MŽmoires du marŽchal de Bassompiere (de 1599 ˆ 1640)

Texte Žtabli par le marquis de ChantŽrac, Veuve Jules Renouard, libraire de la SociŽtŽ de lÕhistoire de France, 1870 (4 tomes, assemblŽs ici en un seul volume Ń graphie modernisŽe ©2025).

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k200280r


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Repres:  NOTICE Žtablie par le Mquis de ChantŽrac   Ń biographie de Bassompierre

NOTICE Žtablie par le Mquis de ChantŽrac

SÕil est en gŽnŽral conseillŽ aux auteurs de ne parler dÕeux-mmes que le moins possible, cette recommandation doit tre encore plus expresse pour le simple Žditeur, dont le mŽrite consiste seulement ˆ reproduire dÕune manire fidle lÕĻuvre dÕautrui, et ˆ la commenter avec discrŽtion et sobriŽtŽ. Je ne dirai donc de moi que peu de chose, et en lieu o il sera permis de ne pas me lire. Uni par les liens les plus chers ˆ la dernire hŽritire dÕun nom qui va sՎteindre, jÕai entrepris de restituer lÕĻuvre historique, jusquÕici dŽfigurŽe, du personnage qui a rendu ce nom cŽlbre. Quelle garantie meilleure pourrais-je donner du soin religieux avec lequel jÕai accompli ce travail ?

Le journal de la vie du marŽchal de Bassompierre parut pour la premire fois en 1665, ˆ Cologne, chez Pierre du Marteau, en deux volumes in-12, sous ce titre: MŽmoires du marŽchal de Bassompierre, contenant lÕhistoire de sa vie et de ce qui sÕest fait de plus remarquable ˆ la cour de France pendant quelques annŽes. Une prŽface est en tte de lÕouvrage. Cette jolie Ždition, imprimŽe avec les caractres et les fleurons des Elsevier, et placŽe par Brunet parmi celles qui peuvent sÕajouter ˆ leur collection, est remplie de fautes grossires, dÕomissions et dÕinterversions qui altrent le sens ˆ chaque phrase ; les noms propres y sont dŽfigurŽs de manire ˆ devenir souvent mŽconnaissables ; tout annonce enfin quÕelle a ŽtŽ donnŽe sur une copie inexacte par un Žditeur inintelligent. M. Paulin Paris me pardonnera si je dŽcharge ici un innocent de lÕaccusation mal fondŽe quÕil fait peser sur lui lorsquÕil dit, dans les Historiettes de Tallemant des RŽaux [1], que Ē les mŽmoires du marŽchal de Bassompierre ont ŽtŽ donnŽs par les soins trs-peu vigilants de Claude de Malleville, son secrŽtaire, membre de lÕAcadŽmie franaise. Č Ce pote, qui avait honorŽ sa muse par des vers o il dŽplorait les malheurs du marŽchal et cherchait ˆ flŽchir la rigueur du cardinal de Richelieu, ne vivait plus depuis longtemps, et le libraire qui, en 1649, publiait ses Ļuvres aprs sa mort, disait au lecteur: Ē Les dernires annŽes de sa vie ayant ŽtŽ donnŽes toutes entires ˆ ce cher Maistre dont il avait si longtemps pleurŽ la captivitŽ, il nÕa pas eu le loisir de revoir soigneusement ses ouvrages. Č

Une autre Ždition des MŽmoires parut la mme annŽe ˆ Cologne, chez Pierre du Marteau, en trois volumes petit in-12 : elle est beaucoup moins jolie que la prŽcŽdente, quÕelle reproduit avec quelques fautes dÕimpression de plus, et la prŽface de moins. LՎdition de Cologne, P. du Marteau, 1666 (ˆ la sphre), 2 vol. in-12, est assez jolie, dit Brunet, et peut remplacer lՎdition originale.

Enfin jÕai sous les yeux une Ždition de 1692, Cologne, P. du Marteau, 2 vol. petit in-12, o se trouve la prŽface, et o les MŽmoires sont annoncŽs sur le titre comme Ē reveus et corrigŽs en cette nouvelle Ždition Č ; une autre de 1692, Amsterdam, chez AndrŽ de Hoogenhuysen (ˆ la sphre), avec privilge de Messieurs les ƒtats de la Hollande, 2 vol. petit in-12, Ždition revue et corrigŽe (toujours sur le titre), et reproduisant la prŽface ; une de 1703, Cologne, Jean Sambix le jeune, ˆ la couronne dÕor, 2 vol. in-12, sans prŽface ; une de 1721, Amsterdam, chez Henri Deroubec, 4 vol. in-12, sans prŽface, avec quelques figures ; et une de 1723, Amsterdam, aux dŽpens de la Compagnie, 4 petits vol. in-12, ˆ la sphre, Žgalement sans prŽface.

CÕest lˆ que sÕarrte la liste assez nombreuse des Žditions anciennes, toutes publiŽes en pays Žtranger. Plus rŽcemment, les MŽmoires du marŽchal de Bassompierre ont ŽtŽ donnŽs dans la collection Petitot et dans la collection Michaud. LՎditeur de la premire de ces deux collections dŽclare quÕil a choisi pour texte lՎdition de 1665, en la purgeant de quelques fautes. JÕignore quelles sont les erreurs quÕil a fait dispara”tre ; mais ce que je puis dire, cÕest que les plus graves de celles qui dŽparent lՎdition de 1665 et les suivantes, se trouvent fidlement reproduites dans le texte de la collection Petitot. Quant ˆ celui de la collection Michaud, il sÕannonce simplement comme une rŽpŽtition du prŽcŽdent.

La conclusion ˆ tirer de ce cour exposŽ bibliographique, cÕest que, de toutes les Žditions existantes, anciennes ou nouvelles, aucune nÕest compltement satisfaisante, aucune mme ne peut tre considŽrŽe comme sŽrieuse. CÕest donc avec raison que la SociŽtŽ de lÕhistoire de France a jugŽ utile de donner une Ždition exacte dÕun ouvrage qui renferme des dŽtails intŽressants sur les rgnes dÕHenri IV et de Louis XIII. Le but Žtait facile ˆ atteindre : il sÕagissait seulement de reproduire le manuscrit autographe de lÕauteur. Il existe diffŽrentes copies de ce manuscrit ; je me bornerai ˆ signaler celles qui me sont connues. En prŽsence dÕun pareil document, les copies nÕauraient dÕintŽrt quÕautant quÕelles offriraient des variantes indiquant une modification voulue dans la pensŽe ou dans lÕexpression ; mais dans celles que jÕai eues sous les yeux et que jÕai examinŽes, les variantes sont simplement des fautes.

Les copies conservŽes ˆ la Bibliothque nationale sont :

 1” Le manuscrit Fr. 17476-17477 (prŽcŽdemment Saint-Germain franais, no 1028), 2 vol. in-folio, reliŽs en vŽlin. Le premier volume porte en tte du premier feuillet le nom de Malleville, probablement Žcrit par lui-mme, ce qui doit faire penser que ce manuscrit lui a appartenu, et quÕil a passŽ de ses mains dans la bibliothque du chancelier SŽguier, devenue depuis bibliothque de Coislin, et de lˆ dans la bibliothque de lÕabbaye de Saint-Germain-des-PrŽs.

 2” Le manuscrit portant les nos 4062-4063-4064-4065-4066 du Fonds franais (prŽcŽdemment 9186-9190), 5 vol. petit in-folio, reliŽs en maroquin rouge aux armes de Philippe de BŽthune, comte de Selles, et appartenant ˆ la collection dite Fonds de BŽthune.

 3” Les deux volumes portant les Nos 10315-10316 du Fonds franais (prŽcŽdemment SupplŽment franais no 36841-2. Ces deux volumes in-folio sont reliŽs en maroquin rouge, aux armes dÕOrlŽans en losange, surmontŽes de la couronne ducale ; il est probable quÕils ont appartenu ˆ Mlle de Montpensier.

La bibliothque de lÕArsenal possde dans son Fonds de France, sous la dŽsignation Fr. Histoire. 192, un volume in-folio, provenant du sŽminaire des Missions Žtrangres, et intitulŽ : Copie des MŽmoires de M. de Bassompier. Il renferme seulement la matire du second volume du manuscrit original.

 Enfin la bibliothque de la ville de Meaux possde les 2e et 3e volumes dÕune copie qui porte lÕex libris de lÕabbaye de Saint-Faron de Meaux, aprs celui de Philippe Bergerat, prtre. Ces deux volumes ont pour titre : Memoires de Monsieur le marŽchal de Bassompierre touchant ce qui sÕest passŽ en France durant sa vie tant dans le cabinet que dans les armes.

 Je puis encore citer une copie que je nÕai pas vue, mais que lÕobligeance de M. Gustave Masson mÕa signalŽe et quÕil a dŽcrite avec le plus grand dŽtail. Ce manuscrit, qui se compose de trois volumes in-folio reliŽs en veau plein avec armes, appartient au British Museum, o il figure au catalogue sous lÕindication Harleian library (fonds Harleien), nos 4586-4588. Il provient de la bibliothque du comte de Brienne, et fut achetŽ par le comte dÕOxford avec une quantitŽ dÕautres ouvrages prŽcieux vers le commencement du sicle dernier [2].

Ces diverses copies prŽsentent entre elles quelques diffŽrences ; mais toutes renferment un trs-grand nombre de fautes grossires assez semblables ˆ ces traits caractŽristiques qui font reconna”tre les membres dÕune mme famille et attestent leur commune origine : dÕo on peut conclure quÕelles ont ŽtŽ faites les unes sur les autres, ou peut-tre toutes sur lÕune dÕelles. Les mmes fautes, les mmes omissions se rencontrant dans lՎdition de 1665, et par consŽquent dans les suivantes, on doit supposer que cette Ždition a ŽtŽ donnŽe sur une de ces copies, ou sur une copie semblable, qui est peut-tre restŽe hors de France. Je ferai conna”tre quelques-unes de ces fautes en la place o elles se trouvent ; mais je me garderai de les signaler toutes : ce serait augmenter le volume de lÕouvrage dans des proportions dŽmesurŽes, et risquer de lasser inutilement la patience du lecteur. Il lui suffit de savoir que je lui donne un texte rigoureusement conforme au manuscrit original dont jÕai dŽjˆ parlŽ, et sur lequel il est temps de donner quelques dŽtails.

Ce manuscrit existe ˆ la Bibliothque nationale sous les Nos 17478-17479 du Fonds franais (prŽcŽdemment Saint-Germain franais, n” 1029), ces numŽros faisant suite ˆ ceux de la premire copie que jÕai mentionnŽe. Il se compose de deux volumes in-folio couverts dÕune reliure molle en vŽlin. Le premier volume renferme 424 feuillets et se termine au milieu dÕune phrase qui se continue sur le premier feuillet du second volume. Ce premier feuillet porte le numŽro 425, et la suite des numŽros se continue jusquÕau chiffre 667, aprs lequel le texte sÕachve sur 74 feuillets non numŽrotŽs [3]. Il est ˆ remarquer que la phrase qui commence le second volume ne se trouve pas dans la plupart des copies, et quÕelle manque dans toutes les Žditions imprimŽes. Les deux volumes sont en entier de la main du marŽchal de Bassompierre, dÕune bonne et lisible Žcriture, avec une orthographe relativement correcte, dont les incertitudes et les variations nÕaccusent point chez lÕauteur un dŽfaut dÕinstruction, et doivent tre attribuŽes seulement ˆ lÕabsence dÕune lŽgislation fixe ˆ cet Žgard. Les mots, qui aujourdÕhui ne peuvent para”tre que revtus dÕune livrŽe uniforme comme les soldats des modernes bataillons, se prŽsentaient alors sous la plume de lՎcrivain avec le costume bigarrŽ des routiers de nos vieilles bandes, et les gens de lettres eux-mmes usaient sur ce point de la libertŽ qui leur Žtait laissŽe.

LÕouvrage, ainsi que son titre lÕindique, est Žcrit sous la forme dÕun journal : les dates sont rappelŽes ˆ chaque page, en haut de la marge, par mois et par annŽe, et chaque changement dans le cours dÕune page est indiquŽ, Žgalement en marge, par une mention correspondante.

On sait que le marŽchal de Bassompierre Žcrivit ses mŽmoires pendant les tristes loisirs de sa captivitŽ : leur rŽdaction dura plusieurs annŽes, ainsi quÕon peut le voir par quelques circonstances de son rŽcit que je signalerai en leur lieu ; mais le manuscrit dont je mÕoccupe est une mise au net qui para”t avoir ŽtŽ faite par lui dÕune seule haleine, et sur laquelle on ne remarque quÕun trs-petit nombre de corrections, et quelques additions parfois marginales, parfois interlinŽaires.

La premire question ˆ rŽsoudre, en commenant la reproduction du texte de ces mŽmoires, Žtait celle de lÕorthographe quÕil convenait dÕadopter. En prŽsence du manuscrit autographe dÕun auteur du commencement du XVIIe sicle, il mÕa semblŽ quÕil nÕy avait point ˆ hŽsiter. Le style des Žcrivains de cette Žpoque de transition entre la langue de Montaigne et de Brant™me et celle de Balzac ou de Mme de SŽvignŽ a encore un caractre avec lequel sÕaccorderait mal lÕorthographe moderne. Adapter cette orthographe ˆ la phrase du marŽchal de Bassompierre, ce serait la dŽfigurer et la priver de ce quÕelle peut avoir de charme : autant vaudrait, dans le beau portrait de Van-Dyck [4], le dŽpouiller du pourpoint de velours noir ˆ crevŽs et de la collerette empesŽe, pour le revtir de lÕajustement de nos jours. Dans la copie que jÕai Žcrite moi-mme sur le manuscrit, jÕai donc conservŽ lÕorthographe de lÕauteur, toutefois avec quelques lŽgres modifications dŽterminŽes par cette considŽration quÕil sÕagissait ici principalement dÕune Ļuvre historique dont il importait de rendre la lecture claire et suffisament facile. Ainsi jÕai fait dispara”tre la confusion entre lÕadjectif dŽmonstratif et lÕadjectif possessif, lorsque cette confusion rendait le sens douteux, ce qui arrive dans la plupart des cas ; jÕai adoptŽ pour les noms propres une orthographe uniforme, qui permettra au lecteur de nÕavoir pas ˆ se demander, chaque fois que ces noms repara”tront sous ses yeux, quel est le personnage ou quel est le lieu auquel ils se rapportent. Sauf ces exceptions et quelques autres qui mÕont paru nŽcessaires, je le rŽpte, jÕai reproduit le texte tel quÕil Žtait, et jÕai mme pris soin dՎcrire exactement comme lÕauteur certains mots, certains temps de verbes qui paraissent chez lui affecter une forme particulire.

Comme lÕusage des manchettes nÕest pas habituel dans les publications de la SociŽtŽ, jÕai reproduit dans le titre courant lÕordre de dates marginales adoptŽ par lÕauteur. Cette disposition Žtait nŽcessaire pour conserver ˆ lÕouvrage sa physionomie de journal et pour mettre en leur place exacte des faits souvent trs-dŽtaillŽs.

Parfois il arrive que les additions marginales ou interlinŽaires interrompent le sens, et mme la phrase ; dans ces cas je les ai placŽes en note avec cette mention : Addition de lÕauteur.

Enfin jÕai ajoutŽ ˆ lÕouvrage un sommaire divisŽ par annŽes, une table alphabŽtique des noms de lieux et de personnes qui se rencontrent dans les MŽmoires, et des notes placŽes le plus ordinairement au bas des pages, mais renvoyŽes ˆ lÕappendice lorsque leur Žtendue Žtait trop considŽrable.

Dans ces conditions, jÕespre, sous les auspices de la SociŽtŽ de lÕhistoire de France, et avec lÕaide amicale de mon commissaire responsable, tre arrivŽ ˆ donner une Ždition des MŽmoires du marŽchal de Bassompierre qui ne laissera rien ˆ dŽsirer sous le rapport de lÕexactitude, et qui pourra tre considŽrŽe ˆ la fois comme une premire Ždition et comme une Ždition dŽfinitive. Parmi celles qui lÕont prŽcŽdŽe, lՎdition de 1665 restera comme un des livres de la collection des Elseviers ; elle pourra mme tre payŽe fort cher par les bibliophiles, si elle ne porte pas au front le stigmate de Jouxte la copie imprimŽe qui flŽtrit la rŽimpression de mme date, si elle sort des mains dÕun amateur illustre avec une belle reliure, ou si, par un coup de fortune, lÕexemplaire est non rognŽ ; mais cette Ždition, mme recherchŽe, sera destinŽe seulement ˆ figurer sur les rayons de lÕarmoire favorite : pour la lecture et pour le travail, si lÕon ne veut tre arrtŽ ˆ chaque pas par un non-sens ou par une inextricable confusion de noms ou de choses, on ne pourra se servir que de celle dont la SociŽtŽ mÕa confiŽ la publication.

Biographie

La biographie du marŽchal de Bassompierre a ŽtŽ faite par lui dans ses mŽmoires : quelques pages suffiront pour la rŽsumer, et pour lÕachever depuis lՎpoque o sÕarrte son rŽcit jusquՈ sa mort.

Franais de Bassompierre naquit au ch‰teau dÕHarouel en Lorraine, le 12 avril 1579. Sa famille Žtait illustre : elle descendait des comtes de Ravenstein, dont elle portait les armes pleines, dÕargent ˆ trois chevrons de gueules, et fut reconnue par lÕempereur Ferdinand III comme une branche cadette de lÕancienne maison de Clves. Ses anctres avaient servi les ducs de Bourgogne, puis les ducs de Lorraine : un dÕeux avait combattu pour RenŽ II ˆ la bataille de Nancy. Depuis ce temps, les barons de Betstein ou de Bassompierre occupaient les plus hautes charges ˆ la cour de Lorraine. Les guerres de religion leur fournirent lÕoccasion de prendre du service en France : les oncles et le pre du marŽchal amenrent au roi des rŽgiments de re”tres et de lansquenets ; son pre se maria en France avec une nice du marŽchal de Brissac, Louise le Picart de Radeval ; de grands domaines, situŽs en Normandie, lui furent engagŽs pour le payer de ses services militaires. Ami du duc de Guise, engagŽ dans la Ligue, le baron de Betstein combattit contre Henri IV ˆ Arques, et dut ensuite se retirer en Lorraine : mais aprs que la paix, nŽgociŽe par lui, eut ŽtŽ conclue entre le roi et le duc de Lorraine, quand le roi fut en possession incontestŽe de sa couronne, la mre de Bassompierre, franaise de naissance, devenue veuve et tutrice de ses enfants, voulut prŽsenter ses fils ˆ la cour de France. CՎtait en 1598 : ils avaient alors achevŽ leur Žducation et visitŽ les cours de Bavire et de Florence, lÕAllemagne et lÕItalie. En France ils retrouvaient, parmi les princes et les grands seigneurs, des amis de leur pre qui les accueillaient et les entouraient ˆ la cour. Aussi doit-on regarder comme peu vraisemblable lÕhistoire que raconte Tallemant des RŽaux (t. III, p. 333) dÕune mystification pratiquŽe par Sygongne sur Franois de Bassompierre. Bient™t le roi se prit dÕune vive amitiŽ pour le jeune courtisan, et ds lors commena pour ce dernier cette vie dÕaventures galantes et de folies de jeunesse quÕil faut lui laisser raconter ˆ lui-mme, et ˆ laquelle la campagne de Savoie, en 1600, et la campagne de Hongrie, en 1603, firent une courte diversion. Parmi ses nombreuses passions, il y en eut une qui le rapprocha encore du roi : il aima Charlotte-Marie de Balsac, sĻur de la marquise de Verneuil ; dans ce commerce troublŽ, sa destinŽe eut quelque ressemblance avec celle dÕHenri IV : comme lui il eut des brouilles et des raccommodements, comme lui il fut poursuivi par une promesse de mariage : les deux sĻurs, poussŽes par leur mre, avaient la passion de se faire Žpouser ; un long procs, qui lui causa beaucoup de tourments, se termina seulement en 1615 par un jugement dŽfinitif qui le dŽlivra de cette obsession.

Cependant, au milieu de ces folies, la perspective dÕun brillant Žtablissement se prŽsenta au jeune seigneur : le connŽtable de Montmorency conut la pensŽe de lui faire Žpouser sa fille et lui en fit lui-mme la proposition. Il faut lire dans les MŽmoires le rŽcit de cet intŽressant Žpisode : quelle dignitŽ dans lÕoffre de ce grand seigneur, ‰gŽ, comblŽ dÕhonneurs, qui veut donner sa fille ˆ un jeune homme digne dÕelle par sa naissance, mais encore inconnu et nÕayant pas fait fortune ; et quelle noble simplicitŽ dans la modestie et dans la reconnaissance du jeune homme qui sent le prix de lÕhonneur quÕil reoit, mais qui en mme temps ne sÕen juge pas indigne ! Le mariage allait donc sÕaccomplir, lorsque le roi intervint : le tendre monarque avait vu Mlle de Montmorency, et il avait conu pour elle une folle passion ; il aimait mieux laisser tomber la menace dÕune infortune conjugale sur son parent que sur son ami, et il priait Bassompierre de renoncer en faveur du prince de CondŽ ˆ la perspective de cette belle alliance. Bassompierre dŽfŽra au dŽsir du roi, non sans regret, car il aimait Mlle de Montmorency, toutefois Ē dÕun amour rŽglŽ de mariage Č, ce qui lui permit de se consoler avec dÕautres amours que ne tempŽrait pas la mme rgle.

Le roi, comme pour dŽdommager Bassompierre, lui confia bient™t une mission secrte et importante : il le chargea de faire au duc de Lorraine des ouvertures relatives ˆ un projet de mariage entre sa fille et le dauphin de France. Le jeune ambassadeur, moitiŽ Franais et moitiŽ Lorrain, sut se placer ˆ tous les points de vue et prŽsenter au duc tous les arguments qui pouvaient le dŽcider. Le caractre irrŽsolu de ce prince lÕempcha de donner une rŽponse positive. Que de maux eussent ŽtŽ ŽpargnŽs ˆ la Lorraine, si sa rŽunion ˆ la France se fžt accomplie par cette voie pacifique, au lieu dՐtre achetŽe par de longues guerres ! Mais les grandes pensŽes dÕHenri IV ne devaient pas voir leur accomplissement, et aprs le coup fatal qui lÕenleva ˆ la France, le souci des intŽrts gŽnŽraux fit place aux intrigues et aux ambitions personnelles : les protestants, ne se sentant plus ni suffisament contenus ni suffisament protŽgŽs, commencrent ˆ remuer, et tout annona que la guerre civile Žclaterait bient™t sur la France. Une premire prise dÕarmes des princes et des grands en 1614 fut pour Bassompierre lÕoccasion dÕune haute promotion : il obtint les provisions de la charge de colonel gŽnŽral des Suisses, rachetŽe par lui au duc de Rohan. Un second soulvement, en 1615, donna lieu ˆ une campagne ˆ laquelle il prit part, mais qui fut conduite avec une grande mollesse : les gŽnŽraux du roi semblaient craindre de poursuivre trop vivement leurs adversaires et de remporter sur eux un avantage dŽcisif. Bassompierre restait fidle ˆ la reine-mre, lÕaidait ˆ faire arrter le prince de CondŽ, et repartait en 1617 pour aller combattre les princes rŽvoltŽs. Mais bient™t la mort du marŽchal dÕAncre venait changer la face des choses, et Bassompierre faisait ce quÕil avait loyalement annoncŽ ˆ la reine lorsquÕil lui disait :

Ē Si le roi sÕen Žtait un de ces jours allŽ ˆ Saint-Germain et quÕil eut mandŽ ˆ M. dÕEpernon et ˆ moi de lÕy venir trouver, et quÕensuite il nous eut dit que nous nÕeussions plus ˆ vous reconna”tre, nous sommes vos trs obligŽs serviteurs, mais nous ne pourrions faire autre chose que de venir prendre congŽ de vous et vous supplier trs humblement de nous excuser si nous ne vous avions aussi bien servie pendant votre administration de lՎtat comme nous y Žtions obligŽs. Č

Ė la fin de 1619 il fut fait chevalier des ordres, et en 1620 il rassembla activement une armŽe pour combattre les mŽcontents groupŽs autour de la reine-mre, et conduisit cette armŽe aux Ponts-de-CŽ o se termina encore un soulvement sans consistance et sans racines.

Mais dŽjˆ le duc de Luynes sentait que sa faveur pouvait courir quelque danger : il crut voir un rival dans Bassompierre et lui fit accepter lÕexil honorable dÕune ambassade en Espagne. Lˆ, Bassompierre nŽgocia les affaires de la Valteline et des Grisons et fit le traitŽ de Madrid, qui ne devait gure tre exŽcutŽ. Revenu en France dans le cours de lÕannŽe 1621, il prit part ˆ la guerre engagŽe contre les protestants, guerre sŽrieuse cette fois, et joua, comme marŽchal de camp, un r™le actif dans le sige de Montauban, terminŽ par un Žchec pour lÕarmŽe royale.

Confident involontaire des chagrins du roi et de son irritation contre le connŽtable de Luynes, Bassompierre vit sans regret comme sans joie la mort de ce favori en dŽcadence, mais il ne chercha point ˆ le remplacer dans lÕesprit du roi, et repoussa mme les ouvertures qui lui furent faites ˆ ce sujet par des personnages intŽressŽs ˆ le pousser au poste restŽ vacant ; il se contenta, pendant la campagne importante de 1622, de servir bravement ˆ lÕaffaire de lՔle de RiŽ et aux siges de Royan, de NŽgrepelisse, de Saint-Antonin, de Lunel, de Montpellier. Tallemant des RŽaux, peu bienveillant en gŽnŽral pour Bassompierre, lui rend cependant justice en cette occasion, et dit quÕaux Sables-dÕOlonne Ē il paya de sa personne et monstra le chemin aux autres : car il se mit dans lÕeau jusquÕau cou. Č Le roi qui, au commencement de cette campagne, lui avait donnŽ la charge de premier marŽchal de camp, le fit marŽchal de France, aux applaudissements de lÕarmŽe, le 12 octobre 1622. Quelques jours ˆ peine aprs que Bassompierre a reu du roi le b‰ton de marŽchal, Richelieu vient ˆ son tour recevoir le bonnet de cardinal : ainsi ces deux fortunes ennemies, dont lÕune doit renverser lÕautre, arrivent presque au mme moment ˆ leur point culminant. La conformitŽ absolue de leurs armes offre encore un rapprochement assez bizarre.

Le nouveau marŽchal avait alors de lÕinfluence dans les conseils du roi : il parvint ˆ faire nommer Caumartin garde des sceaux et ˆ retarder la chute de Schomberg, surintendant des finances. Le marquis de la Vieuville, pendant la courte durŽe de sa puissance, chercha vainement ˆ le perdre, et ne rŽussit mme pas ˆ lui aliŽner lÕesprit du roi. En 1625, le marŽchal de Bassompierre fut envoyŽ comme ambassadeur extraordinaire en Suisse, o son influence personnelle Žtait nŽcessaire pour contrebalancer les influences allemande et espagnole, et resserrer les liens de lÕalliance avec la ConfŽdŽration. En 1626, il fut ambassadeur en Angleterre pour nŽgocier le rŽtablissement des ecclŽsiastiques et des serviteurs franais auprs de la reine. En 1627 et en 1628, il eut un grand commandement au sige de la Rochelle, dont il a laissŽ dans ses mŽmoires un rŽcit malheureusement plus rempli de faits personnels sans importance que de dŽtails militaires.

Aprs la chute de ce boulevard des protestants, le cardinal de Richelieu tourna ses vues plus librement du c™tŽ de la politique Žtrangre, et lÕannŽe 1629 commenait ˆ peine que dŽjˆ le roi repartait, mais cette fois pour lÕItalie. Au passage du dŽfilŽ de Suse, le marŽchal de Bassompierre ajoutait un fleuron ˆ sa couronne de gloire militaire, puis il revenait prendre part au sige de Privas et ˆ la dernire campagne du Languedoc, qui se termina par la pacification dŽfinitive de cette contrŽe depuis longtemps agitŽe par les guerres religieuses. Quelques semaines sՎtaient ˆ peine ŽcoulŽes, et dŽjˆ les affaires dÕItalie ramenaient les armes du roi dans ce pays : le marŽchal, au commencement de 1630, Žtait de nouveau ambassadeur en Suisse, o il faisait une levŽe, puis il allait prendre la part principale dans la rapide conqute de la Savoie.

Ce fut lˆ que se termina la vie active de Bassompierre : bient™t survint la maladie du roi, pendant laquelle sÕaccumulrent les griefs du cardinal contre ses ennemis ; le marŽchal fut placŽ sur cette liste fatale, et soit quÕil ežt refusŽ ˆ Richelieu de mettre les Suisses ˆ sa disposition en cas de mort du roi, soit que, dans le conseil des ennemis du cardinal, il ežt, comme on le dit, opinŽ pour son emprisonnement, soit enfin que sa qualitŽ de Lorrain et dÕami des Guise et de la reine-mre fžt suffisante pour le rendre suspect, sa perte dut tre ds lors rŽsolue. Aprs la journŽe des Dupes, pendant laquelle le marŽchal fut, sÕil faut en croire ses protestations, dÕune ignorance peut-tre un peu affectŽe, lÕorage qui grondait sur les ttes les plus illustres tomba successivement sur chacune dÕelles. Bassompierre alla hardiment au-devant du danger, et vint trouver le roi ˆ Senlis aprs avoir bržlŽ Ē plus de six mille lettres dÕamour Č, parmi lesquelles se trouvaient peut-tre quelques papiers politiques. Il fut arrtŽ le 25 fŽvrier 1631, et commena cette longue captivitŽ qui ne devait se terminer quÕaprs la mort du cardinal. Un chagrin plus amer allait encore se joindre au chagrin de son emprisonnement : la princesse de Conti, cette femme aimable et spirituelle avec laquelle lÕunissait un mariage secret, venait dՐtre ŽloignŽe de la cour ; deux mois aprs, elle mourait au ch‰teau dÕEu, succombant ˆ la douleur de la sŽparation : le pote Malleville lÕatteste dans lՎlŽgie qui commence par ces vers :

Quand Armide eut appris quÕun funeste sŽjour

Lui retenoit lÕobjet qui causoit son amour,

Et que le beau Daphnis, la gloire des fidles,

Perdoit la libertŽ quÕil ostoit aux plus belles,

Elle accusa les Dieux dÕun si prompt changement

Et dÕun si rude coup eut tant de sentiment,

Que dessus un papier tout moite de ses larmes

Elle imprima soudain ses mortelles alarmes,

Dchargea sa colre, et de sang et de pleurs

Fit ce mourant tableau de ses vives douleurs :

Daphnis, le seul objet qui reste en ma mŽmoire,

Mon dŽsir, mon espoir, ma richesse et ma gloire,

Si ce triste discours qui confirma ma foi

Peut forcer les prisons et passer jusquՈ toy,

Entends ce que lÕamour mÕoblige de te dire,

Et de quelques soupirs honore mon martyre.

EnfermŽ dans la Bastille, Bassompierre ne fit pas entendre une plainte : il chercha plut™t, par ses paroles et par ses actes, ˆ flŽchir la rigueur du tout-puissant ministre. Ainsi, quand il se dŽcida ˆ vendre sa charge, il insista pour quÕelle tomb‰t entre les mains dÕun parent de Richelieu ; il protesta vivement lorsquÕil pensa quÕon pouvait le ranger parmi les mŽcontents ou parmi les adversaires du cardinal ; il prta sa maison de Chaillot ˆ ce dernier toutes les fois quÕelle lui fut demandŽe ; enfin, ce qui lÕhonore davantage, lorsquÕen 1636 la France fut envahie, il sÕoffrit noblement ˆ servir comme un loyal soldat. Tout fut inutile. Les personnages les plus considŽrables sollicitrent sa libertŽ ; les potes sÕintŽressrent ˆ son sort, et leurs vers, sÕils sont moins connus de la postŽritŽ que les vers du fabuliste aux Nymples de Vaux, nÕattestrent pas moins la reconnaissance courageuse de ceux pour lesquels le marŽchal avait sans doute ŽtŽ un MŽcne.

Le pote Maynard sÕattira la dŽfaveur du cardinal de Richelieu par sa fidŽlitŽ au marŽchal de Bassompierre et au comte de Cramail.

Malleville adressa ˆ Richelieu une ŽlŽgie dans laquelle il demandait la libertŽ du marŽchal, et, par un artifice poŽtique, se plaignait de ne pouvoir louer convenablement le cardinal pendant que son ma”tre et son protecteur languissait en prison. Bassompierre, disait-il,

Bassompierre est captif, et durant sa disgrace

JÕaurois tort dÕaspirer aux faveurs du Parnasse.

Aussi-t™t quÕil fut pris, mon cĻur le fut dÕennuy,

Et ma langue liŽe ˆ mme heure que lui.

Si parfois ta vertu sollicite ma plume,

Sa douleur attiŽdit le beau feu qui mÕallume,

Et mon bras, partageant ses chaisnes et ses fers,

NՈ plus de mouvement pour Žcrire des vers.

Et il commenait ainsi le rŽcit des hauts faits de son hŽros :

Tu sais que Bassompierre, aussi vaillant quÕun Dieu,

A fait des actions dignes dÕun autre lieu,

Et que ses qualitez qui nÕont point eu dÕexemples

Au lieu dÕune prison mŽriteroient des temples.

Tu sais quÕen le tirant de la captivitŽ

Ė tous les gens dÕhonneur tu rends la libertŽ,

Que chacun le dŽsire, et que sa dŽlivrance

Est un des biens publics que tu dois ˆ la France.

Cependant, pour tromper lÕennui de la captivitŽ, on cherchait ˆ la Bastille ˆ se donner quelques divertissements, et Bassompierre, toujours galant malgrŽ son ‰ge, eut, dit-on, une liaison avec Mme de Gravelle, prisonnire comme lui. On y conspirait mme, et il eut lÕhonneur de mŽriter la dŽfiance du jeune abbŽ de Retz, qui venait prŽluder ˆ sa vie dÕintrigue par des complots nouŽs avec le comte de Cramail, mais soigneusement cachŽs au marŽchal, que lÕon trouvait Ē trop causeur. Č

Enfin Richelieu mourait le 4 dŽcembre 1642, et bient™t le marŽchal de Bassompierre pouvait inscrire ces vers dans son Repertoire :

Enfin sur lÕarriere saison

La fortune dÕArmand sÕaccorde avec la mienne :

France je sors de ma prison [5]

Quand son ‰me sort de la sienne.

Regarde si cÕest justement

QuÕil mÕa tenu douze ans dedans cette misere

Puis quÕun si subit changement

Me rend ma libertŽ premire.

Ce ne fut cependant pas sans peine que les illustres prisonniers de la Bastille parvinrent ˆ en sortir. Mazarin et Chavigny demandaient leur mise en libertŽ ; Sublet de Noyers sÕy opposait. LÕordre dՎlargissement fut donnŽ seulement le 18 janvier 1643, et comme les captifs dŽlivrŽs nՎtaient pas encore autorisŽs ˆ revenir ˆ la cour, le marŽchal refusait de sortir de sa prison : ses amis le dŽcidrent ˆ en prendre son parti, et il se retira, suivant lÕordre du roi, au ch‰teau de Tillires.

Henri Arnauld, abbŽ de Saint-Nicolas dÕAngers, dans un journal adressŽ ˆ la prŽsidente Barillon (Manuscrits de la Bibliothque nationale, Fr. 3778), racontait ainsi les pŽripŽties de cette dŽlivrance, que lÕinvisible influence de Richelieu semblait encore entraver :

Ē Du 4 janvier 1643... On fait esperer aux deux marechaux qui sont dans la Bastille quÕils ne passeront pas ce mois. Č

Ē Du 7 janvier... Les prisonniers de la Bastille sont dans de grandes espŽrances dÕune prochaine libertŽ. Č

Ē Du 11 janvier... Je ne vois pas que les espŽrances que lÕon donne ˆ ces messieurs de la Bastille aient un fondement trop assurŽ. Je souhaitte extremement me tromper dans le jugement que jÕen fais. Č

Ē Du 18 janvier... Depuis ma lettre Žcripte je suis allŽ ˆ la Bastille, o M. de Romefort est venu de la part de M. de Chavigny dire ˆ Mrs de Bassompierre, de Vitry et de Cramail que le roi leur donnoit leur libertŽ, mais ˆ condition que le premier ira ˆ Tillieres chez M. son beau-frre, M. de Vitry ˆ Ch‰teauvilain et M. de Cramail en lÕune de ses maisons. Ces deux derniers ont reu cella avec joie ; mais M. de Bassompierre est jusques icy trs rŽsolu ˆ ne vouloir point sortir soubz cette condition lˆ, et ˆ choisir de demeurer plust™t dans la Bastille, et tous ses amis et serviteurs ne peuvent rien gagner sur lui pour cela. CÕest demain quÕils doivent sortir : peut-tre cy et lˆ changera-t-il dÕavis. Č

Ē Ce mercredi 21 janvier 1643. Lundi Mrs de Bassompierre, de Vitry et le comte de Cramail sortirent de la Bastille, ces deux derniers avec une joie extrme, et pour ce qui est du premier, ses parents et ses amis eurent toutes les peines imaginables ˆ lui persuader dÕaccepter sa libertŽ ˆ condition dÕaller ˆ Tillieres, et je creus cent fois quÕil nÕen ferait rien : jÕy fus depuis 10 heures du matin jusquՈ 9 heures du soir quÕils sortirent... Ils ont trois ou quatre jours pour demeurer icy : ils ont vu tous Mrs les ministres. CÕest non sans quelque espŽrance que M. le marŽchal de Bassompierre ne demeurera pas longtemps o il va. Č

Ē Du 25 janvier... Ces trois personnes sorties de la Bastille eurent dŽfense de voir Monsieur. Ils sont partis. Le marquis de Saint-Luc porta au roi une lettre de remerciement de M. le marechal de Bassompierre. Le roi aprs lÕavoir leue deux fois dit : Je ne veux point que lÕon capitule avec moi, et le marechal de Bassompierre est un des premiers qui mÕa dit que je ne le devois pas faire ; sÕil ne se fut rŽsolu dÕaller ˆ Tillieres, je lÕaurois laissŽ dans la Bastille o il se fut nourry ˆ ses dŽpens. Je gagne par leur sortie quarante-cinq mille livres par an. Oui, sire, rŽpondit Saint-Luc, et cent mille benedictions [6]. Č

Ē Mardi 28 janvier... M. le marechal de Bassompierre est parti ce matin de Chaliot pour tre demain ˆ Tillieres. Č

Ē Du 11 mars... M. le marŽchal de Bassompierre sÕennuye de telle sorte ˆ Tillieres quÕil tesmoigne se repentir dՐtre sorty de la Bastille et dÕavoir suivy en cela le conseil de ses amis. Č

Quelques mois aprs, et bien peu de temps avant sa mort, Louis XIII autorisa le comte de Cramail et les marŽchaux de Vitry et de Bassompierre ˆ repara”tre ˆ la cour.

Douze ans sՎtaient ŽcoulŽs depuis que Bassompierre Žtait entrŽ ˆ la Bastille ; pendant ce long espace de temps bien des choses avaient changŽ : la rŽgence dÕAnne dÕAutriche inaugurait maintenant une cour nouvelle. Bassompierre, avec ses anciennes habitudes de magnificence et de galanterie, y parut un peu vieilli : toutefois, dans lÕopinion de Mme de Motteville, Ē les restes du marŽchal de Bassompierre valaient mieux que la jeunesse de quelques uns des plus polis de ce temps lˆ. Č Ces jeunes gens formrent la cabale des Importants dont le rgne ŽphŽmre se termina par lÕemprisonnement du duc de Beaufort. Ė cette cabale appartenait le marquis de la Ch‰tre, qui avait eu la charge de colonel gŽnŽral des Suisses aprs M. de Coislin, successeur du marŽchal de Bassompierre. Il fut obligŽ de sÕen dŽfaire, et le marŽchal en reprit possession, ˆ condition de payer ˆ M. de la Ch‰tre la somme de 400,000 livres quÕil avait reue de M. de Coislin. Sa dŽmission Žtait considŽrŽe comme nulle, et la charge comme nÕayant pas ŽtŽ vacante [7]. Le marquis de la Ch‰tre, dans ses mŽmoires, se plaint ˆ cette occasion du marŽchal de Bassompierre et de M. de Brienne : ce dernier lui fit une rŽponse que lÕon trouve dans un Recueil de diverses pices, imprimŽ ˆ Cologne, MDCLXIV.

Le marŽchal ne jouit pas longtemps de ce retour de faveur. Le 12 octobre 1646, ses gens le trouvaient mort dans son lit ˆ Provins, o il sՎtait arrtŽ en revenant dÕune maison de M. Bouthillier, ancien surintendant des finances, Ē cette mort subite, dit la Gazette de France, ayant dÕautant plus ŽtonnŽ les assistants que ce seigneur avait acquis ds sa jeunesse lÕaffection dÕun chacun. Č On eut mme quelque soupon dÕempoisonnement, comme on le voit par un rŽcit que le curŽ de Chaillot avait insŽrŽ dans un registre des dŽcs, aujourdÕhui bržlŽ, mais heureusement dŽpouillŽ par M. Cocheris avant les tristes ŽvŽnements de 1871 : Ē Son corps a ŽtŽ ouvert, Žcrit le curŽ : on a eu quelque mauvais soupon de sa mort, comme dÕordinaire on souponne mal de la mort des grands, principalement quand ils meurent de la sorte [8]. Č Le corps avait ŽtŽ rapportŽ dans un carrosse au ch‰teau de Chaillot : les intestins, la langue et la cervelle furent enterrŽs dans lՎglise de la paroisse devant le grand autel ; le cĻur et le reste du corps furent remis par le curŽ aux minimes de Migeon dont le couvent Žtait attenant au ch‰teau, et dŽposŽs dans une chapelle ˆ gauche du grand autel, dans le chĻur de leur Žglise. Le duc de Chevreuse, Ē et autres seigneurs et dames de grande qualitŽ, avec grand nombre de bourgeois et habitants de Chaliot, Č assistrent ˆ la cŽrŽmonie funbre.

Le marŽchal de Bassompierre laissait deux fils. LÕun Žtait nŽ de Charlotte-Marie dÕEntragues : il sÕappelait Louis de Bassompierre ; du vivant de son pre il Žtait entrŽ dans lՎtat ecclŽsiastique. Il est parlŽ de lui ˆ lÕAppendice, XV, p. 399-400. Ajoutons ˆ ce qui est dit ˆ son sujet que madame de SŽvignŽ fait son Žloge dans ses lettres. Le 1er juillet 1676 elle Žcrivait : Ē HŽlas ! ˆ propos de dormir, le pauvre Monsieur de Saintes sÕest endormi cette nuit au Seigneur dÕun sommeil Žternel. Il a ŽtŽ vingt-cinq jours malade, saignŽ treize fois, et hier matin il Žtoit sans fivre, et se croyoit entirement hors dÕaffaire. Il causa une heure avec lÕabbŽ Ttu (ces sortes de mieux sont quasi toujours tra”tres), et tout dÕun coup il est retombŽ dans lÕagonie, et enfin nous lÕavons perdu. Comme il Žtoit extrmement aimable, il est extrmement regrettŽ. Č Et le 31 juillet 1676 : Ē Monsieur dÕAlby est mort ; il laisse des trŽsors au duc du Lude : HŽlas ! comme notre pauvre Monsieur de Saintes a disposŽ saintement de son bien au prix de cet avare ! Č

Ē Ce digne prŽlat, disait la Gazette du 4 juillet, a laissŽ ses amis sensiblement affligŽs, les pauvres de son diocse dans la dernire dŽsolation, et tous ceux qui le connaissoient ŽdifiŽs des actions exemplaires de sa vie, et de sa rŽsignation chrŽtienne ˆ la mort. Č

LÕautre fils du marŽchal Žtait ce Franois de la Tour, nŽ de son union secrte avec la princesse de Conti, union que les contemporains ont regardŽe comme certaine, mais quÕil nÕa nulle part indiquŽe dans ses mŽmoires. Trs-discret en gŽnŽral sur le nom des femmes auprs desquelles il a eu des succs, comme sÕil voulait changer en vŽritŽ ce vers des Contreveritez de la cour :

Que Bassompierre fait lÕamour sans dire mot,

il garde sur ses rapports avec la princesse une discrte rŽserve, et son Žmotion contenue lorsquÕil annonce sa mort est le seul indice de ses sentiments pour elle. Le nom de cette femme illustre revient cependant sous sa plume dans un de ses Discours acadŽmiques, o il dit :

Ē De lˆ quelques autheurs peut-tre trop passionnez pour lÕintŽrt de leur sexe ont tirŽ cette conjecture que les femmes estoient moins judicieuses que les hommes, pour tre dÕune constitution plus humide ; mais nÕy eut-il que cette illustre princesse dont la maison de Lorraine par descendance, et celle de Bourbon par alliance, est honnorŽe, nÕavons-nous pas trs ample sujet de condamner lÕerreur de cette consequence et dÕadvouer plus t™t que leur complexion molle et dŽlicate ne peut produire que des esprits espurez et subtils, et ensuite le temperament veritable pour la beautŽ de lÕesprit, la delicatesse des pensŽes et la clartŽ du jugement. Aussi bien loing dÕadherer ˆ une opinion si contraire ˆ mon sentiment je crois que le prix des meilleures choses et le dernier ornement des plus beaux ouvrages, voir mmes la reputation dÕun honnte homme dŽpend de leur estime, et quelque amour que nous ayons naturellement pour nos Ļuvres, je commencerai seulement dՐtre satisfaict de celle cy quand jÕaurai reconnu quÕelles ne la jugent pas tout ˆ faict indigne de leur approbation. Č

Franois de la Tour fut blessŽ le 10 aožt 1648, ˆ la prise de Vietri dans le royaume de Naples, et mourut probablement de sa blessure. CÕest sans doute de lui que parle la Gazette de France, lorsquÕelle annonce, ˆ la date du 27 janvier 1648, que le sieur de Bassompierre, capitaine de vaisseau, sÕest distinguŽ dans les combats donnŽs entre lÕarmŽe du roi commandŽe par le duc de Richelieu, et celle dÕEspagne aux ordres de don Juan dÕAutriche, dans le golfe de Naples. On peut lire quelques dŽtails sur lui au tome IV, Appendice, XIX, p. 362-364.

Des trois neveux de Bassompierre, lÕa”nŽ, Anne-Franois, marquis de Bassompierre, fut tuŽ en duel en mai 1646, sans avoir ŽtŽ mariŽ (P. Anselme, t. VII, p. 468). Le second, Charles, baron de Dommartin, Žpousa Henriette dÕHaraucourt : sa postŽritŽ masculine a continuŽ seulement jusquՈ la seconde gŽnŽration. Le troisime, Gaston-Jean-Baptiste, marquis de Baudricourt et de Bassompierre, a laissŽ une descendance, attachŽe successivement au service de la Lorraine et de la France : Charles-Jean-Stanislas-Franais, marquis de Bassompierre, mort en 1837, a ŽtŽ le dernier reprŽsentant m‰le de cette lignŽe. Les familles qui peuvent aujourdÕhui porter le nom de Bassompierre ne se rattachent par aucun lien ˆ la maison de Betstein.

Le marŽchal de Bassompierre laissa une succession obŽrŽe, dont la liquidation fut dÕune longueur sans exemple. Ė son inventaire, commencŽ en lÕh™tel o il demeurait, rue Neuve-des-Petits-Champs, le 15 octobre 1646, et continuŽ jusquÕen janvier 1647, ses neveux se portrent dÕabord comme hŽritiers et en mme temps comme crŽanciers. Au cours de lÕinventaire un jugement dŽclara le futur Žvque de Saintes seul hŽritier bŽnŽficiaire du marŽchal. Ce prŽlat mourut sans avoir rien recueilli de la succession. La baronnie de Bassompierre et le marquisat dÕHarouel furent soumis ˆ des adjudications que compliqurent les changements de domination subis par la Lorraine. Des procŽdures et des arrts nombreux intervinrent pendant toute la durŽe du sicle et la premire moitiŽ du sicle suivant. En dŽposant des conclusions longuement motivŽes, lÕavocat gŽnŽral de Montureux adressait ˆ la cour de Nancy les paroles suivantes :

Ē Si le marŽchal de Bassompierre sՎtoit contentŽ dÕimmortaliser son nom par ses glorieux exploits dans la guerre, par ses sages conseils dans le cabinet, et par les heureux succs que son grand gŽnie lui procura dans les nŽgociations importantes dont il fut chargŽ, sa maison aurait aujourdÕhuy lÕavantage dÕunir la possession de ses grands biens ˆ la gloire dont il lÕa comblŽe. Mais la magnificence de ce seigneur Žtant encore infiniment supŽrieure ˆ sa fortune, les dŽpenses quÕil a faites et les dettes quÕil a contractŽes pour y subvenir, ont ŽtŽ telles que lÕon empruntoit communŽment son nom pour exprimer le titre de Magnifique, et quÕelles ont mis ses affaires aussi bas que sa naissance, son mŽrite et son rang Žtoient Žlevez, ce qui fait quÕil a laissŽ ˆ ses hŽritiers beaucoup plus dÕhonneurs que de biens. Č

Ē Il y a plus de soixante ans quÕon les voit contester en diffŽrens tribunaux pour sauver quelques tables du naufrage, et le fameux procs touchant le marquisat dÕHarouel vient seulement dՐtre terminŽ. Mais comme si la justice ambitionnoit de voir la mŽmoire de ce grand homme se perpŽtuer dans son sanctuaire comme elle se perpŽtue partout ailleurs, il semble que les difficultez de sa succession renaissent de leurs cendres pour ne devoir jamais finir. En sorte quÕaprs de si longues poursuites de leur part sur le dŽcret du marquisat dÕHarouel, il est aujourdÕhuy question de dŽcider du mŽrite de celui de la baronnie de Bassompierre dont la perte leur serait dÕautant plus sensible que cette terre, en portant leur nom, porte le titre de leur noblesse et de leur gloire. Č

Enfin le 25 octobre 1719, les hŽritiers de Georges-African, marquis de Removille, frre du marŽchal de Bassompierre, cŽdrent au prince de Craon tous leurs droits contre la succession vacante et abandonnŽe, et se dŽsintŽressrent ainsi de cette longue procŽdure. Toutefois il paraissent encore le 23 octobre 1752 dans un acte confirmatif du traitŽ de cession.

Les fastueuses prodigalitŽs du marŽchal de Bassompierre, les dŽpenses nŽcessitŽes par ses grandes charges, ses galanteries peut-tre, furent les causes principales de sa ruine. Mais parmi ses sources de dŽpenses on peut compter la composition dÕune riche bibliothque, et la protection gŽnŽreuse quÕil accorda aux gens de lettres, protection attestŽe par le nombre considŽrable des ouvrages qui lui furent dŽdiŽs ; la nomenclature suivante est probablement incomplte :

 Les chastes destinŽes de Chloris, ou Roman des histoires de ce temps, mlŽ de prose et de vers, par le sieur du Souhait. Paris, Fr. Huby. 1609.

 Philis, tragŽdie, par Chevalier. Paris, Jean Jannon. mdix.

 LÕart de rŽgner, ou le sage gouverneur, tragi-comŽdie, par Gillet de la Tessonnerie. Une Ždition de 1649 de ce pome fait partie de la collection des Elseviers.

 Lettres amoureuses et morales des beaux esprits de ce temps, recueillies par F. de Rosset.

 Les jours caniculaires, composez en latin par messire Simon Maiole dÕAst, mis en franais par F. de Rosset.

 Le sommaire armorial. Paris, Pierre Billaine. mdcxxxviii.

 Peristandre, ou lÕillustre captif, roman en prose, par Demoreaux. Paris, Antoine Robinot. mdcxxxxii..

 La conduite du courtisan, petit traitŽ en prose, par Franais de Soucy, sieur de Gerzan. Paris, Jean Bessin. mdcxxxxvii.

 Orasie, roman, par mademoiselle de Senneterre, dŽdiŽ au marŽchal par son Žditeur. Paris, veuve de Nicolas de Sercy. 1646.

 Le livre De admirandis naturĻ reginĻ deĻque mortalium arcanis, soixante dialogues Žcrits en latin par Lucilio Vanini, qui se faisait appeler Jules CŽsar. Paris, Adrien PŽrier. mdcxi. LÕauteur de la Vie de Lucilio Vanini, en racontant que Bassompierre lÕavait eu un moment pour aum™nier, fait peser sur ce dernier, assez injustement ˆ mon avis, lÕaccusation de nÕavoir pas ŽtŽ Ē autrement fort chargŽ de religion. Č Au contraire le cŽlbre athŽe, comme sÕil ežt voulu placer son livre sous un patronage sžr, lui disait dans son Žp”tre dŽdicatoire : S¾penumero adversus h¾reticos te disserentem excipiens, suspicabar an ab ipso Deo consult˜ donatum fuerit cognomentum, BassompetrĻus, Petri S. EcclesiĻ basis [9].

LÕinventaire de la bibliothque du marŽchal de Bassompierre, lÕune des plus belles de son temps [10], fut fait aprs sa mort par les libraires SŽbastien Cramoisy et Jacob Chevalier. Cet inventaire imprimŽ est ˆ la bibliothque Mazarine sous le no 18611. Il renferme plus de sept cents numŽros. On ne saurait dire combien de fois seraient dŽcuplŽs aujourdÕhui les prix de quelques-uns des ouvrages qui y sont mentionnŽs.

Bassompierre, dÕailleurs, Žtait lui-mme un Žcrivain. Outre ses MŽmoires, dont le style, toujours aisŽ et correct, possde des qualitŽs diverses, appropriŽes aux sujets divers quÕils traitent, outre ses Ambassades, publiŽes, dÕune manire trs-incomplte, ˆ Cologne, chez P. du Marteau, en 1668, il a composŽ un certain nombre de discours acadŽmiques et de traitŽs et lettres sur divers sujets, qui sont conservŽs en manuscrit autographe ˆ la Bibliothque nationale. (Fr. 19196, prŽcŽdemment Saint-Germain franais n” 1030, et auparavant Ex bibliotheca mss. Coislinian‰, n” 1550). Une copie en deux volumes, contenant quelques morceaux de plus, porte les nos 19195 et 19197 (prŽcŽdemment Saint-Germain franais n” 1030 et Ex bibliotheca mss. Coislinian‰, nos 1549 et 1551). Il a encore Žcrit de sa main un Repertoire o se trouvent des pensŽes, ou personnelles, ou extraites de diffŽrents ouvrages, des pices de vers en diverses langues, des morceaux dŽtachŽs, etc. Le tout est renfermŽ dans quatre petits volumes in-4o qui figurent ˆ la Bibliothque nationale sous les nos 14224-14227 du Fonds latin (prŽcŽdemment Saint-Germain Franais, 1999), et dans un cahier joint ˆ un volume in-folio de la bibliothque de lÕArsenal (Fr. Histoire. 192). Bassompierre se venge de la rŽserve quÕil avait longtemps gardŽe, en inscrivant dans ce recueil des Žpitaphes sanglantes sur le cardinal de Richelieu, et mme sur le P. Joseph. Peut-on sÕen Žtonner, ou le bl‰mer de ce changement ? Le despotisme nÕengendre-t-il pas toujours le culte servile de sa puissance et lÕinsulte ˆ sa chute ?

On a publiŽ en 1802 un livre intitulŽ : Nouveaux MŽmoires du marŽchal de Bassompierre (Paris, Locard fils. An X. 1802), extraits des papiers du prŽsident HŽnault. M. Hippeau a vu une copie de ces mŽmoires dans les papiers du ch‰teau de Tillires, o le marŽchal fut relŽguŽ aprs sa dŽlivrance, et il en conclut quÕils peuvent justement lui tre attribuŽs. Comme ils ne sont pas autographes, et que leur authenticitŽ nÕest pas absolument certaine, la SociŽtŽ nÕa pas jugŽ ˆ propos de les ajouter au Journal de ma vie.

Enfin les Remarques sur lÕhistoire des rois Henri IV et Louis XIII, par Scipion Dupleix, telles du moins quÕelles ont ŽtŽ mises en circulation et plus tard imprimŽes, sont Žnergiquement reniŽes par le marŽchal ˆ qui on les attribuait. Elles nÕen sont pas moins curieuses, surtout si on les rapproche de la rŽponse de Scipion Dupleix. On peut voir ˆ ce sujet les MŽmoires (t. IV, p. 232 et suiv.) et lÕAppendice, XIII, mme tome, p. 355-356.

Je ne puis mieux terminer cette notice quÕen rapportant sur la personne de Bassompierre et sur son Ļuvre le jugement dÕun homme qui fut, comme lui, militaire, courtisan et Žcrivain, et qui subit comme lui lՎpreuve dÕune longue disgr‰ce. Bussy-Rabutin Žcrit le 16 aožt 1671 ˆ Mme de ScudŽry :

Ē Je nÕai point vu de mŽmoires plus agrŽables ni mieux Žcrits que ceux du marŽchal de Bassompierre. Je ne sais si lÕidŽe que jÕai de lui ne me prŽvient pas en leur faveur. CՎtoit un homme de grande qualitŽ, beau, bien fait, quoique dÕune taille un peu Žpaisse. Il avait bien de lÕesprit et dÕun caractre fort galant. Il avait du courage, de lÕambition et lՉme dÕun grand roi. Encore quÕil se loue fort souvent, il ne ment pas. Mais jÕeusse voulu quÕil nous ežt rapportŽ les ordres du roi, les lettres particulires de Sa MajestŽ, celles des ministres et des gŽnŽraux dÕarmŽe, et mme celles des ma”tresses avec ses rŽponses [11]. Car comme lÕhistoire nÕest que le portrait des gens dont on parle, rien ne fait mieux conno”tre leur caractre que leurs lettres, outre que le marŽchal ežt mieux Žtabli les choses quÕil nous a dites. Et il ne faut pas que pour lÕexcuser, on dise quÕayant Žcrit de mŽmoire sa vie, il ne pouvait se souvenir de tous ces ordres et de toutes les lettres dont je viens de parler, car il est certain quÕon les garde dÕordinaire pour sa famille. Mais pour ce quÕil dit quÕil a Žcrit sa vie de mŽmoire, cela ne peut pas tre. Le moyen de sÕimaginer que lÕon puisse Žcrire par le seul ressouvenir les choses quÕon a faites et dites jour par jour trente ans auparavant. Ainsi le marŽchal, en voulant faire estimer sa mŽmoire, fait mŽpriser son jugement. Il nous a dit encore des bagatelles inutiles, ˆ moins que de nous en dire un plus grand dŽtail, que de dire quÕun tel jour il eut une bonne fortune, quÕun autre il sÕembarqua avec une dame blonde, quÕun autre il donna ˆ d”ner, sans nous dire ni les dames, ni les messieurs, ni les aventures, ni ce qui se passa dÕagrŽable ˆ ces repas, qui sont des choses dont le lecteur peut avoir de la curiositŽ. Mais avec tout cela les beautŽs de ses mŽmoires sont trs-grandes et les dŽfauts sont trs-petits. SÕil sՎtoit donnŽ la peine de les relire avec un de ses amis, il aurait ™tŽ les bagatelles ou il les aurait rendues curieuses par les particularitŽs quÕil en aurait dites, comme celle de sa lingre. Quoique cette bonne fortune ne lui fasse pas grand honneur, lÕaventure est si extraordinaire quÕon est bien aise de la savoir. Enfin cÕest un malheur au cardinal de Richelieu et une tache ˆ sa vie que dÕavoir persŽcutŽ un aussi galant homme que le marŽchal de Bassompierre, et lÕon ne peut aimer celui-ci, comme il est impossible de sÕen dŽfendre, sans ha•r lÕautre. Č

 

Marquis de ChantŽrac.

Journal de ma vie.

Je souhaiterais, pour mon contentement particulier, dÕavoir reu, au commencement de ma jeunesse, le conseil (que vous me donnez aprs quÕelle est presque terminŽe) de faire un papier journal de ma vie ; il mÕežt servi dÕune mŽmoire artificielle, non-seulement des lieux o jÕai passŽ lorsque jÕai ŽtŽ aux voyages, aux ambassades, ou ˆ la guerre, mais aussi des personnes que jÕy ai pratiquŽes, de mes actions privŽes et publiques, et des choses plus notables que jÕy ai vues et ou•es, dont la connaissance me serait maintenant trs utile, et le souvenir doux et agrŽable. Mais puisque, faute dÕavertissement ou de considŽration, jÕai ŽtŽ privŽ de cet avantage, jÕaurai recours ˆ celui que me donne lÕexcellente mŽmoire que la nature mÕa dŽpartie, pour rassembler le dŽbris de ce naufrage, et rŽtablir cette perte autant que je pourrai, continuant a lÕavenir de suivre votre salutaire conseil, duquel toutefois je nÕuserai point pour lÕeffet que vous me proposez, de laisser ˆ celui qui voudra dŽcrire ma vie la matire de son Ļuvre ; car elle nÕa pas ŽtŽ assez illustre pour mŽriter dՐtre donnŽe ˆ la postŽritŽ, et pour servir dÕexemple ˆ ceux qui nous survivront, mais seulement pour remarquer le temps de mes accidents et juger quelles annŽes mÕont ŽtŽ sinistres ou heureuses, et afin aussi que si Dieu me fait la gr‰ce de parvenir jusques ˆ cette vieillesse qui affaiblit les facultŽs de lՉme et de lÕesprit, et particulirement celles de la mŽmoire, je trouve dans ces journaux de ma vie ce que jÕaurai perdu dans mon souvenir, lesquels Žtant nŽcessaire de remplir pour la plupart de choses basses, ridicules, ou inutiles aux autres, ne seront jamais revues que de moi, quand jÕy voudrai chercher quelquÕune de mes actions passŽes, ou de vous qui tes un second moi-mme, et pour qui je nÕai rien de secret ou cachŽ, quand vous voudrez apprendre ou conna”tre quelque chose de mon extraction, de mes anctres, des biens quÕeux et moi ont possŽdŽs, de ma personne et de ma vie.

Extraction, biens et alliances de la Maison Bettstein

Entre les bonnes maisons de lÕempire en Allemagne, celle de Ravenspourg a ŽtŽ, de temps immŽmorial, tenue des plus anciennes et illustres, dont les seigneurs ont possŽdŽ les comtŽs de Ravenspourg et de Ravenstein, les baronnies de Bettstein et dÕAlbe, avec la ville de Guenep et plusieurs autres terres, par longues annŽes. Le pŽnultime comte de la dite maison, nommŽ Wlrich IIIe, eut deux enfants auxquels il partagea les biens de sa succession en lÕannŽe....., et donna ˆ son fils a”nŽ, nommŽ Ewerard, les comtŽs de Ravenspourg et de Ravenstein avec la seigneurie de Guenep, et laissa au pu”nŽ, nommŽ Simon, les baronnies de Bettstein et dÕAlbe, avec plusieurs autres terres dans le pays de Westrich, et cent florins dÕor de rente perpŽtuelle sur chacune des villes de Cologne, de Strasbourg, et de Metz. Or Ewerard, dernier comte de Ravenspourg, nÕayant quÕune fille quÕil voulait donner en mariage au fils a”nŽ de Simon son frre, ˆ qui retournait son bien faute dÕhoirs m‰les, suivant les constitutions impŽriales, il en fut empchŽ par lÕempereur Adolph de la maison de Nassau, qui Žtait oncle maternel de..... marquis de Juliers, ˆ qui les dites comtŽs de Ravensbourg et de Ravenstein Žtaient fort commodes pour tre voisines de ses terres ; et voulut que la dite fille fut mariŽe au dit marquis son neveu, auquel il donna, par une patente de bulle dÕor, les dites comtŽs, comme dŽvolues de par sa femme, fille du dernier comte : et par ce moyen le fils de Simon et ses descendants demeurrent privŽs de leur lŽgitime et paternel hŽritage ; et le dit marquis de Juliers en ayant ŽtŽ mis en possession, lui et ses successeurs en ont joui sans que le procs intentŽ sur ce sujet par ceux de la maison de Bettstein contre les marquis de Juliers, qui est pendant ˆ la chambre impŽriale de Spire, ait pu encore tre jugŽ, ni que les descendants de Simon de Ravenspourg et de Bettstein, qui ont depuis, ˆ toutes les dites, prŽtendu et demandŽ la qualitŽ et le rang de comtes de Ravenspourg, aient pu obtenir autre chose sinon que, quand la litispendance serait jugŽe, on leur ferait droit ; et cependant, quÕils prendraient le rang et la sŽance de barons de Bettstein.

Les descendants de ce Simon servirent les ducs de Bourgogne en charges honorables de guerre, jusques ˆ ce quÕen lÕannŽe [1475], le duc Charles de Bourgogne ayant conquis une petite ville dÕempire, nommŽe Epinal, de laquelle mes anctres Žtaient de longtemps burgraves ou protecteurs, et ayant le dit duc Charles fait espŽrer ˆ mon trisa•eul, nommŽ Simon IIe, de lui donner la dite ville aprs la conqute dÕicelle, en investit, contre sa promesse, le seigneur de Neuch‰tel, marŽchal de Bourgogne : ce qui fit que le dit Simon quitta son service et se mit dans le parti du duc de Lorraine et des Suisses, qui Žtaient lors en guerre avec le dit Charles, et leur mena trois cents chevaux ˆ ses dŽpends, comme les chroniques en font foi. Et de la bourgravie du dit Epinal est encore demeurŽ en notre maison le cens que la dite ville payait ˆ nos anctres lorsquÕelle Žtait ville libre : lequel cens se comprend dÕune certaine cuiller ou mesure de tout le grain qui se vend en la dite ville.

Ce mme Simon de Bettstein avait ŽpousŽ la fille a”nŽe du comte dÕOgervillier ; un seigneur de Crouy ayant ŽpousŽ la seconde, et la troisime fut mariŽe au Reingraf ; le dit comte nÕayant que ces trois filles, auxquelles il partagea son bien ; et pour la part de mon trisa•eul Žchurent les terres de Rosieres, Pulligny, Acraigne, Remoncourt et Chicourt, avec la cuiller de la fŽe, comme au Reingraf Žchut la bague, et au seigneur de Crouy le gobelet. Il se dit de ces trois pices quÕelles furent donnŽes au seigneur dÕOgervillier, pre de ces filles, par une fŽe qui Žtait amoureuse de lui, et qui le venait trouver tous les lundis en une salle dՎtŽ, nommŽe en allemand sommerhause, o il venait coucher tous les lundis, sans y manquer, faisant croire ˆ sa femme quÕil allait tirer ˆ lÕaffžt au bois, et de lˆ se retirer lˆ : ce qui ayant donnŽ, au bout de deux ans, ombrage ˆ sa femme, elle t‰cha de dŽcouvrir ce que cՎtait, et entra un matin en ŽtŽ dans cette sommerhause, o elle vit son mari couchŽ avec une femme de parfaite beautŽ, et tous deux endormis, lesquels elle ne voulut rŽveiller, seulement Žtendit sur leurs pieds un couvre-chef quÕelle avait sur sa tte, lequel Žtant aperu de la fŽe ˆ son rŽveil, elle fit un grand cri, et plusieurs lamentations, disant quÕelle ne pouvait jamais plus voir le comte son amant, ni tre ˆ cent lieues proche de lui, et le quitta, lui faisant ces trois dons pour ses trois filles, quÕelles et leurs descendants devaient soigneusement garder, et ce faisant, quÕils porteraient bonheur en leurs maisons et descendants.

Le mme Simon, aprs la mort du duc Charles le Terrible, se remit au service de la maison de Bourgogne et dÕAutriche, qui furent incorporŽes par le mariage de Maximilian, fils de lÕempereur Frederich, et de Marie, hŽritire de Charles de Bourgogne.

Simon de Bettstein eut plusieurs enfants m‰les ; mais le dernier seulement, nommŽ aussi Simon IIIe, eut lignŽe ; lequel fut mariŽ ˆ Alix, sĻur a”nŽe du seigneur de Baudricourt, marŽchal de France et gouverneur de Provence et de Bourgogne, laquelle fut hŽritire par moitiŽ, avec son autre sĻur, mariŽe au seigneur de Chaumont, frre du cardinal dÕAmboyse. Et les biens du dit marŽchal furent partagŽs entre les deux sĻurs, par leur frre, de faon que tout ce qui lui appartenait au-delˆ de la Meuse, du c™tŽ de Lorraine et dÕAllemagne, Žchut ˆ sa sĻur a”nŽe, mariŽe ˆ mon bisa•eul qui eut aussi lՎtat de Baillif de Vosges, lequel fut conservŽ en la maison pour la commoditŽ des terres qui y sont enclavŽes, et a passŽ de suite aprs lui ˆ Geoffroy, Franais, et Glaude Antoine, ses descendants ; et ce qui serait deˆ la Meuse du c™tŽ de la France Žcherrait au partage de la seconde, qui Žtait femme du seigneur de Chaumont sur Loire, lequel eut aussi la capitainerie de Vaucouleurs sur Meuse.

Ce Simon fut colonel de trois mille lansquenets sous lÕempereur Maximilian en plusieurs occasions diverses, et finalement fit guerre par sept ans consŽcutifs contre la ville impŽriale de Metz pour son fait particulier, liguŽ avec le baron de Beaupart, de la maison de Bavire : au bout desquelles sept annŽes lÕempereur les pacifia, ordonnant ˆ la dite ville de payer ˆ ces deux seigneurs, pour leurs frais et autres intŽrts, quatorze mille florins.

Il laissa un fils, nommŽ Geoffroy, qui fut mariŽ ˆ une fille de la maison de Ville, qui fut aussi colonel de re”tres et de lansquenets sous lÕempereur Maximilian ; qui sur la fin de ses jours, se retira en un ermitage auquel il passa religieusement cinq annŽes de sa vie, puis trŽpassa, laissant trois fils et trois filles.

LÕa”nŽ, nommŽ Maximilian, eut pour partage tous les biens paternels de la maison de Bettstein, qui fut mariŽ ˆ une comtesse de Lininguen, et eut dÕelle un fils nommŽ Theodorich, qui est mort sans enfants, ce qui a investi Christofle, dernier fils de Franais, des biens paternels de la maison.

Le deuxime, nommŽ Tiedrich, fut grand prŽv™t de Mayence, chanoine de Wirtsbourg, et eut plusieurs autres bŽnŽfices.

Le troisime et dernier, nommŽ Franois, qui fut mon grand-pre, eut la succession de sa grand-mre Alix de Baudricourt, qui consistait aux terres de Harouel, Removille, Chastelet, Baudricourt, Ville sur Illon, Ormes, Mandres, et autres seigneuries, comme aussi le bailliage de Vosges. Il fut nourri [entretenu] page dÕhonneur du duc Charles de Luxembourg, prince des Flandres, infant dÕEspagne, et depuis empereur Charles Quint, duquel il fut puis aprs gentilhomme de la chambre, et ensuite capitaine de sa garde allemande. Il fut colonel de lansquenets en plusieurs guerres, en France, en Italie, en celle dÕIngolstat, en la bataille gagnŽe contre Maurice de Saxe, et fut enfermŽ au sige de Vienne en Autriche, par Soliman, et suivit lÕempereur en lÕentreprise de Tunis. LÕempereur lÕenvoya ensuite son ambassadeur extraordinaire prs de sa nice ChrŽtienne, reine de Danemark, douairire de Milan et de Lorraine, pour lÕassister au gouvernement de la Lorraine pendant la minoritŽ du duc Charles son fils, qui fut mis sous la tutelle dÕelle, et de son oncle Nicolas, comte de Vaudemont, sous la protection de lÕempereur Charles Ve. Mais au bout de six ans, le roi Henri deuxime de France ayant fait une puissante armŽe pour assister les protestants dÕAllemagne contre lÕempereur Charles Quint, il prit en passant les villes impŽriales de Metz, Toul, et Verdun ; vint en Lorraine, dÕo il chassa la reine de Danemark, et envoya le duc Charles en son royaume pour y tre ŽlevŽ avec les enfants de France ; laissa lÕadministration de la Lorraine au comte de Vaudemont : et mon grand-pre, Franois de Bettstein, qui sՎtait retirŽ en Vosges avec quelques troupes, Žtant venu ˆ Rosieres sous un sauf conduit, pour traiter avec le marŽchal de Saint-AndrŽ, il fut conclu quÕil remettrait ce quÕil tenait en Vosges entre les mains du roi, quÕil sortirait de la Lorraine avec les troupes quÕil y avait, sans y pouvoir plus rentrer, et que pour assurance plus grande, il donnerait un de ses enfants en otage, moyennant quoi la jouissance de ses biens lui serait accordŽe ; ce quÕil fit, et y envoya le plus jeune de trois quÕil avait, nommŽ Christofle de Bettstein, mon pre, qui Žtait lors page dÕhonneur du duc Charles Emanuel de Savoie : et lui, se retira auprs de son ma”tre lÕempereur Charles, avec lequel il revint au sige de Metz, Žtant colonel de 3000 lansquenets. Puis le sige Žtant levŽ, et lÕempereur ayant remis ses Žtats entre les mains de son fils unique le roi dÕAngleterre, depuis nommŽ Philippe deuxime, roi dÕEspagne, ledit empereur retint, pour lÕaccompagner en la retraite quÕil fit au monastre de Just en Espagne o il finit saintement ses jours, sa compagnie des gardes espagnole, et laissa lÕallemande et la flamande, au roi son fils ; mais il voulut que les deux capitaines dÕicelles, (qui Žtaient mon grand-pre et le marquis de Renty), vinssent avec lui jusques au dit monastre de Just (o il se retira) ; ˆ la porte duquel il leur dit adieu, et leur donna ˆ chacun un beau diamant pour souvenance de lui, et pour marque de leur fidŽlitŽ, que nous avons depuis soigneusement gardŽ. Mon grand-pre, ˆ son retour en Flandres, trouva que le roi catholique lui avait conservŽ sa charge de capitaine de la garde allemande, mais non celle de gentilhomme de la chambre ; ce qui fut cause quÕil se retira. Et parce quÕil ne pouvait venir habiter en Lorraine, o Žtait son principal bien, il se tint chez son cousin le duc dÕArscot, qui, en secondes noces, avait ŽpousŽ la tante paternelle du duc Charles de Lorraine, de laquelle est issu le marquis dÕAvray, pre du duc de Crouy, dernier mort. Mais le dit Franois de Bettstein, peu de mois aprs, soit de maladie particulire, ou de regret dÕavoir perdu son bon ma”tre lÕempereur, et dՐtre exilŽ de son bien, ou bien de poison, dont on se douta fort, dŽcŽda prs dudit duc dÕArscot, laissant six enfants de sa femme, dame Marguerite de Dommartin, sĻur a”nŽe du comte de Fontenoy, savoir : trois m‰les, Glaude Antoine, Bernhart, et Christofle ; et trois filles, Yolande, abbesse dÕEpinal, Madeleine, comtesse dÕAusbourg, et Marguerite, coadjutrice de Remiremont.

Glaude Antoine de Bassompierre, premier nŽ de Franois, fut gouverneur et Baillif de Vosges comme ses prŽdŽcesseurs, et le fut aussi de lՎvchŽ de Metz, aprs quÕil en ežt chassŽ Salsede, lequel sÕy Žtait rŽvoltŽ contre son ma”tre, Mr le cardinal de Lorraine, Žvque de Metz, qui employa mes oncles, et mon pre, pour lÕen tirer. Ce mme Glaude Antoine fut aussi lieutenant colonel, tant de la cavalerie que de lÕinfanterie de son oncle Mr le Reingraf, qui avait ŽpousŽ la sĻur de Marguerite de Dommartin sa mre. Le dit Reingraf fut envoyŽ avec les 1000 lansquenets de son rŽgiment et les 1500 re”tres quÕil commandait, pour assiŽger le Havre occupŽ par les Anglais, auquel sige Glaude Antoine de Bettstein fut pris en une sortie et envoyŽ en Angleterre, et ne fut dŽlivrŽ que par la paix qui fut faite entre la France et lÕAngleterre. Il avait ŽpousŽ dame Anne du Chastelet, sĻur du seigneur de Deully, de laquelle il eut une seule fille, nommŽe Yolande, qui fut mariŽe ˆ Erard de Livron, seigneur de Bourbonne, de laquelle il a eu plusieurs fils et filles. Finalement, le dit Glaude Antoine Žtant venu ˆ Paris pour faire la capitulation des deux rŽgiments de quinze cents chevaux re”tres chacun, dont le roi Charles avait fait colonels le comte Charles de Mansfeld, son cousin germain, et Christofle de Bassompierre, son frre cadet, en se jouant avec eux, il reut un petit coup dՎpŽe dans le bas du ventre, qui ne lui entrait pas lՎpaisseur dÕun demi-doigt, dont il mourut par une gangrne qui se mit dans sa plaie.

Quant ˆ Bernard de Bassompierre, second fils de Franois, il Žpousa une hŽritire de la maison de Maugiron et de Montblet, de laquelle il nÕeut aucuns enfants : il se trouva en plusieurs occasions de guerre, en charges honorables, au service de lÕempereur Maximilian : finalement il mourut de maladie en la ville de Vienne, o il est enterrŽ en lՎglise cathŽdrale, au retour du sige de Ziguet en Hongrie, o il Žtait colonel dÕun rŽgiment de lansquenets.

Des filles, Yolande lÕa”nŽe a passŽ sa vie saintement dans son abbaye dÕEpinal, et est morte ‰gŽe de quatre vingt et neuf ans.

La deuxime, Madeleine, a eu plusieurs enfants, dont le fils a”nŽ, baron de Raville, a ŽtŽ lieutenant de roi au duchŽ de Luxembourg, et justicier des nobles.

La troisime, Marguerite, fut premirement dame, puis coadjutrice de lÕabbaye de Remiremont, et puis se voulut marier contre le grŽ de ses frres au seigneur de Vaubecourt ; ce quÕayant exŽcutŽ, mes oncles le turent. Elle se retira chez sa sĻur lÕabbesse dÕEpinal ; et ˆ quelque temps de lˆ, sÕen Žtant allŽe en Bourgogne avec la doyenne dÕEpinal pour se divertir, elle y Žpousa un gentilhomme nommŽ le sieur de Viange, duquel elle eut une fille qui a depuis ŽtŽ abbesse dÕEpinal, et un fils qui fut mariŽ ˆ la sĻur du seigneur de Marcoussay, qui a laissŽ trois fils.

Reste ˆ parler de Christofle de Bassompierre, mon pre, dernier des enfants de Franois, qui lÕavait destinŽ ˆ tre chevalier de Malte, et mis page dÕhonneur du duc Philebert Emanuel de Savoie, dÕo il le retira pour lÕenvoyer en France lors quÕil fut contraint dÕy donner un de ses fils pour otage.

Ce Christofle, pour tre encore fort petit, ne fut point mis avec le roi dÕEcosse dauphin, comme dÕautres de sa sorte, mais avec Mr dÕOrlŽans son frre, qui depuis fut le roi Charles neuvime, lequel ˆ cause de la conformitŽ de lՉge, ou pour quelque inclination, le prit en grande affection et lui fut fort privŽ ; de sorte quÕaprs la mort des rois Henry et Franois deuxime, ses pre et frre, Žtant parvenu ˆ la couronne, la paix Žtant faite avec Espagne, et Mr de Lorraine ayant ŽpousŽ madame Glaude, seconde fille de France, mon dit pre, Žtant libre de sÕen retourner vers ses frres, fut retenu auprs du dit roi (mineur encore), jusques ˆ ce quÕaprs le grand voyage de Bayonne en lÕannŽe 1564, son frre a”nŽ, le colonel de Harouel, lui ayant donnŽ son enseigne colonelle, il alla servir en Hongrie avec cette charge, Žtant lors ‰gŽ de dix sept ans. Ce fut en ce voyage que Mr de Guise, Henry de Lorraine, y fut aussi envoyŽ ˆ mme ‰ge, par le cardinal de Lorraine, son oncle, trouver le duc de Ferrare, son oncle maternel, qui Žtait, cette annŽe-lˆ, gŽnŽral de lÕarmŽe de lÕempereur en Hongrie, lorsque Soliman, empereur des Turcs, assiŽgea Siguet, la prit et y mourut ; et que le dit cardinal le recommanda ˆ mon oncle le colonel pour en avoir soin jusques ˆ ce quÕil fut auprs de monsieur de Ferrare : ce quÕil fit, et de toute la noblesse qui alla avec lui, qui Žtaient de plus de cent gentilshommes de condition qui marchrent jusques ˆ Siguet avec le rŽgiment de mon oncle, qui sÕembarqua ˆ Ulm. Ce fut en ce voyage que cette forte amitiŽ se fit entre Mr de Guise et feu mon pre, qui depuis jusques ˆ sa mort, lui a constament gardŽ son cĻur et son service ; et que mon dit sieur de Guise lÕa chŽri sur tous ses autres serviteurs et affectionnŽs, lÕappelant lÕami du cĻur.

Mon pre demeura deux ans en Hongrie, et ne sÕen revint quÕaprs le dŽcs de feu mon oncle, son frre le colonel, lequel mourut ˆ Vienne comme a ŽtŽ dit ci-dessus. Il fut rappelŽ par le roi Charles IXe, lors fait majeur, qui peu de temps aprs, lui donna la charge de colonel de quinze cents chevaux re”tres, quÕil nÕavait encore dix neuf ans accomplis. Il donna aussi pareille charge en mme temps ˆ son cousin germain, le comte Charles de Mansfeld, qui avait aussi ŽtŽ nourri jeune avec lui, et quÕil aimait fort : et tous deux ayant priŽ feu mon oncle Glaude Antoine de Bassompierre de venir les aider ˆ faire leurs capitulations, le malheur arriva ˆ feu mon pre que, se jouant avec son ŽpŽe, ˆ lÕh™tel de Tanchou au marchŽ neuf, il blessa au petit ventre mondit oncle dÕune fort lŽgre blessure qui, pour avoir ŽtŽ nŽgligŽe, lui causa la mort.

Ces deux cousins, avec dÕautres colonels (qui furent aussi employŽs), servirent utilement le roi aux guerres civiles des huguenots, principalement aux batailles de Jarnac et de Moncontour, auxquelles mon pre, faisant tout devoir digne de lui, et de sa charge, fut blessŽ : en la premire, au bras gauche dÕun coup de pistolet qui lui emporta lÕos du bras nommŽ la noix, qui conjoint les deux os, et donne le mouvement au coude, dont il fut estropiŽ ; et en lÕautre bataille, qui se donna la mme annŽe, il eut un autre coup de pistolet au bras droit, au mme lieu que le prŽcdent, qui lÕestropia dudit bras comme auparavant il lՎtait du gauche. Et est ˆ remarquer que deux autres colonels, assavoir le Reingraf, neveu de celui dont a ŽtŽ parlŽ ci-dessus, et qui avait ŽpousŽ la cousine germaine de mon pre, nommŽe Diane de Dommartin, fille du comte de Fontenoy son oncle, laquelle par le dŽcs dudit Reingraf, qui mourut de cette blessure, Žtant devenue veuve, fut remariŽe au marquis de Havray, et le comte Peter Ernest de Mansfeld qui avait ŽpousŽ la sĻur de mon grand-pre, lequel avait ŽtŽ envoyŽ par le duc dÕAlbe au secours du roi avec des troupes : ces trois colonels, dis-je, furent blessŽs ˆ mme endroit et au mme bras droit, et furent mis en mme chambre, pansŽs par un mme chirurgien, nommŽ ma”tre Ambroise Paray, qui en fait mention en son livre. Le Reingraf mourut par la fivre qui lÕemporta ; et les deux autres Žchapprent par le bŽnŽfice dÕune eau excellente qui avait ŽtŽ donnŽe autrefois par le baron de la Guarde ˆ Mr le cardinal de Lorraine, de laquelle Mr de Guise secourut lors feu mon pre, qui en fit part au comte de Mansfeld son oncle, dont le lit Žtait proche du sien ; laquelle eau, prise dans une cuiller, empchait trois heures la fivre de venir, ce qui les sauva. Il est de plus ˆ remarquer que ma”tre Ambroise Parai ayant dŽclarŽ aux dits colonels quÕils ne devaient espŽrer aucun mouvement au bras, ˆ cause que la noix du coude Žtait emportŽe, et quÕils pouvaient choisir sÕils voulaient avoir le bras droit ou courbe, mon pre donna le choix ˆ son oncle de prendre lÕune faon, et quÕil prendrait lÕautre, afin de voir par le succs celui qui aurait le plus heureusement Žlu : ledit comte choisit dÕavoir le bras Žtendu, disant quÕavec icelui il pourrait allonger une estocade, et mon pre lÕayant laissŽ courbŽ, il sÕen aida beaucoup mieux que son oncle ne fit du sien ; car il lui fut du tout inutile, lˆ o mon pre se servait du sien en beaucoup de choses, et ne paraissait pas tant estropiŽ.

Mon pre servit aussi avec ses re”tres en plusieurs autres voyages et occasions, comme ˆ la venue du comte palatin Casimir en France, puis en Guyenne contre les huguenots ; ayant prŽcŽdemment ŽtŽ envoyŽ par le roi Charles, avec mille chevaux, au secours du duc dÕAlbe, o il fut ˆ la bataille de Meminguen, et demeura un an en Flandres nŽanmoins ˆ la solde et par le commandement du roi : ce que fit pareillement le comte Charles de Mansfeld, fils du comte Peter Ernest.

Aprs cela Žtant revenus en France, la paix se fit, le mariage du roi de Navarre Žtant rŽsolu avec la dernire fille de France, madame Marguerite : il se consomma ˆ Paris, et la Saint-BarthŽlemy ensuite, o mon pre se trouva : et peu de temps aprs, la bonne volontŽ que le roi Charles portait au comte Charles et ˆ lui, le porta ˆ les vouloir marier avec les deux filles du marŽchal de Brissac, ce que le comte de Mansfeld reut ˆ gr‰ce : mais mon pre qui Žtait pauvre et cadet de sa maison, lui ayant remontrŽ que ces filles, qui Žtaient en grande considŽration et de peu de bien, ne seraient pas bien assorties avec lui, qui nÕen avait gure, et qui en avait besoin ; mais que, sÕil lui voulait faire la faveur de le marier avec la nice dudit marŽchal, nommŽe Louyse le Picart de Radeval, qui Žtait hŽritire, et ˆ qui madame de Moreuil, sa tante, voulait donner cent mille Žcus, il lui ferait bien plus de bien, et lui causerait sa bonne fortune : ce que le roi Charles fit, malgrŽ les parents, et malgrŽ la fille mme, qui ne le voulait point, parce quÕil Žtait pauvre, Žtranger et allemand. Enfin il lՎpousa ; et peu de jours aprs il sÕachemina au sige de la Rochelle, que Mr le duc dÕAnjou, frre du roi, investit ; auquel sige lui vint la nouvelle de son Žlection au royaume de Pologne, et dŽsira que feu mon pre lui accompagn‰t : ce quÕil fit avec un grand et noble Žquipage, et lui fit rendre, en passant, beaucoup de service par ses parents, comme lui-mme lui en rendit de trs bons par son entremise vers les princes lˆ o il passa, ˆ cause de la langue allemande. Mais comme ledit roi Žlu voulut partir de Vienne en Autriche, le roi Charles son frre lui ayant mandŽ les brouilleries qui commenaient en France par Mr dÕAlenon et le roi de Navarre, son frre et beau-frre, et comme il avait besoin dÕune levŽe de mille chevaux re”tres, il envoya ˆ mon pre une commission pour les lever : ce quÕil fit, sÕen revint, et les amena en France ˆ la mort du roi Charles, et la reine mre Catherine, rŽgente, les conserva jusques au retour de Pologne du roi Henry IIIe son fils, lequel lui fit depuis faire une autre levŽe ˆ la rŽvolte de Mr dÕAlenon, et lÕarrivŽe en France du duc des Deux-Ponts. Et quelques annŽes aprs il remit ses Žtats et pensions au roi, pour se mettre de la ligue en lÕannŽe 1585, en laquelle il amena de grandes levŽes de re”tres, de Suisses, et de lansquenets, sur son crŽdit. Aprs quoi les ligueurs sՎtant accommodŽs avec le roi, Sa MajestŽ voulut quÕil f”t une nouvelle levŽe de quinze cents chevaux en lÕannŽe 1587, lorsque la grande armŽe des re”tres vint en France sous la conduite de Mr de Bouillon et du baron de Dauno. Et bien que ce rŽgiment fut avec le roi sur la rivire de Loire, la personne de mon pre, et quelques troupes quÕil leva ˆ la h‰te, demeura sur les frontires dÕAllemagne et en Lorraine avec Mr de Guise, et fut ˆ la journŽe du Pont ˆ Saint-Vincent, auquel lieu le travail quÕil prit lui causa une fivre continue de laquelle il fut ˆ lÕextrŽmitŽ, et fut plus de six mois ˆ sÕen remettre.

1588. Ensuite les barricades de Paris Žtant survenues en lÕannŽe 1588, et la paix de Chartres sՎtant jurŽe, le roi assembla les Žtats ˆ Blois. En ce mme temps Mr le duc de Savoie [Charles-Emmanuel Ier] ayant envahi le marquisat de Saluces, le roi envoya quŽrir feu mon pre pour lui faire faire quatre mille lansquenets dont il lui donna la capitulation : et mon pre sÕen voulant aller pour faire sa levŽe, il lui commanda dÕarrter encore quinze jours pour recevoir lÕordre du Saint-Esprit au jour de lÕan prochain, ˆ quoi se prŽparant, Mr de Guise fut tuŽ la surveille de No‘l, et le roi envoya en mme temps Mr de Grillon, ma”tre de camp du rŽgiment des gardes [chez mon pre], pour le prendre, afin de dŽtourner les levŽes que lÕon pourrait faire pour la ligue en Allemagne, (se doutant bien que lÕaffection que mon pre avait pour Mr de Guise le porterait ˆ venger sa mort ; mais comme un des gens de mon pre lui eut dit que les portes du ch‰teau avaient ŽtŽ fermŽes), se doutant de ce qui Žtait arrivŽ et de ce quÕil lui pourrait advenir, [il] fit prŽparer deux bons chevaux, sur lesquels lui et un des siens Žtant montŽs, ils sortirent de la ville de Blois comme on en levait le pont, et sÕen vint ˆ Chartres quÕil fit rŽvolter. Puis, Žtant arrivŽ ˆ Paris, il fut menŽ droit ˆ lÕh™tel de ville o, en une grande assemblŽe qui Žtait lˆ, fort animŽe ˆ la guerre, il leur parla de lÕaccident arrivŽ ; et lui ayant demandŽ son avis sur ce quÕils devaient faire, il leur dit librement que si ils avaient un million dÕor de fonds pour commencer la guerre, il leur conseillait de lÕentreprendre : sinon, que ce serait le meilleur de sÕaccorder avec le roi aux plus avantageuses conditions que lÕon pourrait, pourvu que les restes de la maison de Guise fussent remis en dignitŽ et honneur, comme quelques serviteurs du roi qui Žtaient dans Paris avaient dŽjˆ proposŽ. LÕassemblŽe se retira en suspens de ce ˆ quoi ils se devaient rŽsoudre, nÕayant point de fonds comptant pour commencer la guerre ; et une grande partie dÕiceux accompagna mon pre ˆ lÕh™tel de Guise, qui fut voir la veuve du dŽfunt duc, et la consoler au mieux quÕil peut.

Il arriva ensuite que, le lendemain matin, un maon qui avait fait une cache au trŽsorier de lՎpargne Molan dans une poutre de son logis, la dŽcouvrit ˆ messieurs de la ville, o ils trouvrent 330000 Žcus au soleil : alors, tout le monde cria ˆ la guerre, et fut donnŽ de cette somme ˆ mon pre 100000 Žcus au soleil pour les levŽes de 4000 chevaux re”tres, de 6000 lansquenets, et de 8000 Suisses, ˆ quoi il sÕobligea, et partit en mme temps pour donner ordre ˆ les mettre sur pied. Et toutes ces forces se trouvrent, au commencement de juillet de lÕannŽe suivante 1589, aux environs de Langres, o le duc de Nemours les vint recevoir avec quelques troupes franaises : et la mort du roi Henry troisime Žtant arrivŽe le 2e dÕaožt suivant, Mr du Maine [duc de Mayenne], avec une puissante armŽe, alla pousser le roi de Navarre ˆ Dieppe, et y eut ˆ Arques quelque combat : et en mars de lÕannŽe suivante 1590, la bataille dÕIvry donnŽe, en laquelle mon pre fut blessŽ en deux endroits. Et sՎtant sauvŽ, et retirŽ en Allemagne, puis revenu en Lorraine, puis en France, dÕo il retourna en lÕannŽe 1592, sur la fin, en Lorraine, et vers ce temps-lˆ lՎvque de Strasbourg Žtant dŽcŽdŽ, il accourut ˆ Saverne pour faire brigue en faveur de Mr le cardinal Charles de Lorraine, pour le faire Žlire Žvque ; ce qui lui rŽussit heureusement par la promesse quÕil fit au chapitre quÕen cas que cette Žlection caus‰t du trouble, il serait gŽnŽral de leur armŽe. Comme il advint, parce que les chanoines protestants qui Žtaient ˆ Strasbourg Žlurent le frre du marquis de Brandebourg Žvque : et il fut assistŽ, outre ses propres forces, de celles de la ville de Strasbourg et du duc de Wurtemberg. NŽanmoins mon pre conquit toute lՎvchŽ de deˆ le Rhin, et prit Moltsich, Tachtein, Banfeld, et plusieurs autres places que les protestants avaient saisies.

Aprs quoi sՎtant retirŽ en Lorraine, et quittŽ, par la conversion du roi Henry IVe, tous les desseins quÕil pouvait avoir en France, il prit le soin de rŽtablir les affaires de Mr le duc de Lorraine, de traiter la paix avec le roi, et pour cet effet, en lÕannŽe 1594, il alla ˆ Laon que le roi tenait assiŽgŽ, fit la paix entre le roi et Mr de Lorraine, et obtint quÕil demeurerait en neutralitŽ entre le roi dÕEspagne et lui ; et le roi, ayant envoyŽ le sieur de Sancy en Lorraine pour ratifier le traitŽ, ils convinrent aussi de quelque suspension dÕarmes, et ensuite dÕune paix entre les deux Žlus Žvques de Strasbourg : et en mme temps y eut quelque pourparler de mariage entre Mr le marquis du Pont, fils a”nŽ du duc de Lorraine, et Madame, sĻur du roi, qui ne put pour lors rŽussir ˆ cause de sa religion. Si fit bien celui du duc de Bavire et de la plus jeune fille du duc de Lorraine, nommŽe Elisabeth, qui se consomma au carme-prenant de lÕannŽe 1595, auquel mon pre, en qualitŽ de grand ma”tre, donna lÕordre pour le faire somptueusement rŽussir. Cette mme annŽe il fonda le couvent des Minimes en la ville neuve de Nancy, et en lÕannŽe suivante 1596, il mourut au ch‰teau de Nancy le 22 dÕavril, la nuit du dimanche au lundi de Quasimodo.

Il laissa de sa femme, Louyse de Radeval, cinq enfants vivants, savoir trois m‰les et deux filles, dont je suis le premier nŽ.

Le deuxime fut Jean de Bassompierre, qui fut nourri avec moi, et v”nmes en France ensemble. Il fut en Hongrie en lÕannŽe 1599, et en revint, la suivante, ˆ la conqute que le roi fit en Savoie ; puis en lÕannŽe 1603, sՎtant brouillŽ avec le roi sur le sujet du comtŽ de Saint-Sauveur que nous tenions en engagement, il le quitta et se mit au service du roi dÕEspagne, qui lui donna un rŽgiment entretenu : et pendant quÕil le mettait sur pied, il sÕen alla au sige dÕOstende ; et sՎtant trouvŽ ˆ la prise que les Espagnols firent du bastion du Porc-Žpic, il fut blessŽ dÕune mousquetade au genou, dont on lui coupa la jambe, et en mourut peu de temps aprs en lÕannŽe 1604.

Le troisime fils, nommŽ George Affrican, destinŽ pour tre dՎglise, ne voulut prendre cette profession, oui bien celle de chevalier de Malte, o il fut envoyŽ, et y fit ses caravanes, voyages, et sŽjours : et comme il Žtait ˆ cinq journŽes prs de faire les vĻux, la mort de mon frre de Removille Žtant advenue ˆ Ostende, ma mre et moi lui dŽpch‰mes en diligence pour empcher quÕil ne les f”t, et le ramener ˆ Rome, et puis en Espagne : de lˆ, revenu en Lorraine, il se maria en lÕannŽe 1610 ˆ Henriette de Tornielle, fille du comte de Tornielle, grand ma”tre de Lorraine. Il fut bailli et gouverneur de Vosges, et grand Žcuyer de Lorraine ; puis, en lÕannŽe 1632, mourut au retour dÕun voyage en guerre quÕil avait fait en Allemagne avec Mr le duc Charles IVe de Lorraine, lorsque, le roi de Sude ayant dŽfait lÕarmŽe de lÕempereur ˆ la bataille de Leipzig, Mrs le duc de Bavire et de Lorraine, vinrent avec leurs forces se joindre aux restes de celle du comte de Tilly pour lui rŽsister.

Il laissa six enfants, trois fils et trois filles, savoir : lÕa”nŽ, Anne Franais.

Les filles sont Yolande Barbe de Bassompierre, mariŽe ˆ Mr de Houailly : la seconde, Marguerite Anne, coadjutrice dÕEpinal : et la troisime, Nicole Henriette, [dame] secrte de Remiremont.

Anne Franois de Bassompierre, qui naquit le ... jour de mars de lÕannŽe 1612, fut nourri et ŽlevŽ chez son pre jusques en lÕannŽe 1624 quÕil me fut envoyŽ en France, o lÕayant tenu quelques mois, je le renvoyai Žtudier, et apprendre la langue allemande, ˆ Fribourg en Briscau, o il fut recteur, et y demeura jusques au commencement de lÕannŽe 1626 que je le retirai des Žtudes, et le fis venir prs de moi ˆ Soleure, o jՎtais allŽ ambassadeur extraordinaire pour le roi ; puis le ramenai en France, et le mis en lÕacadŽmie de Benjamin jusques au commencement de lÕannŽe 1628 quÕil vint me trouver devant la Rochelle, et y demeura tant que le sige dura ; puis me suivit au Pas de Suse, et en la guerre contre les huguenots de Languedoc lÕannŽe 1629 : laquelle finie (par la soumission quÕils firent au roi), il sÕen alla au sige de Bois le Duc, o il demeura tant quÕil dura avec lÕarmŽe des Hollandais. De lˆ, Žtant revenu me trouver, je le laissai prs du roi, mÕen allant, en 1630, ambassadeur extraordinaire en Suisse ; et revint avec Sa MajestŽ ˆ la guerre et conqute de Savoie. Puis au retour, au commencement de lÕannŽe 1631, comme le roi me fit mettre prisonnier, je le laissai auprs de Sa MajestŽ ; et alla en sa suite au voyage de Bourgogne lorsque Monsieur son frre sortit de France : au retour duquel mon neveu reut commandement de sortir de France, et sÕen alla trouver son pre en Lorraine et Mr de Lorraine, auprs duquel il demeura, et fut ˆ la guerre dÕAllemagne aprs la bataille de Leipzig au retour de laquelle, comme a ŽtŽ dit ci-dessus, le marquis de Removille, son pre, Žtant mort, Mr le duc de Lorraine continua ˆ son fils les charges quÕil possŽdait de son vivant, qui Žtaient le bailliage de Vosges et lՎtat de grand Žcuyer, et le tint fort cher, et en ses bonnes gr‰ces : et lorsquÕil mit une armŽe sur pied, il le fit marŽchal de camp ; laquelle, en son absence, ayant ŽtŽ dŽfaite en lÕannŽe 1633, et les affaires de Mr le duc de Lorraine ruinŽes par le roi qui occupa le duchŽ, et que le duc lÕežt cŽdŽ ˆ son frre, mon neveu voulut courre la fortune de lÕancien duc son ma”tre, qui lui donna sous lui le commandement de ses troupes rŽduites ˆ quatre cents chevaux, quÕil joignit ˆ celles de lÕempereur, qui Žtaient en Alsace sous la charge du marquis Eduart de Baden et du comte de Salm, doyen de Strasbourg ; lesquelles le jour du 12 mars 1634 furent dŽfaites par le comte Frederich Otto Reingraf : et mon neveu, combattant vaillament et acquŽrant beaucoup dÕhonneur, fut pris et blessŽ dÕun grand coup de pistolet au bras aprs avoir rendu des preuves signalŽes de son courage, et menŽ ˆ Rouffach.

Quant aux deux autres enfants m‰les de George Affrican de Bassompierre, mon frre, ils sont encore jeunes et aux Žtudes, pendant quÕen la Bastille jՎcris ceci.

Les filles de Christofle de Bassompierre, mon pre, (au moins de celles qui le survŽcurent, car il en avait premirement eu une a”nŽe, nommŽe Diane, qui mourut ˆ lՉge de dix ans, en lÕannŽe 1584, ˆ Rouen), furent, Henriette, mariŽe en 1603 ˆ messire Timoleon dÕEpinay, marŽchal de Saint-Luc, premirement gouverneur de Brouage et des ”les, puis lieutenant gŽnŽral en Guyenne ; laquelle mourut, en novembre de lÕannŽe 1609, dÕune mauvaise couche, laissant deux fils et deux filles : lÕa”nŽ Louis, comte dÕEstelan, le second Franois, seigneur de Saint-Luc ; et deux filles, lÕa”nŽe RenŽe, mariŽe au marquis de Beuvron, et lÕautre nommŽe Henriette, qui fut premirement religieuse ˆ Saint-S., puis abbesse dÕEstival, quÕelle quitta pour se faire feuillantine, dÕo ne pouvant souffrir lÕaustŽritŽ, elle sÕest mise ˆ Saint-Paul de Reims. LÕautre fille de Christofle, nommŽe Catherine, fut mariŽe, en 1608, ˆ Mr le comte de Tillieres, duquel elle a plusieurs fils et filles.

Enfance et jeunesse

Il a ŽtŽ nŽcessaire de faire prŽcŽder ˆ ce prŽsent journal de ma vie tout ce qui a ŽtŽ narrŽ ci-dessus pour donner une parfaite intelligence de mon extraction, des alliances de ma maison et des prŽdŽcesseurs que jÕai eus ; ensemble des biens qui sont venus de ligne droite ou collatŽrale en la maison de Bettstein, et de ceux que nous prŽtendons lŽgitimement nous appartenir. Maintenant je ferai un ample narrŽ de ma vie, sans affectation ni vanitŽ ; et comme cÕest un journal de ce que jÕen ai pu recueillir de ma mŽmoire, ou que jÕen ai trouvŽ dans les journaux de ma maison qui mÕont donnŽ quelque lumire aux choses particulires, vous ne trouverez pas Žtrange si je dis toutes choses par le menu, plut™t pour servir de mŽmoire, que pour en faire une histoire, mon dessein Žtant bien ŽloignŽ de cette malsŽante ostentation.

Je suis issu troisime enfant en ordre de feu Christofle de Bassompierre et de Louyse de Radeval, et premier de ceux qui les ont survŽcus, qui Žtaient cinq en nombre, comme a ŽtŽ dit ci-dessus.

1579. Je naquis le dimanche jour de P‰ques fleuries, 12e jour du mois dÕavril, ˆ 4 heures du matin, en lÕannŽe 1579, au ch‰teau de Harouel en Lorraine, et le mardi 21e suivant je fus tenu sur les fonts de baptme par Charles de Lorraine, duc de Mayenne, Jean, comte de Salm, marŽchal de Lorraine, et Diane de Dommartin, marquise de Havray, et fus nommŽ Franois.

1584. On mՎleva en la mme maison jusques en octobre [de] lÕannŽe 1584, qui est le plus loin dÕo je me puisse souvenir, que je vis Mr le duc de Guise, Henry, qui Žtait cachŽ dans Harouel pour y traiter avec plusieurs colonels de re”tres, lansquenets, et Suisses, pour les levŽes de la Ligue. Ce fut lorsque lÕon commena ˆ me faire apprendre ˆ lire et ˆ Žcrire, et ensuite les rudiments. JÕeus pour prŽcepteur un prtre normand, nommŽ Nicole CirŽe. Sur la fin de cette mme annŽe, ma mre Žtant allŽe en France, auquel voyage ma sĻur a”nŽe, nommŽe Diane, mourut, on nous mena, mon frre Jean et moi, ˆ Epinal, pour tre nourris chez ma tante lÕabbesse dÕEpinal pendant lÕabsence de ma mre, qui Žtant revenue cinq mois aprs, elle nous vint quŽrir, et nous ramena ˆ Harouel en lÕannŽe 1585 que nous pass‰mes au mme lieu, et celle de 1586, sur la fin de laquelle Mr de la Roche Guyon et Mr de Chantelou sÕy retirrent ; et mon pre y vint aussi, o il demeura fort peu. Un intendant des finances de France, nommŽ Videville, sÕy vint aussi rŽfugier ; mais, ˆ cause de ces autres, il voulut sÕaller tenir ˆ Removille dÕo mon pre revenait se refaire dÕune grande maladie.

1587. Au commencement de lÕannŽe 1587 ma mre accoucha de mon jeune frre Affrican. On nous mena ˆ Nancy sur lÕarrivŽe de la grande armŽe des re”tres qui bržlrent le bourg de Harouel sur lÕautomne. Mon pre eut une trs grande maladie ˆ Nancy, quÕil eut au retour du voyage de MontbŽliard, et que Mrs de Lorraine et de Guise eurent ŽtŽ quelques jours ˆ Harouel.

1588. En lÕannŽe 1588 on nous donna un autre prŽcepteur nommŽ Gravet, et deux jeunes hommes, appelŽs Clinchamp et la Motte ; ce premier pour nous apprendre ˆ bien Žcrire, et lÕautre ˆ danser, jouer du luth, et la musique. Nous ne bouge‰mes de Harouel ou Nancy, o mon pre arriva ˆ la fin de lÕannŽe, ŽchappŽ de Blois : et nous continu‰mes ˆ Žtudier et apprendre ces autres choses les annŽes 1589 et 1590, comme aussi en 1591, o je vis ˆ Nancy la premire fois Mr de Guise, qui Žtait ŽchappŽ de sa prison. Nous all‰mes, mon frre et moi, au mois dÕoctobre (1591), Žtudier ˆ Fribourg en Briscau, et fžmes de la troisime classe : nous nÕy demeur‰mes que cinq mois, parce que Gravet, notre prŽcepteur, tua la Motte, qui nous montrait ˆ danser ; et ce dŽsordre nous fit revenir ˆ Harouel, dÕo, la mme annŽe, ma mre nous mena au Pont ˆ Mousson pour y continuer nos Žtudes. Nous nÕy demeur‰mes que six semaines ˆ la troisime, puis v”nmes passer les vacances ˆ Harouel (1592) ; et au retour nous mont‰mes ˆ la seconde, o nous fžmes un an ; et aux autres vacances de lÕannŽe 1593, que nous mont‰mes ˆ la premire, nous all‰mes aux vacances ˆ Harouel : lÕannŽe 1594 [nous all‰mes] passer le carme prenant ˆ Nancy, o nous combatt”mes ˆ la barrire, habillŽs ˆ la suisse, le jeune Rosne, les deux Amblise, et Vignolles, aux noces de Montricher qui Žpousa la sĻur de Tremblecourt, o il se fit force magnificences. Puis nous retourn‰mes au Pont ˆ Mousson jusques aux vacances que nous all‰mes passer ˆ Harouel : lesquelles finies, nous retourn‰mes en la mme classe. Puis peu de temps aprs, feu mon pre Žtant de retour du sige de Laon (o il avait ŽtŽ traiter la neutralitŽ de Lorraine), il nous ramena un gouverneur nommŽ George de Springuesfeld, Allemand, et nous fit venir ˆ Nancy le trouver pour nous le donner, o nous demeur‰mes jusques aprs la Toussaints : puis retourn‰mes au Pont ˆ Mousson, o nous demeur‰mes jusques au carme prenant de lÕannŽe suivante 1595 que nous v”nmes ˆ Nancy aux noces de Mr le duc de Bavire et de madame Elisabeth, dernire fille de S. A. de Lorraine, et le suiv”mes en Bavire lorsquÕil ramena sa femme en son pays ; pass‰mes par Luneville, Blamont, Salbourg et Saverne, o Mr le cardinal de Lorraine, lŽgat, et Žvque de Strasbourg, les festoya trois jours : puis ils passrent ˆ Haguenau, de lˆ ˆ Wissembourg o ils furent logŽs chez le commandeur des Teutons, qui tient rang de prince. De lˆ ils allrent ˆ Landau, puis ˆ Spire o le grand prŽv™t de lՎvchŽ, nommŽ Metternich, les festina ; puis ils arrivrent ˆ Heidelberg, reus, logŽs, et dŽfrayŽs par le palatin Frederich Žlecteur, qui avait ŽpousŽ la fille a”nŽe du prince Guillaume dÕOrange. De lˆ nous all‰mes passer au duchŽ de Wurtemberg, et le duc nous vint trouver ˆ une ville de son Etat, nommŽe Neustadt, o il festina le duc de Bavire qui, aprs y avoir sŽjournŽ deux jours, en partit pour aller ˆ Donauwert, auquel lieu, ˆ cause de lÕinondation du Danube, nous fumes contraints de sŽjourner trois jours : et le dernier, comme le duc Žtait dans un bateau pour aller reconna”tre le passage pour le lendemain, un de ses pages de valise [porte-malle] qui Žtait derrire lui, auquel il commanda de tirer un coup de pistolet pour avertir la duchesse devant les fentres de laquelle il passait en bateau, le pistolet faillit de prendre feu, et comme il le voulait rebander, il l‰cha, tuant un vieux seigneur qui Žtait entre le duc et moi, assis sur une mme planche, lequel se nommait Notarft. Nous part”mes le lendemain de Donauwert, et pass‰mes le Danube avec grande difficultŽ, et fžmes deux jours fort mal logŽs pour les dŽtours quÕil nous convint faire : enfin le troisime nous arriv‰mes ˆ un ch‰teau du duc de Bavire nommŽ Isrech, et le lendemain ˆ Landshout qui est la seconde ville de la Bavire : nous y pass‰mes la semaine sainte, o il y eut force pŽnitents. Puis aprs P‰ques, ayant pris congŽ du duc et de la duchesse, nous nous en v”nmes faire notre stage de chanoines ˆ Ingolstadt, o nous trouv‰mes les trois ducs frres du duc Maximilian, qui y Žtaient aux Žtudes ; qui Žtaient le duc Philippe, Žvque de Ratisbonne, qui fut depuis Žvque de Passau et cardinal : le duc Ferdinand, coadjuteur de Cologne, qui depuis en a ŽtŽ Žlecteur : et le duc Albert, plus jeune des enfants du duc Guillaume lors rŽgnant. Nous y continu‰mes peu de temps la rhŽtorique, puis all‰mes ˆ la logique que nous f”mes compendieuse [abrŽgŽe] en trois mois, et de la pass‰mes ˆ la physique, Žtudiant quand et quand [en mme temps] en la sphre.

Nous all‰mes au mois dÕaožt ˆ Munchen, le duc nous ayant priŽs de venir passer la cervaison (quÕils nomment la hirsfaist) avec lui. Nous v”mes le duc Guillaume et la duchesse Madeleine sa femme, et ses deux filles : la princesse Marianne, depuis mariŽe ˆ lÕarchiduc Ferdinand, prŽsentement empereur, et la princesse Madeleine qui, depuis, a ŽtŽ femme du duc de Neubourg et de Juliers. Nous all‰mes ˆ Notre-Dame de Ettinguen, ˆ Wasserbourg, et ˆ Straubynge, qui Žtaient vers le lieu o la chasse se faisait : puis au bout dÕun mois, quÕelle fut finie, nous v”nmes continuer nos Žtudes jusque en octobre que nous quitt‰mes la physique lorsque nous fžmes parvenus aux livres De anima : et parce que nous avions encore sept mois de stage ˆ faire, je me mis ˆ Žtudier en mme temps aux institutes du droit, o jÕemployai une heure de classe, une autre heure aux cas de conscience, une heure aux aphorismes dÕHippocrate, et une heure aux Žthiques et politiques dÕAristote ; auxquelles Žtudes je mÕoccupai de telle sorte que mon gouverneur Žtait contraint de temps en temps de mÕen retirer pour me divertir.

1596. Je continuai le reste de cette annŽe-lˆ mes Žtudes, et le commencement de celle de 1596. Mon stage finit ˆ P‰ques, auquel temps mon cousin le baron de Boppart vint aborder en Ingolstadt, sÕen allant en Hongrie : il passa P‰ques avec nous, et le lundi de P‰ques nous nous embarqu‰mes avec lui sur le Danube et all‰mes ˆ Regensburg ; il en partit le lendemain, et nous all‰mes trouver Mr le cardinal de Bavire qui Žtait Žvque de Ratisbonne, lequel nous logea en son palais, et nous y retint trois jours, au bout desquels nous pr”mes congŽ de lui et all‰mes ˆ Nuremberg, o nous Žtions lorsque feu mon pre mourut ; de Nuremberg nous rev”nmes par Eichstat ˆ Ingolstadt, o nous demeur‰mes encore prs dÕun mois : et puis, ayant reu les nouvelles de la mort de mon pre, nous all‰mes ˆ Munchen prendre congŽ du duc et de la duchesse de Bavire, et passant par Augsbourg et Ulm, nous rev”nmes ˆ Harouel, trouver notre mre, puis ˆ Nancy faire les funŽrailles de notre pre. Et ayant demeurŽ quelque temps en Lorraine, mon frre et moi part”mes pour aller en Italie, accompagnŽs du sieur de Mallaville, vieux gentilhomme qui nous tenait lieu de gouverneur, de Springuesfeld qui lÕavait prŽcŽdemment ŽtŽ, et dÕun gentilhomme de feu mon pre, nommŽ dÕArandel, et pass‰mes par Strasbourg, Ulm, Augsbourg et Munchen, o nous v”mes le duc et la duchesse, puis par Wasserbourg, Notre Dame dÕEttinguen, Bourghaus et Innsbruck ; de lˆ ˆ Brixen, puis ˆ Trente et ˆ VŽrone, o les comtes Ciro et Alberto de Canossa (dont le dernier, qui avait ŽtŽ nourri page du duc de Bavire, sÕen Žtait revenu avec nous), nous vinrent prendre ˆ lÕh™tellerie, et nous menrent en leur palais, o ils nous firent une grande rŽception et traitement. Le lendemain nous en part”mes pour aller ˆ Mantoue, puis ˆ Bologne, dÕo nous pass‰mes lÕApennin pour arriver ˆ Florence, ayant prŽcŽdemment passŽ par Pratolin, maison de plaisance du grand duc qui Žtait lors ˆ Lambrogiano, lequel nous fit rŽgaler ˆ notre arrivŽe, et nous fit donner des carrosses pour lÕaller trouver le jour dÕaprs ˆ Lambrogiano o nous fumes logŽs et dŽfrayŽs dans le ch‰teau : le lendemain nous lui f”mes la rŽvŽrence, puis ˆ Madame, de qui feu mon pre Žtait grand serviteur ; elle voulut que je la menasse pendant quÕelle se promenait au jardin, o ayant rencontrŽ la princesse Marie, depuis reine de France, elle nous prŽsenta ˆ elle. Aprs d”ner nous part”mes de Lambrogiano et retourn‰mes ˆ Florence, o ayant demeurŽ quatre jours, nous nous achemin‰mes ˆ Rome par Sienne et Viterbo ; et y ayant sŽjournŽ huit jours pour faire nos stations, Žchelle sainte, et autres dŽvotions, et pour y visiter les cardinaux ˆ qui nous avions adresse, nous part”mes pour aller ˆ Naples, passant par Gayette, Capoue, et Aversa. Plusieurs gentilshommes franais et Žtrangers y vinrent avec nous sous la sžretŽ dÕun bien ample passeport qui nous fut donnŽ par le duc de Sessa, ambassadeur dÕEspagne ˆ Rome, lequel (outre quÕil Žtait ami particulier de feu notre pre), avait sŽjournŽ au Pont ˆ Mousson un mois pour attendre la sžretŽ dÕaller en France, pendant que nous y Žtions aux Žtudes, o nous lÕavions souvent visitŽ.

ƒtant arrivŽs ˆ Naples, nous all‰mes faire la rŽvŽrence au vice-roi, nommŽ don Henrique de Gousman, comte dÕOlivares, et lui port‰mes les lettres de recommandation du duc de Sessa, ˆ lÕouverture desquelles ayant appris notre nom, nous demanda si nous Žtions enfants de Mr de Bassompierre, colonel des re”tres en France, qui Žtait venu au secours du duc dÕAlbe en Flandres, envoyŽ par le feu roi Charles : et comme nous lui ežmes dit que nous les Žtions, il nous embrassa avec grande tendresse, nous assurant quÕil avait aimŽ mon pre comme son propre frre, et que cՎtait le plus noble et franc cavalier quÕil eut jamais connu ; quÕil ne nous traiterait pas seulement comme personnes de qualitŽ, mais comme ses propres enfants : ce que vŽritablement il exŽcuta depuis par tous les tŽmoignages dÕaffection et de bonne volontŽ dont il se peut imaginer. JÕappris ˆ monter ˆ cheval sous Jean Baptiste Pignatelle ; mais au bout de deux mois son extrme vieillesse ne lui permettant plus de vaquer soigneusement ˆ nous instruire, et en remettant lÕentier soin ˆ son creat [sous-Žcuyer] Horatio Pintaso, mon frre demeura toujours ˆ son mange ; mais pour moi, je mÕen retirai, et vins ˆ celui de Cesar Mirabbello, qui le tenait proche de la porte de Constantinople. Je fus aussi, la mme annŽe, voir les singularitŽs de Bayes et de Putsolle, et lÕannŽe suivante 1597 mon frre eut la petite vŽrole, et moi ensuite : aprs que nous en fžmes guŽris, nous part”mes de Naples en carme, et rev”nmes ˆ Rome logŽs en un petit palais qui est dans la place de Santa-Trinita, tirant vers les Minimes.

Mr le duc de Luxembourg vint ambassadeur ordinaire du roi vers Sa SaintetŽ.

Sainte-Offange tua Roquemengarde, gentilhomme provenal, et sՎtant retirŽ ˆ notre logis, nous le sauv‰mes dans les Minimes, et de lˆ chez le cardinal Montalte.

Peu de temps aprs P‰ques nous part”mes de Rome pour aller ˆ Florence o nous demeur‰mes ˆ apprendre nos exercices, moi sous Rustico Picardini ˆ monter ˆ cheval, et mon frre sous Lorensin : pour les autres exercices nous ežmes mmes ma”tres, comme messer Agostino pour danser, messer Marquino pour tirer des armes, Julio Parigi pour les fortifications, auxquelles Bernardo de la Girandole quelquefois assistait, et nous enseignait aussi : nous les continu‰mes tout lՎtŽ, et v”mes aussi les ftes de Florence, comme le calcho, le paillo [palio] de la course des chevaux, les comŽdies, et quelques noces dedans et dehors le palais. Puis aprs la Toussaint, je fus ˆ Pratolin porter les premires nouvelles au grand duc de la prise dÕAmiens. De lˆ nous all‰mes par Pistoya, Pise, et Luques ˆ Livorne ; et Žtant revenus ˆ Florence, nous primes congŽ de Leurs Altesses, et nous achemin‰mes ˆ Bologne ; puis par la Romagne, Fayensa, Imola, Forli, Pesaro, Sinigalla et Ancone, nous arriv‰mes la veille de No‘l ˆ Notre Dame de Lorette, et y f”mes la nuit nos p‰ques dans la chapelle : le cardinal Gallo nous fit loger au palais de Lorette nommŽ la Santa Casa, et dŽfrayer aussi ; et le lendemain, jour de No‘l, il me fit tre un des tŽmoins ˆ lÕouverture des troncs des aum™nes, qui montrent ˆ quelque six mille Žcus pour ce quartier dernier de lÕannŽe.

Force gentilshommes franais se rencontrrent aussi ˆ Lorette quand et nous [avec nous], et primes tous ensemble rŽsolution de passer en Hongrie ˆ la guerre devant que de revenir chez nous ; et nous lՎtant entre-promis, nous part”mes le lendemain de No‘l tous ensemble pour nous y acheminer, assavoir : Mrs de Bourlemont et dÕAmblise frres, Mrs de Foucaude et Chaseneuil frres, Mr de Clermont dÕAntragues, Mr le baron de Crapados, et mon frre et moi. Mais comme le naturel des Franais est changeant, ˆ trois journŽes de lˆ quelques uns de ceux qui nÕavaient pas la bourse assez bien fournie pour un si long voyage, ou qui avaient plus dÕenvie de retourner bient™t ˆ la maison, mirent en avant quÕen vain nous allions chercher la guerre si loin, puisque nous lÕavions si prs de nous ; que nous Žtions parmi lÕarmŽe du pape, qui sÕacheminait ˆ la conqute de Ferrare, dŽvolue au pape par la mort du duc Alphonse nouvellement dŽcŽdŽ, que don Cesar dÕEste dŽtenait contre tout droit ; que cette guerre nՎtait pas moins juste et sainte que celle de Hongrie, et Žtait si prochaine que dans huit jours nous serions aux mains avec les ennemis, lˆ o, quand nous irions en Hongrie, les armŽes ne se mettraient en campagne de plus de quatre mois. Ces persuasions prŽvalurent sur nos esprits, et conclžmes que le lendemain nous irions ˆ Forli offrir tous ensemble notre service au cardinal Aldobrandin, lŽgat de lÕarmŽe, et que je porterais la parole au nom de tous ; et lÕexŽcutai au mieux que je pus. Mais le lŽgat nous reut si maigrement, et nous fit si peu de bon accueil, que le soir, ˆ la g”te, nous ne pouvions assez tŽmoigner le ressentiment, et la colre que nous avions de son mŽpris. Alors, feu mon frre commena ˆ dire que vŽritablement nous avions eu ce que nous mŽritions ; que, nՎtant point sujets du pape, ni obligŽs ˆ cette guerre, nous nous Žtions allŽ inconsidŽrŽment offrir dÕassaillir un prince de la maison dÕEste, ˆ qui la France avait tant dÕobligation, qui avaient tous ŽtŽ si courtois aux Žtrangers, principalement aux Franais, et si proches parents non seulement des rois de France dont ils Žtaient sortis par filles, mais aussi de Mrs de Nemours, et de Guise ; et que, si nous valions quelque chose, nous irions offrir nos vies et notre service au secours de ce pauvre prince que lÕon voulait injustement spolier dÕun Etat possŽdŽ par une si longue suite dÕanctres. Ces mots finis, il nÕeut pas seulement lÕapprobation de tout le reste de la compagnie, mais encore une ferme rŽsolution dÕaller ds le lendemain droit ˆ Ferrare pour nous y jeter. Ce que jÕai voulu reprŽsenter ici, premirement pour faire conna”tre lÕesprit volage et inconstant des Franais, et puis ensuite que la fortune est la plupart du temps ma”tresse et directrice de nos actions, puisque nous qui avions fait dessein de donner nos premires armes contre les Turcs, les port‰mes contre le pape.

Ainsi nous arriv‰mes la veille du jour de lÕan 1598 ˆ Bologne, o nous trouv‰mes le chevalier Verdelli et quelques autres, qui se joignirent ˆ nous pour aller ˆ Ferrare, et part”mes le 2e pour arriver le 3e ˆ Ferrare, o nous fumes logŽs et reus chez le duc avec toute sorte dÕhonneur et de bonne chre. Nous y trouv‰mes, dŽjˆ arrivŽ, Mr le comte de Sommerive, second fils de Mr le duc du Maine, et quelques autres gentilshommes franais qui sՎtaient venus offrir ˆ don Cesar. Mais il Žtait si peu rŽsolu ˆ la guerre, quÕil nous parlait continuellement du peu de moyen quÕil avait de la faire ; quÕil nÕavait point trouvŽ dÕargent aux coffres du feu duc ; que le roi dÕEspagne sՎtait dŽjˆ dŽclarŽ pour le pape, et que le roi, ˆ son avis, en ferait de mme ; que les VŽnitiens qui le portaient ˆ la guerre, ne le voulaient secourir ouvertement, et que ce quÕils lui promettaient sous main Žtait peu de chose. Enfin le jour des Rois, comme il entra avec une grande troupe de seigneurs et gentilshommes pour ou•r la messe en une grande Žglise prochaine du palais, tous les prtres, nous voyant arriver, quittrent les autels sans achever les messes quÕils avaient commencŽes, et se retirrent de devant nous comme devant des excommuniŽs. Cela acheva de perdre le dessein peu rŽsolu de don Cesar de conserver Ferrare, et ds lÕaprs d”nŽe fit partir la duchesse dÕUrbin, sĻur du feu duc Alfonse, pour aller traiter avec le lŽgat Aldobrandin. Ce que nous autres considŽrant, nous pr”mes le lendemain congŽ de lui pour aller chacun o bon lui sembla.

Mon frre et moi all‰mes coucher le 6e du mois ˆ Rovigo, et le lendemain ˆ Padoue, o nous trouv‰mes Mr de Tilly qui y faisait ses exercices, lequel nous donna le lendemain ˆ d”ner, et le jour suivant sÕen vint avec nous ˆ Venise, o nous sŽjourn‰mes huit jours. Puis Žtant revenus ˆ Padoue, nous pr”mes notre chemin par Mantoue et Pavie droit ˆ Gnes o nous achev‰mes de passer le carme-prenant, et o mon frre et moi, tous deux devenus amoureux de la fille du consul des Tudesques, nommŽe Philippine (o nous Žtions logŽs), nous querell‰mes jusques au point dՐtre quelques jours sans nous parler.

Nous fžmes, pendant notre sŽjour ˆ Gnes, priŽs par les marquis Ambroise et Federic Spinola aux noces de leur sĻur quÕils mariaient au prince du Bourg de Valdetare, de la maison de Candi, ce quÕils firent en notre endroit, portŽs (ˆ mon avis), par la prire du sieur Manfredo Ravasguieri, ˆ qui Mr le comte de Fiesque nous avait recommandŽs.

Nous part”mes de Gnes le premier jeudi de carme, et passant par Tortone, nous arriv”mes le samedi dÕaprs ˆ Milan. Le lendemain nous fžmes priŽs ˆ d”ner par les marquis de Marine, cousins du comte de Fiesque, qui nous firent un magnifique festin, au partir duquel ils nous menrent voir les plus remarquables Žglises, et autres lieux de la ville ; et le lendemain nous ežmes permission dÕentrer au ch‰teau, auquel le castellan nous fit une collation avec beaucoup de compliments.

Nous part”mes de Milan aprs y avoir sŽjournŽ quatre jours, avec le chevalier Verdelli, et lÕambassadeur dÕEspagne en Suisse, nommŽ Alfonse Casal. Nous pass‰mes ˆ Come, puis ˆ Lugano et ˆ Bellinzona ; de lˆ nous mont‰mes le Saint-Gothard par un fort mauvais temps, et v”nmes coucher ˆ Altdorf. Le lendemain nous nous m”mes sur le lac de Wallestat et de Lucerne, et arriv”mes le soir ˆ Lucerne, o lÕambassadeur Alfonse Casal nous voulut traiter et loger. Nous en part”mes le lendemain, et en deux jours nous v”nmes ˆ Basle ; puis ˆ Tanne, ˆ Remiremont, et ˆ Epinal chez notre tante, o nous fžmes jusques aprs P‰ques, que, ma mre retournant de France, nous la fžmes trouver ˆ Harouel, o aprs y avoir demeurŽ quelques jours, nous fžmes ˆ Nancy.

 

Septembre. Ń Les dŽputŽs du duc de Clves vinrent peu aprs demander madame Antoinette, seconde fille du duc de Lorraine, en mariage, et portrent au duc de Bar une procuration pour lՎpouser en son nom ; aprs quoi ils lÕemmenrent ˆ DŸsseldorf. Puis en septembre, Mr lÕarchiduc Albert sÕen allant en Italie, pour de lˆ, sÕaller marier en Espagne avec lÕinfante, Mr de Vaudemont lÕalla trouver sur le chemin ˆ Valdrevange : mon frre et moi lÕaccompagn‰mes, et don Diegue dÕIvvarra, qui faisait prs de lui lÕoffice de majordome major, nous ayant menŽs ˆ sa chambre aprs que Mr de Vaudemont se fžt retirŽ, il nous fit beaucoup de bon accueil, disant que notre nom et notre maison lui Žtaient chers et ˆ toute la sienne.

Voyage en France

Au retour de ce petit voyage, nous nous prŽpar‰mes pour celui de France, ayant prŽcŽdemment ŽtŽ ˆ Luxembourg pour en avoir permission de Mr le comte Peter Ernest de Mansfeld, notre tuteur honoraire, qui nous la donna fort malaisŽment, parce quÕil voulait que nous nous missions au service du roi catholique ; et ce fut ˆ condition quÕaprs que nous aurions ŽtŽ quelque temps ˆ la cour du roi, et en Normandie (o ma mre lui fit croire que nous avions quelques affaires), que nous passerions de lˆ en la cour dÕEspagne, et que nous ne nous embarquerions en lÕune ni en lÕautre jusques aprs notre retour de toutes les deux : il nous fit promettre de plus, que quand nous voudrions faire ce choix, que nous suivrions lÕavis qui nous serait donnŽ sur ce sujet par nos principaux parents et amis.

 

Octobre. Ń Nous part”mes donc de Harouel, mon frre et moi, avec ma mre et mes deux sĻurs, en fort bel Žquipage, le lendemain de la Saint-Franois, le 5e jour dÕoctobre de la mme annŽe 1598 ; et passant par Toul, Ligny, Saint-Dizier, Vittri, Fere Champenoise, Provins, et Nangis, nous arriv”mes ˆ Paris le 12e du mme mois dÕoctobre, et v”nmes loger ˆ lÕh™tel de Montlor, en la rue de Saint-Thomas du Louvre.

Le roi Žtait pour lors ˆ Monceaux avec une grande maladie, de laquelle il fut en grand danger. Il nÕy avait prs de lui, de la connaissance de ma mre, que Mr de Schomberg, pre du marŽchal, auquel elle Žcrivit pour savoir quand nous pourrions faire la rŽvŽrence ˆ Sa MajestŽ ; il lui rŽpondit quÕil nՎtait pas ˆ propos dÕy penser seulement, en lՎtat o le roi Žtait ; et quÕil lui conseillait de nous retenir ˆ Paris jusques ˆ ce que, Sa MajestŽ y venant, nous puissions recevoir cet honneur. Nous surs”mes donc ; et cependant nous f”mes la cour ˆ Madame, sa sĻur, qui Žtait destinŽe duchesse de Bar, et tout Žtait ds lors conclu. Elle eut dessein de me faire Žpouser Mlle Catherine de Rohan, afin de lÕarrter prs dÕelle en Lorraine o jÕavais quelque bien : mais mon inclination nՎtait pas lors au mariage.

Plusieurs des amis de feu mon pre, ou des parents de ma mre, nous vinrent voir ; comme Dunes, Chanvallon, le marŽchal de Brissac, Mrs de Saint-Luc frres ; mais plus particulirement que personne, Mr le comte de Gramont, qui, en ce temps-lˆ, recherchait ma sĻur a”nŽe : et advint quÕun jour que le roi commenait ˆ se mieux porter, Mr le Grand, qui Žtait premier gentilhomme de la chambre, vint faire un tour ˆ Paris, et Mr de Gramont lÕayant su, me vint prendre pour me mener le saluer : mais comme il Žtait allŽ chez Pregontat se baigner, je ne pus exŽcuter mon dessein que le lendemain matin. Sa courtoisie ordinaire le porta ˆ me faire plus de compliments que je ne mŽritais, et me pressa de demeurer ˆ d”ner chez lui, o les plus galants de la cour Žtaient conviŽs. Pendant le d”ner, ils proposrent de faire un ballet pour rŽjouir le roi, et lÕaller danser ˆ Monceaux ; ˆ quoi chacun sՎtant accordŽ, quelques-uns de la compagnie furent des danseurs, et dÕautres quÕils choisirent, qui nՎtaient pas prŽsents. Ils me dirent quÕil fallait que jÕen fusse ; ˆ quoi je tŽmoignai un passionnŽ dŽsir : mais nÕayant point encore fait la rŽvŽrence au roi, il me semblait que je ne le devais pas entreprendre. Mr de Joinville dit lors : Ē Cela ne vous en doit point empcher ; car nous arriverons de bonne heure ˆ Monceaux : vous ferez la rŽvŽrence au roi, et le soir, aprs, nous danserons le ballet. Č De sorte que je lÕappris avec onze autres, qui Žtaient Mrs le comte dÕAuvergne, de Joinville, de Sommerive, le Grand, Gramont, Termes, le jeune Schomberg, Saint-Luc, Pompignan, Messillac, et Maugeron : ce que jÕai voulu nommer, parce que cՎtait une Žlite de gens qui Žtaient lors si beaux et si bien faits, quÕil nՎtait pas possible de plus. Ils reprŽsentaient des barbiers, pour se moquer, ˆ mon avis, du roi, quÕune carnositŽ, quÕil avait lors, avait mis entre les mains de gens de ce mŽtier, pour sÕen faire panser.

Aprs que nous ežmes appris le ballet, nous nous achemin‰mes ˆ Monceaux pour le danser. Mais comme le roi fut averti que nous y allions, il envoya par les chemins nous dire que, nÕayant point de couvert pour nous loger ˆ Monceaux, qui nՎtait, en ce temps lˆ, gure logeable, nous nous devions arrter ˆ Meaux, o il enverrait le soir mme six carrosses pour amener avec nous tout lՎquipage du ballet. Par ainsi je fus frustrŽ de mon attente de le saluer avant ledit ballet. Nous nous habill‰mes donc ˆ Meaux, et nous m”mes avec la musique, pages, et violons, dans les carrosses qui nous avaient menŽs, ou que le roi nous envoya, et dans‰mes ledit ballet, aprs quoi, comme nous ™t‰mes nos masques, le roi se leva, vint parmi nous, et demanda o Žtait Bassompierre. Alors tous ces princes et seigneurs me prŽsentrent ˆ lui pour lui embrasser les genoux : il me fit beaucoup de caresses, et nÕeusse jamais cru quÕun si grand roi ežt eu tant de bontŽ et de privautŽ vers un jeune homme de ma sorte. Il me prit, puis aprs, par la main, et me vint prŽsenter ˆ madame la duchesse de Beaufort, sa ma”tresse, ˆ qui je baisai la robe ; et le roi, afin de me donner moyen de la saluer et baiser, sÕen alla dÕun autre c™tŽ.

Nous demeur‰mes jusques ˆ une heure aprs minuit ˆ Monceaux, et puis nous en rev”nmes coucher ˆ Meaux, et le lendemain ˆ Paris.

Madame la duchesse eut congŽ du roi pour venir ˆ Paris le voir danser encore une fois chez Madame, ˆ lÕh™tel de la reine mre, o il se dansa un jour aprs ; et les douze masques prirent pour danser les branles Mlle de Guise, madame la duchesse, Catherine de Rohan, Mlle de Luce, madame de Villars, de la Pardieu, mes demoiselles de Retz, de Bassompierre, de Haraucourt, dÕAntragues, de la Patriere, et de Mortemer : lesquelles jÕai voulu nommer parce que, quand ces vingt-quatre hommes et dames vinrent ˆ danser les branles, toute lÕassistance fut ravie de voir un choix de si belles gens ; de sorte que, les branles finis, on les fit recommencer encore une autre fois sans que lÕon se quitt‰t : ce que je nÕai jamais vu faire depuis. Madame, sĻur du roi, ne dansa point, parce quÕelle avait un peu de goutte ˆ un pied : mais elle retint lÕassemblŽe depuis dix heures du soir jusques au lendemain quÕil Žtait grand jour.

Le roi, peu de jours aprs, recouvra sa santŽ, et sÕen alla changer dÕair ˆ Saint-Germain, passant par Paris. Il logea au doyennŽ de Saint-Germain o logeait madame la duchesse ; et Žtant ˆ Saint-Germain en Laye, il fit baptiser le dernier fils naturel quÕil avait eu de madite dame la duchesse : il fut nommŽ Alexandre par Madame, sĻur du roi, et Mr le comte de Soissons, qui le tinrent sur les fonts ; et le soir de la cŽrŽmonie on dansa le grand ballet des Etrangers, duquel jՎtais, de la troupe des Indiens.

1599.

 Janvier.Ń Cette annŽe-lˆ finit, et celle de 1599 commena par la cŽrŽmonie de lÕordre du Saint-Esprit, en laquelle furent nommŽs et reus chevaliers Mrs le duc de Ventadour, le marquis de Tresnel, Mr de Chevrieres, le vicomte dÕAuchy, Mrs de Palaiseau, le comte de Choisy, Poyanne et Belin.

Le lendemain arriva Mr le duc de Bar qui venait Žpouser Madame, lequel Mr de Montpensier eut charge dÕaller au-devant, et de lÕamener ˆ Paris : le roi vint au-devant entre Pantin et la Chapelle ; et aprs quÕil lÕežt embrassŽ, il le laissa entre les mains de Mr de Montpensier, et sÕen alla passer le reste du jour ˆ la chasse. Peu de jours aprs il fut mariŽ avec Madame, ˆ Saint-Germain, par Mr lÕarchevque de Rouen, frre b‰tard du roi, lequel fut longtemps avant que de pouvoir tre persuadŽ de faire cet acte, ˆ cause de la religion que Madame professait. Aprs d”ner on dansa le grand bal, auquel je menai Mlle de Longueville.

La cour revint ˆ Paris, et la cour de parlement vint faire remontrance au roi, tendant ˆ ne vŽrifier lՎdit de Nantes en faveur de ceux de la religion, auxquels le roi rŽpondit en fort bons termes : jÕy Žtais prŽsent.

 

FŽvrier. Ń Sa MajestŽ sÕen alla de lˆ faire un tour ˆ Fontainebleau pendant la foire de Saint-Germain, pour ordonner les b‰timents quÕil voulait y tre faits au renouveau [printemps] ; pendant lÕabsence duquel il se fit ce dŽsordre dans la foire, de plusieurs princes contre Mr le Grand, o Mr de Chevreuse se brouilla avec Termes : nous accompagn‰mes Mr le Grand au retour ; et nous rencontr‰mes avec eux en la rue de Bussy, sans que les uns ni les autres fissent autre chose que se morguer. Mr de Montpensier arrta Termes en son h™tel, et Mr le Grand Žtant revenu au sien avec force seigneurs, Mr dÕEsguillon y vint sur la minuit offrir ˆ Mr le Grand, sÕil voulait mener son frre sur le prŽ, quÕil y mnerait Mr de Joinville, et quÕils auraient affaire ensemble. Il rŽpondit que son frre Žtait entre les mains de Mr de Montpensier, et quÕil Žtait serviteur de Mr de Joinville et le sien, nՎtant pas en Žtat de lui en dire davantage. Cette brouillerie fit revenir le roi de Fontainebleau, qui accommoda le tout, retenant nŽanmoins Mr de Termes en arrt jusques aprs le partement de Madame, qui sÕen alla le jeudi deuxime jour de carme. Le roi fut ce jour-lˆ ˆ la chasse, et de lˆ coucher ˆ Fresne, o madame la duchesse se trouva, et alla le lendemain d”ner ˆ Monceaux, o le lendemain Madame arriva ˆ d”ner, ˆ qui il fit un superbe festin, et puis lÕalla accompagner jusques ˆ Jouarre, dÕo elle partit le lendemain, accompagnŽe de Mrs de Montpensier et de Nemours qui la menrent jusques ˆ Chalons.

Aprs le partement de Madame, le roi alla passer son carme ˆ Fontainebleau, et la plupart de la cour vint passer par Paris, et y fit quelque sŽjour. Madame de Retz y revint de Noisy un soir, et Mr le duc de Joyeuse mÕamena avec lui au-devant dÕelle : lui et moi nous m”mes dans son carrosse, et rev”nmes avec elle descendre ˆ lÕh™tel de Retz, o nous y f”mes collation, et nous en retir‰mes sur le minuit. Il fut tout ce jour de la meilleure compagnie du monde. Je lui donnai le bon soir ˆ la porte derrire de son logis quÕil ne fit que traverser, et sÕen alla rendre aux Capucins, o il y a fini saintement ses jours. Le lendemain matin le pre Archange, capucin qui prchait ˆ Saint-Germain, le dit en son sermon, o jՎtais sur le jubŽ avec Mrs de Montpensier, dÕEpernon, et le Grand, qui nÕen furent pas plus ŽtonnŽs que moi, mais plus affligŽs, encore que je le fusse bien fort ; car jÕhonorais particulirement ce seigneur-lˆ.

Je mÕen allai deux jours aprs ˆ Fontainebleau, o un jour, comme on eut dit au roi que jÕavais de belles portugaises et autres grandes pices dÕor, il me demanda si je les voulais jouer au cent contre sa ma”tresse ; ˆ quoi mՎtant accordŽ, il me faisait demeurer prs dÕelle ˆ jouer, pendant quÕil Žtait ˆ la chasse, et le soir il prenait son jeu. Cela me donna grande privautŽ avec le roi et elle : lequel un jour mÕayant mis en discours de ce qui mÕavait conviŽ de venir en France, je lui avouai franchement que je nÕy Žtais point venu ˆ dessein de mÕembarquer ˆ son service, mais seulement dÕy passer quelque temps, et de lˆ en aller faire autant en la cour dÕEspagne, avant que de faire aucune rŽsolution de la conduite et visŽe de ma fortune ; mais quÕil mÕavait tellement charmŽ, que, sans aller plus loin chercher ma”tre, sÕil voulait de mon service, je mÕy vouais jusques ˆ la mort. Alors il mÕembrassa, et mÕassura que je nÕeusse su trouver un meilleur ma”tre que lui, qui mÕaffectionn‰t plus, ni qui contribu‰t plus ˆ ma bonne fortune et ˆ mon avancement. Ce fut un mardi de mars, que je me compte depuis ce temps-lˆ franais, et puis dire que depuis ce temps-lˆ jÕai trouvŽ en lui tant de bontŽ, de familiaritŽ, et de tŽmoignages de bonne volontŽ, que sa mŽmoire sera, le reste de mes jours, profondŽment gravŽe dans mon cĻur.

Avril.Ń La semaine sainte arriva, qui me fit demander congŽ au roi dÕaller faire mes p‰ques ˆ Paris ; lequel me dit que je mÕen viendrais le mardi avec lui ˆ Melun, o il allait conduire sa ma”tresse, qui les voulait aussi faire ˆ Paris. Comme nous fžmes le soir ˆ Melun, le roi mÕenvoya appeler comme il soupait, et me dit : Ē Bassompierre, ma ma”tresse vous veut demain amener avec elle dans son bateau ˆ Paris : vous jouerez ensemble par les chemins. Č Il la vint le lendemain conduire jusques ˆ ce quÕelle sÕembarqua, et me fit mettre avec elle, qui vint aborder proche de lÕArsenal, o le marŽchal de Balagni et le marquis de CĻuvres, qui lÕattendaient, lÕaidrent ˆ sortir, et la menrent au prochain logis de lÕArsenal, o demeurait madame la marŽchale de Balagni sa sĻur. Lˆ, la vinrent trouver madame et mademoiselle de Guise, madame de Retz et ses filles, et quelques autres dames, qui lÕaccompagnrent aux tŽnbres au petit Saint-Antoine, o la musique des tŽnbres Žtait excellente, puis la conduisirent ˆ son logis du doyennŽ Saint-Germain. Elle pria Mlle de Guise de demeurer auprs dÕelle : mais une heure aprs, lui ayant pris une grande convulsion dont elle revint, comme elle voulut commencer une lettre quÕelle Žcrivait au roi, la seconde convulsion lui prit si violente, quÕelle ne revint depuis plus ˆ elle. Elle dura en cet Žtat la toute la nuit et le lendemain, quÕelle accoucha dÕun enfant mort ; et le vendredi-saint, ˆ six heures du matin, elle expira. Je la vis en cet Žtat le jeudi aprs midi, tellement changŽe quÕelle nՎtait pas reconnaissable.

Le vendredi-saint, comme nous Žtions au sermon de la passion ˆ Saint-Germain de lÕAuxerrois, la Varrenne vint dire au marŽchal dÕOrnano que madame la duchesse venait de mourir, et quÕil Žtait ˆ propos dÕempcher le roi de venir ˆ Paris, lequel sÕy acheminait en diligence, et quÕil le suppliait dÕaller au-devant de lui pour lÕen divertir. JՎtais auprs dudit marŽchal au sermon, lequel me pria dÕy venir avec lui : ce que je fis, et trouv‰mes le roi par delˆ la Saussaye, proche de Villejuive, qui venait sur des courtauds ˆ toute bride. Lors quÕil vit monsieur le marŽchal, il se douta quÕil lui en venait dire la nouvelle ; ce qui lui fit faire de grandes lamentations. Enfin on le fit descendre dans lÕabbaye de la Saussaye, o on le mit sur un lit. Il tŽmoigna tout lÕexcs du dŽplaisir qui se peut reprŽsenter. Enfin, Žtant venu un carrosse de Paris, on le mit dedans pour sÕen retourner ˆ Fontainebleau, tous les principaux des princes et seigneurs Žtant accourus le trouver : nous all‰mes donc avec lui ˆ Fontainebleau, et comme il fut en cette grande salle de la cheminŽe, o il monta dÕabord, il pria toute la compagnie de sÕen retourner ˆ Paris prier Dieu pour sa consolation. Il retint prs de lui Mr le Grand, le comte du Lude, Termes, Castelnau de Chalosse, Montglat et Frontenac ; et comme je mÕen allais avec tous ceux quÕil avait licenciŽs, il me dit : Ē Bassompierre, vous avez ŽtŽ le dernier auprs de ma ma”tresse ; demeurez aussi auprs de moi pour mÕen entretenir. Č De sorte que je demeurai aussi, et fžmes huit ou dix jours sans que la compagnie se gross”t, sinon de quelques ambassadeurs qui se venaient condoloir avec lui, et puis sÕen retournaient aussit™t.

Mais peu de jours se passrent sans quÕil commen‰t une nouvelle pratique dÕamour avec Mlle dÕAntragues vers laquelle il dŽpcha souvent le comte du Lude et Castelnau. Enfin madame dÕAntragues vint se tenir ˆ Malerbes, et chacun dit au roi quÕil fallait que, pour passer son ennui, il sÕall‰t divertir : il y alla donc, et en fut fort amoureux. Nous nՎtions que dix ou douze avec lui, mangeant dÕordinaire ˆ sa table, logŽs dans le mme ch‰teau.

 

Mai. Ń Nous all‰mes de lˆ au Hallier, et madame dÕAntragues ˆ Chemaut, o le roi allait ˆ toute heure. Le roi eut au Hallier une grande prise avec Mr le comte dÕAuvergne, en prŽsence de Sainte-Marie du Mont et de moi, dans la galerie ; et il sÕen alla de lˆ (juin) ˆ Ch‰teauneuf, les dames sÕen retournant ˆ Paris.

De Ch‰teauneuf nous v”nmes la veille de la Saint-Jean ˆ OrlŽans, o Žtait madame la marŽchale de la Chastre, et ses deux filles, de Senetere et de la Chastre, qui Žtaient bien belles : mais le roi, le lendemain de la Saint-Jean, partit en poste, et sÕen vint ˆ Paris loger chez Gondi, parce que madame dÕAntragues logeait ˆ lÕh™tel de Lyon. Nous y demeur‰mes quelques jours : mais enfin, sur un dŽsordre qui arriva au comte du Lude allant trouver Mlle dÕAntragues de la part du roi, que son pre et son frre firent rumeur, et lÕemmenrent le lendemain ˆ Marcoussis : le roi alla un matin ˆ Marcoussis en sÕen retournant en poste ˆ Blois, o nous ne fžmes gure sans revenir ˆ Paris ; dÕo le roi revint en un jour en poste, courant ˆ neuf chevaux, dont jՎtais de la troupe.

 

Juillet. Ń Il vint loger chez le prŽsident de Verdun, o nous soup‰mes, puis couch‰mes le roi, et nous m”mes ˆ jouer aux dŽs, Mr de Roquelaure, Marcilly, Žcuyer du roi, et moi. Nous ou•mes peu aprs crier le roi quÕon v”nt ˆ lui, et Žtait sorti de sa chambre. Nous y accouržmes, et trouv‰mes quÕil disputait la porte de sa chambre avec Berringuen quÕil y avait enfermŽ, ˆ qui le sens Žtait tournŽ par le soleil ardent qui lui avait donnŽ sur la tte le jour, en venant en poste avec le roi. Nous retir‰mes Berringuen de lˆ, et Mr de Roquelaure coucha en la chambre du roi au lieu de lui.

Le roi nÕavait point dՎquipage en ce voyage, et d”nait chez un prŽsident, soupait chez un prince ou un seigneur, selon ce quÕil leur envoyait mander. Il ne possŽdait pas encore Mlle dÕAntragues, et couchait parfois avec une belle garce nommŽe la Glaude. Il advint quÕun soir aprs souper de chez Mr dÕElbeuf, le roi sÕen vint coucher chez Zamet avec cette garce, et comme nous lÕežmes dŽshabillŽ, ainsi que nous nous voulions mettre dans le carrosse du roi, qui nous ramenait en nos logis, Mrs de Joinville, et le Grand, eurent querelle sur quelque chose que ce premier prŽtendit que Mr le Grand ežt dit au roi, de Mlle dÕAntragues et de lui ; de sorte que Mr le Grand fut blessŽ ˆ la fesse, le vidame du Mans reut un coup ˆ travers du corps, et la Rivire un coup dans les reins. Aprs que Mr de Praslain ežt fait fermer les portes du logis, et que Mr de Chevreuse sÕen fžt allŽ, ils me prirent dÕaller trouver le roi, et lui conter ce qui sՎtait passŽ ; lequel se leva avec sa robe et son ŽpŽe, et vint sur le degrŽ o ils Žtaient, moi portant le flambeau devant lui. Il se f‰cha extraordinairement, et envoya la nuit mme dire au premier prŽsident quÕil le v”nt trouver le lendemain avec la cour de parlement ; ce quÕils firent sur les neuf heures du matin. Il leur commanda de faire informer de lÕaffaire, et dÕen faire bonne justice ; ce quÕils firent, et firent assigner le comte de Cramail, Barraut, Chaseron, et moi, pour dŽposer du fait : et le roi nous commanda dÕaller rŽpondre aux commissaires, qui Žtaient Mrs de Fleuri, et de Turin, conseillers de la grandÕchambre, ce que nous f”mes : et le procs fut instruit. Mais ˆ lÕinstante prire que monsieur, madame, et mademoiselle de Guise firent au roi, lÕaffaire ne passa pas plus avant ; et deux mois aprs, Mr le connŽtable accorda cette querelle ˆ Conflans.

Le roi, au bout de deux jours, sÕen retourna ˆ Blois, et t™t aprs (aožt) alla ˆ Chenonceau voir la reine Louise qui sÕy tenait lors : il devint un peu amoureux dÕune des filles de la reine, nommŽe la Bourdaisiere. Il sÕen revint passer lՎtŽ ˆ Fontainebleau, allant de fois ˆ autre voir Mlle dÕAntragues ˆ Malesherbes (septembre), o il en jouit ; et sur lÕautomne, Žtant de retour ˆ Paris, il la fit loger (octobre) ˆ lÕh™tel de Larchant.

Il alla aussi en poste ˆ OrlŽans, sur le passage de la reine Louise, qui sÕen allait ˆ Moulins, et il demeura trois jours ˆ OrlŽans avec elle.

En ce mme temps le cardinal Andrea dÕAutriche passa ˆ OrlŽans, qui y fit la rŽvŽrence au roi.

 

Novembre. Ń Sur la fin de lÕautomne le roi vint ˆ Monceaux, dÕo je pris congŽ de lui pour aller en Lorraine traiter avec S.A., afin quÕil me dŽlivr‰t de la caution que feu mon pre Žtait pour lui, de cent cinquante mille Žcus quÕil avait empruntŽs pour le mariage de madame la grand duchesse, sa fille, de laquelle rŽponsion lÕon mÕinquiŽtait ˆ Paris.

 

DŽcembre.Ń Je demeurai six semaines en Lorraine, plut™t pour lÕamour que je portais ˆ Mlle de Bourbonne que pour cette autre affaire.

1600.

Janvier. Ń Enfin je revins la veille des Rois de lÕannŽe 1600. Mr le duc de Savoie Žtant quelques jours auparavant arrivŽ prs du roi, qui Žtait ce soir-lˆ en un grand festin chez Mr de Nemours o le bal se tint ensuite, je lui fus faire la rŽvŽrence, et puis il me prŽsenta ˆ Mr de Savoie, lui disant beaucoup de bien de moi.

Ce soir mme vint la nouvelle de la retraite de Canise, laquelle le roi loua infiniment, et lÕaction de Mr de Mercure. Et Mr le comte de Soissons ayant dit lˆ-dessus quÕil sՎtonnait que Mr de Mercure lÕežt faite : car il ne lÕestimait pas capitaine ; le roi lui repartit ainsi : Ē Et quÕen diriez-vous sÕil ne vous ežt pas pris prisonnier, et dŽfait votre frre ? Č

Trois jours aprs, Mrs dÕAuvergne et de Biron dansrent le ballet des Turcs ; et autant aprs, Mrs de Montpensier, de Guise, et le Grand, dansrent celui des Amoureux, duquel jՎtais : Mr le comte dÕAuvergne, et quelques-uns de nous, dansrent ˆ lÕimproviste celui des Lavandires ; et peu aprs, celui des Nymphes : finalement Mr de Nemours dansa celui des Docteurs gracieux ; nous f”mes aussi quelques ftes ˆ cheval (fŽvrier).

Je fus cet hiver-lˆ chez madame de Senteni, et puis je devins amoureux de la Raverie : le roi le devint aussi de madame de Boinville et de Mlle Clin.

 

Mars. Ń Mr de Savoie partit vers la mi-carme. Le roi le fut conduire ˆ une lieue de Paris, et sÕen alla faire ses p‰ques ˆ Fontainebleau, o peu aprs se fit la confŽrence en la salle des Žtuves sur la vŽrification des articles du livre de Mr du Plessis Mornai contre la messe, o je me trouvai. Mr de Vaudemont lÕy vint trouver.

 

Avril. Ń Je mÕen allai voir ma mre en Lorraine o je ne demeurai que huit jours.

 

Mai. Ń Puis le roi Žtant venu faire ses adieux aux princesses ˆ Paris, son dŽmariement Žtant fait avec la reine Marguerite, et son mariage conclu avec la princesse Marie de MŽdicis, il sÕachemina ˆ Lyon en poste, ayant envoyŽ la cour devant, lÕattendre ˆ Moulins, o il sŽjourna quinze jours auprs de la reine Louise, ˆ cause, principalement, de la Bourdaisiere, quÕil aimait.

En Savoie

Juillet. Ń Enfin nous arriv”mes ˆ Lyon o le roi sŽjourna trois mois, attendant lÕeffet du traitŽ quÕil avait fait avec Mr le duc de Savoie pour la restitution du marquisat de Saluces : enfin il sÕachemina ˆ Grenoble, o il arriva le 14e dÕaožt. JÕen partis le jour mme pour me trouver ˆ la prise de la ville de MontmŽlian, que Mr de CrŽquy pŽtarda dÕun c™tŽ avec son rŽgiment, et Mr de Morges de lÕautre, avec quelques compagnies de celui des gardes. JՎtais avec mon cousin de CrŽquy, lequel fut plus heureux que Morges, parce que son pŽtard lui fit ouverture pour entrer en la ville, et lÕautre ne fit quÕun trou fort petit, de sorte que nos gens furent rompre la porte par laquelle les gardes devaient entrer. Nous f”mes barricade contre le ch‰teau qui nous tira force canonnades. Il y eut quelque dŽsordre entre les troupes que menait Morges, et celles de Mr de CrŽquy, sur un des chevau-lŽgers du roi qui fut tuŽ par un gentilhomme de DauphinŽ, nommŽ Pilon, le prenant pour un ennemi : Mr de CrŽquy ayant apaisŽ la rumeur, il voulut faire remettre lՎpŽe au fourreau ˆ un chevau-lŽger, nommŽ Beuseins, BŽarnais, lequel lui dit quÕil tir‰t lui-mme la sienne ; ce qui renouvela la noise, qui fut enfin apaisŽe par la prudence de Mr de CrŽquy. JÕy demeurai tout le lendemain, et la nuit aussi, pendant laquelle nous all‰mes donner une alarme ˆ ceux du ch‰teau, sondant leur fossŽ. Ils nous tirrent extrmement et de mousquetades et de coups de canon : et comme les autres se fussent retirŽs par dessous la barricade par o ils Žtaient entrŽs, jÕen perdis la piste ; de sorte que je fus plus dÕune heure ˆ la merci du feu du ch‰teau, ˆ vingt pas du fossŽ. Enfin Mr de CrŽquy, en peine de moi, envoya un sergent me chercher, que je fus bien aise de trouver, et plus encore le trou de la sortie.

Je mÕen revins le soir dÕaprs trouver Mr de Grillon, qui menait le rŽgiment des gardes ˆ Chambery, o la nuit mme nous gagn‰mes les faubourgs, et perant les maisons, v”nmes jusques contre la porte de la ville. Le roi y vint le lendemain ˆ six heures du matin, et ayant fait sommer la ville, Mr de Jacob, qui en Žtait gouverneur, vint parler de dessus la muraille ˆ Mr de Villeroy, avec lequel il capitula que, si dans trois jours il nՎtait secouru, il rendrait au roi la ville et le ch‰teau de Chambery, et que cependant le roi pourrait sÕapprocher jusques sur le fossŽ, et y planter mme ses batteries. Le roi nÕavait que son seul rŽgiment des gardes, qui nՎtait pas de quinze cents hommes, trois compagnies suisses, et le rŽgiment de CrŽquy avec quelque quatre cents chevaux : et il fallait assiŽger ChambŽry et MontmŽlian tout ˆ la fois et sÕopposer aux ennemis ; et si mauvais Žquipage de lÕartillerie quÕaux quatre canons quÕil avait tirŽs du fort de Baraut, il commit Vignoles, Termes, Constenant, et moi, commissaires pour en exŽcuter chacun un, ce que nous f”mes ˆ lÕenvi lÕun de lÕautre ; mais ce fut en vain, car le jour venu, le roi entra ˆ ChambŽry.

Le lendemain ˆ la pointe du jour, Mr des Diguires [Lesdiguires] (que le roi avait fait lieutenant gŽnŽral en son armŽe), partit avec tout ce quÕil put emmener de force et tous nous autres volontaires qui Žtions avec le roi, au nombre de dix ou douze ; et passant ˆ la merci des canonnades de MontmŽlian et de Miolans, v”nmes repa”tre ˆ Saint-Pierre dÕAlbigny, puis attaquer une escarmouche ˆ Conflans, et passer plus dÕune lieue au-delˆ, pensant y trouver Albigny logŽ avec les troupes de Mr de Savoie : mais il en Žtait parti le matin ; de sorte quÕil nous fallut retourner ˆ Saint-Pierre dÕAlbigny, o nous ne pžmes arriver quՈ trois heures aprs minuit, ayant ŽtŽ vingt et quatre heures ˆ cheval par un chaud excessif.

Le lendemain Mr Lesdiguires fit sommer Miolans, qui se rendit, et ne voulut point investir ce jour-lˆ Conflans, tant pour la traite du jour prŽcŽdent, que parce que cՎtait la fte de Saint-BarthŽlemy, jour funeste ˆ ceux de la religion. Mais le lendemain matin il sÕy achemina avec trois compagnies du rŽgiment des gardes, et sept de celui de CrŽquy avec quelque cavalerie. Les gardes avaient lÕavant-garde, et se h‰trent de devancer le rŽgiment de CrŽquy, comme ils firent ; et firent leurs approches par le bas de la place, dans le faubourg que ceux de la ville avaient bržlŽ deux jours auparavant, lorsque nous paržmes devant la ville : mais peu aprs sÕy tre logŽs, Žtant vus et battus par derrire, dÕune maison plate o il y avait quarante mousquetaires, ˆ la premire sortie que firent ceux de Conflans, un quart dÕheure aprs, ils rembarrrent les gardes jusques au bas de la montagne. Alors parut le rŽgiment de CrŽquy, qui revint prendre avec eux le premier logement. Ceux des gardes, au d”ner de Mr Desdiguieres vinrent demander un des deux canons destinŽs pour battre la place, afin de forcer cette maison plate qui leur incommodait si fort leur logement. Alors Mr de CrŽquy, qui Žtait piquŽ de ce que les gardes ne lÕavaient pas attendu pour donner ensemble ˆ leur gauche ˆ lÕinvestissement, offrit ˆ Mr Desdiguieres de la prendre sans canon, qui le prit au mot ; et lÕaprs-d”nŽe Mr Desdiguieres sÕen vint de lÕautre c™tŽ de lÕIsre, vis ˆ vis de la dite maison, pour en voir lՎbattement. Un pŽtardier, nommŽ Bourquet, attacha un pŽtard ˆ la porte, qui fit plus de bruit que de mal ; mais il y avait une grange tenant ˆ la maison, que lÕon sapa, et puis on y mit le feu, qui les contraignit de se rendre ˆ misŽricorde : et Mr de CrŽquy les amena tous liŽs ˆ Mr Desdiguieres, qui puis aprs alla par en haut lui sixime (dont jՎtais lÕun), reconna”tre le lieu o il logerait sa batterie ; et Žtant sur le haut, un des capitaines du rŽgiment de CrŽquy, qui Žtait un de ces six, nommŽ la Couronne, parlant avec moi, reut une mousquetade de la ville, qui lui rompit la cuisse. Mr Desdiguieres nous montra o il ferait sa batterie, que nous tenions un lieu inaccessible pour le canon ; mais il nous dit : Ē Demain ˆ dix heures mes deux canons seront montŽs, si je puis gagner ce soir quarante Žcus ˆ Mr de Bassompierre, pour en donner vingt aux Suisses, et vingt aux Franais qui la monteront. Č Ce quÕil fit, ayant premirement fait mener ses canons, munitions, gabions, et plateformes, au pied de la montagne, si droite quՈ peine un homme y pouvait monter ˆ pied, et fit creuser des loges pour tenir ceux qui serviraient ˆ guinder [hisser] les canons ; qui Žtaient comme des marches o ils se pouvaient tenir, et mit, en montant, cinquante Suisses dÕun c™tŽ, et cinquante Franais de lÕautre, avec des c‰bles ; et avait dÕespace en espace, en montant, fait faire des relais pour reposer le canon, et donner loisir aux Franais et Suisses de remonter aux marches plus hautes : et ainsi ayant premirement fait guinder les gabions, puis les plateformes, les munitions et les affžts, finalement monta les canons avec une diligence incroyable, et dont nous nÕavions encore vu en France lÕexpŽrience. La batterie fut prte ˆ onze heures, et on commena ˆ battre le derrire du ch‰teau, qui est au haut de la ville, contre lÕattente des assiŽgŽs, qui ne se fussent jamais doutŽs que lÕon les ežt pris par lˆ. Le roi arriva ˆ la batterie sur les deux heures aprs midi, comme nous nous Žtions prŽparŽs pour aller ˆ lÕassaut ; ce quÕil ne voulut permettre, et renvoya quŽrir par Perne, exempt de ses gardes, huit ou dix volontaires, qui Žtions prts ˆ donner : et en mme temps ceux de la ville firent une chamade pour se rendre ; et sortirent deux heures aprs, avec honorable capitulation, mille trente soldats commandŽs par un marquis de Versoy, baron de Vatteville, et nous nՎtions pas tant ˆ les assiŽger.

Le roi partit le lendemain, et vint coucher ˆ Saint-Pierre dÕAlbigny. Le jour dÕaprs il d”na au ch‰teau de Miolans. Il trouva dedans cinq prisonniers que Mr de Savoie y tenait depuis longues annŽes, qui ne pouvaient endurer la clartŽ du jour en sortant : il donna la libertŽ ˆ quatre, et le cinquime ayant ŽtŽ reconnu pour avoir fait de grandes mŽchancetŽs en France, fut envoyŽ ˆ Lyon, o peu de jours aprs il fut mis sur une roue. De lˆ le roi vint coucher ˆ Chamoux pour faire le sige de Charbonnieres que Mr de Grillon avait dŽjˆ investie. Mr de Sully y amena force canons, quÕil fit guinder ˆ lÕexemple de Mr des Diguieres, et le mme jour quÕil fut en batterie, le ch‰teau se rendit (septembre). Nous fžmes douze jours ˆ ce sige, au bout desquels, et aprs la prise de Charbonnieres, le roi sÕen alla ˆ Grenoble.

Je mÕen voulus aller avec Mr des Diguieres en la vallŽe de Maurienne quÕil allait conquŽrir ; mais le roi me commanda de le suivre. Il vint coucher ˆ la Rochette, et le lendemain d”ner ˆ Grenoble ; dÕo, ayant su que madame de Verneuil arrivait ˆ Saint-AndrŽ de la C™te, il partit pour sÕy en aller, et me fit prter un des chevaux de son Žcurie pour le suivre. Je fis cette traite au trot, dont jՎtais si las quՈ lÕarrivŽe je nÕen pouvais plus. Ė lÕabord le roi et madame de Verneuil se brouillrent, de sorte que le roi sÕen voulut retourner de colre, et me dit : Ē Bassompierre, que lÕon fasse seller nos chevaux pour nous en retourner. Č Je lui dis que je dirais bien que lÕon sell‰t le sien, mais que, quant au mien, je me dŽclarais du parti de madame de Verneuil pour demeurer avec elle : et en mme temps je fis tant dÕallŽes et de venues pour accorder deux personnes qui en avaient bonne envie, que jÕy mis la paix ; et couch‰mes ˆ Saint-AndrŽ. Le lendemain le roi sÕen retourna ˆ Grenoble, y menant madame de Verneuil, et y demeura huit ou dix jours ; puis sÕen revint ˆ ChambŽry o il ne sŽjourna gure quÕil ne sÕen all‰t ˆ Aix (octobre), puis ˆ Nissy o Mr de Nemours le reut fort bien. Il y demeura trois jours, pendant lesquels Mr de Biron le vint trouver, et quitta pour cet effet le sige de Bourg. Nous all‰mes cependant visiter Genve, o nous v”mes Theodore de Bze. Le roi partant de Nissy vint coucher ˆ Faverge, qui fut bržlŽ en partie la mme nuit par lÕinadvertance de la cuisine de la bouche, o le feu se prit. De Faverge le roi alla ˆ Beaufort, et le lendemain vint d”ner au dessus du col de Cormette quÕil voulut reconna”tre, comme une des avenues par laquelle le duc de Savoie pouvait rentrer en son pays. Il sÕen revint coucher ˆ Beaufort, le lendemain ˆ Saint-Pierre dÕAlbigny, et le jour dÕaprs, passant par les batteries de MontmŽlian, il sÕen revint ˆ ChambŽry ; mais il logea en un autre logis que le sien, quÕil avait quittŽ pour le donner ˆ monsieur le lŽgat qui approchait : cՎtait le cardinal Aldobrandin, neveu du pape ClŽment VIIIe, lors sŽant.

Cependant lÕarmŽe du roi croissait infiniment, et tous les princes et seigneurs de France y venaient ˆ lÕenvi. Les batteries commencrent ˆ tirer contre MontmŽlian : mais aprs le premier jour elles cessrent, parce que le comte de Brandis qui en Žtait gouverneur, parlementa, et enfin traita que, si dans un mois la place nՎtait secourue par une armŽe, quÕil la rendrait au roi. Alors monsieur le lŽgat arriva ˆ ChambŽry, qui y fut reu magnifiquement ; et en passant proche de MontmŽlian, on mit lÕarmŽe en bataille, qui faisait montre gŽnŽrale ce jour-lˆ.

Le roi, en mme temps, sÕen alla ˆ Moustiers, parce que le duc de Savoie avait regagnŽ toute cette vallŽe de Saint-Maurice qui est depuis le petit Saint-Bernard jusques au pas du Ciel, qui Žtait gardŽ par les rŽgiments de Navarre et de Chambord.

 

Novembre. Ń Le roi y vint, et y fit attaquer une grande escarmouche, o il fut toujours, pour commander et nous faire retirer, ˆ la merci dÕinfinies mousquetades qui lui furent tirŽes. Il sÕen retourna coucher ˆ Moustiers, et de lˆ vint ˆ ChambŽry par MontmŽlian qui lors lui fut livrŽ, suivant la capitulation prŽcŽdente. Il y trouva monsieur le lŽgat, avec lequel il eut diverses confŽrences sans rien rŽsoudre.

Madame de Verneuil sÕen retourna en France, et le roi alla assiŽger le fort Sainte Catherine ; et aprs quÕil lÕeut pris, il le remit entre les mains de ceux de Genve, qui le rasrent ˆ lÕheure mme (dŽcembre) : dont le lŽgat fut tellement offensŽ, quÕil sÕen voulait retourner tout court, et on eut grand peine de le retenir. Enfin le roi revint sur la fin de lÕannŽe ˆ Lyon, o il trouva la reine qui y avait dŽjˆ fait son entrŽe, et le mme soir consomma son mariage.

Puis quelques jours aprs, monsieur le lŽgat Žtant arrivŽ, il lՎpousa en face dՃglise.

1601.

Janvier.Ń Peu de jours aprs le roi conclut la paix entre Mr de Savoie et lui, au grŽ du lŽgat, duquel il se licencia, et partit une nuit en poste de Lyon pour sÕen revenir ˆ Paris ; et sՎtant embarquŽ sur lÕeau ˆ Roanne, il vint descendre ˆ Briare, ayant appris par le chemin la mort de la reine Louise. De Briare, il vint coucher ˆ Fontainebleau, et [le] lendemain d”na ˆ Villejuive, et passant la Seine au bac des Tuileries sÕen alla coucher ˆ Verneuil, nÕayant que quatre personnes avec lui, dont jՎtais un. Nous demeur‰mes trois jours ˆ Verneuil, puis v”nmes ˆ Paris. Le roi logea chez Montglat, au prieurŽ de Saint-Nicolas du Louvre, o il eut toujours les dames ˆ souper quÕil envoyait convier, et cinq ou six princes, ou de nous qui Žtions venus avec lui.

Enfin la reine arriva ˆ Nemours, et le roi, courant ˆ soixante chevaux de poste, lÕy alla trouver, et la mena ˆ Fontainebleau, o ayant demeurŽ cinq ou six jours, elle arriva ˆ Paris, logŽe chez Gondy. Le mme soir le roi lui prŽsenta madame de Verneuil, ˆ qui elle fit bonne chre. Nous all‰mes la loger chez Zamet, parce que le Louvre nՎtait pas encore apprtŽ. Enfin la reine y vint loger, et le lendemain elle sÕhabilla ˆ la franaise, prenant le deuil de la reine Louise. Nous dans‰mes quelques ballets, et couržmes en camp ouvert sur le pont au Change au carme-prenant.

Je pris congŽ du roi pour aller en Lorraine voir ma mre malade, o je demeurai prs de trois mois, et revins comme madame de Bar et S.A. son beau-pre vinrent en France voir le roi (juin), qui vint au-devant dÕeux ˆ Monceaux quÕil avait peu de jours auparavant donnŽ ˆ la reine, qui fit de grands festins ˆ sa belle-sĻur et ˆ Mr de Lorraine. Ce fut lˆ o jÕou•s un conseil, o le roi me fit demeurer, de peur que je ne mÕen allasse ˆ Paris, parce que je lui gagnais son argent : il demanda si il donnerait quelque chose ˆ madame de Verneuil pour la marier ˆ un prince quÕelle disait la vouloir Žpouser si elle avait encore cent mille Žcus. Mr de Believres dit : Ē Sire, je suis dÕavis que vous donniez cent mille beaux Žcus ˆ cette demoiselle pour lui trouver un bon parti. Č Et comme M. de Sully eut rŽpondu quÕil Žtait bien aisŽ de nommer cent mille beaux Žcus, mais difficile de les trouver, sans le regarder le chancelier rŽpliqua : Ē Sire, je suis dÕavis que vous preniez deux cent mille beaux Žcus, et que vous les donniez ˆ cette damoiselle pour la marier, et trois cent mille ettout [aussi], si ˆ moins il ne se peut, et cÕest mon avis. Č Le roi se repentit depuis de nÕavoir cru et suivi ce conseil.

 

Juillet. Ń De lˆ le roi alla ˆ Verneuil, dÕo il partit ˆ lÕimproviste pour sÕen aller en poste ˆ Calais (aožt). Il me renvoya de Verneuil trouver la reine, et sa sĻur, et S.A., pour leur faire compliment de sa part. Je retourna le trouver ˆ Calais, et pris congŽ de lui pour aller au sige dÕOstende, et quelque temps aprs, Žtant un soir venu trouver le roi ˆ Calais (septembre), je trouvai Mr de Biron prt ˆ sÕembarquer pour aller en Angleterre, qui me dŽbaucha pour lui accompagner.

Nous ne trouv‰mes point la reine ˆ Londres ; elle Žtait en progrs [en voyage] ˆ quarante milles de lˆ en un ch‰teau nommŽ Basin qui appartient au marquis de Vinsester : la reine nous fit recevoir ˆ un autre ch‰teau qui est ˆ une lieue de Basin, nommŽ la Vigne, dÕo lÕon vint prendre Mr de Biron pour le mener ˆ Basin. Il fut fort honorablement reu de la reine, qui vint le lendemain ˆ la chasse avec plus de cinquante dames sur des haquenŽes contre le ch‰teau de la Vigne, et envoya dire ˆ Mr de Biron quÕil v”nt ˆ la chasse. Le lendemain il prit congŽ de la reine, et sÕen revint ˆ Londres, o aprs y avoir sŽjournŽ trois jours, il retourna passer la mer qui le porta ˆ Boulogne, et fžmes contraints de prendre terre au port Saint-Jean, et dÕarriver ˆ minuit ˆ Boulogne ; auquel lieu nous arriva la nouvelle de la naissance de monsieur le dauphin, qui naquit le jour de Saint-Cosme, 27e septembre. Nous nous en rev”nmes en poste trouver le roi ˆ Fontainebleau, o il demeura (octobre) jusques ˆ ce que la reine fut relevŽe de couche (novembre), et puis sÕen revint ˆ Paris, dÕo madame sa sĻur, et Mr de Lorraine, prirent congŽ de lui pour retourner en leur pays (dŽcembre).

Peu aprs fut la brouillerie de madame de Verneuil avec le roi, causŽe sur ce que madame de Villars donna au roi des lettres quÕelle avait Žcrites au prince de Joinville, et lui, lui avait baillŽes. LÕaffaire se raccommoda sur ce que Mr le duc dÕEsguillon amena au roi un clerc de Bigot, qui confessa avoir contrefait ces lettres, et le prince de Joinville fut banni.

1602.

Janvier.Ń JÕallai, peu de jours aprs, voir ma mre en Lorraine, et mÕen revins pour le carme-prenant de lÕannŽe 1602, auquel les Suisses vinrent jurer le renouvellement de lÕalliance.

 

FŽvrier.Ń CrŽquy se battit contre Chambaret. La Bourdaisiere se maria au vicomte dÕEstoges. Nous dans‰mes le ballet des Saisons, et quelques autres.

 

Mars.Ń Le roi alla en carme ˆ Fontainebleau, auquel lieu Laffin le vint trouver ˆ la mi-voye [ˆ la moitiŽ du carme], et lui donna les traitŽs de Mr de Biron avec Espagne et Savoie.

 

Avril. Ń Le roi sÕen alla vers P‰ques ˆ Blois, puis ˆ Tours, et de lˆ ˆ Poitiers (mai), pour donner ordre aux affaires du Poitou.

 

Juin. Ń De lˆ nous v”nmes passer la Fte-Dieu ˆ Blois ; puis ˆ OrlŽans, o le comte dÕAuvergne vint trouver le roi ; de lˆ ˆ Fontainebleau, o Mr de Biron vint un matin. Le roi le pressa longuement, au jardin des pins, de lui dire ce qui Žtait de ses pratiques, et quÕil lui pardonnerait : il en fit de mme lÕaprs-d”ner, le soir, et le lendemain encore ; et sur le soir le roi donna lÕordre pour le prendre, ce qui fut fait en entrant du cabinet du roi en la chambre Saint-Louis, o Vittri lÕarrta. JՎtais dans la chambre, retirŽ ˆ la fentre avec Mr de Montbason, Monglat, et La Guelle. Nous nous approch‰mes, et lors il dit ˆ Mr de Montbason quÕil all‰t de sa part supplier le roi que lÕon ne lui ™t‰t point son ŽpŽe, et puis nous dit : Ē Quel traitement, Messieurs, ˆ un homme qui ˆ servi comme moi ! Č Mr de Montbason lui vint dire que le roi voulait quÕil rendit son ŽpŽe ; il se la laissa ™ter : lors, on le mena avec six gardes en la chambre en ovale, et en mme temps le roi dit au comte dÕAuvergne quÕil pass‰t au petit cabinet de Lomenie, et dit ˆ Mr le Grand, Mr du Maine, et ˆ moi, que nous demeurions auprs de lui. Ė quelque temps de lˆ, il nous renvoya relever par Termes, Gramont, et Monglat, et lors fit lire les lettres que Laffin lui avait donnŽes, Žcrites de la main de Mr de Biron, par lesquelles tout apparaissait de sa conspiration. Nous nous retir‰mes au jour ; et le lendemain matin ils furent menŽs tous deux, au-dessus de la chambre de Mr le Grand, et ˆ une autre chambre proche de lˆ, sŽparŽment. Puis le jour dÕaprs ils sÕembarqurent sur la rivire ˆ Valvins, et furent menŽs par eau descendre ˆ lÕArsenal, dÕo on les mena ˆ la Bastille. Le roi arriva ce mme jour ˆ Paris. Le lendemain quÕils furent arrivŽs, le roi remit lÕaffaire de Mr de Biron au parlement, qui prit pour leurs commissaires Mrs de Fleuri et de Turin, conseillers ˆ la grandÕchambre, qui assistrent Mr le chancelier de Believres et Mr le premier prŽsident de Harlai ˆ instruire le procs. Le roi, cependant, sÕalla tenir ˆ Saint-Maur des FossŽs, et le parlement fit appeler les pairs de France pour intervenir au jugement de Mr de Biron, lequel, aprs lÕinstruction parfaite de son procs, fut menŽ par eau au Palais, par Mr de Montigni, gouverneur de Paris, avec quelques compagnies des gardes ; o il fut ou• sur la sellette, les chambres assemblŽes, et le lendemain toutes les voix furent recueillies, et Mr de Biron condamnŽ ˆ avoir la tte tranchŽe en Grve, et ses biens confisquŽs. Ses parents et amis se jetrent, pendant sa prison, plusieurs fois aux pieds du roi pour lui demander misŽricorde, et Sa MajestŽ leur rŽpondit humainement quÕil avait pareil regret quÕeux ˆ son malheur, et quÕil lÕaimait ; mais quÕil devait aimer davantage le bien de sa couronne, qui lÕobligeait ˆ faire servir dÕexemple celui qui, ayant plus reu de gr‰ces, avait plus grivement failli ; et quÕil avait de bons juges, et lŽgitimes, auxquels il en laissait le jugement. Enfin le... de juillet, il fut exŽcutŽ en la cour de la Bastille, et fut plus agitŽ et transportŽ en cette dernire action que lÕon nÕežt cru. Il fut le soir mme enterrŽ ˆ Saint-Paul, ˆ lÕentrŽe du chĻur de lՎglise, o tout le monde lui alla jeter de lÕeau bŽnite.

 

Aožt-Septembre. Ń Nous pass‰mes quelque partie de lՎtŽ ˆ Saint-Germain ; puis le roi, passant par Paris pour aller ˆ Fontainebleau, pardonna au comte dÕAuvergne, et le mit en libertŽ (octobre).

 

Novembre. Ń La reine accoucha de sa premire fille, maintenant reine dÕEspagne, le 22e de novembre, ˆ Fontainebleau, en la mme chambre en ovale o monsieur le dauphin Žtait nŽ. Nous rev”nmes ˆ Paris sur lÕhiver. Nous f”mes un carrousel et plusieurs ballets (dŽcembre).

1603.

Janvier.Ń Saubole se barricada ˆ Metz contre Mr dÕEpernon. Le roi y alla, tira Saubole (fŽvrier), et y mit Requien en sa place.

 

Mars. Ń Madame, sĻur du roi, vint trouver Leurs MajestŽs ˆ Metz, puis Mr le duc de Lorraine, et le duc et duchesse des Deux Ponts. Et le lendemain de P‰ques, le roi fut coucher ˆ Nomeny, et le jour dÕaprs (avril) il arriva ˆ Nancy, o il fut reu avec tout lÕapparat et la magnificence imaginable. Madame y dansa un ballet, et aprs que le roi eut demeurŽ huit jours ˆ Nancy, il sÕen retourna ˆ Fontainebleau, o il fit une dite, et moi aussi. Il eut une rŽtention dÕurine la veille de la Pentec™te (mai), qui le mit en peine, mais il en fut t™t dŽlivrŽ (juin).

 

Juillet. Ń Mr de Saint-Luc Žpousa ma sĻur a”nŽe au mois de juillet de cette mme annŽe, et le roi fut ˆ Saint-Germain, Monceaux, Tremes, Nanteuil, Villers Coterets et Soissons : puis, Žtant retournŽ ˆ Paris, je pris congŽ de lui pour mÕen aller en Hongrie.

En Hongrie

Mes parents allemands, qui avaient vu tous mes anctres entirement adonnŽs aux armes, souffraient impatiemment que je passasse ma vie dans lÕoisivetŽ que la paix de France nous causait, et bien que jÕeusse ŽtŽ ˆ la conqute du roi en la Savoie, et au sige dÕOstende, ils me pressaient continuellement de quitter la cour de France, et me jeter dans les guerres de Hongrie, et pour cet effet me procurrent le rŽgiment de trois mille hommes de pied que le cercle de Bavire devait fournir lÕannŽe 1603. Je refusai cette charge cette annŽe-lˆ, nՎtant pas ˆ propos que, sans avoir aucune pratique ni connaissance du pays, jÕy allasse de plein saut y commander trois mille hommes ; mais bien me rŽsolus-je dÕy aller volontaire, avec le meilleur Žquipage que je pourrais ; et pour cet effet, je mÕapprtai le mieux quÕil me fut possible (aožt) ; et ayant envoyŽ mon train mÕattendre ˆ Ulm pour y apprter un bateau de colonel, et se fournir de tout ce qui serait nŽcessaire, je partis le 16e dÕaožt de cette mme annŽe 1603, de Paris, et arrivai le 18e ˆ Nancy, o je demeurai jusques au 22e et ayant eu des carrosses de relais, je vins coucher ˆ Salbourg. Le 23e, je vins d”ner ˆ Saverne chez Mr le doyen Frants de Creange, et coucher ˆ Strasbourg. Je demeurai un jour pour faire changer en ducats lÕargent que jÕavais avec moi, et dans un carrosse de louage jÕen partis le 25e et arrivai le 28e ˆ Ulm. JÕy demeurai le 29e et vis lÕarsenal de la ville, qui est bien beau, et mÕembarquai le 30e sur le Danube, avec tout mon Žquipage, dans deux grands bateaux.

 

Septembre. Ń JÕarrivai le troisime jour dÕaprs, le matin, ˆ Neubourg, o le duc, pre de celui dՈ prŽsent, mÕenvoya enlever et mÕamener en son ch‰teau, o je fus extrmement bien reu : il me retint tout le jour, et le soir il me fit festin aussi beau quÕil se peut. Je pris congŽ de lui pour partir le lendemain matin, que je vins d”ner ˆ Ingolstat ; puis passant par Ratisbonne, Passau, et Lints, jÕarrivai ˆ Vienne en Autriche le 9e de septembre, o je trouvai Mr le prince de Joinville, le Reingraf Frederich, Quinterot, et dÕautres, qui me vinrent trouver aussit™t que je fus arrivŽ, et vinrent souper chez moi le lendemain.

Je me trouvai bien en peine lorsque je sus que celui qui commandait cette annŽe-lˆ lÕarmŽe de lÕempereur en Hongrie Žtait le Rosworm, lequel Žtait mon ennemi capital, parce quՎtant autrefois lieutenant des gardes de mon pre ˆ la Ligue, lorsque Schartsembourg en Žtait capitaine, et puis ensuite aux troubles de la France Žtant devenu capitaine, il tua assez mal le lieutenant, nommŽ Petoncourt, brave gentilhomme ; et ayant ŽtŽ envoyŽ pour garder le Blancmesnil par mon pre, Žtant, pendant son sŽjour, devenu amoureux dÕune jeune demoiselle qui Žtait refugiŽe au Blancmesnil avec sa mre, il lÕenleva, sous assurance de lՎpouser, et en ayant joui quelque temps, en fit jouir plusieurs autres, et puis la renvoya : ce qui Žtant venu ˆ la connaissance de feu mon pre, il t‰cha de le faire attraper ; mais lui, avec une douzaine des gardes de feu mon pre, r™dait la campagne, et Žtant venu proche dÕAmiens, logea ˆ une maison du mayeur, proche de la ville, en laquelle le feu se prit ; le mayeur ayant fait sortir quelques gens pour Žteindre le feu, [ils] trouvrent Rosworm quÕils prirent, dont mon pre Žtant averti, le mit au Racht [ˆ la Justice] pour lui faire trancher la tte : ce qui ežt ŽtŽ exŽcutŽ si Mr de Vitry, ma”tre de camp de la cavalerie lŽgre, ˆ qui il avait connaissance, et lui avait fait quelque service, ne lui eut donnŽ moyen de se sauver. Depuis ce temps-lˆ, comme il Žtait brave homme et eut suivi les armŽes, il Žtait parvenu ˆ cette grande charge ; et sՎtait de telle sorte dŽclarŽ notre ennemi, que lÕon eut quelque avis quÕil nous avait voulu faire assassiner ˆ Ingolstat : de quoi feu mon pre ayant fait plainte au duc de Bavire qui lui avait donnŽ la conduite de son rŽgiment, il lui en ™ta cette annŽe-lˆ la commission, ce qui lÕanima dÕautant plus contre mon dit pre et nous, ses enfants. Toutes ces raisons Žtaient suffisantes pour me faire apprŽhender de me mettre en lieu o il ežt toute puissance, et moi dŽnuŽ dÕassistance et dÕamis. CÕest pourquoi le soir, aprs souper, je communiquai cette doute ˆ mon cousin le Reingraf, qui entra dans mon sentiment, et me dŽconseilla dÕaller en lÕarmŽe, si je nÕavais de bonnes prŽcautions prŽcŽdentes, et quÕil Žtait dÕavis que je mÕen allasse en Transilvanie sous le gŽnŽral George Basta, ami de feu mon pre, et homme de grande rŽputation pour les armes. Nous en demeur‰mes lˆ pour ce soir, et le lendemain il me mena faire la rŽvŽrence ˆ lÕarchiduc Ferdinand, depuis empereur, lequel me fit bon accueil. Ce mme matin vint aussi ˆ lÕaudience le docteur Pets, un des principaux conseillers de lÕempereur Rodolphe, arrivŽ le soir auparavant ˆ Vienne, o lÕempereur lÕavait envoyŽ pour confŽrer des affaires avec lÕarchiduc son frre ; lequel Žtait ami du Reingraf qui me le fit aussi saluer : et comme il Žtait homme libre, il dit au Reingraf que sÕil lui voulait donner ˆ d”ner ce jour-lˆ, il lui ferait plaisir, parce quÕautrement il irait d”ner tout seul ˆ lÕhostellerie ; le Reingraf lui dit quÕil le mnerait d”ner chez un autre lui-mme, qui Žtait moi, son cousin et son frre, et je lÕen priai instament ; ce quÕil accepta ˆ tel si [ˆ condition], que le lendemain nous viendrions d”ner avec lui : car son train arrivait le jour mme.

Or ce docteur Pets nÕaimait pas le Rosworm, et le Reingraf lui ayant dit lՎtat o jՎtais avec lui, aprs le d”ner, lui et moi Žtant ˆ moitiŽ ivres, il mÕen parla et me dit que je me devais soigneusement garder du Rosworm qui Žtait le plus mŽchant de tous les hommes, et quÕil mÕoffrait lÕassistance du colonel Pets, son frre, qui avait trois mille lansquenets en lÕarmŽe ; que le Reingraf, mon cousin, y avait six cents chevaux franais, et autant de la cavalerie de Moravie, quÕil commandait conjointement ; et que je cherchasse encore quelque support en lÕarmŽe ; que de son c™tŽ il t‰cherait de mÕy en trouver, et quÕil sÕoffrait dՐtre entirement mon ami : dont je le remerciai avec les paroles plus exquises que je pus. Sur cela nous nous sŽpar‰mes avec promesse dÕaller le lendemain d”ner chez lui : il en pria aussi Mr le prince de Joinville et Quinterot, qui avaient d”nŽ avec lui chez moi. Je dis au Reingraf ce que le docteur Pets mÕavait dit du Rosworm, et il fut bien aise que le dit docteur se fžt dŽclarŽ pour moi, et son frre aussi ; car il nÕaimait pas Rosworm.

Le lendemain nous v”nmes ˆ lÕhostellerie o le docteur Pets nous devait traiter, o nous trouv‰mes le colonel Zeiffrid Colovich, qui Žtait arrivŽ le soir de lÕarmŽe, et d”na avec nous. Pendant le d”ner, Colovich et moi f”mes brouderchaft [fraternitŽ] avec grandes protestations dÕamitiŽ ; et aprs d”ner, le docteur Pets lui conta devant moi ce qui Žtait du Rosworm et de moi, et que, puisque nous Žtions frres, quÕil fallait quÕil me maint”nt en lÕarmŽe et empch‰t que le Rosworm ne me f”t aucun dŽplaisir : ce quÕil me promit et jura de faire de tout son pouvoir qui nՎtait pas si petit quÕil nÕežt mille chevaux allemands du rŽgiment dÕAutriche, quÕil commandait, outre douze cents Hongrois dont il Žtait colonel ; et que son frre Ferdinand de Colovich avait quinze cents lansquenets ; quÕau reste le Rosworm Žtait ha• en lÕarmŽe, et quÕil nÕoserait rien entreprendre ouvertement, car ce serait une mŽchancetŽ trop manifeste ; et que, pour le reste, je viendrais loger en son quartier, o il empcherait bien toute sorte de supercherie ; quÕil retournerait le lendemain ˆ lÕarmŽe, quÕil lui dirait quÕil mÕaurait vu ˆ Vienne, et quÕil pressentirait sÕil aurait agrŽable que je le visse, et quÕau pis aller il me tiendrait en son quartier des Hongrois, et que nous ne nous soucierions pas de lui.

Le landgraf de Hessen de Darmestat Žtait arrivŽ depuis peu ˆ Vienne pour aller ˆ lÕarmŽe, et avait ŽtŽ priŽ par le docteur Pets ˆ ce mme festin, pendant lequel le dit docteur dit quÕil avait le jour auparavant d”nŽ chez moi ˆ la franaise, et quÕil nÕavait jamais fait meilleure chre, et quÕil fallait que le lendemain jÕen donnasse ˆ la compagnie, qui me promirent dÕy venir, et le Colovich de retarder son partement jusques aprs d”ner, pour tre de la partie. Ils y vinrent tous, et je leur fis bonne chre. Aprs d”ner Colovich partit, bien intentionnŽ pour moi, auquel je priai de plus de parler ˆ Mr le comte Frederich de Holloe, et ˆ son frre le comte Casemir, chanoine de Strasbourg, dont le premier Žtait colonel de mille chevaux, et le second de cinq cents arquebusiers re”tres, comme aussi au colonel de Mersbourg, qui Žtaient tous trois mes parents, et le Reingraf leur Žcrivit aussi par lui.

Je demeurai ˆ Vienne jusques au 21e de septembre, tant pour mÕy pourvoir de tentes, chariots, chevaux, et autres ustensiles nŽcessaires ˆ lÕarmŽe, o il faut tout porter, parce que lÕon campe, que pour attendre Mr le prince de Joinville, qui mÕavait priŽ de le mener dans mes bateaux, Žtant venu sans Žquipage. Nous part”mes donc ensemble ce jour-lˆ, et v”nmes coucher ˆ quatre lieues de Vienne, dÕo nous nous Žtions embarquŽs assez tard.

Le lendemain 22e nous v”nmes coucher ˆ Presbourg (autrement Possonia), ville capitale de la Hongrie, que possde maintenant lÕempereur. Lˆ, nous trouv‰mes le colonel Germanico Strasoldo, qui menait trois mille Italiens ˆ lÕarmŽe : son lieutenant colonel Žtait Alessandro Rodolfi, et allaient quand et lui [avec lui] en ce voyage, volontaires, les seigneurs Mario et Pompeo Frangipani, le marquis Martinaingue, et le marquis Avogadro. Ils vinrent trouver Mr le prince de Joinville, et lui firent tous cinq la rŽvŽrence avec beaucoup dÕoffres dÕamitiŽ, et ˆ moi aussi, disant que nous devions tre trs unis ensemble, puisque nous Žtions tous Žtrangers ; ce que nous leur prom”mes de notre part.

Le 23e nous navigu‰mes tout le jour, et sur le soir il nous prit envie de nous arrter au g”te en une ”le dŽserte, et y faire tendre nos tentes pour voir si rien nÕy manquait : mais nous trouv‰mes la nuit une telle quantitŽ de moucherons (nommŽs cousins), qui nous g‰trent le visage de telle sorte, quÕoutre que nous en fžmes toute la nuit inquiŽtŽs outre mesure, le lendemain nous nՎtions pas reconnaissables, tant nous avions nos visages enflŽs.

Le 24e nous fžmes coucher ˆ Gomar, o le gouverneur de la forteresse, nommŽ Jean de Molard, nous vint trouver pour nous prier de venir loger chez lui, dont nous nous excus‰mes sur notre embarquement que nous voulions faire de grand matin. Il envoya le soir un esturgeon de prŽsent ˆ Mr le prince de Joinville, et ˆ moi un autre, et nous manda quÕil espŽrait nous revoir le lendemain ˆ Strigonie, parce que lՎvque dÕAgria et le seigneur Eliachiasy, dŽputŽs de lÕempereur pour traiter la paix, avec le comte de Altheim et lui, venaient dÕarriver, qui sÕen allaient ˆ Strigonie, o devait tre la confŽrence.

Nous part”mes de Gomar le 25e de bon matin pour t‰cher de passer Strigonie et Žviter la rencontre de ces dŽputŽs : mais le comte de Altheim nous vint quŽrir, et nous amena des chevaux pour monter ˆ la forteresse. Il fit ˆ Mr le prince de Joinville et ˆ moi un beau festin ˆ souper, o nous bžmes mŽdiocrement : mais de malheur, les dŽputŽs susdits Žtant venus sur la fin du souper, on fit resservir de nouveau, et fžmes jusques ˆ minuit ˆ table, o nous nous ivr‰mes tellement, que nous perd”mes toute connaissance : on nous ramena dans nos bateaux, dÕo nous part”mes le lendemain 26e pour aller coucher ˆ Vats. Nous ežmes la nuit quelques alarmes des Turcs, ou pour mieux dire, des Hongrois, qui feignaient tre Turcs pour venir piller : ce qui nous fit passer la nuit dans nos bateaux. Et le 27e de septembre nous pass‰mes auprs de lՔle de Vats, gardŽe par quinze cents lansquenets sous la charge du colonel Ferdinand Colovich, lequel nous attendit ˆ d”ner dans son bateau, et nous traita fort bien, en ayant eu ordre de son frre le colonel Zeifrid Colovich duquel jÕai parlŽ ci-dessus.

Peu aprs que nous fžmes dans son bateau, il me retira en sa chambre, o il me donna une lettre de son frre en crŽance sur lui, par lequel il me mandait que je pouvais en assurance venir saluer le gŽnŽral Rosworm en la compagnie de Mr le prince de Joinville ; que Mr de Tilly, qui, cette annŽe-lˆ, Žtait sergent major gŽnŽral de cavalerie et infanterie de lÕarmŽe, lequel avait autrefois ŽtŽ aufwarter [soldat] de feu mon pre, et qui mÕaffectionnait fort, lui avait dit que le gŽnŽral lui avait assurŽ quÕil ne me voulait point de mal en mon particulier, mais quÕaussi il ne voulait point avoir de privautŽ avec moi, et que je le pourrais saluer en la dite compagnie, et puis ne le gure pratiquer. Il me dit de plus quÕil mÕassurait que plus de la moitiŽ de lÕarmŽe sÕopposerait ˆ lui sÕil me voulait faire quelque violence ou mauvais traitement, et que les deux comtes de Hollac, celui de Zolms, le Reingraf, les colonels de Mersbourg, de Pets, de Strasolde, et lui, joints ensemble, Žtaient plus puissants que le gŽnŽral ; quÕau reste jÕenvoyasse mes tentes en son quartier des Hongrois qui avaient lÕavant-garde, et que jÕy aurais autant de pouvoir que lui.

Cette nouvelle me rŽjouit fort, car jՎtais en peine de mon abord avec Rosworm, et en peine aussi, si je ne le voyais point, quÕil ne me voulžt souffrir ˆ lÕarmŽe, o nous arriv”mes sur les trois heures aprs midi du mme jour. Et aprs que Mr le prince de Joinville eut saluŽ le Rosworm au-devant de sa tente, je le saluai aussi, et lui moi, puis Mr de Tilly qui mÕentretint jusques ˆ ce que Mr de Chevreuse et monsieur le gŽnŽral se sŽparrent : et lors je mÕen vins en mes tentes, qui Žtaient tendues ˆ lÕavant-garde chez Colovich qui mÕy mena, puis sÕen alla.

Aprs souper le dit Colovich me manda quÕil me viendrait prendre incontinent, et que je fusse ˆ cheval devant ma tente : ce que je fis, et all‰mes ensemble passer le pont ˆ lՔle dÕOdom, qui Žtait contre notre camp. Il y avait quelque six-vingt [120] Hongrois de ceux du Colovich, qui Žtaient en garde dans lՔle, qui nous dirent que les Turcs passaient dans lՔle ˆ une lieue au-dessus, et quÕils faisaient un pont de bateaux pour la traverser. Colovich me fit prendre un de ses chevaux pour quitter le mien qui nՎtait pas assez vite, et all‰mes reconna”tre les Turcs avec cette cavalerie : mais ds quÕils nous ou•rent venir, ils rentrrent dans les ca•ques (qui sont petits vaisseaux du Danube armŽs), et sÕen retournrent de lÕautre c™tŽ vers lÕarmŽe des Turcs. CՎtait quelque petit nombre de Turcs qui Žtaient venus reconna”tre le lieu o ils se camperaient aprs tre passŽs. Ils ne discontinurent pas pourtant la fabrique de leur pont de bateaux, quÕils avaient dŽjˆ conduite depuis leur rive jusques ˆ une petite ”le que le Danube fait en ce lieu-lˆ ; et de cette ”le avaient dŽjˆ avancŽ vers nous quatre bateaux, lesquels, le matin suivant 28e septembre, nous romp”mes ˆ coups de canon, et en fut aussi tirŽ grande quantitŽ du camp des Turcs ˆ nous, la rivire entre deux : puis nous nous retir‰mes au camp, et proche du pont je vis premirement empaler deux prebecs (ou fugitifs de notre armŽe vers celle du Turc).

Nous pass‰mes le reste de la journŽe en lÕattente de ce que les Turcs voudraient entreprendre : ce qui nous apparut la nuit prochaine ; car ils passrent en lՔle dÕOdom au mme lieu quÕils avaient reconnu et descendu la nuit prŽcŽdente, au nombre de quelque dix mille hommes, tant de pied que de cheval, sur des ca•ques et pontons, et commencrent ˆ se retrancher ˆ dessein, ˆ mon avis, dÕy faire passer ensuite tout le reste de leur armŽe, si nous ne les en eussions chassŽs.

Cette petite armŽe Žtait des troupes que le frre de lՃcrivan qui avait tant excitŽ de troubles en Asie les annŽes prŽcŽdentes, avait emmenŽes au camp de Bude, aprs avoir appointŽ avec lÕempereur des Turcs, lorsque son frre fut mort, aux conditions dՐtre bacha et gouverneur de la Bosnie. Et parce quÕil amenait avec lui lՎlite des rebelles qui Žtaient en grande rŽputation au Levant, il demanda, avant quÕentrer en son gouvernement, de venir passer un ŽtŽ en la guerre de Hongrie : et, comme lՃcrivan, impatient de repos (Žtant les deux armŽes le Danube entre deux), se plaignit quÕil nÕavait point dÕoccasion de faire para”tre la valeur de ses gens, il offrit au sardar (qui est ˆ dire le gŽnŽral bacha) de passer du c™tŽ des chrŽtiens, et de sÕy fortifier en sorte quÕil y pourrait puis aprs passer ˆ loisir, et nous combattre.

Le Colovich monta ˆ cheval avec ses Hongrois ds la minuit ; et moi, et quelques gentilshommes franais qui mÕaccompagnaient, all‰mes avec eux : mais ils demeurrent dans le grand retranchement (que lÕon avait fait pour y contenir toute lÕarmŽe), qui Žtait gardŽ par le rŽgiment de Strasolde, italien.

Sur la pointe du jour de Saint-Michel, 29e du mois de septembre, nous sort”mes du grand retranchement avec deux cents Hongrois pour reconna”tre les ennemis : mais nous nÕežmes pas fait trois cents pas, que nous trouv‰mes en tte quelque cent chevaux. Les dits Hongrois, selon leur coutume, sՎtaient tous ŽcartŽs a et lˆ pour faire la dŽcouverte, et nÕavions pas trente chevaux avec nous, qui prirent tous la fuite en les voyant : mais moi, qui ne pouvais croire que les Turcs se fussent tant avancŽs, et qui voyais fort peu de diffŽrence entre eux et les Hongrois, je crus que cՎtaient des n™tres, jusques ˆ ce quÕun Hongrois fuyant me cria : Ē Heu ! Domine, adsunt Turcae. Č Ce qui me fit retirer aussi. Mais les Turcs ne nous approchrent jamais de trente pas, craignant les embuscades ; car cՎtait dans des taillis que nous Žtions, et eux Žtaient ŽloignŽs de plus dÕune lieue hongroise de lÕarmŽe qui Žtait passŽe de notre c™tŽ.

Le gŽnŽral Rosworm vint peu de temps aprs, qui fit passer dans lՔle toute lÕarmŽe, ˆ quatre mille hommes prs quÕil laissa ˆ la garde de notre camp : et aprs quÕelle fut passŽe et mise en bataille, il prit le premier une bche, et commena ˆ combler le dit retranchement, nous y faisant tous travailler pour animer les soldats ; ce qui ayant ŽtŽ fait en moins de demie heure, il envoya quatre compagnies hongroises du rŽgiment dÕAnadasti pour escarmoucher les Turcs, qui prirent en mme temps la fuite, et les Hongrois leur donnrent la chasse prs de trois quarts de lieue. Le Rosworm envoya quatre compagnies de carabins liŽgeois pour les soutenir ; mais comme les Hongrois eurent rencontrŽ mille chevaux turcs qui venaient soutenir les fuyards, ils prirent eux-mmes la fuite, et les Turcs les poursuivirent vivement. Ils Žtaient bien montŽs, tant pour poursuivre que pour fuir ; mais les carabins, qui ne lՎtaient pas ˆ lՎgal dÕeux, furent assez malmenŽs des Turcs, qui en turent plus de quarante avant que les rŽgiments de cavalerie dÕAutriche et Moravie eussent fait tte, et quÕils se fussent retirŽs entre ces deux escadrons.

Ils se mirent lors ˆ escarmoucher, ce quÕils entendent parfaitement bien, et mieux que les chrŽtiens, et nous nous ml‰mes quelque trente volontaires, Franais ou Italiens, en cette escarmouche, parmi les Hongrois : ce qui dura plus de deux heures, et insensiblement nous nous Žtions beaucoup plus avancŽs que le gŽnŽral ne nous lÕavait ordonnŽ, ce qui avait ŽtŽ cause que les dits rŽgiments dÕAutriche et de Moravie sՎtaient aussi avancŽs pour favoriser notre escarmouche. Cela obligea le Rosworm dÕenvoyer le Colovich avec ordre de faire la retraite selon quÕil lui avait ordonnŽe, qui Žtait en une forme nouvelle et que nous nÕavions encore vu pratiquer. Car aprs que Colovich fut venu premirement aux Hongrois qui escarmouchaient, puis ˆ nous, pour nous dire que, sans discontinuer lÕescarmouche, nous perdissions toujours petit ˆ petit du terrain, il sÕen retourna ˆ ces deux mille chevaux quÕil sŽpara en cinq escadrons, quÕil mit comme un cinq dÕun dŽ : il mit, puis aprs, le capitaine ˆ la tte, et le lieutenant ˆ la queue de chaque escadron ; puis ˆ un point nommŽ, il fit faire ˆ chaque homme des deux premiers escadrons, qui Žtaient en tte, demi-tour ˆ gauche, les ayant pour cet effet un peu Žlargis en leurs rangs ; puis lÕescadron ayant la tte tournŽe devers notre camp, et le lieutenant Žtant ˆ la tte, ces deux escadrons susdits sÕallaient, au trot, remettre derrire les deux escadrons qui faisaient les deux derniers points du cinq du dŽ, laissant autant de distance entre les quatre bataillons quÕil en fallait pour y placer le cinquime pour faire le cinq du dŽ parfait ; puis ils se remettaient la tte tournŽe devers lÕennemi. Cependant nous perd”mes autant de terrain que ces deux escadrons en avaient quittŽ, lÕescadron du milieu soutenant notre escarmouche ; lequel se retira peu aprs en la mme forme que les deux premiers, et se logea entre les quatre ; et puis les deux derniers escadrons en firent de mme, et ainsi consŽcutivement jusques ˆ ce que, sans dŽsordre, nous fžmes rejoints dans le corps de lÕarmŽe. Alors le gŽnŽral la fit toute marcher en bataille droit aux ennemis qui nous attendirent bravement, bien quÕinŽgaux. Comme nous marchions, on nous battait de cinquante canons de lÕautre c™tŽ du Danube ; ce qui nous fit quelque peu de mal : mais comme nous ežmes passŽ huit ou neuf cents pas, ils ne nous purent plus endommager.

Monsieur le gŽnŽral retint auprs de lui Mr le prince de Joinville et monsieur le landgraf avec ses volontaires italiens : mais je mՎtais dŽrobŽ peu auparavant avec huit ou dix gentilshommes franais, et mÕallai mettre ˆ la pointe gauche, au rŽgiment du comte Casimir de Hoenloe, mon cousin, qui me fit lÕhonneur de me mettre ˆ sa droite, et ces gentilshommes au premier rang de son escadron. Nous charge‰mes les premiers un gros de quelques mille chevaux turcs, et Žtions soutenus de deux mille chevaux, assavoir mille re”tres du Colovich, et mille du comte Frederich de Hoenloe. Le colonel et moi, avec ses officiers et les Franais que jÕavais amenŽs, charge‰mes fort bien ; mais les cinq cents chevaux qui Žtaient arquebusiers re”tres, nÕen firent pas de mme ; ains faisant le caracol [retournement], chaque rang en dŽchargeant, ils montrrent le flanc aux Turcs qui les chargrent vivement, et nous eussent dŽfaits si ces deux susdits escadrons ne se fussent avancŽs, qui nous donnrent loisir de nous rallier, et de les charger de nouveau ; lesquels ˆ cette seconde charge ne tinrent plus, et nous les men‰mes battant jusques sur la rive du Danube, o il sÕen fit une terrible boucherie ; car en mme temps lÕaile droite de notre armŽe avait chargŽ et dŽfait lÕaile gauche des Turcs. Ainsi tout fut rompu, et de ces dix mille hommes passŽs en demeura plus de sept mille sur la place, et plus de mille noyŽs, voulant repasser le Danube ˆ nage. Il y eut quelque mille chevaux qui sՎcartrent dans lՔle, qui furent ensuite aussi dŽfaits, et la plupart tuŽs.

Il mÕarriva un accident en ce combat, qui me pensa perdre. JՎtais montŽ sur un cheval dÕEspagne alezan, beau et bon, qui mÕavait cožtŽ mille Žcus de Geronimo Gondy ; mais il Žtait un peu ardent. Il reut dans le combat un coup de sagaie au dessus de lÕĻil, qui le fit battre ˆ la main, de sorte quÕil rompit sa gourmette. Je ne mÕen aperus point dans la premire charge ; mais lorsque les ennemis l‰chrent le pied, je mÕaperus quÕen peu de temps je nՎtais pas seulement le premier des poursuivants, mais plus avant que je ne voulais dans les fuyards, de sorte que, voulant retenir lÕardeur de mon cheval, je vis quÕil mՎtait impossible de lÕarrter. Lors, je le pris par une des rnes pour le faire tourner ˆ gauche, ce quÕil fit ; mais il prit sa course dans un gros de mille Turcs, qui se retiraient nÕayant point combattu, et sÕallait jeter dedans, sans que Des Estant, qui me servait dՎcuyer, se jeta ˆ la bride, quÕil lui haussa de telle sorte quÕil me donna loisir de me jeter ˆ terre ˆ vingt pas des Turcs, qui nÕosrent tourner pour me venir tuer, dont ils montraient grand dŽsir ; car jÕavais des armes dorŽes, gravŽes, trs belles, et quantitŽ de plumes et dՎcharpes sur moi et sur mon cheval. Le dit Des Estant, en se jetant ˆ mon cheval, se pera la jambe de mon ŽpŽe, que jÕavais laissŽe pendue ˆ mon bras, pour me saisir des rnes.

Sur ces entrefaites Mr le prince de Joinville, qui suivait la victoire, me voyant en cet Žtat, me crut blessŽ, et sÕen vint ˆ moi, qui remontai en diligence sur un autre cheval, et poursuivis les Turcs jusques ˆ lÕeau. Puis nous rev”nmes au lieu o Žtait le Rosworm et autres chefs, assis sur des Turcs morts ; qui me voyant me voulut parler devant tous ces messieurs, et aprs mÕavoir louŽ de mÕavoir vu bien faire, et que je ne serais pas de la maison dÕo jՎtais issu si je nՎtais vaillant, il me dit ensuite : Ē Feu Mr de Bettstein, votre pre, a ŽtŽ mon ma”tre, mais il mÕa voulu faire indignement mourir. Je veux oublier ce dernier outrage pour me ressouvenir de la premire obligation, et tre dŽsormais (si vous voulez), votre ami et votre serviteur. Č

Alors je descendis de cheval et le vins saluer, et lÕassurer de mon service, avec les paroles plus efficaces dont je me pus imaginer. Puis il se retourna vers les deux princes, de Joinville et landgraf de Hessen, et les colonels et autres officiers qui Žtaient lˆ, et leur dit : Ē Messieurs, je ne saurais faire cette rŽconciliation et nouvelle assurance dÕamitiŽ avec Mr de Bettstein en meilleur lieu, aprs une meilleure action, ni devant de plus nobles tŽmoins. Je vous prie tous demain ˆ d”ner, et lui aussi, pour la reconfirmer. Č Ce que nous lui prom”mes.

Lors nous nous ass”mes, Mr de Joinville et moi, comme les autres, sur les corps de ces Turcs morts, et appris pour lors une chose que depuis jÕai connue nՐtre sans raison : un des lieutenants du marŽchal de camp, vieux colonel nommŽ Hermestein, nous dit que lÕon pouvait discerner les Turcs dÕavec les chrŽtiens qui Žtaient lˆ morts, non seulement par la circoncision, mais aussi par les dents, que les Turcs avaient toutes g‰tŽes et pourries, ˆ cause des turbans dont ils couvrent trop leurs ttes ; que nous ne trouverions point aux Hongrois qui ne la couvrent que de ce petit bonnet : ce que nous trouv‰mes vŽritable en plus de cinquante Turcs qui avaient les dents g‰tŽes ; et ceux qui nՎtaient point circoncis les avaient fort blanches et nettes.

Aprs cette victoire nous repass‰mes toute lÕarmŽe de lÕautre c™tŽ du Danube, en notre camp, qui nÕy arriva pas toute quÕil ne fut le lendemain 30e de grand jour ; auquel le gŽnŽral commanda que lÕon tu‰t tous les prisonniers du jour prŽcŽdent, parce quÕils embarrassaient lÕarmŽe : qui fut une chose bien cruelle de voir tuer de sang froid plus de huit cents hommes rendus.

Je vins d”ner chez le Rosworm, selon la promesse que je lui en avais faite, avec tous les principaux de lÕarmŽe, o nous confirm‰mes avec le verre, et mille protestations, lÕamitiŽ (quÕil mÕa toujours depuis fidlement gardŽe), que nous avions faite sur le champ de bataille. Aprs d”ner nous nous m”mes ˆ jouer ˆ la prime, et demeurai jusques ˆ minuit dans sa tente, y ayant encore fait collation.

 

Octobre. Ń Le lendemain premier jour dÕoctobre, le conseil de guerre se tint, auquel on admit les deux princes, et on me fit aussi cet honneur de mÕy appeler, lˆ o fut agitŽ le diffŽrend dÕentre le baron de Sirai et le colonel de Steremberg qui commandait un rŽgiment de mille chevaux du royaume de Bohme. Cette querelle demeura plusieurs jours ˆ tre appointŽe parce que lÕon leur ordonna, sur peine dÕinfamie, de vider leur diffŽrend par le combat ; ce que Steremberg refusa quand Sirai lÕaccorda, et puis, lorsque Steremberg, persuadŽ par ses amis, lÕeut acceptŽ, Siraine le voulut point. Enfin le conseil, pour ne les dŽshonorer tous deux, ordonna au comte de Zults, grand ma”tre de lÕartillerie, et au colonel de Hofkirich de les appointer entre eux sans quÕils sÕadressassent plus au conseil.

Nous demeur‰mes en repos jusques au dimanche 6e jour dÕoctobre, que quelques Tartares de lÕarmŽe du Turc, ayant passŽ le Danube ˆ nage (ˆ quoi ils sont coutumiers), vinrent donner proche de la tte de notre camp sur quelques gens qui coupaient du foin pour les chevaux de lÕarmŽe. Ils pouvaient tre quelque douze cents, qui, ayant vu que la cavalerie sortait du camp pour les combattre, sÕenfuirent de telle vitesse quÕils disparurent en moins de rien, et allrent repasser le Danube comme ils lÕavaient prŽcŽdemment passŽ.

JÕai dit ci-dessus que les Turcs avaient passŽ le bras du Danube qui Žtait entre eux et lՔle dÕOdom, ˆ la faveur dÕune petite ”le de quinze cents pas de tour qui Žtait au milieu de ce bras du Danube, entre la grande ”le et eux, et quÕils avaient fait un pont de bateaux depuis leur rive jusques ˆ la petite ”le, et comme nous avions, ˆ coups de canon, rompu celui quÕils avaient commencŽ de faire depuis la dite petite ”le jusques ˆ celle dÕOdom ; ce qui les avait contraints de passer (lors quÕils vinrent ˆ nous), sur des ca•ques et radeaux. Ils gardrent encore, depuis la bataille, cette petite ”le, et conservrent le pont, qui leur donnait communication de leur armŽe ˆ elle. Ils y mirent aussi six canons, desquels ils tiraient ˆ ceux qui sÕapprochaient.

Le gŽnŽral sÕavisa de se saisir de cette ”le et de ces canons ; et de fait, fit accommoder un bateau o il y avait dessus deux caques de poudre, dans lesquelles il y avait des ressorts qui y devraient mettre le feu ds quÕils dŽbanderaient, et on avait mis une perche ˆ chacune de ces caques, auxquelles Žtaient attachŽes des cordes qui faisaient dŽbander les ressorts quand elles rencontraient quelque rŽsistance qui les faisait plier ; puis on conduisit ce bateau au fil de lÕeau du pont des Turcs qui donnait communication ˆ la petite ”le, et lorsquÕil vint ˆ passer entre deux bateaux, ces perches qui furent arrtŽes par le pont firent lÕeffet que lÕon sÕen Žtait promis, et rompirent le pont. Le Rosworm avait ordonnŽ quarante ca•ques qui, dans la nuit obscure qui Žtait entre le jeudi et le vendredi 11e dÕoctobre, devaient descendre dans lՔle, tuer cent ou six-vingt Turcs qui y Žtaient de garde, et jeter les pices de canon sur des radeaux quՈ cet effet on avait ordonnŽs.

Le tout fut conduit avec un trs bon ordre, hormis quÕune demi-heure devant, les Hongrois destinŽs ˆ faire lÕexŽcution ayant demandŽ dՐtre secourus de cinquante piquiers ou hallebardiers pour soutenir un choc de cavalerie, sÕil y en avait dans lՔle, le Rosworm dit quÕils fissent ce qui leur avait ŽtŽ ordonnŽ, et quÕil ne voulait pas hasarder ses piquiers ˆ cette exŽcution, ce qui piqua tellement les Hongrois quÕils ne voulurent point donner dans lՔle, quÕils eussent sans difficultŽ prise, et les canons aussi : car le bateau avec les caques donna contre le pont, et le rompit ; et les Turcs qui Žtaient dans lՔle prirent lՎpouvante de telle sorte quÕils se jetrent dans le Danube pour gagner leur camp, dont plusieurs se noyrent, et nos Hongrois demeurrent au milieu du Danube sur leurs vaisseaux sans vouloir sÕavancer. Nous Žtions de lÕautre c™tŽ du Danube, vis ˆ vis de la petite ”le, pour voir exŽcuter cette entreprise, bien marris de voir que, par la l‰chetŽ ou mŽchancetŽ des Hongrois, nous eussions perdu cette occasion.

Le gŽnŽral sÕen retourna bien en colre, disant force choses inf‰mes contre les Hongrois ; ce quÕil continua encore le lendemain, principalement lorsque les trois colonels hongrois, Colovich, Anadasti, et Dourgi, le vinrent trouver pour lui faire prendre raison en paiement ; et leur dit que ces troupes hongroises Žtaient sans courage, auxquelles il ne donnerait jamais emploi ni exŽcution ˆ faire : ce que ces colonels rapportrent ˆ leurs gens, lesquels revinrent le lendemain samedi 12e octobre, dire de la part des Hongrois au gŽnŽral quÕaucune l‰chetŽ ni poltronnerie nÕavait empchŽ les Hongrois dÕassaillir lՔle, mais bien le mŽpris quÕil avait fait dÕeux, de nÕavoir voulu hasarder cinquante piquiers lansquenets pour les soutenir ; et que, pour preuve que ce nՎtait point la crainte qui avait dŽtournŽ leur dessein, ils offraient dÕaller au dessous de notre camp passer en ca•que le Danube, et faire un fort sur lÕautre rive du c™tŽ des ennemis, en la plaine qui est entre Bude et leur camp, en laquelle ils faisaient pa”tre leurs chameaux au nombre dÕenviron dix mille.

Le Rosworm qui connaissait de quelle importance il Žtait de construire un fort entre Bude et le camp des ennemis, qui les ežt empchŽs dÕenvitailler Bude, et aussi voulant faire donner sur les doigts des Hongrois qui nÕavaient pas voulu descendre ˆ lՔle, pensa quÕil ferait infailliblement lÕun ou lÕautre. CÕest pourquoi il loua hautement la gŽnŽreuse rŽsolution des Hongrois ; de laquelle il donnait lÕhonneur aux colonels, quÕil disait leur avoir persuadŽ, et ˆ lÕheure mme leur fit fournir des ca•ques, des outils, et un ingŽnieur, pour tracer un fort sur le bord de lÕautre rive, o nos ca•ques allaient quelquefois prendre terre du c™tŽ des ennemis, et enlevaient toujours quelque chameau ou buffle, ou quelque malheureux Turc. CÕest pourquoi lÕarmŽe turquesque ne prit point alarme lors quÕils virent aborder deux ca•ques ˆ leur rive, deux heures avant la nuit du dit samedi : et aprs que lÕingŽnieur leur eut tracŽ le fort, ils passrent autres cinq ca•ques avec quelque cinquante travailleurs, qui nՎtonnrent pas ces gardeurs de chameaux. Mais comme la nuit fut venue, il passa jusques ˆ huit cents Hongrois, qui travaillrent sans intermission toute la nuit, et furent le matin relevŽs par cinq cents autres, lesquels continurent le retranchement ; de sorte quÕil y avait un fossŽ de deux toises autour, creux dÕune toise, et le fort relevŽ de prs de dix pieds. Cela donna telle frayeur aux Turcs que toute notre armŽe ne se voulut camper entre Bude et eux, quÕils se rŽsolurent de chasser les n™tres de ce fort.

La plaine o il Žtait assis a plus dÕune demi-lieue tant de long que de large, faite en demie lune, qui est bornŽe par les coteaux, par le camp des ennemis et par Bude en lÕarc, et par la rivire en la corde : ces coteaux font cinq vallŽes, outre celle de Bude et celle du camp, et ˆ Bude y a la citadelle sur une montagnette, nommŽe le Blockhaus.

Ds le matin du dimanche 13e octobre les Turcs mirent leurs chameaux en haie, avec chacun une banderole dessus, sur le haut des coteaux, ce qui faisait fort belle vue : et ne fut vu dans toute cette plaine aucun homme ni bte, si ce nՎtait quelque Turc qui passait parfois du camp ˆ Bude, ou aux vallŽes, pour porter les ordres.

Le Rosworm fit loger sur la rive de lՔle dÕOdom, vis ˆ vis de la plaine des ennemis, quarante canons de batterie ; fit venir au-dessous du dit fort toutes les ca•ques de notre armŽe qui Žtaient au nombre de soixante, pour recevoir et repasser les Hongrois, en cas quÕils fussent pressŽs de se retirer ; et fit passer en lՔle dÕOdom trois mille chevaux dans notre grand retranchement, et le rŽgiment du colonel Pets, pour aider aux Italiens de Strasolde, qui y Žtaient logŽs, de le garder. Je fus le matin dans le nouveau fort, et vis lՎtat de ceux qui Žtaient dedans, que je trouvais bien plus rŽsolus ˆ le construire quՈ le garder : je le dis au retour ˆ Rosworm ; mais il me dit quÕil ne sÕattendait pas de conserver ce fort, et quÕayant ŽtŽ construit en une nuit, ce serait merveille sÕil nՎtait dŽtruit en un jour.

Sur les deux heures aprs midi nous commen‰mes ˆ voir contre-monter lÕarmŽe navale des Turcs, qui Žtait en ordre de croissant, composŽe de cinquante-deux ca•ques. Dedans ce croissant Žtaient deux galres ˆ vingt-huit bancs, et un peu plus avant une ca•que entre les deux galres, mais plus avancŽe, qui portait le tambour-major des Turcs : ces deux galres allaient toujours tirant de leur grosse artillerie ; et les ca•ques, chacune, des deux fauconneaux quÕelles portent. Elles nÕeurent pas contre-montŽ trois cents pas que du Blockhaus de Bude furent tirŽes trois volŽes de canon, qui Žtait le signal pour attaquer le fort, et en mme temps sortirent des cinq vallŽes susdites, de Bude, et du camp, plus de vingt-cinq mille chevaux qui couvrirent la plaine, ayant tous le sabre ˆ la main, quÕils faisaient passer par dessus leurs ttes ˆ leur mode, ce qui faisait para”tre infinis miroirs ˆ la lueur du soleil, qui, ce jour-lˆ, fut trs beau et clair. Ils vinrent de furie donner ˆ notre nouveau fort, et ceux qui ne purent monter servirent de marchepied aux autres pour y entrer, et y turent plus de trois cents de nos Hongrois, le reste sՎtant sauvŽ dans les ca•ques qui Žtaient ˆ leur bord pour les ramener au notre. Plusieurs Turcs se jetrent ˆ cheval dans le Danube pour attaquer nos ca•ques, dont quelques uns furent tuŽs, et deux amenŽs de notre c™tŽ avec les chevaux.

Cependant lÕarmŽe de Danube des Turcs sÕapprochait toujours, tirant incessament, et donna dans les escadrons de re”tres qui Žtaient en bataille dans lՔle dÕOdom, de sorte quÕil les fallut faire tirer ˆ lՎcart, et mettre le rŽgiment de Pets sur le ventre. Mais ˆ lÕheure mme le comte de Zults ayant fait pointer six canons de batterie contre les galres et ca•ques des Turcs, il les fora de sÕen retourner.

Ce fut chose Žtrange que, de quarante canons pointŽs contre la plaine o Žtaient les Turcs, qui tirrent par trois fois, il nÕy eut jamais que deux volŽes de canon qui rasassent lÕhorizon, lesquelles firent chacune une rue par o elles passrent, faisant voler tant de ttes, jambes, et bras en lÕair que, si les autres canonnades eussent fait de mme, ils eussent tuŽ plus de deux mille hommes. Le gŽnŽral en attribuait la faute au jour de dimanche, auquel les canonniers et pointeurs sՎtaient enivrŽs.

Aprs la prise de ce fort les Turcs continurent ˆ leur aise de ravitailler Bude, qui Žtait leur principal dessein : et est certain que, si on leur ežt pu empcher ce ravitaillement, ce qui se fžt pu faire si nous nous fussions de bonne heure campŽs de lÕautre c™tŽ du Danube, Bude ne pouvait plus tenir. Le Rosworm en fut fort bl‰mŽ : mais il sÕexcusait sur ce que, sÕil ežt passŽ de lÕautre c™tŽ de la rivire, o Bude est situŽe, que les Turcs eussent infailliblement pris le poste o nous Žtions logŽs et ensuite la ville de Pest sans difficultŽ, dÕo ils eussent avec plus de commoditŽ ravitaillŽ Bude quÕils nÕavaient fait par delˆ, et quÕelle ne pouvait faillir dՐtre secourue.

Les Turcs, pour prendre leur revanche du fort que nous avions voulu construire de leur c™tŽ, mirent vis ˆ vis de notre camp, sur un petit lieu relevŽ proche de Bude, qui y commande, vingt pices de canon, desquelles ils tirrent en batterie par plusieurs jours dans notre camp, non sans quelque dommage. Une aprs-d”nŽe que nous jouions ˆ la prime avec le gŽnŽral et deux autres, une volŽe de canon pera sa tente en deux endroits : elle Žtait remarquable pour tre violette, ce qui les y fit souvent pointer leurs pices. Une autre volŽe renversa la tente du jeune Schomberg, frre du marŽchal dernier mort, comme je lՎtais allŽ voir, et fžmes, quatorze personnes, ensevelis dessous, dont un nommŽ Boisrot fut bien blessŽ du m‰t qui chut sur sa tte. Enfin le Rosworm quitta le tertre o il Žtait logŽ, et se campa en une vallŽe prochaine, dÕo le canon ne le pouvait plus offenser ; et les Turcs, voyant que leur batterie ne nous incommodait plus, la cessrent au bout de cinq jours quÕils lÕeurent continuŽe.

Enfin le gŽnŽral, voyant que son sŽjour en ce mme camp lui Žtait inutile, et que lÕon le bl‰mait ˆ Vienne et ˆ Prague de ce quÕavec une si belle armŽe (car elle Žtait de trente-cinq mille hommes de pied et de dix mille chevaux), il ne sՎtait osŽ loger du c™tŽ des ennemis, mme aprs cette grande dŽfaite dÕOdom qui les avait affaiblis de quantitŽ dÕhommes, et de leurs meilleurs soldats, il se rŽsolut de passer de leur c™tŽ, et, pour cet effet, fit construire un double pont, pour entrer en lՔle de Vats, et pour en sortir du c™tŽ de Saint-AndrŽ, cinq lieues au dessus de Bude. Il alla d”ner le dimanche 20e dans lՔle de Vats, et passa sur le premier pont, alla visiter lÕautre qui Žtait fort avancŽ, puis sÕen revint au camp, dÕo il partit avec toute lÕarmŽe le mardi suivant 22e ; et ayant passŽ le premier pont, se campa dans lՔle, o il sŽjourna le lendemain ; et le jeudi 24e lÕarmŽe passa le second pont, qui traversait le bras du Danube voisin de Saint-AndrŽ, et nous camp‰mes assez prs de lˆ.

LÕarmŽe turquesque ne changea point son camp, encore que nous eussions quittŽ le n™tre ancien : mais seulement cinq jours aprs que nous fžmes campŽs sous Saint-AndrŽ, qui fut le dimanche 27e, ils vinrent quelque vingt mille chevaux ˆ une lieue prs de notre armŽe, et sՎtant mis dans une plaine proche dÕune montagne qui les couvrait de notre vue, ils envoyrent cinq cents chevaux ˆ lÕescarmouche pour nous attirer dans leur embuscade, dont un Hongrois qui demeurait proche de lˆ nous vint avertir ; ce qui fut cause que nous continu‰mes lÕescarmouche tout le jour sans nous avancer lorsquÕils faisaient semblant de fuir.

Nous demeur‰mes campŽs sans rien faire, proche de Saint-AndrŽ, jusques au mardi 5e de novembre, que le gŽnŽral partit ˆ soleil couchŽ avec cinq mille chevaux, et sÕen vint droit ˆ Bude toute la nuit ; et arriv”mes ˆ la pointe du jour en la ville basse de Bude, qui nÕest point fermŽe, o lÕon avait donnŽ avis au gŽnŽral que quantitŽ des principaux Turcs de lÕarmŽe Žtaient venus loger. Nous donn‰mes jusques aux Žcuries du roi sans rencontrer personne que de pauvres habitants hongrois ; seulement trouv‰mes-nous dans les bains quelque trente Turcs qui furent tuŽs comme ils se baignaient. Mais en nous retournant lÕartillerie de la ville et du ch‰teau nous salua rudement, et tua dix ou douze re”tres. Nous nous en rev”nmes au camp de Saint-AndrŽ, ayant endurŽ cette nuit-lˆ un trs grand froid.

Or la coutume des armŽes turquesques qui viennent faire la guerre en Europe, est de ne camper pas plus longuement que jusques au jour de la Saint-Martin, qui est lÕonzime de novembre, si ce nÕest quÕils soient sur la fin dÕun sige, et que le gŽnŽral demande encore trois jours en sa faveur, aprs lesquels expirŽs ils ont pouvoir de couper impunŽment les cordages des tentes du dit gŽnŽral, et, le lendemain, de piller la proviand (qui est le magasin des vivres), et puis sÕen aller sans autre ordre : et comme cette annŽe-lˆ le dessein des Turcs ne fut autre que dÕavitailler la ville de Bude, qui p‰tissait et commenait dՐtre affamŽe, le sardar bacha (qui est leur gŽnŽral), crut avoir satisfait ˆ ses ordres, lÕayant suffisament pourvue de vivres pour deux ans ; de sorte quÕil ne voulut point retenir lÕarmŽe en campagne plus longuement que leur coutume ordinaire, et dŽlogea du camp o il Žtait logŽ depuis trois mois, pour sÕen retourner ˆ Belgrade, et, de lˆ, licencier lÕarmŽe : dont le gŽnŽral fut averti le jour de la Saint-Martin au soir, comme je jouais ˆ la prime avec lui dans sa tente, par un homme que lui envoya celui qui commandait dans Pest, qui avait vu leur dŽlogement et avait envoyŽ quelques hussards c™toyer la rivire jusques ˆ Belgrade, dont il lui mandait quÕil lui donnerait avis de temps en temps jusques ˆ ce que lÕarmŽe fut dŽbandŽe : ce quÕil fit le lendemain, et le jour dÕaprs, qui Žtait le 13e, il lÕassura que la plupart de lÕarmŽe Žtait envoyŽe en ses garnisons, et que les troupes dÕAsie sÕembarquaient sur le Danube pour sÕen retourner. Ce quÕayant su aussi par divers espions hongrois qui Žtaient en la dite armŽe des Turcs, il fit repasser lÕarmŽe le 15e de novembre en lՔle de Vats, o il sŽjourna le lendemain pour licencier ou mettre en diverses garnisons une grande partie de lÕarmŽe. Il envoya le colonel Gaisperguer avec son rŽgiment de lansquenets de quinze cents hommes ˆ Pest, qui est vis ˆ vis de Bude ; et parce quÕils faisaient difficultŽ dÕy entrer sÕils nÕavaient un prt, attendant leurs montres, le gŽnŽral me pria de prter deux mille ducats pour leur donner, mÕassurant de me les faire rendre dans peu de jours : ce quÕil fit, sachant que je ne manquais pas dÕargent, leur ayant gagnŽ ˆ la prime, depuis que jՎtais arrivŽ ˆ lÕarmŽe, plus de huit mille ducats.

Mr le prince de Joinville, Mr le landgraf de Hessen, monsieur le Reingraf, Schomberg, et les volontaires italiens sÕen retournrent de Vats, et moi je suivis lÕarmŽe volante de trois mille chevaux et de huit mille hommes de pied que le gŽnŽral retint, avec laquelle il partit le 17e de lՔle, et vint camper ˆ quatre lieues loin de la rivire, et le lendemain il vint assiŽger la ville de Hatwan qui ne tint que trois jours, puis se rendit ; il y mit le rŽgiment de Roemer, de quinze cents hommes, en garnison, et vint loger ˆ trois lieues de lˆ : puis le lendemain il vint camper devant Strigonie, de lÕautre c™tŽ du pont de bateaux qui y Žtait fait. Nous en dŽloge‰mes le lendemain 24e de novembre aprs avoir rompu lÕarmŽe, quÕil licencia ou envoya en diverses garnisons, et v”nmes d”ner et coucher ˆ Javarin par un froid extrme. Le lendemain nous en part”mes, et v”nmes coucher ˆ Gomar, o je sŽjournai trois jours avec le Rosworm, qui Žtait amoureux de la Sra Anna Regina de Holnec, sĻur de la femme du gouverneur de Gomar, Jean de Mollart, laquelle Žtait dame de la reine dÕEspagne, et lÕavait accompagnŽe jusques ˆ Madrid ; mais elle ne voulut demeurer en Espagne, et sÕen Žtait retournŽe lÕannŽe auparavant. Elle pensait Žpouser le Rosworm ; mais cՎtait un vieux matois qui ne sÕentendait pas au mariage.

Nous part”mes de Gomar le 29e, et arriv”mes le 30e et dernier de novembre ˆ Vienne en Autriche, o je trouvai dŽjˆ arrivŽs Mrs de Joinville, Reingraf, Schomberg, et autres qui avaient ŽtŽ dans lÕarmŽe. JÕy trouvai aussi mes amis Carle de Harach, Zeifrid Bremer, Quinterot, et autres, desquels je reus tant de gracieux accueil et de courtoisies, que je demeurai six semaines au dit Vienne, o je passai extrmement bien mon temps (dŽcembre).

Je fus en Moravie en une belle maison de Mr Maximilian de Lichtenstein, mon bon ami, nommŽe Raurau, en compagnie de Carle de Harach, de Mr de Joinville, et de Schomberg. Puis Mr le prince de Joinville ayant renvoyŽ son train, vint loger quinze jours ˆ mon logis, o il fut reu au mieux quÕil fut possible ; puis il en partit en poste pour sÕen aller ˆ Prague, et de lˆ en France.

1604.

Janvier.Ń Je partis de Vienne le 18e de janvier de lÕannŽe 1604, et arrivai par la poste le 22e ˆ Prague o je trouvai le Rosworm, qui, depuis notre rŽconciliation, mÕavait portŽ une trs Žtroite amitiŽ. Il vint le lendemain matin 19e, me prendre en son carrosse ˆ mon logis, et mÕamena ˆ la salle du palais de Prague, o nous nous promen‰mes jusques ˆ ce que les conseils se levassent, et lors tous les seigneurs des conseils vinrent donner le bonjour au Rosworm, lequel ils respectaient fort ˆ cause de la charge quÕil avait eue de marŽchal de camp gŽnŽral de lÕarmŽe ; et puis ensuite il me prŽsenta ˆ eux, les priant de mÕaimer, et leur disant beaucoup de bien de moi.

Il me mena de lˆ d”ner chez un vieux seigneur nommŽ Prechethovits, qui Žtait burgrave de Carlestein, qui est la seule forteresse du royaume de Bohme, en laquelle la couronne, et tous les titres et enseignements du dit royaume sont gardŽs : il avait deux fils, lÕun grand fauconnier de lÕempereur, lÕautre un jeune seigneur qui avait ŽtŽ camarade du Rosworm en la dernire armŽe, et qui, lÕannŽe prŽsente, prŽtendait le rŽgiment de cavalerie que le royaume de Bohme devait envoyer en Hongrie ; et parce que le Rosworm pouvait beaucoup pour lui faire obtenir, ils recherchaient tous avec passion ses bonnes gr‰ces. Le dit Rosworm Žtait amoureux de la dernire des quatre filles du dit burgrave, nommŽe panna Sibilla : les autres trois Žtaient, la comtesse de Millesimo, lÕa”nŽe ; la seconde avait ŽpousŽ Carle Colovich, frre du colonel Zeifrid Colovich ; et la troisime, nommŽe panna Ester, Žtait une jeune dame dÕexcellente beautŽ, en l'‰ge de dix huit ans, veuve depuis six mois dÕun gentilhomme nommŽ Briczner, avec qui elle avait ŽtŽ un an mariŽe.

Nous fumes noblement reus et traitŽs chez ce Mr de Prechethovits, et aprs d”ner nous dans‰mes, o je commenai de devenir amoureux de madame Ester, cette veuve, qui me fit para”tre nՐtre pas marrie de mon dessein, que je lui dŽcouvris en partant du logis, comme ses sĻurs allaient conduire le Rosworm ; car elle y correspondit de sorte quÕelle me donna moyen de lui Žcrire, et me manda les lieux o elle allait, pour mÕy trouver. JÕallai aussi parfois la voir sous la couverture de lÕamitiŽ que jÕavais contractŽe ˆ lÕarmŽe avec son jeune frre, Wolf de Prechethovits ; mais comme le carme-prenant approchait, son pre sÕen allant ˆ Carlestein, elle fut forcŽe de partir.

Au sortir de ce d”ner et du bal de chez Prechethovits, le Rosworm, pensant mÕobliger, mÕembarqua en une assez mauvaise affaire. Il avait traitŽ avec un h™te de la Nouvelle-Ville, que pour deux cents ducats, il lui livrerait ses deux filles, qui Žtaient trs belles ; et je pense quÕil surprit ce pauvre homme Žtant ivre, pour lui faire cette promesse, comme il apparut ensuite. Car, comme nous fžmes arrivŽs ˆ deux cents pas de cette hostellerie, nous descend”mes de carrosse, quÕil commanda de tourner et de nous attendre lˆ ; et le Rosworm et moi, avec un sien page bohme pour nous servir de truchement, all‰mes en cette hostellerie : nous trouv‰mes le pre dans son pole avec ses deux filles qui travaillaient ˆ leurs ouvrages, qui fut aucunement [quelque peu] ŽtonnŽ de nous voir, et plus encore lorsque le Rosworm lui fit dire que nous lui portions chacun cent ducats pour avoir le pucelage de ses deux filles, comme il lui avait promis. Lors, il sՎcria quÕil nÕavait jamais promis telle chose, et ouvrant la fentre, cria par deux fois : Mortriau ! Mortriau ! qui veut dire : au meurtre ! Alors le Rosworm lui porta le poignard ˆ la gorge, et lui fit dire par le page que, sÕil parlait aux voisins, ou sÕil ne commandait ˆ ses filles de faire notre volontŽ, il Žtait mort, et me dit cependant que je prisse une des filles, et que je mÕen jouasse. Moi, qui pensais tre venu ˆ une affaire o toutes les parties Žtaient dÕaccord, fus bien ŽtonnŽ lorsque je vis quÕil nous fallait forcer des filles, et en la prŽsence de leur pre. Je dis au Rosworm que je ne mÕentendais point de forcer des filles. Il me dit lorsque, si je ne le voulais faire, je vinsse tenir le poignard ˆ la gorge du pre, et quÕil ferait son devoir avec une des dites filles : ce que je fis ˆ grand regret, et ces pauvres filles pleuraient. Le Rosworm commenait ˆ en baiser une, quand un grand bruit du voisinage, Žmu au cri quÕavait fait lÕh™te, lui fit l‰cher prise, et me dire quÕil nous fallait payer de courage et de bonne mine, ou nous Žtions perdus, et lors il fit dire ˆ lÕh™te quÕil le tuerait sÕil ne nous faisait sortir des mains du peuple. Cet h™te avait une jupe volante, sous laquelle il lui mit sa dague quÕil lui tenait contre la chair, et me fit donner le poignard du page pour en faire de mme : et ainsi sort”mes du pole jusques en la rue, lÕh™te intimidŽ disant toujours au peuple que ce nՎtait rien, jusques ˆ ce quՎtant un peu ŽloignŽs, nous retir‰mes nos dagues de dessous sa jupe, et lÕh™te recommena ˆ crier comme devant : Mortriau ! Mortriau ! ce qui convia le peuple de courir aprs nous avec infinis coups de pierre. Alors le Rosworm me cria : Ē Mon frre, sauve qui peut ! si vous tombez, ne vous attendez point que je vous relve ; car chacun doit songer ˆ soi. Č Nous courions assez vite ; mais une pluie de pierres nous incommodait grandement, dont lÕune ayant donnŽ par les reins du Rosworm le porta par terre ; et moi, pour ne faire ce quÕil avait dit quÕil me ferait, le relevai, et lÕaidai vingt pas, au bout desquels nous trouv‰mes heureusement notre carrosse, auquel nous Žtant jetŽs nous f”mes toucher jusques ˆ ce que nous fussions en sžretŽ dans la Vielle-Ville, Žtant ŽchappŽs des pattes de plus de quatre cents personnes.

Le jour dÕaprs, 24e de janvier, le Rosworm me fit obtenir lÕantichambre de lÕempereur, qui est un lieu rŽservŽ aux fort grands seigneurs et princes, en laquelle je me trouvais de deux jours lÕun : et cinq ou six jours aprs, jouant ˆ la paume contre le grand Wallenstein, qui faisait la charge de grand chambellan de lÕempereur depuis la mort de Peter de Mollart, dŽcŽdŽ depuis huit jours, lÕempereur nous vint voir jouer ˆ travers dÕune jalousie qui Žtait en une fentre qui regardait sur le jeu de paume, et y demeura longtemps ; et le lendemain matin, comme jՎtais en son antichambre, il me fit appeler pour lui faire la rŽvŽrence, o il me traita fort bŽnignement, disant quÕil connaissait ma race, qui avait toujours fidlement servi leur royale maison ; quÕil avait eu bonne information de moi en cette dernire guerre dÕHongrie ; et que, si je prŽtendais ˆ quelque charge, quÕil serait bien aise de mÕen gratifier. Il me parla en espagnol, et voulut que je lui rŽpondisse aussi.

 

FŽvrier. Ń Peu de jours aprs, mÕarriva la nouvelle de la mort du baron de Siray, tuŽ par monsieur le Reingraf mon cousin : ce qui mÕobligea de parler aux principaux du conseil en faveur du Reingraf, et pour lÕexcuser, et enfin de demander sur ce sujet audience ˆ lÕempereur, qui me fut promptement accordŽe, et me rŽpondit favorablement, et ensuite me fit dire par le comte de Furstemberg quÕil avait rŽformŽ les six compagnies de cavalerie du Reingraf ˆ trois, et les quatre de carabins du Rosworm ˆ deux ; et que, si je voulais lever encore trois nouvelles compagnies de cavalerie, et deux de carabins, que lÕempereur me retiendrait ˆ son service en qualitŽ de colonel de mille chevaux ; ce que jÕacceptai, voyant la longue paix de France, et conviŽ aussi par lÕamour extrme que je portais ˆ madame Ester. Les trois compagnies de chevau-lŽgers furent donnŽes ˆ Champgaillart, vieux soldat franais ; ˆ don Baltasar Marrada, Espagnol ; et ˆ Jean Paul, Italien ; qui les avaient dŽjˆ commandŽes sous le Reingraf, et qui les renforcrent du dŽbris des autres. Pour les deux compagnies de carabins, le capitaine la RamŽe en eut une, et le capitaine Merguelot, tous deux liŽgeois, lÕautre. Je fis donner la cornette de Champgaillart ˆ Cominges, et sa lieutenance ˆ La Croix, qui depuis a ŽtŽ colonel.

CՎtait pendant le carme-prenant que lÕon traitait de ma capitulation, auquel temps on parle peu dÕaffaires en ces pays du nord ; et je ne pressais pas fort mes expŽditions, Žtant Žperdument amoureux de madame Ester, laquelle, aprs plusieurs espŽrances quÕelle me donna, et sa sĻur au Rosworm, de revenir passer le carnaval ˆ Prague, enfin elles furent retenues ˆ Carlestein par la maladie du burgrave leur pre. Nous le pass‰mes bien gaiement en ftes et festins continuels, et jouant ˆ la petite prime fort grand jeu, entre cinq ou six que nous Žtions, assavoir le prŽsident du royaume nommŽ Steremberg, Adam Galpopel, le grand prieur de Malte, Kinsky lÕa”nŽ, et le Rosworm et moi ; et nՎtait soir quÕil nÕy ežt deux ou trois mille dallers de perte ou de gain.

Celui qui faisait lÕoffice de grand Žcuyer de lÕempereur, nommŽ Bruscofschi, se maria avec une riche femme, o le Rosworm et moi, fžmes conviŽs ; et un des quatre jours que cette noce dura, nous voulžmes faire des masques ˆ cheval, et nous promener par la ville avec de trs beaux habits. Nous fžmes huit de partie, assavoir le Rosworm et moi, qui marchions les premiers ; Walestein le Longuo et le Kinsky allaient aprs ; Haraud et Charnin, deux gentilshommes de la chambre de lÕempereur, suivaient ; et le jeune Schomberg, avec le comte Wolf de Mansfeld Žtaient les derniers. Comme nous pass‰mes devant la maison de ville de la Vieille-Ville, quelques sergents nous vinrent dire en langue esclavonne, au Rosworm et ˆ moi, qui ne lÕentendions pas, que lÕempereur avait dŽfendu dÕaller en masque par la ville : ˆ quoi nous ne f”mes autre rŽponse, sinon que nous nÕentendions point lÕesclavon. Ils nous laissrent lors passer ; mais comme ce vint au retour, ils tendirent les cha”nes ˆ toutes les avenues de la place de la maison de ville, hormis celle par o nous entrions ; et des que nous fžmes passŽs, ils la tendirent aussi, et lors ils commencrent par les derniers, et prirent par la bride le cheval du comte de Mansfeld et celui de Schomberg, et les menrent en prison ; puis se saisirent ensuite de Haraud et de Charnin, et du Wallenstein et du Kinsky, lesquels, souffrant impatiemment cet outrage, et nÕayant point dՎpŽes pour lÕempcher, nous crirent que nous prissions garde ˆ nous. Alors le Rosworm se saisit de son ŽpŽe, et moi de la mienne, que nos laquais portaient devant nous ; et sans les tirer des fourreaux, nous regardions que lÕon ne sais”t pas la bride de nos chevaux : ce que un sergent ayant voulu faire ˆ moi, le Rosworm lui donna de son ŽpŽe avec le fourreau sur la main de telle sorte que, le fourreau sՎtant coupŽ, il blessa bien fort le dit sergent ˆ la main. Alors, plus de deux cents sergents se mirent sur nous ; et nous deux, de notre c™tŽ, m”mes nos ŽpŽes nues ˆ la main, lesquelles ils Žvitaient : mais ˆ chaque passade que nous faisions, ils nous dŽchargeaient de grands coups de hampes de hallebarde sur les reins et sur les bras : ce qui dura quelque temps, jusques ˆ ce quÕun chef de justice sortant de la maison de ville, haussa son b‰ton (que lÕon nomme rŽgiment) ; alors tous les archers mirent leurs hallebardes en terre, et le Rosworm (qui savait la coutume), y jeta aussi son ŽpŽe, et me cria que je jetasse aussi vitement la mienne ; ce que je fis : autrement jÕeusse ŽtŽ dŽclarŽ rebelle ˆ lÕempereur, et pour tel, puni. Alors Rosworm me pria de parler quand le juge nous interrogerait, afin que lÕon ne le connžt point. Il me demanda qui jՎtais, et lui ayant dit sans dŽguiser, il me demanda qui Žtait mon compagnon ; je lui dis que cՎtait Rosworm. Alors il nous fit de grandes excuses ; et le Rosworm qui Žtait bien marri de ce que je lÕavais nommŽ, quand il vit quÕil ne sÕen pouvait plus dŽdire, se dŽmasqua en colre, menaant le juge et les sergents de les faire rigoureusement ch‰tier, et quÕil sÕen plaindrait ˆ lÕempereur et au chancelier : eux t‰chrent le mieux quÕils purent de le rapaiser ; mais il avait ŽtŽ trop battu, et moi aussi, pour se contenter de paroles. On nous rendit nos six compagnons plus heureux que nous, car ils nÕeurent que la peur, et nous nous retir‰mes : puis le soir, comme si de rien nÕežt ŽtŽ, nous retourn‰mes aux noces. Mais le lendemain le Rosworm vint trouver le chancelier du royaume, auquel il parla fort arrogamment, et le chancelier fit mettre, pour nous satisfaire, plus de cent cinquante sergents prisonniers, les femmes desquels Žtaient tout le jour ˆ la porte de mon logis pour obtenir gr‰ce, et moi jÕen sollicitais assez le Rosworm ; mais il Žtait inexorable, et les fit demeurer quinze jours en prison, pendant la rigueur de lÕhiver, dont deux en moururent. Enfin, ˆ grand peine, je les fis dŽlivrer.

Quelques jours aprs il se fit une belle assemblŽe de dames chez le grand chancelier, o nous all‰mes danser un petit ballet, qui fut trouvŽ beau pour tre en Bohme, o il ne sÕen danse pas souvent.

Pendant ce temps-lˆ, comme nous jouions un soir au quinola, Adam Galpopel et Kinsky se querellrent, et se battirent le lendemain, o Adam Galpopel fut blessŽ ˆ la jambe. Le grand prieur de Bohme, et lÕambassadeur de Venise qui Žtait venu jouer avec nous chez Adam Galpopel, ˆ qui nous tenions compagnie pendant que sa blessure le tint au lit ou au logis, se querellrent aussi sur le sujet de Saint-Jean et de Saint-Marc, ce qui donna ˆ rire ˆ la cour.

Or, dans la ville de Prague, le nouveau calendrier se pratique ; mais dans la campagne, parmi les hussites, il ne sÕobserve point ; de sorte quÕaprs que le carme-prenant fut passŽ ˆ Prague, il dura encore dix jours de plus ˆ la campagne, et le burgrave de Carlestein nous convia, le Rosworm et moi, avec deux autres seigneurs, lÕun nommŽ Slabato, et lÕautre Colobrat, de le venir passer ˆ Carlestein, o quantitŽ de dames et de seigneurs se devaient trouver aussi : ce que nous f”mes ds notre mercredi des Cendres, et nous m”mes tous quatre en carrosses, qui Žtions les quatre amoureux des quatre filles du burgrave ; car Colobrat aimait de longue main la comtesse Millesimo, et Slabato Žtait depuis peu embarquŽ avec la femme de Hans Colovich. Nous y trouv‰mes plus de vingt dames, parmi lesquelles il y en avait de trs belles : et ne faut pas demander si nous fžmes bien venus et vus des quatre filles du logis, mais principalement de la mienne, qui fut ravie de me voir, et moi elle ; car jÕen Žtais extrmement amoureux, et puis dire quÕen toute ma vie je nÕai passŽ dix journŽes plus agrŽablement, ni ne les employai mieux que je fis celles-lˆ : ce fut une continuelle fte, Žtant perpŽtuellement ˆ table, ou au bal, ou en schlitte [tra”neau], ou en une autre meilleure occupation.

Enfin, aprs le carnaval passŽ, nous nous en rev”nmes ˆ Prague, avec grand regret dÕelles et de nous, mais avec grande satisfaction de notre petit voyage. Ma ma”tresse me promit quÕelle viendrait bient™t ˆ Prague : mais comme son pre retomba malade, elle ne le put, mais elle me fit venir dŽguisŽ ˆ Carlestein, o je fus cinq jours et six nuits cachŽ en une chambre prs de la sienne, au bout desquels, et de ma vigueur, je mÕen revins ˆ Prague, o, aprs avoir tirŽ mes expŽditions, et assignation pour lÕargent de ma levŽe sur le landsfried de Lorraine, je pris congŽ de lÕempereur pour mÕen revenir en France (avril), et partis de Prague, le jeudi devant P‰ques fleuries en poste avec un de mes amis nommŽ Cocorjovits, et v”nmes coucher ˆ Carlestein pour dire adieu au burgrave, ˆ ses fils et filles, mais en effet pour prendre congŽ de ma ma”tresse, et en espŽrance, mme en ferme crŽance lors, de retourner la trouver aussit™t que ma levŽe serait faite, que je ferais acheminer par le Danube en Hongrie, pendant que jÕirais faire un tour ˆ la cour de lÕempereur.

Au service de Henri IV

JÕen partis le lendemain, et vins coucher ˆ Cocorjovits, o il me fut fait trs bon traitement par le ma”tre de la maison, et y avait assez belle compagnie de dames : mais elles ne me touchaient gure au cĻur ; car jÕy avais donnŽ trop de place ˆ panna Ester Prechethovits. Je nÕavais avec moi que le seul Guittaut, et un valet allemand que jÕavais ŽtŽ forcŽ de prendre, ˆ cause que les miens Žtaient demeurŽs malades ˆ Prague. Le samedi lendemain il nous fit encore festin ˆ d”ner, o il nous enivra, et puis nous prta son carrosse, qui me mena ˆ Bilsem, dÕo je partis le jour de P‰ques fleuries pour aller coucher ˆ Ratisbonne. JÕen partis le lundi, et couchai ˆ Brouk, et le mardi jÕarrivai ˆ Munchen.

Le mercredi je vins saluer Mr le duc Maximilian, lequel me fit lÕhonneur de mÕoffrir le rŽgiment de trois mille lansquenets que le cercle de Bavire entretenait en Hongrie, et quÕen quelque annŽe que je voulusse le recevoir, pourvu que je lÕen avertisse devant P‰ques, quÕil me le donnerait ; dont je lui rendis trs humbles gr‰ces : et mÕayant fait dŽfrayer, jÕen partis le mercredi-saint en un carrosse quÕil me prta, qui me mena, le lendemain jeudi-saint, d”ner ˆ Augsbourg, o je demeurai le vendredi, samedi, et dimanche de P‰ques, pour quelques affaires que jÕy avais, et en partis le lendemain de P‰ques, et mÕen revins en trois jours ˆ Strasbourg ˆ d”ner, et ˆ coucher ˆ Saverne.

Je me mis ˆ table pour souper avant que dÕaller voir les chanoines au ch‰teau ; mais comme je commenais, ils arrivrent pour me prendre, et me mener loger au ch‰teau. CՎtaient Mr le domdechent [doyen du chapitre] de Creange, et les comtes de Quesle et de Reiffercheid. Ils avaient dŽjˆ soupŽ, et Žtaient ˆ demi ivres. Je les priai que, puis quÕils me trouvaient ˆ table, ils sÕy missent plut™t que de me mener attendre le souper au ch‰teau, ce quÕils firent ; et en peu de temps de notre soif, Guittaut et un mien compre, ma”tre de monnaies de Lorraine, et moi, nous les achev‰mes si bien dÕivrer, quÕil les fallut remporter au ch‰teau, et moi, je demeurai ˆ mon hostellerie, et le lendemain, ˆ la pointe du jour, je montai ˆ cheval, pensant partir ; mais ils avaient, la nuit, envoyŽ dŽfendre que lÕon ne me laiss‰t pas sortir : car ils voulaient avoir leur revanche de ce que je les avais enivrŽs. Il me fallut donc demeurer ce matin-lˆ ˆ d”ner, dont je me trouvai bien mal ; car, afin de mÕenivrer, ils me mirent de lÕeau de vie dans mon vin, ˆ mon avis, bien quÕils mÕaient depuis assurŽ que non, et que cՎtait seulement dÕun vin de Lebsberg, qui est si fort et si fumeux, que je nÕen eus pas bu dix ou douze verres que je ne perdisse toute connaissance, et que je ne tombasse en une telle lŽthargie, quÕil me fallut saigner plusieurs fois, et me ventouser, et me serrer avec des jarretires les bras et les jambes. Je demeurai ˆ Saverne cinq jours en cet Žtat, et perdis de telle sorte le gožt du vin, que je fus, depuis, plus de deux ans, non seulement sans en pouvoir boire, mais mme sans en pouvoir sentir sans horreur.

Aprs que je fus guŽri, je mÕen vins en deux jours ˆ Harouel, o je ne demeurai gure sans aller ˆ Nancy. Je trouvai du changement ˆ la cour de Lorraine par la mort de Madame, sĻur du roi, duchesse de Bar.

 

Mai. Ń Aprs que jÕy eus sŽjournŽ quelques jours, je fus ˆ Epinal, non tant pour y voir ma tante, que ma cousine de Bourbonne, nouvellement mariŽe au comte des Cars, de qui jÕavais ŽtŽ extrmement amoureux ; et si feu ma mre nÕy eut point eu de rŽpugnance, jÕeusse cru ne vivre pas malheureux, mariŽ avec elle : mais je ne lui voulus pas dŽplaire. Je la trouvai qui arrivait comme moi chez ma tante, o nos anciens feux se rallumrent, et notre sŽjour de quatre jours ˆ Epinal y aida fort. Mr de Couvonges Žtait venu avec moi, et sa femme avec ma cousine ; nous all‰mes la conduire ˆ Ville-sur-Yllon, avec ma cousine de Viange. De lˆ nous all‰mes ˆ Mirecourt, voir monsieur et madame de Marcossay, puis rev”nmes au dit Ville-sur-Yllon, dÕo nous nous sŽpar‰mes de ma cousine des Cars, non sans y avoir tous deux bien du regret ; et elle sÕen retourna ˆ Bourbonne, et nous ˆ Epinal, et de lˆ ˆ Nancy : et le lendemain que jÕy fus arrivŽ, jÕallai ˆ Toul au devant de ma mre, qui revenait de France, et lÕemmenai ˆ Harouel, o madame dÕEpinal la vint voir le lendemain : et le jour dÕaprs, on rapporta le corps de feu mon frre de Removille, qui avait ŽtŽ blessŽ dÕune mousquetade au genou ˆ la prise du Porc-Epic au sige dÕOstende ; duquel coup il lui fallut couper la jambe, et en mourut cinq jours aprs ; qui me fut un sensible dŽplaisir et une signalŽe perte ; car cՎtait un homme de grand cĻur et de bon jugement, et qui, avec apparence, Žtait pour faire une grande fortune. Je lÕavais laissŽ auprs du roi en mÕen allant en Hongrie, pour terminer lÕaffaire de Saint-Sauveur, laquelle je dŽduirai, comme celle qui mÕa fait changer mes desseins, et qui me fit quitter la charge que jÕavais en Hongrie, qui fut aussi cause de la mort de mon frre.

Une tante de ma mre, nommŽe madame de Moreuil, lui donna soixante mille Žcus, la mariant avec feu mon pre : et pour assurer cet argent ˆ ma mre, il le fallut employer en chose qui lui t”nt nature de propre ; ce que lÕon fit en prenant en engagement du roi le comtŽ de Saint-Sauveur le Vicomte, de Saint-Sauveur Lendelin, et la baronnie de Nehou, pour quarante mille Žcus que mon pre fournit comptant ; et depuis, on supplŽa encore des autres vingt mille Žcus que lÕon devait employer de la dite donation de madame de Moreuil, et ce, par Ždit dÕaliŽnation vŽrifiŽe aux parlements et chambres des comptes o il appartenait. Or dans le contrat dÕengagement il Žtait portŽ que, si les dites terres nÕavaient de revenu autant que montait lÕintŽrt de notre argent au denier vingt, qui Žtait neuf mille livres par an, ce qui en manquerait nous serait payŽ sur la recette gŽnŽrale de Caen. Il arriva que, aprs la bataille de Moncontour, comme lÕon licencia les re”tres, on paya leurs dŽcomptes au mieux que lÕon put ; et comme lÕon nÕavait pas tout lÕargent comptant quÕil fallait pour les payer, on convia feu mon pre, et Schomberg, de prendre des rentes sur lÕh™tel de ville de Paris, ou dÕautres engagements, pour une partie de la somme qui leur Žtait due, et ˆ leurs re”tres, et lÕautre partie comptant : et feu mon pre qui vit que les terres de Saint-Sauveur qui lui Žtaient dŽjˆ engagŽes, valaient beaucoup plus que lÕintŽrt des premires sommes pour lesquelles il les tenait, offrit de prendre encore quarante mille Žcus sur les mmes terres en engagement ; ce que les ministres de France acceptrent avec joie, et lui en donnrent les expŽditions que lui mme dŽsira. Et comme il ne savait point certaines lois de la France particulires, il ne se soucia point de faire vŽrifier aux chambres des comptes cette dernire partie, et jouit, prs de trente ans, des dites terres en cette faon.

Advint que, en lÕan 1595, Mr de Schomberg, Žtant redevable ˆ mon pre de la somme de 32000 Žcus, offrit ˆ mon pre que, sÕil voulait prendre cette somme sur le roi, et en surcharger encore les terres de Saint-Sauveur, quÕil ferait ajouter encore par le roi vingt et quatre mille livres de plus, qui Žtaient dues ˆ feu mon pre pour restes de paiements de re”tres, lesquelles 24000 Žtaient, en bonne forme, dŽclarŽes dettes de la couronne. Feu mon pre, pour sortir dÕaffaires avec Mr de Schomberg, qui en ce temps-lˆ nՎtait pas bien dans les siennes, et pour tre payŽ de ce reste dont il nՎtait point assignŽ, accepta ce parti, et eut les expŽditions nŽcessaires pour ce dernier surengagement, qui furent vŽrifiŽes au parlement comme les autres. Et lors, on avertit feu mon pre quÕil Žtait besoin de les faire aussi vŽrifier aux chambres des comptes de Paris et de Rouen : ce que voulant faire, et de celle aussi des quarante mille Žcus prŽcŽdents, la chambre en refusa la vŽrification : et bien que ma mre, depuis sa viduitŽ, en ežt obtenu diverses jussions, elle nÕy put parvenir.

Il arriva quÕen lÕannŽe 1601, le duc de Wurtemberg poursuivant le remboursement de quelques sommes dÕargent quÕil avait prtŽes au roi pendant la guerre, on lui dit quÕil cherch‰t lui-mme les moyens de se faire payer, par lÕinvention de quelque parti, ou la dŽcouverte de quelques terres qui ne fussent encore engagŽes, ou qui le fussent ˆ si bas prix que lÕon lui pžt surengager pour plus grande somme ; ˆ quoi son rŽsident, nommŽ Bunichhause, qui y travaillait, fut aidŽ par le procureur gŽnŽral de la chambre des comptes de Rouen, nommŽ le Menil Basire, qui lui promit, moyennant dix mille Žcus, quÕil lui fournirait des engagements suffisants pour sa somme, et que, sÕil le voulait introduire chez Mr de Rosny, quÕil lui dŽclarerait : ce que Bunichhause ayant fait, il dit au marquis de Rosny que nous tenions les domaines de Saint-Sauveur le Vicomte, de Lendelin, et de Nehou, pour soixante mille Žcus, et quÕil Žtait portŽ par le contrat, que, si les dites terres nՎtaient de trois mille Žcus de revenu, le roi sÕobligeait de payer ce quÕil y manquerait sur la recette gŽnŽrale de Caen ; ce qui faisait rŽciproquement en faveur du roi, que si les terres valaient davantage, que le surplus devait tre restituŽ au roi : par ainsi, si le roi se vouloir faire justice ˆ lui-mme, non seulement il serait quitte du premier engagement de 180000 livres, mais encore du deuxime de 120000 livres, et du dernier de pareille somme de 120000 livres ; et que, par la supputation quÕil en avait faite, nous demeurerions redevables de plus de 60000 livres au roi, quand bien S. M. nous compterait les 180000 livres actuellement dŽboursŽes par nous, ˆ dix pour cent ; vu que, des autres sommes qui Žtaient de dettes de service, qui nՎtaient et ne pouvaient tre vŽrifiŽes en engagement de domaine, le roi nՎtait obligŽ ˆ aucun intŽrt.

Mr de Sully prit cet avis avec applaudissement, et crut que, sans bourse dŽlier, il pourrait payer le duc de Wurtemberg quÕil affectionnait pour tre protestant, et parce aussi quÕil lÕavait autrefois connu. Il le proposa au roi, et lÕassura que nous aurions sujet dՐtre plus que contents si le roi nous faisait don de ce que nous lui serions redevables de reste ; de sorte quÕen lÕannŽe 1601, comme je revins dÕAngleterre, je trouvai que, par un arrt du conseil, il Žtait ordonnŽ que ma premire somme de 60000 Žcus me serait actuellement remboursŽe avec les intŽrts au denier dix ; que les deux autres, de chacune 40000 Žcus, me seraient pareillement remboursŽes, mais sans intŽrts, et que je rendrais compte des fruits des dits domaines depuis lÕannŽe 1569 que jÕen Žtais entrŽ en jouissance.

Je me plaignis grandement au roi de cette injustice de son conseil, et lui fis voir comme mon pre, Žtranger et ignorant des lois de la France, avait traitŽ de bonne foi, que sÕil nÕežt pris sur les dits domaines la seconde somme de 40000 Žcus, que lÕon [la] lui ežt donnŽe comptant, comme lÕon avait fait aux autres colonels ; que si on en faisait de mme ˆ tous les anciens dŽtenteurs des domaines ou droits sur le roi, qui, par leur industrie ou la suite des temps avaient ŽtŽ augmentŽs, outre que lÕon ruinerait quantitŽ de grandes maisons, cela apporterait ce prŽjudice que tous les domaines quÕils tiennent dŽpŽriraient ; et que, quand cette rgle serait gŽnŽrale, elle devrait avoir exception pour nous qui Žtions Žtrangers, qui servions de bonne foi, et qui avions apportŽ du soulagement aux affaires du roi, nÕayant pas reu notre argent comptant que lÕon nous devait donner, mais pris un enchŽrissement sur une terre que nous possŽdions dŽjˆ ; que, cela considŽrŽ, il trouverait que le revenu de ces domaines nÕavait point excŽdŽ lÕintŽrt de notre somme ; que, sÕil y avait quelque chose ˆ redire, cՎtait sur la partie de Mr de Schomberg, de laquelle le comtŽ de Nanteuil nous serait garant.

Le roi prit assez bien mes raisons : mais pour cela il ne fit pas casser lÕarrt donnŽ, si bien en suspendre lÕexŽcution plus de deux annŽes, pendant lesquelles nous jouissions, mais avec incertitude de nos affaires, et crainte que, si un jour on exŽcutait lÕarrt, la recette que nous continuions de faire tomberait plus lourdement sur nous, de sorte que de temps en temps je pressais le roi de me faire justice, soit en me remboursant, ou en cassant lÕarrt : et comme je mÕen voulus aller en Hongrie, je le pressai de mÕexpŽdier, lequel me promit quÕil me donnerait contentement, et que dans deux mois au plus tard je serais satisfait ; mais que je fisse bien comprendre mes raisons ˆ Mr de Sully, qui ne mՎtait pas favorable en cette affaire. Je lui dis que je reviendrais avant ce temps-lˆ (car je lui celai mon voyage de Hongrie, craignant quÕil ne mÕen dŽtourn‰t, et lui dis seulement que jÕallais en Lorraine et en Allemagne), et que cependant je lui laissais mon frre qui lui en parlerait de temps en temps ; ce quÕil trouva bon. Et quand mon frre, qui Žtait un esprit colre et chaud, lui en parla, le roi lui dit quՈ mon retour il me contenterait ; mon dit frre le pressa de telle sorte que le roi se f‰cha, et mon frre ne parla pas au roi avec le respect et la retenue quÕil devait : ce qui fut cause que le roi lui parla fort aigrement ; et mon dit frre, le lendemain, prit congŽ de lui, et sÕen alla en Flandres servir le roi dÕEspagne, auquel lieu il fut trs bien appointŽ, et eut commission de faire un rŽgiment dÕinfanterie. Mais comme il ne devait tre, en la place, montre quՈ la fin du mois de juillet, il sÕen alla, en attendant, voir le marquis Spinola devant Ostende, o il fut tuŽ. Et comme je revins peu de temps avant sa mort en Lorraine, o je levais cinq cents chevaux pour aller en Hongrie, et mon frre un rŽgiment de gens de pied pour servir en Flandres, le roi crut que jÕavais tout ˆ fait quittŽ son service ; ce qui fut cause quÕil fit saisir par le prŽsident dÕEnfreville et le baron de la Lutumiere le ch‰teau de Saint-Sauveur, et en chasser ceux qui Žtaient dedans de ma part. Mais ayant su que je mÕen allais en Hongrie, et non en Flandres, et que mon frre Žtait mort, il me fit Žcrire par Zamet quÕil sՎtonnait fort de ce que je voulais quitter son service sans sujet, et que il nÕavait encore fait exŽcuter lÕarrt du conseil, si bien ™ter des mains de mon frre, qui Žtait espagnol, une place des siennes ; quÕil me tiendrait ce quÕil mÕavait promis, de me donner contentement, et quÕil me mettrait toujours en mon tort.

 

Juillet. Ń Je me crus obligŽ dՎcrire ˆ Sa MajestŽ une lettre de plainte, accompagnŽe de tant de respect, et de dŽplaisir, de ce quÕil me voulait ™ter le moyen de pouvoir avec honneur demeurer ˆ son service ; et dՎcrire aussi ˆ Zamet une plus ample lettre, o je disais mes raisons ; laquelle le roi reut en bonne part, et vit celle de Zamet, puis mՎcrivit deux mots de sa main, me commandant de le venir trouver, et quÕil me tŽmoignerait combien il mՎtait bon ma”tre ; ce que je fis : et connaissant que je ne pouvais en mme temps tre en France et en Hongrie, que mon affaire de France nՎtait pas de celles qui se terminent en un mois, et quÕelle mÕy arrterait longtemps ; considŽrant aussi quÕelle mÕimportait de cent cinquante mille Žcus, je me rŽsolus de mÕenvoyer excuser vers lÕempereur par un gentilhomme que jÕy envoyai, que jÕadressai au Rosworm, pour moyenner que Sa MajestŽ režt mes excuses en bonne part sur les raisons que je lui allŽguai : ce que, par sa bontŽ, elle fit de telle sorte quÕelle me fit mander par le mme Rosworm quÕelle ne pourvoirait point de colonel ˆ ses troupes Žtrangres, et que, si lÕannŽe dÕaprs jÕy voulais revenir, elle me conserverait la capitulation quÕelle mÕavait faite. Et bien que jÕeusse dŽjˆ fait quelques frais, je rendis lÕargent que jÕavais reu, entirement ; dont on me loua ˆ la cour de lÕempereur.

 

Aožt. Ń Je partis donc de chez moi, et mÕen vins ˆ Paris, o je fus extrmement bien reu de mes amis, qui mÕy retinrent trois jours avant que dÕaller trouver le roi qui Žtait ˆ Fontainebleau, et mÕy voulurent accompagner ; de sorte que nous courions ˆ prs de quarante chevaux de poste : car Mrs de Pralain, de Laval, de CrŽquy, comte de Sault, Gordes, Saint-Luc, Sainte-Marie-du-Mont, Richelieu, et moi, couržmes ensemble.

Le roi Žtait dessus cette grande terrasse devant la cour du cheval blanc, quand nous arriv”mes, et nous y attendit, me recevant avec mille embrassades ; puis me mena en la chambre de la reine sa femme, qui logeait en la chambre du bout, regardant sur lՎtang ; et fus bien reu des dames, qui ne me trouvrent point mal fait pour un Allemand invŽtŽrŽ dÕune annŽe dans le pays. Il me prta ses chevaux pour courre le cerf le lendemain qui Žtait le jour de Saint-BarthŽlemy, 24me dÕaožt : il ne voulut point courre ce jour, auquel ˆ pareil il avait couru tant de fortune autrefois. Aprs la chasse je le vins trouver ˆ la salle des Žtuves, o nous jou‰mes au lansquenet avec la reine et lui.

Je devins lors amoureux dÕAntragues, et lՎtais encore dÕune autre belle dame. JՎtais aussi en fleur de jeunesse, et assez bien fait, et bien gai.

 

Septembre. Ń Le roi devint amoureux de la comtesse de Moret, qui sÕappelait Bueil, et Žtait nourrie avec madame la princesse de CondŽ.

Sa MajestŽ me fit lÕhonneur de me rŽtablir au ch‰teau de Saint-Sauveur, et de me donner main levŽe des domaines quÕil avait fait saisir : ce qui mÕobligea dÕaller en Normandie sur la fin de septembre, et vins chez Sainte-Marie-du-Mont, o je demeurai trois jours (octobre), et o Mrs de Montgomery, la Luserne, et Canisy me vinrent voir, et mÕaccompagnrent ˆ Saint-Sauveur, mÕayant prŽcŽdemment fait embrasser le prŽsident dÕEnfreville de qui je me plaignais, et le baron de la Lutumiere, desquels (mÕayant montrŽ les lettres par lesquelles le roi leur commandait de prendre Saint-Sauveur) je demeurai satisfait. Je mÕen revins (aprs avoir demeurŽ huit jours ˆ Saint-Sauveur), chez Sainte-Marie, qui me mena le lendemain chez son beau fils de Longaunai ˆ Damigny, o nous trouv‰mes ces mmes Montgomery et la Luserne, qui ne mÕabandonnrent que je ne fusse de retour ˆ Rouen. Nous pass‰mes ˆ Sainte-Croix, o Žtait madame de Silly, puis ˆ Lisieux o le marŽchal de Fervaques nous festoya, puis ˆ Rouen, o nos amis nous retinrent deux jours, au bout desquels je mÕen revins ˆ Fontainebleau trouver le roi, o le connŽtable de Castille arriva, ˆ qui le roi fit fort bon accueil.

Je passais en ce temps-lˆ une fort belle vie ˆ la cour, qui quitta Fontainebleau aprs la Toussaints pour venir ˆ Paris (novembre) ; le roi ayant peu auparavant fait arrter le comte dÕAuvergne, en Auvergne, et lÕamener ˆ la Bastille, et peu aprs Mr dÕAntragues quÕil envoya ˆ la Conciergerie, et madame de Verneuil qui fut gardŽe par le chevalier du guet en un logis qui est en la rue Saint-Paul, appartenant ˆ Heudicourt. On instruisit le procs ˆ tous trois ; mais il nÕy eut point de jugement que pour Mr le comte dÕAuvergne, qui fut condamnŽ ˆ avoir la tte tranchŽe. Mais le roi transmua la peine en une prison perpŽtuelle, en partie en considŽration de madame dÕAngoulme qui en fit de merveilleuses instances, mais davantage, ˆ mon avis, pour une raison quÕil nous dit, que le feu roi Henry troisime, son prŽdŽcesseur ne lui avait, en mourant, recommandŽ particulirement que Mr le comte dÕAuvergne et Mr le Grand, et quÕil ne voulait pas quÕil fžt dit quÕil ežt fait mourir un homme que celui qui lui avait laissŽ le royaume lui avait si affectionnŽment recommandŽ.

1605.

Janvier.Ń Mais toutes ces condamnations et gr‰ces ne furent donnŽes quÕau commencement de lÕannŽe 1605, que le roi Žtait ˆ Paris, o nous pass‰mes le carme-prenant en ftes et ballets.

 

FŽvrier. Ń JÕeus querelle contre Termes, et mon frre de Saint-Luc le fut appeler pour moi, qui se devait battre contre Montespan. Mr de Montpensier nous accorda, et fžmes toujours depuis extrmement amis.

Le roi permit ˆ Mrs de Nemours et de Sommerive de courir les rues masquŽs le mardi-gras 20me fŽvrier. Ils rencontrrent Mrs de Vitry, de Saint-Luc, comte de Sault, et moi, qui venions de nous prŽparer pour lÕentrŽe dÕun combat de barrire, et nous demandrent si nous voulions tre de la partie ; dont les ayant remerciŽs, ils nous dirent : Ē Gardez-vous donc de nous rencontrer, car nous nՎpargnerons personne ˆ coups de bourrelets. Č Alors Vitry le pre rŽpondit : Ē Messieurs, nous vous prŽparerons la collation au cimetire Saint-Jean, si vous la voulez venir prendre. Č Et ainsi nous Žtant sŽparŽs, nous nous rŽsolžmes de courre aussi les rues. Mais comme nous ne nous Žtions apprtŽs que tard, il y avait apparence que leur troupe ežt ŽtŽ plus forte que la notre : sur quoi Mr de Vitry nous dit : Ē Si vous me voulez croire, nous nous mettrons une douzaine de parents ensemble, armŽs de toutes pices dÕarmes dorŽes, dont nous ne manquons pas, et mettrons huit ou dix hommes masquŽs devant nous, et aurons de bons bourrelets ˆ lÕaron de la selle. Nous ne demanderons rien ˆ personne ; mais si lÕon nous attaque, ou nos masquŽs, alors nous nous pourrons dŽfendre, et avec grand avantage. Č Ce que nous f”mes, et nous m”mes, Mr de Vitry et son fils, Mr de CrŽquy et le comte de Sault, Mr de Saint-Luc et le commandeur son frre, Mr de Senecey et Beauvais-Nangis, Tremon, frre de Senecey, et moi, tous armŽs de belles armes dorŽes jusques aux grves [armures pour les jambes] et aux solerets [armures pour les pieds], sur de grands coursiers, avec des selles dÕarmes, avions nos ŽpŽes au c™tŽ, et des bourrelets aux mains, de cordes de puits couvertes de taffetas incarnat. Nous m”mes devant nous huit ou dix masques ˆ cheval, non armŽs que de bourrelets, et part”mes de derrire la place royale, de chez Vitry, et marchant par la rue Saint-Antoine, deux ˆ deux, nous arriv”mes en la place du cimetire Saint-Jean, en mme temps que la grande bande, qui pouvait tre de deux cents chevaux, commena ˆ para”tre du c™tŽ de la rue de la Verrerie ; et ds quÕils eurent aperu les masques qui marchaient devant nous, ils vinrent ˆ la charge : et nos masques, selon lÕordre que nous leur avions donnŽ, sՎtant retirŽs derrire nous, qui paržmes lors, et les charge‰mes rudement, nos genouillres les incommodaient fort, et leurs bourrelets ne blessaient que nos armes ; de sorte quÕils jugrent pour le mieux de se retirer dans leur gros qui Žtait encore dans la rue de la Verrerie, lequel ils mirent en dŽsordre ; et nous, cependant, les poursuivant toujours, jÕeus le contentement quÕun de mes rivaux de Mlle dÕAntragues, de qui jՎtais lors amoureux, fut bien frottŽ devant elle, qui Žtait aux fentres de son logis ˆ nous regarder. Enfin ils sՎcartrent, et nous leur pass‰mes ˆ travers. Ce fut le mardi 20me de fŽvrier [22me], et le jeudi 22me [24me] jÕeus une bonne fortune.

Le dimanche 25me [27me], se fit le combat ˆ la barrire, le seul qui se soit fait du rgne du feu roi, ni de celui de son fils le roi prŽsent rŽgnant. Notre partie Žtait les chevaliers de lÕAigle, et Žtions le comte de Sault, Saint-Luc, et moi, qui entrions ensemble. Feu Mr de Vitry Žtait notre marŽchal de camp, qui eut meilleure gr‰ce en cette action-lˆ quÕaucun autre qui sÕen ml‰t alors : aussi Žtait-ce un trs honnte et brave homme, et original ˆ sa mode.

 

Mars. Ń Le mardi suivant, qui Žtait le 27me fŽvrier [premier jour de mars], le matin, le roi Žtant aux Tuileries, dit ˆ Mr de Guise : Ē Ah ! Guisart, Antragues nous mŽprise tous pour idol‰trer Bassompierre. Je ne vous en parle pas sans le bien savoir. Č Mr de Guise rŽpondit : Ē Sire, vous ne manquez pas de moyens pour vous venger, et pour moi je nÕen ai point dÕautre que celui de chevalier errant, en le dŽfiant de rompre trois lances ˆ camp ouvert cette aprs-d”nŽe, au lieu quÕil plaira ˆ Votre MajestŽ nous ordonner. Č Le roi nous lÕaccorda, comme souvent il nous arrivait de faire pareilles parties, et nous dit que ce serait dans le Louvre, et quÕil en ferait sabler la cour. Il prit Mr de Joinville, son frre, pour son second, et Mr de Termes pour tiers ; et moi, je pris Mr de Saint-Luc et Mr le comte de Sault.

Nous v”nmes tous six d”ner et nous armer chez Saint-Luc ; et comme nous avions toujours des harnais et livrŽes prŽparŽes ˆ tous ŽvŽnements, nous fžmes armŽs dÕarmes argentŽes, et nos panaches incarnats et blancs, comme nos bas de sayes aussi : et Mr de Guise et sa troupe, ˆ cause de la prison de la marquise de Verneuil, de qui il Žtait lors amoureux couvert, sÕhabilla et arma de noir et or.

Nous v”nmes donc au Louvre ; et notre Žquipage qui entra le premier, et nos personnes aussi, nous m”mes du c™tŽ du vieux corps de logis, et Mr de Guise qui vint aprs, se mit au-dessous des fentres de la reine, vis ˆ vis de nous. Notre carrire Žtait le long de la salle des Suisses. Il advint que Mr de Guise Žtait montŽ sur un petit cheval nommŽ Lespesnes, et moi sur un grand coursier que le comte de Fiesque mÕavait donnŽ. Il prit le bas du ruisseau, et moi le haut du pavŽ, de sorte que jՎtais fort haut au prix de lui ; et au lieu de rompre sa lance en haussant, il la rompit en baissant, tellement quÕaprs avoir rompu le premier Žclat contre mon casque, il rompit le second contre la tassette ; qui glissa jusques dans la fente des chausses, par o elle entra dans mon ventre, et sÕarrta dans ce grand os qui joint la hanche et les reins ; et lˆ, la lance se rompit pour la seconde fois, et mÕen demeura un tronon, plus long que le bras, attachŽ aux os de la cuisse, qui me sortait du ventre. Je rompis ma lance dans sa salade, et bien que je me sentisse mortellement blessŽ, jÕachevai ma carrire, et on me vint aider ˆ descendre proche du petit degrŽ du roi, o Mr le Grand me prit et Guittaut lÕa”nŽ, qui mÕaidrent ˆ monter chez Mr de Vend™me sous la chambre du roi ; et un gentilhomme de Mr le Prince, pensant que le tronon que jÕavais dans le corps fut seulement au bas de saye, me lÕarracha, sans y penser, si ˆ propos, que les chirurgiens eussent eu peine de le faire si adroitement. Alors tous mes boyaux sortirent de mon ventre, et tombrent au c™tŽ droit de mes chausses : le nombril me tenait contre le dos, et la quantitŽ de sang que je perdais mÕempcha de me pouvoir soutenir ; de sorte que lÕon me jeta sur le lit de Mr de Vend™me, lˆ o, aprs tre dŽsarmŽ, on visita ma plaie, on me remit les boyaux dans le ventre le mieux que lÕon put ; puis avec une longue tente [rouleau de charpie] et force bandages, on les y tint ferme. Le roi, monsieur le connŽtable, et tous les principaux de la cour Žtaient lˆ, la plupart pleurant, ne pensant pas que je dusse vivre une heure. Je ne fis pas nŽanmoins mauvaise mine, ni ne crus jamais mourir. Plusieurs dames y Žtaient, qui me virent panser, et je voulus ˆ toute force retourner ˆ mon logis ; pour quoi faire la reine mÕenvoya sa chaire o on la portait, car pour lors elle Žtait grosse. Le peuple me suivait en y allant, avec apparence de dŽplaisir. Comme jÕarrivai ˆ mon logis, je perdis la vue, ce qui me fit penser que jՎtais bien mal ; et lÕon me fit confesser et saigner quasi en mme temps. Cependant je ne croyais pas mourir, et ne faisais que rire.

Le roi, ds que je fus blessŽ, fit cesser le tournoi, et ne permit quÕaucun autre couržt, depuis, cette course en camp ouvert ; ayant ŽtŽ la seule qui ait ŽtŽ faite cent ans auparavant en France, et nÕa ŽtŽ recommencŽe depuis.

Sur les onze heures du soir du jour de ma blessure, la vue me revint, que jÕavais perdue sept heures auparavant ; qui donna la premire espŽrance de ma vie, que jusques alors on avait tenue dŽsespŽrŽe. Mais comme quelques tranchŽes [douleurs] violentes mÕeussent en mme temps tourmentŽ, on crut que jÕallais passer, et les prtres commencrent ˆ me parler de mon salut : je disais toujours que je me sentais mieux quÕils ne pensaient ; et les tranchŽes sՎtant apaisŽes, je me mis ˆ reposer avec peu de fivre, et dormis jusques ˆ six heures du matin, que lÕon me saigna derechef pour arrter le sang qui coulait perpŽtuellement de ma plaie, et le divertir. Lors, je mÕaffaiblis fort ; mais peu aprs, mՎtant remis ˆ dormir, je crus ˆ mon rŽveil tre tout ˆ fait guŽri. Aussi nÕeus-je depuis aucun accident ni mal, sinon quand on me faisait rire avec excs ; car ma tente sortait quelquefois du ventre, et mes boyaux aussi. Enfin je me guŽris ˆ une cuisse prs, dÕo jÕavais perdu le mouvement ds que je fus blessŽ.

Il ne se peut dire combien je fus visitŽ pendant ma blessure, et principalement des dames. Toutes les princesses y vinrent, et la reine y envoya trois fois ses filles, que Mlle de Guise y amenait passer les aprs-dinŽes entires : et elle, qui croyait tre obligŽe de mÕassister puisque son frre mÕavait blessŽ, y Žtait la plupart du temps. Ma sĻur de Saint-Luc, qui coucha toujours au pied de mon lit, tant que je fus en danger, recevait les dames : et le roi, hormis le lendemain de ma blessure, vint toutes les aprs-dinŽes me voir, et en partie aussi pour y voir les bonnes compagnies. Enfin je sortis le seizime jour ; mais jÕavais toujours une tente dans le ventre. Plus de trois semaines aprs on me portait dans une chaise ; car je nÕavais nul affermissement sur le c™tŽ droit, et allais ˆ potence [bŽquille] jusques aprs que ma blessure fut fermŽe, que je mÕappuyais sur un b‰ton, ayant toujours un grand frŽmissement en toute la cuisse et jambe droite.

 

Avril. Ń Peu de jours aprs P‰ques de la mme annŽe, en tirant mon mouchoir dans le cabinet du roi, je laissai tomber une lettre dÕAntragues que Sardini releva, et le marquis de CĻuvres lui ayant dit quÕelle Žtait ˆ lui, il lui donna, lequel la montra au roi, et puis demanda ˆ me parler la nuit, devant lÕh™tel de Soissons, seul : il y mena nŽanmoins le comte de Cramail, et aprs mÕavoir reprochŽ quelques mauvais offices quÕil disait que je lui avais rendus, me dit que lÕestime quÕil faisait de moi, et le dŽsir quÕil avait dÕacquŽrir mon amitiŽ Žternelle, lÕavait fait rŽsoudre ˆ me servir plut™t que de me nuire en cette prŽsente occasion ; et quÕayant trouvŽ une lettre quÕAntragues mՎcrivait, sans sÕen prŽvaloir dÕaucune sorte, il venait de la renvoyer par Sardini ˆ Antragues mme ; et quÕil me priait que, par ce soin quÕil avait pris pour moi, je lui rendisse dŽsormais des preuves dÕune rŽciproque amitiŽ. Lors, moi qui croyais quÕil me parl‰t sans feintise, lui fis mille protestations de service et dÕaffection. Il me dit que le roi savait que cette lettre lui Žtait tombŽe entre les mains, et quÕil fallait que je lui envoyasse promptement une lettre que quelque autre femme mÕežt Žcrite, pour lui montrer ; ce que je fis en diligence, et envoyai ˆ lÕheure mme ˆ Antragues savoir si elle avait reu cette lettre. Mais comme elle mÕeut mandŽ quÕelle nÕavait vu personne de la part du marquis, alors, forcenŽ de colre, et perdu dans ce ressentiment, jÕallai droit au logis du dit marquis pour ravoir ma lettre, ou pour lÕoutrager : mais par les chemins je rencontrai Mr dÕEsguillon et Mr de CrŽquy qui mÕarrtrent pour savoir mon dessein : Ē Je vas, leur rŽpondis-je, chez le marquis de CĻuvres, ravoir une lettre quÕil a trouvŽe, quÕAntragues mՎcrivait ; et sÕil ne me la rend, je suis rŽsolu de le tuer. Č

Lors ils me remontrrent que je courais un pŽril extrme, sans moyen dÕen Žchapper, dÕaller tuer un homme dans son logis parmi tous ses gens ; et que lui, serait bien l‰che sÕil me la rendait, y allant de la sorte ; mais quÕil valait mieux y envoyer un de mes amis, et CrŽquy sÕoffrit dÕy aller. Il trouva le marquis fort ŽloignŽ de me la rendre, comme il sՎtait auparavant offert, parlant ˆ moi : au contraire il dit quÕil se voulait servir de lÕoccasion que la fortune lui prŽsentait de se venger de moi. CrŽquy lui dit que cette affaire ne se passerait pas ainsi, et que, ma vie y Žtant attachŽe, il ne devait point rechercher ce qui peut-tre lui pourrait causer un grand malheur. Enfin il pria CrŽquy de revenir le lendemain ˆ six heures du matin (ˆ mon avis parce quÕil avait lors envoyŽ par La Varrenne la lettre au roi). Il y retourna, et ils demeurrent dÕaccord quÕil porterait lui mme ˆ neuf heures la lettre ˆ Antragues : ce que jÕaccordai, rŽsolu nŽanmoins de me battre avec ce chicaneur ; mais je voulais auparavant sortir Antragues dÕintŽrt. Le marquis lui porta, comme il avait promis, et Antragues mՎcrivit pour me prier que je fusse ami du marquis, et que je me trouvasse au logis dÕelle sur les cinq heures du soir, o il viendrait aussi, et quÕelle voulait que nous nous promissions devant elle une rŽciproque amitiŽ.

Comme je voulais sortir de mon logis, Mr le Grand y arriva, qui me dit quÕaprs avoir habillŽ le roi, il lui avait commandŽ de me venir trouver pour me dŽfendre de sa part, sur peine de la vie, de nÕavoir rien ˆ demander au marquis, et que je lÕoffenserais si je le faisais. Je lui rŽpondis que je mՎtonnais pourquoi il me faisait cette dŽfense, vu que je nÕavais rien ˆ demander au dit marquis ; et quÕil mՎtait bien aisŽ dÕobŽir au commandement du roi.

Je mÕen vins au Louvre, rŽsolu de laisser passer deux ou trois jours sans rien dire au marquis, et de le quereller, puis aprs, sur quelque autre sujet, mais en toute faon me battre avec lui ; et ainsi le conclžmes CrŽquy et moi, qui me fit promettre de me servir de lui en cette affaire. Mais comme je revins d”ner ˆ mon logis avec plusieurs de mes amis, Le Terrail y arriva, qui me dit quՎtant allŽ pour voir le marquis de CĻuvres, on lui avait dit quÕil nÕy Žtait pas ; mais que, sÕil y venait de ma part, que lÕon lui ferait voir : ce qui lui faisait croire quÕil y avait quelque chose ˆ dŽmler entre nous deux. Alors je dis ˆ Mr de CrŽquy quÕil nÕy avait plus lieu de patienter, et quÕil lÕall‰t appeler de ma part. Nous sort”mes donc en cachette, CrŽquy et moi, qui me mena derrire le faubourg Saint-Germain, et puis alla quŽrir le marquis. Mais il fit tant de refuites [Žchappatoires], que Cramail, qui parlait ˆ CrŽquy de sa part (car il ne lui voulut jamais parler lui-mme), lÕentretint dÕexcuses jusques au soir ; et cependant ils avertirent le roi, et lÕon me vint prendre o jՎtais, et on me donna des gardes ; puis le lendemain on nous accorda, et ne voulus autre contentement que celui du rŽcit de tout ce qui sՎtait passŽ, qui nous avait empchŽs de nous battre.

Le roi me fit dŽfendre de venir au Louvre, ni me trouver o il serait, disant que je lÕavais offensŽ dÕavoir fait appeler le marquis aprs les dŽfenses quÕil mÕen avait fait faire. Je ne me mis gure en peine de ne pouvoir voir le roi, de qui je nՎtais pas satisfait ; et comme, peu de temps aprs, il alla ˆ Fontainebleau, je demeurai ˆ Paris ˆ passer mon temps. Mais parce que son indignation sՎtendait aussi bien sur mon cousin de CrŽquy que sur moi, et quÕil devait prendre possession du rŽgiment des gardes, que Mr de Grillon avait remis en ses mains, ce que le roi ne voulait plus permettre ; joint aussi que les dames nous trouvaient ˆ dire ˆ la cour, on fit office envers la reine pour faire notre accord avec le roi, et nous y faire revenir ; ce quÕelle obtint : et quelque temps aprs que le roi eut ŽtŽ nous y voyant sans nous parler, il sÕen ennuya, et vŽcut avec nous comme auparavant.

Lors, Mr de CrŽquy prit possession du rŽgiment des gardes, et moi je mÕen vins aux bains de Plombires pour ma cuisse, et emmenai avec moi bonne compagnie de la cour outre mes gentilshommes, comme Bellot, Charmeil, Messillac, et le baron de Neufvi. JÕavais avec moi la bande de violons dÕAvignon, que La Pierre commande : jÕavais une espce de musique, et tous les divertissements quÕun jeune homme riche, dŽbauchŽ, et mauvais mŽnager, pouvait dŽsirer. Ma sĻur de Saint-Luc Žtait venue en Lorraine voir notre mre ; mon frre y Žtait aussi, et la jeunesse de Lorraine mÕaccompagnait toujours. Nous men‰mes une douce vie ˆ Plombires, o je me guŽris entirement (juin). JÕy Žtais amoureux dÕune dame de Remiremont, Bourguignonne, nommŽe madame de FussŽ (juillet). Enfin je ne mÕy ennuyai point durant trois mois que jÕy sŽjournai.

 

Aožt. Ń JÕen partis sur ce que lÕon me manda que le roi allait en Limousin avec quelque espce dÕarmŽe, et que peut-tre y aurait-il guerre. Ma sĻur Žtait arrivŽe peu de jours avant moi ˆ Paris, chez laquelle je vins loger, et demeurai huit ou dix jours sans mÕy ennuyer. La prŽsidente de Verdun y Žtait nouvellement arrivŽe avec sa nice Maupeou, avec qui je mÕapprivoisai. JՎtais voisin de la Patriere qui Žtait de mes amies.

Je rompis avec Antragues sans y conserver aucune intelligence, et puis jÕallai, avec bonne compagnie de dames, passer deux jours ˆ Savigny chez la comtesse de Sault, aprs lesquels je mÕen allai ˆ OrlŽans la veille de la grande Žclipse de soleil qui fut cette annŽe-lˆ.

Je vis en passant Mr le chancelier de Bellievre ˆ Artenay, qui avait laissŽ les sceaux, en partant de Tours, entre les mains de Mr le garde des sceaux de Silleri. Je le trouvai quÕil se promenait en un jardin, avec quelques ma”tres des requtes, qui revenaient avec lui. Il me dit : Ē Monsieur, vous voyez un homme qui sÕen va chercher une sŽpulture ˆ Paris. JÕai servi les rois tant que jÕai pu le faire, et quand ils ont vu que je nÕen Žtais plus capable, ils mÕont envoyŽ reposer, et donner ordre au salut de mon ‰me, ˆ quoi leurs affaires mÕavaient empchŽ de penser. Č Il me rŽpondit aussi quelque temps aprs, que je lui disais quÕil ne laisserait pas de servir encore, et de prŽsider aux conseils comme chancelier : Ē Mon ami, un chancelier sans sceaux est un apothicaire sans sucre. Č

JÕarrivai ce mme soir ˆ OrlŽans, o jÕy trouvai la reine qui revenait de Tours, sa grossesse lÕayant empchŽe de suivre le roi ˆ Limoges. Elle me donna des lettres pour le roi, et me commanda de lui dire et faire des plaintes de madame de Guiercheville, qui nÕavait voulu attendre mesdames les princesse de Conty et duchesse de Longueville, quoiquÕelle lui eut mandŽ, pour entrer au carrosse du corps ; et de ce quÕen la tanant sur ce sujet, elle lui avait rŽpondu assez arrogament. Ce fut o je vis la premire fois madame la princesse de Conty aprs son mariage.

Je partis le jour de lՎclipse, qui parut comme jÕapprochais de Romorantin. JÕarrivai ˆ trois jours de lˆ ˆ Limoges o je trouvai le roi, qui me fit trs bonne chre ; et ds le mme soir je me mis ˆ jouer avec lui, et gagnai durant le voyage plus de cent mille francs.

 

Octobre. Ń Nous rev”nmes par la Maison-Fort, Nansay, Aubigny et Montargis, ˆ Fontainebleau, o la reine et les dames Žtaient (novembre), et peu de temps aprs, le roi sÕen retourna de Fontainebleau ˆ Paris y finir cette annŽe (dŽcembre).

1606.

Janvier.Ń Nous commen‰mes celle de 1606 par la foire de Saint-Germain, o CrŽquy eut quelques paroles avec Haraucourt, et ensuite avec le marquis de CĻuvres (fŽvrier), dont la querelle dura longtemps, et fut cause de celle du comte de Sault et de Nantouillet, qui donna la mort ˆ ce dernier.

La reine accoucha de madame de Savoie le 10e de fŽvrier, et pendant ses couches, lorsquÕelle commena ˆ se mieux porter, il [le roi] me faisait entrer pour jouer avec elle.

Nous f”mes quelques ballets et un carrousel qui fut couru au Louvre et ˆ lÕArsenal, qui Žtait de quatre troupes : la premire Žtait de lÕEau, dont Mr le Grand et les principaux de la cour Žtaient ; celle qui entrait aprs Žtait la Terre, que Mr de Nevers menait ; la troisime Žtait le Feu, que Mr de Rohan conduisait ; et la quatrime lÕAir, de laquelle Žtait chef Mr le comte de Sommerive.

 

Mars. Ń Sur la fin du carme le roi partit pour aller assiŽger Sedan; mais Mr de Bouillon se mit ˆ la raison, et sՎtant soumis au roi, il eut gr‰ce de lui. Le roi Žcrivit une lettre ˆ Mr de Guise, ˆ Mr le Grand, et ˆ moi, par laquelle il nous donnait avis de la soumission de Mr de Bouillon, et nous conviait de lÕaller promptement trouver pour tre ˆ son entrŽe ˆ Sedan. Nous part”mes donc ensemble le lundi de P‰ques, et all‰mes coucher ˆ la FertŽ. Le lendemain nous couch‰mes ˆ Reims, o nous trouv‰mes Mr de Montpensier et Mr dÕEpernon, avec mesdames de Guise, de Conty et de Nevers. Le mercredi nous couch‰mes proche de la Cassine, et le jeudi nous v”nmes ˆ Doncheri trouver le roi qui se prŽparait pour entrer le lendemain vendredi ˆ Sedan. Le dit vendredi Mr de Bouillon arriva devant que le roi fžt levŽ, et se mit ˆ genoux devant son lit, o il lui parla longuement ; puis le roi Žtant habillŽ, le roi fit lire son abolition devant le mme Mr de Bouillon, qui lui ayant fait une nouvelle protestation de sa fidŽlitŽ, lui mit en main. Ds cette heure-lˆ Mr de Bouillon vŽcut comme il soulait [avait coutume de] faire auparavant, nous mena d”ner ˆ la table des chambellans, quÕil tint, et se f‰cha contre les contr™leurs du roi quÕils ne la servaient pas bien ˆ son grŽ : mme, quand les troupes se mirent en bataille devant la ville pour le passage du roi, il leur fit changer dÕordre, et leur commanda avec la mme audace quÕil avait accoutumŽ, tant cet homme Žtait coutumier de commander partout.

 

Avril. Ń Le roi sŽjourna cinq jours ˆ Sedan, au bout desquels il vint coucher ˆ Mousson, puis ˆ Buzancy o je le quittai pour mÕen retourner ˆ Paris, o Antragues Žtait de nouveau arrivŽe, de qui jՎtais amoureux.

Le roi me commanda dÕaller de sa part trouver la reine Marguerite qui avait perdu Saint-Julien Dat, son galant, quÕun gentilhomme nommŽ Charmont avait tuŽ, ˆ qui le roi avait fait ensuite trancher la tte.

Il me donna aussi des lettres ˆ porter ˆ madame de Verneuil et ˆ la comtesse de Moret. Je mÕen allai chez la premire, parce que sa sĻur y Žtait ; et lui ayant dit ensuite que jÕen allais porter une autre ˆ la comtesse de Moret, elle eut envie de la voir, et mÕayant fait commander de lui donner par Antragues, de qui jՎtais lors amoureux, je lui donnai : elle lÕouvrit, et aprs lÕavoir lue, me la rendit, disant que je ferais faire, en une heure, un chiffre pareil ˆ celui qui Žtait sur le cachet de la lettre, et quÕaprs, je la fisse refermer, et il nÕy para”trait pas. Je la crus, et, ayant le lendemain envoyŽ mon valet de chambre avec la lettre, pour faire faire un pareil cachet, il se rencontra, par malheur, au graveur qui avait fait le mme cachet pour le roi, lequel, sans faire semblant de rien, fit tant quÕil tint la lettre du roi, et lors sauta au collet de mon valet pour lÕarrter : lui, qui Žtait fort, se dŽmla de lui, lui laissant son manteau et chapeau, et sÕenfuit chez moi fort Žperdu, croyant que, sÕil Žtait pris, il serait pendu deux heures aprs. Je le fis cacher, et mÕen allai trouver la comtesse de Moret, ˆ laquelle je dis que, par malheur, pensant ouvrir un poulet quÕune dame mÕavait Žcrit, jÕavais ouvert celui que je lui portais de la part du roi ; et que, craignant quÕelle nÕežt pensŽ que je lÕeusse fait ˆ dessein, jÕavais voulu faire faire un nouveau cachet pour le refermer ; mais que mon valet lՎtant allŽ faire graver chez celui-mme qui les faisait pour le roi, il avait retenu la lettre ; et que, si elle la voulait avoir, il fallait quÕelle lÕall‰t faire demander ˆ ce graveur nommŽ Turpin. Elle ne fit que rire de cet accident, ne pensant pas que cÕežt ŽtŽ autrement que par hasard que jÕeusse ouvert sa lettre, quÕelle mÕežt fait voir ou le roi me lÕežt montrŽe, si jÕen eusse eu la curiositŽ : cÕest pourquoi, sans entrer en autre Žclaircissement, elle envoya redemander sa lettre ; mais le graveur lui manda quÕelle nՎtait plus en sa puissance, mais bien en celle du prŽsident SŽguier, qui prŽsidait ˆ la Tournelle, ˆ qui il lÕavait portŽe, lequel Žtait un homme peu obligeant et austre, quÕelle, ni moi, ne connaissions point particulirement. Cela me mit bien en peine : enfin je mÕavisai dÕaller trouver madame de Lomenie, pour t‰cher, par son moyen, de faire Žtouffer cette affaire, soit en faisant retirer cette lettre, ou en Žcrivant ˆ son mari pour le faire entendre au roi dÕun biais quÕil ne sÕen f‰ch‰t point. Je la trouvai fort empchŽe ˆ faire une dŽpche ˆ la cour, et me pria de mÕasseoir jusques ˆ ce quÕelle ežt achevŽ une lettre fort importante quÕelle Žcrivait ˆ son mari. JÕeus aussit™t soupon que cՎtait sur le sujet qui mÕamenait vers elle, et lui demandai sÕil Žtait arrivŽ quelque chose de nouveau qui fžt si pressŽ ˆ mander. Elle me dit que oui, et que lÕon avait voulu contrefaire les cachets du roi, et que par malheur, celui qui les faisait contrefaire sՎtait sauvŽ, mais que la lettre de la main du roi Žtait demeurŽe, laquelle elle envoyait ˆ son mari, afin que le roi mand‰t ˆ qui il lÕavait Žcrite, et par qui il lÕavait fait porter, moyennant quoi on espŽrait de dŽcouvrir le fond de cette affaire, et quÕelle voudrait quÕil lui ežt cožtŽ deux mille Žcus, et quÕelle en fžt pleinement Žclaircie. Je lui promis pour cette somme, si elle me la voulait bailler, de lui dŽcouvrir, et lui dis ensuite la mme excuse que jÕavais faite ˆ madame de Moret : et comme elle et son mari Žtaient de mes intimes amis, elle apaisa le tout, pourvu que je voulusse moi-mme aller ˆ Villiers-C™terets, o le roi se trouverait le lendemain, pour tre porteur dÕune autre dŽpche quÕelle ferait ˆ son mari sur ce sujet, et de la nouvelle, ainsi que je lui avais dite : ce que je fis, et pris la rŽponse de la lettre que jÕavais donnŽe ˆ madame de Verneuil, et [de] celle que madame de Moret nÕavait point reue, qui se riait avec le roi de cette affaire et de lÕapprŽhension o jÕavais ŽtŽ, lequel ne fit quÕen rire ; dont je fus bien aise, et mÕen revins ˆ Paris voir ma ma”tresse, qui Žtait logŽe en la rue de la Coutellerie, o jÕavais une entrŽe secrte par laquelle jÕentrais au troisime Žtage du logis, que sa mre nÕavait point louŽ ; et elle, par un degrŽ dŽrobŽ de sa garde-robe, me venait trouver lorsque sa mre Žtait endormie.

 

Mai. Ń Le roi fit, ˆ peu de jours de lˆ, son entrŽe par la porte de Saint-Antoine ˆ Paris, o il lui fut tirŽ quantitŽ de canonnades par rŽjouissance. Il voulut que Mr de Bouillon march‰t immŽdiatement devant lui : ce quÕil fit, mais avec une telle assurance et audace, que lÕon nÕežt su juger si cՎtait le roi qui le menait en triomphe, ou lui le roi, qui demeura quelques jours ˆ Paris, puis sÕen alla ˆ Fontainebleau. Et comme il Žtait amoureux dÕAntragues, et Mr de Guise, comme plusieurs autres aussi, qui avaient tous jalousie de moi quÕils pensaient tre mieux avec elle, ils complotrent tous de me faire Žpier pour voir si jÕentrais en son logis, et si je la voyais en particulier ; et le roi commanda ˆ ceux ˆ qui il avait donnŽ charge dÕy prendre garde, de se confier ˆ Mr de Guise, et de lui donner avis sÕils apercevaient quelque chose.

Il arriva, un soir que jÕy devais aller, et que lÕon mՎpiait, au mois de mai, que, soupant chez Mr le Grand, il vint ˆ faire une forte pluie : ce qui mÕobligea de prendre un des manteaux de pluie de Mr le Grand ; et sans penser que la croix de lÕordre Žtait attachŽe dessus, je m'en allai sur les onze heures du soir au logis dÕAntragues. Je fus suivi par les espions du roi et ceux de Mr de Guise, qui lÕen vinrent aussit™t avertir, et lui dirent quÕils avaient vu entrer un jeune chevalier du Saint-Esprit par une porte de derrire au logis de madame dÕAntragues. Mr de Guise ne le pouvait croire, et y envoya deux de ses valets de chambre pour voir et reconna”tre le chevalier quand il sortirait, qui ne pouvait tre que Mr le Grand, vu quÕil nÕy avait que lui de jeune chevalier ˆ Paris, capable dÕavoir cette bonne fortune. Je vis bien, en sortant, ces deux valets de chambre que je connaissais, et pour cela je me dŽguisai le plus que je pus, croyant quÕinfailliblement ils mÕauraient dŽcouvert : mais eux, voyant cette croix du Saint-Esprit, jugrent que cՎtait Mr le Grand, et en assurrent Mr de Guise. JՎcrivis aussit™t ˆ Antragues que les valets de Mr de Guise mÕavaient vu sortir, que je craignais que nous ne fussions dŽcouverts ; et quÕelle invent‰t quelque excuse ou change, si il lui en parlait.

Sur les neuf ˆ dix heures du matin, Mr de Guise, qui avait la puce ˆ lÕoreille, vint voir Mr le Grand : mais on lui dit ˆ la porte quÕil avait toute la nuit eu un grand mal de dents, et que lÕon ne le verrait que sur le soir ; ce qui confirma davantage Mr de Guise en la croyance quÕayant veillŽ toute la nuit, il avait voulu dormir la grasse matinŽe. Il sÕen vint de lˆ en mon logis, et me trouvant encore au lit, me dit : Ē Je vous prie, prenez votre robe de chambre, et que je vous dise un mot. Č Je crus assurŽment quÕil me voulait dire que lÕon mÕavait vu sortir de chez Antragues, et me rŽsolus de nier fermement. Mais lui, au contraire : Ē Que diriez-vous, dit-il, si le grand Žcuyer Žtait mieux que vous et que tout le monde, dans lÕesprit dÕAntragues, et non seulement dans son esprit, mais dans son lit encore ? Č Je lui dis que je nÕen croyais rien, et que lui, ni elle, nÕavaient aucun dessein lÕun pour lÕautre. Ē ļ Dieu, dit-il, que les amoureux sont aisŽs ˆ tromper ! Je lÕai cru comme vous, et cependant il est fort vrai quÕil a ŽtŽ toute cette nuit avec elle, et nÕen est sorti quՈ quatre heures du matin : on lui a vu entrer, et mes valets de chambre mme lÕen ont vu sortir avec tant de nŽgligence, quÕil nÕa pas seulement voulu prendre un manteau sans croix de lÕordre pour se dŽguiser. Č Et aussit™t appela un des dits valets, nommŽ dÕUrbal, ˆ qui il demanda devant moi sÕil nÕavait pas vu sortir Mr le Grand de chez Antragues. Il lui rŽpondit : Ē Oui, Monseigneur, aussi visiblement que je vois maintenant Mr de Bassompierre que voilˆ. Č Je nÕosais regarder au visage ce valet, qui mÕavait vu le matin mme sortir de lˆ, et pensais que ce fut une fourbe pour se moquer de moi : mais comme je me tournais dÕun autre c™tŽ, jÕaperus sur une forme le manteau de Mr le Grand, que mon valet avait pliŽ, et laissŽ la croix ˆ dŽcouvert, qui devait avoir ŽtŽ cent fois aperue de Mr de Guise, sÕil nÕeut ŽtŽ troublŽ alors : je mÕen allai asseoir dessus, de peur quÕil ne sÕaperut de cette croix ; et, faisant lÕaffligŽ comme lui, et disant mille choses contre la lŽgretŽ dÕAntragues, je ne me voulus lever de dessus ce manteau, quoique Mr de Guise me pri‰t de me promener avec lui, jusques ˆ ce que jÕeus dit ˆ mon valet que, comme Mr de Guise se tournerait, il emport‰t ce manteau ˆ une garde-robe, et le cach‰t, de peur quÕapercevant cette croix, mon amour et ma bonne fortune de la nuit passŽe ne fžt aussi aperue.

Je mandai leur mŽprise ˆ Antragues, qui, par mŽchancetŽ, fit fort bonne chre, lÕaprs d”nŽe, ˆ Mr le Grand, afin que Mr de Guise et le roi se confirmassent en cette crŽance, pour leur faire perdre soupon de moi. Et quand, le lendemain, Mr de Guise, (qui ne sÕen put taire, bien que lui et moi fussions demeurŽs dÕaccord que nous ne lui en dirions rien), ežt fait la guerre ˆ Mr le Grand de sa nouvelle amour, Mr le Grand ne lui en ™ta pas la crŽance par sa rŽponse ambigu‘, et le dit ˆ Antragues, qui lui dit : Ē Puisque Mr de Guise a cette opinion, faisons semblant quÕil y a de la finesse entre nous. Č De sorte que toute la jalousie du roi et de Mr de Guise tomba sur Mr le Grand, lequel ils ha•ssaient comme peste. Mais, pour notre malheur, ils en avertirent la mre, laquelle, y prenant garde de plus prs, un matin, voulant cracher, et levant le rideau de son lit, elle vit celui de sa fille dŽcouvert, et quÕelle nÕy Žtait pas (juin). Elle se leva tout doucement, et vint dans sa garde-robe, o elle trouva la porte de cet escalier dŽrobŽ, quÕelle pensait qui fut condamnŽe, ouverte : ce qui la fit crier, et sa fille, ˆ sa voix, ˆ se lever en diligence et venir ˆ elle. Moi, cependant, je fermai la porte, et mÕen allai, bien en peine de ce qui serait arrivŽ de toute cette affaire ; qui fut que sa mre la battit, quÕelle fit rompre la porte pour entrer en cette chambre du troisime Žtage o nous Žtions la nuit, et fut bien ŽtonnŽe de la voir meublŽe des beaux meubles de Zamet avec des plaques et des flambeaux dÕargent. Alors tout notre commerce fut rompu : mais je me raccommodai avec la mre par le moyen de Mlle dÕAsy, chez laquelle je la vis, et lui demandai tant de pardons, avec assurance que nous nÕavions point passŽ plus outre que le baiser, quÕelle feignit de le croire. Elle sÕen vint ˆ Fontainebleau, et moi aussi, mais sans oser parler ˆ Antragues quÕen cachette, parce que le roi ne le trouvait pas bon. Toutefois les amants sont assez ingŽnieux pour trouver les moyens de quelques rares rencontres.

Le roi mÕenvoya, peu aprs, son ambassadeur extraordinaire en Lorraine, pour assister de sa part aux noces de Mr le duc de Bar, son beau-frre, avec la fille de Mr le duc de Mantoue, nice de la reine, et aussi pour prier en mme temps madame la duchesse de Mantoue de venir tre marraine de monsieur le dauphin, et Mr de Lorraine dՐtre parrain de madame Elisabeth, dernire fille de France, maintenant reine dÕAngleterre. Je partis un soir de la cour, et veux dire une aventure qui me survint, qui, pour nՐtre de grande consŽquence, est nŽanmoins extravagante.

Lingre du petit pont

Il y avait quatre ou cinq mois que, toutes les fois que je passais sur le petit pont (car en ce temps lˆ le Pont Neuf nՎtait point fait), quÕune belle femme, lingre ˆ lÕenseigne des deux Anges, me faisait de grandes rŽvŽrences, et mÕaccompagnait de la vue autant quÕelle pouvait ; et comme jÕeus pris garde ˆ son action, je la regardais aussi, et la saluais avec plus de soin. Il advint que, lorsque jÕarrivai de Fontainebleau ˆ Paris, passant sur le petit pont, ds quÕelle mÕaperut venir, elle se mit sur lÕentrŽe de sa boutique, et me dit, comme je passais : Ē Monsieur, je suis votre servante trs humble. Č Je lui rendis son salut, et, me retournant de temps en temps, je vis quÕelle me suivait de la vue aussi longtemps quÕelle pouvait. JÕavais menŽ un de mes laquais en poste, pour le renvoyer le soir mme avec des lettres pour Antragues et pour une autre dame ˆ Fontainebleau. Je le fis lors descendre et donner son cheval au postillon pour le mener, et lÕenvoyai dire ˆ cette jeune femme que, voyant la curiositŽ quÕelle avait de me voir et de me saluer, si elle dŽsirait une plus particulire vue, jÕoffrais de la voir o elle me le dirait. Elle dit ˆ ce laquais que cՎtait la meilleure nouvelle que lÕon lui ežt su apporter, et quÕelle irait o je voudrais, pourvu que ce fžt ˆ condition de coucher entre deux draps avec moi.

JÕacceptai le parti, et dis ˆ ce laquais, sÕil connaissait quelque lieu o la mener, quÕil le f”t : il me dit quÕil connaissait une maquerelle, nommŽe Noiret, chez qui il la mnerait, et que si je voulais quÕil port‰t des matelas, des draps, et des couvertes de mon logis, quÕil mÕy apprterait un bon lit. Je le trouvai bon, et, le soir, jÕy allai et trouvai une trs belle femme, ‰gŽe de vingt ans, qui Žtait coiffŽe de nuit, nÕayant quÕune trs fine chemise sur elle, et une petite jupe de rŽvche [flanelle] verte, et des mules aux pieds, avec un peignoir sur elle. Elle me plut bien fort, et, me voulant jouer avec elle, je ne lui sus faire rŽsoudre si je ne me mettais dans le lit avec elle, ce que je fis ; et elle sÕy Žtant jetŽe en un instant, je mÕy mis incontinent aprs, pouvant dire nÕavoir jamais vu femme plus jolie, ni qui mÕait donnŽ plus de plaisir pour une nuit : laquelle finie, je me levai et lui demandai si je ne la pourrais pas voir encore une autre fois, et que je ne partirais que dimanche, dont cette nuit-lˆ avait ŽtŽ celle du jeudi ou vendredi. Elle me rŽpondit quÕelle le souhaitait plus ardemment que moi, mais quÕil lui Žtait impossible si je ne demeurais tout dimanche, et que la nuit du dimanche au lundi elle me verrait : et comme je lui en faisais difficultŽ, elle me dit : Ē Je crois que maintenant que vous tes las de cette nuit passŽe, vous avez dessein de partir dimanche ; mais quand vous vous serez reposŽ, et que vous songerez ˆ moi, vous serez bien aise de demeurer un jour davantage pour me voir une nuit. Č Enfin je fus aisŽ ˆ persuader, et lui dis que je lui donnerais cette journŽe pour la voir la nuit au mme lieu. Alors elle me rŽpartit : Ē Monsieur, je sais bien que je suis en un bordel inf‰me, o je suis venue de bon cĻur pour vous voir, de qui je suis si amoureuse que, pour jouir de vous, je crois que je vous lÕeusse permis au milieu de la rue, plut™t que de mÕen passer. Or une fois nÕest pas coutume ; et, forcŽe dÕune passion, on peut venir une fois dans le bordel ; mais ce serait tre garce publique dÕy retourner la seconde fois. Je nÕai jamais connu que mon mari et vous, ou que je meure misŽrable, et nÕai pas dessein dÕen conna”tre jamais dÕautre : mais que ne ferait-on point pour une personne que lÕon aime, et pour un Bassompierre ? CÕest pourquoi, je suis venue au bordel ; mais Õa ŽtŽ avec un homme qui a rendu ce bordel honorable par sa prŽsence. Si vous me voulez voir une autre fois, ce pourra tre chez une de mes tantes, qui se tient en la rue du Bourg lÕAbbŽ, proche de celle des Ours, ˆ la troisime porte du c™tŽ de la rue de Saint-Martin. Je vous y attendrai depuis dix heures jusques ˆ minuit, et plus tard encore, et laisserai la porte ouverte, o, ˆ lÕentrŽe, il y a une petite allŽe que vous passerez vite ; car la porte de la chambre de ma tante y rŽpond ; et trouverez un degrŽ qui vous mnera ˆ ce second Žtage. Č

Je pris le parti, et ayant fait partir le reste de mon train, jÕattendis le dimanche pour voir cette jeune femme. Je vins ˆ dix heures, et trouvai la porte quÕelle mÕavait marquŽe, et de la lumire bien grande, non seulement au second Žtage, mais au troisime et au premier encore ; mais la porte Žtait fermŽe. Je frappai pour avertir de ma venue ; mais jÕou•s une voix dÕhomme qui me demanda qui jՎtais. Je mÕen retournai ˆ la rue aux Ours, et Žtant revenu pour la seconde fois, ayant trouvŽ la porte ouverte, jÕentrai jusques ˆ ce second Žtage, o je trouvai que cette lumire Žtait la paille des lits, que lÕon y bržlait, et deux corps nus Žtendus sur la table de la chambre. Alors je me retirai bien ŽtonnŽ, et en sortant, je rencontrai des corbeaux [hommes qui enlevaient les pestifŽrŽs] qui me demandrent ce que je cherchais ; et moi, pour les faire Žcarter, mis lՎpŽe ˆ la main, et passai outre. MÕen revenant ˆ mon logis, un peu Žmu de ce spectacle inopinŽ, je bus trois ou quatre verres de vin pur, qui est un remde dÕAllemagne contre la peste prŽsente, et mÕendormis pour mÕen aller en Lorraine le lendemain matin, comme je fis ; et quelque diligence que jÕaie su faire depuis pour apprendre ce quՎtait devenue cette femme, je nÕen ai jamais su rien savoir. JÕai ŽtŽ mme aux deux Anges, o elle logeait, mÕenquŽrir qui elle Žtait ; mais les locataires de ce logis-lˆ ne mÕont dit autre chose, sinon quÕils ne savaient point qui Žtait lÕancien locataire. Je vous ai voulu dire cette aventure, bien quÕelle soit de personne de peu ; mais elle Žtait si jolie que je lÕai regrettŽe, et eusse dŽsirŽ pour beaucoup de la pouvoir revoir.

JÕarrivai en poste ˆ Nancy deux heures aprs que mon Žquipage y fut venu, et ne trouvai aucun des princes, ni gure de gentilshommes, parce quÕils sÕen Žtaient tous allŽs recevoir madame de Mantoue et sa fille ˆ Blamont o ils devaient le lendemain arriver. Ma mre Žtait ˆ Nancy, qui me prta son carrosse pour envoyer en relais ˆ LunŽville ; et je me servis du mien le lendemain jusques ˆ ce que jÕeusse trouvŽ le sien, qui me mena ˆ Blamont, lˆ o je vis les princes et princesses de Lorraine et de Mantoue : et aprs avoir fait mes premiers compliments, je mÕen revins les attendre ˆ Nancy, o je fus traitŽ, logŽ, et dŽfrayŽ, fort magnifiquement. Les noces se firent, o jÕassistai de la part du roi. On y dansa fort, et on fit un carrousel assez beau, auquel Mr de Vaudemont menait une bande, et moi lÕautre.

Aprs les noces, je priai, au nom du roi, S.A. de Lorraine et madame de Mantoue de venir en France tenir sur les fonts les enfants du roi ; qui reurent cette gr‰ce de Sa MajestŽ avec le respect et lÕhonneur convenable.

 

Juillet. Ń Puis je mÕen revins ˆ Paris loger chez le comte de Fiesque, bien en peine de nÕavoir point dÕhabillement neuf pour le baptme du roi, ayant mis tous ceux que jÕavais aux noces de Lorraine. Mais comme ma sĻur, madame de Verderonne, et la Patriere me fussent venues voir ˆ mon arrivŽe, et mÕeussent dit comme tous les tailleurs et brodeurs Žtaient occupŽs de telle sorte que lÕon nÕen pouvait fournir, quelque argent que lÕon leur voulžt donner, mon tailleur, nommŽ Tallot, vint avec mon brodeur me dire que, sur le bruit des magnificences du baptme, un marchand dÕAnvers avait apportŽ la charge dÕun cheval de perles ˆ lÕonce, et que lÕon me pourrait faire avec cela un habit qui surpasserait tous les autres du baptme, et que mon brodeur sÕy offrait, si je lui voulais donner six cents Žcus de la faon seulement. Ces dames et moi rŽsolžmes lÕhabillement, pour faire lequel il ne fallait pas moins de cinquante livres de perles. Je voulus quÕil fžt de toile dÕor violette, et des palmes qui sÕentrelaceraient. Enfin, devant que de partir, moi, qui nÕavais que sept cents Žcus en bourse, fis entreprendre un habillement qui me devait cožter quatorze mille Žcus, et en mme temps fis venir le marchand, qui mÕapporta les Žchantillons de ses perles, avec lequel je conclus le prix de lÕonce. Il me demanda quatre mille Žcus dÕarrhes ; et moi, je le remis au lendemain matin pour les lui donner. Mr dÕEpernon passa devant mon logis, qui sachant que jÕy Žtais arrivŽ, me vint voir, et me dit que bonne compagnie venait ce soir souper, et jouer puis aprs, ˆ son logis, et quÕil me priait dՐtre de la partie. JÕy portai mes sept cents Žcus, avec lesquels jÕen gagnai cinq mille. Le lendemain le marchand vint ; je lui donnai ses quatre mille Žcus dÕarrhes : jÕen donnai aussi au brodeur, et poursuivis, du gain que je fis au jeu, non seulement dÕachever de payer lÕhabillement et une ŽpŽe de diamants de cinq mille deux cents Žcus, que jÕeus encore cinq ou six mille Žcus de reste pour passer mon temps.

Nous all‰mes avec le roi ˆ Villers-Cotterts pour recevoir Mr de Lorraine et madame de Mantoue qui y arrivrent. En ce voyage le roi, Žtant ˆ la chasse, se dŽtourna pour aller voir madame des Essars, qui Žtait chez sa tante lÕabbesse de Sainte-Perrinne ; qui parut, ˆ lÕarrivŽe du roi, plus belle quÕelle nÕa jamais ŽtŽ depuis, quoique sa beautŽ ait longuement durŽ.

 

Aožt. Ń Le roi ramena ses compre et commre ˆ Paris, o on leur fit partout des magnifiques festins. Mais la peste croissant ˆ Paris, on changea le lieu du baptme, qui se devait faire ˆ Paris, en Fontainebleau (septembre), o il se fit avec grande magnificence le 14e septembre. Je servis, au festin royal, madame de Mantoue, avec Mrs de CrŽquy et de Termes. Le soir je menai, au grand bal, Mlle de Montmorency ; et le roi nous donna le rang de faveur, qui est le dernier, parce que le roi ne se retournant jamais aux pauses pour sÕentretenir quatre ˆ quatre selon la coutume, il donne la dernire place ˆ celui et celle qui se doivent retourner pour entretenir la reine et lui. Le lendemain il y eut un ch‰teau plein de feux dÕartifice, quÕil fit fort beau voir. Et peu de jours aprs, la peste augmentant ˆ Fontainebleau, les parrains et lŽgat ayant pris congŽ du roi, il retint peu de personnes avec la reine et lui, et sÕalla tenir ˆ Montargis. Madame dÕAntragues y vint : jÕy passai bien mon temps avec sa fille, et avec dÕautres aussi (octobre).

 

Novembre. Ń Nous rev”nmes vers la Toussaints ˆ Fontainebleau, et peu de jours aprs ˆ Paris, o madame dÕAntragues et sa fille arrivrent (dŽcembre).

1607.

Janvier.Ń LÕannŽe 1607 se commena quasi avec le carme-prenant, et ce carme-prenant par le ballet des Echecs, qui ne fut pas si beau que dÕautres, mais plus ingŽnieux quÕaucun autre qui se soit dansŽ (fŽvrier). Ce ne fut pas le seul ; car ce carnaval en foisonna, aprs lequel je fus priŽ par Mr de Lorraine dÕassister aux Žtats de son pays, auxquels il se doutait, comme il advint aussi, quÕil y aurait de grandes difficultŽs, lesquelles il espŽrait de surmonter si jÕy Žtais. Je demandai deux ou trois fois congŽ au roi pour mÕy en aller ; mais parce que je gagnais son argent au jeu, et que le jeu se romprait par mon absence, il ne me voulait permettre de mÕen aller (mars). Enfin je le fus trouver ˆ Chantilly : il me dit quÕil ne me dirait point adieu, et moi, mÕinclinant, lui dis que si ferais bien moi, et ainsi mÕen allai. Il me fit dire que je ne lui avais point dit adieu, aprs quÕil fut couchŽ, et que je ne mÕen allasse pas. Mais moi qui perdais le temps des Žtats de Lorraine, mÕen allai le matin ˆ Paris, et rencontrant Mrs dÕEsguillon et de Bouillon par les chemins, les priai de ne pas dire au roi quÕils mÕeussent rencontrŽ ; mais eux, malicieusement, lui dirent ds quÕils furent arrivŽs ˆ Chantilly.

Alors le roi envoya deux exempts de ses gardes, Saint-Georges et Du Puis avec commandement au prŽv™t de Meaux pour les assister ˆ me prendre en passant ; ce qui leur fut aisŽ de faire, car jÕy arrivai le soir au g”te. JÕenvoyai, la nuit mme, le jeune Guittaut au roi, et Žcrivis ˆ Mr de Villeroy, lequel manda aux dits exempts et prŽv™t quÕils me laissassent aller, pourvu que ce fžt pour venir trouver le roi ; ce que je fis. Il se moqua de moi quand il me vit, et me dit que jÕavais vu, par le bon ordre quÕil avait donnŽ pour me prendre, que lÕon ne partait pas de son royaume sans son congŽ ; quÕil voulait que je demeurasse encore dix jours avec lui, au bout desquels il me promettait de me donner congŽ, et que mon sŽjour ne me serait point infructueux : car pendant ce temps-lˆ il accorda avec moi cette grande affaire que jÕavais pour les domaines de Saint-Sauveur, lesquels je lui rendis, et lui la somme entire de quatre cent vingt mille livres que jÕen prŽtendais ; mais je consentis que mon remboursement ne serait quÕen quatre ans, dans les termes desquels je fus ponctuellement et entirement satisfait.

JÕavertis aussi, pendant mon sŽjour, Mr le prince de Joinville et madame de Moret du dessein que le roi avait de les surprendre ensemble, et de leur faire un sanglant affront. Mais eux, qui pensaient que je leur en parlais pour mon intŽrt particulier, nÕy pourvurent pas comme il fallait. NŽanmoins on ne les surprit pas ensemble : mais le roi en dŽcouvrit assez pour chasser Mr de Chevreuse de la cour, et en ežt fait autant dÕelle si elle nÕežt ŽtŽ sur le point dÕaccoucher ; et le temps raccommoda lÕaffaire.

Je mÕen allai en Lorraine aprs les dix jours accomplis de ce dernier sŽjour, et peu de temps aprs revins inconnu ˆ Paris, voir madame de Morret, pour mÕoffrir de la servir en son dŽplaisir : et, ayant ŽtŽ rencontrŽ, par les chemins, par Mr de Tremes qui sÕallait marier ˆ Mlle de Luxembourg, et suivi par un courrier de Mr de Lorraine qui dit ˆ Chanvallon que jՎtais arrivŽ devant lui, il y eut bruit de mon arrivŽe, et madame dÕAntragues tint sa fille en Žtat de ne me pouvoir voir.

Je partis le mardi Saint-de Paris, et mÕen revins faire p‰ques ˆ Nancy, o je trouvai Mr le prince de Joinville, qui y demeura quasi autant que moi.

La reine accoucha de Mr dÕOrlŽans ˆ Fontainebleau le 16e avril.

S.A. de Lorraine fut fort maltraitŽ de sa noblesse en ces derniers Žtats, et en prit un dŽplaisir qui lÕa accompagnŽ jusques ˆ la mort. JÕallai ˆ ceux du Barrois avec lui, qui se terminrent selon son dŽsir : et ensuite nous fžmes aux bains de Plombires (mai) ; moi, seulement pour passer mon temps.

Juin. Ń Je revins ensuite prs du roi, qui passa tout son ŽtŽ en ses maisons de Saint-Germain et de Fontainebleau, ˆ chasser (juillet, aožt).

 

Septembre. Ń Il reut don Pedre de Tolede, vers lÕautomne, ˆ Fontainebleau.

Je fis quelques voyages ˆ Chemaut et ˆ Beaumont (novembre), et sur la fin de lÕannŽe ma mre sÕen vint ˆ Paris, que je logeai (dŽcembre).

1608.

Janvier.Ń En lÕannŽe 1608 je mÕembarquai avec une dame blonde. Je gagnai fort au jeu cette annŽe-lˆ, et donnai beaucoup ˆ la foire (fŽvrier). Nous f”mes force ballets, comme celui des Inconstants, celui de ma”tre Guillaume, et autres, que lÕon dansa ˆ la ville. JÕavais de plus ma”tresses en cour, et Žtais bien avec Antragues.

 

Mars. Ń Mr de Vend™me dansa aussi un ballet dont le roi voulut que nous fussions, Cramail, Termes et moi, quÕon nommait lors les Dangereux : nous le fžmes danser chez Mr de Montpensier, qui se leva pour le voir, bien quÕil sÕen all‰t mourant.

Le roi vint le lendemain chez lui, passer le contrat de mariage de Mr le duc dÕOrlŽans et de Mlle de Montpensier, sa fille ; auquel il fit donation de son bien, en excluant ses hŽritiers, si elle venait ˆ mourir devant Monsieur.

On fit une grande assemblŽe chez le marquis de CĻuvres, o il se joua une comŽdie qui Žtait de toutes femmes blondes, parentes ou alliŽes du dit marquis.

Mr de Montpensier mourut.

 

Avril. Ń Nous all‰mes, Mr de CrŽquy et moi, nous enfermer aux Chartreux pour y faire nos p‰ques.

Madame de SimiŽ mourut.

Le roi sÕen alla ˆ Fontainebleau, o la reine accoucha de Mr dÕAnjou le 7e dÕavril ; et je demeurai ˆ Paris, o je passai extrmement bien mon temps. Je feignais dՐtre malade du poumon, de sorte que lÕon ne me voyait quՈ midi, et toute la cour Žtait chez moi ˆ passer le temps jusques sur les neuf heures du soir, que je feignais me devoir retirer ˆ cause de mon mal ; mais cՎtait pour tre toute la nuit en bonne compagnie.

 

Mai. Ń Le roi revint ˆ la Pentec™te, et jaloux de la bonne vie que nous menions, voulut tre de la partie. LÕon avait jouŽ fort grand jeu chez moi pendant que le roi Žtait ˆ Fontainebleau, et moi feint malade, et avais introduit un marchand portugais, nommŽ Duarte Fernandes, qui faisait bon tout ce que lÕon jouait, fournissant les marques ˆ ceux qui lui donnaient du fonds, ou des gages, pour sa sžretŽ. Il y avait huit ou dix honntes gens de la ville qui Žtaient de notre partie ; et de la cour Mrs de Guise, de CrŽquy, et moi : ceux de la ville Žtaient Autreville, Almeras, Chevry, Chastelain, Fedeau, Choisy de Can, et autres. Le roi voulut quÕils vinssent tous les jours jouer avec lui, soit quÕil fžt au Louvre, o chez Mrs de Roquelaure ou Zamet.

 

Juin. Ń JՎtais en grand heur ; mais, sur ces entrefaites, il me fallut aller ˆ Rouen, o ma mre Žtait, pour un procs que nous avions contre les hŽritiers dÕun nommŽ le Clerc, que nous gagn‰mes. Je revins ˆ Paris, o nous continu‰mes le grand jeu, et lÕamour, plus que devant.

 

Juillet. Ń La reine Marguerite donna une bague ˆ courre, ˆ une partie qui se fit ˆ lÕArsenal, o il se fit une grande fte. Les tenants de la partie Žtaient Mrs de CrŽquy, Rosny, Gramont, et Marillac, lesquels voulurent que personne ne couržt sÕil nՎtait en partie de quatre : et parce que Mrs de Guise, de Joinville, de Termes, de Bassompierre, gŽnŽral des galres, et comte de Sault, sՎtaient joints ensemble pour faire une partie, nous leur f”mes dire que nous Žtions liŽs six dÕune partie, qui ne nous pouvions sŽparer, lesquels ne voulurent accorder aucune partie de plus ou moins de quatre : ce qui fut cause que nous six ne voulžmes point courre ; mais nous v”nmes voir la fte, fort bien parŽs. Et parce quÕen ces grandes assemblŽes ceux qui ont plusieurs affaires de dames, comme j'avais lors, sont fort embarrassŽs, je pensais que jÕaurais lˆ bien de la peine ; mais la fortune mÕassista de telle sorte que, sans rien perdre ni nŽgliger, je contentai tout. Et enfin mՎtant mis sans dessein au-dessous du lieu o la reine Žtait, sur un Žchafaud o Žtait Mlle de Montmorency, Peraut qui Žtait prs dÕelle, et qui avait ŽtŽ avec moi en Hongrie, me fora de prendre son sige ; et lors pour la premire fois, je lui parlai, et t‰chai de mÕinsinuer en ses bonnes gr‰ces, sans penser ˆ ce qui mÕest depuis arrivŽ. Aprs la fte je fus ravi de voir que jÕavais contentŽ toutes celles avec qui jÕavais intelligence, et que pas une nÕežt pris ombrage dÕune autre ; ce qui est bien rare en pareilles occasions.

La chaleur de cette annŽe-lˆ fit que lÕeau de la rivire fut si bonne pour sÕy baigner que, plus dÕun mois durant, on voyait, depuis Charenton jusques en lՔle du Palais, plus de quatre mille personnes dans lÕeau.

En ce temps-lˆ Mr le duc de Lorraine, Charles IIIe, mourut, et je fus priŽ dÕaller ˆ ses funŽrailles ; ce que je fis, et demeurai trois semaines en ce voyage. Il ne se peut dire le soin que les dames eurent de me faire souvent savoir de leurs nouvelles, et de mÕenvoyer des courriers, des lettres et des prŽsents. LՎtoile de Venus Žtait bien en ascendant sur moi alors. Je revins ˆ Paris, et quatre dames en carrosse vinrent par delˆ Pantin, faisant semblant de se promener, qui me mirent dans leur carrosse, et me ramenrent jusques ˆ la porte de Saint-HonorŽ, o je remontai sur mes chevaux de poste pour entrer ˆ Paris. Je trouvai quÕAntragues en Žtait partie pour sÕaller marier ˆ Malesherbes avec un comte dÕAchŽ, dÕAuvergne, qui la recherchait ; mais ce mariage se rompit sur les articles.

Ds que le roi sut que jՎtais arrivŽ ˆ Paris, il mՎcrivit pour me faire promptement venir ˆ la cour, me mandant que jÕavais jusques alors ŽtŽ tenu le plus grand joueur de sa bande, mais quÕil Žtait depuis peu arrivŽ un Portugais, nommŽ Pimentel, qui me passait de beaucoup. Je mÕy en allai un matin avec Mr de Pralain qui avait eu nouvelle de la mort de Mr de la Guiche, lieutenant gŽnŽral en Lyonnais, et allait pour en demander la charge au roi ; mais il trouva, ˆ son arrivŽe, quՈ lÕinstance de Mr de Villeroy, le roi lÕavait donnŽe ˆ Mr dÕAlaincourt, qui Žtait lors son ambassadeur ˆ Rome.

Nous demeur‰mes quelques jours ˆ Fontainebleau, jouant le plus furieux jeu dont lÕon ait ou• parler. Il ne se passait journŽe quÕil nÕy ežt vingt mille pistoles, pour le moins, de perte et de gain. Les moindres marques Žtaient de cinquante pistoles, lesquelles on nommait quinterottes, parce que celles-lˆ allaient bien vite, ˆ lÕimitation de ces chevaux dÕAngleterre que Quinterot avait amenŽs en France plus dÕun an auparavant, qui ont depuis ŽtŽ cause que lÕon sÕest servi des chevaux anglais, tant pour la chasse que pour aller par pays, ce qui ne sÕusait point auparavant. Les marques plus grandes Žtaient de cinq cents pistoles, de sorte que lÕon pouvait tenir dans sa main ˆ la fois plus de cinquante mille pistoles de ces marques-lˆ. Je gagnai cette annŽe-lˆ plus de cinq cent mille francs au jeu, bien que je fusse distrait par mille folies de jeunesse et dÕamour. Le roi sÕen revint ˆ Paris, et de lˆ ˆ Saint-Germain, continuant ce mme jeu, auquel Pimentel gagna plus de deux cent mille Žcus.

La marquise de Verneuil, et madame dÕAntragues et son autre fille, revinrent ˆ Paris aprs avoir failli ˆ Malesherbes le mariage du comte dÕAchŽ, et allrent loger, la marquise ˆ Conflans chez Cenamy, et madame dÕAntragues ˆ la maison de Mr de Vienne au mme bourg : et comme les sĻurs venaient souvent loger ensemble, Mr de Guise et moi faisions la nuit les chevaliers errants, et les allions trouver. Enfin elles revinrent ˆ Paris : madame dÕAntragues logea chez Mlle dÕAsy, ˆ la rue de Jouy, o nous ežmes querelle, Antragues et moi, et je rompis entirement avec elle qui sÕen alla ˆ Chemaut, et moi ˆ Monceaux, o le roi Žtait venu aux premiers jours du mois dÕaožt.

Pimentel sÕen alla de lˆ, et le roi revint peu de jours aprs ˆ Paris, o Mr de Mantoue, beau-frre du roi, arriva. Le roi le reut avec toute la bonne chre possible ; et comme il Žtait grand joueur, il fut ravi de se mettre dans ce grand jeu, qui lui Žtait extraordinaire. Nous le festoy‰mes tous, lÕun aprs lÕautre (septembre). Nous f”mes devant lui le ballet des Dieux marins, et puis nous couržmes la bague, masquŽs, ˆ lÕArsenal. Le roi le mena de lˆ ˆ Fontainebleau ; et aprs lui avoir tenu quelque temps avec grande compagnie de dames, chasses, jeux, et autres divertissements, il prit congŽ du roi, qui le fut conduire jusques ˆ Nemours, et me commanda de lÕaccompagner jusques ˆ Montargis, o je le quittai, et mÕen revins ˆ Fontainebleau, auquel lieu, le lendemain, Mr le prince fit appeler Mr le prince de Joinville, lesquels le roi accorda (octobre).

Je mÕen revins ˆ Paris, et un jour Žtant allŽ voir monsieur le connŽtable qui mÕaimait fort, et me lÕavait toujours tŽmoignŽ, il me dit quÕil me voulait le lendemain donner ˆ d”ner, et que je ne manquasse pas de mÕy trouver ; ce que je fis. Il y avait aussi conviŽ Mrs dÕEpernon, de Roquelaure, Zamet, et un ma”tre des requtes nommŽ la Cave. Quand nous fžmes arrivŽs, il commanda que lÕon ferm‰t sa porte, et quÕil ne voulait que rien lÕinterromp”t de jouir de cette bonne compagnie de ses familiers amis ; et ne voulut que personne, outre ses officiers, fžt en sa chambre, que Mr du Tillet Girard, et Ranchin, son mŽdecin, auxquels il fit donner ˆ d”ner dans sa garde-robe, pour pouvoir tre, aprs d”ner, auprs de lui. Aprs que nous ežmes fait bonne chre, et que nous nous fžmes levŽs de table, il nous fit seoir en sa ruelle, et fit sortir tout le monde, commandant ˆ Ranchin de se tenir ˆ la porte, et la refuser ˆ tous ceux qui voudraient entrer. Nous ne savions ni ne nous doutions pas seulement de ce quÕil voulait faire. Enfin, aprs que toutes choses furent en lÕordre quÕil dŽsirait, il nous dit :

Ē Messieurs, il y a longtemps que je pense ˆ vous assembler pour le sujet prŽsent, comme de mes plus chers et meilleurs amis, auxquels je nÕai rien sur le cĻur qui vous puisse tre cachŽ, pour vous dire que jÕai reu, pendant ma vie, dÕinfinies gr‰ces et faveurs de Dieu qui, mÕayant fait na”tre dÕun pre grand et illustre, m'a conduit par la main, durant une longue et heureuse vie, au sommet des plus grands honneurs, charges, et dignitŽs. Ce nÕest pas quÕelle nÕait ŽtŽ souvent entremlŽe de grandes traverses et dŽplaisirs, partie desquels, par la gr‰ce de Dieu, jÕai soufferts avec patience, ou surmontŽs avec courage et gŽnŽrositŽ : les dŽsordres advenus ˆ notre maison sur la fin de la vie du roi Charles et durant le rgne du roi Henry troisime, mÕont donnŽ moyen dÕexercer la souffrance, et de louer Dieu de mÕen avoir si heureusement tirŽ : jÕai eu aussi plusieurs afflictions domestiques, comme la perte de feu mon fils dÕOffemont, et la mort de feu ma femme, qui me laissa sur les bras deux petits enfants en bien bas ‰ge, les mariages de mes deux filles a”nŽes, qui nÕont pas ŽtŽ trop heureux, encore que jÕeusse cherchŽ des partis avantageux pour moi et pour elles. NŽanmoins, Žtant dŽjˆ avancŽ sur mon ‰ge, Dieu mÕa fait la gr‰ce de me donner un fils qui promet dŽjˆ beaucoup de lui pour la conservation de notre maison, et une fille bien nŽe, qui Žtant dŽsormais en Žtat de la pouvoir marier, jÕai cherchŽ de la marier selon son contentement et le mien ; ce qui me fait chercher un mari pour ma fille, et un gendre pour moi, selon notre cĻur et notre dŽsir : et bien que je puisse avoir le choix de tous les princes de la France, je nÕai point tant regardŽ de la loger en Žminence quÕen commoditŽ, et pour y vivre le reste de mes jours et le cours des siens avec joie et contentement ; et lÕestime que je fais de longue main de la maison, personne, bien, et autres avantages que la naissance ˆ donnŽs ˆ Mr de Bassompierre que voici, mÕont conviŽ dÕoffrir ˆ lui qui nÕy pense pas, ce que dÕautres, de plus grande qualitŽ que lui, rechercheraient peut-tre avec soin, et que je leur refuserais : ce que jÕai voulu faire en prŽsence de mes meilleurs amis, qui sont aussi les siens particuliers, et vous dire, Monsieur de Bassompierre (sÕadressant ˆ moi), que vous ayant, depuis que je vous connais, toujours chrement aimŽ comme mon enfant, je vous en veux encore donner cette prŽsente preuve, de vous le faire tre en effet, vous mariant avec ma fille, que jÕestime devoir tre heureuse avec vous, connaissant, comme je fais, votre bon naturel ; que vous le serez, et honorŽ, dՎpouser la fille et petite fille de connŽtables, et de la maison de Montmorency ; et que je le serai aussi le reste de mes jours, si je vous vois tous deux contents et heureux ensemble. Je lui donnerai cent mille Žcus en mariage prŽsentement, et cinquante mille que mon frre lui lŽguera aprs sa mort : et si rien ne vous empche de vous marier, je donne maintenant charge ˆ Girard, que voilˆ, de traiter avec vos gens, ou votre mre, si elle est ici, des articles et conventions nŽcessaires. Č

Il avait les larmes aux yeux de joie, quand il acheva ce discours, et moi, confus de cet honneur inopinŽ qui mՎtait si cher, je ne savais quelles paroles employer, qui fussent dignes de ce que jÕavais ˆ lui dire. Enfin je lui rŽpondis quÕun honneur si grand et si inespŽrŽ, que sa bontŽ me faisait prŽsentement recevoir, mՙtait la parole, et ne me laissait quÕune admiration de ma bonne fortune ; que comme ce bien Žtait au-dessus de mon attente et de mon mŽrite, quÕil ne pouvait tre payŽ que par des trs humbles services et des soumissions infinies ; que ma vie serait trop courte pour y satisfaire, et que je ne lui pouvais offrir quÕun cĻur qui serait Žternellement esclave de ses volontŽs ; quÕil ne donnerait pas un mari ˆ madame sa fille, mais une crŽature dont elle serait incessament adorŽe comme une dŽesse, et respectŽe comme une reine, et quÕil nÕavait pas tant choisi un gendre quÕun serviteur domestique de sa maison, de qui toutes les actions dŽpendraient de ses seules intentions et volontŽs ; et que si, en lÕexcs que la joie faisait en mon cĻur, il me restait encore quelque sorte de considŽration, je lui demandais permission de lui dire mon unique apprŽhension, qui Žtait que Mlle de Montmorency (qui avait le choix de tous les princes de France qui Žtaient lors ˆ marier), nÕežt regret de quitter la qualitŽ de princesse dont elle doit avec raison tre assurŽe, pour occuper celle dÕune simple dame, et que jÕaimerais mieux mourir et perdre la gr‰ce prŽsente que monsieur le connŽtable me faisait, que de lui causer le moindre dŽgožt ou mŽcontentement.

Sur cela, comme jՎtais en un sige assez bas, proche de lui, je mis un genou en terre, et lui pris la main, que je lui baisai ; et lui, mÕembrassant, me tint un assez long temps en cet Žtat : aprs quoi il me dit que je ne me misse pas en peine de cela ; et quÕavant que me parler, il avait voulu pressentir lÕintention de sa fille, qui Žtait trs disposŽe ˆ faire toutes les volontŽs de son pre, et particulirement en celle-lˆ qui ne lui Žtait pas dŽsagrŽable.

Lors, Mrs dÕEpernon et de Roquelaure approuvrent le choix que monsieur le connŽtable avait fait de ma personne, lui en disant plus de bien quÕil nÕy en avait, comme aussi Zamet, la Cave, et du Tillet Girard ; puis mÕembrassrent tous, louant le choix de monsieur le connŽtable, et mon bonheur. Ensuite monsieur le connŽtable leur dit quÕil nՎtait pas ˆ propos dՎventer cette affaire, et quÕil la confiait ˆ leur secret jusques ˆ ce quÕil fžt temps de la divulguer ; parce quÕil nՎtait pas alors aux bonnes gr‰ces du roi pour nÕavoir pas voulu consentir au mariage que le roi voulait faire de Mr de Montmorency avec Mlle de Verneuil, sa fille. Ils lui promirent tous de nÕen point parler, comme je fis aussi ; et me dit que je le vinsse trouver sur le soir ; que madame dÕAngoulme, sa belle-sĻur, le devait venir trouver, et quÕil me parlerait devant elle et sa fille de sa rŽsolution de me la donner en mariage ; et me dit devant elle : Ē Mon fils, voilˆ une femme que je vous garde ; saluez-la. Č Ce que je fis, et la baisai. Puis il lui parla, et ˆ madame dÕAngoulme, qui tŽmoigna tre fort satisfaite de lՎlection que son beau-frre avait faite de moi pour sa nice.

Ma mre pria madame la princesse de Conty de la mener le lendemain chez madame dÕAngoulme, qui lui dit en arrivant : Ē Nous serons les deux mres de nos nouveaux mariŽs, et ne sais qui, de vous ou de moi, Madame, en aurons le plus de joie. Č Elle fut de lˆ voir monsieur le connŽtable, qui lui dit quÕelle t”nt la chose secrte, et que, cependant, leurs deux conseils sÕassemblassent pour rŽsoudre les articles, ce quÕils firent. Mais il la pria que Mr le prŽsident de Jambeville nÕy fžt point appelŽ, parce, dit-il, que cela se divulguerait trop, et quÕelle pr”t un homme seul qui se joign”t avec Mr du Tillet Girard : ce quÕelle fit de la personne de Mr de Beauvilliers, qui avait soin de mes affaires en France, personne fort capable et intelligente ; et eux deux firent un projet des articles, que monsieur le connŽtable garda et signa, ce que fit ma mre aussi.

1609.

Janvier.Ń Monsieur le connŽtable ne pouvait en ce temps-lˆ vivre sans me voir, tant il mÕaimait, et ne songeait quՈ mon Žtablissement. Il voulait que de lÕargent quÕil me devait donner, jÕen employasse cinquante mille Žcus pour avoir la charge de colonel-gŽnŽral de la cavalerie lŽgre de France, quÕavait Mr dÕAngoulme. Mais ma mre offrit de dŽbourser les dits cinquante mille Žcus pour cette charge, et que monsieur le connŽtable, sans bourse dŽlier, me donn‰t, pour les cent mille Žcus promis, la terre de Fre en Tertenois qui demeurerait propre ˆ mademoiselle sa fille et ses enfants : ˆ quoi il sÕaccorda, et lors il me dit que je prŽparasse mes affaires pour le venir trouver sans bruit ˆ Chantilly o madame dÕAngoulme viendrait, et que nous nous marierions sans cŽrŽmonie. Mais Mr de Roquelaure, qui t‰chait par tous moyens de remettre bien monsieur le connŽtable avec le roi, lui dit que sÕil mariait sa fille sans le dire prŽcŽdemment au roi, que ce serait un acte de mŽpris dont le roi sÕoffenserait encore davantage quÕil nՎtait ; quÕil trouverait aussi mauvais que je lui eusse celŽ mon mariage, et quÕil mÕen voudrait mal.

Or le roi avait quelque temps auparavant dŽsirŽ de me faire tre son premier gentilhomme de la chambre ˆ la place de Mr le duc de Bouillon, qui nÕy avait pas la sujŽtion nŽcessaire, et mÕavait promis de me donner vingt mille Žcus pour mÕaider ˆ la rŽcompenser. Il avait aussi pour cet effet donnŽ charge ˆ La Barauderie, sÕen allant voir Mr de Bouillon, de lui en parler, ce quÕil avait fait ; et il lui avait rapportŽ que mon dit sieur de Bouillon demandait cinquante mille Žcus pour rŽcompense de cette charge, mais quÕil croyait quÕil lÕabandonnerait pour quarante cinq mille Žcus, et que Mr de Bouillon sÕen venait ˆ la cour pour y conclure cette affaire incontinent aprs son arrivŽe ; ce que Mr de Roquelaure, qui mÕaimait tendrement, nÕignorait pas, et mme avait aidŽ ˆ y disposer le roi : lequel Mr de Roquelaure ajouta ˆ monsieur le connŽtable que, connaissant lÕhumeur du roi comme il faisait, il lÕassurait quÕil serait bien aise dÕavoir ce prŽtexte pour se dŽdire des vingt mille Žcus quÕil mÕavait promis.

Je fus aussi de la mme opinion, et parce que monsieur le connŽtable ne voyait point lors le roi, il voulut que je lui en fisse lÕouverture en prŽsence de Mr de Roquelaure, lequel dirait aussi au roi que monsieur le connŽtable lÕavait priŽ dÕen demander de sa part la permission ˆ Sa MajestŽ ; ce que nous f”mes tous deux des le mme soir ; et le roi agrŽa tellement cette affaire, quÕil dit que non seulement il la trouvait bonne, mais mme quÕen cette considŽration il sÕaccorderait avec mon dit sieur le connŽtable, et que je lui allasse ˆ lÕheure mme dire de sa part quÕil le v”nt voir le lendemain, assurŽ quÕil lui ferait bonne chre : ce que je courus lui dire, dont il fut merveilleusement satisfait.

Incontinent le bruit de mon mariage courut par la cour, et le roi, pour mÕobliger, voulut aller le lendemain chez madame dÕAngoulme, aprs avoir vu le matin monsieur le connŽtable, ˆ qui il fit fort bonne chre : il dit dÕabord ˆ madame dÕAngoulme quÕil venait, comme mon ami particulier, voir mademoiselle sa nice, et se rŽjouir avec elle de ce quÕelle lÕavait bien logŽe, et fit beaucoup dÕautres apparences de tendresse pour moi.

Le soir mme arriva Mr de Bouillon auquel le roi dÕabord parla de sa charge sur mon sujet, lequel lui dit quÕil Žtait venu ˆ ce dessein. Je le saluai, comme les autres qui Žtaient lˆ : mais jÕoubliai, le lendemain, de lÕaller voir chez lui, comme certes je devais, puisquÕil Žtait neveu de monsieur le connŽtable, et sans cela ; et tout cela le piqua contre moi, outre ce quÕil a eu toute sa vie une particulire jalousie de Mr dÕEpernon, par le moyen duquel il pensait que ce mariage sՎtait fait : et le soir dÕaprs, comme il entretenait le roi qui avait vu chez la reine Mlle de Montmorency, que tout le monde avait trouvŽe parfaite en beautŽ, et lui aussi, il lui dit quÕil sՎtonnait grandement de quoi Sa MajestŽ avait permis de marier cette fille, vu que Mr le Prince Žtait prt ˆ se marier, quÕil nՎtait pas expŽdient dÕallier hors de la France, et quÕil nÕy avait plus de filles pour lui, que Mlle du Maine et elle, quÕil pžt Žpouser ; que le roi ne serait jamais conseillŽ dÕaucun qui aim‰t son service, de le marier avec Mlle du Maine, parce que les restes de la Ligue Žtaient trop puissants encore pour les accro”tre dÕun tel chef ; et que Mlle de Montmorency ne lui donnerait que les mmes alliŽs quÕil avait dŽjˆ, puisquÕil Žtait petit-neveu de monsieur le connŽtable, et quÕil suppliait trs humblement Sa MajestŽ de peser ce conseil quÕil lui donnait, et de faire rŽflexion dessus. Le roi lui dit quÕil y penserait, et puis se coucha.

Le lendemain la reine commena de recorder un grand ballet quÕelle voulait danser pour le carme-prenant.

CՎtait le 16me de janvier de lÕannŽe 1609.

Elle fit sortir tout le monde de la grandÕsalle du Louvre, et sÕy en alla. Le roi les alla voir apprendre, et ne mena que Mr le Grand, et Montespan, son capitaine des gardes, avec lui. Mr le Grand, selon sa coutume de faire des admirations des choses nouvelles, et particulirement de Mlle de Montmorency, qui Žtait digne de toute admiration, infusa dans lÕesprit du roi, aisŽ ˆ animer, lÕamour qui, depuis, lui fit faire tant dÕextravagances.

Le soir mme il fut atteint de la goutte, qui le tint plus de quinze jours au lit, et pour mon malheur aussi elle prit ˆ monsieur le connŽtable, qui lÕempcha dÕaller faire nos noces ˆ Chantilly, comme il avait ŽtŽ arrtŽ.

Je sus cependant la mauvaise intention de Mr de Bouillon contre moi ; et il dit ˆ Mr de Roquelaure, qui me le dit aprs, que Mr de Bassompierre voulait avoir sa charge de premier gentilhomme de la chambre, et ne lui en parlait point ; quÕil voulait Žpouser sa nice, et ne lui en disait mot ; mais quÕil bržlerait ses livres, ou il nÕaurait ni sa charge, ni sa nice : et pour cet effet commena ˆ mettre les fers au feu vers Mr le Prince, lui proposant le mariage de lui et de Mlle de Montmorency ; que cette alliance lui donnait pour parents tous les grands de la France, et que des parents dÕune personne de sa qualitŽ Žtaient ses crŽatures ; quÕil devait prŽfŽrer ce parti ˆ un plus grand ˆ cette occasion ; et que sÕil le perdait, quÕil ne pourrait plus se marier, parce que le roi ne lui souffrirait point de se marier hors de France, et quÕen France il nÕy avait plus que Mlle du Maine ˆ marier, ˆ quoi le roi ne consentirait jamais : de sorte quÕil Žbranla son esprit ˆ consentir quÕil en parl‰t de sa part ˆ monsieur le connŽtable, auquel jÕavais dŽjˆ donnŽ avis que Mr de Bouillon me voulait traverser. Mais monsieur le connŽtable me dit que je ne me devais pas mettre en peine de cela ; que quelque parti que lÕon lui propos‰t, il le refuserait, et quÕil connaissait trop bien lÕesprit de Mr de Bouillon pour sÕy laisser sŽduire. Aussi lui rŽpondit-il fort aigrement lorsquÕil lui en parla, et lui dit que sa fille nՎtait point ˆ chercher parti, puisquÕelle en avait un tout trouvŽ, et quÕil avait lÕhonneur dՐtre grand oncle de Mr le Prince, ce qui lui suffisait.

Pendant la goutte du roi, il commanda ˆ Mr le Grand de veiller une nuit prs de lui, Gramont une autre nuit, et moi une autre, et nous relayer ainsi de trois en trois nuits durant lesquelles, ou nous lui lisions le livre dÕAstrŽe qui lors Žtait en vogue, ou nous lÕentretenions lorsquÕil ne pouvait dormir, empchŽ par son mal. CՎtait la coutume que les princesses le venaient voir, et madame dÕAngoulme plus privŽment que pas une : le roi en Žtait bien aise, et entretenait sa nice quand madame dÕAngoulme parlait ˆ quelquÕun de nous, lui disant quÕil la voulait aimer comme sa fille, quÕelle demeurerait au Louvre lÕannŽe de mon exercice de premier gentilhomme de sa chambre, et quÕil voulait quÕelle lui dit franchement si ce parti lui agrŽait, parce que, sÕil ne lui Žtait agrŽable, il saurait bien rompre ce mariage, et la marier mme ˆ Mr le Prince son neveu (si elle voulait). Elle lui rŽpondit que, puisque cՎtait la volontŽ de son pre, elle sÕestimerait bien heureuse avec moi. Il mÕa dit, depuis, que cette parole lui fit rŽsoudre de rompre mon mariage, craignant quÕelle ne mÕaim‰t trop, ˆ son grŽ, si je lՎpousais.

Il fut veillŽ cette nuit-lˆ par Mr de Gramont, et ne dormit gure ; car lÕamour et la goutte tiennent ceux quÕils attaquent fort rŽveillŽs.

Il mÕenvoya chercher le lendemain ds huit heures du matin par un garon de la chambre ; et comme je le fus venu trouver, il me dit pourquoi je ne lÕavais pas veillŽ la nuit prŽcŽdente ? Je lui rŽpondis que cՎtait la nuit de Mr de Gramont, et que la prochaine Žtait la mienne. Il me dit quÕil nÕavait jamais su fermer lÕĻil, et quÕil avait souvent pensŽ ˆ moi ; puis me fit mettre sur un carreau ˆ genoux devant son lit (comme cՎtait la coutume de ceux qui lÕentretenaient au lit). Il continua de me dire quÕil avait pensŽ ˆ moi et de me marier. Moi, qui ne pensais rien moins quՈ ce quÕil me voulait dire, lui rŽpondis que, sans la goutte de monsieur le connŽtable, cÕen serait dŽjˆ fait. Ē Non, ce dit il, je pensais de vous marier avec Mlle dÕAumale, et, moyennant ce mariage, renouveler le duchŽ dÕAumale en votre personne. Č Je lui dis sÕil me voulait donner deux femmes ? Lors il me rŽpondit, aprs un grand soupir :

Ē Bassompierre, je te veux parler en ami. Je suis devenu non seulement amoureux, mais furieux et outrŽ de Mlle de Montmorency. Si tu lՎpouses, et quÕelle tÕaime, je te ha•rai ; si elle mÕaimait, tu me ha•rais. Il vaut mieux que cela ne soit point cause de rompre notre bonne intelligence ; car je tÕaime dÕinclination et dÕaffection. Je suis rŽsolu de la marier ˆ mon neveu le prince de CondŽ, et de la tenir prs de ma femme. Ce sera la consolation et lÕentretien de la vieillesse o je vas dŽsormais entrer. Je donnerai ˆ mon neveu, qui est jeune et aime mieux la chasse que les dames, cent mille francs par an pour passer son temps, et je ne veux autre gr‰ce dÕelle que son affection, sans rien prŽtendre davantage. Č

Comme il me disait cela, je considŽrais que, quand je lui rŽpondrais que je ne voulais pas quitter ma poursuite, ce serait une impertinence inutile, parce quÕil Žtait tout-puissant ; je mÕavisai de lui cŽder de bonne gr‰ce, et lui dis :

Ē Sire, jÕai toujours ardemment dŽsirŽ une chose qui mÕest arrivŽe lorsque moins je lÕattendais ; qui Žtait de pouvoir, par quelque preuve signalŽe, tŽmoigner ˆ Votre MajestŽ lÕextrme et ardente passion que je lui porte, et combien vŽritablement je lÕaime. Certes il ne sÕen pouvait rencontrer une plus haute que celle-ci, de quitter sans peine et sans regret une si illustre alliance, une si parfaite dame, et si violemment aimŽe de moi, puisque, par cette pure et franche dŽmission et rŽsignation que jÕen fais, je plais en quelque sorte ˆ Votre MajestŽ. Oui, Sire, je mÕen dŽsiste pour jamais, et souhaite que cette nouvelle amour vous apporte autant de joie que la perte me causerait de tristesse, si la considŽration de Votre MajestŽ ne mÕempchait de la ressentir. Č

Alors le roi mÕembrassa et pleura, mÕassurant quÕil ferait pour ma fortune comme si jՎtais un de ses enfants naturels ; et quÕil mÕaimait chrement, que je mÕen assurasse, et quÕil reconna”trait ma franchise et mon amitiŽ. Lˆ-dessus lÕarrivŽe des princes et seigneurs me fit lever ; et comme il mÕeut rappelŽ, et mÕeut encore dit quÕil me voulait faire Žpouser sa cousine dÕAumale, je lui dis quÕil avait eu la puissance de me dŽmarier, mais que de me marier ailleurs, cÕest ce que je ne ferais jamais : et lˆ-dessus finit notre dialogue.

JÕallai d”ner chez Mr dÕEpernon, et lui dis ce que le roi mÕavait dit le matin, lequel me dit : Ē CÕest une fantaisie du roi, qui passera comme elle est venue. Ne vous en alarmez point : car Mr le Prince, qui conna”tra le dessein du roi dÕabord, ne sÕy engagera pas. Č Ce que je me persuadai aussi parce que je le dŽsirais, et nÕen dis plus mot ˆ personne. Il est vrai que, comme, sous le ciel, il nÕy avait lors rien si beau que Mlle de Montmorency, ni de meilleure gr‰ce, ni plus parfaite, elle Žtait fort avant en mon cĻur ; mais comme cՎtait un amour rŽglŽ de mariage, je ne le ressentais pas si fort que je devais.

Il arriva que, lÕaprs-d”nŽe, le roi joua ˆ trois dŽs, selon sa coutume, ayant fait mettre une table ˆ la ruelle de son lit : comme nous jouions sur le soir avec lui, madame dÕAngoulme arriva avec sa nice quÕil avait envoyŽ quŽrir, laquelle il entretint fort longtemps de lÕautre c™tŽ du lit. Cependant je regardais sa nice, qui ne savait rien de toute cette affaire, et je ne me pouvais imaginer quÕelle fžt pour rŽussir en cette sorte. Aprs quÕil ežt parlŽ ˆ la tante, il entretint longuement la nice : puis ayant repris sa tante, comme Mlle de Montmorency se retira, moi la regardant, elle haussa, ˆ mon avis, les Žpaules, pour me montrer ce que le roi lui avait dit. Je ne mens point de ce que je vas dire : cette seule action me pera le cĻur, et me fut si sensible que, sans pouvoir continuer le jeu, je feignis de saigner du nez, et sortis du premier cabinet et du second. Les valets de chambre mÕapportrent sur le petit degrŽ mon manteau et mon chapeau. JÕavais laissŽ mon argent ˆ lÕabandon, que Berringuen serra, et ayant rencontrŽ au bas du degrŽ le carrosse de Mr dÕEpernon, je montai dedans, et dis au cocher quÕil me men‰t ˆ mon logis. Je rencontrai mon valet de chambre, avec lequel je montai ˆ ma chambre, lui dŽfendant de dire que jÕy fusse, et y demeurai deux jours ˆ me tourmenter comme un possŽdŽ, sans dormir, boire, ne manger. On crut que jՎtais allŽ ˆ la campagne, comme je faisais parfois de pareilles ŽquipŽes. Enfin mon valet, craignant que je ne mourusse, ou ne perdisse le sens, dit ˆ Mr de Pralain, qui mÕaimait fort, lՎtat o jՎtais, lequel me vint trouver pour me divertir ; aussi que lÕon mÕenvoya me commander de vivre, ce que je fis par son commandement, et par les persuasions de Mr de Pralain, qui mÕamena ce soir mme ˆ la cour, o dÕabord jՎtonnai tout le monde de me voir en deux jours si amaigri, pale, et changŽ, que je nՎtais pas reconnaissable.

 

Mars. Ń Deux ou trois jours aprs, Mr le Prince se dŽclara de vouloir Žpouser Mlle de Montmorency, et me rencontrant, me dit : Ē Monsieur de Bassompierre, je vous prie de vous trouver cette aprs-d”nŽe chez moi, pour mÕaccompagner chez madame dÕAngoulme, o je vas offrir mon service ˆ Mlle de Montmorency. Č Je lui fis une grande rŽvŽrence, mais je nÕy allai point.

Cependant, pour ne demeurer oisif, et me rŽconforter de ma perte, je me divertis en me raccommodant avec trois dames que jÕavais entirement quittŽes, pensant me marier : lÕune desquelles fut Antragues, que je vis chez madame de Senteny, et les autres par rencontre, sans y penser, et mÕy rembarquai.

Sur le commencement de lÕannŽe 1609, ma mre sÕen retourna en Lorraine.

Mr le Prince continua sa recherche, et enfin fiana sa ma”tresse (avril). JՎtais un matin chez le roi, quÕil vint me dire, comme ˆ plusieurs autres : Ē Monsieur de Bassompierre, je vous prie de vous trouver cette aprs-d”nŽe chez moi, pour mÕaccompagner au Louvre ˆ mes fianailles. Č Le roi qui le vit parler ˆ moi, me demanda ce quÕil mÕavait dit : Ē Une chose, Sire, lui rŽpondis je, que je ne ferai pas. Č Ē Et quoi ? Č dit il. Ē Que je lÕaccompagne pour se venir fiancer. NÕest il pas assez grand pour y aller tout seul, et ne se saurait-il fiancer sans moi ? Je vous rŽponds que, sÕil nÕa dÕautre accompagneur que moi, il sera fort mal suivi. Č Le roi dit quÕil voulait que je le fisse, et moi lui rŽpondis que je lui suppliais trs humblement de ne me le point commander, car je ne le ferais pas ; que Sa MajestŽ se devait contenter que jÕavais abandonnŽ ma passion au premier de ses dŽsirs et de ses volontŽs ; quÕelle sÕen devait contenter, sans me vouloir forcer dՐtre menŽ en triomphe, aprs mÕavoir ravi ma femme prŽtendue et tout mon contentement. Le roi, qui Žtait le meilleur des hommes, me dit : Ē Je vois bien, Bassompierre, que vous tes en colre ; mais je mÕassure que vous ne manquerez pas dÕy aller, quand vous aurez considŽrŽ que cÕest mon neveu, premier prince de mon sang, qui vous en a priŽ lui-mme ; Č et sur cela me quitta et prit Mrs de Pralain et de Termes, et leur commanda de venir d”ner avec moi et me persuader dÕy aller, puisque cՎtait de mon devoir et de la biensŽance : ce que je fis aprs ˆ leur remontrance ; mais ce fut de sorte que je ne partis que lorsque les princesses amenrent la fiancŽe au Louvre, et quÕelle passa devant mon logis ; ce qui mÕobligea de lÕaccompagner avec ces messieurs qui avaient d”nŽ chez moi, et puis, de la porte du Louvre, nous nous en retourn‰mes trouver Mr le Prince, que nous rencontr‰mes comme il sortait du Pont Neuf pour y venir. Les fianailles se firent en la galerie du Louvre ; et le roi, par malice, sÕappuyant sur moi, me tint contre les fiancŽs tant que la cŽrŽmonie dura.

Deux jours aprs, je tombai malade de la fivre tierce : et aprs que jÕen eus eu quatre accs, un matin, aprs avoir pris mŽdecine, un gentilhomme gascon, nommŽ No‘l, me vint trouver au lit, et me dit quÕil dŽsirait se battre avec moi lorsque je serais en santŽ. Je lui rŽpondis que jÕen avais ˆ revendre quand cՎtait pour me battre, et me levai sur lÕheure avec ma mŽdecine dans le corps, et lÕallai trouver au rendez-vous quÕil mÕavait donnŽ, qui Žtait ˆ Bictre, par un extrme brouillard, y ayant deux pieds de neige sur la terre. Comme nous fžmes en prŽsence, deux Gascons, nommŽs la Graulas et Carbon, avec un nommŽ le Fay, vinrent passer prs de nous pour nous arrter, et lui me dit : Ē Ė une autre fois ! Č Mais je lui criai quÕil mont‰t ˆ cheval ; ce quÕil fit, et ˆ notre parole nous nous pžmes approcher et rencontrer : mais comme jÕy arrivais, Carbon, qui nous voulait sŽparer, rencontra le cheval de No‘l de flanc, et le porta par terre. CՎtait un grand embarras dans lՎpaisseur de ce brouillard ; car je faillis ˆ tuer lˆ Graulas, le prenant pour NoŽ. Enfin je mÕen allai ˆ Gentilly, ne pouvant plus supporter ma mŽdecine ; et Trigny, La Feullade, et quelques autres, arrivrent, qui me ramenrent bien malade au logis. Toutefois, parce quÕil y avait un ballet de filles qui se dansait le soir ˆ lÕArsenal, o le roi, la reine, et les princesses Žtaient, et que je fus conviŽ de mÕy trouver, je ne laissai pas dÕy aller en lՎtat que jՎtais, et dÕy demeurer jusques au lendemain ; dont je fus si malade que jÕen pensai mourir, et ne me levai du lit que le mardi-gras pour aller ˆ lÕArsenal, o lÕon courait une bague que Mlle de Montmorency donnait. Je ne courus point, car jՎtais encore trop faible ; mais le roi mÕappela auprs de lui pour lui aider ˆ entretenir la dame qui donnait la bague, ce que je fis assez bien : mais il y eut une brouillerie pour un gant qui lui manquait, lequel dÕAndelot, sans son su, donna ˆ Mr le Grand, qui le porta sur son chapeau en courant, ce que je fis voir au roi.

Le ballet de la reine se dansa le premier dimanche de carme, qui fut le plus beau, et le dernier aussi, de tous ceux quÕelle a dansŽs : aprs quoi le roi sÕen alla ˆ Fontainebleau.

Je demeurai ˆ Paris, o il arriva un accident qui mÕapporta un peu de scandale. Un Žcuyer de la reine, Italien, nommŽ Camillo Simoni, Žtait logŽ en une petite rue qui est devant la Monnaie, tirant vers Saint-Germain, au coin de laquelle, devant la porte de la dite Monnaie, madame dÕAntragues Žtait logŽe en une maison picotŽe. Cet Žcuyer Camille aimait son h™tesse ; et, ayant trouvŽ un jeune homme couchŽ avec elle, lui ou ses gens, lui donnrent force coups dՎpŽe, et le mirent en chemise hors du logis, et la grandeur de ses blessures ne lui permirent pas de faire cinquante pas sans mourir, tombant au dessous des fentres de la chambre dÕAntragues. QuelquÕun, passant la nuit, et voyant ce corps mort, crut que cՎtait moi, ˆ cause du lieu o il Žtait, et vint battre ˆ la porte de mon logis, disant que lÕon mÕavait assassinŽ au logis de madame dÕAntragues, et puis jetŽ par la fentre, et que mes gens allassent, ou me secourir promptement si jՎtais encore en vie, ou mÕemporter si jՎtais mort. Par hasard jՎtais sorti de mon logis, dŽguisŽ, pour aller voir une dame ; ce qui leur confirma tellement cette opinion quÕils coururent inconsidŽrŽment o Žtait ce corps, quÕils prirent pour tre le mien, et les plus zŽlŽs sՎtant jetŽs dessus, empchrent les plus considŽrŽs de le mieux reconna”tre, et tous lÕemportrent chez moi. Aucuns des miens venus au devant, criant, avec des flambeaux, on sÕaperut enfin que cՎtait un autre homme, et le rapportrent chez un chirurgien voisin, o la justice sÕen vint t™t aprs saisir : ce qui causa un assez grand scandale et moquerie de mes gens par la ville.

Peu de temps aprs Mr le Prince sÕalla marier ˆ Chantilly. Le roi revint de Fontainebleau ˆ Paris, comme firent, t™t aprs les noces, ceux de Chantilly. Deux jours aprs monsieur le connŽtable fut un peu malade, et je le vis : et puis il se fit un bal chez la reine Marguerite, o madame la nouvelle princesse parut ; jÕy eus bien des embarras pour un habillement bleu que jÕy portai.

Le lendemain le roi alla ˆ Fontainebleau, et les princesses et dames aux Tuileries, o il y eut une excellente musique. Le lendemain elles partirent pour aller ˆ Fontainebleau, et moi jÕy allai en poste, et arrivai comme on faisait mettre lÕeau au grand canal : le roi gagea mille Žcus contre moi que dans deux jours il serait rempli, et il ne le fut pas en huit.

Mesdames les princesses demeurrent huit jours ˆ la cour, puis sÕen allrent ˆ Valery ; et deux jours aprs le roi me fit une proposition de faire un voyage en Allemagne et en Lorraine, feignant y aller pour dÕautres affaires ; et nŽanmoins cՎtait pour disposer le duc de Lorraine au mariage de sa fille a”nŽe avec monsieur le dauphin. Il me permit aussi dÕoffrir jusques ˆ douze mille Žcus de pension aux particuliers que je jugerais pouvoir aider ˆ cette affaire. Et pour davantage mÕanimer ˆ le servir en cette occasion, il mÕoffrit de me marier ˆ Mlle de ChemilliŽ quÕil venait de dŽmarier dÕavec Mr de Montmorency, ˆ qui il voulait faire Žpouser Mlle de Vend™me sa fille : il mÕoffrit aussi de faire rŽtablir en ma faveur la terre de Beaupreau en duchŽ et pairie ; mais jՎtais lors tellement perdu dÕamour, que je lui dis que, sÕil me voulait faire quelque gr‰ce, ce ne serait pas par mariage, puisque par mariage il mÕavait tant fait de mal.

Ambassade en Lorraine

Je mÕapprtai donc pour partir, et parce que je mourais dÕenvie de voir les noces de Mr de Vend™me, qui, dans dix jours, se devaient faire ˆ Fontainebleau, je demeurai ˆ Paris, feignant dÕy avoir des affaires, et en ce sŽjour jÕy perdis 25000 Žcus au jeu. Enfin jÕy allai inconnu ; et aprs y avoir vu la cŽrŽmonie, je mÕen revins ˆ Paris, et t™t aprs en Lorraine ; et sans passer ˆ Nancy, allai droit ˆ Harouel, o je demeurai quelques jours avec ma mre, ma tante dÕEpinal, et quantitŽ de noblesse qui mÕy vint voir, et puis mÕen vins ˆ Nancy, comme si je nÕy avais autre affaire quՈ y saluer les princes et y passer mon temps.

Je fis le lendemain appeler un gentilhomme nommŽ Mr de Ludre, sur ce quÕen passant devant sa porte, il avait frappŽ un de mes cuisiniers ; mais il me fit tant dÕexcuses et de satisfactions que nous demeur‰mes amis.

Je passai quatre ou cinq jours ˆ Nancy sans parler de rien ˆ S.A., et puis lui dis que je le suppliais trs humblement de me vouloir donner une heure dÕaudience particulire, lorsquÕil en aurait la commoditŽ ; ce quÕil mÕaccorda dans sa galerie ds lÕaprs-d”nŽe mme, lˆ o, sans lui rien dŽguiser, je lui dis na•vement la cause de mon voyage, et lui prŽsentai la lettre de crŽance du roi, que jÕaccompagnai des paroles que je pensai tre utiles ˆ mon dessein.

Mr le duc de Lorraine Žtait prince timide et irrŽsolu, qui sՎtonna dÕabord de ma commission, et plus encore de ma proposition, et se persuada facilement que quantitŽ de troupes franaises ˆ pied et ˆ cheval, qui Žtaient venues border sa frontire sur le sujet de la mort arrivŽe en ce temps-lˆ du dernier duc de Clves, y Žtaient mises ˆ dessein de lÕattaquer, en cas quÕil ne rŽpond”t conformŽment aux intentions du roi. Il me demanda si le roi mÕavait donnŽ cet ordre de lui parler, en partant dÕauprs de lui, ou sÕil me lÕavait envoyŽ depuis mon arrivŽe en Lorraine ; et lui ayant dit que jՎtais venu exprs, dŽpchŽ du roi qui mÕavait lui mme donnŽ mon instruction et voulu Žcrire de sa propre main la lettre que je lui avais apportŽe, afin que cette nŽgociation ne fžt ŽventŽe ni connue que quand il serait temps, et quÕil mÕavait assurŽ de nÕen avoir fait aucune part ˆ ses ministres, il me dit lˆ-dessus quÕil sՎtonnait bien que jÕeusse ŽtŽ trois semaines en Lorraine avant que de lui faire cette ouverture, et quÕil croyait que je lÕavais supersedŽe [diffŽrŽe] ˆ dessein de faire venir loger toutes ces troupes en son voisinage avant que de lui parler.

Je mÕaperus bien quÕil avait de grands ombrages, et pour le remettre, je lui rŽpondis lors que les mmes raisons qui avaient conviŽ le roi de ne parler de son dessein quՈ moi seul, afin quÕil ne fžt point ŽventŽ, mÕavaient portŽ ˆ retarder jusques ˆ cette heure ˆ lui en faire lÕouverture ; quÕexprs jÕavais sŽjournŽ quelques jours en ma maison pour Žblouir les yeux de ceux qui eussent pu voir quelque jour en ce prŽsent affaire, ou qui se fussent pu douter que jÕeusse quelque chose ˆ traiter avec Son Altesse de la part de Sa MajestŽ, des intentions de laquelle il devait bien juger, puisquÕil mÕavait voulu commettre cette proposition, ˆ moi de qui le frre a tout son bien en Lorraine, qui ai lÕhonneur dՐtre son vassal du bien que jÕy ai, et pour lui ˆ qui ma maison a de trs Žtroites obligations ; que, sÕil voulait tromper Son Altesse, il ne se fžt pas voulu servir de mon industrie pour ce sujet, et que, quand il lÕežt voulu faire, je nÕeusse pas acceptŽ cette charge ; que je ne la veux persuader en aucune chose, mais seulement lui dire purement et franchement ma commission, lui supplier de la tenir fort secrte, et puis mÕy faire telle rŽponse quÕil lui plairait, que je rapporterais ˆ Sa MajestŽ sans y rien ajouter, dŽguiser ou diminuer ; que je ne lui demandais point une rŽponse prŽsente, et quÕil la pouvait mžrement et ˆ loisir peser, et considŽrer, avant que de me la faire ; mais que je le suppliais trs humblement quÕil chois”t seulement une ou deux personnes pour sÕen conseiller, afin de ne divulguer point une chose qui, pour beaucoup de respects [aspects], devait tre celŽe et cachŽe.

Il se remit un peu ˆ ce discours, et me demanda quel temps je lui donnais pour me rŽpondre. Je lui rŽpliquai que ce serait celui quÕil voudrait prendre, et que, pour couvrir davantage ma nŽgociation, je mÕen irais, sÕil le trouvait bon, me promener pour quinze jours en Allemagne, afin que, si ˆ mon retour, on me voyait plus assidu ˆ lÕentretenir, lÕon juge‰t plut™t que ce fžt pour les affaires dÕAllemagne que pour celles de France que je lui parlasse. Il trouva mon dessein fort bon, et me dit quÕil avait dŽjˆ mme choisi celui auquel il voulait confier cette affaire, et de qui il dŽsirait prendre le conseil et lÕavis, qui Žtait mon voisin, le sieur Bouvet, prŽsident de Lorraine, et quÕaprs lui avoir parlŽ ds aujourdÕhui il lui commanderait de me voir, et de confŽrer avec moi, et quÕil me rŽpondait de son silence et secret. Je lui rendis trs humbles gr‰ces, et approuvai son Žlection.

Il me demanda lˆ-dessus ˆ quel dessein le roi faisait approcher de la Lorraine de si grandes forces. Je lui assurai que cՎtait sur le sujet de la mort de son beau-frre le duc de Clves, et que le roi apprŽhendait que la maison dÕAutriche se voulžt approprier ses Žtats, ce quÕil ne voulait souffrir en aucune faon, lui Žtant trs important de ne la laisser si fort agrandir, mmement [particulirement] en son voisinage.

Comme jÕachevais ce discours, le prŽsident Bouvet arriva, avec lequel je le laissai pour mÕaller prŽparer de partir pour Allemagne, o jÕavais aussi affaire de la part du roi avec le marquis de Dourlach, lՎlecteur palatin, et le duc de Wurtemberg.

Ce soir mme Mr le prŽsident de Lorraine, qui Žtait mon proche voisin, me vint voir, comme il avait souvent accoutumŽ de faire. Je vis bien quÕil me voulait parler, et parce quÕil y avait grande compagnie en mon logis, je lui dis : Ē Mon voisin, allons nous promener en notre commun parterre, Č (qui est cette place de la rue Neuve enfermŽe de barrires). Il me dit quand nous y fžmes : Ē Vous nous avez bien taillŽ de la besogne aujourdÕhui, et avez mis en telle confusion notre duc, que je ne lÕai de ma vie vu plus en peine, et ne se trouve pas moins empchŽ ˆ vous rŽpondre quՈ ne vous rŽpondre pas. Č Je lui dis : Ē Au moins ne lui ai-je fait aucune proposition qui lui soit honteuse, et quand il aurait cherchŽ une bonne alliance pour sa fille par tout le monde, il nÕen ežt su rencontrer une plus noble ; plus commode pour le voisinage, ni un plus grand et meilleur parti que celui que je lui suis venu offrir : et sÕil en sait quelquÕun de plus sortable ou meilleur, il le peut prendre sans nous offenser. Č Ē Ce nÕest pas cela, de par Dieu, me dit-il, il nÕest que trop bon, et nous nous passerions bien ˆ moins. Č

Aprs cela je lui dŽduisis tout mon fait (encore plus amplement que je nÕavais fait au duc), que jÕappuyai des meilleures raisons que Dieu me voulut inspirer. Il me dit ensuite que le duc lui avait assurŽ que je ne le presserais point de la rŽponse quÕaprs le retour dÕun voyage que jÕallais faire en Allemagne, et que, cependant, il Žtait bien aise de laisser remettre cet esprit alarmŽ, et de songer ˆ son aise un bon conseil ˆ lui donner lˆ-dessus, ˆ quoi il se trouvait bien empchŽ. Je lui offris, de la part du roi, de lÕintŽresser ; mais il me rŽpondit quÕil Žtait bon serviteur de son ma”tre, lequel Žtait puissant de lui faire plus de bien quÕil ne lui en fallait, et pour toute sa famille. Il me demanda quand je partirais pour Allemagne, et je lui dis que je ne prendrais que le lendemain pour mÕapprter et attendre monsieur le Reingraf que jÕavais envoyŽ quŽrir, qui mÕavait promis que nous ferions ce voyage de compagnie. Il mÕassura que le duc, et lui, garderaient le secret.

Je partis donc aprs que le Reingraf fut venu, et all‰mes coucher ˆ Blamont, et le lendemain ˆ Salbourg chez le colonel Lutsbourg, notre ami. Le lendemain nous v”nmes coucher ˆ Saverne, o les chanoines nous festinrent, et le jour aprs ˆ Strasbourg, o nous sŽjourn‰mes deux jours avec Mrs de Ribeaupierre, Flecstein, Han, et autres, qui nous y Žtaient venus trouver. De lˆ nous all‰mes d”ner ˆ Liechtenau et coucher ˆ Canstatt, o se rencontrrent Mr et madame la comtesse de Hannau, beau-frre et sĻur du Reingraf, qui nous voulurent donner ˆ souper, o nous nous enivr‰mes tous Žtrangement.

Le lendemain, nous nous sŽpar‰mes de nos h™tes, eux pour aller ˆ Liechtenau, et nous pour venir d”ner ˆ un ch‰teau du marquis de Baden, o il demeurait lors pour la cervaison. Il Žtait ˆ la chasse avec sa femme (sĻur du Reingraf), quand nous y arriv”mes ; nous ne laiss‰mes pas dÕy tre bien reus et traitŽs. Ils revinrent le soir fort tard ; et nous ayant envoyŽ faire des compliments, il remit au lendemain ˆ nous voir, qui Žtait un dimanche. Il nous envoya encore faire ses excuses sÕil ne nous voyait quՈ d”ner, ˆ cause du prche. Nous v”nmes donc d”ner avec lui, et sa femme et ses enfants, o il fit au Reingraf et ˆ moi tout bon accueil. Aprs d”ner il nous entretint encore quelque temps, et nous pria fort de demeurer quelques jours ˆ la chasse avec lui, dont nous nous excus‰mes ; et en prenant congŽ de lui, feignant de lui faire des compliments, afin que le Reingraf ne sÕen aperžt pas, je lui dis que jÕavais ˆ lui parler de la part du roi secrtement, et que je le suppliais trs humblement quÕil me renvoy‰t quŽrir, feignant de me vouloir donner quelque commission pour Sa MajestŽ ; ce quÕil fit trs accortement : car aprs nous avoir conduits jusques ˆ la porte de la salle, comme il se fut dŽjˆ retirŽ pour sÕen aller, il se retourna tout court, et me cria : Ē Monsieur de Bettstein, jÕavais oubliŽ de vous demander si vous vous achemineriez bient™t en France, aprs votre retour en Lorraine. Č Et comme je lui eusse dit que je mÕy en irais aussit™t, il me dit : Ē Me voudriez-vous bien obliger de vous vouloir charger dÕune affaire que jÕai avec S. MtŽ, et t‰cher de mÕen sortir ? Je vous en serais infiniment redevable ; Č et, lui ayant assurŽ que je tiendrais cette commission ˆ honneur, Ē Je vous prie donc de vouloir venir en ma chambre, tandis que le Reingraf ira voir et entretenir sa chre sĻur. Č Je le suivis et, Žtant demeurŽs seuls, je lui donnai la lettre que le roi lui Žcrivait en crŽance sur moi, et lui dis ensuite que le roi mÕavait commandŽ de le voir sur lÕaccident depuis peu arrivŽ par la mort du duc de Clves, tant pour recevoir de lui quelque bon conseil et avis de la faon quÕil sÕy devait comporter pour empcher lÕagrandissement de la maison dÕAutriche, qui lui Žtait si prŽjudiciable, comme aussi de savoir de lui quelle part il voudrait prendre en cette affaire (qui ne lui importait pas moins quՈ S. MtŽ), en cas quÕelle voulžt se dŽclarer ouvertement pour sÕopposer ˆ lÕinvasion que lÕempereur ou le roi dÕEspagne voudraient faire des Žtats de Clves et de Juliers, soit sous ombre de protection, de sŽquestre, ou autrement.

Il me rŽpondit sur le champ quÕil rendait gr‰ces trs humbles ˆ S. MtŽ de lÕhonneur quÕil recevait par sa lettre et par ma lŽgation ; que sa prudence nÕavait point besoin de conseil, ni son pouvoir dÕaucune assistance ; nŽanmoins quÕil lui dirait que la chose principale ˆ quoi le roi avait ˆ songer, nՎtait pas seulement dÕempcher lÕagrandissement de la maison dÕAutriche, mais encore dÕamoindrir sa puissance, laquelle, pendant sa vie, ne lui pourrait pas nuire ; mais aprs sa mort, si elle rencontrait des successeurs moins sages, et moins gŽnŽreux que lui, elle pourrait causer la ruine de la France ; que quand Sa dite MajestŽ voudrait fermement sÕemployer ˆ cette Ļuvre, elle se pouvait assurer de sa personne, de ses Žtats, de ses moyens et de sa vie, pour les employer ˆ son service ; mais que ce serait peu de chose de lui seul en Allemagne, si dÕautres princes, touchŽs de mmes intŽrts, ne se conjoignaient ˆ mmes desseins, et quÕil osait donner ce conseil au roi de faire pareillement rechercher messieurs lՎlecteur palatin et autres princes de la mme maison, Mr le marquis dÕAnspach, qui Žtait un trs brave et gentil prince, aimŽ dans lÕAllemagne, et qui tirerait avec lui beaucoup de seigneurs de lÕempire, et aussi Mrs le duc de Wurtemberg et landgraves de Hessen et de Darmstadt ; tous lesquels le dit marquis me dit quÕil sÕassurait que Sa MajestŽ trouverait trs disposŽs ˆ son service, et ˆ suivre ses entreprises et desseins.

Je mÕavisai lors dÕune chose que le roi approuva grandement depuis, qui fut que quand je le vis se porter si franchement dans les intŽrts du roi, de lÕy ancrer encore davantage par la confiance que le roi prendrait de lui, et lui dis, sans en avoir charge, que le roi mÕavait aussi commandŽ de voir ces autres princes, si je le pouvais faire sans doute ni soupon, comme jÕavais fait lui, que jՎtais venu saluer comme ayant lÕhonneur de lui appartenir ; et que je devais aussi passer ˆ Stuttgart vers Mr le duc de Wurtemberg, mais quՎtant allŽ aux noces de Mr le marquis dÕAnspach, si jÕy fusse allŽ, cela ežt donnŽ lÕombrage que le roi apprŽhendait, et que le bien de cette affaire consistait au secret que lÕon y devait tenir. Il fut fort aise de voir que nous avions en France le secret en recommandation, car il nous apprŽhendait de ce c™tŽ-lˆ, et me tŽmoigna quÕen cela consistait le bien de nos affaires. Je poursuivis donc ˆ lui dire que jÕavais dŽpchŽ ˆ Sa MajestŽ pour lui mander lÕabsence de ce prince, et celle du palatin, qui Žtait allŽ ˆ la hirschfaist au Haut-Palatinat, et quÕil mÕavait mandŽ lˆ-dessus que je me gardasse bien de passer outre, mais quÕaprs avoir vu Mr le marquis de Baden, si je rencontrais en lui la confiance et la satisfaction quÕil sÕen attendait et promettait, je le priasse quand et quand de prendre la principale direction de tout ce dessein, et que je prisse les ordres de lui, non seulement de ce que jÕaurais ˆ faire pour le service de Sa MajestŽ, mais encore une instruction et formulaire de la faon quÕelle devait agir en cette affaire, ˆ quels princes elle devait faire parler pour cette grande union et confŽdŽration pour le bien gŽnŽral, par quels moyens les y attirer, quelles lettres leur Žcrire et en quelle teneur, quelles personnes des leurs gagner ou employer, et enfin tout le gros et le dŽtail de cette affaire.

Ce prince prit mon discours de la mme main que je lui prŽsentais, accepta la charge que le roi lui donnait, avec grandes actions de gr‰ces, promit de sÕy employer avec tout le soin et lÕindustrie que Sa MajestŽ saurait dŽsirer ; que, puisquÕelle lui commandait, il mÕenverrait des amples mŽmoires et avis de ce quÕil faudrait faire, et ce par un sien secrŽtaire, jeune homme, mais bien entendu, et en qui il se confiait entirement (nommŽ Huart), des quÕil aurait mis au net tous les papiers nŽcessaires ; que ce secrŽtaire demeurerait prs du roi comme solliciteur de son affaire supposŽe, auquel il Žcrirait de temps en temps ; et aurait aussi soin de lui faire tenir les lettres et autres ordres du roi qui seraient nŽcessaires. Il fit ensuite appeler ce secrŽtaire, et, en la prŽsence de monsieur le Reingraf (qui enfin, pour nous h‰ter de partir, Žtait revenu chez le marquis), me dit que cՎtait le personnage quÕil envoyait en la cour de France solliciter son affaire, laquelle il me recommandait, et le solliciteur aussi ; et quÕil me priait quÕil mÕaccompagn‰t en France, ce que je lui promis ; et le Reingraf ne se douta jamais de tout ce que jÕavais traitŽ avec lui, de quoi je fis une ample dŽpche au roi, qui en fut extraordinairement satisfait, et de tout mon procŽdŽ avec le dit marquis.

Nous rev”nmes encore le mme jour, mais bien tard, coucher ˆ Canstatt. Le lendemain nous v”nmes d”ner ˆ Liechtenau, o nous trouv‰mes ma cousine la comtesse de Hannau, qui y Žtait demeurŽe un peu malade, ce disait-elle ; mais en effet cՎtait pour y attendre et voir son frre et moi. Nous demeur‰mes avec elle jusques sur le soir, que nous all‰mes coucher ˆ Strasbourg, o nous sŽjourn‰mes trois jours ˆ passer le temps, le dernier desquels le secrŽtaire Huart arriva (aožt), qui mÕapporta toutes les instructions et mŽmoires dont le marquis sՎtait pu aviser ; et le lendemain nous nous en retourn‰mes ˆ Nancy par les mmes g”tes que nous avions prises en allant.

JÕy trouvai une ample dŽpche du roi sur plusieurs diverses choses, et entre autres, pour sonder lÕintention de Mr de Lorraine sur les prŽsentes occurrences des affaires de Clves, duquel je ne pus tirer autre chose sinon quÕil conserverait soigneusement la neutralitŽ entre les deux couronnes, que Leurs deux MajestŽs lui avaient consentie et accordŽe.

Je nÕeus pas une si prompte expŽdition sur notre affaire du mariage de madame sa fille avec monsieur le dauphin ; car au bout de dix-huit jours je le trouvai sans rŽsolution, et sans rŽponse ˆ me faire : et seulement, aprs avoir souvent consultŽ avec le prŽsident Bouvet, il conclut quÕil me dirait, ˆ la premire audience quÕil me donnerait, que moi et les miens avaient toujours ŽtŽ si affectionnŽs ˆ toute sa maison ; que mon frre, et moi, y ayant de grands biens et quelques parents ; Žtant aussi homme de bien et dÕhonneur comme il me connaissait, il ne se saurait mieux adresser quՈ moi pour se conseiller, de la rŽsolution quÕil devait prendre, et de la rŽponse quÕil devait faire au roi.

JÕavoue que ce discours me surprit, que je trouvai captieux. Enfin je lui rŽpondis que : Ē Si, ds le commencement de ce pourparler, je nÕeusse pris le personnage de commissaire du roi, jÕeusse de bon cĻur acceptŽ celui de conseiller de Son Altesse, et mÕen fusse acquittŽ, sinon avec suffisance, au moins avec candeur et probitŽ ; que maintenant je nՎtais plus libre dÕaccepter aucune condition, puisque jÕen avais dŽjˆ une Žtablie ; mais que je pouvais bien lui dire toutes les rŽponses quÕil pouvait faire, et lui laisser, puis aprs, le choix de celle quÕil jugerait la plus convenable. Č

Ē QuÕen la proposition que je lui avais faite, il y avait cinq sortes de personnes sur lesquelles il devait faire rŽflexion, assavoir : madame sa fille ; lui-mme ; les princes de sa maison, et qui ont lÕhonneur de porter son nom ; ceux qui ont, par leurs femmes ou alliances, prŽtention sur le duchŽ de Lorraine et ses autres Žtats ; et finalement ses sujets, tant ecclŽsiastiques, nobles, que roturiers : de toutes lesquelles diffŽrentes personnes il devait soigneusement considŽrer leurs divers intŽrts au prŽsent sujet. Č

Ē Que celui de madame sa fille nՎtait autre que dՐtre bien et grandement mariŽe, et, si elle avait pour dot un grand hŽritage, tirer du c™tŽ de son mari un grand douaire ; de faire que les enfants quÕelle aura, qui seront grands princes par elle, le soient encore plus grands par son futur mari, et que, bien que sa qualitŽ soit trs grande dÕelle-mme, elle lÕaccroisse et lÕaugmente encore par son mariage. Č

Ē LÕintŽrt de Son Altesse vient ensuite, qui a bien plus de branches que celui de madame sa fille. Car, outre quÕil doit dŽsirer le bien et la grandeur de madame sa dite fille, ˆ quoi lÕaffection paternelle le porte, il doit aussi avoir soin de la sienne particulire, qui est de vivre heureusement et paisiblement, aimŽ et honorŽ de ses voisins, respectŽ et obŽi de ses sujets, et estimŽ des uns et des autres. Č

Ē LÕintŽrt des princes de sa maison lui doit tre recommandŽ comme le chef dÕicelle, lesquels princes ont trois diffŽrentes souches : la plus ancienne, et par consŽquent plus ŽloignŽe, est celle de Claude de Lorraine, dont est issue la maison de Guise ; celle dÕaprs, et qui approche plus votre personne, est celle de Nicolas de Vaudemont, pre de la feue reine Louise ; et la dernire est celle de monsieur son frre : qui doivent tous dŽsirer, comme Son Altesse aussi, que les duchŽs et autres terres de la maison soient perpŽtuŽs en la mme race, et ne tombent point, par succession collatŽrale, en dÕautres familles quÕen celle mme de Lorraine. Č

Ē LÕintŽrt des princes collatŽraux ne la doit pas beaucoup toucher ; nŽanmoins il les faut peser en cette prŽsente affaire. Č

Ē Finalement celui de vos vassaux et sujets, ˆ qui Son Altesse ne tient pas seulement lieu de souverain, mais de pre, lui doit tre en singulire recommandation. Č

Ē JÕai dŽjˆ dit les intŽrts des princes de sa maison, parlant de ceux de Son Altesse ; qui auraient ˆ craindre que, sÕil manquait ˆ la race de Lorraine un prince souverain, la qualitŽ de princes, avec le temps, ne se perd”t en eux-mmes, comme nous avons vu en la maison de Luxembourg et dÕautres. Č

Ē Les princes, parents collatŽraux, ont intŽrt que la Lorraine ne tombe point dans les mains dÕun roi de France, de peur dՐtre incorporŽe au royaume ; comme, de ce sicle, nous avons vu pareil exemple au duchŽ de Bretagne, duquel ceux de Ferrare, Nemours, et Lorraine, ont ŽtŽ exclus, aussi bien que lÕinfante dÕEspagne, et le duc de Savoie, et Son Altesse mme, qui est descendu de la seconde fille hŽritire de France, [quoiquÕils] y eussent un droit clair et apparent. Č

Ē Finalement, les vassaux et sujets de Votre Altesse, accoutumŽs ˆ la domination de trs bons princes, (qui prient tous les jours Dieu pour la continuation de ce bonheur par la procrŽation de ligne masculine ˆ Son Altesse), ont intŽrt de demeurer en lÕheureux Žtat o ils sont, apprŽhendent toutes nouveautŽs ou changements, craignent lÕaltŽration de leurs privilges, le gouvernement de seigneurs envoyŽs de la France pour les rŽgir, qui nÕauront pas tant de soin de les bien conserver et maintenir, que de faire leurs affaires particulires ˆ leurs dŽpens ; quÕils deviendraient province frontire de la France vers lÕAllemagne, par consŽquent toujours foulŽe de garnisons et de logements de gens de guerre, la premire attaquŽe, et qui servira de place dÕarme et de thމtre ˆ jouer toutes les tragŽdies entre les Franais et leurs voisins ennemis. Č

Ē Voilˆ, ce me semble, tous les intŽrts qui se rencontrent ˆ considŽrer et peser ˆ la prŽsente proposition. Č

Ē La premire, qui est celle de madame votre fille, vous doit porter ˆ lÕexŽcution de ce que lÕon vous propose. Car quel meilleur parti pourrait elle trouver en toute la chrŽtientŽ, quÕun dauphin de France, hŽritier infaillible de la couronne ? Quelle plus grande qualitŽ que dՐtre la premire des reines chrŽtiennes ? Que peut-elle dŽsirer de plus avantageux pour ses enfants, que de les voir rois de France aprs son mari, et ducs de Lorraine aprs elle ? Enfin toutes choses conspirent, quant ˆ elle, ˆ ce dessein, et pour son bien, que, comme pre, vous lui devez procurer, vous nÕen sauriez souhaiter davantage. JÕajoute que si vous et madame leur mre veniez ˆ manquer avant quՐtre mariŽes, elles tomberaient entre les mains de la reine leur grand tante, et belle-mre de lÕune, qui en aurait soin comme de ses propres filles, et auraient la protection du roi et dÕelle contre les violences ou injustices que son oncle, ses parents, ou dÕautres princes voudraient exercer sur elle. Č

Ē Mais votre maison, et les princes qui en sont descendus, vous sont chers : vous dŽsirez de laisser votre succession en la mme maison dÕo elle vous est venue, et de perpŽtuer votre nom. JÕavoue que ce sont des dŽsirs lŽgitimes et biensŽants, et que lÕaffection fraternelle vous doit toucher bien vivement, et t‰cher de faire tomber ˆ ses fils, par mariage, ce que, par procrŽation, vous nÕavez pu procurer aux v™tres successivement. Mais si S.A. votre pre nÕežt point laissŽ dÕenfants m‰les, la race de MŽdicis ežt possŽdŽ la Lorraine ; si le duc Franois, votre grand pre, nÕežt point laissŽ le duc Charles son fils, son successeur, le duc de Bavire le serait maintenant ; et si le duc Antoine, votre bisa•eul, nÕežt eu deux fils, Franois son successeur et Nicolas de Vaudemont, le marquis dÕAvrai rŽgnerait maintenant sur les Lorrains en la place de Votre Altesse : telles sont les lois humaines, auxquelles il nous faut conformer. Č

Ē Quant aux princes vos alliŽs, et qui, par succession collatŽrale, peuvent parvenir ˆ la v™tre, ils ne vous doivent toucher en aucune faon, et devez plut™t dŽsirer que vos petits fils soient rois de France, et ducs de Lorraine par succession, que ceux [de] la maison de MŽdicis, et toutes les autres branches quÕelle a faites ; que celle de Bavire avec celle dÕAutriche, et les palatins de Neubourg ; que Mr de Vend™me, ou le duc de Crouy, ou les descendants de son frre ou de ses sĻurs. Č

Ē Reste ˆ parler de vos vassaux et sujets, ˆ qui ce changement sera f‰cheux, mais la condition nÕen sera point empirŽe. La Bretagne, pour tre incorporŽe ˆ la France, nÕen a pas ŽtŽ de plus malheureuse condition : ses privilges et immunitŽs lui ont ŽtŽ conservŽes, et les personnes et biens des Bretons plus puissament contregardŽs par un roi de France quÕils nÕeussent ŽtŽ par un duc de Bretagne : la condition de chaque corps de la Bretagne sÕest accrue et amŽliorŽe par cette rŽunion ; car lÕordre ecclŽsiastique a ŽtŽ capable de possŽder les amples bŽnŽfices consistoriaux de la France ; la noblesse sÕy est enrichie et agrandie, parce quÕil se fait bien de plus hautes fortunes en des grands royaumes quÕen des petites provinces ; et le tiers-Žtat est parvenu aux grandes et lucratives charges de judicature et des finances de France. Et puis, cette incorporation de la Lorraine ˆ la France nÕest pas effective : car si madame votre fille nÕa point dÕenfants, il nÕy a rien de fait ; si ses enfants ne sont m‰les, les filles seront duchesses de Lorraine, comme celle-ci le doit tre aprs votre mort ; si elle a plusieurs m‰les, le second, ou le troisime, ainsi quÕil sera stipulŽ, sera duc de Lorraine, et sÕil nÕy en a quÕun, peut-tre que les Lorrains mmes, qui auront dŽjˆ par plusieurs annŽes ŽprouvŽ la douce domination des rois de France, demanderont eux-mmes cette rŽunion comme ont fait les Bretons, non quÕils nÕeussent ŽtŽ plus aises dÕavoir un prince particulier, mais de peur de tomber sous la puissance dÕun duc de Savoie, dÕun roi dÕEspagne, ou de Votre Altesse mme, quÕils nÕaffectionnaient pas tant que la France, et qui ne les eussent pas si bien su gouverner et protŽger que les rois de France. Č Ē Voilˆ, en somme, tous les intŽressŽs et tous leurs intŽrts, qui ne touchent Votre Altesse quÕen un seul point, qui est celui des princes de sa maison, qui pourront dŽchoir si la souverainetŽ venait ˆ tre changŽe en autre main, ˆ quoi ils ont ŽtŽ et sont en tout temps sujets, si votre Žtat tombait en la maison de Bavire, MŽdicis, ou autres mŽdiocres princes ; mais ils ne perdraient pas la qualitŽ de princes pour cela : car sÕil y ežt eu des princes du sang de Bretagne lors de sa rŽunion ˆ la couronne, ils nÕeussent pas pour cela perdu leur qualitŽ, et nos rois eussent ŽtŽ obligŽs de la leur conserver, non seulement par justice, mais par leur propre considŽration : je dis davantage, que si, maintenant que le duchŽ de Clves va tomber dans une autre race, celle de Nevers subsistait en France, qui en est descendue, elle conserverait la dignitŽ de prince, bien que la souverainetŽ en fut distraite. Voilˆ lÕintŽrt que ces princes de la maison de Lorraine y peuvent avoir ; car pour la succession, ils en sont tous si ŽloignŽs, ˆ cause des filles qui ont ŽtŽ mariŽes ˆ dÕautres maisons, quÕils ne songent pas seulement dÕy pouvoir parvenir : la maison de Guise a plus de cent ttes avant que la couronne de Lorraine puisse venir tomber sur la sienne ; celle de Mercure est tombŽe en quenouille ; et sans cela, beaucoup de princes et princesses de la maison de MŽdicis leur passeraient devant. Il nÕy a que monsieur votre frre et ses enfants qui p‰tiront de tout ceci, que je plains infiniment ; mais ˆ tout considŽrer, il ne perd pas tant comme il manque de gagner. Car cela dŽpend premirement de votre volontŽ, secondement de celle de madame votre fille, ensuite de la lignŽe qui en proviendra, qui est douteuse aux cousins germains ; et semble que Dieu ne bŽnisse pas de si proches alliances, en les privant souvent dÕenfants, comme il se voit de celle de Mr le duc de Bavire et de madame votre sĻur qui devaient, selon le jugement humain, avoir une belle et nombreuse lignŽe, Žtant tous deux si bien faits et en la fleur de leur ‰ge ; nŽanmoins, depuis quinze ans quÕils sont mariŽs, ils nÕont pas eu seulement le doute dÕen avoir : et quand bien Votre Altesse donnerait ˆ monsieur son frre sa fille a”nŽe pour son fils a”nŽ, elle donnerait la seconde ˆ quelque prince Žtranger, ˆ qui tomberait votre duchŽ si lÕa”nŽe nÕavait point dÕenfants de monsieur votre neveu, qui serait la mme chose, mais bien moins avantageuse, que si elle lÕežt mariŽe avec monsieur le dauphin, qui nÕaura pas moins de volontŽ que de puissance dÕagrandir un jour son oncle et ses cousins germains. Č

Ē Voilˆ, Monsieur (lui dis-je), les divers intŽrts et la consŽquence dÕiceux, que jÕai voulu reprŽsenter ˆ Votre Altesse, avant que de lui dire les conseils quÕelle a ˆ prendre lˆ-dessus, et que je lui puis donner sans prŽjudice de manquer au devoir auquel la personne que je reprŽsente maintenant mÕoblige. Maintenant je lui Žtalerai toutes les rŽponses quÕelle peut faire ; et puis elle-mme les ayant toutes mžrement considŽrŽes, choisira celle quÕelle voudra faire au roi, laquelle je lui porterai fidlement, et sans lui rien cacher ni dŽguiser. Č

Ē Elle peut donc, premirement, rŽpondre au roi que les intŽrts de la maison de Lorraine, et le dŽsir de perpŽtuer sa succession et ses Žtats en sa mme famille, lui sont si considŽrables quÕelle est rŽsolue de marier madame sa fille ˆ un prince de son sang, qui est un refus absolu, et lequel, bien que je me fusse rŽsolu de ne donner point mon avis sur le choix des conseils divers que je lui avais proposŽs, nŽanmoins jՎtais trop son serviteur pour ne lui pas dire que je ne lui conseille pas dÕuser de termes si crus, attendu que nier ˆ qui peut forcer, est lÕart de se ruiner : joint aussi que, faisant cette rŽponse, vous ferez infailliblement une autre action qui sera encore pire, qui est que, si les affaires dÕAllemagne appellent la personne et lÕarmŽe du roi, ou sur votre frontire, ou par votre pays pour le passage, vous tes comme obligŽ, par ce prŽcdent refus, dÕenvoyer mesdames vos filles en Bavire pour en Žloigner la proie ; et, Žtant en Bavire, qui sait si Mr le duc de Bavire nÕaimera pas autant cette riche hŽritire pour un de ses neveux que pour celui de sa femme ? Č

Ē La seconde rŽponse que vous pouvez faire au roi, est de lui dire que monsieur le dauphin ni madame votre fille nՎtant point en ‰ge nubile, vous nÕy voulez point inutilement penser avant le temps de le pouvoir conclure. Cette seconde rŽponse est un refus absolu, et qui sera reu du roi pour tel : mais Votre Altesse pourrait ajouter, pour lÕadoucir, que vous assurez nŽanmoins Sa MajestŽ que, lorsque cela sera, vous nÕentendrez ˆ aucune proposition que lÕon vous veuille faire sur ce sujet, sans savoir premirement si Sa MajestŽ continue au dessein de lui faire lÕhonneur de songer ˆ son alliance pour monsieur le dauphin ; y ajoutant encore (si vous voulez), que tout traitŽ que lÕon pourrait faire avant ce temps-lˆ ne lierait point Sa MajestŽ, et engagerait Votre Altesse, qui rend trs humbles gr‰ces ˆ Sa dite MajestŽ de celle quÕil lui fait de jeter les yeux sur sa fille au dessein quÕil a de marier monsieur le dauphin. Č

Ē La troisime rŽponse que Votre Altesse peut faire au roi est de le remercier trs humblement de lÕhonneur quÕil lui fait, quÕelle reoit avec toute sorte de respect et de joie ; quÕelle lui supplie trs humblement que cette affaire soit traitŽe avec toute sorte de secret et de silence pendant quelque temps quÕelle t‰chera de disposer ses sujets ˆ lÕagrŽer, et ses parents ˆ y consentir ; ce quÕelle fera le plus t™t quÕil lui sera possible. Č

Ē LÕautre rŽponse est de recevoir au pied de la lettre lÕoffre du roi, vous y conformer et la conclure avec joie et contentement, faisant de bonne gr‰ce ce que vous tes rŽsolu de faire. Č

Ē De ces quatre rŽponses Votre Altesse peut choisir celle quÕil lui plaira, et lorsquÕelle me lÕaura donnŽe, je la porterai ˆ Sa MajestŽ sans y rien changer ni altŽrer. Č

Ces divers conseils que je lui donnai le tinrent un peu pensif ; et moi, lˆ-dessus, je le quittai, le laissant avec le prŽsident Bouvet, qui avait ŽtŽ en tiers ˆ toute cette confŽrence : lequel prŽsident, revenant le soir ˆ son logis, me rencontra devant ma porte, me promenant avec plusieurs seigneurs et gentilshommes ; je les quittai pour me promener avec lui, qui me dit :

Ē Je pensais que ce que vous aviez proposŽ ˆ S.A. lui ežt donnŽ moyen de se rŽsoudre ; mais vous lÕavez plus embarrassŽ quÕauparavant, et je crois que, si vous ne lui eussiez donnŽ quÕun seul conseil, il lÕežt suivi, parce quÕil veut suivre tous les quatre, ne sachant lequel choisir. Je lÕai laissŽ en cette incertitude, penchant nŽanmoins sur le troisime avis, qui est dÕaccepter la semonce, mais de la tenir secrte jusques ˆ ce quÕil soit temps, et que cependant, qui a temps a vie, il y pourra arriver tant de choses, que les affaires prendront quelque biais que ni vous, ni nous, nÕeussions pas peut-tre pensŽ. Il mÕa commandŽ encore, en partant, de vous dire quÕil vous recommandait le secret, et que vous vous pouviez disposer de partir dans deux jours ; car demain, sans remise, il rŽsoudrait sa rŽponse, et votre dŽpche, laquelle serait seulement verbale, relative sur la lettre quÕil Žcrirait au roi, en rŽponse de la sienne, qui nÕavait aussi ŽtŽ que de crŽance. Č

Je dis lors au dit prŽsident que jÕavais charge expresse du roi de donner ˆ S.A. la demande que je lui avais faite, Žcrite et signŽe de ma main, qui Žtait dŽjˆ toute prte ˆ ma chambre ; mais quÕil voulait aussi que sa rŽponse fut signŽe de la sienne, et que, pour plusieurs raisons, je ne la pouvais pas prendre autrement ; que lÕaffaire Žtait de consŽquence, sujette ˆ dŽsaveu ; que jՎtais jeune, et nouveau ministre, qui, outre cela, Žtais vassal de S.A., qui serais aisŽment souponnŽ dÕavoir ajoutŽ ou diminuŽ, supprimŽ ou inventŽ quelque chose en lÕaffaire, et que je nՎtais pas homme pour faire appeler S.A. au combat, quand elle voudrait nier ce quÕelle mÕaurait donnŽ charge de dire de sa part : cՎtait pourquoi je voulais que sa lettre et son seing parlassent, et que moi seulement en fusse le porteur.

Bouvet me dit que difficilement pourrait-il faire cela : Ē Ni moi, rŽpondis-je, rapporter rien que je ne lÕaie, Žcrit et signŽ. Č Sur quoi nous nous sŽpar‰mes ; et lÕayant priŽ de faire savoir ˆ S.A. cette mienne dŽterminŽe rŽsolution, il me pria de songer aussi de ma part ˆ quelque expŽdient qui ne fut point cela, et fžt nŽanmoins cela mme. Je lui rŽpondis sur lÕheure que jÕen avais un en main qui me dŽchargeait, et ne lÕengageait pas ; qui Žtait de lÕenvoyer, lui prŽsident, ou quelque autre personne affidŽe, porter sa rŽponse au roi avec une lettre de crŽance, et quÕil nÕy avait point dÕautre moyen que lÕun de ces deux lˆ.

Je mÕen vins le lendemain matin voir le duc, qui ne me parla en aucune faon de cette affaire, parce quÕil y avait force monde ; mais bien me dit-il que si je le venais dŽbaucher incontinent aprs d”ner, quÕil ferait quelque partie ˆ la paume avec moi. JÕy vins selon ce quÕil mÕavait dit ; et, lÕayant trouvŽ dans sa galerie, il me dit quÕil Žtait tout rŽsolu de se conformer aux volontŽs du roi, et recevoir lÕhonneur quÕil lui voulait faire : seulement dŽsirait-il de gagner et disposer les principaux de son Žtat pour leur faire gožter ce mariage, et le pallier [cacher] cependant ˆ ses parents jusques ˆ ce quÕil fut temps de le dŽcouvrir ; suppliant trs humblement Sa MajestŽ de le vouloir cependant tenir secret, me priant aussi de recevoir cette rŽponse de sa part pour la porter au roi avec une lettre de crŽance relative sur moi.

Je lui rŽpondis lors que jՎtais venu avec lettre de crŽance, qui Žtait mon pouvoir de traiter avec lui, mais que sÕil ne voulait donner quÕune lettre de crŽance sans autre chose, quÕil y pouvait envoyer quelquÕun de sa part pour la porter, et que je me chargerais seulement de traitŽ, ou rŽponse authentique signŽe, avec la lettre de crŽance pour lÕaccompagner. Il me dit quÕil craignait que cette rŽponse signŽe de lui ne fžt vue, et que cela lui pouvait importer ˆ la vie mme. Je lui dis que je nÕavais pas moins dÕintŽrt de la tenir secrte pour les mmes raisons, et que je lui rŽpondais que le roi le ferait aussi.

Enfin il se rŽsolut de me faire donner une lettre, non de crŽance, mais de rŽponse ˆ ce que jÕavais nŽgociŽ avec lui : ce quÕil fit, et je la rapportai au roi, prenant congŽ de lui deux jours aprs pour lÕaller trouver ; lequel fut extraordinairement satisfait du bon succs de toutes les affaires quÕil mÕavait commises, et me fit de trs grandes dŽmonstrations de sa bienveillance.

 

Septembre. Ń Ė peine eus-je achevŽ de lui rendre compte des choses quÕil mÕavait ordonnŽes, quÕil prit aussi audience de moi pour me parler de sa passion vers madame la Princesse, et de la malheureuse vie quÕil menait ŽloignŽ dÕelle : et vŽritablement cՎtait un amour forcenŽ que le sien, qui ne se pouvait contenir dans les bornes de la biensŽance. Je lui fis ˆ mon tour mes plaintes de lui-mme, qui avait fait fouiller et prendre les lettres que mon valet de chambre, sÕen revenant en poste de la cour, mÕapportait : ce quÕil me nia fortement ; mais je le savais bien, en ayant ŽtŽ averti auparavant par la reine, qui dit ˆ madame la princesse de Conty quÕelle en avis‰t mon homme, ce quÕelle fit ; et lui, sur cet avis, bailla ˆ un messager quÕil connaissait toutes les lettres quÕil avait ˆ porter, lequel les lui rendit aprs ˆ Saint-Dizier. On avait fait rapport au roi que mon dit valet me portait des lettres de bonne part (aussi faisait-il, et de diverses personnes) ; mais il fut habile. Ce qui mit plus en peine le roi, fut quÕil mÕavait Žcrit, et on ne trouva jamais sa lettre sur mon homme, ˆ qui il lÕavait donnŽe ; de sorte quÕil se douta bien quÕil avait envoyŽ son paquet par une autre adresse, parce que je lui rendis rŽponse de sa lettre. Enfin il me nia toujours quÕil ežt fait dŽtrousser mon homme, et mÕen voulut faire souponner des personnes qui nÕy avaient pas pensŽ.

Ce jour mme la reine me parla dÕune affaire de grande consŽquence, en laquelle je la servis adroitement, et selon ses intentions.

Trois jours aprs, qui fut le 12me de septembre, jÕeus une bonne fortune.

Je me souviens quÕen ce temps la, comme le roi prit un jour mŽdecine, il se promenait aprs d”ner dans sa galerie : Mr de Bouillon entama un discours de la grandeur de lÕEspagne, de sa visŽe ˆ la monarchie, ˆ laquelle elle sÕacheminait ˆ grands pas, si tous les autres princes chrŽtiens ne sÕunissaient ensemble pour lÕen empcher, et que, sans les Hollandais, elle y serait dŽjˆ parvenue ; que la trve que le roi avait mme aidŽ ˆ faire entre le roi dÕEspagne et eux, Žtait grandement profitable ˆ lÕEspagnol, dommageable ˆ eux, et au roi ; que, finalement, le roi devait, de toute sa puissance, procurer lÕagrandissement des Etats et la ruine de lÕEspagnol, comme de celui qui devait un jour opprimer, avec la France, tout le reste de la chrŽtientŽ.

Il eut non seulement une paisible, mais favorable audience ; et comme il Žtait beau parleur, et Žnergique, il ravit dÕadmiration plusieurs esprits assez ignorants, qui Žtaient lˆ. Je me trouvai ˆ cette proposition, et comme je nÕavais pas lÕesprit prŽoccupŽ en sa faveur comme les autres, je remarquai ˆ son discours plusieurs choses fausses, beaucoup de vaines, et quantitŽ qui servaient plut™t dÕornement au langage que dÕaide ˆ la persuasion. Je dis lors ˆ Mrs de Roquelaure et de Trigny, qui haut louaient le grand jugement de Mr de Bouillon, et disaient quÕil nÕy avait plus rien ˆ dire aprs ce quÕil avait dit, que, si lÕon voulait prendre le contre-pied de ce dont il avait discouru, il y aurait plus de raisons ˆ dire, et plus probables, que celles quÕil avait proposŽes, et quÕil avait appuyŽ tout son discours sur de faux fondements et suppositions. Aprs que Mr de Bouillon fut parti, Trigny dit au roi, qui louait les belles et bonnes raisons quÕil avait dŽduites, que je disais que lÕon en pourrait faire de mme ˆ prendre le parti de lÕEspagnol contre les Hollandais : Ē Ayons-en le plaisir, Č rŽpliqua le roi ; et sur ce, mÕappela, et me commanda de lui parler contre les Hollandais, ˆ quoi je mÕembarquai, aprs mÕen tre excusŽ plusieurs fois ; et Dieu mÕinspira si bien que jÕy rŽussis mieux que ceux qui mՎcoutaient ne lÕeussent cru : auxquels le roi adressant sa parole, leur dit : Ē Il faut avouer le vrai, que Mr de Bouillon a raison, mais que Bassompierre nÕa pas tort. Č Et le soir mme le roi me commanda de mettre par Žcrit ce que je lui avais dit, et que je le donnasse ˆ Mr de Villeroy. Je lui dis quÕil se moquait de moi ; que je ne me mlais pas de bien dire, et moins de bien Žcrire, lÕun et lÕautre nՎtant pas de ma profession, et moins de ma suffisance ; que je ne me ressouvenais plus de ce que jÕavais dit devant lui en la galerie, et que ce que jÕen avais fait avait plut™t ŽtŽ ˆ dessein de contrarier Mr de Bouillon que je nÕaimais pas, que pour me dŽbiter pour un beau parleur. Enfin il me fora de lui mettre par Žcrit, ce que je fis en meilleure forme que je ne lÕavais dit.

 

Octobre. Ń Le roi alla peu de jours aprs passer le reste de son automne ˆ Fontainebleau, dÕo je fis quelques courses ˆ Malesherbes.

Les fils de don Virginio Ursino y arrivrent.

Mr de Chevreuse, dŽcouvert de voir en privŽ madame de Moret, dit au roi quÕil la voulait Žpouser : ses parents accommodrent cette affaire ; et lui, sÕen alla en Lorraine, dÕo il ne revint quÕaprs la mort du roi.

Pimentel Žtait revenu ˆ la cour, et le jeu Žtait grossi par son arrivŽe.

Le roi revint ˆ Paris aprs la Toussaints.

Ma sĻur de Saint-Luc accoucha dÕun enfant mort, et elle le suivit dix jours aprs ses couches, dont je pensai dŽsespŽrer de dŽplaisir.

Antragues revint de Chemaut.

La reine accoucha de madame Henriette Marie, sa dernire fille, le 26e de novembre.

Fuite de Mr le Prince, alliance savoyarde, prŽparatifs de guerre

Mr le Prince partit de la cour pour sÕen aller ˆ Muret, dÕo il partit le dernier de novembre, jour de Saint-AndrŽ, avec Rochefort, et Toiras et un valet, qui portaient en croupe madame la Princesse sa femme, mademoiselle de Serteau, et une femme de chambre nommŽe Philipotte, et sÕen alla ˆ Landrecies. Le roi jouait en son petit cabinet quand dÕElbene premirement, puis le chevalier du guet, lui en portrent la nouvelle, et jՎtais le plus proche de lui : il me dit lors ˆ lÕoreille : Ē Bassompierre, mon ami, je suis perdu ; cet homme ˆ emmenŽ sa femme dans un bois. Je ne sais si a ŽtŽ pour la tuer, o pour lÕemmener hors de France. Prends garde ˆ mon argent, et entretiens le jeu ce pendant que jÕen vas savoir de plus particulires nouvelles. Č Lors il entra avec dÕElbene dans la chambre de la reine, qui couchait dans son cabinet depuis ses couches de sa dernire fille, de laquelle elle sՎtait trouvŽe fort mal.

Aprs que le roi fut parti, Mr le Comte me pria de lui dire ce que cՎtait ; je lui dis que son neveu et sa nice sÕen Žtaient allŽs : puis ensuite Mrs de Guise, dÕEpernon, et de CrŽquy mÕayant fait la mme demande, je leur fis la mme rŽponse. Alors chacun se retira du jeu ; et moi, prenant lÕoccasion de rapporter au roi son argent quÕil avait laissŽ sur la table, jÕentrai o il Žtait. Je ne vis jamais un homme si perdu ni si transportŽ : le marquis de CĻuvre, le comte de Cramail, dÕElbene, et Lomenie, Žtaient avec lui ; ˆ chaque proposition ou expŽdient quÕun des trois lui donnait, il sÕy accordait, et commandait ˆ Lomenie dÕen faire lÕexpŽdition, comme dÕenvoyer le chevalier du guet aprs Mr le Prince avec ses archers ; de dŽpcher Ballagny ˆ Bouchain pour t‰cher de lÕattraper ; dÕenvoyer Vaubecourt, qui Žtait lors ˆ Paris, sur la frontire de Verdun, pour empcher son passage par lˆ ; et dÕautres choses ridicules.

Il avait envoyŽ quŽrir ses ministres, lesquels, ˆ leur arrivŽe, lui donnrent chacun pour conseil un plat de leur mŽtier, ou un trait de leur humeur. Monsieur le chancelier arriva le premier, ˆ qui le roi dit lÕaffaire, et lui demanda ce quÕil lui semblait ˆ propos de faire sur cela. Il rŽpondit posŽment que ce prince ne prenait pas le bon chemin ; quÕil ežt ŽtŽ ˆ dŽsirer que lÕon lÕežt mieux conseillŽ, et quÕil devait avoir modŽrŽ son ardeur. Le roi lui dit en colre : Ē Ce nÕest pas ce que je vous demande, Monsieur le chancelier, cÕest votre avis. Č Alors il dit quÕil fallait faire de bonnes et fortes dŽclarations contre lui, et tous ceux qui le suivraient, ou donneraient aide, soit dÕargent, soit de conseils.

Comme il disait cela, Mr de Villeroy entra, et le roi, impatient, lui demanda son avis, aprs lui avoir dit la chose. Il haussa les Žpaules, et montra dՐtre bien ŽtonnŽ de cette nouvelle, puis dit quÕil fallait dŽpcher ˆ tous les ambassadeurs du roi vers les princes Žtrangers pour leur donner avis du dŽpart de Mr le Prince sans permission du roi et contre sa dŽfense, et pour leur faire faire les offices nŽcessaires auprs des princes o ils rŽsidaient pour ne le retenir en leurs Žtats, ou le renvoyer ˆ Sa MajestŽ.

Mr le prŽsident Jeannin Žtait venu en compagnie de Mr de Villeroy, ˆ qui le roi demanda aussi son avis. Il lui dit, sans hŽsiter, que Sa MajestŽ devait incontinent dŽpcher un de ses capitaines des gardes du corps aprs, pour t‰cher de le ramener, et ensuite chez le prince aux Žtats duquel il serait allŽ, le menacer, au cas quÕil ne lui rem”t entre les mains, de lui faire la guerre : car, ˆ son avis, son dŽpart nÕa point ŽtŽ prŽmŽditŽ, ni [il] nÕa point fait faire dÕoffice prŽcŽdent pour tre reu et protŽgŽ ; il sera sans doute allŽ en Flandres, et lÕarchiduc, qui ne conna”t point Mr le Prince, qui nÕa point dÕordre exprs dÕEspagne pour le maintenir, et qui respecte et craint le roi, ne se le voudra pas jeter pour peu de chose sur les bras, et sans doute, ou vous le renverra, ou le chassera de ses Žtats.

Le roi prit gožt ˆ cet expŽdient ; mais il ne se voulut rŽsoudre quÕil nÕeut aussi ou• parler Mr de Sully lˆ-dessus ; lequel arriva assez longtemps aprs, avec une faon brusque et rude. Le roi alla ˆ lui, et lui dit : Ē Monsieur de Sully, Mr le Prince est parti, et a emmenŽ sa femme. Č Ē Sire (lui dit-il), je ne mÕen Žtonne point ; je lÕavais bien prŽvu, et vous lÕavais bien dit ; et si vous eussiez cru le conseil que je vous donnai, il y a quinze jours, quand il partit pour aller ˆ Muret, vous lÕeussiez mis dans la Bastille, o vous le trouveriez maintenant, et je vous lÕeusse bien gardŽ. Č Le roi lui dit : Ē CÕest une affaire faite, il nÕen faut plus parler ; mais que dois-je faire cependant ? Dites mÕen votre opinion. Č Ē Par Dieu, je ne sais, rŽpondit-il, mais laissez-moi retourner ˆ lÕArsenal o je souperai et me coucherai, et cette nuit je penserai ˆ quelque bon conseil que je vous rapporterai demain au matin. Č Ē Non, ce dit le roi, je veux que vous mÕen donniez un tout ˆ cette heure. Č Ē Il y faut donc penser, Č (lui dit-il), et sur cela il se tourna vers la fentre qui regarde dedans la cour, et se mit peu de temps ˆ jouer du tabourin dessus, puis sÕen vint vers le roi qui lui dit : Ē Eh bien, avez-vous songŽ ? Č Ē Oui, Č lui dit il. Ē Et que faut-il faire ? Č demanda le roi. Ē Rien, Č lui rŽpliqua-t-il. Ē Comment rien ! Č ce dit le roi. Ē Oui, rien, dit Mr de Sully : si vous ne faites rien du tout, et montrez de ne vous en pas soucier, on le mŽprisera ; personne ne lÕaidera, non pas mme ses amis et serviteurs quÕil a par deˆ ; et dans trois mois, pressŽ de la nŽcessitŽ, et du peu de compte que lÕon fera de lui, vous le raurez ˆ la condition que vous voudrez : lˆ o, si vous montrez dÕen tre en peine, et dÕavoir dŽsir de le ravoir, on le tiendra en considŽration ; il sera secouru dÕargent par ceux de deˆ ; et plusieurs, croyant vous faire dŽplaisir, le conserveront, qui lÕeussent laissŽ lˆ, si vous ne vous en fussiez pas souciŽ. Č

Le roi, qui Žtait dans le trouble et dans lÕimpatience, ne put recevoir cet avis, et sÕarrta ˆ celui Mr le prŽsident Jeannin, qui Žtait plus brusque et plus selon son humeur prŽsente, et dŽpcha le lendemain Mr de Pralain, tant vers Mr le Prince que vers lÕarchiduc.

JÕai voulu dŽduire par le menu ces diffŽrentes opinions qui ont quelque connexitŽ ˆ cette Žvasion de Mr le Prince, et dire ensuite que Mr de Pralain trouva encore monsieur et madame la Princesse ˆ Landrecies, avec lesquels nÕayant pu rien traiter pour leur retour, il passa ˆ Bruxelles vers lÕarchiduc, auquel il dŽclara ce que le roi lÕavait chargŽ de lui dire. LÕarchiduc fut assez surpris, et bien quÕil ežt donnŽ quelque espŽrance ˆ Rochefort, qui lՎtait allŽ trouver de la part de Mr le Prince, de le recevoir et protŽger dans ses Žtats, il lui envoya nŽanmoins prier dÕy vouloir seulement passer sans sÕy arrter. Mais depuis, animŽ par les persuasions du marquis Spinola, il le reut et garda dans ses pays : ce fut ce qui fit enfin rŽsoudre le roi ˆ exŽcuter ce grand dessein quÕil avait longtemps ŽcoutŽ, souvent fait espŽrer de lÕentreprendre, mais o il ne sՎtait voulu jusques alors entirement jeter : lequel ne sera pas hors de propos, ni du prŽsent sujet, dÕen parler maintenant, et de reprendre les choses ˆ leur source, pour en donner une plus claire intelligence.

Comme ceux de la religion nÕont jamais eu un plus puissant ennemi que le roi dÕEspagne, ni quÕils aient plus craint et redoutŽ, aussi ont ils tournŽ leurs principaux projets et desseins ˆ son abaissement et ruine ; et lors quÕils ont eu accs ˆ lÕoreille de quelque prince, ils lÕont toujours animŽ ˆ lui faire la guerre. Mrs de Bouillon, de Sully et des Diguieres, principaux personnages de cet Žtat, et les plus grands et habiles du parti huguenot en France, quoique toujours contraires et animŽs les uns contre les autres, se sont nŽanmoins en tout temps unis ˆ conseiller et presser le roi, voire mme lÕulcŽrer et envenimer contre la maison dÕAutriche, et le roi dÕEspagne particulirement ; ˆ quoi ils Žtaient aidŽs par la propre inclination du roi, aliŽnŽe du roi dÕEspagne par son ressentiment des outrages reus par lui en ces dernires guerres, et par lÕapprŽhension de sa grandeur, qui, par raison dՎtat, lui devait tre suspecte : de sorte quÕils trouvaient libre accs vers le roi, et paisible audience, mme avec approbation, quand ils lui parlaient contre Espagne, et nÕeussent pas manquŽ dÕexŽcution, si le roi, las et recru de tant de guerres passŽes, son peuple ruinŽ, et ses finances ŽpuisŽes, nÕežt voulu passer, autant que le bien de son Žtat et son honneur lui pouvaient permettre, le reste de ses jours en paix dans un heureux et fŽcond mariage, parmi une nombreuse famille, et dans les divertissements qui ne le dŽtournaient des choses qui pouvaient tre utiles au bien de son Žtat, pour lequel il a toujours eu une parfaite sollicitude.

Ces raisons, qui dŽtournaient Sa MajestŽ dÕentreprendre une guerre longue et douteuse avec le roi dÕEspagne (et de laquelle, comme il disait souvent, il ne pouvait espŽrer aucun avantage quÕune paix, aprs avoir beaucoup consommŽ de temps, dÕargent et dÕhommes, avec la dŽsolation de leurs deux frontires, avec restitution de ce qui aurait ŽtŽ occupŽ de lÕune des parties sur lÕautre), nÕempchaient pas nŽanmoins que le roi ne pr”t son parti quand il verrait une bonne occasion de le devoir faire ; et il ne trouva pas mauvais que Mr de Sully f”t quelque ouverture au roi Jacques dÕAngleterre (vers lequel il Žtait allŽ de sa part ˆ son nouvel avnement ˆ la couronne), sur une Žtroite ligue et conjonction de ces deux couronnes contre celle dÕEspagne, en cas quÕelle voulžt continuer ses ordinaires progrs. Mais ces sages princes, tous deux venus de loin ˆ de si grandes successions, songeaient plut™t aux moyens de les bien rŽgir et conserver, que de les accro”tre par des moyens non moins prŽjudiciables ˆ la chrŽtientŽ quՈ leurs particuliers Žtats, et se lirent ensemble dÕune Žtroite amitiŽ sans passer les termes, ou contrevenir ˆ la paix que le roi avait avec Espagne, et que celui dÕAngleterre contracta peu de temps aprs.

Mais il arriva ensuite que Mr le duc de Savoie, brave et gentil prince, et impatient de paix et de repos, ne se put longuement contenir oisif aprs la paix que lui avait donnŽe le roi au commencement de lÕannŽe 1601 ; et ce prince rempli de grands dŽsirs, qui avait ce malheur dՐtre situŽ entre deux voisins plus puissants que lui, ne pouvant longuement se contenir en un Žtat tranquille, animait toujours lÕun ou lÕautre dÕentrer en guerre, et sÕoffrait ˆ celui qui voudrait tre agresseur. Mais comme le roi Philippe IIIe fut un prince adonnŽ ˆ la paix, il ne trouva pas son compte avec lui : joint quÕil Žtait piquŽ de ce que lÕinfante Isabelle avait eu pour son partage les grands Žtats de Flandres, et que lÕinfante Catherine sa femme ne lui ežt apportŽ que quarante mille ducats de rente en dot, assignŽs sur le royaume de Naples, desquels il Žtait assez mal payŽ ; il prŽtendait quÕau moins la cadette devait avoir le duchŽ de Milan, puisque lÕa”nŽe avait eu les Pays-Bas ; et parce quÕil ne lÕavait pas, il pensait que lÕon lui dŽt”nt injustement : cÕest pourquoi il sÕadressa diverses fois au roi pour le porter ˆ la guerre, lui offrant, avec son assistance et son service, des grandes pratiques et intelligences quÕil disait avoir dans et sur le duchŽ de Milan.

Le roi qui connaissait lÕhumeur de ce prince, et qui se dŽfiait de sa fidŽlitŽ, fit plusieurs difficultŽs dÕentrer en aucune pratique avec lui : finalement, lui ayant fait dire quÕil donnerait telles assurances de son immuable affection que Sa MajestŽ en dŽsirerait, elle fut conseillŽe de lՎcouter ; et S.A. de Savoie envoya lors un seigneur nommŽ le comte de Gatinare, et un de ses secrŽtaires en qui il se confiait fort, que le dit comte fit semblant de dŽbaucher pour lÕaccompagner en ce voyage qui avait pour apparence la congratulation de la naissance dÕun des enfants de France.

Le comte de Gatinare, aprs avoir eu audience, feignit dÕavoir la goutte pour prŽtexte de sŽjourner ; et, commenant ˆ se guŽrir, le roi sachant quÕil Žtait joueur, lui commanda de venir jouer avec lui, et afin quÕil pžt tre plus prs pour revenir le soir, le roi mÕordonna de lui donner tous les soirs ˆ souper, et peu auparavant que lÕon nous serv”t ˆ manger, ce secrŽtaire venait chez moi en cachette lui dire ce quÕil avait traitŽ avec Mr de Villeroy en cette journŽe, et sÕil y avait quelque difficultŽ, il en parlait le soir au roi avant le jeu. Le roi me fit cette gr‰ce de me dire cette affaire, aprs une ‰pre dŽfense de la cacher aux yeux et ˆ la connaissance de tout le monde ; ce quÕil fit peut-tre forcŽ de sÕy confier, de peur que, lÕapercevant, je ne la dŽcouvrisse, puisque les rendez vous se faisaient en mon logis.

Il fit plusieurs grandes propositions au roi, auxquelles le roi ayant rŽpondu quÕil nÕy avait aucune apparence quÕil se pžt fier en lui, vu que son principal ministre, ˆ qui il avait donnŽ sa sĻur naturelle en mariage, Mr dÕAlbigny, Žtait entirement espagnol. Il manda lors au roi que, dans peu de jours, il lui lverait de ce c™tŽ-lˆ toute sorte dÕombrage ; comme il fit : car huit jours aprs nous ou•mes dire la prison, et ensuite la mort du dit Albigny.

Le roi, voyant que le duc ne se jouait pas, mais faisait ˆ bon escient ; animŽ par les vives persuasions de Mr de Sully, et de Mr des Diguieres, ˆ qui le duc sՎtait premirement adressŽ, et qui avait proposŽ au roi cette conjonction de Mr de Savoie ˆ lui ; voyant aussi les avantages que Sa dite MajestŽ en pouvait retirer, et les amples offres que Mr de Savoie lui faisait ; fomentŽ par la rŽpublique de Venise, qui offrait de se joindre ˆ ce mme dessein ; fit un traitŽ trs secret avec mon dit sieur duc de Savoie, par lequel il promettait sa fille a”nŽe au prince de PiŽmont, son fils, en mariage ; que, de la conqute de Milan, qui se ferait par les armes communes de Sa MajestŽ, de la rŽpublique, et de Mr de Savoie, la Gira dÕAdda serait pour les VŽnitiens, et le reste pour le duc, qui, moyennant ce, quitterait le duchŽ de Savoie et sa prŽtention de Genve au roi, pourvu quÕil en fžt trois annŽes paisible possesseur ; que la protection de Gnes serait au roi, avec les places que le roi dÕEspagne occupe entre Gnes et Provence ; que le duc de Savoie serait gŽnŽral, sous le roi, des trois armŽes, et Mr des Diguieres lieutenant-gŽnŽral, lequel serait en mme temps honorŽ par Sa MajestŽ dÕun b‰ton de marŽchal de France, ce quÕil reut ˆ la fin de lÕannŽe 1609 ˆ Fontainebleau.

Tous ces grands avantages, ni lÕoffre que lui firent les Etats de Hollande de rompre la trve quÕils avaient faite pour douze ans avec Espagne lorsquÕil voudrait y rompre la paix, ne le purent encore Žmouvoir dÕentrer en guerre ouverte avec lÕEspagnol, bien quÕil en fžt ‰prement sollicitŽ de tous c™tŽs. Enfin la mort du duc de Clves lÕayant un peu ŽbranlŽ, la protection que lÕarchiduc donna ˆ Mr le Prince, le jetrent tout ˆ fait ˆ accomplir le traitŽ de Savoie, et attaquer en mme temps, avec une puissante armŽe, les Pays-Bas : ˆ quoi lui arriva de surcro”t la prise de Juliers par lÕarchiduc LŽopold, qui y entra comme commissaire de lÕempereur ; ce que le roi trouva de telle importance, quÕil se rŽsolut de tirer cette place des mains de la maison dÕAutriche, le roi dÕAngleterre concourant ˆ mme dessein.

1610.

Janvier.Ń Voilˆ ce qui se passa sur cette affaire jusques au commencement de lÕannŽe 1610 en laquelle monsieur le grand duc [de Toscane], comme amiable compositeur, qui apprŽhendait les guerres en Italie, qui craignait, sÕil demeurait neutre, quÕil serait fourragŽ de lÕun et de lÕautre parti, et que, sÕil se dŽclarait, il ne fžt ruinŽ, sÕemploya en diverses nŽgociations de tous c™tŽs, pour empcher une rupture ouverte. Il envoya en diligence le marquis Botty en Espagne ; et, y ayant trouvŽ toutes choses disposŽes ˆ la paix, il le fit repasser par la France pour moyenner un bon accommodement, mme avec espŽrance de rendre madame la Princesse, et que lÕon conviendrait dÕun tiers pour la dŽposition de Juliers, le roi consentant mme le duc de Saxe : mais comme cՎtait un pays catholique, lÕEspagnol nÕy voulut consentir. Enfin le marquis Botty demanda au roi sÕil se contenterait quÕil f”t ouverture de me mettre le dŽp™t de Juliers en main, pourvu que je prtasse serment ˆ lÕempereur, lequel consentirait que jÕen prtasse pareillement au roi, de ne mÕen point dessaisir quÕavec son consentement, ˆ quoi le roi sÕaccorda volontiers ; mais la rŽponse nÕen vint quÕaprs le dŽcs de Sa MajestŽ, laquelle cependant continuait les prŽparatifs dÕune grande et forte guerre pour le printemps prochain. Elle dŽpcha Mr le marŽchal des Diguieres en DauphinŽ pour prŽparer toutes choses pour son passage au renouveau : elle le fit son lieutenant-gŽnŽral sous Mr le duc de Savoie, Mr de CrŽquy colonel de son infanterie, et moi de sa cavalerie lŽgre ; ce quÕil fit de si bonne gr‰ce, un soir que jÕy pensais le moins, que je mÕen sentis doublement obligŽ. Il me donna quand et quand une compagnie de cent chevau-lŽgers, dont je donnai la lieutenance ˆ un vieux capitaine nommŽ la Tour, que lÕon nommait un des quatre ŽvangŽlistes de Mr de Bouillon en Champagne : la cornette fut pour Mr de Bourbonne ; et un nommŽ Salvert mon marŽchal des logis. Il me donna aussi cinquante gardes, desquelles je fis capitaine Cominges, et lieutenant Lambert. Il voulut quÕenfin je prtasse le serment de conseiller dՎtat, que je nÕavais voulu prter deux ans auparavant, et me donna encore quatre mille Žcus de pension. Enfin il nÕy eut sorte de faveur quÕil ne me f”t, me donnant une charge, sans lÕen requŽrir, laquelle il avait refusŽe ˆ Mr dÕEsguillon, qui lui en avait fait de grandes poursuites, lui disant quÕil la gardait pour tel qui nÕy pensait pas.

Cependant Antragues devint grosse.

Le roi me pressa dՎpouser Mlle de ChemilliŽ, et voulait renouveler en ma personne le duchŽ de Beaupreau ; mais jՎtais dans mes hautes folies de jeunesse, amoureux en tant dÕendroits, bien voulu en la plupart, que je nÕavais pas le loisir de songer ˆ ma fortune.

Le roi fit danser un ballet ˆ monsieur le dauphin ; et, parce que cÕežt ŽtŽ une fte assez mŽlancolique sÕil nÕy ežt eu que ces petits enfants qui en eussent ŽtŽ, le roi commanda que les galants de la cour en dansassent un immŽdiatement avant le sien ; ce que nous f”mes.

 

Avril. Ń Madame la princesse de Conty accoucha, en carme, dÕune fille qui ne vŽcut que dix jours.

Assassinat du roi et suites

Mai. Ń Puis nous entr‰mes dans ce malheureux mois de mai, fatal ˆ la France par la perte que nous f”mes en icelui, de notre bon roi !

Je dirai plusieurs choses des ressentiments que le roi avait de mourir, et qui prŽvirent sa mort. Il me dit, peu devant ce temps-lˆ : Ē Je ne sais ce que cÕest, Bassompierre, mais je ne me puis persuader que jÕaille en Allemagne, et le cĻur ne me dit point que tu ailles aussi en Italie. Č Plusieurs fois il me dit, et ˆ dÕautres aussi : Ē Je crois mourir bient™t. Č Et le premier jour de mai, revenant des Tuileries par la grande galerie (il sÕappuyait toujours sur quelquÕun), et lors il tenait Mr de Guise dÕun c™tŽ et moi de lÕautre, et ne nous quitta quÕil ne fžt prs dÕentrer dans le cabinet de la reine : il nous dit lors : Ē Ne vous en allez point ; je mÕen vas h‰ter ma femme de sÕhabiller, afin quÕelle ne me fasse point attendre ˆ d”ner, Č parce quÕil mangeait ordinairement avec elle. Nous nous appuy‰mes, en attendant, sur ces balustres de fer qui regardent dans la cour du Louvre ; lors, le mai que lÕon y avait plantŽ au milieu, tomba sans tre agitŽ de vent ni autre cause apparente, et chut du c™tŽ du petit degrŽ qui va ˆ la chambre du roi : je dis lors ˆ Mr de Guise : Ē Je voudrais quÕil mÕežt cožtŽ quelque chose de bon, et que cela ne fžt point arrivŽ : voilˆ un trs mauvais prŽsage. Dieu veuille garder le roi, qui est le mai du Louvre ! Č Il me dit : Ē Que vous tes fou de songer ˆ cela ! Č Je lui rŽpondis : Ē On ferait en Italie et en Allemagne bien plus dՎtat dÕun tel prŽsage que nous ne faisons ici : Dieu conserve le roi et tout ce qui lui attouche ! Č Le roi, qui nÕavait fait quÕentrer et sortir du cabinet de la reine, Žtait venu tout doucement nous Žcouter, s'imaginant que nous parlerions de quelque femme, ou•t tout ce que jÕen avais dit, nous interrompit alors, disant : Ē Vous tes des fous de vous amuser ˆ tous ces pronostiques : il y a trente ans que tous les astrologues, et charlatans qui feignent de lՐtre, me prŽdisent chaque annŽe que je cours fortune de mourir ; et, celle que je mourrai, on remarquera lors tous les prŽsages qui mÕen ont averti en icelle, dont lÕon fera cas, et on ne parlera pas de ceux qui sont advenus les annŽes prŽcŽdentes. Č

La reine eut une passion particulire de se faire couronner avant le partement du roi pour aller en Allemagne. Le roi ne le dŽsirait pas, tant pour Žviter la dŽpense, que parce quÕil nÕaimait gure ces grandes ftes : toutefois, comme il Žtait le meilleur mari du monde, il y consentit, et retarda son partement pour aller en Allemagne jusques aprs quÕelle aurait fait son entrŽe ˆ Paris. Il me commanda de mÕy arrter aussi, ce que je fis, et aussi parce que madame la princesse de Conty me pria dՐtre son chevalier ˆ la cŽrŽmonie du sacre et de lÕentrŽe.

La cour alla donc coucher le 12e de mai ˆ Saint-Denis pour se prŽparer au lendemain 13e, qui fut le jour du sacre de la reine, qui se fit en la plus grande magnificence quÕil fut possible. Le roi y fut extraordinairement gai. Aprs le sacre il y eut, au logis de la descente des ambassadeurs, quelque brouillerie entre celui dÕEspagne et de Venise. Le soir tout revint ˆ Paris.

Le lendemain matin, 14e du dit mois, Mr de Guise passa par mon logis, et me prit pour aller trouver le roi qui Žtait allŽ ou•r messe aux Feuillants : on nous dit par les chemins quÕil Žtait allŽ au retour par les Tuileries ; nous all‰mes donc lui couper chemin, et le trouv‰mes dans le berceau, sÕen revenant, et parlait ˆ Mr de Villeroy, quÕil quitta pour prendre Mr de Guise et moi ˆ ses deux c™tŽs, et nous dit dÕabord : Ē Je viens des Feuillants, o jÕai vu la chapelle que Bassompierre y fait faire, qui y a fait mettre sur la porte : Quid retribuam Domino pro omnibus que retribuit mihi ? Et moi jÕai dit que pour lui, qui Žtait allemand, il y fallait ajouter : Calicem salutaris accipiam. Č Mr de Guise sÕen mit ˆ rire bien fort, et lui dit : Ē Vous tes, ˆ mon grŽ, un des plus agrŽables hommes du monde, et notre destinŽe portait que nous fussions lÕun ˆ lÕautre ; car si vous nÕeussiez ŽtŽ quÕun homme mŽdiocre, je vous eusse eu ˆ mon service, ˆ quelque prix que cÕežt ŽtŽ ; mais puisque Dieu vous a fait na”tre un grand roi, il ne pouvait pas tre autrement que je ne fusse ˆ vous. Č Le roi lÕembrassa et lui dit, et ˆ moi aussi : Ē Vous ne me connaissez pas maintenant, vous autres : mais je mourrai un de ces jours, et quand vous mÕaurez perdu, vous conna”trez lors ce que je valais, et la diffŽrence quÕil y a de moi aux autres hommes. Č Je lui dis lors : Ē Mon Dieu, Sire, ne cesserez-vous jamais de nous troubler en nous disant que vous mourrez bient™t ? Ces paroles ne sont point bonnes ˆ dire ; vous vivrez, Dieu aidant, quantitŽ de longues et heureuses annŽes. Il nÕy a point de fŽlicitŽ au monde pareille ˆ la v™tre : vous nՐtes quÕen la fleur de votre ‰ge, en une parfaite santŽ et force de corps, plein dÕhonneur plus quÕaucun des mortels, jouissant en toute tranquillitŽ du plus fleurissant royaume du monde, aimŽ et adorŽ de vos sujets, plein de biens, dÕargent ; de belles maisons, belle femme, belles ma”tresses, beaux enfants qui deviennent grands. Que vous faut-il plus, ou quÕavez-vous ˆ dŽsirer davantage ? Č Il se mit lors ˆ soupirer, et me dit : Ē Mon ami, il faut quitter tout cela. Č Ē Et ce propos aussi, lui rŽpondis-je, pour vous demander quelque chose ; mais cÕest en payant : assavoir cent paires dÕarmes de votre arsenal, qui nous manquent, et que nous ne pouvons avoir, ˆ quelque prix que nous en voulions donner. Ce nÕest pas pour ma compagnie ; car elle est complte et armŽe comme il faut : mais Mr de Varennes en a besoin de vingt-cinq, Mr des Bordes de vingt-cinq, et le comte de Charlus de cinquante. Č Il me rŽpondit lors : Ē Bassompierre, je vous les ferai donner : mais nÕen dites mot ; car tout le monde mÕen demanderait, et je dŽgarnirais mon arsenal. Venez-y cette aprs-d”nŽe, car jÕirai voir Mr de Sully, et je lui commanderai de vous les faire dŽlivrer. Č Je lui dis : Ē Sire, je donnerai ˆ lÕheure mme lÕargent quÕelles valent ˆ Mr de Sully, afin quÕil les remplace. Č Et il me rŽpondit la fin dÕune chanson qui dit :

Que je nÕoffre ˆ personne,

Mais ˆ vous je les donne.

Lors je lui baisai la main, et me retirai, comme il entra dans sa chambre, pour mÕen aller d”ner ˆ lÕh™tel de Chalons avec Mr de Guise et Mr de Roquelaure.

Aprs d”ner je vins passer chez Descures, ˆ la Place Royale, pour des routes quÕil me fallait pour diverses compagnies ; puis jÕallai attendre le roi ˆ lÕArsenal, comme il mÕavait dit. Mais hŽlas ! ce fut en vain ; car peu aprs on vint crier que le roi avait ŽtŽ blessŽ, et que lÕon le rapportait dans le Louvre. Je courus lors comme un insensŽ, et pris le premier cheval que je trouvai, et mÕen vins ˆ toute bride au Louvre. Je rencontrai devant lÕh™tel de Longueville Mr de Blerancourt qui revenait du Louvre, qui me dit ˆ lÕoreille : Ē Il est mort ! Č Je courus jusques aux barrires que les gardes franaises et suisses avaient occupŽes, les piques basses, et pass‰mes, Mr le Grand et moi, sous les barrires, puis couržmes au cabinet du roi, o nous le v”mes Žtendu sur son lit, et Mr de Vic, conseiller dՃtat, assis sur le mme lit, qui lui avait mis sa croix de lÕordre sur la bouche, et lui faisait souvenir de Dieu. Milon, son premier mŽdecin, Žtait ˆ la ruelle, pleurant, et des chirurgiens qui voulaient le panser ; mais il Žtait dŽjˆ passŽ : bien v”mes-nous une chose, quÕil fit un soupir, ce qui, en effet, nՎtait quÕun vent qui sortait ; alors le premier mŽdecin cria : Ē Ah ! cÕen est fait, il est passŽ ! Č Mr le Grand, en arrivant, se mit ˆ genoux ˆ la ruelle du lit, et lui tenait une main quÕil baisait ; et moi je mՎtais jetŽ ˆ ses pieds, que je tenais embrassŽs, pleurant amrement. Mr de Guise arriva lors, pleurant aussi, qui le vint embrasser ; et en ce mme instant, Catherine, femme de chambre de la reine, vint appeler Mr de Guise, Mr le Grand, et moi. Nous la trouv‰mes sur un lit dՎtŽ en son petit cabinet, nՎtant encore habillŽe ni coiffŽe, qui Žtait dans une extrme affliction, ayant prs dÕelle messieurs le chancelier et de Villeroy. Nous nous m”mes tous trois ˆ genoux, et lui bais‰mes lÕun aprs lÕautre la main, avec assurance de notre fidŽlitŽ ˆ son service. Lors Mr de Villeroy lui dit :

Ē Madame, il faut suspendre ces cris et ces larmes, et les rŽserver lorsque vous aurez donnŽ la sžretŽ ˆ messieurs vos enfants, et ˆ vous : commandez, sÕil vous plait, ˆ Mr de Guise dÕaller ˆ lÕh™tel de ville avec le plus de gens quÕil pourra amasser, et faire que le corps de ville vienne reconna”tre le roi et vous ; que Mr de Bassompierre prenne ce quÕil pourra ramasser de tant de chevau-lŽgers qui sont sous sa charge, et qui sont maintenant ˆ Paris, et quÕil marche par la ville pour apaiser le tumulte et la sŽdition. Ne manquez pas ˆ vous-mme, Madame, et ˆ ce qui vous doit tre si cher, qui sont vos enfants. Mr le Grand demeurera auprs du corps du roi, et, sÕil est besoin, auprs de monsieur le dauphin. Č

Elle nous pria donc de nous acheminer, ce que nous f”mes en diligence. LÕon nous fit sortir par le Jeu de paume ; et all‰mes ˆ pied ˆ mon logis, o je trouvai quantitŽ de gens qui sÕy Žtaient rendus ˆ ce bruit. Mr de Guise Žtait seul et ˆ pied, qui me pria de lÕaccompagner jusques ˆ lÕh™tel de ville avec ce que jÕavais de gens, qui pouvaient tre quarante chevaux : mais comme, dans un Žtonnement pareil, chacun se joint au plus grand nombre, tous ceux qui couraient Žperdus par la ville se joignirent ˆ nous, de sorte que nous Žtions plus de trois cents chevaux quand nous arriv”mes ˆ lÕh™tel de ville, o je laissai Mr de Guise avec une partie de cette troupe, et je marchai vers le cimetire Saint-Jean. Puis en sortant pour aller ˆ la rue Saint-Antoine, nous rencontr‰mes Mr de Sully avec quelque quarante chevaux, lequel Žtant prs de nous, commena, avec une faon ŽplorŽe, de nous dire : Ē Messieurs, si le service que vous aviez vouŽ au roi quՈ notre grand malheur nous venons de perdre, vous est aussi avant empreint en lՉme quÕil le doit tre ˆ tous les bons Franais, jurez tout prŽsentement de conserver la mme fidŽlitŽ que vous lui avez rendue au roi son fils et successeur, et que vous emploierez votre sang et votre vie pour venger sa mort. Č Ē Monsieur, lui rŽpondis-je, cÕest nous qui faisons faire ce serment aux autres, et qui nÕavons point besoin dÕexhortateur ˆ une chose ˆ quoi nous sommes si obligŽs. Č Je ne sais si ma rŽponse le surprit, ou sÕil se repentit dՐtre venu si avant hors de son fort ; il partit en mme temps et nous tourna visage, et sÕalla enfermer dans la Bastille, envoyant en mme temps enlever tout le pain quÕil put trouver aux halles et chez les boulangers. Il dŽpcha aussi en diligence vers Mr de Rohan, son gendre, pour lui faire tourner tte avec six mille Suisses qui Žtaient en Champagne, et dont il Žtait colonel-gŽnŽral, et marcher droit ˆ Paris : ce qui fut depuis un des prŽtextes que lÕon prit pour lՎloigner des affaires ; joint ˆ ce quÕil ne put jamais tre persuadŽ par Mrs de Pralain et de CrŽquy, qui le vinrent semondre de se prŽsenter au roi comme tous les autres grands, et nÕy vint que le lendemain, que Mr de Guise lui amena avec peine : aprs quoi il contremanda son gendre avec les Suisses, qui sՎtaient dŽjˆ avancŽs une journŽe vers Paris.

Mr dÕEpernon qui, aprs avoir mis lÕordre nŽcessaire aux gardes franaises devant le Louvre, Žtait venu baiser la main du roi et de la reine sa mre, fut envoyŽ par elle au parlement, reprŽsenter que la reine avait des lettres de rŽgence expŽdiŽes du feu roi qui pensait partir pour aller en Allemagne ; que son intention avait une autre fois ŽtŽ, lorsquÕil fut si mal ˆ Fontainebleau, de la dŽclarer rŽgente aprs sa mort ; quÕil lui appartenait plut™t quՈ tout autre ; que lÕurgence de lÕaffaire prŽsente requŽrait dÕy pourvoir promptement, et quÕil Žtait du bien de lՎtat quÕils en dŽlibŽrassent promptement : ce quÕils firent, et la dŽclarrent rŽgente de France pendant la minoritŽ du roi, lequel la reine fit coucher quelques jours en sa chambre, jusques aprs les funŽrailles du feu roi, quÕil prit son appartement.

Tous les grands et princes prŽsents tŽmoignrent ˆ lÕenvi leur zle au service du roi, et leur obŽissance ˆ la reine ; et Mr de Nevers, qui lors commandait ˆ lÕarmŽe de Champagne, fit prter le serment en leur nom.

Le soir on pansa le corps du roi, et on le lava avec la mme cŽrŽmonie que sÕil ežt ŽtŽ en vie : Mr du Maine lui donna sa chemise ; Mr le Grand servit, et lÕon me commanda de servir, et reprŽsenter la place de Mr de Bouillon.

Le lendemain matin samedi, 15e de mai, tous les princes, ducs, officiers, et autres du conseil, sÕassemblrent au Louvre, o, dÕun commun accord et sans aucune discordance, on ratifia ce qui avait ŽtŽ fait au parlement pour la rŽgence de la reine ; et pour lÕautoriser davantage, on fut dÕavis de mener le roi aux Augustins, o pour lors se tenait le parlement, auquel lieu, les pairs sŽants, fut reconfirmŽe la rŽgence, et le roi, de sa bouche, lÕapprouva : puis il revint au Louvre ; et on mit le corps du feu roi en vue ˆ la chambre du trŽpas, o lÕon lui donna de lÕeau bŽnite jusques sur les cinq heures du soir quÕil fut ouvert, et je fus ordonnŽ prŽsent, afin dÕautoriser, avec messieurs les premiers gentilshommes de la chambre, et quatre ou cinq autres, seigneurs ou conseillers dՃtat. Il avait deux coups [qui lui entraient dans le corps], lÕun desquels Žtait lŽger, mais lÕautre lui coupait la veine arterieuse : il Žtait dÕune trs bonne disposition, et nÕavait dans son corps aucune chose qui ne tŽmoign‰t une longue vie ; cՎtait le plus Žpais estomac, au rapport des mŽdecins et chirurgiens prŽsents, que lÕon ait vu ; il avait le poumon gauche un peu attachŽ aux c™tes. Aprs cela on mit ses entrailles dans un pot, et son cĻur en une caisse de plomb que lÕon porta aux JŽsuites, et lÕon embauma son corps qui fut mis au cercueil, et reposa huit ou dix jours dans la mme chambre, y ayant deux autels aux c™tŽs, o il se disait des messes tant que le temps le permettait, avec grand nombre de moines, et ses aum™niers qui y Žtaient jour et nuit ˆ prier. Il y avait aussi des gentilshommes et seigneurs destinŽs, outre les officiers particuliers de sa maison, pour se relever de deux en deux heures, tant de jour que de nuit : il y a une heure principale qui est de dix ˆ douze heures du matin, en laquelle Mr le Comte et Mr de Guise, Mr dÕEpernon, Mr le marŽchal de Laverdin, Mr de CrŽquy, Saint-Luc, la Rochefoucaut, comte de Gurson, Narmoustiers, Termes et moi Žtions destinŽs en ce lieu-lˆ que lÕon appelle la chambre du trŽpas, puis ensuite en la salle de lÕeffigie, et celle du deuil ; mais lors nous y assistions en longs manteaux seulement.

Le mardi 18e Mr le Comte arriva avec quelque deux cents chevaux de ses serviteurs et amis ramassŽs ; mais comme il trouva toutes les affaires faites, ce fut ˆ lui ˆ se soumettre ˆ la reine, qui ne laissa pas de lui donner le gouvernement de Normandie, que possŽdait le roi, Žtant dauphin.

On avisa lors de licencier lÕarmŽe qui Žtait sur le point dÕentrer en Italie, ˆ laquelle on donna un mois de paye aux chefs pour distribuer ˆ leurs soldats, non encore tout ˆ fait mis sur pied ; et quant ˆ celle qui Žtait en Champagne, on en rŽserva dix mille hommes de pied, savoir sept mille Franais et trois mille Suisses, pour envoyer ˆ Juliers, et on licencia le reste.

En ce mme temps le marquis Botty, qui traitait lÕaccommodement, eut pouvoir dÕoffrir ˆ la reine que lÕon mettrait entre mes mains, en dŽp™t, le duchŽ de Juliers, dont je ferais serment ˆ lÕempereur, au roi, au roi dÕEspagne, ˆ celui dÕAngleterre, et aux Etats ; et que je ne mÕen dessaisirais point quÕavec leur gŽnŽral consentement, et aprs que lÕon aurait dŽcidŽ ˆ qui il devrait appartenir. La reine-mre fut trs aise quÕune si noble chose lui fžt arrivŽe au commencement de sa rŽgence, quÕun sien particulier serviteur (car, aprs la mort du roi, elle me retint avec 4000 Žcus de pension), fžt choisi pour lui confier le dŽp™t, et en voulut avoir le consentement du roi dÕAngleterre et des Etats de Hollande : celui-lˆ y consentit volontiers ; mais les Hollandais ne le voulurent faire, et privrent ma bonne fortune dÕun tel avantage qui mՎtait si important.

Toutes les villes et provinces du royaume vinrent ˆ lÕenvi aprs la mort du roi, par leurs dŽputŽs, saluer le roi, et reconna”tre la reine rŽgente.

Le corps du roi fut portŽ en la salle de parade, ou de lÕeffigie, laquelle fut servie comme si le roi ežt vŽcu. Nous la v”nmes garder alors avec les longues robes, le chaperon sur lՎpaule, et les bonnets carrŽs en tte, ce qui dura plus de trois semaines (juin), au bout desquelles lÕeffigie fut ™tŽe, la salle tendue de noir, et le cercueil dŽcouvert ; ayant une couverture de velours noir, au lieu du lit, qui Žtait dessus. Alors nous gard‰mes le corps avec le caperon en tte ; et le roi vint en grandÕcŽrŽmonie jeter de lÕeau bŽnite sur le corps du roi son pre ; et le lendemain on porta le corps ˆ Notre Dame, le jour dÕaprs ˆ Saint-Ladre, et de lˆ ˆ Saint-Denis, et le subsŽquent se fit le service et lÕoraison funbre.

Peu de temps aprs les obsques du feu roi, Mr le Prince, qui sՎtait retirŽ ˆ Milan, en partit pour venir ˆ la cour ; et ˆ son arrivŽe, il y eut plus de quinze cents gentilshommes, seigneurs, ou princes, qui lui allrent au-devant (juillet). Il fit dire une messe ˆ Saint-Denis pour le feu roi en passant ; puis, en cette grande compagnie, vint faire la rŽvŽrence au roi et ˆ la reine rŽgente, qui, peu de jours aprs (aožt), lui donna lÕh™tel de Gondy, quÕelle acheta quarante mille Žcus.

Antragues accoucha le 17e dÕaožt.

 

Septembre. Ń Le roi sÕachemina en septembre ˆ Reims pour se faire sacrer ; ce qui fut fait le 10e dÕoctobre ; et le lendemain fit la cŽrŽmonie du Saint-Esprit, en laquelle il fit Mr le Prince chevalier.

Je mÕen allai pendant ce temps-lˆ en Lorraine, o le roi envoya son ambassadeur Mr de Richelieu, visiter le duc de Lorraine.

Madame la comtesse dÕAuvergne sÕen alla en Flandres trouver madame la Princesse sa sĻur, quÕelle ramena ˆ Mr le Prince son mari, au retour du sacre.

Je revins ˆ la cour (octobre), o le marquis dÕAncre eut querelle contre Mr le Grand, de qui jՎtais ami ; mais la reine me commanda dÕassister le dit marquis dÕAncre, ce que je fis avec nombre de mes amis qui me voulurent accompagner (novembre, dŽcembre).

1611.

Janvier.Ń LÕannŽe 1611 commena par lՎloignement de Mr de Sully, lequel, par lÕinstance et la brigue des deux princes du sang, fut reculŽ des affaires : on lui ™ta la surintendance des finances, et la garde du trŽsor royal, quand et [avec] la Bastille, que la reine prit pour elle, et la donna en garde ˆ Mr de Chasteauvieux, et sous lui, ˆ un de ses gentilshommes servants, nommŽ Vansay : on fit trois directeurs pour manier les finances, qui furent Mrs de Chateauneuf, prŽsidents de Thou et Jeannin ; mais ˆ ce dernier on y ajouta la charge de contr™leur gŽnŽral des finances, ce qui lui en donna lÕentier maniement, ˆ lÕexclusion des autres qui assistaient seulement ˆ la direction.

On mit sur pied les compagnies de gendarmes et de chevaux lŽgers du roi pour accompagner Sa MajestŽ lorsquÕelle irait aux champs, chacune composŽe de deux cents ma”tres ; et celle de gendarmes passa en ce mme temps par la ville de Paris, en trs bel Žquipage.

Mr le duc de Guise, ds le vivant du feu roi, avait commencŽ fort secrtement la recherche de madame de Montpensier ; mais il ne sÕosait dŽcouvrir, parce que le roi y ežt difficilement consenti. Aprs sa mort, cette affaire se rŽchauffa, et bien que Mr le Comte et Mr dÕEpernon fissent quelques efforts pour en empcher la perfection, et que madame de Verneuil ežt fait bruit de certains articles de mariage, nŽanmoins il se paracheva vers le carme-prenant, en lÕh™tel de Montpensier ˆ la rue de Grenelle ; qui est maintenant celui de Bellegarde.

Il arriva, trois jours aprs ces noces, que Mr le prince de Conty querella Mr le comte de Soissons son frre, parce que leurs carrosses, en passant, sՎtaient choquŽs, et leurs carrossiers battus. Mr de Guise, ˆ qui la reine avait, le soir mme, commandŽ dÕaller trouver Mr le prince de Conty pour assoupir cette noise, partit le lendemain matin de lÕh™tel de Montpensier, o il avait couchŽ, pour aller ˆ lÕabbaye Saint-Germain o Mr le prince de Conty logeait, et avait avec lui vingt-cinq ou trente chevaux. Il passa par hasard devant lÕh™tel de Soissons, qui Žtait son chemin ; ce qui offensa Mr le Comte, et manda ses amis de le venir trouver, leur disant que Mr de Guise lՎtait venu braver. Alors les amis de Mr de Guise accoururent ˆ lÕh™tel de Guise en telle foule quÕil sÕy trouva plus de mille gentilshommes. Mr le Comte envoya supplier Mr le Prince de le venir trouver, et ensemble allrent au Louvre demander ˆ la reine quÕelle leur fasse raison de lÕinsolence de Mr de Guise. NŽanmoins Mr le Prince faisait en cette affaire lÕamiable compositeur, et disait quÕil ne se dŽclarait point, et que seulement il les voulait accorder, et empcher le dŽsordre.

Cette brouillerie continua tout ce jour, et le lendemain, auquel la reine, craignant plus grand dŽsordre, fit commander que les cha”nes fussent prtes dՐtre tendues au premier commandement, et que, dans les quartiers, on fžt prt de prendre les armes au premier ordre quÕelle en enverrait.

Cependant tout le jour suivant fut employŽ vainement ˆ chercher les moyens dÕaccommodement, chacun des deux princes ayant un capitaine des gardes du corps prs de sa personne pour le garder. Le soir Mr le Prince envoya prier Mr de Guise de lui envoyer un de ses amis confidents : Mr de Guise se conseilla avec les princes et seigneurs qui lÕassistaient, du choix quÕil devait faire pour cet envoi ; et enfin, par leurs avis, il me pria dÕy aller.

Je le trouvai chez Mr de Beaumont, en la place Dauphine, et me fit souper avec lui : aprs souper, sՎtant retirŽ en une chambre avec moi, il me commena ˆ dire lÕaffection quÕil portait ˆ Mr de Guise, lequel il pensait avoir grandement obligŽ, de se montrer neutre en une affaire o il y allait de lÕintŽrt de sa maison, de laquelle il Žtait le premier prince, et par consŽquent chef aprs la maison royale ; que cela le devait porter, non seulement ˆ croire son conseil, mais ˆ suivre ses opinions et intentions ; que cependant, ˆ cause du grand nombre dÕamis quÕil avait rencontrŽs en cette occasion, il se tenait fier, voulant traiter du pair avec les princes du sang, qui peuvent tre ses rois et ses ma”tres, et que cela lÕoffensait ; et que, si Mr de Guise nÕacquiesait aux choses quÕil avait proposŽes pour lÕaccommodement de cette querelle, il se dŽclarerait ouvertement contre lui et pour Mr le Comte son oncle, ainsi que son devoir lÕobligeait sÕil nÕežt ŽtŽ prŽoccupŽ par lÕaffection singulire quÕil avait pour Mr de Guise ; et quÕil me priait de lui rapporter ce quÕil mÕavait dit, et lui faire savoir de plus que, sÕil sՎtait dŽclarŽ contre lui, les deux-tiers de ceux qui lÕassistaient se retireraient en mme temps pour le venir trouver, comme ils lui avaient la plupart fait dire.

Je lui dis que jՎtais venu le trouver seulement pour Žcouter ce quÕil lui plairait de me dire, et le rapporter ensuite ˆ Mr de Guise en mmes termes que je lÕaurais entendu, ˆ quoi je ne manquerais pas, mÕoffrant de plus de lui en venir rapporter la rŽponse ; et lors je me tus.

Mr le Prince, qui aime que lÕon lui rŽponde et conteste ses opinions, afin de les fortifier de raisons, comme cÕest en vŽritŽ le plus habile et capable prince que jÕaie jamais pratiquŽ, me dit de plus : Ē Venez ˆ, Monsieur de Bassompierre ; nÕai-je pas raison de mander cela ˆ Mr de Guise, et de me retirer de lui, et lÕabandonner, sÕil ne veut suivre mes conseils et avis, et garder le respect biensŽant, et dž aux princes du sang ? Č

Ē Monsieur, lui rŽpondis je, personne ne vous peut donner conseil sans faire un acte dÕarrogance et de prŽsomption ; car vous tes si habile et capable, quÕil ne se peut rien ajouter ˆ ce que vous dites, ou proposez. NŽanmoins, puisque vous me commandez de vous parler franchement, je le ferai avec le respect et la soumission que je dois, et vous dirai que ce singulier effet dÕamitiŽ que vous dites avoir fait para”tre ˆ Mr de Guise, ne mÕa pas beaucoup apparu en cette occasion, et moins encore cette neutralitŽ que vous me proposez. Car il ne sÕest fait que la seule action dÕaller trouver la reine pour lui demander justice de Mr de Guise, en laquelle vous tes venu trouver Mr le Comte en son logis pour lui accompagner ; vous lÕavez prŽsentŽ, et avez comme souscrit ˆ la requte : vous avez ŽtŽ plusieurs fois trouver Mr le Comte, et vous nÕavez pas mis le pied dans lÕh™tel de Guise. Vous me direz peut-tre que Mr le Comte est votre oncle ; aussi lÕest bien Mr le prince de Conty, et a”nŽ de Mr le Comte ; qui est venu loger ˆ lÕh™tel de Guise, qui est celui qui a la querelle avec son frre, et non Mr de Guise qui, non ˆ dessein (comme il est prt dÕaffirmer), mais parce que cՎtait son chemin ; non avec ostentation, car il nÕavait que ses domestiques, a passŽ, non devant la porte, mais ˆ un coin du logis de Mr le Comte : qui est tout ce en quoi il a pu contrevenir au respect quÕil doit aux princes du sang, lequel il gardera toujours, jusques ˆ ce que son honneur nÕy soit point engagŽ, ni sa personne outragŽe. Č

Ē Que Mr de Guise tiendra toujours ˆ honneur que Mr le Prince se mle de lÕaccommodement, et le tient si juste quÕil ne voudra rien proposer qui puisse nuire, ou offenser Mr de Guise, lequel ne doit faire aucune satisfaction, puisquÕil nÕa fait aucune offense ; que cÕest Mr le prince de Conty, et non lui, qui a la querelle ; que si le passage proche dÕun coin de la maison de Mr le Comte lui a donnŽ de lÕombrage, Mr de Guise affirmera que sans dessein (quÕil serait bien marri dÕavoir eu), il a passŽ devant lÕh™tel de Mr le Comte, quÕil respecte, et ˆ qui il veut tre trs humble serviteur tant quÕil lui fera lÕhonneur de lÕaimer, et que lÕintŽrt de Mr le prince de Conty ne lÕen empchera point ; mais que, de le supplier de lÕexcuser de quoi il a ŽtŽ dans une rue libre et passante, de ce quÕil a marchŽ par la ville avec son train ordinaire, et de ce quÕil assistera toujours Mr le prince de Conty, son beau-frre, contre lui, quÕil ne le fera jamais ; quÕil nÕanimera point Mr le prince de Conty contre lui ; mais quand il le sera jusques ˆ la brouillerie, quÕil lÕassistera toujours de sa personne et de ses amis, lesquels, en cette prŽsente querelle, il nÕavait mendiŽs ni pratiquŽs : lui pouvant assurer que, quand je le vins trouver (sur ce que plusieurs qui d”naient chez moi, et mon beau-frre de Saint-Luc entre autres, avaient ŽtŽ mandŽs pour venir trouver Mr le Comte), je ne trouvai pas quatre gentilshommes en lÕh™tel de Guise outre ses domestiques, et que la grande foule (qui y vint depuis), y a ŽtŽ portŽe franchement et sans recherche ; et tiens les amis de Mr de Guise, qui lÕassistent prŽsentement, si affectionnŽs ˆ lui et si fidles, quÕaucune considŽration particulire ne les pourra pas Žbranler du dessein que si franchement et volontairement ils ont dŽjˆ embrassŽ : que finalement Mr de Guise se confiera en Mr le Prince en tout ce o son honneur ne sera point engagŽ et touchŽ, et quÕil achterait lÕhonneur des bonnes gr‰ces de Mr le Prince au plus haut prix quÕelles se pourront acquŽrir ; mais quÕil me permette de lui dire aussi que lÕamitiŽ et le service dÕun tel prince comme Mr de Guise ne doit point tre maintenant nŽgligŽe par Mr le Prince, ˆ qui il a fait voir, par ce petit Žchantillon, de quelle suite et nombre dÕamis il le pourrait un jour assister et servir ; et que, pour mon particulier, je lui suppliais trs humblement de me pardonner si, en exŽcutant son commandement, je lui avais parlŽ avec tant de franchise et de libertŽ. Č

Il me rŽpondit quÕil avait trouvŽ bon, et fort bien pris ce que je lui avais dit, et quÕune grande partie Žtait ˆ considŽrer ; mais quÕil fallait aussi que les amis de Mr de Guise, et ceux auxquels il avait croyance, fomentassent plut™t lÕaccommodement que la discorde, laquelle, enfin, leur pouvait beaucoup plus nuire que profiter ; que nous avions dŽjˆ obligŽ Mr de Guise par notre assistance ; que nous nous en devions contenter, et concourir ˆ lÕaccord : ce que je lui assurai que non seulement moi, qui Žtais en petite considŽration parmi tant de princes, ducs, et officiers, qui lÕassistaient, mais que tous ceux quÕil tenait en quelque estime, et dont il se conseillait en cette affaire, conspiraient ˆ lÕaccord, et sÕy portaient entirement.

Lors, il me licencia, me priant de coopŽrer, en tout ce que je pourrais, en cet accord, et quÕil me remettrait bien ensuite avec Mr le Comte ; dont je le remerciai trs humblement. Je pris donc congŽ de lui, et, en partant, il me dit que le marquis de Narmoustier, et plusieurs autres qui assistaient Mr de Guise, lui avaient fait dire que quand il se dŽclarerait contre lui, quÕils lÕabandonneraient, et quÕil ne les avait pas voulu empcher de lÕaller trouver. Je lui rŽpondis en riant : Ē Monsieur, quand le marquis de Narmoustier, et ces autres que vous dites, auraient abandonnŽ la cour de lÕh™tel de Guise, lÕherbe nÕy cro”trait pas pour cela ; mais il faut les accorder, et je mÕassure, Monsieur, que du c™tŽ de Mr de Guise, la difficultŽ nÕen viendra point, pourvu que lÕon ne veuille de lui que choses raisonnables. Č

Sur cela je mÕen retournai ˆ lÕh™tel de Guise, o je fis mon rŽcit de ce que lÕon mÕavait dit, et de ce que jÕavais rŽpondu, que lÕon trouva bon ; et le lendemain, aprs plusieurs allŽes et venues, lÕaccord fut fait, et Mr du Maine parla pour et au nom de Mr de Guise.

La mort du roi empcha la foire de Saint-Germain ; mais on permit aux marchands Žtrangers qui y Žtaient venus, de vendre aux halles des Tuileries, o les rendez-vous se donnrent comme on ežt fait ˆ la foire.

Mr le Comte fut mortellement offensŽ contre ceux qui avaient assistŽ Mr de Guise en sa querelle, mais particulirement contre moi, qui faisais profession auparavant dՐtre son serviteur, et parce que jÕavais fait les allŽes et venues, et contestations sur le fait de leur accord : pour sÕen venger, il voulut que je ne visse plus Antragues, et fit dire ˆ son pre, et ˆ ses frres et mre, que je dŽshonorais leur maison par ma longue frŽquentation avec sa fille, et leur sĻur ; que leur Žtant alliŽ en quelque sorte, il y prenait intŽrt, et ayant envoyŽ quŽrir madame dÕAntragues, lui en parla en la mme faon.

Or quand, lՎtŽ prŽcŽdent, madame dÕAntragues sÕavisa de la grossesse de sa fille, elle la chassa de son logis ; et elle, mÕayant fait prier de lui donner une promesse de mariage pour apaiser sa mre, elle mÕoffrit toutes les contre-promesses que je dŽsirerais dÕelle, et que ce quÕelle en dŽsirait Žtait pour pouvoir accoucher en paix et avec son aide. Je fus consulter Mrs Chauvelin, Boutheillier, et Arnaut, fameux avocats, lesquels me dirent quÕune obligation qui avait une quittance Žtait de nul effet ; que nŽanmoins cՎtait toujours le meilleur de nÕen point faire : mais comme je dŽsirais de lui complaire, je la lui donnai ; et elle ˆ moi, diverses lettres par lesquelles elle la dŽclarait nulle. Mais la mre qui avait vu la promesse, et non les lettres de nullitŽ dÕicelle, dit lors ˆ Mr le Comte quÕelle nՎtait pas si mal habile quÕil pensait, et quÕelle Žtait bien assurŽe de son fait : sur quoi Mr le Comte la pressant, elle lui dit quÕelle avait une promesse de mariage de moi ˆ sa fille, ˆ qui jÕavais fait un enfant. Alors Mr le Comte, bien aise dÕavoir trouvŽ occasion de me pouvoir nuire, lui assura de sa protection, et lui pria de suivre son conseil en cette affaire, de laquelle il lui promettait de la faire heureusement sortir.

Cette femme folle, pour satisfaire ˆ la colre de Mr le Comte, se remit du tout entre ses mains ; et lui, la conseilla de me presser dÕexŽcuter cette affaire, et, en cas de refus, de me faire citer par devant lÕofficial. Elle ne manqua pas au premier prŽcepte ; et moi mՎtant moquŽ de cette demande, et lui ayant fait parler rudement par Richelieu que je lui envoyai, elle mÕenvoya citer environ quinze jours devant P‰ques. JÕavais reu une minute auparavant une lettre qui mÕavait extrmement rŽjoui, et rentrais en mon logis quand un appariteur me donna cette citation, et plusieurs autres personnes ensuite des requtes pour leur donner quelque chose : je pensais que ce billet fžt du nombre et de la qualitŽ de celles-lˆ, que je mis dans ma poche avec les autres, et fus deux jours sans savoir ce que cՎtait, jusques ˆ ce quÕayant donnŽ plusieurs papiers ˆ un secrŽtaire pour voir ce que cՎtait, il vit cette citation, et me lÕapporta.

Je reconnus bient™t la main qui mÕavait jetŽ cette pierre, et Mr le Comte publia hautement quÕil me mettrait en un Žtat auquel je pŽrirais, ou mon honneur. JÕassemblai conseil de mes avocats pour savoir comment je me devais comporter en cette occurrence, lesquels furent unanimement dÕavis que je ne pouvais ni ne devais en justice rien craindre, mais quÕun si puissant ennemi que Mr le Comte, qui lÕentreprenait, Žtait fort ˆ redouter, et quÕils me conseillaient que je tirasse lÕaffaire de longue, jusques ˆ ce que le temps me fut favorable. La reine se dŽclara ouvertement pour moi, et tout ce que jÕavais besoin de son assistance, elle me fit la gr‰ce de lÕemployer en ma faveur. Je mÕen vins donc ˆ Fontainebleau, dŽlayant [diffŽrant] les rŽassignations pour compara”tre devant lÕofficial de Paris, et quand je ne pus plus, jÕappelai de tout ce quÕil procŽdait, ˆ Sens.

 

Avril. Ń Comme nous Žtions ˆ Fontainebleau, le samedi saint, aprs avoir fait mes p‰ques, le marquis Spinola arriva, et la reine me commanda de le recevoir et traiter, ce que je fis, et lui donnai ˆ d”ner ; puis il passa outre pour sÕacheminer en Espagne, et moi, jÕallais cependant battre la campagne ; puis je revins ˆ Paris sur une proposition dÕaccord que lÕon me voulait faire faire avec Antragues, ˆ quoi je ne me voulus accorder.

Aprs P‰ques, tous les princes Žtant ˆ Fontainebleau, la reine faisait jouer ˆ la prime avec elle Mr le Comte, Mr de Guise, et Mr dÕEpernon, tachant de les rapprivoiser ensemble ; je jouais aussi en cette partie, et fort grand jeu : mais peu aprs Mr le Comte partit pour aller en Normandie, et Mr le Prince en Guyenne ; mesdames les princesses vinrent prendre congŽ de la reine (mai), puis sÕy acheminrent aussi.

Les Morisques qui sՎtaient, du temps du feu roi, adressŽs ˆ Mr de la Force, avec offre de se rebeller en Espagne, si le roi leur voulait faire surgir, en des c™tes quÕils proposaient, quatre navires chargŽs dÕarmes pour les armer, et les assister de quatre mille hommes avec Mr de la Force pour les commander ; lÕentreprise ayant, t™t aprs sa mort, ŽtŽ dŽcouverte, le secrŽtaire de Mr de la Force pendu ˆ Saragosse, qui la tramait ; les Morisques furent cette annŽe-lˆ entirement chassŽs dÕEspagne.

LÕassemblŽe de ceux de la religion se tint lors ˆ Saumur, lˆ o Mr de Bouillon fit le partisan de la reine contre Mrs de Rohan et de Sully qui voulaient manier lÕassemblŽe. On fit commandement ˆ Schomberg de se retirer ˆ Nanteuil tant que lÕassemblŽe durerait (juin-juillet-aožt). Il Žtait lors amoureux, et sa ma”tresse arrivait, dont Mr de Reims Žtait lors favorisŽ : je le cachai chez moi, o il demeura quatre jours, et le rappointai avec sa ma”tresse.

Je commenai aussi lors une amour ˆ laquelle jՎtais bien ‰pre ; aussi lÕaffaire le valait.

 

Septembre. Ń Nous retourn‰mes sur lÕautomne ˆ Fontainebleau avec toute la cour. Il y faisait fort beau ; car la reine allait ˆ la chasse ˆ cheval, accompagnŽe des dames et princesses aussi ˆ cheval, et suivie de quatre ou cinq cents gentilshommes ou princes. Madame la princesse de Conty tomba de dessus sa haquenŽe, et se blessa (octobre).

Madame la duchesse de Lorraine, nice de la reine, la vint trouver ˆ Fontainebleau : la reine alla au-devant dÕelle, et la reut en grand apparat ; et puis, vers la Toussaints, la cour revint ˆ Paris, o Mr le Prince et Mr le Comte revinrent aussi de leurs gouvernements (novembre).

La reine alla ˆ Saint-Germain sur le sujet de la maladie de Mr le duc dÕOrlŽans, son second fils, qui mourut deux jours aprs, savoir le 16me novembre : toute la cour en prit le deuil ; et madame de Lorraine sÕen retourna (dŽcembre). Voilˆ o finit cette annŽe.

1612.

Janvier.Ń Au commencement de celle de 1612 jÕappelai, comme dÕabus, des procŽdures des officiaux de Sens et de Paris, et y fus reu, et renvoyŽ au parlement de Paris, duquel je demandai Žvocation ˆ cause des parentles de Mr de GiŽ, ce que jÕobtins ; mais Mr le Comte me fit par force donner le parlement de Rouen, que jÕapprŽhendais sur toutes choses, parce quÕil en Žtait gouverneur : nŽanmoins il en fallut passer par lˆ.

Ce mme mois, un gentilhomme de Berry, nommŽ Vattan, pour quelque rŽbellion ˆ justice, fut attaquŽ et pris dans sa maison par quatre compagnies des gardes, menŽ ˆ Paris, exŽcutŽ en Grve au mme jour que Mr le Grand y arriva bien accompagnŽ, et que tant de gens allrent au-devant de lui, quÕil avait plus de mille chevaux ˆ son entrŽe.

 

FŽvrier. Ń Cependant la foire de Saint-Germain se tint, et le carme-prenant approchant, la reine, qui Žtait encore en son second deuil, nÕosait faire des assemblŽes, et toutefois se voulait rŽjouir, nous commanda, ˆ Mr de Vend™me, Mr de Chevreuse, et ˆ moi, de lui faire des ballets tous les dimanches ; ce que nous f”mes, partageant les frais entre nous trois. Le premier se dansa en la chambre de madame la princesse de Conty, qui donna ˆ souper ˆ la reine, o il nÕy avait que les dames mandŽes et des princes, comme Mr de Guise, de Nevers, de Reims, et quelques seigneurs particuliers, ˆ le voir danser ; et au sortir du Louvre, nous lÕallions ensuite danser ˆ la ville : le second fut en lÕappartement de madame de Vend™me, o madame de Mercure festina la reine ; le troisime chez madame de Guise, qui lui donna ˆ souper en sa chambre ; et le quatrime et dernier chez madame de Guercheville, sa dame dÕhonneur.

Les doubles mariages entre France et Espagne se conclurent lors, et fut concertŽ un jour entre les parties, auquel on le dŽclarerait par ftes et rŽjouissances publiques, qui fut le...... Pour cet effet la reine, qui a surpassŽ en grandeur de courage, magnificence et gŽnŽrositŽ, toutes les autres princesses du monde, voulut faire faire quelque fte excellente qui pass‰t de beaucoup celle des Espagnols. Elle commanda ˆ Mr de Guise, Mr de Nevers, et ˆ moi, dՐtre tenants, et nous donna le camp, croyant bien que, puisquÕelle commettait cette affaire en nos mains, nous nՎpargnerions rien pour la rendre parfaite, comme elle le fut aussi. Elle entreprit de faire unir et parfaire la Place Royale dans le temps quÕil y avait jusques au jour de la fte, et fit mettre sur le grand bastion cent canons et deux cents boites pour faire les salves, et ordonna ˆ monsieur le connŽtable et ˆ quatre marŽchaux de France de donner lÕordre nŽcessaire, de nous ouvrir le camp, et dՐtre les juges du tournoi : elle commanda ˆ Mr dÕEpernon de border les barrires avec mille mousquetaires du rŽgiment des gardes et cinq cents Suisses : elle fit partager les places des Žchafauds, et les fentres des maisons de la dite Place Royale par le grand marŽchal des logis, et fit donner quartier, tant aux tenants quÕaux assaillants, aux rues prochaines, tant pour leurs personnes et Žquipages que pour leurs machines. La fte se publia en grande magnificence, trois semaines devant, par toutes les principales places de Paris, o un nombre infini de personnes se trouva pour la voir.

La mort de Mr le duc Vincence de Mantoue, dont la nouvelle arriva cinq jours aprs que la fte fut publiŽe, pensa tout renverser ; car il Žtait beau-frre de la reine, et chef de la maison de Mr de Nevers, qui, pour cette cause, nous dit quÕil ne pouvait tre tenant de la fte avec nous : ce quÕayant su, Mr de Chevreuse me pria de lui donner mon consentement pour prendre la place de Mr de Nevers, sÕassurant quÕil aurait de bon cĻur celui de Mr de Guise son frre ; ce que je lui promis : et en mme temps Chastaigneraye, qui Žtait capitaine des gardes du corps de la reine, lequel sՎtait, cette annŽe-lˆ, mariŽ ˆ Mlle de Lomenie, qui Žtait fille dÕhonneur de la reine, demanda ˆ Mr de Guise que, suivant lÕancienne coutume, comme le mariŽ de lÕannŽe ˆ une fille de la cour, il fžt prŽfŽrŽ ˆ tre tenant, puisquÕil y vaquait une place par la retraite de Mr de Nevers ; ce que Mr de Guise lui promit en cas que jÕy consentisse. Mais nous nous Žtions dŽjˆ tous deux diversement engagŽs, et Mr de Joinville Žtant venu parler ˆ son frre, [il] lui dit quÕil avait donnŽ sa parole ˆ Mr de la Chastaigneraye, comme je dis aussi ˆ la Chastaigneraye que jՎtais engagŽ ˆ Mr de Joinville ; de sorte que nous primes pour expŽdient de les recevoir tous deux : et deux ou trois jours aprs, Mr de Nevers, qui ne pouvait souffrir quÕune si belle fte se pass‰t sans lui, nous vint dire que, puisque la reine, qui Žtait la belle-sĻur du duc de Mantoue dŽcŽdŽ, voulait bien tre ˆ la fte, lui qui nՎtait que le cousin remuŽ de germain, pouvait bien tre tenant, et nous priait de le reprendre de notre bande ; de faon que nous fžmes cinq tenants.

Il nÕy eut jamais un carme si beau dans Paris que fut celui-lˆ ; car depuis neuf heures du matin jusques ˆ midi, et depuis trois heures jusques ˆ six aprs d”ner, il y avait toujours vingt ou trente gendarmes qui rompaient en lice, o couraient la bague ou la quintaine, et un chacun Žtait tellement occupŽ ˆ faire faire des diverses machines, et le peuple ˆ les venir voir, que cՎtait un continuel divertissement.

Enfin le ... de mars, ˆ trois heures aprs midi, les reines, princesses et dames, ayant pris place aux Žchafauds, outre lesquels il y en avait tout ˆ lÕentour de la Place Royale, depuis le premier Žtage jusques au pavŽ, et deux cent mille spectateurs ; aprs que les canons et boites qui Žtaient sur le bastion eurent fait un salve, lequel fini, les mille mousquetaires qui fermaient la place avec les barrires, en firent un autre trs beau, Mr de Pralain, marŽchal de camp des tenants, sortit du palais de la FŽlicitŽ, dans lequel on oyait toutes sortes de musiques : il Žtait trs bien montŽ et parŽ, suivi de douze estafiers habillŽs de velours noir, tout bandŽs de passement dÕor ; lequel vint de notre part demander ˆ monsieur le connŽtable (qui Žtait en un Žchafaud particulier avec Mrs les marŽchaux de Bouillon, de la Chastre, de Brissac, et de SouvrŽ), le camp quÕil nous avait promis. Messieurs les connŽtable et marŽchaux descendirent, et vinrent devant lՎchafaud du roi et de la reine, et monsieur le connŽtable dit ˆ la reine : Ē Madame, les tenants me demandent le camp que je leur ai ci-devant promis par lÕordre de Votre MajestŽ. Č La reine lui dit : Ē Monsieur, donnez-leur. Č Alors monsieur le connŽtable dit ˆ Mr de Pralain : Ē Prenez-le ; le roi et la reine vous lÕaccordent. Č Alors il revint ˆ nous, et le palais fut ouvert de la grande porte, qui Žtait vis ˆ vis de celle des Minimes, et nous entr‰mes, prŽcŽdŽs de tout notre Žquipage, chariots dÕarmes, machines, gŽants, et autres choses si belles, quÕil nÕest pas possible de les pouvoir assez bien reprŽsenter par Žcrit : seulement dirai-je quÕil y avait, en notre seule entrŽe des tenants, prs de cinq cents personnes et deux cents chevaux, tous habillŽs et caparaonnŽs de velours incarnat et de toile dÕargent blanche, et nos habillements, en broderie, si riches quÕil ne se pouvait davantage : notre entrŽe cožta aux cinq tenants cinquante mille Žcus. Aprs nous entrrent les troupes, de Mr le prince de Conty, celle de Mr de Vend™me, qui dansrent un ballet ˆ cheval, fort beau ; Mr de Montmorency, qui entra seul ; et Mrs le comte dÕAyen et le baron dÕUcelles sous les noms dÕAmadis et de Galaor. Nous couržmes contre tous ces assaillants : puis, la nuit sÕapprochant, la fte fut sŽparŽe par un nouveau salve de canonnades et boites, suivi aussi de celui des mille mousquetaires ; et la nuit venue, il y eut le plus beau feu dÕartifice sur le ch‰teau de la FŽlicitŽ, qui se soit encore fait en France.

Le lendemain, ˆ deux heures, nous rentr‰mes, en la mme sorte que le premier jour, dans le camp, et les troupes, de Mr de Longueville qui entra seul, des Nymphes, des chevaliers de la FidŽlitŽ, celle dÕEffiat et Arnaut, et la dernire des douze CŽsars, lesquelles coururent toutes : et puis, mmes salves, et mmes feux dÕartifice que le jour prŽcŽdent, ayant ŽtŽ faits ; parce que le peuple innombrable de Paris nÕavait pu voir cette fte, nous part”mes tous, chaque troupe comme elle Žtait entrŽe, avec son Žquipage et machines, et celle des tenants la dernire, et sortant par le portail de la Place Royale qui va en la rue Saint-Antoine, nous all‰mes le long de la dite rue jusques au cimetire Saint-Jean ; puis, passant par les rues de la Verrerie et Pourpointerie, entr‰mes en celle de Saint-Denis, et prenant ˆ main gauche, v”nmes au pont Notre-Dame, o les reines Žtaient venues pour voir passer la fte ; et nous, en sortant du petit Chatelet, entrant en la rue de la Harpe, v”nmes descendre vers le Pont-Neuf, lequel passŽ, chacun se sŽpara.

Le lendemain nous rev”nmes tous armŽs, en fort bel Žquipage, courre la bague que donna Madame, qui Žtait destinŽe ˆ tre princesse dÕEspagne, laquelle bague Rouillac gagna.

 

Avril. Ń La cour sÕen vint passer P‰ques ˆ Fontainebleau o, un peu aprs, arrivrent le marquis Spinola, le comte de Buquois et don Rodrigo Calderon, favori du duc de Lerme (mai). La reine me commanda de les recevoir de sa part, ce que je fis ; et furent dŽfrayŽs aux dŽpens du roi pendant leur sŽjour ˆ Fontainebleau ; dÕo en partant, je les menai ˆ Paris, et, en passant, leur fis festin ˆ Essonne, et deux autres fort somptueux ˆ Paris.

 

Juin. Ń Monsieur le connŽtable prit congŽ du roi, de la reine, et de ses amis, bient™t aprs, pour sÕen aller mourir en Languedoc : nous le fžmes conduire ˆ Moret o il nous festina, et aprs nous dit adieu, ˆ ses principaux amis, avec tant de larmes que nous pensions quÕil mourrait en ce lieu-lˆ. CՎtait un bon et noble seigneur, et qui mÕaimait comme si jÕeusse ŽtŽ son propre fils : jÕai grande obligation dÕhonorer sa mŽmoire.

 

Juillet. Ń Mr du Maine partit aussi de Fontainebleau pour sÕacheminer en ambassade extraordinaire en Espagne, pour les fianailles doubles des prince et princesse dÕEspagne avec Madame et le roi ; et en mme temps partit aussi dÕEspagne, pour venir en France ˆ ce mme effet, le duc de Pastrane, qui fit son entrŽe ˆ Paris en mme temps que lui la fit ˆ Madrid, comme aussi en mme jour se fit la cŽrŽmonie de lÕune et de lÕautre (aožt). Mr de Guise eut charge de lÕamener ˆ lÕaudience, et nous tous de lÕaccompagner, en si bel Žquipage que je mÕassure que les Franais ne le furent pas de mme en Espagne. Le jour de la cŽrŽmonie Mr de Nevers eut quelque dŽmlŽ avec Mr le prince de Conty ; mais cela sÕaccommoda sur lÕheure.

Le duc de Pastrane sÕen retourna aprs avoir achevŽ ce pourquoi il Žtait venu en France ; et peu aprs (octobre) advint cette accusation que lÕon voulut faire ˆ Mr le Grand dÕavoir eu quelque pratique avec un magicien.

Mr de Fervaques, marŽchal de France, et lieutenant-gŽnŽral en Normandie, Žtait en trs mauvaise intelligence avec Mr le Comte : il vint ˆ Paris et sÕaccompagna de trois cents gentilshommes, pour se mettre en Žtat de nՐtre pas surpris par le dit seigneur. Je le servis et assistai aussi de ma personne et de mes amis, tant quÕil fut ˆ Paris, ce qui rengregea [augmenta] la haine que le dit comte avait dŽjˆ contre moi.

Peu de jours aprs, je pris congŽ de la cour pour mÕen aller en Lorraine ; mais en effet je demeurai cachŽ ˆ Paris, o je demeurai, ou ˆ la campagne, prs dÕun mois, ˆ y passer divinement bien mon temps, et mieux que je nÕai fait de ma vie depuis. Enfin je mÕen allai en Lorraine, o le lendemain (novembre) je reus une lettre que la reine me fit lÕhonneur de mՎcrire, par laquelle elle me mandait la mort de feu Mr le Comte, et me commandait de la venir trouver aussit™t, ce que je fis, et arrivai le jour du baptme de Mr le Comte, fils du dernier mort. Je saluai la reine ˆ lÕh™tel de Soissons, o elle Žtait lors avec une trs grande et belle compagnie, de qui je fus bien vu et reu.

DiscrŽdit des ministres et retour

En ce temps-lˆ la face de la cour changea entirement ; car il se fit une Žtroite union de Mr le Prince, Mrs de Nevers, du Maine, de Bouillon, et du marquis dÕAncre, et la reine se jeta entirement de ce c™tŽ-lˆ. Les ministres furent discrŽditŽs, et nÕavaient plus de pouvoir, et tout se faisait selon le dŽsir de ces cinq personnages, lesquels, par le moyen du marquis dÕAncre qui Žtait lors mon intime ami, et du baron de Luz lequel jÕavais deux mois auparavant remis bien avec la reine, ils me voulurent aimer et favoriser. Mrs de Guise, dÕEpernon, de Joinville, et grand Žcuyer, furent fort reculŽs.

 

DŽcembre. Ń Mr le Grand, en ce mois, mandŽ de venir ˆ la cour par Mrs de Guise et dÕEpernon, pour fortifier leur parti chancelant, comme il sÕy acheminait, la reine envoya Descures au devant de lui ˆ Villeneuve-la-Guier, qui lui dŽfendit de sa part de venir ˆ Paris, ce qui le fit en mme temps retourner en son gouvernement de Bourgogne.

On parla de faire dix chevaliers de Saint-Esprit, quatre princes et six gentilshommes, dont je devais tre lÕun : mais Mr le Prince voulant augmenter ce nombre de deux qui ne plaisaient pas ˆ la reine, elle aima mieux rompre la cŽrŽmonie que de les y admettre. Ainsi nous nÕežmes point lÕordre. Si eus bien moi celui de lÕaccolade le samedi 28me de dŽcembre, et finis mon annŽe avec cette bonne bouche.

1613.

Janvier.Ń Celle de 1613 commena par la mort du baron de Luz, tuŽ le 5me de janvier ˆ midi, en la rue Saint-HonorŽ, par Mr le chevalier de Guise ; dont la reine fut extraordinairement courroucŽe. JÕallai en mme temps au Louvre o je la trouvai pleurant, ayant envoyŽ quŽrir les princes et les ministres, pour tenir conseil sur cette affaire quÕelle avait infiniment ˆ cĻur. Elle me dit lors : Ē Vous voyez, Bassompierre, en quelle faon on sÕadresse ˆ moi, et le brave procŽdŽ de tuer un vieil homme, sans dŽfense, ni sans dire gare. Mais ce sont des tours de la maison : cÕest une copie de Saint-Paul. Č Je lui dis que je serais fort trompŽ si Mr le chevalier de Guise faisait une l‰che action, et que peut-tre que, quand la reine aurait su lÕentire vŽritŽ, lÕaffaire ne se serait pas passŽe si cržment ; que nŽanmoins je nÕen savais autre chose que ce qui sÕen venait de dire ; que jՎtais trs marri que Mr le chevalier eut offensŽ Sa MajestŽ, et encore davantage quÕavec lÕoffense le baron de Luz y fut pŽri, qui Žtait mon ami et un trs habile homme, qui servait Sa MajestŽ avec satisfaction du service quÕil rendait.

Alors le conseil fut assemblŽ dans lÕentresol, o jÕaidai ˆ descendre la reine, me rencontrant prs dÕelle. On murmura fort de cette action, et chacun fut scandalisŽ de ce que lÕon vint dire quÕil y avait grand nombre de noblesse assemblŽe ˆ lÕh™tel de Guise, et que Mr de Guise devait venir trouver la reine bien accompagnŽ. Sur cela on conseilla ˆ la reine dÕenvoyer Mr de Chasteauvieux trouver mon dit sieur de Guise, lui dŽfendre de venir trouver la reine jusques ˆ ce quÕelle lui mand‰t, et commander, de la part de Sa MajestŽ, ˆ toute la noblesse qui Žtait allŽe chez lui, de se retirer. Mr Dolet qui Žtait prŽsent, dit lors : Ē Madame, demandez aussi avis en cas que, contre votre commandement, Mr de Guise vienne vous trouver, ce que vous aurez ˆ faire. Č Alors Mr de Bouillon dit quÕil nÕaurait garde de le faire ; mais en cas quÕil le f”t, quÕil le faudrait arrter. Mr de Chasteauvieux fit ce qui lui Žtait ordonnŽ, et dit au retour que quelques-uns avaient un peu fait les difficiles de se retirer, et que Mr de Guise leur avait fait instance de sortir, puisque la reine le commandait : et comme on lui demanda qui Žtaient ces difficiles, il en nomma trois ou quatre, et entre autres Mr de la Rochefoucaut ; alors on anima la reine contre lui qui, moins que les autres (Žtant ma”tre de la garde robe du roi), devait avoir fait refus dÕobŽir, et sur cela il fut rŽsolu de le chasser de la cour. Il fut aussi rŽsolu que le parlement serait saisi de cette affaire, et que lÕon en informerait.

La reine fut aucunement rapaisŽe par la prompte obŽissance de Mr de Guise, et de ce que le chevalier Žtant venu, aprs avoir tuŽ le baron de Luz, ˆ lÕh™tel de Guise, Mr de Guise lÕen avait fait sortir, et tenir la campagne. Cela me fit enhardir de dire ˆ la reine que Mr de Guise mÕavait fait prier de savoir dÕelle quand et en quelle faon il pourrait venir trouver Sa MajestŽ, laquelle me dit : Ē QuÕil y vienne ˆ lÕentrŽe de la nuit, et sans se faire accompagner. Č Je pris de lˆ occasion de lÕaller trouver, tant pour lui dire que pour lÕamener ; et il parla ˆ la reine avec tant de soumissions et de respects quÕil la remit un peu : mais madame de Guise sa mre, venant voir la reine aprs quÕelle fut retirŽe, lui parla si haut quÕelle la f‰cha de nouveau.

Nous all‰mes faire nos Rois chez Mr de BŽthune, et il nÕy eut, ˆ cause de cet accident, aucune rŽjouissance au Louvre, bien que la reine sÕy fžt prŽparŽe.

Le lendemain, Mr de la Rochefoucaut eut commandement de sÕen aller, ce qui affligea fort Mr de Guise, et en parla ˆ la reine, qui lui refusa. Il en parla ensuite au marquis dÕAncre, qui lui dit quÕil nÕoserait en ouvrir la bouche, et que Mr le Prince serait plus propre de faire cette affaire quÕaucun autre. Cela mit en lÕesprit de Mr de Guise de se mettre bien avec Mr le Prince et ces autres messieurs qui Žtaient en crŽdit : ˆ quoi il nÕeut gure de peine de parvenir ; car ds que lÕon pressentit quÕil Žtait animŽ contre la reine, ces messieurs le firent rechercher. Pendant cette pratique, Mr le marquis dÕAncre, qui la fomentait, fut encore priŽ par lui dÕintercŽder pour le rappel du comte de la Rochefoucaut ; mais il lui dit que jÕen parlasse de sa part ˆ la reine, et quÕil appuierait mon discours : ce que je fis par plusieurs fois, tant devant le dit marquis quÕen son absence.

Cependant lÕaccommodement de Mr de Guise avec Mr le Prince sÕachevait, et Mr de Guise me pria de ne parler plus ˆ la reine de la Rochefoucaut, parce que Mr le Prince lui avait promis de le faire rappeler, avec lequel Mr de Guise me dit quÕil se mettrait ˆ lÕavenir si bien que, quand la reine serait f‰chŽe contre lui, ce ne seraient plus les verges avec lesquelles elle le fouetterait.

Or, Mr le Prince et ces messieurs (tenant Mr de Guise en leur dŽvotion, et Mr dÕEpernon traitant aussi avec eux pour sÕy rŽunir, les ministres ayant ŽtŽ dŽcrŽditŽs), crurent avoir empiŽtŽ toute lÕautoritŽ, et commencrent ˆ penser ˆ leur Žtablissement. Ils commencrent par la demande du Ch‰teau-Trompette pour Mr le Prince, disant quÕil nՎtait pas raisonnable que, dans la ville capitale du gouvernement dÕun premier prince du sang, il y ežt une citadelle qui ne dŽpend”t de lui. On fit premirement courir le bruit par la cour, que la reine lui avait donnŽ cette capitainerie, pour voir comme cela serait pris, et pour disposer la chose, comme de tous ces derniers temps on en a ainsi usŽ, de faire prŽvenir par des bruits les choses que lÕon a envie de faire. La reine fut avertie de ce bruit, et mme on lui dit que lÕon lui voulait demander cette place ; mais elle crut que ceux qui lui disaient, le faisaient ˆ dessein dÕaliŽner lÕaffection quÕelle portait ˆ ces cinq personnages liguŽs et Žtroitement unis ensemble, de son consentement, pour son service.

Enfin un matin, 11me de janvier, Mr de Bouillon ayant feint que la goutte lÕavait pris ˆ un pied la nuit prŽcŽdente, pour faire rompre cette glace ˆ quelque autre quՈ lui, Mr de Nevers, accompagnŽ de Mr du Maine et du marquis dÕAncre, lui dit que Mr le Prince, qui sՎtait liŽ si Žtroitement ˆ son service quÕil en avait abandonnŽ toutes sortes dÕintŽrts, mŽritait bien que la reine en ežt une particulire reconnaissance, et quÕil apparžt par ses bienfaits combien ses services lui Žtaient agrŽables ; que pour ce sujet, il les avait priŽs de lui venir demander la capitainerie du Ch‰teau-Trompette, avec une ferme assurance de nÕen tre point refusŽ par Sa MajestŽ, ˆ laquelle lui, parlant, et ses deux adjoints, conseillaient dÕaccorder de bonne gr‰ce et franchement une chose si lŽgitime et de si petite consŽquence ; que le dŽlai de son consentement Žquipollerait [Žquivaudrait], voire serait pire quÕun refus, et qui toucherait vivement Mr le Prince.

La reine, surprise de cette harangue, rougit dÕabord, puis ne leur rŽpondit autre chose, sinon quÕelle y aviserait : et comme ils lui repartirent quÕils lui suppliaient trs humblement, par une rŽponse absolue, de tirer Mr le Prince de lÕimpatience o il Žtait en cette attente, elle leur redit encore quÕelle y aviserait, et se leva du sige o elle Žtait dans le cabinet du conseil, et sÕen vint au sien, pleine de colre et de dŽpit ; et aprs avoir un peu rvŽ, se tournant devers ces messieurs, qui lÕavaient suivie, leur dit : Ē Je sais une affaire dÕamour de Bassompierre, quÕil ne pense pas que je sache, et qui le mettrait bien en peine sÕil le savait. Č Mr de Nevers lui dit : Ē Madame, il lui faut dire. Č Puis me faisant signe, il me dit : Ē La reine a ˆ vous dire quelque chose ; Č et la reine ayant dit : Ē Non, non, je ne lui dirai pas, Č cela me mit en peine, et me fit instament supplier la reine de me le vouloir dire. Alors elle sÕen alla ˆ la seconde fentre de son cabinet, et me dit :Ē Ce nÕest pas pour cela que je vous veux parler, mais pour vous demander si Mr de Guise ne vous parle plus du retour du comte de la Rochefoucaut. Č Je lui dis : Ē Madame, il y a trois jours quÕil ne mÕen a parlŽ ; et lors il me pria de nÕen faire plus dÕinstance ˆ Votre MajestŽ, me disant quÕil ferait cette affaire-lˆ par le moyen de Mr le Prince, avec lequel il se mettrait dŽsormais si bien, que ce ne seraient plus les verges avec lesquelles vous le fouetteriez quand vous seriez f‰chŽe ˆ lui ; et quÕil pensait quÕil ne pouvait faillir de suivre le parti de Mr le Prince, puisque Mr le marquis dÕAncre, votre crŽature, le suivait. Č

Lors la reine ne se put tenir de jeter quatre ou cinq larmes, se tournant devers la fentre, pour nՐtre aperue pleurer ; et, ce que je nÕavais jamais vu, elles ne coulrent point, comme quand on a accoutumŽ de pleurer, mais se dardrent hors des yeux sans descendre sur les joues. Elle me dit ensuite : Ē Ah ! Bassompierre, ces mŽchants mÕont fait quitter ces princes et les mŽpriser, mÕont fait aussi abandonner et nŽgliger les ministres, et puis, me voyant dŽnuŽe dÕassistance, veulent empiŽter mon autoritŽ, et me ruiner : voilˆ quÕils me viennent insolemment de demander le Ch‰teau-Trompette pour Mr le Prince, et ne sont pas pour en demeurer lˆ ; mais si je puis, je les en empcherai bien. Č Je lui dis lors : Ē Madame, ne vous affligez pas : quand vous voudrez, je mÕassure que vous raurez ces princes et ministres ˆ votre dŽvotion ; pour le moins faut-il tenter les moyens de le faire. Č Elle me dit : Ē Je ne vous puis pas parler davantage ; mais trouvez-vous ˆ la fin de mon d”ner, et cependant je penserai ˆ quelque chose. Č

Cela dit, elle retourna avec une telle gaietŽ, et riant, devers la compagnie, que lÕon nÕežt su juger quÕelle eut aucune tristesse, ni quÕelle eut pleurŽ, et les entretint jusques ˆ ce quÕils sÕen allrent, lorsquÕelle se mit ˆ table.

Je fis semblant de mÕen aller aussi avec eux, et ayant trouvŽ Mr de Guise au bas du degrŽ dans la cour, qui ne voulait pas monter chez la reine, puisquÕil Žtait venu si tard, je lui dis : Ē Eh ! bien, Monsieur, faites vous enfin revenir le pauvre la Rochefoucaut ? Car il mourra, sÕil faut quÕil passe le temps de la foire de Saint-Germain ˆ Onsain. Č

Cela lui donna occasion de se promener dans la cour avec moi, et de me dire : Ē Oui, par Dieu, il reviendra, et si, je nÕen aurai point dÕobligation ˆ la reine, qui mÕežt pu plus obliger en cette affaire quÕen nulle autre quÕelle ežt su jamais faire pour moi. Mais jÕai trouvŽ une duretŽ de cĻur en elle qui a gelŽ le mien, lequel a toujours ŽtŽ passionnŽ pour son service. Elle mÕežt plus fait faire dÕune parole que le reste du monde ne saura jamais avec toutes sortes de bienfaits ; mais elle mÕa trop nŽgligŽ : jÕai changŽ de ma”tre, qui ne mÕagrŽe pas tant quÕelle, mais que je nÕabandonnerai pas, puisquÕelle mÕy a donnŽ, et forcŽ de le prendre, qui est Mr le Prince et sa cabale, o je me suis soumis ; ce que je mÕassure que vous approuverez, puisque vous en tes aussi. Č

Je pris occasion de lui rŽpondre : Ē Monsieur, je vous avoue que je suis serviteur de tous les particuliers de la cabale que vous dites, mais que je ne suis point de la cabale en gros, ni nÕen serai jamais, que de celle du roi et de la reine rŽgente. Je serai toujours paroissien de celui qui sera curŽ, et vous me pardonnerez si je vous dis que vous nՐtes pas bien conseillŽ. Vous Žtiez vous-mme votre cabale, coq de paroisse, et indŽpendant que du roi, avec lequel vous aviez toujours le dessus des autres : et maintenant vous prenez ma”tre ; vous vous soumettez et vous donnez ˆ des personnes desquelles, quand vous y serez tout ˆ fait embarquŽ, vous recevrez des indignitŽs quÕil vous faudra souffrir, au lieu que vous nÕavez pu endurer quelques petites froideurs et refus bien fondŽs de la reine. Vous voulez quÕen mme temps que vous lui venez de tuer, quasi sur sa robe, le baron de Luz, elle aille faire, ˆ votre requte, revenir un domestique du roi, quÕelle nÕa fait quՎloigner, le pouvant emprisonner avec quelque apparence de raison, pour avoir refusŽ de se retirer de chez vous sur un commandement qui lui en Žtait fait de sa part, et avoir parlŽ trop hautement ˆ celui quÕelle avait envoyŽ. Faites-vous justice ˆ vous mme, et vous trouverez que vous lui devrez de reste. Č

Il me quitta pour aller trouver madame sa sĻur, et d”ner avec elle, et me dit : Ē Je mÕassure quÕun jour elle confessera elle-mme, quand ces gens ici la tyranniseront, quÕelle a eu tort de me perdre, et quÕelle me recherchera un jour ; et moi lors je me tiendrai sur mes pieds de derrire, et me ferai acheter chrement. Č

Je mÕamusai encore expressŽment ˆ parler ˆ deux ou trois personnes, et quand je pensai que la reine pouvait avoir achevŽ de d”ner, je feignis que quelquÕun me priait de lui aller sur lÕheure demander quelque chose, et remontai chez elle. Elle Žtait encore assise devant la table o elle avait d”nŽ, et ds que jÕentrai, elle sÕen leva, et sans regarder derrire elle, elle sÕen alla en son cabinet. JÕallai aprs, feignant tre pressŽ de lui dire un mot.

Elle me dit en entrant : Ē Je nÕai mangŽ que du poison en mon d”ner, tant jÕai lÕestomac g‰tŽ et perverti ; si ceci me dure longtemps, je crois que je perdrai lÕesprit : Bassompierre, en un mot, il faut que tu t‰ches de me ramener Mr de Guise ; offre-lui cent mille Žcus comptant que je lui ferai donner. Č Ē Madame, lui rŽpondis-je, je vous y veux fidlement et utilement servir. Č Ē Offrez-lui encore, me dit elle, la lieutenance gŽnŽrale de Provence pour son frre le chevalier ; offrez ˆ sa sĻur la rŽserve de lÕabbaye de Saint-Germain, et lui assurez du retour de la Rochefoucaut. Enfin, pourvu que je le retire de cette cabale, et quÕil me soit assurŽ, je te donne la carte blanche. Č Je lui dis quÕelle me garnissait si bien en partant, que je mÕassurais que je ne retournerais point vers elle sans avoir fait emplette.

Je lui parlai ensuite de rappeler Mr dÕEpernon. Elle me dit : Ē Je le souhaiterais avec passion ; mais cÕest un homme que jÕai offensŽ, et il ne pardonne jamais. Č Je lui repartis : Ē Oui bien quelquefois, Madame, ˆ ses ennemis, mais non pas ˆ ses ma”tres. Č Elle me dit lors : Ē Si Mr dÕEpernon se veut souvenir de ce que jÕai fait pour lui et pour ses enfants, il conna”tra que je lui ai ŽtŽ bonne ma”tresse. Si vous y pouviez voir quelque jour, vous me feriez un signalŽ service de le tenter. Faites la guerre ˆ lÕĻil : je ne me confie de tout ceci quՈ vous. Č

Je lui dis lors : Ē Madame, rappelez les anciens ministres ; ils ne vous seront pas inutiles en cette occasion. Č Elle me dit : Ē JÕy ai pensŽ ; mais qui emploierai-je pour cet effet ? Č Ē Moi, Madame, lui dis-je, pour Mr de Villeroy et le prŽsident Jeannin, et le commandeur de Sillery vers monsieur le chancelier son frre : et sÕils se veulent rŽunir ensemble, vous parlerez ˆ un des trois pour tous, afin de ne rien alarmer jusques ˆ ce que vous veuillez dŽcouvrir au monde vos intentions ouvertement. Č Elle me dit : Ē Vous avez raison : je mÕen vas envoyer quŽrir le chevalier ; voyez les autres, et jugez ce que je mÕen dois promettre. Pour moi jÕai bon courage, et suis capable de courir toute sorte de hasard pour conserver mon autoritŽ contre ceux qui mÕen veulent dŽpouiller. Č

Sur cela je partis, et je passai chez madame de Guise la mre, qui Žtait passionnŽe pour la reine. Elle me dit : Ē Mon Dieu, Monsieur, que je trouve mon fils cabrŽ contre la reine ! Est-ce vous qui lÕy portez ou son caprice ? Car je vous ai vu longtemps parler avec lui lˆ-bas en la cour. Č Je lui rŽpondis que non, mais que la reine avait tort dՐtre si retenue pour si peu de chose que du retour de la Rochefoucaut, et de ne vouloir faire supersŽder les procedures que lÕon faisait contre Mr le chevalier de Guise, et quÕil faudrait quÕelle cŽd‰t un peu de sa naturelle fiertŽ ; que pour moi je nÕimprouvais pas que Mr de Guise ežt un peu de ressentiment. Sur cela je la quittai ; et elle, voyant ensuite la reine, lui dit que jÕanimais son fils contre elle, et lui fit savoir tout ce que je lui avais dit ; dont la reine fut bien aise, et que je nÕeusse rien dŽcouvert ˆ madame de Guise de notre dessein.

Je mÕen vins ˆ la chambre de madame la princesse de Conty, o je trouvai Mr de Pralain qui parlait ˆ Mr de Guise. Cela me donna le moyen de parler ˆ elle, et de lui dŽcouvrir ce qui se passait, et des moyens quÕil y avait de remettre leur maison et de le bien remettre avec la reine, pourvu que lÕon embrass‰t chaudement lÕoccasion qui se presentait en nos mains, et que nous ne la laissions Žchapper. Elle Žtait la plus habile, la plus adroite, secrte, et capable princesse que jÕaie jamais connue, et qui savait aussi bien sa cour. Je lui jetai ˆ ses pieds lÕabbaye de Saint-Germain et le retour de la Rochefoucaut seulement : bien lui dis-je que quand il y faudrait ajouter une bonne somme dÕargent, que je lui en rŽpondais ; mais je ne parlai point de la lieutenance gŽnŽrale de Provence. Elle fut ravie de voir quÕelle pouvait parler les mains garnies. Je lui priai dÕenvoyer quŽrir madame sa belle-sĻur, et de mettre promptement les fers au feu, parce que cette affaire devait tre faite ou faillie dans vingt et quatre heures ; ce quÕelle fit, et, peu aprs, monsieur son frre Žtant parti, Mr de Pralain se mit en tiers avec nous, qui fit aussi de son c™tŽ ce quÕil put.

JÕallai de lˆ chez Zamet, avec lequel ayant communiquŽ des moyens que nous pourrions tenir pour gagner Mr dÕEpernon, Peronne, de bonne fortune, arriva chez lui, qui Žtait affectionnŽ au service de la reine, et portait impatiemment que Mr dÕEpernon, son ma”tre, sÕen fžt retirŽ, et quÕil ežt eu sujet de le faire. Il fut fort rŽjoui de voir une conjoncture propre ˆ le remettre bien avec elle, me pria de voir sur ce sujet Mr le prŽsident de Villiers SŽguier, et quÕil sÕy en irait devant mÕy attendre, cependant que je passerais chez Mlle du Tillet. Le prŽsident SŽguier sÕy porta entirement, et de ce pas alla trouver Mr dÕEpernon avec Mr de Peronne. JÕallai aussi trouver la reine Marguerite, qui aimait Mr dÕEpernon, et la priai dÕaider ˆ cette affaire.

Je revins le soir au Louvre, et en y entrant, je trouvai ˆ la porte un nommŽ Vernegues, qui me pria, de la part de Mr dÕEpernon, dÕaller chez lui, afin de savoir de ma bouche les choses que les autres lui avaient dites, tant de la demande du Ch‰teau-Trompette comme de la disposition de la reine de les rappeler prs dÕelle ; et lors, lui en ayant encore dit davantage que les autres, et animŽ ˆ se jeter franchement ˆ son service ; oubliant toutes les frasques passŽes, il me dit une chose que jÕai depuis retenue : quÕaux grandes affaires, et de consŽquences comme celle-lˆ, il ne fallait point sÕamuser ˆ chicaner, mais se porter franchement et noblement ˆ ce que lÕon se voulait rŽsoudre ; et que je pouvais assurer la reine de son trs humble et fidle service sans intŽrt, parti, ni capitulation, et que quand elle lui voudrait donner une heure pour le voir, quÕil lui en donnerait de plus particulires assurances. En mme temps il reut une lettre de la reine Marguerite, qui lÕexhortait ˆ ce dont il se venait de rŽsoudre. Nous conv”nmes aussi que je ne lÕaccompagnerais point ˆ aller trouver la reine, et que je ne le viendrais plus voir, de peur de dŽcouvrir lÕaffaire, et tomb‰mes dÕaccord que Mr Zamet ferait les allŽes et venues.

Je mÕen revins au Louvre avec cet heureux commencement, et entrai dans le petit cabinet, disant ˆ Selvage quÕelle f”t savoir ˆ la reine que jÕy Žtais. Elle ne tarda gure ˆ venir, et fut ravie dÕentendre que je lui apportais dŽjˆ assurance de Mr dÕEpernon et bonnes espŽrances de Mr de Guise. Elle me demanda lors ce que jÕavais fait avec Mrs de Villeroy et prŽsident Jeannin ; je lui dis quÕil me semblait nÕavoir pas mal travaillŽ en cette journŽe que jÕavais passŽe sans manger : elle me pria dÕy aller promptement, ce que je lui dis que je ferais aprs que jÕaurais vu madame de Guise (qui, en sortant dÕauprs dÕelle, mՎtait allŽe attendre chez madame la princesse de Conty), et lui dis que je mՎtonnais fort de ce quÕelle ne lui avait point parlŽ en deux heures quÕelle avait ŽtŽ prs dÕelle : elle me dit quՈ cause de madame de la Trimouille qui ne lÕavait point abandonnŽe, elle ne lÕavait su faire ; et que je lui disse de sa part ; aussi que pour nÕalarmer personne, elle nÕežt peut-tre pas entrepris de lui parler, quand mme elle en ežt eu la commoditŽ.

Je montai aussit™t ˆ la chambre de madame la princesse de Conty, o je trouvai madame la duchesse de Guise et elle, qui sÕentretenaient. Je me mis en tiers, et disposai ma dite dame de Guise ˆ porter son mari au service particulier de la reine, et que le lendemain au matin Zamet viendrait lui parler, comme tous deux seraient dans le lit, et quÕelle ferait en sorte quÕil le trouverait portŽ conformŽment ˆ notre dŽsir.

Je ne voulais point quÕil parut que je mÕentremlasse de cette affaire ; cÕest pourquoi je jetai Zamet partout, auquel je mandai que je le priais quÕil se trouv‰t le lendemain ˆ sept heures chez Beauvilliers, ˆ la rue de Paradis : et, mÕayant ŽtŽ donnŽ par madame la princesse de Conty des confitures pour souper, je mÕen allai de ce mme pas chez Mr le prŽsident Jeannin, et lui ayant fait les premires ouvertures de lÕoccasion qui sÕoffrait de se rŽtablir puissament, et que jÕavais charge de leur parler ˆ tous, il mordit ˆ la grappe, et reut cette affaire en rendant gr‰ces ˆ Dieu, et la crut aussit™t, parce, me dit-il, que Mr de Bouillon avait mandŽ le matin mme ˆ Mr de Villeroy que la reine allait donner le Ch‰teau-Trompette ˆ Mr le Prince, et quÕil lui conseillait dÕanimer Sa MajestŽ ˆ le faire de bonne gr‰ce, afin que Mr le Prince lui en sžt grŽ ˆ lui.

Il me dit quÕil voyait une difficultŽ entre eux, qui Žtait la mauvaise intelligence de monsieur le chancelier et de Mr de Villeroy depuis quelques jours en ˆ. Je lui dis que cette affaire lui appartenait, et que, comme leur ami commun, il lui serait aisŽ de raccommoder deux hommes, en un temps o le bien de leur fortune dŽpendait de leur union. Nous rŽsolžmes enfin tous deux dÕaller trouver ˆ lÕheure mme Mr de Villeroy, bien quÕil fut plus de neuf heures du soir ; qui nous dit dÕabord quÕil y avait longtemps quÕil mÕattendait, et que monsieur le chancelier lui avait envoyŽ le chevalier son frre qui lui avait dit que je le devais voir, comme aussi les bonnes nouvelles que la reine lui avait mandŽes. Il me dit aussi quÕil serait ˆ propos que je renvoyasse mon carrosse et mes gens, ce que jÕavais dŽjˆ fait. Il Žtait plus de minuit quand nous nous sŽpar‰mes. Il laissa la carte blanche ˆ Mr le prŽsident Jeannin pour lÕaccommoder avec monsieur le chancelier, qui en avait dŽjˆ fait les avances par lÕenvoi de son frre vers lui.

Ils me prirent dÕassurer la reine que, comme ils nÕavaient jamais respirŽ que son service, ils continueraient jusques ˆ leur dernier soupir ˆ la servir ; que, quand la reine les avait ŽloignŽs, ils sՎtaient contenus, sans sÕappuyer ni approcher de personne, attendant que leur service fžt agrŽable ou utile ˆ Sa MajestŽ, ˆ laquelle ils le vouaient de nouveau avec un vrai zle et sincre affection ; quÕils se verraient demain tous trois ensemble chez monsieur le chancelier, et puis ensuite, pour ne point Žclater le dessein de la reine, un dÕeux se trouverait, comme par hasard, en quelque lieu auquel la reine pžt parler et rŽsoudre avec lui ce quÕil lui plairait dÕordonner aux deux autres ; quÕil leur semblait que Mr le prŽsident Jeannin serait le plus propre pour lÕaller trouver, comme le moins suspect ; quÕil leur semblait aussi que le lieu de Luxembourg nՎtait pas mal ˆ propos, auquel la reine va ordinairement pour voir commencer son b‰timent et planter ses arbres ; que sÕil plait ˆ Sa MajestŽ que ce soit en quelque autre lieu, elle leur fera savoir par le chevalier de Sillery, ou bien que je leur manderai.

Ainsi, je sortis par la porte de lՎcurie de lÕh™tel de Villeroy, et mÕen vins manger et coucher ˆ mon logis. JՎcrivis amplement ˆ la reine tout ce qui sՎtait passŽ en notre confŽrence pour lՙter de peine, et envoyai quŽrir le lendemain matin Sauveterre, ˆ qui je mis ma lettre en main pour la donner ˆ la reine pendant quÕelle sÕhabillerait.

Je mÕen allai cependant de bon matin chez Beauvilliers, o je trouvai Mr Zamet dŽjˆ arrivŽ, lequel je priai dÕaller au lever de Mr de Guise et lui parler, lui offrant jusques ˆ cent mille Žcus, avec le retour de la Rochefoucaut, lՎtouffement de lÕaffaire de son frre le chevalier, et les bonnes gr‰ces de la reine ˆ lÕavenir. Il trouva Mr de Guise, selon sa coutume, extravagant dÕabord, puis concluant ˆ tout ce quÕil voulut, y ayant ŽtŽ prŽparŽ par sa femme le soir et la nuit prŽcŽdente.

Lors, ils mÕenvoyrent quŽrir, et je lui donnai parole de la part de la reine (qui me lÕavait commandŽ), dÕeffectuer tout ce que Mr Zamet lui avait promis. Il demanda que son rabiennement [raccommodement] avec elle ne paržt pas tout ˆ fait dÕabord, afin quÕil ait loisir de rompre honntement avec Mr le Prince, o il Žtait aucunement engagŽ. Il voulut que personne fžt auprs de la reine quand il lui parlerait, tant pour ne faire souponner, que pour lui parler encore plus franchement et avec de plus efficaces paroles : ce quÕil fit le mme jour, 12me de janvier, sur les six heures du soir.

Je revins ˆ mon logis, o jՎcrivis une autre lettre ˆ la reine, par laquelle je lui fis savoir ce que jÕavais fait avec Mr de Guise, et lÕenvoyai ˆ Sauveterre ; puis allai trouver Mr dÕEpernon, o je trouvai dŽjˆ Mr Zamet arrivŽ. Il me dit beaucoup de choses quÕil avait ˆ dire contre la reine, et conclut quÕelle Žtait notre ma”tresse, notre reine, rŽgente du royaume, femme et mre de nos deux ma”tres, et que nous devions tout souffrir dÕelle sans nous refroidir de la servir en toutes occasions, et principalement en celle-ci, o elle avait besoin de ses serviteurs ; que, pour lui, il tenait ˆ affront que lÕon lui offr”t rien, et croirait tre ingrat et indigne du nom quÕil portait et des charges et honneurs quÕil possŽdait, sÕil demandait quelque chose, ou capitulait [nŽgociait] avec son ma”tre, auquel pour le servir il Žtait dŽjˆ payŽ et rŽcompensŽ ; suppliait seulement la reine quՈ lÕavenir elle tŽmoign‰t plus de fermetŽ en sa conduite, et quÕelle considŽr‰t davantage ceux qui lui Žtaient fidles serviteurs, et les conserv‰t mieux que par le passŽ ; quÕil la viendrait trouver lorsquÕelle lui commanderait.

Je mÕen vins donc au Louvre, o la reine Žtait entourŽe de tous ces princes. Elle sÕen vint aprs le conseil en son cabinet, et prit prŽtexte de me demander si je lui voulais vendre un grand diamant que jÕavais au doigt, que lÕempereur Charles-Quint avait autrefois donnŽ ˆ mon grand-pre, et je me le tirai du doigt, et lui prŽsentai : elle sÕapprocha de la fentre pour le regarder ; je lui dis lors : Ē LÕaffaire est faite avec Mr dÕEpernon, mieux et plus noblement que Votre MajestŽ ne se fžt pu imaginer : il vous demande ˆ quelle heure il vous plait quÕil vous vienne trouver ˆ cet effet. Č Elle, regardant toujours le diamant, me dit : Ē Je mÕen vas aussit™t aprs d”ner ˆ Luxembourg, parler au prŽsident Jeannin ; et au retour je lÕattendrai. Č JÕeus loisir de lui dire : Ē Si, au retour de Luxembourg, Votre MajestŽ voulait aller passer chez la reine Marguerite, qui a une ardente passion pour Votre MajestŽ, et se tue de bien faire ? Č Elle me rŽpondit : Ē Oui, jÕirai ; et sur le soir, que Mr dÕEpernon vienne. Č Je le dis ˆ Zamet qui Žtait lˆ, et que si Mr dÕEpernon arrivait premier que la reine, quÕils se missent tous deux dans le petit cabinet, o il nÕentrerait quÕeux dÕeux : ce que je dis aussi ˆ Selvage de la part de la reine, afin quÕelle les y m”t. La reine avait dit au chevalier de Sillery quÕil f”t venir Mr le prŽsident Jeannin ˆ Luxembourg, et quÕen sortant de table elle ežt son carrosse.

Je mÕen vins d”ner, et aussit™t allai passer chez la reine Marguerite, ˆ qui je fis dire que la reine la viendrait voir au retour de Luxembourg ; et, continuant mon chemin par la rue de Seine, je vis le carrosse de Mr le marquis dÕAncre chez Mr de Bouillon. JÕy descendis, et entretins Sardini, tandis que Mr le marquis dÕAncre parlait ˆ Mr de Bouillon, qui avait lors les gouttes. Quelque temps aprs, on vint dire au marquis dÕAncre que la reine Žtait ˆ Luxembourg : il prit congŽ de Mr de Bouillon ; et lui, Sardini, et moi, mont‰mes en son carrosse. Il fut fort ŽtonnŽ, en arrivant au premier jardin de Luxembourg, quÕil vit la reine en une allŽe seule, se promenant avec le prŽsident Jeannin ; mais il le fut bien davantage quand il voulut y aller faire le tiers, que Chastaigneraye lui dit que personne ne pouvait passer, et quÕil en avait commandement trs exprs de la reine : il prit une autre allŽe avec Sardini et moi, fort embarrassŽ de ce long entretien ; lequel fini, la reine sÕen vint chez la reine Marguerite, et de lˆ au Louvre, o elle trouva Mr dÕEpernon et Zamet dans son petit cabinet, et Mr de Guise dans le grand.

Elle parla premirement ˆ Mr de Guise, qui lui fit toutes les protestations dÕune entire fidŽlitŽ ; renonant ˆ tout ce quÕil se pourrait tre obligŽ prŽcŽdemment, forcŽ par le mauvais traitement, le mŽpris de Sa MajestŽ, et la croyance que lÕon ne pouvait avoir accs vers elle que par le moyen de Mr le Prince et ses consorts. Il lui supplia que, pour les raisons prŽallŽguŽes, elle ne lui tŽmoign‰t pas, par sa bonne chre, quÕil se fžt entirement rŽuni avec elle, et quÕelle lui fit dire par madame sa sĻur, ou par moi, ou qui il lui plairait, ce qui serait de ses volontŽs.

Cela fini, la reine fit semblant de sÕen aller rafra”chir en son petit cabinet, et alla parler ˆ Mr dÕEpernon, lequel, sans sÕamuser aux plaintes ni aux reproches, ˆ quoi elle sÕattendait, lui fit tant de soumissions et tant de protestations de son fidle service, que la reine en fut toute confuse, et si satisfaite quÕelle revint peu de temps aprs avec un visage joyeux et content. JՎtais auprs de la porte de son petit cabinet, parlant ˆ madame la princesse de Conty, quand elle sortit. Elle nous dit : Ē Voici peut-tre la plus grande et la plus pŽnible journŽe que jÕaie eue de ma vie, et my pare que cÕest une comŽdie o il y a eu molto intrigue, et ˆ la fin cÕest toute paix et toute rŽjouissance. Č Madame la princesse de Conty lui dit : Ē Dieu soit louŽ, Madame, que tout rŽussisse ˆ votre contentement, et que vous soyez satisfaite de mon frre, et de mes amis, comme Mr dÕEpernon. Č Elle lui dit : Ē Pourquoi ne nommez-vous aussi Bassompierre, qui y a tant travaillŽ, et si bien quÕil ne sera jamais que je ne le reconnaisse, et fasse pour lui ? Et vous serez tŽmoin que je lui promets un Žtat de premier gentilhomme de la chambre du roi, quand je le devrais acheter de mes propres deniers. Č Je lui rendis trs humbles gr‰ces, et lui dis que je mÕestimais bien heureux si je lui avais rendu quelque service agrŽable, et que je la suppliais trs humblement de vouloir me dŽgager de la parole que jÕavais donnŽe de sa part ˆ madame la princesse de Conty du don de la rŽserve de lÕabbaye de Saint-Germain-des-PrŽs, puisquÕelle avait contribuŽ tout soin et industrie imaginable, non seulement envers monsieur son frre, mais aussi vers Mr dÕEpernon, pour les animer ˆ ce ˆ quoi certes dÕeux-mmes elle les avait trouvŽs portŽs, qui Žtait de bien et dignement servir Votre MajestŽ contre tout le monde. Elle lui confirma de bonne gr‰ce, et madame la princesse lui fit lors un double remerciement, tant de celle quÕelle venait de recevoir dÕelle, que de ce quÕelle avait voulu assoupir lÕaffaire de monsieur le chevalier.

Aprs, madame la princesse sՎtant retirŽe, je lui dis que jÕavais assurŽ Mr de Guise du retour de la Rochefoucaut, et de cent mille Žcus, mais que je ne lui avais point parlŽ de la lieutenance gŽnŽrale de Provence pour monsieur le chevalier son frre, ayant t‰chŽ de faire comme ces valets bons mŽnagers, qui rapportent au fond du sac une partie de lÕargent que leur ma”tre leur avait donnŽ pour dŽpendre, et que, si elle voulait lui faire cette gratification, elle serait bien plus grande maintenant quÕelle nÕežt ŽtŽ si je lÕeusse faite auparavant, ou bien elle pourrait rŽserver ˆ lui faire cette gr‰ce ˆ une autre occasion. La reine, qui Žtait la plus gŽnŽreuse et libŽrale princesse que notre sicle ait portŽe, me dit que je lui allasse dire de sa part quÕelle lui accordait cette gr‰ce, mais quÕil la t”nt cachŽe, et que mme il ne lÕen remerci‰t que par la bouche de madame la princesse sa sĻur, et encore que ce fžt lorsquÕelle serait seule avec elle. Elle me dit ensuite que les ministres Žtaient trs bien avec elle, et que le lendemain dimanche, 13me de janvier, au matin, ils viendraient la trouver ˆ neuf heures, tous trois.

En cet instant Mr dÕEpernon, et Zamet et Peronne, entrrent dans le cabinet de la reine, qui avaient demeurŽ quelque temps dans le petit, aprs que la reine en fut sortie, pour ne point montrer quÕils lui eussent parlŽ. La reine, dÕabord, lui fit fort bonne chre, et lui dit que cՎtait merveille de le voir lˆ le soir aprs sa grande maladie, et quÕil fallait quÕil se conserv‰t mieux. Il lui dit que, Dieu merci, ˆ ses jambes prs, il ne sÕen sentait plus. La reine lui fit donner un sige prs dÕelle, et le convia ˆ la comŽdie. Mr le duc du Maine et le marquis dÕAncre entrrent chez la reine en ce mme temps, qui, voyant Mr dÕEpernon prs dÕelle, et assis, nÕen furent pas moins ŽtonnŽs que de la mauvaise chre quÕelle leur fit. Ils sÕapprochrent de la table o jՎtais et me dirent : Ē QuÕest ceci ? Y a-il longtemps que Mr dÕEpernon est lˆ ? Č Je leur dis que oui, et quÕelle lui avait fait fort bon accueil, et quÕil me semblait que cՎtaient des fruits de la confŽrence que nous avions vue ˆ Luxembourg entre elle et le prŽsident Jeannin. Ils me demandrent si Mr de Guise avait ŽtŽ ici : je leur dis que oui, mais quÕil nÕy avait fait quÕentrer et sortir ; que je ne savais sÕil avait parlŽ ˆ la reine, au moins ne mÕen Žtais-je point aperu, si avait bien madame la princesse de Conty, et en ma prŽsence, ˆ qui la reine avait fait force caresses. Alors la reine dit ˆ Sauveterre : Ē Que lÕon porte un sige ˆ la comŽdie pour Mr dÕEpernon, car je veux quÕil la vienne ou•r, et pour Zamet aussi. Č Alors le marquis dÕAncre me dit en ces termes : Ē Par Dio, Mousu, je me ride moi delle chose deste monde : la reine a soin dÕun sige pour Zamet, et nÕen a point pour Mr du Maine ; fiez-vous ˆ lÕamore dei principi ! Č

JÕai voulu dire au long tout ce qui se passa en cette journŽe et en la prŽcŽdente, parce que je servis extrmement et judicieusement en toutes deux, et y eus la part que vous voyez.

Je menai madame la princesse de Conty ˆ la comŽdie, et lui dis, en allant, comme la reine donnait la lieutenance gŽnŽrale de Provence ˆ son frre le chevalier, dont elle fut ravie, et me pria de lÕaller dire ˆ monsieur son frre ; mais je ne me voulus trop h‰ter, de peur quÕil nÕen f”t bruit, et il Žtait important de ne rien faire Žclater encore, ce quÕelle approuva ; mais elle ne se sut empcher quÕau sortir de la comŽdie elle ne lՎcrivit ˆ madame la duchesse de Guise sa belle-sĻur.

Le lendemain, dimanche matin, les trois ministres vinrent de bonne heure chez la reine, qui ne faisait que sortir du lit : elle les fit entrer, et sortir ses femmes, sur lesquelles elle ferma la porte de son cabinet, o elle avait couchŽ, et demeura avec eux prs de trois heures. Mr le Prince y arriva sur les dix heures, et ayant battu ˆ la porte, on ne lui ouvrit point, encore quÕil y ežt attendu longtemps : on lui dit que la reine Žtait avec ces messieurs. Comme il sÕen allait, je le rencontrai, qui me dit : Ē Savez-vous bien que les trois barbons sont enfermŽs avec la reine, il y a plus dÕune heure, et que lÕon ne mÕy a point voulu laisser entrer ? Č JÕen fis lՎtonnŽ, et lui dis : Ē Monsieur, ds hier nous v”mes les avant-coureurs de cette affaire : la reine parla plus de deux heures au prŽsident Jeannin dans le jardin de Luxembourg, et ensuite Mr dÕEpernon la vint trouver, ˆ qui elle fit aussi bonne chre comme elle la fit mauvaise ˆ Mrs du Maine et marquis dÕAncre. Č Ē Par Dieu, ce me dit-il, ces coquins-lˆ nous ont tout g‰tŽ. Č Ē Mais gardez, Monsieur, lui rŽpondis-je, que ce ne soit vous-mme qui en soyez cause, qui ne pouvez attendre dՐtre affermi en votre autoritŽ et ancrŽ bien avant en son affection, que vous la venez presser de vous donner le Ch‰teau-Trompette, qui ne doit tre quÕun Žchantillon des autres prŽtentions que vous et vos amis et serviteurs montrent dŽjˆ dÕavoir : on mÕa dit que cela lÕa cabrŽe, et quÕelle en avait de trs vifs ressentiments. Č Il me rŽpondit que jÕavais raison, et que ce nÕavait ŽtŽ son avis ; mais que Mr de Bouillon lÕavait forcŽ de ce faire, et puis lÕavait abandonnŽ au besoin, et nÕavait voulu se trouver ˆ la demande que les autres en avaient faite, mais avait feint une goutte. Je lui dis lˆ-dessus, aprs avoir un peu rvŽ : Ē Monsieur, vous me faites penser ˆ une chose qui peut-tre est fausse, mais qui nÕest pas aussi sans quelque fondement. La reine disait hier du bien de Mr de Bouillon, et montrait de lÕaffectionner, en mme temps quÕelle montrait du dŽdain de Mr le duc du Maine et de Mr le marquis dÕAncre : madame la princesse de Conty me dit quÕelle avait voulu persuader ˆ Mr dÕEpernon de vivre bien ensemble, et de quitter cette animositŽ que lÕun avait contre lÕautre, ce qui avait fait na”tre quelque ombrage ˆ madame la princesse de Conty que Mr dÕEpernon sՎtait rŽuni avec vous, et que cՎtait par le moyen de la reine, vu la bonne chre extraordinaire quÕelle lui faisait. Vous savez, Monsieur, que Mr de Bouillon est intime ami de Mr de Villeroy : vous aurait-il point jouŽ ˆ la fausse compagnie, et sՐtre tournŽ du c™tŽ de la reine et des ministres ˆ votre prŽjudice, voyant que la reine avait si mal pris votre demande du Ch‰teau Trompette ? Vous aurait-il point exprs embarquŽ ˆ cette demande, pour remettre bien les ministres, et lui avec eux ? Pour moi, je souponne tout de son esprit, et nŽanmoins, peut-tre je me trompe ; mais plusieurs divers discours dŽcouvrent quelquefois une affaire bien cachŽe. Č

Mr le Prince est de son naturel fort souponneux et dŽfiant : il me dit quÕil ne savait que dire de tout ceci, mais quÕil en Žtait bien ŽtonnŽ, et que mon doute nՎtait pas peut-tre hors de raison. Il me dit lˆ-dessus : Ē Et de Mr de Guise, quÕest-ce ? Est-il chair ou poisson ? Č Je lui rŽpondis que je ne lÕavais point vu depuis avant-hier matin, et quÕil mÕavait priŽ de ne plus parler ˆ la reine du retour de la Rochefoucaut, lequel il ne voulait tenir que de lui, ˆ qui il en aurait lÕentire obligation. Il me dit : Ē Voilˆ qui va bien. Č Et puis, aprs plusieurs autres discours, le marquis dÕAncre arriva, ˆ qui il dit la confŽrence de la reine et des ministres. Le marquis le supplia de remonter en-haut pour voir la reine ; mais il ne lui sut jamais persuader, et lui pria seulement de lui mander des nouvelles. Nous mont‰mes, le dit marquis et moi, chez la reine, o il ne sut entrer que lorsque les ministres en sortirent, quÕil Žtait prs de midi.

Je mÕen revins d”ner chez moi o je trouvai Mr de Guise, ˆ qui je dis le don que la reine lui faisait de la lieutenance gŽnŽrale de Provence pour monsieur son frre, dont il eut une excessive joie, et me promit de nÕen point parler quÕil ne fžt temps : il en remercia le soir la reine, lorsquÕil aperut quÕil nÕy avait personne qui le put voir faire ce compliment.

Des lors la mauvaise intelligence de la reine avec ces messieurs parut Žvidemment : tout se fit par les ministres ; Mrs de Guise et dÕEpernon furent en faveur, bien que ce premier se t”nt toujours en quelque faon accrochŽ avec Mr le Prince ; Mr de Vend™me fit donner des assurances de son service ˆ la reine par sa belle-mre, et le marquis dÕAncre montra ouvertement dՐtre mal content. Je lui ou•s dire une chose ˆ la reine, que je trouvai Žtrange, sur ce que ces ministres lՎtaient venus trouver : quÕelle avait mal gardŽ la foi quÕelle avait donnŽe ˆ Mr le Prince, dÕavoir rappelŽ les ministres sans son su. La reine lui dit que cՎtaient eux qui avaient demandŽ de parler ˆ elle. Il lui repartit : Ē Ils mŽritaient dՐtre tous trois envoyŽs ˆ la Bastille, dÕavoir osŽ venir par monopole, en corps, trouver Votre MajestŽ sans avoir ŽtŽ mandŽs dÕelle. Č

Ė peu de jours de lˆ, le jeune baron de Luz fit appeler Mr le chevalier de Guise, qui le tua. Je vis encore une chose bien Žtrange des changements de la cour, que Mr le chevalier de Guise, qui, pour avoir tuŽ le pre, la reine commanda au parlement dÕen conna”tre, dÕen informer, et de lui faire et parfaire son procs ; ˆ moins de vingt jours de lˆ, aprs avoir de surcro”t tuŽ encore le fils du dit baron de Luz, la reine lÕenvoya visiter, et savoir comme il se portait de ses blessures, aprs quÕil fžt de retour de ce dernier combat.

Il faisait lors pour moi fort beau ˆ la cour, et y passais bien mon temps. La reine jouait devant souper dans lÕentreciel (qui est un petit cabinet au dessus du sien) ; puis nous allions ˆ la comŽdie, o une beautŽ grecque venait ˆ cause de moi ; puis les soirŽes et les nuits mՎtaient belles. Nous f”mes force ballets, et entre autres celui de la SŽrŽnade, auquel la reine nous reut, en la salle haute, si somptueusement : nous lÕall‰mes, aprs, danser ˆ lÕh™tel de CondŽ.

Mr le Prince fit un festin et une course de bagues ensuite, o toute la cour des hommes fut priŽe, hormis moi, que la reine, en rŽcompense, retint prs dÕelle ˆ jouer avec peu de dames, laquelle, exprs, ne se voulut point faire voir ce jour-lˆ, pour ne montrer point sa cour dŽserte, ˆ cause que tout le monde Žtait ˆ lÕh™tel de CondŽ. Il se fit un bal deux jours aprs ˆ lÕh™tel de Longueville, o je fus priŽ de me trouver, et la reine, par dŽpit, me dit que, puisquÕelle mÕavait diverti lorsque je nÕavais point ŽtŽ priŽ chez Mr le Prince, il Žtait bien raisonnable que je demeurasse prs dÕelle lorsquÕune fte se faisait contre la porte du Louvre, o tout le monde Žtait priŽ, hormis elle et madame la princesse de Conty, de sorte que je demeurai ˆ jouer tout le soir avec elle, dont je fus bien brouillŽ ailleurs.

Sur ce, le carme arriva, auquel, le premier jeudi au soir, 21me de fŽvrier, jÕeus une bonne fortune.

 

Mars. Ń Je mÕen allai, ˆ quelques jours de lˆ, voir le marquis dÕAncre, qui fut quelque temps ˆ Amiens, faisant le malcontent. JÕen revins au bout de cinq jours, et all‰mes incontinent aprs P‰ques (avril) ˆ Monceaux o nous passions bien le temps.

De lˆ, la reine sÕen revint ˆ Paris, et puis ˆ Fontainebleau, ayant auparavant fait le mariage de Mr de Montmorency avec la fille a”nŽe de don Virginio Ursino, duc de Bracciano (mai), ˆ laquelle elle donna de son argent cent mille Žcus en dot. Le lendemain il y eut bal ˆ lÕh™tel de Montmorency, o je comparus avec une belle faveur dÕune dame.

Ė Fontainebleau la reine sut que Mr de Vend™me, quelque parole quÕil ežt donnŽe ˆ madame de Mercure, sՎtait conjoint avec Mr le Prince, et quÕil se faisait plusieurs brigues pour y rembarquer Mr de Guise, lequel avait des irrŽsolutions qui ne plaisaient pas ˆ Sa MajestŽ. Elle lui en parla, et lui, lui rejura de nouveau toute sorte de fidŽlitŽ. NŽanmoins Mr de Vend™me et le marquis de CĻuvres Žtant arrivŽs ˆ Fontainebleau, celui-lˆ pour prendre congŽ de la reine en sÕen allant en Bretagne y tenir les Žtats, et le marquis sous prŽtexte de le venir conduire jusques ˆ Fontainebleau, prirent Zamet de leur donner une chambre en la conciergerie, o Mr de Guise couchait. La reine en prit ombrage, et me commanda de ne bouger dÕavec Mr de Guise jusques ˆ ce quÕil fžt couchŽ, et dÕempcher que Mr de Vend™me et lui ne se parlassent, ce que je fis ; et la reine envoya encore Sauveterre veiller la nuit sur le degrŽ de Mr de Guise, lequel aperut Mrs de Vend™me et de CĻuvres monter en robe de chambre dans celle de Mr de Guise, avec lequel ils furent prs de deux heures ; et le marquis traita avec lui quÕil viendrait ˆ Paris tre arbitre de madame dÕElbeuf, o il se verrait avec Mr le Prince.

Le lendemain matin, Mr de Vend™me partit, et la reine, sur le d”ner, envoya commander au marquis de CĻuvres de sortir de la cour, et de nÕy retourner jusques ˆ un nouveau commandement. Il sÕen revint ˆ Paris, fit le rapport de ce quÕil avait traitŽ, et anima le marquis dÕAncre de sÕoffenser de ce que lÕon lÕavait chassŽ, disant que cՎtait parce quÕil Žtait son ami, et que les ministres lui avaient fait jouer ce tour en sa considŽration.

Mr de Bouillon, lors, sÕavisa de proposer un accord entre madame dÕElbeuf et madame de la Trimouille sa belle sĻur, qui avaient procs ensemble, et de les disposer de choisir chacune deux de leurs principaux parents ou amis, pour voir sÕils pourraient point concerter leur diffŽrend. Mr du Maine proposa ˆ madame dÕElbeuf de choisir Mr de Guise et lui, madame de la Trimouille ayant dŽjˆ Žlu Mr le Prince et Mr de Bouillon ; ce quÕelle fit, et Žcrivit ˆ Mr de Guise pour le prier de venir ˆ Paris ˆ cet effet. Mr de Guise prit congŽ de la reine, qui se douta ˆ lÕheure mme de la fourbe : et en mme temps madame la princesse de Conty lÕen vint aussi avertir, et que cՎtait pour enfermer Mr de Guise avec ces trois arbitres, pour le porter ˆ quelque chose contre son service. Elle le pria donc de demeurer ˆ Fontainebleau, et dit quÕelle mÕenverrait ˆ Paris, quÕelle Žcrirait ˆ madame dÕElbeuf quÕelle lÕavait retenu, et que mme elle me ferait en son nom solliciter lÕaffaire de ma dite dame dÕElbeuf, en cas quÕelle romp”t ce compromis. Il ne voulut pas contester davantage, et demeura ; et moi je me prŽparai pour partir.

Je vins lÕaprs-d”ner trouver la reine pour recevoir ses commandements, laquelle me dit que je retardasse jusques au lendemain matin, qui Žtait le mardi avant la Pentec™te, pour quelque chose quÕelle avait ˆ faire de moi, puis me dit si je nÕavais point de vers de Porcheres : je lui dis que non, mais que jÕen savais par cĻur. Elle se mit ˆ rire, et me dit quÕelle nÕen voulait pas en cette sorte, mais dՎcrits de sa main. Je me mis aussi ˆ rire de ce dŽsir, et elle me dit : Ē Je ne vous puis pas maintenant dire pourquoi ; mais ne manquez pas de mÕen rapporter, et nÕen montrez pas dÕaffectation ; car je ne veux pas quÕil paraisse que jÕen veux. Č Puis elle me parla longtemps contre le marquis dÕAncre, me disant quÕil se gouvernait si mal quÕenfin il se ruinerait ; et moi je lÕexcusai toujours le mieux que je pus. Elle me dit : Ē Il fait lÕentendu, et ne bouge dÕavec une cabale qui mÕest entirement contraire et opposŽe. Dites-lui que je lui mande que, sÕil nÕest jeudi au soir ici, je lÕapprendrai ˆ mÕobŽir ; et si ce nՎtait sa femme, je lÕaurais dŽjˆ mis en un lieu dont il ne sortirait pas quand il voudrait : sa femme en enrage, et lui, fait toujours de pis en pis. Dites lui quÕil ne manque pas ˆ faire ce que je lui commande. Č Puis mÕayant encore donnŽ quelque autre commission, selon quÕelle sÕavisa, je mÕen vins ˆ Paris, o jÕarrivai sur les dix heures du matin, le mardi.

Comme je me changeais dÕhabillements, le marquis dÕAncre arriva chez moi, qui me demanda des nouvelles de la cour, et si Mr de Guise ne venait point. Je lui dis que non, et la cause. Puis ensuite je lui fis lÕambassade dont la reine mÕavait chargŽ. Il me dit lˆ-dessus beaucoup de choses fort en colre : quÕil Žtait homme dÕhonneur, et que, si la reine manquait de parole, quÕil nÕen voulait pas manquer ˆ ses amis, avec lesquels la reine lÕavait liŽ ; que lÕaffront quÕelle avait fait au marquis de CĻuvres sÕadressait ˆ lui, et que, pour son honneur, il ne le pouvait abandonner ; quÕil nÕirait point ˆ la cour quÕil ne lÕamen‰t. Je lui parlai ensuite un quart dÕheure fort franchement comme son ami, et lui fis conna”tre le tort quÕil avait en son procŽdŽ, et il se remit aucunement : seulement me pria-il dՎcrire ˆ sa femme, et de lui mander quÕil Žtait rŽsolu dÕaller jeudi ˆ la cour, suivant lÕordre quÕil en avait reu de la reine ; seulement pour sa rŽputation il lui importait dÕamener le marquis de CĻuvres avec lui, et quÕelle fit agrŽer ˆ la reine quÕil lÕamen‰t, et quÕil la suppli‰t de le voir ; aprs cela, que la reine nÕen ferait que ce quÕelle voudrait, et que, par ce moyen, il se serait dŽgagŽ de ce quÕil devait, en cette occasion, ˆ son ami. Je fis ma dŽpche ˆ lÕheure mme devant lui, et fis partir Lambert aussit™t pour la porter, lequel revint le lendemain matin, avec lÕacquiescement ; dont le marquis dÕAncre fut fort satisfait.

Il partit donc le jeudi avec le marquis de CĻuvres, et moi je nÕarrivai ˆ Fontainebleau que le samedi au soir. Je rendis compte ˆ la reine de ce quÕelle mÕavait commis, et entre autres choses, je lui donnai des vers de la main de Porcheres, [aussi bien que de son esprit]. Elle se prit ˆ rire, et me dit : Ē Il nÕest plus temps, lÕaffaire est dŽcouverte : jÕai souponnŽ ˆ tort ce pauvre homme ; dont je mÕen repens. Č Je dis ˆ la reine : Ē Madame, si jÕosais, je vous demanderais lÕexplication de cette Žnigme. Č Elle me dit : Ē Je vous la dirai : il y a quelque temps que Gueffier, notre agent en PiŽmont, nous a mandŽ que lÕon donnait des avis de par delˆ contre le service du roi, et mme a envoyŽ la suscription dÕun des paquets que journellement lÕon en envoyait de deˆ. Nous ne savions qui souponner, et parce que Porcheres a ŽtŽ longtemps en Savoie, je lÕen accusais ; mais aujourdÕhui nous avons dŽcouvert toute lÕaffaire, ayant pris sur le fait celui qui les Žcrit, comme il jetait son paquet dans la caisse de la poste : cÕest un certain bossu, blond, que vous avez souvent vu suivre la cour, Dauphinois, nommŽ Maignat. Č Je lui dis que je le connaissais, et que je lÕavais souvent vu en lÕantichambre de Mr le marquis dÕAncre. Elle me dit lors : Ē Aussi y avait-il affaire, et on en verra bient™t davantage. Č

Je nÕy pensai pas plus avant, et mÕen allai, selon mon ordinaire, souper chez Zamet : et comme cՎtait la veille de la Pentec™te, il nÕy avait, hors sa famille, que le seul Lomenie, secrŽtaire dՃtat, auquel, sans y penser, je dis : Ē Qui est un certain demi-prtre bossu, nommŽ Maignat ? Č Il me rŽpondit : Ē Qui vous fait me le demander ? Č Ē Parce, lui dis-je, que jÕen sais quelque chose. Č Ē Et moi, dit-il, peut-tre davantage que vous. Č Ē Joignons, lui dis-je, nos sciences, pour voir si elles se rapportent : il Žcrivait, au nom de quelques personnes de condition, en Savoie ; Gueffier en eut quelque lumire, qui envoya par deˆ une couverture de paquet Žcrite de sa main ; on lÕa pris comme il jetait un paquet dans le bureau de la poste ; on lÕa dŽjˆ interrogŽ, et il commence ˆ chanter clair. Č Il me dit lˆ-dessus : Ē Par Dieu, vous tes averti de si bonne part que je nÕai rien ˆ y ajouter, sinon que jÕai ŽtŽ greffier ˆ lÕinterroger, et que jÕai son interrogatoire en ma poche. Č Je lui demandai ce quÕelle chantait. Il me rŽpondit : Ē Puisque vous en savez dŽjˆ tant, je ne vous en clerai pas le reste, o il parle clair de monsieur et de madame la marquise dÕAncre, mais surtout de Mr Dolet, qui Žtait leur organe ; et le tiens bien fin sÕil peut dŽmler cette fusŽe : Č puis ensuite mÕen dit tout le particulier.

Je faisais profession trs Žtroite dÕamitiŽ avec le marquis dÕAncre, et aimais aussi Dolet ; cÕest pourquoi durant le souper, je songeai plus dÕune fois comme je les pourrais aider et servir, et sortant de table jÕallai pour trouver le marquis ; mais il Žtait dŽjˆ retirŽ avec sa femme ˆ cause du bon jour du lendemain, et ne pus mme le jour suivant le voir plus t™t quÕaprs d”ner en la chambre de la reine comme elle sÕen allait au sermon. Je lui dis : Ē Allons faire deux tours en lÕantichambre pendant le sermon, et puis nous irons ˆ vpres, et aurons ŽvitŽ le chaud et la presse. Č Il sÕy en vint, et en entrant me dit : Ē Que diriez-vous, Monsieur, que la reine nÕa pas encore voulu voir Mr le marquis de CĻuvres, et que ces coquins de barbons lÕen divertissent toujours ? Č Je lui dis : Ē Monsieur, je ne crois pas que les ministres fassent tant dÕeffort sur son esprit que sa propre inclination ; car je vous puis dire que ce fut la reine seule qui fit Žpier Mrs de Guise et de Vend™me, et qui sut quÕils sՎtaient parlŽ la nuit : bien ne vous dirai-je pas que lÕon ne lÕen ežt prŽcŽdemment avertie. Mais laissons cette affaire, et parlons dÕune autre plus importante, si vous la savez, comme je pense ; ou si vous ne la savez, je vous en parlerai seul : quÕest ce que de Maignat ? Č Ė ce mot, tout ŽtonnŽ il me dit : Ē Pourquoi, Monsieur, de Maignat ? Que vol dir Magnat ? Che cosa e Maignat ? Č Je lui dis : Ē Vous me leurrez, vous le savez mieux que moi, et vous en faites lÕignorant. Č Il me dit : Ē Par Dio, Mousou, je ne connesse point Magnat ; je nÕentende point cela ; je ne sais ce que cÕest. Č Ē Monsieur, Monsieur, lui dis je, je vous parle ici comme votre serviteur et votre ami, non pas comme un juge ou un commissaire. Maignat fut hier pris et interrogŽ ˆ lÕheure mme, puis encore le soir, et ce matin encore : il a ŽtŽ pris jetant un paquet au bureau de la poste, lequel parle de beaucoup de choses et nomme les personnes par leur nom. Si vous le savez dŽjˆ, je nÕai perdu que la peine de vous lÕavoir dit ; et si vous ne le savez, je pense, comme votre serviteur, gagner beaucoup de vous en avertir, afin que vous y donniez ordre et que vous pourvoyiez particulirement ˆ tirer Mr Dolet hors de cette affaire dans laquelle on t‰chera de lÕembarrasser. Č Il me dit fort ŽtonnŽ : Ē Moi, Monsour, je ne pense point que Mr Dolet conosca questo Magnat. Je ne me mle point de cela. Č Ē CÕest bien fait, Monsieur, lui rŽpondis-je : je ne prendrai en cette affaire que la part que vous mÕy voudrez donner pour vous y servir, qui est mon seul but, et mon intention. Č Il mÕen remercia, et puis me quitta brusquement, et moi je mÕen allai au reste du sermon et ˆ vpres aprs lesquelles la reine sÕalla promener au parc, et moi je me mis dans le carrosse du premier Žcuyer pour lÕy accompagner.

Comme nous nous promenions sur le canal, un des gens de Mr le marquis dÕAncre vint au galop me trouver, et me prier de sa part de le venir trouver ˆ lÕheure mme. Je me doutai bien que je lui avais mis la puce ˆ lÕoreille ; je dis nŽanmoins tout haut : Ē CÕest quÕil me veut gagner mon argent. Č Je montai sur le cheval de ce gentilhomme, et la reine me demandant o jÕallais, je lui dis que jÕallais jouer avec Mr le marquis. Il mÕattendait sur le haut de ce degrŽ qui avance en la cour en ovale, et comme je montai, il me mena dans la galerie de la reine quÕil ferma sur nous, puis marcha jusques au milieu de la galerie sans dire un mot : enfin se haussant il me dit : Ē Ha, Mr Bassampier, mon bon ami, je suis perdu ; mes ennemis ont gagnŽ le dessus sur lÕesprit de la reine pour me ruiner, Č puis se mit ˆ dire des blasphmes Žtranges, et pleurait amrement. Je le laissai un peu se dŽmener, puis je lui dis : Ē Monsieur, il nÕest pas temps de jurer et de pleurer quand les affaires pressent : il faut ouvrir son cĻur, montrer sa blessure ˆ lÕami ˆ qui on en veut confier la guŽrison. Je pense que vous mÕavez envoyŽ quŽrir pour me dire votre mal et non pour me le pleurer : cÕest pourquoi, Monsieur, il vous faut prendre une bonne et ferme rŽsolution sur les divers conseils que vous donneront vos amis, choisissant celui que vous jugerez le plus convenable en lÕaffaire prŽsente. Č Il me dit lors : Ē Ly ministri mÕont donnŽ cette estrette et me veulent perdre, et Mr Dolet aussi. Č Ē Monsieur, vous avez, lui dis je, beaucoup de remdes contre leur poison, dont le plus excellent est les bonnes gr‰ces de la reine, que vous possŽderez infailliblement quand vous voudrez rentrer en votre devoir et quitter toutes autres pratiques qui ne lui sont pas agrŽables : par ainsi vous Žnerverez les forces de vos ennemis, et redoublerez les v™tres pour les dŽtruire et opprimer. Vous avez aussi votre innocence qui parle pour vous, et en cas quÕelle ne soit entire, il faut voir et pratiquer les commissaires de Maignat, (car je ne doute point que votre peine prŽsente ne soit celle-lˆ), avoir recours ˆ la bontŽ et misŽricorde de la reine qui vous recevra ˆ bras ouverts, jÕen suis fort assurŽ, pourvu que vous lui parliez avec sincŽritŽ de cĻur et une entire rŽsignation entre ses mains de toutes vos volontŽs. Č Ē Ha, Monsieur, ce me dit-il alors, je crains que la reine prŽoccupŽe par mes ennemis nÕait les oreilles bouchŽes ˆ mes justifications et quÕelle croie entirement les ministres. Č Ē CÕest ˆ vous, repartis-je, ˆ conna”tre premirement vous-mme, et ensuite la reine ; si vous ne tenez pas votre affaire nette, ou quÕil y puisse avoir lieu de vous nuire et perdre, il faut que vous regardiez si vous vous pouvez sauver par le moyen de lÕaffection de la reine, dont la source ne tarira jamais vers madame votre femme : mais si vous voyez quÕelle ne soit pas assez forte pour vous empcher de tomber dans le prŽcipice, il faut dŽtourner votre personne de lÕoccasion et vous mettre en sžretŽ, et de loin plaider votre cause ou par Žcritures ou par avocat : cÕest le meilleur remde que lÕon puisse apporter ˆ votre mal prŽsent ; mais comme il est chimique [violent], je ne mÕen voudrais servir quՈ lÕextrŽmitŽ et en deux seules occasions : lÕune, si mon affaire est trouble (jÕentends criminelle), et encore si, Žtant criminelle, je jugeais que la reine ne mÕen pžt ou voulžt pas tirer ; lÕautre, quand mme elle ne le serait pas au fond, si vous jugiez vos ennemis si puissants que leurs artifices la pussent rendre telle ; en ces deux cas lՎloignement est le gain de cause ; et afin que vous connaissiez quel ami je vous suis, et que je ne vous donne pas de conseils auxquels je nÕy prenne bonne part, en cas que vous vous y rŽsolviez, je mÕoffre de vous y assister, dՐtre de la partie, et de vous mettre en sžretŽ, pourvu quÕune prompte rŽsolution nous donne moyen non seulement de lÕentreprendre, mais aussi de lÕexŽcuter. Č Sur cela il me sembla tout allŽgŽ, et me dit aprs plusieurs compliments : comment nous pourrions faire ? Je lui dis : Ē Conseillez-vous une demi-heure encore, et si vous y tes bien rŽsolu, descendez ˆ ma chambre dans la conciergerie o vous trouverez des bottes prtes, et deux coureurs qui nous mneront ˆ la premire poste, dÕo nous irons en diligence ˆ Paris et de lˆ ˆ Amiens o je vous laisserai puis aprs pour mÕen revenir, et dirai que sans savoir votre dessein, croyant que ce fžt pour une querelle particulire, vous mÕavez menŽ avec vous, et quՎtant ˆ Amiens vous mÕavez dit la cause de votre fuite, me priant de venir trouver la reine, ˆ laquelle puis aprs je dirai les choses nŽcessaires pour votre raccommodement. Č Il approuva cet expŽdient, lequel il alla communiquer au marquis de CĻuvres et ˆ Dolet, lesquels voyant que, sÕil sÕen allait et quÕils demeurassent, ils Žtaient perdus, et que sa considŽration et prŽsence les sauverait, le dŽconseillrent de prendre ce parti, disant que je le faisais ˆ dessein de le ruiner et de prendre sa place prs de la reine : ils le persuadrent de prendre le premier expŽdient que je lui avais proposŽ, qui Žtait de recourir ˆ la reine, vers laquelle il trouva toute sorte de douceur et de bontŽ : joint que Mr de Roissy, qui avait fait le premier interrogat ˆ Maignat, en fit un rapport favorable pour lui ; car il Žtait ami particulier de la marquise ; et que les deux commissaires ˆ ce procs, nommŽs Masurier et Mangot les y servirent bien : aussi en furent-ils bien rŽcompensŽs, lÕun de lՎtat de premier prŽsident de Toulouse, et lÕautre de Bordeaux, et puis de garde des sceaux. Le procs fut parachevŽ ˆ Maignat, et les noms des marquis et marquise dÕAncre, et de Dolet, supprimŽs ; lui condamnŽ ˆ tre rouŽ tout vif, ce qui fut exŽcutŽ le jeudi suivant, et le jour dÕaprs, la cour sÕen revint ˆ Paris.

JÕavais ŽtŽ peu avant lÕAscension en poste ˆ Rouen pour y reconna”tre lÕair du bureau pour mon affaire et prŽparer toutes choses pour y retourner en bref. Je trouvai que mes parties mÕavaient fait une ruse de palais, qui est dÕavoir fait consulter par tous les fameux avocats de Rouen leur cause, afin de les rendre incapables de plaider la mienne, de sorte quÕil me fallut avoir recours ˆ prendre un avocat de Paris nommŽ Mauguin pour la venir plaider. Je dis ˆ mon retour cette fourbe ˆ la reine, que mes parties mÕavaient pratiquŽe : elle sÕavisa de me dire un jour : Ē Mon Dieu, Bassompierre, le procureur des Etats de Normandie, qui est si Žloquent, pourrait-il point plaider votre cause ? Car il a ŽtŽ autrefois avocat ˆ Rouen. Il est ici : je lui veux demander, Č et sur cela lÕenvoya quŽrir et lui commanda de lÕentreprendre ; ce quÕil fit, et sÕen acquitta parfaitement bien.

 

Juin. Ń Je partis t™t aprs lÕarrivŽe de la cour ˆ Paris, accompagnŽ de plusieurs de mes amis qui voulurent venir quand et [avec] moi, et dÕautres qui y vinrent aprs, de sorte quÕil y eut telle fois plus de deux cents gentilshommes avec moi ˆ Rouen. La reine aussi Žcrivit ˆ Mr le marŽchal de Fervaques, (dÕailleurs mon ami), de mÕassister de tout ce que je lui demanderais : elle commanda ˆ sa compagnie de chevau-lŽgers qui Žtait en garnison ˆ Evreux de venir en robe me trouver, et envoya de sa part Marillac avec lettres ˆ tous les prŽsidents et conseillers en ma recommandation : elle envoya aussi, de deux jours lÕun, des courriers pour apprendre le succs de cette affaire. QuantitŽ de dames qui Žtaient ˆ Rouen, beaucoup dՎtrangres qui y vinrent, et la bande de noblesse que jÕy avais menŽe, firent que tout le temps que je demeurai ˆ Rouen, qui fut un mois, se passa comme un carme-prenant en continuelles ftes, bals, et assemblŽes ; et je ne rapportai de tout ce sŽjour quÕune Žvocation que par surprise ma partie obtint du conseil du roi, qui me retarda de six mois et mÕobligea de mÕen revenir.

JÕoubliais de dire que, quand je partis de la cour pour aller ˆ Rouen, jՎtais en trs Žtroite liaison avec les trois ministres, lesquels mÕavaient employŽ en plusieurs choses, et mÕen avaient fait proposer dÕautres dont ils ne voulaient pas para”tre les auteurs ; particulirement trois dont ils me firent faire ouverture ˆ la reine. La premire fut monsieur le chancelier qui me pria dÕinsister vers la reine pour le rasement de Quillebeuf en donnant rŽcompense au marŽchal de Fervaques, ce que la reine accorda ; Mr le prŽsident Jeannin me pria de parler du retour de Mr le Grand ˆ la cour, ˆ quoi je mÕemployai aussi avec effet ; et Mr de Villeroy dŽsira que je fisse instance ˆ la reine de permettre ˆ Mr de SouvrŽ de rŽsigner la charge quÕil possŽdait de premier gentilhomme de la chambre ˆ Mr de Courtanvaut son fils, ˆ quoi la reine me rŽpondit que, lorsquÕelle Žrigea une troisime charge de premier gentilhomme de la chambre en faveur de Mr de SouvrŽ, Õavait ŽtŽ ˆ condition de suppression, mort avenant ; ˆ quoi elle sՎtait engagŽe ˆ Mrs le Grand, et de Bouillon de qui Mr le marquis dÕAncre lÕavait eue ; et que sans leur consentement elle ne le pouvait permettre. JÕai dit ce que dessus pour Žclaircir ce que je dirai ensuite.

Pendant mon sŽjour ˆ Rouen les ministres qui avaient vu que le marquis dÕAncre avait soutenu le choc de lÕaffaire de Maignat, et en Žtait heureusement sorti, se persuadrent que sa faveur Žtait si grande auprs de la reine quÕenfin elle les opprimerait, et se rŽsolurent de sÕaccommoder avec lui sÕils voyaient jour de le pouvoir faire. Mr le prŽsident Jeannin en mit le premier les fers au feu, proposa ˆ la reine de faire que messieurs le chancelier et de Villeroy fussent unis et en bonne intelligence avec Mr le marquis dÕAncre, (car pour lui, il avait toujours ŽtŽ entre eux le bŽnin tempŽrament) ; que ce serait le bien de son service et le repos de la cour. La reine reut cette proposition avec joie, lui rŽpondit quÕelle le dŽsirerait, et quÕil y travaill‰t. Alors il proposa le mariage de la fille du marquis dÕAncre avec le marquis de Villeroy, petit fils de Mr de Villeroy, et ils promirent au dit marquis de seconder toutes ses intentions et de contribuer toute leur industrie et pouvoir ˆ son agrandissement : et ainsi lÕaffaire sÕaccommoda sans mon su ni participation (juillet), ni sans mÕy comprendre ou conjoindre avec ces ingrats que jÕavais si fidlement assistŽs et servis ; et ne tardrent gure sans me brouiller avec la reine et me ruiner avec le dit marquis.

Brouille avec la reine

Le commencement de lÕaffaire vint que, parmi les capitulations de leur accord, la rŽsignation en faveur de Mr de Courtanvaut de lՎtat de premier gentilhomme de la chambre y fut comprise, et le marquis ayant dit ˆ Mr de Villeroy quÕils avaient bien vu que leurs pratiques avaient ŽtŽ vaines jusques ˆ ce quÕil y ežt consenti, Mr de Villeroy lui dit quÕil nÕen avait jamais fait parler que par moi ; et le marquis se plaignit fortement ˆ moi de ce quÕen une chose o il avait le principal intŽrt, jÕeusse voulu la poursuivre, Žtant son ami comme jÕen faisais profession, ce quÕil me reprocha devant la reine ; mais elle lui tŽmoigna que ds quÕelle mÕežt dit que le marquis y avait intŽrt, je lui avais dit que je ne le savais pas, et que, cela Žtant, non seulement je mÕen dŽsistais, mais que mme je la suppliais de nÕen rien faire quÕavec son consentement, dont il se satisfit pour lÕheure.

Il arriva aussi que la reine voulut ou•r le plaidoyer que La Bretignere avait fait en ma cause, et quÕun soir comme il le redisait devant la reine, la marquise la voulut dŽtourner pour lui parler de quelque affaire, ce que la reine ne voulant faire et elle lÕen pressant, elle se f‰cha contre la marquise de son importunitŽ, et la marquise contre moi, qui pensait que jÕen fusse cause.

En ce mme temps Mr le Prince fut ˆ lÕarticle de la mort ˆ Saint-Maur, attaquŽ dÕun pourpre [purpura] violent dont, gr‰ce ˆ Dieu, il guŽrit ; mais le marquis de Narmoustier, qui lÕavait vu pendant sa maladie, prit son mal et en mourut effectivement. Il avait rŽcompensŽ depuis nagure la lieutenance gŽnŽrale de Poitou que possŽdait prŽcŽdemment Mr de Paraberes, laquelle vaqua par sa mort. Plusieurs firent instance ˆ la reine pour lÕavoir, comme Mrs de la Rochefoucaut et de Saint-Luc (aožt), et la reine mÕavait donnŽ de grandes espŽrances pour ce dernier. JÕavais priŽ particulirement, et lui aussi, le marquis dÕAncre de lÕassister en cette affaire, et il lui avait promis et ˆ moi aussi ; nŽanmoins (comme les intŽrts particuliers marchent avant toutes choses), il la fit donner ˆ Mr de Rochefort, ˆ la prire que lui en fit Mr le Prince, et la reine me dit quÕextraordinairement pressŽe par le dit marquis, elle avait donnŽ cette charge ˆ Rochefort, bien quÕelle ežt ŽtŽ plus portŽe pour Mr de Saint-Luc. Le marquis dÕAncre le jour mme me dit quÕil Žtait au dŽsespoir de quoi la reine avait donnŽ cette charge ˆ Rochefort et quÕil me priait dÕassurer Mr de Saint-Luc quÕil avait fait ce quÕil avait pu en sa faveur, mais que lÕautoritŽ de Mr le Prince avait prŽvalu ; moi qui savais ce que la reine mÕavait dit, lui rŽpondis que quand il voudrait tromper un tiers et mÕassocier en cette affaire, que je lui aiderais volontiers ; mais que pour tromper mon beau-frre, je lui priais quÕil en employ‰t un autre, car je lui Žtais trop proche ; et ensuite Mr de Saint-Luc lui en ayant tŽmoignŽ un peu de froideur, il se persuada que je lui avais animŽ et mÕen fit la mine ; et ensuite, assistŽ de sa femme, commencrent ˆ imprimer dans lÕesprit de la reine que je faisais vanitŽ de la bonne chre quÕelle me faisait, et que lÕon en parlait : ils lui dirent ensuite que je lui aliŽnais ses serviteurs, et que je mutinais le monde contre elle.

 

Septembre. Ń Il arriva en ce mme temps que je revins ˆ Fontainebleau aprs avoir accommodŽ ˆ Paris, par lÕordre de la reine, les diffŽrends de Mrs de Montbason et de Brissac qui Žtaient prts ˆ se brouiller, et fait consentir Mr de Boisdauphin que La Varrenne fžt lieutenant de roi dÕAnjou. La reine mÕen sut grŽ, et mme peu de jours avant venir ˆ Fontainebleau, mÕayant vu un jour triste, elle demanda ˆ madame la princesse de Conty ce qui en Žtait la cause : elle lui dit que je nՎtais pas sans beaucoup de raison de lՐtre, voyant quÕaprs tant de services, de temps, et de dŽpenses faites ˆ la cour, jÕy Žtais sans charge et sans Žtablissement, et elle prte de sortir de sa rŽgence, pendant laquelle jÕavais servi si fidlement et avec tant de passion. Elle lui dit : Ē Il a raison, mais dites-lui quÕil se fie en moi, et que je pense ˆ lui, que je nÕoublierai pas. Č Le soir mme qui Žtait la veille de son partement pour Fontainebleau, aprs mÕavoir donnŽ quelques commissions pour son service ˆ Paris (o je lui avais suppliŽ de me permettre de demeurer huit jours), elle me commanda de venir ˆ Lesigny o elle allait d”ner en partant de Paris, ce que je fis ; et lˆ elle me fit encore les mmes assurances et me dit de plus que je nÕavais pas faute de gens qui me voulaient brouiller avec elle, mais que je vŽcusse en repos et quÕils nÕen seraient pas capables.

NŽanmoins ˆ mon arrivŽe ˆ Fontainebleau je vis, ce me semble, un peu de changement, et quelques jours aprs, le marquis et sa femme continuant leurs pratiques, jÕaperus une froideur entire. Je nÕen fis nŽanmoins point de semblant, et un jour (octobre) Mrs de CrŽquy, de Saint-Luc, et de la Rochefoucaut Žtant tous trois venus sans train, en intention de loger et coucher avec moi, jÕempruntai une chambre de Zamet ˆ la conciergerie o nous couch‰mes, Mr de la Rochefoucaut et moi, et laissai la mienne ˆ Mrs de Saint-Luc et de CrŽquy. Or Mrs de Saint-Luc et de la Rochefoucaut ne se parlaient point pour quelque jalousie de Mlle de Nery : nous juge‰mes, Mr de CrŽquy et moi, biensŽant dÕempcher cette froideur entre amis, et les n™tres si particuliers ; Mr de CrŽquy me dit : Ē Parlez-en de votre c™tŽ ˆ votre camarade, et jÕen ferai de mme du mien, et si nous y voyons jour, demain au matin nous les ferons embrasser. Č

Je lui mandai le lendemain que, si son homme en Žtait content, le mien Žtait plus que disposŽ de lÕembrasser, et quÕen ce cas ils sÕen vinssent au jardin de la Diane o nous les attendrions. Le marquis dÕAncre Žtait de fortune alors ˆ la chambre de la reine qui nous vit promener, la Rochefoucaut et moi, ensemble ; il dit ˆ la reine : Ē Venez voir, Madame, comme Bassompierre t‰che dÕanimer la Rochefoucaut contre vous de ce quÕil nÕa point eu la lieutenance gŽnŽrale de Poitou. Č La reine se leva de sa petite chaire o elle se coiffait pour regarder ˆ la fentre, et vit en mme temps que Mrs de CrŽquy et Saint-Luc venaient ˆ nous, que nous f”mes embrasser et les embrass‰mes aussi avec beaucoup de tŽmoignages de tendresse et dÕaffection. Alors le marquis prenant son temps lui dit : Ē Par Dieu, Madame, tout cela est contre vous : ils font une brigue, et je veux mourir si Bassompierre ne les assure de Mr de Rohan, CrŽquy de Mr des Diguieres, et les autres rŽciproquement ˆ eux. Il est fort aisŽ ˆ juger par leurs gestes ; autrement ˆ quoi seraient bonnes toutes ces embrassades ˆ gens qui se voient incessament ? Č

La reine fut tellement susceptible de cette crŽance que, sans lÕapprofondir davantage, elle nous fit ˆ tous quatre la mine : mais les trois sÕen Žtant allŽs, ou ˆ Paris, ou en leurs pays, elle continua sur moi avec tant de violence quÕelle dit assez haut quÕil y avait des gens qui se mlaient de faire des ligues contre le service du roi et le sien, mais que si elle en pouvait dŽcouvrir quelque chose, quÕelle les ferait si bien ch‰tier que les autres y prendraient exemple ; puis en carrosse, parlant de moi aux princesses, elle leur dit que je faisais des choses contre son service, dont je me pourrais bien repentir : elles me le dirent au retour, et moi ˆ Mr de Guise, ˆ qui la reine tenant ce mme discours, en repartit fort noblement, et demanda ˆ la reine moyen et heure que je lui pusse parler. Elle lui donna sa galerie, au retour de son promenoir, parce, ˆ mon avis, quՈ ces heures lˆ le marquis ni sa femme nՎtaient point dÕordinaire prs dÕelle ; et ce qui me le fait croire est que toutes les fois que lÕon ouvrait la porte de la galerie, elle se tournait pour voir sÕils nÕentraient point. Je lui parlai assez longtemps et bien hardiment, me plaignant au lieu de mÕexcuser ; et la reine me fit para”tre de la bontŽ mme dans son courroux ; et lui ayant dit que si cՎtait pour ne me point donner la charge de premier gentilhomme de la chambre, quÕelle mÕavait promise, ce quÕelle en faisait, que je lÕen quittais pourvu quÕelle me f”t la gr‰ce de me croire ce que jՎtais, fort homme de bien et incapable de manquer jamais au trs humble service que je lui avais vouŽ, elle se f‰cha de ce discours, et me dit quÕelle nՎtait pas personne ˆ manquer ˆ ce quÕelle mÕavait promis, quÕelle observerait sans faute ; et que selon que je me gouvernerais ˆ lÕavenir, elle aurait connaissance si ses soupons Žtaient vrais ou faux, et ainsi se sŽpara de moi qui demeurai huit ou dix jours en cet Žtat-lˆ sans amendement, et elle ne me parlant point.

En ce mme temps Mr le Grand revint ˆ la cour, qui fut bien vu du roi et de la reine (novembre).

Aprs avoir demeurŽ en cet Žtat dÕindiffŽrence, ma patience sÕacheva, et me rŽsolus de quitter la cour, la France, et le service du roi et de la reine, et dÕaller chercher une plus heureuse fortune ailleurs, bien que de belles personnes fissent lÕimpossible pour me dŽtourner de ce dessein. Je le dis ˆ Sauveterre, et quÕil me trouv‰t une occasion de parler ˆ la reine pour me licencier dÕelle, qui sÕen devait le lendemain aller ˆ Paris voir monsieur son fils qui y Žtait malade, et avait priŽ toute la cour de lÕy laisser aller seule et de demeurer auprs du roi. Sauveterre, ˆ mon avis, lui dit ce pourquoi je dŽsirais lui parler ; car comme jÕentrai ˆ son cabinet, elle me dit : Ē Bassompierre, je mÕen vas demain ˆ Paris et ai commandŽ ˆ tout le monde de demeurer ici ; mais pour vous, si vous y voulez venir, je vous le permets et vous y parlerai : mais ne prenez pas mon mme chemin, afin que lÕon ne dise pas quՈ la rgle gŽnŽrale jÕy fasse quelque exception. Č Cela me ferma la bouche, et le lendemain Mrs de CrŽquy, Saint-Luc, et moi, nous nous en v”nmes ˆ Paris et all‰mes attendre la reine en sa descente au Louvre, et la men‰mes chez Monsieur. Les autres sÕen allrent, et je demeurai jusques ˆ ce quÕelle fžt en son cabinet, o jÕeus tout loisir de lui parler, et en sortis avec assurance quÕelle ne croyait rien de ce que lÕon lui avait voulu persuader, dont je lՎclaircis entirement.

La reine trouva Monsieur en meilleur Žtat que lÕon ne lui avait mandŽ, et aprs avoir demeurŽ deux jours prs de lui, elle sÕen revint passer la Toussaints et la Saint-Martin ˆ Fontainebleau (novembre), et puis sÕen revint par Villeroy ˆ Paris o elle demeura (dŽcembre) et parvint en lÕannŽe 1614 que les brouilleries commencrent ˆ se former.

1614.

Remuement des Princes

Janvier.Ń Mr de Rohan avait brouillŽ les cartes en Poitou et ˆ la Rochelle ; et Mr le Prince avec Mrs de Nevers et du Maine, joints au marŽchal de Bouillon, faisaient leurs pratiques, en sorte que la reine en dŽcouvrit quelque chose, et pour cet effet voulut mettre une armŽe sur pied. Mais comme le principal corps de la dite armŽe devait tre composŽ de six mille Suisses, et que Mr de Rohan Žtait leur colonel-gŽnŽral, la reine se rŽsolut de rŽcompenser cette charge et la tirer de ses mains. Mr de Villeroy qui a toujours affectionnŽ la maison de Longueville, proposa ˆ la reine de la donner ˆ Mr de Longueville ; quÕelle le pourrait retirer par ce moyen dÕavec Mr le Prince. Mais elle ne sÕy voulut pas fier : elle proposa ma personne aux ministres, disant que je nÕy serais pas mal propre, tant ˆ cause de la langue allemande que jÕavais commune avec les Suisses que pour tre leur voisin. Mais Mr de Villeroy qui avait son dessein formŽ, dit ˆ la reine que par les anciennes capitulations des rois de France avec les cantons, il Žtait expressŽment portŽ que ce serait un prince qui serait leur colonel-gŽnŽral, et mme quÕil Žtait portŽ prince du sang, mais quÕils sÕen Žtaient rel‰chŽs ; nŽanmoins que des princes lÕavaient toujours ŽtŽ, assavoir un de Beaujeu, prince du sang, et un autre ensuite ; puis Engilbert, Mr de Clves ; de lˆ, trois princes de la maison de Longueville, dont le dernier, qui Žtait petit fils de Glaude de Guise, Žtant mort jeune, son grand pre empiŽta ses deux charges de grand chambellan et de colonel-gŽnŽral des Suisses, dont il fit pourvoir ses deux enfants, et quÕenfin monsieur le connŽtable Anne de Montmorency en fit pourvoir son fils de Meru, dont les Suisses grondrent, qui nŽanmoins le souffrirent ˆ cause de la grande autoritŽ et rŽputation de monsieur le connŽtable ; que Mr de Meru fut aidŽ par Mr de Sansy pour obtenir du feu roi la charge dÕamiral de France en intention dՐtre pourvu en sa place de celle de colonel-gŽnŽral, mais que feu Mr le comte de Soissons, qui le ha•ssait, porta les Suisses, au renouvellement de lÕalliance avec le feu roi, de demander que ce fžt un prince qui fut leur colonel-gŽnŽral, et que Mr de Sully avait portŽ le roi ˆ nommer Mr de Rohan pour cet effet, et quÕil avait Žcrit auxdits Suisses quÕils le devaient recevoir en cette qualitŽ puisquÕil lՎtait du sang de deux royaumes desquels il pouvait hŽriter, assavoir de Navarre et dÕEcosse. Sur ces raisons, la reine dŽsista de me proposer pour cette charge et leur nomma le chevalier de Guise, et le mme Mr de Villeroy continuant son premier dessein : Ē Cette Žlection donnera bien ˆ crier et un spŽcieux prŽtexte ˆ ceux qui veulent brouiller et qui se plaignent dŽjˆ de la faveur que vous faites ˆ ceux de cette maison ˆ leur prŽjudice. Č Sur cela le conseil se leva, la reine leur disant : Ē Il faudra donc penser ˆ quelquÕun qui soit propre pour cela. Č

Comme elle fut revenue ˆ son cabinet, elle me dit : Ē Bassompierre, si vous eussiez ŽtŽ prince, je vous eusse donnŽ aujourdÕhui une belle charge Č Je lui rŽpondis : Ē Madame, si je ne le suis, ce nÕest pas que je nÕeusse bien envie de lՐtre ; mais nŽanmoins je vous puis assurer quÕil y en a de plus sots que moi. Č Ē JÕeusse ŽtŽ bien aise que vous lÕeussiez ŽtŽ, me dit elle, car cela mÕežt empchŽ dÕen chercher un qui soit propre pour ce que jÕen ai maintenant affaire. Č Ē Madame, se peut-il savoir ˆ quoi ? Č Ē Ė en faire un colonel-gŽnŽral des Suisses, Č me dit elle. Ē Et comment, Madame, ne le pourrais-je pas tre si vous le vouliez ? Č Elle me dit comme ils avaient capitulŽ avec le roi quÕautre quÕun prince ne pourrait tre leur colonel-gŽnŽral.

Comme nous nous en allions d”ner, je rencontrai par fortune le colonel Galaty en la cour du Louvre, qui, selon sa coutume, me vint saluer, auquel je dis ce que la reine mÕavait dit, lequel me rŽpondit quÕil se ferait fort de me faire agrŽer aux Suisses, et que, si je lui voulais commander, il partirait ds le lendemain pour en avoir leur consentement. Cela me fit remonter en la chambre de la reine pour lui dire que, si elle voulait, les Suisses y consentiraient. Elle me dit : Ē Je vous donne quinze jours, voire trois semaines de temps pour cela ; et si vous les pouvez disposer, je vous donnerai la charge. Č

Alors je parlai ˆ Galaty qui me pria de lui faire avoir son congŽ pour aller au pays, et quÕil partirait lÕaprs-demain, ce que je fis ; et au temps quÕil mÕavait promis il mÕenvoya une lettre des Cantons assemblŽs ˆ Soleure pour lÕoctroi de la levŽe que le roi demandait, par laquelle ils mandaient au roi que, sÕil lui plaisait mÕhonorer de cette charge, ils me recevraient dÕaussi bon cĻur que quelque prince que lÕon y sžt mettre.

Sur cela la reine me commanda dÕenvoyer vers Mr de Rohan, lequel envoya sa procuration ˆ Mrs Arnaut et de Murat qui conclurent avec moi ; et parce que je voyais que le payement de la somme serait long, jÕoffris ˆ la reine dÕavancer lÕargent, pourvu quÕil lui plžt mՎcrire quÕelle me le commandait, ce quÕelle fit ; et moi jÕeus mes expŽditions (mars), et prtai le serment le 12me de mars de la dite annŽe 1614.

Deux jours aprs vinrent les nouvelles comme Mr le Prince et Mr de Nevers avaient pris MŽzires mal gardŽ par la Vieville qui en Žtait gouverneur et Žtait lors ˆ Paris : ils se saisirent ensuite de Sainte-Menehou (avril). Ce qui obligea le roi ˆ faire une levŽe de six mille Suisses que je fus recevoir au commencement de mai ˆ Troyes. Ils Žtaient en deux rŽgiments de trois mille hommes chacun, commandŽs par les colonels Galaty et Feugly. Nous v”nmes ˆ Basoche, puis ˆ la GrandÕParroisse et ˆ Nogent, de lˆ ˆ Villenosse la Petite, ayant la tte tournŽe vers Paris. Mais je reus un courrier du roi qui me commanda dÕaller trouver avec ces deux rŽgiments Mr de Pralain qui assemblait lÕarmŽe ˆ Vitry. Je mÕy en vins en quatre journŽes. Cette arrivŽe des Suisses alarma les princes assemblŽs ˆ Sainte-Menehou dÕo ils se voulurent retirer : enfin ils voulurent quÕau moins moi, qui leur Žtait suspect, se retir‰t ; et Mrs de Ventadour et prŽsident Jeannin, qui Žtaient commissaires du roi pour traiter avec eux, mՎcrivirent que la reine avait besoin de mon service prs dÕelle, et quՈ mon arrivŽe elle me dirait pourquoi cՎtait. Je mÕy en allai en diligence, et elle mÕen dit la cause.

Je demeurai peu de jours ˆ Paris sans que la paix fžt conclue, en laquelle on donna ˆ Mr le Prince le ch‰teau dÕAmboise pour place de sžretŽ ; les Suisses furent mis en garnison ˆ Sesanne et ˆ Barbonne en Brie (juin), o je les vins trouver et demeurai quelques jours avec eux ˆ faire bonne chre.

Je reus lˆ la nouvelle de la mort du chevalier de Guise tuŽ aux Baux, ch‰teau de Provence, de lՎclat dÕun canon qui creva comme lui-mme y mettait le feu. Messieurs ses parents en furent extrmement affligŽs : jÕallai ˆ Paris les voir, et y demeurai quelques jours pendant lesquels mon cousin le comte Reingraf qui ne pouvait plus souffrir la vie dŽshonnte que sa sĻur lÕabbesse de Remiremont menait ˆ Paris, mÕenvoya un de ses gens me prier de donner ordre de la tirer de lˆ, ce que je fis par la permission de la reine, et une aprs-d”ner la fis mettre en un carrosse, accompagnŽe de trente chevaux, et lÕenvoyai ˆ Sesanne en mes quartiers, o de lˆ son frre mÕenvoya la quŽrir.

La paix Žtant accomplie, la reine se rŽsolut de ne retenir que trois mille Suisses et licencier les autres. Pour cet effet je mÕen allai donner congŽ et les cha”nes dÕor (selon la coutume) au colonel Feugly, et amenai le rŽgiment de Galaty par Rosoy en Brie ˆ Milly o Mr le marŽchal de Brissac qui commandait la petite armŽe que le roi voulait mener en Bretagne avec lui, et Mr de Saint-Luc marŽchal de camp, se trouvrent.

Aprs leur avoir livrŽ ce rŽgiment je mÕen vins ˆ OrlŽans trouver Leurs MajestŽs qui en partirent le lendemain pour aller ˆ Blois, puis ˆ Pontlevoir, et ˆ Tours, de lˆ ˆ Poitiers o il y avait eu quelque rumeur peu de temps auparavant, un gentilhomme nommŽ La Trie et Mr le marquis de Boysy en ayant ŽtŽ chassŽs par la brigue de lՎvque et dÕun sŽditieux nommŽ Berlan.

Le roi et la reine y demeurrent quelques jours, puis vinrent par Loudun ˆ Saumur, et de lˆ ˆ Angers (aožt), o les nouvelles arrivrent de la mort de Mr le prince de Conty.

DÕAngers nous v”nmes ˆ Ansenis, et dÕAnsenis ˆ Nantes o le roi fit son entrŽe deux jours aprs, venant de la fosse de Nantes pour la faire mieux para”tre. On y tint les Žtats de la province, et le roi fut ˆ lÕouverture o lÕabbŽ de Saint-Main fit une belle harangue et fort hardie contre Mr de Vend™me : Mr de Rohan fut prŽsident aux Žtats : Mr de Vend™me y arriva sur la fin, et lÕon rasa Blavet.

Je mÕen allai ˆ Belin, maison de Mr de Rohan, qui mÕen pria, et de lˆ revins trouver Leurs MajestŽs ˆ Angers, qui en partirent le lendemain, et allrent par la Flche (o on leur fit une comŽdie dՎcoliers), et puis ˆ Malicorne. Il parut au dit Malicorne, la nuit que le roi y fut, en une prairie, plus de huit cents feus qui avanaient et reculaient comme si cÕežt ŽtŽ un ballet.

De lˆ, le roi alla au Mans, puis ˆ Chartres, et ˆ Paris o les Žtats gŽnŽraux Žtaient convoquŽs.

 

Octobre. Ń Madame la princesse fut en cette automne-lˆ ˆ lÕextrŽmitŽ dÕune violente petite vŽrole ˆ Amboise, que Mr le Prince remit entre les mains du roi, qui lui avait donnŽe pour place de sžretŽ jusques ˆ la tenue desdits Žtats gŽnŽraux : et le roi Žtant entrŽ en sa quatorzime annŽe, alla au parlement faire la dŽclaration de sa majoritŽ, laissant nŽanmoins lÕadministration du royaume ˆ la reine sa mre, laquelle de ce jour-lˆ ne fut plus rŽgente.

 

Novembre. Ń Les trois mille Suisses qui avaient accompagnŽ le roi en Bretagne, furent mis en garnison ˆ Estampes ˆ leur retour, o la maladie les accueillit de sorte que plus du tiers en mourut, et on remit les compagnies de 300 hommes ˆ 160 ; puis comme ils commencrent ˆ se mieux porter, on leur changea dÕair et mit-on en garnison ˆ Meaux (dŽcembre).

1615.

Janvier.Ń LÕannŽe 1615 commena par la contestation de lÕarticle du tiers Žtat qui fit un peu de rumeur dans les Žtats ; enfin on le pl‰tra.

La foire de Saint-Germain survint, puis le carme-prenant (fŽvrier), auquel Mr le Prince fit un beau ballet, et le lendemain fut la conclusion des Žtats.

Quelques jours aprs Madame dansa ce grand et beau ballet ˆ la salle de Bourbon o les Žtats sՎtaient tenus, lequel ne put tre dansŽ le jour que lÕon avait proposŽ, pour le grand monde qui emplit la salle, ou lÕordre qui ne fut bien gardŽ ; pour ˆ quoi remŽdier, la reine commanda ˆ Mr dÕEpernon et ˆ moi de garder les avenues et ne laisser passer que ceux qui auraient des mŽreaux pour marque de pouvoir entrer : ainsi lÕordre fut trs bon (mars). Comme jՎtais ˆ lÕexŽcuter, il me vint un courrier qui mÕapporta nouvelle de lÕextrŽmitŽ de la maladie de ma mre : mais la reine ne me voulut souffrir de partir quÕaprs le ballet, auquel lieu je passai bien ma soirŽe en tant que les yeux le peuvent faire.

Je pris donc congŽ de la reine et des dames, et mÕen allai trouver ma mre que la joie de me voir remit en quelque santŽ ; et ayant demeurŽ quinze jours avec elle, jÕallai de lˆ voir mes amis en Allemagne (avril), et puis mÕen revins peu aprs P‰ques ˆ Paris.

JÕai dit ci-dessus que jՎtais allŽ ˆ Rouen en grande compagnie quand le procs que jÕavais contre Antragues fut sur le bureau, et que mes parties, voyant quÕinfailliblement elles seraient condamnŽes, sÕavisrent, pour un dernier remde, de dire quÕelles avaient su que jÕavais des parents au degrŽ de lÕordonnance, en nombre suffisant dans ledit parlement pour le pouvoir rŽcuser, demandrent une Žvocation et que cependant quÕils informeraient, le parlement fžt interdit de conna”tre de notre procs. JÕoffris alors au parlement que si jÕavais, non le nombre de parents capable dՎvocation, mais un seul au degrŽ de lÕordonnance, je consentais de perdre ma cause. NŽanmoins il fallut cŽder aux formes qui leur donnaient temps dÕinformer : et par ces chicaneries, et autres semblables, firent en sorte que je ne pus depuis ce temps-lˆ avoir jugement de mon procs. Mais comme ils nÕavaient plus de refuites, ils sÕavisrent, par le conseil de lՎvque de Beauvais qui lÕaffectionnait, dÕenvoyer demander ˆ Rome des juges dŽlŽguŽs pour conna”tre de cette affaire, ce qui nÕest point usitŽ si les deux parties nÕen conviennent, ou que ce ne soit aprs que le diocŽsain, le mŽtropolitain, et le primat, auraient donnŽ des sentences diverses. NŽanmoins subrepticement ils en extorqurent, et demandrent lՎvque de Senlis, qui Žtait Mr le cardinal de la Rochefoucaut, lequel ils savaient bien quÕil ne lÕentreprendrait pas contre les formes ; lՎvque de Laon, de la maison de Nangis, et qui Žtait mon cousin, afin dÕavoir lieu de le rŽcuser ; et lÕarchevque dÕAix, qui Žtait un saffranier [misŽrable] et un fripon, tenu pour fou et qui pour douze cents Žcus que lՎvque de Beauvais lui avait promis, sÕoffrit de faire tout ce quÕil demanderait de lui : mais, par malheur, comme on le vint ˆ proposer ˆ Rome o il nՎtait pas moins dŽcriŽ que connu pour tel quÕil Žtait, il fut refusŽ, ce qui fit avoir recours ˆ une autre ruse qui Žtait que, puisquÕils ne se souciaient pas que la chose fžt bonne et valable pourvu quÕelle fžt, ils demandrent lՎvque de Dacs ˆ cause de la conformitŽ des noms [qui sont tous deux aquensis] et nÕy avait que la diffŽrence dÕarchevque et dՎvque, et celle du rang ; car lÕarchevque ežt ŽtŽ nommŽ le premier et lՎvque le dernier. Ayant extorquŽ cette chose de Rome sans ma participation, rŽquisition, consentement, ni connaissance, lÕarchevque dÕAix (qui nՎtait ni mon Žvque, ni mon mŽtropolitain), sans tre nommŽ dans la commission, mais seulement lՎvque de Dacs, et, quand tout cela eut ŽtŽ, sans appeler ses associŽs en la commission, sans lesquels il ne pouvait agir, sans me faire citer, moi absent en Allemagne, envoya ˆ mon logis et parlant ˆ un Suisse, lui laissa un exploit quÕil nÕentendait point : au bout de trois jours, sans ou•r les parties, ni contestation, ni refus mme de me prŽsenter, ou autre formalitŽ, il dŽclara de sa pure autoritŽ une promesse de mariage quÕil ne vit point (car elle Žtait avec les autres pices du procs ˆ Rouen), bonne et valable, et me condamna de lÕaccomplir quinze jours aprs P‰ques sur peine dÕexcommunication. Je ne sus rien de tout cela que la veille que je partis de Nancy o Žtait ma mre, et mÕen vins ˆ Paris o dÕabord je fis casser tout ce que ce fou enragŽ avait fait, et eus une prise de corps contre lui et congŽ de la reine, (indignŽe, comme tout le monde, de lÕinfamie de cet homme), non seulement de lÕexŽcuter, mais de prendre deux-cents mousquetaires suisses pour le conduire plus sžrement aux prisons de Rouen. Il se tint quelques jours cachŽ, mais non si bien que je nÕen eusse quelque vent, quand monsieur le nonce qui craignait ce scandale, et les autres Žvques qui Žtaient en peine de lÕaffront que ce galant homme allait recevoir, me parlrent de mÕen dŽsister, en me promettant que le clergŽ demanderait au pape des nouveaux juges, et le nonce me donnant parole que Sa SaintetŽ dans trois mois au plus tard casserait, comme avait dŽjˆ fait le parlement, toutes les procŽdures de cette bte ; ce quÕil fit, et me donna le choix des personnes quÕil dŽlŽguerait en France pour achever et terminer ce procs : mais je nÕen voulus aucun jusques ˆ ce que jÕeusse eu un plein et entier jugement du parlement o jՎtais attachŽ et o cette cause Žtait retenue.

 

Mai. Ń Je me trouvai ˆ ce retour en de trs grandes perplexitŽs, non seulement ˆ cause de cette affaire-lˆ, mais aussi pour plus de seize cents mille livres que je devais ˆ Paris sans moyen de les payer ; et mes crŽanciers qui me voyant aller sur le sujet de lÕextrŽmitŽ de la maladie de ma mre, avaient eu quelque espŽrance que des biens dont jÕen heriterais je les pourrais satisfaire, me voyant revenir et ma mre garantie de son mal, Žtaient hors dÕespŽrance de pouvoir sortir dÕaffaires avec moi, et par consŽquent fort mutinŽs. Il y avait aussi brouillerie en une maison entre un mari et une femme, dont jՎtais le principal sujet, qui me mettait en peine (juin) : mais plus que tout cela une fille grosse de sept mois, que je nÕattendais que lÕheure que lÕon sÕen aperžt avec un grand scandale et une mauvaise fortune pour moi.

Il arriva que peu de jours aprs jÕeus les cassations des procŽdures de ce bel archŽvque dÕAix ; que la mort de ma mre qui mÕapporta quelque cinquante mille Žcus dÕargent et me donna moyen de vendre pour cent mille Žcus de bien, et cent mille francs que jÕeus de tous les dons verifiŽs que jÕavais (juillet) dont je traitai avec un nommŽ Verton, me firent payer sept cents mille livres de dettes, qui me mirent fort ˆ mon aise ; la brouillerie qui Žtait entre mari et femme sÕaccommoda (aožt) ; la fille accoucha heureusement, et sans que lÕon sÕen apperžt, le 13me dÕaožt ; et je mÕen allai ˆ Rouen o je gagnai mon procs contre Antragues ˆ pur et ˆ plein : de sorte que je fus dŽlivrŽ en mme ou peu de temps de tous ces divers et f‰cheux inconveniens.

Le parlement fit des remontrances au roi, qui furent mal reues.

La reine vint tirer huit cent mille Žcus qui restaient en la Bastille, et fit prendre prisonnier le prŽsident le Jay qui fut menŽ ˆ Amboise.

Le roi, la reine, et Madame, partirent le 18me dÕaožt pour aller ˆ Bordeaux achever les doubles mariages dÕEspagne, o je pensais les devoir accompagner ; mais comme Mr le Prince et ses partisans se mirent en mme temps en campagne pour divertir le roi de son voyage et brouiller les cartes, le roi mit une armŽe sur pied, de laquelle il fit Mr le marŽchal de Boisdauphin lieutenant gŽnŽral, et Mr de Pralain marŽchal de camp ; il me commanda de demeurer avec eux, et laissa le rŽgiment des Suisses de Galaty en ladite armŽe.

Nous fžmes conduire le roi et la reine jusques ˆ Berny, et puis rev”nmes ˆ Paris, o aprs avoir demeurŽ peu de jours pendant que lÕarmŽe se mettait sur pied, jÕallai cependant le 26me dÕaožt, gagner mon procs ˆ Rouen o je vis la premire fois Mlle Tourmente avec laquelle je fis connaissance (septembre).

Ė mon retour de Rouen, qui fut le 6me, je trouvai que Mr le marŽchal de Boisdauphin Žtait dŽjˆ parti pour aller ˆ Meaux, ce qui fit que je ne sŽjournai quÕun seul jour ˆ Paris et en partis le mardi 8me de septembre, jour de Notre Dame, et le vins trouver ˆ Meaux, dÕo il partit le lendemain avec ce quÕil avait dÕarmŽe et vint loger ˆ Assy.

Le jeudi 10me il arriva ˆ CrŽpi en Vallois et y sŽjourna le lendemain.

Le samedi 12me il vint au Pont-Sainte-Maxence, et le lendemain monsieur le marŽchal envoya Mr de Pralain avec deux couleuvrines, et moi avec six compagnies de Suisses, pour assiŽger Creil sur Oise, ayant aussi donnŽ rendez-vous ˆ 17 compagnies du rŽgiment de PiŽmont de sÕy trouver en mme temps, lesquelles nÕy arrivrent ˆ temps. Mr de Pralain envoya sommer le capitaine qui y commandait pour madame la Comtesse, (nommŽ Rimbaut), de rendre le ch‰teau, ce quÕil fit aprs avoir vu notre canon. JÕen fus prendre possession, et peu aprs arrivrent les compagnies de PiŽmont desquelles jÕen laissai une ˆ Creil et revins avec les autres et les Suisses au Pont-Sainte-Maxence, o Mr le marŽchal sŽjourna encore le lundi 14me.

Le mardi 15me lÕarmŽe vint loger ˆ Verberie, auquel lieu les ennemis vinrent la nuit nous donner quelque alarme au guŽ de la rivire qui est devant Verberie ; mais ils y trouvrent une compagnie de Suisses qui les fit retirer ˆ coups de mousquets.

Nous y sŽjourn‰mes encore le lendemain, et le jeudi 17me nous primes le logement de Verneul pour tre plus commode pour faire tte ˆ Mr le Prince en cas quÕil voulžt passer la rivire dÕOise pour venir ˆ Paris, comme lÕon disait. Il prit cependant Chauny, et Žtant venu devant Montdidier, il en fut repoussŽ ; et de lˆ nous tenant en jalousie sÕil tirerait vers la rivire de Marne o vers celle dÕOise, nous obligea de demeurer audit Verneul jusques au mercredi 23me, que nous pr”mes le logement de Baron, o nous sŽjourn‰mes le jeudi et le vendredi ; puis le samedi 26me nous pr”mes celui de Dammartin, et y demeur‰mes jusques au mercredi 30me que nous rev”nmes ˆ Meaux, auquel lieu notre armŽe se fortifia de plusieurs diverses troupes de cavalerie et infanterie qui sÕy vinrent joindre.

Nous en part”mes le samedi 3me octobre et v”nmes loger ˆ Fermoustier o nous sŽjourn‰mes le dimanche, et le lundi 5me all‰mes ˆ la FertŽ Gaucher ; le mardi 6me ˆ Montmirail ; le mercredi ˆ Montmort, pensant pouvoir aller secourir Epernai que Mr le Prince assiŽgeait et lÕy combattre, puisque nous nÕavions pu sauver Ch‰teau-Thierry quÕil avait pris trois jours auparavant : mais nous ežmes avis comme ceux dÕEpernai avaient ouvert les portes ˆ son armŽe, et quÕil Žtait dŽlogŽ pour aller ˆ Sesanne en Brie, ce qui nous fit aller le jeudi 8me loger ˆ un village nommŽ Baye ; et ayant envoyŽ le rŽgiment de Vaubecourt gagner la chaussŽe de Saint-Pris par o nous pouvions passer le marais de Saint-Gon qui dure prs de quinze lieues de long, il arriva que le sieur Descures marŽchal des logis gŽnŽral de lÕarmŽe, en qui monsieur le marŽchal et Mr de Pralain avaient toute confiance et croyance, tomba extrmement malade, et ces messieurs en une telle irrŽsolution que lÕon ne les pouvait porter ˆ aucun dessein. Cependant nous voyions que Mr le Prince allait prendre Sesanne sur notre moustache, dont tous les chefs de lÕarmŽe Žtaient dŽsespŽrŽs ; nous all‰mes, Mr de Richelieu, ma”tre de camp du rŽgiment de PiŽmont, Mrs de Vaubecourt, Bourg Lespinasse, et moi, trouver Mr de Refuges intendant des finances et de justice de notre armŽe, personnage de rare vertu, pour le prier dÕanimer nos gŽnŽraux et marŽchal de camp ˆ se rŽsoudre. Il nous dit quÕil nÕavait pas dŽjˆ manquŽ de les y presser, mais quÕils lui avaient rŽpondu quÕil nous fallait voir la contenance et le dessein de lÕennemi pour, sur cela, former le n™tre, et que la maladie de Descures auquel ils croyaient comme ˆ un ange, les tenait ainsi en suspens. Je leur dis alors : Ē Voyons Descures et le persuadons de leur mander que sÕils ne passent la chaussŽe pour gagner Sesanne, Mr le Prince la prendrait infailliblement le lendemain ; Č ce que nous f”mes, et Descures jugea comme nous quÕil nous fallait fortement passer la chaussŽe, et leur manda quÕil la fallait nŽcessairement passer et aller aux ennemis. Monsieur le marŽchal dit quÕil voulait attendre quelques troupes qui lui devaient venir et jouer ˆ jeu sžr. Sur cela Descures lui manda quÕil nÕy avait plus lieu dÕattendre, et que sÕil ne passait, il ruinait les affaires du roi. Alors il vint lui-mme pour sÕen rŽsoudre avec Descures, o il nous trouva ; et fut conclu que Vaubecourt passerait encore le jour-mme avec son rŽgiment et prendrait quelque poste avantageux ; que PiŽmont tiendrait le bout de deˆ de la chaussŽe ; et que tous deux feraient passer toute la nuit les bagages de lÕarmŽe que nous f”mes accompagner de quatre compagnies de carabins : et lÕon donna rendez-vous au reste de lÕarmŽe au bord de la chaussŽe au lendemain ˆ la pointe du jour ; ce qui sÕexŽcuta ponctuellement, et Mr de Pralain passa le vendredi 9me la chaussŽe avec la compagnie de gens dÕarmes de la reine mre quÕil commandait, me laissant la charge et lÕordre pour faire passer le reste, puis de faire la retraite avec les neuf compagnies de chevau-lŽgers ordonnŽes pour cet effet ; ce que je fis sans dŽsordre, hormis que celui qui porta lÕordre aux chevau-lŽgers se perdit la nuit et ne leur porta quÕau jour, ce qui fut cause quÕelles arrivrent comme tout achevait de passer, et je laissai pour la retraite les compagnies de gens dÕarmes de Lorraine, Vaudemont, et Monbason, qui Žtaient du rŽgiment de cavalerie dont on mÕavait donnŽ le commandement. Comme le rŽgiment de Picardie, (dont Mr du Maine avait quelques jours auparavant dŽfait quatre compagnies au Bac ˆ Choisy, comme elles venaient au rendez vous de lÕarmŽe), qui avait la retraite comme premier rŽgiment, commenait ˆ dŽfiler, nous v”mes marcher de loin douze ou quinze gros de cavalerie qui Žtaient nos chevau-lŽgers ; mais lÕon crut que cՎtaient les ennemis : je pris mes trois compagnies de gens dÕarmes pour tenir ferme et payer de nos vies pour faire passer le rŽgiment, ce quÕil fit, et bien vite ; mais les ayant envoyŽ reconna”tre, nous trouv‰mes que cՎtaient des n™tres.

Ainsi nous gagn‰mes Sesanne en Brie et loge‰mes notre armŽe aux environs : et ˆ peine Žtaient nos carabins et chevau-lŽgers logŽs, que les ennemis vinrent porter lÕalarme quand et eux, ce qui les fit remonter ˆ cheval en diligence et envoyer leurs bagages au quartier de PiŽmont. Les ennemis avaient cinq gros de cavalerie qui paraissaient sur un tertre sans se bouger, sinon que quand ils nous virent avancer, ils se retirrent avec bon ordre derrire ce tertre ; et comme nous f”mes halte, croyant que leur armŽe entire Žtait au vallon, ils remontrent et furent en cet Žtat jusques ˆ la nuit, quÕils se retirrent. Nos carabins prirent quelques valets de leur armŽe qui nous dirent quÕils se prŽparaient pour nous venir combattre le lendemain ; et je pense que les ennemis les avaient fait prendre exprs pour nous dire cette nouvelle, afin de nous cacher leur dessein qui Žtait de passer leur armŽe le marais de Saint-Gon ˆ Pleurs o il y a une chaussŽe, afin de mettre ledit marais entre eux et nous pour pouvoir en sžretŽ aller gagner la rivire de Seine et la passer avant que nous nous pussions opposer ˆ leur passage.

Sur cet avis conforme aux apparences nous nous m”mes en Žtat de donner bataille, en cas quÕils se prŽsentassent, le samedi matin 10me : mais les mmes cinq gros parurent seulement sur le mme tertre quÕils avaient fait le jour prŽcdent, ce quÕils ne firent ˆ autre dessein que pour nous cacher le passage de leur armŽe sur la chaussŽe de Pleurs ; ce quÕils continurent encore le dimanche 11me : mais nous ne m”mes notre armŽe en bataille, ainsi que le jour prŽcŽdent, ˆ cause du mauvais temps, nous contentant de leur opposer notre cavalerie. Ils se retirrent de meilleure heure ce jour-lˆ quÕils nÕavaient fait le prŽcŽdent, pour aller rejoindre leur armŽe qui avait fait une grande traite pour arriver ˆ Mery sur Seine et passer avant quÕils nous puissent avoir sur les bras.

Nous ne sžmes que la nuit leur passage et dŽlogement, et le lendemain lundi 12me nous v”nmes prendre notre logement ˆ Barbonne. En partant le matin de Sesanne les chevau-lŽgers eurent ordre dÕenvoyer vingt chevaux ˆ la queue de lÕarmŽe pour prendre langue de leurs logements et de leur route : mais ils vinrent dire ˆ monsieur le marŽchal quÕils Žtaient si fort harassŽs des deux jours prŽcŽdents auxquels il leur avait fallu tre continuellement ˆ cheval, quÕil leur Žtait impossible de pouvoir choisir dans tout leur corps vingt chevaux qui pussent faire cette corvŽe. Monsieur le marŽchal sՎtonna de cette harangue peu coutumire dՐtre faite par des chevau-lŽgers, et moins au commencement dÕune guerre : je mÕoffris dÕy aller avec vingt chevaux sÕil me le voulait permettre, et au refus quÕil mÕen fit, je lui dis quÕil mÕavait fait la faveur de me donner le commandement dÕun rŽgiment de grosse cavalerie composŽ des compagnies de Lorraine, Vaudemont, Montbason, et la Chastre, lesquelles tiendraient ˆ honneur dՐtre employŽes aux corvŽes que les chevau-lŽgers ne voudraient ou pourraient faire, et que je le suppliais quÕil me donn‰t la commission dÕy envoyer dix gendarmes de la compagnie de Mr de Lorraine et dix de celle de Mr de Vaudemont.

Il le trouva trs bon, et ˆ lÕheure mme jÕenvoyai lÕordre par Lambert ˆ la premire et par Des ƒtant ˆ lÕautre, qui mÕen prirent et de trouver bon quÕils y allassent avec eux.

Ces deux troupes nous vinrent faire rapport de ce quÕils avaient pu dŽcouvrir du logement des ennemis, de la route quÕils tenaient, et de leur ordre : mais celle que Mr de Couvonges avait menŽe nous dit de plus que les gens auxquels commandait Mr du Maine, et sa personne mme, Žtaient logŽs au deˆ du marais de Saint-Gon, lequel ils leur avaient vu passer en un lieu o un homme ˆ peine, bien montŽ, sÕen pouvait retirer, Žtant dans le bourbier jusques aux sangles, et ne pouvant marcher quÕun de front. Lambert sÕalla mler parmi eux comme sÕil ežt ŽtŽ des leurs et ou•t Mr du Maine jurant et maugrŽant du logement que Mr de Bouillon leur avait donnŽ, capable de le faire perdre : il apprit aussi que leur dŽpartement Žtait ˆ Saint-Saturnin et ˆ Tas. Monsieur le marŽchal sur cet avis rŽsolut de le faire attaquer, et moi ayant demandŽ la commission de lÕexŽcuter, Mr de Pralain dit quÕil la voulait faire, sur quoi je lui demandai donc dÕy tre son soldat et dÕy mener six-vingt chevaux des trois compagnies de gendarmes qui Žtaient en lÕarmŽe sous ma charge, ce quÕil mÕaccorda, et manda deux cent cinquante chevau-lŽgers de plus, cent carabins, cent gendarmes de la compagnie de la reine, et autant de celle de Monsieur, trente de la compagnie de Mr de Chevreuse, et autant de celle de Genlis : il prit de plus deux mille hommes de pied et leur donna rendez-vous ˆ un village dont il ne me souvient du nom, ˆ deux lieues dudit Saint-Saturnin, ˆ une heure aprs minuit, o ils se trouvrent. Nous part”mes un peu aprs deux heures et march‰mes droit ˆ Tas qui Žtait le logement plus avancŽ devers nous. Mais comme le jour nous eut pris ˆ une demie lieue dudit Tas, on conseilla Mr de Pralain de faire faire halte, sur un lieu Žminent, ˆ notre infanterie et de nous avancer en diligence droit ˆ Tas avant que les ennemis se pussent retirer ; et mme pour nous soutenir ˆ la retraite en cas que lÕon ežt fait ce logement de Saint-Saturnin pour nous donner une amorce, notre ordre Žtait que cinquante carabins seraient ˆ chacune de nos ailes, puis cent chevau-lŽgers de chaque c™tŽ plus en arrire, puis ma troupe au milieu, et derrire moi sur les ailes les deux-cents gens dÕarmes des deux grosses compagnies, et les soixante chevaux de Chevreuse et Genlis pour gros de rŽserve.

Nous march‰mes ainsi jusques ˆ Tas o nous trouv‰mes les ennemis dŽlogŽs. Il arriva que, ayant passŽ Tas, Mr de Constenant qui commandait les chevau-lŽgers de lÕaile droite, lequel se faisait ha•r de telle sorte par ceux de sa troupe quÕil les craignait plus dans le combat que les ennemis-mmes, se dŽbanda avec un de ses chevau-lŽger nommŽ Vallieres pour aller reconna”tre la contenance des ennemis ; ce quÕayant vu, Mr de Vitry qui commandait ceux de lÕaile gauche, prit avec lui un chevau-lŽger et lÕalla joindre. Zamet et Montglat qui commandaient en leur absence, en firent le semblable ˆ leur imitation et donnrent ˆ toute bride jusques au corps de garde avancŽ de Mr du Maine, que commandait le baron de Poully, o ils perdirent un gentilhomme de Montglat nommŽ Loumiere : bien disent-ils quÕils blessrent le baron de Poully. En ce mme temps quelques autres chevau-lŽgers se voulant dŽbander pour suivre ces chefs, Mr de Constenant leur cria quÕils tournassent tte, ce que les carabins croyant tre dit pour eux, se retirrent, et ˆ leur imitation les chevau-lŽgers, tant il est de consŽquence de se bien expliquer.

Alors Mr de Pralain, Marillac et moi, quittant nos gros, couržmes aux chevau-lŽgers savoir la cause de leur retraite sans lÕordre de Mr de Pralain, lesquels dirent que leurs chefs leur avaient criŽ. Sur cela Mr de Pralain leur dit quÕils se missent ˆ c™tŽ et derrire les deux compagnies de gens dÕarmes, et me dit lors : Ē Si je les faisais retourner ˆ leurs postes, ils ne feraient rien qui vaille ; car leurs chefs leur ont par mŽgarde donnŽ lÕalarme ; Č qui fut la seule chose quÕil dit ou fit en capitaine de tout ce jour. Il me dit ensuite : Ē Mon fils, cÕest ˆ vous ˆ avoir la tte ; gouvernez-vous en sage capitaine et non en jeune ŽventŽ comme ces messieurs qui ont abandonnŽ leurs troupes. Č Sur ce, je mis ma troupe en deux gros de soixante chevaux chacun, et deux de coureurs de dix chevaux chacun, composŽs de gentilshommes volontaires, dont Mr de Poigny eut la charge de lÕun, et Mr de Bes de lÕautre. Ainsi nous all‰mes, salade en tte, droit aux ennemis qui Žtaient ˆ douze cents pas de nous en bataille contre les haies de Saint-Saturnin, lesquels Žtaient infailliblement perdus pour nÕavoir lieu de retraite et nՐtre que trois cents chevaux, que bons que mauvais, de troupes nouvelles levŽes, contre nous qui en avions le double de troupes entretenues et les plus belles du monde. Mais par malheur il arriva quÕun capitaine de carabins nommŽ la Haye en qui Mr de Pralain avait crŽance, vint mettre en lÕesprit irrŽsolu de Mr de Pralain quÕinfailliblement ces haies Žtaient farcies de mousquterie, laquelle nous mettrait dÕabord la moitiŽ de nos gens par terre et lÕautre en dŽsordre, ce quÕil lui imprima si bien dans lÕesprit quՈ lÕheure mme il mÕenvoya dire de me retirer. Je crus quÕil se moquait de moi et lui mandai que nos chevaux avaient rompu leur gourmette et nous emportaient droit aux ennemis, sur quoi il vint ˆ toute bride ˆ notre tte et cria halte, puis nous dit : Ē Mordieu, ne me reconna”t-on pas ici pour y avoir le premier commandement ? Č Je lui dis : Ē Qui vous le dispute ? Mais je ne crois pas que Dieu vous veuille tant de mal que de vous inspirer de vous retirer voyant devant vous des ennemis en peu de nombre et qui nÕattendent que nous les joignions pour tre dŽfaits. Č

Il sÕapprocha lors de moi et me dit tout bas : Ē Vous ne jugez pas quÕil y a deux mille mousquetaires dans ces haies, dont je suis bien averti. Č Je lui dis : Ē Au moins, Monsieur, voyons si cela est : jÕirai, si vous voulez, escarmoucher avec vingt chevaux ˆ cinquante pas des haies ; ils ne se tiendront jamais de tirer quelque coup qui nous fera reconna”tre ce qui en est : mais ˆ peine de ma vie quÕil nÕy en a point. Č Il me dit : Ē Je le sais mieux que vous, et vous prie de faire la retraite avec vos troupes. Č Je lui dis quÕelle Žtait bien aisŽe ˆ faire devant des gens qui sÕenfuyaient. Et ainsi ayant Mr du Maine en nos mains, qui infailliblement y fžt demeurŽ mort ou pris avec un quart de la cavalerie de leur armŽe, qui ežt donnŽ telle Žpouvante au reste quÕils se fussent dŽbandŽs ensuite, Dieu nous ™ta lÕesprit et la connaissance de ce que nous pouvions et devions faire, et mit un tel dŽgožt dans notre armŽe et telle opinion de nos chefs quÕil semblait que nous fussions nous mmes dŽfaits.

Ce fut le mardi 13me octobre que nous f”mes cette belle affaire, o pour mieux dire que nous ne f”mes rien sinon aller prendre notre logement ˆ Villenosse.

Le mercredi 14me nous arriv”mes ˆ Nogent o nous ežmes avis que Mery sur Seine leur avait ouvert les portes, et quÕils avaient passŽ la rivire.

Nous la pass‰mes le jeudi 15me et avions ordre de loger ˆ Traynel. Mais comme il nÕy a que deux petites lieues de Nogent, que le temps Žtait fort beau et lÕheure haute, les chefs murmurrent de cette petite traite, disant que lÕon voulait donner loisir ˆ Mr le Prince de se saisir de Sens. Descures qui Žtait en carrosse, bien malade, nous dit en passant que nous pourrions bien perdre Sens si nous ne nous h‰tions davantage que nous ne faisions, et que nous pouvions bien loger ˆ Granges qui Žtait ˆ deux bonnes lieues de lˆ. Je dis ˆ Mr de Pralain que je mÕassurais que monsieur le marŽchal le trouverait bon : il me dit que si je lui voulais aller faire rŽsoudre, quÕil ferait le logement de lÕarmŽe tout prt pour faire marcher. Monsieur le marŽchal volait des perdreaux, et y courus et me doutant bien quÕil le trouverait bon, jÕenvoyai Cominges ds le mi-chemin dire ˆ Mr de Pralain et Descures que monsieur le marŽchal leur mandait de faire le logement ˆ Granges, et comme jÕeus joint monsieur le marŽchal, je lui dis que ces messieurs ne jugeaient le logement de Traynel propre pour lui ˆ cause quÕil y avait eu de la peste dans le ch‰teau o il devait loger, que la traite Žtait trop petite et celle du lendemain pour aller ˆ Sens trop grande, mais que sÕil lui plaisait de loger ˆ une bonne lieue plus avant en un bourg nommŽ Granges, il y serait trs bien et ˆ propos. Il sÕy accorda, et je mÕen revins comme dŽjˆ tout marchait ˆ Granges.

Il faut savoir que les ennemis marchaient c™te ˆ c™te de nous ˆ une lieue de distance sans savoir de nos nouvelles, ni nous dÕeux, tant tout Žtait en dŽsordre parmi nous ; et le logis de nos chevau-lŽgers Žtait le mme que Mr de Bouillon avait donnŽ aux troupes de Mr de Luxembourg. Leurs marŽchaux des logis et les n™tres se rencontrrent au logement ; et comme les n™tres Žtaient plus en nombre, ils chargrent ceux des ennemis et les chassrent, lesquels vinrent porter lÕalarme ˆ Mr le Prince qui fit mettre son armŽe en bataille, pensant nous avoir sur les bras, et la fit camper cette nuit-lˆ en une plaine ˆ une lieue derrire nous sur le chemin de Sens o nous allions tous deux.

Il arriva encore une autre chose par cas fortuit, qui les tint en alarme, qui nous servit beaucoup : cÕest que ceux de Granges avaient retirŽ leurs personnes et leurs biens dans lՎglise du village qui Žtait assez bonne pour coups de main, et mise en cet Žtat pour leur conservation ds les guerres de la Ligue. Ė lÕarrivŽe de Mr de Pralain avec qui jՎtais, nous trouv‰mes que le prŽv™t de lÕarmŽe qui Žtait un assez bon voleur, pensant gagner beaucoup dans cette Žglise sÕil sÕen rendait ma”tre, les somma de mettre ses archers dedans pour la garder, et eux ayant rŽpondu quÕils ne lÕouvriraient point jusques ˆ lÕarrivŽe des chefs, ce prŽv™t avait tirŽ quelques arquebusades, et eux y avaient rŽpondu : mais lorsquÕils virent Mr de Pralain, ils lui mandrent quÕils Žtaient prs de sortir, de revenir chacun en sa maison, et de fournir des vivres et ustensiles ce quÕil ordonnerait, ce que Mr de Pralain accepta, et leur manda quÕils ne sortissent point jusques ˆ ce que chacun fžt logŽ ; et ˆ lÕheure mme les fourriers de notre cavalerie lŽgre nous ayant portŽ lÕalarme de lÕarmŽe des ennemis qui Žtaient sur nos bras, nous nous avan‰mes avec les troupes fait ˆ fait [au fur et ˆ mesure] quÕelles arrivaient, et comme monsieur le marŽchal vint ˆ Granges, trouvant cette contestation entre ce prŽv™t et ces paysans renouvelŽe, sans sÕenquŽrir de ce que Mr de Pralain leur avait ordonnŽ, fit tirer trois coups de canon ˆ cette Žglise, et les paysans sՎtant rendus ˆ sa misŽricorde, commanda ˆ ce mme prŽv™t dÕen pendre quatre des principaux, ce quÕil exŽcuta avant notre retour, que nous lui rapport‰mes que les ennemis Žtaient ˆ prs de deux lieues derrire nous et que notre tte Žtait forte de telle sorte que les ennemis ne pouvaient rien entreprendre ˆ cause dÕun profond ruisseau qui nous sŽparait ; et bien quÕils se fussent avancŽs ˆ demie lieue proche de Granges avec leur cavalerie, ils sՎtaient nŽanmoins retirŽs ˆ lÕentrŽe de la nuit lorsque ces trois coups de canon avaient tirŽ, qui leur firent croire que notre armŽe marchait pour les aller attaquer.

Ils se mirent donc en bataille, et y couchrent toute la nuit, et le lendemain attendirent jusques ˆ neuf heures que nous les vinssions attaquer.

Mais nous part”mes au jour, dudit Granges, le vendredi 16me, et arriv”mes ˆ Sens avant les ennemis lesquels sans doute se fussent emparŽs de la ville sÕils y fussent arrivŽs les premiers, vu la difficultŽ que les habitants firent de nous y recevoir et les grandes intelligences que Mr le Prince y avait. Nous nous loge‰mes aux faubourgs, et ˆ peine pžmes nous obtenir de ceux de Sens que les chefs avec leurs Žquipages logeassent en la ville.

LÕarmŽe ennemie prit son logement ˆ Malay qui est ˆ une lieue de lˆ, et y eut plusieurs escarmouches tout le temps que nous fžmes ˆ vue les uns des autres, qui fut le samedi et dimanche suivant.

Ce soir les habitants de Sens tenaient leurs portes et ne laissaient entrer nos soldats quՈ la file pour acheter les denrŽes, de sorte que monsieur le marŽchal, Mr de Pralain, et ceux qui Žtaient logŽs dedans Sens Žtaient en la puissance de ceux de la ville, affectionnŽs ˆ Mr le Prince, qui Žtait si proche dÕeux. Comme nous fžmes au conseil, on rŽsolut de se rendre ma”tre de la ville, ce que je proposai de faire si lÕon mÕen donnait la charge, et ayant fait voir lÕordre que jÕy voulais tenir, il fut approuvŽ, et lÕeus de lÕexŽcuter.

Donc le samedi matin 17me je fis le matin entrer plus de cent Suisses ˆ la file qui faisaient semblant dÕaller acheter des denrŽes, et eurent ordre de se rendre ˆ la place, o il y avait un capitaine et dÕautres officiers qui leur diraient ce quÕils avaient ˆ faire. Je donnai aussi ordre ˆ un autre capitaine nommŽ Reding (gentil soldat), dÕentrer avec cinquante autres Suisses ˆ la file et de marchander des choses proche de la porte, afin que quand il me verrait entrer, il vint par dedans ˆ moi ; et fis tenir le capitaine Hessy avec deux cents Suisses le plus prs que je pus de la porte dÕo il ne fut point aperu, pour venir au premier signal que lÕon lui donnerait que je serais entrŽ. JÕavais aussi fait dire au maire quÕil command‰t ˆ la porte de faire entrer une escouade de Suisses pour faire garde devant le logis de monsieur le marŽchal, ce quÕil avait fait. Il Žtait aussi entrŽ par les autres portes de la ville plus de trois cents soldats franais et quantitŽ de capitaines et officiers, lesquels se devaient rallier au premier bruit. Ainsi sur les neuf heures du matin jÕentrai dans la ville avec six hallebardiers quÕils avaient toujours vus marcher devant moi : jÕavais aussi quatre ou cinq capitaines qui mÕaccompagnaient, qui avaient chacun deux trabans [gardes] ˆ leur suite : il y avait de plus douze ou quinze gentilshommes volontaires ou de mes domestiques. Ainsi en entrant sans faire mine de vouloir rien entreprendre, je mÕarrtai sous la porte et demandai qui Žtait celui qui commandait, lequel vint ˆ moi, et je le saisis : en mme temps vingt hallebardiers suisses se prŽsentrent aux bourgeois faisant la garde ; les cinquante Suisses sÕavancrent aussi afin que ceux qui gardaient ne fissent bruit par la ville, et les ayant dŽsarmŽs, je fis entrer les deux cents Suisses de capitaine Hessy, qui furent suivis de six cents autres qui Žtaient tout prts, et aller prendre les principales places et carrefours de la ville, o ils camprent, ayant ™tŽ la garde des portes aux habitants sans aucune opposition ni dŽsordre : et aprs d”ner Mr de Pralain qui, outre la charge quÕil avait en lÕarmŽe, Žtait encore lieutenant de roi dans la province, alla en la maison de ville o il dŽpossŽda le maire et les officiers souponnŽs et en Žtablit en leurs places des affectionnŽs au service du roi.

Les ennemis ne sortirent tout ce jour-lˆ de leurs quartiers devers nous et y sŽjournrent, comme encore le lendemain dimanche 18me. Nous t”nmes conseil pour savoir comment nous conserverions Sens, et quelles garnisons nous y laisserions, ce que nous ne pouvions faire quÕen affaiblissant notre armŽe : mais le lieutenant-gŽnŽral Angenou, le lieutenant criminel, et lÕarchidiacre nommŽ le Blanc, qui Žtaient les plus affidŽs au service du roi, nous assurrent que pourvu que lÕon chass‰t de la ville vingt-cinq habitants mutins, ils rŽpondaient de la conserver sans garnison ; ce que lÕon rŽsolut de faire, et on leur dit quÕils avisassent avec Mr de Pralain ceux quÕil faudrait chasser.

Le lundi 19me lÕarmŽe ennemie dŽlogea de Malay, et je montai ˆ cheval pour voir leur dŽlogement et donner quelque coup de pistolet si le cas sÕy offrait. Mais ils laissrent quelque cent cinquante chevaux et cinquante carabins ˆ leur retraite ; et moi nÕen ayant que vingt, et eux se tenant serrŽs, aprs les avoir conduits une lieue par delˆ Malay, mÕen revins ˆ Sens o je trouvai que lÕon avait envoyŽ des billets ˆ vingt et cinq bourgeois pour se prŽparer le lendemain pour tre menŽs ˆ Paris avec une escorte dÕune de nos compagnies de carabins. JՎtais logŽ chez le doyen de lÕarchevchŽ, bon homme et bon serviteur du roi, qui me vint trouver aprs d”ner pour me dire que lÕon envoyait deux des chanoines, nommŽs Miette et lÕHermitte, dont il me pouvait rŽpondre du premier quÕil nÕy avait au monde un meilleur serviteur du roi, et quÕil me suppliait dÕavoir pitiŽ de lui et de lui permettre quÕil me pžt parler. JÕallai ˆ la chambre du doyen o ce pauvre homme Žtait si Žperdu quÕil ne savait ce quÕil faisait : enfin lÕayant remis, il me dit quÕil nÕavait autre crime que lÕinimitiŽ de lÕarchidiacre le Blanc, lequel lÕaccusait faussement dÕavoir dit quÕil voudrait que Mr le Prince fžt roi : bien me confessait-il quÕil avait dit, voyant madame la Princesse si belle et jolie, quÕelle mŽritait dՐtre reine, mais quÕil nÕavait jamais entendu que ce fžt de France. Moi qui Žtais de sa mme religion, entrepris son salut et lui promis de lÕassister. Je mÕen allai ˆ lÕheure mme au conseil o jՎtais mandŽ chez monsieur le marŽchal auquel je dis le crime du chanoine Miette et la passion et intŽrt que jÕavais ˆ son salut, ce quÕil mÕaccorda.

JÕavais trouvŽ en entrant ˆ la chambre de monsieur le marŽchal tous les condamnŽs ˆ sortir de la ville, qui me firent tant de prires, soumissions, et pitiŽ, que mon cĻur se tourna en leur faveur ; ce qui me convia de dire ˆ Mr de Refuges : Ē Pour quel sujet veut-on dŽserter cette ville des principaux habitants, la plupart desquels nÕont autre crime que lÕinimitiŽ des deux lieutenants et de lÕarchidiacre ? Pensez-vous que cela conserve mieux la ville ? Au contraire cela y fera na”tre tant de dissensions et de brigues par les parents et amis des chassŽs, que cent hommes des partisans de Mr le Prince, qui se prŽsenteront aux portes quand nous en serons ŽloignŽs, seront capables de sÕen saisir, nÕy ayant point de garnison. Je serais dÕavis de conserver par douceur ce que vous ne voulez ou pouvez garder avec force, et en obligeant ces gens condamnŽs, vous les rendre affectionnŽs et fidles. Č Mr de Refuges me rŽpondit quÕil entrait dans mon sentiment et que si jÕen faisais la proposition, quÕil lÕappuierait de toutes les raisons que son esprit lui pourrait suggŽrer. Alors jÕallai parler ˆ Descures que je gagnai aussi, et quand jÕeus ces deux ˆ ma dŽvotion, je me sentis assurŽ de faire faire aux autres ce que je voudrais. Donc, sur la fin du conseil, Descures ayant demandŽ quelle compagnie de carabins monsieur le marŽchal voulait qui all‰t accompagner les bannis ˆ Paris, il lui commanda de faire lÕordonnance ˆ Montalant : je pris sur cela occasion de dire que Montalant nous serait fort nŽcessaire vers cette vallŽe dÕAillan o les ennemis tournaient la tte, dÕo il Žtait et y avait son bien, quÕil connaissait le pays ; et ensuite je dis que ces bannis ne nous faisaient pas tant de profit ˆ les envoyer ˆ Paris que lÕescorte quÕil nous leur fallait donner nous causerait de dommage ; que lÕon mettait par cet envoi une dissension Žternelle dans la ville de Sens, de laquelle Mr de Pralain p‰tirait un jour, et quÕils seraient plus affectionnŽs, si on leur faisait la gr‰ce entire, que ceux-mmes qui avaient ŽtŽ pour nous ; et que si cՎtait ˆ moi ˆ faire, je leur pardonnerais ; que je voyais un chemin ouvert pour le faire de bonne gr‰ce, cÕest quÕils mÕavaient priŽ de parler pour eux et que je pourrais leur rŽpondre que monsieur le marŽchal mÕavait dit que si Mr de Pralain et moi voulions leur servir de caution, quÕil le ferait, dont je mÕassure quÕils nous prieraient instament, et que nous le ferions aprs avoir tirŽ sžretŽ convenable de leur foi et parole ; que cela rendrait la ville trs affectionnŽe ˆ Mr de Pralain qui avait intŽrt de sÕy conserver de lÕautoritŽ ; quÕelle conserverait ses citoyens unis et que nous serions sans crainte dÕaucun sinistre accident pour le service du roi aprs que nous lÕaurions ŽloignŽe. Mrs de Refuges et Descures fortifirent mon opinion de plusieurs raisons, et monsieur le marŽchal et Mr de Pralain y consentirent, comme firent aussi les lieutenants gŽnŽral et criminel : le seul archidiacre nous fut contraire, qui protestait que si on laissait ces gens dans la ville, quÕelle Žtait perdue, et que pour lui il Žtait rŽsolu, si nous le faisions, de sortir de la ville en mme temps que nous ; je le rapaisai enfin, lui disant que ces exilŽs lui en auraient de lÕobligation, et que je ferais quÕils le prieraient dÕintercŽder pour eux : puis je sortis pour leur parler, qui furent ravis dÕentendre que je leur procurais avec lÕhonneur la libertŽ de demeurer dans leur ville. Nous f”mes semblant de rŽpondre pour eux, et ils se sont montrŽs depuis infiniment passionnŽs au service du roi.

Notre armŽe vint le mardi 20me loger ˆ Saint-Julien du Saus et en partit le mercredi 21me pour venir loger ˆ Joigny. Mais comme quelques-uns des quartiers Žtaient plus avancŽs et que lÕon avait envoyŽ plus avant battre lÕestrade pour prendre langue des ennemis, nos coureurs vinrent jusques ˆ un ruisseau qui est au-devant de deux bourgs nommŽs Chanlay et ....., sans trouver personne. Un gentilhomme des miens, nommŽ Lambert, et un de Mr de Pralain, nommŽ des Combes, donnrent jusques aux portes de Chanlai quÕils trouvrent fermŽes et les ponts levŽs, et un homme dehors qui cueillait des herbes, quÕils amenrent ˆ Mr de Pralain qui menait la tte de notre armŽe : cՎtait un cuisinier de Mr de Luxembourg qui lÕassura que les troupes de Mr de Luxembourg Žtaient logŽes audit Chanlay, qui Žtaient prs de trois cents chevaux. Il sÕy achemina en diligence sur le rapport de Lambert et Des Combes qui lui assurrent que Chanlai Žtait deˆ le ruisseau et que cՎtait un poste o nous nous pouvions tenir en bataille sans crainte dÕy pouvoir tre forcŽs par les ennemis sur la moustache desquels nous pouvions prendre Chanlai et les troupes qui Žtaient dedans. Comme il y fut arrivŽ, ses ordinaires irrŽsolutions le prirent, en sorte quÕil manda ˆ monsieur le marŽchal avec qui jՎtais lors, quÕil Žtait lˆ, que les troupes de Mr de Luxembourg Žtaient ˆ Chanlai que lÕon ne pouvait forcer sans canon, que lÕarmŽe ennemie nՎtait quՈ une lieue de lˆ et quÕil lui command‰t sÕil se retirerait ou sÕil attaquerait Chanlai.

Monsieur le marŽchal lui manda quÕil f”t ce quÕil verrait bon tre pour le service du roi : mais moi qui connaissais quÕil sÕen pourrait retirer de peur de nÕattirer sur lui le bl‰me du succs que cette ambigu‘ rŽponse lui laissait sur les Žpaules, dis ˆ monsieur le marŽchal que ce que Mr de Pralain lui en mandait Žtait pour recevoir la rŽponse quÕil lui venait de faire, afin de se retirer et dire que sans son commandement (qui nՎtait prŽcis) il ežt pu dŽfaire ces gens enfermŽs et dŽjˆ en ses mains ; de sorte quÕil me commanda dÕy aller et me chargea dÕun double commandement selon ce que je verrais quÕil se fallžt retirer ou opini‰trer. JÕy allai donc au galop, et Dieu me fit rencontrer par les chemins les Suisses et lÕartillerie qui Žtaient avancŽs : je dis au lieutenant de lÕartillerie que monsieur le marŽchal lui commandait de mettre deux b‰tardes au crochet et les mener au trot ˆ Mr de Pralain, et dis en mme temps au capitaine Hessy qui conduisait le train, quÕil v”nt courant avec cent hommes ˆ la suite des deux b‰tardes, et je continuai mon chemin ˆ toute bride. Je rencontrai Richelieu et Vaubecourt qui me montrrent que si nous voulions seulement faire bonne mine, ces gens de Mr de Luxembourg Žtaient perdus, et quÕils me priaient dÕanimer Mr de Pralain ; quÕau reste ils rŽpondaient de leur vie dÕempcher lÕarmŽe entire des ennemis le passage du ruisseau, avec ces deux rŽgiments, mais quÕil faudrait faire avancer le canon en diligence. Je leur dis quÕil venait et que nous aurions ˆ lÕheure mme deux b‰tardes que jÕavais fait avancer par ordre de monsieur le marŽchal, lequel suivait, et quÕils les fissent mettre en batterie cependant que jÕallais trouver Mr de Pralain, auquel je dis que monsieur le marŽchal lui mandait quÕil serait aussit™t ˆ lui avec lÕarmŽe et le canon, et quÕil garn”t dÕinfanterie le bord du ruisseau, plaant la cavalerie o il jugerait ˆ propos ; quÕil lui envoyait cependant deux b‰tardes pour escarmoucher et lever les dŽfenses, attendant les autres pices, et quÕil les employ‰t dÕabord quÕelles seraient arrivŽes ; et que sÕil me lÕordonnait, je les irais mettre en batterie en un lieu que jÕavais reconnu en passant, ce quÕil trouva bon, me disant seulement que je mandasse ˆ monsieur le marŽchal quÕil sÕavan‰t promptement.

Comme je mÕen venais ˆ nos b‰tardes, je trouvai que Mrs de Richelieu et de Vaubecourt les faisaient tirer au coin dÕune tour b‰tie de boue et de crachat, quÕils renversrent ˆ la seconde volŽe, de telle faon que dix hommes de front y pouvaient monter. En mme temps Mrs de Boisdauphin et de Pralain y arrivrent et furent priŽs par Mrs de Constenan et de Vitry de recevoir ˆ composition ces troupes dont les chefs Žtaient de leurs amis, et quÕils leur donnassent la vie aprs avoir pris et donnŽ au pillage leurs armes, chevaux, et bagage, ce que monsieur le marŽchal accorda ˆ ces malheureux qui montraient leurs mouchoirs et chapeaux, suppliant que lÕon leur f”t bonne guerre. Les deux entremetteurs pillrent les plus prŽcieuses choses, et ensuite nos soldats, qui selon leur coutume mirent le feu dans Chanlay.

En mme temps parurent les ennemis : mais ils ne sÕavancrent point ni nÕentreprirent de venir baiser [approcher] le ruisseau. Monsieur le marŽchal fut conseillŽ par tous les chefs de se loger avec lÕarmŽe ˆ Chanlai et ˆ ..... : mais comme lÕun Žtait bržlŽ et lÕautre peu logeable, que son d”ner Žtait prŽparŽ ˆ Joigny, il ne sut tre persuadŽ de le faire, ce qui fut une grande faute ; car nous forcions par ce logement les ennemis de se jeter dans le Morvan et de perdre dans ce mŽchant pays leur bagage, infanterie, et canon, et prendre le haut du Nivernais ˆ passer le reste de leurs troupes qui eussent pu fuir devant nous, au lieu que nous nous amus‰mes trois jours ˆ Joigny et leur donn‰mes loisir de prendre le logis de Charny et de nous devancer ˆ la rivire de Loire. CՎtait lÕopinion de Descures, de Montalant, et de Pigeolet, qui connaissaient parfaitement bien ce pays-lˆ, et ce quÕil fallait faire.

Ce mme Pigeolet voyant que les ennemis avaient la tte tournŽe devers Gien pour y passer, et, comme il Žtait du pays, sachant que si les ennemis y arrivaient les premiers, on leur en ouvrirait la porte, proposa ˆ monsieur le marŽchal de sÕy aller jeter si on lui voulait donner deux compagnies de son rŽgiment de Champagne et deux de celui de Boniface, avec trois charrettes pour porter du pain, du vin, et des munitions de guerre ; ce qui lui Žtant accordŽ, il sÕy achemina passant ˆ travers de lÕarmŽe des ennemis comme sÕil ežt ŽtŽ un de leurs rŽgiments, tambour battant, mais couchant dans les bois, et marchant ˆ travers champs, se jeta dans Gien ; et quand lÕarmŽe ennemie y vint, elle y trouva visage de bois.

LÕarmŽe partit de Joigny le samedi 24me pour aller prendre le logis de Charny ; mais les ennemis y Žtant venus les premiers, nous all‰mes loger ˆ Ch‰teau-Renart pour les prŽvenir au passage de la rivire de Loire.

Le dimanche nous all‰mes ˆ Chatillon sur Loing, et y sŽjourn‰mes le lundi sans aucune occasion.

Le mardi 27me nous v”nmes loger ˆ Osoy sur TresŽ, o peu aprs notre arrivŽe le lieutenant de Montalant nous vint donner avis comme une heure aprs que nos quatre compagnies de carabins avaient ŽtŽ logŽes ˆ leur dŽpartement nommŽ Ouson, ils y avaient ŽtŽ investis par lÕarmŽe ennemie, et tout ce quÕils avaient pu faire avait ŽtŽ de faire partir ce lieutenant pour nous en avertir en diligence, nous mandant de plus que si le canon venait ˆ eux, ils se rendraient comme avaient fait les troupes de Mr de Luxembourg. Sur cette nouvelle monsieur le marŽchal fit tirer trois coups de canon, qui Žtait le signal pour faire venir tous les corps de lÕarmŽe au quartier du gŽnŽral, et fit camper lÕarmŽe jusques au lendemain matin, quÕil prit son ordre de bataille sur une ligne et mla chaque troupe de cavalerie et dÕinfanterie, avec les intervalles, et les gros de cavalerie reculŽs en sorte que la tte du premier cheval allait du pair avec le dernier rang du bataillon voisin.

CÕest une plaine dÕune grande lieue et demie qui est entre Osoy et Ouson, dans laquelle nous gard‰mes notre ordre, six pices de canon au crochet marchant au milieu de lÕarmŽe devant le bataillon des Suisses. Nous nÕežmes pas fait une demie lieue que nos carabins vinrent nous joindre, les ennemis sՎtant retirŽs de devant Ouson une heure devant le jour, tirant ˆ Bonny. Il y a un ruisseau en un fond vis ˆ vis dÕOuson, qui passe dedans Ouson et se va jeter dans la Loire, et la colline est petite quÕil faut remonter pour aller ˆ Bonny o sont toutes vignes dÕun c™tŽ et dÕautre du chemin qui y va. Il parut quelque cent chevaux de lÕautre c™tŽ de cette colline sur le haut, lesquels ˆ la premire volŽe de canon qui leur fut tirŽe, sÕenfuirent au galop.

Nous pass‰mes lors le vallon et march‰mes quelque deux cents pas jusques ˆ ce que quatre volŽes de canon des ennemis nous furent tirŽes, et nous fut commandŽ de faire halte. Le canon des ennemis Žtait logŽ ˆ lÕavantage et leurs troupes mal en ordre dans le fond proche de Bonny, et si nous nous fussions toujours avancŽs, nous les dŽfaisions sans combat, comme il fut reprŽsentŽ par plusieurs des chefs ˆ monsieur le marŽchal : mais il se f‰cha et dit ˆ ceux qui lui parlrent quÕil savait son mŽtier, quÕil avait ses ordres du roi, lesquels il saurait bien exŽcuter et lui en rŽpondre. Ainsi il nous laissa canonner par les ennemis prs de quatre heures sans sÕavancer ni reculer, sans entreprendre ni seulement vouloir permettre que lÕon gagn‰t un bois ˆ la gauche, lequel occupŽ ežt forcŽ les ennemis de quitter leur poste, et se fussent dŽfaits eux mmes. Je nÕai vu, devant ni depuis, armŽe si leste ni de si bonne volontŽ et qui fit meilleure mine que celle lˆ, et puis dire que si Dieu nÕežt ce jour lˆ aveuglŽ monsieur le marŽchal, il pouvait sans pŽril acquŽrir une grande gloire : il avait les ennemis entre ses mains qui ne pouvaient reculer ni refuser de combattre ; ils Žtaient en dŽsordre, nÕayant toutes leurs troupes ensemble ; la cavalerie de Mr de Longueville Žtait ˆ trois lieues de lˆ, qui Žtait la plus leste de leur armŽe ; ce qui Žtait lˆ avait lՎpouvante, cՎtaient troupes nouvelles mal armŽes et qui eussent rendu peu ou point de combat.

Enfin, monsieur le marŽchal nous fit repasser le ruisseau, et camper lÕinfanterie avec le canon sur le haut de cette colline, ayant le ruisseau devant nous ; et lui, alla loger ˆ Ouson qui Žtait tout contre ; et comme la cavalerie qui Žtait logŽe ˆ deux lieues de lˆ, ˆ Briare et autres lieux, fissent instance dÕavoir permission dÕaller loger en leurs quartiers et non de camper, vu que tout le jour prŽcŽdent, la nuit suivante, et cette prŽsente journŽe, ils avaient ŽtŽ sans faire repa”tre leurs chevaux, il leur accorda aussi facilement que sÕil nÕežt pas eu les ennemis en pleine campagne devant lui, que si lors Mr le Prince fžt venu avec toute son armŽe entire charger notre infanterie seule, dŽnuŽe de la cavalerie, il nous ežt bien donnŽ de la peine. Les chefs particuliers demeurrent sur le champ de bataille prs de leurs gens, avancrent leurs sentinelles et les revisitrent ˆ toute heure, ne doutant point que les ennemis eussent autre dessein que de passer la Loire ; et mme nous voyions avant la nuit leurs bagages et quelques troupes de cavalerie qui passaient.

Sur le minuit, nous v”mes leurs feux plus grands et plus apparents, ce qui nous fit juger quÕil nÕy avait personne autour dÕiceux, et que les ennemis les avaient quittŽs : Mr de Rambures et moi nous avan‰mes, ayant jetŽ devant nous le capitaine Marsillac avec vingt soldats, et v”mes quÕil nÕy avait rien entre Bonny et nous, et que les ennemis passaient assurŽment. Nous pouvions encore dŽfaire leur arrire-garde et gagner les canons qui ne passrent quՈ huit heures du matin : ainsi Žtant retournŽs o les troupes Žtaient campŽes, nous v”nmes trouver Mrs de Richelieu, de Bourg, de Vaubecourt, de Boniface, et de la Melleraye, ˆ qui nous f”mes rapport de ce que nous avions vu, qui furent dÕavis dÕenvoyer Mr dÕEspinai Boisdanebourg trouver monsieur le marŽchal et Mr de Pralain pour leur en donner mme avis et leur porter le n™tre qui Žtait de faire tirer trois coups de canon pour faire venir ˆ nous la cavalerie, et cependant marcher la tte baissŽe droit ˆ eux, que le pays Žtait favorable pour lÕinfanterie, qui Žtaient vignobles, et que lÕaffaire Žtait, sans rien hasarder, sžre de ne faire pas un mŽdiocre gain pour le service du roi. Mr de Pralain nous manda quÕil Žtait enragŽ de voir que monsieur le marŽchal laissait passer toutes les belles occasions, et que pour lui il ne savait plus que lui dire, et quÕil ferait simplement ce quÕil lui commanderait, puisquÕil ne voulait point se servir de son conseil. Monsieur le marŽchal dit ˆ lÕEspinai quand il lui eut fait rapport de ce que nous lui mandions : Ē Bon, bon, mon ami, voilˆ qui va bien, cÕest ce que je demande ; dites-leur quÕils viennent demain de bon matin me trouver, et nous tiendrons conseil de ce quÕil nous faudra faire. Č Nous pens‰mes dŽsespŽrer de cette rŽponse et fžmes sur le point de faire tirer trois coups de canon et lui donner lÕalarme pour le faire lever : mais le lieutenant de lÕartillerie dit quÕil ne lÕoserait faire sans lÕordre de monsieur le marŽchal ou de Mr de Pralain. Ainsi nous attend”mes le jour et v”nmes au logis de monsieur le marŽchal qui nous fit attendre ˆ sa cour plus dÕune heure parce quÕil faisait panser sa jambe : de lˆ il tint conseil, aussi gai que si tout fžt allŽ le mieux du monde, et nous dit : Ē Au moins avons nous fait enterrer hier les ennemis du roi, (parce que leur armŽe avait un poste couvert), et aujourdÕhui nous les ferons noyer. Č Je demandai ˆ monsieur le marŽchal quÕil me perm”t dÕaller pour le moins voir le passage des ennemis avec les gentilshommes volontaires qui me voudraient suivre ; et comme il ne me dit ni oui ni non, je pris cela pour une permission et mÕy en allai.

Je marchai jusques ˆ Bonny sans rencontrer un seul homme : les habitants me dirent, en me prŽsentant leurs clefs, que Mr le Prince et les autres chefs Žtaient partis ds deux heures, mais quÕil y avait encore plus de deux mille hommes ˆ passer et deux de leurs canons quÕils avaient patientŽs sur le haut de Neuvy (lieu de leur passage) contre nous, pour tirer si nous venions troubler leur retraite, dont ils craignaient fort. Je passai outre, et de lÕautre c™tŽ de Bonny nous trouv‰mes trente carabins des ennemis que nous charge‰mes, quelque vingt chevaux que nous Žtions, et les taill‰mes en pices, demeurant cinq de morts sur la place et quelques prisonniers. JÕenvoyai donner cet avis ˆ monsieur le marŽchal et ˆ Mr de Pralain : ce dernier y vint et fit avancer les rŽgiments sur un bruit qui avait couru dans Ouson que jՎtais engagŽ ; mais quand il fut arrivŽ, nÕayant point de cavalerie, et monsieur le marŽchal lui ayant mandŽ quÕil nÕentrepr”t rien sans lui, il sÕarrta.

Nous lÕattend”mes proche de Neuvy jusques aprs son d”ner, et il vint voir le guŽ o lÕarmŽe ennemie avait passŽ, puis il vint prendre son logement ˆ Bonny o il demeura le lendemain vendredi 30me octobre, et tint conseil entre Mrs de Pralain, Refuges, Descures, et moi, de ce quÕil devait devenir, disant que la reine et le roi lui avaient mis cette armŽe en main pour conserver cette partie de la France qui est deˆ la Loire, ce que, Dieu merci, il avait fait avec gloire et honneur, puisquÕil en avait chassŽ les rebelles, et quÕil ne lui restait plus quՈ reprendre les villes de Ch‰teau-Thierry, Espernay, et Mery sur Seine, pour avoir gouvernŽ cette partie de la France quÕon lui avait confiŽe, en telle sorte que les ennemis du roi nÕy auraient pas conservŽ un pouce de terre, et quÕil mŽditait ˆ aller prendre lesdites places, ce quÕil nÕavait pas voulu exŽcuter sans en prendre prŽalablement notre avis.

Je nÕeus pas assez de patience pour attendre mon rang de lui rŽpondre et lui dis : Ē Comment, Monsieur ? Auriez-vous bien eu en pensŽe de laisser le roi attaquŽ de Mr le Prince avec une armŽe qui sÕen va fra”che et glorieuse contre lui sans avoir eu ni tour ni atteinte, et au lieu de la suivre et de la divertir dÕaller attaquer le roi dŽnuŽ de forces et qui sÕest attendu que vous empcheriez Mr le Prince de le suivre, avec celles quÕil vous a confiŽes, songer dÕaller reprendre Mery et Espernai? Il nÕattend pas cela de vous ; Espernai ni Mery ne le presse point, cÕest Mr le Prince, qui le va attaquer ; Mr le Prince est votre t‰che, et cÕest contre lui que le roi vous a destinŽ : suivez-le au nom de Dieu, Monsieur, et pour votre devoir et pour le secours du roi, qui ne sera pas sans Žtonnement quand il saura que Mr le Prince vous est ŽchappŽ et quÕil sÕen va droit ˆ lui. Č

Quand Mrs de Refuges et Descures eurent vu que jÕavais rompu la glace, ils ne feignirent point de lui parler fort fermement, comme fit aussi Mr de Pralain quand ce vint ˆ lui ˆ parler. Il ežt ŽtŽ ˆ dŽsirer que nous eussions pris la piste de Mr le Prince : mais la rivire cržt en un jour de deux pieds par une grande pluie qui vint et parce aussi que de sa source le temps o nous Žtions lui en envoyait assez pour cro”tre.

Il rŽsolut donc de sÕen aller le lendemain samedi dernier jour dÕoctobre, ˆ Gien, dÕo il dŽpcha Mr de Constenant avec la compagnie de chevau-lŽgers du roi pour aller ˆ Paris quŽrir une montre pour lÕarmŽe, et lÕescorter. Cependant il se rŽsolut dÕaller passer la Loire ˆ Jargeau.

Le jour de la Toussaints, premier du mois, nous vint avis du matin que les re”tres du comte de Withenstein avaient dŽfait et tuŽ ˆ Mery le marquis de Renel, et sÕen venaient passer la rivire ˆ Ch‰teauneuf. Monsieur le marŽchal commanda ˆ Mr de Pralain de sÕavancer avec huit cents chevaux pour le combattre, ce que nous f”mes et v”nmes repa”tre ˆ Chatillon sur Loing, et march‰mes la nuit du lundi 2me.

Mais les re”tres avaient fait une grande cavalcade et avaient passŽ ˆ Ch‰teauneuf huit heures avant que nous y eussions pu arriver. CÕest pourquoi frustrŽs de notre espŽrance nous v”nmes loger ˆ Lory o nous demeur‰mes le lendemain mardi 3me, tant pour rafra”chir nos chevaux de ces deux traites que pour savoir des nouvelles de monsieur le marŽchal qui nous suivait avec lÕarmŽe et nous donna rendez-vous pour le mercredi 4me ˆ Boiscommun.

Le jeudi 5me nous v”nmes ˆ Neuville, et lˆ le dessein de passer ˆ Jargeau fut changŽ, ni mme de passer ˆ OrlŽans, ˆ lÕinstance de Descures qui voulait Žviter le passage de lÕarmŽe ˆ son pays ; de sorte que le vendredi 6me nous loge‰mes ˆ Gidy, et le samedi ˆ Boisgency auquel lieu, o pour attendre lÕargent de la montre de lÕarmŽe ou pour autre raison que lÕon nous cacha, nous sŽjourn‰mes jusques au mardi 10me que nous all‰mes loger ˆ Mer ; et le mercredi 11me nous all‰mes passer la rivire sur le pont de Blois et loger aux environs.

Le jeudi 12me nous primes le logis de Pontlevoir ; le vendredi 13me ˆ BlerŽ ; et le samedi 14me ˆ Cormery o nous sŽjourn‰mes le dimanche ; et le lundi 16me nous v”nmes ˆ Sainte Maure o nous demeur‰mes jusques au jeudi 19me que, Mr de Pralain Žtant tombŽ malade, et lui Žtant venu un ordre du roi de se saisir de lÕėle-Bouchart et de sÕassurer de Chinon, Sa MajestŽ ayant quelque soupon du sieur de Baslon qui en Žtait gouverneur, monsieur le marŽchal mÕen donna lÕune et lÕautre commission.

Je mÕacheminai au quartier de PiŽmont et de trois autres rŽgiments quÕexprs on avait fait loger ˆ demie lieue de lÕėle-Bouchart, et fis partir six officiers avec ordre dÕassembler sous main tous les soldats qui Žtaient allŽs ˆ l'ėle-Bouchart pour y faire des emplettes ou pour y ivrogner, et de les tenir en la place, devant le ch‰teau et proche du pont, ce quÕils firent sans donner soupon de leur dessein ; et peu aprs jÕarrivai avec mon train et quelques gentilshommes volontaires ˆ une hostellerie du faubourg, o le capitaine du ch‰teau, ds quÕil sut mon arrivŽe, me vint trouver, et moi je lui montrai lÕordre que jÕavais de monsieur le marŽchal de me saisir de la place. Il fut bien ŽtonnŽ, et me dit quÕelle Žtait place de sžretŽ de ceux de la religion, que sans lÕordre particulier de Mr de la Trimoulle, il ne le pouvait faire. Je ne lui marchandai point ˆ lui dire que si je nՎtais dans demie heure dans le ch‰teau, il serait dans trois quarts sous une potence, et le menai en mme temps ˆ la ville o je trouvai plus de quatre cents de nos soldats avec ces officiers, qui sՎtaient saisis des portes et du pont. Lors monsieur le gouverneur du ch‰teau fut bien ŽtonnŽ et cria que lÕon baiss‰t le pont. Il nÕy avait que quinze hommes dedans, que je mis dehors, et en leur place le capitaine....., du rŽgiment de Champagne, attendant que jÕy eusse autrement pourvu, comme je fis le lendemain, du capitaine Laur, huguenot, du rŽgiment de Navarre, mais bon serviteur du roi, avec sa compagnie et celle de St Cric.

Je partis ˆ une heure aprs minuit le vendredi 20me, et mÕen vins ˆ Chinon o quatre compagnies de Navarre y avaient rendez-vous. Je les mis en bataille devant le ch‰teau, ˆ couvert toutefois, et envoyai dire ˆ Baslon que jՎtais lˆ pour parler ˆ lui, et quÕil v”nt sur ma parole. Je nՎtais pas en doute de sa fidŽlitŽ au service du roi ; car je le connaissais homme de bien, et mon ami ; mais on lui avait rendu de mauvais offices auprs du roi : il me dit que cՎtait Mr de Courtenvaut ; je nÕen sais rien. Il sÕen vint ˆ lÕheure mme me trouver, et aprs lÕavoir embrassŽ je lui dis que jÕavais charge de mettre deux cents hommes de garnison en ce ch‰teau, qui le devaient reconna”tre ; sÕil le voulait, ˆ la bonne heure, et si non, quÕen toute sžretŽ il pouvait rentrer au ch‰teau que jÕavais charge dÕinvestir. Il ne hŽsita point ˆ me dire que non seulement il les recevrait, mais quÕil en sortirait ˆ lÕheure mme pour faire place ˆ un autre si lÕon avait la moindre dŽfiance de lui, et quÕil savait bien que je serais caution de sa fidŽlitŽ si lÕon en Žtait en doute. Je fis donc aussit™t entrer, pendant quÕil me fit apporter ˆ dŽjeuner, les compagnies de Casteras et dÕAmpus du rŽgiment de Navarre, et mÕen retournai d”ner ˆ lÕėle Bouchart dÕo je partis aprs y avoir laissŽ lÕordre nŽcessaire, le samedi 21me, et vins me rejoindre ˆ lÕarmŽe qui Žtait ˆ la Haye en Touraine, dÕo elle partit le mme jour pour aller coucher ˆ Ingrande o nous demeur‰mes le dimanche, et all‰mes, Mr de Pralain et moi, voir madame de Chappes ˆ la Guierche ; et le lundi 23me nous v”nmes ˆ Montoyron ; le mardi ˆ Chauvigny o nous sŽjourn‰mes le lendemain, et le jeudi 26me nous loge‰mes ˆ Vernon, le vendredi ˆ Champagnai Saint-Hilaire ; le samedi 28me ˆ Civrai o lÕarmŽe sŽjourna le dimanche, et moi je mÕen vins avec le comte de la Rochefoucaut ˆ Poitiers.

Le lundi 30me nous v”nmes loger ˆ Vertueil, et le mardi premier jour de dŽcembre lÕarmŽe vint ˆ Manle et y sŽjourna le lendemain.

DŽcembre. Ń Le jeudi 3me nous v”nmes ˆ Montignac et le lendemain ˆ Angoulme.

Le samedi 5me nous v”nmes ˆ Ch‰teauneuf o nous demeur‰mes jusques au mercredi 9me que nous v”nmes loger ˆ Barbesieux o Mr le duc de Guise arriva le lendemain avec six compagnies de chevau-lŽgers et amena deux marŽchaux de camp, Mr de Montigny et Mr de Saint-Geran. Ce premier arriva devant lui pour nous apporter les lettres du roi par lesquelles il nous commandait de reconna”tre doresenavant Mr de Guise pour notre gŽnŽral.

Il sŽjourna ˆ Barbesieux jusques au dimanche 13me quÕil fit partir lÕarmŽe par un temps dŽsespŽrŽ, et vint coucher ˆ Baygne o il fut contraint de sŽjourner le lendemain pour laisser revenir les soldats qui nÕavaient pu arriver ˆ cause du mauvais temps.

Le mardi 15me nous v”nmes ˆ Jonsac o nous demeur‰mes jusques au samedi 19me que nous v”nmes ˆ Archiac, et le dimanche ˆ Cognac ; et par les chemins Mr de la Rochefoucaut ayant fait dŽtourner Mr de Guise pour lui prŽsenter trois cents chevaux quÕil avait mis sur pied pour le service du roi, il trouva quÕils sՎtaient dŽbandŽs la nuit mme pour sÕen retourner chez eux, craignant les trois armŽes, assavoir la notre, celle qui marchait avec le roi, et celle des ennemis qui Žtaient proches de leurs maisons.

Nous demeur‰mes ˆ Cognac jusques au jeudi 24me que nous fžmes loger ˆ Jarnac, et le lendemain jour de No‘l ˆ Mareuil, et le jour dÕaprs ˆ Aigre o elle sŽjourna le dimanche 27me, et Mr de Guise y festina les Suisses.

LÕarmŽe alla le lendemain ˆ Villefaignan ; le jour dÕaprs ˆ Sausay, et y demeura le 30me ; et le dernier de dŽcembre elle logea ˆ Laysey dÕo Mr de Guise alla faire lÕentreprise de Saint-Maixent qui ežt, si elle ežt ŽtŽ exŽcutŽe selon quÕil lÕavait proposŽe, mis fin ˆ la guerre : car il prenait tous les chefs de lÕarmŽe qui y Žtaient venus tenter Mr de Sully pour se joindre ˆ eux. Mais Mr de Saint-Aignan qui avait ordre de gagner un pont, se dŽtourna pour aller dŽfaire quelques carabins, aprs quoi il fit sonner force fanfares, et cependant Mr le Prince et les autres passrent sur ledit pont et se retirrent en leur armŽe.

Mr de Guise se retira, voyant son entreprise faillie, aprs avoir ŽtŽ quarante heures ˆ cheval, et vint coucher le 2me janvier ˆ Couay o je le vins retrouver. Car jÕavais ŽtŽ mandŽ par la reine mre de lÕaller trouver ˆ son passage dÕAngoulme pour la venir Žclaircir dÕun avis que je lui avais envoyŽ quÕinfailliblement Mr de Vend™me Žtait du parti de Mr le Prince, ce quÕelle ne pouvait croire, vu les assurances contraires quÕelle en avait, et moi lui ayant encore mandŽ que je lui rŽpondais que cela Žtait, elle me manda que je la vinsse trouver, et ˆ Mr de Guise quÕil me donn‰t congŽ, ce quÕil fit et ˆ Mrs de Montigny et de la Rochefoucaut aussi ; et part”mes dÕAigre le 28me de dŽcembre et v”nmes coucher ˆ Angoulme. Mais le roi avait changŽ de dessein et Žtait allŽ ˆ la Rochefoucaut. Nous trouv‰mes Mr de CrŽquy arrivŽ ˆ Angoulme, qui se joignit ˆ nous, et all‰mes le lendemain 29me coucher ˆ la Rochefoucaut o nous trouv‰mes Leurs MajestŽs qui nous firent fort bonne chre. Nous y v”mes la jeune reine aussi.

Le mercredi 30me je fus ou• au conseil o jÕeus contraire Mr le prŽsident Jeannin qui rŽpondait de la fidŽlitŽ de Mr de Vend™me. Mais quand jÕeus donnŽ les lettres de plusieurs particuliers qui Žcrivaient ˆ leurs amis quÕils avaient charge, qui de Mr le Prince, qui de Mrs de Longueville ou du Maine, de se joindre ˆ Mr de Vend™me, il cessa de lÕopini‰trer.

1616.

JANVIER.Ń Nous demeur‰mes encore le jeudi dernier jour de lÕan ˆ la Rochefoucaut o je ne passai point mal mon temps ; puis sur lÕavis que nous ežmes que Mr de Guise Žtait allŽ ˆ la guerre, nous part”mes deux heures avant le jour le vendredi premier jour de lÕannŽe 1616 et v”nmes d”ner ˆ Ruffec et coucher ˆ un lieu dont je ne me souviens du nom ; et le lendemain samedi 2me nous arriv‰mes ˆ Couai peu aprs que Mr de Guise fut revenu de son entreprise au mme lieu, o il sŽjourna ˆ cause que les ennemis voulurent venir donner une estrette [attaque] ˆ notre cavalerie lŽgre qui Žtait logŽe ˆ Saint-Sauvan ; mais comme nous ežmes avis de leur venue, la dite cavalerie se retira dans le quartier du rŽgiment de PiŽmont ; et le mauvais temps quÕil fit la nuit du 4 au 5me de janvier nous empcha de les suivre pour les charger ˆ leur retraite.

Nous all‰mes le mardi 5me voir la reine et le roi sur les chemins au partir de Civrai pour venir loger ˆ un ch‰teau nommŽ...... o Mrs de CrŽquy, la Rochefoucaut, et moi, ežmes congŽ de Mr de Guise dÕy aller, et le mercredi 6me nous lÕall‰mes retrouver ˆ Lusignan dÕo il partit le lendemain pour venir loger ˆ Pamprou.

Comme nous fžmes au rendez-vous, toute la cavalerie demanda congŽ de sÕen aller, ne leur Žtant plus possible de tenir la campagne en cette saison, et quelque prire que leur pžt faire Mr de Guise, il ne leur put persuader, et ne lui donnrent plus que trois jours ˆ demeurer prs de lui. Comme nous fžmes logŽs ˆ Pamprou, Mr de Guise se promenait avec moi en colre du refus des troupes de marcher et demandait mon avis de ce quÕil en devait faire : je lui dis quÕil en devait donner avis au roi et cependant les faire pratiquer pour lui donner encore quinze jours de service, aprs lesquels il me semblait bien raisonnable quÕil les mit pour deux mois en garnison, vu la saison et le mauvais temps, joint que les armŽes lÕhiver rarement tenaient la campagne.

Comme nous Žtions sur ce discours, Mr de Vitry nous manda quՈ un village ˆ demie lieue de leur quartier et ˆ une lieue de Pamprou, nommŽ Nanteuil, il y avait trois rŽgiments des ennemis logŽs, qui ne se doutaient de rien ; quÕil avait fait monter ˆ cheval la cavalerie lŽgre qui Žtait avec lui ; que la compagnie de gendarmes du roi, qui Žtait prochaine, en avait fait de mme, et que ds quÕils auraient son ordre, ils les attaqueraient.

Nous mont‰mes ˆ lÕheure mme ˆ cheval et y couržmes ˆ toute bride, Mr de Pralain, Mr de Schomberg, et moi, avec quelque vingt chevaux ; Mr de Guise suivait ; Lambert, Guittaut le jeune, et Descombes ouvrirent la barricade de lÕentrŽe du village, et nous donn‰mes dedans par un c™tŽ. Les ennemis se voyant surpris ne firent aucune rŽsistance, et ceux qui purent se jetrent dans lՎglise, auxquels on donna la vie aprs les avoir dŽsarmŽs et dŽvalisŽs. En mme temps que nous donnions par une avenue, les chevau-lŽgers donnrent par lÕautre, et la compagnie de gendarmes du roi que Mr de Saint-Geran amena en mme temps en fort bon ordre, fut tenue par Mr de Guise ˆ lÕavenue de Saint-Maixent en cas que les ennemis voulussent venir au secours ou que ceux qui Žtaient dans le village (qui se nomme Nanteuil) pensassent ˆ faire leur retraite ˆ Saint-Maixent. On apporta ˆ lÕheure cinq drapeaux ˆ Mr de Guise, et lui furent prŽsentŽs deux ma”tres de camp prisonniers, dont lÕun Žtait Mr de Beins, frre dÕune des filles de la reine : Mr de Schomberg apporta un desdits drapeaux quÕil avait pris en entrant. Nous ne perd”mes en ce combat que Mr de Chemeraut qui fut tuŽ, et Lambert blessŽ dÕune mousquetade chargŽe de dragŽes qui lui fit plus de soixante trous dont nŽanmoins aucun ne fut dangereux. Nous rev”nmes de lˆ coucher ˆ Pamprou o nous nÕarriv”mes quÕil ne fut dix heures du soir.

Le lendemain vendredi 8me lÕarmŽe prit le logement de la Motte Saint-Esloy o nous demeur‰mes le samedi 9me sur un avis que lÕon donna ˆ Mr de Guise que Mr le Prince devait venir la nuit suivante pour charger un de ses quartiers, ce qui fut cause de nous faire tenir toute la nuit dans le champ de bataille du rendez-vous de lÕarmŽe.

Le dimanche 10me lÕarmŽe alla loger ˆ Lusignan, menŽe par Mr de Guise et messieurs les marŽchaux de camp. Mais pour moi avec Mrs de Chevreuse, CrŽquy, [la] Rochefoucaut, Bressieux et toute la noblesse, nous v”nmes coucher ˆ Poitiers.

Mr de Guise sŽjourna le lendemain 11me ˆ Lusignan pour licencier lÕarmŽe quÕil envoya en garnison, et le mardi 12me il fit marcher le reste quÕil conserva en corps pour sÕen servir o besoin serait, et logea ˆ Montereuil Boni, et y sŽjourna le lendemain avec les Suisses, le canon et les vivres.

Le jeudi 14me le logement fut ˆ VouillŽ ; le vendredi 15me ˆ Chesnechay o elle sŽjourna le lendemain pour le rigoureux temps de neige quÕil faisait ; le dimanche 17me ˆ Savigny et le lundi 18me ˆ Faye la Vineuse dÕo les Suisses et le canon partirent le lendemain 19me janvier pour ramener lÕartillerie ˆ Poitiers et y venir tenir garnison, et y entrrent comme la cour en partait par le plus f‰cheux temps qui ait ŽtŽ depuis longues annŽes.

Le jour auparavant la reine mÕenvoya quŽrir, comme elle Žtait au conseil, et me dit comme le roi avait rŽsolu de mettre quinze cents Suisses en garnison ˆ Poitiers et quÕelle se promettait que je donnerais bon ordre de les faire agrŽer par les habitants avec lÕassistance que Mr de la Rochefoucaut et le maire me donneraient, et quÕen mme temps que la cour sortirait on les ferait entrer. Je connaissais assez quel pŽril cՎtait dÕintroduire une garnison ˆ Poitiers, et mÕexcusai le plus que je pus dÕaccepter cette commission, disant ˆ la reine que le gouverneur de la ville et le maire Žtaient plus que suffisants ˆ cela ; mais il fallut que jÕeusse la corvŽe, ce qui me rŽussit plus heureusement que je ne me lՎtais imaginŽ ; et nÕy eut jamais aucune sŽdition ni rumeur, tant ˆ lՎtablissement quÕau sŽjour.

Je demeurai huit jours ˆ Poitiers, au bout desquels je fis rŽsolution dÕaller trouver le roi ˆ Tours, et pour cet effet je vins ˆ la maison de ville le mardi 26me, et voulus prendre congŽ de la ville avant que partir. Mais ils me dirent franchement quÕils ne me pouvaient laisser aller ; que sur la seule confiance quÕils avaient eue que je demeurerais avec les Suisses, ils avaient souffert que lÕon les ežt logŽs ˆ Poitiers, ce quÕils nÕeussent permis sans cela, et que la reine leur avait donnŽ parole que je ne partirais de Poitiers ; que tout ce quÕils pouvaient faire Žtait dÕen Žcrire ˆ la cour de laquelle ils sÕassuraient que jÕaurais ordre de demeurer. Je jugeai que de contester avec eux ce serait peine perdue : je leur dis quÕils en pouvaient Žcrire ˆ la cour et que je ferais ce que Leurs MajestŽs me commanderaient, sans leur dire que je supersederais ou que je mÕen irais. Ainsi lÕassemblŽe de ville se sŽpara aprs avoir rŽsolu dՎcrire ˆ la cour pour me faire demeurer : et moi le soir mme je fis porter habillements, bottes, et tout ce qui mՎtait nŽcessaire, au faubourg qui va ˆ Ch‰telleraut, dans le logis du colonel Galaty, auquel je mandai que le lendemain Mr le comte de la Rochefoucaut et moi irions d”ner chez lui ; jÕenvoyai mme quelques chevaux, et Mr de la Rochefoucaut aussi, coucher au mme faubourg.

Le mercredi 27me le colonel Galaty vint le matin nous prier ˆ d”ner, ce que nous lui accord‰mes et y all‰mes dŽbottŽs et nos gens de mme, pour ne faire souponner notre partement : et aprs d”ner nous all‰mes coucher ˆ Ch‰tellerault, laissant ˆ Mr dÕEstissac de faire mes excuses et de dire pour son frre que dans huit jours il serait de retour.

Nous v”nmes coucher ˆ Ch‰tellerault chez Mr de Brassac, et le lendemain jeudi 28me nous arriv”mes bien tard ˆ Tours.

Le vendredi 29me de janvier je vins trouver la reine ˆ son d”ner, qui avait reu lettres de Poitiers pour mÕy faire demeurer et qui pensait que jÕy fusse encore. Aprs son d”ner elle vint en sa chambre o arrivrent peu aprs Mrs le Comte, de Guise, et dÕEpernon, et tant dÕautres avec eux quÕils firent enfoncer le plancher de la chambre, o je tombai avec quarante-sept autres personnes, du nombre desquels Mrs le Comte, dÕEpernon, de Villeroy, dÕAumont, et plusieurs autres, tombrent aussi. La reine demeura sur une poutre qui tint ferme, et passant par dessus son lit sortit de sa chambre. Je fus blessŽ ˆ lՎpaule et ˆ la cuisse, et eus deux des petites c™tes enfoncŽes, dont je me suis senti longtemps depuis.

 

FŽvrier. Ń Nous demeur‰mes trois mois ˆ Tours pendant lesquels lÕon traitait de la paix ˆ Loudun o Mr le Prince et ceux de son parti Žtaient assemblŽs. Il y tomba malade ˆ lÕextrŽmitŽ (mars), dont par la gr‰ce de Dieu il Žchappa ; et fut la paix conclue aprs plusieurs allŽes et venues des commissaires, avant laquelle je dirai trois choses :

LÕune, que la reine fut avertie par lettres de Mr de Pontchartrain, secrŽtaire dՎtat, qui Žtait un des dŽputŽs de la part du roi (avec Mrs le marŽchal de Brissac et de Villeroy), que monsieur le chancelier faisait instance vers Mr le Prince pour faire que lÕon demand‰t par la paix quÕil serait conservŽ dans sa charge (avril). La reine me le dit, et moi qui Žtais ami et serviteur de monsieur le chancelier, suppliai la reine de me permettre de lui faire savoir, afin quÕil sÕen pžt justifier ou excuser, ce que la reine aprs plusieurs difficultŽs me permit ; car elle ha•ssait lors ledit chancelier. Je lui fis dire ce que je savais par Mr le Clerc, premier commis de Mr de Puisieux son fils, et le dit monsieur le chancelier Žtant venu aprs d”ner au conseil chez la reine, me vint dire : Ē Monsieur, je vous remercie de toute mon affection de lÕavis que vous mÕavez fait donner par Le Clerc et vous en demeure obligŽ, bien que lÕon mÕait dit que cՎtait vous qui aviez donnŽ cet avis ˆ la reine : mais je ne lÕai pas voulu croire, et vous dis encore une fois que je mÕen ressens votre obligŽ. Č Je fus bien ŽtonnŽ de voir quÕil ežt pris avec la main gauche ce que je lui avais prŽsentŽ ˆ la droite, et piquŽ de sa rŽponse je lui dis : Ē Monsieur, je vous ai donnŽ cet avis pour votre intŽrt particulier et non pour le mien, pour lequel maintenant je vous ferai voir que je suis plus franc et plus noble que vous ne mÕestimez : vous saurez de la propre bouche de la reine qui lui a donnŽ. Č Alors il me fit mille instances de ne le point faire, et que je le ruinerais : il me pria mme dÕavoir pitiŽ de sa fortune que je mettrais en compromis par cette action ; mais il nÕy sut rien gagner, car la reine sՎtant aperue de notre contestation sÕapprocha pour en savoir la cause, et lors je lui dis : Ē Madame, si Votre MajestŽ nÕaffermit ma rŽputation par son tŽmoignage, elle est en branle dans lÕopinion de monsieur le chancelier qui croit quÕun avis que je lui ai donnŽ, que jÕavais appris de Votre MajestŽ (et dont je lui demande pardon de lÕavoir dŽcouvert), est venu de mon invention ou bien que cÕest de moi de qui Votre MajestŽ lÕavait appris. Č Alors la reine lui dit : Ē Monsieur le chancelier, vous payez en mauvaise monnaie les bons offices que lÕon vous fait. JÕai ŽtŽ avertie ce matin par Pontchartrain ˆ qui Mr de Bouillon lÕa dit, que vous vous faisiez recommander ˆ Mr le Prince pour tre compris dans le traitŽ de la paix, et Bassompierre mÕa fait de fortes instances pour vous en pouvoir avertir afin que vous vous en puissiez justifier, et cependant vous lÕaccusez de ce dont vous lui deviez tre obligŽ. Č Jamais homme ne fut plus surpris quÕil fut ˆ lÕheure, et t‰cha de faire de faibles excuses en disant quÕil nÕavait point fait ce dont Mr de Bouillon (qui lui voulait mal de longue main) lÕavait accusŽ. Mais ds lÕheure on jugea bien quÕil ne demeurerait pas longtemps sur ses pieds.

LÕautre chose, que le roi se rŽsolut de faire ˆ Tours un rŽgiment complet de ses gardes suisses et quÕils vinrent faire la premire garde devant son logis le mardi 12me de mars.

La troisime, que pendant que la paix se traitait, la reine tenait souvent conseil sur les choses quÕelle avait ˆ rŽpondre, pour les rejeter ou accorder, et que messieurs le chancelier et prŽsident Jeannin amenaient avec eux des conseillers de robe longue comme Mrs de Vic, de Comartin, de Refuges, et autres, sans que aucun seigneur y fžt appelŽ. Or cet hiver-lˆ chacun avait renvoyŽ son train, et nÕy avait que Mr de CrŽquy et moi qui tenions table splendide et magnifique, lui ˆ d”ner et moi ˆ souper rŽglŽment, o tous les autres se trouvaient. Un soir aprs souper, Mrs de Montigny, Pralain, Betunes, Saint-Geran, Saint-Aignan, CrŽquy, Saint-Luc et quelques autres mÕappelrent pour en tre aussi de part, et se plaignirent de lÕindignitŽ quÕils recevaient de nՐtre appelŽs ˆ la rŽsolution de la paix comme ils Žtaient employŽs aux hasards de la guerre, et quÕil fallait que nous allassions le lendemain ensemble faire nos plaintes ˆ la reine, et que Mr de Montigny Žtait priŽ de la compagnie, comme le plus vieux, de porter la parole ; et si je ne voulais pas tre de la partie. Je leur rŽpondis que ce mՎtait honneur dՐtre dÕune si honnte bande, et que je leur Žtais obligŽ, mais que je leur suppliais (bien que le plus jeune) de me permettre de leur dire que peut-tre la reine nÕavait point de coulpe ˆ cela et que cՎtait ses ministres qui introduisaient les gens de leur robe ˆ notre exclusion, et que comme nous ne nous en dŽmenions point, la reine ne pensait pas aussi que nous y pensassions ; de plus, que de venir ainsi tous en corps parler ˆ son ma”tre (bien que ce soit avec juste cause) nÕest jamais approuvŽ ni trouvŽ bon par eux qui prennent ces plaintes publiques non prŽvenues pour des monopoles [cabales], et quÕau moins lui devions nous faire savoir prŽcŽdemment que nous dŽsirons lui parler sur ce sujet et que nous lui supplions de nous donner une bŽnigne audience. Ma proposition fut approuvŽe de la compagnie qui me chargea de savoir de la reine quand il lui plairait nous ou•r, ce que jÕacceptai, et le lendemain matin vins ˆ lÕantichambre de la reine et lui fis dire par Selvage, sa femme de chambre, que jÕavais ˆ lui parler. Elle me fit entrer comme elle se coiffait et reut favorablement ce que je lui dis, et Barbin qui Žtait prŽsent lui dit que nous avions raison et que la reine ne devait pas avoir appelŽ les autres conseillers sans nous, et quÕil ežt ŽtŽ plus juste de nous appeler sans eux, parce que nous avions les principales charges de la guerre, y exposions nos vies pour lui acquŽrir la paix, de laquelle il Žtait raisonnable que nous fussions aussi participants. La reine me commanda de leur dire quÕils vinssent au sortir de sa messe, non pour avoir audience, mais bien pour lui donner ; et leur dire que quand elle voudrait choisir des conseillers, dՎpŽe ou de robe, elle prŽfŽrerait toujours les premiers aux autres, et beaucoup dÕautres belles paroles ; et leur commanda de sÕy trouver lÕaprs-d”nŽe, mme donna charge ˆ Sauveterre de les aller avertir de sÕy trouver toutes les fois que le conseil sÕassemblerait.

Elle me dit ensuite et ˆ Barbin qui Žtait lˆ, comme Mr de Villeroy lui avait gardŽ un paquet et au marŽchal dÕAncre pour la conclusion de la paix, qui Žtait que aprs avoir tout accordŽ, Mr le Prince avait fait deux nouvelles demandes, savoir que quand il serait ˆ la cour, il ežt la plume, cÕest ˆ dire quÕil sign‰t les arrts du conseil, lÕarrtŽ de la semaine aux finances et les comptes de lՎpargne, ce qui Žtait directement contre lÕautoritŽ du roi et la sienne ; lÕautre, quÕil plžt ˆ Leurs MajestŽs tirer Mr le marŽchal dÕAncre de Picardie pour le bien et la conservation de la paix, attendu lÕincompatibilitŽ qui Žtait entre Mr de Longueville et ledit marŽchal, et quÕelle voyait bien que cela sortait de la boutique de Mr de Villeroy comme une pice de sa faon pour faire du mal au marŽchal dÕAncre quÕil ha•ssait, ce que Mr Barbin confirma, et anima la reine autant quÕil put contre le dit Villeroy, lequel en mme temps fit dire ˆ la reine quÕil Žtait en son antichambre, attendant de lui pouvoir parler. Barbin dit lors ˆ la reine : Ē Madame, oyez-le sans montrer aucune altŽration, et puis lui demandez son avis lˆ-dessus, et sÕil vous dit quÕil vous conseille dÕaccorder ces deux dernires demandes, il dŽcouvrira manifestement sa fourbe quÕil a voulu jusques ˆ maintenant couvrir : si aussi, comme je le pense, il dŽconseille ˆ Votre MajestŽ de leur accorder, vous direz tant™t au conseil tout haut que vous refusez ces propositions, et ce par le conseil et induction de Mr de Villeroy, qui ne lÕoserait nier ; car Votre MajestŽ lui maintiendra, et Mr de Bassompierre et moi lui servirons de tŽmoins, et ainsi Votre MajestŽ renverra la flche contre lui, quÕil avait tirŽe sur vous, et le discrŽditerez par mme moyen auprs de son cher ami Mr de Bouillon. Č

La reine embrassa cet avis et fit aussit™t entrer Mr de Villeroy auquel elle fit fort bon visage et lui dit : Ē Pauvre homme, vous avez bien de la peine ˆ aller et venir si souvent, et peut tre enfin nÕy gagnerez-vous rien, ni pour vous, ni pour nous ; Č puis lÕamena auprs de la fentre o Barbin et moi Žtions, qui nous voulžmes retirer ; mais elle nous dit : Ē Ne bougez, vous en pouvez bien tre ; Č puis elle dit ˆ Mr de Villeroy : Ē Et bien, Mr de Villeroy, vous me venez porter le dernier plat pour mon dessert : Mr le Prince veut tre le rŽgent, il veut avoir la plume ; et Mr de Longueville veut tre absolu en Picardie dÕo il veut chasser le marŽchal dÕAncre. CÕest ce quÕils mÕenvolent rapporter par vous : je le sais bien ; car Philipeau (cՎtait Pontchartrain) me lÕa mandŽ. Č Ē Madame, lui dit-il, si je savais aussi bien votre rŽsolution que vous tes bien informŽe de ma proposition, je serais prt ˆ partir pour leur aller porter de votre part. Č Alors la reine lui dit : Ē Et bien, Mr de Villeroy, que vous en semble ? Dois-je encore passer cela pour le bien de la paix, ou rejeter ces articles comme impertinents ? Dites mÕen librement votre avis avec les raisons qui me doivent porter ˆ lÕun, ou ˆ lÕautre, afin que tant™t au conseil jÕen puisse mieux parler, comme y Žtant prŽparŽe. Č Mr de Villeroy lui dit quÕil serait bien empchŽ de lui dire, et quÕil nՎtait pas tout son conseil, mais la moindre partie dÕicelui ; que tant™t il lui ferait sa proposition, et puis quÕen son rang il en dirait son avis comme un autre selon sa conscience et que Dieu lÕinspirerait pour le bien du service du roi et de lՎtat. Ē Non, dit la reine, jÕen veux prŽsentement votre avis. Č Lors, comme il se vit pressŽ et en Žtat de ne pouvoir plus reculer, il lui dit : Ē Oui, Madame, je le dirai franchement ˆ Votre MajestŽ, pourvu quÕelle me promette de mՎcouter jusques ˆ la fin, Č puis commena en cette sorte :

Ē JÕai toujours bien cru, Madame, que Mr le Prince et ses associŽs gardaient au fond de leur sac quelque article quÕils ne proposeraient que lorsque tous les autres seraient rŽsolus, et que cet article mettrait Votre MajestŽ en Žtat, si elle le refusait, de faire croire ˆ tout le monde que non les intŽrts de lՎtat, mais le v™tre particulier, auraient occasionnŽ la rupture du traitŽ. Mais je ne pensais pas quÕelle en džt tre quitte ˆ si bon marchŽ que de ces deux derniers que Votre MajestŽ a dŽjˆ su quÕils ont proposŽs ˆ messieurs vos commissaires et que par leur ordre je vous viens apporter, lesquels, Dieu aidant, nÕempcheront point quÕune bonne paix ne soit terminŽe et parachevŽe au bien de la France et du roi. Le premier est de la plume, qui regarde Mr le Prince et qui semble choquer lÕautoritŽ particulire de Votre MajestŽ ; lÕautre est ˆ lÕavantage de Mr de Longueville et au prŽjudice de Mr le marŽchal dÕAncre lequel ils dŽsirent retirer de Picardie, lui souhaitant ailleurs toute sorte dÕautres charges et honneurs, ce que je conseille ˆ Votre MajestŽ dÕaccepter et qui est ˆ votre avantage ; car vous le logerez et Žtablirez en quelque autre province aussi bien ou mieux quÕen celle-lˆ ; vous en pourrez retirer des personnes qui ne vous y Žtaient pas si affidŽes, et pourrez en mme temps donner les charges que mondit sieur le marŽchal y avait, ˆ quelque autre bon et fidle serviteur qui fera contenir Mr de Longueville en son devoir aussi bien quÕežt pu faire monsieur le marŽchal, lequel sera louŽ dÕavoir cŽdŽ ses propres intŽrts et son Žtablissement au bien de la paix ; et Votre MajestŽ aura tŽmoignŽ ˆ bon marchŽ que vos serviteurs et crŽatures particulires ne vous sont point si chres que le repos de lՎtat. Voilˆ mon avis quant ˆ ce point. Et pour celui de signer les arrts du conseil et les comptes de lՎpargne, que Mr le Prince demande, je vous conseille aussi, Madame, de lui accorder sans regret ni dispute ; car cela ne vous touche point, ou sÕil vous touche, cÕest ˆ votre avantage ; et voici o je me fonde, que Mr le Prince viendra ˆ la cour ou nÕy viendra point : sÕil nÕy vient point, il ne vous demande rien et vous ne lui accordez rien ; ou il y viendra, et je fais encore cet autre dilemme : ou il dŽpendra absolument de vous, ne respirera que votre obŽissance et dÕaccomplir tous vos ordres et commandements ; en ce cas vous aurez un grand avantage dÕavoir ˆ votre dŽvotion un premier prince du sang trs habile et entendu aux affaires, et y aurez acquis un bon serviteur et perdu un mauvais ennemi ; ou bien il persistera en ses mauvaises intentions, continuera ses brigues et ses pratiques et t‰chera dÕempiŽter votre autoritŽ ou de la partager, et en ce cas vous ne devez point craindre de mettre la plume ˆ la main dÕun homme de qui vous tiendrez le bras. Č

Il nÕeut pas plus t™t achevŽ son discours que Barbin, qui Žtait dÕailleurs fort retenu et respectueux, vint assez effrontŽment (ce me sembla) prendre le bras de la reine quÕil lui serra, et lui dit : Ē Madame, voilˆ le plus grand conseil et du plus grand personnage que vous sauriez trouver, auquel il vous faut tenir et nÕen point chercher dÕautre ; car cÕest lÕunique que vous pourrez prendre. Č

Je mՎtonnai de ce subit changement de Barbin, et plus encore quand jÕou•s la reine dire ˆ Mr de Villeroy : Ē Veramente, Monsieur de Villeroy, vous mÕavez donnŽ un bon conseil, et comme un bon serviteur de lՎtat, du roi, et de moi ; aussi mÕy tiendrai-je, et je vous en remercie, Č puis se mit ˆ parler dÕautres affaires : et je me retirai dire ˆ ces messieurs qui mÕattendaient chez moi quÕils vinssent parler ˆ la reine au sortir de sa messe, laquelle les contenta au-delˆ de leurs propres dŽsirs : et aprs, la reine ayant tenu un grand conseil o nous assist‰mes, comme Mr de Villeroy ežt fait sa proposition que chacun trouvait nՐtre recevable, la reine sans en attendre ni faire demander les opinions, nous dit :

Ē Messieurs, si jÕai jusques ˆ cette heure contestŽ, dŽbattu, ou refusŽ plusieurs articles qui mÕont ŽtŽ proposŽs pour parvenir ˆ une bonne et ferme paix, je lÕai fait pour lÕintŽrt du roi ou de lՎtat, qui mÕest cher ˆ lՎgal de ma vie, et me rŽjouis maintenant quÕil ne tienne plus quÕaux intŽrts de mes particuliers serviteurs ou de moi quÕelle ne sÕaccomplisse, lesquels je cde et quitte de bon cĻur pour le repos tant dŽsirŽ du royaume. CÕest pourquoi je ne ferai point demander les opinions pour savoir ce que lÕon devra faire lˆ dessus ; car jÕaccorde lÕun et lÕautre de bon cĻur, et Mr de Villeroy sÕen pourra retourner demain au matin et leur rapporter acceptŽs par moi en la mme forme et teneur quÕils me les ont demandŽs. Č

Ainsi la paix fut conclue peu aprs P‰ques, et la cour partit de Tours pour aller se tenir ˆ Blois, laissant Mr de Guise avec les chefs de lÕarmŽe ˆ Tours pour tre en Žtat en cas que Mr le Prince nÕežt effectivement dŽsarmŽ, ce quÕil fit promptement, et lors tout retourna ˆ Blois et de lˆ ˆ Paris o lÕon attendit quelque temps Mr le Prince ; Mrs de Vend™me, du Maine, et de Bouillon, y Žtant prŽcŽdemment arrivŽs.

Mr le marŽchal dÕAncre demeura ˆ LŽsigny o je lÕallai voir. Il fit battre (juin) par ses valets de pied un certain cordonnier qui Žtant capitaine de son quartier, lui avait refusŽ la sortie de la porte de Bussy o il commandait pendant la guerre. Ses laquais furent pris par le peuple et pendus ˆ deux jours de lˆ devant la boutique dudit cordonnier.

 

Juillet. Ń Enfin Mr le Prince arriva, qui fut conduit jusques au Louvre par quantitŽ de peuple.

En ce temps-lˆ le marŽchal dÕAncre Žtait fort mal voulu dans Paris : Mrs de Mayenne et de Bouillon le menaaient de lÕaller attaquer jusques ˆ LŽsigny o il se tenait, et mme avaient eu une entreprise de lÕy pŽtarder, ce que nŽanmoins ils ne surent exŽcuter. Le dit marŽchal sachant Mr le Prince arrivŽ, me manda quÕil devait venir le jour mme ˆ Paris et que je lÕobligerais de le venir prendre ˆ trois heures ˆ la porte de Saint-Antoine, ce que je fis avec trente chevaux, et pass‰mes devant lÕh™tel du Maine. Il avait de lui quelque quarante chevaux sans les miens. Je lui prtai un petit barbe sur lequel il monta, et aprs avoir saluŽ la reine il remonta ˆ cheval, et pouvions tre cent chevaux alors, qui v”nmes ˆ lÕh™tel de CondŽ trouver Mr le Prince, o il demeura une heure. Nous trouv‰mes en entrant ce cordonnier qui avait ŽtŽ battu de ses gens, qui en avaient ŽtŽ pendus, lequel sortit en mme temps pour venir Žmouvoir son quartier contre le dit marŽchal ; mais il nÕen put venir ˆ bout. On nous dit que nous trouverions, en retournant, le Pont Neuf occupŽ, et ˆ cette occasion je me mis devant avec ce que je lui avais amenŽ dÕhommes, et lui me suivait ˆ deux cents pas prs, voulant (en cas que la partie nÕežt ŽtŽ Žgale) sÕen retourner ˆ lÕh™tel de CondŽ, et de lˆ prendre parti : mais il ne sÕy trouva personne.

 

Aožt. Ń Peu de jours aprs Mr le milord de Hay, maintenant comte de Carlile, arriva avec une ambassade magnifique de la part du roi de la Grand Bretagne, ˆ dessein, ce disait on, de demander pour le prince de Galles une des filles de France : mais voyant les brouilleries qui suivirent depuis, il sÕen dŽsista. Il fut reu avec toute la somptuositŽ du monde ; chacun lui fit de grands festins, et ensuite des beaux prŽsents. Il avait quantitŽ de noblesse anglaise avec lui et entre autres le comte Holland que lors on nommait Mr Riche, et Gorin.

Durant la bonne rŽception que lÕon lui faisait, les brigues de la cour croissaient : Mr le Prince Žtait en grande autoritŽ et tous les grands Žtaient de sa cabale et ses partisans ; Mrs de Guise mme sՎtaient mis de son c™tŽ sous le prŽtexte du mŽcontentement que chacun avait du marŽchal dÕAncre et de sa femme, lequel nŽanmoins eut lÕassurance de se venir tenir ˆ son logis du faubourg Saint-Germain : vrai est que cՎtait sur lÕassurance que Mr le Prince lui avait donnŽe de le maintenir.

Il fit en ce temps-lˆ aussi un tour bien hardi : le jour que Mr le Prince faisait son festin au milord de Hay, que tous les grands de la cour (qui Žtaient ses ennemis jurŽs) y Žtaient conviŽs, il vint avec trente gentilshommes trouver Mr le Prince dans la salle mme du festin o ils Žtaient tous, et aprs lui avoir parlŽ assez longtemps, il prit congŽ de lui et sÕen retourna ˆ son logis, tous ces messieurs le morguant, et lui eux aussi. Ils mirent force propos en avant de le tuer lors, mais ce fut sans effet. Le lendemain Mr le Prince lÕenvoya quŽrir et lui dit quÕil avait eu beaucoup de peine de contenir ces princes et seigneurs le jour prŽcŽdent, qui le voulaient attaquer, et quÕils lÕavaient tous menacŽs de lÕabandonner sÕil ne quittait sa protection : cÕest pourquoi il lui dŽclarait quÕil ne le pouvait plus maintenir et quÕil lui conseillait de se retirer en Normandie o il Žtait lieutenant-gŽnŽral ; ce quÕentendu par lui, il vint au Louvre prendre congŽ de la reine mre, puis du roi, et partit le lendemain matin. Il ne se peut dire comme ce partement discrŽdita la reine lorsque lÕon vit quÕun sien serviteur nÕavait pu avoir de sžretŽ dans Paris que tant quÕil avait plu ˆ Mr le Prince, et combien cela accrut la rŽputation et lÕautoritŽ de Mr le Prince.

Il arriva en ce temps-lˆ que la reine fit sortir de prison Mr le comte dÕAuvergne, qui ds lÕannŽe 1605 avait ŽtŽ condamnŽ ˆ avoir la tte tranchŽe, et lequel le feu roi (ainsi que je lui ou•s dire en ce temps-lˆ) ˆ la considŽration que le roi Henry 3me son prŽdŽcesseur en mourant lui avait particulirement recommandŽ et Mr le Grand aussi, voulut commuer sa condamnation en prison perpŽtuelle, sans nŽanmoins infirmer la sentence. Et peu de jours aprs, Mr de Longueville qui aprs la paix jurŽe, sans passer ˆ la cour, sՎtait retirŽ en son gouvernement de Picardie, voyant que contre ce qui avait ŽtŽ convenu par le traitŽ de paix, monsieur le marŽchal dÕAncre conservait encore le gouvernement de PŽronne, fit entreprise dessus le ch‰teau et la ville quÕil prit en trois jours par le peu de soin ou de verdeur de ceux que ledit marŽchal y avait mis dedans. Cela apporta un nouveau trouble ˆ la cour. La reine dŽpcha Mr dÕAngoulme avec quatorze compagnies des gardes franaises et la cavalerie qui Žtait la plus prochaine pour investir la place, et Mr le Prince Žtant venu trouver la reine lui offrit son service en cette occasion, suppliant nŽanmoins quÕavant rien dŽclarer ni entreprendre contre Mr de Longueville, elle y veuille envoyer Mr de Bouillon de sa part, lequel se faisait fort de faire remettre toutes choses en lՎtat o elles Žtaient avant ladite invasion. La reine qui avait dessein de se saisir de Mr le Prince et de ses associŽs, consentit ˆ cette proposition, et Mr de Bouillon partit le jour mme. La reine fit semblant de vouloir aussi envoyer au sige de PŽronne quatre compagnies de Suisses ; mais sous main elle me commanda de les retarder : et ce qui donna aussi soupon ˆ Mr le Prince, cÕest que le roi nomma ˆ Mr de CrŽquy les quatorze compagnies qui y devaient aller, sans lui en laisser le choix comme il avait accoutumŽ, et les six capitaines qui demeurrent Žtaient tous ceux de qui la reine se fiait le plus. Elle fit aussi semblant dÕy envoyer sa compagnie de gendarmes qui tenait garnison ˆ Nogent, et la fit passer proche de Paris le jour quÕelle fit arrter Mr le Prince, pour tre prte en cas quÕelle en ežt eu besoin.

Cependant Mr le nonce t‰chait de raccommoder les choses et les pacifier autant quÕil pouvait, parlant tant™t ˆ Mr le Prince, tant™t ˆ Mrs de Guise, de Vend™me et du Maine, tant™t ˆ la reine, pour aviser de mettre les affaires en une bonne assiette. Quant ˆ Mr le Prince, il Žtait portŽ au bien, dŽsirait dÕentretenir la paix et demeurer en bonne intelligence et mme dŽfŽrence avec la reine mre : mais ses partisans ne pouvaient souffrir leur rŽunion ; et les avait ˆ combattre et ˆ se porter ˆ leurs desseins, ou les perdre et les quitter : car ils lui mettaient souvent le marchŽ ˆ la main, le menaant de se rŽunir avec la reine qui les en faisait (ˆ ce quÕils disaient) pressament solliciter.

Mr de Sully qui dŽsirait le bien et la conservation de lՎtat se maintenait avec les uns et les autres, t‰chant de les mettre bien autant quÕil pouvait ; et prŽvoyant bien que les affaires ne pouvaient subsister en lՎtat o elles Žtaient, en avertissait quelquefois la reine mre, quelquefois Mr le Prince. Et un jour le vendredi 26me dÕaožt Mr de Sully demanda le soir audience ˆ la reine, en laquelle il fit voir que les choses ne pouvaient encore subsister huit jours au point o elles Žtaient rŽduites et quÕau balancement o elles Žtaient il Žtait infaillible que toute lÕautoritŽ tomberait entre les mains de Mr le Prince, ou quÕelle demeurerait aux siennes si elle la savait retenir ; que deux si grandes puissances concurrentes ne se pouvaient compatir ; que les grands et le peuple penchaient et inclinaient vers Mr le Prince ; que son autoritŽ diminuait depuis lÕentreprise de Mr de Longueville, le partement du marŽchal dÕAncre et la toute puissance de Mr le Prince dans les affaires et conseils ; finalement quÕil ne la tenait pas assurŽe dans Paris et quÕelle serait mieux avec mille chevaux ˆ la campagne avec ses enfants, que dans le Louvre, en lՎtat o Žtaient les esprits des grands et du peuple ; quÕil avait cru tre de son devoir et des obligations quÕil avait au feu roi de lui remontrer ce que dessus, ne pouvant y apporter avec sa vie un autre remde, quÕil emploierait volontiers si par sa perte il pouvait sauver le roi, elle, et lՎtat : et ensuite il prit congŽ dÕelle, lui suppliant de penser ˆ ce quÕil lui venait de dire, et quÕen cas quÕelle nÕy apport‰t le remde convenable, il protestait de tout le mal qui lui en adviendrait, et quՈ elle seule en serait la faute puisquÕelle en avait ŽtŽ avertie et que le mal Žtait prŽvu.

Ė ce discours la reine rŽpondit que force gens lÕavertissaient du mal, mais que peu lui donnaient lÕavis du remde et moins encore aidaient ˆ lÕassoupir ; quÕelle faisait humainement tout ce qui se pouvait pour le bien de lՎtat, mais quÕil ne plaisait pas ˆ Dieu de bŽnir son travail, ni aux hommes de reconna”tre ses bonnes et saintes intentions ni dÕy concourir ; quՈ ce sujet elle avait donnŽ la plume ˆ Mr le Prince, ˆ ce sujet dŽsarmŽ le roi, ˆ ce mme sujet dŽpouillŽ le marŽchal dÕAncre de lՎtablissement quÕil avait en Picardie, et ensuite voyant quÕil nՎtait pas agrŽable aux grands elle lÕavait ŽloignŽ ; quÕelle faisait des grands biens ˆ un chacun et mal ˆ personne, et quÕelle ne savait plus que faire autre chose que ce quÕelle avait fait ; quÕil avis‰t lui mme ˆ lui donner quelque bon conseil lˆ dessus, et quÕelle serait bien aise de le suivre sÕil Žtait au bien du service du roi.

JÕentrai peu aprs ˆ sa chambre qui Žtait lors ˆ lÕentresol du Louvre, et lui dis que tous ses serviteurs sՎtonnaient dÕun assoupissement quÕils voyaient en elle pendant que lÕon empiŽtait son autoritŽ ; que cela dŽcourageait les gens de bien et animait les autres ˆ se jeter ˆ bride abattue dans le parti de Mr le Prince, qui sՎtait tellement relevŽ depuis son arrivŽe ˆ Paris que lÕon le tenait plus puissant que le sien ; et cependant, quÕelle sÕendormait lors quÕelle se devait le plus rŽveiller ; quÕelle pardonn‰t ˆ mon zle qui avait causŽ mon effronterie de lui parler si librement ; mais que je la suppliais trs humblement quÕelle considŽr‰t avec mes paroles mon intention. Elle me dit quÕelle me remerciait de lÕavis que je lui donnais ; quÕelle me tenait bon serviteur du roi et le sien, et quÕelle sÕen assurait ; que je devais croire aussi quÕelle ne dormait pas comme je pensais, mais quÕil y avait certaines choses quÕil fallait que le temps accommod‰t ; que cependant je persistasse en la bonne affection que jÕavais ˆ son service, et que les dames ne me fissent rien faire ˆ son prŽjudice, parce que celles que jÕaimais en Žtaient aliŽnŽes.

Cependant la reine ne laissait pas de songer ˆ ses affaires et se prŽparait pour prendre Mr le Prince prisonnier avec les principaux de ses partisans, et ne se confiait de son dessein quՈ la seule marŽchale dÕAncre et ˆ Barbin, lequel avait fait quelque connaissance ˆ Bordeaux avec Mr de ThŽmines quÕil avait connu (dans la contrariŽtŽ et rŽpugnance que faisait Mr de Roquelaure de tout ce que lÕon dŽsirait de lui et les formes et humeurs de Mr de Montespan) quÕil Žtait homme facile ˆ entreprendre ce que lÕon lui offrait et qui lui avait priŽ quÕen cas que la reine ežt besoin dÕun homme pour une grande et pŽrilleuse exŽcution, quÕelle le voulžt employer, quÕil lui offrait sa vie sans aucune rŽserve. Il fit Žtat de lui pour exŽcuter la capture de Mr le Prince, et lÕayant proposŽe ˆ la reine ensuite de lÕavis que jÕai dit ci-dessus que lui donna Mr de Villeroy quÕelle ne feign”t point de mettre la plume ˆ la main dÕun homme de qui elle tenait le bras, lui proposa ThŽmines pour lÕexŽcution en cas quÕelle y fžt forcŽe, et quelque temps auparavant lÕavait mandŽ, et ce mme jour 26me dÕaožt, il arriva.

Le samedi 27me le milord de Haieut une audience privŽe au cabinet de son appartement en bas, en laquelle il la pressa de faire que Mr dÕEpernon se retir‰t du pays dÕAunis o il Žtait entrŽ et lui dit que les Rochelais demanderaient aide au roi de la Grand Bretagne, laquelle il ne leur pourrait pas dŽnier si on les troublait en leur religion. La reine qui sÕattendait quÕil lui džt faire ouverture du mariage de sa fille fut bien Žbahie de voir une si contraire harangue, et ne lui rŽpondit quÕen paroles gŽnŽrales quÕelle donnerait ordre de contenir chacun en son devoir et en lÕobŽissance du roi, en telle sorte que le roi de la Grand Bretagne ne serait point en peine dÕy intervenir.

Ce jour lˆ je mÕembarquai avec UrfŽ dont je devins ensuite fort amoureux.

Le dimanche 28me monsieur le nonce vint trouver la reine pour lui dire quÕil ne voyait pas jour pour aucun accommodement avec elle des princes, avec lesquels il avait parlŽ, mais quÕil ne dŽsespŽrait pas de Mrs de Guise frres, en cas que la reine fit quelques avances de bonne chre et principalement ˆ madame la princesse de Conty leur sĻur, qui avait eu deux jours auparavant quelque prise avec la marŽchale dÕAncre, dont elle Žtait animŽe. La reine le pria de continuer cette pratique et dÕoffrir ˆ Mr de Guise la charge de marŽchal de camp gŽnŽral, en cas quÕil voulut quitter toutes pratiques avec les autres.

Le mme dimanche 28me la reine me commanda de faire demeurer les quatre compagnies suisses qui Žtaient destinŽes pour le sige de PŽronne, et que quelque commandement que jÕen eusse, par Žcrit ou verbal, dÕelle ou du roi, quand mme lÕun ou lÕautre feraient semblant de sÕen mettre en colre, que je dŽlayasse de jour en jour de les faire partir.

Le lundi 29me Mr de Bouillon revint de PŽronne, qui apporta des longueurs et remises ; et cependant lorsquÕil fut avec Mr de Longueville dans PŽronne, il lui marqua les lieux quÕil devait faire remparer, et en quelle forme, et lui dicta la rŽponse quÕil devait envoyer faire au roi, auquel il vint le lendemain mardi 30me rendre compte de ce quÕil avait nŽgociŽ avec Mme de Longueville, et fut lÕaffaire remise ˆ un autre jour pour en traiter. Mais la reine qui voyait que dÕheure en heure les brigues des princes sÕaugmentaient, que le nombre de ceux qui se jetaient dans leur cabale croissait, se voulant assurer davantage des principaux seigneurs ou officiers de la cour, nous envoya quŽrir lÕun aprs lÕautre et nous fit faire nouvelle protestation de le bien servir et de ne sÕattacher ˆ aucune ligue ou parti quՈ celui seul de Sa MajestŽ.

Le dernier jour dÕaožt la reine avait pris quelque petite mŽdecine qui lui fit tenir le lit, ce qui nÕempcha pas que Mr le Prince, Mr de Vend™me, Mr du Maine et Mr de Bouillon, qui sÕen allaient d”ner chez Mr le prŽsident Jeannin ˆ Chaillot ne la vinssent trouver sur les dix heures du matin pour quelques affaires. Ils nÕavaient avec eux que chacun leur Žcuyer et furent plus dÕune heure et demie seuls dans la chambre de la reine. Il prit opinion ˆ Barbin que le temps Žtait trs propre pour les arrter tous quatre et que Dieu les avait fait venir en cet Žtat pour les mettre s mains de la reine. Mr de ThŽmines Žtait dans la chambre de la marŽchale dÕAncre qui lui parlait, et avait cinq ou six braves hommes avec lui.

Il arriva aussi que je me trouvai par hasard dedans le Louvre et que Barbin me vit, qui mÕappela et me dit que la reine lui avait commandŽ de me dire que jÕattendisse lˆ et quÕelle me voulait parler, et mme me fit monter dans la chambre de la marŽchale sans que lors je susse ou me doutasse de rien. En ce mme temps la garde suisse se levait, et mÕayant demandŽ ce que cՎtait que tous ces tambours suisses qui battaient, je lui dis que cՎtaient les deux compagnies, celle qui entrait, et celle qui sortait de garde. Il me dit lors : Ē Mandez-leur sous main quÕelles sÕentretiennent lˆ jusques ˆ ce que vous y veniez, Č ce que je fis, et leur mandai que je les voulais voir et quÕelles mÕattendissent en bataille. Lors je me doutai de quelque chose et plus encore quand, ds quÕil ežt parlŽ ˆ la marŽchale dÕAncre, elle sÕen alla trouver la reine, et ˆ ce que jÕai su depuis, ayant toussŽ ˆ la porte de son cabinet, la reine qui lÕentendit, qui Žtait hors du lit mais en coiffure de nuit, la vint trouver, feignant dÕaller ˆ la garde-robe. La marŽchale lui proposa que le temps ne serait jamais plus ˆ propos pour dÕun coup de tirasse [filet] prendre ces quatre personnes ; que Mr de ThŽmines Žtait lˆ avec six braves hommes dont il rŽpondait ; que jÕavais deux compagnies de Suisses devant le Louvre ; que ces messieurs nÕavaient que leurs Žcuyers avec eux ; quÕelle avait quarante de ses gardes dans le Louvre, les archers de la porte et les Suisses du corps ˆ sa dŽvotion, et quÕils seraient arrtŽs deux heures avant que lÕon sÕen aperžt, pendant lesquelles le roi qui Žtait aux Tuileries reviendrait, et que je pourrais faire venir encore quinze cents Suisses qui seraient incontinent ici. La reine Žcouta cette proposition, la jugea bonne en plusieurs choses et de facile exŽcution : mais comme la rŽsolution aux affaires non prŽvues manque souvent, que la reine attendait le lendemain deux cents hommes dÕarmes de sa compagnie avec lesquels, si elle se sentait pressŽe du peuple, elle se pourrait retirer ˆ Mantes, au milieu du bataillon suisse, avec le roi, Messieurs, et Mesdames ; joint que le roi nՎtait pas prŽsent pour autoriser une si grande capture, et que mme on le pourrait troubler ˆ son retour ; nÕayant aucune autre personne prs dÕelle, aima mieux remettre lÕaffaire au lendemain que de lÕexŽcuter lors : ce quÕayant dit ˆ la marŽchale, et elle ˆ Barbin, il me prit ˆ lÕheure mme et me dit que la mŽdecine de la reine la pressait et quÕelle remettrait ˆ me parler ˆ une autre heure, laquelle il me ferait savoir, et me dit de plus : Ē Je me plais si fort de voir vos Suisses que je vous prie de mÕexcuser si je vous ai priŽ de les faire arrter afin que je les puisse voir Č, et sortit quand et moi les voir entrer et sortir de garde, ce qui me fit perdre le soupon que jÕavais pris que la reine se voulžt saisir de ces messieurs. Ils sÕen allrent peu aprs ˆ Chaillot auquel lieu on leur donna quelque avis de prendre garde ˆ eux, que les gendarmes de la reine approchaient : mais ils crurent que cՎtait effectivement pour aller ˆ PŽronne. NŽanmoins ils sÕavisrent comme ils avaient tous quatre ŽtŽ le matin en belle prise et rŽsolurent de ne se plus trouver tous quatre ensemble en lieu o lÕon leur put mettre la main sur le collet.

Le soir Mr de CrŽquy fit un trs beau festin aux Anglais, dÕo nous nous retir‰mes fort tard : et le lendemain jeudi premier jour de septembre, ˆ trois heures du matin, je fus ŽveillŽ par un gentilhomme servant de la reine nommŽ la Motte qui me vint dire de sa part que je la vinsse trouver au Louvre, dŽguisŽ et seul, ce que je fis, et en entrant je trouvai un des gardes du corps du roi nommŽ la Barre, qui Žtait marŽchal des logis des Suisses, qui Žtait de paillasse cette nuit-lˆ, auquel je dis quÕil vint avec moi en lÕantichambre de la reine et quÕil mÕattend”t ˆ la porte lorsque je serais entrŽ ˆ la chambre, me doutant bien que lÕon aurait affaire des Suisses, ce qui me vint trs ˆ propos.

Je trouvai la reine en jupe entre Mrs Mangot et Barbin, Mr de Fosse un peu reculŽ ; elle me dit en arrivant : Ē Vous ne savez pas pourquoi je vous ai envoyŽ quŽrir si matin, Bassompierre ? Č Ē Madame, ce lui dis je, je sais bien pourquoi ce nÕest pas. Č Ē Je vous le dirai tant™t, Č me dit elle, puis continua ˆ se promener prs dÕune demie heure. Je mÕapprochai de FossŽ, bien ŽtonnŽ de le voir lˆ, depuis que la reine le chassa pour avoir accompagnŽ le commandeur de Sillery en sa disgr‰ce. Au bout de quelque temps elle entra en son cabinet avec les susdits et me dit : Ē Je veux prendre prisonniers Mr le Prince, Mrs de Vend™me, du Maine, et de Bouillon. Je dŽsire que les Suisses soient prs dÕici ˆ onze heures du matin, comme dire vers les Tuileries, pour, si je suis forcŽe par le peuple de quitter Paris, me retirer avec eux ˆ Mantes. JÕai mis mes pierreries en un paquet et quarante mille Žcus en or, que voilˆ, et emmnerai mes enfants avec moi, si, ce que Dieu ne veuille et que je ne pense pas, jÕy Žtais forcŽe, Žtant toute rŽsolue de me soumettre plut™t ˆ quelque pŽril et inconvŽnient que ce soit, que de perdre mon autoritŽ et de laisser dŽpŽrir celle du roi. Je veux aussi, lors quÕil sera temps, que vous alliez ˆ la porte avec vos Suisses pour soutenir un effort sÕil en arrivait, et y mourir pour le service du roi comme je me le promets de vous. Č Je lui rŽpondis : Ē Madame, je ne tromperai point la bonne opinion que Votre MajestŽ a de moi, et elle le conna”tra aujourdÕhui si le cas y Žchet. Cependant, Madame, trouvez bon que jÕaille faire avertir les Suisses des quartiers. Č Ē Non, dit elle, vous ne sortirez pas. Č Je lui dis : Ē Vous tes Žtrange de vous dŽfier dÕun homme entre les mains de qui vous voulez ensuite fier la personne du roi, la v™tre, et celle de vos enfants. JÕai ˆ cette porte un homme en qui je me fie, que jÕenverrai par les quartiers. Fiez-vous sur moi, Madame, et vous assurez que la fte ne sera point g‰tŽe par moi. Č Elle me laissa sortir, et jÕenvoyai la Barre faire venir les Suisses en la forme que je lui dis : puis je rentrai. Je lui demandai ce quÕelle ferait des gardes franaises ; elle me dit quÕelle craignait que Mr de CrŽquy ne fžt gagnŽ pour Mr le Prince ; je lui dis lors : Ē Non pas contre le roi, Madame, pour qui je sais quÕil perdrait mille vies sÕil les avait. Č Lors elle dit : Ē Il le faut donc envoyer quŽrir, et vous ne sortirez tous deux que quand Mr le Prince sera entrŽ. Č Elle envoya aussi quŽrir Mr de Saint-Geran ˆ cause des gendarmes du roi, et la CurŽe vint avec le roi quand il descendit en la chambre de la reine sur les neuf heures du matin. La reine parla ˆ ces messieurs, et comme je lui eus demandŽ par qui elle ferait prendre Mr le Prince, elle me dit : Ē JÕy ai pourvu. Č

Mr le Prince vint sur les huit heures au conseil, et la reine regardant comme tout le monde lui donnait les placets, elle dit : Ē Voilˆ maintenant le roi de France ; mais sa royautŽ sera comme celle de la fve, elle ne durera pas longtemps. Č

Sur cela la reine nous envoya ˆ la porte du Louvre, Mr de CrŽquy et moi, pour faire prendre les armes aux gardes, ce que nous f”mes, et ce pendant elle envoya quŽrir Mr le Prince. Elle nous envoya dire ˆ Mr de CrŽquy et ˆ moi que si Mr le Prince venait ˆ la porte, que nous lÕarrtassions : nous lui mand‰mes que cՎtait un si grand commandement quÕil mŽritait bien nous tre fait de bouche, et que la reine nous lÕežt dit Žtant en sa chambre ; que sÕil lui plaisait dÕenvoyer un lieutenant des gardes pour sÕen saisir, que nous lui donnerions main forte : et cependant je lui mandai que personne ne sortirait de la porte, o je mis trente hallebardiers suisses pendant que Mr de CrŽquy donnait son ordre aux Franais.

Il vint incontinent aprs un valet de chambre de la reine nous dire de sa part que Mr le Prince Žtait pris, et que si les autres trois venaient, nous ne les laissions pas retourner. Nous lui mand‰mes que pourvu quÕils y vinssent, que nous lui en rŽpondions : mais ils furent plus habiles. Elle envoya Saint-Geran pour prendre Mr de Vend™me, mais il nÕy trouva que le nid. On avertit Mr du Maine que les portes du Louvre Žtaient fermŽes : il se le tint pour dit et sÕen revint ˆ son logis, des JŽsuites o il Žtait, puis en mme temps sortit par la porte Saint-Antoine et tourna sur la contrescarpe jusques ˆ celle de Saint-Martin o il attendit ceux qui se voulurent retirer. Mr de Bouillon Žtait allŽ ˆ Charenton : on le vint avertir ˆ son retour, proche du petit Saint-Antoine, quÕil y avait rumeur au Louvre ; il monte ˆ cheval, et sur ce que lÕon lui dit que Mr du Maine lÕattendait ˆ la porte de Saint-Martin, il y alla. Aussi firent plusieurs autres, et se trouvrent bien soixante chevaux. Mr du Maine proposa de rentrer ˆ Paris et Žmouvoir le peuple : ils firent le premier, mais lÕautre ne leur rŽussissant pas, ils se retirrent vers Soissons.

Deux gentilshommes de Mr le Prince, le Tremblai et Diau vinrent devant le Louvre savoir si Mr le Prince Žtait mort, envoyŽs par Rochefort qui Žtait sur le Pont Neuf avec trente chevaux. Je dis au Tremblai : Ē Mr le Prince se porte bien : il est arrtŽ, et nÕa nul mal. Č Sur cela ils sÕen retournrent dire cette nouvelle ˆ Rochefort qui sÕen alla en diligence jeter dans Chinon.

Le prŽsident le Jay alla trouver Mrs du Maine et de Bouillon, et alla avec eux ˆ Soissons.

Mr le prince de Joinville vint trouver le roi et la reine de la part de son frre et de la sienne : mais la reine, ou quÕelle fžt empchŽe dÕailleurs, ou quÕelle ne songe‰t pas ˆ ce quÕil lui disait, ne lui ayant rien rŽpondu, il sÕen retourna mal satisfait et donna lÕalarme ˆ son frre. La reine sՎtant avisŽe quÕelle nÕavait rien dit aux compliments de Mr le prince de Joinville, et aussi que monsieur le nonce lui avait assurŽ de la fidŽlitŽ de Mr de Guise le soir auparavant, envoya Mr de Pralain le trouver et lui dire de belles paroles : mais comme Mr de Guise lui eut demandŽ si sur sa parole il pouvait aller sžrement au Louvre, Mr de Pralain lui dit : Ē Monsieur, je vous dis simplement ce que le roi et la reine mÕont commandŽ de vous dire : cÕest ˆ vous pour le surplus de mettre la main sur votre conscience et savoir si vous y pouvez aller, ou non. Č Cela fit rŽsoudre Mrs de Guise et de Joinville de partir et suivre la route de ceux qui allaient ˆ Soissons.

Peu aprs la prise de Mr le Prince, quelques mutins ou quelques uns de la maison dudit seigneur commencrent ˆ jeter premirement des pierres contre les fentres du logis du marŽchal dÕAncre, puis dÕautres sՎtant joints ˆ eux pour lÕespŽrance de piller, prirent des pices de bois de devant Luxembourg que lÕon b‰tissait lors, pour rompre la porte dudit logis, et huit ou dix, hommes que femmes, qui Žtaient dedans, sՎtant retirŽs de frayeur par la porte de derrire, et quantitŽ de maons du Luxembourg sÕy Žtant joints, ils entrrent dedans et pillrent ce riche logis o ils trouvrent pour plus de deux cents mille Žcus de meubles. La reine commanda, sur lÕavis quÕelle en eut, ˆ Mr de Liancourt, gouverneur de Paris, dÕaller empcher ce dŽsordre : mais y Žtant allŽ avec les archers du guet, et voyant quÕil nÕy faisait pas bon pour lui, se retira. Ils continurent tout ce jour, et lÕon les laissa faire.

Mrs de Montmorency et de Retz avec plusieurs de leurs amis sÕoffrirent ˆ la reine dÕaller ensuite de ces messieurs qui se retiraient ˆ Soissons. Elle les prit au mot, et y furent ; mais ils nÕallrent gure loin.

Le soir la reine pria le roi de faire Mr de ThŽmines marŽchal de France, dont plusieurs crirent, et principalement Montigny, de sorte que lÕon le fit aussi marŽchal, lequel le mme jour venant ˆ Paris et ayant rencontrŽ Mr de Vend™me qui sÕenfuyait, de qui les chevaux Žtaient recrus, lui avait prtŽ les siens qui Žtaient frais. Saint-Geran voyant quÕil nÕy avait quՈ crier pour avoir, extorqua un brevet de promesse de lՐtre, et Mr de CrŽquy eut un brevet de duc et pair. La reine me dit le soir : Ē Bassompierre, tu ne mÕas rien demandŽ comme les autres. Č Ē Madame, lui rŽpondis je, ce nÕest pas astÕheure que nous nÕavons fait que notre devoir bien simplement, de vous demander rŽcompense : mais jÕespre que quand, par de grands services, je lÕaurai mŽritŽ, le roi me donnera des honneurs et des biens sans que je lui demande. Č

Mr le Prince qui fut arrtŽ par Mr de ThŽmines en ce passage qui va de la chambre de la reine en son cabinet en cet appartement de lÕentresol, fut menŽ par un petit degrŽ dans la chambre de la reine, qui est du plain-pied de la cour, o il coucha ce soir-lˆ pendant que lÕon grillait la chambre au dessus du cabinet des livres, o on le mena le lendemain matin vendredi 2me du mois de septembre, o il fut gardŽ par Mr le marŽchal de ThŽmines et ses enfants, et plusieurs autres gentilshommes et archers de la garde du corps.

La reine tint conseil ce jour-lˆ, o il fut Žtabli un conseil de guerre et commandŽ au marŽchal de Brissac dÕy prŽsider et aux principaux chefs de guerre dÕy assister. Il fut rŽsolu que lÕon mettrait une armŽe sur pied, et me fut ordonnŽ dÕaller lever six mille Suisses : puis le roi dŽsirant que je demeure prs de lui, ordonna Mr de Commartin pour y aller, comme un des anciens ambassadeurs du roi en Suisse, mais je lÕempchai, dŽsirant que Mr de Castille qui avait grand crŽdit en Suisse, y all‰t faire la levŽe, ce quÕil fit.

Le roi commanda ˆ Mr de CrŽquy de prendre les compagnies franaises qui sortiraient de garde pour aller chasser le peuple qui continuait non plus de piller, car cÕen Žtait fait, mais de dŽmolir la maison du marŽchal dÕAncre ; ce que Mr de CrŽquy exŽcuta, et y mit des soldats pour la garder.

La reine ensuite songea ˆ retirer Mrs de Guise de lÕintrigue o ces autres princes Žtaient, et pour cet effet leur fit Žcrire par monsieur le nonce, par madame la princesse de Conty et mesdames de Guise avec lesquelles elle en confŽra, et y travaillrent avec soin et passion. Le sieur de Lafon, depuis abbŽ de Foix, fut employŽ aux allŽes et venues sur ce sujet.

Le lundi 5me ce conseil de guerre proposŽ se tint, auquel Mr le marŽchal de Brissac prŽsida, et Mrs de Pralain, CrŽquy, Saint-Luc, Saint-Geran, Vignoles, Chambaret, et moi, fžmes ordonnŽs pour y servir, comme aussi Mrs de Villeroy et prŽsident Jeannin ; auquel on fit le projet de lÕarmŽe que le roi voulait mettre sur pied.

Le mardi 6me Mr dÕAngoulme revint de PŽronne, et ayant su que ce conseil de guerre Žtait Žtabli, demanda ˆ Barbin sÕil nÕy pourrait pas aller, qui lui dit que oui. Ainsi le mercredi 7me il vint de bonne heure, prit la ma”tresse place pour y prŽsider, et Mr le marŽchal de Brissac prit la seconde sans contestation, sur quoi Pralain auprs de qui jՎtais me dit que Mr de Brissac se faisait tort de cŽder au comte dÕAuvergne, et que cՎtait par inadvertance. Je savais bien que Saint-Geran voulait mal ˆ Mr dÕAngoulme ˆ cause du ch‰teau de Bourbon-Archambaut quÕil dŽtenait sur madame dÕAngoulme : je me levai lors et fis signe audit Saint-Geran de me venir parler ˆ la fentre, et lui ayant dit que nous ne devions pas souffrir que le comte dÕAuvergne nous prŽsid‰t, nÕayant pas ŽtŽ remis en sa bonne fame et renommŽe depuis sa condamnation, non seulement il lÕapprouva mais fit signe ˆ Vignoles, et moi ˆ Mr de CrŽquy, et nous puis aprs appel‰mes tout le reste, et ne demeura que Mrs le comte dÕAuvergne, de Brissac, de Villeroy, et Jeannin : puis ayant appelŽ Mr le marŽchal de Brissac nous lui f”mes reproche de ce quՎtant prŽsident du conseil de guerre et marŽchal de France, il avait souffert Mr le comte dÕAuvergne le prŽcŽder dans le conseil, et que nous qui nՎtions rien de tout cela, ne lÕavions pas voulu endurer, ains lui en avions voulu faire le reproche et la honte. Il nous dit quÕil nÕy avait pas pensŽ, mais que si Mrs de Saint-Geran et la CurŽe, CrŽquy et Bassompierre, lui voulaient promettre de lÕassister, car nous quatre avec nos troupes Žtions les ma”tres du Louvre, quÕil le tuerait lÕaprs-d”ner sÕil y revenait pour se mettre au-dessus de lui, ce que les autres lui promirent, et moi ˆ plus forte raison, Žtant son neveu et intŽressŽ dans son honneur. Mais Mr de Pralain me dit ensuite :

Ē Ce que Mr le marŽchal de Brissac a proposŽ de faire est gŽnŽreux ; ce quÕil a dŽsirŽ de vous autres est convenable, et ce que vous lui avez tous quatre promis, est digne de vous. NŽanmoins il est de notre devoir de lÕempcher, et faut que de bonne heure on avertisse la reine quÕelle prŽvienne cet inconvŽnient, dŽfendant audit comte dÕAuvergne de se trouver ˆ ce conseil, ou le rompant puisquÕelle ne lÕa Žtabli que pour faire lՎtat de lÕarmŽe quÕelle veut mettre sur pied, ce qui a ŽtŽ rŽsolu en ces deux conseils : ou sÕil en faut tenir quelque autre, que ce soit en sa prŽsence ; car nous ferions un grand outrage au roi et ˆ la reine, que nous pouvons Žviter ; par notre discorde nous hausserions le chevet aux malcontents abattus, et ce dŽsordre pourrait en mme temps tre suivi de la dŽlivrance de Mr le Prince prisonnier au Louvre. Č

Je lui dis que je trouvais son avis trs bon, mais que mon ‰ge, la parentle que jÕavais avec monsieur le marŽchal, et lÕintŽrt o jՎtais embarquŽ, mÕempchaient de le faire. Il me dit quÕil nÕen voulait pas seulement parler ˆ moi, mais aussi ˆ toute leur compagnie, ce quÕil fit ˆ lÕheure mme et leur dit :

Ē Messieurs, dans la ferme et haute rŽsolution que nous venons de prendre de tuer un prince dans le Louvre et quasi entre les bras du roi et de la reine au milieu de son conseil, nous fortifiant pour cet effet des gens de guerre que ces messieurs ont sous leurs charges ˆ tout autre effet que celui ˆ quoi ils les destinent maintenant, nous nÕavons point regardŽ le roi ni ses intŽrts, encore moins lՎtat des affaires prŽsentes ni le bien de lՎtat ˆ quoi notre entreprise rŽpugne directement. Je suis dÕavis avec tous vous autres que si le comte dÕAuvergne revient au conseil, lui qui est condamnŽ ˆ mort pour les causes contenues dans son arrt et dont il nÕest ni dŽclarŽ innocent ni absous, ni rŽtabli en sa bonne fame et renommŽe, nous nous y opposions et que nous contribuions de notre vie au dessein de monsieur le marŽchal. Mais il me semble que si, en avertissant la reine de ne lÕy faire venir et de lui commander quÕil sÕen dŽporte, ou quÕelle ne fasse plus tenir de conseil pour Žviter lÕinconvŽnient qui en pourrait arriver, que nous ferions notre devoir et que nous prŽviendrons un mal qui en peut causer ˆ la France et nous apportera peu de gloire ˆ lÕavenir, que lÕon dise que monsieur le marŽchal assistŽ de tant de braves hommes ait tuŽ avantageusement un seul homme, et peut-tre sans rŽsistance, peut-tre sans ŽpŽe. Č

Son avis ne fut pas seulement approuvŽ de la compagnie, mais du marŽchal aussi, et tous ensemble me donnrent la charge dÕen parler de telle sorte ˆ la reine que, sans lÕoffenser ni la mettre en colre, elle connžt nŽanmoins que la compagnie ne souffrirait plus ledit comte dÕAuvergne prŽsider parmi elle, non pas seulement y assister, sÕil nՎtait absous ou purgŽ prŽcŽdemment, ce quÕayant remontrŽ ˆ Sa MajestŽ, elle prit trs bien cette affaire et dŽfendit que lÕon ne t”nt plus de conseil ; et Sa MajestŽ crut quÕen faveur de Mr de Guise cette compagnie avait fait cela pour faciliter davantage son retour : elle se h‰ta de le procurer.

Peu aprs le milord de Hai sÕen retourna en Angleterre sans avoir fait aucune proposition.

Et le dimanche 25me du mme mois, Mrs de Guise et de Chevreuse revinrent trouver Leurs MajestŽs qui les reurent trs bien.

Ce mme jour la reine me dit au soir que je ne mÕen allasse pas quand elle donnerait le bonsoir, et quÕelle me voulait parler : et aprs que tout le monde fut retirŽ, Mr le marŽchal de ThŽmines Žtant aussi demeurŽ, elle me dit : Ē Bassompierre, ayant ˆ transporter Mr le Prince hors dÕici, je me suis voulu fier en vous de sa conduite. Voilˆ Mr le marŽchal de ThŽmines qui lÕa pris et qui lÕa gardŽ dans le Louvre avec peine : mais il serait ˆ craindre que si je lui tenais plus longuement, lÕon ne f”t quelque entreprise pour le sauver, ce qui se pourrait faire aisŽment, et vous avez vu que tant™t quand ces princes sont revenus de Soissons, il y avait plus de deux cents gentilshommes qui Žtaient avec eux, ou pour lÕamour dÕeux dans le Louvre : joint aussi que cela empche que le roi et moi nÕosons quasi en sortir, et si nous voulions aller ˆ Saint-Germain ou ailleurs, il ne serait ici en sžretŽ. CÕest pourquoi je le veux mettre ˆ la Bastille et veux que vous mÕen rŽpondiez par les chemins et que vous vous en chargiez : car monsieur le marŽchal nÕa autre chose que ce qui sera dans son carrosse. Nous le ferons passer par la grande galerie dans les Tuileries, et de lˆ avec les Suisses du faubourg Saint-HonorŽ et les Suisses et Franais qui sont derrire et devant le Louvre, vous le mnerez par hors de la ville dans la fausse porte de la Bastille, ce que je crois que vous pourrez faire sžrement. Č

Elle me dit ensuite que le roi voulait tant faire pour moi que li honori, li bieni, li carichi, (ce sont ses mots), ne me manqueraient point.

Je lui rŽpondis que lÕhonneur de sa confiance mՎtait suffisante rŽcompense du petit service quÕelle dŽsirait de moi, lequel jÕexŽcuterais fort fidlement ˆ peine de ma vie, mais que si jÕosais lui conseiller de faire passer Mr le Prince ˆ travers de la ville, je lui rŽpondais de le conduire ˆ la Bastille en toute sžretŽ ; quÕil nÕy avait rien ˆ craindre ; que rien ne se remuerait, et que quand il y aurait gens pour ce faire (ce que non), nous serions passŽs devant quÕils eussent pensŽ ˆ se mettre en Žtat de lÕempcher.

Mr de ThŽmines qui nÕapprouvait point de passer sur la contrescarpe de la ville, qui est un trs mŽchant chemin, fut bien aise que jÕeusse dit la mme chose ˆ la reine quÕil lui avait prŽcŽdemment proposŽe et lÕappuya de telle sorte par dÕautres raisons quÕenfin la reine me dit : Ē RŽpondez-moi de Mr le Prince, et puis faites comme tous deux vous lÕentendrez. Č

Je lui dis quÕelle envoy‰t quŽrir les deux capitaines de la garde franaise pour leur faire le commandement ; elle me dit : Ē Faites-leur de ma part. Č Ē Madame, lui rŽpondis je, nous ne levons pas la garde comme cela : il faut que de la propre bouche de Votre MajestŽ ils en reoivent le commandement ; autrement ils ne le doivent faire. Č Elle me dit : Ē Cela fera rumeur : allez les trouver vous-mme ; Č ce que je fis, et envoyai en mme temps quŽrir les deux cents Suisses du faubourg Saint-HonorŽ pour venir devant le Louvre sans battre tambour. Je ne trouvai que des sergents dans les corps de garde franais, que jÕamenai ˆ la reine qui leur commanda de faire ce que je leur dirais. Je pris deux cents hommes des deux compagnies franaises, cent de celle des Suisses qui Žtaient en garde, et quelque cent cinquante qui me vinrent du faubourg : jÕenvoyai monter ˆ cheval huit gentilshommes des miens. Mrs de Vignoles, Chambaret et Bressieux qui se doutrent quÕil y avait quelque chose mÕattendirent dans la cour du Louvre lesquels y vinrent aussi, et cinq ou six gentilshommes de la reine. Il y avait douze gardes et six Suisses du corps avec leurs pertuisanes et hallebardes autour du carrosse, et quand tout fut prt, Mr de ThŽmines et moi v”nmes dans la chambre de Mr le Prince. Il le rŽveilla en sursaut, ce qui lՎtonna, et eut grande apprŽhension. Je ne me voulus point montrer, le voyant si effrayŽ, et sortis du Louvre, faisant mettre en bataille les deux cents Franais devant lÕh™tel de Longueville ; et comme le carrosse fut sorti du Louvre, dans lequel Žtait Mr le Prince, les trois cents Suisses le suivirent immŽdiatement faisant la retraite, et ainsi le men‰mes sans flambeaux dans la Bastille, ayant, avant sortir du Louvre, mandŽ ˆ Mr de Guise qui Žtait revenu de Soissons ce jour mme, quÕil ne pr”t alarme de voir venir droit ˆ son logis les Franais et Suisses de la garde, et que la reine mÕavait permis de lui mander que ce nՎtait contre lui quÕils marchaient, mais pour conduire Mr le Prince ˆ la Bastille. Celui que jÕy envoyai le trouva dŽjˆ habillŽ et prt ˆ monter ˆ cheval sur lÕavis que lÕon lui avait donnŽ que lÕon mettait les gardes en ordre pour le venir prendre.

Je devins lors extrmement amoureux de Mlle dÕUrfŽ ; et le roi peu devant la Toussaints tomba malade de sorte que la veille de la Toussaints il lui prit une faiblesse avec une convulsion que lÕon apprŽhendait se devoir dŽgŽnŽrer en apoplexie, et on craignit que si elle lui revenait, elle ne lÕemport‰t. En effet ce nՎtait rien ; mais ˆ ces ttes si prŽcieuses on craint tout. La reine mme sur ce que lÕon lui dit du mal, me commanda de me tenir cette nuit-lˆ au Louvre pour y amener en diligence les Suisses en cas quÕil en mŽsadv”nt. Mais le matin le roi se portant bien et ayant bien dormi, on fut dŽlivrŽ de peine (novembre).

Je partis le lendemain de la Toussaints pour aller recevoir les Suisses. Et parce que Mr de Nemours Žtait avec une armŽe que le roi dÕEspagne avait levŽe sous son nom et lui faisait conduire contre le duc de Savoie, le roi avec qui le duc Žtait en parfaite intelligence, prit soin de sa conservation, commanda ˆ Mr le Grand avec quelques troupes de sÕacheminer en Bresse et dÕapporter tout lÕaide quÕil pourrait ˆ Mr le prince de PiŽmont qui gardait la Savoie pendant que son pre dŽfendait le PiŽmont contre le roi dÕEspagne. JÕeus ordre dÕemmener trois cents chevaux avec moi, et en cas que Mr le Grand me mand‰t, de tourner ˆ lui avec les Suisses et la cavalerie : mais comme jÕarrivai ˆ Provins, me vint trouver un nommŽ Lace que Mr le Grand dŽpchait au roi, qui mÕapporta de ses lettres par lesquelles il me mandait quÕil avait accommodŽ Mr de Nemours avec Mr le prince de PiŽmont, et que lÕarmŽe de Mr de Nemours Žtait dŽbandŽe. Messieurs du parlement de Dijon mՎcrivaient aussi, comme Mr le marquis de Mirebeau, pour me prier que la paix Žtant faite, je ne voulusse charger la Bourgogne de la cavalerie qui Žtait prte dÕy entrer ; ce que je fis et lÕenvoyai loger ˆ Bergere, attendant autre ordre du roi, ˆ qui jÕen Žcrivis, pour leur donner.

JÕarrivai ˆ Saint-Jean de Laune en mme temps que les deux rŽgiments suisses sous la charge des colonels Feugly et Greder que Mr de Castille avait levŽs et amenŽs. Je leur fis faire leur premier serment et les amenai jusques ˆ Chatillon sur Seine, dÕo le roi mՎcrivit dÕen envoyer lÕun en Nivernais et lÕautre en Champagne, avec lÕordre des garnisons o ils devaient aller ; ce quÕayant fait je quittai mon train et vins avec dix chevaux coucher ˆ Bar sur Aube, pour le lendemain mÕen venir ˆ Bar o Mr de Lorraine tenait les Žtats, que je voulais voir : mais ayant appris quÕil en Žtait parti, jÕallai passer ˆ Chalons o je trouvai Mrs de Pralain et de Tremes auxquels ayant consignŽ le rŽgiment du colonel Feugly pour le mettre en garnison, je mÕen revins ˆ la cour extrmement amoureux, o le duc de Crouy sՎtait embarquŽ pour Žpouser UrfŽ, et me pria de traiter ce mariage, ce que je fis ˆ dessein de le rompre ; mais mes peines furent vaines, car il passa par dessus toutes les difficultŽs que je lui proposai, et lՎpousa.

Le marŽchal dÕAncre Žtait revenu ˆ la cour. Pendant mon voyage de Bourgogne on avait ™tŽ les sceaux ˆ Mr du Vair, que lÕon avait donnŽs ˆ Mr Mangot, et sa charge de secrŽtaire dՎtat ˆ monsieur de Luon. La fille dudit marŽchal tomba malade et mourut, dont il eut et sa femme aussi un cruel dŽplaisir. Je dirai une chose qui se passa entre lui et moi le jour de la mort de sa fille, par laquelle on pourra voir une prescience quÕil avait de lÕaccident qui lui arriva ensuite.

Je le vins voir le matin de ce jour et lÕaprs-d”nŽe encore ; mais il me fit prier de remettre la partie ˆ une autre fois et mÕenvoya prier le soir de venir chez lui, ce que je fis ˆ lÕheure mme en ce petit logis sur le quai du Louvre o sa femme et lui sՎtaient retirŽs. Je le trouvai fort affligŽ et t‰chai le plus que je pus, tant™t ˆ le consoler, tant™t ˆ le divertir ; mais son deuil augmentait ˆ mesure que je lui parlais, et lui ne me rŽpondait autre chose en pleurant, sinon : Ē Segnor, je suis perdu ; Segnor, je suis ruinŽ ; Segnor, je suis misŽrable. Č Enfin je lui dis quÕil considŽr‰t le personnage de marŽchal de France quÕil reprŽsentait, qui ne lui permettait ces lamentations, dignes de sa femme, indignes de lui ; que vŽritablement il avait perdu une fille bien aimable et utile ˆ sa fortune, mais que quatre nices lui avaient succŽdŽ en la place de sa fille, qui lui apporteraient peut-tre autant de consolation, les faisant venir prs de lui, et beaucoup plus dÕappui ˆ sa fortune en sÕalliant par leur moyen de quatre grandes maisons de France dont il aurait le choix ; et plusieurs autres choses que Dieu mÕinspira de lui dire. Enfin aprs avoir encore quelque temps pleurŽ de la sorte, il me dit :

Ē Ha ! Monsieur, je regrette vŽritablement ma fille et la regretterai tant que je vive ; je suis nŽanmoins homme qui peux supporter constament une affliction pareille ˆ celle-lˆ : mais la ruine de moi, de ma femme, de mon fils, et de ma maison, que je vois prochaine devant mes yeux et inŽvitable par lÕopini‰tretŽ de ma femme, me fait lamenter et perdre patience ; laquelle je vous dŽcouvrirai comme ˆ un vŽritable ami duquel jÕai reu toute ma vie assistance et amitiŽ et ˆ qui je confesse nÕavoir pas rendu la pareille et fait ce que je devais et pouvais faire : mais baste, je lÕamenderai sÕil plait ˆ Dieu. Sachez, Monsieur, que depuis le temps que je suis au monde, jÕai appris ˆ le conna”tre et voir non seulement les ŽlŽvations de la fortune, mais les chutes et dŽcadences encore ; et que lÕhomme arrive jusques ˆ un certain point de bonheur aprs lequel il descend, ou bien il prŽcipite, selon que la montŽe quÕil a fait a ŽtŽ haute et roide. Si vous ne mÕaviez connu en ma bassesse je t‰cherais de vous la dŽguiser ; mais vous mÕavez vu ˆ Florence dŽbauchŽ et scapillate [dissolu], quelquefois en prison, quelquefois banni, le plus souvent sans argent, et incessament dans le dŽsordre et dans la mauvaise vie. Je suis nŽ gentilhomme et de bons parents ; mais quand je suis venu en France, je nÕavais pas un sou vaillant et devais plus de huit mille Žcus. Le mariage de ma femme et les bonnes gr‰ces de la reine mÕont donnŽ beaucoup dÕintrigue du vivant du feu roi, beaucoup de biens, dÕavancement, de charges et dÕhonneurs pendant la rŽgence de la reine ; et jÕai travaillŽ ˆ ma fortune et lÕai poussŽe en avant autant quÕun autre ežt su faire, tant que jÕai vu quÕelle mՎtait favorable. Mais depuis que jÕai reconnu quÕelle se lassait de me favoriser et quÕelle me donnait des avertissements de son Žloignement et de sa fuite, jÕai pensŽ ˆ faire une honnte retraite, et de jouir en paix, ma femme et moi, des grands biens que la libŽralitŽ de la reine nous avait donnŽs, que notre industrie nous avait fait acquŽrir, et en logeant et alliant nos enfants dans notre pays natal en de bonnes familles, leur laisser aprs nous notre hŽritage et succession. CÕest de quoi depuis quelques mois jÕimportune ma femme en vain, et ˆ chaque coup de fouet que la mauvaise fortune nous donne, je continue de la presser. Quand jÕai vu quÕun grand parti sÕest ŽlevŽ en France qui mÕa pris pour prŽtexte de sa soulevation, quÕil mÕa dŽclarŽ un des cinq tyrans quÕil voulait ruiner et dŽtruire ; quand Mr Dolet qui Žtait ma crŽature, mon conseil, et mon affidŽ ami, et jÕose dire serviteur, mÕest mort ; quand un inf‰me cordonnier de Paris mÕa fait un affront, ˆ moi marŽchal de France ; quand jÕai ŽtŽ forcŽ de quitter mon Žtablissement de Picardie, ma citadelle dÕAmiens, et laisser Ancre en proie de Mr de Longueville mon ennemi ; quand jÕai ŽtŽ contraint de me retirer ou pour mieux dire de mÕenfuir en Normandie, jÕai fait voir ˆ ma femme que parmi les grandes obligations que nous avions ˆ Dieu, celle de nous avertir de faire notre retraite nՎtait pas des moindres. Nous avons vu ensuite saccager notre maison avec perte de plus de deux cents mille Žcus ; nous avons vu pendre sur notre moustache deux de nos gens pour avoir donnŽ de notre part des b‰tonnades ˆ ce maraud de cordonnier : que voulions nous plus attendre sinon que notre fille par sa mort nous avertit que la n™tre et notre ruine est prochaine et quÕil y a encore lieu de lՎviter, si promptement nous voulons songer ˆ une retraite ˆ laquelle je pensais avoir bien prŽvu en offrant six cents mille Žcus au pape pour lÕusufruit notre vie durant du duchŽ de Ferrare o nous eussions passŽ en paix le reste de nos jours et laissŽ encore deux millions dÕor de succession ˆ nos enfants, ce que je ne feindrai point de vous dire et de le vous faire voir. Nous avons pour un million de livres au moins de biens stables en France, au marquisat dÕAncre, Lesigny, ma maison du faubourg, et celle-ci ; jÕai rachetŽ notre bien de Florence qui Žtait engagŽ et en ai pour cent mille Žcus en ma part, et ai encore deux cents mille Žcus ˆ Florence et autant ˆ Rome ; jÕai pour un million de livres encore, outre ce que nous avons perdu au pillage de notre maison, en meubles, pierreries, vaisselle dÕargent, et argent comptant ; ma femme et moi avons encore pour un million de livres de charges, ˆ les vendre ˆ bon prix, en celles de Normandie, de premier gentilhomme de la chambre, dÕintendant de la maison de la reine, et de dame dÕatour, gardant mon office de marŽchal de France ; jÕai six cents mille Žcus sur Fedeau, et plus de cent mille pistoles dÕautres affaires. NÕest-ce pas, Monsieur, de quoi nous contenter ? Avons-nous encore quelque chose ˆ dŽsirer si nous ne voulons irriter Dieu qui nous avertit par des signes si Žvidents de notre entire ruine ? JÕai ŽtŽ toute cette aprs-d”nŽe avec ma femme pour la conjurer de nous retirer ; je me suis mis ˆ genoux devant elle pour t‰cher de la persuader avec plus dÕefficace : mais elle, plus aheurtŽe que jamais, me reproche ma l‰chetŽ et ingratitude de vouloir abandonner la reine qui nous a donnŽ ou fait acquŽrir par son moyen tant dÕhonneurs et de biens : de sorte, Monsieur, que je me vois perdu sans remde ; et si ce nՎtait que jÕai tant dÕobligations ˆ ma femme comme chacun sait, je la quitterais et mÕen irais en lieu-lˆ o les grands ni le peuple de France ne me viendraient pas chercher. Jugez, Monsieur, si jÕai raison de mÕaffliger, et si outre la perte de ma fille, ce second dŽsastre ne me doit pas doublement tourmenter. Č

Je lui dis ce que je pus tant pour le consoler que pour le divertir de cette pensŽe, et puis me retirai ; et ai voulu faire voir par ce rŽcit comme les hommes et principalement ceux que la fortune a ŽlevŽs ont des inspirations et des prŽvoyances de leur malheur : mais ils nÕont pas la rŽsolution de le prŽvenir pour lՎviter.

1617.

JANVIER.Ń LÕannŽe se finit par les noces de Mr le duc de Crouy et de Mlle dÕUrfŽ : et celle de 1617 commena joyeusement par force assemblŽes qui se firent, fort belles, auxquelles outre les jeux, festins, et comŽdies, il y avait aussi de bonnes musiques. On passa bien le temps ˆ la foire de Saint-Germain.

La jeune reine infante qui lÕannŽe prŽcŽdente dansa un assez chŽtif petit ballet dÕEspagnoles au carme-prenant ˆ Tours, en voulut danser un meilleur avec des Franaises, ce quÕelle fit seulement en lÕantichambre de la reine sa belle-mre (fŽvrier). Nous dans‰mes au mme lieu, et en dÕautres ˆ la ville, le ballet du Commissaire, puis ensuite celui des Princes de Chypre qui fut trs beau.

Je gagnai cette annŽe-lˆ au jeu du trictrac cent mille Žcus, ou ˆ Mr de Guise, ou ˆ Mr de Joinville, ou ˆ Mr le marŽchal dÕAncre. Je nՎtais pas mal ˆ la cour, ni avec les dames, et quantitŽ de belles ma”tresses.

En ce mois Mr de ThŽmines fut tirŽ de la Bastille et de la garde de Mr le Prince dont il fit de grandes plaintes : on lÕapaisa, lui donnant la lieutenance de lÕarmŽe de Champagne. JÕentrai dans la Bastille avec 400 Suisses, dÕo je tirai quelques chevau-lŽgers de la reine mre que Du Tiers qui en Žtait marŽchal des logis y avait menŽs pour aider Vansay qui y commandait dÕen chasser Mr de ThŽmines. JÕen fis aussi sortir la compagnie de Saint-Beat qui y Žtait en garnison, et lorsque Vansai en eut levŽ une pour y mettre, jÕen retirai les Suisses.

Au mme mois un nommŽ Destoy vint dire exprs en mon logis o il fut envoyŽ par Luynes que la reine mre venait de chasser Luynes pour avoir voulu enlever le roi et lÕemmener hors de Paris et du pouvoir de la reine mre, et Maturine envoyŽe ˆ mme effet ˆ mon logis, en partit pour venir toute ŽplorŽe le dire au roi et ˆ Luynes, qui fit croire au roi que cՎtait le marŽchal dÕAncre qui faisait courre ce bruit pour voir comme Sa MajestŽ le prendrait, pour ensuite lÕexŽcuter en effet ; dont le roi sÕanima de plus en plus contre le marŽchal dÕAncre, et Luynes et ledit marŽchal en eurent de grosses paroles.

Le soir mme comme la reine me parlait de cela, je lui dis : Ē Madame, il me semble que vous ne songez pas assez ˆ vous et que, un de ces jours, lÕon vous tirera le roi de dessous lÕaile. On lÕanime contre vos crŽatures premirement, et puis ensuite on lÕanimera contre vous : votre autoritŽ nÕest que prŽcaire, qui cessera ds que le roi ne le voudra plus, et on lÕinduira pied ˆ pied ˆ ne le vouloir plus, comme il est aisŽ de persuader ˆ de jeunes gens de sՎmanciper. Si le roi sÕen Žtait un de ces jours allŽ ˆ Saint-Germain et quÕil ežt mandŽ ˆ Mr dÕEpernon et ˆ moi de lÕy venir trouver, et quÕensuite il nous ežt dit que nous nÕeussions plus ˆ vous reconna”tre, nous sommes vos trs obligŽs serviteurs, mais nous ne pourrions faire autre chose que de venir prendre congŽ de vous et vous supplier trs humblement de nous excuser si nous ne vous avions aussi bien servie pendant votre administration de lՎtat comme nous y Žtions obligŽs. Jugez, Madame (lui dis je ensuite), ce que pourraient faire les autres officiers, et comme vous demeureriez les mains vides aprs une telle administration. Č

Le duc de Crouy emmena sa femme en Flandres au carme, et moi je mÕen allai ˆ lÕarmŽe, qui lors Žtait commandŽe par Mr de Guise et sous lui Mr le marŽchal de ThŽmines, et pour marŽchal de camp Mr de Pralain (mars).

Je fus grand-ma”tre de lÕartillerie par commission, et trouvai le 17me de mars lÕarmŽe deux jours aprs quÕelle ežt assiŽgŽ Ch‰teau Porcien lequel se fit battre avec peu dÕeffet huit jours durant que nous lÕattaqu‰mes par le ch‰teau.

Nous pŽtard‰mes la nuit du 28me ensuite [la ville] sans effet, et le sieur de Vigan beau-frre de Mr le marŽchal de ThŽmines y fut tuŽ le lendemain de P‰ques. Nous m”mes trois canons en batterie entre la ville et le ch‰teau, dont nous nÕežmes tirŽ trente coups que la ville parlementa.

Mr de Guise me commanda le 29me dÕy entrer avec quatre compagnies des gardes franaises et autant de suisses ; et le lendemain 30me ˆ la pointe du jour le sieur de Montereau qui commandait au ch‰teau, demanda ˆ me parler et me dit quÕil Žtait prt ˆ se rendre si on lui voulait faire honorable capitulation. Je lui offris sžretŽ pour le mener ˆ Mr de Guise et le ramener aussi, lequel lui donna de sortir sans enseignes ni battre tambour ; et le soir on entra dedans, et y mit-on une des compagnies des gardes suisses et une des gardes franaises.

Le lendemain, dernier jour de mars, Mr de Guise prit huit cents chevaux et vint faire une cavalcade toute la nuit ˆ Laon sur lÕavis que le lieutenant du PchŽ, de Guise, lui avait donnŽ, que le rŽgiment de Ballagny Žtait logŽ ˆ Vaux sous Laon, ce que nous trouv‰mes aussi. Mais comme lÕon sÕamusa un peu ˆ faire lÕordre pour forcer ce quartier, ils en eurent lÕalarme et se sauvrent, partie dans lՎglise, partie dans les vignes qui sont sous la ville, de sorte que nous nÕy tu‰mes que deux ou trois soldats et m”mes le feu ˆ leur quartier, lequel (nous partis) ils Žteignirent.

Mr de Guise au retour sŽpara son armŽe en trois, dont il en prit une partie et vint assiŽger et prendre un ch‰teau du RethŽlois nommŽ Voysigny. Il bailla lÕautre ˆ Mr le marŽchal de ThŽmines pour aller quŽrir six canons ˆ Rocroi pour battre Rethel, et me laissa avec le reste ˆ Ch‰teau-Porcien pour recevoir aussi les nouvelles troupes qui lui venaient ; et donna un rendez-vous le samedi 8me dÕavril ˆ neuf heures du matin pour venir par trois endroits investir Rethel, ce que nous f”mes : et le lendemain parce que la compagnie de chevau-lŽgers dÕAubilly qui Žtait dans la place, sortait souvent ˆ la faveur du canon de la ville et de la mousqueterie quÕil avait logŽe pour le favoriser, Mr le marŽchal de ThŽmines et moi avec lui, la chargea et rembarra avec perte de quelques-uns de la troupe dudit Aubilly et de quelques mousquetaires qui ne se surent assez ˆ temps retirer.

Le temps fut toujours fort pluvieux, et comme la terre est grasse au RethŽlois, nous ežmes mille peines, principalement ˆ faire marcher nos canons qui enfonaient par dessus lÕessieu. Enfin nous prŽpar‰mes une batterie de huit pices au bas de la ville : mais comme je fusse venu le matin vendredi 14me dÕavril voir si Lesine mÕavait tenu promesse dÕavoir les huit pices en batterie ˆ la pointe du jour, je trouvai quÕil nÕy en avait que deux, et une ˆ trente pas de la batterie tellement enfoncŽe dans la terre que lÕon ne lÕen avait pu retirer : une quatrime Žtait ˆ cent pas de lˆ, que les officiers y avaient laissŽe parce quÕen lÕamenant quelque charretier et des chevaux ayant ŽtŽ tuŽs, les autres avaient dŽtelŽ et sÕen Žtaient fuis. Je pris lors cinquante Suisses ˆ qui je promis cinquante Žcus pour me mettre ces deux pices en batterie, et les attelai au lieu des chevaux, ayant fait premirement creuser au dessous des roues de la pice et fait mettre des fortes planches afin quÕelle ne sÕembourb‰t plus. Nous tir‰mes la premire en batterie sans que lÕon nous tir‰t de la ville : mais comme nous nous m”mes aprs la plus ŽloignŽe et que nous la tirions proche de la batterie, o nous lÕavions dŽjˆ amenŽe, et que je les aidais ˆ tirer, les ennemis nous firent une salve en laquelle deux Suisses furent tuŽs, trois blessŽs, et moi dÕune mousquetade dans le petit ventre du c™tŽ droit. Je pensais tre mort, et Mr le marŽchal de ThŽmines qui Žtait ˆ la batterie, le crut aussi : toutefois Dieu voulut que la quantitŽ de hardes que la balle rencontra (car elle pera cinq doubles de mon manteau, deux doubles de ma hongreline fourrŽe, mon ceinturon et ma basque), firent quÕelle sÕarrta sur le pŽritoine sans le percer, de sorte que quand on sonda la plaie, la balle se rencontra dans cette Žpaisseur de chair qui est sur le ventre, o lÕon fit une incision, et elle tomba. Je nÕen tins jamais quÕun jour le lit, bien que ma plaie fžt un mois ˆ se fermer ˆ cause du drap qui Žtait dedans.

Le samedi 15me au soir Mr de Pralain ayant fait battre la ville avec ces quatre pices susdites, nÕen fut pas quitte ˆ si bon marchŽ que moi ; car il eut une mousquetade qui lui pera la cuisse sans toutefois offenser lÕos, dont il fut aussi guŽri dans un mois.

Une heure aprs que Mr de Pralain ežt ŽtŽ blessŽ, Marolles vint au camp avec sauf-conduit quÕil avait envoyŽ demander, et capitula au nom de Mr de Nevers pour la reddition de Rethel, laquelle ayant signŽ, il entra dans la ville, et, ayant apportŽ le contreseing de Mr de Nevers, le gouverneur de la ville accepta la capitulation que Marolles avait faite et rendit la place, o Mr de Guise vint loger le lendemain qui Žtait le 18me dÕavril.

Le 19me il fit la montre gŽnŽrale de son armŽe et se rŽsolut dÕenvoyer quŽrir force canons pour assiŽger MŽzires parce quÕil nÕy en avait plus que quatre en son armŽe qui ne fussent ŽventŽs, ce qui ne pouvait de douze ou quinze jours tre prt. Cela fut cause que je lui demandai congŽ dÕaller ˆ Paris pour parachever le traitŽ que jÕavais commencŽ de la vente de ma charge de colonel-gŽnŽral des Suisses avec Mr le marŽchal dÕAncre qui mÕen avait offert jusques ˆ six cents mille livres, et jÕen demandais six cents cinquante.

Le soir mme que jÕeus obtenu mon congŽ, le roi et la reine nous envoyrent visiter Mr de Pralain et moi, croyant que je fusse bien plus blessŽ que je nՎtais, vu le lieu de ma blessure. Ils nous Žcrivirent de trs favorables lettres ˆ tous deux, et le marŽchal dÕAncre me manda que si je jouais ˆ me faire tuer, quÕil serait mon hŽritier ; et que si je me portais en Žtat de venir conclure, il me donnerait pour les cinquante mille francs dont nous Žtions en dispute, pour dix mille Žcus de pierreries au dire dÕorfvres. Je partis donc ˆ ce dessein, et Mrs le marquis de ThŽmines, comte de Fiesque, Zamet, et plus de cinquante autres gentilshommes voulurent venir avec moi.

Nous part”mes donc le 21me et ne v”nmes coucher quՈ Ch‰teau-Porcien. Mais le lendemain 22me nous fžmes coucher ˆ Vely o Mr de la CurŽe nous vint voir ; cՎtait un samedi au soir ; et me pria de venir le lendemain ou•r messe et dŽjeuner en son quartier qui Žtait sur notre chemin, ce que je fis, et le 23me il nous fit fort bonne chre et ensuite nous conduisit devant Soissons.

Mrs de Rohan, la Rochefoucaut, Saint-Geran et Saint-Luc vinrent au-devant de nous, qui nous menrent chez Mr le comte dÕAuvergne, qui Žtait gŽnŽral de lÕarmŽe et qui sՎtait amusŽ ˆ faire des enceintes devant la ville pour empcher les sorties des ennemis qui lÕavaient malmenŽ en un quartier o Žtait logŽ Bussy-Lameth avec son rŽgiment sur lequel Mr du Maine fit une brave sortie menant deux pices de canon devant lui, fora ce quartier, tailla en pices le rŽgiment de Bussy quÕil prit prisonnier, emporta ses drapeaux que depuis il arbora sur les bastions de Soissons ; de sorte que les tranchŽes nՎtaient point encore ouvertes et ne le devaient tre que le lendemain.

Mr le comte dÕAuvergne nous fit lÕhonneur de nous faire voir ses retranchements, nous assurant que dans quinze jours il serait ma”tre de Soissons ; ce que je ne crus pas voyant la faon dont ils se dŽmenaient.

Le soir Mr de Chevry nous donna ˆ souper, ˆ Mr le comte dÕAuvergne, duc de Rohan, et ˆ moi.

Le lendemain je voulus faire le tour de la ville et menai avec moi Mr le marquis de ThŽmines, Zamet, et Arnaut qui nous menait, lequel sÕentendait bien ˆ la guerre et donnait de trs bonnes raisons de ce quÕil ežt fallu faire. Au retour nous trouv‰mes Mr de la Rochefoucaut ; et comme nous Žtions dÕune diverse armŽe et que nous voulions faire voir quÕen la n™tre nous ne craignions point les mousquetades, nous all‰mes pour nous en faire tirer ; mais les ennemis nous laissrent approcher sans nous tirer, de telle sorte que pour ne vouloir point retourner que nous nÕeussions vu de leur feu, nous march‰mes jusques sur le bord de leur fossŽ. Ils ne tirrent point. Quand nous v”mes leur silence, nous romp”mes le n™tre et leur cri‰mes des injures. Ils nous en rŽpondirent, mais jamais ne tirrent. Enfin aprs avoir assez longtemps parlŽ ensemble comme si nous eussions ŽtŽ de mme parti, nous nous retir‰mes, et eux ne nous tirrent jamais.

Je revins souper comme le jour prŽcŽdent chez le prŽsident de Chevry avec Mrs de Rohan et le comte dÕAuvergne : cՎtait le lundi 24me dÕavril, quÕil arriva un des commis dudit prŽsident comme nous soupions, lequel lui dit ˆ lÕoreille que le marŽchal dÕAncre avait ŽtŽ tuŽ le matin. Il sՎtonna fort ˆ cette nouvelle et la dit ˆ Mr le comte dÕAuvergne au-dessous duquel il Žtait, qui nÕen fut pas moins ŽtonnŽ, et sÕentreparlrent quelque peu. Enfin je les pressai de nous dire ce que cՎtait, et ils nous dirent que le matin ˆ onze heures le marŽchal dÕAncre avait, du commandement du roi, ŽtŽ tuŽ par Vitry ; et pria ˆ Mr de Rohan et ˆ moi de lui conseiller ce quÕil avait ˆ faire en cette occasion. Je lui demandai si le roi ou la reine lui avaient rien mandŽ. Il me dit que non. Ē Il me semble, lui dis je, que vous devez aller visiter vos quartiers, et que les chefs en soient avertis par votre bouche, lesquels vous prierez de contenir leurs gens en Žtat, attendant que le roi vous ait envoyŽ ses commandements. Č Il me pria de lui vouloir accompagner, ce que je fis. Il avait envie de faire discontinuer lÕouverture de la tranchŽe que Mr de Saint-Luc commenait ˆ lÕheure mme ; mais je lÕen dissuadai lui disant quÕil fit toujours son devoir jusques ˆ ce que lÕon lui mand‰t le contraire. Sur les trois heures du matin Tavannes arriva, qui apporta ˆ Mr le comte dÕAuvergne ordre de supersŽder tout acte dÕhostilitŽ contre la ville de Soissons. Le soir les ennemis furent mieux avertis que nous ; car ds que jՎtais sur le bord de leur fossŽ o ils ne nous tirrent jamais, ils nous dirent que notre ma”tre Žtait mort et que le leur lÕavait tuŽ : mais je ne compris point pour lÕheure ce quÕils voulaient dire.

Nous part”mes le lendemain mardi 25me de bonne heure de Soissons, et ayant passŽ lÕAisne sur le pont de bateaux nous nous jet‰mes sans y penser dans la cavalerie liŽgeoise qui avait eu avis de la mort du marŽchal dÕAncre qui les avait levŽs, dont ils Žtaient fort ŽtonnŽs. De fortune ce mme matin ils Žtaient en armes pour faire montre, et comme ils nous virent, ils firent dessein de nous prendre prisonniers pour crainte que lÕon ne les voulžt tailler en pices, et nous faire servir de garants ; et comme un capitaine sÕavana pour me parler, je fis lÕaffligŽ de la mort dudit marŽchal et lui demandai si je pourrais tre en sžretŽ parmi eux et sÕils pourraient empcher que lÕon ne nous pr”t si le roi le commandait. Il me rŽpondit quÕils Žtaient eux-mmes assez empchŽs de se garantir, et que chacun t‰ch‰t ˆ faire le mieux quÕil pourrait : et ainsi sÕen revint ˆ ses gens et leur dit que nous Žtions des gens du marŽchal dÕAncre. Ainsi sans montrer que nous tirassions droit ˆ Paris, nous demeur‰mes un peu ˆ les voir et enfin les Žloign‰mes insensiblement et sort”mes de leurs mains.

Nous v”nmes coucher ˆ Nanteuil et le lendemain d”ner chez Zamet, et aprs d”ner trouver le roi qui me fit fort bonne chre et me commanda dÕaimer Mr de Luynes, et que cՎtait son bon serviteur. Je lui demandai sÕil nous permettrait de voir la reine sa mre : il me dit quÕil y aviserait.

Je vis cependant Zocoli, tailleur de ladite reine, qui venait de sa part visiter madame la princesse de Conty et madame de Guise, et lui faisais tous les soirs faire par lui mes compliments.

On avait rompu le pont du jardin du Louvre, et les gardes du roi Žtaient en lÕantichambre de la reine, qui ne laissaient entrer que ses domestiques.

 

Mai. Ń On traitait cependant pour la faire partir, ce qui se fit le 3me jour de mai veille de lÕAscension. Tout le matin lÕon ne fit que charger les bagages, le roi Žtant cependant au conseil o il fut rŽsolu et mis par Žcrit les choses que la reine devait dire au roi en se sŽparant, et celles que le roi lui devait rŽpondre. Il fut aussi convenu que lÕun ni lÕautre ne dirait rien davantage, et que quand la reine serait habillŽe, les princesses la pourraient voir, et les hommes ensuite aprs que le roi aurait pris congŽ dÕelle, comme aussi que le marŽchal de Vitry nÕy serait point, ni le Hallier son frre ; que la CurŽe lÕaccompagnerait jusques ˆ Blois ; que lui et le colonel seraient auprs dÕelle quand le roi y viendrait. LÕon envoya aussi les ordinaires, et les plus affidŽs de Mr de Luynes se tenir ˆ la chambre o soulaient tre ses gardes. Puis le roi descendit, et la reine qui lÕattendait, Žtait en lÕallŽe au sortir de sa chambre, pour entrer en son antichambre en mme temps que lui. Mrs de Vitry demeurrent ˆ la porte, et les trois Luynes marchrent devant le roi, lequel tenait lÕa”nŽ par la main. Mr le prince de Joinville et moi suivions le roi et entr‰mes aprs lui. La reine tint bonne mine jusques ˆ ce quÕelle vit le roi : alors elle se mit fort ˆ pleurer ; mais elle se tint le mouchoir devant les yeux et son Žventail au-devant, et sՎtant rencontrŽs, elle mena le roi jusques ˆ la fentre qui regarde sur le jardin, et lors ™tant son mouchoir et son Žventail, elle lui dit : Ē Monsieur, je suis trs marrie de nÕavoir gouvernŽ votre Žtat pendant ma rŽgence et mon administration plus ˆ votre grŽ que je nÕai fait, vous assurant que jÕy ai nŽanmoins apportŽ toute la peine et le soin quÕil mÕa ŽtŽ possible, et vous supplie de me tenir toujours pour votre trs humble et trs obŽissante mre et servante. Č Il lui rŽpondit : Ē Madame, je vous remercie trs humblement du soin et de la peine que vous avez prise en lÕadministration de mon royaume ; dont je suis satisfait et mÕen ressens obligŽ. Je vous supplie de croire que je serai toujours votre trs humble fils. Č Sur cela attendait le roi quÕelle se baiss‰t pour le baiser et prendre congŽ de lui, comme il avait ŽtŽ concertŽ ; mais elle lui dit : Ē Monsieur, je mÕen vas et vous supplie dÕune gr‰ce en partant, que je me veux promettre que vous ne me refuserez pas, qui est de me rendre Barbin mon intendant, si, comme je le crois, vous ne vous en voulez servir. Č Le roi qui ne sÕattendait point ˆ cette demande, la regarda sans lui rien rŽpondre ; elle lui dit encore : Ē Monsieur, ne me refusez point cette seule prire que je vous fais. Č Il continua de la regarder sans rŽpondre ; elle ajouta : Ē Peut-tre est-ce la dernire que je vous ferai jamais Č ; et puis voyant quÕil ne lui rŽpondait rien, elle dit : Ē Or sus Č, et puis se baissa et le baisa. Le roi fit une rŽvŽrence et puis tourna le dos. Alors Mr de Luynes vint prendre congŽ de la reine ˆ qui il dit quelques paroles que je ne pus entendre ni celles aussi quÕelle lui rŽpondit, si fis bien celle quÕaprs lui avoir baisŽ la robe, elle ajouta, qui fut quÕelle avait fait une prire au roi de lui rendre Barbin, et quÕil lui ferait service agrŽable et singulier plaisir de procurer que le roi lui accord‰t sa requte, qui nՎtait pas si importante quÕil lui džt refuser. Comme Mr de Luynes voulut rŽpondre, le roi cria cinq ou six fois : Ē Luynes, Luynes, Luynes ! Č Et lors Mr de Luynes faisant voir ˆ la reine quÕil Žtait forcŽ dÕaller aprs le roi, le suivit. Alors la reine sÕappuya contre la muraille entre les deux fentres, et pleurant amrement, Mr de Chevreuse et moi lui bais‰mes la robe pleurant aussi ; mais, ou elle ne nous put voir ˆ cause de ses larmes, ou elle ne nous voulut parler ni regarder, ce qui fit que jÕattendis pour prendre encore une fois congŽ dÕelle, ce que je fis comme elle retourna en sa chambre ; mais elle ne me vit ou voulut voir non plus que la premire fois.

Sur cela le roi se mit sur le balcon qui est devant la chambre de la reine sa femme pour voir partir la reine, et aprs quÕelle fut sortie du Louvre, il courut en sa galerie pour la voir encore passer sur le Pont Neuf, puis monta en carrosse et sÕen alla au bois de Vincennes.

La reine et tout le reste de la cour y arrivrent le lendemain 4me qui Žtait un jeudi jour de lÕAscension, o y arriva don Baltasar de Suniga avec sa femme, qui sÕen allaient en Espagne au retour de sa longue ambassade en la cour des empereurs.

Le vendredi 5me Mrs de Vend™me, de Mayenne, et de Bouillon y vinrent faire la rŽvŽrence au roi qui les reut fort bien : et moi ce soir-lˆ je fis autre chose.

Travail fut rouŽ.

Le roi aprs avoir demeurŽ prs de quinze jours audit bois de Vincennes sÕen revint ˆ Paris, et madame la Princesse peu de temps aprs sÕenferma dans la Bastille avec Mr le Prince. Madame la Princesse entra dans la Bastille le 21me de juin, veille de la petite Fte-Dieu. Le roi sÕen alla ˆ Saint-Germain o il demeura quelque temps.

 

Juillet. Ń On trancha la tte ˆ la marŽchale dÕAncre en Greve.

Geniers y eut la tte tranchŽe.

Le roi revint ˆ Paris et ayant eu avis que Bournonville par le moyen de Barbin avait quelque intelligence avec la reine mre bien quÕil command‰t sous son frre ˆ la Bastille, lÕen sortit et le mit en prison. Et ˆ quelques jours de lˆ un matin le roi me commanda de faire tenir proche de la porte Saint-Antoine trois compagnies de Suisses ; ce que je fis : et Mr le Prince qui mÕaperut les y mener, de sa fentre, prit opinion que lÕon le voulait mettre entre mes mains, dont il tŽmoigna du ressentiment ; ce quÕayant su, afin de lui lever cet ombrage, je ne voulus point para”tre. Ces troupes avec deux compagnies franaises et cinquante gendarmes et autant de chevau-lŽgers le menrent au bois de Vincennes o il demeura plus de deux ans depuis. Les gardes franaises et suisses demeurrent dans le ch‰teau jusques ˆ ce que huit compagnies du rŽgiment de Normandie nouvellement Žtabli et mis sur pied les fussent venues relever.

Peu de jours ensuite Mr de Persan qui Žtait demeurŽ gouverneur de la Bastille fut souponnŽ dÕavoir su la pratique de Bournonville son frre et fut mis prisonnier. Le roi me mit dans la Bastille avec soixante Suisses, o je demeurai huit ou dix jours (octobre) au bout desquels le roi mÕayant commandŽ de mettre la place entre les mains [de Mr de Brante frre] de Mr de Luynes, ˆ qui il en avait donnŽ la capitainerie, je lui rŽsignai.

 

Novembre. Ń Il y eut un jubilŽ extraordinaire que je fis ˆ Paris ; et le lendemain jÕeus lÕaventure qui nous brouilla Mr de Montmorency et moi.

 

DŽcembre. Ń JÕallai aprs trouver le roi ˆ Rouen, qui y faisait tenir une assemblŽe de notables, en laquelle la paulette fut abolie.

Nous en part”mes Mr de Guise et moi, et avec quatre carrosses de relais nous arriv”mes le 21me dŽcembre, jour de Saint-Tomas, en un jour, de Rouen ˆ Paris, sur la nouvelle de lÕextrŽmitŽ de la maladie de madame la Princesse qui accoucha de deux enfants ce mme soir ; qui nÕeurent vie ; et elle (dont la sienne Žtait dŽsespŽrŽe, y ayant vingt heures quÕelle Žtait en apoplexie) revint petit ˆ petit aprs tre dŽlivrŽe.

Nous repart”mes de Paris la veille de No‘l en mmes carrosses de relais et arriv‰mes le soir ˆ Rouen, qui est une diligence en carrosse qui ne sՎtait encore faite en cette saison.

1618.

JANVIER.ŃAprs que lÕassemblŽe fžt finie, le roi partit de Rouen au commencement de lÕannŽe 1618 et sÕen vint demeurer quelques jours au ch‰teau de Madrid o il voulut que je vinsse loger le 17me janvier.

Pario mÕarma en Orqas.

La foire de Saint-Germain arriva en laquelle Roucelai fut outragŽ par Rouillac.

 

FŽvrier. Ń Le roi dansa le ballet dÕArnaud et dÕArmide, duquel je fus.

 

Mars. Ń Ensuite les ducs et pairs, et officiers, trouvrent Žtrange que le garde des sceaux qui nÕest point officier de la couronne, et mme le chancelier y Žtant, se pla‰t devant eux au conseil. Mr dÕEpernon porta la parole au roi devant ledit garde des sceaux, et comme il est un peu violent, attaqua ledit garde des sceaux qui lui rŽpondit plus hautement quÕil ne devait. Trois jours aprs, le roi (qui ce jour-lˆ avait pris mŽdecine) les fit tous deux venir en sa chambre o nous Žtions peu de gens, et leur commanda de demeurer amis ; et sur ce que Mr dÕEpernon se haussa encore un peu en paroles, le roi qui Žtait assis, se leva contre Mr dÕEpernon et le malmena : puis ensuite ayant dit quÕil voulait aller ˆ ses affaires, chacun sortit par la porte du cabinet, et Mr dÕEpernon sÕen alla par la porte de la chambre tout seul, et moi je le voulus aller accompagner nonobstant toute la brouillerie quÕil avait eue avec le garde des sceaux et avec le roi. Il se trouva un peu ŽtonnŽ quand il se vit enfermŽ dans lÕantichambre et eut quelque soupon que lÕon le voulait arrter ; car toutes les portes Žtaient fermŽes. Je mÕavisai de regarder si le petit degrŽ qui est contre la porte de la chambre du roi Žtait point aussi fermŽ, et lÕayant trouvŽ ouvert jÕy amenai Mr dÕEpernon de qui les gens lÕattendaient en la salle haute et pass‰mes tous deux jusques devant le Louvre o il trouva son carrosse qui lÕemmena en son logis ou en quelque autre, me priant de lui envoyer donner avis si on nÕavait rien rŽsolu contre lui. Je parlai ˆ Mr de Luynes sur son sujet, et me dit : Ē Il veut aller ˆ Metz ; quÕil h‰te un peu son voyage et sÕy en aille : car ces messieurs pourraient animer le roi contre lui. Č Je vis bien quÕils dŽsiraient quÕil part”t de la cour et allai le lendemain trouver Mr dÕEpernon et lui fis savoir lÕintention du roi et du favori. Il me pria de savoir si, venant trouver le roi pour prendre congŽ de lui, il serait le bien reu ; dont je lui portai parole. Il vint donc aprs le d”ner du roi et y reut trs bon visage. Il lui demanda congŽ dÕaller ˆ Metz, que le roi lui accorda ; et lui ayant dit adieu, il sÕen alla demeurer ˆ Vanves jusques ˆ ce que Mr dÕEpernon sÕen fžt allŽ, ce quÕil pensait quÕil ferait le jour dÕaprs. Il emmena ˆ Vanves monsieur son frre avec lui, ˆ qui il changea de gouverneur, mettant ˆ la place de Mr de Breves, qui lՎtait, Mr le comte du Lude.

Aprs que le roi eut demeurŽ deux jours ˆ Vanves et quÕil sut que tout Paris Žtait venu visiter Mr dÕEpernon, et quÕil nՎtait point parti, que mme il avait dit ˆ Saint-Geran quÕil avait encore des affaires ˆ Paris pour cinq ou six jours, le roi sÕen f‰cha et me dit quÕil sÕen retournerait le lendemain au soir ˆ Paris, et que sÕil lui trouvait encore, il lui ferait un mauvais parti. Mr de Luynes mmes me dit devant le roi que je le visse et que je lui fisse savoir quÕil ne demeur‰t pas plus longtemps ˆ Paris sÕil Žtait sage. Je partis ˆ la mme heure et vins d”ner avec lui, auquel je dis lÕhumeur du roi, lui palliant [embellisant] les choses quÕil ne devait pas savoir si cržment. Enfin aprs mÕavoir longtemps parlŽ, il me pria dÕassurer Sa MajestŽ que le lendemain avant midi il serait hors de Paris, comme il fit : et le roi y arriva le soir. Or Mr dÕEpernon sÕen alla ˆ Fontenay o il demeura encore sept ou huit jours ; dont le roi entra en telle colre quÕil envoya loger ˆ Rosoy ses chevau-lŽgers : et monsieur le chancelier qui Žtait ami de Mr dÕEpernon, lui manda par Guron quÕil ferait bien de partir et de sÕen aller ˆ Metz. Guron lui porta la nouvelle si chaude quÕil partit ˆ lÕheure mme, et ˆ grandes journŽes se rendit ˆ Metz.

Peu aprs on fit rouer ˆ Paris les Siti, et Durant, pour avoir fait quelques Žcrits en faveur de la reine mre.

En ce temps-lˆ le roi qui Žtait fort jeune, sÕamusait ˆ force petits exercices de son ‰ge, comme de peindre, de chanter, dÕimiter les artifices des eaux de Saint-Germain par de petits canaux de plume, de faire des petites inventions de chasse, de jouer du tambour, ˆ quoi il rŽussissait trs bien. Un jour je le louais de ce quÕil Žtait fort propre ˆ ce quÕil voulait entreprendre et que nÕayant jamais ŽtŽ montrŽ ˆ battre le tambour, il le faisait mieux que les ma”tres ; il me dit : Ē Il faut que je me remette ˆ sonner du cor de chasse, ce que je fais fort bien, et veux tre tout un jour ˆ sonner. Č Je lui rŽpondis : Ē Sire, je ne conseille pas ˆ Votre MajestŽ dÕen sonner par trop souvent : car outre que cela fait venir les hairgnes [hernies], il nuit encore grandement au poumon, et mme jÕai ou• dire que le feu roi Charles, ˆ force de sonner du cor, se rompit une veine dans le poumon, qui lui causa la mort. Č Ē Vous vous trompez, me rŽpliqua il, le sonner du cor ne le fit pas mourir, mais bien ce quÕil se mit mal avec la reine Catherine sa mre ˆ Monceaux, et quÕil la quitta et sÕen revint ˆ Meaux, mais si lˆ par la persuasion du marŽchal de Retz qui le fit retourner ˆ Monceaux auprs de la reine sa mre ; car sÕil nÕy fut pas revenu, il ne fut pas mort si t™t. Č Et comme je ne lui rŽpondais rien sur ce sujet, Montpouillan qui Žtait prŽsent, me dit : Ē Vous ne pensiez pas, Monsieur, que le roi sžt ces choses-lˆ comme il les sait, et beaucoup dÕautres encore. Č Je lui dis : Ē Vraiment non, Monsieur, je ne le pensais pas. Č Cela me fit conna”tre que lÕon lui donnait beaucoup dÕapprŽhensions de la reine sa mre, de laquelle je me gardai bien ˆ lÕavenir de lui parler, mme en discours communs.

Quand la reine partit lÕautre annŽe de Paris, Roucelai eut commandement de sÕen aller aussi comme son partisan. Peu aprs mՎtant mis bien avec Mr de Luynes, je fis en sorte quÕil rev”nt ˆ la cour sous la caution que je fis pour lui quÕil ne ferait aucune chose qui pžt dŽplaire au roi, et ne se mlerait de rien. Mais comme il Žtait homme dÕintrigue, il ne sÕen put tenir et traita avec quelques grands et princes ; puis ayant fait ses affaires de la cour, voulant en traiter dÕautres ˆ la campagne, fit donner lui mme des avis contre lui, non les vrais, mais de faux et controuvŽs, pour se faire chasser de la cour, ce que lÕon fit alors (juillet) : et lui sÕen alla en son abbaye de Signy dÕo il traita avec Mr de Bouillon pour la reine et ensuite rŽunit en bonne intelligence Mrs dÕEpernon et de Bouillon pour le service de ladite reine.

 

Aožt. Ń Vers la mi-aožt le roi sÕen vint ˆ Monceaux dÕo jՎtais capitaine, o je le reus si magnifiquement que rien plus. Il y demeura dix-sept jours qui me cožtrent dix mille Žcus.

De lˆ il sÕen alla (septembre) ˆ Villiers-C™terets et ˆ Soissons o je pris congŽ de lui pour mÕen aller en Lorraine, et me permit aussi dÕaller ˆ Metz voir Mr dÕEpernon, lequel sÕen vint peu aprs ˆ Nancy (octobre) principalement pour me voir.

Je ne fus gure plus dÕun mois en mon voyage et mÕen revins en cour (novembre) o je trouvai que lÕon avait ordonnŽ aux Espagnoles qui Žtaient avec la reine de se retirer.

 

DŽcembre. Ń Nous ežmes les comŽdiens espagnols cet hiver-lˆ, et il y eut une grande comte au ciel, qui apparut plus dÕun mois durant.

1619.

JANVIER.Ń LÕannŽe 1619 commena par la grande maladie de la reine que Dieu enfin garantit. Madame la connŽtable sa dame dÕhonneur qui huit mois auparavant sՎtait retirŽe de la cour parce que Mr de Luynes avait fait donner la superintendance de la maison de la reine ˆ sa femme, vint trouver la reine en lÕexcs de sa maladie, qui fut trs aise de la voir et commena ds lors ˆ se mieux porter : et ladite connŽtable demeura dŽsormais auprs dÕelle comme auparavant.

Mr dÕElbeuf Žpousa Mlle de Vend™me.

Le roi consomma le mariage avec la reine sa femme.

Guerre de la mre et du fils

FŽvrier. Ń La foire de Saint-Germain fut suivie de force ballets, et ces ballets des noces de madame Henriette seconde fille de France avec Mr le prince de PiŽmont qui arriva en ce temps-lˆ pour lՎpouser.

Aprs le carme-prenant le roi sÕen alla ˆ Saint-Germain dÕo il eut la nouvelle de lՎvasion de la reine sa mre de Blois, que Mr dÕEpernon qui contre la dŽfense du roi Žtait parti de Metz pour aller en Saintonge, sans sÕy arrter, Žtait venu recevoir ˆ Montrichart.

Le roi revint ˆ Paris le mme jour quÕil en eut la nouvelle, et le lendemain tint conseil pour savoir ce quÕil aurait ˆ faire. Il fut avisŽ quÕil enverrait le pre BŽrulle avec lÕarchevque de Sens vers elle pour la convier de revenir, et en mme temps dresser une forte armŽe pour aller ruiner Mr dÕEpernon, de laquelle le roi fit lÕhonneur ˆ Mr de CrŽquy et ˆ moi de nous faire marŽchaux de camp (mars). Mr de Sens renvoya peu aprs le pre BŽrulle avec quelque pourparler dÕaccommodement, ce qui fit que lÕon y envoya de plus Mr le cardinal de la Rochefoucaut avec pouvoir de traiter.

 

Avril. Ń Le roi cependant partit au mois dÕavril pour aller sur la rivire de Loire o ses troupes sÕacheminaient. Mais comme nous arriv”mes ˆ Amboise, Mr de la Rochefoucaut cardinal manda au roi comme il avait traitŽ et conclu avec la reine sa mre, que la paix avait ŽtŽ conclue et jurŽe, et que lÕon en avait en mme temps fait les feux de joie et chantŽ le Te Deum. On trouva que ledit sieur cardinal sՎtait un peu trop h‰tŽ, et quÕil en devait donner avis au roi : nŽanmoins on tint lÕaccord, par lequel la reine quitta le gouvernement de Normandie et on lui donna celui dÕAnjou avec le ch‰teau dÕAngers, Chinon, et le Pont de CŽ.

Le roi sÕavana jusques ˆ Tours.

 

Juin. Ń Mr le prince de PiŽmont alla voir la reine sa belle-mre.

Cependant nous demeur‰mes trois mois ˆ Tours (juin, juillet, aožt) y passant trs bien notre temps. Nous all‰mes au Lude, ˆ la Fleche et ˆ Durtal. Nous allions et venions en poste ˆ Paris passer encore le temps. Le colonel Galaty mourut : les ministres voulurent en mon absence disposer des charges : les Suisses mÕen donnrent avis, et je vins en un jour en poste de Paris ˆ Tours o jÕeus du roi tout ce que je voulus ; et Žtais en ce temps-lˆ trs bien traitŽ. Le roi me donna aussi lÕabbaye de Annecourt pour Paule Fiesque, et dÕautres gr‰ces.

Le roi fit marŽchal de France Mr de Pralain, et quelque peu aprs Mr de Saint-Geran.

 

Septembre. Ń Enfin la reine arriva ˆ Cousieres o Mr de Luynes la vint trouver, ayant amenŽ avec lui tous les principaux de la cour, qui salu‰mes la reine aprs quÕil lÕežt saluŽe. Le lendemain la reine arriva ˆ Tours : la reine sa belle-fille avec les princesses et dames fut au-devant, puis le roi, et tous ensemble revinrent ˆ Tours o Leurs MajestŽs demeurrent dix ou douze jours ensemble, puis se sŽparrent : la reine mre alla ˆ Chinon, et de lˆ ˆ Angers (octobre), et le roi ˆ Amboise dÕo il se sŽpara de la princesse et du prince de PiŽmont, que Mr le grand prieur eut charge dÕaccompagner jusques ˆ Turin.

Le roi de lˆ sÕen vint ˆ Blois, puis ˆ Chasteaudun, Vend™me et Chartres ; ˆ Mantes, Creil et Compigne.

Le comte du Lude mourut en ce temps-lˆ, et la charge de gouverneur de Monsieur fut donnŽe au colonel dÕOrnano.

Peu de jours aprs que le roi fut arrivŽ ˆ Compigne, il en partit pour venir ˆ Chantilly. Mr de Luynes fut quŽrir Mr le Prince au bois de Vincennes et madame sa femme, quÕil emmena ˆ Chantilly trouver le roi, lequel les ramena ˆ Compigne dÕo ils allrent ˆ Notre Dame de Liesse.

Cependant la cour vint passer quinze jours de temps ˆ Monceaux o je fis encore pareille dŽpense que jÕavais faite lÕannŽe prŽcŽdente.

 

Novembre. Ń De lˆ le roi revint ˆ Lesigny, et Mr de Luynes vint ˆ Paris prter le serment de duc et pair.

La cour vint puis aprs ˆ Saint-Germain o le chapitre de lÕordre du Saint-Esprit fut tenu, et le dernier jour de lÕan nous fžmes faits chevaliers aux Augustins ˆ la manire accoutumŽe. Le nombre fut rempli. Il y eut ce jour-lˆ quelque brouillerie entre Mrs de Nemours et de Guise, qui fut promptement rapaisŽe.

JÕoffris ce jour-lˆ mon service ˆ madame la comtesse de Rochefort.

1620.

JANVIER.Ń Le premier jour de lÕannŽe 1620 fut commencŽ par la cŽrŽmonie de lÕOrdre, et le lendemain par la cŽrŽmonie des chevaliers trŽpassŽs.

 

FŽvrier. Ń La foire de Saint-Germain vint ensuite, puis le carme-prenant, o il y eut force ballets et assemblŽes, entre autres trois, assavoir : chez La Rochefoucaut ; chez Chanvallon o il y eut une fort belle comŽdie de personnes particulires qui ne faisaient point de profession de comŽdiens ; il y en eut aussi chez Fedeau o dÕAndelot se f‰cha contre le ma”tre du logis et nous ežmes quelque petite brouillerie Mr de Montmorency et moi, mais tout fut promptement apaisŽ.

Mr de Caddenet fut fait marŽchal de France afin dՎpouser Mlle de Pequigny.

 

Mars. Ń On passa bien le temps tout le carme et le printemps, tant aux Tuileries o les galants se trouvaient avec les dames, comme aux assemblŽes que toutes les princesses firent, ˆ ce invitŽes par la reine.

Au milieu du carme, comme le roi Žtait ˆ Fontainebleau, Mr du Maine sÕen alla de la cour sans dire adieu.

 

Avril. Ń LÕassemblŽe des huguenots se tenait ˆ Loudun, lesquels dŽclarrent quÕils ne prŽsenteraient point leurs cahiers, ou quÕiceux prŽsentŽs, ils ne se dŽsassembleraient point que lÕon nÕy ežt rŽpondu ; et Mr Desdiguieres nÕeut pas assez de pouvoir pour les faire condescendre ˆ agir comme ils avaient accoutumŽ et quÕil leur Žtait permis par leur Ždit. Ils se fortifiaient des divisions apparentes quÕils voyaient dans lՎtat, et fomentŽs par les grands qui les induisaient de tenir bon. Le roi qui se voyait dÕautres affaires sur les bras, t‰cha de sÕaccommoder avec ceux de la Religion qui enfin, aprs avoir prŽsentŽ leurs cahiers avec les deux dŽputŽs que le roi avait choisis des six quÕils avaient nommŽs selon la coutume, se sŽparrent sur les promesses que leur firent au nom du roi Mr le Prince, Mrs de Lesdiguires et de Luynes, que dans six mois le roi leur terminerait trois affaires, assavoir : la continuation pour trois annŽes de leurs places de sžretŽ ; lՎtablissement de deux conseillers de leur religion au parlement, dont on Žtait en dispute avec eux ; et que lÕon ™terait de Leitoure le sieur de Fonterailles qui depuis peu sՎtait fait catholique, et que lÕon en mettrait en sa place un de la Religion, tel quÕil plairait ˆ Sa MajestŽ : et que si dans lesdits six mois ils nՎtaient pleinement satisfaits desdits articles, ceux de la Religion de BŽarn auraient encore un mois aprs pour venir faire leurs trs humbles remontrances sur lÕintŽrt quÕils avaient ˆ lÕarrt donnŽ au conseil pour le rŽtablissement des ecclŽsiastiques de BŽarn dans leurs biens, aprs lesquelles remontrances Sa dite MajestŽ en ferait ce quÕelle jugerait bon tre : et que si lesdits trois articles nՎtaient rŽpondus ˆ leur contentement, ils se pourraient assembler de nouveau sans lettres patentes du roi pour leur permettre ainsi que cÕest la coutume.

Le roi cependant sÕavana ˆ P‰ques jusques ˆ OrlŽans ; mais ladite assemblŽe sՎtant sŽparŽe, il sÕen revint ˆ Paris : et Sa MajestŽ ordonna (mai) que jÕallasse commander comme marŽchal de camp lÕarmŽe quÕil avait en garnison en Champagne, pour la tenir prte ˆ marcher au premier commandement que jÕen aurais dÕElle.

Devant que je mÕacheminasse pour y aller, le roi eut divers avis des menŽes qui se faisaient contre lui, de lÕerrement [recrutement] des troupes ; et puis Mr de Vend™me partit dÕAnet et sÕen alla ˆ Angers trouver la reine. Le roi envoya Blainville vers elle, de laquelle il ne put tirer que des paroles incertaines et ambigu‘s qui augmentrent le soupon du roi. Mr de Nemours ensuite partit une nuit de Paris et se retira ˆ Angers, de sorte que le roi ne dut plus douter de sÕarmer puissament pour y rŽsister. Il me commanda de partir, et je mÕen vins le lundi 29me jour de juin pour prendre congŽ de Sa MajestŽ et partir lÕaprs-d”nŽe.

Mais comme le matin jÕentrais au Louvre pour cet effet, une femme me donna avis par un billet que monsieur et madame la Comtesse Žtaient rŽsolus de sÕen aller la nuit prochaine et que monsieur le grand prieur et le comte de Saint-Aignan sÕen allaient avec eux. Je rencontrai peu de temps aprs le chevalier dÕEspinay qui me confirma la mme chose. Je montai ˆ la chambre du roi et lui dis, et ˆ Mr de Luynes, le double avis que je venais de recevoir. Ils me menrent chez la reine qui sÕhabillait, afin que, personne nÕy entrant ˆ cette heure lˆ, ils me pussent plus longuement entretenir. Le roi sÕen devait aller ce jour-lˆ coucher ˆ Madrid : il proposa de demeurer, dÕenvoyer quŽrir Mr le Comte, et de lÕarrter. Mr de Luynes, et moi, lui d”mes que sur des avis incertains que je prŽsentais comme ils me venaient dՐtre donnŽs, et dÕarrter une telle personne sans plus grandes preuves, ne me semblait pas convenable, et que lÕaffaire mŽritait bien dՐtre pesŽe et dŽbattue devant que de la rŽsoudre. Mr de Luynes lui conseilla de plus de nÕinterrompre point son voyage de Madrid de peur dÕeffaroucher le gibier, et quÕil demeurerait ˆ Paris ; quÕil me retiendrait pour ce jour-lˆ ˆ Paris ; que le roi pourrait renvoyer ses chevau-lŽgers avec ordre de faire ce quÕil leur dirait, et quÕil sÕen repos‰t sur lui ; ce que le roi agrŽa, et partit.

Mr de Luynes me voulut mener d”ner chez le marŽchal de Chaunes avec lui : mais comme jՎtais priŽ ˆ d”ner chez Descures avec Mrs de Nevers et de Pralain, je lui dis que je mÕy trouverais au sortir de son d”ner ; comme je fis. Il me mena en sa maison en la mme rue Saint-Tomas (quÕil faisait b‰tir), avec Mr de Schomberg lequel lÕannŽe prŽcŽdente ˆ Tours avait ŽtŽ fait surintendant des finances en la place de Mr le prŽsident Jeannin, et on avait donnŽ ˆ Mr de Castille son gendre le contr™le gŽnŽral. Il sÕenferma en une chambre avec nous et Mr de Chaunes, nÕy ayant que Modene et Contade avec. Lˆ, il fut longtemps agitŽ ce quÕil serait ˆ faire. En mme temps arriva Mr de Brantes qui lui dit que le roi lui envoyait les chevau-lŽgers. Il me dit enfin : Ē Monsieur, puisque vous avez donnŽ un si important avis au roi, que vous semble-il que lÕon puisse et doive faire sur ce sujet ? Dites mÕen votre avis, ou mme plusieurs avis, afin que nous en puissions choisir un qui soit utile au roi. Č Je lui dis :

Ē Monsieur, je vous ferai encore en ceci la mme rŽponse quÕen plusieurs autres pareilles occasions jÕai dŽjˆ faite, que nÕayant ni le maniement ni la connaissance des affaires du roi, je ne suis pas capable de donner un bon avis en lÕair et dÕune chose o je ne vois ni le jour ni le fond. Je vous dirai nŽanmoins tous les avis quÕil me semble qui se peuvent prendre lˆ-dessus, desquels vous saurez choisir le meilleur et rejeter les autres. Č

Ē Je pense quÕen cette affaire il faut parler en marchand et dire quÕil nÕy a quՈ le prendre ou ˆ le laisser, et quՈ le laisser il y a deux moyens : lÕun, de le laisser partir sans lui rien faire ne dire ; et lÕautre, de lui permettre aussi de partir, mais de lui faire savoir auparavant que lÕon est fort bien averti de son dessein, mais quÕil est indiffrent au roi quÕil lÕexŽcute ou non. Ė le prendre, il faut que le roi lui mande quÕil le vienne trouver ˆ Madrid, et lˆ lui dire comme il est averti quÕil a dessein dÕaller trouver la reine mre, et que pour cet effet il se veut assurer de sa personne et le retenir prs de lui ; lÕautre, faire investir son logis, le prendre et le mettre en tel lieu de sžretŽ quÕil plaira au roi ; lÕautre, de le prendre avec sa mre et le grand prieur quand ils sortiront de leur logis, ou bien quand ils viendront ˆ la porte de la ville, ou bien ˆ Villepreux quand ils viendront au rendez-vous qui leur est donnŽ. Č

Ē CÕest maintenant ˆ vous, Monsieur, de prendre et former deux avis : lÕun, sÕil est plus ˆ propos de le prendre ou de le laisser aller ; lÕautre, si vous jugez quÕil le faille prendre, de faire le choix dÕune des faons que je vous ai proposŽes, et lÕexŽcuter promptement et sžrement. Č

Sur cela Mr de Luynes fut en plus grande incertitude que devant, et mՎtonnai du peu dÕaide et de confort que ces autres messieurs lˆ prŽsents lui donnaient, qui se montraient aussi irrŽsolus que lui. Sur cela madame la vidame envoya dire ˆ Mr de Chaunes que madame la Comtesse Žtait venue chez elle, et quÕelle lui priait dÕy venir. Mr de Luynes lui envoya en mme temps et lui ordonna de prendre bien garde ˆ sa contenance si il pourrait point dŽcouvrir son dessein. Nous demeur‰mes cependant, attendant de ses nouvelles qui ne tardrent gure ˆ venir, par lesquelles il nous fit savoir quՈ sa mine et ˆ ses discours il se fortifiait toujours davantage en lÕopinion de sa prochaine fuite. Alors Mr de Luynes plus perplexe que devant, se mit ˆ la bl‰mer et ˆ ne rien rŽsoudre, ni ceux qui assistaient non plus, dont je fus bien ŽtonnŽ. Enfin je lui dis : Ē Monsieur, vous consumez le temps ˆ rŽsoudre, quÕil vous faudrait employer ˆ exŽcuter. Il se fait tard ; le roi est en peine de ne savoir point de vos nouvelles : formez un dessein. Č Il me dit : Ē Vous en parlez bien ˆ votre aise ; si vous teniez la queue de la pole comme moi, vous seriez aussi en peine que moi. Č

Je vis bien lors quÕil lui fallait ajouter de nouveaux conseillers : cÕest pourquoi je lui dis : Ē Monsieur, puisque vous tes en cette apprŽhension, faites part aux ministres de cette affaire et les rendez participants de ce que vous exŽcuterez. Aussi bien si vous le faites sans eux, ils vous en bl‰meront quoi quÕil en rŽussisse. Č Je lui fis plaisir de lui avoir ouvert cette porte ; et les envoya aussit™t convoquer chez monsieur le chancelier. Mr de Schomberg dit que Mr le cardinal de Retz Žtait malade et quÕil ne sÕy pourrait trouver ; je dis lors : Ē Monsieur, si vous voulez, je lui en irai parler et vous porterai son opinion chez monsieur le chancelier. Je ferai encore mieux : jÕirai, chemin faisant, passer chez monsieur le grand prieur prendre congŽ de lui, et verrai sa contenance. Č

Il le trouva fort bon. Ainsi jÕallai chez monsieur le grand prieur que je trouvai avec le comte de Saint-Aignan et le chevalier de lÕEspinai. Je pris congŽ dÕeux, et en embrassant ledit chevalier je lui dis : Ē Moi dÕun c™tŽ et vous de lÕautre, nÕest ce pas ? Y a-t-il rien de changŽ ? Č Il me dit : Ē Tout est prt ˆ partir ˆ onze heures du soir. Č JÕallai de lˆ chez le cardinal : je lui parlai de la part de Mr de Luynes ; mais je le trouvai aussi irrŽsolu que lui et vis bien quÕil ne voulait pas charger ses Žpaules dÕun gŽnŽreux avis duquel puis aprs on lui pžt faire reproche.

Je mÕen revins chez monsieur le chancelier et trouvai que Mr le prŽsident Jeannin avait par de fortes raisons persuadŽ de les laisser aller sans leur rien dire ni empcher leur dessein, disant que Mr le Comte ni madame la Comtesse nÕapportaient que de la fumŽe et ostentation au parti de la reine et nul avantage ou profit ; et quՎtant mal intentionnŽs au service du roi, il Žtait ˆ dŽsirer quÕils sÕen allassent de Paris dÕo le roi quasi ne se pourrait Žloigner, sÕils y Žtaient ; que tous ces princes se nuiraient lÕun lÕautre, que lÕon en pourrait retirer par aprs qui lÕon voudrait, et que ce serait comme des moutons, quÕaprs que lÕun aurait franchi le saut, les autres y courraient en foule. Ainsi il fut rŽsolu, et les chevau-lŽgers renvoyŽs.

Mr de Luynes me pria de voir leur partement et de lÕen avertir ˆ lÕheure mme afin de le mander au roi. Je lui demandai un de ses gens quÕil me donna, nommŽ Destois, et comme ledit chevalier mÕavait dit, ils partirent un peu aprs onze heures et se rendirent ˆ la porte Saint-Jacques dÕo je renvoyai ˆ Mr de Luynes ledit Destois et lui mandai que je serais ˆ lui ˆ lÕouverture du Louvre le lendemain matin quÕil partit pour aller trouver le roi ˆ Madrid et le ramena ˆ Paris o je pris le soir congŽ de lui pour aller trouver son armŽe de Champagne et partis (juillet) le mercredi premier jour de juillet, et vins coucher ˆ Ch‰teau-Thierry.

Sardini y passa la nuit, qui allait faire h‰ter Mr de Bouillon de se dŽclarer.

On mÕy envoya un avis que Loppes, lieutenant de la compagnie de chevau-lŽgers de monsieur le grand prieur, mÕattendait pour me prendre prisonnier et mÕemmener ˆ Sedan. Mais cet avis fut faux, et Žtant arrivŽ ˆ Chalons jÕenvoyai quŽrir ledit Loppes qui avait sa maison ˆ trois lieues de lˆ, et je lui trouvai sa foi entire : aussi lui assurai-je de la part du roi de lui donner en chef la compagnie dont il Žtait lieutenant.

Il mÕamena avec trente ma”tres le vendredi 3me de bon matin ˆ Vitry o Žtait le rŽgiment de Champagne en garnison ˆ deux compagnies prs.

JÕy demeurai le samedi 4me pour voir en bataille ledit rŽgiment et en savoir la force et le nombre. Puis aprs avoir fait une dŽpche aux troupes qui Žtaient vers le Bassigny et avoir sondŽ la volontŽ des officiers dudit rŽgiment, que je trouvai bonne, hormis dÕun des capitaines nommŽ Plaisance de qui le fils avait assistŽ au dŽsarmement du peuple ˆ Metz, duquel on me donna soupon, comme aussi du lieutenant colonel Pigeolet qui pour lors Žtait absent aux eaux, et du sergent major la Faye, jÕen partis le dimanche 5me et vins coucher ˆ Sainte Menehou, et le lendemain lundi 6me je vins ˆ Verdun.

Les capitaines qui y Žtaient en garnison vinrent au-devant de moi, et messieurs de la ville qui avaient prŽparŽ mon logis chez monsieur le doyen me vinrent saluer, et le chapitre ensuite. Je trouvai les rŽgiments de Picardie et celui de Vaubecourt, ce dernier assez complet sur la nouvelle de ma venue, et lÕautre qui nÕavait pas le tiers de ses hommes parce que le rŽgiment de Marcoussan qui sÕen Žtait peu devant allŽ en Allemagne en avait dŽbauchŽ une partie et lÕautre sՎtait jetŽe avec Mr de la Valette dans Metz. Des Fourneaux frre de Descures, marŽchal des logis de lÕarmŽe, se trouva lˆ aussi, qui servit trs bien en ce voyage, et en fus fort assistŽ.

Le mardi 7me comme je d”nais avec Mr de Vaubecourt et plusieurs autres, mÕarriva un courrier du roi qui mÕapporta nouvelles comme le roi Žtait parti de Paris pour aller en diligence ˆ Rouen sauver la ville que Mr de Longueville, qui sՎtait jetŽ du parti de la reine, t‰chait de faire rŽvolter. Sa MajestŽ me mandait que je fisse en diligence assembler son armŽe ˆ Sainte-Menehou et que de lˆ je la fisse marcher droit ˆ Montereau o jÕaurais de ses nouvelles et plus t™t encore, et quÕil Žtait extrmement pressŽ dÕavoir promptement lÕarmŽe que je lui menais ; que je laissasse en Champagne le rŽgiment de Vaubecourt aux lieux o je jugerais en tre le plus de besoin.

En ce mme temps Mr de Fresnel gouverneur de Clermont arriva, dont je fus bien aise, mÕassurant quÕil mÕaiderait et de conseil et de soldats pour remplir mes troupes qui Žtaient tellement dŽpŽries, et dÕheure en heure jÕavais nouvelles de toutes parts comme la plupart des officiers quittaient le service du roi pour aller ˆ Metz, emmenant les soldats avec eux. Je me trouvai fort en peine : nŽanmoins aussit™t aprs d”ner je mÕenfermai avec Vaubecourt, Fresnel, et des Fourneaux, o je voulus voir quelles forces je pouvais amener au roi, en quel temps je les pourrais rendre prs de lui, et quelle route je tiendrais, ensemble quel ordre je laisserais dans la province en partant. Ces messieurs qui avaient connaissance plus parfaite que moi de cette frontire, me dirent que je nÕen pourrais pas tirer deux mille hommes, laissant le rŽgiment de Vaubecourt, et que les plus fortes compagnies nՎtaient pas de vingt-cinq hommes, lesquelles nŽanmoins avaient leurs magasins complets et garnis ; et que pourvu quÕils eussent des gens, ils avaient de quoi les armer. Je priai lors le sieur de Vaubecourt quÕil aid‰t le rŽgiment de Picardie de quatre cents soldats, ce quÕil pouvait faire sans sÕincommoder, vu que de la terre de Beaulieu il en pourrait recouvrer tant quÕil voudrait pour les remplacer ; ce quÕil me promit de faire pourvu que je lui baillasse un Žcu pour soldat pour en enr™ler dÕautres : et moi bien aise de ce bon commencement je lui donnai en mme temps quatre cents Žcus. Mr de Fresnel me dit lors quÕil mÕen pourrait fournir quasi autant des terres de Clermont, et je lui donnai autres quatre cents Žcus. JÕenvoyai en mme temps quŽrir messieurs de la ville auxquels je priai de me trouver le plus de soldats quÕils pourraient en ce besoin, ˆ un Žcu pour soldat : ils mÕen fournirent quelque six-vingt, et ainsi je remplis le rŽgiment de Picardie en un instant. JՎcrivis en mme temps au Bailly de Bar et lui envoyai de lÕargent : il Žtait mon ami et sÕappelait Couvonges, lequel fournit prs de trois cents soldats au rŽgiment de Champagne. Ils sÕaidrent aussi ˆ Vitry, Saint-Dizier, et ailleurs, et en trouvrent. Ils envoyrent ˆ la vallŽe dÕAillan six sergents qui leur amenrent trois cents soldats. JÕenvoyai ˆ Troyes, Chalons, Reims et Sens pour faire en diligence amas de soldats pour nos troupes et leur donnai lÕalarme chaude de la nŽcessitŽ o Žtait le roi. Ainsi nous gross”mes, en marchant, insensiblement notre infanterie de telle sorte que je prŽsentai au roi prs de la Flche huit mille hommes de pied en rang. Quant ˆ notre cavalerie, elle Žtait complte de neuf cents bons chevaux.

Aprs avoir commencŽ ce bon ordre pour grossir nos troupes, je parlai de lÕassemblŽe de lÕarmŽe et du temps auquel elle pourrait tre prte, et trouv‰mes quÕelle Žtait en diverses garnisons sur toute cette frontire de Champagne depuis Mousson jusques ˆ Chaumont en Bassigny, et que si je lui donnais rendez-vous ˆ Sainte-Menehou selon lÕordre que jÕen avais du roi, quÕelle nÕy pourrait tre toute assemblŽe en douze ou quinze jours, qui serait une perte de temps grandement importante au service du roi : et ayant vu et considŽrŽ la carte, il me vint en pensŽe de faire mon rendez-vous gŽnŽral ˆ Montereau, et dÕy faire acheminer les troupes par trois divers chemins, assavoir : celles qui Žtaient vers Mousson, Donchery, et autres lieux de cette frontire, les faire passer au-dessus de Reims, et de lˆ par dessous le MonaimŽ ˆ Sesanne, Barbonne, Villenosse, et Provins, ˆ Montereau ; celles de Vitry, Saint-Disiez, Ligny, et autres de ce quartier-lˆ, les mener par Poivre et Fre-Champenoise ˆ Provins, et de lˆ ˆ Montereau ; et quant aux garnisons de Bassigny, les faire venir par Saint-Fal, Troyes, Nogent, Bray, Pont, et Montereau.

Aprs avoir rŽsolu mes routes je rŽsolus mes traites que je fis plus grandes quՈ lÕordinaire, de neuf et dix lieues par journŽes : et pour cet effet je donnai ordre quÕaprs que chaque rŽgiment aurait fait cinq lieues, il trouverait proche de quelque rivire ou ruisseau un chariot de vin et un de pain pour rafra”chir les soldats, et se reposer depuis neuf heures du matin quÕils pouvaient tre arrivŽs audit lieu, partant ˆ trois heures ou quatre ; il pourrait sŽjourner jusques ˆ trois heures aprs midi et Žviter de marcher par le grand chaud ; et que de lˆ il marcherait jusques ˆ sept ou huit heures ; et ils trouveraient que la chair aurait dŽja ŽtŽ tuŽe au village o ils arriveraient, dont je payais la moitiŽ, et le village lÕautre. Par ce moyen le soldat se voyant quasi dŽfrayŽ, et considŽrant le soin que jÕavais de faire que rien ne leur manqu‰t, ils marchrent ˆ grandes traites sans murmurer jusques ˆ Montereau. Et pour donner ordre ˆ toutes ces choses, outre douze ou quatorze hommes que Vaubecourt me donna pour faire ces corvŽes, quelques-uns des miens et trois de Mr de Fresnel, comme aussi quatre ou cinq que ceux de Verdun me fournirent, les prŽv™ts et archers des rŽgiments y supplŽrent.

JÕavais ensuite une lettre de crŽance du roi sur moi ˆ Son Altesse de Lorraine en cas que quelque occasion me port‰t de lÕaller trouver pendant mon sŽjour par delˆ, de laquelle je me voulus servir pour empcher les levŽes qui se faisaient pour Mr de la Valette ouvertement dans ses pays et par ses vassaux. Je dŽpchai ˆ cette fin le sieur de Cominges vers lui avec la lettre du roi et la mienne, pour le prier de la part du roi dÕempcher lesdits gentilshommes ses vassaux de faire lesdites levŽes, sÕil ne voulait rompre la paix qui Žtait entre la France et la Lorraine ; que la neutralitŽ qui permet ˆ ses sujets dÕaller servir les divers princes sՎtendait seulement entre France et Espagne lorsquÕil y aurait guerre entre les deux rois, quÕils pourraient aller sous lequel ils voudraient indiffŽremment, mais non avec les sujets rebelles de lÕune ou de lÕautre couronne sans rompre ouvertement avec eux ; et que sÕils voulaient dire que les privilges de lÕancienne chevalerie leur permettaient dÕaller impunŽment contre le roi, et puis se retirer puis aprs en Lorraine pour Žviter le juste ch‰timent de lÕoffense faite ˆ un tel roi, que le roi en demanderait raison ˆ Son Altesse, et que si Elle rŽpondait quÕil ne la pouvait faire attendu leurs privilges, quÕil assur‰t Sa dite Altesse que le roi y pourvoirait et enverrait dans la Lorraine forces battantes pour les ch‰tier. Ce fut en substance ce que jՎcrivis ˆ Son Altesse ou que je donnai en instruction au sieur de Comminges de lui faire entendre de la part du roi.

JÕemployai ensuite tout le reste de la journŽe, et la suivante mercredi 8me, ˆ faire mes dŽpches ˆ tous les divers corps et leur envoyer leurs routes, ˆ Žtablir les diverses personnes pour prŽparer jusques ˆ Montereau cette espce dՎtapes quՈ mes dŽpens je faisais faire ˆ lÕinfanterie, et ˆ envoyer de tous c™tŽs pour avoir des hommes de recrue.

Je tirai aussi quelques souponnŽs mis en prison avant ma venue, et y laissai ceux que je vis apparemment mŽriter dÕy tre retenus, et partis de Verdun le lendemain jeudi 9me pour aller d”ner ˆ Clermont en Argonne chez Mr de Fresnel, lequel me livra trois cents quarante hommes quÕil avait levŽs auparavant dans son bailliage, que je dŽpartis dans les compagnies du rŽgiment de Picardie. Mr lՎvque de Verdun arriva en mme temps que moi audit Clermont dÕo je partis aprs d”ner pour aller coucher ˆ Sainte-Menehou.

Le vendredi 10me je vins ˆ Vitry o je trouvai mon frre, le comte de Brionne, et plusieurs autres gentilshommes lorrains qui mÕy Žtaient venus attendre pour me voir en passant.

Le samedi 11me fut par moi employŽ ˆ diverses dŽpches et particulirement ˆ renvoyer un courrier qui le jour-mme mՎtait arrivŽ de la part du roi, par lequel il me mandait de pourvoir ˆ toutes les charges de ceux qui sՎtaient retirŽs avec la reine ou avec Mr dÕEpernon, me promettant que quelque traitŽ de paix quÕil f”t, jamais il ne rŽtablirait ceux qui lÕavaient abandonnŽ en cette occasion, et quÕil confirmerait ceux que jÕy aurais Žtablis. JÕavais bien moyen de faire des crŽatures et de donner force charges, y en ayant prs de quatre-vingt ˆ pourvoir de capitaines, lieutenants, enseignes, sergents majors, aides ou prŽv™ts des bandes : mais ma modestie mÕempcha de recevoir cette gr‰ce du roi, auquel je mandai que je mettrais en charge ceux quÕil plairait au roi de mÕenvoyer ; que plusieurs lieutenants mŽritaient les charges de leurs capitaines absents, plusieurs enseignes celles des lieutenants, dont je lui envoyai le r™le et mon avis quand et quand, et demandai seulement une compagnie pour le sieur de Lambert, quÕil mÕaccorda.

JÕeus un courrier de Mr de Guise sur les cinq heures du soir, par lequel il me donnait avis que monsieur le cardinal son frre avait quittŽ le service du roi et sÕen allait en Champagne pour y brouiller les cartes ; ˆ quoi il me priait de pourvoir, et principalement ˆ Saint-Dizier. Je fis passer en mme temps le courrier ˆ Saint-Dizier et donnai le mme avis au sieur de Besme qui trois heures avant avait ŽtŽ me voir. JÕavertis aussi le sieur Courtois cornette de la compagnie de chevau-lŽgers de Mr de Guise, qui Žtait en garnison ˆ Saint-Dizier : puis sur les six heures je mÕen vins avec cette noblesse chez madame de Frenicourt qui Žtait lors ˆ Vitry.

Je nÕy fus pas entrŽ que le sieur de Villedonay capitaine au rŽgiment de PiŽmont arriva en poste, qui me dit avoir ˆ me parler en particulier. Je le menai au jardin prochain, et lors il me dit que Mr le cardinal de Guise me faisait ses recommandations et me priait de lui donner ˆ souper ; quÕil avait quittŽ le service du roi et sÕen venait en cette province servir ˆ lÕavancement des affaires de la reine sa mre ainsi quÕil me dirait tant™t, et que la grande traite quÕil avait faite me contraindrait de lÕattendre un peu tard ˆ souper. Je me trouvai bien ŽtonnŽ dÕou•r parler cet homme si franchement dÕune telle chose et ˆ un homme qui reprŽsentait la personne du roi et qui commandait son armŽe : je le fus aussi de voir comme monsieur le cardinal se venait jeter en nos mains pour sÕy faire prendre, selon ce que je devais au service du roi. NŽanmoins je nÕavais aucune charge du roi de le faire ; cՎtait un homme ˆ qui jՎtais fort serviteur et de toute sa maison ; je considŽrais sa qualitŽ de prince et de cardinal, et que je pouvais faillir en le prenant comme en ne le prenant pas : enfin Dieu mÕinspira de faire cette rŽponse ˆ VilledonnŽ : Ē Monsieur, je crois que vous vous moquez de me dire que monsieur le cardinal vienne ici ; car je sais assurŽment quÕil est en Normandie dont le roi lui a donnŽ le gouvernement. Il est trop avisŽ pour avoir quittŽ son service, et quand Dieu lÕaurait abandonnŽ jusques lˆ quÕil lÕežt fait, il est encore trop avisŽ pour se venir jeter dans une ville de lÕobŽissance du roi o il y a un fort rŽgiment en garnison, o je suis de sa part commandant son armŽe, pour sÕy faire prendre prisonnier. CÕest pourquoi je vous dis que je ne crois point ce que vous me dites, et que vous mÕavez voulu donner cette nouvelle pour mÕalarmer : mais je la reois comme vous me la donnez. Č CՎtait assez lui dire, sÕil lÕežt su entendre : mais lui au contraire se mit ˆ jurer quÕil me disait la pure vŽritŽ, et que dans trois heures il serait ˆ moi ; quÕil lÕavait devancŽ pour tre mieux montŽ, afin que je lÕattendisse ˆ souper. Je lui dis que je ne le croyais point, et quÕil trouverait un mauvais souper sÕil y venait, et quÕil Žtait trop avisŽ pour le faire ; mais que je le croyais en Normandie et aussi bon serviteur du roi que lui Žtait un mŽdisant. Je lui dis de plus : Ē Savez-vous bien que vous parlez ˆ celui qui, sÕil croyait ce que vous dites, serait obligŽ de vous envoyer en prison o vous courriez grande fortune, Žtant capitaine aux vieux rŽgiments comme vous tes ? Č Lors il se mit ˆ jurer plus que devant quÕil me disait la vŽritŽ et que dans deux heures je le verrais. Alors je lui dis : Ē Monsieur de Villedonay, je ne crois pas que cela soit ; mais si par fortune il Žtait, vous feriez bien, et vous et lui, de ne vous trouver pas en lieu o jÕaie puissance : car je vous mettrais lÕun et lÕautre en lieu dÕo je pourrais rŽpondre de vous. Č Alors me voyant f‰chŽ il sÕen alla, et je crus quÕil Žtait allŽ avertir Mr le cardinal de Guise de ma rŽponse : mais au contraire il sÕen alla ˆ Saint-Dizier pratiquer le Besme et la compagnie de chevau-lŽgers de Mr de Guise, qui de bonne fortune ayant ŽtŽ prŽvenus par mes amis se surent bien garder de lui.

Au sortir de chez madame de Frenicourt, comme je mÕen allais souper avec toute cette grande compagnie, le lieutenant-colonel de Champagne Pigeolet arriva, qui me vint saluer, et lui ayant dit quÕil v”nt souper avec moi, sÕen Žtait excusŽ me disant quÕil Žtait malade, ce que des capitaines dudit rŽgiment me firent remarquer et me dirent quÕil Žtait du parti de Mr dÕEpernon.

Aprs souper je me retirai pour Žcrire au roi et ˆ la cour, comme un des habitants me vint dire que Mr le cardinal de Guise serait ˆ lÕheure mme en mon logis pour y venir souper, quÕil me le mandait, et quÕun des Žchevins Žtait allŽ quŽrir les clefs pour lui ouvrir la porte. Or Žtait-il que le soir de devant que jÕarrivai, ceux de la ville mՎtaient venus porter les clefs ˆ mon logis, et que nÕayant quՈ y demeurer un jour ou deux, je leur avais dit quÕils les gardassent, quÕelles Žtaient en bonne main, et les leur fis rendre. Alors je mÕaperus de la faute que jÕavais faite, et en mme temps pris ce que jÕavais de gentilshommes, dix Suisses, et le corps de garde qui Žtait devant mon logis ; jÕenvoyai un nommŽ Baulac lieutenant de Cominges mettre sa compagnie en armes et la faire promptement marcher ˆ la place, o je courus, rŽsolu de charger furieusement tout ce que je trouverais assemblŽ, comme je croyais tre trahi : mais je ne trouvai personne.

Je me ressouvins lors du lieutenant-colonel, devant le logis duquel je passai, lequel je pense, si je lÕeusse trouvŽ sur pied, que je lui eusse fait mauvais parti : mais je le trouvai au lit et mme sans chandelle ˆ sa chambre, ce qui me donna bonne espŽrance. Il vit bien que jՎtais Žmu, et que par dŽfiance jՎtais entrŽ chez lui ; il me dit : Ē Monsieur, le soupon que vous avez que je suis fort serviteur de Mr dÕEpernon est vŽritable ; mais ma foi est entire : je suis serviteur du roi, nŽ son sujet : jÕy ai le serment auquel je ne manquerai jamais : je suis homme de bien, fiez-vous en moi. Č Alors je lÕembrassai et lui dis que je lui fierais ma propre vie sur la parole quÕil me donnait, puis lui dis quÕil demeur‰t ˆ la place avec la compagnie de Cominges et quÕil envoy‰t tenir prtes les autres, chacune en leur quartier ; car je me dŽfiais des habitants dont une partie sont huguenots et ˆ la dŽvotion de Mr de Bouillon, les autres sont catholiques et ligueurs pour la vie. Puis jÕallai en diligence ˆ la porte et rencontrai par le chemin lՎchevin avec les clefs, qui allait ouvrir ˆ monsieur le cardinal. Je lÕarrtai et lui demandai par quel ordre il allait ouvrir la porte. Lui, ŽtonnŽ, me demanda pardon, et moi je lui dis que je le ferais pendre dans une heure. Je le fis suivre, menŽ par mes Suisses, et arrivŽ que je fus ˆ la porte je trouvai que cՎtait Plaisance, celui seul du rŽgiment dont jÕavais soupon, qui la gardait avec sa compagnie, et que quantitŽ dÕhabitants Žtaient sur les remparts, qui disaient ˆ Mr le cardinal de Guise, lequel Žtait sur le pont, que lՎchevin serait lˆ ˆ lÕheure mme pour lui ouvrir. Je fis dÕabord Žcarter ces habitants, et mՎtant mis en colre contre Plaisance de lՎtat o jÕavais trouvŽ sa garde, des habitants quÕil souffrait sur le rempart aprs la garde posŽe, et de ne mÕavoir envoyŽ dire que Mr le cardinal de Guise fut ˆ la porte, et quÕil lÕežt laissŽ entrer, et ouvrir la porte, si je nÕy eusse venu, je le menaai de lui faire dŽplaisir, et lui sÕexcusa assez mal. Je fis monter les soldats de la garde qui Žtait devant mon logis, sur le rempart, et fis dire par le sieur des ƒtant que ceux qui Žtaient sur le pont eussent ˆ se retirer, ou que lÕon tirerait sur eux. Monsieur le cardinal alors dit : Ē Je vous prie que lÕon fasse dire ˆ Mr de Bassompierre que cÕest le cardinal de Guise qui est ˆ la porte. Č JՎtais derrire Des ƒtant qui lui rŽpondit par mon ordre : Ē Mr de Bassompierre est couchŽ ; on ne parle point ˆ lui : retirez-vous, et promptement. Č Il ne se le fit pas dire deux fois et dŽlogea.

La compagnie de Plaisance nՎtait pas lors de plus de quinze hommes parce que son fils avait emmenŽ le reste ˆ Metz pour Mr de la Valette : je laissai vingt soldats qui faisaient garde devant mon logis avec le capitaine du Pont pour les commander, lequel Žtait plus ancien que Plaisance, et fis semblant de vouloir renforcer la garde de la porte pour lui en ™ter la puissance et en tre assurŽ. Tous ces messieurs qui mՎtaient venus voir arrivrent en file ˆ moi, de sorte que jÕavais plus de soixante hommes ˆ ma suite pour aller o le besoin serait. Je mÕen revins ˆ la place et vis que Pigeolet avait mis lˆ et en tout le reste de la ville un trs bon ordre : aussi Žtait-ce un brave et entendu capitaine, et trs homme de bien.

JÕemmenai lՎchevin en mon logis, lequel pensait que le lendemain matin qui Žtait le dimanche 12me je le ferais pendre : mais ˆ la prire que ceux de la ville mÕen firent, je leur rendis aprs leur avoir fait quelque rŽprimande.

Je fis le mme jour prendre la route de Montereau au rŽgiment de Champagne, et je demeurai encore ce jour lˆ ˆ Vitry, tant pour achever mes dŽpches et dŽpartements que pour jouir de la compagnie de cette noblesse qui mՎtait venue voir.

JÕen partis le lendemain lundi 13me et vins coucher ˆ Poivre o un gentilhomme huguenot nommŽ Despence me vint voir. Il soupa avec moi, et aprs souper, lÕayant menŽ au jardin du gentilhomme o jՎtais logŽ, il me demanda sÕil me pouvait parler en sžretŽ. Je lui dis que oui et quÕil me parl‰t librement. Il me dit quÕil Žtait parti de Sedan le jour dÕaprs que je partis de Sainte-Menehou, envoyŽ par Mr de Bouillon pour me parler, lequel avait su lÕordre que jÕavais pris pour faire marcher lÕarmŽe en extrme diligence, et le soin que jÕavais de la renforcer dÕhommes, ce quÕil avait extrmement approuvŽ et louŽ, disant beaucoup de bien de moi ; mais quÕil sՎtonnait grandement pourquoi je faisais toutes ces diligences, et quelle animositŽ me portait contre la reine mre, quelle obligation si forte jÕavais ˆ Mrs de Luynes, et quÕil ne sÕagissait pas maintenant dÕattaquer le roi ou lՎtat, mais de savoir si lÕun et lÕautre serait gouvernŽ par celle qui avait si bien rŽgi le royaume pendant la minoritŽ du roi ou par trois marauds qui avaient empiŽtŽ lÕautoritŽ avec la personne du roi ; quÕil louait ma rŽsolution de me tenir toujours au gros de lÕarbre, de suivre non le meilleur et plus juste parti, mais celui o la personne du roi Žtait et o il y a le sceau et la cire, mais que de sÕy porter avec tant de vŽhŽmence, outrepasser les ordres du roi pour diligenter davantage, employer son bien aussi profusŽment que je faisais pour des gens ingrats ˆ la reine leur premire bienfaitrice et ensuite ˆ leurs amis, et en se h‰tant sans commandement ni ordre ruiner le parti de la reine femme du feu roi qui mÕa tant aimŽ, pour se faire marcher sur la tte puis aprs par ces trois potirons venus en une nuit qui puis aprs me mŽpriseront et ruineront, pour avoir mon mŽrite et ma vertu suspecte, quÕil nÕy voyait aucune apparence ni raison, et que si je voulais retarder mon arrivŽe de trois semaines auprs de la personne du roi avec lÕarmŽe que je conduisais, ce que je pouvais faire suivant mme les ordres que jÕavais du roi ; si je me voulais contenter dÕamener ce que je trouvais de troupes en tre, sans mÕamuser ˆ en lever partout ˆ mes dŽpens pour les renforcer, et finalement ne montrer point cet excs dÕardeur et lÕanimositŽ au parti contraire, on ne me demandait point que je le servisse ni que je fisse rien contre mon honneur et devoir, Mr de Bouillon me serait caution de cent mille Žcus que lÕon me ferait tenir o je voudrais, sans que jamais personne autre que nous trois en sžt rien, et quÕil avait charge de me le promettre et de sÕy obliger de sa part. Je lui rŽpondis que je nÕavais garde de me fier en sa parole, puisquÕil mÕavait demandŽ sžretŽ pour me parler franchement et quÕil mÕavait parlŽ sŽductoirement ; que je ne pensais pas que Mr de Bouillon me connžt si peu que de croire que le bien ou quelque avantage que ce fžt pžt me faire manquer ˆ mon devoir et ˆ mon honneur ; que ce nÕest point animositŽ mais ardeur et dŽsir de bien servir mon roi qui me porte ˆ ces soins et diligence extraordinaires ; quÕaprs Sa MajestŽ je suis plus passionnŽ serviteur de la reine que de personne du monde, mais quÕo il y va du service du roi je ne connais point la reine ; que je voudrais pouvoir courir et voler pour tre plus promptement o son service mÕappelle, et que mon bien fžt dŽpendu pourvu que ses affaires fussent en bon Žtat ; que sÕil nÕavait fait prŽcŽder lÕassurance de me pouvoir parler devant son discours, que je lÕaurais arrtŽ et envoyŽ ˆ Chalons, mais que la parole que je lui avais donnŽe mÕen empchait ; et sur ce le quittai, et je ne le revis point le lendemain avant mon partement : aussi fut-il ˆ la pointe du jour parce que Mr de Guise mÕenvoya un courrier pour me prier de le vouloir voir le lendemain mardi 14me ˆ Chalons o il passait, et quÕil avait plusieurs choses ˆ me dire.

JÕy allai d”ner avec lui, et il me donna une lettre du roi par laquelle il me commandait de laisser aller la compagnie de chevau-lŽgers dudit seigneur avec lui comme aussi celle de Mr le prince de Joinville son frre pour lÕescorter jusques ˆ Moulins, ce que je fis.

Je sus par lui comme Rouen sՎtait sauvŽ par la diligence que le roi avait faite dÕy aller, et que Mr de Longueville en Žtait sorti et sՎtait retirŽ ˆ Dieppe o peut-tre le roi irait lÕassieger, ou bien Caen. JÕeus audit lieu de Chalons un courrier du roi qui me donna le mme avis, et me commanda de casser les compagnies de chevau-lŽgers de Mr de Nemours et celle du ma”tre de camp de ladite cavalerie le comte de Saint-Aignan, et ayant pris congŽ de Mr de Guise jÕallai coucher ˆ Fre-Champenoise.

Le mercredi 15me je cassai la compagnie du ma”tre de camp des chevau-lŽgers selon lÕordre que jÕen avais du roi et mÕen vins coucher ˆ Villenosse.

Le jeudi 16me je vins d”ner ˆ Provins et coucher ˆ Montereau-faut-Yonne.

Je sŽjournai ˆ Montereau le vendredi, samedi et dimanche suivant pour recevoir toutes les troupes, les faire passer la rivire et les loger de deˆ, comme aussi pour faire mes dŽpches au roi et y recevoir plusieurs recrues qui me venaient de tous c™tŽs.

Enfin jÕen partis le lundi 20me et ordonnai le logement de lÕarmŽe ˆ Milly et aux environs pour aller le lendemain loger ˆ Etampes : et moi cependant je mÕen allai en diligence ˆ Paris, y Žtant mandŽ de la reine et de monsieur le chancelier pour diverses affaires, et moi y allant pour faire faire lÕadjudication des vivres et pour les bien Žtablir sur ma route, que par un courrier qui le soir auparavant mՎtait venu du roi jÕavais apprise et rŽglŽe. Sa MajestŽ me manda le succs de ses affaires qui Žtait la reddition de la ville de Caen aprs avoir prŽcŽdemment empchŽ Mr de Longueville de se rendre ma”tre de Rouen, et quÕil traitait avec celui qui tenait le ch‰teau, que monsieur le grand prieur y avait Žtabli, nommŽ Prudent, avec espŽrance de conclusion au contentement de Sa MajestŽ qui mÕenvoyait plein pouvoir de mettre en la place des capitaines rebelles de ses vieux rŽgiments les lieutenants que je jugerais en tre dignes, auxquels il enverrait sur mon certificat les commissions ; de mettre aussi ˆ la place desdits lieutenants promus, et des autres qui Žtaient dŽserteurs, ceux que je jugerais y pouvoir capablement servir : et quant au surplus des capitaines, dont les lieutenants ne seraient ˆ mon jugement capables de monter ˆ leur place, il donnait une compagnie ˆ Lambert, et je lui enverrais lՎtat des autres pour y pourvoir, mÕassurant que si je dŽsirais encore quelque autre compagnie pour un des miens, qu'elle lui serait donnŽe par prŽfŽrence ; que pour le surplus il avait destinŽ lÕarmŽe que je lui menais pour se venir promptement joindre ˆ lui, et quÕil prendrait sa route devers Alenon sÕil venait ˆ bout du ch‰teau de Caen. Il ne savait pas encore que je fusse si prs de lui et ne croyait pas que de quinze jours son armŽe que je commandais džt tre ˆ Montereau.

Je vins donc trouver la reine ˆ Paris, que je trouvai parmi les princesses et qui me reut fort bien, me disant quÕelle ne savait si elle me devait saluer comme gŽnŽral dÕarmŽe ou comme courrier, vu la diligence extrme que jÕavais faite. Elle envoya aussi t™t quŽrir monsieur le chancelier et messieurs du conseil, pour le tenir, lesquels ˆ peine pouvaient croire que le lendemain lÕarmŽe fut ˆ Etampes, ni complte de la sorte que je leur assurais.

Nous rŽsolžmes de lÕadjudication de la munition, et que le lendemain on dŽlivrerait aux munitionnaires de lÕargent et leur contrat ; et ds le soir mme ils envoyrent pour faire les pains ˆ Etampes et aux autres lieux qui Žtaient vers ma route.

Le conseil dŽsira que jÕallasse assieger Dreux ; mais sur ce que je leur remontrai que le roi nÕavait que ses gardes et ses Suisses avec cinq ou six cents chevaux ; que les ennemis Žtaient plus forts que lui, et sÕils lui tombaient sur les bras ils le mettraient en peine ; quÕil faisait Žtat de cette armŽe pour joindre avec celle quÕil avait et aller chercher et battre ses ennemis partout o il les rencontrerait ; quÕeux dŽfaits, non seulement Dreux ne tiendrait pas, mais non plus tout le reste du parti, et quÕils avisassent si quelque retardement que mon armŽe ferait par lÕordre de la reine ne nuirait point au roi qui lÕattendait avec impatience. Sur cela ces messieurs se rendirent, et alors je leur proposai de la pouvoir prendre sans retardement en en faisant le semblant seulement ; que pour cet effet ils fissent prŽparer cinq canons pour me suivre et quÕils fissent courir le bruit que je lÕallais forcer, ˆ quoi je mՎtais engagŽ ˆ la reine ; quÕils le fissent mme savoir ˆ messieurs de la ville de Paris qui Žtaient ceux qui pressaient de la faire attaquer, et que si, jÕen pouvais venir ˆ bout (au nom de Dieu), sinon que jÕaurais toujours pour ma dŽcharge un commandement exprs que je feindrais avoir eu du roi de lÕaller trouver toutes choses cessantes.

Cela rŽsolu, jÕallai donner ordre ˆ toutes mes affaires et visites, et le lendemain mardi 21me jÕarrivai ˆ Etampes o je trouvai lÕarmŽe logŽe aux villages prochains en deˆ dÕEtampes.

Ils passrent le mercredi 22me ˆ travers dÕEtampes o je sŽjournai parce quÕelles [les troupes] ne firent que deux lieues, les plus avancŽes au delˆ.

Le jeudi 23me je pris mon logement ˆ Galardon auquel lieu je reus par un courrier du roi une dŽpche pleine de la satisfaction que Sa MajestŽ avait de mon extrme diligence quՈ peine Elle ni Mr le Prince avaient pu croire ; que sur cette confiance Elle sÕavanait ˆ Alenon, ayant pris le ch‰teau de Caen par la capitulation que Prudent avait faite.

JÕeus aussi une dŽpche de la reine par laquelle elle me donnait avis que la reine mre avait fait arrter ˆ Angers le comte de Rochefort et que Mr de Vend™me le voulait mener devant le ch‰teau de Nantes pour le faire rendre, le menaant en cas de refus de lui faire trancher la tte ; que le seul remde pour empcher cet accident Žtait de se saisir de madame de Mercure et des enfants de Mr de Vend™me, qui Žtaient ˆ Annet ; quÕelle me recommandait cette affaire trs importante au service du roi et qui satisferait infiniment madame la comtesse de Rochefort de qui jՎtais tant serviteur : monsieur le chancelier mÕen Žcrivit aussi fort pressament. JÕavais alors dŽjˆ envoyŽ tous mes ordres pour aller, comme je fis, le lendemain 24me, loger ˆ Nogent le Roi, de sorte que je nÕy pus pourvoir auparavant.

Comme je fus arrivŽ, quelques habitants de Dreux me vinrent dire que le cĻur des habitants Žtait au roi, mais que le ch‰teau les tenait forcŽs de nÕoser se dŽcouvrir, o il Žtait entrŽ le jour mme avec le sieur de Vismai cinquante bons hommes outre ce que Lescluselles gouverneur y avait dŽjˆ : ce Vismai Žtait lieutenant des gardes de Mr le comte de Soissons ˆ qui le ch‰teau et ville de Dreux sont par engagement du roi ; et que ledit Vismai avait dit ˆ ceux de la ville quÕil me viendrait parler si je lui envoyais un sauf-conduit avec un trompette, ce que je pris ˆ bonne augure et quÕils nՎtaient pas fort rŽsolus de tenir, bien quÕils fissent bonne mine. Je leur dis que je serais le lendemain ˆ la pointe du jour aux faubourgs de Dreux, et que sÕils me laissaient entrer seulement avec trente personnes, que je leur assurais de les dŽlivrer du ch‰teau que jÕallais forcer ds que mes canons que jÕattendais le lendemain seraient arrivŽs ; quÕils dissent aussi pour rŽponse ˆ Vismai que je lui enverrais le lendemain le sauf-conduit quÕil avait dŽsirŽ de moi.

JÕenvoyai aussi en mme temps lÕordre ˆ trois cents chevaux pour aller investir Annet, afin que si mon dessein de Dreux ne rŽussissait, je ne faillisse pas celui dÕAnnet.

Je donnai aussi rendez-vous pour le lendemain samedi 25me au rŽgiment de Picardie de se trouver une heure devant le jour au faubourg de Dreux o je me rendrais aussi, et au rŽgiment de Champagne dÕaller investir ledit ch‰teau de Dreux ˆ mme heure par la campagne derrire la ville. JÕenvoyai en mme temps ˆ la maison de Lescluselles, qui est proche de Dreux, prendre sa femme et ses enfants par une compagnie de carabins, lesquels dirent aussi en les prenant avoir ordre de bržler ladite maison et de couper ses arbres, comme aussi que si ledit Lescluselles ne rendait le ch‰teau de Dreux, que lÕon ferait mauvais parti ˆ sa femme et ˆ ses enfants. Ils trouvrent arrivant ˆ ladite maison lÕoncle dudit Lescluselles, vieux gentilhomme et bien honnte homme, qui Žtait venu pour persuader son neveu de ne se pas opini‰trer dans cette place mal pourvue devant une armŽe du roi et si proche de Paris. Ce vieux gentilhomme me vint trouver avant le jour pour me supplier de faire supersŽder de bržler la maison de son neveu jusques ˆ ce que il lui ežt parlŽ, et que si je lui voulais permettre quÕil men‰t la femme dudit Lescluselles avec lui, il me donnerait un sien fils qui Žtait lˆ avec lui, en otage de la ramener dans deux heures aprs quÕelle serait entrŽe dans le ch‰teau de Dreux. Je me fis un peu tenir pour lui accorder : enfin je le fis ˆ la prire de quelques gentilshommes qui marchaient avec moi, environ ˆ une heure aprs minuit, droit ˆ Dreux, ce que ce bonhomme vit, ensemble ces rŽgiments de Picardie et de Champagne qui marchaient. JÕenvoyai un des miens commander au capitaine de carabins que jÕavais envoyŽ ˆ la maison de Lescluselles quÕil supersŽd‰t lÕordre que je lui avais donnŽ jusques ˆ une nouvelle commission et quÕil donn‰t la femme de Lescluselles entre les mains de son oncle, recevant pareillement de lui son fils lequel il garderait sžrement.

JÕarrivai devant les portes de Dreux vers les deux heures et demie du matin, comme le jour commenait ˆ poindre, ayant fait faire halte au rŽgiment de Picardie duquel je fis prendre cent hommes pour entrer au faubourg, et avec quelque vingt chevaux je demandai ˆ entrer. Je trouvai quelque cent cinquante bourgeois, la plupart armŽs, ˆ la porte de la ville, qui laissrent entrer mon train : et moi au mme lieu je me mis ˆ leur parler, les louant de leur tŽmoignage de bonne volontŽ au service du roi ; que jՎtais venu pour les conforter, les dŽlivrer de ceux qui tenaient le ch‰teau contre le roi et les remettre en lՎtat que je voyais ˆ leur contenance quÕils dŽsiraient ardemment, ne manquant plus aucune chose ˆ eux sinon quÕils criassent : Vive le roi. JÕavais dit aux miens que quand je dirais : Vive le roi, ils le criassent aussi, et ces bourgeois en firent de mme, comme cÕest la coutume des peuples de suivre ce quÕils voient commencŽ, sans raisonner pourquoi. Quand le cri fut apaisŽ, je leur dis que ce nՎtait pas tout que dÕavoir criŽ : Vive le roi, quÕil fallait donner ordre que ceux du ch‰teau qui lÕavaient entendu ne fissent une sortie sur eux, et quÕil fallait barricader lÕavenue, et que sÕils voulaient, je ferais entrer cent hommes de pied pour la faire et pour la garder, ce quÕils accordrent. Il Žtait grand jour quand cette compagnie entra, qui put bien tre vue des ennemis, lesquels nŽanmoins ne tirrent point sur nous : car la pitiŽ quÕEscluselles eut de sa femme et de son bien, le peu de prŽparatifs que Vismai vit y avoir dans le ch‰teau pour soutenir un sige, leur fit tomber les armes des mains, de sorte que Vismai fit faire une chamade et me demanda sžretŽ pour me venir trouver, et il me remit la place entre les mains, o jՎtablis le capitaine Saint-Quentin, du rŽgiment de Picardie, gardant le respect convenable aux meubles et munitions qui appartenaient ˆ Mr le Comte.

Ds que jÕeus d”nŽ, je montai sur des coureurs et allai en diligence au rendez-vous que jÕavais donnŽ ˆ ces trois cents chevaux prs dÕAnnet. Puis ayant parlŽ ˆ madame de Mercure, elle monta demie heure aprs en carrosse avec les enfants de Mr de Vend™me que je fis mener ˆ Paris entre les mains de la reine par la compagnie de chevau-lŽgers de ladite reine.

Cela fait jÕenvoyai le reste de la cavalerie que jÕavais amenŽe, sous la conduite de Mr dÕElbene lieutenant des chevau-lŽgers de Monsieur, tirer droit ˆ Vend™me, sur lÕavis que mÕavaient donnŽ les sieurs de Geofres et des Boullets, capitaines de Navarre, qui y demeuraient, que si les armes du roi paraissaient audit Vend™me, que la ville et le ch‰teau se mettraient en lÕobŽissance du roi. Je les y avais renvoyŽs tous deux avec ordre ˆ Des Boullets de trouver quarante hommes prts pour mettre dans le ch‰teau, ce quÕil fit et lÕaffaire passa ainsi quÕils me lÕavaient proposŽe : car ˆ la vue de cette cavalerie et des trompettes qui les vinrent sommer, pensant que toute lÕarmŽe suivit, ceux qui y Žtaient pour Mr de Vend™me l‰chrent le pied.

Je revins dÕAnnet le soir fort tard, et le lendemain dimanche 26me je sŽjournai ˆ Dreux, tant pour donner lÕordre nŽcessaire ˆ la ville et faire mes dŽpches que pour casser la compagnie de chevau-lŽgers de Mr de Nemours selon lÕordre que jÕen avais eu du roi ds que jՎtais ˆ Poivre ; mais jÕavais trouvŽ de si gentils soldats en cette compagnie et les chefs si dŽsireux de servir que jÕavais fait instance auprs du roi pour la retenir, ˆ quoi le roi ne voulut entendre et me fit un nouveau commandement de la casser, ce que je fis seulement ce jour lˆ et avec regret.

Je vins le lundi 27me coucher ˆ Bresoles.

Le mardi vingt huit je pris mon logement ˆ Longny ; le mercredi 29me ˆ Teil o je sŽjournai le lendemain.

Le vendredi 31me et dernier de juillet je vins loger avec lÕarmŽe ˆ Conarey dÕo je partis lÕaprs-d”nŽe pour venir trouver le roi au Mans, qui me reut avec grandes caresses et me tŽmoigna tre bien satisfait de mes soins et de ma diligence. Il me retint ce soir-lˆ au Mans. Je renvoyai ˆ Conarey mander ˆ Des Fourneaux quÕil f”t loger le lendemain lÕarmŽe que je menais ˆ Ivry lՃvque et aux environs, o je lÕirais trouver, ce quÕil fit, et le lendemain samedi premier jour dÕaožt fus coucher audit Ivry lՃvque.

Pont de CŽ et paix

Aožt. Ń Le 2me jÕallai prendre quartier au Guessalart, ayant ŽtŽ auparavant au conseil au Mans dÕo le roi partit pour aller coucher ˆ la Suse.

Le 3me je fus trouver le roi en son quartier de la Suse, pris ordre du roi pour lui prŽsenter le lendemain lÕarmŽe que je lui avais amenŽe, ˆ laquelle il voulut faire faire montre sŽparŽment de la sienne afin de voir en quoi elle consistait.

Donc le mardi 4me jour dÕaožt je partis du Guessallart, ayant donnŽ rendez-vous ˆ huit heures du matin ˆ lÕarmŽe en la plaine du Gros Ch‰taignier proche de la Flche, laquelle je mis en bataille. Le roi y arriva aprs dix heures, qui la vit et la trouva trs belle et bien complte au delˆ de ce quÕil sÕattendait : car ˆ la montre il fut comptŽ huit mille hommes de pied et davantage en rang, et six cents bons chevaux, sans les compagnies de la reine, (qui nՎtait encore revenue de la conduite de madame de Mercure), les compagnies de Guise et de Joinville que le roi mÕavait commandŽ de leur donner, et celles de Nemours et ma”tre de camp, cassŽes. Alors les deux armŽes furent jointes en un mme corps, et le roi fit quatre marŽchaux de camp sous Mr le Prince, gŽnŽral, et Mr le marŽchal de Pralain, lieutenant gŽnŽral, qui furent le marquis de Trainel, CrŽquy, Nerestan, et moi.

LÕarmŽe alla loger par delˆ la Flche, et le quartier du roi dans la Flche mme o le roi sŽjourna le mercredi 5me, que Mr le Grand et les autres dŽputŽs du roi vers la reine pour traiter la paix revinrent apporter espŽrance dÕaccommodement, et lÕon le tenait aussi pour certain. NŽanmoins ils ne purent obtenir que le roi sÕarrt‰t ˆ la Flche pour en attendre la conclusion, ains partit le jeudi 6me et vint d”ner ˆ Duretal o il fut festinŽ par Mr de Schomberg, et coucher au Verger.

Le vendredi 7me jÕeus ordre dÕaller attendre les troupes au rendez-vous qui Žtait en la plaine de Trelasay assez proche des ardoisires dÕAngers, et le roi pensait que les dŽputŽs lui viendraient lˆ apporter les articles de la paix signŽs, et mme en avait eu avis et ne sÕavanait que pour faire voir quÕil avait fait la paix ˆ la vue dÕAngers. Mais ces messieurs qui devaient porter lesdits articles, furent longs ˆ partir, et voyant quÕil Žtait dix heures, Mr le Grand voulut encore voir la reine mre pour savoir si la nuit nÕavait rien changŽ, et si elle avait rien de plus ˆ lui commander.

Il parut proche de ladite plaine quelques gardes de Mr le Comte, et de fortune arriva lˆ le rŽgiment de PiŽmont avec Mr de Fontenai leur ma”tre de camp, auquel je fis avancer cent hommes sur lÕavenue des ardoisires. Ces gardes se retirrent derrire une maison qui Žtait proche dÕeux, laissant nŽanmoins toujours cinq ou six carabins pour nous tirer, qui Žtions avancŽs. Sur cela la compagnie dÕEure arriva, que je mis en embuscade en un chemin creux, et envoyai harceler ces gardes pour t‰cher de les y attirer : mais comme ils virent que nous ne voulions point tomber dans le pige quÕils nous avaient tendu derrire la maison, aussi ne voulurent-ils point t‰ter de notre embuscade. Mr le marŽchal de Pralain arriva sur ces entrefaites avec Mrs de CrŽquy et de Nerestan, et lÕarmŽe se trouva dans ladite plaine et aux autres prochaines en mme temps que le roi et Mr le Prince, lesquels nous ordonnrent plut™t par divertissement quÕautrement, car ils attendaient les dŽputŽs ˆ tous moments, de nous en aller avec les rŽgiments des gardes, Picardie, et Champagne, ˆ un lieu nommŽ Sorges qui est un petit village ˆ la vue du Pont de CŽ, et y attaquer quelque escarmouche pour, ˆ la faveur dÕicelle, reconna”tre le retranchement des ennemis, afin que selon le rapport que nous en ferions, on pžt le lendemain lÕattaquer en cas quÕil y ežt quelque retardement ˆ la paix. Nous demand‰mes deux canons pour venir sonner une aubade ˆ ceux des Ponts de CŽ, ce qui nous fut accordŽ. Mrs de Trainel et de Nerestan y voulurent venir avec Mr de CrŽquy et moi qui y Žtions commandŽs bien que nous ne fussions point en semaine de charge. Comme nous fžmes proches de Sorges nous f”mes notre ordre tel que Mr de CrŽquy, ce me semble, le proposa, et pass‰mes Sorges jusques dans un assez grand prŽ entourŽ dÕalisiers qui nous couvraient aucunement de la vue des ennemis lesquels Žtaient en une grande plaine, ayant les Ponts de CŽ derrire eux et leurs retranchements aussi, ˆ leur main droite la Loire, ˆ leur gauche une forte haie et Žpaisse de douze ou quinze pas, laquelle ils avaient farcie dÕarquebusiers et mousquetaires, et en leur tte ces alisiers, et nous derrire. Les quatre marŽchaux de camp sÕavancrent et quelques gentilshommes avec eux pour reconna”tre lÕordre des ennemis et les lieux o nous devions passer et marcher : mais ds que nous paržmes dans la plaine, les mousquetaires de la haie nous tirrent assez vivement ; De Vennes, capitaine de Navarre, qui Žtait venu avec nous y fut blessŽ au bras, et quelques-uns de nos chevaux blessŽs. La cavalerie des ennemis Žtait en deux gros qui faisaient ferme, ayant devant eux quelque soixante carabins qui marchaient en SS [zigzag]. Nous rŽsolžmes de chasser avant toutes choses les ennemis de cette haie, et en mme temps marcher, et ayant demandŽ ˆ Mr de CrŽquy o il lui plaisait de placer les gardes (parce quÕelles ont toujours le choix), il choisit la main droite : je mis le rŽgiment de Picardie ˆ la gauche et celui de Champagne au milieu. Mais peu aprs Mr de CrŽquy reconnaissant habilement que le faible de lÕinfanterie Žtait le c™tŽ droit, que lÕavenue dÕAngers Žtait de ce c™tŽ-lˆ, quÕil nÕattaquerait que par un coin, et que son attaque serait beaucoup plus belle par le milieu, demanda que le rŽgiment des gardes ežt le milieu ; par ainsi la main droite dudit rŽgiment appartenait ˆ Picardie et la gauche ˆ Champagne. Pour cet effet je dis ˆ Mr Zamet ma”tre de camp de Picardie quÕil f”t ˆ droite et puis march‰t pour se venir mettre ˆ la droite des gardes, et crus quÕil ne manquerait aux ordres de guerre qui veulent quÕen prŽsence des ennemis les motions se fassent en marchant derrire les bataillons qui sont dŽjˆ en bataille pour en tre couverts pendant que lÕon est obligŽ de montrer le flanc. Mais lui, par prŽsomption, inadvertance, ou ignorance, ou tous les trois, passa par devant les bataillons de Champagne, de sorte quÕen ce seul point, si les ennemis nous eussent chargŽs, nous Žtions capables dՐtre renversŽs. Mr de CrŽquy qui a lÕĻil trs excellent ˆ la guerre, vit aussit™t cette faute et me dit : Ē Cousin, nous sommes perdus si les ennemis nous chargent : Zamet marche par devant Champagne. Č. JÕy courus lors ˆ toute bride, et en allant fis marcher les deux bataillons de Champagne devant lesquels il nՎtait encore passŽ, et ayant fait faire halte ˆ Picardie je le fis passer par derrire Champagne ; et les ennemis, ou ne sÕen avisrent pas, ou ne voulurent pas se servir de cette belle occasion.

En ce temps nous avions gagnŽ la haie gardŽe par le rŽgiment du marquis de la Flosseliere, nouvellement arrivŽ et levŽ, et dont les soldats l‰chrent le pied ds quÕils se virent attaquŽs et coururent par la plaine jusques ˆ ce quÕils fussent derrire leur cavalerie. Alors nos gens, de la haie, tirrent ˆ la cavalerie et la firent dŽloger de la plaine pour se retirer dans leur retranchement. Le canon de la ville nous tira cinq ou six volŽes sans toucher ˆ aucun de nos bataillons : nos deux canons arrivrent qui firent riposte. Nous v”mes la retraite de Mr de Retz et de ses troupes qui passaient sur les ponts avec les enseignes qui paraissaient, et v”mes en mme temps les retranchements bordŽs dÕautres troupes. Nous, voyant la retraite de la cavalerie, avan‰mes ˆ la persuasion de Nerestan qui nous montra le dŽsordre de dedans aux piques qui se mlaient, ce que lÕon pouvait aisŽment remarquer ; mais notre canon ne sÕavanait point, et me dit Mr de CrŽquy : Ē Cousin, si vous ne commandez au capitaine suisse qui conduit le canon, de forcer les charretiers qui le mnent de sÕavancer, ces poltrons-lˆ ne le feront jamais. Č Je courus ˆ toute bride ; mais voyant que nos troupes nÕattendaient point ledit canon, mais marchaient toujours, je retournai ˆ mme instant et passant proche de Mr de CrŽquy, je lui dis : Ē Vous avez bonne raison, mon cousin, de me persuader dÕaller au canon pendant que lÕon va ˆ la charge Č, et passant outre me vins mettre ˆ la tte du bataillon droit du rŽgiment de Champagne qui me semblait en plus beau lieu pour donner, et me mis pied ˆ terre avec une hallebarde que je pris dÕun sergent. Mr de Nerestan qui Žtait ˆ cheval me dit : Ē Monsieur, ce nÕest pas lˆ la place dÕun marŽchal de camp ; vous ne pourrez plus faire combattre les autres troupes, Žtant ˆ pied ˆ la tte de celle lˆ. Č Je lui dis quÕil avait raison, mais que ces rŽgiments qui Žtaient farcis de force nouvelles recrues, combattraient bien me voyant ˆ leur tte, et mal si je demeurais derrire, et puisque je les avais amenŽs jÕavais intŽrt quÕils fissent bien. Alors il dit : Ē Je ne demeurerai pas ˆ cheval, vous Žtant ˆ pied Č, et se vint mettre ˆ ma main gauche.

En mme temps les enfants perdus des gardes et ceux de Champagne menŽs par Malaissis et Cominges, sÕapprochant de cent pas du retranchement, et nous trente pas derrire eux, toute la mousqueterie des ennemis qui le dŽfendait fit sa dŽcharge toute ˆ la fois. Nous juge‰mes bien alors quÕils nÕy entendaient rien, et quÕils Žtaient perdus, ce qui nous fit en diligence donner dans le retranchement. Nos enfants perdus trouvrent peu de rŽsistance, et me souvient que Cominges me cria, Žtant au haut du retranchement : Ē Souvenez-vous, Monsieur, que jÕy ai montŽ le premier. Č Nous donn‰mes immŽdiatement aprs sans rencontrer personne devant nous, ni pŽril que de quantitŽ de mousquetades que lÕon nous tirait des fentres du faubourg, qui turent et blessrent quelques-uns des n™tres. Mr de Nerestan et moi nous rencontr‰mes au lieu que lÕon nÕavait point encore retranchŽ, pour faire passer le charroi, de sorte que sans peine ni rŽsistance nous y entr‰mes, et notre bataillon, partie par cette ouverture, partie montant dessus le retranchement pour passer. Mais ˆ peine Žtions-nous passŽs cent hommes que dÕune fondrire qui Žtait au dedans de ce retranchement sortit un gros de prs de cent chevaux, ˆ mon avis, qui nous vinrent charger. Mr de Nerestan me dit lors : Ē Voici qui nous donnera des affaires Č, et se tournant vers le bataillon qui nous suivait, leur dit : Ē PrŽsentez vos piques, mes enfants, et tenons ferme ; car aprs quÕils auront vu que nous valons quelque chose, ils mettront de lÕeau en leur vin. Č

Sur cela je dirai une chose Žtrange : un de nos enfants perdus qui Žtait demeurŽ derrire, je nÕai jamais pu savoir depuis qui ce fut et, si, jÕeus soin de le faire chercher, ayant une pique ˆ la main, sÕadressa ˆ un chef qui marchait vingt pas devant les autres et donna un coup de pique dans lÕestomac de son cheval ; le cheval se cabra, et lui, rechargea un autre coup dans le ventre ; celui qui Žtait dessus, craignant dՐtre abattu, le tourna ˆ gauche, et en mme temps tout son escadron tourna aussi et alla passer sous une arche du pont o il nÕy avait gure dÕeau. Le comte de Saint-Aignan faisait combattre cet escadron, et nous le connžmes fort bien avec des armes moitiŽ dorŽes en c™te avec un chapeau gris et force plumes. Il Žtait au c™tŽ gauche dudit escadron et hors de rang. Mais comme lÕescadron gauchit, il fut emportŽ avec, et dans la foule le chapeau lui tomba : il voulut demeurer pour le ramasser, comme il fit, et pass‰mes ˆ c™tŽ de lui en allant donner au faubourg quand avec son ŽpŽe il ramassait son chapeau. Je lui dis : Ē Adieu, Saint-Aignan. Č Il me rŽpondit baissŽ comme il Žtait : Ē Adieu, adieu. Č Il fut arrtŽ derrire lÕescadron par deux carabins qui suivaient la victoire, et en ce mme temps Boyer passant pour nous venir dire quelque chose de la part du roi, il lui cria : Ē Boyer, je me rends ˆ toi Č, ˆ qui nous lÕavions adjugŽ sur ce que Saint-Aignan nous dit quÕil sՎtait en cette sorte rendu ˆ lui.

Aprs que cette cavalerie sÕen fut ainsi fui, nous all‰mes droit au faubourg, et comme nous montions en une petite ruelle qui y va, on nous tirait toujours force mousquetades des fentres, lÕune desquelles rompit la cuisse gauche de Mr de Nerestan comme il avait la droite levŽe pour monter le premier degrŽ : il tomba comme un sac tout dÕun coup et en criant me dit : Ē Je suis mort. Č Je voulus lÕaider pour le relever, mais y Žtant arrivŽ son fils, un nommŽ Lussan, de Languedoc, et dÕautres, je passai outre o jÕavais affaire ; et avec la mme chaleur que nos enfants perdus avaient donnŽ au retranchement et au faubourg, ils tirrent droit au pont, et moi les suivant avec ce bataillon et quelques autres qui arrivrent en mme temps des gardes, nous le pass‰mes et donn‰mes dans la ville, tuant toujours les ennemis qui sÕen allaient devant nous et entr‰mes ple-mle.

Il y eut sur le pont deux ma”tres de camp pris, lÕun nommŽ la Flosseliere que jÕempchai que les divers soldats qui y prŽtendaient ne le tuassent ; lÕautre nommŽ Boisguerin, lequel combattant et se dŽfendant le mieux quÕil pouvait, mÕayant aperu, me dit : Ē Monsieur de Bassompierre, je me rends ˆ vous : je suis Boisguerin que vous connaissez. Č JÕy courus et dis aux soldats que je leur laisserais sa ranon et quÕils lÕamenassent sžrement jusques ˆ Mr de CrŽquy qui faisait donner les bataillons avec un merveilleux sens et ordre. Mais il arriva que les soldats des gardes ne connaissant encore ceux de Champagne les dŽvalisaient comme si cÕeussent ŽtŽ ennemis : je lui priai de venir sur le pont remŽdier ˆ cet inconvŽnient, et avec infinies peines nous empch‰mes que la ville du Pont de CŽ ne fžt pillŽe, ce que je tiens pour miracle quand des gens de guerre la prennent dÕassaut.

Deux choses furent cause que nous pr”mes ainsi la ville : lÕune, que lÕon nÕen sut jamais lever le pont levis ; lÕautre, que nous entr‰mes ple-mle avec les ennemis. Aussi avait Mr le duc de Retz emmenŽ Betencourt avec lui pour le faire sortir avec ses troupes, et comme il revint de cette porte, il trouva que par celle du pont les gens du roi avaient pris la place. Il se jeta, comme sÕil eut ŽtŽ des n™tres, parmi nos gens jusques ˆ ce quÕil fut prs du ch‰teau o il courut, et lors on lÕaperut et lui tira on force mousquetades dont lÕune lui donna dans lՎpaule, qui lui rompit. Il entra quand et lui deux soldats du rŽgiment des gardes, lÕun nommŽ Poissegu qui avait ŽtŽ page de Mr de Guise, et un autre mousquetaire : le gouverneur crut quÕils Žtaient des troupes dŽfaites, et eux feignirent dÕen tre ; il les mit aux deux canonnires qui regardent sur le pont : ils tiraient incessament, mais haut, afin de ne blesser nos gens ; ce qui nous servit beaucoup ; car ils eussent pu tuer dÕhonntes gens.

Mr le marquis de Trainel avec le rŽgiment de Picardie qui donna ˆ main droite, fit faire une barricade sur lÕavenue dÕAngers, comme nous aussi du c™tŽ du faubourg qui regarde une plaine aval de lÕeau. Puis Mr de CrŽquy et moi avis‰mes quÕil demeurerait ˆ faire barricader contre le ch‰teau, et le battre, sÕil ne se rendait, des mmes pices des ennemis, lesquelles Žtaient encore sur le pont. Puis ayant posŽ nos gardes, je fus trouver le roi pour lui amener les principaux prisonniers et apporter les drapeaux gagnŽs sur les ennemis. Je trouvai Mr le Grand auprs de lui au mme lieu des ardoisires o il avait fait tte du c™tŽ dÕAngers, le remerciai du soin quÕil avait eu de nous envoyer secourir de cavalerie comme il avait fait, bien quÕelle ne nous ežt de rien servi, puis lui rendis compte du succs de ce combat o cinq mille hommes avaient ŽtŽ dŽfaits, plus de douze cents morts ou noyŽs et ˆ peu prs autant de prisonniers, la ville de Pont de CŽ prise, et le ch‰teau capitulant de se rendre le lendemain pourvu quÕil lui soit permis dÕenvoyer vers la reine. Le roi me fit extraordinairement bonne chre, et Mr de Luynes me louant ˆ Mr le Grand, qui se plaignait que comme il apportait ratification de tout ce que le roi dŽsirait, il nÕavait pas voulu supersŽder deux heures seulement, Mr le Prince qui Žtait lˆ, lui dit : Ē Monsieur, cՎtait ˆ vous ˆ vous h‰ter ; ce nՎtait pas au roi ˆ attendre, vu mmement quÕil vous lÕavait bien dit ˆ la Flche. Č

Sur cela on mit en dŽlibŽration de faire trancher la tte au comte de Saint-Aignan, attendu quՎtant officier de guerre et ma”tre de camp de la cavalerie, il avait quittŽ le roi. On le voulut mettre entre les mains de monsieur le garde des sceaux : mais je mÕy opposai fermement, disant au roi et ˆ Mr le Prince que si on le traitait de la sorte, aucun homme de bien ne voudrait se hasarder dՐtre pris de ceux des ennemis, pour crainte de mourir par main du bourreau ; que nous avions reu sa foi, Mr de CrŽquy et moi, et quÕil Žtait prisonnier de guerre ; que nous lui avions pu donner cette parole en la qualitŽ que nous avions, et que nous nՎtions point des prŽv™ts pour faire capture des pendus. JÕenvoyai en mme temps en donner avis ˆ Mr de CrŽquy, lequel manda quÕil sÕen reviendrait des Ponts de CŽ et quÕil quitterait tout si lÕon ne lui mandait et assurait de supersŽder cette exŽcution : ce quÕenfin nous obt”nmes jusques au lendemain, et cette premire furie Žtant passŽe, il nous fut facile ensuite de rompre ce coup, et la paix qui succŽda accommoda son affaire ˆ sa charge prs, qui fut perdue pour lui et donnŽe ˆ Mr de la CurŽe.

Le roi vint ce soir lˆ coucher ˆ Brin, et moi je mÕen retournai au Pont de CŽ, dont le ch‰teau avait capitulŽ avec Mr de CrŽquy.

Le lendemain samedi 8me le roi partit de Brin et vint au Pont de CŽ passant par dessus les reliques de la dŽfaite, et ne lui fut pas peu dՎtonnement de voir la ville du Pont de CŽ aussi entire et les boutiques ouvertes comme sÕil nÕy eut point eu de gens de guerre, et de deux divers partis.

Le dimanche 9me les dŽputŽs de la reine vinrent avec ceux du roi, qui conclurent la paix quÕil plut au roi donner, laquelle il signa le lundi 10me, et de lˆ vint visiter au faubourg Mr de Nerestan qui pour le grand coup quÕil avait, nՎtait point en mauvais Žtat et se fžt garanti si on lÕežt laissŽ entre les mains du chirurgien Lyon : mais les autres bourreaux de chirurgiens importunrent tant le roi, comme il Žtait ˆ Brissac, que le septime jour dÕaprs sa blessure, Žtant en bon Žtat, on lui ™ta des mains pour le mettre en celles des chirurgiens du roi, o il ne vŽcut que deux jours.

Le roi sŽjourna encore le mardi au Pont de CŽ, et le mercredi 12me en partit, et vint loger ˆ Brissac.

Le jeudi 13me dÕaožt le roi envoya visiter la reine par Mr de CrŽquy ˆ Angers, puis mÕenvoya au Pont de CŽ avec cinq cents chevaux pour lui faire escorte. Ensuite il commanda ˆ Mr le marŽchal de Pralain de la venir recevoir ˆ mi-chemin du Pont de CŽ ˆ Brissac. Puis Mr de Brantes (nouvellement devenu duc de Luxembourg par la femme quÕil avait ŽpousŽe quatre jours avant le partement du roi de Paris), vint au devant dÕelle avec force noblesse, et ensuite le roi vint ˆ cinq cents pas hors de Brissac avec Mr le Prince et Mr le duc de Luynes, qui la reut avec toute sorte de bonne chre et dÕaccueil, et demeurrent ensemble ˆ Brissac jusques au lundi 17me, quÕelle sÕen alla ˆ Chinon, et le roi ˆ Montereuil Belay ; le mardi ˆ Loudun ; le mercredi ˆ Mirebeau ; et le jeudi 20me il arriva ˆ Poitiers o il laissa Monsieur son frre, et Mrs de Pralain et de CrŽquy pour commander son armŽe ; car Mr le Prince qui en Žtait lieutenant-gŽnŽral Žtait parti de Montereuil Belai pour aller ˆ Paris faire vŽrifier lÕaffaire des conseillers de la Religion au parlement, et Sa MajestŽ, sur les nouvelles quÕil eut de la prochaine arrivŽe de la reine sa femme ˆ Tours, lÕy voulut aller voir, me commandant dÕy mener avec lui quatre mille hommes de pied et cinq cents chevaux pour lÕaccompagner : et partant le samedi 22me de Poitiers, nous v”nmes coucher au Port de Piles ; et le lendemain arriva au Plessis les Tours, o Mr de Luynes lui fit, et aux dames et ˆ nous, le soir, un beau festin.

Le lundi 24me le roi tint conseil avec Mr le cardinal de Retz, Mr de Luynes et moi, pour trouver moyen de licencier onze rŽgiments, trois compagnies de gendarmes, cinq de chevau-lŽgers et deux de carabins, qui avaient ŽtŽ levŽs par ordre du roi, mais arrivŽs seulement aprs la paix. Et comme ds le matin, Mr de Luynes mÕayant proposŽ cela pour empcher quÕils ne vinssent manger la Touraine, je lui dis que pourvu que jÕeusse de lÕargent pour leur payer une montre, cela serait facile, autrement non ; il me dit que Mr de Schomberg Žtait ˆ Poitiers, et lÕargent aussi, et que devant que lÕon ežt rŽponse et argent, toutes ces troupes fondraient sur la Touraine, et me pria que je visse avec le receveur gŽnŽral sÕil pourrait fournir lÕargent. On lÕenvoya quŽrir au conseil pour le persuader de trouver cent mille francs dont il se rembourserait ensuite par ses mains : mais il sÕexcusa sur son peu de crŽdit depuis que la paulette avait ŽtŽ abolie ; sur quoi je mÕavisai de proposer un expŽdient qui fit notre affaire : assavoir, que son remboursement serait effectif dans moins dÕun an et que le roi lui donnerait assurance de sa charge au profit de ses hŽritiers pendant cette annŽe, moyennant quoi il nous fournit cent mille livres : et moi je demandai au roi quÕil me laiss‰t quatre jours ˆ Tours, pendant lesquels je licenciai non seulement les troupes susdites, mais encore quatre rŽgiments qui arrivrent de surcro”t.

Ainsi le roi partit le lendemain mardi 25me pour aller ˆ Amboise, o il demeura, et moi ˆ Tours, le mercredi et le jeudi, et ne revint que le vendredi matin 28me, o il tint conseil, loua ma diligence, et le lendemain samedi 29me il partit de Tours et coucha au Port de Piles, et arriva le dimanche 30me ˆ Poitiers o la reine et les princesses arrivrent le lendemain : et le jeudi suivant, 3me de septembre, le roi voulut voir et faire faire monstre gŽnŽrale ˆ son armŽe.

Le vendredi 4me la reine mre arriva ˆ Poitiers.

Le samedi 5me le roi tint conseil de guerre, o Mr le Prince qui Žtait revenu de Paris se trouva, et rŽsolut de mener avec nombre de cavalerie la moitiŽ des cinq vieux rŽgiments ; assavoir, les dix premires compagnies de chacun, avec deux autres moyens rŽgiments entretenus, et huit pices de canon, avec ses deux rŽgiments des gardes.

Le dimanche 6me il y eut bal chez la reine.

Le lundi les JŽsuites jourent une comŽdie o toutes les cours allrent. Mr du Maine arriva, ˆ qui le roi fit fort maigre mine.

Le mercredi 9me le roi prit congŽ des reines et partit de Poitiers pour aller en Guyenne. Il mÕenvoya mener son armŽe la premire semaine, comme marŽchal de camp, que jÕallai trouver ˆ CouŽ.

Le jeudi 10me nous all‰mes ˆ Sausay.

Le lendemain nous loge‰mes prs de Chef-Boutonne en un village dont jÕai oubliŽ le nom, dÕo je partis le lendemain pour aller trouver le roi ˆ Saint-Jean dÕAngely.

Le dimanche 13me je fus hors de semaine et demandai congŽ au roi pour aller voir en Brouage mon beau-frre de Saint-Luc, et de passer par la Rochelle ; ce quÕil me permit : et lorsque lÕon le sut ˆ la cour, plus de deux cents gentilshommes voulurent y venir ; Mrs de la Rochefoucaut, de CrŽquy, de la Ville aux Clercs, de Seaus, et quantitŽ dÕautres furent de la partie.

Nous d”n‰mes ˆ Surgres, et Mr de la Rochefoucaut envoya devant au maire de la Rochelle lÕavertir de la bonne compagnie qui le venait voir, afin quÕil ne sÕen alarm‰t sÕil voyait inopinŽment tant de monde. Le maire nous vint recevoir ˆ la porte de la ville et nous mena voir le port, et puis, comme il Žtait tard, nous ayant conduits ˆ notre hostellerie, nous donna le bon soir, et nous pria tous le lendemain ˆ d”ner au logis du prŽsident.

Il nous vint prendre le lundi de bonne heure pour nous faire voir les fortifications de la ville : il nous mena ensuite ˆ la tour de la Cha”ne et finalement au temple qui est bien beau, et finalement nous v”nmes chez le prŽsident o il nous fut fait un magnifique festin de soixante serviettes, aprs lequel nous all‰mes en Brouage voir Mr de Saint-Luc qui nous reut le plus honorablement du monde.

Nous y sŽjourn‰mes le mardi 15me et all‰mes voir ˆ Marennes les trois filles du comte de Marennes, qui Žtaient trs belles.

Le lendemain nous v”nmes coucher ˆ Pons.

Le jeudi 17me nous v”nmes d”ner ˆ Plassac chez Mr dÕEpernon, o Žtait Mr le Grand, et de lˆ coucher ˆ Blaye.

Le soir le roi commanda ˆ Mr de CrŽquy et ˆ moi de faire faire patrouilles par la ville la nuit parce quÕAubeterre Žtait dŽsespŽrŽ de savoir quÕon lՙtait de sa place de Blaye ; ce que le roi fit bien noblement en le faisant marŽchal de France le lendemain, et lui donna outre cela cent mille Žcus. Le roi en donna le gouvernement ˆ Mr de Luxembourg.

Le samedi 19me le roi arriva ˆ Bordeaux.

Bordeaux et BŽarn

Le dimanche 20me Mr du Maine fit un grand festin au roi dans le Ch‰teau-Trompette, ayant Argillemont ŽtŽ pris le matin dans le logis du roi et mis s mains de la cour de parlement ds le soir mme pour lui faire son procs, lequel lui fut fait et parfait le mercredi suivant 23me, et condamnŽ ˆ avoir la tte tranchŽe ; ce qui fut exŽcutŽ le mme jour : et le samedi suivant 26me le roi cassa tous les jurats de Bordeaux et en mit dÕautres en la place.

Il envoya quŽrir le sieur de Fonterailles gouverneur de Lectoure, ˆ qui il donna cinquante mille Žcus en le tirant de cette place comme il avait promis ˆ ceux de la Religion assemblŽs ˆ Loudun, attendu que ledit de Fonterailles sՎtait fait catholique et en cette profession ne pouvait commander dans Lectoure, place de sžretŽ des huguenots. Le roi y mit en son lieu le sieur de Blainville lÕa”nŽ qui Žtait huguenot et au grŽ de ceux de sa religion.

Le lundi 28me le roi alla en parlement tenir son lit de justice o il bl‰ma (par la bouche de monsieur le garde des sceaux du Vair) ledit parlement de ne sՐtre gouvernŽ selon quÕil devait en ces derniers mouvements. Il fut de lˆ d”ner au Ch‰teau-Trompette avec les principaux de la cour et ensuite tenir sur les fonts le fils de Mr le marŽchal de Roquelaure.

Puis le lendemain mardi dernier jour de septembre, il fut d”ner et coucher ˆ Cadillac chez Mr dÕEpernon, o il fut superbement reu, et revint le lendemain premier jour dÕoctobre ; et le jour dÕaprs Mr le Prince sÕen alla de la cour.

Le 4me arrivrent ˆ Bordeaux Mr de la Force et le premier prŽsident de Pau, sans apporter la vŽrification de lÕarrt de rŽtablissement des ecclŽsiastiques de BŽarn dans leurs biens comme il a ŽtŽ dit ci-dessus que lÕassemblŽe de Loudun nÕavait demandŽ que les trois articles du rŽtablissement des conseillers de la Religion au parlement de Paris, de la prolongation pour trois ans des places de sžretŽ, et du changement de gouverneur ˆ Lectoure, ce qui avait ŽtŽ entirement exŽcutŽ avant les six mois, nŽanmoins ceux de BŽarn prŽtendaient quÕils pourraient faire, dans un mois aprs, leurs remontrances contre cet arrt, et quÕicelles ou•es, le roi ferait ce quÕil verrait bon tre lˆ dessus. Le roi fut fort indignŽ de voir quÕils nÕavaient point vŽrifiŽ ledit arrt : toutefois ils surent si bien persuader au roi quÕils ne manqueraient de le faire, et quÕil leur avait encore ŽtŽ permis par la concession que le roi avait faite ˆ lÕassemblŽe de Loudun, de venir faire cette dernire remontrance avant le vŽrifier, et quÕils promettaient dÕaller le faire promptement vŽrifier sÕil plaisait au roi de leur permettre dÕy retourner, que le roi les renvoya promptement pour cet effet, et quand et [avec] eux le sieur de la ChainŽe un de ses ordinaires, tant pour en solliciter la prompte vŽrification que pour lui en mander ˆ toute heure des nouvelles. Et cependant Sa MajestŽ partit de Bordeaux et sÕavana sept lieues vers le BŽarn en un bourg nommŽ Preignac vis ˆ vis de Cadillac au deˆ de la Garonne pour tre plus proche de BŽarn pour sÕy acheminer en cas quÕils nÕexŽcutassent ponctuellement sa volontŽ, et y demeura onze jours entiers.

En ce temps se donna la fameuse bataille de Prague, qui rendit lÕempereur pour lors ma”tre de lÕAllemagne.

Au bout de dix jours la ChainŽe revint trouver le roi le 8me dÕoctobre, si mal instruit de ce qui sՎtait passŽ, quÕil ne lui put dire autre nouvelle sinon que les dŽputŽs du parlement de Pau lui viendraient le lendemain porter ce quÕils avaient rŽsolu, ce quÕils firent aussi le 9me : mais ce fut un refus de pouvoir entrer en vŽrification dudit arrt, portŽs, ˆ mon avis, sur lÕopinion quÕils eurent quÕen la saison bien avancŽe le roi ne sÕembarquerait pas dans le BŽarn, qui est au pied des PyrŽnŽes, et sur ce que lÕon leur manda que tous les bagages de la cour Žtaient dŽjˆ ˆ Blaye pour nous en retourner. Le roi nÕattendit point ˆ leur faire rŽponse lÕavis de son conseil, mais de lui-mme leur dit : Ē Puisque mon parlement me veut donner la peine dÕaller moi mme vŽrifier lÕarrt, je le ferai, et plus amplement quÕils ne lÕattendent Č, et sur ce entra en son conseil, rŽsolu de partir, mais nŽanmoins voulant savoir lÕopinion dÕun chacun sur ce sujet.

Dans le conseil Žtaient Mr du Maine, Mr dÕEpernon, Mr de Pralain, Mr de Luynes, monsieur le garde des sceaux du Vair, Mr de Schomberg, Mr de CrŽquy, et moi. Mr du Maine discourut amplement pour dissuader le roi dÕentreprendre ce voyage, se fondant sur lÕincommoditŽ du pays et de la saison ; sur la crainte de soulever tout le parti de la Religion, lequel pourrait faire de plus grands progrs (cependant que le roi serait en lÕextrŽmitŽ de son royaume) dans la France, que lui en BŽarn ; sur la disette des vivres dans les Landes pour son armŽe ; sur le long retardement du passage de la Garonne ˆ son armŽe, qui de douze jours ne saurait tre trajetŽe, et sur plusieurs autres raisons. Tous les autres du conseil prirent la contraire opinion, animant le roi dÕentreprendre le voyage de BŽarn, ˆ quoi le roi se rŽsolut, et dit ˆ Mr du Maine : Ē Je ne me mets point en peine du temps ni des chemins ; je ne crains point ceux de la Religion ; et quant au passage de la rivire que vous dites que mon armŽe ne saurait faire en douze jours, jÕai un moyen de la faire passer en huit : car jÕenverrai la mener par Bassompierre que voilˆ, qui mÕa menŽ lÕarmŽe avec laquelle je viens de dŽfaire un grand parti, en la moitiŽ moins de temps que je ne lÕavais espŽrŽ. Č JÕavoue que je sentis mon cĻur chatouiller par cette louange et par la bonne opinion que le roi avait de moi, auquel je rŽpondis que je lÕassurais que lÕEspŽrance quÕil avait conue de ma diligence ne serait point vaine et que dans peu il en aurait des nouvelles.

Sur cela je pris congŽ de lui et mÕen vins coucher ˆ Langon, de lÕautre c™tŽ de la rivire, sur laquelle lÕarmŽe Žtait Žpandue en divers villages et bourgs. Je portai des lettres du roi ˆ Mrs de la CurŽe et de Constenant qui la commandaient pour venir trouver Sa MajestŽ, ce quÕils firent. Et ayant envoyŽ en diligence ramasser tous les bateaux que je pus, je les partageai aux rŽgiments et compagnies, sans la vouloir assembler pour le passage. Je fis joindre deux bateaux en un et faire des pontons dessus, sur lesquels je posai, le 10me dÕoctobre, deux pices dÕartillerie. JÕen fis joindre deux autres sans pontons, sur lesquels je mis les affžts, et en quatre voyages je passai lÕartillerie, et ˆ force dÕargent je fis en sorte quÕen tout le lendemain les munitions et vivres furent passŽs, et toute lÕarmŽe aussi, et v”nmes coucher en un bourg ˆ une lieue de la rivire.

Le lendemain 11me nous entr‰mes sur le bord des Landes et les pass‰mes tout le jour et couch‰mes ˆ Catchicot ; le jour dÕaprs ˆ un autre bourg ; et le quatrime jour aprs notre passage je vins sur cette lisire de lÕArmagnac et du BŽarn loger ˆ Saint-Justin dÕArmagnac, o jÕeus un courrier du roi qui Žtait extrmement satisfait de ma diligence, et que jÕeusse rŽduit ˆ vingt quatre heures les douze jours que Mr du Maine nous donnait ˆ passer la Garonne, lÕayant c™toyŽ en toutes ces journŽes. Il me commanda de lui envoyer le rŽgiment de Champagne et quelques autres troupes pour mettre en garnison dans le BŽarn, et de nÕy entrer point, de peur de mettre la famine tant dans sa cour que notre armŽe.

Je sŽjournai donc ˆ Saint-Justin, allant quelquefois visiter les troupes logŽes ˆ la B‰tide, ˆ Barbotans, et ailleurs, avec les officiers de lÕarmŽe qui me firent tous cet honneur de ne bouger dÕauprs de moi, non pas mme pour aller seulement ˆ Pau.

Enfin Mr le marŽchal de Pralain sÕen vint de Pau ˆ Saint-Justin le 20me dÕoctobre, qui mÕapporta une fort favorable lettre du roi avec ordre de renvoyer lÕarmŽe aux garnisons quÕil lui avait destinŽes, et par les routes quÕil mÕenvoya.

Ce fait, nous part”mes, Mr le marŽchal et moi, le 21me, de Saint-Justin, et v”nmes coucher ˆ Catchicot, le 23me ˆ Basas, et le 24me ˆ Bordeaux.

Le roi y arriva le lendemain 25me, de qui jÕattendais toute bonne rŽception : mais au contraire il ne me regarda pas ; dont je fus un peu ŽtonnŽ. Toutefois je mÕapprochai de lui et lui dis : Ē Sire, me faites-vous la mine ˆ bon escient, ou si vous vous moquez de moi ? Č Il me dit froidement : Ē Non, je ne vous la fais point Č, et puis se retourna dÕun autre c™tŽ.

Je ne pouvais mÕimaginer dÕo me pouvait venir cette froideur depuis ses favorables lettres et mon dŽpart dÕauprs de lui ; et Žtant allŽ saluer Mr de Luynes, il me reut si froidement que je vis bien quÕil y avait un grand changement pour moi. Je mÕen revins nŽanmoins ˆ la galerie de lÕarchevchŽ o Žtait le roi, o je nÕeus gure demeurŽ que Mrs le cardinal de Gondy, de Schomberg, et de Roucelai me tirrent ˆ part et me dirent que Mr de Luynes se plaignait infiniment de moi, qui avais nŽgligŽ son amitiŽ et cru pouvoir sans elle me maintenir aux bonnes gr‰ces du roi ; et quÕil disait que lÕon verrait lequel de nous deux aurait le pouvoir de mettre son compagnon par terre, que la faveur du roi ne se pouvait partager, et que, lÕayant mis en ombrage, il ne me pouvait plus souffrir ˆ la cour.

Je fus bien ŽtonnŽ de ces discours, et ce que je pus faire alors, ce fut de t‰cher de savoir dÕeux, qui Žtaient mes amis, de quel vent mՎtait amenŽe cette tempte puisque je nÕavais jamais rien eu ˆ dŽmler avec Mr de Luynes que jÕavais toujours servi et contribuŽ ˆ sa fortune, et quÕil mÕavait promis et jurŽ une Žtroite amitiŽ. Je leur demandai quelles causes Mr de Luynes allŽguait pour se sŽparer de mon amitiŽ et pour me persŽcuter, voire mme ruiner, sÕil pouvait. Ils me dirent quÕil leur en avait donnŽ cinq diffŽrentes :

La premire, quÕau Pont de CŽ le roi mÕayant montrŽ en sa prŽsence les articles de la paix que lui, Luynes, avait minutŽes et proposŽes, je dis au roi quÕaprs tant de rŽvoltes de ces messieurs, tant dÕimpunitŽs ne me plaisaient pas, et que jÕeusse voulu que quelque exemple ežt donnŽ terreur ˆ lÕavenir aux autres de nՐtre pas si prompts ˆ se rebeller ; et disait Mr de Luynes lˆ dessus que cՎtait improuver la paix quÕil avait faite ;

Secondement que, le roi arrivant ˆ Poitiers au retour du petit voyage quÕil avait fait ˆ Tours pour voir la reine sa femme, comme on lui apporta nouvelle du retardement de la venue de la reine mre ˆ Poitiers, je dis au roi : Ē Sur ma vie, Sire, que cÕest un artifice de ses partisans pour empcher le voyage de Votre MajestŽ en Guyenne Č ; ce que le roi imprima si fort dans son esprit quÕil avait eu mille peines de lui faire attendre la reine sa mre ˆ Poitiers ;

En troisime lieu que, mÕayant priŽ plusieurs fois ˆ d”ner ˆ Bordeaux, je lÕavais mŽprisŽ et nÕavais daignŽ y aller ;

En quatrime lieu que, le roi nous parlant ˆ tous deux, ˆ Preignac, de cette vŽrification quÕil attendait, jÕavais dit au roi que si ces messieurs lui donnaient la peine dÕaller en BŽarn, je lui conseillais de leur faire payer chrement son voyage ; ce qui Žtait porter le roi ˆ la cruautŽ ;

Et finalement, que jÕavais tellement prŽoccupŽ lÕesprit du roi, quÕil ne croyait rien de bien fait que ce que je faisais, vu que sans en demander lÕavis de son conseil il avait dŽtr™nŽ les marŽchaux de camp que (par la dŽmission que nous avions faite, Mr de CrŽquy et moi,) il avait Žtablis sur son armŽe, pour me la mettre en main : ce quÕil ne pouvait souffrir, se sentant assez fort pour empcher le progrs que je faisais journellement ˆ son prŽjudice aux bonnes gr‰ces du roi.

Quand jÕeus considŽrŽ les causes de ce subit changement de lÕamitiŽ de Mr de Luynes vers moi, je jugeai bien quÕil cherchait des prŽtextes pour me perdre, et que nÕen trouvant point de lŽgitimes dans mes actions, il en inventait en mes paroles, desquelles malicieusement il pervertissait le sens, comme je le fis clairement conna”tre ˆ ces messieurs qui me parlaient, lesquels ne me dŽguisrent point que cՎtait une pure jalousie de faveur qui le possŽdait lors, et quՎtant en la posture o il Žtait, il avait toujours les yeux ouverts sur tous ceux qui pouvaient divertir lÕaffection que le roi lui portait, et que considŽrant la grande inclination du roi ˆ mÕaimer, il me regardait comme le chien qui le devait mordre, et quÕils ne trouvaient pas Žtrange quÕil me voulut b‰illonner ; quÕau reste il leur avait dit pour me faire savoir ces cinq causes de son divorce, et que cՎtait moi ˆ y rŽpondre, et quÕils lui porteraient fidlement ce que je leur consignerais pour lui mettre en main, et aideraient de toute leur puissance ˆ raccommoder cette affaire ; quÕils connaissaient au cĻur de Mr de Luynes que le fond en Žtait bon, et que je pouvais, par ma modŽration et mon bon gouvernement vers le roi, remŽdier ˆ la jalousie de son favori.

Je leur dis donc pour rŽpondre par articles aux plaintes de Mr de Luynes, que jÕeusse bien cru quÕil ežt dž trouver Žtrange que jÕeusse conseillŽ au roi dÕapprocher prs de sa personne les ennemis dudit duc de Luynes ; mais quÕil ežt trouvŽ mauvais que jÕeusse dit au roi quÕil devait ch‰tier ses propres ennemis, auxquels il avait conseillŽ de pardonner, que je ne me le fusse jamais imaginŽ, attendu que cՎtait parler en sa faveur et tŽmoigner sa grande dŽbonnairetŽ de pardonner ˆ ceux qui lÕavaient offensŽ, quand les indiffŽrents en jugeaient quelques uns de ceux-lˆ indignes de cette gr‰ce ;

Que jÕavais conseillŽ, selon mon devoir et ma conscience, au roi de h‰ter son voyage de Guyenne, et de lui avoir fait conna”tre quÕen dŽlayant il perdait la belle saison et nuisait ˆ ses affaires ; que je ne lui avais pas donnŽ ce conseil en secret ni en cachette, mais en sa propre prŽsence, afin quÕil le pžt fortifier sÕil le dŽsirait, ou lÕinfirmer sÕil ne lui agrŽait pas, et que si lors jÕeusse vu quÕil nÕy ežt acquiescŽ, jÕeusse cessŽ de lÕopini‰trer et me fusse rendu ˆ la premire semonce ; et que ce nՎtait point de propos dŽlibŽrŽ que jՎtais venu donner cet avis au roi, mais bien ensuite dÕune proposition quÕil en avait faite, et plut™t par manire de discours que de conseil ;

QuÕil prenait ensuite un faible prŽtexte de rompre avec moi parce que je nՎtais pas allŽ charger sa table de ma personne quelquefois quÕil mÕen avait conviŽ, vu que ma modestie et la profession particulire que je faisais dՐtre son serviteur mÕavait fait faire lÕhonneur de sa maison aux Žtrangers en leur cŽdant ma place ˆ sa table, et que la mienne o tous les principaux seigneurs venaient journellement d”ner et souper, et qui lui servait de seconde table et de dŽcharge ˆ la sienne, requŽrait ma prŽsence par biensŽance ;

Que je ne faisais autre rŽponse ˆ sa quatrime plainte sinon que lÕeffet avait dŽmontrŽ que je donnais un bon conseil au roi puisquÕil lui avait fait suivre ponctuellement ;

Que finalement jՎtais bien malheureux si les bons services que je rendais au roi et qui lui donnaient cette bonne impression de moi, me tournaient ˆ crime, et que je devais attendre un rude ch‰timent si je faisais quelque faute vu que mes grands services Žtaient improuvŽs, et que sÕil me voulait prescrire et rŽgler quelque forme de vie, je lÕobserverais si ponctuellement quÕil aurait ˆ lÕavenir sujet de croire que je nÕaspirais en quelque faon que ce soit ˆ empiŽter les bonnes gr‰ces du roi que par mes services et par son moyen ; et que jÕestimais si peu, et craignais si fort une faveur dÕun prince cousue dÕinclination, que si elle Žtait par terre devant mes pieds, je ne me daignerais pas baisser pour la relever.

Ces messieurs me dirent quÕils feraient entendre ˆ Mr de Luynes mes justes excuses sur ses injustes accusations, ds le jour mme sÕils pouvaient, sinon le lendemain 26me ˆ Blaye o le roi alla coucher ; quÕils mÕen rendraient rŽponse, ce quÕils firent et me dirent quÕils voyaient bien que Mr de Luynes avait pris une si forte ombrage de moi quÕil ne me pouvait souffrir ˆ la cour, et que si je mÕen voulais Žloigner, quÕil me ferait payer en mon absence tous mes appointements fort exactement, et que dans quelque temps quÕil ne me voulait pas limiter, il me ferait rappeler avec honneur et ferait ensuite pour moi tout ce quÕil pourrait.

Je trouvai cette proposition si crue quÕelle me mit fort en colre. Je rŽpondis ˆ ces messieurs qui mÕavaient envoyŽ quŽrir chez Mr le cardinal de Retz que ce nՎtait point un homme de ma sorte quÕil fallait traiter en faquin, le chassant honteusement de cette faon, et que je ne mÕen irais point du tout ; que cՎtait ma rŽsolution, laquelle je leur priais de faire savoir ˆ Mr de Luynes ; que si lÕon souponnait de mon intŽgritŽ ou de ma fidŽlitŽ, on me pouvait mettre en prison pour Žclaircir ce doute, et que si on lÕavŽrait on me pouvait ch‰tier ; mais que de me chasser de la cour pour sa fantaisie, toutes fois et quantes que je voudrais prŽfŽrer mon sŽjour ˆ la cour ˆ ma libertŽ ou ˆ ma vie, que je le dŽfiais de le pouvoir faire ; avec beaucoup dÕautres choses que la passion et la colre me firent dire.

Ces trois messieurs Žtaient mes amis qui voulaient mÕaider et mÕobliger : ils me dirent que cette crue rŽponse ne partirait point de leur bouche pour tre dite ˆ Mr de Luynes, et quÕils nՎtaient pas lˆ seulement comme entremetteurs, mais comme mes amis qui me conseilleraient toujours et se porteraient ˆ adoucir lÕaffaire et jamais ˆ lÕaigrir, et quÕils Žtaient dÕavis, si jÕy consentais, de dire de ma part ˆ Mr de Luynes que je mՎmerveillais quÕil ežt si bien traitŽ ses ennemis au Pont de CŽ, lesquels il Žtait en sa puissance de persŽcuter justement en se vengeant dÕeux, et que moi qui avais mis ma vie pour son service, et qui avais, par son propre aveu, si dignement agi en ces dernires brouilleries o il ne sÕagissait point de dŽpossŽder le roi de son Žtat, mais de lՎloigner dÕauprs de lui, et que par consŽquent jÕavais servi le roi, mais que cՎtait en ses intŽrts particuliers de lui Mr de Luynes, il me voulžt payer de cette ingratitude sans lÕavoir mŽritŽe ; et que je mÕassurais que quand il reviendrait ˆ lui, quÕil mÕaurait mieux considŽrŽ, et pesŽ mes actions passŽes, il me jugerait digne de beaucoup de rŽcompense et point du tout dÕun si vil ch‰timent comme de me chasser de la cour avec infamie, ˆ quoi je ne me pourrais jamais rŽsoudre.

Je leur laissai la carte blanche, les connaissant mes amis ; et eux me prirent que sans faire semblant de rien ni en parler ˆ personne, je laissasse cette affaire en leurs mains o elle nÕempirerait point : ce que je fis, et mÕen allai prendre le mot du roi, qui aprs me lÕavoir donnŽ, se tourna dÕun autre c™tŽ. JÕavais dŽjˆ bien pris garde quÕil Žtait toujours demeurŽ ˆ un bout du navire pendant le chemin de Bordeaux ˆ Blaye pour ne sÕapprocher du lieu o jՎtais ; et venant tous les jours d”ner et souper chez Mr de Luxembourg qui traita Sa MajestŽ trois jours durant quÕil fut ˆ Blaye, le roi ne disait mot ˆ table, comme il avait accoutumŽ et de rire incessament avec moi : cela me mettait en peine ; car Mr de Luynes sÕen f‰chait et sÕen prenait ˆ moi.

Le troisime jour que le roi sŽjourna ˆ Blaye, qui Žtait le 29me dÕoctobre, je vins le soir au ch‰teau prendre le mot, et trouvant que le roi Žtait ˆ ses affaires, jÕy entrai comme jÕavais de coutume. Le roi ne me dit mot sinon que peu aprs sՎtant levŽ, il me commanda de faire acheminer les Suisses vers Saintes, et que sa garde fžt le lendemain au lieu o il allait coucher, et puis mՎtant approchŽ lÕoreille pour lui demander le mot, il me dit : Ē Saint-Michel Č, puis ajouta : Ē Bassompierre, mon ami, ne tÕennuie point et ne fais semblant de rien. Č Je ne lui rŽpondis aucune chose, de peur que quelquÕun ne sÕen aperžt ; mais je ne fus pas marri que la source de la bontŽ du roi ne fžt pas tarie pour moi.

Sur cela je sortis pour faire prendre les armes aux Suisses, parce que le roi devait bient™t aller chez Mr de Luxembourg pour y souper. Comme jՎtais en cette place devant le ch‰teau, arrivrent Mrs du Maine et dÕEpernon que le roi avait envoyŽ quŽrir, qui apercevant les gardes sur leurs armes, crurent que lÕon les allait arrter. Mr dÕEpernon me prit par la main et me dit : Ē Parlez-moi en cet ancien et parfait ami que vous mՐtes depuis longtemps : nous va-t-on coffrer ? Č Je lui dis : Ē Je ne le crois pas ; car je nÕen sais rien, et je serais infailliblement un des violons qui vous feraient danser si cela Žtait. Č Pourquoi donc a-t-on pris les armes ?, me dit il. Je lui rŽpondis : Ē Je les viens de faire prendre de moi-mme parce que le roi, aprs vous avoir parlŽ, vient souper chez Mr de Luxembourg. Č Il me dit lors : Ē Nous courons grande fortune dՐtre arrtŽs, et pour moi jÕen ai grand peur, mais quoi quÕil arrive, promettez moi que vous serez mon ami et que vous mÕassisterez de ce que vous pourrez, et si vous me le promettez, je sais que vous le ferez avec autant de passion quÕaucun de mes enfants. Č Je lui dis ˆ lÕheure les plus fortes paroles dont je me pus aviser pour lÕen assurer. En mme temps ils furent dŽlivrŽs de cette apprŽhension ; car le roi sortit et les mena souper avec lui, o il leur parla de tout ce quÕil dŽsirait dÕeux quand il serait hors de la province.

Le roi partit de Blaye le 30me et arriva la veille de la Toussaints ˆ Saintes, o il sŽjourna pour y faire ses p‰ques.

 

Novembre. Ń Le soir Mr de Roucelai me vint trouver aprs souper et me dit pour finale rŽsolution, que Mr de Luynes voudrait mon Žloignement toutes les fois que la moindre humeur lui prendrait contre moi, et peut-tre ds que nous arriverions ˆ Paris ; mais quÕil ne le ferait que honorablement et sans que mon absence fžt honteuse ; et que je lui disse pour cet effet ce que je dŽsirais ; que Mr de Schomberg et Mr le cardinal de Retz lÕavaient chargŽ de me le venir dire en leur nom de tous trois, et que jÕavisasse de faire une rŽponse qui nÕaigrit rien.

JÕavais eu trois jours pour penser, en cas que lÕon me press‰t, par quelle porte je pourrais honorablement sortir. CÕest pourquoi, sans marchander, je lui dis que toutes les fois quÕil me ferait donner quelque gouvernement, je mÕy irais tenir ; que sÕil me donnait un emploi de guerre honorable, je lÕirais exŽcuter ; sÕil mÕenvoyait en une ambassade extraordinaire, je mÕen acquitterais ; et que pourvu que je servisse en absence, je la prŽfŽrerais ˆ mon sŽjour inutile ˆ la cour : ce que Mr de Rouccelai ayant rapportŽ ˆ ces messieurs qui Žtaient tous deux chez Mr de Luynes, ils trouvrent ma rŽponse si bonne quÕils ne diffŽrrent point de la dire ˆ Mr de Luynes, ni lui ˆ lÕaccepter, les assurant que le lendemain par les chemins il sÕaccorderait avec moi sous ces conditions ; comme il fit de fort bonne gr‰ce, et me dit franchement que lÕestime quÕil faisait de moi et lÕaffection quÕil voyait le roi me porter, lui donnaient de lÕombrage, et quÕil Žtait comme un homme qui craignait dՐtre cocu, lequel nÕaimait pas de voir un fort honnte homme courtiser sa femme ; que du reste il avait une forte inclination ˆ mÕaimer, comme il me voulait tŽmoigner pourvu que je ne fisse point les doux yeux ˆ sa ma”tresse : et le soir mme me fit parler au roi qui me fit fort bonne chre et me dit que je me prŽparasse pour revenir en poste le lendemain avec lui, ce que nous f”mes.

Ayant pris la poste ˆ Poitiers, nous all‰mes coucher ˆ Ch‰tellerault. Comme nous Žtions dans la fort, je dis ˆ Mr de Luynes : Ē Monsieur, avez-vous bien pensŽ ˆ ce que vous faites de hasarder le roi dans une place huguenote avec trente chevaux de poste ? Ces gens sont enragŽs de ce que vous leur venez de faire en BŽarn, et vous vous venez jeter entre leurs mains : il nÕy a point de rivire ˆ passer de Ch‰tellerault jusques ˆ la Rochelle. Č Il prit bien mon propos et fut en grand suspens, et le dit au roi, lequel dit : Ē Il y a plus de catholiques en la ville que de huguenots : La Rochebeaucourt qui en est gouverneur est homme de bien ; aussi est Foucaut le lieutenant ; Du Jon qui y a une compagnie, est crŽature du feu roi mon pre : je vous rŽponds de notre sžretŽ. Č Ce que nous trouv‰mes aussi, et y v”nmes coucher.

Le lendemain nous couch‰mes ˆ Veve sur Loire, et le jour dÕaprs v”nmes pour d”ner ˆ OrlŽans : mais comme le roi ežt vu la quantitŽ de gens qui lui venaient faire diverses harangues, il me demanda si mon cheval Žtait bon, et lui ayant dit que oui, il piqua outre, moi lui servant dՎcuyer, et sÕen vint ˆ Toury que nous nՎtions que cinq chevaux avec lui.

Le lendemain 6me de novembre le roi arriva avec quarante chevaux de poste sur les dix heures du matin ˆ Paris, et vint descendre chez la reine sa mre qui achevait de sÕhabiller.

Le soir Mr de Luynes lui fit festin, et le lendemain le mena ˆ Lesigny en attendant que son train fut arrivŽ.

 

DŽcembre. Ń De lˆ le roi sÕen alla en Picardie jusques ˆ Calais dÕo il envoya Mr le marŽchal de Chaunes vers le roi de la Grand Bretagne, et se rŽsolut en mme temps de mÕenvoyer son ambassadeur extraordinaire vers le roi dÕEspagne son beau pre pour lui redemander la Valteline qui avait ŽtŽ occupŽe peu auparavant sur les Grisons, anciens alliŽs du roi, par le duc de Feria gouverneur du duchŽ de Milan, et mÕenvoya un courrier avec un ordre ˆ Mr de Schomberg de me fournir dix mille Žcus pour les frais de mon voyage, et ˆ moi de me prŽparer pour partir incontinent aprs quÕil serait de retour ˆ Paris o il vint pour y passer les ftes de No‘l et y finit heureusement lÕannŽe 1620.

1621.

Ambassade en Espagne

JANVIER.Ń Ds le commencement de lÕannŽe 1621 je fus extrmement pressŽ de partir et on mÕavait dŽjˆ donnŽ mon instruction quand, pour le dŽsir de passer les Rois ˆ la cour, tant™t sur une difficultŽ que je proposai en ma dite instruction, tant™t sur quelque autre sujet, je demeurai encore huit jours aprs avoir eu toutes mes dŽpches, et fis partir en quinze diverses bandes, en poste, quelque sept-vingt personnes qui vinrent avec moi, parmi lesquels il y avait prs de quarante gentilshommes que je voulus dŽfrayer tant de la bouche que des postes, de Paris ˆ Madrid, et au retour de Madrid jusques ˆ Paris, faisant mme porter toutes leurs hardes ˆ mes dŽpens.

Au commencement de janvier vinrent nouvelles de la mort de madame la duchesse de Retz ; et comme Mr le Prince sÕimagina que Mr le cardinal de Retz son oncle, et Mr de Schomberg son alliŽ, proposeraient de le remarier avec la nice de Mr de Luynes, la jeune Combalet, ce qui ežt attirŽ toute lÕaffection dudit duc de Luynes de leur c™tŽ et lÕežt peut-tre ŽloignŽe de Mrs le Prince et duc de Guise, Mr le Prince sÕavisa de me proposer ˆ Mr de Luynes pour lՎpouser, ce qui plut merveilleusement ˆ Mr de Luynes qui se voulait assurer de moi et mÕavancer ˆ cause dÕune certaine inclination quÕil avait de mÕaimer, et pour me croire utile ˆ sa fortune : ce quÕil communiqua ˆ Mr de Guise, afin dÕy aider de sa part, et lui dit quÕil fallait quÕil dispos‰t madame la princesse de Conty de me persuader dÕembrasser ce parti, que lui de son c™tŽ mÕen ferait parler par madame la Princesse sa femme, sachant, lui disait il, que les dames ont grand pouvoir sur moi.

 

FŽvrier. Ń Je pris congŽ le 9me fŽvrier du roi et de la cour, et parce que ce soir-lˆ il y avait bal en la salle de Mr de Luynes, jÕy menai madame la comtesse de Rochefort en la suite de la reine. Comme je fus en haut, mesdames les princesses qui riaient bien fort, me tirrent en une fentre, et au lieu de me parler crevaient de rire : enfin elles me dirent que jÕavais autrefois parlŽ dÕamour ˆ de belles dames, mais que jamais deux dames de si bonne maison ne mÕavaient parlŽ de mariage que maintenant quÕelles mÕen venaient requŽrir. Je fus longtemps ˆ dŽchiffrer leur discours : enfin elles me dirent que le mari de lÕune et le frre de lÕautre les avaient chargŽes de me sŽduire, mais que cՎtait en tout honneur et en loyautŽ de mariage, et quÕil fallait que je donnasse pouvoir ˆ Mr le Prince et ˆ Mr de Guise de traiter et conclure lÕaffaire pendant que je serais en lÕambassade extraordinaire dÕEspagne, et de le dire ˆ Mr de Luxembourg aprs lÕavoir priŽ de me vouloir assister en cette recherche ; ce quÕil me fallut forcement faire : et puis ayant pris congŽ dÕelles, je partis le lendemain mercredi 10me jour de fŽvrier et vins coucher ˆ Etampes, puis ˆ Saint-Laurent des Eaux, de lˆ ˆ Montrichart, ˆ la Haye, ˆ Vivonne, ˆ Aigres, et ˆ Montlieu.

Puis le mercredi 17me je vins ˆ Bordeaux o je demeurai le lendemain pour lÕamour de Mrs dÕEpernon et de Roquelaure, et vins le vendredi 19me coucher seulement ˆ Belin, puis ˆ Castets, aprs avoir d”nŽ ˆ la Harie o jÕeus nouvelles de ce qui Žtait arrivŽ ˆ Mr de Fargis, et vins coucher ˆ Castets, et le dimanche 21me jÕarrivai ˆ Bayonne o Mr le comte de Gramont me fit durant quatre jours que jÕy demeurai, la meilleure chre du monde, et ˆ tous les gentilshommes qui mÕaccompagnaient.

JÕen partis le jeudi, premier de carme et le 25me du mois, avec Mr de Gramont qui me vint conduire et dŽfrayer encore jusques ˆ Saint-Jean de Luz, o me vinrent nouvelles que par la mort du pape Paul cinquime, le pape GrŽgoire quinzime, Lodovisio, lui avait succŽdŽ.

Nous all‰mes voir le Socoa o le roi desseignait [avait pour dessein] de faire un havre, et au dessus un fort, puis v”nmes descendre ˆ Sinbourre. Ceux de Saint-Jean de Luz dansrent le soir un ballet devant moi, qui pour des Basques Žtait aussi beau quÕil pouvait tre.

Comme nous venions de Bayonne ˆ Saint-Jean de Luz, nous v”mes en mer plus de cinquante petites barquettes ˆ une voile qui donnaient chasse ˆ une baleine qui sՎtait fait voir le long de la c™te avec son baleineau ; et le soir sur les onze heures nous ežmes nouvelles comme le petit baleineau avait ŽtŽ pris, que nous fžmes voir le lendemain matin vendredi 26me ; nous le fžmes voir sur la grve o lÕon lÕavait ŽchouŽ en haute mer. Il Žtait de quelque cinquante pieds de long seulement, et ceux du pays ne jugeaient pas quÕil y eut plus de huit jours quÕil fut nŽ.

Aprs la messe Jouan dÕArbelais, courrier major dÕYronet de Guypuscua, vint d”ner avec moi. Mr de Gramont me vint conduire jusques sur le bord de la rivire de Fontarabie qui divise la France de lÕEspagne, et me dit adieu, et Jouan dÕArbelais mÕayant conduit une lieue par delˆ Yron me laissa aller coucher ˆ la venta de Marie Beltram.

Le samedi 27me je fus coucher ˆ Segura.

Le dimanche 28me je passai le mont Saint-Adrien, vins d”ner ˆ Galarette et coucher ˆ Vittoria.

 

Mars. Ń Le lundi premier jour de mars je vins coucher ˆ Miranda de Aro.

Le lendemain je vins ˆ Birviesca, et le jour dÕaprs ˆ Burgos dÕo, aprs avoir vu el santo crucifisso et la grande Žglise qui est bien belle, jÕen partis le lendemain jeudi 4me pour venir ˆ Lerma, o je fus voir la maison et les meubles qui sont bien rares.

Le vendredi 5me jÕou•s messe en un des couvents de religieuses que le duc y a fait b‰tir, o jÕou•s une excellente musique des filles, et de lˆ je mÕen vins au g”te ˆ Aranda de Duero ; le lendemain ˆ Borseguillos, puis ˆ Buitrago ; et le lundi 8me jÕarrivai ˆ Alcovendas, auquel lieu monsieur lÕambassadeur ordinaire dÕEspagne qui Žtait Mr du Fargis, comte de la Roche Pot, vint me voir et souper avec moi, et Mr le comte de Chateauvillain aussi, puis sÕen retournrent la nuit coucher ˆ Madrid.

Le mardi 9me jour de mars je partis dÕAlcovendas lÕaprs-d”ner pour venir ˆ Madrid. Monsieur lÕambassadeur et le comte de Chateauvillain, comme aussi la famille de tous les ambassadeurs, vinrent au-devant de moi. Puis le comte de Baraxas me vint recevoir avec les carrosses du roi, dans lÕun desquels je me mis. Il Žtait accompagnŽ de beaucoup de noblesse : une trs grande quantitŽ de femmes en carrosse sortirent hors de la ville pour me voir arriver. Je descendis au logis du comte de Baraxas, que lÕon avait somptueusement apprtŽ pour mÕy loger et dŽfrayer. Je trouvai lˆ le duc de Monteleon, don Fernando Giron, don Carlos Coloma, et quantitŽ dÕautres seigneurs que jÕavais connus en France ou ailleurs, qui mÕy attendaient pour me saluer. Je fus de lˆ saluer la comtesse de Baraxas chez laquelle il Žtait venu quantitŽ de dames pour lÕaider ˆ me recevoir, et aprs je mÕen allai souper en une table de cinquante couverts qui mÕa ŽtŽ tenue tant que jÕai ŽtŽ ˆ Madrid. Le duc dÕUcede envoya le soir un des siens pour me saluer de sa part.

Le mercredi 10me madame la princesse dÕEspagne mÕenvoya visiter, et une grande partie des dames du palais, tant vieilles que jeunes, comme dona Maria de Benavides, les comtesses de la Torre et de Castro, Leonor Pimentel, Anna Maria Menrique, Maria dÕAragon, Antonia de Mendossa, et autres. Monsieur lÕambassadeur venait tous les matins d”ner avec moi afin de mÕaider ˆ faire lÕhonneur de la maison. Aprs d”ner je fus visitŽ par lÕarchevque de Pise, ambassadeur du grand-duc ; Cenamy, ambassadeur de Lucques ; du rŽsident de Lorraine et de celui de Gnes. Ensuite le duc dÕOssune me vint saluer en apparat extraordinaire : car il Žtait portŽ en chaise ; il avait une robe ˆ la hongroise, fourrŽe de martre, et quantitŽ de pierreries sur lui de grand prix ; plus de vingt carrosses le suivaient, remplis de seigneurs espagnols ses parents et amis, ou des seigneurs napolitains, et ˆ lÕentour de sa chaise plus de cinquante capitaines tenientes ou afferes reformados, espagnols ou napolitains. Il mÕembrassa avec grande affection et privautŽ, me prŽsenta toute sa suite ; puis, aprs mÕavoir traitŽ trois ou quatre fois dÕExcellence, il me fit souvenir quÕen un souper chez Zamet avec le roi, nous avions fait alliance ensemble et promis que je lÕappellerais mon pre, et lui mon fils, et me pria de continuer de la sorte, comme nous f”mes depuis sans nulle cŽrŽmonie. Il voulut ensuite saluer ceux qui Žtaient venus avec moi, leur parlant toujours franais et disant tant dÕextravagances que je ne mՎtonnai point de la disgr‰ce qui lui arriva peu aprs. En ce mme temps le duc de Pastrane, le comte de Saldaigne, et celui dÕArcos arrivrent, et puis le comte de Benavente, don Baltasar de Suniga, et dÕautres. Le soir le duc dÕEboly, le marquis de Mortare, et Jouan Tomas Cossa me vinrent aussi visiter.

Le jeudi 11me la comtesse de Lemos et la duchesse de Villermose mÕenvoyrent visiter, et aprs d”ner le comte de Keveniller ambassadeur de lÕempereur me vint saluer, et ensuite celui dÕAngleterre, de Venise, et les rŽsidents de Parme, dÕUrbin, et de Modne. Ds que je mÕen fus dŽlivrŽ, les ducs de Penaranda, de Gandia, et de Villermosa me vinrent voir, comme aussi les marquis de Mondejar et de Canette, et don Augustin de Messia, du conseil dՃtat, que jÕavais connu au sige dÕOstende o il faisait la charge de marŽchal de camp gŽnŽral.

Le soir lÕauditeur du nonce, qui faisait les affaires du pape ˆ cause que le nonce Žtait parti dÕEspagne pour aller prendre le chapeau de cardinal, me vint faire les compliments ordinaires et me montra la copie dÕun bref quÕil devait le lendemain donner au roi sur le sujet de la Valteline, qui Žtait trs pressant et ˆ mon opinion plus hardi que je ne lÕeusse espŽrŽ dÕun nouveau pape ˆ un roi dÕEspagne ; car il lui mandait que pour la libertŽ dÕItalie, de laquelle la restitution de la Valteline Žtait importante et nŽcessaire, il Žtait rŽsolu non seulement dÕy employer les armes spirituelles, mais les temporelles aussi : et ledit auditeur mÕassura ensuite quÕil se joindrait en ma nŽgociation selon lÕordre quÕil en avait de Sa SaintetŽ qui en faisait son propre affaire ; ce que prŽcŽdemment les ambassadeurs dÕAngleterre, de Venise, et Savoie mÕavaient dit de la part de leurs ma”tres, et lÕambassadeur de Florence aussi, mais ce dernier avec plus de retenue et tŽmoignant plut™t le mŽdiateur que le participant, ˆ cause des intŽrts presque Žgaux qui le portaient tant du c™tŽ de France que de celui dÕEspagne.

Sur le soir don Jouan de Seria, secrŽtaire dՃtat, me vint visiter de la part du roi, et me dire de plus, aprs plusieurs belles paroles du contentement que le roi avait de ma venue et de la bonne opinion quÕil avait de moi, que jÕaurais audience aussit™t que sa santŽ lui pourrait permettre. Il Žtait fort vrai quÕil Žtait malade ; mais chacun croyait quÕil le feignait pour dŽlayer mon audience et mon expŽdition. Sa maladie lui commena ds le premier vendredi de carme, lors quՎtant sur des dŽpches, le jour Žtant froid, on avait mis un violent brasier au lieu o il Žtait, dont la rŽverbŽration lui donnait si fort au visage que les gouttes de sueur en dŽgouttaient ; et de son naturel il ne trouvait jamais rien ˆ redire, ni ne sÕen plaignait. Le marquis de Pobar, de qui jÕai appris ceci, me dit que voyant comme lÕardeur de ce brasier lÕincommodait, il dit au duc dÕAlve qui Žtait gentilhomme de la chambre comme lui, quÕil f”t retirer ce brasier qui enflammait la joue du roi : mais comme ils sont trs ponctuels en leurs charges, il dit que cela appartenait au sommelier de corps, le duc dÕUcede. Sur cela le marquis de Pobar lÕenvoya chercher en sa chambre ; mais par malheur il Žtait allŽ voir son b‰timent, de sorte que le pauvre roi, avant que lÕon ežt fait venir le duc dÕUcede, fut tellement grillŽ que le lendemain son tempŽrament chaud lui causa une fivre, cette fivre une ŽrŽsiple, et cette ŽrŽsiple tant™t sÕapaisant, tant™t sÕenflammant, dŽgŽnŽra enfin en pourpre qui le tua.

La maladie du roi me donna loisir de recevoir toutes mes visites, et le lendemain vendredi 12me aprs que monsieur lÕambassadeur fut arrivŽ, qui amena le comte de Chateauvillain et don Augustin Fiesque, le duc de Monteleon et don Fernando Giron me vinrent voir pour me donner bonne espŽrance du succs de lÕaffaire qui mÕamenait en Espagne. Aprs d”ner jÕeus lÕambassadeur de Savoie, archevque de Tarentaise, et celui de Lucques, puis les marquis de Falses et de Gonsague, les comtes de Medellin, de Selada et dÕArcos, don Francesco de Bargana et don Carlos Coloma.

Le samedi 13me don Augustin Fiesque mÕenvoya un trs beau cheval. Aprs d”ner lÕambassadeur de Perse me vint visiter, puis le marquis de Pobar.

Le dimanche 14me Mr le duc de lÕInfantado, majordomo major, me vint visiter le matin, fort bien accompagnŽ : les quatre ma”tres dÕh™tel du roi marchaient devant lui. CՎtait un vieux seigneur fort honnte homme, et qui me prit en si grande affection quÕil aida infiniment ˆ mon affaire et en parla fort haut. Aprs d”ner don Diego dÕIvarra, Tomas Carachiola, Jouan Tomas Cossa, et plusieurs autres me vinrent voir.

Je ferai en ce lieu une digression pour faire entendre les causes de mon voyage, lՎtat o je trouvai nos affaires en arrivant, et les gr‰ces et faveurs particulires que je reus de ce roi.

LÕannŽe prŽcŽdente, 1620, lÕempereur assistŽ des armes dÕEspagne, avait gagnŽ la fameuse bataille de Prague qui releva extraordinairement ses affaires et ruina celles du palatin et des autres princes protestants liguŽs avec lui. En ce temps-lˆ le duc de Feria Žtait gouverneur du duchŽ de Milan, homme ambitieux et vain, qui voulait ˆ quelque prix que ce fžt, brouiller les cartes et faire parler de lui. Il vit que sans grande obstacle il le pouvait faire, puisque les Grisons lui donnaient quelque prŽtexte dÕempiŽter la Valteline si importante au roi dÕEspagne pour la conservation de ses Žtats dÕItalie et affaiblissement des autres potentats dÕicelle : il considŽrait que les protestants Žtaient ch‰tiŽs, le roi de France occupŽ en ses guerres civiles, et le roi dÕAngleterre amusŽ sur lÕEspŽrance du mariage de lÕinfante dÕEspagne pour le prince son fils ; il en entreprit donc et exŽcuta la conqute avec la forme et le succs que chacun sait : ce qui alarma les princes dÕItalie, offensa les Suisses, et intŽressa le roi leur alliŽ ˆ en procurer et entreprendre la restitution et rŽtablissement aux Grisons lŽgitimes seigneurs dÕicelle ; et pour cet effet mÕenvoya en Espagne son ambassadeur extraordinaire pour la redemander de sa part au roi son beau-pre.

Comme je mÕy Žtais acheminŽ, Mr du Fargis, ambassadeur ordinaire du roi en Espagne, pratiqua dÕavoir un logis assez beau pour sa demeure par les aposentadores qui sont obligŽs de loger les ambassadeurs. Ce logis lui fut donc assignŽ ; mais comme il y voulut loger, le ma”tre de la maison montra une exemption quÕil avait du roi et franchise pour son logis, et lÕambassadeur sÕopini‰trant de lÕavoir, le ma”tre de la maison porta ses privilges au conseil real qui ordonna quÕils lui seraient conservŽs : sur quoi monsieur lÕambassadeur qui avait envie dÕavoir ce beau logis, envoya deux valets y porter quelques hardes, et ensuite dit que puisque ses meubles avaient entrŽ dans le logis, que lÕon ne lÕen pouvait dŽloger, et envoya ensuite tous ses gens et une partie de ceux de lÕambassadeur de Venise pour tenir bon dans cette maison. Le ma”tre de la maison sÕalla plaindre au conseil real, qui ordonna que lÕon fit sortir les hardes et les valets de lÕambassadeur de ce logis et que lÕon y envoy‰t les alguazils : et parce que lÕon ne se fžt jamais doutŽ que lÕambassadeur džt faire rŽbellion ˆ justice (ce qui est inou• en ce pays lˆ), deux alguazils y furent seulement envoyŽs ; mais ils y furent tuŽs, et leurs vares (qui sont des baguettes blanches, marques de leur pouvoir), furent par dŽrision pendues aux balcons du logis. Sur cela le peuple accourt en armes et plus de deux mille personnes investirent le logis et lÕambassadeur qui y Žtait entrŽ par une porte de derrire. Par fortune un alcalde de corte (qui est comme le grand prŽv™t en France), nommŽ don Seb‰tian de Caravaxal, honnte homme et qui nÕallumait pas le feu, y arriva, fit retirer le peuple de devant ce logis, fit sortir la famille de ces ambassadeurs de dedans et prit dans son carrosse Mr du Fargis quÕil ramena au sien sans quÕil lui fžt mŽfait.

Mr du Fargis qui avait fait ce dŽsordre, fut par finesse le premier ˆ se plaindre, et demanda le lendemain audience, et en icelle, justice de lÕexcs que contre le droit des gens on avait commis contre lui, et le roi lui promit de la faire, et donna une commission ˆ cet effet. Mais quand il eut su ce qui sՎtait passŽ, il ordonna que sans toucher ˆ la personne des ambassadeurs de France et de Venise, on mit prisonniers tous ceux que lÕon pourrait attraper de leurs familles hors de leurs prŽsences : ce qui fut exŽcutŽ, et peu Žchapprent qui ne fussent pris. LÕambassadeur mme ne se sentant pas assurŽ de la furie du peuple, se retira de la ville et dŽpcha au roi pour lÕavertir de lՎtat o il Žtait, me manda aussi de retarder mon arrivŽe ; mais je ne le voulus faire, et mՎtant acheminŽ ˆ Madrid, ayant prŽcŽdemment Žcrit au duc de Monteleon et ˆ don Fernando Giron pour les prier dÕaccommoder cette affaire, ils en parlrent au roi qui leur commanda de me mander que je vinsse ˆ la bonne heure, et que jÕaurais de lui toute satisfaction, comme vŽritablement je reus de lui ; car le jour de mon entrŽe ˆ Madrid il fit Žlargir non seulement les serviteurs de ces deux ambassadeurs en ma faveur, mais encore les autres Franais qui lՎtaient pour autres sujets.

Il me fit une autre gr‰ce de me faire donner une bulle par le patriarche des Indes (qui est comme un lŽgat ˆ la cour), pour manger de la chair en carme, moi et cent autres avec moi. Et de plus, ce qui ne sՎtait jamais vu en Espagne, pour me divertir, il permit que lÕon jou‰t chez moi des comŽdies, mmes les dŽfraya : ce qui fit que les seigneurs et dames, qui en tout temps sont passionnŽs pour la comŽdie, le furent dÕautant plus que cՎtait en un temps inusitŽ, et que les deux bandes des comŽdiens du roi sՎtaient jointes ensemble pour rendre la comŽdie plus complte. Aussi leur donnais-je, outre les trois cents rŽaux que le roi leur payait de chaque comŽdie, mille rŽaux extraordinairement ; et je faisais apporter durant la comŽdie quantitŽ de confitures et dÕaloxa aux dames qui y venaient, qui Žtaient de deux sortes : celles qui sÕy faisaient prier par la comtesse de Baraxas, lesquelles se tenaient sur le haut dais et avaient le visage dŽcouvert ; les autres sur les marches du haut dais et dans la salle, mais tapades et couvertes de leur mante. Les hommes aussi y venaient, les uns couverts, les autres ouvertement : tous les ambassadeurs sÕy faisaient prier par moi dÕy venir.

Ce jour dimanche 14me la premire comŽdie se joua dans une grande galerie de mon logis, fort ornŽe et illuminŽe, et sÕy trouva trs grande quantitŽ de dames et de seigneurs ; aprs laquelle je donnai ˆ souper en particulier, que jÕavais fait apprter ˆ la franaise par mes gens, ˆ sept ou huit grands dÕEspagne ou seigneurs principaux.

Le lundi 15me le marquis de Renty et les comtes de Palme et de Castrilla me vinrent visiter. Puis don Jouan de Seria me fut dire de la part du roi que son mal lui continuait un peu vŽhŽment, ce qui le retarderait quelques jours de me donner audience ; nŽanmoins parce quÕil courait un bruit que la maladie de Sa MajestŽ Žtait feinte et ˆ dessein de retarder lÕexpŽdition pour laquelle jՎtais venu le trouver, afin de faire voir comme ce bruit Žtait faux, quÕil me ferait donner des commissaires pour traiter incessament avec moi : ce que jÕacceptai de bon cĻur, et remerciai trs humblement le roi de la gr‰ce quÕil me faisait sur ce sujet.

Le soir il y eut une comŽdie en mon logis.

Le lendemain mardi 16me don Jouan de Seria me revint trouver de la part du roi pour me dire que Sa MajestŽ mÕavait donnŽ pour commissaires Mrs le comte de Benavente, don Baltasar de Suniga, un rŽgent du conseil dÕItalie, et lui Jouan de Seria, afin que sans intermission on trait‰t de mon affaire, et que pour cet effet il Žtait besoin que je lui misse en main ma lettre de crŽance du roi au roi catholique, sur laquelle on commencerait ˆ traiter.

Ce mme jour messieurs les ambassadeurs dÕAngleterre et de Venise me vinrent voir, comme aussi le duc dÕOssune.

Le mercredi 17me don Baltasar de Suniga me vint voir tant en son nom que de mes autres commissaires ses compagnons, pour me saluer de leur part et me dire quÕils avaient ordre du roi de me venir trouver, et de traiter et conclure avec moi des choses concernant ma lŽgation ; dont je le remerciai le mieux que je pus. Il me proposa ensuite dÕadmettre en nos confŽrences le seigneur Julian de MŽdicis archevque de Pise, ambassadeur du grand-duc, lequel Žtant Žgalement apparentŽ, obligŽ, et portŽ pour les deux couronnes, servirait de mŽdiateur pour nous faire convenir, et de rajusteur si en la nŽgociation il y arrivait quelque disconvenance et rupture : ce que jÕaccordai volontiers, tant pour ne dŽsobliger monsieur le grand-duc, que parce quÕil nous pouvait servir et ne nous pouvait nuire, vu que jՎtais fort rŽsolu de nÕoutrepasser les termes de mon instruction.

Le mme don Baltasar me notifia ensuite la mort de monsieur le grand duc beau-frre du roi catholique et mÕen ordonna le deuil.

Ce mme jour les marquis de Zara, dÕOgnion et de Montesclaros me vinrent visiter, comme aussi le comte de Monterey, don Diego dÕIvarra, et don Carlos Coloma. JÕeus le soir la comŽdie, donnai ˆ souper ˆ quelques seigneurs, puis all‰mes voir des dames.

Le jeudi 18me bien que je nÕeusse encore fait aucune visite, nÕayant point eu ma premire audience, je crus nŽanmoins quÕil Žtait ˆ propos dÕaller visiter mes commissaires : ce que je fis afin de mÕinsinuer en leurs bonnes gr‰ces, leur dire toujours quelque chose de mon affaire tant pour les instruire que pour les prŽparer, ensemble pour leur lever les doutes, et impressions quÕils auraient mal prises, et finalement pour avoir sujet de faire ma premire dŽpche au roi, ˆ qui jՎcrivis le soir mme. Je fus ˆ mon retour visitŽ du duc de Monteleon et de don Fernando Giron. Le soir jÕeus la comŽdie chez moi.

Le vendredi 19me don Jouan de Seria me vint dire de la part du roi que sa santŽ Žtant meilleure, il se rŽsolvait de me donner audience publique le dimanche suivant, et quÕensuite lÕon mettrait mon affaire sur le tapis avec les mmes commissaires quÕil mÕavait dŽjˆ nommŽs, pour la rŽsoudre et conclure sans intermission. Je fus aprs d”ner faire mes stations ˆ las Cruces.

Le samedi 20me je donnai ˆ d”ner ˆ lÕambassadeur de lÕempereur et ˆ celui de Lucques. Aprs d”ner les ducs dÕOssune, de Gandia, de Villermosa, et de Monteleon me vinrent voir : puis jÕallai ˆ Nostra Senora de AttochŽ ; et le soir il y eut chez moi comŽdie.

Le dimanche 21me de mars je me prŽparai pour aller ˆ ma premire audience ainsi que le roi me lÕavait fait savoir, comme aussi le duc de Gandia mÕavait dit le jour prŽcŽdent quÕil avait ordre de mÕy conduire. Mais sur les onze heures du matin, comme le roi sՎtait habillŽ pour cet effet, en se voulant mettre ˆ table il eut un grand Žvanouissement qui le contraignit de se remettre au lit et de me mander par le comte de Baraxas quÕil lui Žtait du tout impossible de me voir ce jour-lˆ.

Je fus visitŽ lÕaprs-d”ner par don Fernando Giron, par le marquis dÕAyetona et par don Diego dÕIvarra. Je fus sur le soir au Prado, et ˆ mon retour je donnai la comŽdie aux dames et seigneurs.

Le lundi 22me le comte de Benavente se trouva mal, ce qui lÕempcha de venir chez moi confŽrer, et nÕy eut que don Baltasar de Suniga, le rŽgent Caimo et don Jouan de Seria, qui amenrent aussi Mr lÕarchevque de Pise pour entremetteur ainsi quÕil avait ŽtŽ convenu. Nous confŽr‰mes plus de trois heures ensemble sans toutefois nous approcher de la conclusion, chacun se tenant sur la sienne. Enfin nous nous sŽpar‰mes, et monsieur lÕambassadeur et moi f”mes notre dŽpche au roi lÕaprs-d”ner.

LÕon nous manda le soir que le roi se trouvait un petit mieux, ce qui nous permit de faire encore cette fois jouer la comŽdie.

Le mardi 23me le roi eut un grand redoublement ˆ sa fivre et on commena dÕen apprŽhender le succs. Il eut plusieurs vomissements avec un flux de ventre, accompagnŽs dÕune grande mŽlancolie que lui causait une opinion quÕil avait de mourir : ce qui fut cause que messieurs les commissaires sÕexcusrent de me venir trouver.

Je fus voir le matin le comte de Benavente qui sÕexcusa sur sa maladie de ne pouvoir assister le lendemain ˆ notre confŽrence. Je vis aussi don Baltasar de Suniga qui prit heure avec moi pour le lendemain matin, de venir avec les autres commissaires pour continuer le traitŽ ; ce quÕils firent le mercredi 24me avec monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi : puis ensuite je fus voir lÕauditeur du nonce et les ambassadeurs de Venise et de Savoie pour leur donner part de tout ce qui sՎtait passŽ en cette dernire confŽrence ; puis ensuite jÕallai visiter lÕambassadeur de Florence.

Le 25me la maladie du roi continua plus violemment quÕelle nÕavait encore fait. Je fus voir lÕambassadeur de lÕempereur.

Le vendredi 26me le roi eut un trs f‰cheux redoublement, ce qui fit supersŽder toute notre nŽgociation. Monsieur lÕambassadeur ordinaire me fit festin. Puis aprs jÕallai faire mes stations ˆ las Cruces.

Le samedi 27me le roi dit ˆ ses mŽdecins quÕils nÕentendaient rien en son mal, et quÕil sentait bien quÕil se mourait : aussi eut-il de trs mauvais accidents. Il commanda que lÕon f”t des processions et prires publiques pour lui.

Ce mme jour le comte de Salasar mourut.

Le dimanche 28me on fit une solennelle procession pour porter lÕimage de Nostra Senora dÕAttochŽ aux Filles Descalsas. Tous les conseils y assistrent avec grand nombre de pŽnitents qui se fouettrent cruellement pour la santŽ du roi. On porta aussi le corps du beato Isidre au palais dans la chambre du roi, et on mit le Sacrement sur les autels des Žglises de Madrid.

Le lundi 29me ˆ quatre heures du soir, il parut au roi des ulcres sur le ventre, aux reins et aux cuisses, et les mŽdecins lui ayant t‰tŽ le pouls, dŽsespŽrrent de sa vie : sur quoi il envoya quŽrir le prŽsident de Castille et son confesseur Alliaga et parla longtemps ˆ eux et au duc dÕUcede, qui envoyrent ensuite quŽrir les autres conseillers dՎtat et les prŽsidents des conseils, en prŽsence desquels il signa son testament, puis envoya quŽrir le prince et lÕinfant don Carlos, auxquels il donna sa bŽnŽdiction, pria le prince de se servir de ses vieux serviteurs entre lesquels il lui recommanda le duc dÕUcede, son confesseur, et don Bernabe de Vinanco, puis fit entrer lÕinfante Marie et lÕinfant cardinal, ˆ qui il donna aussi sa bŽnŽdiction. Madame la princesse nÕy put venir pour un Žvanouissement quÕelle eut comme elle entrait chez le roi. Il partagea ensuite ses reliques, puis se communia.

Le mardi 30me ˆ deux heures du matin on donna lÕextrme onction au roi, et fit recommander son ‰me. Il signa ensuite grande quantitŽ de papiers. Sur le midi il fit mettre contre son lit le corps de Saint-Isidre et voua de lui faire b‰tir une chapelle. Il envoya quŽrir le cardinal duc de Lerma ˆ Valladolid. Le conseil dՎtat se tint deux fois ce jour-lˆ. Sur le soir son mal redoubla avec violence et il languit toute la nuit.

Le mercredi 31me et dernier jour de mars, sur les neuf heures du matin, il rendit lՉme. On lÕenvoya signifier sur le midi aux ambassadeurs, et donner aussi permission dÕenvoyer ˆ cinq heures du soir des courriers pour en donner avis ˆ nos ma”tres.

La reine sentit ce jour lˆ bouger son enfant. Elle sÕen alla avec lÕinfante Marie et le cardinal aux Descalsas loger, et le nouveau roi partit dans un carrosse fermŽ pour aller ˆ Saint-Geronimo. Il rencontra par les chemins le corps de Notre-Seigneur que lÕon portait ˆ un malade, et selon la coutume ancienne de ceux dÕAutriche, il voulut descendre pour lÕaccompagner. Le comte dÕOlivares lui dit : Ē Advierta V. M.d que anda tapado Č, auquel il rŽpondit : Ē No ai que taparse delante de Dios Č [Ē Il n'y a pas ˆ se couvrir le visage en face de Dieu. Č], et descendit lÕaccompagner ; ce qui fut pris ˆ Madrid ˆ trs bonne augure.

Le nouveau roi envoya ce mme jour chasser du conseil real les oydores [auditeurs] Tapia et Benal, mal famŽs.

 

Avril. Ń Le jeudi premier jour dÕavril on mit le corps du roi dans la salle du palais, la face dŽcouverte, o tous les ambassadeurs lui vinrent jeter de lÕeau bŽnite.

Ce jour-lˆ le secrŽtaire Contreras vint dire au jeune roi que le duc de Lerma sÕacheminait pour venir ˆ Madrid selon lÕordre quÕil en avait eu du roi son pre, dont le roi se f‰cha, et envoya don Alonso Cabrera pour le faire retourner ˆ Valladolid, et lÕalcade don Louis Paredes pour le mener prisonnier en un ch‰teau, en cas quÕil en f”t refus. On chassa aussi le secrŽtaire de camera, nommŽ Tomas dÕAngudo, et on mit ses papiers s mains du secrŽtaire Contreras. On ™ta aussi ˆ don Jouan de Seria les papiers des consultes que lÕon donna ˆ Antonio Darostichi. Le roi dŽclara gentilshommes de sa chambre ceux qui avaient servi le roi son pre en cette qualitŽ, remettant nŽanmoins de les faire servir ˆ un autre temps. Il ™ta le plat [la table] au patriarche des Indes et ˆ don Bernabe de Vinanco.

Le vendredi 2me on donna la charge de camerera major de la reine ˆ la duchesse de Gandia que monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi all‰mes aussit™t voir et saluer. Elle alla baiser la main au roi pour cette merced ˆ cinq heures du soir, conduite par le comte de Benavente et accompagnŽe dÕautres grands et seigneurs et de dames aussi.

Environ cette mme heure on tira du palais le corps du feu roi pour le mener ˆ lÕEscurial au tombeau de ses pres. Je fus le voir passer sur la Puente Segoviana avec quasi tous les grands de Madrid et les dames. Ce fut un assez chŽtif convoi ˆ mon avis pour un si grand roi. Il y avait quelque cent ou six-vingt moines jeronimistes avec leurs surplis, montŽs sur de belles mules, qui allaient deux ˆ deux suivant le premier qui portait la croix, puis quelque trente gardes menŽs par les marquis de Pobar et de Falsas : puis suivait la maison du roi, les ma”tres dÕh™tel les derniers avant le duc de lÕInfantado, grand ma”tre, qui marchait devant le corps qui Žtait portŽ sur un brancard par deux mules couvertes comme le brancard de drap dÕor jusques aux sangles seulement : aprs cela marchaient les gentilshommes de la chambre et quelque vingt archers de la garde bourguignonne qui marchaient les derniers. Ils allrent coucher ˆ Pinto, et le lendemain arrivrent ˆ lÕEscurial dÕassez bonne heure pour lui faire dire un service, et puis la compagnie sÕen retourna.

Le duc dÕOssune Žtait sur le pont comme les autres, ˆ voir passer le corps du roi, et sՎtant arrtŽ contre un carrosse o Žtaient des gentilshommes qui Žtaient venus en Espagne avec moi, il leur demanda sÕils ne savaient point quand jÕaurais audience. Mr de Rotelin et Mr le marquis de Bussy dÕAmboise lui rŽpondirent que lÕon mÕavait fait dire que ce serait pour le dimanche prochain. Il leur dit : Ē Je mÕen rŽjouis ; car jÕai assurance dÕavoir la premire aprs, en laquelle je veux dire au roi quÕil y a maintenant trois grands princes qui gouvernent le monde, dont lÕun a seize ans, lÕautre dix-sept, et lÕautre dix-huit, qui sont lui, le Grand Turc, et le roi de France, et que celui dÕeux trois qui aura la meilleure ŽpŽe et sera le plus brave, doit tre mon ma”tre. Č Ces paroles-lˆ qui furent redites par un qui Žtait en son carrosse, que lÕon avait commis pour Žpier ses discours et ses actions, avec sa vie prŽcŽdente, et une lettre quÕil Žcrivit au duc de Lerma, furent cause de le faire mettre en la prison o il a fini ses jours.

Ce mme soir le roi donna la charge dÕaposentador major ˆ don Louis Vanegas, vacante par la mort de son pre.

Le samedi 3me le roi donna une commanderie, vacante par la mort du comte de Salasar, au comte de Cabrilla, et le titre de comte de Anober ˆ don Rodrigo Lasso neveu de celui qui Žtait mort en Flandres peu de jours auparavant.

Monsieur lÕambassadeur et moi fžmes voir don Baltasar de Suniga qui gouvernait les affaires depuis ce nouveau rgne.

Le dimanche 4me on mÕamena vingt carrosses dans lesquels nous nous m”mes monsieur lÕambassadeur et moi et toute notre suite, conduits seulement par le comte de Baraxas ˆ cause que ce nՎtait point une audience solennelle, mais privŽe, dans Saint-Geronimo o le roi Žtait retirŽ et mÕy admettait par gr‰ce et pour honorer le roi son beau-frre et lui montrer la promptitude avec laquelle il me voulait dŽpcher. Nous portions tous le deuil ˆ lÕespagnole avec la lova, la caperutza et le capirote, ce que je fis pour deux raisons : lÕune, parce que tous les grands de lÕaudience et le roi-mme la portant, jÕeusse ŽtŽ dŽcouvert, et eux non, ce qui ne mÕežt ŽtŽ biensŽant ; lÕautre, que jÕen Žtais ˆ cause de cela trs agrŽable aux Espagnols, et que je tŽmoignais porter le grand deuil de la mort du feu roi, ce qui nÕežt pas paru ainsi, si jÕeusse ŽtŽ habillŽ ˆ notre mode. Je fis donc la rŽvŽrence au roi et lui fis le pesame, qui est le tŽmoignage du dŽplaisir de la mort du roi son pre, puis lui donn‰mes le parabien, qui est la conjouissance de son heureux avnement ˆ ses couronnes ; ce nous lui d”mes aussi par prŽcaution de la part du roi en attendant quÕil envoy‰t faire ce compliment par quelque prince ou grand seigneur exprs : puis ensuite je lui parlai de nos affaires ; ˆ toutes lesquelles choses il me rŽpondit fort pertinemment. Aprs cela jÕallai faire la rŽvŽrence au prince don Carlos qui Žtait prs de lui, et puis me retirai. JÕallai de lˆ rendre mes visites au duc de lÕInfantado et au duc dÕOssune.

Le lundi 5me jÕeus ma premire audience de la reine. Puis jÕallai faire la rŽvŽrence ˆ lÕinfante Marie et ˆ lÕinfant cardinal. Finalement je fus voir lÕinfante descalse, grand tante du roi.

Ce mme jour le conseil dՃtat sÕassembla sur le sujet de mon expŽdition, et don Baltasar eut charge de mÕen parler ; et ˆ cette raison il mՎcrivit, me priant de venir le lendemain ou•r messe ˆ Saint-Geronimo, et quÕaprs, si je voulais, nous nous promnerions une heure dans les clo”tres : ce que je mandai ˆ monsieur lÕambassadeur ordinaire qui me vint trouver le lendemain matin mardi 6me, et aprs la messe je trouvai dans les clo”tres don Baltasar qui nous y attendait. Il me dit quÕil me priait de lÕexcuser sÕil ne continuait dՐtre un des commissaires pour traiter avec moi ; que la charge gŽnŽrale des affaires dÕEspagne, quÕil avait lors, lÕen dispensait lŽgitimement, principalement en cette saison o il en Žtait accablŽ ; mais quÕil me servirait mieux et ˆ mon expŽdition que sÕil Žtait mon commissaire, et quÕil mÕen donnait cette foi et parole dÕancien ami que nous Žtions ensemble de si longue main. Il me dit de plus que le comte de Benavente Žtait oncle du duc de Feria et par consŽquent portŽ ˆ la manutention de la Valteline par les intŽrts de son neveu, ce qui le mettait en peine, et quÕil tramait de nous lՙter pour commissaire et nous en donner un autre qui nous fut agrŽable ; et sur cela mÕen nomma trois ou quatre dont il me laissa le choix pour me tŽmoigner comme il voulait, me disait il, lÕaccomplissement de notre Ļuvre et non la destruction. Je lui rendis mille gr‰ces de sa bonne volontŽ et puis lui dis que puisquÕil mÕoffrait si franchement son assistance et son aide, que je lui demandais encore son conseil, et quÕil chois”t pour commissaire celui quÕil penserait nous tre plus propre. Il me dit que puisque je me fiais en lui, quÕil ne tromperait point ma franchise ni ma confidence, et quÕil me conseillait de me contenter des deux qui me restaient, assavoir le rŽgent Caimo et don Jouan de Seria, qui Žtaient bonnes gens, faciles, et dŽpendants de lui, desquels il mÕassurait ; quÕil me priait aussi que de mon c™tŽ jÕapportasse lÕesprit de paix et dÕaccommodement, comme je voyais que du leur ils Žtaient bien intentionnŽs, ce que je lui promis. Il me dit ensuite quՎtant si avancŽs dans la semaine sainte, il nÕy avait aucune apparence de sÕassembler devant P‰ques, mais quÕincontinent aprs nous nŽgocierions sans intermission : ˆ quoi je fus contraint dÕacquiescer, ne pouvant faire autrement.

Je fus lÕaprs-d”ner rendre mes visites ˆ quelques grands et ˆ des ambassadeurs.

Le mercredi 7me dÕavril le conseil dՃtat se tint du matin, auquel assistrent le comte de Benavente, don Augustin Messia et don Baltasar de Suniga ; et puis sur le midi don Augustin Messia entra au logis du duc dÕUcede pour le voir, et t™t aprs le marquis de Pobar y arriva avec quarante archers de la garde, qui le firent prisonnier de par le roi, et lÕayant mis en un carrosse lÕemmenrent en une maison fossoyŽe, qui appartient au comte de Baraxas proche de Madrid, nommŽe lÕAlameda, et lui laissrent ces archers avec don Carlos Coloma pour le garder Žtroitement.

Aprs d”ner je fus en une maison de la Calle Major, que lÕon mÕavait prŽparŽe pour voir passer la procession de las Cruces, qui est certes trs belle. Il y avait plus de cinq cents pŽnitents qui tra”naient de grosses croix, pieds nus, ˆ la ressemblance de celle de Notre Seigneur, et de vingt en vingt croix il y avait sur des thމtres portatifs les reprŽsentations diverses, au naturel, de la passion. Nous les regardions dÕun balcon o il y avait deux chaises pour monsieur lÕambassadeur ordinaire et pour moi : et parce que lÕambassadeur de Lucques, le prince dÕEboli, et le comte de Chateauvillain Žtaient venus avec nous, je ne me voulus mettre en ces chaires pour les laisser debout, et dis ˆ monsieur lÕambassadeur ordinaire quÕil reprŽsent‰t nos deux personnes, et que pour moi, je mÕirais mettre avec des femmes qui Žtaient assises bas au bout du balcon, et leur vins demander place parmi elles et un petit tabouret ˆ mÕy asseoir. Elles Žtaient fort honntes femmes et qui tinrent ˆ honneur de mÕavoir parmi elles : et la fortune voulut que je me rencontrai auprs de dona Anna de Sanasare que jÕavais vue ˆ Naples vingt et cinq ans auparavant, et nous Žtions bien aimŽs. Elle jugeait bien encore quÕelle mÕavait vu quelque part, mais ne pouvait sÕimaginer o : moi aussi avais bien quelque reconnaissance incertaine de son visage, mais nous Žtions tous deux tellement changŽs quÕil Žtait bien difficile de nous reconna”tre. Enfin nous nous connžmes avec grande joie de lÕun et de lÕautre ; et elle depuis mÕenvoya divers prŽsents et me reut plusieurs fois chez elle avec collations et compagnies. Elle avait ŽpousŽ un fort riche homme secrŽtaire du conseil de hacienda [des finances], auquel elle avait apportŽ cent mille Žcus en mariage.

Le jeudi 8me on fit le comte dÕOgnion ma”tre dÕh™tel du roi pour servir ˆ lÕinfante descalse.

On mit en prison les deux secrŽtaires du duc dÕOssune et son trŽsorier.

On fit lÕaprs-d”ner la grande procession des pŽnitents, o il y eut plus de deux mille hommes qui se fouettrent. JÕou•s tŽnbres ˆ Nuestra Senora de Constantinopoli : puis toute la nuit se passa ˆ visiter les Žglises pour voir los monumentos de Nuestro Senor. JÕapprouvai fort quÕavec les cloches qui cessent, les carrosses cessent dÕaller par la ville : on ne va plus ˆ cheval, ni les dames en chaises : on ne porte plus dՎpŽe, et aucun ne sÕaccompagne de sa livrŽe : toutes les femmes vont couvertes, et pas plus que deux ˆ deux. Il se fait aussi cette nuit-lˆ beaucoup de dŽsordres par la ville que je nÕapprouve pas.

Le vendredi-saint, 9me, les pŽnitents continurent dÕaller par la ville.

On chassa ce jour lˆ un rŽgent du conseil dÕItalie, nommŽ Quintana Duena marques de la Floresta, dudit conseil, pour quelques paroles peu respectueuses quÕil avait dites au comte de Benavente prŽsident dudit conseil.

Le samedi Saint-je fis mes p‰ques.

On donna avis au roi que quelques gens sans emploi voulaient sauver le duc dÕOssune, ce qui fut cause que lÕon redoubla ses gardes et que lÕon mit prisonniers plus de deux cents hommes ˆ Madrid qui Žtaient sans condition autre que de valentones [bravaches].

Le dimanche 11me, jour de P‰ques, le roi envoya offrir au duc de lÕInfantado la charge de cavallerisso major ; mais parce que le roi lÕavait ™tŽe au comte de Saldaigne son beau-fils, il la refusa.

Le lundi 12me je fus aux Descalsas, o la reine sՎtait retirŽe depuis la mort du roi son beau-pre : je lui donnai les bonnes ftes. Elle me dit ensuite que les dames du palais dŽsiraient fort de me parler, et que je devrais, pour leur satisfaire, demander lougar. Je lui rŽpondis que sÕil me fallait parler ˆ elles une ˆ une, que jÕy emploierais plus de temps quՈ faire le traitŽ que jÕavais entrepris, et que je lui demandais en gr‰ce de les pouvoir entretenir en foule, et que je t‰cherais de mÕen bien dŽmler. Elle me rŽpondit que ce nՎtait pas la forme, ˆ quoi je lui rŽpliquai que Leurs MajestŽs, quand ils accordaient des gr‰ces, cՎtait contre les formes, et quÕaux choses selon les formes on nÕa que faire des gr‰ces du roi ni dÕelle. Elle se sourit et me dit quÕelle me la voudrait bien faire, mais quÕelle nÕoserait sans en parler au roi, ce quÕelle ferait et mÕen rendrait rŽponse.

On dŽclara au comte de Saldaigne quÕil nՎtait plus cavallerisso major, et que le roi lui commandait dÕaller servir en Flandres o il lui serait donnŽ cinq cents Žcus par mois dÕentretenement, comme sÕil Žtait grand dÕEspagne. Le roi fit couvrir comme tel ce jour-lˆ le comte dÕOlivares et lui donna pour les fils a”nŽs de sa maison le titre de comte de Castillejo.

Ce jour-lˆ nous nous assembl‰mes pour nos affaires, le rŽgent Caimo, don Jouan de Seria, lÕarchevque de Pise, monsieur lÕambassadeur ordinaire, et moi, en mon logis, o nous ne trait‰mes que les choses gŽnŽrales.

Je fus le soir chez dona Maria de Pena-Teran.

Le mardi 13me on tint conseil dՃtat, et moi je continuai de rendre mes visites.

Le mercredi 14me une dame du palais, nommŽe dona Mariana de Cordua, prŽsenta au roi une promesse de mariage que le comte de Saldaigne lui avait faite, et le roi commanda audit comte de se prŽparer pour lÕaccomplir, ce que ledit comte promit de faire au premier jour aprs lÕoctave ; et le duc de lÕInfantado son beau-pre qui jusques alors avait refusŽ la charge de cavallerisso major, lÕaccepta.

Le patriarche des Indes prta le serment pour ses charges qui lui furent continuŽes. On donna au marquis de Renty celle de capitaine de la garde allemande, et on continua au marquis de Pobar celle de la garde espagnole.

Je continuai mes visites.

Le jeudi 15me le roi dŽclara que suivant la clause du testament du feu roi (par laquelle il rŽvoquait les dons immenses quÕil avait faits), il ™tait au duc de Lerma quatorze cents mille Žcus dont son pre lui avait fait don sur los tratos de Cicilia. Ainsi ce pauvre seigneur qui avait si bien gouvernŽ lÕEspagne par un si long temps et possŽdŽ avec raison une trs longue faveur, se vit sur la fin de ses jours, en une seule heure, privŽ de tous ses biens qui furent pour cette somme en mme temps saisis par les officiers du roi.

Le vendredi 16me je reus une dŽpche du roi, par laquelle il me commettait la charge de condolŽance sur la mort du feu roi ˆ celui lors rŽgnant. JÕen donnai en mme temps avis au conseil dՃtat par un mŽmorial que jÕenvoyai ˆ don Baltasar de Suniga ; lequel conseil dŽsira que je tinsse cela secret jusques aprs lÕexpŽdition de lÕaffaire qui mÕamenait et quÕensuite je prendrais congŽ du roi, mme je mÕen irais jusques ˆ Burgos pour mÕen retourner, et ensuite que jÕenverrais un courrier pour dire quÕayant eu nouvelle commission du roi, je mÕen revenais faire cette condolŽance.

Le samedi 17me nous nous assembl‰mes avec nos commissaires pour avancer notre affaire et y vis quelque jour, dont je donnai avis au roi le jour mme par courrier exprs. Et parce que notre reine mÕavait pressamment recommandŽ tout ce qui concernerait le duc de Lerma, et que la comtesse de Lemos, sa sĻur, et ses autres amis Žtaient au dŽsespoir du mariage du comte de Saldaigne et me priaient dÕaider ˆ le rompre par tous les moyens que je pourrais inventer, je le fus trouver ˆ Saint-Geronimo o il avait une chambre et feignait dՐtre malade, et moi de lui rendre sa visite ; et aprs les rŽciproques compliments je lui dis que je ne savais si je lui devais donner le parabien ou le pesame de son futur mariage parce quÕencore que ce lui en fžt un grand contentement, nŽanmoins quÕun galant de la cour comme lui nՎtait pas sans dŽplaisir de quitter une si douce vie quÕil menait prŽcŽdemment pour en prendre une retirŽe, pleine de peine et de soucis, comme Žtait celle du mariage. Il me rŽpondit quÕil fallait obŽir au ma”tre qui commandait dÕaccomplir ce que lÕon avait promis ˆ la ma”tresse ; que cՎtait vŽritablement une dure condition quÕil mettait sur ses Žpaules, mais que le mal Žtait lors sans remde. Il me sembla par son discours que le b‰t lui blessait et quÕil ežt bien voulu trouver du soulagement ; ce qui mÕobligea de lui dire quÕil y avait plus de remdes quÕil ne pensait, sÕil avait envie de guŽrir, et que lÕordre exprs que jÕavais de la reine infante dÕassister en ce que je pourrais monsieur le duc cardinal son pre, comme sa propre personne, mÕobligeait dans le sensible dŽplaisir que lui et toute sa maison avait de son forcŽ mariage, de lui offrir en cette occasion mon aide et assistance pour lÕen tirer sÕil le dŽsirait. Il me rŽpondit lors : Ē Et quel aide et assistance me pouvez-vous apporter, puisque moi-mme ni mes parents nÕen sont pas capables ? Č Alors je lui dis que sÕil me voulait croire et se fier en moi, je le tirerais de cette peine avec son honneur et gloire ; que le duc dÕAlve grand pre de celui-ci avait mieux aimŽ encourir le crime de rŽbellion, tirant son fils don Fadrique de Toledo, en pleine paix, ˆ coups de pŽtard dÕun ch‰teau o on lÕavait mis pour le forcer dՎpouser contre sa volontŽ une fille du palais qui vit encore et est la vieille marquise del Valle, que de le laisser marier ˆ une trs riche fille et dՎgale maison ˆ la sienne ; et que moi-mme avais plaidŽ huit annŽes contre une grande maison qui me menaait dÕune mort infaillible en cas que je nՎpousasse une fille de la reine ˆ qui jÕavais fait un enfant et une promesse pour lui servir de couverture ; quÕen cas que son honneur et celui de sa maison lui fussent aussi chers que je le croyais, quÕil devait sans regret quitter pour un temps la cour dÕEspagne en laquelle il Žtait dŽfavorisŽ, lui ayant ŽtŽ ™tŽe la charge de cavallerisso major, et ses parents et amis discrŽditŽs et persŽcutŽs ; que le remde que je lui offrais Žtait de partir ˆ lÕentrŽe de la nuit en poste, et sÕen aller mÕattendre ˆ Bayonne o je le suivrais dans un mois au plus tard ; que Mr le comte de Gramont le divertirait en attendant de telle sorte que ce sŽjour ne lui serait point dŽsagrŽable ; que sÕil nÕavait pour le prŽsent lÕargent pour y porter, quÕil lui Žtait nŽcessaire, que je lui fournirais mille pistoles pour son dŽfrai jusques ˆ mon arrivŽe, et que je lui rŽpondais quÕen arrivant ˆ la cour de France, la reine lui ferait donner, jusques ˆ ce que, par son moyen, sa paix fut faite par deˆ, mille Žcus par mois ; et quÕen cas quÕelle ne le f”t, je le ferais du mien, et lui en donnais parole de cavallero. Il me rendit infinies gr‰ces tant pour la reine que pour moi, puis me dit : Ē Quel moyen de sortir dÕEspagne sans tre retenu ? Et si je lՎtais, on me ferait trancher la tte infailliblement. Č Je lui repartis que je ne proposais jamais ˆ ceux que je voulais servir des choses impossibles, et que je prenais sur moi sa sortie, sa conduite et sa conservation ; que lÕon mÕavait donnŽ un passeport pour un gentilhomme que je dŽpchais le jour mme au roi, qui courait ˆ trois chevaux ; quÕil lui servirait de valet jusques ˆ Bayonne, encore que ce gentilhomme džt tre le sien, par les chemins ; quÕil ne partirait quՈ une heure de nuit en laquelle il fallait quÕil se rend”t chez moi sans quÕil fžt aperu, et quÕil me laiss‰t le soin du reste. Il me dit quÕil se rŽsoudrait ˆ cela et mÕen aurait toute sa vie une sensible obligation ; quÕil voulait parler seulement auparavant ˆ deux de ses amis, et quÕil me priait que je tinsse toutes choses prtes ˆ lÕheure que je lui donnais. Je le quittai sur cela et mÕen vins achever ma dŽpche. Je mis mille pistoles en deux bourses et destinai un des miens nommŽ le Manny, mon Žcuyer, pour faire le voyage avec lui, lequel jÕinstruisis de ce quÕil avait ˆ faire. Mais comme lÕheure fut venue, le comte de Saldaigne saigna du nez et mÕenvoya dire quÕil ne pouvait parachever ce que nous avions rŽsolu ensemble, pour des raisons quÕil me dirait ds quÕil aurait le bien de me voir. Je ne sais si ses amis ˆ qui il parla lÕen dŽtournrent, sÕil nÕeut pas la rŽsolution de lÕentreprendre, ou si lÕamour quÕil avait pour cette fille le fit rŽsoudre ˆ lՎpouser.

Je fus voir avant sortir de Saint-Geronimo le comte dÕOlivares et don Baltasar de Suniga auxquels aprs avoir dit le bon acheminement que je voyais en nos affaires, je les priai de moyenner que plusieurs obstacles qui sÕy prŽsentaient encore fussent levŽs, ce quÕils me promirent.

Le roi fit ce mme jour majordomo major de la reine le comte de Benavente, et en dŽpossŽda le duc dÕUcede. Il fit du conseil de guerre le comte de Gondomar, absent, fit don Augustin de Messia gentilhomme de sa chambre, et le soir il fit le comte dÕOlivares sommelier de corps.

Le dimanche 18me lÕambassadeur de lÕempereur me fit festin.

On publia une jonte (ou congrŽgation) qui avait quelques jours auparavant ŽtŽ rŽsolue pour remŽdier aux dŽsordres de la cour et de Madrid, et principalement pour bannir les amancebades [courtisanes]. Les commissaires de cette jonte furent le docteur Villegas gouverneur de lÕarchevchŽ de Tolede, le prieur de lÕEscurial, le marquis de Malpica, le comte de Medellin, don Alonso Cabrera, et le confesseur du roi.

JÕallai ce mme jour voir lÕinfante descalse qui me voyait volontiers ˆ cause que je lui parlais en allemand qui Žtait sa langue maternelle. Je fus de lˆ chez la reine qui y Žtait logŽe, laquelle me dit que le roi trouvait bon que je parlasse aux dames du palais sans demander ni prendre lougar et en foule, et seule ˆ seule, dont je rendis trs humbles gr‰ces au roi, et ˆ elle : et ds le lendemain lundi 19me jÕemployai la permission que jÕen avais et envoyai demander audience ˆ cinq dames du palais qui vinrent ˆ lÕantichambre o on nous donna des siges. Il y avait seulement une vieille duena avec elles. La marquise de Linojosa qui venait ˆ la cour, me trouva en cet Žtat, ce quÕelle trouva fort nouveau et inaccoutumŽ, et se mit de la partie, et fžmes plus de deux heures en conversation, aprs laquelle je fus d”ner chez lÕambassadeur de Venise qui fit ce jour-lˆ festin ˆ tous les ambassadeurs, et puis je mÕen revins chez moi ou mes commissaires se trouvrent pour confŽrer de nos affaires.

Le mardi 20me je fus voir lÕinquisiteur gŽnŽral Alliaga, confesseur du feu roi : puis je vins d”ner chez monsieur lÕambassadeur ordinaire, qui traita ceux qui le jour prŽcŽdent avaient ŽtŽ chez lÕambassadeur de Venise.

Aprs d”ner nous nous assembl‰mes derechef avec nos commissaires, et demeur‰mes presque dÕaccord de toutes choses.

Ce jour-lˆ il fut rŽsolu au conseil dՃtat que la trve de Hollande ne serait plus prolongŽe.

Le marquis de Velada et le comte de Villamediana revinrent de leurs bannissements.

Le mercredi 21me le roi vint dans un carrosse fermŽ le matin aux Descalsas, o se fit le mariage du comte de Saldaigne et de dona Mariana de Cordua. Le roi mena le mariŽ, et la reine la mariŽe, ˆ la messe ; et puis les ayant ramenŽs en mme cŽrŽmonie jusques ˆ la porte de lÕantichambre de la reine, o le roi entra, on les mena, mariŽ et mariŽe, sans d”ner, dans un carrosse hors de la ville, desterrados [bannis], et le duc de Pastrana leur ayant prtŽ sa maison de Pastrana ˆ huit lieues de Madrid, pour y demeurer, ils y allrent coucher.

Le jeudi 22me le duc dÕEboli me fit un fort joli festin.

On ™ta ce jour lˆ aux moines de lÕEscurial une terre que le feu roi leur avait donnŽe, nommŽe Campillo, qui vaut dix-huit mille Žcus de rente, et ce en vertu de la clause de son testament par laquelle il rŽvoquait les dons immenses quÕil avait faits durant sa vie.

Le vendredi 23me on envoya dire au confesseur du feu roi, nommŽ Alliaga, que lÕon lui ™tait la charge dÕinquisiteur gŽnŽral, et lÕon le f”t ˆ lÕheure mme monter en une litire pour le ramener au couvent de GoettŽ qui Žtait sa demeure avant quÕil v”nt ˆ la cour ; ce qui lui fut annoncŽ de la part du roi par don Jouan de Villegas gouverneur de lÕarchevchŽ de Tolde.

Le samedi 24me le duc dÕUcede fut relŽguŽ en sa maison. On prit prisonnier son intendant nommŽ don Jouan de Salasar.

Je fus voir ce jour mme le comte dÕOlivares et don Baltasar de Suniga avec lesquels ayant terminŽ toutes les difficultŽs du traitŽ que nous voulions faire, il fut rŽsolu que nous le signerions le lendemain, qui fut le dimanche 25me dÕavril, que le rŽgent Caimo et don Jouan de Seria vinrent le matin chez moi avec les notaires et autres officiers nŽcessaires pour servir de tŽmoins. Mr du Fargis ambassadeur ordinaire du roi sÕy trouva aussi, et tous quatre nous sign‰mes le traitŽ de Madrid qui depuis a tant cožtŽ de part et dÕautre pour le faire, ou effectuer ou rompre. Nous all‰mes t™t aprs, monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi, chez les ambassadeurs leur en donner part et leur en laisser copie. Puis je fus voir sur le soir lÕinfante descalse.

Le lundi 26me jÕeus le matin audience du roi pour le remercier de mon expŽdition. Je lui parlai ensuite des affaires dÕAllemagne, et particulirement lui recommandai de la part du roi lՎlecteur palatin. Finalement je lui parlai amplement de la part de la reine sa sĻur, en faveur et ˆ la recommandation du duc de Monteleon. Il me rŽpondit sur tous les points fort judicieusement, me disant que pour ce qui Žtait de lÕexpŽdition de mes affaires, il avait lui-mme ˆ remercier le roi son beau-frre de la facilitŽ quÕil avait apportŽe sur ce sujet ; que pour les affaires dÕAllemagne Dieu lui Žtait ˆ tŽmoin sÕil nÕen dŽsirait le repos et la tranquillitŽ comme des siennes propres ; quÕil nÕen Žtait pas le chef, mais lÕempereur, ni ses troupes quÕauxiliaires, et quÕil y ferait tous les offices imaginables vers lui pour le porter ˆ une bonne paix de laquelle il savait que lÕempereur son oncle Žtait trs dŽsireux ; que pour le palatin, il nÕavait, ni toute la maison dÕAutriche, aucun sujet de lui bien faire ; nŽanmoins que la recommandation du roi son beau-frre lui serait en trs forte recommandation ; et que finalement pour ce qui Žtait du duc de Monteleon, quÕil tŽmoignerait dans trois jours ˆ la reine sa sĻur comme il estimait et dŽfŽrait ˆ ses prires, principalement quand elles lui Žtaient faites en faveur de personnes si dignes que le duc de Monteleon, et que de cela je pouvais assurer et la reine sa sĻur et ledit duc. Je pris ensuite congŽ de lui pour la forme afin de revenir ensuite faire mon entrŽe ˆ Madrid pour venir faire lÕoffice de condolŽance de la part du roi. JÕallai puis aprs prendre congŽ de la reine.

On ™ta ce jour lˆ lÕoffice ˆ lÕasemilero major.

Le mardi je fis une ample dŽpche au roi, ˆ Mr le contestable de Luynes et ˆ Mr de Puisieux, pour leur rendre compte de toute ma nŽgociation et leur envoyer le traitŽ de Madrid par le sieur de Cominges.

Le mercredi 28me jour dÕavril je partis de Madrid comme pour mÕen retourner en France, et allai coucher ˆ La Torre.

Ce jour lˆ on ™ta lÕoffice de grand Žcuyer de la reine au comte dÕAltamira. On donna celui de lieutenant gŽnŽral de la mer sous le prince Philibert au marquis de Sainte Croix ; celui de gŽnŽral des galres dÕEspagne ˆ don Pedro de Leiva ; celui de gŽnŽral des galres de Naples au duc de Fernandine, fils de don Pedro de Toledo.

Le jeudi 29me je vins d”ner ˆ lÕEscurial o je vis tout cet admirable Ždifice et les choses rares qui y sont.

Ce jour lˆ on fit ˆ Madrid conseillers au conseil dՃtat le duc de Monteleon, don Diego dÕIvarra, le marquis dÕAyetona et le marquis de Montesclaros.

Le vendredi 30me je partis de lÕEscurial, vins d”ner au Pardo, maison de plaisance du roi, et fus coucher ˆ Alcovendas.

Ce jour-lˆ le duc dÕOssune se gourma avec don Louis de Godoy qui avait charge de le garder dans lÕAlameda.

 

Mai. Ń Le samedi premier jour de mai, je fis mon entrŽe en deuil ˆ Madrid pour venir faire lÕambassade de condolŽance. Aprs d”ner jÕallai au Sottillo o tous les cavaliers et dames de Madrid sÕallrent promener.

Le dimanche 2me on haussa le pendon [la bannnire] ˆ Madrid pour reconna”tre le nouveau roi : don Rodrigo de Cardenas le porta.

Le lundi 3me jÕeus ma premire audience pour plaindre la mort du feu roi. Aprs d”ner on fit le service du feu roi en grande cŽrŽmonie ˆ Saint-Geronimo.

Le mardi 4me on fit les honneurs du feu roi au mme Saint-Geronimo o jÕaccompagnai le roi. Le pre Florensia jŽsuite fit son oraison funbre.

Je fus aprs d”ner ˆ lÕaudience chez la reine aux Descalsas.

Comme je sortais de chez le roi le matin aprs lÕavoir ramenŽ en sa chambre, le comte dÕOlivares et don Baltasar de Suniga me vinrent conduire et faire un tour de galerie avec moi. On parla de diverses choses : je leur demandai si le prince Philibert verrait ds ce jour mme Sa MajestŽ, ou sÕil attendrait au lendemain ˆ le voir. Ils me dirent que le prince Philibert Žtait en Sicile, bien ŽloignŽ de pouvoir voir le roi. Je crus quÕils me faisaient les fins ; cÕest pourquoi je mÕopini‰trai ˆ leur dire que si Alcala de Ennares Žtait Sicile, quÕil nÕen Žtait pas plus ŽloignŽ. Cela les Žtonna de sorte quÕils me dirent quÕils ne pensaient pas quÕil y fžt. Alors je leur dis que sÕils voulaient que je lÕignorasse, au nom de Dieu soit ; que si aussi cՎtait eux qui lÕignoraient, je leur en pouvais assurer, et que je le savais de lÕambassadeur de Venise ˆ qui un courrier venait dÕarriver comme nous entrions ˆ Saint-Geronimo, qui lÕavait laissŽ ˆ dix lieues dÕAlcala, qui pensait arriver ce jour-lˆ ˆ Madrid si ses mules lÕy pouvaient porter. Ils me remercirent tous deux de cet avis, et me prirent de trouver bon quÕils disent au roi quÕils le savaient de moi ; ˆ quoi je mÕaccordai. Ils rentrrent ˆ lÕheure mme chez le roi lui dire cette nouvelle, puis envoyrent incontinent assembler le conseil dՃtat auquel il fut rŽsolu que lÕon enverrait en diligence en Alcala de Ennares dire de la part du roi au prince Philibert de Savoie quÕil ne pass‰t pas plus avant sans nouvel ordre, sÕil nÕaimait mieux aller attendre les commandements du roi ˆ Baraxas ; ce quÕil fit et feignit dÕy tre malade pour cacher sa dŽfaveur. Il avait eu ordre de ne bouger dÕItalie. Ces nouveaux favoris qui avaient vu comme du temps du feu roi il avait pris pied sur son esprit, craignaient quÕil nÕen f”t de mme ˆ celui-ci et ne lui voulurent jamais permettre de voir plus de deux fois ce roi.

Le mercredi 5me je commenai ˆ faire mes adieux aux grands et fis une dŽpche au roi.

Le jeudi 6me don Augustin Fiesque, trŽsorier de la cruade, me fit festin et y pria plusieurs seigneurs espagnols.

Le vendredi 7me je continuai de faire mes adieux et allai voir don Pedro de Toledo nouvellement revenu de son bannissement ; puis jÕallai visiter le duc dÕAlve.

Le samedi 8me je fus chez la reine, puis chez lÕinfante descalse. Aprs d”ner je fus voir lÕalmirante de Castille. JÕenvoyai un gentilhomme ˆ Baraxas visiter le prince Philibert de Savoie.

Le roi ce jour mme fit lÕalmirante gentilhomme de sa chambre et fit couvrir grande le marquis de Castel-Rodrigo fils de don Christobal de Mora.

Le dimanche 9me de mai le roi fit son entrŽe solennelle ˆ Madrid. Il me fit prŽparer un balcon ˆ la Puerta Guadalaxara. Il partit de Saint-Geronimo et vint par la Calle Major en son palais. Toutes les rues Žtaient tendues. Devant lui marchaient les attabales, puis les gentilshommes de la bouche, puis les titulados ; aprs marchaient les massiers, puis les quatre majordomes, ensuite les grands, puis le duc de lÕInfantado, cavallerisso major, tte nue, portant lՎpŽe nue devant le roi qui venait aprs sous un dais ˆ trente deux b‰tons portŽs par les trente deux regidores de Madrid, habillŽs de toile dÕargent blanche et incarnate ; puis suivait le coregidor, et les Žcuyers du roi Žtaient ˆ lÕentour de lui ; puis suivaient les capitaines des gardes, et ceux du conseil dՃtat, et ceux de la chambre.

Le lundi 10me je fus voir don Baltasar de Suniga pour avoir ma dŽpche, qui me remit au mercredi suivant.

Le mardi 11me je continuai de faire mes adieux. Je fus le soir au logis de Marte Caudado o je fis jouer une comŽdie en particulier avec peu de seigneurs espagnols que jÕy priai.

Le mercredi 12me jÕeus ma dernire audience du roi qui me donna de sa main ma dŽpche au roi, et ˆ la reine sa sĻur. Je pris ensuite congŽ du prince don Carlos ; de lˆ jÕallai dire adieu au comte dÕOlivares et ˆ don Baltasar de Suniga.

Aprs d”ner les exŽcuteurs du testament du roi me mirent en main un grand reliquaire qui pouvait valoir cinq cents mille Žcus, fort garni de belles reliques, et me chargrent de le porter ˆ la reine, que le roi son pre lui avait laissŽ en testament. Je fus ensuite prendre congŽ de la reine, de lÕinfante Marie et de lÕinfant-cardinal.

Le jeudi 13me je fus prendre congŽ de lÕinfante descalse ; puis je fus dire adieu au comte de Benavente, au duc de lÕInfantado et autres grands.

Le vendredi 14me jÕachevai mes adieux et fus le soir avec quelques seigneurs faire jouer une comŽdie chez les comŽdiens mmes.

Le samedi 15me je reus un prŽsent du roi par la main de Jouan de Seria, qui Žtait une enseigne de diamants de six mille Žcus. La comtesse de Baraxas mÕenvoya ensuite un fort beau prŽsent de parfums ; je lui envoyai aussi le sien qui Žtait une cha”ne de diamants de quinze cents Žcus. Aprs d”ner le roi mÕenvoya encore donner un fort beau cheval de son haras. Puis ayant dit adieu ˆ la comtesse de Baraxas et ˆ force dames qui lՎtaient venue voir exprs, je partis de Madrid, le roi me faisant accompagner en sortant comme il avait fait ˆ lÕentrŽe : puis je vins coucher ˆ Alcovendas avec monsieur lÕambassadeur ordinaire, Mr le prince dÕEboli, le comte de Chateauvillain et quelques Espagnols parents du comte de Baraxas, desquels je me dŽpchai le lendemain dimanche 16me, et vins d”ner ˆ Cabanillos et coucher ˆ Buitrago ; le lundi 17me d”ner ˆ Serisco de Vaxo et coucher ˆ Mirubio, le mardi d”ner ˆ Gumuel dÕIsans et coucher ˆ Lerme ; le mercredi ˆ Bourgos ; jeudi d”ner ˆ Birviesca et coucher ˆ Pancorbo ; le vendredi ˆ Vittoria ; le samedi d”ner ˆ Galarette, et coucher ˆ Villafranca ; le dimanche 23me d”ner ˆ la venta de Marie Beltram et coucher chez mon ami don Jouan dÕArbelais correro major de Guypuscua.

Le lundi 24me je d”nai encore chez Arbelais et passai ˆ Saint-Jean de Luz et vins coucher ˆ Bayonne. Le comte de Gramont y arriva en mme temps que moi.

Le mardi 25me je demeurai ˆ Bayonne pour y attendre Mr dÕEpernon qui y arriva le matin. Nous all‰mes aprs d”ner voir la grotte dÕAmour et pcher.

Le mercredi 26me je fus coucher ˆ Saint-Vincent ; le jeudi ˆ la Harie ; et le vendredi 28me ˆ Bordeaux o je fus voir Mr du Maine, et madame dÕOnane nouvellement revenue dÕItalie. Il me donna le lendemain ˆ d”ner, et le dimanche 30me jÕallai d”ner ˆ Blaye et coucher ˆ Mortaigne ; le jour dÕaprs ˆ Saintes, dÕo jÕen partis le mardi premier jour de juin et vins vers Saint-Jean dÕAngeli o je trouvai lÕarmŽe qui allait faire les approches. Je mÕy en allai et au retour je vins trouver en un ch‰teau nommŽ les ƒglises......, qui me reut fort bien.

Le mercredi 2me je vins loger ˆ Saint-Julien proche de Saint-Jean, o nous assist‰mes aux funŽrailles du comte de Maurevert ma”tre de camp de Champagne, tuŽ le jour de devant.

Le jeudi 3me le roi vint aussi loger ˆ Saint-Julien et aprs avoir tenu conseil, ordonna du sige et des charges de son armŽe. Il fit faire deux attaques, lÕune par les gardes auxquelles les marŽchaux de Brissac et de Pralain commandrent et sous eux Mrs de CrŽquy, de Saint-Luc, et moi pour marŽchaux de camp : celle de Picardie fut commandŽe par le marŽchal de Chaunes que le roi avait fait duc et pair ˆ son partement de Paris, et sous lui par Mrs de Termes et de la Rochefoucaut marŽchaux de camp.

Nous entr‰mes dans le fossŽ de notre c™tŽ le 21me de juin, et y f”mes quatre traverses : cela se fit au jour que je commandais. Mr de la Valette et le comte de Paluau furent blessŽs, et CarboniŽ tuŽ avec Favoles et Des Herables et Du Roc : celui-ci Žtait ˆ Mr de Saint-Luc, et le prŽcŽdent ˆ moi, tous deux braves hommes ; Favoles Žtait mon aide de camp.

Le 23me on traita et la capitulation fut signŽe ; et le 24me, jour de Saint-Jean, Mr de Soubise sortit de la place : Mr dÕEpernon et moi y entr‰mes avec les gardes du roi, franaises et suisses ; puis jÕen sortis pour aller accompagner les ennemis en sortant, ˆ une lieue de la ville jusques en lieu de sžretŽ.

Le 26me le roi partit de Saint-Julien, et sÕen alla ˆ Cognac.

Durant ce sige Mr le cardinal de Guise mourut du pourpre ˆ Saintes o il sՎtait fait porter.

Nous demeur‰mes trois jours ˆ Cognac, et puis le roi mÕenvoya ˆ Paris pour ratifier avec monsieur le chancelier qui y Žtait demeurŽ, plusieurs traitŽs et accords que jÕavais passŽs en Espagne ; ce que nous f”mes avec Mr le marquis de Mirabel qui avait reu une procuration particulire sur ce sujet. Mr de CrŽquy et moi rev”nmes ensemble et demeur‰mes, moi vingt sept jours ˆ Paris, et lui bien davantage ˆ cause dÕune blessure bien grande ˆ la tte, dÕune chute quÕil fit chez madame la comtesse de Rochefort.

Il ne se peut dire comme je passai bien mon temps en ce voyage : chacun nous festinait ˆ son tour : les dames sÕassemblaient, ou se rendaient aux Tuileries. Il y avait peu de galants dans Paris : jÕy Žtais en grand estime, et amoureux en divers lieux. JÕavais rapportŽ pour vingt mille Žcus de raretŽs dÕEspagne, que je distribuai aux dames, qui me faisaient une chre excellente.

Enfin monsieur le connŽtable ˆ qui quelques gens de moindre Žtoffe que nous, comme Marillac, Zamet et autres qui se voulaient avancer, avaient persuadŽ que ce nՎtait pas son bien que des gens si qualifiŽs que Mrs de CrŽquy, Saint-Luc, Termes, et moi, fussions marŽchaux de camp ; que nous Žtouffions sa gloire et celle de ses frres, quÕil voulait avancer par les armes ; et que lÕon ne parlait que de nous, et point du tout de lui, ni dÕeux ; cՎtait pourquoi il devait nous donner des commissions ˆ lՎcart et introduire en notre absence des marŽchaux de camp de moindre mŽrite qui seraient ses crŽatures et de ses frres, qui contribueraient leurs soins et leurs peines ˆ leur honneur et ˆ leur gloire ; monsieur le connŽtable se laissa aisŽment persuader ˆ une chose qui Žtait si Žvidente, et pour cet effet il fit donner la lieutenance-gŽnŽrale de la mer ˆ Mr de Saint-Luc et lÕenvoya ˆ Brouage aprs le sige de Saint-Jean pour prŽparer les armements nŽcessaires pour rendre le roi puissant sur mer : il me commanda dÕaller ˆ Paris ratifier les contrats susdits dÕEspagne et mÕadjoignit commissaire pour les signer pour le roi avec monsieur le chancelier : Mr de CrŽquy avait eu une mousquetade ˆ la joue, de laquelle il nՎtait encore bien guŽri, qui se laissa facilement persuader dÕaller ˆ Paris, outre quÕil y avait quelques affaires. Monsieur le connŽtable nous dit quÕil croyait faire la paix ˆ Bergerac ; que les huguenots en faisaient rechercher le roi qui y condescendrait volontiers, et que Dieu aidant, le roi et lui nous suivraient de prs ; quÕen tout cas il nous avertirait promptement quand il serait temps de se rendre ˆ lÕarmŽe.

Il me donna mme quelques particulires commissions pour prendre garde ˆ une union dont on lÕavait mis en alarme entre madame la Princesse, madame la Comtesse, et madame de Guise. Il croyait que Mr le Prince, et Mr de Guise et Mr le Grand nՎtaient pas fort contents de lui ; le premier pour nÕavoir plus le commandement de lÕarmŽe du roi ; les deux autres pour avoir ŽtŽ faits du conseil Žtroit du roi et puis on leur avait dit que pour quelques considŽrations ils nÕy entrassent pas. Il me tŽmoigna une grande confiance fondŽe sur le dessein quÕil avait de me faire Žpouser sa nice de Combalet, ainsi que lui avaient assurŽ Mr le Prince et Mr de Guise comme il a ŽtŽ dit ci-dessus ; et ayant vu depuis comme jÕavais dignement servi en Espagne et que jÕavais bien fait ˆ ce dernier sige de Saint-Jean, il se rŽchauffa en ce dessein et mÕen fit parler par Rouccelai qui eut charge de savoir de moi ce que je dŽsirerais pour mon avancement et pour ma fortune, ce mariage se faisant : car il sÕimaginait que je lui demanderais des offices de couronne, dignitŽs et gouvernements, et que je me ferais acheter. Mais moi je rŽpondis ˆ Rouccelai que lÕhonneur dÕentrer en lÕalliance de monsieur le connŽtable mՎtait si cher quÕil mÕoffenserait de me donner autre chose que sa nice avec sa robe ; que je ne lui demandais que cela et ne refuserais point ensuite les bienfaits dont il me jugerait digne lorsque je serais son neveu. Il fut ravi de ma franchise et me fit dire quÕil me mettrait dans la parfaite confidence du roi qui avait trs forte inclination pour moi, de laquelle ˆ lÕavenir il nÕaurait plus de jalousie comme il en avait pris lÕannŽe prŽcŽdente.

Il nous dit ensuite que, ou il nous Žcrirait quand il serait temps de le venir trouver, ou quÕEsplan nous le manderait de sa part, auquel de plus il donna charge de nous mander tout ce qui se passerait. Ainsi nous part”mes fort satisfaits de lui, qui aussit™t dit au roi quÕil Žtait nŽcessaire quÕil f”t de nouveaux marŽchaux de camp en son armŽe ; que nous Žtions trs propres et capables de ces charges-lˆ, mais que nous nՎtions pas personnes ˆ tenir pied ˆ boule [tenir ferme] ni pour y rendre lÕassiduitŽ nŽcessaire. Pour cet effet il lui nomma Zamet, Marillac, Constenant et Saint-Jus, le seul Termes Žtant demeurŽ, qui fut tuŽ aux approches de Clairac.

Sige de Montauban

Nous Žtions cependant ˆ passer notre temps ˆ Paris, et Esplan nous mandait de la part de monsieur le connŽtable, de temps en temps, que rien ne nous obligeait de partir, et quÕil nous manderait quand il serait temps. Ainsi se passa le sige de Clairac et le roi sÕacheminait vers Montauban quand la reine mre qui Žtait revenue ˆ Tours, pour nous animer contre le connŽtable, envoya par Mr de Sardini une lettre quÕil lui avait Žcrite, lui demandant Marillac comme le seul homme capable de rŽduire Montauban et la suppliant de lÕenvoyer au roi pour ne point retarder ses conqutes par son absence : il nous donna cette lettre chez madame la Princesse devant quantitŽ dÕhommes et de femmes. Cela dŽpita Mr de CrŽquy, mais mÕanima ˆ retourner ˆ lÕarmŽe sans attendre lÕordre de monsieur le connŽtable, quÕil nous avait promis, et arrivai le samedi 24me dÕaožt ˆ Picacos, quartier du roi devant Montauban. Je fis difficultŽ de vouloir servir de marŽchal de camp, me contentant dՐtre en ce sige colonel-gŽnŽral des Suisses. Enfin le roi mÕaccorda que je ne me mlerais point avec cette recrue de marŽchaux de camp ; que je le serais seul au quartier des gardes, et que, le sige fini, je conduirais lÕarmŽe ; ˆ quoi je mÕaccordai, et vins ce mme jour au campement proche de la rivire du Tarn du c™tŽ des cornes.

On nÕavait point encore ouvert les tranchŽes ; seulement avait-on fait deux ponts pour traverser de notre campement ˆ Monbeton o Mr du Maine logeait pour attaquer Ville Bourbon, et du quartier de Mr du Maine ˆ lÕautre quartier et attaque du Moustier. Nous all‰mes, Mr le marŽchal de Pralain et moi, visiter Mr du Maine qui nous mena le plus prs quÕil put de Ville Bourbon ˆ dessein de nous faire donner quelque mousquetade. Au retour nous nous prŽpar‰mes pour ouvrir la tranchŽe et all‰mes, Gamorin et moi, jusques contre les cornes de Montauban sans tre aperus ni que lÕon nous tir‰t ; mais au retour nous Žtant fourvoyŽs du chemin, nous tomb‰mes dans un corps de garde avancŽ des n™tres qui nous firent une dŽcharge de tout leur feu ˆ bržle-pourpoint : ma mandille [casaque] fut percŽe dÕune mousquetade ; mais Dieu merci, rien ne toucha ni ˆ Gamorin ni ˆ moi. Ensuite nous ouvr”mes la tranchŽe des gardes et en outre f”mes une forte tranchŽe en un grand chemin qui Žtait sur lÕeau, ce qui se fit par le rŽgiment de PiŽmont.

Le dimanche 22me monsieur le connŽtable vint ˆ notre campement et nous fit venir le trouver pour lui parler : et comme nous Žtions prs de lui, les ennemis firent une forte sortie sur PiŽmont qui Žtait ˆ la tranchŽe susdite contre laquelle un coup de canon de la ville ayant ŽtŽ pointŽ, il emporta le corps du premier capitaine de PiŽmont nommŽ le Breuil, et la cuisse du lieutenant de Lambert, qui Žtait mon domestique nommŽ Casteras, brave et gentil garon qui en mourut ˆ deux heures de lˆ. Le capitaine Lartigue, du mme rŽgiment, eut le pied froissŽ dÕune grenade, dont il mourut peu de jours aprs. Le capitaine Serroque, du rŽgiment de Normandie, se trouvant dans la tranchŽe alors sortit lՎpŽe ˆ la main vers les ennemis, mais il fut aussit™t tuŽ dÕune mousquetade. Je courus en diligence au bruit de la sortie, et repouss‰mes les ennemis dans la ville ; mais nous avions dŽjˆ perdu ces braves hommes.

La nuit suivante nous tir‰mes une ligne assez longue que nous continu‰mes la nuit du lendemain encore, et m”mes ˆ travers du grand chemin qui Žtait dŽcouvert, certains chandeliers ˆ lՎpreuve qui furent depuis nommŽs valobres du nom de celui qui les fit faire.

Le mardi 24me nous tir‰mes une autre ligne et f”mes deux barricades sur les deux avenues et une Žpaule en une traverse.

Les ennemis firent semblant de sortir la nuit, mais nous trouvant sur nos armes et en Žtat de les bien recevoir, ils tinrent bride en main.

La nuit du mercredi 25me nous voulžmes occuper un tertre avancŽ bornŽ dÕun chemin creux, qui Žtait fort propre pour faire une batterie pour lever les dŽfenses de cette corne ; et pour ce sujet nous f”mes tout ˆ lÕentour une couronne de quarante gabions qui nՎtaient point remplis, mais seulement nous servaient de blindes et pour amortir les mousquetades.

Le jeudi 26me ˆ onze heures, les ennemis sortirent dans ce chemin creux au dessus duquel Žtaient posŽs les gabions et avec des crocs les tirrent ˆ bas vers eux. Ils avaient aussi apportŽ quelques feux dÕartifices pour les bržler en cas quÕils ne les pussent tirer du lieu o ils Žtaient, et avaient garni leurs courtines de mousqueterie qui tiraient ˆ nos gens ˆ dŽcouvert lorsque ces gabions nÕy Žtaient plus et en turent huit ou dix. Enfin nous tirions contre eux nos gabions, et nÕen purent abattre que sept. Puis quelques mousquetaires sՎtant avancŽs jusques sur le bord dudit chemin creux, les tiraient ˆ plomb, et quantitŽ de pierres que nous leur f”mes jeter leur firent quitter ce chemin et se retirer en la ville : et une chose que nous avions faite la nuit contre eux leur fut favorable, qui Žtaient deux traverses contre ledit chemin, qui impossibilita notre descente ˆ eux et nous ™ta le moyen de donner sur leur retraite.

La nuit suivante un Suisse de ma compagnie, nommŽ Jaques, nous dit que si je lui voulais donner un Žcu, quÕil rapporterait les gabions que les ennemis avaient renversŽs dans le chemin pourvu que lÕon lui voulžt faire passage, ce que nous f”mes ; et ce qui nous Žtonna le plus fut que cet homme rapportait les gabions sur son col, tant il Žtait robuste et fort. Les ennemis lui tirrent deux cents arquebusades sans le blesser, et aprs en avoir rapportŽ six, les capitaines des gardes qui voyaient une telle hardiesse me prirent de ne mettre plus en hasard pour un gabion qui restait encore, un si brave homme : mais il leur dit quÕil y en avait encore un gabion de son marchŽ et quÕil le voulait rapporter, ce quÕil fit.

Cette mme nuit nous avan‰mes notre tranchŽe jusques ˆ la tte du chemin creux.

Le vendredi 27me nous Žlarg”mes nos tranchŽes. Nous f”mes une gabionnade pour une batterie de huit ou dix pices, et f”mes une forte traverse au bout du chemin creux qui nous servit de tranchŽe. Nous f”mes une autre traverse sur le chemin qui est proche de la rivire.

Ce mme jour Mrs les marŽchaux Desdiguieres et de Saint-Geran qui avaient lÕattaque du Moustier, en firent une forte pour gagner la contrescarpe du bastion qui leur fut disputŽe plus de trois heures ; mais enfin ils lÕemportrent. Mais il y eut des n™tres plus de six cents hommes morts ou blessŽs, et entre autres Saint-Jus marŽchal de camp y fut blessŽ et mourut de sa plaie ˆ six jours de lˆ : Zamet aussi marŽchal de camp eut le bras droit cassŽ dÕune mousquetade, qui le rendit inutile pour tout le reste du sige, bien que pour cela il ne lÕabandonna pas. Ce fut un grand avantage que cette contrescarpe gagnŽe, et nÕy avait plus quՈ descendre au fossŽ et sÕattacher au bastion, lequel gagnŽ, la ville Žtait prise : mais ceux qui commandaient ce quartier et sur tous Marillac opini‰tra que lÕon nÕy pouvait descendre en ce lieu-lˆ ˆ cause du flanc cachŽ quÕil y avait et un coffre [abri dŽfensif] qui Žtait dans le fossŽ. Je vins un jour par commandement du roi au conseil ˆ Picacos, et comme on proposa de tirer ˆ gauche pour prendre sur le penchant qui regarde la rivire, jÕy contrariai par plusieurs vives raisons, me moquant de ceux qui croyaient que lÕon ne peut descendre dans un fossŽ o il y avait des flancs cachŽs et des coffres, et enfin il fut rŽsolu que diverses personnes iraient reconna”tre la possibilitŽ ou impossibilitŽ de cette descente, et monsieur le connŽtable mÕordonna dÕy aller, comme je dirai ci-aprs.

Le samedi 28me nous travaill‰mes au-delˆ du chemin ˆ la sape. Nous f”mes encore une autre traverse dans le chemin ˆ lՎpreuve du canon, et tir‰mes une ligne ˆ travers de lÕautre chemin pour aller gagner le fossŽ de la corne.

Le dimanche 29me nous nous loge‰mes dans le fossŽ et f”mes une tranchŽe ou ligne tirant au chemin de main gauche. Puis nous dress‰mes notre batterie de huit canons. Mr de Schomberg qui faisait la charge de grand-ma”tre de lÕartillerie par commission, vint voir la batterie que son lieutenant nommŽ Lesine avait fait faire. Je lui montrai comme le parc de ses poudres Žtait trop prs de la batterie, et que sÕil faisait vent dÕamont, que les canons en tirant jetteraient leurs Žtincelles jusques au parc, et pourraient mettre le feu aux poudres. Il considŽra bien que jÕavais raison et en parla ˆ Lesine qui lui rŽpondit quÕil nÕy arriverait aucun inconvŽnient, ce qui fit quÕil nÕy remŽdia point.

Le lundi 30me nous continu‰mes nos tranchŽes jusques ˆ une ravine ˆ droite de notre batterie. Je vins ˆ la tte de la tranchŽe reconna”tre combien nous nous Žtions avancŽs, et sortis huit ou dix pas ˆ dŽcouvert pour voir ce que nous aurions ˆ faire la nuit prochaine et puis me rejetai dans la tranchŽe avant que les ennemis se fussent bien affžtŽs pour me tirer, ce que la continuelle pratique nous apprend : mais il est dangereux pour ceux qui font cette mme chose aprs nous, parce que les ennemis sont prŽparŽs, et ils reoivent les mousquetades que lÕon avait destinŽes, et non donnŽes, au premier qui a paru ; comme il en arriva ˆ Mr le comte de Fiesque, qui en voulant sortir pour faire la mme chose que jÕavais faite, reut une mousquetade dans le rein droit qui lui pera jusques au bas du ventre ˆ gauche, dont il mourut le quatrime jour aprs. Ce fut un grand dommage pour tous, mais pour moi particulirement, car il mÕaimait uniquement : cՎtait un brave seigneur, homme de bien et de parole, et excellent ami.

Ce soir mme monsieur le connŽtable envoya commander ˆ Mr le marŽchal de Pralain de ne faire tirer le lendemain notre batterie, ce qui nous fit croire quÕil y avait quelque pratique dÕaccord qui se faisait dans la ville, en laquelle Esplan entrait tous les soirs de la part du roi et traitait avec Mr de la Force et ceux de Montauban. LÕon avait aussi intelligence avec un de dedans qui y avait quelque commandement, nommŽ le comte de Bourfranc ; mais les ennemis en ayant eu le vent sÕen dŽfirent un jour en une attaque qui se faisait du c™tŽ de Ville Bourbon, quÕun des leurs par derrire lui donna une mousquetade dans la tte qui lui mit en pices.

Le mardi dernier jour dÕaožt nous continu‰mes la sape vers la main gauche que nous avions commencŽe et m”mes au delˆ du chemin une batterie de quatre canons outre la premire qui Žtait de huit.

Mr de Schomberg vint loger en notre quartier et pria ˆ souper Mr de Pralain et moi, et quelques autres. Comme nous nous allions mettre ˆ table, nous promenant devant sa tente, nous v”mes le feu de la ville causŽ par leurs poudres qui furent ce jour lˆ bržlŽes au nombre de vingt milliers.

 

Septembre. Ń Le lendemain mercredi premier jour de septembre sur les six heures du matin, nous commen‰mes une furieuse batterie aux cornes des ennemis : Mr le marŽchal de Pralain Žtait en la grande avec Mr de Schomberg, et jՎtais ˆ celle des quatre pices. Elles faisaient toutes deux beau bruit : mais aprs avoir tirŽ une heure ou un peu plus, ce que jÕavais prŽdit deux jours devant ˆ monsieur le marŽchal et ˆ Mr de Schomberg nous arriva : car les flammches des canons portrent dans le parc des poudres et en mirent en feu dix milliers qui y Žtaient, avec perte de quarante hommes et du lieutenant dÕartillerie Lesine qui y fut bržlŽ. Quelques gentilshommes se sentirent du feu, comme Mr de Bourbonne, le baron de Seaux et dÕautres ; mais ce fut lŽgrement. Il arriva par bonheur que quelque peu auparavant jՎtais allŽ en la ligne qui Žtait au-devant de la batterie, et quÕayant reconnu quelque chose qui nous pouvait servir, jÕenvoyai supplier monsieur le marŽchal de le venir voir, ce quÕil fit ; et comme il sÕy acheminait avec Mr de Schomberg et autres des principaux, ils furent exempts du pŽril de ce feu. Les huit canons Žtaient chargŽs et hors de batterie, prts ˆ y retourner, quand le feu prit aux poudres, qui les fit tous tirer en mme temps dans les gabions quÕils mirent en pices ; et une motte dÕun desdits gabions mÕayant donnŽ par le c™tŽ me porta par terre et me fit perdre lÕhaleine, mais aussi fut cause que le feu passa par dessus moi sans mÕendommager.

En ce mme temps les ennemis qui aperurent notre inconvŽnient, firent un grand cri et firent mine de sortir. Le rŽgiment de Chappes Žtait ce jour-lˆ de garde, qui Žtait la plupart en cette ligne avancŽe : il y avait deux compagnies des gardes sur la gauche de notre batterie des quatre pices : jÕavais aussi fait venir aux deux batteries prs de deux cents Suisses tant pour la garde de la batterie que pour lÕexŽcution des canons. Mr de Schomberg se mit en mme temps ˆ ladite batterie de quatre pices et fit tirer de furie. Monsieur le marŽchal se prŽsenta avec les deux compagnies des gardes et les deux cents Suisses, et je me mis ˆ la tte du rŽgiment de Chappes, et f”mes si bonne mine que les ennemis nÕosrent venir ˆ nous. Ils nous ont dit depuis le sige levŽ quÕils avaient plusieurs fois fait dessein dÕentreprendre sur notre c™tŽ comme ils avaient heureusement fait sur les autres, mais quÕils nous avaient trouvŽs toujours sur nos armes, et nos tranchŽes tellement embarrassŽes pour eux et si bien dŽfendues quÕils nÕont osŽ y mordre, hormis la seule fois que la grande mine joua. Nous f”mes aussi en mme temps venir trois compagnies de Suisses et cinq du rŽgiment des gardes ; et pour leur montrer que le feu nÕavait pas consumŽ toutes nos poudres, nous en f”mes prendre de celles qui servaient pour la batterie des quatre pices et en f”mes charger les huit canons de la grande batterie. Enfin dans deux heures de nouveaux gabions furent remis ˆ la place de ceux qui avaient ŽtŽ fracassŽs du canon, et toutes choses rŽtablies en bon ordre.

LÕaprs-d”ner comme nous Žtions ˆ regarder sur le Tarn, nous v”mes comme le feu se mit aussi aux poudres du quartier de Mr du Maine, qui fit, outre la perte de huit milliers de poudre, un assez grand meurtre dÕhommes, parmi lesquels Mr de Villars frre de mre de Mr du Maine, marŽchal de camp, et le fils de Mr le comte de Ribeirac, jeune homme de grande espŽrance, y furent bržlŽs. Il sembla que ce jour lˆ, et le prŽcŽdent, avaient ŽtŽ funestes pour le feu, tant aux ennemis quÕen nos deux divers quartiers.

Le jeudi 2me nous continu‰mes notre batterie avec peu dÕeffet, puis quÕelle nՎtait Žtablie que pour lever les dŽfenses de ces cornes que nous Žtions rŽsolus de prendre pied ˆ pied ; car elles Žtaient trs bien faites, et de grands retranchements derrire, garnis de chevaux de frise. NŽanmoins nous f”mes semblant de les vouloir attaquer sur les quatre heures aprs midi, sur la prire que Mr du Maine fit ˆ monsieur le marŽchal de faire faire quelque diversion aux ennemis pendant quÕil attaquerait une demie lune, de laquelle il fut repoussŽ avec grande perte : car il y mourut le marquis de ThŽmines, marŽchal de camp, brave homme et courageux ; La Frette qui ne devait rien en courage et en ambition ˆ homme de son temps ; Carbon, et plus de cinquante gentilshommes.

Le vendredi 3me nous f”mes une forte traverse ˆ notre batterie des quatre pices parce que dÕun bastion assez ŽloignŽ de la ville on la battait en rouage. Nous tir‰mes aussi une ligne qui nous menait ˆ la garde des deux compagnies des gardes, o nous ne pouvions aller sans tre vus de certaines pices de terre avancŽes des ennemis.

Mr le marŽchal de Pralain Žtant peu devant la nuit ˆ la tranchŽe, et Žtant pressŽ de moi de mÕordonner ce quÕil voulait qui fžt fait la nuit suivante, se voyant entourŽ de force noblesse qui lÕempchait, pour sÕen dŽfaire se mit ˆ dŽcouvert des ennemis et nous appela, moi et les aides de camp, et Toiras qui Žtait celui qui avait le soin de tout ce quÕil fallait pour le travail de la nuit. Comme les ennemis se furent aperus que nous leur donnions si beau jeu, ils firent une dŽcharge sur nous de trente mousquetades qui percrent nos chausses et nos manteaux, et cassrent la jambe de Mr de Toyras, dont nous fžmes bien incommodŽs : car il me relevait de beaucoup de peines quÕil me fallut depuis supporter.

Le samedi 4me le roi mÕenvoya commander de le venir trouver ˆ Picacos sur ce que jÕavais proposŽ quelques jours auparavant quÕil fallait quÕen lÕattaque du Moustier o lÕon avait gagnŽ la barricade, lÕordre Žtait de descendre dans le fossŽ, le traverser et passer avec une galerie, et sÕattacher au bastion lequel en huit ou dix jours serait gagnŽ sans aucune faute. Messieurs les marŽchaux de camp de ce quartier-lˆ nՎtaient point de ce sentiment, non pas, ˆ mon avis, quÕils y reconnussent trop de pŽril (car ils Žtaient braves hommes), mais par opini‰tretŽ ou insuffisance. JÕaperus encore en eux une chose que jÕai plusieurs fois remarquŽe, que force gens sont vaillants, sÕils peuvent, pour le lendemain et non pour le jour mme : car aprs avoir gagnŽ la contrescarpe, au lieu de faire la descente, le marŽchal de camp qui Žtait en journŽe jugea ˆ propos de tirer une ligne le long de la contrescarpe sur la gauche, disant que cՎtait pour venir gagner la pointe du bastion o lÕon voulait sÕattacher ; peut-tre aussi Žtait-ce pour laisser le pŽril de la descente ˆ celui qui lui devait succŽder, et celui-lˆ la prolongea pour remettre ˆ lÕautre la descente. Ainsi depuis huit jours que la contrescarpe Žtait gagnŽe on nÕavait rien fait que couler le long dÕicelle sans fruit ni sans dessein. Il y avait un capitaine du rŽgiment de Chappes nommŽ la Moliere qui faisait la charge dÕaide de camp, qui Žtait cru plus que pas un, et qui donnait de grandes espŽrances ˆ ces messieurs sur des propositions quÕil faisait, qui nՎtaient pas bien raisonnŽes : et monsieur le connŽtable qui Žcoutait les uns et les autres, sÕennuyait de voir que lÕon nÕavanait pas. Mr le marŽchal Lesdiguires nÕy Žtait pas toujours cru, et ds que lÕon le contestait, ou contrariait, son naturel bŽnin lui faisait acquiescer et suivre le courant de lÕeau, de sorte que le temps se consumait. Enfin le roi voulut tenir un bon conseil pour prendre une bonne rŽsolution. Je mÕy trouvai par son ordre et maintins fermement mon opinion qui Žtait fondŽe sur les rgles de lÕart, sur lÕexpŽrience, et sur lÕapparence aussi. Mr des Diguieres seul lÕapprouva ; mais Mr le prince de Joinville qui avait commandement en ce quartier-lˆ, Mr le marŽchal de Saint-Geran, Mr de Schomberg et les marŽchaux de camp du quartier furent du contraire, principalement Marillac qui voulait prouver par raisons que lÕon ne pouvait faire descente dans un fossŽ o il y avait des flancs cachŽs et des coffres, comme si cela rendait les places imprenables : ce petit la Moliere le secondait et faisait grand bruit. Enfin je leur dis quÕils fissent assembler les ingŽnieurs et reconna”tre le fossŽ, et quÕen cas quÕils ne fussent de mon avis, jÕacquiescerais au leur.

La chose en demeura lˆ, et ces messieurs de ce quartier-lˆ sÕen Žtant allŽs, monsieur le connŽtable me fit entrer en son cabinet o le roi vint t™t aprs, et me dit que ces messieurs lui disaient que jÕen parlais bien ˆ mon aise puisquÕen ma proposition je leur en laissais tout le pŽril et le hasard sans en avoir ma part ; que je les voulais mettre ˆ la boucherie, et que je ne serais pas marri de mÕen tre dŽfait, et que cՎtait ce qui mÕen faisait ainsi parler. Je confesse que ce discours me mit en colre, et rŽpondis ˆ monsieur le connŽtable que le cours de ma vie passŽe ne ferait pas juger que je fusse homme ˆ souhaiter la mort dÕautrui ; que celle de Mr de Joinville me causerait du dŽplaisir sans mÕapporter aucun avantage ; que Mr des Diguieres Žtait de mon opinion ; que pour Mr le marŽchal de Saint-Geran, je ne prŽtendais pas tre marŽchal de France par sa mort, mais par les bons services que je voulais rendre au roi ; quant aux marŽchaux de camp, tant sÕen faut que je dusse craindre quÕils me devanassent, que je ne craignais pas quÕils me dussent marcher sur les talons, aussi nՎtaient-ils pas de mon calibre ni de ma portŽe ; que ce que jÕen avais dit Žtait selon ma conscience, mon opinion, le service du roi et lÕordre de la guerre, et tellement apparent que bien que je ne profite pas ˆ courre sur le marchŽ dÕautrui, jÕoffrais au roi, sÕil me voulait faire changer de quartier contre eux, quՈ peine de mon honneur et de ma vie, dans trois semaines jÕaurais mis sur le bastion du Moustier en batterie contre la ville trois canons du roi, et que de la faon quÕils prŽtendaient de faire, ils nÕy seraient pas de six, et peut-tre point du tout ; que cՎtait tout ce que jÕavais ˆ leur dire, aprs quoi je nÕen parlerais jamais. Sur cela le roi qui a toujours eu assez bonne opinion de moi, dit ˆ monsieur le connŽtable : Ē Prenons Bassompierre au mot et le laissons faire : je suis sa caution. Envoyons les trois marŽchaux de camp du Moustier ˆ lÕattaque des gardes, et le mettons au Moustier : je mÕassure quÕil fera ce quÕil nous promet, et ce sera notre bien. Č Monsieur le connŽtable lui dit quÕil y aurait bien de la peine ˆ ce changement qui nÕagrŽerait ni ˆ lÕun ni ˆ lÕautre quartier, et que les gardes ne voudraient pas obŽir ˆ ces marŽchaux de camp du quartier du Moustier : enfin il me pria dÕaller sur les lieux avec Gamorini, le Meine, et les Essars, et que le lendemain je mÕen revinsse d”ner avec lui, lui ramenant ces trois personnages susdits, desquels il voulait aussi prendre lÕavis, ce que je fis le lendemain dimanche 5me, ˆ la pointe du jour, afin quÕil nÕy ežt aucun marŽchal de camp du quartier du Moustier qui mÕy v”t. JÕy menai lesdits Gamorini, le Meine et les Essars, et Lancheres de plus qui avait la fivre, mais il se fora. Nous reconnžmes exactement toutes choses, puis nous nous en rev”nmes ˆ Picacos faire notre rapport ˆ monsieur le connŽtable, qui fut conforme ˆ celui que jÕavais dit le jour prŽcŽdent, ce qui anima monsieur le connŽtable ˆ le faire exŽcuter. Mais le mme jour Mr de Marillac le vint trouver, et assistŽ de Mr de Schomberg, avec les grandes assurances quÕils lui donnrent de venir bien t™t ˆ bout de Montauban, le portrent ˆ suivre leur opinion, dont mal en prit.

Le lundi 6me nous continu‰mes de nous approcher des cornes du c™tŽ du cavain, et Mr de Faurilles, brave gentilhomme certes et expŽrimentŽ, duquel je recevais tant dÕassistance que jՎtais rŽsolu de le demander au roi pour mon compagnon marŽchal de camp, fut tuŽ en un logement quÕil prŽtendait faire au cavain ; qui fut grand dommage.

Le mardi 7me nous fžmes attachŽs ˆ la corne et commen‰mes une mine pour la faire sauter.

Il est ˆ savoir que ds le commencement du sige, sur lÕopinion que lÕon avait eue et les avis que lÕon avait reus de Montauban mme que des CŽvennes il se prŽparait un secours par Mr de Rohan pour Montauban, et que trois ou quatre braves hommes se prŽparaient ˆ lever des gens pour cet effet, le roi avait envoyŽ Mr dÕAngoulme colonel de la cavalerie lŽgre entre Castres et Saint-Antonin, avec des forces tant de cheval que de pied, suffisantes pour empcher que ce prŽtendu secours ne pass‰t, et lÕavait fort assurŽ de nÕen laisser passer aucun. NŽanmoins je ne sais par quel malheur le dit secours composŽ de douze cents hommes de pied des CŽvennes, conduit et commandŽ par un ma”tre de camp nommŽ Beauffort et un autre, nommŽ Saint-Amans, passa ˆ travers des troupes de Mr dÕAngoulme sans tour ni atteinte et entra dans Saint-Antonin ˆ dessein de se venir jeter ensuite dans la fort de Gresine et venir, la tte couverte, jusques proche de Montauban hasarder dÕy entrer ; mais ceci nÕarriva quÕaprs.

Le mercredi 8me Gohas, capitaine des gardes, eut lՎpaule percŽe dÕune mousquetade, dans la tranchŽe, en entrant en garde.

Le jeudi 9me nous f”mes un logement fort ample dans les cornes, qui fut longuement disputŽ par les ennemis, lequel enfin nous gagn‰mes. Treville, gentilhomme basque, qui portait le mousquet en la compagnie colonelle, sÕy signala fort, ce qui fit que je demandai et eus pour lui du roi une enseigne au rŽgiment de Navarre : mais comme je le menai ˆ Picacos pour en remercier le roi, il la refusa, disant quÕil nÕabandonnerait point le rŽgiment des gardes o il Žtait depuis quatre ans, et que si Sa MajestŽ lÕavait jugŽ digne dÕune enseigne en Navarre, il ferait si bien ˆ lÕavenir que sa conduite lÕobligerait ˆ lui en donner une aux gardes ; ce quÕElle a fait depuis, et plus encore.

Le vendredi 10me il nÕy avait que demi-pied de terre entre les ennemis et nous, depuis que nous avions gagnŽ ce poste ; ce qui fut cause quÕincessament ils nous jetrent des pots ˆ feu et grenades pour nous empcher de travailler, et nous ˆ eux de mme.

Le samedi 11me Gamorini fit faire une machine pour gagner lՎminence et leur faire quitter le poste quÕils tenaient, laquelle ne nous profita point ; car les ennemis y mirent le feu. Notre mine continua cependant de sÕavancer.

Le dimanche 12me nous m”mes des valobres au travers du fossŽ de la corne, afin de passer sžrement, et f”mes une autre grande attaque en laquelle nous leur Žcorn‰mes la moitiŽ de la corne. Mais ils avaient fait un retranchement derrire avec des chevaux de frise, et derrire eux, des mantelets ˆ lՎpreuve, derrire lesquels ils tiraient incessament, de sorte que nous fžmes contraints de nous loger sur le haut.

Ce jour arriva le seigneur Pompeo Frangipani lequel je demandai au roi pour mon compagnon marŽchal de camp, et la faveur de Rouccelai qui Žtait grande vers monsieur le connŽtable, fit quÕil lui fut accordŽ ; et vint servir en notre quartier sous Mrs les marŽchaux de Chaunes et de Pralain.

Le lundi 13me Mr du Maine fit faire une autre attaque au mme ravelin o il avait ŽtŽ si bien battu auparavant, et y eut mme succs et plusieurs des siens tuŽs, ce qui donna grand cĻur aux ennemis et avilit ses gens : quant ˆ lui il Žtait enragŽ.

Le mardi 14me, il avait ŽtŽ rŽsolu quelques jours auparavant que lÕon couperait ˆ coups de canon le pont de Montauban afin dÕempcher le secours que ceux de Montauban pouvaient donner ˆ Ville Bourbon : Mr le marŽchal de Chaunes qui Žtait nouvellement arrivŽ au camp, de retour de Toulouse o il avait ŽtŽ malade ds le commencement du sige, eut charge, et me la donna, de faire faire une batterie contre ledit pont. Mais comme elle Žtait loin et que cinq cents volŽes de canon nÕeussent peut-tre pas pu rompre ledit pont lequel toujours ils eussent pu refaire avec du bois, ayant remontrŽ la grande dŽpense et la petite utilitŽ qui en provenait, on me dit que je ne mÕy opini‰trasse pas. Et en ce mme temps deux cents femmes qui Žtaient ˆ laver les linges et les ustensiles sous ce pont et auprs, qui Žtaient incommodŽes de ces coups de canon, sachant que Bassompierre Žtait avec commandement dans le quartier, qui avait toujours fait bonne guerre aux femmes, elles mÕenvoyrent un tambour pour me prier de leur part de ne point incommoder leur blanchissage, ce que je leur accordai franchement puisque jÕavais dŽjˆ ordre de le faire, de sorte quÕelles mÕen surent un tel grŽ, et les femmes de la ville, quÕelles firent demander une trve pour me voir, et vinrent grande quantitŽ des principales sur le haut de leurs retranchements me parler ; et moi, ce seul jour en tout le sige, je me mis en bon ordre et me parai pour les entretenir : ce qui arriva seulement le lendemain mercredi 15me, ayant ŽtŽ mandŽ ds le matin pour aller trouver le roi avec Mrs les marŽchaux de Pralain et de Chaunes sur lÕavis que le roi eut du secours qui avait passŽ entre les doigts de Mr dÕAngoulme et Žtait arrivŽ ˆ Saint-Antonin : Mr du Maine sÕy trouva aussi avec Mrs de Cramail et Gramont ses marŽchaux de camp, comme aussi Mrs de Chevreuse, Desdiguieres, de Saint-Geran et de Schomberg avec Marillac. Ce fut ˆ ce conseil o on se repentit de nÕavoir pas cru le bon avis de Mr le marŽchal Desdiguieres qui voulait que lÕon f”t des lignes et des forts ˆ lÕentour de Montauban pour en empcher le secours. Mais comme il nՎtait plus temps, il fut rŽsolu trois choses : lÕune, que lÕon ferait venir Mr dÕAngoulme avec les forces quÕil avait, pour se loger entre Saint-Antonin et Montauban afin dÕempcher le passage au secours ; lÕautre, que lÕon ferait retrancher tous les chemins et avenues de Montauban ; la troisime, que de nos deux quartiers, des gardes et de Picardie, on tirerait tous les soirs mille hommes de chacun pour dŽfendre lesdites avenues et combattre les ennemis dans les chemins Žtroits, tandis que Mr de Luxembourg avec cinq cents chevaux quÕil avait, garderait toute lÕavenue de Villemur ˆ Montauban et la plaine du Ramier qui Žtait la grande avenue, dont il se chargea (Mr de Vend™me avec trois cents chevaux se chargea depuis de lÕavenue de Villemur) ; et que chaque nuit, de chaque quartier, il y aurait un chef qui irait commander ces troupes contre le secours, et que lÕon commencerait ds le lendemain jeudi 16me quÕen notre quartier messieurs les marŽchaux rŽsolurent que Mr de Pralain irait la premire nuit, Mr de Chaunes la seconde, et moi la troisime. Mais une heure devant que Mr le marŽchal de Pralain y džt aller, il reut une mousquetade qui lui entama la peau du ventre en effleurant seulement, de sorte quÕil fallut que jÕy allasse en sa place.

Le vendredi 17me Mrs du Maine et de Schomberg nous envoyrent prier de nous trouver au bout du pont du Tarn qui Žtait entre lÕattaque de Mr du Maine et la n™tre : Mrs de Chaunes, de Pralain et moi, nous y trouv‰mes, et Mr du Maine nous pria de vouloir favoriser une nouvelle attaque quÕil voulait faire le lendemain ˆ Ville Bourbon, tant de notre canon que par quelque diversion, ce que messieurs les marŽchaux lui promirent.

Mr de Guise me voulut dŽbaucher pour aller d”ner avec lui chez Mr du Maine ; mais parce que Mr le marŽchal Desdiguieres nous avait donnŽ rendez-vous au carero [carrire] de Ruffe, je mÕen excusai, et lui dis quÕil se prit garde de Mr du Maine qui nÕavait point plus grand plaisir que de faire tirer sur lui, ou sur ceux quÕil menait pour voir ses travaux, et quÕil sՎchaudait pour bržler autrui. Mais ˆ mon grand regret ma prophŽtie fut en quelque sorte vŽritable ; car lÕaprs-d”ner, comme il leur montrait ses travaux, une arquebusade lui donna dans lÕĻil, qui avait prŽcŽdemment percŽ le chapeau de Mr de Schomberg, et le tua roide. Nous en appr”mes la triste nouvelle au carero de Ruffe o messieurs les marŽchaux et moi Žtions venus trouver Mrs de Joinville, Desdiguieres et de Saint-Geran ; et lˆ nous rŽsolžmes de garder depuis notre quartier des gardes qui Žtait depuis le pont du Tarn jusques au pont de la Garrigue, et que ces messieurs du quartier de Picardie garderaient depuis ledit pont de la Garrigue jusques ˆ lÕautre pont du Tarn du c™tŽ du Moustier, et chois”mes nos champs de bataille en cas dÕalarme. LՎtonnement fut si grand dans le quartier de Mr du Maine par sa mort, que tous les chefs et troupes voulurent quitter ; mais Mr de Guise demeura cette nuit-lˆ avec eux, qui les rassura. Le roi rechercha Mr de Guise de vouloir commander en ce quartier ; mais il sÕen excusa, et Mr de ThŽmines en eut seul le soin.

Le soir de ce jour-lˆ Mr de Chaunes se trouva un peu mal, et fallut que jÕallasse cette nuit-lˆ mener nos mille hommes contre le secours.

Le samedi 18me on sÕavana en nos tranchŽes du c™tŽ du ravin. On continua la mine. Je fus ˆ Picacos par ordre du roi ; et au retour, comme cՎtait ma nuit dÕaller contre le secours, jÕy menai nos troupes.

Le dimanche 19me les ennemis vinrent mettre le feu ˆ la batterie de deux pices qui Žtaient sur le bord de lÕeau, et se retirrent ˆ lÕheure mme quÕils lui eurent jetŽ.

Il arriva peu de jours avant en lÕarmŽe ce carme dŽchaussŽ qui Žtait ˆ la bataille de Prague, et qui avait conseillŽ de la donner : il Žtait estimŽ homme de grande saintetŽ. Monsieur le connŽtable lui demanda ce quÕil lui semblait que lÕon džt faire pour prendre Montauban. Il lui dit quÕil f”t tirer quatre cents coups de canon ˆ coups perdus dans la ville, et que les habitants intimidŽs infailliblement se rendraient. Ce fut pourquoi le roi mÕenvoya quŽrir le jour prŽcŽdent pour me commander de faire tirer les quatre cents coups de canon, comme je fis : mais les ennemis ne se rendirent pour cela.

Ce soir-lˆ qui Žtait celui auquel Mr le marŽchal de Pralain devait veiller contre le secours, ˆ cause de sa blessure jÕy allai en sa place.

Le lundi 20me on continua nos travaux. Le soir Mr de Chaunes alla contre le secours, et parce quÕil nÕy avait encore point ŽtŽ et quÕil craignait, si les ennemis arrivaient, quÕil nÕy ežt du dŽsordre, il me pria dÕy aller avec lui, ce que je fis.

Le mardi 21me la mine fut quasi parachevŽe, et comme elle se devait faire jouer le lendemain auquel Mr de Chaunes Žtait en journŽe de commander, le capitaine des mines nommŽ Ramsai lui vint demander de combien il lui plaisait que lÕon la charge‰t. Il demanda ˆ ceux qui Žtaient prs de lui intelligents en cette affaire, de combien dÕordinaire on les chargeait. Ils lui dirent de six ou sept cents livres, et lui dit alors : Ē Je veux quÕelle fasse un grand effet : chargez-la de deux mille huit cents livres de poudre. Č Le Ramsai lui dit que cՎtait beaucoup ; mais il le voulut ainsi, croyant que ceux qui lui avaient dit de six ou sept cents, lui eussent dit de deux mille six ou sept cents.

Ce soir-lˆ, ˆ cause de la blessure de Mr de Pralain, il fallut encore que jÕallasse veiller au secours pour lui.

Le mercredi 22me sur les neuf heures du matin il y eut une grande alarme de la venue du secours : chacun monta ˆ cheval et fit avancer les troupes ordonnŽes ˆ cet effet. NŽanmoins Beauffort et ses troupes Žtaient encore ˆ Saint-Antonin. Mr de Vend™me qui avait quelque cavalerie, sÕen vint ˆ la plaine du Ramier vers nous, sur un faux avis que lÕon lui donna que les ennemis venaient par lˆ. Comme ce bruit fut apaisŽ, chacun sÕen retourna.

Sur le soir comme jÕacheminais les troupes destinŽes au secours parce que cՎtait ma nuit, je rencontrai en y allant messieurs les marŽchaux qui allaient aux tranchŽes et me dirent quÕils allaient faire jouer la mine. Mr Frangipani Žtait avec eux, qui avait fait lÕordre que le rŽgiment de Chappes qui ce jour-lˆ Žtait de garde, devait tenir : aussi Žtait Mr Frangipani en jour de commander de marŽchal de camp. Je leur dis quÕil me semblait quÕils la faisaient jouer bien tard et quÕil leur resterait peu de temps pour se loger dans lÕeffet de la mine ; car la nuit approchait, laquelle les mettrait en beaucoup de confusion et dŽsordre. Plusieurs Žtaient de ce mme avis ; mais Mr de Chaunes (qui la voulait faire jouer en son jour), nÕy voulut consentir et me dit : Ē Je vois bien que cÕest : vous voudriez la faire jouer au jour de Mr de Pralain et de vous. Č Je lui demandai sÕil avait besoin de mon service, dont il me remercia. Je lui dis lˆ-dessus que je laisserais aller le secours conduit par Mr de Fontenai ma”tre de camp de PiŽmont, et quÕaprs avoir vu jouer la mine, jÕaurais temps de courir aprs, et suivis messieurs les marŽchaux qui se mirent en un lieu propre pour en voir lÕeffet, et moi auprs dÕeux. Mr de Chaunes envoya savoir si tout Žtait prt ; on lui manda que oui, ˆ une chose prs : cՎtait que le sieur de la Mayson (qui commandait le rŽgiment de Chappes aprs le ma”tre de camp, comme premier capitaine et sergent major), voulait que lÕon abatt”t une petite galerie qui traversait le fossŽ de la pice qui devait sauter, afin que les soldats allassent ˆ lÕeffet de la mine avec plus dÕordre, et Ramsai maintenait quÕil ne la pouvait laisser ™ter attendu que la fusŽe de la mine Žtait dessous. Mr de Chaunes me commanda dÕy aller et dÕordonner ce que je jugerais pour le mieux. JÕy courus donc, et comme jÕentrais dans cette petite galerie, je rencontrai Ramsai qui me dit : Ē Fuyez, Monsieur, car jÕai mis le feu ˆ la fusŽe de la mine qui fera ˆ mon avis un terrible effet. Č Je ne me le fis pas dire deux fois, et courus quarante pas de toute ma force pour mÕen Žloigner. Alors elle joua avec une plus grande violence que lÕon ne saurait dire, et emporta en lÕair toute la pice sous laquelle elle Žtait, qui fut assez longtemps sans redescendre ; enfin elle vint fondre dans la tranchŽe sur nous. Je mis ma tte et mon corps sous un gros tonneau que je trouvai, qui ne fut pas assez fort pour soutenir et creva sous moi, et plus de mille livres de terre sur mes reins, mes cuisses et mes pieds. Je mÕen dŽptrai comme je pus, et tout froissŽ mÕen vins ˆ la mine, marchant sur les corps morts des n™tres que la mine avait accablŽs, dont il y en avait plus de trente, et entre autres Ramsai. La mine emporta ce qui Žtait de notre c™tŽ et rendit les ennemis plus forts quÕils nՎtaient ; elle Žteignit la plus part des mches des soldats qui devaient donner, lesquels se prŽsentrent bravement, et quelques gentilshommes aussi, et furent un peu dans le lieu o la mine avait jouŽ, ne pouvant monter plus avant ˆ cause quÕelle avait escarpŽ la terre. Mais t™t aprs les ennemis parurent au dessus et aux flancs, jetant pots ˆ feu, grenades et cercles sur nos gens, et tirant incessament sur eux : La Mayson qui y devait commander, fut tuŽ dÕabord, et deux sergents. Mrs de Chaunes et de Pralain Žtaient ˆ lÕentrŽe et rafra”chissaient continuellement de gens. Ce fut la premire fois que je vis Mr Frangipani faire sa charge quÕil exŽcutait avec grand jugement et hardiesse, et fit ce jour lˆ fort bien son devoir.

En mme temps les ennemis firent une sortie sur les deux compagnies des gardes qui Žtaient au bout de la ligne qui fermait notre main gauche. Messieurs les marŽchaux me commandrent dÕy aller, et trente gentilshommes me suivirent, qui firent des merveilles ce soir-lˆ, et puis dire quÕen un grand embarras comme fut celui lˆ, la noblesse y va tout autrement que les simples soldats. JÕarrivai aux gardes comme les ennemis marchaient ˆ eux ; je les trouvai sur leurs armes en bon ordre pour les soutenir. Les deux capitaines Castelnaut et Meux furent fort aises de me voir et cette petite troupe de noblesse bien dŽlibŽrŽe, parmi lesquels Žtaient le comte de Torigny, Bourbonne, Manican, le baron de Seaux et dÕautres, qui proposrent dÕaller attaquer les ennemis au lieu de les attendre, ce que je trouvai bon et les capitaines aussi ; et en mme temps sort”mes de notre poste, la tte baissŽe, aux ennemis lesquels, voyant notre rŽsolution, sÕarrtrent premirement, puis en nous tirant force mousquetades et quelques coups de pices dÕune courtine que lÕon nommait de Saint-Orse, rentrrent dans la ville. Je mÕen revins en mme temps avec ma noblesse au trou de la mine o je croyais que je ne serais pas inutile, me confiant que quand les ennemis retourneraient ˆ sortir sur ces deux compagnies des gardes, ils trouveraient gens ˆ qui parler.

Comme jÕarrivais au trou de la mine, je trouvai Mr le marŽchal de Pralain qui me dit : Ē Pour Dieu, mon fils, allez ˆ la batterie des quatre pices empcher que les ennemis qui y ont mis le feu, nÕemmnent ou nÕenclouent notre canon : je vous irai tout ˆ lÕheure secourir avec les gardes qui entrent. Č Nous tourn‰mes ˆ lÕheure mme, tous ces gentilshommes et moi, et trouv‰mes les ennemis aux mains avec cinquante Suisses de ma compagnie qui Žtaient de garde ˆ cette batterie, lesquels faisaient bravement ˆ coups de piques et de hallebardes. Je vis lˆ pour la premire fois de ma vie, des femmes dans le combat jetant des pierres contre nous avec beaucoup plus de force et dÕanimositŽ que je nÕeusse pensŽ, et en donnant aux soldats pour nous les jeter. Notre petit secours vint bien ˆ propos pour les Suisses qui avaient beaucoup de monde sur les bras, le feu ˆ la batterie, et les ennemis qui sÕefforaient de venir jusques aux quatre canons. Trois Suisses Žtaient Žtendus sur la place et quantitŽ de blessŽs. Ė notre arrivŽe nous leur f”mes une rude charge et les repouss‰mes ˆ coups de hallebarde : eux, en se retirant, nous jetaient quantitŽ de pierres dont une bien grosse me donna sur le haut du front, qui me porta par terre Žvanoui : incontinent trois ou quatre Suisses mÕemportrent hors de la mlŽe ˆ vingt pas de lˆ, o je revins ˆ moi et retournai au combat, o peu aprs Mr de Pralain, comme il mÕavait promis, amena deux compagnies des gardes commandŽes par Tilladet, qui firent retirer bien vite les ennemis ˆ belles mousquetades et en turent quelques uns.

Je mÕen revins avec monsieur le marŽchal o la mine avait jouŽ et o Mr de Chaunes sÕopini‰trait hors de propos de faire un logement. Enfin il en demeura o il Žtait auparavant, et la garde nouvelle Žtant venue, ce fut au tour de Mr de Pralain de commander. Nous ne fžmes pas plus t™t arrivŽs prs de Mr de Chaunes que lÕon cria que les ennemis attaquaient notre garde qui nՎtait pas encore relevŽe du c™tŽ de main droite et quÕils lui avaient fait quitter le cavain. Alors toute la noblesse avec moi y accouržmes, passant par dessus les tranchŽes ˆ dŽcouvert, et les v”nmes prendre par derrire ; nous en tu‰mes huit et en pr”mes deux, et leur f”mes bien vite rentrer dans la ville. JÕavoue que notre noblesse ce jour-lˆ fit des merveilles, et que sans elle nous eussions infailliblement reu quelque affront ; ils firent aussi un honorable rapport de moi, et messieurs les marŽchaux tŽmoignrent que jÕavais trs bien servi ce jour lˆ : le roi mՎcrivit le lendemain une fort honnte lettre sur ce sujet.

Au sortir de lˆ sur les neuf ˆ dix heures on me mit quelque chose sur ma tte et un bonnet fourrŽ par dessus avec lequel jÕallai passer la nuit ˆ la garde du secours.

Le jeudi 23me nous nous occup‰mes ˆ raccommoder le mŽnage que les ennemis et notre impertinente mine avaient fait le soir prŽcŽdent.

Mr le marŽchal de Pralain avait veillŽ toute la nuit dans les tranchŽes qui Žtaient en si mauvais Žtat quÕelles avaient besoin de sa prŽsence ; mais cela lui enflamma tellement sa blessure quÕil ne put aller cette nuit-lˆ ˆ la garde contre le secours, et fallut que jÕy retournasse encore pour lui. Nous ežmes nouvelles que les ennemis Žtaient partis de Saint-Antonin et venaient droit ˆ nous, ce qui nous fit tenir tout la nuit alerte. Mais le matin Mrs de Vend™me, de Chevreuse et de Schomberg vinrent ˆ notre champ de bataille comme nous en voulions dŽloger, qui mÕassurrent que les ennemis Žtaient dans la fort de la Gresine et que La Courbe capitaine des gardes de Mr de Vend™me les y avait vus rentrer, nÕayant pas pu arriver de nuit pour se jeter dans Montauban. Sur cela ils prirent rŽsolution de les aller attaquer dans la fort de la Gresine et prirent ce quÕils purent de cavalerie et dÕinfanterie pour exŽcuter leur dessein ; mais il y eut tant de discordance et de jalousie entre les chefs quÕils sÕen revinrent sans faire ni tenter aucun effet.

Ce fut le vendredi 24me quÕils y allrent et en revinrent aussi. Nous continu‰mes nos tranchŽes et jÕallai la nuit au secours ; car nos deux marŽchaux se trouvrent mal et me laissaient la corvŽe.

Le samedi 25me les ennemis firent jouer sur les trois heures une mine au cavain, qui nous tua cinq hommes, mais ne g‰ta rien ˆ notre logement. Je fus la nuit avec mille hommes contre le secours.

Le dimanche matin comme je revenais avec ces mille hommes dans notre camp, le roi mÕenvoya commander de le venir trouver ˆ Picacos. Je ne descendis point de cheval, et ainsi mal en ordre que jՎtais, ayant veillŽ toute la nuit, et le sang caillŽ de ma blessure ˆ la tte sՎtant Žpandu sur tout le visage et sur les yeux, je nՎtais pas reconnaissable. Comme jÕarrivai, le roi et monsieur le connŽtable me dirent que Mr de Luxembourg qui avait commandement sur six cents chevaux qui Žtaient toutes les nuits sur pied pour empcher le secours, Žtait tombŽ malade, et quÕil fallait que jÕen prisse la charge jusques ˆ ce que le secours fut entrŽ, ou dŽfait ; ce que jÕacceptai volontiers. Comme je parlais ˆ eux, la reine vint de Moissac, o elle demeurait pendant le sige, ˆ Picacos. Le roi envoya monsieur le connŽtable pour la recevoir et demeura ˆ parler avec moi. Comme elle entra, elle demanda ˆ monsieur le connŽtable qui Žtait ce vilain homme qui parlait au roi : il lui dit que cՎtait un seigneur du pays nommŽ le comte de Curton. Elle dit : Ē JŽsus, quÕil est laid ! Č Monsieur le connŽtable dit au roi, comme il sÕapprocha de la reine : Ē Sire, prŽsentez Mr de Bassompierre ˆ la reine, et lui dites que cÕest le comte de Curton Č ; ce quÕil fit, et je lui baisai la robe ; puis ensuite monsieur le connŽtable me prŽsenta ˆ madame la princesse de Conty, ˆ Melle de Verneuil, ˆ madame la connŽtable de Montmorency, et ˆ madame sa femme, lesquelles je baisai et oyais quÕelles disaient : Ē Voilˆ un Žtrange homme et bien sale ; il fait bien de se tenir dans le pays. Č Alors je me mis ˆ rire, et ˆ mon ris et ˆ mes dents elles me reconnurent et eurent grand pitiŽ de moi et plus encore lÕaprs-d”ner quÕil y eut alarme du secours, et nous virent partir pour lÕaller combattre.

Je veillai encore cette nuit-lˆ qui Žtait la mienne au secours, et avoue que je nÕen pouvais plus.

Le lundi 27me, jour de Saint-Michel, nous avions si fort en tte ce secours que nous nÕavancions pas beaucoup ˆ nos tranchŽes. Mr le marŽchal de Pralain se portait mieux de sa blessure et me voyait si abattu de peine et de sommeil quÕil se rŽsolut dÕaller cette nuit-lˆ ˆ la garde du secours.

JÕoubliais ˆ dire que nous avions barricadŽ toutes les avenues des chemins que nous devions garder, et que nous mettions nos gens derrire ces barricades le long dÕun grand chemin creux qui traverse toute la plaine du Barnier entre Picacos et Montauban, prenant depuis le quartier des gardes jusques ˆ cent pas du pont de la Garrigue o il y en a un autre qui y va et le coupe.

Mr le marŽchal de Chaunes voulut aller la nuit ˆ la tranchŽe, afin que je la pusse reposer toute entire, Žtant lÕonzime que jÕavais passŽe en lÕattente du secours. JÕoubliais aussi ˆ dire que Mr de Luxembourg ne put souffrir que le roi me comm”t ˆ la cavalerie, et dit quÕil se lverait plut™t pour y aller, de sorte que lÕon en laissa la charge aux chefs des troupes. Ainsi franc et exempt de toutes corvŽes je me mis ˆ table le soir avec plus de cinquante seigneurs ou gentilshommes qui logeaient chez moi ou aux logis attenants, lesquels mÕavaient toujours voulu accompagner toutes les fois que jÕavais veillŽ ˆ lÕattente du secours.

Durant le souper on me vint dire quÕassurŽment le secours devait venir ce soir-lˆ et que lÕon en avait quelques nouvelles, ce qui fut cause quÕaprs souper jÕallai chez Mr le marŽchal de Pralain et lui dis que jÕirais encore cette nuit pour lui assister et servir. Mais il me dit quÕil ne le souffrirait pas, quÕil nՎtait pas un novice qui ežt besoin que lÕon lui montr‰t sa leon ; que je lui laissasse seulement Le Meine pour lui montrer les postes, et quÕil nÕy aurait point de mal pour nous cette nuit-lˆ ; que je mÕen allasse dormir en repos afin dՐtre en Žtat le lendemain et les autres jours pour y aller ; quÕil nÕavait aucune nouvelle du secours autre que celle dÕaccoutumŽ, et que sÕil y en avait quelquÕune, il me le manderait. Sur cela je mÕen retournai ˆ mon logis et envoyai mon Žcuyer nommŽ Le Manny pour me venir dire sÕil y avait quelque nouvelle du secours. Il ne tarda gure ˆ revenir et me dire que La Courbe, capitaine des gardes de Mr de Vend™me, me mandait quÕassurŽment nous aurions dans deux heures le secours sur les bras, et quÕil lÕavait vu marcher.

JՎtais prt de me jeter sur le lit, et dŽjˆ Mr le duc de Retz et Mr de Canaples qui couchaient dans ma chambre Žtaient endormis : je les rŽveillai et leur dis que lÕon me mandait que le secours venait ; mais ils crurent que je me moquais, et nÕy voulurent venir, ayant ŽtŽ dix nuits consŽcutives ˆ lÕattendre, et ˆ veiller. Je vins ˆ une galerie proche de ma chambre et dis que le secours venait et que je mÕy en allais ; mais de plus de trente gentilshommes qui y Žtaient couchŽs aucun ne me crut, fors un nommŽ Rodon, fils de Mr de CangŽs et le sieur des ƒtant, qui vinrent avec moi. Je passai devant le quartier de PiŽmont et dis ˆ Mr de Fontenai quÕil mÕenvoy‰t deux cents hommes, ce quÕil fit : jÕen dis autant au colonel Hessy qui mÕamena aussi deux cents Suisses.

Comme jÕarrivai dans ce grand chemin qui sŽpare la plaine du Ramier dÕavec Montauban, jÕy trouvai une extrme confusion. Monsieur le marŽchal avait envoyŽ quŽrir cent gendarmes de la compagnie de Monsieur, frre du roi, lesquels Žtaient dans le chemin et lÕoccupaient : Mrs de Vend™me, de Chevreuse, Desdiguieres, Saint-Geran, Schomberg et Marillac y Žtaient aussi. Il nÕy avait que les deux compagnies de Normandie qui eussent leur poste ˆ la barricade du carero de Ruffe ; cՎtaient Devenes et La Saludie qui les commandaient. Le rŽgiment dÕEstissac qui devait fournir quatre cents hommes les avait encore devant leur quartier, attendant lÕordre. Trois cents hommes de PiŽmont Žtaient comme les autres dans le chemin, et deux cents des gardes aussi. Je rencontrai Le Meine qui menait vingt gendarmes de Monsieur dans la plaine pour prendre langue, et venir avertir. Je trouvai ensuite Mr le marŽchal de Pralain qui se f‰cha de me voir ; je lui dis : Ē On mÕa dit quÕassurŽment le secours venait ; si cela est, je ne vous serai pas inutile. Č Puis je lui dis : Ē Monsieur, voici bien de lÕembarras ; si les ennemis venaient dans cette confusion, ils passeraient, et ne les pourrions discerner dÕavec nos gens. Č Il me dit : Ē Ce sont ces messieurs qui font le dŽsordre : quel remde y peut-on apporter ? Č Ē Si ferai bien, si vous me le commandez, lui rŽpondis je ; car je ferai donner une alarme vers le pont de la Garrigue : ils y courront, puis je logerai PiŽmont pour les empcher de repasser. Cependant faites avancer ces gendarmes mille pas dans la plaine ; car cÕest lˆ o ils joueront leur jeu si les ennemis viennent, et non ici. Č Il me dit quÕil les y voulait mener, et que si les ennemis venaient, quÕil en rendrait bon compte. Il me commanda aussi de mettre les deux cents hommes des gardes ˆ la traverse du chemin de Picacos qui va ˆ la Garrigue, ce que je fis, et tous ces messieurs sÕen allrent ˆ lÕalarme devers leur quartier, et je logeai les gardes et PiŽmont : puis comme tout fut dŽptrŽ, Mr de Vend™me arriva le dernier pour se retirer en son quartier, qui me dit quÕun sergent des ennemis sՎtait venu rendre ˆ la barricade de Normandie, qui assurait que les ennemis le suivaient de prs et quÕils Žtaient bien prs dÕeux.

Les deux cents Suisses mÕarrivrent lors au bout du chemin devers le pont ; je les fis retourner le plus diligemment quÕils purent vers le carero de Ruffe o Žtait Normandie, et en mme temps jÕoyais tirer des coups de pistolet, ce qui me fit croire que cՎtait quelque cavalerie qui les attaquait. Je suivis les coups de pistolet et descendis au carero de Ruffe o un corps de garde avancŽ fit sa dŽcharge et puis se retira dans la barricade, qui se mit en Žtat de les attendre, et ˆ lÕheure mme les ennemis vinrent donner par deux fois dans la barricade, qui fut trs bien soutenue par ces deux compagnies de Normandie. JՎtais en impatience des Suisses, qui arrivrent en mme temps ; je leur fis laisser leurs tambours ˆ la main droite et les fis passer doucement ˆ la main gauche. Les ennemis qui ou•rent battre ces tambours suisses ˆ leur main gauche, nÕy voulurent pas donner ; ils se jetrent ˆ leur main droite qui Žtait notre gauche, et parce que le chemin Žtait creux (comme ils le sont tous en ce pays-lˆ), il fallait quÕils sautassent dedans plus de quatre pieds de haut. Ils Žtaient onze cents hommes sŽparŽs en trois bataillons : celui de lÕavant-garde passa, plus haut que le lieu o Žtaient les Suisses, proche du rŽgiment dÕEstissac qui Žtait en bataille devant son quartier et qui par inadvertance ou pour croire que cՎtaient de nos troupes (ce qui Žtait toutefois hors dÕapparence), le laissrent passer franc sans lui donner ni tour ni atteinte. Le bataillon qui le suivait, qui Žtait le corps de bataille, o Žtaient leurs enseignes, vint descendre dans les Suisses et moi, et crus dÕabord que cՎtait le rŽgiment dÕEstissac qui venait au bruit de lÕattaque des ennemis ˆ notre barricade, et dÕautant plus quÕils criaient : Vive le roi ! Mais un soldat des ennemis, par mŽgarde ou pour y tre accoutumŽ, dit : Vive Rohan ! Alors je criai aux Suisses que cՎtaient les ennemis, qui ne se le firent pas dire deux fois, et menrent bien les mains. JÕavais une hallebarde en main, de laquelle je voulus donner dans le corps dÕun des premiers qui descendit dans le chemin ; mais la nuit me fit faillir ma mesure, et tombai devant lui, qui fut en mme temps tuŽ sur moi et trois ou quatre autres ensuite, et je craignis bien plus dՐtre tuŽ des Suisses en me relevant, que des ennemis : enfin un des miens nommŽ le Manny, et le sieur des ƒtant, me tirrent de dessous ces morts, et lors je mÕemployai comme les autres. De tout ce bataillon il ne se sauva pas quatre hommes qui ne fussent tuŽs ou pris, et tuŽs par de si grands coups que le lendemain on sÕen Žmerveillait.

Il y avait en tout le secours onze enseignes de gens de pied. Un des capitaines qui Žtaient dans lÕescadron en fit prendre cinq drapeaux par un homme fort et dispos et fit une rude charge pendant quՈ c™tŽ de lui cet homme passa avec les drapeaux. Ce capitaine fut incontinent tuŽ, et ceux qui Žtaient avec lui ˆ la charge : il respirait encore aprs le combat, et comme je disais que ceux-lˆ avaient chargŽ rudement et que lÕun dÕeux avait donnŽ un coup de pistolet dans le bras du colonel Hessy, il souleva sa tte et dit : Ē CÕest moi, Monsieur, qui lui ai donnŽ et qui meurs bien heureux dÕavoir donnŽ moyen de sauver une partie de nos drapeaux. Č Je le fis retirer de lˆ pour le porter panser : mais il expira avant que dÕarriver o Žtaient les chirurgiens, dont je fus marri ; car je le voulais sauver.

Le troisime bataillon voyant comme nous avions malmenŽ ce second, nÕosa pas se hasarder de passer et sÕen retourna dans la plaine ; mais nous envoy‰mes le comte dÕAyen avec sa compagnie de chevau-lŽgers, qui les atteignit avant quÕils eussent gagnŽ la fort de Gresine et les prit tous prisonniers.

Le ma”tre de camp Beaufort passa avec le premier bataillon, et entendant le combat du second, y accourut ˆ cheval et fut enfermŽ dans le chemin entre les Suisses et douze des gendarmes de la compagnie de Monsieur frre du roi, que menait le sieur de Garennes enseigne de la compagnie, et fut portŽ par terre de plusieurs coups et prisonnier, dont depuis il guŽrit.

Mr le marŽchal de Pralain qui Žtait ˆ la campagne avec la cavalerie, arriva en ce temps, et voyant comme nous avions bien fait, nous loua fort. Je lui prŽsentai Beaufort qui lui dit que le premier bataillon allait ˆ la ville. Il courut aprs ; mais il le trouva dŽjˆ entrŽ dedans, hormis quelques paresseux quÕil tailla en pices.

Peu aprs, Modene qui Žtait avec la cavalerie qui avait laissŽ passer le secours sur ce quÕil les avait conseillŽs de sÕen aller par un lieu o les ennemis ne venaient pas, sÕen vint me trouver et me dire que par le plus grand malheur du monde, tout le secours Žtait entrŽ sans que lÕon lÕait rencontrŽ ; quÕil avait tirŽ deux coups de pistolets pour avertir quÕils passaient, et que personne nՎtait venu ˆ lui ; quÕil les avait menŽs jusques proche de la ville et les avait comptŽs ; quÕils Žtaient quinze cents au moins, et plusieurs autres contes et fables selon sa coutume. Je me mis en colre et lui dis quÕil nՎtait rien de tout ce quÕil me disait, et quÕil venait aprs le coup nous en faire accroire, et pour preuve je lui montrai plus de deux cents hommes morts en cent pas de place, et cent autres en peu dÕespace de lˆ. Il me loua grandement, et puis alla ˆ toute bride dire ˆ monsieur le connŽtable que nÕayant pu induire la cavalerie ˆ dŽfaire le secours, quÕil mՎtait venu montrer par o ils passaient pour me les faire attaquer, et en me louant mŽdiocrement lui dit que lui avait fait des merveilles, dont il eut le lendemain la huŽe quand on sut ce quÕil avait fait.

Vers la pointe du jour monsieur le connŽtable avec Mrs de Guise et de Montmorency, arrivrent. Je lui prŽsentai Beaufort, Penavere gouverneur de Saint-Antonin, deux capitaines en chef prisonniers (il en demeura deux autres sur la place, deux lieutenants et trois enseignes), et six drapeaux que nous avions gagnŽ, et le menai au lieu o le combat sՎtait fait, quÕil fut fort aise de voir, puis voulut me ramener ˆ Picacos trouver le roi auquel il me prŽsenta avec beaucoup dÕhonneur, et le roi me reut trs bien. LÕaprs-d”ner on lui mena les prisonniers qui Žtaient prs de quatre cents, tant de ceux du comte dÕAyen que des Suisses. La plupart des blessŽs moururent, et le roi envoya les sains aux galres. On croyait que je fusse blessŽ, voyant toute ma hongreline en sang ; mais cՎtait de celui des ennemis que lÕon avait tuŽs sur moi, Žtant tombŽ.

Ce fut le mardi 28me, et je revins au soir en notre quartier o les ennemis firent jouer une mine qui faillit dÕenterrer Mr de Pralain. Les ennemis firent semblant de sortir deux ou trois fois ; mais ils nous trouvrent en Žtat de ne leur laisser pas faire long chemin et sÕen dŽsistrent. JÕeus ensuite congŽ dÕaller dormir, que je nÕavais pu obtenir les onze jours prŽcŽdents.

 

Octobre. Ń Le vendredi premier jour dÕoctobre, Mrs les marŽchaux de Pralain et de Chaunes firent faire une forte attaque o ils gagnrent un grand coin des cornes et se logrent de telle faon quÕentre deux terres ils pouvaient gagner jusques contre la contrescarpe de la ville ˆ la sape.

Le samedi 2me et le dimanche aussi, la pluie nous incommoda, qui fut violente et remplit nos tranchŽes en plusieurs lieux.

Le lundi 4me le roi envoya quŽrir messieurs les marŽchaux et me fit aussi commander de les suivre ˆ Picacos. Nous d”n‰mes avec monsieur le connŽtable, avec tous les chefs et marŽchaux de camp de lÕattaque du Moustier, avec lesquels Žtait toujours joint Mr de Schomberg. Il faisait ce jour-lˆ un grand festin au milord de Hey ambassadeur dÕAngleterre, qui eut audience lÕaprs-d”ner, aprs laquelle le roi et monsieur le connŽtable vinrent en la chambre de Mr de Luxembourg qui Žtait malade, o il nous avait commandŽ de nous trouver pour tenir conseil de guerre. Le pre Arnoux me dit en entrant : Ē Et bien, Monsieur, Montauban se va donner au moins disant, comme les Ļuvres publiques de la France : en combien de jours offrez-vous de la prendre ? Č Je lui dis : Ē Mon pre, ce serait une offre bien prŽsomptueuse si lÕon donnait un jour dŽterminŽ de prendre une telle place que Montauban, et on ne peut rŽpondre autre chose sinon que ce sera selon la forte attaque que nous ferons, ou la dŽfense que feront les ennemis, ou les facilitŽs, ou empchements que nous y rencontrerons. Č Il me dit lors : Ē Nous avons des marchands bien plus dŽterminŽs que vous ; car ces messieurs du quartier de Picardie rŽpondent sur leurs ttes et sur leurs honneurs de la prendre dans douze jours aprs que vous leur aurez livrŽ vos canons. Et cÕest de quoi il se va maintenant traiter, et vous ferez chose agrŽable au roi et ˆ monsieur le connŽtable de nÕy point contrarier, si ce nÕest que vous veilliez prendre un temps encore plus court quÕeux pour mettre Montauban entre les mains du roi. Č

Le roi arriva sur lÕheure, et je fus contraint de laisser sur ce discours le pre confesseur du roi, qui me fit ce bien de me donner moyen de penser ˆ ce que nous aurions ˆ rŽpondre : et parce que je craignais que messieurs les marŽchaux qui me commandaient, par opini‰tretŽ, ou jalousie, ne voulussent faire quelque refus de donner les pices de notre quartier, je les tirai ˆ part et leur dis : Ē Messieurs, on nous a envoyŽ quŽrir ˆ ce conseil pour t‰cher de vous prendre par le bec, et de vous embarquer en une chose pour dŽcharger messieurs du quartier de Picardie et en charger vos Žpaules ; cÕest pourquoi il vous faut bien prendre garde ˆ ce que vous direz. Ces messieurs nÕont pas voulu faire la descente dans le fossŽ du bastion du Moustier, et ne savent plus o ils en sont. Ils disent que sÕils avaient vos canons avec les leurs, ils prendraient infailliblement Montauban ; ils esprent que vous ne les voudrez pas bailler, afin dÕen jeter la faute sur vous : au nom de Dieu, ne le faites pas. Vous avez dŽjˆ eu lÕhonneur dÕavoir dŽfait le secours ; toutes choses sont encore entires pour vous : mais lÕhiver sÕapproche plus vite de nous que nous ne nous approchons de Montauban ; les maladies attaquent dŽjˆ lÕarmŽe, et elle sÕaffaiblit tous les jours. Si ces messieurs savent une finesse pour prendre Montauban, nÕenvions point leur science : ils nous Žpargneront bien de la peine et peut-tre des coups, et outre plus prennent sur eux une chose bien hasardeuse dont ils nous veulent dŽcharger. Ne me demandez pas dÕo je sais cette nouvelle, mais profitez-en. Č Messieurs les marŽchaux crurent que le roi me lÕavait dite, et me dirent quÕils se conformeraient en ce que je leur conseillais, et que pas un ne rŽpondrait sans lÕavis de tous trois, et me voulurent faire cet honneur de mÕadjoindre ˆ leurs rŽsolutions.

Sur cet instant le roi nous commanda de nous asseoir. Puis monsieur le connŽtable nous dit que la prise de Montauban Žtait si importante au bien du service du roi, que tous ses serviteurs se devaient porter avec une passion violente ˆ lui faire conquŽrir, et quitter toutes les Žmulations, jalousies et envies que le courage et lÕambition auraient mises dans nos cĻurs, pour coopŽrer tous ensemble ˆ lÕeffet de ce qui lui doit tre si utile et ˆ tout lՎtat ; que Sa MajestŽ ne laisserait pas de savoir un trs bon grŽ ˆ ceux qui ne lÕauraient pas prise, lesquels il rŽserverait pour dÕautres occasions qui ne seraient que trop frŽquentes dans le progrs de cette guerre, et que pour nous exhorter ˆ cela, il nous avait assemblŽs tant pour prendre une dŽterminŽe rŽsolution comme pour faire que les uns et les autres sÕentraidassent ˆ lÕexŽcution de ce qui serait rŽsolu ; et que le quartier des gardes Žtant le premier, cՎtait aussi ˆ lui ˆ qui il sÕadressait le premier pour savoir en combien de temps prŽcisŽment nous voulions rŽpondre de prendre la ville de Montauban. Mrs de Pralain et de Chaunes, et moi ˆ leur suite, aprs avoir consultŽ ensemble, rŽpond”mes que nous y apporterions tout le soin, et la peine imaginable, et telle que Sa MajestŽ en serait satisfaite, et que nous ne lui en pouvions limiter dÕautre temps pour la prise sinon lui rŽpondre que ce serait plus t™t ou plus tard selon la bonne ou mauvaise dŽfense des assiŽgŽs et selon les facilitŽs ou inconvŽnients que nous y rencontrerions. Sur cette rŽponse, monsieur le connŽtable nous dit que messieurs de lÕattaque de Picardie lÕassuraient de la prendre dans douze jours, et en mme temps Mr le marŽchal de Saint-Geran dit : Ē Oui, Sire, nous vous le promettons sur notre honneur et sur notre vie. Č Nous lui d”mes que cՎtait un trs grand service quÕils rendaient au roi, o nous prenions la part qui appartenait ˆ de si passionnŽs serviteurs comme nous Žtions ˆ Sa MajestŽ, nous offrant, sÕil y avait quelque chose en notre puissance, capable de contribuer ˆ une si gŽnŽreuse proposition, de lÕemployer franchement. Sur cela monsieur le connŽtable nous dit que le roi nous en savait grŽ, et que ces messieurs auraient besoin des seize canons qui Žtaient en notre quartier, lesquels nous accord‰mes sans rŽplique, offrant de plus que si pour quelque attaque ou autre occasion, ces messieurs avaient besoin de quelque secours, que messieurs les marŽchaux mÕenverraient avec quinze cents, voire deux mille bons hommes pour tre employŽs ˆ ce quÕil leur plairait me commander ; dont ils nous remercirent. Nous d”mes ensuite ˆ monsieur le connŽtable que moyennant ce, le roi nous dŽchargeait, non du sige de la ville, lequel nous continuerions, mais de la prise ; ce que le roi nous accorda. Ainsi nous nous en retourn‰mes satisfaits de nÕavoir plus rien ˆ faire que de nous conserver, et divertir les ennemis par quelques attaques, mines, et sapes, de temps en temps.

Le mardi 5me nous f”mes tirer de toutes nos pices quelques coups de chacune, pour ne pas faire conna”tre aux ennemis que nous les voulussions ™ter, et toute la nuit nous en amen‰mes treize jusques au parc de notre artillerie.

Le mercredi 6me nous arrivrent deux b‰tardes que nous avions demandŽes au roi pour escarmoucher, au lieu de nos canons, et la nuit nous tir‰mes des batteries les trois autres canons restants.

Le jeudi 7me nous envoy‰mes huit cents Suisses pour faire escorte ˆ huit pices de canon qui furent envoyŽes au quartier du Moustier par deˆ lÕeau, et le lendemain on y mena les autres.

Nous ne laiss‰mes pas pour cela en notre quartier dÕavancer toujours quelques nouveaux travaux, de tenir les anciens en bon Žtat et nos batteries aussi, dՎlever un cavalier sur lequel nous m”mes ces deux b‰tardes qui importunaient toujours les ennemis qui surent bien t™t que nous nÕavions plus de canons, dont ils se moquaient de nous.

Le samedi 9me octobre Mr de la Force fut ˆ la tte de notre travail ; je fis incontinent dŽfendre de tirer, et parl‰mes sur le haut des cornes assez longtemps ensemble, lui me tŽmoignant beaucoup de dŽsir de voir un bon accommodement, et quÕil me priait dÕagir le plus que je pourrais en la perfection de ce bon Ļuvre et dÕanimer Mr le marŽchal de Chaunes ˆ y porter monsieur le connŽtable son frre, lequel se devait dans peu de jours aboucher avec Mr de Rohan qui viendrait proche de Montauban ˆ cet effet. Ce furent les premires nouvelles que jÕen appris. Il me dit aussi quÕil Žtait bien marri quÕune migraine que ce jour-lˆ avait Mr le marŽchal de Chaunes lÕempchait de le voir, et que ce serait quand il lui voudrait permettre ; me priant dÕassurer Mr de Pralain et lui quÕil Žtait leur serviteur trs humble, ce que je fis ponctuellement. Il avait avec lui Saint-Orse et Lendresse, deux capitaines braves hommes qui avaient charge de ce c™tŽ-lˆ.

Je mÕen retournai dire ˆ messieurs les marŽchaux que je trouvai ensemble chez Mr de Chaunes, ce qui sՎtait passŽ entre Mr de la Force et moi et ce quÕil mÕavait priŽ de leur dire. Alors Mr de Chaunes ne nous cela plus ce qui se traitait entre monsieur le connŽtable et Mr de Rohan, nous priant de le tenir secret. Il me dit de plus que Mr le cardinal de Retz, Mr de Schomberg et le pre Arnoul contrariaient ˆ lÕaccommodement : les deux ˆ cause de leur profession, le troisime pour la certaine crŽance quÕil avait de prendre dans huit jours Montauban, et quÕil lui avait dit quÕil voulait tre dŽshonorŽ et ne porter jamais ŽpŽe en son c™tŽ sÕil nՎtait dans dix jours au plus tard dans la ville ; ce qui me fit rŽsoudre dÕy aller le lendemain matin, et leur en demandai congŽ.

Je ne le pus faire nŽanmoins parce que ce matin-lˆ, dimanche 10me, les ennemis firent une furieuse sortie du c™tŽ de Ville Bourbon, gagnrent les premires tranchŽes quÕils gardrent assez longtemps, emmenrent un gros mortier de fonte ˆ jeter des bombes, turent quelques soldats qui rŽsistrent, et eussent nettoyŽ toute la tranchŽe si Mr le marŽchal de ThŽmines et Mrs les comtes de Gramont et de Cramail ne fussent venus courageusement sÕopposer ˆ leur furie et les arrter sur cul. Je mÕavanai avec cinq cents hommes en mme temps sur le pont du Tarn et envoyai savoir de monsieur le marŽchal sÕil avait besoin de mon service et que jՎtais prs de lui avec de bons hommes. Mais lui qui avait dŽjˆ mis quelque ordre et repoussŽ les ennemis, mÕenvoya remercier : je vins nŽanmoins seul le trouver et voir le dŽg‰t que les ennemis avaient fait, que lui et messieurs les marŽchaux de camp firent rŽparer en peu dÕheures. Ė la vŽritŽ ce quartier-lˆ Žtait trs faible depuis la mort de Mr du Maine, et dŽpŽrissait tous les jours ; car les soldats quittaient : de sorte que monsieur le marŽchal envoya prier Mr de Pralain qui Žtait en jour, de lui envoyer quelques troupes de son quartier pour faire cette nuit-lˆ la garde ; ce quÕil fit et me commanda dÕy mener sept compagnies du rŽgiment des gardes que jÕy laissai pour venir de lˆ ˆ la garde de nos tranchŽes, dont ces sept compagnies furent mal satisfaites, et dirent quÕelles nÕy viendraient pas une autre fois si je nÕy demeurais.

JÕallai cette mme aprs-d”nŽe au quartier du Moustier o je trouvai Mr le marŽchal de Saint-Geran et Mr de Marillac. Je fis semblant que jՎtais seulement venu pour visiter Zamet qui Žtait blessŽ ; mais en effet cՎtait pour voir o ils en Žtaient de la prise de Montauban dont ils parlaient si affirmativement. Eux dÕabord me prirent de venir voir leurs travaux, et lÕinfaillibilitŽ quÕil y avait en la prompte prise de Montauban. Je trouvai que depuis la grande dispute que jÕavais eue avec eux pour la descente dans le fossŽ, quÕils avaient toujours avancŽ ˆ gauche du long de la contrescarpe jusques ˆ ce quÕils Žtaient venus sur le prŽcipice, et quÕalors ils avaient coulŽ le long du penchant sur le Tarn par une tranchŽe Žtroite et incommode jusques ˆ ce quÕils eussent trouvŽ un certain tertre qui leur faisait une place dÕarmes en lÕaplanissant. Il Žtait vrai quÕil nÕy avait de ce c™tŽ lˆ autre fortification que les murailles de la ville auxquelles mmes Žtaient attachŽes les maisons ; que le fossŽ nÕavait que deux toises ou deux toises et demi de creux, qui nÕavait pas grands flancs, et mme dans le fossŽ on y Žtait avec peu de pŽril. LÕimportance Žtait de battre cette muraille ; car du lieu o Žtaient leurs batteries, qui Žtait fort bas, on ne pouvait voir ˆ une toise et demi prs du pied de la muraille, ce que je fis considŽrer ˆ ces messieurs : mais ils me dirent que les ruines des murailles y feraient un talus facile ˆ y monter, ce que je ne pus croire, et le disputai avec eux dÕautant plus fermement que le fossŽ allait en penchant du c™tŽ de la contrescarpe. Lors, ils me dirent en secret quՈ tout ŽvŽnement la place dÕarmes quÕils aplanaient alors leur ferait loger trois canons avec lesquels ils verraient le fond du fossŽ, et quÕils avaient une invention pour les y guinder ˆ force de bras ; ce qui ežt ŽtŽ une grande affaire si elle ežt pu rŽussir : mais jÕy voyais de grandes difficultŽs, dont la principale Žtait que les ennemis t‰cheraient par mines (comme ils firent ensuite), ou en leur coupant leur tranchŽe pour y venir (ce qui nՎtait pas impossible vu sa forme et sa situation), de les en empcher.

Je mÕen revins en notre quartier, plus confirmŽ que jamais que ces messieurs b‰tissaient sur de faux fondements, et le dis ˆ Mr le marŽchal de Chaunes, le suppliant instament de porter monsieur le connŽtable ˆ une bonne paix, sÕil y trouvait jour, de crainte quÕil ne režt et le roi premirement, quelque notable dommage et honte.

Il fut dÕavis de me mener le lendemain lundi 11me ˆ Picacos avec lui pour en parler moi-mme ˆ monsieur le connŽtable, ce que je fis fort amplement, et le laissai partir ce jour mme, fort dŽlibŽrŽ de conclure la paix sÕil y voyait jour. Il sÕen alla ˆ quatre lieues de Picacos en un ch‰teau nommŽ Renies o il avait donnŽ sžretŽ ˆ Mr de Rohan de lui venir parler. Ils confŽrrent longtemps ensemble, et approchrent toutes choses de lÕaccommodement : nŽanmoins pour plusieurs respects monsieur le connŽtable ne voulut rien conclure sans en avoir prŽcŽdemment eu lÕapprobation du roi et de son conseil.

Il en revint seulement le mardi 12me bien tard, et envoya le mme soir donner rendez-vous ˆ Mrs de Chaunes et de Schomberg de le venir trouver le lendemain mercredi 13me ˆ Picacos, au conseil, o ils se rendirent, et Mr de Chaunes voulut que je le suivisse.

Monsieur le connŽtable proposa au conseil secret (je nÕy Žtais pas), les conditions dont il Žtait demeurŽ comme dÕaccord avec Mr de Rohan, qui Žtaient avantageuses et honorables pour le roi, utiles pour lՎtat, lesquelles furent trouvŽes raisonnables par tous ceux du conseil, qui Žtaient le roi, Mr le cardinal de Retz, monsieur le connŽtable, Mr de Chaunes, Mr de Schomberg, et Mr de Puisieux qui nÕy Žtait quÕen qualitŽ de secrŽtaire dՃtat et debout, mais ne laissait pas dÕen dire souvent son avis. Mais Mr de Schomberg ajouta ˆ son opinion que bien que les articles apportŽs par monsieur le connŽtable ne fussent ˆ rejeter, nŽanmoins quÕil ne conseillait pas que lÕon les accord‰t prŽsentement, mais que lÕon les dŽlay‰t pour quinze jours, attendu quÕen ce temps-lˆ le roi serait ma”tre absolu de Montauban et aurait les mmes conditions en sa puissance que lÕon lui offrait maintenant, et de plus hautes sÕil en demandait ; et comme Mr de Chaunes rŽpliqua quÕen cas aussi que lÕon ne pr”t point Montauban, si on Žtait assurŽ dÕavoir les mmes conditions, Mr de Schomberg dit que cՎtait un cas quÕil ne fallait pas poser parce que la prise en Žtait infaillible, quÕil en rŽpondait au roi sur son honneur et sur sa vie, et quÕen cas que cela ne fžt, il voulait que le roi lui fit trancher la tte : sur quoi il fut rŽsolu de remettre ˆ quinzaine le traitŽ, et de le mander ˆ Mr de Rohan qui en attendait la rŽponse ˆ Renies.

Ce jour mme Mr le marŽchal de ThŽmines manda ˆ monsieur le connŽtable que son quartier diminuait de gens ˆ toute heure, et que ses gardes Žtaient si petites que si les ennemis entreprenaient sur eux, il serait forcŽ dÕabandonner leurs tranchŽes ; que pour cet effet il le suppliait de commander quÕil entr‰t tous les soirs des troupes de notre quartier six cents hommes pour garder le sien. Monsieur le connŽtable en parla ˆ Mr de Chaunes devant moi : mais je lui dis quÕil avait ŽtŽ affriandŽ de lÕenvoi que nous lui avions fait peu de jours auparavant de sept compagnies des gardes ; que nous nÕavions que les gens quÕil nous fallait pour garder notre attaque, et que les troupes enrageaient dՐtre commandŽes dÕaller garder un autre quartier que le leur ; finalement quÕils cherchaient leur aise au prix de notre incommoditŽ, et leur sžretŽ en notre pŽril. Monsieur le connŽtable prit bien mes raisons et ne nous commanda rien lˆ-dessus, renvoyant le gentilhomme quÕil lui avait envoyŽ, qui lui dit de plus que monsieur le marŽchal Žtait assez mal dÕune fivre depuis deux jours.

Mais sur la rŽponse que ledit sieur marŽchal eut par son homme, il le renvoya le lendemain matin jeudi 14me pour lÕen presser de nouveau et protester du mal qui en pourrait arriver si lÕon nÕy pourvoyait, et quÕil quitterait le quartier ; ce qui fut cause que monsieur le connŽtable envoya un ordre prŽcis ˆ Mrs les marŽchaux de Pralain et de Chaunes pour envoyer les six cents hommes en garde que Mr de ThŽmines demandait, lequel ordre ils me donnrent pour regarder aux moyens de le pouvoir exŽcuter. Quand je me vis si pressŽ, je mÕavisai dÕune ruse que je mis incontinent en pratique, qui fut dÕenvoyer prier Mrs les comtes de Cramail et de Gramont de venir d”ner chez moi qui avais quelque chose de consŽquence ˆ leur dŽclarer : quand ils furent arrivŽs, je leur fis voir lÕordre que jÕavais dÕenvoyer six cents hommes garder leurs tranchŽes ; et parce quÕils Žtaient mes anciens frres et amis, je ne lÕavais voulu faire sans leur en dire prŽcŽdemment mon avis, qui Žtait que ce leur Žtait une espce dÕaffront dÕenvoyer un marŽchal de camp Žtranger commander ˆ leur prŽjudice dans leur quartier, et que nos troupes nÕy voulaient aller si Frangipani ou moi ne les y allions mener et commander ; que cՎtait ˆ eux ˆ y pourvoir, et que sÕils voulaient aller aprs d”ner remontrer au roi et ˆ monsieur le connŽtable leur intŽrt sur ce sujet, quÕils pourraient ˆ mon avis faire rompre cet ordre, et que, ce me semble, ils devaient demander des corps entiers pour venir camper avec eux, auxquels ils commandassent ; que des troupes de Mr de Montmorency il y avait encore quatre ou cinq cents hommes des rŽgiments de Fabregues et de La Roquette, qui huttaient entre le quartier de Picardie et nous ; que lÕon attendait dans deux jours le rŽgiment de Languedoc commandŽ par Portes, et dÕautres qui viendraient tous les jours, dont on fortifierait leur quartier ; que cՎtait une vision de Mr le marŽchal de ThŽmines malade. Ils prirent mon avis de la mme main que je leur avais prŽsentŽ, allrent aprs d”ner trouver monsieur le connŽtable pour le prier de changer cet ordre, mais de leur renforcer leur quartier de troupes nouvelles qui devaient venir ˆ lÕarmŽe ; ce quÕil leur promit, et dŽlivra notre quartier de ce surcro”t de garde.

Le vendredi 15me Mr le marŽchal de ThŽmines mÕenvoya dire que je lui vinsse parler au pont du Tarn ; ce que je fis, et le trouvai dans sa litire avec son train, sÕen allant de lÕarmŽe par la permission qui lui en Žtait ˆ lÕheure mme venue du roi. Il Žtait fort malade, et ˆ la mine et ˆ lÕeffet : il se dressa comme il put sur la litire et me dit que lÕextrŽmitŽ de sa maladie le forait de quitter son quartier, et quÕoutre cela le mauvais Žtat o il Žtait lÕežt contraint de lÕabandonner ; quÕil me le consignait pour le garder, et que jÕy envoyasse des troupes au nombre que je jugerais ˆ propos. Je crus quÕil rvait de me tenir ce langage et lui dis que ce nՎtait pas ˆ moi ˆ qui il le devait remettre, mais ˆ monsieur le connŽtable qui lui avait mis en main ; que jÕavais charge de celui des gardes sous Mrs les marŽchaux de Chaunes et de Pralain, dont jՎtais bien empchŽ de mÕacquitter ; ˆ plus forte raison ne me chargerais-je pas dÕune nouvelle commission, laquelle je ne voudrais pas accepter si le roi mme me la commettait, sÕil ne me dŽchargeait de celle des gardes. Sur cela il sՎmut fort, et me dit quÕil me le reprocherait un jour ; quÕil nÕežt pas cru cela de moi, et quÕil protestait, en cas que je ne lÕacceptasse, du mal qui en pourrait arriver : et moi je lui dis absolument que je nÕen ferais rien. JÕai toujours cru depuis que son mal le troubla de sorte quÕil ne me connut pas, ou quÕil ne savait ce quÕil me disait : car il laissait deux marŽchaux de camp comme moi ; je nÕavais aucune part ni dŽpendance en son quartier ; je nÕeusse pu prendre cette commission que du roi seul ou de monsieur le connŽtable, et je ne lÕeusse jamais acceptŽe au prŽjudice de mes amis.

Nous avions fait faire en notre quartier un cavalier sur lequel nous avions mis deux b‰tardes qui voyaient et tiraient dans les pices des ennemis et les endommageaient grandement : je crois que si nous y eussions eu des canons de batterie, quÕils y eussent fait merveilles. Nous travaillions encore ˆ une mine plut™t par divertissement que pour aucun autre effet, nÕayant plus autre dessein que de garder les postes avancŽs que nous tenions. Nous faisions quelquefois des trves de deux ou trois heures pendant lesquelles nous parlions les uns aux autres en trs grande privautŽ, et sans crainte les uns des autres. Messieurs de la Force, et comte dÕOrval qui avait le titre de gouverneur de Montauban, bien que son beau-pre y ežt le principal crŽdit, me priaient souvent de baiser les mains de leur part ˆ monsieur le connŽtable et ˆ Mrs les marŽchaux de Chaunes et de Pralain : je leur assurai de le faire et de moyenner une entrevue entre eux, dont ils me tŽmoignrent tre fort contents.

Nous continu‰mes ainsi en notre quartier moitiŽ guerre, moitiŽ marchandise, jusques au mercredi 20me que monsieur le connŽtable mÕenvoya commander de le venir trouver chez Mr de Schomberg au quartier de Picardie o il avait d”nŽ. Il sÕenquit de moi si nous avions une mine prte ˆ jouer et une attaque ˆ faire ainsi quÕil me lÕavait commandŽ quelques jours auparavant, dont je lÕassurai que tout Žtait prt quand il lÕordonnerait. Il me dit lors : Ē Il faut que ce soit pour demain quand je le vous enverrai dire ; car sÕil plait ˆ Dieu, nous serons demain dans Montauban pourvu que chacun veuille bien faire son devoir. Č Je lÕassurai quÕil ne tiendrait pas ˆ ceux de notre quartier dÕy apporter toute leur industrie et pouvoir. Il me dit quÕil ne voulait rien autre de nous sinon que par une feinte attaque nous eussions ˆ divertir les ennemis pendant que du c™tŽ de Picardie on forcerait la ville. Je ne me pus tenir de lui dire : Ē Monsieur, vous en parlez avec une grande confiance : Dieu veuille quÕelle ne soit point vaine. Č JÕavais bien ou• les deux jours prŽcŽdents une furieuse batterie en ce quartier-lˆ ; mais je ne mÕapercevais point dÕaucune brche raisonnable ni dÕautre chose qui nous džt donner aucune apparence de cela : et certes je me suis mille fois depuis ŽtonnŽ dÕun tel aveuglement qui ait continuŽ si longtemps et ˆ tant de diverses personnes, et nÕai jamais su ˆ quoi lÕattribuer. Mr de Schomberg mme en me disant adieu, il me dit : Ē Mon frre, je vous offre aprs demain ˆ d”ner dans Montauban. Č Je lui dis : Ē Mon frre, ce sera un vendredi et jour de poisson ; remettons la partie au dimanche, et nÕy manquez point. Č

Je vins rapporter lÕordre que mÕavait donnŽ monsieur le connŽtable ˆ messieurs nos marŽchaux, lesquels me commandrent de faire charger notre mine et de tenir toutes choses prtes pour le lendemain.

Ce fut le jeudi 21me jour dÕoctobre quÕau matin le roi et monsieur le connŽtable partirent de Picacos ayant fait porter leur d”ner au quartier de Picardie, o se devait faire cette solennelle exŽcution, avec une telle certitude que Reperan secrŽtaire de Mr de Schomberg convia les commis de Mr de Puisieux de venir dans sa chambre pour voir prendre Montauban ; que les chefs du quartier commandrent ˆ leurs gens dՐtre prts ˆ porter leur souper et coucher dans la ville quand on leur manderait. Ils placrent le roi, Mr de Retz, cardinal, monsieur le connŽtable, le pre Arnoux, Mr de Puisieux et autres en lieu o ils pussent facilement voir forcer la ville, et tant dÕautres choses plus ridicules que je ne daignerais Žcrire.

LÕordre gŽnŽral et particulier fut fait : on nous manda de commencer la danse en notre quartier. Le roi envoya plusieurs fois savoir ˆ quoi il tenait que lÕon ne donn‰t, et il nÕy avait ni descente au fossŽ, ni montŽe ˆ la brche, ni mme brche, qui ne fut remparŽe : il y avait mme une pice entre la brche et le lieu dÕo lÕon partait, qui nՎtait ni ruinŽe, ni battue : il nÕy avait point dՎchelles pour y monter, et quand il y en ežt eu, point de moyen de le faire. Enfin aprs avoir consumŽ toute la journŽe jusques ˆ six heures du soir, avoir tenu six cents gentilshommes et quantitŽ de gens de marque armŽs tout le jour, sans agir ni tenter de faire aucune chose, si ce nÕest de faire tuer de la ville force gens qui se dŽcouvraient, on vint dire au roi que lÕon avait de nouveau fait reconna”tre le lieu o il fallait donner, et que vŽritablement il nՎtait raisonnable ; et sur cela chacun sÕen retourna.

On nous avait mandŽ sur les quatre heures aprs midi de faire jouer notre mine, ce que nous f”mes en mme temps : elle fit un fort bon effet et ouvrit une grande partie des cornes sur lesquelles nous nous loge‰mes ; mais cՎtait en vain, car nous nÕavions pas ˆ prendre la ville. La mine en faisant son effet, tua dÕune grosse motte de terre enlevŽe le jeune frre de Mr de Saint-Chaumont nommŽ Miolans, dont il fut hŽritier de plus de vingt mille livres de rente. Du mme coup Le Plessis de Chivray fut portŽ par terre, qui fut plus de quatre heures tenu pour mort, et passai trois ou quatre fois par dessus lui, ne le connaissant pas, ˆ cause quÕil avait le visage tournŽ contre terre.

Messieurs nos marŽchaux ni aucun de notre quartier ne voulut les jours suivants aller ˆ Picacos pour voir la contenance du monde. Mais le lendemain vendredi 22me monsieur le connŽtable envoya dire que quelquÕun du quartier le v”nt trouver. Messieurs les marŽchaux me commandrent dÕy aller. Je trouvai le roi dans son cabinet avec lui, Mr le cardinal de Retz, Rouccelay, et Modene. Le roi me dit dÕabord : Ē Vous aviez bien toujours ŽtŽ dÕavis quÕil ne se ferait rien qui vaille du c™tŽ de Picardie. Č Je lui dis : Ē Votre MajestŽ me pardonnera, mais je nÕai pas cru que tout ce que lÕon proposait rŽuss”t : nŽanmoins il ne faut pas juger des choses par les ŽvŽnements. Č Il me dit lors : Ē Que croyez-vous de cette batterie quÕils veulent faire sur ce tertre o ils font lÕesplanade ? Č Ē Je dis, Sire, lui rŽpondis-je, que sÕils la peuvent faire, la ville est ˆ nous ; mais comme nous songeons ˆ les prendre, ils songent aussi ˆ sÕempcher dՐtre pris : ce sera merveille sÕils les laissent paisiblement faire cette batterie, et ils ont prou de moyens de les troubler, et si lÕon leur empche cette batterie, vous pouvez bien remettre la prise de Montauban ˆ lÕannŽe qui vient. Č Ē Et moi, dit le roi, je ne me voudrais plus arrter ˆ ce quÕils veulent faire, car ce sont des trompeurs : je ne me fierai jamais ˆ ce quÕils me diront. Č Monsieur le connŽtable nÕavait point encore parlŽ, qui dit lors : Ē Tout beau, Sire, ils ont cru bien faire, et en sont plus marris que vous : ce ne sont pas les premiers qui se sont trompŽs ˆ leur calcul. Ils rŽpondent encore ˆ cent pour cent que dans cinq jours ils pourront mettre leurs canons sur le tertre ; et sÕils le peuvent faire, voila Mr de Bassompierre qui vous dit que vous tes ma”tre de Montauban : donnons-leur encore ce temps. Č Il me dit lors : Ē Mon frre de Chaunes mÕa dit plusieurs fois que Mr de la Force vous avait priŽ de moyenner une entrevue entre eux deux. Aurait il, ˆ votre avis, dessein de renouer la pratique de Mr de Rohan, et vous a-t-il point dit quÕil en ežt quelque pouvoir ? Č Je lui dis quÕil mÕavait fait para”tre ce dŽsir, mais que lÕaffaire du jour prŽcŽdent lui Žtait si favorable et ˆ nous si contraire que jÕavais peur quÕils nÕen fussent maintenant ŽloignŽs. Lors, il me dit que si je voyais jour pour les ajuster, que je le fisse ; que de son c™tŽ il t‰cherait de remettre la pratique de Mr de Rohan sur pied.

Ainsi je mÕen retournai avec cet ordre en notre quartier, que je cherchai le moyen dÕexŽcuter sans montrer que ce fžt avec affectation, pour ne hausser davantage le chevet aux huguenots, superbes de leurs bons succs, tandis que ceux du quartier du Moustier t‰chaient dÕavancer leur prŽtendue batterie. Mais les ennemis qui Žtaient ma”tres de leur fossŽ vinrent miner dessous ce travail, en sorte que la nuit du dimanche 24me au lundi 25 sur les deux heures du matin, ceux de Montauban sortirent par une fausse porte au dessus du Moustier et vinrent par lÕentrŽe de la tranchŽe attaquer le rŽgiment de Picardie qui Žtait en garde depuis ce coin de la contrescarpe jusques au penchant et de ce penchant vers le Tarn jusques ˆ lÕesplanade o lÕon voulait faire la batterie, et turent tous ceux qui voulurent faire rŽsistance ou qui ne se jetrent de la tranchŽe dans le penchant qui va vers le Tarn, et turent quatre capitaines du rŽgiment de Picardie, et en mme temps firent jouer la mine quÕils avaient faite sous lÕesplanade et emportrent tout le lieu o lÕon voulait mettre la batterie.

Monsieur le connŽtable me commanda de me trouver le lendemain chez Mr de Schomberg o il vint d”ner, et lÕaprs-d”ner il fut agitŽ de ce que lÕon devrait faire pour remŽdier au dŽsordre de la nuit prŽcŽdente ; ce que Mr de Marillac promit de faire, et malgrŽ les ennemis, de mettre dans cinq jours trois pices en batterie au mme lieu o elles avaient ŽtŽ destinŽes.

Mais la nuit du mercredi au jeudi 28me les ennemis firent une autre grande sortie sur Champagne qui y Žtait de garde et ne la put soutenir, de sorte quÕils g‰trent toutes les tranchŽes. Ils donnrent aussi par en bas sur le rŽgiment de Villeroy qui les laissa passer jusques aux batteries de derrire eux, et donnrent sur une des trois pices que quinze Suisses gardaient, dont ils en turent trois et chassrent le reste, et g‰trent une desdites pices.

Tant de malheurs consŽcutifs obligrent monsieur le connŽtable dÕaller au quartier du Moustier et dÕassembler les chefs des autres quartiers pour prendre une finale rŽsolution. Chacun voyait apparemment quÕil nÕy avait plus de moyen de continuer le sige ; mais personne ne le voulait proposer. Marillac fut dÕavis de faire un fort au Moustier, qui commanderait la ville et auquel on mettrait tous nos canons et munitions en rŽserve pour, en un autre meilleur temps, en user, et que cÕavait ŽtŽ le premier avis de Mr le marŽchal Desdiguieres en arrivant ˆ Montauban. Monsieur le marŽchal dit alors quÕau commencement du sige le succs avait fait voir que son conseil Žtait bon et ežt ŽtŽ maintenant utile, mais quÕil nՎtait pas dÕavis de lÕexŽcuter astheure quÕil nous faudrait tenir une armŽe deux mois durant sur pied pour le mettre en perfection ; que la saison ni nos troupes ne le nous pouvaient permettre. Mr le marŽchal de Saint-Geran proposa de rŽduire les trois quartiers en un, et de continuer vivement lÕattaque du Moustier, persistant toujours que lÕon prendrait infailliblement Montauban si on lÕattaquait comme on lÕavait toujours proposŽ. Je suppliai Mr de Schomberg de lui demander o il voulait faire la batterie, vu que la mine des ennemis avait emportŽ la place o lÕon lÕavait destinŽe. Il lui rŽpondit que cՎtait ˆ lui qui faisait la charge de lÕartillerie, de la trouver. Il lui rŽpliqua que sa charge Žtait de faire faire les batteries o les gŽnŽraux dŽsiraient et pour battre ce quÕils jugeaient quÕil fallait battre. Sur cela monsieur le connŽtable leur dit : Ē Messieurs, nous ne sommes pas ici pour dŽcider de vos charges, et il nÕen est pas temps. Č Puis il demanda lÕavis de plusieurs autres qui tous tournrent autour du pot, jusques ˆ ce quÕil demanda mon opinion. Je lui dis lors :

Ē Monsieur, si je reconnaissais que notre persŽvŽrance au sige de la ville de Montauban la pžt porter ou forcer ˆ se rŽduire ˆ lÕobŽissance quÕelle doit au roi, je vous conseillerais de vous y opini‰trer, et mÕestimerais bien heureux dÕemployer selon mon devoir, mon temps, mon travail et ma vie en lÕexŽcution dÕune chose tant importante ˆ lÕhonneur et au service du roi. Mais voyant lՎtat prŽsent de notre armŽe, fatiguŽe par une longue campagne et par plusieurs grands siges quÕelle a faits cet ŽtŽ, diminuŽe par la perte de quantitŽ de braves hommes qui y sont pŽris, et finalement ruinŽe par les maladies et autres incommoditŽs, je ne feindrai point de vous dire ouvertement ce que messieurs les prŽopinants vous ont voulu faire comprendre par leurs discours ambigus, qui est que vous devez plut™t songer ˆ rendre le repos ˆ votre armŽe, dont vous lÕavez privŽe depuis huit mois, quՈ lÕemployer infructueusement en la continuation dÕun sige auquel toutes choses nous sont plus dŽsavantageuses au bout de trois mois quÕil est commencŽ, que lorsque nous lÕavons entrepris. Il est entrŽ dans cette place plus de deux mille soldats depuis la dŽfaite du secours ; les habitants le sont devenus par un exercice continuŽ durant trois mois, et ne sont pas plus enorgueillis quÕencouragŽs, tant par leurs heureux succs de Ville Bourbon que par ces deux dernires sorties ; lÕattaque gŽnŽrale entreprise et non exŽcutŽe leur a enflŽ le cĻur et aplati celui de nos gens de guerre qui se sont persuadŽ que nous ne la pouvions faire puisque nous ne la faisions pas ; nous sommes ˆ la fin de lÕautomne, qui est le temps auquel on a accoutumŽ de cesser dÕentreprendre et dÕagir. Je vous en puis parler dÕautant plus librement, Monsieur, que je suis moins intŽressŽ dans lÕaffaire ; car ceux de notre quartier ont ŽtŽ dŽchargŽs de la prise de cette ville ds que vous les dŽcharge‰tes de leur artillerie. Toutes choses y sont en leur entier : les ennemis ne nous y ont donnŽ aucun tour ni atteinte, et nos troupes qui sont vŽritablement aucunement dŽpŽries, ne le sont point ˆ lՎgard de celles de Ville Bourbon ou du Moustier, et nous reste encore cinq mille bons hommes de pied prts ˆ employer o il vous plaira nous commander. Ces messieurs qui commandent en ce quartier et qui soutiennent tout le faix du sige sur leurs Žpaules, ont tant de gŽnŽrositŽ et de gloire, quÕils aimeraient mieux pŽrir et mourir que de vous avoir proposŽ de le lever ; mais moi qui nÕai pas les mmes intŽrts quÕeux, ˆ qui celui du service du roi mÕest cher ˆ lՎgal de ma vie, je ne marchanderai point ˆ vous dire en ma conscience, et selon le serment que jÕy ai, que vous devez, Monsieur, avec un bon ordre, une entire sžretŽ, et en temps non prŽcipitŽ, quitter lÕentreprise et le sige de Montauban et rŽserver le roi, vous, et cette armŽe, ˆ une meilleure fortune et ˆ une plus commode saison. Č

Comme un chacun vit clairement que mon avis Žtait le seul que la saison et lՎtat de nos prŽsentes affaires requŽraient, personne nÕy contredit, bien que aucun nÕen voulžt proposer autant, chacun Žtant bien aise dÕen laisser faire la proposition ˆ un autre.

Je mÕen retournai par Picacos avec monsieur le connŽtable qui me dit quÕil Žtait rŽsolu de lever le sige. Je lui dis : Ē Monsieur, vous faites bien de vous coucher de peur dՐtre portŽ par terre. Je ne mՎtonne pas que vous soyez contraint de lever un sige que vous avez entrepris sans dessein ; car vous ne vous y tes embarquŽ que sur lÕassurance que le comte de Bourfran vous donnait de trahir la place. Č Il me dit lorsque cՎtait Esplan qui lÕy avait embarquŽ, et Schomberg empchŽ de sÕen dŽptrer honorablement ; que le roi Žtait bien mal satisfait de lui et quÕil Žtait fort content de moi, et quÕil me croirait dŽsormais aux choses de la guerre, et non lui. Il me commanda ensuite dÕembarquer Mr de la Force ˆ parler ˆ Mr le duc de Chaunes ; ce que je fis pour le vendredi 29me octobre, auquel Mr de la Force et dÕOrval avec quelques uns des principaux de Montauban sortirent de la porte de la ville qui est entre le bastion de la Garrigue et les cornes que nous attaquions, et environ ˆ deux cents pas de la ville Mr de Chaunes et moi nous y trouv‰mes. Nous nous salu‰mes avec beaucoup de tendresse et dÕaffection ; ils prirent que lÕon ne parl‰t point en particulier, parce quÕayant affaire ˆ une ville jalouse et ˆ un peuple souponneux, cela leur pourrait porter prŽjudice. Il y eut beaucoup de discours de part et dÕautre, qui enfin aboutirent de leur part quÕils Žtaient trs humbles serviteurs et sujets de Sa MajestŽ, qui ne respiraient quÕune entire et parfaite obŽissance ˆ ses volontŽs et commandements, pourvu que le libre exercice de leur religion et les autres choses accordŽes par leurs Ždits soient ponctuellement observŽes ; et Mr de Chaunes conclut sur lÕassurance que le roi les recevrait en ses bonnes gr‰ces quand ils se remettraient en leur devoir.

Voilˆ en quoi consista cette confŽrence et le fruit quÕelle apporta, qui fit bien juger quÕils nՎtaient pas pour raccrocher le prŽcŽdent accord, non plus que Mr de Rohan, qui nÕy voulut plus entendre ; ce qui porta le roi et monsieur le connŽtable ˆ se rŽsoudre, le mardi 2me jour de novembre, de lever entirement le sige de Montauban et dÕenvoyer cette leur volontŽ aux chefs qui commandaient au quartier de Picardie, afin de sÕy prŽparer : ce quÕils firent durant quelques jours en retirant les canons en nombre de trente-deux, qui Žtaient dans les diverses batteries, et les mirent dans le parc lequel tous les chevaux de lÕartillerie ramenrent en six voyages avec tous les affžts et munitions depuis le vendredi 5me jusques au dimanche 7me, et les dŽchargrent sur le bord du pont du Tarn de notre c™tŽ. JÕenvoyai ces trois jours durant huit cents Suisses pour escorter, depuis le quartier de Picardie jusques au n™tre, toutes les voitures des canons.

Enfin le lundi 8me de novembre ˆ trois heures du matin le quartier de Picardie leva le sige, et se retira au quartier de Ville Bourbon, laissant la ville libre de tout ce c™tŽ lˆ jusques au commencement de celui des gardes ; et fallut que de lˆ en avant, non seulement nous nous gardassions de la tte des ennemis, mais aussi tout notre c™tŽ gauche qui demeura dŽcouvert.

On employa tout ce jour-lˆ et le suivant mardi 9me, ˆ embarquer nos canons dans les bateaux sur lesquels notre pont Žtait b‰ti, pour les faire descendre le long du Tarn dans la Garonne vers Moissac.

Le mercredi 10me le roi quitta son logis de Picacos et vint loger ˆ Montbeton, quartier de Ville Bourbon ; il passa en y allant devant mon logis et me dit, la larme ˆ lÕĻil, quÕil Žtait au dŽsespoir dÕavoir reu ce dŽplaisir de lever le sige, et quÕil nÕavait contentement que de notre seul quartier ; quÕau reste il avait rŽsolu de me donner seul lÕarmŽe ˆ mener, mais que je nÕen dise rien et quÕil nÕy avait que monsieur le connŽtable et lui qui en sussent rien, et que je le vinsse voir le lendemain matin ˆ Montbeton.

Mr le marŽchal de Pralain lui envoya en ce mme temps demander congŽ de se retirer de lÕarmŽe pour se faire panser de la fivre quÕil avait depuis quatre jours, ce quÕil lui permit.

Le jeudi 11me de novembre jÕallai suivant lÕordre du roi ˆ Montbeton, lequel me voyant mal en ordre, mÕen demanda la cause : je lui dis que jÕavais couchŽ dans la tranchŽe. Lors, tout ŽtonnŽ, il me dit pourquoi je nÕavais pas encore levŽ le sige : je lui rŽpondis que cՎtait parce quÕil ne me lÕavait pas commandŽ. Il demanda ˆ monsieur le connŽtable sÕil ne me lÕavait pas dit, lequel rŽpondit quÕil croyait que cela fžt fait ds le dimanche passŽ ainsi quÕau Moustier, et que nous avions grand tort de nÕen avoir point parlŽ. Je lui rŽpondis que je nÕavais garde, et que jÕy fusse demeurŽ toute ma vie devant que de lui en faire instance, bien quÕil nous ait fallu depuis quatre jours continuels doubler nos gardes, attendu que ceux de Montauban nÕayant plus ˆ songer quՈ nous, pouvaient nous attaquer avec leurs forces entires auxquelles notre garde ordinaire nÕežt su rŽsister. Ils me dirent lors que je ne manquasse pas de lever le sige la prochaine nuit, et que je portasse cet ordre ˆ Mr de Chaunes de leur part ; mais comme ils me parlaient, il arriva, et lors ils lui dirent que la nuit prochaine il ežt ˆ quitter les tranchŽes. Je lui dis que je ne mÕy trouverais pas sÕil le levait de nuit ; mais sÕils me voulaient permettre de le lever de jour, je le ferais et avec ordre, et avec notre honneur, et que je leur suppliais trs humblement de mÕaccorder cette gr‰ce, leur rŽpondant de ma tte de tout le mal qui en arriverait ; ce quÕils mÕaccordrent aprs quelque contestation, et M de Chaunes me dit que je prisse le temps que je voudrais pour ce sujet, mais quÕil y voulait tre. Je lui dis lorsque ce serait entre trois et quatre heures aprs midi de ce mme jour, et que je mÕen allais y donner ordre afin quՈ son arrivŽe il trouv‰t tout prt ; et ˆ lÕheure mme je retournai ˆ la tranchŽe pour le faire savoir aux gardes. Quelques capitaines mÕy contrarirent, disant que les ennemis me donneraient sur la queue et que je ne ferais pas ma retraite sans perte. Enfin ils me crurent, et fis lÕordre nŽcessaire pour bien frotter les ennemis en cas quÕils fussent venus nous troubler, puis donnai ordre de faire dŽcamper les Suisses, Estissac, Vaillac, PiŽmont, Chappes et Normandie, et les mettre en bataille entre le quartier des gardes et la queue de la tranchŽe ; aprs quoi je demandai ˆ parler ˆ Mrs de la Force et dÕOrval et aux capitaines qui avaient la garde contre nous, lesquels arrivŽs, je leur dis que nous Žtions prs de dŽloger, remettant la partie au printemps prochain pour lÕachever ˆ leur perte et ˆ notre avantage, et que jՎtais venu prendre congŽ dÕeux et savoir si quelquÕun de nous avait manquŽ de payer son h™te, afin de le satisfaire, ne voulant point laisser mauvaise renommŽe de nous. Ils mÕembrassrent et me dirent adieu, mÕassurant que cette nuit ˆ notre dŽpart ils nous feraient prendre le vin de lՎtrier. Je leur dis que sÕils nous voulaient faire boire, il fallait que ce fžt dans une heure ; car nous voulions employer le reste de la journŽe. Ils nÕen crurent rien ; mais je leur assurai et jurai que je ne leur mentais point, et que leur en voulant laisser le signal, je ferais premirement mettre le feu aux huttes dÕEstissac, puis ˆ celles de Vaillac, de lˆ aux Suisses, ˆ PiŽmont, Chappes, et ˆ Normandie, et quÕaprs je mettrais le feu aux choses combustibles de nos tranchŽes ; finalement aprs lÕavoir mis ˆ notre cavalier, nous ferions immŽdiatement aprs notre retraite qui ne serait pas plus longue quÕau bout de la tranchŽe. Ils me dirent que si jÕen usais de la sorte, je mÕen trouverais mauvais marchand. Comme je leur parlais ils virent embraser le quartier dÕEstissac, puis celui de Vaillac, et celui des Suisses, et ainsi les autres consŽcutivement, ce qui leur persuada mon dire, et me laissrent pour mÕaller prŽparer la collation. Mais la composition de mes tranchŽes Žtait de telle faon que je nÕavais rien ˆ apprŽhender ; elles Žtaient ˆ angle saillant et rentrant ; et aux angles, de petites places dÕarmes capables de quinze mousquetaires, entre la rivire du Tarn o il y avait un chemin sur le bord, et un autre grand chemin, lesquels avaient chacun cinq ou six traverses sur lesquelles on pouvait loger des mousquetaires qui enfilaient encore les tranchŽes sans pouvoir tre dŽlogŽs : de sorte que je garnis ces traverses et ces places dÕarmes de bonne mousqueterie, et toutes les lignes, hormis la premire, furent bordŽes de mousquetaires en cas quÕils eussent voulu passer par dessus les tranchŽes : et ainsi je quittai la premire ligne, mes piques en retraite pour faire tte sÕils fussent venus, et aprs cette premire ligne, comme les ennemis y voulurent entrer, ils furent saluŽs des mousquetaires qui Žtaient ˆ la premire place dÕarmes et des autres qui Žtaient sur les traverses, qui leur firent bien cacher le nez, et ne parurent plus. Aprs jՙtai les mousquetaires desdites traverses et places fait ˆ fait [au fur et ˆ mesure] que je nÕen avais plus de besoin, et ainsi me vins camper ˆ deux cents pas des tranchŽes en un lieu o le canon de la ville ne nous pouvait voir, auprs de toutes nos troupes, proche du pont, sans que je perdisse un seul homme, en plein jour, ayant suffisament averti les ennemis de notre retraite qui fut faite en la prŽsence de Mr de Chaunes qui lÕapprouva fort, et lors il sÕen alla loger au quartier du roi, mÕayant prŽcŽdemment ordonnŽ dÕy passer le lendemain, aprs avoir assurŽ le bord de deˆ de notre pont par une bonne redoute, ˆ laquelle je fis ˆ lÕheure mme travailler, Žtant chose dÕimportance, attendu que tous nos canons Žtaient sur les bateaux du pont, lequel il fallait rompre pour faire descendre notre artillerie ˆ Moissac, ce que je pensais que lÕon ferait seulement ˆ deux ou trois jours de lˆ. JÕemployai le reste du jour ˆ poser les gardes de mon campement qui Žtait ouvert de tous c™tŽs, et toute la nuit ˆ faire passer nos malades et notre bagage.

Sur le point du jour je mis cinq cents hommes des gardes et cinq cents Suisses pour faire tte aux ennemis durant le passage de nos troupes et commenai ˆ faire passer dans le quartier du roi les rŽgiments de Vaillac et dÕEstissac quand Mr de Schomberg avec quelque trente gentilshommes passrent ˆ moi. Il me donna une lettre du roi et une de monsieur le connŽtable, portant crŽance sur lui. Il me dit premirement ce dont le roi lÕavait chargŽ, qui Žtait quÕil me donnait la conduite et le commandement de son armŽe pour la mener devant Monheurt quÕil dŽsirait que jÕassiŽgeasse cependant quÕil sŽjournerait ˆ Toulouse, et que si je voyais apparence de prendre bient™t la ville, que je lui mandasse et quÕil passerait par lˆ ; si aussi cՎtait une affaire de longue haleine, quÕil passerait par Lectoure pour sÕen aller ˆ Bordeaux ; quÕil avait donnŽ charge ˆ lui Schomberg de me fournir tout ce que je dŽsirerais de lÕartillerie, et tout ce quÕil pourrait des finances, ses deux charges ; que le roi avait Žcrit au marquis de Grignaux et au comte de Ribeirac qui lui amenaient chacun un rŽgiment, de se venir joindre ˆ moi, comme aussi ˆ Mr le marŽchal de Roquelaure de mÕenvoyer son rŽgiment et sa compagnie de gendarmes ; toutes lesquelles lettres il me donna pour les envoyer, et me conseilla que ce fžt par Le Mayne qui avait connaissance en ce pays-lˆ et de cette place ; ce que je fis ˆ lÕheure mme, et lui donnai charge dÕinvestir mme la place avec ces deux rŽgiments sÕils y Žtaient arrivŽs plus t™t que moi.

Mr de Schomberg me dit ensuite ce que monsieur le connŽtable lui avait chargŽ de crŽance, laquelle ˆ mon avis il avait pratiquŽe et mendiŽe, qui Žtait quÕayant considŽrŽ que les canons qui Žtaient sur nos bateaux nՎtaient point en sžretŽ parce quÕune redoute pouvait tre battue et forcŽe par les ennemis qui seraient ma”tres de tout ce c™tŽ de la rivire, et que ce nous serait un grand dŽshonneur sÕils nous gagnaient un de nos bateaux, soit en gagnant notre redoute, soit en les attirant ˆ eux comme ils avaleraient le long du Tarn dont une des rives Žtait entirement ˆ eux ; cՎtait pourquoi il me priait de demeurer deˆ avec les troupes que je voudrais choisir, hormis celles des gardes franaises et suisses, et faire rompre le pont et avaler les vaisseaux, puis mÕen venir passer ˆ la pointe de la Veyrou ˆ deux lieues de lˆ, o il me ferait tenir des bateaux tout prts pour toute ma troupe. Je considŽrai bien la pŽrilleuse commission que lÕon me donnait de faire couper ce pont et me laisser avec sept cents hommes sans pouvoir tre secouru, en un pays du tout ennemi et ˆ la vue dÕune ville o il y avait plus de trois mille hommes de combat et soixante bons chevaux qui auraient deux lieues durant ˆ me suivre, et au bout trouver un confluent de deux rivires devant moi ˆ passer en bateaux, cinquante ˆ cinquante. Je dis nŽanmoins ˆ Mr de Schomberg devant cette noblesse, que je savais bien que cette commission mÕavait ŽtŽ procurŽe par lui qui avait voulu, pour sauver ses canons, me hasarder ˆ une ruine assurŽe si les ennemis lÕentreprenaient comme ils feraient infailliblement, et ne manqueraient pas de bons avis de cela, et par nos gens mmes ; toutefois que je nÕavais encore refusŽ aucun commandement que lÕon mÕežt fait, et que je ne commencerais pas par celui-lˆ, prenant nŽanmoins ˆ tŽmoins tous ces gentilshommes, si je me perdais, que je lÕavais plut™t voulu faire que de manquer aux ordres et au service du roi. Mr de Schomberg me dit que vŽritablement cette commission Žtait ruineuse, mais quÕelle Žtait importante au service du roi qui avait une telle estime de ma suffisance et si grande opinion de ma bonne fortune quÕil Žtait tout assurŽ que je la ferais heureusement rŽussir ; quÕil avait bien fait conna”tre ˆ Sa MajestŽ lÕinconvŽnient quÕil y avait de dŽgarnir ce c™tŽ du Tarn avant quÕavoir fait acheminer nos bateaux chargŽs de canons ˆ Moissac, mais que cÕavait ŽtŽ le roi qui mÕavait nommŽ et destinŽ ˆ cette action, tant pour les raisons susdites que parce que jՎtais dŽjˆ portŽ sur le lieu, que jÕavais le commandement des troupes et quÕil nÕen pouvait envoyer un autre ˆ lÕexŽcution de cette affaire sans me faire tort ; finalement quÕil Žtait venu me trouver avec cette noblesse pour avoir sa part du bien et du mal qui me pourrait arriver, et quÕil mourrait avec moi.

Cette dernire offre me ferma la bouche et fit que je me mis incontinent ˆ faire lÕordre que jÕavais ˆ tenir, et effectuer celui que le roi mÕenvoyait. Je pris donc 400 hommes du rŽgiment de PiŽmont, 200 de Normandie et 200 de Chappes pour faire ma retraite, que je mis en bataille ˆ la place du rŽgiment des gardes, lequel, avec tout le reste de nos troupes, je fis incontinent passer le Tarn et sÕaller joindre au roi prs de Montbeton, et puis commenai ˆ faire rompre notre pont ; et fait ˆ fait que lÕon dŽtachait un bateau, je le faisais descendre ˆ val. Ceux de Montauban voyant toutes nos actions fort clairement, je mÕattendais ˆ toute heure de les avoir sur les bras, et quÕils sortiraient, cavalerie, infanterie et canon. Enfin nous fžmes prts ˆ marcher, et je priai lors Mr de Schomberg de para”tre sur un lieu un peu ŽlevŽ et mettre en deux rangs ces quarante chevaux quÕil pouvait avoir, vingt de front, afin de faire croire aux ennemis quÕil y en avait cent. Mais les ennemis aprs avoir escarmouchŽ un demi quart de lieue sans nous enfoncer, furent si joyeux de nous voir retirer quÕils cessrent de nous suivre. Je fis quatre bataillons de mes huit cents hommes, et trente mousquetaires que jÕen tirai pour tre sur les ailes de trente piques qui Žtaient les derniers et que je menais, faisant toujours marcher nos ordres sŽparŽs, afin de ne nous point embarrasser. Aprs que les ennemis se furent lassŽs de nous suivre sans profit que de bonnes mousquetades, notre cavalerie passa par un guŽ que nous lui enseign‰mes, et nous laissa aller aprs nous avoir dit adieu, et nous continu‰mes paisiblement notre chemin jusques ˆ la pointe de la Veyrou o nous ne trouv‰mes aucun bateau pour passer, comme il nous avait ŽtŽ promis, ce qui me mit en une grand peine : car de nous camper ˆ cette pointe, ceux de Montauban sortiraient avec deux mille hommes, leur canon et leur cavalerie, et nous viendraient dŽfaire ; de passer, je ne pensais pas quÕil y ežt de moyen. Enfin je fis sonder un lieu o il ne se trouva dÕeau que jusques ˆ la ceinture pour passer : alors je dis ˆ nos soldats que je serais leur guide, et que je mÕassurais quÕils me suivraient volontiers, encore que lÕeau fut bien froide alors. Ils me prirent de la passer sur un cheval que lÕon mÕavait menŽ ; mais je ne le voulus faire, et commencions tous ˆ nous dŽchausser pour nous mettre en lÕeau, quand nous avis‰mes descendre un bateau chargŽ dÕavoine dans des sacs, venant de Picacos. Nous le f”mes aborder, et ayant en diligence mis ˆ terre tous les sacs, nous pass‰mes en seize fois, cinquante ˆ cinquante, et moi ˆ la dernire passŽe quÕil Žtait toute nuit. Je logeai mes troupes ˆ trois villages prochains et mÕen vins encore ˆ Moissac o le roi avait envoyŽ le sieur des Fourneaux marŽchal des logis de lÕarmŽe avec tous mes ordres nŽcessaires.

Je fus contraint de demeurer le lendemain, tant pour emprunter de lÕargent de toutes les bourses, o je trouvai cinq mille Žcus, et trois que jÕen avais encore, que de prŽparer des bateaux pour embarquer toute lÕinfanterie, canon, bagage, et munitions de guerre et de vivres, et que pour donner les ordres nŽcessaires pour nourrir notre armŽe : ce que je rŽglai jusques ˆ Agen o jÕenvoyai en diligence pour avoir trente mille pains prts. JÕallai aussi ˆ la pointe du Tarn reconna”tre, et pourvoir ˆ lÕembarquement.

Le dimanche 14me je partis de Moissac et vins coucher ˆ la Magistere. Je fis passer ma cavalerie du c™tŽ gauche de lÕeau, qui est un bon pays de fourrage.

Le lundi 15me je mÕen vins ˆ Agen o je trouvai que lÕon nÕavanait gure pour notre munition, et que les jurats de la ville la dŽtournaient, disant que le pain enchŽrirait dans leur ville si on en tirait une si grande quantitŽ pour lÕarmŽe : ce que je ne trouvai pas bon. Messieurs de la ville mՎtant venus voir, je leur dis comme le roi mÕenvoyait nettoyer et rendre libre la rivire de Garonne, ce que jÕespŽrais faire dans peu de jours par la prise de Monheurt que jÕallais assiŽger, et que jÕavais dŽjˆ fait investir ; que je mÕassurais que pour une si bonne Ļuvre ils contribueraient de tout ce qui serait en leur puissance ; que jÕavais diverses choses ˆ leur demander, les unes en payant, les autres en prt ˆ bien rendre ; de cette dernire sorte Žtaient deux milliers de poudre menue grenŽe que je leur priais de me prter, lesquels leur seraient remplacŽs quand lՎquipage de lÕartillerie passerait par devant leur ville, et que jÕy avais dŽjˆ pourvu ; ce que je voulais en payant Žtaient six cents pelles, trois cents pics et trois cents hoyaux, quelques serpes et quelques haches, que je ferais payer comptant, comme aussi trente mille pains prŽsentement, et dix mille par jour tant que ce sige durerait ; que je demandais quÕils prissent ce soin lˆ et mÕen dŽlivrassent, et que je leur mettrais argent en main pour faire faire toute cette fourniture. Ces messieurs me firent rŽponse quÕils allaient assembler le conseil de ville pour en rŽsoudre et puis quÕils me viendraient parler, ce quÕils firent au bout dÕune heure ; et leur rŽponse fut quÕils trouvaient fort bon que je fisse faire les outils que je demandais, et que sÕil y en avait, on me les donn‰t en payant ; que pour leur poudre menue grenŽe, ils ne sÕen voulaient dŽgarnir, mais que si jÕen trouvais ˆ vendre chez les marchands, ils permettraient de la sortir de la ville ; que pour la quantitŽ de pains que je demandais, ils ne pouvaient souffrir que lÕon la tir‰t de leur ville, car cela y mettrait non seulement la chertŽ, mais encore la disette : et sur cela me vinrent prŽsenter du vin de la ville quÕils me prirent de recevoir. Je leur rŽpondis :

Ē Messieurs, je ne veux ni ne dois accepter le vin de ceux qui refusent le pain au roi, ni moins demeurer en une ville que je ne crois pas qui lui soit gure plus affectionnŽe que Montauban, et qui peut tre le serait moins si elle Žtait aussi forte. Je viens vous ™ter une taie de lÕĻil et ouvrir le commerce de votre ville avec celle de Bordeaux ; qui vous devrait obliger non dÕaccorder ce que je vous demande, mais dÕen offrir beaucoup davantage : et vous me rŽpondez comme si jՎtais venu de la part du roi dÕEspagne ou dÕAngleterre et non de celle de votre roi. Sachez que je vous puis ™ter, (voire faire pis), ce que je vous demande, et que ceux-lˆ donnent tout, qui refusent les choses justes ˆ celui qui a les armes ˆ la main. Je me contenterai nŽanmoins de supersŽder le sige de Monheurt jusques ˆ ce que jÕaie tout ce qui mÕest nŽcessaire ˆ cet effet, et ferai sŽjourner lÕarmŽe du roi sur vos terres et dans vos belles maisons o elle se rafra”chira jusques ˆ ce que jÕaie reu les commandements du roi sur la rŽponse que vous me venez de faire, lesquels, je mÕassure, seront dignes de lui et de votre procŽder, que je saurai fort ponctuellement exŽcuter. Č

Ce discours fini, je me tournai vers Des Fourneaux et lui dis : Ē Donnez le dŽpartement de toute lÕarmŽe depuis les faubourgs de cette ville jusques ˆ une lieue ˆ la ronde, et leur ordonnez dÕy faire bonne chre et de se rŽcompenser des travaux et des peines quÕils ont souffertes ˆ Montauban. Č Et sur cela je tournai le dos ˆ messieurs dÕAgen et montai ˆ ma chambre. Ils voulurent suivre pour me parler ; mais je leur fis dire que jÕallais faire une dŽpche au roi, et que je ne les pourrais voir quՈ sept heures du soir, qui Žtait dans quatre heures. Ces messieurs ne furent pas moins ŽtonnŽs de mon procŽdŽ que jՎtais indignŽ du leur, et voyant que Des Fourneaux allait donner les dŽpartements, ils le prirent de les supersŽder ; mais lui dit quÕau contraire il les h‰terait, et quÕils mŽritaient pire traitement que celui que je leur faisais. Ils revinrent battre ˆ ma chambre, et moi je fis la sourde oreille jusques ˆ ce quÕils me firent dire par La Motte de Nort qui entra par ma garde-robe, quÕils me donneraient non seulement ce que jÕavais dŽsirŽ, mais encore tout ce que je leur voudrais ordonner, et que seulement je les veuille entendre : ce quÕenfin je fis avec une forte rŽprimande, et eus tout ce que je voulus dÕeux. Aussi fis-je changer mes logements.

Le lendemain mardi 16me je vins coucher au Port Ste Marie, et le mercredi 17me je d”nai ˆ Esguillon o Le Meine Chabans me vint trouver, qui me fit savoir comme Monheurt Žtait investi dÕun c™tŽ par le rŽgiment du marquis de Grignaux qui avait le mme soir gagnŽ un moulin trs important et qui nous menait bien prs de la ville. JÕy allai voir aprs d”ner et fis passer les rŽgiments de PiŽmont et de Normandie que je fis camper joignant celui de Grignaux, tirant vers Puch, assez ŽloignŽs lÕun de lÕautre pour garder la moitiŽ de la campagne.

Je mÕen revins le soir coucher ˆ Esguillon, et le jeudi matin 18me je fis passer Navarre, Ribeirac et Champagne, qui achevrent de fermer tout ˆ fait Monheurt du c™tŽ de la terre, et ordonnai lÕattaque de deˆ vers Esguillon aux trois rŽgiments premiers campŽs, et celle de lÕautre c™tŽ aux trois autres, toutes deux le long de la rivire.

Je logeai les compagnies de chevau-lŽgers de Chevreuse, Signan et Bussy Lamet ˆ Puch de Gontaut, et leur ordonnai de battre lÕestrade vers Castel-Jaloux o le vendredi 19me je fis aller loger la compagnie de gendarmes de monsieur le connŽtable.

Le samedi 20me le rŽgiment de Champagne ouvrit la tranchŽe de son c™tŽ. On Žtait bien plus avancŽ du c™tŽ de PiŽmont.

Mr le marŽchal de Roquelaure arriva, ˆ qui je rendis le devoir et lÕobŽissance requise, dont il se contenta, me laissant le dŽtail du sige. Il me pressa dՙter la compagnie de gendarmes de monsieur le connŽtable, de Castel-Jaloux, parce quÕil avait au ch‰teau dudit lieu une compagnie des siennes en garnison, pour lÕentretenement de laquelle il faisait payer ˆ ceux de la ville cinquante francs par jour. Je lui rŽpondis quÕil Žtait le ma”tre, et quÕil pouvait donner le dŽpartement o il lui plairait ; que pour moi je nÕen savais point dÕautre. Il dit quÕil la fallait faire passer delˆ la rivire devers Marmande ; ˆ quoi je contrariai, disant quÕelle nÕy serait sžrement. Il trouva bon de loger ses gardes ˆ Puch, dÕo je retirai vingt soldats que jÕy avais mis.

JÕordonnai aussi que chaque rŽgiment fermerait jusques ˆ celui qui lui Žtait voisin, dÕune tranchŽe par laquelle il y ežt communication ˆ couvert de lÕun ˆ lÕautre, et leur fis fournir dÕoutils. Je fis faire des gabions et dresser des plateformes, afin que ds que nos canons que jÕattendais seraient venus, nous les missions en batterie, et nous avan‰mes des deux c™tŽs nos tranchŽes en toute diligence : elles nՎtaient pas fort sžres ni larges ; mais cՎtait un sige que nous devions dŽvorer sans le m‰cher.

Le dimanche 21me jÕenvoyai nos chevau-lŽgers ˆ la guerre vers Sainte Foi. Nous avan‰mes nos travaux jusques prs du fossŽ des ennemis lesquels me reconnaissaient aisŽment aller et venir, pour tre habillŽ dՎcarlate, montŽ sur un bidet blanc, et ˆ la croix de mon manteau. Ils me tendirent un pige pour me tuer en passant du quartier de PiŽmont ˆ celui de Normandie dont la ligne de communication nՎtait encore parachevŽe. Ils garnirent le bastion avancŽ de mousqueterie, comme ils firent aussi leur contrescarpe. Ils nÕavaient quÕune seule pice de campagne dont ils me salurent comme jՎtais encore loin et avec force gens, lesquels je quittai et ne laissai avec moi que les aides de sergent major de Champagne et de Navarre. Il y avait quelque six-vingt pas ˆ passer ˆ dŽcouvert, que lÕon pouvait Žviter en sՎloignant quelque peu, ce que je ne faisais jamais. Ils tirrent dÕabord leur pice de campagne sur ma compagnie qui Žtait assez loin, ce qui me convia de les prier dÕaller par le couvert, tandis que je mÕen allai avec ces deux aides de major passer plus proche de leur contrescarpe. Alors ils me firent leur salve de telle furie que je ne voyais que balles siffler ˆ l'entour de moi, dont deux portrent, lÕune dans le pommeau de la selle de mon bidet, lÕautre me pera mon manteau. Je fis Žcarter les aides de major ˆ qui il ne le fallut pas dire deux fois, et je descendis de mon bidet pour me mettre ˆ lÕabri dÕun gros arbre qui Žtait proche, auquel ils tirrent plus de cent mousquetades ; mais jՎtais en sžretŽ derrire. Enfin comme je crus quÕils nÕauraient plus ˆ tirer, jÕen sortis et allai assez vite gagner la tranchŽe de Normandie : mais ce ne fut pas sans lՎchapper belle ; car ils me tirrent encore plus de cent mousquetades de soixante pas prs. Mais comme mon heure nՎtait pas encore venue, Dieu mÕen prŽserva contre lÕattente et lÕopinion de ma troupe ŽloignŽe qui me voyait passer par les armes : je nÕai jamais mieux cru mourir que cette fois lˆ.

Les ennemis avaient deux barques armŽes avec lesquelles ils allaient et venaient librement delˆ lÕeau et mettaient toujours quelques nouveaux soldats dedans leur ville ; ce qui mÕobligea dÕarmer un fort bateau tant pour faire escorte ˆ ceux qui montaient et descendaient la rivire que pour resserrer les ennemis.

Je fis aussi passer les rŽgiments de Chappes et de Vaillac de lÕautre c™tŽ de lÕeau et fis commencer un trs beau retranchement o je logeai six canons de batterie ds que lÕartillerie fut arrivŽe, qui fut le lendemain lundi 22me, et que jÕen fis mettre quatre pices dans la batterie que jÕavais prŽparŽe au quartier de PiŽmont, et mme ds le soir elles en tirrent quelques volŽes contre les dŽfenses de la ville.

Mr le marŽchal de Roquelaure nous fit le soir un magnifique festin aux principaux de lÕarmŽe.

Le temps Žtait si mauvais et les pluies si continuelles que nos soldats Žtaient jusques au genou dans la boue : ils souffraient nŽanmoins ces incommoditŽs de bon cĻur et sans murmurer.

Le marquis de Mirambeau, fils a”nŽ de Mr de Boisse qui avait peu auparavant ŽtŽ assassinŽ ˆ Gensac par un nommŽ......, Žtait gouverneur de Monheurt et sՎtait rŽvoltŽ contre le roi ˆ la mort de son pre ; avec lequel Mirambeau jÕavais quelque pratique secrte, et en Žtions demeurŽs ˆ quatre mille Žcus quÕil demandait pour remettre la place s mains du roi, avec une abolition de sa dernire rŽvolte ; dont jÕavertis le roi sans le communiquer ˆ Mr le marŽchal de Roquelaure, ainsi que ledit marquis de Mirambeau mÕen avait priŽ : ce qui fit rŽsoudre le roi et monsieur le connŽtable de venir ˆ Monheurt afin dÕen avoir lÕhonneur de la prise.

Le roi mÕavait envoyŽ le mme jour le sieur de Lancheres qui avait fait semblant de sÕen venir me trouver sans y tre envoyŽ du roi : il mÕen porta une lettre, et une autre de Mr de Puisieux, par laquelle ils me mandrent que je nÕeusse ˆ prendre alarme de ce que Sa MajestŽ avait chassŽ dÕauprs dÕelle le pre Arnoux et que le roi lÕavait fait pour le mieux, comme il me dirait ˆ mon arrivŽe. Je dirai en ce lieu toute cette affaire.

Depuis que Mr de Luynes avait ŽtŽ honorŽ de la charge de connŽtable, il la voulut faire avec tant dÕautoritŽ que cela le rendit suspect au roi, ˆ qui des particuliers soufflaient aux oreilles pour lui faire des mauvais offices, faisant voir au roi que lui ou les siens avaient toutes les bonnes places de France ; que les principaux gouvernements Žtaient en ses mains ; que lui et ses deux frres en trois ans Žtaient devenus ducs et pairs, de si bas quÕils Žtaient auparavant ; quÕils possŽdaient, eux trois, des biens, des charges ou des gouvernements pour plus de dix millions dÕor, et quÕils devenaient insensiblement si puissants que le roi ne les pourrait pas abaisser quand il voudrait. Le roi nՎcoutait pas seulement ces discours, mais les faisait aux autres et sÕen confia premirement au pre Arnoux, puis ˆ Mr de Puisieux. Enfin aprs le sige de Saint-Jean dÕAngeli, comme monsieur le connŽtable revenait un matin de d”ner, ayant ses Suisses et ses gardes marchant devant lui et entrant dans le logis du roi, suivi de toute la cour, et des principaux de lÕarmŽe, le roi le voyant venir dÕune fentre, me dit : Ē Voyez, Bassompierre, cÕest le roi qui entre. Č Ē Vous me pardonnerez, Sire, lui dis-je, cÕest un connŽtable favorisŽ de son ma”tre, qui fait voir votre grandeur, et qui Žtale vos bienfaits aux yeux de tout le monde. Č Ē Vous ne le connaissez pas, me rŽpondit-il ; il croit que je lui en dois de reste et veut faire le roi : mais je lÕen empcherai bien tant que je serai en vie. Č Ē Sire, lui dis-je lors, vous tes bien malheureux de vous mettre ces fantaisies en la tte ; lui, lÕest bien aussi de ce que vous prenez ces ombrages de lui, et moi je le suis encore davantage de ce que vous me les avez dŽcouvertes : car un de ces jours, vous et lui, vous crierez un peu et ensuite vous vous apaiserez, et aprs vous ferez comme il se fait entre mari et femme, qui chassent les valets auxquels ils ont fait part de la mauvaise volontŽ quÕils avaient lÕun contre lÕautre, aprs quÕils se sont accordŽs ; aussi vous lui direz que vous nÕaurez fait part du mŽcontentement que vous aviez de lui, quՈ moi, et ˆ quelque autre, qui en p‰tirons. Vous avez vu lÕannŽe passŽe que la seule opinion quÕil avait eue que vous me pouviez vouloir du bien me pensa ruiner et perdre. Č Il me fit lors de grands serments quÕil nÕen parlerait jamais, quelque raccommodement quÕil pžt faire avec lui, et quÕil ne sՎtait jamais ouvert ˆ personne sur ce sujet, quÕau pre Arnoux et ˆ moi, et que sur la vie je nÕen ouvrisse jamais la bouche quÕau pre Arnoux, et encore aprs quÕil lui en aurait parlŽ et lorsquÕil me le commanderait. Je lui dis quÕil nÕavait que faire de me le commander et que jÕavais dŽjˆ fait ce commandement ˆ moi-mme, ˆ qui il importait de la fortune et de la vie.

Sur cela je fus bien aise dÕavoir eu ordre dÕaller ˆ Paris peu de jours aprs ; car je trouvais la confidence du roi trs pŽrilleuse en ce temps-lˆ. Je revins au commencement du sige de Montauban, et ayant eu lÕattaque des gardes ˆ commander seul de marŽchal de camp, je mÕy rendis si sujet que je ne venais jamais ˆ Picacos, quartier du roi, si je nÕy Žtais mandŽ. Les ombrages du roi contre monsieur le connŽtable croissaient ˆ toute heure ; et lui, prenait moins de soin de sÕentretenir bien avec le roi quÕil ne faisait auparavant, soit quÕil se sent”t assurŽ de lÕaffection cordiale que Sa MajestŽ lui portait, soit que les grandes affaires quÕil sÕattirait sur les bras lÕempchassent dÕy penser, ou que la grandeur lÕaveugl‰t ; de sorte que les mŽcontentements du roi croissaient bien fort, et le roi toutes les fois quÕil me pouvait parler en particulier, mÕen tŽmoignait de plus violents ressentiments.

Une fois que jՎtais venu le trouver, le milord de Hey, ambassadeur extraordinaire du roi de la Grand Bretagne, envoyŽ pour sÕentremettre de la paix entre le roi et les huguenots, eut sa premire audience du roi, aprs laquelle il lÕalla prendre de monsieur le connŽtable. Mr de Puisieux, selon la coutume, venait entendre du roi ce que le milord lui avait dit ˆ son audience, quand le roi mÕappela en tiers et me dit : Ē Il va prendre lÕaudience du roi Luynes. Č Je fus bien ŽtonnŽ de ce quÕil me parlait devant Mr de Puisieux, et voulus faire lÕignorant ; mais il me dit : Ē Il nÕy a point de danger devant Puisieux ; car il est de notre secret. Č Ē Il nÕy a point de danger, Sire ! (lui dis je.) Je suis maintenant assurŽment perdu ; car cÕest un homme craintif, et peureux, comme monsieur le chancelier son pre, qui au premier coup de fouet confessera tout et perdra ensuite tous les complices et adhŽrents. Č Le roi sÕen rit et me rŽpondit de lui en qui je me fiais bien, et Žtait mon ami. Lors, le roi commena ˆ dŽchirer monsieur le connŽtable et en dire tout ce quÕil avait en sa fantaisie ulcŽrŽe de ce quÕil avait adjoint ˆ la charge de connŽtable celle de chancelier depuis la mort de Mr le garde des sceaux du Vair qui Žtait dŽcŽdŽ peu de jours auparavant.

Je vis bien quÕil Žtait sur le penchant de sa fortune, et me rŽsolus de lui remontrer quelque chose sur ce sujet, pour son bien, vu que depuis notre brouillerie il mÕavait tŽmoignŽ beaucoup de bonne volontŽ. Ce fut ˆ quelques jours de lˆ, que me trouvant dans son cabinet avec lui, je lui dis que comme son serviteur trs humble, passionnŽ ˆ ses intŽrts, je me croyais obligŽ de lui remontrer quÕil ne cultivait pas assez la faveur et les bonnes gr‰ces du roi, et quÕil nÕen avait pas tant de soin quÕauparavant, maintenant quÕil en devait avoir davantage ; que le roi croissait en ‰ge, en rgne, et en connaissance des choses, et quÕen mme temps lui, qui croissait en charges, honneurs, bienfaits et obligations, devait aussi cro”tre en reconnaissance et en soumissions vers son roi, son ma”tre et son bienfaiteur ; quÕau nom de Dieu il y pr”t garde, et quÕil pardonn‰t ˆ la libertŽ que jÕavais prise de lui en parler, puis quÕelle provenait du zle et de la passion que jÕavais ˆ son service trs humble. Il me rŽpondit quÕil me savait grŽ et se sentait obligŽ au soin que jÕavais de sa conservation, qui me serait assurŽment utile et profitable, et que je lui avais commencŽ de lui parler en neveu, comme il espŽrait que je lui serais dans peu de temps ; quÕil me voulait aussi rŽpondre en oncle et me dire que je me reposasse sur lÕassurance quÕil me donnait quÕil connaissait le roi jusques au plus profond de son ‰me ; quÕil savait les moyens par lesquels il le fallait conserver, aussi bien quÕil avait su ceux de lÕacquŽrir, et quÕil lui donnait quelquefois exprs des petits sujets de plainte qui ne servaient quՈ augmenter lÕardeur de lÕaffection quÕil avait pour lui. Je vis bien lors quÕil Žtait de la mme trempe de tous les autres favoris qui croient avoir clouŽ leur fortune, qui la croient Žternelle, et qui ne connaissent leur disgr‰ce que lors quÕils nÕont plus le moyen de lÕempcher.

Depuis ce temps-lˆ, toutes les fois que le roi me pouvait parler en particulier, cՎtait incessament en plaintes de monsieur le connŽtable, et ce qui mÕen fit plus mal juger fut que tout dÕun coup lÕextrme passion quÕil avait pour madame la connŽtable se convertit en une telle haine quÕil avertit monsieur son mari que Mr le duc de Chevreuse en Žtait amoureux : il me dit quÕil lui avait fait cette harangue, dont je lui dis quÕil avait trs mal fait et que cՎtait pŽcher de mettre mauvais mŽnage entre le mari et la femme. Il me dit : Ē Dieu me le pardonnera, sÕil lui plait ; mais jÕai eu un grand plaisir de me venger dÕelle, et de faire ce dŽplaisir ˆ lui. Č Il me dit ensuite plusieurs choses contre lui, et entre autres que devant quÕil fžt six mois, quÕil lui ferait bien rendre gorge de tant de choses quÕil lui avait prises. Sur cela je partis de Montauban sans voir le roi, et la premire nouvelle que jÕen eus, fut quÕil avait ŽtŽ contraint dÕabandonner le pre Arnoux ˆ la haine de monsieur le connŽtable, mais que je mÕassurasse quÕil nÕy avait rien contre moi. Je ne laissai pas dÕen tre en grande apprŽhension, bien que je puisse dire que toutes les fois que le roi mÕavait parlŽ sur son sujet, que jÕavais toujours rabattu les coups, et que jÕavais ŽtŽ infiniment marri que le roi ežt eu cette confidence avec moi.

Le mardi 23me je fis porter tous les drapeaux des rŽgiments de lÕarmŽe ˆ mon logis, ˆ lÕinstance des capitaines, afin quÕils fussent dŽchargŽs de cette garde, et que celle qui Žtait posŽe devant mon logis servit quand et quand pour la garde des drapeaux. Il arriva que comme Navarre mÕenvoya les siens par vingt soldats qui les portaient et cinquante qui les accompagnaient, ceux de la ville tirrent sur eux un coup de leur pice de campagne qui emporta quatre bras droits ˆ quatre des soldats qui les portaient. Il mÕarriva aussi quՎtant ˆ la batterie et mՎtant avancŽ au devant pour remarquer ou reconna”tre quelque chose, les canonniers ne pensant pas que jÕy fusse, mirent le feu ˆ la pice plus prochaine de moi, dont le vent me porta trs rudement par terre et me laissa un tel bruit dans lÕoreille droite avec des Žlancements qui mՎtaient insupportables ; et deux heures aprs une forte fivre me prit, qui ne mÕempcha pas pourtant de continuer ma charge et de faire avancer nos tranchŽes jusques sur le bord du fossŽ, quelque assurance que jÕeusse du marquis de Mirambeau quÕil me rendrait la place aux conditions sus mentionnŽes.

Je fus, le mercredi 24me, fort pressŽ de Mr le marŽchal de Roquelaure de faire dŽloger la compagnie de gendarmes de monsieur le connŽtable, de Castel-Jaloux, et vis que le lieutenant, nommŽ Mr de Nesmont, le dŽsirait aussi, portŽ par la prire du jeune Vaillac qui en Žtait guidon, ou peut-tre parce que ceux de Castel Jaloux leur avaient promis quelque prŽsent pour les faire dŽloger. Je dis ˆ monsieur le marŽchal quÕil Žtait le ma”tre pour me commander absolument, et que je le ferais ; que pour les envoyer delˆ lÕeau, jÕy contredirais toujours pour le pŽril que jÕy voyais, si ce nՎtait que lÕon les accompagn‰t dÕinfanterie pour les garder, ce que nous ne pouvions durant le sige, lequel sÕen allait fini ; que sÕils nÕen voulaient attendre lÕissue, quÕil ne les pouvait loger quÕaux Tonnains : mais outre que le mme inconvŽnient Žtait ˆ Tonnains quՈ Castel-Jaloux, parce quÕils contribuaient cinquante francs par jour pour une des compagnies du rŽgiment de monsieur le marŽchal, les Tonnains appartenaient en partie ˆ Mr le comte de la Vauguyon son gendre. Enfin monsieur le marŽchal se f‰cha contre moi, et moi je ne lui dis autre chose sinon que je lui enverrais le marŽchal des logis des Fourneaux, et quÕil lui ordonn‰t ce quÕil voudrait ; que pour moi je ne mÕen mlerais plus.

JÕallai delˆ la Garonne voir notre retranchement qui sÕen allait en dŽfense, dont je fus fort aise ; car je craignais fort ce c™tŽ lˆ.

Ma fivre me rengregea [augmenta] si fort que je ne fus plus capable de servir, et dŽpchai au roi et ˆ monsieur le connŽtable pour les supplier de trouver bon que le lendemain ˆ leur arrivŽe je me fisse porter ˆ la Reolle pour me faire panser, et de me vouloir envoyer un mŽdecin.

JÕeus le lendemain matin congŽ de mÕen aller par une trs honnte lettre du roi, et assurance que lÕon mÕenverrait le mŽdecin, de sorte que le lendemain jeudi 25me on me porta dans un bateau que lÕon mÕavait prŽparŽ, sur les dix heures du matin, et je baissai le long de la rivire pour aller ˆ la Reolle.

Comme je passais bien malade devant les Tonnains, mes gens me dirent que de la cavalerie passait la rivire ; je mÕimaginai aussit™t que cՎtait celle de monsieur le connŽtable, et ne fus pas trompŽ. Je me fis aborder en lՎtat que jՎtais et trouvai Nesmont sur la rive, qui faisait embarquer ses bagages pour aller coucher avec la compagnie ˆ Puch de Gontaut qui est ˆ demie lieue de Marmande. Cela me mit en trs grande peine, tout perdu de mal comme jՎtais, et prŽvus celui qui leur arriverait. JÕenvoyai quŽrir Nesmont et Vaillac, et leur demandai qui leur avait donnŽ ce dŽpartement : ils me dirent que le soir auparavant Mr le marŽchal de Roquelaure leur avait envoyŽ, et leur avait fort recommandŽ de dŽloger avant que le roi arriv‰t devant Monheurt. Je le crus facilement ; car le roi nÕežt jamais consenti quÕils en fussent partis pour aller ˆ Puch se jeter au milieu des ennemis dans un pays huguenot. Je leur dis lorsque je les priais de supersŽder jusques ˆ ce que le roi ežt su lÕinconvŽnient quÕil y avait de faire passer une seule compagnie de gendarmes dans un pays du tout ennemi, sans lÕaccompagner dÕinfanterie ou la loger dans une ville fermŽe ; que jÕenverrais un gentilhomme avec celui quÕils enverraient au roi, et que peut-tre le roi leur donnerait pour garnison la ville de Marmande, qui leur serait un excellent quartier. Nesmont et Vaillac Žtaient plus vaillants que considŽrŽs, et qui ne pensaient pas que le soir mme de leur arrivŽe les ennemis les dussent venir saluer, me dirent que dŽjˆ tous leurs bagages et grands chevaux Žtaient passŽs et mme Žtaient dŽjˆ avancŽs sur le chemin de Puch de Gontaut ; que les ennemis ne sauraient tre avertis de leur arrivŽe quÕil ne fžt bien tard ; quÕils nÕauraient pas le loisir de sÕentravertir ˆ temps pour leur venir donner sur les doigts la mme nuit ; que sÕils nՎtaient bien forts ils ne leur sauraient rien faire ; quÕil y avait un ch‰teau ˆ Puch de Gontaut o ils se pourraient retirer, et quÕils feraient bon guet ; quÕils enverraient pour avoir un autre quartier pour le lendemain. Enfin ils passrent par dessus mes avis et persuasions, et suivirent leur chemin.

Pour moi je descendis jusques ˆ Marmande, mon mal se rengregeant dÕheure en heure de telle sorte que je nÕeus pas la force dÕaller jusques ˆ la Reolle, et fus contraint de me jeter en une mŽchante hostellerie aux faubourgs de Marmande, o je fis tendre mon lit pour y coucher, attendant quelque mŽdecin ou espŽrant dÕen trouver ˆ Marmande, comme je fis, mais un mŽdecin de village. De bonne fortune mÕarriva quasi en mme temps un empirique que Mr dÕEstissac mÕavait envoyŽ, nommŽ Dubourg, qui nՎtait quÕun ivrogne, mais qui avait dÕexcellents remdes. Sur les neuf heures du soir mÕarriva aussi un mŽdecin du roi, excellent, nommŽ le Mire, que le roi mÕenvoya, lequel pour mՙter ce furieux tintonain que jÕavais dans la tte, de lÕavis des autres mŽdecins, me fit scarifier, et appliquer des ventouses sur les Žpaules.

Cela fut vers les onze heures du soir, quand en mme temps nous ou•mes tirer force coups de pistolets dans cette rue du faubourg qui est sur la Garonne : cՎtaient les gendarmes de monsieur le connŽtable que les ennemis poursuivaient les ayant chargŽs dans Puch de Gontaut le mme soir quÕils y Žtaient arrivŽs. Sur ce bruit mes gens en diligence me mirent une serviette sur mes Žpaules qui Žtaient toutes en sang, puis me mirent ma robe de chambre, et me firent emporter en cet Žtat par quatre de mes hallebardiers suisses ; et cinq ou six autres, et ce quÕils purent ramasser, mÕaccompagnrent jusques prs de la porte, puis coururent se barricader dans mon logis pour t‰cher de sauver avec eux mes chevaux, ma vaisselle et mon Žquipage. Ils crurent que jՎtais entrŽ, et ne demeura avec moi que ces quatre Suisses, les deux mŽdecins le Mire et Dubourg, avec deux valets de chambre. Mais comme jÕapprochai de la porte, ils me salurent de quelques mousquetades, croyant (ˆ ce quÕils me dirent depuis), que jՎtais le pŽtard que lÕon leur venait attacher ˆ leur porte. Mes gens leur crirent que cՎtait le marŽchal de camp qui commandait lÕarmŽe, celui quÕils Žtaient venus saluer ˆ la descente de son bateau, et que sÕils ne mÕouvraient ils sÕen repentiraient ; mais pour tout cela ils ne surent jamais gagner autre chose sur eux, sinon quÕils me permettraient de me mettre sous un petit corps de garde ouvert qui Žtait au-dedans de leur barrire, quÕun homme vint ouvrir pour mÕy faire entrer, lequel la referma sur moi en mme temps et puis se jeta sur un petit pont levis qui fut levŽ en mme temps. Ainsi je fus enfermŽ dans cette barrire sans pouvoir plus rien mander ˆ mes gens, lesquels croyant que je fusse entrŽ dans la ville, ne sÕoccuprent quՈ garder mon logis ; et ceux de la ville ne me voulurent jamais ouvrir quÕil ne fžt sept heures du matin. JՎtais Žtendu sur une table, tout rempli du sang de ma scarification qui sՎtait figŽ et attachŽ ˆ la serviette que lÕon avait mise dessus, et qui sՎcorchait de temps en temps, avec un epoinonnement furieux dedans la tte, une forte fivre continue, nՎtant couvert que dÕune robe de nuit assez lŽgre dans un temps trs froid ; car cՎtait le vendredi 26me de novembre, que je puis dire avoir ŽtŽ le plus grand tourment, et mal, que jÕaie senti de ma vie, qui me fit cent fois souhaiter la mort. Enfin messieurs de Marmande mÕouvrirent les portes de leur ville et mÕy donnrent un bon logis o je fis tendre mon lit et y demeurai malade ˆ lÕextrŽmitŽ dÕune fivre de pourpre qui enfin le treizime jour finit par une forte crise. Le dix septime je me fis porter sur le bateau, et lÕon me descendit ˆ la Reolle.

Le 13me de dŽcembre pendant ma maladie Monheurt se rendit.

Monsieur le connŽtable y mourut dÕune mme fivre de pourpre que celle dont je rŽchappai (dŽcembre). Il ne fut gure plaint du roi, et les affaires changrent de face, aussi bien que la cour. Mr le cardinal de Retz et Mr de Schomberg aspirrent ˆ la toute-puissance et pensrent retenir le roi ˆ ne rien faire que ce quÕils lui conseilleraient, lui faisant sur toutes choses abhorrer les favoris. Ils sÕadjoignirent promptement un garde des sceaux, qui fut Mr de Vic, auquel ils les firent bailler : et parce quÕils apprŽhendaient que je ne serais pas conforme ˆ tous leurs sentiments, et que le roi me parlait ˆ toute heure, et moi fort franchement ˆ lui, que jÕavais force amis, et crŽdit dans les gens de guerre, ils proposrent au roi de me laisser lieutenant-gŽnŽral en Guyenne, dont ils firent donner ˆ Mr de Roquelaure en rŽcompense deux cents mille livres et le gouvernement de Lectoure. Ils mÕen firent aussi parler par Rouccelai (qui sÕavanait aussi tant quÕil pouvait et Žtait aux bonnes gr‰ces des ministres), et par Mr le marŽchal de Pralain : ils mÕoffrirent mme dÕajouter ˆ ma charge celle de marŽchal de France ; mais je voulus voir le cours de ce marchŽ et attendre de voir en quelles mains tomberaient les affaires, jugeant bien que celles-lˆ nՎtaient pas assez fortes pour les soutenir et mÕassurant que quiconque les aurait serait bien aise de mÕavoir pour ami, et de me faire plus de part au g‰teau que ceux-ci ne mÕen offraient. Je rŽpondis donc au roi quand il me parla de cette lieutenance gŽnŽrale, que je mÕestimais plus heureux de faire la charge de colonel-gŽnŽral des Suisses prs de sa personne quÕaucune autre, ŽloignŽ dÕelle ; que je ne faisais que sortir dÕune grande maladie qui me demandait trois mois de repos, et moi ce temps-lˆ au roi sans autre occupation quÕen celle de ma premire charge ; ce que Sa MajestŽ agrŽa. Ils la donnrent enfin au marŽchal de ThŽmines, ˆ qui ils ™trent le gouvernement de BŽarn, que lÕon mÕoffrit encore ; mais jÕen fis comme de celui de Guyenne.

JÕarrivai ˆ Bordeaux six jours devant le roi, o je fus fort visitŽ, des ambassadeurs et autres.

Enfin le roi en partit le 30me de dŽcembre, et vint coucher ˆ Blaye.

Le lendemain il vint d”ner ˆ mi-chemin de Blaye ˆ Libourne, lˆ o il assembla (en y arrivant) ce quÕil avait lˆ de conseil, qui Žtaient Mrs le cardinal de Retz et de Schomberg (qui lui avaient mis en tte lÕaffaire quÕil nous proposa), puis Mrs les marŽchaux de Pralain, de Chaunes, et de CrŽquy (ˆ qui le roi avait donnŽ le b‰ton cinq jours auparavant ˆ Bordeaux), Mr de Marillac, et moi ; et par la bouche de Mr de Schomberg il nous proposa un dessein que lÕon lui avait mis en tte, de faire lui mme une entreprise sur Castillon et de sÕen saisir en passant : on voulait quÕil f”t semblant dÕy aller au g”te, et que lÕon ferait entrer six compagnies des gardes franaises et quatre des Suisses, pour garder le roi, et puis quand Sa MajestŽ y serait entrŽe, elle irait se promener au ch‰teau dÕo elle chasserait ceux qui le gardaient pour Mr de Bouillon qui ds le commencement de cette guerre avait convenu avec le roi que toutes les places quÕil avait, comme Sedan, Negreplisse, Castillon, et toutes celles de la vicomtŽ de Turenne, demeureraient dans le service du roi sans toutefois faire la guerre ˆ ceux de la Religion ; que pareillement le roi ne les ferait molester, ni entreprendre sur elles. JÕoubliais ˆ dire que ce matin mme, par les chemins, le roi mÕavait dit que lÕon lui proposait cette affaire, laquelle il ne gožtait pas ; nŽanmoins si tout son conseil quÕil assemblerait ˆ la d”nŽe, Žtait dÕavis de lÕexŽcuter, quÕil le ferait : je le dŽgožtai encore davantage quÕil ne lՎtait par plusieurs vives raisons que Dieu mÕinspira de lui remontrer, lesquelles il me commanda de dire tant™t aprs au conseil, et les autres dont je me pourrais aviser, ˆ quoi je songeai par les chemins.

Aprs que Mr de Schomberg ežt amplement dŽployŽ tout ce qui Žtait de cette entreprise, il conclut par son opinion qui Žtait de lÕexŽcuter en la forme proposŽe, ce que, ˆ son avis, il jugeait trs facile ; quÕil serait utile au roi, et de rŽputation, dÕavoir, en sortant du sige de Montauban, pris Monheurt de force, et Castillon par entreprise. Le roi demanda ensuite lÕavis de Mr de Marillac, qui fut conforme ˆ celui de Mr de Schomberg, y ajoutant quelque particularitŽ en la forme de lÕexŽcution. De lˆ le roi me commanda de dire mon opinion, laquelle je dis en cette sorte :

Ē Sire, si par le manquement de foi et de parole vous eussiez voulu chercher votre avantage, vous en aviez, lÕannŽe passŽe, une belle occasion lorsque par la dŽfaite du Pont de CŽ, aprs avoir abattu un grand parti qui sՎtait ŽlevŽ contre vous, il Žtait en votre pouvoir dÕemployer, tant les forces ennemies que les armŽes que vous aviez mises sur pied pour leur rŽsister, qui consistaient ensemble ˆ plus de cent mille hommes, pour ruiner les huguenots surpris, mal prŽparŽs, dŽpourvus de forces, et dŽnuŽs de secours. Il ne vous manquait pas alors de justes et spŽcieux prŽtextes pour lÕentreprendre, ni dÕhabiles et sensŽs personnages ˆ vous le persuader ; joint que le profit et utilitŽ qui vous en revenait dÕexterminer un tel parti et de donner la paix et le repos ˆ votre Žtat (que soixante annŽes durant, cette faction lui avait ™tŽ ou traversŽ), Žtaient assez capables dՎmouvoir et faire incliner une ‰me moins gŽnŽreuse et bien nŽe que la v™tre, ˆ faire ce manquement-ci, qui fut nŽanmoins rejetŽ par Votre MajestŽ, pour ne violer la foi publique qui leur avait ŽtŽ donnŽe de votre part et pour ne contrevenir ˆ votre royale parole. Est-il possible, Sire, que cette foi et parole que vous avez voulu saintement garder au prŽjudice mme de votre religion, au dŽsavantage de votre Žtat et au dommage de votre propre et particulier intŽrt, vous la veuillez maintenant mettre ˆ lÕabandon pour la conqute (pour ne dire la volerie et le larcin) dÕune simple bicoque, et mettre pour un si vil prix une si grande t‰che ˆ votre honneur et rŽputation ? La ville de Castillon qui demeure en paix au milieu de la guerre, qui subsiste dans son devoir au milieu de la dŽfection de ceux de sa religion, et qui vit en une entire assurance parmi ses voisins sous la protection que Votre MajestŽ a donnŽe aux terres de Mr de Bouillon, se trouvera opprimŽe sous titre de bonne foi en la prŽsence et par la propre personne de Votre MajestŽ, et de Votre MajestŽ ˆ qui, non par affectation, mais par une voix publique comme ŽmanŽe du ciel, a ŽtŽ attribuŽ le titre de juste. Cela est, ce me semble, incroyable, et nŽanmoins il nÕest que trop vrai que lÕon lÕa osŽ proposer ˆ Votre MajestŽ, quÕelle lÕa daignŽ Žcouter et quÕelle a voulu maintenant faire dŽlibŽrer si elle le doit exŽcuter. Č

Ē Depuis six semaines, Sire, le chef du parti huguenot, Mr de Rohan, est venu se mettre entre les mains de feu monsieur le connŽtable sur sa simple parole et y a trouvŽ une entire sžretŽ : Mrs de la Force et dÕOrval, sur celle de Mr le marŽchal de Chaunes, sont sortis de Montauban pour confŽrer avec lui ; et si sur celle de Votre MajestŽ et sur la confiance que ses peuples en doivent prendre, la ville de Castillon lui ouvre ses portes, elle en encourra sa fatale ruine. Sire, il est aisŽ de tromper qui se fie ; mais il nÕest pas aisŽ de tromper plus dÕune fois : une parole mal gardŽe une seule fois prive pour jamais celui qui lÕa enfreinte de crŽance envers tout le monde. Je ne vois point de difficultŽ en la prise de Castillon ; vous y serez infailliblement reu, et sans pŽril vous vous en rendrez ma”tre : mais en gagnant avec reproche et honte cette chŽtive place, vous perdez toutes celles de la Religion qui se fiant en votre royale parole, vivent sous votre autoritŽ, et joindrez aux rebelles huguenots, les autres huguenots obŽissants et fidles. Une seule armŽe, ou deux au plus, vous suffisent ˆ faire la guerre aux rŽvoltŽs, lˆ o six armŽes ne suffiront pas ˆ ceux que vous contraindrez par cette action dՐtre tels. Le seul duc de Bouillon ˆ qui vous ™terez Castillon, vous forcera dÕen tenir une en Champagne contre Sedan, une en Limousin contre les places de la vicomtŽ de Turenne ; Mrs de la Trimouille et de Sully, jusques astheure trs zŽlŽs ˆ votre service, chercheront leur sžretŽ, et Mr le duc des Diguieres qui vous a si bien servi cet ŽtŽ passŽ contre ceux de sa mme religion, et qui contient tout le DauphinŽ en paix et en obŽissance, ne le pourra plus contenir, ne se pourra peut-tre plus contenir lui mme, voyant que lÕon ne se peut plus fier ˆ Votre MajestŽ, ni prendre crŽance en sa parole. Č

Ē Sire, je ne sais qui vous a donnŽ ce conseil ; mais je sais bien, de quelque part quÕil vienne, quÕil est ou intŽressŽ, ou malintentionnŽ, ou inconsidŽrŽ, et quÕil nÕen peut succŽder que perte et repentir. CÕest pourquoi, Sire, je vous conseille de conserver religieusement, toute votre vie, votre foi et parole, tant ˆ vos amis quՈ vos ennemis, ˆ vos voisins quՈ vos sujets, et par un noble et gŽnŽreux dŽdain rejeter comme prŽjudiciables toutes les propositions et avis que lÕon vous viendra donner au contraire. Č

Le roi qui nÕavait pas besoin de beaucoup de persuasions pour le divertir de cette entreprise, voyant aussi que les trois marŽchaux de France par leurs gestes approuvaient mon avis, nÕen voulut pas demander aux autres, mais dit quÕil avait toujours bien jugŽ que son honneur, et sa foi, ne lui pouvaient permettre dÕexŽcuter ce dessein : ˆ quoi tous les autres ayant applaudi, il fut rŽsolu que lÕon irait coucher ˆ Libourne.

Quand le roi me parla premirement de cette affaire, il ne me dit pas que Mr de Schomberg lui eut proposŽe, et vŽritablement je nÕen savais rien. Il tŽmoigna de grands ressentiments ˆ Mrs de Pralain et de CrŽquy, de lÕaigreur et vŽhŽmence dont jÕavais usŽ en mon opinion, et quÕil nÕeut pas cru que moi, son ancien ami, lui eusse voulu faire ce tour : mais je leur rŽpondis quÕil nÕavait point fait la proposition comme venant de lui, mais dÕune tierce personne, et que mon serment, et mon devoir, mÕobligeaient de dire, (selon ma conscience), mes sentiments sur les avis que le roi me demandait. NŽanmoins cela ne lÕapaisa pas, et demeur‰mes depuis en froideur, parlant nŽanmoins toujours ensemble.

Ainsi le roi sÕen vint coucher le dernier jour de lÕannŽe 1621 ˆ Libourne o il sŽjourna.

1622.

Janvier.Ń Le premier jour de lÕan 1622 le roi fit ses p‰ques, et aprs lui, voulut que tous les chevaliers de son ordre, lˆ-prŽsents, communiassent ˆ sa messe.

Il en partit le lendemain, marchant ˆ petites journŽes jusques ˆ Aigres o Mr le Prince le vint trouver, lequel comme extrmement habile et accort, fit Žgalement bon visage ˆ tout le monde sans incliner dÕaucun c™tŽ jusques ˆ ce quÕil ežt reconnu le cours du marchŽ. Son dessein Žtait de porter le roi ˆ la continuation de la guerre huguenote, pour trois raisons, ˆ mon avis : la premire, pour lÕardente affection quÕil a ˆ sa religion, et haine contre le parti huguenot ; lÕautre, pour penser mieux gouverner le roi en temps de guerre quÕen temps de paix, car il serait infailliblement lieutenant-gŽnŽral de son armŽe ; et la dernire, pour lՎloigner de la reine sa mre, de monsieur le chancelier et des vieux ministres, qui Žtait son antipathie.

Il y avait ˆ la suite du roi lÕabbŽ Rouccelai qui Žtait en parfaite intelligence avec le feu connŽtable, et qui lÕavait assistŽ jusques ˆ sa mort. Cet abbŽ, riche de patrimoine et de bŽnŽfices, de bonne maison, adroit, savant et bien fait, avait aspirŽ au bonnet de cardinal, pour ˆ quoi parvenir il sՎtait fait clerico de camera ˆ Rome, qui est un office de cinquante mille Žcus que lÕon perd en devenant cardinal : il Žtait de plus prŽfet de lÕannona, intime du cardinal Borghse, et qui croyait sans difficultŽ parvenir ˆ cet honneur, lequel pour accŽlŽrer il avait voulu rŽcompenser la trŽsorerie du pape, qui lui donnait lÕaccs infaillible au cardinalat ; mais il y avait ŽtŽ traversŽ par madame la grand-duchesse qui avait ha• son pre, et ŽloignŽ de la personne et des affaires du feu grand-duc son mari. Lui, qui pensait par lÕintercession de la reine mre pouvoir adoucir lÕesprit de madame la grand-duchesse, vint en France avec un noble Žquipage, apportant force prŽsents quÕil distribua ˆ la cour, et sÕinsinua aux bonnes gr‰ces du marŽchal dÕAncre ; mais sa mort, et lՎloignement de la reine mre, lui reculrent ses desseins, et lui firent donner un commandement par le roi de se retirer de la cour, o peu aprs il revint par ma sollicitation, et la caution que je voulus tre pour lui de sa fidŽlitŽ. Mais comme il Žtait passionnŽ au service de la reine mre, il se mit ˆ pratiquer les uns et les autres pour elle, et enfin fit lui-mme donner avis ˆ Mr de Luynes quÕil le fallait de nouveau Žloigner de la cour, dont on lui fit commandement. Il se retira en une de ses abbayes, nommŽe Signi les Bois, proche de Sedan, o il commena ˆ pratiquer Mr de Bouillon, et ensuite Mr dÕEpernon qui sՎtait retirŽ ˆ Metz mal satisfait de la cour : il rŽunit par ses entremises ces deux seigneurs ennemis, et les porta si bien pour la reine, quÕil fit venir Mr dÕEpernon ˆ Loches recevoir la reine mre, et lÕemmener ˆ Angoulme. Il porta aussi Mr de Saint-Luc ˆ se joindre ˆ elle, et gouverna sa cour, et son esprit quelque temps, jusques ˆ ce que monsieur lՎvque de Luon lՎtant venu retrouver ˆ Angoulme, il sapa petit ˆ petit son autoritŽ ; ˆ quoi lÕinsolence et peu de conduite de lÕabbŽ Rouccelai lui donna jour, lequel se retira dÕauprs de la reine ˆ la premire paix qui fut faite ˆ Angoulme, ayant auparavant rempli cette cour de factions qui firent battre le marquis de ThŽmines et Richelieu qui y mourut, et Žloigner le marquis de Mosny qui se vint jeter entre les bras de Mr de Luynes avec Rouccelai, lequel les reut tous deux ; et en peu de temps Rouccelai sÕinsinua tellement en sa bonne gr‰ce quÕil avait lÕentire faveur. Sur cela Mr le Prince sortit de prison, auquel il sÕattacha, tant pour avoir quelquÕun qui le protŽge‰t contre la reine mre qui lui voulait mal de mort, que pour le rŽunir Žtroitement avec Mr de Luynes, ce quÕil fit, de sorte que Mr de Luynes lui fit donner la gŽnŽralitŽ de lÕarmŽe du roi au Pont de CŽ. Depuis, Mr de Luynes Žtant mort, et Rouccelai privŽ de ce support, il se jeta entirement au service de Mr le Prince, et le servit utilement en plusieurs occasions.

Il avait pour amis les ministres et tous nous autres. Il savait les desseins du feu connŽtable, et Žtait adroit et rusŽ. Mr le Prince voulut savoir de lui lՎtat de la cour, qui lui dit quÕelle Žtait divisŽe entre les trois ministres qui voulaient possŽder lÕesprit du roi ˆ lÕexclusion de tous autres, et les trois marŽchaux de France et quelques-uns de nous qui nÕy consentions pas ; que le roi me parlait souvent et avait quelque crŽance en moi qui pourrais mÕavancer plus avant si jÕy voulais prendre soin, mais que mon intention nÕallait point ˆ la faveur prŽsente ˆ quoi il mÕavait voulu porter, mais quÕil mÕy avait trouvŽ fort ŽloignŽ, si bien ˆ avoir auprs du roi la part en ses bonnes gr‰ces que mes services mÕy feraient mŽriter : il lui dit aussi que nous nՎtions pas toujours de mme sentiment avec ces ministres, et que cinq jours auparavant jÕavais ‰prement parlŽ au roi contre eux en un conseil. Il lui demanda si jՎtais portŽ ˆ la guerre. Il lui rŽpondit que je serais toujours portŽ ˆ tout ce qui serait au bien et ˆ lÕavantage du roi ; que jÕavais pressŽ feu monsieur le connŽtable dÕentendre ˆ la paix que Mr de Rohan lui proposait, sur la crainte que jÕavais que lÕon ne rŽuss”t pas au sige de Montauban, et quÕil me pourrait parler et sonder mon intention. Rouccelai aussi me dit que Mr le Prince me parlerait et quÕil saurait de moi o jՎtais portŽ ; ce qui mÕy fit songer et me prŽparer ˆ la rŽponse que je lui devrais faire.

Mr le Prince sÕaboucha premirement avec les ministres quÕil trouva enclins ˆ la guerre, ˆ Žloigner le roi le plus quÕils pourraient de Paris, afin de le mieux gouverner, et ˆ empcher quÕaucun favori ne puisse ˆ lÕavenir occuper la place quÕavait tenue Mr de Luynes avec tant dÕautoritŽ, qui Žtait tout ce que voulait Mr le Prince, qui ne laissa pas ensuite de parler ˆ Mr le marŽchal de CrŽquy et sonder son intention : il la trouva portŽe ˆ la paix, et au repos de la France, si le roi la pouvait avoir des huguenots avec des conditions avantageuses et dignes de Sa MajestŽ, sinon de poursuivre les huguenots, et les mettre ˆ la raison et en leur devoir. Il me parla ensuite et me trouva de conforme sentiment. Je lui dis de plus quÕil trouverait Mr de Pralain et tous les autres bons serviteurs du roi de mme opinion. Il me dit entre autres choses ces mots : Ē CÕest grand cas : tous vous autres, gens de guerre, qui la devriez dŽsirer et qui nÕattendez de parvenir que par elle, voulez la paix, et les gens de robe et dՎtat demandent la guerre. Č Je lui rŽpondis que je dŽsirais la guerre et quÕelle devait causer ma fortune et mon avancement, mais que cՎtait avec condition que ce fžt le service du roi, et le bien de lՃtat ; quÕautrement je mÕestimerais mauvais serviteur du roi, et mauvais Franais, si pour mon bien particulier jÕaffectais une chose qui džt causer ˆ lÕun et ˆ lÕautre tant de mal et de prŽjudice. Il dit ˆ Rouccelai, aprs avoir parlŽ ˆ Mr le marŽchal de CrŽquy et ˆ moi, que nous nՎtions pas ses gens, et quÕil aurait plus dÕacqut avec les ministres quÕavec nous. Il se comporta nŽanmoins avec beaucoup de discrŽtion, se conservant pour serviteurs les uns et les autres.

Le roi vint un soir coucher ˆ Chisay et voulut se mettre au jeu, attendant lÕheure du souper avec quelques-uns de nous. Il parlait de fortune ˆ Mr le marŽchal de Pralain et ˆ moi un peu auparavant quÕil se voulut asseoir, quand Mr le cardinal de Retz et monsieur le garde des sceaux arrivrent avec Mr de Schomberg. Le roi nous dit en les voyant entrer : Ē Mon Dieu, que ces gens sont f‰cheux ! Quand on pense passer son temps, ils me viennent tourmenter, et le plus souvent nÕont rien ˆ me dire. Č Moi, qui Žtais bien aise de leur donner une estrette en revanche de ce quÕils faisaient tous les jours contre moi, dis au roi : Ē Comment, Sire, ces messieurs viennent-ils sans tre mandŽs de vous, ou sans avoir prŽcŽdemment fait savoir ˆ Votre MajestŽ quÕil y avait quelque chose dÕimportance ˆ dŽlibŽrer, et sur ce, demandŽ votre heure ? Č Ē Non, ce me dit-il, ils ne me le font jamais savoir, et viennent quand il leur plait, et la plupart du temps quand il ne me plait pas, comme ˆ cette heure. Č Ē JŽsus, Sire, est-il possible ? lui rŽpondis-je ; cÕest vous traiter en Žcolier, et eux se font vos pŽdagogues qui vous font venir ˆ la leon quand il leur plait. Il faut, Sire, que vous nŽgociez en roi, et que tous les jours, ˆ votre arrivŽe en quelque lieu, un de vos secrŽtaires dՃtat vous vienne dire sÕil est arrivŽ quelque nouvelle importante qui mŽrite dÕassembler votre conseil, et que sur cela vous leur mandiez quÕils vous viennent trouver, ou ˆ lÕheure mme, ou ˆ celle qui vous sera le plus commode ; et si ils ont quelque chose ˆ vous dire, quÕils vous le fassent savoir prŽcŽdemment, et lors vous leur manderez quand ils auront ˆ vous venir trouver. CՎtait ainsi que le feu roi votre pre nŽgociait, et comme il faut que Votre MajestŽ en fasse, et lorsquÕils y viendront autrement, les renvoyer comme ils seront venus, et leur dire fermement une fois pour toutes. Č Le roi prit en fort bonne part ce que je lui avais remontrŽ, et me dit que ds lÕheure mme il mettrait mon conseil en pratique, et continua de causer avec Mr le marŽchal de Pralain et moi. Quand cela eut un peu durŽ, Mr le Prince vint dire au roi : Ē Sire, ces messieurs vous attendent pour tenir conseil. Č Le roi se tourna devers Mr le Prince avec un visage Žmu, et lui dit : Ē Quel conseil, Monsieur ? Je ne les ai point mandŽs ; je serais enfin leur valet : ils viennent quand il leur plait, et lorsquÕil ne me plait pas. QuÕils sÕen retournent sÕils veulent, et quÕils ne viennent que quand je leur manderai; cÕest ˆ eux ˆ prendre mon heure et ˆ me lÕenvoyer demander, et non ˆ moi ˆ la prendre dÕeux. Je veux quÕun secrŽtaire dՃtat se trouve tous les jours quand je descendrai ˆ la g”te en quelque lieu pour me dire ce quÕil y a de nouveau, et selon cela je leur donnerai mon heure ; mais je ne prendrai jamais la leur : car je suis leur ma”tre. Č Mr le Prince se trouva un peu surpris de cette rŽponse et se douta bien de quelle boutique elle venait. Il sÕen retourna leur dire, lesquels lui firent dire par Mr le Prince quÕils nՎtaient venus que pour recevoir lÕhonneur de ses commandements comme courtisans et non autrement, et que seulement Sa MajestŽ leur voulžt dire un mot, aprs quoi ils sÕen retourneraient ; ce que le roi fit, mais bien brusquement, qui fut : Ē Messieurs, je mÕen vas jouer avec cette compagnie. Č Ils lui firent lors une grande rŽvŽrence et puis sÕen allrent bien ŽtonnŽs. Mr le cardinal de Retz envoya quŽrir Mr le marŽchal de Pralain qui Žtait son bon ami, et lui fit des plaintes de moi, disant que je leur avais fait jouer ce tour. Il leur dit que oui, quÕil en Žtait tŽmoin et que je nՎtais pas marri quÕils le sussent, et que je nՎtais pas rŽsolu dÕen faire moins ˆ lÕavenir ; quÕils me tenaient sur les rangs, et mes amis aussi, quand ils Žtaient avec le roi, non pas lui (car sa modestie et mon amitiŽ le divertissaient de le faire), mais Mrs de Vic et de Schomberg ; que de mon c™tŽ je ne les Žpargnerais pas aussi, et que le roi mÕavait dit ce quÕils lui disaient de moi, dont je nՎtais pas gure en peine, car le roi me connaissait bien.

Je vis le lendemain Mr le cardinal de Retz et lÕassurai pour son particulier de mon trs humble service ; aussi lui Žtais-je obligŽ : mais je lui dis franchement que pour les autres, je nՎtais pas de leurs amis, et que je voulais bien quÕils le sussent. Il dŽsira de me rabienner avec eux ; mais deux choses mÕen empchrent, et eux aussi : lÕune, que ce soir mme que monsieur le cardinal mÕavait parlŽ le matin, arriva la nouvelle de lÕextrŽmitŽ de la maladie de Mr le marŽchal de Roquelaure, et ces messieurs en corps avec Mr le Prince vinrent demander au roi la charge de marŽchal de France quÕil avait, pour M. de Schomberg ; le roi ne leur fit autre rŽponse sinon de leur dire : Ē Et Bassompierre, que deviendra il ? Č Cette crue rŽponse toucha fort Mr de Schomberg, et depuis ce jour lˆ nous ne nous parl‰mes plus.

Il arriva le lendemain que le roi ne fit quÕune poste en sa journŽe, de quoi nous Žtions marris pour voir que ces messieurs faisaient exprs retarder le roi de venir ˆ Paris, pensant avec le temps empiŽter lÕautoritŽ avant quÕil ežt vu la reine sa mre et les vieux ministres. Mr le marŽchal de CrŽquy et moi, nous chauffant en la garde-robe du roi, nous plaignions de ces petites traites. Le comte de la Rocheguyon nous dit que ce que lÕon en faisait Žtait pour la considŽration des gardes franaises et suisses, qui ne pourraient suivre autrement. Nous d”mes lors que cette considŽration ne devait point causer ce long retardement ; que nous qui commandions lÕune et lÕautre garde, ne nous en plaignions point, et quÕelles marcheraient aussi fort quÕil plairait au roi, et que nous leur ferions faire ce que nous voudrions. Sur cette dernire parole qui fut rapportŽe aux ministres, ils en vinrent faire trois plats au roi, disant que nous nous vantions de faire faire aux deux rŽgiments des gardes ce que nous voudrions, et que nous les tournerions de quel c™tŽ il nous plairait : ils prirent le roi dans son faible, qui se f‰cha de voir que nous mettions son autoritŽ en compromis. CՎtait la veille devant son arrivŽe ˆ Poitiers : il me dit que je lui vinsse parler le lendemain matin, et me dit : Ē Je vous ai promis de vous dire tout ce que lÕon me dirait de vous : cÕest pourquoi mÕayant ŽtŽ rapportŽ que vous vous vantiez de porter les Suisses ˆ faire tout ce que vous voudriez, et mme contre mon service, je vous ai bien voulu faire savoir que je ne trouve pas bon que lÕon tienne ces discours, et moins vous quÕun autre, auquel jÕai toujours eu une entire confiance. Č Je lui dis : Ē Dieu soit louŽ, Sire, de ce que mes ennemis cherchant tous les moyens de me nuire, nÕen peuvent trouver quÕil ne me soit aisŽ de les dŽtourner et rendre vains. Celui-ci est de cette qualitŽ, et vous en pouvez savoir la vŽritŽ par leur bouche mme, bien quÕelle nÕait pas gure accoutumŽ dÕen sortir : demandez-leur sur quel sujet jÕai dit que je ferais faire aux Suisses ce que je voudrais, et sÕils ne vous disent que Õa ŽtŽ sur celui de leur faire faire de grandes ou petites traites, sur ce que nous nous plaignions, Mr de CrŽquy et moi, que lÕon fait faire par jour moins de chemin ˆ Votre MajestŽ pour retourner ˆ Paris, que nÕen ferait une procession de paroisse, je veux perdre la vie ; et Votre MajestŽ peut juger si cela vous touche, ou non, et si Elle doit prendre ce discours comme dÕune vanterie de pouvoir employer les Suisses contre votre service. Č Sur cela il appela Berringuen et Jaquinot, et leur demanda en ma prŽsence, qui lui dirent la mme chose, dont il demeura satisfait, et en parla ensuite ˆ Mr de CrŽquy comme dÕune chose quÕil avait dŽjˆ Žclaircie, et qui peu de jours aprs retourna sur le visage des auteurs ; car comme le roi Žtait ˆ Ch‰tellerault, ceux du conseil lui proposrent dÕaller le lendemain coucher ˆ la Haye, auxquels il rŽpondit : Ē Je ne vous en croirai pas, Messieurs ; car si vous pouviez, je ne retournerais de trois mois ˆ Paris Č, et alla coucher ˆ Sainte Maure.

Mr dÕEpernon vint trouver le roi ˆ Poitiers, qui lui laissa des forces et ˆ Mrs de Saint-Luc et de la Rochefoucaut pour rŽsister aux huguenots de Poitou et Saintonge. On donna le gouvernement en chef de Poitou ˆ Mr de la Rochefoucaut, vacant par la dŽfection de Mr de Rohan. On mi-partit la lieutenance gŽnŽrale entre Mrs de la Chataigneraye et de Brassac ; mais le premier nÕen ayant voulu pour la moitiŽ, Brassac lÕeut toute entire. Rouccelai eut, par lÕintervention de Mr le Prince, des ministres et de moi, lÕabbaye de lÕOr de Poitiers proche de Saint-Maixent, que possŽdait prŽcŽdemment Mr de Rohan.

Peu de jours aprs nous arriv‰mes ˆ Paris o messieurs le chancelier et prŽsident Jeannin prirent quelque crŽance auprs du roi et lui persuadrent de ne se pas Žloigner de la paix lorsque les huguenots se mettraient en leur devoir et quÕil y trouverait les conditions avantageuses ; et parce que le reste de ceux du conseil y avaient une entire rŽpugnance, le roi se rŽsolut dÕemployer Mr le duc Desdiguieres pour la traiter, avec Mr le marŽchal de CrŽquy et Mr de Bullion, et quÕil nÕen dŽcouvrirait aucune chose quՈ Mr de Puisieux, et ˆ moi, ˆ qui il commanda de tenir lÕaffaire trs secrte, et voulut que lÕon f”t de la part de Mr Desdiguieres doubles dŽpches, lÕune qui se verrait et rŽsoudrait dans le conseil ; lÕautre, particulire, adressante ˆ Mr de Puisieux, quÕil ne communiquerait quÕau roi, et mÕen ferait part.

 

FŽvrier. Ń Le roi manquait de marŽchaux de camp pour ses armŽes, ceux qui lՎtaient lÕan prŽcŽdent Žtant morts ou montŽs ˆ dÕautres charges, et moi je ne voulais plus servir en celle-lˆ pour nÕy avoir des compagnons qui fussent de mon calibre ; mais le roi mÕhonora de la charge de premier marŽchal de camp par brevet particulier, pour donner les ordres et commander prŽcŽdemment aux autres en tous les quartiers o je me trouverais, nÕavoir point de jour affectŽ comme les autres, qui se rendraient en mon logis o se feraient les projets de ceux de lÕarmŽe ; et autres privilges que jÕacceptai avec trs grand contentement.

Le roi voulut que Zamet servit ; la reine mre le supplia de faire servir Marillac, et il fut aisŽ ˆ Mr le Prince dÕobtenir la troisime place pour Mr de Valanay, lieutenant de sa compagnie de gendarmes, qui Žtait beau-frre de Mr de Puisieux, pour lequel monsieur le chancelier, lui, et moi, nous employ‰mes avec efficace.

Mr le Prince eut la charge de lieutenant-gŽnŽral, et Mr de Schomberg la commission de lÕartillerie ainsi que lÕannŽe prŽcŽdente. Le roi voulut que Mr le marŽchal de Pralain v”nt ˆ lÕarmŽe, mais ne lui voulut pour lors donner autre commission que celle quÕil avait par son office.

Cependant nous pass‰mes assez bien le temps cet hiver-lˆ ˆ Paris, tant ˆ la cour quՈ la foire de Saint-Germain, et le carme-prenant fut accompagnŽ de plusieurs belles comŽdies et grands ballets. La cour Žtait fort belle, et les dames aussi ; mais sur le milieu du carme (mars) il arriva un accident qui fit quelque dŽsordre : la reine devint grosse, et lՎtait de six semaines quand un soir, madame la Princesse tenant le lit, la reine y alla passer la soirŽe jusques aprs minuit avec les autres princesses et dames du Louvre ; Mrs de Guise, les deux frres de Luynes, Mr le Grand, Blainville et moi, nous y trouv‰mes, et la compagnie fut fort gaie, quand la reine sÕen retournant coucher et passant par la grande salle du Louvre, madame la connŽtable de Luynes et Mlle de Verneuil la tenant sous les bras et la faisant courir, elle broncha et tomba en ce petit relais du haut dais, dont elle se blessa, et perdit son fruit. On cela lÕaffaire le plus que lÕon pžt au roi tant quÕil fut ˆ Paris dÕo il se rŽsolut de partir le dimanche de P‰ques fleuries pour aller faire ses p‰ques ˆ OrlŽans et de lˆ passer par le Berry et sÕen aller ˆ Lyon pour attaquer le Languedoc et le rŽduire en son obŽissance cet ŽtŽ-lˆ.

Guerre du Languedoc

Le mme jour que le roi partit, les amis communs de Mr de Schomberg et de moi (f‰chŽs de voir notre mauvaise intelligence), travaillrent pour nous remettre bien ensemble, ce qui leur fut aisŽ ; car nous y Žtions tous deux portŽs. Ils nous firent voir aprs vpres aux Chartreux o ils nous donnrent rendez-vous, dÕo nous sort”mes trs bons amis.

On fit savoir au roi comme, et en quelle faon la reine sՎtait blessŽe, et on lÕanima tellement contre ces deux dames, quÕil dŽpcha de Touri La Foulaine ˆ la reine pour lui mander quÕil ne voulait plus que Mlle de Verneuil ni madame la connŽtable de Luynes fussent auprs dÕelle, et leur Žcrivit chacune une lettre pour leur faire savoir quÕelles eussent ˆ se retirer du Louvre.

JÕai dit ci-dessus que le roi Žtant ˆ Poitiers pourvut aux affaires de Saintonge et de Poitou autant quÕil le jugea convenable, donnant ˆ Mr dÕEpernon le premier commandement partout o il serait de ces provinces-lˆ, et lui laissa quatre mille hommes de pied, et quatre cents chevaux : il bailla deux mille hommes de pied et deux cents chevaux ˆ Mr de la Rochefoucaut, et pareil nombre ˆ Mr de Saint-Luc, avec ordre de reconna”tre Mr dÕEpernon et dÕaller en Saintonge, Angoumois et Aunis avec leurs forces quand il leur manderait de le venir assister ; et que le premier des deux qui arriverait prs de lui, serait son lieutenant-gŽnŽral, et lÕautre servirait de marŽchal de camp ; que si aussi Mr dÕEpernon venait en la province de lÕun ou de lÕautre, pour les secourir, celui dans la province duquel il serait, ferait la charge de lieutenant-gŽnŽral, et lÕautre de marŽchal de camp ; et le roi recommanda ˆ tous trois une parfaite union et intelligence pour le bien de son service, auquel il pensait avoir suffisament pourvu par cet Žtablissement. Mais il arriva que Mr dÕEpernon ayant mandŽ ˆ ces deux messieurs de le venir trouver en Saintonge avec leurs forces, ils y accoururent promptement et y demeurrent jusques ˆ ce quÕils en eussent chassŽ Mr de Soubise qui avait lors sur pied une armŽe de sept mille hommes de pied, et sept cents chevaux huguenots : mais le dit sieur de Soubise sՎtant de lˆ jetŽ dans le gouvernement de Mr de Saint-Luc, puis ensuite dans le Poitou, Mr dÕEpernon aima mieux garder ses gouvernements avec les troupes quÕil avait, que de les employer ˆ secourir ses voisins, lesquels sÕen Žtant plaints au roi, et mandŽ quÕils ne pouvaient conserver leurs gouvernements avec les troupes quÕils avaient sÕils nՎtaient secourus de plus grandes, le roi envoya vers Mr dÕEpernon un nommŽ le Fay pour lui ordonner que toutes choses cessantes, il ežt ˆ aller secourir le Poitou avec les troupes que Sa MajestŽ lui avait laissŽes. Mais ledit Fay ne lui ayant pas parlŽ ˆ son grŽ, il le malmena, lequel Žtant de retour auprs du roi, lÕanima bien fort contre Mr dÕEpernon, et lui ayant derechef renvoyŽ, il en revint avec aussi peu de satisfaction que la premire fois, dont le roi fut fort en colre, se rŽsolut dÕaller lui mme secourir le Poitou et puis entrer par la Guyenne dans le Languedoc, au lieu dÕy venir, comme il avait dŽlibŽrŽ, par le Lyonnais. Pour cet effet il sÕavana ˆ Blois, fit venir vers lui toutes ses forces (la reine sa mre Žtait allŽe faire ses p‰ques ˆ OrlŽans avec lui et le voulait accompagner en tout ce voyage, la reine sa femme demeurant avec monsieur son frre), et ayant fait amasser tous les bateaux quÕil put sur la rivire, il y fit embarquer ses troupes et acheminer ˆ bonnes journŽes sa cavalerie sur la levŽe de Loire vers Nantes o il donna le rendez-vous gŽnŽral, afin dÕaller en diligence joindre Mr de Soubise qui ravageait le bas Poitou sans aucune rŽsistance, Mr de la Rochefoucaut nÕayant pas plus de cent chevaux et quinze cents hommes de pied pour lui rŽsister.

Le roi me dŽpcha un courrier pour me faire venir le trouver en diligence, ce qui me fit partir de Paris le mercredi 6me jour dÕavril, et vins coucher ˆ Chartres, le lendemain ˆ OrlŽans, puis ˆ Tours o je me mis sur la Loire et allai coucher ˆ Saumur, de lˆ ˆ Ensenis, et le lundi 11me je fus ˆ d”ner ˆ Nantes o Žtait le roi, qui commena ˆ me faire quelques plaintes de Mr le Prince, que Arnaut et Saint-Jeri, en venant sur la rivire, lui avaient occasionnŽes, lesquels bien quÕils fussent ses serviteurs affidŽs, pour jouer le double et faire voir au roi quÕils ne lՎtaient pas, parlaient mal de lui. Je rabattis ces coups autant quÕil me fut possible ; car je faisais profession dՐtre trs humble serviteur de Mr le Prince, comme je lui avais promis avant que de partir de Paris.

La reine mre qui Žtait venue avec le roi se trouva mal ˆ Nantes et y demeura lorsque le roi en partit pour aller chercher en bas Poitou Mr de Soubise, le mardi 12me, et alla coucher ˆ Viellevigne.

Le mercredi 13me il logea ˆ Legey o lui furent portŽes nouvelles par un nommŽ le Bois de Carquerois, quÕil avait envoyŽ pour garder lՔle de Riez, que les ennemis lÕavaient occupŽe, lÕen avaient chassŽ, et y Žtaient logŽs ; que Mr de la Rochefoucaut, avec ce peu de troupes quÕil avait, sՎtait venu camper au bout de la chaussŽe par o ils Žtaient entrŽs dans lՔle de Riez, et quÕils avaient plusieurs vaisseaux ˆ Croix de Vie et ˆ Saint-G”les pour ramener leur butin qui Žtait grand (et leurs personnes), ˆ la Chaume et aux Sables, et de lˆ ˆ la Rochelle. Le roi aussit™t assembla son conseil pour dŽlibŽrer de ce que lÕon aurait ˆ faire, auquel la plupart furent dÕavis dÕaller le lendemain loger ˆ Aspremont et prendre le chemin de Saintonge et de Guyenne pour aller faire la guerre en Languedoc. Mr le Prince proposa dÕavancer encore une journŽe jusques ˆ Chalans, quand ce ne serait que pour voir la contenance des ennemis, et quÕil pourrait arriver quÕils nous donneraient jour de les aller combattre dans lՔle mme de Riez. Ce dernier avis fut suivi, et lÕordre donnŽ pour aller le lendemain jeudi 14me loger ˆ Chalans.

Le roi voulut que lÕon march‰t en quelque ordre de bataille, non tant pour crainte des ennemis, puisque Mr de la Rochefoucaut les empchait de pouvoir venir ˆ nous, que pour marcher en gens de guerre. Mr de Marillac eut ordre dÕaller faire le logement du roi et de lÕarmŽe ˆ Chalans, et la compagnie de carabins dÕEsplan de lÕescorter. Comme il y fut arrivŽ sur le midi, et quÕil Žtait occupŽ ˆ cantonner le quartier, vinrent ˆ lui des habitants de lՔle de PeriŽs qui confine ˆ celle de Riez, et nÕy a quÕun canal entre deux sur lequel il y a un pont nommŽ le pont dÕAurait : ils lui dirent quÕils avaient tellement quellement fortifiŽ ledit pont pour empcher Mr de Soubise et son armŽe de les venir saccager, lequel pont ils avaient maintenu contre lÕattaque que lÕon y avait faite, et que si on leur voulait donner cinquante arquebusiers, quÕils le garderaient, et leur ”le, contre toute la puissance ennemie. Marillac leur demanda par o il fallait aller ˆ lՔle de PeriŽs : ils lui dirent quՈ huit cents pas de Chalans Žtait une chaussŽe par laquelle on y entrait. Lui qui pensait que cette chaussŽe ne durerait au plus que cinq ou six cents pas, aprs avoir cantonnŽ promptement le logis du roi, et laissŽ aux marŽchaux des logis et aides de camp le reste ˆ faire, ayant mandŽ au roi quÕil sÕen allait ˆ PeriŽs dÕo il lui manderait nouvelles des ennemis, sÕy achemina.

Le bas Poitou est ainsi nommŽ parce quÕil baisse vers la mer, et que toutes les eaux du haut Poitou y viennent descendre, desquelles il se fait de grands marŽcages lesquels en basse mer sont secs hormis les canaux o passent les eaux et [en] haute mer sont inondŽs hormis plusieurs petites mottes o il y a des maisons b‰ties en quelques unes, et les autres servent ˆ retirer le bŽtail jusques ˆ ce que le flux soit retirŽ : et parce quÕil y a plusieurs petits pays qui ne sont point inondŽs proche de la mer, auxquels nŽanmoins les eaux douces empchent lÕentrŽe, il y a des longues chaussŽes qui y conduisent, qui sont faites ˆ angles saillants et rentrants ; et ces lieux sont nommŽs ”les parce quÕil nÕy a aucun accs sans passer lÕeau, que par ces chaussŽes. Ainsi est faite lՔle de Riez, ainsi celle de PeriŽs, celle de Saint-Jean des Monts, et autres.

Mr de Marillac se jeta dans la chaussŽe qui va de Chalans ˆ PeriŽs, ayant mis devant lui cinquante arquebusiers ˆ cheval, qui Žtait la compagnie dÕEsplan ; quelque trente gentilshommes volontaires lÕaccompagnrent, et passa cette chaussŽe qui contre son attente avait plus de deux lieues de long. Il trouva ˆ son arrivŽe que les ennemis t‰chaient de forcer ce pont que les habitants dŽfendaient encore assez bien, attendant ce secours. Il fit mettre ces carabins pied ˆ terre, et occuper la place des paysans ˆ la garde du pont, ce que les ennemis ayant aperu et mme quÕil y avait de la cavalerie dans lՔle, ralentirent leur effort. Marillac cependant donna avis au roi que, si on lui envoyait deux mille hommes, il garderait lՔle et tiendrait sur cul les ennemis jusques ˆ ce que le roi ežt rŽsolu, ou de les attaquer, ou de les laisser passer, et que cependant il se faisait fort de tenir lՔle de PeriŽs tout ce jour. Esplan demanda ˆ parler ˆ Mr de Soubise qui le vint trouver proche du pont et lui parla, le canal entre deux : cela les amusa jusques sur le tard.

Cependant le roi Žtant arrivŽ et logŽ ˆ Chalans, eut les nouvelles de Marillac, et ayant assemblŽ son conseil, rŽsolut dÕenvoyer quatorze compagnies de son rŽgiment des gardes pour la conservation de lՔle de PeriŽs, et que le lendemain au jour, il se mettrait en bataille avec la cavalerie quÕil avait, ˆ la vue de Riez, ˆ cinq cents pas dÕo La Rochefoucaut Žtait campŽ, qui sÕy mettrait aussi. Il ordonna que je mettrais son infanterie en bataille sur le bord de la chaussŽe pour faire ce que Mr le Prince mÕordonnerait, qui passerait avec Mr le marŽchal de Pralain dans lՔle de PeriŽs ds la pointe du jour.

Mr le marŽchal de Vitry demanda de mener ˆ PeriŽs ces quatorze compagnies des gardes, et y arriva vers la pointe du jour du vendredi 15me dÕavril ; et Mr le Prince, ds quÕil fut jour, sÕachemina en ladite ”le, me laissant avec lÕinfanterie ˆ lÕentrŽe, tandis que le roi sÕalla prŽsenter proche de la chaussŽe de Riez. Sur les huit heures du matin Mr le Prince me manda que je fisse passer en PeriŽs toute lÕinfanterie, dont je donnai avis au roi, et me mis ˆ la tte, et elle y commena dÕarriver sur les dix ˆ onze heures. Je vins trouver Mr le Prince qui me commanda de faire h‰ter les troupes le plus que je pourrais, et de les amener ˆ un guŽ que les paysans de PeriŽs lui montrrent quÕen basse mer il nÕy avait pas plus dÕeau que jusques ˆ la ceinture pour traverser un bras de mer (large comme la Marne), qui sŽparait les ”les de Riez et de PeriŽs, ce qui Žtait vŽritable, car lors plusieurs de nous le passrent aisŽment : mais comme le flux ne tarde gure ˆ venir, il Žtait douteux que toute lÕarmŽe ežt eu loisir de passer. NŽanmoins je la h‰tai le plus quÕil me fut possible, et en la ramenant je dis ˆ Mr de Pralain : Ē Que pense faire Mr le Prince ? A-t-il bien considŽrŽ ce quÕil entreprend ? Croit-il passer son armŽe entire ? NÕapprŽhende-t-il point que les ennemis ne le chargent quand il en aura passŽ un tiers, ou la moitiŽ ? Que veut-il entreprendre sans cavalerie contre des gens qui ont sept ˆ huit cents chevaux, et huit ou dix pices de canon ? Sur quoi se fonde-t-il ? Č Il me dit : Ē Il ne nous en a parlŽ quÕen passant, et est plut™t portŽ par lÕavis dÕArnaut que conseillŽ par nous autres ; mais (ce me dit-il), vous tes un de ses gouverneurs, allez lui parler. Č Je ne marchandai point, et lՎtant venu trouver et dit que lÕinfanterie arrivait, je lui dis ensuite :

Ē Monsieur, quel est votre dessein de passer sans cavalerie en un pas o, si les ennemis vous font le moindre obstacle du monde, la mer vous prendra ˆ demi passŽ ; et quand ils vous laisseraient passer, ce vous sera un grand dŽsavantage dՐtre sans cavalerie ni canon ? Mais quand toutes ces considŽrations ne vous toucheraient point, permettez, Monsieur, que comme votre trs humble serviteur, je vous demande ce que vous ferez du roi qui est en bataille devant la chaussŽe de Riez, et comme quoi vous voulez combattre sans lui ? Car si vous dŽfaites Mr de Soubise, il vous voudra mal de ce que vous ne lui aurez point fait part de lÕhonneur de la victoire ; et sÕil vous arrive quelque disgr‰ce, il bl‰mera votre prŽcipitation, et vous accusera de ne lÕavoir voulu ou daignŽ attendre. Č

Mr le Prince ne prit pas bien mon discours, et me dit : Ē Je vois bien que vous tes de la cabale des autres qui me veulent dŽtourner dÕacquŽrir de la gloire et faire un grand service, lequel peut-tre ne se pourra pas recouvrir quand nous lÕaurons laissŽ Žchapper. Je veux donc que vous alliez tout ˆ lÕheure trouver le roi et lui dire quÕil est ˆ propos quÕil vienne promptement ici avec sa cavalerie. Č Je le suppliai de lui en Žcrire un mot, ce quÕil fit, et je mÕy en allai en diligence. Je le trouvai au milieu de la chaussŽe, qui dŽjˆ venait, impatient de nÕavoir point de nos nouvelles, et dՐtre sans rien faire devant les ennemis, une rivire entre deux, quÕeux ni lui ne pouvaient passer. Ds quÕil fut arrivŽ en lՔle, Mr le Prince lui mena voir le passage du guŽ, et les habitants nous assurrent quÕil y en avait encore un autre plus proche de lÕembouchure de la mer, et quՈ minuit prŽcisŽment lÕeau serait basse, et plus basse quÕelle nՎtait ˆ midi, car cՎtait gros dÕeau.

Le roi se logea avec les princes, et autres principaux de lÕarmŽe, dans quinze maisons qui Žtaient dans lՔle, envoya loger et repa”tre sa cavalerie dans lՔle de Saint-Jean des Monts, et fit camper son infanterie proche de son logis et vers le pont dÕAurait, retenant les marŽchaux des logis et sergents-majors de tous les corps pour leur porter lÕordre aprs le conseil, quÕil vint tenir ˆ lÕheure mme, o il fut rŽsolu de passer en basse mer avec toute lÕarmŽe, et aller attaquer Mr de Soubise. Puis ensuite Mr le Prince prŽvoyant sagement les inconvŽnients qui peuvent arriver aux diffŽrents commandements, lÕimportance de passer en une heure lÕarmŽe, et avec un grand ordre, proposa au roi dÕen commettre le soin ˆ un seul, et quÕil lui conseillait que ce fžt ˆ moi, sÕassurant que je mÕen acquitterais bien. Je le remerciai trs humblement de lÕhonneur quÕil me faisait, et de la bonne opinion quÕil avait de moi, et lÕassurai que je t‰cherais de mÕen acquitter ˆ son contentement.

Sur cela je mÕen vins en un logis que lÕon avait laissŽ ˆ Mr le marŽchal de Pralain et aux marŽchaux de camp, lesquels jÕappelai pour ensemble faire lÕordre, lequel fut en cette sorte :

Que le rendez-vous de toutes les troupes serait ˆ dix heures du soir, et que lÕinfanterie se viendrait mettre en bataille ˆ la main gauche du logis o nous Žtions, en une plaine qui y Žtait, et que le rŽgiment des gardes ferait cinq bataillons quÕil mettrait en losanges, et serait ˆ la tte ; que derrire lui seraient les Suisses en deux gros bataillons, puis ensuite deux bataillons de Normandie, et finalement Navarre en trois bataillons ; je signalai leurs places ˆ leurs sergents-majors, puis leur donnai lÕordre et les renvoyai. Nous f”mes sept corps de notre cavalerie, assavoir : les carabins dÕEsplan qui seraient ˆ la tte ˆ la main droite du logis o jՎtais ; puis la compagnie des Roches Baritaut ; ensuite les chevau-lŽgers de la garde du roi ; puis les gendarmes ; puis cinquante chevaux tirŽs des gendarmes et des chevau-lŽgers, qui composaient un escadron ; derrire eux la noblesse de la reine mre qui faisait un escadron avec quelques volontaires ; finalement la compagnie de chevau-lŽgers de Mr de Guise : et ayant donnŽ lÕordre aux marŽchaux des logis de tous ces corps, je les renvoyai ; aprs quoi nous form‰mes nos ordres de bataille, et en f”mes les trois ordres, assavoir : lÕavant-garde Žtait composŽe des carabins dÕEsplan, des chevau-lŽgers des Roches Baritaut et de ceux de la garde, avec les cinq bataillons du rŽgiment des gardes ; la bataille, des gendarmes du roi, et des Suisses ; et lÕarrire-garde, des cinq bataillons de Navarre et de Normandie avec les trois corps derniers de cavalerie. Je priai Mr de Marillac de prendre lÕordre et le soin du passage de lÕinfanterie, et ˆ Mr Zamet celui de la cavalerie.

Puis ayant mis sur le papier tous nos ordres, Mr le marŽchal de Pralain et nous, v”nmes les montrer au roi, qui les approuva fort. Nous lui suppli‰mes de faire des chefs de chaque escadron, des princes et officiers qui Žtaient prs de Sa MajestŽ ; et le roi nous ayant demandŽ sur cela ce quÕil nous en semblait, nous lui d”mes que cՎtait ˆ lui ˆ mener la bataille ˆ la tte de ses gendarmes entre deux gros bataillons de Suisses, de donner ˆ Mr le Prince, son lieutenant-gŽnŽral, lÕavant-garde, et lÕarrire-garde ˆ Mr le Comte ; les deux escadrons de lÕavant-garde aux deux marŽchaux de France, les deux de lÕarrire-garde ˆ Mrs de Vend™me et grand prieur ; que Mr Zamet aurait soin de lÕordre de lÕavant-garde, Mr de Marillac de lÕaile gauche qui Žtait lÕarrire-garde, et que je serais partout comme ayant en ma tte et en ma charge toute la conduite ; et que pour le passage Mr Zamet conduirait la cavalerie et Mr de Marillac lÕinfanterie, cependant que je ferais marcher lÕun et lÕautre corps. Il approuva tout ce que nous lui propos‰mes, et se plut aux ordres projetŽs.

Sur le temps que, couchŽ sur un mŽchant lit, le roi confŽrait du passage avec nous, il arriva une grande alarme par tout le camp, comme si les ennemis nous fussent venus sur les bras, et en cet instant cinquante personnes se jetrent dans la chambre du roi, qui lui dirent que les ennemis venaient ˆ nous. Je savais bien quÕil Žtait impossible, car la mer Žtait haute, et quÕils nÕeussent su passer : cÕest pourquoi au lieu de mÕen alarmer, je voulus voir comme le roi la prendrait, afin que selon sa hardiesse ou son Žtonnement, jÕeusse ˆ lÕavenir ˆ me gouverner vers lui aux propositions que je lui ferais. Ce jeune prince qui Žtait couchŽ sur ce lit, se leva assis ˆ cette rumeur, et avec un visage plus animŽ que de coutume leur dit : Ē Messieurs, cÕest lˆ dehors quÕest lÕalarme, et non dans ma chambre, comme vous voyez, et o il faut aller Č, et en mme temps me dit : Ē Allez en diligence au pont dÕAurait, et me mandez de vos nouvelles promptement. Vous, Zamet, allez trouver Mr le Prince, et Mr de Pralain avec Marillac demeureront avec moi qui me vas armer, et me mettre ˆ la tte de mes gardes. Č Je fus ravi de voir lÕassurance et le jugement dÕun homme de son ‰ge, si mžr et si parfait. Il se trouva que cՎtait une fausse alarme que lÕon avait prise dÕune chose fort lŽgre, et ainsi je mÕen revins dormir deux heures, attendant le rendez-vous et pour tre en Žtat de passer la nuit sans dormir.

Toutes les troupes arrivrent ˆ dix heures au rendez-vous, et tout ˆ loisir nous les m”mes en deux files, assavoir : les bataillons lÕun aprs lÕautre pour passer au guŽ de la main gauche ; et les escadrons aussi ensuite, ˆ la main droite, pour passer le guŽ proche de la mer ; et y arriv‰mes demie heure avant la basse mer. Mais celui dՈ main gauche fut trouvŽ si haut que les gardes, qui devaient passer les premiers, me firent dire par La Hilliere sergent major, quÕil Žtait impossible dÕy passer. JÕy courus, et voyant combien ils y passeraient difficilement, je vins au guŽ de main droite que je passai et le t‰tai pour voir si notre infanterie y pouvait passer ; je reconnus aussi quÕil nÕy avait personne de lÕautre c™tŽ pour nous empcher : cÕest pourquoi je vins dire ˆ Mr le marŽchal de Vitry et ˆ Mrs de Pralain et Mr le Prince qui avaient charge des trois premiers escadrons, que le roi leur mandait de passer, ce quÕils firent en un instant ; et comme nous v”mes que de lÕautre c™tŽ du passage il nÕy avait nul obstacle, je dis au roi que sÕil lui plaisait de passer, je lui mnerais en un instant son infanterie. Il entra ˆ lÕheure mme au guŽ et le passa, comme aussi les autres trois escadrons. Alors je fis avancer les bataillons qui Žtaient de lÕarrire-garde et les Suisses, et fis mettre les chefs pied ˆ terre pour donner courage aux soldats de passer lÕeau. Je me mis ˆ pied dans lÕeau ˆ leur tte, et ˆ un instant les Suisses et Navarre ple-mle passrent, qui furent suivis en une telle diligence des gardes, et de Normandie, que sept mille hommes comptŽs que le roi avait dÕinfanterie passrent en un quart dÕheure ˆ minuit, la nuit Žtant fort brune, un guŽ o il y avait de lÕeau plus haut que la ceinture, et large comme la Seine est devant le Louvre, qui nՎtait quՈ cinquante pas de la pleine mer. Cela fait, nous camp‰mes sur le bord sans garder aucun ordre, hormis que notre cavalerie Žtait plus avancŽe, et chaque bataillon alluma force feux pour se sŽcher.

Sur les trois ˆ quatre heures du matin, ˆ la pointe du jour, lÕon marcha au plus bel ordre quÕil se pouvait penser, en lÕordre donnŽ pour la bataille, dans les lieux plains ; et quand nous trouvions des collines, nous marchions notre avant-garde premire, suivie de la bataille, et ensuite lÕarrire-garde ; puis ds que la plaine revenait, lÕavant-garde faisait halte ˆ droite, la bataille se mettait ˆ sa gauche, et lÕarrire-garde ˆ celle de la bataille. Ainsi nous march‰mes jusques ˆ la vue des ennemis prs de deux lieues, lesquels se jetrent dans les vaisseaux et dans Saint-G”les, et les autres mirent les armes bas, nous demandant misŽricorde, sans rendre aucun combat. La cavalerie sÕenfuit de mme ; mais ne pouvant faire une si longue retraite, la plupart fut tuŽe en la suite de la victoire, ou par les paysans. Il y mourut sur le champ, tuŽ de sang froid sans rŽsistance, plus de quinze cents hommes, et plus dÕautant prisonniers qui furent envoyŽs aux galres ; le reste fut tuŽ par les gens de Mr de la Rochefoucaut, ou par les paysans, de telle sorte que Mr de Soubise rentra ˆ la Rochelle avec trente chevaux de sept cents quÕil avait ; et ne sÕen retourna pas quatre cents hommes de pied de sept mille quÕil y en avait le jour prŽcŽdent dans son armŽe. Il y eut bien cent cinquante gentilshommes ou officiers pris, et sept pices de fonte dÕartillerie. La Chaume, assez bon ch‰teau o il sÕen Žtait retirŽ quelques-uns, se rendit le jour dÕaprs ˆ Mr de la Rochefoucaut ; et depuis il ne se prŽsenta, de cette guerre, dans le Poitou aucun homme dans la campagne pour les huguenots ; et changrent leurs desseins pour les tourner sur mer, Žquipant une armŽe navale dont ils firent amiral un nommŽ Guitton qui la mit en fort bon ordre.

Le roi, le jour mme, d”na tellement quellement [tant bien que mal] ˆ Saint-G”les, et passa ce bras de mer qui est entre Saint-G”les et Croix de Vie, dans des bateaux, puis sÕen vint coucher ˆ un ch‰teau nommŽ Aspremont o nous demeur‰mes le dimanche 17me, lundi 18me, pour rassembler nos troupes Žparses et qui suivaient toujours les ennemis.

Enfin nous en part”mes le mardi 19me et v”nmes coucher ˆ AysenŽ, le lendemain mercredi 20me ˆ la Roche sur Yon, le jeudi ˆ Sainte Hermine, le vendredi ˆ Fontenai le Comte, et le samedi 23me ˆ Niort, o le roi sŽjourna le dimanche pour tenir conseil de guerre et juger les prisonniers, ˆ qui ils appartenaient.

Le lundi Mr de Bullion fut ou• au conseil, qui Žtait arrivŽ le soir auparavant, envoyŽ par Mr Desdiguieres pour porter quelques conditions proposŽes par ceux de la Religion, tendant ˆ la paix ; o il fut rŽsolu de la rŽponse que lÕon ferait sur chaque article. Mais le soir Mr de Puisieux fit voir au roi la dŽpche particulire qui lui avait ŽtŽ faite, et ou•t Mr de Bullion lˆ-dessus : il me fit lÕhonneur de mÕy appeler et de prendre mon avis sur la rŽponse secrte qui fut faite, qui Žtait lÕessentielle, la prŽcŽdente nՎtant que pour amuser les ministres du conseil qui ne voulaient la paix en aucune faon.

Le mercredi 27me dÕavril le roi partit de Niort et fut coucher ˆ Chisai.

Il est ˆ savoir que le roi Žtait parti de Blois pour venir en Poitou, fort animŽ contre Mr dÕEpernon, tant par les mauvais offices que lui avait rendus ce Fai que le roi lui avait envoyŽ, que parce quÕil nÕavait pu tre portŽ par les rŽitŽrŽs commandements du roi dÕaller secourir le Poitou et Mr de la Rochefoucaut. Mr le cardinal de Retz et Mr de Schomberg nՎtaient pas ses amis et ne parlaient pas en sa faveur ; si faisait bien Mr le Prince : je faisais aussi, selon ma petite puissance, ce qui Žtait de moi pour le servir. Ce fut ce qui obligea Mr le Prince de lui dŽpcher un gentilhomme le jour mme de la dŽfaite de Riez, et me commanda de lui Žcrire sur la teneur de la dŽpche quÕil lui faisait, qui Žtait que le roi avait eu la victoire sur Mr de Soubise et quÕil allait droit ˆ lui ˆ qui il voulait mal de ce quÕil ne voulait rien faire ; que le seul moyen quÕil avait pour lÕapaiser, et nous de le servir, consistait en se mettre en campagne et assiŽger Royan ; que sÕil le faisait, nous Žtions assez puissants pour faire oublier tout le passŽ ; mais sÕil ne le voulait faire, nous protestions que le mal qui lui en adviendrait aurait ŽtŽ empchŽ par nous sÕil nous ežt donnŽ le moyen de le faire. Il nous crut et vint assiŽger Royan o commandait le sieur de Saint-Surin gentilhomme huguenot avec lequel, peu de jours aprs, il entra en traitŽ de remettre la ville en lÕobŽissance du roi ; et de fait sortit un jour sur la parole de Mr dÕEpernon pour venir conclure le traitŽ : mais comme il parlait ˆ Mr dÕEpernon ˆ la vue de Royan, Žtant entrŽ par mer quelque secours de la Rochelle dans la ville, ils se rŽsolurent dÕen fermer les portes ˆ leur gouverneur, et ne tenir la capitulation quÕil avait faite, et en mme temps pointrent quelques pices sur Mr dÕEpernon qui Žtait avancŽ, et sur sa troupe. Saint-Surin bien ŽtonnŽ de ce subit changement, dit ˆ Mr dÕEpernon quÕil ne venait point de sa part ; quÕil ferait rŽparer cette faute, et quÕil ne retournerait plus avec eux, en cas quÕils ne se soumissent ˆ lÕobŽissance du roi. Il voulut rentrer dans la place ; mais on lui dit de dessus les murailles force injures, ce qui le fit retourner avec Mr dÕEpernon qui avait mandŽ au roi lÕespoir quÕil avait de remettre Royan en son obŽissance, et le roi reut cette premire nouvelle ˆ Saint-Jean dÕAngeli o il arriva le jeudi 28me, qui Žtait le jour mme que le traitŽ de Royan se rompit, et le lendemain 29me, comme le roi arriva ˆ Saintes, il en sut la nouvelle.

Il sŽjourna ˆ Saintes le samedi, dimanche (mai) et lundi suivant, tant pour faire avancer son armŽe que pour donner audience aux ambassadeurs des cantons protestants de Suisse qui lՎtaient venus trouver pour intercŽder pour les huguenots de la France. Je leur fis festin, puis les menai ˆ lÕaudience en laquelle ils eurent pour rŽponse du roi que quand les huguenots, ses sujets rebelles, rentreraient en leur devoir, il aurait les bras de sa clŽmence ouverts pour les recevoir, et les renvoya de Saintes en hors, dÕo il partit le mardi 3me de mai pour venir coucher ˆ Saujon o Mr dÕEpernon le vint trouver, auquel il fit bonne chre, comme Mr le Prince y avait disposŽ Sa MajestŽ. Le roi lui proposa de grossir son armŽe de quelques troupes quÕil lui donnerait, et quÕil entrepr”t de rŽduire Royan en lÕobŽissance de Sa MajestŽ afin que le roi, sans sÕarrter, pžt aller promptement en Languedoc ; mais Mr dÕEpernon le refusa, et quelque prire qui lui fut faite par Mr le Prince dÕaccepter cette commission, il nÕy put tre disposŽ. Enfin le roi se rŽsolut de lÕattaquer, et Mr le Prince qui pensait que lÕon demeurerait six semaines devant, proposa au roi de lÕenvoyer en Guyenne, tant pour rŽduire un fort nommŽ Soulac que les huguenots avaient fait dans MŽdoc vis ˆ vis de Blaye, et dÕautres petites places de la Guyenne, que pour aller recevoir Tonneins assiŽgŽ de long temps par Mrs dÕElbeuf et marŽchal de ThŽmines. Mr le Prince se chargea aussi de traiter avec Mrs de la Force et de Sully qui se voulaient remettre au service du roi. Je le dissuadai dÕentreprendre cette commission, et de ne partir dÕauprs du roi ; ˆ quoi ne lÕayant pu disposer, je le suppliai de mÕemmener avec lui ; mais il me dit que le roi ne me voudrait pas sŽparer de lui, et quÕil avait lÕentire crŽance en moi pour son armŽe. Il me pria de faire quÕil pžt mener avec lui un des vieux rŽgiments, et que je tŽmoignasse au roi son dŽsir, ce que je fis, et le roi lui donna le rŽgiment de Normandie avec dÕautres troupes de pied et de cheval.

Il voulut avant son partement aller reconna”tre Royan et ordonner des attaques. Il y vint donc, et nous amena avec lui, les chefs de lÕarmŽe, le mercredi 4me, o nous v”mes les attaques et tranchŽes que Mr dÕEpernon avait commencŽes, lesquelles on demeura dÕaccord de poursuivre ; et au retour dans le conseil il fut rŽsolu que lÕattaque du c™tŽ de la mer, ˆ main droite, serait pour les gardes, et celle de lÕautre c™tŽ, ˆ main gauche, se commettrait ˆ Picardie, ˆ laquelle Mr le marŽchal de Vitry avec Mrs de Seneay, Marillac, et Biron, commanderaient ; quՈ celle dՈ main droite, nommŽe des gardes, Mr de Pralain en aurait la charge, et moi sous lui, quelque persuasion que PompŽe Targon me voulut et put faire de faire lÕattaque des gardes de lÕautre c™tŽ et lÕentreprendre, o il fit certes une batterie dÕune trs belle invention ; car comme nous Žtions ˆ reconna”tre la place, et que nous fussions montŽs sur le faite dÕune maison pour mieux voir, Mr le Prince dit : Ē Si lÕon pouvait faire une batterie sur ce toit et de cette hauteur, on aurait un grand avantage ˆ battre cette demie lune. Č PompŽe Targon rŽpondit : Ē Monseigneur vous le dit en riant, et moi je vous rŽponds tout de bon que dans trois jours je mettrai sur ce toit et dans cette hauteur quatre pices en batterie Č ; ce quÕil entreprit depuis, et exŽcuta en cette forme : il Žtanonna la maison des quatre c™tŽs, puis la sapa et Žtaya sur des pices de bois, et ensuite ayant mis quantitŽ de fascines contre les Žtais, ils se bržlrent et consumrent ; ce qui fit que la maison tomba sur elle mme et en dedans, ce qui haussa la plateforme, ˆ laquelle il fit porter ce quÕil fut nŽcessaire pour mettre sa batterie ˆ la hauteur quÕil avait dit.

Je persistai ˆ mon attaque ˆ droite du c™tŽ de la mer, en laquelle je mÕacheminai le jeudi 5me de mai, jour de lÕAscension ; et ayant donnŽ le rendez-vous de lÕarmŽe ˆ la plaine de Chastelar, elle sÕen alla prendre ses postes, et ses quartiers. Les gardes entrrent cette nuit-lˆ dans la tranchŽe quÕils poussrent ˆ droite jusques contre la mer, et firent une ligne ˆ gauche pour aller sÕattacher ˆ une pice des ennemis.

Le vendredi 6me nous continu‰mes cette tranchŽe ˆ gauche et m”mes une batterie de trois canons sur le bord de la mer ˆ la droite, pour lever les dŽfenses des ennemis qui nous troublaient lÕattaque que nous voulions faire ˆ la demie lune. Ce soir mme je fus voir le roi en son quartier, lequel me dit que le lendemain ˆ quatre heures du matin il voulait venir ˆ notre tranchŽe, et que je lÕattendisse au commencement dÕicelle, ˆ une longue ligne que je fis toute la nuit hausser pour lÕy faire arriver en sžretŽ.

Il vint donc le samedi 7me, accompagnŽ de Mr dÕEpernon et de Mr de Schomberg. CՎtait la premire fois quÕil y Žtait jamais venu : il me fit lÕhonneur de me dire : Ē Bassompierre, jÕy suis nouveau ; dites-moi ce quÕil faudra faire pour ne point faillir Č ; ˆ quoi je ne fus gure empchŽ, car il fit plus gŽnŽreusement que pas un de nous nÕeussions fait, et monta trois ou quatre fois sur la banquette des tranchŽes pour reconna”tre ˆ dŽcouvert, sÕy tenant si longtemps que nous frŽmissions du pŽril o il se mettait avec une plus grande froideur et assurance quÕun vieux capitaine nÕežt su faire, et ordonna du travail de la nuit suivante comme sÕil ežt ŽtŽ un ingŽnieur. Je lui vis faire en retournant une action qui me plut extrmement ; car aprs tre remontŽ ˆ cheval, ˆ un certain passage que les ennemis connaissaient, ils tirrent un coup de pice qui passa ˆ deux pieds au-dessus de la tte du roi qui parlait ˆ Mr dÕEpernon. Je marchais devant lui et me tournai, apprŽhendant le coup que je vis venir pour le roi ; je lui dis : Ē Mon Dieu, Sire, cette balle a failli ˆ vous tuer. Č Il me dit : Ē Non pas moi, mais Mr dÕEpernon Č ; et ne sՎtonna ni ne baissa la tte comme assez dÕautres eussent fait : puis ensuite comme quelques uns qui lÕaccompagnaient se fussent ŽcartŽs, il leur dit : Ē Comment avez-vous peur quÕelle tire encore ? Il faut que lÕon la recharge de nouveau. Č JÕai vu plusieurs et diverses autres actions du roi en plusieurs lieux pŽrilleux, et dirai sans flatterie ni adulation que je nÕai jamais vu un homme, non un roi, qui y fžt plus assurŽ que lui : le feu roi son pre, qui Žtait en lÕestime que chacun sait, ne tŽmoignait pas une pareille assurance.

LÕaprs-d”ner Mr dÕEpernon et Mr le Comte (que je devais nommer premier) vinrent ˆ notre tranchŽe, et comme en retournant nous fussions allŽs sur le bord de la mer en une prairie pour considŽrer seize vaisseaux que les Rochelais avaient ˆ lÕancre lˆ prs, ils levrent les ancres, nous voyant grande troupe, et sÕapprochrent ˆ cinquante pas pour nous tirer ; et comme Mr le marŽchal de Pralain et moi Žtions pratiques de cela, quelques-uns de la troupe Žtant dÕavis de faire retirer Mr le Comte, Mr dÕEpernon, et nous-mmes, nous leur d”mes : Ē Messieurs, vous aurez maintenant le plaisir dÕavoir des berceaux de balles de canon qui passeront par dessus vous, sans vous pouvoir offenser : quand vous verrez quÕun vaisseau tournera le flanc pour faire sa dŽcharge, retirez-vous dix pas de la rive, en telle sorte que vous ne puissiez voir le bas du vaisseau o sont les embrasures du canon, et aucun coup ne vous pourra toucher, si bien passer par dessus votre tte Č ; ce que chacun fit, et eurent le plaisir dÕy voir tirer deux cents volŽes de canon sans aucun effet.

Le soir nous f”mes en notre attaque un grand travail, et m”mes six pices de canon en batterie ˆ notre main gauche.

Ce soir mme Mr le Comte tomba malade de la petite vŽrole.

Le dimanche 8me je fus voir le roi, puis je visitai le travail de Picardie.

Sur les onze heures nos deux batteries tirrent et ne cessrent jusques ˆ la nuit, en laquelle avec quarante gabions qui nous vinrent, nous avan‰mes par pfalsades [palissades] jusques contre la pice que nous voulions attaquer, et f”mes une place dÕarme couverte, capable de tenir mille hommes en bataille.

Le lundi 9me nous nous prŽpar‰mes pour attaquer le bastion auquel nous Žtions joints, ce que nous rŽsolžmes de faire pied ˆ pied ; et parce que la face dudit bastion qui Žtait ˆ notre droite et ˆ leur gauche Žtait contre la mer et manque de dŽfense de ce c™tŽ-lˆ, et que de ce peu quÕelle en tirait de la ville nous les avions levŽes ˆ coups de canon que nous continuions toujours, nous all‰mes, toujours entre deux terres, jusques ˆ la gorge, quelque destourbier [trouble] que nous pussent faire les ennemis qui Žtaient dans le bastion, ˆ coups de grenades et de pierres, ˆ quoi nous prenions aussi notre revanche. Ils avaient une mine au milieu de ce bastion o ils nous attendaient, et avaient fait un retranchement avec un petit fossŽ en la gorge dudit bastion pour nous tirer continuellement lorsquÕaprs quÕils nous auraient travaillŽs de leur mine, nous voudrions entreprendre de nous loger dans la pice.

Comme nous nous avancions entre ces deux terres, nous v”mes jouer la mine des ennemis au quartier de Picardie, qui nous fit beaucoup de mal ; et peu aprs, ceux qui revinrent de cette attaque nous portrent les nouvelles que pour nous y tre ŽchaudŽs, nous y avions perdu plus de cinquante gentilshommes ou officiers. Cela me fit croire quÕils nous en gardaient autant dans notre pice, et pour cet effet je me haussai dans notre attaque du long de la mer pour reconna”tre, et vis un couvert au milieu du bastion et une tra”nŽe de terre relevŽe de frais jusques ˆ la gorge ; et comme, la seconde fois que je me haussai pour reconna”tre mieux, je dŽcouvris le fossŽ du retranchement et au milieu du fossŽ une motte de terre relevŽe de frais, je ne fus plus en doute.

JÕavais trois aides de camp trs braves hommes, qui Žtaient CoulombiŽ, Lancheres, et Refuges, lesquels, ou par ardeur ou autrement, proposaient de donner dans le bastion, dans lequel ils disaient avoir reconnu quÕil nÕy avait pas dix hommes pour le dŽfendre, et que nous le prendrions infailliblement, sans nous donner la peine dÕaller coulant le long du bastion o nous ne pourrions tre de trois heures, et le persuadrent de telle sorte ˆ Mr de Pralain, quÕil mÕenvoya quŽrir en notre travail o jՎtais, pour me commander de faire lÕordre pour donner. Mrs de Vend™me et grand prieur de France avec plusieurs autres jeunes seigneurs, y Žtaient, qui animaient monsieur le marŽchal ˆ faire faire cette attaque. Je fus bien ŽtonnŽ quand je le vis rŽsolu ˆ ce dessein, et lui dis : Ē Monsieur, sÕil vous plait que sans rŽplique jÕaille exŽcuter ce que vous me commandez, je ne laisserai de vous dire ce seul mot pour ma dŽcharge, que vous faites une chose prŽjudiciable au service du roi et de laquelle vous aurez, mais trop tard, un Žternel repentir. Mais si, comme vous avez entendu les raisons de mes aides de camp et des autres qui vous ont persuadŽ de faire cette attaque, vous voulez aussi entendre les miennes, je mÕassure que non seulement vous quitterez ce dessein, mais que vous me remercierez devant quÕil soit nuit de vous avoir persuadŽ de dŽsister cette pratique. Č Il me dit lors : Ē Et bien, dites donc ; ce nÕest pas dÕastheure que nous nous connaissons et que je sais que vous vous plaisez ˆ contrarier les propositions dÕautrui pour faire voir votre bel esprit : quÕavez-vous ˆ remontrer contre ce que tous les autres unanimement approuvent et proposent ? Č Je lui dis lors :

Ē Monsieur, si nous nÕavions aucun autre moyen de prendre ce bastion que lÕon attaque maintenant, que celui de lÕassaut, non seulement jÕapprouverais ce conseil unanime que vous dites que lÕon vous donne maintenant, mais je vous lÕeusse proposŽ ce matin : au lieu de le prendre pied ˆ pied comme nous le voulons faire, nous aurions ŽpargnŽ la peine, et le travail que nous avons dŽjˆ fait et celui que nous avons encore ˆ faire. Mais je crois que toutes les fois que sans perte dÕhommes ni de temps vous pouvez faire la mme chose que vous feriez avec la mort de plusieurs braves hommes qui sÕy hasarderaient, lÕhumanitŽ, la raison, et le service du roi, vous doivent obliger ˆ la conservation de ses serviteurs, de vos amis, et de gens qui en dÕautres occasions vous feront bon besoin : je laisse ˆ part lÕavantage quÕen prendront les ennemis, le dŽcouragement de vos soldats et la diminution de votre gloire et rŽputation, dÕavoir envoyŽ ˆ la boucherie et perdu, sans nŽcessitŽ, quantitŽ de gens de bien que vous pouviez conserver. Č

Ē Si Royan Žtait la dernire place de ceux de la Religion, il serait en quelque sorte tolŽrable de jouer du reste et dÕy mettre le tout pour le tout ; mais ce ne serait que quand tous autres moyens nous manqueraient. Maintenant que vous avez pris rŽsolution dŽterminŽe par lÕavis des personnes plus intelligentes ˆ notre mŽtier, que vous tes au milieu de lÕexŽcution de ce que vous avez entrepris, que lÕeffet en est infaillible, sans perte dÕhommes, ni de rŽputation, et sans aucune cause apparente, de venir changer sur lÕopinion peu considŽrŽe, pour ne dire indiscrte, de Lancheres qui portŽ plus t™t dÕardeur que de raisonnement, quitte la suite dÕun dessein rŽsolu et bon, pour vous donner un avis incertain, pŽrilleux, et dont lÕexŽcution, quelque heureuse quÕelle puisse tre, vous cožtera la vie de personnes qui valent mieux que ce que vous gagnerez, je nÕy vois aucune apparence. Et que serait-ce sÕil y avait une pareille mine quՈ lÕautre quartier, et quÕoutre le mal qui vous en arrivera, vous encourussiez encore le bl‰me et la honte de ne vous avoir fait sage du malheureux exemple de vos voisins, et si je vous fais voir ˆ lÕĻil, et ˆ ceux qui le voudront remarquer, quÕil y a assurŽment une mine que ces messieurs les beaux reconnaisseurs de places nÕont point remarquŽe ; que ce peu de gens quÕil y a dans la pice vous le devrait, et ˆ eux aussi, faire juger, quand nous nÕen aurions autre connaissance ; quÕun fossŽ et de la terre relevŽe de lÕautre c™tŽ pour servir de parapet au retranchement, de quoi ces messieurs ne parlent point ou quÕils nÕont pas remarquŽ, toutes ces choses vous doivent faire penser quÕils ne veulent point opini‰trer cette pice ˆ cause de la mine quÕils y veulent faire jouer ou pour tuer ˆ leur aise ˆ bonnes mousquetades ceux qui seront entrŽs dedans ? Č

Ē Il semble que vous ayez concertŽ avec les ennemis pour donner dans tous les piges quÕils vous tendent, et pour changer les bonnes et sžres rŽsolutions contre les incertaines et mauvaises. Pour moi, Monsieur, si vous y voulez persister, je proteste de tout le mal qui en arrivera, que jÕai fait conna”tre ou remarquer, et ensuite comme marŽchal de camp, je ferai ce qui est simplement de ma charge, qui est de faire lÕordre nŽcessaire pour y donner : aprs quoi je vous demanderai par gr‰ce que vous me permettiez que je me retire ˆ mille pas des tranchŽes pour ne voir point le dŽsastre, et le malheur qui en arrivera par cette prŽcipitation ; ce que je mÕassure que la plus part de cette compagnie nÕattribuera point tant ˆ l‰chetŽ (car jÕai dŽjˆ fait mes preuves ailleurs), quՈ commisŽration de la perte de plusieurs de mes amis. Č

Ē Que sÕil vous plait de faire une des deux choses que je vous proposerai, qui est de rompre ce dessein, ou de faire encore reconna”tre mon dire, et jÕy mnerai ceux que vous ordonnerez et leur ferai voir ce que je dis : en la premire je vous rŽponds sur ma vie de vous rendre, dans la minuit, ma”tre absolu du bastion sans perte dÕaucun homme, que par un grand hasard ; en lÕautre je vous ferai voir si clairement quÕil y a une mine et que cÕest un app‰t que les ennemis vous veulent donner pour vous y attraper, que vous vous en dŽsisterez entirement. Č

Je dis ce que dessus avec beaucoup de vŽhŽmence, et monsieur le marŽchal qui apprŽhendait le sinistre succs de cette affaire, et qui voyait devant ses yeux ce qui venait dÕarriver au quartier de Picardie, voulut lui-mme venir reconna”tre ce que je disais. Je lui menai donc, et comme nos travailleurs avanaient toujours, nous Žtions dŽjˆ vis ˆ vis du fossŽ du retranchement des ennemis dans la gorge du bastion, o il vit dans le milieu la terre relevŽe qui couvrait la fusŽe de la mine, et lors Lancheres fut le premier ˆ le dissuader ce quÕil lui avait prŽcŽdemment proposŽ. Je lui montrai aussi quÕen ouvrant vis ˆ vis de ce fossŽ du retranchement et creusant des places pour monter des mousquetaires, nous aurions lՎminence sur lÕautre pice des ennemis que nous gagnerions en mme temps. Mr de Pralain mÕembrassa et me dit : Ē Mon fils, vous avez eu bon nez, et mÕavez empchŽ de recevoir un affront, et le roi une perte ; dont je vous remercie. Continuez comme vous lÕentendrez ; je vous en laisse le soin. Č

Ainsi jÕempchai une trs mauvaise affaire que nous allions entreprendre, et ayant continuŽ de passer le long du bastion, toujours marchant entre deux terres, comme la nuit fut venue, je fis ouvrir dans le bastion vers le lieu o les ennemis avaient fait le fossŽ du retranchement, et ensuite jÕenvoyai deux pionniers des mieux entendus auxquels jÕordonnai dÕaller doucement ™ter cette terre qui faisait Žminence dans ce dit fossŽ, et quÕayant trouvŽ une ou deux caisses carrŽes de bois, plus longues que larges, ils les tirassent doucement sans rŽpandre les poudres et rasines qui Žtaient dedans, et puis quÕils couvrissent les deux trous de plus de deux pieds de terre, et quÕils prissent bien garde de ne laisser aucune poudre dans la place ; ce quÕils exŽcutrent trs bien, comme je vis peu de temps aprs moi-mme.

Cependant Mr le marŽchal de Pralain et moi, mandŽs par le roi, lÕall‰mes trouver et lui d”mes que nous serions ma”tres vers la minuit non seulement du bastion, mais encore des pices qui Žtaient derrire, jusques ˆ la simple muraille qui fermait la ville, et que, sÕil voulait, nous lui donnerions le lendemain ˆ dŽjeuner dans le fossŽ ; dont il fut fort aise, et se consola en quelque sorte du mauvais succs qui Žtait arrivŽ ˆ lÕautre quartier o il avait perdu tant de braves hommes, et entre autres Mr de Humires, premier gentilhomme de sa chambre, qui y avait ŽtŽ blessŽ ˆ mort : nous fžmes voir ce pauvre gentilhomme qui tirait ˆ la fin, qui fut une trs grande perte ; car il Žtait trs brave et vaillant, outre ses autres bonnes parties.

Je mÕen revins ˆ nos tranchŽes o je vis ce que mes deux pionniers avaient fait ; et fis en mme temps creuser certaines banquettes pour loger sur ce retranchement douze mousquetaires, avec un tel silence que les ennemis ne sÕen aperurent quՈ la pointe du jour lors quÕinopinŽment ces mousquetaires se haussrent pour les chasser de cette autre pice o ils sՎtaient retirŽs, ce quÕils firent aisŽment. Mais avant quÕen dŽloger, ils mirent le feu ˆ la fusŽe de leur mine laquelle sÕarrta au lieu o lÕon lÕavait coupŽe la nuit mme. Ainsi nous ežmes toutes leurs pices dŽtachŽes en notre puissance sans y perdre aucun homme que le sieur de Refuges, brave gentilhomme, et aussi entendu et expŽrimentŽ pour son ‰ge que jÕen aie jamais vu, infatigable au travail, toujours agissant, et entreprenant, et qui ežt un jour ŽtŽ, sÕil ežt vŽcu, un grand capitaine : je lÕavais fait, dix jours auparavant, mon aide de camp, et le roi ˆ ma prire lui avait donnŽ une compagnie au rŽgiment de PiŽmont.

Le mardi 10me, comme nous ežmes leurs pices dŽtachŽes en notre puissance, nous dŽcharge‰mes ˆ notre aise et sans pŽril la mine quÕils nous avaient prŽparŽe, de laquelle nous tir‰mes six cents livres de poudre. Les ennemis avaient fait une barricade dans leur fossŽ du c™tŽ de la mer et une palissade au devant, ce qui nous empchait dՐtre entirement ma”tres de leur fossŽ. Je la fis reconna”tre par mon volontaire qui Žtait un jeune garon de seize ans, qui entreprenait ds lÕannŽe prŽcŽdente, avec dÕautres goujats, des travaux hasardeux au sige de Montauban, que les soldats ne voulaient point accepter. Il avait eu divers coups, et entre autres une mousquetade ˆ travers du corps, dont je lÕavais fait guŽrir. Ce coquin-lˆ entreprenait ˆ la t‰che force travaux pŽrilleux, et les goujats du camp travaillaient sous lui et gagnaient largement. Ce volontaire alla reconna”tre cette barricade avec le mme port et aussi grande assurance quÕežt su faire le meilleur sergent de lÕarmŽe. Une mousquetade lui pera ses chausses, et une autre le bord de son chapeau, et puis nous vint faire son rapport qui fut trs judicieux. Josepo Gamorini qui menait nos travaux, et Žtait en grande estime parmi nous, comme certes il la mŽritait bien, fut dÕavis que selon son opinion nous allassions forcer cette barricade et avec des haches rompre la palissade, ce que nous f”mes et nÕy perd”mes quÕun homme, ce qui nous mit au pied de la muraille de la ville, qui Žtait faible et peu flanquŽe : de sorte que le mercredi 11me de mai, le roi Žtant venu ˆ notre attaque ds cinq heures du matin (o il vit le lieu de la mine), entra dans les pices gagnŽes, puis ensuite dans le fossŽ ; ce qui lui donna assurance de la prise de la place, dont il ne fut pas trompŽ ; car en mme temps on lui amena un tambour de la ville qui venait demander de capituler. Le roi rŽpondit quÕil ne capitulait point avec ses sujets, mais quÕil les recevrait ˆ gr‰ce aux conditions quÕil leur enverrait ; et en mme temps Žtant allŽ ˆ une petite tente de Gamorini, il me fit Žcrire les articles quÕil leur accordait et les bailla au tambour avec ordre de revenir dans une heure, et ramener quand et lui ceux de la ville, pour se venir mettre ˆ ses pieds, et recevoir et accepter la gr‰ce quÕil leur faisait, ce quÕils firent sans aucune contradiction. On fit trve pendant ce temps, et aprs d”ner je menai dans la place (ayant prŽcŽdemment fait embarquer les soldats ennemis), le sieur de Drouet avec deux cents hommes en garnison, ce que je fis avec mille peines ; car les soldats qui Žtaient en curŽe du butin de la dŽfaite de Riez, voulaient ˆ toute force piller la ville de Royan.

En la nuit devant celle lˆ Mr le marquis de Seneay, marŽchal de camp, fut blessŽ, au quartier de Picardie, dÕune mousquetade dans les reins, qui ne pera pas, mais lui laissa une apostume dans le rein, qui enfin le tua ˆ Lyon vers la fin de cette mme annŽe.

Le roi sŽjourna, aprs la prise de Royan, en son mme quartier, le jeudi, vendredi, samedi et dimanche suivants, tant pour donner loisir ˆ son armŽe de sÕacheminer, que pour laisser les ordres convenables ˆ lÕarmŽe quÕil voulait envoyer vers la Rochelle, en laquelle il Žtablit Mr le Comte gŽnŽral, qui Žtait encore bien malade de la petite vŽrole. Il fit Mr le marŽchal de Vitry lieutenant gŽnŽral, Mrs de Bourg, de Vignoles, de Seneterre, marŽchaux de camp, et le marquis de Nesle, par commission, ma”tre de camp de la cavalerie lŽgre : il y envoya aussi PompŽe Targon. Et le lundi 16me il alla coucher ˆ Mortaignes, le mardi 17me ˆ Mirambeau, le mercredi ˆ Montlieu o il sŽjourna le jeudi.

Le vendredi il vint coucher ˆ Guittre, o il passa le lendemain la rivire et vint loger ˆ Saint-Emilion, o Mr de Chevreuse, nouvellement mariŽ avec la veuve de Mr le connŽtable de Luynes, le vint trouver.

Le dimanche 22me, le roi vint loger ˆ Castillon, o Mr le Prince le vint trouver, lequel pensant en son voyage prendre le fort que les huguenots avaient fait vis ˆ vis de Blaye, Žtait arrivŽ ˆ Bordeaux pour y prendre quelques vaisseaux anglais qui Žtaient ˆ la rade, lesquels ne voulant venir, Mr le Prince fit mettre du canon sur le quai qui est devant Ch‰teau-Trompette, pour les battre ; mais eux, aprs avoir tirŽ quelques coups de leurs vaisseaux sur ce quai, se mirent ˆ la voile et se jetrent en pleine mer. Il pensait aussi faire la capitulation de Tonneins ; mais Mrs dÕElbeuf et marŽchal de ThŽmines sachant sa venue, se h‰trent de recevoir la ville ˆ capitulation. Mr de la Force vers lequel il avait envoyŽ Mr de la Ville aux Clercs, secrŽtaire dՃtat, auquel il avait quelque crŽance, fit rŽponse quÕil attendrait la venue du roi ˆ Sainte Foi pour achever ce quÕil avait projetŽ avec ledit sieur de la Ville aux Clercs ; de sorte que Mr le Prince qui pensait trouver encore le roi ˆ Royan, le vit ˆ Castillon, et ne fit rien que remettre quelques ch‰teaux de peu de consŽquence, comme Gensac et autres, en lÕobŽissance du roi.

Comme il revint, il lui sembla que le roi ne lui fit pas assez bonne chre, et voyant que jՎtais fort en ses bonnes gr‰ces, il sÕen prit ˆ moi, et me dit le lendemain lundi 23me, comme le roi fut venu loger en un ch‰teau nommŽ Saint-Aulais, quÕil croyait que je ne lui eusse pas rendu tous les bons offices prs du roi quÕil sՎtait promis de moi, et me fit de grands reproches dont je me justifiai si bien quÕil demeura en apparence fort satisfait de moi, et mme le lendemain 24me que le roi sŽjourna audit Saint-Aulais, comme Mr de la Force eut conclu son traitŽ par lequel le roi le devait faire marŽchal de France, mondit seigneur le Prince, sans en avoir ŽtŽ priŽ de Mr de Schomberg, ni de moi, vint trouver le roi et lui remontra que les plus importants chefs de son armŽe, qui le servaient le mieux, et sur qui il se reposait et fiait davantage, Žtaient Mr de Schomberg qui outre la surintendance de ses finances faisait dignement la charge de grand ma”tre de lÕartillerie, et moi, qui Žtais premier marŽchal de camp et colonel-gŽnŽral des Suisses ; que je lui avais rendu de grands services, et principalement au Pont de CŽ, en ces derniers siges, au secours de Montauban, et ˆ la dŽfaite de Riez ; que nous avions grand sujet de mŽcontentement de voir que lÕon faisait les rebelles marŽchaux de France et que notre fidŽlitŽ et nos services ne nous procurassent autre chose que notre ruine en nos affaires, ou des coups et maladies mortelles, et quÕil suppliait trs humblement Sa MajestŽ de vouloir faire rŽflexion sur ce quÕil lui remontrait.

Le roi pensa sur ce quÕil lui avait dit, et mÕenvoya quŽrir, puis me dit : Ē Bassompierre, je sais que vous tes f‰chŽ de ce que je fais marŽchal de France Mr de la Force, et que Mr de Schomberg, et vous, vous en plaignez, et avec raison ; mais ce nÕest pas moi qui en suis cause, si bien Mr le Prince qui me lÕa ainsi conseillŽ, pour le bien de mes affaires, et afin de ne laisser aucune chose derrire moi en Guyenne, qui mÕempche de passer promptement en Languedoc : nŽanmoins avisez ce que vous dŽsirez que je fasse pour vous, que jÕaime et tiens pour mon bon et fidle serviteur. Č Je jure quՈ cette heure-lˆ je nÕavais jamais aspirŽ, ni pensŽ ˆ la charge de marŽchal de France, et que je ne la dŽsirais pas Žperdument ; car, ˆ mon avis, cՎtait un office de vieil homme, et moi je voulais encore faire quelques annŽes celui de galant de la cour. CÕest pourquoi je lui rŽpondis que jՎtais extrmement ŽtonnŽ du discours quÕil me faisait, ni qui lui avait pu persuader que je me mutinasse de voir faire du bien ˆ autrui, bien moins ˆ un de mes amis, vieux seigneur, et expŽrimentŽ, auquel je savais que le feu roi son pre avait destinŽ un b‰ton de marŽchal de France et lui ežt donnŽ sÕil ežt vŽcu encore un mois ; quÕil avait ŽtŽ rebelle, mais quÕil cessait maintenant de lՐtre, et que cՎtait un acte signalŽ de la bontŽ de Sa MajestŽ dÕoublier les fautes de ses serviteurs, pour se ressouvenir et rŽcompenser leurs mŽrites et leurs services ; que pour moi je nÕaspirais point ˆ la charge de marŽchal de France, ni ˆ aucune chose quՈ ce que sa pure bontŽ et la connaissance et reconnaissance que Sa MajestŽ aurait de mes services, me voudrait procurer, sans lÕen requŽrir ni importuner, par moi, ni par autrui ; et que je La suppliais trs humblement que ma considŽration ne lui f”t jamais retarder aucune chose qui fžt de sa volontŽ, o du bien de son service : dont Sa MajestŽ me remercia et me dit que je me reposasse sur Elle de ma fortune. Il en parla ensuite ˆ Mr de Schomberg qui ne fut pas si modŽrŽ que moi ; car il le pressa fort de le faire conjointement marŽchal avec Mr de la Force : il me proposa aussi, ˆ ce que me dit le roi ; mais ce fut principalement afin de fortifier sa requte.

Le mercredi 25me de mai jÕeus commandement dÕaller tirer la garnison de Sainte Foi pour y Žtablir les gardes franaises et suisses du roi, qui y vint au g”te. Je vins donc le matin d”ner proche de la ville chez Mr dÕElbeuf qui y Žtait campŽ, puis entrai ˆ Sainte Foi o tout lÕordre nŽcessaire pour conserver la ville fut gardŽ.

Le jeudi 26me qui Žtait la Fte-Dieu, le roi sŽjourna ˆ Sainte Foi et y fit la cŽrŽmonie du Saint-Sacrement.

Il y demeura aussi le vendredi 27me et donna ce jour lˆ ˆ Mr de la Force le b‰ton de marŽchal de France, et lÕon fit passer la rivire au canon sur un pont de bateaux fait exprs ; et le samedi 28me le roi en partit et vint coucher ˆ Montsegur ; le dimanche 29me ˆ Marmande.

Le lundi nous pass‰mes devant les Tonains, ruinŽs rŽs pied rŽs terre [jusqu'aux fondements], comme aussi lՎtait Monheurt, et le roi vint loger ˆ Esguillon o lÕon fit camper toute son armŽe en un fort beau et agrŽable lieu, et en une belle saison.

Le lendemain 31me et dernier de mai, le roi vint au Port Sainte Marie, et le mercredi premier jour de juin, ˆ Agen, o il sŽjourna le lendemain.

Il sÕen alla le vendredi 3me ˆ Valanse, et le samedi ˆ Moissac o il sŽjourna le dimanche et le lundi.

Mr le Prince mÕy parla sur le sujet de Mr de Puisieux quÕil ha•ssait, et dans une espce de chapelle qui est dans le clo”tre de lÕabbaye, o je le trouvai avec Mr de Schomberg et Mr le cardinal de Retz, ils me dirent tous trois quÕils ne pouvaient plus souffrir lÕinsolence de Mr de Puisieux, qui, nՎtant que secrŽtaire dՃtat, avait plus de privautŽ avec le roi que Mr le Prince mme, et quÕil mettait mal avec Sa MajestŽ ceux dÕentre eux quÕil lui plaisait ; quÕil faisait des nŽgociations ˆ part sans leur communiquer, et quelque rŽsolution que le roi ežt prise avec son conseil, il nÕen Žtait rien mis en exŽcution sÕil ne lÕavait prŽcŽdemment approuvŽe ; que cela ežt ŽtŽ tolŽrable dÕun favori, mais que lui nՎtait pas de profession pour lՐtre, si serait bien moi qui Žtais de qualitŽ, de mŽrite, et de faon pour possŽder la faveur dÕun grand roi ; quÕils avaient toujours empchŽ que le roi aprs la mort de Mr de Luynes ne sÕembarqu‰t ˆ une nouvelle affection, et quÕil ežt ŽtŽ plus ˆ propos que le roi nÕežt point eu de favori ; nŽanmoins puisquÕils voyaient que son inclination Žtait portŽe ˆ tre possŽdŽ par quelquÕun, ils aimaient bien mieux que ce fžt un brave homme, de condition relevŽe, et en estime tant pour les arts de la paix que pour ceux de la guerre, quÕun homme de plume comme Mr de Puisieux, qui mettrait tout sens dessus dessous, et quÕils Žtaient tous rŽsolus de conspirer ˆ sa ruine, comme ils lՎtaient de se porter ˆ lÕagrandissement de ma fortune et de porter le roi, avec la bonne inclination quÕil avait dŽjˆ pour moi, de me favoriser entirement de lÕhonneur de ses bonnes gr‰ces, pourvu que je leur voulusse promettre deux choses : lÕune, de coopŽrer avec eux ˆ la ruine de Mr de Puisieux et me dŽtacher entirement de son amitiŽ ; lÕautre, de me joindre entirement avec eux et unir nos desseins et conseils, premirement pour le bien de son service, secondement pour notre commun intŽrt et conservation ; et quÕils me priaient de me rŽsoudre promptement ˆ ce que jÕavais ˆ faire lˆ-dessus, et de le leur dŽclarer.

En ce peu de temps quÕils me parlrent, tant™t lÕun, tant™t lÕautre, quasi en mmes termes sur ce mme sujet, jÕeus assez de loisir pour penser o allait le but et la visŽe de leur discours, et ce que jÕavais ˆ leur rŽpondre. JՎtais fort assurŽ que lÕaffection quÕils me portaient nՎtait pas assez grande pour me procurer un bien quÕils tenaient tre ˆ leur prŽjudice, et quÕils me voulaient tenter, premirement pour pŽnŽtrer mon dessein, secondement pour le dŽcouvrir au roi ; quÕils se voulaient servir de moi pour les aider ˆ ruiner Mr de Puisieux, et aprs avec plus grande facilitŽ me ruiner moi mme, ˆ qui ils nՎtaient pas plus obligŽs de garder lÕamitiŽ et la foi, que moi jՎtais avec Mr de Puisieux ˆ qui jÕen aurais prŽcŽdemment manquŽ, et quÕils auraient une lŽgitime excuse envers moi de leur manquement, fondŽe sur ma propre action. Je leur rŽpondis donc que je ne pouvais pŽnŽtrer la nŽcessitŽ que le roi avait dÕavoir un favori, puisquÕil sÕen Žtait si facilement passŽ depuis huit mois ; que ses favoris devaient tre sa mre, son frre, ses parents et ses bons serviteurs, et ce suivant lÕexemple du roi son pre, et que si quelque fatalitŽ le portait dÕen avoir, il lui en fallait laisser le choix et lՎlection ; que je nÕavais jamais ou• parler dÕaucun prince qui prit des favoris par arrts de son conseil ; mais quÕen quelque faon que ce fžt, ce ne serait jamais moi qui occuperait cette place, parce que je ne la mŽritais pas, parce aussi que le roi ne mÕen voudrait pas honorer, parce finalement que je ne la voudrais pas accepter ; que jÕaspirais ˆ une faveur mŽdiocre, et une fortune de mme calibre, acquise par ma vertu et mon mŽrite, et conservŽe avec sžretŽ ; que la prodigalitŽ que jÕavais fait jusques ˆ maintenant de mon bien, et le peu de soin que jÕavais pris dÕen amasser, Žtaient de suffisants tŽmoignages que jÕaspirais plut™t ˆ la gloire quՈ lÕutilitŽ ; que je voulais chercher les fortunes mŽdiocres et assurŽes, mŽprisant la faveur de telle sorte que si elle Žtait ˆ terre devant moi, je ne me daignerais pas baisser pour la lever ; que cela Žtait ma dŽterminŽe rŽsolution, qui ne laissait pas de me rendre Žtroitement obligŽ ˆ leur bonne volontŽ pour moi, dont je leur rendais trs humbles gr‰ces : quant au second chef de leur discours, il me semblait bien quÕil visait ˆ Mr de Puisieux, mais quÕil tirait droit au roi ; car de lÕaccuser dՐtre aux bonnes gr‰ces de Sa MajestŽ, dÕavoir son entire privautŽ, de traiter des choses particulires avec lui, et de lui demander son avis sur les choses que lÕon lui avait proposŽes, cÕest au roi qui lui fait ces faveurs, ˆ qui on sÕen doit prendre, et non ˆ lui qui les reoit ; que Sa MajestŽ ne sՎtait pas obligŽe de dire tous ses secrets ˆ ses ministres, oui bien eux de lui dire leur avis sur ceux dont ils les consulterait ; quÕau reste Mr de Puisieux Žtait mon ami, comme plusieurs autres qui mÕy avaient obligŽ, mais non si Žtroitement que lorsquÕil manquerait de son c™tŽ, je ne manquasse aussi du mien, mais que sÕil persŽvŽrait constament aux devoirs dÕune vŽritable amitiŽ vers moi, la mienne lui serait conservŽe entire comme, Dieu merci, jusques ˆ prŽsent je lÕavais gardŽe inviolable ˆ tous mes amis ; mais que je saurais bien toujours garder les degrŽs dÕamitiŽ selon la qualitŽ de mes amis, comme je ferais premirement de service trs humble et de respect soumis envers Mr le Prince privativement ˆ tous autres, ˆ cause de sa qualitŽ, de celle de mon gŽnŽral quÕil possŽdait maintenant, et pour les faveurs quÕil avait daignŽ me faire depuis quÕil mÕavait fait lÕhonneur de mÕassurer de ses bonnes gr‰ces ; ensuite de messieurs le cardinal et de Schomberg, par une amitiŽ plus ancienne que celle de Mr de Puisieux, mais quÕil marcherait aussi dans son rang en mon affection, et que je ne lui manquerais pas.

Mr le Prince me dit alors que je ne serais pas toujours en Žtat de choisir, et que quand, pour conserver lÕamitiŽ de Mr de Puisieux, jÕaurais perdu la sienne, et celle des trois ministres, jÕaurais tout loisir de mÕen repentir, et nÕaurais plus de moyen dÕy revenir. Je lui dis que je serais extraordinairement affligŽ de perdre lÕhonneur de ses bonnes gr‰ces et ensuite celles des ministres, mais quÕil me resterait la consolation de ne les avoir pas perdues par ma faute ; que je nÕachterais jamais les bonnes gr‰ces de qui que ce fžt au prix de ma rŽputation, et que je ne voyais en cette prŽsente affaire, ni raison, ni apparence : et sur cela je me sŽparai dÕeux qui demeurrent encore quelque temps ˆ confŽrer ensemble.

Le roi envoya ce soir-lˆ deux cents chevaux battre lÕestrade vers Montauban, et Mr de Valanai mÕayant priŽ de lui faire donner cette commission, le roi lui accorda, et lors ledit seigneur de Valanai le supplia de lui permettre de prendre la compagnie de gendarmes de Mr le Prince dont il Žtait lieutenant, et celle de ses chevau-lŽgers commandŽe par Mr dÕOuctot, ce que le roi trouva bon. Mr le Prince Žtait lors au conseil des parties pour y faire passer quelque affaire, et sÕenvoya excuser dÕaller au conseil de guerre, nous mandant que sans lui en dire davantage, nous missions en exŽcution ce qui aurait ŽtŽ rŽsolu. Comme il revint le soir chez lui, demandant Ouctot, on lui dit quÕil Žtait ˆ la guerre avec Mr de Valanai et ses deux compagnies ; il sÕen revint lors en colre au coucher du roi, se plaignant de ce que lÕon lui voulait faire recevoir un affront et lui faire dŽfaire ses deux compagnies comme lÕon avait fait lÕannŽe prŽcŽdente celle de monsieur le connŽtable, et que moi, qui avait fait faire le premier affaire, voudrais bien quÕil lui en arriv‰t autant. Le roi dit que je nÕy avais rien contribuŽ, que Mr de Valanai lui avait demandŽ la commission, et dÕy mener les deux compagnies susdites, et que Sa MajestŽ avait ŽtŽ bien aise de lui accorder, pensant faire plaisir ˆ Mr le Prince. Il insista nŽanmoins toujours que cՎtait un tour de mon mŽtier que je lui avais jouŽ, et que je nՎtais point son ami. Le roi mÕenvoya quŽrir aprs quÕil fžt retirŽ, et me conta tout ce quÕil avait dit ; et moi, je ne lui niai point le discours quÕil mÕavait tenu dans la chapelle du clo”tre. Mais comme il est trs dangereux dÕavoir la disgr‰ce dÕune personne de cette qualitŽ qui est votre gŽnŽral, je suppliai trs humblement le roi, ou de me remettre bien avec lui, ou de me permettre de me retirer, ne voulant attirer sa haine et sa colre sur moi.

Le lendemain mardi 7me lÕarmŽe vint camper devant la pointe de la Veirou le matin, et lÕaprs-d”ner elle passa la rivire au dessous de Picacos, et vint camper devant le logis du roi qui fut ˆ Villemade, ˆ la vue de Montauban. Sur le soir le roi vint voir le campement de lÕarmŽe, et lÕayant trouvŽ ˆ son grŽ, se mit ˆ me louer devant Mr le Prince, puis lui dit : Ē Monsieur, vous Žtiez hier sans cause en colre contre lui, et vous pourrez savoir de Valanai si Bassompierre avait rien contribuŽ ˆ son envoi ˆ la guerre. Je vous prie, pour lÕamour de moi, vivez bien avec lui, sur lÕassurance que je vous donne quÕil est votre serviteur ; et puis si nous lÕavions perdu en cette armŽe, vous savez vous mme sÕil nous ferait faute. Č Mr le Prince lui promit, et le mme soir il me dit : Ē Monsieur de Bassompierre, jՎtais hier en colre contre vous ; mais jÕai su que ce nՎtait pas vous qui aviez envoyŽ sans mon su mes compagnies ˆ la guerre. Č Je lui dis lors : Ē Monsieur, quand cÕežt ŽtŽ par mon induction quÕelles y fussent allŽes, mÕen deviez-vous vouloir mal ? LÕai-je fait pour vous desservir ? Au nom de Dieu, Monsieur, tenez-moi pour votre trs humble serviteur ; et quand vous aurez quelque chose qui vous dŽplaira de moi, faites-moi lÕhonneur de me le dire, et si je ne vous en satisfais, alors f‰chez-vous tout votre sožl, et non devant. Č

Il me le promit ; et le lendemain mercredi 8me nous march‰mes en bataille vers Albias, puis v”nmes devant Negrepelisse que nous croyions tre obŽissante au roi : mais ˆ notre arrivŽe ils tirrent sur les carabins du marŽchal de camp qui allait faire le logement. JՎtais ˆ lÕavant-garde, et sur cette nouvelle le roi me manda de lÕinvestir ; ce que je fis ˆ lÕheure mme, et vins loger le rŽgiment de Picardie qui Žtait le premier, ˆ la main gauche proche de lÕeau, o ils nous tirrent fort ; puis le rŽgiment de Navarre Žtant avancŽ, je le logeai sur le milieu ˆ la droite de Picardie. Mr le marŽchal de Pralain sÕy trouva, comme aussi peu aprs Mr de Chevreuse. Comme nous Žtions tous trois ˆ la tte de nos enfants perdus, dix ou douze soldats des ennemis nous firent signe de nous avancer, comme sÕils eussent ŽtŽ des n™tres, et nous qui le cržmes, nous Žtant approchŽs, ils nous firent leur dŽcharge de vingt pas et puis sÕenfuirent. Dieu voulut quÕils ne blessrent personne, qui fut un miracle ; mais peu aprs escarmouchant ils turent Esguilly, parent de Mr le marŽchal de Pralain, capitaine en Navarre : Mr de Chevreuse Žtait appuyŽ sur son Žpaule quand il tomba du coup.

Aprs que nous ežmes fait en plein jour ces deux premires approches, ce qui ne se fit pas sans pŽril, le rŽgiment des gardes arriva, ˆ qui je fis faire les siennes du c™tŽ du ch‰teau, o je le campai. Ceux de dedans nous tirrent extrmement : Mr de Vic eut, ˆ cette dernire approche, une mousquetade en lՎpaule comme il parlait ˆ moi et me demandait lÕordre pour les chevau-lŽgers de la garde, dont il Žtait cornette ; le coup fut favorable, car il ne lui cassa point dÕos.

La nuit, Toiras capitaine du rŽgiment des gardes, me vint montrer un lieu trs propre pour faire la batterie et pour ruiner une simple muraille qui joignait le ch‰teau ˆ la ville. Il y avait une mŽchante muraille de terre et de pierre, qui fermait un champ, laquelle pouvait couvrir de la ville et du ch‰teau ceux qui travailleraient aux batteries et plateformes, mais il fallait aller cent pas ˆ dŽcouvert avant quÕy arriver. Le mŽpris que nous faisions de cette place et la croyance que nous avions quՈ tous moments elle viendrait capituler, fit que nous nŽglige‰mes Žgalement, moi ˆ faire faire une ligne pour y aller ˆ couvert, et Mr de Schomberg de faire faire des gabions pour couvrir sa batterie, croyant que les canonnades ne feraient quÕun trou qui servirait dÕembrasure, et quÕil lui resterait toujours assez de cette mŽchante muraille pour tenir ses officiers ˆ couvert. Il nÕy avait dans Ngrepelisse rien au-dessus du mousquet, autre munition de guerre que celle que chaque habitant en pouvait avoir pour giboyer ; nul soldat Žtranger, nul chef qui les command‰t ; la place mŽdiocrement bonne pour une armŽe de province, mais nullement capable de rŽsister ˆ une armŽe royale : et cependant les habitants ne voulurent jamais se rendre, non pas mme parlementer, quoique lÕon leur en ežt souvent secouŽ la bride, car nous nÕavions pas envie de nous arrter lˆ.

Le jeudi 9me je fis rapport au conseil du lieu que nous avions reconnu propre ˆ battre la place, que jÕavais montrŽ ˆ Mr de Schomberg ds quatre heures du matin, ce qui fut rŽsolu, et on y travailla tout le jour, et la nuit on y mit les sept canons que nous avions lˆ. Mr le Prince y vint comme on les amenait, et comme il vit que Toiras et moi Žtions descendus dans le fossŽ de la ville, il sÕy jeta aussi, bien que les ennemis y tirassent incessament, mais sans effet ; car ils ne pouvaient pas plonger leurs mousquets si bas.

Le vendredi 10me jÕallai le matin aux autres quartiers de Picardie et Navarre, pour leur faire tenir des Žchelles prtes ˆ donner lÕescalade par leurs c™tŽs, tandis que par celui des gardes nous donnerions lÕassaut si ces coquins ne voulaient se rendre, et donnai lÕordre au rŽgiment des gardes, quÕil devait tenir pour lÕassaut. La batterie fut prte sur les dix ˆ onze heures du matin. Le roi Žtait malade ds le jour de devant ; nŽanmoins il se voulait lever pour voir donner lÕassaut, et Mr le Prince eut peine de le retenir. Mr le marŽchal de Pralain ˆ qui le soir auparavant le roi avait fait lÕhonneur de le faire lieutenant-gŽnŽral de son armŽe sous Mr le Prince, en vint prendre possession, et commanda dÕexŽcuter la batterie. Mais les sept canons, ˆ la premire volŽe quÕils tirrent, renversrent la muraille qui Žtait devant eux, de sorte que tous les officiers de lÕartillerie et les Suisses qui lÕexŽcutaient, ne demeurrent pas seulement ˆ la merci des mousquetades ennemies, mais aussi monsieur le marŽchal et nous tous. Ils turent ou blessrent en une heure une douzaine dÕofficiers, entre lesquels Žtaient le lieutenant de lÕartillerie, et vingt Suisses. Ce petit Žchec nous fit mettre de lÕeau dans notre vin, et nous rŽsoudre de remettre la partie au lendemain, et monsieur le marŽchal le manda ainsi au roi par Mr de la CurŽe. Je considŽrai nŽanmoins que tout le mal qui nous arrivait ne venait que de trois canonnires du ch‰teau, et proposai ˆ Mr de Schomberg dÕy faire tirer deux volŽes de canon ˆ chacune. Il me dit que pourvu que je fisse venir des Suisses pour exŽcuter les canons, quÕil le ferait. Alors je pris un lieutenant nommŽ Guibele, brave homme, et lui dis : Ē Vas moi quŽrir quarante Suisses pour aider ˆ la batterie, et je leur donnerai un Žcu chacun Č ; ce quÕil fit promptement, et nÕežmes pas tirŽ six coups quÕils nÕeussent rompu ces trois canonnires : alors notre batterie recommena, et en peu de temps nous ežmes fait brche, laquelle, ˆ notre vue, les ennemis rŽparaient de force charrettes quÕils mirent derrire. Cependant Mr le Prince arriva, et toutes choses Žtant prtes, nous f”mes reconna”tre la brche par un sergent du Bourdet, nommŽ Bouttillon, lequel y eut un bras cassŽ dÕune mousquetade : il fit nŽanmoins son rapport, et nous assura que la brche Žtait raisonnable, ce que nous trouv‰mes en effet incontinent aprs ; car nous all‰mes ˆ lÕassaut, et emport‰mes la place sans aucune rŽsistance. Tout y fut tuŽ, hormis ceux qui se purent retirer au ch‰teau, et les femmes, dont quelques unes furent forcŽes, et les autres se laissrent faire de leur bon grŽ. On en sauva nŽanmoins ce que lÕon put, mais non pas la ville dՐtre entirement bržlŽe. Le ch‰teau tint encore jusques au lendemain 11me juin, quÕil se rendit ˆ discrŽtion. LÕon fit pendre douze ou quinze des plus mutins, et le 12me, dimanche, le roi vint d”ner ˆ Mauricous, et y coucha aussi.

Mr le Prince se mit en colre contre moi dans le conseil, et me dit que cՎtait ˆ moi ˆ faire ce que Mr le marŽchal de Pralain me commanderait de sa part, sans rŽpliquer ni contester sur lÕordre donnŽ. Je lui dis que je ferais fort ponctuellement ce qui me serait ordonnŽ, mais que jÕavais ma voix au conseil comme un autre pour y dire mon avis, comme je ferais toujours, tant que le roi et lui lÕauraient agrŽable, et que lorsquÕils ne le trouveraient plus bon et quÕils me fermeraient la bouche, que je me lierais ˆ moi-mme les mains et que je me retirerais du service. Le roi prit lors mon parti et se f‰cha fort contre Mr le Prince.

Le lendemain lundi 13me Mr le Prince nous emmena ds la pointe du jour ˆ Saint-Antonin pour reconna”tre le logement ou campement de lÕarmŽe, et la place quand et quand [en mme temps], que Mrs de Vend™me et marŽchal de ThŽmines avaient assiŽgŽe cinq jours auparavant. Ils avaient pour marŽchaux de camp Marillac, et Arpajoux, gendre de Mr de ThŽmines. Tous ces messieurs vinrent recevoir Mr le Prince au-dessus de la montagne, de laquelle il est aisŽ de reconna”tre Saint-Antonin ; car on y voit dedans les rues de la ville.

Il nÕy eut point de difficultŽ pour le campement, car il fut rŽsolu aussit™t dans le vallon o Saint-Antonin aboutit, sur le bord dÕune petite rivire nommŽe la Benette, qui passant ˆ travers de la ville, se va jeter dans celle de la Veirou qui la borde dÕun c™tŽ. Mais pour lÕattaque de la ville, il se rencontra que Mrs de Vend™me et de ThŽmines avaient dŽjˆ commencŽ quelques tranchŽes qui venaient jusques contre cette petite rivire, dont ils avaient dŽtournŽ le cours et mis dans son lit quelques gabions en pfalsades pour servir de blindes, de sorte quÕils pouvaient par ce moyen aborder une corne avancŽe que les ennemis avaient jetŽe sur lÕavenue. Cette corne, ˆ ce que nous voyions clairement, Žtait retranchŽe par le milieu en mme flanquement comme elle Žtait ˆ la tte : elle Žtait dŽfendue par ses c™tŽs de deux petits ravelins revtus, qui Žtaient toutes les fortifications ˆ la moderne quÕavait Saint-Antonin, hormis que, des deux c™tŽs, il y avait de petits dehors qui nՎtaient que des tranchŽes flanquŽes pour y faire tirer des mousquetaires, et non pour les disputer : il y avait une assez bonne contrescarpe devant le fossŽ, ˆ la tte, entre ces deux petites pices ; finalement le fossŽ, et la muraille flanquŽe dÕespace raisonnable par quelques petites tours. La ville avait un pont de pierre sur la rivire de la Veirou, et toute la muraille du long de la rivire sans aucune dŽfense, que de deux mŽchantes tours au haut et au bas, et environ huit cents pas au dessous de la ville, la vanne dÕun moulin qui tenait lÕeau en hauteur, qui sans cela, en cette saison, nÕežt pas ŽtŽ dÕun pied de haut devant la ville.

Aprs que ces messieurs qui avaient commencŽ le sige, eurent menŽ Mr le Prince et Mrs de Pralain et de Schomberg en lieu dÕo ils pouvaient ˆ plein voir et reconna”tre la ville, il leur fut aisŽ de leur persuader de lÕattaquer par le fond de la vallŽe et de sÕattacher ˆ la tte de la corne : ce que Mr de Marillac principalement leur fit si facile (possible parce quÕil Žtait amoureux de son ouvrage commencŽ), que Mr le Prince, pour ne perdre temps, sÕassit sur un rocher dÕo lÕon dŽcouvrait clairement la ville et toutes ses avenues, et nous appela autour de lui au conseil. JÕy arrivai des derniers parce que jÕavais voulu faire une bonne reconnaissance de la place pour en faire mon rapport. Je fus bien ŽtonnŽ ˆ mon arrivŽe quand je vis que chacun concluait ˆ attaquer la ville par la corne du vallon, et que lÕon ne faisait aucune rŽflexion sur les deux c™tŽs du haut et bas de la rivire, qui Žtaient sans comparaison plus faciles. Je me contins toutefois, contre ma coutume, tant pour nÕinterrompre ceux ˆ qui Mr le Prince demandait lÕavis, que pour ne lui donner aucune prise de mÕattaquer, comme il avait fait le jour prŽcŽdent, et ne mÕavait parlŽ depuis. Il arriva que, sans garder lÕordre de demander les opinions, je fus le dernier, ˆ qui Mr le Prince dit avec peine : Ē Monsieur de Bassompierre, quelle est votre opinion ? Č Je me hasardai de lui donner en cette sorte :

Ē Monsieur, si jamais aucune place a ŽtŽ de facile et prompte reconnaissance, cÕest celle-ci, laquelle du mme lieu o il vous plait de tenir le conseil de guerre, sans courre aucun hasard ni pŽril, et dÕune seule vue, vous pouvez remarquer en son tout et en toutes ses parties ; et si jamais il y a eu lieu de prendre une prompte et sžre rŽsolution de quel c™tŽ on la doit attaquer, cÕest ˆ cette fois quÕil ne sÕy rencontre que deux endroits par lesquels on la puisse battre, et forcer, savoir celui de la vallŽe, et ceux du haut et du bas de la rivire (que je ne compte que pour un) ; et quÕen ce dernier toutes les apparences, les avantages, et les rgles de lÕart sont pour nous, lˆ o en lÕautre les mmes rgles de lÕart, et le sens commun nous dŽfend de lÕentreprendre.

Ē CÕest une maxime de guerre ŽprouvŽe, et gŽnŽralement approuvŽe, que les places assises sur le bord des rivires se doivent plut™t attaquer par le haut et le bas de la rivire que par tout autre endroit, attendu que lÕon nÕa quՈ se couvrir du flanc opposŽ ˆ la rivire, que les ennemis ne peuvent jamais parfaitement fortifier cette encoignure, que les dŽfenses en sont aisŽment levŽes, que lÕon peut par deux diverses batteries deˆ et delˆ lÕeau battre une mme pice, et que lÕon se sert dÕordinaire de la rive du fleuve comme dÕune tranchŽe et dÕun chemin couvert. Tous ces avantages se rencontrent en lÕattaque prŽsente que vous pouvez faire sur le bord dÕen bas de la Veirou, et de plus encore que vous nÕaurez rien ˆ craindre de lÕautre rive, lÕordre de la guerre vous obligeant dÕy faire passer deux mille hommes pour investir la ville par delˆ lÕeau, qui passeront aisŽment sur la vanne du moulin que lÕon voit dÕici et que la ville ne peut voir ; et en faisant t™t aprs rompre cette vanne qui fait tenir la rivire devant la ville en quelque hauteur, elle sera si basse avant quÕil soit nuit, quՈ peine nos soldats en la passant sÕy mouilleront la cheville du pied ; et ensuite de cela on peut cette nuit prochaine faire passer deux canons et les mettre en batterie ˆ quatre cents pas de la ville sur le bord de la rivire : ce que je mÕoffre dÕexŽcuter, si vous me voulez faire lÕhonneur de me le commettre, et de gagner cette mme nuit les petits compartiments (pour ne dire dehors), que les ennemis ont faits depuis la rive jusques ˆ un des deux ravelins revtus qui font tte dans la vallŽe ; puis demain, avec vingt canonnades ayant levŽ ces chŽtives dŽfenses de cette pice jointe ˆ lÕeau, faire venir saper et ouvrir la simple muraille de la ville, qui est le long de la rivire, et ce sans autre empchement que de ceux qui me pourront tirer de dessus le pont, lequel sera aujourdÕhui mme gagnŽ par les n™tres qui passeront de lÕautre c™tŽ, ou au pis aller sera coupŽ en quatre coups de canon, et divisŽ de la ville. Ainsi, en trois jours au plus tard, nous prendrons Saint-Antonin, si ds le premier ils ne se rendent ˆ la merci du roi.

Ē Voilˆ, Monsieur, le conseil que je vous donne, et celui quՈ mon avis vous devez prendre, et rejeter absolument lÕopinion gŽnŽrale de ces messieurs, qui est de faire lÕattaque par la tte de la vallŽe, lesquels, je mÕassure, reviendront ˆ la mienne quand ils auront plus mžrement considŽrŽ les inconvŽnients qui se rencontrent en la leur. Je ne dis pas quÕen la suivant lÕon ne prenne Saint-Antonin qui nÕest pas capable de rŽsister contre une armŽe royale et victorieuse comme la n™tre, si bien de lÕarrter quinze jours si ceux de dedans se veulent bien dŽfendre, et vous y faire consumer force munitions de guerre, qui seraient plus nŽcessaires ailleurs, y employer du temps qui est bien cher aux prŽsents desseins du roi, et y perdre force bons hommes qui vous feront besoin dans le bas-Languedoc. Car en attaquant la ville par la vallŽe, vous m‰chez et digŽrez lentement un sige que vous pouvez engloutir et dŽvorer en trois jours, et faites ce que vos ennemis dŽsirent. CÕest, Monsieur, une bonne maxime de guerre que de fuir la pointe de lՎpŽe de lÕennemi et dÕen chercher le faible pour la lier et sÕen rendre ma”tre. Il ne faut jamais attaquer le bĻuf par les cornes ; car cÕest son fort et son avantage, et ˆ Saint-Antonin aussi : et ne demeure pas dÕaccord avec Mr de Marillac qui vous dŽbite que le lieu le plus faible dÕune ville est celui o les ennemis font le plus de fortifications. Cela peut tre vrai auparavant que de lÕavoir fortifiŽe ; mais aprs cÕest dÕordinaire le plus fort. Et nous voyons clairement de ce lieu une corne fort avancŽe en Žtat de dŽfense, avec un retranchement par le milieu, que jÕappelle une seconde corne ; deux pices revtues aux deux c™tŽs, qui la flanquent et la commandent, et de plus la contrescarpe de la ville qui la dŽfend. Tout cela nous donnera bien de la peine sÕil y a de braves hommes lˆ-dedans, que vous pouvez Žviter en lÕattaquant au dessous de la rivire : et par lˆ la ville est si prenable, et avec si peu de travail et de temps, que je ne me saurais assez Žtonner comme on se veut attacher en quelque autre endroit, et crois que la trop grande clartŽ et lumire, que nous avons de cette place, nous Žblouit et aveugle. Č

Aprs que jÕeus ainsi opinŽ, Mr le Prince se tournant vers les autres du conseil, leur dit : Ē Je vous avais bien assurŽ que Mr de Bassompierre vous donnerait un avis tout particulier, mŽprisant celui de tous les autres comme des ignorants : et qui plus est, il le saura tant™t si bien Žtaler au roi quÕil le fera passer pour le meilleur. Pour moi je ne suis pas si prŽsomptueux, et me conforme ˆ lÕavis commun, que je dirai au roi tre le gŽnŽral, auquel le seul Mr de Bassompierre contrarie. Č Lors, je lui rŽpliquai: Ē Je suis bien malheureux, Monsieur, que mes bonnes intentions soient mal prises de vous. JÕen ai dit ce quÕen ma conscience jÕai cru devoir dire pour le service du roi, aprs quoi jÕen suis quitte, et reviens ˆ lÕavis commun, vous assurant que je nÕen proposerai aucun au roi : bien vous supplierai-je trs humblement de me dispenser de servir ˆ ce petit sige ; je serai plus frais ˆ tre employŽ ˆ un autre. Č Il me dit lors quÕil nÕen ferait rien, et quÕil me ferait bien servir puisque jՎtais premier marŽchal de camp. Alors je lui dis que je lui remettais cette charge, me rŽservant ˆ servir de celle de colonel-gŽnŽral des Suisses, et en tout ce o son particulier service trs humble le requerrait. Il me dit quÕil ne mÕavait point donnŽ la charge, et quÕil ne la reprendrait point. Je lui dis que je la rendrais donc au roi, qui arriva sur ces entrefaites, auquel Mr le Prince, sans parler de moi, proposa, et rŽsolut lÕavis commun, et le roi se logea en un mŽchant lieu sur le haut, nommŽ Granges.

Peu aprs Gamorini et Mortieres vinrent trouver Mr le Prince, qui leur ayant demandŽ ce quÕil leur semblait de lÕattaque rŽsolue, lui dirent que cՎtait la pire que lÕon ežt su choisir, mais quÕayant reconnu la place, ils croyaient que dans le lendemain les ennemis la quitteraient ; quÕau reste il la fallait attaquer et prendre selon ce que je lui avais proposŽ : ce que Toiras qui Žtait avec eux ayant rapportŽ au roi, et dÕautres ensuite ce que Mr le Prince mÕavait dit, il en fut fort f‰chŽ. Mais je le suppliai trs humblement de ne lui en faire semblant, seulement de me permettre de ne point servir durant ce sige qui serait de peu de durŽe, ce quÕil mÕaccorda.

Il fit ensuite sommer ceux de la ville qui ne lui rŽpondirent quՈ belles mousquetades ; et le lieu o Žtait logŽ le roi Žtant trs incommode, et sans eau, il se rŽsolut dÕaller le lendemain mardi 14me loger ˆ Queilus de Benette qui est ˆ deux petites lieues de Saint-Antonin, et dÕenvoyer camper ses gardes et Suisses dans le corps de lÕarmŽe, ce quÕil exŽcuta.

Le mercredi 15me Mr de Schomberg fit commencer ˆ faire une batterie de sept pices.

Les gardes entrrent le soir dans la tranchŽe, et Marillac ayant envoyŽ ses armes ˆ lՎpreuve ˆ la tranchŽe pour y venir veiller, les capitaines des gardes dirent ˆ son homme quÕil les rapport‰t chez lui, et que Mr de Marillac ne leur commanderait point de marŽchal de camp. Je jure que ce fut ˆ mon insu, et que le soir mme je vins au galop dans la tranchŽe comme volontaire pour y passer trois ou quatre heures avec eux. Ils furent ravis de mÕy voir et me dirent ce qui sՎtait passŽ avec Marillac. Je me doutai bien que lÕon mÕen ferait un plat ; ce qui fit que je mÕen revins avant le jour ˆ Queilus, et le matin je fus au lever du roi sans faire semblant de rien, o Mr le Prince arriva peu aprs, amenant Marillac qui fit sa plainte de la dŽsobŽissance des gardes que Mr le Prince exagŽra (sans me nommer toutefois) ; et le roi lui dit quÕau sortir de la garde il enverrait quŽrir les capitaines pour leur faire rendre compte de leur action, puis dit ˆ Mr le Prince que les gardes avaient toujours protestŽ quÕelles ne reconna”traient point Marillac.

Le jeudi 16me Mr le Prince vint le matin dire au roi que je faisais des monopoles et des rŽvoltes ˆ son armŽe, et que je mŽritais ch‰timent, et mme de la vie. JÕentrai lˆ-dessus, et il mÕen dit de mme. Je lui demandai de quoi lÕon mÕaccusait. Il dit lorsque le comte de Paluau et le rŽgiment de Navarre avaient fait le mme refus ˆ Marillac, que les gardes avaient fait le jour auparavant, et que cՎtait de mes pratiques. Je lui dis quÕil ne mÕen devait point accuser, mais la personne de Marillac qui ne leur Žtait point agrŽable, et pour preuve de mon dire, sÕil lui plaisait de commander ˆ Mr le marquis de Seneay, ou ˆ Mr de Valanay, dÕaller commander la tranchŽe, je mÕassurais quÕils y trouveraient une entire obŽissance, et que ce nՎtait point le dŽplaisir quÕils avaient de ce que je ne servais point, mais bien de ce que Marillac servait, lequel ils nÕestimaient pas : ce que le roi approuva et leur commanda dÕy aller, disant nŽanmoins ˆ Marillac quÕil parlerait aux gardes pour le faire reconna”tre par elles.

Aprs d”ner, le roi alla ˆ Saint-Antonin o lÕon lui avait fait une redoute ˆ mi-c™te, de laquelle il pouvait voir tout ce qui se faisait au sige. La ville fut ce jour-lˆ battue de sept canons qui levrent les dŽfenses de ces deux ravelins revtus qui dŽfendaient la corne, ˆ laquelle ceux des gardes qui Žtaient ce jour-lˆ dans la tranchŽe voulurent faire quelque effort et nÕy rŽussirent pas bien ; dont le roi fut f‰chŽ et me commanda de les aller faire cesser. Je descendis aux tranchŽes, et Mr de Vend™me mÕayant dit quÕil me montrerait le chemin pour aller ˆ la tte du travail, je lui dis que jÕen savais un bien plus court, et montai ˆ dŽcouvert par dessus la tranchŽe, et y allai tout droit, dont il mÕen pensa mal arriver ; car les ennemis sÕaffžtrent de telle sorte ˆ tirer contre moi que jÕeus deux mousquetades, lÕune qui me coupa mon baudrier et fit tomber mon ŽpŽe, et lÕautre qui me rompit mon b‰ton, emporta ma manchette et pera ma manche, sans mÕoffenser autrement. Le roi me les vit donner qui mՎcria de la redoute o il Žtait que je me retirasse ; mais je passai outre et vins ˆ la tte faire ce quÕil mÕavait commandŽ, puis retournai le trouver.

Le vendredi 17me lÕon sÕattacha ˆ la corne, et le samedi le rŽgiment de Normandie qui Žtait de garde, y fit une attaque qui ne rŽussit pas.

Le dimanche 19me Mr le Prince vint au camp et fit donner les gardes ˆ la corne ; mais ils en furent encore repoussŽs. Le roi vint ˆ sa redoute dÕen haut voir lÕattaque, dont il fut fort mal satisfait : jÕy vins avec lui ; car durant tout ce sige je ne servis point. Mr de Retz fut malheureusement blessŽ derrire le roi dÕune balle mourante qui ne laissa pas de lui casser le genou, dont il est demeurŽ estropiŽ.

Comme le roi descendit la montagne, il rencontra Mr le Prince avec Mr de Vend™me, Mrs les marŽchaux de Pralain, de ThŽmines et de Saint-Geran, et Marillac, Seneai et Arpajoux. Le roi se f‰cha du peu dÕavancement au sige et du peu dÕeffet des gens de guerre aux attaques. Mr le Prince lui demanda sÕil lui plaisait tenir le conseil de guerre sous un grand arbre prochain, ce qui fut fait ; et mÕayant ŽtŽ demandŽ mon avis, je dis que je lÕavais dit ds le commencement du sige qui ne lÕežt plus ŽtŽ il y a longtemps si on lÕežt suivi ; que maintenant il fallait savoir ce que lÕon prŽtendait faire pour prendre la place, et quÕen cas que lÕon trouv‰t que les propositions ne fussent suffisantes, jÕoffrais encore ˆ peine de la perte de ma vie et de mon honneur, de la prendre deux jours aprs que lÕon mÕaurait donnŽ deux canons en batterie sur la rive de la Veirou, o je les demanderais. Chacun voyait bien que cՎtait le plus aisŽ moyen ; mais celui qui le proposait nՎtait pas agrŽable. Le roi toutefois sÕy portait ; mais enfin il fut rŽsolu que lÕon tenterait une attaque gŽnŽrale, et que, si elle ne rŽussissait, on prendrait cet autre moyen.

On avait fait un fourneau sur la pointe de la mine, que lÕon fit jouer le lendemain matin lundi 20me, et ensuite on fit une attaque gŽnŽrale en laquelle on fit mme donner ˆ pied cent gendarmes du roi. On emporta tous les dehors jusques ˆ la contrescarpe, et la corne aussi. Mais nous y perd”mes plus de quatre cents hommes, que morts que blessŽs, entre lesquels le comte de Paluau, ma”tre de camp de Navarre, fut fort regrettŽ ; cՎtait un brave jeune homme, et qui avait bien le cĻur au mŽtier. Le PaillŽs sergent major de Normandie, trs brave et trs entendu, avec plusieurs autres, y moururent ; et le sieur de CoulombiŽ aide de camp, Malicy et plusieurs autres, y furent fort blessŽs.

Le mardi 21me on mina la contrescarpe, puis on sÕy logea ; et le mercredi 22me la ville de Saint-Antonin se rendit ˆ discrŽtion. Les gardes franaises et suisses en prirent possession.

Le jeudi 23me le roi vint d”ner au camp chez Mr de Schomberg, et puis tint conseil pour le dŽcampement du jour suivant, et sÕen revint coucher ˆ Queilus.

Le vendredi 24me il en partit pour venir loger ˆ Castelnau de Montmirail. Mais comme la traite Žtait longue, il fut contraint, pour attendre les troupes demeurŽes derrire, dÕy sŽjourner le lendemain 25me o nous nous amus‰mes ˆ faire un retranchement entre deux chemins, que nous garn”mes de noix, et je le dŽfendis contre le roi qui lÕattaqua.

Le dimanche 26me le roi passa par Rabasteins et vint coucher ˆ Saint-Suplice o Mr le Prince vint rejoindre le roi. Il proposa au conseil dÕattaquer Carmain, ce quÕil faisait ˆ lÕinstante prire de ceux de Toulouse ; mais la plus grande partie du conseil ne fut point dÕavis dÕemployer le temps ˆ conquŽrir ces petites places, que nous pouvions plus utilement employer ˆ prendre Montpellier, N”mes, et Uzs : et parce que jÕavais fait lÕouverture de cet avis, il mÕen voulut plus de mal quÕaux autres, sa bile Žtant dÕailleurs Žmue contre moi, ˆ qui on laissa lÕarmŽe en main pour la conduire ˆ Castelnaudary tandis que le roi sŽjournerait ˆ Toulouse, et jÕeus ordre de forcer le Mas Saintes Puelles en passant. Je demandai aussi permission de tenter si je pourrais avoir Carmain sans perdre ni y employer aucun temps. Mr le Prince sortit du conseil en colre et mŽdisant de moi qui avais empchŽ que lÕon nÕattaqu‰t Carmain ; ce qui me servit parce que quelques gentilshommes huguenots qui Žtaient lˆ, mandrent ˆ ceux de la ville que je nÕavais point dÕordre de les assiŽger, qui les empcha de faire entrer cinq cents hommes dedans, que ceux de Puylaurens leur envoyaient, et qui Žtaient dŽjˆ arrivŽs ˆ Sorese.

Le lundi 27me le roi partit de Saint-Suplice et alla ˆ Toulouse, et moi je demeurai encore ˆ Saint-Suplice.

Le mardi 28me jÕen partis avec Mr de Valanai et lÕarmŽe, et v”nmes coucher ˆ Belcastel. JÕavais plus de vingt gentilshommes huguenots du pays qui mÕaccompagnaient, lesquels ne virent point ˆ mon dessein que je voulusse attaquer Carmain ; et leur tŽmoignai, quand ils mÕen parlrent, que je nÕen avais aucun ordre. NŽanmoins ds le jour auparavant jÕavais envoyŽ ˆ Loubens trois commissaires de lÕartillerie avec six de mes carabins, pour faire faire en diligence vingt gabions, des fascines, tirer des solives pour faire des plateformes et tout lՎquipage nŽcessaire ˆ un bon sige ; et le mercredi 29me, Žtant arrivŽ de bonne heure ˆ Loubens de Verdalle (qui nÕest quՈ demie lieue de Carmain), Mr de Valanai investit la ville avec la cavalerie tandis que je logeai nos rŽgiments, fait ˆ fait quÕils venaient, aux avenues et lieux propres pour faire les attaques. On vit quand et quand charrier les gabions et plateformes pour les batteries, et Žquipage pour plusieurs canons, bien que je nÕen menasse que deux avec moi ; dont ces gentilshommes huguenots ŽtonnŽs me demandrent si jÕavais eu quelque ordre nouveau dÕattaquer Carmain. Je leur rŽpondis que non, mais que le roi qui lÕavait rŽsolu en son conseil ˆ Saint-Suplice, mÕavait ordonnŽ de le tenir secret, et quÕil lui ežt ŽtŽ honteux de laisser en passant cette bicoque qui avait par le passŽ tant incommodŽ Toulouse, sans la ruiner et mettre en poudre, et que le lendemain ceux de Toulouse me devaient envoyer huit canons pour lÕattaquer, et que le roi voulait faire servir dÕexemple rigoureux cette mŽchante ville. Ils commencrent ˆ me dire que je pouvais abrŽger le temps, et que peut-tre si je leur faisais parler, quÕils se mettraient ˆ la raison ; que si je leur voulais permettre, un dÕeux les irait trouver, et quÕils se promettaient quÕil me rapporterait tout contentement. Je leur rŽpondis quÕun capitaine nÕacquŽrait point de gloire ni de rŽputation par la reddition des villes avant quÕelles soient attaquŽes, si faisait bien par la destruction, et que jÕavais plus ˆ dŽsirer de la prendre par force que par anticipŽe composition ; nŽanmoins mon humeur qui nՎtait point portŽe ˆ la cruautŽ, convenait avec leur dŽsir, et me faisait leur assurer que si dans deux heures celui qui leur irait parler me rapportait une entire obŽissance, se remettant ˆ la capitulation que je leur voulais faire de la part du roi, je leur assurais quÕelle serait favorable ; et que pour les mettre davantage ˆ leur tort, je trouvais bon quÕun dÕeux sÕy achemin‰t. Ils dŽputrent ˆ lÕheure mme un vieux gentilhomme voisin de lˆ, pour leur aller tŽmoigner ma bonne volontŽ, et les persuader dÕembrasser cette occasion qui seule pouvait dŽtourner leur entire ruine, comme ceux de Ngrepelisse et de Saint-Antonin se lՎtaient attirŽe par leur opini‰tretŽ. Je ne discontinuai cependant aucune chose de ce qui appartenait au sige, et hormis Mr de Valanay, tous ceux de lÕarmŽe croyaient que je mÕy voulais opini‰trer. Ce gentilhomme revint avant le temps que je lui avais prescrit, ramenant trois dŽputŽs de Carmain qui mÕoffrirent dÕabord de se tenir en neutralitŽ tant que cette guerre durerait. Je ne rŽpondis autre chose sinon au capitaine Gohas qui les avait amenŽs, de les remmener sans leur faire aucune rŽponse : et comme ces gentilshommes me priassent de ne les laisser aller de la sorte, et quÕils se porteraient ˆ obŽir et y porteraient aussi les habitants, je me f‰chai contre eux, leur reprochant quÕils mÕavaient fait recevoir un affront duquel ils conna”traient dans peu de jours si je me saurais bien venger, et dis ˆ ces dŽputŽs que sÕils mÕenvoyaient ˆ lÕavenir ni tambour ni personne pour me venir parler, quÕil serait pendu sans rŽmission. Lors, ils me dirent que cՎtait une proposition quÕils mÕavaient faite, au dŽfaut de laquelle ils mÕoffraient dÕobŽir et de me remettre la ville ˆ une honnte capitulation. Moi qui en mourais dÕenvie me faisais tenir et ne leur voulais pas seulement rŽpondre : enfin je me laissai vaincre par les gentilshommes, et consentis de recevoir quatre otages des principaux de la ville, attendant que le lendemain ˆ quatre heures du matin ils sortissent avec leurs armes et bagage, sans tambour ni enseigne, et que pardon serait fait aux habitants, ˆ qui les murailles seraient rasŽes ; que lÕon conduirait leurs gens de guerre jusques sur le chemin de Puylaurens, et nÕiraient au Mas Saintes Puelles, ni ˆ Sorese, ni ˆ Revel : toutes lesquelles choses furent ponctuellement exŽcutŽes de part et dÕautre.

En ce mme temps un capitaine du rŽgiment de PiŽmont, nommŽ Rogles, mÕamena un gentilhomme dont il me rŽpondit, lequel me promit de pŽtarder la mme nuit la ville de Cuc, pourvu que je lui voulusse donner des gens pour sÕen rendre ma”tre. Je commandai ˆ six compagnies dudit PiŽmont, que je fis commander par Rogles, de sÕy acheminer, et leur donnai cinquante chevaux dÕescorte ; et ils prirent la ville comme il me lÕavait proposŽ, laquelle aprs avoir pillŽe ils bržlrent, et sÕen revinrent joindre ˆ lÕarmŽe le lendemain jeudi 30me, chargŽs de butin ; auquel jour sur les cinq heures du matin les soldats qui Žtaient dans Carmain sortirent selon la capitulation que je leur avais faite. Je les fis conduire sžrement, et mis Mr de Gohas, capitaine aux gardes, pour commander dans la ville avec quatre cents hommes, en attendant que le roi y ežt pourvu. Puis ayant fait sŽjourner lÕarmŽe dans leurs mmes logements, et rŽsolu avec Mr de Valanai de celui du lendemain ˆ Saint-Felis, je lui consignai lÕarmŽe, et mÕen vins trouver le roi ˆ Toulouse.

JÕarrivai sur le point chez le roi comme il Žtait en son conseil et quÕil querellait Mr le Prince de ce quÕen parlement, et aux capitouls, lorsquÕils lui Žtaient venus faire la rŽvŽrence, il avait dit que la l‰chetŽ de Mr de Bassompierre avait empchŽ que le roi nÕattaqu‰t Carmain comme il lui avait conseillŽ, mais que je lÕen avais diverti. Comme on ežt dit au roi que jՎtais ˆ la porte, il sՎtonna de ce qui mÕavait fait quitter lÕarmŽe, et mÕayant fait entrer, je lui dis que jÕavais voulu moi-mme lui apporter la nouvelle de la prise de Carmain et de celle de Cuc, et recevoir ses commandements sur dÕautres choses que je lui voulais proposer. Alors Mr le Prince se leva et me vint embrasser, me disant quÕil avait eu tort de dire ce quÕil avait dit, et quÕil le rŽparerait en disant force bien de moi, puis me demanda si jÕen avais point encore rien dit, et que il me ferait donner dix mille Žcus par la ville et vingt mille ˆ lui si la nouvelle de la prise nՎtait point encore divulguŽe ; mais il se trouva que ceux qui mÕavaient accompagnŽ en avaient dŽjˆ fait courre le bruit. Il ne se peut dire la joie que reurent ceux de Toulouse de cette prise : ils me firent apprter un beau logis ; les capitouls me vinrent remercier et me prier de venir le lendemain d”ner en la maison de ville o ils feraient une belle assemblŽe pour lÕamour de moi, et le bal ensuite. Mais je mÕen excusai sur la nŽcessitŽ que jÕavais dՐtre promptement ˆ lÕarmŽe, o Mr le marŽchal de Pralain voulut venir, et le roi me pressa de demeurer ; mais parce que je voyais que lÕon avait fait force mauvais offices ˆ Mr le Prince, et que le roi Žcoutait mŽdire de lui, je ne voulus point quÕil me pžt seulement souponner dÕy avoir contribuŽ, et mÕen allai ds la pointe du jour le lendemain matin, ayant prŽcŽdemment Žcrit, ˆ la prire de Mr de Schomberg, une longue lettre au marquis de Rosny pour le porter ˆ lui vendre la charge de grand-ma”tre de lÕartillerie quÕil exerait lors par commission, et dont le roi lui avait permis de traiter par lÕintervention de Mr de Puisieux que Mr de Schomberg y avait employŽ.

 

Juillet. Ń JÕarrivai donc avec Mr le marŽchal de Pralain le vendredi premier jour de juillet ˆ Saint-Felis de Carmain o lÕarmŽe Žtait, et y sŽjourn‰mes le lendemain pour aller investir Revel, et y fus avec monsieur le marŽchal qui lÕenvoya sommer de se rendre. En y allant, mon cheval se jeta dans un fossŽ et moi sous lui qui me pensa tuer ; jÕen fus quitte pour un pied froissŽ, dont je fus longtemps ˆ me sentir. On me ramena ˆ Saint-Felis, et monsieur le marŽchal qui ne se voulait point embarquer ˆ un sige, se contenta de leur refus sans les forcer, parce quÕil lՎtait de prendre le Mas Saintes Puelles qui Žtait sur le chemin que le roi devait tenir en venant de Toulouse ˆ Castelnaudary.

Le samedi 2me nous nous prŽsent‰mes devant le Mas qui se rendit ˆ notre arrivŽe. Monsieur le marŽchal y mit Mr de Castelnau, capitaine aux gardes, et puis v”nmes coucher ˆ Castelnaudary o nous sŽjourn‰mes le lendemain, et le lundi 4me le roi y arriva malade ; ce qui nous y fit sŽjourner jusques au mercredi 13me sans faire autre chose que acheminer notre armŽe au bas-Languedoc, que Mr le marŽchal de Pralain y mena, et y assiŽgea et prit Bedarioux. Je ne fus point ˆ lÕarmŽe parce que le roi me retint prs de lui.

Le roi donc vint le mercredi 13me coucher ˆ Alsonne o Mr de Montmorency le vint trouver. Il commanda ˆ Mr de Schomberg et ˆ moi de nous trouver au sortir de son souper, et nous dit alors quÕil avait reu nouvelles de la conversion ˆ notre religion de Mr le marŽchal Desdiguieres ˆ qui il avait promis, moyennant ce, lՎpŽe de connŽtable ; quÕil lui demandait aussi lÕordre du Saint-Esprit, et que pour cet effet il ferait assembler un chapitre de lÕOrdre ˆ Carcassonne pour lui donner ; que moyennant ce, il acquerrait sans coup fŽrir toute la province du DauphinŽ pour notre religion, ce qui apporterait un grand Žtonnement et consternation aux autres huguenots ; quÕau reste il vaquait par sa promotion ˆ lՎtat de connŽtable, un b‰ton de marŽchal de France qui Žtait rŽservŽ pour un de nous deux, et que le premier marŽchal de France qui viendrait ˆ mourir, quÕil nous en ferait tous deux prter le serment et tirer ˆ la courte bžche ˆ qui le serait le premier. Nous lui en rend”mes tous deux les trs humbles gr‰ces que mŽritait celle quÕil nous promettait, et ensuite Mr de Schomberg lui dit que selon le temps o nous Žtions et lÕexposition que nous faisions ˆ toute heure de notre vie pour son service, quÕil y avait apparence que nous viendrions aussit™t ˆ vaquer que cette marŽchaussŽe que nous devions attendre ; quÕen la qualitŽ de marŽchaux de France nous le pourrions utilement servir en cette prochaine guerre de Languedoc sÕil nous voulait faire la gr‰ce de nous crŽer prŽsentement, et quÕil pourrait ensuite supprimer la premire charge de marŽchal qui viendrait ˆ vaquer, ce qui serait une mme chose que ce quÕil proposait, et pressa le roi bien fort, lequel sÕen dŽfendit le plus quÕil put. Enfin je lui dis :

Ē Sire, la gr‰ce que Votre MajestŽ me vient de faire, de mÕestimer digne de la charge de marŽchal de France, et celle de me lÕavoir offerte et promise avant Lui en avoir jamais parlŽ, ni mme lÕavoir prŽtendue, est si grande que, quand elle nÕarriverait jamais en effet, je suis plus que dignement rŽcompensŽ de lÕexcs de cet honneur inopinŽ et non mŽritŽ, et jÕavoue ˆ Votre MajestŽ quÕayant toujours mieux aimŽ mŽriter les grands honneurs que de les possŽder, je nÕai pas une si grande aviditŽ de ce b‰ton comme Mr de Schomberg. Aussi, Žtant de six annŽes plus jeune que lui, jÕaurai plus de loisir ˆ lÕattendre, et plus de temps, selon le cours de nature, ˆ en jouir. CÕest pourquoi Votre MajestŽ le peut ds ˆ prŽsent gratifier de la charge qui vaque par la promotion de Mr le marŽchal Desdiguieres ˆ la connŽtablerie, et me conserver la bonne volontŽ quÕelle a pour moi lors quÕil en viendra ˆ vaquer une pareille, pour mÕen pourvoir. Je nÕy perdrai que la prŽsŽance que vous aviez rŽsignŽe au sort qui pouvait autant tourner en sa faveur quՈ mon avantage. JÕai moins dՉge que lui ; il est de votre conseil avant moi ; il mÕa prŽcŽdŽ ˆ lÕordre du Saint-Esprit ; il est lÕun de vos ministres, et de votre conseil Žtroit : tout cela me fera souffrir sans envie et sans regret quÕil soit encore, premier que moi, marŽchal de France, et je lui en cde de bon cĻur la primogŽniture, suppliant trs humblement Votre MajestŽ que ma considŽration ne lÕempche point de recevoir ds ˆ prŽsent cet honneur, que je recevrai de sa bontŽ lorsquÕElle le jugera tre utile pour le bien de son service. Č

Mr de Schomberg se sentant lors trs obligŽ de ma courtoisie, mÕen rendit de trs exquis remerciements ; mais le roi persista ˆ ne vouloir point en crŽer lÕun sans lÕautre ; et ainsi nous nous retir‰mes de lui.

Le jeudi 14me le roi arriva ˆ d”ner ˆ Carcassonne, et aprs d”ner convoqua un chapitre de commandeurs du Saint-Esprit, auquel assistrent avec Sa MajestŽ, Mr le Prince, Mr de Chevreuse, Mr de Montmorency, Mr dÕEpernon, Mr de Pralain, Mr de Saint-Geran, moi, Mr de Courtanvaut, Mr de Portes, Mr de Seneay, Mr de Valanay, et le chancelier de lÕordre, Mr de Chateauneuf : et lˆ, nous ayant proposŽ Mr Desdiguieres, et le bien que cette gr‰ce quÕil demandait causait ˆ notre religion, son mŽrite, et la charge de connŽtable dont il lÕhonorait, tous furent dÕavis de lui envoyer, sur lÕassurance que le roi donna dÕun bref du pape dont il sÕassurait pour le confirmer, parce que cՎtait contre les statuts.

Le vendredi 15me le roi vint faire son entrŽe en la citŽ de Carcassonne, qui est sur le haut o est situŽe lՎvchŽ, puis retourna en la ville o il sŽjourna, et le samedi 16me il vint loger ˆ Lusignan.

Le dimanche 17me il arriva de bonne heure ˆ Narbonne o on lui fit entrŽe.

Mr de Guise y arriva de Provence sur des frŽgates. Le roi me commanda de lui parler de lՎchange de son gouvernement de Provence contre celui de Guyenne vaquant par la mort de feu Mr du Maine ; mais Mr de Guise, qui offrit de faire tout ce que Sa MajestŽ lui commanderait, le fit trs humblement supplier par moi que, si le bien particulier de son service ne le portait ˆ lui faire changer de gouvernement, Elle lui perm”t de conserver celui quÕil avait administrŽ depuis vingt-cinq ans avec satisfaction de Sa MajestŽ, et au grŽ et contentement des Provenaux, et que lÕayant rŽduit au service du feu roi son pre, il le garderait fidlement ˆ celui du fils ; dont le roi se contenta.

Le lundi 18me de juillet le roi vint ˆ BŽziers, o il lui fut aussi fait entrŽe.

Le roi y fit un assez long sŽjour pour ne se mettre en campagne par ces excessives chaleurs. LÕarmŽe cependant sÕachemina devers Montpellier autour duquel il y avait quelques troupes de Mr de Montmorency logŽes (depuis que Mr Zamet que le roi avait envoyŽ avec trois cents chevaux ds quÕil Žtait ˆ Moissac, pour fortifier la petite armŽe de Mr de Montmorency, Žtait arrivŽ et sՎtait joint ˆ lui), mme y avaient fait quelques petits combats avec avantage au Mas de Mariotte et au Mas de Ranchin.

Le roi avait aussi laissŽ une armŽe ˆ Mr de Vend™me pour rŽduire sous son obŽissance les petites places de la Guyenne et haut Languedoc, mais sՎtant attaquŽ ˆ Beriteste, ceux de dedans la dŽfendirent si bien, et ceux de dehors lÕattaqurent si mal, quÕaprs vingt jours de sige, ils le levrent et vinrent joindre le roi au sige de Montpellier.

Mr le Prince demeura ˆ BŽziers jusques au 27me, quÕil en partit pour venir joindre lÕarmŽe, et voulut que Mr de Schomberg et moi fussions avec lui. Il me promit, avant partir, lÕhonneur de ses bonnes gr‰ces, dont je fus trs aise, et v”nmes coucher ˆ PŽzenas, o nous sŽjourn‰mes le lendemain que Mr le Prince nous pria ˆ d”ner, Mr de Schomberg et moi, avec beaucoup dÕassurances de sa bonne volontŽ.

Le vendredi 29me il vint loger ˆ Frontignan, o il sŽjourna pour attendre les gardes franaises et suisses quÕil avait amenŽes de BŽziers avec quelques autres troupes de cavalerie, quÕil me laissa le lendemain dimanche dernier du mois, et se mit sur l'Žtang pour aller ˆ Mauguio que Mr le marŽchal de Pralain et Mr de Montmorency avaient assiŽgŽ, et moi jÕen partis aussi avec les troupes pour venir loger ˆ Villeneuve de Maguelonne, dÕo je partis (aožt) le lendemain premier jour dÕaožt, en ordre de bataille parce que nous passions devant Montpellier, et fis faire deux ponts sur deux canaux qui sont deˆ et delˆ de la tour de Lattes, puis vins joindre lÕarmŽe ˆ Mauguio qui sՎtait ce jour mme rendu ˆ Mr le Prince.

Le lendemain 2me, lÕarmŽe partit de Mauguio et vint ˆ son rendez-vous, qui Žtait proche dÕune Žglise ruinŽe, en une plaine entre Lunel et Marsillargues, lˆ o Mr le Prince assembla le conseil de guerre pour aviser laquelle des deux places on devait assiŽger la premire, qui fut fort divisŽ ; car une partie voulait que lÕon assiŽge‰t premirement Marsillargues pour ne la laisser derrire, et puis aprs porter toutes les forces de lÕarmŽe pour prendre Lunel ; les autres voulaient que lÕon all‰t droit ˆ Lunel, et leurs raisons Žtaient que lÕon donnerait trop de temps aux ennemis de fortifier et pourvoir Lunel de gens de guerre, lesquels incommoderaient notre sige de Marsillargues et puis aprs nous rendraient la prise de Lunel plus difficile. Mr de Toiras Žtait derrire nous au conseil, qui Žtait capitaine au rŽgiment des gardes, lequel me dit ˆ lÕoreille : Ē Et pourquoi ne les pourrait-on pas assiŽger toutes deux ˆ la fois ? Č Cela mÕy fit penser, et puis quand ce vint ˆ moi de dire mon avis, je proposai celui que Toiras mÕavait suggŽrŽ, disant que nous avions assez de force et de canons pour faire lÕun et lÕautre ˆ la fois ; que Mr le Prince pouvait commettre ˆ monsieur son beau-frre le sige de Marsillargues avec les quatre rŽgiments quÕil avait amenŽs, savoir celui de Portes (quÕil faisait nommer rŽgiment de Languedoc), de Fabregues, de la Roquette et de Saint-Brest, auxquels on pourrait ajouter le rŽgiment de Normandie et celui de Masargues, cinq canons, et une couleuvrine, et pour marŽchaux de camp Mrs de Portes et de MontrŽal ; que Mr le Prince se logerait en une maison que je lui montrai, qui Žtait ˆ mi-chemin des deux villes, et que le rŽgiment des gardes franaises et celui des Suisses camperaient autour de lui avec une compagnie de chevau-lŽgers, et ses gardes ; que Mr le marŽchal de Pralain avec le reste de lÕarmŽe, neuf canons et Mrs de Marillac et Valanai assiŽgeraient Lunel, que moi jÕirais ˆ lÕun et ˆ lÕautre sige, et pourvoirais au corps gŽnŽral de lÕarmŽe selon que je jugerais nŽcessaire ; que Mr Zamet irait avec une partie de la cavalerie sur lÕavenue de Cauvisson pour empcher que les ennemis (qui y Žtaient) ne donnassent aide ou secours ˆ aucune des deux places assiŽgŽes, et que Mr le marŽchal de Saint-Geran irait avec lÕautre partie de la cavalerie et le rŽgiment de Navarre faire rendre les bourgs et petites villes de Pignan, Gigean, Assas, Montferier, Esmargues, Saint-G”les, Saint-Genies, et Saint-AnastasiŽs. Ceux qui restaient ˆ opiner suivirent mon avis, et ceux qui avaient dŽjˆ opinŽ y revinrent, et avec une grande joie on se prŽpara ˆ faire deux siges en mme temps comme si nÕassiŽger quÕune ville ˆ la fois ežt ŽtŽ chose trop commune.

Je pris donc en mme temps le rŽgiment de Normandie auquel je fis faire les approches de Marsillargues, et puis revins encore pour loger toute lÕarmŽe comme il avait ŽtŽ rŽsolu et marquer le campement de chaque troupe, aprs quoi je fis encore avec le rŽgiment des gardes les approches de Lunel. LÕextrme pluie quÕil fit toute la nuit nous empcha dÕavancer aucuns travaux, et nous content‰mes de les ouvrir.

Le lendemain mercredi 3me nous les continu‰mes, et avan‰mes, faisant deux attaques ˆ gauche et ˆ droite devant Lunel, et une ligne de communication de lÕune ˆ lÕautre. Mr de Montmorency de son c™tŽ avana le plus quÕil put une batterie ˆ Marsillargues qui nÕattendait que de la voir en Žtat pour se rendre, comme elle fit le lendemain jeudi 4me.

Je mis par ordre de Mr le Prince une compagnie de Suisses dedans ledit Marsillargues. Puis sur lÕavis que Mr Zamet nous donna que de Cauvisson devait cette nuit mme partir le secours pour Lunel, Mr le Prince mÕordonna de mener les troupes dÕinfanterie sorties du sige de Marsillargues, avec la compagnie de chevau-lŽgers de Monsieur, frre du roi, commandŽe par Mr dÕElbene, sur lÕavenue de Cauvisson au devant de Lunel. Mr de Montmorency et Mr le marŽchal de Pralain y vinrent aussi passer la nuit, croyant que le secours arriverait, et parce aussi quÕayant contrariŽ lÕopinion que j'avais mise en avant au conseil dÕaller forcer les ennemis dans Cauvisson mme, et y mener nos deux couleuvrines comme jÕavais offert de lÕentreprendre, et promis de le faire rŽussir ; mais je nÕen fus pas cru. Nous nous en retourn‰mes au jour, et les ennemis sortirent de Lunel pour nous escarmoucher ˆ notre retour, lesquels nous rembarr‰mes dans la ville.

Le vendredi 5me Mr le Prince envoya quŽrir le conseil de guerre, et lˆ mit en avant dÕexŽcuter la proposition que je lui avais faite le jour prŽcŽdent, et dÕaller en personne forcer les ennemis dans Cauvisson. Mrs de Pralain, Montmorency, et Schomberg, voulurent lÕaccompagner, de sorte que je fus laissŽ pour commander lÕarmŽe et faire le sige.

Il partit sur les quatre heures aprs midi avec trois mille hommes de pied, trois cents chevaux dՎlite, et deux couleuvrines, et marcha droit ˆ Cauvisson, et les ennemis qui venaient au secours marchaient de leur c™tŽ, et passrent ˆ mille pas lÕun de lÕautre sans alarme, ni reconnaissance, de sorte que, comme jՎtais avec Toiras et Gamorini pour faire rompre un moulin qui Žtait sur le fossŽ de Lunel, et qui retenait lÕeau dans ledit fossŽ, afin de la faire Žcouler et le mettre ˆ sec, nous ou•mes un grand bruit ˆ la ville et v”mes force feux mis sur les murailles du c™tŽ de Cauvisson ; car nous ne tenions la ville assiŽgŽe que du c™tŽ de Marsillargues. Nous connžmes aisŽment que cՎtait le secours qui Žtait entrŽ, et quÕen peu de temps les ennemis seraient sur nos bras par une forte sortie ; ce qui fut cause que je fis en diligence acheminer huit cents Suisses qui Žtaient campŽs proche de la tranchŽe, et les fis coucher contre la ligne de communication. Les ennemis ne manqurent pas ˆ faire sortie ; mais lÕimpatience des Suisses qui se levrent trop t™t, et leur fit conna”tre quÕils Žtaient attendus, les fit tenir bride en main, se contentant de tirer force mousquetades sans sÕavancer autrement.

Nous attaquions un petit ravelin qui couvrait le ch‰teau de Lunel, et les ennemis se doutant de ne le pouvoir garder non plus que le ch‰teau, firent un fort retranchement derrire ; de quoi nous Žtant aperus par la poudre que le travail faisait Žlever, Gamorini fut dÕavis de faire dans un prŽ ˆ main droite une batterie de quatre pices qui verrait le derrire de leur retranchement, ce qui fut le gain de cause ; car les ennemis se dŽsespŽrrent de pouvoir conserver Lunel.

Il entra cette nuit lˆ huit cent trente hommes dans Lunel.

Le samedi 6me notre batterie fut prte du c™tŽ de la prairie, et celle qui Žtait pour battre le ravelin tira tout le jour. Le feu se prit ˆ trois caques de poudre, comme jՎtais en la batterie, qui emporta la compagnie entire du Gast, de PiŽmont, qui en Žtait proche. J'y fus ŽchaudŽ, mais non bržlŽ, Dieu merci ; car jÕen sortais et en Žtais ˆ quarante pas.

Le dimanche 7me les ennemis capitulrent et promirent de quitter le lendemain la ville aux capitulations qui leur avaient ŽtŽ accordŽes. Mais sur une alarme que lÕon nous donna que Mr de Rohan venait secourir la ville, et faire rompre la capitulation, nous fžmes toute la nuit sur pied avec notre cavalerie. Enfin nous trouv‰mes que lÕavis Žtait faux, mais non celui qui arriva ˆ Mr le Prince de la mort de Mr le cardinal de Retz, ce qui le f‰cha fort, et Mr de Schomberg davantage, qui demanda dÕaller trouver le roi le lendemain ; ce que Mr le Prince lui accorda.

Le lundi 8me Mr le Prince commanda ˆ Mr le marŽchal de Pralain de donner ordre ˆ la sžretŽ de ceux qui devaient sortir de Lunel suivant la capitulation, qui Žtait qu'ils sortiraient avec leurs ŽpŽes seulement et que leurs armes seraient portŽes sur des chariots. JÕeus ordre de me mettre dans la ville et dÕy loger les gardes et Suisses suivant la coutume. Je mÕacheminai donc pour les y mettre, et vis force soldats dŽbandŽs de tous rŽgiments, et des lansquenets et Suisses comme des Franais ; ce qui mÕobligea ˆ faire retarder la sortie des ennemis jusques ˆ ce que j'eusse fait voir ˆ monsieur le marŽchal le dŽsordre que je voyais se prŽparer sÕil nÕy remŽdiait. Il me dit pour rŽponse quÕil nՎtait pas un enfant, et quÕil savait son mŽtier ; que je donnasse seulement lÕordre nŽcessaire pour le dedans et quÕil le ferait tel au dehors quÕil nÕy aurait rien ˆ dire. Je m'en retournai et fis sortir les ennemis avec tout leur bagage, puis fis entrer les gardes que je fis tenir en bataille, aprs avoir garni la brche, les portes et les remparts, jusques ˆ ce que les quartiers fussent faits, et fis fermer les portes sur moi. Il y eut quelque rglement en la sortie des ennemis jusques ˆ ce que le bagage paržt ; mais alors tous les soldats dŽbandŽs de notre armŽe se jetrent dessus sans quÕil fžt possible ˆ monsieur le marŽchal, ni ˆ Portes, et Marillac, de les en empcher, et ensuite dŽvalisrent les pauvres soldats, dont ils en turent inhumainement plus de quatre cents, et avec tant dÕimpunitŽ, que huit soldats, de diverses nations et bandes, se prŽsentrent ˆ la porte de Lunel pour y entrer avec plus de vingt prisonniers quÕils menaient attachŽs, et leurs ŽpŽes sanglantes de ceux quÕils avaient massacrŽs, si chargŽs de butin quՈ peine pouvaient-ils marcher, lesquels trouvant la porte de Lunel fermŽe, firent crier aux sentinelles quÕils me vinssent avertir de leur faire ouvrir. Je vins ˆ la porte sur le rŽcit que lÕon m'en fit, que je trouvai vŽritable, et les fis entrer, puis je fis lier ces huit galants des cordes dont ils avaient liŽ ces vingt prisonniers que je fis conduire par mes carabins jusques sur le chemin de Cauvisson, et leur donnai le butin des huit soldats lesquels je fis pendre sans autre forme de procs, devant eux, en un arbre proche du pont de Lunel sur le Vidourle ; dont Mr le Prince me sut trs bon grŽ le lendemain, et mÕen remercia.

Il se vint loger ˆ Lunel o il y sŽjourna jusques au vendredi 12me quÕil sÕen alla joindre lÕarmŽe qui avait investi Sommires.

Un peu avant quÕil dŽloge‰t de Lunel, il reut une lettre du roi, par laquelle il lui ordonnait de mÕenvoyer avec cinq cents chevaux au devant de lui ˆ Villeneuve de Maguelonne pour favoriser son passage proche de Montpellier. Mr le Prince me fit voir ce commandement du roi, et me dit que Mr le comte dÕAlais colonel de la cavalerie lŽgre Žtait lˆ, qui pourrait mener ces cinq cents chevaux, et que je viendrais avec lui. Je lui rŽpondis que cՎtait ˆ lui ˆ ordonner, que je nÕavais aucune volontŽ. Il me dit quÕil manderait au roi que jÕavais mieux aimŽ venir avec lui, et moi je le suppliai de nÕen rien faire, parce que jՎtais prt dÕaller mener cette cavalerie au roi, et que Mr le comte dÕAlais y pourrait venir, sÕil voulait, mais que je lui commanderais. Il me dit ensuite : Ē Faisons mieux : laissez y aller Mr de la CurŽe, qui est marŽchal de camp et ma”tre de camp de la cavalerie lŽgre. Č Je lui rŽpondis que jÕen Žtais content. Il me dit lors : Ē Je manderai donc au roi que vous avez voulu venir avec moi. Č JÕentendis bien qu'il ne voulait pas que jÕallasse trouver le roi, et quÕil voulait faire para”tre que cՎtait moi qui ne le voulais pas, ce qui me fit lui dire : Ē Monsieur, je vous supplie trs humblement lui mander votre volontŽ, et non la mienne ; car pourvu que je vous obŽisse, jÕai ma dŽcharge. Mais pour moi je suis prt dÕaller avec les cinq cents chevaux, si vous me le permettez ; sinon, de vous suivre, ou de faire tout ce que vous mÕordonnerez. Č Alors il me dit : Ē Puisque le roi me mande expressŽment que je vous envoie, et que vous y voulez aller, vous irez. Č

Il nous fit peu aprs entrer en conseil et nous demanda nos avis pour laisser la garnison et le commandement ˆ Lunel, et Mr de Montmorency mÕavait auparavant priŽ de donner ma voix au baron de Castres qui avait ŽpousŽ une de nos parentes. Mr le Prince demanda ˆ Mr de Montmorency son avis sans garder lÕordre, qui proposa Mr le baron de Castres ; puis ensuite Mr de Pralain qui fut de mme avis ; en troisime lieu il me le demanda, et je lui dis : Ē Monsieur, il me semble que ce nÕest pas une chose ˆ opiner en un conseil, mais ˆ en rŽsoudre entre le roi et vous, auquel, je m'assure, vous en aurez Žcrit, et su sa volontŽ. Que si vous avez concertŽ par ensemble de voir lÕopinion de tous nous autres sur ce sujet, il y a plusieurs personnes capables, en votre armŽe, de ce gouvernement, parmi lesquelles je mets des premiers Mr le baron de Castres qui sÕen saura bien acquitter. Č LÕaffaire passa lˆ : le baron de Castres y entra avec six compagnies du rŽgiment de Languedoc, et Mr le Prince partit de Lunel sur les dix heures du matin.

Une heure aprs Mr le marŽchal de CrŽquy, Mr de Schomberg et Mr de Bulion y arrivrent comme nous d”nions chez moi avec Mr de Montmorency et Mr le comte dÕAlais : ils sÕen allrent chez Mr de Schomberg comme ils nous virent sur la fin du d”ner, o ils me prirent dÕaller quand je me pourrais sŽparer de mes h™tes, ce que je fis peu aprs. CՎtait pour me faire voir lՎtat o Mr le marŽchal des Diguieres avait portŽ les affaires de la paix avec les huguenots ; dont ils avaient aussi charge de parler ˆ Mr le Prince, ˆ Mr de Montmorency et ˆ Mr le marŽchal de Pralain ; mais Mr de CrŽquy et Mr de Bulion me devaient faire savoir le particulier, dont le roi avait voulu que je susse quelque chose. Ils envoyrent aussi quŽrir Mr de Montmorency ; mais il leur manda qu'il sÕen irait le lendemain matin comme eux ˆ lÕarmŽe, et quÕil l'apprendrait quand et Mr le Prince, lequel avait commandŽ en partant que ceux de l'artillerie fissent porter les poudres et munitions qui Žtaient au camp dans les vožtes des Cordeliers de la ville, qui Žtaient demeurŽes entires, ce que lÕon faisait comme nous Žtions enfermŽs dans une chambre, Mrs de CrŽquy, Schomberg, Bulion et moi. Il arriva que de toutes les munitions trois charrettes qui nՎtaient point tournŽes encore en la rue des Cordeliers, prirent feu, et les quatre milliers de poudre quÕelles portaient renversrent les six plus proches maisons des deux c™tŽs de la rue, et mirent le feu aux voisines, et les ruines de ces maisons fermrent lÕavenue de la porte, en sorte que lÕon ne pouvait sortir de la ville parce que Mr le Prince avait fait fermer les autres portes. La ville Žtait si pleine de monde qu'elle regorgeait, et il Žtait ˆ craindre que le feu, qui approchait de six-vingt milliers de poudre, ne consum‰t la ville en un instant. Nous Žtions en cet Žtat quand le feu prit ˆ ces trois charrettes de poudre, dont la violence jeta les fentres et vitres de la chambre o nous Žtions, contre nous, avec une grande impŽtuositŽ. Je mÕimaginai bien ce que cՎtait : mais je pensais le mal plus grand que, gr‰ces ˆ Dieu, il ne fut. Je sortis en mme temps ˆ la rue pour donner ordre ˆ tout. Mais la confusion Žtait extrme, et chacun pensant ˆ soi-mme, et ˆ son salut, nÕaccourait point ˆ Žteindre le feu : tout le monde cherchait ˆ sortir, et personne nÕen trouvait le moyen. Enfin je fis rompre une des portes condamnŽes par laquelle chacun sortit, et ayant eu par cet expŽdient nos coudŽes plus franches, nous Žteign”mes le feu et m”mes nos poudres en sžretŽ, y ayant eu quelque cinquante personnes pŽries par le feu.

Je partis le samedi 13me de Lunel avec la cavalerie que le roi demandait, et vins coucher ˆ Mauguio dÕo je partis le dimanche 14me, et mis ladite cavalerie en bataille devant Montpellier, puis vins trouver le roi ˆ six heures du matin, comme il voulait partir de Villeneuve de Maguelonne pour venir ˆ Mauguio. Il fit marcher son infanterie devant et aprs lui, et passant par Lattes sÕen vint ˆ Mauguio, ayant auparavant voulu se faire tirer des coups de canon de Montpellier en la reconnaissant. Mr dÕEpernon Žtait avec lui, et peu dÕautres. JÕavais fait avancer et mettre sur les ailes de la cavalerie pour le favoriser.

Il sut ˆ Mauguio comme, ˆ la prire de Mr de Montmorency, Mr le Prince avait mis dans Lunel le rŽgiment de Languedoc et le baron de Castres pour y commander ; dont il se f‰cha fort, et me commanda de lÕen faire dŽloger et dÕy mettre ses gardes avant quÕil y entr‰t, ce que je fis le lundi 15me, jour de la Notre Dame, que le roi y arriva.

Le mardi 16me Mr le Prince et Mr de Schomberg vinrent trouver le roi, et je mÕen retournai avec eux le mme jour ˆ Sommires, qui capitula le soir mme, et le mercredi 17me se rendit. JÕentrai par le ch‰teau o je mis garnison, et les gardes et Suisses entrrent dans la ville. Le roi y vint aussi et y d”na, puis sÕen revint ˆ Lunel.

Mr de Schomberg dit par les chemins au roi que jՎtais son ennemi et quÕil lui priait de ne rien croire de ce que je lui dirais sur son sujet. Le roi lui rŽpondit quÕil avait grand tort, et que je ne lui avais jamais parlŽ quՈ son avantage, ni de personne autre aussi, et quÕil me connaissait mal pour me prendre pour un homme qui f”t de mauvais offices. Il fut un peu ŽtonnŽ de cette rŽponse, et plus encore quand il ežt envoyŽ quŽrir Beauvilliers pour lui faire des plaintes de ce que jÕavais dit ˆ Pongibaut, (que ce n'Žtait pas le meilleur ˆ Mr de Schomberg de se montrer si partial pour Mr le Prince), et que Beauvilliers lui eut rŽpondu que sÕil me l'ežt dit devant quÕen parler au roi, je lÕen eusse satisfait, mais quÕil avait mal commencŽ de se dŽclarer contre moi avant que sÕen tre Žclairci. Il vit bien que le roi mÕavait parlŽ, et pria Mr de Puisieux de nous raccommoder, ce que je fis difficilement, et aprs lui avoir dit mes sentiments. Il me pria ensuite de lÕassister ˆ obtenir la dŽpouille de Mr dÕEpernon, qui par sa promotion au gouvernement de Guyenne, laissait ceux de Saintonge, Angoumois, Aulnis et Limousin. Je lui dis que non seulement je ne parlerais point en sa faveur, mais que je lui traverserais jusques ˆ ce que Mr de Pralain qui Žtait mon ami fidle, fut entirement content, qui y prŽtendait comme lui ; ce qui se fit enfin en partageant, ˆ Mr de Pralain la Saintonge et Aulnis, et ˆ Mr de Schomberg Angoumois et Limousin.

Je servis aussi Mr dÕEpernon. pour lui faire avoir Bergerac que le roi refusait de lui donner.

Mr de Montmorency eut une forte prise avec le roi qui avait donnŽ le gouvernement de Lunel ˆ Masargues qui en avait dŽjˆ le domaine, ce quÕil ne dŽsirait pas : je fis enfin que le roi pour le contenter y mit lÕa”nŽ de Toyras, nommŽ Rostemelieres.

Le roi fit tout cela et alla ˆ Aiguemortes, que Mr de Chatillon lui remit en main, en laquelle il mit pour gouverneur Varrennes et fit Mr de Chatillon marŽchal de France le 21me du mois, pendant son sŽjour quÕil fit ˆ Lunel o il demeura jusques au vendredi 26me quÕil vint coucher ˆ Mauguio o Mr le marŽchal des Diguieres arriva.

Le samedi 27me le roi vint loger ˆ la Verune o lÕon fut comme dÕaccord de la paix.

Le dimanche 28me le traitŽ de paix continua, et n'y avait plus que le particulier de ceux de Montpellier ˆ contenter, vers lesquels Mrs de CrŽquy et de Bulion allaient et venaient.

Le lundi 29me Mr le connŽtable des Diguieres reut lՎpŽe de connŽtable du roi, lui en fit hommage, et en prta le serment : aprs quoi le roi me dit quÕil me donnait le b‰ton de marŽchal de France que monsieur le connŽtable venait de quitter en prenant lՎpŽe, et quÕil commanderait mes lettres pour mÕen faire ensuite prter le serment ; dont je lui rendis les trs humbles gr‰ces que mŽritaient ses excessives faveurs.

Mr de Schomberg fut bien ŽtonnŽ ; car ce fut en sa prŽsence que le roi me fit ce discours : il ne laissa pour cela de venir d”ner chez moi avec monsieur le connŽtable, cardinal de la Valette, Chevreuse, Montmorency, Epernon, Pralain, Saint-Geran et CrŽquy, lesquels furent mandŽs par le roi au conseil de guerre lÕaprs-d”ner, sur le retour de Mr de Bulion de Montpellier, qui avait apportŽ un absolu refus de laisser entrer le roi dans leur ville le plus fort ; mais bien que si le roi sÕen voulait Žloigner de dix lieues, ils y recevraient monsieur le connŽtable avec les forces quÕil y voudrait faire entrer. Il y avait dans le conseil, avec le roi, Mr le Prince, monsieur le connŽtable, Mrs les marŽchaux de Pralain, Saint-Geran et CrŽquy, Mrs dÕEpernon et de Montmorency, Schomberg, moi, Marillac, Zamet, Valanay, Portes, Montreal, prŽsident Faur, et Bulion.

Le fait Žtait que Mr le Prince, ennemi mortel de la paix qui se traitait, avait dit en plusieurs lieux que, si le roi entrait dans Montpellier, il la ferait piller, quelque diligence que lÕon sžt faire au contraire : ce qui avait tellement intimidŽ ceux de Montpellier quÕils se voulaient plut™t rŽsoudre ˆ toute autre extrŽmitŽ que dÕy recevoir le roi ; et pour finale rŽponse quÕils donnrent ce jour-lˆ ˆ Mr de Bulion ils offrirent toute obŽissance pourvu que le roi nÕentr‰t point dans leur ville dont ils tenaient le pillage assurŽ sÕils lui ouvraient les portes.

Comme chacun eut pris place au conseil, le roi commanda ˆ Mr de Bulion de faire son rapport, lequel lui dit purement comme ceux de la ville lui avaient enchargŽ : sur quoi le roi lui dit quÕil dit son opinion. Il lui dit en cette sorte :

Ē Sire, jÕai toujours ou• dire quÕen la guerre celui qui en a le profit en remporte lÕhonneur : cÕest pourquoi je conseillerai toujours ˆ Votre MajestŽ dÕaller au solide, sans vous arrter ˆ de petites formalitŽs qui ne sont point essentielles. Si la ville de Montpellier vous refusait lÕobŽissance et la soumission qui vous est due et quÕils sont obligŽs de vous rendre, je vous dirais quÕil la faudrait dŽtruire, et exterminer : mais cÕest un peuple alarmŽ et ŽpouvantŽ des menaces que lÕon leur a faites de les piller, et dŽtruire, violer leurs femmes, et filles, et bržler leurs maisons, qui vous supplie au nom de Dieu que vous fassiez recevoir son obŽissance par monsieur votre connŽtable lequel y entrera, vous en Žtant ŽloignŽ, avec telles forces qu'il lui plaira, pour y faire valoir et reconna”tre lÕautoritŽ de Votre MajestŽ, qui est la mme chose que si vous y entriez vous-mme. Pourquoi voulez-vous, pour une puntille de rien, ne recevoir une paix si utile et honorable pour Votre MajestŽ, et plut™t entreprendre une longue guerre, dont lՎvŽnement est douteux et la dŽpense excessive, dans un pays o les chaleurs sont immodŽrŽes, et exposer votre propre personne aux outrages de la guerre et de la saison, pouvant vous en exempter sans dommage ni bl‰me ? Car ds maintenant Votre MajestŽ peut recevoir la paix, ou pour dire mieux, la donner ˆ vos sujets rebelles. Ceux de Montpellier offriront, et mme supplieront trs humblement Votre MajestŽ de venir honorer leur ville de votre prŽsence, et dÕy faire son entrŽe, laquelle ils prŽpareront la plus magnifique quÕils pourront, mais quÕils vous demandent six jours de temps pour licencier les troupes des CŽvenols quÕils ont dans leur ville, et pour se prŽparer ˆ y dignement recevoir Votre MajestŽ ; ce que vous leur accorderez : mais tŽmoignant de lÕimpatience dÕaller trouver la reine votre femme que vous ferez descendre ˆ Arles (de Lyon o elle est), laissant la charge de recevoir Montpellier ˆ monsieur le connŽtable qui demeurera ici avec une partie de votre armŽe, vous irez avec lÕautre faire votre entrŽe ˆ N”mes et ˆ Uzs. Ainsi, Sire, vous ne perdrez aucun temps pour vos affaires ni pour votre retour, et elles seront parfaitement bien accomplies ˆ mon avis ; qui est ce que je puis dire ˆ Votre MajestŽ sur ce sujet. Č

Ė peine Mr le Prince qui avait ŽcoutŽ Mr de Bulion avec impatience, le put laisser finir, qu'il commena ˆ dŽclamer contre lui et la cabale quÕil disait qui avait forgŽ cette paix ˆ lÕinsu du conseil, et la voulait faire passer et conclure avec honte et infamie. Mais le roi, auprs de qui il Žtait, avec la main et la parole le retint, lui disant quÕil laiss‰t librement opiner un chacun, et quÕen son rang il aurait tout loisir de parler ; ce quÕil fit tellement quellement, se dŽmenant sur son sige et montrant par ses gestes la rŽpugnance quÕil avait ˆ ces avis, plusieurs desquels furent conformes ensuite : car Mr le prŽsident Faur ayant dit peu de paroles et en pareil sens que Mr de Bulion, conclut en la mme faon, comme firent ensuite Mrs de Montreal, de Portes, de Valanay, Zamet, et Marillac ; puis quand ce vint ˆ moi, Mr le Prince qui avait toujours dit quelque mot bassement, Žleva davantage sa voix et dit : Ē Je sais dŽjˆ son opinion, et nous en pouvons dire ad idem. Č Lors je la dis en semblable faon :

Ē Sire, je suis dÕavis que Votre MajestŽ se lve de son conseil, et que par un noble et gŽnŽreux dŽdain elle tŽmoigne combien elle se sent offensŽe des propositions de ceux de Montpellier, et combien les avis que lÕon lui donne en conformitŽ lui sont dŽsagrŽables. Č

Ē Si Votre MajestŽ Žtait devant Strasbourg, Anvers, ou Milan, et quÕelle conclžt une paix avec les princes ˆ qui ces villes appartiennent, les conditions de nÕy pas entrer seraient tolŽrables ; mais quÕun roi de France, victorieux avec une forte armŽe, au lieu de donner la paix ˆ une poignŽe de ses sujets rebelles, sans ressource, et rŽduits ˆ lÕextrŽmitŽ, Elle la reoive dÕeux ˆ des conditions honteuses quÕils lui viennent proposer et imposer, ce sont injures qui ne se peuvent souffrir, non pas mme Žcouter. La ville de Montpellier en refusera lÕentrŽe ˆ son roi, lui fermera ses portes, et avant que de lui faire aucun serment de fidŽlitŽ, il lui fera cet acte dÕobŽissance de sՎloigner de dix lieues de leur ville, selon leur dŽsir ! Le roi qui accepte ces conditions se doit prŽparer ˆ recevoir de terribles outrages des autres villes qui seront audacieuses par cet exemple et assurŽes dÕimpunitŽ par cette indigne souffrance. Oui, mais, me dira-t-on, il appara”tra par le traitŽ que le roi y a pu entrer, et cette exception se fera par un article secret qui ne sera su que par ceux de Montpellier et par ceux qui ont lÕhonneur dÕassister ˆ ce conseil : comme si un peuple entier pouvait cacher ou celer une chose si avantageuse, et comme si lÕon ne devait pas lire sur notre visage ce que notre langue aurait honte de dŽclarer ! Sire, au nom de Dieu, prenez une ferme rŽsolution, et y persŽvŽrez, et mme vous y opini‰trez, de ruiner ce peuple parce quÕil est rebelle, et parce aussi quÕil est insolent et impudent, ou de le rŽduire ˆ une entire soumission et parfaite repentance. Č

Ē Mes intŽrts particuliers rŽpugnent ˆ ma proposition, et le seul service et honneur de Votre MajestŽ me portent ˆ vous la faire. Car si la paix se conclut aujourd'hui, elle me trouvera avec une plus grande rŽcompense que mes services ne mÕen devaient promettre, par lÕhonneur que jÕai reu du b‰ton de marŽchal de France, dont Votre MajestŽ mÕa assurŽ : je ne puis gagner au sige de Montpellier que beaucoup de peine, de dangereux coups, et peut-tre la mort : il peut arriver aussi des sinistres accidents qui retarderaient Votre MajestŽ de me faire prter le serment de la charge qu'elle mÕa promise, voire mme de me la refuser du tout. Je courrai nŽanmoins cette fortune, et supplie trs humblement Votre MajestŽ de dŽlayer ma rŽception jusques ˆ ce que la ville de Montpellier soit rŽduite en son obŽissance, et Votre MajestŽ vengŽe de lÕaffront que ces rebelles vous ont voulu procurer. Č

Aprs que jÕeus achevŽ de parler, Mr le Prince qui mÕavait attentivement ŽcoutŽ, se leva et dit au roi : Ē Sire, voilˆ un homme de bien, grand serviteur de Votre MajestŽ, et jaloux de votre honneur. Č Le roi se leva aussi, ce qui obligea tous les autres ˆ se lever, et lors Sa MajestŽ dit ˆ Mr de Bulion : Ē Retournez ˆ Montpellier et dites ˆ ceux de la ville que je donne bien des capitulations ˆ mes sujets, mais que je nÕen reois point dÕeux ; quÕils acceptent celles que je leur ai offertes ou quÕils se prŽparent ˆ y tre forcŽs Č et ainsi sÕacheva le conseil. Mr le Prince me fit cet honneur de me venir embrasser et de dire tout haut tant de bien de moi que jÕen demeurai confus. Monsieur le connŽtable et Mr le marŽchal de CrŽquy, qui avaient moyennŽ cette paix, voyant lÕopini‰tretŽ de ceux de Montpellier, conseillrent au roi de les mettre ˆ la raison, et ds le soir tout traitŽ fut rompu.

Le mardi 30me monsieur le connŽtable voulut aller reconna”tre Montpellier comme il avait dit le jour prŽcŽdent ˆ Mr le marŽchal de Pralain, lequel ne mÕen dit rien, dont je me plaignis ˆ lui devant monsieur le connŽtable, et lui fis voir que son silence Žtait cause que deux mille hommes de pied qui eussent escortŽ monsieur le connŽtable afin quÕavec sžretŽ il pžt reconna”tre la place et rembarrer les ennemis (sÕils sortaient sur lui), n'Žtaient point commandŽs ni prts comme ils eussent ŽtŽ ; car jÕen eusse pris lÕordre de lui. Il me dit que quand je serais marŽchal de France, je ferais (o jÕaurais le commandement) ce qu'il me plairait ; quÕil lÕavait en cette armŽe, et quÕil ne lui avait pas plu de mÕen parler. Je fus fort ŽtonnŽ de cette rude rŽponse : car je l'aimais comme mon pre ; et je lui dis quÕil en fit comme il lÕentendrait, et que je ne mÕen mlerais point. Il se mit lors ˆ la tte de quelque cavalerie qu'il avait fait venir, et je me mis auprs de monsieur le connŽtable. Il arriva que les ennemis sortirent quelque deux cents hommes qui nous conduisirent tout autour de la place, tirant incessament sur nous qui nÕavions point dÕinfanterie pour les faire retirer, et eux se tenaient toujours ˆ la faveur de leur contrescarpe et de leur rempart : ils blessrent quelques personnes, et entre autres le comte de MaillŽ dÕune mousquetade au visage, et blessrent aussi plusieurs chevaux. Nous f”mes en six heures le tour de la place et notre reconnaissance. Monsieur le connŽtable ne fut que jusques ˆ Salleneuve o il passa le Lers et sÕen retourna en son gouvernement, nÕayant pu porter les choses ˆ la paix.

Le mercredi 31me le rendez-vous de l'armŽe fut ˆ une portŽe de mousquet de Salleneuve, ˆ la vue de Montpellier, o nous la f”mes camper sur un tertre o il y avait du bois qui fut bient™t coupŽ, et devint une plaine. Le roi se logea ˆ un mas ˆ trois cents pas du campement, qui Žtait au consul de Montpellier. Nous ne nous avan‰mes pas ce jour lˆ plus avant quÕun chemin creux au-dessous de la Justice o nous m”mes un corps de garde de cent hommes, comme aussi nous en m”mes pareillement, et de mme nombre, ˆ la tte de chaque rŽgiment, et une garde ˆ cheval de cinquante chevaux.

Sur les dix heures du soir le capitaine Lago qui Žtait aide de camp, alla par mon ordre reconna”tre avec vingt hommes un poste des ennemis ˆ une maison ruinŽe ˆ cent pas de la Justice et ˆ quatre cents pas des cornes des ennemis, et les ayant poussŽs, il les fit quitter la maison et se retirer ˆ leurs cornes. JÕy allai ˆ lÕheure mme, et mis pour garder cette masure, les cent hommes que jÕavais prŽcŽdemment mis ˆ la Justice, et ayant fait venir ˆ moi les six cents hommes qui Žtaient devant les six rŽgiments campŽs, ˆ qui je mandai dÕen mettre autant ˆ leur place, je mÕavanai dans un chemin creux que je trouvai gardable, et y mis ces six cents hommes ; et en ayant encore envoyŽ quŽrir six cents autres, je mÕavanai ˆ cent pas de leurs cornes et mÕy fortifiai la nuit.

 

Septembre. Ń Je nÕavais pas eu connaissance des logis quÕavaient pris Mr le Prince ni Mr le marŽchal de Pralain, ce qui fut cause que je ne leur mandai rien. Ils y arrivrent le lendemain matin jeudi premier jour de septembre. Mr le Prince fut ravi de voir notre progrs ; mais Mr de Pralain sÕen offensa, disant que je ne devais point sans son commandement mՐtre avancŽ. Mr le Prince prit lors mon parti et lui dit que jÕavais bien fait et que, puisquÕil l'approuvait, cՎtait assez.

Il nous mena de lˆ avec lui au conseil o vinrent aussi Gamorini, Mortieres, Lago, et le Meine. Tous furent dÕavis quÕil fallait saisir l'aire de Saint-Denis, qui est cette Žminence o est maintenant la citadelle, et que le plus t™t que nous nous en pourrions rendre ma”tres, que ce serait le meilleur. Monsieur le marŽchal en prit la charge, et Mr le Prince me commanda de lui accompagner. Mr de Chevreuse y voulut venir, et nous nous y loge‰mes sans y trouver autre rŽsistance que dÕun corps de garde qui l‰cha le pied.

Mr le Prince y vint le lendemain vendredi 2me, et en fut fort satisfait. Il me dit si je voudrais bien en laisser la garde ˆ Mr de Valanay, ou si je lui laisserais la nuit suivante ouvrir la tranchŽe. Je lui rŽpondis que lÕouverture de la tranchŽe appartenait au premier marŽchal de camp, et que sÕil voulait donner la garde de lÕaire Saint-Denis ˆ Mr de Valanai et lÕordre de sÕy fortifier, que jÕen Žtais content. Il lui laissa donc et mÕemmena avec lui auprs du roi. Nous laiss‰mes avec Mr de Valanai Mr du Plessis sergent de bataille, brave homme et entendu, et son aide Verneigues, avec les rŽgiments de Fabregues, La Roquette et Saint-Brest, qui pouvaient faire huit ˆ neuf cents hommes, trois cents hommes de PiŽmont, et autant de Normandie. Mr le Prince ordonna aussi cinquante chevaux, qui eussent empchŽ le dŽsordre qui survint, sÕils y fussent venus ; mais ils manqurent et nÕy vinrent ˆ temps.

Je demandai congŽ au roi de mÕaller reposer deux o trois heures afin que je puisse veiller la nuit prochaine ˆ lÕouverture de la tranchŽe, nÕayant point fermŽ lÕĻil depuis que nous Žtions partis de la Verune, ce quÕil mÕaccorda au sortir du conseil. JՎtais dessus mon lit sur le midi quand jÕou•s tirer trois coups de canon consŽcutifs de la ville, ce qui me fit sortir de ma tente ; o je vis ˆ lÕheure mme une grande sortie que ceux de la ville faisaient sur nos gens qui Žtaient ˆ lÕaire Saint-Denis, et quÕil y avait parmi ceux qui sortaient, bien trente chevaux armŽs. Je demandai un cheval en diligence, mÕacheminant toujours vers le quartier des Suisses qui Žtait le plus prochain de ladite aire Saint-Denis, quand je vis nos gens sÕen fuir et se glisser au bas de la montagne sur le Merdanon qui est un ruisseau qui coule au bas de la montagne. Je courus lors aux Suisses et leur fis prendre les armes et marcher droit aux ennemis qui poursuivaient les n™tres jusques au Merdanon.

Il arriva que le roi avait d”nŽ et Žtait en une loge au haut de son logis avec plusieurs princes et seigneurs, lesquels virent cette sortie et y coururent avec un tel dŽsordre quÕils ne connurent jamais lesquels Žtaient les ennemis ou les n™tres, jusques ˆ ce qu'ils sÕen virent investis ; et Mr de Montmorency par bonne fortune ayant rencontrŽ Argencourt qui ne le voulut point faire tuer comme les autres, Argencourt lui dit : Ē Monsieur, retirez-vous par lˆ Č, ce quÕil ne se fit pas dire deux fois ; et bien quÕil se h‰t‰t fort, il ne put Žviter deux coups de piques des ennemis, qui nŽanmoins furent lŽgers, et en fut t™t guŽri. Les autres qui Žtaient venus de mme compagnie furent tous tuŽs, assavoir : Mr le duc de Fronsac, jeune prince de trs grande espŽrance et qui fžt ˆ mon avis ŽtŽ un jour un grand capitaine ; je nÕai jamais vu personne se prendre mieux ˆ notre mŽtier o il se portait sans fard ni sans ostentation, et qui avait un extrme dŽsir de le bien apprendre : avec lui furent tuŽs Mr le marquis de Beuvron, trs vaillant seigneur, un jeune gentilhomme de Languedoc nommŽ Lussan que je vis fort bien faire aux Ponts de CŽ, et le sieur dÕOuctot, lieutenant de la compagnie de Mr le Prince.

Quand les ennemis virent marcher les Suisses, ils songrent ˆ leur retraite. Aussi vinrent-ils en bon ordre marchant rŽsolument, et sans marchander passrent le Merdanon et commencrent ˆ monter au haut de l'aire Saint-Denis. Les ennemis ne les attendirent pas jusques aux piques ; mais escarmouchant toujours de leur mousqueterie, se retirrent dans la ville et nous quittrent le champ o nous trouv‰mes et retir‰mes nos morts qui Žtaient, outre ceux que jÕai nommŽs, deux ma”tres de camp, Fabregues et La Roquette qui furent tuŽs d'abord, et Combalet capitaine en Normandie, neveu du feu connŽtable de Luynes, qui y fit bravement. Mr le Prince vint ˆ la tte des Suisses ˆ la merci de mille arquebusades, et sÕy tint assez longtemps sans en vouloir partir jusques ˆ ce que je lui promis de lui rendre compte de Ouctot, vif ou mort, dont il Žtait en peine, comme je fis peu aprs, que je renvoyai le corps. Mr le marŽchal de Pralain sÕy tint toujours et fit trs bien : un des miens, nommŽ Fontaines, sur qui je mÕappuyais, eut une mousquetade dans lÕestomac trente pas derrire lui. Ce fut le seul grand accident qui nous arriva ˆ ce sige.

Le soir le roi nous manda que lÕon f”t retirer les Suisses qui Žtaient toujours sur lÕaire Saint-Denis, parce que Sa MajestŽ Žtait rŽsolue dÕy faire un bon fort le lendemain qui fut le samedi 3me jour de septembre ; toutefois on en dŽlaya lÕeffet ; auquel jour Mr Zamet qui faisait la charge de marŽchal de camp au quartier de Picardie dont il Žtait aussi ma”tre de camp, comme il allait reconna”tre quelque chose durant quÕune escarmouche durait, quÕil avait exprs fait attaquer, un coup de moyenne [canon de 4 livres] tirŽ de la ville lui cassa la cuisse, dont il mourut trois jours aprs : le mme coup emporta une fesse au sieur de Moullon, aide de camp, dont il guŽrit.

Le dimanche 4me je fis, la nuit, une barricade ˆ ma droite, qui traversait un chemin que ceux qui Žtaient dans les cornes des ennemis voyaient. Puis ensuite je coulai du long du Merdanon et avec des pipes du long du bord je fis un parapet o je logeai quantitŽ de mousquetaires, et gagnai le pont qui le traverse, sur lequel je me fortifiai; et en cette sorte nous nous donnions la main, ceux qui Žtaient sur lÕaire Saint-Denis et nous. Mais comme ce mme soir Mr le marŽchal de Pralain (Mr de Chevreuse Žtait avec lui), vint regagner ce poste et commencer dÕy faire construire un fort, les ingŽnieurs qui Žtaient lˆ, et Gamorini mme, maintinrent que lÕon ne sÕy pouvait loger, et quÕil nÕy avait pas de terre suffisante ˆ se couvrir, de sorte que Gamorini descendit ˆ moi et me dit que cՎtait en vain que je prenais ˆ la gauche pour joindre nos attaques, parce que lÕon avait rŽsolu de quitter le dessein de lÕaire Saint-Denis, qui Žtait nŽanmoins le plus court chemin ˆ prendre la ville, et il parut bien sÕil Žtait impossible de sÕy loger, car les ennemis ˆ notre barbe y b‰tirent un fort : il est vrai quÕils avaient lÕavantage dՐtre commandŽs et dŽfendus de la ville.

Le lundi 5me on rŽsolut de faire une assez grande place dÕarmes pour tenir sžrement notre garde, laquelle je commenai la nuit.

Le mardi 6me je la continuai, et fis de jour une traverse de pipes remplies ˆ trente pas des cornes des ennemis, sans perte dÕaucun homme, par une nouvelle invention que jÕimaginai, que Gamorini trouva fort bonne.

Le mercredi 7me je fus malade, et pour sÕavancer proche des cornes on fit une traverse de gabions dans ce chemin o jÕavais fait celle de pipes le jour prŽcŽdent.

Jusques alors nous nÕavions travaillŽ que dans les chemins creux, qui sont en ce pays-lˆ fort enfoncŽs ˆ cause quÕil y pleut rarement : mais le lendemain 8me nous travaill‰mes sur le haut des terres, et haussions nos tranchŽes avec des pipes remplies ; ce que nous f”mes pour fortifier une batterie de quatre pices que nous voulions faire pour battre les cornes avancŽes quÕil nous fallait gagner.

Le vendredi 9me nous f”mes une barricade et un logis dans le chemin ˆ main gauche de notre batterie, tirant aux cornes.

Le samedi 10me on fit une autre barricade dans le chemin ˆ gauche des cornes, laquelle, ˆ faute de pipes, nous fžmes contraints de faire de gabions vides.

Le dimanche 11me Gamorini fut tuŽ en se mettant entre deux paniers pour regarder cette barricade de gabions creux, mise la nuit prŽcŽdente, que Toiras lui montrait ; qui fut une grande perte pour le roi, car cՎtait un homme bien entendu pour les siges.

Le soir, aprs que les gardes furent sorties de la tranchŽe, et que le rŽgiment de Navarre les eut relevŽes, jÕallai souper et emmenai Le Plessis, sergent de bataille, et Des Champs, capitaine en Navarre, avec moi, pour retourner incontinent aprs. Mais comme nous nous voulions mettre ˆ table, nous ou•mes tirer plus quՈ l'ordinaire ˆ la tranchŽe, ce qui nous y fit courre en diligence. CՎtait une forte sortie que les ennemis avaient faite sur Navarre, forcrent cette barricade de gabions quÕils ruinrent et eussent fait un grand dŽsordre ˆ la tranchŽe sans la forte rŽsistance du rŽgiment de Navarre ; car le lieutenant-colonel nommŽ Joffre Žtant demeurŽ en la tranchŽe pour y donner lÕordre nŽcessaire, Porcheux capitaine, Campis sergent major, et Beaumont lieutenant, fils du Boullay, sortirent en la campagne avec quelque six-vingt hommes. Les ennemis Žtaient six cents hommes complets, en trois bandes : la premire vint donner ˆ la gabionnade quÕelle fit quitter aux n™tres ; la seconde fut chargŽe si vertement par la troupe que Porcheux menait, quÕelle la renversa ; mais en mme temps leur tomba sur les bras la troisime troupe ennemie ˆ laquelle sans marchander ils allrent, la combattirent et la repoussrent. Mais les trois chefs susnommŽs furent blessŽs, ce qui les ayant fait retirer, toute la sortie se joignit en un ˆ la gabionnade.

JÕy arrivai en cet instant, et pensant que la gabionnade fžt encore ˆ nous, jÕentrai par le passage qui Žtait en la traverse de barriques pour y aller. Des Champs marchait devant moi, et Le Plessis me suivait. Nous trouv‰mes les ennemis occupŽs ˆ renverser la gabionnade et Des Champs leur ayant criŽ, pensant quÕils fussent des n™tres : Ē Mordieu, que faites vous ? Vous rompez notre barricade Č, il fut aussit™t rŽpondu de quatre ou cinq coups dՎpŽe et on lÕallait achever, sans quÕil cria : Ē Je suis Bassompierre ; il y a vingt mille Žcus ˆ gagner. Č Alors ils le saisirent et le firent prisonnier, pensant que ce fut moi, qui connus bien alors, et Le Plessis aussi, que nous Žtions trop avancŽs. Nous f”mes donc semblant tous deux dÕaider ˆ dŽtruire la gabionnade, et pr”mes notre temps pour nous jeter dans le trou de notre barricade o nous couržmes encore cette fortune quÕun soldat nous tira une mousquetade ˆ bout portant, en y entrant, qui par miracle ne toucha ni Le Plessis ni moi. En mme temps que je rentrai, Porcheux et Campis revenaient de faire les deux charges susdites o ils ne perdirent que deux soldats, et force blessŽs, comme eux aussi.

JÕavais vu la contenance des ennemis comme ayant ŽtŽ parmi eux, ce qui me fit prendre cent hommes et en bailler cent autres au sergent de bataille Le Plessis qui prit dans le champ ˆ gauche, et moi ˆ droite, et v”nmes en mme temps par deux c™tŽs charger les dŽmolisseurs de notre gabionnade de telle sorte que nous les f”mes jeter dans leurs cornes plus vite que le pas, et laissrent morts huit ou dix hommes des leurs, et quatre prisonniers. Le bruit courut au quartier du roi que jÕavais ŽtŽ pris et nos tranchŽes nettoyŽes par les ennemis. Le roi y envoya Fiesque en diligence, auquel je fis voir plus de trente morts, et envoyai les prisonniers conter des nouvelles au roi.

Les ennemis qui nՎtaient rentrŽs dans la ville et Žtaient demeurŽs dans les cornes nous vinrent t‰ter sur le minuit, et ˆ quatre heures du matin encore ; mais ils trouvrent toujours ˆ qui parler. Nous ref”mes la mme nuit, non cette gabionnade, mais une forte barricade et bien flanquŽe, ˆ sa place.

Le lundi 12me nous achev‰mes de mettre les quatre pices en batterie et f”mes une ligne ˆ droite pour y aller.

Elle tira le mardi 13me tout le jour, et sur le minuit nous attaqu‰mes les cornes, savoir : Mr de Pralain avec le rŽgiment des gardes, par le milieu ; moi par la droite avec PiŽmont et Navarre ; et Mr de Valanai ˆ la gauche avec Normandie et Estissac. Nous les emport‰mes bravement et nÕy perd”mes que sept hommes, parmi lesquels le capitaine Taraut, de Normandie, y fut tuŽ, et Lago, aide de camp, dont ce fut un grand dommage ; car outre quÕil Žtait brave homme, il entendait le mŽtier autant quÕhomme qui fžt en lÕarmŽe. Mr le Prince qui Žtait prŽsent ˆ lÕattaque, fut fort satisfait de nous, et le roi encore davantage.

Le mercredi nous nous fortifi‰mes dans les cornes des ennemis, et avan‰mes nos tranchŽes sur la gauche.

Le jeudi 15me on prŽparait une batterie de douze pices pour battre un bastion qui Žtait ˆ la gauche et lever les dŽfenses des lieux o il nous Žtait nŽcessaire de les ™ter, et nous la fortifi‰mes dÕune place dÕarmes au-devant, qui valait bien un fort, tant lÕassiette la rendait bonne.

Le vendredi 16me Mr le Prince fut sollicitŽ par le Meine Chabans dÕattaquer plut™t une demie lune qui Žtait entre deux bastions, que lÕun des deux bastions. C'Žtait ˆ mon avis contre toute raison, et avions grand avantage dÕattaquer le bastion qui Žtait ˆ droite, et que le quartier de Picardie attaqu‰t le gauche. Mais comme Chabans avait prŽoccupŽ lÕesprit de Mr le Prince par ses raisons, il nous fut impossible dÕen dire aucune qui le satisfissent. Je voyais bien o visait ce compagnon que je connaissais pour avoir toujours ŽtŽ sous moi, hormis cette fois quÕil Žtait aide de camp au quartier de Picardie, et comme ingŽnieur. C'Žtait un proposeur de desseins, qui les donnait ˆ lÕoreille aux gŽnŽraux, bl‰mant tous ceux qui travaillaient, et t‰chait de sÕinstaller en leur place, et puis quand il y Žtait Žtabli, il commenait un dessein apparent et le conduisait jusques ˆ un certain point autant que sa suffisance (qui nՎtait pas grande) lui pouvait permettre, et puis feignait une maladie ou faisait valoir quelque lŽgre blessure ou pratiquait quelque commission et laissait lˆ lÕouvrage commencŽ. Mr de Schomberg le tenait un grand et habile homme, et comme tel lÕavait recommandŽ ˆ Mr de Montmorency au quartier duquel il travaillait, et sՎtait aisŽment insinuŽ en ses bonnes gr‰ces. Il avait conduit le travail de Picardie jusques sur la contrescarpe du bastion qui Žtait ˆ main gauche du ravelin, et ne se jugeant pas capable de lÕattaquer et sÕen rendre ma”tre, proposa ˆ Mr le Prince quÕil fallait joindre les deux attaques, et avec une ligne de communication les approcher en sorte que ce ne fžt quÕun, et que lÕon devait premirement prendre le ravelin que le bastion ; que cՎtait lÕordre de la guerre ; que si on lui donnait la charge gŽnŽrale des travaux qu'avait Gamorini, quÕil en viendrait ˆ bout facilement, ˆ la gloire du roi et de mondit seigneur le Prince, et lui fit la chose si facile quÕil lui fit changer notre dessein. Quand je vis que je ne pouvais rien gagner, je m'adressai ˆ Mr dÕEpernon qui ayant vu et reconnu lÕun et lÕautre projet, lÕappuya de son autoritŽ, et la disputa vivement. Mais enfin il en fallut passer au dessein du Meine, et fallut commencer ce jour lˆ mme ˆ tirer notre travail du c™tŽ droit vers ce petit ravelin.

Mr de Schomberg tomba malade la nuit de lÕattaque des cornes, dont il pensa mourir.

JÕemployai une grande partie du samedi 17me auprs du roi sur le sujet de l'Žlection qu'il voulait faire dÕun garde des sceaux, dont il Žtait puissament pressŽ par Mr le Prince et Mr de Schomberg depuis la mort de Mr le garde des sceaux de Vic, et plus encore depuis celle de Mr le cardinal de Retz, parce qu'ils sentaient leur cabale du conseil affaiblie par la perte de ces deux personnages, et avaient jetŽ les yeux sur Mr Alligre, trs habile homme certes et digne de la charge ; mais il Žtait si liŽ avec eux, que Mr de Puisieux et la cabale de monsieur le chancelier le redoutaient. Mr de Puisieux mÕemployait auprs du roi pour faire que l'on rend”t les sceaux ˆ monsieur son pre ; mais le roi dissuadŽ par ces messieurs sur le prŽtexte de son absence et de son grand ‰ge, me commanda de lui dire qu'il ne s'y devait point attendre, ce que je fis ce jour mme. Mais il me pria aussi de remontrer au roi quÕil importait au bien de son service que celui ˆ qui il donnerait les sceaux fžt en bonne intelligence avec son pre ; que cela ne pourrait tre si Mr Alligre les avait, et quÕil le suppliait au nom de Dieu que celui-lˆ ˆ cette occasion en fžt exceptŽ, ce que le roi ne lui voulut jamais promettre, quelque instance que je lui en pusse faire, parce quÕil avait inclination pour Mr Alligre, et quÕil y Žtait portŽ par tout le petit coucher quÕil avait gagnŽ pour lui, qui Žtait ceux qui demeuraient auprs du roi aprs quÕil avait donnŽ le bon soir au monde ; car il veillait encore aprs cela une heure ou deux. Tout ce que je pus faire fut de faire dŽlayer cinq ou six jours sa promotion.

Le dimanche 18me nÕavana aucun travail ; car il arriva un tel orage (qui sont rares en ce pays-lˆ, mais furieux quand ils viennent), quÕil fut impossible de rien faire autre chose que de se garantir dՐtre noyŽ. La terre qui est sche et pressŽe, ne boit point lÕeau, laquelle sՎcoule aux lieux bas et aux chemins creux, qui sÕemplissent quelquefois de six et sept pieds dÕeau. Cette pluie fit grossir et dŽriver le Merdanon et emporta plus de cent lansquenets qui pour Žviter les grandes chaleurs, avaient fait des creux contre sa rive et sÕy Žtaient huttŽs.

Le lundi 19me nous nous donn‰mes la main avec le quartier de Picardie par une ligne de communication qui fut tirŽe depuis le c™tŽ droit de notre grande batterie jusques ˆ eux.

Le mardi, et mercredi suivant nous achev‰mes la batterie, et nous avan‰mes vers le ravelin ˆ la sape. Ce dernier jour Mortieres fut blessŽ, qui nous incommoda fort, car il Žtait bien entendu aux travaux.

Le jeudi 22me comme je vins le matin au conseil, je sus que le roi avait donnŽ parole ˆ Mr le Prince de faire Mr Alligre garde des sceaux ; au moins en avait-il assurŽ le petit coucher, et eux lui, et Mr de Puisieux me dit en entrant quÕil Žtait dŽsespŽrŽ de cette affaire, dont je fus bien marri pour lÕamour de lui qui Žtait mon ami, et pour lÕamour de moi encore parce que Mr Alligre ne mÕen avait jamais voulu prier, soit par mŽpris, soit pour se croire fort assurŽ de son affaire et nÕavoir besoin de mon aide. Comme je fus entrŽ, Rouccelai me tira en un coin avec Mr le marŽchal de Pralain, et me dit ces mmes mots :

Ē Vous savez, Monsieur, combien jÕai dÕobligation de vous aimer et servir, tant pour vos bonnes gr‰ces que vous mÕavez amplement donnŽes, comme pour les obligations que je vous ai. Vous mÕavez fait revenir ˆ la cour aprs la mort du marŽchal dÕAncre, et avez voulu tre ma caution. Vous avez portŽ le roi ˆ me donner lÕannŽe passŽe lÕabbaye de lÕOr de Poitiers prs Saint-Maixent ; et pour ne faire une longue ŽnumŽration de tous vos bons offices vers moi, jÕavoue en gros quÕil nÕy a seigneur en France ˆ qui je sois plus redevable quՈ vous. C'est pourquoi je me suis toujours ŽtudiŽ de le reconna”tre en tout ce qui mÕa ŽtŽ possible. Vous savez le soin particulier que jÕai eu de vous procurer les bonnes gr‰ces de Mr le Prince et avec quelle peine jÕai t‰chŽ de vous y conserver : je dis avec quelle peine, parce qu'ˆ mon retour ˆ lÕarmŽe je l'ai trouvŽ si mal satisfait de vous quÕil ne se pouvait davantage, et a cru que Mr de Puisieux lÕa mal servi auprs du roi, et que puisque vous avez voulu prŽfŽrer son amitiŽ ˆ la sienne et ne l'abandonner pour lui, que vous avez participŽ aux mauvais offices quÕil lui a rendus ; il ne se peut dire combien de diffŽrents personnages jÕai jouŽs pour lui lever cette opinion de lÕesprit. Enfin il mÕa dit quÕil vous avait offert son amitiŽ toute entire, pourvu que vous veilliez quitter celle de Mr de Puisieux et mÕa dit de plus que vous ayez ˆ vous en rŽsoudre en toute cette journŽe, parce que, celle-ci passŽe, il ne vous y recevra plus. Mr Alligre sera demain fait garde des sceaux, et lui et Mr de Schomberg Žtant Žtroitement joints ˆ Mr le Prince, non seulement ils ruineront Mr de Puisieux, mais aussi tous ses fauteurs et adhŽrents, dont vous tes le principal. Cela vous ai-je voulu dire devant Mr le marŽchal de Pralain que vous aimez comme votre pre, lequel me sera tŽmoin que jÕai t‰chŽ de dŽtourner lÕorage de dessus votre tte, que je vois prt ˆ y tomber ; car assurŽment ces trois personnes unies ensemble possŽderont lՎtat, et Žlveront ou abaisseront ceux quÕil leur plaira. Č

Comme il achevait ces derniers mots, le roi mÕappela, et comme il me vit pensif, il me demanda ce que jÕavais ˆ rver. Ē Je songe, Sire, ˆ une extravagante harangue (lui rŽpondis-je), que Rouccelai me vient de faire devant Mr de Pralain, de la part de Mr le Prince, qui ne mՎtonne pas tant pour ma considŽration que pour la v™tre. Il me dŽclare incapable de possŽder jamais ses bonnes gr‰ces si je ne les reois dans aujourdÕhui, ˆ condition dÕabandonner lÕamitiŽ de Mr de Puisieux, et dit de plus que lui, Schomberg et Alligre (qui doit demain tre garde des sceaux), seront trois ttes en un chaperon qui manieront lՎtat ˆ leur fantaisie et sans aucune contradiction, ruinant ou agrandissant leurs ennemis ou leurs partisans et serviteurs ˆ leur plaisir. Jugez, Sire, o vous et ceux qui ne veulent dŽpendre que de vous seront rŽduits ! Č.

Il ne fallait pas en dire davantage au roi pour lÕanimer. Il me rŽpondit : Ē Ils ne sont pas o ils en pensent, et je leur en garderai bien. Č Je le priai de ne me tenir davantage afin que Rouccelai ne cržt que je lui eusse dit sa harangue ; et que sans faire semblant de rien il sÕenqu”t de Mr le marŽchal de Pralain sÕil ne mÕavait pas dit cela, et plus.

Sur cela il me quitta, et je revins ˆ Rouccelai ˆ qui je fis rŽponse que les menaces, ni la disgr‰ce, ne me faisaient pas quitter mes amis, au contraire me liaient plus Žtroitement avec eux, et que ce nՎtait pas le moyen de mÕacquŽrir que de me menacer ; que je serais toujours trs humble serviteur de Mr le Prince, mais que je ne ferais rien indigne de moi pour acquŽrir ses bonnes gr‰ces.

Le roi cependant parlait ˆ Mr de Pralain qui lui confirma mon dire et lÕanima de plus en plus, de sorte quÕun peu aprs il me tira ˆ une fentre et me dit : Ē Ne faites semblant de rien, et mÕattendez ˆ ma chambre au sortir de mon d”ner. Č Je lui dis aussi quÕil devait dissimuler avec Mr le Prince, et lui cacher quÕil voulut changer de dessein, et quÕil nÕen tŽmoign‰t rien ˆ personne : aussi ne fit-il.

Mr le Prince arriva peu aprs. Mr de Puisieux se retira en son logis comme le conseil fut levŽ, fort triste, et me dit en partant : Ē LÕaffaire est rŽsolue, Alligre est garde des sceaux. Č Je lui rŽpondis : Ē Je ne le croirai point que je ne le voie ; car je ne me veux point rendre malheureux avant le temps. Č

Or est-il quÕune fois, que le roi me parlait des sceaux en faveur de Mr Alligre (o il inclinait), il me dit qu'il nÕy en avait aucun prs de lui capable de les avoir que Mr Alligre. Je lui rŽpondis quÕil faisait tort ˆ Mr de Comartin, qui Žtait du conseil depuis trente cinq ans, qui avait ŽtŽ en plusieurs ambassades et commissions, personnage o il nÕy avait rien ˆ dire. Il me rŽpondit : Ē Oui, mais il est bgue, et moi aussi, de sorte que lui qui doit aider ˆ ma parole, aura besoin dÕun autre pour parler pour lui. Č Je ne rŽpliquai pas lors davantage : mais comme le roi d”nait, jՎtais sur un coffre, rvant ˆ lÕaffaire prŽsente ; et considŽrant que, si je nÕavais en main quelquÕun ˆ lui offrir, je pourrais bien retarder, mais non rompre entirement la promotion de Mr Alligre, je pensai ˆ lui ™ter lÕopinion en quoi il Žtait de Mr de Comartin, par les meilleures raisons que je pourrais. Il ne tarda gure ˆ d”ner, et vint aussit™t ˆ moi, extrmement animŽ sur cette affaire : je t‰chai de le conserver en cette humeur et lui dis que cette affaire Žtait plus importante quÕil ne pensait, et que son conseil ne serait plus une assemblŽe de diverses personnes concurrentes ˆ son service, mais un corps entier attachŽ ˆ leurs intŽrts particuliers. Il me dit quÕil se garderait bien de faire Alligre garde des sceaux, et que ces messieurs avaient trop t™t dŽcouvert leur dessein ; mais qu'il Žtait bien empchŽ qui choisir. Je lui dis lors :

Ē Sire, je prendrai la hardiesse de vous nommer encore Mr de Comartin comme un trs homme de bien, et qui a encore toutes les qualitŽs que vous pouvez dŽsirer ˆ un bon garde des sceaux, et en a une de plus qui est trs importante ˆ lՎtat prŽsent de vos affaires, que cÕest un homme sans cabale, et sans suite, qui nÕest liŽ ni attachŽ quՈ Votre seul service. Et quant ˆ ce que Votre MajestŽ craint quÕil n'ait pas la parole libre, quarante ans quÕil y a quÕil est dans votre conseil, rapportant tous les jours, les commissions quÕil a tous les ans dÕaller prŽsider de votre part aux Žtats, tant™t de Languedoc, tant™t de Bretagne, et plusieurs ambassades dont il sÕest dignement acquittŽ, vous font voir quÕil nÕa pas la langue empchŽe ; et mՎtonne, Sire, que Votre MajestŽ qui lÕa vu tant de fois parler devant elle, soit en incertitude s'il parle bien ou mal. Cela, Sire, mÕoblige ˆ vous donner un conseil que vous croirez, sÕil vous plait, qui est sans autre intŽrt que le v™tre (car je nÕai aucune liaison particulire avec Mr de Comartin), qui est de le faire garde des sceaux ; en laquelle charge, sÕil y est propre (comme je le crois), vous aurez fait un bon choix, et dÕun homme de bien ; sinon, vous lui aurez seulement donnŽ les sceaux pour les vous rapporter ˆ Paris, o sans crainte dÕoffenser que lui, vous lui pourrez ™ter pour en investir un personnage capable et qui ne soit attachŽ ˆ autre intŽrt que le v™tre, ce qui ne pourrait pas tre en la promotion de Mr Alligre ; car Žtant liŽ, comme il appert, avec Mr le Prince et Mr de Schomberg, il vous obligerait, en lui ™tant les sceaux, de faire une entire subversion de votre conseil, ce qui serait pŽrilleux. JÕajoute finalement que, puisque Mr de Comartin a fait le sceau depuis trois mois comme le doyen du conseil, je ne vois aucun inconvŽnient de lui en donner la charge pour trois autres au bout desquels, ou vous lÕen ™terez comme incapable, ou vous lui conserverez comme suffisant. Č

Le roi prit trs bien mon discours, et aprs y avoir un peu pensŽ me dit : Ē Oui, je suis rŽsolu de donner demain les sceaux ˆ Comartin, et nÕen dirai rien ˆ personne, quՈ lÕheure quÕil viendra au conseil. Č Je lui dis lors pour lÕembarquer : Ē Sire, donnez la vie, si cela est, ˆ Mr de Puisieux qui sÕen est allŽ le cĻur transi en son logis : permettez-moi de le consoler par cette bonne nouvelle, et que je lui Žcrive de votre part. Č Il me dit : Ē Je le veux bien, pourvu quÕil tienne l'affaire secrte. Č Lors, je pris lՎcritoire du roi, qui Žtait sur sa table et le mandai ˆ Mr de Puisieux, et suppliai le roi dՎcrire au dessous de la lettre deux mots de sa main, ce quÕil fit, et mit : Ē Je certifie ce billet. Č Je lui demandai ensuite, pour lÕengager davantage, sÕil me voudrait permettre dÕen mander autant ˆ Mr de Comartin. Il mÕen fit quelque difficultŽ, mais enfin il lÕaccorda pourvu que je lui mandasse de moi-mme, et non de sa part ; ce que je fis, et lui montrai le billet que je lui en Žcrivis, et envoyai ˆ lÕheure mme un de mes gens au galop porter ces bonnes nouvelles ˆ ces deux impatients de les recevoir. Puis aprs je mÕen allai passer la nuit aux tranchŽes et ˆ visiter nos gardes, et en revins malade.

Le vendredi 23me je ne bougeai du lit.

Mr le Prince sÕen alla ce matin lˆ ˆ Mauguio. Son prŽtexte Žtait de visiter Mr de Schomberg malade ; mais en effet cՎtait pour se conjouir avec Mr Alligre de sa prochaine promotion au sceau. Mais comme une bonne nouvelle se peut difficilement celer, Mr de Comartin lÕavait dite ˆ son secrŽtaire, et lui ˆ quelquÕun de ceux du sceau, qui le firent savoir ˆ dÕautres, et eux ˆ Mr Alligre, de sorte quÕil dit ˆ Mr le Prince quÕassurŽment jÕavais envoyŽ la nuit mme un des miens assurer Mr de Comartin quÕil serait ce jour-lˆ garde des sceaux. Il revint en diligence trouver le roi auquel il dit ce que jÕavais mandŽ ˆ Mr de Comartin. Le roi lui dit quÕil nÕen Žtait rien et que jÕen Žtais mal averti si je lui avais mandŽ, ce quÕil ne croyait pas. Ensuite il fit dire le mme au roi par Mrs Erouart son premier mŽdecin, Sauveterre, Gailleteau, Beautru et autres, auxquels le roi fit la mme rŽponse. Sur cela le roi sachant que jՎtais malade, mÕenvoya visiter par Mr de Lisle-Rouet auquel il donna charge de me dire que notre homme avait mal gardŽ le secret que je lui avais tant recommandŽ ; que cela lÕavait obligŽ de me donner force dŽmentis pour lesquels nous ne viendrions point sur le prŽ, et quÕil persistait en ce quÕil mÕavait dit : comme il fit aussi, et donna lÕaprs-d”ner les sceaux ˆ Mr de Comartin, dont lÕautre cabale fut bien ŽtonnŽe.

On nÕavana rien cette nuit lˆ aux tranchŽes, ˆ faute de barriques. Mais le lendemain samedi 24me nous gagn‰mes ˆ la sape la pointe du ravelin que nous voulions attaquer, lequel Argencourt avait fortifiŽ de tout ce quÕil sՎtait pu imaginer, comme de contre-mines, de palissades, de poutres planchŽes ˆ lՎpreuve et percŽes pour donner moyen aux soldats de tirer sur nous sans pŽril.

Le dimanche 25me on commena une mine ˆ la pointe dudit ravelin, et on en entreprit une autre au coin gauche pour faire faire une attaque par lˆ au rŽgiment de Picardie. Le Meine faisait faire tous ces travaux, et mines, auquel Mr le Prince avait une entire confiance ; et moi qui voyais que je ne gagnais rien ˆ y contredire, le laissais faire, et faisais simplement la charge de premier marŽchal de camp, posant, visitant et relevant les gardes, et faisant ponctuellement fournir tout ce qui Žtait nŽcessaire pour lÕavancement des travaux et batterie, ayant lÕĻil de plus ˆ empcher le secours des ennemis, qui se prŽparait ˆ Anduze, dont nous ežmes lÕalarme la nuit du mardi 27me, et le roi voulut le lendemain sur lÕavis que lÕon lui donna que le secours pour Montpellier marchait, aller au-devant avec quelque cavalerie et deux mille hommes de pied : il fut trois lieues au devant ; mais il rencontra un de nos espions qui lÕassura que de six jours il ne serait prt ˆ marcher, ce qui lui fit rebrousser chemin.

Nous continu‰mes nos mines et nos travaux jusques au samedi premier jour dÕoctobre, auquel il vint un si grand orage dÕeau que je fus plusieurs fois ˆ nage pour passer dÕun lieu ˆ un autre dans nos tranchŽes. La plupart des soldats quittrent, et les autres se mirent en sauvetŽ sur les crtes des tranchŽes, assurŽs que les ennemis ne pouvaient tirer sur eux, car tout Žtait mouillŽ : et les mmes ennemis ne se pouvant tenir dans le fond du ravelin, se mirent comme nos gens sur le haut de leur rempart, et parlaient ˆ nous. Roquelaure qui Žtait comme une espce de marŽchal de camp au quartier de Mr de Montmorency, me vint voir et crut que si on pouvait attaquer en ce temps-lˆ le ravelin, que les ennemis ne le pourraient dŽfendre, et en fit son rapport ˆ Mr le Prince qui venait me faire sortir de la tranchŽe pour mÕaller sŽcher, ayant ŽtŽ toute la nuit dans lÕeau au moins jusques ˆ la ceinture, et quelquefois jusques au col. Ds que Roquelaure eut dit cette imagination ˆ Mr le Prince, il vint en diligence ˆ moi, me commandant de la mettre en exŽcution ; mais je lui en remontrai lÕimpossibilitŽ, et lui fis voir par la reconnaissance que lÕon en fit devant lui, quÕil y avait une pique dÕeau de hauteur entre les ennemis et nous, et l'assurai que, si la pluie cessait, toutes choses seraient prtes pour attaquer le ravelin le dimanche suivant : ˆ quoi je me prŽparai sans intermission, bien que ce ne fut mon avis de lÕattaquer de la sorte.

Le lendemain dimanche 2me, toutes les choses nŽcessaires ˆ une attaque ne furent pas seulement prtes, mais il y en eut au double. Toutes les avenues pour y aller furent libres, et couvertes contre les ennemis, et tout le matin je fis travailler ˆ ce qui nous pouvait manquer, et ˆ reconna”tre exactement toutes choses. Le rŽgiment de Navarre Žtait de garde ˆ la tranchŽe. Mr le marŽchal de Pralain y arriva de bon matin, qui voulut faire bien comprendre aux capitaines ce quÕils avaient ˆ faire, et comme, et o ils se devaient loger. Nous men‰mes avec nous les sieurs Ferron et le Bourdet, capitaines, pour leur montrer, lesquels, comme nous nous v”nmes ˆ dŽcouvert tous quatre, une mousquetade donna dans la tte de Ferron et la pera, puis vint donner dans le corps du Bourdet. Ce premier en mourut ˆ lÕinstant, et lÕautre deux jours aprs : cՎtaient deux braves hommes.

Mr le Prince arriva t™t aprs avec Mr le cardinal de la Valette, Mrs de Chevreuse et dÕEpernon. Je leur montrai lÕordre que jÕavais Žtabli pour les attaques, et les prŽparatifs de toutes choses nŽcessaires ˆ cet effet, dont ils furent satisfaits. Mr le Prince me demanda si je ne croyais pas dÕemporter la demie lune. Je lui rŽpondis que je ne savais pas ce quÕil voulait faire, et sÕil voulait la prendre par assaut, ou pied ˆ pied ; sÕil voulait lÕattaquer aprs que les mines auraient jouŽ, ou se loger dessus ou dedans ; que pour moi jÕavais toujours vu beaucoup de difficultŽs en cette affaire, et que jÕy en reconnaissais encore davantage ; que cՎtait une pice forte dÕelle mme, dŽfendue de deux bastions, puis de la contrescarpe de la ville, et finalement des murailles de la ville. Il me dit lors en colre : Ē Je sais bien que cÕest : puisque vous nÕen avez point donnŽ lÕinvention, vous ne croyez pas qu'elle puisse rŽussir, et vous ne serez pas marri quÕelle ne succde pas. Č Je lui rŽpondis quÕil avait bien mauvaise opinion de ma prudÕhomie de souhaiter le dŽsavantage du roi ; quÕil verra dans le succs que je ne mÕy Žpargnerai pas, que je ferai le devoir dÕun marŽchal de camp, et lui ferai combattre, sÕil veut, toute son armŽe par ordre cette pice, jusques ˆ ce quÕelle soit emportŽe ; que du surplus je le remettais ˆ Dieu. Aprs quoi les mines Žtant prtes, on les fit toutes deux jouer, et ensuite attaquer la pice, assavoir : Navarre par celle du flanc et PiŽmont par la pointe. Mais comme il y avait au-devant une palissade de poutres sur le haut de la pice, qui nՎtait point tombŽe par les mines, et que ceux qui se logeaient auprs Žtaient vus de vingt endroits et tuŽs ou blessŽs ˆ lÕinstant, nous y perd”mes force gens et y f”mes peu de fruit, les mines nÕayant pas fait lÕouverture que nous nous promettions. Mr le Prince mÕenvoya quŽrir et me dit qu'ˆ son avis tout allait bien, car il voyait nos gens aller bravement ˆ lÕattaque ; et moi je lui dis quՈ mon avis tout allait mal, et que le meilleur serait de terminer promptement cette besogne en la cessant. Sur cela on ramena le sergent de bataille, nommŽ le Plessis, ˆ qui une mousquetade avait crevŽ un Ļil ; puis ensuite du c™tŽ de Navarre, Roquelaure, Serans et Frenel, ces deux derniers, capitaines audit rŽgiment, furent tuŽs. Mr le Prince me renvoya encore quŽrir parce que je voulais secourir mon compagnon Valanai qui faisait donner ; il me dit quÕil lui semblait encore que tout allait bien : Ē Et moi trs mal, lui rŽpondis-je ; car tout ce qui ne se commence pas bien nÕa jamais bonne issue. Vous voyez que les n™tres se logent dans la courtine, quÕils sont vus de tous c™tŽs, quՈ la moindre mine que les ennemis feront de sortir sur eux, ils l‰cheront le pied, et peut tre le feront quand et quand quitter ˆ ceux qui les soutiennent. Č

Je fus ˆ mon regret prophte ; car ˆ l'heure mme les ennemis sortirent par lÕeffet de la mine du flanc, et les n™tres quittrent la place : ceux-mmes de lÕattaque de la pointe du ravelin en firent autant. Lors, jÕy courus et trouvai que Mr dÕEpernon marchait avec quelque trente gentilshommes lՎpŽe ˆ la main : un dÕeux qui tenait un pistolet haut contre moi le dŽbanda, et il me pera le bord de mon chapeau dÕune balle. Je pris cinquante hommes de PiŽmont et quelque quinze gentilshommes, et allai la tte baissŽe aux ennemis que nous rechass‰mes dans le ravelin dÕabord. Aussi nՎtaient-ils quÕenviron vingt hommes sortis, qui ne laissrent de donner lՎpouvante de telle sorte que lÕon envoya quŽrir le rŽgiment des gardes : mais ce fut sans sÕen aider ni en avoir besoin. Tout le mal quÕils nous firent fut de mettre le feu en une tranchŽe faite de pipes, qui fut Žteint peu aprs, et ce quÕils en avaient dŽtruit, raccommodŽ. Nous f”mes retirer nos gens, raccommoder nos tranchŽes, et les gardes qui y devaient cette nuit-lˆ entrer, y furent menŽes par Mr le marŽchal de CrŽquy qui Žtait venu porter au roi des bonnes nouvelles de .... et qui me voulut soulager cette nuit lˆ, voyant que je nÕen avais que trop de besoin.

Le lundi 3me octobre, Mr le Prince fit venir en sa hutte tous les principaux de lÕarmŽe au conseil, o il dit que si lÕon nÕavait pu prendre un chŽtif ravelin, que lÕon prendrait bien moins Montpellier, et quÕil nous avait fait assembler pour rŽsoudre ce que nous devions faire. Ceux ˆ qui il demanda ce conseil les premiers lui dirent quÕil fallait faire de nouvelles mines et quÕaussit™t quÕelles auraient jouŽ, il y fallait aller par assaut et non par logement, et que nous lÕemporterions infailliblement. Le Meine opini‰trait cette mme opinion, et rŽpondait que la ville Žtait prise si ce ravelin Žtait ˆ nous. Je dis lors ˆ Mr le Prince que, sÕil ne tenait quՈ ce ravelin quÕil ne fžt ma”tre de Montpellier, je lui en rŽpondais sur ma vie dans quatre jours, et que sÕil mÕežt voulu croire et la plupart de ces messieurs qui Žtaient lˆ, nous aurions maintenant, non ce petit ravelin, mais un des deux bastions et peut-tre la ville. Mr dÕEpernon lui dit alors : Ē Monsieur, Monsieur, cÕest de ces messieurs ici quÕil se faut fier, et au conseil desquels il faut croire, car cÕest leur mŽtier, et non ajouter foi et crŽance ˆ ce petit bavard (montrant Chabans), qui nÕy entend rien, et que vous devriez renvoyer jouer du violon, qui est son mŽtier. Č Chabans lui dit quÕil pensait avoir donnŽ un bon conseil et qu'il le soutiendrait par vives raisons ; mais Mr dÕEpernon lui en dit encore pis, et Mr le Prince lÕayant fait taire, me dit quÕil serait bien aise que jÕentreprisse de me rendre ma”tre du ravelin, mais que je lui dise comme je mÕy voulais prendre. Je lui dis lors :

Ē Monsieur, une des plus essentielles rgles de notre mŽtier est dÕattaquer les choses par les contraires, ce que jÕexplique en cette sorte quÕune pice haute, comme une tour, un bastion ŽlevŽ, et toute autre chose Žminente, se doit attaquer par le bas, assavoir par sape et mine ; ou au contraire une pice basse comme est ce ravelin qui ne montre que le nez et nÕest pas deux pieds plus ŽlevŽ que la superficie, il le faut prendre par le haut. Les mines Žtaient excellentes ˆ lÕun de ces deux bastions que nous eussions pris dans dix jours parce quÕil nous Žtait facile dÕen gagner le pied : il nÕen est pas de mme de ce petit ravelin qui est comme enfoncŽ en terre, bien contre-minŽ, et fortifiŽ de tout ce qui se peut pour tre attaquŽ par bas, comme nous avons fait et nÕy avons rien gagnŽ : mais ˆ cela il faut faire un cavalier de six pieds de haut seulement et y loger deux pices ; il faut faire ˆ chaque c™tŽ de ce cavalier un petit logement pour y faire tirer quatre mousquetaires, et deux avenues pour y monter et descendre : et puisquÕil vous plait savoir comme je prendrai si aisŽment cette pice, des que mes deux canons y seront logŽs, je mettrai quatre cents mousquetaires aux deux c™tŽs, qui monteront et descendront incessament des deux petits logements et tireront sans intermission dedans le ravelin ; vingt coups de canon lÕauront labourŽ, et brisŽ toutes ces poutres dont il est palissŽ ; alors jÕaurai cinquante travailleurs qui sans crainte ni pŽril l'ouvriront depuis la pointe jusques ˆ la gorge, et ainsi vous en serez ma”tre. Č

Ds que jÕeus achevŽ, Mr le Prince qui a lÕesprit aussi excellent quÕhomme qui vive me dit : Ē Par Dieu, vous avez raison, et je confesse que par ce moyen il est ˆ nous, et que ces messieurs ont la mme opinion. Č Ainsi mon avis fut approuvŽ de tous, et de Mr dÕEpernon particulirement, et Mr le Prince me dit : Ē Je me fais fort de vous faire fournir dans aprs demain trois mille fascines. Č Ē Et moi, lui dis je, de vous fournir trois jours aprs le ravelin. Č

Le mardi 4me il se fit une sortie ˆ dix heures du soir sur le rŽgiment de Picardie au quartier de Mr de Montmorency. JՎtais dans notre tranchŽe, et pris quatre cents hommes que je lui menai en diligence ; mais les ennemis ne se jourent pas de sÕavancer davantage, et Mr de Montmorency mÕen fit mille remerciements, et sÕoffrit ˆ la pareille en cas de besoin.

Le vendredi 7me les troupes de monsieur le connŽtable arrivrent, qui Žtaient quatre mille hommes de pied et trois cents chevaux. Je leur fus donner quartier, et lÕaprs-d”ner sa personne arriva. Nous fžmes au-devant de lui. On lui fit tendre force tentes proche du logis du roi.

Le samedi 8me Mr de Rohan avec les troupes quÕil amenait pour jeter dans Montpellier, sÕapprochrent de nous, et se vinrent loger ˆ FontanŽs et ˆ Courconne. Nous fžmes avec notre cavalerie au-devant dÕeux, mais ils se retirrent.

Ce mme jour les troupes que le roi avait laissŽes ˆ Mr de Vend™me pour prendre les petites places du bas Languedoc, arrivrent, qui pouvaient tre prs de trois mille hommes, et cinq cents chevaux : je leur fus donner dŽpartement avant que de partir pour aller ˆ FontanŽs.

On commena ce jour-lˆ et la nuit suivante ˆ travailler ˆ ce petit cavalier.

Avant partir, Mr le Prince mÕenvoya quŽrir et me dit le dessein quÕil avait de se retirer de lÕarmŽe, fondŽ sur la venue de monsieur le connŽtable, qui lui en ™tait le commandement. Il voyait aussi que la paix sÕen allait conclue, de laquelle il nÕavait pas eu la part quÕil ežt dŽsirŽ : car, y Žtant ouvertement contraire, le roi lui en avait celŽ les pratiques. Je fis ce que je pus pour le persuader de ne sՎloigner pas de la personne du roi, et de rompre ce voyage dÕItalie quÕil mŽditait ; mais ce fut en vain. Il vint donc demander au roi son congŽ et le pressa tant de lui donner quÕenfin il lui accorda, et ds le lendemain dimanche matin 9me il partit, de sorte quՈ mon retour de la campagne o jÕavais passŽ la nuit, je ne le trouvai plus.

Sur les cinq heures du soir les ennemis logŽs ˆ Courconne parurent sur un haut ˆ demie lieue au deˆ de Courconne, ce qui fut cause de nous faire tenir sur nos armes toute la nuit.

Le lundi 10me la paix se conclut, et Mr de Rohan menŽ par Mr le marŽchal de CrŽquy, et sur sa parole, vint passer par notre camp et entrer ˆ huit heures du matin dans Montpellier o il demeura deux jours pour gagner ces peuples ˆ recevoir la paix quÕils ne voulaient point avec la condition de recevoir garnison dans leur ville.

Le mercredi 12me je vins le matin au conseil, et me sembla que le roi me faisait moins bon visage que de coutume, et ne me parla point. Il Žtait au cabinet de ses oiseaux, et peu aprs dit ˆ la compagnie quÕils vinssent tenir conseil dans sa chambre, et dit mme ˆ Mr le cardinal de la Valette et ˆ Mrs de Chevreuse et dÕElbeuf quÕils y vinssent, comme aussi ˆ Mr de Vend™me qui arriva en mme temps : il y avait monsieur le connŽtable, Mrs dÕEpernon, de Pralain, de CrŽquy, de Montmorency ; les marŽchaux de camp, et les marŽchaux des logis Descures et É. avec monsieur le garde des sceaux et Mr de Puisieux.

Comme nous entrions, monsieur le garde des sceaux me dit : Ē Je pensais, pour reconna”tre les obligations que je vous ai, vous envoyer vos lettres parfumŽes ; mais le roi me pressa par Beautru quÕil mÕenvoya hier au soir, de les sceller, si extrmement que je nÕen eus pas le loisir. Č Ē Quelles lettres, lui rŽpondis je ? Č Ē Celles de marŽchal de France, dont vous allez prter le serment. Č Je fus bien ŽtonnŽ et aussi rŽjoui de cette nouvelle inopinŽe, et en mme temps le roi dit ces mmes mots :

Ē Messieurs, jÕai intention de reconna”tre les bons et grands services que jÕai reus depuis plusieurs annŽes de Mr de Bassompierre, tant aux guerres que jÕai eues quÕen dÕautres occasions, dÕune charge de marŽchal de France, croyant quÕil mÕy servira dignement et utilement. Je dŽsire dÕavoir vos opinions sur cela, pour voir si elles se conforment ˆ la mienne. Č

Alors tous dÕune voix me firent lÕhonneur de dire plus de bien de moi quÕil nÕy en avait ; et lors, sans me dire autre chose, il me prit par la main, et sՎtant assis dans sa chaire, me fit mettre ˆ genoux et prter le serment, puis me mit le b‰ton ˆ la main ensuite, de quoi je lui en fis les trs humbles remerciements dont je me pus aviser. Tous ceux qui Žtaient prŽsents me vinrent embrasser et se conjouir de ma promotion ; et ensuite tous les corps de lÕarmŽe, tant dÕinfanterie que de cavalerie, vinrent rendre trs humbles gr‰ces au roi du choix quÕil avait fait de ma personne, leur premier marŽchal de camp, pour le faire marŽchal de France : et ceux de l'artillerie lui ayant demandŽ permission de faire, le soir mme, un salve de tous les canons qui Žtaient en lÕarmŽe, lÕinfanterie en fit de mme pour faire un salve de rŽjouissance ; et comme il se faisait, le sieur de Calonges gouverneur de Montpellier ayant fait demander ˆ la tranchŽe pourquoi ce salve se faisait, et lui en ayant ŽtŽ dit la cause, mÕenvoya mander que ceux de Montpellier ne feraient pas moins que ceux de lÕarmŽe, et y fit faire aussi un salve gŽnŽral.

Aussi ce mme soir ils envoyrent au roi lÕentire rŽsolution de la paix ; et trois jours auparavant nous en avions telle assurance que lÕon nÕavanait rien ˆ nos travaux.

Le jeudi 13me Mr de Rohan sortit de Montpellier pour aller porter leur volontŽ aux dŽputŽs assemblŽs ˆ Ganges pour la rŽsolution de la paix, o il y avait cette difficultŽ que le roi voulait retenir garnison ˆ Montpellier, et que ceux du corps de la ville ne voulaient consentir sinon quÕelle y demeur‰t autant que le roi y demeurerait, et nÕosaient mme proposer au peuple rien davantage sinon que la seule garde ordinaire du roi y entrerait quand et lui. Enfin il fut dit que le roi la laisserait libre en sÕen allant ; mais Mr de Rohan dit au roi que quand il nÕobserverait pas cet article, bien quÕil fžt couchŽ dans le traitŽ de paix, que pour cela les huguenots ne reprendrait pas les armes.

Il ne se passa rien de particulier le vendredi, samedi, ni dimanche.

Le lundi 17me Mr de Rohan rentra dans Montpellier.

Le mardi 18me fut employŽ en allŽes et venues jusques au soir, que lÕon rapporta au roi la ratification de ceux de Montpellier, et Mr de Rohan vint voir le roi.

Le mercredi 19me les dŽputŽs se vinrent mettre ˆ genoux devant le roi, au nom desquels Mr de Calonges parla ; et ayant demandŽ pardon de leur rŽbellion passŽe, rendirent gr‰ces au roi de celle quÕil leur faisait de leur donner la paix avec la continuation de leurs Ždits. Ensuite les consuls de la ville de Montpellier en firent de mme. Puis le roi commanda ˆ monsieur le connŽtable de prendre possession de la ville, ce quÕil fit en ordonnant ˆ Mr de CrŽquy et ˆ moi dÕy aller Žtablir les rŽgiments des gardes, franais et suisses : ce que nous exŽcut‰mes avec tel ordre quÕil nÕy eut pas la moindre rumeur ni alarme toute la nuit, bien que les soldats Žtrangers qui gardaient la ville fussent sur les bastions, le peuple dans les maisons, et quatre mille Franais et Suisses des gardes du roi dans les rues, carrefours, et places de la ville.

Le jeudi 20me nous f”mes sortir tous les soldats Žtrangers et leur donn‰mes escorte jusques ˆ Montferrier, dÕo ils passrent aux CŽvennes. Le roi ensuite y fit son entrŽe, et on cantonna les deux rŽgiments des gardes aussit™t que le roi y fut entrŽ. Tout y fut aussi paisible que si jamais la guerre nÕy ežt ŽtŽ.

Le samedi 22me Rouccelai mourut, et peu avant quÕil pass‰t, il mÕenvoya prier de le venir voir. Il avait le pourpre qui lui Žtait sorti, qui Žtait fort contagieux. Je fis ouvrir la porte de Montpellier comme si je fusse allŽ au camp, et lÕallai trouver. Il me confia sa cassette et ses papiers, me priant de faire bržler les lettres que je trouverais propres ˆ cela, puis mÕembrassa, et soudain mourut. Je me repentis fort dÕy tre allŽ pour la contagion que jÕen apprŽhendais ; mais enfin je nÕen dis rien, et il nÕen arriva aucun mal.

Le dimanche 23me il se fit procession gŽnŽrale par la ville, en laquelle on porta le Saint-Sacrement.

Le lundi 24me, le mardi, et mercredi, fut employŽ ˆ licencier les troupes, tant de pied que de cheval ; ™ter ˆ la reine mre et aux reine, Monsieur, et princes, les compagnies de chevau-lŽgers qui Žtaient sous leur nom ; et on en retint seulement neuf, de cinquante hommes chacune, qui furent entretenues.

Le mme mercredi on fit entrer dans Montpellier les rŽgiments de Picardie et de Normandie pour y tenir garnison, avec lesquels le roi laissa Mr de Valanai marŽchal de camp.

Le jeudi 27me le roi partit de Montpellier et alla coucher ˆ Esmargues ; mais Mr dÕEpernon, monsieur le garde des sceaux, et moi, v”nmes coucher ˆ Aiguemortes chez Varrennes, qui nous en avait priŽs.

Le vendredi 28me nous d”n‰mes sur le bord du Rh™ne chez Saint-Romans, et v”nmes coucher ˆ Arles o le roi arriva le lendemain, et le dimanche 30me il y fit son entrŽe o pour la premire fois je marchai en rang de marŽchal de France, immŽdiatement devant lui, ˆ la gauche du marŽchal de Pralain.

 

Novembre. Ń Le roi sŽjourna en Arles jusques aprs la Toussaints, quÕil y toucha les malades, et me commanda de mener son armŽe ˆ Privas pour y faire recevoir la paix, ou y mener forte guerre, ensemble pour nettoyer le Rh™ne de cinq mŽchants forts que Brison et dÕautres huguenots y avaient construits pour y brigander : et cependant il sÕen alla visiter la Provence et partit dÕArles le mercredi 2me de novembre, et moi jÕy sŽjournai encore ce jour-lˆ pour laisser acheminer les troupes, et en partis le lendemain 3me pour venir en Avignon o je trouvai Mr de Vend™me qui me mena le soir au bal chez madame dÕAmpus sa cousine, o madame de Villars Žtait logŽe.

JÕy sŽjournai le lendemain, et le jour dÕaprs qui fut le samedi 5me je vins au Pont Saint-Esprit, o je fus trs bien reu et traitŽ par Masargues qui en Žtait gouverneur.

Le dimanche 6me je fis passer lÕarmŽe, le canon, et le bagage, sur le pont, sur lequel je fis mettre quantitŽ de paille afin de ne lՎbranler, et vins coucher ˆ Pierrelatte.

Le lundi 7me je vins ˆ MontŽlimar, et le mardi 8me je passai sur le pont de bateaux que lÕon avait fait sur le Rh™ne proche du Pousin o les dŽputŽs de Privas me vinrent porter lÕacceptation de la paix et toute obŽissance ˆ ce que je leur voudrais ordonner de la part du roi. Je leur envoyai le sieur de Clostrevielle pour les y recevoir, et mÕen vins avec dix compagnies des gardes coucher ˆ la Voute.

Le mercredi 9me je fis investir Beauchastel qui se mit aussit™t ˆ ma merci, et Brison mÕayant fait demander un sauf-conduit (que je lui donnai), me vint trouver et me remit Charmes, Soyon et Cornas, que je mis entre les mains des paysans voisins, auxquels je promis de retirer mes troupes de chez eux ds quÕils auraient rasŽ tous ces petits forts ; ce quÕils firent avec une telle diligence quՈ quatre heures du soir il nÕy en demeura aucun vestige, et pus, comme je fis, aller le mme soir repasser le Rh™ne, et aller coucher ˆ Valence o je trouvai Mr de Luon qui avait ŽtŽ nommŽ cardinal, et qui en allait prendre le bonnet du roi. Je le fus saluer et ayant donnŽ lÕordre pour faire acheminer lÕarmŽe, jÕen partis le lendemain jeudi 10me.

Je vins coucher ˆ Vienne dÕo je partis avec Mr le marŽchal de Saint-Geran que jÕy avais rencontrŽ et v”nmes ˆ Lyon le lendemain vendredi o Mr dÕAlincourt vint au-devant de nous, nous donna ˆ d”ner, et puis nous mena saluer premirement la reine mre qui logeait ˆ Ainay, puis aprs la reine en lÕarchevchŽ, avec qui je trouvai mesdames les princesses de CondŽ et de Conty, de Chevreuse, de Verneuil et connŽtable de Montmorency.

Il y eut comŽdie le soir.

Le samedi 12me mesdames la princesse de Conty et duchesse de Chevreuse (sur la nouvelle qui leur arriva de lÕextrŽmitŽ de la maladie de Mr le prince de Joinville en Avignon), se mirent sur le Rh™ne pour s'y acheminer en diligence, et me firent prier dÕy aller afin quÕen cas de mort on pžt conserver ses charges en sa maison.

Je demeurai encore tout ce jour-lˆ ˆ Lyon, tant pour aller voir les princesses que pour envoyer lÕarmŽe en garnisons, ou la licencier, selon mes ordres ; et le dimanche matin je mÕembarquai et vins coucher ˆ Valence, et le jour suivant qui Žtait le lundi 14me jÕarrivai ˆ Avignon o je trouvai Mr de Chevreuse hors de danger.

Le mardi 15me nous y sŽjourn‰mes en bonne compagnie qui y Žtait.

Le mercredi 16me le roi y fit son entrŽe. Nous y ežmes quelque contestation ; car le vice-lŽgat prŽtendit de marcher au milieu des deux premiers marŽchaux de France, et le gŽnŽral des armes dÕAvignon aprs le dernier et en rang, ce qui leur fut enfin accordŽ parce que cՎtait sur leur terre.

Le jeudi 17me Mr de Savoie vint trouver le roi en Avignon, qui fut au-devant de lui et le ramena dans la ville, le faisant marcher ˆ sa gauche ; et puis Žtant arrivŽ au palais, le roi commanda ˆ Mr le marŽchal de CrŽquy et ˆ moi de l'emmener au petit palais o il lui avait fait apprter son logis et dŽfrayer magnifiquement tant quÕil y demeura.

Le vendredi 18me le roi fut ou•r une comŽdie aux JŽsuites, dÕo je sortis malade.

On fit ce soir-lˆ force feux dÕartifices.

Le roi demeura ˆ Avignon jusques au lundi 21 quÕil partit pour aller en DauphinŽ dÕo il sortit tous les huguenots des places qu'ils y tenaient, et obligea monsieur le connŽtable dՙter des siennes ceux qui y commandaient, qui nՎtaient catholiques.

Je demeurai cependant en Avignon, bien malade du pourpre qui me sortit en abondance, et ne pus me mettre en chemin pour aller trouver le roi que le jeudi premier jour de dŽcembre, que je partis dÕAvignon et vins coucher ˆ Mondragon ; le vendredi ˆ MontŽlimar, puis ˆ Valence, et le lundi 5me ˆ Vienne, o je trouvai le roi ˆ son retour de DauphinŽ (dŽcembre), et arriva le mardi 6me ˆ Lyon o il demeura avec les reines et princesses, ayant tous les soirs les comŽdies et le bal jusques au dimanche 11me quÕil y fit une trs magnifique entrŽe, et ensuite eut un festin chez Mr dÕAlaincourt qui lui donna aussi la comŽdie.

Le lundi 12me le bal se tint encore chez Mr dÕAlaincourt. Puis on fit les noces de Mr de la Valette avec mademoiselle de Verneuil.

Le mardi, et mercredi suivant, il y eut des comŽdies italiennes et des feux dÕartifices.

Le jeudi 15me le roi fut au devant de Mrs le prince, princesse de PiŽmont, et prince Tomas, qui vinrent voir le roi.

Le vendredi je fis un raccommodement, avec une ma”tresse.

Le samedi il y eut bal, et le dimanche 18me Mr dÕEpernon fit un grand festin au roi et ˆ toute la cour. Puis il y eut comŽdie, et ensuite des feux dÕartifices. De lˆ le roi dit adieu ˆ la reine sa mre, ˆ la reine sa femme, ˆ madame la princesse de PiŽmont sa sĻur, puis le lendemain avant jour, lundi 19me dŽcembre, il partit de Lyon, vint d”ner ˆ la Bresle et coucher ˆ Saint-Saforien.

Le mardi 20me il vint ˆ d”ner ˆ Roanne, o il pensait sÕembarquer ; mais il trouva la rivire glacŽe, de sorte quÕil fut contraint dÕaller par terre, et vint coucher ˆ la Pacaudiere ; le mercredi d”ner ˆ la Palisse, coucher ˆ Varanne ; le jeudi au g”te ˆ Villeneuve, le vendredi d”ner ˆ Maigni et coucher ˆ Nevers, o Mr de Nevers le reut magnifiquement.

Le samedi il vint ˆ la CharitŽ, et la nuit, qui Žtait celle de No‘l, il fit ses p‰ques o Mr de Chevreuse, et moi, le serv”mes.

Le roi sŽjourna le jour de No‘l ˆ la CharitŽ.

Schomberg y apprit par Mr de Puisieux et moi la mort de sa mre.

Je fis rŽponse aux jŽsuites au nom du roi, sur ce quÕils lui demandaient cinq sols pour minot de sel sur les pays de Nivernais, Bourbonnais et Auvergne.

On jugea le diffŽrend des premiers gentilshommes de la chambre, sur la rŽunion de la place de feu Humires.

La nouvelle vint au roi de la mort du prince de GuymenŽ gouverneur du Maine. Le roi mÕoffrit ce gouvernement, et je lÕeusse bien dŽsirŽ ; car je nÕen eusse pas voulu un plus grand qui mÕežt obligŽ ˆ la rŽsidence : mais je dis au roi que je t‰cherais de faire en sorte que lÕon le lou‰t toujours sur mon sujet, et que je recevrais ses gr‰ces et bienfaits avec tel intervalle que le roi serait louŽ de sa bontŽ et moi de ma modestie ; quÕil nÕy avait que deux mois quÕil mÕavait honorŽ de lÕoffice de marŽchal de France, et que, sÕil me faisait si promptement gouverneur de province, on en parlerait. Mr de Vitry, marŽchal, le vint trouver ˆ sa couchŽe du lendemain lundi 26me ˆ Bonny, auquel je conseillai de donner ce gouvernement du Maine ˆ condition quÕil quitt‰t ˆ Mr du Hallier, son frre, la lieutenance de roi de Brie quÕil possŽdait : ce quÕil ne voulut accepter, quelque instance que nous lui en fissions, Mr de Puisieux et moi, lequel ensuite me pria de l'assister en la demande quÕil en voulait faire au roi pour Mr le marŽchal de la Chastre son beau-frre ; il en pria aussi Mr de Schomberg avec lequel il Žtait alors assez bien en apparence.

Il nÕest hors de propos de dire ici quelque chose sur le sujet de Mr de Schomberg, lequel avait toujours eu une forte liaison avec Mr le Prince, Mr le cardinal de Retz et Mr le garde des sceaux de Vic, et aversion ˆ Mr de Puisieux. JÕai dit ci-dessus comme je fus pressŽ ˆ Moissac dÕabandonner lÕamitiŽ de Mr de Puisieux que ces messieurs voulaient perdre. Mais il se tenait ferme, tant par sa propre industrie, que par lÕinclination du roi, comme aussi par le secret de la paix, quÕil avait ˆ lÕexclusion des autres. Mr de Schomberg se rabienna aucunement avec lui ˆ Mauricoux, voyant quÕil ne le pouvait abattre, et le pria dÕavoir du roi la permission de traiter de la charge de grand-ma”tre de l'artillerie, ce quÕil obtint par son moyen : Mr de Puisieux aussi lui fit office quand le roi promit ˆ lui et ˆ moi deux b‰tons de marŽchaux de France. Mais aprs la mort de Mr le cardinal de Retz, qui avait suivi dÕassez prs celle du garde des sceaux de Vic, il se jeta entirement avec Mr le Prince pour faire Alligre garde des sceaux, bien que Mr de Puisieux lÕežt servi ˆ obtenir les gouvernements dÕAngoumois et Limousin : alors Mr de Puisieux se porta entirement contre lui. Il advint peu aprs, au commencement du sige de Montpellier, que Mr de Schomberg tomba extrmement malade, et que pendant ce temps-lˆ Mr de Commartin fut fait garde des sceaux, lequel Žtait son ennemi dŽclarŽ de longue main, et encore de nouveau pour lÕexclusion quÕil lui avait faite aux sceaux. Ils se joignirent lors, Mr de Puisieux et lui, pour donner sur la malle de Mr de Schomberg, dirent au roi que, pendant qu'il faisait la charge de l'artillerie, il nŽgligeait celle des finances, et quÕil laissait dŽrober impunŽment les trŽsoriers ; quÕil ne lÕentendait pas bien, et que les affaires du roi dŽpŽrissaient entre ses mains. Le roi est de son naturel susceptible aux mauvais offices que lÕon veut faire aux autres vers lui, et singulirement quand son intŽrt y est mlŽ, et est bon mŽnager jusques ˆ pencher vers lÕavarice en petites choses, et cependant jamais il nÕy eut roi en France qui ait tant donnŽ, tant dŽpendu, et par consŽquent tant tirŽ de son royaume que lui : mais comme il croit extrmement conseil et se fie ˆ ceux quÕil a une fois choisis pour lui donner, cela dŽpend du conseil que lÕon lui donne. Le roi donc s'imprima facilement les rapports que lÕon faisait de lui, contre lequel il sÕanima jusques ˆ ce point de dire que sÕil rŽchappait de sa maladie, quÕil lui fallait ™ter les finances. Je me souviens quÕun jour, comme il en Žtait ˆ lÕextrŽmitŽ et que les mŽdecins en dŽsespŽraient, que Mr le garde des sceaux de Commartin me dit chez le roi quÕil Žtait nŽcessaire que Mr de Puisieux, lui, et moi, nous puissions parler une bonne heure pour chose qui importait, mais qu'il ne fallait pas que lÕon sÕen aperžt. Nous primes lÕexpŽdient de mÕen aller au logis de Mr de Puisieux, qui Žtait sur le chemin de Mauguio, faisant semblant dÕaller visiter au galop, et seul, une garde ˆ cheval que jÕavais de ce c™tŽ-lˆ ; et ayant entrŽ dedans, je me fis mener ˆ sa chambre : monsieur le garde des sceaux qui avait ramenŽ dans son carrosse Mr de Puisieux, y descendit, feignant avoir quelque affaire encore ˆ lui communiquer ; et nous Žtant enfermŽs tous trois, ils proposrent la mort de Mr de Schomberg comme certaine, et quÕil fallait de bonne heure pourvoir ˆ celui qui le devrait succŽder aux finances, de peur que l'on nÕen insinu‰t dans lÕesprit du roi quelquÕun qui nÕy fžt pas propre, ou ne fžt pas de nos amis. Mr de Puisieux proposa Mr dÕAlaincourt, et Mr de Fleury, grand ma”tre des eaux et forts de France : moi je nommai Mr de Sully comme personne dŽjˆ connue et ŽprouvŽe, estimŽ de tout le monde pour le plus suffisant et connaissant en cette charge, et ˆ son dŽfaut je nommai Mr le marquis de Seneai: monsieur le garde des sceaux fut dÕavis de faire six directeurs des finances qui ne pussent rien faire lÕun sans lÕautre, ce qui ferait quÕun seul serait capable dÕempcher les autres quand ils seraient portŽs ˆ dŽrober, et nous pria, cela Žtant, quÕun sien neveu (quÕil avait fait faire conseiller dՃtat de procureur gŽnŽral de la cour des aides quÕil Žtait auparavant, nommŽ Tonnellier), pžt tre un de ces six par notre moyen, nous assurant de sa probitŽ et dÕune entire suffisance. Nous demeur‰mes enfin dÕaccord de ces six directeurs, ou ˆ faute de ce, de Mr le marquis de Seneay, quÕau grŽ de tous trois fut jugŽ le plus ˆ propos ; que lÕon Žcrirait ˆ monsieur le chancelier pour en avoir son avis, et que cependant, si lÕaffaire pressait, on proposerait au roi lÕun de ces deux avis, et quÕen attendant on lui coulerait doucement dans lÕesprit : il se rencontra que, ds que lÕon en parla au roi, il jeta les yeux sur Mr de Seneay, rejetant les six directeurs : monsieur le chancelier trouva bon les six directeurs, croyant que sa grande suffisance et son autoritŽ le rendrait toujours ma”tre par dessus eux, mais en cas dÕunitŽ en la charge, approuva le choix de Mr de Seneai; et ainsi nous nous sŽpar‰mes. Mais monsieur le garde des sceaux qui voulait mal ˆ Mr de Schomberg, le sapa durant sa maladie de telle sorte que le roi pensait ˆ lՙter quand il fut guŽri, et nՎtait retenu que par Mr le Prince qui le soutenait, lequel sÕen alla ds quÕil vit la paix rŽsolue. Il arriva de surcro”t pour h‰ter sa ruine, que le b‰tard du comte Peter Ernest de Mantsfeld mon grand oncle, qui dans la rŽvolte de la Bohme Žtait venu avec mille chevaux qu'il avait prŽcŽdemment eus au service de Mr de Savoie qui les avait licenciŽs, sÕen vint au service du palatin qui sÕen Žtait fait couronner roi, qui le mit dans Pilsen, ville de Bohme, o il ramassa les reliques de la bataille de Prague, et en ayant fait un assez grand corps, sՎtait venu saisir de Haguenau, ville impŽriale sur le Rhin o il amassa une armŽe contre laquelle le duc de Bavire ayant envoyŽ la sienne commandŽe par le baron dÕAnhold, il le chassa dÕAllemagne et le contraignit de se retirer dans les terres de Sedan : ce qui donna une telle alarme aux Parisiens, voyant le roi occupŽ au sige de Montpellier, que lÕon leva en diligence une armŽe pour sÕopposer ˆ lui (en cas quÕil se voulžt jeter en France), commandŽe par Mr de Nevers. Mais comme lui prit sa route dans la Flandre, et que le sige de Montpellier continuait, et que le roi ne voulait point tomber en l'inconvŽnient de lÕannŽe prŽcŽdente que la faute d'hommes lÕavait contraint de lever le sige de Montauban, il manda que de ces gens dŽjˆ levŽs on lui envoy‰t dix mille hommes de pied et huit cents chevaux, pour renouveler son armŽe, ou pour envoyer en Italie en cas que le traitŽ de Madrid ne sÕeffectu‰t point : et monsieur le chancelier qui avait la superintendance des affaires ˆ Paris, en fit donner la charge ˆ Mr dÕAngoulme, et celle de marŽchal de camp ˆ La Vieville, qui les amenrent jusques proche de Lyon, dÕo La Vieville fut envoyŽ ˆ Montpellier pour avoir les ordres du roi de ce que cette armŽe aurait ˆ faire. La Vieville Žtait ennemi jurŽ de Mr de Schomberg parce quÕil lui avait rayŽ sur lՎtat de Champagne deux mille Žcus par an quÕil sՎtait fait donner pour rŽcompense du gouvernement de MŽzires quÕil avait perdu aux premiers troubles, et sachant que Mr de Schomberg chancelait, prit lÕoccasion de le renverser tout ˆ fait. Il passa en Bresse, conduisant lÕarmŽe, et proposa ˆ Mr le Grand dÕaspirer aux finances, lui disant quÕil avait des moyens infaillibles de dŽtr™ner Schomberg, lequel sՎtait guŽri, mais non pas des plaies que lÕon lui avait faites dans lÕesprit du roi, en sorte que La Vieville fut ŽcoutŽ quand il supplia trs humblement le roi, dans Montpellier, de dispenser Beaumarchais son beau-pre dÕentrer au jour de lÕan prochainement venant dans lÕexercice de sa charge de trŽsorier de l'Žpargne, attendu que sans son Žvidente ruine il ne le pouvait faire, vu que Mr de Schomberg avait dŽpendu par anticipation tout le revenu de Sa MajestŽ de lÕannŽe prochaine jusques au dernier quartier. Il dit au roi que sÕil nՎtait question que de lÕavance dÕun million dÕor pour faire subsister les affaires de Sa MajestŽ, que Beaumarchais le trouverait sur son crŽdit et sur celui de ses amis, mais que ses Žpaules nՎtaient pas assez fortes pour soutenir le faix entier de la dŽpense de lÕannŽe de son exercice, et quÕil le suppliait ˆ mains jointes de lÕen dŽcharger ; ce quÕil ne ferait sÕil y pouvait voir quelque subsistance, et que ce lui ežt ŽtŽ un signalŽ profit ; mais quÕil y voyait son assurŽe ruine. Ces propos Žtonnrent le roi de telle sorte quÕil crut tre ruinŽ, quÕil nÕaurait pas ˆ vivre lÕannŽe prochaine, et quÕil y fallait promptement remŽdier : il envoya quŽrir ˆ lÕheure mme messieurs le garde des sceaux, Puisieux, et moi, et fit redire ˆ La Vieville tout ce quÕil lui avait proposŽ, puis dit ensuite : Ē Il faut ds aujourdÕhui ™ter les finances ˆ Schomberg. Č Monsieur le garde des sceaux lui applaudissait ; La Vieville le fomentait ; Mr de Puisieux parlait ambigument ; moi seul je dis alors au roi :

Ē Sire, vous n'oyez quÕune partie : peut-tre Mr de Schomberg vous fera il voir que vos affaires ne sont pas en lՎtat que lÕon vous dit ; nul nÕen sait le fond que celui qui les manie. Et puis, Sire, quand vous les ™teriez maintenant des mains de Mr de Schomberg, cela vous donnera-il un plus grand fond quÕil nÕy en a ? Celui qui les prendra vous prtera-il quatre ou cinq millions dÕor que Mr de la Vieville dit qui vous font besoin ? Au pis aller vous trouverez toujours plus de crŽdit sur la parole dÕun chef des finances invŽtŽrŽ que dessus un nouveau venu qui fera ˆ son arrivŽe fermer toutes les bourses des partisans jusques ˆ ce quÕils aient reconnu de quel bois il se chauffe. Finalement, Sire, je conseille ˆ Votre MajestŽ dÕattendre jusques ˆ ce que vous soyez ˆ Lyon, et lˆ vous en dŽlibŽrerez avec la reine votre mre, et vous aurez lˆ prŽsent le marquis de Seneai pour les tirer dÕune main, et les mettre en lÕautre. Č

Ē Oui, mais, ce dit monsieur le garde des sceaux, cependant les chiens mangent le livre : la nouvelle annŽe approche, et il faut un trŽsorier de lՎpargne pour la faire. Č

Je lui rŽpondis :

Ē Je nÕai jamais ou• dire que pour trouver un trŽsorier de lՎpargne il faille chasser un surintendant, et que pour le chasser ˆ Montpellier, vous le trouviez ˆ Paris. Donnez-vous patience, Žclaircissez-vous de ce que Mr de la Vieville vous dit, et vous mettez en lieu o vous puissiez exŽcuter les rŽsolutions que vous aurez prises. Č

Ils me crurent enfin, mais avec beaucoup de peine : et quand ils eurent quittŽ le roi, je considŽrai que lÕon nÕamendait jamais pour changer, et que Mr de Schomberg avait bien entretenu les armŽes ; que lÕargent nÕavait point manquŽ ; quÕil Žtait aimŽ des financiers, qui se fiaient en sa parole ; et que monsieur le garde des sceaux, mon bon ami, avait plus dÕanimositŽ et dÕintŽrt particulier que de rŽflexion sur le bien des affaires du roi ; que lÕon nÕaccusait point Mr de Schomberg de larcin, mais de nŽgligence, et que cette nŽgligence nՎtait point apparente, mais seulement dans le discours de ceux qui lui voulaient mal ; et me semblait que les finances allaient assez bien, et que, changeant de mains, elles pourraient peut-tre changer en pis. Comme jՎtais sur cette considŽration, Mr de Puisieux rentra, qui dit au roi comme il venait dÕavoir nouvelles que Mr le marquis de Seneai Žtait mort ˆ Lyon de la blessure quÕil avait eue ˆ Royan ; dont jÕeus certes un trs grand dŽplaisir, comme le roi le tŽmoigna aussi de son c™tŽ : et comme cՎtait celui ˆ qui on avait destinŽ les finances, et que nous nÕen avions pas dÕautres ˆ la main qui pussent les mieux exercer que Mr de Schomberg (car monsieur le chancelier donnait exclusion formelle ˆ Mr de Sully, qui Žtait autorisŽe prs du roi ˆ cause de sa religion), je me confirmai de plus en plus au dessein que jÕavais de maintenir les choses en lՎtat quÕelles Žtaient sans y rien changer : et voyant que je nÕen avais pas un plus assurŽ moyen que dŽlayant, je fis envers le roi quÕil nÕen parlerait plus jusques ˆ Lyon. Mais comme son esprit Žtait apprŽhensif et quÕil Žtait agitŽ par les instances de mes deux amis, ds quÕil fut arrivŽ ˆ Arles il remit lÕaffaire sur le tapis, et moi avec plus de violence quÕauparavant, jÕinsistai ˆ lui faire suspendre toute rŽsolution jusques ˆ Lyon. Sur cela il mÕenvoya avec son armŽe en Vivarais, et sÕen alla en Provence, o on le remit encore sur ce discours ; mais parce quÕil me lÕavait promis, il ne voulut rien dire jusques ˆ ce que je le revis en Avignon, o il pressa encore et mme se f‰cha contre moi de ce que je le maintenais trop, et eus peine de le faire supersŽder jusques ˆ Lyon.

Cependant je parlai en Avignon ˆ Mr de Schomberg et lui demandai en quel Žtat Žtaient les finances du roi, si lÕannŽe prochaine Žtait mangŽe, et sÕil nÕavait aucun fond pour ce dernier quartier. Mais lui avec une grande assurance me dit quÕil avait de quoi achever cette annŽe sans toucher sur lÕautre, et quÕil avait huit millions de livres de moyens extraordinaires, outre le revenu du roi, lesquels nՎtaient ˆ la foule du peuple ni des particuliers, ni ˆ la diminution du revenu de Sa MajestŽ, pour lui faire grassement passer lÕannŽe prochaine. Je lui demandai sÕil pourrait faire voir cela au roi, et lui en donner un Žtat. Il me dit que oui, et dans trois jours si je voulais. Alors je lui dis sans lui nommer personne, que lÕon faisait bien entendre le contraire au roi, et quÕil Žtait nŽcessaire quÕil lÕen Žclairc”t ; ce quÕil mÕassura quÕil ferait, et me remercia de lÕavis que je lui en donnais. Je dis ensuite au roi ce que Schomberg mÕavait dit, qui fut fort rŽjoui et me commanda dÕavŽrer si cela Žtait, et quÕen ce cas il ne le changerait point, et quÕil le tenait bon homme et point larron (ce sont ses mots) ; et Schomberg lui parla deux heures aprs, dont il demeura satisfait, et mÕassura que sÕil lui faisait voir ce quÕil lui avait dit, quÕil le maintiendrait, mais que je nÕen fisse point semblant ˆ mes amis. Je tombai malade lˆ-dessus et ne revis le roi qu'ˆ Vienne, que le roi me dit que Mr de Schomberg lui avait fait voir ce quÕil disait, et quÕil ne le voulait point changer. Je lui dis lors que, cela Žtant, il les fallait remettre bien ensemble, Mr de Puisieux et lui premirement, et ensuite monsieur le garde des sceaux et lui ; ce quÕil approuva, et me commanda dÕy travailler. Quand nous fžmes ˆ Lyon, on le pressa encore pour dŽsaronner Schomberg, et comme lÕon trouva le roi plus lent que de coutume, il me fut aisŽ de porter Mr de Puisieux ˆ lÕaccommodement de lui et de Schomberg qui le dŽsirait ardemment. Cela rŽussit si bien quÕils sÕen retournrent de compagnie, quÕils vinrent d”ner ensemble en partant de Lyon chez Mr de Ch‰teauneuf, et quÕayant ŽtŽ rattrapŽs par le roi ˆ Roanne, ils sÕen vinrent de compagnie ˆ sa suite.

De Bonny le roi fut coucher ˆ Nogent le mardi 27me, et le lendemain d”ner ˆ Montargis, et coucher ˆ Ch‰teau Landon. Lˆ, Mr de Schomberg pria Mr de Puisieux et moi de faire office auprs du roi ˆ Mr de Liancourt son gendre, ˆ ce que le roi lui perm”t de rŽcompenser la charge de premier gentilhomme de la chambre quÕavait Mr de Humieres, ce que le roi lui accorda : et ensuite parce que le roi sÕen allait le lendemain ˆ Malserbes pour quelques jours, et que nous nous en allions ˆ Paris, nous pr”mes congŽ de Sa MajestŽ ; et moi, en la prŽsence de Mrs de Schomberg et de Puisieux, aprs lÕavoir trs humblement remerciŽ des gr‰ces, des honneurs et des privautŽs quÕil mÕavait faites, je lui demandai aussi pardon dÕen avoir trop privŽment abusŽ, ce qui avait fait croire que j'aspirais ˆ la haute faveur, et obligŽ Mr le Prince de lui faire prendre garde que je voulais faire ses affaires ; que ce nÕavait jamais ŽtŽ mon dessein, si bien que Sa MajestŽ fit les miennes, et quÕil appara”trait bient™t si Õavait ŽtŽ mon intention, car je nÕirais plus entretenir le roi aprs quÕil serait couchŽ, ni ne le verrais que pour lui faire la cour comme les autres, et pour prendre le mot. Le roi me dit quÕau contraire il voulait que je continuasse comme j'avais fait par le passŽ, et quÕil me voulait faire de plus particulires faveurs que jamais, lesquelles je lui dis que je nÕaccepterais pas.

Ainsi nous part”mes le lendemain, Mrs de Chevreuse, de Schomberg, de Puisieux et moi, et le jeudi 29me dŽcembre, ayant laissŽ proche de Berni Mr de Puisieux qui fit beaucoup de protestations dÕamitiŽ ˆ Mr de Schomberg en se sŽparant, nous arriv‰mes ˆ Paris.

JÕai dŽjˆ dit comme Mr de Schomberg avait su la nouvelle de la mort de sa mre, ce qui lÕobligea de ne se montrer ˆ personne en arrivant ˆ Paris, pour nՐtre encore vtu de deuil, et de nÕy faire sŽjour que dÕune nuit. ƒtant arrivŽ en son h™tel, il envoya Mr Mallier trouver monsieur le chancelier qui Žtait logŽ vis ˆ vis, pour le supplier de lÕexcuser sÕil ne lÕallait voir, attendu son accident qui lÕempchait de sortir en lՎtat quÕil Žtait, et quÕil le verrait ˆ son retour de Nanteuil. Il envoya en mme temps Endilly vers Mr le cardinal de la Rochefoucaut (qui par le dŽcs de celui de Bets avait ŽtŽ fait ministre), lui faire le mme compliment, et moyenner une entrevue aux RŽcollets avec lui pour le lendemain, ce que monsieur le chancelier ayant su, crut fermement que Mr de Schomberg nՎtait portŽ de bonne volontŽ pour lui, de lÕavoir dŽdaignŽ de cette sorte, et me voyant le lendemain, me pria de retirer la parole dont jՎtais dŽpositaire entre son fils, et lui, et quÕil ne voulait aucune particularitŽ avec Mr de Schomberg.

1623.

Janvier.Ń Ainsi nous commen‰mes lÕannŽe 1623 ˆ notre arrivŽe ˆ Paris o le roi fit peu aprs une espce dÕentrŽe en laquelle Monsieur nÕayant voulu souffrir ˆ Mr le Comte de marcher avec lui, Mr le Comte en fit de mme avec Mr de Guise, qui se retira. Il arriva aussi que le prŽv™t des marchands prŽtendit de marcher immŽdiatement devant le roi, comme nՎtant point une entrŽe, mais un joyeux avnement, de quoi les marŽchaux de France eurent un tel mŽpris quÕils ne voulurent pas mme contester, et nous en v”nmes sans accompagner le roi qui, ds quÕil fut arrivŽ traita, et conclut peu aprs en fŽvrier, une ligue offensive et dŽfensive avec le duc de Savoie et la seigneurie de Venise pour recouvrer la Valteline aux Grisons : et en mme temps le marquis de Mirabel offrit au roi de la part du roi dÕEspagne lÕexŽcution du traitŽ de Madrid, et que, pour ce qui Žtait parlŽ de l'Žtablissement de la religion audit traitŽ, le roi dÕEspagne sÕen remettrait entirement au pape pour le dŽcider, ce que le roi accepta, et sÕen remit aussi au pape : de sorte que, du c™tŽ de dehors nos affaires Žtant assoupies et du dedans la paix Žtablie, nos pensŽes et desseins furent tournŽs dans la cour, et celles de Mr de Schomberg mises en trs mauvais Žtat parce que Mr de Beaumarchais dit absolument au roi quÕil ne pouvait faire les avances nŽcessaires sÕil nՎtait assurŽ de son remboursement, et que le fonds ordinaire manquait pour cet effet par le mauvais Žtat auquel Mr de Schomberg avait mis ses finances ; sur quoi monsieur le chancelier intervenant mit le roi en rŽsolution dŽterminŽe de les lui ™ter : et afin que le roi ne fžt capable dÕen tre dŽtournŽ par moi, ils lui firent donner un avis sous main que Mr de Schomberg me devait faire payer mes dettes par les financiers sÕil Žtait maintenu. Je dis ˆ Mr de Schomberg ˆ son retour de Nanteuil, ce que monsieur le chancelier mÕavait dit sur son sujet ; et lui, croyant remŽdier ˆ cette affaire, me dit quÕil lui dirait les causes qui lÕavaient mu de ne le vouloir aller voir alors, et se sentit plus assurŽ sur la mort qui arriva en ce temps-lˆ ˆ monsieur le garde des sceaux, qui obligea en mme temps monsieur le chancelier dÕen poursuivre la restitution quÕil obtint, et ne se mit pas en peine de songer ˆ qui aurait les finances, sÕimaginant que quiconque les aurait dŽpendrait toujours de lui ˆ cause de sa suffisance et grande autoritŽ. Ainsi Mr de Beaumarchais ayant dit au roi quÕil ferait les avances sÕil mettait quelque superintendant dont il fut assurŽ pour son remboursement, et La Vieville lui ayant ouvertement demandŽ la superintendance ˆ condition que si dans deux ou trois mois il ne s'en acquittait bien, que lÕon en m”t un autre en sa place, avec les brigues quÕil fit ˆ cette fin, furent causes que le roi lui donna, et chassa Mr de Schomberg, et en mme temps Mr de Castille contr™leur gŽnŽral, et les trois intendants des finances, desquels le prŽsident de Chevry fut peu aprs rŽtabli.

Peu aprs Mr de Schomberg se battit contre le comte de Candale qui le fit appeler sur le sujet du gouvernement dÕAngoulme qui Žtait ˆ lui prŽcŽdemment en survivance.

Ė ce commencement La Vieville ne fut point du conseil Žtroit, et faisant ˆ chacun bon accueil fut tenu, sinon en estime, au moins en souffrance. Mais peu de jours se passrent sans quÕil se m”t ˆ cabaler, premirement pour chasser Mrs de Sillery, chancelier, et Puisieux, ses bienfaiteurs, puis aussi tous ceux quÕil voyait approcher le roi, et moi particulirement, qui ne manquai pas de faire voir son dessein ˆ monsieur le chancelier ; mais il le mŽprisait de telle sorte quÕil nÕen fit jamais cas.

 

Mars. Ń En ce temps-lˆ Mr de Montmorency qui souffrait impatiemment que madame la connŽtable sa belle-mre, qui (ˆ ce quÕelle disait), avait acceptŽ la charge de dame dÕhonneur de la reine ˆ condition quÕil nÕy aurait point de surintendante par dessus elle, y ežt vu Žtablir madame de Luynes, lors duchesse de Chevreuse, en fit sa plainte au roi, et demanda que le roi veuille commettre quelquÕun pour conna”tre des droits de sa belle-mre, pour puis aprs en faire le rapport en son conseil, pour y ordonner ce que de raison. Mr de Chevreuse qui ne devait jamais mettre la charge de sa femme en compromis, consentit (mai) dÕen laisser agiter la cause sur l'assurance que Mr de Puisieux lui donna quÕil ne lui serait fait aucun tort en cette affaire, et mit ses papiers (juin) s mains de Mr de Ch‰teauneuf que le roi y avait commis pour instruire lÕaffaire et la rapporter au conseil.

 

Juillet. Ń Cependant ils sollicitrent lÕun et lÕautre trs fort, et fus priŽ des deux c™tŽs dÕy employer mon esprit et mon petit pouvoir en leur faveur (aožt, septembre, octobre). Mais Žtant trs affectionnŽ ˆ lÕune et lÕautre maison, et particulier serviteur de mesdames les princesses de CondŽ et de Conty qui en faisaient leur propre, jÕobtins dÕeux et dÕelles que je ne me mlerais de cette affaire qui enfin se termina vers la fin de lÕautomne (novembre) ˆ Saint-Germain, en sorte que lÕune et lÕautre furent privŽes de leurs charges, contre lÕopinion de Mr de Puisieux qui vit bien ds ce jour-lˆ sa ruine prochaine, mais par vanitŽ la voulait celer ˆ ses amis pour ne se dŽcrŽditer vers eux : et mÕayant demandŽ ce quÕil me semblait de l'arrt qui venait dՐtre donnŽ, je lui dis quÕil me semblait que cՎtait le pire que lÕon ežt su donner, attendu que toutes les deux parties Žtaient offensŽes, et que le juge (qui Žtait le roi), en serait condamnŽ aux dŽpens. Il me dit lors quÕil nÕen cožterait rien au roi ; et moi je lui rŽpliquai quÕil le payerait plus cher que sÕil lÕežt achetŽ de grŽ ˆ grŽ, et que, pour ne mŽcontenter deux si grandes maisons comme celle de Lorraine, et de Montmorency, il le devait faire ; autrement il Žtait ˆ craindre, vu le mauvais Žtat o la France Žtait et lÕincertitude de la paix avec les huguenots qui demandaient instamment la dŽmolition du Fort-Louis, que le roi dans quelque temps ne fžt obligŽ de rŽtablir par un traitŽ de paix ce quÕil avait prŽsentement dŽtruit. Je pensais dire cela ˆ un ami particulier et en forme de discours ; mais Mr de Puisieux, pour faire le bon valet, lÕalla redire au roi, et le roi ˆ La Vieville qui, bien aise dÕavoir trouvŽ lÕoccasion de me nuire, dit au roi que ces propos Žtaient criminels, mŽritaient la Bastille, ou pis ; de sorte que le roi mÕen fit la mine et fut huit jours sans me parler, jusques ˆ ce que, sՎtant plaint de moi ˆ Mr le cardinal de la Rochefoucaut et au pre Siguirani, ils me le dirent et firent ma paix avec lui.

1624.

Janvier.Ń Ainsi finit lÕannŽe mille six cents vingt et trois, et le commencement de celle de 1624 fut employŽ ˆ retirer les sceaux des mains de monsieur le chancelier, lequel voyant sa fortune abattue et que ses ennemis prŽvalaient sur lui, les rendit au roi avant quÕil les demand‰t, et se coucha de peur dՐtre portŽ par terre. Mais ce fut en vain ; car La Vieville appuyŽ par dÕautres personnes puissantes, et particulirement de la reine mre qui sՎtait remise en Žtroite intelligence avec le roi son fils, firent donner congŽ (fŽvrier) ˆ monsieur le chancelier et ˆ Mr de Puisieux, auxquels le roi Žcrivit le dimanche 4me de fŽvrier quÕils eussent ˆ se retirer ˆ une de leurs maisons hors de Paris, ce quÕils firent le lendemain. Par ce moyen La Vieville fut en suprme faveur et ds lors pratiqua ouvertement ma ruine, ne mÕayant pu ployer ˆ quitter mes amis, comme il mÕen fit instamment supplier avant No‘l prŽcŽdent et de me lier ˆ lui dÕune Žtroite amitiŽ.

Le roi en mme temps donna les sceaux ˆ Mr dÕAlligre, lequel je ne laissai dÕaller voir bien que je susse quÕil ne mÕaimait pas, et ce en compagnie de Mrs de CrŽquy et de Saint-Luc. Il nous fit trs bonne chre, et ˆ moi particulirement, de quoi dÕautres qui lՎtaient aussi venus congratuler Žtant Žbahis, je leur dis tout haut : Ē Ne vous Žtonnez pas, Messieurs, de la bonne chre que me fait monsieur le nouveau garde des sceaux ; car je suis cause de ce que le roi les lui a aujourdÕhui mis en main. Č Il me dit lors : Ē Je ne savais pas, Monsieur, vous avoir cette obligation : je vous supplie de me dire comment. Č Ē Monsieur, lui dis-je, sans moi vous ne les eussiez pas eus aujourdÕhui, mais ds lÕannŽe passŽe Č ; dont il se prit ˆ rire et me dit quÕil Žtait vrai, mais que jÕavais fait mon devoir ; car nÕen ayant point ŽtŽ sollicitŽ par lui que je ne connaissais gure, jՎtais obligŽ de faire pour mon ami Mr de Commartin ; puis me dit quÕil me priait de lÕaimer, et quÕil me jurait devant ces messieurs qu'il serait fidlement mon serviteur et mon ami, comme certes il me lÕa depuis tŽmoignŽ en toutes les occasions qui se sont rencontrŽes.

La foire de Saint-Germain arriva puis aprs, qui fut suivie de deux excellents ballets que nous dans‰mes avec le roi le premier, et puis la reine, auquel se trouva le comte de Holland qui vint sonder le guŽ de la part du roi dÕAngleterre, si lÕon voudrait entendre au mariage du prince de Galles son fils avec madame Elisabeth dernire fille de France.

Le carme survint lˆ dessus, auquel La Vieville montra au roi (mars) que je mՎtais fait donner par la connivence du secrŽtaire de la guerre, qui Žtait Mr de Puisieux, vingt et quatre mille livres par an dÕentretenement sur les Suisses, qui de droit ne mÕappartenaient pas. Je demandai de remontrer mon droit en plein conseil, ce que je fis devant le roi une aprs-d”nŽe, et La Vieville me voulant repartir, je lui lavai bien la tte. NŽanmoins mes Žtats demeurrent en souffrance.

 

Avril. Ń Le roi alla sur ces entrefaites ˆ Compigne o je lui parlai deux fois sur mon affaire ; et ensuite lui ayant demandŽ moyen de lÕentretenir (mai) parce que je savais que La Vieville m'accusait dՐtre pensionnaire d'Espagne, et mme avait fait prendre prisonnier un nommŽ Lopes, Espagnol qui me hantait, pensant trouver quelque chose contre moi par son moyen, le roi enfin me promit de me parler en particulier ; ce quÕil fit un soir (juin) sur le rempart qui est proche de son cabinet, et le bruit courut quÕil avait parlŽ lors au Mansfeld qui Žtait venu pour traiter quelque chose avec lui, et Žtait ˆ deux lieues de Compigne. Je lui dis ce que Dieu mÕinspira en faveur de mon innocence et contre la calomnie de La Vieville ; de telle sorte que je demeurai fort bien dans son esprit, et lui trs mal : et pour mieux couvrir notre jeu, le roi voulut que je ne lui parlasse point devant le monde, hormis quand je prendrais le mot, quÕil mÕen pourrait dire deux ou trois, et moi autant ˆ lui ; quÕil me ferait mauvais visage ; que je ne montrerais aucune apparence de mՐtre raccommodŽ avec lui, et que, si jÕavais quelque chose ˆ lui faire dire, ce serait par lÕorgane de Toiras, de Beaumont ou du chevalier de SouvrŽ. Au reste, ds que jÕeus parlŽ au roi, je ne doutai plus de la ruine entire de La Vieville.

Mr le cardinal de Richelieu quelques jours auparavant avait ŽtŽ mis au conseil Žtroit, qui me promit en mme temps amitiŽ, et que La Vieville ne me pourrait nuire devant lui, comme aussi firent le garde des sceaux, et monsieur le connŽtable. Mais ce dernier eut toujours opinion quÕil serait assez puissant pour me faire mettre ˆ la Bastille, dont il mÕavertit plusieurs fois, et entre autres, au sortir du conseil, un matin (juillet) que La Vieville avait fort insistŽ vers le roi pour me faire arrter, disant qu'il avait une lettre dÕun nommŽ Le Doux ma”tre des requtes, quÕil montra, dans laquelle il lui mandait que dans les papiers de Lopes il avait trouvŽ quÕun certain Espagnol nommŽ Guadamiciles m'avait fourni quarante mille francs, et Žtait vrai quÕil avait trouvŽ dans son livre de raison ces mots : Al sr mal de Bassompierre por guadamiciles, 40000 Ms, qui Žtait deux cents Žcus pour des tapisseries de cuir dorŽ, ainsi nommŽes en espagnol. Tous conclurent quÕil fallait savoir qui Žtait ce Guadamiciles, le faire prendre, et ensuite moi si c'Žtait un banquier espagnol qui mÕeut donnŽ cet argent. Monsieur le connŽtable m'envoya quŽrir, me pria de mÕen aller hors de France pour quelque temps, afin dՎviter ma ruine qui Žtait certaine, mÕoffrit mme dix mille Žcus si jÕavais faute dÕargent. Je le remerciai trs humblement de son avis et de son offre, et lui dis quÕil le devrait donner ˆ La Vieville, qui serait ruinŽ dans un mois, et non pas moi. Ce bon homme sÕefforait de me persuader de cŽder ˆ la violence prŽsente ; et moi (qui en savais plus que je ne lui en disais), lÕassurai que jՎtais aussi affermi que La Vieville Žtait chancelant. NŽanmoins le lendemain il eut la puissance de faire chasser le colonel dÕOrnano dÕauprs de Monsieur frre du roi, ce qui fit que monsieur le connŽtable me pressa de nouveau de mÕen aller ; mais je l'assurai encore de ma sžretŽ, et de lÕentire ruine de La Vieville.

En ce temps-lˆ le comte de Carlile arriva ambassadeur extraordinaire du roi Jaques de la Grand Bretagne, auquel le comte de Holland fut adjoint pour traiter le mariage dÕAngleterre ; et La Vieville faisant semblant dՐtre mal avec eux, sÕy Žtait accommodŽ, en sorte quÕils firent une brigue pour retirer de lÕambassade dÕAngleterre le comte de Tillires mon beau-frre qui y Žtait ambassadeur et y envoyer ˆ sa place Effiat qui Žtait trs grand ami du comte de Carlile, ce que La Vieville, quoique dŽjˆ disgraciŽ dans lÕesprit du roi et de la reine sa mre, nÕeut pas peine dÕobtenir, ˆ cause dÕune lettre quÕil avait Žcrite, par laquelle il mandait au roi que la reine sa mre ˆ son dŽsu faisait traiter en Angleterre le mariage de madame sa sĻur par personnes interposŽes, ce qui avait fort offensŽ la reine mre.

Sur ces entrefaites le roi partit de Compigne et vint chasser proche de Monceaux o Žtait la reine mre, en un lieu nommŽ Germini. Lˆ fut confirmŽe la rŽsolution de la ruine de La Vieville, dont le roi me fit lÕhonneur de mÕenvoyer donner avis par Toiras ; mais ledit Toiras en arrivant ˆ Paris fut appelŽ en duel par le frre du procureur gŽnŽral nommŽ le BernŽ, ce qui fut cause que je nÕen sus rien que deux jours aprs, quՎtant avec grande compagnie chez moi ˆ d”ner, le roi mÕenvoya dire que sans faute je fusse le lendemain de bonne heure ˆ Saint-Germain o il devait se rendre, comme nous f”mes, Mr de Bellegarde et moi. Le roi nous fit fort bonne chre en arrivant ; et comme dans la galerie de la reine sa femme, au petit ch‰teau, il se promenait entre Mr de Bellegarde et moi, La Vieville arriva, qui fut fort ŽtonnŽ de cette inespŽrŽe privautŽ quÕil me vit avoir avec le roi, qui nous quitta ˆ lÕheure mme pour aller parler ˆ lui ; et moi je vins saluer le marŽchal de Vitry qui Žtait venu avec La Vieville, lequel me dit quÕil Žtait en peine de voir son beau-frre et moi si mal ensemble, et quÕil nous voulait accommoder, auquel je rŽpondis : Ē Comment m'y accommoderais-je astheure quÕil sÕen va ruinŽ, puisque je ne lÕai pas voulu faire quand il avait la toute-puissance ? Č Ē Comment, ruinŽ ? Č me dit-il. Ē Oui, ruinŽ, lui rŽpondis-je, et ne vous fiez jamais en moi si dans quinze jours il est surintendant des finances. Č Sur cela le roi sÕapprocha de nous, et La Vieville de son beau-frre qui lui dit ce que je lui venais de dire, et lui aussit™t lÕalla rapporter au roi qui lÕassura quÕil nÕen Žtait rien, et que ce serait plut™t moi que lui. Le roi ensuite se f‰cha ˆ moi de mon discours avec le marŽchal de Vitry ; mais je lui dis quՈ un homme qui depuis une annŽe mÕavait tant fait de peine, ce serait trop peu quÕil ne sent”t le sien quՈ lÕheure mme quÕil lui arriverait, et que je lui voulais faire pressentir et gožter mme auparavant quÕil lui arriv‰t.

Cinq ou six jours aprs le roi m'envoya quŽrir en son conseil et me dit (La Vieville prŽsent, qui en fut bien ŽtonnŽ parce que lÕon ne lui en avait point parlŽ auparavant), que sՎtant soigneusement fait informer si les appointements qui mՎtaient contestŽs et qui Žtaient tenus en souffrance, mÕappartenaient de droit, ou non, quÕil avait reconnu que je les devais avoir et par consŽquent me les rŽtablissait ; puis sÕadressant ˆ La Vieville, lui dit : Ē Et je veux que vous lui fassiez payer, et ds demain ce qui lui en est dž du passŽ, et le courant lors quÕil Žcherra. Č Il ne rŽpondit pas un mot et fit seulement la rŽvŽrence dÕacquiescement. Messieurs du conseil Žtroit sÕen vinrent devant lui conjouir avec moi, et le roi me fit mille bonnes chres. La Vieville vit bien alors quÕil Žtait sur le penchant et commena ˆ dire au roi quÕil se voulait dŽmettre de sa charge ; mais le roi lui donna de bonnes espŽrances.

Deux jours aprs je demandai au roi que, lorsque La Vieville sortirait des finances, il me fžt permis de le mettre en parlement sur ce quÕil mÕavait accusŽ ˆ Sa MajestŽ dՐtre pensionnaire dÕEspagne, et qu'il plžt ˆ Sa MajestŽ de me donner acte de lÕaccusation quÕil lui en avait faite afin de lui en faire faire telle rŽparation ou ch‰timent quÕil serait jugŽ par ladite cour ; mais le roi mÕassura quÕil lÕen ch‰tierait assez lui-mme en le chassant honteusement de ses affaires et le mettant en prison, mais que je nÕen parlasse pas.

Le lendemain le roi alla lÕaprs-d”ner voir la reine sa mre ˆ Ruel, et La Vieville ayant eu le vent de ce qui se prŽparait contre lui troussa bagage et vint, en sÕen retournant ˆ Paris, remettre s mains du roi sa charge de surintendant et la place qu'il avait au conseil, lui disant quÕil ne voulait plus retourner ˆ Saint-Germain. Le roi lui dit quÕil ne le devait point faire, et qu'il ne se m”t en peine de rien : il lui promit aussi quÕil lui donnerait son congŽ de sa propre bouche, et quÕil lui permettrait de venir prendre congŽ de lui quand cela serait ; ce qui fit quÕil sÕen retourna en assurance ˆ Saint-Germain. Mais le soir, comme il se faisait un charivari en la basse cour pour un officier du commun qui avait ŽpousŽ une veuve, Monsieur, frre du roi, qui lÕou•t, manda quÕil sÕen v”nt dans la cour du ch‰teau pour le voir, ce que tous ces marmitons, et autres, firent avec des poles quÕils frappaient. Quand La Vieville entendit ce bruit, il le prit pour lui, et envoya dire ˆ Mr le cardinal de Richelieu que lÕon le venait assassiner. Monsieur le cardinal monta en sa chambre et le rassura. Mais le lendemain matin le roi lÕayant envoyŽ quŽrir en son conseil, il lui dit que, ainsi quÕil lui avait promis, il lui disait lui-mme quÕil ne se voulait plus servir de lui, et quÕil lui permettait de lui dire adieu. Puis en sortant, Mr de Tremes le fit prisonnier, et peu aprs un carrosse et les mousquetaires ˆ cheval du roi vinrent, qui l'emmenrent au ch‰teau dÕAmboise dÕo il se sauva un an aprs.

Le colonel dÕOrnano qui avait de sa franche volontŽ mieux aimŽ tre menŽ prisonnier au ch‰teau de Caen que de se retirer en Provence (o lÕon le voulait renvoyer), fut rappelŽ auprs de Monsieur avec plus dÕautoritŽ que jamais. Mr de Schomberg qui Žtait relŽguŽ en Angoulme, fut remis dans le conseil Žtroit, et les finances furent donnŽes entre les mains de trois directeurs, savoir Mrs de Marillac, de Champigny, et procureur gŽnŽral MolŽ. Mais parce que lÕon voulait que ce dernier se dŽf”t de sa charge de procureur gŽnŽral qui Žtait incompatible avec celle des finances, il sÕen excusa.

Quelque temps auparavant Monsieur avait commencŽ de rechercher Madelle de Montpensier avec plus de soin que de coutume, et demandait de la voir les soirs, qu'il faisait faire assemblŽe le plus souvent chez madame la princesse de Conty. Cela mit en ombrage ceux ˆ qui la perfection de ce mariage nÕežt ŽtŽ utile, qui t‰chrent dÕy embarquer dÕautres pour rompre ce dessein : on mit en tte ˆ la reine que, si Monsieur se mariait et quÕil ežt des enfants, on la mŽpriserait ; ˆ madame la Princesse, que cela reculerait bien ses enfants de la grande succession ; aux Žmulateurs de la maison de Lorraine, que par ce mariage elle serait ŽlevŽe au dessus dÕeux : on dit mme au roi que, si Monsieur avait des enfants, et qu'il nÕen ežt point, il serait grandement regardŽ et respectŽ ˆ son prŽjudice ; de sorte quÕen peu de temps il y eut de grandes brigues pour dŽtourner ces grandes frŽquentations. Madame la Princesse me fit lÕhonneur de me demander mon avis sur le personnage qu'elle devait jouer en cette comŽdie, et je lui dis quÕelle avait deux grandes affaires sur les bras : lÕune, le retour en cour de monsieur son mari ; lÕautre, dÕempcher, ou de retarder le plus quÕelle pourrait, le mariage de Monsieur ; que pour le premier, en cette conjoncture du chassement de La Vieville, il y pourrait avoir quelque jour, vu que la puissance de la reine mre nՎtait pas encore parfaitement rŽtablie, et que celle de monsieur le cardinal nՎtait pas Žtablie ; qu'il fallait se remettre, commettre et lier entirement ˆ eux, qui peut-tre seraient bien aises dÕobliger Mr le Prince et de lÕattacher ˆ leurs intŽrts ; et quÕelle devait en ce point o Žtaient les choses, remuer toutes sortes de pierres ˆ cet effet, que peut-tre il pourrait rŽussir : quant ˆ lÕaffaire du mariage de Monsieur, elle ne le pourrait pas empcher ouvertement ; mais quÕil y avait un moyen de le retarder, qui pourrait peut-tre trouver celui de le rompre, qui Žtait quÕelle et monsieur son mari montrassent ouvertement de le dŽsirer, mais quÕil fallait que leur feinte ne fžt sue ni connue que dÕelle et de lui ; qu'ils devaient tromper leurs proches et leurs serviteurs en leur conviant de procurer tout ce quÕils pourraient pour lÕaccomplissement du mariage : cela devaient-ils dire ˆ Mr de Montmorency, ˆ madame la Princesse mre, ˆ Vignier, et autres leurs plus confidents, se mettre dans lÕaffaire entirement, y convier Monsieur, assister madame de Guise et Madelle de Montpensier, enfin ne laisser aucune chose en arrire qui pžt favoriser ˆ ce dessein ; duquel il arriverait plusieurs bonnes choses sans en pouvoir produire aucune mauvaise : car toutes les brigues quÕils feraient en faveur du mariage nÕy avanceraient rien sÕil nՎtait en sa maturitŽ, comme tout ce quÕils pourraient faire contre ne lÕempcherait pas si le roi et la reine mre Žtaient dÕaccord sur ce sujet ; lˆ o au contraire ils sÕobligeaient Žternellement la maison de Guise, ils sÕacquerraient bruit de probitŽ dans le monde, de favoriser pour le bien de lՎtat une affaire qui leur Žtait si prŽjudiciable ; que Monsieur leur en saurait grŽ, et que ceux qui y faisaient contre en seraient dÕautant plus rŽveillŽs, voyant Mr le Prince dŽclarŽ en faveur du mariage ; que les seuls propos de madame la Princesse sur ce sujet devaient tre que ce serait bien le plus avantageux pour eux que Monsieur ne se mari‰t pas, mais puisquÕen toutes faons cela ne se pouvait empcher, quÕils devaient dŽsirer que ce fžt ˆ Madelle de Montpensier plut™t quՈ toute autre, qui Žtait sĻur de Mr le prince de Joinville son beau fils ; que par ce moyen cela les unissait avec Monsieur et nÕen faisait quasi quÕune mme famille, et que cՎtait la chose quÕelle dŽsirait le plus : ces propos donneraient Žtoffe ˆ la partie contraire de remontrer au roi et lui donner jalousie de cette trop grande association, que ce serait rendre trop grand Monsieur, jetant entre ses bras les restes de la Ligue et la cabale de Mr le Prince, qui, ce faisant, sՎtrangeraient du roi et se joindraient ˆ son frre, puissant outre cela par un nombre dÕenfants successeurs de la couronne par le manque dÕenfants du roi.

Madame la Princesse prit trs bien mon conseil et le mit en mme temps en pratique. Elle venait tous les soirs chez madame la princesse de Conty o se faisait lÕassemblŽe, et montra tellement ˆ un chacun de favoriser cette recherche quÕil fut aisŽ au roi dÕen prendre ombrage et de commander au colonel de t‰cher de rompre cette pratique, comme il fit : et madame la Princesse trouva que mon conseil lui avait ŽtŽ profitable, et sÕen alla trouver monsieur son mari en Berry (novembre), joyeuse dÕavoir subtilement fait avorter cette recherche, et f‰chŽe du sujet de son voyage, causŽ sur la maladie de monsieur son fils : et le roi revint ˆ Paris peu aprs (dŽcembre), o il y finit lÕannŽe 1624 pendant laquelle on avait fait plusieurs pratiques pour faire porter le roi dÕEspagne ˆ la restitution de la Valteline quÕil avait en apparence rŽsignŽe entre les mains du pape ; mais en effet ils sÕentendaient ensemble et ne la voulaient rendre. Pour ce sujet la ligue arrtŽe prs de deux annŽes auparavant entre le roi, les VŽnitiens, et le duc de Savoie, rŽsolut de la ravoir ˆ force ouverte et de faire la guerre au roi dÕEspagne qui en Žtait injuste dŽtenteur. Le roi dÕAngleterre dÕun autre c™tŽ pressait le roi de faire ligue offensive et dŽfensive avec lui contre le roi dÕEspagne. Les princes spoliŽs dÕAllemagne demandaient aussi que le roi se voulžt joindre ˆ eux avec les rois de Sude et de Danemark desquels ils Žtaient dŽjˆ assurŽs pour leur rŽtablissement : et les Hollandais finalement sollicitaient le roi de prendre sa bonne part en la conqute des Pays-Bas, qui serait infaillible sÕil se voulait joindre avec tant dÕautres forces ennemies de lÕEspagnol. Le roi nÕen avait que trop de sujet et avait bonne volontŽ de mener les mains : mais il considŽrait quÕil mettait le feu par toute la chrŽtientŽ en ce faisant, et se rŽsolut seulement dÕentreprendre avec la ligue dÕItalie la restitution de la Valteline, et le duchŽ de Milan si on lui rŽsistait.

Valteline et ambassade en Suisse

1625.

Janvier.Ń Ė cet effet il avait envoyŽ une armŽe sous monsieur le connŽtable en Italie, et avec quelques troupes franaises et suisses quÕil fit passer aux Grisons sous la charge du marquis de CĻuvres, son ambassadeur extraordinaire en Suisse, il assista les Grisons au commencement de lÕannŽe 1625 ˆ reprendre la Valteline dont ils avaient ŽtŽ depuis quatre annŽes spoliŽs, et y rŽussit de telle sorte que sans aucune rŽsistance tout ce qui avait ŽtŽ usurpŽ fut reconquis. On nŽgligea de mettre garnison ˆ Rives de Chiavennes o les Espagnols se vinrent quelques jours aprs fortifier, et lÕont conservŽe jusques ˆ la paix.

DÕun autre c™tŽ, les huguenots de la France souffraient impatiemment quÕun fort construit par Mr le comte de Soissons en lÕannŽe 1622 subsist‰t ˆ mille pas de la Rochelle, vu quÕil avait ŽtŽ portŽ par les articles de la paix quÕil serait dŽmoli. Ils voyaient nŽanmoins que les projets du roi Žtaient avantageux pour leur religion, et que le roi le ferait dŽmolir dans quelque temps, comme il ežt fait si ils lui eussent demandŽ lorsquÕil eut ŽtŽ embarquŽ ˆ la guerre quÕil projetait. Mais eux, impatients de le faire raser, nÕen voulurent attendre le temps, et en ayant en vain importunŽment pressŽ le roi, se rŽsolurent ˆ faire quelque noble reprŽsailles, afin que, rendant ce quÕils auraient pris, on leur rend”t leur fort. Ė cet effet ceux de la Rochelle armrent quelques vaisseaux dont ils donnrent le commandement ˆ Mr de Soubise qui vint ˆ Blavet, prit les vaisseaux de Mr de Nevers qui Žtaient fort beaux, et assiŽgrent le fort quÕils ne purent prendre. Mais un vent contraire les ayant accueillis, on eut espŽrance de les prendre eux-mmes. Mr de Vend™me y accourut avec toute la noblesse du pays et ce quÕil put faire dÕinfanterie : mais ˆ cause que lÕon souponnait Mr de Vend™me de quelque intelligence avec les Rochelais, et que ses ennemis publiaient quÕil les avait fait venir ˆ Blavet pour sÕen saisir pour lui, le roi m'y envoya avec de grands pouvoirs, mme de lÕinterdire en cas que je reconnusse quÕil ne march‰t pas de bon pied.

Avec ces ordres je partis de Paris le mardi 28me janvier et vins coucher ˆ Chartres, puis ˆ Orleans, de lˆ ˆ Blois, aux Trois Volets, et le samedi 1er de fŽvrier je vins coucher ˆ Angers o je donnai ordre que le rŽgiment du Plessis de JuignŽ me suiv”t en diligence et que lÕon t”nt prts quatre canons et les munitions nŽcessaires pour lesdites pices, ce que le commandeur de la Porte qui y commandait fit diligemment exŽcuter.

Le dimanche 2me jÕarrivai ˆ Nantes, ayant vu en passant madame la comtesse de Vertus ˆ ChantossŽ. Je fus souper chez Mr de Montbason qui avait dŽjˆ eu nouvelle de ma venue par Montalant que le roi avait dŽpchŽ ˆ Mr de Vend™me pour lÕavertir quÕil mÕenvoyait en Bretagne : il mÕoffrit tous les canons et munitions du ch‰teau de Nantes, et de lever le plus dÕhommes quÕil pourrait.

Le lundi 3me je fus voir madame de Vend™me, et ayant achetŽ ou louŽ trente chevaux tels quels, je vins au Temple ˆ coucher, le lendemain ˆ la FertŽ Bernard, puis ˆ Vannes, et le jeudi 6me ˆ Hannebont o jÕappris que Mr de Soubise avait rompu les filets, et passŽ hors du port de Blavet malgrŽ le ch‰teau et toutes les choses que lÕon avait opposŽes ˆ son passage ; que de sept grands vaisseaux de Mr de Nevers il en avait emmenŽ les six, assavoir : la Vierge, le Saint-Michel, Saint-Louis, Saint-Jean, Saint-Basile ou le Lion, et la Concorde ; le seul navire nommŽ Saint-Franois sՎtant embarrassŽ ˆ la bouche du port (avec un petit vaisseau de ceux que Mr de Soubise avait amenŽs avec lui), fut donner contre un des ras, qui ferme le port, et furent tous deux pris avec quelque cent ou six-vingt hommes qui Žtaient dedans.

Je ne laissai de m'acheminer le lendemain vendredi 7me au Fort-Louis pour y trouver Mr de Vend™me. Mr de Brissac nous y festina : puis nous rev”nmes par la marŽe coucher ˆ Hannebont.

JÕy sŽjournai le samedi 8me tant pour renvoyer tous ceux qui venaient au secours du fort, que pour confŽrer avec Mr de Vend™me, lequel Žtait fort malheureux et peu aimŽ, mais nullement coupable des choses dont on lÕaccusait. Il voulait me mener ˆ Rennes, craignant que je n'eusse force choses ˆ confŽrer avec le parlement ˆ son dŽsavantage ; mais moi, pour ne lui donner aucun ombrage, aimai mieux mÕen retourner sur mes pas.

Ainsi nous part”mes, Mr le duc de Retz et moi, le dimanche 9me, et v”nmes coucher ˆ Vannes, le lendemain ˆ la FertŽ-Bernard ; et le mardi 11me, jour de carme-prenant, il sÕen alla ˆ Machecou, et moi coucher au Temple, dÕo je mÕen vins le jour des Cendres ˆ Nantes chez Mr de Montbason.

Je fus prendre congŽ de madame de Vend™me, et le jeudi 13me nous v”nmes coucher chez le comte de Vertus ˆ ChantossŽ, Mr de Montbason et moi.

Je le quittai le lendemain et vins d”ner ˆ Angers, coucher ˆ Saumur ; puis coucher ˆ Blois ; le lendemain dimanche 16me d”ner chez Mr le comte de Saint-Paul ˆ OrlŽans, coucher ˆ Touri ; et le lundi 17me je mÕen vins ˆ Paris rendre compte de mon voyage au roi, o je nÕavais fait ni bien, ni mal ; seulement lui assurai-je de la fidŽlitŽ de Mr de Vend™me, dont ses ennemis avaient t‰chŽ dÕen faire douter ˆ Sa MajestŽ.

 

Mars, avril, mai. Ń Peu de jours aprs arriva la nouvelle de la mort du roi Jacques dÕAngleterre, ce qui ne retarda pas le mariage de son fils avec madame Elisabeth, dont la cŽrŽmonie fut faite peu aprs P‰ques. Mr le duc de Chevreuse lՎpousa pour le roi Charles nouveau roi de la Grand Bretagne, dans Notre-Dame ˆ Paris, le 11 mai.

Quelques jours ensuite arriva inopinŽment Mr le duc de Bocquinguem, lequel parut extraordinairement, tant par sa personne, qui Žtait trs belle, que par ses pierreries et habillements, et sa grande libŽralitŽ. La reine de la Grand Bretagne ne tarda gure ˆ partir ; Mr et madame de Chevreuse ayant lÕordre de la conduire en Angleterre, Mr de Luxembourg, de Bellegarde, et moi, avec Mrs dÕAlaincourt et vicomte de Brigueul ežmes charge du roi de lÕaccompagner de sa part jusques ˆ son embarquement (juin). Le roi la vint conduire jusques ˆ Compigne : les reines vinrent avec elle jusques ˆ Amiens, et devaient passer outre ; mais la maladie de la reine mre arrta dix jours la compagnie ˆ Amiens, et ne permit pas aux dames dÕaller plus avant, et Monsieur, son frre, la mena jusques ˆ Boulogne dÕo nous rev”nmes (aprs lÕavoir mise dans sa berge) trouver les reines ˆ Amiens qui sÕen revinrent ˆ Paris, et de lˆ ˆ Fontainebleau.

JÕai voulu dire tout ce qui concerne le mariage dÕAngleterre avant que de parler de lÕItalie en laquelle monsieur le connŽtable et Mr le marŽchal de CrŽquy entrrent vers le commencement de fŽvrier avec douze mille hommes de pied et mille chevaux, ainsi quÕil avait ŽtŽ convenu, et sՎtant joints avec lÕarmŽe de Mr de Savoie qui Žtait plus forte, ils Žtaient sur le point dÕentrer au duchŽ de Milan et ouvrir la guerre au roi dÕEspagne quand le roi leur manda quÕils nÕeussent ˆ le faire, vu que ceux de la Religion en France avaient pris les armes en un temps auquel pour leurs intŽrts particuliers ils le devaient moins faire. Ce fut lors que Mr le cardinal de Richelieu dit sagement au roi que tant quÕil aurait un parti formŽ dans son royaume, il ne pourrait jamais rien entreprendre au-dehors ; quÕil devait songer ˆ lÕexterminer avant que de penser ˆ autres desseins ; quÕil fallait faire la guerre commencŽe pour la restitution de la Valteline, mais se garder de lÕouvrir avec Espagne ; et puisque son armŽe Žtait passŽe en Italie, il en pouvait assister Mr de Savoie contre Gnes, mais ne se point dŽclarer contre Milan ; ce qui fut fait : et si Mr de Savoie se fžt avancŽ droit ˆ Gnes aprs la dŽfaite des GŽnois ˆ Ostage et la prise de Gavi, il l'ežt infailliblement prise ˆ P‰ques. Mais leur ayant donnŽ loisir de se reconna”tre, et le duc de Feria de se mettre en campagne pour la secourir, joint aussi que, les pillages ayant enrichi les soldats de la ligue, une partie se dŽbanda, et lÕautre tomba malade, ils commencrent ˆ songer ˆ leur retraite, et le duc de Feria les suivant vers Ast o il fut repoussŽ par les troupes franaises qui y Žtaient, vint assiŽger Verrue en laquelle Mr de Savoie et Mr de CrŽquy firent une telle rŽsistance qu'il y consuma en vain un long temps.

Sur ces entrefaites le pape indignŽ de ce que lÕon avait reconquis la Valteline qui Žtait en dŽp™t en ses mains, et que lÕon en avait chassŽ ses gens, envoya son neveu le cardinal Barberini, lŽgat en France, tant pour en faire ses plaintes, que pour moyenner un accommodement aux troubles dÕItalie. Il arriva au temps des noces dÕAngleterre, et fut reu, logŽ et dŽfrayŽ avec les honneurs que lÕon a accoutumŽ de rendre aux lŽgats ; mais aprs plusieurs confŽrences, et traitŽs proposŽs, nÕayant pas trouvŽ son compte, vint ˆ Fontainebleau prendre congŽ du roi, et aussit™t aprs, sans attendre que lÕon lui rend”t les devoirs accoutumŽs en lÕaccompagnant et dŽfrayant par la France, partit inopinŽment, ayant prŽcŽdemment refusŽ le prŽsent du roi, qui envoya quŽrir les princes et officiers de la couronne avec quelques prŽsidents de sa cour de parlement, et tint un fameux conseil ˆ Fontainebleau sur cet extravagant partement, o il ne fut rŽsolu autre chose sinon que lÕon le laisserait aller.

En ce mme temps le roi Žloigna d'auprs de la reine sa femme la dame du Vernet sa dame dÕatour, Ribere son mŽdecin, et quelques autres domestiques.

LÕempereur fit passer en Italie par les Suisses, qui octroyrent le passage, prs de trente mille Allemands quÕil envoya au duc de Feria, avec lesquels il pressa Verrue, et les troupes de la ligue Žtant dŽpŽries, ils supplirent le roi de les envoyer promptement secourir avec quelque armŽe. Le roi jeta les yeux sur moi pour mÕen donner la conduite et le commandement, et mÕenvoya quŽrir en son conseil pour me le proposer. Je parlai au mieux que Dieu me voulut inspirer sur ce sujet, et offris au roi que, sÕil lui plaisait de me donner un des vieux rŽgiments ˆ mon choix, deux des entretenus, et dÕautres nouveaux rŽgiments jusques ˆ faire le nombre de six mille hommes effectifs, avec huit cents chevaux effectifs tels que je les voudrais choisir dans son armŽe de Champagne, que j'enverrais dans trois jours en Suisse faire tenir prts quatre mille hommes de cette nation que je prendrais en passant ˆ Genve ; je lui rŽpondrais dՐtre dans six semaines ˆ Verrue o nous donnerions bataille au duc de Feria, et, sÕil la refusait, que nous ne ferions pas seulement lever ce sige, mais que nous prendrions plusieurs bonnes places dans le Milanais, capables dÕy faire hiverner nos armŽes. Le roi fut fort satisfait de mon offre quÕil accepta, donna ordre que jÕeusse prt lÕargent de trois montres que jÕavais demandŽ ˆ Mr de Marillac chef des finances, lequel nÕexŽcuta pas seulement cet ordre, mais aussi dŽpcha le soir mme un courrier en toute diligence ˆ son frre pour lui donner avis et ˆ Mr dÕAngoulme que lÕon allait ruiner et rompre leur armŽe de laquelle on me donnait la principale part pour aller en Italie ; sur quoi ils envoyrent en toute diligence (et avant que lÕon ežt dŽpchŽ vers eux pour leur mander que lÕon me donnait une partie de leurs troupes) un aide de camp nommŽ Coutures pour mander au roi comme le comte Henry de Bergue Žtait ˆ six lieues de Metz avec une forte armŽe sur le point dÕentrer en France, et qu'en mme temps ils avaient eu avis que le colonel Verdugo, qui commandait au Palatinat, venait droit en France ; que Mr dÕAngoulme sՎtait allŽ jeter dans Metz, et il rŽpondait au roi de la conserver ou dÕy mourir, comme pareillement Mr de Marillac sՎtait mis dans Verdun qu'il dŽfendrait jusques au dernier soupir ; mais quÕil serait ˆ propos quÕil plžt au roi leur faire lever en diligence encore quatre rŽgiments nouveaux et cinq cents chevaux, moyennant quoi ils rŽpondaient sur leurs ttes dÕempcher que ces deux armŽes ne pussent faire aucun progrs en France : sur quoi le roi et son conseil, qui prirent cela pour argent comptant, me dirent quÕils ne pouvaient rien tirer de lÕarmŽe de Champagne vers laquelle il Žtait nŽcessaire dÕy faire acheminer nouvelles troupes ; et moi, aprs leur avoir fait assez Žvidemment conna”tre que cՎtait une fourbe controuvŽe ˆ plaisir pour faire Žterniser lÕemploi de ces messieurs et consumer le roi en une inutile dŽpense, je mÕexcusai et refusai celui que lÕon me voulait donner pour aller au secours dÕItalie avec des troupes quÕil me faudrait lever : sur quoi on se rŽsolut dÕen lever et de les y faire conduire par un marŽchal de camp, qui fut Vignoles, qui y arriva aprs que le sige de Verrue se fžt levŽ par la brave rŽsistance que Mrs de Savoie, Desdiguieres, et CrŽquy, y firent, et par la maladie qui se prit si furieuse dans ces troupes allemandes que la sixime partie nÕen rŽchappa pas.

 

Aožt. Ń Ce mme ŽtŽ le roi fit lever une armŽe de mer, ayant eu quelques vaisseaux des Hollandais : Mr de Montmorency lÕalla commander comme amiral. Toiras fit aussi une entreprise de prendre lՔle de RŽ ; mais Mr de Saint-Luc ˆ qui en Žtait le gouvernement, la voulut commander et avec quantitŽ de petites barques plates ils mirent deux mille hommes dans lՔle, et forcrent ceux qui la gardaient de lÕabandonner, aprs les avoir dŽfaits. Mr de Soubise se retira en Angleterre ; et en mme temps Mr de Montmorency dŽfit lÕarmŽe de mer des Rochelais.

 

Septembre. Ń Le roi fit le jour de sa nativitŽ, qui est la fte de Saint-Cosme, ˆ Fontainebleau, auquel il y eut force feux dÕartifices. LÕambassadeur dÕEspagne, qui Žtait le marquis de Mirabel, Žtait venu avec la reine chez la reine mre, et me pria que nous vissions les feux en une mme fentre, ce que je fis. Il me dit, quand nous fžmes seuls, en espagnol : Ē Et bien, Monsieur le marŽchal, le lŽgat est parti sans rien faire : il a bien montrŽ quÕil Žtait un jeune homme et un nouveau nŽgociateur ; si le marŽchal de Bassompierre ežt eu cette affaire-lˆ en main, elle ne fžt pas demeurŽe imparfaite, ni mme une plus difficile. Č Je lui dis quÕil avait fait ce quÕil avait pu selon ses ordres dans lesquels il s'Žtait contenu, et que jÕy eusse bien ŽtŽ plus empchŽ que lui, qui avait Mrs Baigny, Pamphilio, et Spada, pour le conseiller, qui Žtaient de grands personnages. Il me rŽpliqua : Ē Il ne fallait point pour vous tous ces gens lˆ. Vous lÕeussiez infailliblement achevŽe, et si vous voulez, vous lÕachverez encore, et je le vous promets. Č Je lui rŽpondis : Ē Monsieur, je ne suis pas heureux ˆ faire des traitŽs : vous voyez que celui de Madrid, qui est de ma faon, a dŽjˆ cožtŽ vingt millions d'or, pour le rompre ou pour le maintenir, aux parties contractantes. Et puis il ne fait pas bon traiter avec des gens ni pour des gens qui ne tiennent, sÕils ne veulent, ce qu'ils ont promis. Č Il sÕopini‰tra de me dire que, si je voulais, lui et moi terminerions la paix, et que j'en eusse seulement le pouvoir de mon ma”tre ; que pour lui il l'avait dŽjˆ du sien. Ė cela je lui dis que je mÕestimerais bien heureux de contribuer ce qui serait de mon talent pour une si bonne et sainte affaire, mais que je ne lui pouvais pour l'heure dire autre chose sinon que, sÕil voulait, je ferais savoir au roi ce quÕil mÕavait dit, et puis je lui rendrais rŽponse ; ˆ quoi il sÕaccorda, et me pria que ce pžt tre au plus t™t : et ainsi les feux Žtant finis, nous nous sŽpar‰mes. La reine mre se retira en son cabinet avec Mr le cardinal de Richelieu, auxquels ayant demandŽ audience je fis rapport de ce que l'ambassadeur d'Espagne mÕavait dit, lesquels trouvrent l'affaire de consŽquence, me prirent de l'aller dire au roi, feignant de ne leur en avoir point parlŽ, ce que je fis, et le lendemain ils me firent redire toute cette confŽrence dans le conseil, o il fut rŽsolu que lÕon me donnerait un ample pouvoir de traiter avec ledit ambassadeur : mais je le refusai si on ne me donnait Mr de Schomberg pour adjoint, ce que lÕon m'accorda. Ainsi je fus rendre rŽponse ˆ lÕambassadeur conforme ˆ son dŽsir, et pr”mes jour au jour dÕaprs que le roi serait arrivŽ ˆ Saint-Germain, pour nous assembler, qui ŽchŽait cinq jours aprs ; car le lendemain il devait partir de Fontainebleau. Monsieur l'ambassadeur ne manqua pas ˆ lÕassignation que nous avions prise par ensemble, et fžmes chez Mr de Schomberg plus de quatre heures ˆ confŽrer, non sans grande espŽrance et apparence de conclure une grande, bonne, et stable pacification entre les deux rois, qui Žtait avec des conditions tolŽrables pour nous. Il retourna le lendemain et continu‰mes de telle sorte que nous espŽrions, ˆ la premire sŽance que nous aurions, de perfectionner notre travail. Mais le jour dÕaprs il s'envoya excuser de venir, sur une maladie qui Žtait survenue ˆ sa femme, et de deux jours ne nous envoya rien dire, pendant lesquels Mr du Fargis envoya un courrier de Madrid par lequel il mandait que le roi dÕEspagne avait eu dessein de faire nŽgocier la paix en France par son ambassadeur, mais quÕil avait rŽvoquŽ le pouvoir quÕil lui avait donnŽ, sans mander les causes qui lÕavaient mu ˆ ce subit changement. Sur cela le conseil fut dÕavis que je mÕen allasse ˆ Paris, et que sur le prŽtexte de visiter lÕambassadrice malade, je t‰chasse de pŽnŽtrer dÕo lui venait ce silence et ce refroidissement, ce qui ne me fut pas difficile dÕapprendre : car il me fit de grandes plaintes du peu de confiance que nous avions eu en lui qui Žtait fort portŽ au bien de la France et ˆ lÕunion de ces deux couronnes ; que nous en fussions sortis ˆ meilleur marchŽ que nous ne ferions par le ministre du Fargis qui nՎtait pas assez fin pour tirer des Espagnols plus que lui ne nous avait offert ; et plusieurs autres plaintes quÕil me fit en mme substance, lesquelles je crus quÕil me disait pour couvrir la lŽgretŽ quÕil avait pratiquŽe. Je fis rapport au conseil des propos quÕil mÕavait tenus, qui furent pris de la mme sorte, parce que lÕon nÕavait donnŽ aucun ordre ni pouvoir au Fargis de faire aucune proposition ni dÕen Žcouter.

Sur ces entrefaites arriva la nouvelle ˆ la cour comme le baron de Papenheim qui gardait Rives de Chiavennes avec son rŽgiment d'Allemands avait chassŽ les troupes du roi de Verser et de Campo, les avait dŽfaites, pris douze canons, et onze barques armŽes que nous avions sur le lac de C™me, ce qui f‰cha fort le roi et le conseil. Mais peu de jours aprs le marquis de CĻuvres envoya son secrŽtaire qui assura que le Papenheim nÕavait pas passŽ outre, et que les VŽnitiens avaient envoyŽ, sous Mr de Candale, des troupes suffisantes pour le repousser.

NŽanmoins les serviteurs que le roi avait en Suisse lui mandaient que les affections de ces peuples pour le roi Žtaient fort altŽrŽes, que plus de vingt-cinq mille Allemands avaient eu passage ouvert par la Suisse pour aller servir l'Espagnol en Italie, et que notre alliance en Suisse sÕen allait dŽtruite sÕil nÕy Žtait promptement pourvu ; que le plus sžr remde Žtait de mÕy envoyer, et que par la grande bienveillance que les Suisses me portaient je pourrais tout rŽtablir. Les VŽnitiens et le duc de Savoie firent les mmes offices pour m'y faire envoyer, et y firent acheminer leurs ambassadeurs et rŽsidents pour se joindre ˆ toutes mes pratiques. Le roi pour ce sujet me fora dÕy aller son ambassadeur extraordinaire, ce que je fis par pure obŽissance ; et lÕon assista mon ambassade de deux cent cinquante mille Žcus que jÕy portai pour y favoriser ma nŽgociation : et parce que lÕon ™tait cette ambassade au marquis de CĻuvres qui la possŽdait, le roi lui donna la qualitŽ de lieutenant-gŽnŽral de son armŽe en Valteline dont il fut trs content.

 

Novembre. Ń Je partis donc de Paris avec mon Žquipage le mardi 18me de novembre de cette annŽe 1625, et allai coucher ˆ Essonne, puis ˆ Moret, ˆ Sens, ˆ Joigny, ˆ Auxerre, ˆ Noyers, ˆ Montbar, ˆ Chanseaus o je sŽjournai un jour et arrivai le 27me ˆ Dijon, o je demeurai le lendemain, puis jÕallai loger ˆ Jenlis, ˆ Aussonne, dÕo jÕen partis le lundi premier jour de dŽcembre, et passai prs de Dole o les Žtats du comtŽ de Bourgogne se tenaient lors (dŽcembre). JÕenvoyai visiter le comte de Chamlite, gouverneur, mon alliŽ et ancien ami, et allai coucher ˆ Ranchau, o Mr de Mandre, gouverneur de Besanon, me vint trouver de la part dudit comte pour mÕaccompagner par la province.

J'arrivai le mardi 2me ˆ Besanon, o je fus visitŽ par messieurs de la ville, puis des chanoines qui me vinrent offrir de montrer ˆ ma considŽration, extraordinairement, le Saint-Suaire, ce quÕils firent le lendemain, et aprs lÕavoir vu, jÕallai coucher ˆ Rolan, puis ˆ Clerval, puis ˆ Montbeliart, ˆ Dele, ˆ Valdekaufer, et le lundi 8me jÕentrai en Suisse.

Ceux de la ville de B‰le vinrent au devant de moi, et me firent une honorable entrŽe, avec grande quantitŽ de canonnades et plus de mille hommes en armes en fort bel Žquipage. Le colonel Hessy et une douzaine de capitaines me vinrent trouver sur les confins de Suisse, qui ne mÕabandonnrent jusques ˆ mon retour. Le sŽnat en corps me vint saluer, et faire prŽsent de poisson, de vin et dÕavoine, le plus amplement qui se soit fait ˆ personne : puis quelque vingt du sŽnat demeurrent ˆ souper avec moi.

Le mardi 9me je fus ˆ lÕh™tel de ville (o ils Žtaient assemblŽs), saluer la rŽpublique, et les haranguer. Ils vinrent peu aprs en corps en mon logis me faire rŽponse, mÕapporter un nouveau prŽsent de vin et de poisson, puis d”ner tous avec moi. Aprs d”ner ils me menrent voir leur arsenal, le cabinet de Platerus, leur Žglise, et leurs fortifications.

Le mercredi 10me le sŽnat me vint dire adieu, puis d”nrent avec moi, de lˆ me firent accompagner, faisant encore tirer quantitŽ de canonnades, et salve dÕinfanterie, ce qui me fut aussi fait par tous les ch‰teaux et villes devant ou dedans lesquels jÕai passŽ en Suisse.

Je fus coucher ˆ Lichetel, puis ˆ Vallesteil, et le vendredi 12me dŽcembre Mr lÕambassadeur Miron vint au-devant de moi. Puis les compagnies suisses du rŽgiment du colonel Amrin, que jÕavais envoyŽ lever pour aller en France, se mirent en bataille sur mon avenue. De lˆ lÕavoyer de Soleure nommŽ Mr de Rooll, vint au devant de moi, bien accompagnŽ, qui mÕayant fait une harangue pour se conjouir de mon arrivŽe, et mÕoffrir tout ce qui dŽpendait de la ville, mÕaccompagna jusques dans Soleure, y ayant quantitŽ dÕinfanterie en armes sur mon avenue, et plusieurs salves de coups de canon.

Je soupai le soir chez Mr lÕambassadeur ordinaire Miron, avec qui je fus tout le lendemain samedi 13me pour confŽrer de nos affaires.

Mrs de Erlach et dÕAffry me vinrent trouver.

Le dimanche le landammann Zurlaube avec les dŽputŽs du canton de Zug, envoyŽs pour me venir saluer de la part de leur canton, arrivrent.

Le rŽsident de la seigneurie de Venise, nommŽ Cavazza, que sa rŽpublique avait ordonnŽ de demeurer prs de moi et suivre en tout les intentions du roi, mÕenvoya visiter et savoir quand il me plairait quÕil v”nt me trouver.

Le lundi 15me messieurs de Fribourg mÕenvoyrent saluer par leurs dŽputŽs, qui Žtaient l'avoyer Diesbach de Prangin, le lieutenant et le statthalter de leur ville, lesquels d”nrent avec moi.

Aprs d”ner je reus les dŽputŽs de Schvitz qui Žtaient le landammann Reding, OfftermŸr, et Abiberg. Puis le chevalier Beding avec deux autres dŽputŽs de lÕabbŽ de Saint-Gall me vinrent saluer de sa part ; ce qui furent des faveurs spŽciales que tous les cantons liguŽs et alliŽs me voulurent faire, dÕenvoyer se conjouir de mon arrivŽe par leurs dŽputŽs, sans autre commission que de me saluer de leur part.

Le mardi 16me messieurs de Berne mÕenvoyrent saluer par leurs dŽputŽs dont lÕavoyer de Graffrier Žtait le chef.

Mr le nonce apostolique Scapi Žvque de Campania, mÕenvoya saluer par son auditeur.

Le mercredi 17me messieurs de Soleure, outre la belle rŽception quÕils mÕavaient faite, me voulurent encore faire saluer en corps par tout leur sŽnat.

Les compagnies dÕUnterwald et de Zug, du rŽgiment dÕAmrin, passrent pour aller en France.

Le jeudi 18me Mr de Montigni, gouverneur du comtŽ de Neuch‰tel avec le maire et les dŽputŽs de la ville de Neuch‰tel me vinrent saluer, et apporter les prŽsents de la ville.

Bussy-Lamet avec sa compagnie passa pour aller en la Valteline.

Il vint aussi, vendredi 19me, un dŽputŽ des trois Ligues Grises pour me saluer de leur part.

Le samedi 20me le rŽgiment de Balagni passa pour aller en la Valteline.

Le colonel Amrin arriva, chef des dŽputŽs que ceux de Lucerne avaient envoyŽs pour me saluer.

Le dimanche 21me je dŽpchai un courrier ˆ la cour sur une affaire qui Žtait de mon particulier, assavoir que le roi m'ayant fait son ambassadeur extraordinaire en Suisse, en laquelle les Grisons, les Valaisans et les autres alliŽs sont compris, et mÕayant donnŽ lettres de sa part pour tous ces peuples, laquelle charge dÕambassadeur il avait maintenant ™tŽe au marquis de CĻuvres, lui donnant celle de lieutenant-gŽnŽral en Valteline ; mais comme Mesmin secrŽtaire dudit marquis eut obtenu cette charge de lieutenant-gŽnŽral que son ma”tre dŽsirait, il vit quÕil Žtait privŽ des gages de mille Žcus par mois qu'il possŽdait comme ambassadeur extraordinaire ; il remontra que ledit marquis ne pourrait s'entretenir avec de si petits appointements, et supplia que lÕon lui conserv‰t au moins la charge dÕambassadeur extraordinaire aux Grisons qui Žtaient confinant ˆ la Valteline, laquelle il ne pourrait bien gouverner sans l'assistance des Grisons, quÕil ne pourrait obtenir sÕil nÕavait cette qualitŽ : on lui accorda aprs mon partement, sans considŽrer le tort que jÕen recevais ; dont je mÕenvoyai plaindre avec protestation de tout quitter en cas que je nÕen fusse satisfait.

J'envoyai aussi ce mme jour toutes les dŽpches nŽcessaires aux cantons et alliŽs pour les convoquer ˆ une dite gŽnŽrale ˆ Soleure pour le 7me de janvier prochain.

Le lundi 22me les compagnies de Lucerne, qui sÕacheminaient en France, passrent.

Le mardi 23me lÕambassadeur extraordinaire de Savoie mÕenvoya visiter, comme aussi le canton dÕUri par ses dŽputŽs, lesquels mÕapportrent une ample dŽclaration en faveur du roi pour la restitution de la Valteline, que jÕavais fait pratiquer ˆ mon arrivŽe pour mՐtre donnŽe.

Le mercredi 24me je reus et festinai lesdits dŽputŽs avec grand applaudissement, comme ceux qui faisaient une planche aux autres pour un grand bien au service du roi.

Le jeudi 25me, qui fut le jour de No‘l, fut donnŽ aux dŽvotions.

Le vendredi 26me je reus et dŽpchai lÕordinaire.

Le samedi 27me je confŽrai tout le jour avec Mr Miron, ambassadeur ordinaire, et Mr de Booll avoyer de Soleure, des moyens de faire faire la mme dŽclaration ˆ son canton que celui dÕUri mÕavait donnŽe.

Ce jour mme le sieur Cavazza, rŽsident en Suisse de la rŽpublique de Venise, arriva ˆ Soleure pour se joindre ˆ toutes les choses que je voudrais entreprendre.

Je fus tout le lendemain ˆ confŽrer avec lui et Mr Miron des choses que nous avions ˆ faire, et rŽsolžmes quÕil sÕirait tenir ˆ Zurich, avant et durant la dite, pour animer ce canton, qui est le premier, ˆ se porter et suivre les volontŽs du roi et de la ligue.

Ainsi il partit le lendemain lundi 29me, et Mr Miron et moi fžmes au conseil de la ville assemblŽ, auquel je haranguai pour les convier de me donner la mme dŽclaration que ceux dÕUri mÕavaient envoyŽe.

Le soir le comte de la Suse arriva.

Le mardi 30me messieurs de Soleure me vinrent trouver pour mÕapporter la dŽclaration en la mme forme et teneur que le jour prŽcŽdent je leur avais demandŽe.

Mr Miron nous donna ce soir lˆ ˆ souper, et le bal ensuite.

1626.

Janvier.Ń Le mercredi dernier de dŽcembre Mr le comte de la Suse sÕen alla, et je finis lÕannŽe du grand jubilŽ de 1625 pour commencer celle de 1626 le jeudi premier jour de janvier en faisant mes p‰ques selon lÕobligation que jÕen ai comme chevalier du Saint-Esprit.

Le vendredi 2me je fus occupŽ ˆ recevoir et dŽpcher lÕordinaire.

Le samedi 3me monsieur lÕambassadeur ordinaire, et moi, confŽr‰mes des affaires que le roi avait en Suisse (desquelles je devais traiter en l'assemblŽe), avec lÕavoyer de Rooll qui en devait tre prŽsident, et qui avait grand crŽdit en Suisse.

Le dimanche 4me monsieur lÕambassadeur donna le soir le bal, o je fus.

Le lundi 5me mÕarriva nouvelles des Grisons comme ils avaient dŽclarŽ quÕils ne voulaient confŽrer dÕaucunes affaires concernant la France quÕavec moi et quÕils ne reconna”traient (tant que je serais en Suisse) que moi, leur colonel gŽnŽral et premier homme du roi ; par consŽquent quÕils avaient rompu lÕassemblŽe que Mr le marquis de CĻuvres avait fait faire au nom du roi, sans aucune conclusion sinon quÕils avaient rŽsolu de mÕenvoyer un dŽputŽ lequel mÕoffrirait de leur part de passer en leurs affaires prŽsentes par o je trouverais bon.

En ce mme jour mÕarriva le courrier que jÕavais dŽpchŽ ˆ la cour, qui mÕapporta la certitude de ce dont jՎtais en doute, que lÕon mÕežt ch‰trŽ la moitiŽ de ma charge pour la donner au marquis de CĻuvres, dont je fus en telle colre que je voulais tout quitter et mÕen retourner en France. Mais quand je vis que les Grisons me rendaient ce que le roi mÕavait ™tŽ, et que jÕavais la gloire dՐtre ambassadeur aux Grisons bien que lÕon ne lÕentend”t pas, voyant aussi les bons augures que jÕavais de nos affaires, je me rŽsolus de patienter et de servir.

Nous f”mes nos Rois chez moi avec monsieur lÕambassadeur et sa famille.

Le mardi 6me, jour des Rois, je fis un festin solennel, chez monsieur lÕambassadeur, au conseil de Soleure, et aprs y avoir bien bu, le bal sÕy tint.

Le mercredi, jeudi, et vendredi suivant fut employŽ ˆ faire ma proposition, et aviser de tout ce que nous aurions ˆ faire ˆ la dite prochaine, que jÕavais retardŽe jusques au 12me, ˆ la prire des cantons protestants, qui ont No‘l dix jours aprs nous et ensuite Žlisent leurs magistrats, de sorte quÕen mme temps de l'Žlection les dŽputŽs eussent dž partir, ce qui les ežt bien fort incommodŽs.

Le samedi 10me Mr le nonce Scapi, que jÕavais conviŽ ˆ la prochaine dite, y voulut assister, plut™t pour nous y nuire quÕaider, et arriva ce jour-lˆ. Monsieur lÕambassadeur et moi, all‰mes au devant de lui et le conduis”mes en son logis o jÕenvoyai tous les rafra”chissements nŽcessaires pour son vivre.

Le landammann Zurlaube et Keller arrivrent, comme aussi les dŽputŽs des quatre villes protestantes et ceux de Fribourg, auxquels jÕenvoyai des rafra”chissements comme ˆ tous les autres qui vinrent ensuite.

Le dimanche 11me monsieur le nonce me fit l'honneur devenir d”ner chez moi en grande compagnie.

Monsieur lÕambassadeur de Savoie, nommŽ le prŽsident de Monthou, arriva et me vint saluer. Je le fus voir ensuite, puis le dŽfrayai jusques ˆ son partement.

Le lundi 12me de janvier, qui fut le premier jour de la dite, fut employŽ par les dŽputŽs ˆ sÕentresaluer, puis ˆ aviser comme ils me viendraient saluer, et rŽsolurent que toute la dite en corps avec leurs bedeaux devant, et marchant selon leur rang, me viendront faire la rŽvŽrence ; qui fut un honneur inusitŽ, et quÕaucun autre avant moi nÕavait reu. Le burgmeister Roon de Zurich porta la parole.

Ce mme jour le dŽputŽ des Grisons, nommŽ le burgmeister Mayer, arriva.

Le mardi 13me six dŽputŽs vinrent prendre monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi pour nous conduire ˆ lÕassemblŽe, en laquelle je portai ma proposition, et les haranguai assez longuement. Puis les mmes dŽputŽs me vinrent ramener, et ensuite lÕassemblŽe Žtant levŽe, ils me vinrent tous en corps remercier comme ils avaient fait le jour auparavant, et de lˆ nous v”nmes tous au festin que je leur avais fait prŽparer en la maison de ville, o tous les dŽputŽs, ambassadeurs, colonels et capitaines, au nombre de 120 personnes, y furent magnifiquement traitŽs, et ensuite autres cinq cents personnes. Nous all‰mes ensuite chez monsieur l'ambassadeur ordinaire, o le bal se tint.

Le mercredi 14me monsieur le nonce apostolique eut audience des cantons catholiques, en laquelle il dŽclama tout ce quÕil put contre la France, en intention de dŽtruire ma nŽgociation. Il vint ensuite d”ner chez moi comme il avait de coutume, et avais distribuŽ ainsi mes festins que le d”ner Žtait pour monsieur le nonce et les dŽputŽs des cantons catholiques qui avaient le matin, avant quÕentrer ˆ table, nŽgociŽ avec moi : puis lÕaprs-d”ner les dŽputŽs des cantons protestants venaient confŽrer avec moi sÕils voulaient, et puis y soupaient aussi.

Ce mme jour le doyen de Coire fut admis ˆ l'audience, ˆ la recommandation de monsieur le nonce, et ensuite le dŽputŽ des trois Ligues fut ou• pour lui contredire.

Le jeudi 15me messieurs les dŽputŽs me vinrent apporter en corps la rŽsolution quÕils avaient prise selon mon intention, pour la restitution de la Valteline, laquelle ils demanderaient aux princes dŽtenteurs, refusant ˆ celui qui nÕy voudrait acquiescer, aide, secours, et passage par leurs terres, se rŽservant de se dŽclarer plus amplement contre lui. Je leur fis sur ce sujet le plus ample remerciement quÕil me fžt possible, et leur donnai acte de la restitution que le roi Žtait prt de faire de ce qu'il y dŽtenait, et mme en leurs mains sÕils sÕen voulaient charger, pour la rendre ˆ leurs vrais seigneurs les Grisons. Je fus enfin voir monsieur le nonce qui avait dŽjˆ su la rŽsolution premire de la dite, que je trouvai en telle colre quÕil me querella deux ou trois fois.

Le vendredi 16me sur la proposition que monsieur le nonce avait faite deux jours auparavant en lÕassemblŽe des catholiques dŽputŽs, je crus tre obligŽ dÕy repartir pour lÕhonneur et lÕintŽrt du roi mon ma”tre : ce qui fut cause que jÕenvoyai demander audience pour lÕaprs-d”ner ˆ leur catholique assemblŽe. Mais eux, par un honneur particulier et inusitŽ, s'en vinrent en corps ˆ mon logis pour me la donner et recevoir ensemble, et quand et quand mÕapporter leur rŽsolution particulire et les restrictions quÕils demandaient en lÕabscheid gŽnŽral. Je les haranguai bien longuement, et lavai la tte comme il fallait ˆ monsieur le nonce, lequel nŽanmoins ne mÕen fit jamais semblant depuis et le voulut ignorer.

Sur le soir lÕassemblŽe mÕenvoya une dŽputation pour me remercier de lÕoffre (que le roi leur avait faite par moi), de ses forces, et en rŽcompense mÕoffrirent quinze mille hommes de levŽe en leurs cantons. Ensuite monsieur le nonce me vit et se raccommoda avec moi.

Le samedi 17me les dŽputŽs catholiques mÕapportrent leur abscheid particulier, et peu aprs les protestants me vinrent apporter le leur.

Le dimanche 18me monsieur le nonce partit le matin en grande colre. Monsieur lÕambassadeur ordinaire, monsieur lÕambassadeur de Savoie, et moi, le fžmes accompagner ; puis ensuite je fis festin ˆ tous les dŽputŽs de la dite. Messieurs de Soleure vinrent faire une danse dÕarmes devant mon logis.

Aprs d”ner cinq dŽputŽs, envoyŽs de lÕassemblŽe ds le jour prŽcŽdent, me demandrent audience sur le sujet des dettes du roi en Suisse, et me firent une grande harangue par la bouche de lÕavoyer Graffrier de Berne. Je leur rŽpondis amplement.

Le soir mon neveu dansa un ballet assez beau chez lÕambassadeur ordinaire, o je menai la plupart des plus honntes dŽputŽs. On y dansa par aprs, et puis monsieur lÕambassadeur nous fit une bien belle collation.

Le lundi 19me les dŽputŽs catholiques achevrent toutes leurs affaires. LÕavoyer de Rooll me vint trouver sur ce que je ne trouvais leur abscheid en bonne forme ; et me brouillai fort avec lui : mais le mardi 20me il me revint trouver, raccommoda ce qui ne me plaisait pas, et fžmes ensuite bons amis.

Mr de Montigni, gouverneur de Neufch‰tel, arriva, et la plupart des dŽputŽs protestants partirent.

Le mercredi 21me le reste des dŽputŽs partit. Je fis payer ˆ tous gŽnŽralement leurs dŽpens, et en me disant adieu je leur fis donner une annŽe de la pension de chaque canton, une annŽe de la distribution de leurs dettes, et une de leurs pensions particulires.

Monsieur lÕambassadeur de Savoie sÕen alla ce jour lˆ m'attendre ˆ Berne o je fus conviŽ dÕaller.

JÕemployai le jour et la nuit du jeudi 22me ˆ Žcrire, hormis le soir que monsieur lÕambassadeur me fit festin et ensuite le bal.

Le vendredi 23me l'ordinaire vint, et sÕen alla ; et je fus tout le jour ˆ faire mes dŽpches ˆ Rome, ˆ Venise, et en Valteline.

Le samedi 24me le secrŽtaire de lÕassemblŽe me vint apporter les abscheids.

Je fis mes amples dŽpches au roi par Mr du Menil, gendre de lÕambassadeur ordinaire, que jÕy dŽpchai, lequel partit le lendemain dimanche 25me en mme temps que Malo arriva de la Valteline, et que je mÕen allais ˆ Berne.

Les Bernois me firent une magnifique entrŽe, et puis tout le conseil me vint saluer chez moi au nom de la ville qui me fit donner ˆ souper par le comte de la Suse.

Le lundi 26me ils me menrent voir leurs fortifications, la fosse aux ours, leur arsenal, leur Žglise, et la terrasse, puis me vinrent trouver en corps en mon logis pour me mener en leur h™tel de ville somptueusement prŽparŽ pour mÕy faire festin, qui fut fort magnifique : nous Žtions plus de trois cents personnes ˆ table, et y demeur‰mes tout le jour.

Le mardi 27me je fus dire adieu aux deux avoyers, dont le premier en charge (nommŽ Graffrier), me fit un superbe dŽjeuner ; lequel, en partant, mÕaccompagna comme il avait fait ˆ lÕentrŽe, et les mmes troupes sortirent pour me saluer. Ainsi nous nous en retourn‰mes ˆ Soleure, ayant couru grande fortune par les chemins ˆ cause des eaux.

Le samedi 31me messieurs de Berne mÕenvoyrent une grande dŽputation pour me remercier, et le dimanche premier jour de fŽvrier les dŽputŽs de Lucerne mÕapportrent lÕacte de leur dŽclaration en notre faveur, comme plusieurs autres cantons avaient dŽjˆ fait.

 

FŽvrier. Ń Le lundi 2me, jour de la Chandeleur, les dŽputŽs de Glaris m'apportrent leur acte.

Le mardi 3me les dŽputŽs d'Unterwald me le vinrent aussi apporter.

Le mercredi 4me le capitaine Chemit, envoyŽ par le colonel Zumbrun et les capitaines de son rŽgiment en la Valteline, me vint faire de grandes plaintes du mauvais traitement que Mr le marquis de CĻuvres faisait ˆ son rŽgiment, et mÕapporta lettres du canton dÕUri qui me priait dÕy donner ordre, quÕautrement il serait contraint de le renvoyer. JÕen Žcrivis ˆ Mr le marquis de CĻuvres par homme exprs.

Le jeudi 5me Mr l'avoyer de Rooll nous fit un somptueux festin au soir, aprs lequel on dansa.

Le vendredi je reus et dŽpchai l'ordinaire. Monsieur le rŽsident de Venise me revint trouver.

Le samedi 7me je fis au soir festin aux dames et aux ambassadeurs ; puis lÕon tint bal en mon logis.

Plusieurs avoyers, landammanns et capitaines des cantons arrivrent ˆ Soleure pour me voir, auxquels le lendemain dimanche 8me je fis festin avec messieurs les ambassadeurs, ordinaire de France, de Savoie, et de Venise, et les principaux du conseil de Soleure ; et le soir je fis encore festin aux ambassadeurs, ˆ lÕambassadrice et ses filles, et ˆ plusieurs autres ; puis on dansa.

Le lundi 9me je fis encore le soir pareil festin aux dames et ambassadeurs, que jÕavais fait les jours prŽcŽdents.

Le mardi 10me les dŽputŽs de Fribourg arrivrent, qui mÕapportrent un acte. Mais comme il Žtait diffŽrent de ceux que les autres cantons mÕavaient donnŽs, je le refusai, et gourmandai fort leurs dŽputŽs, lesquels nŽanmoins je retins aprs ˆ d”ner avec moi. Ils sÕen retournrent, et le jeudi suivant, 12me, ils revinrent avec un acte trs ample ; et pour me tŽmoigner plus de franchise mÕenvoyrent leur secrŽtaire avec leur sceau pour me faire un acte ˆ ma fantaisie si celui dernier quÕils mÕavaient envoyŽ ne mÕagrŽait.

Le vendredi 13me je reus et dŽpchai lÕordinaire.

Le samedi 14me le roi mÕenvoya un courrier qui mÕapporta la nouvelle de la paix quÕil avait donnŽe ˆ ses sujets huguenots.

Le dimanche 15me je fis festin aux ambassadeurs, aux dŽputŽs de Schvitz et dÕUri, envoyŽs par leurs cantons pour me dire adieu de leur part, et ˆ plusieurs du conseil de Soleure.

Le lundi 16me monsieur lÕambassadeur ordinaire fit festin aux ambassadeurs et ˆ moi. Plusieurs dŽputŽs des cantons vinrent de leur part pour prendre congŽ de moi, qui leur avais envoyŽ dire adieu par des secrŽtaires interprtes du roi, qui leur avaient portŽ mes lettres.

Le mardi 17me jÕeus encore dÕautres dŽputŽs des cantons, comme aussi de lՎvque de B‰le, et abbŽ de Saint-Gal. JÕou•s ensuite les comptes de nos trŽsoriers.

Le mercredi 18me Mr lÕavoyer de Rooll nous fit une belle collation, et ensuite le bal.

Le jeudi 19me monsieur lÕambassadeur ordinaire en fit de mme.

Le vendredi 20me l'ordinaire arriva, et partit, par lequel je fis la dŽpche de mes adieux.

Le samedi 21me monsieur lÕambassadeur ordinaire et moi fžmes ˆ la maison de ville de Soleure pour dire adieu au canton, auquel je haranguai. Ils vinrent l'aprs d”ner en corps me remercier de lÕhonneur que je leur avais voulu faire.

Le dimanche 22me je fus dire adieu ˆ lÕavoyer de Rooll. Je fis festin ˆ messieurs de Soleure et aux ambassadeurs. Aprs d”ner nous all‰mes faire carme-prenant chez monsieur lÕambassadeur ordinaire, o le bal se tint, et nous fit festin ˆ souper.

Le trŽsorier Lionne arriva, qui mÕapporta la dŽpche du roi avec mon congŽ pour partir de la Suisse, et passer par la Lorraine pour assister le frre de Mr le duc de Lorraine en la poursuite de lՎvchŽ de Strasbourg o il aspirait.

Le lundi 23me je fus prendre congŽ des ambassadeurs, puis d”ner chez Mr Miron, expŽdier avec lui toutes nos affaires, et ensuite avec nos trŽsoriers ; et puis ayant pris congŽ dÕun chacun, je partis de Soleure, fort accompagnŽ des Suisses qui mՎtaient venus dire adieu et des ambassadeurs, et ayant pris congŽ de tous, je passai le mont Jura et vins coucher ˆ Valbourg.

Le mardi 24me, jour de carme-prenant, jÕarrivai ˆ B‰le. Messieurs de la ville vinrent au devant de moi, se mirent en armes, et tirrent quantitŽ de canonnades ˆ mon arrivŽe : puis messieurs du conseil me vinrent saluer de la part de leur canton, lesquels je retins ˆ souper avec moi.

Je partis de B‰le le jour des Cendres, mercredi 25me, accompagnŽ comme devant, et vins coucher ˆ Mulhouse, o il me fut fait entrŽe.

JÕen partis le jeudi 26me et vins coucher ˆ Saint-Amrin, ayant passŽ par Tanne.

Le vendredi 27me je passai le mont de Vosges, et couchai ˆ Ru en Lorraine.

Le samedi 28me je passai par Remiremont, et couchai ˆ Epinal.

 

Mars. Ń Le dimanche, premier jour de mars, jÕarrivai ˆ Mirecourt chez mon frre le marquis de Removille, o je trouvai sa famille, et madame la comtesse de Tornielle. JÕy fus superbement reu et traitŽ. Mon frre y arriva comme nous soupions, qui avait ŽtŽ forcŽ de demeurer ˆ Nancy jusques aprs lÕentrŽe de Son Altesse qui la faisait ce jour-lˆ, pour y servir comme grand-Žcuyer.

Il sÕen vint le lendemain lundi 2me de mars avec moi en ma maison de Harouel, o je vins coucher, et en partis le jour dÕaprs, mardi 3me, pour venir ˆ Nancy.

Son Altesse envoya ses gardes au-devant de moi pour mÕaccompagner, et le comte de Brionne pour me recevoir. Toute la noblesse de Lorraine Žtait assemblŽe pour lÕentrŽe du duc et pour tenir les Žtats, la plupart de laquelle vint au-devant de moi, et mÕamenrent en la galerie des Cerfs proche de mon appartement, o S.A. mÕattendait, et ayant repassŽ par devant mon appartement, mÕy laissa entre les mains du marquis de Mouy et du prince de Pfalsbourg.

Le mercredi 4me je fus ˆ lÕaudience du duc, de la duchesse, du duc Franois : puis je mÕen vins voir la princesse de Pfalsbourg chez qui toutes les dames Žtaient assemblŽes, que la plupart je connaissais, avec laquelle je demeurai jusques au soir.

Le jeudi 5me le prince de Pfalsbourg me fit festin. Aprs d”ner je fus saluer madame de Vaudemont, la princesse de Lorraine, Mr Franois Nicolas frre du duc, et la princesse Marguerite sa sĻur.

Le vendredi 6me mon frre me fit festin. Aprs d”ner je fus prendre congŽ de Son Altesse et des princes et princesses, et le samedi toute la cour et les seigneurs de Lorraine me vinrent dire adieu, et le comte de Brionne (qui mÕavait ce jour-lˆ fait festin), me conduisit en partant en la mme cŽrŽmonie quÕil avait fait ˆ lÕentrŽe.

Mon frre vint avec moi jusques ˆ la couchŽe, qui fut ˆ Fou, et la dernire fois que je lÕai vu ; le lendemain 8me ˆ Ligny ; puis ˆ Netancourt ; ˆ Chalons o je demeurai pour attendre mon train le mercredi 11me ; et le jeudi ˆ Estoges ; ˆ Vielle Maison ; et le samedi 14me jÕallai ˆ Jouarre voir ma nice de Saint-Luc qui Žtait en lÕabbaye, et coucher ˆ Monceaux.

Le dimanche 15me je d”nai ˆ Meaux et couchai ˆ Mittry, dÕo je partis le lundi 16me et vins trouver le roi ˆ Paris, qui me reut extrmement bien. Il me mena chez la reine sa mre, puis chez la reine sa femme, o les princesses Žtaient.

Je trouvai ˆ la cour Mr le prince de PiŽmont envoyŽ par le duc son pre pour Žchauffer le roi ˆ faire lÕannŽe prochaine une bonne et forte guerre en Italie. Mr le marŽchal de CrŽquy y Žtait venu de la part de monsieur le connŽtable ˆ ce mme dessein, et jÕavais ŽtŽ conviŽ par lÕun et lÕautre de me rendre au plus t™t prs du roi, afin que tous trois nous pussions lui faire prendre une bonne rŽsolution sur ce sujet. Je trouvai ˆ mon arrivŽe les choses assez bien disposŽes ˆ ce dessein : le roi avait donnŽ ˆ Mr le prince de PiŽmont la qualitŽ de lieutenant-gŽnŽral de ses armŽes delˆ les monts, avait promis un renfort de huit mille hommes de pied franais et de mille chevaux pour y grossir lÕarmŽe quÕil avait en Italie, ˆ laquelle il voulait joindre aussi les troupes quÕil avait en Valteline, laquelle on pouvait aisŽment garder avec deux mille hommes aprs la confection des forts que lÕon y faisait construire ; et que moi avec douze mille Suisses (dont jՎtais assurŽ), entrerais quand et quand dans le duchŽ de Milan ; de sorte que nous voyions toutes choses prŽparŽes selon nos intentions et dŽsirs, quand trois jours aprs mon arrivŽe Mr du Fargis envoya son secrŽtaire avec un traitŽ de paix ambigu, mal fait, et honteux pour le roi, avec le roi dÕEspagne, sans avoir eu prŽcŽdemment ordre ni commission du roi, non pas de le conclure, mais de le projeter seulement.

Il y avait en ce mme temps un procureur de Saint-Marc ambassadeur extraordinaire de la rŽpublique de Venise, nommŽ Contarin de li Mostachi, qui me dit, lorsque je le fus voir la veille que ce beau traitŽ arriva, que lÕambassadeur de la rŽpublique en Espagne lui avait Žcrit que lÕon faisait quelque traitŽ secret ˆ Madrid entre France et Espagne. Je me moquai avec lui de cet avis, l'assurant que cela ne pouvait tre : toutefois dans le doute o cela me mit, ayant ŽtŽ rendre compte de ma nŽgociation ˆ Mr le cardinal de Richelieu, je lui dis ce que le Contarin mÕavait appris. Il me serra la main, et me rŽpondit que je mÕassurasse quÕil nÕy avait aucune imagination de traitŽ, et que cՎtaient des fourbes espagnoles de faire courir ces faux bruits pour nous mettre en jalousie avec nos alliŽs, dont je les pouvais assurer ; ce que jՎtais rŽsolu de faire, et dÕaller le lendemain visiter le Contarin pour lui mettre sur cette affaire lÕesprit en repos. Je vis le soir mme Mr le prince de PiŽmont auquel je dis l'apprŽhension de lÕambassadeur Contarin, laquelle jÕavais fait savoir ˆ Mr le cardinal de Richelieu, et la rŽponse qu'il mÕavait faite. Monsieur le prince me rŽpondit que les VŽnitiens Žtaient gens spŽculatifs et souponneux qui dŽbitaient leurs songes et leurs imaginations pour bonnes nouvelles, et quÕils mÕavaient prŽsentŽ celle-lˆ plut™t par prŽvention que par aucune connaissance quÕils en eussent ; que pour lui il Žtait trs assurŽ quÕil ne se traitait rien au prŽjudice de la ligue, ni de nos prŽsents projets.

Sur cela jÕallai chez la reine o je trouvai Mr le marŽchal de CrŽquy, et sur les neuf heures du soir le roi nous envoya quŽrir tous deux pour le venir trouver au cabinet de la reine mre o il Žtait avec elle, Mr de Schomberg et Mr de Harbaut. Il nous commanda de nous asseoir en conseil, et nous dŽclara comme il venait de recevoir ce traitŽ fait ˆ son insu par son ambassadeur du Fargis, dont il nous fit faire lecture par Mr de Harbaut. Nous le trouv‰mes si mal conu, si mal projetŽ et raisonnŽ, si honteux pour la France, si contraire ˆ la ligue, et si dommageable aux Grisons, que, bien quÕau commencement nous nous fussions persuadŽ que cՎtait par lÕordre du roi quÕil avait ŽtŽ fait, mais quÕil voulait, pour apaiser ses alliŽs, montrer quÕil nÕen savait rien, nous cržmes effectivement quÕil avait ŽtŽ conclu contre son ordre. Ce fut ce qui nous obligea de dissuader le roi de lÕaccepter et ratifier, non plus quÕil nÕavait voulu faire celui dÕOcaigne, fagotŽ par le mme ministre, ni celui de Rome, fait par le commandeur de Sillery.

En ce temps, Mr le cardinal de Richelieu Žtait indisposŽ au Petit Luxembourg : le roi nous commanda ˆ nous trois marŽchaux, et ˆ Mr de Harbaut, secrŽtaire dՎtat, de lÕaller trouver le lendemain matin, et cependant de nÕen point parler ˆ Mr le prince de PiŽmont ; de confŽrer avec mondit sieur le cardinal, lequel lÕaprs-d”ner viendrait au conseil chez la reine mre, o le roi nous commanda de nous trouver. J'avoue que je ne fus jamais plus animŽ ˆ parler contre aucune chose que contre cet inf‰me traitŽ, et que jÕavais lÕesprit tellement ŽchauffŽ que je fus plus de deux heures dans le lit sans me pouvoir endormir, projetant une quantitŽ de raisons que je voulais le lendemain produire au conseil contre cette affaire. Mais, comme je me levai le lendemain plus rassis et refroidi, je considŽrai que ce nՎtait point mon affaire, mais celle du roi ; quÕen vain je mÕen tourmentais si le roi la voulait ratifier ; que jՎtais incertain si le roi avait point donnŽ les mains ˆ Mr du Fargis pour la pŽtrir ; que peut-tre la reine mre qui voulait mettre la paix entre ses enfants, lÕavait procurŽe, peut-tre monsieur le cardinal qui voyait des brouilleries naissantes dans lՎtat, avait voulu cette paix au dehors ; que je ne devais pas pŽnŽtrer plus avant, comme aussi je ne le pouvais pas faire, et qu'il me pouvait nuire de me dŽclarer trop ; quÕil ne me pouvait prŽjudicier de supersŽder mon ardeur pour quelque temps et de me contenir, laissant lever le livre par un autre, que je serais toujours en Žtat puis aprs de le courre et de le prendre. Ces raisons et plusieurs autres retinrent mon inclination portŽe ˆ me faire ou•r sur ce sujet, et Žtant allŽ chez monsieur le cardinal (selon lÕordre que nous en avions), jՎcoutai plus que je ne parlai, ce que je fis dÕautant plus volontiers que je trouvai monsieur le cardinal fort retenu et ne sÕouvrant gure, bl‰mant seulement la lŽgretŽ, prŽcipitation, et peu de jugement de Mr du Fargis qui mŽritait une capitale punition dÕavoir osŽ sans ordre du roi entreprendre une chose de telle consŽquence. Aprs d”ner il vint au conseil o nous nous trouv‰mes, et monsieur le garde des sceaux de plus ; auquel je remarquai quÕun chacun sÕamusa plus ˆ bl‰mer lÕouvrier quՈ dŽmolir lÕouvrage ; que lÕon parla peu du traitŽ, beaucoup du contractant, et quÕil fut plus discouru des moyens quÕil y aurait dÕy ajouter quelque chose pour le rendre moins mauvais, qu'il ne fut proposŽ de le dŽsavouer et le rompre ; qui me fit juger que lÕon ežt bien dŽsirŽ quÕil fžt meilleur, mais que lÕon ne voulait pas quÕil nÕy en ežt point du tout.

Cela fut cause que je me retirai entirement de lÕaffaire, et me mis ˆ faire mon jubilŽ sur la fin du carme (avril).

Cependant on t‰cha dÕapaiser le mieux que lÕon put les intŽressŽs ; Mr le prince de PiŽmont et Mr Contarini se retirrent ; on t‰cha dÕajouter quelque chose au traitŽ, dÕen Žclaircir dÕautres, et de ratifier le tout ; ce que lÕon fit, ˆ mon avis, premirement pour donner la paix ˆ la chrŽtientŽ qui sÕen allait jeter en une cruelle guerre, et puis ensuite pour donner ordre ˆ certaines pratiques qui se faisaient au dedans avec Monsieur, frre du roi, en apparence pour troubler le mariage projetŽ entre madelle de Montpensier et lui, en effet pour brouiller et troubler lՎtat et mettre les deux frres en division.

Le roi qui nÕen prŽvoyait que trop les inconvŽnients avait t‰chŽ de retirer ˆ lui le colonel dÕOrnano qui avait tout pouvoir sur lÕesprit de monsieur son frre, et qui ouvrait lÕoreille ˆ plusieurs propositions que le roi nÕagrŽait pas. Il lui avait donnŽ ds le commencement de janvier un office de marŽchal de France, ce qui avait plut™t dŽlayŽ quÕassoupi les brigues et menŽes qui se faisaient. On avait ensuite fait la paix avec ceux de la Religion en France pour nÕavoir pas ˆ la fois tant de quenouilles ˆ filer.

 

Mai. Ń Finalement au commencement du mois de mai, le roi Žtant ˆ Fontainebleau, pour retirer monsieur son frre de tous intrigues, le mit de son conseil Žtroit, et lui fit venir le 2me dudit mois. Le marŽchal dÕOrnano fit premirement ses plaintes de ce que le roi avait mis de son conseil monsieur son frre sans lui en avoir prŽcŽdemment parlŽ, ce que lÕon faisait, disait-il, pour le discrŽditer ; puis ensuite demanda dÕen tre, et enfin quÕil y pžt accompagner monsieur son ma”tre, demeurant debout comme les secrŽtaires dՎtat, ce qui lui ayant ŽtŽ refusŽ, il dŽclara plus ouvertement quÕil ne convenait son mŽcontentement. Les dames de la cour Žtaient fort mlŽes dans ces intrigues, les unes en haine de la maison de Guise quÕelles voyaient agrandir par la prochaine alliance de Monsieur, les autres en haine de madelle de Montpensier, et les autres pour lÕintŽrt du mariage de Monsieur. Le marŽchal dÕOrnano Žtait en parfaite intelligence avec toutes, ce quÕil faisait dÕautant plus assurŽment quÕil croyait que lÕintention du roi Žtait conjointe ˆ leurs desseins, vu que Sa MajestŽ lui avait commandŽ lÕannŽe prŽcŽdente quÕil ežt ˆ rompre les pratiques trop ouvertes que lÕon faisait pour ce mariage, et ˆ en dŽtourner les frŽquentes entrevues.

Le 4me de mai le roi voulut faire lÕexercice de son rŽgiment des gardes dans la cour du Cheval blanc, et en donner le plaisir aux reines et aux princesses, qui le verraient faire de la grande galerie. Je mÕen allai ce jour-lˆ aprs d”ner ˆ Paris pour empcher quÕune de mes nices de Saint-Luc ne se f”t feuillantine. Je pris congŽ du roi qui me dit par deux fois que je nÕy avais que faire, et que je visse faire lÕexercice ; mais moi ne songeant ˆ rien ne laissai pas de mÕy en aller.

Le lendemain 5me, sur les six heures du matin, Bonnevaut me vint trouver, que le roi mÕavait envoyŽ la nuit pour me mander comme il avait fait arrter prisonnier le marŽchal dÕOrnano et que je ne manquasse pas de mÕen venir le jour mme ˆ Fontainebleau, ce que je fis.

Monsieur sՎtait fort offensŽ de cette prise et Žtait venu en faire de grandes plaintes au roi. Il sÕadressa premirement ˆ monsieur le chancelier, lui demandant si cՎtait par son avis que lÕon ežt pris le marŽchal dÕOrnano, lequel lui dit quÕil en Žtait bien ŽtonnŽ, et quÕil nÕen savait rien. Il fit ensuite la mme demande ˆ monsieur le cardinal, qui lui rŽpondit quÕil ne dirait pas comme monsieur le chancelier, et que lÕun et lÕautre lÕavait conseillŽ au roi, sur les choses que Sa MajestŽ leur en avait dites. La rŽponse du chancelier fut cause de lui faire peu aprs ™ter les sceaux. On fit en mme temps arrter prisonniers ses deux frres Masargue et Ornano, comme aussi Chaudebonne, Modene et Du Hagen que lÕon mit en la Bastille, et lÕon commanda au chevalier de Jars et ˆ Boyer de sortir de la cour.

On mena le lendemain le marŽchal au bois de Vincennes, et Monsieur continua ses plaintes et ses mŽcontentements. Je le fus trouver le lendemain de mon arrivŽe ˆ Fontainebleau, et mme avant avoir vu le roi (tant jՎtais assurŽ de la confiance que Sa MajestŽ avait en moi) : je le trouvai fort animŽ et portŽ par plusieurs mauvais esprits, et pris la hardiesse de lui parler franchement et en homme de bien, ce quÕil reut en bonne part. Je continuai de le voir souvent, le roi mÕayant tŽmoignŽ de le trouver bon : mais ˆ quatre jours de lˆ, la reine mre me dit quÕil lui avait tenu un discours qui mÕobligea de n'y plus retourner, savoir quÕil savait que lÕon voulait mettre auprs de lui Mr de Bellegarde ou moi, mais quÕil nÕen voulait point, et que nous voudrions faire les gouverneurs, dont il nÕavait dŽsormais que faire ; je voulus lui montrer par mon Žloignement dÕauprs de lui que je nÕaspirais nullement ˆ cette charge.

Peu de jours aprs il courut un bruit que lÕon avait tenu un conseil dont il y avait neuf personnes, lÕune desquelles lÕavait dŽcelŽ, auquel il avait ŽtŽ rŽsolu que lÕon irait tuer monsieur le cardinal dans Fleury. Il sÕest dit que ce fut Mr de Chalais, lequel sÕen Žtant confiŽ au commandeur de Valanay, ledit commandeur lui reprocha sa trahison, Žtant domestique du roi, dÕoser entreprendre sur son premier ministre ; quÕil l'en devait avertir, et quÕen cas quÕil ne le voulžt faire, que lui mme le dŽclerait : dont Chalais intimidŽ y consentit ; et que tous deux partirent ˆ lÕheure-mme pour aller ˆ Fleury en avertir monsieur le cardinal qui les remercia et pria dÕaller porter ce mme avis au roi, ce quÕils firent, et le roi ˆ onze heures du soir envoya commander ˆ trente de ses gendarmes et autant de chevau-lŽgers dÕaller ˆ lÕheure mme ˆ Fleury. La reine mre pareillement y dŽpcha toute sa noblesse. Il arriva, comme Chalais avait dit, que sur les trois heures du matin les officiers de Monsieur arrivrent ˆ Fleury, envoyŽs pour lui apprter son d”ner : monsieur le cardinal leur cŽda le logis, et sÕen vint accompagnŽ de plus de six-vingt chevaux ˆ Fontainebleau. Il vint droit ˆ la chambre de Monsieur, qui se levait et fut assez ŽtonnŽ de le voir : il fit reproche ˆ Monsieur de ne lui avoir pas voulu faire lÕhonneur de lui commander de lui donner ˆ d”ner, ce quÕil ežt fait au mieux quÕil ežt pu, et quÕil avait ˆ la mme heure rŽsignŽ la maison ˆ ses gens ; puis ensuite lui ayant donnŽ sa chemise, il vint trouver le roi, puis la reine mre, et de lˆ sÕen alla ˆ la Maison Rouge jusques ˆ ce que le roi sÕen v”nt ˆ Paris. On ne pouvait s'imaginer dÕo Žtait venue la dŽclaration de ce conseil jusques ˆ ce que, la cour Žtant revenue ˆ Paris, Chalais confessa ˆ la reine et ˆ madame de Chevreuse que la crainte dՐtre dŽcelŽ par le commandeur de Valanai (auquel il sՎtait fiŽ), et la violence quÕil lui fit dÕavertir monsieur le cardinal lÕavaient portŽ ˆ cela, mais quՈ lÕavenir il leur serait fidle, et leur donnait cette libre reconnaissance de sa faute quÕil leur faisait, pour marque de sa sincŽritŽ.

Cependant le grand prieur, qui Žtait de la partie, voyant l'affaire dŽcouverte, voulut retirer son Žpingle du jeu, et vint dire de belles paroles ˆ monsieur le cardinal, le priant de le faire parvenir ˆ lÕamirautŽ de France o il prŽtendait. Monsieur le cardinal feignit quÕil lui avait procurŽ cette charge, et quÕil all‰t en Bretagne faire venir Mr de Vend™me pour en remercier le roi qui cependant sÕachemina ˆ Blois.

Monsieur le cardinal alla ˆ Limours o Mr le Prince le vint trouver le jour de la Pentec™te. Monsieur sÕy en alla le lendemain (juin) ˆ la persuasion du prŽsident le Coygneux qui lui fit croire que lÕon allait approcher des affaires Mr le Prince, pour lÕen Žloigner, sÕil ne se raccommodait avec monsieur le cardinal, ce quÕil fit en apparence, mais conservait toujours la secrte intelligence avec la cabale et avait tirŽ parole de madame de Villars par le moyen de monsieur le grand prieur quÕelle lui livrerait le Havre pour se retirer ; Balagny dÕautre c™tŽ sՎtait fait fort de lui mettre Laon en main, et il avait quelque espŽrance dÕavoir Metz ˆ sa dŽvotion. Il voulut savoir de Mr de Villars sÕil se pouvait assurer de sa place, lequel la refusa tout ˆ plat et dit que sa femme nÕy avait nul pouvoir. DÕautre c™tŽ Mallortie qui commandait dans Laon pour le marquis de CĻuvres, dit quÕil ne connaissait point Balagny, et que si on ne lui apportait un commandement de son ma”tre, que personne n'y entrerait le plus fort.

Cependant les dames et les autres partisans pressaient Monsieur de se retirer de la cour, ˆ quoi il fut encore plus conviŽ quand il vit que messieurs de Vend™me et grand-prieur, frres, Žtant arrivŽs ˆ Blois le 12 de juin, y avaient le lendemain matin 13me ŽtŽ faits prisonniers et menŽs en sžre garde dans le ch‰teau dÕAmboise, ce qui l'affligea fort, et Mr le Comte aussi qui aimait uniquement le grand-prieur ; auquel en mme temps on fit un mauvais office dÕavertir le roi quÕil voulait enlever madelle de Montpensier qui Žtait demeurŽe ˆ Paris o le roi avait laissŽ Mr le Comte avec un ample pouvoir pour commander en son absence : et comme cela Žtait facile ˆ faire et apparent, quÕil Žtait en saison souponneuse, et que Monsieur mme en ežt peut-tre ŽtŽ dÕaccord, cela le fit croire davantage et donna sujet au roi dÕenvoyer en diligence le sieur de Fontenai ˆ Paris pour faire venir madelle de Montpensier ˆ Blois, ou ˆ Nantes, si le roi y Žtait dŽjˆ acheminŽ. Il commanda aussi de la part du roi ˆ Mr de Bellegarde, ˆ Mr dÕEffiat, et ˆ moi de lÕaccompagner avec le plus de nos amis que nous pourrions. Il arriva la veille que je devais partir en poste pour mÕen aller ˆ la cour o jÕavais dŽjˆ tout mon train, de sorte que je me trouvai sans moyen dÕexŽcuter ce commandement et mÕen allai trouver le roi. Mais Mrs de Bellegarde et dÕEffiat y supplŽrent : ce dernier avait ŽtŽ ŽlevŽ ˆ la charge de surintendant des finances peu de jours avant le partement du roi, qui ™ta les sceaux ˆ monsieur le chancelier, et les donna ˆ Mr de Marillac qui Žtait alors surintendant des finances que Mr dÕEffiat eut, et partit avec madame de Guise bien accompagnŽe, pour venir ˆ la cour.

Comme le roi Žtait ˆ Blois, on faisait soigneusement prendre garde aux actions de Monsieur, et Žpier qui lui parlait. On dŽcouvrit que Chalais qui Žtait ma”tre de la garde-robe du roi et logŽ dans le ch‰teau proche de l'appartement de Monsieur, lÕallait voir la nuit en robe de chambre et aprs avoir demeurŽ deux ou trois heures avec lui sÕen retournait en cachette, ce qui fit conna”tre au roi quÕil jouait le double. Sur cela la cour partit de Blois et vint ˆ Tours, et Monsieur ayant perdu l'espŽrance dÕavoir les villes du Havre ou de Laon pour sa retraite de la cour, tenta par le moyen de Chalais celle de Metz, qui y dŽpcha un gentilhomme nommŽ la Loubiere que les Gramonts lui avaient donnŽ. Ce la Loubiere vint dire adieu au comte de LouvignŽ avec qui il avait ŽtŽ, et le connaissant parfait ami de Chalais, ne se feignit point de lui dire o il allait, et pour quel sujet. De Tours le roi sÕachemina par la rivire de Loire ˆ Saumur, et par les chemins LouvignŽ eut quelque chose ˆ dŽmler avec Mr de Candale avec qui il nՎtait pas bien pour quelques amourettes : nŽanmoins cela se passa sans bruit. Chalais et Bouteville sÕen vinrent le soir que nous arriv‰mes ˆ Saumur, souper chez moi, et me prirent de tancer LouvignŽ, ce que je fis en leur prŽsence ; et eux, et dÕautres lui dirent quÕil pr”t garde de nÕavoir aucune querelle avec Mr de Candale sÕil ne les voulait perdre pour amis, parce quÕils avaient des obligations particulires qui les liaient avec Mr de Candale. Lui au contraire le lendemain, allant de Saumur aux Ponts de CŽ, querella Mr de Candale, et lors tous ceux quÕil pensait ses amis le quittrent pour sÕaller offrir ˆ Mr de Candale, dont ce mŽchant garon fut tellement piquŽ que le lendemain (juillet), comme le roi arriva ˆ Ensenis, il demanda ˆ lui parler et lui dŽclara le voyage que la Loubiere Žtait allŽ faire ˆ Metz par lÕordre de Chalais, et plusieurs autres choses quÕil savait, ou quÕil inventa.

Le roi arriva ˆ Nantes, et peu de jours aprs fit mettre en prison Chalais et lui fit faire son procs. Monsieur fut fort ŽtonnŽ de sa prise, et ses gens aussi, et furent sur le point de partir : mais en mme temps ils eurent rŽponse de Mr de la Valette qui Žtait ˆ Metz, que si Mr dÕEpernon se dŽclarait pour lui, quÕil s'y dŽclarerait aussi, sinon non : Monsieur avait Žcrit ˆ Mr dÕEpernon qui envoya la lettre au roi. En cette extrŽmitŽ le meilleur fut de sÕaccommoder avec le roi, ce que le Coygneux pratiqua, et madame de Guise Žtant arrivŽe, la reine mre pressa et fit le mariage de Monsieur avec mademoiselle de Montpensier. On fit encore un effort pour lÕempcher par le moyen de Tronson, Marcillac et Sauveterre, qui en furent tous trois chassŽs de la cour avec perte de leurs charges (aožt). Monsieur se maria et se remit trs bien avec le roi qui lui donna son apanage selon son contentement.

Aprs que les fianailles furent faites, le roi parlant ˆ monsieur son frre et ˆ moi, lui dit ces mmes mots : Ē Mon frre, je vous dis devant le marŽchal de Bassompierre qui vous aime bien, et qui est mon bon et fidle serviteur, que je nÕai en ma vie fait chose tant ˆ mon grŽ que votre mariage. Č Monsieur ensuite me mena promener au jardin qui est sur un bastion et me dit : Ē Betstein, tu me verras astheure sans crainte, puisque je suis bien avec le roi. Č Je lui rŽpondis : Ē Monsieur, vous avez pu juger que je nÕen faisais point de scrupule, puisque je vous fus trouver (aprs que le marŽchal dÕOrnano fut pris), avant mme que jÕeusse vu le roi, lequel a tant de preuves de ma fidŽlitŽ que je nÕai rien ˆ craindre, ni lui aussi, de ce c™tŽ-lˆ. Mais je me suis retirŽ de vous voir lorsque vous avez dit ˆ la reine votre mre que lÕon voulait mettre Mr de Bellegarde ou moi auprs de vous, et que vous nÕen vouliez point, afin de vous faire voir que je nÕy prŽtendais point et que je ne piquais pas aprs le bŽnŽfice. Č Il me dit lors quÕil serait bien aise que je fusse prs de lui, et que je fisse auprs du roi quÕil mÕy m”t. Ė cela je rŽpondis que quand le roi me donnerait cent mille Žcus par an pour tre auprs de lui, que je les refuserais, non pas que je ne le tinsse ˆ grand honneur et que je nÕeusse une grande passion ˆ son service, mais parce quÕil en faudrait tromper lÕun ou lÕautre, et que je ne m'entendais point ˆ cela.

Trois jours aprs, Monsieur fut mariŽ : mais pour cela le procs de Chalais ne se discontinua pas ; ains on le paracheva, et eut la tte tranchŽe ˆ Nantes.

Il y eut plusieurs intrigues dÕamourettes, et autres choses. On rŽforma lÕentrŽe de la chambre et cabinet de la reine aux hommes, hormis quand le roi y serait. On fit renvoyer en sa maison madame de Chevreuse qui sÕen alla, au lieu de sa maison, en Lorraine.

En ce mme temps, du c™tŽ dÕAngleterre, on chassa tous les officiers franais de la reine, et les prtres aussi, hormis son confesseur, ce qui causa un grand dŽplaisir au roi et ˆ la reine mre, laquelle dŽsira que le roi mÕenvoy‰t en Angleterre pour remŽdier ˆ tout cela. Je fis ce que je pus pour mÕen exempter, ayant ŽtŽ trop mal traitŽ en lÕambassade dernire que jÕavais faite en Suisse, en laquelle on avait dŽmembrŽ la moitiŽ de ma charge pour en investir le marquis de CĻuvres : mais enfin, il m'y fallut aller.

Le roi dÕAngleterre envoya le milord Carleton pour faire agrŽer au roi et ˆ la reine mre ce quÕil avait fait, qui fut trs mal reu.

La cour partit de Nantes pour revenir ˆ Paris.

Ambassade en Angleterre

Le roi dÕAngleterre envoya Montaigu pour se rŽjouir des noces de Monsieur, tant avec lui et Madame, quÕavec le roi et les reines. Mais comme il vint ˆ Paris, il eut commandement de sÕen retourner sur ses pas, et moi je fus extraordinairement pressŽ de partir pour Angleterre, ce quÕenfin je fus contraint de faire le dimanche 27me de septembre de cette mme annŽe 1626, et vins d”ner ˆ Pontoise chez Mr le cardinal de Richelieu, o Mrs de Marillac garde des sceaux, de Schomberg et de Harbaut se trouvrent pour me dŽpcher de toutes les affaires que jÕavais avec eux ; et puis vins coucher ˆ Beauvais.

 

Septembre, octobre. Ń JÕen partis le lendemain 28me et vins ˆ Poix, puis ˆ Abbeville le 29, ˆ Montreuil le 30 et ˆ Boulogne le 1er dÕoctobre, o je trouvai mon Žquipage et ceux qui venaient mÕaccompagner en ce voyage.

Mr dÕAumont gouverneur de Boulogne me festina, et je m'embarquai le lendemain deuxime jour dÕoctobre, et passai ˆ Douvres o je sŽjournai le lendemain 3me pour trouver voiture ˆ mon train.

Je fus le lendemain 4me coucher ˆ Cantorberi ; le lundi 5me ˆ Sittimborne ; le mardi 6me je passai ˆ Rochester o sont les grands vaisseaux de guerre du roi, et vins coucher ˆ Gravesinde.

Le sieur Louis Lucnar conducteur des ambassadeurs mÕy vint trouver avec la berge de la reine quÕelle mÕenvoya, et le mercredi 7me je mÕy embarquai sur la Tamise, vins passer devant le magasin de la contratation des Indes, puis devant Grennhuits, maison du roi, auprs de laquelle le comte Dorset chevalier de la Jarretire, de la maison de Sacfil, me vint recevoir de la part du roi, et mÕayant fait entrer dans la berge du roi, m'amena jusques proche de la Tour de Londres, o les carrosses du roi mÕattendaient, qui me menrent en mon logis o ledit comte Dorset me quitta. Je ne fus logŽ ni dŽfrayŽ par le roi, et ˆ peine put-on envoyer ce comte Dorset, selon la coutume ordinaire, pour me recevoir. Je ne laissai pour cela dՐtre assez bien logŽ, meublŽ, et accommodŽ.

Ce soir mme, aprs que jÕeus soupŽ, on fit dire au chevalier de Jars qui avait soupŽ avec moi, que quelquÕun le demandait. CՎtait le duc de Bocquinguem, et Montagu, qui seuls Žtaient venus me voir sans flambeaux et le prirent de les faire entrer en ma chambre par quelque porte secrte, ce quÕil fit et puis me vint quŽrir. Je fus bien ŽtonnŽ de le voir lˆ parce que je savais qu'il Žtait ˆ Amptoncourt avec le roi : mais il en Žtait arrivŽ pour me voir. Il me fit dÕabord force plaintes de la France, puis de moi aussi sur le sujet de quelques personnes ; auxquelles je rŽpondis le mieux que je pus, et puis fis celles de la France contre lÕAngleterre quÕil excusa aussi le mieux quÕil put, et ensuite me promit toute sorte dÕassistance et dÕamitiŽ, comme je lui fis aussi offre bien ample de mon service. Il me pria de ne point dire quÕil me fžt venu voir parce quÕil lÕavait fait ˆ lÕinsu du roi, ce que je ne crus pas.

Le jeudi 8me l'ambassadeur Contarini, de Venise, me vint visiter, et sur la nuit jÕallai voir Mr le duc de Bocquinguem en cachette en son logis nommŽ Iorchaus [York House], qui est extrmement beau et Žtait le plus richement parŽ que je vis jamais aucun autre, nous en sŽparant fort bons amis.

Le vendredi 9me au matin me vint trouver le sieur Louis Lucnar de la part du roi pour me faire commandement de renvoyer en France le pre Sansy de lÕoratoire que jÕavais emmenŽ avec moi. JÕen fis un absolu refus, disant quÕil Žtait mon confesseur, et que le roi nÕavait que voir en mon train ; que, sÕil ne mÕavait agrŽable, je sortirais de son royaume, et retournerais trouver mon ma”tre. Peu aprs le duc de Bocquinguem, le comte Dorset et de Salisberi vinrent d”ner chez moi, ˆ qui jÕen fis mes plaintes. Aprs d”ner le comte de Montgomeri grand chambellan me vint visiter, et me presser de la part du roi de renvoyer le pre Sansy, ˆ qui je fis la mme rŽponse que jÕavais faite ˆ Lucnar.

Ensuite l'ambassadeur de Danemark et l'agent du roi de Bohme me vinrent visiter, et Montagu vint souper avec moi, et le lendemain le sieur Edouart Cecil vicomte de Houemelton que jÕavais connu jeune en Italie, et qui mÕavait dŽjˆ trente ans auparavant fait beaucoup de courtoisie en Angleterre.

Le dimanche 11me Mr le comte de Carlile me vint trouver avec les carrosses du roi pour me mener ˆ Amptoncourt ˆ lÕaudience du roi. Je fus conduit dans Amptoncourt dans une salle o il y avait une belle collation. Le duc de Bocquinguem mÕy vint trouver pour me mener ˆ lÕaudience, et me dit que le roi voulait prŽcŽdemment savoir ce que je lui voulais dire, et quÕil ne voulait pas que je lui parlasse dÕaucune affaire, quÕautrement il ne me donnerait point dÕaudience. Je lui dis que le roi saurait ce que je lui avais ˆ dire par ma propre bouche, et que lÕon ne limitait point ce quÕun ambassadeur avait ˆ reprŽsenter au prince vers lequel il Žtait envoyŽ ; et que sÕil ne me voulait voir, que jՎtais prt de mÕen retourner. Il me jura que la seule cause qui l'obligeait ˆ cela, et qui lÕy faisait opini‰trer, Žtait qu'il ne se pourrait empcher de se mettre en colre en traitant des affaires dont jÕavais ˆ lui parler, ce qui ne serait pas biensŽant sur ce haut dais ˆ la vue des principaux du royaume, hommes et femmes ; que la reine sa femme Žtait auprs de lui, qui, animŽe du licenciement de ses domestiques, pourrait faire quelque extravagance et pleurer ˆ la vue dÕun chacun ; qu'enfin il ne voulait point se compromettre devant le monde, et quÕil Žtait plut™t rŽsolu de rompre cette audience et de me la donner particulire, que de traiter dÕaucune affaire devant le monde avec moi. Il me fit de grands serments quÕil me disait vŽritŽ et quÕil nÕavait pu porter le roi ˆ me voir autrement, me priant mme de lui donner quelque expŽdient, et que je l'obligerais. Moi qui vis que jÕallais recevoir cet affront, et quÕil me priait de lÕaider de mon conseil pour Žviter lÕun, et mÕinsinuer de plus en plus en ses bonnes gr‰ces par lÕautre, lui dis que je ne pouvais en faon quelconque faire autre chose que ce qui mՎtait commandŽ par le roi mon ma”tre, mais que puisque, comme mon ami, il demandait mon avis sur quelque expŽdient, je lui dirais quÕil dŽpendait du roi de me donner ou ™ter, accourcir ou prolonger lÕaudience en la forme quÕil voudrait, et quÕil pouvait, aprs mÕavoir permis de lui faire la rŽvŽrence et reu avec les lettres du roi les premiers compliments, quand je viendrais ˆ lui dŽduire le sujet de ma venue, mÕinterrompre et me dire : Monsieur lÕambassadeur, vous venez de Londres et avez ˆ y retourner : il est tard, et cette affaire requiert un plus long temps que celui que je vous pourrais maintenant donner. Je vous enverrai quŽrir un de ces jours de meilleure heure, et en une audience particulire nous en confŽrerons ˆ loisir. Cependant je me contente de vous avoir vu, et su des nouvelles du roi mon beau-frre et de la reine ma belle-mre, et ne veux plus retarder lÕimpatience que la reine ma femme ˆ dÕen apprendre par votre bouche. Sur quoi je prendrai congŽ de lui pour aller faire la rŽvŽrence ˆ la reine.

Aprs que je lui eus dit cela, le duc mÕembrassa et me dit : Ē Vous en savez plus que nous. Je vous ai offert mon assistance aux affaires que vous venez traiter : mais maintenant je retire la parole que je vous ai donnŽe ; car sans moi vous les saurez bien faire Č : et en riant me quitta pour aller porter cet expŽdient au roi qui le reut, et en usa ponctuellement. Le duc revint pour mÕamener ˆ lÕaudience, et le comte de Carlile marchait derrire lui. Je trouvai le roi sur un thމtre ŽlevŽ de dix degrŽs, la reine et lui en deux chaires, qui se levrent ˆ la premire rŽvŽrence que je leur fis en entrant. La compagnie Žtait superbe, et lÕordre exquis. Je fis mon compliment au roi, lui donnai mes lettres, et aprs lui avoir dit les honntes paroles, comme je vins aux essentielles, il mÕinterrompit en la mme forme que jÕavais proposŽe au duc. Je vis de lˆ la reine, ˆ laquelle je dis peu de choses parce quÕelle me dit que le roi lui avait permis dÕaller ˆ Londres, o elle me verrait ˆ loisir ; puis je me retirai. Le duc et les principaux seigneurs me vinrent conduire jusques ˆ mon carrosse, et comme le duc mÕentretenait exprs pour donner loisir au secrŽtaire de mÕattraper, ledit secrŽtaire arriva, qui me dit que le roi me mandait quÕencore quÕil mÕežt promis une audience particulire, nŽanmoins il ne mÕen donnerait point jusques ˆ ce que jÕeusse renvoyŽ le pre Sansy en France comme il me lÕavait dŽjˆ fait dire par trois fois sans effet, dont Sa MajestŽ sÕen sentait offensŽe. Je lui rŽpondis que, sÕil ežt ŽtŽ de mon devoir ou de la biensŽance de lÕobŽir, je lÕeusse fait ds le premier commandement, et que je nÕavais autre rŽponse ˆ lui faire que conformŽment aux prŽcŽdentes, dont je pensais quÕil džt tre satisfait, et que Sa MajestŽ se devait contenter du respect que je lui rendais de retenir enfermŽ dans mon logis un de mes domestiques, qui nÕest criminel, ni condamnŽ, ni accusŽ, lequel je lui promettais ne devoir pratiquer, confŽrer, ni mme se montrer dans sa cour ni dans la ville de Londres, si bien dans ma maison tant que jÕy serai, et nÕen partira quÕavec moi, ce que je ferai ds demain sÕil me lÕordonne ; et sÕil ne me veut point donner audience, jÕenverrai savoir du roi mon ma”tre ce quÕil lui plait que je devienne aprs ce refus, lequel ne me laissera pas, ˆ mon avis, vieillir en Angleterre, attendant que le roi ait la fantaisie ou prenne le loisir de mÕou•r : ce que je dis assez haut et aucunement Žmu, afin que les assistants me pussent entendre, et jÕen tŽmoignai ensuite plus de ressentiment au duc auquel je priai que lÕon ne me parl‰t plus de cette affaire, qui Žtait dŽterminŽe en mon esprit, si lÕon ne me voulait quand et quand donner un commandement de sortir de Londres et de lՔle ; que je le recevrais avec joie : et sur ce je me sŽparai de la compagnie avec le comte de Carlile et Montagu, qui me ramenrent ˆ Londres et demeurrent ˆ souper avec moi.

Le lundi 12me lÕambassadeur de Messieurs les ƒtats me vint visiter, et je fus rendre la visite aux ambassadeurs de Danemark et de Venise. Puis jÕallai saluer madame de la Trimouille, et en revenant en mon logis jÕy trouvai le duc de Bocquinguem et Montagu qui souprent chez moi. LÕaprs-souper je lÕentretins longtemps de mes affaires.

Le mardi 13me octobre la reine arriva ˆ Londres et mÕenvoya quŽrir par Gorin avec lequel je lÕallai trouver en son palais de Sommerset. Puis je fus voir le duc ˆ Iorchaus.

Le mercredi 14me je fus dire adieu le matin ˆ madame de la Trimouille. Puis Robert Keri vint me voir ; ensuite lÕambassadeur de Bethleem Gabor avec l'agent du roi de Bohme.

Finalement Montagu me vint dire de la part du duc que, bien que je retinsse prs de moi le pre Sansy, le roi ne laisserait pour cela de me donner audience le lendemain, qui fut le jeudi 15me auquel le comte de Brischwater me vint mener avec les carrosses du roi ˆ Amptoncourt. Puis le duc me mena dans une galerie o le roi mÕattendait, qui me donna une bien longue audience et bien contestŽe. Il se mit fort en colre, et moi, sans perdre le respect, je lui repartis en sorte quÕenfin lui cŽdant quelque chose, il mÕen accorda beaucoup. Je vis lˆ une grande hardiesse, (pour ne dire effronterie), du duc de Bocquinguem, qui fut que, lorsquÕil nous vit le plus ŽchauffŽs en contestations, il partit de la main et se vint mettre en tiers entre le roi et moi, en disant : Ē Je viens faire le holˆ entre vous deux. Č Lors jՙtai mon chapeau, et tant quÕil fut avec nous, je ne le voulus remettre, quelque instance que le roi et lui mÕen fissent : puis quand il se fut retirŽ, je le remis sans que le roi me le d”t. Quand jÕeus achevŽ et quÕil put parler ˆ moi, le duc me dit pourquoi je ne mÕavais pas voulu couvrir lui y Žtant, et que nÕy Žtant plus, je mՎtais si franchement couvert. Je lui rŽpondis que je lÕavais fait pour lui faire honneur, parce quÕil ne se fžt pas couvert et que je lÕeusse ŽtŽ, ce que je nÕavais voulu souffrir : dont il me sut bon grŽ et le dit depuis plusieurs fois, me louant. Mais jÕavais encore une autre raison pour le faire, qui Žtait que ce nՎtait plus audience, mais conversation particulire, puis quÕil lÕavait interrompue, se mettant en tiers.

Aprs que mon audience dernire fut finie, le roi me mena par des diverses galeries chez la reine, o il me laissa, et puis moi elle, aprs lÕavoir longuement entretenue, et fus ramenŽ ˆ Londres par le mme comte de Brischwater.

Le vendredi 16me je fus voir le comte de Holland malade ˆ Kinsinthon [Kensington]. Le roi et la reine revinrent ˆ Londres. Mr de Soubise me vint voir. Puis le duc mÕenvoya prier de venir ˆ Sommerset o nous fžmes plus de deux heures ˆ contester de nos affaires.

Le samedi 17me je fus faire la rŽvŽrence ˆ la reine ˆ Houaithall [White Hall] et lui rendre compte de tout ce que jÕavais le jour prŽcŽdent confŽrŽ avec le duc.

Le dimanche 18me je fus visitŽ par le secrŽtaire ConvŽ qui me vint parler de la part du roi. Puis ensuite le comte de Carlile et le milord Carleton me vinrent voir.

Le lundi 19me, le matin, lÕambassadeur de Danemark me visita. Je rendis aprs d”ner la visite ˆ celui de Hollande ; puis je fus trouver la reine ˆ Houaithall.

Le mardi 20me le vicomte de Houemelton et Gorin vinrent d”ner avec moi. LÕaprs-d”ner je fus ou• au conseil, et au retour lÕambassadeur de Venise me vint visiter.

Le mercredi 21me je fis une dŽpche au roi. Je fus voir la reine, et de lˆ confŽrer avec le duc dans Sommerset.

Le jeudi 22me je fus le matin voir lÕambassadeur de Danemark. Le duc, les comtes de Carlile et de Holland, avec Montagu, vinrent d”ner chez moi. Je vis en passant lÕambassadeur des ƒtats pour affaires ; puis je fus chez la reine, et le soir chez madame de Strange.

Le vendredi 23me je fus voir le comte de Carlile, et lÕambassadeur de Venise.

Le samedi 24me je fus voir la reine, o le roi vint, quÕelle querella. Le roi me mena en sa chambre et mÕentretint longuement, me faisant beaucoup de plaintes de la reine sa femme.

Le dimanche 25me les comtes de Pembroch et de Montgomeri me vinrent voir. Puis je fus trouver le duc que jÕamenai chez la reine, o il fit sa paix avec elle, que jÕavais moyennŽe avec mille peines. Le roi y arriva ensuite, qui se raccommoda aussi avec elle, lui fit beaucoup de caresses, me remercia de ce que jÕavais remis le duc en bonne intelligence avec sa femme, puis mÕamena en sa chambre, o il me montra ses pierreries qui sont trs belles.

Le lundi 26me je fus voir le matin lÕambassadeur de Danemark. LÕaprs-d”ner je fus trouver la reine ˆ Sommerset avec qui je me brouillai.

Le mardi 27me le duc, les comtes Dorset, de Holland, et de Carlile, Montagu, Keri, et Gorin vinrent d”ner chez moi. Je fus voir puis aprs le comte de Pembroch et Carleton. Il mÕarriva le soir un courrier de France.

Le mercredi 28me je fus le matin ˆ Houaithall parler au duc et au secrŽtaire ConvŽ, parce que le roi sÕen allait ˆ Amptoncourt. Aprs d”ner je fus voir la reine ˆ Sommerset, avec laquelle je mÕaccordai. Le soir le duc, et le comte de Holland me menrent souper chez Antonio Porter qui faisait festin ˆ don Augustin Fiesque, au marquis de Piennes, au chevalier de Jars et ˆ Gobelin : nous ežmes aprs souper la musique.

Le jeudi 29me j'eus le matin la visite du comte de Holland et du comte de Carlile. LÕaprs-d”ner je fus voir lÕambassadeur de Hollande.

Le vendredi 30me je fus voir la reine ˆ Sommerset, puis le duc ˆ Valinfort. Le rŽsident du roi de Bohme vint souper chez moi.

Le samedi, dernier dÕoctobre, lÕambassadeur de Danemark me vint voir. Puis je fus chez madame de Strange.

 

Novembre. Ń Le dimanche, premier jour de novembre, et de la Toussaints, je fis mes dŽvotions. Puis je fus voir la duchesse de Lenox et le secrŽtaire ConvŽ. On tint ce jour lˆ le conseil pour mes affaires.

Le lundi 2me je fus le matin voir le comte de Holland. Puis le duc mÕayant donnŽ rendez-vous en la galerie de la reine, nous y confŽr‰mes fort longtemps. Aprs d”ner je revins voir la reine pour lui rendre compte de mon entretien avec le duc, dont elle Žtait en peine parce que nous nous Žtions mal sŽparŽs.

Le mardi 3me le duc mÕamena sa petite fille chez moi pour tŽmoignage dÕaccord : il y demeura ˆ d”ner avec Montagu, Keri et Porter, puis me mena trouver le roi qui sÕen alla jouer ˆ la paume, et moi trouver la reine pour lui dire mon accord avec le duc.

Le mercredi 4me je fus voir la duchesse de Lenox. JՎcrivis au duc sur le sujet de mon affaire : puis je fus trouver la reine pour lui montrer la copie de ce que jÕavais mandŽ. Le soir le duc envoya Montagu souper chez moi, et m'assurer de sa part qu'il accommoderait les affaires selon mon dŽsir, dont jÕenvoyai en mme temps donner avis ˆ la reine.

Le jeudi 5me le secrŽtaire ConvŽ me vint dire que je vinsse le lendemain au conseil, o jÕaurais une finale rŽponse de ma proposition. Je fus ensuite chez madame de Strange.

Le vendredi 6me le duc vint d”ner chez moi, puis me mena ˆ la cour en une des chambres du roi, o il laissa Gorin, Montagu et Lucnar pour mÕentretenir. Il me vint peu aprs trouver, et me dit que la rŽponse que le conseil me voulait faire ne valait rien, mais que je ne me misse pas en peine, ains y rŽpondisse sur lÕheure mme fermement, et que puis aprs il accommoderait le tout de telle sorte que j'en serais satisfait. Peu aprs le secrŽtaire ConvŽ me vint appeler pour aller au conseil, lˆ o aprs que lÕon mÕežt fait mettre en une chaire au haut bout, messieurs du conseil, par la bouche de Carleton, me firent dire quÕaprs avoir dŽlibŽrŽ sur la proposition que jÕavais faite au mme conseil quelques jours auparavant, ils me faisaient la rŽponse quÕils me donnrent par Žcrit, et ensuite la firent lire : sur quoi leur ayant demandŽ audience pour leur rŽpondre sur le champ, je le fis avec grande vŽhŽmence, et mieux ˆ mon grŽ que je ne parlai de ma vie. Ma rŽponse dura plus dÕune heure : puis Žtant sorti, jÕallai trouver la reine pour lui montrer la belle rŽponse qu'ils mÕavaient donnŽe, et en substance ce que jÕy avais rŽpondu et protestŽ, ce qui l'affligea fort.

Le soir mme le duc m'envoya dire que tous ceux du conseil qui parlaient ou entendaient franais me viendraient trouver le lendemain matin, et que jÕeusse bonne espŽrance dÕune bonne conclusion ; car le roi leur avait dit que son intention Žtait de satisfaire le roi son frre, et de me renvoyer content.

Le samedi 7me le comte Dorset me vint trouver ds sept heures du matin pour me dire que jÕaurais contentement, et que le conseil viendrait peu aprs me trouver ; et ne tiendrait quՈ moi que tout nÕall‰t bien. Il me trouva en mauvais Žtat pour confŽrer ; car, ou le temps qui Žtait fort nŽbuleux, ou mon mauvais tempŽrament, ou la longue et vŽhŽmente rŽponse que jÕavais faite le jour prŽcŽdent, mÕavait mis en tel point que je n'avais plus de voix, et ˆ peine me pouvait-il entendre, quelque effort que je pusse faire.

Peu aprs le duc et le conseil arrivrent, et nous Žtant assis, Mr Carleton fit rŽplique sur ma rŽponse, et enfin protesta en la mme faon que jÕavais fait, du mal qui pourrait arriver de notre rupture, offrant nŽanmoins, si nous pouvions maintenant par ensemble trouver quelque bon moyen dÕaccommodement, que le roi lÕaurait trs agrŽable ; ˆ quoi ensuite nous travaill‰mes, et nÕy ežmes pas beaucoup de peine ; car ils furent raisonnables, et moi, modŽrŽ en mes demandes. La plus grande difficultŽ fut pour le rŽtablissement des prtres, dont enfin nous conv”nmes. Je leur fis ensuite un magnifique festin, et puis sÕen Žtant allŽs, je fus aussit™t trouver la reine pour lui porter les bonnes nouvelles de notre traitŽ.

Le dimanche 8me le duc, et le comte de Holland vinrent d”ner chez moi. Le duc de Lenox me vint voir ; puis je fus trouver le roi en sa chambre o jÕeus une audience privŽe en laquelle il me confirma, et ratifia tout ce que ses commissaires avaient traitŽ et conclu avec moi, dont il me montra lՎcrit et me le fit lire.

Le soir lÕagent du roi de Bohme se vint conjouir avec moi, et y souper, comme fit aussi amplement lÕambassadeur de Danemark.

Le lendemain lundi 9me qui est le jour de lՎlection du maire, je vins le matin ˆ Sommerset trouver la reine qui y Žtait venue pour le voir passer sur la Tamise allant ˆ Voestminster [Westminster] prter le serment en un magnifique apparat de bateaux. Puis la reine d”na, et ensuite se mit en carrosse et me fit mettre en mme portire avec elle. Mr le duc de Bocquinguem se mit aussi par son commandement dans son carrosse, et nous all‰mes en la rue de Schipsay pour voir passer la cŽrŽmonie, qui est la plus grande qui se fasse ˆ la rŽception dÕaucun officier du monde. Attendant qu'il pass‰t, la reine se mit ˆ jouer ˆ la prime avec le duc, le comte de Dorset et moi. Puis ensuite le duc me mena d”ner chez le nouveau maire qui en donna ce jour-lˆ ˆ plus de huit cents personnes. Puis aprs le duc et les comtes de Montgomeri et de Holland mÕayant ramenŽ chez moi, je mÕen allai promener aux Morsfils.

Le mardi 10me je fus le matin voir lÕambassadeur de Danemark, et ˆ mon retour trouvai le duc qui d”na chez moi. Nous all‰mes ensemble pour voir la reine ˆ Sommerset ; mais elle Žtait enfermŽe en son monastre. JÕallai de lˆ voir lÕambassadeur de Venise, et ˆ mon retour le comte de Carlile se trouva chez moi afin de conclure son accommodement entre le duc et lui, que je nŽgociais, et en vins ˆ bout.

Le mercredi 11me jÕallai avec le comte de Holland et Mr Harber qui avait ŽtŽ ambassadeur en France, ˆ Houemelton [Wimbledon] qui appartient ˆ Mr Edouart Cecil qui en est vicomte : elle est ˆ trois lieues de Londres, et est une trs belle maison o le ma”tre mÕavait priŽ ˆ d”ner, qui nous y traita magnifiquement. La comtesse d'Exeter sa belle-sĻur y vint faire avec sa femme lÕhonneur de la maison. Puis aprs d”ner nous rev”nmes passer ˆ une maison dÕun marchand nommŽ Mr Bel, mon ancien h™te et ami, qui mÕy fit une collation.

Le carme-prenant des Anglais commence ce jour-lˆ qui, selon leur calendrier, est celui de la Toussaints.

Le jeudi 12me je fus chez le milord Carleton qui sՎtait chargŽ de lÕexpŽdition de mes dŽpches : puis je fus voir le roi. De lˆ je ramenai Gorin d”ner avec moi et le vicomte de Houemelton. Le comte de Carlile mÕenvoya prŽsenter six beaux chevaux. Je fus pour voir le stuart comte de Pembroch et le secrŽtaire ConvŽ, et ne les ayant trouvŽs, je vins chez la reine o le roi arriva : ils se brouillrent ensemble et moi ensuite sur ce sujet avec la reine, et lui dis que je prendrais le lendemain congŽ du roi pour mÕen retourner en France sans achever les affaires, et dirais au roi et ˆ la reine sa mre quÕil tenait ˆ elle. Comme je fus de retour en mon logis, le pre Sansy ˆ qui elle avait Žcrit de notre brouillerie vint pour la raccommoder avec tant d'impertinences que je me mis bien fort en colre contre lui.

Le vendredi 12me je fus le matin chez lÕambassadeur de Hollande, puis chez le secrŽtaire ConvŽ, et lÕaprs-d”ner je le passai chez la comtesse dÕExeter et sa fille la comtesse dÕOxfort.

Je ne voulus point aller chez la reine qui me lÕavait mandŽ.

Le samedi 14me le comte de Carlile me vint trouver pour me raccommoder avec la reine. Puis les secrŽtaires ConvŽ et Couc avec le milord Carleton vinrent, comme commissaires du roi, conclure et signer nos affaires.

Je fus ensuite trouver le duc de Bocquinguem en sa maison dÕIorchaus, qui me pria ˆ souper le lendemain chez lui avec le roi.

Le dimanche 15me lÕambassadeur de Danemark me vint visiter. Puis je mÕen allai trouver le roi ˆ Houaithall, qui me mit en sa berge et me mena ˆ Iorchaus chez le duc qui lui fit le plus superbe festin que je vis de ma vie. Le roi soupa en une table avec la reine et moi, qui fut servie par des ballets entiers ˆ chaque service et des reprŽsentations diverses, changements de thމtres, de tables, et de musique. Le duc servit le roi, le comte de Carlile la reine, et le comte de Holland me servit ˆ table. Aprs souper on mena le roi et nous en une autre salle o lÕassemblŽe Žtait, et on y entrait par un tour, comme aux monastres, sans aucune confusion ; o lÕon eut un superbe ballet que le duc dansa, et ensuite nous nous m”mes ˆ danser des contredanses jusques ˆ quatre heures aprs minuit. De lˆ on nous mena en des appartements vožtŽs o il y avait cinq diverses collations.

Le lundi 16me le roi qui avait couchŽ ˆ Iorchaus mÕenvoya quŽrir pour ou•r la musique de la reine sa femme ; puis ensuite il fit tenir le bal, aprs lequel il y eut comŽdie, et se retira ˆ Houaithall avec la reine sa femme.

Le mardi 17me je fus trouver le milord Carleton. Le comte de Warvic et le milord Mandevel d”nrent avec moi. Je fus voir madame de Strange. LÕagent de Bohme soupa chez moi.

Le mercredi 18me je fus voir lÕambassadeur de Hollande, o le duc me vint trouver.

Je portai ensuite au secrŽtaire ConvŽ le r™le des prtres prisonniers, tous lesquels le roi dŽlivra en ma considŽration.

Je fus sur le soir voir les comtesses dÕExeter et d'Oxfort.

Le jeudi 19me je vins voir le duc ˆ Houaithall, qui me mena au d”ner de la reine ; puis d”ner chez sa sĻur la comtesse de Hembig. Aprs, la reine alla ˆ Sommerset o je lÕaccompagnai; puis je revins chez moi pour y attendre lÕambassadeur de Venise qui me lÕavait mandŽ.

Le vendredi 20me j'allai voir la duchesse de Lenox, puis trouver le milord duc et Carleton, qui Žtaient ˆ Walainforhaus [Wallingford House].

Le samedi 21me je fus dire adieu ˆ l'ambassadeur de Danemark. Puis le duc, les comtes de Suffolc, Carlile, et Holland, le milord Carleton et Montagu, Gorin, Keri, Saint-Antoine, et Gentileschi, vinrent d”ner chez moi, o vinrent aprs d”ner les comtes dÕExeter et dÕAndevel, me dire adieu. Nous all‰mes chez la comtesse dÕExeter o Žtait la grand-trŽsorire, et de lˆ trouver la reine ˆ Sommerset.

Le dimanche 22me je fus chez le secrŽtaire ConvŽ, puis chez la reine. LÕambassadeur de Danemark me vint dire adieu, et le milord de Ses.

Le lundi 23me le vicomte de Houemelton, Gorin, Keri, et autres, vinrent d”ner chez moi, qui fus dire adieu ˆ l'ambassadeur de Hollande.

Le mardi 24me monsieur le duc, Dorset, Carleton, et autres, d”nrent chez moi. Je fus trouver lÕaprs-d”ner la reine ˆ Sommerset.

Le mercredi 25me je fus d”ner chez le comte de Holland ˆ Kinsinton.

Le jeudi 26me les comtes de Brischwater et de Salisberi me vinrent voir. Le soir je fus trouver la reine ˆ Sommerset, qui fit en ma considŽration ce jour lˆ une trs belle assemblŽe, puis un ballet, et de lˆ une collation de confitures.

Le vendredi 27me je renvoyai La Guette en France qui le jour prŽcŽdent avait fait une extravagance de la part de lՎvque de Mende.

Je fus voir le secrŽtaire ConvŽ pour avoir mes dŽpches. De lˆ jÕallai ˆ la Bourse. Gorin mÕenvoya deux chevaux.

Le samedi 28me je fus dire adieu ˆ lÕambassadeur de Venise. Le comte Carlile et Gorin d”nrent chez moi ; puis nous f”mes amener mes chevaux aux Morsfils. De lˆ je fus chez la reine, o le roi vint.

Le dimanche 29me le comte de Carlile et Lucnar me vinrent prendre avec les carrosses du roi pour mÕamener prendre congŽ de Leurs MajestŽs, qui me donnrent audience publique ˆ la grand salle de Houaithall. Je revins puis aprs avec lui dans sa chambre du lit, o il me fit entrer ; et puis je fus souper dans la chambre du comte de Carlile qui me traita superbement. Lucnar me vint apporter de la part du roi un trs riche prŽsent de quatre diamants mis en une losange et une grosse perle au bout ; et le mme soir le roi mÕenvoya encore quŽrir pour me faire ou•r une excellente comŽdie anglaise.

Le lundi 30me je fus dire adieu au milord Montagu, prŽsident du conseil, aux comtes de Pembroch et de Montgomeri, Exeter, et ˆ la comtesse sa femme, et comtesse dÕOxfort, sa fille, et au milord Carleton. De lˆ jÕallai en particulier chez la reine.

 

DŽcembre. Ń Le mardi premier jour de dŽcembre je fus dire adieu ˆ lÕagent de Bohme, aux comtes de Holland et de Barccher, de Suffolc et de Salisberi. Puis ayant aussi pris congŽ du duc, je revins d”ner chez moi avec le comte de Holland qui me donna trois chevaux. Il me mena ensuite voir le logis de madame Haton. Je fus ensuite dire adieu au comte de Warvic, ˆ la duchesse de Lenox ; puis ˆ Houaithall dire adieu aux filles de la reine. Le roi me manda que je le vinsse trouver chez la reine sa femme, ce que je fis, et pris lˆ encore une fois congŽ de lui. La reine me commanda que je lÕallasse encore trouver le lendemain. De lˆ monsieur le duc, Holland, Montagu, et le chevalier de Jars me menrent chez la comtesse dÕExeter qui nous fit un magnifique festin, et le bal ensuite.

Le mercredi, deuxime jour de dŽcembre, le comte de Barccher me vint dire adieu, puis toute la maison de la reine. Le comte Suffolc mÕenvoya un cheval. JÕallai prendre congŽ de la reine, qui me donna un beau diamant. Je pris ensuite congŽ des dames de la chambre du lit ; puis jÕallai chez le comte de Carlile qui sՎtait fort blessŽ ˆ la tte le soir auparavant. Puis je vins ˆ la chambre du duc o je demeurai assez longtemps pour attendre mes dŽpches et les lettres que le roi mÕavait promises pour abolir les poursuivants dÕAngleterre. Finalement je pris congŽ du duc et des autres seigneurs de la cour, et seulement accompagnŽ de Lucnar et du chevalier de Jars, ayant envoyŽ mes gens devant, je me mis dans un carrosse de la reine, et vins coucher ˆ Gravesinde ; le jeudi 3me ˆ Sittimborne, puis ˆ Cantorberi, et le samedi 5me jÕarrivai ˆ Douvres avec un Žquipage de quatre cents personnes qui passaient avec moi, compris soixante et dix prtres que jÕavais dŽlivrŽs des prisons dÕAngleterre.

Je voulus dŽfrayer tous ceux qui repassaient avec moi en France, croyant que, le mme jour que jÕarriverais ˆ Douvres, je me pourrais embarquer : mais la tempte me retint quatorze jours ˆ Douvres, ce qui me cožta quatre mille Žcus.

J'arrivai ˆ Douvres pour d”ner, et fis embarquer tout mon Žquipage, pensant passer la mer. Mais elle nous fut contraire le dimanche, le lundi, et le mardi, que le duc mÕenvoya Montagu pour mÕavertir que cՎtait lui que le roi envoyait en France, que je lui dŽconseillai tellement que je lui fis entendre que lÕon ne le recevrait pas, et renvoyai Montagu en toute diligence vers lui.

Le mercredi 9me nous nous embarqu‰mes ˆ deux heures aprs minuit : mais la tempte nous accueillit de telle sorte que nous fžmes portŽs vers Dieppe, puis contraints de retourner prendre terre proche de Douvres, o nous retourn‰mes ; dont le chevalier de Jars, qui mÕavait quittŽ sur le pont en mÕembarquant, fut averti par son homme qui Žtait demeurŽ malade ˆ Douvres et nÕen partit qu'aprs mon dŽbarquement audit Douvres.

Le duc qui fut averti par lui de mon retardement ˆ Douvres, mÕy envoya visiter par Montagu le samedi 12me et me prier de retourner jusques ˆ Cantorberi o il se rendrait le lendemain dimanche 13me, comme il fit, avec les comtes de Carlile, de Holland, Gorin, et le chevalier de Jars. Il me voulut faire voir sa splendeur par le magnifique festin quÕil mÕy fit le soir, auquel jÕemployai l'aprs-souper ˆ le persuader de rompre ou de retarder son voyage.

Le lundi 14me je continuai ma mme pratique, contre laquelle il Žtait entirement portŽ : tout ce que je pus faire fut de lui faire dŽlayer jusques ˆ ce quÕil eut de mes nouvelles par Gerbier quÕil envoya avec moi. Il me fit encore ˆ d”ner un aussi superbe festin que celui du soir prŽcŽdent ; puis nous nous embrass‰mes pour ne nous plus revoir.

Je trouvai ˆ mon retour ˆ Douvres que mon train en Žtait parti. Mais il courut une telle fortune que de cinq jours il ne put arriver ˆ Calais, et quÕil fallut jeter mes deux beaux carrosses dans la mer, dans lesquels il y avait par malheur pour plus de quarante mille francs de hardes que jÕavais achetŽes en Angleterre pour donner. JÕy perdis de plus vingt et neuf chevaux qui moururent de soif durant ces cinq jours, parce que lÕon nÕavait fait aucune provision dÕeau douce en ce passage qui ne dure que trois heures en bon temps.

Il me fut impossible de mÕembarquer avant le vendredi 18me, que par un grand vent je me mis sur mer, et vins d”ner ˆ Calais o je demeurai le reste du jour pour me remettre du mal de la mer.

Le samedi 19me jÕen partis en poste et vins ˆ Montreuil.

Le dimanche 20me je vins ˆ Amiens o Mr de Chaune me fit une rŽception magnifique, faisant tirer le canon de la citadelle, et me fit un festin avec vingt dames, puis me logea superbement.

Il me retint encore le lendemain 21me si tard en compliments que je ne vins au g”te quՈ Louvre ; et le mardi 22me jÕarrivai ˆ Paris, lˆ o je trouvai que la venue du duc de Bocquinguem n'Žtait pas agrŽable, et le roi me commanda de lui Žcrire pour lui faire savoir que sa venue ne lui serait point agrŽable, et qu'il sÕen dŽsist‰t.

Je trouvai ˆ mon arrivŽe le duc dÕAluin et Liancourt bannis de la cour, et Baradat non seulement dŽfavorisŽ, mais chassŽ et ruinŽ, et que lÕon avait mis en sa place proche du roi un jeune garon dÕassez pitre mine et pire esprit, nommŽ Saint-Simon. Je fus employŽ avec Mr de Bellegarde et Mr de Mende pour traiter avec Baradat de ses charges de premier Žcuyer, et autres quÕil avait, dont il eut quelque rŽcompense.

1627.

Janvier.Ń Les choses Žtaient en cet Žtat lorsque nous entr‰mes en lÕannŽe 1627, au commencement de laquelle le roi fit tenir une assemblŽe de notables en laquelle il me fit lÕhonneur de me choisir pour y tre un des prŽsidents. Monsieur, frre du roi, fut le chef et le premier, et ensuite Mr le cardinal de la Valette, le marŽchal de la Force, et moi. L'assemblŽe Žtait outre cela composŽe des premier et second prŽsidents de Paris ; des premiers prŽsidents des huit autres parlements ; des procureurs gŽnŽraux ; des premier et second prŽsident des comptes de Paris, de Rouen et de Bourgogne, avec leurs procureurs gŽnŽraux ; de mme des trois cours des aides, et du lieutenant-civil de Paris ; de douze seigneurs, savoir : six chevaliers de lÕordre, et six du conseil du roi ; de douze primats, archevques, ou Žvques ; et puis Monsieur, et les trois prŽsidents.

LÕassemblŽe tint plus de deux mois, ensuite de quoi nous v”nmes donner les cahiers des avis sur les choses dont le roi nous avait fait faire les propositions ; qui furent signŽs de Monsieur, et puis ensuite de Mr le cardinal de la Valette, de Mr le marŽchal de la Force, et de moi.

Il mÕarriva peu dÕoccasion de parler parce que jՎtais le pŽnultime ˆ dire mon avis, et tout ce qui se pouvait dire sur le sujet avait dŽja ŽtŽ allŽguŽ par tant de grands personnages ; hormis une fois que, nous Žtant proposŽ si le roi devait cesser ses b‰timents jusques ˆ une meilleure saison et que ses finances fussent en meilleur Žtat, Mr dÕOsembray fut dÕavis que lÕon le devait conseiller au roi ; mais quÕil devait tre trs humblement suppliŽ de faire faire la sŽpulture du feu roi son pre, dŽcŽdŽ, et non inhumŽ, depuis seize ans ; et offrit son bien pour y employer, si ses finances manquaient. Chacun suivit cet avis et loua grandement la sainte pensŽe du prŽsident dÕOsembray, et lÕopinion uniforme vint jusques ˆ moi, qui parlai en cette sorte :

Ē Il est bien difficile ˆ un des derniers opinants dÕune si cŽlbre compagnie dÕentreprendre aucune autre chose que de fortifier de son suffrage et de son approbation une des opinions dŽbattues et agitŽes par ceux qui ont dŽjˆ dit leurs avis, lesquels n'ayant rien oubliŽ ni laissŽ ˆ dire sur le sujet qui a ŽtŽ mis en dŽlibŽration, lui ferment la bouche et lui interdisent la parole. Cette raison, jointe ˆ mon incapacitŽ, mÕežt fait perpŽtuer le silence que jÕai gardŽ depuis le commencement de cette assemblŽe, si lÕobligation que je lui ai, et mon propre devoir, ne mÕeussent forcŽ de le rompre pour lui remontrer peu de choses, mais bien essentielles, si elle me fait la faveur de mÕentendre, comme je lÕen supplie instamment. Č

Ē Messieurs, toutes les propositions que le roi nous a ci-devant envoyŽes pour lui en donner nos avis, et les rŽponses que nous lui avons faites, ont une si grande conformitŽ quÕaucune nÕa encore ŽtŽ contrariŽe. Sa MajestŽ nous a consultŽs : sÕil fera dŽmolir les places qui sont dans le cĻur de ce royaume ; nous lui avons donnŽ avis quÕil fasse dŽmolir les places qui sont dans le cĻur du royaume : sÕil retranchera ses garnisons ; quÕil retranche ses garnisons : sÕil abolira les survivances ; quÕil abolisse les survivances : et ainsi de tout le reste : ce qui mÕa fait souponner que cette dernire proposition qu'Elle nous a fait faire sur le retranchement de la dŽpense quÕil fait en ses b‰timents, nÕa ŽtŽ faite ˆ autre fin que pour reconna”tre si nous n'avons point dÕautre ton que celui quÕil chante, et si nous ferons sur cette demande la mme rŽponse que nous avons faite ˆ toutes les autres, comme je vois que nous nous y disposons. Car autrement il nÕy a point dÕapparence de nous consulter sÕil se retranchera de faire une chose quÕil ne fait pas. Le feu roi nous ežt pu demander cet avis, et nous eussions eu lieu de lui donner ; car il a employŽ des sommes immenses ˆ b‰tir. Nous avons bien pu reconna”tre en celui-ci la qualitŽ de destructeur, mais non encore celle dՎdificateur : Saint-Jean dÕAngeli, Clairac, les Tonnains, Monheurt, Negrepelisse, Saint-Antonin, et tant dÕautres places rasŽes, dŽmolies, ou bržlŽes, me rendent preuve de lÕun ; et le lieu o nous sommes, auquel depuis le dŽcs du feu roi son pre il nÕa pas ajoutŽ une seule pierre, et la suspension quÕil a faite depuis seize annŽes au parachvement de ses autres b‰timents commencŽs, me font voir clairement que son inclination nÕest point portŽe ˆ b‰tir, et que les finances de la France ne seront pas ŽpuisŽes par ses somptueux Ždifices ; si ce nÕest que lÕon lui veuille reprocher le chŽtif ch‰teau de Versailles, de la construction duquel un simple gentilhomme ne voudrait pas prendre vanitŽ. Č

Ē Quant ˆ ce qui est du second point concernant la sŽpulture du feu roi, je voudrais pouvoir enchŽrir sur les louanges que la compagnie a donnŽes ˆ Mr le prŽsident dÕOsembray, personnage nŽ pour le bien de la France, digne du nom quÕil porte, et de la gloire et haute renommŽe de ses prŽdŽcesseurs. Il mÕa semblŽ (quand il a si noblement offert ses biens pour subvenir ˆ la construction du tombeau du feu roi), que son cĻur et ses dŽsirs accompagnaient sa bouche, tant il a montrŽ de zle et de reconnaissance ˆ la mŽmoire de ce grand et bon roi. Mais comme je suis de lÕavis commun en ce qui est du grŽ que la compagnie lui sait de ses bonnes intentions, je contrarie au sien en la trs humble prire qu'il veut que nous fassions ˆ Sa MajestŽ de faire Ždifier la sŽpulture du feu roi son pre, et de le faire ressouvenir de ce devoir, ˆ quoi la nature lÕoblige. Plusieurs de ceux de cette compagnie, Messieurs, et principalement des seigneurs du conseil du roi, rappelleront, sÕil leur plait, leur mŽmoire pour vous tŽmoigner comme moi, quÕaprs que la reine mre, rŽgente du royaume, ežt essuyŽ ses premires larmes (causŽes par la funeste mort de cet incomparable roi), pour regarder et remŽdier aux urgentes affaires de cet Žtat, un de ses principaux soins fut de construire sur les cendres de son seigneur et mari un mausolŽe digne de cette grande ArtŽmise. Elle envoya en Italie pour en tirer des dessins des plus fameux ouvriers, et mme fit venir quelques architectes en France pour ce sujet. Mais aucun dessin que lÕon lui eut prŽsentŽ ne put Žgaler son dŽsir, ni la dŽpense quÕelle y destinait. Il est apparent quÕelle nÕy ežt pas ŽpargnŽ quelque grande somme des finances du roi, dont elle disposait comme rŽgente, puisque de ses deniers propres elle a employŽ trente mille Žcus pour Žriger en bronze sur le Pont Neuf sa statue ˆ cheval. Monseigneur qui prŽside en cette assemblŽe, et Mr le cardinal de la Valette, ont vu comme moi les diffŽrents modles de cette sŽpulture faits par le commandement du roi, qui nÕont jamais eu lÕentire approbation, et que lÕespŽrance dÕen avoir de plus magnifiques a fait rejeter, ce qui vous doit faire croire que Sa MajestŽ ni la reine sa mre nÕont manquŽ de soin, de volontŽ, ni de moyens, pour faire cette Ļuvre, mais dÕouvriers et dÕinvention, et que lÕavis que sur ce sujet vous pensez lui donner, est un reproche indigne de la piŽtŽ de lÕun et de lÕaffection de lÕautre, que des serviteurs ne doivent pas mme penser de faire ˆ leur ma”tre, et qui infailliblement et avec juste raison serait mal reu. Č

Ē Mon avis est que la grande retenue et modŽration du roi en ce qui regarde ses b‰timents, doit tre approuvŽe et louŽe par cette compagnie, laquelle le doit conseiller et exhorter de bien entretenir et empcher de ruine ceux que ses prŽdŽcesseurs lui ont ŽdifiŽs, et quÕil ne soit fait aucune mention de la sŽpulture du feu roi son pre, de laquelle il a un soin trs particulier. Č

Ė peine eus-je achevŽ de dire mon avis que prs de soixante notables qui avaient donnŽ le leur devant moi, revinrent au mien qui fut approuvŽ, et passŽ, par toute lÕassemblŽe, qui me remercia de ce que jÕavais sagement prŽvu un inconvŽnient auquel sans moi ils allaient tomber par inadvertance.

JÕeus encore une autre fois lieu de parler contre un avis unanime donnŽ au roi de dŽfendre ˆ ses sujets de visiter aucun ambassadeur, diffŽrent seulement par les prŽlats qui voulaient que le nonce du pape ne fžt compris en ce nombre ; auquel je contrariai ouvertement, prouvant par vives raisons que lÕon ne devait point faire cette dŽfense.

Je ne mets point ici ce que je dis sur ce sujet, parce que les ambassadeurs le firent courre par plusieurs copies et en divers pays.

Cet hiver se passa ˆ la foire de Saint-Germain, et en deux grands ballets faits par le roi et par la reine, avec dÕautres passe-temps, et ne se parlait que de joie en lÕattente de lÕaccouchement de Madame, qui Žtait fort grosse.

Bouteville en ce mme temps, et selon sa coutume, se battit contre La Frette qui eut avantage sur lui, son second ayant tuŽ Bachoy qui Žtait le sien. C'Žtait t™t aprs le renouvellement de lՎdit des duels, ce qui offensa tellement le roi quÕil mՎcrivit une nuit de sa main (mars) que j'envoyasse trois compagnies de Suisses (avec son grand prŽv™t qui lÕallait investir) en sa maison de Persy o lÕon avait dit au roi quÕil sՎtait retirŽ. Mais il s'en Žtait allŽ en Lorraine dÕo il revint peu aprs P‰ques pour se battre au milieu de la Place Royale (mai) contre le jeune Beuvron ; et son second, le comte des Chapelles, tua Bussy dÕAmboise qui en servait ˆ Beuvron. Ils se retirrent encore en Lorraine ; mais en sÕy en allant ils vinrent coucher ˆ Vitry dont Bussy dÕAmboise (quÕils avaient tuŽ) Žtait gouverneur, et la mre du mort qui avait envoyŽ aprs eux un de ses gens, les fit arrter. Ils furent amenŽs par Mr de Gordes capitaine des gardes du corps, que le roi y envoya avec quelques gens pour les conduire dans la Bastille, dÕo peu aprs, condamnŽs par la cour de parlement, ils furent menŽs en Greve o ils eurent la tte tranchŽe.

En ce temps Madame accoucha dÕune fille contre l'attente et le dŽsir de Leurs MajestŽs, et de monsieur son mari, qui eussent plut™t demandŽ un fils ; et elle, Žtant demeurŽe malade de sa couche, mourut peu de jours aprs. Cette mort changea la face de la cour, fit concevoir de nouveaux desseins, et enfin a causŽ plusieurs maux qui sont arrivŽs depuis. On lui fit une pompe funbre royale : le roi lui fut jeter de lÕeau bŽnite en cŽrŽmonie, et peu de jours aprs (juin) dŽclara Monsieur lieutenant-gŽnŽral de ses armŽes, et nous fit, Mr de Schomberg et moi, ses lieutenants-gŽnŽraux sous lui de l'armŽe qu'il mettait sur pied en Poitou, dont jÕen dirai le sujet, lÕemploi et le progrs.

La Rochelle et les Anglais

Par la paix que le roi avait accordŽe, au mois de janvier de lÕannŽe passŽe, ˆ ses sujets de la Religion, lՔle de RŽ qui de longtemps avait ŽtŽ tenue par ceux de la Rochelle, dont ils furent dŽpossŽdŽs par Mrs de Saint-Luc, la Rochefoucaut et Toiras peu aprs que Mr de Montmorency eut dŽfait lÕarmŽe de mer Rochelaise, Žtait demeurŽe entre les mains du roi, qui en avait donnŽ le gouvernement ˆ Toiras, et lÕordre d'y construire un grand fort proche de Saint-Martin (outre celui qui Žtait dŽjˆ parachevŽ, nommŽ le fort de la PrŽe) ; auquel ledit Toiras faisait travailler puissamment et sans intermission, ce que les Rochelais considŽrant, et que le Fort-Louis subsistait sur leurs yeux, jugrent quÕils Žtaient perdus sans ressource si ce fort de Saint-Martin se mettait en sa perfection. Ce fut pourquoi ils firent instamment prier le roi de la Grand Bretagne (par Mr de Soubise), de les assister et ne souffrir leur entire ruine qui Žtait Žvidente. Ce roi qui avait toujours eu en singulire recommandation les affaires de la Rochelle, comme le seul lieu duquel il pouvait secourir et assister les huguenots de France, fit grande rŽflexion sur leurs instances, et animŽ par le duc de Bocquinguem qui avait ŽtŽ dŽboutŽ de lÕardent dŽsir quÕil avait de venir en France, par ce que je lui en avais mandŽ de la part du roi, piquŽ dÕailleurs sur certaines lettres que monsieur le cardinal et lui sՎtaient rŽciproquement Žcrites, pensa, en faisant le service et suivant les sentiments du roi, satisfaire aux siens et entreprendre une guerre quÕil voulait faire suivre dÕune paix. Pour cet effet il fit un grand armement garni de tout ce qui Žtait nŽcessaire ˆ une descente, et mit huit mille Anglais dessus, puis se mit en mer.

Le roi qui Žtait ˆ toute heure averti des desseins des Anglais et des pratiques des Rochelais, jugea que cet apprt se faisait pour lui, fit munir ses c™tes, et leva une armŽe pour se porter o besoin serait, rŽsolu dÕy aller en personne, et monsieur son frre avec lui. Il me commanda de lÕaccompagner en son arsenal o il fit lՎtat de l'artillerie, et se prŽparant pour partir, alla en parlement pour leur dire adieu et faire quand et quand vŽrifier ce code que Mr de Marillac garde des sceaux avait compilŽ et qui de son nom fut dit code Michaut.

Le roi partit de Paris, et en sortant de son parlement pour sÕacheminer en Poitou (il se trouva mal comme il y Žtait), je lui prŽsentai la main pour descendre de son lit de justice, et il me dit : Ē MarŽchal, jÕai la fivre, et nÕai fait que trembler tant que jÕai ŽtŽ en mon lit de justice. Č Ē CÕest nŽanmoins le lieu, lui rŽpondis-je, dÕo vous faites trembler les autres. Mais si cela est, Sire, pourquoi vous mettez-vous aux champs par la fivre ? Arrtez encore deux ou trois jours dans cette ville. Č Il me rŽpondit : Ē La foule de ceux qui sont venus prendre congŽ de moi me lÕa donnŽe, et je la perdrai ˆ la campagne quand j'aurai pris lÕair. NŽanmoins ne laissez pas dÕenvoyer ˆ Marolles, o je vas coucher, votre Biernois (cՎtait un valet quÕil connaissait), et je vous manderai par lui lՎtat de ma santŽ. Cependant h‰tez-vous de partir. Č

J'envoyai selon son ordre le lendemain matin pour savoir lՎtat de sa santŽ. Mon homme le vit comme il montait en carrosse pour aller ˆ Villeroy, auquel il dit que je le vinsse voir le lendemain, et quÕil avait eu une forte fivre.

Je m'y en allai comme il mÕavait mandŽ, et Mrs de Guise, de Chevreuse et de Saint-Luc voulurent que je les y menasse. Comme nous fžmes arrivŽs ˆ Villeroy, Mr le cardinal de Richelieu (avec qui j'Žtais un peu brouillŽ), sortit en la galerie, salua ces princes, puis me dit : Ē Le roi serait bien aise de vous voir ; mais il est en Žtat o la compagnie qui est venue avec vous le pourrait incommoder. Il lui a pris une grande sueur. CÕest pourquoi je vous conseille de ne le voir point. Je lui dirai que vous tes venu, et lui ferai le compliment de la part de ces princes Č ; lesquels ayant su lՎtat o Žtait le roi, se contentrent dÕavoir fait leur devoir sans dŽsirer lÕhonneur de sa vue, et sur nos mmes pas nous rev”nmes ˆ Paris.

Je sus en partant de Villeroy que Mr dÕAngoulme Žtait en la chambre du roi : mais je ne mÕamusai point ˆ deviner pourquoi c'Žtait ; en voici la cause :

J'avais ŽtŽ nommŽ par le roi son lieutenant-gŽnŽral de son propre motif, ce qui nÕavait pas plu ˆ ceux de son conseil. JÕavais de plus lՎvque de Mende pour ennemi depuis mon retour dÕAngleterre, sur ce quÕil disait que jÕavais improuvŽ sa conduite et plusieurs de ses actions lors quÕil y Žtait grand-aum™nier de la reine. Cet Žvque me rendait continuellement de mauvais offices auprs de Mr le cardinal de Richelieu qui avait tout pouvoir, et le rendait contraire en tout ce qui me concernait. Mr dÕAngoulme lui proposa ˆ Marolles, lorsque le roi y fut malade, que, si lÕon le voulait envoyer en Poitou avec une simple lettre de cachet pour assembler lÕarmŽe (qui consistait principalement en cavalerie lŽgre dont il Žtait colonel), il la remettrait puis aprs entre les mains du roi en bon Žtat ˆ son arrivŽe, nÕy prŽtendant aucun autre commandement. Sur cela lÕon le fit venir ˆ Villeroy, et monsieur le cardinal exposa la proposition de Mr dÕAngoulme au roi, lui disant de plus qu'il jugeait ˆ propos de lui envoyer. Le roi lui rŽpondit : Ē Et Bassompierre, que fera-il ? Est-il pas mon lieutenant-gŽnŽral ? Č Ē Oui, Sire, rŽpondit monsieur le cardinal ; mais comme il nÕa jamais eu opinion que les Anglais soient pour faire descente en France, il ne sera pas si soigneux de mettre promptement votre armŽe sur pied, et Mr dÕAngoulme ne prŽtend aucun commandement en lÕarmŽe (comme il vous dira lui mme), ains de se retirer ds que Votre MajestŽ viendra, sachant bien que le commandement en appartient de droit aux marŽchaux de France. Č Sur cela Mr dÕAngoulme vint, et le roi, pressŽ, accorda quÕil lui fžt donnŽ une lettre de cachet pour commander.

Le lendemain que jÕeus ŽtŽ ˆ Villeroy, je rencontrai le matin par la rue Mr dÕAngoulme, lequel fit arrter son carrosse, et en sortit, comme moi aussi du mien. Il mÕembrassa et me dit : Ē Je vous dis adieu, et pars dans deux heures pour aller en Poitou. Č Ē Et quoi faire ? Č lui dis-je. Ē Pour commander lÕarmŽe du roi Č, me rŽpondit il. Alors je pris congŽ de lui, bien ŽtonnŽ et surpris de cette nouvelle, qui me fut confirmŽe incontinent aprs par Descures. Je nÕen dis aucune chose ; mais je n'allai point aussi ˆ Villeroy, o le roi fut fort malade, me contentant dÕy envoyer tous les jours apprendre des nouvelles de sa santŽ.

La maladie du roi augmenta de telle sorte que l'on commena ˆ apprŽhender sa mort. Il avait de grands redoublements de fivre double tierce, qui se fussent enfin tournŽs en continue sÕils eussent continuŽ, ce qui fit acheminer les reines ˆ Villeroy et sÕy tenir pour tre ˆ toutes heures prs de lui. Mr de Guise, qui y allait de deux jours lÕun, fut une fois appelŽ par le roi qui lui dit : Ē Mr du Bois (ainsi me nommait il souvent), ne me vient point voir. Il me fait la mine ; mais il a tort. Je vous prie de lÕamener ici la premire fois que vous y viendrez, et lui dites de ma part Č ; ce quÕil fit, et moi je mÕy en allai ; mais je nÕentrai en sa chambre quÕavec monsieur le cardinal. La reine mre y arriva peu aprs, et y ayant demeurŽ quelque temps, elle en sortit pour aller d”ner, et moi aprs elle sans avoir parlŽ au roi, qui dit ˆ Roger, son premier valet de garde-robe, quÕil me vint appeler. Il me dit, quand je fus arrivŽ, que je nÕavais point de raison de me f‰cher de ce quÕil avait envoyŽ Mr dÕAngoulme en Poitou ; que lÕon lui avait forcŽ ; quÕil ne lui avait donnŽ aucun pouvoir ; et que, ds quÕil serait en Žtat de sÕacheminer en son armŽe, quÕil le contremanderait pour me la mettre en main : et moi je lui rŽpondis que je ne mÕen mettais point en peine, que je ne songeais pour lÕheure quՈ sa santŽ (pour laquelle je faisais des continuels vĻux ˆ Dieu), et quՎtant sa crŽature, j'approuvais tout ce quÕil faisait, quand bien ce serait ˆ mon prŽjudice.

Sur les entrefaites arriva la nouvelle de la descente du duc de Bocquinguem en lՔle de RŽ malgrŽ lÕopposition que Toiras lui avait voulu faire, et quÕau combat il y Žtait mort plusieurs braves hommes ; que Toiras sՎtait retirŽ ˆ Saint-Martin, t‰chant de garder la citadelle qui nՎtait point encore pourvue des choses nŽcessaires pour la maintenir, et quÕinfailliblement le duc de Bocquinguem la prendrait. On fut quelque temps ˆ celer cette nouvelle au roi de peur dÕaccro”tre son mal : puis ensuite on lui dŽguisa et ne lui fit-on pas si grande quÕelle Žtait. Mais monsieur son frre bržlait de dŽsir dÕaller ˆ lÕarmŽe et se f‰cha aigrement contre monsieur le cardinal qui lui dit quÕil ne conseillerait point au roi de lui permettre, en lՎtat de maladie o il Žtait lors : mais enfin le roi commenant ˆ se mieux porter, il en eut la permission, laquelle le roi (jaloux de la gloire que son frre y pourrait acquŽrir), envoya rŽvoquer comme Monsieur fut arrivŽ ˆ Saumur. Mais enfin, par lÕintercession de la reine leur mre, le roi l'y laissa aller.

Je dirai quelque chose en ce lieu de Monsieur sur le sujet de son remariement que la reine mre affectionnait et dŽsirait de telle sorte que rien au monde ne lui Žtait plus cher. Peu de jours aprs la mort de feu Madame, une aprs-d”ner que la reine mre se promenait ˆ pied dans le bois de Boulogne, elle me commanda de la mener dÕun c™tŽ ˆ la place dÕun de ses Žcuyers, et se mit ˆ regretter la perte quÕelle avait faite de Madame, sa belle-fille, ˆ laquelle elle savait que jÕy prenais bonne part. Monsieur arriva sur cela, que je nÕavais point vu depuis quÕil Žtait veuf parce quÕalors jՎtais malade. Sa venue nous fit renouveler ce discours, et la reine sa mre lui dit quÕil nÕy avait que lui au monde qui fut capable dÕamoindrir ou dÕallŽger le dŽplaisir qu'elle avait, en lui rendant une autre belle-fille. Il lui rŽpondit quÕil la suppliait de ne lui point parler de cela ; que sa perte Žtait trop fra”che et son ressentiment trop grand. Elle lui rŽpondit : Ē Mon fils, les choses qui importent tant au bien de lՎtat, ˆ votre fortune, et au contentement de vos proches, ne se doivent jamais dŽlayer ; et puis parler nÕest pas conclure et effectuer. Nous comptions tant™t, Bassompierre et moi (ce quÕelle feignait pour entrer en discours, car nous nÕen parlions point), les princesses qui sont maintenant en Žtat de se marier, tant en France que dehors : nous nÕen trouvions que trois en France, assavoir : mademoiselle de Guise, qui est sĻur de feu Madame, et partant il nÕy faut pas penser ; ni ˆ mademoiselle de Vend™me non plus, car elle est votre nice ; et mademoiselle de Nevers qui est ˆ mon avis bien belle et bien jolie, mais je craindrais que ces drogues que lui a donnŽes Semini pour la guŽrir de sa grande maladie nÕempchassent quÕelle nÕežt des enfants, et lÕon me lÕa fait apprŽhender. Č Il rŽpondit lors : Ē Il y a plus de six mois que lÕon me lÕa dit aussi. Č Ē Il y a de plus la sĻur du duc de Lorraine qui est religieuse de Remiremont, poursuivit la reine ; mais je ne sais ce que cÕest. Č Je lui dis que je l'avais vue lÕannŽe prŽcŽdente en passant par la Lorraine, que cՎtait une fille de treize ˆ quatorze ans, bien belle. Je vis bien que je ne lui avais point fait de plaisir de dire cela, car ce nՎtait pas sa visŽe, et elle me coupa court sans rŽpliquer. Ē On dit aussi, dit elle, que le duc de Bavire a une nice ˆ marier ; mais je ne sais aussi que c'est. LÕempereur a une fille, mais il ne vous la voudra pas donner si vous nÕaviez prŽsentement une souverainetŽ. Il y a de plus deux infantes de Savoie qui approchent de quarante ans, et deux filles de Florence dont lÕune est bien belle et se doit marier au duc de Parme : je ne pense pas que lÕautre soit si belle ; mais on mÕa mandŽ quÕelle nÕest pas mal agrŽable. Č Ē Ah, Madame, lui rŽpliqua Monsieur, on dit que cette dernire est un monstre, tant elle est affreuse, mais que lÕautre est fort belle ; et si jÕavais envie de me remarier comme jÕen suis bien ŽloignŽ, je dŽsirerais plut™t que ce fžt ˆ une princesse de votre maison quՈ pas une autre, et ˆ celle-lˆ particulirement ; mais je nÕy pense pas. Č La reine lors le remercia avec de belles paroles, et lui montra beaucoup dÕaffection ; sur quoi il partit, et la reine me dit ensuite que c'Žtait un bon commencement quÕelle avait fait lˆ, dont elle espŽrait bonne issue, et quÕil fallait promptement envoyer dŽlayer le mariage de Parme, de peur de faillir celui-ci ; et deux jours aprs elle envoya prier Monsieur, qui logeait ˆ Saint-Clou, de lui venir parler en la conciergerie du bois de Boulogne, ce quÕil fit, et elle le pressa fort sur ce mariage. Il ne lui rŽpondit rien pour lors ; mais Mr le Coygneux vint dire le lendemain ˆ la reine que Monsieur sÕy porterait et quÕelle pouvait Žcrire ˆ Florence : et lorsque Monsieur pressait pour aller commander lÕarmŽe ˆ la Rochelle, la reine lui ayant fait obtenir congŽ dÕy aller, il lui dit quÕil Žtait rŽsolu dՎpouser la fille de Florence et quÕelle pouvait traiter ce mariage : et lorsquÕensuite le roi lÕayant fait arrter ˆ Saumur, la reine fit lever cet arrt, Monsieur lui manda quÕil la suppliait trs humblement dÕenvoyer, comme elle fit, Luca de li Asini ˆ Florence pour empcher que cette princesse ne fžt mariŽe au duc de Parme.

 

Aožt. Ń Dieu enfin renvoya la santŽ au roi, et fit tenir bon aux assiŽgŽs de la citadelle de Saint-Martin de RŽ contre le duc de Bocquinguem, et lÕopinion de tout le monde, ce qui anima le roi de telle sorte de les aller secourir quՈ peine pouvait-il encore monter ˆ cheval quÕil voulut partir pour y aller, monsieur son frre ayant dŽjˆ investi la Rochelle du c™tŽ de Coreilles, sՎtant logŽ ˆ NetrŽ avec son armŽe, et aux environs jusques ˆ Ronsay. Il mÕenvoya quŽrir (septembre) ˆ Saint-Germain o il sՎtait fait porter, et me dit que je me prŽparasse de partir cinq jours aprs avec lui pour aller ˆ la Rochelle. Je lui demandai en quelle qualitŽ il lui plaisait que je le suivisse. Il me rŽpondit : Ē Vous moquez-vous de me demander cela ? En qualitŽ de mon lieutenant-gŽnŽral. Č Je lui dis lˆ-dessus que Mr dÕAngoulme occupait dŽjˆ cette qualitŽ en son armŽe laquelle en sa prŽsence nՎtait jamais commandŽe que par les marŽchaux de France quand il y en avait ; que je lui suppliais trs humblement de ne me point mener lˆ pour faire un affront ˆ ma charge. Il se f‰cha lors contre moi et me dit quÕil nÕavait garde de lui donner aucune charge, et quÕil lui enverrait commander de se retirer. Je le suppliai lors quÕil me f”t donner cette parole par monsieur le cardinal, et que lors je le tiendrais pour assurŽ parce que, lui lÕayant fait aller ˆ lÕarmŽe, il lui voudrait conserver. Le roi me le promit, et Žtant le jour mme revenu ˆ Paris chez la reine sa mre, il fit que monsieur le cardinal me dit la mme chose dont il mÕavait assurŽ ˆ Saint-Germain ; et ce qui me le persuada davantage fut le marŽchal de Schomberg qui Žtait mon compagnon en charge et en cette commission, lequel mÕen donna entire assurance.

Sur cela le roi sÕachemina ˆ petites journŽes jusques ˆ Monlivaut prs de Blois, o il fut quelque temps ˆ se refaire et ˆ chasser. Je fis aller mon Žquipage quand et le roi, demeurant ˆ Paris jusques ˆ ce quÕil me le mand‰t comme il mÕavait fait lÕhonneur de me le promettre, et le fit aussi par courrier exprs, ce qui me fit partir de Paris le jeudi dernier jour de septembre, et vins coucher ˆ Artenay.

 

Octobre. Ń Le vendredi premier jour dÕoctobre, je passai par OrlŽans, allai ou•r messe ˆ Notre Dame de Cleri, fus d”ner ˆ Saint-Laurent des Eaux, et de lˆ ˆ Monlivaut, o je ne trouvai le roi, mais je le fus chercher ˆ Saumery o il Žtait allŽ voir monsieur le cardinal, qui furent lÕun et lÕautre bien aises de mon arrivŽe : car je mՎtais, peu de jours avant que monsieur le cardinal part”t, fort bien raccommodŽ avec lui ˆ Vanvres o il Žtait allŽ se tenir. Ils me dirent dÕabord comme ils venaient de dŽpcher Mr du Hallier (qui devait servir de marŽchal de camp en lÕarmŽe, et que jÕy avais aidŽ), pour sÕen aller au camp en faire revenir Marillac que le roi envoyait ˆ Verdun, et commander ˆ Mr le duc dÕAngoulme de se retirer de lÕarmŽe et de venir trouver Sa MajestŽ ˆ Saumur ; dont je demeurai fort satisfait : et parce que mon train Žtait ˆ Blois o le roi devait passer le lendemain, je lui demandai congŽ de mÕy en aller coucher.

Le samedi 2me je me mis dans le bateau du roi comme il passait devant Blois, et il vint coucher ˆ Mont-Louis.

Le dimanche 3me il passa devant Tours et vint coucher ˆ Langeais.

Le lundi 4me le roi reut par un courrier (que monsieur son frre lui envoya), la nouvelle que le fort de Saint-Martin de RŽ ne pouvait plus tenir que jusques au 10me ou au plus au 12me du mois, ce qui le mit en grande peine. Il vint descendre de son bateau ˆ Notre Dame des Ardilliers (o il pria Dieu), puis fut coucher ˆ Saumur.

Le mardi 5me le roi sŽjourna ˆ Saumur pour faire ses p‰ques ˆ Notre Dame des Ardilliers, et vint le mercredi coucher ˆ Touars ; et le jeudi 7me il vint ˆ Partenay o Mr le cardinal de Richelieu le vint joindre, qui avait passŽ par Richelieu pour sÕaboucher avec Mr le Prince.

Le vendredi 8me le roi fut coucher ˆ Chandenier et moi je mÕen allai ˆ Saint-Maixent pour voir Mr de Tours, mon bon ami, qui Žtait en son abbaye de lÕOr de Poitiers.

Le samedi 9me je rejoignis le roi ˆ Niort, o en arrivant il reut la bonne nouvelle de 27 pinasses et autres barques chargŽes dÕhommes et de vivres qui Žtaient heureusement et malgrŽ la flotte anglaise entrŽes dans le fort de Saint-Martin de RŽ, ce qui fut cause de faire sŽjourner le roi ˆ Niort tout le lendemain ; et le lundi 11me le roi vint au g”te ˆ Surgres o Monsieur frre du roi, Mrs dÕAngoulme, de Bellegarde, de Marillac, et le prŽsident le Coygneux (qui avait eu jusques alors l'intendance de la justice et des finances de lÕarmŽe), le vinrent trouver. Monsieur parla au roi en faveur de Mr dÕAngoulme, et lui, se recommanda aussi ; mais le roi dit qu'il ne pouvait le faire ˆ notre prŽjudice et qu'il mÕavait donnŽ et au marŽchal de Schomberg la lieutenance-gŽnŽrale de son armŽe. On ne laissa pas pour cela de faire de grandes brigues en sa faveur.

Le mardi 12me jour dÕoctobre le roi vint d”ner ˆ Mosey. La cavalerie de lÕarmŽe le vint rencontrer entre Mosey et NetrŽ : puis il arriva audit NetrŽ dÕo Monsieur Žtait dŽlogŽ pour lui laisser la place, et avait pris pour sa demeure le ch‰teau de Dampierre qui est vŽritablement un beau lieu, mais ŽloignŽ de prs de deux lieues du quartier du roi et de lÕarmŽe, ce qui nՎtait gure propre pour un gŽnŽral dÕarmŽe : aussi le fit-il ˆ la persuasion de Mr le Coygneux qui prit une jolie maison lˆ-auprs pour y loger.

Ds que le roi fut arrivŽ ˆ NetrŽ, lÕaffaire de Mr dÕAngoulme fut mise sur le tapis en un conseil qui se tint ˆ cet effet, et je reconnus de la froideur au roi, contre mon attente et ses promesses. Il fut appelŽ pour dire ses raisons qui furent que vŽritablement il avait dit au roi qu'il ne prŽtendrait aucune charge en son armŽe de lieutenant-gŽnŽral lors quÕil y arriverait, comme aussi il nÕen avait aucune patente ni commission ; mais quՈ lÕarrivŽe de Monsieur qui avait fait lՎtat de lÕarmŽe, il y avait ŽtŽ couchŽ comme lieutenant-gŽnŽral et en avait tirŽ les gages ; que lÕon lui ferait maintenant un grand affront de lÕen priver et de le renvoyer, aprs y avoir servi le roi trois mois avec beaucoup de peines et de frais, pour la laisser ˆ Mr de Schomberg et ˆ moi qui avions durant ce temps-lˆ passŽ notre temps ˆ Paris ; quÕil nÕy avait autre contestation qu'ˆ raison de lÕinimitiŽ que je lui portais ˆ cause de sa sĻur [Entragues] ; que je ne ferais pas difficultŽ dՐtre lieutenant-gŽnŽral en une armŽe o Mr de Guise commanderait, et quՈ lui je ne le voulais pas seulement souffrir pour mon compagnon ; que dÕautres marŽchaux de France avaient bien obŽi ˆ des princes, comme Mr de Matignon ˆ feu Mr du Maine, et Mrs de Brissac, de Boisdauphin et de ThŽmines ˆ Mr de Guise ; quÕil ne savait quelle chose il y pouvait avoir en lui qui me caus‰t un tel mŽpris que je le veuille refuser pour mon Žgal ; que Mr de Schomberg ne ferait point cette difficultŽ sÕil nՎtait animŽ et poussŽ par moi ; et que si lÕon nous donnait ˆ chacun un travail ˆ faire, lÕon jugerait qui en viendrait le mieux ˆ bout ; quÕil y avait quarante ans quÕil portait les armes et quÕil avait quantitŽ de pouvoirs de gŽnŽral dÕarmŽe ; quÕil suppliait finalement le roi de ne lui vouloir faire un tel et si signalŽ affront.

Aprs avoir fini ses plaintes et ses requtes, le roi envoya quŽrir M. de Schomberg et moi, qui Žtions pendant cela dans sa chambre, et aprs que nous fžmes assis, monsieur le cardinal prit la peine de redire en substance tout le discours de Mr dÕAngoulme, ˆ quoi je rŽpondis :

Ē Sire, ds que je vis ˆ ce printemps dernier que Votre MajestŽ voulut envoyer Mr dÕAngoulme commander son armŽe de Poitou au prŽjudice de Mr de Schomberg et de moi, quÕElle y avait nommŽs ses lieutenants-gŽnŽraux, je jugeai que lÕon le voulait subtilement glisser dans ce commandement sans commission, pour l'y maintenir puis aprs avec commission, et remontrai ˆ Votre MajestŽ tout ce quÕElle voit maintenant. Cette mme raison me fit insister de demeurer ˆ Paris attendant quelque autre emploi, quand Votre MajestŽ me commanda de la suivre en ce voyage o Elle se voulait servir de moi en qualitŽ de lieutenant-gŽnŽral de son armŽe, et nÕen voulus accepter la charge quÕaprs quÕElle m'ežt assurŽ, et monsieur le cardinal ensuite, quÕElle ferait rŽvoquer Mr dÕAngoulme. Elle se souviendra, sÕil lui plait, des paroles quÕElle tint sur ce sujet ˆ Mr de Schomberg et ˆ moi ˆ Saumur, il y a huit jours, quÕElle ne souffrirait jamais que Mr dÕAngoulme ait autre commandement en cette armŽe que celui de colonel de la cavalerie lŽgre sÕil en voulait faire la charge ; et ne me saurais assez Žtonner comme Votre MajestŽ a si t™t changŽ de volontŽ en une chose si juste et si raisonnable comme je lui ferai voir, sÕil lui plait de me permettre de lui reprŽsenter. Č

Ē Mr dÕAngoulme est en cette armŽe sans patente ni pouvoir. Il lÕa commandŽe depuis quÕil y est sur une simple lettre de cachet. Il a protestŽ en y venant quÕil nÕy prŽtendait aucun commandement ds quÕElle viendrait en sa dite armŽe, et quÕil savait bien quÕil appartenait de plein droit ˆ ses marŽchaux de France. De quoi se plaint-il ? De ce que lÕon lui a donnŽ mille francs par mois sur votre Žtat comme s'il Žtait lieutenant-gŽnŽral ? Je lui demande sÕil y est nommŽ lieutenant-gŽnŽral : il ne me le saurait montrer. Et quand il y serait nommŽ, Mr le Coygneux qui lÕa dressŽ et monsieur votre frre qui lÕa signŽ sans le voir, ne font point par ce simple acte des lieutenants-gŽnŽraux dÕarmŽe que Votre MajestŽ soit obligŽe de maintenir et conserver. Il dit qu'il y a servi trois mois : je le sais bien ; mais un service de trois mois, le veut-il puis aprs perpŽtuel, et un service mendiŽ et stipulŽ prŽcŽdemment qu'il ne durerait que jusques ˆ votre arrivŽe ? Quel affront prŽtend-il qui lui soit fait si Votre MajestŽ lui tient ce quÕElle lui a promis, et sÕil est traitŽ en la forme quÕil a demandŽe et requise, voire mme extorquŽe ? Il dit que nous avons ŽtŽ pendant le temps de son service ˆ passer notre temps ˆ Paris : qui lui nie ? Aussi sera-il ˆ passer le temps ˆ Paris pendant celui de notre emploi. O voulait-il que nous fussions pendant votre maladie, et lÕattente de votre convalescence pour L'accompagner et servir en cette guerre ? Et a trs grand tort de dire que je lui veuille mal ˆ cause de sa sĻur : ce serait au contraire une cause de lui vouloir du bien ; je recherche avec trop de soin l'affection des proches des personnes dont je suis amoureux. Je lui eusse pu vouloir mal sÕil ežt fait ˆ ma sĻur ce que jÕai fait ˆ la sienne : il ne pratique pas la mme chose aux autres de peur de sÕattirer une trop grande quantitŽ dÕennemis sur les bras. Il dit que je ne ferais pas difficultŽ de servir de lieutenant-gŽnŽral en une armŽe o Mr de Guise serait gŽnŽral : je lui avoue ; aussi ne ferais-je pas peut-tre en une o il serait gŽnŽral. Mais ce nÕest pas de quoi il sÕagit. Je ne demeure pas seulement dÕaccord avec lui des marŽchaux de France quÕil a nommŽs, qui ont servi sous des princes, mais jÕy ajouterai encore le marŽchal de Strossy qui mourut au sige de Thionville o il commandait sous le duc Franois de Guise, et depuis cinq ou six ans encore, Mr le marŽchal de ThŽmines tant™t sous Mr du Maine, tant™t sous Mr dÕElbeuf. Mais il mÕavouera aussi, sÕil lui plait, quÕen aucune armŽe o le roi ait ŽtŽ, aucun prince, ni autre, nÕont commandŽ Žgalement avec les marŽchaux de France, ˆ qui seuls cet honneur appartient, et que tous les princes qui ont ŽtŽ s dites armŽes royales ont toujours reu lÕordre et les commandements des marŽchaux de France, et non pas seulement les princes Žtrangers ou b‰tards (ce qui nÕest pas grand merveille), mais les princes du sang ˆ qui nous devons tant de respect, dÕhonneur et de dŽfŽrence. A-t-il vu lÕarmŽe du feu roi commandŽe en sa prŽsence par aucun prince ? Mr le prince de Conty, Mr le comte de Soissons, Mr de Montpensier, quand ils y sont venus avec des troupes, nÕont-ils pas reu le mot, lÕordre et les commandements des marŽchaux de Biron pre et fils, dÕAumont, et autres ? LÕont-ils jamais donnŽ ? QuÕil me marque une seule fois, si un prince du sang nÕa ŽtŽ dŽclarŽ lieutenant-gŽnŽral de lÕarmŽe du roi comme l'est maintenant monseigneur son frre, comme lՎtait en Savoie feu Mr le comte de Soissons. Oui, mais, me dira il, Mr de Nevers a souvent menŽ, conduit et commandŽ lÕarmŽe du roi. Je le confesse, en son absence ; mais ds que le feu roi y Žtait arrivŽ, son pouvoir cessait, et sÕil y demeurait avec ses troupes, elles recevaient les ordres et les commandements par messieurs les marŽchaux de France, qui nÕont jamais eu de compagnons en charge aux armŽes o le roi a ŽtŽ, que des autres marŽchaux de France. JÕhonore les princes et leur porte beaucoup de respect et de dŽfŽrence, mais non point au prix ou au ravalement de ma charge, de laquelle il sÕagit : car hors de lˆ je me mets cent brasses au-dessous dÕeux ; mais en la fonction de ma charge je demeure en la hautesse o elle mՎlve. Je pense tre quelque chose plus quÕun prŽsident du parlement ; cependant dans le Palais je ne suis pas seulement au-dessous dÕeux, mais tte nue devant eux qui l'ont couverte, et soumis ˆ leurs sentences et jugements : aussi ne doivent point les princes faire difficultŽ de dŽfŽrer aux charges, bien que ceux qui les occupent soient moindres qu'eux ; et ceux qui les possdent sont obligŽs de les perdre plut™t, voire mme de mourir, que de les laisser dŽpŽrir, comme je mÕassure que Mr le marŽchal de Schomberg fera sans mon induction, comme Mr dÕAngoulme le veut persuader, ayant trop dÕhonneur, de courage, et de ressentiment pour y manquer. Et quant ˆ ce que Mr dÕAngoulme dit, si nous avions tous deux une diffŽrente attaque ˆ faire, que lÕon verrait qui sÕen acquitterait le mieux, je rŽponds quÕassurŽment on le verrait qui sÕen acquitterait le mieux. Il se vante finalement quÕil y a quarante ans quÕil porte les armes : le feu comte de Fuentes, venant en Flandres, prit une fois ˆ tŽmoin feu Mr le comte Peter Ernest de Mansfeld, mon grand-oncle, s'il nÕy avait pas quarante ans quÕil portait les armes, lequel lui rŽpondit que oui, mais quÕil y avait trente-huit ans quÕil ne les portait plus ; et je voudrais demander ˆ ce vieux guerrier comme lÕon fait aux veneurs, quÕil nous montr‰t le pied de la bte quÕil ˆ prise. Č

Ē Je finis suppliant trs humblement Votre MajestŽ de se ressouvenir quÕElle mÕa fait lÕhonneur de me donner la charge de lieutenant-gŽnŽral de son armŽe sans que je lÕaie mendiŽe, pratiquŽe, escroquŽe, ni mme recherchŽe ; qu'Elle mÕa plusieurs fois rŽitŽrŽ, ˆ Paris et par les chemins, quÕElle me la conserverait dignement ; quÕElle mÕa fait trop noblement marŽchal de France pour faire maintenant commencer par moi un si grand ravalement ˆ ma charge et que je ne suis point si ambitieux dÕemploi que je ne quitte trs volontiers celui quÕElle mÕa donnŽ, plut™t que de le faire indignement ; et que sans mŽcontentement ni plainte je mÕen retournerais trs volontiers ˆ Paris y faire le bourgeois et y prier Dieu quÕil continue ses gr‰ces ˆ Votre MajestŽ par quantitŽ de victoires sur ses ennemis, attendant que l'honneur de ses commandements mÕemploie ailleurs. Č

Aprs que jÕeus parlŽ comme dessus, Mr de Schomberg en fit autant et dŽduisit Žloquemment ses intŽrts et ceux des marŽchaux de France. Puis nous nous retir‰mes, et sans y penser plus avant, mÕen allai voir le fort dÕOrlŽans commencŽ, qui Žtait le seul travail quÕen trois mois on avait fait ˆ la Rochelle, et ˆ mon retour Žtant venu chez le roi, il me demanda ce quÕil mÕen semblait. Je lui dis que c'Žtait un inutile travail, placŽ au plus mauvais endroit que lÕon ežt su choisir en tout Coreilles, plus grand des trois parts qu'il ne fallait, mal travaillŽ, de grande dŽpense, de peu de profit, construit non comme un fort et avec les rgles quÕil faut observer en une pice qui est pour servir seulement ˆ un sige, mais comme une pice ˆ demeure, et enfin dŽfectueuse en son tout et en toutes ses parties. Il me dit lors que jÕen parlais par envie, et que si cՎtait moi qui lÕežt fait faire, je nÕaurais pas moins de raisons pour le louer que jÕen avais trouvŽ pour en mŽdire. Je lui rŽpliquai que je nՎtais pas si mal habile de dŽcrier ce fort ˆ Sa MajestŽ qui en saurait bien juger la vŽritŽ et ds le lendemain le reconna”tre, et que je ne mÕaidais pas de ces artifices contre Mr dÕAngoulme, duquel je voyais bien quÕElle soutenait les intŽrts, ayant changŽ dÕhumeur depuis le conseil quÕElle avait tenu, et que, si Elle avait changŽ dÕavis, je nÕavais pas changŽ de rŽsolution de ne servir avec compagnon qui ne fut comme moi marŽchal de France. Elle me dit quÕElle nÕavait point changŽ dÕopinion, mais quÕElle serait bien aise que je mÕaccommodasse ˆ ce qui Žtait du bien de son service, sans nŽanmoins me forcer ˆ rien.

Je vis bien lorsque les affaires penchaient mal pour moi, qui me rŽsolus au pis, et de mÕen retourner ˆ Paris si je ne trouvais mon compte ˆ la Rochelle. Et ainsi je me retirai ˆ mon logis. Monsieur le cardinal prit le sien au Pont de la Pierre qui est un petit ch‰teau proche dÕAngoulain.

Tout le soir fut employŽ jusques bien avant en la nuit en allŽes et venues de Mrs de Vignolles et de Marillac vers Mr de Schomberg de la part de Mr dÕAngoulme au parti duquel ils Žtaient entirement attachŽs, pour t‰cher de les accorder ensemble. Il lui remontrrent quՎtant le second marŽchal de France, jÕaurais tout le pouvoir de lÕarmŽe, lÕintendance des montres, et la charge de colonel-gŽnŽral des Suisses, qui me donnait grand avantage sur lui ; outre cela mon activitŽ ˆ travailler, ce quÕil ne pourrait faire comme moi ˆ cause de la goutte qui parfois le tourmentait, et des affaires du conseil Žtroit auquel il Žtait occupŽ ; son inimitiŽ avec le marquis de Rosny grand ma”tre de l'artillerie avec qui jՎtais en parfaite intelligence ; et finalement lÕaffection des gens de guerre qui Žtait grande vers moi qui les avait quasi toujours menŽs et commandŽs avec beaucoup de douceur, mÕattireront tout lÕemploi ˆ son exclusion ; que Mr dÕAngoulme demeurant, et moi mÕen allant, il aurait toute lÕentire puissance, Mr dÕAngoulme nÕen voulant que le nom, et dŽpendre entirement de lui avec qui il se voulait unir fraternellement.

Ces persuasions et dÕautres quÕils ajoutrent firent tourner casaque au marŽchal de Schomberg sans quÕil ežt plus dՎgard ˆ son honneur, ˆ lÕintŽrt de sa charge, ni ˆ mon amitiŽ ; et ayant convenu en cette sorte avec Mr dÕAngoulme, ds le lendemain matin mercredi 13me il dit au roi quÕil Žtait prt de recevoir Mr dÕAngoulme pour son compagnon en la lieutenance-gŽnŽrale de lÕarmŽe puisquÕil le trouvait dŽjˆ en charge, ce quÕil nÕežt fait sÕil n'y ežt ŽtŽ, et que jÕavais tort de lui contester.

Ce fut assez dit au roi pour lui persuader de faire ce ˆ quoi il Žtait en doute, et ˆ dire qu'il nÕy avait que mon opini‰tretŽ qui retard‰t l'Žtablissement de son armŽe. Sur cela Monsieur, monsieur le cardinal, Mr le Grand, monsieur le garde des sceaux, et ses deux marŽchaux de camp lui applaudirent, de sorte que, comme je le vins trouver le matin pour lÕaccompagner au Plom (o il sÕacheminait pour de lˆ voir la flotte anglaise et le fort Saint-Martin), je le trouvai fort froid et fuyant de me parler. Il commanda mme ˆ Mr du Hallier de me persuader de mÕaccommoder avec Mr dÕAngoulme. Monsieur le cardinal me le dit aussi par les chemins, et Schomberg me vint accoster, me disant quÕil voyait bien que le roi nÕavait pas bonne intention de nous obliger, que cela le faisait me conseiller de cŽder au temps comme bon courtisan, et que pour lui qui Žtait du conseil Žtroit et qui avait trop ˆ perdre, ne sÕy voulait pas opini‰trer. Je ne lui rŽpondis autre chose sinon que mon roi et mon ma”tre me pouvait bien abandonner, mes amis me trahir, et mon frre et compagnon en charge, unis et conjoints en mmes intŽrts, me quitter ; mais que Bassompierre ne sÕabandonnerait, trahirait, ou quitterait pas lui mme : quÕil demeur‰t avec infamie ; que pour moi je me retirerais avec honneur, et que je lui promettais que je ne serais point compagnon en mme armŽe, le roi y Žtant, avec Mr dÕAngoulme, et que pour lui il f”t comme il lÕentendait.

Sur cela nous arriv‰mes au Plom dÕo nous v”mes la flotte anglaise ˆ lÕancre devant Saint-Martin de RŽ, qui pouvait tre de cent cinquante vaisseaux.

Le jeudi 14me il fut avisŽ que Monsieur qui Žtait gŽnŽral de lÕarmŽe, nous dirait que lÕintention du roi Žtait que Mr dÕAngoulme serv”t conjointement avec nous, ce que je refusai absolument.

Je mÕen allai lÕaprs-d”ner voir vers Coreilles, o je trouvai le roi qui m'appela et me dit : Ē Je considre ce que vous me dites hier ; mais je trouve ce fort bien grand. Č Je lui dis quÕil le serait bien davantage quand les fausses brayes que lÕon avait dessein dÕy faire, y seraient ajoutŽes, et quÕil y faudrait encore outre cela faire quelques ouvrages qui donnassent jusques sur le bord de la mer dont il Žtait ŽloignŽ, et quÕenfin un des forts de la circonvallation de la Rochelle serait plus grand que la Rochelle mme. Je lui montrai de plus comme il Žtait commandŽ de tous c™tŽs, et quÕen tout autre lieu qu'en celui o il Žtait, il lÕežt ŽtŽ moins. Je lui fis voir ensuite comme l'on y travaillait la terre et les gazons, et lui fis avouer que tout cela ne valait rien. Mais je ne lui parlai ce jour-lˆ dÕaucune chose.

Il envoya Mr de Mende trouver monsieur le cardinal et le prier quÕil trouv‰t moyen de me contenter, et que je lui ferais faute si je me retirais, comme Mr du Hallier lÕavait assurŽ que je ferais le lendemain vendredi 15me, comme je ne manquai pas, et le vins trouver du matin, et lui dis : Ē Sire, pour ne faire rien indigne de moi, et qui f”t tort ˆ la charge de marŽchal de France dont vous mÕavez honorŽ, je suis forcŽ, avec un extrme regret, de me retirer de votre armŽe et de supplier trs humblement Votre MajestŽ de me permettre dÕen sortir. Je mÕen vas ˆ Paris attendre que l'honneur de vos commandements m'appelle en quelque lieu o je lui puisse continuer les mmes trs humbles services que jÕai fait par le passŽ, lui demandant cependant en singulire gr‰ce de ne point ajouter de foi aux mauvais offices que mes ennemis me feront, jusques ˆ ce quÕElle les ait bien avŽrŽs. Pour moi je l'assurerai que je serai ˆ lÕavenir ce que jÕai ŽtŽ par le passŽ, savoir votre trs humble et trs fidle crŽature. Č

Le roi me persuada fort de demeurer, me dit que je ne l'avais jamais abandonnŽ, que jՎtais opini‰tre et que tout le monde me donnait le tort ; que le marŽchal de Schomberg, qui avait le mme intŽrt que moi, me condamnait, et que je savais bien que, quelques compagnons que jÕeusse, il me donnerait toujours les meilleurs emplois. Enfin voyant quÕil ne me pouvait vaincre, il me dit adieu aprs mÕavoir fait promettre que je lÕirais dire ˆ monsieur le cardinal, auquel en mme temps il envoya un de ses ordinaires nommŽ Sanguin pour le prier quÕil me f”t demeurer ˆ quelque prix que ce fžt.

Je mÕen allai le trouver, et il me donna tant dÕassurances de sa bonne volontŽ, me montra tant de tendresse jusques ˆ pleurer, et me prŽsenta la carte blanche pour mettre ce que je voudrais : je lui dis enfin que je ne demeurerais jamais compagnon de Mr dÕAngoulme, le roi Žtant en son armŽe, et quÕil ne serait jamais dit que jÕeusse fait ce tort ˆ ma charge, mais que sÕil me voulait donner une armŽe ˆ part, toute distincte de celle du roi, ayant mon artillerie, mes vivres, mes trŽsoriers, et tout lՎtat de lÕarmŽe ˆ part, pour assiŽger la Rochelle de lÕautre c™tŽ du canal, avec le commandement dans le Poitou pour les choses dont jÕaurais besoin, jÕoffrais dÕy servir. Il mÕembrassa alors et me dit quÕil me ferait accorder tout ce que je demandais, et que jՎcrivisse mes prŽtentions, ce que je fis, et pris trois compagnies de Suisses, le rŽgiment de Navarre, celui de Vaubecourt, de Beaumont, du Plessis Pralain, de Ribeyrac, et de Chastelier Barlot, la compagnie de gendarmes de Monsieur, et six de chevau-lŽgers avec ce reste de rŽgiment de Champagne qui Žtait au Fort-Louis ; Mrs du Hallier et de Toiras pour marŽchaux de camp ; La Courbe et Persy pour aides de camp ; un nommŽ le Flamen et... pour ingŽnieurs, dÕAligey pour commander ˆ lÕartillerie ; Des Fourneaux pour marŽchal des logis dÕarmŽe ; et le prŽv™t de la connŽtablerie : ce qui me fut accordŽ par le roi, qui mÕenvoya quŽrir comme il Žtait au conseil dans son cabinet. Je vins dans sa chambre o il vint aussit™t avec monsieur le cardinal, mÕaccorda et confirma ce que jÕavais demandŽ, et mÕemmena au conseil en son cabinet avec joie ; et le lendemain samedi 16me je fus remercier monsieur le cardinal.

Cette nuit-lˆ le secours fut mis dans le fort de la PrŽe.

Le dimanche 17me je vins avec les officiers de lÕarmŽe reconna”tre mes quartiers. JÕentrai dans le Fort-Louis o je fus saluŽ de force canonnades. De lˆ jÕallai considŽrer le port Neuf pour y faire travailler ; et puis je revins trouver le roi.

Le mardi 19me on tint conseil pour rŽgler les vivres et l'artillerie des deux armŽes. Cette nuit-lˆ la tempte commena bien furieuse par un nord-est.

Le mercredi 20me trois chaloupes ennemies s'Žchourent au moulin de Laleu, et un vaisseau de trois cents tonneaux ˆ Brouages.

Le jeudi 21me je vins passer ˆ Laleu et ˆ la rade de Chef de Bois pour voir la tempte et le dŽsordre quÕelle faisait. De lˆ, je d”nai ˆ Lommeau chez Beaumont. Aprs d”ner je fus au Fort-Louis faire tirer sur une barque ennemie qui entra ˆ la Rochelle. Puis je fis tracer une redoute ˆ lÕembouchure du port Neuf, et mÕen retournai ˆ NetrŽ.

Le vendredi 22me jÕenvoyai Mr du Hallier faire le quartier et les logements de mes troupes ˆ Laleu et aux environs, o je les logeai.

Puis le samedi 23me je quittai le quartier du roi, et passant par Dampierre pour voir monsieur son frre, je vins loger ˆ Laleu qui fut durant le sige mon ordinaire sŽjour.

Le dimanche 24me je fis commencer ˆ travailler ˆ lÕouverture du port Neuf.

Le lundi 25me je continuai cette Ļuvre et les travaux que jÕavais commencŽs, et fis la nuit tirer du Fort-Louis six canonnades dans la Rochelle avec des balles ˆ feu.

Le mardi 26me treize barques sortirent du port de la Rochelle pour aller en lՔle de RŽ, auxquelles je fis tirer force canonnades du Fort-Louis sans effet. Je fis aussi ce jour-lˆ faire faire la montre gŽnŽrale ˆ lÕarmŽe.

Ce matin mme je mÕen allai ˆ Chef de Bois secourir trois barques des n™tres, ŽchouŽes, poursuivies par les Anglais. Le baron de Noyllan Žtait sur une, et des soldats du Plessis Pralain, embarquŽs pour descendre en RŽ, sur les autres. Je fis mener les personnes et porter les munitions ˆ Laleu : puis sur le soir je fis tirer en un chenal lesdites barques que les roberges anglaises canonnaient.

Le mercredi 27me jÕeus ordre dÕenvoyer au secours de lՔle de RŽ (dont le roi avait ˆ mon prŽjudice donnŽ la commission ˆ Schomberg), 300 hommes du rŽgiment de Vaubecourt, 200 de celui de Ribeyrac, et la compagnie de chevau-lŽgers commandŽe par La Borde.

Le soir le roi mՎcrivit, et Mr de Schomberg aussi, pour mÕavertir que ceux de la Rochelle devaient venir enlever un de nos quartiers, et que je fisse tenir toute mon armŽe alerte pour y pourvoir. Je me moquai de cet avis qui Žtait contre toute raison et apparence, et ayant posŽ mes gardes comme je jugeai ˆ propos, je mÕen allai coucher entre deux draps, ce que je nÕavais encore fait depuis que jՎtais venu en mon quartier. Ces messieurs qui Žtaient prs du roi prirent lÕalarme si chaude quÕils firent tenir Sa MajestŽ et monsieur son frre toute la nuit ˆ cheval.

Le jeudi 28me je fis partir les troupes susdites pour aller en RŽ, auxquelles jÕeus charge dÕajouter cinquante gendarmes de la compagnie de Monsieur, menŽs par Mr de la FertŽ-Imbaut, lieutenant.

Le vendredi 29me il y eut une furieuse pluie qui fit cesser tous les travaux.

Le rŽgiment des gardes vint pour sÕembarquer au Plom : je le logeai ˆ Losieres.

Canaples, Saint-Simon et plusieurs autres du passage vinrent loger et souper chez moi, lesquels y d”nrent encore le lendemain samedi 30me que leur embarquement se fit. Je demeurai toute la journŽe au Plom pour lÕacheminer. Monsieur y vint avec Mr de Bellegarde, qui le vit faire ˆ lÕentrŽe de la nuit en la haute marŽe, et passrent heureusement au fort de la PrŽe sans avoir couru autre fortune que de quelques coups de canon des roberges qui ne dŽsancrrent point. Ils furent reus en descendant par les ennemis qui leur firent une furieuse charge o ils turent Mansan, lieutenant des gardes, et un capitaine de Beaumont ; mais ils ne la continurent pas, ce qui fit quÕavec peu de perte ils se mirent dedans et ˆ lÕentour du fort. Monsieur vint du Plom au moulin de Laleu pour apercevoir les signaux de leur heureuse arrivŽe, qui furent justement dÕautant de barques comme il en Žtait parti.

Monsieur demeura ce soir-lˆ ˆ souper et coucher chez moi, et sur le minuit comme il dormait, il parut un grand feu par dessus le village de Saint-Maurice qui est contre le Fort-Louis. Je pensai que les ennemis Žtaient venus bržler ce peu de maisons qui restaient, et pour le respect de la personne de Monsieur, je fis prendre les armes aux troupes franaises et suisses du quartier, cependant que jÕaccourus pour en savoir de plus sžres nouvelles. Mais je fus bient™t assurŽ de mon doute, et aperus que cՎtaient quelques maisons de la Rochelle proche de la tour de Saint-Barthelemy o des espions que nous avions dedans avaient mis le feu. Je fis en mme temps tirer force balles ardentes du Fort-Louis pour divertir les ennemis dՎteindre leur feu.

Le dimanche 31me et dernier dÕoctobre, Monsieur d”na chez moi, puis sÕen alla au Fort-Louis o il fit tirer force canonnades. Les ennemis nous payrent en mme monnaie ; mais nous ežmes de plus dÕun coup de canon qui donna dans le fort, dont le fils a”nŽ de Mr de la Mauvissiere fut tuŽ, et un soldat quand et lui.

 

Novembre. Ń Le lundi jour de la Toussaints et premier de novembre, quatre barques des n™tres chargŽes des gens du rŽgiment du Plessis Pralain, rel‰chrent au Plom, et deux autres au moulin de Laleu, qui furent suivies par deux roberges anglaises de si prs que la mer leur faillit, et touchrent terre. Je fis en diligence venir deux canons pour tirer sur elles, ce que je fis de telle sorte quÕune des deux reut cinq coups dans le corps du vaisseau, et lÕeusse coulŽe ˆ fond si, la mer revenant, huit chaloupes ne lÕeussent remorquŽe.

Saint-Surin revint de lՔle de RŽ, et le roi mÕenvoya Sanguin avec de lÕargent pour faire que rien ne manqu‰t ˆ l'embarquement, ˆ quoi je pourvus selon son dŽsir.

Le lendemain mardi 2me le roi me fit venir en son quartier pour me proposer de passer en lՔle parce que Schomberg Žtait encore en la Charente o il avait rel‰chŽ. Je fus tout prs de passer selon son dŽsir, et le mien ; mais le garde des sceaux fit telle instance dÕattendre encore ce jour-lˆ des nouvelles de Schomberg, quÕil me retint. Je faillis ˆ mon retour dՐtre pris par une embuscade que les ennemis m'avaient dressŽe proche de Lagor.

Le mercredi 3me je fis mes p‰ques, dont jÕavais ŽtŽ diverti les deux jours prŽcŽdents.

Mr de Schomberg mÕenvoya deux barques pour reconna”tre sa descente et les y conduire, que je lui renvoyai en mme temps. Mr du Hallier alla au Plom faire mettre en mer les pinasses pour passer en RŽ ˆ la haute marŽe de la nuit.

Le jeudi 4me je fis faire une embuscade par vingt gendarmes de Monsieur et quelque infanterie de R’beyrac proche de la porte de Coygnes, qui turent deux hommes de cheval des ennemis et prirent trois prisonniers.

Sur mon d”ner les Rochelais vinrent prendre des vaches tout contre Laleu, et les emmenrent ˆ notre vue. Nous mont‰mes ˆ cheval et le fžmes recourir, et quand les ennemis virent quÕils ne pouvaient emmener leur prise, ils turent les vaches et sÕenfuirent ; ce qui fut cause que je fis venir la compagnie de la Roque Massebaut loger en mon quartier.

Le roi mÕenvoya ce jour-lˆ Persy pour venir servir avec moi, quÕil avait retenu jusques alors.

Le vendredi 5me je vins ds la pointe du jour pourvoir aux embarquements qui, Dieu merci, furent tous si heureux quÕil ne sÕen perdit, Žchoua, ou manqua pas un de tous ceux que je fis faire. Le roi y arriva qui me dit que Mr de Schomberg lui avait mandŽ que, Dieu aidant, il entrerait le soir dans lՔle de RŽ, en laquelle le vent contraire lÕavait empchŽ dÕaborder. sa MajestŽ voulut ensuite venir d”ner chez moi, ˆ laquelle, et ˆ toute sa cour, je fis trs bonne chre. Il sÕen vint de lˆ voir le port Neuf et le Fort-Louis o je fis tirer quantitŽ de canonnades ˆ son arrivŽe.

Le samedi 6me je mÕen vins au Plom o Monsieur arriva t™t aprs. Nous v”mes faire une grande salve de mousqueterie et de canonnades au fort de Saint-Martin de RŽ, qui fut continuŽe plus de deux heures. Nous sžmes quelque temps aprs que cÕavait ŽtŽ lÕassaut gŽnŽral que les Anglais avaient donnŽ au fort lequel avait ŽtŽ vaillamment repoussŽ.

Le soir Marillac arriva avec quelque vingt gentilshommes qui venaient de trouver le roi de la part du marŽchal de Schomberg qui Žtait encore ˆ la Charente, mais qui nÕattendait quÕune heure de bon temps pour aller en RŽ. Ils me prirent de les faire passer en RŽ dans quelques chaloupes qui me restaient encore, ce que je fis aprs leur avoir donnŽ ˆ souper.

Le dimanche 7me je mÕen vins ˆ Chef de Bois pour voir ce qui adviendrait en lՔle, et fus bien ŽtonnŽ quand je vis revenir Marillac ˆ moi, qui au lieu dÕaborder lՔle, avait rel‰chŽ au port Neuf, et me dit quÕils avaient vu deux roberges, et dÕautres visions, dont je me moquai et leur en fis honte.

Nous v”mes peu aprs les Anglais attaquer vers Saint-Blanceau une barque des n™tres quÕils prirent. Ces mmes vaisseaux ennemis vinrent dans le canal de la Rochelle tirer des coups de canon ˆ deux galiotes que jÕavais fait apprter pour passer Marillac au port Neuf. Je fis venir deux canons sur la rive, qui les firent dŽloger bien vite, et donnrent deux volŽes dans lÕun desdits vaisseaux ennemis.

Sur le soir Marillac se rembarqua et passa sans rencontre, comme mÕassurrent mes galiotes qui trois heures aprs furent de retour.

Le lundi 8me le roi vint de bon matin au Plom, impatient de savoir des nouvelles. Je lui dis comme jÕen avais eu de lÕarrivŽe de Marillac en lՔle, et lui fis voir en mme temps plus de trente barques ŽchouŽes ˆ Saint-Blanceau, qui nous fit juger que Schomberg Žtait passŽ la nuit prŽcŽdente. Il me dit aussi la mort du marŽchal de ThŽmines, et quand et quand, que jÕavais bonne part au gouvernement de Bretagne qui vaquait par son dŽcs. Je lui dis que je lui rendais trs humbles gr‰ces de lÕestime quÕil faisait de moi en mÕen jugeant digne, mais que pour moi je ne dŽsirais point de ces grands gouvernements qui obligent ˆ rŽsidence, parce quÕils contrarient ˆ mon humeur et me dŽvoient du cours de ma fortune ; que je ne laissais pas pourtant de lui en tre extrmement obligŽ.

Nous f”mes aussit™t embarquer les mousquetaires ˆ cheval du roi, et quelques autres soldats et vivres pour passer en RŽ. Mais ils arrivrent trop tard ; car ce mme jour les Anglais dŽlogrent de Saint-Martin, et Mr de Schomberg les suivit avec toutes les troupes passŽes et 700 hommes qui sortirent du fort Saint-Martin. Les ennemis se retirrent en trs bon ordre jusques aprs quÕils eurent passŽ le bourg de la Coarde : car lors, ˆ lÕentrŽe dÕune chaussŽe qui les menait en leurs barques et roberges, comme ils commencrent ˆ dŽfiler, le dŽsordre sÕy mit, chacun voulant passer le premier. Sur cela nos gens les chargrent ; de sorte quÕils se noyrent quantitŽ : quantitŽ aussi furent tuŽs, et les Anglais perdirent plus de douze cents hommes, morts ou prisonniers, entre lesquels fut, le milord Monjoye, et deux colonels anglais.

Le soir mme il sortit vingt six barques de la Rochelle pour aller en RŽ.

Le mardi 9me jÕeus nouvelles de la dŽfaite par Beringuen, qui en allait rendre compte au roi. Je passai en mme temps en trs basse mer le canal de la Rochelle ˆ cheval, et vins trouver le roi pour mÕen rŽjouir avec lui. Beringuen lui dit que les ennemis avaient perdu, partie prises, partie jetŽes, trente quatre enseignes et cinq pices de canon. Il me renvoya t™t aprs en mes quartiers o je fis faire des salves gŽnŽrales, tirer tous mes canons plusieurs fois, et faire chanter le Te Deum ˆ Laleu et au Fort-Louis.

Je faillis ce jour-lˆ dՐtre tuŽ dÕune canonnade de la ville qui passa ˆ quatre doigts de ma tte et alla tuer un soldat qui marchait devant moi.

Le mercredi 10me Mrs les cardinaux de Richelieu et de la Valette, ducs dÕAngoulme et de Bellegarde, dÕEffiat, de Harbaut, dÕAucaire et autres, vinrent d”ner chez moi, puis furent voir mes travaux.

Le soir force gens revinrent de lՔle, mais avec pŽril parce que les Rochelais, avec plus de quarante barques, tenaient la mer.

Le jeudi 11me Puilorens et la noblesse de Monsieur revinrent de lՔle et d”nrent avec moi. Le soir Mrs de Retz, de GuymenŽ, et dÕautres, qui en revenaient aussi, vinrent souper et coucher en mon logis.

La nuit il y eut tourmente.

Le vendredi 12me je les menai voir nos travaux, et deux vaisseaux ennemis ŽchouŽs de la tourmente de la nuit passŽe, ˆ la rade de Chef de Bois, dont ils avaient retirŽ les hommes dans des chaloupes. Puis leur ayant donnŽ ˆ d”ner, je les renvoyai au quartier du roi dans mon carrosse.

Le samedi 13me la tempte ayant fait retirer les barques Rochelaises, force gens eurent moyen de revenir de lՔle. Les chevau-lŽgers du roi repassrent de RŽ en mon quartier. Monsieur vint au Plom voir les dŽbris de la tempte.

Le dimanche 14me Marillac et quantitŽ dÕautres revinrent de lՔle coucher chez moi.

Le lundi 15me je fus ˆ Dampierre prendre congŽ de Monsieur, qui se retira de lÕarmŽe et sÕen retourna ˆ Paris. Je fus de lˆ ˆ NetrŽ trouver le roi.

Tout le reste des troupes qui Žtaient sous ma charge et que jÕavais envoyŽes en RŽ, furent ce jour-lˆ de retour en leurs quartiers.

JÕallai ce mme soir reconna”tre une nouvelle ouverture que monsieur le cardinal voulait tre faite au port Neuf, avec un marinier fort expŽrimentŽ quÕil mÕavait envoyŽ, nommŽ Sanson.

Le mardi 16me Monsieur (qui avait ŽtŽ retenu le jour prŽcŽdent par le roi), sÕen alla de lÕarmŽe.

Le mercredi 17me je fus au Plom faire partir force barques pour aller en RŽ requŽrir ceux qui y Žtaient encore. Le comte de Burie et force autres revinrent de lՔle chez moi.

Le roi mÕenvoya quŽrir pour le venir trouver le lendemain matin, comme je fis, le jeudi 18me ; et Žtant au conseil avec monsieur le cardinal et peu dÕautres, me dit que monsieur son frre sÕen Žtant allŽ, qui avait entrepris de faire un fort ˆ Lafons sans lequel la Rochelle nՎtait point assiŽgŽe, et quÕil sՎtait chargŽ dÕassiŽger la ville depuis le marais de Lafons qui Žtait la fin de mon dŽpartement jusques ˆ Ronsai o commenait celui de Mrs de Schomberg et dÕAngoulme et duquel le roi et monsieur le cardinal se chargeaient particulirement, et que lÕayant prŽsentŽ ˆ Mr dÕAngoulme pour sÕy loger ˆ la place de Monsieur et construire les forts, redoutes, et lignes nŽcessaires, il lui avait demandŽ cinq cents chevaux, et cinq mille hommes de pied, ne le voulant entreprendre avec moindres forces, lesquelles difficilement Sa MajestŽ lui pourrait maintenant fournir ; que sur ce sujet il mÕavait envoyŽ quŽrir pour mÕoffrir dÕajouter tout ce dŽpartement au mien, et savoir quelles troupes je demanderais dÕaugmentation ˆ lÕarmŽe que jÕavais dŽjˆ, et quel secours de charrettes, dÕoutils, et dÕautres choses, je demanderais de plus. Je lui rŽpondis que jÕavais de toutes choses ˆ suffisance, si le roi me commandait de lÕentreprendre, et que je lui fortifierais et retrancherais lÕavenue de terre qui Žtait encore libre aux Rochelais, de telle sorte que dans quinze jours je lÕaurais fermŽe. Le roi crut que je me moquais en lui disant cela, et me rŽpliqua que je lui demandasse librement, et si je me voudrais contenter de trois rŽgiments de plus et de trois compagnies de chevau-lŽgers ; et moi je lui rŽpondis que, si il augmentait mes troupes, je ne lÕentreprendrais pas. Il mÕenquit lˆ-dessus quand je voudrais commencer. Je lui dis que le lendemain jÕirais reconna”tre et tracer le fort, que je me prŽparerais le samedi, et que le dimanche au matin je mÕy irais loger. Il me dit quÕil ne pensait pas que je le pusse faire si t™t, et puis me demanda avec combien de forces je mÕy viendrais loger : Ē Avec quatre cents hommes de pied et quarante chevaux Č, lui dis-je. Il dit alors que je me moquais, et quÕil ne me le souffrirait pas. Je lui repartis quÕil le ferait donc faire par un autre ; que je nÕy voulais pas employer un homme davantage, et quÕil me laiss‰t faire ˆ ma fantaisie, ou que je quitterais tout lˆ : ce que je faisais par dŽpit de Mr dÕAngoulme qui Žtait lˆ. Lors, je pris congŽ du roi qui me recommanda de prendre mes sžretŽs de telle sorte que lui, et moi ensuite, ne reussions point dÕaffront.

Le vendredi 19me je pris cinquante chevaux, et deux cents hommes de pied, et mÕen vins reconna”tre le lieu o je ferais mon fort, que je fis tracer par un ingŽnieur nommŽ le Flamen ; puis je mÕen revins. Par les chemins les ennemis me vinrent chicaner : je les fis pousser jusques dans leurs portes par la compagnie de la Roque Massebaut, qui y perdit dÕun coup de mousquet son marŽchal des logis, qui fut grand dommage.

Le samedi 20me le rŽgiment des gardes et celui de la Melleraye revinrent de RŽ. Je logeai ce premier ˆ Losieres, et lÕautre ˆ Lommeau.

Canaples amena le milord Montjoye, son prisonnier, loger et coucher chez moi, qui les laissai au lit le lendemain dimanche 21me, pour mÕacheminer ˆ la garenne de Lafons avec deux cents hommes du rŽgiment de Vaubecourt, deux cents Suisses, et vingt chevaux de la compagnie de la Roque Massebaut. JÕemmenai aussi quatre de ces petites pices que lÕon nomme courtauds, avec de la munition, fascines, et outils nŽcessaires pour travailler. Je trouvai la compagnie de Ruffec qui Žtait en garde proche de Lafons, que jÕemmenai aussi quand et moi. DÕabord je fis deux fortes barricades aux deux chemins creux qui sont ˆ gauche et ˆ droite de la garenne, qui se viennent joindre ˆ trois cents pas de la porte de Coygnes, et fis avancer cent cinquante Franais, et autant de Suisses, assez proche de lÕenfourchure des deux chemins. Je mis les vingt chevaux de la Roque bien loin sur ma droite et mes gardes encore aprs, pour donner ombrage aux ennemis, en cas quÕils voulussent sortir, que cette cavalerie irait couper entre la ville et eux. JÕen fis de mme ˆ la gauche de la compagnie de Ruffec et la fis suivre par un petit gros de vingt-cinq volontaires qui mÕavaient suivi. Je mis Mr du Hallier avec les Franais, La Courbe avec les Suisses, et moi allais partout, cependant que nous travaillions ˆ faire ce fort, que jÕavais pris de quarante toises dans Ļuvre en carrŽ sur le coin droit de la garenne dont les deux fossŽs me servaient. Les ennemis qui aperurent que lÕon les venait entirement fermer par ce fort, sortirent mille ou douze cents hommes de la ville pour nous en venir empcher ; mais voyant ces quatre gros de cavalerie quÕils pensaient destinŽs pour leur empcher leur retraite sÕils sÕavanaient, intimidŽs par ces petits canonnets qui leur tirrent quelques coups, croyant aussi que je nÕavais pas mis trois cents hommes ˆ mes enfants perdus sans en avoir pour le moins quinze cents au gros, se continrent contre leurs murailles sans nous venir incommoder, hormis de plus de quatre cents canonnades quÕils nous tirrent, qui turent douze ou quinze soldats ou travailleurs. Cependant le bruit de ces canonnades fit venir ˆ lÕalarme quantitŽ de noblesse du quartier du roi, que je fis mettre encore en deux gros de cavalerie, de sorte que les Rochelais me laissrent paisiblement travailler. La nuit je mis les rŽgiments de Chastelier Barlot et de Ribeyrac dans ce fort, pensant quÕils viendraient le mugueter, et cinquante chevaux sur les avenues : mais ils ne firent aucun semblant de sortir.

Mrs de Canaples et de Montjoye passrent le matin comme je commenais ce fort, et voyant que je nÕavais quasi personne pour me soutenir, Canaples voulut faire arrter les huit cents hommes du rŽgiment des gardes quÕil ramenait de RŽ. Mais je ne le voulus souffrir, et lui dis quÕil dit au roi que je lui tenais promesse, et que je nÕavais pas outrepassŽ le nombre que je lui avais dit, et que sÕil mÕenvoyait un seul homme de renfort, que je quitterais tout.

Je pensais y coucher ; mais le marŽchal de Schomberg arriva chez moi du retour de lՔle, ce qui fit que jÕy laissai Mr du Hallier, et mÕen allai lui faire bonne chre.

Le lundi 22me jÕamenai Schomberg voir ce que jÕavais fait le jour prŽcŽdent, puis mÕen vins avec lui voir le roi qui lui fit fort bonne chre, comme certes son action le mŽritait. Il me la fit ensuite de mon Ļuvre du jour prŽcŽdent et m'offrit encore renfort de troupes dont je le remerciai : seulement lui dis-je, que sÕil mՙtait le rŽgiment de Navarre comme il dŽsirait, et celui de Beaumont quÕil voulait envoyer en Normandie pour crainte des descentes des Anglais, quÕil me les rempla‰t dÕailleurs, ce quÕil me promit et mÕenvoya ds le jour-mme le rŽgiment de la Melleraye et celui de Parabere.

Je mÕen revins au galop d”ner chez moi o je trouvai Mr de Mende et La Melleraye qui mÕy attendaient. De lˆ je vins jusques ˆ minuit dans le fort de Lafons, et ramenai Mr lՎvque de N”mes souper et coucher en mon quartier pour y attendre son frre Toiras.

Le mardi 23me il sՎchoua une barque qui venait de RŽ au moulin de Laleu, que des barques Rochelaises vinrent piller : je m'y trouvai de bonne fortune avec vingt Suisses ramassŽs, et leur fis quitter ; puis je mÕen retournai ˆ Lafons.

Le mercredi 24me Beaumont et son rŽgiment arrivrent de lՔle.

Guron me vint trouver que je malmenai pour nÕavoir pas bien assistŽ des choses nŽcessaires qui dŽpendaient de Marans, l'embarquement de RŽ.

Le jeudi 25me Toiras arriva de lՔle et d”na avec moi, puis fut pour trouver le roi qui Žtait le jour auparavant parti pour aller ˆ Surgres, ce qui le fit revenir souper et coucher chez moi.

Une barque des Rochelais, en rentrant dans leur port, fut coulŽe ˆ fond par les coups de canon qui leur furent tirŽs du Fort-Louis.

Le vendredi 26me je vins d”ner ˆ Angoulains avec les autres chefs de lÕarmŽe pour rŽsoudre des vivres, des prts, et des autres choses nŽcessaires. De lˆ je mÕen revins demeurer fort tard au fort de Lafons qui sÕavanait dÕheure en heure.

Du Bois le gendarme fut tuŽ dans le canal par les ennemis. Le Plessis arriva.

Le samedi 27me deux ma”tres maons ou architectes de Paris, lÕun nommŽ Meteseau, lÕautre Tiriot, vinrent proposer de faire une digue ˆ pierre perdue dans le canal de la Rochelle pour le boucher. Monsieur le cardinal me les envoya, et jÕapprouvai leur dessein qui avait dŽja ŽtŽ proposŽ au roi par Beaumont.

Le soir monsieur le cardinal mÕenvoya Bussy-Lamet et Beaulieu-Barsac, me mandant de les faire passer en RŽ.

Le dimanche 28me je fis commencer la digue de mon c™tŽ par ces entrepreneurs qui nÕy avancrent pas grand chose.

Le lundi 29me je fus ˆ Lommeau voir Beaumont qui Žtait trs malade. Les Rochelais firent une embuscade pour me prendre au Coulombier rouge ; mais mÕayant ŽtŽ dŽcouverte, nous leur tu‰mes trois hommes et un cheval.

Ces entrepreneurs revisitrent notre c™tŽ pour voir o ils pourraient trouver assez de pierre pour fournir ˆ la digue.

Le mardi dernier jour de novembre jÕallai au conseil chez le roi : puis je vins ˆ Lafons o de la ville on tira une canonnade qui tua quatre travailleurs.

 

DŽcembre. Ń Le mercredi premier jour de dŽcembre le commandeur de Valanay, et Toiras, me vinrent voir. Je les menai aprs d”ner voir travailler au fort de Lafons.

Le jeudi 2me je fus voir Beaumont qui Žtait ˆ lÕextrŽmitŽ.

Le soir Mr du Hallier revint du quartier du roi quÕil me dit tre en colre contre moi, et quÕil lui avait dit que je ne voulais rien faire de tout ce quÕil me commandait. Le fait Žtait que ces messieurs de son quartier, lÕignorance desquels jÕavais publiŽe en la construction du fort dÕOrlŽans, lui dirent que, bien quÕil mÕežt ordonnŽ de fortifier toute la garenne de Lafons, je nÕen avais voulu fortifier que le quart ; que nŽanmoins jÕy ferais une prodigieuse dŽpense parce que ce fort Žtait de bois ; que les courtines avaient vingt pieds dՎpaisseur ; que je ne faisais quÕun simple carrŽ sans flancs aucuns, et que je lՎlevais trop haut. La dernire fois que je vis le roi, il me dit : Ē Il me semble que quand vous ne feriez vos courtines si Žpaisses, que ce serait le meilleur. Č Je lui rŽpondis : Ē Sire, si Votre MajestŽ avait vu le fort, Elle jugerait elle-mme que les courtines nÕont pas trop dՎpaisseur. Obligez-moi de mÕen laisser le soin, et si puis aprs il nÕest ˆ votre grŽ, ne me bl‰mez pas seulement, mais me ch‰tiez. Č Sur cela je mÕen allai, et on lui dit que je ne voulais prendre que le quart de la garenne : sur cela il se mit en colre et dŽclama hautement contre moi.

Je mÕen allai le trouver le lendemain vendredi 3me et en passant entre le Coulombier rouge et le lieu o depuis je fis faire le fort du Saint-Esprit, comme je parlais ˆ don Augustin Fiesque et ˆ Cominges qui Žtaient un peu plus avancŽs que moi, une canonnade de la ville donna par la tte du cheval de don Augustin et le tua.

Je fis mes plaintes au roi qui me satisfit, et je le rendis satisfait en tel point quÕil me dit que ceux qui lui avaient parlŽ contre moi Žtaient des ignorants ; car le fort que je faisais Žtait plus grand que le Fort-Louis, et si je lÕeusse fait ˆ leur mode, je fis voir au roi que jÕeusse fait une grande ville.

En retournant ˆ Laleu assez tard, la compagnie de la Roque-Massebaut qui demeurait tout le jour en garde au Coulombier rouge pour la sžretŽ du passage, sՎtant retirŽe, trouva en arrivant au quartier que je n'y Žtais point encore revenu, et craignant que les ennemis ne troublassent mon retour, revinrent au galop pour nous faire escorte ; et moi qui crus que cՎtaient les ennemis, allai ˆ la charge ˆ eux, de sorte quÕavant que se reconna”tre, il y eut quelques coups de pistolets tirŽs.

Le samedi 4me jÕeus le soir une alarme qui me fut donnŽe par un signal du Fort-Louis. JÕy accourus ; mais je ne trouvai rien.

Le dimanche 5me je fus malade et ne sortis point de chez moi, ni aussi le lundi 6me ; mais le mardi 7me je mÕen vins voir la digue que Meteseau faisait travailler de mon c™tŽ.

Ce mme jour il y eut un beau combat proche de la porte de Coygnes entre les Rochelais qui Žtaient sortis, et Mr du Hallier avec Mr dÕElbene et sa compagnie et Le Chastelier-Barlot qui Žtait ˆ garder notre fort de Lafons commencŽ. Ils rembarrrent bravement les ennemis, et avec morts, et prisonniers quÕils amenrent.

Le soir un ingŽnieur allemand nommŽ Clarver fit tirer quelques bombes dans la ville. Mais comme il nՎtait pas assez prs, et que ses mortiers nՎtaient assez gros, ce fut sans effet.

Le mercredi 8me je fus mandŽ au conseil. JÕallai d”ner chez monsieur le cardinal au Pont de la Pierre ; puis nous v”nmes trouver le roi ˆ NetrŽ.

Le jeudi 9me le roi envoya Mrs de Bligny et de LchŽ pour lui rapporter lՎtat de mon armŽe laquelle je leur fis voir par rŽgiments afin quÕils lui en fissent rapport ; car cՎtait le jour de la montre.

Le vendredi 10me monsieur le cardinal me renvoya encore Arnaut pour juger de l'embouchure du port Neuf et des Žcluses qu'il y fallait faire pour retenir lÕeau douce, ce quÕil revisita encore tout le jour suivant.

Le dimanche 12me Mrs le cardinal de la Valette, de Schomberg et de la Roche Guyon vinrent d”ner avec moi. Ils arrivrent comme nous venions dÕachever un combat avec la cavalerie de la Rochelle, proche du Coulombier rouge, o nous leur tu‰mes deux hommes. Je les menai aprs d”ner ˆ Lafons o je courus grand fortune dՐtre tuŽ de trois coups de canon consŽcutifs qui tous trois me couvrirent de terre.

Le lundi 13me je fus ˆ Lafons, et fis ce que je pus pour harceler les ennemis afin de les faire sortir pour donner Žbattement ˆ La CurŽe, dÕUcelles et autres qui mÕy Žtaient venus voir.

Le mardi 14me les ennemis sortirent de la porte de Coygnes ; mais ce nՎtait quÕen intention de nous tirer force canonnades, pensant que nous ferions comme le jour prŽcŽdent.

Le mercredi 15me je me fis saigner, et ne sortis point de la maison ; car je me trouvais mal.

Le jeudi je fus trouver le roi ˆ Coreilles, qui voyait travailler ˆ sa digue. Il revint au conseil, et je ramenai de lˆ les trŽsoriers, qui avaient dŽlayŽ depuis la montre de faire le paiement de lÕarmŽe o je commandais.

Le vendredi 17me je fis commencer un Žpis ˆ lÕembouchure du port Neuf qui Žtait ouverte, pour empcher que ladite embouchure ne fut remplie de sable au reflux de la mer.

Toiras arriva de RŽ, qui vint servir de marŽchal de camp en mon quartier.

Le samedi 18me jÕenvoyai Mr de N”mes au roi lui demander Mr de Lisle-Rouet pour avoir soin de faire travailler notre digue et venir loger prs de moi, afin dÕen dŽlivrer de soin les marŽchaux de camp.

Le dimanche 19me jÕallai trouver le roi comme il partait pour aller ˆ Surgres, qui me donna Lisle-Rouet, et au marquis de Neesle le gouvernement de la Fere, vaquant par la mort de Beaumont, de qui on donna toutes les charges, rŽservant ˆ son fils une certaine somme sur celle de premier ma”tre dÕh™tel.

Le lundi 20me comme jՎtais au fort de Lafons, Mrs dÕAngoulme, Schomberg, Vignolles et Marillac mÕy vinrent voir, et all‰mes reconna”tre le lieu o ils voulurent faire le fort de Beaulieu.

Ce jour lˆ le port Neuf fut ouvert, et les galiotes y entrrent.

Le mardi 21me je fus d”ner et au conseil chez monsieur le cardinal. Aprs je mÕen revins par le canal au port Neuf.

Le mercredi et le jeudi se passrent en mes divers travaux, et le vendredi 24me jÕenvoyai le rŽgiment de Beaumont : les officiers me vinrent dire adieu, et je fis donner leur logement de Lommeau au rŽgiment du Plessis-Pralain.

Le samedi 25me, jour de No‘l, je fis mes p‰ques.

Le dimanche 26me je passai le canal pour aller d”ner chez monsieur le cardinal : puis je fus voir Mr de Rambouillet.

Toiras et Le Hallier allrent en lՔle de RŽ o ils demeurrent le lendemain, et le mardi 28me ils en revinrent.

Le mercredi 29me La FertŽ mÕenvoya un espion qui venait de la Rochelle reconna”tre nos quartiers : je le fis pendre.

Le jeudi 30me je fus reconna”tre les lieux propres pour y faire des forts et redoutes pour la circonvallation de la Rochelle.

Le vendredi 31me et dernier jour de dŽcembre Toiras mÕamena Des Roches Baritaux que jÕaccordai avec La Tabariere gendre du Plessis-Mornai.

1628.

Janvier.Ń Le samedi premier jour de janvier et de lÕannŽe 1628, je la commenai en faisant mes p‰ques selon lÕobligation que jÕen ai comme commandeur du Saint-Esprit.

Il y eut alarme au fort de Lafons : les ennemis firent feinte de sortir ; mais ils se continrent : jÕy accourus.

Le dimanche 2me je fus ˆ NetrŽ voir le roi, puis repassai par mer ˆ notre digue.

Le lundi 3me je passai le canal en barque et vins d”ner chez monsieur le cardinal. Le roi y vint tenir conseil ; puis je m'en revins passer ˆ la digue.

Le mardi 4me les ennemis firent une embuscade ˆ notre garde ˆ cheval proche du Coulombier rouge : jÕy arrivai, et les repoussai dans la ville.

Je fis ce jour-lˆ commencer la circonvallation de la Rochelle en mon dŽpartement qui Žtait depuis le moulin de Beaulieu jusques au Fort-Louis dÕo je tirai une ligne jusques en un lieu o je desseignais une redoute au devant de Saint-Maurice.

Je fus d”ner chez Mr de N”mes au Fort-Louis avec Mrs de Tours et de la Roche Guyon.

Le mercredi 5me je continuai cette ligne commencŽe. Il y eut une forte tempte sur mer.

Le jeudi 6me, jour des Rois, je fus voir le ravage que la tempte de la nuit prŽcŽdente avait fait : elle fit Žchouer le vaisseau de Toiras nommŽ le Petit Ori ; elle jeta contre la rive le bržlot de monsieur le cardinal, et un des vaisseaux murŽs destinŽs ˆ boucher le canal de la Rochelle, aplanit la digue de notre c™tŽ et rompit celle de Coreilles.

Le vendredi 7me la tempte jeta une telle quantitŽ de pierres dans lÕembouchure du port Neuf quÕelle le boucha. Je fis travailler ˆ les ™ter et continuer puissamment mes travaux.

Fontenai vint demeurer chez moi trois ou quatre jours.

Le samedi 8me je fis commencer une ligne depuis le fort de Lafons jusques ˆ celui de Beaulieu.

Le soir jÕeus une alarme au Coulombier rouge, des ennemis qui y Žtaient parus.

Beauvilliers me vint trouver ˆ Laleu.

Le dimanche 9me la tempte fut trs grande. JÕamenai Mrs de Tours et de N”mes, la Boche Guyon, Toiras et Argencourt d”ner chez moi.

Le lundi 10me je fus ˆ NetrŽ voir le roi, et retournai par le fort de Beaulieu pour parler ˆ Schomberg.

Le mardi 11me je fis commencer la redoute de Saint-Maurice.

Le mercredi 12me je fus tout le jour ˆ visiter mes divers travaux.

Le jeudi 13me je fus ˆ tous mes travaux.

La nuit les ennemis forcrent la redoute de Labori sur les onze heures du soir vers Coreilles, et par mer prirent deux pinasses du roi.

JÕavais ce jour-lˆ d”nŽ chez Mr de Schomberg qui me dit que la nuit prŽcŽdente il Žtait entrŽ six-vingt bĻuf dans la Rochelle, mais que lÕon ne savait pas si cՎtait du c™tŽ que je gardais, ou du leur. Je lÕassurai que du mien rien nÕy Žtait passŽ.

Le vendredi 14me je fis ajouter ˆ mes autres travaux la construction de la redoute du Coulombier rouge. Je fis sonder les marais de Lafons et doubler toutes mes gardes pour empcher que rien nÕentr‰t dans la ville, et me fis certain que les bĻufs nÕy avaient point passŽ, au moins dans mon quartier.

Le roi qui Žtait allŽ passer quelques jours ˆ Marans, o La Roche-Guyon mourut, fut averti par Mr d'Angoulme ds le lendemain que les six-vingt bĻufs furent entrŽs dans la Rochelle, et lui manda qu'ils Žtaient entrŽs par mes quartiers, dont le roi fut fort en colre et mÕenvoya le marquis de Grimaut le samedi 15me de janvier, par lequel il me fit tŽmoigner le mŽcontentement quÕil avait de ma nŽgligence et de mon peu de soin. Je fus tellement indignŽ de cette ambassade que je ne lui voulus rŽpondre autre chose sinon que jՎtais bien dÕaccord que ces bĻufs Žtaient entrŽs, mais que je ne lÕavais su empcher, et que je verrais Sa MajestŽ ˆ laquelle je rendrais compte de lÕimpossibilitŽ de cette affaire, et que ce serait quand il me commanderait de lÕaller trouver, et non autrement.

J'envoyai le dimanche matin le sieur de Lisle-Rouet trouver le roi, lequel avait vu comme il n'y avait aucune trace de bĻufs entrŽs dans la Rochelle en tout mon dŽpartement, et le priai en sÕen allant ˆ NetrŽ (lui qui Žtait chasseur et bon connaisseur), de revoir par le chemin o ces bĻufs pouvaient tre entrŽs, lequel de bonne fortune en vit la piste entre Perrigny et NetrŽ. Comme il fut arrivŽ prs du roi, il lui tŽmoigna le juste mŽcontentement que jÕavais dՐtre bl‰mŽ des fautes des autres, et que, sans mÕavoir ou•, ni avŽrŽ le fait, sur la relation de mon ennemi, le roi ne mÕežt pas seulement jugŽ, mais condamnŽ : Ē Comment, ce lui dit le roi, le marŽchal de Bassompierre ne nie pas que ces bĻufs ne soient passŽs de son c™tŽ : il dit seulement quÕil ne lÕa pas su empcher. Et pourquoi est-il donc lˆ, si ce nÕest pour empcher que rien nÕentre dans la Rochelle ? Č Il lui rŽpondit : Ē Vraiment, Sire, il nÕavait garde de les empcher, puis quÕils sont entrŽs par le quartier de Mrs dÕAngoulme et de Schomberg. Car je puis rŽpondre ˆ Votre MajestŽ premirement quÕil nÕen est entrŽ un seul par les quartiers quÕil garde, et ensuite lui assurer quÕil en est entrŽ six-vingt par les quartiers de deˆ, comme jÕoffre prŽsentement de montrer si Votre MajestŽ veut envoyer avec moi quelquÕun qui soit chasseur. Č Il envoya sur cela quŽrir Mrs dÕAngoulme et de Schomberg, ˆ qui Lisle-Rouet maintint que ces bĻufs Žtaient entrŽs par leurs quartiers ; et avec un nommŽ Croysille que le roi envoya avec eux, ils montrent ˆ cheval, et il leur en montra la piste.

Sur ces entrefaites jՎtais venu au fort de Lafons qui Žtait dŽjˆ en dŽfense : Mr du Hallier, Marcheville, La Courbe, don Augustin Fiesque, et dÕautres Žtaient avec moi. Nous v”mes sortir vingt-cinq cavaliers armŽs de la porte de Coygnes. Je fis prendre cinquante mousquetaires ˆ Mr du Hall’er, et huit de mes gardes avec quelques volontaires, pour les aller faire rentrer en leur tanire. Il partit donc, et moi je le suivis comme les mousquetaires sortaient du fort, et voyant quÕil sÕavanait par trop dans la rue du faubourg de Lafons vers les ennemis, je courus ˆ lui pour le faire arrter. Mais comme nous y Žtions, nous rencontr‰mes en un dŽtour de rue ces ennemis ˆ douze pas de nous, ce qui nous fit faire ferme, parce que nous nՎtions que dix chevaux et ces huit gardes, et qu'ils Žtaient tous armŽs de toutes pices. Eux aussi en mme temps firent halte, et La Courbe leur cria : Ē Messieurs, il y fait bon, vous nÕaurez pas toujours deux cordons bleus en si belle prise. Č En mme temps un de mes gardes tira de sa carabine ; et eux, croyant ˆ notre contenance que nous Žtions suivis, se retirrent, et lors nous les poursuiv”mes, voyant leur Žpouvante, et les f”mes jeter dans leur contrescarpe o ils furent soutenus de deux cents mousquetaires sortis de la ville qui commencrent ˆ escarmoucher avec ces cinquante hommes sortis du fort, et jÕen envoyai encore quŽrir cent, lesquels arrivŽs et notre garde ˆ cheval qui Žtait venue au bruit, comme d'autre c™tŽ La Borde-Vely avec trente chevau-lŽgers, qui Žtait en garde devant le fort de Beaulieu, y Žtant accouru, les ennemis jugrent que la partie nՎtait pas tenable ; mais voyant en rentrant dans la porte de Coygnes Mrs dÕAngoulme et de Schomberg occupŽs ˆ remarquer lÕentrŽe des bĻufs, allrent ˆ eux, ce qui les mit en peine ; et moi le voyant j'y vins au galop les soutenir avec la compagnie de Marconet que je fis suivre. Je trouvai Mr de Schomberg ˆ la tte lՎpŽe ˆ la main lui cinquime et Mr dÕAngoulme qui allait et venait avec huit ou dix hommes pour ne laisser pointer des canons sur lui, qui ne furent pas marris de mon arrivŽe, laquelle fit retirer les ennemis, qui se contentrent de nous tirer force canonnades.

Le lundi 17me on mÕamena sept prisonniers qui avaient voulu se jeter dans la ville, gens de bonne mine si on leur ežt peu ™ter lÕextrme peur quÕils avaient dՐtre pendus. Mais je les traitai doucement.

Je mÕen allai trouver le roi ˆ qui je fis force plaintes, et lui certes me satisfit par force paroles dÕestime et dÕaffection de ma personne.

Quelques espions quÕil entretenait dans la Bastille lui donnrent avis que les Rochelais avaient une entreprise sur le Pont de la Pierre qu'ils devaient cette nuit mme venir pŽtarder. Monsieur le cardinal nÕy Žtait pas alors : il Žtait allŽ par mer en Brouage, et le vent contraire retardait son retour. Le roi prit lÕalarme bien chaude et me lÕenvoya donner avec la mme lettre quÕil avait reue qui contenait que six cents hommes devaient sortir par mer dans des barques de la Rochelle et venir en haute mer aborder dans les platains dÕAngoulains, mettre pied ˆ terre, forcer ˆ coups de pŽtard le Pont de la Pierre et puis se rembarquer dans leurs mmes barques et sÕen revenir ˆ la Rochelle. Quand jÕeus fait rŽflexion sur cette lettre, je jugeai lÕavis impertinent et mandai au roi que six cents hommes dans des barques se voient venir par le canal ; quÕils ne sÕoseraient hasarder de se jeter dans les platains, car ils seraient perdus : quÕils ne sauraient se dŽbarquer sans tre dŽfaits par les rŽgiments de PiŽmont et de Rambures, logŽs ˆ Angoulains, devant le quartier desquels ils devaient forcement passer ; que quand bien ils prendraient sans rŽsistance le Pont de la Pierre dont le ch‰teau est bon, bien fossoyŽ, et qui peut tre dŽfendu par vingt hommes contre toute la puissance de la Rochelle sÕils nÕamenaient du canon, ils ne se pourraient rembarquer ˆ cause de la mer qui serait en une heure retirŽe des platains, et que par consŽquent Sa MajestŽ pouvait dormir en repos, l'assurant que, si les ennemis lÕentreprenaient, jÕavertirais par trois coups de canon tirŽs du Fort-Louis leur arrivŽe, plus dÕune heure avant quÕils se pussent dŽbarquer, et que ce serait une gorge chaude pour les rŽgiments de PiŽmont et de Rambures. Nonobstant toutes ces raisons ceux qui Žtaient prs du roi le conseillrent de monter ˆ cheval : Mr dÕAngoulme dit quÕil serait proche des platains avec trois cents chevaux ; Marillac supplia au roi de lui permettre de garder le Pont de la Pierre avec deux cents hommes, et firent tout ce que lÕon ežt pu faire sÕil y ežt eu trente mille hommes dans la Rochelle, faisant passer la nuit ˆ cheval au roi sans raison ni sujet.

Le mardi 18me six grosses barques de la Rochelle sortirent la nuit du canal. Les vaisseaux du roi qui Žtaient en garde quittrent leur poste : on nous donna une forte alarme, et le roi fut encore toute la nuit sur pied, et moi aussi.

Le mercredi 19me je fus tout le jour ˆ visiter mes travaux, tant du fort de Lafons que je faisais mettre en perfection que des lignes de circonvallation, que de la digue et du port Neuf.

JÕen fis de mme le jeudi 20me.

Le vendredi 21me je fus prendre congŽ du roi qui sÕalla remettre des fatigues inutiles que lÕon lui faisait prendre, ˆ Surgres. JÕallai de lˆ voir monsieur le cardinal qui me mena d”ner chez Marillac au fort de Coreilles ; et lÕaprs-d”ner quinze vaisseaux murŽs par dedans lui Žtant arrivŽs, il en fit enfoncer sept devant lui pour aider aux deux digues de fermer le canal. Huit galiotes des ennemis sortirent de leur port et vinrent fort avant contre les n™tres. Cependant les canonnades de la Rochelle faisaient beau bruit, et monsieur le cardinal me fit passer le canal pour aller en mon quartier donner ordre de repousser ces galiotes ˆ coups de canon.

Ce jour mme on eut nouvelle que les flottes jointes ensemble, franaise et espagnole, Žtaient ˆ lÕancre ˆ Saint-Martin de RŽ, commandŽes par Mr de Guise et sous lui don Fadrique de Toledo.

Ce jour mme la redoute de Saint-Maurice fut achevŽe.

Le samedi 22me je vins trouver monsieur le cardinal sur la digue de Coreilles, qui attendait Mr de Guise et don Fadrique qui y arrivrent. Il me vint ce jour-lˆ une belle galiote que Vassal mÕavait fait faire et Žquiper dans laquelle, aprs avoir saluŽ les deux amiraux, je mÕen revins en mon quartier.

Le dimanche 23me je vins prendre Schomberg en passant, et all‰mes ensemble d”ner chez le garde des sceaux qui nous avait conviŽs afin de tenir conseil l'aprs-d”ner sur les affaires des Grisons.

La nuit prŽcŽdente les Rochelais Žtaient sortis en basse-mer contre lÕestacade de vaisseaux murŽs, o ils avaient t‰chŽ de mettre le feu : ils y turent un brave capitaine de PiŽmont qui Žtait bŽarnais nommŽ Baurs.

Le lundi 24me le roi mÕenvoya commander de faire mettre une compagnie de chevau-lŽgers en garde pendant la basse-mer, durant la haute marŽe, ce que je fis le mme soir, et y allai moi-mme.

Nous cess‰mes nos travaux ˆ cause du grand froid.

Blainville arriva ce jour lˆ en mon quartier, que je logeai.

On pensait faire entrer seize bĻufs dans la Rochelle, qui furent pris par les gardes du Coulombier rouge du rŽgiment de Ribeyrac.

Le mardi 25me le grand froid continua, et nos travaux cessrent.

Mr de Guise vint loger en mon quartier. Il y eut alarme dans la basse marŽe au canal, quelques ennemis ayant fait semblant de sortir. JÕy allai avec mille hommes suisses ou franais : Mr de Guise y voulut venir, et, lÕalarme cessŽe, me pria que je le menasse jusques ˆ mes sentinelles plus avancŽes, ce que je fis si bien que nous all‰mes toucher une pice des ennemis quÕils ont sur leur port pour couvrir une machine qui leur fait retenir lÕeau de la haute mer dans leurs fossŽs, que lÕon nomme le Larron.

Le mercredi 26me Mr de Guise retourna au quartier du roi, si enrhumŽ quÕil ne pouvait parler ; et le roi lui ayant demandŽ dÕo lui venait cela, il lui dit que cՎtait lÕos dÕun gigot de mouton dont je lui avais fait t‰ter la nuit prŽcŽdente (cette pice qui couvrait le Larron sÕappelait le Gigot de Mouton).

Le jeudi 27me janvier je passai en galiote en Coreilles o monsieur le cardinal y vint, qui me mena chez le roi o don Fadrique de Toledo eut audience. Le marquis Spinola et le marquis de Leganesse, son gendre, y arrivrent.

Le vendredi 28me la gelŽe continua furieusement. Je demeurai en mon quartier avec Blainville. Feuquieres fut pris par les ennemis, et le lieutenant des gardes de monsieur le cardinal y fut tuŽ, allant reconna”tre le pont des Salines.

Le samedi 29me je passai ˆ Coreilles, et fus ˆ pied au quartier du roi pour visiter le marquis de Spinola et celui de Leganesse, et dire adieu ˆ don Fadrique qui sÕen allait. J'allai aussi visiter le marquis de Rambouillet, nouvellement revenu dÕEspagne, qui s'Žtait rompu un bras, ˆ qui jÕavais prtŽ mon logis de NetrŽ pour sÕy faire guŽrir.

Le dimanche 30me Mr de N”mes vint d”ner chez moi.

Les ennemis firent une sortie par la porte Neuve : nous les repouss‰mes.

Le lundi, dernier de janvier, Mrs de Guise et de Mende vinrent d”ner avec moi et dire ˆ Blainville quÕil ne pourrait voir le roi comme il prŽtendait. Je les ramenai ˆ Coreilles, et en passant le canal, une volŽe de canon de la Rochelle emporta un des avirons de ma galiote.

 

FŽvrier. Ń Le mardi, premier jour de fŽvrier, je mÕen vins par mer ˆ Coreilles o je trouvai le roi qui mÕemmena en son quartier, me fit donner ˆ d”ner dans la chambre de Mr le Premier. Les marquis de Spinola et de Leganesse prirent congŽ du roi : je leur fus dire adieu ; puis monsieur le cardinal me ramena ˆ Coreilles, et je le menai voir sur ma galiote ses vaisseaux enfoncŽs.

Le mercredi 2me, jour de la Chandeleur, je fis mes p‰ques.

Le froid continua fort grand.

Je posai des gardes sur quelques vaisseaux murŽs, et sur le petit ch‰teau que PompŽe Targon enfona au milieu du canal, qui subsista toujours.

JÕallai le soir faire garde ˆ cheval sur le canal en basse marŽe.

Le jeudi 3me je fus trouver ˆ Coreilles monsieur le cardinal qui faisait enfoncer dans le canal les vaisseaux murŽs. Il acheva cette estacade de vaisseaux, et y en employa trente et un.

Le vendredi 4me je passai le canal pour voir monsieur le cardinal. De lˆ nous all‰mes, Mr de Guise et moi, voir Mr dÕEffiat qui avait ŽtŽ malade ˆ la mort : puis nous rev”nmes voir le roi, et de lˆ je mÕen revins par mer en mon quartier.

Le samedi 5me je fis tracer par le Plessis-Besanon le fort de Sainte-Marie : puis jÕallai ˆ Lafons o les ennemis firent une sortie.

Le soir jÕallai avec la garde ˆ cheval en basse marŽe sur le bord du canal. Il y eut tempte au montant de la mer.

Le dimanche 6me Mr de Guise partit ayant auparavant ŽtŽ d”ner chez moi. Il emmena Blainville qui nÕavait bougŽ de chez moi depuis son arrivŽe. Je leur prtai mon carrosse pour les mener ˆ Saumur. Puis je fus en chaloupe dans le canal pour voir nos vaisseaux enfoncŽs, que la tempte avait mis hors de leur lieu destinŽ.

Le lundi 7me les ennemis sortirent pour prendre dans leur canal en basse mer le dŽbris des vaisseaux que la tempte avait rompus, et nos gens les en empchrent : il y en eut de tuŽs de part et dÕautre.

Le mardi 8me Mrs dÕAngoulme et de Schomberg eurent brouillerie.

Je fus le matin voir le roi qui me fit apprter ˆ d”ner ˆ la chambre de Mr le Premier : puis il tint conseil. Monsieur le cardinal me ramena ˆ la digue, dÕo jÕemmenai Mr de la Rochefoucaut loger chez moi.

Le mercredi 9me je passai chez le roi qui me fit traiter, comme le jour auparavant. Aprs d”ner Beautru le jeune me brouilla malicieusement avec le roi qui me maltraita. Je pris congŽ de lui ce soir-lˆ parce quÕil partait le lendemain pour sÕen aller ˆ Paris, ayant donnŽ un ample pouvoir ˆ monsieur le cardinal pour commander en son absence, dont nous nous content‰mes.

Il partit donc le jeudi 10me pour sÕen aller ˆ Paris.

Le vendredi 11me j'allai d”ner ˆ Angoulains chez monsieur le cardinal qui tint conseil de guerre lÕaprs-d”ner.

On eut ce jour lˆ nouvelle de la mort du cardinal de Sourdis.

Le samedi 12me je fis tracer le fort de Sainte-Marie.

Le dimanche 13me je fus d”ner, et au conseil, au Pont de la Pierre, et fis commencer le fort de Sainte-Marie.

Le lundi 14me je fus tout le jour ˆ visiter tous mes diffŽrents travaux.

Le mardi 15me, comme je voyais travailler au fort de Sainte-Marie, jÕaperus quelque vingt chevaux des ennemis sortir de la porte Neuve et passer le marais vers le fort Saint-Esprit. JÕaccourus ˆ la redoute du Coulombier rouge o il y avait de garde douze chevau-lŽgers de la compagnie de la Roque-Massebaut, ˆ qui je fis mettre salade en tte, et ordonnai ˆ un brave soldat nommŽ Rives, qui les commandait, que lorsque je lui ferais signe du fort Saint-Esprit et que jÕirais ˆ la charge, quÕil y v”nt aussi de son c™tŽ, et je mÕen allai au galop au fort Saint-Esprit, faisant sortir cinquante mousquetaires sur la contrescarpe pour me favoriser. JÕavais un gentilhomme, deux de mes gardes, et un capitaine du rŽgiment de Vaubecourt, nommŽ Moleres, avec moi ; et comme je sortis du fort pour voir leur contenance, jՙtai mon chapeau pour commander quelque chose au comte de Ribeyrac qui Žtait de garde au fort avec partie de son rŽgiment : Rives crut que je lui faisais le signe que je lui avais dit, et vint ˆ la charge ˆ toute bride. Comme je vis que lÕaffaire Žtait embarquŽe, je poussai aussi, moi cinquime, de telle sorte que les ennemis ne soutinrent pas notre charge, et voulurent repasser le marais. Mais nous leur tu‰mes deux chevaux et un homme, et je pris prisonnier, qui se rendit ˆ moi, un jeune gentilhomme neveu de Mr de Courtaumer, bien montŽ et armŽ, qui faisait la retraite : il se nommait Bonneval, que monsieur le cardinal mÕenvoya demander pour t‰cher de l'Žchanger avec Feuquieres.

Le mercredi 16me je continuai mes travaux, et ežmes alarme la nuit, de deux barques qui partirent de la Rochelle, sur lesquelles les vaisseaux qui Žtaient ˆ lÕancre tirrent force canonnades. Car les grands vaisseaux ayant demandŽ ˆ se retirer pour aller hiverner ˆ Brest, ne pouvant tenir durant les tourmentes sur ces basses mers, le commandeur de Valanai proposa de garder tout lÕhiver les vaisseaux qui Žtaient au dessous de deux cents tonneaux de port, qui Žtaient vingt et deux en nombre, avec lesquels il offrait de garder lÕembouchure du canal, mme contre une flotte anglaise, si elle venait, ce quÕil exŽcuta comme il lÕavait promis, ˆ cause du secours quÕil avait des deux c™tŽs, du peu dÕeau quÕil y avait dans le canal, qui faisait que les grands vaisseaux nÕen pouvaient approcher, et de la crainte que les autres avaient de sՎchouer ˆ une des deux rives o leur ruine Žtait Žvidente.

Le jeudi 17me je fus au conseil chez monsieur le cardinal ; puis je repassai par mes travaux.

Le vendredi 18me nous f”mes garde sur le bord du canal en basse marŽe.

Le samedi 19me les ennemis sortirent vers le fort de Beaulieu, o jÕallai.

Le dimanche 20me, il y avait quelques jours que monsieur le cardinal se trouvait mal ; mais ce jour-lˆ il eut la fivre trs forte. Je le fus voir.

Le lundi 21me les ennemis vinrent pour enlever la redoute de Lafons qui nՎtait encore du tout parachevŽe. Mais ils y trouvrent de la rŽsistance, et la cavalerie vint promptement au secours avec deux cents hommes qui sortirent du fort de Lafons.

Le mardi 22me je fus tout le jour occupŽ ˆ mes travaux.

Le mercredi 23me jÕen fis de mme.

Le jeudi 24me je vins d”ner au Pont de la Pierre o le conseil se tint.

Mr du Hallier partit pour aller ˆ Paris.

Je fus dire adieu ˆ Mr de Rambouillet, et vins voir Beauvilliers qui se mourait.

Le vendredi 25me le temps fut mauvais : on ne travailla point.

Le samedi 26me Jean Farine vint tirer un coup de pistolet ˆ un Suisse qui levait des gazons pour la redoute de Lafons. JՎtais lˆ auprs avec M. de Toiras qui passa pour courre aprs, et dÕautres aussi, et moi de mme ; nous all‰mes jusques ˆ la barrire de la porte de Coygnes qui Žtait fermŽe, et Jean Farine se jeta dans la contrescarpe. Il nÕy avait pas un homme sur les remparts pour nous tirer, hormis au retour que lÕon nous tira cinq canonnades qui faillirent ˆ nous tuer.

Le soir un prisonnier nommŽ Saint-Siforien se sauva de mes prisons.

La tempte commena par un suro”t qui dura toute la nuit.

Le dimanche 27me la tempte continua, qui fit cesser le travail de notre digue.

Le lundi la pluie extrme fut cause que lÕon ne put travailler ˆ aucune chose.

La nuit une barque de la Rochelle sortit malgrŽ notre armŽe de mer.

Le mardi 29me je fus d”ner chez Schomberg ; puis jÕallai chez monsieur le cardinal au conseil. De lˆ jÕallai visiter Mr de Beauvilliers qui tirait ˆ la fin.

 

Mars. Ń Le mercredi premier jour de mars jÕeus nouvelle de sa mort.

Ce jour-lˆ ma circonvallation fut achevŽe de fermer.

Je mÕen allai le soir promener sur la mer.

Le jeudi 2me je fus tout le jour occupŽ ˆ mes ouvrages.

Le vendredi 3me je vins d”ner ˆ NetrŽ chez Schomberg qui y Žtait venu loger.

Nous accord‰mes Ambleville et Sabran.

La Melleraye se battit contre...., Rochelais, et fut blessŽ. Mr de Schomberg et moi le fžmes voir en son quartier de Niueil.

Le samedi 4me je me fis saigner. Force gens me vinrent voir.

Le dimanche 5me monsieur le cardinal mÕenvoya quŽrir au conseil, o nous juge‰mes La Melleraye ˆ bannissement et perte de sa charge, pour sՐtre battu sans permission de monsieur le cardinal ou de moi : mais ensuite monsieur le cardinal trouva bon que jՎcrivisse au roi en sa faveur.

Le lundi 6me je vins recevoir au commencement de mon dŽpartement, Mrs d'Angoulme, Schomberg, La CurŽe, Marillac, Chateauneuf et autres, qui me vinrent voir, et d”ner chez moi.

Le mardi 7me, jour de carme-prenant, Mr de Schomberg nous festina, et moi le soir fort bonne compagnie. On ne travailla point ce jour lˆ.

Le mercredi 8me de mars, jour des Cendres, Toiras alla dŽcoupler ses chiens courants pour courre un livre entre nos lignes et la Rochelle, ˆ la merci des canonnades de la ville. Je lÕen allai retirer, et me f‰cher contre lui, qui ne laissa pas de venir souper avec moi.

Le jeudi 9me je fus au conseil chez monsieur le cardinal.

Le vendredi 10me monsieur le cardinal mՎcrivit de le venir trouver le lendemain samedi 11me, ce que je fis, et il me communiqua lÕentreprise quÕil avait faite de pŽtarder la Rochelle par le canal qui y entre et fait le port, me convia dÕy venir avec deux mille hommes de pied et trois cents chevaux. Je fis le soir battre au champ ˆ la sourdine, et marchai droit ˆ Ronsai o Žtait mon rendez-vous. Monsieur le cardinal y arriva peu aprs avec pareil nombre de gens de guerre. Nous f”mes notre ordre, prts ˆ soutenir le pŽtard, et donner : mais Marillac et les porteurs de pŽtard avec cinq cents hommes qui devaient donner devant nous, ne se trouvrent de toute la nuit qui se passa sans alarme dans la ville, o on ne sut rien de notre entreprise que le lendemain au soir. Je mÕen revins malade dÕune apostume ˆ la gorge, qui se pera le mme soir, que lÕon croyait tre une peste.

Nous rev”nmes de cette belle entreprise qui fut si mal exŽcutŽe le dimanche 12me auquel jÕeus une trs forte fivre. Monsieur le cardinal mÕenvoya Mr Sitoy son mŽdecin qui demeura auprs de moi.

Elle me continua encore le lundi 13me auquel ˆ cinq heures du matin Marillac fit une entreprise pour rŽparer celle du pont des Salines, au fort de Tadon, qui lui rŽussit aussi mal, et ceux qui la tentrent se retirrent en dŽsordre sur un mot que dit Marillac, qui fut : Ē Tournez Č, au lieu de dire : Ē Ė droite Č, pour se retirer, de sorte quÕil y eut une grande confusion et plus de quarante que tuŽs que blessŽs.

Le mardi 14me ma fivre continua. La Melleraye me vint dire adieu.

Le mercredi 15me je fus saignŽ. Force gens me vinrent voir.

Le jeudi 16me je fus encore saignŽ, et ma fivre diminua par la grande quantitŽ de matire que ce charbon jeta.

Le vendredi 17me ma fivre me quitta : je me levai: Schomberg me vint voir et d”ner avec moi.

Le samedi 18me je demeurai encore ˆ la chambre de peur du froid.

Le dimanche 19me je pris mŽdecine.

Monsieur le cardinal me donna, au lieu de Lisle-Rouet qui sÕen Žtait allŽ ˆ son gouvernement de Conquernau, Mr de Tavannes et lÕabbŽ de Beauveau pour mÕaider ˆ faire la digue et ˆ en prendre le soin sous moi.

Le lundi 20me monsieur le cardinal me vint voir, et je sortis, pour la premire fois de ma maladie, et lÕaccompagnai ˆ tous mes travaux quÕil fut visiter, et les trouva excellents.

Mr du Hallier revint ce jour-lˆ de Paris.

Le mardi 21me il reprit le soin de nos travaux quÕil trouva quasi parfaits, et je le fus mener les voir.

Le mercredi 22me le mauvais temps fit cesser tous nos ouvrages.

Une barque entra la nuit dans la Rochelle malgrŽ nos chaloupes de garde, et deux autres Žchourent du c™tŽ de Coreilles, lÕune desquelles (o commandait un nommŽ Sacremore) se dŽfendit si bien que malgrŽ la forte attaque qui lui fut faite par Marillac, elle entra encore dans le port ds que la marŽe revint : un nommŽ David commandait la premire entrŽe, qui portrent en la ville vingt et deux tonneaux de blŽ.

Ce mme jour mon neveu de Bassompierre arriva au sige de la Rochelle.

Le jeudi 23me je fis faire une batterie sur le bord de la mer, de quatre canons, entre le port Neuf et la digue, qui fut achevŽe le vendredi.

Le samedi 25me je fis mes p‰ques.

LÕa”nŽ Rotelin qui avait la lieutenance de l'artillerie par la mort de son frre, arriva en mon quartier.

Le dimanche 26me Marillac me vint trouver pour se raccommoder avec moi : je mՎtais f‰chŽ contre lui quelques jours auparavant. Il d”na avec moi et Fontenai-Mareuil.

Mr le cardinal de la Valette revint ce jour lˆ ˆ NetrŽ.

Le lundi 27me la tempte vint dÕun vent de suro”t. Nous ne pžmes travailler.

Le mardi 28me je fus voir ˆ Perrigny Mr de Schomberg malade, puis ˆ NetrŽ Mr le cardinal de la Valette arrivŽ.

Le mauvais temps fit cesser tous nos ouvrages.

Le mercredi 29me un tambour de la Rochelle me vint trouver pour me parler de quelques prisonniers, par lequel jÕeus avis des nŽcessitŽs qui commenaient ˆ la Rochelle, de leur attente du secours anglais, de la crŽance quÕil forcerait la digue et mettrait des vivres dans leur ville, ce que manquant ils traiteraient, comme aussi des nouvelles quÕils avaient de Mr de Rohan, dont je donnai avis ˆ monsieur le cardinal.

Le jeudi 30me Mr le cardinal de la Valette et Schomberg me vinrent voir, d”nrent avec moi et visitrent mes travaux, batteries et digues.

Le vendredi 31me je mÕoccupai ˆ les continuer.

 

Avril. Ń Le samedi, premier jour dÕavril, jÕallai d”ner chez monsieur le cardinal, puis tenir conseil o il fut rŽsolu que Mr de Schomberg sÕen irait en Limousin pour empcher que rien ne sÕy remu‰t.

Le dimanche, lundi et mardi, je fis perfectionner toute la circonvallation qui Žtait trs belle, et en creuser les fossŽs davantage.

Ce mardi un coup de canon de la tour de Saint-Barthelemy donna entre les jambes de mon cheval sans faire aucun mal. Je fus cette semaine sujet ˆ tre canonnŽ : car le mercredi 5me un autre coup de canon me couvrit de terre ˆ Lafons et tua trois soldats ˆ qui je parlais.

Le jeudi 6me le tambour de la Rochelle me vint trouver et mÕapporta force lettres de ceux de la Rochelle avec qui jՎtais en intelligence. Je passai le canal avec Mr de Chateauneuf qui Žtait venu d”ner avec moi, et les portai ˆ monsieur le cardinal.

Le vendredi 7me sur la rŽponse que le roi mÕavait faite en faveur de Mr de la Melleraye et ce quÕil en avait Žcrit ˆ monsieur le cardinal, il revint ˆ lÕarmŽe faire sa charge.

Il y eut tempte sur mer par un suro”t.

Le samedi 8me monsieur le cardinal vint d”ner chez moi avec Mr le cardinal de la Valette et plusieurs autres. Je lui fis voir le projet des machines que Le Plessis avait inventŽes, quÕil trouva fort ˆ son grŽ et me commanda d'y faire travailler.

Je fis mettre quatre canons au fort de Saint-Esprit.

Le dimanche 9me on ne travailla point, ni le lundi aussi, pour le mauvais temps.

Le mardi 11me monsieur le cardinal nous envoya quŽrir pour d”ner avec lui et tenir conseil, auquel Le Coudrai-Montpensier fut suspendu de sa charge de capitaine de chevau-lŽgers.

LÕaprs-d”ner, comme jՎtais au fort de Lafons, quelque cavalerie des ennemis sortit au champ de Mars (ainsi appelait-on une vallŽe entre le fort et la ville, o les canonnades de lÕun et de lÕautre ne pouvaient offenser et o tous les jours il y avait quelque petite escarmouche) ; celle-lˆ ne le fut pas : car les ayant repoussŽs avec ma garde ˆ cheval ils sortirent deux cents hommes de pied de la ville. JÕen fis sortir autant, et mandai ˆ Mr de la Melleraye quÕil f”t avancer cinquante mousquets sur le haut ˆ notre main gauche. Mais les ennemis sortirent encore deux cents hommes sur lui, et lui ayant tuŽ ˆ ses pieds celui qui menait ces cinquante soldats qui avaient tirŽ toute leur poudre, ils se retirrent bien vite et laissrent leur ma”tre de camp : sur quoi je poussai avec quinze chevaux de mes gardes, lՎpŽe ˆ la main, droit ˆ lui, pendant que Mr du Hallier par le faubourg, et VillemontŽe cornette des chevau-lŽgers de Monsieur avec vingt ma”tres, par le champ de Mars, firent pareille charge, et retir‰mes Mr de la Melleraye qui sans cela allait tre pris. Je fis venir deux cents hommes du fort Sainte Marie, la compagnie de cavalerie de Marconet qui y Žtait en garde, et autres deux cents hommes du fort de Lafons, avec quoi nous fžmes jusques ˆ la nuit aux mains avec les Rochelais favorisŽs de leurs courtines et contrescarpe, qui enfin nous sŽpara avec perte dÕun c™tŽ et dÕautre de trente hommes au moins.

Le mercredi 12me, jour de ma nativitŽ, comme aussi les suivants, jeudi et vendredi, furent employŽs ˆ nos occupations ordinaires.

Le samedi 15me je fus voir Mr de Montbason arrivŽ ˆ NetrŽ que je ramenai par Saint-Regratien voir Mr le comte dÕAlais malade, coucher en mon quartier.

Ce jour lˆ nous bouch‰mes les canaux des fontaines allant ˆ la Rochelle.

Le dimanche 16me je fus d”ner ˆ NetrŽ chez monsieur le cardinal qui mÕemmena avec lui ˆ Surgeres au-devant du roi qui revenait de Paris en son armŽe.

Le lundi 17me le roi arriva ˆ Surgres, et le mardi je mÕen revins ˆ Laleu.

Le mercredi 19me je fis la nuit mettre le feu aux deux moulins ˆ vent qui Žtaient devant la porte de Coygnes.

Le jeudi-saint, le vendredi et le samedi, comme aussi le dimanche de P‰ques auquel je fis mes p‰ques, il ne se passa rien dÕextraordinaire.

Le lundi 24me je fus d”ner avec monsieur le cardinal, puis avec lui au devant du roi qui arriva ˆ NetrŽ. Le soir nous f”mes salves dans tous les quartiers pour rŽjouissance de son arrivŽe, et f”mes tirer force canonnades tant sur terre que sur mer.

Le mardi 25me tous les nouveaux venus de Paris me vinrent voir et d”ner avec moi, admirant mes travaux.

On fit sommer les Rochelais par un hŽraut quÕils ne voulurent ou•r.

Je fis la nuit tirer dans la ville, du Fort-Louis, des balles ˆ feu qui le mirent en deux endroits avec grande rumeur par la ville.

Le mercredi 26me le roi mÕenvoya mander que je le vinsse trouver ˆ Coreilles avec ma galiote, qui Žtait la plus belle et la mieux ŽquipŽe quÕil Žtait possible. Il se mit dessus pour voir les deux digues, puis vint ˆ son armŽe de mer, de laquelle il fut saluŽ de quantitŽ de canonnades. Il monta dans le vaisseau amiral, puis sÕen revint par les platains dÕAngoulains ˆ NetrŽ o je d”nai.

Le jeudi 27me je fis parachever de couper les tuyaux des fontaines.

Le vendredi 28me je fus d”ner chez monsieur le cardinal, puis au conseil chez le roi, o il fut traitŽ des moyens de rŽsister ˆ la flotte anglaise dont on avait nouvelle de la venue.

Le samedi 29me le roi mÕenvoya donner avis (quÕil me manda pour certain), que les Rochelais devaient la nuit prochaine faire un effort sur le fort de Lafons, dont je me moquai. Je ne laissai pas nŽanmoins dÕy aller passer la nuit sans y renforcer les gardes.

Le dimanche 30me je fis commencer une grande batterie sur la pointe de Chef de Bois que je fis fermer et fortifier.

 

Mai. Ń Le lundi, premier jour du mois de mai, le roi vint visiter mes quartiers, mes forts, et mes lignes, dont il fut fort satisfait.

Le mardi je fis continuer la batterie de Chef de Bois.

Le soir il y eut alarme ˆ Lafons, o je passai toute la nuit.

Le mercredi 3me force gens me vinrent voir.

La nuit il y eut une fausse alarme de lÕarrivŽe de la flotte anglaise qui devait faire descente au Plom, ce qui me tint encore ˆ cheval toute la nuit.

Le jeudi 4me il y eut un fort mauvais temps.

Le vendredi 5me je fus d”ner chez Mr de Schomberg, et puis nous all‰mes ensemble au conseil.

Le samedi 6me Mrs le cardinal de la Valette, Montbason, et autres, vinrent d”ner chez moi. Je les ramenai dans ma galiote ˆ Coreilles o monsieur le cardinal et Schomberg arrivrent, que je ramenai ˆ Chef de Bois et au port Neuf.

Le dimanche 7me le pre Josef vint loger en mon quartier avec quelques ingŽnieurs quÕil amena pour entreprendre quelque chose de nouveau aux canaux des fontaines de la Rochelle. Je les laissai faire.

Ce jour fut trs mauvais et g‰ta quelque chose ˆ mes travaux que je fis raccommoder le lendemain lundi 8me, que Saint-Chaumont me vint voir et d”ner chez moi.

Le mardi 9me je fis mettre douze canons ˆ la batterie de Chef de Bois, et les munitions nŽcessaires.

Le mercredi 10me je fus d”ner chez monsieur le cardinal, et puis je repassai par tous mes travaux auxquels je mis lÕordre nŽcessaire en cas de lÕarrivŽe de la flotte dont nous avions eu nouvelles certaines du partement.

Le jeudi 11me Mr de Mailsais (nouveau archevque de Bordeaux) et plusieurs autres, Žtant venus d”ner chez moi, je les menai aprs ˆ la batterie de Chef de Bois sur le midi, auquel temps la flotte anglaise parut aux Baleines, qui ayant ŽtŽ aperue par une sentinelle quՈ cet effet on avait posŽe sur le clocher dÕArs en lՔle de RŽ, Toiras en ayant eu avis envoya en toute diligence faire le signal dont jՎtais convenu avec lui sur le fort de la PrŽe, qui Žtait de trois coups de canon et dÕune Žpaisse fumŽe. Je lÕaperus en mme instant de la batterie de Chef de Bois o jՎtais avec ces messieurs, et fis faire aussi le signal pour avertir nos armŽes de terre et de mer, qui Žtait de trois coups de canon de ladite batterie, et en envoyai donner avis ˆ monsieur le cardinal (qui sՎtait venu loger de mon c™tŽ en un ch‰teau nommŽ la Saussaye ˆ demie lieue de Lafons). Alors, notre armŽe navale, commandŽe par le commandeur de Valanay, se mit sur ses voiles sÕavanant vers la pointe de Saint-Blanceau. Sur les deux heures lÕavant-garde anglaise parut vers Saint-Martin de RŽ. Le roi en fut aussi t™t averti par monsieur le cardinal qui sÕen vint ˆ Coreilles avec lui pour voir venir lÕarmŽe navale des ennemis. Monsieur le cardinal alla loger ˆ NetrŽ afin de pourvoir ˆ ce c™tŽ-lˆ. Toute la flotte qui marchait en trois ordres Žtait composŽe de cinquante-deux vaisseaux, savoir quatre grandes roberges du roi, sept autres vaisseaux de cinq cents tonneaux de port et quarante et un petits vaisseaux de cent tonneaux en bas, tant bržlots que vaisseaux chargŽs de vivres, ˆ ce que lÕon pouvait conjecturer ; ce qui nous donna une entire assurance quÕils ne pourraient faire aucun effet et que notre flotte Žtait sans comparaison plus forte que la leur, parce que les roberges ni autres grands vaisseaux ne trouvaient pas assez dÕeau pour entrer dans le canal.

Sur les sept heures du soir la flotte anglaise sÕapprocha pour rader ˆ Chef de Bois. Mais pour les en empcher je fis tirer de la batterie quelque cinquante volŽes de canon sur les vaisseaux dÕavant-garde, dont trois coups portrent dans le corps des vaisseaux et turent quelques hommes, et les autres dans les voiles ; ce qui leur fit prendre au large vers le pertuis dÕAntioche vis ˆ vis du canal de la Rochelle, o ils se mirent ˆ lÕancre. LÕarmŽe navale du roi prit son poste dans le canal entre les deux pointes, et on garnit lÕestacade des vaisseaux enfoncŽs du rŽgiment de Chastelier-Barlot de mon c™tŽ, et de celui dÕEstissac du c™tŽ de Coreilles. On mit aussi entre la digue et la ville trente-six galiotes sur lesquelles on mit, outre lÕordinaire, vingt hommes sur chacune, pour empcher les sorties que ceux de la ville pourraient faire dans le canal. Je fus la nuit visiter notre armŽe navale que je trouvai en trs bon ordre et bien animŽe au combat.

Le vendredi 12me de mai le roi qui Žtait ˆ Surgres arriva de bonne heure au bruit de la venue des Anglais, lesquels demeurrent ˆ lÕancre. Je fus trouver monsieur le cardinal dans le canal, qui visitait les estacades. La tourmente commena lÕaprs-d”ner, qui fut bien violente. Je fus la nuit visiter mes forts, et ma batterie de Chef de Bois.

Le samedi 13me je fus faire rembarquer nos gens que la tempte et les vaisseaux ŽchouŽs avaient tirŽs de lÕestacade.

Monsieur le cardinal mÕenvoya monsieur de Bordeaux qui d”na avec moi.

Tous ces jours que les ennemis furent en mer devant nous, je fus fort alerte, visitant continuellement mes lignes, mes forts, la digue, les batteries, et les estacades.

Le dimanche 14me je fus occupŽ ˆ me pourvoir de tout ce qui Žtait nŽcessaire pour le combat, parce que les vaisseaux du roi Žtaient rŽsolus, si lÕarmŽe anglaise les venait attaquer, de sÕagripper chacun au sien et puis se venir Žchouer sur ma rive, et lors jÕeusse fait mon devoir ˆ sauter dans les vaisseaux ennemis et de les crever ˆ coups de canon.

Je fis tirer la nuit pour donner avis aux chaloupes qui Žtaient en garde entre la ville et la digue, dÕune chaloupe ennemie qui sՎtait insensiblement glissŽe parmi notre armŽe de mer et Žtait passŽe : mais elle entra dans la ville malgrŽ eux.

Je fus toute la nuit ˆ visiter nos gardes.

Le lundi 15me le roi mÕenvoya quŽrir par Nogeant. Je fus au conseil, de lˆ d”ner chez monsieur le cardinal. Ė mon retour je fus en alarme des Anglais qui appareillrent, ce qui mÕobligea de faire venir sur notre rive les Suisses et le rŽgiment de Vaubecourt. Monsieur le cardinal passa de mon c™tŽ, lequel je ramenai au sien parce que la tempte empcha les Anglais de pouvoir rien entreprendre.

Le mardi 16me la tempte continua.

Les Anglais envoyrent un bržlot ˆ notre armŽe de mer, lequel des chaloupes firent tourner au dessous de notre batterie de Chef de Bois. Cela me mit en quelque alarme, et envoyai mettre en bataille les troupes sur le bord du canal : puis je passai ˆ Coreilles trouver monsieur le cardinal qui mÕenvoya quŽrir. Ė mon retour je trouvai les mousquetaires du roi quÕil mÕenvoya pour les mettre sur nos vaisseaux : puis peu aprs Sa MajestŽ sÕen vint loger chez moi. Je la fus recevoir ˆ la redoute de Sainte-Anne, lui donnai ˆ souper et lui fis apprter un bon lit : puis je mÕen allai passer la nuit ˆ la visite de nos vaisseaux et de notre rade. Je ne trouvai en mon retour aucun lieu pour me reposer que dedans mon carrosse.

Le mercredi 17me le roi d”na chez moi. Il alla puis aprs ˆ Chef de Bois considŽrer lÕarmŽe anglaise, et de lˆ ˆ la chasse.

Les ennemis nous envoyrent la nuit des artifices ˆ feu qui se perdirent avant que venir ˆ nous : cela ne laissa de me donner l'alarme et de me faire passer la nuit ˆ Chef de Bois.

Le jeudi 18me le roi d”na et tint le conseil chez moi, puis vint ˆ Chef de Bois, et de lˆ sÕen retourna ˆ son quartier de NetrŽ. Je le fus conduire jusques ˆ Lafons dÕo nous aperžmes les Anglais appareiller, ce qui me fit retourner en diligence avec Mr de Gramont ˆ Chef de Bois, dÕo nous v”mes les roberges et grands vaisseaux venir jusques ˆ la portŽe du canon de Chef de Bois, tirer tous leurs canons dans notre flotte, et puis sÕen retournrent et retirrent tout ˆ fait. Nous les conduis”mes de vue tant que nous pžmes, puis retourn‰mes faire bonne chre sans crainte des ennemis et avec bonne espŽrance de la prompte reddition de la Rochelle.

Le vendredi 19me Mr de Gramont et moi all‰mes trouver le roi qui dŽlivrŽ de la flotte anglaise, alla passer son temps ˆ Surgres.

Betunes sÕen vint loger chez moi.

Le samedi et dimanche suivants je fis raccommoder mes travaux que la tempte avait g‰tŽs ou ŽboulŽs.

Force gens me vinrent voir.

Le lundi monsieur le cardinal sÕen alla en Brouage : celui de la Valette vint loger chez moi.

Le mardi 23me je me fis saigner. Toiras et le pre Souffran me vinrent voir.

Le mercredi 24me Mrs le garde des sceaux, de Schomberg, et force autres du conseil vinrent voir mes quartiers et d”ner chez moi.

Le jeudi 25me vingt et deux vaisseaux hollandais marchands parurent vers Saint-Martin de RŽ, qui nous firent souponner que cՎtaient les Anglais qui revenaient ˆ nous.

Le vendredi 26me les Rochelais mirent leurs bouches inutiles hors de leur ville : je les rechassai dedans.

Marillac vint d”ner chez moi, et Mr le cardinal de la Valette y vint coucher.

Le samedi 27me il sÕen retourna.

Le dimanche 28me le roi revint de Surgres, et monsieur le cardinal, de Brouage. Saint-Chaumont vint d”ner en mon quartier.

Le lundi 29me quelques Rochelais qui t‰chaient de sortir furent pris.

Je fus au conseil chez le roi.

Le mardi 30me Mrs le cardinal de la Valette, Luxembourg, Le Lude, Liancourt, et dÕautres, vinrent d”ner avec moi.

Le mercredi, dernier de mai, le tambour de la ville me vint trouver, qui me fit savoir les nŽcessitŽs des ennemis, qui balanaient de se rendre. Sess’gny qui Žtait dans la ville fit dire ˆ Granai lieutenant des chevau-lŽgers du prince de Marcillac que lÕon pourrait traiter si je voulais envoyer quelquÕun ˆ cet effet parler aux Rochelais. Je commandai audit Granai dÕy aller de ma part.

 

Juin. Ń Le jeudi, premier jour de juin, Granai alla ˆ la Rochelle, et moi ˆ NetrŽ en donner avis au roi et ˆ monsieur le cardinal, qui le trouvrent trs bon. Les Rochelais Žlurent pour commissaires La Vigerie, Toupet, Alere, et Sessigny, qui le renvoyrent quŽrir lÕaprs-d”ner et entrrent bien avant en confŽrence. Je fis le soir la rŽponse ˆ Granai pour leur porter.

Le vendredi 2me les Rochelais reurent une lettre du roi dÕAngleterre par laquelle il leur promettait de hasarder ses trois royaumes pour leur salut, et que dans peu de jours il enverrait une telle flotte quÕils en seraient pleinement secourus, ce qui anima les zŽlŽs de faire rŽsoudre le peuple ˆ souffrir toutes extrŽmitŽs plut™t que de se rendre, ce quÕils me firent savoir par Granai; et mÕenvoyrent copie de la lettre.

Le samedi 3me je fus prendre congŽ du roi qui sÕen allait ˆ Tallemont. Je d”nai chez monsieur le cardinal, et fus visiter Schomberg malade.

Le dimanche 4me le marquis de Mirabel ambassadeur dÕEspagne et don Alonso Ramires de Prado, du conseil des Indes, vinrent d”ner chez moi : je les menai voir tous nos forts, lignes, digue, ports, et batteries.

Le lundi 5me Mrs de Humieres, de Lavrilliere, et Hardier, vinrent d”ner avec moi, comme le mardi 6me Mrs de Harbaut, dÕAucaire, le Chatelet, et Targon, qui de lˆ furent menŽs en lՔle de RŽ par ma galiote.

Le mercredi 7me jÕallai ˆ NetrŽ pour voir monsieur le cardinal ; mais je ne le pus voir. Fontenay, Rambures, et plusieurs autres, revinrent avec moi et demeurrent quelques jours en mon quartier.

Le jeudi 8me jÕeus plusieurs tambours de la Rochelle qui mÕen dirent des nouvelles. Je fis sortir ˆ la recommandation de ceux de notre intelligence une fille nommŽe Gabrielle, qui mÕen apporta beaucoup dÕeux.

Le vendredi 9me je fus ˆ Dampierre dire adieu ˆ Gramont, puis ˆ NetrŽ voir monsieur le cardinal. De lˆ Schomberg revint passer le canal avec moi pour voir les machines du Plessis-Besanon qui Žtaient sur le bord de la mer.

Le samedi 10me lÕambassadeur de Mantoue nommŽ le comte de Canosse, fut amenŽ d”ner chez moi par Mr de Saint-Chaumont.

Le dimanche 11me, jour de la Pentec™te, je fis mes p‰ques, et le lendemain lÕambassadeur dÕEspagne et don Lorenzo Ramires de Prado, vinrent d”ner chez moi ; don Augustin Fiesque les accompagna, puis aprs en RŽ dans ma galiote, et le lendemain repassrent et vinrent aussi d”ner en mon logis.

Le mercredi 14me je fus au conseil chez le roi, o il fut agitŽ si Rotelin, lieutenant de l'artillerie, y aurait sŽance, le grand-ma”tre ne faisant point la charge : il fut jugŽ quÕen lÕabsence du grand-ma”tre il y pourrait entrer et se tenir debout derrire nous pour recevoir les ordres, et que, quand le grand-ma”tre serait ˆ lÕarmŽe, il nÕy aurait aucune entrŽe.

Le jeudi 15me Marillac vint d”ner chez moi.

JÕeus un tambour de la Rochelle qui mÕapprit leurs nŽcessitŽs.

Le vendredi 16me Mrs de Bordeaux, BresŽ, Belin, Rouville, Villandry et autres, me vinrent voir et d”ner chez moi pour voir mettre sept machines du Plessis en mer, ce quÕil fit fort beau voir.

Le samedi 17me je fus voir de bon matin monsieur le cardinal ˆ la Saussaye, qui se vint embarquer au Plom pour aller en Brouage.

On posa neuf machines du Plessis Besanon.

Le dimanche 18me Fiesque le comte, et Piles, arrivrent. Fontenai vint loger chez moi.

Le lundi 19me le roi fut d”ner en Brouage o monsieur le cardinal le reut superbement.

Il vint un bruit de RŽ de la venue des Anglais.

Le mardi 20me Le Hallier revint de Brouage, qui nous lՙta.

Le mercredi 21me monsieur le cardinal revint ˆ la Saussaye et vint le lendemain, jour de la Fte-Dieu, en mon quartier. Je le fus ramener jusques ˆ la redoute de Sainte-Anne o il entra, et la trouva trs belle. Il me pria lors de fournir pour la digue le plus de charrettes que je pourrais : je lui dis quÕil nÕy en avait que cinquante dans le parc sur lՎtat du roi, et que je lui en avais dŽjˆ donnŽ trente et sept ; que je lui en donnerais encore douze, nÕen rŽservant quÕune pour les nŽcessitŽs du parc ; dont il me remercia fort.

Le vendredi 23me Saint-Chaumont et dÕautres vinrent d”ner chez moi. Je fus ensuite sur la mer visiter les machines du Plessis.

Le soir monsieur le cardinal envoya une ordonnance ˆ Rotelin par laquelle il lui commandait de prendre douze charrettes du parc de l'artillerie du quartier du roi et huit du mien pour aller quŽrir des munitions de guerre ˆ Saumur. Rotelin mÕenvoya son ordonnance par un nommŽ Beauregard auquel je dis quÕil nÕy avait point de charrettes au parc pour envoyer ˆ Saumur, lequel Beauregard vint dire ˆ monsieur le cardinal que je nÕavais point voulu faire donner de charrettes. Lors monsieur le cardinal qui ne se ressouvenait plus de me les avoir toutes fait donner pour la digue, se mit en grande colre et mÕenvoya le lendemain samedi 24me son capitaine des gardes Beauplan avec une lettre fort piquante. Je le fus trouver ˆ la Saussaye o il y eut encore de grosses paroles, et je dis mes raisons : puis nous tomb‰mes dÕaccord, et je demeurai ˆ d”ner chez lui, et Schomberg aussi. Puis je revins ˆ mon quartier.

Le dimanche 25me un matelot nous apporta des nouvelles certaines dÕun nouvel apprt des Anglais pour venir secourir la Rochelle.

Je fus voir le comte de Ribeyrac ˆ Lagor, qui se mourait.

Le lundi 26me monsieur le cardinal, Effiat, Bordeaux, Chateauneuf, et Marillac, vinrent d”ner chez moi : puis nous mont‰mes sur ma galiote et all‰mes visiter en mer les machines du Plessis. De lˆ il alla voir les navires et monta sur lÕamiral o Valanai et le commandeur des Gouttes eurent querelle ; monsieur le cardinal gourmanda fort le premier ; nous les accord‰mes.

Je fis la nuit couper les blŽs qui Žtaient entre nos lignes et la ville devers la porte de Coygnes, o nous ne perd”mes quÕun soldat.

Le mardi Mrs de Bordeaux, Marillac, et BresŽ vinrent d”ner avec moi.

Le mercredi 28me je fus trouver monsieur le cardinal ˆ la Saussaye o nous t”nmes conseil de guerre.

Le jeudi 29me La Fitte fut parler ˆ Toupet ˆ la porte de Coygnes. Je fus sur mer faire poser une machine du Plessis. Le tambour de la Rochelle me vint apporter des nouvelles de la ville.

Le vendredi 30me je fus d”ner chez le marquis dÕEffiat : puis nous all‰mes ensemble au conseil chez le roi.

 

Juillet. Ń Le samedi, premier jour de juillet, je me rŽsolus de faire fortifier toute la rive o il y a descente, depuis Chef de Bois jusques au Plom, et lÕallai reconna”tre.

La Fitte retourna parler ˆ Toupet.

Ceux qui Žtaient en garde dans la redoute de Sainte Marguerite proche de Lafons turent deux Anglais, et prirent trois prisonniers en une escalade que les ennemis voulurent faire pour les surprendre.

Le soir un homme ˆ cheval sortit de la Rochelle, que je menai parler ˆ monsieur le cardinal comme il me le manda, lequel il fit puis aprs rentrer dans la ville.

Le dimanche 2me Saint-Chaumont fut fait marŽchal de camp en lÕarmŽe du roi.

Je fis ™ter les canons du fort de Lafons, et ceux du fort de Saint-Esprit, pour les porter ˆ Chef de Bois.

Le lundi 3me je fis faire montre gŽnŽrale en mon armŽe. Le roi en fit de mme en celle qui Žtait du c™tŽ de Coreilles. Je fus de lˆ au quartier du roi qui dormait : lors jÕallai dire adieu ˆ Mr de Chateauneuf.

Le mardi 4me je fis commencer le retranchement de la rive de Chef de Bois. Je fus de lˆ chez le roi, et la nuit je fis achever de couper les blŽs des ennemis entre les lignes.

Le mercredi 5me monsieur de Bordeaux me vint voir.

Nous f”mes remettre la machine qui sՎtait ŽgarŽe le jour auparavant.

Le jeudi monsieur le cardinal qui avait logŽ deux jours ˆ NetrŽ se fit porter malade ˆ la Saussaye.

Je fis continuer les retranchements de la rive.

Le vendredi 7me monsieur de Bayonne vint d”ner chez moi. Le tambour de la Rochelle me vint parler. Je fus voir mettre des machines en mer o un coup de canon donna si prs de ma chaloupe quÕelle en fut presque emplie dÕeau.

Le samedi 8me on avana le retranchement de la rive. On fit commencer une trs belle contrescarpe et un chemin couvert au fort de Lafons. On redressa la machine qui sՎtait penchŽe en la mettant le jour prŽcŽdent.

Le dimanche 9me je fus voir monsieur le cardinal malade ˆ la Saussaye. De lˆ jÕallai voir le roi : puis je fus reconna”tre la descente de Cou de Vache pour lÕempcher aux Anglais.

Le lundi 10me messieurs de Bordeaux et dÕAix me vinrent voir et d”ner avec moi. Nous all‰mes ensemble ˆ la Saussaye o Žtait monsieur le cardinal malade.

Le mardi 11me Mr de Castille vint d”ner avec moi : je le menai sur la mer.

Je fis commencer le fort de la digue, et fus voir Marillac malade au fort de Coreilles.

Le mercredi 12me je mÕoccupai tout le jour ˆ mes travaux, comme aussi le jeudi 13me, et fus ensuite chez Mr de Schomberg malade, o le conseil se tint.

Le vendredi 14me je fus aussi ˆ mes travaux, puis consoler le jeune comte de Ribeyrac de la mort de son pre.

Le samedi je continuai mes travaux.

Le dimanche 16me je fus voir monsieur le cardinal ˆ la Saussaye.

Le lundi 17me Mr le prŽsident le Coygneux vint d”ner chez moi. Il Žtait venu trouver le roi de la part de monsieur son frre lequel Žtant parti mal satisfait du sige de la Rochelle parce que, le roi y Žtant venu, il nÕavait plus le mme emploi quÕil y soulait avoir ; quՎtant logŽ ˆ Dampierre par le conseil des siens qui regardaient plus ˆ leur commoditŽ quՈ lÕintŽrt de leur ma”tre, il nÕavait plus aucune fonction ˆ lÕarmŽe : il sÕen retourna ˆ Paris, et y faisant le malcontent avait dit ˆ la reine sa mre qui lui rendait compte de ce quÕelle avait traitŽ pour son mariage avec la fille de Florence ˆ sa prire, quÕil nÕavait plus aucun dessein de se marier. Puis ensuite ˆ quelques jours de lˆ Mr de Breves ayant mis en avant une proposition de mariage entre lui et la princesse Marie fille du nouveau duc de Mantoue, ds que la reine montra de nÕagrŽer ce parti parce quÕelle avait intŽrt ˆ celui de Florence, plusieurs personnes, pour lui faire dŽpit, t‰chrent dÕy embarquer Monsieur, et devant elle mme lors quÕils Žtaient lÕun et lÕautre prs dÕelle au cercle, on faisait des pratiques pour les faire parler. Madame de Verderonne tante de Puilorens affectionnŽe ˆ madame de Longueville, madame de Moret, et mademoiselle de Vitry, montrrent si avant de piquer la reine par cet embarquement quÕelle Žcrivit ˆ Mr de Mantoue pour faire venir sa fille prs de lui ; et il avait lors tellement besoin des bonnes gr‰ces de la reine pour sÕinstaller en son nouvel Žtat quÕil fit ˆ lÕheure mme envoyer quŽrir sa fille ; dont Monsieur fut piquŽ, et envoya Mr le Coygneux prs du roi pour le supplier de la faire arrter en France, ce quÕil obtint par le moyen de monsieur le cardinal, dont la reine mre fut fort touchŽe.

Le mardi 18me je mÕoccupai ˆ mon ordinaire ˆ mes travaux.

Le mercredi 19me la compagnie nouvelle ajoutŽe au rŽgiment de la garde suisse en faveur du colonel Salis, arriva, et le roi la voulut voir. Je fus pour cet effet ˆ NetrŽ aprs avoir ŽtŽ passer chez monsieur le cardinal qui, revenu en santŽ, vint ce jour-lˆ trouver le roi.

Le jeudi 20me monsieur le cardinal vint d”ner chez moi, vit en passant mes lignes et forts, quÕil trouva trs beaux : il passa de lˆ ˆ Chef de Bois, vit la batterie, les retranchements de la rive, puis vint au port Neuf et ˆ la digue : de lˆ il alla sur mer voir notre flotte.

Le vendredi 21me je fus chez le garde des sceaux, puis au conseil chez le roi.

Le samedi 22me je fis travailler au fort de la digue et fermer la batterie de Chef de Bois.

Le dimanche 23me le prŽsident Daphis, deux conseillers de Bordeaux, Mr de Rouannois, et de Cursol d”nrent chez moi. Mr de Gramont y vint coucher.

Le lundi 24me je menai Mr de Gramont par tous mes travaux, de lˆ en mer voir Valanai. Je le conduisis puis aprs chez Schomberg, puis le ramenai chez lui.

JÕallai ˆ la Saussaye trouver monsieur le cardinal, ramenai Marillac ˆ la digue.

Le roi alla ce jour lˆ ˆ Surgres.

Le mardi 25me je mÕamusai ˆ visiter mes travaux.

Le mercredi 26me je fus d”ner avec monsieur le cardinal.

Le jeudi je me fis saigner. Schomberg et La CurŽe d”nrent chez moi.

Le vendredi le retranchement de la batterie fut achevŽ.

Mr de Rouannois me vint dire adieu.

Le samedi 29me je fus ˆ la Saussaye pour voir monsieur le cardinal malade qui reposait. Je m'en revins sur notre digue o il y avait la plus furieuse tempte, par un suro”t, que nous eussions encore vue.

Le dimanche 30me je fus ˆ la digue o je trouvai Mrs de Schomberg, Bordeaux, Saint-Chaumont, et Le Hallier, que je menai d”ner ˆ la Saussaye o monsieur le garde des sceaux arriva. Nous y t”nmes conseil.

Le lundi 31me monsieur le nonce me vint voir, que je menai promener sur terre et sur mer.

 

Aožt. Ń Le mardi, premier jour dÕaožt, quelques huguenots du pays voulurent faire entrer en la ville par dessus mes lignes trente sacs de farine : mais Žtant dŽcouverts, ils sÕenfuirent et laissrent leurs sacs.

Mrs les archevques dÕAix et de Bordeaux vinrent d”ner chez moi.

Le mercredi 2me nous fžmes tenir conseil ˆ la Saussaye.

Mr de Montbason vint ˆ la rive de notre digue voir mettre en mer neuf machines du Plessis.

Le jeudi 3me on posa autres neuf machines.

Le roi revint de Surgres.

Le vendredi 4me le roi tint un grand conseil sur celui que Schomberg donna dÕattaquer la Rochelle par force, ce qui fut rejetŽ. Leroy parla trs bien en ce conseil, et monsieur le cardinal aussi.

Le samedi 5me je fus, bien accompagnŽ, saluer messieurs de la chambre des comptes de Paris, logŽs ˆ Angoulains, et puis je fus d”ner ˆ la Saussaye chez monsieur le cardinal que jÕaccompagnai ˆ NetrŽ o lÕon tint conseil, ˆ la fin duquel messieurs de la chambre eurent audience, et ensuite les dŽputŽs de Provence qui parlrent par la bouche de Mr lÕarchevque dÕAix.

Le soir ce capucin fils de la feu reine Marguerite et de Chanvallon, nommŽ pre Archange, me vint trouver, et me dire force impertinences.

Le dimanche 6me monsieur le cardinal vint d”ner chez moi, puis sÕen alla sur les vaisseaux.

Le lundi 7me je fis mes travaux ordinaires.

Le mardi Mrs de Bordeaux et de Canaples vinrent d”ner chez moi.

Le mercredi 9me je fus ˆ la Saussaye.

Le jeudi 10me il parut des vaisseaux hollandais, trente-cinq en nombre, vers Saint-Martin de RŽ, qui nous donnrent l'alarme.

Le vendredi 11me jÕallai d”ner ˆ la Saussaye, puis au conseil ˆ NetrŽ chez le roi. On posa quelques machines le soir.

Le samedi 12me je fus ˆ la Saussaye o le roi vint tenir conseil.

Le dimanche 13me le roi alla ˆ Surgres.

Le lundi 14me cinquante soldats de la ville sortirent vers le fort Sainte Marie et demandrent ˆ me parler : ils se voulaient rendre et en amener encore deux cents autres avec deux capitaines ; mais je les refusai.

Le mardi 15me, jour de la Notre Dame, je fis mes p‰ques.

On mit une machine ˆ la digue.

QuantitŽ de soldats de la Rochelle me firent encore demander ˆ sortir ; mais ce fut en vain.

Le mercredi 16me on me commanda dÕenvoyer encore une fois un hŽraut pour sommer la ville de se rendre au roi ; mais on ne le voulut Žcouter.

Le jeudi 17me un habitant me fut envoyŽ de la part de ceux de la Rochelle pour sÕexcuser de nÕavoir pu ou•r le hŽraut.

Je vins au fort de Beaulieu recevoir messieurs des comptes qui venaient d”ner chez moi. Je fis prendre les armes partout o ils passrent, les menai ˆ la digue, puis leur fis un beau festin : aprs je les menai ˆ Chef de Bois, fis faire salve de tous les canons, qui fut rŽpondue par la flotte ; puis je les menai au port Neuf et dans le fort o mes carrosses les attendaient pour les ramener. Je leur fis une belle collation.

Le vendredi 18me je fus malade et demeurai au logis.

Le samedi 19me Mr de Nemours, et le marquis de Neesle, vinrent d”ner chez moi.

Messieurs du parlement de Bordeaux me vinrent saluer de la part de leur parlement.

Le dimanche 20me je passai par la Saussaye, puis vins d”ner chez Schomberg qui festina la chambre des comptes. JÕallai de lˆ voir le garde des sceaux.

Ė mon retour un soldat de la ville demanda ˆ parler ˆ moi en particulier : je le fis fouiller auparavant, et on lui trouva un pistolet de poche bandŽ, cachŽ sous son pourpoint. Je le renvoyai sans lui vouloir faire mal.

Le lundi 2me quelques soldats Rochelais voulurent sÕefforcer de passer par nos lignes pour sÕenfuir, et turent une de nos sentinelles : mais nous ežmes bien notre revanche.

On mit une machine du Plessis en mer.

Le mardi 22me jÕallai voir monsieur le cardinal qui partit de lÕarmŽe pour aller au Chastelier Barlot.

Ceux de la ville me firent faire chamade par un trompette : mais je fis tirer dessus, selon lÕordre que jÕen avais.

Le mercredi 23me Canaples, Fontenay, Rambures, et dÕautres chefs du c™tŽ du roi vinrent coucher chez moi.

Le jeudi 24me nous m”mes de bon matin une machine en mer. Puis je passai le canal et vins d”ner chez Saint-Chaumont. JÕallai de lˆ ˆ la Jarne voir le garde des sceaux, puis ˆ la Jarrie visiter messieurs les dŽputŽs des parlements de Toulouse et de Bordeaux.

Le vendredi 25me Mr le Comte qui Žtait arrivŽ le jour auparavant ˆ lÕarmŽe, mÕenvoya dire quÕil venait d”ner avec moi. Je le fus trouver ˆ la digue de Coreilles, et aprs lui avoir fait la rŽvŽrence je le menai dans ma galiote de mon c™tŽ. Je le menai ˆ Chef de Bois : puis, m'ayant fait lÕhonneur de d”ner chez moi, je le ramenai jusques hors de mes quartiers.

Messieurs du parlement de Toulouse me vinrent voir.

Le soir nous f”mes salve gŽnŽrale pour la fte de Saint-Louis.

Le samedi 26me on mit une machine ˆ la digue.

Le dimanche 27me je mÕen allai au bord du commandeur de Valanai.

Le lundi 28me je fis festin ˆ Mrs de Schomberg, Vignoles, Marillac, Castille, Marion, Castelbayart, et dÕautres.

Le mardi Mr de Chateauneuf me vint voir.

Le mercredi 30me Mr le prŽsident de Flexelles et trois autres ma”tres des comptes vinrent d”ner chez moi.

Il y eut ce jour lˆ brouillerie entre le marquis dÕEffiat, et Chateauneuf.

Le jeudi, dernier jour dÕaožt, je fis h‰ter tant que je pus notre digue.

 

Septembre. Ń Le vendredi, premier jour de septembre, il y eut une forte tempte sur mer du vent dÕouest, qui se tourna en suro”t.

Le samedi 2me la tempte continua toujours, et ne cessa que sur le soir.

Courbeville fut priŽ par ceux de la Rochelle de leur parler.

Le dimanche 3me je fus ˆ Angoulains dire adieu ˆ messieurs des comptes. De lˆ j'allai voir le garde des sceaux, puis Chateauneuf, et d”ner chez Schomberg avec Effiat, avec qui je me raccordai. Nous jou‰mes ˆ la prime tout le jour.

Nous en f”mes de mme le lundi 4me chez Mr de Castille o la compagnie d”na. Je passai prŽcŽdemment chez Mr de Chateauneuf.

Le mardi 5me Mr le Comte passa en RŽ dans ma galiote.

Arnaut sortit de la Rochelle et alla trouver monsieur le cardinal.

Je pris un espion de la Rochelle qui portait des lettres ˆ ceux de Montauban, que je fis pendre.

Je fis ce jour-lˆ montre gŽnŽrale ˆ lÕarmŽe.

Le mercredi 6me je visitai tous mes travaux.

Le jeudi 7me jÕallai trouver monsieur le cardinal ˆ Marans, puis le ramenai ˆ la Saussaye.

Le vendredi 8me, jour de Notre Dame, Arnaut amena deux dŽputŽs de la Rochelle ˆ monsieur le cardinal, lÕun nommŽ Riffaut, et lÕautre Journaut.

Le samedi 9me Mrs de Castille et de Dreux et sa femme passrent en RŽ, ayant d”nŽ chez moi.

Le dimanche 10me le roi revint de Surgres. Je fus ˆ NetrŽ le trouver.

Le lundi 11me jÕallai trouver monsieur le cardinal ˆ la Saussaye qui mÕamena au conseil ˆ NetrŽ. Je versai en retournant.

Le mardi 12me je fus encore mandŽ par le roi pour venir au conseil.

Le mercredi 13me la nouvelle de la mort du Bocquinguem arriva.

Je fus encore ˆ NetrŽ prendre congŽ du roi qui allait ˆ Surgres. JÕallai de lˆ ˆ Grosleau voir Mr le Comte, puis trouver monsieur le cardinal.

Le jeudi 14me Senneterre me vint voir : je le menai ˆ tous nos travaux.

Le vendredi 15me je fus faire faire la montre aux Suisses entre le quartier de NetrŽ et le mien. Mr dÕAngoulme, dÕAlais, de Schomberg, Vignoles, Saint-Chaumont, et Toiras y vinrent. Je fis faire diverses Žvolutions et ordres quÕils trouvrent fort beaux. Le colonel Greder prta son premier serment, comme pareillement les capitaines Hessy, Reding, et Salis. J'allai de lˆ d”ner chez Schomberg.

Le samedi 16me Mr de Nemours vint d”ner chez moi, puis passa avec Toiras en RŽ sur ma galiote.

Le dimanche 17me je fus ˆ la Saussaye. Mr de Nemours revint coucher chez moi.

Le lundi 18me Mrs dÕAngoulme, dÕAlais, dÕEffiat, de Marillac, de Bautru, de Lavrilliere, et autres, furent en festin chez moi, et de lˆ passrent en RŽ.

Le mardi 19me je fus ˆ la Saussaye.

Le mercredi 20me je fis commencer le travail de la ligne de la mer devers la Rochelle.

Le jeudi 21me monsieur le cardinal mÕenvoya quŽrir au conseil.

Le vendredi 22me grand monde me vint voir.

Je fis h‰ter mes travaux sur la nouvelle que nous ežmes du grand apprt des Anglais.

Le samedi 23me, Saint-Chaumont eut une mousquetade proche du fort de Tadon le soir prŽcŽdent, je le fus visiter.

On prit un prtre reniŽ qui sortait de la Rochelle : je le fis pendre ; et de lˆ j'allai d”ner chez Mr de Chateauneuf.

Le dimanche 24me je fus d”ner et jouer ˆ la prime chez monsieur le cardinal.

On posa deux machines du Plessis dans la digue.

Le lundi on fit encore mettre en mer deux autres machines.

Je fis pendre un espion, et tirer au chapeau trois autres, dont lÕun le fut aussi.

Le mardi 26me je fus d”ner ˆ la Saussaye avec mes deux marŽchaux de camp, puis jouer ˆ la prime.

Le mercredi 27me, sur les nouvelles venues dÕAngleterre, monsieur le cardinal nous appela au conseil sur le bord de la digue de Coreilles chez Marillac.

Le jeudi 28me les Anglais parurent ˆ la vue de lՔle de RŽ, dont nous fžmes avertis par les signaux, et le soir nous pžmes discerner leurs voiles en la Fosse de lÕOye, qui pouvaient tre en tout de soixante et dix vaisseaux. Je passai la nuit ˆ Chef de Bois.

Le vendredi 29me les Anglais mirent ˆ la voile bien quÕavec peu de vent et approchrent de lÕanse de Cou de Vache et du Plom. On avait pris les armes : mais comme le vent nՎtait pas pour leur faire faire grand exploit, je fis retourner au travail de la digue ; puis je fus au-devant de monsieur le cardinal qui vint d”ner chez moi, et me mis dans son carrosse. Un coup de canon de la ville emplit son carrosse de terre.

Aprs d”ner le roi me manda quÕil venait loger en mon quartier, mais quÕil nÕy envoyait point de marŽchaux des logis, me mandant que je le logeasse ˆ ma fantaisie, ce que je fis, et si bien quÕoutre ses sept offices, sa chambre, sa garde-robe, ses gardes du corps, et autres personnes nŽcessaires, je logeai encore ses mousquetaires ˆ cheval, ses chevau-lŽgers, gendarmes, et plus de douze cents gentilshommes, sans les princes et grands, dans mon quartier de Laleu. Outre cela je donnai couvert ˆ six compagnies des gardes et ˆ trois de Suisses outre les trois qui y Žtaient dŽjˆ, et jÕy reus et festoyai la compagnie de telle sorte et sans embarras que chacun sÕen Žmerveilla. Aussi dŽpendis-je huit cents Žcus par jour tant que le roi y sŽjourna, qui furent cinq semaines.

Les ennemis sÕapprochrent vers le Plom ; le roi les alla reconna”tre. Il leur arriva encore quelque quinze vaisseaux de plus. Je fis donner ˆ tous mes quartiers le meilleur ordre que je pus : je renforai mes gardes, et ne bougeai toute la nuit de battre l'estrade sur la rive du Plom.

Le samedi, dernier jour de septembre, le roi fut voir sur la rive la contenance des Anglais qui ne bougeaient de leur poste, attendant la marŽe. Il fut de lˆ conduit par moi ˆ la batterie de Chef de Bois o il trouva trente canons en bon Žtat de faire du bruit. Il jugea ˆ propos de faire tenir encore deux batteries toutes prtes pour y mettre les canons entre Chef de Bois et le port Neuf, o il alla ensuite, puis fut jusques au bout de ma digue quÕil trouva en si bon ordre, et tant de machines, vaisseaux enfoncŽs et autres empchements dans le canal, quÕil jugea impossible aux Anglais de pouvoir faire aucun effet.

Aprs d”ner il parut vers le pertuis dÕAntioche seize grands vaisseaux et quinze encore qui se vinrent joindre ˆ la flotte ce jour-lˆ, de sorte quÕil y avait prs de six-vingt voiles en tout. Ceux de la flotte se mirent ˆ la voile sur les deux heures et vinrent passer entre Chef de Bois et Saint-Blansay. Ils virent toute cette rive fortifiŽe et garnie de gens de guerre, o ils tirrent sans aucun effet plusieurs coups de canon. Aussi furent-ils bien saluŽs de plus de deux cents canonnades en passant proche de Chef de Bois, ce qui les fit tenir le plus proche de RŽ qu'ils purent. Ils sÕallrent ancrer dans le pertuis dÕAntioche avec ces seize grands vaisseaux, au mme endroit quÕavait fait la flotte qui vint au mois de mai.

Je fus toute la nuit ˆ cheval pour donner ordre partout. Mrs le Comte, de Nemours, de Harcourt, de la Valette, et plusieurs autres vinrent loger encore chez moi ˆ Laleu, et leur trouvai du couvert. La Rochefoucaut arriva le mme soir avec trente gentilshommes que je logeai aussi.

 

Octobre. Ń Le dimanche, premier jour dÕoctobre, il arriva encore sept ou huit vaisseaux ˆ la flotte anglaise. Ils appareillrent attendant la marŽe aprs d”ner pour venir ˆ nous ; mais le vent leur manqua. On mit notre armŽe de terre en bataille ; Mrs dÕAngoulme et de Schomberg en firent de mme du c™tŽ de Coreilles, o ils avaient vingt canons logŽs. Je la fis retirer voyant quÕil Žtait impossible aux ennemis dÕapprocher.

Un nombre infini de noblesse arriva encore au quartier du roi : quelques-uns y trouvrent couvert ; les autres le prirent ˆ Nieuil, Lagor, Lommeau, Losieres, Saint-Sandre et dans mes forts et redoutes, le mieux quÕils purent.

Le lundi 2me je fus ds trois heures du matin ˆ Chef de Bois : mais le vent de la marŽe du matin fut contraire. Les ennemis envoyrent certains artifices de feu quand et la marŽe pour bržler nos vaisseaux ; mais ils ne firent aucun effet, bien quÕils en eussent jetŽ jusques ˆ dix.

Je fus toute la nuit sur pied, et le mardi 3me dÕoctobre ˆ cinq heures du matin, comme le jour commenait ˆ poindre, nous aperžmes les Anglais appareiller pour venir ˆ nous, dont je mՎtais doutŽ plus de deux heures devant par les lanternes des barques allant et venant aux vaisseaux. JՎtais ˆ Chef de Bois, et envoyai en diligence Lisle-Rouet en donner avis au roi, et mon neveu de Bassompierre ˆ monsieur le cardinal qui Žtait venu se loger en mon quartier le soir auparavant. Je fus sur la rive au plus proche de notre flotte voir lÕordre quÕils tenaient et savoir si je les pouvais aider de quelques choses ou dÕhommes. Valanai mÕenvoya son cousin de Lisle pour mÕassurer que, bien que le vent qui leur Žtait contraire les brouill‰t un peu, il mÕassurait quÕil ne craignait point la flotte anglaise, et que je regardasse aussi de faire tirer en sorte que les canonnades nÕincommodassent point leurs vaisseaux. Je fis quÕils prirent un peu plus en arrire leur poste afin de faire plus beau jeu ˆ mes batteries. Mr de la Rochefoucaut demeura toujours avec moi qui jugea trs bien des intentions des ennemis, et mÕassista fort bien, et utilement. J'envoyai en mme temps faire battre aux champs ˆ nos troupes, et laissai Le Hallier pour les commander et mener sur la rive o Mr le duc de la Valette colonel de lÕinfanterie les tint en trs bon ordre, attendant quÕil y ežt lieu de mener les mains.

Le roi et monsieur le cardinal arrivrent incontinent aprs, et lÕarmŽe anglaise mise en trois ordres, lÕavant-garde ayant fait plusieurs bordŽes pour prendre le vent vint enfin sur les sept heures et demie ˆ la portŽe du canon de notre flotte et des deux pointes, puis tournant le bord tirrent tous les canons de la bande, et puis ayant tournŽ en firent de mme de lÕautre bande, ce que chaque vaisseau ayant fait il montrait la poupe et virait en arrire, dÕo il Žtait parti, et ensuite aprs que lÕavant-garde ežt fait son salve, leur bataille et leur arrire-garde en firent de mme, et retournrent trois fois en cette mme sorte. Nous ne nous endormions pas cependant de notre c™tŽ : car outre que notre armŽe navale les canonnait incessamment, jÕavais quarante pices de canon sur Chef de Bois qui faisaient une belle musique, lesquels furent fort bien exŽcutŽs. Du c™tŽ de Coreilles il y en avait vingt et cinq qui firent aussi trs bien leur devoir pendant deux heures et demie que cette fte dura, en laquelle il fut tirŽ de part et dÕautre pour le moins cinq mille coups de canon. Le roi Žtait en la batterie de Chef de Bois o passrent par dessus sa tte plus de trois cents canonnades qui allrent encore ˆ plus de trois cents pas de lˆ. Comme la mer se retira, aussi firent les ennemis, qui fut environ les dix heures, et nous puis aprs avec certaine assurance que les Anglais ne nous feraient aucun mal ni ˆ notre flotte qui Žtait fort animŽe ˆ les bien recevoir. Les ennemis jetrent encore de ces artifices de feu qui vont nageant dans lÕeau, quÕils appellent mine volante, sans aucun fruit, non plus que dÕun vaisseau plein de feux dÕartifice quÕils croyaient devoir faire merveille, qui se consuma avant que dÕarriver prs de notre flotte.

Les ennemis au rapport dÕeux-mmes perdirent en cet escarmouche prs de deux cents hommes dans leurs vaisseaux, plusieurs desquels demeurrent fort froissŽs des canonnades de terre : nous nÕen perd”mes que vingt et sept des n™tres. Nous gagn‰mes aussi deux chaloupes des ennemis, et une quÕune canonnade enfona, et un de leurs meilleurs capitaines de mer y fut aussi tuŽ. De nos vingt-sept hommes morts il y en eut quatre de tuŽs ˆ Coreilles dÕun coup de canon qui fut tirŽ de la ville, qui vint mourir jusques lˆ, ce que lÕon tenait ˆ merveille ; car jamais canonnade de la ville nÕavait tirŽ si loin. Ceux de la ville firent aussi bien le devoir de tirer sur nous, mais avec fort petit fruit, si ce ne fut ce coup qui tua Des Friches et trois autres, savoir Brelise Pienne, Du Lac commissaire de l'artillerie, et le frre b‰tard de Mr de Vignoles.

LÕaprs-d”ner il y eut encore alarme des Anglais qui firent semblant dÕappareiller ; mais ils ne vinrent pas.

Je dŽpchai par ordre du roi un de mes gens, nommŽ Casemajor, aux reines, auxquelles il Žcrivit sur ce qui sՎtait passŽ le matin.

La nuit fut paisible de part et dÕautre : mais le mercredi 4me dÕoctobre les ennemis appareillrent encore ˆ la pointe du jour et en la mme forme que le jour prŽcŽdent, hormis que les roberges amirale et vice-amirale ne bougrent, pour nÕavoir pas assez dÕeau ˆ sÕapprocher, et demeurrent avec les vaisseaux chargŽs de vivres. Ils firent mmes bordŽes jusques ˆ ce quÕils fussent ˆ demie portŽe de canon, et puis escarmouchrent en la mme sorte que le jour prŽcŽdent, mais non pas si vivement ˆ mon avis, et craignaient fort notre canon de terre.

Cependant le vent avait permis ˆ notre flotte un poste plus avantageux que celui du jour prŽcŽdent. Les ennemis nous envoyrent neuf bržlots, et un vaisseau de mine ; mais nos chaloupes ˆ la merci des canonnades venaient au devant et les faisaient dŽriver contre la falaise de Chef de Bois sans quÕils pussent faire aucun dommage : aprs quoi ils se retirrent comme le jour prŽcŽdent, et le soir appareillrent et firent la mme mine de retourner au combat quÕils avaient fait ; mais ils se ravisrent.

Les Rochelais qui Žtaient en lÕarmŽe navale des Anglais demandrent ˆ nous parler : Lisle les fut quŽrir dans ma galiote. Ils Žtaient deux, dŽputŽs des autres, qui se nommaient Friquelet et Lestreille. Je les pris dans mon carrosse au dŽbarquer et les menai chez monsieur le cardinal qui les renvoya peu aprs parce quÕils ne parlaient dÕaucune autre chose sinon dÕentrer ˆ la Rochelle et voir lՎtat o elle Žtait pour le venir redire aux leurs, ce qui Žtait une demande incivile.

Je passai la nuit ˆ Chef de Bois.

Nous primes cet espion Tavart qui avait dŽjˆ ŽtŽ deux fois entre nos mains et sÕen Žtait ŽchappŽ, dont le grand prŽv™t de la Trousse Žtait tombŽ en disgr‰ce ; et de peur quÕil ne sՎchapp‰t la troisime, je le fis pendre le lendemain jeudi 5me, et fus rendre compte au roi de ce qui sՎtait passŽ la nuit, et que, du vent qui tirait, les Anglais ne pouvaient venir ˆ nous. Il tint conseil lÕaprs-d”ner, et le soir monsieur son frre arriva avec trente gentilshommes quÕil me fallut coucher, loger et dŽfrayer.

Je fus la nuit battre lÕestrade.

Le vendredi la mer fut agitŽe, et le vent demeura contraire aux Anglais qui furent toute la nuit battus de la tempte.

Elle sÕapaisa le samedi 7me : mais il plut tout le jour, et le vent fut pour nous.

Monsieur d”na et soupa toujours chez moi.

Le dimanche 8me le vent fut de mme, qui fit demeurer les Anglais ˆ lÕancre.

Nous pos‰mes encore deux machines ˆ la digue o lÕon travaillait incessamment. Launai-Rasilly mit aussi une estacade de m‰ts de navires au courant de la digue.

Mr de Chevreuse arriva, que je logeai.

Le lundi 9me je menai Monsieur ˆ la digue le matin, lequel me pria de lui dire ce que le roi sentait de son mariage avec la princesse Marie, et ce quÕil m'en disait. Je lui dis quÕil ne mÕen avait jamais parlŽ. Il me rŽpliqua : Ē Est-il possible que, vous parlant incessamment comme il fait, il ne vous en dise rien ? Č Je lui dis quÕil avait tant de choses ˆ me dire en ce temps-lˆ ˆ cause de ma charge, quÕil en laissait encore beaucoup au bout de la plume, et que maintenant que le roi avait les Anglais en tte, et les Rochelais derrire lui, que la moindre de ses pensŽes Žtait celle de son mariage : ce que Monsieur dit ˆ Mr le duc de Bellegarde et au prŽsident le Coygneux, lesquels me voulant mal dirent ˆ la reine mre que jÕavais dit ˆ Monsieur que le moindre des soucis du roi Žtait son mariage, et quÕil lui Žtait indiffŽrent ; dont la reine mre prit un tel dŽpit contre moi quÕelle fut un an sans me parler.

Les Anglais nÕeurent le vent propre pour venir ˆ nous. Le roi alla courre le livre. Le marŽchal dÕEstrŽes arriva, que je logeai.

Le mardi 10me le vent fut encore contraire aux Anglais. Mr le cardinal de la Valette arriva, et le marŽchal de Saint-Geran.

Le mercredi 11me il fut pris une barque anglaise en OlŽron : on en amena les hommes au roi.

Le jeudi 12me le vent continua de mme.

Mrs de Montbason, et prince de GuymenŽ, arrivrent, que je logeai.

Les Anglais envoyrent une chaloupe pour demander leurs prisonniers et avoir sauf-conduit pour Montagu de venir trouver monsieur le cardinal, ce qui lui fut accordŽ.

Monsieur, frre du roi, tomba malade ce jour-lˆ.

Le vendredi 13me on renvoya dÕaccord les prisonniers de part et dÕautre.

On tint le conseil.

La maladie de Monsieur continua : le roi le fut voir.

Le samedi 14me Montagu vint parler ˆ monsieur le cardinal.

Le vent fut anglais ; mais ils ne dŽsancrrent point.

Monsieur fut saignŽ.

Le roi fut se promener au port Neuf, et on tira sur lui deux coups de canon de la Rochelle, qui en approchrent bien prs.

Le dimanche 15me Montagu retourna d”ner chez monsieur le cardinal.

Le lundi 16me monsieur le cardinal et moi v”nmes au bord du commandeur de Valanay, o Montagu arriva. Monsieur le cardinal monta avec lui sur ma galiote, et lui f”mes voir la digue et toutes les machines qui traversaient le canal. Il sՎtonna de notre travail et nous tŽmoigna quÕil Žtait impossible de pouvoir forcer le canal.

Monsieur continua en son mal, et prit mŽdecine, et monsieur le cardinal sÕen alla ˆ la Saussaye.

Le mardi il revint de la Saussaye.

On mÕenvoya un tambour de la Rochelle pour me demander quÕun Rochelais pžt aller ˆ lÕarmŽe anglaise, et puis quÕils parleraient de se rendre ; mais lÕon ne voulut accepter ce parti.

Monsieur se guŽrit.

Le mercredi 18me la mer Žtant au dŽcours [reflux] et le vent contraire, toutes choses bien ordonnŽes en lÕarmŽe du roi tant deˆ que delˆ le canal, il partit pour sÕaller rafra”chir quelques jours ˆ Surgres. Je le fus conduire jusques ˆ Perrigni : puis jÕallai voir Mr de Beauclerc, et de lˆ Mr de Harbaut qui avait perdu sa femme, puis Saint-Chaumont blessŽ. De lˆ je revins ˆ mon quartier, o jÕy avais encore plus de cinq cents gentilshommes et force princes.

Beaulieu-Barsac passa ˆ travers de la flotte anglaise avec un petit vaisseau, ce qui leur donna lÕalarme et les fit appareiller, et eux ˆ nous, et nous mettre sur nos armes. Les ennemis prirent une de nos barques ˆ Cou de Vache.

Le jeudi 19me Monsieur sÕen alla ˆ Niort. Je le fus conduire ; puis je mÕen vins ˆ la Saussaye o monsieur le cardinal nous fit festin, ˆ Mr le cardinal de la Valette, Chevreuse, Angoulme, Alais, Bellegarde, Montbason et moi.

Cette nuit-lˆ lÕon mit quelques sacs de poudre dans le logis du maire de la Rochelle nommŽ Guitton.

Les ennemis prirent encore une barque ˆ Cou de Vache.

Le vendredi 20me les chaloupes des Anglais et les n™tres furent tout le jour ˆ l'escarmouche.

Le samedi 21me, au retour de la marŽe, la nuit, nous envoy‰mes quatre bržlots dans lÕarmŽe anglaise ; mais on leur donna si t™t feu quÕils ne firent aucun effet.

Le dimanche 22me monsieur le cardinal nous festina encore les mmes quÕil avait traitŽs trois jours auparavant.

Les Franais de lÕarmŽe anglaise envoyrent un tambour pour me demander sauf-conduit pour des dŽputŽs quÕils voulaient envoyer ˆ monsieur le cardinal : je leur envoyai seulement le lendemain lundi 23me, auquel les Anglais mirent ˆ la voile sur les neuf heures du matin, puis vinrent prendre le vent au-dessus de notre armŽe qui demeura sur son ancre, mais ne manqua pas de tirer force coups de canon, comme nous aussi de dessus nos pointes de Chef de Bois et de Coreilles. Il fut tirŽ de part et dÕautre en deux heures plus de deux mille canonnades, et nous envoyrent encore cinq bržlots. Monsieur le cardinal arriva sur la fin, qui y trouva Mrs le cardinal de la Valette et de Chevreuse.

Le soir les dŽputŽs des Rochelais qui Žtaient avec la flotte anglaise furent amenŽs dans ma galiote par Lisle et par Traillebois, et je leur envoyai mon carrosse pour les amener ˆ la Saussaye, tandis que je fus au galop au fort de Lafons parler aux dŽputŽs de la Rochelle au nombre de six qui demandrent de parlementer : ce quÕayant envoyŽ dire ˆ monsieur le cardinal, il me commanda de les lui amener, comme je fis ˆ lÕheure mme et quasi en mme temps que mon carrosse amenait ceux de la mer. Monsieur le cardinal les fit mettre dans une chambre o logeait monsieur de Bordeaux, et peu aprs il fit mettre dans sa galerie les dŽputŽs de lÕarmŽe navale ; puis Mr de Schomberg, de Bouteillier et moi Žtant avec lui, il fit entrer ceux qui venaient de la mer et leur donna audience. Ils lui dirent en substance quÕils le suppliaient de leur permettre de voir ceux de la Rochelle, et quÕils sÕassuraient quÕaprs quÕils leur auraient parlŽ, ils se remettraient en leur devoir. Ceux de la Rochelle furent ensuite admis, lesquels demandrent quÕil leur fžt permis dÕenvoyer aux leurs qui Žtaient sur lÕarmŽe anglaise, et puis quÕils remettraient la ville entre les mains du roi, suppliant trs humblement monsieur le cardinal de leur moyenner quelques tolŽrables conditions : sur quoi monsieur le cardinal leur rŽpondit que sÕils lui voulaient promettre de ne point parler ˆ eux, quÕil leur montrerait des dŽputŽs de la flotte, ce que lui ayant promis, monsieur le cardinal alla dans sa galerie et dit ˆ ces deux dŽputŽs des vaisseaux que sÕils l'assuraient quÕils ne parleraient point aux Rochelais, quÕil leur ferait voir ˆ lÕheure mme ; dont Žtant convenus, il les mena dans sa chambre o ils Žtaient avec nous. Ils sÕentre-salurent de loin avec tant dՎtonnement que cՎtait chose belle ˆ voir ; puis il les fit rentrer dans la galerie. Alors ils offrirent de se remettre en lÕobŽissance du roi, suppliant monsieur le cardinal de leur moyenner sa gr‰ce ; ce quÕil leur promit, et leur dit que le roi s'Žtait allŽ promener pour huit jours, et qu'ˆ son retour il lui en parlerait : sur quoi un des dŽputŽs sՎcria : Ē Comment, Monseigneur, dans huit jours ? Il nÕy a pas dans la Rochelle de quoi en vivre trois. Č Lors, monsieur le cardinal leur parla gravement et leur fit voir lՎtat o ils Žtaient rŽduits ; que nŽanmoins il porterait le roi ˆ leur faire quelque misŽricorde : et ds lÕheure mme leur fit des articles pour rapporter ˆ la Rochelle, lesquels ils dirent quÕassurŽment ils accepteraient. Ainsi ils sÕen retournrent, et ceux des vaisseaux aussi, lesquels eurent permission de parler ˆ leurs confrres et de les prier de les comprendre avec eux, ce que monsieur le cardinal accorda sous le bon plaisir du roi, puis fut voir ˆ Grosleau Mr de la Trimouille malade.

Le mardi 24me monsieur le cardinal envoya donner avis ˆ Sa MajestŽ de ce qu'y sՎtait passŽ avec les dŽputŽs, et le convier de revenir ˆ Laleu, ce quÕil fit le mercredi 25me de bonne heure, et monsieur son frre revint de Niort ˆ Laleu une heure aprs lui.

Le jeudi 26me les dŽputŽs des Rochelais qui Žtaient en mer, revinrent rendre gr‰ce ˆ monsieur le cardinal de celle quÕil leur avait accordŽe au nom du roi, et ceux de la Rochelle acceptrent aussi les conditions que lÕon leur avait proposŽes. Le roi sÕalla promener en mer vers sa flotte.

Le vendredi 27me tout fut dÕaccord pour la reddition de la Rochelle.

Le roi se fut promener vers le Plom.

Le samedi 28me Mrs de Marillac et du Hallier eurent ordre de signer les articles pour le roi qui ne voulut point les signer avec ses sujets, et nous ensuite ne le voulžmes faire.

Le roi sÕalla la nuit promener ˆ Chef de Bois pour voir la flotte anglaise par un trs beau temps et une lune trs claire.

Le dimanche 29me Monsieur prit congŽ du roi pour sÕen retourner ˆ Paris : je le fus accompagner. Puis Toiras me vint prier de trouver bon que comme gouverneur d'Aulnis il amen‰t les dŽputŽs de la Rochelle faire les soumissions au roi. Je lui dis que tous gouvernements cessaient o les lieutenants-gŽnŽraux Žtaient ; que comme marŽchal de camp il les pourrait aller prendre avec Le Hallier, et me les amener, qui les prŽsenterais ˆ monsieur le cardinal, et lui au roi ; dont il fut bien marri ; mais il prit raison en paiement. Je les allai donc prendre ˆ lÕentrŽe des lignes, les marŽchaux de camp Marillac et Le Hallier les Žtant allŽs quŽrir de ma part ˆ la porte Neuve. Je les fis mettre pied ˆ terre environ trois cents pas proche du logis du roi, et moi demeurant ˆ cheval les menai ˆ Laleu, et ˆ lÕentrŽe de la chambre monsieur le cardinal les vint prendre pour les prŽsenter au roi aux genoux duquel sՎtant jetŽs, ils firent des trs humbles soumissions. Le roi leur dit ensuite peu de paroles, et le garde des sceaux plus amplement, et enfin leur pardonna.

reddition de La Rochelle

Le lundi 30me le roi vint au fort de Beaulieu voir passer les troupes qui entraient dans la Rochelle, assavoir ses gardes franaises et suisses ; puis revenu ˆ Laleu d”ner, il sÕalla puis aprs promener ˆ lÕentour de la ville depuis la porte Neuve jusques ˆ Tadon, et de lˆ il revint par les digues, o il y eut en celle de Coreilles une solive qui fondit sous lui, et sÕil nÕežt ŽtŽ leste de se jeter en avant, il allait au fond de la mer.

Le mardi 31me il fit fort mauvais temps. Le roi ne bougea de Laleu. Mr le cardinal de la Valette sÕen alla ˆ Paris.

 

Novembre. Ń Le mercredi premier jour de novembre, et de la Toussaints, le roi fit ses p‰ques ˆ Laleu ; je le servis : puis il toucha les malades. Je fis aussi mes p‰ques.

Aprs d”ner il vint au fort de Lafons et de lˆ ˆ la porte de Coygnes o monsieur le cardinal lui prŽsenta les clefs de la ville, puis ensuite le peuple qui lui cria misŽricorde. Puis il entra dans la ville ayant immediatement devant lui monsieur le cardinal seul, et devant, Mrs dÕAngoulme, Schomberg et moi en un rang, puis les marŽchaux de camp, La CurŽe et Effiat, deux ˆ deux, et ainsi marcha cet ordre jusques ˆ Sainte Marguerite o le pre Souffran fit un sermon, puis vpres ensuite. Tous les canons de la ville, des pointes, et de la mer, tirerent. Puis le roi sÕen retourna ˆ Laleu.

Mr de Chevreuse partit.

Le jeudi 2me le roi entra le matin par la porte Neuve, alla faire le tour sur les remparts, puis vint en son logis. On tint conseil aprs d”ner.

Le vendredi 3me le roi fit faire une procession gŽnŽrale et lÕon porta le Saint-Sacrement : Mrs dÕAngoulme, dÕAlais, moi, et Schomberg port‰mes le pole ; Mr de Luxembourg demanda de le porter devant nous comme duc et pair ; mais il le perdit, bien quÕil allŽgu‰t que ce ne fžt point une action de guerre : que la guerre fut finie, et quÕen temps de paix ils sont logŽs devant nous ; ˆ quoi on nÕeut point d'Žgard.

Le soir Montagu revint dÕAngleterre.

Le samedi 4me monsieur le cardinal mÕenvoya prier ˆ d”ner, et aprs me fit la proposition de continuer ˆ commander lÕarmŽe, et de la mener en PiŽmont pour le secours de Casal, dont je mÕexcusai, lui disant que jÕirais bien pour la commander ˆ lÕoccasion, mais que six-vingt mille Žcus que jÕavais dŽpendus ˆ ce siege me foraient dÕaller auparavant ˆ Paris pour raccommoder mes affaires.

Il alla parler ˆ Montagu ˆ la hutte de Marillac ˆ Coreilles.

Mr le Comte et Mr de la Valette partirent.

Je jouai ˆ la paume avec le roi ˆ qui la goutte prit ˆ un pied.

Le dimanche 5me les rŽgiments de Chappes, Plessis-Pralain, et Castel-Bayart, entrrent en garnison dans la ville, ˆ qui les gardes firent place.

Le roi se fit saigner pour sa goutte.

Le lundi 6me le roi continua dÕavoir la goutte et tint le lit.

Le mardi 7me la tourmente fut en mer, par un suro”t, si violente quÕelle rompit quelques choses aux digues.

Le roi tint conseil, puis fut encore saignŽ, tant pour sa goutte que pour une Žbull’tion de sang qui le prit par tout le corps.

On fit marcher des canons ˆ Foras avec les regimens de PiŽmont et de Rambures.

Le mercredi 8me nouvelles vinrent comme sept vaisseaux de la flotte dÕAngleterre Žtaient ŽchouŽs au-dessous de Foras, qui sՎtaient rendus ˆ ceux de Brouage, sur lesquels on avait mis des soldats et des paysans pour les garder. Monsieur le cardinal partit pour aller en Brouage.

JÕeus querelle avec Schomberg et Mr dÕAngoulme, pour lesquels le roi fut : mais on nous accorda, et fus souper chez Schomberg.

Le jeudi 9me les Anglais firent semblant dÕappareiller pour partir : mais le vent leur fut contraire.

La goutte continua au roi.

Je fus encore souper et jouer chez Schomberg, et y eut musique.

Le vendredi 10me les Anglais mirent le feu ˆ cinq de leurs vaisseaux et voulurent partir : mais le peu de vent les arrta.

Le samedi 11me la flotte anglaise partit devant le jour, moindre de 22 vaisseaux quÕelle nՎtait venue, ˆ cause des bržlots, vaisseaux ŽchouŽs, ou ceux o ils avaient mis le feu.

Le dimanche 12me le roi continua de se trouver mal.

On fit jouer deux mines ˆ Tadon.

Le lundi 13me je me fis saigner. Monsieur le cardinal revint. Le roi se leva, et laissa lÕordre nŽcessaire ˆ la ville. On avait mis tous les canons de la ville ˆ la place du ch‰teau en nombre de soixante et seize de toutes sortes.

Le mardi 14me le roi donna lÕordre que devait tenir la garnison et vint voir la parade ˆ la place du ch‰teau.

Le mercredi 15me on tint conseil aprs d”ner pour les licentiemens et les routes de nos troupes. J'eus encore querelle avec le roi pour les gens de guerre.

Je fus souper chez Effiat.

Le jeudi 16me le roi mÕenvoya quŽrir dans son conseil Žtroit, o il me dit que pour le bien de son service il convenait quÕil f”t raser plusieurs places de son royaume, comme Saintes, Niort, Fontenay, et dÕautres, puis aboutit ˆ la citadelle de RŽ quÕil dit tre si forte que, si un des deux rois ses voisins lÕavait occupŽe, il lui serait presque impossible de la reprendre, et quÕil suffisait en cette ”le de RŽ le fort de la PrŽe pour la garder ; qu'ˆ cet effet, Žtant du dŽpartement que jÕavais, il mÕen avait voulu parler afin de le proposer et faire agrŽer ˆ Toiras, ˆ qui il voulait donner bonne rŽcompense. J'approuvai le dessein du roi : mais je lui dis que cՎtait une chose qui devait partir de la bouche propre de Sa MajestŽ, et que si Elle lÕenvoyait quŽrir et lui disait, que je m'assurais quÕil le prendrait de bonne part. Lors, on le fit venir, et le roi lui parla : il eut promesse de deux cents mille livres, dՐtre payŽ de ce qui lui Žtait dž, recompensŽ des armes et munitions qui se trouveraient dans la place, et que le roi lui paierait le vaisseau que les Hollandais lui avaient retenu. Il demanda quelque emploi, et je proposai de lui donner lÕarmŽe ˆ conduire jusques en Italie.

Le vendredi 17me le roi tint conseil, se fut promener ˆ la tour de la Cha”ne.

Je fus prendre congŽ de monsieur le cardinal, le roi ne mÕayant voulu laisser aller devant lui ˆ Paris, me disant quÕil me voulait prŽsenter aux reines. Monsieur le cardinal partit ce jour-lˆ pour aller ˆ Richelieu.

Le samedi 18me le roi partit de la Rochelle et vint coucher ˆ Surgres ; le dimanche ˆ Niort ; le lundi ˆ Partenai; le mardi ˆ Touars ; le mercredi ˆ Saumur, o le jeudi 23me nous f”mes nos p‰ques ˆ Notre Dame des Ardilliers, puis coucher ˆ Langeais ; le vendredi d”ner ˆ Tours, coucher ˆ Amboise ; le samedi ˆ Marchenoir, le dimanche ˆ...., et le lundi ˆ Dourdan, o il demeura le mardi, et vint le mercredi ˆ Limoux o Monsieur et les reines le vinrent trouver : il me prŽsenta ˆ elles, et le jeudi 30me novembre jÕarrivai ˆ Paris ayant ŽtŽ justement quatorze mois depuis mon partement jusques ˆ mon retour.

1629.

Janvier.Ń Aprs que toute la cour fut rassemblŽe ˆ Paris vers le commencement de lÕannŽe 1629, on commena aussi ˆ rompre la pratique du mariage de Monsieur avec la princesse Marie, et lui en parler fermement, ˆ quoi il se rŽsolut et promit de sÕen dŽsister tout ˆ fait, pourvu que lÕon lui donn‰t moyen de le faire avec honneur ; et pour cela il proposa que lÕon lui donn‰t la charge de faire lever le sige de Casal quÕy avait mis trois mois auparavant don Gonsales de Cordova gouverneur de Milan, ce que la reine mre lui fit accorder par le roi, qui lui fit en mme temps un don de cinquante mille Žcus pour se mettre en Žquipage dÕaller tre vicaire du roi en Italie avec une puissante armŽe qui dŽjˆ sÕy acheminait, et Žtait bien avancŽe. Il trouva bon que lÕon envoy‰t ˆ Mr de Mantoue afin quÕil envoy‰t quŽrir madame sa fille et quÕelle part”t quinze jours aprs quÕil se serait acheminŽ ˆ lÕarmŽe.

Mais aprs que le roi lui ežt donnŽ cette charge, il s'imagina que la gloire que monsieur son frre irait acquŽrir en cette expŽdition serait au ravalement de la sienne (tant a de pouvoir la jalousie entre les proches), et se mit tellement cela en la tte (ou pour dire autrement, dans le cĻur), quÕil ne pouvait reposer. Il vint le 3me de janvier ˆ Chaillot o de fortune jՎtais venu trouver monsieur le cardinal qui y demeurait lors, et sՎtant enfermŽ avec lui, commena par lui dire quÕil ne saurait souffrir que son frre all‰t commander son armŽe delˆ les monts, et qu'il f”t en sorte que cet emploi se romp”t. Il lui rŽpondit quÕil ne savait quÕun seul moyen de le rompre, qui Žtait quÕil y all‰t lui-mme, et que, sÕil prenait ce parti, il fallait qu'il part”t dans huit jours au plus tard, ˆ quoi le roi sÕoffrit franchement, et en mme temps se tourna et m'appela, qui Žtais au bout de la chambre ; puis quand je fus approchŽ, il dit : Ē Et voici qui y viendra avec moi et m'y servira bien. Č Je lui demandai o ; il me dit: Ē En Italie o je m'en vas dans huit jours faire lever le sige de Casal. Apprtez-vous pour partir et mÕy servir de lieutenant-gŽnŽral sous mon frre (sÕil y veut venir) : je prendrai avec vous le marŽchal de CrŽquy qui conna”t ce pays-lˆ, et j'espre que nous ferons parler de nous. Č Sur cela le roi revint ˆ Paris, dit sa rŽsolution ˆ la reine sa mre, et elle ˆ Monsieur, qui nÕen fut gure content. NŽanmoins, il nÕen fit pas semblant et sÕapprta pour partir. Mais le roi sÕen alla le premier et nous donna rendez-vous ˆ Grenoble.

Pas de Suse

La veille quÕil partit, il sut que je nՎtais pas fort en argent : il me demanda du cidre pour porter avec lui comme j'avais accoutumŽ de lui en donner de fort bon que mes amis mÕenvoyaient de Normandie, sachant que je lÕaime. Je lui en envoyai douze bouteilles, et le soir comme je pris le mot de lui, il me dit : Ē Bettstein, vous mÕavez donnŽ douze bouteilles de cidre, et moi je vous donne douze mille Žcus : allez trouver Effiat qui vous les fera dŽlivrer. Č Je lui dis : Ē Sire, j'ai la pice entire au logis, que, sÕil vous plait, je vous donnerai ˆ ce prix-lˆ. Č Mais il se contenta de douze bouteilles, et de sa libŽralitŽ.

Il partit donc de Paris, et Monsieur cinq jours aprs lui, qui vint d”ner et souper chez moi la veille, ayant envoyŽ son train lÕattendre ˆ Montargis ; et moi je partis de Paris le lundi 12me jour de fŽvrier et fus coucher ˆ Essonne.

 

FŽvrier. Ń Le mardi 13me Toiras vint avant jour me trouver pour venir avec moi, v”nmes d”ner ˆ Montargis (o nous trouv‰mes Mr de Chateauneuf), et coucher ˆ la Bussiere, o Canaples Žtait arrivŽ ; le mercredi 14me d”ner ˆ Bonny, coucher ˆ Nevers ; le jeudi 15me d”ner ˆ Moulins, coucher ˆ Varanne.

Le vendredi 16me, nous fžmes trouver Monsieur frre du roi qui avait couchŽ ˆ Ch‰teaumorant et all‰mes avec lui jusques auprs de Saint-An. Il me dit quÕil nÕaurait aucun emploi ˆ lÕarmŽe puisque monsieur le cardinal y Žtait, qui ne ferait pas seulement sa charge, mais celle du roi encore ; que j'avais vu comme il en Žtait allŽ ˆ la Rochelle, et qu'il avait fait aller le roi en ce voyage contre son grŽ, seulement pour lui ™ter le commandement que le roi lui avait accordŽ : enfin il me dit quÕil sÕen allait en Dombes o il attendrait les commandements du roi. Je t‰chai de le remettre par les plus vives persuasions quÕil me fut possible : mais ce fut en vain, et pris congŽ de lui, m'en allant d”ner ˆ Roanne o la peste Žtait trs forte, et coucher ˆ Saint-Saforien.

Le samedi 17me nous v”nmes passer ˆ Lyon o la peste Žtait violente et v”nmes coucher ˆ un ch‰teau qui est au marquis de Villeroy, nommŽ Mions.

Le dimanche 18me nous v”nmes coucher ˆ Virieux.

Le lundi nous d”n‰mes ˆ Moiran o Canaples mÕattrapa, et fžmes coucher ˆ Grenoble, o le roi fut bien aise de me voir. On tint conseil ˆ l'heure mme, et on envoya Toiras ˆ Vienne pour amener lÕarmŽe qui y Žtait, pendant quÕavec une forte dŽpense et plus grande peine il fit passer les monts ˆ son artillerie jusques ˆ Chaumont.

Le mardi 20me le roi fut au conseil lÕaprs-d”ner pour rŽsoudre toutes les affaires.

Le mercredi 21me monsieur le cardinal partit de Grenoble.

Le jeudi 22me le roi par un trs mauvais temps passa le col de Lafrey et vint coucher ˆ la Mure.

Le vendredi 23me il passa le col du Pontaut et coucha aux Diguieres.

Le samedi 24me il passa le col de Saint-Guigue, c™toya la Durance et vint au g”te ˆ Gap.

Le dimanche 25me il coucha ˆ Chorges.

Le lundi 26me il vint ˆ Embrun o monsieur le cardinal se trouva. Il y tint conseil et se rŽsolut que Mr de CrŽquy et moi nous irions saisir des passages du PiŽmont ; et le 27me de fŽvrier, mardi, jour de carme-prenant, nous part”mes avec monsieur le cardinal, all‰mes d”ner ˆ Saint-Crespin, laissant le val Louise ˆ main gauche, et v”nmes au g”te ˆ Brianon par un extrme froid. Monsieur le cardinal dŽpcha de lˆ le commandeur de Valanai ˆ Mr le duc de Savoie.

Le mercredi jour des Cendres, 28me, nous mont‰mes le mont Genvre dÕo sourdent les deux fleuves de Doire et de la Durance. Nous v”mes les arbres qui portent la manne, lÕagaric, et la tŽrŽbenthine, puis nous m”mes ˆ la ramasse pour descendre ˆ Sesane o monsieur le cardinal arriva peu aprs nous. Puis nous v”nmes coucher ˆ Ourse [Oulx].

 

Mars. Ń Le jeudi premier jour de mars Mr de CrŽquy et moi v”nmes d”ner ˆ Chaumont chez Mr dÕAuriac, qui nous rendit compte de l'armŽe quÕil avait. L'aprs-d”ner nous all‰mes ˆ la frontire de France reconna”tre les forts de Jallon et de Jallasse, et les lieux propres pour les attaquer et forcer.

Le vendredi 2me nous ne bouge‰mes de Chaumont. Le commandeur de Valanai nous renvoya le sieur de Lisle.

Le samedi 3me le commandeur de Valanai retourna ˆ Turin, et monsieur le cardinal vint d”ner ˆ Chaumont. Il fut aprs voir la frontire et considŽrer les deux forts.

Le dimanche 4me Mr le prince de PiŽmont arriva ˆ Chaumont pour traiter avec monsieur le cardinal ; et nous, Mr de CrŽquy et moi, le fžmes conduire jusques par delˆ la grande barricade que nous ežmes loisir de reconna”tre.

Le lundi 5me il nous envoya un courrier, et lÕaprs-d”ner monsieur le cardinal Žtant allŽ sur la frontire, le comte de Verrue y arriva, qui Žtant entrŽ en particulier avec monsieur le cardinal, furent plus de deux heures ˆ contester, au bout desquelles monsieur le cardinal fit appeler Mr de CrŽquy et moi auxquels il fit entendre les offres du comte de Verrue, lesquelles nous ne fžmes dÕavis quÕil accept‰t : sur quoi tout traitŽ fut rompu, dont il envoya donner avis au roi, lui conseillant de venir, ce quÕil fit toute la nuit et arriva sur les trois heures du matin.

Cependant Mr de CrŽquy et moi avec les marŽchaux de camp t”nmes conseil de lÕordre que nous avions ˆ tenir, qui fut que les rŽgiments des gardes franaises et suisses donneraient ˆ la tte ; que le rŽgiment de Navarre aurait l'aile droite, et Stissac la gauche ; que les deux ailes feraient monter deux cents mousquetaires chacune contre les montagnes tant qu'ils auraient gagnŽ lՎminence sur les gardes des barricades et qu'ils les auraient outrepassŽes ; cela fait, au signal que nous donnerions, ils feraient leur dŽcharge par derrire la barricade comme nous lÕattaquerions par devant avec les deux rŽgiments des gardes ; que le comte de Saut avec son rŽgiment irait passer au dessous de Jallasse par des chemins extravagants que des paysans du lieu lui montreraient, et viendraient ensuite descendre dans Suse et prendre les ennemis par derrire en cas quÕils nous rŽsistassent encore ; quÕen mme temps on ferait attaquer Jallon par un autre rŽgiment, ce que Mr dÕAuriac entreprendrait. Cet ordre fait, nous commen‰mes ˆ onze heures du soir ˆ faire passer les troupes par Chaumont. Il faisait un trs mauvais temps, et y avait sur terre deux pieds de neige.

Le mardi 6me de mars le roi arriva sur les deux heures du matin ˆ Chaumont avec Mrs le comte de Soissons, de Longueville, de Moret, marŽchal de Schomberg, dÕAluin, de la Valette, et autres. Nos troupes passrent, assavoir 7 compagnies des gardes, 6 de Suisses, 19 de Navarre, 14 dÕEstissac, 15 de Saut, et les mousquetaires ˆ cheval du roi. Le comte de Saut et son rŽgiment partirent ds trois heures pour aller o ils Žtaient ordonnŽs : le reste demeura ˆ cinq cents pas du bourg de Jallasse en bataille. Nous avan‰mes aussi six pices de canon de six livres de balle, menŽes au crochet, pour forcer les barricades. Stissac eut ordre de laisser cent hommes ˆ la garde du parc de lÕartillerie. L'ordre fut que chaque corps jetterait devant lui cinquante enfants perdus, soutenus de cent hommes, lesquels seraient soutenus de cinq cents. Nous loge‰mes les princes et seigneurs ˆ la tte des cinq cents hommes des gardes.

Sur les six heures du matin Mr de CrŽquy et moi avec Mrs de la Valette, Valanay, Toiras, Canaples et Tavannes, m”mes nos troupes en lÕordre susdit. Le roi arriva en ce mme temps avec Mr le Comte et monsieur le cardinal : il voulut que ses mousquetaires fussent mlŽs avec les enfants perdus des gardes.

Nous envoy‰mes de la part du roi le sieur de Comminges avec un trompette demander passage pour l'armŽe et la personne du roi au duc de Savoie. Mais comme il approcha de la barricade, on le fit arrter, et le comte de Verrue sortit lui parler et lui rŽpondit que nous ne venions point en gens qui voulussent passer en amis, et que, cela Žtant, ils se mettraient en si bon Žtat de nous en empcher que, si nous le voulions entreprendre, nous nÕy gagnerions que des coups.

Aprs que Comminges nous eut rapportŽ cette rŽponse, j'allai (parce que jՎtais en jour de commander), trouver le roi qui Žtait cent pas derrire nos enfants perdus, plus avancŽ que le gros des cinq cents hommes des gardes, pour lui demander congŽ de commencer la fte et lui dis : Ē Sire, Sire, lÕassemblŽe est prte, les violons sont entrŽs, et les masques sont ˆ la porte : quand il plaira ˆ Votre MajestŽ, nous danserons le ballet. Č Il sÕapprocha de moi et me dit en colre : Ē Savez-vous bien que nous nÕavons que cinq livres de plomb dans le parc de l'artillerie ? Č Je lui dis : Ē Il est bien temps maintenant de penser ˆ cela ! Faut-il que pour un des masques qui nÕest pas prt, le ballet ne se danse pas ? Laissez-nous faire, Sire, et tout ira bien. Č Ē MÕen rŽpondez-vous ? Č me dit il. Ē Ce serait tŽmŽrairement fait ˆ moi, lui rŽpondis-je, de cautionner une chose si douteuse : bien vous rŽponds-je que nous en viendrons ˆ bout ˆ notre honneur, ou j'y serai mort ou pris. Č Ē Oui, mais, dit il, si nous manquons, je le vous reprocherai. Č Ē Que me sauriez-vous dire autre chose, lui repartis-je, si nous manquions, que de mÕappeler marquis dÕUxelles ? (car il avait failli de passer ˆ Saint-Pierre) ; mais je me garderai bien de recevoir cette injure. Laissez-nous faire seulement. Č Alors monsieur le cardinal lui dit : Ē Sire, ˆ la mine de monsieur le marŽchal, jÕen augure tout bien : soyez-en assurŽ. Č

Sur ce je mÕen vins ˆ Mr de CrŽquy et mis pied ˆ terre avec lui, ayant donnŽ le signal du combat. Mr le marŽchal de Schomberg qui ne faisait que dÕarriver, ayant ŽtŽ contraint de demeurer derrire pour la goutte quÕil eut, sÕen vint ˆ cheval voir la fte. Nous pass‰mes le bourg de Jallasse que les ennemis avaient quittŽ. Au sortir de ce village nous fžmes saluŽs de quantitŽ de mousquetades des ennemis qui Žtaient sur les montagnes et ˆ la grande barricade, et de quantitŽ de canonnades du fort de Jallasse, et comme nous nous avancions toujours, Mr de Schomberg fut blessŽ aux reins dÕune mousquetade qui venait des montagnes ˆ gauche. Lors, les n™tres des deux ailes ayant gagnŽ les Žminences, tirrent au derrire de la barricade, et nous, y donnant tte baissŽe, nous leur f”mes abandonner : alors nous les suiv”mes si vivement quÕils nÕen purent garder aucune de celles quÕils avaient. Ensuite, y entrant ple-mle avec eux, le commandeur de Valanai prit le haut ˆ la gauche avec les Suisses, o il fut blessŽ dÕune mousquetade au genou et en chassa les Valaisans que le comte de Verrue menait : son cheval y fut pris. Je donnai par le bas avec Mr de CrŽquy et les Franais, o le marquis Ville fut fort blessŽ. Nous suiv”mes si vivement notre pointe que sans la rŽsistance quÕy fit prs dÕune chapelle un capitaine espagnol et peu de soldats ˆ nos enfants perdus, qui donna loisir au duc et au prince de se retirer, ils Žtaient tous deux pris. Nous v”nmes sans arrter jusques sur le haut ˆ la vue de Suse o dÕabord on nous tira force canonnades de la citadelle de Suse ; mais nous Žtions si animŽs au combat et si joyeux dÕavoir obtenu la victoire que nous ne faisions aucun Žtat de ces coups de canon. Je vis une chose qui me contenta fort de la noblesse franaise qui Žtait lˆ, parmi laquelle Mr de Longueville, Mr de Moret, Mr dÕAluin, monsieur le premier Žcuyer, et plus de soixante autres Žtaient avec nous : une canonnade donna ˆ nos pieds qui nous couvrit tous de terre ; la longue connaissance des canonnades mÕavait appris plus quՈ eux que, ds que le coup est donnŽ, il nÕy a plus de pŽril, ce qui me fit dÕabord jeter les yeux sur la contenance dÕun chacun et voir quel effet ce coup aurait fait en eux : je nÕen aperus pas un qui fit aucun signe dՎtonnement, non pas mme dÕy prendre quasi garde ; un autre tua parmi eux un gentilhomme de Mr de CrŽquy, dont ils ne firent aucun semblant. JÕeus en marchant ˆ la barricade un de mes gardes tuŽ sur lequel j'Žtais appuyŽ : un autre poursuivant chaudement avec les enfants perdus fut tuŽ sur le pont de Suse : un gentilhomme des miens y eut une mousquetade sur le cou du pied, dont il est demeurŽ estropiŽ ; cՎtait celui qui commandait ma galiote ˆ la Rochelle, nommŽ Du Val. Aucuns de nos enfants perdus entrrent mme dans la ville ple-mle avec les ennemis et y furent pris prisonniers, et nous eussions ˆ l'heure mme forcŽ Suse si nous nÕeussions fait retirer nos gens parce que nous voulions conserver la ville sans la piller, pour servir de logement au roi.

Peu aprs tre venus sur ce tertre, Mr de CrŽquy avec Mr de la Valette allrent loger ˆ gauche en des maisons sur la descente avec les gardes, et moi avec Toiras et Tavannes pr”mes ˆ la droite en descendant et y loge‰mes Navarre. Le commandeur quoique blessŽ alla mettre les Suisses de lÕautre c™tŽ de la ville afin dÕempcher que rien nÕen sort”t ; quoi fait, Mr de CrŽquy et moi, pr”mes notre logement aux Cordeliers du faubourg de Suse, et tous les princes et la noblesse y vinrent repa”tre avec nous, joyeux et contents dÕavoir si bien et heureusement servi le roi, qui nous envoya l'abbŽ de Beauveau premirement, et puis son Žcuyer de quartier pour dire ˆ Mr de CrŽquy et ˆ moi la satisfaction quÕil avait de nous et la reconnaissance perpŽtuelle quÕil en aurait, nous bl‰mant nŽanmoins, Mr de CrŽquy et moi, de ce quՎtant ses lieutenants-gŽnŽraux, nous avions voulu donner avec les enfants perdus, et nous mandant quÕil ne nous enverrait plus ensemble, parce que par Žmulation lÕun de lÕautre nous faisions ce prŽjudice ˆ son service que, si nous nous y eussions fait tuer, outre la perte quÕil ežt faite de deux telles personnes, le dŽsordre se fžt mis dans cette occasion faute de chefs pour la commander. Nous lui mand‰mes quÕil y a des choses qui se doivent faire avec retenue et dÕautres avec prŽcipitation ; que celle-ci Žtait une affaire o il ne fallait point marchander, mais y mettre le tout pour le tout, parce que, si nous eussions ŽtŽ repoussŽs ˆ la premire attaque, nous lÕeussions ensuite ŽtŽ ˆ toutes les autres, et que des soldats qui voient de tels chefs ˆ leur tte y vont bien avec plus de courage et de rŽsolution.

Pendant le combat des barricades, Mr le comte de Saut qui Žtait allŽ par dessous Jallon pour prendre les ennemis par derrire, eux qui sÕen doutaient, avaient mis sur lÕavenue o il devait passer le colonel Belon avec son rŽgiment pour la garder ; mais il les surprit ˆ la pointe du jour et dŽfit le rŽgiment, prit plus de vingt officiers prisonniers, et rapporta neuf drapeaux des dix dudit rŽgiment, puis se vint joindre ˆ nous aux Cordeliers, dÕo nous envoy‰mes sur les cinq heures du soir sommer la ville de se rendre, et le ch‰teau aussi, ce quÕils firent ; et, nous ayant donnŽ des otages, nous diffŽr‰mes dÕy entrer ce jour-lˆ, craignant un dŽsordre et que la ville fžt pillŽe par nos soldats ardents et ŽchauffŽs par la prŽcŽdente dŽfaite, et y entrant de nuit.

Mr de Senneterre vint ˆ lÕentrŽe de la nuit nous trouver et nous dire encore de belles paroles de la part du roi et de monsieur le cardinal qui nous Žcrivit comme le roi envoyait trouver ledit Senneterre Mr le duc de Savoie de sa part et que nous facilitassions son passage : nous lui donn‰mes un trompette et dix de mes gardes pour l'accompagner.

Le mercredi 7me ceux de Suse nous vinrent porter les clefs de leur ville o nous envoy‰mes Toiras pour en prendre possession et y faire faire nos logements. Monsieur le cardinal vint d”ner chez moi aux Cordeliers, o aprs nous t”nmes conseil ; puis ayant ŽtŽ visiter le poste des Suisses que nous lou‰mes dÕavoir si bien fait, et principalement le colonel Salis de qui le commandeur de Valanai disait de grandes louanges, et bl‰mant le rŽgiment de Navarre devant mme Tavannes leur ma”tre de camp, nous v”nmes loger dans Suse et m”mes garnison au ch‰teau, et la citadelle nous ayant envoyŽ demander trve jusques au retour de Mr de Senneterre, nous leur accord‰mes.

Le jeudi 8me de mars nous part”mes de Suse avec ce que nous avions des gardes, de Suisses, Navarre et Saut, avec les gendarmes et les chevau-lŽgers de la garde du roi, Bussy, Laurieres, Boissac et Arnaut, avec les gardes de Mr de CrŽquy et de moi, pour aller prendre notre logement ˆ Boussolengue et pass‰mes delˆ la Doire du c™tŽ de la plaine. CՎtait le jour de Mr de CrŽquy ˆ commander, nous changeant de trois jours en trois jours : il voulut que lÕon prit plut™t ce chemin que l'autre parce quÕil Žtait plus large et plus aisŽ que lÕautre, parce aussi qu'il y avait devant Boussolengue une plaine pour nous mettre en bataille et faire nos ordres en cas que les ennemis nous eussent voulu disputer le logement de Boussolengue. Mais comme nous voulžmes faire passer le pont de la Doire ˆ nos troupes, le gouverneur de la citadelle de Suse qui Žtait en trve avec nous, nous manda quÕil ne pouvait souffrir que notre armŽe pass‰t devant sa citadelle, et que si nous le faisions, quÕil romprait la trve. Nous accept‰mes ce dernier parti, et en mme temps envoy‰mes couper les canaux qui portaient lÕeau dans la citadelle, dont ils ne pouvaient faire garde parce que les citernes nÕen valaient rien : lui de son c™tŽ nous tira plus de cent canonnades en passant, et nous tua dix ou douze hommes. Je menai ce jour-lˆ l'avant-garde de l'armŽe, Mr de CrŽquy la commandant. Comme nous arriv‰mes proche de Boussolengue, nous nous m”mes en bataille, puis f”mes passer delˆ la ville, qui nous ouvrit les portes, notre cavalerie qui se tint en bataille du c™tŽ de Veillane jusques ˆ ce que l'infanterie fžt logŽe et barricadŽe ; puis elle dŽfila.

Mr de Senneterre revint passer ˆ Boussolengue, et nous dit quÕil avait quasi accommodŽ toutes choses ; quÕil nous priait de ne point avancer : et sur ce que nous lui d”mes que le lendemain matin nous irions attaquer Veillane, il sÕen alla en diligence ˆ Chaumont et nous fit Žcrire par monsieur le cardinal que le roi nous commandait de ne rien entreprendre, et ne bouger de Boussolengue jusques ˆ ce que Mr de Senneterre ežt ŽtŽ trouver Mr de Savoie de sa part, comme il fit le lendemain 9me, et alla trouver le duc qui Žtait ˆ Veillane.

Le samedi 10me Senneterre repassa, qui nous apporta l'acceptation de la paix que le duc avait faite sur les articles que le roi lui avait envoyŽs ; et sur le soir le comte de Verrue passa pour aller trouver le roi de la part du duc.

Nos soldats ces deux jours prŽcŽdents furent fort ˆ la picorŽe ; mais ce jour-lˆ nous f”mes de rigoureuses dŽfenses de nÕy plus aller.

Le dimanche 11me jՎtais en jour de commander. Sur la nouvelle que nous ežmes du roi de la venue de monsieur le prince prs de lui, nous f”mes mettre toute notre infanterie en bataille entre Saint-Jory et Boussolengue, border d'infanterie des deux c™tŽs le bourg, et le pont par o le prince devait passer, f”mes mettre douze compagnies de cavalerie en bel ordre en la plaine qui est entre Boussolengue et Suse, et moi je fus par delˆ Saint-Jory avec les gendarmes, chevau-lŽgers du roi, et la compagnie dÕArnaut, avec mes gardes et force noblesse, recevoir monsieur le prince, puis le menai par devant notre infanterie qui lui fit salve et le salua. Mr de la Valette Žtait ˆ la tte. De lˆ nous pass‰mes ˆ travers de Boussolengue et v”nmes o Žtaient les douze compagnies de cavalerie, o Žtait aussi Mr le marŽchal de CrŽquy entre les mains duquel je le rŽsignai pour lÕamener au roi. Mrs de Longueville, de Moret, dÕAluin, de la Valette et de la Trimoulle qui voulurent venir avec moi au-devant de monsieur le prince ne le voulurent saluer quÕaprs que je lui eus fait la rŽvŽrence. Tous ces messieurs le quittrent quand et moi et revinrent au quartier de Boussolengue, ne nous ayant point quittŽs depuis que nous part”mes dÕEmbrun.

Monsieur le prince d”na ˆ Suse avec monsieur le cardinal avec lequel il traita et conclut toutes choses, et entre autres, que l'on mettrait la citadelle de Suse et les forts de Jallon et de Jallasse entre les mains du roi, quÕil garderait jusques ˆ ce que toutes choses fussent concertŽes en Italie ; quÕil y mettrait des Suisses, et que je jurerais au duc de remettre lesdites places entre ses mains lorsque le roi mÕaurait mandŽ que toutes choses promises seraient accomplies. De lˆ monsieur le prince sÕen revint sans avoir vu le roi pour lors, et Mr de CrŽquy et moi, le fžmes accompagner jusques en la plaine de Veillane.

Monsieur le cardinal mՎcrivit pour venir prendre le lendemain possession de Suse et des autres forts ; mais comme le lundi 12me j'y arrivai, je nÕy trouvai aucun commissaire du duc, ni ordre aux gouverneurs des places de me les consigner, ce qui fit que je passai ˆ Chaumont pour trouver le roi, que je nÕavais point vu depuis l'attaque du pas de Suse. Je d”nai avec monsieur le nonce chez monsieur le cardinal, et fus visiter messieurs de Schomberg et commandeur de Valanay, blessŽs. De lˆ je revins ˆ Suse o je trouvai un secrŽtaire dՎtat du duc : mais il me dit ne pouvoir rien faire sans le veador gŽnŽral Gabaleon. Je lui parlai un peu rudement, ce qui fit quÕil sÕen retourna au galop ˆ Veillane, et le soir mme Gabaleon arriva en mon quartier de Boussolengue, lequel m'ayant fait entendre son ordre de me remettre les forts en main, et le serment quÕil me montra que je devais faire, et faire faire aux Suisses que je mettrais dedans lesdits forts, j'y trouvai quelque difficultŽ dont je donnai la nuit avis ˆ monsieur le cardinal, et Gabaleon sÕen alla ˆ la citadelle de Suse.

Le lendemain mardi 13me je mÕen revins de bon matin ˆ Suse o je trouvai messieurs de Chateauneuf et de Senneterre que monsieur le cardinal mÕavait envoyŽs sur le sujet de la difficultŽ que je lui avais mandŽe, et comme ce jour-lˆ Mr de CrŽquy premier marŽchal de France en lÕarmŽe faisait faire la montre gŽnŽrale, monsieur le cardinal passa par lÕautre c™tŽ pour la voir. Je convins avec Gabaleon de la forme du serment, et envoyai des commissaires pour faire l'inventaire de la citadelle avec ceux du duc. Gabaleon et ces messieurs vinrent d”ner avec moi ; puis avec grande peine je pus les faire sortir de la citadelle o je mis le capitaine Reding avec sa compagnie. De lˆ je voulus moi mme accompagner les troupes du duc en mÕen retournant ˆ Boussolengue, et les fis conduire jusques ˆ Veillane en toute sžretŽ.

Le mercredi 14me le roi envoya de bon matin me mander que je le vinsse trouver ˆ Chaumont o Mr le prince de PiŽmont devait venir d”ner avec lui, ce que je fis et visitai en passant ˆ Suse le marquis Ville, blessŽ. De lˆ jÕallai Žtablir la garnison suisse ˆ Jallasse ; puis je vins ˆ Chaumont. Aprs d”ner nous fžmes au conseil, o monsieur le prince assista et fit de trs belles propositions. De lˆ le roi vint ˆ Suse accompagnŽ de monsieur le prince : on le salua de canonnades tant du fort de Jallasse, en passant, que de la citadelle. Mr le prince de PiŽmont prit congŽ du roi ˆ la porte de Suse, et, ayant mis pied ˆ terre pour lui faire la rŽvŽrence, le roi descendit de cheval aussit™t pour lÕembrasser. De lˆ il me commanda de lÕaller accompagner jusques ˆ Saint-Jory, ce que je fis.

Le jeudi 15me Gabaleon me vint trouver ˆ Boussolengue pour prendre de moi l'inventaire signŽ de ma main de lÕartillerie et munitions des citadelles de Suse et fort de Jallasse, que je lui donnai.

Senneterre passa ce jour-lˆ pour aller rapporter ˆ madame la princesse de PiŽmont de la part du roi les drapeaux gagnŽs aux pas de Suse.

Le vendredi 16me je vins ˆ Suse voir le cardinal de la Valette qui Žtait arrivŽ.

Je d”nai avec monsieur le cardinal que je menai puis aprs ˆ la citadelle de Suse, puis fžmes au-devant du roi qui Žtait allŽ se promener jusques ˆ Boussolengue o je mÕen retournai.

Le samedi 17me le prince-cardinal vint voir le roi, qui passa et repassa par mon quartier : je lÕaccompagnai jusques ˆ Saint-Jory. Au retour Gabaleon me vint porter de la part du duc la lettre que don Gonsales de Cordova lui avait Žcrite, par laquelle il dŽclarait vouloir effectuer tout ce que le duc avait promis et quՈ cet effet il avait levŽ le sige de Casal : je lÕenvoyai ˆ lÕheure mme au roi, qui me l'ayant remandŽe, je la fis le lendemain rapporter au duc ˆ Veillane par Boissac.

Le dimanche 18me messieurs les cardinaux de Richelieu et de la Valette vinrent d”ner chez Mr de CrŽquy ˆ Boussolengue. Monsieur le prince de PiŽmont y arriva peu aprs, qui ayant confŽrŽ quelque temps avec monsieur le cardinal, sÕen retourna, et lui ˆ Suse.

Le lundi 19me Sainte-Soulaine vint apporter la nouvelle de la levŽe du sige de Casal le vendredi prŽcŽdent.

Le mardi 20me je fus d”ner ˆ Suse chez monsieur le cardinal. LÕaprs-d”ner le roi alla en la plaine de Boussolengue voir le rŽgiment de la Grange nouvellement arrivŽ.

Le mercredi 21me nous f”mes mettre notre infanterie en bataille en la plaine au dessus de Boussolengue. De lˆ je fus recevoir Madame et monsieur le prince de PiŽmont (qui venaient voir le roi), ˆ mi-chemin de Veillane ; puis au-dessous de Saint-Jory je lui prŽsentai les gendarmes et chevau-lŽgers de la garde du roi, qui marchrent devant et derrire elle comme ils faisaient au roi. Mr de Luxembourg lui vint faire la rŽvŽrence, quÕelle baisa comme elle mÕavait fait. Je la menai de lˆ passer par devant notre infanterie qui la salua de salve de piques et de drapeaux : puis ayant passŽ par delˆ Boussolengue, elle trouva Mr de CrŽquy et Mr de la Trimoulle avec dix-huit compagnies de chevau-lŽgers. Je la consignai s mains de Mr le marŽchal de CrŽquy qui la conduisit jusques ˆ ce que le roi la joignit, qui vint au devant dÕelle, et avait fait mettre en bataille douze mille hommes de pied auxquels il fit faire devant elle plusieurs Žvolutions, puis la conduisit au ch‰teau de Suse, o elle et monsieur le prince son mari furent logŽs et dŽfrayŽs.

Le jeudi 22me je tombai malade et me fis saigner.

Guron revint de Casal et amena les dŽputŽs de la ville avec lui, que je fis loger et dŽfrayer ˆ Boussolengue.

Le vendredi je pris mŽdecine, mon mal me continuant.

Le samedi je me fis encore saigner. Monsieur le prince de PiŽmont alla et revint de Veillane ˆ Suse : il me fit lÕhonneur, en retournant, de me venir visiter.

Le dimanche 25me mars, jour de Notre-Dame, monsieur le prince de PiŽmont fit ses p‰ques ˆ Suse avec l'habit de lÕordre de Saint-Maurice.

Le 26me le roi envoya le pre Josef ˆ Mr de Mantoue, et Argencourt avec Guron au Montferrat. Je continuai dՐtre malade.

Le mardi 27me je me fis encore saigner.

Le mercredi 28me Toiras partit pour aller ˆ Lorette.

Le jeudi 29me, commenant ˆ me mieux porter, le roi me commanda de venir ˆ Suse o nous f”mes lՎtat de lÕarmŽe pour aller ˆ Casal.

Monsieur le prince et madame la princesse partirent dÕauprs du roi pour retourner ˆ Turin.

Le vendredi 30me jÕallai ˆ Suse d”ner chez Schomberg qui mÕen avait envoyŽ prier.

Le samedi dernier jour de mars Mr le duc de Savoie rompit les Žtapes que par le traitŽ de paix il avait Žtablies pour notre armŽe.

 

Avril. Ń Le dimanche premier jour dÕavril monsieur le prince revint trouver le roi, qui raccommoda tout.

Le lundi 2me Senneterre alla de la part du roi trouver le duc ˆ Veillane et rapporta nouvelles que le duc viendrait trouver le roi ˆ Suse.

Le mercredi 4me nous f”mes partir les troupes pour aller tenir garnison au Montferrat, assavoir les rŽgiments de Villeroy, Ribeyrac, Monchas et la Grange, et les compagnies de Toiras, Canillac, Boissac, Cournon, Maugiron et Migneux.

Le roi attendait ce jour-lˆ Mr de Savoie ˆ Suse ; mais le mauvais temps l'en empcha.

Le jeudi 5me Mr de Savoie mÕenvoya Mr le comte de Verrue pour me dire que je lui donnasse un passeport pour pouvoir sÕaller rendre aux pieds du roi. Je courus au-devant de lui avec Mr le marŽchal de CrŽquy, et nous m”mes en son carrosse dÕo je sortis peu aprs, laissant Mr de CrŽquy avec lui, qui le mena au roi, pour mÕen venir au-devant de Madame et de monsieur le prince qui revenaient ˆ Suse. Je les pris ˆ Saint-Jouaire et les menai jusques ˆ mi-chemin de Suse ˆ Boussolengue, o le roi, qui Žtait venu conduire Mr le duc de Savoie, les rencontra. Mr de CrŽquy ramena Mr de Savoie ˆ Saint-Jouaire o il coucha.

Le vendredi 6me Mr de CrŽquy et moi v”nmes ˆ Suse faire la rŽvŽrence ˆ Madame et ˆ monsieur le prince. Le roi fit faire exercice ˆ huit cents soldats devant eux.

Le samedi 7me le roi nous envoya quŽrir sur la plainte du marŽchal dÕEstrŽes contre Besanon dont il nous commanda de faire le jugement, et le ch‰timent dudit Besanon.

Nous d”n‰mes chez monsieur le cardinal. Le roi sÕen alla au ch‰teau voir Madame, et nous ˆ Boussolengue.

Le dimanche 8me, jour de P‰ques fleuries, le roi donna congŽ ˆ Mr de CrŽquy dÕaller pour huit jours demeurer ˆ Turin. Il partit le lundi 9me, et moi jÕeus un grand mal d'oreille qui me retint au lit.

Le mardi 10me monsieur le prince alla et revint de Veillane. J'allai d”ner ˆ Suse chez Mr de Longueville ; puis je fus voir monsieur le cardinal, monsieur le nonce, et l'ambassadeur de Venise. Le roi fit faire lÕexercice et Madame y alla.

Le mercredi 11me Mr de Bordeaux me vint voir, et all‰mes aprs d”ner ensemble voir le ch‰teau de BrŽsolles pour y loger monsieur le cardinal.

Le jeudi-saint, 12me d'avril, jour de ma naissance, je fus par ordre du roi ˆ Suse pour recevoir et aller au-devant dÕun ambassadeur extraordinaire de Venise nommŽ Soranzo, que la rŽpublique envoyait au roi pour le visiter.

Schomberg partit pour aller ˆ Valence assembler lÕarmŽe contre les huguenots.

Le roi envoya ce jour-lˆ la commission de lÕartillerie ˆ Mr le marquis d'Effiat, dont jÕavais fait la premire ouverture.

Le vendredi-saint, 13me, monsieur le cardinal vint loger ˆ BrŽsolles : je fus au-devant de lui, et lui conduisis.

Le samedi-saint,14me, Mrs de Lyon et de Chateauneuf vinrent d”ner chez moi ˆ Boussolengue.

Je fis mes p‰ques.

Les ambassadeurs de Mantoue arrivrent ˆ Suse.

Le dimanche 15me, jour de P‰ques, je les fus donner bonnes ˆ monsieur le cardinal. Celui de la Valette et Mr de Longueville me vinrent voir : je les fus reconduire.

Le lundi 16me je fus ˆ Suse d”ner chez Mr le Comte. Aprs d”ner je distribuai les dŽpartements aux commissaires pour la montre et vis le fonds de celle de la cavalerie lŽgre.

Le mardi 17me je fis faire la montre de la cavalerie lŽgre.

Mr de CrŽquy revint de Turin et avec lui Mr Frangipani et le comte de Guiche arrivrent.

Le mercredi 18me Mr le cardinal de la Valette nous vint voir : nous all‰mes ensemble mener Frangipani ˆ Suse, ˆ qui le roi fit fort bonne chre. Monsieur le cardinal nous donna ˆ tous ˆ d”ner ˆ BrŽsolles.

Le jeudi 19me monsieur le cardinal partit de BrŽsolles : celui de la Valette et Mr de Longueville vinrent d”ner en notre quartier chez Mr de CrŽquy pour y voir le comte de Guiche. Comme nous Žtions ˆ table, le roi nous envoya un valet de pied avec une lettre ˆ Mr de CrŽquy et ˆ moi, par laquelle il nous commandait de ne souffrir le comte de Guiche en nos quartiers, et le prendre prisonnier sÕil y demeurait davantage. Il mÕenvoya aussi ordonner de venir loger ˆ Suse, nՎtant pas raisonnable que Sa MajestŽ fžt sans aucun marŽchal de France pour commander son quartier et la bataille de lÕarmŽe, laissant Mr de CrŽquy ˆ Boussolengue. Je mÕen revins donc ˆ Suse avec ces messieurs, fus au conseil, de lˆ chez Madame, puis souper chez Mr le cardinal de la Valette.

Le vendredi 20me jÕallai d”ner chez monsieur le cardinal : de lˆ je vins avec lui au conseil. LÕambassadeur extraordinaire de Florence nommŽ Julian de Medicis, archevque de Pise, eut audience. Nous all‰mes de lˆ avec le roi chez Madame qui Žtait malade, puis souper chez Mr de Longueville.

Le samedi 21me Mr le Comte et Mr de Longueville vinrent d”ner chez moi ; puis je fus au conseil. LÕambassadeur de Mantoue eut audience.

Le dimanche 22me nous rŽgl‰mes, Mr de CrŽquy et moi, les munitions. L'aprs-d”ner la cour se tint chez Madame malade. Le soir je soupai chez Mr de Longueville, et puis chez le roi ou•r sa musique.

Le lundi 23me Mr de CrŽquy revint encore d”ner chez moi. On tint conseil aprs d”ner : de lˆ nous fžmes chez Madame ; puis le roi vint ˆ mon logis voir ma chambre o quand on parlait en un coin, pour bas que ce fžt, on l'oyait en lÕautre. Il fit faire lÕaprs souper une excellente musique.

Le mardi 24me le roi tint conseil. Il fut voir Madame. Il arriva un ambassadeur extraordinaire de Mantoue. Le roi se trouva un peu mal.

Le mercredi 25me je menai l'ambassadeur extraordinaire de Venise ˆ sa premire audience.

Il arriva ˆ Suse un ambassadeur extraordinaire de Gnes. Mr de Harbaut demanda au roi sÕil se couvrirait parlant ˆ lui : le roi en fut en doute et mÕenvoya quŽrir pour mÕen demander mon avis. Je lui dis que j'avais vu couvrir un autre ambassadeur que la rŽpublique de Gnes avait envoyŽ au roi ; que cՎtait une rŽpublique qui ne cŽdait rien ou fort peu ˆ celle de Venise ; quÕanciennement le roi ne faisait point couvrir les ambassadeurs de Ferrare, Mantoue et Urbin ; que depuis quelques annŽes Elle les avait fait couvrir ; que Gnes ne passe pas seulement devant eux, mais devant Florence mme, et quՈ mon avis le roi les devait faire couvrir ; nŽanmoins sÕils ne le prŽtendaient point, quÕElle sÕen pourrait passer. Sur cela Mr de Chateauneuf arriva, ˆ qui le roi ayant demandŽ la mme chose, dit de pleine volŽe que non, et que les GŽnois Žtaient ses sujets, lesquels prendraient avantage de cette concession comme dÕun titre quÕils ne sont plus sujets de la France, et que le roi dŽtruirait le droit quÕil a sur cette rŽpublique. Il nÕen fallut pas dire davantage au roi pour le porter ˆ ne leur pas permettre quÕils parlassent couverts ˆ lui, de sorte quÕil commanda ˆ Mr de Harbaut de leur dire qu'ils ne lÕentreprissent pas.

Le jeudi 26me, comme j'Žtais chez le roi, on me vint dire que Mr le nonce Bagny mÕattendait ˆ mon logis : je m'y en allai aussit™t lÕy trouver. Il me dit en substance que Sa SaintetŽ avait en trs particulire recommandation la rŽpublique de Gnes ; quÕElle lui avait ordonnŽ de prendre soin de ses intŽrts, et de moyenner que cette ambassade quÕelle avait envoyŽe au roi fžt bien reue, lˆ o elle prŽvoyait quÕelle y recevrait un signalŽ affront par le dŽni que l'on leur faisait de se couvrir ˆ l'audience, ce qui Žtait contre toute ŽquitŽ et raison, attendu que le prŽcŽdent ambassadeur que cette rŽpublique avait envoyŽ vers Sa MajestŽ, le roi lÕavait fait couvrir ; que cÕest une grande rŽpublique qui a rang avant tous les princes d'Italie aprs les rois immŽdiatement avec Venise ; et plusieurs autres choses quÕil mÕallŽgua. Il me dit quÕil en venait de faire instance ˆ monsieur le cardinal, qui lui avait promis dÕaccommoder cette affaire, mais que pour en avoir la dŽcisive, il ne devait pas en tre promoteur ; que je serais trs propre pour entamer l'affaire, et quÕil me pouvait dire de sa part que j'eusse ˆ le faire, comme ledit nonce mÕen priait aussi instamment, mÕassurant quÕoutre l'obligation que m'en aurait ladite rŽpublique, Sa SaintetŽ mÕen saurait un trs grand grŽ. Je lui rŽpondis que je tiendrais ˆ grand honneur de rendre ce petit service ˆ Sa SaintetŽ et ˆ cette rŽpublique ; mais que je craignais de nÕy tre pas propre, attendu que je mÕen Žtais dŽjˆ ouvert au roi qui avait pris le contraire avis, que lÕon lui avait donnŽ, en meilleure part que le mien ; que Sa MajestŽ Žtait opini‰tre quand il avait une fois mis une chose en sa tte, et prompt ˆ se mettre en colre contre ceux qui lui contestent, et qu'aprs lui avoir dit cela j'offrais ˆ S. S. de faire ce quÕil me commandait, et que j'irais du mme pas trouver monsieur le cardinal pour savoir la forme et lÕordre que j'avais ˆ tenir en cette affaire : et ainsi me sŽparai de lui et allai trouver monsieur le cardinal, lequel me dit quÕil fallait que je fisse cette ouverture et qu'il me seconderait bien ; quÕil ferait que les marŽchaux de camp et Bulion suivraient mon avis, et que Mr de Chateauneuf appuierait faiblement le sien.

Sur cette assurance je mÕen vins lÕaprs-d”ner au conseil o nous dŽpch‰mes force affaires, aprs lesquelles Mr de Harbaut dit au roi qu'il avait vu l'ambassadeur de Gnes, ensemble leurs papiers, par lesquels ils faisaient appara”tre sՐtre autrefois couverts ; et quÕils ne demandaient point audience si ce nՎtait ˆ cette condition. Le roi s'opini‰tra fort, et vis que j'aurais ˆ faire ˆ forte partie. Alors monsieur le cardinal lui dit : Ē S'il vous plait, Sire, d'en prendre les avis de ces messieurs, aprs quoi vous jugerez vous-mme ce qu'il vous plaira. Č Alors le roi commena expressŽment par moi ˆ demander mon opinion, afin dÕavoir sujet de rŽpondre lˆ-dessus, et comme j'ouvris la bouche pour parler, il dit : Ē Je vous la demande ; mais je ne la suivrai pas : car je sais dŽjˆ bien quÕelle va ˆ les faire couvrir, et que ce que vous en faites est ˆ la recommandation dÕAugustin Fiesque qui est avec vous. Č

Cela me piqua, et lui rŽpondis :

Ē Sire, sÕil vous plaisait de faire rŽflexion sur mes actions passŽes, vous conna”triez que le bien de votre service, et votre gloire particulire, ont toujours ŽtŽ mes principaux intŽrts. Je nÕen ai aucun, ni pratique avec la rŽpublique de Gnes ; et quand j'en aurais, ils cŽderaient ˆ ceux que j'ai pour votre service. Don Augustin Fiesque est mon ami, et il mÕa bien plus d'obligation que je ne lui en ai ; et quand je lui en aurais, vous me croiriez bien lŽger et bien inconsidŽrŽ si je vous desservais en sa faveur. Finalement, Sire, le serment que j'ai ˆ votre conseil m'oblige de vous donner le mien selon mon sentiment et ma conscience ; mais puisque vous jugez si mal de ma prudÕhomie, je m'abstiendrai, sÕil vous plait, de vous donner mon avis. Č

Ē Et moi (dit le roi extraordinairement en colre), je vous forcerai de me le donner, puisque vous tes de mon conseil et que vous en tirez les gages. Č

Monsieur le cardinal, au-dessous de qui j'Žtais, me dit : Ē Donnez-le, au nom de Dieu, et ne contestez plus. Č Lors, je dis au roi :

Ē Sire, puisque Votre MajestŽ veut absolument que je lui dise mon opinion, elle est que vos droits et ceux de votre couronne se dŽpŽriraient si par cet acte vous accordiez la souverainetŽ aux GŽnois, que vous prŽtendez avoir sur eux, et que vous les devez entendre tte nue comme vos sujets, et non couverte comme rŽpublicains. Č

Alors le roi se leva en forte colre et dit que je me moquais de lui et quÕil me ferait bien conna”tre qu'il Žtait mon roi et mon ma”tre, et plusieurs autres choses pareilles ; et moi je nÕouvris plus la bouche pour dire une seule parole. Monsieur le cardinal le remit, et il fit suivre les opinions qui furent toutes que lÕambassadeur de Gnes parlerait couvert ˆ lÕaudience. Aprs cela le roi se leva et alla faire faire lÕexercice aux gardes. Le soir nous v”nmes ˆ la musique du roi qui ne dit pas un mot aux autres de peur de m'en dire un ˆ moi, et ne fit que gronder.

Le vendredi 27me l'ambassadeur de Gnes eut audience.

Le roi fut voir Madame qui le revint voir.

Je demandai ˆ monsieur le cardinal ce que je ferais du mot ; car si je le faisais prendre par un marŽchal de camp, le roi sÕoffenserait, et sÕoffenserait peut-tre encore si je lui allais demander. Monsieur le cardinal parla sur ce sujet au roi qui lui dit que je lui demandasse et que je ne lui fisse ni excuses ni reproches, et que cՎtait la peine o Žtait le roi, sa colre Žtant passŽe, et ayant reconnu quÕil avait tort de se prendre ˆ moi pour une chose dont je ne parlais que pour son service. Je pris donc le mot de lui et lui parlai ensuite, et lui ˆ moi comme auparavant.

Le roi ou•t ensuite le marquis Striggi, ambassadeur extraordinaire de Mantoue ; puis Madame lui envoya un trs beau prŽsent de pices de cristal de roche, en suite duquel ceux de Gnes lui firent un prŽsent de douze caisses d'excellentes confitures : il en ouvrit une quÕil distribua ˆ la compagnie : il en envoya deux qui Žtaient dÕaigre de cdre ˆ la reine sa mre qui lÕaimait fort, et me donna les neuf autres caisses, et ainsi fut faite ma paix ; puis le soir me dit quÕil quittait son armŽe de PiŽmont pour aller ˆ celle de Valence ; quÕil en faisait gŽnŽral monsieur le cardinal, et Mr de CrŽquy et moi lieutenants-gŽnŽraux, et que nous eussions ˆ demeurer auprs de mon dit sieur le cardinal.

Le soir Mr de Harbaut tomba malade, dont il mourut. On dŽsespŽra de sa vie ds le premier jour, et lÕon fit instance en faveur de Mr de Lavrilliere, ˆ quoi nous ne trouv‰mes pas monsieur le cardinal fort disposŽ alors.

Le samedi 28me le roi partit pour aller en France. Il fut dire adieu ˆ Madame ; puis nous le fžmes accompagner jusques ˆ Chaumont.

Il nÕest pas hors de propos de dire ici un mot de monsieur son frre, parce que le pouvoir de gŽnŽral de lÕarmŽe du roi cessa ce jour-lˆ seulement. Il sÕen alla, comme jÕai dŽjˆ dit, de Ch‰teaumorant o je le fus trouver, en Dombes o il sÕamusa ˆ chasser. Le roi ˆ qui je le dis ˆ mon arrivŽe ˆ Grenoble lui envoya un gentilhomme pour lui donner avis de son acheminement ˆ Suse, le priant de se h‰ter dÕy venir prendre sa bonne part, et ˆ la gloire, et au pŽril. Il fit rŽponse au roi, comme Sa MajestŽ arrivait ˆ Brianon, que, comme il sÕacheminait pour le trouver, il avait appris le partement de madame la princesse Marie dont il avait ŽtŽ si touchŽ quÕil sÕen allait ˆ une de ses maisons passer son dŽplaisir et y attendre les commandements de Sa MajestŽ. Sur cela, ayant entendu comme le roi avait forcŽ le pas de Suse, et ses ennemis ˆ lui accorder tout ce quÕil avait dŽsirŽ dÕeux, il sÕen retourna ˆ ses journŽes, ayant Žcrit ˆ la reine sa mre quÕil la suppliait de ne permettre que la princesse Marie sort”t de France, laquelle madame de Longueville amenait vers Paris, et Mr le Grand Žtant parti dÕauprs de Monsieur pour venir ˆ Paris, donna l'alarme ˆ la reine que Monsieur voulait enlever la princesse Marie et lՎpouser : sur quoi elle envoya arrter madame de Longueville et elle, et les fit mener et tenir sous sžre garde dans le bois de Vincennes. Monsieur envoya sÕen plaindre ˆ la reine sa mre, et envoya aussi un gentilhomme au roi lequel lui fit rŽponse quÕil nÕavait rien su avant lÕarrt de la princesse Marie, mais quÕil approuvait tout ce que la reine sa mre avait fait, comme l'ayant fait pour le bien de son service. Sur cela Monsieur tŽmoigna son mŽcontentement. Monsieur le cardinal nÕapprouva pas trop cette capture, ce qui donna du mŽcontentement ˆ la reine mre, laquelle, persuadŽe par le cardinal de BŽrulle sur les assurances que le pre Gondran lui donna que Monsieur nÕavait aucune intention de lÕenlever et quÕil en rŽpondait, la fit Žlargir quelque temps aprs, et Monsieur sÕamusa ˆ chasser ˆ Montargis le long de lՎtŽ.

Aprs que nous ežmes conduit le roi jusques ˆ Chaumont, nous rev”nmes ˆ Suse prendre congŽ de monsieur et de madame la princesse de PiŽmont, lesquels nous fžmes accompagner jusques ˆ Boussolengue.

Le dimanche 29me monsieur le cardinal tint conseil chez lui de toutes les affaires de guerre, ce quÕil fit aussi le lendemain.

 

Mai. Ń Le mardi premier jour de mai il dŽpcha le sieur de Comminges vers Mr de Savoie.

Je fus visiter l'ambassadeur de Gnes et ceux de Venise.

LÕambassadeur de Gnes me rendit la visite le lendemain ; et le jeudi 3me monsieur le cardinal fut ˆ Boussolengue trouver Mr le prince de PiŽmont et confŽrer avec lui.

Le vendredi 4me Mr le marŽchal de CrŽquy vint ˆ Suse d”ner chez moi.

Le samedi 5me monsieur le cardinal envoya Mr de Chateauneuf trouver Mr de Savoie, qui trouva Mr le prince de PiŽmont ˆ Veillane et sÕen revint le dimanche 6me, dont monsieur le cardinal ne fut pas content et le fit retourner le jour mme trouver Mr de Savoie.

Le lundi 7me monsieur le cardinal alla ordonner des retranchements aux passages, et autres Ļuvres qu'il fallait faire.

LÕambassadeur de Venise demanda ˆ me voir : je le fus trouver.

Le mardi 8me je fus voir le marquis Striggi, ambassadeur de Mantoue.

Mr de Chateauneuf revint qui apporta la conclusion de toutes nos affaires.

Le mercredi 9me on donna lÕordre pour faire partir les troupes qui devaient aller joindre le roi, et les faire marcher sur les Žtapes.

Le jeudi 10me monsieur le cardinal et nous, all‰mes ˆ Boussolengue d”ner chez Mr de CrŽquy. Aprs d”ner Mr le prince de PiŽmont y arriva pour nous dire adieu.

De Privas ˆ la reddition de Montauban

Le vendredi 11me Mr de Longueville sÕen alla par le mont Cenis le matin, et monsieur le cardinal partit l'aprs d”ner, et moi avec lui, pour retourner en France, laissant Mr le marŽchal de CrŽquy avec le pouvoir delˆ les monts. Il nous vint accompagner jusques ˆ Chaumont ; puis nous pass‰mes par Exilles et Sallebertran, et v”nmes coucher ˆ Oulx, o l'on apporta ˆ monsieur le cardinal la nouvelle de la paix signŽe entre France et Angleterre. Il eut aussi nouvelle de la libertŽ que la reine mre avait rendue ˆ mesdames de Longueville et princesse Marie.

Le samedi 12me nous pass‰mes ˆ Sesane, et me fis porter en chaise pour passer le mont Genvre et v”nmes coucher ˆ Brianon ; le dimanche 13me coucher ˆ Embrun, souper chez lÕarchevque, et le lundi ˆ Gap, le mardi ˆ .....

Le mercredi nous pass‰mes le mont de Cabre et v”nmes coucher ˆ Die, souper chez lՎvque.

Nous y sŽjourn‰mes le lendemain.

Le vendredi 18me monsieur le cardinal vint coucher ˆ Lauriol.

Le samedi 19me Mrs le garde des sceaux, d'Effiat et Bouteillier vinrent voir et d”ner avec monsieur le cardinal, qui passa le Rh™ne ˆ Baye sur Baye [Baix] et vint trouver le roi au camp devant Privas.

Mr de Montmorency ˆ qui Schomberg avait laissŽ, par oubliance, ou autrement, prendre rang devant lui au conseil du roi, en voulut faire de mme ˆ moi, qui ne le voulus souffrir. Pour cet effet le roi ne se voulut point asseoir au conseil.

Je fus la nuit ˆ l'ouverture de la tranchŽe des gardes, qui ne se commencrent que cette nuit-lˆ : puis sur le matin je mÕen vins loger ˆ un mŽchant logis o logeait Mr de Schomberg, et y fis porter le lit de mon neveu de Bassompierre qui Žtait avant moi en lÕarmŽe avec le roi.

Le dimanche 20me Mr le marŽchal de Schomberg me mena voir les quartiers, le campement et les batteries de Pfalsbourg et dÕAmboise, o Žtait Mr dÕEffiat. Monsieur le cardinal y vint, et me mena d”ner chez lui. LÕaprs-d”ner la dispute de Mr de Montmorency et de moi fut jugŽe en ma faveur.

Le lundi 21me monsieur le cardinal fut d”ner avec Mr de Montmorency qui Žtait en colre.

Les gardes franaises et suisses qui Žtaient en PiŽmont arrivrent au camp. Je les logeai prs de moi qui Žtais campŽ sur le haut en une petite plaine entre la ville et le logis du roi.

Nous f”mes la nuit une grande place d'armes.

Le mardi 22me Champaigne arriva, que je campai proche du logis de monsieur le cardinal, quÕil ne tenait pas sžr. Mr dÕAlais arriva aussi avec la cavalerie lŽgre que nous amenions de PiŽmont.

Mr de Schomberg qui avait grande crŽance au Meine Chabans, l'avait fait travailler au quartier des gardes. Il y avait un autre quartier qui attaquait une corne, o Picardie travaillait avec Mr de Montmorency ˆ qui on avait donnŽ Le Plessis-Besanon, dont je fus marri. Mais comme j'avais amenŽ Argencourt avec moi, je fis voir ˆ Mr de Schomberg que ce premier travail ne valait rien, quÕil Žtait tellement vu de la ville que nous y perdrions force gens, et quÕil nous Žloignait du quartier de Picardie d'o nous nous devions approcher, et joindre. Il sÕy opini‰tra de sorte que, pour le contenter, je lui laissai Chabans et son ouvrage pour le faire continuer, et moi je fis travailler Argencourt et le fis prendre ˆ droite, sÕapprochant de Mr de Montmorency et Picardie.

Le mercredi 23me PiŽmont arriva que lÕon logea au poste de Champaigne que nous envoy‰mes ˆ Veras.

Cette nuit lˆ on accommoda seulement le travail commencŽ en la prŽcŽdente.

Le jeudi 24me, jour de lÕAscension, je fis mes p‰ques.

Les rŽgiments de Rambures, de Languedoc, de Vaillac et dÕAnnonŽ arrivrent. PiŽmont alla joindre Champaigne, avec lesquels on envoya Mr de Portes marŽchal de camp que jÕavais ramenŽ de PiŽmont, pour attaquer le fort de Saint-AndrŽ vers les Boutires.

Schomberg tomba malade. Il y eut dispute pour les sŽances au conseil, de Mrs de la Valette et comte dÕAlais : Mr de la Valette le gagna.

Le vendredi 25me nous avan‰mes notre travail assez prs de la contrescarpe, aux gardes ; et on gagna une masure proche de la ville, du c™tŽ de Pfalsbourg. Du c™tŽ de Picardie on battit la corne avec six canons.

Le samedi 26me jÕeus le matin en la tranchŽe un grand coup de pierre qui me porta par terre.

Il fut rŽsolu lÕaprs-d”ner que de mon c™tŽ je gagnerais la contrescarpe, et de celui de Picardie on attaquerait la corne, cependant quÕen mme temps Pfalsbourg de son c™tŽ entreprendrait quelque autre chose pour faire diversion aux ennemis, CՎtait ˆ Normandie de prendre la garde du soir ˆ la tranchŽe des gardes, ce qui fit que jÕenvoyai quŽrir Manicamp et le baron de Mesley, et leur fis faire leur ordre devant moi, puis les menai ˆ la tranchŽe pour leur montrer ce quÕils devaient faire. Manicamp y reut un fort petit coup de pierre quÕil fit para”tre bien grand. Puis je les renvoyai pour se tenir prts ˆ entrer en garde de bonne heure. Je donnai aussi ordre que lÕartillerie nous fourn”t toutes les choses nŽcessaires et allai de lˆ donner lÕordre ˆ Pfalsbourg de ce quÕil devait faire. Puis je me rendis ˆ la tranchŽe o le rŽgiment de Normandie Žtant arrivŽ, commandŽ par Mesley, car Manicamp tenait le lit pour son coup de pierre, Mr de la Valette et Mr dÕEffiat sÕy trouvrent aussi avec Mr de Biron, marŽchal de camp.

Pfalsbourg commena la danse, attaqua et fora une autre maison contre la porte de la ville, que les ennemis avaient fortifiŽe. Peu aprs Picardie attaqua la corne qui fut emportŽe dÕabord, puis regagnŽe par les ennemis, que les volontaires gentilshommes leur firent encore une fois quitter : et moi en mme temps avec le rŽgiment de Normandie me vins loger au dessous de la contrescarpe, et ayant fait ˆ l'angle de ladite contrescarpe deux logements de huit mousquetaires chacun, qui flanquaient ˆ gauche et ˆ droite de ladite contrescarpe, nous l'™t‰mes aux ennemis qui nous la disputrent trois heures durant. Mrs de la Valette et dÕEffiat y furent plusieurs fois avec grand pŽril. JÕy eus de morts ou de blessŽs quelque vingt-cinq hommes.

Le mme soir et en mme temps, Mr de Portes du c™tŽ des Boutires avec les rŽgiments de Champagne et de PiŽmont attaqua et prit par assaut les forts de Saint-AndrŽ et de Tournon, tuant ce quÕil y trouva dedans : mais le lendemain matin dimanche 27me de mai il fut tuŽ dÕune mousquetade par la tte, reconnaissant un retranchement que les ennemis avaient fait ˆ la montagne. Ce fut une trs grande perte ; car cՎtait un brave et suffisant homme qui allait le grand chemin pour tre marŽchal de France au plus t™t.

Nous continu‰mes notre logement, et la nuit sur les deux heures du lundi 28me au matin, comme nous avions percŽ le fossŽ, nous avis‰mes ˆ la muraille un trou par lequel les ennemis entraient dans leur fossŽ, et on ne tirait plus de la ville. Je fus longtemps ˆ marchander avant que de le vouloir faire reconna”tre : enfin y ayant hasardŽ un sergent avec une rondache, il entra dans la ville et nÕy trouva personne, les ennemis lÕayant abandonnŽe pour se retirer au fort de Toulon sur la montagne ; sur quoi nous entr‰mes dans la ville que nous trouv‰mes dŽjˆ occupŽe par ceux du rŽgiment de Pfalsbourg, qui ayant ŽtŽ avertis par une pauvre femme que les ennemis avaient abandonnŽ Privas, y Žtaient entrŽs alors ; et peu aprs tous les rŽgiments et de tous les quartiers y envoyrent pour piller, et la plupart se dŽbandrent de telle sorte que, si je nÕeusse fait prendre les armes aux Suisses pour investir Toulon, les ennemis se fussent pu retirer sans empchement.

J'investis Toulon avec 1200 Suisses pendant que l'on pillait Privas et que peu aprs on y mit le feu. Sur les deux heures aprs midi ceux de Toulon me firent demander de se rendre. Je lÕenvoyai dire au roi qui ne les voulut recevoir quՈ discrŽtion, ce qu'ils refusrent. Alors nous les invest”mes de toutes parts avec les gardes, les Suisses, Champagne, PiŽmont, Normandie, Pfalsbourg, Vaillac, Languedoc, Lestrange, et AnnonŽ, et m”mes Picardie sur les avenues des Boutires. Saint-AndrŽ de Montbrun, qui commandait dedans, demanda ˆ se rendre, et se vint mettre entre nos mains ˆ discrŽtion. Le roi voulut que ceux du fort en fissent de mme, et Saint-AndrŽ leur Žcrivit ˆ cet effet; mme jÕenvoyai Marillac et Biron, marŽchaux de camp, pour les recevoir : mais ils ne se purent accorder ensemble, ni avec nous, et sur cela vint une furieuse pluie qui continua toute la nuit ; elle mÕobligea dՐtre sur pied, craignant quՈ la faveur de cette tempte les ennemis t‰chassent ˆ se sauver, les n™tres nՎtant assez soigneux de les en empcher. Ce fut une des plus mauvaises nuits que j'aie passŽ de ma vie : mais, Dieu merci, ils ne lÕentreprirent pas.

Le mardi 29me nos soldats qui avaient investi le fort de Toulon crirent aux assiŽgŽs que lÕon avait pendu Saint-AndrŽ, ce qui les mit au dŽsespoir : le roi me lÕenvoya pour leur montrer, et eux furent contents de se rendre ˆ discrŽtion. Mais en ce mme temps nos soldats sans commandement vinrent de toutes parts ˆ l'assaut, et prirent le fort, tuant tout ce quÕils rencontrrent. On en pendit quelque cinquante de ceux qui furent pris et deux cents autres qui furent envoyŽs aux galres. Le feu fut aussi mis au fort. Il sÕen sauva encore quelque deux cents autres qui furent rencontrŽs par les Suisses qui conduisaient le canon ˆ Veras, qui en turent une partie.

Le mercredi 30me on donna ordre ˆ envoyer les prisonniers, retirer lÕartillerie au parc, et disposer le partement de lÕarmŽe.

Le jeudi 31me le roi alla voir les travaux. Je fus souper chez Mr de Montmorency avec lequel je mՎtais raccommodŽ deux jours auparavant.

 

Juin. Ń Le vendredi premier jour de juin, Mr de Montmorency partit pour aller rŽduire ˆ lÕobŽissance du roi plusieurs places de son gouvernement qui sÕy voulaient remettre. On lui donna trois rŽgiments, et quelque cavalerie.

Le samedi 2me, la Gorce, Vallon et Bargeac sÕenvoyrent rendre au roi, comme aussi par le moyen du frre de Brison (nommŽ Chabrille), furent rŽduits en son obŽissance les Boutires avec les ch‰teaux de la Tourrette, Donan, Chalanon, la Chaise, Pierregourde, la Tour de Gros, et le Chellart.

Le dimanche 3me, jour de la Pentec™te, je fis mes p‰ques, et servis le roi faisant les siennes.

Il vint nouvelles des Grisons comme le comte de Merode avait occupŽ le Steig, et le pont du Rhin, avec douze mille hommes.

Le roi fit marŽchal de France Mr de Marillac.

Le lundi 4me, le roi partit avec son armŽe de Privas, passa le col de Coiron qui est trs mauvais, alla ˆ Mirabel, et vint coucher ˆ Villeneuve de Berg.

Le mardi 5me il en partit, passa par Vallon et la Tour de Salavas, o il passa la rivire dÕArdche, laissa ˆ main gauche la Gorce, et vint coucher ˆ Bargeac.

Le mercredi 6me j'en partis ˆ la pointe du jour, passai par le quartier de Mr de Montmorency, et ensemble nous all‰mes reconna”tre Saint-Ambroix par deux c™tŽs, pouss‰mes les ennemis jusques dans leurs portes, qui Žtaient sortis sur nous : puis je revins en rendre compte au roi, qui avait sŽjournŽ ˆ Bargeac.

Le jeudi 7me je me trouvai au rendez-vous de lÕarmŽe, qui Žtait ˆ la vue de Saint-Ambroix, ds quatre heures du matin, o je trouvai Mr de Montmorency qui me dit que ceux de la ville avaient demandŽ ˆ parler ˆ lՎvque dÕUzs, frre de Peraut, pour se rendre au roi. Le roi y arriva peu aprs, qui mit lui mme son armŽe en bataille. Les dŽputŽs de Saint-Ambroix arrivrent, quÕil me commanda de mener ˆ Saint-Estene, quartier de monsieur le cardinal, nous laissant pouvoir de conclure avec eux, ce que je fis, et eux ayant acceptŽ de monsieur le cardinal la capitulation quÕil plut au roi leur donner, je les menai ˆ Saint-Ambroix que je reus dÕeux en mme temps, y faisant entrer les gardes franaises et suisses. Mr de Montmorency reut leurs gens de guerre et les fut conduire en lieu de sžretŽ.

Le roi alla loger ˆ Saint-Vittou o je retournai le trouver et y loger aussi.

Le rendez-vous de lÕarmŽe, le vendredi 8me de juin, fut en une colline proche de Saint-Vittou. Le roi la voulut faire marcher en ordre, me commandant de mener l'avant-garde qui fut campŽe au-devant de Salindres o le roi logea.

Je me brouillai le soir avec le premier Žcuyer de Saint-Simon sur mon logis quÕil me voulait ™ter pour y loger la petite Žcurie, et ce par une pure mŽchancetŽ, en ayant un meilleur. Le roi voulut que je gardasse le mien : mais ce petit monsieur me lÕa depuis gardŽe bonne et sÕen est bien vengŽ par mille trahisons quÕil mÕa faites, et mauvais offices auprs du roi.

Le samedi 9me le rendez-vous de lÕarmŽe fut en une plaine proche dÕAlais. Je fus reconna”tre la ville ; puis je pris ˆ la gauche o nous pass‰mes la rivire et v”nmes camper sur le chemin dÕAnduze ˆ Alais. Le nouveau marŽchal de Marillac vint avec moi et sÕoffrit dÕy faire le marŽchal de camp. Mrs de la Valette et dÕAluin y vinrent aussi, et comme jÕallais reconna”tre la ville de plus prs du c™tŽ o Žtait le poste du rŽgiment de Normandie, les ennemis me firent une embuscade qui fit de vingt pas sa dŽcharge sur moi, et Žtaient sur un haut, ayant une muraille qui nous empchait dÕaller ˆ eux. Le cheval du baron des Francs, brave gentilhomme qui mÕaccompagnait, y fut tuŽ, et lui blessŽ ˆ la jambe, dont il mourut cinq jours aprs. Le cheval dÕArgencourt fut aussi blessŽ, et le corps de garde avancŽ de Normandie Žtant venu pour les repousser, Campagnols qui en Žtait lieutenant, eut la cuisse rompue dont il mourut.

Le dimanche 10me je fus visiter nos postes, puis allai voir le roi ˆ Salindres o il Žtait retournŽ loger.

Les ennemis firent une sortie du c™tŽ de Normandie, quÕils repoussrent bravement et avec perte des ennemis. Ė lÕattaque de Picardie que l'on avait donnŽe ˆ Mr de Montmorency ils prirent un retranchement qui Žtait proche du vieil pont. JÕenvoyai le soir, pour soutenir Picardie, le rŽgiment de Rambures ; et six cents hommes ˆ une lieue et demie du camp sur l'avenue dÕAnduze pour empcher le secours dÕhommes quÕils voulaient jeter dans Alais.

Je fus attaquŽ de la colique bilieuse qui est un rigoureux mal.

Je fus le lundi 11me ˆ Marmiraut o le roi sՎtait venu loger, et ne sÕy trouva pas bien : il en dŽlogea le lendemain pour aller du c™tŽ de Picardie o Žtaient des eaux acides bonnes ˆ boire au roi.

Le mardi 12me mon mal me fora de partir de l'armŽe, et vins coucher ˆ Lussan, d'o je partis le mercredi 13me et vins loger ˆ Bagnols pour tre prs des eaux de Maine bonnes pour guŽrir mon mal.

Le jeudi 14me Marillac fut blessŽ au bras devant Alais.

Mr et madame dÕUzs arrivrent ˆ Bagnols.

Le samedi 16me ceux dÕAlais capitulrent, et le roi y entra le lendemain dimanche 17me.

Le lundi, la grande dŽputation de Languedoc au roi arrivrent ˆ Bagnols, qui me vinrent tous visiter. Ils en partirent le mercredi suivant, et les fis accompagner par la compagnie dÕArnaut que jÕavais emmenŽe avec moi, et par mes gardes.

Le jeudi 21me me trouvant mieux de mon mal, je partis de Bagnols pour mÕen retourner ˆ lÕarmŽe. Mr d'Uzs vint sous mon escorte. Les bandits vinrent sur les chemins, que nous batt”mes, et en fis pendre un que nous avions pris.

Je trouvai le roi ˆ Alais, qui attendait la rŽsolution de la paix, laquelle fut conclue le samedi 23me, et les dŽputŽs de ceux de la Religion vinrent le lendemain pour la rŽsoudre avec monsieur le cardinal, puis sÕen retournrent sans l'avoir encore conclue, pour quelques difficultŽs qui sÕy rencontrrent.

Le lundi 25me les dŽputŽs revinrent coucher ˆ Alais.

Le mardi 26me elle fut tout ˆ fait rŽsolue et une partie des dŽputŽs retournrent ˆ Anduze pour la faire ratifier ˆ leur assemblŽe gŽnŽrale qui y Žtait lors.

Le mercredi 27me le roi partit dÕAlais avec son armŽe et vint coucher ˆ Ledignan.

Le jeudi 28me monsieur le cardinal y arriva avec les dŽputŽs qui demandrent pardon au roi de leur rŽbellion, et le roi leur accorda, et leur donna la paix.

Le vendredi 29me le roi se trouva mal le matin et voulut partir le soir de Ledignan avec son armŽe quÕil fit marcher la nuit ˆ cause des grandes chaleurs, et vint sur le minuit coucher ˆ Saint-Jattes.

Le samedi 30me monsieur le cardinal y arriva, qui amena les dŽputŽs avec la ratification de lÕassemblŽe qui acceptait la paix.

 

Juillet. Ń Le dimanche premier jour de juillet les dŽputŽs d'Uzs vinrent faire leurs soumissions au roi.

Le lundi 2me les otages des CŽvennes arrivrent, puis ceux dÕUzs.

Leonor et Madelon de Mirabel, deux excellentes beautŽs, vinrent au souper du roi, qui partit et vint la nuit coucher ˆ Covillas et monsieur le cardinal ˆ Saint-Privat.

Le mardi 3me les dŽputŽs de N”mes vinrent traiter tout le matin avec monsieur le cardinal.

Le roi partit et son armŽe passa sur le pont du Gard, et vint ˆ minuit loger ˆ Besousse.

Le mercredi 4me on sŽjourna ˆ Besousse. Le marŽchal dÕEstrŽes y vint trouver le roi : je le traitai. Le soir le roi vint voir son avant garde campŽe ˆ Saint-Gervasy. Le chaud fut excessif.

Le jeudi 5me Mr le marŽchal de Schomberg revint ˆ l'armŽe.

Monsieur le cardinal et Mr de Montmorency amenrent les dŽputŽs de N”mes qui firent leurs soumissions au roi.

Mr le Comte partit de lÕarmŽe, malade, et alla ˆ Sommires.

Le vendredi 6me le marŽchal dÕEstrŽes revint ˆ Besousse demander congŽ au roi de sÕen retourner ˆ Paris.

On publia la paix ˆ N”mes et y fit-on les feux de joie.

Le samedi 7me Mr de Guise vint ˆ Besousse : je fus son h™te.

Ceux de N”mes envoyrent leurs otages, mais non ceux que nous demandions, et on les renvoya.

Le roi partit le soir de Besousse et vint ˆ Beaucaire.

Le dimanche 8me on tint le conseil. Mr de Guise qui Žtait logŽ ˆ Tarascon (ville de son gouvernement) venait les matins d”ner chez moi, et au conseil aprs d”ner, puis sÕen retournait ˆ Tarascon. On dŽlibŽra et rŽsolut des garnisons et licenciements.

Le lundi 9me nous fžmes encore au conseil, puis nous v”nmes, Mr de Schomberg et moi, chez moi, juger Besanon dÕavoir la tte tranchŽe.

Ceux dÕUzs vinrent prier le roi dÕaller en leur ville, ˆ quoi il se rŽsolut.

Il fut le soir voir sur lÕeau la tarasque et autres divers passetemps.

Nouvelles vinrent de Sommires que Mr le Comte se portait trs mal.

Le mardi 10me Mr de Schomberg et moi v”nmes le matin ˆ Uzs pour donner les ordres nŽcessaires. Le roi y arriva le soir.

Le mercredi 11me nous sŽjourn‰mes ˆ Uzs attendant les otages de N”mes.

Le jeudi 12me le gŽnŽral d'Avignon vint faire la rŽvŽrence au roi : je le traitai.

Mr le Comte fut ˆ lÕextrŽmitŽ de sa maladie.

Le vendredi 13me nous ežmes les otages de N”mes, et leurs dŽputŽs vinrent supplier le roi de vouloir honorer leur ville de sa prŽsence.

Le samedi 14me le roi vint ˆ N”mes, passa par le fort des Moulins, et vit celui de la tour de Magnes. Il fut fort bien reu ; puis il alla voir les arnes.

Le dimanche 15me le roi partit de N”mes pour sÕen retourner en France, et me laissa avec monsieur le cardinal pour commander les armes sous lui aux huit provinces o son pouvoir sՎtendait, dont plusieurs grands furent bien marris. Nous le fžmes conduire jusques ˆ mi-chemin de Montfrin o il alla coucher, et rev”nmes ˆ N”mes.

Il y eut quelque petite espŽrance de la santŽ de Mr le Comte.

Le lundi 16me nous sŽjourn‰mes ˆ N”mes et y t”nmes conseil. Mr de Guise en partit et alla voir Mr le Comte ˆ Sommires.

Le mardi 17me Mr dÕEffiat traita Mrs les marŽchaux de Schomberg, Marillac et moi, et Mr de Montmorency, et puis nous part”mes avec monsieur le cardinal qui alla coucher ˆ Marsillargues, et nous ˆ Lunel.

Le mercredi 18me nous arriv‰mes ˆ Montpellier. Nous fžmes voir la citadelle, nous promener avec les dames ˆ lÕesplanade. Je fus logŽ chez Mr de Greffeules de qui la femme accoucha comme j'entrais en son logis.

Le jeudi 19me monsieur le cardinal nous festina, puis nous mena voir le jardin des simples du roi. Mr dÕEffiat nous fit festin ˆ souper, et puis la musique.

Le vendredi 20me Mr de Longueville arriva qui nous assura que Mr le Comte Žtait hors de danger.

Le samedi 21me on fit la rŽunion de la cour des aides ˆ la chambre des comptes.

Le dimanche 22me FossŽ, gouverneur de Montpellier, festina Mrs de Montmorency, de Bordeaux, dÕEffiat, et les trois marŽchaux. Puis nous fžmes rŽsoudre le b‰timent de lՎglise, et de lÕesplanade ; le lundi vŽrifier ledit des Žlus : lՎvque au nom du clergŽ vint haranguer monsieur le cardinal en latin.

Le mardi 24me nous fžmes visiter lՎglise que lÕon voulait reb‰tir, o je pris une chapelle.

Le mercredi 25me on apporta le refus que les Žtats avaient fait de vŽrifier ledit des Žlus. Monsieur le cardinal envoya rompre les Žtats et leur dŽfendre de se plus assembler ˆ lÕavenir.

Le jeudi 26me la place de devant la maison de ville fut rŽsolue.

Monsieur le cardinal partit et alla coucher ˆ Frontignan. Je demeurai pour dire mes adieux ˆ lՎvque et ˆ mes amis.

Le vendredi 27me je vins d”ner ˆ Loupian et coucher ˆ la Grange des PrŽs chez Mr de Montmorency qui nous fit de grands festins.

Mr le cardinal devint malade.

Le samedi 28me les dŽputŽs de Montauban arrivrent, qui firent refus dÕaccepter la paix sinon en conservant leurs fortifications. On les renvoya, et Guron avec eux pour les conduire, et en mme temps monsieur le cardinal Žtant malade me dit que c'Žtait ˆ moi ˆ aller faire obŽir ceux de Montauban, ou les assiŽger.

Je partis le dimanche 29me, passai par PŽzenas dire adieu ˆ Mrs de Montmorency, et sa femme, Schomberg, Marillac et Effiat, et vins coucher ˆ BŽziers, ayant fait avancer lÕarmŽe.

Le mardi je fus coucher ˆ Tremes, et le mercredi premier jour dÕaožt je vins au g”te ˆ Alsonne, o je sŽjournai le lendemain pour attendre les troupes.

Le vendredi 3me je vins au g”te ˆ Saint-Papoul ; le samedi 4me ˆ Saint-Felix de Carmain o Mr le Prince envoya Mr de Nangis son marŽchal de camp pour me remettre son armŽe entre les mains : il me manda quÕil Žtait parti pour aller voir monsieur le cardinal.

Le dimanche 5me je vins coucher ˆ Loubens de Verdalle, o Mr de Lavor me vint voir.

Le lundi 6me jÕen partis pour aller ˆ Berfeulles.

Le mardi 7me je vins loger ˆ Saint-Suplice ; mais la peste y Žtait si forte que je fus forcŽ dÕen dŽloger deux heures aprs et de m'en venir ˆ Buset, o je sŽjournai le lendemain : le parlement de Toulouse, m'envoya visiter, o arrivrent Mrs dÕArpajoux et de Biron qui mÕamenrent les troupes qui Žtaient vers Castres avec Mr de Ventadour.

Le jeudi 9me Mrs de Nangis et de Charlus me vinrent trouver pour recevoir mes ordres pour les compagnies de chevau-lŽgers et de gendarmes de Mr le Prince. Je priai Mr le marquis de Nangis de continuer en lÕarmŽe du roi la charge de marŽchal de camp, ce quÕil accepta. JÕavais amenŽ Mr de Constenan avec moi pour marŽchal de camp ; mais il ne sÕentendait quՈ piller.

Je partis de Buset et vins coucher ˆ Fronton. Les dŽputŽs de Montauban me sentant approcher, et Guron leur demandant quÕils eussent ˆ lui dire leur rŽsolution pour me porter, lui demandrent jusques au lendemain pour me rŽpondre par lui, dont il m'avertit, et je lui Žcrivis quÕil me v”nt trouver et se retir‰t de Montauban que j'allais investir.

Il me vint trouver le lendemain vendredi 10me et d”na avec moi. Il mÕapporta des paroles de ceux de Montauban, et je voulais des effets. Ils le prirent, sÕil y voyait quelque difficultŽ, d'en venir confŽrer ˆ Renies, o les dŽputŽs de Montauban se trouveraient le soir. Je l'y renvoyai avec charge de leur porter des paroles aigres. Charros et Plessis Pralain me demandrent d'aller avec lui, ce que je leur permis, et leur donnai pour escorte vingt de mes gardes. Ils me renvoyrent dire la nuit quÕils ne se voulaient porter aux choses que je leur demandais, et quÕils les avaient priŽs de venir eux-mmes ˆ Montauban parler au peuple, ce quÕils leur avaient accordŽ si je le trouvais bon. Je leur permis : mais cependant je fis avancer des bateaux pour faire deux ponts au-dessus et au-dessous de Montauban.

Mr dÕEpernon mÕenvoya rŽsigner ses troupes par son marŽchal de camp le vicomte de Foucaude, ˆ qui je conservai cette qualitŽ en lÕarmŽe du roi.

Je fis avancer toute lÕarmŽe pour investir Montauban, et prŽparer toutes choses pour y aller mettre le sige deux jours aprs. Mais ce mme jour Guron harangua si bien, et ils connurent leur perte si Žvidente qu'ils acceptrent les conditions que je leur avais envoyŽes, et Mr de Guron me le vint dire le matin du samedi 11me. Alors je lui donnai les noms des otages que je demandais, et leur ordonnai dÕenvoyer une honorable dŽputation vers monsieur le cardinal qui (guŽri de sa maladie) sՎtait fait porter ˆ Albi o je me rŽsolus de l'aller trouver et de lui mener cette dŽputation avec lÕobŽissance entire de la ville de Montauban. Mr de Guron fit diligence de retourner ˆ Montauban et d'effectuer si bien tout ce que nous avions convenu par ensemble, quÕil partit encore ce jour lˆ mme avec vingt et deux dŽputŽs qu'il mena avec vingt de mes gardes coucher ˆ Villemur.

Le dimanche 12me je partis de Fronton avec Mrs de Biron et dÕArpajoux, laissant la charge de lÕarmŽe ˆ Constenan, et vins ou•r messe et d”ner aux faubourgs de Rabasteins o les dŽputŽs de Montauban mÕattendaient. Mrs de Foucaude et de Sainte Croix mÕy vinrent aussi trouver que j'emmenai avec moi ˆ Albi, o je trouvai monsieur le cardinal.

Les dŽputŽs de Montauban ne virent point ce jour-lˆ monsieur le cardinal : mais le lendemain lundi 13me ils le virent et lui donnrent toute satisfaction.

Aprs d”ner je fus voir lՎglise dÕAlbi qui, pour ce quÕelle contient, est ˆ mon grŽ une des plus belles de France. Le soir je fus avec monsieur le cardinal pour toutes nos affaires.

Le mardi 14me je mÕen revins coucher ˆ Rabasteins o les dŽputŽs Žtaient arrivŽs, qui me vinrent trouver le soir pour confŽrer avec moi.

Le mercredi 15me, jour de la Notre-Dame, je fus d”ner ˆ Fronton.

Le jeudi 16me ceux de Montauban ne voulurent plus tenir l'accord que leurs dŽputŽs avaient fait, sur ce que lÕon avait dŽsarmŽ ceux de Caussade, et sur lÕinsolence de quelques soldats.

Le vendredi 17me tout fut raccommodŽ ˆ Montauban par l'industrie de Guron. Ils mÕenvoyrent assurer de tenir leur parole et me prier de venir en leur ville. Ils Žtaient seulement en peine de ce que le parlement de Toulouse nÕavait encore voulu vŽrifier lՎdit de paix que le roi avait accordŽ ˆ ceux de la Religion. J'en avais Žcrit plusieurs fois ˆ la cour, et mme le jeudi jour prŽcŽdent, en termes bien pressants, leur dŽclarant que l'infraction de la paix et la rŽpugnance de ceux de Montauban serait attribuŽe ˆ leur opini‰tretŽ, et que, si je nÕavais la vŽrification le lendemain, j'ouvrirais la guerre, qui leur ferait plus de dommage qu'ˆ moi qui en vivais comme de mon mŽtier. Il leur prit ce jour-lˆ une bonne humeur, vŽrifirent l'Ždit et me lÕenvoyrent par leur premier huissier qui me trouva ˆ Villemur o jՎtais venu, pensant y trouver monsieur le cardinal : mais il Žtait demeurŽ un peu malade ˆ Saint-Geri. Ceux de Montauban jurrent la paix, firent des feux de joie et tirrent leurs canons, et une heure aprs ils reurent par le Plessis-Pralain, que je leur envoyai, l'Ždit de paix vŽrifiŽ dont ils furent fort satisfaits.

Le samedi 18me jÕarrivai ˆ Montauban. Ceux de la ville me reurent avec grande joie : ils me donnrent les otages que je voulus, que j'envoyai ˆ Villemur dans le ch‰teau. Je fus le soir voir le nonce qui y Žtait arrivŽ. Le premier prŽsident de Toulouse me vint voir, et ensuite le prŽsident de Montrave envoyŽ du parlement pour saluer monsieur le cardinal.

Le dimanche 19me je mis mes gardes aux portes du prche afin quÕil se f”t librement et sans scandale. Puis je fis entrer six compagnies des gardes, douze de Picardie et six de PiŽmont, et les plaai aux lieux que je jugeai le plus ˆ propos, auxquels je fis observer tant d'ordre qu'aucun soldat nÕentra dans aucune maison.

Madame de Roquelaure arriva que je fus visiter. Je donnai ˆ souper ˆ monsieur le nonce, marŽchal de Marillac, premier prŽsident, et Mr de Lavrilliere.

Je fus encore visitŽ par les Žvques, dŽputŽs du parlement, capitouls de Toulouse, dÕautres communautŽs, et du consistoire de Montauban.

Le lundi 20me monsieur le cardinal arriva. JÕallai au devant de lui. On lui fit entrŽe, et alla descendre ˆ lՎglise o le Te Deum fut chantŽ.

Je licenciai quinze rŽgiments, deux compagnies de gendarmes et cinq de chevau-lŽgers.

Mr dÕEpernon arriva ˆ Montech, qui mÕenvoya le comte de MaillŽ pour me prier de savoir de monsieur le cardinal en quel lieu il le pourrait trouver par les chemins pour le voir et le saluer, ayant ou• dire qu'il partait le lendemain pour sÕen retourner ˆ la cour, et quÕun homme de son ‰ge sՎtait trouvŽ las de la traite quÕil avait faite ce jour-lˆ, ce qui lÕavait empchŽ dÕaller jusques ˆ Montauban, outre lÕincommoditŽ du logement quÕil y ežt pu rencontrer pour lui et pour sa compagnie. Je fus faire cette ambassade ˆ monsieur le cardinal, qui la trouva fort mauvaise et sÕimagina que la gloire de Mr d'Epernon ne se voulait pas abaisser jusques ˆ le venir voir dans son gouvernement de Guyenne, auquel le roi avait donnŽ un pouvoir absolu ˆ monsieur le cardinal. Il se mit fort en colre et me dit que je lui mandasse quÕil ne le voulait point voir par les champs ni hors de la Guyenne, et quÕil irait par Bordeaux bien quÕil ežt rŽsolu son chemin par lÕAuvergne, seulement afin de sÕy faire reconna”tre et obŽir suivant son pouvoir, et quÕil y Žtablirait un tel ordre que la puissance que Mr dÕEpernon y avait en serait plus ravalŽe. Je modŽrai ces discours quand je fis rŽponse au comte de MaillŽ, et Žcrivis ˆ Mr dÕEpernon pour le convier de venir ˆ Montauban pour Žviter de sÕattirer cet homme tout-puissant sur ses bras. Le comte de MaillŽ alla et revint ˆ trois heures de lˆ me rapporter rŽponse que Mr dÕEpernon viendrait le lendemain matin ˆ Montauban saluer monsieur le cardinal, puisquÕil nÕen partait point devant d”ner comme on lÕen avait assurŽ, et quÕil me priait qu'il me pžt voir avant son arrivŽe, et Mr de Montmorency aussi ; au surplus, quÕil sÕattendait que je lui donnerais ˆ d”ner. Je fus le soir dire cette venue ˆ monsieur le cardinal qui fut rappaisŽ, trouva bon que jÕallasse au devant de lui, voulut mme que l'infanterie se m”t en armes ˆ son arrivŽe, et me dit quÕil lui voulait donner ˆ d”ner et ˆ moi aussi, et que nous lui ferions tous deux affront si nous en faisions autrement. Mr de Montmorency fit le froid dÕaller au devant de lui, et je ne l'en voulus pas trop presser.

Le mercredi 22me j'allai ˆ mi-chemin de Montech, o je trouvai Mr dÕEpernon que jÕamenai ˆ Montauban. Monsieur le cardinal Žtait revenu de tenir un enfant de Mr de Faudoas (son cousin), sur les fonts avec madame de Roquelaure, et attendait Mr dÕEpernon ˆ son logis, le reut avec beaucoup d'honneur, nŽanmoins avec quelques picoteries. Aprs d”ner il le pria de sÕaccommoder avec Mr de Bordeaux, ce quÕil fit avec peine et de faon quÕils furent plus mal en leur cĻur que devant : mme monsieur le cardinal en fut mal satisfait.

Monsieur le cardinal partit pour aller coucher ˆ Fronton : il le fut accompagner, puis moi lui vers Montech, et de lˆ m'en retournai ˆ Montauban, dÕo je fis sortir toutes les troupes, qui sÕy Žtaient trs bien comportŽes. Messieurs de Montauban mÕavaient priŽ de demeurer dans leur ville jusques au lendemain afin de me faire passer par dessus le bastion du Moustier quÕils avaient en deux jours tellement rasŽ que lÕon nÕežt su dire o il Žtait, et o avait ŽtŽ le fossŽ, tant tout Žtait uni.

Madame de Roquelaure me vint dire adieu, puis moi ˆ elle et aux Žvques, et premier prŽsident de Toulouse.

Le jeudi 23me je partis de Montauban, et vins coucher ˆ Rabasteins. Monsieur le cardinal Žtait venu ˆ Saint-Geri avec monsieur le nonce.

Le vendredi 24me je fus d”ner ˆ Saint-Geri avec monsieur le cardinal, avec lequel aprs d”ner nous v”nmes ˆ Combefa, ch‰teau appartenant ˆ Mr lՎvque dÕAlbi qui nous y fit festin.

Le samedi 25me Mr de Montmorency prit congŽ de monsieur le cardinal qui vint coucher ˆ Nocelles, abbaye de Mr de Valence.

Le dimanche 26me nous v”nmes ˆ Rodez o lÕon fit entrŽe ˆ monsieur le cardinal. Mr de Noailles nous fit festin.

Le lundi 27me nous all‰mes avec monsieur le cardinal voir lՎglise et les reliques, le clocher qui est le plus beau de France. Nous m”mes dÕaccord lՎvque et les consuls, et all‰mes coucher ˆ Espalion ; le mardi ˆ Laguiol et le mercredi ˆ Chaudesaigues o nous sŽjourn‰mes le lendemain, et le vendredi dernier dÕaožt nous v”nmes au g”te ˆ Coyrin, maison de Mr de Mongon proche de Saint-Flour.

 

Septembre. Ń Le samedi premier jour de septembre nous v”nmes ˆ Brioude.

Le dimanche 2me nous fžmes voir le pont de Vielle Brioude qui est le plus bel arche de pont que j'aie vu, et v”nmes coucher ˆ Issoire o Mr dÕEffiat arriva.

Le lundi 3me nous v”nmes ˆ Clermont o lÕon nous fit une belle entrŽe. LՎvque nous fit un superbe festin.

Le mardi 4me nous pass‰mes par Montferrant et fžmes d”ner ˆ Rion chez Murat lieutenant gŽnŽral, puis coucher ˆ Effiat o nous demeur‰mes jusques au 8me du mois ˆ passer le temps. On y dansa un ballet, et ce furent des continuels festins. Nous y rŽsolžmes aussi les armŽes pour Savoie et PiŽmont, et mand‰mes pour les y acheminer.

Le samedi 8me, jour de Notre-Dame, monsieur le cardinal dit la messe, puis partit lÕaprs-d”ner dÕEffiat et vint coucher ˆ Saint-Pourain.

Le dimanche 9me nous nous embarqu‰mes proche de Moulins et v”nmes coucher ˆ Villeneuve, puis ˆ Poulli et de lˆ ˆ Briare o Mrs de Schomberg, de Nantes et dÕAusserre arrivrent.

Le mercredi 12me nous v”nmes coucher ˆ Montargis ; et le jeudi 13me nous d”n‰mes ˆ Nemours o Mrs les cardinaux de Berulles et de la Valette, Mrs de Longueville, Chevreuse, Saint-Paul, Montbason, la Rochefoucaut, garde des sceaux, Bouteillier, et quasi toute la cour vinrent trouver monsieur le cardinal qui sÕen vint avec cette compagnie ˆ Fontainebleau. Il vint descendre chez la reine mre qui Žtait avec la reine sa fille et les princesses. La reine mre salua et reut fort froidement monsieur le cardinal qui ensuite mÕayant prŽsentŽ ˆ elle, ne me dit pas un mot non plus quÕau marŽchal de Schomberg : seulement elle parla au marŽchal de Marillac. Le roi arriva incontinent aprs, qui fit un excellent accueil ˆ monsieur le cardinal, le mena au cabinet de la reine sa mre, et lui demanda congŽ de se retirer. Le roi lui dit quÕil les voulait accorder, puis Žtant revenu ˆ la chambre de la reine mre il me dit force belles paroles.

Le vendredi 14me la brouillerie continua et monsieur le cardinal envoya quŽrir madame de Comballet, Mr de la Melleraye et autres personnes de chez la reine, qui Žtaient ses crŽatures, et leur dit qu'ils se prŽparassent pour se retirer dÕauprs dÕelle, comme lui aussi se voulait retirer des affaires et de la cour. Toutefois ce soir-lˆ on fit tant dÕallŽes et de venues, et le roi tŽmoigna tant de passion ˆ ce raccommodement qu'il se fit le lendemain samedi 15me au contentement universel de toute la cour, qui demeura encore quelque temps ˆ Fontainebleau, puis sÕen revint ˆ Paris (octobre) peu avant la Toussaints.

Cependant Monsieur, frre du roi, apprŽhendant le retour de Sa MajestŽ, sՎtait retirŽ en Lorraine o par l'entremise de la reine mre on envoya Mrs de Bellegarde et de Bouteillier pour faciliter son retour et le remettre aux bonnes gr‰ces du roi, ce qui rŽussit, et Monsieur demanda de se retirer ˆ OrlŽans pour quelque temps sans voir le roi.

Cependant Casal Žtait assiŽgŽ de nouveau par le marquis Spinola qui avait succŽdŽ ˆ don Gonsales au gouvernement du duchŽ de Milan ; et les Allemands entrŽs en Italie par les Grisons dont ils avaient occupŽ les pays Žtaient allŽs sous le commandement du comte de Colalte, et le nom de lÕempereur, assiŽger Mantoue. Le roi rŽsolut d'envoyer monsieur le cardinal son vicaire gŽnŽral en Italie avec une puissante armŽe de laquelle Mr le marŽchal de CrŽquy et moi devions tre lieutenants-gŽnŽraux (novembre) : mais Mr de Schomberg qui ambitionnait cette charge fit faire de fortes instances par les ambassadeurs de Venise et de Mantoue pour m'envoyer en Suisse ˆ trois fins : lÕune pour voir quels moyens il y aurait de mettre les Grisons en libertŽ et dÕen chasser lÕarmŽe impŽriale ; lÕautre pour empcher que les ImpŽriaux qui Žtaient en Italie ne pussent grossir leur armŽe par les forces de la Suisse ; et la troisime pour y faire des puissantes levŽes sÕil en Žtait besoin : de sorte que monsieur le cardinal me dit un matin quÕil fallait nŽcessairement que je fisse un voyage en Suisse, qui durerait peu, et que ma place et ma charge me serait cependant conservŽe en lÕarmŽe d'Italie. JÕacceptai cette commission puisque le roi voulut mÕen charger, et me prŽparai pour m'y acheminer, comme fit aussi monsieur le cardinal pour son voyage d'Italie.

Sur ces entrefaites madame de Longueville mourut ˆ Paris, avec qui Žtait madame la princesse Marie qui fut mise avec madame la comtesse de Saint-Paul, attendant quÕil y fžt autrement pourvu par monsieur son pre (dŽcembre).

Monsieur le cardinal peu avant son partement fit un superbe festin au roi et aux reines, avec comŽdies, ballets, et musiques excellentes. Puis le 29me de dŽcembre il partit de la cour pour sÕacheminer ˆ Lyon, mÕayant fort recommandŽ d'y tre ˆ son arrivŽe pour, de lˆ, passer en Suisse ; et le dernier jour de l'an le roi me commanda d'accompagner Mr le Comte ˆ la chambre des comptes pour y vŽrifier quantitŽ dՎdits, Žtant nŽcessaire, quand le roi les veut faire passer absolument, quÕil y envoie un prince de son sang, un officier de la couronne, et deux conseillers dՃtat de robe longue, qui furent alors Mrs de Royssi et de Bulion.

1630.

Janvier.Ń Je commenai lÕannŽe de 1630 par l'acquisition que je fis de Chaillot dont je passai le contrat le 12 de janvier, et aprs avoir donnŽ quelque ordre ˆ mes affaires et avoir envoyŽ devant mon Žquipage, le mercredi 16me de janvier je partis de Paris pour mÕen aller ambassadeur extraordinaire en Suisse, et vins en poste coucher ˆ Vertaut, jeudi ˆ Bony, vendredi ˆ Nevers, samedi ˆ la Palisse o je trouvai mon train, dimanche ˆ Tarare ; et le lundi 21me j'arrivai ˆ Lyon, o je trouvai monsieur le cardinal. Mr dÕAlaincourt me logea chez lui.

Ce mme jour arriva le comte de Saint-Maurice, de la part de Mr le prince de PiŽmont qui envoya offrir ˆ monsieur le cardinal passage et Žtapes par les pays du duc son pre, et quand et quand le prier quÕil se pžt aboucher avec lui au Pont de Beauvoisin, Žtant venu exprs de Turin ˆ cet effet, et ayant couru trs grande fortune en passant par le petit Saint-Bernard, ˆ cause du mauvais temps. Monsieur le cardinal le reut trs bien et lui rŽpondit quÕil confŽrerait de ce quÕil lui avait dit avec Mrs de la Force, moi et de Schomberg, que le roi avait envoyŽs lieutenants-gŽnŽraux sous lui en ses armŽes ; et puis, quÕil lui ferait rŽponse le lendemain. J'Žtais prŽsent ˆ cette premire vue du comte de Saint-Maurice et de monsieur le cardinal, et me sembla qu'il Žtait bien aise de sÕaboucher avec Mr le prince de PiŽmont, espŽrant que cette entrevue pourrait engendrer lÕentier accommodement des affaires, ce quÕil dŽsirait pour retourner promptement ˆ la cour o il savait que lÕon lui faisait de mauvais offices en absence, et je l'y exhortai en allant ˆ Ainay o il voulait loger ne se trouvant bien ˆ lÕarchevchŽ.

Il avait envoyŽ quŽrir Mrs de Montmorency, la Force, Schomberg et Alaincourt, qui le vinrent trouver aux jardins dÕAinay o il leur demanda leur avis sur ce que le comte de Saint-Maurice lui avait proposŽ de lÕentrevue. Mr dÕAlaincourt lui dit quÕil nÕy voyait point dÕinconvŽnient : mais Mr de Schomberg qui opina aprs lui, soit pour montrer son bel esprit en fortifiant de raisons une mauvaise opinion, ou pour contrarier seulement la prŽcŽdente, dit quÕil nՎtait point dÕavis que monsieur le cardinal v”t Mr de PiŽmont au Pont de Beauvoisin pour plusieurs raisons : lÕune, quÕil semblerait que monsieur le cardinal le fžt allŽ chercher, et montrerait par lˆ lÕaviditŽ qu'il avait dÕavoir la paix, ce que connu des Espagnols, ils la lui donneraient avec de plus rudes conditions ; lÕautre, que cՎtait un amusement afin de retarder les desseins et les progrs du roi ; que cՎtait aussi une gloire espagnole de ne vouloir pas souffrir que la paix, quÕassurŽment ils dŽsiraient autant que nous, se f”t les armes du roi Žtant sorties de la France ; finalement qu'il Žtait expŽdient pour le service du roi de faire ouvertement dŽclarer Mr de Savoie, lequel montrait par plusieurs signes de faire le neutre, et particulirement par celui-ci de se venir aboucher en un lieu qui Žtait moitiŽ ˆ lui et moitiŽ au roi, ce que monsieur le cardinal ne devait permettre, et quÕil Žtait dÕavis quÕil devait rŽpondre ˆ monsieur le prince quÕayant encore des affaires pour huit jours ˆ Lyon, et son indisposition ne lui permettant pas dÕaller jusques au Pont de Beauvoisin, sÕil lui plaisait de prendre la peine de venir ˆ Lyon, il y serait reu comme il convenait ˆ un tel prince et beau-frre du roi ; que sÕil ne pouvait recevoir cet honneur de le voir lˆ, quÕil l'irait recevoir ˆ ChambŽry en sÕen allant en Italie, sÕil lui plaisait l'y attendre.

Mr le marŽchal de la Force, pour ne contrarier ˆ Mr de Schomberg, approuva son opinion, et Mr de Montmorency inconsidŽrŽment la confirma. Pour moi, je la voulus contrarier ouvertement et dis que, si le roi et monsieur le cardinal qui avait la souveraine puissance de ses armŽes sous lui, nÕavaient quelque dessein cachŽ (et qui fžt connu seulement par Mr le marŽchal de Schomberg qui Žtait de son conseil Žtroit) qui ne leur perm”t d'entendre aucune condition de paix, je ne pouvais comprendre ˆ quel dessein on pouvait refuser l'offre de Mr le prince de PiŽmont de se venir aboucher avec monsieur le cardinal ; que cՎtait un prince affectionnŽ ˆ la France, beau-frre du roi, qui venait de cinquante lieues avec pŽril mme de sa personne, par un rigoureux temps dÕhiver, chercher monsieur le cardinal pour lui proposer des choses qui pouvaient tre utiles aux prŽsentes affaires et au service du roi ; que, si ses propositions nՎtaient de cette qualitŽ, monsieur le cardinal ne les accepterait pas, et nÕaurait perdu aucun temps de sÕacheminer o les commandements du roi lÕappelaient, ne sՎcartant aucunement de son chemin, et montrant ˆ tout le monde quÕil Žtait prt d'accepter toutes conditions honorables, comme aussi de rejeter celles quÕil ne jugerait pas avantageuses pour le roi ; quÕil appara”tra que ce sont les Espagnols qui ont de lÕaviditŽ ˆ procurer la paix puis quÕils pratiquent monsieur le prince pour la moyenner, lequel vient cinquante lieues au-devant du gŽnŽral de lÕarmŽe du roi pour lÕarrter, et son armŽe, par un acquiescement aux volontŽs de Sa MajestŽ ; que cette vue ne peut causer dÕamusement ou de retardement ˆ monsieur le cardinal puis quÕil ne sՎcarte point de sa route, que son armŽe ne sÕarrtera pas dÕune seule heure, et quÕil ne sŽjournera au Pont de Beauvoisin quÕautant quÕil faudra pour Žcouter et rŽpondre, conclure ou refuser la paix que lÕon vient au-devant de lui pour lui prŽsenter et offrir, par les mains dÕun tel prince et si proche alliŽ de Sa MajestŽ ; que je nÕapercevais point en quoi consistait cette gloire espagnole que Mr de Schomberg avait exagŽrŽe, et quÕelle me para”t plut™t gloire ˆ la France, que lÕon lui vienne offrir sur ses frontires tout ce que l'on lui pourrait accorder quand il serait avec une puissante armŽe au milieu de lՎtat de Milan, et que Mr de Schomberg devait plut™t nommer prŽvoyance espagnole, que gloire, de venir au-devant de ses ennemis, et les apaiser et arrter avec des Žquitables et justes conditions, et que je ne consentais pas seulement quÕils dŽsirassent la paix autant que nous, mais bien davantage, puisqu'ils nous lÕenvoyaient requŽrir et demander jusques dans nos propres Žtats ; que finalement nous ne devions point dŽsirer une plus ample dŽclaration de Mr de Savoie, puisque nous nous Žtions contentŽs de celle quÕil nous avait offerte lÕannŽe passŽe, assavoir que, si nous voulions entrer en guerre ouverte avec le roi dÕEspagne, il suivrait notre parti et le fortifierait de dix mille hommes de pied et de deux mille chevaux quÕil offrait au roi pour employer ˆ cet effet ; que si nous ne nous voulions point dŽclarer ouvertement quÕil nՎtait pas convenable ˆ lui qui avoisinait le duchŽ de Milan et qui avait lÕhonneur dՐtre cousin germain du roi catholique de faire aucune dŽmonstration contre lui ; que jÕavouais bien que le Pont de Beauvoisin sŽparait la France de la Savoie, mais que Mr le prince de PiŽmont franchirait ce pas et entrerait dans la France pour traiter avec monsieur le cardinal, lequel ˆ mon avis ne ravalerait rien de sa dignitŽ ni de la majestŽ du roi, d'y venir trouver Mr le prince de PiŽmont, dՎcouter ses propositions, et que mme il Žtait trs important que la conclusion ou la rupture de la paix se fit par l'entremise de Mr le prince de PiŽmont ; qui fera juger ˆ tout le monde, en cas quÕelle s'effectue, que Sa MajestŽ sÕest rel‰chŽe de beaucoup de choses ˆ la faveur et en considŽration de son beau-frre, et en cas que lÕon en vienne ˆ la guerre, que les conditions des Espagnols auront ŽtŽ trop hautes puisque la puissante intercession de Mr le prince de PiŽmont nÕaura pu Žmouvoir le roi ˆ les accepter.

Monsieur le cardinal Žcouta nos diverses opinions et suivit celle de Mr de Schomberg. Il logea ˆ Ainay, et nous pass‰mes notre temps en la maison de Mr dÕAlaincourt qui nous fit trs bonne chre ; et Mr de Montmorency ou moi alternativement donn‰mes les soirs le bal aux dames de Lyon dans le salon de Mr dÕAlaincourt.

Le lundi 28me le sieur Julio Massarini [Mazarin] vint ˆ Lyon de la part du nonce Pensirole que le pape avait envoyŽ pour traiter de la paix.

Il le dŽpcha le mardi 29me, puis partit pour sÕacheminer ˆ Grenoble.

Je demeurai ce jour-lˆ encore ˆ Lyon, et en partis le lendemain mercredi 30me, et vins coucher ˆ la Boisse.

Le jeudi dernier jour de janvier je vins coucher ˆ Gisirieux.

Le vendredi, premier de fŽvrier, je vins au g”te ˆ Nantua.

Le samedi 2me, jour de la Chandeleur, je passai le petit Credo et vins coucher ˆ Calonges.

Le dimanche 3me jÕarrivai ˆ Genve o je fus trs bien reu.

Le lundi 4me Mr le marquis Frederic de Baden me vint voir. Je lui fus rendre sa visite, et je fus coucher ˆ Nions, le mardi ˆ Morges, le mercredi ˆ Echalans.

Le jeudi 7me je passai par un ch‰teau nommŽ PieulŽ qui appartient ˆ un de mes bons amis (nommŽ Peterman de Erlach), lequel me festoya trs bien, et fus coucher ˆ Payerne.

Le vendredi 8me je fus coucher ˆ Fribourg o je fus superbement reu par les avoyers, et conseil, qui me firent entrŽe avec deux mille hommes en armes et quantitŽ de canonnades.

Le samedi 9me messieurs du conseil me vinrent trouver. Je traitai avec eux, puis leur fis festin. De lˆ, j'allai aux JŽsuites qui firent une comŽdie.

Le dimanche j'en partis et vins coucher ˆ Berne, qui me reurent superbement, et me dŽfrayrent aussi.

Le lundi 11me je fus le matin ˆ leur conseil et les haranguai: puis ils vinrent d”ner avec moi et demeur‰mes tout le jour ˆ table.

Le mardi 12me j'en partis et vins ˆ Soleure o ils me firent aussi une superbe entrŽe. Mr de Leon qui y Žtait ambassadeur extraordinaire pour le roi vint au-devant de moi et me donna ˆ souper ce soir lˆ qui Žtait carme-prenant.

Le mercredi des Cendres, 13me, nous t”nmes conseil sur les affaires des Grisons. JÕavais amenŽ avec moi le sieur Mesmin qui y Žtait ambassadeur pour le roi, et le colonel Salis.

Le jeudi 14me monsieur le nonce rŽsident ˆ Lucerne mÕenvoya visiter.

Le vendredi 15me force dŽputŽs me furent envoyŽs des cantons pour me saluer, et le samedi aussi.

Le dimanche 17me nous dŽpch‰mes vers les Grisons pour savoir si nous les pouvions secourir, et comment, et ce quÕils pourraient faire de leur c™tŽ.

Le lundi 18me nous envoy‰mes le colonel Salis ˆ messieurs de Zurich pour savoir ce quÕils pouvaient contribuer au secours des Grisons, et leurs avis sur ce que nous avions affaire.

Le mardi 19me nous pri‰mes Mr Mesmin dÕaller ˆ Zurich pour voir avec ces messieurs et avec les Grisons ce qui serait ˆ faire.

Le mercredi 20me Mr de Leon et moi fžmes confŽrer avec lÕavoyer de Rooll.

Le jeudi 21me le fils du colonel Berlinguer me vint saluer et d”ner avec moi.

L'ordinaire arriva par lequel je sus que le roi sÕacheminait devers Troyes, et que Monsieur Žtait inopinŽment venu ˆ Paris et avait surpris la reine mre qui ne lÕattendait pas ; de lˆ il sÕen alla voir ˆ lÕh™tel de Saint-Paul la princesse Marie, et que le lendemain il avait ŽtŽ grandement visitŽ ; que le roi qui Žtait ˆ Nogent sur Seine en ayant ŽtŽ averti avait rebroussŽ chemin vers Paris, ce que Monsieur ayant su Žtait parti le lendemain de Paris et sÕen Žtait allŽ ˆ OrlŽans.

Le vendredi 22me je fus ˆ la maison de ville ˆ Soleure et haranguai amplement dans le conseil de ville. Il nÕy arriva rien de nouveau sinon que Mrs lՎvque de B‰le et l'abbŽ de Saint-Gall mÕenvoyrent leurs dŽputŽs, et quelques cantons aussi, comme pareillement messieurs de Neuch‰tel.

Le lundi 25me Mr Mesmin revint de Zurich, qui nous rapporta l'avis de ceux du canton qui Žtait que le Rhin dŽsormais nՎtant plus guŽable jusques au mois de septembre, ce serait inutilement fait dÕentreprendre quelque chose aux Grisons ; que le comte de Merode avait trs bien fortifiŽ les avenues du Steig et du pont du Rhin ; que pour eux ils ne se voulaient pas ouvertement dŽclarer, attendu le voisinage des troupes de l'empereur, mais que sous main ils mÕassisteraient de munitions de guerre, et que pour des vivres il leur Žtait du tout impossible, attendu la stŽrilitŽ de lÕannŽe prŽcŽdente.

Le mardi 26me le rŽsident de Venise nommŽ Moderante Scarameli ayant eu ordre de sa rŽpublique de se venir tenir prs de moi, arriva ce jour-lˆ.

 

Mars. Ń J'avais convoquŽ par mes lettres peu aprs mon arrivŽe une dite des cantons qui commencrent ˆ arriver le samedi 2me jour de mars, et le lendemain tous les autres vinrent par leurs dŽputŽs, qui me vinrent saluer, chaque canton lÕun aprs l'autre.

Le lundi 4me toute lÕassemblŽe en corps, aprs sՐtre entre-saluŽs, et pris leurs sŽances, se levrent et vinrent tous les dŽputŽs avec leurs massiers devant, me saluer en mon logis.

Ce jour-lˆ le chancelier dÕAlsace ambassadeur de toute la maison dÕAutriche, arriva ˆ Soleure sans me rien mander ni envoyer visiter, contre la coutume usitŽe des ambassadeurs. JÕentrepris de lui faire refuser audience de lÕassemblŽe, dont Mr de Leon t‰cha tant quÕil put de me dissuader, disant que je ne pourrais le faire et que lÕaffront nous en demeurerait. NŽanmoins, me confiant sur le grand crŽdit que jÕai en Suisse et sur mon industrie ˆ traiter avec ces peuples, j'opini‰trai cette affaire, et lÕentrepris. Pour cet effet je fus premirement trouver lÕavoyer de Rooll mon bon ami, et qui manie son canton comme il veut, et Žtait prŽsident de l'assemblŽe. Il me dissuada tant quÕil put de mÕamuser ˆ cela, me disant que je nÕobtiendrais jamais cela de lÕassemblŽe, ce qui fit que Mr de Leon insista davantage ˆ m'en faire dŽsister, et mme employa le rŽsident de Venise ˆ me le dissuader. LÕavoyer de Rooll me dit : Ē Quant ˆ ce qui est de mon canton, je vous en promets les voix ; mais aucun des autres ne sÕy portera. Č Sur cette assurance j'envoyai quŽrir les dŽputŽs du canton de Glaris en qui je me fiais fort ; car ils mՎtaient obligŽs. Ils trouvrent cette entreprise hardie, nouvelle, et de difficile exŽcution, et me la dissuadrent, mÕassurant nŽanmoins des trois voix de leurs dŽputŽs. JÕavais au canton dÕUri pour dŽputŽs quatre dont je mÕassurais des trois, Stricher, Troguer et Megne : je les envoyai quŽrir et fis promettre ˆ ces trois dŽputŽs de donner leurs voix ˆ ma faveur. Du canton de Schvitz il y en avait aussi quatre dŽputŽs, dont je mÕassurai du landammann Reding et dÕAbiberg. J'en eus deux de Zug, et un de Lucerne dÕassurŽs. Tous ceux dÕUndrevald furent contre moi, et ne se voulurent hasarder. Ce furent donc quinze dŽputŽs dont je me fis fort, et envoyai prier ˆ souper les dŽputŽs des quatre villes, lesquels je persuadai aisŽment de mÕassister : ceux de B‰le furent les plus longs ˆ se rŽsoudre comme plus voisins de lÕAlsace ; mais enfin ils y vinrent. Je nÕen voulus point parler ˆ ceux de Fribourg ; mais je me fis fort du colonel dÕAffry dŽputŽ.

Ainsi je me trouvai le plus fort en voix de lÕassemblŽe, et vins la nuit trouver lÕavoyer de Rooll auquel je fis voir comme j'Žtais assurŽ de la pluralitŽ des voix, et que je lÕentreprendrais le lendemain sans crainte de refus.

Nous consult‰mes, Mrs de Leon, Mesmin, lui et moi, de la forme que j'avais ˆ y tenir, qui fut que le lendemain matin, mardi 5me, jour de Saint-Ours, patron de Soleure, auquel jÕavais dit ˆ lÕassemblŽe que je me trouverais pour faire ma proposition, j'envoyai un secrŽtaire interprte du roi, nommŽ Molondin, ˆ la dite, leur parler de ma part pour leur remontrer qu'ayant convoquŽ les dŽputŽs de tous les cantons en une assemblŽe au nom du roi pour des affaires concernant le bien de leurs rŽpubliques et de la couronne de France, j'avais appris que le chancelier dÕAlsace en qualitŽ dÕambassadeur de lÕempereur, du roi dÕEspagne et de toute la maison dÕAutriche, Žtait arrivŽ ˆ Soleure pour y intervenir, et troubler ma nŽgociation, ce qui mÕavait obligŽ de leur envoyer dire que, comme cette dite avait ŽtŽ convoquŽe par moi au nom de Sa MajestŽ trs chrŽtienne et pour ses affaires particulires, je leur requŽrais que ledit chancelier dÕAlsace, venu contre le service de mon ma”tre, nÕy fžt admis, ni reu, et quÕau cas qu'ils se rŽsolussent de lui donner audience, je nÕen voulais point avoir, et remettrais dans quelque temps, ou de convoquer une autre dite, ou de m'en passer tout ˆ fait, laissant celle-ci audit chancelier pour y traiter les affaires de la maison dÕAutriche, demandant que sur ce sujet lÕassemblŽe en veuille opiner et m'en rendre rŽponse auparavant que j'entre ˆ la dite pour y faire ma proposition.

Aprs que Molondin eut remontrŽ de ma part les choses susdites, il se retira, et lors il y eut de grandes contestations dans lÕassemblŽe, les partisans d'Espagne remontrant que cՎtait une chose nouvelle et inou•e de chasser un ambassadeur dÕune dite gŽnŽrale, et un ambassadeur dÕun empereur, dÕun roi dÕEspagne, et de la maison dÕAutriche avec laquelle, outre l'alliance hŽrŽditaire, il y en a tant dÕautres particulires ; que ce sont de si puissants princes quÕil Žtait trs pŽrilleux de les offenser, et en un temps ils avaient tant dÕarmŽes sur pied, si voisines de la Suisse, et dans ses entrailles mmes au pays des Grisons ; que je voulais par cet artifice jeter les Suisses en guerre avec la maison dÕAutriche et les nŽcessiter de se mettre entre les bras de la couronne de France ; que la Suisse se devait conserver dans une Žgale balance entre les deux couronnes, quÕautrement elle pŽrirait ; et plusieurs autres choses quÕils dirent sur ce sujet. Les autres affectionnŽs ˆ la France disaient que, lorsque les ambassadeurs dÕEspagne convoquaient des assemblŽes ˆ Lucerne, ceux de France ne les y venaient point troubler ; que les Espagnols nÕavaient aucune affaire maintenant avec eux, sinon de restituer la libertŽ aux Grisons leurs alliŽs, qu'ils leur dŽtenaient injustement ; quÕils nÕavaient que faire de venir troubler les dites qui ne leur touchaient point, qui nՎtaient convoquŽes par eux, ni pour eux, et que jÕavais raison de ne le souffrir pas ; quÕau reste je parlais en sorte quÕil n'y avait rien ˆ dire, puisque j'offrais de quitter cette dite audit ambassadeur de la maison dÕAutriche, me rŽservant ˆ en convoquer une autre quelque temps aprs, et que lÕassemblŽe ayant l'alternative de confŽrer cette dite pour lÕun ou pour lÕautre, que cՎtait ˆ elle ˆ choisir, et que lÕon devait demander les voix pour savoir auquel elle la donnerait, rejetant lÕautre et le remettant ˆ une autre fois.

Aprs les contestations on en vint aux opinions lesquelles passrent en ma faveur. Lors, les factionnaires dÕEspagne se voyant forclos proposrent que lÕassemblŽe me prierait de consentir que cet ambassadeur ežt audience, et que lui-mme me viendrait voir et rŽparer la faute quÕil avait faite de ne m'avoir rien mandŽ ; que de plus il se sentirait mon obligŽ de cette concession quÕil tiendrait de moi.

Ils dŽputrent donc vers moi pour me faire ces offres auxquelles je rŽpondis quÕau nom et de la part du roi mon ma”tre jÕavais demandŽ lÕexclusion de cet ambassadeur, et quÕil nՎtait plus en moi de rŽtracter ce que jÕavais dit de sa part sans lui faire savoir, ce que j'offrais de faire et de leur en dire fidlement la rŽponse si ledit ambassadeur la voulait attendre ˆ Soleure, et que je lui rŽpondrais de l'avoir du roi dans huit jours.

Ils virent bien que je me moquais de lui par ma rŽponse. C'est pourquoi avec quelques honntes excuses ils lui donnrent son congŽ, qu'il prit avec des grandes menaces quÕil fit contre la Suisse ; et moi j'entrai avec Mr de Leon dans la dite en laquelle je fis amplement ma proposition : puis aprs, la dite en corps mՎtant venue trouver pour me remercier, je leur fis ˆ tous un superbe festin.

Le mercredi 6me lÕassemblŽe envoya vers ce chancelier dÕAlsace lui dire quÕelle ne le pouvait admettre ˆ la dite qui Žtait convoquŽe au nom et par le roi de France, mais que quand il en demanderait une pour la maison dÕAutriche, que lÕon lui accorderait, en laquelle il pourrait faire ses propositions et demandes, si mieux il nÕaimait attendre la gŽnŽrale qui se tiendrait ˆ Baden ˆ la Saint-Jean prochaine. Il sÕen retourna trs mal satisfait, dŽclarant que les Suisses Žtaient en lÕindignation de toute la maison dÕAutriche.

Le jeudi 7me la plupart des dŽputŽs vinrent d”ner ou souper avec moi ; et quelques-uns des plus grands partisans dÕEspagne, comme Berlinguer et Lutsy, ayant dŽcouvert par ma proposition les fourbes espagnoles qui ne tendaient quՈ la subversion de leur Žtat, me vinrent voir en particulier pour mÕassurer que, comme bons patriotes, ils se porteraient au rŽtablissement des Grisons dans leur ancienne libertŽ, et quÕen cette affaire-lˆ ils nÕassisteraient point les Espagnols, mais leur seraient ennemis.

Le vendredi 8me la dite finit. Toute l'assemblŽe vint en corps me rendre rŽponse et prendre congŽ de moi : puis chaque canton catholique vint ce jour-lˆ me dire adieu, et tous les protestants vinrent confŽrer avec moi sur leurs particulires affaires.

Le samedi 9me les protestants vinrent prendre congŽ de nous.

Le dimanche 10me je licenciai force capitaines prŽtendants qui mՎtaient venus trouver, et les renvoyai jusques ˆ ce que je voulusse faire la levŽe qui m'avait ŽtŽ accordŽe.

Le lundi 11me jÕenvoyai un gentilhomme ˆ Suse trouver monsieur le cardinal ˆ qui je fis une ample dŽpche tant du succs de la dite, que des nouvelles dÕAllemagne et dÕailleurs.

Le mardi 12me je me trouvai un peu mal des dŽbauches faites durant la dite, et me fis saigner.

Je demeurai cependant en l'attente de ce qui devait rŽussir des traitŽs de paix que Mr de Savoie, le cardinal Antonio Barberini lŽgat du pape, et dÕautres, faisaient avec monsieur le cardinal, et t‰chions, Mrs de Leon, Mesmin, et moi, ˆ nous divertir.

Le lundi 18me les capitaines Marca et Tomola, du val de Mesoc, me vinrent trouver, et proposer quÕen cas que je voulusse assister leur vallŽe de quelques munitions de guerre, ils la maintiendraient en notre faveur contre les forces de Milan et celles que le comte de Merode avait aux Grisons, ce que je trouvai avantageux pour le service du roi, et leur fis fournir ce quÕils dŽsirrent.

Ce mme jour l'avoyer de Rooll me vint porter une lettre quÕil avait reue par laquelle il lui Žtait mandŽ de Milan que la paix Žtait rŽsolue entre les deux rois ; mais le lendemain mardi 19me, par une dŽpche que j'eus de monsieur le cardinal, je connus que tout Žtait plut™t portŽ ˆ la rupture quՈ lÕaccommodement, et me donnait avis dÕerrer [engager] les capitaines de la levŽe pour la faire mettre sur pied ˆ la premire dŽpche que j'aurais de lui, ce qui fit que le lendemain mercredi 20me jÕenvoyai Molondin aux petits cantons, et le colonel Salis ˆ Zurich pour prŽparer toutes choses.

Le jeudi 21me le colonel de Flechenstein de Lucerne, grand partisan des Espagnols et celui quÕils ont toujours accoutumŽ d'employer avec Berlinguer, me vint trouver en fort bel Žquipage. Je le fis d”ner avec moi, et aprs d”ner mÕayant demandŽ audience mÕoffrit de servir la France si je lui voulais donner emploi. Je le remerciai et lui offris pension et espŽrance dÕemploi. Je ne sus dŽcouvrir sÕil le faisait pour me tenter et dŽcouvrir, ou pour me tromper, ou finalement pour donner ombrage et jalousie de lui aux Espagnols.

Le vendredi 22me le dit Flechenstein alla voir et d”ner avec Mr de LŽon, et lui parla comme il avait fait ˆ moi. Affry gouverneur de Neuch‰tel arriva.

Le samedi 23me le colonel Flechenstein vint prendre congŽ de moi, et me confirma ce quÕil mÕavait dŽjˆ dit.

Je dŽpchai Affry ˆ Fribourg, lui ayant assurŽ que je le ferais colonel dÕun des rŽgiments de la levŽe.

Le mercredi-saint, 27me de mars, comme Mr de Leon et moi Žtions aux TŽnbres aux Cordeliers, un courrier de monsieur le cardinal arriva, qui mÕapporta la rupture entre Savoie et le roi avec lÕentrŽe de monsieur le cardinal en armes dans le PiŽmont, comme il avait passŽ la Doire et sÕen allait assiŽger Pignerol ; quÕil mÕexhortait de mettre promptement six mille Suisses sur pied, et quÕil avait Žcrit au roi pour mÕenvoyer des forces et une patente de gŽnŽral pour mettre la Savoie en son obŽissance.

Le jeudi 28me je fis mes p‰ques, et envoyai le colonel Salis ˆ Berne offrir au colonel de Erlach un rŽgiment de la levŽe.

Le vendredi-saint, 29me, le canton de Fribourg mÕenvoya offrir, non seulement le sieur Affry pour colonel, mais toutes leurs forces pour le service du roi.

Le baron dÕAlto Sax me vint voir. Salis revint de Berne avec l'acceptation que Erlach avait faite de la charge de colonel.

Le samedi je donnai les capitulations de capitaines pour aller faire leurs levŽes, ˆ Ulrich, Pfendler, Meis, Chemit, Travers Salis, Stefan Otis, et Rot.....

Le dimanche dernier de mars, jour de P‰ques, je donnai les capitulations aux capitaines Bilstein et Mers.

 

Avril. Ń Le lundi, premier jour d'avril, les capitaines Curio et Bech, de B‰le, eurent leurs capitulations.

J'eus ce jour-lˆ par le retour du gentilhomme que j'avais envoyŽ ˆ monsieur le cardinal la nouvelle de la prise de la ville de Pignerol, et lÕespŽrance que le ch‰teau se rendrait dans peu de jours. Je sus aussi comme le sieur de Comminges y avait ŽtŽ tuŽ, dont jÕeus grand regret tant pour lÕavoir nourri vingt ans, que pour tre un trs brave et habile gentilhomme.

Ce jour mme les colonels de Erlach de Castelen, et dÕAffry arrivrent, avec qui je conclus.

Le mardi 2me je leur donnai leurs capitulations, comme aussi ˆ Diesbach et Montenach, ˆ dÕErlach et ˆ Piton, aux deux capitaines Guy, au capitaine dÕErlach, cousin du colonel, et ˆ Michel, gendre de lÕavoyer de Berne.

Le mercredi 3me les capitaines Uri et Mouchet, et Vallier du Vautravers vinrent prendre leurs capitulations.

Le mme jour mÕarriva Daridoles commis de Mr Hardier qui mÕapporta nouvelles de lÕarrivŽe du roi ˆ Dijon, et comme monsieur son frre lui Žtait venu trouver. Il mÕapporta quand et quand ma patente de gŽnŽral pour la conqute de la Savoie.

Le jeudi 4me arrivrent les nouvelles dÕAllemagne et d'Italie par les deux ordinaires.

Le samedi 5me je dŽpchai Mr de Croson au pays de Gex.

Le dimanche 7me jÕeus nouvelles du refroidissement de ceux de Zurich sur la levŽe, ˆ cause que je nÕavais pas fait le colonel de leur canton. Je leur Žcrivis une lettre en colre par Jean Paul lÕinterprte.

Le lundi 8me le fils du colonel Amrin et celui de lÕavoyer Almender, avec le capitaine Goldy de Lucerne, se vinrent offrir de lever trois compagnies de leur canton et de servir contre tous et envers tous Sa MajestŽ.

Je me fis saigner, me trouvant mal.

Le mardi 9me je pris mŽdecine. Les capitaines Stricher et Reding se vinrent offrir.

Le mercredi 10me ceux de Soleure me vinrent parler pour leurs distributions. Jean Paul revint, qui mÕapporta contentement de ceux de Zurich.

Le jeudi 11me le capitaine Ouf der MŸr se vint offrir.

J'eus un courrier de la part du rŽgiment de la garde suisse ; et un certain Fougeroles me vint trouver sur le sujet de la mort de Naberat mon intendant, pour avoir sa place.

Le vendredi 12me, jour de ma nativitŽ, jÕeus nouvelles de la nouvelle amour du roi et de Mlle de Hautefort.

Il ne se passa rien de particulier jusques au mercredi 17me que le colonel Castelen me vint apporter la route et les Žtapes du pays de Berne pour nos troupes ˆ qui jÕavais donnŽ rendez-vous gŽnŽral au bailliage de Gex.

Le jeudi 18me je fis festin ˆ Mrs de Leon, Mesmin, rŽsident de Venise, avoyer de Rooll, et autres, pour commencer ˆ prendre congŽ dÕeux.

Le vendredi 19me je fus ˆ lÕh™tel de ville de Soleure prendre congŽ du canton, puis ensuite du rŽsident de Venise, et de Mrs de Leon et Mesmin. Reding le landammann, et son neveu, Seberg, Troguer, Stricher, Surelein, Rausperg, et autres, arrivrent pour prendre congŽ de moi.

Le samedi 20me je fus dire adieu ˆ lÕavoyer de Rooll ; puis messieurs de la ville me le vinrent dire. Je donnai lÕordre de Saint-Michel au landammann Reding ; puis je partis accompagnŽ de messieurs les ambassadeurs et rŽsidents, et de messieurs de la ville, desquels peu aprs je pris congŽ et vins coucher ˆ Arberg.

Le dimanche 21me je passai par Avanches et vins coucher ˆ Payerne ; ceux de Fribourg mÕenvoyrent le chevalier Montenach et Lansbourg, dŽputŽs pour prendre congŽ de moi ; le lundi ˆ Echalans, le mardi ˆ Eaubonne, et le mercredi 24me jÕarrivai ˆ Gex o Mr du Hallier destinŽ marŽchal de camp de mon armŽe, et plusieurs capitaines des rŽgiments qu'il amenait me vinrent trouver.

Le jeudi 25me messieurs de Genve me firent une grande dŽputation pour me saluer. Le marquis de Baden mÕenvoya voir. J'envoyai Mr du Hallier pour faire avancer les rŽgiments, et cavalerie, destinŽs ˆ mon armŽe. JÕeus nouvelles du roi comme il sÕacheminait ˆ Lyon. Je dŽpchai un gentilhomme vers monsieur le cardinal pour lÕavertir de ma venue et lui envoyer des avis particuliers que jÕavais eus de la cour.

Le vendredi 26me les compagnies de Neuch‰tel arrivrent.

Le samedi 27me jՎcrivis ˆ ceux de Genve comme jÕavais su quÕil se faisait des levŽes en leur ville pour le duc de Savoie, et quÕils eussent ˆ les empcher, ce quÕils firent et chassrent les capitaines savoyards de leur ville.

Les compagnies de Fribourg arrivrent.

Le dimanche 28me vint la compagnie de Bielle.

Le lundi 29me arrivrent les compagnies de Berne et le colonel de Erlach aussi. Mr du Hallier et le Plessis de Joygny me vinrent trouver.

Le mardi, dernier d'avril, les compagnies de Zurich arrivrent.

Monsieur le cardinal m'envoya Lisle. Je fis mes ordres pour faire marcher l'armŽe par Grenoble pour entrer en Savoie au lieu dÕentrer par le Chablais et le Fossigny comme j'avais dŽlibŽrŽ. La venue de Lisle qui me porta ce commandement me fit rompre mon premier dessein.

 

Mai. Ń Le mercredi premier jour de mai Mr du Hallier sÕen alla ˆ Chatillon de Michaille pour donner lÕordre ˆ cet acheminement.

Les compagnies de B‰le et de Salis arrivrent.

Du Muy m'apporta de l'argent pour la montre des six mille Suisses que jÕamenais.

Le jeudi 2me le reste des compagnies arrivrent.

Le vendredi 3me jÕaccordai les rangs des capitaines.

Le samedi 4me je reus le matin un courrier du roi par lequel il me fit savoir quÕil voulait lui-mme en personne faire la conqute de la Savoie, et que je le vinsse trouver ˆ Lyon o il Žtait arrivŽ, pour recevoir ses ordres ; que je fisse cependant acheminer lÕarmŽe vers Grenoble o il se rendrait au plus t™t.

LÕaprs-d”ner je fis faire la premire montre aux Suisses, et prter le premier serment. Puis leur ayant donnŽ leurs routes, et mis ordre au surplus de mes affaires, je partis le dimanche 5me de mai, passai LŽcluse et le petit Credo, fus d”ner ˆ Chatillon de Michaille et coucher ˆ Serdon.

Le lundi 6me je d”nai ˆ Gisirieux et vins trouver le roi ˆ Lyon. Je le saluai parmi les dames, galant et amoureux contre sa coutume et mon opinion. Mr de Guise me donna ˆ souper.

Le mardi 7me je d”nai chez Mr dÕAlaincourt, fus voir faire la montre aux gendarmes et chevau-lŽgers du roi en Bellecour, puis au cercle chez la reine mre ˆ Ainay.

Le mercredi 8me je fus voir le garde des sceaux, d”ner chez Mr dÕAlaincourt.

Le roi partit pour Grenoble, et je demeurai encore ˆ Lyon.

Mr de Ch‰teauneuf arriva de son ambassade dÕAngleterre.

Je fus le soir chez madame la princesse de Conty.

Le jeudi 9me Mrs le comte de Saut, de Ch‰teauneuf, et moi, part”mes de Lyon, d”n‰mes ˆ Bourgoin, et v”nmes au g”te ˆ la Tour du Pin.

Le vendredi 10me nous d”n‰mes ˆ Voiron, v”nmes prs de Grenoble saluer monsieur le cardinal retournant d'Italie, et le fžmes accompagner en allant au-devant du roi qui vint ˆ Grenoble.

Le samedi 11me je fus d”ner chez monsieur le cardinal, puis nous fžmes au conseil chez le roi.

Le dimanche 12me monsieur le cardinal partit pour aller trouver les reines ˆ Lyon.

Le lundi 13me l'avant-garde du roi partit conduite par Mr le marŽchal de CrŽquy.

Le mardi 14me le roi partit de Grenoble avec le reste de lÕarmŽe que je commandai, et v”nmes coucher au Coupet.

Le mercredi 15me nous v”nmes loger ˆ Barraut.

La nuit on prit le faubourg de ChambŽry o Mr de Canaples fut blessŽ ˆ mort.

Le jeudi 16me le roi sŽjourna ˆ Barraut.

ChambŽry capitula : les dŽputŽs de la ville vinrent trouver le roi.

Le vendredi 17me le ch‰teau de ChambŽry capitula.

Le samedi 18me le roi vint coucher ˆ ChambŽry.

Le dimanche 19me, jour de la Pentec™te, le roi fit ses p‰ques : je les fis aussi. Il y eut long conseil.

Le lundi 20me le roi sŽjourna attendant monsieur le cardinal.

Le mardi 21me monsieur le cardinal revint de Lyon ; et le mercredi 22me le roi tint conseil. Je fus brouillŽ avec lui sur le sujet de la munition ; mais je me raccommodai ˆ Aix o il vint au g”te.

Le jeudi 23me il vint coucher ˆ Arby.

Le vendredi 24me il me commanda dÕaller investir Rumilly et de lui choisir une plaine auprs o il pžt mettre son armŽe en bataille, et attendis les troupes en la plaine de Saugine proche dudit Rumilly, o le roi la mit en ordre. Je m'en allai cependant faire sommer Rumilly qui aprs quelques allŽes et venues, se rendit au roi qui y vint coucher et en partit le lendemain samedi 25me par un fort mauvais temps, et vint coucher ˆ Nicy, o le dimanche 26me il sŽjourna et le lundi encore o il tint conseil, avec monsieur le cardinal, Effiat, Le Hallier et moi, pour rŽsoudre ce que je devais faire avec son avant-garde quÕil me mit en main pour faire abandonner le poste avantageux que le prince Tomas avait pris ˆ Conflans pour nous empcher lÕentrŽe des vallŽes de la Maurienne et de la Tarentaise, et ce en lui coupant par derrire le chemin de sa retraite en entrant par quelque moyen que ce fut dans la Tarentaise.

Ce jour-lˆ le Massarini arriva prs du roi, qui lui apporta des propositions de paix.

Le mardi 28me je partis de Nicy avec huit mille hommes de pied et sept cents chevaux. Je donnai mon rendez-vous au bout du lac en la plaine de Lacheray, puis vins coucher ˆ Faverge qui nÕest qu'ˆ une lieue et demie de Conflans, o le prince Tomas Žtait campŽ.

Le soir Massarini qui sÕen retournait vint coucher chez moi.

Toute la noblesse de la cour et des volontaires me suivit.

Le mercredi 29me le roi vint avec sa bataille prendre les mmes logements que j'avais quittŽs, et moi, au lieu dÕaller attaquer les retranchements du prince Tomas, je pris ˆ la main gauche et vins coucher ˆ Ugine.

Le jeudi 30me, jour de la Fte-Dieu, j'en partis et ayant passŽ une trs f‰cheuse montagne nommŽe la Forcola, je vins ˆ Beaufort c™toyant le torrent ˆ la main droite. Ds que le prince Tomas (qui ne pouvait sÕimaginer que je me voulusse enfourner dans ces dŽtroits si pŽnibles et f‰cheux), eut connu ma rŽsolution, il envoya en diligence deux mille hommes pour garder des passages, qui dÕeux-mmes Žtaient inaccessibles, des cols de Cormette, de la Lossa, de la Balme, et dÕun quatrime dont je ne me souviens du nom ; et moi, deux heures aprs mon arrivŽe, je pris deux cents hommes du rŽgiment des gardes que j'envoyai tenter d'occuper le col de Cormette : je fis reconna”tre celui de la Lossa par deux cents hommes de La Melleraye : je fis reconna”tre celui dont j'ai oubliŽ le nom par Charros et deux cents hommes de son rŽgiment, et celui de la Balme par deux cents hommes du rŽgiment de PiŽmont avec lesquels j'envoyai les sieurs du Plessis-Besanon et de Vignoles, avec ordre ˆ tous quatre de me renvoyer de temps en temps des soldats pour m'aviser, et pour mÕy acheminer si un de ces cols me pouvait tre ouvert.

Le vendredi dernier jour de mai je demeurai ˆ Beaufort attendant des nouvelles de ceux que j'avais envoyŽs reconna”tre les passages. Ceux des gardes revinrent ayant trouvŽ le col de Cormette gardŽ par un rŽgiment, qui Žtait gardable contre tout le monde avec cent hommes seulement. Mr de Charros revint aussi ayant trouvŽ le col quÕil voulait occuper, non seulement gardŽ, mais inaccessible. Quant aux deux autres, je nÕen sus rien ce jour-lˆ, et le prince Tomas pour t‰cher de dŽcouvrir mon dessein prit lÕoccasion de me renvoyer une haquenŽe que jÕavais prtŽe ˆ Massarini en partant de Faverge.

J'avais avec moi Mrs du Hallier et le commandeur de Valanai pour marŽchaux de camp, et le marquis de Nesle que nous traitions quasi comme sÕil lՎtait. Nous Žtions tous quatre ensemble en grand souci de ce que nous pourrions faire pour passer, voyant les passages gardŽs de la sorte et la moitiŽ de nos gens dŽjˆ revenus sans rien faire, quand, sur les onze heures du soir, un soldat du rŽgiment de la Melleraye me vint dire de la part de son ma”tre de camp quՎtant arrivŽ au col qui lui Žtait destinŽ le soir auparavant ˆ l'entrŽe de la nuit, les ennemis qui nÕeussent jamais su croire que lÕon ežt tentŽ ce passage, attendu que l'on voyait venir ceux qui le voudraient entreprendre ds le bas du mont, parce que le chemin est tout droit, quÕil nÕy peut passer quÕun homme ˆ la fois, quÕil ne se peut entreprendre que pendant que le soleil ne luit point parce quÕil est plein de neige qui ne tient point quand le soleil donne dessus, et quÕil faut monter deux lieues devant quՐtre au sommet ; cÕest pourquoi on nÕy avait mis que soixante hommes par forme pour le garder, qui avaient ŽtŽ tirŽs du rŽgiment qui gardait le col de Cormette qui nÕest pas ˆ mille pas de lˆ, dÕo l'on lÕežt pu secourir si lÕon ežt aperu que quelqu'un ežt montŽ par celui de la Lossa : mais Dieu voulut que La Melleraye arriva ˆ l'entrŽe de la nuit, quÕune nuŽe le cacha aux yeux de ceux qui gardaient le col, qui ne laissrent quÕune sentinelle qui les laissa monter jusques ˆ cinquante pas de lui sans les voir, et les n™tres lui ayant tirŽ, il se sauva dans son corps de garde, et ceux du corps de garde sÕenfuirent, de sorte que Mr de la Melleraye lÕavait occupŽ et me mandait que je lui envoyasse en diligence le reste de son rŽgiment et des vivres ; car il croyait y devoir tre attaquŽ. La joie fit un excs en mon cĻur ˆ cette nouvelle, et ˆ lÕheure mme je fis partir le rŽgiment de la Melleraye pour aller joindre son ma”tre de camp auquel jÕenvoyai des vivres et lÕassurai que le jour suivant je serais ˆ lui avec toute mon infanterie.

Le samedi premier jour de juin je renvoyai toute ma cavalerie avec laquelle la plus grande partie de la noblesse sÕen retourna, et fis acheminer sept mille hommes de pied qui me restaient, bien lestes, et sans bagage, au-dessous du col de la Lossa et ˆ la vue de La Melleraye, en une petite vallŽe nommŽe Olacherai. On me vint avant partir donner aussi avis que Le Plessis et Vignoles avec les hommes que je leur avais donnŽs avaient gagnŽ le pas de la Balme, mais quÕil Žtait de telle sorte qu'ils ne croyaient pas que l'on y pžt passer, tant il Žtait rude et f‰cheux. Je poursuivis donc mon premier dessein et v”nmes camper ˆ Olacherai. Nous ežmes quelque alarme des ennemis qui Žtaient encore sur le col de Cormette ˆ notre vue ; mais ils ne demeurrent gure lˆ : car ds que le prince Tomas sut que le col de la Lossa avait ŽtŽ surpris, craignant dՐtre enfermŽ entre l'avant-garde et la bataille du roi, comme il ežt ŽtŽ si je fusse passŽ, quitta son retranchement de Conflans cette nuit mme, et avec la diligence quÕil put, vint gagner Moustiers et le pas du Ciel o il se pensait retranchŽ, comme trente ans auparavant le duc son pre avait fait contre le feu roi.

Le dimanche deuxime, ˆ la pointe du jour, je fis monter les troupes, ce qui ne se pouvait faire quÕun ˆ un, et je me mis ˆ pied ˆ leur tte avec Mr le marquis de Nesle, laissant Mrs du Hallier et commandeur de Valanai au milieu et ˆ la queue pour les faire mieux avancer. Nous all‰mes gaiement jusques ˆ neuf heures du matin, quoique avec grand peine, dans la neige ; mais passŽ cela, et que le soleil eut commencŽ ˆ la fondre, nous ežmes de terribles peines que nous surmont‰mes enfin, et ežmes montŽ et descendu le col de la Lossa sur les onze heures. Puis nous march‰mes environ une lieue, aprs quoi nous rencontr‰mes un autre col sans neige plus ‰pre que celui de la Lossa et plein de pierres aigu‘s qui nous coupaient les pieds : il sÕappelait le col de Nave quÕayant montŽ et descendu avec des peines incroyables nous nous trouv‰mes dans un assez bon village nommŽ Nave o nous trouv‰mes quelque vin qui servit bien ˆ donner cĻur ˆ nos soldats pour passer outre, plusieurs Žtant tout ˆ fait recrus. Aprs qu'ils se furent un peu rafra”chis, nous pass‰mes outre et mont‰mes encore deux cols, non tels que les deux premiers, nommŽs le grand CĻur et le petit CĻur, et puis nous nous trouv‰mes ˆ Aigueblanche o de bonne fortune me vinrent rencontrer deux cents chevaux que le roi mÕavait envoyŽs, croyant que le prince Tomas avait tournŽ tte contre moi qui nÕavais aucune cavalerie. Je montai lors ˆ cheval et me mis ˆ leur tte, croyant que nous pourrions rencontrer les ennemis ˆ leur retraite et faire quelque effet. Mais ils avaient dŽjˆ passŽ Moustiers qui se rendit ˆ moi ˆ mon arrivŽe et une compagnie de carabins aussi qui sՎtait arrtŽe derrire, que je fis dŽmonter et dŽsarmer, et suivis les ennemis de si prs qu'ils ne purent conserver le pas du Ciel que jÕoccupai sans rŽsistance et fis avancer la compagnie de Casteljaloux que j'y mis en garde. Puis je revins loger ˆ Moustiers, tellement las que je ne pouvais mettre un pied devant lÕautre : aussi avais-je fait ce jour-lˆ ˆ pied plus de douze lieues franaises toujours montant et descendant, ou dans les neiges et le froid, ou dans une excessive chaleur.

Je passai le lendemain lundi 3me de juin avec neuf cornettes de cavalerie le pas du Ciel et les fis loger ˆ Esme, et comme mon infanterie arrivait, je reus par Constenan une lettre du roi qui me commandait de lÕattendre ˆ Moustiers o il devait arriver le lendemain, et rŽsigner son avant-garde ˆ Mr le marŽchal de Chatillon qui Žtait entrŽ en sa semaine de commander ; ce qui m'offensa extrmement, ne pensant pas que puisque les mmes troupes demeuraient avant-garde, que ma seule personne džt tre dŽtr™nŽe, et qu'ayant levŽ le livre et poursuivant lÕennemi, un autre v”nt profiter de mes peines et de mon travail.

Ainsi Mr de Chatillon arriva le mme soir, auquel je rŽsignai mes troupes, et attendis le roi qui arriva le lendemain mardi 4me ˆ Moustiers avec monsieur le cardinal auxquels je fis mes plaintes de lÕoutrage que l'on mÕavait faite, dont je nÕeus autre satisfaction sinon que lÕon avait cru que, ma semaine Žtant finie, le marŽchal de Chatillon devait commander la sienne.

Le roi sŽjourna le lendemain ˆ Moustiers et en partit le jeudi 6me pour venir loger ˆ Esme o il eut nouvelle de lÕentire retraite de Mr le prince Tomas. dans la Valdoste par le petit Saint-Bernard, qui peut-tre, si j'eusse continuŽ ma route, ne lui ežt pas ŽtŽ si aisŽe quÕelle fut.

Le vendredi 7me il vint loger ˆ Saint-Maurice du Bourg, et le jour mme sÕavana jusques au pont de Saint-Germain o commence le petit Saint-Bernard, o lÕon conclut de faire un fort. Je fus reconna”tre le passage de Rosellan, et lui en fis mon rapport.

Le samedi 8me le roi sŽjourna ˆ Saint-Maurice et tint conseil auquel il ordonna Le Hallier pour faire faire le fort, et demeurer en ce passage.

Le dimanche 9me le roi partit de Saint-Maurice, vint d”ner ˆ Esme, et coucher ˆ Moustiers, le lundi ˆ Conflans, et le mardi ˆ Saint-Pierre dÕAlbigny, o nous y sŽjourn‰mes le mercredi et le jeudi ; et le vendredi 14me le roi en partit et vint d”ner ˆ ChambŽry, o il sŽjourna le lendemain, attendant le retour de Beringuen qu'il avait envoyŽ ˆ Lyon trouver la reine, qui revint le soir, et le roi se rŽsolut dÕy aller. Il me commanda de demeurer ˆ ChambŽry avec le pouvoir sur son armŽe. Il ordonna Mr de Ch‰teauneuf pour intendant de justice et des finances prs de moi, et Constenan et Vignoles pour marŽchaux de camp.

Le dimanche le roi partit et me laissa ordre de faire marcher son armŽe vers la Maurienne. Mais le lundi 17me l'Isre dŽborda de telle sorte quÕelle emporta les ponts de Conflans, qui sont celui de lÕH™pital et celui des Chvres.

Le mardi 18me la ville de MontmŽlian se rendit, et nous commen‰mes ˆ attaquer le ch‰teau par mines.

Le mercredi 19me le ch‰teau de Charbonnires se rendit ˆ Mr le marŽchal de CrŽquy.

On me manda que notre cavalerie ne pouvait passer ˆ Conflans pour nÕy avoir plus de ponts.

Le jeudi 20me le roi mՎcrivit pour faire passer ses gardes franaises et suisses au port de la Gache.

Le vendredi 21me juin je fis avancer les Suisses ˆ Chapareillan pour passer le lendemain.

J'Žtablis quatre compagnies nouvelles pour tenir garnison dans ChambŽry o y ayant laissŽ lÕordre nŽcessaire, comme aussi pour faire refaire les ponts de Conflans pour le passage de notre cavalerie, je partis le samedi 22me de ChambŽry avec Mr de Ch‰teauneuf, et passant par Chapareillan o les gardes vinrent loger, puis par Barraut, nous v”nmes coucher ˆ la Terrasse, et le dimanche 23me d”ner ˆ Grenoble o monsieur le cardinal Žtait dŽjˆ arrivŽ, et le roi peu aprs nous.

Mr de CrŽquy y fut toujours mon h™te tant que le roi y sŽjourna, qui fut jusques au samedi 29me juin que le roi en partit et vint coucher ˆ Gonsolles.

Le dimanche, dernier de juin, il vint coucher ˆ la Roquette.

 

Juillet. Ń Le lundi, premier jour de juillet, il vint coucher ˆ Ayguebelle sous Charbonnieres, o monsieur le cardinal arriva.

Le mardi 2me le roi tint conseil le matin o il rŽsolut que monsieur le cardinal passerait en Italie avec Mrs de Schomberg et dÕEffiat, et que le roi arrterait quelques jours dans la Maurienne retenant prs de lui pour commander son armŽe Mr le marŽchal de CrŽquy et moi.

Monsieur le cardinal partit le jour mme pour aller ˆ Suse, et le roi, ˆ cause de la peste qui Žtait forte ˆ Ayguebelle, en partit aussi et vint coucher ˆ Argentine.

Je demeurai ce soir-lˆ, et le mercredi 3me je fus loger au quartier du roi ˆ Argentine.

Il eut des nouvelles de monsieur le cardinal qui le firent le lendemain 4me partir, et venir d”ner ˆ la Chambre, puis passer par le pont AmafrŽ, et venir coucher ˆ Saint-Jean de Maurienne, o Žtait arrtŽ monsieur le cardinal pour la venue de Julio Massarini qui arriva le mme soir.

Le vendredi 5me Mr de Montmorency arriva, de qui on nՎtait pas content. Mrs dÕEffiat et de Schomberg partirent.

On dŽpcha Massarini, et le roi qui ne se portait pas bien se fit saigner.

J'en fis de mme le lendemain samedi 6me, que Mr de Montmorency se rabienna un peu, et on le renvoya en Italie lui donnant Mrs de Cramail et du Fargis pour marŽchaux de camp.

Mr de CrŽquy arriva ˆ Saint-Jean de Maurienne.

Le sergent-major de Nice arriva dŽguisŽ ; je le fis par ordre du roi parler ˆ monsieur le cardinal.

Le dimanche le conseil se tint, et le lundi aussi. Le roi se trouva mal, mais pour cela ne laissa pas de faire faire l'exercice, et moi la nuit.

Le mardi 9me Mr de Schomberg revint, ˆ qui monsieur le cardinal commit le traitŽ de Nice et lՙta de mes mains.

Le vendredi 12me la nouvelle vint que Mr de Montmorency avait bravement fait en un combat ˆ Veillane o le prince Doria avait ŽtŽ pris.

Le samedi 13me le roi se porta mal et prit mŽdecine. Mon bon ami Frangipani arriva.

Le dimanche 14me on apporta une cornette et seize drapeaux pris au combat de Veillane.

Le lundi 15me Schomberg fit festin ˆ d”ner, et Mr de Longueville ˆ souper.

Le lendemain mardi 16me je leur fis festin. Mr de CrŽquy sÕen retourna ˆ Grenoble.

Le vendredi 19me le roi eut bien fort la fivre, et disait que si lÕon le faisait demeurer davantage ˆ Saint-Jean de Maurienne, que lÕon le ferait mourir.

Le samedi 20me une femme apporta des lettres des assiŽgŽs de Casal.

Le mercredi 24me le roi rŽsolut de se retirer de Saint-Jean de Maurienne, et lÕexŽcuta le lendemain jeudi 25me, y laissant monsieur le cardinal et Schomberg, et vint coucher ˆ Argentine o tout Žtait plein de peste : on fut contraint de coucher dans les prŽs.

Le vendredi 26me le roi vint coucher ˆ la Rochette, o Mrs de Guise, de Chatillon, et lՎvque dÕOrlŽans arrivrent.

Le samedi 27me le roi alla coucher au fort de Barraut, et permit ˆ Mr le Comte, Mr de Longueville, et ˆ moi, d'aller ˆ Grenoble.

Nous v”nmes coucher ˆ Domne, et le lendemain dimanche 28me nous v”nmes ˆ Grenoble souper chez Mr de CrŽquy. Nous y trouv‰mes le garde des sceaux que lÕon avait fait venir ˆ Grenoble pour le retirer de Lyon dÕauprs de la reine quÕil Žtait souponnŽ dÕanimer contre monsieur le cardinal, et lÕon en voyait apertement la mauvaise intelligence fomentŽe par Mr de Bellegarde qui sՎtait dŽclarŽ ennemi de monsieur le cardinal pour avoir fait donner la lieutenance de roi de Bourgogne, vacante par la mort du marquis de Mirebeau, ˆ Tavannes quÕil nÕaimait pas. D'autre c™tŽ Mr de Guise ˆ qui monsieur le cardinal voulait ™ter lÕamirautŽ de Levant, prŽtendant quÕelle Žtait dŽpendante de celle de Ponant, ne sÕoubliait pas ˆ lui rendre les mauvais offices quÕil pouvait, et dÕautant plus maintenant que leurs affaires Žtaient au pis parce que monsieur le cardinal avait envoyŽ un huissier en Provence y faire quelque acte ˆ la marine, et Mr de Guise l'avait outragŽ et ensuite mis prisonnier. Madame de Combalet aussi, que la reine nÕaffectionnait pas, aidait bien ˆ accro”tre lÕaigreur de la reine qui se plaignait quÕelle entretenait ˆ son service quarante gentilshommes lesquels ne la voyaient point et ne bougeaient dÕauprs de monsieur le cardinal ; lequel de son c™tŽ avait ˆ se plaindre de ce que, pendant quÕil Žtait occupŽ aux affaires de lՎtat et ˆ lÕagrandissement dÕicelui, on machinait sa ruine en animant la reine mre contre lui ; que deux hommes quÕil avait ŽlevŽs de la terre aux plus hautes dignitŽs, par une ingratitude signalŽe, avaient t‰chŽ ˆ le dŽtruire, assavoir Mr de BŽrulle que de simple prtre il avait fait faire cardinal et Mr de Marillac ˆ qui il avait premirement fait donner en main les finances, et ensuite les sceaux ; quÕil ne prŽtendait en lÕamirautŽ de Levant que ce que ceux ˆ qui il avait succŽdŽ ˆ lÕamirautŽ de Ponant y avaient prŽtendu, et quÕil ne croyait pas que pour nՐtre pas homme dՎpŽe, que Mr de Guise lui džt usurper de force ce quÕil ne demandait quÕen justice, ni que pour cela mesdames la princesse de Conty, dÕElbeuf et d'Onano fussent continuellement ˆ ses oreilles pour mŽdire de lui ; quÕil avait obligŽ Mr le Grand en ce qu'il avait pu, mais que cՎtait un homme qui, ayant en sa tendre jeunesse possŽdŽ la faveur du roi Henry troisime, croyait quÕelle Žtait de son patrimoine et ne pouvait souffrir ceux qui la possŽdaient ; que le prŽtexte quÕil prenait de le ha•r Žtait injuste, vu que le roi, et non lui, avait donnŽ la lieutenance de roi ˆ une personne nourrie de jeunesse avec lui, de grande qualitŽ, dont le grand pre Žtait marŽchal de France, et les pre et oncle avaient possŽdŽ en Bourgogne la charge totale dont le roi ne lui en avait donnŽ quÕune parcelle en reconnaissance des services de ses anctres et des siens, et particulirement pour l'affection quÕil lui a portŽe ds son enfance ; que le marquis de Tavannes Žtait dŽjˆ ma”tre de camp de Navarre et avait plus servi que ceux que Mr le Grand avait proposŽs au roi pour la lieutenance de roi de Bourgogne ; quÕau reste le roi nՎtait pas obligŽ de mettre en cette charge ceux que le gouverneur de la province lui nommait, ni moins dŽsirer quÕils fussent trop conjoints d'amitiŽ ou de dŽpendance.

Le lundi 29me Mr le marŽchal de CrŽquy mena d”ner Mr le Comte, Mr de Longueville, et moi, ˆ sa belle maison de Vizille, o nous y v”mes Mr de Canaples bien malade. Ce voyage se fit afin de donner lieu au parlement de rŽsoudre ce quÕils feraient sur l'arrivŽe de Mr le Comte leur gouverneur que par devoir ils Žtaient obligŽs de visiter. Le fait Žtait que le parlement de Grenoble dont le gouverneur est le chef et y prŽside, les arrts se faisant en son nom quand il nÕy a point de dauphin en France, rendait de tout temps de grands devoirs ˆ leurs gouverneurs et lieutenants de roi, entre autres que, lui arrivant ou sÕen allant, la cour lui venait faire la rŽvŽrence en corps, laquelle il nÕallait conduire que jusques sur le haut de son degrŽ : la mme chose sÕobservait au lieutenant de roi ; dont ils Žtaient en possession immŽmoriale et qui nÕavait point ŽtŽ contestŽe ˆ Mr le Comte, ni ˆ Mr Desdiguieres, ni ˆ Mr le marŽchal de CrŽquy. Il arriva que, trois ans auparavant, Mr le Prince ayant un pouvoir pour commander aux armŽes du roi contre les huguenots de Languedoc, son pouvoir fut Žtendu jusques en Provence et en DauphinŽ, et lui sÕen retournant en France et passant par Lyon, le parlement dŽputa le premier prŽsident et nombre de conseillers pour lui venir faire la rŽvŽrence. Mr le Prince qui fait plus dÕhonneur ˆ un chacun que lÕon ne lui en demande, les vint recevoir jusques au bas de son degrŽ, les conduisit jusques ˆ leurs carrosses, dont ils firent rapport au parlement, et le mirent sur leurs registres, et ensuite firent un arrt par lequel il fut dŽfendu dÕaller plus saluer le gouverneur de la province ni le lieutenant de roi s'ils ne leur rendaient le mme honneur, ce que lÕun ni lÕautre ne voulurent faire. Ainsi Mr le Comte ˆ son arrivŽe ˆ Grenoble lÕannŽe passŽe comme le roi allait ˆ Suse, ne fut point visitŽ par le parlement ; mais on lui dit aussi que cՎtait parce que le roi Žtait ˆ Grenoble, et que, lui prŽsent, la cour en corps nÕallait trouver personne. Mais ˆ son retour ˆ Valence ladite cour de parlement ayant envoyŽ le premier prŽsident et nombre de conseillers trouver le roi, ils firent pressentir ˆ Mr le Comte sÕil leur voudrait rendre l'honneur quÕils prŽtendaient, ce quÕil leur refusa, et eux sՎtant adressŽs au garde des sceaux pour les prŽsenter au roi, Mr le Comte leur fit refuser lÕaudience sur le prŽtexte quÕils venaient dÕune ville pestifŽrŽe. Sur cela il se traita des moyens dÕaccommodement et on fit espŽrer ˆ Mr le Comte que la cour se mettrait en son ancien devoir, le premier prŽsident en ayant assurŽ Mr de Seneterre. Pour cet effet Mr le Comte vint ˆ Grenoble sans le roi ˆ la sollicitation de Mr le marŽchal de CrŽquy : Mr de Seneterre arriva devant, qui fut traiter de cette affaire avec le premier prŽsident, et fit que Mr le Comte nÕentra que la nuit dans Grenoble, et quÕil alla le lendemain matin ˆ Vizille pour donner temps ˆ ceux du parlement de se raviser. Mais ce fut en vain ; car ils nÕy purent tre portŽs. Au retour de Vizille Mr le Comte et Mr de CrŽquy, piquŽs de cet affront, consultrent ce quÕils avaient ˆ faire, et je leur conseillai de tourmenter cette cour qui les mŽprisait et de se servir de leur pouvoir pour les mettre ˆ la raison, les rendant demandeurs ; quÕils fissent commander que passŽ sept heures personne nÕežt ˆ se promener par la ville, et puis faire courre le bruit que cette dŽfense ne regardait que le parlement, et ds quÕun conseiller ou prŽsident sortirait, le faire prendre et l'envoyer prisonnier en la citadelle, ou en lÕarsenal ; quÕils avaient les forces pour ce faire et lÕautoritŽ en main. Mr de CrŽquy se porta franchement en cet avis ; mais Seneterre divertit Mr le Comte de le recevoir, et fit quÕil ne voulut voir aucun conseiller en privŽ puis quÕils ne lÕavaient point vu en public, et quÕil fit sa plainte au roi pour avoir rglement contre ces messieurs.

Le mardi 30me nous d”n‰mes chez Mr le Comte. Aprs d”ner il sՎleva la plus furieuse tempte que j'aie vue de ma vie.

 

Aožt. Ń Le jeudi premier jour dÕaožt Mr le Comte eut tout le jour la fivre, ce qui fit quÕil voulut partir le lendemain 2me dans mon carrosse et venir coucher ˆ Moyran, et moi je lÕaccompagnai, et Mr de Longueville aussi.

Le samedi 3me nous sžmes ˆ la d”nŽe la prise de Mantoue dont Mr de Longueville fut fort affligŽ, et fžmes coucher ˆ Artas ; et le dimanche 4me nous arriv‰mes ˆ Lyon o Mr dÕAlaincourt fut mon h™te.

Le 7me le roi y arriva, et ayant pris congŽ du roi quelques jours aprs pour aller donner ordre ˆ mes affaires ˆ Paris, le samedi 17me jour dÕaožt je partis de Lyon et vins coucher ˆ la Bresle, puis ˆ la Palisse, ˆ Nevers, ˆ Montargis ; finalement le mercredi 21me jour dÕaožt jÕarrivai ˆ Paris o je trouvai Mr dÕEpernon. Monsieur, frre du roi, y vint le lendemain, et peu de jours aprs Mr le Comte, Mr de Longueville et Mr de Guise arrivrent. Nous ne songe‰mes quՈ y bien passer notre temps. Je mÕamusai ˆ faire b‰tir Chaillot.

Mais ˆ un mois de lˆ (septembre) jÕeus nouvelles que le roi avait la fivre continue, et quÕil nՎtait pas sans danger. Cela me fit prendre la poste et mÕen aller en diligence ˆ Lyon o j'arrivai (octobre) le lendemain que le roi avait pensŽ mourir et que son abcs sՎtait ŽcoulŽ par bas, dont jÕeus une excessive joie. Je vins descendre chez le roi qui fut bien aise de me voir, et moi ravi de ce quÕil Žtait hors de danger. Je vis ensuite les reines, les princesses et monsieur le cardinal, et mÕen vins loger ˆ mon accoutumŽe chez Mr dÕAlaincourt.

Monsieur le cardinal me reut trs bien, me fit fort bonne chre, et parla ˆ moi en grande confidence. Mais le lendemain j'aperus en lui quelque froideur pour moi, dont demandant la cause ˆ Mr de Ch‰teauneuf, il me dit en confidence que lÕon avait donnŽ avis ˆ monsieur le cardinal que j'avais portŽ quelques paroles de la part de Monsieur ˆ la reine mre avec un pouvoir de lÕarrter sÕil fžt mŽsadvenu du roi ; ˆ quoi j'oserais jurer que Monsieur nÕavait pas eu la pensŽe, parce que, quand je partis, il ne se doutait pas que le roi fžt en pŽril. Il me dit aussi quՎtant venu descendre au logis de Mr dÕAlaincourt o Mr de CrŽquy Žtait dŽjˆ logŽ, Mr de Guise Žtant venu une partie du chemin avec moi, et lui sՎtant encore logŽ porte ˆ porte de Mr dÕAlaincourt, cela avait pu donner quelque ombrage de moi, qui Žtais tous les soirs chez madame la princesse de Conty et tout le jour chez la reine mre. Je lui dis que je nÕavais pas vu, le matin que jՎtais parti, Monsieur frre du roi, et que le soir prŽcŽdent je nÕavais pris congŽ de lui ; que je nÕavais pas encore dit un seul mot ˆ la reine mre, que tout haut ; que cՎtait l'office dÕun courrier, et non dÕun marŽchal de France, dՐtre porteur de tels pouvoirs, qui fussent venus trop tard si Dieu n'ežt pas miraculeusement guŽri le roi ; que depuis dix ans je nÕavais pas eu dÕautre logis ˆ Lyon que celui de Mr dÕAlaincourt mon ancien ami ; que ce nՎtait pas dÕastheure que Mr de CrŽquy et moi vivions comme frres, mais depuis notre premire connaissance, et quÕil y avait prs de trente ans que je hantais chez madame la princesse de Conty ; que Villeclair et Guillemot qui Žtaient venus en poste avec moi pourraient tŽmoigner que Mr de Guise Žtait parti depuis moi de Paris, quÕil mÕavait outrepassŽ le premier jour que je couchai ˆ la Chappelle la Reine, que je lÕavais rattrapŽ le soir suivant ˆ Poully, et quՈ Moulins ne mÕayant pu suivre, je lÕavais devancŽ ; et que je lui priais dÕassurer monsieur le cardinal que je nՎtais point homme de brigue ni dÕintrigue, que je ne mՎtais mlŽ jamais que de bien et fidlement servir le roi premirement, et ensuite mes amis, dont il Žtait un des premiers et ˆ qui j'avais vouŽ tout trs humble service : ce quÕil me promit de faire, et moi l'ayant une fois ŽtŽ voir, je lui dis aussi en substance les mmes choses, dont il me tŽmoigna dՐtre satisfait.

Le roi se fit porter en Bellecour dans la maison de madame de Chaponay o il fut encore bien malade. Mais Dieu lui ayant rendu sa santŽ, il partit pour sÕen revenir ˆ Paris.

Nous le suiv”mes un jour aprs, Mrs le Comte, cardinal de la Valette, de Longueville, et moi, et lÕayant rattrapŽ ˆ Roanne, nous embarqu‰mes devant lui et v”nmes jour et nuit ˆ Briare o nous trouv‰mes mon carrosse qui nous amena ˆ Paris, o peu de jours aprs les reines se rendirent peu aprs la Toussaints, et on ne vit point la reine mre les deux ou trois jours aprs son retour, Žtant logŽe ˆ Luxembourg.

 

Novembre. Ń Le roi la vint voir de Versailles le samedi 9me de novembre, et pour plus grande commoditŽ sÕen vint loger ˆ lÕh™tel des ambassadeurs proche dudit Luxembourg, et monsieur le cardinal qui Žtait venu dans le mme bateau de la reine en grande privautŽ avec elle, revint aussi quand et le roi ˆ Paris, et logea au petit Luxembourg.

Disgr‰ce de Bassompierre

J'ai su depuis, et Dieu me punisse si auparavant j'en avais eu autre connaissance quÕen dŽtail seulement, que quelquefois la reine et monsieur le cardinal Žtaient brouillŽs, quelquefois en parfaite intelligence ; j'ai su, dis-je, depuis, que souvent le roi faisait ses plaintes ˆ la reine sa mre de monsieur le cardinal, et rŽciproquement la reine au roi, quÕenfin deux ou trois fois elle avait dit au roi quÕelle voulait ouvertement se brouiller avec lui et sortir de sa tutelle, cՎtaient ses termes, et que le roi de temps en temps l'avait priŽe de dŽlayer, ce quÕelle avait fait, et quÕau retour du roi ˆ Lyon, le roi applaudissait en quelque chose ˆ la reine, qui nŽanmoins lÕavait priŽe dÕattendre encore jusques ˆ leur retour de Paris ; que le roi ayant vu ˆ Roanne la rŽsolution de monsieur le cardinal dÕattendre la reine mre, lui avait Žcrit de lui faire fort bonne chre, comme elle avait fait ; et que le dimanche 10me, veille de la Saint-Martin, le roi Žtant venu le matin voir la reine sa mre, je lui accompagnai: ils sÕenfermrent tous deux dans son cabinet, et le roi venait la prier de supersŽder encore six semaines ou deux mois dՎclater contre monsieur le cardinal, pour le bien des affaires de l'Žtat qui Žtaient alors en leur crise, le roi ayant commandŽ ˆ ses gŽnŽraux de delˆ les monts de hasarder une bataille pour le secours de Casal ; et la reine mre avait rŽsolu de dŽlayer encore ce temps-lˆ ˆ la prire du roi son fils. Comme ils Žtaient sur ce discours monsieur le cardinal arriva, qui ayant trouvŽ la porte de lÕantichambre ˆ la chambre fermŽe, entra dans la galerie et vint heurter ˆ la porte du cabinet o personne ne rŽpondit ; enfin impatient et sachant les tres de la maison, il entra par la petite chapelle, la porte de laquelle nÕayant pas ŽtŽ fermŽe, monsieur le cardinal y entra, dont le roi fut un peu ŽtonnŽ et dit ˆ la reine : Ē Tout est perdu ; le voici Č, croyant bien quÕil Žclaterait : monsieur le cardinal qui sÕaperut de cet Žtonnement, leur dit : Ē Je mÕassure que vous parliez de moi. Č La reine lui rŽpondit : Ē Non faisions ; Č sur quoi lui ayant rŽpliquŽ : Ē Avouez-le, Madame Č, elle lui dit que oui, et lˆ-dessus se porta avec grande aigreur contre lui, lui dŽclarant quÕelle ne se voulait plus servir de lui, et plusieurs autres choses ; sur quoi Mr Bouteillier arriva, et elle continua encore jusques ˆ ce que le roi alla d”ner, et que monsieur le cardinal le suivit.

Cette brouillerie fut tenue si secrte de toutes parts, qu'aucun nÕen sut rien et quÕon ne sÕen douta pas. Mme Monsieur frre du roi, qui avait ŽtŽ au-devant du roi jusques ˆ Montargis, le roi lui ayant fort priŽ de sÕaccommoder avec monsieur le cardinal ˆ qui il voulait mal, lui avait rŽpondu quÕil lui suppliait trs humblement de vouloir entendre les justes raisons quÕil avait de le ha•r, aprs quoi il ferait tout ce quÕil plairait ˆ Sa MajestŽ lui commander, ce que le roi ayant ŽcoutŽ tout au long, pria Monsieur de vouloir oublier ses prŽtendues offenses et aimer monsieur le cardinal, lui avait promis ; mais le roi Žtant arrivŽ le samedi ˆ Paris, soit que Monsieur fžt malade, ou quÕil feign”t de lՐtre, nՎtait point encore venu trouver le roi qui le soir mme envoya Le Plessis-Pralain apprendre des nouvelles de sa santŽ : mais peu aprs, Le Plessis-Pralain vint dire au roi que monsieur son frre Žtait dans le logis, qui le venait trouver ; sur quoi le roi envoya quŽrir monsieur le cardinal, et ayant un peu parlŽ ˆ monsieur son frre, lui prŽsenta monsieur le cardinal et le pria de lÕaimer et de le tenir pour son serviteur, ce que Monsieur promit assez froidement au roi de faire, pourvu qu'il se comport‰t envers lui comme il devait. JՎtais prŽsent en cet accord aprs lequel Žtant proche de monsieur le cardinal, il me prit et me dit : Ē Monsieur se plaint de moi, et Dieu sait sÕil en a sujet ; mais les battus payent lÕamende. Č Je lui dis : Ē Monsieur, ne prenez pas garde ˆ ce que dit Monsieur : il ne fait que ce que Puilorens et Le Coygneux lui conseillent, et quand vous voudrez tenir Monsieur, tenez-le par eux, et vous lÕarrterez. Č Il ne me dit ensuite aucune chose de sa brouillerie ; aussi Dieu me confonde si je m'en doutais seulement. Aprs souper jÕallai voir madame la princesse de Conty, ayant vu auparavant coucher le roi qui nÕen fit aucun semblant : je lui demandai sÕil partirait le lendemain ; il me dit que non. Je trouvai madame la princesse de Conty en telle ignorance de cette affaire que seulement elle nÕen parla pas, et j'oserais bien jurer quÕelle nÕen savait rien.

Le lundi 11me, jour de la Saint-Martin, je vins de bonne heure chez le roi qui me dit quÕil sÕen retournait ˆ Versailles. Je ne songeai point ˆ quel dessein. J'en avais fait d'aller d”ner avec monsieur le cardinal que je nÕavais pu voir chez lui depuis son arrivŽe, et m'en allai vers midi en son logis : on me dit quÕil nÕy Žtait pas, et quÕil partait ce jour-lˆ pour aller ˆ Pontoise. Encore jusques lˆ je ne pensai ˆ rien, ni moins encore quand, Žtant rentrŽ ˆ Luxembourg monsieur le cardinal y arrivant, je le conduisis jusques ˆ la porte de la chambre de la reine et quÕil me dit : Ē Vous ne ferez plus de cas dÕun dŽfavorisŽ comme moi. Č Je mÕimaginai quÕil voulait parler du mauvais visage quÕil avait reu le jour prŽcŽdent de Monsieur. Sur cela je le voulus attendre pour aller d”ner avec lui ; mais Mr de Longueville me dŽbaucha pour aller d”ner chez Mr de CrŽquy avec Monsieur, comme il m'en avait priŽ. Comme nous y fžmes, Mr de Puilorens me dit : Ē Eh bien, cÕest tout de bon cette fois ici que nos gens sont brouillŽs ; car la reine mre dit hier ouvertement ˆ monsieur le cardinal quÕelle ne le voulait jamais voir. Č Je fus trs ŽtonnŽ de cette nouvelle, et Mr de Longueville peu aprs me la confirma. JÕenvoyai sur l'heure ˆ madame la princesse de Conty la supplier trs humblement quÕelle mÕen mand‰t des nouvelles, laquelle jura ˆ mon homme que celle-lˆ Žtait la premire quÕelle en avait sue, et quÕelle me priait de lui en mander les particularitŽs. Je nÕen sus autre chose sinon que l'on me dit que madame de Combalet avait pris congŽ de la reine mre, et que le roi et monsieur le cardinal Žtaient partis. Le soir Mr le Comte me mena chez la reine mre qui ne parla jamais quՈ la reine et aux princesses.

Le mardi 12me je mÕen allai tout le jour ˆ Chaillot, et en m'en retournant je trouvai Lisle qui me dit que l'on avait ™tŽ les sceaux ˆ Mr de Marillac et envoyŽ avec des gardes en Touraine.

Le mercredi 13me Mr de Lavrilliere revenant au galop de Versailles me dit que Mr de Ch‰teauneuf Žtait garde des sceaux, et le soir chez la reine mre je vis Mr de la Ville aux Clercs qui lui vint dire de la part du roi.

Le jeudi 14me Lopes me vint voir le matin et me dit que je ferais bien dÕaller ˆ Versailles voir le roi et monsieur le cardinal, ce que j'eusse fait ˆ lÕheure mme si je nÕeusse voulu saluer le nouveau garde des sceaux qui Žtait mon particulier ami, lequel venait ce jour-lˆ ˆ Paris saluer les reines. Je le vis donc sur le soir, et lui ayant demandŽ si jՎtais bien ou mal ˆ la cour, il me dit qu'il ne sՎtait point aperu qu'il y ežt rien contre moi, mais que je ferais bien de m'aller prŽsenter, ce que je fis le vendredi 15me, et Žtant entrŽ ˆ la chambre du roi, ds quÕil me vit, il dit, si haut que je le pus entendre : Ē Il est arrivŽ aprs la bataille Č, et ensuite me fit fort mauvaise chre. Je ne laissai point de faire bonne mine, comme sÕil nÕy ežt rien eu. Enfin le roi me dit quÕil serait le lundi ˆ Saint-Germain et que j'y fisse trouver sa garde suisse. JÕou•s en mme temps que Saint-Simon, premier Žcuyer, dit ˆ Mr le Comte : Ē Monsieur, ne le priez point ˆ d”ner, ni moi aussi, et il sÕen retournera comme il est venu. Č LÕinsolence de ce petit punais me mit en colre dans le cĻur ; mais je nÕen fis pas semblant : car les rieurs nՎtaient pas pour moi, et si je ne sais pourquoi. NŽanmoins Mr le Comte me dit : Ē Si vous voulez d”ner, j'ai trois ou quatre plats lˆ-haut, que nous mangerons. Č Je lui rŽpondis : Ē Monsieur, je donne aujourdÕhui ˆ d”ner ˆ Chaillot ˆ Mr de CrŽquy, de Saint-Luc, et au comte de Saut, qui mÕy attendent : je vous en rends trs humbles gr‰ces. Č Sur cela monsieur le cardinal arriva qui me fit le froid et me parla assez indiffŽremment, puis entra dans le cabinet avec le roi. Je me mis ˆ parler avec Mr le Comte, et en mme temps Armaignac me vint dire de la part de monsieur le cardinal si je voulais venir d”ner avec lui. Mais comme j'en avais dŽjˆ refusŽ Mr le Comte devant lequel il me parlait, je lui fis la mme excuse que j'avais faite auparavant, dont monsieur le cardinal sÕoffensa, et le dit au roi.

Le lundi 18me le roi arriva ˆ Saint-Germain, o je me trouvai aussi, et il m'y fit le plus mauvais visage du monde.

J'y revins le mercredi 20me o il ne me fit pas meilleur accueil.

Les reines y vinrent, auxquelles il fit beaucoup dÕhonneur, peu de privautŽ.

Je me rŽsolus enfin de demeurer ˆ Saint-Germain, et y fus trois semaines durant sans que jamais le roi me d”t un mot, que celui du guet.

Mr dÕEpernon y vint le dimanche 24me, qui fut fort bien reu tant du roi que de monsieur le cardinal, mais moi toujours en un mme Žtat : monsieur le cardinal me pria de donner ˆ d”ner ˆ Mr dÕEpernon parce quÕil Žtait au lit, ˆ quoi je m'Žtais dŽjˆ prŽparŽ, et il me lÕavait envoyŽ dire.

Sur ces entrefaites Puilorens et Le Coygneux sÕaccordrent avec monsieur le cardinal qui leur fit donner par le roi ˆ chacun cent mille Žcus, au moins ˆ ce dernier la charge de prŽsident de la cour qui vaut bien cela pour le moins. Cet accord se fit par Mr de Rambouillet qui devait avoir trente mille Žcus. Il fut aussi promis ˆ Puilorens que lÕon le ferait duc et pair. Sur cela Monsieur vint trouver le roi qui lui fit fort bon visage. Il fut voir monsieur le cardinal, et tout prenait un assez bon train ; car Mr le cardinal Baigni entreprit lÕaccommodement de monsieur le cardinal avec la reine mre, quÕil fut voir (dŽcembre) au sortir de chez Mr le Prince de qui il tint sur les fonts le second fils ; mais la rŽconciliation ne parut pas entire, joint quÕen ce mme temps-lˆ la reine mre eut nouvelle de la dŽtention du marŽchal de Marillac, qui arriva peu aprs que Casal eut ŽtŽ secouru par lÕarmŽe du roi, et que la paix gŽnŽrale eut ŽtŽ jurŽe.

En ce mme temps Beringuen fut envoyŽ hors de la cour ; Jaquinot eut dŽfense d'y venir ; Mr Servien fut fait secrŽtaire dՎtat ; Mr de Montmorency fait marŽchal de France, et Mr de Toiras aussi ; Mr dÕEffiat f‰chŽ de ne le pas tre, se retira en sa maison de Chilly, dÕo peu aprs il revint, et fut fait marŽchal de France.

1631.

Janvier.Ń Le roi vivait froidement avec les reines et ne leur parlait quasi point au cercle, quand nous entr‰mes en lÕannŽe 1631, au commencement de laquelle on me commanda de licencier le rŽgiment du colonel dÕErlach : (jÕavais ds le mois de septembre de lÕannŽe passŽe licenciŽ celui du colonel Affry) ; mais sur la difficultŽ du payement on retarda cette affaire.

Cependant on chercha (ˆ ce que disent ceux de Monsieur) de dŽsunir Puilorens et Le Coygneux, monsieur le garde des sceaux, parent du premier, le persuadant dÕabandonner son compagnon, de quoi Le Coygneux averti par madame de Verderonne (qui Žtait le dŽp™t de leur amitiŽ), et Monsieur en ayant su des nouvelles, tous deux en sÕaccordant ensemble conseillrent ˆ Monsieur de quitter la cour au commencement du mois de fŽvrier, ce quÕil exŽcuta le....., ayant premirement ŽtŽ trouver monsieur le cardinal en son logis et lui ayant dit quÕil renonait ˆ son amitiŽ.

 

FŽvrier. Ń J'Žtais chez le prŽsident de Chevry quand j'en sus la nouvelle, et m'en allai ˆ l'heure mme trouver monsieur le cardinal et savoir ce que j'avais ˆ faire (comme au premier ministre, en lÕabsence du roi). Il me dit que le roi serait le soir mme ˆ Paris, et qu'il avait envoyŽ au galop Mr Bouteillier, tant pour lÕavertir du partement de Monsieur, que pour le conseiller de venir ˆ Paris.

Il vint descendre chez monsieur le cardinal, o tout le monde se trouva, et de lˆ il alla chez la reine mre. Il me fit mettre dans son carrosse : il me donna un sanglier quÕil avait pris le jour mme, et me fit trs bonne chre. Il me dit en allant au Louvre quÕil allait quereller la reine sa mre dÕavoir fait partir de la cour monsieur son frre. Je lui dis quÕelle serait bl‰mable si elle lÕavait fait, et que je mՎtonnais fort quÕelle lui ežt conseillŽ telle chose. Il me rŽpondit : Ē Si a, assurŽment, pour la haine quÕelle porte ˆ monsieur le cardinal. Č Sur cela il entra chez la reine sa mre qui avait ce jour-lˆ pris quelque mŽdecine.

Peu de jours aprs le roi se rŽsolut d'aller passer son carme-prenant ˆ Compigne, et les reines lÕy voulurent suivre. La veille quÕil partit pour y aller il me donna encore une hure de sanglier de sa chasse, me promit qu'ˆ Compigne il me ferait un don pour raccommoder mes affaires incommodŽes des extrmes dŽpenses que j'avais faites lÕannŽe prŽcŽdente en Savoie.

Le dimanche 16me de fŽvrier nous pr”mes congŽ des reines ; car le roi mÕavait permis de passer le carme-prenant ˆ Paris : je fus ensuite prendre congŽ de madame la princesse de Conty, qui est la dernire fois que je lÕai vue ; lesquelles partirent le lendemain lundi 17me de fŽvrier pour sÕacheminer ˆ Compigne, o elle fut sollicitŽe par le roi de sÕaccommoder avec monsieur le cardinal ; mais comme elle est trs entire et opini‰tre et que la plaie Žtait encore rŽcente, elle nÕy put tre portŽe.

Le dimanche 23me fŽvrier je d”nai chez Mr le marŽchal de CrŽquy, et de lˆ mÕen allant ˆ la Place Royale chez Mr de Saint-Luc, je mÕaccrochai avec le chariot qui portait dans la Bastille le lit de l'abbŽ de Foix qui y avait ŽtŽ menŽ prisonnier le matin, ce qui me fit savoir sa prise.

Ė la Bastille

Sur le soir jÕattendais l'heure dÕaller ˆ la comŽdie chez Mr de Saint-Geran qui la donnait ce soir-lˆ, et le bal ensuite, quand Mr dÕEpernon mÕenvoya prier de venir jusques chez madame de Choisy, o il Žtait ; et y Žtant arrivŽ, il me dit que la reine mre avait ŽtŽ arrtŽe le matin mme ˆ Compigne, dÕo le roi Žtait parti pour venir coucher ˆ Senlis ; que madame la princesse de Conty avait eu commandement par une lettre du roi que Mr de la Ville aux Clercs lui avait portŽe, de sÕen aller ˆ Eu ; que le roi avait fait madame de la Flotte dame dÕatour de la reine, et mademoiselle de Hautefort fille de la reine sa femme, et que toutes deux Žtaient venues ˆ Senlis avec elle ; que le premier mŽdecin de la reine Mr Vautier avait ŽtŽ amenŽ prisonnier ˆ la suite du roi, et finalement quÕil savait de bonne part quÕil avait ŽtŽ mis sur le tapis de nous arrter, lui, le marŽchal de CrŽquy, et moi ; qu'il nÕy avait encore ŽtŽ rien conclu contre eux, mais qu'il avait ŽtŽ arrtŽ que lÕon me ferait prisonnier le mardi ˆ lÕarrivŽe du roi ˆ Paris, dont il mÕavait voulu avertir afin que je songeasse ˆ moi. Je lui demandai ce qu'il me conseillait de faire, et ce que lui mme voulait faire. Il me dit que s'il nÕavait que cinquante ans, quÕil ne serait pas une heure ˆ Paris et quÕil se mettrait en lieu de sžretŽ dÕo puis aprs il pourrait faire sa paix ; mais quՎtant proche de quatre-vingt ans il se sentait bien encore assez fort pour faire une traite, mais quÕil craindrait de demeurer le lendemain : cՎtait pour quoi, puisquÕil avait ŽtŽ si mal habile de venir encore faire le courtisan ˆ son ‰ge, il Žtait bien employŽ quÕil en p‰tit, et quÕil tenterait toutes choses et mettrait toutes pierres en Ļuvre pour se rŽtablir tellement quellement, et puis de sÕen aller finir ses jours en paix dans son gouvernement ; mais pour moi qui Žtais encore jeune, en Žtat de servir et dÕattendre une meilleure fortune, il me conseillait de mՎloigner et de conserver ma libertŽ, et que il m'offrait de me prter cinquante mille Žcus pour passer deux mauvaises annŽes, que je lui rendrais quand il en viendrait de bonnes.

Je lui rendis premirement trs humbles gr‰ces de son bon conseil et ensuite de son offre, et lui dis que ma modestie m'empchait dÕaccepter le dernier et ma conscience d'effectuer lÕautre, Žtant trs innocent de tout crime et nÕayant jamais fait aucune action qui ne mŽrite plut™t louange et rŽcompense que punition ; qu'il a paru que jÕai toujours plut™t recherchŽ la gloire que le profit, et que, prŽfŽrant mon honneur non seulement ˆ ma libertŽ mais ˆ ma propre vie, je ne le mettrais jamais en compromis par une fuite qui pourrait faire souponner et douter de ma probitŽ ; que depuis trente ans je servais la France et m'y Žtais attachŽ pour y faire ma fortune ; que je nÕen voulais point maintenant (que jÕapproche lՉge de cinquante ans) en chercher une nouvelle, et qu'ayant donnŽ au roi mon service et ma vie je lui pouvais bien donner aussi ma libertŽ, quÕil me rendrait bient™t quand il jetterait les yeux sur mes services et ma fidŽlitŽ ; quÕau pis aller jÕaimais mieux vieillir et mourir dans une prison, jugŽ dÕun chacun innocent et mon ma”tre ingrat, que par une fuite inconsidŽrŽe me faire croire coupable et souponner mŽconnaissant des honneurs et charges que le roi mÕa voulu dŽpartir ; que je ne me pouvais imaginer que lÕon me veuille mettre prisonnier nÕayant rien fait, ni mÕy retenir quand on ne trouvera aucune charge contre moi ; mais quand on voudra faire lÕun et lÕautre, que je le souffrirai avec grande constance et modŽration, et quÕau lieu de mՎloigner je me rŽsolvais ds demain matin de mÕaller prŽsenter ˆ Senlis au roi, ou pour me justifier si lÕon mÕaccuse, ou pour entrer en prison si l'on me souponne, ou mme pour mourir si on avre les doutes que lÕon a pu prendre de moi, et quand on ne trouverait rien ˆ redire ˆ ma vie ni ˆ ma conduite, pour mourir aussi, et gŽnŽreusement et constamment, si ma mauvaise fortune ou la rage de mes ennemis me pousse jusques ˆ cette extrŽmitŽ.

Comme j'achevai ce discours Mr dÕEpernon, les larmes aux yeux, mÕembrassa et me dit : Ē Je ne sais ce qui vous arrivera, et je prie Dieu de tout mon cĻur que ce soit tout bien ; mais je nÕai jamais connu gentilhomme mieux nŽ que vous, ni qui mŽrite mieux toute bonne fortune : vous lÕavez eue jusques ici ; Dieu vous la conserve, et bien que jÕapprŽhende la rŽsolution que vous avez prise, je l'approuve nŽanmoins et vous conseille de la suivre, ayant ou• et pesŽ vos raisons. Č

Il me pria ensuite de nՎventer point cette nouvelle qui bient™t serait publique, et me pria quÕau sortir de la comŽdie il me donn‰t ˆ souper chez madame de Choisy o il lÕavait fait apprter, et sur cela nous all‰mes ˆ la fte chez Mr de Saint-Geran o je trouvai Mr le marŽchal de CrŽquy ˆ qui Mr dÕEpernon le dit devant moi et ce que je voulais faire, qui lÕapprouva, et dit que pour lui, il ferait ce quÕil pourrait pour dŽtourner l'orage, mais quÕil l'attendrait.

Peu aprs madame la Comtesse divulgua lÕarrt de la reine mre, et nous ou•mes la comŽdie, v”mes le bal, et ˆ minuit v”nmes souper chez madame de Choisy o Mr de Chevreuse vint, qui ne fut gure touchŽ de lՎloignement de sa bonne sĻur de la cour, et fut aussi gai que de coutume. Comme nous nous retirions, Mr du Plessis-Pralain arriva, qui dit ˆ Mr de Chevreuse de la part du roi que non par haine qu'il port‰t ˆ sa maison, mais que pour le bien de son service il avait ŽloignŽ madame sa sĻur dÕauprs de la reine sa mre.

Le lendemain lundi 24me jour de fŽvrier je me levai devant le jour et bržlai plus de six mille lettres dÕamour que j'avais autrefois reues de diverses femmes, apprŽhendant que, si lÕon me prenait prisonnier, on ne vint chercher dans ma maison, et que lÕon nÕy trouv‰t quelque chose qui pžt nuire, Žtant les seuls papiers que j'avais, qui eussent pu prŽjudicier ˆ quelqu'un. Puis je mandai ˆ Mr le comte de Gramont que je mÕen allais trouver le roi ˆ Senlis, et que, sÕil y voulait venir, je l'y mnerais, ce quÕil fit volontiers, et lՎtant venu prendre ˆ son logis, il monta en mon carrosse, et nous all‰mes jusques ˆ Louvre o nous trouv‰mes Mr le Comte, Mr le cardinal de la Valette, et Mr de Bouillon qui montaient en carrosse, aprs sՐtre chauffŽs, pour passer ˆ Senlis. Il voulut que Mr de Gramont et moi nous missions en son carrosse pour y aller de compagnie, et me dit que je me vinsse chauffer : puis en montant quand et moi dans la chambre, il me dit : Ē Je sais assurŽment que lÕon vous veut arrter ; si vous mÕen croyez vous vous retirerez, et si vous voulez voilˆ deux coureurs qui vous mneront bravement ˆ dix lieues dÕici. Č Je le remerciai trs humblement et lui dis que nÕayant rien sur ma conscience de sinistre, je ne craignais rien aussi, et que jÕaurais l'honneur de lÕaccompagner ˆ Senlis, o nous arriv‰mes peu aprs et trouv‰mes le roi avec la reine sa femme dans sa chambre et mesdames la Princesse et de GuymenŽ. Il vint ˆ nous et nous dit : Ē Voilˆ la bonne compagnie Č ; puis ayant un peu parlŽ ˆ Mr le Comte et ˆ M. le cardinal de la Valette, il mÕentretint assez longtemps, me disant quÕil avait fait ce quÕil avait pu pour porter la reine sa mre ˆ se raccommoder avec monsieur le cardinal, mais quÕil nÕy avait su rien gagner, ne me dit jamais rien de madame la princesse de Conty : puis, je lui dis que lÕon mÕavait donnŽ avis quÕil me voulait faire arrter et que j'Žtais venu le trouver afin que lÕon nÕežt point de peine ˆ me chercher, et que, si je savais o cÕest, je m'y en irais moi-mme sans que lÕon mÕy men‰t. Il me dit lˆ dessus ces mmes mots : Ē Comment, Betstein, aurais-tu la pensŽe que je le voulusse faire ? Tu sais bien que je tÕaime Č ; et je crois certes qu'ˆ cette heure lˆ il le disait comme il le pensait. Sur cela on lui vint dire que monsieur le cardinal Žtait en sa chambre, et lors il prit congŽ de la compagnie, et me dit que je fisse avancer le lendemain matin de bonne heure la compagnie qui Žtait en garde afin quÕelle la pžt faire ˆ Paris, puis me donna le mot.

Nous demeur‰mes quelque temps chez la reine, et puis nous v”nmes tous souper chez Mr de Longueville, et de lˆ nous retourn‰mes chez la reine o Žtait venu le roi aprs souper. Je vis bien quÕil y avait quelque chose contre moi ; car le roi baissait toujours la tte, jouant de la guitare sans me regarder et en toute la soirŽe ne me dit jamais un mot. Je le dis ˆ Mr de Gramont, nous allant coucher ensemble en un logis que lÕon nous avait apprtŽ.

Le lendemain mardi 25me jour de fŽvrier, je me levai ˆ six heures du matin, et comme jՎtais devant le feu avec ma robe, le sieur de Launai lieutenant des gardes du corps entra en ma chambre et me dit : Ē Monsieur, cÕest avec la larme ˆ lÕĻil, et le cĻur qui me saigne, que moi qui depuis vingt ans suis votre soldat, et ai toujours ŽtŽ sous vous, sois obligŽ de vous dire que le roi mÕa commandŽ de vous arrter. Č Je ne ressentis aucune Žmotion particulire ˆ ce discours et lui dis : Ē Monsieur, vous nÕy aurez pas grand peine, Žtant venu exprs ˆ ce sujet comme lÕon mÕen avait averti. J'ai toute ma vie ŽtŽ soumis aux volontŽs du roi qui peut disposer de moi et de ma libertŽ ˆ sa volontŽ : Č sur quoi je lui demandai sÕil voulait que mes gens se retirassent ; mais il me dit que non, et quÕil nÕavait autre charge que de mÕarrter et puis de l'envoyer dire au roi, et que je pouvais parler ˆ mes gens, Žcrire et mander tout ce quÕil me plairait, et que tout mՎtait permis. Mr de Gramont alors se leva du lit et vint pleurant ˆ moi, dont je me mis ˆ rire, et lui dis que, sÕil ne sÕaffligeait de ma prison non plus que moi, il nÕen aurait aucun ressentiment, comme de vrai je ne mÕen mis pas beaucoup en peine, ne croyant pas y demeurer longtemps. Launai ne voulut jamais qu'aucun des gardes qui Žtaient avec lui entrassent dans ma chambre, et peu aprs arrivrent devant mon logis un carrosse du roi, ses mousquetaires ˆ cheval, et trente de ses chevau-lŽgers. Je me mis en carrosse avec Launai seul, et rencontrai en sortant madame la Princesse qui montra tre touchŽe de ma disgr‰ce ; puis march‰mes toujours deux cents pas devant le roi jusques ˆ la porte de Saint-Martin que je tournai ˆ gauche, et passant par la Place Royale on me mena dans la Bastille, o je mangeai avec le gouverneur Mr du Tramblay, et puis il me mena dans la chambre o Žtait autrefois Mr le Prince, dans laquelle on mÕenferma avec un seul valet.

Le mercredi 26me Mr du Tramblai me vint voir le soir, et me dit de la part du roi quÕil ne m'avait point fait arrter pour aucune faute que j'aie faite, et quÕil me tenait son bon serviteur, mais de peur que lÕon ne me port‰t ˆ mal faire ; et que je nÕy demeurerais pas longtemps : dont jÕeus beaucoup de consolation. Il me dit de plus que le roi lui avait commandŽ de me laisser toute libertŽ hormis celle de sortir ; que je pouvais prendre avec moi tels de mes gens que je voudrais, parler ˆ qui je voudrais, et me promener par toute la Bastille. Il ajouta encore ˆ mon logement une autre chambre auprs de la mienne pour mes gens. Je ne pris que deux valets et un cuisinier, et fus plus de deux mois sans vouloir sortir de ma chambre et nÕen fusse point du tout sorti si le ventre ne mÕežt enflŽ de telle sorte que je crus mourir.

Deux jours aprs mon emprisonnement je fis voir si le roi aurait agrŽable que mon neveu de Bassompierre le v”t, qui me fit rŽpondre que non seulement il l'agrŽait, mais mme quÕil le dŽsirait, et qu'il aimait mon neveu pour l'amour de lui-mme, aussi bien quՈ ma considŽration.

 

Mars. Ń Le roi partit incontinent aprs le carme-prenant pour aller ˆ OrlŽans forcer monsieur son frre de le venir trouver. Mon neveu fit demander encore au roi ce quÕil lui plaisait quÕil dev”nt, et le roi lui fit dire quÕil serait bien aise qu'il v”nt ˆ ce voyage avec lui ; sur quoi je le fis mettre en trs bon Žquipage et lÕenvoyai ˆ sa suite. Monsieur frre du roi, sentant le roi s'approcher de lui, ne le voulut attendre et sÕen alla par la Bourgogne ˆ Besanon avec Mrs dÕElbeuf et de Bellegarde. Le roi le suivit jusques ˆ Dijon, et en sÕen retournant ˆ Chanseaux on fit dire ˆ mon neveu que le roi nÕagrŽait pas quÕil le suiv”t ni mme quÕil demeur‰t en France, mais quÕil trouvait bon quÕil v”nt prendre congŽ de lui, ce qu'il fit et se retira auprs de son pre en Lorraine.

Le roi revint aux contours de Paris, et je fis solliciter ma libertŽ ; mais ce fut en vain. Je tombai malade dans la Bastille dÕune enflure bien dangereuse provenue peut tre de nÕavoir pas pris d'air : aussi ds que jÕeus ŽtŽ promener sur la terrasse, je commenai ˆ dŽsenfler.

 

Avril. Ń Je sus en mme temps la mort de madame la princesse de Conty, dont jÕeus lÕaffliction que mŽritait lÕhonneur que depuis mon arrivŽe ˆ la cour jÕavais reu de cette princesse qui, outre tant dÕautres perfections qui lÕont rendue admirable, avait celle dՐtre trs bonne amie et trs obligeante : jÕhonorerai sa mŽmoire, et la regretterai le reste de mes jours. Elle fut tellement outrŽe de douleur de se voir sŽparŽe de la reine mre avec qui elle avait demeurŽ depuis quÕelle vint en France, si affligŽe de voir sa maison persŽcutŽe, et ses amis et serviteurs en disgr‰ce, quÕelle nÕy voulut, ni sut pas survivre, et mourut ˆ Eu, un lundi dernier jour dÕavril de cette malheureuse annŽe de 1631.

Exil de la Reine mre et de Monsieur

Pendant cela on fit quelques propositions ˆ la reine mre de se aller tenir ˆ Moulins, ou ˆ Ch‰teau-Thierry : mais elle se rŽsolut de sortir de France, et ayant fait traiter avec Vardes pour la recevoir ˆ la Capelle, le pre qui Žtait lÕancien gouverneur ayant ŽtŽ averti de quelques pratiques qui se faisaient dans sa place, y courut jour et nuit, et y arriva le soir dont la reine sÕy devait rendre le lendemain, et y Žtant entrŽ au dŽsu de son fils, parla aux soldats qui Žtaient ses crŽatures, qui le reconnurent pour gouverneur, et en chassa son fils, la comtesse de Moret, et Besanon qui y Žtaient. Ils sÕen allrent au-devant de la reine mre qu'ils trouvrent ˆ une lieue de lˆ, lui dirent lÕaccident qui les empchait de la servir selon son dŽsir, et lÕaccompagnrent jusques ˆ Avenes, o de lˆ elle alla ˆ Bruxelles o elle s'est tenue depuis ; ce qui fut cause de faire saisir son bien et son douaire.

Mr le comte de Saint-Paul mourut peu aprs, ce qui fit rentrer Ch‰teau-Thierry en la possession du roi.

La duchesse dÕOnane qui avec madame d'Elbeuf avaient eu ordre de se retirer quand la reine mre fut laissŽe ˆ Compigne, Žtait venue trouver madame la princesse de Conty ˆ Eu, aprs la mort de laquelle ayant su que la reine mre Žtait sortie de France, s'embarqua ˆ Eu, et lÕalla trouver en Flandres.

Le roi de Sude qui l'annŽe prŽcŽdente Žtait entrŽ dans lÕAllemagne et y avait fait de signalŽs progrs quÕil continuait encore en la prŽsente s'avana de telle sorte qu'il vint joindre lՎlecteur de Saxe qui avait pris les armes contre l'empereur, qui envoya le comte de Tilly grand et heureux capitaine pour lui faire tte, lequel auprs de Leipzig Žtant venu donner la bataille au duc de Saxe, laquelle il gagna, le roi de Sude averti que le comte de Tilly marchait contre lՎlecteur alla toute la nuit avec quatre mille chevaux ˆ son secours ; mais il le trouva en dŽroute et si ˆ propos quÕil y mit et dŽfit ˆ plate couture le comte de Tilly victorieux du Saxon et le poursuivit si vivement quÕil ne lui donna loisir de se reconna”tre jusques ˆ Erdfort [Erfurt] qui est ˆ prs de cent lieues franaises de lˆ, tuant tout ce qui demeura par les chemins des restes de lÕarmŽe du Tilly, ce qui apporta une telle consternation aux affaires de lÕempereur que si le duc de Bavire avec une puissante armŽe ne se fžt opposŽ au SuŽdois, il n'ežt rien trouvŽ en toute l'Allemagne qui lui ežt fait rŽsistance.

Mr de Lorraine qui en ce temps-lˆ avait quelques troupes sur pied en leva encore en toute diligence, et avec huit mille hommes de pied et deux mille chevaux passa en Allemagne au secours du duc de Bavire son oncle : mon frre et mon neveu le suivirent en ce voyage, et mon neveu sÕy signala. Mon cousin le comte de Pappenheim vint aussi (septembre) et sÕopposa au roi de Sude qui tourna tte vers la Franconie, prit Virtsbourg, Mayence et Francfort qui nՎtaient fortifiŽs ni pourvus, et mit la terreur et lÕeffroi de telle sorte dans lÕAllemagne que tout se rendait.

 

Octobre. Ń Pendant que Mr de Lorraine Žtait en Allemagne, et Monsieur frre du roi ˆ Nancy o il Žtait venu se tenir peu aprs sՐtre retirŽ ˆ Besanon, le roi sÕen vint ˆ Metz, et son armŽe ˆ la frontire de Lorraine, et Mr de Lorraine, Žtant averti quÕun si puissant prince Žtait avec de telles forces sur ses confins, ayant en diligence ramenŽ les siennes en son pays (novembre) ; et Monsieur sՎtant derechef retirŽ ˆ Besanon, il fut fait quelque traitŽ entre le roi et Mr de Lorraine, par lequel Moyenvic lui fut rendu et la ville de Marsal mise en ses mains pour quatre ans.

Comme le roi Žtait ˆ Metz, la cour de parlement (qui pour avoir donnŽ quelque arrt qui nÕavait pas plu au roi lՎtŽ prŽcŽdent, avait ŽtŽ commandŽe de venir ˆ pied trouver en corps le roi au Louvre, et lui porter ses registres auxquels Elle dŽchira de sa propre main lesdits arrts et y en fit enregistrer un de son conseil qui nՎtait pas ˆ leur avantage), donna encore depuis quelques autres arrts qui ne plurent pas ˆ Sa MajestŽ, qui fit (dŽcembre) quÕelle interdit cinq de la cour, conseillers ou prŽsidents, et manda que le premier et second prŽsidents, accompagnŽs de nombre de conseillers, le vinssent trouver ˆ Metz o Elle leur fit une forte rŽprimande.

De lˆ, le roi ayant envoyŽ le marquis de BresŽ son ambassadeur vers le roi de Sude, il sÕen revint aux contours de Paris achever lÕannŽe 1631.

1632.

Janvier.Ń Au commencement de lÕannŽe 1632, peu aprs le retour du roi de son voyage de Metz, on me donna quelque espŽrance de ma libertŽ : mais je crois que ce fut plut™t pour redoubler mes peines par cette espŽrance trompŽe que pour allŽger mes maux par une meilleure condition ; car peu aprs je vis bien que lÕon ne me voulait point Žlargir. JÕeus pour comble de mes peines la mort de mon frre qui survint bient™t aprs, causŽe par les travaux soufferts en lÕarmŽe dÕAllemagne lÕannŽe prŽcŽdente, et par les dŽplaisirs de ma longue dŽtention.

Monsieur le cardinal ensuite fut fait gouverneur de Bretagne et le marŽchal de Marillac ayant ŽtŽ longuement tenu ˆ Sainte Menehou prisonnier, o lÕon lui instruisait son procs, fut enfin amenŽ prisonnier ˆ Ruel, et des juges nouveaux Žtablis pour lui faire et parfaire son dit procs, lui ayant ŽtŽ permis de choisir du conseil ; il fut jugŽ le.... jour de...., et exŽcutŽ en Grve le lendemain.

 

Mars. Ń Force pratiques se firent de tous c™tŽs en France en faveur de Monsieur, mais principalement dans le Languedoc o Mr de Montmorency se rŽvolta, attirant avec lui plusieurs villes, Žvques, seigneurs, et autres partisans. D'autre c™tŽ le roi Žtait en doute du roi d'Angleterre, peu assurŽ de Mr de Savoie qui souffrait impatiemment que la ville et citadelle de Pignerol demeur‰t entre les mains du roi, bien que par traitŽ particulier il lÕežt dŽlaissŽe au roi, qui avait aussi quelque ombrage du marŽchal de Toiras, pour lՎtroite intelligence quÕil avait avec Mr le duc de Savoie, pour avoir mis dans la citadelle de Casal le rŽgiment de son neveu et sÕy tre rendu le plus fort, pour la mauvaise intelligence o il Žtait avec Mr Servien ambassadeur du roi prs de Mr de Savoie, et finalement pour les brigues et menŽes que Sa MajestŽ savait que ses frres, (qui dŽpendaient absolument de lui), faisaient dans le Languedoc (avril). Du c™tŽ de Roussillon il Žtait venu par mer huit mille Italiens : on levait aussi des Espagnols. Mr de Lorraine armait puissamment de son c™tŽ, sous prŽtexte des SuŽdois qui avoisinaient son pays ; mais le roi se doutait que ce fžt en faveur de Monsieur, dont on lui avait donnŽ avis que le mariage se brassait avec la princesse Marguerite sĻur dudit duc. Monsieur de son c™tŽ avait deux mille chevaux sur pied, et quelque infanterie ; de sorte que tout cela donnait bien ˆ penser au roi, qui ne put tre persuadŽ de se saisir de la personne de Mr de Montmorency bien quÕil en ežt eu des avis bien certains, mais lÕenvoya en son gouvernement pour y faire tenir les Žtats, et pour se prŽparer contre les forces qui Žtaient au comtŽ de Roussillon ; cependant que Sa MajestŽ sÕachemina (mai) avec une forte armŽe en la Lorraine, au temps que lÕarmŽe hollandaise ayant pris Linguen, Ruremonde et quelques autres places sur les Espagnols, Žtait venue attaquer Ma‘stricht et sՎtait tellement retranchŽe devant, que lÕarmŽe espagnole assistŽe de celle du comte de Pappenheim (qui sÕen approcha), ne la purent secourir, ni lÕempcher dՐtre prise sur la fin de lÕautomne, et ensuite le duchŽ de Limbourg ; cependant quÕen Allemagne le roi de Sude sՎtait mis en campagne au renouveau et avait mis la Souabe  sous sa puissance avec le marquisat de Burgau, rŽtabli le Palatin dans ses pays usurpŽs, dŽlivrŽ le duc de Wurtemberg du joug de ses ennemis, et pris Donnevert et tout le duchŽ de Bavire ˆ Ingolstadt prs, quand le Walestein avec une trs puissante armŽe sÕavana ˆ Nuremberg quÕil ežt prise si le roi de Sude nÕy fžt promptement accouru et ne se fžt retranchŽ entre la ville et lui : le duc de Bavire se joignit au Walestein et tenant le roi de Sude sur cul jusques ˆ l'hiver, arrtrent le cours de ses victoires pour cette annŽe-lˆ ; et ensuite le Walestein Žtant allŽ en Bohme et de lˆ vers la Saxe pour ch‰tier lՎlecteur, le roi de Sude y accourut et le Pappenheim le suivit, et sՎtant rencontrŽs ledit roi et le Walestein ˆ Lutsen, ils se donnrent la bataille, que le roi de Sude gagna ; mais il y fut tuŽ, et aussi le Pappenheim qui y arriva comme la bataille se donnait. Le duc Bernard de Weimar prit le soin de lÕarmŽe aprs la mort du roi de Sude.

Le roi sÕen vint avec une puissante armŽe fondre dans la Lorraine, prit le duchŽ de Bar, ˆ la Motte prs, sans rŽsistance, vint se saisir de Saint-Mihel, de Nomeni et du Pont ˆ Mousson. Mr de Lorraine joint avec Monsieur avaient bien une armŽe suffisante pour lui rŽsister ; mais comme Monsieur Žtait appelŽ en Languedoc, il se sŽpara de lui, qui en mme temps traita avec le roi et lui donna pour assurance trois places en dŽp™t pour trois ans, qui furent Stenay, Jamais, et Clermont en Argonne, puis Žtant venu trouver le roi quand il sÕen retournait, lÕassura de son service, en mme temps que Monsieur avec plus de deux mille chevaux entra dans le duchŽ de Bourgogne : le roi envoya Mr de la Force aprs, puis encore Mr le marŽchal de Schomberg avec des forces suffisantes.

Il envoya en ce mme temps en Alsace Mr le marŽchal dÕEffiat avec une armŽe, et lui avec le reste de ses troupes suivit la piste de monsieur son frre qui alla dans l'Auvergne pour passer de lˆ en Languedoc ; et lors, Mr le marŽchal de la Force entra vers Beaucaire dans le Languedoc, tandis que Mr de Schomberg passa du c™tŽ d'Albi. Mr de Montmorency se joignit lors ˆ Monsieur avec force troupes de pied et de cheval, et Monsieur envoya vers Beaucaire Mr dÕElbeuf pour s'opposer au marŽchal de la Force, tandis quÕil vint pour attaquer Mr de Schomberg qui avait assiŽgŽ Saint-Felix de Carmain quÕil prit et se voulant retirer ˆ Castelnaudary se trouva Monsieur en tte avec des forces beaucoup plus grandes que les siennes ; mais Mr de Moret ayant voulu aller voir de trop prs les ennemis fut rapportŽ mort, et Mr de Montmorency pensant tre suivi du reste de lÕarmŽe qui ne bougea, chargea avec cinquante ou soixante chevaux, fit des merveilles ; mais enfin son cheval fut tuŽ, et lui blessŽ de vingt coups, pris prisonnier, menŽ ˆ Castelnaudary, et l'armŽe de Monsieur, ŽtonnŽe de ces deux grandes pertes, se retira sans combattre et se dŽbanda peu aprs (septembre). Le Fargis qui Žtait allŽ chercher les Espagnols qui devaient venir au secours de Monsieur, sÕavana pour lui en dire la nouvelle, quÕil trouva ayant dŽjˆ envoyŽ vers le roi pour en obtenir quelque forme de paix, ce quÕil fit et fut renvoyŽ se tenir ˆ Tours ou aux environs (octobre). Le roi reut les nouvelles ˆ Lyon de cet heureux succs, envoya de son c™tŽ Aiguebonne trouver monsieur son frre et lui offrir ce quÕil accepta. Puis Sa MajestŽ passa ˆ Beaucaire, ˆ Montpellier, ˆ PŽzenas et BŽziers o il fit faire quelques exŽcutions, puis Žtant arrivŽ ˆ Toulouse traita un peu mal ceux de la ville qui avaient tŽmoignŽ par trop leur affection ˆ Mr de Montmorency lequel avait ŽtŽ transportŽ ˆ Lectoure pour le faire guŽrir, dÕo le roi le fit amener ˆ Toulouse, et la veille de la Toussaints dernier jour d'octobre, lui fit trancher la tte dans lÕh™tel de ville de Toulouse, d'o il partit le lendemain (novembre) aprs avoir fait Mr de BresŽ marŽchal de France, pour sÕen revenir vers Paris par Limoges, la reine et monsieur le cardinal s'en retournant par Bordeaux et par la Rochelle.

Mr le marŽchal dÕEffiat Žtant entrŽ dans lÕAlsace Žtait pour y faire de grands progrs ; car il avait de belles forces et bien payŽes, [et] sÕy comportait fort bien, et tous les princes, seigneurs, et villes, se venaient mettre sous la protection du roi, redoutant ses armes, et apprŽhendant celles de Sude qui les avoisinaient : mais une soudaine maladie le fit mourir, et trancha le fil de tant de belles espŽrances.

Monsieur frre du roi qui nÕavait traitŽ (ˆ ce quÕil disait), que sous lÕespoir de la dŽlivrance de Mr de Montmorency, ayant su quÕil avait eu la tte tranchŽe, se retira ˆ grandes journŽes au comtŽ de Bourgogne, et de lˆ sÕachemina en Flandres.

La reine avec monsieur le cardinal, monsieur le garde des sceaux et Mr de Schomberg, sÕembarqua sur la Garonne ˆ Toulouse et vint descendant jusques ˆ Cadillac o Mr le duc dÕEpernon les reut superbement ; puis ensuite arriva ˆ Bordeaux o monsieur le cardinal tomba en une extrme maladie. La reine passa ˆ Blaye avec le garde des sceaux, et Mr de Schomberg mourut en mme temps dÕapoplexie ˆ Bordeaux, o il y vint une si grande quantitŽ de noblesse de toutes parts mandŽe par Mr d'Epernon pour faire honneur ˆ la reine, quÕelle mit en ombrage monsieur le cardinal, lequel se fit inopinŽment porter dans une barque et conduire ˆ Blaye. Cependant la reine sÕachemina ˆ la Rochelle o monsieur le cardinal la fit superbement recevoir, et lui ˆ petites journŽes se fit porter ˆ Richelieu, et vers la fin de lÕannŽe 1632 vint trouver le roi ˆ Dourdan o toute la cour fut au-devant de lui.

1633.

Janvier.Ń Au commencement de lÕannŽe 1633 jÕeus une grande espŽrance de libertŽ. Mr de Schomberg mÕavait fait dire qu'ˆ ce retour du roi on me sortirait de la Bastille, monsieur le cardinal l'ayant tŽmoignŽ ˆ plusieurs, et le roi sÕen Žtant ouvert ˆ quelques personnes ; et tous mes amis sÕen rŽjouissaient avec moi, quand on fit servir le partement de Monsieur frre du roi de prŽtexte pour ma dŽtention, et au mme temps au lieu de me dŽlivrer, on mՙta cette partie de mes appointements qui mÕavait ŽtŽ payŽe les deux annŽes prŽcŽdentes, bien que je fusse prisonnier, qui montait au tiers de ce que j'avais accoutumŽ de tirer par an. Cela me fit bien voir que lÕon me voulait Žterniser ˆ la Bastille : aussi ds lors cessŽ-je dÕespŽrer quÕen Dieu.

 

FŽvrier. Ń Au mois de fŽvrier monsieur le garde des sceaux commena ˆ sentir le revers de fortune, et recevoir moins bon visage du roi et de monsieur le cardinal quÕil nÕavait accoutumŽ ; ce qui continua de sorte que le 25me de fŽvrier, ˆ pareil jour que jÕavais ŽtŽ arrtŽ deux ans justement auparavant, il fut mis prisonnier ˆ Saint-Germain en Laye, et le lendemain en bonne et sžre garde conduit au ch‰teau dÕAngoulme, o il est demeurŽ. On prit en mme temps son neveu de Leuville, le chevalier de Jars son confident, son secrŽtaire Menessier, Mignon, et Joly. On dŽlivra peu aprs ces deux derniers : on mit en libertŽ Menessier qui avait perdu le sens. Le chevalier de Jars fut menŽ dans la Bastille quand et Leuville ; mais il en fut retirŽ au bout de deux mois, menŽ ˆ Troyes o son procs lui ayant ŽtŽ fait et parfait, il fut condamnŽ ˆ avoir la tte tranchŽe, menŽ sur l'Žchafaud et puis on lui cria gr‰ce : mais en effet ce fut commutation de peine ; car il fut ramenŽ en la Bastille o il a demeurŽ depuis. Quant au marquis de Leuville, il y a toujours demeurŽ ; et le roi donna les sceaux au prŽsident SŽguier.

Peu de temps aprs les SuŽdois vinrent prendre sur le duc de Lorraine une ville nommŽe Bouquenom, dont le duc sՎtant plaint au roi qui lui avait promis dÕempcher quÕils ne touchassent ˆ ses Žtats, il nÕen eut point de raddresse [rŽparation] ; ce qui le porta ˆ lever des troupes, et contre le dŽsir du roi, dÕentrer en Alsace : dont le roi indignŽ, qui dŽjˆ avait eu quelque nouvelle du mariage de monsieur son frre avec la princesse Marguerite sĻur dudit duc, (bien que les uns et les autres lui eussent toujours niŽ), sÕavana vers Ch‰teau-Thierry en mme temps que la petite armŽe du duc fut dŽfaite par les SuŽdois en Alsace : ce qui fit que le roi sÕavana promptement ˆ Chalons o le cardinal de Lorraine le vint trouver, et fut trs bien vu et reu de lui : mais comme, le lendemain, il Žtait au conseil avec le roi pour traiter des affaires du duc son frre, le roi lui dit quÕil avait divers avis que depuis un an, sans son su, Monsieur son frre sՎtait mariŽ avec la princesse Marguerite sĻur du duc, et la sienne, et quÕil dŽsirait savoir ce qui en Žtait. Le cardinal rŽpondit que si lÕon lui ežt demandŽ, il en ežt dit la vŽritŽ, ne sachant point jamais mentir, et quÕil Žtait vrai que le mariage avait ŽtŽ fait et consommŽ ds lÕannŽe prŽcŽdente. Alors le roi lui dit qu'il ne voulait aucun traitŽ, et fit avancer ses troupes jusques contre Nancy. Le duc se retira avec les siennes dans la Vosge tandis que le cardinal faisait des allŽes et venues (septembre) pour quelque paix ; et en mme temps bien que Nancy fžt investie, la princesse Marguerite en sortit dŽguisŽe et vint ˆ Thionville o Monsieur lui envoya avec Puilorens ses carrosses et officiers pour lÕamener ˆ Bruxelles. Alors le roi vint assiŽger Nancy et y faire une forte circonvallation ; mais le cardinal de Lorraine moyenna une paix par laquelle le duc mit Nancy entre les mains du roi, outre les autres places quÕil lui avait donnŽes, et ce pour la tenir en dŽp™t trois annŽes durant, et le duc vint trouver le roi. Puis Sa MajestŽ entra dans Nancy la neuve, o aprs y avoir mis une forte garnison et ˆ la vieille ville aussi en laquelle le duc demeurait, il sÕen revint aux environs de Paris o il finit lÕannŽe 1633.

1634.

Janvier.Ń Au commencement de lÕannŽe 1634 on me fit dire de lՎpargne que mes appointements des Suisses, de deux mille livres par mois (qui en lÕannŽe prŽcŽdente avaient ŽtŽ suspendus), Žtaient encore en fonds entre les mains du trŽsorier de lՎpargne, et que, si j'en voulais faire dire un mot, on croyait quÕils me seraient dŽlivrŽs. J'avais gardŽ par modestie le silence sur cette affaire-lˆ, sans me plaindre du retranchement que lÕon mÕen avait fait, ni sans en poursuivre le rŽtablissement ; mais puisque lÕon me donnait cet avis qui peut-tre venait de plus loin, j'eus crainte que mon silence ne fžt attribuŽ ˆ gloire, ou ˆ dŽpit. Cela fut cause que je priai le gouverneur de la Bastille de dire de ma part ˆ monsieur le cardinal que je le tenais si gŽnŽreux quÕil n'aurait pas voulu me donner cette petite mortification de me faire ™ter mes appointements avec ma libertŽ, et que je le suppliais trs humblement de me procurer cette gr‰ce auprs du roi quÕElle me donn‰t ce moyen de pouvoir payer les arrŽrages des rentes que j'ai constituŽes en le servant. Monsieur le cardinal me manda (fŽvrier) quÕil me voulait obliger en cette occasion, quÕil me promettait d'en parler avec efficace, et se promettait de l'obtenir du roi, et de fait peu de jours aprs il me manda quÕil l'avait obtenu du roi, mme m'en fit dŽlivrer l'ordonnance. Mais comme on la prŽsenta devant monsieur le cardinal ˆ Mr de Bulion pour la faire payer, il dit que le roi lui avait expressŽment dŽfendu de ne la payer ; sur quoi monsieur le cardinal, sans contester, rompit l'ordonnance ; ce que l'on me fit savoir, et je nÕy pensai plus. Et en ce mme temps (avril) fut donnŽ un rude arrt au conseil contre Mr dÕEpernon sur quelque excs commis par lui en la personne de lÕarchevque de Bordeaux ; nŽanmoins le roi voulut et opini‰tra que monsieur le cardinal Žloign‰t ledit archevque dÕauprs de lui, ce quÕil fit.

Le prince Tomas de Savoie se retira en ce temps-lˆ dÕauprs de son frre, et quitta la pension de France pour se retirer en Flandres.

Mr de Lorraine, aprs la paix quÕil avait obtenue du roi, envoya ce quÕil avait de troupes avec celles de lÕempereur commandŽes par Mr le marquis de Baden, Edouart, et par le comte de Salm ; desquelles troupes Mr de Lorraine donna le commandement ˆ mon neveu de Bassompierre. Et voyant ledit duc que le roi ne se pouvait satisfaire de ses actions, et que ses ennemis lui rendaient de perpŽtuels mauvais offices auprs de lui, il envoya premirement son frre le cardinal en France pour se justifier, et voyant qu'il ne le pouvait faire, se rŽsolut de quitter son Žtat et de le renoncer ˆ son dit frre, ce qu'il fit par acte authentique ; et puis ayant mis son dit frre en possession, il se retira ˆ Besanon. Et en ce mme temps les troupes impŽriales de lÕAlsace Žtant venues aux mains avec les SuŽdoises, elles furent dŽfaites sans rŽsistance par le Reingraf Otto, suŽdois ; et mon neveu qui ne voulut pas fuir comme les autres, allant bravement avec peu de gens charger les ennemis, fut enfin blessŽ en deux endroits, et son cheval tuŽ sous lequel il fut pris prisonnier. Les ennemis le traitrent bien, comme parent et ami du comte Otto, et le firent panser. Il est demeurŽ estropiŽ du bras droit, mais enfin sorti ˆ petite ranon, et alla retrouver son ma”tre en Tyrol o il Žtait retirŽ auprs du cardinal-infant qui Žtant ds lÕannŽe prŽcŽdente passŽ en Italie, sՎtait alors acheminŽ en Tyrol pour de lˆ passer en Flandres.

Aprs que le nouveau duc cardinal de Lorraine ežt par rŽsignation entrŽ en possession du duchŽ, il envoya au roi pour lui faire savoir, lequel ne le voulut pas reconna”tre tel, ˆ cause que, nÕadmettant cette loi salique que lÕon avait voulu Žtablir en Lorraine, il disait cet Žtat appartenir aux deux filles du feu duc, et que le duc Charles nÕy avait droit quՈ cause de sa femme, laquelle, bien quÕelle ežt fait quelque renonciation ˆ son profit, nÕen pouvait pas frustrer sa jeune sĻur ; outre quÕelle avait fait quelque protestation en renonant, et quÕelle Žtait en intelligence secrte avec le roi. Lors, ledit cardinal pour se plus assurer en son nouvel Žtat, se rŽsolut dՎpouser la jeune princesse sĻur de la duchesse, dont les ministres du roi en Lorraine ayant eu le vent, se mirent en Žtat de lÕempcher, envoyrent prier le nouveau duc qui Žtait ˆ LunŽville de venir ˆ Nancy avec les princesses. Le mme jour le duc se maria ˆ la princesse, et vint coucher ˆ Saint-Nicolas o le lendemain matin se trouvrent vingt compagnies de cavalerie franaises pour les arrter tous ; mais ils trouvrent le duc dans le lit couchŽ avec sa femme. On les amena tous au ch‰teau de Nancy avec sžre garde. La princesse de Pfalsbourg se sauva ˆ quelques jours de lˆ, et sÕen alla ˆ Besanon trouver le duc Charles son frre, et peu aprs alla en Flandres auprs de madame sa sĻur. Cependant les autres princesses, et le duc, Žtaient ˆ Nancy avec grande garde au ch‰teau outre celle qui Žtait aux deux villes. NŽanmoins le duc et sa femme trouvrent moyen dՎchapper premirement du ch‰teau le soir du dernier jour de mars, et le lendemain matin, premier d'avril, de sortir de la ville. Un carrosse lÕattendait hors de la porte, o ils se mirent, et allant en diligence ˆ Mirecourt sortirent de la Lorraine et se sauvrent ˆ Besanon.

Cependant, en Allemagne, le Walestein qui depuis son rŽtablissement ˆ lՎtat de gŽnŽral des armes de l'empire, avait toujours eu dessein de se rŽvolter contre son empereur, et qui lÕannŽe prŽcŽdente nÕavait voulu faire aucun effet avec la grande armŽe quÕil avait, retenu par les intelligences quÕil avait avec les SuŽdois, et autres princes, et par une ambition de se faire roi de Bohme, enfin se dŽclara ouvertement contre lÕempereur, fit prter ˆ lÕarmŽe le serment en son nom, et donna aux soldats deux montres de son argent. Mais sur ces entrefaites Žtant venu ˆ Egra, lÕempereur ayant donnŽ charge ˆ ses fidles serviteurs dÕexterminer ce rebelle, et tous souffrant impatiemment de lՐtre comme lui, et de devenir sujets de cet homme, de soi insupportable, de maison mŽdiocre, et que la plupart avaient vu leur Žgal et compagnon, ils firent une entreprise pour le tuer, ce quÕils exŽcutrent dans Egra le ... jour de ..., et avec lui massacrrent le colonel Tertski, Quinski, et un autre, son secrŽtaire, et un page qui se voulut mettre en dŽfense. Ensuite on jeta les corps par la fentre, qui furent quelque temps en spectacle sur le pavŽ, puis mis en quartiers en divers endroits pour y tre vus et remarquŽs. L'armŽe ensuite fit nouveau serment ˆ lÕempereur qui donna la lieutenance gŽnŽrale de ses armŽes ˆ son fils a”nŽ lՎlu roi de Hongrie, lequel vint assiŽger Ratisbonne prise l'annŽe prŽcŽdente sur lÕempereur, o le duc de Lorraine, qui avait cŽdŽ son Žtat ˆ son frre, sÕen alla avec la charge de lÕarmŽe sous ledit roi, et mon neveu Žtant sorti de prison sÕy en alla le trouver. Le roi de Hongrie prit enfin Ratisbonne (juillet), y ayant perdu beaucoup de gens devant, et de lˆ sÕen alla reprendre Donauwert que le roi de Sude deux ans auparavant avait prise, puis vint mettre le sige devant Nortlinguen. Cela ai-je voulu dire de suite pour ne le point entremler avec dÕautres choses.

Aprs que Mr le nouveau duc de Lorraine se fžt sauvŽ avec sa nouvelle femme comme il a ŽtŽ dit ci-dessus, le roi qui ne voulait pas quÕil en arriv‰t de mme ˆ la duchesse de Lorraine (femme du duc Charles), la fit emmener avec bonne et sžre garde ˆ Paris o elle demeura en toute libertŽ, et la reut ˆ Fontainebleau, o elle lui vint faire la rŽvŽrence, avec beaucoup d'honneur ; et en mme temps se saisit de tout le duchŽ de Lorraine sans rŽsistance quՈ la Motte et ˆ Bitsch lesquels il fit assiŽger : ce dernier dura peu ˆ se rendre ; mais la Motte sÕest conservŽe tant que son gouverneur nommŽ Iche a vŽcu et encore six semaines aprs sa mort sous son lieutenant nommŽ Vatteville, suisse, et le frre du mort qui est capucin.

Comme le roi Žtait ˆ Fontainebleau, monsieur le cardinal qui est soigneux dÕobserver les paroles quÕil donne, parla au roi sur le rŽtablissement de mes appointements de colonel gŽnŽral des Suisses et fit que le roi ordonna quÕils me seraient payŽs : et en ce mme temps je fis offrir de me dŽfaire de ma dite charge en prenant quelque rŽcompense pour aider ˆ payer mes dettes, et fis trs humblement supplier monsieur le cardinal par Mr du Tramblai de le faire agrŽer au roi ; et parce que ledit sieur du Tramblai Žtait trs parfait ami de Rochefort qui est beau-fils de Montmort et que je jugeai la bourse de Montmort capable de me bien payer cette charge, je proposai audit sieur du Tramblai de faire office pour Rochefort ˆ ce quÕil pžt avoir permission de la rŽcompenser, ce quÕil fit, et obtint lÕun et lÕautre (aožt). Mais ce vilain de Rochefort, pour espŽrer dÕavoir quelque meilleur marchŽ, aprs mÕen avoir offert quatre cent mil francs dÕune chose dont autrefois jÕen avais refusŽ huit cent mille, vint pratiquer vilainement monsieur le cardinal pour faire ordonner que je lui laisserais ˆ ce prix, et ensuite vint trouver ceux qui traitaient avec moi pour dÕautres de la mme charge afin de les dŽtourner de mÕen rien offrir. Ils firent aussi en sorte que mes dits appointements deux fois promis furent pour la seconde fois refusŽs : et moi je continuai ma misŽrable prison dans la Bastille avec grande incommoditŽ dans mes affaires domestiques.

Peu aprs il fut convenu entre les SuŽdois et les commissaires du roi Žtant ˆ lÕassemblŽe de Francfort que Philipsbourg serait mis entre ses mains aux conditions qui furent stipulŽes entre eux ; et le roi qui avait prs de six-vingt mille hommes sur pied envoya une forte armŽe en Allemagne sous Mr le marŽchal de la Force qui nŽanmoins ne passa pas si t™t le Rhin.

Le roi de Hongrie assiŽgeait cependant Nortlinguen avec lÕarmŽe impŽriale et celle de la ligue catholique dont le duc de Bavire avait rŽsignŽ la gŽnŽralitŽ au duc de Lorraine son neveu, et l'infant-cardinal d'Espagne s'avanait pour se joindre ˆ eux ; mais les armŽes suŽdoises sÕassemblrent tant pour les empcher de se mettre en un corps, que pour secourir Nortlinguen, et en faire lever le sige : mais lÕarmŽe de lÕinfant Žtant jointe aux autres, ce que les SuŽdois ignoraient, et ne voulant attendre le Reingraf qui leur amenait de belles troupes de secours, vinrent prŽsenter la bataille aux ImpŽriaux, laquelle, aprs une longue contestation et un grand carnage, les ImpŽriaux gagnrent et prirent le gŽnŽral Horn prisonnier et ensuite la ville de Nortlinguen ; o mon neveu se trouva ˆ la suite du duc de Lorraine, et sÕy signala.

 

Octobre. Ń Le dimanche 8me jour d'octobre, Monsieur frre du roi quitta la Flandre et vint sur des coureux le mme jour ˆ la Capelle. Il vint trouver le roi ˆ Saint-Germain le samedi 2me du mme mois, qui le reut trs bien. Il vint le lendemain ˆ Ruel chez monsieur le cardinal qui le festina, puis revint ˆ Saint-Germain et en partit le lundi 23me pour aller ˆ Limours, o mademoiselle sa fille lÕattendait.

Le dimanche ... de novembre les fianailles furent faites au Louvre de Mr de la Valette avec la fille a”nŽe de Mr de Pontch‰teau cousin germain de monsieur le cardinal de Richelieu, et en mme temps de Mr de Puilorens avec la seconde fille dudit Pontch‰teau, et ensuite de Mr le comte de Guiche avec la fille de Mr du Plessis de Chivrai qui est aussi cousin germain de monsieur le cardinal.

Le mardi qui fut le jour des noces, madame de Combalet fit festin ˆ d”ner aux fiancŽs et aux fiancŽes et ˆ quelques-uns des parents. Puis la reine se rendit sur les quatre heures ˆ lÕArsenal o monsieur le cardinal la reut avec force canonnades et feux dÕartifices ; puis elle fut ˆ une trs belle comŽdie, et de lˆ ˆ un superbe festin ; puis aprs force musiques et le bal, les mariŽs allrent consommer leurs mariages.

Le ... de dŽcembre M de Puilorens prta serment et fut reu en parlement duc et pair dÕEsguillon ; et le lundi 11me ensuivant, Monsieur frre du roi arriva en poste ˆ Paris pour voir Puilorens qui sՎtait blessŽ tombant dans un carrosse.

Le jeudi 14me Mr du Tramblai gouverneur de la Bastille me vint reparler de la vendition de ma charge, et que si j'y voulais entendre, quÕensuite il voyait ma libertŽ assurŽe, mais quÕil nÕavait charge de mÕen offrir que quatre cent mille livres, et que cՎtait pour des personnes puissantes et qui pouvaient extrmement servir ˆ ma libertŽ. Je lui rŽpondis que jÕavais toujours offert de la laisser et rŽsigner ˆ un des proches de monsieur le cardinal pour le prix que mon dit seigneur le cardinal y voudrait ordonner, et que pour un autre ce serait ˆ plus haut prix que jÕen pourrais tirer. Il me rŽpondit qu'il ne me pouvait pas dire pour qui cՎtait, mais quÕil y avait grande apparence quÕune telle charge ne tomberait pas quÕen bonnes mains, et me fit bien comprendre que ce serait pour un de ses parents. Alors je consentis aux quatre cent mille livres offertes pourvu que lÕon me f”t quand et quand payer de mes appointements de ladite charge, qui mՎtaient džs depuis ma captivitŽ ; ce quÕil me promit de reprŽsenter, et que ds le lendemain matin il irait porter ma rŽponse au pre Josef son frre, qui Žtait venu de Ruel exprs pour cette affaire. Mais comme le vendredi 15me ledit pre eut ŽtŽ mandŽ de grand matin par monsieur le cardinal pour l'aller trouver ˆ Ruel, Mr du Tramblai sÕy en alla le lendemain samedi 16me lui porter ma rŽponse et quand et quand la demande que je faisais des appointements Žchus de ma dite charge ; ce que le pre Josef et Mrs Bouteillier pre et fils trouvrent raisonnable, et me mandrent par Mr du Tramblai qu'ils Žtaient trs aises que je me fusse franchement portŽ ˆ ce que lÕon dŽsirait de moi ; quÕils feraient entendre ma rŽponse ˆ monsieur le cardinal qui en serait assurŽment bien satisfait ; quÕils mŽnageraient mes prŽtentions de mes appointements en sorte que jÕen aurais contentement, et que j'eusse bonne espŽrance de ma prochaine libertŽ, et que tous trois entreprenaient mes affaires, et sÕen voulaient charger, partant que je les laissasse faire. Mr du Tramblai me dit de plus, de lui mme, quÕil ne pensait pas que je dusse tre ˆ No‘l dans la Bastille. Il me fit aussi souponner que ma dite charge tomberait entre les mains de Mr de Pontch‰teau, et en survivance au marquis de Coualin son fils.

Le roi ds lors commena son ballet et le recorda ˆ Saint-Germain jusques vers No‘l quÕil sÕen revint ˆ Paris avec toute la cour, o l'on lui fit agrŽer la personne du marquis de Coualin pour me succŽder en la charge de colonel-gŽnŽral des Suisses ; et Mr le garde des sceaux de SŽguier lui en fut rendre gr‰ces deux jours avant le premier jour de lÕannŽe 1635 : et lors, il fut divulguŽ que ledit marquis de Coualin serait colonel-gŽnŽral, et monsieur le garde des sceaux mÕen fit faire quelques compliments par Mr du Tramblai: et lors le bruit qui avait six semaines auparavant ŽtŽ fort grand de ma sortie, sÕaugmenta si fort que quantitŽ de personnes venaient tous les jours voir ˆ la Bastille si j'y Žtais encore, et lÕon tenait pour assurŽ que je sortirais aux Rois.

1635.

Janvier.Ń NŽanmoins cela retarda tout le mois de janvier, o ˆ cause de la multitude des affaires qui ne permirent pas au pre Josef de prendre lÕordre de monsieur le cardinal pour me venir parler jusques au samedi 27me de janvier quÕil en reut le commandement : mais le lundi 29me arriva la nouvelle de la prise de Philipsbourg sur le Rhin par les troupes impŽriales commandŽes par le colonel Bamberg qui en avait autrefois ŽtŽ gouverneur, ce qui l'occupa de telle sorte quÕil remit ˆ me venir parler au jour de la Chandeleur. Mais par malheur la veille, qui fut le jeudi premier jour de fŽvrier, il tomba en allant voir les filles bŽnŽdictines des marais du Temple, et se blessa de telle sorte quÕil en fut plusieurs jours au lit.

Cependant Mr le premier Žcuyer de Saint-Simon fut par le roi en ce temps-lˆ honorŽ de la dignitŽ de duc et pair de France : et ensuite le mercredi 14me, sur quelque connaissance que le roi eut que le duc de Puilorens traitait et pratiquait avec les Žtrangers et autres ennemis de lՎtat, contre les assurances quÕil avait donnŽes ˆ Sa MajestŽ depuis sa dernire abolition, Elle le fit arrter prisonnier par Gordes, capitaine des gardes, dans son cabinet, qui le mena de lˆ en la chambre de Mr de Chevreuse au Louvre ; et en mme temps Charros, aussi capitaine des gardes, arrta dans la cour du Louvre Le Fargis ; et Le Coudrai-Montpensier le fut chez monsieur le garde des sceaux, et peu aprs menŽ ˆ la Bastille. L'on prit aussi en mme temps Charnisay, Saint-Quentin, les deux frres Senantes, et ..... secrŽtaire du duc de Puilorens, qui furent menŽs chez le chevalier du guet. Le roi parla ˆ Monsieur, et le satisfit.

Le jeudi 15me au matin on mena avec grande escorte le duc de Puilorens et Le Fargis, dans le bois de Vincennes au donjon. Monsieur frre du roi fut voir monsieur le cardinal, et sortirent bien ensemble. On mit Brion ˆ la place de Puilorens au ballet du roi. On mena les deux Senantes ˆ la Bastille, et on fit tout saisir chez le duc de Puilorens. Madame de Verderonne et ses deux fils (dont lÕa”nŽ Žtait chancelier de Monsieur), eurent ordre de se retirer en leur maison de Stors.

Le vendredi 16me Mr Bouteillier me fit dire quÕil me viendrait trouver de la part du roi, ˆ sept heures du matin. Mais lui Žtant arrivŽ un courrier qui lui apporta nouvelle que Mr de Lorraine Žtait entrŽ dans la Lorraine et Žtait ˆ LunŽville, comme aussi de la dŽfaite des compagnies des barons de la Fresseliere et de ... par les ImpŽriaux, il en fut le matin porter la dŽpche au roi et ˆ monsieur le cardinal, et remit la partie au soir ; ˆ quoi il ne manqua pas sur les neuf ˆ dix heures du soir, et mÕassura des bonnes gr‰ces du roi, et de l'affection de monsieur le cardinal, comme aussi de ma sortie sans m'en spŽcifier le temps. Il me dit de plus que le roi me nommait le marquis de Coualin pour tre en ma place colonel-gŽnŽral des Suisses, lequel me donnerait, (moyennant ce), quatre cent mille livres comptant, et que pour ce qui concernait les gages et appointements qui mՎtaient džs de la dite charge, que mes amis, savoir son pre, lui, et le pre Josef, nÕen avaient voulu faire ouverture, remettant ˆ moi-mme dÕen traiter aprs ma sortie ; ˆ quoi je nÕeus autre chose ˆ faire qu'ˆ y acquiescer.

Le dimanche 18me le roi dansa un grand ballet au Louvre avec la reine : et le lundi 19me Mr Thuder, doyen de Notre Dame et conseiller de la grandÕchambre, me vint trouver de la part de monsieur le garde des sceaux son neveu, pour conclure notre traitŽ de ma charge de colonel-gŽnŽral des Suisses pour le marquis de Coualin fils de Mr de Pontch‰teau, neveu de monsieur le cardinal, et gendre dudit garde des sceaux ; lequel aprs avoir assez longtemps confŽrŽ avec moi, remit ˆ parler ˆ monsieur le garde des sceaux sur toutes les difficultŽs qui se prŽsentrent en l'affaire, et ne vint point le mardi 20me, jour de carme-prenant, ni le jour des Cendres suivant, que lÕon amena encore en la Bastille un des gentilshommes de Monsieur frre du roi, nommŽ Saint-Quentin, prisonnier.

Mais le jeudi 22me ledit Thuder revint en compagnie de Mr des Noyers intendant des finances avec lesquels je passai compromis de ma dite charge en faveur dudit marquis de Coualin pour la somme de quatre cent mille livres payable dans quinze jours suivants.

Ce mme jour les sceaux de Monsieur frre du roi furent ™tŽs ˆ Verderonne qui peu de jours auparavant en avait ŽtŽ pourvu, et furent donnŽs ˆ Mr Bouteillier le fils.

Le dimanche 25me de fŽvrier, jour auquel, quatre ans auparavant, j'avais ŽtŽ amenŽ prisonnier ˆ la Bastille, on dansa un ballet ˆ lÕArsenal, o le roi, la reine, et Monsieur se trouvrent, au sortir duquel Monsieur prit congŽ du roi, et sÕen alla avec six chevaux de poste ˆ Blois.

Le roi sÕen alla le mme jour ˆ Senlis, et ce mme lundi 26me monsieur le garde des sceaux dit ˆ mon intendant quÕil me ferait donner deux cent mille livres comptant de ma charge de colonel-gŽnŽral des Suisses pour son beau-fils de Coualin, et qu'il entendait quÕensuite je lui misse en main ma dŽmission, et qu'ˆ loisir aprs tre reu il me ferait donner les autres deux cent mille livres ; ce qui me mit en colre, et lui mandai que je ne donnerais point ma dŽmission que je ne fusse entirement payŽ.

Le mardi 27me Mr des Noyers intendant me vint voir, et je lui dis franchement ma rŽsolution pour la faire entendre ˆ monsieur le garde des sceaux.

Le mercredi 28me il mÕenvoya le sieur Lopes avec lequel je mÕaccordai quÕil mÕenverrait toute la somme dans la Bastille, que Mr du Tramblai gouverneur recevrait en dŽp™t pour me la donner lorsque je donnerais ma dŽmission.

 

Mars. Ń Le jeudi premier de mars monsieur le garde des sceaux mÕenvoya visiter par son secrŽtaire, et me prier de lui envoyer copie de mes provisions, ce que je fis.

Le dimanche 4me je rentrai en nouvelles difficultŽs avec monsieur le garde des sceaux qui me fit dire quÕil entendait de me donner des pistoles, ce qui Žtait contraire ˆ ce que j'avais convenu avec Mr des Noyers et Thuder : je lui mandai que je nÕen ferais rien.

Le lundi 5me il mÕenvoya Lopes auquel jÕaccordai que je prendrais quatre milles pistoles seulement.

Le mardi 6me un nommŽ Pepin, intendant de monsieur le garde des sceaux, me vint prier de sa part de prendre jusques ˆ cinq mille pistoles ; ce que je lui accordai, et le mme jour il commena ˆ m'apporter 33,000 livres. Ce jour mme jÕeus assurance de ma prochaine libertŽ, et que Mr Bouteillier le fils Žtait allŽ ˆ Senlis pour prendre du roi la forme de lÕexŽcuter.

Le mercredi 7me Pepin mÕapporta 53,353 livres.

Le jeudi 8me le mme Pepin mÕapporta encore 200,000 livres.

Le samedi 10me Pepin mÕapporta 40,000 livres.

Le dimanche 11me monsieur le cardinal arriva ˆ Paris parce que Mademoiselle voulut danser son ballet chez lui ; et monsieur le garde des sceaux, qui dŽsirait que son gendre all‰t le lendemain trouver le roi avec lui, pour prter son serment de colonel-gŽnŽral des Suisses, me fit prier dÕanticiper le temps portŽ pour lui donner ma dŽmission sur lÕassurance quÕil me donnait de m'envoyer le lendemain le reste de mon argent, ce que je lui accordai: mais il se ravisa et ne la voulut point.

Le lundi 12me jour de mars Pepin et Lopes me vinrent apporter le reste des quatre cent mille livres convenues, assavoir 73,665 livres, et moi je leur donnai quittance gŽnŽrale, et ma dŽmission ; ce qui se passa en mme mois, jour, et heure, que vingt et un ans auparavant j'avais prtŽ serment entre les mains du roi de la mme charge de colonel-gŽnŽral des Suisses.

Le dimanche 18me ensuivant, Mr Bouteillier le fils me vint trouver ˆ la Bastille, et aprs m'avoir fait des recommandations de Mr le cardinal de Richelieu, il me dit que mondit sieur le cardinal avait parlŽ au roi de ma libertŽ, laquelle il avait accordŽe, et quÕau premier jour je sortirais. NŽanmoins je le pressai fort de me dire ˆ quel jour prŽcisŽment je sortirais ; ce quÕil ne voulut faire, bien me dit-il que si dans huit jours je nՎtais en pleine libertŽ, que je lui en Žcrivisse ˆ Blois, (o il allait faire sa charge de chancelier de Monsieur), une lettre de reproche.

 

Avril. Ń Le dimanche des Rameaux arriva, qui fut le premier jour dÕavril, sans que jÕeusse aucune nouvelle de ma sortie, et celles qui vinrent de la prise de Trves et de lՎlecteur servirent de prŽtexte ˆ ceux qui mÕassuraient de ma libertŽ de me dire que cette prise et lÕarrivŽe de lÕOxenstern qui se retirait dÕAllemagne, donnaient tant d'affaires ˆ monsieur le cardinal quÕil ne pouvait penser aux miennes.

Ainsi je passai mes P‰ques et mme Quasimodo sans savoir aucune nouvelle, hormis le lundi 16me que Mr le Prince, (lequel ayant ŽtŽ mandŽ pour l'envoyer commander en Lorraine, Žtait venu ˆ la cour deux jours auparavant), me manda que monsieur le cardinal lui avait dit que lÕon mÕallait faire sortir, et ce avec honneur, et les bonnes gr‰ces du roi.

Ce mme jour monsieur le cardinal arriva ˆ Paris, et Monsieur frre du roi, que lÕon avait aussi envoyŽ quŽrir et qui Žtait arrivŽ le jeudi auparavant, fut ˆ la comŽdie, et ˆ souper chez monsieur le cardinal, qui dit ˆ ceux qui lui parlrent de ma part, que le lendemain il en parlerait au roi. Mais Sa MajestŽ partit le lendemain mardi 17me pour aller ˆ Compigne, et deux jours aprs monsieur le cardinal sÕy achemina.

Le roi eut le 18me une assez grande syncope en partant de Senlis ; mais par la gr‰ce de Dieu elle se passa, et le roi se rendit ce jour-lˆ mme ˆ Compigne, o monsieur le cardinal vint deux jours aprs, comme aussi fit peu aprs le chancelier de Sude Oxenstiern, qui sÕen retournait en Sude ; le roi le dŽfraya et reut trs bien : il vint aussi un ambassadeur de Hollande ; toutes lesquelles choses servirent encore de prŽtexte ˆ retarder l'effet de ma libertŽ tant de fois promise, de sorte que ceux que jÕavais envoyŽs la solliciter sÕen retournrent comme ils Žtaient venus, ayant vu partir le dimanche 22me monsieur le cardinal, et le roi le lundi 30me et dernier jour d'avril, pour aller ˆ PŽronne. Mais le soir mme le pre Josef Žcrivit ˆ son frre du Tramblai gouverneur de la Bastille quÕil me pouvait assurer que je recevrais mon entire libertŽ par le retour ˆ Paris du jeune Bouteillier qui me la devait porter, lequel arriva le samedi 5me de mai ˆ Paris ; et ma nice de Beuvron lÕayant ŽtŽ voir, il lui dit quÕil avait eu entre ses mains la dŽpche de ma libertŽ, mais que la nouvelle qui Žtait venue au roi que Monsieur son frre Žtait parti de Blois lui sixime, et sÕen Žtait allŽ en Bretagne peut-tre pour sÕaller embarquer pour passer en Angleterre, avait ŽtŽ cause que lÕon avait retirŽ ladite dŽpche, et que, sÕil Žtait vrai que Monsieur fžt sorti de France, je nՎtais pas pour sortir si t™t ; si aussi, comme il l'espŽrait, cela nՎtait point, que ma libertŽ Žtait indubitable ds quÕil aurait mandŽ quÕil serait prs de lui, o il sÕen allait en toute diligence ; et de fait partit en mme instant, bien en peine de cet accident dont il ne fut Žclairci quÕen arrivant ˆ Saumur quÕil trouva heureusement Monsieur en la mme h™tellerie o il venait coucher, et dŽpcha aussit™t ˆ la cour pour y faire savoir ces bonnes nouvelles, et que Monsieur Žtant allŽ voir le comte du Lude, ils sÕen Žtaient de lˆ allŽs ˆ Machecou voir Mr de Retz. Mais pour cela ma libertŽ nÕen fut pas avancŽe.

Peu aprs lÕarmŽe du roi qui sÕassemblait aux environs de MŽzires sous la charge des marŽchaux de Chatillon et de BresŽ, entra dans les pays du roi dÕEspagne par le pays de Lige, et le prince Tomas de Savoie sՎtant avancŽ avec une armŽe inŽgale pour s'opposer ˆ leur passage leur prŽsenta la bataille ˆ Avain o il fut dŽfait le 20me de mai ; et ensuite notre armŽe se joignit ˆ celle des ƒtats de Hollande commandŽe par le prince dÕOrange, prirent Diest et Tierlemont, en laquelle ville, prise dÕassaut, furent commises des cruautŽs et mŽchancetŽs effroyables : les Franais disent que ce furent les Hollandais, et eux, sans sÕen excuser, disent que les Franais nÕen firent pas moins quÕeux. Ils perdirent beaucoup de temps inutilement, et donnrent loisir aux Espagnols de se reconna”tre et se mettre en Žtat de s'opposer ˆ eux. Ils se rencontrrent encore en un lieu avantageux pour les Espagnols qui mirent une petite rivire devant eux ; mais nos armŽes lÕayant passŽe pour les aller attaquer, ils se retirrent et mirent la leur dans les villes de Bruxelles, de Malines, et de Louvain. Les armŽes franaise et hollandaise vinrent assiŽger cette dernire qui soutint leur furie, les incommoda par de grandes et frŽquentes sorties ; mais elles le furent bien plus du manquement de vivres qui les contraignit de se retirer ˆ Ruremonde, ayant ŽtŽ incessamment suivies et harcelŽes par lÕarmŽe espagnole, fortifiŽe de celle que lÕempereur avait envoyŽe ˆ son secours sous la charge de Picolomini. De Ruremonde elles se retirrent vers Venlo, et peu de temps aprs les Espagnols surprirent le fort de Schench, qui fut une perte indicible aux Hollandais, qui les obligea de l'aller investir en diligence avec nos deux armŽes, pensant le reprendre ; mais ayant trouvŽ l'effet impossible, ils mirent ds le mois dÕaožt suivant leur armŽe et la n™tre en garnison sans espoir de rien entreprendre le reste de l'annŽe, et notre armŽe extrmement diminuŽe et dŽpŽrie, n'ayant moyen de retourner en France que par mer. J'ai mis tout ˆ la fois ce qui sÕest passŽ en Flandres tout lՎtŽ, afin de nÕavoir point ˆ en parler si souvent.

Cependant, le roi alla visiter sa frontire de Picardie et donna ordre de faire fortifier PŽronne dÕun c™tŽ o il Žtait nŽcessaire de travailler, et ayant passŽ ensuite par Saint-Quentin et la Fre, sÕen alla en plerinage ˆ Notre Dame de Liesse et puis sÕen revint ˆ Ch‰teau-Thierry.

Ma belle sĻur de Removille dŽsespŽrŽe de sa santŽ et les mŽdecins nÕy trouvant aucun remde, Žtant hydropique formŽe, et ayant outre cela une hydropisie de poumon, elle dŽsira dÕaller mourir entre les bras de ses pre et mre, et en son pays natal. Pour cet effet elle partit de Chaillot le mardi 22me de mai pour sÕen retourner en Lorraine, et aucun des mŽdecins ni de ceux qui la voyaient ne se pouvaient persuader quÕelle y pžt aller en vie : nŽanmoins Dieu lui fit cette gr‰ce dÕy arriver. Le jour mme quÕelle partit, je mÕavisai quÕun minime qui par bref du pape avait eu permission de demeurer avec moi, et lequel avait miraculeusement guŽri autrefois dÕune hydropisie feu ma tante de Chantelou, excellent mŽdecin nommŽ pre Nicolas d'Ormanay, lui pourrait apporter quelque remde sÕil pouvait arriver prs dÕelle avant quÕelle mouržt : jÕenvoyai en mme temps au couvent de la Place Royale savoir o il demeurait alors ; et mÕayant ŽtŽ mandŽ quÕil Žtait ˆ Lyon, jÕenvoyai par la voie de la poste le quŽrir, et il arriva ˆ Nancy deux jours aprs ma belle-sĻur, si heureusement pour elle, qui nÕattendait plus de vivre trois jours, qu'il lui rendit une entire santŽ.

Le mercredi 23me mai le marquis de Coualin me vint dire adieu et me fit quelque compliment de la part de monsieur le cardinal, qui lÕen avait chargŽ. Il sÕen allait trouver le roi ˆ Ch‰teau-Thierry, et emmena avec lui mon ma”tre dÕh™tel Du Bois, commissaire du rŽgiment des gardes franaises et encore de celui des Suisses, pour leur faire faire la montre.

Le vendredi 25me, comme ledit Du Bois entra dans la chambre du roi, comme Sa MajestŽ le vit, il dit ˆ Mr de Bouteillier le pre, ˆ qui il parlait : Ē Voilˆ Du Bois, monsieur le ma”tre : ainsi le nommions-nous devant la Rochelle ˆ la diffŽrence de son frre que l'on appelait Du Bois le gendarme ; cÕest le ma”tre dÕh™tel du marŽchal de Bassompierre. Il nous a fait souvent bonne chre. Č Et ayant dit cela tout haut, il lui parla assez longtemps en secret, ensuite de quoi Mr Bouteillier sortant de la chambre, tira Du Bois par le manteau et lui dit quÕil le suiv”t, ce qu'ayant fait jusques ˆ son logis, il lui demanda sÕil sÕen retournait bient™t ˆ Paris : et Du Bois lui ayant rŽpondu que ce serait ds demain aprs quÕil aurait fait faire la montre, il lui dit : Ē Attendez encore et ne partez quÕaprs la fte de la Pentec™te, et je vous donnerai la dŽpche de la libertŽ de Mr le marŽchal de Bassompierre, que jÕexpŽdierai lundi aprs avoir parlŽ ˆ monsieur le cardinal. Č Du Bois arrta sur cette bonne nouvelle et me dŽpcha en poste pour mÕen avertir.

Le lundi 28me Mr Bouteillier alla trouver monsieur le cardinal ˆ CondŽ o il logeait, et dit en partant ˆ Du Bois quՈ son retour il lui donnerait assurŽment cette dŽpche, et quÕil se t”nt prt pour partir le lendemain matin. Du Bois le fut trouver le soir pour avoir la dŽpche ; mais il lui dit quÕil nÕavait pu parler de mon affaire ˆ monsieur le cardinal qui avait toujours confŽrŽ avec le nonce Massarini et lui pour des affaires importantes, et que monsieur le cardinal lui avait dit quÕil all‰t accompagner en sortant ledit Massarini, avec lequel il Žtait revenu, mais que monsieur le cardinal viendrait mercredi ˆ Ch‰teau-Thierry trouver le roi, et que lˆ lÕaffaire se rŽsoudrait.

Monsieur le cardinal ne revint point le mercredi ˆ la cour, comme il avait dit ˆ Du Bois, mais bien le vendredi premier jour de juin. Mais aprs quÕil fžt parti, Du Bois ayant ŽtŽ trouver Mr Bouteillier, il lui dit quÕil y avait eu tant dÕaffaires sur le tapis que lÕon nÕy avait su mettre celle de ma libertŽ, mais que je mÕassurasse quՈ la premire occasion il nÕy manquerait pas ; que je la tinsse assurŽe, et quÕil Žtait mon serviteur ; que lui, Du Bois, pourrait, sÕil voulait, aller faire un tour ˆ Paris, et puis sÕen revenir ; ce quÕil fit, et bien honteux de mÕavoir donnŽ de si fortes espŽrances pour mÕapporter enfin de si faibles effets.

Le samedi 2me Mr le Comte me fit dire qu'il savait de trs bonne part que ma libertŽ Žtait rŽsolue, et que dans vingt et quatre heures je sortirais sans faute.

Mais le lundi 4me je vis Du Bois, qui me fit voir que ce nՎtait que pure tromperie ; et bien que monsieur le premier prŽsident mÕežt fait dire le mme jour quÕil savait de bon lieu que je sortirais avant la fin de la semaine, je ne crus rien de ma libertŽ.

Le mercredi 6me Mr Bouteillier le jeune, revenant de Blois, fut vu par ma nice de Beuvron ˆ qui il dit que ma libertŽ avait dŽja ŽtŽ cinq ou six fois rŽsolue, et puis retardŽe ; quÕil sÕen allait ˆ la cour, et que, si je ne sortais ˆ son retour, je ne m'y devais plus attendre, vu que la cause du dŽlaiement nÕavait ŽtŽ fondŽe que sur le subit partement de Blois de Monsieur.

Je nÕeus aucunes nouvelles jusques au jeudi 21me que Mr du Tramblai me vint dire de la part de Mrs Bouteillier, pre et fils, que je ne les tinsse jamais pour gens de bien si j'Žtais encore quinze jours prisonnier ; et le vendredi 29me Mr du Tramblai me dit encore de la part de Mr Bouteillier le fils que monsieur le cardinal lui avait encore donnŽ parole de ma libertŽ, et lui avait permis de me l'envoyer donner.

Le samedi dernier de juin Mr le Prince arriva ˆ Paris, retournant de son emploi de lieutenant-gŽnŽral de lÕarmŽe du roi en Lorraine, et avait laissŽ l'ordre en partant pour dŽmolir mon ch‰teau de Bassompierre, ce qui a depuis ŽtŽ exŽcutŽ.

 

Juillet. Ń Le dimanche premier jour de juillet, mourut au bois de Vincennes Mr le duc de Puilorens, ˆ deux heures aprs minuit, qui y Žtait prisonnier.

Le mercredi 4me Mr le cardinal de la Valette est parti pour aller succŽder ˆ Mr le Prince en la lieutenance de lÕarmŽe du roi en Lorraine.

Ma maison de Bassompierre fut rasŽe le 6me, un vendredi.

Le mercredi 11me les prŽlats de lÕassemblŽe du clergŽ signrent leur avis sur la nullitŽ du mariage de Monsieur, frre du roi.

Le jeudi 19me Mr du Tramblai me vint dire de la part de Mrs Bouteillier que ma libertŽ avait ŽtŽ ce jour lˆ tout ˆ fait rŽsolue, et quÕils mÕen rŽpondaient.

Le vendredi 20me ma nice de Beuvron me manda que les mmes personnes lui avaient envoyŽ dire la mme chose, et des gens de leur logis m'en firent dire autant.

Ma nice fut trouver le lendemain samedi 21me Mr Bouteillier le pre qui lui reconfirma la mme chose avec des assurances trs grandes, la pria de me les donner de sa part, et me fit dire encore le mme jour la mme chose par Mr du Tramblay, lequel me fit aussi voir une lettre que le pre Josef son frre lui Žcrivit le mardi 24me, par laquelle il lÕassurait que Mr Bouteillier le fils me devait apporter dans deux jours les dŽpches de ma libertŽ, lequel vint le lendemain mercredi 25me, et ne mÕapporta aucune nouvelle, ou mÕen dit une qui ne mÕagrŽa gure, que le roi partait le jour mme pour aller coucher ˆ Chantilly et de lˆ passer en Lorraine ; car je me doutai bien que pendant son absence je nՎtais pas sorti dÕun lieu o j'Žtais retenu depuis quatre ans et demi : aussi Mr du Tramblai qui fut le lundi 29me ˆ Ruel voir monsieur le cardinal, ne me rapporta rien de bon, et depuis ce temps-lˆ je nÕai eu aucune espŽrance de ma sortie ; et mme ma nice de Beuvron qui a ŽtŽ vingt fois aux lieux o se tenait monsieur le cardinal, pour lui parler, nÕa jamais su avoir accs auprs de lui, ni mme faire en sorte que lÕon lui d”t quÕelle Žtait lˆ.

 

Aožt. Ń Cependant l'arrire-ban de Normandie, composŽ de prs de deux mille chevaux, fut amenŽ par Mr le duc de Longueville, et le samedi 14me dÕaožt fit montre prs de Saint-Denis, et ensuite sÕachemina ˆ Chalons o Žtait leur rendez-vous.

Le roi aussi demanda aux cantons une levŽe de douze mille Suisses qui lui fut accordŽe ; et le 16me dÕaožt monsieur le garde des sceaux mՎcrivit par lÕordre de monsieur le cardinal pour avoir mon avis sur la faon que lÕon devait tenir pour lÕacheminement de cette levŽe, dont je lui en envoyai des amples mŽmoires qui nÕont pas ŽtŽ suivis.

Le roi peu aprs donna la lieutenance gŽnŽrale de son armŽe ˆ Mr le Comte, et Sa MajestŽ sÕachemina ˆ Chalons.

Ds le mois d'avril auparavant Mr le marŽchal de CrŽquy avait ŽtŽ dŽclarŽ par le roi son lieutenant-gŽnŽral en son armŽe d'Italie, laquelle il prŽparait pour attaquer le duchŽ de Milan et attaquer les Espagnols de ce c™tŽ-lˆ, ayant liguŽ avec lui la rŽpublique de Venise, les ducs de Savoie, de Mantoue, de Parme, et de Modne, et le pape ne lui Žtant pas contraire. Le marŽchal de CrŽquy entra en Italie en juillet, et assiŽgea Valence sur le Po, dŽpendante du duchŽ de Milan. Les Espagnols mirent quatre mille hommes de pied et deux cents chevaux dedans, qui font tous les jours des grandes et furieuses sorties. Le duc de Parme y arriva en ce mois, et le duc de Savoie peu aprs, qui a le principal commandement en lÕarmŽe du roi.

Mon neveu de Bassompierre fut fait au commencement de cette annŽe sergent major gŽnŽral de lÕarmŽe de lÕempereur, et nÕai eu de lui aucunes nouvelles que par des prisonniers qui se sont sauvŽs des mains des gens de lÕempereur, de qui les affaires ont grandement prospŽrŽ, quasi tous les princes dÕAllemagne, (au moins les principaux), sՎtant accommodŽs avec lui, ne restant plus que le landgrave de Hessen lequel mme on tient qui traitera. Le duc de Wurtemberg spoliŽ de ses Žtats, est retirŽ ˆ Strasbourg, et les palatins des Deux Ponts, de Birchefeld, de la Petite Pierre, les marquis de Baden, comtes de Hannau, Nassau, Sulms, et quantitŽ dÕautres, refugiŽs ˆ Metz ; Haidelberg, Vormes, et autres places, rendues ˆ Galas, un de ses lieutenants-gŽnŽraux.

Mr de Lorraine en ce mois Žtait rentrŽ en Lorraine, et y faisait quelque progrs.

Mr de Rohan que le roi, ds le commencement du printemps, avait envoyŽ avec dÕassez grandes forces en la Valteline, lÕavait occupŽe sans rŽsistance : mais les troupes impŽriales y Žtant survenues, elles avaient passŽ malgrŽ lui, et puis lui en avaient laissŽ la jouissance jusques ˆ ce quÕil leur pr”t fantaisie d'en faire autant.

Le duc Bernard de Saxe-Waimarch sՎtait retirŽ de delˆ le Rhin quÕil avait repassŽ, et Žtait venu assez vite jusques ˆ Sarbruch, lorsque Mr le cardinal de la Valette s'approcha pour le soutenir avec lÕarmŽe que nouvellement il commandait, et lors ils furent considŽrables aux ImpŽriaux ; car le duc Bernard avait bien amenŽ sept ˆ huit mille chevaux ; de sorte que le Galas ayant assiŽgŽ les Deux Ponts, et ayant dŽjˆ capitulŽ, oyant que les n™tres arrivaient au secours, il se retira la nuit et repassa le Rhin.

En ce temps-lˆ la ville de Francfort se voyant abandonnŽe de secours, nÕy ayant plus d'armŽe delˆ le Rhin que celle du landgraf de Hessen, bien empchŽ de garder ses propres pays, envoya des dŽputŽs au roi de Hongrie pour se mettre en la protection de lÕempereur, lorsque le landgraf et le duc Bernard jugeant de quelle importance pour le parti Žtait la conservation de cette puissante ville, mandrent au cardinal de la Valette de passer le Rhin ˆ Mayence, et que le landgraf se joindrait au duc Bernard et ˆ lui pour t‰cher de secourir Francfort, et que peut-tre il y aurait moyen de sÕen saisir ; qui serait un grand avantage pour leur parti et un moyen de faire hiverner leurs armŽes delˆ le Rhin, ce quÕil ne croyait pas du tout impossible puisque nous avions encore une forte garnison ˆ Saxehause qui est un faubourg fortifiŽ delˆ le Main. Mais comme, au commencement de septembre, Mr le duc de Waimarch et Mr le cardinal de la Valette eurent passŽ le Rhin ˆ Mayence pour se joindre au landgraf qui sՎtait approchŽ ˆ une journŽe dÕeux, ceux de Francfort avertis ou se doutant du dessein que nous avions de nous saisir de leur ville, se rŽsolurent de chasser la garnison de Saxehause et de traiter avec le roi de Hongrie. Ils firent le premier sans rŽsistance de cette garnison, et le second aux conditions quÕils voulurent ; dont le landgraf Žtant averti se retira en son pays, et nos armŽes se camprent proche de Mayence, et celle de Galas ˆ une lieue dÕelles, les unes et les autres sՎtant retranchŽes ; la n™tre en extrme nŽcessitŽ de vivres, et celle de Galas se grossissant des garnisons voisines et des troupes qui avaient bloquŽ Manhem, (qui se rendit en ce mme temps). Galas fit dessein de couper le retour et le chemin des vivres ˆ notre armŽe : pour cet effet il fit passer le Rhin ˆ trois mille Cravates le 20me de septembre, et avec le reste se prŽpara pour les suivre ; dont le duc de Waimarch et le cardinal ayant eu avis, et se jugeant perdus si Galas se mettait entre la France et eux, laissrent leurs malades ˆ Mayence, et ayant troussŽ bagage repassrent le Rhin pour sÕen retourner. Ils firent ˆ peu de lˆ rencontre de ces Cravates jˆ passŽs, les chargrent, et eux selon leur coutume ordinaire l‰chrent le pied et sՎvanouirent devant eux. Nos gens ravis pensaient avoir dŽfait lÕarmŽe de Galas, ayant mme trouvŽ treize petites pices de campagne quÕun cheval peut tra”ner, de sorte qu'ils croyaient leur retour assurŽ, quand ˆ quatre heures de lˆ ces mmes Cravates retournrent ˆ les harceler et ne les ont quittŽs qu'ˆ six lieues de Metz, tuant ce qui demeurait derrire ou qui ne gardait pas bien son ordre. Nous y perd”mes huit pices de canon et presque tout le bagage de notre armŽe, et ceux qui ne purent suivre trente six heures durant que la retraite dura sans loger ni repa”tre avec mille peines et incommoditŽs ; et Galas qui suivait, les faillit de six heures, sans quoi cette armŽe ežt ŽtŽ tout ˆ fait perdue.

Le roi Žtait lors ˆ Chalons avec quantitŽ de troupes et de gentilshommes des arrire-bans, qui sÕavana pour soutenir ses armŽes et pour assiŽger Saint-Mihel que Lesmon avait pris pour Mr le duc de Lorraine.

Le duc dÕAngoulme demeurait, sans rien faire, campŽ proche de LunŽville, laissant perdre son bagage ˆ Saint-Nicolas ; et peu aprs encore au mme lieu les ennemis prirent un convoi de cinq cents charrettes de farines qui allait ˆ LunŽville ; et laissait payer la contribution ˆ la plupart de la Lorraine au duc de Lorraine sans y remŽdier. Le roi lui envoya commander de sÕavancer ˆ Baccara proche de Rambervillers.

Ma maison de Harouel fut prise par les troupes de Mr de Lorraine, commandŽes par un nommŽ Du Parc, qui y mit garnison, ayant prŽcŽdemment bržlŽ Crantenoy, un de mes villages proche de ladite maison, et pris les chevaux et le bŽtail de quinze autres villages de la mme terre, faisant payer les contributions ˆ mes sujets et enlevant les blŽs qu'il fait porter ˆ Rambervillers o le duc est campŽ. Ainsi sans aucune rŽsistance ses troupes font contribuer jusques ˆ une lieue de Nancy.

Toutes ces choses convirent le roi de partir de Chalons avec toutes les forces quÕil y avait, et ayant fait son lieutenant-gŽnŽral Mr le comte de Soissons, il l'envoya au commencement du mois d'octobre investir Saint-Mihel o commandait Lenoncourt de Serre, que Mr de Lorraine y avait jetŽ avec quelques troupes, mais qui se rendit ˆ discrŽtion, ne pouvant tenir dans cette mŽchante place devant le roi qui sՎtait avancŽ ˆ CĻur.

Aprs la prise de Saint-Mihel, le roi donna une partie de son armŽe au cardinal de la Valette pour joindre au reste de celle qu'il avait et aux troupes de Waimarch, afin que, toutes jointes ensemble, ils pussent repousser Galas delˆ le Rhin, et Sa MajestŽ envoya le reste de ses troupes ˆ Mr dÕAngoulme, (lequel, ˆ l'arrivŽe de Galas, craignant dՐtre enfermŽ entre son armŽe et celle du duc de Lorraine, sՎtait retirŽ ˆ Saint-Nicolas, et le duc de Lorraine sՎtait avancŽ au Pont-Saint-Vincent) ; et le roi lui manda quÕil se perd”t ou quÕil f”t repasser ledit duc de Lorraine en son ancien retranchement de Rambervillers.

Aprs ces ordres donnŽs, Sa MajestŽ tourna tte vers Paris et arriva ˆ Saint-Germain le lundi 22me d'octobre, et ce mme jour on amena prisonniers ˆ la Bastille les sieurs de Lenoncourt, de Salins et de Maugean, qui avaient ŽtŽ pris dans Saint-Mihel.

Le mardi 23me, Mr le comte de Carmain fut aussi amenŽ dans la Bastille, et ce mme jour ma libertŽ fut remise sur le tapis, monsieur le cardinal ayant dit au gouverneur de la Bastille que l'on m'en allait faire sortir.

Le jeudi 25me ledit gouverneur Žtant allŽ trouver le roi ˆ Saint-Germain, le nonce Massarini lui dit que le mardi prŽcŽdent, en soupant avec monsieur le cardinal, il lui avait dit quÕil mÕallait faire sortir, et quÕil me le pouvait dire de sa part. Cela m'obligea dÕenvoyer ma nice de Beuvron trouver monsieur le cardinal ˆ Ruel le mardi 30me, pour le solliciter de ma part. Elle le vit, et lui avec un visage rude lui demanda ˆ qui elle en voulait. Elle lui rŽpondit quÕelle le venait, en toute humilitŽ, supplier de moyenner ma libertŽ de laquelle depuis cinq annŽes jՎtais privŽ. Elle ne put jamais tirer de lui autre chose sinon quÕil en parlerait au roi, ce quÕil lui rŽitŽra par quatre fois, puis la quitta. Elle me vit le lendemain et me dit le peu d'apparence quÕelle trouvait de ma sortie, ˆ quoi je ne mÕattendis plus.

 

Novembre. Ń Ma cousine dÕEpinal, abbesse, ˆ qui j'avais fait donner par feu ma tante ladite abbaye, mourut le premier jour de novembre, ce qui fit rŽveiller les anciennes prŽtentions que ceux de Bourbonne avaient sur cette pice, dont ma nice Žtait coadjutrice, et envoyrent au roi lui demander le brevet.

Peu de jours aprs, le pre Josef Žtant venu rendre les derniers devoirs ˆ la prŽsidente le Clerc sa nice, qui mourut le jeudi 8me dans la Bastille, le dit pre me fit dire que dans deux jours sÕen retournant, il parlerait de moi ˆ monsieur le cardinal, et quÕil se promettait que ce ne serait sans fruit ; mais reconnaissant combien de fois j'avais ŽtŽ vainement repu de ces vaines espŽrances, je nÕy ajoutai aucune foi. Aussi nÕen vis-je aucun effet : au contraire le mardi 18me dŽcembre, ma nice de Beuvron Žtant allŽe ˆ Ruel pour parler ˆ monsieur le cardinal, ledit pre ne lui voulut jamais donner une minute dÕaudience, bien qu'en sÕen revenant ˆ Paris ˆ l'heure mme il fžt passŽ contre son carrosse.

Le roi arriva le lendemain 19me, fit prter le jour mme serment de chancelier de France au garde des sceaux SŽguier, et fut le lendemain 20me en son parlement pour y faire vŽrifier quantitŽ dՎdits.

J'eus en ce temps-lˆ nouvelles comme, le pŽnultime du mois prŽcŽdent, la garnison mise par les gens du duc Charles de Lorraine ˆ Harouel en Žtait sortie, et que le marquis de Sourdis y en avait remis une autre pour le roi le samedi premier de dŽcembre.

1636.

Janvier.Ń L'annŽe 1636 commena par quelque dŽsordre qui arriva en parlement sur ce que les enqutes se voulurent assembler pour voir les Ždits vŽrifiŽs le 20me du mois passŽ le roi Žtant en son lit de justice, et pour voir de tirer quelque meilleur parti de ce surcro”t que lÕon avait fait de vingt-quatre conseillers et un prŽsident au mortier. Le premier prŽsident dit aux enqutes qu'il avait une lettre du roi ˆ son parlement, qui leur interdisait lÕassemblŽe. Eux insistrent de voir la lettre, et lui ne le voulant, ils revinrent prendre place le mercredi 2me ; et le vendredi 4me Žtant revenus ˆ la grand'chambre prendre place, ils reurent une lettre du roi qui leur commandait une dŽputation vers lui de trente du corps pour le lendemain. En ce mme temps le conseiller LainŽ accusa le premier prŽsident. Le lundi suivant on envoya en diverses demeures le prŽsident Barillon, les conseillers LainŽ, Foucaut, Sevin, et Eaubonne.

J'eus en ce temps avis de lÕextrŽmitŽ de maladie de ma nice la secrte, du peu d'apparence de vie plus longue ˆ ma belle-sĻur, et que de mon revenu de lÕannŽe passŽe je nÕen devais rien attendre. Toutes ces choses, avec le peu dÕespŽrance de libertŽ, me mirent en une trs forte mŽlancolie.

Enfin le 12me je reus la triste nouvelle de la mort de ma nice la secrte de Remiremont ; et peu de jours aprs on me manda comme les commissaires des vivres du roi avaient enlevŽ les blŽs de ma maison de Harouel qui est mon principal revenu, et ce, non seulement sans payer, mais encore sans en avoir voulu donner de certificat de l'avoir pris.

 

FŽvrier. Ń Le mois de fŽvrier arriva, au commencement duquel on me manda de Lorraine qu'un nommŽ le sieur de Villarseaux avait commission du roi de raser ma maison de Harouel, ce qui me fut bien cruel, et fis faire instance ˆ monsieur le cardinal pour dŽtourner cet orage.

Le vendredi 8me Mr le Prince fut en parlement y faire commandement par le roi dÕy recevoir Colombel conseiller, ce qui fut fait avec grand opprobre pour ledit Colombel.

Le mardi 12me Bulion y fut reu prŽsident au mortier, et le mme jour le roi dansa son ballet.

Le samedi 16me le duc de Parme arriva ˆ Paris, et le mardi 19me Mr le cardinal de Richelieu fit un superbe festin audit duc.

 

Mars. Ń Le 5me de mars, un mercredi, un nommŽ La Rivire qui Žtait lors le premier aux bonnes gr‰ces de Monsieur, frre du roi, fut menŽ prisonnier ˆ la Bastille, et le lendemain jeudi 6me quatre des siens furent ŽloignŽs dÕauprs de sa personne, qui Žtaient le vicomte dÕAutels, le chevalier de Bueil, LÕEspinay et son premier valet de chambre nommŽ Le Grand.

Le samedi 8me le duc Bernard de Waimarch arriva ˆ Paris, et le mercredi 12me Monsieur, frre du roi, en partit ; et le mardi ensuivant, 18me du mme mois, le duc de Parme sÕen alla.

Le jeudi-saint, 20me, le nonce Massarini qui sÕen allait le lendemain en sa vice-lŽgation dÕAvignon et qui se disait fort mon ami, me voulut venir dire adieu, et me dit force choses sur le sujet de ma libertŽ ; mais le connaissant comme je fais, et lՎtat prŽsent des affaires, je nÕeus gure de peine ˆ reconna”tre que ce nՎtaient que chansons.

Le 24me, qui Žtait le lundi de P‰ques, Mr lՎvque de Lisieux dŽsira de me voir, qui ne me dit pas davantage que ce que mÕavait dit Massarini.

Je passai depuis tout le mois d'avril sans aucune apparence de libertŽ et avec une tristesse infinie.

 

Mai. Ń Le mois de mai ne me fut pas moins douloureux ; car je sus que le ma”tre des requtes Gobelin avait fait prendre dans ma maison de Harouel les blŽs qui y Žtaient au nombre de 1500 rŽsaux ; et ayant eu une ordonnance du roi pour les ravoir, ce mŽchant homme qui durant ma bonne fortune Žtait mon intime ami, ne voulut jamais en donner la main levŽe, ains sÕy opposa formellement et mme vint exprs ˆ la cour pour en parler au conseil o Bulion fit rŽsoudre que le roi garderait lesdits blŽs, et que lÕon les ferait payer sur lՎpargne, qui est ˆ dire rien : et ensuite comme on en parla ˆ Mr le cardinal de Richelieu, on me dit quÕil avait trouvŽ bien Žtrange que je demandasse l'argent de mes blŽs au roi, vu que j'Žtais si riche que je b‰tissais un somptueux Ždifice ˆ Chaillot, que je faisais faire des si riches meubles que le roi nÕen avait pas de pareils, et que je gardais un grand train depuis six ans que l'on mÕavait mis prisonnier, et que lÕon ne me pouvait mater.

Peu de jours aprs au mme mois, le duc de Waimarch eut dŽpartement du roi pour rafra”chir son armŽe au comtŽ de Vaudemont et dans mon marquisat de Harouel qui lui fut donnŽ au pillage ; ce quÕil fit si bien exŽcuter que toutes les pilleries, cruautŽs et inhumanitŽs y furent exercŽes, et ma terre entirement dŽtruite, au ch‰teau prs, qui ne put tre pris par cette armŽe qui nÕavait point de canon.

En ce temps je pensai perdre ma nice lÕabbesse dÕEpinal qui eut le pourpre. Je sus aussi que mon neveu de Bassompierre sՎtait retirŽ dÕavec Mr le duc de Lorraine, avec lequel il Žtait trs mal ; et pour la fin dudit mois de mai les troupes dudit duc Bernard de Waimarch attaqurent notre ch‰teau de Removille o cinq ou six cents paysans de tous ‰ges et sexe sՎtaient retirŽs, lequel ils forcrent enfin le mercredi 28me de mai, et turent les hommes et les vieilles femmes qui y Žtaient, emmenrent les jeunes aprs les avoir violŽes, et bržlrent les enfants avec le ch‰teau aprs l'avoir pillŽ.

Ce mme mois, Mr le prince de CondŽ, gŽnŽral de l'armŽe du roi, se jeta dans le comtŽ de Bourgogne et vint mettre le sige devant Dole quÕil trouva mieux muni d'hommes et plus en dŽfense quÕil ne se lՎtait imaginŽ, et force noblesse du pays sՎtant jetŽe dans la ville faisaient de continuelles sorties sur les n™tres qui y reurent tous les jours quelque Žchec ; et le duc de Waimarch avec Mr le cardinal de la Valette sÕacheminrent vers la frontire dÕAllemagne avec leurs armŽes, (que lÕon avait grossies de la plus grande partie de celle que Mr le Comte avait en Champagne), pour faire quelque progrs dans lÕAlsace, ce qu'ils firent au commencement du mois de juin, allant assiŽger Saverne qui se voulut dÕabord rendre ˆ composition : mais le duc de Waimarch, (outrŽ de colre contre celui qui commandait dedans la ville, qui avait auparavant rendu le ch‰teau de Languestel aux ImpŽriaux), ne les y voulut point recevoir ; dont il ne fut pas ˆ se repentir : car les assiŽgŽs se voyant hors dÕespŽrance de gr‰ce, t‰chrent de vendre chrement leurs vies et par diverses sorties incommodrent extrmement les troupes dudit duc, lequel fut aussi bien battu en divers assauts qu'il fit donner ˆ la ville, quÕil avait attaquŽe sans canon : il perdit un doigt ˆ ce sige, dÕune mousquetade : le colonel Ebron, brave et vaillant soldat, qui Žtait un de ses marŽchaux de camp, y fut tuŽ, et le vicomte de Turenne blessŽ au bras d'une mousquetade.

Pendant ce mois aussi le sige de Dole continua peu heureusement pour nous par les frŽquentes sorties de ceux de dedans qui firent entre autres choses un grand Žchec sur le rŽgiment de Picardie en une dÕicelles : et les Hollandais qui avaient le mois auparavant repris le fort de Schench, voyant les deux rois, (selon ce qu'ils avaient toujours dŽsirŽ), embarquŽs dans une forte guerre lÕun contre lÕautre, les laissrent vider par ensemble leurs diffŽrends et mirent leur armŽe en garnison pour tout lՎtŽ, ce qui donna courage au cardinal-infant de tourner ses desseins contre la France ; pour cet effet ayant joint ˆ ses forces celles du duc de Lorraine, de Jean de Ver, et du prince Franois Žvque de Verdun, entra ce mme mois avec une armŽe de vingt mille chevaux et dix mille hommes de pied dans la France, mit le sige devant la Capelle quÕil prit le septime jour, et se vint camper prs de Guise.

Le roi qui prenait des eaux ˆ Fontainebleau o il avait demeurŽ depuis le commencement du printemps, ayant su cette nouvelle, sÕen revint ˆ Paris le mardi 15me de juillet, comme fit aussi monsieur le cardinal, et il y eut le mme jour conseil au Louvre, et le lendemain aussi : puis lÕun et lÕautre en partirent, le roi pour Versailles, et monsieur le cardinal sÕen revint ˆ Charronne, mÕayant en passant envoyŽ demander en prt ma maison de Chaillot pour y aller loger pendant le temps que le roi irait demeurer ˆ Madrid. Je jugeai ˆ propos de lui Žcrire une lettre, tant pour le faire souvenir de moi que pour mÕoffrir aux occasions prŽsentes de porter ma vie o le service du roi me la voudrait destiner, et lui envoyai par le gouverneur de la Bastille le jeudi 17me, qui lui donna comme il sortait de Charronne pour venir ˆ Paris tenir sur les fonts Mademoiselle, fille unique de Monsieur, dont la reine fut la commre qui la nomma Anne Marie, et fut baptisŽe dans la chambre de la reine au Louvre ; puis il sÕen revint ˆ Charronne.

On nՎtait pas lors sans affaires : car il y avait vingt mille chevaux des ennemis dans la France, lesquels aprs avoir pris la Capelle avec dix mille hommes de pied qui sՎtaient joints ˆ eux, sՎtaient sŽparŽs, savoir, la grosse cavalerie alla devers Guise avec l'infanterie, le duc Charles et le prince Franois tirrent devers Vitry, et Jean de Ver battait la campagne en Picardie, ėle de France, et Champagne. Ils firent semblant dÕassiŽger Guise ; mais ils trouvrent six ˆ sept mille hommes que l'on y avait jetŽs, composŽs de seize compagnies des gardes, du rŽgiment de Champagne, de celui de Saint-Luc, et de ceux de Vervins et Langeron, qui firent une forte sortie sur eux lors quÕils sÕen voulurent approcher, de sorte qu'ils ne s'y opini‰trrent pas. Le cardinal-infant vint d”ner ˆ la Capelle le lundi 25me de ce mme mois et y tint conseil de guerre ; et Mr le comte de Soissons en mme temps ayant ramassŽ toutes les troupes quÕil avait pu de Champagne et Picardie, sՎtait venu camper devant la Fre avec trois mille chevaux et dix mille hommes de pied, auquel tous les jours nouvelles troupes arrivaient pour faire tte aux Espagnols.

D'autre c™tŽ, le sige de Dole allait lentement : celui de Saverne continuait encore bien que ce ne fut quÕun pouillier [bicoque], o lÕon avait perdu plus de douze cents hommes et davantage de blessŽs ; et entre autres le duc de Waimarch y avait perdu un doigt dÕune mousquetade et ensuite avait eu une autre blessure ˆ la cuisse : le colonel Ebron y fut tuŽ dÕune mousquetade dans la gorge, qui fut grande perte, car il Žtait brave homme ; le jeune comte de Hannau aussi, et plusieurs gens de marque : et sur la mer les vents contraires avaient fait Žcarter notre armŽe navale et dŽtournŽ sa route.

Dans l'Italie, Mr le marŽchal de CrŽquy fut attaquŽ sur le bord du Tessin o il fit merveilles de se bien dŽfendre, et fut bien secouru par Mr de Savoie, et ˆ propos, car il Žtait pressŽ. Enfin ils eurent avantage sur les Espagnols; mais ce ne fut pas sans perte des n™tres.

Finalement le colonel de Mercy gouverneur de Longwy, voyant que Mr le Comte avait quittŽ son gouvernement pour aller en Picardie s'opposer aux Espagnols, se mit en campagne avec deux rŽgiments de cavalerie ennemie joints au sien, et se vint jeter en Barrois quÕil trouva dŽgarni.

Les croquants et paysans mutinŽs de Saintonges, Angoumois, Limousin, et Poitou, sÕavancrent jusques ˆ Blanc en Berry.

 

Aožt. Ń Le mois dÕaožt arriva, auquel les Espagnols assiŽgrent et prirent en deux jours le Catelet et vinrent sur le bord de la rivire de Somme pour la passer. Mr le Comte vint sur lÕautre rive pour sÕy opposer, mais en vain, car le..... les ennemis passrent, ayant taillŽ en pices le rŽgiment de PiŽmont, ce qui fit retirer Mr le Comte en diligence ˆ Noyon.

Ces nouvelles firent aussit™t venir ˆ Paris le roi et monsieur le cardinal, qui firent appeler tous les ordres et Žtats et leur demander aide sur ce nouvel accident. Chacun sÕeffora de contribuer noblement ce qu'il put, et aucun ne refusa, selon sa portŽe, de fournir hommes, chevaux, armes et argent.

Le dimanche 10me ma nice de Beuvron fut trouver monsieur le cardinal pour lui parler de ma libertŽ, auquel elle parla en sortant de sa chambre : mais lui en se moquant lui rŽpondit que je nÕavais encore ŽtŽ que trois ans ˆ la Bastille, et que Mr dÕAngoulme y avait ŽtŽ quatorze ans ; quՈ propos il Žtait revenu, afin quÕil lui pžt donner un bon avis sur le sujet de ma libertŽ, et quÕil en consulterait avec lui. J'oubliais ˆ dire qu'ˆ lÕalarme du passage de la Somme, Mr dÕAngoulme, Mr de la Rochefoucaut, Mr de Valanay, et autres exilŽs, furent rappelŽs : mais la colre et la haine continua contre moi de telle sorte que non seulement on nÕeut pas considŽration ni compassion de mes longues misres, quÕau contraire on les voulut accro”tre par cette dŽrision et moquerie. Ce nՎtait pas que le peuple et tous les ordres de Paris ne parlassent hautement de ma libertŽ et ne la demandassent avec instance.

Ce mme jour 10me monsieur le cardinal alla voir proche de Saint-Denis les troupes quՈ la h‰te ceux de Paris avaient levŽes pour opposer aux ennemis. Ce jour le roi se trouva un peu mal, qui lÕempcha dÕaller voir ces troupes.

Le lundi 11me le parlement qui avait le jour prŽcŽdent promis au roi dÕentretenir pour deux mois ˆ ses dŽpens deux mille six cents hommes de pied, sՎtant assemblŽ pour aviser o il prendrait lÕargent pour cet effet, et en quelle forme, il fut proposŽ dÕenvoyer douze conseillers dudit parlement ˆ lÕh™tel de ville, tant pour donner lÕordre nŽcessaire ˆ la garde de Paris, comme aussi pour avoir lÕĻil ˆ ce que l'argent que chacun donnait lors au roi pour lever et entretenir de grandes forces, fžt bien employŽ : ˆ quoi le premier prŽsident sÕopposa, disant quÕils nՎtaient point assemblŽs pour cette affaire : mais le prŽsident de Mme, par une longue harangue, fit rŽsoudre que lÕon en parlerait. Lors, le premier prŽsident sortit, et Mr le prŽsident de Bellivre l'ayant voulu suivre fut arrtŽ pour tenir le parlement comme second prŽsident, lequel enfin, aprs avoir promis de ramener le premier prŽsident, comme il fit, on laissa sortir ; et Žtant revenus, l'heure de sortir ayant t™t aprs sonnŽ, on remit les dŽlibŽrations au lendemain. Mais ds lÕaprs-d”ner le roi ayant envoyŽ quŽrir les grands prŽsidents, et premiers prŽsidents et doyens de chaque chambre, il leur fit une rude rŽprimande et leur dŽfendit de parler ni se mler ˆ lÕavenir dÕautre chose que des procs.

Le mardi 12me on fit commandement par Paris dÕabattre les auvents des boutiques, et de boucher tous les soupirails des caves ; mais cette ordonnance fut aussit™t rŽvoquŽe.

Le mercredi 13me il y eut arrt du conseil pour faire cesser les ateliers, et faire ™ter tous les serviteurs et apprentis, hormis un en chaque boutique ; et le samedi 16me le roi partit pour aller ˆ Senlis o Žtait le rendez-vous de lÕarmŽe.

Le dimanche 17me le bruit fut commun de la prise de Corbie o commandait le sieur de Saucour, et en mme temps on sut le levement du sige de Dole.

Le mardi 19me Monsieur arriva en poste, et aprs avoir ŽtŽ voir monsieur le cardinal, sÕen alla trouver le roi ˆ Senlis.

Le lundi premier jour de septembre, le roi et monsieur le cardinal partirent pour aller ˆ lÕarmŽe : et en ce mme temps le coche de Nancy qui mÕapportait plusieurs hardes que je faisais venir et de l'argent pour mon entretenement, fut volŽ : et comme je pressais encore le paiement de mes grains enlevŽs, on me fit dire que je nÕen pouvais rien espŽrer ni attendre ; aussi nÕy pensai-je plus et fis mon jubilŽ le dimanche 21me de ce mme mois, pour me mettre entre les mains de Dieu, puisque je ne pouvais rien espŽrer des hommes.

Je sus quasi en mme temps que le roi avait fait raser puis bržler le ch‰teau de Dommartin appartenant ˆ mon neveu de Bassompierre, que lÕon me manda aussi tre hydropique formŽ, et en grand danger, dans Vesou.

En ce mois le roi donna sa lieutenance gŽnŽrale ˆ Monsieur son frre qui en vint prendre possession, et lÕarmŽe passa la rivire de Somme aprs avoir failli de dŽfaire l'arrire-garde de celle des ennemis qui la repassrent en mme temps et se retirrent en Flandres aprs avoir muni les trois places qu'ils avaient prises, autant que le peu de temps que l'on leur en donna leur put permettre, et avoir enlevŽ et dŽfait le colonel Eichfeld avec son quartier.

En ce temps il arrivait de tous c™tŽs des troupes et de la noblesse, de sorte que lÕarmŽe du roi Žtait de plus de cinquante mille hommes, lesquels sÕoccuprent ˆ faire la circonvallation de Corbie, munie de plusieurs grands forts, capables de tenir huit ou dix mille hommes huttŽs dans le c™tŽ seulement de delˆ la Somme, afin de les affamer l'hiver prochain, attendu quÕils manquaient de moulins pour moudre leur blŽ dont ils avaient ˆ foison.

Ainsi se passa le mois de septembre, et vers le commencement d'octobre le duc Charles de Lorraine ayant remis ses troupes sur pied, et le comte de Galas sՎtant joint ˆ lui, ils entrrent en la duchŽ de Bourgogne. Ayant passŽ la Sa™ne, Galas prit Mirebeau et pilla C”teaux. Le duc de Lorraine assiŽgea Saint-Jean de Laune qui se dŽfendit si bien que le duc de Waimarch qui avait enfin pris Saverne, et le cardinal de la Valette, eurent loisir de le venir secourir.

On fit cependant par commissaires le procs au sieur de Saucour qui fut condamnŽ ˆ tre tirŽ ˆ quatre chevaux, et son arrt exŽcutŽ en effigie ˆ Amiens.

Les cardinaux de Savoie et Aldobrandin quittrent en ce mme temps le parti de France ˆ Rome, et ce premier ayant remis la protection de France qu'il avait, prit celle dÕAllemagne.

L'armŽe navale du roi ayant heureusement passŽ le dŽtroit, sÕen alla vers les c™tes de Provence en dessein de reprendre les ”les de Saint-Honorat de LŽrins, et de Sainte Marguerite sur les ennemis : mais le mauvais ordre qu'avait donnŽ lՎvque de Nantes, (auparavant nommŽ l'abbŽ de Beauveau), de tenir prtes toutes choses nŽcessaires pour ce passage, en empcha lors lÕexŽcution, dont il fut disgraciŽ, comme le furent aussi les Saint-Simons, et le jeune, qui Žtait un fant™me de favori, commandŽ de se retirer ˆ Blaye.

Mr de la Valette eut aussi commandement dÕaller trouver Mr d'Epernon en Guyenne.

Le roi sÕen retourna vers la fin du mois ˆ Chantilly, laissant lÕarmŽe occupŽe ˆ la construction et huttes des forts de la circonvallation de Corbie.

Les Espagnols cependant entrrent en France par le c™tŽ de Fontarabie, prirent et pillrent les bourgs de Saint-Jean de Luz et de Sinbourre et se saisirent du Soccoua quÕils fortifirent : et ayant en ce mme temps fait une descente par mer en la c™te de Bretagne dŽnuŽe de vaisseaux par le partement de la flotte du roi, ils vinrent attaquer lÕabbaye de la Prire, proche de Vennes, d'o ils furent repoussŽs, ce qui les fit rembarquer.

Le marquis de Sourdis fut en ce temps-lˆ rappelŽ de la Lorraine o lÕon lÕavait envoyŽ pour y commander, et le grand prŽv™t de Hoquaincour envoyŽ en sa place.

On fit commandement ˆ ma belle-sĻur, ˆ ses pre, mre, et enfants, de sortir de Nancy, qui se vinrent tous retirer en ma maison de Harouel.

Vignoles mourut ˆ PŽronne, et on en tira par rŽcompense Mr de Blerancour, qui en Žtait gouverneur, pour y mettre le jeune Hoquaincour.

Monsieur le cardinal fut ˆ Abbeville et porta les habitants de donner vingt et cinq mille Žcus pour travailler ˆ leurs fortifications, lesquels on a depuis convertis ˆ la construction dÕune citadelle.

On tira aussi Comeny de Corbie, et on mit en son lieu le chevalier de Comieres, et Montcavrel remit Ardres au roi par rŽcompense, qui en donna le gouvernement ˆ Saint-Preuil.

En ce mme temps Mr de Longueville amena de grandes troupes au roi, lequel lui commanda de les mener en Bourgogne pour, avec celles qui y Žtaient dŽjˆ, faire une forte armŽe pour en chasser Galas.

 

Novembre. Ń Au mois de novembre il y eut quelque traitŽ joint ˆ Corbie pour la remettre s mains du roi, ce qui fit que l'on commena au commencement du mois ˆ l'attaquer de force. Ils capitulrent le 8me et les troupes du roi y entrrent le 14me, dont on chanta le Te Deum le 17me ˆ Paris, o Monsieur frre du roi Žtait passŽ quelques jours auparavant pour sÕen retourner ˆ Blois ; et le roi Žtant arrivŽ le 18me ˆ Versailles, Mr le Comte qui avait vu en passant Sa MajestŽ ˆ Ecouan arriva le mme jour ˆ Paris, et Monsieur frre du roi y Žtant venu en poste la nuit du 19 au 20me, lui, Mr le Comte, et Mr de Retz, en partirent ˆ onze heures du soir ce mme jour, Monsieur pour se retirer ˆ Blois, Mr le Comte ˆ Sedan, et le duc de Retz ˆ Machecou.

Le 21me on fit renfermer les serviteurs de Monsieur, dŽjˆ prisonniers, ˆ la Bastille.

Le roi revint ˆ Paris le 22me, et monsieur le cardinal qui Žtait demeurŽ en Picardie, en fut de retour ˆ Ruel le 24me.

Le 28me il y eut une rŽvocation des gages du parlement ; mais comme cela se faisait en un temps mal propre, on leva cette rŽvocation peu de jours aprs : et en ce mme temps vint la nouvelle de lÕexcs que Mr le marŽchal de Vitry avait fait en la personne de Mr de Bordeaux, ˆ Cannes en Provence.

 

DŽcembre. Ń Le mois de dŽcembre arriva, et le 4me duquel un certain charlatan qui disait avoir trouvŽ la pierre philosophale et duquel on se promettait force millions dÕor, fut dŽcouvert pour un affronteur et menŽ prisonnier au bois de Vincennes o ceux qui l'ont proposŽ font encore espŽrer quÕil la fera rŽussir. Cet affronteur sÕappelait Du Bois, Žtait de Coulomiers en Brie o il avait ŽtŽ capucin, puis sՎtant fait apostat, sՎtait mariŽ.

On fit aussi commandement aux deux frres de Baradat de sortir du royaume dans six jours : et Mr de Chavigny partit le 6me pour aller trouver Monsieur ˆ Blois de la part du roi, o Bautru lÕa”nŽ avait dŽja ŽtŽ envoyŽ, qui y avait ŽtŽ trs mal reu : on envoya aussi Mr de Liancour vers Mr le Comte ˆ Sedan. Mr de Chavigny en revint le 16me et y fut renvoyŽ aussit™t aprs : et le cardinal de la Valette Žtant venu faire hiverner son armŽe en Lorraine, assiŽgea deux ch‰teaux appartenant ˆ mon neveu, qui avaient auparavant ŽtŽ dŽmolis et o des voleurs Žtaient retournŽs sÕy nicher, et aprs quelques volŽes de canon les reprit et bržla ; ils se nomment le Chastelet et Dommartin.

Les nouvelles vinrent aussi que le roi de Hongrie avait ŽtŽ Žlu roi des Romains le 22me de ce mois, et que lÕon nÕavait pu rien entreprendre sur les ”les de Saint-Honorat de LŽrins, et de Sainte Marguerite, comme notre armŽe navale en avait eu commandement de la cour.

Le 19me dŽcembre la grand duchesse ChrŽtienne est morte ‰gŽe de 74 ans : elle Žtait petite-fille de la reine Catherine de MŽdicis, fille du duc Charles de Lorraine : et le 22me de ce mme mois Ferdinand 3me, roi de Hongrie et de Bohme, a ŽtŽ nommŽ roi des Romains ˆ la dite de Ratisbonne.

1637.

Janvier.Ń Au commencement de lÕannŽe 1637 lՎloignement de Monsieur et de Mr le Comte, et les accidents que l'on craignait qui en pouvaient arriver, ne me permirent pas seulement de penser ˆ faire parler de ma libertŽ, sachant bien que mes peines et mes soins en cette sollicitation y seraient inutiles : ˆ quoi aussi je nՎtais gure portŽ, quoique mes amis me fissent instance de la faire poursuivre ; car la mauvaise et indigne rŽponse que monsieur le cardinal avait faite ˆ ma nice de Beuvron aprs que, lui ayant Žcrit une si humble et soumise lettre, je lÕavais envoyŽe faire une tentative, lorsque les ennemis passrent la Somme lÕannŽe prŽcŽdente, mÕavait fait rŽsoudre ˆ ne l'importuner de ma vie, et de mourir plut™t dans ma captivitŽ que de me mettre encore en Žtat de souffrir de nouveaux affronts, mettant ma seule espŽrance en Dieu, et aux accidents qui me pourraient causer mon Žlargissement. Mr le Prince nŽanmoins, (lequel mÕa fait durant ma prison beaucoup de gr‰ces par les tŽmoignages de sa bonne volontŽ, et du dŽplaisir quÕil avait de mes longues souffrances, avec les assurances quÕil mÕa de temps en temps donnŽes que sÕil voyait lieu dÕaider ˆ ma libertŽ par ses conseils et instances, quÕil le ferait avec soin et passion), me fit dire quÕil voyait du jour ˆ ma libertŽ, et que si les affaires de Monsieur sÕaccommodaient, et quÕelles fussent suivies dÕune trve gŽnŽrale comme lÕon la pratiquait avec espoir quÕelle pourrait rŽussir, que ma libertŽ (en ce cas) Žtait assurŽe, et quÕil m'en pouvait rŽpondre. Mais comme je ne me suis jamais imaginŽ que les Espagnols acceptassent une longue trve, ni que le roi en accord‰t une courte, vu leurs diffŽrents intŽrts, je nÕai point cru ma libertŽ par ce moyen, dont je voyais les causes si ŽloignŽes.

On me manda de Lorraine la continuation de la dŽsolation de mon bien ; la retraite de presque tous les habitants de la terre de Harouel dans le bourg et dans la maison, lesquels la remplissaient de maladies et d'infections ; et la diminution ˆ vue d'Ļil de la santŽ et de la vie de ma belle-sĻur avec laquelle je nՎtais pas en fort bonne intelligence parce quÕelle ne voulait pas que ma nice dÕEpinal se mari‰t selon mon intention, et pour mÕen empcher comme je lui eus trouvŽ un sortable parti, elle ne voulut jamais me dire ni dŽclarer ce quÕelle lui pourrait donner, dont je fus fort affligŽ.

 

FŽvrier. Ń Le mois de fŽvrier me fut extrmement infortunŽ, non seulement par la continuation de ma captivitŽ, mais encore par la perte que je fis de ma belle-sĻur, laquelle avait un soin particulier de ses enfants, et de conserver autant quÕelle pouvait la maison de feu mon frre dans les malheurs prŽsents. Elle dŽcŽda ˆ Harouel le .... du courant, laissant ses deux derniers fils mineurs, sous la tutelle de Mr le comte de Tornielle son pre, quÕelle fit aussi exŽcuteur de son testament. Sa mort mÕa laissŽ depuis en une perpŽtuelle inquiŽtude de cette pauvre famille, seul reste de notre maison.

Je perdis aussi le 22me du mme mois, le dimanche de carme-prenant, le sieur dÕAlmeras, ci-devant gŽnŽral des postes, et lors prtre simple, mais trs grand homme de bien, tant envers Dieu quÕenvers les hommes, lequel je regretterai tant que je vivrai, pour la parfaite amitiŽ que je lui portais depuis prs de quarante ans sans intermission, et qui mÕa toujours chrement aimŽ : Dieu mette son ‰me en son paradis.

L'empereur Ferdinand 2me mourut aussi ce mme mois, le 15me, qui Žtait un trs bon prince, lequel j'avais connu ˆ Ingolstat lors quÕil y Žtudiait, et moi aussi. Il me faisait l'honneur de me vouloir du bien, et ˆ ma considŽration en a fait ˆ mon neveu de Bassompierre, quÕil avait honorŽ de la charge de sergent de bataille gŽnŽral de ses armŽes, et ensuite de celle de lieutenant de marŽchal de camp, qui est une grande charge en Allemagne.

Depuis le partement inopinŽ de Monsieur frre du roi et de Mr le Comte, on avait continuellement travaillŽ ˆ les faire revenir ˆ la cour, tant™t par lÕenvoi du pre Gondran, son confesseur, vers lui, puis par ceux des comtes de Guiche et de Chavigny : et ensuite on mit l'abbŽ de la Rivire (prisonnier depuis longtemps ˆ la Bastille) en libertŽ, sur lÕassurance quÕil donna dÕy servir le roi prs de Monsieur selon les intentions de Sa MajestŽ. Finalement le roi (qui sՎtait dŽjˆ acheminŽ ˆ Fontainebleau), sÕen vint ˆ OrlŽans en intention de pousser Monsieur jusques ˆ ce quÕil lÕežt fait rentrer en son devoir ; ˆ quoi il se disposa : et ayant conclu avec les susdits, et le sieur de Leon, (qui y fut aussi envoyŽ), les points de son accord, il revint trouver Sa MajestŽ le 8me de ce mois de fŽvrier ˆ OrlŽans, o il fut fort bien reu du roi, qui sÕen Žtant aussit™t retournŽ ˆ Paris, fut suivi de Monsieur peu de jours aprs.

Ce mme mois le comte de Harcourt, gŽnŽral de la flotte du roi aux mers de Levant, nÕayant pu exŽcuter le dessein que le roi lui avait ordonnŽ, de reconquŽrir sur les Espagnols les ”les de Saint-Honorat et Sainte-Marguerite, se remit en mer et vint avec ladite flotte faire descente en lՔle de Sardaigne ; mais ayant ŽtŽ vivement repoussŽ par ceux de lՔle, il fut contraint de se rembarquer sans y avoir rien fait.

Finalement le duc de Parme qui ds lÕannŽe 1635 sՎtait mis en guerre contre le roi dÕEspagne pour se conserver la forteresse de Saviannette qu'il prŽtendait lui appartenir, aprs avoir vu ruiner tout son plat pays, et prendre toutes ses places (ˆ Plaisance et Parme prs), se voyant hors dÕespŽrance dՐtre secouru du c™tŽ de la France, parce que lÕon nÕavait aucun moyen de passer ˆ lui, fut contraint dÕaccepter les conditions que le grand-duc son beau-frre lui put moyenner, pour se remettre bien avec ledit roi dÕEspagne, et de recevoir pour quelque temps les gens de guerre dudit grand duc dans les citadelles de ces deux villes, qui lui furent dŽposŽes par le duc de Parme pour le temps qui fut convenu par son traitŽ.

 

Mars. Ń Le roi sÕachemina au commencement du mois de mars vers Rouen avec quelques forces de pied et de cheval, sur le mŽcontentement quÕil eut du parlement et de la ville, de ce que le premier avait absolument refusŽ la vŽrification de tous les Ždits qui lui avaient ŽtŽ prŽsentŽs, afin de recouvrer de l'argent pour entretenir les grandes guerres o le roi Žtait embarquŽ, et la ville avait refusŽ de payer emprunt que le roi lui avait demandŽ comme ˆ toutes les autres villes de son royaume. Mais comme il y avait des diffŽrents partis tant dans la ville que dans le parlement, et que plusieurs nՎtaient point d'avis de ces divers refus, ceux-lˆ qui Žtaient encore dans la bonne gr‰ce du roi furent les entremetteurs tant pour apaiser le roi, que pour faire condescendre les autres ˆ obŽir ˆ ses commandements, de sorte que le roi ne passa point Dangu : mais il envoya monsieur le chancelier ˆ Rouen pour faire passer ces Ždits, et faire payer ˆ la ville ladite contribution ; lequel chancelier fut prŽcŽdŽ par les gardes franaises et suisses, et quelques autres rŽgiments que l'on fit entrer dans la ville, et y loger, tant que ledit chancelier y fut ; et aussi on y fit loger douze ou quinze compagnies de cavalerie, aprs quoi le roi revint ˆ Paris.

 

Avril. Ń Le mois d'avril me fut assez infortunŽ, outre mes malheurs ordinaires ; car j'eus nouvelles que mon neveu de Bassompierre (qui, outre lÕaffection naturelle que je lui dois porter, Žtant ce quÕil mÕest, et la particulire tendresse et amour que j'ai pour lui, semble tre maintenant le seul espoir de notre maison, et celui qui apparemment, sÕil vit, et continue comme il a bien commencŽ, la doit remettre en son ancienne splendeur), Žtait retombŽ malade de la premire maladie quÕil avait eue, qui le menaait d'hydropisie ; dont je ressentis un violent dŽplaisir. Et outre cela, ce mme mois, je commenai une affaire de laquelle j'ai eu, depuis, mille sujets de me repentir, et Dieu veuille que je nÕen aie point de plus grands ˆ lÕavenir.

 

Mai. Ń Il arriva au mois de mai deux importantes affaires, lÕune fort prŽjudiciable ˆ la France, et lÕautre ˆ sa perpŽtuelle gloire et rŽputation.

La premire fut la retraite de nos troupes des Grisons (pour ne dire qu'elles en furent chassŽes), dont les commencements Žtaient venus sur ce que le roi ayant envoyŽ ds lÕannŽe 1632 Mr de Rohan avec une petite armŽe au secours des Grisons (auxquels les Espagnols troublaient la souverainetŽ de la Valteline), o il rŽussit si heureusement quÕil les en chassa premirement, et puis ensuite la dŽfendit contre eux lors quÕils firent dessein de la venir reconquŽrir, et puis songea ˆ sÕy Žtablir par des forts qu'il y fit construire, et ensuite dans les avenues des Grisons, au Steig et au pont du Rhin, lesquels il fit garder par les troupes quÕil avait amenŽes, et avec des Suriquains [Zurichois] quÕil leva pour le roi, assurant nŽanmoins les Grisons que ce quÕil en faisait Žtait pour leur assurer la Valteline, et que pour ces deux forts du Steig et du Rhin, ce nՎtait ˆ autre intention que pour empcher les ennemis dÕentrer en leur pays auquel le roi son ma”tre ne prŽtendait autre chose que la gloire de l'avoir conservŽ contre ceux qui le voulaient envahir ; ce que les Grisons crurent, ou feignirent de croire pour quelque temps : mais voyant que Mr de Rohan sÕy Žtablissait et quÕil ne faisait point dՎtat dÕen sortir, ils commencrent ˆ murmurer, disant quÕil nÕy avait plus rien ˆ craindre, et que si le roi voulait les remettre dans la Valteline en leur consignant les forts qu'il y avait, ils les sauraient bien garder eux-mmes, comme aussi empcher que leurs ennemis entrassent par le Rhin ou le Steig, sans que les troupes franaises y demeurassent perpŽtuellement ; et quÕils demandaient que le roi selon sa promesse leur ayant restituŽ leur pays, leur en laiss‰t la libre et entire jouissance. Mr de Rohan jugea bien qu'ils avaient raison ; mais n'ayant point ordre alors de la leur faire, sÕavisa dÕune ruse qui depuis nŽanmoins fut cause de sa ruine : il leur rŽpondit donc que le roi qui nÕavait aucun dessein ni intention de s'approprier aucunes de leurs terres, nՎtait pas sans crainte que les ennemis nÕy eussent leur visŽe, et que rien ne les retardait dÕen entreprendre l'exŽcution que l'impossibilitŽ quÕils y rencontraient par la puissante opposition des armes de Sa MajestŽ, desquelles ils en attendaient la retraite pour parvenir ˆ leurs fins ; et que la perte des Grisons Žtant conjointe ˆ son notable intŽrt, il ne pouvait aucunement consentir de mettre les choses ˆ lÕabandon pendant la guerre, mais bien faire voir aux Grisons la candeur de son ‰me, et la sincŽritŽ de ses intentions, en mettant dans ces forts les Grisons mmes pour les garder ; quՈ cet effet il ferait lever quatre ou six rŽgiments de mille hommes chacun, de leurs compatriotes, tant pour sÕen servir sÕil Žtait attaquŽ par les Espagnols, que pour leur confier la garde dÕune partie de ces forts jusques ˆ ce que les choses pussent tre en Žtat de ne plus rien apprŽhender. Cette proposition contenta les Grisons, et Mr de Rohan crut que ce lui Žtait un plus grand affermissement parce quÕil choisit les plus affidŽs des Grisons au service du roi, tant aux charges de colonels que de capitaines, lesquels il engageait encore davantage par ce nouveau bienfait, et quÕil ne les Žtablirait point s lieux les plus importants sÕil ne voulait, ce qui lui rŽussit pour lors. Mais comme cette levŽe requŽrait, pour sa substance et sa solde, une grande somme dÕargent outre celle que le roi employait ˆ l'entretien des autres forces quÕil avait audit pays, et quÕen ce mme temps le roi faisait de prodigieuses dŽpenses en beaucoup dÕautres endroits, les paiements nÕen furent pas si ajustŽs et si certains quÕil ežt ŽtŽ ˆ dŽsirer ; de sorte que ceux qui Žtaient mis sur pied ˆ dessein de faire taire les autres, furent ceux qui avec le temps crirent le plus haut, et qui donnrent le plus de peine ˆ Mr de Rohan. Les annŽes cependant Žcoulaient, et les Grisons Žtaient opprimŽs de nos troupes et mal payŽs de leurs gages, ce qui leur causait beaucoup de f‰cheries et mŽcontentements, et qui fit rŽveiller les partisans des Espagnols, qui commencrent ˆ semer sous main divers discours au dŽsavantage de la France pour Žmouvoir leurs compatriotes, leur faisant remarquer le long sŽjour des armes franaises dans leurs pays, les forts qui les tenaient comme en servitude, les mauvaises payes de leurs rŽgiments, et finalement qu'ils Žtaient en pire Žtat que lorsque les Espagnols occupaient la Valteline, puisque les pays grisons Žtaient aussi bien soumis aux armes franaises que le reste, par la construction des forts du Steig et du Rhin ; et que ce serait bien le meilleur sÕils pouvaient vivre libres et jouissant de tous leurs pays en une bonne neutralitŽ, ce quÕils sÕassuraient que les Espagnols feraient de leur c™tŽ si les Franais en voulaient faire de mme. Cette proposition fut approuvŽe de tous les Grisons, et ces partisans espagnols eurent permission dÕen faire la tentative vers les Espagnols. Mr de Rohan ne tarda gure ˆ tre averti de cette pratique, ni dÕen donner avis au roi, auquel il manda que le seul moyen de lÕempcher Žtait dÕenvoyer de l'argent tant pour le paiement de ce qui Žtait dž ˆ ces rŽgiments de Grisons quÕil avait levŽs, que pour leur subsistance ˆ l'avenir, moyennant quoi il promettait de contenir les Grisons, et de rembarrer les ennemis. Le roi avait quelques jours auparavant envoyŽ le sieur Lanier son ambassadeur ordinaire aux Ligues, auquel il avait donnŽ lÕintendance de la justice et des finances en lÕarmŽe de Mr de Rohan, et sur lÕavis quÕil reut dudit duc, il fit acheminer une voiture de soixante et dix mille Žcus aux Grisons. Mais avant quÕelle fžt arrivŽe, Žtant survenu une grande maladie audit duc en la Valteline, les mmes factionnaires dÕEspagne ayant rŽchauffŽ leurs brigues, et mme gagnŽ quelques-uns des six colonels qui commandaient les rŽgiments que le roi avait levŽs aux Grisons, ils eurent la puissance de faire envoyer des dŽputŽs des Ligues au Milanais pour traiter ; ce qui ayant obligŽ Mr de Rohan, dans lÕextrŽmitŽ de sa maladie, dÕenvoyer le sieur Lanier (qui Žtait lors prs de lui), ˆ Coire pour rŽprimer ces colonels dŽbauchŽs, et fortifier la faction franaise, ledit Lanier parla aux colonels plus aigrement qu'il ne devait, les menaant de les ch‰tier, et de leur faire et parfaire leur procs, et mme avec des injures, ce qui acheva de discrŽditer le parti, et de jeter les affectionnŽs pour la France dans le dŽsespoir. La voiture Žtant cependant arrivŽe, et le duc de Rohan guŽri sՎtant acheminŽ ˆ Coire, il crut tre expŽdient pour le service du roi dÕimprouver les violentes actions de Lanier : cÕest pourquoi il lui fit quelques rŽprimandes devant les mmes colonels, lesquelles ne pouvant souffrir, il y repartit en sorte qu'il se mit tout ˆ fait mal avec ledit sieur de Rohan, qui ayant donnŽ quelques ordonnances aux colonels pour recevoir de l'argent, Lanier ne le voulut distribuer ; dont le duc de Rohan se sentant offensŽ, envoya enlever la voiture de chez Lanier et fit payer les colonels ; et Lanier qui prŽvoyait l'orage qui depuis est advenu, fut bien aise de prendre ce sujet de mŽcontentement pour sÕen retourner en France. Cette distribution contint en quelque sorte les Grisons : mais les causes continuant par le peu d'apparence qu'ils voyaient de restitution de leurs pays par les Franais, ils commencrent peu aprs de faire nouvelles brigues pour les en chasser, et un jour Mr de Rohan Žtant sorti de Coire pour aller au fort de France, les Grisons prirent les armes et vinrent au-devant de lui comme il sÕen revenait ; ce qui lÕayant fait rebrousser dans ledit fort, qui nՎtait gure muni de vivres, et les Suriquains qui Žtaient les plus forts dedans, peu rŽsolus de se dŽfendre ; voyant aussi toutes les Ligues en armes, les ImpŽriaux et Espagnols sur leurs frontires pour les secourir, le peu d'assistance quÕil pouvait espŽrer tant des Franais que de leurs alliŽs, il fit un traitŽ avec les Grisons de sortir de la Valteline et de leurs autres terres, pourvu que lÕon assur‰t le retour aux gens de guerre franais qui Žtaient dans leurs pays.

Si la perte de la Valteline et des Grisons fut prŽjudiciable ˆ la France, celle des ”les de Saint-Honorat et de Sainte Marguerite (que les Espagnols laissrent reconquŽrir aux Franais), leur sera une gloire immortelle. Car aprs que lÕon ežt, lÕannŽe prŽcŽdente, mis une flotte trs grande en mer, qui avait heureusement passŽ le dŽtroit, et abordŽ aux c™tes de Provence, o le roi avait plusieurs rŽgiments sur pied, au dessein de reconquŽrir ces deux ”les o les Espagnols sՎtaient nichŽs et puis ensuite fortifiŽs avec tout le soin et lÕindustrie imaginable, la mauvaise intelligence des chefs de la marine (qui Žtaient le comte de Harcourt en apparence, mais lÕarchevque de Bordeaux avait le chiffre de la cour, et on se reposait sur lui de cette entreprise), et du marŽchal de Vitry gouverneur de Provence, lequel mme vint des paroles aux coups avec lÕarchevque, furent cause que ce grand appareil ne produisit aucun effet ; et la flotte ne sachant ˆ quoi s'occuper, Žtant allŽe faire une descente en Sardaigne, en avait ŽtŽ dŽlogŽe avec les seules forces de l'”le ; Žtant revenue harassŽe et diminuŽe, sans aucun secours de terre, se rŽsolut dÕattaquer les ”les de Saint-Honorat, et aprs plusieurs combats tant ˆ la descente quՈ l'attaque des forts, elle remit ces deux ”les au pouvoir du roi, en ayant bravement chassŽ les Espagnols le 13me de mai.

Je n'avais que faire de mՎtendre sur ces deux diverses actions ; mais m'Žtant embarquŽ dans l'affaire des Grisons o je garde toujours quelque affection aprs avoir ŽtŽ 21 annŽes colonel-gŽnŽral de cette nation, j'ai pensŽ devoir aussi dire cette brave action en lÕhonneur de la France, nÕayant rien ˆ dire de moi qui croupis dans cette misŽrable prison.

 

Juin. Ń Le mois de juin ne nous apporta rien de nouveau que la justice que lÕon fit dÕun imposteur qui se nommait Du Bois, qui se disait avoir le secret de faire de l'or, et lÕavait persuadŽ ˆ plusieurs ; mais enfin sa fourbe fut dŽcouverte, et lui pendu.

Je pris ce mois lˆ des eaux de Forge selon ma coutume.

 

Juillet. Ń Au commencement du mois de juillet monsieur le cardinal mÕenvoya prier de lui prter ma maison de Chaillot, ce qui m'obligea d'envoyer supplier madame de Nemours que j'y avais logŽe, de lui quitter, ce quÕelle fit aussit™t, et il y vint le 5me, et nÕen partit que le 23me du mois suivant.

Nous pr”mes, sur la fin de ce mois, la ville de Landrecy sur les Espagnols, et le 5me du mois dÕaožt la ville de Maubeuge, comme aussi, dÕautre c™tŽ, le marŽchal de Chatillon prit Yvoy en Luxembourg le 14me, et le 24me lÕempereur remit lՎlecteur de Trves dŽtenu prisonnier depuis un long temps, en pleine libertŽ.

Le duc de la Mirande mourut en ce mme mois, et le mois de septembre ensuivant mourut aussi Mr le duc de Mantoue.

Les Espagnols se remurent un peu ce mois-lˆ, ayant pris les villes de Venlo et de Ruremonde sur la Meuse, et repris Yvoy par l'intelligence des habitants, le cardinal-infant ayant tournŽ tte vers ces deux autres villes aprs avoir vainement tentŽ de secourir Breda assiŽgŽ par les Hollandais. Mais tandis quÕil assiŽgeait ces places, nous repr”mes la Capelle que nous avions perdue l'annŽe prŽcŽdente, et f”mes ce mŽmorable exploit de secourir Laucate en dŽfaisant lÕarmŽe qui lÕassiŽgeait, ce qui fut exŽcutŽ le 28me de ce mme mois.

Madame de Longueville mourut le 9me : et monsieur le cardinal vers ce temps-lˆ mÕenvoya visiter de sa part par Lopes, et me prier de ne me point ennuyer, mÕassurant que sÕil se faisait paix ou trve, ou que l'on se pžt un peu dŽbarrasser des affaires prŽsentes, que lÕon me mettrait en libertŽ pleine et entire, et mme avec des marques particulires de la bontŽ et des bienfaits de Sa MajestŽ ; dont je lui fis peu de jours aprs rendre trs humbles gr‰ces par ma nice de Beuvron, ˆ qui il reconfirma les mmes assurances.

 

Octobre. Ń Le mois d'octobre fut funeste ˆ la France par la mort de deux grands princes alliŽs ˆ cette couronne et trs utiles aux prŽsentes affaires : lÕun fut le landgrave de Hessen-Cassel, nommŽ Guilhaume, qui Žtait le principal soutien de nos affaires en Allemagne, qui mourut le premier jour de ce mois ; et lÕautre, Mr le duc de Savoie, prince douŽ de toutes les bonnes qualitŽs qui peuvent orner un prince, qui Žtait grand ennemi de la maison dÕEspagne et trs affectionnŽ ˆ la France, dŽcŽdŽ le 8me du mme mois. Mais en rŽcompense Mr le marŽchal de Chatillon prit sur les ennemis Damvilliers le mardi 27me octobre, jour remarquable par cette prise, et par celle de Mr le marŽchal de Vitry qui fut arrtŽ prisonnier ˆ Saint-Germain et menŽ le mme jour dans la Bastille, comme aussi ce mme jour le duc dÕAluin fut fait marŽchal de France, et le lendemain Mr le comte dÕAlais fut pourvu du gouvernement de Provence, que lÕon ™ta ˆ Mr le marŽchal de Vitry.

Il arriva aussi ce mme mois deux bonnes fortunes ˆ la France : lÕune fut la retraite que les Espagnols firent, abandonnant dÕeux-mmes, sans y tre forcŽs ni contraints, les forts et lieux qu'ils avaient occupŽs ou construits sur la frontire de Bayonne vers Saint-Jean de Luz ; et la conjonction qui se fit le 10me octobre de lÕarmŽe du roi, qui (je ne sais pour quel sujet), sՎtait divisŽe, en Žtant demeurŽ une partie ˆ Maubeuge qui avait ŽtŽ prise par les n™tres, et lÕautre Žtant venue assiŽger la Capelle pendant que le prince cardinal-infant revenu des prises de Venlo et Ruremonde sՎtait venu loger entre lÕune et lÕautre ; ce que jÕattribue ˆ la grande bonne fortune du roi : car probablement une des deux dites armŽes franaises devait tre taillŽe en pices.

Ce mme mois aussi, le 8me, se rendit la ville de Breda aux Hollandais aprs six semaines de sige. Et comme ce mois fut heureux ˆ la France, il fut malheureux pour mon particulier. Sur le commencement un maraud (que je ne veux nommer parce quÕil ne mŽrite pas de lՐtre), tint au roi un discours contre moi pour lÕanimer, et lui ™ter les racines de bonne volontŽ quÕil avait pour moi dans son cĻur (sÕil lui en Žtait encore restŽ). Je ne puis croire que lÕon lui ežt portŽ dÕailleurs, et moi je ne lui en avais jamais donnŽ d'occasion ; au contraire il mՎtait obligŽ.

Ensuite de cela un autre coquin, faux historiographe sÕil en fžt jamais, nommŽ Duplex, qui a fait l'histoire de nos rois, pleine de faussetŽs et de sottises, les ayant mises en lumire cinq ans auparavant, me furent apportŽes dans la Bastille : et comme je pratique en lisant les livres, pour y profiter, dÕen tirer extraits des choses rares, aussi quand je trouve des livres impertinents ou menteurs Žvidents, jՎcris en marge les fautes que j'y remarque : jՎcrivis en marges les choses que je trouvais indignes de cette histoire, ou ouvertement contraires ˆ la vŽritŽ qui la doit accompagner. Il arriva un an aprs quÕun minime, nommŽ le pre Renaud, venant confesser lÕabbŽ de Foix dans la Bastille, Žtant tombŽ puis aprs en divers discours avec lui, lui dit finalement que quelques-uns de leurs pres travaillaient ˆ rŽfuter les faussetŽs de ce Duplex, et ledit abbŽ de Foix lui dit que j'en avais fait quelques remarques aux marges des livres, lesquels livres ils me vinrent prier de leur prter pour un jour ou deux, ce que je fis ; et ce moine en tira ce quÕil jugea ˆ propos, puis me rendit les livres : et quelque temps aprs, ledit moine fit copier tant ces dites remarques que celles quÕil y voulut ajouter ; et ensuite dÕautres en en faisant faire des copies y ajoutrent force choses, tant contre des particuliers que contre cet auteur ; et parce que ce moine avait pris tous ses premiers mŽmoires de moi, il fut bien aise, pour cacher son nom, de dire sourdement le mien, de sorte que l'on crut ces mŽmoires, qui avaient ŽtŽ faits en partie par moi, mais aux choses vraies et modestes, tre entirement venus de moi : et cinq ans aprs cet auteur Duplex, suscitŽ ˆ mon avis par dÕautres, vint montrer ˆ force particuliers, et la plupart mes amis, des mŽdisances et calomnies qui faussement avaient ŽtŽ insŽrŽes contre eux, leur voulant persuader que cՎtait moi qui les avais Žcrites et publiŽes ; de sorte que plusieurs diverses personnes m'en firent parler, auxquelles ayant fait voir les originaux que j'avais apostillŽs, ils en demeurrent satisfaits. Mais comme lÕon est bien aise de trouver des prŽtextes apparents quand les vŽritables manquent pour colorer et autoriser les choses que lÕon fait, ce pendard de Duplex fut ŽcoutŽ lorsquÕil fit voir aux ministres ces mŽmoires que faussement il m'attribuait, et fut aisŽment cru quand il ežt dit quÕil y avait plusieurs choses o je tŽmoignais que je nÕapprouvais pas le gouvernement prŽsent, bien quÕil n'y en ežt aucune, mme aux remarques supposŽes, qui en parl‰t ; et on ne manqua pas de le rapporter au roi, et de lui dire quÕil apparaissait Žvidemment par ces mŽmoires que jÕavais de lÕaversion ˆ sa personne, et ˆ lՎtat : mme plusieurs qui dans ma bonne fortune mՎtaient obligŽs, sÕefforcrent de lui faire croire, et le roi y ajouta foi d'autant plus t™t quÕil savait qu'ils Žtaient mes amis, et l'affaire en passa si avant que lÕon permit ˆ ce pendard dՎcrire contre moi un livre sur ce sujet, et obtint des lettres pour le faire imprimer.

En ce mme temps il y eut un chevau-lŽger prisonnier pour avoir rŽcitŽ un sonnet qui commenait par ces mots : Mettre Bassompierre en prison, et qui continuait par des mŽdisances contre monsieur le cardinal ; et comme lÕon le fit Žtroitement garder, et soigneusement interroger, on eut dÕautant plus de curiositŽ de savoir la cause de sa dŽtention ; et comme un des prisonniers eut trouvŽ moyen de lui parler un instant, il lui dit que cՎtait pour des vers qui parlaient de moi. Cela me mit en alarme, qui me fut augmentŽe par le gouverneur de la Bastille qui me dit inconsidŽrŽment (ou bien exprs), que ce prisonnier avait ŽtŽ arrtŽ pour des choses qui me regardaient : ensuite de quoi on me manda de la ville, de bonne part, que je prisse garde ˆ moi, et quÕil se machinait quelque chose d'importance contre moi, dont ils t‰cheraient dÕen apprendre davantage, ne m'en pouvant pour lÕheure dire autre chose sinon de mÕavertir de bržler tous les papiers que je pourrais avoir capables de me nuire, parce quÕassurŽment on me ferait fouiller. J'avoue que ce dernier avis qui suivait tant de prŽcŽdentes circonstances et dÕautres mauvaises rencontres, fut presque capable de me faire tourner l'esprit. Ce fut le 9me octobre que je le reus : je fus six nuits sans fermer l'Ļil, et quasi toujours dans une agonie qui me fut pire que la mort mme. Enfin ce prisonnier, qui se nommait Valbois, aprs avoir ŽtŽ sept ou huit fois interrogŽ, et quÕil ežt fait voir que ce sonnet avait ŽtŽ fait sept ans auparavant, cette affaire se ralentit, et je commenai ˆ reprendre mes esprits qui certes avaient ŽtŽ Žtrangement agitŽs.

J'eus aussi encore plusieurs dŽplaisirs domestiques de la Bastille, tant causŽs par un maraud de mŽdecin Vaultier, que par une cabale (qui se fit contre moi par son induction) de quatre ou cinq personnes de son humeur, qui, bien qu'ils fussent impuissants ˆ me nuire, Žtaient capables de mÕanimer par leurs dŽportements, et moi, qui (pour mille raisons), ne devais faire dans la prison (et moins en ce temps-lˆ, o j'avais tant de diverses et f‰cheuses rencontres), aucune chose qui pžt faire parler de moi, ne me voulant compromettre ni venger, recevais de grands et violents dŽplaisirs par cette contrainte. Il arriva de plus que la gouvernante de la Bastille que j'avais toujours crue une de mes meilleures amies, et que j'avais toujours t‰chŽ (par tout ce que j'avais imaginŽ lui pouvoir plaire), dÕacquŽrir sa bienveillance, se jeta inconsidŽrŽment dans cette cabale contre moi, sans aucune cause, ni occasion que je lui en eusse donnŽe, et mme Žtant ceux qui plus ouvertement et injurieusement avaient mŽdit d'elle ; et elle a depuis continuŽ ˆ faire sous main tout ce quÕelle a pensŽ me pouvoir dŽplaire, autant quÕelle a pu.

 

Novembre. Ń Ainsi se passa le mois dÕoctobre, et celui de novembre qui le suivit commena par une autre disgr‰ce qui me fut sensible : qui fut que sous main, par l'entremise de ma sĻur de Tillires, nous avions traitŽ et presque conclu le mariage de ma nice dÕEpinal avec Mr de la Mailleraye, riche seigneur, chevalier du Saint-Esprit, et lieutenant-gŽnŽral de Normandie, lequel (comme nous Žtions sur le point de terminer cette affaire), mourut le 2me du mois de novembre ; et par ainsi ce dessein, qui Žtait comme conclu, qui m'Žtait trs agrŽable, et avantageux ˆ ma nice, alla en fumŽe.

Mon petit-neveu de Houailly mourut en ce mme temps. La fivre quarte arriva ˆ ma nice sa mre peu aprs, qui lÕa, depuis, longtemps tourmentŽe ; et j'eus nouvelles que mon neveu de Bassompierre Žtait derechef tourmentŽ de son hydropisie.

En ce mme mois les ImpŽriaux reprirent les forts que le duc de Weimarch avait faits sur le Rhin pour sÕy donner un passage, lequel (Žtant contraint par la saison dÕaller chercher ses quartiers dÕhiver), avait consignŽ lesdits forts au sieur de Manicamp, qui sՎtait chargŽ de les garder.

J'eus nouvelles ce mme mois que mon neveu le chevalier de Bassompierre ne se gouvernait pas comme il devait avec son grand-pre le comte de Tornielle, auquel j'Žcrivis pour lui en faire des excuses, et fis menacer mon dit neveu que je le maltraiterais sÕil ne donnait ˆ son grand-pre toute sorte de contentement. Mais par la rŽponse que je reus dudit comte de Tornielle il me fit savoir, au mois de dŽcembre suivant, que mon dit neveu avait rŽsolu dÕaller trouver son frre a”nŽ qui est au service de l'empereur, et quÕil m'en avertissait et sÕen dŽchargeait sur moi, ce qui m'obligea, de peur que lÕon ne sÕen pr”t ˆ moi, d'envoyer sa lettre ˆ Mr de Chavigny lequel, le soir auparavant, avait reu du gouverneur dÕEpinal nommŽ ....... des lettres interceptŽes de mon neveu de Bassompierre ˆ son frre le chevalier, par lesquelles il le conviait de l'aller trouver, ce qui me servit ; car on connut par lÕavis que j'en donnais moi mme, que je nÕavais aucune part en cette affaire, et que je me rendis ensuite puissant pour retirer mon dit neveu de la prison o on rŽsolut de le mettre ; et on exŽcuta ce dessein le dernier jour de l'an, que l'on envoya de Nancy soixante mousquetaires ˆ Harouel pour se saisir de lui et lÕamener ˆ Nancy o il fut mis dans la citadelle.

Je ne dis rien en ce lieu de la brouillerie du roi et de la reine sur la surprise que lÕon fit de quelques lettres quÕelle Žcrivait au cardinal-infant et au marquis de Mirabel, et quÕelle envoyait par lÕentremise de l'agent d'Angleterre que madame de Chevreuse lui avait adressŽ, de lÕaccord du roi et dÕelle vers la fin de lÕannŽe, fait ˆ Chantilly, et du chassement des religieuses du Val de Grace, qui lÕavait prŽcŽdŽ ; non plus que du subit et extraordinaire partement et voyage de madame de Chevreuse en Espagne, ni que le pre Causseins confesseur du roi fut ™tŽ de cette charge et envoyŽ en Basse-Bretagne, ni de ce que dit Mr dÕAngoulme ˆ monsieur le cardinal sur le sujet dudit pre Causseins, ni finalement de l'entrŽe de monsieur le chancelier dans le Val de Grace, o il fit crocheter les cabinets et cassettes de la reine pour prendre les papiers quÕelle y avait.

1638.

Janvier.Ń L'annŽe 1638 commena par un bon augure pour la France en ce que la reine se crut grosse par des signes apparents (qui depuis vingt et deux ans quÕelle Žtait mariŽe, ne lÕavait point ŽtŽ) : cela causa une grande joie au roi, et ˆ tous les Franais une espŽrance d'un grand bonheur ˆ venir.

J'ai dit ci-dessus comme le duc Bernard de Weimarch, aprs avoir rŽsignŽ ˆ Manicamp les forts qu'il avait construits sur le Rhin, sՎtait retirŽ en ses quartiers dÕhiver, lesquels lui furent si incertains que, sÕil en voulut avoir, il fut contraint de les prendre ˆ la pointe de lՎpŽe ; ce quÕil fit en se venant loger en un petit pays qui est entre le comtŽ de Bourgogne et les Suisses, appartenant ˆ lՎvque de B‰le, nommŽ les Franches-Montagnes, qui nÕavait encore ŽtŽ mangŽ, parce qu'il Žtait gardŽ par les paysans du lieu qui en avaient retranchŽ les avenues ; et ceux des pays voisins y avaient transportŽ ce qu'ils avaient de plus cher. Il fora donc ce retranchement, et ayant tuŽ partie des paysans qui sÕopposrent ˆ lui, le reste fit joug. Il trouva lˆ de quoi se loger, et y hiverner, comme aussi force chevaux pour remonter ses gens, quÕune mortalitŽ qui avait couru lÕannŽe prŽcŽdente sur les chevaux avait la plupart mis ˆ pied. Les Suisses se voulurent formaliser de cette invasion du Waimarch dans les pays qui Žtaient sous leur protection ; mais enfin on les rapaisa par belles paroles.

 

FŽvrier. Ń JÕavais eu de monsieur le cardinal tant de bonnes paroles lÕannŽe prŽcŽdente lorsquÕil me fit assurer quÕil nÕy aurait jamais aucune paix ni trve que le roi ne me rend”t ma libertŽ avec tant dÕavantages et de marques de sa libŽralitŽ et bontŽ, que jÕaurais toute sorte de sujets dÕen tre satisfait, que je crus tre obligŽ de lui en rafra”chir la mŽmoire, et dÕautant plus que, vers le commencement du mois de fŽvrier, je fus averti que l'on traitait sourdement, mais fort chaudement, une trve pour quelques annŽes entre France et Espagne : ce qui mÕoccasionna de prier ma nice de Beuvron de lui aller faire des instances de ma libertŽ, si souvent promise, si ardemment attendue de moi, et qui avait ŽtŽ si mal effectuŽe. Elle trouva donc moyen, aprs plusieurs difficultŽs, de parler ˆ lui sur ce sujet ; mais contre mon attente elle trouva son esprit si aigri contre moi, si fier en ses rŽponses, et si impitoyable, que je nÕen fus pas moins ŽtonnŽ, quÕaffligŽ de me voir, aprs de si longs malheurs, de si petites espŽrances de les finir. Je me remis, et ma libertŽ, en Dieu, qui saura bien finir mes maux quand il lui plaira.

Or, ˆ ce que jÕappris, les traitŽs de la trve nՎtaient pas sans fruit ; car elle fut en ce temps-lˆ sur le point dՐtre conclue ˆ ces conditions : quÕelle serait pour quatre ans entre les deux rois, lÕempereur, et la couronne de Sude ; que chacun retiendrait ce qu'il possde, hormis que les Franais rendraient Landrecy et Damvilliers, et le roi dÕEspagne le Catelet ; que la ville de Pignerol qui avait ŽtŽ retenue par le roi contre le traitŽ de paix, sous prŽtexte dÕun simulŽ achat fait par le roi au duc de Savoie, et depuis fortifiŽe avec une extrme dŽpense, serait ratifiŽe par lÕEspagnol, sans qu'ˆ lÕavenir, par aucun prŽtexte ou couleur, le roi d'Espagne en puisse faire instance ou demande, approuvant la vente quÕen avait faite ledit duc au roi, et que par mme moyen aussi le roi trs-chrŽtien remettrait s mains de la duchesse de Mantoue, au nom de son fils, le duchŽ de Montferrat, ses appartenances et dŽpendances, puisque le roi ne le dŽtenait que sous prŽtexte de le conserver et garder contre tous pour le duc de Mantoue, et aprs cette restitution la duchesse aurait pouvoir dÕen traiter ou Žchanger avec le roi dÕEspagne, ce qui Žtait dŽjˆ conclu entre elle et lui, par lÕentremise du pape, en la forme qui sÕen suit : que la duchesse cŽderait, tant en son nom quÕen celui de son fils, le Montferrat ˆ toujours, moyennant quoi et en rŽcompense, le roi dÕEspagne donnerait au petit duc de Mantoue cette partie du CrŽmonois qui est depuis Mantoue jusques ˆ Cremone exclusivement, comme aussi les quatre pices ŽnervŽes par les partages du duchŽ de Mantoue, qui sont Guastalla, Castillone, Bosolo et la Novalara, quÕil rŽcompenserait des propriŽtaires par dÕautres terres quÕil leur donnerait, et de plus la Mirande et la Concorde, Saviannette et Correggio, ce qui Žtait trs avantageux pour le duc de Mantoue, attendu que cet Žchange valait mieux de plus de cinquante mille Žcus de rente que le Montferrat, quÕil Žtait attenant au duchŽ de Mantoue, et par consŽquent plus commode, et quÕil dŽlivrait le duc des fortes garnisons quÕil Žtait contraint de tenir ˆ Casal, et des continuelles apprŽhensions o il Žtait avec ses voisins qui y remuaient incessamment quelque chose. Cette trve se traitait ˆ Rome, recherchŽe en apparence par tous les deux partis, grevŽs des infinies dŽpenses quÕil leur convenait faire pour cette guerre dont lÕun ni l'autre nÕespŽrait pas retirer grand profit, et lÕon Žtait dŽjˆ convenu du temps, qui Žtait de quatre annŽes, quand le 3me jour de mars la bataille de Reinfeld fit rompre ce projet, qui arriva en cette sorte :

JÕai dit ci-dessus comme le duc de Saxe Bernard de Weimarch (aprs avoir consignŽ les forts du Rhin ˆ Manicamp), Žtait venu prendre ses quartiers d'hiver aux Franches-Montagnes qu'il avait forcŽes et pillŽes, y ayant trouvŽ de quoi se rafra”chir, et remettre en quelque sorte son armŽe. Mais comme ce pays est petit, il fut bien t™t tari de vivres, ce qui contraignit ledit duc de penser ˆ sa nourriture pour lÕavenir, et ayant fait tenter le roi de lui donner quartier en Bresse, et en Bourgogne, on lui fit comprendre que lÕarmŽe de Mr de Longueville y pouvait ˆ peine trouver de quoi subsister, et que la sienne Žtant destinŽe pour faire tte aux ennemis du c™tŽ dÕAllemagne, il ferait mieux de chercher sa subsistance en lieu qui lui fžt quand et quand [en mme temps] conqute. Il se trouva quÕen ce mme temps il lui fut proposŽ par le colonel dÕErlach Castelen le dessein de se jeter dans les quatre juridictions au-deˆ du mont Arberg, que lÕon nomme vulgairement les quatre villes forestires appartenant ˆ la maison dÕAutriche, qui sont Reinfeld, Sekinguen, Laufenbourg, et Valdshout, lesquelles, pour avoir ŽtŽ prises et reprises pendant ces guerres, Žtaient comme abandonnŽes ˆ premier occupant ; que depuis deux ans on y avait semŽ, joint aussi quÕil y avait des ponts sur le Rhin, qui Žtait ce quÕil devait dŽsirer, et quÕau-delˆ il aurait foison de vivres dans lÕAlsats delˆ le Rhin qui sՎtait en quelque sorte raccommodŽ. Ė cela se prŽsentait la difficultŽ de lÕentreprendre, vu qu'il y avait quatre gŽnŽraux qui se pourraient rassembler, qui joints ensemble, Žtaient sans comparaison plus forts que lui : mais elle fut surmontŽe par la facilitŽ de lÕentreprise et de lÕexŽcution, par lÕassurance du secours que lÕon lui promettait de France, et par la nŽcessitŽ de ne pouvoir o aller ailleurs ; de sorte qu'il sÕy rŽsolut, et ds la fin de fŽvrier s'achemina ˆ Laufenbourg quÕil prit avec peu de rŽsistance, comme il fit aussi Valdshout et Sekinguen, puis sÕen vint assiŽger Reinfeld. Cette inopinŽe invasion rŽveilla les chefs du parti de lÕempereur, et se joignirent pour se venir opposer ˆ lui le duc Savelly, Jean de Vert, Equenfort, et Sperreuter, qui vinrent un matin fondre sur lui comme il Žtait occupŽ ˆ ce sige qu'ils lui firent lever en dŽsordre, ayant jetŽ mille hommes dans Reinfeld, tandis que par un autre endroit ils vinrent furieusement assaillir le camp dudit duc, ˆ la dŽfense duquel Mr de Rohan sÕopposa avec grande valeur, et y fut fort blessŽ, pris, et puis rescoux [repris]. Le colonel dÕErlach fut pris aussi avec plusieurs autres, et quelque nombre de tuŽs ; le bagage du duc perdu, ses munitions, et quelque artillerie qui, pour nՐtre si bien attelŽe que les autres, ne put suivre le duc, qui se retira ˆ Laufenbourg, dŽsespŽrŽ de voir ses entreprises avortŽes, et lui rŽduit ˆ une grande extrŽmitŽ, ne sachant comment se retirer ni o avoir recours ; ce qui le porta ˆ une dŽterminŽe et pŽrilleuse entreprise qui lui succŽda nŽanmoins avec un extrme bonheur : car les ennemis aprs avoir secouru Reinfeld, et fait lever le sige au duc de Weimarch, se devaient probablement retirer de devant cette place, et songer ˆ dÕautres desseins, ce qu'ils ne firent nŽanmoins, (soit quÕils fussent enivrŽs de ce premier bon succs, soit quÕils se confiassent en leurs grandes forces, ou quÕils eussent en mŽpris celles du duc de Weimarch, ou ne se pouvant imaginer que celui qui ne les avait osŽ attendre, ayant ses forces entires, ežt lÕaudace de les attaquer, Žtant ruinŽes et dŽpŽries par ce dernier Žchec), sŽjournrent deux jours proche de Reinfeld ˆ faire rŽjouissance de leur heureux succs ; dont le duc Bernard averti conut en son esprit de les attaquer au dŽpourvu, et que cela les pourrait mettre en tel dŽsordre quÕil en pourrait tirer quelque avantage, ce quÕil exŽcuta aussit™t ; et aprs avoir proposŽ son dessein ˆ ses chefs, et quÕil lÕežt fortifiŽ des raisons quÕil jugea plus propres pour les y faire concourir, lui et eux allrent le proposer aux troupes quÕil avait fait mettre en bataille, lesquelles le comprirent si bien quÕils demandrent tous quÕil les men‰t au combat, ce quÕil fit en mme temps, et ayant cheminŽ une partie de la nuit du 2 au 3me de mars, il arriva ˆ la pointe du jour au lieu o ces gŽnŽraux avec leurs troupes Žtaient logŽs confusŽment proche de Reinfeld, qui Žtant montŽs ˆ cheval en dŽsordre, furent tout le reste de mme, de sorte que, les soldats Žtant fuis, les chefs qui voulurent faire quelque rŽsistance furent tuŽs ou prisonniers, et les quatre gŽnŽraux pris, avec leurs canons, enseignes, cornettes, et bagage, et la tuerie fut sans rŽsistance aussi longtemps que les troupes du duc voulurent poursuivre les ImpŽriaux.

Cette victoire si heureuse, si grande, si complte, et si inopinŽe, mit le duc de Waimarch en une grande rŽputation, lui donna en proie toute lÕAlsace, et mit en grande consternation le parti de lÕempereur jusques au Danube, nÕy ayant aucune armŽe, ni chef, ni mme de troupes en son nom plus proches quÕen Hesse o Žtait le gŽnŽral Geuts qui nÕavait pas ses troupes prtes de sortir de leurs quartiers dÕhiver, qui est plus ‰pre et plus long que par deˆ, de sorte que le Waimarch put sans rŽsistance se saisir de Fribourg et de plusieurs autres villes, Reinfeld sՎtant rendu ˆ lui peu aprs sa victoire, et commena comme ˆ investir Brisac qui avait ŽpuisŽ ses vivres tant ˆ ravitailler Reinfeld quՈ nourrir les troupes qui sÕacheminrent pour le secourir.

Au mme temps que la bataille de Reinfeld se donna sur le Rhin, le marquis de Leganes, gouverneur de Milan, lui Žtant arrivŽ quelques forces dÕAllemagne, se mit en campagne, et assurŽ du peu de forces que nous avions en Italie, et du peu d'ordre que nous avions mis au fort de Breme que, deux ans auparavant, le duc de Savoie et nous, avions construit sur le Pau du c™tŽ du Milanais, le vint assiŽger ; et Mr de CrŽquy, lieutenant gŽnŽral pour le roi en Italie, se rŽsolvant de le secourir, Žtait venu du c™tŽ de deˆ du Pau pour reconna”tre le lieu par o il le voudrait entreprendre, fut tuŽ dÕun canon de 17 livres de balle le mercredi 17me de mars sur les huit heures du matin, qui lui fut tirŽ du camp des Espagnols : ce fut une trs grande perte ˆ la France ; car cՎtait un des plus grands personnages et des plus expŽrimentŽs capitaines quÕelle ežt, et si important pour les guerres d'Italie, que je prie ˆ Dieu que nous nÕayons ˆ l'avenir beaucoup plus ˆ regretter. La perte du gŽnŽral fit ensuite perdre le fort de Breme, se voyant hors dՎtat dՐtre secouru : mais on ne laissa pas de faire quelque temps aprs trancher la tte au gouverneur qui lÕavait rendu, nommŽ Montgaillart, et dŽgrader de noblesse les capitaines qui Žtaient sous lui.

Ce mme mois je dŽcouvris la volerie quÕune personne ˆ qui j'avais fait du bien avant mme que de le conna”tre, de qui la mŽchancetŽ et lÕingratitude a ŽtŽ si grande que, mՎtant fiŽ ˆ lui, et donnŽ ma procuration, tant pour gouverner un peu de bien et dÕaffaires que j'avais en Normandie, et pour convenir avec une personne ˆ qui je devais, il sÕest entendu avec cette personne et mÕa trompŽ de plus de vingt cinq mille livres quÕil sÕest appropriŽes, et ayant reu sept ans durant mon revenu, ne mÕen a jamais fait toucher un sol. Dieu me donnera la gr‰ce de lui en faire un jour rendre compte.

Ce mme mois les huit et trois millions de rente constituŽe sur les aides et gabelles de France ne sՎtant payŽs plusieurs quartiers auparavant, Žmurent les rentiers ˆ faire instance au conseil pour leur paiement ; ce quÕils exŽcutrent plus chaudement et avec plus de bruit que le conseil du roi ne dŽsirait, et ensuite se retirant de chez le chancelier, ils rencontrrent Cornuel l'intendant qui entrait chez le surintendant, lequel ils poursuivirent avec injures, de sorte que, sÕil ne fut promptement entrŽ chez le surintendant, il ežt couru fortune. Cela fut cause que l'on mit dans la Bastille trois desdits rentiers, savoir Bourges, Chenu, et Selorum, et les autres ayant prŽsentŽ requte au parlement, il fut dit que les chambres seraient assemblŽes pour en dŽlibŽrer. Mais comme elles furent venues ˆ la grand'chambre, le premier prŽsident leur ayant montrŽ une lettre de cachet portant dŽfenses de dŽlibŽrer sur ce sujet, il y eut quelque contestation lˆ-dessus, et le lendemain on fit commandement aux prŽsidents Gayan, Chanron, et Barrillon, et aux conseillers Salo-Beauregart, Tibeuf-Bouville, et Sevin, les deux premiers de se retirer en leurs maisons, et aux autres quatre dÕaller, savoir, Barrillon ˆ Tours, Salo-Beauregart ˆ Loches, Sevin ˆ Amboise, et Tibeuf-Bouville ˆ Caen ; et ds qu'ils y furent arrivŽs, il leur vint un nouvel ordre de demeurer prisonniers dedans les quatre ch‰teaux de ces villes. Le prŽsident Gayan eut peu de jours aprs permission de retourner, et de faire sa charge.

Aussit™t aprs que la nouvelle fut arrivŽe de la mort de Mr le duc de CrŽquy, on jugea trs nŽcessaire dÕenvoyer promptement quelqu'un pour lui succŽder, attendu lՎtat du fort de Breme que lÕon ne croyait pas se pouvoir maintenir sÕil nՎtait promptement secouru : et comme on Žtait en cette consultation, Mr le cardinal de la Valette sÕoffrit ˆ cet emploi, qui lui fut aussit™t accordŽ, et pressŽ de partir ; mais il ne le put faire quÕau commencement dÕavril. Le bruit courait que lÕon nÕavait pas ŽtŽ trop satisfait de lui de son emploi de lÕannŽe passŽe, tant pour avoir opini‰trŽ de conserver Maubeuge, dont il y avait pensŽ avoir grand inconvŽnient, que pour nÕavoir voulu entreprendre sur Cambrai, ni exŽcuter une entreprise que lÕon avait dessus, ainsi quÕil lui avait ŽtŽ expressŽment ordonnŽ. Ė son malentendu sÕajoutait celui de sa maison ; car Mr dÕEpernon nÕavait pas fait, ˆ ce que lÕon croyait, ce quÕil ežt pu faire pour chasser les Espagnols de Fontarabie ; et Mr de la Valette sՎtait embarrassŽ dans les affaires de Monsieur et de Mr le Comte, dont il Žtait par deˆ en trs mauvais prŽdicament [rŽputation], non seulement vers le roi et monsieur le cardinal, mais encore vers Monsieur et Mr le Comte. Ce dernier emploi de Mr le cardinal de la Valette accommoda l'affaire de son frre, ou au moins la pl‰tra pour l'heure ; car son frre vint sur sa parole trouver le roi, et fut vu de monsieur le cardinal, puis sÕen retourna en la charge quÕil avait de lieutenant-gŽnŽral sous Mr le Prince, ˆ qui lÕon avait donnŽ un ample pouvoir pour commander en Languedoc, Guyenne, et BŽarn, avec une puissante armŽe quÕil avait sur pied.

Ce mme mois on fit sortir les troupes du roi de leur quartier d'hiver, ou (pour mieux dire), on les mit en campagne pour former des corps d'armŽe ; car la plupart avaient vŽcu presque ˆ discrŽtion sur le plat pays par la mauvaise exŽcution qui avait succŽdŽ ˆ un trs bon ordre : car on avait projetŽ de les faire nourrir par les pays o elles avaient ŽtŽ dŽparties, et que les villes se chargeraient de leur subsistance au taux et ˆ la ration qui avait ŽtŽ limitŽe, et que la rŽpartition sÕen ferait ensuite sur le pays, qui par ce moyen serait conservŽ ; ˆ quoi les peuples sՎtaient si franchement portŽs que les dites villes avaient la plupart avancŽ deux et trois mois de contribution que de bonne foi ils avaient mises s mains de Besanon (qu'avec un ample pouvoir le roi avait commis pour effectuer cet ordre) : mais lui premirement, ˆ ce quÕon dit, en remplit ses bougues [sacs], puis, pour sÕaccrŽditer en cour, ayant donnŽ avis quÕil avait de grandes sommes en dŽp™t, Bulion qui avait force argent ˆ distribuer lors, et qui avait peu de fonds, persuada que lÕon pr”t celui qui Žtait s mains dudit Besanon pour subvenir ˆ lÕurgente nŽcessitŽ du duc de Waimarch aprs quÕil eut pris Laufenbourg, ce qui fut exŽcutŽ ; et les soldats Žtant privŽs des rations ordinaires que lÕon leur donnait, forcrent les villes o ils Žtaient de leur fournir leur entretnement, et puis ensuite vinrent impunŽment piller le plat pays avec un trs grand dŽsordre, ce qui fit que premirement le peuple ruinŽ fut impossibilitŽ de fournir aux charges ordinaires de lՎtat, et que la plupart dŽsertrent les bourgs et villages, et ensuite que les soldats chargŽs de pilleries et de butin, considŽrant que lÕon leur voulait faire passer lՎtŽ sans solde ˆ cause de la subsistance quÕils avaient eue l'hiver, prŽfŽrrent le sŽjour en paix de tout cet ŽtŽ dans leurs maisons ou celles de leurs amis o ils pouvaient demeurer, vivant de ce qu'ils avaient amassŽ, ˆ lÕemploi dÕune guerre pendant l'ŽtŽ o ils auraient beaucoup de maux et de fatigues et point de solde ; de sorte que la plupart des soldats ayant dŽlaissŽ les compagnies, elles se trouvrent si faibles quand on les voulut mettre en campagne, que l'on n'eut gure que le tiers des soldats que lÕon sՎtait promis : ce qui fut cause de faire acheminer le roi vers la frontire de Picardie, afin de faire par sa prŽsence et mme par la rigueur et le ch‰timent remettre les troupes en meilleur Žtat ; ˆ quoi il procŽda jusques lˆ de casser la compagnie de Chandenier au rŽgiment des gardes, qui devant tre de deux cents hommes, ne se trouva que de cinquante, et de rŽduire la plupart des autres compagnies dudit rŽgiment ˆ 150 hommes. Ces exemples, et le soin que lÕon apporta ˆ remplir les compagnies des autres rŽgiments, les renfora quelque peu ; mais nŽanmoins les troupes dÕinfanterie ne furent si belles, ni si compltes, quÕelles soulaient tre les annŽes prŽcŽdentes.

Un presque pareil inconvŽnient arriva pour la cavalerie : car, comme lÕon les mit en garnison, le roi accorda aux capitaines que, pour les enrichir, et leur donner moyen d'entretenir leurs gens durant lՎtŽ, il ne les obligeait de tenir leur nombre complet dans les garnisons, et que leurs distributions courraient comme sÕil Žtait complet, pourvu quÕils sÕobligeassent de les rendre compltes lorsqu'elles viendraient ˆ l'armŽe : ce qui fut cause que les capitaines licencirent tous leurs soldats ˆ huit ou dix prs des anciens et affidŽs ; et quand il les fallut faire mettre en campagne, les capitaines ne pouvaient trouver de soldats, parce que ceux quÕils avaient cassŽs nÕayant rien reu l'hiver, ne voulurent plus retourner. Enfin nŽanmoins ils firent du mieux quÕils purent et se mirent aux champs.

On commena donc lors ˆ former les corps des armŽes, et certes on fit un puissant projet pour remŽdier ˆ tous les inconvŽnients et attaquer vertement les ennemis de tous c™tŽs. Pour cet effet on envoya des grandes sommes de deniers au gŽnŽral Bannier et au parti suŽdois pour divertir leur accord avec l'empereur, quÕils projetaient, et leur donner moyen de subsister, et de continuer la guerre en Pomeranie et en Michelbourg [Mecklemburg] o ils sՎtaient retirŽs. On envoya aussi de gros deniers aux Hollandais pour leur faire faire une puissante armŽe, et attaquer les Espagnols du c™tŽ de Flandres. On mit sur pied une grande armŽe du c™tŽ de Hainaut, commandŽe par le marŽchal de Chatillon, lequel on avait fait obliger de prendre quelque grande ville pourvu que lÕon lui donn‰t les choses nŽcessaires ˆ cet effet. On mit une autre armŽe entre les mains du marŽchal de la Force pour assaillir le CambrŽsis et lÕArtois. Une autre fut donnŽe au marŽchal de BresŽ pour assaillir le duchŽ de Luxembourg. Le duc de Waimarch fut renforcŽ d'hommes et dÕargent pour faire tte sur le Rhin, et y faire les progrs quÕil pourrait. On laissa une autre armŽe ˆ Mr de Longueville pour s'opposer au duc de Lorraine dans la comtŽ de Bourgogne. On envoya force nouvelles troupes pour joindre ˆ notre armŽe d'Italie, commandŽe par le cardinal de la Valette qui ne partit que le 20me de ce mois pour sÕy en aller, laquelle, jointe ˆ celle de la duchesse de Savoie, devaient s'opposer aux Espagnols qui y Žtaient puissants. Mr le Prince sՎtait dŽjˆ acheminŽ en Guyenne avec une trs belle armŽe. Finalement on mit en mer deux armŽes navales, lÕune en lÕOcŽan, commandŽe par lÕarchevque de Bordeaux, lÕautre en la mer MŽditerranŽe sous la charge du comte de Harcourt. On pressa madame de Savoie de confirmer la ligue offensive et dŽfensive entre le roi et elle, que son feu mari avait jurŽe, et on traita avec le roi de la Grand Bretagne dÕen faire de mme pour rŽtablir le palatin dans ses Žtats : mais ce dernier nÕy voulut entendre ; seulement permit-il ˆ son neveu le palatin de lever des gens dans ses royaumes pour faire un effort au Palatinat, et lÕassista de quelque petite somme d'argent, le roi dÕune plus grande, les Hollandais de quelques canons et munitions, et sa mre de l'engagement du reste de ses pierreries ; avec quoi il se prŽparait pour cet effet, et avait mis dans la ville de Mepen ses appareils, et mme son argent, laquelle ville lÕavant-garde de Galas vint surprendre, et la perte de tout ce que le palatin avait dedans lui fit avorter ses desseins.

Ce mme mois mourut de ses blessures Mr le duc de Rohan, qui fut certes une trs grande perte ˆ la France ; car cՎtait un trs grand personnage, et aussi expŽrimentŽ que personne de notre temps.

Madame de Chevreuse, ce mme mois, passa dÕEspagne en Angleterre, o elle fut trs bien reue : et les jŽsuites qui avaient ŽtŽ reus ˆ Troyes par la violence que Besanon avait faite deux mois auparavant de les y introduire par force, en furent chassŽs par les habitants de la ville ce mme mois d'avril, auquel le roi envoya interdire la troisime chambre des enqutes du parlement de Paris, sur le mauvais traitement quÕils faisaient ˆ un de leurs confrres, nommŽ Colombel, qui sՎtait fourrŽ contre leur grŽ en leur compagnie, et qu'ils ne demandaient point l'avis des nouveaux Žtablis ni ne leur distribuaient les procs ; ladite chambre eut aussi commandement de remettre tous leurs procs au greffe du parlement pour tre de nouveau distribuŽs aux conseillers de la chambre de lՎdit o lÕon en avait attribuŽ le jugement.

Finalement en ce mme mois, le jeudi 23me, la reine sentit bouger lÕenfant dont elle Žtait grosse.

 

Mai. Ń Au commencement du mois de mai une personne qui en pouvait avoir quelque connaissance, me fit avertir que, si je voulais faire presser ma libertŽ, le temps y Žtait bon, et quÕil savait que non seulement je serais ŽcoutŽ, mais mme avec efficace. Mais comme j'ai ŽtŽ si souvent trompŽ de ces espŽrances, et que je connaissais le peu de bonne volontŽ que lÕon avait pour moi, et les rudes et mauvaises paroles dernires que monsieur le cardinal avait dites ˆ ma nice de Beuvron, je ne fis ni mise, ni recette de cet avis, remettant ˆ Dieu ma libertŽ quand il lui plairait de me la donner.

Je perdis en mme temps une de mes cousines germaines portant mon nom, madame de Bourbonne, que j'avais toute ma vie extrmement aimŽe.

La peste tua quatre ou cinq personnes aux Žcuries de monsieur le chancelier, ce qui le convia de m'envoyer emprunter ma maison de Chaillot, que je lui accordai, et lui fis meubler au mieux que je pus.

Le duc de Weimarch, suivant sa victoire, aprs avoir pris toutes les petites places de lÕAlsace, sÕavana vers le Wurtemberg : mais sentant approcher le gŽnŽral Geuts et Sperreuter (nouvellement sorti de prison), avec des forces considŽrables, et les voulant empcher dÕavitailler Brisac dŽnuŽ de vivres, il se retira entre B‰le et Strasbourg en un poste avantageux.

Le marquis de Leganes se mit en campagne en Italie avec de grandes forces, et vint assiŽger Vercel, place importante pour lՎtat de PiŽmont.

Le marŽchal de Chatillon se mit en campagne, et vint entrer en Flandres vers Ardres, o aprs avoir pris quelques petits ch‰teaux, il vint camper devant Saint-Omer, et se rŽsolut de lÕassiŽger, commenant sa circonvallation.

En ce mme temps le roi d'Angleterre qui sÕenrichit des dŽsordres de ses voisins, et qui tire des signalŽs profits du trafic qui se fait par Dunquerque avec lui, apprŽhendant la perte de cette place pour les Espagnols, fit dire par ses ambassadeurs de France et de Hollande que, si le roi ou les ƒtats voulaient entreprendre dÕattaquer Dunquerque, il serait contraint de la secourir, mme de rompre ouvertement avec nous et lesdits ƒtats.

Le roi dŽfendit en ce mois tout commerce et pratique de ses sujets avec ceux de Sedan, pour quelque mŽcontentement que le roi avait eu de Mr de Bouillon qui avait aidŽ ˆ faire passer quelques convois de vivres aux villes du duchŽ de Luxembourg, permettant au reste aux gens de Mr le Comte de pouvoir aller et venir ˆ Sedan.

 

Juin. Ń Le mois de juin produisit plusieurs choses, savoir : le secours jetŽ de deux mille hommes dans Saint-Omer par le prince Tomas, laquelle ville, grande et pleine dÕhabitants, Žtait sur le point de capituler avec le marŽchal de Chatillon, sans attendre un plus long sige ; mais ce renfort si considŽrable et important les rŽsolut tout ˆ fait ˆ une vigoureuse dŽfense, et fit en mme temps rabattre quelque chose de cette premire ardeur franaise, parce quÕen y entrant le prince Tomas dŽfit ˆ plate couture trente compagnies de gens de pied qui Žtaient mises au poste o le secours passa, qui Žtaient les rŽgiments d'Espagny et de Foucsolles. Peu de jours aprs nous ežmes encore un autre Žchec, mais moindre : car les compagnies de cavalerie de Vittenval et de Vattimont furent aussi dŽfaites en une embuscade o elles donnrent. Ces divers accidents obligrent le roi de commander au marŽchal de la Force (qui avec son armŽe faisait le gast [dŽvastait] au CambrŽsis), de se venir joindre au marŽchal de Chatillon, lequel se vint loger ˆ deux lieues de Saint-Omer vers Ardres. Mais le prince Tomas se campa avantageusement entre la ville et lui, et le gouverneur dÕArdres ayant fait un petit fort ˆ la tte dÕune chaussŽe pour pouvoir plus facilement aller picorer sur les terres des ennemis, le prince Tomas la vint attaquer le 24me de ce mois, ce qui obligea le marŽchal de la Force dÕenvoyer le vicomte dÕArpajon avec des forces pour t‰cher dÕy jeter du secours ; mais il trouva la redoute prise et les ennemis campŽs au-devant ; et le lendemain le marŽchal de la Force Žtant allŽ avec toute son armŽe pour la reprendre sur lÕavis que lÕon lui avait donnŽ que les ennemis sՎtaient retirŽs, il trouva toute lÕarmŽe du prince Tomas en armes pour la dŽfendre, et quÕil fallait passer par une chaussŽe ˆ dŽcouvert pour y aller, ce qu'ayant commandŽ de faire, il y perdit plus de 300 hommes, que morts que blessŽs ˆ l'attaque, et fut contraint de se retirer.

Or comme nous avions fait diverses armŽes pour attaquer la Flandre, les Espagnols de leur c™tŽ en avaient destinŽ trois pour la dŽfensive, savoir : une, commandŽe par lÕinfant en personne, pour s'opposer ˆ celle des Hollandais, quÕil tenait entre Bruxelles et Anvers ; une autre, commandŽe par le prince Tomas, qui devait c™toyer celle du marŽchal de Chatillon ; et une troisime, menŽe par Picolomini pour faire tte au marŽchal de la Force au CambrŽsis. Mais deux jours aprs que cette dernire armŽe fut arrivŽe ˆ son rendez-vous, sur la venue des Hollandais vers Flessingue, le prince-cardinal lÕappela pour se venir joindre ˆ la sienne ; et l'avant-garde des ƒtats Žtant venue prendre terre ˆ la digue de Calo, prit un des premiers forts par intelligence, et ensuite un autre et une redoute par force, et de lˆ vint assiŽger le fort de Saint-Phelipe, qui se dŽfendit bravement, et donna loisir au cardinal-infant de le venir secourir, et fit telle diligence quÕil trouva les ennemis (quÕun vent contraire avait empchŽs de se rembarquer), et les tailla en pices, remportant quarante drapeaux, huit cornettes, vingt-cinq canons de fonte, et plus de cent de fer, avec douze pontons. Le fils du gŽnŽral qui Žtait le comte Guilhaume de Nassau, y fut tuŽ : lui se sauva avec peu dÕautres ; tout le reste de cette petite armŽe de six mille hommes fut tuŽ, pris, ou noyŽ en se retirant, le 25me de ce mois.

Mr le Prince cependant Žtant arrivŽ ˆ Bordeaux (o il trouva Mrs d'Epernon et de la Valette mettant ordre ˆ tout ce qui pouvait concerner et faciliter son entreprise pour entrer en Espagne), donna ˆ Mr dÕEpernon une lettre du roi par laquelle le roi mandait audit duc, qu'il lui avait prŽcŽdemment accordŽ sa retraite en sa maison de Plassac ˆ lÕinstante supplication quÕil lui en avait faite, et que maintenant il lui ordonnait par absolu commandement, et de nÕen bouger sur peine de contravention ˆ son ordre ; ce quÕil lui donnait pour ch‰timent de ce quÕil avait persŽcutŽ et tourmentŽ des personnes qu'il devait aider et assister puisquÕils avaient le caractre de ses serviteurs, et sa protection : ˆ quoi Mr dÕEpernon obŽit aussit™t.

Il y avait aussi plusieurs mois quÕil ne sÕexpŽdiait rien ˆ Rome pour les bŽnŽfices consistoriaux ; dont la cause Žtait que la protection dÕAragon, Valence, et Catalogne, ayant vaquŽ par la mort du cardinal protecteur, elle avait ŽtŽ prŽsentŽe au cardinal Barberin qui lÕaccepta et en jouit une annŽe, au bout de laquelle, sur quelque plainte qui fut faite par lÕambassadeur du roi au pape de ce que son neveu se partialisait par trop, en acceptant et exerant cette protection, et que le roi voulait que le cardinal Antoine Barberin prit la protection de France, quÕil lui offrait, le pape trouva bon quÕil lÕaccept‰t, mais jugeant quÕil nՎtait pas biensŽant que ses neveux se partialisassent si fort pour lÕune et lÕautre couronne, dŽfendit ˆ lÕun et ˆ lÕautre dÕexercer ces protections ; dont le roi dÕEspagne ne se soucia gure, mais le roi persista ˆ vouloir que le cardinal Antoine exer‰t une annŽe cette protection, comme le cardinal Barberin avait fait celle de Aragon, ˆ quoi le pape ne voulut consentir ; qui fut une des premires plaintes du roi contre le pape. ƒtant arrivŽe ensuite la conqute de Lorraine, le roi entreprit de pourvoir aux bŽnŽfices simples dudit duchŽ et de nommer aux consistoriaux, comme pareillement aux trois ŽvchŽs de Metz, Toul et Verdun, et aux bŽnŽfices en dŽpendant, bien quÕils ne fussent du concordat : et Žtant arrivŽe la vacance de lÕabbaye de Saint-Paul de Verdun (bien quÕil y ežt un coadjuteur passŽ en cour de Rome), le roi en pourvut le fils du procureur gŽnŽral de Paris, ˆ quoi le pape sÕopposa, et le roi en fit jouir son pourvu par Žconomat. Ensuite lՎvchŽ de Toul Žtant vaquŽe lorsque le cardinal de Lorraine se maria, le pape donna ladite ŽvchŽ ˆ lÕabbŽ de Bourlemont son parent, et le roi y nomma lՎvque de Corinthe qui en Žtait suffragant ; et le pape, vaincu par les prires du roi, accorda pour cette fois seulement que lՎvque de Corinthe fut Žvque de Toul, lequel Žtant mort depuis un an, le roi y nomma lÕabbŽ de Saint-Nicolas dÕAngers, des Arnauts, et le pape lors donna de nouveau ˆ lÕabbŽ de Bourlemont, sans sÕen vouloir rŽtracter, lՎvchŽ de Toul. Aprs cela, ce qui f‰chait le roi et monsieur le cardinal, fut que le pre Josef, prŽsentŽ depuis neuf ans au pape pour tre fait cardinal, avait ŽtŽ constamment refusŽ par Sa SaintetŽ, et offert au roi dÕen faire un autre en cas quÕil voulžt en avoir, et que le pape le ferait : mais le roi sÕy Žtait tellement opini‰trŽ quÕil ne sÕen voulut jamais dŽsister, et le pape sÕobstina aussi de telle sorte quÕil aima mieux ne faire point de promotion que dÕy admettre le pre Josef. Tout cela fit que lÕon ne fut pas satisfait du pape par deˆ. Mais encore plus que tout cela Žtait que monsieur le cardinal, qui plusieurs annŽes auparavant sՎtait fait Žlire abbŽ de Cluny, en avait eu ses bulles de Rome ; mais ayant aussi voulu tre chef dÕordre de deux autres rŽguliers, savoir C”teaux et PrŽmontrŽ, sՎtait fait Žlire abbŽ de lÕune et de lÕautre de ces abbayes ; dont la congrŽgation des ordres ˆ Rome se formalisa sur les plaintes que les abbŽs dŽpendant desdites abbayes (qui sont en plus grand nombre Žtrangres que franaises), en firent, qui remontrrent quÕils ne refusaient pas dÕobŽir et de dŽfŽrer ˆ ces chefs dÕordre franais, pourvu quÕils fussent lŽgitimement Žlus, et quÕils eussent des moines pour abbŽs suivant lÕinstitution, mais non quÕelles fussent domaine dÕun seul homme, comme elles sÕy en allaient tre, et quÕelles demandaient (en cas que cela fžt), quÕils pussent Žlire des gŽnŽraux de leurs ordres aux autres royaumes o il y avait des monastres : ce que le pape jugeant tre de pŽrilleuse consŽquence, ne voulut admettre monsieur le cardinal ˆ ces deux abbayes ; dont il se piqua. Toutes ces raisons convirent le roi ˆ faire un arrt du conseil par lequel dŽfenses Žtaient faites dÕaller plus ˆ Rome pour y chercher les expŽditions, ni dÕy envoyer plus dÕargent. Cet arrt fut ensuite mis s mains des gens du roi, qui, aprs y avoir mis leurs conclusions conformes, le portrent ˆ la cour de parlement pour le vŽrifier, ce qui ežt ŽtŽ unanimement fait (car ceux qui sont affidŽs eussent suivi lÕintention du conseil, et les autres lÕeussent vŽrifiŽ afin de brouiller davantage les cartes) ; mais il se rencontra que cՎtait un arrt, et non une ordonnance, ou un Ždit, qui sont les choses que lÕon vŽrifie en parlement, lequel fit rŽponse quÕil nÕavait point accoutumŽ de vŽrifier les arrts du conseil, mais dÕy acquiescer, et que, si on leur envoyait une ordonnance, ils procŽderaient ˆ la vŽrification : et durant le temps quÕil fallut mettre ˆ changer cela, le nonce ayant eu avis de cette affaire vint trouver monsieur le cardinal le mme jour quÕil festinait Jean de Vert et Equenfort que le roi, aprs les avoir tirŽs des mains du duc de Weimarch et mis prisonniers au bois de Vincennes, finalement ce jour-lˆ les avait mis sur leur foi, et monsieur le cardinal leur voulut faire festin, o Monsieur se trouva. Le nonce donc vint trouver monsieur le cardinal ˆ Conflans, et par lÕentremise du pre Josef, fit retarder cette procŽdure jusques ˆ ce quÕil en ežt donnŽ avis au pape, lequel il faisait espŽrer quÕil donnerait quelque contentement au roi.

Un bruit courut alors que le roi avait dit ˆ monsieur le cardinal quÕil avait sur sa conscience de me retenir si longtemps prisonnier, et que, nÕy ayant aucune chose ˆ dire contre moi, il ne mÕy pouvait retenir davantage ; ˆ quoi monsieur le cardinal rŽpondit que, depuis le temps que jՎtais prisonnier, il lui Žtait passŽ tant de choses par lÕesprit, quÕil nՎtait plus mŽmoratif des causes qui avaient portŽ le roi de mÕemprisonner, ni lui de lui conseiller, mais quÕil les avait parmi ses papiers, et quÕil les chercherait pour les montrer au roi. Je ne sais si cela est vrai; mais le bruit en courut par Paris.

Ce mme mois la duchesse de Savoie fit jeter un secours de seize cents hommes dans Vercel qui Žtait pressŽ par le marquis de Leganes. Ce furent des forces de PiŽmont qui y entrrent ; mais ce furent les gŽnŽraux du roi qui en firent le projet et l'exŽcution.

Il se fit aussi ce mois-lˆ un changement de gouverneur en Lorraine, et on y envoya ˆ la place du sieur de Hoquaincour qui y Žtait, le sieur de Fontenai-Mareuil : et Mr le Prince entra ˆ la fin du mois avec une belle et forte armŽe dans la Navarre, du c™tŽ de Fontarabie.

Le roi me fit, le 21me de ce mme mois, donner une lettre de cachet pour tirer mon neveu le chevalier de Bassompierre hors de la citadelle de Nancy, o il Žtait dŽtenu prisonnier depuis le dernier jour de lÕannŽe prŽcŽdente, et ordonna dans ladite lettre quÕil serait mis s mains de ceux que jÕenverrais ˆ cet effet ; laquelle jÕenvoyai avec une autre mienne ˆ Mr de Hoquaincour pour le prier de sÕen vouloir charger, et me le vouloir amener ˆ Paris quand et lui. JՎcrivis aussi ˆ Mr le comte de Tornielle et ˆ celui qui faisait mes affaires en Lorraine, nommŽ Losane, pour le faire mettre en Žquipage de sÕy acheminer, et lui fournir les choses nŽcessaires ˆ cet effet.

Je perdis aussi ce mme mois un de mes meilleurs amis, nommŽ Mr de Tilly, conseiller au parlement de Rouen. Mais la mort du seigneur Pompeo Frangipani, qui arriva audit mois, me fut sensible jusques ˆ tel point que je souhaitai mille fois la mienne, Žtant un des plus chers, anciens et vŽritables amis que j'eusse jamais eu.

 

Juillet. Ń Le mois de juillet donna commencement au sige de Fontarabie, Mr le Prince ayant passŽ le 2me la rivire de Bidassoa proche dÕIron sans rŽsistance, et aprs avoir pillŽ Iron prit le mme jour le port du Passage, o il y avait sept caraques presque achevŽes et 150 pices de canon que lÕon amena en France, puis se vint camper devant la ville de Fontarabie avec son armŽe bien leste et munie de tout l'attirail nŽcessaire pour attaquer cette place, laquelle il pressa durant tout ce mois, les ennemis ayant jetŽ par deux fois du secours dedans, lÕun par terre, et l'autre par la mer, quÕils avaient encore libre parce que la flotte du roi que Mr de Bordeaux commandait nÕy Žtait encore arrivŽe.

Mais du c™tŽ de Picardie les affaires du sige de Saint-Omer ne prirent pas bonne issue, dont je donne la faute et la cause ˆ la dŽfaite des Hollandais sur la digue de Calo, parce que, comme jÕai dit ci-dessus, lÕarmŽe de Picolomini qui Žtait destinŽe pour faire tte ˆ Mr le marŽchal de la Force ayant ŽtŽ par le cardinal-infant rappelŽe pour faire tte avec la sienne aux Hollandais descendus en Flandres et sÕopposer ˆ eux, il nÕy avait plus que lÕarmŽe du prince Tomas qui pžt troubler le sige de Saint-Omer : Mr de la Force avec la sienne se vint opposer ˆ lui tandis que Mr de Chatillon faisait faire la circonvallation de la place et fournir son camp de vivres et autres nŽcessitŽs pour six semaines ; et parce que de lÕautre c™tŽ dÕune rivire qui passe ˆ Saint-Omer par un canal que lÕon y a fait qui lui mne, la ville Žtait aisŽe ˆ tre secourue, il fit par une chaussŽe rentrer la rivire en son premier lit, et fit faire trois redoutes sur cette chaussŽe, et pour empcher que lÕon ne les v”nt attaquer et prendre, il fit faire un grand fort au lieu o le bac Žtait de ladite rivire, qui ˆ cause de cela fut nommŽ le fort du Bac, et fit Žtat dÕy mettre quatre mille hommes pour le garder, et quantitŽ dÕartillerie : mais avant quÕil fžt muni de vivres, ni mme entirement en dŽfense, le comte Guilhaume ayant ŽtŽ dŽfait ˆ Calo et lÕinfant-cardinal se voyant par ce moyen dŽlivrŽ pour longtemps de lÕarmŽe des Hollandais, fit promptement retourner Picolomini avec son armŽe au secours de Saint-Omer, et envoya quand et quand le comte Jean de Nassau avec quinze cents chevaux, pour se joindre au prince Tomas ; lesquels trois gŽnŽraux ayant consultŽ de ce quÕils auraient ˆ faire, se rŽsolurent de joindre douze cents Cravates aux troupes du comte Jean, lequel irait harceler Mr le marŽchal de la Force tandis quÕau mme temps le prince Tomas viendrait attaquer les trois redoutes de la digue, et Picolomini le fort du Bac : ce qui leur rŽussit ainsi quÕils lÕavaient projetŽ ; car le comte Jean de Nassau ayant envoyŽ ces Cravates donner jusques dans le logement de lÕarmŽe du marŽchal de la Force, sa cavalerie les repoussa vertement jusques dans ces quinze cents chevaux armŽs quÕil tenait en bataille pour les soutenir, ˆ la vue inopinŽe de laquelle notre cavalerie prit lՎpouvante, et en mme temps Žtant chargŽe par celle des ennemis, elle les mena battant jusques ˆ lÕinfanterie que le marŽchal menait, laquelle fit parfaitement bien, et les ayant arrtŽs sur cul, notre canon ensuite leur fit tourner tte, et notre cavalerie sՎtant ralliŽe les poursuivit ˆ leur tour jusques dans leur campement. Or en mme temps que le comte Jean parut, le marŽchal de la Force en envoya donner avis ˆ celui de Chatillon qui fit en mme temps sortir toute sa cavalerie de la circonvallation pour aller au secours dudit marŽchal de la Force, et lui-mme oyant les canonnades qui se tiraient, jugeant quÕils Žtaient aux mains, mit son infanterie en bataille vers le lieu de la retraite du marŽchal de la Force, pour le recevoir en cas de malheur ; pendant lequel temps le prince Tomas vint attaquer les trois redoutes de la digue quÕil fora aisŽment parce quÕelles ne purent tre secourues du c™tŽ du camp, les troupes Žtant diverties ailleurs, ni du c™tŽ du fort du Bac qui fut en mme temps attaquŽ par Picolomini ; de sorte quՎtant prises, et sŽparrent le fort du Bac, et le divisrent dÕavec le reste de la circonvallation, et eurent moyen d'entrer ˆ leur aise et sans aucun empchement dans Saint-Omer, et le pourvoir de toutes choses nŽcessaires. Le prince Tomas mme y alla loger cette nuit-lˆ, et Picolomini battant furieusement le fort du Bac, le fora dans deux jours de se rendre aux capitulations quÕil lui donna. Tous ces divers accidents obligrent notre armŽe ˆ lever le sige de Saint-Omer, si [toutefois], qui se fit sans dŽsordre ni confusion. Le combat du comte Jean et l'attaque des redoutes et du fort du Bac se fit le 7me juillet.

Du c™tŽ d'Italie nous nÕežmes pas meilleur succs : car, comme on attendait ˆ la cour le levement du sige de Vercel que nos gŽnŽraux avaient mandŽ comme infaillible aprs que le secours y eut ŽtŽ jetŽ, et que les troupes du roi jointes ˆ celles de la duchesse de PiŽmont Žtaient campŽes proche de la circonvallation que mme on avait mandŽ avoir ŽtŽ emportŽe, il vint nouvelle comme le marquis de Leganes avait pris Vercel le 8me de ce mois ; ce qui causa une grande consternation ˆ nos affaires d'Italie.

Du c™tŽ de la Bourgogne, Mr de Longueville prit quelques ch‰teaux, bien qu'il ežt le duc Charles, plus fort que lui, sur les bras.

Vers lÕAllemagne les ennemis avitaillrent Brisac, quelque diligence que le duc Bernhard de Weimarch pžt faire pour les en empcher.

Finalement, pour ce qui est de moi, je fus doublement malheureux en ce que ce scŽlŽrat de La Roche Bernard Žcrivit encore contre moi le 19me de ce mois ˆ Mr de Bouteillier le pre ; et le gouverneur de la Bastille ˆ qui je renouvelai mes plaintes, au lieu de lÕen ch‰tier, lui permit de venir ou•r la messe les dimanches avec les autres prisonniers : et ayant eu la lettre pour la libertŽ de mon neveu, que jÕai dite ci-dessus, ds le 21me de juin, ayant su que Mr de Hoquaincour sÕen retournait de Lorraine, je lui Žcrivis pour le prier de se vouloir charger de lui pour me le ramener ˆ Paris, et Žcrivis ˆ celui qui faisait mes affaires en Lorraine pour lui fournir tout ce qui serait nŽcessaire pour son voyage, au cas que Mr le comte de Tornielle nÕy voulžt pourvoir, ˆ qui pareillement j'en Žcrivis, et lui mandai que je mettrais mon dit neveu ˆ lÕacadŽmie si je voyais quÕil se dispos‰t de faire quelque chose de bien, et que, si je le voyais portŽ ˆ mal faire, je le tiendrais auprs de moi ˆ la Bastille, et t‰cherais dÕen faire quelque chose de bon ; et ayant mis toutes les susdites lettres en un paquet avec celle du roi, adressŽes ˆ Mr de Hoquaincour, je les envoyai ˆ Mr de Ramefort qui me promit de les faire rendre sžrement s mains de Mr de Hoquaincour. Mais il arriva que le sieur de Villarseaux ma”tre des requtes, arrta pendant les deux ordinaires (je ne sais par quel ordre) tous les paquets qui venaient pour ledit sieur de Hoquaincour ˆ Nancy ; et moi ayant mandŽ ˆ celui qui fait mes affaires, par lÕordinaire suivant, quÕil ne manqu‰t dÕeffectuer pour le partement de mon neveu ce que je lui avais ordonnŽ par mes prŽcŽdentes, Žtant en peine de ne les avoir reues, arriva le 12me de ce mois ˆ Nancy pour apprendre ce quÕelles Žtaient devenues, ce quÕil sut le mme soir par lÕarrivŽe du sieur de Fontenai-Mareuil qui venait succŽder au sieur de Hoquaincour dans le gouvernement de Lorraine. Mais on ne rendit la lettre du roi pour la libertŽ de mon neveu quՈ lÕheure que ledit Hoquaincour voulut partir, et non ˆ lui, mais ˆ mondit neveu ˆ qui elle ne sÕadressait pas, ni les autres lettres que jՎcrivais, lesquelles ayant ouvertes et vu que je mandais au comte de Tornielle que je le tiendrais ˆ la Bastille, ne lui voulut envoyer, et se prŽpara avec deux ou trois pareils garnements que lui, pour sÕen aller en Bourgogne, ce qui lui fut facile ; car sans le retenir jusques ˆ quelque ordre du roi, on le laissa sortir de Nancy avec son valet, et il sÕen alla trouver le duc de Lorraine en Bourgogne : dont je ressentis un sanglant dŽplaisir, me persuadant que lÕon lÕavait fait exprs Žvader pour jeter le tout sur moi.

Le mauvais succs du sige de Saint-Omer fit que le roi se rŽsolut de sÕacheminer en Picardie pour tre sur les lieux et remŽdier par sa prŽsence aux dŽsordres qui Žtaient en ses armŽes, et fit avancer le marŽchal de BresŽ avec la sienne pour se joindre aux autres, ou pour les Žpauler.

DÕautre c™tŽ lÕarmŽe de mer, commandŽe par lÕarchevque de Bordeaux, partit le 23me de la Rochelle pour aller ˆ la c™te de Fontarabie, qui se dŽfendait fort bien, et qui voulait attendre les secours que par mer et par terre on lui promettait.

 

Aožt. Ń Pendant le mois dÕaožt le roi fit attaquer le ch‰teau de Renty qui au bout de huit jours fut mis en son obŽissance ; mais comme il le voulait faire dŽmolir et que lÕon y travaillait, les ennemis en ..... Puis voyant approcher le temps des couches de la reine, il sÕen revint de Picardie ˆ Saint-Germain en Laye, laissant monsieur le cardinal sur la frontire, lequel, en son absence, fit attaquer le Catelet.

Le marŽchal de BresŽ, comme jÕai dit ci-dessus, avait le commandement dÕune armŽe qui avait ŽtŽ assemblŽe en RethŽlois, lequel, sur le levement du sige de Saint-Omer, eut ordre de sÕavancer, et lÕon croyait mme quÕil aurait les premires et principales commissions, Žtant beau-frre de monsieur le cardinal, et le roi nÕayant pas beaucoup de satisfaction des marŽchaux de la Force et de Chatillon. Mais comme, pour lui donner cet emploi sans murmure, monsieur le cardinal ežt dŽsirŽ que pour quelque peu de temps on lui m”t pour compagnon Mr le marŽchal de la Force, ˆ cause que Mr de BresŽ nՎtait pas de si grande expŽrience, il refusa ce compagnon et dit ˆ monsieur le cardinal quÕil nՎtait pas bte de compagnie, et quÕil le laiss‰t faire seul, ce que mondit sieur le cardinal ne lui ayant pas absolument accordŽ ni refusŽ lorsquÕil le vit ˆ Abbeville, nŽanmoins sur ce que lÕon lui dit que lÕon parlait derechef de le conjoindre avec Mr le marŽchal de la Force, il fit un matin assembler les chefs de lÕarmŽe, et leur ayant dit quÕil quittait sa charge, il la remit avec le commandement quÕil laissa au sieur de Lambert marŽchal de camp, et sans prendre congŽ du roi ni de monsieur le cardinal, il sÕen revint ˆ Paris quoi que lui pžt persuader et dire Mr de Chavigny qui fut envoyŽ aprs lui pour lui faire changer de dessein ; et ayant demeurŽ une seule nuit ˆ Paris, sÕen retourna en poste en Anjou.

Le 15me de ce mois, jour de lÕassomption Notre Dame, le roi fit faire une procession solennelle ˆ Paris pour la dŽdicace quÕil fit de sa personne, de son royaume et de ses sujets, ˆ la vierge Marie. Il advint ce jour lˆ un grand trouble et scandale dans lՎglise de Notre Dame de Paris, causŽ par ceux-mmes qui devaient lÕempcher et le ch‰tier, si dÕautres lÕeussent Žmu ; dont la cause fut que le parlement et la chambre des comptes ont accoutumŽ de marcher aux processions o ils interviennent, le parlement ˆ la droite et la chambre des comptes ˆ la gauche, en sorte que les premiers prŽsidents de lÕune et de lÕautre marchent de front, et quand ils entrent dans le chĻur de lՎglise de Notre Dame, le parlement se met ˆ la droite et la chambre ˆ la gauche dans les bancs des chanoines ; et quand cÕest un Te Deum, les premiers prŽsidents se mettent s chaises plus proches de lÕautel, et le reste de leurs corps ensuite jusques aux places plus proches de la porte du chĻur ; et si cÕest en une procession gŽnŽrale, les prŽsidents premiers se mettent aux chaises prs de la porte, et les corps ensuite, finissant vers lÕautel : or pour lÕentrŽe il nÕy a nul ordre, parce que chacun sÕassemble au chĻur sans cŽrŽmonie ; mais quand il faut marcher pour aller ˆ la procession, il faut nŽcessairement que les deux corps se croisent pour reprendre, lÕun la main droite, et lÕautre la main gauche : le premier prŽsident de la chambre des comptes prŽtendit de marcher aprs celui du parlement quand ce fut ˆ sortir du chĻur, et les autres prŽsidents au mortier ne voulant laisser passer personne, que le gouverneur de Paris, entre leur premier prŽsident et eux, lÕen empchrent ; sur quoi les deux corps se mirent premirement ˆ se choquer, puis ˆ se frapper, de sorte quÕil y eut un trs grand dŽsordre dans lՎglise, Mr de Montbason et plusieurs archers, et autres, ayant mis lՎpŽe ˆ la main. Ils firent informer de part et dÕautre ; mais le roi ayant ŽtŽ promptement averti de cet inconvŽnient, attira le tout ˆ soi pour les rŽgler selon quÕil aviserait bon tre.

Les choses de dehors se continrent pendant ce mois presque en mme Žtat, le duc de Weimarch se tenant devant Geuts campŽ, le duc de Lorraine en faisant de mme devant Mr de Longueville qui reprit Chanitte sans effort. Les Hollandais ne tentrent rien, ni les Espagnols aussi. Le sige du Catelet continua, comme aussi celui de Fontarabie, hormis que sur la mer notre armŽe navale eut quelque avantage sur lÕennemie ˆ qui elle coula ˆ fond et bržla quelques vaisseaux.

Ce mme mois la reine mre, aprs presque sept ans et demi de sŽjour en Flandres, sÕen retira et avec un sauf-conduit quÕelle envoya chercher des ƒtats sÕen vint ˆ Bois le Duc o elle fut magnifiquement reue, puis ensuite ˆ la Haye.

Du c™tŽ dÕItalie les Espagnols aprs la prise de Vercel mirent leurs troupes en garnison pour se rafra”chir des travaux quÕils avaient eus au sige de cette place et ˆ celui de Breme, et nos troupes commandŽes par le cardinal de la Valette ne se montrrent point en campagne, pour nՐtre assez fortes pour le faire.

Le 29me de ce mois, en un dimanche, nous f”mes le mariage de mon neveu de Tillieres avec la veuve du feu comte de Mata ; dont je reus beaucoup de contentement, pour tre un riche, noble, et honnte parti. Et le 25me de ce mme mois, lÕarmŽe navale du roi commandŽe par Mr de Bordeaux, qui Žtait ancrŽe vis ˆ vis de Fontarabie durant le sige, vint attaquer quatorze grands vaisseaux espagnols qui Žtaient venus pour jeter du secours dans Fontarabie et dŽcharger proche de lˆ trois mille hommes de pied pour grossir lÕarmŽe de lÕadmirante dÕAragon qui sՎtait venu camper proche de Fontarabie pour obliger les n™tres de lever le sige ; et le bonheur fut si grand pour nous, que le vent, qui nous Žtait contraire, se tourna en un instant, et le devint aux ennemis, de telle sorte que les ayant jetŽs en une rade dÕo ils ne pouvaient sortir, il fut aisŽ ˆ Mr de Bordeaux de leur envoyer des bržlots qui les mirent tous en feu avec tout ce quÕils portaient, ˆ un vaisseau prs, qui se sauva.

Presque en ce mme temps Manican qui pour la crainte du ch‰timent, aprs avoir perdu les forts que le duc de Weimarch avait construits sur le Rhin et ensuite lui avait consignŽs, sՎtait retirŽ et cachŽ, voyant le sige de Saint-Omer commencŽ, sՎtait venu offrir au marŽchal de Chatillon pour y servir et y faire si bien son devoir quÕil pžt mŽriter dÕobtenir gr‰ce : il sՎtait ensuite jetŽ dans le fort du Bac, et avait capitulŽ avec les ennemis, qui lÕavaient renvoyŽ avec ce qui Žtait dedans, rentrer en France par Verdun ; aprs y avoir mis les troupes sÕen vint trouver ˆ Amiens monsieur le cardinal sans autre sžretŽ que celle quÕil prit en son imagination : mais monsieur le cardinal le fit incontinent mettre dans la citadelle dÕAmiens, et lui fit commencer son procs.

Le dernier jour de ce mois, le roi Žtant de retour de son voyage de Picardie ˆ Saint-Germain, la fivre tierce lui prit, qui lui a tenu durant neuf accs.

Le prince dÕOrange nÕayant pas eu du bonheur au dessein quÕil avait sur Anvers, aprs sՐtre refait de sa perte, et remis son armŽe plus forte quÕauparavant, vint assiŽger la ville de Gueldres. Mais lÕarchiduc infant-cardinal, qui Žtait aux Žcoutes o il prendrait sa brisŽe, ds quÕil en eut avis quÕil allait assiŽger Gueldres, sÕy achemina ˆ grandes journŽes, et y vint avant que les Hollandais fussent retranchŽs. Il fora premirement le quartier du comte Henry de Frise le 27me dÕaožt ; ce qui obligea le prince dÕOrange de lever le sige le dernier de ce mme mois et de se retirer sans tenter tout le reste de la campagne aucun autre exploit.

 

Septembre. Ń Le mois de septembre commena par un grand et signalŽ combat de quinze galres franaises contre pareil nombre dÕespagnoles, presque ˆ la vue de Gnes, le combat ayant ŽtŽ fort opini‰trŽ, lequel enfin se termina ˆ lÕavantage de la France, les galres espagnoles ayant par la fuite quittŽ la partie avec perte de cinq des leurs et de deux des n™tres.

En ce mme temps Mr le marŽchal de Chatillon sur la mauvaise satisfaction que lÕon avait de lui pour le succs du sige de Saint-Omer, reut commandement de se retirer en sa maison.

Mais le 5me de ce mois, jour de dimanche, ˆ onze heures du matin, naquit Mr le Dauphin, aprs avoir tenu la reine en travail prs de cinq heures. Ce fut une rŽjouissance si universelle par toute la France quÕil ne sÕen Žtait prŽcŽdemment vu une pareille : les feux de joie durrent plus de huit jours continuels.

Il y eut ensuite, pour modŽrer cette joie, une f‰cheuse nouvelle du c™tŽ de Fontarabie, le sige de laquelle ville ayant dŽjˆ durŽ plus de deux mois, on en attendait tous les jours la prise, quand au contraire on reut la nouvelle que les Espagnols, le 7me de ce mois, avaient forcŽ nos retranchements qui avaient ŽtŽ assez lŽgrement abandonnŽs par les n™tres avec une telle Žpouvante que toute lÕarmŽe se retira en grand dŽsordre, laissant tout bagage et tous les canons au pouvoir des ennemis, ayant perdu quelque huit cents hommes tuŽs de coups de main et prs de deux mille noyŽs, et ce ˆ la veille quÕelle devait tre prise, les assiŽgŽs ayant mandŽ ˆ lÕadmirante et au marquis de los Veles, gŽnŽraux de l'armŽe espagnole, qui depuis vingt jours Žtaient campŽs devant nos retranchements pour t‰cher de les secourir, que, si dans ce jour-lˆ ils ne tentaient de faire un effort qui rŽuss”t, ils ne pouvaient plus tenir davantage. On avait quatre jours auparavant fait jouer une mine sous un bastion, qui lÕavait entrouvert, de sorte que lÕon pouvait facilement y monter, ˆ ce que ceux qui sont revenus de cette dŽroute tŽmoignent, et que Mr le duc de la Valette qui devait faire donner un furieux assaut, ne le jugea pas ˆ propos ce jour-lˆ, mais remit l'affaire au lendemain, et que les ennemis eurent cependant loisir de se retrancher sur ladite brche et de reprendre leurs esprits qui Žtaient ˆ l'heure de la mine tous Žperdus, et que le lendemain il ne fit donner si brusquement quÕil convenait ; ce que ledit duc de la Valette ne dit pas, et allgue dÕautres raisons. Tant y a que Mr le Prince lui ™ta cette attaque et la donna ˆ Mr de Bordeaux son ennemi mortel, lequel Mr de Bordeaux lÕaccepta, et se prŽpara avec tant de soin et de diligence que lÕon croit assurŽment que le jour de la Notre Dame de septembre il ežt emportŽ cette place, si la veille la dŽroute ne fžt arrivŽe, qui fut si grande que mme deux jours aprs les ennemis vinrent enlever une batterie de deux canons qui Žtaient de lÕautre c™tŽ de la rivire de Bidassoa vers Saint-Jean de Luz. On envoya aussit™t de la cour deux commissaires pour savoir qui avait causŽ cette grande dŽroute, et qui en Žtait chargŽ. Chacun sÕen dŽchargea sur Mr le duc de la Valette, qui fut en mme temps mandŽ pour venir rendre compte au roi de ses actions. Mais lui, voyant quÕil nÕavait pas les rieurs de son c™tŽ, sÕembarqua dans un vaisseau Žcossais quÕil fit Žquiper en guerre, et sÕen alla en Angleterre o il fut le bien reu, o la reine mre Žtait aussi peu de temps auparavant arrivŽe. Mais comme ils eurent lÕun et lÕautre de grandes temptes sur la mer, ils nÕy abordrent que le mois suivant.

Il se passe peu de mois quÕil ne mÕarrive, outre mon malheur ordinaire, quelque nouvelle disgr‰ce : celui-ci mÕen donna une bien amre, qui fut que le duc Charles dont mes prŽdŽcesseurs avaient rendu tant de signalŽs services aux siens, et que jÕavais soignŽ tant quÕil Žtait en France jeune garon comme si jÕeusse ŽtŽ son gouverneur, de qui mon neveu de Bassompierre Žtait tant passionnŽ quÕoutre quÕil a longtemps souffert ses extravagances, a dŽpendu cent mille Žcus du sien en le servant et y a ŽtŽ pris prisonnier et estropiŽ dÕun bras, et mon neveu le chevalier lՎtait depuis trois mois venu trouver contre son bien et ma volontŽ, envoya le lundi 5me de ce mois le colonel Cliquot avec trois rŽgiments dÕinfanterie, trois de cavalerie, et deux pices de canon, prendre ma maison de Harouel, qui ne faisait point la guerre, et qui nՎtait point importante ˆ ses affaires, afin que par ce moyen ce qui restait de ce marquisat fut entirement pillŽ et dŽsertŽ.

JÕeus encore un dŽplaisir bien violent en mon particulier, mais il me passa.

Le jeudi 23me de ce mme mois (4 H. d. M.) il mÕarriva aussi de grands ressentiments du coup de lance que jÕavais reu en mars, annŽe 1605, parce que la plaie sÕulcŽra de nouveau et fit crožte par deux fois, et les chirurgiens craignaient que ce ne fžt le calus qui sՎtait fait au pŽritoine qui se voulžt rel‰cher. Mais Dieu mÕenvoya de bonne fortune la connaissance dÕune opŽratrice nommŽe Giot, belle-mre du premier sergent de la Bastille, qui commena le lundi 27me de ce mois ˆ me mettre des empl‰tres un mois durant, qui ont rŽduit cette grande et ronde cicatrice ˆ si petit point que lÕon dirait que ce nÕa ŽtŽ quÕun coup dՎpŽe.

Ce mme mois le roi fit assiŽger le Catelet, seule place que les ennemis tenaient sur nous, qui se rendit aprs avoir par quelques jours soutenu le sige.

En ce mme mois aussi naquit lÕinfante dÕEspagne, ce qui fit remarquer quՈ mme mois aux deux rois Žtaient nŽs fils et fille, comme il avait fait ˆ leurs pres trente sept ans auparavant, qui avaient ŽtŽ mariŽs ensemble.

 

Octobre. Ń En ce mois dÕoctobre il y arriva plusieurs accidents divers. Car le roi de Bohme ayant mis une armŽe assez considŽrable sur pied et sՎtant mis en campagne en cette basse Allemagne, il fut dŽfait aussit™t par les troupes impŽriales commandŽes par Axfeld, et son second frre nommŽ le prince Robert, jeune homme de beaucoup dÕespŽrance, y fut fait prisonnier.

Le jeune duc de Savoie mourut aussi ce mois-lˆ, laissant son autre frre unique, ‰gŽ de sept ans, son hŽritier de ses grands Žtats.

Mr le duc dÕEpernon fut interdit de son gouvernement de Guyenne, et eut commandement de sÕen venir ˆ Plassac et de nÕen bouger jusques ˆ un nouvel ordre. Le gouvernement fut donnŽ par commission ˆ Mr le Prince qui en fut prendre possession. Mr le duc de la Valette eut aussi commandement exprs du roi par un gentilhomme que il lui envoya, de le venir trouver ; ˆ quoi il promit dÕobŽir, et ayant pris congŽ de Mr le Prince, prs duquel il Žtait, partit pour sÕy acheminer ; mais au lieu de venir ˆ la cour, il fut trouver son pre ˆ Plassac, et de lˆ Žtant passŽ en MŽdoc sÕembarqua dans un vaisseau Žcossais pour se mettre en sžretŽ hors de France, le 19me de ce mois.

La reine mre aussi, qui avait sŽjournŽ quelque temps en Hollande, aprs y avoir visitŽ toutes les belles villes du pays, sÕembarqua pour se retirer en Angleterre.

Finalement le duc de Lorraine, ayant voulu tenter de jeter un secours de vivres dans Brisac, fit ses prŽparatifs pour cet effet en la ville de Tanne, et manquant de cavalerie pour lÕexŽcuter, en envoya demander au gŽnŽral de la ligue catholique nommŽ Geuts, lequel lui envoya quinze cents chevaux avec lesquels et trois mille hommes de pied quÕil avait, il sÕachemina avec son convoi ; mais le duc de Weimarch en ayant eu avis, (on doute si ce fut par Geuts mme), et Geuts qui devait en mme temps faire un effort de lÕautre c™tŽ du Rhin pour tenter la mme chose, sՎtant retirŽ sans lÕentreprendre, ledit duc eut tout loisir dÕaccourir au duc de Lorraine avec sa cavalerie qui ayant fait seulement semblant dÕattaquer celle du duc de Lorraine qui venait de Geuts, le 13me jour dÕoctobre, ladite cavalerie de Geuts, sans attendre le choc, sÕenfuit, laissant lÕinfanterie avec les charrettes et chariots de convoi ˆ la merci des ennemis ; laquelle infanterie sՎtant remparŽe des chariots fit sa retraite si bien quÕelle ramena ledit convoi sans aucune perte ˆ Tanne, le duc de Weimarch ne lÕayant jamais pu forcer. Mais comme la mauvaise fortune se jette toujours sur ceux quÕelle a commencŽ de persŽcuter, mon neveu de Bassompierre quÕavec beaucoup de raison jÕaime parfaitement, ayant peu de mois auparavant ŽtŽ honorŽ par lÕempereur de la charge de grand ma”tre de son artillerie aux provinces de deˆ le Danube, en Žtait venu prendre possession aux armŽes impŽriales qui dŽpendaient de sa charge ; et ayant premirement passŽ dans celle dÕAxfeld en Hesse, puis en celle de Picolomini, Žtait finalement venu se faire reconna”tre et recevoir en lÕarmŽe commandŽe par le duc de Lorraine six jours auparavant ce combat, et Žtait prt dÕen partir quand ledit duc fit rŽsolution de jeter des vivres dans Brisac, ce qui obligea mon neveu (que je puis dire sans flatterie ni adulation qui ne cherche que les occasions dÕacquŽrir de lÕhonneur), de demeurer pour se trouver en ce rencontre ; et sՎtant mis ˆ la tte de la cavalerie qui fuit si l‰chement, ne voulut faire comme eux, et avec vingt ou vingt cinq chevaux qui ne le voulurent abandonner chargea les ennemis, et son cheval ayant ŽtŽ tuŽ sous lui, il fut pris prisonnier et menŽ ˆ Colmar o il fut trs bien traitŽ et avec beaucoup de courtoisie par le duc de Weimarch qui, Žtant retournŽ ˆ son blocus de Brisac, le laissa dans ledit Colmar en la garde du marquis de Monthausier qui le traita si humainement et avec tant de tŽmoignages de son affection que cela fut suspect audit duc qui le transfŽra ˆ Benfeld o il fut Žtroitement gardŽ.

Je perdis ce mme mois la petite fille de mon cousin de CrŽquy, fille de mon cousin de Canaples.

JÕeus nouvelles que mes sujets de Harouel et de tout ce marquisat abandonnaient les villages, leur Žtant impossible de subsister, ayant les troupes du duc Charles qui tenaient le ch‰teau, et celles du roi qui ˆ cette occasion les traitaient comme ennemis, et de telle sorte que le samedi 30me de ce mois le sieur de Bellefonds marŽchal de camp vint la nuit surprendre le bourg mme de Harouel et le pilla entirement.

Finalement je reus encore ce dŽplaisir quÕun mŽchant homme, banquier lucquois nommŽ Vanelly, ˆ qui je ne devais aucune chose, fit saisir sous une fausse dette quÕil simula, une belle tapisserie que lÕon portait tendre ˆ la salle de lՎvchŽ de Notre Dame, o il se faisait un acte. Je fus dÕautant plus f‰chŽ de cette action quÕil ne mÕen Žtait jamais arrivŽ de semblable, quelque dette que jÕeusse eue, bien que jÕen eusse par le passŽ eu de trs grandes. Ce dŽplaisir mÕarriva le 26me du mois, dont jÕeus mainlevŽe le 29me ensuivant.

 

Novembre. Ń Le mois de novembre suivant fut accompagnŽ de trs grandes temptes sur la mer, qui firent perdre beaucoup de vaisseaux, et principalement en Hollande o plus de soixante vaisseaux y pŽrirent dans les rades. La reine mre du roi qui sՎtait embarquŽe le mois auparavant, ne fut pas exempte de ces tourmentes ; car elle fut plusieurs jours ˆ roder sur la mer avant que de pouvoir aborder lÕAngleterre o finalement Žtant arrivŽe, elle fut trs honorablement reue. Peu de jours aprs Mr de la Valette y arriva aussi, qui sՎtait retirŽ de France, craignant lÕindignation du roi ; et la tempte de la cour fit faire ce mme mois naufrage ˆ madame la marquise de Seneai ma cousine, qui eut commandement de se retirer avec la perte de sa charge de dame dÕhonneur de la reine : madame de Brassac fut subrogŽe ˆ sa place, de qui le mari fut aussi fait surintendant de la maison de la reine. Sanguin aussi qui sÕempressait fort auprs du roi, et ˆ qui Sa MajestŽ faisait assez bonne chre, eut commandement de quitter la cour.

 

DŽcembre. Ń La mortalitŽ vint dans le peu de famille qui me restait ˆ Paris, au mois de dŽcembre ; car il mÕen mourut trois en dix jours.

JÕeus divers dŽplaisirs dans la Bastille, causŽs par quelques marauds dont, pour ne point Žclater ni me compromettre, ayant priŽ le gouverneur de faire enfermer pour quelques jours un de ceux-lˆ, nommŽ Tenance, qui Žtait la seule prire que jÕavais faite pour mon particulier audit gouverneur, non seulement il ne le fit pas, et lui dit quÕil sÕabst”nt seulement de se prŽsenter devant moi ; mais mme ˆ lÕinduction de sa femme, il me fit faire par son lieutenant, le dimanche matin 19me, une fort impertinente harangue sur ce sujet, me disant quÕil fallait que ledit Tenance mont‰t sur la terrasse, et quÕil ne pouvait faire autrement.

En ce mme mois le pre Josef qui avait quelque temps auparavant ŽtŽ attaquŽ dÕune apoplexie, y retomba le 16me de ce mois, dont il ne put jamais tre garanti que le samedi 18me ˆ onze heures du matin il ne mouržt. Et ce mme jour la ville de Brisac aprs un long sige se rendit au duc de Weimarch.

1639.

Janvier.Ń Comme lÕhiver suspend toutes les guerres et les voyages, aussi le commencement de cette annŽe et tout le premier mois dÕicelle nÕa produit aucune nouveautŽ que la continuation des progrs du due Bernhard de Weimarch, lequel, enflŽ de la grande prospŽritŽ de ses affaires et des grands succs de la prŽcŽdente annŽe o il avait par trois ou quatre fois vaincu ses ennemis, et pris Brisac, voulut au commencement de celle-ci surmonter encore le froid et la rigoureuse saison et tenir la campagne quand les autres se tenaient prs du feu, se jetant dans la Bourgogne o il se rendit ma”tre de plusieurs ch‰teaux qui se rendirent sans rŽsistance et de la ville de Pontarly qui lui tint tte dix-sept jours.

Les affaires de la France dans le pays du Lige commencrent ˆ dŽcliner, et ensuite ˆ se ruiner tout ˆ fait, jusques au point que lÕabbŽ de Mouzon qui y tenait comme lieu de rŽsident, sÕen retira tout ˆ fait.

Je perdis encore ce mois-lˆ par maladie un gentilhomme de mes domestiques, que jÕavais nourri page, nommŽ Des Erables, auquel je me fiais bien fort, et dont jÕeus du regret : et la malversation de lՎcuyer Chaumontel en mes affaires, quÕil avait tellement embarrassŽes pour y picorer que tout en Žtait en confusion, et principalement en Normandie, me contraignirent dÕen donner ma procuration ˆ ma sĻur de Tillires.

 

FŽvrier. Ń Au mois de fŽvrier suivant, lÕaffaire de Mr le duc de la Valette, qui nÕavait encore quՎtŽ ŽbauchŽe, fut mise sur le tapis, et le 4me jour du mois le roi tint ˆ Saint-Germain sur ce sujet un ample conseil o furent mandŽs les princes, ducs et officiers de la couronne, et principaux conseillers, et avec eux les sept prŽsidents au mortier du parlement de Paris et le doyen des conseillers ; lesquels messieurs du parlement ayant ŽtŽ mandŽs, non en corps, mais chaque particulier par une diffŽrente lettre, vinrent premirement tous ensemble, descendirent au logis du sieur de la Ville aux Clercs, secrŽtaire dՎtat, qui obtint du roi que lÕon leur apprt‰t ˆ d”ner par ses officiers, et ensuite eurent de grandes disputes pour leur rang, prŽtendant quÕils reprŽsentaient la cour de parlement ; ce que le roi leur ayant dŽniŽ et concŽdŽ seulement quÕils auraient sŽance comme conseillers dՎtat suivant le rang de leur rŽception, ils ne le voulurent accepter, et aimrent mieux se tenir tous ensemble au-dessous des conseillers dՎtat, et par consŽquent opinrent les premiers ; et le doyen ayant ŽtŽ commandŽ par le roi de dire son avis, aprs que les informations eurent ŽtŽ rapportŽes par le sieur de la Poterie commissaire, il maintint que cette affaire ne se pouvait juger ailleurs quÕen parlement, attendu la qualitŽ et les privilges du dŽlat [de l'incriminŽ] ; dont il fut fort rabrouŽ du roi, et ensuite quelques-uns des prŽsidents : aprs quoi de lÕavis mme de trois ducs et pairs qui Žtaient en ce conseil, il fut rŽsolu que, suivant les conclusions des gens du roi, le duc de la Valette serait ajournŽ ˆ trois brefs jours, criŽ et trompetŽ par la ville, et quՈ faute de comparoir, son procs lui serait fait et parfait.

Ce mme mois le marquis de Ville qui avait ŽtŽ fait prisonnier ˆ la prise de LunŽville, fut envoyŽ sur sa foi trouver le duc Charles qui avait fait dire par deˆ, par un jŽsuite, quÕil dŽsirait se remettre bien avec le roi et se retirer dÕavec lÕempereur et le roi dÕEspagne.

Ce mme mois Mr de Candale, fils a”nŽ de Mr le duc dÕEpernon, qui Žtait lieutenant gŽnŽral en Italie, est mort ˆ Casal dÕune fivre pourprŽe.

Il se fit ce mois-lˆ diverses noces, comme celle de Mr le comte de Harcourt avec la veuve de Mr de Puilorens, celle de Mr de Bonelle fils de Mr de Bulion avec la petite fille de madame de Lansac gouvernante de Mr le Dauphin, et dÕautres. Et comme ce mois fut accompagnŽ de force noces, il le fut aussi de force duels, comme de ceux dÕArmentieres, de Savignac, de Boucaut, de Roquelaure, de Chatelus, de Cominges et autres. Et pour ce qui est de mon particulier, outre quÕen ce mme mois me mourut un cousin germain nommŽ le sieur de Viange, et mon bon parent et parfait ami le comte de Ribeaupierre, dont j'eus un sensible dŽplaisir, j'en eus encore un bien grand par mon neveu de Dommartin lequel non content de sՐtre retirŽ vers le duc Charles contre la parole que jÕavais donnŽe pour lui, ayant fait pour ledit duc une telle quelle compagnie de chevau-lŽgers, demanda audit duc pour son quartier d'hiver le marquisat de Harouel qui est ˆ moi et lÕabbaye de Bechamp qui en est proche, et sÕy en vint loger avec beaucoup de dŽsordre.

 

Mars. Ń Le ballet que fit danser monsieur le cardinal occupa le commencement du mois de mars : il fut premirement dansŽ le dimanche 6me ˆ Saint-Germain devant Leurs MajestŽs, puis le mardi 8me chez monsieur le cardinal ˆ Paris, finalement le mardi 13me on le dansa ˆ lÕArsenal et ˆ la Maison de ville.

Les Espagnols, ce mme mois (tant en leur nom que comme assistant le cardinal de Savoie et le prince Tomas son frre, que lÕempereur avait constituŽs tuteurs du petit duc de Savoie), se mirent en campagne en Italie, et firent divers exploits en PiŽmont tandis que nos troupes Žtaient pour la plupart venues prendre leurs quartiers d'hiver en France.

Ce mme mois Mr le duc de Wurtemberg sÕaccommoda avec l'empereur par le moyen de ses amis, et devait rentrer en ses Žtats, ˆ la rŽserve des biens ecclŽsiastiques que ses anctres avaient occupŽs lorsquÕils avaient quittŽ la religion catholique ; et pour sa plus grande sžretŽ on avait mŽnagŽ pour lui quÕil Žpouserait une des filles de lÕarchiduc LŽopold dÕInnsbruck : mais en ces entrefaites Žtant devenu extrmement amoureux dÕune mienne cousine, fille du comte Casimir Reingraf de Morhing, il lՎpousa, ce qui retarda en quelque sorte son traitŽ.

Le 28me du mois fut le combat de Sinchio en Italie o les Espagnols eurent quelque avantage sur les n™tres.

Le marquis de Ville Žtant revenu ˆ Paris, et Mr de Chavigny lÕayant logŽ chez lui, attendant quÕil le ramen‰t au bois de Vincennes, contre sa parole se retira une nuit vers le duc Charles ; et pour mon particulier, en ce mois est mort mon bon ami le baron de Neuvy : je sus que mon neveu de Bassompierre Žtait extrmement malade, et que celui de Dommartin, aprs avoir pillŽ mes meubles, pillŽ et maltraitŽ son grand-pre, sՎtait enfin retirŽ de Harouel.

 

Avril. Ń On fit au commencement de ce mois toutes les rŽpartitions des armŽes du roi en cette forme :

Mr de Bordeaux avec une trs puissante armŽe de mer, eut le pouvoir en la mer OcŽane pour le roi. Mr le comte de Harcourt eut le commandement sur la mer de Levant tant sur les vaisseaux ronds que sur les galres, auxquelles on mit par commission le commandeur de Fourbin, le sieur du Pont de Courlay gŽnŽral des galres ayant ŽtŽ suspendu de sa charge.

Mr de Longueville fut adjoint ˆ Mr le cardinal de la Valette pour commander ensemble les forces du roi en Italie, o le roi dŽpcha aussi Mrs de Guiche et de Chavigny, le premier en qualitŽ de marŽchal de camp, et lÕautre, qui est ami intime du cardinal de la Valette, pour le porter ˆ recevoir sans murmurer ce nouveau compagnon que lÕon lui avait donnŽ.

On envoya quelques troupes franaises, outre celles qui y Žtaient dŽjˆ, pour renforcer lÕarmŽe du duc de Weimarch.

On donna une puissante armŽe ˆ commander au sieur de Feuquieres avec ordre dÕassiŽger Thionville. On donna celle du roi ˆ commander au sieur de la Melleraye grand-ma”tre de lÕartillerie avec ordre dÕassiŽger Hedin. On fit gŽnŽral dÕune autre armŽe le marŽchal de Chatillon, relŽguŽ par ordre du roi en sa maison, d'o lÕon le tira, qui eut commandement de se camper vers Guise et vers Cambray, pour accourir ˆ celle des deux armŽes de La Melleraye et de Feuquieres qui en aurait besoin, et pour tenir les ennemis en Žchec.

On envoya une grosse somme dÕargent aux Hollandais afin quÕils se missent promptement en campagne pour faire quelque grande entreprise.

Finalement on donna la gŽnŽralitŽ de Guyenne et de Languedoc ˆ Mr le Prince avec deux armŽes : lÕune sur la frontire de Fontarabie, o Mrs de Gramont et de Sourdis Žtaient lieutenants ; lÕautre en Languedoc, o le marŽchal de Schomberg Žtait lieutenant-gŽnŽral et sous lui le vicomte de Arpajon. Tous lesquels gŽnŽraux partirent pour aller recevoir leurs forces et sÕapprter de faire quelques grandes actions.

Mais ce qui pressait le plus Žtait l'Italie en laquelle le prince Tomas dÕun c™tŽ, le prince cardinal de l'autre, et le marquis de Leganes faisaient force progrs dans le PiŽmont et le Montferrat : et les forces du roi Žtant retirŽes en France pour la plupart, celles qui Žtaient restŽes nՎtaient suffisantes pour sortir en campagne et leur faire tte, de sorte quÕen moins de rien, partie de force, partie par la connivence des PiŽmontais qui ha•ssent naturellement les Franais, ˆ qui le gouvernement de Madame nÕagrŽait pas, et qui aimaient tendrement ses deux beaux-frres, aprs avoir pris Villeneuve dÕAst, puis Ast, Montcalier et Pont dÕEsture, tout le plat pays du PiŽmont se rendit presque ˆ eux, et ayant diverses intelligences dans Turin, le marquis de Leganes Žtant venu joindre le prince Tomas, se vinrent camper au commencement de la semaine sainte entre le Po et la ville avec grande espŽrance de l'emporter, et de fait la firent sommer ; mais les troupes franaises et le cardinal de la Valette y Žtant accourus, les assiŽgŽs firent le jeudi-saint une trs grande sortie sur les Espagnols, et en ayant tuŽ quantitŽ, peu de jours aprs les ennemis levrent le sige pour aller achever de prendre ce qui restait du PiŽmont qui ne fžt fortement gardŽ.

Ce mme mois Bannier fut battu en deux rencontres par Axfeld ; mais cet homme, qui est certes un grand capitaine, sachant que Gallas, Axfeld et Marassini Žtaient pour se joindre bient™t tous trois avec grandes forces, se rŽsolut de les combattre sŽparŽes, et Žtant ˆ grandes journŽes venu rencontrer Marassini, lui donna la bataille, le dŽfit et prit prisonnier.

Il arriva ce mme mois une chose fort extraordinaire, cÕest que madame la duchesse de Chaunes Žtant allŽe aux CarmŽlites de Saint-Denis dans un carrosse ˆ six chevaux, le mardi-saint, ayant avec elle trois femmes et un gentilhomme, deux laquais et ses cochers, fut ˆ son retour attaquŽe par cinq cavaliers portant fausses barbes, qui firent arrter son carrosse, turent un des laquais qui se voulut rŽcrier, et un dÕeux lui vint jeter une bouteille pleine dÕeau-forte au visage : elle qui vit venir le coup, mit son manchon quÕelle avait en ses mains, devant son visage, qui fut cause quÕelle ne fut point offensŽe, et sՎcriant quÕelle Žtait perdue, ces cavaliers le crurent et se retirrent vers autres cinq hommes ˆ cheval qui les attendaient ; et on nÕa pu depuis savoir qui a fait ou fait faire cette mŽchancetŽ.

 

Mai. Ń Ce mois commena la guerre en Flandres, et en Lorraine o ds le commencement un des colonels du duc Charles nommŽ Cliquot fut dŽfait proche de ma maison de Harouel par des troupes du duc de Weimarch qui le suivirent depuis Tanne.

L'armŽe de monsieur le grand ma”tre de lÕartillerie fut la premire sur pied, entra en Flandres, prit Lilers, et quelques ch‰teaux et Žglises fortifiŽes. Le colonel Gascion eut quelques troupes dŽfaites par les Espagnols, et monsieur le grand-ma”tre, aprs avoir quelque temps cherchŽ quelle place il devrait attaquer, se rŽsolut enfin de faire investir Hedin, devant laquelle il se vint camper, et fort bien retrancher.

Mr de Feuquieres fut plus tardif ˆ assembler son armŽe : il fut nŽanmoins, le 27me de ce mme mois, camper devant Thionville avec une armŽe assez considŽrable, et aussit™t commena ˆ sÕy retrancher et faire ses forts. Il y eut de lÕavantage en ce que lÕon ne se doutait point quÕil voulžt assiŽger une si forte place, de sorte quÕil y avait peu dÕhommes dedans, et mme le comte de Voilts qui en est gouverneur, nÕy Žtait pas quand elle fut investie.

On tint le 24me un autre grand conseil ˆ Saint-Germain, o les mmes qui avaient ŽtŽ auparavant, y furent appelŽs : Mr de la Valette y fut jugŽ et condamnŽ dÕavoir la tte tranchŽe.

Le lendemain 25me le roi partit pour aller ˆ Abbeville, et ds quÕil y fut arrivŽ, sÕen alla le lendemain au sige de Hedin, puis sÕen revint ˆ Abbeville.

Monsieur frre du roi fit ce mois-lˆ, pour sa ma”tresse Louison, un grand escarre [fracas] en sa maison, de laquelle il chassa LÕEspinay, puis Brion ; et moi je fis une perte que je regretterai toute ma vie, de ma pauvre nice de Beuvron, qui en lÕespace de huit heures fut tuŽe dÕun violent mal de mre, le dimanche 29me de mai ˆ midi : Dieu lui donne paix.

 

Juin. Ń Le commencement de ce mois fut trs malheureux pour la France en ce que, le 7me, Picolomini avec une forte armŽe vint donner dans les quartiers non encore bien retranchŽs, et fort ŽloignŽs les uns des autres, de lÕarmŽe du sieur de Feuquieres devant Thionville ; et en ayant forcŽ un, et entrŽ dans les retranchements du camp, il suivit sa victoire, dŽfaisant et rompant les corps des rŽgiments lÕun aprs lÕautre, sans beaucoup de rŽsistance ; et la cavalerie sՎtant l‰chement retirŽe, il vint finalement donner sur le parc de lÕartillerie, qui Žtait retranchŽ, et o le gŽnŽral Feuquieres avait rassemblŽ quelques troupes qui enfin plirent, et lui, pris et blessŽ, fut menŽ prisonnier ˆ Thionville. Les canons, munitions, vivres, et tout le bagage fut pris, plus de six mille hommes tuŽs, et quantitŽ de prisonniers. Picolomini vint de lˆ en Lorraine prendre Sancy, Longwy et quelques autres bicoques, puis sՎtant venu prŽsenter devant Mouzon qui ne vaut rien, il ne la sut nŽanmoins prendre d'emblŽe ; et ayant eu avis que le marŽchal de Chatillon marchait droit ˆ lui pour lui faire lever le sige, il ne lÕattendit pas, et se retira.

Mr le duc de la Valette qui avait ŽtŽ condamnŽ ˆ mort le mois prŽcŽdent, fut exŽcutŽ, le mercredi 8me, en effigie, ˆ Paris, ˆ Bordeaux, et ˆ Bayonne. On y fit ˆ Paris cette cŽrŽmonie que lÕon vint mettre son tableau dans la barrire qui est au-dedans du Ch‰teau, auquel lieu les officiers de justice le prirent aprs quelques formalitŽs.

Ce mme mois Mr le Prince ayant laissŽ cinq rŽgiments dÕinfanterie et quelque cavalerie sous la charge des sieurs de Gramont et de Sourdis pour garder la frontire de Bayonne, vint avec toutes ses forces assiŽger Salses, et ensuite fourrager tout le comtŽ de Roussillon jusques ˆ Perpignan.

Le sige de Hedin ayant tenu encore tout ce mois, enfin se rendit le ...... Le roi voulut venir voir la place et tout ce qui sՎtait avancŽ en ce sige, et voulut aussi reconna”tre ce service de Mr de la Melleraye, ajoutant ˆ lÕoffice de la couronne quÕil possŽdait dŽjˆ, celui de marŽchal de France, duquel il lui donna le b‰ton le ..... du mme mois.

Quelques troupes Žtant arrivŽes de France ˆ Mrs le cardinal de la Valette et duc de Longueville, et les ennemis sՎtant mis en garnison durant les excessives chaleurs quÕil fait en PiŽmont durant les mois de juin et de juillet, ils vinrent assiŽger Chivas qui, aprs avoir tenu quelques jours, se rendit.

Je reus ce mme mois deux dŽplaisirs domestiques qui me furent bien sensibles : lÕun fut que mon neveu de Dommartin envoya dire ˆ Mr du Hallier, qui Žtait venu lors gouverneur de Lorraine, quÕil avait dessein de se conformer dŽsormais ˆ mes volontŽs et de me venir trouver, sÕil lui voulait envoyer un passeport ˆ cet effet ; Mr du Hallier, qui est mon ami, fut ravi de me pouvoir obliger en cela, et le lui envoya, dont ensuite mon dit neveu se servit pour aller trouver en sžretŽ le duc Charles : lÕautre, que lÕon avait accordŽ que pour Horn et Tubatel, prisonniers de lÕempereur, on rendrait quatre principaux prisonniers impŽriaux ; mais le duc de Weimarch ayant ˆ cet effet envoyŽ demander Jean de Vert et Equenfort pour les rendre, le roi les refusa, et ainsi ce traitŽ fut rompu.

Au commencement du mois de juillet, Mr du Hallier ayant ramassŽ quelques troupes, vint assiŽger ma maison de Harouel, et aprs lÕavoir fait sommer, et que ceux qui Žtaient dedans de la part du duc Charles eurent fait refus de la rendre, il la battit avec deux pices de canon quÕil avait amenŽes, et aprs avoir endurŽ soixante et dix coups de canon, ledit sieur du Hallier, ˆ la prire du comte et comtesse de Tornielle qui Žtaient dedans avec mon neveu Gaston, la reut ˆ composition le mercredi 8me, et y laissa garnison de trente soldats ˆ mes dŽpens.

L'armŽe navale commandŽe par Mr de Bordeaux sՎtant mise en mer, alla donner ˆ la c™te dÕEspagne en un port o Žtait la flotte dÕEspagne qu'il y assiŽgea et fut quelques jours ˆ les attaquer continuellement : mais sՎtant ŽlevŽ une forte tempte, elle fut contrainte de lever l'ancre et de se mettre en haute mer, o elle fut tellement battue de l'orage quÕelle revint trs malmenŽe dans les ports de France.

Le roi, aprs la prise de Hedin, alla visiter sa c™te de Picardie. Pendant ce voyage il eut nouvelle de la prise de Salses par Mr le Prince.

Cependant lÕarmŽe des Hollandais, qui avaient promis au roi de faire quelque grand exploit, se tenait toujours aux Philippines, qui sont des forts sur leur frontire, sans en partir, quelque instance que le roi leur put faire.

Mais les princes de Savoie cependant ne sÕendormaient pas, et le prince Tomas voyant que les deux gŽnŽraux de lÕarmŽe du roi Žtaient occupŽs ˆ reprendre un ch‰teau ˆ l'entrŽe des Langues, il exŽcuta lÕentreprise quÕil tramait sur Turin avec les bourgeois et habitants de la ville qui Žtaient de sa faction, et ayant fait entrer ˆ la file jusques ˆ six ou sept cents soldats qui disant ˆ l'entrŽe de la ville quÕils Žtaient, qui dÕIvrŽe, qui de Chivas, ou dÕautres lieux du PiŽmont, on laissa passer ˆ la porte. Enfin, la nuit du 27me de ce mois, ayant, pour la forme, fait jouer un pŽtard ˆ une des portes, les autres lui furent ouvertes, par lesquelles la mme nuit ledit prince et le marquis de Leganes entrrent avec leurs troupes. Madame de Savoie ayant eu de longtemps tel soupon des habitants quÕelle avait fait aller le petit duc se tenir ˆ Suse, eut ce jour-lˆ deux ou trois avis de lÕentreprise ; mais nÕayant des forces suffisantes pour lÕempcher, le vint dire ˆ ses belles-sĻurs, leur laissa ses filles et dames avec ce quÕelle avait de hardes, et prenant ses pierreries avec elle, se retira dans la citadelle de laquelle seulement le lendemain matin on tira dans la ville, les ennemis ayant eu toute la nuit pour se retrancher contre ladite citadelle. Tout ce que put faire Madame fut de mander en diligence cet accident aux gŽnŽraux de lÕarmŽe franaise, qui levrent le sige de ce ch‰teau susdit en toute diligence, et sÕacheminrent vers Turin : ils arrivrent ˆ Millefleur proche de Turin, le dernier de ce mois, o ils se camprent.

Il nous arriva du c™tŽ dÕAllemagne un grand accident de la mort inopinŽe du duc Bernhard de Weimarch qui prit la peste en la ville de Neubourg sur le Rhin, comme il le voulait passer avec son armŽe pour aller faire lever le sige de Hauteveiller que lÕarmŽe du duc de Bavire avait assiŽgŽ : il ne fut malade que trois jours et mourut le ....., laissant dans son armŽe avec un grand deuil une trs grande confusion. Ce fut encore pour mon particulier un trs grand malheur ; car sÕil ežt encore vŽcu un mois, mon neveu de Bassompierre sortait de prison, lÕempereur ayant accordŽ quÕil fžt ŽchangŽ avec Tubatel lieutenant-gŽnŽral dudit duc, qui, quelques mois auparavant, avait ŽtŽ pris prisonnier en un combat.

Ce ne fut pas le seul malheur qui mÕarriva en ce mois ; car je perdis par mort un de mes plus chers amis, Mr lՎvque de Rennes qui, ˆ ma recommandation, avait eu prŽcŽdemment ˆ cet ŽvchŽ celui de Lantriguier.

Mr le comte de Tornielle ensuite me fit des plaintes de trois habitants de Harouel qui faisaient des monopoles contre lui, et mme un de ceux-lˆ avait perdu le respect en sa prŽsence.

Finalement un trŽsorier de France, nommŽ Greffeuille, de Montpellier, mÕavait dix ans auparavant priŽ de prendre un jeune garon nommŽ Ducros, de la mme ville, pour clerc de mes secrŽtaires, ce que jÕavais fait, et mme quand je cassai mon train, je lÕavais conservŽ pour Žcrire et copier les choses que je dŽsirerais. Ce malheureux pour fournir ˆ ses dŽbauches, se mit ˆ rogner des pistoles et fut pris pour cela le 28me du mois.

 

Aožt. Ń Le premier jour du mois dÕaožt, les gŽnŽraux de lÕarmŽe du roi en Italie entrrent avec force troupes dans la citadelle de Turin, vinrent saluer Madame et ensuite tenir conseil avec elle de ce quÕils auraient ˆ faire. Il fut rŽsolu que Madame sortirait de la place et se retirerait ˆ Veillane, ce quÕelle fit le mme jour, et eux se prŽparrent ˆ faire le lendemain une trs grande sortie sur la ville par deux endroits. Mais comme les ennemis avaient eu sept jours de temps pour se retrancher, il leur fut non seulement inutile, mais dommageable de lÕexŽcuter ; car ils y perdirent quantitŽ de braves hommes sans aucun effet. Ils firent encore une autre attaque ˆ deux jours de lˆ aussi infructueusement, ce qui fit que, perdant lÕespoir de reprendre Turin, Žtant campŽs en un trs mauvais lieu o il nÕy avait point dÕeau, leurs forces nՎtant Žgales ˆ celles des ennemis et dŽpŽrissant tous les jours par les maladies, ils quittrent le dessein de Turin pour penser ˆ faire une trve qui leur donn‰t moyen de secourir Casal qui Žtait pressŽ, qui fut conclue pour deux mois, ˆ commencer le 24me jour de ce mois ; mais, contre lÕattente de ceux qui contractrent cette trve de la part du roi, sÕaperurent bient™t quÕelle avait ŽtŽ faite ˆ leur dommage ; et les ennemis nous voyant faibles en Italie, ne se soucirent point de la bien observer, et les Espagnols, selon leur coutume, nÕobservent leur foi quÕautant que leur avantage y est mlŽ avec. Ainsi ils ne voulurent souffrir, selon ce quÕils avaient accordŽ, que six cents malades fussent tirŽs de Casal, et que lÕon m”t en leur place six cents autres soldats sains, et traitrent sous main avec le commandeur de Sales gouverneur de Nice, de rendre la ville et le ch‰teau au prince-cardinal, et ce bon et dŽvotieux chevalier, persuadŽ quÕil y allait de sa conscience, la lui rendit, la ville de Villeneuve sՎtant rŽvoltŽe deux jours auparavant contre la duchesse.

Le roi cependant visitait sa frontire, demeura autour de Sedan, ou ˆ Donchery ou ˆ Mouzon, plusieurs jours, pendant lesquels Mr le comte de Soissons envoya vers lui Sardini, et le roi lui renvoya un gentilhomme ; mais ledit comte voyant approcher le roi, craignant dՐtre assiŽgŽ dans Sedan, y fit entrer deux mille hommes, et travailler en diligence ˆ remparer les fortifications de terre qui Žtaient ŽboulŽes. Pendant son sŽjour il eut premirement nouvelle de la prise de Turin, ce qui le fit rŽsoudre de sÕavancer jusques vers Langres ; mais il apprit par les chemins premirement les deux attaques, puis ensuite la trve quÕil nÕattendait nullement. Il ne marchanda point ˆ lÕheure mme de sÕy acheminer le plus promptement quÕil pžt, dŽpcha en diligence le comte de Guiche et celui de Chavigny ˆ la duchesse, et rŽvoqua Mr de Longueville dÕItalie pour lui faire prendre lÕarmŽe dÕAllemagne que le duc de Weimarch soulait commander.

Cependant le prince dÕOrange avec lÕarmŽe de Hollande se vint camper devant Gueldres ; mais ayant eu avis que le cardinal-infant venait lui troubler ce sige, il sÕen retourna en ses premiers postes vers les Philippines.

Je fis ce que je pus pour empcher la corde ˆ ce misŽrable rogneur de Ducros ; mais enfin il fut pendu le jeudi 11me de ce mois ; et me resta ce regret que cՎtait le seul domestique de tant dÕautres que jÕavais eus, qui ait jamais ŽtŽ, non repris de justice, mais seulement accusŽ ou souponnŽ.

Ce mme mois se fit en Flandres le combat de Saint-Nicolas et celui de Saint-Venant. Le premier Žtait une trs belle entreprise quÕavait faite le grand-ma”tre de lÕartillerie qui lui ežt rŽussi ˆ grand avantage sans les divers canaux qui sont en ces pays-lˆ, qui divisrent son armŽe, en sorte que, du c™tŽ quÕil donna, il renversa ce quÕil rencontra et prit quelque petite pice de canon, mais de lÕautre le rŽgiment de la marine et quelques autres nÕen sortirent pas si bien. Celui de Saint-Venant fut moindre ; mais il ne laissa pas dÕenlever un quartier de cavalerie, et de prendre quantitŽ de chevaux.

Le roi, continuant son voyage, arriva le 13me ˆ Sainte-Menehould, dÕo il Žcrivit une lettre au gouverneur de la Bastille pour me communiquer, assez Žtrange, dont je dirai le sujet pour faire conna”tre combien les malheureux sont misŽrables, mme aux choses o leur malheur devrait finir. Lorsque le duc Bernard de Weimarch se fut rendu ma”tre de Brisac, le roi fit ce quÕil put afin que cette place, quÕune armŽe entretenue par ses deniers avait conquise, lui fut consignŽe ; mais le duc au contraire maintint que le roi Žtait obligŽ par un traitŽ quÕil avait fait avec lui, de lui rendre Colmar et Haguenau avec tout ce qui dŽpendait du landgraviat dÕAlsace dont ledit duc demandait lÕinvestiture. Et comme ce sige sՎtait commencŽ, continuŽ, et achevŽ par le conseil, lÕentremise et lÕaide du colonel dÕErlach, il lui en voulut confier la garde. Ce colonel dÕErlach est un brave homme, gentilhomme dÕancienne maison dans le pays de Berne en Suisse, et qui a passŽ sept ou huit de ses plus belles annŽes auprs du roi de Sude avec tant dÕestime de ce prince, que, deux ans devant quÕil se retir‰t dÕauprs de lui, il lÕavait fait colonel du rŽgiment de ses gardes. Mais comme la Sude nÕest pas une fort agrŽable demeure, que son pre et mre Žtant morts qui lÕavaient laissŽ hŽritier dÕassez grands biens tant au pays de Berne quÕauprs de B‰le en une assez belle terre nommŽe Castelen, le dŽsir de revoir sa patrie et dÕy demeurer, et le dessein de se marier, le portrent ˆ quitter ledit roi et revenir en son pays vers la fin de lÕannŽe 1625, o en mme temps jÕallai de la part du roi ambassadeur extraordinaire vers les cantons. Et parce que son frre a”nŽ avait autrefois ŽtŽ nourri page de mon pre, et que sa maison Žtait fort amie de la mienne, il me vint incontinent voir ˆ Soleure, et je fis une Žtroite amitiŽ avec lui, le reconnaissant personnage de grand mŽrite. Et comme en lÕannŽe 1630 je fus envoyŽ derechef par le roi son ambassadeur extraordinaire en Suisse avec ordre dÕentreprendre le rŽtablissement des Grisons en leur libertŽ opprimŽe lÕannŽe prŽcŽdente par les forces impŽriales commandŽes par le comte de Merode, Žtant passŽ par Berne, allant en Suisse, je lui communiquai premirement mon dessein, comme ˆ une personne en qui je me fiais, qui Žtait mon particulier ami, qui Žtait trs habile pour me conseiller lˆ-dessus, et trs capable pour mÕaider et assister ˆ lÕexŽcution dÕicelui : ˆ cela sÕajoutait que par la mort de lÕavoyer de Berne Grafrier, un de ses cousins de son mme nom dÕErlach avait ŽtŽ fait avoyer de Berne, et que ledit avoyer lÕavait fait tre du conseil Žtroit de ladite ville, dont jÕavais grand besoin de lÕaide et assistance en cette prŽsente affaire, et eux Žtaient tout puissants pour me la faire avoir. Mais comme les difficultŽs de lÕexŽcution de mon dessein, causŽes sur nos manquements, sur la crue du Rhin, et sur lÕouverture de la guerre en Italie, lÕeussent rendu impossible, je fus obligŽ par lÕordre que je reus de Mr le cardinal de Richelieu, de faire une prompte levŽe de six mille hommes en Suisse pour lui amener, de laquelle levŽe jÕen donnai la moitiŽ ˆ commander, en qualitŽ de colonel, audit sieur dÕErlach de Castelen, qui passa en Italie o les maladies ruinrent son rŽgiment aprs le secours de Casal o il fut employŽ, ce qui lÕobligea dÕen solliciter le licenciement, qui Žtait aussi lÕintention du roi ; et ayant eu ordre de traiter avec lui pour ledit licenciement, je fus bien aise de mÕadjoindre le marŽchal de Schomberg afin quÕil fit les refus sans quÕil parusse que ce fut moi ; mais ledit marŽchal et moi, nÕežmes pas beaucoup de peine ˆ disputer avec lui ni ˆ le contrarier ; car il se porta si noblement en cela quÕil fit tout ce que nous lui propos‰mes, et ainsi nous conv”nmes avec lui. Mais moi ayant ŽtŽ mis en prison sur ces entrefaites, et le sieur dÕEmery, qui voulait faire le bon mŽnager pour sÕaccrŽditer vers le roi, proposa que lÕon pourrait faire ledit licenciement ˆ quatre mille Žcus moins que nous nÕavions traitŽ avec ledit Erlach, et quÕil lui fallait rabattre cette somme, ce que le conseil et le marŽchal dÕEffiat surintendant des finances, furent bien aises de faire pour en payer moins. Mais par ainsi ils mŽcontentrent et offensrent ce brave homme, de sorte quÕil quitta entirement le service du roi et se retira sans y avoir depuis voulu rentrer, bien que lÕon lui ait offert de trs beaux emplois : et sՎtant retirŽ en son ch‰teau de Castelen, lorsque le duc de Weimarch hivernait dans les Franches-Montagnes o il ne pouvait plus subsister, ayant tout mangŽ, il fut visitŽ dudit colonel dÕErlach quÕil connaissait, lequel lui conseilla de faire dessein sur les quatre villes forestires, qui sont Laufenbourg, Waldshout, Reinfeld et Sekinguen, o il trouverait des ponts sur le Rhin, qui lui donneraient moyen dÕentreprendre en Souabe. Il le crut et lÕentreprit avec le succs que chacun sait et ensuite le sige de Brisac, qui lui ayant rŽussi, lÕen fit gouverneur. Or comme lÕon sut la mort du duc de Weimarch ˆ Paris, ceux qui savaient lÕardente affection que dÕErlach me portait, dirent peut-tre quÕil me pourrait demander pour commander en la place du duc de Weimarch lÕarmŽe quÕil avait ; et comme je ne suis pas ha• ˆ Paris et que lÕon a pitiŽ de ma misre, ce que peu de gens avaient dit par conjecture, beaucoup le dirent comme une chose effective, et mme ajoutrent que dÕErlach avec qui lÕon traitait pour remettre la ville de Brisac s mains du roi, ne voulait rien promettre si lÕon nÕaccordait prŽcŽdemment ma libertŽ. Plusieurs me dirent ce bruit qui courait, et mme le gouverneur de la Bastille : mais moi, jugeant plus sainement des choses, me moquai de tous ces bruits, et fus mme marri de ce quÕils couraient. Je ne saurais dire si ceux qui menaient les affaires ˆ Paris pour le roi, ne trouvrent pas ces bruits bons, ou si, me ha•ssant, ils voulurent t‰cher de me faire du mal par lˆ, en pratiquant un nommŽ Scanevelle, ou si ce Scanevelle, mŽchant homme et fourbe qui avait lÕannŽe prŽcŽdente ŽtŽ cause de faire trancher la tte au beau-frre de Feuquieres nommŽ Heucour, t‰cha de sÕaccrŽditer en me faisant ce tour, ou mme si on le fit faire d'ailleurs afin de montrer au roi que je faisais des choses contre son service qui mŽritaient que lÕon me ret”nt encore prisonnier aprs un si long temps : mais en quelque faon que ce soit, il est fort vrai que ce Scanevelle qui avait une compagnie de cavalerie en lÕarmŽe du duc de Weimarch sous le sieur de Guebrian se feignit tre un autre Scanevelle qui avait ŽtŽ nourri mon page (lequel est mort il y a douze ans), et vint trouver le sieur de lÕEspinai trŽsorier des Menus (qui prend quelque soin de mes affaires), et lui dit qu'ayant reu ma nourriture, il dŽsirait de me faire un grand service, et que, sÕil pouvait, il pratiquerait dans lÕarmŽe du duc de Weimarch que je fusse demandŽ pour gŽnŽral. Le sieur de lÕEspinai lՎcouta et lui rŽpondit quÕil Žtait louable dՐtre reconnaissant de la bonne nourriture quÕil avait reue de moi. Scanevelle lui ayant dit quÕil me devait faire savoir sa bonne volontŽ, lÕautre lui dit quÕil Žtait dŽtenu dÕune paralysie dans le lit, duquel il ne saurait sortir dÕun mois ni peut-tre de deux ; mais que si Dieu lui faisait la gr‰ce de se remettre sur pied, quÕil me tŽmoignerait la bonne volontŽ quÕil avait pour moi ; et ainsi Scanevelle le quitta, qui fut redire non ce quÕil avait dit ˆ LÕEspinay, mais quÕil Žtait entrŽ dans la Bastille, quÕil avait confŽrŽ avec moi, et que je lÕavais dŽpchŽ vers Erlach pour le prier de ne rendre point Brisac au roi que prŽalablement je ne fusse mis en libertŽ. Je ne sais aussi sÕil dit cela, ou si ce fut le prŽtexte que lÕon prit dՎcrire cette ‰pre lettre par laquelle le roi commandait au sieur du Tramblai de me dire que cette action me rendait criminel, que jÕavouasse ce qui sՎtait traitŽ entre moi et ledit Scanevelle, et que, si je manquais ˆ le dŽclarer vŽritablement, je me mettais en un Žtrange Žtat ; finalement que je devais, pour satisfaire et rŽparer ma mauvaise conduite, Žcrire une lettre de dŽsaveu audit Erlach. Je ne fus point ŽtonnŽ lorsque je vis cette lettre, nÕayant jamais vu, connu, ni pratiquŽ ce Scanevelle et ne sachant ce que cՎtait. JՎcrivis sur ce sujet ˆ Mr des Noyers pour en assurer le roi et Son Eminence et Žcrivis aussi ˆ Erlach conformŽment ˆ ce que la lettre du roi portait, et quelques jours aprs, ayant su ce que ce Scanevelle avait dit ˆ LÕEspinay, je lՎcrivis encore ˆ Mr des Noyers ; ce que jÕai voulu dŽduire tout au long afin de faire voir ˆ combien de diverses f‰cheuses rencontres est sujet un homme qui est dans la mauvaise fortune : je ne reus aucune rŽponse de mes deux lettres Žcrites ˆ Mr des Noyers, non plus que de celle que jÕavais envoyŽe audit Mr des Noyers pour envoyer ˆ Erlach, ne sachant mme si elle lui a ŽtŽ rendue, mes premires lettres ayant ŽtŽ Žcrites le 22me du mois, et cette dernire le 24me.

Le roi continua son voyage vers l'Italie, passant ˆ Langres o il sŽjourna : de lˆ il vint ˆ Dijon ; puis Žtant arrivŽ ˆ Chalon sur la Sa™ne, il tomba malade, eut une forte fivre accompagnŽe dÕun grand dŽvoiement ; mais comme Sa MajestŽ est dÕun fort tempŽrament et que Dieu a un soin trs particulier de sa conservation pour le bien de la chrŽtientŽ, il fut assez t™t guŽri et poursuivit son voyage.

 

Septembre. Ń Il mÕarriva au mois de septembre un accident qui est ridicule de le dire seulement, et honteux ˆ moi de lÕavoir ressenti de la sorte, mais qui mÕa ŽtŽ beaucoup plus insupportable que plusieurs autres plus importants que le cours de ma vie mÕa fait recevoir. J'avais un petit lŽvrier qui nÕavait pas plus de demi-pied de haut, nommŽ MŽdor, de poil isabelle et blanc, le mieux marquŽ du monde, Žtant proprement comme ces beaux chevaux aubres, lequel Žtait le plus beau, le plus vif, le plus joli et aimable chien que j'aie jamais vu : ma vieille chienne Diane que jÕavais fort aimŽe, lÕavait fait environ un an avant que mourir, comme si elle mÕeut voulu laisser cette consolation dans ma prison, qui mՎtait certes trs grande ; car il me divertissait beaucoup et me rendait la prison plus douce. JÕavoue que jÕy avais trop mis mon affection ; mais enfin je lui avais mise. Il arriva que, le lundi 12me septembre, comme jՎtais montŽ sur la terrasse de la Bastille avec Mrs le comte de Cramail, du Fargis, et madame de Gravelle, et le comte dÕEstelan qui ce jour-lˆ mՎtait venu voir, une grande et vilaine lŽvrire noire de Mr du Coudray, que jÕavais toujours tellement apprŽhendŽe pour mon chien que je le prenais dÕordinaire entre mes bras quand je savais quÕelle Žtait en haut, en se voulant jouer avec lui, lui mit un pied sur son petit corps de telle sorte quÕelle lui creva le cĻur en ma prŽsence ; certes cet accident me creva le mien, et mÕaffligea si fort que jÕen ai ŽtŽ fort longtemps triste, et que le souvenir mme de cette pauvre bte me tourmente lÕesprit.

On me manda ce mois-lˆ quÕil y avait de nouveau quelque espŽrance de lՎchange de mon neveu de Bassompierre contre quelque prisonnier : mais ce bruit nÕa pas continuŽ.

Pendant que la trve durait en Italie, le prince-cardinal fit rŽvolter contre sa belle-sĻur premirement la ville de Villefranche, puis ensuite la ville et le ch‰teau de Nice de Provence, dont le roi reut nouvelles par les chemins, qui le f‰chrent bien fort pour l'importance de la chose.

Le prince Casimir, frre du roi de Pologne, qui lÕannŽe prŽcŽdente avait ŽtŽ arrtŽ et retenu prisonnier ˆ Salon de Craux en Provence fut emmenŽ fort honorablement jusques au bois de Vincennes o il entra le jeudi 15me de ce mois et y est gardŽ.

Une personne qui m'est fort proche, nommŽe La Tour, joua et dŽpendit prodigalement force argent, dont je fus averti ce mois-lˆ, ce qui me f‰cha fort.

Le roi qui poursuivait son voyage ˆ dessein de voir madame de Savoie sa sĻur, et de confŽrer avec elle sur les prŽsentes affaires, t‰cha de la faire venir ˆ Vimy prs de Lyon et ˆ cet effet envoya Mr de Chavigny vers elle pour l'en convier. Mais elle ne jugea pas ˆ propos dՎloigner la Savoie et le duc son fils dÕune si grande distance, de peur que pendant son absence quelque chose ne sÕinnov‰t en ce pays-lˆ ; ce qui fit rŽsoudre le roi de sÕacheminer jusques ˆ Grenoble, o madame sa sĻur le vint trouver en grand Žquipage le 27me de ce mois, Sa MajestŽ ayant ŽtŽ bien loin de la ville au-devant dÕelle ; et le lendemain, qui fut le 28me, mourut ˆ huit heures du matin, ˆ Rivoli en PiŽmont, Mr le cardinal de la Valette qui y avait ŽtŽ malade quatorze jours.

 

Octobre. Ń Au commencement du mois Mr le grand-prieur de Champagne, oncle de monsieur le cardinal, de la maison de la Porte, devint grand-prieur de France par la mort du grand-prieur de Bois Boudran, qui arriva le 2me dÕoctobre.

Le roi se sŽpara de madame sa sĻur ˆ Grenoble, sÕen retournant ˆ Paris avec peu de satisfaction dÕelle : car elle ne voulut accorder de mettre le ch‰teau de MontmŽlian entre les mains du roi, ni moins de lui donner le petit duc de Savoie son fils pour lÕamener en France.

En ce mme mois le prince palatin partit de Hollande, inconnu et dŽguisŽ avec six chevaux de poste, sÕen vint en France, et passa jusques ˆ Saint-Pierre le Moustier pour sÕacheminer par la Suisse ˆ Brisac, sous lÕespŽrance dÕy tre reu et de se faire chef de lÕarmŽe prŽcŽdemment commandŽe par le duc Bernhard de Saxe Weimarch, attendu qu'elle avait ŽtŽ destinŽe par le roi de Sude et les princes protestants dÕAllemagne pour servir dans les quatre cercles dont les Žlecteurs palatins sont chefs ; et Žtant reconnu Žlecteur par ledit roi et lesdits princes, il prŽtendait de droit cette armŽe tre sous sa charge et son commandement. Le roi fut averti de son passage et le fit arrter audit Saint-Pierre le Moustier, puis ensuite conduire au ch‰teau de Nevers.

Le roi ordonna Mr le comte de Harcourt son lieutenant gŽnŽral en Italie ˆ la place de Mr de Longueville qu'il en retira pour lui donner le commandement de lÕarmŽe que soulait commander Mr de Weimarch en Allemagne, et de Mrs le cardinal de la Valette et comte de Candale qui tous deux Žtaient morts en Italie. Ledit cardinal possŽdait soixante et dix mille Žcus de rente tant en lÕarchevchŽ de Bordeaux quÕen quinze abbayes qui furent lors toutes distribuŽes ˆ des particuliers. Il Žtait pareillement gouverneur de la ville de Metz et du pays Messin : le roi donna ce gouvernement au sieur de Lambert qui a ŽtŽ longuement mon domestique, et qui Žtait lors marŽchal de camp dans son armŽe et gouverneur de la Capelle en Picardie ; ce gouvernement fut donnŽ au sieur de Roquepine qui commandait ˆ Metz sous le feu cardinal de la Valette. Ce mme mois se fit lÕaccommodement pour Brisac qui reconnut le roi, le colonel dÕErlach en demeurant gouverneur, et lÕarmŽe prtant serment ˆ Mr de Longueville pour Sa MajestŽ.

Le sige de Salses continuant toujours, et Mr le Prince se prŽparant pour le faire lever, il mit sur pied vingt et trois mille hommes, ayant pour lieutenant gŽnŽral le marŽchal de Schomberg, et se prŽsenta le 24me de ce mois avec son armŽe sur le tard devant les retranchements des ennemis, qui de fortune ce jour-lˆ Žtaient si mal gardŽs, et si mal faits, que lÕon ežt eu gure de peine ˆ les forcer, et le marŽchal proposa que, sans attendre lÕarrire-garde, que le vicomte dÕArpajon conduisait par un autre chemin, on tent‰t lÕentreprise qui ežt infailliblement rŽussi. Mais comme la rŽsolution que lÕon avait prise au conseil avant que partir nՎtait conforme ˆ cette proposition, Mr le Prince, avec beaucoup de raison, ne la voulut pas changer, dont lՎvŽnement lÕen fit puis aprs repentir : car sur la nuit il vint un si extraordinaire orage qui continua si vŽhŽment toute la nuit que toute son armŽe se dŽbanda avec perte de plus de trois mille hommes, ou qui pŽrirent, ou que lÕon ne revit plus, et ensuite force troupes se dŽbandrent. Mr le Prince nŽanmoins et ledit marŽchal ne perdirent aucun soin ni temps pour la remettre en Žtat de faire un nouvel effort.

Finalement ce mme mois le gŽnŽral Ocquendo qui commandait la flotte dÕEspagne, qui avait heureusement amenŽ un grand secours dÕhommes et dÕargent en Flandres, entreprit de partir des ports dÕAngleterre pour sÕen retourner en Espagne : mais lÕarmŽe navale des Hollandais, commandŽe par leur gŽnŽral Tromp, ayant attaquŽ la flotte espagnole, elle la mit en dŽroute, ayant bržlŽ plusieurs vaisseaux, pris dÕautres, et fait Žchouer quelques autres en des c™tes ennemies.

 

Novembre. Ń Au commencement de ce mois de novembre, Mr le comte de Harcourt, nouveau gŽnŽral de lÕarmŽe du roi en Italie, qui, ds le mois prŽcŽdent, Žtait arrivŽ ˆ Carignan, la trve Žtant finie ds le 24me dÕoctobre, se prŽpara pour jeter quelque secours dÕhommes dans Casal, que la peste en avait dŽpourvu. Il part donc de Carignan avec une fort petite armŽe, mais fort dŽlibŽrŽe de bien faire, et dont la cavalerie est la meilleure de toute celle du roi, et vint assiŽger Quiers, qui lui fit peu de rŽsistance, bien que les ennemis fussent ˆ la vue de la ville pour la venir secourir, et plus forts que lÕarmŽe franaise ; aprs quoi il fit promptement marcher son armŽe droit ˆ Casal o il jeta mille hommes de pied dedans, et puis sÕen vint reprendre son logement de Quiers. Le marquis de Leganes et le prince Tomas de Savoie, qui avaient chacun une armŽe plus forte que celle du comte de Harcourt, et qui nÕayant pas cru que ledit comte ežt lÕaudace de se mettre en campagne devant eux et moins de passer jusques ˆ Casal, ne sՎtaient pas h‰tŽs de venir l'en empcher, voulurent se h‰ter lors de lui fermer le passage de son retour, et se camprent entre Quiers et Carignan par o il devait passer. Le comte nÕayant pas de forces Žgales ˆ leur opposer demeura ˆ Quiers autant quÕil eut de vivres ; mais lui Žtant faillis, il se rŽsolut de passer ou de mourir glorieusement. Ė cet effet il partit de Quiers, et sur lÕentrŽe de la nuit, qui Žtait lors fort claire, se rencontra lÕarmŽe du Leganes ˆ la droite et celle du prince Tomas ˆ la gauche, qui le vinrent en mme temps affronter. Mais lÕarmŽe franaise, qui voyait nÕavoir que la porte de la valeur par o sÕen retourner, animŽe par son gŽnŽral et par les sieurs de Turenne, de Plessis-Pralain, et la Motte-Houdancour marŽchaux de camp, par ses chefs particuliers, et par son propre courage, se dŽfendit courageusement durant quatre heures au bout desquelles elle renversa lÕarmŽe du prince Tomas, fit reculer celle du Leganes, et passa ˆ travers des deux malgrŽ eux pour se venir rendre ˆ Carignan ; qui est une des plus hautes et braves actions qui se soit faite de ce sicle.

Le roi arriva ˆ Versailles la veille de la Saint-Martin, o Monsieur son frre le vint trouver.

Du c™tŽ de Salses Mr le Prince fit une nouvelle attaque contre le camp des ennemis, qui ne lui rŽussit pas, le 2me de ce mois.

Le dimanche 13me le palatin fut emmenŽ prisonnier au bois de Vincennes, au-dessus du prince Casimir de Pologne.

Le lendemain Mr de Saint-Marc favori nouveau du roi prta serment de grand Žcuyer.

Le jeudi 17me madame de Hautefort qui Žtait ma”tresse dŽclarŽe de Sa MajestŽ, eut ordre de lui, portŽ par Mr de Lomenie, de se retirer de la cour ; on en dit de mme ˆ une autre des filles de la reine, nommŽe Chemeraut, et ˆ un valet de chambre du roi, nommŽ Lespine. Et le lendemain fut fait le dŽcri des pistoles lŽgres, dont la permission de les dŽbiter avait portŽ un notable intŽrt ˆ la France.

En ce mois fut tuŽ lՎcuyer du marŽchal dÕEstrŽes, et sa tte mise sur le pont Saint-Ange ˆ Rome, banni pour avoir retirŽ par force un homme condamnŽ aux galres. Cette mort mit mal le pape et le roi, de sorte que le marŽchal dÕEstrŽes nÕeut plus dÕaudience du pape, et que lÕon la refusa en France ˆ son nonce : on dŽfendit mme aux Žvques de le visiter ni dÕavoir aucune intelligence ni commerce avec lui.

Il sՎtait fait lՎtŽ prŽcŽdent quelque dŽsordre en la ville de Rouen contre les fermiers du roi, en suite de quoi il sÕen commit aussi ˆ Caen et en la Basse-Normandie o quelques croquants sՎlevrent, ce qui fut cause quÕaprs que les armŽes dÕune part et dÕautre se furent retirŽes de la campagne, le roi envoya le colonel Gascion avec mille chevaux et quatre mille hommes de pied en Normandie pour ch‰tier ces mutins, lequel sÕachemina premirement ˆ Caen et y logea, puis ensuite ayant eu avis que les croquants Žtaient vers Avranches et Villedieu, il les y fut tailler en pices avec perte du baron de Courtaumer, qui fut tuŽ ˆ lÕattaque du faubourg dÕAvranches.

Le fils de Mr le comte dÕAlais mourut ce mme mois, qui fut perte pour cette maison. Mais comme lÕenfant Žtait petit, la perte ne fut pas Žgale ˆ celle que reut la maison de Guise par la mort de Mr le prince de Joinville, que lÕon estimait le plus accompli prince de son temps : Dieu le tienne parmi ses Žlus.

Ce mme mois mourut aussi Mr de Valanay, mon bon et cher ami, et qui avait autrefois ŽtŽ mon compagnon en charge lorsque jՎtais marŽchal de camp.

Madame la duchesse de Crouy, qui avait ŽpousŽ mon cousin remuŽ de germain, mourut aussi dÕune apoplexie la nuit du lundi au mardi 15me de ce mois ; et ma nice, abbesse dÕEpinal, se maria avec le marquis de Haraucour le ....

ƒtant dŽtenu prisonnier depuis tant dÕannŽes dans le ch‰teau de la Bastille o je nÕai autre chose ˆ faire quՈ prier Dieu quÕil termine bient™t mes longues misres par ma libertŽ ou par ma mort, que puis-je Žcrire de moi ni de ma vie, puisque je la passe toujours dÕune mme faon, si ce nÕest quÕil mÕy arrive de temps en temps quelques sinistres accidents ; car je suis privŽ des bons depuis que je lÕai ŽtŽ de ma libertŽ. CÕest pourquoi, nÕayant rien ˆ dire de moi, jÕemplis le papier de ce qui se passe tous les mois dans le monde, de ce qui vient ˆ ma connaissance. Et comme, en lÕhiver, toutes choses se reposent, ou se prŽparent pour agir au printemps, ce mois de dŽcembre est fort maigre et stŽrile de nouvelles, ne sՎtant passŽ autre chose sinon quՎtant venue celle de la seconde tentative du levement du sige de Salses, qui nÕavait point rŽussi, le roi rŽsolut dÕen faire faire une troisime, et pour cet effet dŽpcha le marquis de Coualin vers Mr le Prince pour lui ordonner ; ˆ quoi il se prŽpara pour le jour de lÕan suivant. Cependant Espenan capitula que, sÕil nՎtait secouru dans le jour des Rois, quÕil rendrait la place aux Espagnols.

Monsieur le chancelier fut ordonnŽ par le roi pour aller ˆ Rouen et en basse-Normandie pour faire faire une exemplaire justice des mutins et rebelles de cette province, et partit de Paris le mardi 20me de ce mois.

Madame de Hautefort et Madlle de Chemeraut, qui Žtaient venues ˆ Paris, quittant la cour, eurent ordre dÕen partir le lundi 26me ; ˆ quoi je terminerai cette annŽe.

1640.

Janvier.Ń Je nÕespre pas que cette nouvelle annŽe me doive tre fort heureuse, la commenant par une mauvaise nouvelle que je reus le premier janvier, que mon nouveau neveu de Haraucour avait un secret dessein de se retirer vers le duc de Lorraine ; ce qui mÕežt causŽ un sensible dŽplaisir quÕune personne si proche se retir‰t du service du roi aussit™t aprs tre entrŽ en mon alliance, et dÕautant plus quÕinfailliblement on ežt souponnŽ ma nice sa femme de lÕavoir portŽ ˆ ce dessein, vu la mauvaise opinion que lÕon a dŽjˆ dÕelle sur ce sujet : Dieu mÕa fait la gr‰ce dÕavoir appris depuis, que ce bruit est faux, et quÕil nÕa eu aucune pensŽe de cela.

Monsieur le chancelier arriva ˆ Rouen le 4me de ce mois, le colonel Gascion y Žtant entrŽ avec ses forces cinq jours auparavant. Le lendemain de lÕentrŽe de monsieur le chancelier, il envoya une interdiction ˆ la cour de parlement, ˆ la cour des aides, au bailliage, et aux trŽsoriers de France ; ensuite de quoi il fit faire plusieurs exŽcutions de ceux quÕil crut avoir trempŽ au trouble de lՎtŽ prŽcŽdent.

Salses avait capitulŽ de se rendre la veille des Rois sÕil nՎtait secouru. Mr le Prince se prŽsenta le mme matin pour tenter le secours : mais il fut jugŽ du tout impossible de le faire ; ce qui fut cause quÕEspenan en sortit avec la garnison le 7me de ce mois, qui fut nŽanmoins heureux ˆ la France en ce que la reine se trouva grosse de nouveau.

LÕon chercha ce mme mois divers moyens pour trouver de lÕargent pour subvenir aux grands frais quÕil convenait faire pour la guerre, entre lesquels celui dÕune nouvelle crŽation de seize ma”tres des requtes fut acceptŽ et prŽsentŽ au parlement pour le vŽrifier et enregistrer. Mais les ma”tres des requtes ayant fait de fortes brigues, et le parlement ayant odieuse cette nouvelle crŽation, il fut refusŽ ; dont le roi se sentant offensŽ exila deux conseillers, LainŽ et Scaron, et envoya ˆ la Bastille le ma”tre des requtes Gamin le dernier jour de ce mois.

Celui de fŽvrier commena par lÕentrŽe magnifique de lÕambassadeur de Pologne venu pour moyenner la libertŽ du prince Casimir frre du roi de Pologne, dŽtenu prisonnier dans le bois de Vincennes, lequel arriva ˆ Paris le jour de la Chandeleur.

Monsieur le chancelier, aprs avoir achevŽ le ch‰timent de Rouen, sÕen alla en faire de mme ˆ Caen.

Mademoiselle, fille de Monsieur, dansa le 17me un ballet de vingt-quatre filles, trs beau et superbe, chez monsieur le cardinal. Le 23me elle le dansa ˆ lÕArsenal, et le 26me ˆ la maison de ville.

JÕeus nouvelle le dimanche 5me, ˆ midi, dÕune chose qui me fut trs agrŽable, et ensuite encore dÕune autre, que ma nice de Haraucour, nouvellement mariŽe, Žtait grosse. Mais pour nÕavoir pas une longue joie, jÕeus en mme temps nouvelles que lÕon Žtait mal satisfait ˆ la cour de quelques discours que mon neveu, le marquis de Bassompierre, avait tenus de la France dans sa prison, que lÕon a depuis avŽrŽs tre faux.

Ma petite-nice, fille a”nŽe de Mr et de madame de Houailli, qui Žtait trs jolie et bien faite, mourut le 23me ˆ neuf heures du matin ; et trois jours auparavant, savoir le 20me, mourut dans ma maison de Harouel en Lorraine madame la comtesse de Tornielle grand mre de mes neveux, que jÕaimais bien fort.

 

Mars. Ń Le mois de mars fut remarquable par la mort du Grand Turc lors rŽgnant, causŽe par une apoplexie, et parce aussi quÕil laissa pour hŽritier le seul qui restait de la maison ottomane.

On dŽlivra ce mme mois le prince palatin prisonnier au bois de Vincennes, ˆ condition quÕil demeurerait six mois en France.

Monsieur le chancelier, aprs avoir achevŽ les exŽcutions contre les mutins et croquants, sÕen revint ˆ Paris. Et ˆ la cour, le 19me de ce mois, La ChainŽe, premier valet de chambre du roi et fort en ses bonnes gr‰ces, fut chassŽ avec le PerŽ, frre de Mr le prŽsident de Baillieul, et quelques autres de leur cabale.

On demeura dÕaccord de la libertŽ de Mr de Feuquieres en Žchangeant pour lui Equenfort prisonnier au bois de Vincennes, et vingt mille Žcus. On mit mme Equenfort en libertŽ, qui me vint voir le 15me : mais le samedi 17me la nouvelle Žtant venue de la mort de Feuquieres le 13me, on le remit en prison.

 

Avril. Ń Je commenai le mois dÕavril par une mauvaise nouvelle que lÕon me manda de la mŽsintelligence qui Žtait entre Mr le comte de Tornielle grand-pre et tuteur de mes neveux, et ma nice de Haraucour sa petite-fille, laquelle fit saisir tout le bien de mes autres neveux et y a fait un grand dŽsordre.

JÕenvoyai en Hollande, le 8me, mon neveu de Dommartin, second fils de feu mon frre, qui Žtait un dŽbauchŽ qui mÕavait offensŽ : nŽanmoins je lui ai voulu entretenir, nÕayant rien vaillant ˆ prŽsent.

Je perdis le 22me de ce mois Mr de Puisieux, mon bon et affidŽ ami, qui mourut dÕune assez longue maladie.

Voilˆ pour ce qui regarde mon particulier : et pour les affaires publiques, Casal fut assiŽgŽ par le marquis de Leganes ds le 9me de ce mois, et Mr le comte de Harcourt ayant eu ordre du roi de hasarder le tout pour le secourir, alla avec quelque neuf mille hommes tant de pied que de cheval contre ledit Leganes qui en avait vingt et deux mille dans ses retranchements trs forts et parachevŽs, quÕil attaqua le 29me de ce mme mois si vertement et avec tant de courage et de persŽvŽrance quÕaprs avoir ŽtŽ repoussŽ par quatre diverses fois, il les fora enfin la cinquime, mettant en route lÕarmŽe du Leganes de laquelle il prit le canon, les munitions et tout le bagage. Il perdit quelques gens en ces diverses attaques, et entre autres le plus jeune des enfants du sieur du Tramblai gouverneur de la Bastille, nommŽ Villeblavin, jeune homme qui promettait extrmement de lui, et que jÕaimais particulirement.

DÕautre c™tŽ le Bannier ayant perdu une ville par surprise, o il avait retirŽ son bagage et ses munitions, fut contraint de quitter le poste avantageux o il Žtait, et de se retirer devers Erdfort qui Žtait demeurŽ du parti suŽdois, o il fut promptement suivi par lÕarmŽe impŽriale commandŽe par lÕarchiduc LŽopold et par Picolomini sous lui.

Le 20me lՎdit des crŽations nouvelles des ma”tres des requtes fut enfin vŽrifiŽ au parlement, et le nombre restreint ˆ douze. Ce mme jour fut rŽtablie la troisime chambre des enqutes, qui avait ŽtŽ si longtemps interdite, avec ordre aux conseillers Bitaut et Sevin de se dŽfaire de leurs charges, avec interdiction au prŽsident Perrot de Saint-DiŽ dÕentrer en ladite chambre pour y exercer la sienne, jusques ˆ nouvel ordre du roi.

La reine sentit bouger son enfant le vendredi 20me.

 

Mai. Ń Le grand succs de Casal animait nos autres gŽnŽraux de se mettre promptement en campagne pour faire de leur c™tŽ quelque exploit signalŽ, et des le 22me du mois passŽ le marŽchal de la Melleraye Žtait parti de Paris avec un grand Žquipage dÕartillerie, tirant vers MŽzires o se devait faire lÕassemblŽe dÕune puissante armŽe quÕil commandait. Monsieur le cardinal, pour faire quitter Paris ˆ tous les braves, en partit le 2me de ce mois, et le roi sՎtait dŽjˆ avancŽ du c™tŽ de Picardie o le marŽchal de Chatillon devait aussi avoir une armŽe sur pied pour dŽfendre la frontire et tenir les ennemis en Žchec tandis que le marŽchal de la Melleraye commencerait quelque sige dÕimportance ; lequel, en assemblant ses troupes, reut un petit Žchec de quelque cavalerie qui lui fut dŽfaite, et nombre de chevaux dÕartillerie enlevŽs ; ce qui ne lÕempcha pas nŽanmoins de venir promptement investir Charlemont ville trs forte sur la rivire de Meuse, laquelle apparemment il ežt prise si le ciel ne sÕy fut opposŽ par des continuelles pluies qui lÕempchrent de sÕy arrter, et qui lui firent changer son dessein en celui de Mariembourg, o pareillement les ennemis ayant rompu une Žcluse, inondrent le pays de telle sorte que force lui fut de lever le sige : sur quoi le roi lui manda de ramener son armŽe fatiguŽe et dŽpŽrie par le mauvais temps, pour la joindre ˆ celle de Mr le marŽchal de Chatillon, et toutes deux entreprendre de forcer quelque grande place en Artois.

Ce mme mois madame la duchesse de Chevreuse, qui, lÕannŽe prŽcŽdente, avait fait retraite de France et passŽ en Espagne, puis dÕEspagne en Angleterre, finalement dÕAngleterre a passŽ en Flandres, o peu aprs arriva le b‰tard du roi de Danemark avec quatre mille hommes de renfort ˆ lÕinfant-cardinal.

Le comte de Harcourt aprs la victoire de Casal ayant renforcŽ son armŽe de quelques rŽgiments qui lui Žtaient arrivŽs de France, vint mettre le sige devant Turin bien que le prince Tomas de Savoie se fžt peu de jours avant jetŽ dedans avec cinq mille hommes de pied et quinze cents chevaux, et que le marquis de Leganes qui avec ce quÕil avait sauvŽ de sa dŽroute de Casal Žtait plus fort que ledit comte, attendit encore des grandes forces du duchŽ de Milan, que le cardinal Trivulse lui amenait : toutes ces choses qui devaient Žtonner un autre, animant cet homme victorieux dÕentreprendre ce grand sige, quÕil commena ˆ presser vertement, et se rendit ma”tre dÕabord dÕun faubourg fortifiŽ dÕo il chassa les ennemis ; ce qui ayant fait h‰ter le marquis de Leganes de venir en diligence secourir Turin et le ravitailler, il attaqua le camp du comte de Harcourt, mal fortifiŽ encore, pour le peu de temps quÕil avait eu de le faire. NŽanmoins il se dŽfendit si gŽnŽreusement que le marquis fut contraint de se retirer avec perte de prs de trois mille hommes : mais de notre c™tŽ le vicomte de Turenne y fut blessŽ, et plusieurs tuŽs.

Les Hollandais aussi, ayant mis pied ˆ terre en Flandres, voulant passer un canal prs de Bruges, le comte de Fonteines sÕopposa ˆ leur passage, et aprs en avoir tuŽ plus de huit cents, et quelques officiers, les contraignit de se retirer.

JÕeus ce mois-lˆ nouvelles comme lÕempereur avait favorablement traitŽ mon neveu de Bassompierre prisonnier ˆ Benfeld, ayant accordŽ le sergent de bataille Javelitsky pour Žchanger contre lui et lÕa envoyŽ en dŽp™t ˆ Strasbourg.

La Tour est parti pour aller avec Gascion le 30me.

 

Juin. Ń Le sige dÕArras assiŽgŽ le 13me de ce mois de juin, donna de la crainte aux deux partis : ˆ lÕun, quÕil ne fžt pris, et aux autres de faillir de le prendre. CÕest pourquoi chacun se prŽpara, savoir, ceux de dedans ˆ se bien dŽfendre, nous ˆ lÕattaquer fermement, et les Espagnols ˆ le secourir. Le premier des chefs ennemis qui vint pour troubler nos travaux, fut Lamboy, lequel Mr le marŽchal de la Melleraye ayant voulu t‰ter, vint avec quelque cavalerie proche de ses retranchements et mme poussa quelques troupes qui Žtaient sorties pour escarmoucher ; mais les n™tres inconsidŽrŽment poursuivant les fuyards, vinrent donner si proche du camp de Lamboy, que nous y perd”mes quantitŽ de volontaires et de gens de principal commandement : le marquis de Gesvres marŽchal de camp y fut pris, et BreautŽ, sergent de bataille, et ma”tre de camp du rŽgiment de Picardie, tuŽ, qui fut certes un trs grand dommage ; car cՎtait un homme ˆ parvenir un jour aux plus grandes charges.

 

Juillet. Ń En ce mois de juillet le sige dÕArras continua avec grande ‰pretŽ de part et dÕautre, et les circonvallations parachevŽes, on alla par tranchŽes droit ˆ la ville par deux divers endroits. Mais le cardinal-infant ayant assemblŽ toutes ses forces, se vint camper si prs dÕArras, quÕil Žtait bien difficile dÕy faire passer des vivres ni des munitions de guerre dont lÕon manquait au camp, ce qui fut cause de faire tenter divers convois : entre autres le colonel de lÕEchelle entreprit dÕen mener un par PŽronne, et ayant donnŽ avis de son dessein, le marŽchal de la Melleraye partit avec trois mille chevaux pour le venir rencontrer au lieu concertŽ entre eux ; mais comme il sÕy acheminait, il rencontra la bannire de Hainaut que le comte de Buquoy et plusieurs seigneurs avec lui conduisaient, laquelle le marŽchal attaqua, et la rompit, non sans grand peine et perte dÕhommes ; nŽanmoins elle se retira, et le marŽchal ne la voulut poursuivre pour la dŽfaire entirement, sur le bruit que toute lÕarmŽe ennemie sÕavanait : il prit quelques prisonniers de condition et se retira au camp sans le convoi que lÕon y attendait impatiemment, lequel fut rencontrŽ par cette bannire de Hainaut qui le dŽfit et emmena les denrŽes quÕil portait. Cela mit le camp en grande confusion ; car il nÕy avait plus de vivres ni de munitions de guerre : mais deux jours aprs, Saint-Preuil en fit heureusement arriver un, qui fut cause que le sige ne se leva point, et que la ville fut pressŽe vertement.

Le marquis de Leganes dÕautre c™tŽ fit encore une tentative sur le camp du comte dÕAlais devant Turin ; mais il nÕy rŽussit pas mieux que la premire fois, et se retira avec perte.

 

Aožt. Ń Le mois dÕaožt fut notable par le mauvais succs des Hollandais, encore battus ˆ une attaque nouvelle quÕils voulurent entreprendre pour passer un canal dans la Flandre, ce qui les fit dŽsespŽrer de pouvoir rien faire du c™tŽ de Flandres, et les porta au sige de Gueldre. Mais les continuelles pluies qui survinrent, et quelques Žcluses que les ennemis rompirent, avec la survenue de don Philippe de Silvas, de Andrea Cantelme et de Fonteines, avec dix mille hommes, les fit pareillement lever ce sige et se retirer vers Guenep.

JÕeus ce mois-lˆ nouvelle comme lÕempereur avait dŽclarŽ notre maison descendue de droite ligne masculine dÕUlrich comte de Ravensperg, cadet de la maison de Clves, et quÕil nous reconnaissait pour princes de cette maison, et que le collge des Žlecteurs y avait pareillement donnŽ son approbation.

Il me vint aussi nouvelles comme mon neveu de Bassompierre devait tre mis dans peu de jours en libertŽ, attendu que Javelitsky pour lequel il Žtait ŽchangŽ, Žtait dŽjˆ en dŽp™t ˆ Strasbourg. Mon dit neveu me fit Žcrire pour avoir mon consentement dՎpouser la sĻur de la princesse de Cantecroix.

Mais le premier jour dÕaožt, les travaux ayant ŽtŽ avancŽs ˆ Arras jusques ˆ tre attachŽs aux bastions de la ville, la famine nŽanmoins Žtait si grande dans notre camp, et la difficultŽ telle dÕy amener des vivres, le roi ayant ŽtŽ obligŽ pour cet effet dÕenvoyer quŽrir en diligence lÕarmŽe commandŽe par Mr du Hallier au sige de Sancy en Lorraine quÕenfin il avait pris, et dÕenvoyer tirer les forces des garnisons de Picardie, ayant assemblŽ une armŽe de vingt-cinq mille hommes et mis sur pied un convoi de six mille charrettes ; Mr le marŽchal de Chatillon Žtant demeurŽ au sige, Mr le marŽchal de la Melleraye partit dudit camp avec douze mille hommes le mercredi premier dudit mois, pour venir rencontrer le secours, ce quÕil fit ˆ point nommŽ : et comme lÕon Žtait aux embrassades de cet heureux succs, arriva nouvelles comme les ennemis Žtaient venus attaquer notre circonvallation, de laquelle ils avaient pris le fort de Ransau et taillŽ en pices le rŽgiment de Roncerolles qui Žtait dedans. Alors Gascion vint avec mille chevaux ˆ toute bride vers notre camp, qui fut suivi de Mr de la Melleraye avec ce quÕil avait amenŽ au-devant du convoi. Mais Mr le marŽchal de Chatillon lui ayant mandŽ que ce nՎtait rien et que les ennemis, ayant vainement tentŽ lÕattaque des lignes, en avaient ŽtŽ repoussŽs et se retiraient sur la main gauche, qui Žtait vers lÕavenue du convoi, il retourna en pareille diligence audit convoi. Les ennemis lors continurent leur attaque, o ils repoussrent plusieurs de nos troupes. Mrs de Vend™me firent ce jour lˆ des merveilles, Žtant toujours ˆ la merci de mille coups parmi les ennemis, tuant tout ce quÕils rencontraient, et animant nos gens lÕespace de quatre heures que lÕattaque dura, en laquelle Mr le marŽchal de Chatillon fit ce quÕhumainement se pouvait faire, et eut un cheval tuŽ sous lui. Mais enfin le convoi Žtant arrivŽ au Camp sans rencontre, avec lÕarmŽe de Mr du Hallier et celle quÕavait ramenŽe Mr de la Melleraye, la partie ne fut plus tenable aux ennemis qui quittrent volontairement le fort de Ransau, et se retirrent en bel ordre, voyant arriver les rŽgiments de Champagne et Navarre en bel ordre vers eux pour les en chasser. Alors on pressa les ennemis de sorte quÕune mine que lÕon fit jouer en lÕattaque de La Melleraye ouvrit plus de soixante pas de brche, ce qui fit capituler les ennemis quÕils rendraient la place au roi sÕils nՎtaient secourus dans le 8me du mois. Les ennemis ne manqurent de se prŽsenter encore pour faire quelque effort : mais ayant trouvŽ la chose impossible, ils se retirrent, et les troupes du roi prirent, le jeudi 9me dÕaožt, possession de la ville dÕArras.

Je reus un petit dŽplaisir ce mme mois par le refus que Mr le comte de Tornielle, grand-pre de mes neveux, me fit de me donner le plus jeune de mes dits neveux nommŽ Gaston, pour le nourrir prs de moi. Mais en rŽcompense jÕeus le contentement de savoir ma nice de Houailli heureusement accouchŽe dÕune fille le 30me de ce mme mois.

 

Septembre. Ń Le roi revint vers Paris au commencement du mois de septembre, ayant laissŽ monsieur le cardinal vers la frontire, qui sÕalla tenir ˆ Chaunes.

Nous ežmes en ce mois deux heureux succs, lÕun de la naissance dÕun second fils de France, la reine en Žtant accouchŽe le .... ; et la prise de Turin arrivŽe le ... de ce mois.

La rŽvolte des Catalans se peut aussi mettre parmi les heurs de la France, puisque cÕest au dŽsavantage de ses ennemis.

 

Octobre. Ń En ce mois dÕoctobre est mort un des plus gentils, des plus braves et des meilleurs princes que jÕaie jamais connu [le Duc de Guise], et qui me faisait lÕhonneur de mÕaimer chrement : aussi ai-je ressenti sa perte aussi vivement dans mon cĻur, que de chose qui me soit arrivŽe de longtemps. Il avait souffert durant neuf annŽes beaucoup de tourment et de persŽcution de la mauvaise fortune : exilŽ de France, ayant perdu son gouvernement ; ses biens ruinŽs ; et ce quÕil a p‰ti dans sa famille par la perte de ses deux enfants dont lÕa”nŽ Žtait le plus accompli prince de son temps, et par la mauvaise conduite du troisime, qui ne vivait pas selon sa profession.

 

Fin du tome quatrime et des mŽmoires.

 

[Memo : Richelieu   04/12/1642]

Ce mercredi 21 janvier 1643. Lundi Mrs de Bassompierre, de Vitry et le comte de Cramail sortirent de la Bastille, ces deux derniers avec une joie extrme, et pour ce qui est du premier, ses parents et ses amis eurent toutes les peines imaginables ˆ lui persuader dÕaccepter sa libertŽ ˆ condition dÕaller ˆ Tillieres, et je crus cent fois quÕil nÕen ferait rien : jÕy fus depuis 10 heures du matin jusquՈ 9 heures du soir quÕils sortirent... Ils ont trois ou quatre jours pour demeurer icy : ils ont vu tous Mrs les ministres. CÕest non sans quelque espŽrance que M. le marŽchal de Bassompierre ne demeurera pas longtemps o il va.

 (Henri Arnauld, abbŽ de Saint-Nicolas dÕAngers, dans un journal adressŽ ˆ la prŽsidente Barillon)



Notes de la prŽsentation par le Mquis de ChantŽrac:



[1] Historiette de Bassompierre. Commentaire. (Troisime Ždition, t. III, p. 355.)

[2] Le catalogue des livres de lÕabbŽ de Rothelin, imprimŽ pour sa vente en 1746, annonait, sous le no 3752, un manuscrit en trois volumes in-folio contenant les MŽmoires de Franois marŽchal de Bassompierre depuis 1598 jusquÕen 1631. Ce manuscrit sÕarrtait, ˆ ce quÕil para”t, au moment de lÕemprisonnement du marŽchal. Il fut vendu au prix modique de 5 l.

[3] Chaque volume porte sur le premier feuillet un numŽro Žcrit ˆ la main (1547 et 1548), et un ex libris imprimŽ en ces termes : Ex bibliotheca Mss. Coisliniana, olim Segueriana, quam Illus. Henricus du Cambout, Dux de Coislin, Par Franci¾, Episcopus Metensis etc. Monasterio S. Germani ˆ Pratis legavit an. MDCCXXXII.

[4] Ce portrait, conservŽ dans la famille de Bassompierre, a figurŽ ˆ lÕexposition dÕAlsace-Lorraine en 1874.

[5] Anagramme de : Franois de Bassompierre, en changeant b en n.

[6] Le roi Žcrivit ce mme jour ˆ Bassompierre une lettre favorable, au sujet de laquelle le marŽchal adressa ses remerciements ˆ Chavigny, la considŽrant comme Ē un pur ouvrage de sa bontŽ. Č

[7] On trouve dans lÕInventaire fait aprs le deceds de Mr le marŽchal de Bassompierre la cote suivante : Ē Item les lettres de rŽtablissement dudt sgr marŽchal en la charge de colonel gŽnŽral des Suisses en datte du 15e octobre 1643. SignŽ : Louis, et sur le reply : par le Roi, la Reine regente sa mre presente, Le Tellier, et scellŽes du grand scel de cire jaune, inventoriŽ au dos 42. Č

[8] Histoire de la ville et de tout le diocse de Paris, par lÕabbŽ Lebeuf, nouvelle Ždition, annotŽe et continuŽe par Hip. Cocheris, t. IV, p. 313-314.

[9] Les arts sÕexercrent aussi en lÕhonneur de Bassompierre. Outre la belle toile de Van-Dyck, je possde un portrait sur marbre du marŽchal ˆ cheval, en armure dorŽe. Un autre portrait, peint dans la manire de Philippe de Champagne, appartient ˆ M. le comte de Laugier-Villars. Une mŽdaille, frappŽe en 1633, porte dÕun c™tŽ la tte de Bassompierre en demi-relief, avec la lŽgende fr. ˆ. bassompierre franc. polem. glis. helvet. pr¾f., et de lÕautre un phare sous un ciel ŽtoilŽ avec les mots : quod nequeunt tot sidera pr¾stat. Le P. Bouhours (Entretiens dÕEugne et dÕAriste) critique cette devise : il fait aussi quelques rŽserves au sujet dÕune autre devise du marŽchal, qui avait pour corps une fusŽe volante, et pour ‰me ces mots : Da lÕardora lÕardire ; cette dernire plaisait cependant ˆ Mme de SŽvignŽ.

[10] Ē Monseigneur de Bassompierre est en estime dÕun esprit trs accomply pour les sciences ; car son Žtude est continuelle, aussi bien que le soin quÕil a de rechercher les meilleurs livres pour enrichir sa cŽlbre bibliothque o sont conservez plus de quatre mille volumes. Č (TraictŽ des plus belles bibliothques, par le P. Louis Jacob. Paris, Rolet-le-Duc, m.dc.xliv.)

[11] La lecture des MŽmoires ežt ŽtŽ difficile si elle avait ŽtŽ continuellement interrompue par des pices officielles. Les Ambassades rŽpondent au dŽsir de Bussy en ce qui concerne les missions diplomatiques. Quant aux lettres des ma”tresses, on sait ce que Bassompierre en a fait, et, ˆ dire vrai, je crois quÕil ˆ rendu service ˆ la postŽritŽ.