, et mÕen vins trouver le roi Toulouse.
JÕarrivai sur le point chez le roi comme il tait en son conseil et quÕil querellait Mr le Prince de ce quÕen parlement, et aux capitouls, lorsquÕils lui taient venus faire la rvrence, il avait dit que la lchet de Mr de Bassompierre avait empch que le roi nÕattaqut Carmain comme il lui avait conseill, mais que je lÕen avais diverti. Comme on et dit au roi que jÕtais la porte, il sÕtonna de ce qui mÕavait fait quitter lÕarme, et mÕayant fait entrer, je lui dis que jÕavais voulu moi-mme lui apporter la nouvelle de la prise de Carmain et de celle de Cuc, et recevoir ses commandements sur dÕautres choses que je lui voulais proposer. Alors Mr le Prince se leva et me vint embrasser, me disant quÕil avait eu tort de dire ce quÕil avait dit, et quÕil le rparerait en disant force bien de moi, puis me demanda si jÕen avais point encore rien dit, et que il me ferait donner dix mille cus par la ville et vingt mille lui si la nouvelle de la prise nÕtait point encore divulgue ; mais il se trouva que ceux qui mÕavaient accompagn en avaient dj fait courre le bruit. Il ne se peut dire la joie que reurent ceux de Toulouse de cette prise : ils me firent apprter un beau logis ; les capitouls me vinrent remercier et me prier de venir le lendemain dner en la maison de ville o ils feraient une belle assemble pour lÕamour de moi, et le bal ensuite. Mais je mÕen excusai sur la ncessit que jÕavais dÕtre promptement lÕarme, o Mr le marchal de Pralain voulut venir, et le roi me pressa de demeurer ; mais parce que je voyais que lÕon avait fait force mauvais offices Mr le Prince, et que le roi coutait mdire de lui, je ne voulus point quÕil me pt seulement souponner dÕy avoir contribu, et mÕen allai ds la pointe du jour le lendemain matin, ayant prcdemment crit, la prire de Mr de Schomberg, une longue lettre au marquis de Rosny pour le porter lui vendre la charge de grand-matre de lÕartillerie quÕil exerait lors par commission, et dont le roi lui avait permis de traiter par lÕintervention de Mr de Puisieux que Mr de Schomberg y avait employ.
Juillet. Ń JÕarrivai donc avec Mr le marchal de Pralain le vendredi premier jour de juillet Saint-Felis de Carmain o lÕarme tait, et y sjournmes le lendemain pour aller investir Revel, et y fus avec monsieur le marchal qui lÕenvoya sommer de se rendre. En y allant, mon cheval se jeta dans un foss et moi sous lui qui me pensa tuer ; jÕen fus quitte pour un pied froiss, dont je fus longtemps me sentir. On me ramena Saint-Felis, et monsieur le marchal qui ne se voulait point embarquer un sige, se contenta de leur refus sans les forcer, parce quÕil lÕtait de prendre le Mas Saintes Puelles qui tait sur le chemin que le roi devait tenir en venant de Toulouse Castelnaudary.
Le samedi 2me nous nous prsentmes devant le Mas qui se rendit notre arrive. Monsieur le marchal y mit Mr de Castelnau, capitaine aux gardes, et puis vnmes coucher Castelnaudary o nous sjournmes le lendemain, et le lundi 4me le roi y arriva malade ; ce qui nous y fit sjourner jusques au mercredi 13me sans faire autre chose que acheminer notre arme au bas-Languedoc, que Mr le marchal de Pralain y mena, et y assigea et prit Bedarioux. Je ne fus point lÕarme parce que le roi me retint prs de lui.
Le roi donc vint le mercredi 13me coucher Alsonne o Mr de Montmorency le vint trouver. Il commanda Mr de Schomberg et moi de nous trouver au sortir de son souper, et nous dit alors quÕil avait reu nouvelles de la conversion notre religion de Mr le marchal Desdiguieres qui il avait promis, moyennant ce, lÕpe de conntable ; quÕil lui demandait aussi lÕordre du Saint-Esprit, et que pour cet effet il ferait assembler un chapitre de lÕOrdre Carcassonne pour lui donner ; que moyennant ce, il acquerrait sans coup frir toute la province du Dauphin pour notre religion, ce qui apporterait un grand tonnement et consternation aux autres huguenots ; quÕau reste il vaquait par sa promotion lÕtat de conntable, un bton de marchal de France qui tait rserv pour un de nous deux, et que le premier marchal de France qui viendrait mourir, quÕil nous en ferait tous deux prter le serment et tirer la courte bche qui le serait le premier. Nous lui en rendmes tous deux les trs humbles grces que mritait celle quÕil nous promettait, et ensuite Mr de Schomberg lui dit que selon le temps o nous tions et lÕexposition que nous faisions toute heure de notre vie pour son service, quÕil y avait apparence que nous viendrions aussitt vaquer que cette marchausse que nous devions attendre ; quÕen la qualit de marchaux de France nous le pourrions utilement servir en cette prochaine guerre de Languedoc sÕil nous voulait faire la grce de nous crer prsentement, et quÕil pourrait ensuite supprimer la premire charge de marchal qui viendrait vaquer, ce qui serait une mme chose que ce quÕil proposait, et pressa le roi bien fort, lequel sÕen dfendit le plus quÕil put. Enfin je lui dis :
Ē Sire, la grce que Votre Majest me vient de faire, de mÕestimer digne de la charge de marchal de France, et celle de me lÕavoir offerte et promise avant Lui en avoir jamais parl, ni mme lÕavoir prtendue, est si grande que, quand elle nÕarriverait jamais en effet, je suis plus que dignement rcompens de lÕexcs de cet honneur inopin et non mrit, et jÕavoue Votre Majest quÕayant toujours mieux aim mriter les grands honneurs que de les possder, je nÕai pas une si grande avidit de ce bton comme Mr de Schomberg. Aussi, tant de six annes plus jeune que lui, jÕaurai plus de loisir lÕattendre, et plus de temps, selon le cours de nature, en jouir. CÕest pourquoi Votre Majest le peut ds prsent gratifier de la charge qui vaque par la promotion de Mr le marchal Desdiguieres la conntablerie, et me conserver la bonne volont quÕelle a pour moi lors quÕil en viendra vaquer une pareille, pour mÕen pourvoir. Je nÕy perdrai que la prsance que vous aviez rsigne au sort qui pouvait autant tourner en sa faveur quÕ mon avantage. JÕai moins dÕge que lui ; il est de votre conseil avant moi ; il mÕa prcd lÕordre du Saint-Esprit ; il est lÕun de vos ministres, et de votre conseil troit : tout cela me fera souffrir sans envie et sans regret quÕil soit encore, premier que moi, marchal de France, et je lui en cde de bon cĻur la primogniture, suppliant trs humblement Votre Majest que ma considration ne lÕempche point de recevoir ds prsent cet honneur, que je recevrai de sa bont lorsquÕElle le jugera tre utile pour le bien de son service. Č
Mr de Schomberg se sentant lors trs oblig de ma courtoisie, mÕen rendit de trs exquis remerciements ; mais le roi persista ne vouloir point en crer lÕun sans lÕautre ; et ainsi nous nous retirmes de lui.
Le jeudi 14me le roi arriva dner Carcassonne, et aprs dner convoqua un chapitre de commandeurs du Saint-Esprit, auquel assistrent avec Sa Majest, Mr le Prince, Mr de Chevreuse, Mr de Montmorency, Mr dÕEpernon, Mr de Pralain, Mr de Saint-Geran, moi, Mr de Courtanvaut, Mr de Portes, Mr de Seneay, Mr de Valanay, et le chancelier de lÕordre, Mr de Chateauneuf : et l, nous ayant propos Mr Desdiguieres, et le bien que cette grce quÕil demandait causait notre religion, son mrite, et la charge de conntable dont il lÕhonorait, tous furent dÕavis de lui envoyer, sur lÕassurance que le roi donna dÕun bref du pape dont il sÕassurait pour le confirmer, parce que cÕtait contre les statuts.
Le vendredi 15me le roi vint faire son entre en la cit de Carcassonne, qui est sur le haut o est situe lÕvch, puis retourna en la ville o il sjourna, et le samedi 16me il vint loger Lusignan.
Le dimanche 17me il arriva de bonne heure Narbonne o on lui fit entre.
Mr de Guise y arriva de Provence sur des frgates. Le roi me commanda de lui parler de lÕchange de son gouvernement de Provence contre celui de Guyenne vaquant par la mort de feu Mr du Maine ; mais Mr de Guise, qui offrit de faire tout ce que Sa Majest lui commanderait, le fit trs humblement supplier par moi que, si le bien particulier de son service ne le portait lui faire changer de gouvernement, Elle lui permt de conserver celui quÕil avait administr depuis vingt-cinq ans avec satisfaction de Sa Majest, et au gr et contentement des Provenaux, et que lÕayant rduit au service du feu roi son pre, il le garderait fidlement celui du fils ; dont le roi se contenta.
Le lundi 18me de juillet le roi vint Bziers, o il lui fut aussi fait entre.
Le roi y fit un assez long sjour pour ne se mettre en campagne par ces excessives chaleurs. LÕarme cependant sÕachemina devers Montpellier autour duquel il y avait quelques troupes de Mr de Montmorency loges (depuis que Mr Zamet que le roi avait envoy avec trois cents chevaux ds quÕil tait Moissac, pour fortifier la petite arme de Mr de Montmorency, tait arriv et sÕtait joint lui), mme y avaient fait quelques petits combats avec avantage au Mas de Mariotte et au Mas de Ranchin.
Le roi avait aussi laiss une arme Mr de Vendme pour rduire sous son obissance les petites places de la Guyenne et haut Languedoc, mais sÕtant attaqu Beriteste, ceux de dedans la dfendirent si bien, et ceux de dehors lÕattaqurent si mal, quÕaprs vingt jours de sige, ils le levrent et vinrent joindre le roi au sige de Montpellier.
Mr le Prince demeura Bziers jusques au 27me, quÕil en partit pour venir joindre lÕarme, et voulut que Mr de Schomberg et moi fussions avec lui. Il me promit, avant partir, lÕhonneur de ses bonnes grces, dont je fus trs aise, et vnmes coucher Pzenas, o nous sjournmes le lendemain que Mr le Prince nous pria dner, Mr de Schomberg et moi, avec beaucoup dÕassurances de sa bonne volont.
Le vendredi 29me il vint loger Frontignan, o il sjourna pour attendre les gardes franaises et suisses quÕil avait amenes de Bziers avec quelques autres troupes de cavalerie, quÕil me laissa le lendemain dimanche dernier du mois, et se mit sur l'tang pour aller Mauguio que Mr le marchal de Pralain et Mr de Montmorency avaient assig, et moi jÕen partis aussi avec les troupes pour venir loger Villeneuve de Maguelonne, dÕo je partis (aot) le lendemain premier jour dÕaot, en ordre de bataille parce que nous passions devant Montpellier, et fis faire deux ponts sur deux canaux qui sont de et del de la tour de Lattes, puis vins joindre lÕarme Mauguio qui sÕtait ce jour mme rendu Mr le Prince.
Le lendemain 2me, lÕarme partit de Mauguio et vint son rendez-vous, qui tait proche dÕune glise ruine, en une plaine entre Lunel et Marsillargues, l o Mr le Prince assembla le conseil de guerre pour aviser laquelle des deux places on devait assiger la premire, qui fut fort divis ; car une partie voulait que lÕon assiget premirement Marsillargues pour ne la laisser derrire, et puis aprs porter toutes les forces de lÕarme pour prendre Lunel ; les autres voulaient que lÕon allt droit Lunel, et leurs raisons taient que lÕon donnerait trop de temps aux ennemis de fortifier et pourvoir Lunel de gens de guerre, lesquels incommoderaient notre sige de Marsillargues et puis aprs nous rendraient la prise de Lunel plus difficile. Mr de Toiras tait derrire nous au conseil, qui tait capitaine au rgiment des gardes, lequel me dit lÕoreille : Ē Et pourquoi ne les pourrait-on pas assiger toutes deux la fois ? Č Cela mÕy fit penser, et puis quand ce vint moi de dire mon avis, je proposai celui que Toiras mÕavait suggr, disant que nous avions assez de force et de canons pour faire lÕun et lÕautre la fois ; que Mr le Prince pouvait commettre monsieur son beau-frre le sige de Marsillargues avec les quatre rgiments quÕil avait amens, savoir celui de Portes (quÕil faisait nommer rgiment de Languedoc), de Fabregues, de la Roquette et de Saint-Brest, auxquels on pourrait ajouter le rgiment de Normandie et celui de Masargues, cinq canons, et une couleuvrine, et pour marchaux de camp Mrs de Portes et de Montral ; que Mr le Prince se logerait en une maison que je lui montrai, qui tait mi-chemin des deux villes, et que le rgiment des gardes franaises et celui des Suisses camperaient autour de lui avec une compagnie de chevau-lgers, et ses gardes ; que Mr le marchal de Pralain avec le reste de lÕarme, neuf canons et Mrs de Marillac et Valanai assigeraient Lunel, que moi jÕirais lÕun et lÕautre sige, et pourvoirais au corps gnral de lÕarme selon que je jugerais ncessaire ; que Mr Zamet irait avec une partie de la cavalerie sur lÕavenue de Cauvisson pour empcher que les ennemis (qui y taient) ne donnassent aide ou secours aucune des deux places assiges, et que Mr le marchal de Saint-Geran irait avec lÕautre partie de la cavalerie et le rgiment de Navarre faire rendre les bourgs et petites villes de Pignan, Gigean, Assas, Montferier, Esmargues, Saint-Gles, Saint-Genies, et Saint-Anastasis. Ceux qui restaient opiner suivirent mon avis, et ceux qui avaient dj opin y revinrent, et avec une grande joie on se prpara faire deux siges en mme temps comme si nÕassiger quÕune ville la fois et t chose trop commune.
Je pris donc en mme temps le rgiment de Normandie auquel je fis faire les approches de Marsillargues, et puis revins encore pour loger toute lÕarme comme il avait t rsolu et marquer le campement de chaque troupe, aprs quoi je fis encore avec le rgiment des gardes les approches de Lunel. LÕextrme pluie quÕil fit toute la nuit nous empcha dÕavancer aucuns travaux, et nous contentmes de les ouvrir.
Le lendemain mercredi 3me nous les continumes, et avanmes, faisant deux attaques gauche et droite devant Lunel, et une ligne de communication de lÕune lÕautre. Mr de Montmorency de son ct avana le plus quÕil put une batterie Marsillargues qui nÕattendait que de la voir en tat pour se rendre, comme elle fit le lendemain jeudi 4me.
Je mis par ordre de Mr le Prince une compagnie de Suisses dedans ledit Marsillargues. Puis sur lÕavis que Mr Zamet nous donna que de Cauvisson devait cette nuit mme partir le secours pour Lunel, Mr le Prince mÕordonna de mener les troupes dÕinfanterie sorties du sige de Marsillargues, avec la compagnie de chevau-lgers de Monsieur, frre du roi, commande par Mr dÕElbene, sur lÕavenue de Cauvisson au devant de Lunel. Mr de Montmorency et Mr le marchal de Pralain y vinrent aussi passer la nuit, croyant que le secours arriverait, et parce aussi quÕayant contrari lÕopinion que j'avais mise en avant au conseil dÕaller forcer les ennemis dans Cauvisson mme, et y mener nos deux couleuvrines comme jÕavais offert de lÕentreprendre, et promis de le faire russir ; mais je nÕen fus pas cru. Nous nous en retournmes au jour, et les ennemis sortirent de Lunel pour nous escarmoucher notre retour, lesquels nous rembarrmes dans la ville.
Le vendredi 5me Mr le Prince envoya qurir le conseil de guerre, et l mit en avant dÕexcuter la proposition que je lui avais faite le jour prcdent, et dÕaller en personne forcer les ennemis dans Cauvisson. Mrs de Pralain, Montmorency, et Schomberg, voulurent lÕaccompagner, de sorte que je fus laiss pour commander lÕarme et faire le sige.
Il partit sur les quatre heures aprs midi avec trois mille hommes de pied, trois cents chevaux dÕlite, et deux couleuvrines, et marcha droit Cauvisson, et les ennemis qui venaient au secours marchaient de leur ct, et passrent mille pas lÕun de lÕautre sans alarme, ni reconnaissance, de sorte que, comme jÕtais avec Toiras et Gamorini pour faire rompre un moulin qui tait sur le foss de Lunel, et qui retenait lÕeau dans ledit foss, afin de la faire couler et le mettre sec, nous oumes un grand bruit la ville et vmes force feux mis sur les murailles du ct de Cauvisson ; car nous ne tenions la ville assige que du ct de Marsillargues. Nous connmes aisment que cÕtait le secours qui tait entr, et quÕen peu de temps les ennemis seraient sur nos bras par une forte sortie ; ce qui fut cause que je fis en diligence acheminer huit cents Suisses qui taient camps proche de la tranche, et les fis coucher contre la ligne de communication. Les ennemis ne manqurent pas faire sortie ; mais lÕimpatience des Suisses qui se levrent trop tt, et leur fit connatre quÕils taient attendus, les fit tenir bride en main, se contentant de tirer force mousquetades sans sÕavancer autrement.
Nous attaquions un petit ravelin qui couvrait le chteau de Lunel, et les ennemis se doutant de ne le pouvoir garder non plus que le chteau, firent un fort retranchement derrire ; de quoi nous tant aperus par la poudre que le travail faisait lever, Gamorini fut dÕavis de faire dans un pr main droite une batterie de quatre pices qui verrait le derrire de leur retranchement, ce qui fut le gain de cause ; car les ennemis se dsesprrent de pouvoir conserver Lunel.
Il entra cette nuit l huit cent trente hommes dans Lunel.
Le samedi 6me notre batterie fut prte du ct de la prairie, et celle qui tait pour battre le ravelin tira tout le jour. Le feu se prit trois caques de poudre, comme jÕtais en la batterie, qui emporta la compagnie entire du Gast, de Pimont, qui en tait proche. J'y fus chaud, mais non brl, Dieu merci ; car jÕen sortais et en tais quarante pas.
Le dimanche 7me les ennemis capitulrent et promirent de quitter le lendemain la ville aux capitulations qui leur avaient t accordes. Mais sur une alarme que lÕon nous donna que Mr de Rohan venait secourir la ville, et faire rompre la capitulation, nous fmes toute la nuit sur pied avec notre cavalerie. Enfin nous trouvmes que lÕavis tait faux, mais non celui qui arriva Mr le Prince de la mort de Mr le cardinal de Retz, ce qui le fcha fort, et Mr de Schomberg davantage, qui demanda dÕaller trouver le roi le lendemain ; ce que Mr le Prince lui accorda.
Le lundi 8me Mr le Prince commanda Mr le marchal de Pralain de donner ordre la sret de ceux qui devaient sortir de Lunel suivant la capitulation, qui tait qu'ils sortiraient avec leurs pes seulement et que leurs armes seraient portes sur des chariots. JÕeus ordre de me mettre dans la ville et dÕy loger les gardes et Suisses suivant la coutume. Je mÕacheminai donc pour les y mettre, et vis force soldats dbands de tous rgiments, et des lansquenets et Suisses comme des Franais ; ce qui mÕobligea faire retarder la sortie des ennemis jusques ce que j'eusse fait voir monsieur le marchal le dsordre que je voyais se prparer sÕil nÕy remdiait. Il me dit pour rponse quÕil nÕtait pas un enfant, et quÕil savait son mtier ; que je donnasse seulement lÕordre ncessaire pour le dedans et quÕil le ferait tel au dehors quÕil nÕy aurait rien dire. Je m'en retournai et fis sortir les ennemis avec tout leur bagage, puis fis entrer les gardes que je fis tenir en bataille, aprs avoir garni la brche, les portes et les remparts, jusques ce que les quartiers fussent faits, et fis fermer les portes sur moi. Il y eut quelque rglement en la sortie des ennemis jusques ce que le bagage part ; mais alors tous les soldats dbands de notre arme se jetrent dessus sans quÕil ft possible monsieur le marchal, ni Portes, et Marillac, de les en empcher, et ensuite dvalisrent les pauvres soldats, dont ils en turent inhumainement plus de quatre cents, et avec tant dÕimpunit, que huit soldats, de diverses nations et bandes, se prsentrent la porte de Lunel pour y entrer avec plus de vingt prisonniers quÕils menaient attachs, et leurs pes sanglantes de ceux quÕils avaient massacrs, si chargs de butin quÕ peine pouvaient-ils marcher, lesquels trouvant la porte de Lunel ferme, firent crier aux sentinelles quÕils me vinssent avertir de leur faire ouvrir. Je vins la porte sur le rcit que lÕon m'en fit, que je trouvai vritable, et les fis entrer, puis je fis lier ces huit galants des cordes dont ils avaient li ces vingt prisonniers que je fis conduire par mes carabins jusques sur le chemin de Cauvisson, et leur donnai le butin des huit soldats lesquels je fis pendre sans autre forme de procs, devant eux, en un arbre proche du pont de Lunel sur le Vidourle ; dont Mr le Prince me sut trs bon gr le lendemain, et mÕen remercia.
Il se vint loger Lunel o il y sjourna jusques au vendredi 12me quÕil sÕen alla joindre lÕarme qui avait investi Sommires.
Un peu avant quÕil dloget de Lunel, il reut une lettre du roi, par laquelle il lui ordonnait de mÕenvoyer avec cinq cents chevaux au devant de lui Villeneuve de Maguelonne pour favoriser son passage proche de Montpellier. Mr le Prince me fit voir ce commandement du roi, et me dit que Mr le comte dÕAlais colonel de la cavalerie lgre tait l, qui pourrait mener ces cinq cents chevaux, et que je viendrais avec lui. Je lui rpondis que cÕtait lui ordonner, que je nÕavais aucune volont. Il me dit quÕil manderait au roi que jÕavais mieux aim venir avec lui, et moi je le suppliai de nÕen rien faire, parce que jÕtais prt dÕaller mener cette cavalerie au roi, et que Mr le comte dÕAlais y pourrait venir, sÕil voulait, mais que je lui commanderais. Il me dit ensuite : Ē Faisons mieux : laissez y aller Mr de la Cure, qui est marchal de camp et matre de camp de la cavalerie lgre. Č Je lui rpondis que jÕen tais content. Il me dit lors : Ē Je manderai donc au roi que vous avez voulu venir avec moi. Č JÕentendis bien qu'il ne voulait pas que jÕallasse trouver le roi, et quÕil voulait faire paratre que cÕtait moi qui ne le voulais pas, ce qui me fit lui dire : Ē Monsieur, je vous supplie trs humblement lui mander votre volont, et non la mienne ; car pourvu que je vous obisse, jÕai ma dcharge. Mais pour moi je suis prt dÕaller avec les cinq cents chevaux, si vous me le permettez ; sinon, de vous suivre, ou de faire tout ce que vous mÕordonnerez. Č Alors il me dit : Ē Puisque le roi me mande expressment que je vous envoie, et que vous y voulez aller, vous irez. Č
Il nous fit peu aprs entrer en conseil et nous demanda nos avis pour laisser la garnison et le commandement Lunel, et Mr de Montmorency mÕavait auparavant pri de donner ma voix au baron de Castres qui avait pous une de nos parentes. Mr le Prince demanda Mr de Montmorency son avis sans garder lÕordre, qui proposa Mr le baron de Castres ; puis ensuite Mr de Pralain qui fut de mme avis ; en troisime lieu il me le demanda, et je lui dis : Ē Monsieur, il me semble que ce nÕest pas une chose opiner en un conseil, mais en rsoudre entre le roi et vous, auquel, je m'assure, vous en aurez crit, et su sa volont. Que si vous avez concert par ensemble de voir lÕopinion de tous nous autres sur ce sujet, il y a plusieurs personnes capables, en votre arme, de ce gouvernement, parmi lesquelles je mets des premiers Mr le baron de Castres qui sÕen saura bien acquitter. Č LÕaffaire passa l : le baron de Castres y entra avec six compagnies du rgiment de Languedoc, et Mr le Prince partit de Lunel sur les dix heures du matin.
Une heure aprs Mr le marchal de Crquy, Mr de Schomberg et Mr de Bulion y arrivrent comme nous dnions chez moi avec Mr de Montmorency et Mr le comte dÕAlais : ils sÕen allrent chez Mr de Schomberg comme ils nous virent sur la fin du dner, o ils me prirent dÕaller quand je me pourrais sparer de mes htes, ce que je fis peu aprs. CÕtait pour me faire voir lÕtat o Mr le marchal des Diguieres avait port les affaires de la paix avec les huguenots ; dont ils avaient aussi charge de parler Mr le Prince, Mr de Montmorency et Mr le marchal de Pralain ; mais Mr de Crquy et Mr de Bulion me devaient faire savoir le particulier, dont le roi avait voulu que je susse quelque chose. Ils envoyrent aussi qurir Mr de Montmorency ; mais il leur manda qu'il sÕen irait le lendemain matin comme eux lÕarme, et quÕil l'apprendrait quand et Mr le Prince, lequel avait command en partant que ceux de l'artillerie fissent porter les poudres et munitions qui taient au camp dans les votes des Cordeliers de la ville, qui taient demeures entires, ce que lÕon faisait comme nous tions enferms dans une chambre, Mrs de Crquy, Schomberg, Bulion et moi. Il arriva que de toutes les munitions trois charrettes qui nÕtaient point tournes encore en la rue des Cordeliers, prirent feu, et les quatre milliers de poudre quÕelles portaient renversrent les six plus proches maisons des deux cts de la rue, et mirent le feu aux voisines, et les ruines de ces maisons fermrent lÕavenue de la porte, en sorte que lÕon ne pouvait sortir de la ville parce que Mr le Prince avait fait fermer les autres portes. La ville tait si pleine de monde qu'elle regorgeait, et il tait craindre que le feu, qui approchait de six-vingt milliers de poudre, ne consumt la ville en un instant. Nous tions en cet tat quand le feu prit ces trois charrettes de poudre, dont la violence jeta les fentres et vitres de la chambre o nous tions, contre nous, avec une grande imptuosit. Je mÕimaginai bien ce que cÕtait : mais je pensais le mal plus grand que, grces Dieu, il ne fut. Je sortis en mme temps la rue pour donner ordre tout. Mais la confusion tait extrme, et chacun pensant soi-mme, et son salut, nÕaccourait point teindre le feu : tout le monde cherchait sortir, et personne nÕen trouvait le moyen. Enfin je fis rompre une des portes condamnes par laquelle chacun sortit, et ayant eu par cet expdient nos coudes plus franches, nous teignmes le feu et mmes nos poudres en sret, y ayant eu quelque cinquante personnes pries par le feu.
Je partis le samedi 13me de Lunel avec la cavalerie que le roi demandait, et vins coucher Mauguio dÕo je partis le dimanche 14me, et mis ladite cavalerie en bataille devant Montpellier, puis vins trouver le roi six heures du matin, comme il voulait partir de Villeneuve de Maguelonne pour venir Mauguio. Il fit marcher son infanterie devant et aprs lui, et passant par Lattes sÕen vint Mauguio, ayant auparavant voulu se faire tirer des coups de canon de Montpellier en la reconnaissant. Mr dÕEpernon tait avec lui, et peu dÕautres. JÕavais fait avancer et mettre sur les ailes de la cavalerie pour le favoriser.
Il sut Mauguio comme, la prire de Mr de Montmorency, Mr le Prince avait mis dans Lunel le rgiment de Languedoc et le baron de Castres pour y commander ; dont il se fcha fort, et me commanda de lÕen faire dloger et dÕy mettre ses gardes avant quÕil y entrt, ce que je fis le lundi 15me, jour de la Notre Dame, que le roi y arriva.
Le mardi 16me Mr le Prince et Mr de Schomberg vinrent trouver le roi, et je mÕen retournai avec eux le mme jour Sommires, qui capitula le soir mme, et le mercredi 17me se rendit. JÕentrai par le chteau o je mis garnison, et les gardes et Suisses entrrent dans la ville. Le roi y vint aussi et y dna, puis sÕen revint Lunel.
Mr de Schomberg dit par les chemins au roi que jÕtais son ennemi et quÕil lui priait de ne rien croire de ce que je lui dirais sur son sujet. Le roi lui rpondit quÕil avait grand tort, et que je ne lui avais jamais parl quÕ son avantage, ni de personne autre aussi, et quÕil me connaissait mal pour me prendre pour un homme qui ft de mauvais offices. Il fut un peu tonn de cette rponse, et plus encore quand il et envoy qurir Beauvilliers pour lui faire des plaintes de ce que jÕavais dit Pongibaut, (que ce n'tait pas le meilleur Mr de Schomberg de se montrer si partial pour Mr le Prince), et que Beauvilliers lui eut rpondu que sÕil me l'et dit devant quÕen parler au roi, je lÕen eusse satisfait, mais quÕil avait mal commenc de se dclarer contre moi avant que sÕen tre clairci. Il vit bien que le roi mÕavait parl, et pria Mr de Puisieux de nous raccommoder, ce que je fis difficilement, et aprs lui avoir dit mes sentiments. Il me pria ensuite de lÕassister obtenir la dpouille de Mr dÕEpernon, qui par sa promotion au gouvernement de Guyenne, laissait ceux de Saintonge, Angoumois, Aulnis et Limousin. Je lui dis que non seulement je ne parlerais point en sa faveur, mais que je lui traverserais jusques ce que Mr de Pralain qui tait mon ami fidle, fut entirement content, qui y prtendait comme lui ; ce qui se fit enfin en partageant, Mr de Pralain la Saintonge et Aulnis, et Mr de Schomberg Angoumois et Limousin.
Je servis aussi Mr dÕEpernon. pour lui faire avoir Bergerac que le roi refusait de lui donner.
Mr de Montmorency eut une forte prise avec le roi qui avait donn le gouvernement de Lunel Masargues qui en avait dj le domaine, ce quÕil ne dsirait pas : je fis enfin que le roi pour le contenter y mit lÕan de Toyras, nomm Rostemelieres.
Le roi fit tout cela et alla Aiguemortes, que Mr de Chatillon lui remit en main, en laquelle il mit pour gouverneur Varrennes et fit Mr de Chatillon marchal de France le 21me du mois, pendant son sjour quÕil fit Lunel o il demeura jusques au vendredi 26me quÕil vint coucher Mauguio o Mr le marchal des Diguieres arriva.
Le samedi 27me le roi vint loger la Verune o lÕon fut comme dÕaccord de la paix.
Le dimanche 28me le trait de paix continua, et n'y avait plus que le particulier de ceux de Montpellier contenter, vers lesquels Mrs de Crquy et de Bulion allaient et venaient.
Le lundi 29me Mr le conntable des Diguieres reut lÕpe de conntable du roi, lui en fit hommage, et en prta le serment : aprs quoi le roi me dit quÕil me donnait le bton de marchal de France que monsieur le conntable venait de quitter en prenant lÕpe, et quÕil commanderait mes lettres pour mÕen faire ensuite prter le serment ; dont je lui rendis les trs humbles grces que mritaient ses excessives faveurs.
Mr de Schomberg fut bien tonn ; car ce fut en sa prsence que le roi me fit ce discours : il ne laissa pour cela de venir dner chez moi avec monsieur le conntable, cardinal de la Valette, Chevreuse, Montmorency, Epernon, Pralain, Saint-Geran et Crquy, lesquels furent mands par le roi au conseil de guerre lÕaprs-dner, sur le retour de Mr de Bulion de Montpellier, qui avait apport un absolu refus de laisser entrer le roi dans leur ville le plus fort ; mais bien que si le roi sÕen voulait loigner de dix lieues, ils y recevraient monsieur le conntable avec les forces quÕil y voudrait faire entrer. Il y avait dans le conseil, avec le roi, Mr le Prince, monsieur le conntable, Mrs les marchaux de Pralain, Saint-Geran et Crquy, Mrs dÕEpernon et de Montmorency, Schomberg, moi, Marillac, Zamet, Valanay, Portes, Montreal, prsident Faur, et Bulion.
Le fait tait que Mr le Prince, ennemi mortel de la paix qui se traitait, avait dit en plusieurs lieux que, si le roi entrait dans Montpellier, il la ferait piller, quelque diligence que lÕon st faire au contraire : ce qui avait tellement intimid ceux de Montpellier quÕils se voulaient plutt rsoudre toute autre extrmit que dÕy recevoir le roi ; et pour finale rponse quÕils donnrent ce jour-l Mr de Bulion ils offrirent toute obissance pourvu que le roi nÕentrt point dans leur ville dont ils tenaient le pillage assur sÕils lui ouvraient les portes.
Comme chacun eut pris place au conseil, le roi commanda Mr de Bulion de faire son rapport, lequel lui dit purement comme ceux de la ville lui avaient encharg : sur quoi le roi lui dit quÕil dit son opinion. Il lui dit en cette sorte :
Ē Sire, jÕai toujours ou dire quÕen la guerre celui qui en a le profit en remporte lÕhonneur : cÕest pourquoi je conseillerai toujours Votre Majest dÕaller au solide, sans vous arrter de petites formalits qui ne sont point essentielles. Si la ville de Montpellier vous refusait lÕobissance et la soumission qui vous est due et quÕils sont obligs de vous rendre, je vous dirais quÕil la faudrait dtruire, et exterminer : mais cÕest un peuple alarm et pouvant des menaces que lÕon leur a faites de les piller, et dtruire, violer leurs femmes, et filles, et brler leurs maisons, qui vous supplie au nom de Dieu que vous fassiez recevoir son obissance par monsieur votre conntable lequel y entrera, vous en tant loign, avec telles forces qu'il lui plaira, pour y faire valoir et reconnatre lÕautorit de Votre Majest, qui est la mme chose que si vous y entriez vous-mme. Pourquoi voulez-vous, pour une puntille de rien, ne recevoir une paix si utile et honorable pour Votre Majest, et plutt entreprendre une longue guerre, dont lÕvnement est douteux et la dpense excessive, dans un pays o les chaleurs sont immodres, et exposer votre propre personne aux outrages de la guerre et de la saison, pouvant vous en exempter sans dommage ni blme ? Car ds maintenant Votre Majest peut recevoir la paix, ou pour dire mieux, la donner vos sujets rebelles. Ceux de Montpellier offriront, et mme supplieront trs humblement Votre Majest de venir honorer leur ville de votre prsence, et dÕy faire son entre, laquelle ils prpareront la plus magnifique quÕils pourront, mais quÕils vous demandent six jours de temps pour licencier les troupes des Cvenols quÕils ont dans leur ville, et pour se prparer y dignement recevoir Votre Majest ; ce que vous leur accorderez : mais tmoignant de lÕimpatience dÕaller trouver la reine votre femme que vous ferez descendre Arles (de Lyon o elle est), laissant la charge de recevoir Montpellier monsieur le conntable qui demeurera ici avec une partie de votre arme, vous irez avec lÕautre faire votre entre Nmes et Uzs. Ainsi, Sire, vous ne perdrez aucun temps pour vos affaires ni pour votre retour, et elles seront parfaitement bien accomplies mon avis ; qui est ce que je puis dire Votre Majest sur ce sujet. Č
Ė peine Mr le Prince qui avait cout Mr de Bulion avec impatience, le put laisser finir, qu'il commena dclamer contre lui et la cabale quÕil disait qui avait forg cette paix lÕinsu du conseil, et la voulait faire passer et conclure avec honte et infamie. Mais le roi, auprs de qui il tait, avec la main et la parole le retint, lui disant quÕil laisst librement opiner un chacun, et quÕen son rang il aurait tout loisir de parler ; ce quÕil fit tellement quellement, se dmenant sur son sige et montrant par ses gestes la rpugnance quÕil avait ces avis, plusieurs desquels furent conformes ensuite : car Mr le prsident Faur ayant dit peu de paroles et en pareil sens que Mr de Bulion, conclut en la mme faon, comme firent ensuite Mrs de Montreal, de Portes, de Valanay, Zamet, et Marillac ; puis quand ce vint moi, Mr le Prince qui avait toujours dit quelque mot bassement, leva davantage sa voix et dit : Ē Je sais dj son opinion, et nous en pouvons dire ad idem. Č Lors je la dis en semblable faon :
Ē Sire, je suis dÕavis que Votre Majest se lve de son conseil, et que par un noble et gnreux ddain elle tmoigne combien elle se sent offense des propositions de ceux de Montpellier, et combien les avis que lÕon lui donne en conformit lui sont dsagrables. Č
Ē Si Votre Majest tait devant Strasbourg, Anvers, ou Milan, et quÕelle conclt une paix avec les princes qui ces villes appartiennent, les conditions de nÕy pas entrer seraient tolrables ; mais quÕun roi de France, victorieux avec une forte arme, au lieu de donner la paix une poigne de ses sujets rebelles, sans ressource, et rduits lÕextrmit, Elle la reoive dÕeux des conditions honteuses quÕils lui viennent proposer et imposer, ce sont injures qui ne se peuvent souffrir, non pas mme couter. La ville de Montpellier en refusera lÕentre son roi, lui fermera ses portes, et avant que de lui faire aucun serment de fidlit, il lui fera cet acte dÕobissance de sÕloigner de dix lieues de leur ville, selon leur dsir ! Le roi qui accepte ces conditions se doit prparer recevoir de terribles outrages des autres villes qui seront audacieuses par cet exemple et assures dÕimpunit par cette indigne souffrance. Oui, mais, me dira-t-on, il apparatra par le trait que le roi y a pu entrer, et cette exception se fera par un article secret qui ne sera su que par ceux de Montpellier et par ceux qui ont lÕhonneur dÕassister ce conseil : comme si un peuple entier pouvait cacher ou celer une chose si avantageuse, et comme si lÕon ne devait pas lire sur notre visage ce que notre langue aurait honte de dclarer ! Sire, au nom de Dieu, prenez une ferme rsolution, et y persvrez, et mme vous y opinitrez, de ruiner ce peuple parce quÕil est rebelle, et parce aussi quÕil est insolent et impudent, ou de le rduire une entire soumission et parfaite repentance. Č
Ē Mes intrts particuliers rpugnent ma proposition, et le seul service et honneur de Votre Majest me portent vous la faire. Car si la paix se conclut aujourd'hui, elle me trouvera avec une plus grande rcompense que mes services ne mÕen devaient promettre, par lÕhonneur que jÕai reu du bton de marchal de France, dont Votre Majest mÕa assur : je ne puis gagner au sige de Montpellier que beaucoup de peine, de dangereux coups, et peut-tre la mort : il peut arriver aussi des sinistres accidents qui retarderaient Votre Majest de me faire prter le serment de la charge qu'elle mÕa promise, voire mme de me la refuser du tout. Je courrai nanmoins cette fortune, et supplie trs humblement Votre Majest de dlayer ma rception jusques ce que la ville de Montpellier soit rduite en son obissance, et Votre Majest venge de lÕaffront que ces rebelles vous ont voulu procurer. Č
Aprs que jÕeus achev de parler, Mr le Prince qui mÕavait attentivement cout, se leva et dit au roi : Ē Sire, voil un homme de bien, grand serviteur de Votre Majest, et jaloux de votre honneur. Č Le roi se leva aussi, ce qui obligea tous les autres se lever, et lors Sa Majest dit Mr de Bulion : Ē Retournez Montpellier et dites ceux de la ville que je donne bien des capitulations mes sujets, mais que je nÕen reois point dÕeux ; quÕils acceptent celles que je leur ai offertes ou quÕils se prparent y tre forcs Č et ainsi sÕacheva le conseil. Mr le Prince me fit cet honneur de me venir embrasser et de dire tout haut tant de bien de moi que jÕen demeurai confus. Monsieur le conntable et Mr le marchal de Crquy, qui avaient moyenn cette paix, voyant lÕopinitret de ceux de Montpellier, conseillrent au roi de les mettre la raison, et ds le soir tout trait fut rompu.
Le mardi 30me monsieur le conntable voulut aller reconnatre Montpellier comme il avait dit le jour prcdent Mr le marchal de Pralain, lequel ne mÕen dit rien, dont je me plaignis lui devant monsieur le conntable, et lui fis voir que son silence tait cause que deux mille hommes de pied qui eussent escort monsieur le conntable afin quÕavec sret il pt reconnatre la place et rembarrer les ennemis (sÕils sortaient sur lui), n'taient point commands ni prts comme ils eussent t ; car jÕen eusse pris lÕordre de lui. Il me dit que quand je serais marchal de France, je ferais (o jÕaurais le commandement) ce qu'il me plairait ; quÕil lÕavait en cette arme, et quÕil ne lui avait pas plu de mÕen parler. Je fus fort tonn de cette rude rponse : car je l'aimais comme mon pre ; et je lui dis quÕil en fit comme il lÕentendrait, et que je ne mÕen mlerais point. Il se mit lors la tte de quelque cavalerie qu'il avait fait venir, et je me mis auprs de monsieur le conntable. Il arriva que les ennemis sortirent quelque deux cents hommes qui nous conduisirent tout autour de la place, tirant incessament sur nous qui nÕavions point dÕinfanterie pour les faire retirer, et eux se tenaient toujours la faveur de leur contrescarpe et de leur rempart : ils blessrent quelques personnes, et entre autres le comte de Maill dÕune mousquetade au visage, et blessrent aussi plusieurs chevaux. Nous fmes en six heures le tour de la place et notre reconnaissance. Monsieur le conntable ne fut que jusques Salleneuve o il passa le Lers et sÕen retourna en son gouvernement, nÕayant pu porter les choses la paix.
Le mercredi 31me le rendez-vous de l'arme fut une porte de mousquet de Salleneuve, la vue de Montpellier, o nous la fmes camper sur un tertre o il y avait du bois qui fut bientt coup, et devint une plaine. Le roi se logea un mas trois cents pas du campement, qui tait au consul de Montpellier. Nous ne nous avanmes pas ce jour l plus avant quÕun chemin creux au-dessous de la Justice o nous mmes un corps de garde de cent hommes, comme aussi nous en mmes pareillement, et de mme nombre, la tte de chaque rgiment, et une garde cheval de cinquante chevaux.
Sur les dix heures du soir le capitaine Lago qui tait aide de camp, alla par mon ordre reconnatre avec vingt hommes un poste des ennemis une maison ruine cent pas de la Justice et quatre cents pas des cornes des ennemis, et les ayant pousss, il les fit quitter la maison et se retirer leurs cornes. JÕy allai lÕheure mme, et mis pour garder cette masure, les cent hommes que jÕavais prcdemment mis la Justice, et ayant fait venir moi les six cents hommes qui taient devant les six rgiments camps, qui je mandai dÕen mettre autant leur place, je mÕavanai dans un chemin creux que je trouvai gardable, et y mis ces six cents hommes ; et en ayant encore envoy qurir six cents autres, je mÕavanai cent pas de leurs cornes et mÕy fortifiai la nuit.
Septembre. Ń Je nÕavais pas eu connaissance des logis quÕavaient pris Mr le Prince ni Mr le marchal de Pralain, ce qui fut cause que je ne leur mandai rien. Ils y arrivrent le lendemain matin jeudi premier jour de septembre. Mr le Prince fut ravi de voir notre progrs ; mais Mr de Pralain sÕen offensa, disant que je ne devais point sans son commandement mÕtre avanc. Mr le Prince prit lors mon parti et lui dit que jÕavais bien fait et que, puisquÕil l'approuvait, cÕtait assez.
Il nous mena de l avec lui au conseil o vinrent aussi Gamorini, Mortieres, Lago, et le Meine. Tous furent dÕavis quÕil fallait saisir l'aire de Saint-Denis, qui est cette minence o est maintenant la citadelle, et que le plus tt que nous nous en pourrions rendre matres, que ce serait le meilleur. Monsieur le marchal en prit la charge, et Mr le Prince me commanda de lui accompagner. Mr de Chevreuse y voulut venir, et nous nous y logemes sans y trouver autre rsistance que dÕun corps de garde qui lcha le pied.
Mr le Prince y vint le lendemain vendredi 2me, et en fut fort satisfait. Il me dit si je voudrais bien en laisser la garde Mr de Valanay, ou si je lui laisserais la nuit suivante ouvrir la tranche. Je lui rpondis que lÕouverture de la tranche appartenait au premier marchal de camp, et que sÕil voulait donner la garde de lÕaire Saint-Denis Mr de Valanai et lÕordre de sÕy fortifier, que jÕen tais content. Il lui laissa donc et mÕemmena avec lui auprs du roi. Nous laissmes avec Mr de Valanai Mr du Plessis sergent de bataille, brave homme et entendu, et son aide Verneigues, avec les rgiments de Fabregues, La Roquette et Saint-Brest, qui pouvaient faire huit neuf cents hommes, trois cents hommes de Pimont, et autant de Normandie. Mr le Prince ordonna aussi cinquante chevaux, qui eussent empch le dsordre qui survint, sÕils y fussent venus ; mais ils manqurent et nÕy vinrent temps.
Je demandai cong au roi de mÕaller reposer deux o trois heures afin que je puisse veiller la nuit prochaine lÕouverture de la tranche, nÕayant point ferm lÕĻil depuis que nous tions partis de la Verune, ce quÕil mÕaccorda au sortir du conseil. JÕtais dessus mon lit sur le midi quand jÕous tirer trois coups de canon conscutifs de la ville, ce qui me fit sortir de ma tente ; o je vis lÕheure mme une grande sortie que ceux de la ville faisaient sur nos gens qui taient lÕaire Saint-Denis, et quÕil y avait parmi ceux qui sortaient, bien trente chevaux arms. Je demandai un cheval en diligence, mÕacheminant toujours vers le quartier des Suisses qui tait le plus prochain de ladite aire Saint-Denis, quand je vis nos gens sÕen fuir et se glisser au bas de la montagne sur le Merdanon qui est un ruisseau qui coule au bas de la montagne. Je courus lors aux Suisses et leur fis prendre les armes et marcher droit aux ennemis qui poursuivaient les ntres jusques au Merdanon.
Il arriva que le roi avait dn et tait en une loge au haut de son logis avec plusieurs princes et seigneurs, lesquels virent cette sortie et y coururent avec un tel dsordre quÕils ne connurent jamais lesquels taient les ennemis ou les ntres, jusques ce qu'ils sÕen virent investis ; et Mr de Montmorency par bonne fortune ayant rencontr Argencourt qui ne le voulut point faire tuer comme les autres, Argencourt lui dit : Ē Monsieur, retirez-vous par l Č, ce quÕil ne se fit pas dire deux fois ; et bien quÕil se htt fort, il ne put viter deux coups de piques des ennemis, qui nanmoins furent lgers, et en fut tt guri. Les autres qui taient venus de mme compagnie furent tous tus, assavoir : Mr le duc de Fronsac, jeune prince de trs grande esprance et qui ft mon avis t un jour un grand capitaine ; je nÕai jamais vu personne se prendre mieux notre mtier o il se portait sans fard ni sans ostentation, et qui avait un extrme dsir de le bien apprendre : avec lui furent tus Mr le marquis de Beuvron, trs vaillant seigneur, un jeune gentilhomme de Languedoc nomm Lussan que je vis fort bien faire aux Ponts de C, et le sieur dÕOuctot, lieutenant de la compagnie de Mr le Prince.
Quand les ennemis virent marcher les Suisses, ils songrent leur retraite. Aussi vinrent-ils en bon ordre marchant rsolument, et sans marchander passrent le Merdanon et commencrent monter au haut de l'aire Saint-Denis. Les ennemis ne les attendirent pas jusques aux piques ; mais escarmouchant toujours de leur mousqueterie, se retirrent dans la ville et nous quittrent le champ o nous trouvmes et retirmes nos morts qui taient, outre ceux que jÕai nomms, deux matres de camp, Fabregues et La Roquette qui furent tus d'abord, et Combalet capitaine en Normandie, neveu du feu conntable de Luynes, qui y fit bravement. Mr le Prince vint la tte des Suisses la merci de mille arquebusades, et sÕy tint assez longtemps sans en vouloir partir jusques ce que je lui promis de lui rendre compte de Ouctot, vif ou mort, dont il tait en peine, comme je fis peu aprs, que je renvoyai le corps. Mr le marchal de Pralain sÕy tint toujours et fit trs bien : un des miens, nomm Fontaines, sur qui je mÕappuyais, eut une mousquetade dans lÕestomac trente pas derrire lui. Ce fut le seul grand accident qui nous arriva ce sige.
Le soir le roi nous manda que lÕon ft retirer les Suisses qui taient toujours sur lÕaire Saint-Denis, parce que Sa Majest tait rsolue dÕy faire un bon fort le lendemain qui fut le samedi 3me jour de septembre ; toutefois on en dlaya lÕeffet ; auquel jour Mr Zamet qui faisait la charge de marchal de camp au quartier de Picardie dont il tait aussi matre de camp, comme il allait reconnatre quelque chose durant quÕune escarmouche durait, quÕil avait exprs fait attaquer, un coup de moyenne [canon de 4 livres] tir de la ville lui cassa la cuisse, dont il mourut trois jours aprs : le mme coup emporta une fesse au sieur de Moullon, aide de camp, dont il gurit.
Le dimanche 4me je fis, la nuit, une barricade ma droite, qui traversait un chemin que ceux qui taient dans les cornes des ennemis voyaient. Puis ensuite je coulai du long du Merdanon et avec des pipes du long du bord je fis un parapet o je logeai quantit de mousquetaires, et gagnai le pont qui le traverse, sur lequel je me fortifiai; et en cette sorte nous nous donnions la main, ceux qui taient sur lÕaire Saint-Denis et nous. Mais comme ce mme soir Mr le marchal de Pralain (Mr de Chevreuse tait avec lui), vint regagner ce poste et commencer dÕy faire construire un fort, les ingnieurs qui taient l, et Gamorini mme, maintinrent que lÕon ne sÕy pouvait loger, et quÕil nÕy avait pas de terre suffisante se couvrir, de sorte que Gamorini descendit moi et me dit que cÕtait en vain que je prenais la gauche pour joindre nos attaques, parce que lÕon avait rsolu de quitter le dessein de lÕaire Saint-Denis, qui tait nanmoins le plus court chemin prendre la ville, et il parut bien sÕil tait impossible de sÕy loger, car les ennemis notre barbe y btirent un fort : il est vrai quÕils avaient lÕavantage dÕtre commands et dfendus de la ville.
Le lundi 5me on rsolut de faire une assez grande place dÕarmes pour tenir srement notre garde, laquelle je commenai la nuit.
Le mardi 6me je la continuai, et fis de jour une traverse de pipes remplies trente pas des cornes des ennemis, sans perte dÕaucun homme, par une nouvelle invention que jÕimaginai, que Gamorini trouva fort bonne.
Le mercredi 7me je fus malade, et pour sÕavancer proche des cornes on fit une traverse de gabions dans ce chemin o jÕavais fait celle de pipes le jour prcdent.
Jusques alors nous nÕavions travaill que dans les chemins creux, qui sont en ce pays-l fort enfoncs cause quÕil y pleut rarement : mais le lendemain 8me nous travaillmes sur le haut des terres, et haussions nos tranches avec des pipes remplies ; ce que nous fmes pour fortifier une batterie de quatre pices que nous voulions faire pour battre les cornes avances quÕil nous fallait gagner.
Le vendredi 9me nous fmes une barricade et un logis dans le chemin main gauche de notre batterie, tirant aux cornes.
Le samedi 10me on fit une autre barricade dans le chemin gauche des cornes, laquelle, faute de pipes, nous fmes contraints de faire de gabions vides.
Le dimanche 11me Gamorini fut tu en se mettant entre deux paniers pour regarder cette barricade de gabions creux, mise la nuit prcdente, que Toiras lui montrait ; qui fut une grande perte pour le roi, car cÕtait un homme bien entendu pour les siges.
Le soir, aprs que les gardes furent sorties de la tranche, et que le rgiment de Navarre les eut releves, jÕallai souper et emmenai Le Plessis, sergent de bataille, et Des Champs, capitaine en Navarre, avec moi, pour retourner incontinent aprs. Mais comme nous nous voulions mettre table, nous oumes tirer plus quÕ l'ordinaire la tranche, ce qui nous y fit courre en diligence. CÕtait une forte sortie que les ennemis avaient faite sur Navarre, forcrent cette barricade de gabions quÕils ruinrent et eussent fait un grand dsordre la tranche sans la forte rsistance du rgiment de Navarre ; car le lieutenant-colonel nomm Joffre tant demeur en la tranche pour y donner lÕordre ncessaire, Porcheux capitaine, Campis sergent major, et Beaumont lieutenant, fils du Boullay, sortirent en la campagne avec quelque six-vingt hommes. Les ennemis taient six cents hommes complets, en trois bandes : la premire vint donner la gabionnade quÕelle fit quitter aux ntres ; la seconde fut charge si vertement par la troupe que Porcheux menait, quÕelle la renversa ; mais en mme temps leur tomba sur les bras la troisime troupe ennemie laquelle sans marchander ils allrent, la combattirent et la repoussrent. Mais les trois chefs susnomms furent blesss, ce qui les ayant fait retirer, toute la sortie se joignit en un la gabionnade.
JÕy arrivai en cet instant, et pensant que la gabionnade ft encore nous, jÕentrai par le passage qui tait en la traverse de barriques pour y aller. Des Champs marchait devant moi, et Le Plessis me suivait. Nous trouvmes les ennemis occups renverser la gabionnade et Des Champs leur ayant cri, pensant quÕils fussent des ntres : Ē Mordieu, que faites vous ? Vous rompez notre barricade Č, il fut aussitt rpondu de quatre ou cinq coups dÕpe et on lÕallait achever, sans quÕil cria : Ē Je suis Bassompierre ; il y a vingt mille cus gagner. Č Alors ils le saisirent et le firent prisonnier, pensant que ce fut moi, qui connus bien alors, et Le Plessis aussi, que nous tions trop avancs. Nous fmes donc semblant tous deux dÕaider dtruire la gabionnade, et prmes notre temps pour nous jeter dans le trou de notre barricade o nous courmes encore cette fortune quÕun soldat nous tira une mousquetade bout portant, en y entrant, qui par miracle ne toucha ni Le Plessis ni moi. En mme temps que je rentrai, Porcheux et Campis revenaient de faire les deux charges susdites o ils ne perdirent que deux soldats, et force blesss, comme eux aussi.
JÕavais vu la contenance des ennemis comme ayant t parmi eux, ce qui me fit prendre cent hommes et en bailler cent autres au sergent de bataille Le Plessis qui prit dans le champ gauche, et moi droite, et vnmes en mme temps par deux cts charger les dmolisseurs de notre gabionnade de telle sorte que nous les fmes jeter dans leurs cornes plus vite que le pas, et laissrent morts huit ou dix hommes des leurs, et quatre prisonniers. Le bruit courut au quartier du roi que jÕavais t pris et nos tranches nettoyes par les ennemis. Le roi y envoya Fiesque en diligence, auquel je fis voir plus de trente morts, et envoyai les prisonniers conter des nouvelles au roi.
Les ennemis qui nÕtaient rentrs dans la ville et taient demeurs dans les cornes nous vinrent tter sur le minuit, et quatre heures du matin encore ; mais ils trouvrent toujours qui parler. Nous refmes la mme nuit, non cette gabionnade, mais une forte barricade et bien flanque, sa place.
Le lundi 12me nous achevmes de mettre les quatre pices en batterie et fmes une ligne droite pour y aller.
Elle tira le mardi 13me tout le jour, et sur le minuit nous attaqumes les cornes, savoir : Mr de Pralain avec le rgiment des gardes, par le milieu ; moi par la droite avec Pimont et Navarre ; et Mr de Valanai la gauche avec Normandie et Estissac. Nous les emportmes bravement et nÕy perdmes que sept hommes, parmi lesquels le capitaine Taraut, de Normandie, y fut tu, et Lago, aide de camp, dont ce fut un grand dommage ; car outre quÕil tait brave homme, il entendait le mtier autant quÕhomme qui ft en lÕarme. Mr le Prince qui tait prsent lÕattaque, fut fort satisfait de nous, et le roi encore davantage.
Le mercredi nous nous fortifimes dans les cornes des ennemis, et avanmes nos tranches sur la gauche.
Le jeudi 15me on prparait une batterie de douze pices pour battre un bastion qui tait la gauche et lever les dfenses des lieux o il nous tait ncessaire de les ter, et nous la fortifimes dÕune place dÕarmes au-devant, qui valait bien un fort, tant lÕassiette la rendait bonne.
Le vendredi 16me Mr le Prince fut sollicit par le Meine Chabans dÕattaquer plutt une demie lune qui tait entre deux bastions, que lÕun des deux bastions. C'tait mon avis contre toute raison, et avions grand avantage dÕattaquer le bastion qui tait droite, et que le quartier de Picardie attaqut le gauche. Mais comme Chabans avait proccup lÕesprit de Mr le Prince par ses raisons, il nous fut impossible dÕen dire aucune qui le satisfissent. Je voyais bien o visait ce compagnon que je connaissais pour avoir toujours t sous moi, hormis cette fois quÕil tait aide de camp au quartier de Picardie, et comme ingnieur. C'tait un proposeur de desseins, qui les donnait lÕoreille aux gnraux, blmant tous ceux qui travaillaient, et tchait de sÕinstaller en leur place, et puis quand il y tait tabli, il commenait un dessein apparent et le conduisait jusques un certain point autant que sa suffisance (qui nÕtait pas grande) lui pouvait permettre, et puis feignait une maladie ou faisait valoir quelque lgre blessure ou pratiquait quelque commission et laissait l lÕouvrage commenc. Mr de Schomberg le tenait un grand et habile homme, et comme tel lÕavait recommand Mr de Montmorency au quartier duquel il travaillait, et sÕtait aisment insinu en ses bonnes grces. Il avait conduit le travail de Picardie jusques sur la contrescarpe du bastion qui tait main gauche du ravelin, et ne se jugeant pas capable de lÕattaquer et sÕen rendre matre, proposa Mr le Prince quÕil fallait joindre les deux attaques, et avec une ligne de communication les approcher en sorte que ce ne ft quÕun, et que lÕon devait premirement prendre le ravelin que le bastion ; que cÕtait lÕordre de la guerre ; que si on lui donnait la charge gnrale des travaux qu'avait Gamorini, quÕil en viendrait bout facilement, la gloire du roi et de mondit seigneur le Prince, et lui fit la chose si facile quÕil lui fit changer notre dessein. Quand je vis que je ne pouvais rien gagner, je m'adressai Mr dÕEpernon qui ayant vu et reconnu lÕun et lÕautre projet, lÕappuya de son autorit, et la disputa vivement. Mais enfin il en fallut passer au dessein du Meine, et fallut commencer ce jour l mme tirer notre travail du ct droit vers ce petit ravelin.
Mr de Schomberg tomba malade la nuit de lÕattaque des cornes, dont il pensa mourir.
JÕemployai une grande partie du samedi 17me auprs du roi sur le sujet de l'lection qu'il voulait faire dÕun garde des sceaux, dont il tait puissament press par Mr le Prince et Mr de Schomberg depuis la mort de Mr le garde des sceaux de Vic, et plus encore depuis celle de Mr le cardinal de Retz, parce qu'ils sentaient leur cabale du conseil affaiblie par la perte de ces deux personnages, et avaient jet les yeux sur Mr Alligre, trs habile homme certes et digne de la charge ; mais il tait si li avec eux, que Mr de Puisieux et la cabale de monsieur le chancelier le redoutaient. Mr de Puisieux mÕemployait auprs du roi pour faire que l'on rendt les sceaux monsieur son pre ; mais le roi dissuad par ces messieurs sur le prtexte de son absence et de son grand ge, me commanda de lui dire qu'il ne s'y devait point attendre, ce que je fis ce jour mme. Mais il me pria aussi de remontrer au roi quÕil importait au bien de son service que celui qui il donnerait les sceaux ft en bonne intelligence avec son pre ; que cela ne pourrait tre si Mr Alligre les avait, et quÕil le suppliait au nom de Dieu que celui-l cette occasion en ft except, ce que le roi ne lui voulut jamais promettre, quelque instance que je lui en pusse faire, parce quÕil avait inclination pour Mr Alligre, et quÕil y tait port par tout le petit coucher quÕil avait gagn pour lui, qui tait ceux qui demeuraient auprs du roi aprs quÕil avait donn le bon soir au monde ; car il veillait encore aprs cela une heure ou deux. Tout ce que je pus faire fut de faire dlayer cinq ou six jours sa promotion.
Le dimanche 18me nÕavana aucun travail ; car il arriva un tel orage (qui sont rares en ce pays-l, mais furieux quand ils viennent), quÕil fut impossible de rien faire autre chose que de se garantir dÕtre noy. La terre qui est sche et presse, ne boit point lÕeau, laquelle sÕcoule aux lieux bas et aux chemins creux, qui sÕemplissent quelquefois de six et sept pieds dÕeau. Cette pluie fit grossir et driver le Merdanon et emporta plus de cent lansquenets qui pour viter les grandes chaleurs, avaient fait des creux contre sa rive et sÕy taient hutts.
Le lundi 19me nous nous donnmes la main avec le quartier de Picardie par une ligne de communication qui fut tire depuis le ct droit de notre grande batterie jusques eux.
Le mardi, et mercredi suivant nous achevmes la batterie, et nous avanmes vers le ravelin la sape. Ce dernier jour Mortieres fut bless, qui nous incommoda fort, car il tait bien entendu aux travaux.
Le jeudi 22me comme je vins le matin au conseil, je sus que le roi avait donn parole Mr le Prince de faire Mr Alligre garde des sceaux ; au moins en avait-il assur le petit coucher, et eux lui, et Mr de Puisieux me dit en entrant quÕil tait dsespr de cette affaire, dont je fus bien marri pour lÕamour de lui qui tait mon ami, et pour lÕamour de moi encore parce que Mr Alligre ne mÕen avait jamais voulu prier, soit par mpris, soit pour se croire fort assur de son affaire et nÕavoir besoin de mon aide. Comme je fus entr, Rouccelai me tira en un coin avec Mr le marchal de Pralain, et me dit ces mmes mots :
Ē Vous savez, Monsieur, combien jÕai dÕobligation de vous aimer et servir, tant pour vos bonnes grces que vous mÕavez amplement donnes, comme pour les obligations que je vous ai. Vous mÕavez fait revenir la cour aprs la mort du marchal dÕAncre, et avez voulu tre ma caution. Vous avez port le roi me donner lÕanne passe lÕabbaye de lÕOr de Poitiers prs Saint-Maixent ; et pour ne faire une longue numration de tous vos bons offices vers moi, jÕavoue en gros quÕil nÕy a seigneur en France qui je sois plus redevable quÕ vous. C'est pourquoi je me suis toujours tudi de le reconnatre en tout ce qui mÕa t possible. Vous savez le soin particulier que jÕai eu de vous procurer les bonnes grces de Mr le Prince et avec quelle peine jÕai tch de vous y conserver : je dis avec quelle peine, parce qu' mon retour lÕarme je l'ai trouv si mal satisfait de vous quÕil ne se pouvait davantage, et a cru que Mr de Puisieux lÕa mal servi auprs du roi, et que puisque vous avez voulu prfrer son amiti la sienne et ne l'abandonner pour lui, que vous avez particip aux mauvais offices quÕil lui a rendus ; il ne se peut dire combien de diffrents personnages jÕai jous pour lui lever cette opinion de lÕesprit. Enfin il mÕa dit quÕil vous avait offert son amiti toute entire, pourvu que vous veilliez quitter celle de Mr de Puisieux et mÕa dit de plus que vous ayez vous en rsoudre en toute cette journe, parce que, celle-ci passe, il ne vous y recevra plus. Mr Alligre sera demain fait garde des sceaux, et lui et Mr de Schomberg tant troitement joints Mr le Prince, non seulement ils ruineront Mr de Puisieux, mais aussi tous ses fauteurs et adhrents, dont vous tes le principal. Cela vous ai-je voulu dire devant Mr le marchal de Pralain que vous aimez comme votre pre, lequel me sera tmoin que jÕai tch de dtourner lÕorage de dessus votre tte, que je vois prt y tomber ; car assurment ces trois personnes unies ensemble possderont lÕtat, et lveront ou abaisseront ceux quÕil leur plaira. Č
Comme il achevait ces derniers mots, le roi mÕappela, et comme il me vit pensif, il me demanda ce que jÕavais rver. Ē Je songe, Sire, une extravagante harangue (lui rpondis-je), que Rouccelai me vient de faire devant Mr de Pralain, de la part de Mr le Prince, qui ne mÕtonne pas tant pour ma considration que pour la vtre. Il me dclare incapable de possder jamais ses bonnes grces si je ne les reois dans aujourdÕhui, condition dÕabandonner lÕamiti de Mr de Puisieux, et dit de plus que lui, Schomberg et Alligre (qui doit demain tre garde des sceaux), seront trois ttes en un chaperon qui manieront lÕtat leur fantaisie et sans aucune contradiction, ruinant ou agrandissant leurs ennemis ou leurs partisans et serviteurs leur plaisir. Jugez, Sire, o vous et ceux qui ne veulent dpendre que de vous seront rduits ! Č.
Il ne fallait pas en dire davantage au roi pour lÕanimer. Il me rpondit : Ē Ils ne sont pas o ils en pensent, et je leur en garderai bien. Č Je le priai de ne me tenir davantage afin que Rouccelai ne crt que je lui eusse dit sa harangue ; et que sans faire semblant de rien il sÕenqut de Mr le marchal de Pralain sÕil ne mÕavait pas dit cela, et plus.
Sur cela il me quitta, et je revins Rouccelai qui je fis rponse que les menaces, ni la disgrce, ne me faisaient pas quitter mes amis, au contraire me liaient plus troitement avec eux, et que ce nÕtait pas le moyen de mÕacqurir que de me menacer ; que je serais toujours trs humble serviteur de Mr le Prince, mais que je ne ferais rien indigne de moi pour acqurir ses bonnes grces.
Le roi cependant parlait Mr de Pralain qui lui confirma mon dire et lÕanima de plus en plus, de sorte quÕun peu aprs il me tira une fentre et me dit : Ē Ne faites semblant de rien, et mÕattendez ma chambre au sortir de mon dner. Č Je lui dis aussi quÕil devait dissimuler avec Mr le Prince, et lui cacher quÕil voulut changer de dessein, et quÕil nÕen tmoignt rien personne : aussi ne fit-il.
Mr le Prince arriva peu aprs. Mr de Puisieux se retira en son logis comme le conseil fut lev, fort triste, et me dit en partant : Ē LÕaffaire est rsolue, Alligre est garde des sceaux. Č Je lui rpondis : Ē Je ne le croirai point que je ne le voie ; car je ne me veux point rendre malheureux avant le temps. Č
Or est-il quÕune fois, que le roi me parlait des sceaux en faveur de Mr Alligre (o il inclinait), il me dit qu'il nÕy en avait aucun prs de lui capable de les avoir que Mr Alligre. Je lui rpondis quÕil faisait tort Mr de Comartin, qui tait du conseil depuis trente cinq ans, qui avait t en plusieurs ambassades et commissions, personnage o il nÕy avait rien dire. Il me rpondit : Ē Oui, mais il est bgue, et moi aussi, de sorte que lui qui doit aider ma parole, aura besoin dÕun autre pour parler pour lui. Č Je ne rpliquai pas lors davantage : mais comme le roi dnait, jÕtais sur un coffre, rvant lÕaffaire prsente ; et considrant que, si je nÕavais en main quelquÕun lui offrir, je pourrais bien retarder, mais non rompre entirement la promotion de Mr Alligre, je pensai lui ter lÕopinion en quoi il tait de Mr de Comartin, par les meilleures raisons que je pourrais. Il ne tarda gure dner, et vint aussitt moi, extrmement anim sur cette affaire : je tchai de le conserver en cette humeur et lui dis que cette affaire tait plus importante quÕil ne pensait, et que son conseil ne serait plus une assemble de diverses personnes concurrentes son service, mais un corps entier attach leurs intrts particuliers. Il me dit quÕil se garderait bien de faire Alligre garde des sceaux, et que ces messieurs avaient trop tt dcouvert leur dessein ; mais qu'il tait bien empch qui choisir. Je lui dis lors :
Ē Sire, je prendrai la hardiesse de vous nommer encore Mr de Comartin comme un trs homme de bien, et qui a encore toutes les qualits que vous pouvez dsirer un bon garde des sceaux, et en a une de plus qui est trs importante lÕtat prsent de vos affaires, que cÕest un homme sans cabale, et sans suite, qui nÕest li ni attach quÕ Votre seul service. Et quant ce que Votre Majest craint quÕil n'ait pas la parole libre, quarante ans quÕil y a quÕil est dans votre conseil, rapportant tous les jours, les commissions quÕil a tous les ans dÕaller prsider de votre part aux tats, tantt de Languedoc, tantt de Bretagne, et plusieurs ambassades dont il sÕest dignement acquitt, vous font voir quÕil nÕa pas la langue empche ; et mÕtonne, Sire, que Votre Majest qui lÕa vu tant de fois parler devant elle, soit en incertitude s'il parle bien ou mal. Cela, Sire, mÕoblige vous donner un conseil que vous croirez, sÕil vous plait, qui est sans autre intrt que le vtre (car je nÕai aucune liaison particulire avec Mr de Comartin), qui est de le faire garde des sceaux ; en laquelle charge, sÕil y est propre (comme je le crois), vous aurez fait un bon choix, et dÕun homme de bien ; sinon, vous lui aurez seulement donn les sceaux pour les vous rapporter Paris, o sans crainte dÕoffenser que lui, vous lui pourrez ter pour en investir un personnage capable et qui ne soit attach autre intrt que le vtre, ce qui ne pourrait pas tre en la promotion de Mr Alligre ; car tant li, comme il appert, avec Mr le Prince et Mr de Schomberg, il vous obligerait, en lui tant les sceaux, de faire une entire subversion de votre conseil, ce qui serait prilleux. JÕajoute finalement que, puisque Mr de Comartin a fait le sceau depuis trois mois comme le doyen du conseil, je ne vois aucun inconvnient de lui en donner la charge pour trois autres au bout desquels, ou vous lÕen terez comme incapable, ou vous lui conserverez comme suffisant. Č
Le roi prit trs bien mon discours, et aprs y avoir un peu pens me dit : Ē Oui, je suis rsolu de donner demain les sceaux Comartin, et nÕen dirai rien personne, quÕ lÕheure quÕil viendra au conseil. Č Je lui dis lors pour lÕembarquer : Ē Sire, donnez la vie, si cela est, Mr de Puisieux qui sÕen est all le cĻur transi en son logis : permettez-moi de le consoler par cette bonne nouvelle, et que je lui crive de votre part. Č Il me dit : Ē Je le veux bien, pourvu quÕil tienne l'affaire secrte. Č Lors, je pris lÕcritoire du roi, qui tait sur sa table et le mandai Mr de Puisieux, et suppliai le roi dÕcrire au dessous de la lettre deux mots de sa main, ce quÕil fit, et mit : Ē Je certifie ce billet. Č Je lui demandai ensuite, pour lÕengager davantage, sÕil me voudrait permettre dÕen mander autant Mr de Comartin. Il mÕen fit quelque difficult, mais enfin il lÕaccorda pourvu que je lui mandasse de moi-mme, et non de sa part ; ce que je fis, et lui montrai le billet que je lui en crivis, et envoyai lÕheure mme un de mes gens au galop porter ces bonnes nouvelles ces deux impatients de les recevoir. Puis aprs je mÕen allai passer la nuit aux tranches et visiter nos gardes, et en revins malade.
Le vendredi 23me je ne bougeai du lit.
Mr le Prince sÕen alla ce matin l Mauguio. Son prtexte tait de visiter Mr de Schomberg malade ; mais en effet cÕtait pour se conjouir avec Mr Alligre de sa prochaine promotion au sceau. Mais comme une bonne nouvelle se peut difficilement celer, Mr de Comartin lÕavait dite son secrtaire, et lui quelquÕun de ceux du sceau, qui le firent savoir dÕautres, et eux Mr Alligre, de sorte quÕil dit Mr le Prince quÕassurment jÕavais envoy la nuit mme un des miens assurer Mr de Comartin quÕil serait ce jour-l garde des sceaux. Il revint en diligence trouver le roi auquel il dit ce que jÕavais mand Mr de Comartin. Le roi lui dit quÕil nÕen tait rien et que jÕen tais mal averti si je lui avais mand, ce quÕil ne croyait pas. Ensuite il fit dire le mme au roi par Mrs Erouart son premier mdecin, Sauveterre, Gailleteau, Beautru et autres, auxquels le roi fit la mme rponse. Sur cela le roi sachant que jÕtais malade, mÕenvoya visiter par Mr de Lisle-Rouet auquel il donna charge de me dire que notre homme avait mal gard le secret que je lui avais tant recommand ; que cela lÕavait oblig de me donner force dmentis pour lesquels nous ne viendrions point sur le pr, et quÕil persistait en ce quÕil mÕavait dit : comme il fit aussi, et donna lÕaprs-dner les sceaux Mr de Comartin, dont lÕautre cabale fut bien tonne.
On nÕavana rien cette nuit l aux tranches, faute de barriques. Mais le lendemain samedi 24me nous gagnmes la sape la pointe du ravelin que nous voulions attaquer, lequel Argencourt avait fortifi de tout ce quÕil sÕtait pu imaginer, comme de contre-mines, de palissades, de poutres planches lÕpreuve et perces pour donner moyen aux soldats de tirer sur nous sans pril.
Le dimanche 25me on commena une mine la pointe dudit ravelin, et on en entreprit une autre au coin gauche pour faire faire une attaque par l au rgiment de Picardie. Le Meine faisait faire tous ces travaux, et mines, auquel Mr le Prince avait une entire confiance ; et moi qui voyais que je ne gagnais rien y contredire, le laissais faire, et faisais simplement la charge de premier marchal de camp, posant, visitant et relevant les gardes, et faisant ponctuellement fournir tout ce qui tait ncessaire pour lÕavancement des travaux et batterie, ayant lÕĻil de plus empcher le secours des ennemis, qui se prparait Anduze, dont nous emes lÕalarme la nuit du mardi 27me, et le roi voulut le lendemain sur lÕavis que lÕon lui donna que le secours pour Montpellier marchait, aller au-devant avec quelque cavalerie et deux mille hommes de pied : il fut trois lieues au devant ; mais il rencontra un de nos espions qui lÕassura que de six jours il ne serait prt marcher, ce qui lui fit rebrousser chemin.
Nous continumes nos mines et nos travaux jusques au samedi premier jour dÕoctobre, auquel il vint un si grand orage dÕeau que je fus plusieurs fois nage pour passer dÕun lieu un autre dans nos tranches. La plupart des soldats quittrent, et les autres se mirent en sauvet sur les crtes des tranches, assurs que les ennemis ne pouvaient tirer sur eux, car tout tait mouill : et les mmes ennemis ne se pouvant tenir dans le fond du ravelin, se mirent comme nos gens sur le haut de leur rempart, et parlaient nous. Roquelaure qui tait comme une espce de marchal de camp au quartier de Mr de Montmorency, me vint voir et crut que si on pouvait attaquer en ce temps-l le ravelin, que les ennemis ne le pourraient dfendre, et en fit son rapport Mr le Prince qui venait me faire sortir de la tranche pour mÕaller scher, ayant t toute la nuit dans lÕeau au moins jusques la ceinture, et quelquefois jusques au col. Ds que Roquelaure eut dit cette imagination Mr le Prince, il vint en diligence moi, me commandant de la mettre en excution ; mais je lui en remontrai lÕimpossibilit, et lui fis voir par la reconnaissance que lÕon en fit devant lui, quÕil y avait une pique dÕeau de hauteur entre les ennemis et nous, et l'assurai que, si la pluie cessait, toutes choses seraient prtes pour attaquer le ravelin le dimanche suivant : quoi je me prparai sans intermission, bien que ce ne fut mon avis de lÕattaquer de la sorte.
Le lendemain dimanche 2me, toutes les choses ncessaires une attaque ne furent pas seulement prtes, mais il y en eut au double. Toutes les avenues pour y aller furent libres, et couvertes contre les ennemis, et tout le matin je fis travailler ce qui nous pouvait manquer, et reconnatre exactement toutes choses. Le rgiment de Navarre tait de garde la tranche. Mr le marchal de Pralain y arriva de bon matin, qui voulut faire bien comprendre aux capitaines ce quÕils avaient faire, et comme, et o ils se devaient loger. Nous menmes avec nous les sieurs Ferron et le Bourdet, capitaines, pour leur montrer, lesquels, comme nous nous vnmes dcouvert tous quatre, une mousquetade donna dans la tte de Ferron et la pera, puis vint donner dans le corps du Bourdet. Ce premier en mourut lÕinstant, et lÕautre deux jours aprs : cÕtaient deux braves hommes.
Mr le Prince arriva tt aprs avec Mr le cardinal de la Valette, Mrs de Chevreuse et dÕEpernon. Je leur montrai lÕordre que jÕavais tabli pour les attaques, et les prparatifs de toutes choses ncessaires cet effet, dont ils furent satisfaits. Mr le Prince me demanda si je ne croyais pas dÕemporter la demie lune. Je lui rpondis que je ne savais pas ce quÕil voulait faire, et sÕil voulait la prendre par assaut, ou pied pied ; sÕil voulait lÕattaquer aprs que les mines auraient jou, ou se loger dessus ou dedans ; que pour moi jÕavais toujours vu beaucoup de difficults en cette affaire, et que jÕy en reconnaissais encore davantage ; que cÕtait une pice forte dÕelle mme, dfendue de deux bastions, puis de la contrescarpe de la ville, et finalement des murailles de la ville. Il me dit lors en colre : Ē Je sais bien que cÕest : puisque vous nÕen avez point donn lÕinvention, vous ne croyez pas qu'elle puisse russir, et vous ne serez pas marri quÕelle ne succde pas. Č Je lui rpondis quÕil avait bien mauvaise opinion de ma prudÕhomie de souhaiter le dsavantage du roi ; quÕil verra dans le succs que je ne mÕy pargnerai pas, que je ferai le devoir dÕun marchal de camp, et lui ferai combattre, sÕil veut, toute son arme par ordre cette pice, jusques ce quÕelle soit emporte ; que du surplus je le remettais Dieu. Aprs quoi les mines tant prtes, on les fit toutes deux jouer, et ensuite attaquer la pice, assavoir : Navarre par celle du flanc et Pimont par la pointe. Mais comme il y avait au-devant une palissade de poutres sur le haut de la pice, qui nÕtait point tombe par les mines, et que ceux qui se logeaient auprs taient vus de vingt endroits et tus ou blesss lÕinstant, nous y perdmes force gens et y fmes peu de fruit, les mines nÕayant pas fait lÕouverture que nous nous promettions. Mr le Prince mÕenvoya qurir et me dit qu' son avis tout allait bien, car il voyait nos gens aller bravement lÕattaque ; et moi je lui dis quÕ mon avis tout allait mal, et que le meilleur serait de terminer promptement cette besogne en la cessant. Sur cela on ramena le sergent de bataille, nomm le Plessis, qui une mousquetade avait crev un Ļil ; puis ensuite du ct de Navarre, Roquelaure, Serans et Frenel, ces deux derniers, capitaines audit rgiment, furent tus. Mr le Prince me renvoya encore qurir parce que je voulais secourir mon compagnon Valanai qui faisait donner ; il me dit quÕil lui semblait encore que tout allait bien : Ē Et moi trs mal, lui rpondis-je ; car tout ce qui ne se commence pas bien nÕa jamais bonne issue. Vous voyez que les ntres se logent dans la courtine, quÕils sont vus de tous cts, quÕ la moindre mine que les ennemis feront de sortir sur eux, ils lcheront le pied, et peut tre le feront quand et quand quitter ceux qui les soutiennent. Č
Je fus mon regret prophte ; car l'heure mme les ennemis sortirent par lÕeffet de la mine du flanc, et les ntres quittrent la place : ceux-mmes de lÕattaque de la pointe du ravelin en firent autant. Lors, jÕy courus et trouvai que Mr dÕEpernon marchait avec quelque trente gentilshommes lÕpe la main : un dÕeux qui tenait un pistolet haut contre moi le dbanda, et il me pera le bord de mon chapeau dÕune balle. Je pris cinquante hommes de Pimont et quelque quinze gentilshommes, et allai la tte baisse aux ennemis que nous rechassmes dans le ravelin dÕabord. Aussi nÕtaient-ils quÕenviron vingt hommes sortis, qui ne laissrent de donner lÕpouvante de telle sorte que lÕon envoya qurir le rgiment des gardes : mais ce fut sans sÕen aider ni en avoir besoin. Tout le mal quÕils nous firent fut de mettre le feu en une tranche faite de pipes, qui fut teint peu aprs, et ce quÕils en avaient dtruit, raccommod. Nous fmes retirer nos gens, raccommoder nos tranches, et les gardes qui y devaient cette nuit-l entrer, y furent menes par Mr le marchal de Crquy qui tait venu porter au roi des bonnes nouvelles de .... et qui me voulut soulager cette nuit l, voyant que je nÕen avais que trop de besoin.
Le lundi 3me octobre, Mr le Prince fit venir en sa hutte tous les principaux de lÕarme au conseil, o il dit que si lÕon nÕavait pu prendre un chtif ravelin, que lÕon prendrait bien moins Montpellier, et quÕil nous avait fait assembler pour rsoudre ce que nous devions faire. Ceux qui il demanda ce conseil les premiers lui dirent quÕil fallait faire de nouvelles mines et quÕaussitt quÕelles auraient jou, il y fallait aller par assaut et non par logement, et que nous lÕemporterions infailliblement. Le Meine opinitrait cette mme opinion, et rpondait que la ville tait prise si ce ravelin tait nous. Je dis lors Mr le Prince que, sÕil ne tenait quÕ ce ravelin quÕil ne ft matre de Montpellier, je lui en rpondais sur ma vie dans quatre jours, et que sÕil mÕet voulu croire et la plupart de ces messieurs qui taient l, nous aurions maintenant, non ce petit ravelin, mais un des deux bastions et peut-tre la ville. Mr dÕEpernon lui dit alors : Ē Monsieur, Monsieur, cÕest de ces messieurs ici quÕil se faut fier, et au conseil desquels il faut croire, car cÕest leur mtier, et non ajouter foi et crance ce petit bavard (montrant Chabans), qui nÕy entend rien, et que vous devriez renvoyer jouer du violon, qui est son mtier. Č Chabans lui dit quÕil pensait avoir donn un bon conseil et qu'il le soutiendrait par vives raisons ; mais Mr dÕEpernon lui en dit encore pis, et Mr le Prince lÕayant fait taire, me dit quÕil serait bien aise que jÕentreprisse de me rendre matre du ravelin, mais que je lui dise comme je mÕy voulais prendre. Je lui dis lors :
Ē Monsieur, une des plus essentielles rgles de notre mtier est dÕattaquer les choses par les contraires, ce que jÕexplique en cette sorte quÕune pice haute, comme une tour, un bastion lev, et toute autre chose minente, se doit attaquer par le bas, assavoir par sape et mine ; ou au contraire une pice basse comme est ce ravelin qui ne montre que le nez et nÕest pas deux pieds plus lev que la superficie, il le faut prendre par le haut. Les mines taient excellentes lÕun de ces deux bastions que nous eussions pris dans dix jours parce quÕil nous tait facile dÕen gagner le pied : il nÕen est pas de mme de ce petit ravelin qui est comme enfonc en terre, bien contre-min, et fortifi de tout ce qui se peut pour tre attaqu par bas, comme nous avons fait et nÕy avons rien gagn : mais cela il faut faire un cavalier de six pieds de haut seulement et y loger deux pices ; il faut faire chaque ct de ce cavalier un petit logement pour y faire tirer quatre mousquetaires, et deux avenues pour y monter et descendre : et puisquÕil vous plait savoir comme je prendrai si aisment cette pice, des que mes deux canons y seront logs, je mettrai quatre cents mousquetaires aux deux cts, qui monteront et descendront incessament des deux petits logements et tireront sans intermission dedans le ravelin ; vingt coups de canon lÕauront labour, et bris toutes ces poutres dont il est paliss ; alors jÕaurai cinquante travailleurs qui sans crainte ni pril l'ouvriront depuis la pointe jusques la gorge, et ainsi vous en serez matre. Č
Ds que jÕeus achev, Mr le Prince qui a lÕesprit aussi excellent quÕhomme qui vive me dit : Ē Par Dieu, vous avez raison, et je confesse que par ce moyen il est nous, et que ces messieurs ont la mme opinion. Č Ainsi mon avis fut approuv de tous, et de Mr dÕEpernon particulirement, et Mr le Prince me dit : Ē Je me fais fort de vous faire fournir dans aprs demain trois mille fascines. Č Ē Et moi, lui dis je, de vous fournir trois jours aprs le ravelin. Č
Le mardi 4me il se fit une sortie dix heures du soir sur le rgiment de Picardie au quartier de Mr de Montmorency. JÕtais dans notre tranche, et pris quatre cents hommes que je lui menai en diligence ; mais les ennemis ne se jourent pas de sÕavancer davantage, et Mr de Montmorency mÕen fit mille remerciements, et sÕoffrit la pareille en cas de besoin.
Le vendredi 7me les troupes de monsieur le conntable arrivrent, qui taient quatre mille hommes de pied et trois cents chevaux. Je leur fus donner quartier, et lÕaprs-dner sa personne arriva. Nous fmes au-devant de lui. On lui fit tendre force tentes proche du logis du roi.
Le samedi 8me Mr de Rohan avec les troupes quÕil amenait pour jeter dans Montpellier, sÕapprochrent de nous, et se vinrent loger Fontans et Courconne. Nous fmes avec notre cavalerie au-devant dÕeux, mais ils se retirrent.
Ce mme jour les troupes que le roi avait laisses Mr de Vendme pour prendre les petites places du bas Languedoc, arrivrent, qui pouvaient tre prs de trois mille hommes, et cinq cents chevaux : je leur fus donner dpartement avant que de partir pour aller Fontans.
On commena ce jour-l et la nuit suivante travailler ce petit cavalier.
Avant partir, Mr le Prince mÕenvoya qurir et me dit le dessein quÕil avait de se retirer de lÕarme, fond sur la venue de monsieur le conntable, qui lui en tait le commandement. Il voyait aussi que la paix sÕen allait conclue, de laquelle il nÕavait pas eu la part quÕil et dsir : car, y tant ouvertement contraire, le roi lui en avait cel les pratiques. Je fis ce que je pus pour le persuader de ne sÕloigner pas de la personne du roi, et de rompre ce voyage dÕItalie quÕil mditait ; mais ce fut en vain. Il vint donc demander au roi son cong et le pressa tant de lui donner quÕenfin il lui accorda, et ds le lendemain dimanche matin 9me il partit, de sorte quÕ mon retour de la campagne o jÕavais pass la nuit, je ne le trouvai plus.
Sur les cinq heures du soir les ennemis logs Courconne parurent sur un haut demie lieue au de de Courconne, ce qui fut cause de nous faire tenir sur nos armes toute la nuit.
Le lundi 10me la paix se conclut, et Mr de Rohan men par Mr le marchal de Crquy, et sur sa parole, vint passer par notre camp et entrer huit heures du matin dans Montpellier o il demeura deux jours pour gagner ces peuples recevoir la paix quÕils ne voulaient point avec la condition de recevoir garnison dans leur ville.
Le mercredi 12me je vins le matin au conseil, et me sembla que le roi me faisait moins bon visage que de coutume, et ne me parla point. Il tait au cabinet de ses oiseaux, et peu aprs dit la compagnie quÕils vinssent tenir conseil dans sa chambre, et dit mme Mr le cardinal de la Valette et Mrs de Chevreuse et dÕElbeuf quÕils y vinssent, comme aussi Mr de Vendme qui arriva en mme temps : il y avait monsieur le conntable, Mrs dÕEpernon, de Pralain, de Crquy, de Montmorency ; les marchaux de camp, et les marchaux des logis Descures et É. avec monsieur le garde des sceaux et Mr de Puisieux.
Comme nous entrions, monsieur le garde des sceaux me dit : Ē Je pensais, pour reconnatre les obligations que je vous ai, vous envoyer vos lettres parfumes ; mais le roi me pressa par Beautru quÕil mÕenvoya hier au soir, de les sceller, si extrmement que je nÕen eus pas le loisir. Č Ē Quelles lettres, lui rpondis je ? Č Ē Celles de marchal de France, dont vous allez prter le serment. Č Je fus bien tonn et aussi rjoui de cette nouvelle inopine, et en mme temps le roi dit ces mmes mots :
Ē Messieurs, jÕai intention de reconnatre les bons et grands services que jÕai reus depuis plusieurs annes de Mr de Bassompierre, tant aux guerres que jÕai eues quÕen dÕautres occasions, dÕune charge de marchal de France, croyant quÕil mÕy servira dignement et utilement. Je dsire dÕavoir vos opinions sur cela, pour voir si elles se conforment la mienne. Č
Alors tous dÕune voix me firent lÕhonneur de dire plus de bien de moi quÕil nÕy en avait ; et lors, sans me dire autre chose, il me prit par la main, et sÕtant assis dans sa chaire, me fit mettre genoux et prter le serment, puis me mit le bton la main ensuite, de quoi je lui en fis les trs humbles remerciements dont je me pus aviser. Tous ceux qui taient prsents me vinrent embrasser et se conjouir de ma promotion ; et ensuite tous les corps de lÕarme, tant dÕinfanterie que de cavalerie, vinrent rendre trs humbles grces au roi du choix quÕil avait fait de ma personne, leur premier marchal de camp, pour le faire marchal de France : et ceux de l'artillerie lui ayant demand permission de faire, le soir mme, un salve de tous les canons qui taient en lÕarme, lÕinfanterie en fit de mme pour faire un salve de rjouissance ; et comme il se faisait, le sieur de Calonges gouverneur de Montpellier ayant fait demander la tranche pourquoi ce salve se faisait, et lui en ayant t dit la cause, mÕenvoya mander que ceux de Montpellier ne feraient pas moins que ceux de lÕarme, et y fit faire aussi un salve gnral.
Aussi ce mme soir ils envoyrent au roi lÕentire rsolution de la paix ; et trois jours auparavant nous en avions telle assurance que lÕon nÕavanait rien nos travaux.
Le jeudi 13me Mr de Rohan sortit de Montpellier pour aller porter leur volont aux dputs assembls Ganges pour la rsolution de la paix, o il y avait cette difficult que le roi voulait retenir garnison Montpellier, et que ceux du corps de la ville ne voulaient consentir sinon quÕelle y demeurt autant que le roi y demeurerait, et nÕosaient mme proposer au peuple rien davantage sinon que la seule garde ordinaire du roi y entrerait quand et lui. Enfin il fut dit que le roi la laisserait libre en sÕen allant ; mais Mr de Rohan dit au roi que quand il nÕobserverait pas cet article, bien quÕil ft couch dans le trait de paix, que pour cela les huguenots ne reprendrait pas les armes.
Il ne se passa rien de particulier le vendredi, samedi, ni dimanche.
Le lundi 17me Mr de Rohan rentra dans Montpellier.
Le mardi 18me fut employ en alles et venues jusques au soir, que lÕon rapporta au roi la ratification de ceux de Montpellier, et Mr de Rohan vint voir le roi.
Le mercredi 19me les dputs se vinrent mettre genoux devant le roi, au nom desquels Mr de Calonges parla ; et ayant demand pardon de leur rbellion passe, rendirent grces au roi de celle quÕil leur faisait de leur donner la paix avec la continuation de leurs dits. Ensuite les consuls de la ville de Montpellier en firent de mme. Puis le roi commanda monsieur le conntable de prendre possession de la ville, ce quÕil fit en ordonnant Mr de Crquy et moi dÕy aller tablir les rgiments des gardes, franais et suisses : ce que nous excutmes avec tel ordre quÕil nÕy eut pas la moindre rumeur ni alarme toute la nuit, bien que les soldats trangers qui gardaient la ville fussent sur les bastions, le peuple dans les maisons, et quatre mille Franais et Suisses des gardes du roi dans les rues, carrefours, et places de la ville.
Le jeudi 20me nous fmes sortir tous les soldats trangers et leur donnmes escorte jusques Montferrier, dÕo ils passrent aux Cvennes. Le roi ensuite y fit son entre, et on cantonna les deux rgiments des gardes aussitt que le roi y fut entr. Tout y fut aussi paisible que si jamais la guerre nÕy et t.
Le samedi 22me Rouccelai mourut, et peu avant quÕil passt, il mÕenvoya prier de le venir voir. Il avait le pourpre qui lui tait sorti, qui tait fort contagieux. Je fis ouvrir la porte de Montpellier comme si je fusse all au camp, et lÕallai trouver. Il me confia sa cassette et ses papiers, me priant de faire brler les lettres que je trouverais propres cela, puis mÕembrassa, et soudain mourut. Je me repentis fort dÕy tre all pour la contagion que jÕen apprhendais ; mais enfin je nÕen dis rien, et il nÕen arriva aucun mal.
Le dimanche 23me il se fit procession gnrale par la ville, en laquelle on porta le Saint-Sacrement.
Le lundi 24me, le mardi, et mercredi, fut employ licencier les troupes, tant de pied que de cheval ; ter la reine mre et aux reine, Monsieur, et princes, les compagnies de chevau-lgers qui taient sous leur nom ; et on en retint seulement neuf, de cinquante hommes chacune, qui furent entretenues.
Le mme mercredi on fit entrer dans Montpellier les rgiments de Picardie et de Normandie pour y tenir garnison, avec lesquels le roi laissa Mr de Valanai marchal de camp.
Le jeudi 27me le roi partit de Montpellier et alla coucher Esmargues ; mais Mr dÕEpernon, monsieur le garde des sceaux, et moi, vnmes coucher Aiguemortes chez Varrennes, qui nous en avait pris.
Le vendredi 28me nous dnmes sur le bord du Rhne chez Saint-Romans, et vnmes coucher Arles o le roi arriva le lendemain, et le dimanche 30me il y fit son entre o pour la premire fois je marchai en rang de marchal de France, immdiatement devant lui, la gauche du marchal de Pralain.
Novembre. Ń Le roi sjourna en Arles jusques aprs la Toussaints, quÕil y toucha les malades, et me commanda de mener son arme Privas pour y faire recevoir la paix, ou y mener forte guerre, ensemble pour nettoyer le Rhne de cinq mchants forts que Brison et dÕautres huguenots y avaient construits pour y brigander : et cependant il sÕen alla visiter la Provence et partit dÕArles le mercredi 2me de novembre, et moi jÕy sjournai encore ce jour-l pour laisser acheminer les troupes, et en partis le lendemain 3me pour venir en Avignon o je trouvai Mr de Vendme qui me mena le soir au bal chez madame dÕAmpus sa cousine, o madame de Villars tait loge.
JÕy sjournai le lendemain, et le jour dÕaprs qui fut le samedi 5me je vins au Pont Saint-Esprit, o je fus trs bien reu et trait par Masargues qui en tait gouverneur.
Le dimanche 6me je fis passer lÕarme, le canon, et le bagage, sur le pont, sur lequel je fis mettre quantit de paille afin de ne lÕbranler, et vins coucher Pierrelatte.
Le lundi 7me je vins Montlimar, et le mardi 8me je passai sur le pont de bateaux que lÕon avait fait sur le Rhne proche du Pousin o les dputs de Privas me vinrent porter lÕacceptation de la paix et toute obissance ce que je leur voudrais ordonner de la part du roi. Je leur envoyai le sieur de Clostrevielle pour les y recevoir, et mÕen vins avec dix compagnies des gardes coucher la Voute.
Le mercredi 9me je fis investir Beauchastel qui se mit aussitt ma merci, et Brison mÕayant fait demander un sauf-conduit (que je lui donnai), me vint trouver et me remit Charmes, Soyon et Cornas, que je mis entre les mains des paysans voisins, auxquels je promis de retirer mes troupes de chez eux ds quÕils auraient ras tous ces petits forts ; ce quÕils firent avec une telle diligence quÕ quatre heures du soir il nÕy en demeura aucun vestige, et pus, comme je fis, aller le mme soir repasser le Rhne, et aller coucher Valence o je trouvai Mr de Luon qui avait t nomm cardinal, et qui en allait prendre le bonnet du roi. Je le fus saluer et ayant donn lÕordre pour faire acheminer lÕarme, jÕen partis le lendemain jeudi 10me.
Je vins coucher Vienne dÕo je partis avec Mr le marchal de Saint-Geran que jÕy avais rencontr et vnmes Lyon le lendemain vendredi o Mr dÕAlincourt vint au-devant de nous, nous donna dner, et puis nous mena saluer premirement la reine mre qui logeait Ainay, puis aprs la reine en lÕarchevch, avec qui je trouvai mesdames les princesses de Cond et de Conty, de Chevreuse, de Verneuil et conntable de Montmorency.
Il y eut comdie le soir.
Le samedi 12me mesdames la princesse de Conty et duchesse de Chevreuse (sur la nouvelle qui leur arriva de lÕextrmit de la maladie de Mr le prince de Joinville en Avignon), se mirent sur le Rhne pour s'y acheminer en diligence, et me firent prier dÕy aller afin quÕen cas de mort on pt conserver ses charges en sa maison.
Je demeurai encore tout ce jour-l Lyon, tant pour aller voir les princesses que pour envoyer lÕarme en garnisons, ou la licencier, selon mes ordres ; et le dimanche matin je mÕembarquai et vins coucher Valence, et le jour suivant qui tait le lundi 14me jÕarrivai Avignon o je trouvai Mr de Chevreuse hors de danger.
Le mardi 15me nous y sjournmes en bonne compagnie qui y tait.
Le mercredi 16me le roi y fit son entre. Nous y emes quelque contestation ; car le vice-lgat prtendit de marcher au milieu des deux premiers marchaux de France, et le gnral des armes dÕAvignon aprs le dernier et en rang, ce qui leur fut enfin accord parce que cÕtait sur leur terre.
Le jeudi 17me Mr de Savoie vint trouver le roi en Avignon, qui fut au-devant de lui et le ramena dans la ville, le faisant marcher sa gauche ; et puis tant arriv au palais, le roi commanda Mr le marchal de Crquy et moi de l'emmener au petit palais o il lui avait fait apprter son logis et dfrayer magnifiquement tant quÕil y demeura.
Le vendredi 18me le roi fut our une comdie aux Jsuites, dÕo je sortis malade.
On fit ce soir-l force feux dÕartifices.
Le roi demeura Avignon jusques au lundi 21 quÕil partit pour aller en Dauphin dÕo il sortit tous les huguenots des places qu'ils y tenaient, et obligea monsieur le conntable dÕter des siennes ceux qui y commandaient, qui nÕtaient catholiques.
Je demeurai cependant en Avignon, bien malade du pourpre qui me sortit en abondance, et ne pus me mettre en chemin pour aller trouver le roi que le jeudi premier jour de dcembre, que je partis dÕAvignon et vins coucher Mondragon ; le vendredi Montlimar, puis Valence, et le lundi 5me Vienne, o je trouvai le roi son retour de Dauphin (dcembre), et arriva le mardi 6me Lyon o il demeura avec les reines et princesses, ayant tous les soirs les comdies et le bal jusques au dimanche 11me quÕil y fit une trs magnifique entre, et ensuite eut un festin chez Mr dÕAlaincourt qui lui donna aussi la comdie.
Le lundi 12me le bal se tint encore chez Mr dÕAlaincourt. Puis on fit les noces de Mr de la Valette avec mademoiselle de Verneuil.
Le mardi, et mercredi suivant, il y eut des comdies italiennes et des feux dÕartifices.
Le jeudi 15me le roi fut au devant de Mrs le prince, princesse de Pimont, et prince Tomas, qui vinrent voir le roi.
Le vendredi je fis un raccommodement, avec une matresse.
Le samedi il y eut bal, et le dimanche 18me Mr dÕEpernon fit un grand festin au roi et toute la cour. Puis il y eut comdie, et ensuite des feux dÕartifices. De l le roi dit adieu la reine sa mre, la reine sa femme, madame la princesse de Pimont sa sĻur, puis le lendemain avant jour, lundi 19me dcembre, il partit de Lyon, vint dner la Bresle et coucher Saint-Saforien.
Le mardi 20me il vint dner Roanne, o il pensait sÕembarquer ; mais il trouva la rivire glace, de sorte quÕil fut contraint dÕaller par terre, et vint coucher la Pacaudiere ; le mercredi dner la Palisse, coucher Varanne ; le jeudi au gte Villeneuve, le vendredi dner Maigni et coucher Nevers, o Mr de Nevers le reut magnifiquement.
Le samedi il vint la Charit, et la nuit, qui tait celle de Nol, il fit ses pques o Mr de Chevreuse, et moi, le servmes.
Le roi sjourna le jour de Nol la Charit.
Schomberg y apprit par Mr de Puisieux et moi la mort de sa mre.
Je fis rponse aux jsuites au nom du roi, sur ce quÕils lui demandaient cinq sols pour minot de sel sur les pays de Nivernais, Bourbonnais et Auvergne.
On jugea le diffrend des premiers gentilshommes de la chambre, sur la runion de la place de feu Humires.
La nouvelle vint au roi de la mort du prince de Guymen gouverneur du Maine. Le roi mÕoffrit ce gouvernement, et je lÕeusse bien dsir ; car je nÕen eusse pas voulu un plus grand qui mÕet oblig la rsidence : mais je dis au roi que je tcherais de faire en sorte que lÕon le lout toujours sur mon sujet, et que je recevrais ses grces et bienfaits avec tel intervalle que le roi serait lou de sa bont et moi de ma modestie ; quÕil nÕy avait que deux mois quÕil mÕavait honor de lÕoffice de marchal de France, et que, sÕil me faisait si promptement gouverneur de province, on en parlerait. Mr de Vitry, marchal, le vint trouver sa couche du lendemain lundi 26me Bonny, auquel je conseillai de donner ce gouvernement du Maine condition quÕil quittt Mr du Hallier, son frre, la lieutenance de roi de Brie quÕil possdait : ce quÕil ne voulut accepter, quelque instance que nous lui en fissions, Mr de Puisieux et moi, lequel ensuite me pria de l'assister en la demande quÕil en voulait faire au roi pour Mr le marchal de la Chastre son beau-frre ; il en pria aussi Mr de Schomberg avec lequel il tait alors assez bien en apparence.
Il nÕest hors de propos de dire ici quelque chose sur le sujet de Mr de Schomberg, lequel avait toujours eu une forte liaison avec Mr le Prince, Mr le cardinal de Retz et Mr le garde des sceaux de Vic, et aversion Mr de Puisieux. JÕai dit ci-dessus comme je fus press Moissac dÕabandonner lÕamiti de Mr de Puisieux que ces messieurs voulaient perdre. Mais il se tenait ferme, tant par sa propre industrie, que par lÕinclination du roi, comme aussi par le secret de la paix, quÕil avait lÕexclusion des autres. Mr de Schomberg se rabienna aucunement avec lui Mauricoux, voyant quÕil ne le pouvait abattre, et le pria dÕavoir du roi la permission de traiter de la charge de grand-matre de l'artillerie, ce quÕil obtint par son moyen : Mr de Puisieux aussi lui fit office quand le roi promit lui et moi deux btons de marchaux de France. Mais aprs la mort de Mr le cardinal de Retz, qui avait suivi dÕassez prs celle du garde des sceaux de Vic, il se jeta entirement avec Mr le Prince pour faire Alligre garde des sceaux, bien que Mr de Puisieux lÕet servi obtenir les gouvernements dÕAngoumois et Limousin : alors Mr de Puisieux se porta entirement contre lui. Il advint peu aprs, au commencement du sige de Montpellier, que Mr de Schomberg tomba extrmement malade, et que pendant ce temps-l Mr de Commartin fut fait garde des sceaux, lequel tait son ennemi dclar de longue main, et encore de nouveau pour lÕexclusion quÕil lui avait faite aux sceaux. Ils se joignirent lors, Mr de Puisieux et lui, pour donner sur la malle de Mr de Schomberg, dirent au roi que, pendant qu'il faisait la charge de l'artillerie, il ngligeait celle des finances, et quÕil laissait drober impunment les trsoriers ; quÕil ne lÕentendait pas bien, et que les affaires du roi dprissaient entre ses mains. Le roi est de son naturel susceptible aux mauvais offices que lÕon veut faire aux autres vers lui, et singulirement quand son intrt y est ml, et est bon mnager jusques pencher vers lÕavarice en petites choses, et cependant jamais il nÕy eut roi en France qui ait tant donn, tant dpendu, et par consquent tant tir de son royaume que lui : mais comme il croit extrmement conseil et se fie ceux quÕil a une fois choisis pour lui donner, cela dpend du conseil que lÕon lui donne. Le roi donc s'imprima facilement les rapports que lÕon faisait de lui, contre lequel il sÕanima jusques ce point de dire que sÕil rchappait de sa maladie, quÕil lui fallait ter les finances. Je me souviens quÕun jour, comme il en tait lÕextrmit et que les mdecins en dsespraient, que Mr le garde des sceaux de Commartin me dit chez le roi quÕil tait ncessaire que Mr de Puisieux, lui, et moi, nous puissions parler une bonne heure pour chose qui importait, mais qu'il ne fallait pas que lÕon sÕen apert. Nous primes lÕexpdient de mÕen aller au logis de Mr de Puisieux, qui tait sur le chemin de Mauguio, faisant semblant dÕaller visiter au galop, et seul, une garde cheval que jÕavais de ce ct-l ; et ayant entr dedans, je me fis mener sa chambre : monsieur le garde des sceaux qui avait ramen dans son carrosse Mr de Puisieux, y descendit, feignant avoir quelque affaire encore lui communiquer ; et nous tant enferms tous trois, ils proposrent la mort de Mr de Schomberg comme certaine, et quÕil fallait de bonne heure pourvoir celui qui le devrait succder aux finances, de peur que l'on nÕen insinut dans lÕesprit du roi quelquÕun qui nÕy ft pas propre, ou ne ft pas de nos amis. Mr de Puisieux proposa Mr dÕAlaincourt, et Mr de Fleury, grand matre des eaux et forts de France : moi je nommai Mr de Sully comme personne dj connue et prouve, estim de tout le monde pour le plus suffisant et connaissant en cette charge, et son dfaut je nommai Mr le marquis de Seneai: monsieur le garde des sceaux fut dÕavis de faire six directeurs des finances qui ne pussent rien faire lÕun sans lÕautre, ce qui ferait quÕun seul serait capable dÕempcher les autres quand ils seraient ports drober, et nous pria, cela tant, quÕun sien neveu (quÕil avait fait faire conseiller dÕtat de procureur gnral de la cour des aides quÕil tait auparavant, nomm Tonnellier), pt tre un de ces six par notre moyen, nous assurant de sa probit et dÕune entire suffisance. Nous demeurmes enfin dÕaccord de ces six directeurs, ou faute de ce, de Mr le marquis de Seneay, quÕau gr de tous trois fut jug le plus propos ; que lÕon crirait monsieur le chancelier pour en avoir son avis, et que cependant, si lÕaffaire pressait, on proposerait au roi lÕun de ces deux avis, et quÕen attendant on lui coulerait doucement dans lÕesprit : il se rencontra que, ds que lÕon en parla au roi, il jeta les yeux sur Mr de Seneay, rejetant les six directeurs : monsieur le chancelier trouva bon les six directeurs, croyant que sa grande suffisance et son autorit le rendrait toujours matre par dessus eux, mais en cas dÕunit en la charge, approuva le choix de Mr de Seneai; et ainsi nous nous sparmes. Mais monsieur le garde des sceaux qui voulait mal Mr de Schomberg, le sapa durant sa maladie de telle sorte que le roi pensait lÕter quand il fut guri, et nÕtait retenu que par Mr le Prince qui le soutenait, lequel sÕen alla ds quÕil vit la paix rsolue. Il arriva de surcrot pour hter sa ruine, que le btard du comte Peter Ernest de Mantsfeld mon grand oncle, qui dans la rvolte de la Bohme tait venu avec mille chevaux qu'il avait prcdemment eus au service de Mr de Savoie qui les avait licencis, sÕen vint au service du palatin qui sÕen tait fait couronner roi, qui le mit dans Pilsen, ville de Bohme, o il ramassa les reliques de la bataille de Prague, et en ayant fait un assez grand corps, sÕtait venu saisir de Haguenau, ville impriale sur le Rhin o il amassa une arme contre laquelle le duc de Bavire ayant envoy la sienne commande par le baron dÕAnhold, il le chassa dÕAllemagne et le contraignit de se retirer dans les terres de Sedan : ce qui donna une telle alarme aux Parisiens, voyant le roi occup au sige de Montpellier, que lÕon leva en diligence une arme pour sÕopposer lui (en cas quÕil se voult jeter en France), commande par Mr de Nevers. Mais comme lui prit sa route dans la Flandre, et que le sige de Montpellier continuait, et que le roi ne voulait point tomber en l'inconvnient de lÕanne prcdente que la faute d'hommes lÕavait contraint de lever le sige de Montauban, il manda que de ces gens dj levs on lui envoyt dix mille hommes de pied et huit cents chevaux, pour renouveler son arme, ou pour envoyer en Italie en cas que le trait de Madrid ne sÕeffectut point : et monsieur le chancelier qui avait la superintendance des affaires Paris, en fit donner la charge Mr dÕAngoulme, et celle de marchal de camp La Vieville, qui les amenrent jusques proche de Lyon, dÕo La Vieville fut envoy Montpellier pour avoir les ordres du roi de ce que cette arme aurait faire. La Vieville tait ennemi jur de Mr de Schomberg parce quÕil lui avait ray sur lÕtat de Champagne deux mille cus par an quÕil sÕtait fait donner pour rcompense du gouvernement de Mzires quÕil avait perdu aux premiers troubles, et sachant que Mr de Schomberg chancelait, prit lÕoccasion de le renverser tout fait. Il passa en Bresse, conduisant lÕarme, et proposa Mr le Grand dÕaspirer aux finances, lui disant quÕil avait des moyens infaillibles de dtrner Schomberg, lequel sÕtait guri, mais non pas des plaies que lÕon lui avait faites dans lÕesprit du roi, en sorte que La Vieville fut cout quand il supplia trs humblement le roi, dans Montpellier, de dispenser Beaumarchais son beau-pre dÕentrer au jour de lÕan prochainement venant dans lÕexercice de sa charge de trsorier de l'pargne, attendu que sans son vidente ruine il ne le pouvait faire, vu que Mr de Schomberg avait dpendu par anticipation tout le revenu de Sa Majest de lÕanne prochaine jusques au dernier quartier. Il dit au roi que sÕil nÕtait question que de lÕavance dÕun million dÕor pour faire subsister les affaires de Sa Majest, que Beaumarchais le trouverait sur son crdit et sur celui de ses amis, mais que ses paules nÕtaient pas assez fortes pour soutenir le faix entier de la dpense de lÕanne de son exercice, et quÕil le suppliait mains jointes de lÕen dcharger ; ce quÕil ne ferait sÕil y pouvait voir quelque subsistance, et que ce lui et t un signal profit ; mais quÕil y voyait son assure ruine. Ces propos tonnrent le roi de telle sorte quÕil crut tre ruin, quÕil nÕaurait pas vivre lÕanne prochaine, et quÕil y fallait promptement remdier : il envoya qurir lÕheure mme messieurs le garde des sceaux, Puisieux, et moi, et fit redire La Vieville tout ce quÕil lui avait propos, puis dit ensuite : Ē Il faut ds aujourdÕhui ter les finances Schomberg. Č Monsieur le garde des sceaux lui applaudissait ; La Vieville le fomentait ; Mr de Puisieux parlait ambigument ; moi seul je dis alors au roi :
Ē Sire, vous n'oyez quÕune partie : peut-tre Mr de Schomberg vous fera il voir que vos affaires ne sont pas en lÕtat que lÕon vous dit ; nul nÕen sait le fond que celui qui les manie. Et puis, Sire, quand vous les teriez maintenant des mains de Mr de Schomberg, cela vous donnera-il un plus grand fond quÕil nÕy en a ? Celui qui les prendra vous prtera-il quatre ou cinq millions dÕor que Mr de la Vieville dit qui vous font besoin ? Au pis aller vous trouverez toujours plus de crdit sur la parole dÕun chef des finances invtr que dessus un nouveau venu qui fera son arrive fermer toutes les bourses des partisans jusques ce quÕils aient reconnu de quel bois il se chauffe. Finalement, Sire, je conseille Votre Majest dÕattendre jusques ce que vous soyez Lyon, et l vous en dlibrerez avec la reine votre mre, et vous aurez l prsent le marquis de Seneai pour les tirer dÕune main, et les mettre en lÕautre. Č
Ē Oui, mais, ce dit monsieur le garde des sceaux, cependant les chiens mangent le livre : la nouvelle anne approche, et il faut un trsorier de lÕpargne pour la faire. Č
Je lui rpondis :
Ē Je nÕai jamais ou dire que pour trouver un trsorier de lÕpargne il faille chasser un surintendant, et que pour le chasser Montpellier, vous le trouviez Paris. Donnez-vous patience, claircissez-vous de ce que Mr de la Vieville vous dit, et vous mettez en lieu o vous puissiez excuter les rsolutions que vous aurez prises. Č
Ils me crurent enfin, mais avec beaucoup de peine : et quand ils eurent quitt le roi, je considrai que lÕon nÕamendait jamais pour changer, et que Mr de Schomberg avait bien entretenu les armes ; que lÕargent nÕavait point manqu ; quÕil tait aim des financiers, qui se fiaient en sa parole ; et que monsieur le garde des sceaux, mon bon ami, avait plus dÕanimosit et dÕintrt particulier que de rflexion sur le bien des affaires du roi ; que lÕon nÕaccusait point Mr de Schomberg de larcin, mais de ngligence, et que cette ngligence nÕtait point apparente, mais seulement dans le discours de ceux qui lui voulaient mal ; et me semblait que les finances allaient assez bien, et que, changeant de mains, elles pourraient peut-tre changer en pis. Comme jÕtais sur cette considration, Mr de Puisieux rentra, qui dit au roi comme il venait dÕavoir nouvelles que Mr le marquis de Seneai tait mort Lyon de la blessure quÕil avait eue Royan ; dont jÕeus certes un trs grand dplaisir, comme le roi le tmoigna aussi de son ct : et comme cÕtait celui qui on avait destin les finances, et que nous nÕen avions pas dÕautres la main qui pussent les mieux exercer que Mr de Schomberg (car monsieur le chancelier donnait exclusion formelle Mr de Sully, qui tait autorise prs du roi cause de sa religion), je me confirmai de plus en plus au dessein que jÕavais de maintenir les choses en lÕtat quÕelles taient sans y rien changer : et voyant que je nÕen avais pas un plus assur moyen que dlayant, je fis envers le roi quÕil nÕen parlerait plus jusques Lyon. Mais comme son esprit tait apprhensif et quÕil tait agit par les instances de mes deux amis, ds quÕil fut arriv Arles il remit lÕaffaire sur le tapis, et moi avec plus de violence quÕauparavant, jÕinsistai lui faire suspendre toute rsolution jusques Lyon. Sur cela il mÕenvoya avec son arme en Vivarais, et sÕen alla en Provence, o on le remit encore sur ce discours ; mais parce quÕil me lÕavait promis, il ne voulut rien dire jusques ce que je le revis en Avignon, o il pressa encore et mme se fcha contre moi de ce que je le maintenais trop, et eus peine de le faire supersder jusques Lyon.
Cependant je parlai en Avignon Mr de Schomberg et lui demandai en quel tat taient les finances du roi, si lÕanne prochaine tait mange, et sÕil nÕavait aucun fond pour ce dernier quartier. Mais lui avec une grande assurance me dit quÕil avait de quoi achever cette anne sans toucher sur lÕautre, et quÕil avait huit millions de livres de moyens extraordinaires, outre le revenu du roi, lesquels nÕtaient la foule du peuple ni des particuliers, ni la diminution du revenu de Sa Majest, pour lui faire grassement passer lÕanne prochaine. Je lui demandai sÕil pourrait faire voir cela au roi, et lui en donner un tat. Il me dit que oui, et dans trois jours si je voulais. Alors je lui dis sans lui nommer personne, que lÕon faisait bien entendre le contraire au roi, et quÕil tait ncessaire quÕil lÕen clairct ; ce quÕil mÕassura quÕil ferait, et me remercia de lÕavis que je lui en donnais. Je dis ensuite au roi ce que Schomberg mÕavait dit, qui fut fort rjoui et me commanda dÕavrer si cela tait, et quÕen ce cas il ne le changerait point, et quÕil le tenait bon homme et point larron (ce sont ses mots) ; et Schomberg lui parla deux heures aprs, dont il demeura satisfait, et mÕassura que sÕil lui faisait voir ce quÕil lui avait dit, quÕil le maintiendrait, mais que je nÕen fisse point semblant mes amis. Je tombai malade l-dessus et ne revis le roi qu' Vienne, que le roi me dit que Mr de Schomberg lui avait fait voir ce quÕil disait, et quÕil ne le voulait point changer. Je lui dis lors que, cela tant, il les fallait remettre bien ensemble, Mr de Puisieux et lui premirement, et ensuite monsieur le garde des sceaux et lui ; ce quÕil approuva, et me commanda dÕy travailler. Quand nous fmes Lyon, on le pressa encore pour dsaronner Schomberg, et comme lÕon trouva le roi plus lent que de coutume, il me fut ais de porter Mr de Puisieux lÕaccommodement de lui et de Schomberg qui le dsirait ardemment. Cela russit si bien quÕils sÕen retournrent de compagnie, quÕils vinrent dner ensemble en partant de Lyon chez Mr de Chteauneuf, et quÕayant t rattraps par le roi Roanne, ils sÕen vinrent de compagnie sa suite.
De Bonny le roi fut coucher Nogent le mardi 27me, et le lendemain dner Montargis, et coucher Chteau Landon. L, Mr de Schomberg pria Mr de Puisieux et moi de faire office auprs du roi Mr de Liancourt son gendre, ce que le roi lui permt de rcompenser la charge de premier gentilhomme de la chambre quÕavait Mr de Humieres, ce que le roi lui accorda : et ensuite parce que le roi sÕen allait le lendemain Malserbes pour quelques jours, et que nous nous en allions Paris, nous prmes cong de Sa Majest ; et moi, en la prsence de Mrs de Schomberg et de Puisieux, aprs lÕavoir trs humblement remerci des grces, des honneurs et des privauts quÕil mÕavait faites, je lui demandai aussi pardon dÕen avoir trop privment abus, ce qui avait fait croire que j'aspirais la haute faveur, et oblig Mr le Prince de lui faire prendre garde que je voulais faire ses affaires ; que ce nÕavait jamais t mon dessein, si bien que Sa Majest fit les miennes, et quÕil apparatrait bientt si Õavait t mon intention, car je nÕirais plus entretenir le roi aprs quÕil serait couch, ni ne le verrais que pour lui faire la cour comme les autres, et pour prendre le mot. Le roi me dit quÕau contraire il voulait que je continuasse comme j'avais fait par le pass, et quÕil me voulait faire de plus particulires faveurs que jamais, lesquelles je lui dis que je nÕaccepterais pas.
Ainsi nous partmes le lendemain, Mrs de Chevreuse, de Schomberg, de Puisieux et moi, et le jeudi 29me dcembre, ayant laiss proche de Berni Mr de Puisieux qui fit beaucoup de protestations dÕamiti Mr de Schomberg en se sparant, nous arrivmes Paris.
JÕai dj dit comme Mr de Schomberg avait su la nouvelle de la mort de sa mre, ce qui lÕobligea de ne se montrer personne en arrivant Paris, pour nÕtre encore vtu de deuil, et de nÕy faire sjour que dÕune nuit. tant arriv en son htel, il envoya Mr Mallier trouver monsieur le chancelier qui tait log vis vis, pour le supplier de lÕexcuser sÕil ne lÕallait voir, attendu son accident qui lÕempchait de sortir en lÕtat quÕil tait, et quÕil le verrait son retour de Nanteuil. Il envoya en mme temps Endilly vers Mr le cardinal de la Rochefoucaut (qui par le dcs de celui de Bets avait t fait ministre), lui faire le mme compliment, et moyenner une entrevue aux Rcollets avec lui pour le lendemain, ce que monsieur le chancelier ayant su, crut fermement que Mr de Schomberg nÕtait port de bonne volont pour lui, de lÕavoir ddaign de cette sorte, et me voyant le lendemain, me pria de retirer la parole dont jÕtais dpositaire entre son fils, et lui, et quÕil ne voulait aucune particularit avec Mr de Schomberg.
Janvier.Ń Ainsi nous commenmes lÕanne 1623 notre arrive Paris o le roi fit peu aprs une espce dÕentre en laquelle Monsieur nÕayant voulu souffrir Mr le Comte de marcher avec lui, Mr le Comte en fit de mme avec Mr de Guise, qui se retira. Il arriva aussi que le prvt des marchands prtendit de marcher immdiatement devant le roi, comme nÕtant point une entre, mais un joyeux avnement, de quoi les marchaux de France eurent un tel mpris quÕils ne voulurent pas mme contester, et nous en vnmes sans accompagner le roi qui, ds quÕil fut arriv traita, et conclut peu aprs en fvrier, une ligue offensive et dfensive avec le duc de Savoie et la seigneurie de Venise pour recouvrer la Valteline aux Grisons : et en mme temps le marquis de Mirabel offrit au roi de la part du roi dÕEspagne lÕexcution du trait de Madrid, et que, pour ce qui tait parl de l'tablissement de la religion audit trait, le roi dÕEspagne sÕen remettrait entirement au pape pour le dcider, ce que le roi accepta, et sÕen remit aussi au pape : de sorte que, du ct de dehors nos affaires tant assoupies et du dedans la paix tablie, nos penses et desseins furent tourns dans la cour, et celles de Mr de Schomberg mises en trs mauvais tat parce que Mr de Beaumarchais dit absolument au roi quÕil ne pouvait faire les avances ncessaires sÕil nÕtait assur de son remboursement, et que le fonds ordinaire manquait pour cet effet par le mauvais tat auquel Mr de Schomberg avait mis ses finances ; sur quoi monsieur le chancelier intervenant mit le roi en rsolution dtermine de les lui ter : et afin que le roi ne ft capable dÕen tre dtourn par moi, ils lui firent donner un avis sous main que Mr de Schomberg me devait faire payer mes dettes par les financiers sÕil tait maintenu. Je dis Mr de Schomberg son retour de Nanteuil, ce que monsieur le chancelier mÕavait dit sur son sujet ; et lui, croyant remdier cette affaire, me dit quÕil lui dirait les causes qui lÕavaient mu de ne le vouloir aller voir alors, et se sentit plus assur sur la mort qui arriva en ce temps-l monsieur le garde des sceaux, qui obligea en mme temps monsieur le chancelier dÕen poursuivre la restitution quÕil obtint, et ne se mit pas en peine de songer qui aurait les finances, sÕimaginant que quiconque les aurait dpendrait toujours de lui cause de sa suffisance et grande autorit. Ainsi Mr de Beaumarchais ayant dit au roi quÕil ferait les avances sÕil mettait quelque superintendant dont il fut assur pour son remboursement, et La Vieville lui ayant ouvertement demand la superintendance condition que si dans deux ou trois mois il ne s'en acquittait bien, que lÕon en mt un autre en sa place, avec les brigues quÕil fit cette fin, furent causes que le roi lui donna, et chassa Mr de Schomberg, et en mme temps Mr de Castille contrleur gnral, et les trois intendants des finances, desquels le prsident de Chevry fut peu aprs rtabli.
Peu aprs Mr de Schomberg se battit contre le comte de Candale qui le fit appeler sur le sujet du gouvernement dÕAngoulme qui tait lui prcdemment en survivance.
Ė ce commencement La Vieville ne fut point du conseil troit, et faisant chacun bon accueil fut tenu, sinon en estime, au moins en souffrance. Mais peu de jours se passrent sans quÕil se mt cabaler, premirement pour chasser Mrs de Sillery, chancelier, et Puisieux, ses bienfaiteurs, puis aussi tous ceux quÕil voyait approcher le roi, et moi particulirement, qui ne manquai pas de faire voir son dessein monsieur le chancelier ; mais il le mprisait de telle sorte quÕil nÕen fit jamais cas.
Mars. Ń En ce temps-l Mr de Montmorency qui souffrait impatiemment que madame la conntable sa belle-mre, qui ( ce quÕelle disait), avait accept la charge de dame dÕhonneur de la reine condition quÕil nÕy aurait point de surintendante par dessus elle, y et vu tablir madame de Luynes, lors duchesse de Chevreuse, en fit sa plainte au roi, et demanda que le roi veuille commettre quelquÕun pour connatre des droits de sa belle-mre, pour puis aprs en faire le rapport en son conseil, pour y ordonner ce que de raison. Mr de Chevreuse qui ne devait jamais mettre la charge de sa femme en compromis, consentit (mai) dÕen laisser agiter la cause sur l'assurance que Mr de Puisieux lui donna quÕil ne lui serait fait aucun tort en cette affaire, et mit ses papiers (juin) s mains de Mr de Chteauneuf que le roi y avait commis pour instruire lÕaffaire et la rapporter au conseil.
Juillet. Ń Cependant ils sollicitrent lÕun et lÕautre trs fort, et fus pri des deux cts dÕy employer mon esprit et mon petit pouvoir en leur faveur (aot, septembre, octobre). Mais tant trs affectionn lÕune et lÕautre maison, et particulier serviteur de mesdames les princesses de Cond et de Conty qui en faisaient leur propre, jÕobtins dÕeux et dÕelles que je ne me mlerais de cette affaire qui enfin se termina vers la fin de lÕautomne (novembre) Saint-Germain, en sorte que lÕune et lÕautre furent prives de leurs charges, contre lÕopinion de Mr de Puisieux qui vit bien ds ce jour-l sa ruine prochaine, mais par vanit la voulait celer ses amis pour ne se dcrditer vers eux : et mÕayant demand ce quÕil me semblait de l'arrt qui venait dÕtre donn, je lui dis quÕil me semblait que cÕtait le pire que lÕon et su donner, attendu que toutes les deux parties taient offenses, et que le juge (qui tait le roi), en serait condamn aux dpens. Il me dit lors quÕil nÕen coterait rien au roi ; et moi je lui rpliquai quÕil le payerait plus cher que sÕil lÕet achet de gr gr, et que, pour ne mcontenter deux si grandes maisons comme celle de Lorraine, et de Montmorency, il le devait faire ; autrement il tait craindre, vu le mauvais tat o la France tait et lÕincertitude de la paix avec les huguenots qui demandaient instamment la dmolition du Fort-Louis, que le roi dans quelque temps ne ft oblig de rtablir par un trait de paix ce quÕil avait prsentement dtruit. Je pensais dire cela un ami particulier et en forme de discours ; mais Mr de Puisieux, pour faire le bon valet, lÕalla redire au roi, et le roi La Vieville qui, bien aise dÕavoir trouv lÕoccasion de me nuire, dit au roi que ces propos taient criminels, mritaient la Bastille, ou pis ; de sorte que le roi mÕen fit la mine et fut huit jours sans me parler, jusques ce que, sÕtant plaint de moi Mr le cardinal de la Rochefoucaut et au pre Siguirani, ils me le dirent et firent ma paix avec lui.
Janvier.Ń Ainsi finit lÕanne mille six cents vingt et trois, et le commencement de celle de 1624 fut employ retirer les sceaux des mains de monsieur le chancelier, lequel voyant sa fortune abattue et que ses ennemis prvalaient sur lui, les rendit au roi avant quÕil les demandt, et se coucha de peur dÕtre port par terre. Mais ce fut en vain ; car La Vieville appuy par dÕautres personnes puissantes, et particulirement de la reine mre qui sÕtait remise en troite intelligence avec le roi son fils, firent donner cong (fvrier) monsieur le chancelier et Mr de Puisieux, auxquels le roi crivit le dimanche 4me de fvrier quÕils eussent se retirer une de leurs maisons hors de Paris, ce quÕils firent le lendemain. Par ce moyen La Vieville fut en suprme faveur et ds lors pratiqua ouvertement ma ruine, ne mÕayant pu ployer quitter mes amis, comme il mÕen fit instamment supplier avant Nol prcdent et de me lier lui dÕune troite amiti.
Le roi en mme temps donna les sceaux Mr dÕAlligre, lequel je ne laissai dÕaller voir bien que je susse quÕil ne mÕaimait pas, et ce en compagnie de Mrs de Crquy et de Saint-Luc. Il nous fit trs bonne chre, et moi particulirement, de quoi dÕautres qui lÕtaient aussi venus congratuler tant bahis, je leur dis tout haut : Ē Ne vous tonnez pas, Messieurs, de la bonne chre que me fait monsieur le nouveau garde des sceaux ; car je suis cause de ce que le roi les lui a aujourdÕhui mis en main. Č Il me dit lors : Ē Je ne savais pas, Monsieur, vous avoir cette obligation : je vous supplie de me dire comment. Č Ē Monsieur, lui dis-je, sans moi vous ne les eussiez pas eus aujourdÕhui, mais ds lÕanne passe Č ; dont il se prit rire et me dit quÕil tait vrai, mais que jÕavais fait mon devoir ; car nÕen ayant point t sollicit par lui que je ne connaissais gure, jÕtais oblig de faire pour mon ami Mr de Commartin ; puis me dit quÕil me priait de lÕaimer, et quÕil me jurait devant ces messieurs qu'il serait fidlement mon serviteur et mon ami, comme certes il me lÕa depuis tmoign en toutes les occasions qui se sont rencontres.
La foire de Saint-Germain arriva puis aprs, qui fut suivie de deux excellents ballets que nous dansmes avec le roi le premier, et puis la reine, auquel se trouva le comte de Holland qui vint sonder le gu de la part du roi dÕAngleterre, si lÕon voudrait entendre au mariage du prince de Galles son fils avec madame Elisabeth dernire fille de France.
Le carme survint l dessus, auquel La Vieville montra au roi (mars) que je mÕtais fait donner par la connivence du secrtaire de la guerre, qui tait Mr de Puisieux, vingt et quatre mille livres par an dÕentretenement sur les Suisses, qui de droit ne mÕappartenaient pas. Je demandai de remontrer mon droit en plein conseil, ce que je fis devant le roi une aprs-dne, et La Vieville me voulant repartir, je lui lavai bien la tte. Nanmoins mes tats demeurrent en souffrance.
Avril. Ń Le roi alla sur ces entrefaites Compigne o je lui parlai deux fois sur mon affaire ; et ensuite lui ayant demand moyen de lÕentretenir (mai) parce que je savais que La Vieville m'accusait dÕtre pensionnaire d'Espagne, et mme avait fait prendre prisonnier un nomm Lopes, Espagnol qui me hantait, pensant trouver quelque chose contre moi par son moyen, le roi enfin me promit de me parler en particulier ; ce quÕil fit un soir (juin) sur le rempart qui est proche de son cabinet, et le bruit courut quÕil avait parl lors au Mansfeld qui tait venu pour traiter quelque chose avec lui, et tait deux lieues de Compigne. Je lui dis ce que Dieu mÕinspira en faveur de mon innocence et contre la calomnie de La Vieville ; de telle sorte que je demeurai fort bien dans son esprit, et lui trs mal : et pour mieux couvrir notre jeu, le roi voulut que je ne lui parlasse point devant le monde, hormis quand je prendrais le mot, quÕil mÕen pourrait dire deux ou trois, et moi autant lui ; quÕil me ferait mauvais visage ; que je ne montrerais aucune apparence de mÕtre raccommod avec lui, et que, si jÕavais quelque chose lui faire dire, ce serait par lÕorgane de Toiras, de Beaumont ou du chevalier de Souvr. Au reste, ds que jÕeus parl au roi, je ne doutai plus de la ruine entire de La Vieville.
Mr le cardinal de Richelieu quelques jours auparavant avait t mis au conseil troit, qui me promit en mme temps amiti, et que La Vieville ne me pourrait nuire devant lui, comme aussi firent le garde des sceaux, et monsieur le conntable. Mais ce dernier eut toujours opinion quÕil serait assez puissant pour me faire mettre la Bastille, dont il mÕavertit plusieurs fois, et entre autres, au sortir du conseil, un matin (juillet) que La Vieville avait fort insist vers le roi pour me faire arrter, disant qu'il avait une lettre dÕun nomm Le Doux matre des requtes, quÕil montra, dans laquelle il lui mandait que dans les papiers de Lopes il avait trouv quÕun certain Espagnol nomm Guadamiciles m'avait fourni quarante mille francs, et tait vrai quÕil avait trouv dans son livre de raison ces mots : Al sr mal de Bassompierre por guadamiciles, 40000 Ms, qui tait deux cents cus pour des tapisseries de cuir dor, ainsi nommes en espagnol. Tous conclurent quÕil fallait savoir qui tait ce Guadamiciles, le faire prendre, et ensuite moi si c'tait un banquier espagnol qui mÕeut donn cet argent. Monsieur le conntable m'envoya qurir, me pria de mÕen aller hors de France pour quelque temps, afin dÕviter ma ruine qui tait certaine, mÕoffrit mme dix mille cus si jÕavais faute dÕargent. Je le remerciai trs humblement de son avis et de son offre, et lui dis quÕil le devrait donner La Vieville, qui serait ruin dans un mois, et non pas moi. Ce bon homme sÕefforait de me persuader de cder la violence prsente ; et moi (qui en savais plus que je ne lui en disais), lÕassurai que jÕtais aussi affermi que La Vieville tait chancelant. Nanmoins le lendemain il eut la puissance de faire chasser le colonel dÕOrnano dÕauprs de Monsieur frre du roi, ce qui fit que monsieur le conntable me pressa de nouveau de mÕen aller ; mais je l'assurai encore de ma sret, et de lÕentire ruine de La Vieville.
En ce temps-l le comte de Carlile arriva ambassadeur extraordinaire du roi Jaques de la Grand Bretagne, auquel le comte de Holland fut adjoint pour traiter le mariage dÕAngleterre ; et La Vieville faisant semblant dÕtre mal avec eux, sÕy tait accommod, en sorte quÕils firent une brigue pour retirer de lÕambassade dÕAngleterre le comte de Tillires mon beau-frre qui y tait ambassadeur et y envoyer sa place Effiat qui tait trs grand ami du comte de Carlile, ce que La Vieville, quoique dj disgraci dans lÕesprit du roi et de la reine sa mre, nÕeut pas peine dÕobtenir, cause dÕune lettre quÕil avait crite, par laquelle il mandait au roi que la reine sa mre son dsu faisait traiter en Angleterre le mariage de madame sa sĻur par personnes interposes, ce qui avait fort offens la reine mre.
Sur ces entrefaites le roi partit de Compigne et vint chasser proche de Monceaux o tait la reine mre, en un lieu nomm Germini. L fut confirme la rsolution de la ruine de La Vieville, dont le roi me fit lÕhonneur de mÕenvoyer donner avis par Toiras ; mais ledit Toiras en arrivant Paris fut appel en duel par le frre du procureur gnral nomm le Bern, ce qui fut cause que je nÕen sus rien que deux jours aprs, quÕtant avec grande compagnie chez moi dner, le roi mÕenvoya dire que sans faute je fusse le lendemain de bonne heure Saint-Germain o il devait se rendre, comme nous fmes, Mr de Bellegarde et moi. Le roi nous fit fort bonne chre en arrivant ; et comme dans la galerie de la reine sa femme, au petit chteau, il se promenait entre Mr de Bellegarde et moi, La Vieville arriva, qui fut fort tonn de cette inespre privaut quÕil me vit avoir avec le roi, qui nous quitta lÕheure mme pour aller parler lui ; et moi je vins saluer le marchal de Vitry qui tait venu avec La Vieville, lequel me dit quÕil tait en peine de voir son beau-frre et moi si mal ensemble, et quÕil nous voulait accommoder, auquel je rpondis : Ē Comment m'y accommoderais-je astheure quÕil sÕen va ruin, puisque je ne lÕai pas voulu faire quand il avait la toute-puissance ? Č Ē Comment, ruin ? Č me dit-il. Ē Oui, ruin, lui rpondis-je, et ne vous fiez jamais en moi si dans quinze jours il est surintendant des finances. Č Sur cela le roi sÕapprocha de nous, et La Vieville de son beau-frre qui lui dit ce que je lui venais de dire, et lui aussitt lÕalla rapporter au roi qui lÕassura quÕil nÕen tait rien, et que ce serait plutt moi que lui. Le roi ensuite se fcha moi de mon discours avec le marchal de Vitry ; mais je lui dis quÕ un homme qui depuis une anne mÕavait tant fait de peine, ce serait trop peu quÕil ne sentt le sien quÕ lÕheure mme quÕil lui arriverait, et que je lui voulais faire pressentir et goter mme auparavant quÕil lui arrivt.
Cinq ou six jours aprs le roi m'envoya qurir en son conseil et me dit (La Vieville prsent, qui en fut bien tonn parce que lÕon ne lui en avait point parl auparavant), que sÕtant soigneusement fait informer si les appointements qui mÕtaient contests et qui taient tenus en souffrance, mÕappartenaient de droit, ou non, quÕil avait reconnu que je les devais avoir et par consquent me les rtablissait ; puis sÕadressant La Vieville, lui dit : Ē Et je veux que vous lui fassiez payer, et ds demain ce qui lui en est d du pass, et le courant lors quÕil cherra. Č Il ne rpondit pas un mot et fit seulement la rvrence dÕacquiescement. Messieurs du conseil troit sÕen vinrent devant lui conjouir avec moi, et le roi me fit mille bonnes chres. La Vieville vit bien alors quÕil tait sur le penchant et commena dire au roi quÕil se voulait dmettre de sa charge ; mais le roi lui donna de bonnes esprances.
Deux jours aprs je demandai au roi que, lorsque La Vieville sortirait des finances, il me ft permis de le mettre en parlement sur ce quÕil mÕavait accus Sa Majest dÕtre pensionnaire dÕEspagne, et qu'il plt Sa Majest de me donner acte de lÕaccusation quÕil lui en avait faite afin de lui en faire faire telle rparation ou chtiment quÕil serait jug par ladite cour ; mais le roi mÕassura quÕil lÕen chtierait assez lui-mme en le chassant honteusement de ses affaires et le mettant en prison, mais que je nÕen parlasse pas.
Le lendemain le roi alla lÕaprs-dner voir la reine sa mre Ruel, et La Vieville ayant eu le vent de ce qui se prparait contre lui troussa bagage et vint, en sÕen retournant Paris, remettre s mains du roi sa charge de surintendant et la place qu'il avait au conseil, lui disant quÕil ne voulait plus retourner Saint-Germain. Le roi lui dit quÕil ne le devait point faire, et qu'il ne se mt en peine de rien : il lui promit aussi quÕil lui donnerait son cong de sa propre bouche, et quÕil lui permettrait de venir prendre cong de lui quand cela serait ; ce qui fit quÕil sÕen retourna en assurance Saint-Germain. Mais le soir, comme il se faisait un charivari en la basse cour pour un officier du commun qui avait pous une veuve, Monsieur, frre du roi, qui lÕout, manda quÕil sÕen vnt dans la cour du chteau pour le voir, ce que tous ces marmitons, et autres, firent avec des poles quÕils frappaient. Quand La Vieville entendit ce bruit, il le prit pour lui, et envoya dire Mr le cardinal de Richelieu que lÕon le venait assassiner. Monsieur le cardinal monta en sa chambre et le rassura. Mais le lendemain matin le roi lÕayant envoy qurir en son conseil, il lui dit que, ainsi quÕil lui avait promis, il lui disait lui-mme quÕil ne se voulait plus servir de lui, et quÕil lui permettait de lui dire adieu. Puis en sortant, Mr de Tremes le fit prisonnier, et peu aprs un carrosse et les mousquetaires cheval du roi vinrent, qui l'emmenrent au chteau dÕAmboise dÕo il se sauva un an aprs.
Le colonel dÕOrnano qui avait de sa franche volont mieux aim tre men prisonnier au chteau de Caen que de se retirer en Provence (o lÕon le voulait renvoyer), fut rappel auprs de Monsieur avec plus dÕautorit que jamais. Mr de Schomberg qui tait relgu en Angoulme, fut remis dans le conseil troit, et les finances furent donnes entre les mains de trois directeurs, savoir Mrs de Marillac, de Champigny, et procureur gnral Mol. Mais parce que lÕon voulait que ce dernier se dft de sa charge de procureur gnral qui tait incompatible avec celle des finances, il sÕen excusa.
Quelque temps auparavant Monsieur avait commenc de rechercher Madelle de Montpensier avec plus de soin que de coutume, et demandait de la voir les soirs, qu'il faisait faire assemble le plus souvent chez madame la princesse de Conty. Cela mit en ombrage ceux qui la perfection de ce mariage nÕet t utile, qui tchrent dÕy embarquer dÕautres pour rompre ce dessein : on mit en tte la reine que, si Monsieur se mariait et quÕil et des enfants, on la mpriserait ; madame la Princesse, que cela reculerait bien ses enfants de la grande succession ; aux mulateurs de la maison de Lorraine, que par ce mariage elle serait leve au dessus dÕeux : on dit mme au roi que, si Monsieur avait des enfants, et qu'il nÕen et point, il serait grandement regard et respect son prjudice ; de sorte quÕen peu de temps il y eut de grandes brigues pour dtourner ces grandes frquentations. Madame la Princesse me fit lÕhonneur de me demander mon avis sur le personnage qu'elle devait jouer en cette comdie, et je lui dis quÕelle avait deux grandes affaires sur les bras : lÕune, le retour en cour de monsieur son mari ; lÕautre, dÕempcher, ou de retarder le plus quÕelle pourrait, le mariage de Monsieur ; que pour le premier, en cette conjoncture du chassement de La Vieville, il y pourrait avoir quelque jour, vu que la puissance de la reine mre nÕtait pas encore parfaitement rtablie, et que celle de monsieur le cardinal nÕtait pas tablie ; qu'il fallait se remettre, commettre et lier entirement eux, qui peut-tre seraient bien aises dÕobliger Mr le Prince et de lÕattacher leurs intrts ; et quÕelle devait en ce point o taient les choses, remuer toutes sortes de pierres cet effet, que peut-tre il pourrait russir : quant lÕaffaire du mariage de Monsieur, elle ne le pourrait pas empcher ouvertement ; mais quÕil y avait un moyen de le retarder, qui pourrait peut-tre trouver celui de le rompre, qui tait quÕelle et monsieur son mari montrassent ouvertement de le dsirer, mais quÕil fallait que leur feinte ne ft sue ni connue que dÕelle et de lui ; qu'ils devaient tromper leurs proches et leurs serviteurs en leur conviant de procurer tout ce quÕils pourraient pour lÕaccomplissement du mariage : cela devaient-ils dire Mr de Montmorency, madame la Princesse mre, Vignier, et autres leurs plus confidents, se mettre dans lÕaffaire entirement, y convier Monsieur, assister madame de Guise et Madelle de Montpensier, enfin ne laisser aucune chose en arrire qui pt favoriser ce dessein ; duquel il arriverait plusieurs bonnes choses sans en pouvoir produire aucune mauvaise : car toutes les brigues quÕils feraient en faveur du mariage nÕy avanceraient rien sÕil nÕtait en sa maturit, comme tout ce quÕils pourraient faire contre ne lÕempcherait pas si le roi et la reine mre taient dÕaccord sur ce sujet ; l o au contraire ils sÕobligeaient ternellement la maison de Guise, ils sÕacquerraient bruit de probit dans le monde, de favoriser pour le bien de lÕtat une affaire qui leur tait si prjudiciable ; que Monsieur leur en saurait gr, et que ceux qui y faisaient contre en seraient dÕautant plus rveills, voyant Mr le Prince dclar en faveur du mariage ; que les seuls propos de madame la Princesse sur ce sujet devaient tre que ce serait bien le plus avantageux pour eux que Monsieur ne se marit pas, mais puisquÕen toutes faons cela ne se pouvait empcher, quÕils devaient dsirer que ce ft Madelle de Montpensier plutt quÕ toute autre, qui tait sĻur de Mr le prince de Joinville son beau fils ; que par ce moyen cela les unissait avec Monsieur et nÕen faisait quasi quÕune mme famille, et que cÕtait la chose quÕelle dsirait le plus : ces propos donneraient toffe la partie contraire de remontrer au roi et lui donner jalousie de cette trop grande association, que ce serait rendre trop grand Monsieur, jetant entre ses bras les restes de la Ligue et la cabale de Mr le Prince, qui, ce faisant, sÕtrangeraient du roi et se joindraient son frre, puissant outre cela par un nombre dÕenfants successeurs de la couronne par le manque dÕenfants du roi.
Madame la Princesse prit trs bien mon conseil et le mit en mme temps en pratique. Elle venait tous les soirs chez madame la princesse de Conty o se faisait lÕassemble, et montra tellement un chacun de favoriser cette recherche quÕil fut ais au roi dÕen prendre ombrage et de commander au colonel de tcher de rompre cette pratique, comme il fit : et madame la Princesse trouva que mon conseil lui avait t profitable, et sÕen alla trouver monsieur son mari en Berry (novembre), joyeuse dÕavoir subtilement fait avorter cette recherche, et fche du sujet de son voyage, caus sur la maladie de monsieur son fils : et le roi revint Paris peu aprs (dcembre), o il y finit lÕanne 1624 pendant laquelle on avait fait plusieurs pratiques pour faire porter le roi dÕEspagne la restitution de la Valteline quÕil avait en apparence rsigne entre les mains du pape ; mais en effet ils sÕentendaient ensemble et ne la voulaient rendre. Pour ce sujet la ligue arrte prs de deux annes auparavant entre le roi, les Vnitiens, et le duc de Savoie, rsolut de la ravoir force ouverte et de faire la guerre au roi dÕEspagne qui en tait injuste dtenteur. Le roi dÕAngleterre dÕun autre ct pressait le roi de faire ligue offensive et dfensive avec lui contre le roi dÕEspagne. Les princes spolis dÕAllemagne demandaient aussi que le roi se voult joindre eux avec les rois de Sude et de Danemark desquels ils taient dj assurs pour leur rtablissement : et les Hollandais finalement sollicitaient le roi de prendre sa bonne part en la conqute des Pays-Bas, qui serait infaillible sÕil se voulait joindre avec tant dÕautres forces ennemies de lÕEspagnol. Le roi nÕen avait que trop de sujet et avait bonne volont de mener les mains : mais il considrait quÕil mettait le feu par toute la chrtient en ce faisant, et se rsolut seulement dÕentreprendre avec la ligue dÕItalie la restitution de la Valteline, et le duch de Milan si on lui rsistait.
Janvier.Ń Ė cet effet il avait envoy une arme sous monsieur le conntable en Italie, et avec quelques troupes franaises et suisses quÕil fit passer aux Grisons sous la charge du marquis de CĻuvres, son ambassadeur extraordinaire en Suisse, il assista les Grisons au commencement de lÕanne 1625 reprendre la Valteline dont ils avaient t depuis quatre annes spolis, et y russit de telle sorte que sans aucune rsistance tout ce qui avait t usurp fut reconquis. On ngligea de mettre garnison Rives de Chiavennes o les Espagnols se vinrent quelques jours aprs fortifier, et lÕont conserve jusques la paix.
DÕun autre ct, les huguenots de la France souffraient impatiemment quÕun fort construit par Mr le comte de Soissons en lÕanne 1622 subsistt mille pas de la Rochelle, vu quÕil avait t port par les articles de la paix quÕil serait dmoli. Ils voyaient nanmoins que les projets du roi taient avantageux pour leur religion, et que le roi le ferait dmolir dans quelque temps, comme il et fait si ils lui eussent demand lorsquÕil eut t embarqu la guerre quÕil projetait. Mais eux, impatients de le faire raser, nÕen voulurent attendre le temps, et en ayant en vain importunment press le roi, se rsolurent faire quelque noble reprsailles, afin que, rendant ce quÕils auraient pris, on leur rendt leur fort. Ė cet effet ceux de la Rochelle armrent quelques vaisseaux dont ils donnrent le commandement Mr de Soubise qui vint Blavet, prit les vaisseaux de Mr de Nevers qui taient fort beaux, et assigrent le fort quÕils ne purent prendre. Mais un vent contraire les ayant accueillis, on eut esprance de les prendre eux-mmes. Mr de Vendme y accourut avec toute la noblesse du pays et ce quÕil put faire dÕinfanterie : mais cause que lÕon souponnait Mr de Vendme de quelque intelligence avec les Rochelais, et que ses ennemis publiaient quÕil les avait fait venir Blavet pour sÕen saisir pour lui, le roi m'y envoya avec de grands pouvoirs, mme de lÕinterdire en cas que je reconnusse quÕil ne marcht pas de bon pied.
Avec ces ordres je partis de Paris le mardi 28me janvier et vins coucher Chartres, puis Orleans, de l Blois, aux Trois Volets, et le samedi 1er de fvrier je vins coucher Angers o je donnai ordre que le rgiment du Plessis de Juign me suivt en diligence et que lÕon tnt prts quatre canons et les munitions ncessaires pour lesdites pices, ce que le commandeur de la Porte qui y commandait fit diligemment excuter.
Le dimanche 2me jÕarrivai Nantes, ayant vu en passant madame la comtesse de Vertus Chantoss. Je fus souper chez Mr de Montbason qui avait dj eu nouvelle de ma venue par Montalant que le roi avait dpch Mr de Vendme pour lÕavertir quÕil mÕenvoyait en Bretagne : il mÕoffrit tous les canons et munitions du chteau de Nantes, et de lever le plus dÕhommes quÕil pourrait.
Le lundi 3me je fus voir madame de Vendme, et ayant achet ou lou trente chevaux tels quels, je vins au Temple coucher, le lendemain la Fert Bernard, puis Vannes, et le jeudi 6me Hannebont o jÕappris que Mr de Soubise avait rompu les filets, et pass hors du port de Blavet malgr le chteau et toutes les choses que lÕon avait opposes son passage ; que de sept grands vaisseaux de Mr de Nevers il en avait emmen les six, assavoir : la Vierge, le Saint-Michel, Saint-Louis, Saint-Jean, Saint-Basile ou le Lion, et la Concorde ; le seul navire nomm Saint-Franois sÕtant embarrass la bouche du port (avec un petit vaisseau de ceux que Mr de Soubise avait amens avec lui), fut donner contre un des ras, qui ferme le port, et furent tous deux pris avec quelque cent ou six-vingt hommes qui taient dedans.
Je ne laissai de m'acheminer le lendemain vendredi 7me au Fort-Louis pour y trouver Mr de Vendme. Mr de Brissac nous y festina : puis nous revnmes par la mare coucher Hannebont.
JÕy sjournai le samedi 8me tant pour renvoyer tous ceux qui venaient au secours du fort, que pour confrer avec Mr de Vendme, lequel tait fort malheureux et peu aim, mais nullement coupable des choses dont on lÕaccusait. Il voulait me mener Rennes, craignant que je n'eusse force choses confrer avec le parlement son dsavantage ; mais moi, pour ne lui donner aucun ombrage, aimai mieux mÕen retourner sur mes pas.
Ainsi nous partmes, Mr le duc de Retz et moi, le dimanche 9me, et vnmes coucher Vannes, le lendemain la Fert-Bernard ; et le mardi 11me, jour de carme-prenant, il sÕen alla Machecou, et moi coucher au Temple, dÕo je mÕen vins le jour des Cendres Nantes chez Mr de Montbason.
Je fus prendre cong de madame de Vendme, et le jeudi 13me nous vnmes coucher chez le comte de Vertus Chantoss, Mr de Montbason et moi.
Je le quittai le lendemain et vins dner Angers, coucher Saumur ; puis coucher Blois ; le lendemain dimanche 16me dner chez Mr le comte de Saint-Paul Orlans, coucher Touri ; et le lundi 17me je mÕen vins Paris rendre compte de mon voyage au roi, o je nÕavais fait ni bien, ni mal ; seulement lui assurai-je de la fidlit de Mr de Vendme, dont ses ennemis avaient tch dÕen faire douter Sa Majest.
Mars, avril, mai. Ń Peu de jours aprs arriva la nouvelle de la mort du roi Jacques dÕAngleterre, ce qui ne retarda pas le mariage de son fils avec madame Elisabeth, dont la crmonie fut faite peu aprs Pques. Mr le duc de Chevreuse lÕpousa pour le roi Charles nouveau roi de la Grand Bretagne, dans Notre-Dame Paris, le 11 mai.
Quelques jours ensuite arriva inopinment Mr le duc de Bocquinguem, lequel parut extraordinairement, tant par sa personne, qui tait trs belle, que par ses pierreries et habillements, et sa grande libralit. La reine de la Grand Bretagne ne tarda gure partir ; Mr et madame de Chevreuse ayant lÕordre de la conduire en Angleterre, Mr de Luxembourg, de Bellegarde, et moi, avec Mrs dÕAlaincourt et vicomte de Brigueul emes charge du roi de lÕaccompagner de sa part jusques son embarquement (juin). Le roi la vint conduire jusques Compigne : les reines vinrent avec elle jusques Amiens, et devaient passer outre ; mais la maladie de la reine mre arrta dix jours la compagnie Amiens, et ne permit pas aux dames dÕaller plus avant, et Monsieur, son frre, la mena jusques Boulogne dÕo nous revnmes (aprs lÕavoir mise dans sa berge) trouver les reines Amiens qui sÕen revinrent Paris, et de l Fontainebleau.
JÕai voulu dire tout ce qui concerne le mariage dÕAngleterre avant que de parler de lÕItalie en laquelle monsieur le conntable et Mr le marchal de Crquy entrrent vers le commencement de fvrier avec douze mille hommes de pied et mille chevaux, ainsi quÕil avait t convenu, et sÕtant joints avec lÕarme de Mr de Savoie qui tait plus forte, ils taient sur le point dÕentrer au duch de Milan et ouvrir la guerre au roi dÕEspagne quand le roi leur manda quÕils nÕeussent le faire, vu que ceux de la Religion en France avaient pris les armes en un temps auquel pour leurs intrts particuliers ils le devaient moins faire. Ce fut lors que Mr le cardinal de Richelieu dit sagement au roi que tant quÕil aurait un parti form dans son royaume, il ne pourrait jamais rien entreprendre au-dehors ; quÕil devait songer lÕexterminer avant que de penser autres desseins ; quÕil fallait faire la guerre commence pour la restitution de la Valteline, mais se garder de lÕouvrir avec Espagne ; et puisque son arme tait passe en Italie, il en pouvait assister Mr de Savoie contre Gnes, mais ne se point dclarer contre Milan ; ce qui fut fait : et si Mr de Savoie se ft avanc droit Gnes aprs la dfaite des Gnois Ostage et la prise de Gavi, il l'et infailliblement prise Pques. Mais leur ayant donn loisir de se reconnatre, et le duc de Feria de se mettre en campagne pour la secourir, joint aussi que, les pillages ayant enrichi les soldats de la ligue, une partie se dbanda, et lÕautre tomba malade, ils commencrent songer leur retraite, et le duc de Feria les suivant vers Ast o il fut repouss par les troupes franaises qui y taient, vint assiger Verrue en laquelle Mr de Savoie et Mr de Crquy firent une telle rsistance qu'il y consuma en vain un long temps.
Sur ces entrefaites le pape indign de ce que lÕon avait reconquis la Valteline qui tait en dpt en ses mains, et que lÕon en avait chass ses gens, envoya son neveu le cardinal Barberini, lgat en France, tant pour en faire ses plaintes, que pour moyenner un accommodement aux troubles dÕItalie. Il arriva au temps des noces dÕAngleterre, et fut reu, log et dfray avec les honneurs que lÕon a accoutum de rendre aux lgats ; mais aprs plusieurs confrences, et traits proposs, nÕayant pas trouv son compte, vint Fontainebleau prendre cong du roi, et aussitt aprs, sans attendre que lÕon lui rendt les devoirs accoutums en lÕaccompagnant et dfrayant par la France, partit inopinment, ayant prcdemment refus le prsent du roi, qui envoya qurir les princes et officiers de la couronne avec quelques prsidents de sa cour de parlement, et tint un fameux conseil Fontainebleau sur cet extravagant partement, o il ne fut rsolu autre chose sinon que lÕon le laisserait aller.
En ce mme temps le roi loigna d'auprs de la reine sa femme la dame du Vernet sa dame dÕatour, Ribere son mdecin, et quelques autres domestiques.
LÕempereur fit passer en Italie par les Suisses, qui octroyrent le passage, prs de trente mille Allemands quÕil envoya au duc de Feria, avec lesquels il pressa Verrue, et les troupes de la ligue tant dpries, ils supplirent le roi de les envoyer promptement secourir avec quelque arme. Le roi jeta les yeux sur moi pour mÕen donner la conduite et le commandement, et mÕenvoya qurir en son conseil pour me le proposer. Je parlai au mieux que Dieu me voulut inspirer sur ce sujet, et offris au roi que, sÕil lui plaisait de me donner un des vieux rgiments mon choix, deux des entretenus, et dÕautres nouveaux rgiments jusques faire le nombre de six mille hommes effectifs, avec huit cents chevaux effectifs tels que je les voudrais choisir dans son arme de Champagne, que j'enverrais dans trois jours en Suisse faire tenir prts quatre mille hommes de cette nation que je prendrais en passant Genve ; je lui rpondrais dÕtre dans six semaines Verrue o nous donnerions bataille au duc de Feria, et, sÕil la refusait, que nous ne ferions pas seulement lever ce sige, mais que nous prendrions plusieurs bonnes places dans le Milanais, capables dÕy faire hiverner nos armes. Le roi fut fort satisfait de mon offre quÕil accepta, donna ordre que jÕeusse prt lÕargent de trois montres que jÕavais demand Mr de Marillac chef des finances, lequel nÕexcuta pas seulement cet ordre, mais aussi dpcha le soir mme un courrier en toute diligence son frre pour lui donner avis et Mr dÕAngoulme que lÕon allait ruiner et rompre leur arme de laquelle on me donnait la principale part pour aller en Italie ; sur quoi ils envoyrent en toute diligence (et avant que lÕon et dpch vers eux pour leur mander que lÕon me donnait une partie de leurs troupes) un aide de camp nomm Coutures pour mander au roi comme le comte Henry de Bergue tait six lieues de Metz avec une forte arme sur le point dÕentrer en France, et qu'en mme temps ils avaient eu avis que le colonel Verdugo, qui commandait au Palatinat, venait droit en France ; que Mr dÕAngoulme sÕtait all jeter dans Metz, et il rpondait au roi de la conserver ou dÕy mourir, comme pareillement Mr de Marillac sÕtait mis dans Verdun qu'il dfendrait jusques au dernier soupir ; mais quÕil serait propos quÕil plt au roi leur faire lever en diligence encore quatre rgiments nouveaux et cinq cents chevaux, moyennant quoi ils rpondaient sur leurs ttes dÕempcher que ces deux armes ne pussent faire aucun progrs en France : sur quoi le roi et son conseil, qui prirent cela pour argent comptant, me dirent quÕils ne pouvaient rien tirer de lÕarme de Champagne vers laquelle il tait ncessaire dÕy faire acheminer nouvelles troupes ; et moi, aprs leur avoir fait assez videmment connatre que cÕtait une fourbe controuve plaisir pour faire terniser lÕemploi de ces messieurs et consumer le roi en une inutile dpense, je mÕexcusai et refusai celui que lÕon me voulait donner pour aller au secours dÕItalie avec des troupes quÕil me faudrait lever : sur quoi on se rsolut dÕen lever et de les y faire conduire par un marchal de camp, qui fut Vignoles, qui y arriva aprs que le sige de Verrue se ft lev par la brave rsistance que Mrs de Savoie, Desdiguieres, et Crquy, y firent, et par la maladie qui se prit si furieuse dans ces troupes allemandes que la sixime partie nÕen rchappa pas.
Aot. Ń Ce mme t le roi fit lever une arme de mer, ayant eu quelques vaisseaux des Hollandais : Mr de Montmorency lÕalla commander comme amiral. Toiras fit aussi une entreprise de prendre lÕle de R ; mais Mr de Saint-Luc qui en tait le gouvernement, la voulut commander et avec quantit de petites barques plates ils mirent deux mille hommes dans lÕle, et forcrent ceux qui la gardaient de lÕabandonner, aprs les avoir dfaits. Mr de Soubise se retira en Angleterre ; et en mme temps Mr de Montmorency dfit lÕarme de mer des Rochelais.
Septembre. Ń Le roi fit le jour de sa nativit, qui est la fte de Saint-Cosme, Fontainebleau, auquel il y eut force feux dÕartifices. LÕambassadeur dÕEspagne, qui tait le marquis de Mirabel, tait venu avec la reine chez la reine mre, et me pria que nous vissions les feux en une mme fentre, ce que je fis. Il me dit, quand nous fmes seuls, en espagnol : Ē Et bien, Monsieur le marchal, le lgat est parti sans rien faire : il a bien montr quÕil tait un jeune homme et un nouveau ngociateur ; si le marchal de Bassompierre et eu cette affaire-l en main, elle ne ft pas demeure imparfaite, ni mme une plus difficile. Č Je lui dis quÕil avait fait ce quÕil avait pu selon ses ordres dans lesquels il s'tait contenu, et que jÕy eusse bien t plus empch que lui, qui avait Mrs Baigny, Pamphilio, et Spada, pour le conseiller, qui taient de grands personnages. Il me rpliqua : Ē Il ne fallait point pour vous tous ces gens l. Vous lÕeussiez infailliblement acheve, et si vous voulez, vous lÕachverez encore, et je le vous promets. Č Je lui rpondis : Ē Monsieur, je ne suis pas heureux faire des traits : vous voyez que celui de Madrid, qui est de ma faon, a dj cot vingt millions d'or, pour le rompre ou pour le maintenir, aux parties contractantes. Et puis il ne fait pas bon traiter avec des gens ni pour des gens qui ne tiennent, sÕils ne veulent, ce qu'ils ont promis. Č Il sÕopinitra de me dire que, si je voulais, lui et moi terminerions la paix, et que j'en eusse seulement le pouvoir de mon matre ; que pour lui il l'avait dj du sien. Ė cela je lui dis que je mÕestimerais bien heureux de contribuer ce qui serait de mon talent pour une si bonne et sainte affaire, mais que je ne lui pouvais pour l'heure dire autre chose sinon que, sÕil voulait, je ferais savoir au roi ce quÕil mÕavait dit, et puis je lui rendrais rponse ; quoi il sÕaccorda, et me pria que ce pt tre au plus tt : et ainsi les feux tant finis, nous nous sparmes. La reine mre se retira en son cabinet avec Mr le cardinal de Richelieu, auxquels ayant demand audience je fis rapport de ce que l'ambassadeur d'Espagne mÕavait dit, lesquels trouvrent l'affaire de consquence, me prirent de l'aller dire au roi, feignant de ne leur en avoir point parl, ce que je fis, et le lendemain ils me firent redire toute cette confrence dans le conseil, o il fut rsolu que lÕon me donnerait un ample pouvoir de traiter avec ledit ambassadeur : mais je le refusai si on ne me donnait Mr de Schomberg pour adjoint, ce que lÕon m'accorda. Ainsi je fus rendre rponse lÕambassadeur conforme son dsir, et prmes jour au jour dÕaprs que le roi serait arriv Saint-Germain, pour nous assembler, qui chait cinq jours aprs ; car le lendemain il devait partir de Fontainebleau. Monsieur l'ambassadeur ne manqua pas lÕassignation que nous avions prise par ensemble, et fmes chez Mr de Schomberg plus de quatre heures confrer, non sans grande esprance et apparence de conclure une grande, bonne, et stable pacification entre les deux rois, qui tait avec des conditions tolrables pour nous. Il retourna le lendemain et continumes de telle sorte que nous esprions, la premire sance que nous aurions, de perfectionner notre travail. Mais le jour dÕaprs il s'envoya excuser de venir, sur une maladie qui tait survenue sa femme, et de deux jours ne nous envoya rien dire, pendant lesquels Mr du Fargis envoya un courrier de Madrid par lequel il mandait que le roi dÕEspagne avait eu dessein de faire ngocier la paix en France par son ambassadeur, mais quÕil avait rvoqu le pouvoir quÕil lui avait donn, sans mander les causes qui lÕavaient mu ce subit changement. Sur cela le conseil fut dÕavis que je mÕen allasse Paris, et que sur le prtexte de visiter lÕambassadrice malade, je tchasse de pntrer dÕo lui venait ce silence et ce refroidissement, ce qui ne me fut pas difficile dÕapprendre : car il me fit de grandes plaintes du peu de confiance que nous avions eu en lui qui tait fort port au bien de la France et lÕunion de ces deux couronnes ; que nous en fussions sortis meilleur march que nous ne ferions par le ministre du Fargis qui nÕtait pas assez fin pour tirer des Espagnols plus que lui ne nous avait offert ; et plusieurs autres plaintes quÕil me fit en mme substance, lesquelles je crus quÕil me disait pour couvrir la lgret quÕil avait pratique. Je fis rapport au conseil des propos quÕil mÕavait tenus, qui furent pris de la mme sorte, parce que lÕon nÕavait donn aucun ordre ni pouvoir au Fargis de faire aucune proposition ni dÕen couter.
Sur ces entrefaites arriva la nouvelle la cour comme le baron de Papenheim qui gardait Rives de Chiavennes avec son rgiment d'Allemands avait chass les troupes du roi de Verser et de Campo, les avait dfaites, pris douze canons, et onze barques armes que nous avions sur le lac de Cme, ce qui fcha fort le roi et le conseil. Mais peu de jours aprs le marquis de CĻuvres envoya son secrtaire qui assura que le Papenheim nÕavait pas pass outre, et que les Vnitiens avaient envoy, sous Mr de Candale, des troupes suffisantes pour le repousser.
Nanmoins les serviteurs que le roi avait en Suisse lui mandaient que les affections de ces peuples pour le roi taient fort altres, que plus de vingt-cinq mille Allemands avaient eu passage ouvert par la Suisse pour aller servir l'Espagnol en Italie, et que notre alliance en Suisse sÕen allait dtruite sÕil nÕy tait promptement pourvu ; que le plus sr remde tait de mÕy envoyer, et que par la grande bienveillance que les Suisses me portaient je pourrais tout rtablir. Les Vnitiens et le duc de Savoie firent les mmes offices pour m'y faire envoyer, et y firent acheminer leurs ambassadeurs et rsidents pour se joindre toutes mes pratiques. Le roi pour ce sujet me fora dÕy aller son ambassadeur extraordinaire, ce que je fis par pure obissance ; et lÕon assista mon ambassade de deux cent cinquante mille cus que jÕy portai pour y favoriser ma ngociation : et parce que lÕon tait cette ambassade au marquis de CĻuvres qui la possdait, le roi lui donna la qualit de lieutenant-gnral de son arme en Valteline dont il fut trs content.
Novembre. Ń Je partis donc de Paris avec mon quipage le mardi 18me de novembre de cette anne 1625, et allai coucher Essonne, puis Moret, Sens, Joigny, Auxerre, Noyers, Montbar, Chanseaus o je sjournai un jour et arrivai le 27me Dijon, o je demeurai le lendemain, puis jÕallai loger Jenlis, Aussonne, dÕo jÕen partis le lundi premier jour de dcembre, et passai prs de Dole o les tats du comt de Bourgogne se tenaient lors (dcembre). JÕenvoyai visiter le comte de Chamlite, gouverneur, mon alli et ancien ami, et allai coucher Ranchau, o Mr de Mandre, gouverneur de Besanon, me vint trouver de la part dudit comte pour mÕaccompagner par la province.
J'arrivai le mardi 2me Besanon, o je fus visit par messieurs de la ville, puis des chanoines qui me vinrent offrir de montrer ma considration, extraordinairement, le Saint-Suaire, ce quÕils firent le lendemain, et aprs lÕavoir vu, jÕallai coucher Rolan, puis Clerval, puis Montbeliart, Dele, Valdekaufer, et le lundi 8me jÕentrai en Suisse.
Ceux de la ville de Ble vinrent au devant de moi, et me firent une honorable entre, avec grande quantit de canonnades et plus de mille hommes en armes en fort bel quipage. Le colonel Hessy et une douzaine de capitaines me vinrent trouver sur les confins de Suisse, qui ne mÕabandonnrent jusques mon retour. Le snat en corps me vint saluer, et faire prsent de poisson, de vin et dÕavoine, le plus amplement qui se soit fait personne : puis quelque vingt du snat demeurrent souper avec moi.
Le mardi 9me je fus lÕhtel de ville (o ils taient assembls), saluer la rpublique, et les haranguer. Ils vinrent peu aprs en corps en mon logis me faire rponse, mÕapporter un nouveau prsent de vin et de poisson, puis dner tous avec moi. Aprs dner ils me menrent voir leur arsenal, le cabinet de Platerus, leur glise, et leurs fortifications.
Le mercredi 10me le snat me vint dire adieu, puis dnrent avec moi, de l me firent accompagner, faisant encore tirer quantit de canonnades, et salve dÕinfanterie, ce qui me fut aussi fait par tous les chteaux et villes devant ou dedans lesquels jÕai pass en Suisse.
Je fus coucher Lichetel, puis Vallesteil, et le vendredi 12me dcembre Mr lÕambassadeur Miron vint au-devant de moi. Puis les compagnies suisses du rgiment du colonel Amrin, que jÕavais envoy lever pour aller en France, se mirent en bataille sur mon avenue. De l lÕavoyer de Soleure nomm Mr de Rooll, vint au devant de moi, bien accompagn, qui mÕayant fait une harangue pour se conjouir de mon arrive, et mÕoffrir tout ce qui dpendait de la ville, mÕaccompagna jusques dans Soleure, y ayant quantit dÕinfanterie en armes sur mon avenue, et plusieurs salves de coups de canon.
Je soupai le soir chez Mr lÕambassadeur ordinaire Miron, avec qui je fus tout le lendemain samedi 13me pour confrer de nos affaires.
Mrs de Erlach et dÕAffry me vinrent trouver.
Le dimanche le landammann Zurlaube avec les dputs du canton de Zug, envoys pour me venir saluer de la part de leur canton, arrivrent.
Le rsident de la seigneurie de Venise, nomm Cavazza, que sa rpublique avait ordonn de demeurer prs de moi et suivre en tout les intentions du roi, mÕenvoya visiter et savoir quand il me plairait quÕil vnt me trouver.
Le lundi 15me messieurs de Fribourg mÕenvoyrent saluer par leurs dputs, qui taient l'avoyer Diesbach de Prangin, le lieutenant et le statthalter de leur ville, lesquels dnrent avec moi.
Aprs dner je reus les dputs de Schvitz qui taient le landammann Reding, Offtermr, et Abiberg. Puis le chevalier Beding avec deux autres dputs de lÕabb de Saint-Gall me vinrent saluer de sa part ; ce qui furent des faveurs spciales que tous les cantons ligus et allis me voulurent faire, dÕenvoyer se conjouir de mon arrive par leurs dputs, sans autre commission que de me saluer de leur part.
Le mardi 16me messieurs de Berne mÕenvoyrent saluer par leurs dputs dont lÕavoyer de Graffrier tait le chef.
Mr le nonce apostolique Scapi vque de Campania, mÕenvoya saluer par son auditeur.
Le mercredi 17me messieurs de Soleure, outre la belle rception quÕils mÕavaient faite, me voulurent encore faire saluer en corps par tout leur snat.
Les compagnies dÕUnterwald et de Zug, du rgiment dÕAmrin, passrent pour aller en France.
Le jeudi 18me Mr de Montigni, gouverneur du comt de Neuchtel avec le maire et les dputs de la ville de Neuchtel me vinrent saluer, et apporter les prsents de la ville.
Bussy-Lamet avec sa compagnie passa pour aller en la Valteline.
Il vint aussi, vendredi 19me, un dput des trois Ligues Grises pour me saluer de leur part.
Le samedi 20me le rgiment de Balagni passa pour aller en la Valteline.
Le colonel Amrin arriva, chef des dputs que ceux de Lucerne avaient envoys pour me saluer.
Le dimanche 21me je dpchai un courrier la cour sur une affaire qui tait de mon particulier, assavoir que le roi m'ayant fait son ambassadeur extraordinaire en Suisse, en laquelle les Grisons, les Valaisans et les autres allis sont compris, et mÕayant donn lettres de sa part pour tous ces peuples, laquelle charge dÕambassadeur il avait maintenant te au marquis de CĻuvres, lui donnant celle de lieutenant-gnral en Valteline ; mais comme Mesmin secrtaire dudit marquis eut obtenu cette charge de lieutenant-gnral que son matre dsirait, il vit quÕil tait priv des gages de mille cus par mois qu'il possdait comme ambassadeur extraordinaire ; il remontra que ledit marquis ne pourrait s'entretenir avec de si petits appointements, et supplia que lÕon lui conservt au moins la charge dÕambassadeur extraordinaire aux Grisons qui taient confinant la Valteline, laquelle il ne pourrait bien gouverner sans l'assistance des Grisons, quÕil ne pourrait obtenir sÕil nÕavait cette qualit : on lui accorda aprs mon partement, sans considrer le tort que jÕen recevais ; dont je mÕenvoyai plaindre avec protestation de tout quitter en cas que je nÕen fusse satisfait.
J'envoyai aussi ce mme jour toutes les dpches ncessaires aux cantons et allis pour les convoquer une dite gnrale Soleure pour le 7me de janvier prochain.
Le lundi 22me les compagnies de Lucerne, qui sÕacheminaient en France, passrent.
Le mardi 23me lÕambassadeur extraordinaire de Savoie mÕenvoya visiter, comme aussi le canton dÕUri par ses dputs, lesquels mÕapportrent une ample dclaration en faveur du roi pour la restitution de la Valteline, que jÕavais fait pratiquer mon arrive pour mÕtre donne.
Le mercredi 24me je reus et festinai lesdits dputs avec grand applaudissement, comme ceux qui faisaient une planche aux autres pour un grand bien au service du roi.
Le jeudi 25me, qui fut le jour de Nol, fut donn aux dvotions.
Le vendredi 26me je reus et dpchai lÕordinaire.
Le samedi 27me je confrai tout le jour avec Mr Miron, ambassadeur ordinaire, et Mr de Booll avoyer de Soleure, des moyens de faire faire la mme dclaration son canton que celui dÕUri mÕavait donne.
Ce jour mme le sieur Cavazza, rsident en Suisse de la rpublique de Venise, arriva Soleure pour se joindre toutes les choses que je voudrais entreprendre.
Je fus tout le lendemain confrer avec lui et Mr Miron des choses que nous avions faire, et rsolmes quÕil sÕirait tenir Zurich, avant et durant la dite, pour animer ce canton, qui est le premier, se porter et suivre les volonts du roi et de la ligue.
Ainsi il partit le lendemain lundi 29me, et Mr Miron et moi fmes au conseil de la ville assembl, auquel je haranguai pour les convier de me donner la mme dclaration que ceux dÕUri mÕavaient envoye.
Le soir le comte de la Suse arriva.
Le mardi 30me messieurs de Soleure me vinrent trouver pour mÕapporter la dclaration en la mme forme et teneur que le jour prcdent je leur avais demande.
Mr Miron nous donna ce soir l souper, et le bal ensuite.
Janvier.Ń Le mercredi dernier de dcembre Mr le comte de la Suse sÕen alla, et je finis lÕanne du grand jubil de 1625 pour commencer celle de 1626 le jeudi premier jour de janvier en faisant mes pques selon lÕobligation que jÕen ai comme chevalier du Saint-Esprit.
Le vendredi 2me je fus occup recevoir et dpcher lÕordinaire.
Le samedi 3me monsieur lÕambassadeur ordinaire, et moi, confrmes des affaires que le roi avait en Suisse (desquelles je devais traiter en l'assemble), avec lÕavoyer de Rooll qui en devait tre prsident, et qui avait grand crdit en Suisse.
Le dimanche 4me monsieur lÕambassadeur donna le soir le bal, o je fus.
Le lundi 5me mÕarriva nouvelles des Grisons comme ils avaient dclar quÕils ne voulaient confrer dÕaucunes affaires concernant la France quÕavec moi et quÕils ne reconnatraient (tant que je serais en Suisse) que moi, leur colonel gnral et premier homme du roi ; par consquent quÕils avaient rompu lÕassemble que Mr le marquis de CĻuvres avait fait faire au nom du roi, sans aucune conclusion sinon quÕils avaient rsolu de mÕenvoyer un dput lequel mÕoffrirait de leur part de passer en leurs affaires prsentes par o je trouverais bon.
En ce mme jour mÕarriva le courrier que jÕavais dpch la cour, qui mÕapporta la certitude de ce dont jÕtais en doute, que lÕon mÕet chtr la moiti de ma charge pour la donner au marquis de CĻuvres, dont je fus en telle colre que je voulais tout quitter et mÕen retourner en France. Mais quand je vis que les Grisons me rendaient ce que le roi mÕavait t, et que jÕavais la gloire dÕtre ambassadeur aux Grisons bien que lÕon ne lÕentendt pas, voyant aussi les bons augures que jÕavais de nos affaires, je me rsolus de patienter et de servir.
Nous fmes nos Rois chez moi avec monsieur lÕambassadeur et sa famille.
Le mardi 6me, jour des Rois, je fis un festin solennel, chez monsieur lÕambassadeur, au conseil de Soleure, et aprs y avoir bien bu, le bal sÕy tint.
Le mercredi, jeudi, et vendredi suivant fut employ faire ma proposition, et aviser de tout ce que nous aurions faire la dite prochaine, que jÕavais retarde jusques au 12me, la prire des cantons protestants, qui ont Nol dix jours aprs nous et ensuite lisent leurs magistrats, de sorte quÕen mme temps de l'lection les dputs eussent d partir, ce qui les et bien fort incommods.
Le samedi 10me Mr le nonce Scapi, que jÕavais convi la prochaine dite, y voulut assister, plutt pour nous y nuire quÕaider, et arriva ce jour-l. Monsieur lÕambassadeur et moi, allmes au devant de lui et le conduismes en son logis o jÕenvoyai tous les rafrachissements ncessaires pour son vivre.
Le landammann Zurlaube et Keller arrivrent, comme aussi les dputs des quatre villes protestantes et ceux de Fribourg, auxquels jÕenvoyai des rafrachissements comme tous les autres qui vinrent ensuite.
Le dimanche 11me monsieur le nonce me fit l'honneur devenir dner chez moi en grande compagnie.
Monsieur lÕambassadeur de Savoie, nomm le prsident de Monthou, arriva et me vint saluer. Je le fus voir ensuite, puis le dfrayai jusques son partement.
Le lundi 12me de janvier, qui fut le premier jour de la dite, fut employ par les dputs sÕentresaluer, puis aviser comme ils me viendraient saluer, et rsolurent que toute la dite en corps avec leurs bedeaux devant, et marchant selon leur rang, me viendront faire la rvrence ; qui fut un honneur inusit, et quÕaucun autre avant moi nÕavait reu. Le burgmeister Roon de Zurich porta la parole.
Ce mme jour le dput des Grisons, nomm le burgmeister Mayer, arriva.
Le mardi 13me six dputs vinrent prendre monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi pour nous conduire lÕassemble, en laquelle je portai ma proposition, et les haranguai assez longuement. Puis les mmes dputs me vinrent ramener, et ensuite lÕassemble tant leve, ils me vinrent tous en corps remercier comme ils avaient fait le jour auparavant, et de l nous vnmes tous au festin que je leur avais fait prparer en la maison de ville, o tous les dputs, ambassadeurs, colonels et capitaines, au nombre de 120 personnes, y furent magnifiquement traits, et ensuite autres cinq cents personnes. Nous allmes ensuite chez monsieur l'ambassadeur ordinaire, o le bal se tint.
Le mercredi 14me monsieur le nonce apostolique eut audience des cantons catholiques, en laquelle il dclama tout ce quÕil put contre la France, en intention de dtruire ma ngociation. Il vint ensuite dner chez moi comme il avait de coutume, et avais distribu ainsi mes festins que le dner tait pour monsieur le nonce et les dputs des cantons catholiques qui avaient le matin, avant quÕentrer table, ngoci avec moi : puis lÕaprs-dner les dputs des cantons protestants venaient confrer avec moi sÕils voulaient, et puis y soupaient aussi.
Ce mme jour le doyen de Coire fut admis l'audience, la recommandation de monsieur le nonce, et ensuite le dput des trois Ligues fut ou pour lui contredire.
Le jeudi 15me messieurs les dputs me vinrent apporter en corps la rsolution quÕils avaient prise selon mon intention, pour la restitution de la Valteline, laquelle ils demanderaient aux princes dtenteurs, refusant celui qui nÕy voudrait acquiescer, aide, secours, et passage par leurs terres, se rservant de se dclarer plus amplement contre lui. Je leur fis sur ce sujet le plus ample remerciement quÕil me ft possible, et leur donnai acte de la restitution que le roi tait prt de faire de ce qu'il y dtenait, et mme en leurs mains sÕils sÕen voulaient charger, pour la rendre leurs vrais seigneurs les Grisons. Je fus enfin voir monsieur le nonce qui avait dj su la rsolution premire de la dite, que je trouvai en telle colre quÕil me querella deux ou trois fois.
Le vendredi 16me sur la proposition que monsieur le nonce avait faite deux jours auparavant en lÕassemble des catholiques dputs, je crus tre oblig dÕy repartir pour lÕhonneur et lÕintrt du roi mon matre : ce qui fut cause que jÕenvoyai demander audience pour lÕaprs-dner leur catholique assemble. Mais eux, par un honneur particulier et inusit, s'en vinrent en corps mon logis pour me la donner et recevoir ensemble, et quand et quand mÕapporter leur rsolution particulire et les restrictions quÕils demandaient en lÕabscheid gnral. Je les haranguai bien longuement, et lavai la tte comme il fallait monsieur le nonce, lequel nanmoins ne mÕen fit jamais semblant depuis et le voulut ignorer.
Sur le soir lÕassemble mÕenvoya une dputation pour me remercier de lÕoffre (que le roi leur avait faite par moi), de ses forces, et en rcompense mÕoffrirent quinze mille hommes de leve en leurs cantons. Ensuite monsieur le nonce me vit et se raccommoda avec moi.
Le samedi 17me les dputs catholiques mÕapportrent leur abscheid particulier, et peu aprs les protestants me vinrent apporter le leur.
Le dimanche 18me monsieur le nonce partit le matin en grande colre. Monsieur lÕambassadeur ordinaire, monsieur lÕambassadeur de Savoie, et moi, le fmes accompagner ; puis ensuite je fis festin tous les dputs de la dite. Messieurs de Soleure vinrent faire une danse dÕarmes devant mon logis.
Aprs dner cinq dputs, envoys de lÕassemble ds le jour prcdent, me demandrent audience sur le sujet des dettes du roi en Suisse, et me firent une grande harangue par la bouche de lÕavoyer Graffrier de Berne. Je leur rpondis amplement.
Le soir mon neveu dansa un ballet assez beau chez lÕambassadeur ordinaire, o je menai la plupart des plus honntes dputs. On y dansa par aprs, et puis monsieur lÕambassadeur nous fit une bien belle collation.
Le lundi 19me les dputs catholiques achevrent toutes leurs affaires. LÕavoyer de Rooll me vint trouver sur ce que je ne trouvais leur abscheid en bonne forme ; et me brouillai fort avec lui : mais le mardi 20me il me revint trouver, raccommoda ce qui ne me plaisait pas, et fmes ensuite bons amis.
Mr de Montigni, gouverneur de Neufchtel, arriva, et la plupart des dputs protestants partirent.
Le mercredi 21me le reste des dputs partit. Je fis payer tous gnralement leurs dpens, et en me disant adieu je leur fis donner une anne de la pension de chaque canton, une anne de la distribution de leurs dettes, et une de leurs pensions particulires.
Monsieur lÕambassadeur de Savoie sÕen alla ce jour l m'attendre Berne o je fus convi dÕaller.
JÕemployai le jour et la nuit du jeudi 22me crire, hormis le soir que monsieur lÕambassadeur me fit festin et ensuite le bal.
Le vendredi 23me l'ordinaire vint, et sÕen alla ; et je fus tout le jour faire mes dpches Rome, Venise, et en Valteline.
Le samedi 24me le secrtaire de lÕassemble me vint apporter les abscheids.
Je fis mes amples dpches au roi par Mr du Menil, gendre de lÕambassadeur ordinaire, que jÕy dpchai, lequel partit le lendemain dimanche 25me en mme temps que Malo arriva de la Valteline, et que je mÕen allais Berne.
Les Bernois me firent une magnifique entre, et puis tout le conseil me vint saluer chez moi au nom de la ville qui me fit donner souper par le comte de la Suse.
Le lundi 26me ils me menrent voir leurs fortifications, la fosse aux ours, leur arsenal, leur glise, et la terrasse, puis me vinrent trouver en corps en mon logis pour me mener en leur htel de ville somptueusement prpar pour mÕy faire festin, qui fut fort magnifique : nous tions plus de trois cents personnes table, et y demeurmes tout le jour.
Le mardi 27me je fus dire adieu aux deux avoyers, dont le premier en charge (nomm Graffrier), me fit un superbe djeuner ; lequel, en partant, mÕaccompagna comme il avait fait lÕentre, et les mmes troupes sortirent pour me saluer. Ainsi nous nous en retournmes Soleure, ayant couru grande fortune par les chemins cause des eaux.
Le samedi 31me messieurs de Berne mÕenvoyrent une grande dputation pour me remercier, et le dimanche premier jour de fvrier les dputs de Lucerne mÕapportrent lÕacte de leur dclaration en notre faveur, comme plusieurs autres cantons avaient dj fait.
Fvrier. Ń Le lundi 2me, jour de la Chandeleur, les dputs de Glaris m'apportrent leur acte.
Le mardi 3me les dputs d'Unterwald me le vinrent aussi apporter.
Le mercredi 4me le capitaine Chemit, envoy par le colonel Zumbrun et les capitaines de son rgiment en la Valteline, me vint faire de grandes plaintes du mauvais traitement que Mr le marquis de CĻuvres faisait son rgiment, et mÕapporta lettres du canton dÕUri qui me priait dÕy donner ordre, quÕautrement il serait contraint de le renvoyer. JÕen crivis Mr le marquis de CĻuvres par homme exprs.
Le jeudi 5me Mr l'avoyer de Rooll nous fit un somptueux festin au soir, aprs lequel on dansa.
Le vendredi je reus et dpchai l'ordinaire. Monsieur le rsident de Venise me revint trouver.
Le samedi 7me je fis au soir festin aux dames et aux ambassadeurs ; puis lÕon tint bal en mon logis.
Plusieurs avoyers, landammanns et capitaines des cantons arrivrent Soleure pour me voir, auxquels le lendemain dimanche 8me je fis festin avec messieurs les ambassadeurs, ordinaire de France, de Savoie, et de Venise, et les principaux du conseil de Soleure ; et le soir je fis encore festin aux ambassadeurs, lÕambassadrice et ses filles, et plusieurs autres ; puis on dansa.
Le lundi 9me je fis encore le soir pareil festin aux dames et ambassadeurs, que jÕavais fait les jours prcdents.
Le mardi 10me les dputs de Fribourg arrivrent, qui mÕapportrent un acte. Mais comme il tait diffrent de ceux que les autres cantons mÕavaient donns, je le refusai, et gourmandai fort leurs dputs, lesquels nanmoins je retins aprs dner avec moi. Ils sÕen retournrent, et le jeudi suivant, 12me, ils revinrent avec un acte trs ample ; et pour me tmoigner plus de franchise mÕenvoyrent leur secrtaire avec leur sceau pour me faire un acte ma fantaisie si celui dernier quÕils mÕavaient envoy ne mÕagrait.
Le vendredi 13me je reus et dpchai lÕordinaire.
Le samedi 14me le roi mÕenvoya un courrier qui mÕapporta la nouvelle de la paix quÕil avait donne ses sujets huguenots.
Le dimanche 15me je fis festin aux ambassadeurs, aux dputs de Schvitz et dÕUri, envoys par leurs cantons pour me dire adieu de leur part, et plusieurs du conseil de Soleure.
Le lundi 16me monsieur lÕambassadeur ordinaire fit festin aux ambassadeurs et moi. Plusieurs dputs des cantons vinrent de leur part pour prendre cong de moi, qui leur avais envoy dire adieu par des secrtaires interprtes du roi, qui leur avaient port mes lettres.
Le mardi 17me jÕeus encore dÕautres dputs des cantons, comme aussi de lÕvque de Ble, et abb de Saint-Gal. JÕous ensuite les comptes de nos trsoriers.
Le mercredi 18me Mr lÕavoyer de Rooll nous fit une belle collation, et ensuite le bal.
Le jeudi 19me monsieur lÕambassadeur ordinaire en fit de mme.
Le vendredi 20me l'ordinaire arriva, et partit, par lequel je fis la dpche de mes adieux.
Le samedi 21me monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi fmes la maison de ville de Soleure pour dire adieu au canton, auquel je haranguai. Ils vinrent l'aprs dner en corps me remercier de lÕhonneur que je leur avais voulu faire.
Le dimanche 22me je fus dire adieu lÕavoyer de Rooll. Je fis festin messieurs de Soleure et aux ambassadeurs. Aprs dner nous allmes faire carme-prenant chez monsieur lÕambassadeur ordinaire, o le bal se tint, et nous fit festin souper.
Le trsorier Lionne arriva, qui mÕapporta la dpche du roi avec mon cong pour partir de la Suisse, et passer par la Lorraine pour assister le frre de Mr le duc de Lorraine en la poursuite de lÕvch de Strasbourg o il aspirait.
Le lundi 23me je fus prendre cong des ambassadeurs, puis dner chez Mr Miron, expdier avec lui toutes nos affaires, et ensuite avec nos trsoriers ; et puis ayant pris cong dÕun chacun, je partis de Soleure, fort accompagn des Suisses qui mÕtaient venus dire adieu et des ambassadeurs, et ayant pris cong de tous, je passai le mont Jura et vins coucher Valbourg.
Le mardi 24me, jour de carme-prenant, jÕarrivai Ble. Messieurs de la ville vinrent au devant de moi, se mirent en armes, et tirrent quantit de canonnades mon arrive : puis messieurs du conseil me vinrent saluer de la part de leur canton, lesquels je retins souper avec moi.
Je partis de Ble le jour des Cendres, mercredi 25me, accompagn comme devant, et vins coucher Mulhouse, o il me fut fait entre.
JÕen partis le jeudi 26me et vins coucher Saint-Amrin, ayant pass par Tanne.
Le vendredi 27me je passai le mont de Vosges, et couchai Ru en Lorraine.
Le samedi 28me je passai par Remiremont, et couchai Epinal.
Mars. Ń Le dimanche, premier jour de mars, jÕarrivai Mirecourt chez mon frre le marquis de Removille, o je trouvai sa famille, et madame la comtesse de Tornielle. JÕy fus superbement reu et trait. Mon frre y arriva comme nous soupions, qui avait t forc de demeurer Nancy jusques aprs lÕentre de Son Altesse qui la faisait ce jour-l, pour y servir comme grand-cuyer.
Il sÕen vint le lendemain lundi 2me de mars avec moi en ma maison de Harouel, o je vins coucher, et en partis le jour dÕaprs, mardi 3me, pour venir Nancy.
Son Altesse envoya ses gardes au-devant de moi pour mÕaccompagner, et le comte de Brionne pour me recevoir. Toute la noblesse de Lorraine tait assemble pour lÕentre du duc et pour tenir les tats, la plupart de laquelle vint au-devant de moi, et mÕamenrent en la galerie des Cerfs proche de mon appartement, o S.A. mÕattendait, et ayant repass par devant mon appartement, mÕy laissa entre les mains du marquis de Mouy et du prince de Pfalsbourg.
Le mercredi 4me je fus lÕaudience du duc, de la duchesse, du duc Franois : puis je mÕen vins voir la princesse de Pfalsbourg chez qui toutes les dames taient assembles, que la plupart je connaissais, avec laquelle je demeurai jusques au soir.
Le jeudi 5me le prince de Pfalsbourg me fit festin. Aprs dner je fus saluer madame de Vaudemont, la princesse de Lorraine, Mr Franois Nicolas frre du duc, et la princesse Marguerite sa sĻur.
Le vendredi 6me mon frre me fit festin. Aprs dner je fus prendre cong de Son Altesse et des princes et princesses, et le samedi toute la cour et les seigneurs de Lorraine me vinrent dire adieu, et le comte de Brionne (qui mÕavait ce jour-l fait festin), me conduisit en partant en la mme crmonie quÕil avait fait lÕentre.
Mon frre vint avec moi jusques la couche, qui fut Fou, et la dernire fois que je lÕai vu ; le lendemain 8me Ligny ; puis Netancourt ; Chalons o je demeurai pour attendre mon train le mercredi 11me ; et le jeudi Estoges ; Vielle Maison ; et le samedi 14me jÕallai Jouarre voir ma nice de Saint-Luc qui tait en lÕabbaye, et coucher Monceaux.
Le dimanche 15me je dnai Meaux et couchai Mittry, dÕo je partis le lundi 16me et vins trouver le roi Paris, qui me reut extrmement bien. Il me mena chez la reine sa mre, puis chez la reine sa femme, o les princesses taient.
Je trouvai la cour Mr le prince de Pimont envoy par le duc son pre pour chauffer le roi faire lÕanne prochaine une bonne et forte guerre en Italie. Mr le marchal de Crquy y tait venu de la part de monsieur le conntable ce mme dessein, et jÕavais t convi par lÕun et lÕautre de me rendre au plus tt prs du roi, afin que tous trois nous pussions lui faire prendre une bonne rsolution sur ce sujet. Je trouvai mon arrive les choses assez bien disposes ce dessein : le roi avait donn Mr le prince de Pimont la qualit de lieutenant-gnral de ses armes del les monts, avait promis un renfort de huit mille hommes de pied franais et de mille chevaux pour y grossir lÕarme quÕil avait en Italie, laquelle il voulait joindre aussi les troupes quÕil avait en Valteline, laquelle on pouvait aisment garder avec deux mille hommes aprs la confection des forts que lÕon y faisait construire ; et que moi avec douze mille Suisses (dont jÕtais assur), entrerais quand et quand dans le duch de Milan ; de sorte que nous voyions toutes choses prpares selon nos intentions et dsirs, quand trois jours aprs mon arrive Mr du Fargis envoya son secrtaire avec un trait de paix ambigu, mal fait, et honteux pour le roi, avec le roi dÕEspagne, sans avoir eu prcdemment ordre ni commission du roi, non pas de le conclure, mais de le projeter seulement.
Il y avait en ce mme temps un procureur de Saint-Marc ambassadeur extraordinaire de la rpublique de Venise, nomm Contarin de li Mostachi, qui me dit, lorsque je le fus voir la veille que ce beau trait arriva, que lÕambassadeur de la rpublique en Espagne lui avait crit que lÕon faisait quelque trait secret Madrid entre France et Espagne. Je me moquai avec lui de cet avis, l'assurant que cela ne pouvait tre : toutefois dans le doute o cela me mit, ayant t rendre compte de ma ngociation Mr le cardinal de Richelieu, je lui dis ce que le Contarin mÕavait appris. Il me serra la main, et me rpondit que je mÕassurasse quÕil nÕy avait aucune imagination de trait, et que cÕtaient des fourbes espagnoles de faire courir ces faux bruits pour nous mettre en jalousie avec nos allis, dont je les pouvais assurer ; ce que jÕtais rsolu de faire, et dÕaller le lendemain visiter le Contarin pour lui mettre sur cette affaire lÕesprit en repos. Je vis le soir mme Mr le prince de Pimont auquel je dis l'apprhension de lÕambassadeur Contarin, laquelle jÕavais fait savoir Mr le cardinal de Richelieu, et la rponse qu'il mÕavait faite. Monsieur le prince me rpondit que les Vnitiens taient gens spculatifs et souponneux qui dbitaient leurs songes et leurs imaginations pour bonnes nouvelles, et quÕils mÕavaient prsent celle-l plutt par prvention que par aucune connaissance quÕils en eussent ; que pour lui il tait trs assur quÕil ne se traitait rien au prjudice de la ligue, ni de nos prsents projets.
Sur cela jÕallai chez la reine o je trouvai Mr le marchal de Crquy, et sur les neuf heures du soir le roi nous envoya qurir tous deux pour le venir trouver au cabinet de la reine mre o il tait avec elle, Mr de Schomberg et Mr de Harbaut. Il nous commanda de nous asseoir en conseil, et nous dclara comme il venait de recevoir ce trait fait son insu par son ambassadeur du Fargis, dont il nous fit faire lecture par Mr de Harbaut. Nous le trouvmes si mal conu, si mal projet et raisonn, si honteux pour la France, si contraire la ligue, et si dommageable aux Grisons, que, bien quÕau commencement nous nous fussions persuad que cÕtait par lÕordre du roi quÕil avait t fait, mais quÕil voulait, pour apaiser ses allis, montrer quÕil nÕen savait rien, nous crmes effectivement quÕil avait t conclu contre son ordre. Ce fut ce qui nous obligea de dissuader le roi de lÕaccepter et ratifier, non plus quÕil nÕavait voulu faire celui dÕOcaigne, fagot par le mme ministre, ni celui de Rome, fait par le commandeur de Sillery.
En ce temps, Mr le cardinal de Richelieu tait indispos au Petit Luxembourg : le roi nous commanda nous trois marchaux, et Mr de Harbaut, secrtaire dÕtat, de lÕaller trouver le lendemain matin, et cependant de nÕen point parler Mr le prince de Pimont ; de confrer avec mondit sieur le cardinal, lequel lÕaprs-dner viendrait au conseil chez la reine mre, o le roi nous commanda de nous trouver. J'avoue que je ne fus jamais plus anim parler contre aucune chose que contre cet infme trait, et que jÕavais lÕesprit tellement chauff que je fus plus de deux heures dans le lit sans me pouvoir endormir, projetant une quantit de raisons que je voulais le lendemain produire au conseil contre cette affaire. Mais, comme je me levai le lendemain plus rassis et refroidi, je considrai que ce nÕtait point mon affaire, mais celle du roi ; quÕen vain je mÕen tourmentais si le roi la voulait ratifier ; que jÕtais incertain si le roi avait point donn les mains Mr du Fargis pour la ptrir ; que peut-tre la reine mre qui voulait mettre la paix entre ses enfants, lÕavait procure, peut-tre monsieur le cardinal qui voyait des brouilleries naissantes dans lÕtat, avait voulu cette paix au dehors ; que je ne devais pas pntrer plus avant, comme aussi je ne le pouvais pas faire, et qu'il me pouvait nuire de me dclarer trop ; quÕil ne me pouvait prjudicier de supersder mon ardeur pour quelque temps et de me contenir, laissant lever le livre par un autre, que je serais toujours en tat puis aprs de le courre et de le prendre. Ces raisons et plusieurs autres retinrent mon inclination porte me faire our sur ce sujet, et tant all chez monsieur le cardinal (selon lÕordre que nous en avions), jÕcoutai plus que je ne parlai, ce que je fis dÕautant plus volontiers que je trouvai monsieur le cardinal fort retenu et ne sÕouvrant gure, blmant seulement la lgret, prcipitation, et peu de jugement de Mr du Fargis qui mritait une capitale punition dÕavoir os sans ordre du roi entreprendre une chose de telle consquence. Aprs dner il vint au conseil o nous nous trouvmes, et monsieur le garde des sceaux de plus ; auquel je remarquai quÕun chacun sÕamusa plus blmer lÕouvrier quÕ dmolir lÕouvrage ; que lÕon parla peu du trait, beaucoup du contractant, et quÕil fut plus discouru des moyens quÕil y aurait dÕy ajouter quelque chose pour le rendre moins mauvais, qu'il ne fut propos de le dsavouer et le rompre ; qui me fit juger que lÕon et bien dsir quÕil ft meilleur, mais que lÕon ne voulait pas quÕil nÕy en et point du tout.
Cela fut cause que je me retirai entirement de lÕaffaire, et me mis faire mon jubil sur la fin du carme (avril).
Cependant on tcha dÕapaiser le mieux que lÕon put les intresss ; Mr le prince de Pimont et Mr Contarini se retirrent ; on tcha dÕajouter quelque chose au trait, dÕen claircir dÕautres, et de ratifier le tout ; ce que lÕon fit, mon avis, premirement pour donner la paix la chrtient qui sÕen allait jeter en une cruelle guerre, et puis ensuite pour donner ordre certaines pratiques qui se faisaient au dedans avec Monsieur, frre du roi, en apparence pour troubler le mariage projet entre madelle de Montpensier et lui, en effet pour brouiller et troubler lÕtat et mettre les deux frres en division.
Le roi qui nÕen prvoyait que trop les inconvnients avait tch de retirer lui le colonel dÕOrnano qui avait tout pouvoir sur lÕesprit de monsieur son frre, et qui ouvrait lÕoreille plusieurs propositions que le roi nÕagrait pas. Il lui avait donn ds le commencement de janvier un office de marchal de France, ce qui avait plutt dlay quÕassoupi les brigues et menes qui se faisaient. On avait ensuite fait la paix avec ceux de la Religion en France pour nÕavoir pas la fois tant de quenouilles filer.
Mai. Ń Finalement au commencement du mois de mai, le roi tant Fontainebleau, pour retirer monsieur son frre de tous intrigues, le mit de son conseil troit, et lui fit venir le 2me dudit mois. Le marchal dÕOrnano fit premirement ses plaintes de ce que le roi avait mis de son conseil monsieur son frre sans lui en avoir prcdemment parl, ce que lÕon faisait, disait-il, pour le discrditer ; puis ensuite demanda dÕen tre, et enfin quÕil y pt accompagner monsieur son matre, demeurant debout comme les secrtaires dÕtat, ce qui lui ayant t refus, il dclara plus ouvertement quÕil ne convenait son mcontentement. Les dames de la cour taient fort mles dans ces intrigues, les unes en haine de la maison de Guise quÕelles voyaient agrandir par la prochaine alliance de Monsieur, les autres en haine de madelle de Montpensier, et les autres pour lÕintrt du mariage de Monsieur. Le marchal dÕOrnano tait en parfaite intelligence avec toutes, ce quÕil faisait dÕautant plus assurment quÕil croyait que lÕintention du roi tait conjointe leurs desseins, vu que Sa Majest lui avait command lÕanne prcdente quÕil et rompre les pratiques trop ouvertes que lÕon faisait pour ce mariage, et en dtourner les frquentes entrevues.
Le 4me de mai le roi voulut faire lÕexercice de son rgiment des gardes dans la cour du Cheval blanc, et en donner le plaisir aux reines et aux princesses, qui le verraient faire de la grande galerie. Je mÕen allai ce jour-l aprs dner Paris pour empcher quÕune de mes nices de Saint-Luc ne se ft feuillantine. Je pris cong du roi qui me dit par deux fois que je nÕy avais que faire, et que je visse faire lÕexercice ; mais moi ne songeant rien ne laissai pas de mÕy en aller.
Le lendemain 5me, sur les six heures du matin, Bonnevaut me vint trouver, que le roi mÕavait envoy la nuit pour me mander comme il avait fait arrter prisonnier le marchal dÕOrnano et que je ne manquasse pas de mÕen venir le jour mme Fontainebleau, ce que je fis.
Monsieur sÕtait fort offens de cette prise et tait venu en faire de grandes plaintes au roi. Il sÕadressa premirement monsieur le chancelier, lui demandant si cÕtait par son avis que lÕon et pris le marchal dÕOrnano, lequel lui dit quÕil en tait bien tonn, et quÕil nÕen savait rien. Il fit ensuite la mme demande monsieur le cardinal, qui lui rpondit quÕil ne dirait pas comme monsieur le chancelier, et que lÕun et lÕautre lÕavait conseill au roi, sur les choses que Sa Majest leur en avait dites. La rponse du chancelier fut cause de lui faire peu aprs ter les sceaux. On fit en mme temps arrter prisonniers ses deux frres Masargue et Ornano, comme aussi Chaudebonne, Modene et Du Hagen que lÕon mit en la Bastille, et lÕon commanda au chevalier de Jars et Boyer de sortir de la cour.
On mena le lendemain le marchal au bois de Vincennes, et Monsieur continua ses plaintes et ses mcontentements. Je le fus trouver le lendemain de mon arrive Fontainebleau, et mme avant avoir vu le roi (tant jÕtais assur de la confiance que Sa Majest avait en moi) : je le trouvai fort anim et port par plusieurs mauvais esprits, et pris la hardiesse de lui parler franchement et en homme de bien, ce quÕil reut en bonne part. Je continuai de le voir souvent, le roi mÕayant tmoign de le trouver bon : mais quatre jours de l, la reine mre me dit quÕil lui avait tenu un discours qui mÕobligea de n'y plus retourner, savoir quÕil savait que lÕon voulait mettre auprs de lui Mr de Bellegarde ou moi, mais quÕil nÕen voulait point, et que nous voudrions faire les gouverneurs, dont il nÕavait dsormais que faire ; je voulus lui montrer par mon loignement dÕauprs de lui que je nÕaspirais nullement cette charge.
Peu de jours aprs il courut un bruit que lÕon avait tenu un conseil dont il y avait neuf personnes, lÕune desquelles lÕavait dcel, auquel il avait t rsolu que lÕon irait tuer monsieur le cardinal dans Fleury. Il sÕest dit que ce fut Mr de Chalais, lequel sÕen tant confi au commandeur de Valanay, ledit commandeur lui reprocha sa trahison, tant domestique du roi, dÕoser entreprendre sur son premier ministre ; quÕil l'en devait avertir, et quÕen cas quÕil ne le voult faire, que lui mme le dclerait : dont Chalais intimid y consentit ; et que tous deux partirent lÕheure-mme pour aller Fleury en avertir monsieur le cardinal qui les remercia et pria dÕaller porter ce mme avis au roi, ce quÕils firent, et le roi onze heures du soir envoya commander trente de ses gendarmes et autant de chevau-lgers dÕaller lÕheure mme Fleury. La reine mre pareillement y dpcha toute sa noblesse. Il arriva, comme Chalais avait dit, que sur les trois heures du matin les officiers de Monsieur arrivrent Fleury, envoys pour lui apprter son dner : monsieur le cardinal leur cda le logis, et sÕen vint accompagn de plus de six-vingt chevaux Fontainebleau. Il vint droit la chambre de Monsieur, qui se levait et fut assez tonn de le voir : il fit reproche Monsieur de ne lui avoir pas voulu faire lÕhonneur de lui commander de lui donner dner, ce quÕil et fait au mieux quÕil et pu, et quÕil avait la mme heure rsign la maison ses gens ; puis ensuite lui ayant donn sa chemise, il vint trouver le roi, puis la reine mre, et de l sÕen alla la Maison Rouge jusques ce que le roi sÕen vnt Paris. On ne pouvait s'imaginer dÕo tait venue la dclaration de ce conseil jusques ce que, la cour tant revenue Paris, Chalais confessa la reine et madame de Chevreuse que la crainte dÕtre dcel par le commandeur de Valanai (auquel il sÕtait fi), et la violence quÕil lui fit dÕavertir monsieur le cardinal lÕavaient port cela, mais quÕ lÕavenir il leur serait fidle, et leur donnait cette libre reconnaissance de sa faute quÕil leur faisait, pour marque de sa sincrit.
Cependant le grand prieur, qui tait de la partie, voyant l'affaire dcouverte, voulut retirer son pingle du jeu, et vint dire de belles paroles monsieur le cardinal, le priant de le faire parvenir lÕamiraut de France o il prtendait. Monsieur le cardinal feignit quÕil lui avait procur cette charge, et quÕil allt en Bretagne faire venir Mr de Vendme pour en remercier le roi qui cependant sÕachemina Blois.
Monsieur le cardinal alla Limours o Mr le Prince le vint trouver le jour de la Pentecte. Monsieur sÕy en alla le lendemain (juin) la persuasion du prsident le Coygneux qui lui fit croire que lÕon allait approcher des affaires Mr le Prince, pour lÕen loigner, sÕil ne se raccommodait avec monsieur le cardinal, ce quÕil fit en apparence, mais conservait toujours la secrte intelligence avec la cabale et avait tir parole de madame de Villars par le moyen de monsieur le grand prieur quÕelle lui livrerait le Havre pour se retirer ; Balagny dÕautre ct sÕtait fait fort de lui mettre Laon en main, et il avait quelque esprance dÕavoir Metz sa dvotion. Il voulut savoir de Mr de Villars sÕil se pouvait assurer de sa place, lequel la refusa tout plat et dit que sa femme nÕy avait nul pouvoir. DÕautre ct Mallortie qui commandait dans Laon pour le marquis de CĻuvres, dit quÕil ne connaissait point Balagny, et que si on ne lui apportait un commandement de son matre, que personne n'y entrerait le plus fort.
Cependant les dames et les autres partisans pressaient Monsieur de se retirer de la cour, quoi il fut encore plus convi quand il vit que messieurs de Vendme et grand-prieur, frres, tant arrivs Blois le 12 de juin, y avaient le lendemain matin 13me t faits prisonniers et mens en sre garde dans le chteau dÕAmboise, ce qui l'affligea fort, et Mr le Comte aussi qui aimait uniquement le grand-prieur ; auquel en mme temps on fit un mauvais office dÕavertir le roi quÕil voulait enlever madelle de Montpensier qui tait demeure Paris o le roi avait laiss Mr le Comte avec un ample pouvoir pour commander en son absence : et comme cela tait facile faire et apparent, quÕil tait en saison souponneuse, et que Monsieur mme en et peut-tre t dÕaccord, cela le fit croire davantage et donna sujet au roi dÕenvoyer en diligence le sieur de Fontenai Paris pour faire venir madelle de Montpensier Blois, ou Nantes, si le roi y tait dj achemin. Il commanda aussi de la part du roi Mr de Bellegarde, Mr dÕEffiat, et moi de lÕaccompagner avec le plus de nos amis que nous pourrions. Il arriva la veille que je devais partir en poste pour mÕen aller la cour o jÕavais dj tout mon train, de sorte que je me trouvai sans moyen dÕexcuter ce commandement et mÕen allai trouver le roi. Mais Mrs de Bellegarde et dÕEffiat y supplrent : ce dernier avait t lev la charge de surintendant des finances peu de jours avant le partement du roi, qui ta les sceaux monsieur le chancelier, et les donna Mr de Marillac qui tait alors surintendant des finances que Mr dÕEffiat eut, et partit avec madame de Guise bien accompagne, pour venir la cour.
Comme le roi tait Blois, on faisait soigneusement prendre garde aux actions de Monsieur, et pier qui lui parlait. On dcouvrit que Chalais qui tait matre de la garde-robe du roi et log dans le chteau proche de l'appartement de Monsieur, lÕallait voir la nuit en robe de chambre et aprs avoir demeur deux ou trois heures avec lui sÕen retournait en cachette, ce qui fit connatre au roi quÕil jouait le double. Sur cela la cour partit de Blois et vint Tours, et Monsieur ayant perdu l'esprance dÕavoir les villes du Havre ou de Laon pour sa retraite de la cour, tenta par le moyen de Chalais celle de Metz, qui y dpcha un gentilhomme nomm la Loubiere que les Gramonts lui avaient donn. Ce la Loubiere vint dire adieu au comte de Louvign avec qui il avait t, et le connaissant parfait ami de Chalais, ne se feignit point de lui dire o il allait, et pour quel sujet. De Tours le roi sÕachemina par la rivire de Loire Saumur, et par les chemins Louvign eut quelque chose dmler avec Mr de Candale avec qui il nÕtait pas bien pour quelques amourettes : nanmoins cela se passa sans bruit. Chalais et Bouteville sÕen vinrent le soir que nous arrivmes Saumur, souper chez moi, et me prirent de tancer Louvign, ce que je fis en leur prsence ; et eux, et dÕautres lui dirent quÕil prt garde de nÕavoir aucune querelle avec Mr de Candale sÕil ne les voulait perdre pour amis, parce quÕils avaient des obligations particulires qui les liaient avec Mr de Candale. Lui au contraire le lendemain, allant de Saumur aux Ponts de C, querella Mr de Candale, et lors tous ceux quÕil pensait ses amis le quittrent pour sÕaller offrir Mr de Candale, dont ce mchant garon fut tellement piqu que le lendemain (juillet), comme le roi arriva Ensenis, il demanda lui parler et lui dclara le voyage que la Loubiere tait all faire Metz par lÕordre de Chalais, et plusieurs autres choses quÕil savait, ou quÕil inventa.
Le roi arriva Nantes, et peu de jours aprs fit mettre en prison Chalais et lui fit faire son procs. Monsieur fut fort tonn de sa prise, et ses gens aussi, et furent sur le point de partir : mais en mme temps ils eurent rponse de Mr de la Valette qui tait Metz, que si Mr dÕEpernon se dclarait pour lui, quÕil s'y dclarerait aussi, sinon non : Monsieur avait crit Mr dÕEpernon qui envoya la lettre au roi. En cette extrmit le meilleur fut de sÕaccommoder avec le roi, ce que le Coygneux pratiqua, et madame de Guise tant arrive, la reine mre pressa et fit le mariage de Monsieur avec mademoiselle de Montpensier. On fit encore un effort pour lÕempcher par le moyen de Tronson, Marcillac et Sauveterre, qui en furent tous trois chasss de la cour avec perte de leurs charges (aot). Monsieur se maria et se remit trs bien avec le roi qui lui donna son apanage selon son contentement.
Aprs que les fianailles furent faites, le roi parlant monsieur son frre et moi, lui dit ces mmes mots : Ē Mon frre, je vous dis devant le marchal de Bassompierre qui vous aime bien, et qui est mon bon et fidle serviteur, que je nÕai en ma vie fait chose tant mon gr que votre mariage. Č Monsieur ensuite me mena promener au jardin qui est sur un bastion et me dit : Ē Betstein, tu me verras astheure sans crainte, puisque je suis bien avec le roi. Č Je lui rpondis : Ē Monsieur, vous avez pu juger que je nÕen faisais point de scrupule, puisque je vous fus trouver (aprs que le marchal dÕOrnano fut pris), avant mme que jÕeusse vu le roi, lequel a tant de preuves de ma fidlit que je nÕai rien craindre, ni lui aussi, de ce ct-l. Mais je me suis retir de vous voir lorsque vous avez dit la reine votre mre que lÕon voulait mettre Mr de Bellegarde ou moi auprs de vous, et que vous nÕen vouliez point, afin de vous faire voir que je nÕy prtendais point et que je ne piquais pas aprs le bnfice. Č Il me dit lors quÕil serait bien aise que je fusse prs de lui, et que je fisse auprs du roi quÕil mÕy mt. Ė cela je rpondis que quand le roi me donnerait cent mille cus par an pour tre auprs de lui, que je les refuserais, non pas que je ne le tinsse grand honneur et que je nÕeusse une grande passion son service, mais parce quÕil en faudrait tromper lÕun ou lÕautre, et que je ne m'entendais point cela.
Trois jours aprs, Monsieur fut mari : mais pour cela le procs de Chalais ne se discontinua pas ; ains on le paracheva, et eut la tte tranche Nantes.
Il y eut plusieurs intrigues dÕamourettes, et autres choses. On rforma lÕentre de la chambre et cabinet de la reine aux hommes, hormis quand le roi y serait. On fit renvoyer en sa maison madame de Chevreuse qui sÕen alla, au lieu de sa maison, en Lorraine.
En ce mme temps, du ct dÕAngleterre, on chassa tous les officiers franais de la reine, et les prtres aussi, hormis son confesseur, ce qui causa un grand dplaisir au roi et la reine mre, laquelle dsira que le roi mÕenvoyt en Angleterre pour remdier tout cela. Je fis ce que je pus pour mÕen exempter, ayant t trop mal trait en lÕambassade dernire que jÕavais faite en Suisse, en laquelle on avait dmembr la moiti de ma charge pour en investir le marquis de CĻuvres : mais enfin, il m'y fallut aller.
Le roi dÕAngleterre envoya le milord Carleton pour faire agrer au roi et la reine mre ce quÕil avait fait, qui fut trs mal reu.
La cour partit de Nantes pour revenir Paris.
Le roi dÕAngleterre envoya Montaigu pour se rjouir des noces de Monsieur, tant avec lui et Madame, quÕavec le roi et les reines. Mais comme il vint Paris, il eut commandement de sÕen retourner sur ses pas, et moi je fus extraordinairement press de partir pour Angleterre, ce quÕenfin je fus contraint de faire le dimanche 27me de septembre de cette mme anne 1626, et vins dner Pontoise chez Mr le cardinal de Richelieu, o Mrs de Marillac garde des sceaux, de Schomberg et de Harbaut se trouvrent pour me dpcher de toutes les affaires que jÕavais avec eux ; et puis vins coucher Beauvais.
Septembre, octobre. Ń JÕen partis le lendemain 28me et vins Poix, puis Abbeville le 29, Montreuil le 30 et Boulogne le 1er dÕoctobre, o je trouvai mon quipage et ceux qui venaient mÕaccompagner en ce voyage.
Mr dÕAumont gouverneur de Boulogne me festina, et je m'embarquai le lendemain deuxime jour dÕoctobre, et passai Douvres o je sjournai le lendemain 3me pour trouver voiture mon train.
Je fus le lendemain 4me coucher Cantorberi ; le lundi 5me Sittimborne ; le mardi 6me je passai Rochester o sont les grands vaisseaux de guerre du roi, et vins coucher Gravesinde.
Le sieur Louis Lucnar conducteur des ambassadeurs mÕy vint trouver avec la berge de la reine quÕelle mÕenvoya, et le mercredi 7me je mÕy embarquai sur la Tamise, vins passer devant le magasin de la contratation des Indes, puis devant Grennhuits, maison du roi, auprs de laquelle le comte Dorset chevalier de la Jarretire, de la maison de Sacfil, me vint recevoir de la part du roi, et mÕayant fait entrer dans la berge du roi, m'amena jusques proche de la Tour de Londres, o les carrosses du roi mÕattendaient, qui me menrent en mon logis o ledit comte Dorset me quitta. Je ne fus log ni dfray par le roi, et peine put-on envoyer ce comte Dorset, selon la coutume ordinaire, pour me recevoir. Je ne laissai pour cela dÕtre assez bien log, meubl, et accommod.
Ce soir mme, aprs que jÕeus soup, on fit dire au chevalier de Jars qui avait soup avec moi, que quelquÕun le demandait. CÕtait le duc de Bocquinguem, et Montagu, qui seuls taient venus me voir sans flambeaux et le prirent de les faire entrer en ma chambre par quelque porte secrte, ce quÕil fit et puis me vint qurir. Je fus bien tonn de le voir l parce que je savais qu'il tait Amptoncourt avec le roi : mais il en tait arriv pour me voir. Il me fit dÕabord force plaintes de la France, puis de moi aussi sur le sujet de quelques personnes ; auxquelles je rpondis le mieux que je pus, et puis fis celles de la France contre lÕAngleterre quÕil excusa aussi le mieux quÕil put, et ensuite me promit toute sorte dÕassistance et dÕamiti, comme je lui fis aussi offre bien ample de mon service. Il me pria de ne point dire quÕil me ft venu voir parce quÕil lÕavait fait lÕinsu du roi, ce que je ne crus pas.
Le jeudi 8me l'ambassadeur Contarini, de Venise, me vint visiter, et sur la nuit jÕallai voir Mr le duc de Bocquinguem en cachette en son logis nomm Iorchaus [York House], qui est extrmement beau et tait le plus richement par que je vis jamais aucun autre, nous en sparant fort bons amis.
Le vendredi 9me au matin me vint trouver le sieur Louis Lucnar de la part du roi pour me faire commandement de renvoyer en France le pre Sansy de lÕoratoire que jÕavais emmen avec moi. JÕen fis un absolu refus, disant quÕil tait mon confesseur, et que le roi nÕavait que voir en mon train ; que, sÕil ne mÕavait agrable, je sortirais de son royaume, et retournerais trouver mon matre. Peu aprs le duc de Bocquinguem, le comte Dorset et de Salisberi vinrent dner chez moi, qui jÕen fis mes plaintes. Aprs dner le comte de Montgomeri grand chambellan me vint visiter, et me presser de la part du roi de renvoyer le pre Sansy, qui je fis la mme rponse que jÕavais faite Lucnar.
Ensuite l'ambassadeur de Danemark et l'agent du roi de Bohme me vinrent visiter, et Montagu vint souper avec moi, et le lendemain le sieur Edouart Cecil vicomte de Houemelton que jÕavais connu jeune en Italie, et qui mÕavait dj trente ans auparavant fait beaucoup de courtoisie en Angleterre.
Le dimanche 11me Mr le comte de Carlile me vint trouver avec les carrosses du roi pour me mener Amptoncourt lÕaudience du roi. Je fus conduit dans Amptoncourt dans une salle o il y avait une belle collation. Le duc de Bocquinguem mÕy vint trouver pour me mener lÕaudience, et me dit que le roi voulait prcdemment savoir ce que je lui voulais dire, et quÕil ne voulait pas que je lui parlasse dÕaucune affaire, quÕautrement il ne me donnerait point dÕaudience. Je lui dis que le roi saurait ce que je lui avais dire par ma propre bouche, et que lÕon ne limitait point ce quÕun ambassadeur avait reprsenter au prince vers lequel il tait envoy ; et que sÕil ne me voulait voir, que jÕtais prt de mÕen retourner. Il me jura que la seule cause qui l'obligeait cela, et qui lÕy faisait opinitrer, tait qu'il ne se pourrait empcher de se mettre en colre en traitant des affaires dont jÕavais lui parler, ce qui ne serait pas biensant sur ce haut dais la vue des principaux du royaume, hommes et femmes ; que la reine sa femme tait auprs de lui, qui, anime du licenciement de ses domestiques, pourrait faire quelque extravagance et pleurer la vue dÕun chacun ; qu'enfin il ne voulait point se compromettre devant le monde, et quÕil tait plutt rsolu de rompre cette audience et de me la donner particulire, que de traiter dÕaucune affaire devant le monde avec moi. Il me fit de grands serments quÕil me disait vrit et quÕil nÕavait pu porter le roi me voir autrement, me priant mme de lui donner quelque expdient, et que je l'obligerais. Moi qui vis que jÕallais recevoir cet affront, et quÕil me priait de lÕaider de mon conseil pour viter lÕun, et mÕinsinuer de plus en plus en ses bonnes grces par lÕautre, lui dis que je ne pouvais en faon quelconque faire autre chose que ce qui mÕtait command par le roi mon matre, mais que puisque, comme mon ami, il demandait mon avis sur quelque expdient, je lui dirais quÕil dpendait du roi de me donner ou ter, accourcir ou prolonger lÕaudience en la forme quÕil voudrait, et quÕil pouvait, aprs mÕavoir permis de lui faire la rvrence et reu avec les lettres du roi les premiers compliments, quand je viendrais lui dduire le sujet de ma venue, mÕinterrompre et me dire : Monsieur lÕambassadeur, vous venez de Londres et avez y retourner : il est tard, et cette affaire requiert un plus long temps que celui que je vous pourrais maintenant donner. Je vous enverrai qurir un de ces jours de meilleure heure, et en une audience particulire nous en confrerons loisir. Cependant je me contente de vous avoir vu, et su des nouvelles du roi mon beau-frre et de la reine ma belle-mre, et ne veux plus retarder lÕimpatience que la reine ma femme dÕen apprendre par votre bouche. Sur quoi je prendrai cong de lui pour aller faire la rvrence la reine.
Aprs que je lui eus dit cela, le duc mÕembrassa et me dit : Ē Vous en savez plus que nous. Je vous ai offert mon assistance aux affaires que vous venez traiter : mais maintenant je retire la parole que je vous ai donne ; car sans moi vous les saurez bien faire Č : et en riant me quitta pour aller porter cet expdient au roi qui le reut, et en usa ponctuellement. Le duc revint pour mÕamener lÕaudience, et le comte de Carlile marchait derrire lui. Je trouvai le roi sur un thtre lev de dix degrs, la reine et lui en deux chaires, qui se levrent la premire rvrence que je leur fis en entrant. La compagnie tait superbe, et lÕordre exquis. Je fis mon compliment au roi, lui donnai mes lettres, et aprs lui avoir dit les honntes paroles, comme je vins aux essentielles, il mÕinterrompit en la mme forme que jÕavais propose au duc. Je vis de l la reine, laquelle je dis peu de choses parce quÕelle me dit que le roi lui avait permis dÕaller Londres, o elle me verrait loisir ; puis je me retirai. Le duc et les principaux seigneurs me vinrent conduire jusques mon carrosse, et comme le duc mÕentretenait exprs pour donner loisir au secrtaire de mÕattraper, ledit secrtaire arriva, qui me dit que le roi me mandait quÕencore quÕil mÕet promis une audience particulire, nanmoins il ne mÕen donnerait point jusques ce que jÕeusse renvoy le pre Sansy en France comme il me lÕavait dj fait dire par trois fois sans effet, dont Sa Majest sÕen sentait offense. Je lui rpondis que, sÕil et t de mon devoir ou de la biensance de lÕobir, je lÕeusse fait ds le premier commandement, et que je nÕavais autre rponse lui faire que conformment aux prcdentes, dont je pensais quÕil dt tre satisfait, et que Sa Majest se devait contenter du respect que je lui rendais de retenir enferm dans mon logis un de mes domestiques, qui nÕest criminel, ni condamn, ni accus, lequel je lui promettais ne devoir pratiquer, confrer, ni mme se montrer dans sa cour ni dans la ville de Londres, si bien dans ma maison tant que jÕy serai, et nÕen partira quÕavec moi, ce que je ferai ds demain sÕil me lÕordonne ; et sÕil ne me veut point donner audience, jÕenverrai savoir du roi mon matre ce quÕil lui plait que je devienne aprs ce refus, lequel ne me laissera pas, mon avis, vieillir en Angleterre, attendant que le roi ait la fantaisie ou prenne le loisir de mÕour : ce que je dis assez haut et aucunement mu, afin que les assistants me pussent entendre, et jÕen tmoignai ensuite plus de ressentiment au duc auquel je priai que lÕon ne me parlt plus de cette affaire, qui tait dtermine en mon esprit, si lÕon ne me voulait quand et quand donner un commandement de sortir de Londres et de lÕle ; que je le recevrais avec joie : et sur ce je me sparai de la compagnie avec le comte de Carlile et Montagu, qui me ramenrent Londres et demeurrent souper avec moi.
Le lundi 12me lÕambassadeur de Messieurs les tats me vint visiter, et je fus rendre la visite aux ambassadeurs de Danemark et de Venise. Puis jÕallai saluer madame de la Trimouille, et en revenant en mon logis jÕy trouvai le duc de Bocquinguem et Montagu qui souprent chez moi. LÕaprs-souper je lÕentretins longtemps de mes affaires.
Le mardi 13me octobre la reine arriva Londres et mÕenvoya qurir par Gorin avec lequel je lÕallai trouver en son palais de Sommerset. Puis je fus voir le duc Iorchaus.
Le mercredi 14me je fus dire adieu le matin madame de la Trimouille. Puis Robert Keri vint me voir ; ensuite lÕambassadeur de Bethleem Gabor avec l'agent du roi de Bohme.
Finalement Montagu me vint dire de la part du duc que, bien que je retinsse prs de moi le pre Sansy, le roi ne laisserait pour cela de me donner audience le lendemain, qui fut le jeudi 15me auquel le comte de Brischwater me vint mener avec les carrosses du roi Amptoncourt. Puis le duc me mena dans une galerie o le roi mÕattendait, qui me donna une bien longue audience et bien conteste. Il se mit fort en colre, et moi, sans perdre le respect, je lui repartis en sorte quÕenfin lui cdant quelque chose, il mÕen accorda beaucoup. Je vis l une grande hardiesse, (pour ne dire effronterie), du duc de Bocquinguem, qui fut que, lorsquÕil nous vit le plus chauffs en contestations, il partit de la main et se vint mettre en tiers entre le roi et moi, en disant : Ē Je viens faire le hol entre vous deux. Č Lors jÕtai mon chapeau, et tant quÕil fut avec nous, je ne le voulus remettre, quelque instance que le roi et lui mÕen fissent : puis quand il se fut retir, je le remis sans que le roi me le dt. Quand jÕeus achev et quÕil put parler moi, le duc me dit pourquoi je ne mÕavais pas voulu couvrir lui y tant, et que nÕy tant plus, je mÕtais si franchement couvert. Je lui rpondis que je lÕavais fait pour lui faire honneur, parce quÕil ne se ft pas couvert et que je lÕeusse t, ce que je nÕavais voulu souffrir : dont il me sut bon gr et le dit depuis plusieurs fois, me louant. Mais jÕavais encore une autre raison pour le faire, qui tait que ce nÕtait plus audience, mais conversation particulire, puis quÕil lÕavait interrompue, se mettant en tiers.
Aprs que mon audience dernire fut finie, le roi me mena par des diverses galeries chez la reine, o il me laissa, et puis moi elle, aprs lÕavoir longuement entretenue, et fus ramen Londres par le mme comte de Brischwater.
Le vendredi 16me je fus voir le comte de Holland malade Kinsinthon [Kensington]. Le roi et la reine revinrent Londres. Mr de Soubise me vint voir. Puis le duc mÕenvoya prier de venir Sommerset o nous fmes plus de deux heures contester de nos affaires.
Le samedi 17me je fus faire la rvrence la reine Houaithall [White Hall] et lui rendre compte de tout ce que jÕavais le jour prcdent confr avec le duc.
Le dimanche 18me je fus visit par le secrtaire Conv qui me vint parler de la part du roi. Puis ensuite le comte de Carlile et le milord Carleton me vinrent voir.
Le lundi 19me, le matin, lÕambassadeur de Danemark me visita. Je rendis aprs dner la visite celui de Hollande ; puis je fus trouver la reine Houaithall.
Le mardi 20me le vicomte de Houemelton et Gorin vinrent dner avec moi. LÕaprs-dner je fus ou au conseil, et au retour lÕambassadeur de Venise me vint visiter.
Le mercredi 21me je fis une dpche au roi. Je fus voir la reine, et de l confrer avec le duc dans Sommerset.
Le jeudi 22me je fus le matin voir lÕambassadeur de Danemark. Le duc, les comtes de Carlile et de Holland, avec Montagu, vinrent dner chez moi. Je vis en passant lÕambassadeur des tats pour affaires ; puis je fus chez la reine, et le soir chez madame de Strange.
Le vendredi 23me je fus voir le comte de Carlile, et lÕambassadeur de Venise.
Le samedi 24me je fus voir la reine, o le roi vint, quÕelle querella. Le roi me mena en sa chambre et mÕentretint longuement, me faisant beaucoup de plaintes de la reine sa femme.
Le dimanche 25me les comtes de Pembroch et de Montgomeri me vinrent voir. Puis je fus trouver le duc que jÕamenai chez la reine, o il fit sa paix avec elle, que jÕavais moyenne avec mille peines. Le roi y arriva ensuite, qui se raccommoda aussi avec elle, lui fit beaucoup de caresses, me remercia de ce que jÕavais remis le duc en bonne intelligence avec sa femme, puis mÕamena en sa chambre, o il me montra ses pierreries qui sont trs belles.
Le lundi 26me je fus voir le matin lÕambassadeur de Danemark. LÕaprs-dner je fus trouver la reine Sommerset avec qui je me brouillai.
Le mardi 27me le duc, les comtes Dorset, de Holland, et de Carlile, Montagu, Keri, et Gorin vinrent dner chez moi. Je fus voir puis aprs le comte de Pembroch et Carleton. Il mÕarriva le soir un courrier de France.
Le mercredi 28me je fus le matin Houaithall parler au duc et au secrtaire Conv, parce que le roi sÕen allait Amptoncourt. Aprs dner je fus voir la reine Sommerset, avec laquelle je mÕaccordai. Le soir le duc, et le comte de Holland me menrent souper chez Antonio Porter qui faisait festin don Augustin Fiesque, au marquis de Piennes, au chevalier de Jars et Gobelin : nous emes aprs souper la musique.
Le jeudi 29me j'eus le matin la visite du comte de Holland et du comte de Carlile. LÕaprs-dner je fus voir lÕambassadeur de Hollande.
Le vendredi 30me je fus voir la reine Sommerset, puis le duc Valinfort. Le rsident du roi de Bohme vint souper chez moi.
Le samedi, dernier dÕoctobre, lÕambassadeur de Danemark me vint voir. Puis je fus chez madame de Strange.
Novembre. Ń Le dimanche, premier jour de novembre, et de la Toussaints, je fis mes dvotions. Puis je fus voir la duchesse de Lenox et le secrtaire Conv. On tint ce jour l le conseil pour mes affaires.
Le lundi 2me je fus le matin voir le comte de Holland. Puis le duc mÕayant donn rendez-vous en la galerie de la reine, nous y confrmes fort longtemps. Aprs dner je revins voir la reine pour lui rendre compte de mon entretien avec le duc, dont elle tait en peine parce que nous nous tions mal spars.
Le mardi 3me le duc mÕamena sa petite fille chez moi pour tmoignage dÕaccord : il y demeura dner avec Montagu, Keri et Porter, puis me mena trouver le roi qui sÕen alla jouer la paume, et moi trouver la reine pour lui dire mon accord avec le duc.
Le mercredi 4me je fus voir la duchesse de Lenox. JÕcrivis au duc sur le sujet de mon affaire : puis je fus trouver la reine pour lui montrer la copie de ce que jÕavais mand. Le soir le duc envoya Montagu souper chez moi, et m'assurer de sa part qu'il accommoderait les affaires selon mon dsir, dont jÕenvoyai en mme temps donner avis la reine.
Le jeudi 5me le secrtaire Conv me vint dire que je vinsse le lendemain au conseil, o jÕaurais une finale rponse de ma proposition. Je fus ensuite chez madame de Strange.
Le vendredi 6me le duc vint dner chez moi, puis me mena la cour en une des chambres du roi, o il laissa Gorin, Montagu et Lucnar pour mÕentretenir. Il me vint peu aprs trouver, et me dit que la rponse que le conseil me voulait faire ne valait rien, mais que je ne me misse pas en peine, ains y rpondisse sur lÕheure mme fermement, et que puis aprs il accommoderait le tout de telle sorte que j'en serais satisfait. Peu aprs le secrtaire Conv me vint appeler pour aller au conseil, l o aprs que lÕon mÕet fait mettre en une chaire au haut bout, messieurs du conseil, par la bouche de Carleton, me firent dire quÕaprs avoir dlibr sur la proposition que jÕavais faite au mme conseil quelques jours auparavant, ils me faisaient la rponse quÕils me donnrent par crit, et ensuite la firent lire : sur quoi leur ayant demand audience pour leur rpondre sur le champ, je le fis avec grande vhmence, et mieux mon gr que je ne parlai de ma vie. Ma rponse dura plus dÕune heure : puis tant sorti, jÕallai trouver la reine pour lui montrer la belle rponse qu'ils mÕavaient donne, et en substance ce que jÕy avais rpondu et protest, ce qui l'affligea fort.
Le soir mme le duc m'envoya dire que tous ceux du conseil qui parlaient ou entendaient franais me viendraient trouver le lendemain matin, et que jÕeusse bonne esprance dÕune bonne conclusion ; car le roi leur avait dit que son intention tait de satisfaire le roi son frre, et de me renvoyer content.
Le samedi 7me le comte Dorset me vint trouver ds sept heures du matin pour me dire que jÕaurais contentement, et que le conseil viendrait peu aprs me trouver ; et ne tiendrait quÕ moi que tout nÕallt bien. Il me trouva en mauvais tat pour confrer ; car, ou le temps qui tait fort nbuleux, ou mon mauvais temprament, ou la longue et vhmente rponse que jÕavais faite le jour prcdent, mÕavait mis en tel point que je n'avais plus de voix, et peine me pouvait-il entendre, quelque effort que je pusse faire.
Peu aprs le duc et le conseil arrivrent, et nous tant assis, Mr Carleton fit rplique sur ma rponse, et enfin protesta en la mme faon que jÕavais fait, du mal qui pourrait arriver de notre rupture, offrant nanmoins, si nous pouvions maintenant par ensemble trouver quelque bon moyen dÕaccommodement, que le roi lÕaurait trs agrable ; quoi ensuite nous travaillmes, et nÕy emes pas beaucoup de peine ; car ils furent raisonnables, et moi, modr en mes demandes. La plus grande difficult fut pour le rtablissement des prtres, dont enfin nous convnmes. Je leur fis ensuite un magnifique festin, et puis sÕen tant alls, je fus aussitt trouver la reine pour lui porter les bonnes nouvelles de notre trait.
Le dimanche 8me le duc, et le comte de Holland vinrent dner chez moi. Le duc de Lenox me vint voir ; puis je fus trouver le roi en sa chambre o jÕeus une audience prive en laquelle il me confirma, et ratifia tout ce que ses commissaires avaient trait et conclu avec moi, dont il me montra lÕcrit et me le fit lire.
Le soir lÕagent du roi de Bohme se vint conjouir avec moi, et y souper, comme fit aussi amplement lÕambassadeur de Danemark.
Le lendemain lundi 9me qui est le jour de lÕlection du maire, je vins le matin Sommerset trouver la reine qui y tait venue pour le voir passer sur la Tamise allant Voestminster [Westminster] prter le serment en un magnifique apparat de bateaux. Puis la reine dna, et ensuite se mit en carrosse et me fit mettre en mme portire avec elle. Mr le duc de Bocquinguem se mit aussi par son commandement dans son carrosse, et nous allmes en la rue de Schipsay pour voir passer la crmonie, qui est la plus grande qui se fasse la rception dÕaucun officier du monde. Attendant qu'il passt, la reine se mit jouer la prime avec le duc, le comte de Dorset et moi. Puis ensuite le duc me mena dner chez le nouveau maire qui en donna ce jour-l plus de huit cents personnes. Puis aprs le duc et les comtes de Montgomeri et de Holland mÕayant ramen chez moi, je mÕen allai promener aux Morsfils.
Le mardi 10me je fus le matin voir lÕambassadeur de Danemark, et mon retour trouvai le duc qui dna chez moi. Nous allmes ensemble pour voir la reine Sommerset ; mais elle tait enferme en son monastre. JÕallai de l voir lÕambassadeur de Venise, et mon retour le comte de Carlile se trouva chez moi afin de conclure son accommodement entre le duc et lui, que je ngociais, et en vins bout.
Le mercredi 11me jÕallai avec le comte de Holland et Mr Harber qui avait t ambassadeur en France, Houemelton [Wimbledon] qui appartient Mr Edouart Cecil qui en est vicomte : elle est trois lieues de Londres, et est une trs belle maison o le matre mÕavait pri dner, qui nous y traita magnifiquement. La comtesse d'Exeter sa belle-sĻur y vint faire avec sa femme lÕhonneur de la maison. Puis aprs dner nous revnmes passer une maison dÕun marchand nomm Mr Bel, mon ancien hte et ami, qui mÕy fit une collation.
Le carme-prenant des Anglais commence ce jour-l qui, selon leur calendrier, est celui de la Toussaints.
Le jeudi 12me je fus chez le milord Carleton qui sÕtait charg de lÕexpdition de mes dpches : puis je fus voir le roi. De l je ramenai Gorin dner avec moi et le vicomte de Houemelton. Le comte de Carlile mÕenvoya prsenter six beaux chevaux. Je fus pour voir le stuart comte de Pembroch et le secrtaire Conv, et ne les ayant trouvs, je vins chez la reine o le roi arriva : ils se brouillrent ensemble et moi ensuite sur ce sujet avec la reine, et lui dis que je prendrais le lendemain cong du roi pour mÕen retourner en France sans achever les affaires, et dirais au roi et la reine sa mre quÕil tenait elle. Comme je fus de retour en mon logis, le pre Sansy qui elle avait crit de notre brouillerie vint pour la raccommoder avec tant d'impertinences que je me mis bien fort en colre contre lui.
Le vendredi 12me je fus le matin chez lÕambassadeur de Hollande, puis chez le secrtaire Conv, et lÕaprs-dner je le passai chez la comtesse dÕExeter et sa fille la comtesse dÕOxfort.
Je ne voulus point aller chez la reine qui me lÕavait mand.
Le samedi 14me le comte de Carlile me vint trouver pour me raccommoder avec la reine. Puis les secrtaires Conv et Couc avec le milord Carleton vinrent, comme commissaires du roi, conclure et signer nos affaires.
Je fus ensuite trouver le duc de Bocquinguem en sa maison dÕIorchaus, qui me pria souper le lendemain chez lui avec le roi.
Le dimanche 15me lÕambassadeur de Danemark me vint visiter. Puis je mÕen allai trouver le roi Houaithall, qui me mit en sa berge et me mena Iorchaus chez le duc qui lui fit le plus superbe festin que je vis de ma vie. Le roi soupa en une table avec la reine et moi, qui fut servie par des ballets entiers chaque service et des reprsentations diverses, changements de thtres, de tables, et de musique. Le duc servit le roi, le comte de Carlile la reine, et le comte de Holland me servit table. Aprs souper on mena le roi et nous en une autre salle o lÕassemble tait, et on y entrait par un tour, comme aux monastres, sans aucune confusion ; o lÕon eut un superbe ballet que le duc dansa, et ensuite nous nous mmes danser des contredanses jusques quatre heures aprs minuit. De l on nous mena en des appartements vots o il y avait cinq diverses collations.
Le lundi 16me le roi qui avait couch Iorchaus mÕenvoya qurir pour our la musique de la reine sa femme ; puis ensuite il fit tenir le bal, aprs lequel il y eut comdie, et se retira Houaithall avec la reine sa femme.
Le mardi 17me je fus trouver le milord Carleton. Le comte de Warvic et le milord Mandevel dnrent avec moi. Je fus voir madame de Strange. LÕagent de Bohme soupa chez moi.
Le mercredi 18me je fus voir lÕambassadeur de Hollande, o le duc me vint trouver.
Je portai ensuite au secrtaire Conv le rle des prtres prisonniers, tous lesquels le roi dlivra en ma considration.
Je fus sur le soir voir les comtesses dÕExeter et d'Oxfort.
Le jeudi 19me je vins voir le duc Houaithall, qui me mena au dner de la reine ; puis dner chez sa sĻur la comtesse de Hembig. Aprs, la reine alla Sommerset o je lÕaccompagnai; puis je revins chez moi pour y attendre lÕambassadeur de Venise qui me lÕavait mand.
Le vendredi 20me j'allai voir la duchesse de Lenox, puis trouver le milord duc et Carleton, qui taient Walainforhaus [Wallingford House].
Le samedi 21me je fus dire adieu l'ambassadeur de Danemark. Puis le duc, les comtes de Suffolc, Carlile, et Holland, le milord Carleton et Montagu, Gorin, Keri, Saint-Antoine, et Gentileschi, vinrent dner chez moi, o vinrent aprs dner les comtes dÕExeter et dÕAndevel, me dire adieu. Nous allmes chez la comtesse dÕExeter o tait la grand-trsorire, et de l trouver la reine Sommerset.
Le dimanche 22me je fus chez le secrtaire Conv, puis chez la reine. LÕambassadeur de Danemark me vint dire adieu, et le milord de Ses.
Le lundi 23me le vicomte de Houemelton, Gorin, Keri, et autres, vinrent dner chez moi, qui fus dire adieu l'ambassadeur de Hollande.
Le mardi 24me monsieur le duc, Dorset, Carleton, et autres, dnrent chez moi. Je fus trouver lÕaprs-dner la reine Sommerset.
Le mercredi 25me je fus dner chez le comte de Holland Kinsinton.
Le jeudi 26me les comtes de Brischwater et de Salisberi me vinrent voir. Le soir je fus trouver la reine Sommerset, qui fit en ma considration ce jour l une trs belle assemble, puis un ballet, et de l une collation de confitures.
Le vendredi 27me je renvoyai La Guette en France qui le jour prcdent avait fait une extravagance de la part de lÕvque de Mende.
Je fus voir le secrtaire Conv pour avoir mes dpches. De l jÕallai la Bourse. Gorin mÕenvoya deux chevaux.
Le samedi 28me je fus dire adieu lÕambassadeur de Venise. Le comte Carlile et Gorin dnrent chez moi ; puis nous fmes amener mes chevaux aux Morsfils. De l je fus chez la reine, o le roi vint.
Le dimanche 29me le comte de Carlile et Lucnar me vinrent prendre avec les carrosses du roi pour mÕamener prendre cong de Leurs Majests, qui me donnrent audience publique la grand salle de Houaithall. Je revins puis aprs avec lui dans sa chambre du lit, o il me fit entrer ; et puis je fus souper dans la chambre du comte de Carlile qui me traita superbement. Lucnar me vint apporter de la part du roi un trs riche prsent de quatre diamants mis en une losange et une grosse perle au bout ; et le mme soir le roi mÕenvoya encore qurir pour me faire our une excellente comdie anglaise.
Le lundi 30me je fus dire adieu au milord Montagu, prsident du conseil, aux comtes de Pembroch et de Montgomeri, Exeter, et la comtesse sa femme, et comtesse dÕOxfort, sa fille, et au milord Carleton. De l jÕallai en particulier chez la reine.
Dcembre. Ń Le mardi premier jour de dcembre je fus dire adieu lÕagent de Bohme, aux comtes de Holland et de Barccher, de Suffolc et de Salisberi. Puis ayant aussi pris cong du duc, je revins dner chez moi avec le comte de Holland qui me donna trois chevaux. Il me mena ensuite voir le logis de madame Haton. Je fus ensuite dire adieu au comte de Warvic, la duchesse de Lenox ; puis Houaithall dire adieu aux filles de la reine. Le roi me manda que je le vinsse trouver chez la reine sa femme, ce que je fis, et pris l encore une fois cong de lui. La reine me commanda que je lÕallasse encore trouver le lendemain. De l monsieur le duc, Holland, Montagu, et le chevalier de Jars me menrent chez la comtesse dÕExeter qui nous fit un magnifique festin, et le bal ensuite.
Le mercredi, deuxime jour de dcembre, le comte de Barccher me vint dire adieu, puis toute la maison de la reine. Le comte Suffolc mÕenvoya un cheval. JÕallai prendre cong de la reine, qui me donna un beau diamant. Je pris ensuite cong des dames de la chambre du lit ; puis jÕallai chez le comte de Carlile qui sÕtait fort bless la tte le soir auparavant. Puis je vins la chambre du duc o je demeurai assez longtemps pour attendre mes dpches et les lettres que le roi mÕavait promises pour abolir les poursuivants dÕAngleterre. Finalement je pris cong du duc et des autres seigneurs de la cour, et seulement accompagn de Lucnar et du chevalier de Jars, ayant envoy mes gens devant, je me mis dans un carrosse de la reine, et vins coucher Gravesinde ; le jeudi 3me Sittimborne, puis Cantorberi, et le samedi 5me jÕarrivai Douvres avec un quipage de quatre cents personnes qui passaient avec moi, compris soixante et dix prtres que jÕavais dlivrs des prisons dÕAngleterre.
Je voulus dfrayer tous ceux qui repassaient avec moi en France, croyant que, le mme jour que jÕarriverais Douvres, je me pourrais embarquer : mais la tempte me retint quatorze jours Douvres, ce qui me cota quatre mille cus.
J'arrivai Douvres pour dner, et fis embarquer tout mon quipage, pensant passer la mer. Mais elle nous fut contraire le dimanche, le lundi, et le mardi, que le duc mÕenvoya Montagu pour mÕavertir que cÕtait lui que le roi envoyait en France, que je lui dconseillai tellement que je lui fis entendre que lÕon ne le recevrait pas, et renvoyai Montagu en toute diligence vers lui.
Le mercredi 9me nous nous embarqumes deux heures aprs minuit : mais la tempte nous accueillit de telle sorte que nous fmes ports vers Dieppe, puis contraints de retourner prendre terre proche de Douvres, o nous retournmes ; dont le chevalier de Jars, qui mÕavait quitt sur le pont en mÕembarquant, fut averti par son homme qui tait demeur malade Douvres et nÕen partit qu'aprs mon dbarquement audit Douvres.
Le duc qui fut averti par lui de mon retardement Douvres, mÕy envoya visiter par Montagu le samedi 12me et me prier de retourner jusques Cantorberi o il se rendrait le lendemain dimanche 13me, comme il fit, avec les comtes de Carlile, de Holland, Gorin, et le chevalier de Jars. Il me voulut faire voir sa splendeur par le magnifique festin quÕil mÕy fit le soir, auquel jÕemployai l'aprs-souper le persuader de rompre ou de retarder son voyage.
Le lundi 14me je continuai ma mme pratique, contre laquelle il tait entirement port : tout ce que je pus faire fut de lui faire dlayer jusques ce quÕil eut de mes nouvelles par Gerbier quÕil envoya avec moi. Il me fit encore dner un aussi superbe festin que celui du soir prcdent ; puis nous nous embrassmes pour ne nous plus revoir.
Je trouvai mon retour Douvres que mon train en tait parti. Mais il courut une telle fortune que de cinq jours il ne put arriver Calais, et quÕil fallut jeter mes deux beaux carrosses dans la mer, dans lesquels il y avait par malheur pour plus de quarante mille francs de hardes que jÕavais achetes en Angleterre pour donner. JÕy perdis de plus vingt et neuf chevaux qui moururent de soif durant ces cinq jours, parce que lÕon nÕavait fait aucune provision dÕeau douce en ce passage qui ne dure que trois heures en bon temps.
Il me fut impossible de mÕembarquer avant le vendredi 18me, que par un grand vent je me mis sur mer, et vins dner Calais o je demeurai le reste du jour pour me remettre du mal de la mer.
Le samedi 19me jÕen partis en poste et vins Montreuil.
Le dimanche 20me je vins Amiens o Mr de Chaune me fit une rception magnifique, faisant tirer le canon de la citadelle, et me fit un festin avec vingt dames, puis me logea superbement.
Il me retint encore le lendemain 21me si tard en compliments que je ne vins au gte quÕ Louvre ; et le mardi 22me jÕarrivai Paris, l o je trouvai que la venue du duc de Bocquinguem n'tait pas agrable, et le roi me commanda de lui crire pour lui faire savoir que sa venue ne lui serait point agrable, et qu'il sÕen dsistt.
Je trouvai mon arrive le duc dÕAluin et Liancourt bannis de la cour, et Baradat non seulement dfavoris, mais chass et ruin, et que lÕon avait mis en sa place proche du roi un jeune garon dÕassez pitre mine et pire esprit, nomm Saint-Simon. Je fus employ avec Mr de Bellegarde et Mr de Mende pour traiter avec Baradat de ses charges de premier cuyer, et autres quÕil avait, dont il eut quelque rcompense.
Janvier.Ń Les choses taient en cet tat lorsque nous entrmes en lÕanne 1627, au commencement de laquelle le roi fit tenir une assemble de notables en laquelle il me fit lÕhonneur de me choisir pour y tre un des prsidents. Monsieur, frre du roi, fut le chef et le premier, et ensuite Mr le cardinal de la Valette, le marchal de la Force, et moi. L'assemble tait outre cela compose des premier et second prsidents de Paris ; des premiers prsidents des huit autres parlements ; des procureurs gnraux ; des premier et second prsident des comptes de Paris, de Rouen et de Bourgogne, avec leurs procureurs gnraux ; de mme des trois cours des aides, et du lieutenant-civil de Paris ; de douze seigneurs, savoir : six chevaliers de lÕordre, et six du conseil du roi ; de douze primats, archevques, ou vques ; et puis Monsieur, et les trois prsidents.
LÕassemble tint plus de deux mois, ensuite de quoi nous vnmes donner les cahiers des avis sur les choses dont le roi nous avait fait faire les propositions ; qui furent signs de Monsieur, et puis ensuite de Mr le cardinal de la Valette, de Mr le marchal de la Force, et de moi.
Il mÕarriva peu dÕoccasion de parler parce que jÕtais le pnultime dire mon avis, et tout ce qui se pouvait dire sur le sujet avait dja t allgu par tant de grands personnages ; hormis une fois que, nous tant propos si le roi devait cesser ses btiments jusques une meilleure saison et que ses finances fussent en meilleur tat, Mr dÕOsembray fut dÕavis que lÕon le devait conseiller au roi ; mais quÕil devait tre trs humblement suppli de faire faire la spulture du feu roi son pre, dcd, et non inhum, depuis seize ans ; et offrit son bien pour y employer, si ses finances manquaient. Chacun suivit cet avis et loua grandement la sainte pense du prsident dÕOsembray, et lÕopinion uniforme vint jusques moi, qui parlai en cette sorte :
Ē Il est bien difficile un des derniers opinants dÕune si clbre compagnie dÕentreprendre aucune autre chose que de fortifier de son suffrage et de son approbation une des opinions dbattues et agites par ceux qui ont dj dit leurs avis, lesquels n'ayant rien oubli ni laiss dire sur le sujet qui a t mis en dlibration, lui ferment la bouche et lui interdisent la parole. Cette raison, jointe mon incapacit, mÕet fait perptuer le silence que jÕai gard depuis le commencement de cette assemble, si lÕobligation que je lui ai, et mon propre devoir, ne mÕeussent forc de le rompre pour lui remontrer peu de choses, mais bien essentielles, si elle me fait la faveur de mÕentendre, comme je lÕen supplie instamment. Č
Ē Messieurs, toutes les propositions que le roi nous a ci-devant envoyes pour lui en donner nos avis, et les rponses que nous lui avons faites, ont une si grande conformit quÕaucune nÕa encore t contrarie. Sa Majest nous a consults : sÕil fera dmolir les places qui sont dans le cĻur de ce royaume ; nous lui avons donn avis quÕil fasse dmolir les places qui sont dans le cĻur du royaume : sÕil retranchera ses garnisons ; quÕil retranche ses garnisons : sÕil abolira les survivances ; quÕil abolisse les survivances : et ainsi de tout le reste : ce qui mÕa fait souponner que cette dernire proposition qu'Elle nous a fait faire sur le retranchement de la dpense quÕil fait en ses btiments, nÕa t faite autre fin que pour reconnatre si nous n'avons point dÕautre ton que celui quÕil chante, et si nous ferons sur cette demande la mme rponse que nous avons faite toutes les autres, comme je vois que nous nous y disposons. Car autrement il nÕy a point dÕapparence de nous consulter sÕil se retranchera de faire une chose quÕil ne fait pas. Le feu roi nous et pu demander cet avis, et nous eussions eu lieu de lui donner ; car il a employ des sommes immenses btir. Nous avons bien pu reconnatre en celui-ci la qualit de destructeur, mais non encore celle dÕdificateur : Saint-Jean dÕAngeli, Clairac, les Tonnains, Monheurt, Negrepelisse, Saint-Antonin, et tant dÕautres places rases, dmolies, ou brles, me rendent preuve de lÕun ; et le lieu o nous sommes, auquel depuis le dcs du feu roi son pre il nÕa pas ajout une seule pierre, et la suspension quÕil a faite depuis seize annes au parachvement de ses autres btiments commencs, me font voir clairement que son inclination nÕest point porte btir, et que les finances de la France ne seront pas puises par ses somptueux difices ; si ce nÕest que lÕon lui veuille reprocher le chtif chteau de Versailles, de la construction duquel un simple gentilhomme ne voudrait pas prendre vanit. Č
Ē Quant ce qui est du second point concernant la spulture du feu roi, je voudrais pouvoir enchrir sur les louanges que la compagnie a donnes Mr le prsident dÕOsembray, personnage n pour le bien de la France, digne du nom quÕil porte, et de la gloire et haute renomme de ses prdcesseurs. Il mÕa sembl (quand il a si noblement offert ses biens pour subvenir la construction du tombeau du feu roi), que son cĻur et ses dsirs accompagnaient sa bouche, tant il a montr de zle et de reconnaissance la mmoire de ce grand et bon roi. Mais comme je suis de lÕavis commun en ce qui est du gr que la compagnie lui sait de ses bonnes intentions, je contrarie au sien en la trs humble prire qu'il veut que nous fassions Sa Majest de faire difier la spulture du feu roi son pre, et de le faire ressouvenir de ce devoir, quoi la nature lÕoblige. Plusieurs de ceux de cette compagnie, Messieurs, et principalement des seigneurs du conseil du roi, rappelleront, sÕil leur plait, leur mmoire pour vous tmoigner comme moi, quÕaprs que la reine mre, rgente du royaume, et essuy ses premires larmes (causes par la funeste mort de cet incomparable roi), pour regarder et remdier aux urgentes affaires de cet tat, un de ses principaux soins fut de construire sur les cendres de son seigneur et mari un mausole digne de cette grande Artmise. Elle envoya en Italie pour en tirer des dessins des plus fameux ouvriers, et mme fit venir quelques architectes en France pour ce sujet. Mais aucun dessin que lÕon lui eut prsent ne put galer son dsir, ni la dpense quÕelle y destinait. Il est apparent quÕelle nÕy et pas pargn quelque grande somme des finances du roi, dont elle disposait comme rgente, puisque de ses deniers propres elle a employ trente mille cus pour riger en bronze sur le Pont Neuf sa statue cheval. Monseigneur qui prside en cette assemble, et Mr le cardinal de la Valette, ont vu comme moi les diffrents modles de cette spulture faits par le commandement du roi, qui nÕont jamais eu lÕentire approbation, et que lÕesprance dÕen avoir de plus magnifiques a fait rejeter, ce qui vous doit faire croire que Sa Majest ni la reine sa mre nÕont manqu de soin, de volont, ni de moyens, pour faire cette Ļuvre, mais dÕouvriers et dÕinvention, et que lÕavis que sur ce sujet vous pensez lui donner, est un reproche indigne de la pit de lÕun et de lÕaffection de lÕautre, que des serviteurs ne doivent pas mme penser de faire leur matre, et qui infailliblement et avec juste raison serait mal reu. Č
Ē Mon avis est que la grande retenue et modration du roi en ce qui regarde ses btiments, doit tre approuve et loue par cette compagnie, laquelle le doit conseiller et exhorter de bien entretenir et empcher de ruine ceux que ses prdcesseurs lui ont difis, et quÕil ne soit fait aucune mention de la spulture du feu roi son pre, de laquelle il a un soin trs particulier. Č
Ė peine eus-je achev de dire mon avis que prs de soixante notables qui avaient donn le leur devant moi, revinrent au mien qui fut approuv, et pass, par toute lÕassemble, qui me remercia de ce que jÕavais sagement prvu un inconvnient auquel sans moi ils allaient tomber par inadvertance.
JÕeus encore une autre fois lieu de parler contre un avis unanime donn au roi de dfendre ses sujets de visiter aucun ambassadeur, diffrent seulement par les prlats qui voulaient que le nonce du pape ne ft compris en ce nombre ; auquel je contrariai ouvertement, prouvant par vives raisons que lÕon ne devait point faire cette dfense.
Je ne mets point ici ce que je dis sur ce sujet, parce que les ambassadeurs le firent courre par plusieurs copies et en divers pays.
Cet hiver se passa la foire de Saint-Germain, et en deux grands ballets faits par le roi et par la reine, avec dÕautres passe-temps, et ne se parlait que de joie en lÕattente de lÕaccouchement de Madame, qui tait fort grosse.
Bouteville en ce mme temps, et selon sa coutume, se battit contre La Frette qui eut avantage sur lui, son second ayant tu Bachoy qui tait le sien. C'tait tt aprs le renouvellement de lÕdit des duels, ce qui offensa tellement le roi quÕil mÕcrivit une nuit de sa main (mars) que j'envoyasse trois compagnies de Suisses (avec son grand prvt qui lÕallait investir) en sa maison de Persy o lÕon avait dit au roi quÕil sÕtait retir. Mais il s'en tait all en Lorraine dÕo il revint peu aprs Pques pour se battre au milieu de la Place Royale (mai) contre le jeune Beuvron ; et son second, le comte des Chapelles, tua Bussy dÕAmboise qui en servait Beuvron. Ils se retirrent encore en Lorraine ; mais en sÕy en allant ils vinrent coucher Vitry dont Bussy dÕAmboise (quÕils avaient tu) tait gouverneur, et la mre du mort qui avait envoy aprs eux un de ses gens, les fit arrter. Ils furent amens par Mr de Gordes capitaine des gardes du corps, que le roi y envoya avec quelques gens pour les conduire dans la Bastille, dÕo peu aprs, condamns par la cour de parlement, ils furent mens en Greve o ils eurent la tte tranche.
En ce temps Madame accoucha dÕune fille contre l'attente et le dsir de Leurs Majests, et de monsieur son mari, qui eussent plutt demand un fils ; et elle, tant demeure malade de sa couche, mourut peu de jours aprs. Cette mort changea la face de la cour, fit concevoir de nouveaux desseins, et enfin a caus plusieurs maux qui sont arrivs depuis. On lui fit une pompe funbre royale : le roi lui fut jeter de lÕeau bnite en crmonie, et peu de jours aprs (juin) dclara Monsieur lieutenant-gnral de ses armes, et nous fit, Mr de Schomberg et moi, ses lieutenants-gnraux sous lui de l'arme qu'il mettait sur pied en Poitou, dont jÕen dirai le sujet, lÕemploi et le progrs.
Par la paix que le roi avait accorde, au mois de janvier de lÕanne passe, ses sujets de la Religion, lÕle de R qui de longtemps avait t tenue par ceux de la Rochelle, dont ils furent dpossds par Mrs de Saint-Luc, la Rochefoucaut et Toiras peu aprs que Mr de Montmorency eut dfait lÕarme de mer Rochelaise, tait demeure entre les mains du roi, qui en avait donn le gouvernement Toiras, et lÕordre d'y construire un grand fort proche de Saint-Martin (outre celui qui tait dj parachev, nomm le fort de la Pre) ; auquel ledit Toiras faisait travailler puissamment et sans intermission, ce que les Rochelais considrant, et que le Fort-Louis subsistait sur leurs yeux, jugrent quÕils taient perdus sans ressource si ce fort de Saint-Martin se mettait en sa perfection. Ce fut pourquoi ils firent instamment prier le roi de la Grand Bretagne (par Mr de Soubise), de les assister et ne souffrir leur entire ruine qui tait vidente. Ce roi qui avait toujours eu en singulire recommandation les affaires de la Rochelle, comme le seul lieu duquel il pouvait secourir et assister les huguenots de France, fit grande rflexion sur leurs instances, et anim par le duc de Bocquinguem qui avait t dbout de lÕardent dsir quÕil avait de venir en France, par ce que je lui en avais mand de la part du roi, piqu dÕailleurs sur certaines lettres que monsieur le cardinal et lui sÕtaient rciproquement crites, pensa, en faisant le service et suivant les sentiments du roi, satisfaire aux siens et entreprendre une guerre quÕil voulait faire suivre dÕune paix. Pour cet effet il fit un grand armement garni de tout ce qui tait ncessaire une descente, et mit huit mille Anglais dessus, puis se mit en mer.
Le roi qui tait toute heure averti des desseins des Anglais et des pratiques des Rochelais, jugea que cet apprt se faisait pour lui, fit munir ses ctes, et leva une arme pour se porter o besoin serait, rsolu dÕy aller en personne, et monsieur son frre avec lui. Il me commanda de lÕaccompagner en son arsenal o il fit lÕtat de l'artillerie, et se prparant pour partir, alla en parlement pour leur dire adieu et faire quand et quand vrifier ce code que Mr de Marillac garde des sceaux avait compil et qui de son nom fut dit code Michaut.
Le roi partit de Paris, et en sortant de son parlement pour sÕacheminer en Poitou (il se trouva mal comme il y tait), je lui prsentai la main pour descendre de son lit de justice, et il me dit : Ē Marchal, jÕai la fivre, et nÕai fait que trembler tant que jÕai t en mon lit de justice. Č Ē CÕest nanmoins le lieu, lui rpondis-je, dÕo vous faites trembler les autres. Mais si cela est, Sire, pourquoi vous mettez-vous aux champs par la fivre ? Arrtez encore deux ou trois jours dans cette ville. Č Il me rpondit : Ē La foule de ceux qui sont venus prendre cong de moi me lÕa donne, et je la perdrai la campagne quand j'aurai pris lÕair. Nanmoins ne laissez pas dÕenvoyer Marolles, o je vas coucher, votre Biernois (cÕtait un valet quÕil connaissait), et je vous manderai par lui lÕtat de ma sant. Cependant htez-vous de partir. Č
J'envoyai selon son ordre le lendemain matin pour savoir lÕtat de sa sant. Mon homme le vit comme il montait en carrosse pour aller Villeroy, auquel il dit que je le vinsse voir le lendemain, et quÕil avait eu une forte fivre.
Je m'y en allai comme il mÕavait mand, et Mrs de Guise, de Chevreuse et de Saint-Luc voulurent que je les y menasse. Comme nous fmes arrivs Villeroy, Mr le cardinal de Richelieu (avec qui j'tais un peu brouill), sortit en la galerie, salua ces princes, puis me dit : Ē Le roi serait bien aise de vous voir ; mais il est en tat o la compagnie qui est venue avec vous le pourrait incommoder. Il lui a pris une grande sueur. CÕest pourquoi je vous conseille de ne le voir point. Je lui dirai que vous tes venu, et lui ferai le compliment de la part de ces princes Č ; lesquels ayant su lÕtat o tait le roi, se contentrent dÕavoir fait leur devoir sans dsirer lÕhonneur de sa vue, et sur nos mmes pas nous revnmes Paris.
Je sus en partant de Villeroy que Mr dÕAngoulme tait en la chambre du roi : mais je ne mÕamusai point deviner pourquoi c'tait ; en voici la cause :
J'avais t nomm par le roi son lieutenant-gnral de son propre motif, ce qui nÕavait pas plu ceux de son conseil. JÕavais de plus lÕvque de Mende pour ennemi depuis mon retour dÕAngleterre, sur ce quÕil disait que jÕavais improuv sa conduite et plusieurs de ses actions lors quÕil y tait grand-aumnier de la reine. Cet vque me rendait continuellement de mauvais offices auprs de Mr le cardinal de Richelieu qui avait tout pouvoir, et le rendait contraire en tout ce qui me concernait. Mr dÕAngoulme lui proposa Marolles, lorsque le roi y fut malade, que, si lÕon le voulait envoyer en Poitou avec une simple lettre de cachet pour assembler lÕarme (qui consistait principalement en cavalerie lgre dont il tait colonel), il la remettrait puis aprs entre les mains du roi en bon tat son arrive, nÕy prtendant aucun autre commandement. Sur cela lÕon le fit venir Villeroy, et monsieur le cardinal exposa la proposition de Mr dÕAngoulme au roi, lui disant de plus qu'il jugeait propos de lui envoyer. Le roi lui rpondit : Ē Et Bassompierre, que fera-il ? Est-il pas mon lieutenant-gnral ? Č Ē Oui, Sire, rpondit monsieur le cardinal ; mais comme il nÕa jamais eu opinion que les Anglais soient pour faire descente en France, il ne sera pas si soigneux de mettre promptement votre arme sur pied, et Mr dÕAngoulme ne prtend aucun commandement en lÕarme (comme il vous dira lui mme), ains de se retirer ds que Votre Majest viendra, sachant bien que le commandement en appartient de droit aux marchaux de France. Č Sur cela Mr dÕAngoulme vint, et le roi, press, accorda quÕil lui ft donn une lettre de cachet pour commander.
Le lendemain que jÕeus t Villeroy, je rencontrai le matin par la rue Mr dÕAngoulme, lequel fit arrter son carrosse, et en sortit, comme moi aussi du mien. Il mÕembrassa et me dit : Ē Je vous dis adieu, et pars dans deux heures pour aller en Poitou. Č Ē Et quoi faire ? Č lui dis-je. Ē Pour commander lÕarme du roi Č, me rpondit il. Alors je pris cong de lui, bien tonn et surpris de cette nouvelle, qui me fut confirme incontinent aprs par Descures. Je nÕen dis aucune chose ; mais je n'allai point aussi Villeroy, o le roi fut fort malade, me contentant dÕy envoyer tous les jours apprendre des nouvelles de sa sant.
La maladie du roi augmenta de telle sorte que l'on commena apprhender sa mort. Il avait de grands redoublements de fivre double tierce, qui se fussent enfin tourns en continue sÕils eussent continu, ce qui fit acheminer les reines Villeroy et sÕy tenir pour tre toutes heures prs de lui. Mr de Guise, qui y allait de deux jours lÕun, fut une fois appel par le roi qui lui dit : Ē Mr du Bois (ainsi me nommait il souvent), ne me vient point voir. Il me fait la mine ; mais il a tort. Je vous prie de lÕamener ici la premire fois que vous y viendrez, et lui dites de ma part Č ; ce quÕil fit, et moi je mÕy en allai ; mais je nÕentrai en sa chambre quÕavec monsieur le cardinal. La reine mre y arriva peu aprs, et y ayant demeur quelque temps, elle en sortit pour aller dner, et moi aprs elle sans avoir parl au roi, qui dit Roger, son premier valet de garde-robe, quÕil me vint appeler. Il me dit, quand je fus arriv, que je nÕavais point de raison de me fcher de ce quÕil avait envoy Mr dÕAngoulme en Poitou ; que lÕon lui avait forc ; quÕil ne lui avait donn aucun pouvoir ; et que, ds quÕil serait en tat de sÕacheminer en son arme, quÕil le contremanderait pour me la mettre en main : et moi je lui rpondis que je ne mÕen mettais point en peine, que je ne songeais pour lÕheure quÕ sa sant (pour laquelle je faisais des continuels vĻux Dieu), et quÕtant sa crature, j'approuvais tout ce quÕil faisait, quand bien ce serait mon prjudice.
Sur les entrefaites arriva la nouvelle de la descente du duc de Bocquinguem en lÕle de R malgr lÕopposition que Toiras lui avait voulu faire, et quÕau combat il y tait mort plusieurs braves hommes ; que Toiras sÕtait retir Saint-Martin, tchant de garder la citadelle qui nÕtait point encore pourvue des choses ncessaires pour la maintenir, et quÕinfailliblement le duc de Bocquinguem la prendrait. On fut quelque temps celer cette nouvelle au roi de peur dÕaccrotre son mal : puis ensuite on lui dguisa et ne lui fit-on pas si grande quÕelle tait. Mais monsieur son frre brlait de dsir dÕaller lÕarme et se fcha aigrement contre monsieur le cardinal qui lui dit quÕil ne conseillerait point au roi de lui permettre, en lÕtat de maladie o il tait lors : mais enfin le roi commenant se mieux porter, il en eut la permission, laquelle le roi (jaloux de la gloire que son frre y pourrait acqurir), envoya rvoquer comme Monsieur fut arriv Saumur. Mais enfin, par lÕintercession de la reine leur mre, le roi l'y laissa aller.
Je dirai quelque chose en ce lieu de Monsieur sur le sujet de son remariement que la reine mre affectionnait et dsirait de telle sorte que rien au monde ne lui tait plus cher. Peu de jours aprs la mort de feu Madame, une aprs-dner que la reine mre se promenait pied dans le bois de Boulogne, elle me commanda de la mener dÕun ct la place dÕun de ses cuyers, et se mit regretter la perte quÕelle avait faite de Madame, sa belle-fille, laquelle elle savait que jÕy prenais bonne part. Monsieur arriva sur cela, que je nÕavais point vu depuis quÕil tait veuf parce quÕalors jÕtais malade. Sa venue nous fit renouveler ce discours, et la reine sa mre lui dit quÕil nÕy avait que lui au monde qui fut capable dÕamoindrir ou dÕallger le dplaisir qu'elle avait, en lui rendant une autre belle-fille. Il lui rpondit quÕil la suppliait de ne lui point parler de cela ; que sa perte tait trop frache et son ressentiment trop grand. Elle lui rpondit : Ē Mon fils, les choses qui importent tant au bien de lÕtat, votre fortune, et au contentement de vos proches, ne se doivent jamais dlayer ; et puis parler nÕest pas conclure et effectuer. Nous comptions tantt, Bassompierre et moi (ce quÕelle feignait pour entrer en discours, car nous nÕen parlions point), les princesses qui sont maintenant en tat de se marier, tant en France que dehors : nous nÕen trouvions que trois en France, assavoir : mademoiselle de Guise, qui est sĻur de feu Madame, et partant il nÕy faut pas penser ; ni mademoiselle de Vendme non plus, car elle est votre nice ; et mademoiselle de Nevers qui est mon avis bien belle et bien jolie, mais je craindrais que ces drogues que lui a donnes Semini pour la gurir de sa grande maladie nÕempchassent quÕelle nÕet des enfants, et lÕon me lÕa fait apprhender. Č Il rpondit lors : Ē Il y a plus de six mois que lÕon me lÕa dit aussi. Č Ē Il y a de plus la sĻur du duc de Lorraine qui est religieuse de Remiremont, poursuivit la reine ; mais je ne sais ce que cÕest. Č Je lui dis que je l'avais vue lÕanne prcdente en passant par la Lorraine, que cÕtait une fille de treize quatorze ans, bien belle. Je vis bien que je ne lui avais point fait de plaisir de dire cela, car ce nÕtait pas sa vise, et elle me coupa court sans rpliquer. Ē On dit aussi, dit elle, que le duc de Bavire a une nice marier ; mais je ne sais aussi que c'est. LÕempereur a une fille, mais il ne vous la voudra pas donner si vous nÕaviez prsentement une souverainet. Il y a de plus deux infantes de Savoie qui approchent de quarante ans, et deux filles de Florence dont lÕune est bien belle et se doit marier au duc de Parme : je ne pense pas que lÕautre soit si belle ; mais on mÕa mand quÕelle nÕest pas mal agrable. Č Ē Ah, Madame, lui rpliqua Monsieur, on dit que cette dernire est un monstre, tant elle est affreuse, mais que lÕautre est fort belle ; et si jÕavais envie de me remarier comme jÕen suis bien loign, je dsirerais plutt que ce ft une princesse de votre maison quÕ pas une autre, et celle-l particulirement ; mais je nÕy pense pas. Č La reine lors le remercia avec de belles paroles, et lui montra beaucoup dÕaffection ; sur quoi il partit, et la reine me dit ensuite que c'tait un bon commencement quÕelle avait fait l, dont elle esprait bonne issue, et quÕil fallait promptement envoyer dlayer le mariage de Parme, de peur de faillir celui-ci ; et deux jours aprs elle envoya prier Monsieur, qui logeait Saint-Clou, de lui venir parler en la conciergerie du bois de Boulogne, ce quÕil fit, et elle le pressa fort sur ce mariage. Il ne lui rpondit rien pour lors ; mais Mr le Coygneux vint dire le lendemain la reine que Monsieur sÕy porterait et quÕelle pouvait crire Florence : et lorsque Monsieur pressait pour aller commander lÕarme la Rochelle, la reine lui ayant fait obtenir cong dÕy aller, il lui dit quÕil tait rsolu dÕpouser la fille de Florence et quÕelle pouvait traiter ce mariage : et lorsquÕensuite le roi lÕayant fait arrter Saumur, la reine fit lever cet arrt, Monsieur lui manda quÕil la suppliait trs humblement dÕenvoyer, comme elle fit, Luca de li Asini Florence pour empcher que cette princesse ne ft marie au duc de Parme.
Aot. Ń Dieu enfin renvoya la sant au roi, et fit tenir bon aux assigs de la citadelle de Saint-Martin de R contre le duc de Bocquinguem, et lÕopinion de tout le monde, ce qui anima le roi de telle sorte de les aller secourir quÕ peine pouvait-il encore monter cheval quÕil voulut partir pour y aller, monsieur son frre ayant dj investi la Rochelle du ct de Coreilles, sÕtant log Netr avec son arme, et aux environs jusques Ronsay. Il mÕenvoya qurir (septembre) Saint-Germain o il sÕtait fait porter, et me dit que je me prparasse de partir cinq jours aprs avec lui pour aller la Rochelle. Je lui demandai en quelle qualit il lui plaisait que je le suivisse. Il me rpondit : Ē Vous moquez-vous de me demander cela ? En qualit de mon lieutenant-gnral. Č Je lui dis l-dessus que Mr dÕAngoulme occupait dj cette qualit en son arme laquelle en sa prsence nÕtait jamais commande que par les marchaux de France quand il y en avait ; que je lui suppliais trs humblement de ne me point mener l pour faire un affront ma charge. Il se fcha lors contre moi et me dit quÕil nÕavait garde de lui donner aucune charge, et quÕil lui enverrait commander de se retirer. Je le suppliai lors quÕil me ft donner cette parole par monsieur le cardinal, et que lors je le tiendrais pour assur parce que, lui lÕayant fait aller lÕarme, il lui voudrait conserver. Le roi me le promit, et tant le jour mme revenu Paris chez la reine sa mre, il fit que monsieur le cardinal me dit la mme chose dont il mÕavait assur Saint-Germain ; et ce qui me le persuada davantage fut le marchal de Schomberg qui tait mon compagnon en charge et en cette commission, lequel mÕen donna entire assurance.
Sur cela le roi sÕachemina petites journes jusques Monlivaut prs de Blois, o il fut quelque temps se refaire et chasser. Je fis aller mon quipage quand et le roi, demeurant Paris jusques ce quÕil me le mandt comme il mÕavait fait lÕhonneur de me le promettre, et le fit aussi par courrier exprs, ce qui me fit partir de Paris le jeudi dernier jour de septembre, et vins coucher Artenay.
Octobre. Ń Le vendredi premier jour dÕoctobre, je passai par Orlans, allai our messe Notre Dame de Cleri, fus dner Saint-Laurent des Eaux, et de l Monlivaut, o je ne trouvai le roi, mais je le fus chercher Saumery o il tait all voir monsieur le cardinal, qui furent lÕun et lÕautre bien aises de mon arrive : car je mÕtais, peu de jours avant que monsieur le cardinal partt, fort bien raccommod avec lui Vanvres o il tait all se tenir. Ils me dirent dÕabord comme ils venaient de dpcher Mr du Hallier (qui devait servir de marchal de camp en lÕarme, et que jÕy avais aid), pour sÕen aller au camp en faire revenir Marillac que le roi envoyait Verdun, et commander Mr le duc dÕAngoulme de se retirer de lÕarme et de venir trouver Sa Majest Saumur ; dont je demeurai fort satisfait : et parce que mon train tait Blois o le roi devait passer le lendemain, je lui demandai cong de mÕy en aller coucher.
Le samedi 2me je me mis dans le bateau du roi comme il passait devant Blois, et il vint coucher Mont-Louis.
Le dimanche 3me il passa devant Tours et vint coucher Langeais.
Le lundi 4me le roi reut par un courrier (que monsieur son frre lui envoya), la nouvelle que le fort de Saint-Martin de R ne pouvait plus tenir que jusques au 10me ou au plus au 12me du mois, ce qui le mit en grande peine. Il vint descendre de son bateau Notre Dame des Ardilliers (o il pria Dieu), puis fut coucher Saumur.
Le mardi 5me le roi sjourna Saumur pour faire ses pques Notre Dame des Ardilliers, et vint le mercredi coucher Touars ; et le jeudi 7me il vint Partenay o Mr le cardinal de Richelieu le vint joindre, qui avait pass par Richelieu pour sÕaboucher avec Mr le Prince.
Le vendredi 8me le roi fut coucher Chandenier et moi je mÕen allai Saint-Maixent pour voir Mr de Tours, mon bon ami, qui tait en son abbaye de lÕOr de Poitiers.
Le samedi 9me je rejoignis le roi Niort, o en arrivant il reut la bonne nouvelle de 27 pinasses et autres barques charges dÕhommes et de vivres qui taient heureusement et malgr la flotte anglaise entres dans le fort de Saint-Martin de R, ce qui fut cause de faire sjourner le roi Niort tout le lendemain ; et le lundi 11me le roi vint au gte Surgres o Monsieur frre du roi, Mrs dÕAngoulme, de Bellegarde, de Marillac, et le prsident le Coygneux (qui avait eu jusques alors l'intendance de la justice et des finances de lÕarme), le vinrent trouver. Monsieur parla au roi en faveur de Mr dÕAngoulme, et lui, se recommanda aussi ; mais le roi dit qu'il ne pouvait le faire notre prjudice et qu'il mÕavait donn et au marchal de Schomberg la lieutenance-gnrale de son arme. On ne laissa pas pour cela de faire de grandes brigues en sa faveur.
Le mardi 12me jour dÕoctobre le roi vint dner Mosey. La cavalerie de lÕarme le vint rencontrer entre Mosey et Netr : puis il arriva audit Netr dÕo Monsieur tait dlog pour lui laisser la place, et avait pris pour sa demeure le chteau de Dampierre qui est vritablement un beau lieu, mais loign de prs de deux lieues du quartier du roi et de lÕarme, ce qui nÕtait gure propre pour un gnral dÕarme : aussi le fit-il la persuasion de Mr le Coygneux qui prit une jolie maison l-auprs pour y loger.
Ds que le roi fut arriv Netr, lÕaffaire de Mr dÕAngoulme fut mise sur le tapis en un conseil qui se tint cet effet, et je reconnus de la froideur au roi, contre mon attente et ses promesses. Il fut appel pour dire ses raisons qui furent que vritablement il avait dit au roi qu'il ne prtendrait aucune charge en son arme de lieutenant-gnral lors quÕil y arriverait, comme aussi il nÕen avait aucune patente ni commission ; mais quÕ lÕarrive de Monsieur qui avait fait lÕtat de lÕarme, il y avait t couch comme lieutenant-gnral et en avait tir les gages ; que lÕon lui ferait maintenant un grand affront de lÕen priver et de le renvoyer, aprs y avoir servi le roi trois mois avec beaucoup de peines et de frais, pour la laisser Mr de Schomberg et moi qui avions durant ce temps-l pass notre temps Paris ; quÕil nÕy avait autre contestation qu' raison de lÕinimiti que je lui portais cause de sa sĻur [Entragues] ; que je ne ferais pas difficult dÕtre lieutenant-gnral en une arme o Mr de Guise commanderait, et quÕ lui je ne le voulais pas seulement souffrir pour mon compagnon ; que dÕautres marchaux de France avaient bien obi des princes, comme Mr de Matignon feu Mr du Maine, et Mrs de Brissac, de Boisdauphin et de Thmines Mr de Guise ; quÕil ne savait quelle chose il y pouvait avoir en lui qui me caust un tel mpris que je le veuille refuser pour mon gal ; que Mr de Schomberg ne ferait point cette difficult sÕil nÕtait anim et pouss par moi ; et que si lÕon nous donnait chacun un travail faire, lÕon jugerait qui en viendrait le mieux bout ; quÕil y avait quarante ans quÕil portait les armes et quÕil avait quantit de pouvoirs de gnral dÕarme ; quÕil suppliait finalement le roi de ne lui vouloir faire un tel et si signal affront.
Aprs avoir fini ses plaintes et ses requtes, le roi envoya qurir M. de Schomberg et moi, qui tions pendant cela dans sa chambre, et aprs que nous fmes assis, monsieur le cardinal prit la peine de redire en substance tout le discours de Mr dÕAngoulme, quoi je rpondis :
Ē Sire, ds que je vis ce printemps dernier que Votre Majest voulut envoyer Mr dÕAngoulme commander son arme de Poitou au prjudice de Mr de Schomberg et de moi, quÕElle y avait nomms ses lieutenants-gnraux, je jugeai que lÕon le voulait subtilement glisser dans ce commandement sans commission, pour l'y maintenir puis aprs avec commission, et remontrai Votre Majest tout ce quÕElle voit maintenant. Cette mme raison me fit insister de demeurer Paris attendant quelque autre emploi, quand Votre Majest me commanda de la suivre en ce voyage o Elle se voulait servir de moi en qualit de lieutenant-gnral de son arme, et nÕen voulus accepter la charge quÕaprs quÕElle m'et assur, et monsieur le cardinal ensuite, quÕElle ferait rvoquer Mr dÕAngoulme. Elle se souviendra, sÕil lui plait, des paroles quÕElle tint sur ce sujet Mr de Schomberg et moi Saumur, il y a huit jours, quÕElle ne souffrirait jamais que Mr dÕAngoulme ait autre commandement en cette arme que celui de colonel de la cavalerie lgre sÕil en voulait faire la charge ; et ne me saurais assez tonner comme Votre Majest a si tt chang de volont en une chose si juste et si raisonnable comme je lui ferai voir, sÕil lui plait de me permettre de lui reprsenter. Č
Ē Mr dÕAngoulme est en cette arme sans patente ni pouvoir. Il lÕa commande depuis quÕil y est sur une simple lettre de cachet. Il a protest en y venant quÕil nÕy prtendait aucun commandement ds quÕElle viendrait en sa dite arme, et quÕil savait bien quÕil appartenait de plein droit ses marchaux de France. De quoi se plaint-il ? De ce que lÕon lui a donn mille francs par mois sur votre tat comme s'il tait lieutenant-gnral ? Je lui demande sÕil y est nomm lieutenant-gnral : il ne me le saurait montrer. Et quand il y serait nomm, Mr le Coygneux qui lÕa dress et monsieur votre frre qui lÕa sign sans le voir, ne font point par ce simple acte des lieutenants-gnraux dÕarme que Votre Majest soit oblige de maintenir et conserver. Il dit qu'il y a servi trois mois : je le sais bien ; mais un service de trois mois, le veut-il puis aprs perptuel, et un service mendi et stipul prcdemment qu'il ne durerait que jusques votre arrive ? Quel affront prtend-il qui lui soit fait si Votre Majest lui tient ce quÕElle lui a promis, et sÕil est trait en la forme quÕil a demande et requise, voire mme extorque ? Il dit que nous avons t pendant le temps de son service passer notre temps Paris : qui lui nie ? Aussi sera-il passer le temps Paris pendant celui de notre emploi. O voulait-il que nous fussions pendant votre maladie, et lÕattente de votre convalescence pour L'accompagner et servir en cette guerre ? Et a trs grand tort de dire que je lui veuille mal cause de sa sĻur : ce serait au contraire une cause de lui vouloir du bien ; je recherche avec trop de soin l'affection des proches des personnes dont je suis amoureux. Je lui eusse pu vouloir mal sÕil et fait ma sĻur ce que jÕai fait la sienne : il ne pratique pas la mme chose aux autres de peur de sÕattirer une trop grande quantit dÕennemis sur les bras. Il dit que je ne ferais pas difficult de servir de lieutenant-gnral en une arme o Mr de Guise serait gnral : je lui avoue ; aussi ne ferais-je pas peut-tre en une o il serait gnral. Mais ce nÕest pas de quoi il sÕagit. Je ne demeure pas seulement dÕaccord avec lui des marchaux de France quÕil a nomms, qui ont servi sous des princes, mais jÕy ajouterai encore le marchal de Strossy qui mourut au sige de Thionville o il commandait sous le duc Franois de Guise, et depuis cinq ou six ans encore, Mr le marchal de Thmines tantt sous Mr du Maine, tantt sous Mr dÕElbeuf. Mais il mÕavouera aussi, sÕil lui plait, quÕen aucune arme o le roi ait t, aucun prince, ni autre, nÕont command galement avec les marchaux de France, qui seuls cet honneur appartient, et que tous les princes qui ont t s dites armes royales ont toujours reu lÕordre et les commandements des marchaux de France, et non pas seulement les princes trangers ou btards (ce qui nÕest pas grand merveille), mais les princes du sang qui nous devons tant de respect, dÕhonneur et de dfrence. A-t-il vu lÕarme du feu roi commande en sa prsence par aucun prince ? Mr le prince de Conty, Mr le comte de Soissons, Mr de Montpensier, quand ils y sont venus avec des troupes, nÕont-ils pas reu le mot, lÕordre et les commandements des marchaux de Biron pre et fils, dÕAumont, et autres ? LÕont-ils jamais donn ? QuÕil me marque une seule fois, si un prince du sang nÕa t dclar lieutenant-gnral de lÕarme du roi comme l'est maintenant monseigneur son frre, comme lÕtait en Savoie feu Mr le comte de Soissons. Oui, mais, me dira il, Mr de Nevers a souvent men, conduit et command lÕarme du roi. Je le confesse, en son absence ; mais ds que le feu roi y tait arriv, son pouvoir cessait, et sÕil y demeurait avec ses troupes, elles recevaient les ordres et les commandements par messieurs les marchaux de France, qui nÕont jamais eu de compagnons en charge aux armes o le roi a t, que des autres marchaux de France. JÕhonore les princes et leur porte beaucoup de respect et de dfrence, mais non point au prix ou au ravalement de ma charge, de laquelle il sÕagit : car hors de l je me mets cent brasses au-dessous dÕeux ; mais en la fonction de ma charge je demeure en la hautesse o elle mÕlve. Je pense tre quelque chose plus quÕun prsident du parlement ; cependant dans le Palais je ne suis pas seulement au-dessous dÕeux, mais tte nue devant eux qui l'ont couverte, et soumis leurs sentences et jugements : aussi ne doivent point les princes faire difficult de dfrer aux charges, bien que ceux qui les occupent soient moindres qu'eux ; et ceux qui les possdent sont obligs de les perdre plutt, voire mme de mourir, que de les laisser dprir, comme je mÕassure que Mr le marchal de Schomberg fera sans mon induction, comme Mr dÕAngoulme le veut persuader, ayant trop dÕhonneur, de courage, et de ressentiment pour y manquer. Et quant ce que Mr dÕAngoulme dit, si nous avions tous deux une diffrente attaque faire, que lÕon verrait qui sÕen acquitterait le mieux, je rponds quÕassurment on le verrait qui sÕen acquitterait le mieux. Il se vante finalement quÕil y a quarante ans quÕil porte les armes : le feu comte de Fuentes, venant en Flandres, prit une fois tmoin feu Mr le comte Peter Ernest de Mansfeld, mon grand-oncle, s'il nÕy avait pas quarante ans quÕil portait les armes, lequel lui rpondit que oui, mais quÕil y avait trente-huit ans quÕil ne les portait plus ; et je voudrais demander ce vieux guerrier comme lÕon fait aux veneurs, quÕil nous montrt le pied de la bte quÕil prise. Č
Ē Je finis suppliant trs humblement Votre Majest de se ressouvenir quÕElle mÕa fait lÕhonneur de me donner la charge de lieutenant-gnral de son arme sans que je lÕaie mendie, pratique, escroque, ni mme recherche ; qu'Elle mÕa plusieurs fois ritr, Paris et par les chemins, quÕElle me la conserverait dignement ; quÕElle mÕa fait trop noblement marchal de France pour faire maintenant commencer par moi un si grand ravalement ma charge et que je ne suis point si ambitieux dÕemploi que je ne quitte trs volontiers celui quÕElle mÕa donn, plutt que de le faire indignement ; et que sans mcontentement ni plainte je mÕen retournerais trs volontiers Paris y faire le bourgeois et y prier Dieu quÕil continue ses grces Votre Majest par quantit de victoires sur ses ennemis, attendant que l'honneur de ses commandements mÕemploie ailleurs. Č
Aprs que jÕeus parl comme dessus, Mr de Schomberg en fit autant et dduisit loquemment ses intrts et ceux des marchaux de France. Puis nous nous retirmes, et sans y penser plus avant, mÕen allai voir le fort dÕOrlans commenc, qui tait le seul travail quÕen trois mois on avait fait la Rochelle, et mon retour tant venu chez le roi, il me demanda ce quÕil mÕen semblait. Je lui dis que c'tait un inutile travail, plac au plus mauvais endroit que lÕon et su choisir en tout Coreilles, plus grand des trois parts qu'il ne fallait, mal travaill, de grande dpense, de peu de profit, construit non comme un fort et avec les rgles quÕil faut observer en une pice qui est pour servir seulement un sige, mais comme une pice demeure, et enfin dfectueuse en son tout et en toutes ses parties. Il me dit lors que jÕen parlais par envie, et que si cÕtait moi qui lÕet fait faire, je nÕaurais pas moins de raisons pour le louer que jÕen avais trouv pour en mdire. Je lui rpliquai que je nÕtais pas si mal habile de dcrier ce fort Sa Majest qui en saurait bien juger la vrit et ds le lendemain le reconnatre, et que je ne mÕaidais pas de ces artifices contre Mr dÕAngoulme, duquel je voyais bien quÕElle soutenait les intrts, ayant chang dÕhumeur depuis le conseil quÕElle avait tenu, et que, si Elle avait chang dÕavis, je nÕavais pas chang de rsolution de ne servir avec compagnon qui ne fut comme moi marchal de France. Elle me dit quÕElle nÕavait point chang dÕopinion, mais quÕElle serait bien aise que je mÕaccommodasse ce qui tait du bien de son service, sans nanmoins me forcer rien.
Je vis bien lorsque les affaires penchaient mal pour moi, qui me rsolus au pis, et de mÕen retourner Paris si je ne trouvais mon compte la Rochelle. Et ainsi je me retirai mon logis. Monsieur le cardinal prit le sien au Pont de la Pierre qui est un petit chteau proche dÕAngoulain.
Tout le soir fut employ jusques bien avant en la nuit en alles et venues de Mrs de Vignolles et de Marillac vers Mr de Schomberg de la part de Mr dÕAngoulme au parti duquel ils taient entirement attachs, pour tcher de les accorder ensemble. Il lui remontrrent quÕtant le second marchal de France, jÕaurais tout le pouvoir de lÕarme, lÕintendance des montres, et la charge de colonel-gnral des Suisses, qui me donnait grand avantage sur lui ; outre cela mon activit travailler, ce quÕil ne pourrait faire comme moi cause de la goutte qui parfois le tourmentait, et des affaires du conseil troit auquel il tait occup ; son inimiti avec le marquis de Rosny grand matre de l'artillerie avec qui jÕtais en parfaite intelligence ; et finalement lÕaffection des gens de guerre qui tait grande vers moi qui les avait quasi toujours mens et commands avec beaucoup de douceur, mÕattireront tout lÕemploi son exclusion ; que Mr dÕAngoulme demeurant, et moi mÕen allant, il aurait toute lÕentire puissance, Mr dÕAngoulme nÕen voulant que le nom, et dpendre entirement de lui avec qui il se voulait unir fraternellement.
Ces persuasions et dÕautres quÕils ajoutrent firent tourner casaque au marchal de Schomberg sans quÕil et plus dÕgard son honneur, lÕintrt de sa charge, ni mon amiti ; et ayant convenu en cette sorte avec Mr dÕAngoulme, ds le lendemain matin mercredi 13me il dit au roi quÕil tait prt de recevoir Mr dÕAngoulme pour son compagnon en la lieutenance-gnrale de lÕarme puisquÕil le trouvait dj en charge, ce quÕil nÕet fait sÕil n'y et t, et que jÕavais tort de lui contester.
Ce fut assez dit au roi pour lui persuader de faire ce quoi il tait en doute, et dire qu'il nÕy avait que mon opinitret qui retardt l'tablissement de son arme. Sur cela Monsieur, monsieur le cardinal, Mr le Grand, monsieur le garde des sceaux, et ses deux marchaux de camp lui applaudirent, de sorte que, comme je le vins trouver le matin pour lÕaccompagner au Plom (o il sÕacheminait pour de l voir la flotte anglaise et le fort Saint-Martin), je le trouvai fort froid et fuyant de me parler. Il commanda mme Mr du Hallier de me persuader de mÕaccommoder avec Mr dÕAngoulme. Monsieur le cardinal me le dit aussi par les chemins, et Schomberg me vint accoster, me disant quÕil voyait bien que le roi nÕavait pas bonne intention de nous obliger, que cela le faisait me conseiller de cder au temps comme bon courtisan, et que pour lui qui tait du conseil troit et qui avait trop perdre, ne sÕy voulait pas opinitrer. Je ne lui rpondis autre chose sinon que mon roi et mon matre me pouvait bien abandonner, mes amis me trahir, et mon frre et compagnon en charge, unis et conjoints en mmes intrts, me quitter ; mais que Bassompierre ne sÕabandonnerait, trahirait, ou quitterait pas lui mme : quÕil demeurt avec infamie ; que pour moi je me retirerais avec honneur, et que je lui promettais que je ne serais point compagnon en mme arme, le roi y tant, avec Mr dÕAngoulme, et que pour lui il ft comme il lÕentendait.
Sur cela nous arrivmes au Plom dÕo nous vmes la flotte anglaise lÕancre devant Saint-Martin de R, qui pouvait tre de cent cinquante vaisseaux.
Le jeudi 14me il fut avis que Monsieur qui tait gnral de lÕarme, nous dirait que lÕintention du roi tait que Mr dÕAngoulme servt conjointement avec nous, ce que je refusai absolument.
Je mÕen allai lÕaprs-dner voir vers Coreilles, o je trouvai le roi qui m'appela et me dit : Ē Je considre ce que vous me dites hier ; mais je trouve ce fort bien grand. Č Je lui dis quÕil le serait bien davantage quand les fausses brayes que lÕon avait dessein dÕy faire, y seraient ajoutes, et quÕil y faudrait encore outre cela faire quelques ouvrages qui donnassent jusques sur le bord de la mer dont il tait loign, et quÕenfin un des forts de la circonvallation de la Rochelle serait plus grand que la Rochelle mme. Je lui montrai de plus comme il tait command de tous cts, et quÕen tout autre lieu qu'en celui o il tait, il lÕet t moins. Je lui fis voir ensuite comme l'on y travaillait la terre et les gazons, et lui fis avouer que tout cela ne valait rien. Mais je ne lui parlai ce jour-l dÕaucune chose.
Il envoya Mr de Mende trouver monsieur le cardinal et le prier quÕil trouvt moyen de me contenter, et que je lui ferais faute si je me retirais, comme Mr du Hallier lÕavait assur que je ferais le lendemain vendredi 15me, comme je ne manquai pas, et le vins trouver du matin, et lui dis : Ē Sire, pour ne faire rien indigne de moi, et qui ft tort la charge de marchal de France dont vous mÕavez honor, je suis forc, avec un extrme regret, de me retirer de votre arme et de supplier trs humblement Votre Majest de me permettre dÕen sortir. Je mÕen vas Paris attendre que l'honneur de vos commandements m'appelle en quelque lieu o je lui puisse continuer les mmes trs humbles services que jÕai fait par le pass, lui demandant cependant en singulire grce de ne point ajouter de foi aux mauvais offices que mes ennemis me feront, jusques ce quÕElle les ait bien avrs. Pour moi je l'assurerai que je serai lÕavenir ce que jÕai t par le pass, savoir votre trs humble et trs fidle crature. Č
Le roi me persuada fort de demeurer, me dit que je ne l'avais jamais abandonn, que jÕtais opinitre et que tout le monde me donnait le tort ; que le marchal de Schomberg, qui avait le mme intrt que moi, me condamnait, et que je savais bien que, quelques compagnons que jÕeusse, il me donnerait toujours les meilleurs emplois. Enfin voyant quÕil ne me pouvait vaincre, il me dit adieu aprs mÕavoir fait promettre que je lÕirais dire monsieur le cardinal, auquel en mme temps il envoya un de ses ordinaires nomm Sanguin pour le prier quÕil me ft demeurer quelque prix que ce ft.
Je mÕen allai le trouver, et il me donna tant dÕassurances de sa bonne volont, me montra tant de tendresse jusques pleurer, et me prsenta la carte blanche pour mettre ce que je voudrais : je lui dis enfin que je ne demeurerais jamais compagnon de Mr dÕAngoulme, le roi tant en son arme, et quÕil ne serait jamais dit que jÕeusse fait ce tort ma charge, mais que sÕil me voulait donner une arme part, toute distincte de celle du roi, ayant mon artillerie, mes vivres, mes trsoriers, et tout lÕtat de lÕarme part, pour assiger la Rochelle de lÕautre ct du canal, avec le commandement dans le Poitou pour les choses dont jÕaurais besoin, jÕoffrais dÕy servir. Il mÕembrassa alors et me dit quÕil me ferait accorder tout ce que je demandais, et que jÕcrivisse mes prtentions, ce que je fis, et pris trois compagnies de Suisses, le rgiment de Navarre, celui de Vaubecourt, de Beaumont, du Plessis Pralain, de Ribeyrac, et de Chastelier Barlot, la compagnie de gendarmes de Monsieur, et six de chevau-lgers avec ce reste de rgiment de Champagne qui tait au Fort-Louis ; Mrs du Hallier et de Toiras pour marchaux de camp ; La Courbe et Persy pour aides de camp ; un nomm le Flamen et... pour ingnieurs, dÕAligey pour commander lÕartillerie ; Des Fourneaux pour marchal des logis dÕarme ; et le prvt de la conntablerie : ce qui me fut accord par le roi, qui mÕenvoya qurir comme il tait au conseil dans son cabinet. Je vins dans sa chambre o il vint aussitt avec monsieur le cardinal, mÕaccorda et confirma ce que jÕavais demand, et mÕemmena au conseil en son cabinet avec joie ; et le lendemain samedi 16me je fus remercier monsieur le cardinal.
Cette nuit-l le secours fut mis dans le fort de la Pre.
Le dimanche 17me je vins avec les officiers de lÕarme reconnatre mes quartiers. JÕentrai dans le Fort-Louis o je fus salu de force canonnades. De l jÕallai considrer le port Neuf pour y faire travailler ; et puis je revins trouver le roi.
Le mardi 19me on tint conseil pour rgler les vivres et l'artillerie des deux armes. Cette nuit-l la tempte commena bien furieuse par un nord-est.
Le mercredi 20me trois chaloupes ennemies s'chourent au moulin de Laleu, et un vaisseau de trois cents tonneaux Brouages.
Le jeudi 21me je vins passer Laleu et la rade de Chef de Bois pour voir la tempte et le dsordre quÕelle faisait. De l, je dnai Lommeau chez Beaumont. Aprs dner je fus au Fort-Louis faire tirer sur une barque ennemie qui entra la Rochelle. Puis je fis tracer une redoute lÕembouchure du port Neuf, et mÕen retournai Netr.
Le vendredi 22me jÕenvoyai Mr du Hallier faire le quartier et les logements de mes troupes Laleu et aux environs, o je les logeai.
Puis le samedi 23me je quittai le quartier du roi, et passant par Dampierre pour voir monsieur son frre, je vins loger Laleu qui fut durant le sige mon ordinaire sjour.
Le dimanche 24me je fis commencer travailler lÕouverture du port Neuf.
Le lundi 25me je continuai cette Ļuvre et les travaux que jÕavais commencs, et fis la nuit tirer du Fort-Louis six canonnades dans la Rochelle avec des balles feu.
Le mardi 26me treize barques sortirent du port de la Rochelle pour aller en lÕle de R, auxquelles je fis tirer force canonnades du Fort-Louis sans effet. Je fis aussi ce jour-l faire faire la montre gnrale lÕarme.
Ce matin mme je mÕen allai Chef de Bois secourir trois barques des ntres, choues, poursuivies par les Anglais. Le baron de Noyllan tait sur une, et des soldats du Plessis Pralain, embarqus pour descendre en R, sur les autres. Je fis mener les personnes et porter les munitions Laleu : puis sur le soir je fis tirer en un chenal lesdites barques que les roberges anglaises canonnaient.
Le mercredi 27me jÕeus ordre dÕenvoyer au secours de lÕle de R (dont le roi avait mon prjudice donn la commission Schomberg), 300 hommes du rgiment de Vaubecourt, 200 de celui de Ribeyrac, et la compagnie de chevau-lgers commande par La Borde.
Le soir le roi mÕcrivit, et Mr de Schomberg aussi, pour mÕavertir que ceux de la Rochelle devaient venir enlever un de nos quartiers, et que je fisse tenir toute mon arme alerte pour y pourvoir. Je me moquai de cet avis qui tait contre toute raison et apparence, et ayant pos mes gardes comme je jugeai propos, je mÕen allai coucher entre deux draps, ce que je nÕavais encore fait depuis que jÕtais venu en mon quartier. Ces messieurs qui taient prs du roi prirent lÕalarme si chaude quÕils firent tenir Sa Majest et monsieur son frre toute la nuit cheval.
Le jeudi 28me je fis partir les troupes susdites pour aller en R, auxquelles jÕeus charge dÕajouter cinquante gendarmes de la compagnie de Monsieur, mens par Mr de la Fert-Imbaut, lieutenant.
Le vendredi 29me il y eut une furieuse pluie qui fit cesser tous les travaux.
Le rgiment des gardes vint pour sÕembarquer au Plom : je le logeai Losieres.
Canaples, Saint-Simon et plusieurs autres du passage vinrent loger et souper chez moi, lesquels y dnrent encore le lendemain samedi 30me que leur embarquement se fit. Je demeurai toute la journe au Plom pour lÕacheminer. Monsieur y vint avec Mr de Bellegarde, qui le vit faire lÕentre de la nuit en la haute mare, et passrent heureusement au fort de la Pre sans avoir couru autre fortune que de quelques coups de canon des roberges qui ne dsancrrent point. Ils furent reus en descendant par les ennemis qui leur firent une furieuse charge o ils turent Mansan, lieutenant des gardes, et un capitaine de Beaumont ; mais ils ne la continurent pas, ce qui fit quÕavec peu de perte ils se mirent dedans et lÕentour du fort. Monsieur vint du Plom au moulin de Laleu pour apercevoir les signaux de leur heureuse arrive, qui furent justement dÕautant de barques comme il en tait parti.
Monsieur demeura ce soir-l souper et coucher chez moi, et sur le minuit comme il dormait, il parut un grand feu par dessus le village de Saint-Maurice qui est contre le Fort-Louis. Je pensai que les ennemis taient venus brler ce peu de maisons qui restaient, et pour le respect de la personne de Monsieur, je fis prendre les armes aux troupes franaises et suisses du quartier, cependant que jÕaccourus pour en savoir de plus sres nouvelles. Mais je fus bientt assur de mon doute, et aperus que cÕtaient quelques maisons de la Rochelle proche de la tour de Saint-Barthelemy o des espions que nous avions dedans avaient mis le feu. Je fis en mme temps tirer force balles ardentes du Fort-Louis pour divertir les ennemis dÕteindre leur feu.
Le dimanche 31me et dernier dÕoctobre, Monsieur dna chez moi, puis sÕen alla au Fort-Louis o il fit tirer force canonnades. Les ennemis nous payrent en mme monnaie ; mais nous emes de plus dÕun coup de canon qui donna dans le fort, dont le fils an de Mr de la Mauvissiere fut tu, et un soldat quand et lui.
Novembre. Ń Le lundi jour de la Toussaints et premier de novembre, quatre barques des ntres charges des gens du rgiment du Plessis Pralain, relchrent au Plom, et deux autres au moulin de Laleu, qui furent suivies par deux roberges anglaises de si prs que la mer leur faillit, et touchrent terre. Je fis en diligence venir deux canons pour tirer sur elles, ce que je fis de telle sorte quÕune des deux reut cinq coups dans le corps du vaisseau, et lÕeusse coule fond si, la mer revenant, huit chaloupes ne lÕeussent remorque.
Saint-Surin revint de lÕle de R, et le roi mÕenvoya Sanguin avec de lÕargent pour faire que rien ne manqut l'embarquement, quoi je pourvus selon son dsir.
Le lendemain mardi 2me le roi me fit venir en son quartier pour me proposer de passer en lÕle parce que Schomberg tait encore en la Charente o il avait relch. Je fus tout prs de passer selon son dsir, et le mien ; mais le garde des sceaux fit telle instance dÕattendre encore ce jour-l des nouvelles de Schomberg, quÕil me retint. Je faillis mon retour dÕtre pris par une embuscade que les ennemis m'avaient dresse proche de Lagor.
Le mercredi 3me je fis mes pques, dont jÕavais t diverti les deux jours prcdents.
Mr de Schomberg mÕenvoya deux barques pour reconnatre sa descente et les y conduire, que je lui renvoyai en mme temps. Mr du Hallier alla au Plom faire mettre en mer les pinasses pour passer en R la haute mare de la nuit.
Le jeudi 4me je fis faire une embuscade par vingt gendarmes de Monsieur et quelque infanterie de Rbeyrac proche de la porte de Coygnes, qui turent deux hommes de cheval des ennemis et prirent trois prisonniers.
Sur mon dner les Rochelais vinrent prendre des vaches tout contre Laleu, et les emmenrent notre vue. Nous montmes cheval et le fmes recourir, et quand les ennemis virent quÕils ne pouvaient emmener leur prise, ils turent les vaches et sÕenfuirent ; ce qui fut cause que je fis venir la compagnie de la Roque Massebaut loger en mon quartier.
Le roi mÕenvoya ce jour-l Persy pour venir servir avec moi, quÕil avait retenu jusques alors.
Le vendredi 5me je vins ds la pointe du jour pourvoir aux embarquements qui, Dieu merci, furent tous si heureux quÕil ne sÕen perdit, choua, ou manqua pas un de tous ceux que je fis faire. Le roi y arriva qui me dit que Mr de Schomberg lui avait mand que, Dieu aidant, il entrerait le soir dans lÕle de R, en laquelle le vent contraire lÕavait empch dÕaborder. sa Majest voulut ensuite venir dner chez moi, laquelle, et toute sa cour, je fis trs bonne chre. Il sÕen vint de l voir le port Neuf et le Fort-Louis o je fis tirer quantit de canonnades son arrive.
Le samedi 6me je mÕen vins au Plom o Monsieur arriva tt aprs. Nous vmes faire une grande salve de mousqueterie et de canonnades au fort de Saint-Martin de R, qui fut continue plus de deux heures. Nous smes quelque temps aprs que cÕavait t lÕassaut gnral que les Anglais avaient donn au fort lequel avait t vaillamment repouss.
Le soir Marillac arriva avec quelque vingt gentilshommes qui venaient de trouver le roi de la part du marchal de Schomberg qui tait encore la Charente, mais qui nÕattendait quÕune heure de bon temps pour aller en R. Ils me prirent de les faire passer en R dans quelques chaloupes qui me restaient encore, ce que je fis aprs leur avoir donn souper.
Le dimanche 7me je mÕen vins Chef de Bois pour voir ce qui adviendrait en lÕle, et fus bien tonn quand je vis revenir Marillac moi, qui au lieu dÕaborder lÕle, avait relch au port Neuf, et me dit quÕils avaient vu deux roberges, et dÕautres visions, dont je me moquai et leur en fis honte.
Nous vmes peu aprs les Anglais attaquer vers Saint-Blanceau une barque des ntres quÕils prirent. Ces mmes vaisseaux ennemis vinrent dans le canal de la Rochelle tirer des coups de canon deux galiotes que jÕavais fait apprter pour passer Marillac au port Neuf. Je fis venir deux canons sur la rive, qui les firent dloger bien vite, et donnrent deux voles dans lÕun desdits vaisseaux ennemis.
Sur le soir Marillac se rembarqua et passa sans rencontre, comme mÕassurrent mes galiotes qui trois heures aprs furent de retour.
Le lundi 8me le roi vint de bon matin au Plom, impatient de savoir des nouvelles. Je lui dis comme jÕen avais eu de lÕarrive de Marillac en lÕle, et lui fis voir en mme temps plus de trente barques choues Saint-Blanceau, qui nous fit juger que Schomberg tait pass la nuit prcdente. Il me dit aussi la mort du marchal de Thmines, et quand et quand, que jÕavais bonne part au gouvernement de Bretagne qui vaquait par son dcs. Je lui dis que je lui rendais trs humbles grces de lÕestime quÕil faisait de moi en mÕen jugeant digne, mais que pour moi je ne dsirais point de ces grands gouvernements qui obligent rsidence, parce quÕils contrarient mon humeur et me dvoient du cours de ma fortune ; que je ne laissais pas pourtant de lui en tre extrmement oblig.
Nous fmes aussitt embarquer les mousquetaires cheval du roi, et quelques autres soldats et vivres pour passer en R. Mais ils arrivrent trop tard ; car ce mme jour les Anglais dlogrent de Saint-Martin, et Mr de Schomberg les suivit avec toutes les troupes passes et 700 hommes qui sortirent du fort Saint-Martin. Les ennemis se retirrent en trs bon ordre jusques aprs quÕils eurent pass le bourg de la Coarde : car lors, lÕentre dÕune chausse qui les menait en leurs barques et roberges, comme ils commencrent dfiler, le dsordre sÕy mit, chacun voulant passer le premier. Sur cela nos gens les chargrent ; de sorte quÕils se noyrent quantit : quantit aussi furent tus, et les Anglais perdirent plus de douze cents hommes, morts ou prisonniers, entre lesquels fut, le milord Monjoye, et deux colonels anglais.
Le soir mme il sortit vingt six barques de la Rochelle pour aller en R.
Le mardi 9me jÕeus nouvelles de la dfaite par Beringuen, qui en allait rendre compte au roi. Je passai en mme temps en trs basse mer le canal de la Rochelle cheval, et vins trouver le roi pour mÕen rjouir avec lui. Beringuen lui dit que les ennemis avaient perdu, partie prises, partie jetes, trente quatre enseignes et cinq pices de canon. Il me renvoya tt aprs en mes quartiers o je fis faire des salves gnrales, tirer tous mes canons plusieurs fois, et faire chanter le Te Deum Laleu et au Fort-Louis.
Je faillis ce jour-l dÕtre tu dÕune canonnade de la ville qui passa quatre doigts de ma tte et alla tuer un soldat qui marchait devant moi.
Le mercredi 10me Mrs les cardinaux de Richelieu et de la Valette, ducs dÕAngoulme et de Bellegarde, dÕEffiat, de Harbaut, dÕAucaire et autres, vinrent dner chez moi, puis furent voir mes travaux.
Le soir force gens revinrent de lÕle, mais avec pril parce que les Rochelais, avec plus de quarante barques, tenaient la mer.
Le jeudi 11me Puilorens et la noblesse de Monsieur revinrent de lÕle et dnrent avec moi. Le soir Mrs de Retz, de Guymen, et dÕautres, qui en revenaient aussi, vinrent souper et coucher en mon logis.
La nuit il y eut tourmente.
Le vendredi 12me je les menai voir nos travaux, et deux vaisseaux ennemis chous de la tourmente de la nuit passe, la rade de Chef de Bois, dont ils avaient retir les hommes dans des chaloupes. Puis leur ayant donn dner, je les renvoyai au quartier du roi dans mon carrosse.
Le samedi 13me la tempte ayant fait retirer les barques Rochelaises, force gens eurent moyen de revenir de lÕle. Les chevau-lgers du roi repassrent de R en mon quartier. Monsieur vint au Plom voir les dbris de la tempte.
Le dimanche 14me Marillac et quantit dÕautres revinrent de lÕle coucher chez moi.
Le lundi 15me je fus Dampierre prendre cong de Monsieur, qui se retira de lÕarme et sÕen retourna Paris. Je fus de l Netr trouver le roi.
Tout le reste des troupes qui taient sous ma charge et que jÕavais envoyes en R, furent ce jour-l de retour en leurs quartiers.
JÕallai ce mme soir reconnatre une nouvelle ouverture que monsieur le cardinal voulait tre faite au port Neuf, avec un marinier fort expriment quÕil mÕavait envoy, nomm Sanson.
Le mardi 16me Monsieur (qui avait t retenu le jour prcdent par le roi), sÕen alla de lÕarme.
Le mercredi 17me je fus au Plom faire partir force barques pour aller en R requrir ceux qui y taient encore. Le comte de Burie et force autres revinrent de lÕle chez moi.
Le roi mÕenvoya qurir pour le venir trouver le lendemain matin, comme je fis, le jeudi 18me ; et tant au conseil avec monsieur le cardinal et peu dÕautres, me dit que monsieur son frre sÕen tant all, qui avait entrepris de faire un fort Lafons sans lequel la Rochelle nÕtait point assige, et quÕil sÕtait charg dÕassiger la ville depuis le marais de Lafons qui tait la fin de mon dpartement jusques Ronsai o commenait celui de Mrs de Schomberg et dÕAngoulme et duquel le roi et monsieur le cardinal se chargeaient particulirement, et que lÕayant prsent Mr dÕAngoulme pour sÕy loger la place de Monsieur et construire les forts, redoutes, et lignes ncessaires, il lui avait demand cinq cents chevaux, et cinq mille hommes de pied, ne le voulant entreprendre avec moindres forces, lesquelles difficilement Sa Majest lui pourrait maintenant fournir ; que sur ce sujet il mÕavait envoy qurir pour mÕoffrir dÕajouter tout ce dpartement au mien, et savoir quelles troupes je demanderais dÕaugmentation lÕarme que jÕavais dj, et quel secours de charrettes, dÕoutils, et dÕautres choses, je demanderais de plus. Je lui rpondis que jÕavais de toutes choses suffisance, si le roi me commandait de lÕentreprendre, et que je lui fortifierais et retrancherais lÕavenue de terre qui tait encore libre aux Rochelais, de telle sorte que dans quinze jours je lÕaurais ferme. Le roi crut que je me moquais en lui disant cela, et me rpliqua que je lui demandasse librement, et si je me voudrais contenter de trois rgiments de plus et de trois compagnies de chevau-lgers ; et moi je lui rpondis que, si il augmentait mes troupes, je ne lÕentreprendrais pas. Il mÕenquit l-dessus quand je voudrais commencer. Je lui dis que le lendemain jÕirais reconnatre et tracer le fort, que je me prparerais le samedi, et que le dimanche au matin je mÕy irais loger. Il me dit quÕil ne pensait pas que je le pusse faire si tt, et puis me demanda avec combien de forces je mÕy viendrais loger : Ē Avec quatre cents hommes de pied et quarante chevaux Č, lui dis-je. Il dit alors que je me moquais, et quÕil ne me le souffrirait pas. Je lui repartis quÕil le ferait donc faire par un autre ; que je nÕy voulais pas employer un homme davantage, et quÕil me laisst faire ma fantaisie, ou que je quitterais tout l : ce que je faisais par dpit de Mr dÕAngoulme qui tait l. Lors, je pris cong du roi qui me recommanda de prendre mes srets de telle sorte que lui, et moi ensuite, ne reussions point dÕaffront.
Le vendredi 19me je pris cinquante chevaux, et deux cents hommes de pied, et mÕen vins reconnatre le lieu o je ferais mon fort, que je fis tracer par un ingnieur nomm le Flamen ; puis je mÕen revins. Par les chemins les ennemis me vinrent chicaner : je les fis pousser jusques dans leurs portes par la compagnie de la Roque Massebaut, qui y perdit dÕun coup de mousquet son marchal des logis, qui fut grand dommage.
Le samedi 20me le rgiment des gardes et celui de la Melleraye revinrent de R. Je logeai ce premier Losieres, et lÕautre Lommeau.
Canaples amena le milord Montjoye, son prisonnier, loger et coucher chez moi, qui les laissai au lit le lendemain dimanche 21me, pour mÕacheminer la garenne de Lafons avec deux cents hommes du rgiment de Vaubecourt, deux cents Suisses, et vingt chevaux de la compagnie de la Roque Massebaut. JÕemmenai aussi quatre de ces petites pices que lÕon nomme courtauds, avec de la munition, fascines, et outils ncessaires pour travailler. Je trouvai la compagnie de Ruffec qui tait en garde proche de Lafons, que jÕemmenai aussi quand et moi. DÕabord je fis deux fortes barricades aux deux chemins creux qui sont gauche et droite de la garenne, qui se viennent joindre trois cents pas de la porte de Coygnes, et fis avancer cent cinquante Franais, et autant de Suisses, assez proche de lÕenfourchure des deux chemins. Je mis les vingt chevaux de la Roque bien loin sur ma droite et mes gardes encore aprs, pour donner ombrage aux ennemis, en cas quÕils voulussent sortir, que cette cavalerie irait couper entre la ville et eux. JÕen fis de mme la gauche de la compagnie de Ruffec et la fis suivre par un petit gros de vingt-cinq volontaires qui mÕavaient suivi. Je mis Mr du Hallier avec les Franais, La Courbe avec les Suisses, et moi allais partout, cependant que nous travaillions faire ce fort, que jÕavais pris de quarante toises dans Ļuvre en carr sur le coin droit de la garenne dont les deux fosss me servaient. Les ennemis qui aperurent que lÕon les venait entirement fermer par ce fort, sortirent mille ou douze cents hommes de la ville pour nous en venir empcher ; mais voyant ces quatre gros de cavalerie quÕils pensaient destins pour leur empcher leur retraite sÕils sÕavanaient, intimids par ces petits canonnets qui leur tirrent quelques coups, croyant aussi que je nÕavais pas mis trois cents hommes mes enfants perdus sans en avoir pour le moins quinze cents au gros, se continrent contre leurs murailles sans nous venir incommoder, hormis de plus de quatre cents canonnades quÕils nous tirrent, qui turent douze ou quinze soldats ou travailleurs. Cependant le bruit de ces canonnades fit venir lÕalarme quantit de noblesse du quartier du roi, que je fis mettre encore en deux gros de cavalerie, de sorte que les Rochelais me laissrent paisiblement travailler. La nuit je mis les rgiments de Chastelier Barlot et de Ribeyrac dans ce fort, pensant quÕils viendraient le mugueter, et cinquante chevaux sur les avenues : mais ils ne firent aucun semblant de sortir.
Mrs de Canaples et de Montjoye passrent le matin comme je commenais ce fort, et voyant que je nÕavais quasi personne pour me soutenir, Canaples voulut faire arrter les huit cents hommes du rgiment des gardes quÕil ramenait de R. Mais je ne le voulus souffrir, et lui dis quÕil dit au roi que je lui tenais promesse, et que je nÕavais pas outrepass le nombre que je lui avais dit, et que sÕil mÕenvoyait un seul homme de renfort, que je quitterais tout.
Je pensais y coucher ; mais le marchal de Schomberg arriva chez moi du retour de lÕle, ce qui fit que jÕy laissai Mr du Hallier, et mÕen allai lui faire bonne chre.
Le lundi 22me jÕamenai Schomberg voir ce que jÕavais fait le jour prcdent, puis mÕen vins avec lui voir le roi qui lui fit fort bonne chre, comme certes son action le mritait. Il me la fit ensuite de mon Ļuvre du jour prcdent et m'offrit encore renfort de troupes dont je le remerciai : seulement lui dis-je, que sÕil mÕtait le rgiment de Navarre comme il dsirait, et celui de Beaumont quÕil voulait envoyer en Normandie pour crainte des descentes des Anglais, quÕil me les remplat dÕailleurs, ce quÕil me promit et mÕenvoya ds le jour-mme le rgiment de la Melleraye et celui de Parabere.
Je mÕen revins au galop dner chez moi o je trouvai Mr de Mende et La Melleraye qui mÕy attendaient. De l je vins jusques minuit dans le fort de Lafons, et ramenai Mr lÕvque de Nmes souper et coucher en mon quartier pour y attendre son frre Toiras.
Le mardi 23me il sÕchoua une barque qui venait de R au moulin de Laleu, que des barques Rochelaises vinrent piller : je m'y trouvai de bonne fortune avec vingt Suisses ramasss, et leur fis quitter ; puis je mÕen retournai Lafons.
Le mercredi 24me Beaumont et son rgiment arrivrent de lÕle.
Guron me vint trouver que je malmenai pour nÕavoir pas bien assist des choses ncessaires qui dpendaient de Marans, l'embarquement de R.
Le jeudi 25me Toiras arriva de lÕle et dna avec moi, puis fut pour trouver le roi qui tait le jour auparavant parti pour aller Surgres, ce qui le fit revenir souper et coucher chez moi.
Une barque des Rochelais, en rentrant dans leur port, fut coule fond par les coups de canon qui leur furent tirs du Fort-Louis.
Le vendredi 26me je vins dner Angoulains avec les autres chefs de lÕarme pour rsoudre des vivres, des prts, et des autres choses ncessaires. De l je mÕen revins demeurer fort tard au fort de Lafons qui sÕavanait dÕheure en heure.
Du Bois le gendarme fut tu dans le canal par les ennemis. Le Plessis arriva.
Le samedi 27me deux matres maons ou architectes de Paris, lÕun nomm Meteseau, lÕautre Tiriot, vinrent proposer de faire une digue pierre perdue dans le canal de la Rochelle pour le boucher. Monsieur le cardinal me les envoya, et jÕapprouvai leur dessein qui avait dja t propos au roi par Beaumont.
Le soir monsieur le cardinal mÕenvoya Bussy-Lamet et Beaulieu-Barsac, me mandant de les faire passer en R.
Le dimanche 28me je fis commencer la digue de mon ct par ces entrepreneurs qui nÕy avancrent pas grand chose.
Le lundi 29me je fus Lommeau voir Beaumont qui tait trs malade. Les Rochelais firent une embuscade pour me prendre au Coulombier rouge ; mais mÕayant t dcouverte, nous leur tumes trois hommes et un cheval.
Ces entrepreneurs revisitrent notre ct pour voir o ils pourraient trouver assez de pierre pour fournir la digue.
Le mardi dernier jour de novembre jÕallai au conseil chez le roi : puis je vins Lafons o de la ville on tira une canonnade qui tua quatre travailleurs.
Dcembre. Ń Le mercredi premier jour de dcembre le commandeur de Valanay, et Toiras, me vinrent voir. Je les menai aprs dner voir travailler au fort de Lafons.
Le jeudi 2me je fus voir Beaumont qui tait lÕextrmit.
Le soir Mr du Hallier revint du quartier du roi quÕil me dit tre en colre contre moi, et quÕil lui avait dit que je ne voulais rien faire de tout ce quÕil me commandait. Le fait tait que ces messieurs de son quartier, lÕignorance desquels jÕavais publie en la construction du fort dÕOrlans, lui dirent que, bien quÕil mÕet ordonn de fortifier toute la garenne de Lafons, je nÕen avais voulu fortifier que le quart ; que nanmoins jÕy ferais une prodigieuse dpense parce que ce fort tait de bois ; que les courtines avaient vingt pieds dÕpaisseur ; que je ne faisais quÕun simple carr sans flancs aucuns, et que je lÕlevais trop haut. La dernire fois que je vis le roi, il me dit : Ē Il me semble que quand vous ne feriez vos courtines si paisses, que ce serait le meilleur. Č Je lui rpondis : Ē Sire, si Votre Majest avait vu le fort, Elle jugerait elle-mme que les courtines nÕont pas trop dÕpaisseur. Obligez-moi de mÕen laisser le soin, et si puis aprs il nÕest votre gr, ne me blmez pas seulement, mais me chtiez. Č Sur cela je mÕen allai, et on lui dit que je ne voulais prendre que le quart de la garenne : sur cela il se mit en colre et dclama hautement contre moi.
Je mÕen allai le trouver le lendemain vendredi 3me et en passant entre le Coulombier rouge et le lieu o depuis je fis faire le fort du Saint-Esprit, comme je parlais don Augustin Fiesque et Cominges qui taient un peu plus avancs que moi, une canonnade de la ville donna par la tte du cheval de don Augustin et le tua.
Je fis mes plaintes au roi qui me satisfit, et je le rendis satisfait en tel point quÕil me dit que ceux qui lui avaient parl contre moi taient des ignorants ; car le fort que je faisais tait plus grand que le Fort-Louis, et si je lÕeusse fait leur mode, je fis voir au roi que jÕeusse fait une grande ville.
En retournant Laleu assez tard, la compagnie de la Roque-Massebaut qui demeurait tout le jour en garde au Coulombier rouge pour la sret du passage, sÕtant retire, trouva en arrivant au quartier que je n'y tais point encore revenu, et craignant que les ennemis ne troublassent mon retour, revinrent au galop pour nous faire escorte ; et moi qui crus que cÕtaient les ennemis, allai la charge eux, de sorte quÕavant que se reconnatre, il y eut quelques coups de pistolets tirs.
Le samedi 4me jÕeus le soir une alarme qui me fut donne par un signal du Fort-Louis. JÕy accourus ; mais je ne trouvai rien.
Le dimanche 5me je fus malade et ne sortis point de chez moi, ni aussi le lundi 6me ; mais le mardi 7me je mÕen vins voir la digue que Meteseau faisait travailler de mon ct.
Ce mme jour il y eut un beau combat proche de la porte de Coygnes entre les Rochelais qui taient sortis, et Mr du Hallier avec Mr dÕElbene et sa compagnie et Le Chastelier-Barlot qui tait garder notre fort de Lafons commenc. Ils rembarrrent bravement les ennemis, et avec morts, et prisonniers quÕils amenrent.
Le soir un ingnieur allemand nomm Clarver fit tirer quelques bombes dans la ville. Mais comme il nÕtait pas assez prs, et que ses mortiers nÕtaient assez gros, ce fut sans effet.
Le mercredi 8me je fus mand au conseil. JÕallai dner chez monsieur le cardinal au Pont de la Pierre ; puis nous vnmes trouver le roi Netr.
Le jeudi 9me le roi envoya Mrs de Bligny et de Lch pour lui rapporter lÕtat de mon arme laquelle je leur fis voir par rgiments afin quÕils lui en fissent rapport ; car cÕtait le jour de la montre.
Le vendredi 10me monsieur le cardinal me renvoya encore Arnaut pour juger de l'embouchure du port Neuf et des cluses qu'il y fallait faire pour retenir lÕeau douce, ce quÕil revisita encore tout le jour suivant.
Le dimanche 12me Mrs le cardinal de la Valette, de Schomberg et de la Roche Guyon vinrent dner avec moi. Ils arrivrent comme nous venions dÕachever un combat avec la cavalerie de la Rochelle, proche du Coulombier rouge, o nous leur tumes deux hommes. Je les menai aprs dner Lafons o je courus grand fortune dÕtre tu de trois coups de canon conscutifs qui tous trois me couvrirent de terre.
Le lundi 13me je fus Lafons, et fis ce que je pus pour harceler les ennemis afin de les faire sortir pour donner battement La Cure, dÕUcelles et autres qui mÕy taient venus voir.
Le mardi 14me les ennemis sortirent de la porte de Coygnes ; mais ce nÕtait quÕen intention de nous tirer force canonnades, pensant que nous ferions comme le jour prcdent.
Le mercredi 15me je me fis saigner, et ne sortis point de la maison ; car je me trouvais mal.
Le jeudi je fus trouver le roi Coreilles, qui voyait travailler sa digue. Il revint au conseil, et je ramenai de l les trsoriers, qui avaient dlay depuis la montre de faire le paiement de lÕarme o je commandais.
Le vendredi 17me je fis commencer un pis lÕembouchure du port Neuf qui tait ouverte, pour empcher que ladite embouchure ne fut remplie de sable au reflux de la mer.
Toiras arriva de R, qui vint servir de marchal de camp en mon quartier.
Le samedi 18me jÕenvoyai Mr de Nmes au roi lui demander Mr de Lisle-Rouet pour avoir soin de faire travailler notre digue et venir loger prs de moi, afin dÕen dlivrer de soin les marchaux de camp.
Le dimanche 19me jÕallai trouver le roi comme il partait pour aller Surgres, qui me donna Lisle-Rouet, et au marquis de Neesle le gouvernement de la Fere, vaquant par la mort de Beaumont, de qui on donna toutes les charges, rservant son fils une certaine somme sur celle de premier matre dÕhtel.
Le lundi 20me comme jÕtais au fort de Lafons, Mrs dÕAngoulme, Schomberg, Vignolles et Marillac mÕy vinrent voir, et allmes reconnatre le lieu o ils voulurent faire le fort de Beaulieu.
Ce jour l le port Neuf fut ouvert, et les galiotes y entrrent.
Le mardi 21me je fus dner et au conseil chez monsieur le cardinal. Aprs je mÕen revins par le canal au port Neuf.
Le mercredi et le jeudi se passrent en mes divers travaux, et le vendredi 24me jÕenvoyai le rgiment de Beaumont : les officiers me vinrent dire adieu, et je fis donner leur logement de Lommeau au rgiment du Plessis-Pralain.
Le samedi 25me, jour de Nol, je fis mes pques.
Le dimanche 26me je passai le canal pour aller dner chez monsieur le cardinal : puis je fus voir Mr de Rambouillet.
Toiras et Le Hallier allrent en lÕle de R o ils demeurrent le lendemain, et le mardi 28me ils en revinrent.
Le mercredi 29me La Fert mÕenvoya un espion qui venait de la Rochelle reconnatre nos quartiers : je le fis pendre.
Le jeudi 30me je fus reconnatre les lieux propres pour y faire des forts et redoutes pour la circonvallation de la Rochelle.
Le vendredi 31me et dernier jour de dcembre Toiras mÕamena Des Roches Baritaux que jÕaccordai avec La Tabariere gendre du Plessis-Mornai.
Janvier.Ń Le samedi premier jour de janvier et de lÕanne 1628, je la commenai en faisant mes pques selon lÕobligation que jÕen ai comme commandeur du Saint-Esprit.
Il y eut alarme au fort de Lafons : les ennemis firent feinte de sortir ; mais ils se continrent : jÕy accourus.
Le dimanche 2me je fus Netr voir le roi, puis repassai par mer notre digue.
Le lundi 3me je passai le canal en barque et vins dner chez monsieur le cardinal. Le roi y vint tenir conseil ; puis je m'en revins passer la digue.
Le mardi 4me les ennemis firent une embuscade notre garde cheval proche du Coulombier rouge : jÕy arrivai, et les repoussai dans la ville.
Je fis ce jour-l commencer la circonvallation de la Rochelle en mon dpartement qui tait depuis le moulin de Beaulieu jusques au Fort-Louis dÕo je tirai une ligne jusques en un lieu o je desseignais une redoute au devant de Saint-Maurice.
Je fus dner chez Mr de Nmes au Fort-Louis avec Mrs de Tours et de la Roche Guyon.
Le mercredi 5me je continuai cette ligne commence. Il y eut une forte tempte sur mer.
Le jeudi 6me, jour des Rois, je fus voir le ravage que la tempte de la nuit prcdente avait fait : elle fit chouer le vaisseau de Toiras nomm le Petit Ori ; elle jeta contre la rive le brlot de monsieur le cardinal, et un des vaisseaux murs destins boucher le canal de la Rochelle, aplanit la digue de notre ct et rompit celle de Coreilles.
Le vendredi 7me la tempte jeta une telle quantit de pierres dans lÕembouchure du port Neuf quÕelle le boucha. Je fis travailler les ter et continuer puissamment mes travaux.
Fontenai vint demeurer chez moi trois ou quatre jours.
Le samedi 8me je fis commencer une ligne depuis le fort de Lafons jusques celui de Beaulieu.
Le soir jÕeus une alarme au Coulombier rouge, des ennemis qui y taient parus.
Beauvilliers me vint trouver Laleu.
Le dimanche 9me la tempte fut trs grande. JÕamenai Mrs de Tours et de Nmes, la Boche Guyon, Toiras et Argencourt dner chez moi.
Le lundi 10me je fus Netr voir le roi, et retournai par le fort de Beaulieu pour parler Schomberg.
Le mardi 11me je fis commencer la redoute de Saint-Maurice.
Le mercredi 12me je fus tout le jour visiter mes divers travaux.
Le jeudi 13me je fus tous mes travaux.
La nuit les ennemis forcrent la redoute de Labori sur les onze heures du soir vers Coreilles, et par mer prirent deux pinasses du roi.
JÕavais ce jour-l dn chez Mr de Schomberg qui me dit que la nuit prcdente il tait entr six-vingt bĻuf dans la Rochelle, mais que lÕon ne savait pas si cÕtait du ct que je gardais, ou du leur. Je lÕassurai que du mien rien nÕy tait pass.
Le vendredi 14me je fis ajouter mes autres travaux la construction de la redoute du Coulombier rouge. Je fis sonder les marais de Lafons et doubler toutes mes gardes pour empcher que rien nÕentrt dans la ville, et me fis certain que les bĻufs nÕy avaient point pass, au moins dans mon quartier.
Le roi qui tait all passer quelques jours Marans, o La Roche-Guyon mourut, fut averti par Mr d'Angoulme ds le lendemain que les six-vingt bĻufs furent entrs dans la Rochelle, et lui manda qu'ils taient entrs par mes quartiers, dont le roi fut fort en colre et mÕenvoya le marquis de Grimaut le samedi 15me de janvier, par lequel il me fit tmoigner le mcontentement quÕil avait de ma ngligence et de mon peu de soin. Je fus tellement indign de cette ambassade que je ne lui voulus rpondre autre chose sinon que jÕtais bien dÕaccord que ces bĻufs taient entrs, mais que je ne lÕavais su empcher, et que je verrais Sa Majest laquelle je rendrais compte de lÕimpossibilit de cette affaire, et que ce serait quand il me commanderait de lÕaller trouver, et non autrement.
J'envoyai le dimanche matin le sieur de Lisle-Rouet trouver le roi, lequel avait vu comme il n'y avait aucune trace de bĻufs entrs dans la Rochelle en tout mon dpartement, et le priai en sÕen allant Netr (lui qui tait chasseur et bon connaisseur), de revoir par le chemin o ces bĻufs pouvaient tre entrs, lequel de bonne fortune en vit la piste entre Perrigny et Netr. Comme il fut arriv prs du roi, il lui tmoigna le juste mcontentement que jÕavais dÕtre blm des fautes des autres, et que, sans mÕavoir ou, ni avr le fait, sur la relation de mon ennemi, le roi ne mÕet pas seulement jug, mais condamn : Ē Comment, ce lui dit le roi, le marchal de Bassompierre ne nie pas que ces bĻufs ne soient passs de son ct : il dit seulement quÕil ne lÕa pas su empcher. Et pourquoi est-il donc l, si ce nÕest pour empcher que rien nÕentre dans la Rochelle ? Č Il lui rpondit : Ē Vraiment, Sire, il nÕavait garde de les empcher, puis quÕils sont entrs par le quartier de Mrs dÕAngoulme et de Schomberg. Car je puis rpondre Votre Majest premirement quÕil nÕen est entr un seul par les quartiers quÕil garde, et ensuite lui assurer quÕil en est entr six-vingt par les quartiers de de, comme jÕoffre prsentement de montrer si Votre Majest veut envoyer avec moi quelquÕun qui soit chasseur. Č Il envoya sur cela qurir Mrs dÕAngoulme et de Schomberg, qui Lisle-Rouet maintint que ces bĻufs taient entrs par leurs quartiers ; et avec un nomm Croysille que le roi envoya avec eux, ils montrent cheval, et il leur en montra la piste.
Sur ces entrefaites jÕtais venu au fort de Lafons qui tait dj en dfense : Mr du Hallier, Marcheville, La Courbe, don Augustin Fiesque, et dÕautres taient avec moi. Nous vmes sortir vingt-cinq cavaliers arms de la porte de Coygnes. Je fis prendre cinquante mousquetaires Mr du Haller, et huit de mes gardes avec quelques volontaires, pour les aller faire rentrer en leur tanire. Il partit donc, et moi je le suivis comme les mousquetaires sortaient du fort, et voyant quÕil sÕavanait par trop dans la rue du faubourg de Lafons vers les ennemis, je courus lui pour le faire arrter. Mais comme nous y tions, nous rencontrmes en un dtour de rue ces ennemis douze pas de nous, ce qui nous fit faire ferme, parce que nous nÕtions que dix chevaux et ces huit gardes, et qu'ils taient tous arms de toutes pices. Eux aussi en mme temps firent halte, et La Courbe leur cria : Ē Messieurs, il y fait bon, vous nÕaurez pas toujours deux cordons bleus en si belle prise. Č En mme temps un de mes gardes tira de sa carabine ; et eux, croyant notre contenance que nous tions suivis, se retirrent, et lors nous les poursuivmes, voyant leur pouvante, et les fmes jeter dans leur contrescarpe o ils furent soutenus de deux cents mousquetaires sortis de la ville qui commencrent escarmoucher avec ces cinquante hommes sortis du fort, et jÕen envoyai encore qurir cent, lesquels arrivs et notre garde cheval qui tait venue au bruit, comme d'autre ct La Borde-Vely avec trente chevau-lgers, qui tait en garde devant le fort de Beaulieu, y tant accouru, les ennemis jugrent que la partie nÕtait pas tenable ; mais voyant en rentrant dans la porte de Coygnes Mrs dÕAngoulme et de Schomberg occups remarquer lÕentre des bĻufs, allrent eux, ce qui les mit en peine ; et moi le voyant j'y vins au galop les soutenir avec la compagnie de Marconet que je fis suivre. Je trouvai Mr de Schomberg la tte lÕpe la main lui cinquime et Mr dÕAngoulme qui allait et venait avec huit ou dix hommes pour ne laisser pointer des canons sur lui, qui ne furent pas marris de mon arrive, laquelle fit retirer les ennemis, qui se contentrent de nous tirer force canonnades.
Le lundi 17me on mÕamena sept prisonniers qui avaient voulu se jeter dans la ville, gens de bonne mine si on leur et peu ter lÕextrme peur quÕils avaient dÕtre pendus. Mais je les traitai doucement.
Je mÕen allai trouver le roi qui je fis force plaintes, et lui certes me satisfit par force paroles dÕestime et dÕaffection de ma personne.
Quelques espions quÕil entretenait dans la Bastille lui donnrent avis que les Rochelais avaient une entreprise sur le Pont de la Pierre qu'ils devaient cette nuit mme venir ptarder. Monsieur le cardinal nÕy tait pas alors : il tait all par mer en Brouage, et le vent contraire retardait son retour. Le roi prit lÕalarme bien chaude et me lÕenvoya donner avec la mme lettre quÕil avait reue qui contenait que six cents hommes devaient sortir par mer dans des barques de la Rochelle et venir en haute mer aborder dans les platains dÕAngoulains, mettre pied terre, forcer coups de ptard le Pont de la Pierre et puis se rembarquer dans leurs mmes barques et sÕen revenir la Rochelle. Quand jÕeus fait rflexion sur cette lettre, je jugeai lÕavis impertinent et mandai au roi que six cents hommes dans des barques se voient venir par le canal ; quÕils ne sÕoseraient hasarder de se jeter dans les platains, car ils seraient perdus : quÕils ne sauraient se dbarquer sans tre dfaits par les rgiments de Pimont et de Rambures, logs Angoulains, devant le quartier desquels ils devaient forcement passer ; que quand bien ils prendraient sans rsistance le Pont de la Pierre dont le chteau est bon, bien fossoy, et qui peut tre dfendu par vingt hommes contre toute la puissance de la Rochelle sÕils nÕamenaient du canon, ils ne se pourraient rembarquer cause de la mer qui serait en une heure retire des platains, et que par consquent Sa Majest pouvait dormir en repos, l'assurant que, si les ennemis lÕentreprenaient, jÕavertirais par trois coups de canon tirs du Fort-Louis leur arrive, plus dÕune heure avant quÕils se pussent dbarquer, et que ce serait une gorge chaude pour les rgiments de Pimont et de Rambures. Nonobstant toutes ces raisons ceux qui taient prs du roi le conseillrent de monter cheval : Mr dÕAngoulme dit quÕil serait proche des platains avec trois cents chevaux ; Marillac supplia au roi de lui permettre de garder le Pont de la Pierre avec deux cents hommes, et firent tout ce que lÕon et pu faire sÕil y et eu trente mille hommes dans la Rochelle, faisant passer la nuit cheval au roi sans raison ni sujet.
Le mardi 18me six grosses barques de la Rochelle sortirent la nuit du canal. Les vaisseaux du roi qui taient en garde quittrent leur poste : on nous donna une forte alarme, et le roi fut encore toute la nuit sur pied, et moi aussi.
Le mercredi 19me je fus tout le jour visiter mes travaux, tant du fort de Lafons que je faisais mettre en perfection que des lignes de circonvallation, que de la digue et du port Neuf.
JÕen fis de mme le jeudi 20me.
Le vendredi 21me je fus prendre cong du roi qui sÕalla remettre des fatigues inutiles que lÕon lui faisait prendre, Surgres. JÕallai de l voir monsieur le cardinal qui me mena dner chez Marillac au fort de Coreilles ; et lÕaprs-dner quinze vaisseaux murs par dedans lui tant arrivs, il en fit enfoncer sept devant lui pour aider aux deux digues de fermer le canal. Huit galiotes des ennemis sortirent de leur port et vinrent fort avant contre les ntres. Cependant les canonnades de la Rochelle faisaient beau bruit, et monsieur le cardinal me fit passer le canal pour aller en mon quartier donner ordre de repousser ces galiotes coups de canon.
Ce jour mme on eut nouvelle que les flottes jointes ensemble, franaise et espagnole, taient lÕancre Saint-Martin de R, commandes par Mr de Guise et sous lui don Fadrique de Toledo.
Ce jour mme la redoute de Saint-Maurice fut acheve.
Le samedi 22me je vins trouver monsieur le cardinal sur la digue de Coreilles, qui attendait Mr de Guise et don Fadrique qui y arrivrent. Il me vint ce jour-l une belle galiote que Vassal mÕavait fait faire et quiper dans laquelle, aprs avoir salu les deux amiraux, je mÕen revins en mon quartier.
Le dimanche 23me je vins prendre Schomberg en passant, et allmes ensemble dner chez le garde des sceaux qui nous avait convis afin de tenir conseil l'aprs-dner sur les affaires des Grisons.
La nuit prcdente les Rochelais taient sortis en basse-mer contre lÕestacade de vaisseaux murs, o ils avaient tch de mettre le feu : ils y turent un brave capitaine de Pimont qui tait barnais nomm Baurs.
Le lundi 24me le roi mÕenvoya commander de faire mettre une compagnie de chevau-lgers en garde pendant la basse-mer, durant la haute mare, ce que je fis le mme soir, et y allai moi-mme.
Nous cessmes nos travaux cause du grand froid.
Blainville arriva ce jour l en mon quartier, que je logeai.
On pensait faire entrer seize bĻufs dans la Rochelle, qui furent pris par les gardes du Coulombier rouge du rgiment de Ribeyrac.
Le mardi 25me le grand froid continua, et nos travaux cessrent.
Mr de Guise vint loger en mon quartier. Il y eut alarme dans la basse mare au canal, quelques ennemis ayant fait semblant de sortir. JÕy allai avec mille hommes suisses ou franais : Mr de Guise y voulut venir, et, lÕalarme cesse, me pria que je le menasse jusques mes sentinelles plus avances, ce que je fis si bien que nous allmes toucher une pice des ennemis quÕils ont sur leur port pour couvrir une machine qui leur fait retenir lÕeau de la haute mer dans leurs fosss, que lÕon nomme le Larron.
Le mercredi 26me Mr de Guise retourna au quartier du roi, si enrhum quÕil ne pouvait parler ; et le roi lui ayant demand dÕo lui venait cela, il lui dit que cÕtait lÕos dÕun gigot de mouton dont je lui avais fait tter la nuit prcdente (cette pice qui couvrait le Larron sÕappelait le Gigot de Mouton).
Le jeudi 27me janvier je passai en galiote en Coreilles o monsieur le cardinal y vint, qui me mena chez le roi o don Fadrique de Toledo eut audience. Le marquis Spinola et le marquis de Leganesse, son gendre, y arrivrent.
Le vendredi 28me la gele continua furieusement. Je demeurai en mon quartier avec Blainville. Feuquieres fut pris par les ennemis, et le lieutenant des gardes de monsieur le cardinal y fut tu, allant reconnatre le pont des Salines.
Le samedi 29me je passai Coreilles, et fus pied au quartier du roi pour visiter le marquis de Spinola et celui de Leganesse, et dire adieu don Fadrique qui sÕen allait. J'allai aussi visiter le marquis de Rambouillet, nouvellement revenu dÕEspagne, qui s'tait rompu un bras, qui jÕavais prt mon logis de Netr pour sÕy faire gurir.
Le dimanche 30me Mr de Nmes vint dner chez moi.
Les ennemis firent une sortie par la porte Neuve : nous les repoussmes.
Le lundi, dernier de janvier, Mrs de Guise et de Mende vinrent dner avec moi et dire Blainville quÕil ne pourrait voir le roi comme il prtendait. Je les ramenai Coreilles, et en passant le canal, une vole de canon de la Rochelle emporta un des avirons de ma galiote.
Fvrier. Ń Le mardi, premier jour de fvrier, je mÕen vins par mer Coreilles o je trouvai le roi qui mÕemmena en son quartier, me fit donner dner dans la chambre de Mr le Premier. Les marquis de Spinola et de Leganesse prirent cong du roi : je leur fus dire adieu ; puis monsieur le cardinal me ramena Coreilles, et je le menai voir sur ma galiote ses vaisseaux enfoncs.
Le mercredi 2me, jour de la Chandeleur, je fis mes pques.
Le froid continua fort grand.
Je posai des gardes sur quelques vaisseaux murs, et sur le petit chteau que Pompe Targon enfona au milieu du canal, qui subsista toujours.
JÕallai le soir faire garde cheval sur le canal en basse mare.
Le jeudi 3me je fus trouver Coreilles monsieur le cardinal qui faisait enfoncer dans le canal les vaisseaux murs. Il acheva cette estacade de vaisseaux, et y en employa trente et un.
Le vendredi 4me je passai le canal pour voir monsieur le cardinal. De l nous allmes, Mr de Guise et moi, voir Mr dÕEffiat qui avait t malade la mort : puis nous revnmes voir le roi, et de l je mÕen revins par mer en mon quartier.
Le samedi 5me je fis tracer par le Plessis-Besanon le fort de Sainte-Marie : puis jÕallai Lafons o les ennemis firent une sortie.
Le soir jÕallai avec la garde cheval en basse mare sur le bord du canal. Il y eut tempte au montant de la mer.
Le dimanche 6me Mr de Guise partit ayant auparavant t dner chez moi. Il emmena Blainville qui nÕavait boug de chez moi depuis son arrive. Je leur prtai mon carrosse pour les mener Saumur. Puis je fus en chaloupe dans le canal pour voir nos vaisseaux enfoncs, que la tempte avait mis hors de leur lieu destin.
Le lundi 7me les ennemis sortirent pour prendre dans leur canal en basse mer le dbris des vaisseaux que la tempte avait rompus, et nos gens les en empchrent : il y en eut de tus de part et dÕautre.
Le mardi 8me Mrs dÕAngoulme et de Schomberg eurent brouillerie.
Je fus le matin voir le roi qui me fit apprter dner la chambre de Mr le Premier : puis il tint conseil. Monsieur le cardinal me ramena la digue, dÕo jÕemmenai Mr de la Rochefoucaut loger chez moi.
Le mercredi 9me je passai chez le roi qui me fit traiter, comme le jour auparavant. Aprs dner Beautru le jeune me brouilla malicieusement avec le roi qui me maltraita. Je pris cong de lui ce soir-l parce quÕil partait le lendemain pour sÕen aller Paris, ayant donn un ample pouvoir monsieur le cardinal pour commander en son absence, dont nous nous contentmes.
Il partit donc le jeudi 10me pour sÕen aller Paris.
Le vendredi 11me j'allai dner Angoulains chez monsieur le cardinal qui tint conseil de guerre lÕaprs-dner.
On eut ce jour l nouvelle de la mort du cardinal de Sourdis.
Le samedi 12me je fis tracer le fort de Sainte-Marie.
Le dimanche 13me je fus dner, et au conseil, au Pont de la Pierre, et fis commencer le fort de Sainte-Marie.
Le lundi 14me je fus tout le jour visiter tous mes diffrents travaux.
Le mardi 15me, comme je voyais travailler au fort de Sainte-Marie, jÕaperus quelque vingt chevaux des ennemis sortir de la porte Neuve et passer le marais vers le fort Saint-Esprit. JÕaccourus la redoute du Coulombier rouge o il y avait de garde douze chevau-lgers de la compagnie de la Roque-Massebaut, qui je fis mettre salade en tte, et ordonnai un brave soldat nomm Rives, qui les commandait, que lorsque je lui ferais signe du fort Saint-Esprit et que jÕirais la charge, quÕil y vnt aussi de son ct, et je mÕen allai au galop au fort Saint-Esprit, faisant sortir cinquante mousquetaires sur la contrescarpe pour me favoriser. JÕavais un gentilhomme, deux de mes gardes, et un capitaine du rgiment de Vaubecourt, nomm Moleres, avec moi ; et comme je sortis du fort pour voir leur contenance, jÕtai mon chapeau pour commander quelque chose au comte de Ribeyrac qui tait de garde au fort avec partie de son rgiment : Rives crut que je lui faisais le signe que je lui avais dit, et vint la charge toute bride. Comme je vis que lÕaffaire tait embarque, je poussai aussi, moi cinquime, de telle sorte que les ennemis ne soutinrent pas notre charge, et voulurent repasser le marais. Mais nous leur tumes deux chevaux et un homme, et je pris prisonnier, qui se rendit moi, un jeune gentilhomme neveu de Mr de Courtaumer, bien mont et arm, qui faisait la retraite : il se nommait Bonneval, que monsieur le cardinal mÕenvoya demander pour tcher de l'changer avec Feuquieres.
Le mercredi 16me je continuai mes travaux, et emes alarme la nuit, de deux barques qui partirent de la Rochelle, sur lesquelles les vaisseaux qui taient lÕancre tirrent force canonnades. Car les grands vaisseaux ayant demand se retirer pour aller hiverner Brest, ne pouvant tenir durant les tourmentes sur ces basses mers, le commandeur de Valanai proposa de garder tout lÕhiver les vaisseaux qui taient au dessous de deux cents tonneaux de port, qui taient vingt et deux en nombre, avec lesquels il offrait de garder lÕembouchure du canal, mme contre une flotte anglaise, si elle venait, ce quÕil excuta comme il lÕavait promis, cause du secours quÕil avait des deux cts, du peu dÕeau quÕil y avait dans le canal, qui faisait que les grands vaisseaux nÕen pouvaient approcher, et de la crainte que les autres avaient de sÕchouer une des deux rives o leur ruine tait vidente.
Le jeudi 17me je fus au conseil chez monsieur le cardinal ; puis je repassai par mes travaux.
Le vendredi 18me nous fmes garde sur le bord du canal en basse mare.
Le samedi 19me les ennemis sortirent vers le fort de Beaulieu, o jÕallai.
Le dimanche 20me, il y avait quelques jours que monsieur le cardinal se trouvait mal ; mais ce jour-l il eut la fivre trs forte. Je le fus voir.
Le lundi 21me les ennemis vinrent pour enlever la redoute de Lafons qui nÕtait encore du tout paracheve. Mais ils y trouvrent de la rsistance, et la cavalerie vint promptement au secours avec deux cents hommes qui sortirent du fort de Lafons.
Le mardi 22me je fus tout le jour occup mes travaux.
Le mercredi 23me jÕen fis de mme.
Le jeudi 24me je vins dner au Pont de la Pierre o le conseil se tint.
Mr du Hallier partit pour aller Paris.
Je fus dire adieu Mr de Rambouillet, et vins voir Beauvilliers qui se mourait.
Le vendredi 25me le temps fut mauvais : on ne travailla point.
Le samedi 26me Jean Farine vint tirer un coup de pistolet un Suisse qui levait des gazons pour la redoute de Lafons. JÕtais l auprs avec M. de Toiras qui passa pour courre aprs, et dÕautres aussi, et moi de mme ; nous allmes jusques la barrire de la porte de Coygnes qui tait ferme, et Jean Farine se jeta dans la contrescarpe. Il nÕy avait pas un homme sur les remparts pour nous tirer, hormis au retour que lÕon nous tira cinq canonnades qui faillirent nous tuer.
Le soir un prisonnier nomm Saint-Siforien se sauva de mes prisons.
La tempte commena par un surot qui dura toute la nuit.
Le dimanche 27me la tempte continua, qui fit cesser le travail de notre digue.
Le lundi la pluie extrme fut cause que lÕon ne put travailler aucune chose.
La nuit une barque de la Rochelle sortit malgr notre arme de mer.
Le mardi 29me je fus dner chez Schomberg ; puis jÕallai chez monsieur le cardinal au conseil. De l jÕallai visiter Mr de Beauvilliers qui tirait la fin.
Mars. Ń Le mercredi premier jour de mars jÕeus nouvelle de sa mort.
Ce jour-l ma circonvallation fut acheve de fermer.
Je mÕen allai le soir promener sur la mer.
Le jeudi 2me je fus tout le jour occup mes ouvrages.
Le vendredi 3me je vins dner Netr chez Schomberg qui y tait venu loger.
Nous accordmes Ambleville et Sabran.
La Melleraye se battit contre...., Rochelais, et fut bless. Mr de Schomberg et moi le fmes voir en son quartier de Niueil.
Le samedi 4me je me fis saigner. Force gens me vinrent voir.
Le dimanche 5me monsieur le cardinal mÕenvoya qurir au conseil, o nous jugemes La Melleraye bannissement et perte de sa charge, pour sÕtre battu sans permission de monsieur le cardinal ou de moi : mais ensuite monsieur le cardinal trouva bon que jÕcrivisse au roi en sa faveur.
Le lundi 6me je vins recevoir au commencement de mon dpartement, Mrs d'Angoulme, Schomberg, La Cure, Marillac, Chateauneuf et autres, qui me vinrent voir, et dner chez moi.
Le mardi 7me, jour de carme-prenant, Mr de Schomberg nous festina, et moi le soir fort bonne compagnie. On ne travailla point ce jour l.
Le mercredi 8me de mars, jour des Cendres, Toiras alla dcoupler ses chiens courants pour courre un livre entre nos lignes et la Rochelle, la merci des canonnades de la ville. Je lÕen allai retirer, et me fcher contre lui, qui ne laissa pas de venir souper avec moi.
Le jeudi 9me je fus au conseil chez monsieur le cardinal.
Le vendredi 10me monsieur le cardinal mÕcrivit de le venir trouver le lendemain samedi 11me, ce que je fis, et il me communiqua lÕentreprise quÕil avait faite de ptarder la Rochelle par le canal qui y entre et fait le port, me convia dÕy venir avec deux mille hommes de pied et trois cents chevaux. Je fis le soir battre au champ la sourdine, et marchai droit Ronsai o tait mon rendez-vous. Monsieur le cardinal y arriva peu aprs avec pareil nombre de gens de guerre. Nous fmes notre ordre, prts soutenir le ptard, et donner : mais Marillac et les porteurs de ptard avec cinq cents hommes qui devaient donner devant nous, ne se trouvrent de toute la nuit qui se passa sans alarme dans la ville, o on ne sut rien de notre entreprise que le lendemain au soir. Je mÕen revins malade dÕune apostume la gorge, qui se pera le mme soir, que lÕon croyait tre une peste.
Nous revnmes de cette belle entreprise qui fut si mal excute le dimanche 12me auquel jÕeus une trs forte fivre. Monsieur le cardinal mÕenvoya Mr Sitoy son mdecin qui demeura auprs de moi.
Elle me continua encore le lundi 13me auquel cinq heures du matin Marillac fit une entreprise pour rparer celle du pont des Salines, au fort de Tadon, qui lui russit aussi mal, et ceux qui la tentrent se retirrent en dsordre sur un mot que dit Marillac, qui fut : Ē Tournez Č, au lieu de dire : Ē Ė droite Č, pour se retirer, de sorte quÕil y eut une grande confusion et plus de quarante que tus que blesss.
Le mardi 14me ma fivre continua. La Melleraye me vint dire adieu.
Le mercredi 15me je fus saign. Force gens me vinrent voir.
Le jeudi 16me je fus encore saign, et ma fivre diminua par la grande quantit de matire que ce charbon jeta.
Le vendredi 17me ma fivre me quitta : je me levai: Schomberg me vint voir et dner avec moi.
Le samedi 18me je demeurai encore la chambre de peur du froid.
Le dimanche 19me je pris mdecine.
Monsieur le cardinal me donna, au lieu de Lisle-Rouet qui sÕen tait all son gouvernement de Conquernau, Mr de Tavannes et lÕabb de Beauveau pour mÕaider faire la digue et en prendre le soin sous moi.
Le lundi 20me monsieur le cardinal me vint voir, et je sortis, pour la premire fois de ma maladie, et lÕaccompagnai tous mes travaux quÕil fut visiter, et les trouva excellents.
Mr du Hallier revint ce jour-l de Paris.
Le mardi 21me il reprit le soin de nos travaux quÕil trouva quasi parfaits, et je le fus mener les voir.
Le mercredi 22me le mauvais temps fit cesser tous nos ouvrages.
Une barque entra la nuit dans la Rochelle malgr nos chaloupes de garde, et deux autres chourent du ct de Coreilles, lÕune desquelles (o commandait un nomm Sacremore) se dfendit si bien que malgr la forte attaque qui lui fut faite par Marillac, elle entra encore dans le port ds que la mare revint : un nomm David commandait la premire entre, qui portrent en la ville vingt et deux tonneaux de bl.
Ce mme jour mon neveu de Bassompierre arriva au sige de la Rochelle.
Le jeudi 23me je fis faire une batterie sur le bord de la mer, de quatre canons, entre le port Neuf et la digue, qui fut acheve le vendredi.
Le samedi 25me je fis mes pques.
LÕan Rotelin qui avait la lieutenance de l'artillerie par la mort de son frre, arriva en mon quartier.
Le dimanche 26me Marillac me vint trouver pour se raccommoder avec moi : je mÕtais fch contre lui quelques jours auparavant. Il dna avec moi et Fontenai-Mareuil.
Mr le cardinal de la Valette revint ce jour l Netr.
Le lundi 27me la tempte vint dÕun vent de surot. Nous ne pmes travailler.
Le mardi 28me je fus voir Perrigny Mr de Schomberg malade, puis Netr Mr le cardinal de la Valette arriv.
Le mauvais temps fit cesser tous nos ouvrages.
Le mercredi 29me un tambour de la Rochelle me vint trouver pour me parler de quelques prisonniers, par lequel jÕeus avis des ncessits qui commenaient la Rochelle, de leur attente du secours anglais, de la crance quÕil forcerait la digue et mettrait des vivres dans leur ville, ce que manquant ils traiteraient, comme aussi des nouvelles quÕils avaient de Mr de Rohan, dont je donnai avis monsieur le cardinal.
Le jeudi 30me Mr le cardinal de la Valette et Schomberg me vinrent voir, dnrent avec moi et visitrent mes travaux, batteries et digues.
Le vendredi 31me je mÕoccupai les continuer.
Avril. Ń Le samedi, premier jour dÕavril, jÕallai dner chez monsieur le cardinal, puis tenir conseil o il fut rsolu que Mr de Schomberg sÕen irait en Limousin pour empcher que rien ne sÕy remut.
Le dimanche, lundi et mardi, je fis perfectionner toute la circonvallation qui tait trs belle, et en creuser les fosss davantage.
Ce mardi un coup de canon de la tour de Saint-Barthelemy donna entre les jambes de mon cheval sans faire aucun mal. Je fus cette semaine sujet tre canonn : car le mercredi 5me un autre coup de canon me couvrit de terre Lafons et tua trois soldats qui je parlais.
Le jeudi 6me le tambour de la Rochelle me vint trouver et mÕapporta force lettres de ceux de la Rochelle avec qui jÕtais en intelligence. Je passai le canal avec Mr de Chateauneuf qui tait venu dner avec moi, et les portai monsieur le cardinal.
Le vendredi 7me sur la rponse que le roi mÕavait faite en faveur de Mr de la Melleraye et ce quÕil en avait crit monsieur le cardinal, il revint lÕarme faire sa charge.
Il y eut tempte sur mer par un surot.
Le samedi 8me monsieur le cardinal vint dner chez moi avec Mr le cardinal de la Valette et plusieurs autres. Je lui fis voir le projet des machines que Le Plessis avait inventes, quÕil trouva fort son gr et me commanda d'y faire travailler.
Je fis mettre quatre canons au fort de Saint-Esprit.
Le dimanche 9me on ne travailla point, ni le lundi aussi, pour le mauvais temps.
Le mardi 11me monsieur le cardinal nous envoya qurir pour dner avec lui et tenir conseil, auquel Le Coudrai-Montpensier fut suspendu de sa charge de capitaine de chevau-lgers.
LÕaprs-dner, comme jÕtais au fort de Lafons, quelque cavalerie des ennemis sortit au champ de Mars (ainsi appelait-on une valle entre le fort et la ville, o les canonnades de lÕun et de lÕautre ne pouvaient offenser et o tous les jours il y avait quelque petite escarmouche) ; celle-l ne le fut pas : car les ayant repousss avec ma garde cheval ils sortirent deux cents hommes de pied de la ville. JÕen fis sortir autant, et mandai Mr de la Melleraye quÕil ft avancer cinquante mousquets sur le haut notre main gauche. Mais les ennemis sortirent encore deux cents hommes sur lui, et lui ayant tu ses pieds celui qui menait ces cinquante soldats qui avaient tir toute leur poudre, ils se retirrent bien vite et laissrent leur matre de camp : sur quoi je poussai avec quinze chevaux de mes gardes, lÕpe la main, droit lui, pendant que Mr du Hallier par le faubourg, et Villemonte cornette des chevau-lgers de Monsieur avec vingt matres, par le champ de Mars, firent pareille charge, et retirmes Mr de la Melleraye qui sans cela allait tre pris. Je fis venir deux cents hommes du fort Sainte Marie, la compagnie de cavalerie de Marconet qui y tait en garde, et autres deux cents hommes du fort de Lafons, avec quoi nous fmes jusques la nuit aux mains avec les Rochelais favoriss de leurs courtines et contrescarpe, qui enfin nous spara avec perte dÕun ct et dÕautre de trente hommes au moins.
Le mercredi 12me, jour de ma nativit, comme aussi les suivants, jeudi et vendredi, furent employs nos occupations ordinaires.
Le samedi 15me je fus voir Mr de Montbason arriv Netr que je ramenai par Saint-Regratien voir Mr le comte dÕAlais malade, coucher en mon quartier.
Ce jour l nous bouchmes les canaux des fontaines allant la Rochelle.
Le dimanche 16me je fus dner Netr chez monsieur le cardinal qui mÕemmena avec lui Surgeres au-devant du roi qui revenait de Paris en son arme.
Le lundi 17me le roi arriva Surgres, et le mardi je mÕen revins Laleu.
Le mercredi 19me je fis la nuit mettre le feu aux deux moulins vent qui taient devant la porte de Coygnes.
Le jeudi-saint, le vendredi et le samedi, comme aussi le dimanche de Pques auquel je fis mes pques, il ne se passa rien dÕextraordinaire.
Le lundi 24me je fus dner avec monsieur le cardinal, puis avec lui au devant du roi qui arriva Netr. Le soir nous fmes salves dans tous les quartiers pour rjouissance de son arrive, et fmes tirer force canonnades tant sur terre que sur mer.
Le mardi 25me tous les nouveaux venus de Paris me vinrent voir et dner avec moi, admirant mes travaux.
On fit sommer les Rochelais par un hraut quÕils ne voulurent our.
Je fis la nuit tirer dans la ville, du Fort-Louis, des balles feu qui le mirent en deux endroits avec grande rumeur par la ville.
Le mercredi 26me le roi mÕenvoya mander que je le vinsse trouver Coreilles avec ma galiote, qui tait la plus belle et la mieux quipe quÕil tait possible. Il se mit dessus pour voir les deux digues, puis vint son arme de mer, de laquelle il fut salu de quantit de canonnades. Il monta dans le vaisseau amiral, puis sÕen revint par les platains dÕAngoulains Netr o je dnai.
Le jeudi 27me je fis parachever de couper les tuyaux des fontaines.
Le vendredi 28me je fus dner chez monsieur le cardinal, puis au conseil chez le roi, o il fut trait des moyens de rsister la flotte anglaise dont on avait nouvelle de la venue.
Le samedi 29me le roi mÕenvoya donner avis (quÕil me manda pour certain), que les Rochelais devaient la nuit prochaine faire un effort sur le fort de Lafons, dont je me moquai. Je ne laissai pas nanmoins dÕy aller passer la nuit sans y renforcer les gardes.
Le dimanche 30me je fis commencer une grande batterie sur la pointe de Chef de Bois que je fis fermer et fortifier.
Mai. Ń Le lundi, premier jour du mois de mai, le roi vint visiter mes quartiers, mes forts, et mes lignes, dont il fut fort satisfait.
Le mardi je fis continuer la batterie de Chef de Bois.
Le soir il y eut alarme Lafons, o je passai toute la nuit.
Le mercredi 3me force gens me vinrent voir.
La nuit il y eut une fausse alarme de lÕarrive de la flotte anglaise qui devait faire descente au Plom, ce qui me tint encore cheval toute la nuit.
Le jeudi 4me il y eut un fort mauvais temps.
Le vendredi 5me je fus dner chez Mr de Schomberg, et puis nous allmes ensemble au conseil.
Le samedi 6me Mrs le cardinal de la Valette, Montbason, et autres, vinrent dner chez moi. Je les ramenai dans ma galiote Coreilles o monsieur le cardinal et Schomberg arrivrent, que je ramenai Chef de Bois et au port Neuf.
Le dimanche 7me le pre Josef vint loger en mon quartier avec quelques ingnieurs quÕil amena pour entreprendre quelque chose de nouveau aux canaux des fontaines de la Rochelle. Je les laissai faire.
Ce jour fut trs mauvais et gta quelque chose mes travaux que je fis raccommoder le lendemain lundi 8me, que Saint-Chaumont me vint voir et dner chez moi.
Le mardi 9me je fis mettre douze canons la batterie de Chef de Bois, et les munitions ncessaires.
Le mercredi 10me je fus dner chez monsieur le cardinal, et puis je repassai par tous mes travaux auxquels je mis lÕordre ncessaire en cas de lÕarrive de la flotte dont nous avions eu nouvelles certaines du partement.
Le jeudi 11me Mr de Mailsais (nouveau archevque de Bordeaux) et plusieurs autres, tant venus dner chez moi, je les menai aprs la batterie de Chef de Bois sur le midi, auquel temps la flotte anglaise parut aux Baleines, qui ayant t aperue par une sentinelle quÕ cet effet on avait pose sur le clocher dÕArs en lÕle de R, Toiras en ayant eu avis envoya en toute diligence faire le signal dont jÕtais convenu avec lui sur le fort de la Pre, qui tait de trois coups de canon et dÕune paisse fume. Je lÕaperus en mme instant de la batterie de Chef de Bois o jÕtais avec ces messieurs, et fis faire aussi le signal pour avertir nos armes de terre et de mer, qui tait de trois coups de canon de ladite batterie, et en envoyai donner avis monsieur le cardinal (qui sÕtait venu loger de mon ct en un chteau nomm la Saussaye demie lieue de Lafons). Alors, notre arme navale, commande par le commandeur de Valanay, se mit sur ses voiles sÕavanant vers la pointe de Saint-Blanceau. Sur les deux heures lÕavant-garde anglaise parut vers Saint-Martin de R. Le roi en fut aussi tt averti par monsieur le cardinal qui sÕen vint Coreilles avec lui pour voir venir lÕarme navale des ennemis. Monsieur le cardinal alla loger Netr afin de pourvoir ce ct-l. Toute la flotte qui marchait en trois ordres tait compose de cinquante-deux vaisseaux, savoir quatre grandes roberges du roi, sept autres vaisseaux de cinq cents tonneaux de port et quarante et un petits vaisseaux de cent tonneaux en bas, tant brlots que vaisseaux chargs de vivres, ce que lÕon pouvait conjecturer ; ce qui nous donna une entire assurance quÕils ne pourraient faire aucun effet et que notre flotte tait sans comparaison plus forte que la leur, parce que les roberges ni autres grands vaisseaux ne trouvaient pas assez dÕeau pour entrer dans le canal.
Sur les sept heures du soir la flotte anglaise sÕapprocha pour rader Chef de Bois. Mais pour les en empcher je fis tirer de la batterie quelque cinquante voles de canon sur les vaisseaux dÕavant-garde, dont trois coups portrent dans le corps des vaisseaux et turent quelques hommes, et les autres dans les voiles ; ce qui leur fit prendre au large vers le pertuis dÕAntioche vis vis du canal de la Rochelle, o ils se mirent lÕancre. LÕarme navale du roi prit son poste dans le canal entre les deux pointes, et on garnit lÕestacade des vaisseaux enfoncs du rgiment de Chastelier-Barlot de mon ct, et de celui dÕEstissac du ct de Coreilles. On mit aussi entre la digue et la ville trente-six galiotes sur lesquelles on mit, outre lÕordinaire, vingt hommes sur chacune, pour empcher les sorties que ceux de la ville pourraient faire dans le canal. Je fus la nuit visiter notre arme navale que je trouvai en trs bon ordre et bien anime au combat.
Le vendredi 12me de mai le roi qui tait Surgres arriva de bonne heure au bruit de la venue des Anglais, lesquels demeurrent lÕancre. Je fus trouver monsieur le cardinal dans le canal, qui visitait les estacades. La tourmente commena lÕaprs-dner, qui fut bien violente. Je fus la nuit visiter mes forts, et ma batterie de Chef de Bois.
Le samedi 13me je fus faire rembarquer nos gens que la tempte et les vaisseaux chous avaient tirs de lÕestacade.
Monsieur le cardinal mÕenvoya monsieur de Bordeaux qui dna avec moi.
Tous ces jours que les ennemis furent en mer devant nous, je fus fort alerte, visitant continuellement mes lignes, mes forts, la digue, les batteries, et les estacades.
Le dimanche 14me je fus occup me pourvoir de tout ce qui tait ncessaire pour le combat, parce que les vaisseaux du roi taient rsolus, si lÕarme anglaise les venait attaquer, de sÕagripper chacun au sien et puis se venir chouer sur ma rive, et lors jÕeusse fait mon devoir sauter dans les vaisseaux ennemis et de les crever coups de canon.
Je fis tirer la nuit pour donner avis aux chaloupes qui taient en garde entre la ville et la digue, dÕune chaloupe ennemie qui sÕtait insensiblement glisse parmi notre arme de mer et tait passe : mais elle entra dans la ville malgr eux.
Je fus toute la nuit visiter nos gardes.
Le lundi 15me le roi mÕenvoya qurir par Nogeant. Je fus au conseil, de l dner chez monsieur le cardinal. Ė mon retour je fus en alarme des Anglais qui appareillrent, ce qui mÕobligea de faire venir sur notre rive les Suisses et le rgiment de Vaubecourt. Monsieur le cardinal passa de mon ct, lequel je ramenai au sien parce que la tempte empcha les Anglais de pouvoir rien entreprendre.
Le mardi 16me la tempte continua.
Les Anglais envoyrent un brlot notre arme de mer, lequel des chaloupes firent tourner au dessous de notre batterie de Chef de Bois. Cela me mit en quelque alarme, et envoyai mettre en bataille les troupes sur le bord du canal : puis je passai Coreilles trouver monsieur le cardinal qui mÕenvoya qurir. Ė mon retour je trouvai les mousquetaires du roi quÕil mÕenvoya pour les mettre sur nos vaisseaux : puis peu aprs Sa Majest sÕen vint loger chez moi. Je la fus recevoir la redoute de Sainte-Anne, lui donnai souper et lui fis apprter un bon lit : puis je mÕen allai passer la nuit la visite de nos vaisseaux et de notre rade. Je ne trouvai en mon retour aucun lieu pour me reposer que dedans mon carrosse.
Le mercredi 17me le roi dna chez moi. Il alla puis aprs Chef de Bois considrer lÕarme anglaise, et de l la chasse.
Les ennemis nous envoyrent la nuit des artifices feu qui se perdirent avant que venir nous : cela ne laissa de me donner l'alarme et de me faire passer la nuit Chef de Bois.
Le jeudi 18me le roi dna et tint le conseil chez moi, puis vint Chef de Bois, et de l sÕen retourna son quartier de Netr. Je le fus conduire jusques Lafons dÕo nous apermes les Anglais appareiller, ce qui me fit retourner en diligence avec Mr de Gramont Chef de Bois, dÕo nous vmes les roberges et grands vaisseaux venir jusques la porte du canon de Chef de Bois, tirer tous leurs canons dans notre flotte, et puis sÕen retournrent et retirrent tout fait. Nous les conduismes de vue tant que nous pmes, puis retournmes faire bonne chre sans crainte des ennemis et avec bonne esprance de la prompte reddition de la Rochelle.
Le vendredi 19me Mr de Gramont et moi allmes trouver le roi qui dlivr de la flotte anglaise, alla passer son temps Surgres.
Betunes sÕen vint loger chez moi.
Le samedi et dimanche suivants je fis raccommoder mes travaux que la tempte avait gts ou bouls.
Force gens me vinrent voir.
Le lundi monsieur le cardinal sÕen alla en Brouage : celui de la Valette vint loger chez moi.
Le mardi 23me je me fis saigner. Toiras et le pre Souffran me vinrent voir.
Le mercredi 24me Mrs le garde des sceaux, de Schomberg, et force autres du conseil vinrent voir mes quartiers et dner chez moi.
Le jeudi 25me vingt et deux vaisseaux hollandais marchands parurent vers Saint-Martin de R, qui nous firent souponner que cÕtaient les Anglais qui revenaient nous.
Le vendredi 26me les Rochelais mirent leurs bouches inutiles hors de leur ville : je les rechassai dedans.
Marillac vint dner chez moi, et Mr le cardinal de la Valette y vint coucher.
Le samedi 27me il sÕen retourna.
Le dimanche 28me le roi revint de Surgres, et monsieur le cardinal, de Brouage. Saint-Chaumont vint dner en mon quartier.
Le lundi 29me quelques Rochelais qui tchaient de sortir furent pris.
Je fus au conseil chez le roi.
Le mardi 30me Mrs le cardinal de la Valette, Luxembourg, Le Lude, Liancourt, et dÕautres, vinrent dner avec moi.
Le mercredi, dernier de mai, le tambour de la ville me vint trouver, qui me fit savoir les ncessits des ennemis, qui balanaient de se rendre. Sessgny qui tait dans la ville fit dire Granai lieutenant des chevau-lgers du prince de Marcillac que lÕon pourrait traiter si je voulais envoyer quelquÕun cet effet parler aux Rochelais. Je commandai audit Granai dÕy aller de ma part.
Juin. Ń Le jeudi, premier jour de juin, Granai alla la Rochelle, et moi Netr en donner avis au roi et monsieur le cardinal, qui le trouvrent trs bon. Les Rochelais lurent pour commissaires La Vigerie, Toupet, Alere, et Sessigny, qui le renvoyrent qurir lÕaprs-dner et entrrent bien avant en confrence. Je fis le soir la rponse Granai pour leur porter.
Le vendredi 2me les Rochelais reurent une lettre du roi dÕAngleterre par laquelle il leur promettait de hasarder ses trois royaumes pour leur salut, et que dans peu de jours il enverrait une telle flotte quÕils en seraient pleinement secourus, ce qui anima les zls de faire rsoudre le peuple souffrir toutes extrmits plutt que de se rendre, ce quÕils me firent savoir par Granai; et mÕenvoyrent copie de la lettre.
Le samedi 3me je fus prendre cong du roi qui sÕen allait Tallemont. Je dnai chez monsieur le cardinal, et fus visiter Schomberg malade.
Le dimanche 4me le marquis de Mirabel ambassadeur dÕEspagne et don Alonso Ramires de Prado, du conseil des Indes, vinrent dner chez moi : je les menai voir tous nos forts, lignes, digue, ports, et batteries.
Le lundi 5me Mrs de Humieres, de Lavrilliere, et Hardier, vinrent dner avec moi, comme le mardi 6me Mrs de Harbaut, dÕAucaire, le Chatelet, et Targon, qui de l furent mens en lÕle de R par ma galiote.
Le mercredi 7me jÕallai Netr pour voir monsieur le cardinal ; mais je ne le pus voir. Fontenay, Rambures, et plusieurs autres, revinrent avec moi et demeurrent quelques jours en mon quartier.
Le jeudi 8me jÕeus plusieurs tambours de la Rochelle qui mÕen dirent des nouvelles. Je fis sortir la recommandation de ceux de notre intelligence une fille nomme Gabrielle, qui mÕen apporta beaucoup dÕeux.
Le vendredi 9me je fus Dampierre dire adieu Gramont, puis Netr voir monsieur le cardinal. De l Schomberg revint passer le canal avec moi pour voir les machines du Plessis-Besanon qui taient sur le bord de la mer.
Le samedi 10me lÕambassadeur de Mantoue nomm le comte de Canosse, fut amen dner chez moi par Mr de Saint-Chaumont.
Le dimanche 11me, jour de la Pentecte, je fis mes pques, et le lendemain lÕambassadeur dÕEspagne et don Lorenzo Ramires de Prado, vinrent dner chez moi ; don Augustin Fiesque les accompagna, puis aprs en R dans ma galiote, et le lendemain repassrent et vinrent aussi dner en mon logis.
Le mercredi 14me je fus au conseil chez le roi, o il fut agit si Rotelin, lieutenant de l'artillerie, y aurait sance, le grand-matre ne faisant point la charge : il fut jug quÕen lÕabsence du grand-matre il y pourrait entrer et se tenir debout derrire nous pour recevoir les ordres, et que, quand le grand-matre serait lÕarme, il nÕy aurait aucune entre.
Le jeudi 15me Marillac vint dner chez moi.
JÕeus un tambour de la Rochelle qui mÕapprit leurs ncessits.
Le vendredi 16me Mrs de Bordeaux, Bres, Belin, Rouville, Villandry et autres, me vinrent voir et dner chez moi pour voir mettre sept machines du Plessis en mer, ce quÕil fit fort beau voir.
Le samedi 17me je fus voir de bon matin monsieur le cardinal la Saussaye, qui se vint embarquer au Plom pour aller en Brouage.
On posa neuf machines du Plessis Besanon.
Le dimanche 18me Fiesque le comte, et Piles, arrivrent. Fontenai vint loger chez moi.
Le lundi 19me le roi fut dner en Brouage o monsieur le cardinal le reut superbement.
Il vint un bruit de R de la venue des Anglais.
Le mardi 20me Le Hallier revint de Brouage, qui nous lÕta.
Le mercredi 21me monsieur le cardinal revint la Saussaye et vint le lendemain, jour de la Fte-Dieu, en mon quartier. Je le fus ramener jusques la redoute de Sainte-Anne o il entra, et la trouva trs belle. Il me pria lors de fournir pour la digue le plus de charrettes que je pourrais : je lui dis quÕil nÕy en avait que cinquante dans le parc sur lÕtat du roi, et que je lui en avais dj donn trente et sept ; que je lui en donnerais encore douze, nÕen rservant quÕune pour les ncessits du parc ; dont il me remercia fort.
Le vendredi 23me Saint-Chaumont et dÕautres vinrent dner chez moi. Je fus ensuite sur la mer visiter les machines du Plessis.
Le soir monsieur le cardinal envoya une ordonnance Rotelin par laquelle il lui commandait de prendre douze charrettes du parc de l'artillerie du quartier du roi et huit du mien pour aller qurir des munitions de guerre Saumur. Rotelin mÕenvoya son ordonnance par un nomm Beauregard auquel je dis quÕil nÕy avait point de charrettes au parc pour envoyer Saumur, lequel Beauregard vint dire monsieur le cardinal que je nÕavais point voulu faire donner de charrettes. Lors monsieur le cardinal qui ne se ressouvenait plus de me les avoir toutes fait donner pour la digue, se mit en grande colre et mÕenvoya le lendemain samedi 24me son capitaine des gardes Beauplan avec une lettre fort piquante. Je le fus trouver la Saussaye o il y eut encore de grosses paroles, et je dis mes raisons : puis nous tombmes dÕaccord, et je demeurai dner chez lui, et Schomberg aussi. Puis je revins mon quartier.
Le dimanche 25me un matelot nous apporta des nouvelles certaines dÕun nouvel apprt des Anglais pour venir secourir la Rochelle.
Je fus voir le comte de Ribeyrac Lagor, qui se mourait.
Le lundi 26me monsieur le cardinal, Effiat, Bordeaux, Chateauneuf, et Marillac, vinrent dner chez moi : puis nous montmes sur ma galiote et allmes visiter en mer les machines du Plessis. De l il alla voir les navires et monta sur lÕamiral o Valanai et le commandeur des Gouttes eurent querelle ; monsieur le cardinal gourmanda fort le premier ; nous les accordmes.
Je fis la nuit couper les bls qui taient entre nos lignes et la ville devers la porte de Coygnes, o nous ne perdmes quÕun soldat.
Le mardi Mrs de Bordeaux, Marillac, et Bres vinrent dner avec moi.
Le mercredi 28me je fus trouver monsieur le cardinal la Saussaye o nous tnmes conseil de guerre.
Le jeudi 29me La Fitte fut parler Toupet la porte de Coygnes. Je fus sur mer faire poser une machine du Plessis. Le tambour de la Rochelle me vint apporter des nouvelles de la ville.
Le vendredi 30me je fus dner chez le marquis dÕEffiat : puis nous allmes ensemble au conseil chez le roi.
Juillet. Ń Le samedi, premier jour de juillet, je me rsolus de faire fortifier toute la rive o il y a descente, depuis Chef de Bois jusques au Plom, et lÕallai reconnatre.
La Fitte retourna parler Toupet.
Ceux qui taient en garde dans la redoute de Sainte Marguerite proche de Lafons turent deux Anglais, et prirent trois prisonniers en une escalade que les ennemis voulurent faire pour les surprendre.
Le soir un homme cheval sortit de la Rochelle, que je menai parler monsieur le cardinal comme il me le manda, lequel il fit puis aprs rentrer dans la ville.
Le dimanche 2me Saint-Chaumont fut fait marchal de camp en lÕarme du roi.
Je fis ter les canons du fort de Lafons, et ceux du fort de Saint-Esprit, pour les porter Chef de Bois.
Le lundi 3me je fis faire montre gnrale en mon arme. Le roi en fit de mme en celle qui tait du ct de Coreilles. Je fus de l au quartier du roi qui dormait : lors jÕallai dire adieu Mr de Chateauneuf.
Le mardi 4me je fis commencer le retranchement de la rive de Chef de Bois. Je fus de l chez le roi, et la nuit je fis achever de couper les bls des ennemis entre les lignes.
Le mercredi 5me monsieur de Bordeaux me vint voir.
Nous fmes remettre la machine qui sÕtait gare le jour auparavant.
Le jeudi monsieur le cardinal qui avait log deux jours Netr se fit porter malade la Saussaye.
Je fis continuer les retranchements de la rive.
Le vendredi 7me monsieur de Bayonne vint dner chez moi. Le tambour de la Rochelle me vint parler. Je fus voir mettre des machines en mer o un coup de canon donna si prs de ma chaloupe quÕelle en fut presque emplie dÕeau.
Le samedi 8me on avana le retranchement de la rive. On fit commencer une trs belle contrescarpe et un chemin couvert au fort de Lafons. On redressa la machine qui sÕtait penche en la mettant le jour prcdent.
Le dimanche 9me je fus voir monsieur le cardinal malade la Saussaye. De l jÕallai voir le roi : puis je fus reconnatre la descente de Cou de Vache pour lÕempcher aux Anglais.
Le lundi 10me messieurs de Bordeaux et dÕAix me vinrent voir et dner avec moi. Nous allmes ensemble la Saussaye o tait monsieur le cardinal malade.
Le mardi 11me Mr de Castille vint dner avec moi : je le menai sur la mer.
Je fis commencer le fort de la digue, et fus voir Marillac malade au fort de Coreilles.
Le mercredi 12me je mÕoccupai tout le jour mes travaux, comme aussi le jeudi 13me, et fus ensuite chez Mr de Schomberg malade, o le conseil se tint.
Le vendredi 14me je fus aussi mes travaux, puis consoler le jeune comte de Ribeyrac de la mort de son pre.
Le samedi je continuai mes travaux.
Le dimanche 16me je fus voir monsieur le cardinal la Saussaye.
Le lundi 17me Mr le prsident le Coygneux vint dner chez moi. Il tait venu trouver le roi de la part de monsieur son frre lequel tant parti mal satisfait du sige de la Rochelle parce que, le roi y tant venu, il nÕavait plus le mme emploi quÕil y soulait avoir ; quÕtant log Dampierre par le conseil des siens qui regardaient plus leur commodit quÕ lÕintrt de leur matre, il nÕavait plus aucune fonction lÕarme : il sÕen retourna Paris, et y faisant le malcontent avait dit la reine sa mre qui lui rendait compte de ce quÕelle avait trait pour son mariage avec la fille de Florence sa prire, quÕil nÕavait plus aucun dessein de se marier. Puis ensuite quelques jours de l Mr de Breves ayant mis en avant une proposition de mariage entre lui et la princesse Marie fille du nouveau duc de Mantoue, ds que la reine montra de nÕagrer ce parti parce quÕelle avait intrt celui de Florence, plusieurs personnes, pour lui faire dpit, tchrent dÕy embarquer Monsieur, et devant elle mme lors quÕils taient lÕun et lÕautre prs dÕelle au cercle, on faisait des pratiques pour les faire parler. Madame de Verderonne tante de Puilorens affectionne madame de Longueville, madame de Moret, et mademoiselle de Vitry, montrrent si avant de piquer la reine par cet embarquement quÕelle crivit Mr de Mantoue pour faire venir sa fille prs de lui ; et il avait lors tellement besoin des bonnes grces de la reine pour sÕinstaller en son nouvel tat quÕil fit lÕheure mme envoyer qurir sa fille ; dont Monsieur fut piqu, et envoya Mr le Coygneux prs du roi pour le supplier de la faire arrter en France, ce quÕil obtint par le moyen de monsieur le cardinal, dont la reine mre fut fort touche.
Le mardi 18me je mÕoccupai mon ordinaire mes travaux.
Le mercredi 19me la compagnie nouvelle ajoute au rgiment de la garde suisse en faveur du colonel Salis, arriva, et le roi la voulut voir. Je fus pour cet effet Netr aprs avoir t passer chez monsieur le cardinal qui, revenu en sant, vint ce jour-l trouver le roi.
Le jeudi 20me monsieur le cardinal vint dner chez moi, vit en passant mes lignes et forts, quÕil trouva trs beaux : il passa de l Chef de Bois, vit la batterie, les retranchements de la rive, puis vint au port Neuf et la digue : de l il alla sur mer voir notre flotte.
Le vendredi 21me je fus chez le garde des sceaux, puis au conseil chez le roi.
Le samedi 22me je fis travailler au fort de la digue et fermer la batterie de Chef de Bois.
Le dimanche 23me le prsident Daphis, deux conseillers de Bordeaux, Mr de Rouannois, et de Cursol dnrent chez moi. Mr de Gramont y vint coucher.
Le lundi 24me je menai Mr de Gramont par tous mes travaux, de l en mer voir Valanai. Je le conduisis puis aprs chez Schomberg, puis le ramenai chez lui.
JÕallai la Saussaye trouver monsieur le cardinal, ramenai Marillac la digue.
Le roi alla ce jour l Surgres.
Le mardi 25me je mÕamusai visiter mes travaux.
Le mercredi 26me je fus dner avec monsieur le cardinal.
Le jeudi je me fis saigner. Schomberg et La Cure dnrent chez moi.
Le vendredi le retranchement de la batterie fut achev.
Mr de Rouannois me vint dire adieu.
Le samedi 29me je fus la Saussaye pour voir monsieur le cardinal malade qui reposait. Je m'en revins sur notre digue o il y avait la plus furieuse tempte, par un surot, que nous eussions encore vue.
Le dimanche 30me je fus la digue o je trouvai Mrs de Schomberg, Bordeaux, Saint-Chaumont, et Le Hallier, que je menai dner la Saussaye o monsieur le garde des sceaux arriva. Nous y tnmes conseil.
Le lundi 31me monsieur le nonce me vint voir, que je menai promener sur terre et sur mer.
Aot. Ń Le mardi, premier jour dÕaot, quelques huguenots du pays voulurent faire entrer en la ville par dessus mes lignes trente sacs de farine : mais tant dcouverts, ils sÕenfuirent et laissrent leurs sacs.
Mrs les archevques dÕAix et de Bordeaux vinrent dner chez moi.
Le mercredi 2me nous fmes tenir conseil la Saussaye.
Mr de Montbason vint la rive de notre digue voir mettre en mer neuf machines du Plessis.
Le jeudi 3me on posa autres neuf machines.
Le roi revint de Surgres.
Le vendredi 4me le roi tint un grand conseil sur celui que Schomberg donna dÕattaquer la Rochelle par force, ce qui fut rejet. Leroy parla trs bien en ce conseil, et monsieur le cardinal aussi.
Le samedi 5me je fus, bien accompagn, saluer messieurs de la chambre des comptes de Paris, logs Angoulains, et puis je fus dner la Saussaye chez monsieur le cardinal que jÕaccompagnai Netr o lÕon tint conseil, la fin duquel messieurs de la chambre eurent audience, et ensuite les dputs de Provence qui parlrent par la bouche de Mr lÕarchevque dÕAix.
Le soir ce capucin fils de la feu reine Marguerite et de Chanvallon, nomm pre Archange, me vint trouver, et me dire force impertinences.
Le dimanche 6me monsieur le cardinal vint dner chez moi, puis sÕen alla sur les vaisseaux.
Le lundi 7me je fis mes travaux ordinaires.
Le mardi Mrs de Bordeaux et de Canaples vinrent dner chez moi.
Le mercredi 9me je fus la Saussaye.
Le jeudi 10me il parut des vaisseaux hollandais, trente-cinq en nombre, vers Saint-Martin de R, qui nous donnrent l'alarme.
Le vendredi 11me jÕallai dner la Saussaye, puis au conseil Netr chez le roi. On posa quelques machines le soir.
Le samedi 12me je fus la Saussaye o le roi vint tenir conseil.
Le dimanche 13me le roi alla Surgres.
Le lundi 14me cinquante soldats de la ville sortirent vers le fort Sainte Marie et demandrent me parler : ils se voulaient rendre et en amener encore deux cents autres avec deux capitaines ; mais je les refusai.
Le mardi 15me, jour de la Notre Dame, je fis mes pques.
On mit une machine la digue.
Quantit de soldats de la Rochelle me firent encore demander sortir ; mais ce fut en vain.
Le mercredi 16me on me commanda dÕenvoyer encore une fois un hraut pour sommer la ville de se rendre au roi ; mais on ne le voulut couter.
Le jeudi 17me un habitant me fut envoy de la part de ceux de la Rochelle pour sÕexcuser de nÕavoir pu our le hraut.
Je vins au fort de Beaulieu recevoir messieurs des comptes qui venaient dner chez moi. Je fis prendre les armes partout o ils passrent, les menai la digue, puis leur fis un beau festin : aprs je les menai Chef de Bois, fis faire salve de tous les canons, qui fut rpondue par la flotte ; puis je les menai au port Neuf et dans le fort o mes carrosses les attendaient pour les ramener. Je leur fis une belle collation.
Le vendredi 18me je fus malade et demeurai au logis.
Le samedi 19me Mr de Nemours, et le marquis de Neesle, vinrent dner chez moi.
Messieurs du parlement de Bordeaux me vinrent saluer de la part de leur parlement.
Le dimanche 20me je passai par la Saussaye, puis vins dner chez Schomberg qui festina la chambre des comptes. JÕallai de l voir le garde des sceaux.
Ė mon retour un soldat de la ville demanda parler moi en particulier : je le fis fouiller auparavant, et on lui trouva un pistolet de poche band, cach sous son pourpoint. Je le renvoyai sans lui vouloir faire mal.
Le lundi 2me quelques soldats Rochelais voulurent sÕefforcer de passer par nos lignes pour sÕenfuir, et turent une de nos sentinelles : mais nous emes bien notre revanche.
On mit une machine du Plessis en mer.
Le mardi 22me jÕallai voir monsieur le cardinal qui partit de lÕarme pour aller au Chastelier Barlot.
Ceux de la ville me firent faire chamade par un trompette : mais je fis tirer dessus, selon lÕordre que jÕen avais.
Le mercredi 23me Canaples, Fontenay, Rambures, et dÕautres chefs du ct du roi vinrent coucher chez moi.
Le jeudi 24me nous mmes de bon matin une machine en mer. Puis je passai le canal et vins dner chez Saint-Chaumont. JÕallai de l la Jarne voir le garde des sceaux, puis la Jarrie visiter messieurs les dputs des parlements de Toulouse et de Bordeaux.
Le vendredi 25me Mr le Comte qui tait arriv le jour auparavant lÕarme, mÕenvoya dire quÕil venait dner avec moi. Je le fus trouver la digue de Coreilles, et aprs lui avoir fait la rvrence je le menai dans ma galiote de mon ct. Je le menai Chef de Bois : puis, m'ayant fait lÕhonneur de dner chez moi, je le ramenai jusques hors de mes quartiers.
Messieurs du parlement de Toulouse me vinrent voir.
Le soir nous fmes salve gnrale pour la fte de Saint-Louis.
Le samedi 26me on mit une machine la digue.
Le dimanche 27me je mÕen allai au bord du commandeur de Valanai.
Le lundi 28me je fis festin Mrs de Schomberg, Vignoles, Marillac, Castille, Marion, Castelbayart, et dÕautres.
Le mardi Mr de Chateauneuf me vint voir.
Le mercredi 30me Mr le prsident de Flexelles et trois autres matres des comptes vinrent dner chez moi.
Il y eut ce jour l brouillerie entre le marquis dÕEffiat, et Chateauneuf.
Le jeudi, dernier jour dÕaot, je fis hter tant que je pus notre digue.
Septembre. Ń Le vendredi, premier jour de septembre, il y eut une forte tempte sur mer du vent dÕouest, qui se tourna en surot.
Le samedi 2me la tempte continua toujours, et ne cessa que sur le soir.
Courbeville fut pri par ceux de la Rochelle de leur parler.
Le dimanche 3me je fus Angoulains dire adieu messieurs des comptes. De l j'allai voir le garde des sceaux, puis Chateauneuf, et dner chez Schomberg avec Effiat, avec qui je me raccordai. Nous joumes la prime tout le jour.
Nous en fmes de mme le lundi 4me chez Mr de Castille o la compagnie dna. Je passai prcdemment chez Mr de Chateauneuf.
Le mardi 5me Mr le Comte passa en R dans ma galiote.
Arnaut sortit de la Rochelle et alla trouver monsieur le cardinal.
Je pris un espion de la Rochelle qui portait des lettres ceux de Montauban, que je fis pendre.
Je fis ce jour-l montre gnrale lÕarme.
Le mercredi 6me je visitai tous mes travaux.
Le jeudi 7me jÕallai trouver monsieur le cardinal Marans, puis le ramenai la Saussaye.
Le vendredi 8me, jour de Notre Dame, Arnaut amena deux dputs de la Rochelle monsieur le cardinal, lÕun nomm Riffaut, et lÕautre Journaut.
Le samedi 9me Mrs de Castille et de Dreux et sa femme passrent en R, ayant dn chez moi.
Le dimanche 10me le roi revint de Surgres. Je fus Netr le trouver.
Le lundi 11me jÕallai trouver monsieur le cardinal la Saussaye qui mÕamena au conseil Netr. Je versai en retournant.
Le mardi 12me je fus encore mand par le roi pour venir au conseil.
Le mercredi 13me la nouvelle de la mort du Bocquinguem arriva.
Je fus encore Netr prendre cong du roi qui allait Surgres. JÕallai de l Grosleau voir Mr le Comte, puis trouver monsieur le cardinal.
Le jeudi 14me Senneterre me vint voir : je le menai tous nos travaux.
Le vendredi 15me je fus faire faire la montre aux Suisses entre le quartier de Netr et le mien. Mr dÕAngoulme, dÕAlais, de Schomberg, Vignoles, Saint-Chaumont, et Toiras y vinrent. Je fis faire diverses volutions et ordres quÕils trouvrent fort beaux. Le colonel Greder prta son premier serment, comme pareillement les capitaines Hessy, Reding, et Salis. J'allai de l dner chez Schomberg.
Le samedi 16me Mr de Nemours vint dner chez moi, puis passa avec Toiras en R sur ma galiote.
Le dimanche 17me je fus la Saussaye. Mr de Nemours revint coucher chez moi.
Le lundi 18me Mrs dÕAngoulme, dÕAlais, dÕEffiat, de Marillac, de Bautru, de Lavrilliere, et autres, furent en festin chez moi, et de l passrent en R.
Le mardi 19me je fus la Saussaye.
Le mercredi 20me je fis commencer le travail de la ligne de la mer devers la Rochelle.
Le jeudi 21me monsieur le cardinal mÕenvoya qurir au conseil.
Le vendredi 22me grand monde me vint voir.
Je fis hter mes travaux sur la nouvelle que nous emes du grand apprt des Anglais.
Le samedi 23me, Saint-Chaumont eut une mousquetade proche du fort de Tadon le soir prcdent, je le fus visiter.
On prit un prtre reni qui sortait de la Rochelle : je le fis pendre ; et de l j'allai dner chez Mr de Chateauneuf.
Le dimanche 24me je fus dner et jouer la prime chez monsieur le cardinal.
On posa deux machines du Plessis dans la digue.
Le lundi on fit encore mettre en mer deux autres machines.
Je fis pendre un espion, et tirer au chapeau trois autres, dont lÕun le fut aussi.
Le mardi 26me je fus dner la Saussaye avec mes deux marchaux de camp, puis jouer la prime.
Le mercredi 27me, sur les nouvelles venues dÕAngleterre, monsieur le cardinal nous appela au conseil sur le bord de la digue de Coreilles chez Marillac.
Le jeudi 28me les Anglais parurent la vue de lÕle de R, dont nous fmes avertis par les signaux, et le soir nous pmes discerner leurs voiles en la Fosse de lÕOye, qui pouvaient tre en tout de soixante et dix vaisseaux. Je passai la nuit Chef de Bois.
Le vendredi 29me les Anglais mirent la voile bien quÕavec peu de vent et approchrent de lÕanse de Cou de Vache et du Plom. On avait pris les armes : mais comme le vent nÕtait pas pour leur faire faire grand exploit, je fis retourner au travail de la digue ; puis je fus au-devant de monsieur le cardinal qui vint dner chez moi, et me mis dans son carrosse. Un coup de canon de la ville emplit son carrosse de terre.
Aprs dner le roi me manda quÕil venait loger en mon quartier, mais quÕil nÕy envoyait point de marchaux des logis, me mandant que je le logeasse ma fantaisie, ce que je fis, et si bien quÕoutre ses sept offices, sa chambre, sa garde-robe, ses gardes du corps, et autres personnes ncessaires, je logeai encore ses mousquetaires cheval, ses chevau-lgers, gendarmes, et plus de douze cents gentilshommes, sans les princes et grands, dans mon quartier de Laleu. Outre cela je donnai couvert six compagnies des gardes et trois de Suisses outre les trois qui y taient dj, et jÕy reus et festoyai la compagnie de telle sorte et sans embarras que chacun sÕen merveilla. Aussi dpendis-je huit cents cus par jour tant que le roi y sjourna, qui furent cinq semaines.
Les ennemis sÕapprochrent vers le Plom ; le roi les alla reconnatre. Il leur arriva encore quelque quinze vaisseaux de plus. Je fis donner tous mes quartiers le meilleur ordre que je pus : je renforai mes gardes, et ne bougeai toute la nuit de battre l'estrade sur la rive du Plom.
Le samedi, dernier jour de septembre, le roi fut voir sur la rive la contenance des Anglais qui ne bougeaient de leur poste, attendant la mare. Il fut de l conduit par moi la batterie de Chef de Bois o il trouva trente canons en bon tat de faire du bruit. Il jugea propos de faire tenir encore deux batteries toutes prtes pour y mettre les canons entre Chef de Bois et le port Neuf, o il alla ensuite, puis fut jusques au bout de ma digue quÕil trouva en si bon ordre, et tant de machines, vaisseaux enfoncs et autres empchements dans le canal, quÕil jugea impossible aux Anglais de pouvoir faire aucun effet.
Aprs dner il parut vers le pertuis dÕAntioche seize grands vaisseaux et quinze encore qui se vinrent joindre la flotte ce jour-l, de sorte quÕil y avait prs de six-vingt voiles en tout. Ceux de la flotte se mirent la voile sur les deux heures et vinrent passer entre Chef de Bois et Saint-Blansay. Ils virent toute cette rive fortifie et garnie de gens de guerre, o ils tirrent sans aucun effet plusieurs coups de canon. Aussi furent-ils bien salus de plus de deux cents canonnades en passant proche de Chef de Bois, ce qui les fit tenir le plus proche de R qu'ils purent. Ils sÕallrent ancrer dans le pertuis dÕAntioche avec ces seize grands vaisseaux, au mme endroit quÕavait fait la flotte qui vint au mois de mai.
Je fus toute la nuit cheval pour donner ordre partout. Mrs le Comte, de Nemours, de Harcourt, de la Valette, et plusieurs autres vinrent loger encore chez moi Laleu, et leur trouvai du couvert. La Rochefoucaut arriva le mme soir avec trente gentilshommes que je logeai aussi.
Octobre. Ń Le dimanche, premier jour dÕoctobre, il arriva encore sept ou huit vaisseaux la flotte anglaise. Ils appareillrent attendant la mare aprs dner pour venir nous ; mais le vent leur manqua. On mit notre arme de terre en bataille ; Mrs dÕAngoulme et de Schomberg en firent de mme du ct de Coreilles, o ils avaient vingt canons logs. Je la fis retirer voyant quÕil tait impossible aux ennemis dÕapprocher.
Un nombre infini de noblesse arriva encore au quartier du roi : quelques-uns y trouvrent couvert ; les autres le prirent Nieuil, Lagor, Lommeau, Losieres, Saint-Sandre et dans mes forts et redoutes, le mieux quÕils purent.
Le lundi 2me je fus ds trois heures du matin Chef de Bois : mais le vent de la mare du matin fut contraire. Les ennemis envoyrent certains artifices de feu quand et la mare pour brler nos vaisseaux ; mais ils ne firent aucun effet, bien quÕils en eussent jet jusques dix.
Je fus toute la nuit sur pied, et le mardi 3me dÕoctobre cinq heures du matin, comme le jour commenait poindre, nous apermes les Anglais appareiller pour venir nous, dont je mÕtais dout plus de deux heures devant par les lanternes des barques allant et venant aux vaisseaux. JÕtais Chef de Bois, et envoyai en diligence Lisle-Rouet en donner avis au roi, et mon neveu de Bassompierre monsieur le cardinal qui tait venu se loger en mon quartier le soir auparavant. Je fus sur la rive au plus proche de notre flotte voir lÕordre quÕils tenaient et savoir si je les pouvais aider de quelques choses ou dÕhommes. Valanai mÕenvoya son cousin de Lisle pour mÕassurer que, bien que le vent qui leur tait contraire les brouillt un peu, il mÕassurait quÕil ne craignait point la flotte anglaise, et que je regardasse aussi de faire tirer en sorte que les canonnades nÕincommodassent point leurs vaisseaux. Je fis quÕils prirent un peu plus en arrire leur poste afin de faire plus beau jeu mes batteries. Mr de la Rochefoucaut demeura toujours avec moi qui jugea trs bien des intentions des ennemis, et mÕassista fort bien, et utilement. J'envoyai en mme temps faire battre aux champs nos troupes, et laissai Le Hallier pour les commander et mener sur la rive o Mr le duc de la Valette colonel de lÕinfanterie les tint en trs bon ordre, attendant quÕil y et lieu de mener les mains.
Le roi et monsieur le cardinal arrivrent incontinent aprs, et lÕarme anglaise mise en trois ordres, lÕavant-garde ayant fait plusieurs bordes pour prendre le vent vint enfin sur les sept heures et demie la porte du canon de notre flotte et des deux pointes, puis tournant le bord tirrent tous les canons de la bande, et puis ayant tourn en firent de mme de lÕautre bande, ce que chaque vaisseau ayant fait il montrait la poupe et virait en arrire, dÕo il tait parti, et ensuite aprs que lÕavant-garde et fait son salve, leur bataille et leur arrire-garde en firent de mme, et retournrent trois fois en cette mme sorte. Nous ne nous endormions pas cependant de notre ct : car outre que notre arme navale les canonnait incessamment, jÕavais quarante pices de canon sur Chef de Bois qui faisaient une belle musique, lesquels furent fort bien excuts. Du ct de Coreilles il y en avait vingt et cinq qui firent aussi trs bien leur devoir pendant deux heures et demie que cette fte dura, en laquelle il fut tir de part et dÕautre pour le moins cinq mille coups de canon. Le roi tait en la batterie de Chef de Bois o passrent par dessus sa tte plus de trois cents canonnades qui allrent encore plus de trois cents pas de l. Comme la mer se retira, aussi firent les ennemis, qui fut environ les dix heures, et nous puis aprs avec certaine assurance que les Anglais ne nous feraient aucun mal ni notre flotte qui tait fort anime les bien recevoir. Les ennemis jetrent encore de ces artifices de feu qui vont nageant dans lÕeau, quÕils appellent mine volante, sans aucun fruit, non plus que dÕun vaisseau plein de feux dÕartifice quÕils croyaient devoir faire merveille, qui se consuma avant que dÕarriver prs de notre flotte.
Les ennemis au rapport dÕeux-mmes perdirent en cet escarmouche prs de deux cents hommes dans leurs vaisseaux, plusieurs desquels demeurrent fort froisss des canonnades de terre : nous nÕen perdmes que vingt et sept des ntres. Nous gagnmes aussi deux chaloupes des ennemis, et une quÕune canonnade enfona, et un de leurs meilleurs capitaines de mer y fut aussi tu. De nos vingt-sept hommes morts il y en eut quatre de tus Coreilles dÕun coup de canon qui fut tir de la ville, qui vint mourir jusques l, ce que lÕon tenait merveille ; car jamais canonnade de la ville nÕavait tir si loin. Ceux de la ville firent aussi bien le devoir de tirer sur nous, mais avec fort petit fruit, si ce ne fut ce coup qui tua Des Friches et trois autres, savoir Brelise Pienne, Du Lac commissaire de l'artillerie, et le frre btard de Mr de Vignoles.
LÕaprs-dner il y eut encore alarme des Anglais qui firent semblant dÕappareiller ; mais ils ne vinrent pas.
Je dpchai par ordre du roi un de mes gens, nomm Casemajor, aux reines, auxquelles il crivit sur ce qui sÕtait pass le matin.
La nuit fut paisible de part et dÕautre : mais le mercredi 4me dÕoctobre les ennemis appareillrent encore la pointe du jour et en la mme forme que le jour prcdent, hormis que les roberges amirale et vice-amirale ne bougrent, pour nÕavoir pas assez dÕeau sÕapprocher, et demeurrent avec les vaisseaux chargs de vivres. Ils firent mmes bordes jusques ce quÕils fussent demie porte de canon, et puis escarmouchrent en la mme sorte que le jour prcdent, mais non pas si vivement mon avis, et craignaient fort notre canon de terre.
Cependant le vent avait permis notre flotte un poste plus avantageux que celui du jour prcdent. Les ennemis nous envoyrent neuf brlots, et un vaisseau de mine ; mais nos chaloupes la merci des canonnades venaient au devant et les faisaient driver contre la falaise de Chef de Bois sans quÕils pussent faire aucun dommage : aprs quoi ils se retirrent comme le jour prcdent, et le soir appareillrent et firent la mme mine de retourner au combat quÕils avaient fait ; mais ils se ravisrent.
Les Rochelais qui taient en lÕarme navale des Anglais demandrent nous parler : Lisle les fut qurir dans ma galiote. Ils taient deux, dputs des autres, qui se nommaient Friquelet et Lestreille. Je les pris dans mon carrosse au dbarquer et les menai chez monsieur le cardinal qui les renvoya peu aprs parce quÕils ne parlaient dÕaucune autre chose sinon dÕentrer la Rochelle et voir lÕtat o elle tait pour le venir redire aux leurs, ce qui tait une demande incivile.
Je passai la nuit Chef de Bois.
Nous primes cet espion Tavart qui avait dj t deux fois entre nos mains et sÕen tait chapp, dont le grand prvt de la Trousse tait tomb en disgrce ; et de peur quÕil ne sÕchappt la troisime, je le fis pendre le lendemain jeudi 5me, et fus rendre compte au roi de ce qui sÕtait pass la nuit, et que, du vent qui tirait, les Anglais ne pouvaient venir nous. Il tint conseil lÕaprs-dner, et le soir monsieur son frre arriva avec trente gentilshommes quÕil me fallut coucher, loger et dfrayer.
Je fus la nuit battre lÕestrade.
Le vendredi la mer fut agite, et le vent demeura contraire aux Anglais qui furent toute la nuit battus de la tempte.
Elle sÕapaisa le samedi 7me : mais il plut tout le jour, et le vent fut pour nous.
Monsieur dna et soupa toujours chez moi.
Le dimanche 8me le vent fut de mme, qui fit demeurer les Anglais lÕancre.
Nous posmes encore deux machines la digue o lÕon travaillait incessamment. Launai-Rasilly mit aussi une estacade de mts de navires au courant de la digue.
Mr de Chevreuse arriva, que je logeai.
Le lundi 9me je menai Monsieur la digue le matin, lequel me pria de lui dire ce que le roi sentait de son mariage avec la princesse Marie, et ce quÕil m'en disait. Je lui dis quÕil ne mÕen avait jamais parl. Il me rpliqua : Ē Est-il possible que, vous parlant incessamment comme il fait, il ne vous en dise rien ? Č Je lui dis quÕil avait tant de choses me dire en ce temps-l cause de ma charge, quÕil en laissait encore beaucoup au bout de la plume, et que maintenant que le roi avait les Anglais en tte, et les Rochelais derrire lui, que la moindre de ses penses tait celle de son mariage : ce que Monsieur dit Mr le duc de Bellegarde et au prsident le Coygneux, lesquels me voulant mal dirent la reine mre que jÕavais dit Monsieur que le moindre des soucis du roi tait son mariage, et quÕil lui tait indiffrent ; dont la reine mre prit un tel dpit contre moi quÕelle fut un an sans me parler.
Les Anglais nÕeurent le vent propre pour venir nous. Le roi alla courre le livre. Le marchal dÕEstres arriva, que je logeai.
Le mardi 10me le vent fut encore contraire aux Anglais. Mr le cardinal de la Valette arriva, et le marchal de Saint-Geran.
Le mercredi 11me il fut pris une barque anglaise en Olron : on en amena les hommes au roi.
Le jeudi 12me le vent continua de mme.
Mrs de Montbason, et prince de Guymen, arrivrent, que je logeai.
Les Anglais envoyrent une chaloupe pour demander leurs prisonniers et avoir sauf-conduit pour Montagu de venir trouver monsieur le cardinal, ce qui lui fut accord.
Monsieur, frre du roi, tomba malade ce jour-l.
Le vendredi 13me on renvoya dÕaccord les prisonniers de part et dÕautre.
On tint le conseil.
La maladie de Monsieur continua : le roi le fut voir.
Le samedi 14me Montagu vint parler monsieur le cardinal.
Le vent fut anglais ; mais ils ne dsancrrent point.
Monsieur fut saign.
Le roi fut se promener au port Neuf, et on tira sur lui deux coups de canon de la Rochelle, qui en approchrent bien prs.
Le dimanche 15me Montagu retourna dner chez monsieur le cardinal.
Le lundi 16me monsieur le cardinal et moi vnmes au bord du commandeur de Valanay, o Montagu arriva. Monsieur le cardinal monta avec lui sur ma galiote, et lui fmes voir la digue et toutes les machines qui traversaient le canal. Il sÕtonna de notre travail et nous tmoigna quÕil tait impossible de pouvoir forcer le canal.
Monsieur continua en son mal, et prit mdecine, et monsieur le cardinal sÕen alla la Saussaye.
Le mardi il revint de la Saussaye.
On mÕenvoya un tambour de la Rochelle pour me demander quÕun Rochelais pt aller lÕarme anglaise, et puis quÕils parleraient de se rendre ; mais lÕon ne voulut accepter ce parti.
Monsieur se gurit.
Le mercredi 18me la mer tant au dcours [reflux] et le vent contraire, toutes choses bien ordonnes en lÕarme du roi tant de que del le canal, il partit pour sÕaller rafrachir quelques jours Surgres. Je le fus conduire jusques Perrigni : puis jÕallai voir Mr de Beauclerc, et de l Mr de Harbaut qui avait perdu sa femme, puis Saint-Chaumont bless. De l je revins mon quartier, o jÕy avais encore plus de cinq cents gentilshommes et force princes.
Beaulieu-Barsac passa travers de la flotte anglaise avec un petit vaisseau, ce qui leur donna lÕalarme et les fit appareiller, et eux nous, et nous mettre sur nos armes. Les ennemis prirent une de nos barques Cou de Vache.
Le jeudi 19me Monsieur sÕen alla Niort. Je le fus conduire ; puis je mÕen vins la Saussaye o monsieur le cardinal nous fit festin, Mr le cardinal de la Valette, Chevreuse, Angoulme, Alais, Bellegarde, Montbason et moi.
Cette nuit-l lÕon mit quelques sacs de poudre dans le logis du maire de la Rochelle nomm Guitton.
Les ennemis prirent encore une barque Cou de Vache.
Le vendredi 20me les chaloupes des Anglais et les ntres furent tout le jour l'escarmouche.
Le samedi 21me, au retour de la mare, la nuit, nous envoymes quatre brlots dans lÕarme anglaise ; mais on leur donna si tt feu quÕils ne firent aucun effet.
Le dimanche 22me monsieur le cardinal nous festina encore les mmes quÕil avait traits trois jours auparavant.
Les Franais de lÕarme anglaise envoyrent un tambour pour me demander sauf-conduit pour des dputs quÕils voulaient envoyer monsieur le cardinal : je leur envoyai seulement le lendemain lundi 23me, auquel les Anglais mirent la voile sur les neuf heures du matin, puis vinrent prendre le vent au-dessus de notre arme qui demeura sur son ancre, mais ne manqua pas de tirer force coups de canon, comme nous aussi de dessus nos pointes de Chef de Bois et de Coreilles. Il fut tir de part et dÕautre en deux heures plus de deux mille canonnades, et nous envoyrent encore cinq brlots. Monsieur le cardinal arriva sur la fin, qui y trouva Mrs le cardinal de la Valette et de Chevreuse.
Le soir les dputs des Rochelais qui taient avec la flotte anglaise furent amens dans ma galiote par Lisle et par Traillebois, et je leur envoyai mon carrosse pour les amener la Saussaye, tandis que je fus au galop au fort de Lafons parler aux dputs de la Rochelle au nombre de six qui demandrent de parlementer : ce quÕayant envoy dire monsieur le cardinal, il me commanda de les lui amener, comme je fis lÕheure mme et quasi en mme temps que mon carrosse amenait ceux de la mer. Monsieur le cardinal les fit mettre dans une chambre o logeait monsieur de Bordeaux, et peu aprs il fit mettre dans sa galerie les dputs de lÕarme navale ; puis Mr de Schomberg, de Bouteillier et moi tant avec lui, il fit entrer ceux qui venaient de la mer et leur donna audience. Ils lui dirent en substance quÕils le suppliaient de leur permettre de voir ceux de la Rochelle, et quÕils sÕassuraient quÕaprs quÕils leur auraient parl, ils se remettraient en leur devoir. Ceux de la Rochelle furent ensuite admis, lesquels demandrent quÕil leur ft permis dÕenvoyer aux leurs qui taient sur lÕarme anglaise, et puis quÕils remettraient la ville entre les mains du roi, suppliant trs humblement monsieur le cardinal de leur moyenner quelques tolrables conditions : sur quoi monsieur le cardinal leur rpondit que sÕils lui voulaient promettre de ne point parler eux, quÕil leur montrerait des dputs de la flotte, ce que lui ayant promis, monsieur le cardinal alla dans sa galerie et dit ces deux dputs des vaisseaux que sÕils l'assuraient quÕils ne parleraient point aux Rochelais, quÕil leur ferait voir lÕheure mme ; dont tant convenus, il les mena dans sa chambre o ils taient avec nous. Ils sÕentre-salurent de loin avec tant dÕtonnement que cÕtait chose belle voir ; puis il les fit rentrer dans la galerie. Alors ils offrirent de se remettre en lÕobissance du roi, suppliant monsieur le cardinal de leur moyenner sa grce ; ce quÕil leur promit, et leur dit que le roi s'tait all promener pour huit jours, et qu' son retour il lui en parlerait : sur quoi un des dputs sÕcria : Ē Comment, Monseigneur, dans huit jours ? Il nÕy a pas dans la Rochelle de quoi en vivre trois. Č Lors, monsieur le cardinal leur parla gravement et leur fit voir lÕtat o ils taient rduits ; que nanmoins il porterait le roi leur faire quelque misricorde : et ds lÕheure mme leur fit des articles pour rapporter la Rochelle, lesquels ils dirent quÕassurment ils accepteraient. Ainsi ils sÕen retournrent, et ceux des vaisseaux aussi, lesquels eurent permission de parler leurs confrres et de les prier de les comprendre avec eux, ce que monsieur le cardinal accorda sous le bon plaisir du roi, puis fut voir Grosleau Mr de la Trimouille malade.
Le mardi 24me monsieur le cardinal envoya donner avis Sa Majest de ce qu'y sÕtait pass avec les dputs, et le convier de revenir Laleu, ce quÕil fit le mercredi 25me de bonne heure, et monsieur son frre revint de Niort Laleu une heure aprs lui.
Le jeudi 26me les dputs des Rochelais qui taient en mer, revinrent rendre grce monsieur le cardinal de celle quÕil leur avait accorde au nom du roi, et ceux de la Rochelle acceptrent aussi les conditions que lÕon leur avait proposes. Le roi sÕalla promener en mer vers sa flotte.
Le vendredi 27me tout fut dÕaccord pour la reddition de la Rochelle.
Le roi se fut promener vers le Plom.
Le samedi 28me Mrs de Marillac et du Hallier eurent ordre de signer les articles pour le roi qui ne voulut point les signer avec ses sujets, et nous ensuite ne le voulmes faire.
Le roi sÕalla la nuit promener Chef de Bois pour voir la flotte anglaise par un trs beau temps et une lune trs claire.
Le dimanche 29me Monsieur prit cong du roi pour sÕen retourner Paris : je le fus accompagner. Puis Toiras me vint prier de trouver bon que comme gouverneur d'Aulnis il ament les dputs de la Rochelle faire les soumissions au roi. Je lui dis que tous gouvernements cessaient o les lieutenants-gnraux taient ; que comme marchal de camp il les pourrait aller prendre avec Le Hallier, et me les amener, qui les prsenterais monsieur le cardinal, et lui au roi ; dont il fut bien marri ; mais il prit raison en paiement. Je les allai donc prendre lÕentre des lignes, les marchaux de camp Marillac et Le Hallier les tant alls qurir de ma part la porte Neuve. Je les fis mettre pied terre environ trois cents pas proche du logis du roi, et moi demeurant cheval les menai Laleu, et lÕentre de la chambre monsieur le cardinal les vint prendre pour les prsenter au roi aux genoux duquel sÕtant jets, ils firent des trs humbles soumissions. Le roi leur dit ensuite peu de paroles, et le garde des sceaux plus amplement, et enfin leur pardonna.
Le lundi 30me le roi vint au fort de Beaulieu voir passer les troupes qui entraient dans la Rochelle, assavoir ses gardes franaises et suisses ; puis revenu Laleu dner, il sÕalla puis aprs promener lÕentour de la ville depuis la porte Neuve jusques Tadon, et de l il revint par les digues, o il y eut en celle de Coreilles une solive qui fondit sous lui, et sÕil nÕet t leste de se jeter en avant, il allait au fond de la mer.
Le mardi 31me il fit fort mauvais temps. Le roi ne bougea de Laleu. Mr le cardinal de la Valette sÕen alla Paris.
Novembre. Ń Le mercredi premier jour de novembre, et de la Toussaints, le roi fit ses pques Laleu ; je le servis : puis il toucha les malades. Je fis aussi mes pques.
Aprs dner il vint au fort de Lafons et de l la porte de Coygnes o monsieur le cardinal lui prsenta les clefs de la ville, puis ensuite le peuple qui lui cria misricorde. Puis il entra dans la ville ayant immediatement devant lui monsieur le cardinal seul, et devant, Mrs dÕAngoulme, Schomberg et moi en un rang, puis les marchaux de camp, La Cure et Effiat, deux deux, et ainsi marcha cet ordre jusques Sainte Marguerite o le pre Souffran fit un sermon, puis vpres ensuite. Tous les canons de la ville, des pointes, et de la mer, tirerent. Puis le roi sÕen retourna Laleu.
Mr de Chevreuse partit.
Le jeudi 2me le roi entra le matin par la porte Neuve, alla faire le tour sur les remparts, puis vint en son logis. On tint conseil aprs dner.
Le vendredi 3me le roi fit faire une procession gnrale et lÕon porta le Saint-Sacrement : Mrs dÕAngoulme, dÕAlais, moi, et Schomberg portmes le pole ; Mr de Luxembourg demanda de le porter devant nous comme duc et pair ; mais il le perdit, bien quÕil allgut que ce ne ft point une action de guerre : que la guerre fut finie, et quÕen temps de paix ils sont logs devant nous ; quoi on nÕeut point d'gard.
Le soir Montagu revint dÕAngleterre.
Le samedi 4me monsieur le cardinal mÕenvoya prier dner, et aprs me fit la proposition de continuer commander lÕarme, et de la mener en Pimont pour le secours de Casal, dont je mÕexcusai, lui disant que jÕirais bien pour la commander lÕoccasion, mais que six-vingt mille cus que jÕavais dpendus ce siege me foraient dÕaller auparavant Paris pour raccommoder mes affaires.
Il alla parler Montagu la hutte de Marillac Coreilles.
Mr le Comte et Mr de la Valette partirent.
Je jouai la paume avec le roi qui la goutte prit un pied.
Le dimanche 5me les rgiments de Chappes, Plessis-Pralain, et Castel-Bayart, entrrent en garnison dans la ville, qui les gardes firent place.
Le roi se fit saigner pour sa goutte.
Le lundi 6me le roi continua dÕavoir la goutte et tint le lit.
Le mardi 7me la tourmente fut en mer, par un surot, si violente quÕelle rompit quelques choses aux digues.
Le roi tint conseil, puis fut encore saign, tant pour sa goutte que pour une bulltion de sang qui le prit par tout le corps.
On fit marcher des canons Foras avec les regimens de Pimont et de Rambures.
Le mercredi 8me nouvelles vinrent comme sept vaisseaux de la flotte dÕAngleterre taient chous au-dessous de Foras, qui sÕtaient rendus ceux de Brouage, sur lesquels on avait mis des soldats et des paysans pour les garder. Monsieur le cardinal partit pour aller en Brouage.
JÕeus querelle avec Schomberg et Mr dÕAngoulme, pour lesquels le roi fut : mais on nous accorda, et fus souper chez Schomberg.
Le jeudi 9me les Anglais firent semblant dÕappareiller pour partir : mais le vent leur fut contraire.
La goutte continua au roi.
Je fus encore souper et jouer chez Schomberg, et y eut musique.
Le vendredi 10me les Anglais mirent le feu cinq de leurs vaisseaux et voulurent partir : mais le peu de vent les arrta.
Le samedi 11me la flotte anglaise partit devant le jour, moindre de 22 vaisseaux quÕelle nÕtait venue, cause des brlots, vaisseaux chous, ou ceux o ils avaient mis le feu.
Le dimanche 12me le roi continua de se trouver mal.
On fit jouer deux mines Tadon.
Le lundi 13me je me fis saigner. Monsieur le cardinal revint. Le roi se leva, et laissa lÕordre ncessaire la ville. On avait mis tous les canons de la ville la place du chteau en nombre de soixante et seize de toutes sortes.
Le mardi 14me le roi donna lÕordre que devait tenir la garnison et vint voir la parade la place du chteau.
Le mercredi 15me on tint conseil aprs dner pour les licentiemens et les routes de nos troupes. J'eus encore querelle avec le roi pour les gens de guerre.
Je fus souper chez Effiat.
Le jeudi 16me le roi mÕenvoya qurir dans son conseil troit, o il me dit que pour le bien de son service il convenait quÕil ft raser plusieurs places de son royaume, comme Saintes, Niort, Fontenay, et dÕautres, puis aboutit la citadelle de R quÕil dit tre si forte que, si un des deux rois ses voisins lÕavait occupe, il lui serait presque impossible de la reprendre, et quÕil suffisait en cette le de R le fort de la Pre pour la garder ; qu' cet effet, tant du dpartement que jÕavais, il mÕen avait voulu parler afin de le proposer et faire agrer Toiras, qui il voulait donner bonne rcompense. J'approuvai le dessein du roi : mais je lui dis que cÕtait une chose qui devait partir de la bouche propre de Sa Majest, et que si Elle lÕenvoyait qurir et lui disait, que je m'assurais quÕil le prendrait de bonne part. Lors, on le fit venir, et le roi lui parla : il eut promesse de deux cents mille livres, dÕtre pay de ce qui lui tait d, recompens des armes et munitions qui se trouveraient dans la place, et que le roi lui paierait le vaisseau que les Hollandais lui avaient retenu. Il demanda quelque emploi, et je proposai de lui donner lÕarme conduire jusques en Italie.
Le vendredi 17me le roi tint conseil, se fut promener la tour de la Chane.
Je fus prendre cong de monsieur le cardinal, le roi ne mÕayant voulu laisser aller devant lui Paris, me disant quÕil me voulait prsenter aux reines. Monsieur le cardinal partit ce jour-l pour aller Richelieu.
Le samedi 18me le roi partit de la Rochelle et vint coucher Surgres ; le dimanche Niort ; le lundi Partenai; le mardi Touars ; le mercredi Saumur, o le jeudi 23me nous fmes nos pques Notre Dame des Ardilliers, puis coucher Langeais ; le vendredi dner Tours, coucher Amboise ; le samedi Marchenoir, le dimanche ...., et le lundi Dourdan, o il demeura le mardi, et vint le mercredi Limoux o Monsieur et les reines le vinrent trouver : il me prsenta elles, et le jeudi 30me novembre jÕarrivai Paris ayant t justement quatorze mois depuis mon partement jusques mon retour.
Janvier.Ń Aprs que toute la cour fut rassemble Paris vers le commencement de lÕanne 1629, on commena aussi rompre la pratique du mariage de Monsieur avec la princesse Marie, et lui en parler fermement, quoi il se rsolut et promit de sÕen dsister tout fait, pourvu que lÕon lui donnt moyen de le faire avec honneur ; et pour cela il proposa que lÕon lui donnt la charge de faire lever le sige de Casal quÕy avait mis trois mois auparavant don Gonsales de Cordova gouverneur de Milan, ce que la reine mre lui fit accorder par le roi, qui lui fit en mme temps un don de cinquante mille cus pour se mettre en quipage dÕaller tre vicaire du roi en Italie avec une puissante arme qui dj sÕy acheminait, et tait bien avance. Il trouva bon que lÕon envoyt Mr de Mantoue afin quÕil envoyt qurir madame sa fille et quÕelle partt quinze jours aprs quÕil se serait achemin lÕarme.
Mais aprs que le roi lui et donn cette charge, il s'imagina que la gloire que monsieur son frre irait acqurir en cette expdition serait au ravalement de la sienne (tant a de pouvoir la jalousie entre les proches), et se mit tellement cela en la tte (ou pour dire autrement, dans le cĻur), quÕil ne pouvait reposer. Il vint le 3me de janvier Chaillot o de fortune jÕtais venu trouver monsieur le cardinal qui y demeurait lors, et sÕtant enferm avec lui, commena par lui dire quÕil ne saurait souffrir que son frre allt commander son arme del les monts, et qu'il ft en sorte que cet emploi se rompt. Il lui rpondit quÕil ne savait quÕun seul moyen de le rompre, qui tait quÕil y allt lui-mme, et que, sÕil prenait ce parti, il fallait qu'il partt dans huit jours au plus tard, quoi le roi sÕoffrit franchement, et en mme temps se tourna et m'appela, qui tais au bout de la chambre ; puis quand je fus approch, il dit : Ē Et voici qui y viendra avec moi et m'y servira bien. Č Je lui demandai o ; il me dit: Ē En Italie o je m'en vas dans huit jours faire lever le sige de Casal. Apprtez-vous pour partir et mÕy servir de lieutenant-gnral sous mon frre (sÕil y veut venir) : je prendrai avec vous le marchal de Crquy qui connat ce pays-l, et j'espre que nous ferons parler de nous. Č Sur cela le roi revint Paris, dit sa rsolution la reine sa mre, et elle Monsieur, qui nÕen fut gure content. Nanmoins, il nÕen fit pas semblant et sÕapprta pour partir. Mais le roi sÕen alla le premier et nous donna rendez-vous Grenoble.
La veille quÕil partit, il sut que je nÕtais pas fort en argent : il me demanda du cidre pour porter avec lui comme j'avais accoutum de lui en donner de fort bon que mes amis mÕenvoyaient de Normandie, sachant que je lÕaime. Je lui en envoyai douze bouteilles, et le soir comme je pris le mot de lui, il me dit : Ē Bettstein, vous mÕavez donn douze bouteilles de cidre, et moi je vous donne douze mille cus : allez trouver Effiat qui vous les fera dlivrer. Č Je lui dis : Ē Sire, j'ai la pice entire au logis, que, sÕil vous plait, je vous donnerai ce prix-l. Č Mais il se contenta de douze bouteilles, et de sa libralit.
Il partit donc de Paris, et Monsieur cinq jours aprs lui, qui vint dner et souper chez moi la veille, ayant envoy son train lÕattendre Montargis ; et moi je partis de Paris le lundi 12me jour de fvrier et fus coucher Essonne.
Fvrier. Ń Le mardi 13me Toiras vint avant jour me trouver pour venir avec moi, vnmes dner Montargis (o nous trouvmes Mr de Chateauneuf), et coucher la Bussiere, o Canaples tait arriv ; le mercredi 14me dner Bonny, coucher Nevers ; le jeudi 15me dner Moulins, coucher Varanne.
Le vendredi 16me, nous fmes trouver Monsieur frre du roi qui avait couch Chteaumorant et allmes avec lui jusques auprs de Saint-An. Il me dit quÕil nÕaurait aucun emploi lÕarme puisque monsieur le cardinal y tait, qui ne ferait pas seulement sa charge, mais celle du roi encore ; que j'avais vu comme il en tait all la Rochelle, et qu'il avait fait aller le roi en ce voyage contre son gr, seulement pour lui ter le commandement que le roi lui avait accord : enfin il me dit quÕil sÕen allait en Dombes o il attendrait les commandements du roi. Je tchai de le remettre par les plus vives persuasions quÕil me fut possible : mais ce fut en vain, et pris cong de lui, m'en allant dner Roanne o la peste tait trs forte, et coucher Saint-Saforien.
Le samedi 17me nous vnmes passer Lyon o la peste tait violente et vnmes coucher un chteau qui est au marquis de Villeroy, nomm Mions.
Le dimanche 18me nous vnmes coucher Virieux.
Le lundi nous dnmes Moiran o Canaples mÕattrapa, et fmes coucher Grenoble, o le roi fut bien aise de me voir. On tint conseil l'heure mme, et on envoya Toiras Vienne pour amener lÕarme qui y tait, pendant quÕavec une forte dpense et plus grande peine il fit passer les monts son artillerie jusques Chaumont.
Le mardi 20me le roi fut au conseil lÕaprs-dner pour rsoudre toutes les affaires.
Le mercredi 21me monsieur le cardinal partit de Grenoble.
Le jeudi 22me le roi par un trs mauvais temps passa le col de Lafrey et vint coucher la Mure.
Le vendredi 23me il passa le col du Pontaut et coucha aux Diguieres.
Le samedi 24me il passa le col de Saint-Guigue, ctoya la Durance et vint au gte Gap.
Le dimanche 25me il coucha Chorges.
Le lundi 26me il vint Embrun o monsieur le cardinal se trouva. Il y tint conseil et se rsolut que Mr de Crquy et moi nous irions saisir des passages du Pimont ; et le 27me de fvrier, mardi, jour de carme-prenant, nous partmes avec monsieur le cardinal, allmes dner Saint-Crespin, laissant le val Louise main gauche, et vnmes au gte Brianon par un extrme froid. Monsieur le cardinal dpcha de l le commandeur de Valanai Mr le duc de Savoie.
Le mercredi jour des Cendres, 28me, nous montmes le mont Genvre dÕo sourdent les deux fleuves de Doire et de la Durance. Nous vmes les arbres qui portent la manne, lÕagaric, et la trbenthine, puis nous mmes la ramasse pour descendre Sesane o monsieur le cardinal arriva peu aprs nous. Puis nous vnmes coucher Ourse [Oulx].
Mars. Ń Le jeudi premier jour de mars Mr de Crquy et moi vnmes dner Chaumont chez Mr dÕAuriac, qui nous rendit compte de l'arme quÕil avait. L'aprs-dner nous allmes la frontire de France reconnatre les forts de Jallon et de Jallasse, et les lieux propres pour les attaquer et forcer.
Le vendredi 2me nous ne bougemes de Chaumont. Le commandeur de Valanai nous renvoya le sieur de Lisle.
Le samedi 3me le commandeur de Valanai retourna Turin, et monsieur le cardinal vint dner Chaumont. Il fut aprs voir la frontire et considrer les deux forts.
Le dimanche 4me Mr le prince de Pimont arriva Chaumont pour traiter avec monsieur le cardinal ; et nous, Mr de Crquy et moi, le fmes conduire jusques par del la grande barricade que nous emes loisir de reconnatre.
Le lundi 5me il nous envoya un courrier, et lÕaprs-dner monsieur le cardinal tant all sur la frontire, le comte de Verrue y arriva, qui tant entr en particulier avec monsieur le cardinal, furent plus de deux heures contester, au bout desquelles monsieur le cardinal fit appeler Mr de Crquy et moi auxquels il fit entendre les offres du comte de Verrue, lesquelles nous ne fmes dÕavis quÕil acceptt : sur quoi tout trait fut rompu, dont il envoya donner avis au roi, lui conseillant de venir, ce quÕil fit toute la nuit et arriva sur les trois heures du matin.
Cependant Mr de Crquy et moi avec les marchaux de camp tnmes conseil de lÕordre que nous avions tenir, qui fut que les rgiments des gardes franaises et suisses donneraient la tte ; que le rgiment de Navarre aurait l'aile droite, et Stissac la gauche ; que les deux ailes feraient monter deux cents mousquetaires chacune contre les montagnes tant qu'ils auraient gagn lÕminence sur les gardes des barricades et qu'ils les auraient outrepasses ; cela fait, au signal que nous donnerions, ils feraient leur dcharge par derrire la barricade comme nous lÕattaquerions par devant avec les deux rgiments des gardes ; que le comte de Saut avec son rgiment irait passer au dessous de Jallasse par des chemins extravagants que des paysans du lieu lui montreraient, et viendraient ensuite descendre dans Suse et prendre les ennemis par derrire en cas quÕils nous rsistassent encore ; quÕen mme temps on ferait attaquer Jallon par un autre rgiment, ce que Mr dÕAuriac entreprendrait. Cet ordre fait, nous commenmes onze heures du soir faire passer les troupes par Chaumont. Il faisait un trs mauvais temps, et y avait sur terre deux pieds de neige.
Le mardi 6me de mars le roi arriva sur les deux heures du matin Chaumont avec Mrs le comte de Soissons, de Longueville, de Moret, marchal de Schomberg, dÕAluin, de la Valette, et autres. Nos troupes passrent, assavoir 7 compagnies des gardes, 6 de Suisses, 19 de Navarre, 14 dÕEstissac, 15 de Saut, et les mousquetaires cheval du roi. Le comte de Saut et son rgiment partirent ds trois heures pour aller o ils taient ordonns : le reste demeura cinq cents pas du bourg de Jallasse en bataille. Nous avanmes aussi six pices de canon de six livres de balle, menes au crochet, pour forcer les barricades. Stissac eut ordre de laisser cent hommes la garde du parc de lÕartillerie. L'ordre fut que chaque corps jetterait devant lui cinquante enfants perdus, soutenus de cent hommes, lesquels seraient soutenus de cinq cents. Nous logemes les princes et seigneurs la tte des cinq cents hommes des gardes.
Sur les six heures du matin Mr de Crquy et moi avec Mrs de la Valette, Valanay, Toiras, Canaples et Tavannes, mmes nos troupes en lÕordre susdit. Le roi arriva en ce mme temps avec Mr le Comte et monsieur le cardinal : il voulut que ses mousquetaires fussent mls avec les enfants perdus des gardes.
Nous envoymes de la part du roi le sieur de Comminges avec un trompette demander passage pour l'arme et la personne du roi au duc de Savoie. Mais comme il approcha de la barricade, on le fit arrter, et le comte de Verrue sortit lui parler et lui rpondit que nous ne venions point en gens qui voulussent passer en amis, et que, cela tant, ils se mettraient en si bon tat de nous en empcher que, si nous le voulions entreprendre, nous nÕy gagnerions que des coups.
Aprs que Comminges nous eut rapport cette rponse, j'allai (parce que jÕtais en jour de commander), trouver le roi qui tait cent pas derrire nos enfants perdus, plus avanc que le gros des cinq cents hommes des gardes, pour lui demander cong de commencer la fte et lui dis : Ē Sire, Sire, lÕassemble est prte, les violons sont entrs, et les masques sont la porte : quand il plaira Votre Majest, nous danserons le ballet. Č Il sÕapprocha de moi et me dit en colre : Ē Savez-vous bien que nous nÕavons que cinq livres de plomb dans le parc de l'artillerie ? Č Je lui dis : Ē Il est bien temps maintenant de penser cela ! Faut-il que pour un des masques qui nÕest pas prt, le ballet ne se danse pas ? Laissez-nous faire, Sire, et tout ira bien. Č Ē MÕen rpondez-vous ? Č me dit il. Ē Ce serait tmrairement fait moi, lui rpondis-je, de cautionner une chose si douteuse : bien vous rponds-je que nous en viendrons bout notre honneur, ou j'y serai mort ou pris. Č Ē Oui, mais, dit il, si nous manquons, je le vous reprocherai. Č Ē Que me sauriez-vous dire autre chose, lui repartis-je, si nous manquions, que de mÕappeler marquis dÕUxelles ? (car il avait failli de passer Saint-Pierre) ; mais je me garderai bien de recevoir cette injure. Laissez-nous faire seulement. Č Alors monsieur le cardinal lui dit : Ē Sire, la mine de monsieur le marchal, jÕen augure tout bien : soyez-en assur. Č
Sur ce je mÕen vins Mr de Crquy et mis pied terre avec lui, ayant donn le signal du combat. Mr le marchal de Schomberg qui ne faisait que dÕarriver, ayant t contraint de demeurer derrire pour la goutte quÕil eut, sÕen vint cheval voir la fte. Nous passmes le bourg de Jallasse que les ennemis avaient quitt. Au sortir de ce village nous fmes salus de quantit de mousquetades des ennemis qui taient sur les montagnes et la grande barricade, et de quantit de canonnades du fort de Jallasse, et comme nous nous avancions toujours, Mr de Schomberg fut bless aux reins dÕune mousquetade qui venait des montagnes gauche. Lors, les ntres des deux ailes ayant gagn les minences, tirrent au derrire de la barricade, et nous, y donnant tte baisse, nous leur fmes abandonner : alors nous les suivmes si vivement quÕils nÕen purent garder aucune de celles quÕils avaient. Ensuite, y entrant ple-mle avec eux, le commandeur de Valanai prit le haut la gauche avec les Suisses, o il fut bless dÕune mousquetade au genou et en chassa les Valaisans que le comte de Verrue menait : son cheval y fut pris. Je donnai par le bas avec Mr de Crquy et les Franais, o le marquis Ville fut fort bless. Nous suivmes si vivement notre pointe que sans la rsistance quÕy fit prs dÕune chapelle un capitaine espagnol et peu de soldats nos enfants perdus, qui donna loisir au duc et au prince de se retirer, ils taient tous deux pris. Nous vnmes sans arrter jusques sur le haut la vue de Suse o dÕabord on nous tira force canonnades de la citadelle de Suse ; mais nous tions si anims au combat et si joyeux dÕavoir obtenu la victoire que nous ne faisions aucun tat de ces coups de canon. Je vis une chose qui me contenta fort de la noblesse franaise qui tait l, parmi laquelle Mr de Longueville, Mr de Moret, Mr dÕAluin, monsieur le premier cuyer, et plus de soixante autres taient avec nous : une canonnade donna nos pieds qui nous couvrit tous de terre ; la longue connaissance des canonnades mÕavait appris plus quÕ eux que, ds que le coup est donn, il nÕy a plus de pril, ce qui me fit dÕabord jeter les yeux sur la contenance dÕun chacun et voir quel effet ce coup aurait fait en eux : je nÕen aperus pas un qui fit aucun signe dÕtonnement, non pas mme dÕy prendre quasi garde ; un autre tua parmi eux un gentilhomme de Mr de Crquy, dont ils ne firent aucun semblant. JÕeus en marchant la barricade un de mes gardes tu sur lequel j'tais appuy : un autre poursuivant chaudement avec les enfants perdus fut tu sur le pont de Suse : un gentilhomme des miens y eut une mousquetade sur le cou du pied, dont il est demeur estropi ; cÕtait celui qui commandait ma galiote la Rochelle, nomm Du Val. Aucuns de nos enfants perdus entrrent mme dans la ville ple-mle avec les ennemis et y furent pris prisonniers, et nous eussions l'heure mme forc Suse si nous nÕeussions fait retirer nos gens parce que nous voulions conserver la ville sans la piller, pour servir de logement au roi.
Peu aprs tre venus sur ce tertre, Mr de Crquy avec Mr de la Valette allrent loger gauche en des maisons sur la descente avec les gardes, et moi avec Toiras et Tavannes prmes la droite en descendant et y logemes Navarre. Le commandeur quoique bless alla mettre les Suisses de lÕautre ct de la ville afin dÕempcher que rien nÕen sortt ; quoi fait, Mr de Crquy et moi, prmes notre logement aux Cordeliers du faubourg de Suse, et tous les princes et la noblesse y vinrent repatre avec nous, joyeux et contents dÕavoir si bien et heureusement servi le roi, qui nous envoya l'abb de Beauveau premirement, et puis son cuyer de quartier pour dire Mr de Crquy et moi la satisfaction quÕil avait de nous et la reconnaissance perptuelle quÕil en aurait, nous blmant nanmoins, Mr de Crquy et moi, de ce quÕtant ses lieutenants-gnraux, nous avions voulu donner avec les enfants perdus, et nous mandant quÕil ne nous enverrait plus ensemble, parce que par mulation lÕun de lÕautre nous faisions ce prjudice son service que, si nous nous y eussions fait tuer, outre la perte quÕil et faite de deux telles personnes, le dsordre se ft mis dans cette occasion faute de chefs pour la commander. Nous lui mandmes quÕil y a des choses qui se doivent faire avec retenue et dÕautres avec prcipitation ; que celle-ci tait une affaire o il ne fallait point marchander, mais y mettre le tout pour le tout, parce que, si nous eussions t repousss la premire attaque, nous lÕeussions ensuite t toutes les autres, et que des soldats qui voient de tels chefs leur tte y vont bien avec plus de courage et de rsolution.
Pendant le combat des barricades, Mr le comte de Saut qui tait all par dessous Jallon pour prendre les ennemis par derrire, eux qui sÕen doutaient, avaient mis sur lÕavenue o il devait passer le colonel Belon avec son rgiment pour la garder ; mais il les surprit la pointe du jour et dfit le rgiment, prit plus de vingt officiers prisonniers, et rapporta neuf drapeaux des dix dudit rgiment, puis se vint joindre nous aux Cordeliers, dÕo nous envoymes sur les cinq heures du soir sommer la ville de se rendre, et le chteau aussi, ce quÕils firent ; et, nous ayant donn des otages, nous diffrmes dÕy entrer ce jour-l, craignant un dsordre et que la ville ft pille par nos soldats ardents et chauffs par la prcdente dfaite, et y entrant de nuit.
Mr de Senneterre vint lÕentre de la nuit nous trouver et nous dire encore de belles paroles de la part du roi et de monsieur le cardinal qui nous crivit comme le roi envoyait trouver ledit Senneterre Mr le duc de Savoie de sa part et que nous facilitassions son passage : nous lui donnmes un trompette et dix de mes gardes pour l'accompagner.
Le mercredi 7me ceux de Suse nous vinrent porter les clefs de leur ville o nous envoymes Toiras pour en prendre possession et y faire faire nos logements. Monsieur le cardinal vint dner chez moi aux Cordeliers, o aprs nous tnmes conseil ; puis ayant t visiter le poste des Suisses que nous loumes dÕavoir si bien fait, et principalement le colonel Salis de qui le commandeur de Valanai disait de grandes louanges, et blmant le rgiment de Navarre devant mme Tavannes leur matre de camp, nous vnmes loger dans Suse et mmes garnison au chteau, et la citadelle nous ayant envoy demander trve jusques au retour de Mr de Senneterre, nous leur accordmes.
Le jeudi 8me de mars nous partmes de Suse avec ce que nous avions des gardes, de Suisses, Navarre et Saut, avec les gendarmes et les chevau-lgers de la garde du roi, Bussy, Laurieres, Boissac et Arnaut, avec les gardes de Mr de Crquy et de moi, pour aller prendre notre logement Boussolengue et passmes del la Doire du ct de la plaine. CÕtait le jour de Mr de Crquy commander, nous changeant de trois jours en trois jours : il voulut que lÕon prit plutt ce chemin que l'autre parce quÕil tait plus large et plus ais que lÕautre, parce aussi qu'il y avait devant Boussolengue une plaine pour nous mettre en bataille et faire nos ordres en cas que les ennemis nous eussent voulu disputer le logement de Boussolengue. Mais comme nous voulmes faire passer le pont de la Doire nos troupes, le gouverneur de la citadelle de Suse qui tait en trve avec nous, nous manda quÕil ne pouvait souffrir que notre arme passt devant sa citadelle, et que si nous le faisions, quÕil romprait la trve. Nous acceptmes ce dernier parti, et en mme temps envoymes couper les canaux qui portaient lÕeau dans la citadelle, dont ils ne pouvaient faire garde parce que les citernes nÕen valaient rien : lui de son ct nous tira plus de cent canonnades en passant, et nous tua dix ou douze hommes. Je menai ce jour-l l'avant-garde de l'arme, Mr de Crquy la commandant. Comme nous arrivmes proche de Boussolengue, nous nous mmes en bataille, puis fmes passer del la ville, qui nous ouvrit les portes, notre cavalerie qui se tint en bataille du ct de Veillane jusques ce que l'infanterie ft loge et barricade ; puis elle dfila.
Mr de Senneterre revint passer Boussolengue, et nous dit quÕil avait quasi accommod toutes choses ; quÕil nous priait de ne point avancer : et sur ce que nous lui dmes que le lendemain matin nous irions attaquer Veillane, il sÕen alla en diligence Chaumont et nous fit crire par monsieur le cardinal que le roi nous commandait de ne rien entreprendre, et ne bouger de Boussolengue jusques ce que Mr de Senneterre et t trouver Mr de Savoie de sa part, comme il fit le lendemain 9me, et alla trouver le duc qui tait Veillane.
Le samedi 10me Senneterre repassa, qui nous apporta l'acceptation de la paix que le duc avait faite sur les articles que le roi lui avait envoys ; et sur le soir le comte de Verrue passa pour aller trouver le roi de la part du duc.
Nos soldats ces deux jours prcdents furent fort la picore ; mais ce jour-l nous fmes de rigoureuses dfenses de nÕy plus aller.
Le dimanche 11me jÕtais en jour de commander. Sur la nouvelle que nous emes du roi de la venue de monsieur le prince prs de lui, nous fmes mettre toute notre infanterie en bataille entre Saint-Jory et Boussolengue, border d'infanterie des deux cts le bourg, et le pont par o le prince devait passer, fmes mettre douze compagnies de cavalerie en bel ordre en la plaine qui est entre Boussolengue et Suse, et moi je fus par del Saint-Jory avec les gendarmes, chevau-lgers du roi, et la compagnie dÕArnaut, avec mes gardes et force noblesse, recevoir monsieur le prince, puis le menai par devant notre infanterie qui lui fit salve et le salua. Mr de la Valette tait la tte. De l nous passmes travers de Boussolengue et vnmes o taient les douze compagnies de cavalerie, o tait aussi Mr le marchal de Crquy entre les mains duquel je le rsignai pour lÕamener au roi. Mrs de Longueville, de Moret, dÕAluin, de la Valette et de la Trimoulle qui voulurent venir avec moi au-devant de monsieur le prince ne le voulurent saluer quÕaprs que je lui eus fait la rvrence. Tous ces messieurs le quittrent quand et moi et revinrent au quartier de Boussolengue, ne nous ayant point quitts depuis que nous partmes dÕEmbrun.
Monsieur le prince dna Suse avec monsieur le cardinal avec lequel il traita et conclut toutes choses, et entre autres, que l'on mettrait la citadelle de Suse et les forts de Jallon et de Jallasse entre les mains du roi, quÕil garderait jusques ce que toutes choses fussent concertes en Italie ; quÕil y mettrait des Suisses, et que je jurerais au duc de remettre lesdites places entre ses mains lorsque le roi mÕaurait mand que toutes choses promises seraient accomplies. De l monsieur le prince sÕen revint sans avoir vu le roi pour lors, et Mr de Crquy et moi, le fmes accompagner jusques en la plaine de Veillane.
Monsieur le cardinal mÕcrivit pour venir prendre le lendemain possession de Suse et des autres forts ; mais comme le lundi 12me j'y arrivai, je nÕy trouvai aucun commissaire du duc, ni ordre aux gouverneurs des places de me les consigner, ce qui fit que je passai Chaumont pour trouver le roi, que je nÕavais point vu depuis l'attaque du pas de Suse. Je dnai avec monsieur le nonce chez monsieur le cardinal, et fus visiter messieurs de Schomberg et commandeur de Valanay, blesss. De l je revins Suse o je trouvai un secrtaire dÕtat du duc : mais il me dit ne pouvoir rien faire sans le veador gnral Gabaleon. Je lui parlai un peu rudement, ce qui fit quÕil sÕen retourna au galop Veillane, et le soir mme Gabaleon arriva en mon quartier de Boussolengue, lequel m'ayant fait entendre son ordre de me remettre les forts en main, et le serment quÕil me montra que je devais faire, et faire faire aux Suisses que je mettrais dedans lesdits forts, j'y trouvai quelque difficult dont je donnai la nuit avis monsieur le cardinal, et Gabaleon sÕen alla la citadelle de Suse.
Le lendemain mardi 13me je mÕen revins de bon matin Suse o je trouvai messieurs de Chateauneuf et de Senneterre que monsieur le cardinal mÕavait envoys sur le sujet de la difficult que je lui avais mande, et comme ce jour-l Mr de Crquy premier marchal de France en lÕarme faisait faire la montre gnrale, monsieur le cardinal passa par lÕautre ct pour la voir. Je convins avec Gabaleon de la forme du serment, et envoyai des commissaires pour faire l'inventaire de la citadelle avec ceux du duc. Gabaleon et ces messieurs vinrent dner avec moi ; puis avec grande peine je pus les faire sortir de la citadelle o je mis le capitaine Reding avec sa compagnie. De l je voulus moi mme accompagner les troupes du duc en mÕen retournant Boussolengue, et les fis conduire jusques Veillane en toute sret.
Le mercredi 14me le roi envoya de bon matin me mander que je le vinsse trouver Chaumont o Mr le prince de Pimont devait venir dner avec lui, ce que je fis et visitai en passant Suse le marquis Ville, bless. De l jÕallai tablir la garnison suisse Jallasse ; puis je vins Chaumont. Aprs dner nous fmes au conseil, o monsieur le prince assista et fit de trs belles propositions. De l le roi vint Suse accompagn de monsieur le prince : on le salua de canonnades tant du fort de Jallasse, en passant, que de la citadelle. Mr le prince de Pimont prit cong du roi la porte de Suse, et, ayant mis pied terre pour lui faire la rvrence, le roi descendit de cheval aussitt pour lÕembrasser. De l il me commanda de lÕaller accompagner jusques Saint-Jory, ce que je fis.
Le jeudi 15me Gabaleon me vint trouver Boussolengue pour prendre de moi l'inventaire sign de ma main de lÕartillerie et munitions des citadelles de Suse et fort de Jallasse, que je lui donnai.
Senneterre passa ce jour-l pour aller rapporter madame la princesse de Pimont de la part du roi les drapeaux gagns aux pas de Suse.
Le vendredi 16me je vins Suse voir le cardinal de la Valette qui tait arriv.
Je dnai avec monsieur le cardinal que je menai puis aprs la citadelle de Suse, puis fmes au-devant du roi qui tait all se promener jusques Boussolengue o je mÕen retournai.
Le samedi 17me le prince-cardinal vint voir le roi, qui passa et repassa par mon quartier : je lÕaccompagnai jusques Saint-Jory. Au retour Gabaleon me vint porter de la part du duc la lettre que don Gonsales de Cordova lui avait crite, par laquelle il dclarait vouloir effectuer tout ce que le duc avait promis et quÕ cet effet il avait lev le sige de Casal : je lÕenvoyai lÕheure mme au roi, qui me l'ayant remande, je la fis le lendemain rapporter au duc Veillane par Boissac.
Le dimanche 18me messieurs les cardinaux de Richelieu et de la Valette vinrent dner chez Mr de Crquy Boussolengue. Monsieur le prince de Pimont y arriva peu aprs, qui ayant confr quelque temps avec monsieur le cardinal, sÕen retourna, et lui Suse.
Le lundi 19me Sainte-Soulaine vint apporter la nouvelle de la leve du sige de Casal le vendredi prcdent.
Le mardi 20me je fus dner Suse chez monsieur le cardinal. LÕaprs-dner le roi alla en la plaine de Boussolengue voir le rgiment de la Grange nouvellement arriv.
Le mercredi 21me nous fmes mettre notre infanterie en bataille en la plaine au dessus de Boussolengue. De l je fus recevoir Madame et monsieur le prince de Pimont (qui venaient voir le roi), mi-chemin de Veillane ; puis au-dessous de Saint-Jory je lui prsentai les gendarmes et chevau-lgers de la garde du roi, qui marchrent devant et derrire elle comme ils faisaient au roi. Mr de Luxembourg lui vint faire la rvrence, quÕelle baisa comme elle mÕavait fait. Je la menai de l passer par devant notre infanterie qui la salua de salve de piques et de drapeaux : puis ayant pass par del Boussolengue, elle trouva Mr de Crquy et Mr de la Trimoulle avec dix-huit compagnies de chevau-lgers. Je la consignai s mains de Mr le marchal de Crquy qui la conduisit jusques ce que le roi la joignit, qui vint au devant dÕelle, et avait fait mettre en bataille douze mille hommes de pied auxquels il fit faire devant elle plusieurs volutions, puis la conduisit au chteau de Suse, o elle et monsieur le prince son mari furent logs et dfrays.
Le jeudi 22me je tombai malade et me fis saigner.
Guron revint de Casal et amena les dputs de la ville avec lui, que je fis loger et dfrayer Boussolengue.
Le vendredi je pris mdecine, mon mal me continuant.
Le samedi je me fis encore saigner. Monsieur le prince de Pimont alla et revint de Veillane Suse : il me fit lÕhonneur, en retournant, de me venir visiter.
Le dimanche 25me mars, jour de Notre-Dame, monsieur le prince de Pimont fit ses pques Suse avec l'habit de lÕordre de Saint-Maurice.
Le 26me le roi envoya le pre Josef Mr de Mantoue, et Argencourt avec Guron au Montferrat. Je continuai dÕtre malade.
Le mardi 27me je me fis encore saigner.
Le mercredi 28me Toiras partit pour aller Lorette.
Le jeudi 29me, commenant me mieux porter, le roi me commanda de venir Suse o nous fmes lÕtat de lÕarme pour aller Casal.
Monsieur le prince et madame la princesse partirent dÕauprs du roi pour retourner Turin.
Le vendredi 30me jÕallai Suse dner chez Schomberg qui mÕen avait envoy prier.
Le samedi dernier jour de mars Mr le duc de Savoie rompit les tapes que par le trait de paix il avait tablies pour notre arme.
Avril. Ń Le dimanche premier jour dÕavril monsieur le prince revint trouver le roi, qui raccommoda tout.
Le lundi 2me Senneterre alla de la part du roi trouver le duc Veillane et rapporta nouvelles que le duc viendrait trouver le roi Suse.
Le mercredi 4me nous fmes partir les troupes pour aller tenir garnison au Montferrat, assavoir les rgiments de Villeroy, Ribeyrac, Monchas et la Grange, et les compagnies de Toiras, Canillac, Boissac, Cournon, Maugiron et Migneux.
Le roi attendait ce jour-l Mr de Savoie Suse ; mais le mauvais temps l'en empcha.
Le jeudi 5me Mr de Savoie mÕenvoya Mr le comte de Verrue pour me dire que je lui donnasse un passeport pour pouvoir sÕaller rendre aux pieds du roi. Je courus au-devant de lui avec Mr le marchal de Crquy, et nous mmes en son carrosse dÕo je sortis peu aprs, laissant Mr de Crquy avec lui, qui le mena au roi, pour mÕen venir au-devant de Madame et de monsieur le prince qui revenaient Suse. Je les pris Saint-Jouaire et les menai jusques mi-chemin de Suse Boussolengue, o le roi, qui tait venu conduire Mr le duc de Savoie, les rencontra. Mr de Crquy ramena Mr de Savoie Saint-Jouaire o il coucha.
Le vendredi 6me Mr de Crquy et moi vnmes Suse faire la rvrence Madame et monsieur le prince. Le roi fit faire exercice huit cents soldats devant eux.
Le samedi 7me le roi nous envoya qurir sur la plainte du marchal dÕEstres contre Besanon dont il nous commanda de faire le jugement, et le chtiment dudit Besanon.
Nous dnmes chez monsieur le cardinal. Le roi sÕen alla au chteau voir Madame, et nous Boussolengue.
Le dimanche 8me, jour de Pques fleuries, le roi donna cong Mr de Crquy dÕaller pour huit jours demeurer Turin. Il partit le lundi 9me, et moi jÕeus un grand mal d'oreille qui me retint au lit.
Le mardi 10me monsieur le prince alla et revint de Veillane. J'allai dner Suse chez Mr de Longueville ; puis je fus voir monsieur le cardinal, monsieur le nonce, et l'ambassadeur de Venise. Le roi fit faire lÕexercice et Madame y alla.
Le mercredi 11me Mr de Bordeaux me vint voir, et allmes aprs dner ensemble voir le chteau de Brsolles pour y loger monsieur le cardinal.
Le jeudi-saint, 12me d'avril, jour de ma naissance, je fus par ordre du roi Suse pour recevoir et aller au-devant dÕun ambassadeur extraordinaire de Venise nomm Soranzo, que la rpublique envoyait au roi pour le visiter.
Schomberg partit pour aller Valence assembler lÕarme contre les huguenots.
Le roi envoya ce jour-l la commission de lÕartillerie Mr le marquis d'Effiat, dont jÕavais fait la premire ouverture.
Le vendredi-saint, 13me, monsieur le cardinal vint loger Brsolles : je fus au-devant de lui, et lui conduisis.
Le samedi-saint,14me, Mrs de Lyon et de Chateauneuf vinrent dner chez moi Boussolengue.
Je fis mes pques.
Les ambassadeurs de Mantoue arrivrent Suse.
Le dimanche 15me, jour de Pques, je les fus donner bonnes monsieur le cardinal. Celui de la Valette et Mr de Longueville me vinrent voir : je les fus reconduire.
Le lundi 16me je fus Suse dner chez Mr le Comte. Aprs dner je distribuai les dpartements aux commissaires pour la montre et vis le fonds de celle de la cavalerie lgre.
Le mardi 17me je fis faire la montre de la cavalerie lgre.
Mr de Crquy revint de Turin et avec lui Mr Frangipani et le comte de Guiche arrivrent.
Le mercredi 18me Mr le cardinal de la Valette nous vint voir : nous allmes ensemble mener Frangipani Suse, qui le roi fit fort bonne chre. Monsieur le cardinal nous donna tous dner Brsolles.
Le jeudi 19me monsieur le cardinal partit de Brsolles : celui de la Valette et Mr de Longueville vinrent dner en notre quartier chez Mr de Crquy pour y voir le comte de Guiche. Comme nous tions table, le roi nous envoya un valet de pied avec une lettre Mr de Crquy et moi, par laquelle il nous commandait de ne souffrir le comte de Guiche en nos quartiers, et le prendre prisonnier sÕil y demeurait davantage. Il mÕenvoya aussi ordonner de venir loger Suse, nÕtant pas raisonnable que Sa Majest ft sans aucun marchal de France pour commander son quartier et la bataille de lÕarme, laissant Mr de Crquy Boussolengue. Je mÕen revins donc Suse avec ces messieurs, fus au conseil, de l chez Madame, puis souper chez Mr le cardinal de la Valette.
Le vendredi 20me jÕallai dner chez monsieur le cardinal : de l je vins avec lui au conseil. LÕambassadeur extraordinaire de Florence nomm Julian de Medicis, archevque de Pise, eut audience. Nous allmes de l avec le roi chez Madame qui tait malade, puis souper chez Mr de Longueville.
Le samedi 21me Mr le Comte et Mr de Longueville vinrent dner chez moi ; puis je fus au conseil. LÕambassadeur de Mantoue eut audience.
Le dimanche 22me nous rglmes, Mr de Crquy et moi, les munitions. L'aprs-dner la cour se tint chez Madame malade. Le soir je soupai chez Mr de Longueville, et puis chez le roi our sa musique.
Le lundi 23me Mr de Crquy revint encore dner chez moi. On tint conseil aprs dner : de l nous fmes chez Madame ; puis le roi vint mon logis voir ma chambre o quand on parlait en un coin, pour bas que ce ft, on l'oyait en lÕautre. Il fit faire lÕaprs souper une excellente musique.
Le mardi 24me le roi tint conseil. Il fut voir Madame. Il arriva un ambassadeur extraordinaire de Mantoue. Le roi se trouva un peu mal.
Le mercredi 25me je menai l'ambassadeur extraordinaire de Venise sa premire audience.
Il arriva Suse un ambassadeur extraordinaire de Gnes. Mr de Harbaut demanda au roi sÕil se couvrirait parlant lui : le roi en fut en doute et mÕenvoya qurir pour mÕen demander mon avis. Je lui dis que j'avais vu couvrir un autre ambassadeur que la rpublique de Gnes avait envoy au roi ; que cÕtait une rpublique qui ne cdait rien ou fort peu celle de Venise ; quÕanciennement le roi ne faisait point couvrir les ambassadeurs de Ferrare, Mantoue et Urbin ; que depuis quelques annes Elle les avait fait couvrir ; que Gnes ne passe pas seulement devant eux, mais devant Florence mme, et quÕ mon avis le roi les devait faire couvrir ; nanmoins sÕils ne le prtendaient point, quÕElle sÕen pourrait passer. Sur cela Mr de Chateauneuf arriva, qui le roi ayant demand la mme chose, dit de pleine vole que non, et que les Gnois taient ses sujets, lesquels prendraient avantage de cette concession comme dÕun titre quÕils ne sont plus sujets de la France, et que le roi dtruirait le droit quÕil a sur cette rpublique. Il nÕen fallut pas dire davantage au roi pour le porter ne leur pas permettre quÕils parlassent couverts lui, de sorte quÕil commanda Mr de Harbaut de leur dire qu'ils ne lÕentreprissent pas.
Le jeudi 26me, comme j'tais chez le roi, on me vint dire que Mr le nonce Bagny mÕattendait mon logis : je m'y en allai aussitt lÕy trouver. Il me dit en substance que Sa Saintet avait en trs particulire recommandation la rpublique de Gnes ; quÕElle lui avait ordonn de prendre soin de ses intrts, et de moyenner que cette ambassade quÕelle avait envoye au roi ft bien reue, l o elle prvoyait quÕelle y recevrait un signal affront par le dni que l'on leur faisait de se couvrir l'audience, ce qui tait contre toute quit et raison, attendu que le prcdent ambassadeur que cette rpublique avait envoy vers Sa Majest, le roi lÕavait fait couvrir ; que cÕest une grande rpublique qui a rang avant tous les princes d'Italie aprs les rois immdiatement avec Venise ; et plusieurs autres choses quÕil mÕallgua. Il me dit quÕil en venait de faire instance monsieur le cardinal, qui lui avait promis dÕaccommoder cette affaire, mais que pour en avoir la dcisive, il ne devait pas en tre promoteur ; que je serais trs propre pour entamer l'affaire, et quÕil me pouvait dire de sa part que j'eusse le faire, comme ledit nonce mÕen priait aussi instamment, mÕassurant quÕoutre l'obligation que m'en aurait ladite rpublique, Sa Saintet mÕen saurait un trs grand gr. Je lui rpondis que je tiendrais grand honneur de rendre ce petit service Sa Saintet et cette rpublique ; mais que je craignais de nÕy tre pas propre, attendu que je mÕen tais dj ouvert au roi qui avait pris le contraire avis, que lÕon lui avait donn, en meilleure part que le mien ; que Sa Majest tait opinitre quand il avait une fois mis une chose en sa tte, et prompt se mettre en colre contre ceux qui lui contestent, et qu'aprs lui avoir dit cela j'offrais S. S. de faire ce quÕil me commandait, et que j'irais du mme pas trouver monsieur le cardinal pour savoir la forme et lÕordre que j'avais tenir en cette affaire : et ainsi me sparai de lui et allai trouver monsieur le cardinal, lequel me dit quÕil fallait que je fisse cette ouverture et qu'il me seconderait bien ; quÕil ferait que les marchaux de camp et Bulion suivraient mon avis, et que Mr de Chateauneuf appuierait faiblement le sien.
Sur cette assurance je mÕen vins lÕaprs-dner au conseil o nous dpchmes force affaires, aprs lesquelles Mr de Harbaut dit au roi qu'il avait vu l'ambassadeur de Gnes, ensemble leurs papiers, par lesquels ils faisaient apparatre sÕtre autrefois couverts ; et quÕils ne demandaient point audience si ce nÕtait cette condition. Le roi s'opinitra fort, et vis que j'aurais faire forte partie. Alors monsieur le cardinal lui dit : Ē S'il vous plait, Sire, d'en prendre les avis de ces messieurs, aprs quoi vous jugerez vous-mme ce qu'il vous plaira. Č Alors le roi commena expressment par moi demander mon opinion, afin dÕavoir sujet de rpondre l-dessus, et comme j'ouvris la bouche pour parler, il dit : Ē Je vous la demande ; mais je ne la suivrai pas : car je sais dj bien quÕelle va les faire couvrir, et que ce que vous en faites est la recommandation dÕAugustin Fiesque qui est avec vous. Č
Cela me piqua, et lui rpondis :
Ē Sire, sÕil vous plaisait de faire rflexion sur mes actions passes, vous connatriez que le bien de votre service, et votre gloire particulire, ont toujours t mes principaux intrts. Je nÕen ai aucun, ni pratique avec la rpublique de Gnes ; et quand j'en aurais, ils cderaient ceux que j'ai pour votre service. Don Augustin Fiesque est mon ami, et il mÕa bien plus d'obligation que je ne lui en ai ; et quand je lui en aurais, vous me croiriez bien lger et bien inconsidr si je vous desservais en sa faveur. Finalement, Sire, le serment que j'ai votre conseil m'oblige de vous donner le mien selon mon sentiment et ma conscience ; mais puisque vous jugez si mal de ma prudÕhomie, je m'abstiendrai, sÕil vous plait, de vous donner mon avis. Č
Ē Et moi (dit le roi extraordinairement en colre), je vous forcerai de me le donner, puisque vous tes de mon conseil et que vous en tirez les gages. Č
Monsieur le cardinal, au-dessous de qui j'tais, me dit : Ē Donnez-le, au nom de Dieu, et ne contestez plus. Č Lors, je dis au roi :
Ē Sire, puisque Votre Majest veut absolument que je lui dise mon opinion, elle est que vos droits et ceux de votre couronne se dpriraient si par cet acte vous accordiez la souverainet aux Gnois, que vous prtendez avoir sur eux, et que vous les devez entendre tte nue comme vos sujets, et non couverte comme rpublicains. Č
Alors le roi se leva en forte colre et dit que je me moquais de lui et quÕil me ferait bien connatre qu'il tait mon roi et mon matre, et plusieurs autres choses pareilles ; et moi je nÕouvris plus la bouche pour dire une seule parole. Monsieur le cardinal le remit, et il fit suivre les opinions qui furent toutes que lÕambassadeur de Gnes parlerait couvert lÕaudience. Aprs cela le roi se leva et alla faire faire lÕexercice aux gardes. Le soir nous vnmes la musique du roi qui ne dit pas un mot aux autres de peur de m'en dire un moi, et ne fit que gronder.
Le vendredi 27me l'ambassadeur de Gnes eut audience.
Le roi fut voir Madame qui le revint voir.
Je demandai monsieur le cardinal ce que je ferais du mot ; car si je le faisais prendre par un marchal de camp, le roi sÕoffenserait, et sÕoffenserait peut-tre encore si je lui allais demander. Monsieur le cardinal parla sur ce sujet au roi qui lui dit que je lui demandasse et que je ne lui fisse ni excuses ni reproches, et que cÕtait la peine o tait le roi, sa colre tant passe, et ayant reconnu quÕil avait tort de se prendre moi pour une chose dont je ne parlais que pour son service. Je pris donc le mot de lui et lui parlai ensuite, et lui moi comme auparavant.
Le roi out ensuite le marquis Striggi, ambassadeur extraordinaire de Mantoue ; puis Madame lui envoya un trs beau prsent de pices de cristal de roche, en suite duquel ceux de Gnes lui firent un prsent de douze caisses d'excellentes confitures : il en ouvrit une quÕil distribua la compagnie : il en envoya deux qui taient dÕaigre de cdre la reine sa mre qui lÕaimait fort, et me donna les neuf autres caisses, et ainsi fut faite ma paix ; puis le soir me dit quÕil quittait son arme de Pimont pour aller celle de Valence ; quÕil en faisait gnral monsieur le cardinal, et Mr de Crquy et moi lieutenants-gnraux, et que nous eussions demeurer auprs de mon dit sieur le cardinal.
Le soir Mr de Harbaut tomba malade, dont il mourut. On dsespra de sa vie ds le premier jour, et lÕon fit instance en faveur de Mr de Lavrilliere, quoi nous ne trouvmes pas monsieur le cardinal fort dispos alors.
Le samedi 28me le roi partit pour aller en France. Il fut dire adieu Madame ; puis nous le fmes accompagner jusques Chaumont.
Il nÕest pas hors de propos de dire ici un mot de monsieur son frre, parce que le pouvoir de gnral de lÕarme du roi cessa ce jour-l seulement. Il sÕen alla, comme jÕai dj dit, de Chteaumorant o je le fus trouver, en Dombes o il sÕamusa chasser. Le roi qui je le dis mon arrive Grenoble lui envoya un gentilhomme pour lui donner avis de son acheminement Suse, le priant de se hter dÕy venir prendre sa bonne part, et la gloire, et au pril. Il fit rponse au roi, comme Sa Majest arrivait Brianon, que, comme il sÕacheminait pour le trouver, il avait appris le partement de madame la princesse Marie dont il avait t si touch quÕil sÕen allait une de ses maisons passer son dplaisir et y attendre les commandements de Sa Majest. Sur cela, ayant entendu comme le roi avait forc le pas de Suse, et ses ennemis lui accorder tout ce quÕil avait dsir dÕeux, il sÕen retourna ses journes, ayant crit la reine sa mre quÕil la suppliait de ne permettre que la princesse Marie sortt de France, laquelle madame de Longueville amenait vers Paris, et Mr le Grand tant parti dÕauprs de Monsieur pour venir Paris, donna l'alarme la reine que Monsieur voulait enlever la princesse Marie et lÕpouser : sur quoi elle envoya arrter madame de Longueville et elle, et les fit mener et tenir sous sre garde dans le bois de Vincennes. Monsieur envoya sÕen plaindre la reine sa mre, et envoya aussi un gentilhomme au roi lequel lui fit rponse quÕil nÕavait rien su avant lÕarrt de la princesse Marie, mais quÕil approuvait tout ce que la reine sa mre avait fait, comme l'ayant fait pour le bien de son service. Sur cela Monsieur tmoigna son mcontentement. Monsieur le cardinal nÕapprouva pas trop cette capture, ce qui donna du mcontentement la reine mre, laquelle, persuade par le cardinal de Brulle sur les assurances que le pre Gondran lui donna que Monsieur nÕavait aucune intention de lÕenlever et quÕil en rpondait, la fit largir quelque temps aprs, et Monsieur sÕamusa chasser Montargis le long de lÕt.
Aprs que nous emes conduit le roi jusques Chaumont, nous revnmes Suse prendre cong de monsieur et de madame la princesse de Pimont, lesquels nous fmes accompagner jusques Boussolengue.
Le dimanche 29me monsieur le cardinal tint conseil chez lui de toutes les affaires de guerre, ce quÕil fit aussi le lendemain.
Mai. Ń Le mardi premier jour de mai il dpcha le sieur de Comminges vers Mr de Savoie.
Je fus visiter l'ambassadeur de Gnes et ceux de Venise.
LÕambassadeur de Gnes me rendit la visite le lendemain ; et le jeudi 3me monsieur le cardinal fut Boussolengue trouver Mr le prince de Pimont et confrer avec lui.
Le vendredi 4me Mr le marchal de Crquy vint Suse dner chez moi.
Le samedi 5me monsieur le cardinal envoya Mr de Chateauneuf trouver Mr de Savoie, qui trouva Mr le prince de Pimont Veillane et sÕen revint le dimanche 6me, dont monsieur le cardinal ne fut pas content et le fit retourner le jour mme trouver Mr de Savoie.
Le lundi 7me monsieur le cardinal alla ordonner des retranchements aux passages, et autres Ļuvres qu'il fallait faire.
LÕambassadeur de Venise demanda me voir : je le fus trouver.
Le mardi 8me je fus voir le marquis Striggi, ambassadeur de Mantoue.
Mr de Chateauneuf revint qui apporta la conclusion de toutes nos affaires.
Le mercredi 9me on donna lÕordre pour faire partir les troupes qui devaient aller joindre le roi, et les faire marcher sur les tapes.
Le jeudi 10me monsieur le cardinal et nous, allmes Boussolengue dner chez Mr de Crquy. Aprs dner Mr le prince de Pimont y arriva pour nous dire adieu.
Le vendredi 11me Mr de Longueville sÕen alla par le mont Cenis le matin, et monsieur le cardinal partit l'aprs dner, et moi avec lui, pour retourner en France, laissant Mr le marchal de Crquy avec le pouvoir del les monts. Il nous vint accompagner jusques Chaumont ; puis nous passmes par Exilles et Sallebertran, et vnmes coucher Oulx, o l'on apporta monsieur le cardinal la nouvelle de la paix signe entre France et Angleterre. Il eut aussi nouvelle de la libert que la reine mre avait rendue mesdames de Longueville et princesse Marie.
Le samedi 12me nous passmes Sesane, et me fis porter en chaise pour passer le mont Genvre et vnmes coucher Brianon ; le dimanche 13me coucher Embrun, souper chez lÕarchevque, et le lundi Gap, le mardi .....
Le mercredi nous passmes le mont de Cabre et vnmes coucher Die, souper chez lÕvque.
Nous y sjournmes le lendemain.
Le vendredi 18me monsieur le cardinal vint coucher Lauriol.
Le samedi 19me Mrs le garde des sceaux, d'Effiat et Bouteillier vinrent voir et dner avec monsieur le cardinal, qui passa le Rhne Baye sur Baye [Baix] et vint trouver le roi au camp devant Privas.
Mr de Montmorency qui Schomberg avait laiss, par oubliance, ou autrement, prendre rang devant lui au conseil du roi, en voulut faire de mme moi, qui ne le voulus souffrir. Pour cet effet le roi ne se voulut point asseoir au conseil.
Je fus la nuit l'ouverture de la tranche des gardes, qui ne se commencrent que cette nuit-l : puis sur le matin je mÕen vins loger un mchant logis o logeait Mr de Schomberg, et y fis porter le lit de mon neveu de Bassompierre qui tait avant moi en lÕarme avec le roi.
Le dimanche 20me Mr le marchal de Schomberg me mena voir les quartiers, le campement et les batteries de Pfalsbourg et dÕAmboise, o tait Mr dÕEffiat. Monsieur le cardinal y vint, et me mena dner chez lui. LÕaprs-dner la dispute de Mr de Montmorency et de moi fut juge en ma faveur.
Le lundi 21me monsieur le cardinal fut dner avec Mr de Montmorency qui tait en colre.
Les gardes franaises et suisses qui taient en Pimont arrivrent au camp. Je les logeai prs de moi qui tais camp sur le haut en une petite plaine entre la ville et le logis du roi.
Nous fmes la nuit une grande place d'armes.
Le mardi 22me Champaigne arriva, que je campai proche du logis de monsieur le cardinal, quÕil ne tenait pas sr. Mr dÕAlais arriva aussi avec la cavalerie lgre que nous amenions de Pimont.
Mr de Schomberg qui avait grande crance au Meine Chabans, l'avait fait travailler au quartier des gardes. Il y avait un autre quartier qui attaquait une corne, o Picardie travaillait avec Mr de Montmorency qui on avait donn Le Plessis-Besanon, dont je fus marri. Mais comme j'avais amen Argencourt avec moi, je fis voir Mr de Schomberg que ce premier travail ne valait rien, quÕil tait tellement vu de la ville que nous y perdrions force gens, et quÕil nous loignait du quartier de Picardie d'o nous nous devions approcher, et joindre. Il sÕy opinitra de sorte que, pour le contenter, je lui laissai Chabans et son ouvrage pour le faire continuer, et moi je fis travailler Argencourt et le fis prendre droite, sÕapprochant de Mr de Montmorency et Picardie.
Le mercredi 23me Pimont arriva que lÕon logea au poste de Champaigne que nous envoymes Veras.
Cette nuit l on accommoda seulement le travail commenc en la prcdente.
Le jeudi 24me, jour de lÕAscension, je fis mes pques.
Les rgiments de Rambures, de Languedoc, de Vaillac et dÕAnnon arrivrent. Pimont alla joindre Champaigne, avec lesquels on envoya Mr de Portes marchal de camp que jÕavais ramen de Pimont, pour attaquer le fort de Saint-Andr vers les Boutires.
Schomberg tomba malade. Il y eut dispute pour les sances au conseil, de Mrs de la Valette et comte dÕAlais : Mr de la Valette le gagna.
Le vendredi 25me nous avanmes notre travail assez prs de la contrescarpe, aux gardes ; et on gagna une masure proche de la ville, du ct de Pfalsbourg. Du ct de Picardie on battit la corne avec six canons.
Le samedi 26me jÕeus le matin en la tranche un grand coup de pierre qui me porta par terre.
Il fut rsolu lÕaprs-dner que de mon ct je gagnerais la contrescarpe, et de celui de Picardie on attaquerait la corne, cependant quÕen mme temps Pfalsbourg de son ct entreprendrait quelque autre chose pour faire diversion aux ennemis, CÕtait Normandie de prendre la garde du soir la tranche des gardes, ce qui fit que jÕenvoyai qurir Manicamp et le baron de Mesley, et leur fis faire leur ordre devant moi, puis les menai la tranche pour leur montrer ce quÕils devaient faire. Manicamp y reut un fort petit coup de pierre quÕil fit paratre bien grand. Puis je les renvoyai pour se tenir prts entrer en garde de bonne heure. Je donnai aussi ordre que lÕartillerie nous fournt toutes les choses ncessaires et allai de l donner lÕordre Pfalsbourg de ce quÕil devait faire. Puis je me rendis la tranche o le rgiment de Normandie tant arriv, command par Mesley, car Manicamp tenait le lit pour son coup de pierre, Mr de la Valette et Mr dÕEffiat sÕy trouvrent aussi avec Mr de Biron, marchal de camp.
Pfalsbourg commena la danse, attaqua et fora une autre maison contre la porte de la ville, que les ennemis avaient fortifie. Peu aprs Picardie attaqua la corne qui fut emporte dÕabord, puis regagne par les ennemis, que les volontaires gentilshommes leur firent encore une fois quitter : et moi en mme temps avec le rgiment de Normandie me vins loger au dessous de la contrescarpe, et ayant fait l'angle de ladite contrescarpe deux logements de huit mousquetaires chacun, qui flanquaient gauche et droite de ladite contrescarpe, nous l'tmes aux ennemis qui nous la disputrent trois heures durant. Mrs de la Valette et dÕEffiat y furent plusieurs fois avec grand pril. JÕy eus de morts ou de blesss quelque vingt-cinq hommes.
Le mme soir et en mme temps, Mr de Portes du ct des Boutires avec les rgiments de Champagne et de Pimont attaqua et prit par assaut les forts de Saint-Andr et de Tournon, tuant ce quÕil y trouva dedans : mais le lendemain matin dimanche 27me de mai il fut tu dÕune mousquetade par la tte, reconnaissant un retranchement que les ennemis avaient fait la montagne. Ce fut une trs grande perte ; car cÕtait un brave et suffisant homme qui allait le grand chemin pour tre marchal de France au plus tt.
Nous continumes notre logement, et la nuit sur les deux heures du lundi 28me au matin, comme nous avions perc le foss, nous avismes la muraille un trou par lequel les ennemis entraient dans leur foss, et on ne tirait plus de la ville. Je fus longtemps marchander avant que de le vouloir faire reconnatre : enfin y ayant hasard un sergent avec une rondache, il entra dans la ville et nÕy trouva personne, les ennemis lÕayant abandonne pour se retirer au fort de Toulon sur la montagne ; sur quoi nous entrmes dans la ville que nous trouvmes dj occupe par ceux du rgiment de Pfalsbourg, qui ayant t avertis par une pauvre femme que les ennemis avaient abandonn Privas, y taient entrs alors ; et peu aprs tous les rgiments et de tous les quartiers y envoyrent pour piller, et la plupart se dbandrent de telle sorte que, si je nÕeusse fait prendre les armes aux Suisses pour investir Toulon, les ennemis se fussent pu retirer sans empchement.
J'investis Toulon avec 1200 Suisses pendant que l'on pillait Privas et que peu aprs on y mit le feu. Sur les deux heures aprs midi ceux de Toulon me firent demander de se rendre. Je lÕenvoyai dire au roi qui ne les voulut recevoir quÕ discrtion, ce qu'ils refusrent. Alors nous les investmes de toutes parts avec les gardes, les Suisses, Champagne, Pimont, Normandie, Pfalsbourg, Vaillac, Languedoc, Lestrange, et Annon, et mmes Picardie sur les avenues des Boutires. Saint-Andr de Montbrun, qui commandait dedans, demanda se rendre, et se vint mettre entre nos mains discrtion. Le roi voulut que ceux du fort en fissent de mme, et Saint-Andr leur crivit cet effet; mme jÕenvoyai Marillac et Biron, marchaux de camp, pour les recevoir : mais ils ne se purent accorder ensemble, ni avec nous, et sur cela vint une furieuse pluie qui continua toute la nuit ; elle mÕobligea dÕtre sur pied, craignant quÕ la faveur de cette tempte les ennemis tchassent se sauver, les ntres nÕtant assez soigneux de les en empcher. Ce fut une des plus mauvaises nuits que j'aie pass de ma vie : mais, Dieu merci, ils ne lÕentreprirent pas.
Le mardi 29me nos soldats qui avaient investi le fort de Toulon crirent aux assigs que lÕon avait pendu Saint-Andr, ce qui les mit au dsespoir : le roi me lÕenvoya pour leur montrer, et eux furent contents de se rendre discrtion. Mais en ce mme temps nos soldats sans commandement vinrent de toutes parts l'assaut, et prirent le fort, tuant tout ce quÕils rencontrrent. On en pendit quelque cinquante de ceux qui furent pris et deux cents autres qui furent envoys aux galres. Le feu fut aussi mis au fort. Il sÕen sauva encore quelque deux cents autres qui furent rencontrs par les Suisses qui conduisaient le canon Veras, qui en turent une partie.
Le mercredi 30me on donna ordre envoyer les prisonniers, retirer lÕartillerie au parc, et disposer le partement de lÕarme.
Le jeudi 31me le roi alla voir les travaux. Je fus souper chez Mr de Montmorency avec lequel je mÕtais raccommod deux jours auparavant.
Juin. Ń Le vendredi premier jour de juin, Mr de Montmorency partit pour aller rduire lÕobissance du roi plusieurs places de son gouvernement qui sÕy voulaient remettre. On lui donna trois rgiments, et quelque cavalerie.
Le samedi 2me, la Gorce, Vallon et Bargeac sÕenvoyrent rendre au roi, comme aussi par le moyen du frre de Brison (nomm Chabrille), furent rduits en son obissance les Boutires avec les chteaux de la Tourrette, Donan, Chalanon, la Chaise, Pierregourde, la Tour de Gros, et le Chellart.
Le dimanche 3me, jour de la Pentecte, je fis mes pques, et servis le roi faisant les siennes.
Il vint nouvelles des Grisons comme le comte de Merode avait occup le Steig, et le pont du Rhin, avec douze mille hommes.
Le roi fit marchal de France Mr de Marillac.
Le lundi 4me, le roi partit avec son arme de Privas, passa le col de Coiron qui est trs mauvais, alla Mirabel, et vint coucher Villeneuve de Berg.
Le mardi 5me il en partit, passa par Vallon et la Tour de Salavas, o il passa la rivire dÕArdche, laissa main gauche la Gorce, et vint coucher Bargeac.
Le mercredi 6me j'en partis la pointe du jour, passai par le quartier de Mr de Montmorency, et ensemble nous allmes reconnatre Saint-Ambroix par deux cts, poussmes les ennemis jusques dans leurs portes, qui taient sortis sur nous : puis je revins en rendre compte au roi, qui avait sjourn Bargeac.
Le jeudi 7me je me trouvai au rendez-vous de lÕarme, qui tait la vue de Saint-Ambroix, ds quatre heures du matin, o je trouvai Mr de Montmorency qui me dit que ceux de la ville avaient demand parler lÕvque dÕUzs, frre de Peraut, pour se rendre au roi. Le roi y arriva peu aprs, qui mit lui mme son arme en bataille. Les dputs de Saint-Ambroix arrivrent, quÕil me commanda de mener Saint-Estene, quartier de monsieur le cardinal, nous laissant pouvoir de conclure avec eux, ce que je fis, et eux ayant accept de monsieur le cardinal la capitulation quÕil plut au roi leur donner, je les menai Saint-Ambroix que je reus dÕeux en mme temps, y faisant entrer les gardes franaises et suisses. Mr de Montmorency reut leurs gens de guerre et les fut conduire en lieu de sret.
Le roi alla loger Saint-Vittou o je retournai le trouver et y loger aussi.
Le rendez-vous de lÕarme, le vendredi 8me de juin, fut en une colline proche de Saint-Vittou. Le roi la voulut faire marcher en ordre, me commandant de mener l'avant-garde qui fut campe au-devant de Salindres o le roi logea.
Je me brouillai le soir avec le premier cuyer de Saint-Simon sur mon logis quÕil me voulait ter pour y loger la petite curie, et ce par une pure mchancet, en ayant un meilleur. Le roi voulut que je gardasse le mien : mais ce petit monsieur me lÕa depuis garde bonne et sÕen est bien veng par mille trahisons quÕil mÕa faites, et mauvais offices auprs du roi.
Le samedi 9me le rendez-vous de lÕarme fut en une plaine proche dÕAlais. Je fus reconnatre la ville ; puis je pris la gauche o nous passmes la rivire et vnmes camper sur le chemin dÕAnduze Alais. Le nouveau marchal de Marillac vint avec moi et sÕoffrit dÕy faire le marchal de camp. Mrs de la Valette et dÕAluin y vinrent aussi, et comme jÕallais reconnatre la ville de plus prs du ct o tait le poste du rgiment de Normandie, les ennemis me firent une embuscade qui fit de vingt pas sa dcharge sur moi, et taient sur un haut, ayant une muraille qui nous empchait dÕaller eux. Le cheval du baron des Francs, brave gentilhomme qui mÕaccompagnait, y fut tu, et lui bless la jambe, dont il mourut cinq jours aprs. Le cheval dÕArgencourt fut aussi bless, et le corps de garde avanc de Normandie tant venu pour les repousser, Campagnols qui en tait lieutenant, eut la cuisse rompue dont il mourut.
Le dimanche 10me je fus visiter nos postes, puis allai voir le roi Salindres o il tait retourn loger.
Les ennemis firent une sortie du ct de Normandie, quÕils repoussrent bravement et avec perte des ennemis. Ė lÕattaque de Picardie que l'on avait donne Mr de Montmorency ils prirent un retranchement qui tait proche du vieil pont. JÕenvoyai le soir, pour soutenir Picardie, le rgiment de Rambures ; et six cents hommes une lieue et demie du camp sur l'avenue dÕAnduze pour empcher le secours dÕhommes quÕils voulaient jeter dans Alais.
Je fus attaqu de la colique bilieuse qui est un rigoureux mal.
Je fus le lundi 11me Marmiraut o le roi sÕtait venu loger, et ne sÕy trouva pas bien : il en dlogea le lendemain pour aller du ct de Picardie o taient des eaux acides bonnes boire au roi.
Le mardi 12me mon mal me fora de partir de l'arme, et vins coucher Lussan, d'o je partis le mercredi 13me et vins loger Bagnols pour tre prs des eaux de Maine bonnes pour gurir mon mal.
Le jeudi 14me Marillac fut bless au bras devant Alais.
Mr et madame dÕUzs arrivrent Bagnols.
Le samedi 16me ceux dÕAlais capitulrent, et le roi y entra le lendemain dimanche 17me.
Le lundi, la grande dputation de Languedoc au roi arrivrent Bagnols, qui me vinrent tous visiter. Ils en partirent le mercredi suivant, et les fis accompagner par la compagnie dÕArnaut que jÕavais emmene avec moi, et par mes gardes.
Le jeudi 21me me trouvant mieux de mon mal, je partis de Bagnols pour mÕen retourner lÕarme. Mr d'Uzs vint sous mon escorte. Les bandits vinrent sur les chemins, que nous battmes, et en fis pendre un que nous avions pris.
Je trouvai le roi Alais, qui attendait la rsolution de la paix, laquelle fut conclue le samedi 23me, et les dputs de ceux de la Religion vinrent le lendemain pour la rsoudre avec monsieur le cardinal, puis sÕen retournrent sans l'avoir encore conclue, pour quelques difficults qui sÕy rencontrrent.
Le lundi 25me les dputs revinrent coucher Alais.
Le mardi 26me elle fut tout fait rsolue et une partie des dputs retournrent Anduze pour la faire ratifier leur assemble gnrale qui y tait lors.
Le mercredi 27me le roi partit dÕAlais avec son arme et vint coucher Ledignan.
Le jeudi 28me monsieur le cardinal y arriva avec les dputs qui demandrent pardon au roi de leur rbellion, et le roi leur accorda, et leur donna la paix.
Le vendredi 29me le roi se trouva mal le matin et voulut partir le soir de Ledignan avec son arme quÕil fit marcher la nuit cause des grandes chaleurs, et vint sur le minuit coucher Saint-Jattes.
Le samedi 30me monsieur le cardinal y arriva, qui amena les dputs avec la ratification de lÕassemble qui acceptait la paix.
Juillet. Ń Le dimanche premier jour de juillet les dputs d'Uzs vinrent faire leurs soumissions au roi.
Le lundi 2me les otages des Cvennes arrivrent, puis ceux dÕUzs.
Leonor et Madelon de Mirabel, deux excellentes beauts, vinrent au souper du roi, qui partit et vint la nuit coucher Covillas et monsieur le cardinal Saint-Privat.
Le mardi 3me les dputs de Nmes vinrent traiter tout le matin avec monsieur le cardinal.
Le roi partit et son arme passa sur le pont du Gard, et vint minuit loger Besousse.
Le mercredi 4me on sjourna Besousse. Le marchal dÕEstres y vint trouver le roi : je le traitai. Le soir le roi vint voir son avant garde campe Saint-Gervasy. Le chaud fut excessif.
Le jeudi 5me Mr le marchal de Schomberg revint l'arme.
Monsieur le cardinal et Mr de Montmorency amenrent les dputs de Nmes qui firent leurs soumissions au roi.
Mr le Comte partit de lÕarme, malade, et alla Sommires.
Le vendredi 6me le marchal dÕEstres revint Besousse demander cong au roi de sÕen retourner Paris.
On publia la paix Nmes et y fit-on les feux de joie.
Le samedi 7me Mr de Guise vint Besousse : je fus son hte.
Ceux de Nmes envoyrent leurs otages, mais non ceux que nous demandions, et on les renvoya.
Le roi partit le soir de Besousse et vint Beaucaire.
Le dimanche 8me on tint le conseil. Mr de Guise qui tait log Tarascon (ville de son gouvernement) venait les matins dner chez moi, et au conseil aprs dner, puis sÕen retournait Tarascon. On dlibra et rsolut des garnisons et licenciements.
Le lundi 9me nous fmes encore au conseil, puis nous vnmes, Mr de Schomberg et moi, chez moi, juger Besanon dÕavoir la tte tranche.
Ceux dÕUzs vinrent prier le roi dÕaller en leur ville, quoi il se rsolut.
Il fut le soir voir sur lÕeau la tarasque et autres divers passetemps.
Nouvelles vinrent de Sommires que Mr le Comte se portait trs mal.
Le mardi 10me Mr de Schomberg et moi vnmes le matin Uzs pour donner les ordres ncessaires. Le roi y arriva le soir.
Le mercredi 11me nous sjournmes Uzs attendant les otages de Nmes.
Le jeudi 12me le gnral d'Avignon vint faire la rvrence au roi : je le traitai.
Mr le Comte fut lÕextrmit de sa maladie.
Le vendredi 13me nous emes les otages de Nmes, et leurs dputs vinrent supplier le roi de vouloir honorer leur ville de sa prsence.
Le samedi 14me le roi vint Nmes, passa par le fort des Moulins, et vit celui de la tour de Magnes. Il fut fort bien reu ; puis il alla voir les arnes.
Le dimanche 15me le roi partit de Nmes pour sÕen retourner en France, et me laissa avec monsieur le cardinal pour commander les armes sous lui aux huit provinces o son pouvoir sÕtendait, dont plusieurs grands furent bien marris. Nous le fmes conduire jusques mi-chemin de Montfrin o il alla coucher, et revnmes Nmes.
Il y eut quelque petite esprance de la sant de Mr le Comte.
Le lundi 16me nous sjournmes Nmes et y tnmes conseil. Mr de Guise en partit et alla voir Mr le Comte Sommires.
Le mardi 17me Mr dÕEffiat traita Mrs les marchaux de Schomberg, Marillac et moi, et Mr de Montmorency, et puis nous partmes avec monsieur le cardinal qui alla coucher Marsillargues, et nous Lunel.
Le mercredi 18me nous arrivmes Montpellier. Nous fmes voir la citadelle, nous promener avec les dames lÕesplanade. Je fus log chez Mr de Greffeules de qui la femme accoucha comme j'entrais en son logis.
Le jeudi 19me monsieur le cardinal nous festina, puis nous mena voir le jardin des simples du roi. Mr dÕEffiat nous fit festin souper, et puis la musique.
Le vendredi 20me Mr de Longueville arriva qui nous assura que Mr le Comte tait hors de danger.
Le samedi 21me on fit la runion de la cour des aides la chambre des comptes.
Le dimanche 22me Foss, gouverneur de Montpellier, festina Mrs de Montmorency, de Bordeaux, dÕEffiat, et les trois marchaux. Puis nous fmes rsoudre le btiment de lÕglise, et de lÕesplanade ; le lundi vrifier ledit des lus : lÕvque au nom du clerg vint haranguer monsieur le cardinal en latin.
Le mardi 24me nous fmes visiter lÕglise que lÕon voulait rebtir, o je pris une chapelle.
Le mercredi 25me on apporta le refus que les tats avaient fait de vrifier ledit des lus. Monsieur le cardinal envoya rompre les tats et leur dfendre de se plus assembler lÕavenir.
Le jeudi 26me la place de devant la maison de ville fut rsolue.
Monsieur le cardinal partit et alla coucher Frontignan. Je demeurai pour dire mes adieux lÕvque et mes amis.
Le vendredi 27me je vins dner Loupian et coucher la Grange des Prs chez Mr de Montmorency qui nous fit de grands festins.
Mr le cardinal devint malade.
Le samedi 28me les dputs de Montauban arrivrent, qui firent refus dÕaccepter la paix sinon en conservant leurs fortifications. On les renvoya, et Guron avec eux pour les conduire, et en mme temps monsieur le cardinal tant malade me dit que c'tait moi aller faire obir ceux de Montauban, ou les assiger.
Je partis le dimanche 29me, passai par Pzenas dire adieu Mrs de Montmorency, et sa femme, Schomberg, Marillac et Effiat, et vins coucher Bziers, ayant fait avancer lÕarme.
Le mardi je fus coucher Tremes, et le mercredi premier jour dÕaot je vins au gte Alsonne, o je sjournai le lendemain pour attendre les troupes.
Le vendredi 3me je vins au gte Saint-Papoul ; le samedi 4me Saint-Felix de Carmain o Mr le Prince envoya Mr de Nangis son marchal de camp pour me remettre son arme entre les mains : il me manda quÕil tait parti pour aller voir monsieur le cardinal.
Le dimanche 5me je vins coucher Loubens de Verdalle, o Mr de Lavor me vint voir.
Le lundi 6me jÕen partis pour aller Berfeulles.
Le mardi 7me je vins loger Saint-Suplice ; mais la peste y tait si forte que je fus forc dÕen dloger deux heures aprs et de m'en venir Buset, o je sjournai le lendemain : le parlement de Toulouse, m'envoya visiter, o arrivrent Mrs dÕArpajoux et de Biron qui mÕamenrent les troupes qui taient vers Castres avec Mr de Ventadour.
Le jeudi 9me Mrs de Nangis et de Charlus me vinrent trouver pour recevoir mes ordres pour les compagnies de chevau-lgers et de gendarmes de Mr le Prince. Je priai Mr le marquis de Nangis de continuer en lÕarme du roi la charge de marchal de camp, ce quÕil accepta. JÕavais amen Mr de Constenan avec moi pour marchal de camp ; mais il ne sÕentendait quÕ piller.
Je partis de Buset et vins coucher Fronton. Les dputs de Montauban me sentant approcher, et Guron leur demandant quÕils eussent lui dire leur rsolution pour me porter, lui demandrent jusques au lendemain pour me rpondre par lui, dont il m'avertit, et je lui crivis quÕil me vnt trouver et se retirt de Montauban que j'allais investir.
Il me vint trouver le lendemain vendredi 10me et dna avec moi. Il mÕapporta des paroles de ceux de Montauban, et je voulais des effets. Ils le prirent, sÕil y voyait quelque difficult, d'en venir confrer Renies, o les dputs de Montauban se trouveraient le soir. Je l'y renvoyai avec charge de leur porter des paroles aigres. Charros et Plessis Pralain me demandrent d'aller avec lui, ce que je leur permis, et leur donnai pour escorte vingt de mes gardes. Ils me renvoyrent dire la nuit quÕils ne se voulaient porter aux choses que je leur demandais, et quÕils les avaient pris de venir eux-mmes Montauban parler au peuple, ce quÕils leur avaient accord si je le trouvais bon. Je leur permis : mais cependant je fis avancer des bateaux pour faire deux ponts au-dessus et au-dessous de Montauban.
Mr dÕEpernon mÕenvoya rsigner ses troupes par son marchal de camp le vicomte de Foucaude, qui je conservai cette qualit en lÕarme du roi.
Je fis avancer toute lÕarme pour investir Montauban, et prparer toutes choses pour y aller mettre le sige deux jours aprs. Mais ce mme jour Guron harangua si bien, et ils connurent leur perte si vidente qu'ils acceptrent les conditions que je leur avais envoyes, et Mr de Guron me le vint dire le matin du samedi 11me. Alors je lui donnai les noms des otages que je demandais, et leur ordonnai dÕenvoyer une honorable dputation vers monsieur le cardinal qui (guri de sa maladie) sÕtait fait porter Albi o je me rsolus de l'aller trouver et de lui mener cette dputation avec lÕobissance entire de la ville de Montauban. Mr de Guron fit diligence de retourner Montauban et d'effectuer si bien tout ce que nous avions convenu par ensemble, quÕil partit encore ce jour l mme avec vingt et deux dputs qu'il mena avec vingt de mes gardes coucher Villemur.
Le dimanche 12me je partis de Fronton avec Mrs de Biron et dÕArpajoux, laissant la charge de lÕarme Constenan, et vins our messe et dner aux faubourgs de Rabasteins o les dputs de Montauban mÕattendaient. Mrs de Foucaude et de Sainte Croix mÕy vinrent aussi trouver que j'emmenai avec moi Albi, o je trouvai monsieur le cardinal.
Les dputs de Montauban ne virent point ce jour-l monsieur le cardinal : mais le lendemain lundi 13me ils le virent et lui donnrent toute satisfaction.
Aprs dner je fus voir lÕglise dÕAlbi qui, pour ce quÕelle contient, est mon gr une des plus belles de France. Le soir je fus avec monsieur le cardinal pour toutes nos affaires.
Le mardi 14me je mÕen revins coucher Rabasteins o les dputs taient arrivs, qui me vinrent trouver le soir pour confrer avec moi.
Le mercredi 15me, jour de la Notre-Dame, je fus dner Fronton.
Le jeudi 16me ceux de Montauban ne voulurent plus tenir l'accord que leurs dputs avaient fait, sur ce que lÕon avait dsarm ceux de Caussade, et sur lÕinsolence de quelques soldats.
Le vendredi 17me tout fut raccommod Montauban par l'industrie de Guron. Ils mÕenvoyrent assurer de tenir leur parole et me prier de venir en leur ville. Ils taient seulement en peine de ce que le parlement de Toulouse nÕavait encore voulu vrifier lÕdit de paix que le roi avait accord ceux de la Religion. J'en avais crit plusieurs fois la cour, et mme le jeudi jour prcdent, en termes bien pressants, leur dclarant que l'infraction de la paix et la rpugnance de ceux de Montauban serait attribue leur opinitret, et que, si je nÕavais la vrification le lendemain, j'ouvrirais la guerre, qui leur ferait plus de dommage qu' moi qui en vivais comme de mon mtier. Il leur prit ce jour-l une bonne humeur, vrifirent l'dit et me lÕenvoyrent par leur premier huissier qui me trouva Villemur o jÕtais venu, pensant y trouver monsieur le cardinal : mais il tait demeur un peu malade Saint-Geri. Ceux de Montauban jurrent la paix, firent des feux de joie et tirrent leurs canons, et une heure aprs ils reurent par le Plessis-Pralain, que je leur envoyai, l'dit de paix vrifi dont ils furent fort satisfaits.
Le samedi 18me jÕarrivai Montauban. Ceux de la ville me reurent avec grande joie : ils me donnrent les otages que je voulus, que j'envoyai Villemur dans le chteau. Je fus le soir voir le nonce qui y tait arriv. Le premier prsident de Toulouse me vint voir, et ensuite le prsident de Montrave envoy du parlement pour saluer monsieur le cardinal.
Le dimanche 19me je mis mes gardes aux portes du prche afin quÕil se ft librement et sans scandale. Puis je fis entrer six compagnies des gardes, douze de Picardie et six de Pimont, et les plaai aux lieux que je jugeai le plus propos, auxquels je fis observer tant d'ordre qu'aucun soldat nÕentra dans aucune maison.
Madame de Roquelaure arriva que je fus visiter. Je donnai souper monsieur le nonce, marchal de Marillac, premier prsident, et Mr de Lavrilliere.
Je fus encore visit par les vques, dputs du parlement, capitouls de Toulouse, dÕautres communauts, et du consistoire de Montauban.
Le lundi 20me monsieur le cardinal arriva. JÕallai au devant de lui. On lui fit entre, et alla descendre lÕglise o le Te Deum fut chant.
Je licenciai quinze rgiments, deux compagnies de gendarmes et cinq de chevau-lgers.
Mr dÕEpernon arriva Montech, qui mÕenvoya le comte de Maill pour me prier de savoir de monsieur le cardinal en quel lieu il le pourrait trouver par les chemins pour le voir et le saluer, ayant ou dire qu'il partait le lendemain pour sÕen retourner la cour, et quÕun homme de son ge sÕtait trouv las de la traite quÕil avait faite ce jour-l, ce qui lÕavait empch dÕaller jusques Montauban, outre lÕincommodit du logement quÕil y et pu rencontrer pour lui et pour sa compagnie. Je fus faire cette ambassade monsieur le cardinal, qui la trouva fort mauvaise et sÕimagina que la gloire de Mr d'Epernon ne se voulait pas abaisser jusques le venir voir dans son gouvernement de Guyenne, auquel le roi avait donn un pouvoir absolu monsieur le cardinal. Il se mit fort en colre et me dit que je lui mandasse quÕil ne le voulait point voir par les champs ni hors de la Guyenne, et quÕil irait par Bordeaux bien quÕil et rsolu son chemin par lÕAuvergne, seulement afin de sÕy faire reconnatre et obir suivant son pouvoir, et quÕil y tablirait un tel ordre que la puissance que Mr dÕEpernon y avait en serait plus ravale. Je modrai ces discours quand je fis rponse au comte de Maill, et crivis Mr dÕEpernon pour le convier de venir Montauban pour viter de sÕattirer cet homme tout-puissant sur ses bras. Le comte de Maill alla et revint trois heures de l me rapporter rponse que Mr dÕEpernon viendrait le lendemain matin Montauban saluer monsieur le cardinal, puisquÕil nÕen partait point devant dner comme on lÕen avait assur, et quÕil me priait qu'il me pt voir avant son arrive, et Mr de Montmorency aussi ; au surplus, quÕil sÕattendait que je lui donnerais dner. Je fus le soir dire cette venue monsieur le cardinal qui fut rappais, trouva bon que jÕallasse au devant de lui, voulut mme que l'infanterie se mt en armes son arrive, et me dit quÕil lui voulait donner dner et moi aussi, et que nous lui ferions tous deux affront si nous en faisions autrement. Mr de Montmorency fit le froid dÕaller au devant de lui, et je ne l'en voulus pas trop presser.
Le mercredi 22me j'allai mi-chemin de Montech, o je trouvai Mr dÕEpernon que jÕamenai Montauban. Monsieur le cardinal tait revenu de tenir un enfant de Mr de Faudoas (son cousin), sur les fonts avec madame de Roquelaure, et attendait Mr dÕEpernon son logis, le reut avec beaucoup d'honneur, nanmoins avec quelques picoteries. Aprs dner il le pria de sÕaccommoder avec Mr de Bordeaux, ce quÕil fit avec peine et de faon quÕils furent plus mal en leur cĻur que devant : mme monsieur le cardinal en fut mal satisfait.
Monsieur le cardinal partit pour aller coucher Fronton : il le fut accompagner, puis moi lui vers Montech, et de l m'en retournai Montauban, dÕo je fis sortir toutes les troupes, qui sÕy taient trs bien comportes. Messieurs de Montauban mÕavaient pri de demeurer dans leur ville jusques au lendemain afin de me faire passer par dessus le bastion du Moustier quÕils avaient en deux jours tellement ras que lÕon nÕet su dire o il tait, et o avait t le foss, tant tout tait uni.
Madame de Roquelaure me vint dire adieu, puis moi elle et aux vques, et premier prsident de Toulouse.
Le jeudi 23me je partis de Montauban, et vins coucher Rabasteins. Monsieur le cardinal tait venu Saint-Geri avec monsieur le nonce.
Le vendredi 24me je fus dner Saint-Geri avec monsieur le cardinal, avec lequel aprs dner nous vnmes Combefa, chteau appartenant Mr lÕvque dÕAlbi qui nous y fit festin.
Le samedi 25me Mr de Montmorency prit cong de monsieur le cardinal qui vint coucher Nocelles, abbaye de Mr de Valence.
Le dimanche 26me nous vnmes Rodez o lÕon fit entre monsieur le cardinal. Mr de Noailles nous fit festin.
Le lundi 27me nous allmes avec monsieur le cardinal voir lÕglise et les reliques, le clocher qui est le plus beau de France. Nous mmes dÕaccord lÕvque et les consuls, et allmes coucher Espalion ; le mardi Laguiol et le mercredi Chaudesaigues o nous sjournmes le lendemain, et le vendredi dernier dÕaot nous vnmes au gte Coyrin, maison de Mr de Mongon proche de Saint-Flour.
Septembre. Ń Le samedi premier jour de septembre nous vnmes Brioude.
Le dimanche 2me nous fmes voir le pont de Vielle Brioude qui est le plus bel arche de pont que j'aie vu, et vnmes coucher Issoire o Mr dÕEffiat arriva.
Le lundi 3me nous vnmes Clermont o lÕon nous fit une belle entre. LÕvque nous fit un superbe festin.
Le mardi 4me nous passmes par Montferrant et fmes dner Rion chez Murat lieutenant gnral, puis coucher Effiat o nous demeurmes jusques au 8me du mois passer le temps. On y dansa un ballet, et ce furent des continuels festins. Nous y rsolmes aussi les armes pour Savoie et Pimont, et mandmes pour les y acheminer.
Le samedi 8me, jour de Notre-Dame, monsieur le cardinal dit la messe, puis partit lÕaprs-dner dÕEffiat et vint coucher Saint-Pourain.
Le dimanche 9me nous nous embarqumes proche de Moulins et vnmes coucher Villeneuve, puis Poulli et de l Briare o Mrs de Schomberg, de Nantes et dÕAusserre arrivrent.
Le mercredi 12me nous vnmes coucher Montargis ; et le jeudi 13me nous dnmes Nemours o Mrs les cardinaux de Berulles et de la Valette, Mrs de Longueville, Chevreuse, Saint-Paul, Montbason, la Rochefoucaut, garde des sceaux, Bouteillier, et quasi toute la cour vinrent trouver monsieur le cardinal qui sÕen vint avec cette compagnie Fontainebleau. Il vint descendre chez la reine mre qui tait avec la reine sa fille et les princesses. La reine mre salua et reut fort froidement monsieur le cardinal qui ensuite mÕayant prsent elle, ne me dit pas un mot non plus quÕau marchal de Schomberg : seulement elle parla au marchal de Marillac. Le roi arriva incontinent aprs, qui fit un excellent accueil monsieur le cardinal, le mena au cabinet de la reine sa mre, et lui demanda cong de se retirer. Le roi lui dit quÕil les voulait accorder, puis tant revenu la chambre de la reine mre il me dit force belles paroles.
Le vendredi 14me la brouillerie continua et monsieur le cardinal envoya qurir madame de Comballet, Mr de la Melleraye et autres personnes de chez la reine, qui taient ses cratures, et leur dit qu'ils se prparassent pour se retirer dÕauprs dÕelle, comme lui aussi se voulait retirer des affaires et de la cour. Toutefois ce soir-l on fit tant dÕalles et de venues, et le roi tmoigna tant de passion ce raccommodement qu'il se fit le lendemain samedi 15me au contentement universel de toute la cour, qui demeura encore quelque temps Fontainebleau, puis sÕen revint Paris (octobre) peu avant la Toussaints.
Cependant Monsieur, frre du roi, apprhendant le retour de Sa Majest, sÕtait retir en Lorraine o par l'entremise de la reine mre on envoya Mrs de Bellegarde et de Bouteillier pour faciliter son retour et le remettre aux bonnes grces du roi, ce qui russit, et Monsieur demanda de se retirer Orlans pour quelque temps sans voir le roi.
Cependant Casal tait assig de nouveau par le marquis Spinola qui avait succd don Gonsales au gouvernement du duch de Milan ; et les Allemands entrs en Italie par les Grisons dont ils avaient occup les pays taient alls sous le commandement du comte de Colalte, et le nom de lÕempereur, assiger Mantoue. Le roi rsolut d'envoyer monsieur le cardinal son vicaire gnral en Italie avec une puissante arme de laquelle Mr le marchal de Crquy et moi devions tre lieutenants-gnraux (novembre) : mais Mr de Schomberg qui ambitionnait cette charge fit faire de fortes instances par les ambassadeurs de Venise et de Mantoue pour m'envoyer en Suisse trois fins : lÕune pour voir quels moyens il y aurait de mettre les Grisons en libert et dÕen chasser lÕarme impriale ; lÕautre pour empcher que les Impriaux qui taient en Italie ne pussent grossir leur arme par les forces de la Suisse ; et la troisime pour y faire des puissantes leves sÕil en tait besoin : de sorte que monsieur le cardinal me dit un matin quÕil fallait ncessairement que je fisse un voyage en Suisse, qui durerait peu, et que ma place et ma charge me serait cependant conserve en lÕarme d'Italie. JÕacceptai cette commission puisque le roi voulut mÕen charger, et me prparai pour m'y acheminer, comme fit aussi monsieur le cardinal pour son voyage d'Italie.
Sur ces entrefaites madame de Longueville mourut Paris, avec qui tait madame la princesse Marie qui fut mise avec madame la comtesse de Saint-Paul, attendant quÕil y ft autrement pourvu par monsieur son pre (dcembre).
Monsieur le cardinal peu avant son partement fit un superbe festin au roi et aux reines, avec comdies, ballets, et musiques excellentes. Puis le 29me de dcembre il partit de la cour pour sÕacheminer Lyon, mÕayant fort recommand d'y tre son arrive pour, de l, passer en Suisse ; et le dernier jour de l'an le roi me commanda d'accompagner Mr le Comte la chambre des comptes pour y vrifier quantit dÕdits, tant ncessaire, quand le roi les veut faire passer absolument, quÕil y envoie un prince de son sang, un officier de la couronne, et deux conseillers dÕtat de robe longue, qui furent alors Mrs de Royssi et de Bulion.
Janvier.Ń Je commenai lÕanne de 1630 par l'acquisition que je fis de Chaillot dont je passai le contrat le 12 de janvier, et aprs avoir donn quelque ordre mes affaires et avoir envoy devant mon quipage, le mercredi 16me de janvier je partis de Paris pour mÕen aller ambassadeur extraordinaire en Suisse, et vins en poste coucher Vertaut, jeudi Bony, vendredi Nevers, samedi la Palisse o je trouvai mon train, dimanche Tarare ; et le lundi 21me j'arrivai Lyon, o je trouvai monsieur le cardinal. Mr dÕAlaincourt me logea chez lui.
Ce mme jour arriva le comte de Saint-Maurice, de la part de Mr le prince de Pimont qui envoya offrir monsieur le cardinal passage et tapes par les pays du duc son pre, et quand et quand le prier quÕil se pt aboucher avec lui au Pont de Beauvoisin, tant venu exprs de Turin cet effet, et ayant couru trs grande fortune en passant par le petit Saint-Bernard, cause du mauvais temps. Monsieur le cardinal le reut trs bien et lui rpondit quÕil confrerait de ce quÕil lui avait dit avec Mrs de la Force, moi et de Schomberg, que le roi avait envoys lieutenants-gnraux sous lui en ses armes ; et puis, quÕil lui ferait rponse le lendemain. J'tais prsent cette premire vue du comte de Saint-Maurice et de monsieur le cardinal, et me sembla qu'il tait bien aise de sÕaboucher avec Mr le prince de Pimont, esprant que cette entrevue pourrait engendrer lÕentier accommodement des affaires, ce quÕil dsirait pour retourner promptement la cour o il savait que lÕon lui faisait de mauvais offices en absence, et je l'y exhortai en allant Ainay o il voulait loger ne se trouvant bien lÕarchevch.
Il avait envoy qurir Mrs de Montmorency, la Force, Schomberg et Alaincourt, qui le vinrent trouver aux jardins dÕAinay o il leur demanda leur avis sur ce que le comte de Saint-Maurice lui avait propos de lÕentrevue. Mr dÕAlaincourt lui dit quÕil nÕy voyait point dÕinconvnient : mais Mr de Schomberg qui opina aprs lui, soit pour montrer son bel esprit en fortifiant de raisons une mauvaise opinion, ou pour contrarier seulement la prcdente, dit quÕil nÕtait point dÕavis que monsieur le cardinal vt Mr de Pimont au Pont de Beauvoisin pour plusieurs raisons : lÕune, quÕil semblerait que monsieur le cardinal le ft all chercher, et montrerait par l lÕavidit qu'il avait dÕavoir la paix, ce que connu des Espagnols, ils la lui donneraient avec de plus rudes conditions ; lÕautre, que cÕtait un amusement afin de retarder les desseins et les progrs du roi ; que cÕtait aussi une gloire espagnole de ne vouloir pas souffrir que la paix, quÕassurment ils dsiraient autant que nous, se ft les armes du roi tant sorties de la France ; finalement qu'il tait expdient pour le service du roi de faire ouvertement dclarer Mr de Savoie, lequel montrait par plusieurs signes de faire le neutre, et particulirement par celui-ci de se venir aboucher en un lieu qui tait moiti lui et moiti au roi, ce que monsieur le cardinal ne devait permettre, et quÕil tait dÕavis quÕil devait rpondre monsieur le prince quÕayant encore des affaires pour huit jours Lyon, et son indisposition ne lui permettant pas dÕaller jusques au Pont de Beauvoisin, sÕil lui plaisait de prendre la peine de venir Lyon, il y serait reu comme il convenait un tel prince et beau-frre du roi ; que sÕil ne pouvait recevoir cet honneur de le voir l, quÕil l'irait recevoir Chambry en sÕen allant en Italie, sÕil lui plaisait l'y attendre.
Mr le marchal de la Force, pour ne contrarier Mr de Schomberg, approuva son opinion, et Mr de Montmorency inconsidrment la confirma. Pour moi, je la voulus contrarier ouvertement et dis que, si le roi et monsieur le cardinal qui avait la souveraine puissance de ses armes sous lui, nÕavaient quelque dessein cach (et qui ft connu seulement par Mr le marchal de Schomberg qui tait de son conseil troit) qui ne leur permt d'entendre aucune condition de paix, je ne pouvais comprendre quel dessein on pouvait refuser l'offre de Mr le prince de Pimont de se venir aboucher avec monsieur le cardinal ; que cÕtait un prince affectionn la France, beau-frre du roi, qui venait de cinquante lieues avec pril mme de sa personne, par un rigoureux temps dÕhiver, chercher monsieur le cardinal pour lui proposer des choses qui pouvaient tre utiles aux prsentes affaires et au service du roi ; que, si ses propositions nÕtaient de cette qualit, monsieur le cardinal ne les accepterait pas, et nÕaurait perdu aucun temps de sÕacheminer o les commandements du roi lÕappelaient, ne sÕcartant aucunement de son chemin, et montrant tout le monde quÕil tait prt d'accepter toutes conditions honorables, comme aussi de rejeter celles quÕil ne jugerait pas avantageuses pour le roi ; quÕil apparatra que ce sont les Espagnols qui ont de lÕavidit procurer la paix puis quÕils pratiquent monsieur le prince pour la moyenner, lequel vient cinquante lieues au-devant du gnral de lÕarme du roi pour lÕarrter, et son arme, par un acquiescement aux volonts de Sa Majest ; que cette vue ne peut causer dÕamusement ou de retardement monsieur le cardinal puis quÕil ne sÕcarte point de sa route, que son arme ne sÕarrtera pas dÕune seule heure, et quÕil ne sjournera au Pont de Beauvoisin quÕautant quÕil faudra pour couter et rpondre, conclure ou refuser la paix que lÕon vient au-devant de lui pour lui prsenter et offrir, par les mains dÕun tel prince et si proche alli de Sa Majest ; que je nÕapercevais point en quoi consistait cette gloire espagnole que Mr de Schomberg avait exagre, et quÕelle me parat plutt gloire la France, que lÕon lui vienne offrir sur ses frontires tout ce que l'on lui pourrait accorder quand il serait avec une puissante arme au milieu de lÕtat de Milan, et que Mr de Schomberg devait plutt nommer prvoyance espagnole, que gloire, de venir au-devant de ses ennemis, et les apaiser et arrter avec des quitables et justes conditions, et que je ne consentais pas seulement quÕils dsirassent la paix autant que nous, mais bien davantage, puisqu'ils nous lÕenvoyaient requrir et demander jusques dans nos propres tats ; que finalement nous ne devions point dsirer une plus ample dclaration de Mr de Savoie, puisque nous nous tions contents de celle quÕil nous avait offerte lÕanne passe, assavoir que, si nous voulions entrer en guerre ouverte avec le roi dÕEspagne, il suivrait notre parti et le fortifierait de dix mille hommes de pied et de deux mille chevaux quÕil offrait au roi pour employer cet effet ; que si nous ne nous voulions point dclarer ouvertement quÕil nÕtait pas convenable lui qui avoisinait le duch de Milan et qui avait lÕhonneur dÕtre cousin germain du roi catholique de faire aucune dmonstration contre lui ; que jÕavouais bien que le Pont de Beauvoisin sparait la France de la Savoie, mais que Mr le prince de Pimont franchirait ce pas et entrerait dans la France pour traiter avec monsieur le cardinal, lequel mon avis ne ravalerait rien de sa dignit ni de la majest du roi, d'y venir trouver Mr le prince de Pimont, dÕcouter ses propositions, et que mme il tait trs important que la conclusion ou la rupture de la paix se fit par l'entremise de Mr le prince de Pimont ; qui fera juger tout le monde, en cas quÕelle s'effectue, que Sa Majest sÕest relche de beaucoup de choses la faveur et en considration de son beau-frre, et en cas que lÕon en vienne la guerre, que les conditions des Espagnols auront t trop hautes puisque la puissante intercession de Mr le prince de Pimont nÕaura pu mouvoir le roi les accepter.
Monsieur le cardinal couta nos diverses opinions et suivit celle de Mr de Schomberg. Il logea Ainay, et nous passmes notre temps en la maison de Mr dÕAlaincourt qui nous fit trs bonne chre ; et Mr de Montmorency ou moi alternativement donnmes les soirs le bal aux dames de Lyon dans le salon de Mr dÕAlaincourt.
Le lundi 28me le sieur Julio Massarini [Mazarin] vint Lyon de la part du nonce Pensirole que le pape avait envoy pour traiter de la paix.
Il le dpcha le mardi 29me, puis partit pour sÕacheminer Grenoble.
Je demeurai ce jour-l encore Lyon, et en partis le lendemain mercredi 30me, et vins coucher la Boisse.
Le jeudi dernier jour de janvier je vins coucher Gisirieux.
Le vendredi, premier de fvrier, je vins au gte Nantua.
Le samedi 2me, jour de la Chandeleur, je passai le petit Credo et vins coucher Calonges.
Le dimanche 3me jÕarrivai Genve o je fus trs bien reu.
Le lundi 4me Mr le marquis Frederic de Baden me vint voir. Je lui fus rendre sa visite, et je fus coucher Nions, le mardi Morges, le mercredi Echalans.
Le jeudi 7me je passai par un chteau nomm Pieul qui appartient un de mes bons amis (nomm Peterman de Erlach), lequel me festoya trs bien, et fus coucher Payerne.
Le vendredi 8me je fus coucher Fribourg o je fus superbement reu par les avoyers, et conseil, qui me firent entre avec deux mille hommes en armes et quantit de canonnades.
Le samedi 9me messieurs du conseil me vinrent trouver. Je traitai avec eux, puis leur fis festin. De l, j'allai aux Jsuites qui firent une comdie.
Le dimanche j'en partis et vins coucher Berne, qui me reurent superbement, et me dfrayrent aussi.
Le lundi 11me je fus le matin leur conseil et les haranguai: puis ils vinrent dner avec moi et demeurmes tout le jour table.
Le mardi 12me j'en partis et vins Soleure o ils me firent aussi une superbe entre. Mr de Leon qui y tait ambassadeur extraordinaire pour le roi vint au-devant de moi et me donna souper ce soir l qui tait carme-prenant.
Le mercredi des Cendres, 13me, nous tnmes conseil sur les affaires des Grisons. JÕavais amen avec moi le sieur Mesmin qui y tait ambassadeur pour le roi, et le colonel Salis.
Le jeudi 14me monsieur le nonce rsident Lucerne mÕenvoya visiter.
Le vendredi 15me force dputs me furent envoys des cantons pour me saluer, et le samedi aussi.
Le dimanche 17me nous dpchmes vers les Grisons pour savoir si nous les pouvions secourir, et comment, et ce quÕils pourraient faire de leur ct.
Le lundi 18me nous envoymes le colonel Salis messieurs de Zurich pour savoir ce quÕils pouvaient contribuer au secours des Grisons, et leurs avis sur ce que nous avions affaire.
Le mardi 19me nous primes Mr Mesmin dÕaller Zurich pour voir avec ces messieurs et avec les Grisons ce qui serait faire.
Le mercredi 20me Mr de Leon et moi fmes confrer avec lÕavoyer de Rooll.
Le jeudi 21me le fils du colonel Berlinguer me vint saluer et dner avec moi.
L'ordinaire arriva par lequel je sus que le roi sÕacheminait devers Troyes, et que Monsieur tait inopinment venu Paris et avait surpris la reine mre qui ne lÕattendait pas ; de l il sÕen alla voir lÕhtel de Saint-Paul la princesse Marie, et que le lendemain il avait t grandement visit ; que le roi qui tait Nogent sur Seine en ayant t averti avait rebrouss chemin vers Paris, ce que Monsieur ayant su tait parti le lendemain de Paris et sÕen tait all Orlans.
Le vendredi 22me je fus la maison de ville Soleure et haranguai amplement dans le conseil de ville. Il nÕy arriva rien de nouveau sinon que Mrs lÕvque de Ble et l'abb de Saint-Gall mÕenvoyrent leurs dputs, et quelques cantons aussi, comme pareillement messieurs de Neuchtel.
Le lundi 25me Mr Mesmin revint de Zurich, qui nous rapporta l'avis de ceux du canton qui tait que le Rhin dsormais nÕtant plus guable jusques au mois de septembre, ce serait inutilement fait dÕentreprendre quelque chose aux Grisons ; que le comte de Merode avait trs bien fortifi les avenues du Steig et du pont du Rhin ; que pour eux ils ne se voulaient pas ouvertement dclarer, attendu le voisinage des troupes de l'empereur, mais que sous main ils mÕassisteraient de munitions de guerre, et que pour des vivres il leur tait du tout impossible, attendu la strilit de lÕanne prcdente.
Le mardi 26me le rsident de Venise nomm Moderante Scarameli ayant eu ordre de sa rpublique de se venir tenir prs de moi, arriva ce jour-l.
Mars. Ń J'avais convoqu par mes lettres peu aprs mon arrive une dite des cantons qui commencrent arriver le samedi 2me jour de mars, et le lendemain tous les autres vinrent par leurs dputs, qui me vinrent saluer, chaque canton lÕun aprs l'autre.
Le lundi 4me toute lÕassemble en corps, aprs sÕtre entre-salus, et pris leurs sances, se levrent et vinrent tous les dputs avec leurs massiers devant, me saluer en mon logis.
Ce jour-l le chancelier dÕAlsace ambassadeur de toute la maison dÕAutriche, arriva Soleure sans me rien mander ni envoyer visiter, contre la coutume usite des ambassadeurs. JÕentrepris de lui faire refuser audience de lÕassemble, dont Mr de Leon tcha tant quÕil put de me dissuader, disant que je ne pourrais le faire et que lÕaffront nous en demeurerait. Nanmoins, me confiant sur le grand crdit que jÕai en Suisse et sur mon industrie traiter avec ces peuples, j'opinitrai cette affaire, et lÕentrepris. Pour cet effet je fus premirement trouver lÕavoyer de Rooll mon bon ami, et qui manie son canton comme il veut, et tait prsident de l'assemble. Il me dissuada tant quÕil put de mÕamuser cela, me disant que je nÕobtiendrais jamais cela de lÕassemble, ce qui fit que Mr de Leon insista davantage m'en faire dsister, et mme employa le rsident de Venise me le dissuader. LÕavoyer de Rooll me dit : Ē Quant ce qui est de mon canton, je vous en promets les voix ; mais aucun des autres ne sÕy portera. Č Sur cette assurance j'envoyai qurir les dputs du canton de Glaris en qui je me fiais fort ; car ils mÕtaient obligs. Ils trouvrent cette entreprise hardie, nouvelle, et de difficile excution, et me la dissuadrent, mÕassurant nanmoins des trois voix de leurs dputs. JÕavais au canton dÕUri pour dputs quatre dont je mÕassurais des trois, Stricher, Troguer et Megne : je les envoyai qurir et fis promettre ces trois dputs de donner leurs voix ma faveur. Du canton de Schvitz il y en avait aussi quatre dputs, dont je mÕassurai du landammann Reding et dÕAbiberg. J'en eus deux de Zug, et un de Lucerne dÕassurs. Tous ceux dÕUndrevald furent contre moi, et ne se voulurent hasarder. Ce furent donc quinze dputs dont je me fis fort, et envoyai prier souper les dputs des quatre villes, lesquels je persuadai aisment de mÕassister : ceux de Ble furent les plus longs se rsoudre comme plus voisins de lÕAlsace ; mais enfin ils y vinrent. Je nÕen voulus point parler ceux de Fribourg ; mais je me fis fort du colonel dÕAffry dput.
Ainsi je me trouvai le plus fort en voix de lÕassemble, et vins la nuit trouver lÕavoyer de Rooll auquel je fis voir comme j'tais assur de la pluralit des voix, et que je lÕentreprendrais le lendemain sans crainte de refus.
Nous consultmes, Mrs de Leon, Mesmin, lui et moi, de la forme que j'avais y tenir, qui fut que le lendemain matin, mardi 5me, jour de Saint-Ours, patron de Soleure, auquel jÕavais dit lÕassemble que je me trouverais pour faire ma proposition, j'envoyai un secrtaire interprte du roi, nomm Molondin, la dite, leur parler de ma part pour leur remontrer qu'ayant convoqu les dputs de tous les cantons en une assemble au nom du roi pour des affaires concernant le bien de leurs rpubliques et de la couronne de France, j'avais appris que le chancelier dÕAlsace en qualit dÕambassadeur de lÕempereur, du roi dÕEspagne et de toute la maison dÕAutriche, tait arriv Soleure pour y intervenir, et troubler ma ngociation, ce qui mÕavait oblig de leur envoyer dire que, comme cette dite avait t convoque par moi au nom de Sa Majest trs chrtienne et pour ses affaires particulires, je leur requrais que ledit chancelier dÕAlsace, venu contre le service de mon matre, nÕy ft admis, ni reu, et quÕau cas qu'ils se rsolussent de lui donner audience, je nÕen voulais point avoir, et remettrais dans quelque temps, ou de convoquer une autre dite, ou de m'en passer tout fait, laissant celle-ci audit chancelier pour y traiter les affaires de la maison dÕAutriche, demandant que sur ce sujet lÕassemble en veuille opiner et m'en rendre rponse auparavant que j'entre la dite pour y faire ma proposition.
Aprs que Molondin eut remontr de ma part les choses susdites, il se retira, et lors il y eut de grandes contestations dans lÕassemble, les partisans d'Espagne remontrant que cÕtait une chose nouvelle et inoue de chasser un ambassadeur dÕune dite gnrale, et un ambassadeur dÕun empereur, dÕun roi dÕEspagne, et de la maison dÕAutriche avec laquelle, outre l'alliance hrditaire, il y en a tant dÕautres particulires ; que ce sont de si puissants princes quÕil tait trs prilleux de les offenser, et en un temps ils avaient tant dÕarmes sur pied, si voisines de la Suisse, et dans ses entrailles mmes au pays des Grisons ; que je voulais par cet artifice jeter les Suisses en guerre avec la maison dÕAutriche et les ncessiter de se mettre entre les bras de la couronne de France ; que la Suisse se devait conserver dans une gale balance entre les deux couronnes, quÕautrement elle prirait ; et plusieurs autres choses quÕils dirent sur ce sujet. Les autres affectionns la France disaient que, lorsque les ambassadeurs dÕEspagne convoquaient des assembles Lucerne, ceux de France ne les y venaient point troubler ; que les Espagnols nÕavaient aucune affaire maintenant avec eux, sinon de restituer la libert aux Grisons leurs allis, qu'ils leur dtenaient injustement ; quÕils nÕavaient que faire de venir troubler les dites qui ne leur touchaient point, qui nÕtaient convoques par eux, ni pour eux, et que jÕavais raison de ne le souffrir pas ; quÕau reste je parlais en sorte quÕil n'y avait rien dire, puisque j'offrais de quitter cette dite audit ambassadeur de la maison dÕAutriche, me rservant en convoquer une autre quelque temps aprs, et que lÕassemble ayant l'alternative de confrer cette dite pour lÕun ou pour lÕautre, que cÕtait elle choisir, et que lÕon devait demander les voix pour savoir auquel elle la donnerait, rejetant lÕautre et le remettant une autre fois.
Aprs les contestations on en vint aux opinions lesquelles passrent en ma faveur. Lors, les factionnaires dÕEspagne se voyant forclos proposrent que lÕassemble me prierait de consentir que cet ambassadeur et audience, et que lui-mme me viendrait voir et rparer la faute quÕil avait faite de ne m'avoir rien mand ; que de plus il se sentirait mon oblig de cette concession quÕil tiendrait de moi.
Ils dputrent donc vers moi pour me faire ces offres auxquelles je rpondis quÕau nom et de la part du roi mon matre jÕavais demand lÕexclusion de cet ambassadeur, et quÕil nÕtait plus en moi de rtracter ce que jÕavais dit de sa part sans lui faire savoir, ce que j'offrais de faire et de leur en dire fidlement la rponse si ledit ambassadeur la voulait attendre Soleure, et que je lui rpondrais de l'avoir du roi dans huit jours.
Ils virent bien que je me moquais de lui par ma rponse. C'est pourquoi avec quelques honntes excuses ils lui donnrent son cong, qu'il prit avec des grandes menaces quÕil fit contre la Suisse ; et moi j'entrai avec Mr de Leon dans la dite en laquelle je fis amplement ma proposition : puis aprs, la dite en corps mÕtant venue trouver pour me remercier, je leur fis tous un superbe festin.
Le mercredi 6me lÕassemble envoya vers ce chancelier dÕAlsace lui dire quÕelle ne le pouvait admettre la dite qui tait convoque au nom et par le roi de France, mais que quand il en demanderait une pour la maison dÕAutriche, que lÕon lui accorderait, en laquelle il pourrait faire ses propositions et demandes, si mieux il nÕaimait attendre la gnrale qui se tiendrait Baden la Saint-Jean prochaine. Il sÕen retourna trs mal satisfait, dclarant que les Suisses taient en lÕindignation de toute la maison dÕAutriche.
Le jeudi 7me la plupart des dputs vinrent dner ou souper avec moi ; et quelques-uns des plus grands partisans dÕEspagne, comme Berlinguer et Lutsy, ayant dcouvert par ma proposition les fourbes espagnoles qui ne tendaient quÕ la subversion de leur tat, me vinrent voir en particulier pour mÕassurer que, comme bons patriotes, ils se porteraient au rtablissement des Grisons dans leur ancienne libert, et quÕen cette affaire-l ils nÕassisteraient point les Espagnols, mais leur seraient ennemis.
Le vendredi 8me la dite finit. Toute l'assemble vint en corps me rendre rponse et prendre cong de moi : puis chaque canton catholique vint ce jour-l me dire adieu, et tous les protestants vinrent confrer avec moi sur leurs particulires affaires.
Le samedi 9me les protestants vinrent prendre cong de nous.
Le dimanche 10me je licenciai force capitaines prtendants qui mÕtaient venus trouver, et les renvoyai jusques ce que je voulusse faire la leve qui m'avait t accorde.
Le lundi 11me jÕenvoyai un gentilhomme Suse trouver monsieur le cardinal qui je fis une ample dpche tant du succs de la dite, que des nouvelles dÕAllemagne et dÕailleurs.
Le mardi 12me je me trouvai un peu mal des dbauches faites durant la dite, et me fis saigner.
Je demeurai cependant en l'attente de ce qui devait russir des traits de paix que Mr de Savoie, le cardinal Antonio Barberini lgat du pape, et dÕautres, faisaient avec monsieur le cardinal, et tchions, Mrs de Leon, Mesmin, et moi, nous divertir.
Le lundi 18me les capitaines Marca et Tomola, du val de Mesoc, me vinrent trouver, et proposer quÕen cas que je voulusse assister leur valle de quelques munitions de guerre, ils la maintiendraient en notre faveur contre les forces de Milan et celles que le comte de Merode avait aux Grisons, ce que je trouvai avantageux pour le service du roi, et leur fis fournir ce quÕils dsirrent.
Ce mme jour l'avoyer de Rooll me vint porter une lettre quÕil avait reue par laquelle il lui tait mand de Milan que la paix tait rsolue entre les deux rois ; mais le lendemain mardi 19me, par une dpche que j'eus de monsieur le cardinal, je connus que tout tait plutt port la rupture quÕ lÕaccommodement, et me donnait avis dÕerrer [engager] les capitaines de la leve pour la faire mettre sur pied la premire dpche que j'aurais de lui, ce qui fit que le lendemain mercredi 20me jÕenvoyai Molondin aux petits cantons, et le colonel Salis Zurich pour prparer toutes choses.
Le jeudi 21me le colonel de Flechenstein de Lucerne, grand partisan des Espagnols et celui quÕils ont toujours accoutum d'employer avec Berlinguer, me vint trouver en fort bel quipage. Je le fis dner avec moi, et aprs dner mÕayant demand audience mÕoffrit de servir la France si je lui voulais donner emploi. Je le remerciai et lui offris pension et esprance dÕemploi. Je ne sus dcouvrir sÕil le faisait pour me tenter et dcouvrir, ou pour me tromper, ou finalement pour donner ombrage et jalousie de lui aux Espagnols.
Le vendredi 22me le dit Flechenstein alla voir et dner avec Mr de Lon, et lui parla comme il avait fait moi. Affry gouverneur de Neuchtel arriva.
Le samedi 23me le colonel Flechenstein vint prendre cong de moi, et me confirma ce quÕil mÕavait dj dit.
Je dpchai Affry Fribourg, lui ayant assur que je le ferais colonel dÕun des rgiments de la leve.
Le mercredi-saint, 27me de mars, comme Mr de Leon et moi tions aux Tnbres aux Cordeliers, un courrier de monsieur le cardinal arriva, qui mÕapporta la rupture entre Savoie et le roi avec lÕentre de monsieur le cardinal en armes dans le Pimont, comme il avait pass la Doire et sÕen allait assiger Pignerol ; quÕil mÕexhortait de mettre promptement six mille Suisses sur pied, et quÕil avait crit au roi pour mÕenvoyer des forces et une patente de gnral pour mettre la Savoie en son obissance.
Le jeudi 28me je fis mes pques, et envoyai le colonel Salis Berne offrir au colonel de Erlach un rgiment de la leve.
Le vendredi-saint, 29me, le canton de Fribourg mÕenvoya offrir, non seulement le sieur Affry pour colonel, mais toutes leurs forces pour le service du roi.
Le baron dÕAlto Sax me vint voir. Salis revint de Berne avec l'acceptation que Erlach avait faite de la charge de colonel.
Le samedi je donnai les capitulations de capitaines pour aller faire leurs leves, Ulrich, Pfendler, Meis, Chemit, Travers Salis, Stefan Otis, et Rot.....
Le dimanche dernier de mars, jour de Pques, je donnai les capitulations aux capitaines Bilstein et Mers.
Avril. Ń Le lundi, premier jour d'avril, les capitaines Curio et Bech, de Ble, eurent leurs capitulations.
J'eus ce jour-l par le retour du gentilhomme que j'avais envoy monsieur le cardinal la nouvelle de la prise de la ville de Pignerol, et lÕesprance que le chteau se rendrait dans peu de jours. Je sus aussi comme le sieur de Comminges y avait t tu, dont jÕeus grand regret tant pour lÕavoir nourri vingt ans, que pour tre un trs brave et habile gentilhomme.
Ce jour mme les colonels de Erlach de Castelen, et dÕAffry arrivrent, avec qui je conclus.
Le mardi 2me je leur donnai leurs capitulations, comme aussi Diesbach et Montenach, dÕErlach et Piton, aux deux capitaines Guy, au capitaine dÕErlach, cousin du colonel, et Michel, gendre de lÕavoyer de Berne.
Le mercredi 3me les capitaines Uri et Mouchet, et Vallier du Vautravers vinrent prendre leurs capitulations.
Le mme jour mÕarriva Daridoles commis de Mr Hardier qui mÕapporta nouvelles de lÕarrive du roi Dijon, et comme monsieur son frre lui tait venu trouver. Il mÕapporta quand et quand ma patente de gnral pour la conqute de la Savoie.
Le jeudi 4me arrivrent les nouvelles dÕAllemagne et d'Italie par les deux ordinaires.
Le samedi 5me je dpchai Mr de Croson au pays de Gex.
Le dimanche 7me jÕeus nouvelles du refroidissement de ceux de Zurich sur la leve, cause que je nÕavais pas fait le colonel de leur canton. Je leur crivis une lettre en colre par Jean Paul lÕinterprte.
Le lundi 8me le fils du colonel Amrin et celui de lÕavoyer Almender, avec le capitaine Goldy de Lucerne, se vinrent offrir de lever trois compagnies de leur canton et de servir contre tous et envers tous Sa Majest.
Je me fis saigner, me trouvant mal.
Le mardi 9me je pris mdecine. Les capitaines Stricher et Reding se vinrent offrir.
Le mercredi 10me ceux de Soleure me vinrent parler pour leurs distributions. Jean Paul revint, qui mÕapporta contentement de ceux de Zurich.
Le jeudi 11me le capitaine Ouf der Mr se vint offrir.
J'eus un courrier de la part du rgiment de la garde suisse ; et un certain Fougeroles me vint trouver sur le sujet de la mort de Naberat mon intendant, pour avoir sa place.
Le vendredi 12me, jour de ma nativit, jÕeus nouvelles de la nouvelle amour du roi et de Mlle de Hautefort.
Il ne se passa rien de particulier jusques au mercredi 17me que le colonel Castelen me vint apporter la route et les tapes du pays de Berne pour nos troupes qui jÕavais donn rendez-vous gnral au bailliage de Gex.
Le jeudi 18me je fis festin Mrs de Leon, Mesmin, rsident de Venise, avoyer de Rooll, et autres, pour commencer prendre cong dÕeux.
Le vendredi 19me je fus lÕhtel de ville de Soleure prendre cong du canton, puis ensuite du rsident de Venise, et de Mrs de Leon et Mesmin. Reding le landammann, et son neveu, Seberg, Troguer, Stricher, Surelein, Rausperg, et autres, arrivrent pour prendre cong de moi.
Le samedi 20me je fus dire adieu lÕavoyer de Rooll ; puis messieurs de la ville me le vinrent dire. Je donnai lÕordre de Saint-Michel au landammann Reding ; puis je partis accompagn de messieurs les ambassadeurs et rsidents, et de messieurs de la ville, desquels peu aprs je pris cong et vins coucher Arberg.
Le dimanche 21me je passai par Avanches et vins coucher Payerne ; ceux de Fribourg mÕenvoyrent le chevalier Montenach et Lansbourg, dputs pour prendre cong de moi ; le lundi Echalans, le mardi Eaubonne, et le mercredi 24me jÕarrivai Gex o Mr du Hallier destin marchal de camp de mon arme, et plusieurs capitaines des rgiments qu'il amenait me vinrent trouver.
Le jeudi 25me messieurs de Genve me firent une grande dputation pour me saluer. Le marquis de Baden mÕenvoya voir. J'envoyai Mr du Hallier pour faire avancer les rgiments, et cavalerie, destins mon arme. JÕeus nouvelles du roi comme il sÕacheminait Lyon. Je dpchai un gentilhomme vers monsieur le cardinal pour lÕavertir de ma venue et lui envoyer des avis particuliers que jÕavais eus de la cour.
Le vendredi 26me les compagnies de Neuchtel arrivrent.
Le samedi 27me jÕcrivis ceux de Genve comme jÕavais su quÕil se faisait des leves en leur ville pour le duc de Savoie, et quÕils eussent les empcher, ce quÕils firent et chassrent les capitaines savoyards de leur ville.
Les compagnies de Fribourg arrivrent.
Le dimanche 28me vint la compagnie de Bielle.
Le lundi 29me arrivrent les compagnies de Berne et le colonel de Erlach aussi. Mr du Hallier et le Plessis de Joygny me vinrent trouver.
Le mardi, dernier d'avril, les compagnies de Zurich arrivrent.
Monsieur le cardinal m'envoya Lisle. Je fis mes ordres pour faire marcher l'arme par Grenoble pour entrer en Savoie au lieu dÕentrer par le Chablais et le Fossigny comme j'avais dlibr. La venue de Lisle qui me porta ce commandement me fit rompre mon premier dessein.
Mai. Ń Le mercredi premier jour de mai Mr du Hallier sÕen alla Chatillon de Michaille pour donner lÕordre cet acheminement.
Les compagnies de Ble et de Salis arrivrent.
Du Muy m'apporta de l'argent pour la montre des six mille Suisses que jÕamenais.
Le jeudi 2me le reste des compagnies arrivrent.
Le vendredi 3me jÕaccordai les rangs des capitaines.
Le samedi 4me je reus le matin un courrier du roi par lequel il me fit savoir quÕil voulait lui-mme en personne faire la conqute de la Savoie, et que je le vinsse trouver Lyon o il tait arriv, pour recevoir ses ordres ; que je fisse cependant acheminer lÕarme vers Grenoble o il se rendrait au plus tt.
LÕaprs-dner je fis faire la premire montre aux Suisses, et prter le premier serment. Puis leur ayant donn leurs routes, et mis ordre au surplus de mes affaires, je partis le dimanche 5me de mai, passai Lcluse et le petit Credo, fus dner Chatillon de Michaille et coucher Serdon.
Le lundi 6me je dnai Gisirieux et vins trouver le roi Lyon. Je le saluai parmi les dames, galant et amoureux contre sa coutume et mon opinion. Mr de Guise me donna souper.
Le mardi 7me je dnai chez Mr dÕAlaincourt, fus voir faire la montre aux gendarmes et chevau-lgers du roi en Bellecour, puis au cercle chez la reine mre Ainay.
Le mercredi 8me je fus voir le garde des sceaux, dner chez Mr dÕAlaincourt.
Le roi partit pour Grenoble, et je demeurai encore Lyon.
Mr de Chteauneuf arriva de son ambassade dÕAngleterre.
Je fus le soir chez madame la princesse de Conty.
Le jeudi 9me Mrs le comte de Saut, de Chteauneuf, et moi, partmes de Lyon, dnmes Bourgoin, et vnmes au gte la Tour du Pin.
Le vendredi 10me nous dnmes Voiron, vnmes prs de Grenoble saluer monsieur le cardinal retournant d'Italie, et le fmes accompagner en allant au-devant du roi qui vint Grenoble.
Le samedi 11me je fus dner chez monsieur le cardinal, puis nous fmes au conseil chez le roi.
Le dimanche 12me monsieur le cardinal partit pour aller trouver les reines Lyon.
Le lundi 13me l'avant-garde du roi partit conduite par Mr le marchal de Crquy.
Le mardi 14me le roi partit de Grenoble avec le reste de lÕarme que je commandai, et vnmes coucher au Coupet.
Le mercredi 15me nous vnmes loger Barraut.
La nuit on prit le faubourg de Chambry o Mr de Canaples fut bless mort.
Le jeudi 16me le roi sjourna Barraut.
Chambry capitula : les dputs de la ville vinrent trouver le roi.
Le vendredi 17me le chteau de Chambry capitula.
Le samedi 18me le roi vint coucher Chambry.
Le dimanche 19me, jour de la Pentecte, le roi fit ses pques : je les fis aussi. Il y eut long conseil.
Le lundi 20me le roi sjourna attendant monsieur le cardinal.
Le mardi 21me monsieur le cardinal revint de Lyon ; et le mercredi 22me le roi tint conseil. Je fus brouill avec lui sur le sujet de la munition ; mais je me raccommodai Aix o il vint au gte.
Le jeudi 23me il vint coucher Arby.
Le vendredi 24me il me commanda dÕaller investir Rumilly et de lui choisir une plaine auprs o il pt mettre son arme en bataille, et attendis les troupes en la plaine de Saugine proche dudit Rumilly, o le roi la mit en ordre. Je m'en allai cependant faire sommer Rumilly qui aprs quelques alles et venues, se rendit au roi qui y vint coucher et en partit le lendemain samedi 25me par un fort mauvais temps, et vint coucher Nicy, o le dimanche 26me il sjourna et le lundi encore o il tint conseil, avec monsieur le cardinal, Effiat, Le Hallier et moi, pour rsoudre ce que je devais faire avec son avant-garde quÕil me mit en main pour faire abandonner le poste avantageux que le prince Tomas avait pris Conflans pour nous empcher lÕentre des valles de la Maurienne et de la Tarentaise, et ce en lui coupant par derrire le chemin de sa retraite en entrant par quelque moyen que ce fut dans la Tarentaise.
Ce jour-l le Massarini arriva prs du roi, qui lui apporta des propositions de paix.
Le mardi 28me je partis de Nicy avec huit mille hommes de pied et sept cents chevaux. Je donnai mon rendez-vous au bout du lac en la plaine de Lacheray, puis vins coucher Faverge qui nÕest qu' une lieue et demie de Conflans, o le prince Tomas tait camp.
Le soir Massarini qui sÕen retournait vint coucher chez moi.
Toute la noblesse de la cour et des volontaires me suivit.
Le mercredi 29me le roi vint avec sa bataille prendre les mmes logements que j'avais quitts, et moi, au lieu dÕaller attaquer les retranchements du prince Tomas, je pris la main gauche et vins coucher Ugine.
Le jeudi 30me, jour de la Fte-Dieu, j'en partis et ayant pass une trs fcheuse montagne nomme la Forcola, je vins Beaufort ctoyant le torrent la main droite. Ds que le prince Tomas (qui ne pouvait sÕimaginer que je me voulusse enfourner dans ces dtroits si pnibles et fcheux), eut connu ma rsolution, il envoya en diligence deux mille hommes pour garder des passages, qui dÕeux-mmes taient inaccessibles, des cols de Cormette, de la Lossa, de la Balme, et dÕun quatrime dont je ne me souviens du nom ; et moi, deux heures aprs mon arrive, je pris deux cents hommes du rgiment des gardes que j'envoyai tenter d'occuper le col de Cormette : je fis reconnatre celui de la Lossa par deux cents hommes de La Melleraye : je fis reconnatre celui dont j'ai oubli le nom par Charros et deux cents hommes de son rgiment, et celui de la Balme par deux cents hommes du rgiment de Pimont avec lesquels j'envoyai les sieurs du Plessis-Besanon et de Vignoles, avec ordre tous quatre de me renvoyer de temps en temps des soldats pour m'aviser, et pour mÕy acheminer si un de ces cols me pouvait tre ouvert.
Le vendredi dernier jour de mai je demeurai Beaufort attendant des nouvelles de ceux que j'avais envoys reconnatre les passages. Ceux des gardes revinrent ayant trouv le col de Cormette gard par un rgiment, qui tait gardable contre tout le monde avec cent hommes seulement. Mr de Charros revint aussi ayant trouv le col quÕil voulait occuper, non seulement gard, mais inaccessible. Quant aux deux autres, je nÕen sus rien ce jour-l, et le prince Tomas pour tcher de dcouvrir mon dessein prit lÕoccasion de me renvoyer une haquene que jÕavais prte Massarini en partant de Faverge.
J'avais avec moi Mrs du Hallier et le commandeur de Valanai pour marchaux de camp, et le marquis de Nesle que nous traitions quasi comme sÕil lÕtait. Nous tions tous quatre ensemble en grand souci de ce que nous pourrions faire pour passer, voyant les passages gards de la sorte et la moiti de nos gens dj revenus sans rien faire, quand, sur les onze heures du soir, un soldat du rgiment de la Melleraye me vint dire de la part de son matre de camp quÕtant arriv au col qui lui tait destin le soir auparavant l'entre de la nuit, les ennemis qui nÕeussent jamais su croire que lÕon et tent ce passage, attendu que l'on voyait venir ceux qui le voudraient entreprendre ds le bas du mont, parce que le chemin est tout droit, quÕil nÕy peut passer quÕun homme la fois, quÕil ne se peut entreprendre que pendant que le soleil ne luit point parce quÕil est plein de neige qui ne tient point quand le soleil donne dessus, et quÕil faut monter deux lieues devant quÕtre au sommet ; cÕest pourquoi on nÕy avait mis que soixante hommes par forme pour le garder, qui avaient t tirs du rgiment qui gardait le col de Cormette qui nÕest pas mille pas de l, dÕo l'on lÕet pu secourir si lÕon et aperu que quelqu'un et mont par celui de la Lossa : mais Dieu voulut que La Melleraye arriva l'entre de la nuit, quÕune nue le cacha aux yeux de ceux qui gardaient le col, qui ne laissrent quÕune sentinelle qui les laissa monter jusques cinquante pas de lui sans les voir, et les ntres lui ayant tir, il se sauva dans son corps de garde, et ceux du corps de garde sÕenfuirent, de sorte que Mr de la Melleraye lÕavait occup et me mandait que je lui envoyasse en diligence le reste de son rgiment et des vivres ; car il croyait y devoir tre attaqu. La joie fit un excs en mon cĻur cette nouvelle, et lÕheure mme je fis partir le rgiment de la Melleraye pour aller joindre son matre de camp auquel jÕenvoyai des vivres et lÕassurai que le jour suivant je serais lui avec toute mon infanterie.
Le samedi premier jour de juin je renvoyai toute ma cavalerie avec laquelle la plus grande partie de la noblesse sÕen retourna, et fis acheminer sept mille hommes de pied qui me restaient, bien lestes, et sans bagage, au-dessous du col de la Lossa et la vue de La Melleraye, en une petite valle nomme Olacherai. On me vint avant partir donner aussi avis que Le Plessis et Vignoles avec les hommes que je leur avais donns avaient gagn le pas de la Balme, mais quÕil tait de telle sorte qu'ils ne croyaient pas que l'on y pt passer, tant il tait rude et fcheux. Je poursuivis donc mon premier dessein et vnmes camper Olacherai. Nous emes quelque alarme des ennemis qui taient encore sur le col de Cormette notre vue ; mais ils ne demeurrent gure l : car ds que le prince Tomas sut que le col de la Lossa avait t surpris, craignant dÕtre enferm entre l'avant-garde et la bataille du roi, comme il et t si je fusse pass, quitta son retranchement de Conflans cette nuit mme, et avec la diligence quÕil put, vint gagner Moustiers et le pas du Ciel o il se pensait retranch, comme trente ans auparavant le duc son pre avait fait contre le feu roi.
Le dimanche deuxime, la pointe du jour, je fis monter les troupes, ce qui ne se pouvait faire quÕun un, et je me mis pied leur tte avec Mr le marquis de Nesle, laissant Mrs du Hallier et commandeur de Valanai au milieu et la queue pour les faire mieux avancer. Nous allmes gaiement jusques neuf heures du matin, quoique avec grand peine, dans la neige ; mais pass cela, et que le soleil eut commenc la fondre, nous emes de terribles peines que nous surmontmes enfin, et emes mont et descendu le col de la Lossa sur les onze heures. Puis nous marchmes environ une lieue, aprs quoi nous rencontrmes un autre col sans neige plus pre que celui de la Lossa et plein de pierres aigus qui nous coupaient les pieds : il sÕappelait le col de Nave quÕayant mont et descendu avec des peines incroyables nous nous trouvmes dans un assez bon village nomm Nave o nous trouvmes quelque vin qui servit bien donner cĻur nos soldats pour passer outre, plusieurs tant tout fait recrus. Aprs qu'ils se furent un peu rafrachis, nous passmes outre et montmes encore deux cols, non tels que les deux premiers, nomms le grand CĻur et le petit CĻur, et puis nous nous trouvmes Aigueblanche o de bonne fortune me vinrent rencontrer deux cents chevaux que le roi mÕavait envoys, croyant que le prince Tomas avait tourn tte contre moi qui nÕavais aucune cavalerie. Je montai lors cheval et me mis leur tte, croyant que nous pourrions rencontrer les ennemis leur retraite et faire quelque effet. Mais ils avaient dj pass Moustiers qui se rendit moi mon arrive et une compagnie de carabins aussi qui sÕtait arrte derrire, que je fis dmonter et dsarmer, et suivis les ennemis de si prs qu'ils ne purent conserver le pas du Ciel que jÕoccupai sans rsistance et fis avancer la compagnie de Casteljaloux que j'y mis en garde. Puis je revins loger Moustiers, tellement las que je ne pouvais mettre un pied devant lÕautre : aussi avais-je fait ce jour-l pied plus de douze lieues franaises toujours montant et descendant, ou dans les neiges et le froid, ou dans une excessive chaleur.
Je passai le lendemain lundi 3me de juin avec neuf cornettes de cavalerie le pas du Ciel et les fis loger Esme, et comme mon infanterie arrivait, je reus par Constenan une lettre du roi qui me commandait de lÕattendre Moustiers o il devait arriver le lendemain, et rsigner son avant-garde Mr le marchal de Chatillon qui tait entr en sa semaine de commander ; ce qui m'offensa extrmement, ne pensant pas que puisque les mmes troupes demeuraient avant-garde, que ma seule personne dt tre dtrne, et qu'ayant lev le livre et poursuivant lÕennemi, un autre vnt profiter de mes peines et de mon travail.
Ainsi Mr de Chatillon arriva le mme soir, auquel je rsignai mes troupes, et attendis le roi qui arriva le lendemain mardi 4me Moustiers avec monsieur le cardinal auxquels je fis mes plaintes de lÕoutrage que l'on mÕavait faite, dont je nÕeus autre satisfaction sinon que lÕon avait cru que, ma semaine tant finie, le marchal de Chatillon devait commander la sienne.
Le roi sjourna le lendemain Moustiers et en partit le jeudi 6me pour venir loger Esme o il eut nouvelle de lÕentire retraite de Mr le prince Tomas. dans la Valdoste par le petit Saint-Bernard, qui peut-tre, si j'eusse continu ma route, ne lui et pas t si aise quÕelle fut.
Le vendredi 7me il vint loger Saint-Maurice du Bourg, et le jour mme sÕavana jusques au pont de Saint-Germain o commence le petit Saint-Bernard, o lÕon conclut de faire un fort. Je fus reconnatre le passage de Rosellan, et lui en fis mon rapport.
Le samedi 8me le roi sjourna Saint-Maurice et tint conseil auquel il ordonna Le Hallier pour faire faire le fort, et demeurer en ce passage.
Le dimanche 9me le roi partit de Saint-Maurice, vint dner Esme, et coucher Moustiers, le lundi Conflans, et le mardi Saint-Pierre dÕAlbigny, o nous y sjournmes le mercredi et le jeudi ; et le vendredi 14me le roi en partit et vint dner Chambry, o il sjourna le lendemain, attendant le retour de Beringuen qu'il avait envoy Lyon trouver la reine, qui revint le soir, et le roi se rsolut dÕy aller. Il me commanda de demeurer Chambry avec le pouvoir sur son arme. Il ordonna Mr de Chteauneuf pour intendant de justice et des finances prs de moi, et Constenan et Vignoles pour marchaux de camp.
Le dimanche le roi partit et me laissa ordre de faire marcher son arme vers la Maurienne. Mais le lundi 17me l'Isre dborda de telle sorte quÕelle emporta les ponts de Conflans, qui sont celui de lÕHpital et celui des Chvres.
Le mardi 18me la ville de Montmlian se rendit, et nous commenmes attaquer le chteau par mines.
Le mercredi 19me le chteau de Charbonnires se rendit Mr le marchal de Crquy.
On me manda que notre cavalerie ne pouvait passer Conflans pour nÕy avoir plus de ponts.
Le jeudi 20me le roi mÕcrivit pour faire passer ses gardes franaises et suisses au port de la Gache.
Le vendredi 21me juin je fis avancer les Suisses Chapareillan pour passer le lendemain.
J'tablis quatre compagnies nouvelles pour tenir garnison dans Chambry o y ayant laiss lÕordre ncessaire, comme aussi pour faire refaire les ponts de Conflans pour le passage de notre cavalerie, je partis le samedi 22me de Chambry avec Mr de Chteauneuf, et passant par Chapareillan o les gardes vinrent loger, puis par Barraut, nous vnmes coucher la Terrasse, et le dimanche 23me dner Grenoble o monsieur le cardinal tait dj arriv, et le roi peu aprs nous.
Mr de Crquy y fut toujours mon hte tant que le roi y sjourna, qui fut jusques au samedi 29me juin que le roi en partit et vint coucher Gonsolles.
Le dimanche, dernier de juin, il vint coucher la Roquette.
Juillet. Ń Le lundi, premier jour de juillet, il vint coucher Ayguebelle sous Charbonnieres, o monsieur le cardinal arriva.
Le mardi 2me le roi tint conseil le matin o il rsolut que monsieur le cardinal passerait en Italie avec Mrs de Schomberg et dÕEffiat, et que le roi arrterait quelques jours dans la Maurienne retenant prs de lui pour commander son arme Mr le marchal de Crquy et moi.
Monsieur le cardinal partit le jour mme pour aller Suse, et le roi, cause de la peste qui tait forte Ayguebelle, en partit aussi et vint coucher Argentine.
Je demeurai ce soir-l, et le mercredi 3me je fus loger au quartier du roi Argentine.
Il eut des nouvelles de monsieur le cardinal qui le firent le lendemain 4me partir, et venir dner la Chambre, puis passer par le pont Amafr, et venir coucher Saint-Jean de Maurienne, o tait arrt monsieur le cardinal pour la venue de Julio Massarini qui arriva le mme soir.
Le vendredi 5me Mr de Montmorency arriva, de qui on nÕtait pas content. Mrs dÕEffiat et de Schomberg partirent.
On dpcha Massarini, et le roi qui ne se portait pas bien se fit saigner.
J'en fis de mme le lendemain samedi 6me, que Mr de Montmorency se rabienna un peu, et on le renvoya en Italie lui donnant Mrs de Cramail et du Fargis pour marchaux de camp.
Mr de Crquy arriva Saint-Jean de Maurienne.
Le sergent-major de Nice arriva dguis ; je le fis par ordre du roi parler monsieur le cardinal.
Le dimanche le conseil se tint, et le lundi aussi. Le roi se trouva mal, mais pour cela ne laissa pas de faire faire l'exercice, et moi la nuit.
Le mardi 9me Mr de Schomberg revint, qui monsieur le cardinal commit le trait de Nice et lÕta de mes mains.
Le vendredi 12me la nouvelle vint que Mr de Montmorency avait bravement fait en un combat Veillane o le prince Doria avait t pris.
Le samedi 13me le roi se porta mal et prit mdecine. Mon bon ami Frangipani arriva.
Le dimanche 14me on apporta une cornette et seize drapeaux pris au combat de Veillane.
Le lundi 15me Schomberg fit festin dner, et Mr de Longueville souper.
Le lendemain mardi 16me je leur fis festin. Mr de Crquy sÕen retourna Grenoble.
Le vendredi 19me le roi eut bien fort la fivre, et disait que si lÕon le faisait demeurer davantage Saint-Jean de Maurienne, que lÕon le ferait mourir.
Le samedi 20me une femme apporta des lettres des assigs de Casal.
Le mercredi 24me le roi rsolut de se retirer de Saint-Jean de Maurienne, et lÕexcuta le lendemain jeudi 25me, y laissant monsieur le cardinal et Schomberg, et vint coucher Argentine o tout tait plein de peste : on fut contraint de coucher dans les prs.
Le vendredi 26me le roi vint coucher la Rochette, o Mrs de Guise, de Chatillon, et lÕvque dÕOrlans arrivrent.
Le samedi 27me le roi alla coucher au fort de Barraut, et permit Mr le Comte, Mr de Longueville, et moi, d'aller Grenoble.
Nous vnmes coucher Domne, et le lendemain dimanche 28me nous vnmes Grenoble souper chez Mr de Crquy. Nous y trouvmes le garde des sceaux que lÕon avait fait venir Grenoble pour le retirer de Lyon dÕauprs de la reine quÕil tait souponn dÕanimer contre monsieur le cardinal, et lÕon en voyait apertement la mauvaise intelligence fomente par Mr de Bellegarde qui sÕtait dclar ennemi de monsieur le cardinal pour avoir fait donner la lieutenance de roi de Bourgogne, vacante par la mort du marquis de Mirebeau, Tavannes quÕil nÕaimait pas. D'autre ct Mr de Guise qui monsieur le cardinal voulait ter lÕamiraut de Levant, prtendant quÕelle tait dpendante de celle de Ponant, ne sÕoubliait pas lui rendre les mauvais offices quÕil pouvait, et dÕautant plus maintenant que leurs affaires taient au pis parce que monsieur le cardinal avait envoy un huissier en Provence y faire quelque acte la marine, et Mr de Guise l'avait outrag et ensuite mis prisonnier. Madame de Combalet aussi, que la reine nÕaffectionnait pas, aidait bien accrotre lÕaigreur de la reine qui se plaignait quÕelle entretenait son service quarante gentilshommes lesquels ne la voyaient point et ne bougeaient dÕauprs de monsieur le cardinal ; lequel de son ct avait se plaindre de ce que, pendant quÕil tait occup aux affaires de lÕtat et lÕagrandissement dÕicelui, on machinait sa ruine en animant la reine mre contre lui ; que deux hommes quÕil avait levs de la terre aux plus hautes dignits, par une ingratitude signale, avaient tch le dtruire, assavoir Mr de Brulle que de simple prtre il avait fait faire cardinal et Mr de Marillac qui il avait premirement fait donner en main les finances, et ensuite les sceaux ; quÕil ne prtendait en lÕamiraut de Levant que ce que ceux qui il avait succd lÕamiraut de Ponant y avaient prtendu, et quÕil ne croyait pas que pour nÕtre pas homme dÕpe, que Mr de Guise lui dt usurper de force ce quÕil ne demandait quÕen justice, ni que pour cela mesdames la princesse de Conty, dÕElbeuf et d'Onano fussent continuellement ses oreilles pour mdire de lui ; quÕil avait oblig Mr le Grand en ce qu'il avait pu, mais que cÕtait un homme qui, ayant en sa tendre jeunesse possd la faveur du roi Henry troisime, croyait quÕelle tait de son patrimoine et ne pouvait souffrir ceux qui la possdaient ; que le prtexte quÕil prenait de le har tait injuste, vu que le roi, et non lui, avait donn la lieutenance de roi une personne nourrie de jeunesse avec lui, de grande qualit, dont le grand pre tait marchal de France, et les pre et oncle avaient possd en Bourgogne la charge totale dont le roi ne lui en avait donn quÕune parcelle en reconnaissance des services de ses anctres et des siens, et particulirement pour l'affection quÕil lui a porte ds son enfance ; que le marquis de Tavannes tait dj matre de camp de Navarre et avait plus servi que ceux que Mr le Grand avait proposs au roi pour la lieutenance de roi de Bourgogne ; quÕau reste le roi nÕtait pas oblig de mettre en cette charge ceux que le gouverneur de la province lui nommait, ni moins dsirer quÕils fussent trop conjoints d'amiti ou de dpendance.
Le lundi 29me Mr le marchal de Crquy mena dner Mr le Comte, Mr de Longueville, et moi, sa belle maison de Vizille, o nous y vmes Mr de Canaples bien malade. Ce voyage se fit afin de donner lieu au parlement de rsoudre ce quÕils feraient sur l'arrive de Mr le Comte leur gouverneur que par devoir ils taient obligs de visiter. Le fait tait que le parlement de Grenoble dont le gouverneur est le chef et y prside, les arrts se faisant en son nom quand il nÕy a point de dauphin en France, rendait de tout temps de grands devoirs leurs gouverneurs et lieutenants de roi, entre autres que, lui arrivant ou sÕen allant, la cour lui venait faire la rvrence en corps, laquelle il nÕallait conduire que jusques sur le haut de son degr : la mme chose sÕobservait au lieutenant de roi ; dont ils taient en possession immmoriale et qui nÕavait point t conteste Mr le Comte, ni Mr Desdiguieres, ni Mr le marchal de Crquy. Il arriva que, trois ans auparavant, Mr le Prince ayant un pouvoir pour commander aux armes du roi contre les huguenots de Languedoc, son pouvoir fut tendu jusques en Provence et en Dauphin, et lui sÕen retournant en France et passant par Lyon, le parlement dputa le premier prsident et nombre de conseillers pour lui venir faire la rvrence. Mr le Prince qui fait plus dÕhonneur un chacun que lÕon ne lui en demande, les vint recevoir jusques au bas de son degr, les conduisit jusques leurs carrosses, dont ils firent rapport au parlement, et le mirent sur leurs registres, et ensuite firent un arrt par lequel il fut dfendu dÕaller plus saluer le gouverneur de la province ni le lieutenant de roi s'ils ne leur rendaient le mme honneur, ce que lÕun ni lÕautre ne voulurent faire. Ainsi Mr le Comte son arrive Grenoble lÕanne passe comme le roi allait Suse, ne fut point visit par le parlement ; mais on lui dit aussi que cÕtait parce que le roi tait Grenoble, et que, lui prsent, la cour en corps nÕallait trouver personne. Mais son retour Valence ladite cour de parlement ayant envoy le premier prsident et nombre de conseillers trouver le roi, ils firent pressentir Mr le Comte sÕil leur voudrait rendre l'honneur quÕils prtendaient, ce quÕil leur refusa, et eux sÕtant adresss au garde des sceaux pour les prsenter au roi, Mr le Comte leur fit refuser lÕaudience sur le prtexte quÕils venaient dÕune ville pestifre. Sur cela il se traita des moyens dÕaccommodement et on fit esprer Mr le Comte que la cour se mettrait en son ancien devoir, le premier prsident en ayant assur Mr de Seneterre. Pour cet effet Mr le Comte vint Grenoble sans le roi la sollicitation de Mr le marchal de Crquy : Mr de Seneterre arriva devant, qui fut traiter de cette affaire avec le premier prsident, et fit que Mr le Comte nÕentra que la nuit dans Grenoble, et quÕil alla le lendemain matin Vizille pour donner temps ceux du parlement de se raviser. Mais ce fut en vain ; car ils nÕy purent tre ports. Au retour de Vizille Mr le Comte et Mr de Crquy, piqus de cet affront, consultrent ce quÕils avaient faire, et je leur conseillai de tourmenter cette cour qui les mprisait et de se servir de leur pouvoir pour les mettre la raison, les rendant demandeurs ; quÕils fissent commander que pass sept heures personne nÕet se promener par la ville, et puis faire courre le bruit que cette dfense ne regardait que le parlement, et ds quÕun conseiller ou prsident sortirait, le faire prendre et l'envoyer prisonnier en la citadelle, ou en lÕarsenal ; quÕils avaient les forces pour ce faire et lÕautorit en main. Mr de Crquy se porta franchement en cet avis ; mais Seneterre divertit Mr le Comte de le recevoir, et fit quÕil ne voulut voir aucun conseiller en priv puis quÕils ne lÕavaient point vu en public, et quÕil fit sa plainte au roi pour avoir rglement contre ces messieurs.
Le mardi 30me nous dnmes chez Mr le Comte. Aprs dner il sÕleva la plus furieuse tempte que j'aie vue de ma vie.
Aot. Ń Le jeudi premier jour dÕaot Mr le Comte eut tout le jour la fivre, ce qui fit quÕil voulut partir le lendemain 2me dans mon carrosse et venir coucher Moyran, et moi je lÕaccompagnai, et Mr de Longueville aussi.
Le samedi 3me nous smes la dne la prise de Mantoue dont Mr de Longueville fut fort afflig, et fmes coucher Artas ; et le dimanche 4me nous arrivmes Lyon o Mr dÕAlaincourt fut mon hte.
Le 7me le roi y arriva, et ayant pris cong du roi quelques jours aprs pour aller donner ordre mes affaires Paris, le samedi 17me jour dÕaot je partis de Lyon et vins coucher la Bresle, puis la Palisse, Nevers, Montargis ; finalement le mercredi 21me jour dÕaot jÕarrivai Paris o je trouvai Mr dÕEpernon. Monsieur, frre du roi, y vint le lendemain, et peu de jours aprs Mr le Comte, Mr de Longueville et Mr de Guise arrivrent. Nous ne songemes quÕ y bien passer notre temps. Je mÕamusai faire btir Chaillot.
Mais un mois de l (septembre) jÕeus nouvelles que le roi avait la fivre continue, et quÕil nÕtait pas sans danger. Cela me fit prendre la poste et mÕen aller en diligence Lyon o j'arrivai (octobre) le lendemain que le roi avait pens mourir et que son abcs sÕtait coul par bas, dont jÕeus une excessive joie. Je vins descendre chez le roi qui fut bien aise de me voir, et moi ravi de ce quÕil tait hors de danger. Je vis ensuite les reines, les princesses et monsieur le cardinal, et mÕen vins loger mon accoutume chez Mr dÕAlaincourt.
Monsieur le cardinal me reut trs bien, me fit fort bonne chre, et parla moi en grande confidence. Mais le lendemain j'aperus en lui quelque froideur pour moi, dont demandant la cause Mr de Chteauneuf, il me dit en confidence que lÕon avait donn avis monsieur le cardinal que j'avais port quelques paroles de la part de Monsieur la reine mre avec un pouvoir de lÕarrter sÕil ft msadvenu du roi ; quoi j'oserais jurer que Monsieur nÕavait pas eu la pense, parce que, quand je partis, il ne se doutait pas que le roi ft en pril. Il me dit aussi quÕtant venu descendre au logis de Mr dÕAlaincourt o Mr de Crquy tait dj log, Mr de Guise tant venu une partie du chemin avec moi, et lui sÕtant encore log porte porte de Mr dÕAlaincourt, cela avait pu donner quelque ombrage de moi, qui tais tous les soirs chez madame la princesse de Conty et tout le jour chez la reine mre. Je lui dis que je nÕavais pas vu, le matin que jÕtais parti, Monsieur frre du roi, et que le soir prcdent je nÕavais pris cong de lui ; que je nÕavais pas encore dit un seul mot la reine mre, que tout haut ; que cÕtait l'office dÕun courrier, et non dÕun marchal de France, dÕtre porteur de tels pouvoirs, qui fussent venus trop tard si Dieu n'et pas miraculeusement guri le roi ; que depuis dix ans je nÕavais pas eu dÕautre logis Lyon que celui de Mr dÕAlaincourt mon ancien ami ; que ce nÕtait pas dÕastheure que Mr de Crquy et moi vivions comme frres, mais depuis notre premire connaissance, et quÕil y avait prs de trente ans que je hantais chez madame la princesse de Conty ; que Villeclair et Guillemot qui taient venus en poste avec moi pourraient tmoigner que Mr de Guise tait parti depuis moi de Paris, quÕil mÕavait outrepass le premier jour que je couchai la Chappelle la Reine, que je lÕavais rattrap le soir suivant Poully, et quÕ Moulins ne mÕayant pu suivre, je lÕavais devanc ; et que je lui priais dÕassurer monsieur le cardinal que je nÕtais point homme de brigue ni dÕintrigue, que je ne mÕtais ml jamais que de bien et fidlement servir le roi premirement, et ensuite mes amis, dont il tait un des premiers et qui j'avais vou tout trs humble service : ce quÕil me promit de faire, et moi l'ayant une fois t voir, je lui dis aussi en substance les mmes choses, dont il me tmoigna dÕtre satisfait.
Le roi se fit porter en Bellecour dans la maison de madame de Chaponay o il fut encore bien malade. Mais Dieu lui ayant rendu sa sant, il partit pour sÕen revenir Paris.
Nous le suivmes un jour aprs, Mrs le Comte, cardinal de la Valette, de Longueville, et moi, et lÕayant rattrap Roanne, nous embarqumes devant lui et vnmes jour et nuit Briare o nous trouvmes mon carrosse qui nous amena Paris, o peu de jours aprs les reines se rendirent peu aprs la Toussaints, et on ne vit point la reine mre les deux ou trois jours aprs son retour, tant loge Luxembourg.
Novembre. Ń Le roi la vint voir de Versailles le samedi 9me de novembre, et pour plus grande commodit sÕen vint loger lÕhtel des ambassadeurs proche dudit Luxembourg, et monsieur le cardinal qui tait venu dans le mme bateau de la reine en grande privaut avec elle, revint aussi quand et le roi Paris, et logea au petit Luxembourg.
J'ai su depuis, et Dieu me punisse si auparavant j'en avais eu autre connaissance quÕen dtail seulement, que quelquefois la reine et monsieur le cardinal taient brouills, quelquefois en parfaite intelligence ; j'ai su, dis-je, depuis, que souvent le roi faisait ses plaintes la reine sa mre de monsieur le cardinal, et rciproquement la reine au roi, quÕenfin deux ou trois fois elle avait dit au roi quÕelle voulait ouvertement se brouiller avec lui et sortir de sa tutelle, cÕtaient ses termes, et que le roi de temps en temps l'avait prie de dlayer, ce quÕelle avait fait, et quÕau retour du roi Lyon, le roi applaudissait en quelque chose la reine, qui nanmoins lÕavait prie dÕattendre encore jusques leur retour de Paris ; que le roi ayant vu Roanne la rsolution de monsieur le cardinal dÕattendre la reine mre, lui avait crit de lui faire fort bonne chre, comme elle avait fait ; et que le dimanche 10me, veille de la Saint-Martin, le roi tant venu le matin voir la reine sa mre, je lui accompagnai: ils sÕenfermrent tous deux dans son cabinet, et le roi venait la prier de supersder encore six semaines ou deux mois dÕclater contre monsieur le cardinal, pour le bien des affaires de l'tat qui taient alors en leur crise, le roi ayant command ses gnraux de del les monts de hasarder une bataille pour le secours de Casal ; et la reine mre avait rsolu de dlayer encore ce temps-l la prire du roi son fils. Comme ils taient sur ce discours monsieur le cardinal arriva, qui ayant trouv la porte de lÕantichambre la chambre ferme, entra dans la galerie et vint heurter la porte du cabinet o personne ne rpondit ; enfin impatient et sachant les tres de la maison, il entra par la petite chapelle, la porte de laquelle nÕayant pas t ferme, monsieur le cardinal y entra, dont le roi fut un peu tonn et dit la reine : Ē Tout est perdu ; le voici Č, croyant bien quÕil claterait : monsieur le cardinal qui sÕaperut de cet tonnement, leur dit : Ē Je mÕassure que vous parliez de moi. Č La reine lui rpondit : Ē Non faisions ; Č sur quoi lui ayant rpliqu : Ē Avouez-le, Madame Č, elle lui dit que oui, et l-dessus se porta avec grande aigreur contre lui, lui dclarant quÕelle ne se voulait plus servir de lui, et plusieurs autres choses ; sur quoi Mr Bouteillier arriva, et elle continua encore jusques ce que le roi alla dner, et que monsieur le cardinal le suivit.
Cette brouillerie fut tenue si secrte de toutes parts, qu'aucun nÕen sut rien et quÕon ne sÕen douta pas. Mme Monsieur frre du roi, qui avait t au-devant du roi jusques Montargis, le roi lui ayant fort pri de sÕaccommoder avec monsieur le cardinal qui il voulait mal, lui avait rpondu quÕil lui suppliait trs humblement de vouloir entendre les justes raisons quÕil avait de le har, aprs quoi il ferait tout ce quÕil plairait Sa Majest lui commander, ce que le roi ayant cout tout au long, pria Monsieur de vouloir oublier ses prtendues offenses et aimer monsieur le cardinal, lui avait promis ; mais le roi tant arriv le samedi Paris, soit que Monsieur ft malade, ou quÕil feignt de lÕtre, nÕtait point encore venu trouver le roi qui le soir mme envoya Le Plessis-Pralain apprendre des nouvelles de sa sant : mais peu aprs, Le Plessis-Pralain vint dire au roi que monsieur son frre tait dans le logis, qui le venait trouver ; sur quoi le roi envoya qurir monsieur le cardinal, et ayant un peu parl monsieur son frre, lui prsenta monsieur le cardinal et le pria de lÕaimer et de le tenir pour son serviteur, ce que Monsieur promit assez froidement au roi de faire, pourvu qu'il se comportt envers lui comme il devait. JÕtais prsent en cet accord aprs lequel tant proche de monsieur le cardinal, il me prit et me dit : Ē Monsieur se plaint de moi, et Dieu sait sÕil en a sujet ; mais les battus payent lÕamende. Č Je lui dis : Ē Monsieur, ne prenez pas garde ce que dit Monsieur : il ne fait que ce que Puilorens et Le Coygneux lui conseillent, et quand vous voudrez tenir Monsieur, tenez-le par eux, et vous lÕarrterez. Č Il ne me dit ensuite aucune chose de sa brouillerie ; aussi Dieu me confonde si je m'en doutais seulement. Aprs souper jÕallai voir madame la princesse de Conty, ayant vu auparavant coucher le roi qui nÕen fit aucun semblant : je lui demandai sÕil partirait le lendemain ; il me dit que non. Je trouvai madame la princesse de Conty en telle ignorance de cette affaire que seulement elle nÕen parla pas, et j'oserais bien jurer quÕelle nÕen savait rien.
Le lundi 11me, jour de la Saint-Martin, je vins de bonne heure chez le roi qui me dit quÕil sÕen retournait Versailles. Je ne songeai point quel dessein. J'en avais fait d'aller dner avec monsieur le cardinal que je nÕavais pu voir chez lui depuis son arrive, et m'en allai vers midi en son logis : on me dit quÕil nÕy tait pas, et quÕil partait ce jour-l pour aller Pontoise. Encore jusques l je ne pensai rien, ni moins encore quand, tant rentr Luxembourg monsieur le cardinal y arrivant, je le conduisis jusques la porte de la chambre de la reine et quÕil me dit : Ē Vous ne ferez plus de cas dÕun dfavoris comme moi. Č Je mÕimaginai quÕil voulait parler du mauvais visage quÕil avait reu le jour prcdent de Monsieur. Sur cela je le voulus attendre pour aller dner avec lui ; mais Mr de Longueville me dbaucha pour aller dner chez Mr de Crquy avec Monsieur, comme il m'en avait pri. Comme nous y fmes, Mr de Puilorens me dit : Ē Eh bien, cÕest tout de bon cette fois ici que nos gens sont brouills ; car la reine mre dit hier ouvertement monsieur le cardinal quÕelle ne le voulait jamais voir. Č Je fus trs tonn de cette nouvelle, et Mr de Longueville peu aprs me la confirma. JÕenvoyai sur l'heure madame la princesse de Conty la supplier trs humblement quÕelle mÕen mandt des nouvelles, laquelle jura mon homme que celle-l tait la premire quÕelle en avait sue, et quÕelle me priait de lui en mander les particularits. Je nÕen sus autre chose sinon que l'on me dit que madame de Combalet avait pris cong de la reine mre, et que le roi et monsieur le cardinal taient partis. Le soir Mr le Comte me mena chez la reine mre qui ne parla jamais quÕ la reine et aux princesses.
Le mardi 12me je mÕen allai tout le jour Chaillot, et en m'en retournant je trouvai Lisle qui me dit que l'on avait t les sceaux Mr de Marillac et envoy avec des gardes en Touraine.
Le mercredi 13me Mr de Lavrilliere revenant au galop de Versailles me dit que Mr de Chteauneuf tait garde des sceaux, et le soir chez la reine mre je vis Mr de la Ville aux Clercs qui lui vint dire de la part du roi.
Le jeudi 14me Lopes me vint voir le matin et me dit que je ferais bien dÕaller Versailles voir le roi et monsieur le cardinal, ce que j'eusse fait lÕheure mme si je nÕeusse voulu saluer le nouveau garde des sceaux qui tait mon particulier ami, lequel venait ce jour-l Paris saluer les reines. Je le vis donc sur le soir, et lui ayant demand si jÕtais bien ou mal la cour, il me dit qu'il ne sÕtait point aperu qu'il y et rien contre moi, mais que je ferais bien de m'aller prsenter, ce que je fis le vendredi 15me, et tant entr la chambre du roi, ds quÕil me vit, il dit, si haut que je le pus entendre : Ē Il est arriv aprs la bataille Č, et ensuite me fit fort mauvaise chre. Je ne laissai point de faire bonne mine, comme sÕil nÕy et rien eu. Enfin le roi me dit quÕil serait le lundi Saint-Germain et que j'y fisse trouver sa garde suisse. JÕous en mme temps que Saint-Simon, premier cuyer, dit Mr le Comte : Ē Monsieur, ne le priez point dner, ni moi aussi, et il sÕen retournera comme il est venu. Č LÕinsolence de ce petit punais me mit en colre dans le cĻur ; mais je nÕen fis pas semblant : car les rieurs nÕtaient pas pour moi, et si je ne sais pourquoi. Nanmoins Mr le Comte me dit : Ē Si vous voulez dner, j'ai trois ou quatre plats l-haut, que nous mangerons. Č Je lui rpondis : Ē Monsieur, je donne aujourdÕhui dner Chaillot Mr de Crquy, de Saint-Luc, et au comte de Saut, qui mÕy attendent : je vous en rends trs humbles grces. Č Sur cela monsieur le cardinal arriva qui me fit le froid et me parla assez indiffremment, puis entra dans le cabinet avec le roi. Je me mis parler avec Mr le Comte, et en mme temps Armaignac me vint dire de la part de monsieur le cardinal si je voulais venir dner avec lui. Mais comme j'en avais dj refus Mr le Comte devant lequel il me parlait, je lui fis la mme excuse que j'avais faite auparavant, dont monsieur le cardinal sÕoffensa, et le dit au roi.
Le lundi 18me le roi arriva Saint-Germain, o je me trouvai aussi, et il m'y fit le plus mauvais visage du monde.
J'y revins le mercredi 20me o il ne me fit pas meilleur accueil.
Les reines y vinrent, auxquelles il fit beaucoup dÕhonneur, peu de privaut.
Je me rsolus enfin de demeurer Saint-Germain, et y fus trois semaines durant sans que jamais le roi me dt un mot, que celui du guet.
Mr dÕEpernon y vint le dimanche 24me, qui fut fort bien reu tant du roi que de monsieur le cardinal, mais moi toujours en un mme tat : monsieur le cardinal me pria de donner dner Mr dÕEpernon parce quÕil tait au lit, quoi je m'tais dj prpar, et il me lÕavait envoy dire.
Sur ces entrefaites Puilorens et Le Coygneux sÕaccordrent avec monsieur le cardinal qui leur fit donner par le roi chacun cent mille cus, au moins ce dernier la charge de prsident de la cour qui vaut bien cela pour le moins. Cet accord se fit par Mr de Rambouillet qui devait avoir trente mille cus. Il fut aussi promis Puilorens que lÕon le ferait duc et pair. Sur cela Monsieur vint trouver le roi qui lui fit fort bon visage. Il fut voir monsieur le cardinal, et tout prenait un assez bon train ; car Mr le cardinal Baigni entreprit lÕaccommodement de monsieur le cardinal avec la reine mre, quÕil fut voir (dcembre) au sortir de chez Mr le Prince de qui il tint sur les fonts le second fils ; mais la rconciliation ne parut pas entire, joint quÕen ce mme temps-l la reine mre eut nouvelle de la dtention du marchal de Marillac, qui arriva peu aprs que Casal eut t secouru par lÕarme du roi, et que la paix gnrale eut t jure.
En ce mme temps Beringuen fut envoy hors de la cour ; Jaquinot eut dfense d'y venir ; Mr Servien fut fait secrtaire dÕtat ; Mr de Montmorency fait marchal de France, et Mr de Toiras aussi ; Mr dÕEffiat fch de ne le pas tre, se retira en sa maison de Chilly, dÕo peu aprs il revint, et fut fait marchal de France.
Janvier.Ń Le roi vivait froidement avec les reines et ne leur parlait quasi point au cercle, quand nous entrmes en lÕanne 1631, au commencement de laquelle on me commanda de licencier le rgiment du colonel dÕErlach : (jÕavais ds le mois de septembre de lÕanne passe licenci celui du colonel Affry) ; mais sur la difficult du payement on retarda cette affaire.
Cependant on chercha ( ce que disent ceux de Monsieur) de dsunir Puilorens et Le Coygneux, monsieur le garde des sceaux, parent du premier, le persuadant dÕabandonner son compagnon, de quoi Le Coygneux averti par madame de Verderonne (qui tait le dpt de leur amiti), et Monsieur en ayant su des nouvelles, tous deux en sÕaccordant ensemble conseillrent Monsieur de quitter la cour au commencement du mois de fvrier, ce quÕil excuta le....., ayant premirement t trouver monsieur le cardinal en son logis et lui ayant dit quÕil renonait son amiti.
Fvrier. Ń J'tais chez le prsident de Chevry quand j'en sus la nouvelle, et m'en allai l'heure mme trouver monsieur le cardinal et savoir ce que j'avais faire (comme au premier ministre, en lÕabsence du roi). Il me dit que le roi serait le soir mme Paris, et qu'il avait envoy au galop Mr Bouteillier, tant pour lÕavertir du partement de Monsieur, que pour le conseiller de venir Paris.
Il vint descendre chez monsieur le cardinal, o tout le monde se trouva, et de l il alla chez la reine mre. Il me fit mettre dans son carrosse : il me donna un sanglier quÕil avait pris le jour mme, et me fit trs bonne chre. Il me dit en allant au Louvre quÕil allait quereller la reine sa mre dÕavoir fait partir de la cour monsieur son frre. Je lui dis quÕelle serait blmable si elle lÕavait fait, et que je mÕtonnais fort quÕelle lui et conseill telle chose. Il me rpondit : Ē Si a, assurment, pour la haine quÕelle porte monsieur le cardinal. Č Sur cela il entra chez la reine sa mre qui avait ce jour-l pris quelque mdecine.
Peu de jours aprs le roi se rsolut d'aller passer son carme-prenant Compigne, et les reines lÕy voulurent suivre. La veille quÕil partit pour y aller il me donna encore une hure de sanglier de sa chasse, me promit qu' Compigne il me ferait un don pour raccommoder mes affaires incommodes des extrmes dpenses que j'avais faites lÕanne prcdente en Savoie.
Le dimanche 16me de fvrier nous prmes cong des reines ; car le roi mÕavait permis de passer le carme-prenant Paris : je fus ensuite prendre cong de madame la princesse de Conty, qui est la dernire fois que je lÕai vue ; lesquelles partirent le lendemain lundi 17me de fvrier pour sÕacheminer Compigne, o elle fut sollicite par le roi de sÕaccommoder avec monsieur le cardinal ; mais comme elle est trs entire et opinitre et que la plaie tait encore rcente, elle nÕy put tre porte.
Le dimanche 23me fvrier je dnai chez Mr le marchal de Crquy, et de l mÕen allant la Place Royale chez Mr de Saint-Luc, je mÕaccrochai avec le chariot qui portait dans la Bastille le lit de l'abb de Foix qui y avait t men prisonnier le matin, ce qui me fit savoir sa prise.
Sur le soir jÕattendais l'heure dÕaller la comdie chez Mr de Saint-Geran qui la donnait ce soir-l, et le bal ensuite, quand Mr dÕEpernon mÕenvoya prier de venir jusques chez madame de Choisy, o il tait ; et y tant arriv, il me dit que la reine mre avait t arrte le matin mme Compigne, dÕo le roi tait parti pour venir coucher Senlis ; que madame la princesse de Conty avait eu commandement par une lettre du roi que Mr de la Ville aux Clercs lui avait porte, de sÕen aller Eu ; que le roi avait fait madame de la Flotte dame dÕatour de la reine, et mademoiselle de Hautefort fille de la reine sa femme, et que toutes deux taient venues Senlis avec elle ; que le premier mdecin de la reine Mr Vautier avait t amen prisonnier la suite du roi, et finalement quÕil savait de bonne part quÕil avait t mis sur le tapis de nous arrter, lui, le marchal de Crquy, et moi ; qu'il nÕy avait encore t rien conclu contre eux, mais qu'il avait t arrt que lÕon me ferait prisonnier le mardi lÕarrive du roi Paris, dont il mÕavait voulu avertir afin que je songeasse moi. Je lui demandai ce qu'il me conseillait de faire, et ce que lui mme voulait faire. Il me dit que s'il nÕavait que cinquante ans, quÕil ne serait pas une heure Paris et quÕil se mettrait en lieu de sret dÕo puis aprs il pourrait faire sa paix ; mais quÕtant proche de quatre-vingt ans il se sentait bien encore assez fort pour faire une traite, mais quÕil craindrait de demeurer le lendemain : cÕtait pour quoi, puisquÕil avait t si mal habile de venir encore faire le courtisan son ge, il tait bien employ quÕil en ptit, et quÕil tenterait toutes choses et mettrait toutes pierres en Ļuvre pour se rtablir tellement quellement, et puis de sÕen aller finir ses jours en paix dans son gouvernement ; mais pour moi qui tais encore jeune, en tat de servir et dÕattendre une meilleure fortune, il me conseillait de mÕloigner et de conserver ma libert, et que il m'offrait de me prter cinquante mille cus pour passer deux mauvaises annes, que je lui rendrais quand il en viendrait de bonnes.
Je lui rendis premirement trs humbles grces de son bon conseil et ensuite de son offre, et lui dis que ma modestie m'empchait dÕaccepter le dernier et ma conscience d'effectuer lÕautre, tant trs innocent de tout crime et nÕayant jamais fait aucune action qui ne mrite plutt louange et rcompense que punition ; qu'il a paru que jÕai toujours plutt recherch la gloire que le profit, et que, prfrant mon honneur non seulement ma libert mais ma propre vie, je ne le mettrais jamais en compromis par une fuite qui pourrait faire souponner et douter de ma probit ; que depuis trente ans je servais la France et m'y tais attach pour y faire ma fortune ; que je nÕen voulais point maintenant (que jÕapproche lÕge de cinquante ans) en chercher une nouvelle, et qu'ayant donn au roi mon service et ma vie je lui pouvais bien donner aussi ma libert, quÕil me rendrait bientt quand il jetterait les yeux sur mes services et ma fidlit ; quÕau pis aller jÕaimais mieux vieillir et mourir dans une prison, jug dÕun chacun innocent et mon matre ingrat, que par une fuite inconsidre me faire croire coupable et souponner mconnaissant des honneurs et charges que le roi mÕa voulu dpartir ; que je ne me pouvais imaginer que lÕon me veuille mettre prisonnier nÕayant rien fait, ni mÕy retenir quand on ne trouvera aucune charge contre moi ; mais quand on voudra faire lÕun et lÕautre, que je le souffrirai avec grande constance et modration, et quÕau lieu de mÕloigner je me rsolvais ds demain matin de mÕaller prsenter Senlis au roi, ou pour me justifier si lÕon mÕaccuse, ou pour entrer en prison si l'on me souponne, ou mme pour mourir si on avre les doutes que lÕon a pu prendre de moi, et quand on ne trouverait rien redire ma vie ni ma conduite, pour mourir aussi, et gnreusement et constamment, si ma mauvaise fortune ou la rage de mes ennemis me pousse jusques cette extrmit.
Comme j'achevai ce discours Mr dÕEpernon, les larmes aux yeux, mÕembrassa et me dit : Ē Je ne sais ce qui vous arrivera, et je prie Dieu de tout mon cĻur que ce soit tout bien ; mais je nÕai jamais connu gentilhomme mieux n que vous, ni qui mrite mieux toute bonne fortune : vous lÕavez eue jusques ici ; Dieu vous la conserve, et bien que jÕapprhende la rsolution que vous avez prise, je l'approuve nanmoins et vous conseille de la suivre, ayant ou et pes vos raisons. Č
Il me pria ensuite de nÕventer point cette nouvelle qui bientt serait publique, et me pria quÕau sortir de la comdie il me donnt souper chez madame de Choisy o il lÕavait fait apprter, et sur cela nous allmes la fte chez Mr de Saint-Geran o je trouvai Mr le marchal de Crquy qui Mr dÕEpernon le dit devant moi et ce que je voulais faire, qui lÕapprouva, et dit que pour lui, il ferait ce quÕil pourrait pour dtourner l'orage, mais quÕil l'attendrait.
Peu aprs madame la Comtesse divulgua lÕarrt de la reine mre, et nous oumes la comdie, vmes le bal, et minuit vnmes souper chez madame de Choisy o Mr de Chevreuse vint, qui ne fut gure touch de lÕloignement de sa bonne sĻur de la cour, et fut aussi gai que de coutume. Comme nous nous retirions, Mr du Plessis-Pralain arriva, qui dit Mr de Chevreuse de la part du roi que non par haine qu'il portt sa maison, mais que pour le bien de son service il avait loign madame sa sĻur dÕauprs de la reine sa mre.
Le lendemain lundi 24me jour de fvrier je me levai devant le jour et brlai plus de six mille lettres dÕamour que j'avais autrefois reues de diverses femmes, apprhendant que, si lÕon me prenait prisonnier, on ne vint chercher dans ma maison, et que lÕon nÕy trouvt quelque chose qui pt nuire, tant les seuls papiers que j'avais, qui eussent pu prjudicier quelqu'un. Puis je mandai Mr le comte de Gramont que je mÕen allais trouver le roi Senlis, et que, sÕil y voulait venir, je l'y mnerais, ce quÕil fit volontiers, et lÕtant venu prendre son logis, il monta en mon carrosse, et nous allmes jusques Louvre o nous trouvmes Mr le Comte, Mr le cardinal de la Valette, et Mr de Bouillon qui montaient en carrosse, aprs sÕtre chauffs, pour passer Senlis. Il voulut que Mr de Gramont et moi nous missions en son carrosse pour y aller de compagnie, et me dit que je me vinsse chauffer : puis en montant quand et moi dans la chambre, il me dit : Ē Je sais assurment que lÕon vous veut arrter ; si vous mÕen croyez vous vous retirerez, et si vous voulez voil deux coureurs qui vous mneront bravement dix lieues dÕici. Č Je le remerciai trs humblement et lui dis que nÕayant rien sur ma conscience de sinistre, je ne craignais rien aussi, et que jÕaurais l'honneur de lÕaccompagner Senlis, o nous arrivmes peu aprs et trouvmes le roi avec la reine sa femme dans sa chambre et mesdames la Princesse et de Guymen. Il vint nous et nous dit : Ē Voil la bonne compagnie Č ; puis ayant un peu parl Mr le Comte et M. le cardinal de la Valette, il mÕentretint assez longtemps, me disant quÕil avait fait ce quÕil avait pu pour porter la reine sa mre se raccommoder avec monsieur le cardinal, mais quÕil nÕy avait su rien gagner, ne me dit jamais rien de madame la princesse de Conty : puis, je lui dis que lÕon mÕavait donn avis quÕil me voulait faire arrter et que j'tais venu le trouver afin que lÕon nÕet point de peine me chercher, et que, si je savais o cÕest, je m'y en irais moi-mme sans que lÕon mÕy ment. Il me dit l dessus ces mmes mots : Ē Comment, Betstein, aurais-tu la pense que je le voulusse faire ? Tu sais bien que je tÕaime Č ; et je crois certes qu' cette heure l il le disait comme il le pensait. Sur cela on lui vint dire que monsieur le cardinal tait en sa chambre, et lors il prit cong de la compagnie, et me dit que je fisse avancer le lendemain matin de bonne heure la compagnie qui tait en garde afin quÕelle la pt faire Paris, puis me donna le mot.
Nous demeurmes quelque temps chez la reine, et puis nous vnmes tous souper chez Mr de Longueville, et de l nous retournmes chez la reine o tait venu le roi aprs souper. Je vis bien quÕil y avait quelque chose contre moi ; car le roi baissait toujours la tte, jouant de la guitare sans me regarder et en toute la soire ne me dit jamais un mot. Je le dis Mr de Gramont, nous allant coucher ensemble en un logis que lÕon nous avait apprt.
Le lendemain mardi 25me jour de fvrier, je me levai six heures du matin, et comme jÕtais devant le feu avec ma robe, le sieur de Launai lieutenant des gardes du corps entra en ma chambre et me dit : Ē Monsieur, cÕest avec la larme lÕĻil, et le cĻur qui me saigne, que moi qui depuis vingt ans suis votre soldat, et ai toujours t sous vous, sois oblig de vous dire que le roi mÕa command de vous arrter. Č Je ne ressentis aucune motion particulire ce discours et lui dis : Ē Monsieur, vous nÕy aurez pas grand peine, tant venu exprs ce sujet comme lÕon mÕen avait averti. J'ai toute ma vie t soumis aux volonts du roi qui peut disposer de moi et de ma libert sa volont : Č sur quoi je lui demandai sÕil voulait que mes gens se retirassent ; mais il me dit que non, et quÕil nÕavait autre charge que de mÕarrter et puis de l'envoyer dire au roi, et que je pouvais parler mes gens, crire et mander tout ce quÕil me plairait, et que tout mÕtait permis. Mr de Gramont alors se leva du lit et vint pleurant moi, dont je me mis rire, et lui dis que, sÕil ne sÕaffligeait de ma prison non plus que moi, il nÕen aurait aucun ressentiment, comme de vrai je ne mÕen mis pas beaucoup en peine, ne croyant pas y demeurer longtemps. Launai ne voulut jamais qu'aucun des gardes qui taient avec lui entrassent dans ma chambre, et peu aprs arrivrent devant mon logis un carrosse du roi, ses mousquetaires cheval, et trente de ses chevau-lgers. Je me mis en carrosse avec Launai seul, et rencontrai en sortant madame la Princesse qui montra tre touche de ma disgrce ; puis marchmes toujours deux cents pas devant le roi jusques la porte de Saint-Martin que je tournai gauche, et passant par la Place Royale on me mena dans la Bastille, o je mangeai avec le gouverneur Mr du Tramblay, et puis il me mena dans la chambre o tait autrefois Mr le Prince, dans laquelle on mÕenferma avec un seul valet.
Le mercredi 26me Mr du Tramblai me vint voir le soir, et me dit de la part du roi quÕil ne m'avait point fait arrter pour aucune faute que j'aie faite, et quÕil me tenait son bon serviteur, mais de peur que lÕon ne me portt mal faire ; et que je nÕy demeurerais pas longtemps : dont jÕeus beaucoup de consolation. Il me dit de plus que le roi lui avait command de me laisser toute libert hormis celle de sortir ; que je pouvais prendre avec moi tels de mes gens que je voudrais, parler qui je voudrais, et me promener par toute la Bastille. Il ajouta encore mon logement une autre chambre auprs de la mienne pour mes gens. Je ne pris que deux valets et un cuisinier, et fus plus de deux mois sans vouloir sortir de ma chambre et nÕen fusse point du tout sorti si le ventre ne mÕet enfl de telle sorte que je crus mourir.
Deux jours aprs mon emprisonnement je fis voir si le roi aurait agrable que mon neveu de Bassompierre le vt, qui me fit rpondre que non seulement il l'agrait, mais mme quÕil le dsirait, et qu'il aimait mon neveu pour l'amour de lui-mme, aussi bien quÕ ma considration.
Mars. Ń Le roi partit incontinent aprs le carme-prenant pour aller Orlans forcer monsieur son frre de le venir trouver. Mon neveu fit demander encore au roi ce quÕil lui plaisait quÕil devnt, et le roi lui fit dire quÕil serait bien aise qu'il vnt ce voyage avec lui ; sur quoi je le fis mettre en trs bon quipage et lÕenvoyai sa suite. Monsieur frre du roi, sentant le roi s'approcher de lui, ne le voulut attendre et sÕen alla par la Bourgogne Besanon avec Mrs dÕElbeuf et de Bellegarde. Le roi le suivit jusques Dijon, et en sÕen retournant Chanseaux on fit dire mon neveu que le roi nÕagrait pas quÕil le suivt ni mme quÕil demeurt en France, mais quÕil trouvait bon quÕil vnt prendre cong de lui, ce qu'il fit et se retira auprs de son pre en Lorraine.
Le roi revint aux contours de Paris, et je fis solliciter ma libert ; mais ce fut en vain. Je tombai malade dans la Bastille dÕune enflure bien dangereuse provenue peut tre de nÕavoir pas pris d'air : aussi ds que jÕeus t promener sur la terrasse, je commenai dsenfler.
Avril. Ń Je sus en mme temps la mort de madame la princesse de Conty, dont jÕeus lÕaffliction que mritait lÕhonneur que depuis mon arrive la cour jÕavais reu de cette princesse qui, outre tant dÕautres perfections qui lÕont rendue admirable, avait celle dÕtre trs bonne amie et trs obligeante : jÕhonorerai sa mmoire, et la regretterai le reste de mes jours. Elle fut tellement outre de douleur de se voir spare de la reine mre avec qui elle avait demeur depuis quÕelle vint en France, si afflige de voir sa maison perscute, et ses amis et serviteurs en disgrce, quÕelle nÕy voulut, ni sut pas survivre, et mourut Eu, un lundi dernier jour dÕavril de cette malheureuse anne de 1631.
Pendant cela on fit quelques propositions la reine mre de se aller tenir Moulins, ou Chteau-Thierry : mais elle se rsolut de sortir de France, et ayant fait traiter avec Vardes pour la recevoir la Capelle, le pre qui tait lÕancien gouverneur ayant t averti de quelques pratiques qui se faisaient dans sa place, y courut jour et nuit, et y arriva le soir dont la reine sÕy devait rendre le lendemain, et y tant entr au dsu de son fils, parla aux soldats qui taient ses cratures, qui le reconnurent pour gouverneur, et en chassa son fils, la comtesse de Moret, et Besanon qui y taient. Ils sÕen allrent au-devant de la reine mre qu'ils trouvrent une lieue de l, lui dirent lÕaccident qui les empchait de la servir selon son dsir, et lÕaccompagnrent jusques Avenes, o de l elle alla Bruxelles o elle s'est tenue depuis ; ce qui fut cause de faire saisir son bien et son douaire.
Mr le comte de Saint-Paul mourut peu aprs, ce qui fit rentrer Chteau-Thierry en la possession du roi.
La duchesse dÕOnane qui avec madame d'Elbeuf avaient eu ordre de se retirer quand la reine mre fut laisse Compigne, tait venue trouver madame la princesse de Conty Eu, aprs la mort de laquelle ayant su que la reine mre tait sortie de France, s'embarqua Eu, et lÕalla trouver en Flandres.
Le roi de Sude qui l'anne prcdente tait entr dans lÕAllemagne et y avait fait de signals progrs quÕil continuait encore en la prsente s'avana de telle sorte qu'il vint joindre lÕlecteur de Saxe qui avait pris les armes contre l'empereur, qui envoya le comte de Tilly grand et heureux capitaine pour lui faire tte, lequel auprs de Leipzig tant venu donner la bataille au duc de Saxe, laquelle il gagna, le roi de Sude averti que le comte de Tilly marchait contre lÕlecteur alla toute la nuit avec quatre mille chevaux son secours ; mais il le trouva en droute et si propos quÕil y mit et dfit plate couture le comte de Tilly victorieux du Saxon et le poursuivit si vivement quÕil ne lui donna loisir de se reconnatre jusques Erdfort [Erfurt] qui est prs de cent lieues franaises de l, tuant tout ce qui demeura par les chemins des restes de lÕarme du Tilly, ce qui apporta une telle consternation aux affaires de lÕempereur que si le duc de Bavire avec une puissante arme ne se ft oppos au Sudois, il n'et rien trouv en toute l'Allemagne qui lui et fait rsistance.
Mr de Lorraine qui en ce temps-l avait quelques troupes sur pied en leva encore en toute diligence, et avec huit mille hommes de pied et deux mille chevaux passa en Allemagne au secours du duc de Bavire son oncle : mon frre et mon neveu le suivirent en ce voyage, et mon neveu sÕy signala. Mon cousin le comte de Pappenheim vint aussi (septembre) et sÕopposa au roi de Sude qui tourna tte vers la Franconie, prit Virtsbourg, Mayence et Francfort qui nÕtaient fortifis ni pourvus, et mit la terreur et lÕeffroi de telle sorte dans lÕAllemagne que tout se rendait.
Octobre. Ń Pendant que Mr de Lorraine tait en Allemagne, et Monsieur frre du roi Nancy o il tait venu se tenir peu aprs sÕtre retir Besanon, le roi sÕen vint Metz, et son arme la frontire de Lorraine, et Mr de Lorraine, tant averti quÕun si puissant prince tait avec de telles forces sur ses confins, ayant en diligence ramen les siennes en son pays (novembre) ; et Monsieur sÕtant derechef retir Besanon, il fut fait quelque trait entre le roi et Mr de Lorraine, par lequel Moyenvic lui fut rendu et la ville de Marsal mise en ses mains pour quatre ans.
Comme le roi tait Metz, la cour de parlement (qui pour avoir donn quelque arrt qui nÕavait pas plu au roi lÕt prcdent, avait t commande de venir pied trouver en corps le roi au Louvre, et lui porter ses registres auxquels Elle dchira de sa propre main lesdits arrts et y en fit enregistrer un de son conseil qui nÕtait pas leur avantage), donna encore depuis quelques autres arrts qui ne plurent pas Sa Majest, qui fit (dcembre) quÕelle interdit cinq de la cour, conseillers ou prsidents, et manda que le premier et second prsidents, accompagns de nombre de conseillers, le vinssent trouver Metz o Elle leur fit une forte rprimande.
De l, le roi ayant envoy le marquis de Bres son ambassadeur vers le roi de Sude, il sÕen revint aux contours de Paris achever lÕanne 1631.
Janvier.Ń Au commencement de lÕanne 1632, peu aprs le retour du roi de son voyage de Metz, on me donna quelque esprance de ma libert : mais je crois que ce fut plutt pour redoubler mes peines par cette esprance trompe que pour allger mes maux par une meilleure condition ; car peu aprs je vis bien que lÕon ne me voulait point largir. JÕeus pour comble de mes peines la mort de mon frre qui survint bientt aprs, cause par les travaux soufferts en lÕarme dÕAllemagne lÕanne prcdente, et par les dplaisirs de ma longue dtention.
Monsieur le cardinal ensuite fut fait gouverneur de Bretagne et le marchal de Marillac ayant t longuement tenu Sainte Menehou prisonnier, o lÕon lui instruisait son procs, fut enfin amen prisonnier Ruel, et des juges nouveaux tablis pour lui faire et parfaire son dit procs, lui ayant t permis de choisir du conseil ; il fut jug le.... jour de...., et excut en Grve le lendemain.
Mars. Ń Force pratiques se firent de tous cts en France en faveur de Monsieur, mais principalement dans le Languedoc o Mr de Montmorency se rvolta, attirant avec lui plusieurs villes, vques, seigneurs, et autres partisans. D'autre ct le roi tait en doute du roi d'Angleterre, peu assur de Mr de Savoie qui souffrait impatiemment que la ville et citadelle de Pignerol demeurt entre les mains du roi, bien que par trait particulier il lÕet dlaisse au roi, qui avait aussi quelque ombrage du marchal de Toiras, pour lÕtroite intelligence quÕil avait avec Mr le duc de Savoie, pour avoir mis dans la citadelle de Casal le rgiment de son neveu et sÕy tre rendu le plus fort, pour la mauvaise intelligence o il tait avec Mr Servien ambassadeur du roi prs de Mr de Savoie, et finalement pour les brigues et menes que Sa Majest savait que ses frres, (qui dpendaient absolument de lui), faisaient dans le Languedoc (avril). Du ct de Roussillon il tait venu par mer huit mille Italiens : on levait aussi des Espagnols. Mr de Lorraine armait puissamment de son ct, sous prtexte des Sudois qui avoisinaient son pays ; mais le roi se doutait que ce ft en faveur de Monsieur, dont on lui avait donn avis que le mariage se brassait avec la princesse Marguerite sĻur dudit duc. Monsieur de son ct avait deux mille chevaux sur pied, et quelque infanterie ; de sorte que tout cela donnait bien penser au roi, qui ne put tre persuad de se saisir de la personne de Mr de Montmorency bien quÕil en et eu des avis bien certains, mais lÕenvoya en son gouvernement pour y faire tenir les tats, et pour se prparer contre les forces qui taient au comt de Roussillon ; cependant que Sa Majest sÕachemina (mai) avec une forte arme en la Lorraine, au temps que lÕarme hollandaise ayant pris Linguen, Ruremonde et quelques autres places sur les Espagnols, tait venue attaquer Mastricht et sÕtait tellement retranche devant, que lÕarme espagnole assiste de celle du comte de Pappenheim (qui sÕen approcha), ne la purent secourir, ni lÕempcher dÕtre prise sur la fin de lÕautomne, et ensuite le duch de Limbourg ; cependant quÕen Allemagne le roi de Sude sÕtait mis en campagne au renouveau et avait mis la Souabe sous sa puissance avec le marquisat de Burgau, rtabli le Palatin dans ses pays usurps, dlivr le duc de Wurtemberg du joug de ses ennemis, et pris Donnevert et tout le duch de Bavire Ingolstadt prs, quand le Walestein avec une trs puissante arme sÕavana Nuremberg quÕil et prise si le roi de Sude nÕy ft promptement accouru et ne se ft retranch entre la ville et lui : le duc de Bavire se joignit au Walestein et tenant le roi de Sude sur cul jusques l'hiver, arrtrent le cours de ses victoires pour cette anne-l ; et ensuite le Walestein tant all en Bohme et de l vers la Saxe pour chtier lÕlecteur, le roi de Sude y accourut et le Pappenheim le suivit, et sÕtant rencontrs ledit roi et le Walestein Lutsen, ils se donnrent la bataille, que le roi de Sude gagna ; mais il y fut tu, et aussi le Pappenheim qui y arriva comme la bataille se donnait. Le duc Bernard de Weimar prit le soin de lÕarme aprs la mort du roi de Sude.
Le roi sÕen vint avec une puissante arme fondre dans la Lorraine, prit le duch de Bar, la Motte prs, sans rsistance, vint se saisir de Saint-Mihel, de Nomeni et du Pont Mousson. Mr de Lorraine joint avec Monsieur avaient bien une arme suffisante pour lui rsister ; mais comme Monsieur tait appel en Languedoc, il se spara de lui, qui en mme temps traita avec le roi et lui donna pour assurance trois places en dpt pour trois ans, qui furent Stenay, Jamais, et Clermont en Argonne, puis tant venu trouver le roi quand il sÕen retournait, lÕassura de son service, en mme temps que Monsieur avec plus de deux mille chevaux entra dans le duch de Bourgogne : le roi envoya Mr de la Force aprs, puis encore Mr le marchal de Schomberg avec des forces suffisantes.
Il envoya en ce mme temps en Alsace Mr le marchal dÕEffiat avec une arme, et lui avec le reste de ses troupes suivit la piste de monsieur son frre qui alla dans l'Auvergne pour passer de l en Languedoc ; et lors, Mr le marchal de la Force entra vers Beaucaire dans le Languedoc, tandis que Mr de Schomberg passa du ct d'Albi. Mr de Montmorency se joignit lors Monsieur avec force troupes de pied et de cheval, et Monsieur envoya vers Beaucaire Mr dÕElbeuf pour s'opposer au marchal de la Force, tandis quÕil vint pour attaquer Mr de Schomberg qui avait assig Saint-Felix de Carmain quÕil prit et se voulant retirer Castelnaudary se trouva Monsieur en tte avec des forces beaucoup plus grandes que les siennes ; mais Mr de Moret ayant voulu aller voir de trop prs les ennemis fut rapport mort, et Mr de Montmorency pensant tre suivi du reste de lÕarme qui ne bougea, chargea avec cinquante ou soixante chevaux, fit des merveilles ; mais enfin son cheval fut tu, et lui bless de vingt coups, pris prisonnier, men Castelnaudary, et l'arme de Monsieur, tonne de ces deux grandes pertes, se retira sans combattre et se dbanda peu aprs (septembre). Le Fargis qui tait all chercher les Espagnols qui devaient venir au secours de Monsieur, sÕavana pour lui en dire la nouvelle, quÕil trouva ayant dj envoy vers le roi pour en obtenir quelque forme de paix, ce quÕil fit et fut renvoy se tenir Tours ou aux environs (octobre). Le roi reut les nouvelles Lyon de cet heureux succs, envoya de son ct Aiguebonne trouver monsieur son frre et lui offrir ce quÕil accepta. Puis Sa Majest passa Beaucaire, Montpellier, Pzenas et Bziers o il fit faire quelques excutions, puis tant arriv Toulouse traita un peu mal ceux de la ville qui avaient tmoign par trop leur affection Mr de Montmorency lequel avait t transport Lectoure pour le faire gurir, dÕo le roi le fit amener Toulouse, et la veille de la Toussaints dernier jour d'octobre, lui fit trancher la tte dans lÕhtel de ville de Toulouse, d'o il partit le lendemain (novembre) aprs avoir fait Mr de Bres marchal de France, pour sÕen revenir vers Paris par Limoges, la reine et monsieur le cardinal s'en retournant par Bordeaux et par la Rochelle.
Mr le marchal dÕEffiat tant entr dans lÕAlsace tait pour y faire de grands progrs ; car il avait de belles forces et bien payes, [et] sÕy comportait fort bien, et tous les princes, seigneurs, et villes, se venaient mettre sous la protection du roi, redoutant ses armes, et apprhendant celles de Sude qui les avoisinaient : mais une soudaine maladie le fit mourir, et trancha le fil de tant de belles esprances.
Monsieur frre du roi qui nÕavait trait ( ce quÕil disait), que sous lÕespoir de la dlivrance de Mr de Montmorency, ayant su quÕil avait eu la tte tranche, se retira grandes journes au comt de Bourgogne, et de l sÕachemina en Flandres.
La reine avec monsieur le cardinal, monsieur le garde des sceaux et Mr de Schomberg, sÕembarqua sur la Garonne Toulouse et vint descendant jusques Cadillac o Mr le duc dÕEpernon les reut superbement ; puis ensuite arriva Bordeaux o monsieur le cardinal tomba en une extrme maladie. La reine passa Blaye avec le garde des sceaux, et Mr de Schomberg mourut en mme temps dÕapoplexie Bordeaux, o il y vint une si grande quantit de noblesse de toutes parts mande par Mr d'Epernon pour faire honneur la reine, quÕelle mit en ombrage monsieur le cardinal, lequel se fit inopinment porter dans une barque et conduire Blaye. Cependant la reine sÕachemina la Rochelle o monsieur le cardinal la fit superbement recevoir, et lui petites journes se fit porter Richelieu, et vers la fin de lÕanne 1632 vint trouver le roi Dourdan o toute la cour fut au-devant de lui.
Janvier.Ń Au commencement de lÕanne 1633 jÕeus une grande esprance de libert. Mr de Schomberg mÕavait fait dire qu' ce retour du roi on me sortirait de la Bastille, monsieur le cardinal l'ayant tmoign plusieurs, et le roi sÕen tant ouvert quelques personnes ; et tous mes amis sÕen rjouissaient avec moi, quand on fit servir le partement de Monsieur frre du roi de prtexte pour ma dtention, et au mme temps au lieu de me dlivrer, on mÕta cette partie de mes appointements qui mÕavait t paye les deux annes prcdentes, bien que je fusse prisonnier, qui montait au tiers de ce que j'avais accoutum de tirer par an. Cela me fit bien voir que lÕon me voulait terniser la Bastille : aussi ds lors cess-je dÕesprer quÕen Dieu.
Fvrier. Ń Au mois de fvrier monsieur le garde des sceaux commena sentir le revers de fortune, et recevoir moins bon visage du roi et de monsieur le cardinal quÕil nÕavait accoutum ; ce qui continua de sorte que le 25me de fvrier, pareil jour que jÕavais t arrt deux ans justement auparavant, il fut mis prisonnier Saint-Germain en Laye, et le lendemain en bonne et sre garde conduit au chteau dÕAngoulme, o il est demeur. On prit en mme temps son neveu de Leuville, le chevalier de Jars son confident, son secrtaire Menessier, Mignon, et Joly. On dlivra peu aprs ces deux derniers : on mit en libert Menessier qui avait perdu le sens. Le chevalier de Jars fut men dans la Bastille quand et Leuville ; mais il en fut retir au bout de deux mois, men Troyes o son procs lui ayant t fait et parfait, il fut condamn avoir la tte tranche, men sur l'chafaud et puis on lui cria grce : mais en effet ce fut commutation de peine ; car il fut ramen en la Bastille o il a demeur depuis. Quant au marquis de Leuville, il y a toujours demeur ; et le roi donna les sceaux au prsident Sguier.
Peu de temps aprs les Sudois vinrent prendre sur le duc de Lorraine une ville nomme Bouquenom, dont le duc sÕtant plaint au roi qui lui avait promis dÕempcher quÕils ne touchassent ses tats, il nÕen eut point de raddresse [rparation] ; ce qui le porta lever des troupes, et contre le dsir du roi, dÕentrer en Alsace : dont le roi indign, qui dj avait eu quelque nouvelle du mariage de monsieur son frre avec la princesse Marguerite sĻur dudit duc, (bien que les uns et les autres lui eussent toujours ni), sÕavana vers Chteau-Thierry en mme temps que la petite arme du duc fut dfaite par les Sudois en Alsace : ce qui fit que le roi sÕavana promptement Chalons o le cardinal de Lorraine le vint trouver, et fut trs bien vu et reu de lui : mais comme, le lendemain, il tait au conseil avec le roi pour traiter des affaires du duc son frre, le roi lui dit quÕil avait divers avis que depuis un an, sans son su, Monsieur son frre sÕtait mari avec la princesse Marguerite sĻur du duc, et la sienne, et quÕil dsirait savoir ce qui en tait. Le cardinal rpondit que si lÕon lui et demand, il en et dit la vrit, ne sachant point jamais mentir, et quÕil tait vrai que le mariage avait t fait et consomm ds lÕanne prcdente. Alors le roi lui dit qu'il ne voulait aucun trait, et fit avancer ses troupes jusques contre Nancy. Le duc se retira avec les siennes dans la Vosge tandis que le cardinal faisait des alles et venues (septembre) pour quelque paix ; et en mme temps bien que Nancy ft investie, la princesse Marguerite en sortit dguise et vint Thionville o Monsieur lui envoya avec Puilorens ses carrosses et officiers pour lÕamener Bruxelles. Alors le roi vint assiger Nancy et y faire une forte circonvallation ; mais le cardinal de Lorraine moyenna une paix par laquelle le duc mit Nancy entre les mains du roi, outre les autres places quÕil lui avait donnes, et ce pour la tenir en dpt trois annes durant, et le duc vint trouver le roi. Puis Sa Majest entra dans Nancy la neuve, o aprs y avoir mis une forte garnison et la vieille ville aussi en laquelle le duc demeurait, il sÕen revint aux environs de Paris o il finit lÕanne 1633.
Janvier.Ń Au commencement de lÕanne 1634 on me fit dire de lÕpargne que mes appointements des Suisses, de deux mille livres par mois (qui en lÕanne prcdente avaient t suspendus), taient encore en fonds entre les mains du trsorier de lÕpargne, et que, si j'en voulais faire dire un mot, on croyait quÕils me seraient dlivrs. J'avais gard par modestie le silence sur cette affaire-l, sans me plaindre du retranchement que lÕon mÕen avait fait, ni sans en poursuivre le rtablissement ; mais puisque lÕon me donnait cet avis qui peut-tre venait de plus loin, j'eus crainte que mon silence ne ft attribu gloire, ou dpit. Cela fut cause que je priai le gouverneur de la Bastille de dire de ma part monsieur le cardinal que je le tenais si gnreux quÕil n'aurait pas voulu me donner cette petite mortification de me faire ter mes appointements avec ma libert, et que je le suppliais trs humblement de me procurer cette grce auprs du roi quÕElle me donnt ce moyen de pouvoir payer les arrrages des rentes que j'ai constitues en le servant. Monsieur le cardinal me manda (fvrier) quÕil me voulait obliger en cette occasion, quÕil me promettait d'en parler avec efficace, et se promettait de l'obtenir du roi, et de fait peu de jours aprs il me manda quÕil l'avait obtenu du roi, mme m'en fit dlivrer l'ordonnance. Mais comme on la prsenta devant monsieur le cardinal Mr de Bulion pour la faire payer, il dit que le roi lui avait expressment dfendu de ne la payer ; sur quoi monsieur le cardinal, sans contester, rompit l'ordonnance ; ce que l'on me fit savoir, et je nÕy pensai plus. Et en ce mme temps (avril) fut donn un rude arrt au conseil contre Mr dÕEpernon sur quelque excs commis par lui en la personne de lÕarchevque de Bordeaux ; nanmoins le roi voulut et opinitra que monsieur le cardinal loignt ledit archevque dÕauprs de lui, ce quÕil fit.
Le prince Tomas de Savoie se retira en ce temps-l dÕauprs de son frre, et quitta la pension de France pour se retirer en Flandres.
Mr de Lorraine, aprs la paix quÕil avait obtenue du roi, envoya ce quÕil avait de troupes avec celles de lÕempereur commandes par Mr le marquis de Baden, Edouart, et par le comte de Salm ; desquelles troupes Mr de Lorraine donna le commandement mon neveu de Bassompierre. Et voyant ledit duc que le roi ne se pouvait satisfaire de ses actions, et que ses ennemis lui rendaient de perptuels mauvais offices auprs de lui, il envoya premirement son frre le cardinal en France pour se justifier, et voyant qu'il ne le pouvait faire, se rsolut de quitter son tat et de le renoncer son dit frre, ce qu'il fit par acte authentique ; et puis ayant mis son dit frre en possession, il se retira Besanon. Et en ce mme temps les troupes impriales de lÕAlsace tant venues aux mains avec les Sudoises, elles furent dfaites sans rsistance par le Reingraf Otto, sudois ; et mon neveu qui ne voulut pas fuir comme les autres, allant bravement avec peu de gens charger les ennemis, fut enfin bless en deux endroits, et son cheval tu sous lequel il fut pris prisonnier. Les ennemis le traitrent bien, comme parent et ami du comte Otto, et le firent panser. Il est demeur estropi du bras droit, mais enfin sorti petite ranon, et alla retrouver son matre en Tyrol o il tait retir auprs du cardinal-infant qui tant ds lÕanne prcdente pass en Italie, sÕtait alors achemin en Tyrol pour de l passer en Flandres.
Aprs que le nouveau duc cardinal de Lorraine et par rsignation entr en possession du duch, il envoya au roi pour lui faire savoir, lequel ne le voulut pas reconnatre tel, cause que, nÕadmettant cette loi salique que lÕon avait voulu tablir en Lorraine, il disait cet tat appartenir aux deux filles du feu duc, et que le duc Charles nÕy avait droit quÕ cause de sa femme, laquelle, bien quÕelle et fait quelque renonciation son profit, nÕen pouvait pas frustrer sa jeune sĻur ; outre quÕelle avait fait quelque protestation en renonant, et quÕelle tait en intelligence secrte avec le roi. Lors, ledit cardinal pour se plus assurer en son nouvel tat, se rsolut dÕpouser la jeune princesse sĻur de la duchesse, dont les ministres du roi en Lorraine ayant eu le vent, se mirent en tat de lÕempcher, envoyrent prier le nouveau duc qui tait Lunville de venir Nancy avec les princesses. Le mme jour le duc se maria la princesse, et vint coucher Saint-Nicolas o le lendemain matin se trouvrent vingt compagnies de cavalerie franaises pour les arrter tous ; mais ils trouvrent le duc dans le lit couch avec sa femme. On les amena tous au chteau de Nancy avec sre garde. La princesse de Pfalsbourg se sauva quelques jours de l, et sÕen alla Besanon trouver le duc Charles son frre, et peu aprs alla en Flandres auprs de madame sa sĻur. Cependant les autres princesses, et le duc, taient Nancy avec grande garde au chteau outre celle qui tait aux deux villes. Nanmoins le duc et sa femme trouvrent moyen dÕchapper premirement du chteau le soir du dernier jour de mars, et le lendemain matin, premier d'avril, de sortir de la ville. Un carrosse lÕattendait hors de la porte, o ils se mirent, et allant en diligence Mirecourt sortirent de la Lorraine et se sauvrent Besanon.
Cependant, en Allemagne, le Walestein qui depuis son rtablissement lÕtat de gnral des armes de l'empire, avait toujours eu dessein de se rvolter contre son empereur, et qui lÕanne prcdente nÕavait voulu faire aucun effet avec la grande arme quÕil avait, retenu par les intelligences quÕil avait avec les Sudois, et autres princes, et par une ambition de se faire roi de Bohme, enfin se dclara ouvertement contre lÕempereur, fit prter lÕarme le serment en son nom, et donna aux soldats deux montres de son argent. Mais sur ces entrefaites tant venu Egra, lÕempereur ayant donn charge ses fidles serviteurs dÕexterminer ce rebelle, et tous souffrant impatiemment de lÕtre comme lui, et de devenir sujets de cet homme, de soi insupportable, de maison mdiocre, et que la plupart avaient vu leur gal et compagnon, ils firent une entreprise pour le tuer, ce quÕils excutrent dans Egra le ... jour de ..., et avec lui massacrrent le colonel Tertski, Quinski, et un autre, son secrtaire, et un page qui se voulut mettre en dfense. Ensuite on jeta les corps par la fentre, qui furent quelque temps en spectacle sur le pav, puis mis en quartiers en divers endroits pour y tre vus et remarqus. L'arme ensuite fit nouveau serment lÕempereur qui donna la lieutenance gnrale de ses armes son fils an lÕlu roi de Hongrie, lequel vint assiger Ratisbonne prise l'anne prcdente sur lÕempereur, o le duc de Lorraine, qui avait cd son tat son frre, sÕen alla avec la charge de lÕarme sous ledit roi, et mon neveu tant sorti de prison sÕy en alla le trouver. Le roi de Hongrie prit enfin Ratisbonne (juillet), y ayant perdu beaucoup de gens devant, et de l sÕen alla reprendre Donauwert que le roi de Sude deux ans auparavant avait prise, puis vint mettre le sige devant Nortlinguen. Cela ai-je voulu dire de suite pour ne le point entremler avec dÕautres choses.
Aprs que Mr le nouveau duc de Lorraine se ft sauv avec sa nouvelle femme comme il a t dit ci-dessus, le roi qui ne voulait pas quÕil en arrivt de mme la duchesse de Lorraine (femme du duc Charles), la fit emmener avec bonne et sre garde Paris o elle demeura en toute libert, et la reut Fontainebleau, o elle lui vint faire la rvrence, avec beaucoup d'honneur ; et en mme temps se saisit de tout le duch de Lorraine sans rsistance quÕ la Motte et Bitsch lesquels il fit assiger : ce dernier dura peu se rendre ; mais la Motte sÕest conserve tant que son gouverneur nomm Iche a vcu et encore six semaines aprs sa mort sous son lieutenant nomm Vatteville, suisse, et le frre du mort qui est capucin.
Comme le roi tait Fontainebleau, monsieur le cardinal qui est soigneux dÕobserver les paroles quÕil donne, parla au roi sur le rtablissement de mes appointements de colonel gnral des Suisses et fit que le roi ordonna quÕils me seraient pays : et en ce mme temps je fis offrir de me dfaire de ma dite charge en prenant quelque rcompense pour aider payer mes dettes, et fis trs humblement supplier monsieur le cardinal par Mr du Tramblai de le faire agrer au roi ; et parce que ledit sieur du Tramblai tait trs parfait ami de Rochefort qui est beau-fils de Montmort et que je jugeai la bourse de Montmort capable de me bien payer cette charge, je proposai audit sieur du Tramblai de faire office pour Rochefort ce quÕil pt avoir permission de la rcompenser, ce quÕil fit, et obtint lÕun et lÕautre (aot). Mais ce vilain de Rochefort, pour esprer dÕavoir quelque meilleur march, aprs mÕen avoir offert quatre cent mil francs dÕune chose dont autrefois jÕen avais refus huit cent mille, vint pratiquer vilainement monsieur le cardinal pour faire ordonner que je lui laisserais ce prix, et ensuite vint trouver ceux qui traitaient avec moi pour dÕautres de la mme charge afin de les dtourner de mÕen rien offrir. Ils firent aussi en sorte que mes dits appointements deux fois promis furent pour la seconde fois refuss : et moi je continuai ma misrable prison dans la Bastille avec grande incommodit dans mes affaires domestiques.
Peu aprs il fut convenu entre les Sudois et les commissaires du roi tant lÕassemble de Francfort que Philipsbourg serait mis entre ses mains aux conditions qui furent stipules entre eux ; et le roi qui avait prs de six-vingt mille hommes sur pied envoya une forte arme en Allemagne sous Mr le marchal de la Force qui nanmoins ne passa pas si tt le Rhin.
Le roi de Hongrie assigeait cependant Nortlinguen avec lÕarme impriale et celle de la ligue catholique dont le duc de Bavire avait rsign la gnralit au duc de Lorraine son neveu, et l'infant-cardinal d'Espagne s'avanait pour se joindre eux ; mais les armes sudoises sÕassemblrent tant pour les empcher de se mettre en un corps, que pour secourir Nortlinguen, et en faire lever le sige : mais lÕarme de lÕinfant tant jointe aux autres, ce que les Sudois ignoraient, et ne voulant attendre le Reingraf qui leur amenait de belles troupes de secours, vinrent prsenter la bataille aux Impriaux, laquelle, aprs une longue contestation et un grand carnage, les Impriaux gagnrent et prirent le gnral Horn prisonnier et ensuite la ville de Nortlinguen ; o mon neveu se trouva la suite du duc de Lorraine, et sÕy signala.
Octobre. Ń Le dimanche 8me jour d'octobre, Monsieur frre du roi quitta la Flandre et vint sur des coureux le mme jour la Capelle. Il vint trouver le roi Saint-Germain le samedi 2me du mme mois, qui le reut trs bien. Il vint le lendemain Ruel chez monsieur le cardinal qui le festina, puis revint Saint-Germain et en partit le lundi 23me pour aller Limours, o mademoiselle sa fille lÕattendait.
Le dimanche ... de novembre les fianailles furent faites au Louvre de Mr de la Valette avec la fille ane de Mr de Pontchteau cousin germain de monsieur le cardinal de Richelieu, et en mme temps de Mr de Puilorens avec la seconde fille dudit Pontchteau, et ensuite de Mr le comte de Guiche avec la fille de Mr du Plessis de Chivrai qui est aussi cousin germain de monsieur le cardinal.
Le mardi qui fut le jour des noces, madame de Combalet fit festin dner aux fiancs et aux fiances et quelques-uns des parents. Puis la reine se rendit sur les quatre heures lÕArsenal o monsieur le cardinal la reut avec force canonnades et feux dÕartifices ; puis elle fut une trs belle comdie, et de l un superbe festin ; puis aprs force musiques et le bal, les maris allrent consommer leurs mariages.
Le ... de dcembre M de Puilorens prta serment et fut reu en parlement duc et pair dÕEsguillon ; et le lundi 11me ensuivant, Monsieur frre du roi arriva en poste Paris pour voir Puilorens qui sÕtait bless tombant dans un carrosse.
Le jeudi 14me Mr du Tramblai gouverneur de la Bastille me vint reparler de la vendition de ma charge, et que si j'y voulais entendre, quÕensuite il voyait ma libert assure, mais quÕil nÕavait charge de mÕen offrir que quatre cent mille livres, et que cÕtait pour des personnes puissantes et qui pouvaient extrmement servir ma libert. Je lui rpondis que jÕavais toujours offert de la laisser et rsigner un des proches de monsieur le cardinal pour le prix que mon dit seigneur le cardinal y voudrait ordonner, et que pour un autre ce serait plus haut prix que jÕen pourrais tirer. Il me rpondit qu'il ne me pouvait pas dire pour qui cÕtait, mais quÕil y avait grande apparence quÕune telle charge ne tomberait pas quÕen bonnes mains, et me fit bien comprendre que ce serait pour un de ses parents. Alors je consentis aux quatre cent mille livres offertes pourvu que lÕon me ft quand et quand payer de mes appointements de ladite charge, qui mÕtaient ds depuis ma captivit ; ce quÕil me promit de reprsenter, et que ds le lendemain matin il irait porter ma rponse au pre Josef son frre, qui tait venu de Ruel exprs pour cette affaire. Mais comme le vendredi 15me ledit pre eut t mand de grand matin par monsieur le cardinal pour l'aller trouver Ruel, Mr du Tramblai sÕy en alla le lendemain samedi 16me lui porter ma rponse et quand et quand la demande que je faisais des appointements chus de ma dite charge ; ce que le pre Josef et Mrs Bouteillier pre et fils trouvrent raisonnable, et me mandrent par Mr du Tramblai qu'ils taient trs aises que je me fusse franchement port ce que lÕon dsirait de moi ; quÕils feraient entendre ma rponse monsieur le cardinal qui en serait assurment bien satisfait ; quÕils mnageraient mes prtentions de mes appointements en sorte que jÕen aurais contentement, et que j'eusse bonne esprance de ma prochaine libert, et que tous trois entreprenaient mes affaires, et sÕen voulaient charger, partant que je les laissasse faire. Mr du Tramblai me dit de plus, de lui mme, quÕil ne pensait pas que je dusse tre Nol dans la Bastille. Il me fit aussi souponner que ma dite charge tomberait entre les mains de Mr de Pontchteau, et en survivance au marquis de Coualin son fils.
Le roi ds lors commena son ballet et le recorda Saint-Germain jusques vers Nol quÕil sÕen revint Paris avec toute la cour, o l'on lui fit agrer la personne du marquis de Coualin pour me succder en la charge de colonel-gnral des Suisses ; et Mr le garde des sceaux de Sguier lui en fut rendre grces deux jours avant le premier jour de lÕanne 1635 : et lors, il fut divulgu que ledit marquis de Coualin serait colonel-gnral, et monsieur le garde des sceaux mÕen fit faire quelques compliments par Mr du Tramblai: et lors le bruit qui avait six semaines auparavant t fort grand de ma sortie, sÕaugmenta si fort que quantit de personnes venaient tous les jours voir la Bastille si j'y tais encore, et lÕon tenait pour assur que je sortirais aux Rois.
Janvier.Ń Nanmoins cela retarda tout le mois de janvier, o cause de la multitude des affaires qui ne permirent pas au pre Josef de prendre lÕordre de monsieur le cardinal pour me venir parler jusques au samedi 27me de janvier quÕil en reut le commandement : mais le lundi 29me arriva la nouvelle de la prise de Philipsbourg sur le Rhin par les troupes impriales commandes par le colonel Bamberg qui en avait autrefois t gouverneur, ce qui l'occupa de telle sorte quÕil remit me venir parler au jour de la Chandeleur. Mais par malheur la veille, qui fut le jeudi premier jour de fvrier, il tomba en allant voir les filles bndictines des marais du Temple, et se blessa de telle sorte quÕil en fut plusieurs jours au lit.
Cependant Mr le premier cuyer de Saint-Simon fut par le roi en ce temps-l honor de la dignit de duc et pair de France : et ensuite le mercredi 14me, sur quelque connaissance que le roi eut que le duc de Puilorens traitait et pratiquait avec les trangers et autres ennemis de lÕtat, contre les assurances quÕil avait donnes Sa Majest depuis sa dernire abolition, Elle le fit arrter prisonnier par Gordes, capitaine des gardes, dans son cabinet, qui le mena de l en la chambre de Mr de Chevreuse au Louvre ; et en mme temps Charros, aussi capitaine des gardes, arrta dans la cour du Louvre Le Fargis ; et Le Coudrai-Montpensier le fut chez monsieur le garde des sceaux, et peu aprs men la Bastille. L'on prit aussi en mme temps Charnisay, Saint-Quentin, les deux frres Senantes, et ..... secrtaire du duc de Puilorens, qui furent mens chez le chevalier du guet. Le roi parla Monsieur, et le satisfit.
Le jeudi 15me au matin on mena avec grande escorte le duc de Puilorens et Le Fargis, dans le bois de Vincennes au donjon. Monsieur frre du roi fut voir monsieur le cardinal, et sortirent bien ensemble. On mit Brion la place de Puilorens au ballet du roi. On mena les deux Senantes la Bastille, et on fit tout saisir chez le duc de Puilorens. Madame de Verderonne et ses deux fils (dont lÕan tait chancelier de Monsieur), eurent ordre de se retirer en leur maison de Stors.
Le vendredi 16me Mr Bouteillier me fit dire quÕil me viendrait trouver de la part du roi, sept heures du matin. Mais lui tant arriv un courrier qui lui apporta nouvelle que Mr de Lorraine tait entr dans la Lorraine et tait Lunville, comme aussi de la dfaite des compagnies des barons de la Fresseliere et de ... par les Impriaux, il en fut le matin porter la dpche au roi et monsieur le cardinal, et remit la partie au soir ; quoi il ne manqua pas sur les neuf dix heures du soir, et mÕassura des bonnes grces du roi, et de l'affection de monsieur le cardinal, comme aussi de ma sortie sans m'en spcifier le temps. Il me dit de plus que le roi me nommait le marquis de Coualin pour tre en ma place colonel-gnral des Suisses, lequel me donnerait, (moyennant ce), quatre cent mille livres comptant, et que pour ce qui concernait les gages et appointements qui mÕtaient ds de la dite charge, que mes amis, savoir son pre, lui, et le pre Josef, nÕen avaient voulu faire ouverture, remettant moi-mme dÕen traiter aprs ma sortie ; quoi je nÕeus autre chose faire qu' y acquiescer.
Le dimanche 18me le roi dansa un grand ballet au Louvre avec la reine : et le lundi 19me Mr Thuder, doyen de Notre Dame et conseiller de la grandÕchambre, me vint trouver de la part de monsieur le garde des sceaux son neveu, pour conclure notre trait de ma charge de colonel-gnral des Suisses pour le marquis de Coualin fils de Mr de Pontchteau, neveu de monsieur le cardinal, et gendre dudit garde des sceaux ; lequel aprs avoir assez longtemps confr avec moi, remit parler monsieur le garde des sceaux sur toutes les difficults qui se prsentrent en l'affaire, et ne vint point le mardi 20me, jour de carme-prenant, ni le jour des Cendres suivant, que lÕon amena encore en la Bastille un des gentilshommes de Monsieur frre du roi, nomm Saint-Quentin, prisonnier.
Mais le jeudi 22me ledit Thuder revint en compagnie de Mr des Noyers intendant des finances avec lesquels je passai compromis de ma dite charge en faveur dudit marquis de Coualin pour la somme de quatre cent mille livres payable dans quinze jours suivants.
Ce mme jour les sceaux de Monsieur frre du roi furent ts Verderonne qui peu de jours auparavant en avait t pourvu, et furent donns Mr Bouteillier le fils.
Le dimanche 25me de fvrier, jour auquel, quatre ans auparavant, j'avais t amen prisonnier la Bastille, on dansa un ballet lÕArsenal, o le roi, la reine, et Monsieur se trouvrent, au sortir duquel Monsieur prit cong du roi, et sÕen alla avec six chevaux de poste Blois.
Le roi sÕen alla le mme jour Senlis, et ce mme lundi 26me monsieur le garde des sceaux dit mon intendant quÕil me ferait donner deux cent mille livres comptant de ma charge de colonel-gnral des Suisses pour son beau-fils de Coualin, et qu'il entendait quÕensuite je lui misse en main ma dmission, et qu' loisir aprs tre reu il me ferait donner les autres deux cent mille livres ; ce qui me mit en colre, et lui mandai que je ne donnerais point ma dmission que je ne fusse entirement pay.
Le mardi 27me Mr des Noyers intendant me vint voir, et je lui dis franchement ma rsolution pour la faire entendre monsieur le garde des sceaux.
Le mercredi 28me il mÕenvoya le sieur Lopes avec lequel je mÕaccordai quÕil mÕenverrait toute la somme dans la Bastille, que Mr du Tramblai gouverneur recevrait en dpt pour me la donner lorsque je donnerais ma dmission.
Mars. Ń Le jeudi premier de mars monsieur le garde des sceaux mÕenvoya visiter par son secrtaire, et me prier de lui envoyer copie de mes provisions, ce que je fis.
Le dimanche 4me je rentrai en nouvelles difficults avec monsieur le garde des sceaux qui me fit dire quÕil entendait de me donner des pistoles, ce qui tait contraire ce que j'avais convenu avec Mr des Noyers et Thuder : je lui mandai que je nÕen ferais rien.
Le lundi 5me il mÕenvoya Lopes auquel jÕaccordai que je prendrais quatre milles pistoles seulement.
Le mardi 6me un nomm Pepin, intendant de monsieur le garde des sceaux, me vint prier de sa part de prendre jusques cinq mille pistoles ; ce que je lui accordai, et le mme jour il commena m'apporter 33,000 livres. Ce jour mme jÕeus assurance de ma prochaine libert, et que Mr Bouteillier le fils tait all Senlis pour prendre du roi la forme de lÕexcuter.
Le mercredi 7me Pepin mÕapporta 53,353 livres.
Le jeudi 8me le mme Pepin mÕapporta encore 200,000 livres.
Le samedi 10me Pepin mÕapporta 40,000 livres.
Le dimanche 11me monsieur le cardinal arriva Paris parce que Mademoiselle voulut danser son ballet chez lui ; et monsieur le garde des sceaux, qui dsirait que son gendre allt le lendemain trouver le roi avec lui, pour prter son serment de colonel-gnral des Suisses, me fit prier dÕanticiper le temps port pour lui donner ma dmission sur lÕassurance quÕil me donnait de m'envoyer le lendemain le reste de mon argent, ce que je lui accordai: mais il se ravisa et ne la voulut point.
Le lundi 12me jour de mars Pepin et Lopes me vinrent apporter le reste des quatre cent mille livres convenues, assavoir 73,665 livres, et moi je leur donnai quittance gnrale, et ma dmission ; ce qui se passa en mme mois, jour, et heure, que vingt et un ans auparavant j'avais prt serment entre les mains du roi de la mme charge de colonel-gnral des Suisses.
Le dimanche 18me ensuivant, Mr Bouteillier le fils me vint trouver la Bastille, et aprs m'avoir fait des recommandations de Mr le cardinal de Richelieu, il me dit que mondit sieur le cardinal avait parl au roi de ma libert, laquelle il avait accorde, et quÕau premier jour je sortirais. Nanmoins je le pressai fort de me dire quel jour prcisment je sortirais ; ce quÕil ne voulut faire, bien me dit-il que si dans huit jours je nÕtais en pleine libert, que je lui en crivisse Blois, (o il allait faire sa charge de chancelier de Monsieur), une lettre de reproche.
Avril. Ń Le dimanche des Rameaux arriva, qui fut le premier jour dÕavril, sans que jÕeusse aucune nouvelle de ma sortie, et celles qui vinrent de la prise de Trves et de lÕlecteur servirent de prtexte ceux qui mÕassuraient de ma libert de me dire que cette prise et lÕarrive de lÕOxenstern qui se retirait dÕAllemagne, donnaient tant d'affaires monsieur le cardinal quÕil ne pouvait penser aux miennes.
Ainsi je passai mes Pques et mme Quasimodo sans savoir aucune nouvelle, hormis le lundi 16me que Mr le Prince, (lequel ayant t mand pour l'envoyer commander en Lorraine, tait venu la cour deux jours auparavant), me manda que monsieur le cardinal lui avait dit que lÕon mÕallait faire sortir, et ce avec honneur, et les bonnes grces du roi.
Ce mme jour monsieur le cardinal arriva Paris, et Monsieur frre du roi, que lÕon avait aussi envoy qurir et qui tait arriv le jeudi auparavant, fut la comdie, et souper chez monsieur le cardinal, qui dit ceux qui lui parlrent de ma part, que le lendemain il en parlerait au roi. Mais Sa Majest partit le lendemain mardi 17me pour aller Compigne, et deux jours aprs monsieur le cardinal sÕy achemina.
Le roi eut le 18me une assez grande syncope en partant de Senlis ; mais par la grce de Dieu elle se passa, et le roi se rendit ce jour-l mme Compigne, o monsieur le cardinal vint deux jours aprs, comme aussi fit peu aprs le chancelier de Sude Oxenstiern, qui sÕen retournait en Sude ; le roi le dfraya et reut trs bien : il vint aussi un ambassadeur de Hollande ; toutes lesquelles choses servirent encore de prtexte retarder l'effet de ma libert tant de fois promise, de sorte que ceux que jÕavais envoys la solliciter sÕen retournrent comme ils taient venus, ayant vu partir le dimanche 22me monsieur le cardinal, et le roi le lundi 30me et dernier jour d'avril, pour aller Pronne. Mais le soir mme le pre Josef crivit son frre du Tramblai gouverneur de la Bastille quÕil me pouvait assurer que je recevrais mon entire libert par le retour Paris du jeune Bouteillier qui me la devait porter, lequel arriva le samedi 5me de mai Paris ; et ma nice de Beuvron lÕayant t voir, il lui dit quÕil avait eu entre ses mains la dpche de ma libert, mais que la nouvelle qui tait venue au roi que Monsieur son frre tait parti de Blois lui sixime, et sÕen tait all en Bretagne peut-tre pour sÕaller embarquer pour passer en Angleterre, avait t cause que lÕon avait retir ladite dpche, et que, sÕil tait vrai que Monsieur ft sorti de France, je nÕtais pas pour sortir si tt ; si aussi, comme il l'esprait, cela nÕtait point, que ma libert tait indubitable ds quÕil aurait mand quÕil serait prs de lui, o il sÕen allait en toute diligence ; et de fait partit en mme instant, bien en peine de cet accident dont il ne fut clairci quÕen arrivant Saumur quÕil trouva heureusement Monsieur en la mme htellerie o il venait coucher, et dpcha aussitt la cour pour y faire savoir ces bonnes nouvelles, et que Monsieur tant all voir le comte du Lude, ils sÕen taient de l alls Machecou voir Mr de Retz. Mais pour cela ma libert nÕen fut pas avance.
Peu aprs lÕarme du roi qui sÕassemblait aux environs de Mzires sous la charge des marchaux de Chatillon et de Bres, entra dans les pays du roi dÕEspagne par le pays de Lige, et le prince Tomas de Savoie sÕtant avanc avec une arme ingale pour s'opposer leur passage leur prsenta la bataille Avain o il fut dfait le 20me de mai ; et ensuite notre arme se joignit celle des tats de Hollande commande par le prince dÕOrange, prirent Diest et Tierlemont, en laquelle ville, prise dÕassaut, furent commises des cruauts et mchancets effroyables : les Franais disent que ce furent les Hollandais, et eux, sans sÕen excuser, disent que les Franais nÕen firent pas moins quÕeux. Ils perdirent beaucoup de temps inutilement, et donnrent loisir aux Espagnols de se reconnatre et se mettre en tat de s'opposer eux. Ils se rencontrrent encore en un lieu avantageux pour les Espagnols qui mirent une petite rivire devant eux ; mais nos armes lÕayant passe pour les aller attaquer, ils se retirrent et mirent la leur dans les villes de Bruxelles, de Malines, et de Louvain. Les armes franaise et hollandaise vinrent assiger cette dernire qui soutint leur furie, les incommoda par de grandes et frquentes sorties ; mais elles le furent bien plus du manquement de vivres qui les contraignit de se retirer Ruremonde, ayant t incessamment suivies et harceles par lÕarme espagnole, fortifie de celle que lÕempereur avait envoye son secours sous la charge de Picolomini. De Ruremonde elles se retirrent vers Venlo, et peu de temps aprs les Espagnols surprirent le fort de Schench, qui fut une perte indicible aux Hollandais, qui les obligea de l'aller investir en diligence avec nos deux armes, pensant le reprendre ; mais ayant trouv l'effet impossible, ils mirent ds le mois dÕaot suivant leur arme et la ntre en garnison sans espoir de rien entreprendre le reste de l'anne, et notre arme extrmement diminue et dprie, n'ayant moyen de retourner en France que par mer. J'ai mis tout la fois ce qui sÕest pass en Flandres tout lÕt, afin de nÕavoir point en parler si souvent.
Cependant, le roi alla visiter sa frontire de Picardie et donna ordre de faire fortifier Pronne dÕun ct o il tait ncessaire de travailler, et ayant pass ensuite par Saint-Quentin et la Fre, sÕen alla en plerinage Notre Dame de Liesse et puis sÕen revint Chteau-Thierry.
Ma belle sĻur de Removille dsespre de sa sant et les mdecins nÕy trouvant aucun remde, tant hydropique forme, et ayant outre cela une hydropisie de poumon, elle dsira dÕaller mourir entre les bras de ses pre et mre, et en son pays natal. Pour cet effet elle partit de Chaillot le mardi 22me de mai pour sÕen retourner en Lorraine, et aucun des mdecins ni de ceux qui la voyaient ne se pouvaient persuader quÕelle y pt aller en vie : nanmoins Dieu lui fit cette grce dÕy arriver. Le jour mme quÕelle partit, je mÕavisai quÕun minime qui par bref du pape avait eu permission de demeurer avec moi, et lequel avait miraculeusement guri autrefois dÕune hydropisie feu ma tante de Chantelou, excellent mdecin nomm pre Nicolas d'Ormanay, lui pourrait apporter quelque remde sÕil pouvait arriver prs dÕelle avant quÕelle mourt : jÕenvoyai en mme temps au couvent de la Place Royale savoir o il demeurait alors ; et mÕayant t mand quÕil tait Lyon, jÕenvoyai par la voie de la poste le qurir, et il arriva Nancy deux jours aprs ma belle-sĻur, si heureusement pour elle, qui nÕattendait plus de vivre trois jours, qu'il lui rendit une entire sant.
Le mercredi 23me mai le marquis de Coualin me vint dire adieu et me fit quelque compliment de la part de monsieur le cardinal, qui lÕen avait charg. Il sÕen allait trouver le roi Chteau-Thierry, et emmena avec lui mon matre dÕhtel Du Bois, commissaire du rgiment des gardes franaises et encore de celui des Suisses, pour leur faire faire la montre.
Le vendredi 25me, comme ledit Du Bois entra dans la chambre du roi, comme Sa Majest le vit, il dit Mr de Bouteillier le pre, qui il parlait : Ē Voil Du Bois, monsieur le matre : ainsi le nommions-nous devant la Rochelle la diffrence de son frre que l'on appelait Du Bois le gendarme ; cÕest le matre dÕhtel du marchal de Bassompierre. Il nous a fait souvent bonne chre. Č Et ayant dit cela tout haut, il lui parla assez longtemps en secret, ensuite de quoi Mr Bouteillier sortant de la chambre, tira Du Bois par le manteau et lui dit quÕil le suivt, ce qu'ayant fait jusques son logis, il lui demanda sÕil sÕen retournait bientt Paris : et Du Bois lui ayant rpondu que ce serait ds demain aprs quÕil aurait fait faire la montre, il lui dit : Ē Attendez encore et ne partez quÕaprs la fte de la Pentecte, et je vous donnerai la dpche de la libert de Mr le marchal de Bassompierre, que jÕexpdierai lundi aprs avoir parl monsieur le cardinal. Č Du Bois arrta sur cette bonne nouvelle et me dpcha en poste pour mÕen avertir.
Le lundi 28me Mr Bouteillier alla trouver monsieur le cardinal Cond o il logeait, et dit en partant Du Bois quÕ son retour il lui donnerait assurment cette dpche, et quÕil se tnt prt pour partir le lendemain matin. Du Bois le fut trouver le soir pour avoir la dpche ; mais il lui dit quÕil nÕavait pu parler de mon affaire monsieur le cardinal qui avait toujours confr avec le nonce Massarini et lui pour des affaires importantes, et que monsieur le cardinal lui avait dit quÕil allt accompagner en sortant ledit Massarini, avec lequel il tait revenu, mais que monsieur le cardinal viendrait mercredi Chteau-Thierry trouver le roi, et que l lÕaffaire se rsoudrait.
Monsieur le cardinal ne revint point le mercredi la cour, comme il avait dit Du Bois, mais bien le vendredi premier jour de juin. Mais aprs quÕil ft parti, Du Bois ayant t trouver Mr Bouteillier, il lui dit quÕil y avait eu tant dÕaffaires sur le tapis que lÕon nÕy avait su mettre celle de ma libert, mais que je mÕassurasse quÕ la premire occasion il nÕy manquerait pas ; que je la tinsse assure, et quÕil tait mon serviteur ; que lui, Du Bois, pourrait, sÕil voulait, aller faire un tour Paris, et puis sÕen revenir ; ce quÕil fit, et bien honteux de mÕavoir donn de si fortes esprances pour mÕapporter enfin de si faibles effets.
Le samedi 2me Mr le Comte me fit dire qu'il savait de trs bonne part que ma libert tait rsolue, et que dans vingt et quatre heures je sortirais sans faute.
Mais le lundi 4me je vis Du Bois, qui me fit voir que ce nÕtait que pure tromperie ; et bien que monsieur le premier prsident mÕet fait dire le mme jour quÕil savait de bon lieu que je sortirais avant la fin de la semaine, je ne crus rien de ma libert.
Le mercredi 6me Mr Bouteillier le jeune, revenant de Blois, fut vu par ma nice de Beuvron qui il dit que ma libert avait dja t cinq ou six fois rsolue, et puis retarde ; quÕil sÕen allait la cour, et que, si je ne sortais son retour, je ne m'y devais plus attendre, vu que la cause du dlaiement nÕavait t fonde que sur le subit partement de Blois de Monsieur.
Je nÕeus aucunes nouvelles jusques au jeudi 21me que Mr du Tramblai me vint dire de la part de Mrs Bouteillier, pre et fils, que je ne les tinsse jamais pour gens de bien si j'tais encore quinze jours prisonnier ; et le vendredi 29me Mr du Tramblai me dit encore de la part de Mr Bouteillier le fils que monsieur le cardinal lui avait encore donn parole de ma libert, et lui avait permis de me l'envoyer donner.
Le samedi dernier de juin Mr le Prince arriva Paris, retournant de son emploi de lieutenant-gnral de lÕarme du roi en Lorraine, et avait laiss l'ordre en partant pour dmolir mon chteau de Bassompierre, ce qui a depuis t excut.
Juillet. Ń Le dimanche premier jour de juillet, mourut au bois de Vincennes Mr le duc de Puilorens, deux heures aprs minuit, qui y tait prisonnier.
Le mercredi 4me Mr le cardinal de la Valette est parti pour aller succder Mr le Prince en la lieutenance de lÕarme du roi en Lorraine.
Ma maison de Bassompierre fut rase le 6me, un vendredi.
Le mercredi 11me les prlats de lÕassemble du clerg signrent leur avis sur la nullit du mariage de Monsieur, frre du roi.
Le jeudi 19me Mr du Tramblai me vint dire de la part de Mrs Bouteillier que ma libert avait t ce jour l tout fait rsolue, et quÕils mÕen rpondaient.
Le vendredi 20me ma nice de Beuvron me manda que les mmes personnes lui avaient envoy dire la mme chose, et des gens de leur logis m'en firent dire autant.
Ma nice fut trouver le lendemain samedi 21me Mr Bouteillier le pre qui lui reconfirma la mme chose avec des assurances trs grandes, la pria de me les donner de sa part, et me fit dire encore le mme jour la mme chose par Mr du Tramblay, lequel me fit aussi voir une lettre que le pre Josef son frre lui crivit le mardi 24me, par laquelle il lÕassurait que Mr Bouteillier le fils me devait apporter dans deux jours les dpches de ma libert, lequel vint le lendemain mercredi 25me, et ne mÕapporta aucune nouvelle, ou mÕen dit une qui ne mÕagra gure, que le roi partait le jour mme pour aller coucher Chantilly et de l passer en Lorraine ; car je me doutai bien que pendant son absence je nÕtais pas sorti dÕun lieu o j'tais retenu depuis quatre ans et demi : aussi Mr du Tramblai qui fut le lundi 29me Ruel voir monsieur le cardinal, ne me rapporta rien de bon, et depuis ce temps-l je nÕai eu aucune esprance de ma sortie ; et mme ma nice de Beuvron qui a t vingt fois aux lieux o se tenait monsieur le cardinal, pour lui parler, nÕa jamais su avoir accs auprs de lui, ni mme faire en sorte que lÕon lui dt quÕelle tait l.
Aot. Ń Cependant l'arrire-ban de Normandie, compos de prs de deux mille chevaux, fut amen par Mr le duc de Longueville, et le samedi 14me dÕaot fit montre prs de Saint-Denis, et ensuite sÕachemina Chalons o tait leur rendez-vous.
Le roi aussi demanda aux cantons une leve de douze mille Suisses qui lui fut accorde ; et le 16me dÕaot monsieur le garde des sceaux mÕcrivit par lÕordre de monsieur le cardinal pour avoir mon avis sur la faon que lÕon devait tenir pour lÕacheminement de cette leve, dont je lui en envoyai des amples mmoires qui nÕont pas t suivis.
Le roi peu aprs donna la lieutenance gnrale de son arme Mr le Comte, et Sa Majest sÕachemina Chalons.
Ds le mois d'avril auparavant Mr le marchal de Crquy avait t dclar par le roi son lieutenant-gnral en son arme d'Italie, laquelle il prparait pour attaquer le duch de Milan et attaquer les Espagnols de ce ct-l, ayant ligu avec lui la rpublique de Venise, les ducs de Savoie, de Mantoue, de Parme, et de Modne, et le pape ne lui tant pas contraire. Le marchal de Crquy entra en Italie en juillet, et assigea Valence sur le Po, dpendante du duch de Milan. Les Espagnols mirent quatre mille hommes de pied et deux cents chevaux dedans, qui font tous les jours des grandes et furieuses sorties. Le duc de Parme y arriva en ce mois, et le duc de Savoie peu aprs, qui a le principal commandement en lÕarme du roi.
Mon neveu de Bassompierre fut fait au commencement de cette anne sergent major gnral de lÕarme de lÕempereur, et nÕai eu de lui aucunes nouvelles que par des prisonniers qui se sont sauvs des mains des gens de lÕempereur, de qui les affaires ont grandement prospr, quasi tous les princes dÕAllemagne, (au moins les principaux), sÕtant accommods avec lui, ne restant plus que le landgrave de Hessen lequel mme on tient qui traitera. Le duc de Wurtemberg spoli de ses tats, est retir Strasbourg, et les palatins des Deux Ponts, de Birchefeld, de la Petite Pierre, les marquis de Baden, comtes de Hannau, Nassau, Sulms, et quantit dÕautres, refugis Metz ; Haidelberg, Vormes, et autres places, rendues Galas, un de ses lieutenants-gnraux.
Mr de Lorraine en ce mois tait rentr en Lorraine, et y faisait quelque progrs.
Mr de Rohan que le roi, ds le commencement du printemps, avait envoy avec dÕassez grandes forces en la Valteline, lÕavait occupe sans rsistance : mais les troupes impriales y tant survenues, elles avaient pass malgr lui, et puis lui en avaient laiss la jouissance jusques ce quÕil leur prt fantaisie d'en faire autant.
Le duc Bernard de Saxe-Waimarch sÕtait retir de del le Rhin quÕil avait repass, et tait venu assez vite jusques Sarbruch, lorsque Mr le cardinal de la Valette s'approcha pour le soutenir avec lÕarme que nouvellement il commandait, et lors ils furent considrables aux Impriaux ; car le duc Bernard avait bien amen sept huit mille chevaux ; de sorte que le Galas ayant assig les Deux Ponts, et ayant dj capitul, oyant que les ntres arrivaient au secours, il se retira la nuit et repassa le Rhin.
En ce temps-l la ville de Francfort se voyant abandonne de secours, nÕy ayant plus d'arme del le Rhin que celle du landgraf de Hessen, bien empch de garder ses propres pays, envoya des dputs au roi de Hongrie pour se mettre en la protection de lÕempereur, lorsque le landgraf et le duc Bernard jugeant de quelle importance pour le parti tait la conservation de cette puissante ville, mandrent au cardinal de la Valette de passer le Rhin Mayence, et que le landgraf se joindrait au duc Bernard et lui pour tcher de secourir Francfort, et que peut-tre il y aurait moyen de sÕen saisir ; qui serait un grand avantage pour leur parti et un moyen de faire hiverner leurs armes del le Rhin, ce quÕil ne croyait pas du tout impossible puisque nous avions encore une forte garnison Saxehause qui est un faubourg fortifi del le Main. Mais comme, au commencement de septembre, Mr le duc de Waimarch et Mr le cardinal de la Valette eurent pass le Rhin Mayence pour se joindre au landgraf qui sÕtait approch une journe dÕeux, ceux de Francfort avertis ou se doutant du dessein que nous avions de nous saisir de leur ville, se rsolurent de chasser la garnison de Saxehause et de traiter avec le roi de Hongrie. Ils firent le premier sans rsistance de cette garnison, et le second aux conditions quÕils voulurent ; dont le landgraf tant averti se retira en son pays, et nos armes se camprent proche de Mayence, et celle de Galas une lieue dÕelles, les unes et les autres sÕtant retranches ; la ntre en extrme ncessit de vivres, et celle de Galas se grossissant des garnisons voisines et des troupes qui avaient bloqu Manhem, (qui se rendit en ce mme temps). Galas fit dessein de couper le retour et le chemin des vivres notre arme : pour cet effet il fit passer le Rhin trois mille Cravates le 20me de septembre, et avec le reste se prpara pour les suivre ; dont le duc de Waimarch et le cardinal ayant eu avis, et se jugeant perdus si Galas se mettait entre la France et eux, laissrent leurs malades Mayence, et ayant trouss bagage repassrent le Rhin pour sÕen retourner. Ils firent peu de l rencontre de ces Cravates j passs, les chargrent, et eux selon leur coutume ordinaire lchrent le pied et sÕvanouirent devant eux. Nos gens ravis pensaient avoir dfait lÕarme de Galas, ayant mme trouv treize petites pices de campagne quÕun cheval peut traner, de sorte qu'ils croyaient leur retour assur, quand quatre heures de l ces mmes Cravates retournrent les harceler et ne les ont quitts qu' six lieues de Metz, tuant ce qui demeurait derrire ou qui ne gardait pas bien son ordre. Nous y perdmes huit pices de canon et presque tout le bagage de notre arme, et ceux qui ne purent suivre trente six heures durant que la retraite dura sans loger ni repatre avec mille peines et incommodits ; et Galas qui suivait, les faillit de six heures, sans quoi cette arme et t tout fait perdue.
Le roi tait lors Chalons avec quantit de troupes et de gentilshommes des arrire-bans, qui sÕavana pour soutenir ses armes et pour assiger Saint-Mihel que Lesmon avait pris pour Mr le duc de Lorraine.
Le duc dÕAngoulme demeurait, sans rien faire, camp proche de Lunville, laissant perdre son bagage Saint-Nicolas ; et peu aprs encore au mme lieu les ennemis prirent un convoi de cinq cents charrettes de farines qui allait Lunville ; et laissait payer la contribution la plupart de la Lorraine au duc de Lorraine sans y remdier. Le roi lui envoya commander de sÕavancer Baccara proche de Rambervillers.
Ma maison de Harouel fut prise par les troupes de Mr de Lorraine, commandes par un nomm Du Parc, qui y mit garnison, ayant prcdemment brl Crantenoy, un de mes villages proche de ladite maison, et pris les chevaux et le btail de quinze autres villages de la mme terre, faisant payer les contributions mes sujets et enlevant les bls qu'il fait porter Rambervillers o le duc est camp. Ainsi sans aucune rsistance ses troupes font contribuer jusques une lieue de Nancy.
Toutes ces choses convirent le roi de partir de Chalons avec toutes les forces quÕil y avait, et ayant fait son lieutenant-gnral Mr le comte de Soissons, il l'envoya au commencement du mois d'octobre investir Saint-Mihel o commandait Lenoncourt de Serre, que Mr de Lorraine y avait jet avec quelques troupes, mais qui se rendit discrtion, ne pouvant tenir dans cette mchante place devant le roi qui sÕtait avanc CĻur.
Aprs la prise de Saint-Mihel, le roi donna une partie de son arme au cardinal de la Valette pour joindre au reste de celle qu'il avait et aux troupes de Waimarch, afin que, toutes jointes ensemble, ils pussent repousser Galas del le Rhin, et Sa Majest envoya le reste de ses troupes Mr dÕAngoulme, (lequel, l'arrive de Galas, craignant dÕtre enferm entre son arme et celle du duc de Lorraine, sÕtait retir Saint-Nicolas, et le duc de Lorraine sÕtait avanc au Pont-Saint-Vincent) ; et le roi lui manda quÕil se perdt ou quÕil ft repasser ledit duc de Lorraine en son ancien retranchement de Rambervillers.
Aprs ces ordres donns, Sa Majest tourna tte vers Paris et arriva Saint-Germain le lundi 22me d'octobre, et ce mme jour on amena prisonniers la Bastille les sieurs de Lenoncourt, de Salins et de Maugean, qui avaient t pris dans Saint-Mihel.
Le mardi 23me, Mr le comte de Carmain fut aussi amen dans la Bastille, et ce mme jour ma libert fut remise sur le tapis, monsieur le cardinal ayant dit au gouverneur de la Bastille que l'on m'en allait faire sortir.
Le jeudi 25me ledit gouverneur tant all trouver le roi Saint-Germain, le nonce Massarini lui dit que le mardi prcdent, en soupant avec monsieur le cardinal, il lui avait dit quÕil mÕallait faire sortir, et quÕil me le pouvait dire de sa part. Cela m'obligea dÕenvoyer ma nice de Beuvron trouver monsieur le cardinal Ruel le mardi 30me, pour le solliciter de ma part. Elle le vit, et lui avec un visage rude lui demanda qui elle en voulait. Elle lui rpondit quÕelle le venait, en toute humilit, supplier de moyenner ma libert de laquelle depuis cinq annes jÕtais priv. Elle ne put jamais tirer de lui autre chose sinon quÕil en parlerait au roi, ce quÕil lui ritra par quatre fois, puis la quitta. Elle me vit le lendemain et me dit le peu d'apparence quÕelle trouvait de ma sortie, quoi je ne mÕattendis plus.
Novembre. Ń Ma cousine dÕEpinal, abbesse, qui j'avais fait donner par feu ma tante ladite abbaye, mourut le premier jour de novembre, ce qui fit rveiller les anciennes prtentions que ceux de Bourbonne avaient sur cette pice, dont ma nice tait coadjutrice, et envoyrent au roi lui demander le brevet.
Peu de jours aprs, le pre Josef tant venu rendre les derniers devoirs la prsidente le Clerc sa nice, qui mourut le jeudi 8me dans la Bastille, le dit pre me fit dire que dans deux jours sÕen retournant, il parlerait de moi monsieur le cardinal, et quÕil se promettait que ce ne serait sans fruit ; mais reconnaissant combien de fois j'avais t vainement repu de ces vaines esprances, je nÕy ajoutai aucune foi. Aussi nÕen vis-je aucun effet : au contraire le mardi 18me dcembre, ma nice de Beuvron tant alle Ruel pour parler monsieur le cardinal, ledit pre ne lui voulut jamais donner une minute dÕaudience, bien qu'en sÕen revenant Paris l'heure mme il ft pass contre son carrosse.
Le roi arriva le lendemain 19me, fit prter le jour mme serment de chancelier de France au garde des sceaux Sguier, et fut le lendemain 20me en son parlement pour y faire vrifier quantit dÕdits.
J'eus en ce temps-l nouvelles comme, le pnultime du mois prcdent, la garnison mise par les gens du duc Charles de Lorraine Harouel en tait sortie, et que le marquis de Sourdis y en avait remis une autre pour le roi le samedi premier de dcembre.
Janvier.Ń L'anne 1636 commena par quelque dsordre qui arriva en parlement sur ce que les enqutes se voulurent assembler pour voir les dits vrifis le 20me du mois pass le roi tant en son lit de justice, et pour voir de tirer quelque meilleur parti de ce surcrot que lÕon avait fait de vingt-quatre conseillers et un prsident au mortier. Le premier prsident dit aux enqutes qu'il avait une lettre du roi son parlement, qui leur interdisait lÕassemble. Eux insistrent de voir la lettre, et lui ne le voulant, ils revinrent prendre place le mercredi 2me ; et le vendredi 4me tant revenus la grand'chambre prendre place, ils reurent une lettre du roi qui leur commandait une dputation vers lui de trente du corps pour le lendemain. En ce mme temps le conseiller Lain accusa le premier prsident. Le lundi suivant on envoya en diverses demeures le prsident Barillon, les conseillers Lain, Foucaut, Sevin, et Eaubonne.
J'eus en ce temps avis de lÕextrmit de maladie de ma nice la secrte, du peu d'apparence de vie plus longue ma belle-sĻur, et que de mon revenu de lÕanne passe je nÕen devais rien attendre. Toutes ces choses, avec le peu dÕesprance de libert, me mirent en une trs forte mlancolie.
Enfin le 12me je reus la triste nouvelle de la mort de ma nice la secrte de Remiremont ; et peu de jours aprs on me manda comme les commissaires des vivres du roi avaient enlev les bls de ma maison de Harouel qui est mon principal revenu, et ce, non seulement sans payer, mais encore sans en avoir voulu donner de certificat de l'avoir pris.
Fvrier. Ń Le mois de fvrier arriva, au commencement duquel on me manda de Lorraine qu'un nomm le sieur de Villarseaux avait commission du roi de raser ma maison de Harouel, ce qui me fut bien cruel, et fis faire instance monsieur le cardinal pour dtourner cet orage.
Le vendredi 8me Mr le Prince fut en parlement y faire commandement par le roi dÕy recevoir Colombel conseiller, ce qui fut fait avec grand opprobre pour ledit Colombel.
Le mardi 12me Bulion y fut reu prsident au mortier, et le mme jour le roi dansa son ballet.
Le samedi 16me le duc de Parme arriva Paris, et le mardi 19me Mr le cardinal de Richelieu fit un superbe festin audit duc.
Mars. Ń Le 5me de mars, un mercredi, un nomm La Rivire qui tait lors le premier aux bonnes grces de Monsieur, frre du roi, fut men prisonnier la Bastille, et le lendemain jeudi 6me quatre des siens furent loigns dÕauprs de sa personne, qui taient le vicomte dÕAutels, le chevalier de Bueil, LÕEspinay et son premier valet de chambre nomm Le Grand.
Le samedi 8me le duc Bernard de Waimarch arriva Paris, et le mercredi 12me Monsieur, frre du roi, en partit ; et le mardi ensuivant, 18me du mme mois, le duc de Parme sÕen alla.
Le jeudi-saint, 20me, le nonce Massarini qui sÕen allait le lendemain en sa vice-lgation dÕAvignon et qui se disait fort mon ami, me voulut venir dire adieu, et me dit force choses sur le sujet de ma libert ; mais le connaissant comme je fais, et lÕtat prsent des affaires, je nÕeus gure de peine reconnatre que ce nÕtaient que chansons.
Le 24me, qui tait le lundi de Pques, Mr lÕvque de Lisieux dsira de me voir, qui ne me dit pas davantage que ce que mÕavait dit Massarini.
Je passai depuis tout le mois d'avril sans aucune apparence de libert et avec une tristesse infinie.
Mai. Ń Le mois de mai ne me fut pas moins douloureux ; car je sus que le matre des requtes Gobelin avait fait prendre dans ma maison de Harouel les bls qui y taient au nombre de 1500 rsaux ; et ayant eu une ordonnance du roi pour les ravoir, ce mchant homme qui durant ma bonne fortune tait mon intime ami, ne voulut jamais en donner la main leve, ains sÕy opposa formellement et mme vint exprs la cour pour en parler au conseil o Bulion fit rsoudre que le roi garderait lesdits bls, et que lÕon les ferait payer sur lÕpargne, qui est dire rien : et ensuite comme on en parla Mr le cardinal de Richelieu, on me dit quÕil avait trouv bien trange que je demandasse l'argent de mes bls au roi, vu que j'tais si riche que je btissais un somptueux difice Chaillot, que je faisais faire des si riches meubles que le roi nÕen avait pas de pareils, et que je gardais un grand train depuis six ans que l'on mÕavait mis prisonnier, et que lÕon ne me pouvait mater.
Peu de jours aprs au mme mois, le duc de Waimarch eut dpartement du roi pour rafrachir son arme au comt de Vaudemont et dans mon marquisat de Harouel qui lui fut donn au pillage ; ce quÕil fit si bien excuter que toutes les pilleries, cruauts et inhumanits y furent exerces, et ma terre entirement dtruite, au chteau prs, qui ne put tre pris par cette arme qui nÕavait point de canon.
En ce temps je pensai perdre ma nice lÕabbesse dÕEpinal qui eut le pourpre. Je sus aussi que mon neveu de Bassompierre sÕtait retir dÕavec Mr le duc de Lorraine, avec lequel il tait trs mal ; et pour la fin dudit mois de mai les troupes dudit duc Bernard de Waimarch attaqurent notre chteau de Removille o cinq ou six cents paysans de tous ges et sexe sÕtaient retirs, lequel ils forcrent enfin le mercredi 28me de mai, et turent les hommes et les vieilles femmes qui y taient, emmenrent les jeunes aprs les avoir violes, et brlrent les enfants avec le chteau aprs l'avoir pill.
Ce mme mois, Mr le prince de Cond, gnral de l'arme du roi, se jeta dans le comt de Bourgogne et vint mettre le sige devant Dole quÕil trouva mieux muni d'hommes et plus en dfense quÕil ne se lÕtait imagin, et force noblesse du pays sÕtant jete dans la ville faisaient de continuelles sorties sur les ntres qui y reurent tous les jours quelque chec ; et le duc de Waimarch avec Mr le cardinal de la Valette sÕacheminrent vers la frontire dÕAllemagne avec leurs armes, (que lÕon avait grossies de la plus grande partie de celle que Mr le Comte avait en Champagne), pour faire quelque progrs dans lÕAlsace, ce qu'ils firent au commencement du mois de juin, allant assiger Saverne qui se voulut dÕabord rendre composition : mais le duc de Waimarch, (outr de colre contre celui qui commandait dedans la ville, qui avait auparavant rendu le chteau de Languestel aux Impriaux), ne les y voulut point recevoir ; dont il ne fut pas se repentir : car les assigs se voyant hors dÕesprance de grce, tchrent de vendre chrement leurs vies et par diverses sorties incommodrent extrmement les troupes dudit duc, lequel fut aussi bien battu en divers assauts qu'il fit donner la ville, quÕil avait attaque sans canon : il perdit un doigt ce sige, dÕune mousquetade : le colonel Ebron, brave et vaillant soldat, qui tait un de ses marchaux de camp, y fut tu, et le vicomte de Turenne bless au bras d'une mousquetade.
Pendant ce mois aussi le sige de Dole continua peu heureusement pour nous par les frquentes sorties de ceux de dedans qui firent entre autres choses un grand chec sur le rgiment de Picardie en une dÕicelles : et les Hollandais qui avaient le mois auparavant repris le fort de Schench, voyant les deux rois, (selon ce qu'ils avaient toujours dsir), embarqus dans une forte guerre lÕun contre lÕautre, les laissrent vider par ensemble leurs diffrends et mirent leur arme en garnison pour tout lÕt, ce qui donna courage au cardinal-infant de tourner ses desseins contre la France ; pour cet effet ayant joint ses forces celles du duc de Lorraine, de Jean de Ver, et du prince Franois vque de Verdun, entra ce mme mois avec une arme de vingt mille chevaux et dix mille hommes de pied dans la France, mit le sige devant la Capelle quÕil prit le septime jour, et se vint camper prs de Guise.
Le roi qui prenait des eaux Fontainebleau o il avait demeur depuis le commencement du printemps, ayant su cette nouvelle, sÕen revint Paris le mardi 15me de juillet, comme fit aussi monsieur le cardinal, et il y eut le mme jour conseil au Louvre, et le lendemain aussi : puis lÕun et lÕautre en partirent, le roi pour Versailles, et monsieur le cardinal sÕen revint Charronne, mÕayant en passant envoy demander en prt ma maison de Chaillot pour y aller loger pendant le temps que le roi irait demeurer Madrid. Je jugeai propos de lui crire une lettre, tant pour le faire souvenir de moi que pour mÕoffrir aux occasions prsentes de porter ma vie o le service du roi me la voudrait destiner, et lui envoyai par le gouverneur de la Bastille le jeudi 17me, qui lui donna comme il sortait de Charronne pour venir Paris tenir sur les fonts Mademoiselle, fille unique de Monsieur, dont la reine fut la commre qui la nomma Anne Marie, et fut baptise dans la chambre de la reine au Louvre ; puis il sÕen revint Charronne.
On nÕtait pas lors sans affaires : car il y avait vingt mille chevaux des ennemis dans la France, lesquels aprs avoir pris la Capelle avec dix mille hommes de pied qui sÕtaient joints eux, sÕtaient spars, savoir, la grosse cavalerie alla devers Guise avec l'infanterie, le duc Charles et le prince Franois tirrent devers Vitry, et Jean de Ver battait la campagne en Picardie, ėle de France, et Champagne. Ils firent semblant dÕassiger Guise ; mais ils trouvrent six sept mille hommes que l'on y avait jets, composs de seize compagnies des gardes, du rgiment de Champagne, de celui de Saint-Luc, et de ceux de Vervins et Langeron, qui firent une forte sortie sur eux lors quÕils sÕen voulurent approcher, de sorte qu'ils ne s'y opinitrrent pas. Le cardinal-infant vint dner la Capelle le lundi 25me de ce mme mois et y tint conseil de guerre ; et Mr le comte de Soissons en mme temps ayant ramass toutes les troupes quÕil avait pu de Champagne et Picardie, sÕtait venu camper devant la Fre avec trois mille chevaux et dix mille hommes de pied, auquel tous les jours nouvelles troupes arrivaient pour faire tte aux Espagnols.
D'autre ct, le sige de Dole allait lentement : celui de Saverne continuait encore bien que ce ne fut quÕun pouillier [bicoque], o lÕon avait perdu plus de douze cents hommes et davantage de blesss ; et entre autres le duc de Waimarch y avait perdu un doigt dÕune mousquetade et ensuite avait eu une autre blessure la cuisse : le colonel Ebron y fut tu dÕune mousquetade dans la gorge, qui fut grande perte, car il tait brave homme ; le jeune comte de Hannau aussi, et plusieurs gens de marque : et sur la mer les vents contraires avaient fait carter notre arme navale et dtourn sa route.
Dans l'Italie, Mr le marchal de Crquy fut attaqu sur le bord du Tessin o il fit merveilles de se bien dfendre, et fut bien secouru par Mr de Savoie, et propos, car il tait press. Enfin ils eurent avantage sur les Espagnols; mais ce ne fut pas sans perte des ntres.
Finalement le colonel de Mercy gouverneur de Longwy, voyant que Mr le Comte avait quitt son gouvernement pour aller en Picardie s'opposer aux Espagnols, se mit en campagne avec deux rgiments de cavalerie ennemie joints au sien, et se vint jeter en Barrois quÕil trouva dgarni.
Les croquants et paysans mutins de Saintonges, Angoumois, Limousin, et Poitou, sÕavancrent jusques Blanc en Berry.
Aot. Ń Le mois dÕaot arriva, auquel les Espagnols assigrent et prirent en deux jours le Catelet et vinrent sur le bord de la rivire de Somme pour la passer. Mr le Comte vint sur lÕautre rive pour sÕy opposer, mais en vain, car le..... les ennemis passrent, ayant taill en pices le rgiment de Pimont, ce qui fit retirer Mr le Comte en diligence Noyon.
Ces nouvelles firent aussitt venir Paris le roi et monsieur le cardinal, qui firent appeler tous les ordres et tats et leur demander aide sur ce nouvel accident. Chacun sÕeffora de contribuer noblement ce qu'il put, et aucun ne refusa, selon sa porte, de fournir hommes, chevaux, armes et argent.
Le dimanche 10me ma nice de Beuvron fut trouver monsieur le cardinal pour lui parler de ma libert, auquel elle parla en sortant de sa chambre : mais lui en se moquant lui rpondit que je nÕavais encore t que trois ans la Bastille, et que Mr dÕAngoulme y avait t quatorze ans ; quÕ propos il tait revenu, afin quÕil lui pt donner un bon avis sur le sujet de ma libert, et quÕil en consulterait avec lui. J'oubliais dire qu' lÕalarme du passage de la Somme, Mr dÕAngoulme, Mr de la Rochefoucaut, Mr de Valanay, et autres exils, furent rappels : mais la colre et la haine continua contre moi de telle sorte que non seulement on nÕeut pas considration ni compassion de mes longues misres, quÕau contraire on les voulut accrotre par cette drision et moquerie. Ce nÕtait pas que le peuple et tous les ordres de Paris ne parlassent hautement de ma libert et ne la demandassent avec instance.
Ce mme jour 10me monsieur le cardinal alla voir proche de Saint-Denis les troupes quÕ la hte ceux de Paris avaient leves pour opposer aux ennemis. Ce jour le roi se trouva un peu mal, qui lÕempcha dÕaller voir ces troupes.
Le lundi 11me le parlement qui avait le jour prcdent promis au roi dÕentretenir pour deux mois ses dpens deux mille six cents hommes de pied, sÕtant assembl pour aviser o il prendrait lÕargent pour cet effet, et en quelle forme, il fut propos dÕenvoyer douze conseillers dudit parlement lÕhtel de ville, tant pour donner lÕordre ncessaire la garde de Paris, comme aussi pour avoir lÕĻil ce que l'argent que chacun donnait lors au roi pour lever et entretenir de grandes forces, ft bien employ : quoi le premier prsident sÕopposa, disant quÕils nÕtaient point assembls pour cette affaire : mais le prsident de Mme, par une longue harangue, fit rsoudre que lÕon en parlerait. Lors, le premier prsident sortit, et Mr le prsident de Bellivre l'ayant voulu suivre fut arrt pour tenir le parlement comme second prsident, lequel enfin, aprs avoir promis de ramener le premier prsident, comme il fit, on laissa sortir ; et tant revenus, l'heure de sortir ayant tt aprs sonn, on remit les dlibrations au lendemain. Mais ds lÕaprs-dner le roi ayant envoy qurir les grands prsidents, et premiers prsidents et doyens de chaque chambre, il leur fit une rude rprimande et leur dfendit de parler ni se mler lÕavenir dÕautre chose que des procs.
Le mardi 12me on fit commandement par Paris dÕabattre les auvents des boutiques, et de boucher tous les soupirails des caves ; mais cette ordonnance fut aussitt rvoque.
Le mercredi 13me il y eut arrt du conseil pour faire cesser les ateliers, et faire ter tous les serviteurs et apprentis, hormis un en chaque boutique ; et le samedi 16me le roi partit pour aller Senlis o tait le rendez-vous de lÕarme.
Le dimanche 17me le bruit fut commun de la prise de Corbie o commandait le sieur de Saucour, et en mme temps on sut le levement du sige de Dole.
Le mardi 19me Monsieur arriva en poste, et aprs avoir t voir monsieur le cardinal, sÕen alla trouver le roi Senlis.
Le lundi premier jour de septembre, le roi et monsieur le cardinal partirent pour aller lÕarme : et en ce mme temps le coche de Nancy qui mÕapportait plusieurs hardes que je faisais venir et de l'argent pour mon entretenement, fut vol : et comme je pressais encore le paiement de mes grains enlevs, on me fit dire que je nÕen pouvais rien esprer ni attendre ; aussi nÕy pensai-je plus et fis mon jubil le dimanche 21me de ce mme mois, pour me mettre entre les mains de Dieu, puisque je ne pouvais rien esprer des hommes.
Je sus quasi en mme temps que le roi avait fait raser puis brler le chteau de Dommartin appartenant mon neveu de Bassompierre, que lÕon me manda aussi tre hydropique form, et en grand danger, dans Vesou.
En ce mois le roi donna sa lieutenance gnrale Monsieur son frre qui en vint prendre possession, et lÕarme passa la rivire de Somme aprs avoir failli de dfaire l'arrire-garde de celle des ennemis qui la repassrent en mme temps et se retirrent en Flandres aprs avoir muni les trois places qu'ils avaient prises, autant que le peu de temps que l'on leur en donna leur put permettre, et avoir enlev et dfait le colonel Eichfeld avec son quartier.
En ce temps il arrivait de tous cts des troupes et de la noblesse, de sorte que lÕarme du roi tait de plus de cinquante mille hommes, lesquels sÕoccuprent faire la circonvallation de Corbie, munie de plusieurs grands forts, capables de tenir huit ou dix mille hommes hutts dans le ct seulement de del la Somme, afin de les affamer l'hiver prochain, attendu quÕils manquaient de moulins pour moudre leur bl dont ils avaient foison.
Ainsi se passa le mois de septembre, et vers le commencement d'octobre le duc Charles de Lorraine ayant remis ses troupes sur pied, et le comte de Galas sÕtant joint lui, ils entrrent en la duch de Bourgogne. Ayant pass la Sane, Galas prit Mirebeau et pilla Cteaux. Le duc de Lorraine assigea Saint-Jean de Laune qui se dfendit si bien que le duc de Waimarch qui avait enfin pris Saverne, et le cardinal de la Valette, eurent loisir de le venir secourir.
On fit cependant par commissaires le procs au sieur de Saucour qui fut condamn tre tir quatre chevaux, et son arrt excut en effigie Amiens.
Les cardinaux de Savoie et Aldobrandin quittrent en ce mme temps le parti de France Rome, et ce premier ayant remis la protection de France qu'il avait, prit celle dÕAllemagne.
L'arme navale du roi ayant heureusement pass le dtroit, sÕen alla vers les ctes de Provence en dessein de reprendre les les de Saint-Honorat de Lrins, et de Sainte Marguerite sur les ennemis : mais le mauvais ordre qu'avait donn lÕvque de Nantes, (auparavant nomm l'abb de Beauveau), de tenir prtes toutes choses ncessaires pour ce passage, en empcha lors lÕexcution, dont il fut disgraci, comme le furent aussi les Saint-Simons, et le jeune, qui tait un fantme de favori, command de se retirer Blaye.
Mr de la Valette eut aussi commandement dÕaller trouver Mr d'Epernon en Guyenne.
Le roi sÕen retourna vers la fin du mois Chantilly, laissant lÕarme occupe la construction et huttes des forts de la circonvallation de Corbie.
Les Espagnols cependant entrrent en France par le ct de Fontarabie, prirent et pillrent les bourgs de Saint-Jean de Luz et de Sinbourre et se saisirent du Soccoua quÕils fortifirent : et ayant en ce mme temps fait une descente par mer en la cte de Bretagne dnue de vaisseaux par le partement de la flotte du roi, ils vinrent attaquer lÕabbaye de la Prire, proche de Vennes, d'o ils furent repousss, ce qui les fit rembarquer.
Le marquis de Sourdis fut en ce temps-l rappel de la Lorraine o lÕon lÕavait envoy pour y commander, et le grand prvt de Hoquaincour envoy en sa place.
On fit commandement ma belle-sĻur, ses pre, mre, et enfants, de sortir de Nancy, qui se vinrent tous retirer en ma maison de Harouel.
Vignoles mourut Pronne, et on en tira par rcompense Mr de Blerancour, qui en tait gouverneur, pour y mettre le jeune Hoquaincour.
Monsieur le cardinal fut Abbeville et porta les habitants de donner vingt et cinq mille cus pour travailler leurs fortifications, lesquels on a depuis convertis la construction dÕune citadelle.
On tira aussi Comeny de Corbie, et on mit en son lieu le chevalier de Comieres, et Montcavrel remit Ardres au roi par rcompense, qui en donna le gouvernement Saint-Preuil.
En ce mme temps Mr de Longueville amena de grandes troupes au roi, lequel lui commanda de les mener en Bourgogne pour, avec celles qui y taient dj, faire une forte arme pour en chasser Galas.
Novembre. Ń Au mois de novembre il y eut quelque trait joint Corbie pour la remettre s mains du roi, ce qui fit que l'on commena au commencement du mois l'attaquer de force. Ils capitulrent le 8me et les troupes du roi y entrrent le 14me, dont on chanta le Te Deum le 17me Paris, o Monsieur frre du roi tait pass quelques jours auparavant pour sÕen retourner Blois ; et le roi tant arriv le 18me Versailles, Mr le Comte qui avait vu en passant Sa Majest Ecouan arriva le mme jour Paris, et Monsieur frre du roi y tant venu en poste la nuit du 19 au 20me, lui, Mr le Comte, et Mr de Retz, en partirent onze heures du soir ce mme jour, Monsieur pour se retirer Blois, Mr le Comte Sedan, et le duc de Retz Machecou.
Le 21me on fit renfermer les serviteurs de Monsieur, dj prisonniers, la Bastille.
Le roi revint Paris le 22me, et monsieur le cardinal qui tait demeur en Picardie, en fut de retour Ruel le 24me.
Le 28me il y eut une rvocation des gages du parlement ; mais comme cela se faisait en un temps mal propre, on leva cette rvocation peu de jours aprs : et en ce mme temps vint la nouvelle de lÕexcs que Mr le marchal de Vitry avait fait en la personne de Mr de Bordeaux, Cannes en Provence.
Dcembre. Ń Le mois de dcembre arriva, et le 4me duquel un certain charlatan qui disait avoir trouv la pierre philosophale et duquel on se promettait force millions dÕor, fut dcouvert pour un affronteur et men prisonnier au bois de Vincennes o ceux qui l'ont propos font encore esprer quÕil la fera russir. Cet affronteur sÕappelait Du Bois, tait de Coulomiers en Brie o il avait t capucin, puis sÕtant fait apostat, sÕtait mari.
On fit aussi commandement aux deux frres de Baradat de sortir du royaume dans six jours : et Mr de Chavigny partit le 6me pour aller trouver Monsieur Blois de la part du roi, o Bautru lÕan avait dja t envoy, qui y avait t trs mal reu : on envoya aussi Mr de Liancour vers Mr le Comte Sedan. Mr de Chavigny en revint le 16me et y fut renvoy aussitt aprs : et le cardinal de la Valette tant venu faire hiverner son arme en Lorraine, assigea deux chteaux appartenant mon neveu, qui avaient auparavant t dmolis et o des voleurs taient retourns sÕy nicher, et aprs quelques voles de canon les reprit et brla ; ils se nomment le Chastelet et Dommartin.
Les nouvelles vinrent aussi que le roi de Hongrie avait t lu roi des Romains le 22me de ce mois, et que lÕon nÕavait pu rien entreprendre sur les les de Saint-Honorat de Lrins, et de Sainte Marguerite, comme notre arme navale en avait eu commandement de la cour.
Le 19me dcembre la grand duchesse Chrtienne est morte ge de 74 ans : elle tait petite-fille de la reine Catherine de Mdicis, fille du duc Charles de Lorraine : et le 22me de ce mme mois Ferdinand 3me, roi de Hongrie et de Bohme, a t nomm roi des Romains la dite de Ratisbonne.
Janvier.Ń Au commencement de lÕanne 1637 lÕloignement de Monsieur et de Mr le Comte, et les accidents que l'on craignait qui en pouvaient arriver, ne me permirent pas seulement de penser faire parler de ma libert, sachant bien que mes peines et mes soins en cette sollicitation y seraient inutiles : quoi aussi je nÕtais gure port, quoique mes amis me fissent instance de la faire poursuivre ; car la mauvaise et indigne rponse que monsieur le cardinal avait faite ma nice de Beuvron aprs que, lui ayant crit une si humble et soumise lettre, je lÕavais envoye faire une tentative, lorsque les ennemis passrent la Somme lÕanne prcdente, mÕavait fait rsoudre ne l'importuner de ma vie, et de mourir plutt dans ma captivit que de me mettre encore en tat de souffrir de nouveaux affronts, mettant ma seule esprance en Dieu, et aux accidents qui me pourraient causer mon largissement. Mr le Prince nanmoins, (lequel mÕa fait durant ma prison beaucoup de grces par les tmoignages de sa bonne volont, et du dplaisir quÕil avait de mes longues souffrances, avec les assurances quÕil mÕa de temps en temps donnes que sÕil voyait lieu dÕaider ma libert par ses conseils et instances, quÕil le ferait avec soin et passion), me fit dire quÕil voyait du jour ma libert, et que si les affaires de Monsieur sÕaccommodaient, et quÕelles fussent suivies dÕune trve gnrale comme lÕon la pratiquait avec espoir quÕelle pourrait russir, que ma libert (en ce cas) tait assure, et quÕil m'en pouvait rpondre. Mais comme je ne me suis jamais imagin que les Espagnols acceptassent une longue trve, ni que le roi en accordt une courte, vu leurs diffrents intrts, je nÕai point cru ma libert par ce moyen, dont je voyais les causes si loignes.
On me manda de Lorraine la continuation de la dsolation de mon bien ; la retraite de presque tous les habitants de la terre de Harouel dans le bourg et dans la maison, lesquels la remplissaient de maladies et d'infections ; et la diminution vue d'Ļil de la sant et de la vie de ma belle-sĻur avec laquelle je nÕtais pas en fort bonne intelligence parce quÕelle ne voulait pas que ma nice dÕEpinal se marit selon mon intention, et pour mÕen empcher comme je lui eus trouv un sortable parti, elle ne voulut jamais me dire ni dclarer ce quÕelle lui pourrait donner, dont je fus fort afflig.
Fvrier. Ń Le mois de fvrier me fut extrmement infortun, non seulement par la continuation de ma captivit, mais encore par la perte que je fis de ma belle-sĻur, laquelle avait un soin particulier de ses enfants, et de conserver autant quÕelle pouvait la maison de feu mon frre dans les malheurs prsents. Elle dcda Harouel le .... du courant, laissant ses deux derniers fils mineurs, sous la tutelle de Mr le comte de Tornielle son pre, quÕelle fit aussi excuteur de son testament. Sa mort mÕa laiss depuis en une perptuelle inquitude de cette pauvre famille, seul reste de notre maison.
Je perdis aussi le 22me du mme mois, le dimanche de carme-prenant, le sieur dÕAlmeras, ci-devant gnral des postes, et lors prtre simple, mais trs grand homme de bien, tant envers Dieu quÕenvers les hommes, lequel je regretterai tant que je vivrai, pour la parfaite amiti que je lui portais depuis prs de quarante ans sans intermission, et qui mÕa toujours chrement aim : Dieu mette son me en son paradis.
L'empereur Ferdinand 2me mourut aussi ce mme mois, le 15me, qui tait un trs bon prince, lequel j'avais connu Ingolstat lors quÕil y tudiait, et moi aussi. Il me faisait l'honneur de me vouloir du bien, et ma considration en a fait mon neveu de Bassompierre, quÕil avait honor de la charge de sergent de bataille gnral de ses armes, et ensuite de celle de lieutenant de marchal de camp, qui est une grande charge en Allemagne.
Depuis le partement inopin de Monsieur frre du roi et de Mr le Comte, on avait continuellement travaill les faire revenir la cour, tantt par lÕenvoi du pre Gondran, son confesseur, vers lui, puis par ceux des comtes de Guiche et de Chavigny : et ensuite on mit l'abb de la Rivire (prisonnier depuis longtemps la Bastille) en libert, sur lÕassurance quÕil donna dÕy servir le roi prs de Monsieur selon les intentions de Sa Majest. Finalement le roi (qui sÕtait dj achemin Fontainebleau), sÕen vint Orlans en intention de pousser Monsieur jusques ce quÕil lÕet fait rentrer en son devoir ; quoi il se disposa : et ayant conclu avec les susdits, et le sieur de Leon, (qui y fut aussi envoy), les points de son accord, il revint trouver Sa Majest le 8me de ce mois de fvrier Orlans, o il fut fort bien reu du roi, qui sÕen tant aussitt retourn Paris, fut suivi de Monsieur peu de jours aprs.
Ce mme mois le comte de Harcourt, gnral de la flotte du roi aux mers de Levant, nÕayant pu excuter le dessein que le roi lui avait ordonn, de reconqurir sur les Espagnols les les de Saint-Honorat et Sainte-Marguerite, se remit en mer et vint avec ladite flotte faire descente en lÕle de Sardaigne ; mais ayant t vivement repouss par ceux de lÕle, il fut contraint de se rembarquer sans y avoir rien fait.
Finalement le duc de Parme qui ds lÕanne 1635 sÕtait mis en guerre contre le roi dÕEspagne pour se conserver la forteresse de Saviannette qu'il prtendait lui appartenir, aprs avoir vu ruiner tout son plat pays, et prendre toutes ses places ( Plaisance et Parme prs), se voyant hors dÕesprance dÕtre secouru du ct de la France, parce que lÕon nÕavait aucun moyen de passer lui, fut contraint dÕaccepter les conditions que le grand-duc son beau-frre lui put moyenner, pour se remettre bien avec ledit roi dÕEspagne, et de recevoir pour quelque temps les gens de guerre dudit grand duc dans les citadelles de ces deux villes, qui lui furent dposes par le duc de Parme pour le temps qui fut convenu par son trait.
Mars. Ń Le roi sÕachemina au commencement du mois de mars vers Rouen avec quelques forces de pied et de cheval, sur le mcontentement quÕil eut du parlement et de la ville, de ce que le premier avait absolument refus la vrification de tous les dits qui lui avaient t prsents, afin de recouvrer de l'argent pour entretenir les grandes guerres o le roi tait embarqu, et la ville avait refus de payer emprunt que le roi lui avait demand comme toutes les autres villes de son royaume. Mais comme il y avait des diffrents partis tant dans la ville que dans le parlement, et que plusieurs nÕtaient point d'avis de ces divers refus, ceux-l qui taient encore dans la bonne grce du roi furent les entremetteurs tant pour apaiser le roi, que pour faire condescendre les autres obir ses commandements, de sorte que le roi ne passa point Dangu : mais il envoya monsieur le chancelier Rouen pour faire passer ces dits, et faire payer la ville ladite contribution ; lequel chancelier fut prcd par les gardes franaises et suisses, et quelques autres rgiments que l'on fit entrer dans la ville, et y loger, tant que ledit chancelier y fut ; et aussi on y fit loger douze ou quinze compagnies de cavalerie, aprs quoi le roi revint Paris.
Avril. Ń Le mois d'avril me fut assez infortun, outre mes malheurs ordinaires ; car j'eus nouvelles que mon neveu de Bassompierre (qui, outre lÕaffection naturelle que je lui dois porter, tant ce quÕil mÕest, et la particulire tendresse et amour que j'ai pour lui, semble tre maintenant le seul espoir de notre maison, et celui qui apparemment, sÕil vit, et continue comme il a bien commenc, la doit remettre en son ancienne splendeur), tait retomb malade de la premire maladie quÕil avait eue, qui le menaait d'hydropisie ; dont je ressentis un violent dplaisir. Et outre cela, ce mme mois, je commenai une affaire de laquelle j'ai eu, depuis, mille sujets de me repentir, et Dieu veuille que je nÕen aie point de plus grands lÕavenir.
Mai. Ń Il arriva au mois de mai deux importantes affaires, lÕune fort prjudiciable la France, et lÕautre sa perptuelle gloire et rputation.
La premire fut la retraite de nos troupes des Grisons (pour ne dire qu'elles en furent chasses), dont les commencements taient venus sur ce que le roi ayant envoy ds lÕanne 1632 Mr de Rohan avec une petite arme au secours des Grisons (auxquels les Espagnols troublaient la souverainet de la Valteline), o il russit si heureusement quÕil les en chassa premirement, et puis ensuite la dfendit contre eux lors quÕils firent dessein de la venir reconqurir, et puis songea sÕy tablir par des forts qu'il y fit construire, et ensuite dans les avenues des Grisons, au Steig et au pont du Rhin, lesquels il fit garder par les troupes quÕil avait amenes, et avec des Suriquains [Zurichois] quÕil leva pour le roi, assurant nanmoins les Grisons que ce quÕil en faisait tait pour leur assurer la Valteline, et que pour ces deux forts du Steig et du Rhin, ce nÕtait autre intention que pour empcher les ennemis dÕentrer en leur pays auquel le roi son matre ne prtendait autre chose que la gloire de l'avoir conserv contre ceux qui le voulaient envahir ; ce que les Grisons crurent, ou feignirent de croire pour quelque temps : mais voyant que Mr de Rohan sÕy tablissait et quÕil ne faisait point dÕtat dÕen sortir, ils commencrent murmurer, disant quÕil nÕy avait plus rien craindre, et que si le roi voulait les remettre dans la Valteline en leur consignant les forts qu'il y avait, ils les sauraient bien garder eux-mmes, comme aussi empcher que leurs ennemis entrassent par le Rhin ou le Steig, sans que les troupes franaises y demeurassent perptuellement ; et quÕils demandaient que le roi selon sa promesse leur ayant restitu leur pays, leur en laisst la libre et entire jouissance. Mr de Rohan jugea bien qu'ils avaient raison ; mais n'ayant point ordre alors de la leur faire, sÕavisa dÕune ruse qui depuis nanmoins fut cause de sa ruine : il leur rpondit donc que le roi qui nÕavait aucun dessein ni intention de s'approprier aucunes de leurs terres, nÕtait pas sans crainte que les ennemis nÕy eussent leur vise, et que rien ne les retardait dÕen entreprendre l'excution que l'impossibilit quÕils y rencontraient par la puissante opposition des armes de Sa Majest, desquelles ils en attendaient la retraite pour parvenir leurs fins ; et que la perte des Grisons tant conjointe son notable intrt, il ne pouvait aucunement consentir de mettre les choses lÕabandon pendant la guerre, mais bien faire voir aux Grisons la candeur de son me, et la sincrit de ses intentions, en mettant dans ces forts les Grisons mmes pour les garder ; quÕ cet effet il ferait lever quatre ou six rgiments de mille hommes chacun, de leurs compatriotes, tant pour sÕen servir sÕil tait attaqu par les Espagnols, que pour leur confier la garde dÕune partie de ces forts jusques ce que les choses pussent tre en tat de ne plus rien apprhender. Cette proposition contenta les Grisons, et Mr de Rohan crut que ce lui tait un plus grand affermissement parce quÕil choisit les plus affids des Grisons au service du roi, tant aux charges de colonels que de capitaines, lesquels il engageait encore davantage par ce nouveau bienfait, et quÕil ne les tablirait point s lieux les plus importants sÕil ne voulait, ce qui lui russit pour lors. Mais comme cette leve requrait, pour sa substance et sa solde, une grande somme dÕargent outre celle que le roi employait l'entretien des autres forces quÕil avait audit pays, et quÕen ce mme temps le roi faisait de prodigieuses dpenses en beaucoup dÕautres endroits, les paiements nÕen furent pas si ajusts et si certains quÕil et t dsirer ; de sorte que ceux qui taient mis sur pied dessein de faire taire les autres, furent ceux qui avec le temps crirent le plus haut, et qui donnrent le plus de peine Mr de Rohan. Les annes cependant coulaient, et les Grisons taient opprims de nos troupes et mal pays de leurs gages, ce qui leur causait beaucoup de fcheries et mcontentements, et qui fit rveiller les partisans des Espagnols, qui commencrent semer sous main divers discours au dsavantage de la France pour mouvoir leurs compatriotes, leur faisant remarquer le long sjour des armes franaises dans leurs pays, les forts qui les tenaient comme en servitude, les mauvaises payes de leurs rgiments, et finalement qu'ils taient en pire tat que lorsque les Espagnols occupaient la Valteline, puisque les pays grisons taient aussi bien soumis aux armes franaises que le reste, par la construction des forts du Steig et du Rhin ; et que ce serait bien le meilleur sÕils pouvaient vivre libres et jouissant de tous leurs pays en une bonne neutralit, ce quÕils sÕassuraient que les Espagnols feraient de leur ct si les Franais en voulaient faire de mme. Cette proposition fut approuve de tous les Grisons, et ces partisans espagnols eurent permission dÕen faire la tentative vers les Espagnols. Mr de Rohan ne tarda gure tre averti de cette pratique, ni dÕen donner avis au roi, auquel il manda que le seul moyen de lÕempcher tait dÕenvoyer de l'argent tant pour le paiement de ce qui tait d ces rgiments de Grisons quÕil avait levs, que pour leur subsistance l'avenir, moyennant quoi il promettait de contenir les Grisons, et de rembarrer les ennemis. Le roi avait quelques jours auparavant envoy le sieur Lanier son ambassadeur ordinaire aux Ligues, auquel il avait donn lÕintendance de la justice et des finances en lÕarme de Mr de Rohan, et sur lÕavis quÕil reut dudit duc, il fit acheminer une voiture de soixante et dix mille cus aux Grisons. Mais avant quÕelle ft arrive, tant survenu une grande maladie audit duc en la Valteline, les mmes factionnaires dÕEspagne ayant rchauff leurs brigues, et mme gagn quelques-uns des six colonels qui commandaient les rgiments que le roi avait levs aux Grisons, ils eurent la puissance de faire envoyer des dputs des Ligues au Milanais pour traiter ; ce qui ayant oblig Mr de Rohan, dans lÕextrmit de sa maladie, dÕenvoyer le sieur Lanier (qui tait lors prs de lui), Coire pour rprimer ces colonels dbauchs, et fortifier la faction franaise, ledit Lanier parla aux colonels plus aigrement qu'il ne devait, les menaant de les chtier, et de leur faire et parfaire leur procs, et mme avec des injures, ce qui acheva de discrditer le parti, et de jeter les affectionns pour la France dans le dsespoir. La voiture tant cependant arrive, et le duc de Rohan guri sÕtant achemin Coire, il crut tre expdient pour le service du roi dÕimprouver les violentes actions de Lanier : cÕest pourquoi il lui fit quelques rprimandes devant les mmes colonels, lesquelles ne pouvant souffrir, il y repartit en sorte qu'il se mit tout fait mal avec ledit sieur de Rohan, qui ayant donn quelques ordonnances aux colonels pour recevoir de l'argent, Lanier ne le voulut distribuer ; dont le duc de Rohan se sentant offens, envoya enlever la voiture de chez Lanier et fit payer les colonels ; et Lanier qui prvoyait l'orage qui depuis est advenu, fut bien aise de prendre ce sujet de mcontentement pour sÕen retourner en France. Cette distribution contint en quelque sorte les Grisons : mais les causes continuant par le peu d'apparence qu'ils voyaient de restitution de leurs pays par les Franais, ils commencrent peu aprs de faire nouvelles brigues pour les en chasser, et un jour Mr de Rohan tant sorti de Coire pour aller au fort de France, les Grisons prirent les armes et vinrent au-devant de lui comme il sÕen revenait ; ce qui lÕayant fait rebrousser dans ledit fort, qui nÕtait gure muni de vivres, et les Suriquains qui taient les plus forts dedans, peu rsolus de se dfendre ; voyant aussi toutes les Ligues en armes, les Impriaux et Espagnols sur leurs frontires pour les secourir, le peu d'assistance quÕil pouvait esprer tant des Franais que de leurs allis, il fit un trait avec les Grisons de sortir de la Valteline et de leurs autres terres, pourvu que lÕon assurt le retour aux gens de guerre franais qui taient dans leurs pays.
Si la perte de la Valteline et des Grisons fut prjudiciable la France, celle des les de Saint-Honorat et de Sainte Marguerite (que les Espagnols laissrent reconqurir aux Franais), leur sera une gloire immortelle. Car aprs que lÕon et, lÕanne prcdente, mis une flotte trs grande en mer, qui avait heureusement pass le dtroit, et abord aux ctes de Provence, o le roi avait plusieurs rgiments sur pied, au dessein de reconqurir ces deux les o les Espagnols sÕtaient nichs et puis ensuite fortifis avec tout le soin et lÕindustrie imaginable, la mauvaise intelligence des chefs de la marine (qui taient le comte de Harcourt en apparence, mais lÕarchevque de Bordeaux avait le chiffre de la cour, et on se reposait sur lui de cette entreprise), et du marchal de Vitry gouverneur de Provence, lequel mme vint des paroles aux coups avec lÕarchevque, furent cause que ce grand appareil ne produisit aucun effet ; et la flotte ne sachant quoi s'occuper, tant alle faire une descente en Sardaigne, en avait t dloge avec les seules forces de l'le ; tant revenue harasse et diminue, sans aucun secours de terre, se rsolut dÕattaquer les les de Saint-Honorat, et aprs plusieurs combats tant la descente quÕ l'attaque des forts, elle remit ces deux les au pouvoir du roi, en ayant bravement chass les Espagnols le 13me de mai.
Je n'avais que faire de mÕtendre sur ces deux diverses actions ; mais m'tant embarqu dans l'affaire des Grisons o je garde toujours quelque affection aprs avoir t 21 annes colonel-gnral de cette nation, j'ai pens devoir aussi dire cette brave action en lÕhonneur de la France, nÕayant rien dire de moi qui croupis dans cette misrable prison.
Juin. Ń Le mois de juin ne nous apporta rien de nouveau que la justice que lÕon fit dÕun imposteur qui se nommait Du Bois, qui se disait avoir le secret de faire de l'or, et lÕavait persuad plusieurs ; mais enfin sa fourbe fut dcouverte, et lui pendu.
Je pris ce mois l des eaux de Forge selon ma coutume.
Juillet. Ń Au commencement du mois de juillet monsieur le cardinal mÕenvoya prier de lui prter ma maison de Chaillot, ce qui m'obligea d'envoyer supplier madame de Nemours que j'y avais loge, de lui quitter, ce quÕelle fit aussitt, et il y vint le 5me, et nÕen partit que le 23me du mois suivant.
Nous prmes, sur la fin de ce mois, la ville de Landrecy sur les Espagnols, et le 5me du mois dÕaot la ville de Maubeuge, comme aussi, dÕautre ct, le marchal de Chatillon prit Yvoy en Luxembourg le 14me, et le 24me lÕempereur remit lÕlecteur de Trves dtenu prisonnier depuis un long temps, en pleine libert.
Le duc de la Mirande mourut en ce mme mois, et le mois de septembre ensuivant mourut aussi Mr le duc de Mantoue.
Les Espagnols se remurent un peu ce mois-l, ayant pris les villes de Venlo et de Ruremonde sur la Meuse, et repris Yvoy par l'intelligence des habitants, le cardinal-infant ayant tourn tte vers ces deux autres villes aprs avoir vainement tent de secourir Breda assig par les Hollandais. Mais tandis quÕil assigeait ces places, nous reprmes la Capelle que nous avions perdue l'anne prcdente, et fmes ce mmorable exploit de secourir Laucate en dfaisant lÕarme qui lÕassigeait, ce qui fut excut le 28me de ce mme mois.
Madame de Longueville mourut le 9me : et monsieur le cardinal vers ce temps-l mÕenvoya visiter de sa part par Lopes, et me prier de ne me point ennuyer, mÕassurant que sÕil se faisait paix ou trve, ou que l'on se pt un peu dbarrasser des affaires prsentes, que lÕon me mettrait en libert pleine et entire, et mme avec des marques particulires de la bont et des bienfaits de Sa Majest ; dont je lui fis peu de jours aprs rendre trs humbles grces par ma nice de Beuvron, qui il reconfirma les mmes assurances.
Octobre. Ń Le mois d'octobre fut funeste la France par la mort de deux grands princes allis cette couronne et trs utiles aux prsentes affaires : lÕun fut le landgrave de Hessen-Cassel, nomm Guilhaume, qui tait le principal soutien de nos affaires en Allemagne, qui mourut le premier jour de ce mois ; et lÕautre, Mr le duc de Savoie, prince dou de toutes les bonnes qualits qui peuvent orner un prince, qui tait grand ennemi de la maison dÕEspagne et trs affectionn la France, dcd le 8me du mme mois. Mais en rcompense Mr le marchal de Chatillon prit sur les ennemis Damvilliers le mardi 27me octobre, jour remarquable par cette prise, et par celle de Mr le marchal de Vitry qui fut arrt prisonnier Saint-Germain et men le mme jour dans la Bastille, comme aussi ce mme jour le duc dÕAluin fut fait marchal de France, et le lendemain Mr le comte dÕAlais fut pourvu du gouvernement de Provence, que lÕon ta Mr le marchal de Vitry.
Il arriva aussi ce mme mois deux bonnes fortunes la France : lÕune fut la retraite que les Espagnols firent, abandonnant dÕeux-mmes, sans y tre forcs ni contraints, les forts et lieux qu'ils avaient occups ou construits sur la frontire de Bayonne vers Saint-Jean de Luz ; et la conjonction qui se fit le 10me octobre de lÕarme du roi, qui (je ne sais pour quel sujet), sÕtait divise, en tant demeur une partie Maubeuge qui avait t prise par les ntres, et lÕautre tant venue assiger la Capelle pendant que le prince cardinal-infant revenu des prises de Venlo et Ruremonde sÕtait venu loger entre lÕune et lÕautre ; ce que jÕattribue la grande bonne fortune du roi : car probablement une des deux dites armes franaises devait tre taille en pices.
Ce mme mois aussi, le 8me, se rendit la ville de Breda aux Hollandais aprs six semaines de sige. Et comme ce mois fut heureux la France, il fut malheureux pour mon particulier. Sur le commencement un maraud (que je ne veux nommer parce quÕil ne mrite pas de lÕtre), tint au roi un discours contre moi pour lÕanimer, et lui ter les racines de bonne volont quÕil avait pour moi dans son cĻur (sÕil lui en tait encore rest). Je ne puis croire que lÕon lui et port dÕailleurs, et moi je ne lui en avais jamais donn d'occasion ; au contraire il mÕtait oblig.
Ensuite de cela un autre coquin, faux historiographe sÕil en ft jamais, nomm Duplex, qui a fait l'histoire de nos rois, pleine de faussets et de sottises, les ayant mises en lumire cinq ans auparavant, me furent apportes dans la Bastille : et comme je pratique en lisant les livres, pour y profiter, dÕen tirer extraits des choses rares, aussi quand je trouve des livres impertinents ou menteurs vidents, jÕcris en marge les fautes que j'y remarque : jÕcrivis en marges les choses que je trouvais indignes de cette histoire, ou ouvertement contraires la vrit qui la doit accompagner. Il arriva un an aprs quÕun minime, nomm le pre Renaud, venant confesser lÕabb de Foix dans la Bastille, tant tomb puis aprs en divers discours avec lui, lui dit finalement que quelques-uns de leurs pres travaillaient rfuter les faussets de ce Duplex, et ledit abb de Foix lui dit que j'en avais fait quelques remarques aux marges des livres, lesquels livres ils me vinrent prier de leur prter pour un jour ou deux, ce que je fis ; et ce moine en tira ce quÕil jugea propos, puis me rendit les livres : et quelque temps aprs, ledit moine fit copier tant ces dites remarques que celles quÕil y voulut ajouter ; et ensuite dÕautres en en faisant faire des copies y ajoutrent force choses, tant contre des particuliers que contre cet auteur ; et parce que ce moine avait pris tous ses premiers mmoires de moi, il fut bien aise, pour cacher son nom, de dire sourdement le mien, de sorte que l'on crut ces mmoires, qui avaient t faits en partie par moi, mais aux choses vraies et modestes, tre entirement venus de moi : et cinq ans aprs cet auteur Duplex, suscit mon avis par dÕautres, vint montrer force particuliers, et la plupart mes amis, des mdisances et calomnies qui faussement avaient t insres contre eux, leur voulant persuader que cÕtait moi qui les avais crites et publies ; de sorte que plusieurs diverses personnes m'en firent parler, auxquelles ayant fait voir les originaux que j'avais apostills, ils en demeurrent satisfaits. Mais comme lÕon est bien aise de trouver des prtextes apparents quand les vritables manquent pour colorer et autoriser les choses que lÕon fait, ce pendard de Duplex fut cout lorsquÕil fit voir aux ministres ces mmoires que faussement il m'attribuait, et fut aisment cru quand il et dit quÕil y avait plusieurs choses o je tmoignais que je nÕapprouvais pas le gouvernement prsent, bien quÕil n'y en et aucune, mme aux remarques supposes, qui en parlt ; et on ne manqua pas de le rapporter au roi, et de lui dire quÕil apparaissait videmment par ces mmoires que jÕavais de lÕaversion sa personne, et lÕtat : mme plusieurs qui dans ma bonne fortune mÕtaient obligs, sÕefforcrent de lui faire croire, et le roi y ajouta foi d'autant plus tt quÕil savait qu'ils taient mes amis, et l'affaire en passa si avant que lÕon permit ce pendard dÕcrire contre moi un livre sur ce sujet, et obtint des lettres pour le faire imprimer.
En ce mme temps il y eut un chevau-lger prisonnier pour avoir rcit un sonnet qui commenait par ces mots : Mettre Bassompierre en prison, et qui continuait par des mdisances contre monsieur le cardinal ; et comme lÕon le fit troitement garder, et soigneusement interroger, on eut dÕautant plus de curiosit de savoir la cause de sa dtention ; et comme un des prisonniers eut trouv moyen de lui parler un instant, il lui dit que cÕtait pour des vers qui parlaient de moi. Cela me mit en alarme, qui me fut augmente par le gouverneur de la Bastille qui me dit inconsidrment (ou bien exprs), que ce prisonnier avait t arrt pour des choses qui me regardaient : ensuite de quoi on me manda de la ville, de bonne part, que je prisse garde moi, et quÕil se machinait quelque chose d'importance contre moi, dont ils tcheraient dÕen apprendre davantage, ne m'en pouvant pour lÕheure dire autre chose sinon de mÕavertir de brler tous les papiers que je pourrais avoir capables de me nuire, parce quÕassurment on me ferait fouiller. J'avoue que ce dernier avis qui suivait tant de prcdentes circonstances et dÕautres mauvaises rencontres, fut presque capable de me faire tourner l'esprit. Ce fut le 9me octobre que je le reus : je fus six nuits sans fermer l'Ļil, et quasi toujours dans une agonie qui me fut pire que la mort mme. Enfin ce prisonnier, qui se nommait Valbois, aprs avoir t sept ou huit fois interrog, et quÕil et fait voir que ce sonnet avait t fait sept ans auparavant, cette affaire se ralentit, et je commenai reprendre mes esprits qui certes avaient t trangement agits.
J'eus aussi encore plusieurs dplaisirs domestiques de la Bastille, tant causs par un maraud de mdecin Vaultier, que par une cabale (qui se fit contre moi par son induction) de quatre ou cinq personnes de son humeur, qui, bien qu'ils fussent impuissants me nuire, taient capables de mÕanimer par leurs dportements, et moi, qui (pour mille raisons), ne devais faire dans la prison (et moins en ce temps-l, o j'avais tant de diverses et fcheuses rencontres), aucune chose qui pt faire parler de moi, ne me voulant compromettre ni venger, recevais de grands et violents dplaisirs par cette contrainte. Il arriva de plus que la gouvernante de la Bastille que j'avais toujours crue une de mes meilleures amies, et que j'avais toujours tch (par tout ce que j'avais imagin lui pouvoir plaire), dÕacqurir sa bienveillance, se jeta inconsidrment dans cette cabale contre moi, sans aucune cause, ni occasion que je lui en eusse donne, et mme tant ceux qui plus ouvertement et injurieusement avaient mdit d'elle ; et elle a depuis continu faire sous main tout ce quÕelle a pens me pouvoir dplaire, autant quÕelle a pu.
Novembre. Ń Ainsi se passa le mois dÕoctobre, et celui de novembre qui le suivit commena par une autre disgrce qui me fut sensible : qui fut que sous main, par l'entremise de ma sĻur de Tillires, nous avions trait et presque conclu le mariage de ma nice dÕEpinal avec Mr de la Mailleraye, riche seigneur, chevalier du Saint-Esprit, et lieutenant-gnral de Normandie, lequel (comme nous tions sur le point de terminer cette affaire), mourut le 2me du mois de novembre ; et par ainsi ce dessein, qui tait comme conclu, qui m'tait trs agrable, et avantageux ma nice, alla en fume.
Mon petit-neveu de Houailly mourut en ce mme temps. La fivre quarte arriva ma nice sa mre peu aprs, qui lÕa, depuis, longtemps tourmente ; et j'eus nouvelles que mon neveu de Bassompierre tait derechef tourment de son hydropisie.
En ce mme mois les Impriaux reprirent les forts que le duc de Weimarch avait faits sur le Rhin pour sÕy donner un passage, lequel (tant contraint par la saison dÕaller chercher ses quartiers dÕhiver), avait consign lesdits forts au sieur de Manicamp, qui sÕtait charg de les garder.
J'eus nouvelles ce mme mois que mon neveu le chevalier de Bassompierre ne se gouvernait pas comme il devait avec son grand-pre le comte de Tornielle, auquel j'crivis pour lui en faire des excuses, et fis menacer mon dit neveu que je le maltraiterais sÕil ne donnait son grand-pre toute sorte de contentement. Mais par la rponse que je reus dudit comte de Tornielle il me fit savoir, au mois de dcembre suivant, que mon dit neveu avait rsolu dÕaller trouver son frre an qui est au service de l'empereur, et quÕil m'en avertissait et sÕen dchargeait sur moi, ce qui m'obligea, de peur que lÕon ne sÕen prt moi, d'envoyer sa lettre Mr de Chavigny lequel, le soir auparavant, avait reu du gouverneur dÕEpinal nomm ....... des lettres interceptes de mon neveu de Bassompierre son frre le chevalier, par lesquelles il le conviait de l'aller trouver, ce qui me servit ; car on connut par lÕavis que j'en donnais moi mme, que je nÕavais aucune part en cette affaire, et que je me rendis ensuite puissant pour retirer mon dit neveu de la prison o on rsolut de le mettre ; et on excuta ce dessein le dernier jour de l'an, que l'on envoya de Nancy soixante mousquetaires Harouel pour se saisir de lui et lÕamener Nancy o il fut mis dans la citadelle.
Je ne dis rien en ce lieu de la brouillerie du roi et de la reine sur la surprise que lÕon fit de quelques lettres quÕelle crivait au cardinal-infant et au marquis de Mirabel, et quÕelle envoyait par lÕentremise de l'agent d'Angleterre que madame de Chevreuse lui avait adress, de lÕaccord du roi et dÕelle vers la fin de lÕanne, fait Chantilly, et du chassement des religieuses du Val de Grace, qui lÕavait prcd ; non plus que du subit et extraordinaire partement et voyage de madame de Chevreuse en Espagne, ni que le pre Causseins confesseur du roi fut t de cette charge et envoy en Basse-Bretagne, ni de ce que dit Mr dÕAngoulme monsieur le cardinal sur le sujet dudit pre Causseins, ni finalement de l'entre de monsieur le chancelier dans le Val de Grace, o il fit crocheter les cabinets et cassettes de la reine pour prendre les papiers quÕelle y avait.
Janvier.Ń L'anne 1638 commena par un bon augure pour la France en ce que la reine se crut grosse par des signes apparents (qui depuis vingt et deux ans quÕelle tait marie, ne lÕavait point t) : cela causa une grande joie au roi, et tous les Franais une esprance d'un grand bonheur venir.
J'ai dit ci-dessus comme le duc Bernard de Weimarch, aprs avoir rsign Manicamp les forts qu'il avait construits sur le Rhin, sÕtait retir en ses quartiers dÕhiver, lesquels lui furent si incertains que, sÕil en voulut avoir, il fut contraint de les prendre la pointe de lÕpe ; ce quÕil fit en se venant loger en un petit pays qui est entre le comt de Bourgogne et les Suisses, appartenant lÕvque de Ble, nomm les Franches-Montagnes, qui nÕavait encore t mang, parce qu'il tait gard par les paysans du lieu qui en avaient retranch les avenues ; et ceux des pays voisins y avaient transport ce qu'ils avaient de plus cher. Il fora donc ce retranchement, et ayant tu partie des paysans qui sÕopposrent lui, le reste fit joug. Il trouva l de quoi se loger, et y hiverner, comme aussi force chevaux pour remonter ses gens, quÕune mortalit qui avait couru lÕanne prcdente sur les chevaux avait la plupart mis pied. Les Suisses se voulurent formaliser de cette invasion du Waimarch dans les pays qui taient sous leur protection ; mais enfin on les rapaisa par belles paroles.
Fvrier. Ń JÕavais eu de monsieur le cardinal tant de bonnes paroles lÕanne prcdente lorsquÕil me fit assurer quÕil nÕy aurait jamais aucune paix ni trve que le roi ne me rendt ma libert avec tant dÕavantages et de marques de sa libralit et bont, que jÕaurais toute sorte de sujets dÕen tre satisfait, que je crus tre oblig de lui en rafrachir la mmoire, et dÕautant plus que, vers le commencement du mois de fvrier, je fus averti que l'on traitait sourdement, mais fort chaudement, une trve pour quelques annes entre France et Espagne : ce qui mÕoccasionna de prier ma nice de Beuvron de lui aller faire des instances de ma libert, si souvent promise, si ardemment attendue de moi, et qui avait t si mal effectue. Elle trouva donc moyen, aprs plusieurs difficults, de parler lui sur ce sujet ; mais contre mon attente elle trouva son esprit si aigri contre moi, si fier en ses rponses, et si impitoyable, que je nÕen fus pas moins tonn, quÕafflig de me voir, aprs de si longs malheurs, de si petites esprances de les finir. Je me remis, et ma libert, en Dieu, qui saura bien finir mes maux quand il lui plaira.
Or, ce que jÕappris, les traits de la trve nÕtaient pas sans fruit ; car elle fut en ce temps-l sur le point dÕtre conclue ces conditions : quÕelle serait pour quatre ans entre les deux rois, lÕempereur, et la couronne de Sude ; que chacun retiendrait ce qu'il possde, hormis que les Franais rendraient Landrecy et Damvilliers, et le roi dÕEspagne le Catelet ; que la ville de Pignerol qui avait t retenue par le roi contre le trait de paix, sous prtexte dÕun simul achat fait par le roi au duc de Savoie, et depuis fortifie avec une extrme dpense, serait ratifie par lÕEspagnol, sans qu' lÕavenir, par aucun prtexte ou couleur, le roi d'Espagne en puisse faire instance ou demande, approuvant la vente quÕen avait faite ledit duc au roi, et que par mme moyen aussi le roi trs-chrtien remettrait s mains de la duchesse de Mantoue, au nom de son fils, le duch de Montferrat, ses appartenances et dpendances, puisque le roi ne le dtenait que sous prtexte de le conserver et garder contre tous pour le duc de Mantoue, et aprs cette restitution la duchesse aurait pouvoir dÕen traiter ou changer avec le roi dÕEspagne, ce qui tait dj conclu entre elle et lui, par lÕentremise du pape, en la forme qui sÕen suit : que la duchesse cderait, tant en son nom quÕen celui de son fils, le Montferrat toujours, moyennant quoi et en rcompense, le roi dÕEspagne donnerait au petit duc de Mantoue cette partie du Crmonois qui est depuis Mantoue jusques Cremone exclusivement, comme aussi les quatre pices nerves par les partages du duch de Mantoue, qui sont Guastalla, Castillone, Bosolo et la Novalara, quÕil rcompenserait des propritaires par dÕautres terres quÕil leur donnerait, et de plus la Mirande et la Concorde, Saviannette et Correggio, ce qui tait trs avantageux pour le duc de Mantoue, attendu que cet change valait mieux de plus de cinquante mille cus de rente que le Montferrat, quÕil tait attenant au duch de Mantoue, et par consquent plus commode, et quÕil dlivrait le duc des fortes garnisons quÕil tait contraint de tenir Casal, et des continuelles apprhensions o il tait avec ses voisins qui y remuaient incessamment quelque chose. Cette trve se traitait Rome, recherche en apparence par tous les deux partis, grevs des infinies dpenses quÕil leur convenait faire pour cette guerre dont lÕun ni l'autre nÕesprait pas retirer grand profit, et lÕon tait dj convenu du temps, qui tait de quatre annes, quand le 3me jour de mars la bataille de Reinfeld fit rompre ce projet, qui arriva en cette sorte :
JÕai dit ci-dessus comme le duc de Saxe Bernard de Weimarch (aprs avoir consign les forts du Rhin Manicamp), tait venu prendre ses quartiers d'hiver aux Franches-Montagnes qu'il avait forces et pilles, y ayant trouv de quoi se rafrachir, et remettre en quelque sorte son arme. Mais comme ce pays est petit, il fut bien tt tari de vivres, ce qui contraignit ledit duc de penser sa nourriture pour lÕavenir, et ayant fait tenter le roi de lui donner quartier en Bresse, et en Bourgogne, on lui fit comprendre que lÕarme de Mr de Longueville y pouvait peine trouver de quoi subsister, et que la sienne tant destine pour faire tte aux ennemis du ct dÕAllemagne, il ferait mieux de chercher sa subsistance en lieu qui lui ft quand et quand [en mme temps] conqute. Il se trouva quÕen ce mme temps il lui fut propos par le colonel dÕErlach Castelen le dessein de se jeter dans les quatre juridictions au-de du mont Arberg, que lÕon nomme vulgairement les quatre villes forestires appartenant la maison dÕAutriche, qui sont Reinfeld, Sekinguen, Laufenbourg, et Valdshout, lesquelles, pour avoir t prises et reprises pendant ces guerres, taient comme abandonnes premier occupant ; que depuis deux ans on y avait sem, joint aussi quÕil y avait des ponts sur le Rhin, qui tait ce quÕil devait dsirer, et quÕau-del il aurait foison de vivres dans lÕAlsats del le Rhin qui sÕtait en quelque sorte raccommod. Ė cela se prsentait la difficult de lÕentreprendre, vu qu'il y avait quatre gnraux qui se pourraient rassembler, qui joints ensemble, taient sans comparaison plus forts que lui : mais elle fut surmonte par la facilit de lÕentreprise et de lÕexcution, par lÕassurance du secours que lÕon lui promettait de France, et par la ncessit de ne pouvoir o aller ailleurs ; de sorte qu'il sÕy rsolut, et ds la fin de fvrier s'achemina Laufenbourg quÕil prit avec peu de rsistance, comme il fit aussi Valdshout et Sekinguen, puis sÕen vint assiger Reinfeld. Cette inopine invasion rveilla les chefs du parti de lÕempereur, et se joignirent pour se venir opposer lui le duc Savelly, Jean de Vert, Equenfort, et Sperreuter, qui vinrent un matin fondre sur lui comme il tait occup ce sige qu'ils lui firent lever en dsordre, ayant jet mille hommes dans Reinfeld, tandis que par un autre endroit ils vinrent furieusement assaillir le camp dudit duc, la dfense duquel Mr de Rohan sÕopposa avec grande valeur, et y fut fort bless, pris, et puis rescoux [repris]. Le colonel dÕErlach fut pris aussi avec plusieurs autres, et quelque nombre de tus ; le bagage du duc perdu, ses munitions, et quelque artillerie qui, pour nÕtre si bien attele que les autres, ne put suivre le duc, qui se retira Laufenbourg, dsespr de voir ses entreprises avortes, et lui rduit une grande extrmit, ne sachant comment se retirer ni o avoir recours ; ce qui le porta une dtermine et prilleuse entreprise qui lui succda nanmoins avec un extrme bonheur : car les ennemis aprs avoir secouru Reinfeld, et fait lever le sige au duc de Weimarch, se devaient probablement retirer de devant cette place, et songer dÕautres desseins, ce qu'ils ne firent nanmoins, (soit quÕils fussent enivrs de ce premier bon succs, soit quÕils se confiassent en leurs grandes forces, ou quÕils eussent en mpris celles du duc de Weimarch, ou ne se pouvant imaginer que celui qui ne les avait os attendre, ayant ses forces entires, et lÕaudace de les attaquer, tant ruines et dpries par ce dernier chec), sjournrent deux jours proche de Reinfeld faire rjouissance de leur heureux succs ; dont le duc Bernard averti conut en son esprit de les attaquer au dpourvu, et que cela les pourrait mettre en tel dsordre quÕil en pourrait tirer quelque avantage, ce quÕil excuta aussitt ; et aprs avoir propos son dessein ses chefs, et quÕil lÕet fortifi des raisons quÕil jugea plus propres pour les y faire concourir, lui et eux allrent le proposer aux troupes quÕil avait fait mettre en bataille, lesquelles le comprirent si bien quÕils demandrent tous quÕil les ment au combat, ce quÕil fit en mme temps, et ayant chemin une partie de la nuit du 2 au 3me de mars, il arriva la pointe du jour au lieu o ces gnraux avec leurs troupes taient logs confusment proche de Reinfeld, qui tant monts cheval en dsordre, furent tout le reste de mme, de sorte que, les soldats tant fuis, les chefs qui voulurent faire quelque rsistance furent tus ou prisonniers, et les quatre gnraux pris, avec leurs canons, enseignes, cornettes, et bagage, et la tuerie fut sans rsistance aussi longtemps que les troupes du duc voulurent poursuivre les Impriaux.
Cette victoire si heureuse, si grande, si complte, et si inopine, mit le duc de Waimarch en une grande rputation, lui donna en proie toute lÕAlsace, et mit en grande consternation le parti de lÕempereur jusques au Danube, nÕy ayant aucune arme, ni chef, ni mme de troupes en son nom plus proches quÕen Hesse o tait le gnral Geuts qui nÕavait pas ses troupes prtes de sortir de leurs quartiers dÕhiver, qui est plus pre et plus long que par de, de sorte que le Waimarch put sans rsistance se saisir de Fribourg et de plusieurs autres villes, Reinfeld sÕtant rendu lui peu aprs sa victoire, et commena comme investir Brisac qui avait puis ses vivres tant ravitailler Reinfeld quÕ nourrir les troupes qui sÕacheminrent pour le secourir.
Au mme temps que la bataille de Reinfeld se donna sur le Rhin, le marquis de Leganes, gouverneur de Milan, lui tant arriv quelques forces dÕAllemagne, se mit en campagne, et assur du peu de forces que nous avions en Italie, et du peu d'ordre que nous avions mis au fort de Breme que, deux ans auparavant, le duc de Savoie et nous, avions construit sur le Pau du ct du Milanais, le vint assiger ; et Mr de Crquy, lieutenant gnral pour le roi en Italie, se rsolvant de le secourir, tait venu du ct de de du Pau pour reconnatre le lieu par o il le voudrait entreprendre, fut tu dÕun canon de 17 livres de balle le mercredi 17me de mars sur les huit heures du matin, qui lui fut tir du camp des Espagnols : ce fut une trs grande perte la France ; car cÕtait un des plus grands personnages et des plus expriments capitaines quÕelle et, et si important pour les guerres d'Italie, que je prie Dieu que nous nÕayons l'avenir beaucoup plus regretter. La perte du gnral fit ensuite perdre le fort de Breme, se voyant hors dÕtat dÕtre secouru : mais on ne laissa pas de faire quelque temps aprs trancher la tte au gouverneur qui lÕavait rendu, nomm Montgaillart, et dgrader de noblesse les capitaines qui taient sous lui.
Ce mme mois je dcouvris la volerie quÕune personne qui j'avais fait du bien avant mme que de le connatre, de qui la mchancet et lÕingratitude a t si grande que, mÕtant fi lui, et donn ma procuration, tant pour gouverner un peu de bien et dÕaffaires que j'avais en Normandie, et pour convenir avec une personne qui je devais, il sÕest entendu avec cette personne et mÕa tromp de plus de vingt cinq mille livres quÕil sÕest appropries, et ayant reu sept ans durant mon revenu, ne mÕen a jamais fait toucher un sol. Dieu me donnera la grce de lui en faire un jour rendre compte.
Ce mme mois les huit et trois millions de rente constitue sur les aides et gabelles de France ne sÕtant pays plusieurs quartiers auparavant, murent les rentiers faire instance au conseil pour leur paiement ; ce quÕils excutrent plus chaudement et avec plus de bruit que le conseil du roi ne dsirait, et ensuite se retirant de chez le chancelier, ils rencontrrent Cornuel l'intendant qui entrait chez le surintendant, lequel ils poursuivirent avec injures, de sorte que, sÕil ne fut promptement entr chez le surintendant, il et couru fortune. Cela fut cause que l'on mit dans la Bastille trois desdits rentiers, savoir Bourges, Chenu, et Selorum, et les autres ayant prsent requte au parlement, il fut dit que les chambres seraient assembles pour en dlibrer. Mais comme elles furent venues la grand'chambre, le premier prsident leur ayant montr une lettre de cachet portant dfenses de dlibrer sur ce sujet, il y eut quelque contestation l-dessus, et le lendemain on fit commandement aux prsidents Gayan, Chanron, et Barrillon, et aux conseillers Salo-Beauregart, Tibeuf-Bouville, et Sevin, les deux premiers de se retirer en leurs maisons, et aux autres quatre dÕaller, savoir, Barrillon Tours, Salo-Beauregart Loches, Sevin Amboise, et Tibeuf-Bouville Caen ; et ds qu'ils y furent arrivs, il leur vint un nouvel ordre de demeurer prisonniers dedans les quatre chteaux de ces villes. Le prsident Gayan eut peu de jours aprs permission de retourner, et de faire sa charge.
Aussitt aprs que la nouvelle fut arrive de la mort de Mr le duc de Crquy, on jugea trs ncessaire dÕenvoyer promptement quelqu'un pour lui succder, attendu lÕtat du fort de Breme que lÕon ne croyait pas se pouvoir maintenir sÕil nÕtait promptement secouru : et comme on tait en cette consultation, Mr le cardinal de la Valette sÕoffrit cet emploi, qui lui fut aussitt accord, et press de partir ; mais il ne le put faire quÕau commencement dÕavril. Le bruit courait que lÕon nÕavait pas t trop satisfait de lui de son emploi de lÕanne passe, tant pour avoir opinitr de conserver Maubeuge, dont il y avait pens avoir grand inconvnient, que pour nÕavoir voulu entreprendre sur Cambrai, ni excuter une entreprise que lÕon avait dessus, ainsi quÕil lui avait t expressment ordonn. Ė son malentendu sÕajoutait celui de sa maison ; car Mr dÕEpernon nÕavait pas fait, ce que lÕon croyait, ce quÕil et pu faire pour chasser les Espagnols de Fontarabie ; et Mr de la Valette sÕtait embarrass dans les affaires de Monsieur et de Mr le Comte, dont il tait par de en trs mauvais prdicament [rputation], non seulement vers le roi et monsieur le cardinal, mais encore vers Monsieur et Mr le Comte. Ce dernier emploi de Mr le cardinal de la Valette accommoda l'affaire de son frre, ou au moins la pltra pour l'heure ; car son frre vint sur sa parole trouver le roi, et fut vu de monsieur le cardinal, puis sÕen retourna en la charge quÕil avait de lieutenant-gnral sous Mr le Prince, qui lÕon avait donn un ample pouvoir pour commander en Languedoc, Guyenne, et Barn, avec une puissante arme quÕil avait sur pied.
Ce mme mois on fit sortir les troupes du roi de leur quartier d'hiver, ou (pour mieux dire), on les mit en campagne pour former des corps d'arme ; car la plupart avaient vcu presque discrtion sur le plat pays par la mauvaise excution qui avait succd un trs bon ordre : car on avait projet de les faire nourrir par les pays o elles avaient t dparties, et que les villes se chargeraient de leur subsistance au taux et la ration qui avait t limite, et que la rpartition sÕen ferait ensuite sur le pays, qui par ce moyen serait conserv ; quoi les peuples sÕtaient si franchement ports que les dites villes avaient la plupart avanc deux et trois mois de contribution que de bonne foi ils avaient mises s mains de Besanon (qu'avec un ample pouvoir le roi avait commis pour effectuer cet ordre) : mais lui premirement, ce quÕon dit, en remplit ses bougues [sacs], puis, pour sÕaccrditer en cour, ayant donn avis quÕil avait de grandes sommes en dpt, Bulion qui avait force argent distribuer lors, et qui avait peu de fonds, persuada que lÕon prt celui qui tait s mains dudit Besanon pour subvenir lÕurgente ncessit du duc de Waimarch aprs quÕil eut pris Laufenbourg, ce qui fut excut ; et les soldats tant privs des rations ordinaires que lÕon leur donnait, forcrent les villes o ils taient de leur fournir leur entretnement, et puis ensuite vinrent impunment piller le plat pays avec un trs grand dsordre, ce qui fit que premirement le peuple ruin fut impossibilit de fournir aux charges ordinaires de lÕtat, et que la plupart dsertrent les bourgs et villages, et ensuite que les soldats chargs de pilleries et de butin, considrant que lÕon leur voulait faire passer lÕt sans solde cause de la subsistance quÕils avaient eue l'hiver, prfrrent le sjour en paix de tout cet t dans leurs maisons ou celles de leurs amis o ils pouvaient demeurer, vivant de ce qu'ils avaient amass, lÕemploi dÕune guerre pendant l't o ils auraient beaucoup de maux et de fatigues et point de solde ; de sorte que la plupart des soldats ayant dlaiss les compagnies, elles se trouvrent si faibles quand on les voulut mettre en campagne, que l'on n'eut gure que le tiers des soldats que lÕon sÕtait promis : ce qui fut cause de faire acheminer le roi vers la frontire de Picardie, afin de faire par sa prsence et mme par la rigueur et le chtiment remettre les troupes en meilleur tat ; quoi il procda jusques l de casser la compagnie de Chandenier au rgiment des gardes, qui devant tre de deux cents hommes, ne se trouva que de cinquante, et de rduire la plupart des autres compagnies dudit rgiment 150 hommes. Ces exemples, et le soin que lÕon apporta remplir les compagnies des autres rgiments, les renfora quelque peu ; mais nanmoins les troupes dÕinfanterie ne furent si belles, ni si compltes, quÕelles soulaient tre les annes prcdentes.
Un presque pareil inconvnient arriva pour la cavalerie : car, comme lÕon les mit en garnison, le roi accorda aux capitaines que, pour les enrichir, et leur donner moyen d'entretenir leurs gens durant lÕt, il ne les obligeait de tenir leur nombre complet dans les garnisons, et que leurs distributions courraient comme sÕil tait complet, pourvu quÕils sÕobligeassent de les rendre compltes lorsqu'elles viendraient l'arme : ce qui fut cause que les capitaines licencirent tous leurs soldats huit ou dix prs des anciens et affids ; et quand il les fallut faire mettre en campagne, les capitaines ne pouvaient trouver de soldats, parce que ceux quÕils avaient casss nÕayant rien reu l'hiver, ne voulurent plus retourner. Enfin nanmoins ils firent du mieux quÕils purent et se mirent aux champs.
On commena donc lors former les corps des armes, et certes on fit un puissant projet pour remdier tous les inconvnients et attaquer vertement les ennemis de tous cts. Pour cet effet on envoya des grandes sommes de deniers au gnral Bannier et au parti sudois pour divertir leur accord avec l'empereur, quÕils projetaient, et leur donner moyen de subsister, et de continuer la guerre en Pomeranie et en Michelbourg [Mecklemburg] o ils sÕtaient retirs. On envoya aussi de gros deniers aux Hollandais pour leur faire faire une puissante arme, et attaquer les Espagnols du ct de Flandres. On mit sur pied une grande arme du ct de Hainaut, commande par le marchal de Chatillon, lequel on avait fait obliger de prendre quelque grande ville pourvu que lÕon lui donnt les choses ncessaires cet effet. On mit une autre arme entre les mains du marchal de la Force pour assaillir le Cambrsis et lÕArtois. Une autre fut donne au marchal de Bres pour assaillir le duch de Luxembourg. Le duc de Waimarch fut renforc d'hommes et dÕargent pour faire tte sur le Rhin, et y faire les progrs quÕil pourrait. On laissa une autre arme Mr de Longueville pour s'opposer au duc de Lorraine dans la comt de Bourgogne. On envoya force nouvelles troupes pour joindre notre arme d'Italie, commande par le cardinal de la Valette qui ne partit que le 20me de ce mois pour sÕy en aller, laquelle, jointe celle de la duchesse de Savoie, devaient s'opposer aux Espagnols qui y taient puissants. Mr le Prince sÕtait dj achemin en Guyenne avec une trs belle arme. Finalement on mit en mer deux armes navales, lÕune en lÕOcan, commande par lÕarchevque de Bordeaux, lÕautre en la mer Mditerrane sous la charge du comte de Harcourt. On pressa madame de Savoie de confirmer la ligue offensive et dfensive entre le roi et elle, que son feu mari avait jure, et on traita avec le roi de la Grand Bretagne dÕen faire de mme pour rtablir le palatin dans ses tats : mais ce dernier nÕy voulut entendre ; seulement permit-il son neveu le palatin de lever des gens dans ses royaumes pour faire un effort au Palatinat, et lÕassista de quelque petite somme d'argent, le roi dÕune plus grande, les Hollandais de quelques canons et munitions, et sa mre de l'engagement du reste de ses pierreries ; avec quoi il se prparait pour cet effet, et avait mis dans la ville de Mepen ses appareils, et mme son argent, laquelle ville lÕavant-garde de Galas vint surprendre, et la perte de tout ce que le palatin avait dedans lui fit avorter ses desseins.
Ce mme mois mourut de ses blessures Mr le duc de Rohan, qui fut certes une trs grande perte la France ; car cÕtait un trs grand personnage, et aussi expriment que personne de notre temps.
Madame de Chevreuse, ce mme mois, passa dÕEspagne en Angleterre, o elle fut trs bien reue : et les jsuites qui avaient t reus Troyes par la violence que Besanon avait faite deux mois auparavant de les y introduire par force, en furent chasss par les habitants de la ville ce mme mois d'avril, auquel le roi envoya interdire la troisime chambre des enqutes du parlement de Paris, sur le mauvais traitement quÕils faisaient un de leurs confrres, nomm Colombel, qui sÕtait fourr contre leur gr en leur compagnie, et qu'ils ne demandaient point l'avis des nouveaux tablis ni ne leur distribuaient les procs ; ladite chambre eut aussi commandement de remettre tous leurs procs au greffe du parlement pour tre de nouveau distribus aux conseillers de la chambre de lÕdit o lÕon en avait attribu le jugement.
Finalement en ce mme mois, le jeudi 23me, la reine sentit bouger lÕenfant dont elle tait grosse.
Mai. Ń Au commencement du mois de mai une personne qui en pouvait avoir quelque connaissance, me fit avertir que, si je voulais faire presser ma libert, le temps y tait bon, et quÕil savait que non seulement je serais cout, mais mme avec efficace. Mais comme j'ai t si souvent tromp de ces esprances, et que je connaissais le peu de bonne volont que lÕon avait pour moi, et les rudes et mauvaises paroles dernires que monsieur le cardinal avait dites ma nice de Beuvron, je ne fis ni mise, ni recette de cet avis, remettant Dieu ma libert quand il lui plairait de me la donner.
Je perdis en mme temps une de mes cousines germaines portant mon nom, madame de Bourbonne, que j'avais toute ma vie extrmement aime.
La peste tua quatre ou cinq personnes aux curies de monsieur le chancelier, ce qui le convia de m'envoyer emprunter ma maison de Chaillot, que je lui accordai, et lui fis meubler au mieux que je pus.
Le duc de Weimarch, suivant sa victoire, aprs avoir pris toutes les petites places de lÕAlsace, sÕavana vers le Wurtemberg : mais sentant approcher le gnral Geuts et Sperreuter (nouvellement sorti de prison), avec des forces considrables, et les voulant empcher dÕavitailler Brisac dnu de vivres, il se retira entre Ble et Strasbourg en un poste avantageux.
Le marquis de Leganes se mit en campagne en Italie avec de grandes forces, et vint assiger Vercel, place importante pour lÕtat de Pimont.
Le marchal de Chatillon se mit en campagne, et vint entrer en Flandres vers Ardres, o aprs avoir pris quelques petits chteaux, il vint camper devant Saint-Omer, et se rsolut de lÕassiger, commenant sa circonvallation.
En ce mme temps le roi d'Angleterre qui sÕenrichit des dsordres de ses voisins, et qui tire des signals profits du trafic qui se fait par Dunquerque avec lui, apprhendant la perte de cette place pour les Espagnols, fit dire par ses ambassadeurs de France et de Hollande que, si le roi ou les tats voulaient entreprendre dÕattaquer Dunquerque, il serait contraint de la secourir, mme de rompre ouvertement avec nous et lesdits tats.
Le roi dfendit en ce mois tout commerce et pratique de ses sujets avec ceux de Sedan, pour quelque mcontentement que le roi avait eu de Mr de Bouillon qui avait aid faire passer quelques convois de vivres aux villes du duch de Luxembourg, permettant au reste aux gens de Mr le Comte de pouvoir aller et venir Sedan.
Juin. Ń Le mois de juin produisit plusieurs choses, savoir : le secours jet de deux mille hommes dans Saint-Omer par le prince Tomas, laquelle ville, grande et pleine dÕhabitants, tait sur le point de capituler avec le marchal de Chatillon, sans attendre un plus long sige ; mais ce renfort si considrable et important les rsolut tout fait une vigoureuse dfense, et fit en mme temps rabattre quelque chose de cette premire ardeur franaise, parce quÕen y entrant le prince Tomas dfit plate couture trente compagnies de gens de pied qui taient mises au poste o le secours passa, qui taient les rgiments d'Espagny et de Foucsolles. Peu de jours aprs nous emes encore un autre chec, mais moindre : car les compagnies de cavalerie de Vittenval et de Vattimont furent aussi dfaites en une embuscade o elles donnrent. Ces divers accidents obligrent le roi de commander au marchal de la Force (qui avec son arme faisait le gast [dvastait] au Cambrsis), de se venir joindre au marchal de Chatillon, lequel se vint loger deux lieues de Saint-Omer vers Ardres. Mais le prince Tomas se campa avantageusement entre la ville et lui, et le gouverneur dÕArdres ayant fait un petit fort la tte dÕune chausse pour pouvoir plus facilement aller picorer sur les terres des ennemis, le prince Tomas la vint attaquer le 24me de ce mois, ce qui obligea le marchal de la Force dÕenvoyer le vicomte dÕArpajon avec des forces pour tcher dÕy jeter du secours ; mais il trouva la redoute prise et les ennemis camps au-devant ; et le lendemain le marchal de la Force tant all avec toute son arme pour la reprendre sur lÕavis que lÕon lui avait donn que les ennemis sÕtaient retirs, il trouva toute lÕarme du prince Tomas en armes pour la dfendre, et quÕil fallait passer par une chausse dcouvert pour y aller, ce qu'ayant command de faire, il y perdit plus de 300 hommes, que morts que blesss l'attaque, et fut contraint de se retirer.
Or comme nous avions fait diverses armes pour attaquer la Flandre, les Espagnols de leur ct en avaient destin trois pour la dfensive, savoir : une, commande par lÕinfant en personne, pour s'opposer celle des Hollandais, quÕil tenait entre Bruxelles et Anvers ; une autre, commande par le prince Tomas, qui devait ctoyer celle du marchal de Chatillon ; et une troisime, mene par Picolomini pour faire tte au marchal de la Force au Cambrsis. Mais deux jours aprs que cette dernire arme fut arrive son rendez-vous, sur la venue des Hollandais vers Flessingue, le prince-cardinal lÕappela pour se venir joindre la sienne ; et l'avant-garde des tats tant venue prendre terre la digue de Calo, prit un des premiers forts par intelligence, et ensuite un autre et une redoute par force, et de l vint assiger le fort de Saint-Phelipe, qui se dfendit bravement, et donna loisir au cardinal-infant de le venir secourir, et fit telle diligence quÕil trouva les ennemis (quÕun vent contraire avait empchs de se rembarquer), et les tailla en pices, remportant quarante drapeaux, huit cornettes, vingt-cinq canons de fonte, et plus de cent de fer, avec douze pontons. Le fils du gnral qui tait le comte Guilhaume de Nassau, y fut tu : lui se sauva avec peu dÕautres ; tout le reste de cette petite arme de six mille hommes fut tu, pris, ou noy en se retirant, le 25me de ce mois.
Mr le Prince cependant tant arriv Bordeaux (o il trouva Mrs d'Epernon et de la Valette mettant ordre tout ce qui pouvait concerner et faciliter son entreprise pour entrer en Espagne), donna Mr dÕEpernon une lettre du roi par laquelle le roi mandait audit duc, qu'il lui avait prcdemment accord sa retraite en sa maison de Plassac lÕinstante supplication quÕil lui en avait faite, et que maintenant il lui ordonnait par absolu commandement, et de nÕen bouger sur peine de contravention son ordre ; ce quÕil lui donnait pour chtiment de ce quÕil avait perscut et tourment des personnes qu'il devait aider et assister puisquÕils avaient le caractre de ses serviteurs, et sa protection : quoi Mr dÕEpernon obit aussitt.
Il y avait aussi plusieurs mois quÕil ne sÕexpdiait rien Rome pour les bnfices consistoriaux ; dont la cause tait que la protection dÕAragon, Valence, et Catalogne, ayant vaqu par la mort du cardinal protecteur, elle avait t prsente au cardinal Barberin qui lÕaccepta et en jouit une anne, au bout de laquelle, sur quelque plainte qui fut faite par lÕambassadeur du roi au pape de ce que son neveu se partialisait par trop, en acceptant et exerant cette protection, et que le roi voulait que le cardinal Antoine Barberin prit la protection de France, quÕil lui offrait, le pape trouva bon quÕil lÕacceptt, mais jugeant quÕil nÕtait pas biensant que ses neveux se partialisassent si fort pour lÕune et lÕautre couronne, dfendit lÕun et lÕautre dÕexercer ces protections ; dont le roi dÕEspagne ne se soucia gure, mais le roi persista vouloir que le cardinal Antoine exert une anne cette protection, comme le cardinal Barberin avait fait celle de Aragon, quoi le pape ne voulut consentir ; qui fut une des premires plaintes du roi contre le pape. tant arrive ensuite la conqute de Lorraine, le roi entreprit de pourvoir aux bnfices simples dudit duch et de nommer aux consistoriaux, comme pareillement aux trois vchs de Metz, Toul et Verdun, et aux bnfices en dpendant, bien quÕils ne fussent du concordat : et tant arrive la vacance de lÕabbaye de Saint-Paul de Verdun (bien quÕil y et un coadjuteur pass en cour de Rome), le roi en pourvut le fils du procureur gnral de Paris, quoi le pape sÕopposa, et le roi en fit jouir son pourvu par conomat. Ensuite lÕvch de Toul tant vaque lorsque le cardinal de Lorraine se maria, le pape donna ladite vch lÕabb de Bourlemont son parent, et le roi y nomma lÕvque de Corinthe qui en tait suffragant ; et le pape, vaincu par les prires du roi, accorda pour cette fois seulement que lÕvque de Corinthe fut vque de Toul, lequel tant mort depuis un an, le roi y nomma lÕabb de Saint-Nicolas dÕAngers, des Arnauts, et le pape lors donna de nouveau lÕabb de Bourlemont, sans sÕen vouloir rtracter, lÕvch de Toul. Aprs cela, ce qui fchait le roi et monsieur le cardinal, fut que le pre Josef, prsent depuis neuf ans au pape pour tre fait cardinal, avait t constamment refus par Sa Saintet, et offert au roi dÕen faire un autre en cas quÕil voult en avoir, et que le pape le ferait : mais le roi sÕy tait tellement opinitr quÕil ne sÕen voulut jamais dsister, et le pape sÕobstina aussi de telle sorte quÕil aima mieux ne faire point de promotion que dÕy admettre le pre Josef. Tout cela fit que lÕon ne fut pas satisfait du pape par de. Mais encore plus que tout cela tait que monsieur le cardinal, qui plusieurs annes auparavant sÕtait fait lire abb de Cluny, en avait eu ses bulles de Rome ; mais ayant aussi voulu tre chef dÕordre de deux autres rguliers, savoir Cteaux et Prmontr, sÕtait fait lire abb de lÕune et de lÕautre de ces abbayes ; dont la congrgation des ordres Rome se formalisa sur les plaintes que les abbs dpendant desdites abbayes (qui sont en plus grand nombre trangres que franaises), en firent, qui remontrrent quÕils ne refusaient pas dÕobir et de dfrer ces chefs dÕordre franais, pourvu quÕils fussent lgitimement lus, et quÕils eussent des moines pour abbs suivant lÕinstitution, mais non quÕelles fussent domaine dÕun seul homme, comme elles sÕy en allaient tre, et quÕelles demandaient (en cas que cela ft), quÕils pussent lire des gnraux de leurs ordres aux autres royaumes o il y avait des monastres : ce que le pape jugeant tre de prilleuse consquence, ne voulut admettre monsieur le cardinal ces deux abbayes ; dont il se piqua. Toutes ces raisons convirent le roi faire un arrt du conseil par lequel dfenses taient faites dÕaller plus Rome pour y chercher les expditions, ni dÕy envoyer plus dÕargent. Cet arrt fut ensuite mis s mains des gens du roi, qui, aprs y avoir mis leurs conclusions conformes, le portrent la cour de parlement pour le vrifier, ce qui et t unanimement fait (car ceux qui sont affids eussent suivi lÕintention du conseil, et les autres lÕeussent vrifi afin de brouiller davantage les cartes) ; mais il se rencontra que cÕtait un arrt, et non une ordonnance, ou un dit, qui sont les choses que lÕon vrifie en parlement, lequel fit rponse quÕil nÕavait point accoutum de vrifier les arrts du conseil, mais dÕy acquiescer, et que, si on leur envoyait une ordonnance, ils procderaient la vrification : et durant le temps quÕil fallut mettre changer cela, le nonce ayant eu avis de cette affaire vint trouver monsieur le cardinal le mme jour quÕil festinait Jean de Vert et Equenfort que le roi, aprs les avoir tirs des mains du duc de Weimarch et mis prisonniers au bois de Vincennes, finalement ce jour-l les avait mis sur leur foi, et monsieur le cardinal leur voulut faire festin, o Monsieur se trouva. Le nonce donc vint trouver monsieur le cardinal Conflans, et par lÕentremise du pre Josef, fit retarder cette procdure jusques ce quÕil en et donn avis au pape, lequel il faisait esprer quÕil donnerait quelque contentement au roi.
Un bruit courut alors que le roi avait dit monsieur le cardinal quÕil avait sur sa conscience de me retenir si longtemps prisonnier, et que, nÕy ayant aucune chose dire contre moi, il ne mÕy pouvait retenir davantage ; quoi monsieur le cardinal rpondit que, depuis le temps que jÕtais prisonnier, il lui tait pass tant de choses par lÕesprit, quÕil nÕtait plus mmoratif des causes qui avaient port le roi de mÕemprisonner, ni lui de lui conseiller, mais quÕil les avait parmi ses papiers, et quÕil les chercherait pour les montrer au roi. Je ne sais si cela est vrai; mais le bruit en courut par Paris.
Ce mme mois la duchesse de Savoie fit jeter un secours de seize cents hommes dans Vercel qui tait press par le marquis de Leganes. Ce furent des forces de Pimont qui y entrrent ; mais ce furent les gnraux du roi qui en firent le projet et l'excution.
Il se fit aussi ce mois-l un changement de gouverneur en Lorraine, et on y envoya la place du sieur de Hoquaincour qui y tait, le sieur de Fontenai-Mareuil : et Mr le Prince entra la fin du mois avec une belle et forte arme dans la Navarre, du ct de Fontarabie.
Le roi me fit, le 21me de ce mme mois, donner une lettre de cachet pour tirer mon neveu le chevalier de Bassompierre hors de la citadelle de Nancy, o il tait dtenu prisonnier depuis le dernier jour de lÕanne prcdente, et ordonna dans ladite lettre quÕil serait mis s mains de ceux que jÕenverrais cet effet ; laquelle jÕenvoyai avec une autre mienne Mr de Hoquaincour pour le prier de sÕen vouloir charger, et me le vouloir amener Paris quand et lui. JÕcrivis aussi Mr le comte de Tornielle et celui qui faisait mes affaires en Lorraine, nomm Losane, pour le faire mettre en quipage de sÕy acheminer, et lui fournir les choses ncessaires cet effet.
Je perdis aussi ce mme mois un de mes meilleurs amis, nomm Mr de Tilly, conseiller au parlement de Rouen. Mais la mort du seigneur Pompeo Frangipani, qui arriva audit mois, me fut sensible jusques tel point que je souhaitai mille fois la mienne, tant un des plus chers, anciens et vritables amis que j'eusse jamais eu.
Juillet. Ń Le mois de juillet donna commencement au sige de Fontarabie, Mr le Prince ayant pass le 2me la rivire de Bidassoa proche dÕIron sans rsistance, et aprs avoir pill Iron prit le mme jour le port du Passage, o il y avait sept caraques presque acheves et 150 pices de canon que lÕon amena en France, puis se vint camper devant la ville de Fontarabie avec son arme bien leste et munie de tout l'attirail ncessaire pour attaquer cette place, laquelle il pressa durant tout ce mois, les ennemis ayant jet par deux fois du secours dedans, lÕun par terre, et l'autre par la mer, quÕils avaient encore libre parce que la flotte du roi que Mr de Bordeaux commandait nÕy tait encore arrive.
Mais du ct de Picardie les affaires du sige de Saint-Omer ne prirent pas bonne issue, dont je donne la faute et la cause la dfaite des Hollandais sur la digue de Calo, parce que, comme jÕai dit ci-dessus, lÕarme de Picolomini qui tait destine pour faire tte Mr le marchal de la Force ayant t par le cardinal-infant rappele pour faire tte avec la sienne aux Hollandais descendus en Flandres et sÕopposer eux, il nÕy avait plus que lÕarme du prince Tomas qui pt troubler le sige de Saint-Omer : Mr de la Force avec la sienne se vint opposer lui tandis que Mr de Chatillon faisait faire la circonvallation de la place et fournir son camp de vivres et autres ncessits pour six semaines ; et parce que de lÕautre ct dÕune rivire qui passe Saint-Omer par un canal que lÕon y a fait qui lui mne, la ville tait aise tre secourue, il fit par une chausse rentrer la rivire en son premier lit, et fit faire trois redoutes sur cette chausse, et pour empcher que lÕon ne les vnt attaquer et prendre, il fit faire un grand fort au lieu o le bac tait de ladite rivire, qui cause de cela fut nomm le fort du Bac, et fit tat dÕy mettre quatre mille hommes pour le garder, et quantit dÕartillerie : mais avant quÕil ft muni de vivres, ni mme entirement en dfense, le comte Guilhaume ayant t dfait Calo et lÕinfant-cardinal se voyant par ce moyen dlivr pour longtemps de lÕarme des Hollandais, fit promptement retourner Picolomini avec son arme au secours de Saint-Omer, et envoya quand et quand le comte Jean de Nassau avec quinze cents chevaux, pour se joindre au prince Tomas ; lesquels trois gnraux ayant consult de ce quÕils auraient faire, se rsolurent de joindre douze cents Cravates aux troupes du comte Jean, lequel irait harceler Mr le marchal de la Force tandis quÕau mme temps le prince Tomas viendrait attaquer les trois redoutes de la digue, et Picolomini le fort du Bac : ce qui leur russit ainsi quÕils lÕavaient projet ; car le comte Jean de Nassau ayant envoy ces Cravates donner jusques dans le logement de lÕarme du marchal de la Force, sa cavalerie les repoussa vertement jusques dans ces quinze cents chevaux arms quÕil tenait en bataille pour les soutenir, la vue inopine de laquelle notre cavalerie prit lÕpouvante, et en mme temps tant charge par celle des ennemis, elle les mena battant jusques lÕinfanterie que le marchal menait, laquelle fit parfaitement bien, et les ayant arrts sur cul, notre canon ensuite leur fit tourner tte, et notre cavalerie sÕtant rallie les poursuivit leur tour jusques dans leur campement. Or en mme temps que le comte Jean parut, le marchal de la Force en envoya donner avis celui de Chatillon qui fit en mme temps sortir toute sa cavalerie de la circonvallation pour aller au secours dudit marchal de la Force, et lui-mme oyant les canonnades qui se tiraient, jugeant quÕils taient aux mains, mit son infanterie en bataille vers le lieu de la retraite du marchal de la Force, pour le recevoir en cas de malheur ; pendant lequel temps le prince Tomas vint attaquer les trois redoutes de la digue quÕil fora aisment parce quÕelles ne purent tre secourues du ct du camp, les troupes tant diverties ailleurs, ni du ct du fort du Bac qui fut en mme temps attaqu par Picolomini ; de sorte quÕtant prises, et sparrent le fort du Bac, et le divisrent dÕavec le reste de la circonvallation, et eurent moyen d'entrer leur aise et sans aucun empchement dans Saint-Omer, et le pourvoir de toutes choses ncessaires. Le prince Tomas mme y alla loger cette nuit-l, et Picolomini battant furieusement le fort du Bac, le fora dans deux jours de se rendre aux capitulations quÕil lui donna. Tous ces divers accidents obligrent notre arme lever le sige de Saint-Omer, si [toutefois], qui se fit sans dsordre ni confusion. Le combat du comte Jean et l'attaque des redoutes et du fort du Bac se fit le 7me juillet.
Du ct d'Italie nous nÕemes pas meilleur succs : car, comme on attendait la cour le levement du sige de Vercel que nos gnraux avaient mand comme infaillible aprs que le secours y eut t jet, et que les troupes du roi jointes celles de la duchesse de Pimont taient campes proche de la circonvallation que mme on avait mand avoir t emporte, il vint nouvelle comme le marquis de Leganes avait pris Vercel le 8me de ce mois ; ce qui causa une grande consternation nos affaires d'Italie.
Du ct de la Bourgogne, Mr de Longueville prit quelques chteaux, bien qu'il et le duc Charles, plus fort que lui, sur les bras.
Vers lÕAllemagne les ennemis avitaillrent Brisac, quelque diligence que le duc Bernhard de Weimarch pt faire pour les en empcher.
Finalement, pour ce qui est de moi, je fus doublement malheureux en ce que ce sclrat de La Roche Bernard crivit encore contre moi le 19me de ce mois Mr de Bouteillier le pre ; et le gouverneur de la Bastille qui je renouvelai mes plaintes, au lieu de lÕen chtier, lui permit de venir our la messe les dimanches avec les autres prisonniers : et ayant eu la lettre pour la libert de mon neveu, que jÕai dite ci-dessus, ds le 21me de juin, ayant su que Mr de Hoquaincour sÕen retournait de Lorraine, je lui crivis pour le prier de se vouloir charger de lui pour me le ramener Paris, et crivis celui qui faisait mes affaires en Lorraine pour lui fournir tout ce qui serait ncessaire pour son voyage, au cas que Mr le comte de Tornielle nÕy voult pourvoir, qui pareillement j'en crivis, et lui mandai que je mettrais mon dit neveu lÕacadmie si je voyais quÕil se dispost de faire quelque chose de bien, et que, si je le voyais port mal faire, je le tiendrais auprs de moi la Bastille, et tcherais dÕen faire quelque chose de bon ; et ayant mis toutes les susdites lettres en un paquet avec celle du roi, adresses Mr de Hoquaincour, je les envoyai Mr de Ramefort qui me promit de les faire rendre srement s mains de Mr de Hoquaincour. Mais il arriva que le sieur de Villarseaux matre des requtes, arrta pendant les deux ordinaires (je ne sais par quel ordre) tous les paquets qui venaient pour ledit sieur de Hoquaincour Nancy ; et moi ayant mand celui qui fait mes affaires, par lÕordinaire suivant, quÕil ne manqut dÕeffectuer pour le partement de mon neveu ce que je lui avais ordonn par mes prcdentes, tant en peine de ne les avoir reues, arriva le 12me de ce mois Nancy pour apprendre ce quÕelles taient devenues, ce quÕil sut le mme soir par lÕarrive du sieur de Fontenai-Mareuil qui venait succder au sieur de Hoquaincour dans le gouvernement de Lorraine. Mais on ne rendit la lettre du roi pour la libert de mon neveu quÕ lÕheure que ledit Hoquaincour voulut partir, et non lui, mais mondit neveu qui elle ne sÕadressait pas, ni les autres lettres que jÕcrivais, lesquelles ayant ouvertes et vu que je mandais au comte de Tornielle que je le tiendrais la Bastille, ne lui voulut envoyer, et se prpara avec deux ou trois pareils garnements que lui, pour sÕen aller en Bourgogne, ce qui lui fut facile ; car sans le retenir jusques quelque ordre du roi, on le laissa sortir de Nancy avec son valet, et il sÕen alla trouver le duc de Lorraine en Bourgogne : dont je ressentis un sanglant dplaisir, me persuadant que lÕon lÕavait fait exprs vader pour jeter le tout sur moi.
Le mauvais succs du sige de Saint-Omer fit que le roi se rsolut de sÕacheminer en Picardie pour tre sur les lieux et remdier par sa prsence aux dsordres qui taient en ses armes, et fit avancer le marchal de Bres avec la sienne pour se joindre aux autres, ou pour les pauler.
DÕautre ct lÕarme de mer, commande par lÕarchevque de Bordeaux, partit le 23me de la Rochelle pour aller la cte de Fontarabie, qui se dfendait fort bien, et qui voulait attendre les secours que par mer et par terre on lui promettait.
Aot. Ń Pendant le mois dÕaot le roi fit attaquer le chteau de Renty qui au bout de huit jours fut mis en son obissance ; mais comme il le voulait faire dmolir et que lÕon y travaillait, les ennemis en ..... Puis voyant approcher le temps des couches de la reine, il sÕen revint de Picardie Saint-Germain en Laye, laissant monsieur le cardinal sur la frontire, lequel, en son absence, fit attaquer le Catelet.
Le marchal de Bres, comme jÕai dit ci-dessus, avait le commandement dÕune arme qui avait t assemble en Rethlois, lequel, sur le levement du sige de Saint-Omer, eut ordre de sÕavancer, et lÕon croyait mme quÕil aurait les premires et principales commissions, tant beau-frre de monsieur le cardinal, et le roi nÕayant pas beaucoup de satisfaction des marchaux de la Force et de Chatillon. Mais comme, pour lui donner cet emploi sans murmure, monsieur le cardinal et dsir que pour quelque peu de temps on lui mt pour compagnon Mr le marchal de la Force, cause que Mr de Bres nÕtait pas de si grande exprience, il refusa ce compagnon et dit monsieur le cardinal quÕil nÕtait pas bte de compagnie, et quÕil le laisst faire seul, ce que mondit sieur le cardinal ne lui ayant pas absolument accord ni refus lorsquÕil le vit Abbeville, nanmoins sur ce que lÕon lui dit que lÕon parlait derechef de le conjoindre avec Mr le marchal de la Force, il fit un matin assembler les chefs de lÕarme, et leur ayant dit quÕil quittait sa charge, il la remit avec le commandement quÕil laissa au sieur de Lambert marchal de camp, et sans prendre cong du roi ni de monsieur le cardinal, il sÕen revint Paris quoi que lui pt persuader et dire Mr de Chavigny qui fut envoy aprs lui pour lui faire changer de dessein ; et ayant demeur une seule nuit Paris, sÕen retourna en poste en Anjou.
Le 15me de ce mois, jour de lÕassomption Notre Dame, le roi fit faire une procession solennelle Paris pour la ddicace quÕil fit de sa personne, de son royaume et de ses sujets, la vierge Marie. Il advint ce jour l un grand trouble et scandale dans lÕglise de Notre Dame de Paris, caus par ceux-mmes qui devaient lÕempcher et le chtier, si dÕautres lÕeussent mu ; dont la cause fut que le parlement et la chambre des comptes ont accoutum de marcher aux processions o ils interviennent, le parlement la droite et la chambre des comptes la gauche, en sorte que les premiers prsidents de lÕune et de lÕautre marchent de front, et quand ils entrent dans le chĻur de lÕglise de Notre Dame, le parlement se met la droite et la chambre la gauche dans les bancs des chanoines ; et quand cÕest un Te Deum, les premiers prsidents se mettent s chaises plus proches de lÕautel, et le reste de leurs corps ensuite jusques aux places plus proches de la porte du chĻur ; et si cÕest en une procession gnrale, les prsidents premiers se mettent aux chaises prs de la porte, et les corps ensuite, finissant vers lÕautel : or pour lÕentre il nÕy a nul ordre, parce que chacun sÕassemble au chĻur sans crmonie ; mais quand il faut marcher pour aller la procession, il faut ncessairement que les deux corps se croisent pour reprendre, lÕun la main droite, et lÕautre la main gauche : le premier prsident de la chambre des comptes prtendit de marcher aprs celui du parlement quand ce fut sortir du chĻur, et les autres prsidents au mortier ne voulant laisser passer personne, que le gouverneur de Paris, entre leur premier prsident et eux, lÕen empchrent ; sur quoi les deux corps se mirent premirement se choquer, puis se frapper, de sorte quÕil y eut un trs grand dsordre dans lÕglise, Mr de Montbason et plusieurs archers, et autres, ayant mis lÕpe la main. Ils firent informer de part et dÕautre ; mais le roi ayant t promptement averti de cet inconvnient, attira le tout soi pour les rgler selon quÕil aviserait bon tre.
Les choses de dehors se continrent pendant ce mois presque en mme tat, le duc de Weimarch se tenant devant Geuts camp, le duc de Lorraine en faisant de mme devant Mr de Longueville qui reprit Chanitte sans effort. Les Hollandais ne tentrent rien, ni les Espagnols aussi. Le sige du Catelet continua, comme aussi celui de Fontarabie, hormis que sur la mer notre arme navale eut quelque avantage sur lÕennemie qui elle coula fond et brla quelques vaisseaux.
Ce mme mois la reine mre, aprs presque sept ans et demi de sjour en Flandres, sÕen retira et avec un sauf-conduit quÕelle envoya chercher des tats sÕen vint Bois le Duc o elle fut magnifiquement reue, puis ensuite la Haye.
Du ct dÕItalie les Espagnols aprs la prise de Vercel mirent leurs troupes en garnison pour se rafrachir des travaux quÕils avaient eus au sige de cette place et celui de Breme, et nos troupes commandes par le cardinal de la Valette ne se montrrent point en campagne, pour nÕtre assez fortes pour le faire.
Le 29me de ce mois, en un dimanche, nous fmes le mariage de mon neveu de Tillieres avec la veuve du feu comte de Mata ; dont je reus beaucoup de contentement, pour tre un riche, noble, et honnte parti. Et le 25me de ce mme mois, lÕarme navale du roi commande par Mr de Bordeaux, qui tait ancre vis vis de Fontarabie durant le sige, vint attaquer quatorze grands vaisseaux espagnols qui taient venus pour jeter du secours dans Fontarabie et dcharger proche de l trois mille hommes de pied pour grossir lÕarme de lÕadmirante dÕAragon qui sÕtait venu camper proche de Fontarabie pour obliger les ntres de lever le sige ; et le bonheur fut si grand pour nous, que le vent, qui nous tait contraire, se tourna en un instant, et le devint aux ennemis, de telle sorte que les ayant jets en une rade dÕo ils ne pouvaient sortir, il fut ais Mr de Bordeaux de leur envoyer des brlots qui les mirent tous en feu avec tout ce quÕils portaient, un vaisseau prs, qui se sauva.
Presque en ce mme temps Manican qui pour la crainte du chtiment, aprs avoir perdu les forts que le duc de Weimarch avait construits sur le Rhin et ensuite lui avait consigns, sÕtait retir et cach, voyant le sige de Saint-Omer commenc, sÕtait venu offrir au marchal de Chatillon pour y servir et y faire si bien son devoir quÕil pt mriter dÕobtenir grce : il sÕtait ensuite jet dans le fort du Bac, et avait capitul avec les ennemis, qui lÕavaient renvoy avec ce qui tait dedans, rentrer en France par Verdun ; aprs y avoir mis les troupes sÕen vint trouver Amiens monsieur le cardinal sans autre sret que celle quÕil prit en son imagination : mais monsieur le cardinal le fit incontinent mettre dans la citadelle dÕAmiens, et lui fit commencer son procs.
Le dernier jour de ce mois, le roi tant de retour de son voyage de Picardie Saint-Germain, la fivre tierce lui prit, qui lui a tenu durant neuf accs.
Le prince dÕOrange nÕayant pas eu du bonheur au dessein quÕil avait sur Anvers, aprs sÕtre refait de sa perte, et remis son arme plus forte quÕauparavant, vint assiger la ville de Gueldres. Mais lÕarchiduc infant-cardinal, qui tait aux coutes o il prendrait sa brise, ds quÕil en eut avis quÕil allait assiger Gueldres, sÕy achemina grandes journes, et y vint avant que les Hollandais fussent retranchs. Il fora premirement le quartier du comte Henry de Frise le 27me dÕaot ; ce qui obligea le prince dÕOrange de lever le sige le dernier de ce mme mois et de se retirer sans tenter tout le reste de la campagne aucun autre exploit.
Septembre. Ń Le mois de septembre commena par un grand et signal combat de quinze galres franaises contre pareil nombre dÕespagnoles, presque la vue de Gnes, le combat ayant t fort opinitr, lequel enfin se termina lÕavantage de la France, les galres espagnoles ayant par la fuite quitt la partie avec perte de cinq des leurs et de deux des ntres.
En ce mme temps Mr le marchal de Chatillon sur la mauvaise satisfaction que lÕon avait de lui pour le succs du sige de Saint-Omer, reut commandement de se retirer en sa maison.
Mais le 5me de ce mois, jour de dimanche, onze heures du matin, naquit Mr le Dauphin, aprs avoir tenu la reine en travail prs de cinq heures. Ce fut une rjouissance si universelle par toute la France quÕil ne sÕen tait prcdemment vu une pareille : les feux de joie durrent plus de huit jours continuels.
Il y eut ensuite, pour modrer cette joie, une fcheuse nouvelle du ct de Fontarabie, le sige de laquelle ville ayant dj dur plus de deux mois, on en attendait tous les jours la prise, quand au contraire on reut la nouvelle que les Espagnols, le 7me de ce mois, avaient forc nos retranchements qui avaient t assez lgrement abandonns par les ntres avec une telle pouvante que toute lÕarme se retira en grand dsordre, laissant tout bagage et tous les canons au pouvoir des ennemis, ayant perdu quelque huit cents hommes tus de coups de main et prs de deux mille noys, et ce la veille quÕelle devait tre prise, les assigs ayant mand lÕadmirante et au marquis de los Veles, gnraux de l'arme espagnole, qui depuis vingt jours taient camps devant nos retranchements pour tcher de les secourir, que, si dans ce jour-l ils ne tentaient de faire un effort qui russt, ils ne pouvaient plus tenir davantage. On avait quatre jours auparavant fait jouer une mine sous un bastion, qui lÕavait entrouvert, de sorte que lÕon pouvait facilement y monter, ce que ceux qui sont revenus de cette droute tmoignent, et que Mr le duc de la Valette qui devait faire donner un furieux assaut, ne le jugea pas propos ce jour-l, mais remit l'affaire au lendemain, et que les ennemis eurent cependant loisir de se retrancher sur ladite brche et de reprendre leurs esprits qui taient l'heure de la mine tous perdus, et que le lendemain il ne fit donner si brusquement quÕil convenait ; ce que ledit duc de la Valette ne dit pas, et allgue dÕautres raisons. Tant y a que Mr le Prince lui ta cette attaque et la donna Mr de Bordeaux son ennemi mortel, lequel Mr de Bordeaux lÕaccepta, et se prpara avec tant de soin et de diligence que lÕon croit assurment que le jour de la Notre Dame de septembre il et emport cette place, si la veille la droute ne ft arrive, qui fut si grande que mme deux jours aprs les ennemis vinrent enlever une batterie de deux canons qui taient de lÕautre ct de la rivire de Bidassoa vers Saint-Jean de Luz. On envoya aussitt de la cour deux commissaires pour savoir qui avait caus cette grande droute, et qui en tait charg. Chacun sÕen dchargea sur Mr le duc de la Valette, qui fut en mme temps mand pour venir rendre compte au roi de ses actions. Mais lui, voyant quÕil nÕavait pas les rieurs de son ct, sÕembarqua dans un vaisseau cossais quÕil fit quiper en guerre, et sÕen alla en Angleterre o il fut le bien reu, o la reine mre tait aussi peu de temps auparavant arrive. Mais comme ils eurent lÕun et lÕautre de grandes temptes sur la mer, ils nÕy abordrent que le mois suivant.
Il se passe peu de mois quÕil ne mÕarrive, outre mon malheur ordinaire, quelque nouvelle disgrce : celui-ci mÕen donna une bien amre, qui fut que le duc Charles dont mes prdcesseurs avaient rendu tant de signals services aux siens, et que jÕavais soign tant quÕil tait en France jeune garon comme si jÕeusse t son gouverneur, de qui mon neveu de Bassompierre tait tant passionn quÕoutre quÕil a longtemps souffert ses extravagances, a dpendu cent mille cus du sien en le servant et y a t pris prisonnier et estropi dÕun bras, et mon neveu le chevalier lÕtait depuis trois mois venu trouver contre son bien et ma volont, envoya le lundi 5me de ce mois le colonel Cliquot avec trois rgiments dÕinfanterie, trois de cavalerie, et deux pices de canon, prendre ma maison de Harouel, qui ne faisait point la guerre, et qui nÕtait point importante ses affaires, afin que par ce moyen ce qui restait de ce marquisat fut entirement pill et dsert.
JÕeus encore un dplaisir bien violent en mon particulier, mais il me passa.
Le jeudi 23me de ce mme mois (4 H. d. M.) il mÕarriva aussi de grands ressentiments du coup de lance que jÕavais reu en mars, anne 1605, parce que la plaie sÕulcra de nouveau et fit crote par deux fois, et les chirurgiens craignaient que ce ne ft le calus qui sÕtait fait au pritoine qui se voult relcher. Mais Dieu mÕenvoya de bonne fortune la connaissance dÕune opratrice nomme Giot, belle-mre du premier sergent de la Bastille, qui commena le lundi 27me de ce mois me mettre des empltres un mois durant, qui ont rduit cette grande et ronde cicatrice si petit point que lÕon dirait que ce nÕa t quÕun coup dÕpe.
Ce mme mois le roi fit assiger le Catelet, seule place que les ennemis tenaient sur nous, qui se rendit aprs avoir par quelques jours soutenu le sige.
En ce mme mois aussi naquit lÕinfante dÕEspagne, ce qui fit remarquer quÕ mme mois aux deux rois taient ns fils et fille, comme il avait fait leurs pres trente sept ans auparavant, qui avaient t maris ensemble.
Octobre. Ń En ce mois dÕoctobre il y arriva plusieurs accidents divers. Car le roi de Bohme ayant mis une arme assez considrable sur pied et sÕtant mis en campagne en cette basse Allemagne, il fut dfait aussitt par les troupes impriales commandes par Axfeld, et son second frre nomm le prince Robert, jeune homme de beaucoup dÕesprance, y fut fait prisonnier.
Le jeune duc de Savoie mourut aussi ce mois-l, laissant son autre frre unique, g de sept ans, son hritier de ses grands tats.
Mr le duc dÕEpernon fut interdit de son gouvernement de Guyenne, et eut commandement de sÕen venir Plassac et de nÕen bouger jusques un nouvel ordre. Le gouvernement fut donn par commission Mr le Prince qui en fut prendre possession. Mr le duc de la Valette eut aussi commandement exprs du roi par un gentilhomme que il lui envoya, de le venir trouver ; quoi il promit dÕobir, et ayant pris cong de Mr le Prince, prs duquel il tait, partit pour sÕy acheminer ; mais au lieu de venir la cour, il fut trouver son pre Plassac, et de l tant pass en Mdoc sÕembarqua dans un vaisseau cossais pour se mettre en sret hors de France, le 19me de ce mois.
La reine mre aussi, qui avait sjourn quelque temps en Hollande, aprs y avoir visit toutes les belles villes du pays, sÕembarqua pour se retirer en Angleterre.
Finalement le duc de Lorraine, ayant voulu tenter de jeter un secours de vivres dans Brisac, fit ses prparatifs pour cet effet en la ville de Tanne, et manquant de cavalerie pour lÕexcuter, en envoya demander au gnral de la ligue catholique nomm Geuts, lequel lui envoya quinze cents chevaux avec lesquels et trois mille hommes de pied quÕil avait, il sÕachemina avec son convoi ; mais le duc de Weimarch en ayant eu avis, (on doute si ce fut par Geuts mme), et Geuts qui devait en mme temps faire un effort de lÕautre ct du Rhin pour tenter la mme chose, sÕtant retir sans lÕentreprendre, ledit duc eut tout loisir dÕaccourir au duc de Lorraine avec sa cavalerie qui ayant fait seulement semblant dÕattaquer celle du duc de Lorraine qui venait de Geuts, le 13me jour dÕoctobre, ladite cavalerie de Geuts, sans attendre le choc, sÕenfuit, laissant lÕinfanterie avec les charrettes et chariots de convoi la merci des ennemis ; laquelle infanterie sÕtant rempare des chariots fit sa retraite si bien quÕelle ramena ledit convoi sans aucune perte Tanne, le duc de Weimarch ne lÕayant jamais pu forcer. Mais comme la mauvaise fortune se jette toujours sur ceux quÕelle a commenc de perscuter, mon neveu de Bassompierre quÕavec beaucoup de raison jÕaime parfaitement, ayant peu de mois auparavant t honor par lÕempereur de la charge de grand matre de son artillerie aux provinces de de le Danube, en tait venu prendre possession aux armes impriales qui dpendaient de sa charge ; et ayant premirement pass dans celle dÕAxfeld en Hesse, puis en celle de Picolomini, tait finalement venu se faire reconnatre et recevoir en lÕarme commande par le duc de Lorraine six jours auparavant ce combat, et tait prt dÕen partir quand ledit duc fit rsolution de jeter des vivres dans Brisac, ce qui obligea mon neveu (que je puis dire sans flatterie ni adulation qui ne cherche que les occasions dÕacqurir de lÕhonneur), de demeurer pour se trouver en ce rencontre ; et sÕtant mis la tte de la cavalerie qui fuit si lchement, ne voulut faire comme eux, et avec vingt ou vingt cinq chevaux qui ne le voulurent abandonner chargea les ennemis, et son cheval ayant t tu sous lui, il fut pris prisonnier et men Colmar o il fut trs bien trait et avec beaucoup de courtoisie par le duc de Weimarch qui, tant retourn son blocus de Brisac, le laissa dans ledit Colmar en la garde du marquis de Monthausier qui le traita si humainement et avec tant de tmoignages de son affection que cela fut suspect audit duc qui le transfra Benfeld o il fut troitement gard.
Je perdis ce mme mois la petite fille de mon cousin de Crquy, fille de mon cousin de Canaples.
JÕeus nouvelles que mes sujets de Harouel et de tout ce marquisat abandonnaient les villages, leur tant impossible de subsister, ayant les troupes du duc Charles qui tenaient le chteau, et celles du roi qui cette occasion les traitaient comme ennemis, et de telle sorte que le samedi 30me de ce mois le sieur de Bellefonds marchal de camp vint la nuit surprendre le bourg mme de Harouel et le pilla entirement.
Finalement je reus encore ce dplaisir quÕun mchant homme, banquier lucquois nomm Vanelly, qui je ne devais aucune chose, fit saisir sous une fausse dette quÕil simula, une belle tapisserie que lÕon portait tendre la salle de lÕvch de Notre Dame, o il se faisait un acte. Je fus dÕautant plus fch de cette action quÕil ne mÕen tait jamais arriv de semblable, quelque dette que jÕeusse eue, bien que jÕen eusse par le pass eu de trs grandes. Ce dplaisir mÕarriva le 26me du mois, dont jÕeus mainleve le 29me ensuivant.
Novembre. Ń Le mois de novembre suivant fut accompagn de trs grandes temptes sur la mer, qui firent perdre beaucoup de vaisseaux, et principalement en Hollande o plus de soixante vaisseaux y prirent dans les rades. La reine mre du roi qui sÕtait embarque le mois auparavant, ne fut pas exempte de ces tourmentes ; car elle fut plusieurs jours roder sur la mer avant que de pouvoir aborder lÕAngleterre o finalement tant arrive, elle fut trs honorablement reue. Peu de jours aprs Mr de la Valette y arriva aussi, qui sÕtait retir de France, craignant lÕindignation du roi ; et la tempte de la cour fit faire ce mme mois naufrage madame la marquise de Seneai ma cousine, qui eut commandement de se retirer avec la perte de sa charge de dame dÕhonneur de la reine : madame de Brassac fut subroge sa place, de qui le mari fut aussi fait surintendant de la maison de la reine. Sanguin aussi qui sÕempressait fort auprs du roi, et qui Sa Majest faisait assez bonne chre, eut commandement de quitter la cour.
Dcembre. Ń La mortalit vint dans le peu de famille qui me restait Paris, au mois de dcembre ; car il mÕen mourut trois en dix jours.
JÕeus divers dplaisirs dans la Bastille, causs par quelques marauds dont, pour ne point clater ni me compromettre, ayant pri le gouverneur de faire enfermer pour quelques jours un de ceux-l, nomm Tenance, qui tait la seule prire que jÕavais faite pour mon particulier audit gouverneur, non seulement il ne le fit pas, et lui dit quÕil sÕabstnt seulement de se prsenter devant moi ; mais mme lÕinduction de sa femme, il me fit faire par son lieutenant, le dimanche matin 19me, une fort impertinente harangue sur ce sujet, me disant quÕil fallait que ledit Tenance montt sur la terrasse, et quÕil ne pouvait faire autrement.
En ce mme mois le pre Josef qui avait quelque temps auparavant t attaqu dÕune apoplexie, y retomba le 16me de ce mois, dont il ne put jamais tre garanti que le samedi 18me onze heures du matin il ne mourt. Et ce mme jour la ville de Brisac aprs un long sige se rendit au duc de Weimarch.
Janvier.Ń Comme lÕhiver suspend toutes les guerres et les voyages, aussi le commencement de cette anne et tout le premier mois dÕicelle nÕa produit aucune nouveaut que la continuation des progrs du due Bernhard de Weimarch, lequel, enfl de la grande prosprit de ses affaires et des grands succs de la prcdente anne o il avait par trois ou quatre fois vaincu ses ennemis, et pris Brisac, voulut au commencement de celle-ci surmonter encore le froid et la rigoureuse saison et tenir la campagne quand les autres se tenaient prs du feu, se jetant dans la Bourgogne o il se rendit matre de plusieurs chteaux qui se rendirent sans rsistance et de la ville de Pontarly qui lui tint tte dix-sept jours.
Les affaires de la France dans le pays du Lige commencrent dcliner, et ensuite se ruiner tout fait, jusques au point que lÕabb de Mouzon qui y tenait comme lieu de rsident, sÕen retira tout fait.
Je perdis encore ce mois-l par maladie un gentilhomme de mes domestiques, que jÕavais nourri page, nomm Des Erables, auquel je me fiais bien fort, et dont jÕeus du regret : et la malversation de lÕcuyer Chaumontel en mes affaires, quÕil avait tellement embarrasses pour y picorer que tout en tait en confusion, et principalement en Normandie, me contraignirent dÕen donner ma procuration ma sĻur de Tillires.
Fvrier. Ń Au mois de fvrier suivant, lÕaffaire de Mr le duc de la Valette, qui nÕavait encore quÕt bauche, fut mise sur le tapis, et le 4me jour du mois le roi tint Saint-Germain sur ce sujet un ample conseil o furent mands les princes, ducs et officiers de la couronne, et principaux conseillers, et avec eux les sept prsidents au mortier du parlement de Paris et le doyen des conseillers ; lesquels messieurs du parlement ayant t mands, non en corps, mais chaque particulier par une diffrente lettre, vinrent premirement tous ensemble, descendirent au logis du sieur de la Ville aux Clercs, secrtaire dÕtat, qui obtint du roi que lÕon leur apprtt dner par ses officiers, et ensuite eurent de grandes disputes pour leur rang, prtendant quÕils reprsentaient la cour de parlement ; ce que le roi leur ayant dni et concd seulement quÕils auraient sance comme conseillers dÕtat suivant le rang de leur rception, ils ne le voulurent accepter, et aimrent mieux se tenir tous ensemble au-dessous des conseillers dÕtat, et par consquent opinrent les premiers ; et le doyen ayant t command par le roi de dire son avis, aprs que les informations eurent t rapportes par le sieur de la Poterie commissaire, il maintint que cette affaire ne se pouvait juger ailleurs quÕen parlement, attendu la qualit et les privilges du dlat [de l'incrimin] ; dont il fut fort rabrou du roi, et ensuite quelques-uns des prsidents : aprs quoi de lÕavis mme de trois ducs et pairs qui taient en ce conseil, il fut rsolu que, suivant les conclusions des gens du roi, le duc de la Valette serait ajourn trois brefs jours, cri et trompet par la ville, et quÕ faute de comparoir, son procs lui serait fait et parfait.
Ce mme mois le marquis de Ville qui avait t fait prisonnier la prise de Lunville, fut envoy sur sa foi trouver le duc Charles qui avait fait dire par de, par un jsuite, quÕil dsirait se remettre bien avec le roi et se retirer dÕavec lÕempereur et le roi dÕEspagne.
Ce mme mois Mr de Candale, fils an de Mr le duc dÕEpernon, qui tait lieutenant gnral en Italie, est mort Casal dÕune fivre pourpre.
Il se fit ce mois-l diverses noces, comme celle de Mr le comte de Harcourt avec la veuve de Mr de Puilorens, celle de Mr de Bonelle fils de Mr de Bulion avec la petite fille de madame de Lansac gouvernante de Mr le Dauphin, et dÕautres. Et comme ce mois fut accompagn de force noces, il le fut aussi de force duels, comme de ceux dÕArmentieres, de Savignac, de Boucaut, de Roquelaure, de Chatelus, de Cominges et autres. Et pour ce qui est de mon particulier, outre quÕen ce mme mois me mourut un cousin germain nomm le sieur de Viange, et mon bon parent et parfait ami le comte de Ribeaupierre, dont j'eus un sensible dplaisir, j'en eus encore un bien grand par mon neveu de Dommartin lequel non content de sÕtre retir vers le duc Charles contre la parole que jÕavais donne pour lui, ayant fait pour ledit duc une telle quelle compagnie de chevau-lgers, demanda audit duc pour son quartier d'hiver le marquisat de Harouel qui est moi et lÕabbaye de Bechamp qui en est proche, et sÕy en vint loger avec beaucoup de dsordre.
Mars. Ń Le ballet que fit danser monsieur le cardinal occupa le commencement du mois de mars : il fut premirement dans le dimanche 6me Saint-Germain devant Leurs Majests, puis le mardi 8me chez monsieur le cardinal Paris, finalement le mardi 13me on le dansa lÕArsenal et la Maison de ville.
Les Espagnols, ce mme mois (tant en leur nom que comme assistant le cardinal de Savoie et le prince Tomas son frre, que lÕempereur avait constitus tuteurs du petit duc de Savoie), se mirent en campagne en Italie, et firent divers exploits en Pimont tandis que nos troupes taient pour la plupart venues prendre leurs quartiers d'hiver en France.
Ce mme mois Mr le duc de Wurtemberg sÕaccommoda avec l'empereur par le moyen de ses amis, et devait rentrer en ses tats, la rserve des biens ecclsiastiques que ses anctres avaient occups lorsquÕils avaient quitt la religion catholique ; et pour sa plus grande sret on avait mnag pour lui quÕil pouserait une des filles de lÕarchiduc Lopold dÕInnsbruck : mais en ces entrefaites tant devenu extrmement amoureux dÕune mienne cousine, fille du comte Casimir Reingraf de Morhing, il lÕpousa, ce qui retarda en quelque sorte son trait.
Le 28me du mois fut le combat de Sinchio en Italie o les Espagnols eurent quelque avantage sur les ntres.
Le marquis de Ville tant revenu Paris, et Mr de Chavigny lÕayant log chez lui, attendant quÕil le rament au bois de Vincennes, contre sa parole se retira une nuit vers le duc Charles ; et pour mon particulier, en ce mois est mort mon bon ami le baron de Neuvy : je sus que mon neveu de Bassompierre tait extrmement malade, et que celui de Dommartin, aprs avoir pill mes meubles, pill et maltrait son grand-pre, sÕtait enfin retir de Harouel.
Avril. Ń On fit au commencement de ce mois toutes les rpartitions des armes du roi en cette forme :
Mr de Bordeaux avec une trs puissante arme de mer, eut le pouvoir en la mer Ocane pour le roi. Mr le comte de Harcourt eut le commandement sur la mer de Levant tant sur les vaisseaux ronds que sur les galres, auxquelles on mit par commission le commandeur de Fourbin, le sieur du Pont de Courlay gnral des galres ayant t suspendu de sa charge.
Mr de Longueville fut adjoint Mr le cardinal de la Valette pour commander ensemble les forces du roi en Italie, o le roi dpcha aussi Mrs de Guiche et de Chavigny, le premier en qualit de marchal de camp, et lÕautre, qui est ami intime du cardinal de la Valette, pour le porter recevoir sans murmurer ce nouveau compagnon que lÕon lui avait donn.
On envoya quelques troupes franaises, outre celles qui y taient dj, pour renforcer lÕarme du duc de Weimarch.
On donna une puissante arme commander au sieur de Feuquieres avec ordre dÕassiger Thionville. On donna celle du roi commander au sieur de la Melleraye grand-matre de lÕartillerie avec ordre dÕassiger Hedin. On fit gnral dÕune autre arme le marchal de Chatillon, relgu par ordre du roi en sa maison, d'o lÕon le tira, qui eut commandement de se camper vers Guise et vers Cambray, pour accourir celle des deux armes de La Melleraye et de Feuquieres qui en aurait besoin, et pour tenir les ennemis en chec.
On envoya une grosse somme dÕargent aux Hollandais afin quÕils se missent promptement en campagne pour faire quelque grande entreprise.
Finalement on donna la gnralit de Guyenne et de Languedoc Mr le Prince avec deux armes : lÕune sur la frontire de Fontarabie, o Mrs de Gramont et de Sourdis taient lieutenants ; lÕautre en Languedoc, o le marchal de Schomberg tait lieutenant-gnral et sous lui le vicomte de Arpajon. Tous lesquels gnraux partirent pour aller recevoir leurs forces et sÕapprter de faire quelques grandes actions.
Mais ce qui pressait le plus tait l'Italie en laquelle le prince Tomas dÕun ct, le prince cardinal de l'autre, et le marquis de Leganes faisaient force progrs dans le Pimont et le Montferrat : et les forces du roi tant retires en France pour la plupart, celles qui taient restes nÕtaient suffisantes pour sortir en campagne et leur faire tte, de sorte quÕen moins de rien, partie de force, partie par la connivence des Pimontais qui hassent naturellement les Franais, qui le gouvernement de Madame nÕagrait pas, et qui aimaient tendrement ses deux beaux-frres, aprs avoir pris Villeneuve dÕAst, puis Ast, Montcalier et Pont dÕEsture, tout le plat pays du Pimont se rendit presque eux, et ayant diverses intelligences dans Turin, le marquis de Leganes tant venu joindre le prince Tomas, se vinrent camper au commencement de la semaine sainte entre le Po et la ville avec grande esprance de l'emporter, et de fait la firent sommer ; mais les troupes franaises et le cardinal de la Valette y tant accourus, les assigs firent le jeudi-saint une trs grande sortie sur les Espagnols, et en ayant tu quantit, peu de jours aprs les ennemis levrent le sige pour aller achever de prendre ce qui restait du Pimont qui ne ft fortement gard.
Ce mme mois Bannier fut battu en deux rencontres par Axfeld ; mais cet homme, qui est certes un grand capitaine, sachant que Gallas, Axfeld et Marassini taient pour se joindre bientt tous trois avec grandes forces, se rsolut de les combattre spares, et tant grandes journes venu rencontrer Marassini, lui donna la bataille, le dfit et prit prisonnier.
Il arriva ce mme mois une chose fort extraordinaire, cÕest que madame la duchesse de Chaunes tant alle aux Carmlites de Saint-Denis dans un carrosse six chevaux, le mardi-saint, ayant avec elle trois femmes et un gentilhomme, deux laquais et ses cochers, fut son retour attaque par cinq cavaliers portant fausses barbes, qui firent arrter son carrosse, turent un des laquais qui se voulut rcrier, et un dÕeux lui vint jeter une bouteille pleine dÕeau-forte au visage : elle qui vit venir le coup, mit son manchon quÕelle avait en ses mains, devant son visage, qui fut cause quÕelle ne fut point offense, et sÕcriant quÕelle tait perdue, ces cavaliers le crurent et se retirrent vers autres cinq hommes cheval qui les attendaient ; et on nÕa pu depuis savoir qui a fait ou fait faire cette mchancet.
Mai. Ń Ce mois commena la guerre en Flandres, et en Lorraine o ds le commencement un des colonels du duc Charles nomm Cliquot fut dfait proche de ma maison de Harouel par des troupes du duc de Weimarch qui le suivirent depuis Tanne.
L'arme de monsieur le grand matre de lÕartillerie fut la premire sur pied, entra en Flandres, prit Lilers, et quelques chteaux et glises fortifies. Le colonel Gascion eut quelques troupes dfaites par les Espagnols, et monsieur le grand-matre, aprs avoir quelque temps cherch quelle place il devrait attaquer, se rsolut enfin de faire investir Hedin, devant laquelle il se vint camper, et fort bien retrancher.
Mr de Feuquieres fut plus tardif assembler son arme : il fut nanmoins, le 27me de ce mme mois, camper devant Thionville avec une arme assez considrable, et aussitt commena sÕy retrancher et faire ses forts. Il y eut de lÕavantage en ce que lÕon ne se doutait point quÕil voult assiger une si forte place, de sorte quÕil y avait peu dÕhommes dedans, et mme le comte de Voilts qui en est gouverneur, nÕy tait pas quand elle fut investie.
On tint le 24me un autre grand conseil Saint-Germain, o les mmes qui avaient t auparavant, y furent appels : Mr de la Valette y fut jug et condamn dÕavoir la tte tranche.
Le lendemain 25me le roi partit pour aller Abbeville, et ds quÕil y fut arriv, sÕen alla le lendemain au sige de Hedin, puis sÕen revint Abbeville.
Monsieur frre du roi fit ce mois-l, pour sa matresse Louison, un grand escarre [fracas] en sa maison, de laquelle il chassa LÕEspinay, puis Brion ; et moi je fis une perte que je regretterai toute ma vie, de ma pauvre nice de Beuvron, qui en lÕespace de huit heures fut tue dÕun violent mal de mre, le dimanche 29me de mai midi : Dieu lui donne paix.
Juin. Ń Le commencement de ce mois fut trs malheureux pour la France en ce que, le 7me, Picolomini avec une forte arme vint donner dans les quartiers non encore bien retranchs, et fort loigns les uns des autres, de lÕarme du sieur de Feuquieres devant Thionville ; et en ayant forc un, et entr dans les retranchements du camp, il suivit sa victoire, dfaisant et rompant les corps des rgiments lÕun aprs lÕautre, sans beaucoup de rsistance ; et la cavalerie sÕtant lchement retire, il vint finalement donner sur le parc de lÕartillerie, qui tait retranch, et o le gnral Feuquieres avait rassembl quelques troupes qui enfin plirent, et lui, pris et bless, fut men prisonnier Thionville. Les canons, munitions, vivres, et tout le bagage fut pris, plus de six mille hommes tus, et quantit de prisonniers. Picolomini vint de l en Lorraine prendre Sancy, Longwy et quelques autres bicoques, puis sÕtant venu prsenter devant Mouzon qui ne vaut rien, il ne la sut nanmoins prendre d'emble ; et ayant eu avis que le marchal de Chatillon marchait droit lui pour lui faire lever le sige, il ne lÕattendit pas, et se retira.
Mr le duc de la Valette qui avait t condamn mort le mois prcdent, fut excut, le mercredi 8me, en effigie, Paris, Bordeaux, et Bayonne. On y fit Paris cette crmonie que lÕon vint mettre son tableau dans la barrire qui est au-dedans du Chteau, auquel lieu les officiers de justice le prirent aprs quelques formalits.
Ce mme mois Mr le Prince ayant laiss cinq rgiments dÕinfanterie et quelque cavalerie sous la charge des sieurs de Gramont et de Sourdis pour garder la frontire de Bayonne, vint avec toutes ses forces assiger Salses, et ensuite fourrager tout le comt de Roussillon jusques Perpignan.
Le sige de Hedin ayant tenu encore tout ce mois, enfin se rendit le ...... Le roi voulut venir voir la place et tout ce qui sÕtait avanc en ce sige, et voulut aussi reconnatre ce service de Mr de la Melleraye, ajoutant lÕoffice de la couronne quÕil possdait dj, celui de marchal de France, duquel il lui donna le bton le ..... du mme mois.
Quelques troupes tant arrives de France Mrs le cardinal de la Valette et duc de Longueville, et les ennemis sÕtant mis en garnison durant les excessives chaleurs quÕil fait en Pimont durant les mois de juin et de juillet, ils vinrent assiger Chivas qui, aprs avoir tenu quelques jours, se rendit.
Je reus ce mme mois deux dplaisirs domestiques qui me furent bien sensibles : lÕun fut que mon neveu de Dommartin envoya dire Mr du Hallier, qui tait venu lors gouverneur de Lorraine, quÕil avait dessein de se conformer dsormais mes volonts et de me venir trouver, sÕil lui voulait envoyer un passeport cet effet ; Mr du Hallier, qui est mon ami, fut ravi de me pouvoir obliger en cela, et le lui envoya, dont ensuite mon dit neveu se servit pour aller trouver en sret le duc Charles : lÕautre, que lÕon avait accord que pour Horn et Tubatel, prisonniers de lÕempereur, on rendrait quatre principaux prisonniers impriaux ; mais le duc de Weimarch ayant cet effet envoy demander Jean de Vert et Equenfort pour les rendre, le roi les refusa, et ainsi ce trait fut rompu.
Au commencement du mois de juillet, Mr du Hallier ayant ramass quelques troupes, vint assiger ma maison de Harouel, et aprs lÕavoir fait sommer, et que ceux qui taient dedans de la part du duc Charles eurent fait refus de la rendre, il la battit avec deux pices de canon quÕil avait amenes, et aprs avoir endur soixante et dix coups de canon, ledit sieur du Hallier, la prire du comte et comtesse de Tornielle qui taient dedans avec mon neveu Gaston, la reut composition le mercredi 8me, et y laissa garnison de trente soldats mes dpens.
L'arme navale commande par Mr de Bordeaux sÕtant mise en mer, alla donner la cte dÕEspagne en un port o tait la flotte dÕEspagne qu'il y assigea et fut quelques jours les attaquer continuellement : mais sÕtant lev une forte tempte, elle fut contrainte de lever l'ancre et de se mettre en haute mer, o elle fut tellement battue de l'orage quÕelle revint trs malmene dans les ports de France.
Le roi, aprs la prise de Hedin, alla visiter sa cte de Picardie. Pendant ce voyage il eut nouvelle de la prise de Salses par Mr le Prince.
Cependant lÕarme des Hollandais, qui avaient promis au roi de faire quelque grand exploit, se tenait toujours aux Philippines, qui sont des forts sur leur frontire, sans en partir, quelque instance que le roi leur put faire.
Mais les princes de Savoie cependant ne sÕendormaient pas, et le prince Tomas voyant que les deux gnraux de lÕarme du roi taient occups reprendre un chteau l'entre des Langues, il excuta lÕentreprise quÕil tramait sur Turin avec les bourgeois et habitants de la ville qui taient de sa faction, et ayant fait entrer la file jusques six ou sept cents soldats qui disant l'entre de la ville quÕils taient, qui dÕIvre, qui de Chivas, ou dÕautres lieux du Pimont, on laissa passer la porte. Enfin, la nuit du 27me de ce mois, ayant, pour la forme, fait jouer un ptard une des portes, les autres lui furent ouvertes, par lesquelles la mme nuit ledit prince et le marquis de Leganes entrrent avec leurs troupes. Madame de Savoie ayant eu de longtemps tel soupon des habitants quÕelle avait fait aller le petit duc se tenir Suse, eut ce jour-l deux ou trois avis de lÕentreprise ; mais nÕayant des forces suffisantes pour lÕempcher, le vint dire ses belles-sĻurs, leur laissa ses filles et dames avec ce quÕelle avait de hardes, et prenant ses pierreries avec elle, se retira dans la citadelle de laquelle seulement le lendemain matin on tira dans la ville, les ennemis ayant eu toute la nuit pour se retrancher contre ladite citadelle. Tout ce que put faire Madame fut de mander en diligence cet accident aux gnraux de lÕarme franaise, qui levrent le sige de ce chteau susdit en toute diligence, et sÕacheminrent vers Turin : ils arrivrent Millefleur proche de Turin, le dernier de ce mois, o ils se camprent.
Il nous arriva du ct dÕAllemagne un grand accident de la mort inopine du duc Bernhard de Weimarch qui prit la peste en la ville de Neubourg sur le Rhin, comme il le voulait passer avec son arme pour aller faire lever le sige de Hauteveiller que lÕarme du duc de Bavire avait assig : il ne fut malade que trois jours et mourut le ....., laissant dans son arme avec un grand deuil une trs grande confusion. Ce fut encore pour mon particulier un trs grand malheur ; car sÕil et encore vcu un mois, mon neveu de Bassompierre sortait de prison, lÕempereur ayant accord quÕil ft chang avec Tubatel lieutenant-gnral dudit duc, qui, quelques mois auparavant, avait t pris prisonnier en un combat.
Ce ne fut pas le seul malheur qui mÕarriva en ce mois ; car je perdis par mort un de mes plus chers amis, Mr lÕvque de Rennes qui, ma recommandation, avait eu prcdemment cet vch celui de Lantriguier.
Mr le comte de Tornielle ensuite me fit des plaintes de trois habitants de Harouel qui faisaient des monopoles contre lui, et mme un de ceux-l avait perdu le respect en sa prsence.
Finalement un trsorier de France, nomm Greffeuille, de Montpellier, mÕavait dix ans auparavant pri de prendre un jeune garon nomm Ducros, de la mme ville, pour clerc de mes secrtaires, ce que jÕavais fait, et mme quand je cassai mon train, je lÕavais conserv pour crire et copier les choses que je dsirerais. Ce malheureux pour fournir ses dbauches, se mit rogner des pistoles et fut pris pour cela le 28me du mois.
Aot. Ń Le premier jour du mois dÕaot, les gnraux de lÕarme du roi en Italie entrrent avec force troupes dans la citadelle de Turin, vinrent saluer Madame et ensuite tenir conseil avec elle de ce quÕils auraient faire. Il fut rsolu que Madame sortirait de la place et se retirerait Veillane, ce quÕelle fit le mme jour, et eux se prparrent faire le lendemain une trs grande sortie sur la ville par deux endroits. Mais comme les ennemis avaient eu sept jours de temps pour se retrancher, il leur fut non seulement inutile, mais dommageable de lÕexcuter ; car ils y perdirent quantit de braves hommes sans aucun effet. Ils firent encore une autre attaque deux jours de l aussi infructueusement, ce qui fit que, perdant lÕespoir de reprendre Turin, tant camps en un trs mauvais lieu o il nÕy avait point dÕeau, leurs forces nÕtant gales celles des ennemis et dprissant tous les jours par les maladies, ils quittrent le dessein de Turin pour penser faire une trve qui leur donnt moyen de secourir Casal qui tait press, qui fut conclue pour deux mois, commencer le 24me jour de ce mois ; mais, contre lÕattente de ceux qui contractrent cette trve de la part du roi, sÕaperurent bientt quÕelle avait t faite leur dommage ; et les ennemis nous voyant faibles en Italie, ne se soucirent point de la bien observer, et les Espagnols, selon leur coutume, nÕobservent leur foi quÕautant que leur avantage y est ml avec. Ainsi ils ne voulurent souffrir, selon ce quÕils avaient accord, que six cents malades fussent tirs de Casal, et que lÕon mt en leur place six cents autres soldats sains, et traitrent sous main avec le commandeur de Sales gouverneur de Nice, de rendre la ville et le chteau au prince-cardinal, et ce bon et dvotieux chevalier, persuad quÕil y allait de sa conscience, la lui rendit, la ville de Villeneuve sÕtant rvolte deux jours auparavant contre la duchesse.
Le roi cependant visitait sa frontire, demeura autour de Sedan, ou Donchery ou Mouzon, plusieurs jours, pendant lesquels Mr le comte de Soissons envoya vers lui Sardini, et le roi lui renvoya un gentilhomme ; mais ledit comte voyant approcher le roi, craignant dÕtre assig dans Sedan, y fit entrer deux mille hommes, et travailler en diligence remparer les fortifications de terre qui taient boules. Pendant son sjour il eut premirement nouvelle de la prise de Turin, ce qui le fit rsoudre de sÕavancer jusques vers Langres ; mais il apprit par les chemins premirement les deux attaques, puis ensuite la trve quÕil nÕattendait nullement. Il ne marchanda point lÕheure mme de sÕy acheminer le plus promptement quÕil pt, dpcha en diligence le comte de Guiche et celui de Chavigny la duchesse, et rvoqua Mr de Longueville dÕItalie pour lui faire prendre lÕarme dÕAllemagne que le duc de Weimarch soulait commander.
Cependant le prince dÕOrange avec lÕarme de Hollande se vint camper devant Gueldres ; mais ayant eu avis que le cardinal-infant venait lui troubler ce sige, il sÕen retourna en ses premiers postes vers les Philippines.
Je fis ce que je pus pour empcher la corde ce misrable rogneur de Ducros ; mais enfin il fut pendu le jeudi 11me de ce mois ; et me resta ce regret que cÕtait le seul domestique de tant dÕautres que jÕavais eus, qui ait jamais t, non repris de justice, mais seulement accus ou souponn.
Ce mme mois se fit en Flandres le combat de Saint-Nicolas et celui de Saint-Venant. Le premier tait une trs belle entreprise quÕavait faite le grand-matre de lÕartillerie qui lui et russi grand avantage sans les divers canaux qui sont en ces pays-l, qui divisrent son arme, en sorte que, du ct quÕil donna, il renversa ce quÕil rencontra et prit quelque petite pice de canon, mais de lÕautre le rgiment de la marine et quelques autres nÕen sortirent pas si bien. Celui de Saint-Venant fut moindre ; mais il ne laissa pas dÕenlever un quartier de cavalerie, et de prendre quantit de chevaux.
Le roi, continuant son voyage, arriva le 13me Sainte-Menehould, dÕo il crivit une lettre au gouverneur de la Bastille pour me communiquer, assez trange, dont je dirai le sujet pour faire connatre combien les malheureux sont misrables, mme aux choses o leur malheur devrait finir. Lorsque le duc Bernard de Weimarch se fut rendu matre de Brisac, le roi fit ce quÕil put afin que cette place, quÕune arme entretenue par ses deniers avait conquise, lui fut consigne ; mais le duc au contraire maintint que le roi tait oblig par un trait quÕil avait fait avec lui, de lui rendre Colmar et Haguenau avec tout ce qui dpendait du landgraviat dÕAlsace dont ledit duc demandait lÕinvestiture. Et comme ce sige sÕtait commenc, continu, et achev par le conseil, lÕentremise et lÕaide du colonel dÕErlach, il lui en voulut confier la garde. Ce colonel dÕErlach est un brave homme, gentilhomme dÕancienne maison dans le pays de Berne en Suisse, et qui a pass sept ou huit de ses plus belles annes auprs du roi de Sude avec tant dÕestime de ce prince, que, deux ans devant quÕil se retirt dÕauprs de lui, il lÕavait fait colonel du rgiment de ses gardes. Mais comme la Sude nÕest pas une fort agrable demeure, que son pre et mre tant morts qui lÕavaient laiss hritier dÕassez grands biens tant au pays de Berne quÕauprs de Ble en une assez belle terre nomme Castelen, le dsir de revoir sa patrie et dÕy demeurer, et le dessein de se marier, le portrent quitter ledit roi et revenir en son pays vers la fin de lÕanne 1625, o en mme temps jÕallai de la part du roi ambassadeur extraordinaire vers les cantons. Et parce que son frre an avait autrefois t nourri page de mon pre, et que sa maison tait fort amie de la mienne, il me vint incontinent voir Soleure, et je fis une troite amiti avec lui, le reconnaissant personnage de grand mrite. Et comme en lÕanne 1630 je fus envoy derechef par le roi son ambassadeur extraordinaire en Suisse avec ordre dÕentreprendre le rtablissement des Grisons en leur libert opprime lÕanne prcdente par les forces impriales commandes par le comte de Merode, tant pass par Berne, allant en Suisse, je lui communiquai premirement mon dessein, comme une personne en qui je me fiais, qui tait mon particulier ami, qui tait trs habile pour me conseiller l-dessus, et trs capable pour mÕaider et assister lÕexcution dÕicelui : cela sÕajoutait que par la mort de lÕavoyer de Berne Grafrier, un de ses cousins de son mme nom dÕErlach avait t fait avoyer de Berne, et que ledit avoyer lÕavait fait tre du conseil troit de ladite ville, dont jÕavais grand besoin de lÕaide et assistance en cette prsente affaire, et eux taient tout puissants pour me la faire avoir. Mais comme les difficults de lÕexcution de mon dessein, causes sur nos manquements, sur la crue du Rhin, et sur lÕouverture de la guerre en Italie, lÕeussent rendu impossible, je fus oblig par lÕordre que je reus de Mr le cardinal de Richelieu, de faire une prompte leve de six mille hommes en Suisse pour lui amener, de laquelle leve jÕen donnai la moiti commander, en qualit de colonel, audit sieur dÕErlach de Castelen, qui passa en Italie o les maladies ruinrent son rgiment aprs le secours de Casal o il fut employ, ce qui lÕobligea dÕen solliciter le licenciement, qui tait aussi lÕintention du roi ; et ayant eu ordre de traiter avec lui pour ledit licenciement, je fus bien aise de mÕadjoindre le marchal de Schomberg afin quÕil fit les refus sans quÕil parusse que ce fut moi ; mais ledit marchal et moi, nÕemes pas beaucoup de peine disputer avec lui ni le contrarier ; car il se porta si noblement en cela quÕil fit tout ce que nous lui proposmes, et ainsi nous convnmes avec lui. Mais moi ayant t mis en prison sur ces entrefaites, et le sieur dÕEmery, qui voulait faire le bon mnager pour sÕaccrditer vers le roi, proposa que lÕon pourrait faire ledit licenciement quatre mille cus moins que nous nÕavions trait avec ledit Erlach, et quÕil lui fallait rabattre cette somme, ce que le conseil et le marchal dÕEffiat surintendant des finances, furent bien aises de faire pour en payer moins. Mais par ainsi ils mcontentrent et offensrent ce brave homme, de sorte quÕil quitta entirement le service du roi et se retira sans y avoir depuis voulu rentrer, bien que lÕon lui ait offert de trs beaux emplois : et sÕtant retir en son chteau de Castelen, lorsque le duc de Weimarch hivernait dans les Franches-Montagnes o il ne pouvait plus subsister, ayant tout mang, il fut visit dudit colonel dÕErlach quÕil connaissait, lequel lui conseilla de faire dessein sur les quatre villes forestires, qui sont Laufenbourg, Waldshout, Reinfeld et Sekinguen, o il trouverait des ponts sur le Rhin, qui lui donneraient moyen dÕentreprendre en Souabe. Il le crut et lÕentreprit avec le succs que chacun sait et ensuite le sige de Brisac, qui lui ayant russi, lÕen fit gouverneur. Or comme lÕon sut la mort du duc de Weimarch Paris, ceux qui savaient lÕardente affection que dÕErlach me portait, dirent peut-tre quÕil me pourrait demander pour commander en la place du duc de Weimarch lÕarme quÕil avait ; et comme je ne suis pas ha Paris et que lÕon a piti de ma misre, ce que peu de gens avaient dit par conjecture, beaucoup le dirent comme une chose effective, et mme ajoutrent que dÕErlach avec qui lÕon traitait pour remettre la ville de Brisac s mains du roi, ne voulait rien promettre si lÕon nÕaccordait prcdemment ma libert. Plusieurs me dirent ce bruit qui courait, et mme le gouverneur de la Bastille : mais moi, jugeant plus sainement des choses, me moquai de tous ces bruits, et fus mme marri de ce quÕils couraient. Je ne saurais dire si ceux qui menaient les affaires Paris pour le roi, ne trouvrent pas ces bruits bons, ou si, me hassant, ils voulurent tcher de me faire du mal par l, en pratiquant un nomm Scanevelle, ou si ce Scanevelle, mchant homme et fourbe qui avait lÕanne prcdente t cause de faire trancher la tte au beau-frre de Feuquieres nomm Heucour, tcha de sÕaccrditer en me faisant ce tour, ou mme si on le fit faire d'ailleurs afin de montrer au roi que je faisais des choses contre son service qui mritaient que lÕon me retnt encore prisonnier aprs un si long temps : mais en quelque faon que ce soit, il est fort vrai que ce Scanevelle qui avait une compagnie de cavalerie en lÕarme du duc de Weimarch sous le sieur de Guebrian se feignit tre un autre Scanevelle qui avait t nourri mon page (lequel est mort il y a douze ans), et vint trouver le sieur de lÕEspinai trsorier des Menus (qui prend quelque soin de mes affaires), et lui dit qu'ayant reu ma nourriture, il dsirait de me faire un grand service, et que, sÕil pouvait, il pratiquerait dans lÕarme du duc de Weimarch que je fusse demand pour gnral. Le sieur de lÕEspinai lÕcouta et lui rpondit quÕil tait louable dÕtre reconnaissant de la bonne nourriture quÕil avait reue de moi. Scanevelle lui ayant dit quÕil me devait faire savoir sa bonne volont, lÕautre lui dit quÕil tait dtenu dÕune paralysie dans le lit, duquel il ne saurait sortir dÕun mois ni peut-tre de deux ; mais que si Dieu lui faisait la grce de se remettre sur pied, quÕil me tmoignerait la bonne volont quÕil avait pour moi ; et ainsi Scanevelle le quitta, qui fut redire non ce quÕil avait dit LÕEspinay, mais quÕil tait entr dans la Bastille, quÕil avait confr avec moi, et que je lÕavais dpch vers Erlach pour le prier de ne rendre point Brisac au roi que pralablement je ne fusse mis en libert. Je ne sais aussi sÕil dit cela, ou si ce fut le prtexte que lÕon prit dÕcrire cette pre lettre par laquelle le roi commandait au sieur du Tramblai de me dire que cette action me rendait criminel, que jÕavouasse ce qui sÕtait trait entre moi et ledit Scanevelle, et que, si je manquais le dclarer vritablement, je me mettais en un trange tat ; finalement que je devais, pour satisfaire et rparer ma mauvaise conduite, crire une lettre de dsaveu audit Erlach. Je ne fus point tonn lorsque je vis cette lettre, nÕayant jamais vu, connu, ni pratiqu ce Scanevelle et ne sachant ce que cÕtait. JÕcrivis sur ce sujet Mr des Noyers pour en assurer le roi et Son Eminence et crivis aussi Erlach conformment ce que la lettre du roi portait, et quelques jours aprs, ayant su ce que ce Scanevelle avait dit LÕEspinay, je lÕcrivis encore Mr des Noyers ; ce que jÕai voulu dduire tout au long afin de faire voir combien de diverses fcheuses rencontres est sujet un homme qui est dans la mauvaise fortune : je ne reus aucune rponse de mes deux lettres crites Mr des Noyers, non plus que de celle que jÕavais envoye audit Mr des Noyers pour envoyer Erlach, ne sachant mme si elle lui a t rendue, mes premires lettres ayant t crites le 22me du mois, et cette dernire le 24me.
Le roi continua son voyage vers l'Italie, passant Langres o il sjourna : de l il vint Dijon ; puis tant arriv Chalon sur la Sane, il tomba malade, eut une forte fivre accompagne dÕun grand dvoiement ; mais comme Sa Majest est dÕun fort temprament et que Dieu a un soin trs particulier de sa conservation pour le bien de la chrtient, il fut assez tt guri et poursuivit son voyage.
Septembre. Ń Il mÕarriva au mois de septembre un accident qui est ridicule de le dire seulement, et honteux moi de lÕavoir ressenti de la sorte, mais qui mÕa t beaucoup plus insupportable que plusieurs autres plus importants que le cours de ma vie mÕa fait recevoir. J'avais un petit lvrier qui nÕavait pas plus de demi-pied de haut, nomm Mdor, de poil isabelle et blanc, le mieux marqu du monde, tant proprement comme ces beaux chevaux aubres, lequel tait le plus beau, le plus vif, le plus joli et aimable chien que j'aie jamais vu : ma vieille chienne Diane que jÕavais fort aime, lÕavait fait environ un an avant que mourir, comme si elle mÕeut voulu laisser cette consolation dans ma prison, qui mÕtait certes trs grande ; car il me divertissait beaucoup et me rendait la prison plus douce. JÕavoue que jÕy avais trop mis mon affection ; mais enfin je lui avais mise. Il arriva que, le lundi 12me septembre, comme jÕtais mont sur la terrasse de la Bastille avec Mrs le comte de Cramail, du Fargis, et madame de Gravelle, et le comte dÕEstelan qui ce jour-l mÕtait venu voir, une grande et vilaine lvrire noire de Mr du Coudray, que jÕavais toujours tellement apprhende pour mon chien que je le prenais dÕordinaire entre mes bras quand je savais quÕelle tait en haut, en se voulant jouer avec lui, lui mit un pied sur son petit corps de telle sorte quÕelle lui creva le cĻur en ma prsence ; certes cet accident me creva le mien, et mÕaffligea si fort que jÕen ai t fort longtemps triste, et que le souvenir mme de cette pauvre bte me tourmente lÕesprit.
On me manda ce mois-l quÕil y avait de nouveau quelque esprance de lÕchange de mon neveu de Bassompierre contre quelque prisonnier : mais ce bruit nÕa pas continu.
Pendant que la trve durait en Italie, le prince-cardinal fit rvolter contre sa belle-sĻur premirement la ville de Villefranche, puis ensuite la ville et le chteau de Nice de Provence, dont le roi reut nouvelles par les chemins, qui le fchrent bien fort pour l'importance de la chose.
Le prince Casimir, frre du roi de Pologne, qui lÕanne prcdente avait t arrt et retenu prisonnier Salon de Craux en Provence fut emmen fort honorablement jusques au bois de Vincennes o il entra le jeudi 15me de ce mois et y est gard.
Une personne qui m'est fort proche, nomme La Tour, joua et dpendit prodigalement force argent, dont je fus averti ce mois-l, ce qui me fcha fort.
Le roi qui poursuivait son voyage dessein de voir madame de Savoie sa sĻur, et de confrer avec elle sur les prsentes affaires, tcha de la faire venir Vimy prs de Lyon et cet effet envoya Mr de Chavigny vers elle pour l'en convier. Mais elle ne jugea pas propos dÕloigner la Savoie et le duc son fils dÕune si grande distance, de peur que pendant son absence quelque chose ne sÕinnovt en ce pays-l ; ce qui fit rsoudre le roi de sÕacheminer jusques Grenoble, o madame sa sĻur le vint trouver en grand quipage le 27me de ce mois, Sa Majest ayant t bien loin de la ville au-devant dÕelle ; et le lendemain, qui fut le 28me, mourut huit heures du matin, Rivoli en Pimont, Mr le cardinal de la Valette qui y avait t malade quatorze jours.
Octobre. Ń Au commencement du mois Mr le grand-prieur de Champagne, oncle de monsieur le cardinal, de la maison de la Porte, devint grand-prieur de France par la mort du grand-prieur de Bois Boudran, qui arriva le 2me dÕoctobre.
Le roi se spara de madame sa sĻur Grenoble, sÕen retournant Paris avec peu de satisfaction dÕelle : car elle ne voulut accorder de mettre le chteau de Montmlian entre les mains du roi, ni moins de lui donner le petit duc de Savoie son fils pour lÕamener en France.
En ce mme mois le prince palatin partit de Hollande, inconnu et dguis avec six chevaux de poste, sÕen vint en France, et passa jusques Saint-Pierre le Moustier pour sÕacheminer par la Suisse Brisac, sous lÕesprance dÕy tre reu et de se faire chef de lÕarme prcdemment commande par le duc Bernhard de Saxe Weimarch, attendu qu'elle avait t destine par le roi de Sude et les princes protestants dÕAllemagne pour servir dans les quatre cercles dont les lecteurs palatins sont chefs ; et tant reconnu lecteur par ledit roi et lesdits princes, il prtendait de droit cette arme tre sous sa charge et son commandement. Le roi fut averti de son passage et le fit arrter audit Saint-Pierre le Moustier, puis ensuite conduire au chteau de Nevers.
Le roi ordonna Mr le comte de Harcourt son lieutenant gnral en Italie la place de Mr de Longueville qu'il en retira pour lui donner le commandement de lÕarme que soulait commander Mr de Weimarch en Allemagne, et de Mrs le cardinal de la Valette et comte de Candale qui tous deux taient morts en Italie. Ledit cardinal possdait soixante et dix mille cus de rente tant en lÕarchevch de Bordeaux quÕen quinze abbayes qui furent lors toutes distribues des particuliers. Il tait pareillement gouverneur de la ville de Metz et du pays Messin : le roi donna ce gouvernement au sieur de Lambert qui a t longuement mon domestique, et qui tait lors marchal de camp dans son arme et gouverneur de la Capelle en Picardie ; ce gouvernement fut donn au sieur de Roquepine qui commandait Metz sous le feu cardinal de la Valette. Ce mme mois se fit lÕaccommodement pour Brisac qui reconnut le roi, le colonel dÕErlach en demeurant gouverneur, et lÕarme prtant serment Mr de Longueville pour Sa Majest.
Le sige de Salses continuant toujours, et Mr le Prince se prparant pour le faire lever, il mit sur pied vingt et trois mille hommes, ayant pour lieutenant gnral le marchal de Schomberg, et se prsenta le 24me de ce mois avec son arme sur le tard devant les retranchements des ennemis, qui de fortune ce jour-l taient si mal gards, et si mal faits, que lÕon et eu gure de peine les forcer, et le marchal proposa que, sans attendre lÕarrire-garde, que le vicomte dÕArpajon conduisait par un autre chemin, on tentt lÕentreprise qui et infailliblement russi. Mais comme la rsolution que lÕon avait prise au conseil avant que partir nÕtait conforme cette proposition, Mr le Prince, avec beaucoup de raison, ne la voulut pas changer, dont lÕvnement lÕen fit puis aprs repentir : car sur la nuit il vint un si extraordinaire orage qui continua si vhment toute la nuit que toute son arme se dbanda avec perte de plus de trois mille hommes, ou qui prirent, ou que lÕon ne revit plus, et ensuite force troupes se dbandrent. Mr le Prince nanmoins et ledit marchal ne perdirent aucun soin ni temps pour la remettre en tat de faire un nouvel effort.
Finalement ce mme mois le gnral Ocquendo qui commandait la flotte dÕEspagne, qui avait heureusement amen un grand secours dÕhommes et dÕargent en Flandres, entreprit de partir des ports dÕAngleterre pour sÕen retourner en Espagne : mais lÕarme navale des Hollandais, commande par leur gnral Tromp, ayant attaqu la flotte espagnole, elle la mit en droute, ayant brl plusieurs vaisseaux, pris dÕautres, et fait chouer quelques autres en des ctes ennemies.
Novembre. Ń Au commencement de ce mois de novembre, Mr le comte de Harcourt, nouveau gnral de lÕarme du roi en Italie, qui, ds le mois prcdent, tait arriv Carignan, la trve tant finie ds le 24me dÕoctobre, se prpara pour jeter quelque secours dÕhommes dans Casal, que la peste en avait dpourvu. Il part donc de Carignan avec une fort petite arme, mais fort dlibre de bien faire, et dont la cavalerie est la meilleure de toute celle du roi, et vint assiger Quiers, qui lui fit peu de rsistance, bien que les ennemis fussent la vue de la ville pour la venir secourir, et plus forts que lÕarme franaise ; aprs quoi il fit promptement marcher son arme droit Casal o il jeta mille hommes de pied dedans, et puis sÕen vint reprendre son logement de Quiers. Le marquis de Leganes et le prince Tomas de Savoie, qui avaient chacun une arme plus forte que celle du comte de Harcourt, et qui nÕayant pas cru que ledit comte et lÕaudace de se mettre en campagne devant eux et moins de passer jusques Casal, ne sÕtaient pas hts de venir l'en empcher, voulurent se hter lors de lui fermer le passage de son retour, et se camprent entre Quiers et Carignan par o il devait passer. Le comte nÕayant pas de forces gales leur opposer demeura Quiers autant quÕil eut de vivres ; mais lui tant faillis, il se rsolut de passer ou de mourir glorieusement. Ė cet effet il partit de Quiers, et sur lÕentre de la nuit, qui tait lors fort claire, se rencontra lÕarme du Leganes la droite et celle du prince Tomas la gauche, qui le vinrent en mme temps affronter. Mais lÕarme franaise, qui voyait nÕavoir que la porte de la valeur par o sÕen retourner, anime par son gnral et par les sieurs de Turenne, de Plessis-Pralain, et la Motte-Houdancour marchaux de camp, par ses chefs particuliers, et par son propre courage, se dfendit courageusement durant quatre heures au bout desquelles elle renversa lÕarme du prince Tomas, fit reculer celle du Leganes, et passa travers des deux malgr eux pour se venir rendre Carignan ; qui est une des plus hautes et braves actions qui se soit faite de ce sicle.
Le roi arriva Versailles la veille de la Saint-Martin, o Monsieur son frre le vint trouver.
Du ct de Salses Mr le Prince fit une nouvelle attaque contre le camp des ennemis, qui ne lui russit pas, le 2me de ce mois.
Le dimanche 13me le palatin fut emmen prisonnier au bois de Vincennes, au-dessus du prince Casimir de Pologne.
Le lendemain Mr de Saint-Marc favori nouveau du roi prta serment de grand cuyer.
Le jeudi 17me madame de Hautefort qui tait matresse dclare de Sa Majest, eut ordre de lui, port par Mr de Lomenie, de se retirer de la cour ; on en dit de mme une autre des filles de la reine, nomme Chemeraut, et un valet de chambre du roi, nomm Lespine. Et le lendemain fut fait le dcri des pistoles lgres, dont la permission de les dbiter avait port un notable intrt la France.
En ce mois fut tu lÕcuyer du marchal dÕEstres, et sa tte mise sur le pont Saint-Ange Rome, banni pour avoir retir par force un homme condamn aux galres. Cette mort mit mal le pape et le roi, de sorte que le marchal dÕEstres nÕeut plus dÕaudience du pape, et que lÕon la refusa en France son nonce : on dfendit mme aux vques de le visiter ni dÕavoir aucune intelligence ni commerce avec lui.
Il sÕtait fait lÕt prcdent quelque dsordre en la ville de Rouen contre les fermiers du roi, en suite de quoi il sÕen commit aussi Caen et en la Basse-Normandie o quelques croquants sÕlevrent, ce qui fut cause quÕaprs que les armes dÕune part et dÕautre se furent retires de la campagne, le roi envoya le colonel Gascion avec mille chevaux et quatre mille hommes de pied en Normandie pour chtier ces mutins, lequel sÕachemina premirement Caen et y logea, puis ensuite ayant eu avis que les croquants taient vers Avranches et Villedieu, il les y fut tailler en pices avec perte du baron de Courtaumer, qui fut tu lÕattaque du faubourg dÕAvranches.
Le fils de Mr le comte dÕAlais mourut ce mme mois, qui fut perte pour cette maison. Mais comme lÕenfant tait petit, la perte ne fut pas gale celle que reut la maison de Guise par la mort de Mr le prince de Joinville, que lÕon estimait le plus accompli prince de son temps : Dieu le tienne parmi ses lus.
Ce mme mois mourut aussi Mr de Valanay, mon bon et cher ami, et qui avait autrefois t mon compagnon en charge lorsque jÕtais marchal de camp.
Madame la duchesse de Crouy, qui avait pous mon cousin remu de germain, mourut aussi dÕune apoplexie la nuit du lundi au mardi 15me de ce mois ; et ma nice, abbesse dÕEpinal, se maria avec le marquis de Haraucour le ....
tant dtenu prisonnier depuis tant dÕannes dans le chteau de la Bastille o je nÕai autre chose faire quÕ prier Dieu quÕil termine bientt mes longues misres par ma libert ou par ma mort, que puis-je crire de moi ni de ma vie, puisque je la passe toujours dÕune mme faon, si ce nÕest quÕil mÕy arrive de temps en temps quelques sinistres accidents ; car je suis priv des bons depuis que je lÕai t de ma libert. CÕest pourquoi, nÕayant rien dire de moi, jÕemplis le papier de ce qui se passe tous les mois dans le monde, de ce qui vient ma connaissance. Et comme, en lÕhiver, toutes choses se reposent, ou se prparent pour agir au printemps, ce mois de dcembre est fort maigre et strile de nouvelles, ne sÕtant pass autre chose sinon quÕtant venue celle de la seconde tentative du levement du sige de Salses, qui nÕavait point russi, le roi rsolut dÕen faire faire une troisime, et pour cet effet dpcha le marquis de Coualin vers Mr le Prince pour lui ordonner ; quoi il se prpara pour le jour de lÕan suivant. Cependant Espenan capitula que, sÕil nÕtait secouru dans le jour des Rois, quÕil rendrait la place aux Espagnols.
Monsieur le chancelier fut ordonn par le roi pour aller Rouen et en basse-Normandie pour faire faire une exemplaire justice des mutins et rebelles de cette province, et partit de Paris le mardi 20me de ce mois.
Madame de Hautefort et Madlle de Chemeraut, qui taient venues Paris, quittant la cour, eurent ordre dÕen partir le lundi 26me ; quoi je terminerai cette anne.
Janvier.Ń Je nÕespre pas que cette nouvelle anne me doive tre fort heureuse, la commenant par une mauvaise nouvelle que je reus le premier janvier, que mon nouveau neveu de Haraucour avait un secret dessein de se retirer vers le duc de Lorraine ; ce qui mÕet caus un sensible dplaisir quÕune personne si proche se retirt du service du roi aussitt aprs tre entr en mon alliance, et dÕautant plus quÕinfailliblement on et souponn ma nice sa femme de lÕavoir port ce dessein, vu la mauvaise opinion que lÕon a dj dÕelle sur ce sujet : Dieu mÕa fait la grce dÕavoir appris depuis, que ce bruit est faux, et quÕil nÕa eu aucune pense de cela.
Monsieur le chancelier arriva Rouen le 4me de ce mois, le colonel Gascion y tant entr avec ses forces cinq jours auparavant. Le lendemain de lÕentre de monsieur le chancelier, il envoya une interdiction la cour de parlement, la cour des aides, au bailliage, et aux trsoriers de France ; ensuite de quoi il fit faire plusieurs excutions de ceux quÕil crut avoir tremp au trouble de lÕt prcdent.
Salses avait capitul de se rendre la veille des Rois sÕil nÕtait secouru. Mr le Prince se prsenta le mme matin pour tenter le secours : mais il fut jug du tout impossible de le faire ; ce qui fut cause quÕEspenan en sortit avec la garnison le 7me de ce mois, qui fut nanmoins heureux la France en ce que la reine se trouva grosse de nouveau.
LÕon chercha ce mme mois divers moyens pour trouver de lÕargent pour subvenir aux grands frais quÕil convenait faire pour la guerre, entre lesquels celui dÕune nouvelle cration de seize matres des requtes fut accept et prsent au parlement pour le vrifier et enregistrer. Mais les matres des requtes ayant fait de fortes brigues, et le parlement ayant odieuse cette nouvelle cration, il fut refus ; dont le roi se sentant offens exila deux conseillers, Lain et Scaron, et envoya la Bastille le matre des requtes Gamin le dernier jour de ce mois.
Celui de fvrier commena par lÕentre magnifique de lÕambassadeur de Pologne venu pour moyenner la libert du prince Casimir frre du roi de Pologne, dtenu prisonnier dans le bois de Vincennes, lequel arriva Paris le jour de la Chandeleur.
Monsieur le chancelier, aprs avoir achev le chtiment de Rouen, sÕen alla en faire de mme Caen.
Mademoiselle, fille de Monsieur, dansa le 17me un ballet de vingt-quatre filles, trs beau et superbe, chez monsieur le cardinal. Le 23me elle le dansa lÕArsenal, et le 26me la maison de ville.
JÕeus nouvelle le dimanche 5me, midi, dÕune chose qui me fut trs agrable, et ensuite encore dÕune autre, que ma nice de Haraucour, nouvellement marie, tait grosse. Mais pour nÕavoir pas une longue joie, jÕeus en mme temps nouvelles que lÕon tait mal satisfait la cour de quelques discours que mon neveu, le marquis de Bassompierre, avait tenus de la France dans sa prison, que lÕon a depuis avrs tre faux.
Ma petite-nice, fille ane de Mr et de madame de Houailli, qui tait trs jolie et bien faite, mourut le 23me neuf heures du matin ; et trois jours auparavant, savoir le 20me, mourut dans ma maison de Harouel en Lorraine madame la comtesse de Tornielle grand mre de mes neveux, que jÕaimais bien fort.
Mars. Ń Le mois de mars fut remarquable par la mort du Grand Turc lors rgnant, cause par une apoplexie, et parce aussi quÕil laissa pour hritier le seul qui restait de la maison ottomane.
On dlivra ce mme mois le prince palatin prisonnier au bois de Vincennes, condition quÕil demeurerait six mois en France.
Monsieur le chancelier, aprs avoir achev les excutions contre les mutins et croquants, sÕen revint Paris. Et la cour, le 19me de ce mois, La Chaine, premier valet de chambre du roi et fort en ses bonnes grces, fut chass avec le Per, frre de Mr le prsident de Baillieul, et quelques autres de leur cabale.
On demeura dÕaccord de la libert de Mr de Feuquieres en changeant pour lui Equenfort prisonnier au bois de Vincennes, et vingt mille cus. On mit mme Equenfort en libert, qui me vint voir le 15me : mais le samedi 17me la nouvelle tant venue de la mort de Feuquieres le 13me, on le remit en prison.
Avril. Ń Je commenai le mois dÕavril par une mauvaise nouvelle que lÕon me manda de la msintelligence qui tait entre Mr le comte de Tornielle grand-pre et tuteur de mes neveux, et ma nice de Haraucour sa petite-fille, laquelle fit saisir tout le bien de mes autres neveux et y a fait un grand dsordre.
JÕenvoyai en Hollande, le 8me, mon neveu de Dommartin, second fils de feu mon frre, qui tait un dbauch qui mÕavait offens : nanmoins je lui ai voulu entretenir, nÕayant rien vaillant prsent.
Je perdis le 22me de ce mois Mr de Puisieux, mon bon et affid ami, qui mourut dÕune assez longue maladie.
Voil pour ce qui regarde mon particulier : et pour les affaires publiques, Casal fut assig par le marquis de Leganes ds le 9me de ce mois, et Mr le comte de Harcourt ayant eu ordre du roi de hasarder le tout pour le secourir, alla avec quelque neuf mille hommes tant de pied que de cheval contre ledit Leganes qui en avait vingt et deux mille dans ses retranchements trs forts et parachevs, quÕil attaqua le 29me de ce mme mois si vertement et avec tant de courage et de persvrance quÕaprs avoir t repouss par quatre diverses fois, il les fora enfin la cinquime, mettant en route lÕarme du Leganes de laquelle il prit le canon, les munitions et tout le bagage. Il perdit quelques gens en ces diverses attaques, et entre autres le plus jeune des enfants du sieur du Tramblai gouverneur de la Bastille, nomm Villeblavin, jeune homme qui promettait extrmement de lui, et que jÕaimais particulirement.
DÕautre ct le Bannier ayant perdu une ville par surprise, o il avait retir son bagage et ses munitions, fut contraint de quitter le poste avantageux o il tait, et de se retirer devers Erdfort qui tait demeur du parti sudois, o il fut promptement suivi par lÕarme impriale commande par lÕarchiduc Lopold et par Picolomini sous lui.
Le 20me lÕdit des crations nouvelles des matres des requtes fut enfin vrifi au parlement, et le nombre restreint douze. Ce mme jour fut rtablie la troisime chambre des enqutes, qui avait t si longtemps interdite, avec ordre aux conseillers Bitaut et Sevin de se dfaire de leurs charges, avec interdiction au prsident Perrot de Saint-Di dÕentrer en ladite chambre pour y exercer la sienne, jusques nouvel ordre du roi.
La reine sentit bouger son enfant le vendredi 20me.
Mai. Ń Le grand succs de Casal animait nos autres gnraux de se mettre promptement en campagne pour faire de leur ct quelque exploit signal, et des le 22me du mois pass le marchal de la Melleraye tait parti de Paris avec un grand quipage dÕartillerie, tirant vers Mzires o se devait faire lÕassemble dÕune puissante arme quÕil commandait. Monsieur le cardinal, pour faire quitter Paris tous les braves, en partit le 2me de ce mois, et le roi sÕtait dj avanc du ct de Picardie o le marchal de Chatillon devait aussi avoir une arme sur pied pour dfendre la frontire et tenir les ennemis en chec tandis que le marchal de la Melleraye commencerait quelque sige dÕimportance ; lequel, en assemblant ses troupes, reut un petit chec de quelque cavalerie qui lui fut dfaite, et nombre de chevaux dÕartillerie enlevs ; ce qui ne lÕempcha pas nanmoins de venir promptement investir Charlemont ville trs forte sur la rivire de Meuse, laquelle apparemment il et prise si le ciel ne sÕy fut oppos par des continuelles pluies qui lÕempchrent de sÕy arrter, et qui lui firent changer son dessein en celui de Mariembourg, o pareillement les ennemis ayant rompu une cluse, inondrent le pays de telle sorte que force lui fut de lever le sige : sur quoi le roi lui manda de ramener son arme fatigue et dprie par le mauvais temps, pour la joindre celle de Mr le marchal de Chatillon, et toutes deux entreprendre de forcer quelque grande place en Artois.
Ce mme mois madame la duchesse de Chevreuse, qui, lÕanne prcdente, avait fait retraite de France et pass en Espagne, puis dÕEspagne en Angleterre, finalement dÕAngleterre a pass en Flandres, o peu aprs arriva le btard du roi de Danemark avec quatre mille hommes de renfort lÕinfant-cardinal.
Le comte de Harcourt aprs la victoire de Casal ayant renforc son arme de quelques rgiments qui lui taient arrivs de France, vint mettre le sige devant Turin bien que le prince Tomas de Savoie se ft peu de jours avant jet dedans avec cinq mille hommes de pied et quinze cents chevaux, et que le marquis de Leganes qui avec ce quÕil avait sauv de sa droute de Casal tait plus fort que ledit comte, attendit encore des grandes forces du duch de Milan, que le cardinal Trivulse lui amenait : toutes ces choses qui devaient tonner un autre, animant cet homme victorieux dÕentreprendre ce grand sige, quÕil commena presser vertement, et se rendit matre dÕabord dÕun faubourg fortifi dÕo il chassa les ennemis ; ce qui ayant fait hter le marquis de Leganes de venir en diligence secourir Turin et le ravitailler, il attaqua le camp du comte de Harcourt, mal fortifi encore, pour le peu de temps quÕil avait eu de le faire. Nanmoins il se dfendit si gnreusement que le marquis fut contraint de se retirer avec perte de prs de trois mille hommes : mais de notre ct le vicomte de Turenne y fut bless, et plusieurs tus.
Les Hollandais aussi, ayant mis pied terre en Flandres, voulant passer un canal prs de Bruges, le comte de Fonteines sÕopposa leur passage, et aprs en avoir tu plus de huit cents, et quelques officiers, les contraignit de se retirer.
JÕeus ce mois-l nouvelles comme lÕempereur avait favorablement trait mon neveu de Bassompierre prisonnier Benfeld, ayant accord le sergent de bataille Javelitsky pour changer contre lui et lÕa envoy en dpt Strasbourg.
La Tour est parti pour aller avec Gascion le 30me.
Juin. Ń Le sige dÕArras assig le 13me de ce mois de juin, donna de la crainte aux deux partis : lÕun, quÕil ne ft pris, et aux autres de faillir de le prendre. CÕest pourquoi chacun se prpara, savoir, ceux de dedans se bien dfendre, nous lÕattaquer fermement, et les Espagnols le secourir. Le premier des chefs ennemis qui vint pour troubler nos travaux, fut Lamboy, lequel Mr le marchal de la Melleraye ayant voulu tter, vint avec quelque cavalerie proche de ses retranchements et mme poussa quelques troupes qui taient sorties pour escarmoucher ; mais les ntres inconsidrment poursuivant les fuyards, vinrent donner si proche du camp de Lamboy, que nous y perdmes quantit de volontaires et de gens de principal commandement : le marquis de Gesvres marchal de camp y fut pris, et Breaut, sergent de bataille, et matre de camp du rgiment de Picardie, tu, qui fut certes un trs grand dommage ; car cÕtait un homme parvenir un jour aux plus grandes charges.
Juillet. Ń En ce mois de juillet le sige dÕArras continua avec grande pret de part et dÕautre, et les circonvallations paracheves, on alla par tranches droit la ville par deux divers endroits. Mais le cardinal-infant ayant assembl toutes ses forces, se vint camper si prs dÕArras, quÕil tait bien difficile dÕy faire passer des vivres ni des munitions de guerre dont lÕon manquait au camp, ce qui fut cause de faire tenter divers convois : entre autres le colonel de lÕEchelle entreprit dÕen mener un par Pronne, et ayant donn avis de son dessein, le marchal de la Melleraye partit avec trois mille chevaux pour le venir rencontrer au lieu concert entre eux ; mais comme il sÕy acheminait, il rencontra la bannire de Hainaut que le comte de Buquoy et plusieurs seigneurs avec lui conduisaient, laquelle le marchal attaqua, et la rompit, non sans grand peine et perte dÕhommes ; nanmoins elle se retira, et le marchal ne la voulut poursuivre pour la dfaire entirement, sur le bruit que toute lÕarme ennemie sÕavanait : il prit quelques prisonniers de condition et se retira au camp sans le convoi que lÕon y attendait impatiemment, lequel fut rencontr par cette bannire de Hainaut qui le dfit et emmena les denres quÕil portait. Cela mit le camp en grande confusion ; car il nÕy avait plus de vivres ni de munitions de guerre : mais deux jours aprs, Saint-Preuil en fit heureusement arriver un, qui fut cause que le sige ne se leva point, et que la ville fut presse vertement.
Le marquis de Leganes dÕautre ct fit encore une tentative sur le camp du comte dÕAlais devant Turin ; mais il nÕy russit pas mieux que la premire fois, et se retira avec perte.
Aot. Ń Le mois dÕaot fut notable par le mauvais succs des Hollandais, encore battus une attaque nouvelle quÕils voulurent entreprendre pour passer un canal dans la Flandre, ce qui les fit dsesprer de pouvoir rien faire du ct de Flandres, et les porta au sige de Gueldre. Mais les continuelles pluies qui survinrent, et quelques cluses que les ennemis rompirent, avec la survenue de don Philippe de Silvas, de Andrea Cantelme et de Fonteines, avec dix mille hommes, les fit pareillement lever ce sige et se retirer vers Guenep.
JÕeus ce mois-l nouvelle comme lÕempereur avait dclar notre maison descendue de droite ligne masculine dÕUlrich comte de Ravensperg, cadet de la maison de Clves, et quÕil nous reconnaissait pour princes de cette maison, et que le collge des lecteurs y avait pareillement donn son approbation.
Il me vint aussi nouvelles comme mon neveu de Bassompierre devait tre mis dans peu de jours en libert, attendu que Javelitsky pour lequel il tait chang, tait dj en dpt Strasbourg. Mon dit neveu me fit crire pour avoir mon consentement dÕpouser la sĻur de la princesse de Cantecroix.
Mais le premier jour dÕaot, les travaux ayant t avancs Arras jusques tre attachs aux bastions de la ville, la famine nanmoins tait si grande dans notre camp, et la difficult telle dÕy amener des vivres, le roi ayant t oblig pour cet effet dÕenvoyer qurir en diligence lÕarme commande par Mr du Hallier au sige de Sancy en Lorraine quÕenfin il avait pris, et dÕenvoyer tirer les forces des garnisons de Picardie, ayant assembl une arme de vingt-cinq mille hommes et mis sur pied un convoi de six mille charrettes ; Mr le marchal de Chatillon tant demeur au sige, Mr le marchal de la Melleraye partit dudit camp avec douze mille hommes le mercredi premier dudit mois, pour venir rencontrer le secours, ce quÕil fit point nomm : et comme lÕon tait aux embrassades de cet heureux succs, arriva nouvelles comme les ennemis taient venus attaquer notre circonvallation, de laquelle ils avaient pris le fort de Ransau et taill en pices le rgiment de Roncerolles qui tait dedans. Alors Gascion vint avec mille chevaux toute bride vers notre camp, qui fut suivi de Mr de la Melleraye avec ce quÕil avait amen au-devant du convoi. Mais Mr le marchal de Chatillon lui ayant mand que ce nÕtait rien et que les ennemis, ayant vainement tent lÕattaque des lignes, en avaient t repousss et se retiraient sur la main gauche, qui tait vers lÕavenue du convoi, il retourna en pareille diligence audit convoi. Les ennemis lors continurent leur attaque, o ils repoussrent plusieurs de nos troupes. Mrs de Vendme firent ce jour l des merveilles, tant toujours la merci de mille coups parmi les ennemis, tuant tout ce quÕils rencontraient, et animant nos gens lÕespace de quatre heures que lÕattaque dura, en laquelle Mr le marchal de Chatillon fit ce quÕhumainement se pouvait faire, et eut un cheval tu sous lui. Mais enfin le convoi tant arriv au Camp sans rencontre, avec lÕarme de Mr du Hallier et celle quÕavait ramene Mr de la Melleraye, la partie ne fut plus tenable aux ennemis qui quittrent volontairement le fort de Ransau, et se retirrent en bel ordre, voyant arriver les rgiments de Champagne et Navarre en bel ordre vers eux pour les en chasser. Alors on pressa les ennemis de sorte quÕune mine que lÕon fit jouer en lÕattaque de La Melleraye ouvrit plus de soixante pas de brche, ce qui fit capituler les ennemis quÕils rendraient la place au roi sÕils nÕtaient secourus dans le 8me du mois. Les ennemis ne manqurent de se prsenter encore pour faire quelque effort : mais ayant trouv la chose impossible, ils se retirrent, et les troupes du roi prirent, le jeudi 9me dÕaot, possession de la ville dÕArras.
Je reus un petit dplaisir ce mme mois par le refus que Mr le comte de Tornielle, grand-pre de mes neveux, me fit de me donner le plus jeune de mes dits neveux nomm Gaston, pour le nourrir prs de moi. Mais en rcompense jÕeus le contentement de savoir ma nice de Houailli heureusement accouche dÕune fille le 30me de ce mme mois.
Septembre. Ń Le roi revint vers Paris au commencement du mois de septembre, ayant laiss monsieur le cardinal vers la frontire, qui sÕalla tenir Chaunes.
Nous emes en ce mois deux heureux succs, lÕun de la naissance dÕun second fils de France, la reine en tant accouche le .... ; et la prise de Turin arrive le ... de ce mois.
La rvolte des Catalans se peut aussi mettre parmi les heurs de la France, puisque cÕest au dsavantage de ses ennemis.
Octobre. Ń En ce mois dÕoctobre est mort un des plus gentils, des plus braves et des meilleurs princes que jÕaie jamais connu [le Duc de Guise], et qui me faisait lÕhonneur de mÕaimer chrement : aussi ai-je ressenti sa perte aussi vivement dans mon cĻur, que de chose qui me soit arrive de longtemps. Il avait souffert durant neuf annes beaucoup de tourment et de perscution de la mauvaise fortune : exil de France, ayant perdu son gouvernement ; ses biens ruins ; et ce quÕil a pti dans sa famille par la perte de ses deux enfants dont lÕan tait le plus accompli prince de son temps, et par la mauvaise conduite du troisime, qui ne vivait pas selon sa profession.
[Memo : Richelieu 04/12/1642]
Ce mercredi 21 janvier 1643. Lundi Mrs de Bassompierre, de Vitry et le comte de Cramail sortirent de la Bastille, ces deux derniers avec une joie extrme, et pour ce qui est du premier, ses parents et ses amis eurent toutes les peines imaginables lui persuader dÕaccepter sa libert condition dÕaller Tillieres, et je crus cent fois quÕil nÕen ferait rien : jÕy fus depuis 10 heures du matin jusquÕ 9 heures du soir quÕils sortirent... Ils ont trois ou quatre jours pour demeurer icy : ils ont vu tous Mrs les ministres. CÕest non sans quelque esprance que M. le marchal de Bassompierre ne demeurera pas longtemps o il va.
(Henri Arnauld, abb de Saint-Nicolas dÕAngers, dans un journal adress la prsidente Barillon)
Notes de la prsentation par le Mquis de Chantrac:
[1] Historiette de Bassompierre. Commentaire. (Troisime dition, t. III, p. 355.)
[2] Le catalogue des livres de lÕabb de Rothelin, imprim pour sa vente en 1746, annonait, sous le no 3752, un manuscrit en trois volumes in-folio contenant les Mmoires de Franois marchal de Bassompierre depuis 1598 jusquÕen 1631. Ce manuscrit sÕarrtait, ce quÕil parat, au moment de lÕemprisonnement du marchal. Il fut vendu au prix modique de 5 l.
[3] Chaque volume porte sur le premier feuillet un numro crit la main (1547 et 1548), et un ex libris imprim en ces termes : Ex bibliotheca Mss. Coisliniana, olim Segueriana, quam Illus. Henricus du Cambout, Dux de Coislin, Par Franci¾, Episcopus Metensis etc. Monasterio S. Germani Pratis legavit an. MDCCXXXII.
[4] Ce portrait, conserv dans la famille de Bassompierre, a figur lÕexposition dÕAlsace-Lorraine en 1874.
[5] Anagramme de : Franois de Bassompierre, en changeant b en n.
[6] Le roi crivit ce mme jour Bassompierre une lettre favorable, au sujet de laquelle le marchal adressa ses remerciements Chavigny, la considrant comme Ē un pur ouvrage de sa bont. Č
[7] On trouve dans lÕInventaire fait aprs le deceds de Mr le marchal de Bassompierre la cote suivante : Ē Item les lettres de rtablissement dudt sgr marchal en la charge de colonel gnral des Suisses en datte du 15e octobre 1643. Sign : Louis, et sur le reply : par le Roi, la Reine regente sa mre presente, Le Tellier, et scelles du grand scel de cire jaune, inventori au dos 42. Č
[8] Histoire de la ville et de tout le diocse de Paris, par lÕabb Lebeuf, nouvelle dition, annote et continue par Hip. Cocheris, t. IV, p. 313-314.
[9] Les arts sÕexercrent aussi en lÕhonneur de Bassompierre. Outre la belle toile de Van-Dyck, je possde un portrait sur marbre du marchal cheval, en armure dore. Un autre portrait, peint dans la manire de Philippe de Champagne, appartient M. le comte de Laugier-Villars. Une mdaille, frappe en 1633, porte dÕun ct la tte de Bassompierre en demi-relief, avec la lgende fr. . bassompierre franc. polem. glis. helvet. pr¾f., et de lÕautre un phare sous un ciel toil avec les mots : quod nequeunt tot sidera pr¾stat. Le P. Bouhours (Entretiens dÕEugne et dÕAriste) critique cette devise : il fait aussi quelques rserves au sujet dÕune autre devise du marchal, qui avait pour corps une fuse volante, et pour me ces mots : Da lÕardora lÕardire ; cette dernire plaisait cependant Mme de Svign.
[10] Ē Monseigneur de Bassompierre est en estime dÕun esprit trs accomply pour les sciences ; car son tude est continuelle, aussi bien que le soin quÕil a de rechercher les meilleurs livres pour enrichir sa clbre bibliothque o sont conservez plus de quatre mille volumes. Č (Traict des plus belles bibliothques, par le P. Louis Jacob. Paris, Rolet-le-Duc, m.dc.xliv.)
[11] La lecture des Mmoires et t difficile si elle avait t continuellement interrompue par des pices officielles. Les Ambassades rpondent au dsir de Bussy en ce qui concerne les missions diplomatiques. Quant aux lettres des matresses, on sait ce que Bassompierre en a fait, et, dire vrai, je crois quÕil rendu service la postrit.