09/09/21
Esambe Josilonus
Esambe Josilonus
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Contextualiser la Révolte de Roure (Vivarais 1670) pdf   kdl
Comment saisir l'écosystème de cette révolte, alors qu'elle n'est éclairée que par quelques condamnations contemporaines [1] et quelques glorifications posthumes ; que, par nature, les archives émanent de l'appareil répressif ; que notre vision, irrémédiablement polarisée par "1789",  aperçoit dans toutes ces "émotions rustiques" des prodromes de la "grande révolution" ; que l'addition de ces révoltes, siècle par siècle, lieu par lieu, a pour effet de les fondre en une "lutte de classes" imaginée?

Si D'Aigrefeuille (1737, Histoire de Montpellier, IX, 8) n'en fait pas un plat (une émotion paysanne parmi tant d'autres), le tableau héroïque d'une insurrection "à la Pougatchev" que brosse aujourd'hui un site consacré à l'Ardèche traduit-il autre chose que les préoccupations sociales et locales de son auteur qui l'accroche dans la grande galerie des "luttes populaires", à la rubrique "révoltes paysannes d'ancien régime" ? Qui ne frémirait d'horreur et de sympathie devant ce zoom sanglant [2] ? Un cadrage étroit exerce de puissants effets dramatiques. La même année 1670, la révolte de Stenka Razine en Russie est toute autre chose.

Pour retrouver la singularité de l'événement, je suis parti de la correspondance de Colbert qui donne le point de vue d'acteurs de terrain (mais non pas tous évidemment! les révoltés n'écrivent pas) et rétablit l'écoulement du temps. Ces manuscrits ont été mis en ligne par la BNF (Gallica) : Papiers de Colbert concernant la levée des impôts, l'administration des finances, etc. (ms de correspondances, lettres et pièces originales) [4].

J'ai complété ce courrier entrant grâce aux éditions imprimées d'extraits de correspondance sortante :
Le texte des Edits etc est repris de Loix municipales et économiques de Languedoc, 1784, Tome 3, Livre IV "des ouvrages publics de la province".

Colbert est alors "ministre principal" et Contrôleur général des finances de Louis XIV (depuis 1661), ainsi que Secrétaire d'État de la Maison du Roi [5] et Secrétaire d'État de la Marine (depuis 1669) [6].

Ces "papiers", documents manuscrits bruts, constituent le "brouillard", la main courante, du courrier entrant au cabinet de Colbert. Ils comprennent des résumés ("extraits de l'ordinaire des lettres du XX") et des inclusions ou copies de lettres sélectionnées et de documents imprimés. Les résumés apparaissent préparés pour la décision et mettent en avant les points à connaître ou à trancher. Soit hasard de l'actualité, soit réorganisation du travail de bureau, ils sont assez rares dans notre Tome I et deviennent systématiques dans le Tome II au point d'évincer presque totalement les lettres. Les "extraits" établis par les commis, d'écritures très différentes allant de la calligraphie au gribouillis, sont parfois annotés et la plupart du temps barrés d'un ou deux traits, une fois l'affaire traitée ou répondue.

Cette correspondance reflète l'action des services de Colbert dans le champ de cette série d'archives (impôts). Aussi n'est-il pas étonnant que la Révolte y soit incluse puisque née d'une taxe sur les cabaretiers (elle-même liée au financement du canal du midi) : ses implications fiscales sont évidentes et la Cour des aides de Montpellier est directement concernée. Comme Colbert cumule les finances avec ce que nous appellerions "l'intérieur" (secrétaire de la maison du Roi), les informations et demandes de décisions concernant la Révolte arrivent à ses bureaux.

Les lettres conservées, comme archives, documents de travail ou preuves, portent sur des affaires extrêmement diverses [7]. Concernant la Révolte, les principaux correspondants sont le marquis de Castries (Joseph François de La Croix, 1663-1728, Lieutenant-général du roi en Languedoc, gouverneur et sénéchal à Montpellier) et Claude Bazin de Besons (1617-1684, intendant de la justice, de la police et des finances du Languedoc de 1654 à 1674).

Les documents les plus abondants concernent la phase ascendante  de la Révolte et sa pacification, soit mai à août 1670. Ensuite, les militaires opèrent sans formalités et les procès, ou bien n'apportent pas d'informations pertinentes, ou bien relèvent du train-train. Même la capture et l'exécution de Roure (octobre) donnent à peine lieu à documentation car ne posent aucune question d'ordre fiscal ou d'ordre public.

***
Les papiers constituent un "narratif" des événements (CH1) et font surgir son contexte, non seulement fiscal mais institutionnel. La taxe sur les cabaretiers qui met le feu aux poudres n'est pas un simple expédient royal pour augmenter les impôts. Elle fait partie d'un "paquet fiscal" destiné au financement du Canal des deux mers que le Vivarais subit en tant que "diocèse" de la province de Languedoc. C'est une "émeute du canal" même elle ne le sait pas (CH2).


L'émeute crie : Vive le Roy, point d'élus ! En un sens, c'est le programme des "trois-états" (les états provinciaux) du Languedoc qui résistent (avec un succès variable) aux tentatives royales de les éteindre. Les édits fiscaux du canal apparaissent alors comme un moment du jeu stratégique séculaire entre le "Roi" et les "états" (CH3).


Mais ce programme n'est qu'emprunté par les rebelles pris entre l'enclume des impôts des états et le marteau des impôts royaux. Ils le brandissent parce qu'ils n'en ont pas à eux et parce que, à ce moment, à cet endroit, ils ne peuvent pas en inventer : la révolte est leur message dans cet univers fermé et non médiatisé. (CH4).

CH1. La sédition arrivée à cause du droit annuel des cabaretiers


Colbert au Roi: ...sur la sédition arrivée à cause du droit annuel des. cabaretiers, établi en conséquence d'édit registré dans les compagnies de Languedoc, & dont le fonds est destiné pour le canal de communication des mers. Il est bien nécessaire de réprimer fortement ce commencement de mouvement.
Le Roi répond: je sais ce qui s'est passé; j'ai donné l'ordre que les troupes marchassent & fissent ce que M. de Castries leur ordonnera [8].

Comme au cours des règnes précédents, l'introduction de nouveaux impôts [9] provoque des soulèvements : Boulonnais (1661), Gascogne (1664), Berri (1664), Roussillon (1668/1670), Bordeaux (1675), Bretagne (1675) ; et de nombreux mouvements partiels dont font partie ces "quelques troubles dans le Vivarais" (Lyon 1669 ; Le Mans 1675 ; Angouleme 1674 ; Cahors,  Quercy  Périgord 1707; Lyon 1714) [10] . Hélas, le schéma est toujours le même :

Qui ne sait le sort réservé à ces sortes de révoltes,  même aux plus formidables en apparence? Après  quelques succès accompagnés de crimes inutiles, les chefs du complot hésitent et s'effacent, les troupes arrivent, et la foule entraînée expie la faute de quelques meneurs. (Clément)

Les troubles du Vivarais, une émotion parmi tant d'autres, naissent d'un territoire et d'un temps troublés.

Depuis un siècle, le Languedoc dans son ensemble a été agité par de violents affrontements "religieux", par la Rébellion de Montmorency, la fronde des Parlements, les passages et quartiers d'hiver des troupes, les demandes de secours du Roi, les extorsions du Gouverneur et de son favori [11]. L'année précédente, le Haut-Vivarais a été foulé par cinq compagnies de soldats envoyés de Lyon réprimer des meurtres fiscaux commis par un gentilhomme [12]. Ici, dans le nord marginal d'un diocèse excentrique, dans ces montagnes arriérées aux accès incommodes, les guerres "civiles" et les "pacifications" royales sont endémiques. Le soulèvement huguenot de 1621 avait pour centres Aubenas et Privas, une des "places de sûreté" des Réformés, prise et détruite en 1629  [13].

La sédition s'adosse aux Boutières, ce massif montagneux du moyen Vivarais dans les actuels cantons du Cheylard, Saint-Agrève et Saint-Pierreville. La description politique de Richelieu pour 1629 (les Boutières qui sont certaines montagnes et vallées où ils tenoient plusieurs châteaux, d'où ils recevoient tous les jours des hommes et pouvoient se retirer quand bon leur sembloit) et celle de Basville, dans les années 1690 [14] (Les Boutieres sont composées d'un certain nombre de montagnes, petites dans leur circonférence; mais hautes & faites en pain de sucre, Elles font très-stériles, & ne servent qu'à nourrir des Bêtes à laine) montrent la fonction d'appui, réservoir, refuge et chemin de fuite que suggère la géographie : Etagé entre 300 et 1100 mètres, le relief des Boutières est particulièrement accidenté. Succession de serres abruptes et déchiquetées..seules quelques vallées qui entrecoupent et isolent les crêtes acérées constituent des axes de pénétration possibles, si toutefois elles ne prennent pas la forme de gorges étroites et peu praticable [15].

Pays et temps troublés aux débuts du "petit âge glaciaire" : le cycle économique long entre en phase dépressive autour de 1650 [16]. Le violent hiver 1669/70 aggravé par un printemps pourri ruine l'agriculture, déjà handicapée par le renchérissement des outils en fer provoqué par les monopoles locaux sur le charbon de pierre nécessaire à leur fabrication.

Ce contexte est potentiellement explosif. La taxe additionnelle sur les cabaretiers pour financer le canal du midi (cf. 2) constitue la mèche qu'une émotion allumera.

ÉDIT DU ROI, Portant établissement d'un droit annuel sur les hôtes, cabaretiers, & taverniers de la province de Languedoc, pour le produit dudit droit être employé à la construction du canal. Du mois de Septembre 1668:.... ceux qui auront leur résidence, &. qui voudront tenir hôtellerie, cabaret & vendre vin dans les  villes & chefs des diocèses de ladite  province de Languedoc, &. généralités de Toulouse , Montpellier &. Montauban, dix livres chacun; ceux qui auront leur résidence & feront semblable commerce de vin ès villes chefs des Vigueries, châtellenies, baronnies ou  ayant entrée aux Etats de la province, &. maisons situées sur les grands chemins, huit livres chacun; & ceux des  villages & paroisses, six livres chacun ...Et en conséquence seront lesdits cabaretiers, hôtelliers, & marchands de vin, conformément  audit édit & déclaration des mois de  Mars 1577 & Février 1581 ,exempts de tutelle, curatelle, guet &. garde de ville, même de logement des gens de guerre & de toutes autres charges personnelles... (Registré ès registres de la cour des comptes , aides & finances... A Montpellier le vingt-quatrième Novembre mil six cent soixante-huit. Signé, PUJOL.)

Cet impôt excite la haine car il se répercute sur le prix du vin, objet de consommation massive (on a comparé la fiscalité d'ancien régime sur le vin à l'actuelle fiscalité sur l'essence). En 1670, cette taxe que certains percepteurs étendent abusivement à tous les vendeurs de vin, cabaretiers ou non, engendre dans l'imagination populaire locale un délire fiscal : la rumeur se répand d'étranges & extraordinaires impositions, un impôt sur la naissance des enfants, sur les vêtements neufs (habit, chemise, chapeau, souliers), sur la journée de travail et sur le pain [17]. On s'émeuvrait à moins.

La taxe imaginaire surprend les "états" du diocèse réunis à Joyeuse (assiette du Vivarais, cf. 3). Un pauvre paysan, Pierre Dugua, se présente devant les notables pour demander grâce : sa belle-fille vient d'accoucher et il n'est pas en mesure de payer l'impôt sur l'enfant. Quoi ? Quel impôt? demandent les notables [18]. Il dit avoir reçu une assignation à payer rédigée dans les formes. Il est question à de nombreuses reprises d'explois et commandements factices et de placards affichés. Dans ce cas, il y aurait conspiration. Mais de qui ? Malgré les efforts des autorités pour trouver ces documents (espérant ainsi remonter à l'auteur et l'imprimeur [19]) et leur promesse de primes à ceux qui en apporteraient, aucun de ces leurres n'est jamais vu ni archivé. Certes, de tels cauchemars fiscaux sont communs (cf. Le Roy Ladurie) et les rumeurs circulent et s'enflent aisément. Néanmoins, la précision du barème est troublante [20].
vivarais
 
L'émotion naît autour de la Chapelle sous Aubenas et se focalise sur Aubenas, en haut sur la carte qui montre, en bas à droite, Bourg St Andéol où se concentrent les autorités jusqu'à ce qu'elles disposent de forces suffisantes pour attaquer.
Nous analyserons le mouvement plus en détails (CH 4) lorsque nous en aurons examiné toutes les dimensions. Restons en aux faits.

Emotion de qui? l'analyse sociologique n'est pas le souci des autorités qui opposent "les bons habitants" et les mutins. Ceux-ci pilleront chaque fois que l'occasion se présentera et, de préférence, ceux qui ont quelque chose (ou qu'ils supposent avoir quelque chose) mais ils ne s'attaqueront à aucun groupe social déterminé, ni aux "bourgeois", ni aux "nobles", encore moins aux créanciers en tant que tels.

Il semble bien que la révolte soit ce qu'elle paraît : un cri armé contre l'impôt. Si la fiscalité est pesante, son exercice l'est bien davantage. Les collecteurs d'impôts doivent payer le montant qui leur est imputé ou qu'ils ont promis : s'ils collectent moins, c'est à leur détriment ; s'ils collectent plus, c'est à leur bénéfice. Leur "business" consiste à maximiser le surplus entre ce qu'ils perçoivent et ce qu'ils règlent [21]. Aussi les exacteurs, agissant au nom et pour le compte des Etats ou du Roi, interprètent largement les règles et procèdent par intimidation.

Donc la révolte. Elle naît au printemps, le 30 avril, à partir d'un fait fortuit, quoique significatif : un dénommé Casse arrive tranquillement à Aubenas et placarde la mise aux enchères de la perception des droits sur les chevaux de louage dont il est commis. Pas de chance pour lui : "impôt" était le mot à éviter !

Plusieurs femmes de la rue st Antoine, assistées de quelques manœuvres, vont attaquer le logis du sieur Casse...et tandis qu'elles travaillaient à enfoncer les portes, Casse saute par les fenêtres et s'enfuit ..on le poursuit à coups de pierres... Les officiers du Prince d'Harcourt, seigneur d'Aubenas, instruits de ce tumulte, écartent cette populace furieuse, et font conduire le sieur Casse au logis du pont, et à la conciergerie le nommé Bancatte ...l'un des plus mutins. (Valeton)

Les femmes, furieuses, enfoncent les portes pour délivrer Bancatte et jeter Casse à la rivière. Les hommes les rejoignent. Ils disposent d'armes. Ils les prennent. La troupe grossit, partie par adhésion, partie par intimidation. Le nœud militaire devient le château (au Prince d'Harcourt, seigneur d'Aubenas). On dira après la révolte que la résistance du Château (ultérieurement renforcé par des suisses) a servi de barrage au torrent qui, sinon, aurait déferlé sur le Puy, Viviers, Alès "et partout". Comme pour les faux documents fiscaux, on reste dubitatif : les effectifs demeurent très locaux et le rayon d'action des mutins ne dépasse pas une trentaine de kilomètres.

On ne sait d'ailleurs pas grand chose de leur nombre qui varie en permanence, entre quelques centaines et quelques milliers selon les circonstances [22] : les "meneurs" et ralliés volontaires menacent les indifférents et les prudents de brûlement (de récoltes, de granges, de maisons) pour les forcer à suivre. Les effectifs ne signifient pas grand chose car ils n'agissent pas en corps et fonctionnent à l'émotion, non à la discipline.

La révolte trouve les autorités de Montpellier réactives, quoique dépourvues, et les autorités locales inactives.

Le commandant du château, les officiers, les bourgeois se contentaient de gémir sur le désordre; M. le Comte de Vogué, seigneur haut-justicier de Roure, le laissait tranquille; il ne convoquait point la noblesse comme il aurait pu le faire, en qualité de Bailli du Vivarais ; les gentilshommes étaient simples spectateurs de ces mouvemens; les villes voisines n'offraient aucune assistance; les Gouverneurs étaient éloignés; tout menaçait Aubenas de quelque étrange révolution. (Valeton)

C'est ce vide temporaire qui permet à la révolte de s'étendre et d'occuper toute la scène (locale) [23], nous donnant l'impression d'un grand mouvement. Dès que des troupes auront été envoyées (juillet), l'insurrection s'effondrera presque sans combattre et l'affaire s'éteindra grâce à la dissociation habituelle : on pardonne à la masse (abolition) et on chatie les meneurs et criminels avérés. Les citoyens loyaux se multiplient soudain et livrent les fuyards.

Les autorités de la province, de Castries dès le début, de Besons dans la phase de répression, viennent au plus près  (pas trop près !) et s'installent à Bourg Saint Andéol, en bordure du Rhône qui permet de garder le contact avec le reste de la province. Elles manquent de troupes, de munitions et d'argent. Cent hommes sont envoyés de Montélimar pour protéger Viviers. De Castries mobilise : il convoque les gardes du gouverneur (quelques hommes), réquisitionne la compagnie du Prévôt général, envoie à Lyon chercher de la poudre, fait accommoder 600 fusils pris dans la citadelle de St Esprit,  prie les gentilshommes de ses amis de venir le joindre au plus tot. Ce ne sont que mesures défensives pour tenter de défendre les villes (Aubenas, Joyeuse, Viviers, Villeneuve de Berg) et dissuader les révoltés d'avancer [24]. Il espère recevoir des troupes réglées d'Auvergne, de Guyenne, du Roussillon.

Pour l'offensive, plus on aura de forces plus tot la chose sera terminée. Il avise Paris fin mai que si le roi veut rétablir entièrement son autorité il faut y envoyer un nombre de troupes réglées assez considérable, n'ayant pas grand foi à la milice qui ne vaut pas grand chose  et ne peut être qu'en petit nombre car il n'est pas croyable la mauvaise volonté dans tous les esprits (à laquelle s'ajoutent les vers à soie qui, à cette saison, réclament tous les bras). La mauvaise disposition de Nîmes, et surtout d'Alès (qui avait l'avantage de n'être qu'à 70 kms du champ de bataille), avoisine la sédition.

La réaction de Paris demande le temps des allers-retours du courrier (pas moins de quinze jours), le temps d'informer les services de Colbert, le temps de la décision, le temps de l'exécution. Le Roi envoie des mousquetaires de sa "Maison" et met en marche les troupes de M. de Chamilly qui, en mai, avaient été envoyées dans le Roussillon pour réduire les "Miquelets". Compte tenu de ces délais techniques, la réaction est rapide (l'officiel Journal des Gazettes en célèbre le succès et la célérité). Et, redisons le, l'effet immédiat : les mutins ne tiennent pas le choc.

On sait que point n'existent alors de forces de police homogènes et disciplinées quadrillant le territoire (moins encore de forces mobiles susceptibles de les renforcer). Le Prévôt ne peut maîtriser que des individus [25]. Le Languedoc, pour son malheur, avait été longtemps victime des passages et des quartiers de troupes "amies" dont les débordements font ressembler les mutins d'Aubenas à des enfants de chœur. A ce moment, il en est dépourvu et ne dispose que du minimum requis pour garder les citadelles et les dépôts.

La relative autarcie qu'impose l'indigence des moyens de communication et de transports demande une capacité d'auto-défense [26] qui, en l'occurrence, fait doublement défaut, la noblesse locale restant tapie et les milices urbaines échappant à la mobilisation. Peut-être auraient-elles été peu efficaces et valait-il mieux pour lui que le camp de l'ordre jouît d'une forte disproportion ? mais peut-être aussi, des forces faibles intervenant rapidement grâce à leur proximité auraient-elles arrêté la boule de neige à ses débuts ?

L'indifférence de la noblesse locale intrigue. Elle est attestée : après les événements, de Castries cite trois noms qui méritent la reconnaissance du Roi et ajoute qu'il y en a bien peu qui soient dans ce cas. Pendant les événements, les efforts de conciliation du vieux et honorable comte Georges de Voguë [27] sont contestés. On le fait venir à Bourg Saint Andéol pour lui dire de de ne rien faire ny ne rien dire et le courrier envoyé à Paris indique qu'il est trop confiant à l'égard des mutins [28] (lesquels, lors d'un étonnant épisode, le mettent à leur tête et lui jurent fidélité!). A maintes reprises, les autorités constatent pour le regretter que les gentilshommes restent enfermés dans leur château, de crainte, prétendent-ils, d'être attaqués. Même si l'autojustice féodale n'a plus cours, une prompte et solide mobilisation des gentilshommes n'aurait-elle pas eu raison d'émeutiers inorganisés et, initialement, peu nombreux ? Les barons de tour dorment comme les autres seigneurs (à l'exception d'Harcourt [29]

Ne sachant rien de leurs motivations, on peut tout supposer : crainte? prudence? arrière-plan huguenot? rivalités internes? coupure entre les gentilshommes et les bourgeois urbains? ...ou complicité passive avec les mutins? Révérence due et faite au Roi, n'ont-ils pas leurs raisons de ne pas aimer "Paris" et ses hommes, comme de se sentir loin de Montpellier ? En ces temps, le soutien de la "sieurie" (le baronage) aux révoltes populaires n'est pas rare [30], surtout dans leur phase initiale avant que les désordres fassent peur : d'une part, la pression du fisc royal se fait au détriment de la rente foncière perçue par les seigneurs ; d'autre part, les petits et moyens nobles sont exaspérés que leurs immunités ne soient pas respectées par les hommes du Roi (logement et désordres des troupes, gabelle et perquisitions contre le faux-saunage). Il arrive que des gentilshommes attaquent à main armée les commis de la gabelle. Le cas s'est produit l'année précédente, en 1669, dans le nord du Vivarais.

Au cœur de ces interrogations se trouve la personne de Roure que la révolte forcera à être son chef, sans pour autant lui obéir, comme c'est généralement le cas des émeutes populaires qui cherchent un drapeau et non un général. Roure est un notable rural et local. Sa famille s'est enrichie (on ne dit pas comment  [31]) et son père Guillaume a acheté une terre noble. Roure s'est marié (ou a été marié par son père) à Isabeau du Gout de Vissac [32], rejeton d'une famille noble d'origine auvergnate, déclinante mais ancienne [33]. Il aurait servi dans l'armée royale. L'émeute le veut pour chef, il refuse, est frappé par le leader plébéien Laroze et accepte. Nul ne devinera jamais quelles furent ses pensées [34] ! a-t-il, comme tant d'autres dans une telle situation, cherché à se sauver lui-même et les siens? a-t-il cru qu'il pourrait canaliser l'insurrection, limiter les débordements, obtenir son pardon? a-t-il partagé l'illusion commune [35] ("si le Roi savait...")? ou bien, à un degré quelconque, était-il lui-même révolté? et contre quoi?

Les témoignages établissent que, loin d'avoir participé aux pillages, il a cherché à les éviter. Ainsi un notaire dont la maison a été saccagée dépose que

le 8 mai dernier étant couché dans son lit en sa maison, sur les dix à onze heures de nuit, Antoine Roure & Isabeau de Goût de Vissac sa femme advertit le plaignant que tous les habitants de la Chapelle (la Chapelle sous Aubenas) étaient à la porte de la basse-cour de sa maison pour la brûler, tous disant qu'il était un élu et qu'il devait se lever promptement pour s'aller justifier.

Les autorités ne le nomment autrement que ce coquin de Roure, qu'il faut entendre avec les oreilles du temps comme : homme de sac et de corde, mauvais drôle, pendard. Sans qu'il y ait d'animosité personnelle contre lui, son sort est évident : étant le "chef", il devra payer. En lui-même, il ne pose pas problème, pour autant qu'il reste isolé et sans réseaux. Les autorités seront perturbées d'apprendre qu'il a un oncle à Paris (lequel, de surcroît, est docteur) auquel il adresse les "députés" envoyés au Roi par les mutins (Mémoire sur l'affaire des deux députez du Vivarais qui sont à la Bastille), députation que l'on avait cru n'être qu'un prétexte pour arracher de l'argent aux assemblées. Mais non, c'était vrai. Ils allaient, les innocents, demander au Roi de faire sa paix avec la population. Ils sont arrivés à Paris (via Valence, Lyon et Rouen) et ont fini à la Bastille.

Lorsque, après la défaite, Roure s'enfuit, on le cherche activement, on en donne le signalement: fort rousseau et tout marquetté de rousseurs. D'Aigrefeuille [36] raconte sa capture :

(Il) partit pour Paris dans le dessein de s'aller jeter aux pieds du roi, pour lui représenter que la crainte des impôts dont ils étaient menacez, leur avait fait prendre les armes. Ce dessein n'ayant pu lui réussir, il vint à Toulouse, dans la confiance qu'il pourrait bien engager le parlement à entrer dans ses vuës ; mais le procureur auquel il s'adressa, lui ayant conseillé de s'enfuir au plus vite, parceque son portrait avait été envoyé pour le faire arrêter, il prit en diligence le chemin de la Navarre. Cependant, le procureur qui l'avait conseillé, craignant pour soi-même, si l'on venoit à sçavoir qu'il lui eût parlé, alla rendre compte de tout à Mr de Fieubet, premier président, qui le blâma de n'avoir pas arrêté Roure; mais ayant sçû le chemin qu'il avait pris, il fit courir aprés lui; en sorte qu'on l'atteignit à mi quart de lieuë des terres d'Espagne ou il avoit eu l'imprudence de s'arrêter pour dîner. Heureusement la perruque qu'il avoit pris le fit encore méconnoître, mais ses pistolets le trahirent sur lesquels il avait fait graver son nom & qu'il avait laissé sur une armoire tandis qu'il étoit à table. Ce seul indice fit qu'on le questionna, & sur ses réponses, il fut saisi.

Ces péripéties ne semblent pas faire l'objet d'écritures à Colbert. Ce n'est plus un objet de décision et les commis n'ont pas de curiosité. Tout au plus, trouve-t-on, à la date du 19 octobre un "extrait" d'une lettre de de Besons :

Il envoie une copie du mémoire que Roure a dicté

autre du 21 : que Roure s'explique beaucoup

Et finalement, cet "extrait" d'une lettre du 25 octobre : il donne avis de l'exécution de Roure et qu'il envoiera le procès-verbal de ce qui s'est passé depuis sa condamnation.

Roure est rompu, les quatre membres découpés, puis la tête, et le tout exposé pour l'édification du public. D'Aigrefeuille se fait l'écho d'un "miracle" que les papiers n'évoquent pas [37].

Pour revenir à la gentry locale, sa passivité confine à la neutralité. Les autorités l'enregistrent sans s'étonner [38]. C'est de l'extérieur qu'arrivent les propositions de renfort, insuffisantes au demeurant : le Comte de Suze, de l'autre côté du Rhône, qui offre de venir avec cent cavaliers ; un aventurier, le comte d'Espinchal (condamné à mort en 1666 [39]) qu'on refuse mais dont on accepte le fils.

Il faut attendre les troupes envoyées par Paris et mises à la disposition de Castries. Je l'ai dit, les mutins ne se battront pas longtemps : ils prendront la fuite très vite, lors de la seule bataille rangée et, ensuite, ne se livreront pas à la guérilla qu'on attendait dans les Boutières. Au cours du mois d'août, la force armée et les pendaisons militaires, les distributions d'argent et la revanche des bons habitants mettront fin aux battements de tambour dans les montagnes. Et, dans toute la province, les cabaretiers seront poursuivis jusqu'à ce qu'ils paient la taxe.

Dans la longue série des jacqueries fiscales de l'ancien régime et, en particulier du règne de Louis XIV, la "Révolte du Roure" semble assez anodine : aussitôt éclose, aussitôt terminée et, à son apogée, elle n'embrase qu'un territoire restreint. La répression est sévère et expéditive  mais limitée en nombre et en temps. Les dégâts (pays foulé) sont aussi considérables qu'habituels. Il en sera même demandé indemnisation (qui sera refusée).

Si quelques célébrateurs locaux ou sociaux l'ont glorifiée, ils n'ont pas perçu l'arrière plan politique et fiscal. Celui-ci se situe dans deux dimensions liées, l'une structurelle (le statut de la Province, CH3), l'autre occasionnelle (le canal, CH2).


CH2. Le canal des deux mers


L'aspect occasionnel concerne le financement du pharaonique chantier du canal de communication des mers, lancé par un édit royal d'octobre 1666, dont les implications vont, d'un côté, jusqu'au Rhône et, de l'autre, à Bordeaux. Certes, du fond des Boutières vivaroises, le menu peuple ne perçoit ni ne ressent l'importance d'un projet complexe et lointain qui ne le concerne pas, ses échanges étant orientés au Nord (le Puy, St Etienne, Lyon). Aussi le canal leur apparaît-il comme un fantôme et un prétexte pour les pressurer. On peut les comprendre, cela n'excuse pas les historiens de la Révolte qui font pareil ! A la différence des autres troubles ou soulèvements, elle ne prend pas son origine dans la fiscalité royale en général mais dans la surcharge provoquée par le canal. C'est ce qu'écrivait Du Mège (1846 [40]), continuateur de la monumentale Histoire générale de Languedoc de Doms Vic & Vaissette [41] (Livre XLIV) :

On avait accordé au roi 2,400,000 livres pour la confection du canal; des dons gratuits considérables étaient votés chaque année, les impôts étaient énormes, et la Province, courbée sous le joug de l'arbitraire, était dans un état complet de pauvreté....Cette année on demanda en vain la révocation des édits qui pesaient le plus sur le peuple, et cette rigueur porta au comble l'indignation générale. Elle ne se manifesta néanmoins dans le Haut-Languedoc que par des couplets, des sonnets en langue romane, pièces dans lesquelles on n'épargnait ni le roi, ni ses ministres ni Riquet lui-même, auquel on attribuait l'augmentation des tributs... Dans le Bas-Languedoc, l'agitation était plus grande, et le diocèse de Viviers, presque tout entier, se leva contre les employés de l'administration financière. Jacques Roure, né dans cette partie de la Province...

Ce canal est une affaire coûteuse qui emploie pendant des années des milliers d'ouvriers, manœuvres locaux, techniciens venus d'autres provinces et experts étrangers. Les défis techniques (ouvrages d'art) et hydrauliques [42] sont énormes comme les enjeux, économiques (désenclavement des personnes, des céréales et du vin), logistiques (éviter le contournement par mer de la péninsule ibérique) et géopolitiques (échapper au verrou de Gibraltar).
Le préambule de l'Edit de 1666 annonce :

Nous avons connu que la communication des deux mers donneroit aux nations de toutes les parties du monde, ainsi qu'à nos propres sujets, la facilité de faire en peu de jours d'une navigation assurée par le trajet d'un canal, au travers des terres de notre obéissance, & à peu de frais, ce que l'on ne peut entreprendre aujourd'hui qu'en passant au détroit de Gibraltar avec de très-grandes dépenses, en beaucoup de tems & au hasard de la piraterie & des naufrages.

Pierre-Paul Riquet a soumis son idée à Colbert en 1662 et, après examen par les ingénieurs royaux et amélioration, le projet est adopté et l'adjudication accordée à Riquet. Qui est Riquet? non pas un aventurier quelconque mais le fermier général des gabelles [43] (les détestés impôts sur le sel) du Languedoc et alentours (à ce titre, il affronte la rébellion antifiscale des "Miquelets" en Roussillon et demande le brûlement des villages qui leur donnent asile). Cet impôt, universellement détesté, oblige les habitants d'un territoire à s'approvisionner [44] dans des greniers à sel déterminés où ils sont taxés : tout autre sel est réputé "faux". Cet impôt poussant à la contrebande, il s'accompagne de contrôles et de perquisitions vexatoires. Le faux saunage est puni de la déportation, des galères ou de la mort selon les circonstances du crime (et les besoins en galériens). Rappelons que cet impôt constitue la plus importante recette fiscale du roi.

D'un côté, Riquet dirige la collecte des taxes pour le compte du roi et, de l'autre côté, en tant qu'entrepreneur du canal, il reçoit des fonds publics. Cette position charnière lui confère un rôle particulier dans les manœuvres du Roi pour obtenir des subventions des Etats provinciaux du Languedoc. Il doit faire fonctionner les pompes aspirantes et attendre que les fonds retombent en pluie sur le canal. Les besoins étant parfois pressants, il est tentant d'employer directement au canal le produit des impôts : Colbert l'interdit vivement et prescrit la tenue de comptabilités séparées. Toutefois les retards de plusieurs mois dans l'envoi des fonds laissent supposer que Riquet se sert de l'agent de la gabelle comme trésorerie du canal. Lorsque, en 1673, sa grave maladie inquiète Colbert, le montant en cours dans ces "vases communicants" illicites est estimé à 500'000 livres. Cette maladie qu'on croit mortelle a de telles implications que le Roi en est avisé par courrier exprès à Nancy et que, de Besons absent, d'Aguesseau est envoyé de Toulouse [45].

Contribution du Languedoc au financement


La contribution de la province de Languedoc au financement est âprement débattue entre Paris et Toulouse-Montpellier où elle mobilise les Etats (qui ont à consentir) et les autorités royales et provinciales [46]. Colbert fait valoir que le canal profitera à la province et que le secours accordé par les Etats au Roi sera en partie dépensé sur place. Il fait la leçon à l'intendant de Besons pour qu'il la fasse aux Etats (25/01/66) :

qu'elle (SM) aime à croire que vous vous servirez avec fruit de vos lumières et de vostre expérience pour forcer, pour ainsy dire, l'assemblée de consentir à une chose qui n'a esté pensée et qui n'est soutenue que dans la vue du bien général de la province, en leur faisant comprendre qu'il luy est plus avantageux de donner 2 millions, dont 600,000 livres seront employées dans le pays, que de donner seulement 1,500,000 livres pour en sortir entièrement.
Les Etats auquel on demande, outre le don gratuit habituel, de participer au canal admettent l'intérêt de cette infrastructure mais craignent que les fonds qu'ils alloueraient soient employés par le Roi à d'autres dépenses ; ils redoutent les dépassements de coûts d'un chantier aussi colossal qu'incertain dont ils n'ont pas la maîtrise d'ouvrage ; et peut-être, après tant de projets et devant tant de difficultés, se méfient-ils de ce serpent de mer dont la première apparition date de François 1er [47]. S'ajoutent à cela, toutes sortes de négociations et contestations complémentaires, innombrables et compliquées, à propos des terrains appropriés [48] par le canal car celui-ci, ses appendices et une bande d'une dizaine de mètres chaque côté, sont érigés en fief incommutable au profit de Riquet et ses descendants [49] qui construiront le canal et l'entretiendront grâce aux droits de transport [50] dont le tarif est fixé par le Roi selon le type de produits ou personnes transportés et la distance. Le canal nécessite une entrée, un port au cap de Sète qui demande d'avancer une jetée dans la mer et combattre l'ensablement. Ultérieurement, il ouvrira un ensemble de chantiers pour le raccorder au Rhône à travers les étangs. Les travaux se montent à une vingtaine de millions de livres (dont Riquet apporte trois). La gageure est d'aller le plus vite possible tout en construisant "pour l'éternité". Le canal commence à être en service en 1681. Quinze ans seulement pour un tel chantier, c'est un exploit. Les mètres cubes excavés, le nombre d'écluses et d'ouvrages d'art, le système de gestion de l'eau, tout est exceptionnel.

Les Etats étant réticents à financer, le Roi recourt à l'éternel expédient : un mois après l'édit fondateur, il crée des offices en chacune des villes & communautés d'icelle province (2800 communautés !) dont le produit de la vente sera affecté au canal. Il s'agit, dans un premier édit, d'offices de collecteurs des tailles et dans un second d'auditeurs des comptes des administrations et collecteurs, les deux édits étant datés de Novembre 1666 et justifiés par le fait que ledit canal fera son principal effet et produira ses plus considérables avantages en notredite province de Languedoc.

Ces mesures soulèvent deux problèmes :

  1. les fonctions existent déjà et sont "depuis toujours" pourvues par des nominations annuelles effectuées par les consuls des villes et paroisses : les transformer en offices vénaux modifie le recrutement et dessaisit les communautés ;
  2. ces nouveaux officiers seront rémunérés par des surtaxes additionnelles, ce qui constitue, objecteront les Etats, une imposition nouvelle qu'ils n'avoient pas consentie.

Dans la foulée, le Roi convoque les Etats (Novembre) auxquels il demande 2,4 millions de livres payables en huit années pour financer le canal. Les Etats acceptent, tout en tentant de se protéger : les fonds seront débloqués par tranches sur vérification de l'état des travaux, payés directement au Directeur du canal, cesseront si les travaux s'arrêtent, les Etats ne seront pas tenus de contribuer ultérieurement à l'entretien et, surtout, le Roi s'engage à ne plus rien demander, quel que soit la durée et le coût final de la construction [51].

Et maintenant la récompense! le Roi en son Conseil prend un édit abrogeant ceux de Novembre 1666, au motif qu'il a été remontré par l'assemblée desdits Etats que lesdits édits étoient contraires à leurs droits, libertés, & privilèges" et, en même temps, nous leur avons demandé un secours [52].

Dans le cadre de la lutte éternelle entre pouvoir royal et pouvoir provincial (CH3), ces édits contraires à leurs droits, libertés, & privilèges ont été pris en connaissance de cause : ou bien, ils passaient, et le Roi récoltait des fonds et marquait des points contre les Etats et les communautés en général ; ou bien les Etats cédaient au racket et payaient. Ils paient et les édits sont annulés.

Le Roi s'est engagé à ne plus rien demander! Or, dès l'année suivante, les travaux commencés, il apparaît que  la dépense en est excessive, & qu'il en survient toujours d'imprévues.

Que fait le Roi? Il recommence la manœuvre de 1666 : fin 1668, c'est tout un paquet fiscal qui est édicté et registré par la Cour des aides de Montpellier. Outre la taxe sur les cabaretiers qui provoquera la "Révolte du Roure", sont introduits des offices royaux. Non plus les précédents qui ont été abolis à jamais et pour toujours, mais de nouveaux! des greffiers consulaires pour remplacer ceux qui opéraient, ainsi que des offices de commissaires prudhommes et experts jurés, pour le produit de la Vente desdits offices être employé à la construction du canal, d'autant que la Province doit retirer la principale utilité de cette construction. Riquet, le destinataire des fonds, s'engage à mettre en œuvre ces édits que les Etats ont vainement essayé de neutraliser [53]. Colbert lui écrit :

...appliquez-vous à l'exécution des édits, en telle sorte que vous en puissiez tirer le fonds nécessaire pour fournir aux dépenses des travaux de la présente année et des suivantes. Establissez aussy le droit sur les cabaretiers... (19 avril 1670).
Appliquez-vous toujours à l'exécution des édits afin d'en tirer les fonds nécessaires pour vos ouvrages.... (14 Juin 1670)

Riquet ne se limite pas à exécuter. On voit à travers les lettres de Colbert que Riquet a fait preuve d'ingéniosité fiscale pour financer ce canal qu'il nomme le plus cher de mes enfants [54]. Par exemple, il écrit à Colbert le 16 septembre 1667: (je) vous apporterai des moyens pour trouver des fonds, à l'effet de fournir à toutes ces dépenses ; en sorte qu'il n'en coûte au Roi que des parchemins et de la cire.

Les édits de 1668


Malgré leur brutalité, ces édits, comme ceux de 1666, sont rédigés avec soin et fortement argumentés, sur le plan factuel comme juridique. La motivation des trois est identique :

La construction du canal de communication des deux mers Océane & Méditerranée, d'un mole & port au cap de Cette en Languedoc, étant une entreprise autant avantageuse à la réputation de notre règne qu'utile au commerce & au général & particulier de nos sujets, nous n'avons rien omis de ce qui a dépendu de notre autorité & de nos soins pour en avancer les travaux, ce qui a si  bien réussi que nous avons tout sujet d'espérer de voir dans peu d'années ce grand ouvrage dans sa dernière perfection. Mais comme la dépense en est excessive, & qu'il en survient toujours d'imprévues qui ne peuvent être soutenues que par des moyens extraordinaires, nous avons été obligés d'écouter diverses propositions qui nous ont été faites, par l'exécution desquelles nous pourrions trouver les fonds nécessaires pour l'entière & parfaite construction dudit canal...

Si l'on n'a pas de détails sur la réception de ces nouveaux édits par la "société" de la province, la réprobation ne fait aucun doute. Les Etats ont essayé d'obtenir l'annulation ou le report des édits. Ayant accordé "une fois pour toutes" 2,4 millions de livres, la poursuite de l'extorsion ne leur laisse guère le choix et c'était prévu [55].

Deux ans après les édits et quelques semaines après l'exécution de Roure, les Etats, réunis en novembre 1670, "rachètent" les trois mesures de 1668. Moyennant l'engagement de contribuer au canal pour deux millions de livres en cinq ans (accompagné, à nouveau, de toutes sortes de précautions illusoires), les trois édits sont abolis [56]. Ces offices ont quand même eu le temps d'apporter 500'000 livres au canal.

Puisque ça marche (et que les dépenses continuent [57]), en novembre 1674, le Roi crée encore de nouveaux offices de verificateurs, examinateurs, & calculateurs des rôles & départemens des tailles dans les villes & communautés de Languedoc. Les Etats de décembre 1675 accordent une finance de 1,6 million  pour achever les ouvrages qui restent à faire tant au canal de communication des mers, qu'au port de Cette. Et, dès en janvier 1676, le roi adopte un édit Portant extinction et suppression des offices en question [58].

Les Etats en sont à 2,4+2+1,6=6, six millions de livres sur les quelque vingt que coûtera le canal. Il s'y ajoutera 500'000 livres pour le paiement des indemnités des propriétaires de terrain et les préjudices causés par la baisse du niveau des rivières à certains endroits, les inondations en d'autres, les transpirations résultant du rehaussement du canal par les sables ailleurs. Le Roi s'engage à rembourser quand ses affaires se seront arrangées.

Que Riquet ait sous-estimé les coûts ou augmenté les dépenses, qu'il ait dissipé une partie des fonds ou transformé le service du Roi en affaire personnelle (le plus cher de mes enfants), il est toujours à court d'argent, s'endette à la limite de son crédit, emprunte acrobatiquement à grands frais [59] et fait argent de tout sans craindre la mauvaise foi (par exemple, il compte une triple écluse trois fois le prix d'une [60]) ni les expédients, et ne cesse d'appeler Colbert au secours. De son côté, Colbert chevauche un tigre : il a besoin de Riquet, sur le plan financier comme sur le plan pratique ; il veut à la fois aller vite et construire "pour l'éternité" ; il subit une forte contrainte budgétaire. Tout chantier hors normes connaît ces problèmes et doit surmonter le messianisme de son promoteur. L'équation de Colbert est insoluble, sauf à déplacer la contrainte en recourant aux Etats, ce qui s'insère dans des rapports de force complexes et les modifie.

Notre émeute du Vivarais est un cri inarticulé du "menu peuple", pris entre le marteau royal et l'enclume des Etats.


CH3. "Elus" et Etats


Le racket royal pose la question de l'organisation de la Province. Le droit et les institutions d'ancien régime étant tout sauf clairs, restons-en au point principal : une minorité de plus en plus réduite de provinces (Languedoc, Bourgogne, Bretagne) a conservé ses états (asssemblée provinciale des trois états), tout le reste est "pays d'élections" ou se voit traité comme tel. Cette distinction n'entraîne guère de différences pour les  contribuables dont le sort ne paraît pas meilleur ici ou là. Les différences concernent la "gouvernance" et les modalités des rapports entre "le Roi" (ces guillemets désignent la machine royale, "les bureaux") et les notables (NB: notables, pas contribuables). Dans les pays d'élections, le "Roi" fixe les impôts directs et les prélève par ses agents : les moyens d'action des notables sont informels (influences, alliances, corruption) ; dans les pays d'états, ces notables contrôlent la plupart des impôts et leurs rapports avec le "Roi" sont formels (sans préjudice des moyens informels).

Le complexe aristomonarchique


Pays d'états ou d'élections, dans les deux cas, dans tous les cas, la monarchie utilise, non seulement la noblesse au sens strict mais l'aristocratie en général (ancienne, nouvelle et future noblesse) qui constitue aussi bien un programme (le Roi, le meilleur des meilleurs, au sommet d'une "pyramide vassalique" idéalisée) qu'une contrainte (pouvoirs alternatifs anarchiques). Mesurons le territoire en jours et non en distances : au regard des moyens de transport et de communication, la France d'alors est plus grande que la Russie d'aujourd'hui. Le Roi, même "absolu", ne peut pas tenir son territoire, partout, tout le temps et en détails. Or, plus il centralise, plus il a besoin de contrôler. Lorsque le Roi paraît en personne, en armes et victorieux, tout plie devant lui ; il part, tout se redresse. Le Roi emploie des agents, peu nombreux et problématiques : les intendants ou commissaires ne sont pas des préfets et leurs gens ne constituent pas une administration. Aussi repose-t-il sur l'aristocratie et ses réseaux dont il est lui-même l'organe régulateur. La relation monarchie/aristocratie est faite de connivences et de tensions. Les efforts de Richelieu-Mazarin-Colbert (pour faire bref) ont déplacé le curseur, ils ne pouvaient accomplir une révolution sociale (qu'ils ne visaient pas !).

On n'épuise pas la réalité de l'aristocratie en la définissant comme "le gouvernement des meilleurs" (quel que soit le critère et le degré d'ouverture de l'élite) : si les "meilleurs" dominent les moins bons et tout le menu peuple (cratie), ils ne constituent pas un gouvernement collectif car, au sein des "meilleurs", tous les égaux luttent contre tous. Si les termes n'étaient pas aussi antinomiques, je parlerais d'anarchie aristocratique ou d'anarchocratisme. Il est facile d'être "meilleur" que rien (le menu peuple). Que X, Y (et Z, et W, etc.) soient "meilleurs", ne tranche pas la question de savoir si X est meilleur que Y, encore moins celle des transitivités [61]. L'aristocratie, conceptuellement pyramidale, est pratiquement stratifiée [62] : dans chaque strate, qui de plus est segmentée et polarisée par les têtes de réseaux que sont les "grands", règne une concurrence destructrice car la demande (de dignité et de contrôle, d'honneurs et de places) dépasse l'offre. Le pouvoir étant "pouvoir sur" s'inscrit, par nature, dans le le relatif et différentiel donc l'antagonisme. Les luttes iconiques (pour les titres, pour les rangs) symbolisent et traduisent cet affrontement général.

Revenons au terre-à-terre : en matière fiscale, les ordres "privilégiés" (noblesse et église, eux-mêmes mêlés) échappent à l'impôt direct [63]. Comme l'exemption concerne des personnes alors que l'impôt frappe des terres, il s'ensuit des complications inextricables qui alimentent la machine législative et judiciaire [64]. On l'a assez rabâché depuis 1789 : la richesse trouve son origine dans la terre dont la possession se concentre dans les deux ordres privilégiés, tandis que le troisième ordre supporte seul la charge publique [65].

La deuxième particularité de la fiscalité d'ancien régime réside dans son caractère descendant [66] : le "Roi" fixe le total des secours dont il a besoin pour l'année afin de payer les dépenses prévues (la Maison royale, les pensions, la guerre...), le divise entre les circonscriptions fiscales dont chacune le distribue entre ses sous-circonscriptions etc., et, in fine, chaque communauté est assignée à une certaine somme, répartie entre les habitants "taillables". En principe, à chaque étape, on proportionne les montants exigés aux "facultés contributives" et on les corrige des accidents (mauvaises récoltes etc.). Des édits récurrents prescrivent aux répartiteurs de chevaucher leur circonscription, de s'informer en parlant avec les gens sages etc. En pratique, chaque étape engendre des distorsions au détriment des plus pauvres : les plus puissants disposent de toutes sortes de moyens pour obtenir du répartiteur d'être sous-taxés ou pour ne pas payer [67] et, comme le montant à obtenir (dont le répartiteur-collecteur est responsable) est fixe, la part pesant sur les autres augmente. Tout le mécanisme concentre donc progressivement la charge fiscale sur ceux qui sont les moins aptes à la supporter, lesquels faisant défaut (volontairement ou involontairement), la solidarité au sein de la communauté reporte la moins-valeur sur ceux qui sont juste au-dessus. L'impôt tue l'impôt !

Le rappel de ce contexte éclaire la différence entre pays d'Etats et d'Elections. Dans les pays d'Etats comme le Languedoc, les "trois-Etats" provinciaux (qui ne sont en aucune façon une assemblée "démocratique" mais bien une instance aristocratique [68]) consentent à l'impôt et dirigent sa répartition, sa perception et sa réversion au Trésor. Dans les pays d'Elections, des agents royaux dirigent ces trois opérations. Leur dénomination d'élus  prête à confusion: ils ont été élus (choisis) par le "Roi" lorsqu'ils ont payé leur office ; en fait ils se sont élus eux-mêmes !

Ainsi, dans les pays d'états comme d'élections, la fiscalité a le même sommet (détermination par "le Roi" du montant à recevoir) et la même base (paiement forcé des impôts par les redevables incapables d'y échapper). Vu de loin, vu de maintenant, il semble que les états, en défendant leur privilège, courent après une ombre, leur chère liberté se limitant à accepter la volonté du Roi.

Mais, d'une part, les états exercent un pouvoir fiscal pour leur propre compte qu'ils utilisent en rétributions et en dépenses [69] ; d'autre part, entre le sommet et la base et pour aller de l'un à l'autre, se trouve un appareil de répartition-perception qu'il n'est pas du tout indifférent de contrôler : il en va de la distribution de places à des clients, de la détermination des exemptions, de la fixation des montants individuels, du comportement en matière de saisie ou de refus etc.

Anticipons un peu : la justification affichée des tentatives royales d'introduire des élus en Languedoc est d'empêcher les désordres qui provenoient de la licence que les Etats et chaque diocèse prenoient d'imposer tous les ans tout ce que bon leur sembloit sur le pays (Mémoires de Richelieu) [70] pour les remplacer, bien sûr, par les "désordres" et la "licence" des agents royaux. Dans la réalité de ce temps, la taxation, comme le reste, est d'ordre local. L'enjeu est de tirer profit du contrôle local. Les pays d'Etats entrainent des "coûts de transaction" élevés et, si la perte en ligne est probablement du même ordre que dans les pays d'élections, elle ne profite pas aux mêmes, ni aux mêmes commanditaires.

Les états de Languedoc

Les deux généralités qui constituent la province du Languedoc comptent vingt-deux diocèses (pour un total de 2800 communautés). Les Etats (dont le Président-né est l'archevêque de Narbonne) rassemblent donc les vingt-deux évêques ou archevêques (habituellement leur délégué), auxquels s'ajoutent autant de barons des Etats et une soixantaine de députés des villes et communautés. Avec les secrétaires, les suppléants, les accompagnateurs etc., ce sont, vers 1650, trois cents personnes qui se réunissent pendant des semaines chaque année. Les "représentants" de chaque ordre ne sont pas élus (au sens moderne) par leurs pairs, ils en émanent : on considère les "meilleurs" comme les plus aptes à représenter. Comment se fait l'écrémage ? Prenons les nobles : pour chaque diocèse, le Roi élit un fief comme baronnie d'Etat ; si, en raison d'une arriération féodale, il en existe plusieurs comme en Vivarais où ils sont douze, chacun participe aux Etats à son tour (barons de tour). Concernant le tiers, sa députation se compose des maires, les mages (souvent dénommés premiers consuls) des villes épiscopales et de certaines villes secondaires qui ont le privilège (révocable) de députer aux Etats.

Les Etats ne se réunissent plus d'eux-mêmes, ils sont convoqués, très formellement, par le Roi dont la parole et les demandes s'expriment par les commissaires royaux (gouverneur, intendant, Lieutenant géneral). Habituellement, les agents du Roi transmettent leur "liste de courses" et, une fois celle-ci validée (éventuellement après marchandage informel ou déguisé, le Roi ne négociant pas), les Etats peuvent émettre leurs remontrances, toujours humbles, et députer à la Cour pour obtenir réponse. Malgré la ritualisation de leur dépendance au Roi, ils ouvrent un canal de communication institutionnel apprécié.

Les Etats de Languedoc décidant pour la province entière, ils sont relayés au niveau inférieur par des "assemblées particulières" qui se réunissent après eux pour répartir le montant des impôts départi aux diocèses. Depuis le quinzième siècle, la répartition de l'impôt direct incombe à ces assemblées de l'assiette, dénommées plus simplement assiettes, où siègent les consuls des villes principales, les représentants des autres communautés, les nobles et le clergé  [71]. L'assemblée nomme le receveur et distribue l'impôt entre les diverses communautés dont chacune choisit ou désigne un collecteur. Les impositions se basent sur un cadastre (compoix) des propriétés et des valeurs enregistrées des terres et des loyers (taille réelle) qu'il faut tenir à jour. Dans une certaine mesure, l'assiette devint un corps politique, représenté par son syndic... et l'interlocuteur local de l'administration royale[72].

Depuis la réunion (annexion) du Languedoc à la France (St Louis), le "jeu" entre les états et le Roi se révèle plus symétrique qu'il ne semble : on croit les Etats sur la défensive, rackettés par le Roi qui leur fait payer sans cesse leur privilège de consentir et de répartir mais les rapports de force varient. Si les données manquent pour évaluer la capacité contributive réelle des provinces et comparer la charge fiscale relative du Languedoc à celle des pays d'élections, il paraît probable que la surcharge entraînée par ces paiements répétés augmente tendanciellement le prélèvement opéré sur le bas tiers (le haut tiers se défaussant sur lui). Le jeu entre le Roi et les Etats ne concerne pas l'extorsion, celle-ci est à peu près obligatoire, mais la "surextorsion" et ses bénéfices, monétaires comme non monétaires (influences, clientèles). Depuis la captivité de Jean le Bon, le Roi essaie, de façon récurrente, d'introduire en Languedoc des élus (des officiers royaux) à différents endroits du mécanisme de répartition et de perception pour arriver ensuite, comme en Dauphiné (1628) et ailleurs, à traiter un pays d'Etats comme un pays d'Elections. Non moins régulièrement, les Etats du Languedoc résistent (avec un succès variable) et, une fois les offices introduits et vendus par le Roi (qui fait coup double), les Etats "paient" pour les racheter et obtenir leur suppression. Les guillemets s'imposent car la charge se reporte sur les contribuables.

Cela commence avec François 1er en 1519 [73] et débouche sur la grande charte du Languedoc de 1520 par laquelle le Roi reconnaît pour jamais les libertés et privilèges de la Province. En 1555, même jeu avec Henri II (receveurs des tailles en titre d'office) [74]. En 1579 (Charles IX), les Etats échouent à obtenir le nul et le Roi marque [75]. En 1624, nul [76]. Nous examinerons plus en détails la contribution au jeu de Louis XIII (Nîmes 1629, Béziers 1632) car elle marque un moment chaud qui façonne l'arrière-plan de la Révolte de 1670.

Nous voyons maintenant que les Edits royaux créant des officiers pour le canal (CH2), en 1666, 1668, 1674, utilisent des instruments bien rodés dans un affrontement stratégique séculaire qui a imprégné la conscience collective locale, même si leur fréquence et leur insistance particulières répondent à un besoin occasionnel.

L'autorité du Roi y étoit peu connue


Revenons à Louis XIII. En 1629, ses armées ont, une nouvelle fois après la "pacification" de 1622, brisé l'insurrection huguenote (Rohan) dont les connexions internationales (Angleterre, Espagne-Italie, Pays-Bas...) se défont. Nombre de villes se sont rendues ou ont été prises ou dévastées (Privas brûle entièrement), notamment Alès, Nîmes et Montpellier. Des fortifications sont rasées, des églises reconstruites, les illusions des huguenots de vivre "dans de petites républiques" anéanties. Richelieu aperçoit une occasion d'intégrer enfin la province au royaume [77]:

Cependant le cardinal alla à Montpellier, où il ne fut pas plutôt arrivé qu'il estima devoir profiter du temps et de l'occasion. Il y avoit longtemps que le Roi désiroit établir les élus dans cette province, pour empêcher les désordres qui provenoient de la licence que les Etats et chaque diocèse prenoient d'imposer tous les ans tout ce que bon leur sembloit sur le pays. ... L'autorité du Roi y étoit peu connue, les levées se faisoient au nom des Etats, le nom de gouverneur de la province y avoit quasi plus de poids que celui de Sa Majesté; il obligeoit et désobligeoit par cette compagnie tous ceux du Languedoc qui vivoient bien ou mal avec lui. Le feu Roi, connoissant ces inconvéniens, avoit désiré cet établissement, et ne l'avoit osé entreprendre...

L'édit des élus promulgué par le Roi à Nîmes [78] est enregistré aussitôt à la Cour des comptes et des aides mais les Etats qui siégeaient à Pézenas osent l'ignorer. Richelieu, au nom du Roi, les dissout et leur interdit de se réunir, soit en corps d'États, soit en assemblée particulière des diocèses, s'ils n'en avoient une expresse permission du Roi
et les menace d'une vérification approfondie de la légitimité des dettes qu'ils ont contractées dans le passé. Le parlement de Toulouse ne voulut pas vérifier ni enregistrer les édits de création des nouveaux offices et, sur cette base, des diocèses refusèrent de  percevoir les impôts mandés par ces officiers[79].


En 1630 les Etats eurent défense de s'assembler. En 1631, le Roi les convoqua à Pézenas et les saisit d'une proposition d'arrangement : les élus seraient supprimés contre la somme énorme de 4 millions de livres...et rétablis sous la forme de commissaires aux tailles  dans chaque diocèse. Les témoignages du temps étant confus et partisans, il est difficile de déterminer la part de bluff et la part de provocation (Richelieu étant généreusement crédité du plus grand machiavélisme). Cette proposition excita les plus grands mouvements et poussa les Etats à se rallier (pour leur malheur !) à la rébellion de Monsieur, Gaston, duc d'Orléans, frère et héritier du Roi [80], tandis que Toulouse, la citadelle de Carcassonne et Narbonne, restent plus ou moins fidèles au Roi.

Pour l'intelligence de cet épisode, il faut savoir que les Montmorency (qui figuraient parmi les tous premiers du royaume) étaient gouverneurs du Languedoc de génération en génération depuis plus d'un siècle, si bien enracinés que, prétend Richelieu avec acrimonie (citation ci-dessus), le nom de gouverneur de la province y avoit quasi plus de poids que celui de Sa Majesté. De génération en génération, ces Montmorency alternaient révolte et fidélité.

Ne nous demandons pas si Montmorency [81] a attiré en Languedoc Monsieur Gaston, l'éternel conspirateur [82], ou si Monsieur l'a entraîné dans son complot, ou si la Reine-Mère (Marie de Médicis, alors "émigrée" en Flandres, à Bruxelles) a tiré toutes ces ficelles et dans quelle mesure Richelieu a pris les uns et les autres dans un piège qu'il aurait tendu. Montmorency se sent maltraité : il a perdu l'Amirauté, s'est vu préférer Condé pour diriger l'armée contre les Huguenots, n'a pu empêcher l'exécution de Montmorency-Bouteville, a été frustré de sa victoire de Veillane. Cela pouvait suffire (sans parler des complots de son épouse des Ursins) à se rallier à Gaston. Pourtant, celui-ci ne lui donne pas le commandement de ses troupes, de sorte que révolté pour rien, Montmorency semble avoir choisi un suicide héroïque. Au terme de péripéties militaires peu convaincantes, en 1632, à Castelnaudary où triompheront les troupes royales (Schomberg), Montmorency se jette dans la mêlée, est gravement blessé, fait prisonnier, jugé, condamné pour crime de lèse-majesté et décapité à Toulouse. Si les Montmorency gouvernaient pour le Roi et avaient maintes fois payé de leur personne, tant contre les huguenots qu'aux états, leur stratégie lignagère, leur prestige comme leur ancienneté (ils se succèdent par survivance) en fait des quasi Rois (ou les fait apparaître tels aux yeux du "Roi") [83].

Les Etats, vaincus et gravement compromis, sont convoqués par le Roi à Béziers en octobre 1632. Il rend un édit ambigu qui rétablit les privilèges des états tels qu'avant 1629 et supprime les offices contre paiement, tout en instaurant une plus grande surveillance des impositions et endettements. A nouveau, en 1635, un édit crée des offices de commissaire-général et de greffier des assiettes de chaque diocèse, rétablissant des fonctions à-peu-près semblables à celles des élus, dont la suppression avait coûté 5,000,000 à la province (Trouvé). Pour obtenir la révocation de ces nouveaux offices, il fallut encore accorder au roi, en 1636, 900,000 Livres, payables en trois ans ! A la mort de Louis XIII (1648), nouvelle offensive [84] et nouvel édit d'abolition en octobre 1649 [85].

S'ensuit une période de calme que rompent les édits de 1666 liés au canal.


CH4. ...forcés de se séparer de l'obéissance...


Vive le Roy, Point d'élus ! Rien n'est plus commun ni nécessaire que de se couvrir du nom du Roi en ces temps où l'expression est non seulement contrainte mais surcodifiée. En 1675, à Bordeaux on criera vive le roy sans gabelle et à Rennes vive le roy sans édits .

L'armée du peuple contre les élus


Le roi sans les élus, ce programme séculaire des Etats [86], prend un autre sens dans la bouche des mutins d'Aubenas. Ils ne font pas partie des bonnes familles. Ils appartiennent au bas tiers, celui qui paie les impôts au bénéfice et à la place de tous les autres. Ils sont bien loin des Etats, tant géographiquement dans leurs montagnes excentrées, que politiquement. Ils n'entretiennent même pas le moindre rapport avec l'assiette du Vivarais qui, au début de la révolte, se tient à Joyeuse, à 20 kms d'Aubenas, et à laquelle ils n'ont pas l'idée de députer. La "société" dont les membres locaux craignent (et, dans certains cas, subissent) pillages et mauvais traitements ne pouvait ni les comprendre, ni les défendre.

Dans le feu des émeutes, on entend [87] des mots d'ordre populistes indéterminés (le temps est venu que les pots de terre cassent les pots de fer) et inavouables car ils n'appellent que la corde. Par contre, Vive le Roy, fy des élus est un drapeau qu'on peut brandir, commode pour un mouvement qui sait ce qu'il refuse mais pas ce qu'il veut. Vive le Roy exprime un paradigme "constitutionnel". Fy des élus, n'est-ce pas un cri légitime (le programme des Etats) pour exprimer une douleur "illégitime"?

Dans la conscience populaire, les élus auxquels s'opposent séculairement les états ne sont-ils pas devenus le symbole de l'exacteur [88] ? Le menu peuple des Boutières fait-il une différence entre les élus du Roi et leurs homologues des Etats ? Quels que soient leur nom et leurs mandants, tous ces répartiteurs-collecteurs et leurs agents, n'appartiennent-ils pas à ceux qui prennent par force, ceux qui ruinent, ceux qui saisissent les bestiaux, ceux qui punissent ? Et comme, plus ou moins, via les offices, les fermes, les partis et les rétributions, toute la "société" participe aux différents niveaux locaux de l'extorsion fiscale, élus ne finit-il pas par devenir synonyme de "ceux d'en haut" [89] ?

Le système fiscal est une bombe [90], les intempéries de l'hiver 69/70 ont raccourci la mèche, la taxe sur les cabaretiers l'a allumée. L'explosion ne distingue pas entre les impôts du Roi et ceux des Etats !

Les Etats ne s'y trompent pas. Leur solidarité avec le "Roi" est totale. Ils ne reconnaissent pas leur programme quand d'aussi bas mutins l'affichent à Aubenas, usant de moyens illicites avec des intentions inacceptables. Roi et Etats sont alliés et concurrents pour tondre le peuple dont les malheurs et misères servent de figure de rhétorique. Rien à voir avec Montmorency qui était "quelqu'un", qui jouait sur l'échiquier politique (Monsieur, la Reine-Mère), avait des cavaliers et visait "l'évêque" (Richelieu).

Les Huguenots non plus, ne seraient d'aucun secours. Ils ont été trop souvent et trop fortement "pacifiés" pour prendre feu au moindre prétexte dans cette période de "léthargie" qui suit la "paix d'Alès". Les édits restrictifs ne se succèderont qu'à partir de 1679 pour culminer en 1685, avec la révocation de l'édit de Nantes qui soulèvera les Cévennes.

Tout était fermé. La seule ouverture (encore n'eût-elle pas été décisive) aurait consisté à étendre le soulèvement car les impôts et la taxe sur les cabaretiers ne frappaient pas les seules Boutières. A-t-elle été tentée ? Il ne semble pas. Si les autorités le craignent, les députations des mutins restent verticales : l'une est faite au Roi, une autre est envisagée au Parlement de Toulouse [91]. Horizontalement, elles ne dépassent pas les alentours immédiats. En l'absence de réseaux sociaux, l'affaire reste dramatiquement isolée et marginale. Peut-être finalement, la résistance du Château d'Aubenas a-t-elle bien joué un rôle, moins comme "fixation" que comme échec, dans la mesure où une insurrection spontanée, toujours aveugle à la naissance, a besoin de victoires pour s'étendre, se renforcer et s'affranchir des déterminants initiaux qui la confinent.

Crise & résolution


Faute d'informations suffisantes et ne pouvant saisir l'émeute qu'à travers des schémas stéréotypés et des décryptages problématiques, nous n'en saurons pas davantage. On ne peut pas exclure un psychodrame local : l'affaire Casse, survenue par hasard, crée une dynamique d'affrontements qui, très vite, franchit la ligne rouge. Les pillages qui accompagnent toute émotion populaire, les intimidations pour recruter de force sont à la fois des moyens et des buts. La Révolte involontaire ne sait ni que dire ni que faire. Comment effacer ? La gomme royale (événements réputés non advenus) ne peut arriver qu'après le châtiment. L'abolition résulte d'un acte souverain de transformation du passé qui repose sur le respect du Souverain.

Comparons avec une "sédition modèle", celle des "Partisans" à Montpellier en 1645 (voir en annexe le récit complet extrait de d'Aigrefeuille). La cause en est également fiscale : la perception des "dons" forcés de Joyeux Avènement pour le règne qui commence (Louis XIV) a fait l'objet d'un parti, c'est-à-dire a été affermée à un syndicat. Les partisans abusent et, devant la défection des huissiers locaux, font appel à un huissier "étranger" (à la ville). Accumulation de tensions.

Le déclencheur est fortuit, le "caillassage" d'un percepteur par des enfants. Le percepteur ayant rossé les gamins, les mères s'émeuvent : elles font la chasse aux collecteurs, pillent, brûlent et, arrivées devant une maison de partisan, sont reçues à coups de fusil qui font des blessées. Alors, troisième phase, les maris courent aux armes et s'attaquent indistinctement aux maisons de tous les agents de finance.

De même, à Aubenas, on l'a vu, le déclencheur fortuit est l'arrivée du dénommé Casse qui, le malheureux !, affiche un avis de mise aux enchères d'une ferme d'impôts. Le drame se noue aussitôt : les femmes l'attaquent, le seigneur d'Aubenas met Casse à l'abri et enferme Bancatte, l'un des mutins les plus virulents. Casse vs Bancatte. Les femmes enfoncent les portes pour délivrer Bancatte et jeter Casse à la rivière. Les femmes déchaînent les hommes et le château est assiégé.

A Montpellier, l'émeute commence en l'absence du gouverneur Schomberg et, comme à Aubenas, s'étend spontanément en réponse à des ripostes confuses et maladroite. Mais une différence apparaît : Montpellier est un siège de pouvoir, pourvu d'une citadelle, de fusils et de têtes, alors qu'à Aubenas il n'y a rien de tout cela. A Montpellier, quand, quelques jours plus tard, le gouverneur revient de la chasse, il agit aussitôt et, de plus, courageusement et intelligemment : alors qu'une tentative de contre-violence avait piteusement échoué (Goussonville), il empêche ses hommes de tirer, va dans la foule, discute ; il dépêche un homme à lui pour prendre la tête de l'émeute et la canaliser ; il menace (le Régiment de Normandie est en route) ; il promet ; il parlemente toute la nuit et finit par satisfaire les émeutiers en rendant une ordonnance contre les "partisans" et les "étrangers" en échange du consentement de l'émeute au déploiement de la milice (les sixains) dans les rues. En quelques jours tout est fini. Dix-huit mois après, à froid, les meneurs sont jugés et exécutés dans le calme [92]. Et, en récompense, arrive l'édit royal d' "abolition" : rien ne s'est passé.

Cette sédition est toute classique : unité de lieu (à l'intérieur des remparts) ; unité de temps (quelques jours) ; unité d'action (Partisans). Elle permet de voir ce qui manque à Aubenas. Les deux séquences sont à peu près parallèles jusqu'au retour de Schomberg et le redeviennent tout à la fin, quand le Roi "abolit" l'émeute.

A Aubenas, point de Schomberg. De Verneuil [93], le gouverneur du Languedoc, ne sert à rien ; le Lieutenant pour le Vivarais, n'est pas là ; le château d'Aubenas se borne à se défendre ; les bons habitants se font tout-petits ; les nobles restent indifférents. L'émeute, après l'épisode Casse & Bancatte, en a déjà trop fait pour que cela ne tire pas à conséquence mais elle est dépourvue de tactique, et plus encore de stratégie. En l'absence d'ennemi, elle bascule en mode défensif, se donne un négociateur (Roure), s'emploie à grossir (intimidations). Elle rêve de pardon et de retour au statu quo ante, même si sa simple existence la conduit à de nouvelles violations qui rendent ce retour plus improbable.

Fin mai, de Castries promet ou, plutôt, laisse espérer une "abolition" royale et, aussitôt, tout est suspendu :

Après la publication de l'ordonnance de M. de Castries, le commerce fut rétabli et les paysans travaillèrent tranquillement, et tout allait tout comme s'il ne s'était rien passé Aubenas ouvre ses portes, la garde cesse, et on députe au lieutenant général pour demander le rappel de la garnison qui y était (Valeton).

C'est à un tel tournant que Montpellier était revenue au calme, ce qui permit plus tard, à froid, de punir les meneurs et d'accorder un pardon général. Mais ce fine tuning échoue en Vivarais parce que l'autorité pilote à distance et à tâtons via des relais locaux peu contrôlables : de Voguë promet trop, les seigneurs d'Aubenas menacent trop et les bons habitants ont trop peur.

Aussi l'émeute passe-t-elle à une seconde phase avec le "siège" d'Aubenas, puis son invasion et le blocage du château (qui tient, grâce au renfort de 200 suisses). Le débordement voudrait toujours retrouver son lit mais où est ce lit ? Point de Schomberg pour le montrer : le Lieutenant du Roi pour le Languedoc reste à la bordure du théâtre d'opérations. Des négociations confuses pour le pardon se nouent entre Roure et d'Harcourt assisté de son beau-frère de Brancas (qui ne sont pas à Aubenas), et aussi entre Roure et de Voguë. Ces interlocuteurs de Roure diffèrent trop pour se coordonner et leurs rapports avec de Castries manquent de clarté. Une "trêve" est faite : les mutins envoient au Roi leur demande de pardon [94] et, en attendant la réponse, suspendent les hostilités tandis que de Brancas retient de Castries (dont le bras, à ce stade, reste encore faiblement armé) et proclame sa confiance dans le pardon royal. Quinze jours plus tard, la réponse ayant été "retardée" mais le pardon toujours "certain", on demande à Roure de désarmer avant, alors que celui-ci veut d'abord le pardon. Se produit alors un invraisemblable épisode : pour peser plus lourd, Roure fait venir à son camp le Comte de Voguë et, lorsqu'il le tient, le proclame général des mutins [95]. Il envoie des gens au Comte de La Roche pour en faire un deuxième "général" mais celui-ci leur fait tirer dessus. Ce n'est qu'à l'avis que les troupes royales approchent, que Roure se résout à la guerre. Mais il est trop tard, il a toujours été trop tard.

Une lecture trop rapide ou émotionnelle des "événements" se polarise sur les violences et les pillages (que soulignent vivement les "bons habitants" et les gens du Roi). En ce temps, rien n'est plus banal que violences et pillages : c'est l'écume, souvent sanglante, des disputes. L'émeute elle-même, où va-t-elle [96] ? Elle aspire au pardon tout en poursuivant ses "crimes". Nous connaissons un peu les actes et propos de Roure : chaque fois qu'il se laisse persuader de "revenir au Roi", il est remis dans la révolte par les autres chefs. Aussi est-il ambigu. Si des commentaires le qualifient de faible, méfiant, léger, impressionnable, plus que sa personnalité, c'est sa position et celle de la révolte qui expliquent son ambiguïté. Nous, maintenant, sommes incapables - et n'avons ni les moyens ni l'envie - d'imaginer, et plus encore de partager, ce que "le Roi" paradimatique représentait dans l'esprit et le cœur de ces gens séparés de leur obéissance. Aussi employons-nous des couleurs trop modernes pour peindre des tableaux que 1789 et ses mythes nous ont rendus indéchiffrables.

La comparaison avec l'émeute de Montpellier (1645) montre la similitude des soulèvements, même si dans un cas le milieu est urbain, dans l'autre campagnard. Ce qui fait la différence, c'est le mode de résolution. Dans le cas de 1645, la centralité permet une issue exceptionnellement ordonnée et presqu'optimale. Dans celui de 1670, tout ou presque tout s'explique par la marginalité des révoltés dans une situation de défaillance du contrôle local. Le hiatus qui en résulte entre le niveau de la crise et celui de son traitement engendre, dans le camp de l'ordre, des délais, des confusions, des médiations qui multiplient les difficultés de coordination et, in fine, conduit à une sur-réaction. La gestion désordonnée d'un dilemme (le Roi ne peut pas pardonner sans punir ; les rebelles ne peuvent pas revenir sans pardon) arrive à la solution de force. Ce n'est qu'après, lorsque les circuits décisionnels auront recommencé à fonctionner que "le Roi" pourra faire preuve d'habileté.

Révoltes populaires et révoltes nobiliaires


Il paraîtra osé, voire provocateur, de rapprocher révoltes populaires et révoltes nobiliaires de ce temps. Pourtant n'y a-t-il pas davantage de proximité entre elles qu'entre ces révoltes populaires et nous ? Nous nous les approprions en les percevant à travers nos invariants (1789, luttes de classes etc.) et croyons comprendre la lutte des pots de terre et des pots de fer. Notre sensibilité post 1789 et notre grille "de classes" nous poussent intellectuellement vers les "oppressés". Ils n'ont rien en commun avec nous mais nous croyons avoir quelque chose de commun avec eux ! Quant aux luttes nobiliaires, l'historiographie royale et nationale nous a appris à les percevoir comme des résistances féodales et provinciales, des archaïsmes. Il ne nous est pas donné de voir les uns et les autres dans leur temps. Essayons toutefois.

La notion de monarchie "absolue" et son héritage idéologique ne sont plus acceptés sans inventaire par les historiens modernes : les troubles nobiliaires, longtemps considérés comme une anomalie héroïque, expriment une "culture de la révolte". Ils deviennent une action ritualisée qui a une fonctionnalité au sein de la société politique [97] : quelque chose comme l'équivalent d'une "interpellation du gouvernement" dans nos régimes de démocratie représentative. Aussi, la révolte et les positions rebelle/fidèle sont-elles essentiellement réversibles. Malgré les apparences, la révolte prend place et se déroule au sein de l'ordre politique (même si la nature de l'action armée provoque des aléas spécifiques et des dérapages). La rébellion se termine généralement par un pardon qui l'efface ("édit d'abolition") : elle est réputée ne pas avoir existé et nul souvenir n'en est gardé, ni juridiquement (les condamnations sont révoquées ou biffées), ni politiquement (les positions sont rendues, quoique pas toujours à l'identique), ni personnellement (on s'embrasse). Reset [98]. Seule demeure enregistrée comme "révolte" la protestation qui a raté sa conclusion : Montmorency, décapité, est à jamais un criminel [99], tandis que Monsieur Gaston, très cher frère et amé du Roy, et même Rohan [100], et tant d'autres, sont recyclés maintes et maintes fois.

Nous, maintenant, nous voyons ces révoltes comme des "événements" alors qu'elles relevaient de processus de "dispute" dont elles constituaient, sinon toujours un dénouement, du moins un test du rapport de forces. L'affrontement n'est pas toujours nécessaire : il suffit souvent au mécontent de quitter la cour, se retirer en ses places fortes, convoquer ses amis et clients armés. Quelques manifestes, quelques escamourches, et l'on traite. Les "opposants" font tout ce qu'ils peuvent pour ne pas franchir leur ligne rouge, qui n'est pas là où nous la mettons mais bien plus loin : notre paisible légalisme démocratique s'effarouche des prises d'armes, pillages, destructions et affrontements qui appartiennent au "mode d'expression" très physique caractéristique de ces temps. Leur ligne rouge, c'est le Roi [101]. Les participants aux guerres civiles ont en effet construit un imaginaire de «non-révolte» pour dénier leur révolte (Sandberg). C'est contre les favoris accapareurs ou les "mauvais conseillers", pour le service du Roi, pour la défense des anciennes libertés consenties, pour leur défense légitime, qu'ils complotent, s'assemblent, proclament, prennent les armes et, éventuellement, se battent contre les armées royales [102] : Vive le Roi sans... ! Pour nous, la transgression commence dès l'entrée dans l'arène alors que celle-ci circonscrit un espace stratégique dans lequel la lutte a pour condition, au contraire, de ne pas transgresser.

Comme la révolte nobiliaire se fait "dans la société" sur le mode noble de l'honneur alors que la populaire se fait contre "la société" sur le mode vil (ignoble), le "luttedeclassisme" que nous avons hérité du 19ème siècle pose entre elles une barrière d'espèce. Ne peut-on pas la soulever ? s'inspirer de ces analyses pour tenter de comprendre dans leur temps les révoltes populaires ?

Notre représentation moderne de la violence et de la civilisation nous empêche d'imaginer [103] l'intensité et l'universalité de la brutalité ordinaire qui caractérise ces sociétés. Il ne s'agit pas seulement d'une tolérance élevée à la violence mais d'une sémantique de la violence qui constitue un mode d'expression normal. Dans cet univers d'immédiateté physique, ne peut-on pas rapprocher violence nobiliaire et violence populaire ? Une analogie : dans notre régime politique, un rapport existe entre une interpellation parlementaire et une manifestation de rue. Quoique les deux puissent dégénérer, et surtout les secondes du fait des dynamiques de masse et des phénomènes de "cristallisation", elles ont la même base démocratique et parlent le même langage. Quelle est la différence ? les premières ont une syntaxe plus complète et mieux maîtrisée que les secondes et s'inscrivent dans des rituels mieux rôdés.

Dans les révoltes d'ancien régime, le menu peuple utilise la "grammaire" politique dont l'aristocratie lui a fait la démonstration, mais surtout, malgré l'infériorité de son statut et à sa manière, il appartient au même système de représentations et adhère au postulat royal : il n'y a pas d'alternative, il n'y a pas encore d'alternative. Le Roi constitue le recours mythique aux errements du "Roi" (la machine de gouvernement).

Dans un espace politique sans médiations, relais, amortisseurs, la tectonique des plaques remplace les checks & balances. La pression se traduit physiquement. Une typologie montrerait que les révoltes populaires ont des apparences et des dynamiques différentes selon les lieux, les temps et les circonstances. Leur extension, leur intensité, leur degré varient et parfois des héros les illustrent [104]. Ce qu'elles ont en commun, par la force des choses, c'est leur caractère réactif et défensif, l'impossibilité d'entrer dans un jeu stratégique, de trouver des alliés, des relais, des objectifs. Avec un bas peuple presque toujours à la limite de la famine et une fiscalité oppressive et vexatoire, la révolte typique naît d'une imposition nouvelle dans une situation de vide militaire. L'émeute est un appel au roi mythique. Quand le roi réel envoie des troupes réglées, le premier combat est souvent le dernier : d'une part, ces troupes sont techniquement supérieures ; d'autre part, leur action véhicule le désaveu du Roi. Le Roi a entendu l'appel et le refuse. Il rétablira l'ordre en abolissant tout ce qui s'est passé (moyennant répression). Pour combattre les troupes royales au nom du Roi comme le firent souvent les nobles, il faut une agilité politique et un pouvoir sur ses propres troupes hors de portée du tremblement de terre populaire.

Reprenons les termes choisis de la supplique au Roi de nos mutins du Vivarais, :

SIRE, Vos pauvres sujets ayant été forcés de se séparer de l'obéissance qu'ils doivent à Votre Majesté, viennent implorer à genoux sa miséricorde, afin qu'oubliant leurs fautes, elle leur donne lieu de les réparer, en employant leurs biens et leur vie pour le service de Votre Majesté...

La rhétorique royale obligée (et vraisemblablement dictée),  nous voile le sens : c'est une demande de pardon et uniquement une demande de pardon. La révolte, encore invaincue, n'a pas d'autre objectif que de prendre fin, ce qu'elle ne peut pas faire d'elle-même. Comme elle a transgressé, il lui faut l'accord de l'autre côté et le rapport de forces vise à l'obtenir. Il n'est pas question de victoire et la fin de Roure est une métaphore : alors qu'il est traqué, il se montre à Toulouse ; alors qu'il atteint la frontière, il s'arrête avant pour manger ; alors qu'il est déguisé, il pose sur la table ses pistolets marqués à son nom... Cela donne l'impression qu'il consent à son châtiment car il n'a pas d'autre issue.

Le menu peuple du Vivarais n'a, littéralement, aucun canal d'expression ouvert. Si les assemblées de la noblesse sont interdites, a fortiori celles du peuple. Son cri doit passer par l'émeute et, ce faisant, étant statutairement hors de la société, il transgresse tout de suite, aussi forts que soient ses protestations de fidélité et ses appels au pardon qui relèvent en partie de la rhétorique, en partie de l'adhésion (fût-elle passive) au paradigme royal.

Mais, au total, malgré le vide politico-militaire qui, dans un premier temps, augmente la confusion, le "rituel" est suivi et l'édit d'abolition promulgué, moyennant l'élimination non moins rituelle des signes de la révolte (les meneurs, les clochers d'où le tocsin avait sonné, etc...). Roure n'est pas seulement châtié, ses biens sont annulés : arbres arrachés, maison rasée, femme et enfants frappés d'infamie. Il est effacé. 

Annexe : Emeute des Partisans - Montpellier 1645

d'Aigrefeuille, 1737 [105]

Exterminer les sangsues publiques !

La Chose vint à l'occasion des Droits du Joyeux-Avénement à la Couronne du Roi Louis XIV que quelques Particuliers de Montpellier avoient affermé, & qu'ils étendoient si fort, qu'ils l'exigeoient...encore de chaque Particulier, qu'ils prétendoient rendre Solidaires les uns pour les autres: Les Huissiers de la Ville ayant refusé de leur prêter leur Ministére, ils firent venir un Huissier étranger, qui exploita avec si-peu de Ménagement , qu'il se fit chasser à Coups-de-Pierre par une Troupe de Femmes jusqu'a Castelnau. L'Affaire n'eut point alors d'autres suites; & le Peuple se contenta de murmurer, & d'attacher une grande ldée-de-Mépris au Nom de Partisan.

Mais la Veille de St Pierre, la Chose fut portée à la derniére-extrémité; Car, le sr. François Maduron, qui tenoit chès lui au Pile-Saint-Gilles le Bureau de Recette, ayant voulu aller voir le Feu-de-Joye qu'on fait tous les ans devant la Catédrale, il y trouva une Troupe d'Enfans, qui, l'ayant apperçu, l'appelérent Partisan: cette Injure le facha si-fort, qu'il chatia rudement le Premier qui lui tomba sous la main mais tous les autres ayant accouru, lui firent lâcher-prise à Coups-de-Pierre.

La Querelle de ces Enfans fut bientôt suivie de celle de leurs Meres; car, la nommée Monteille, Femme d'un Tuilier, touchée des Pleurs de son Fils qui avoit été batu, alla prendre une Caisse pour assembler ses Compagnes , qu'elle harangua de toutes ses forces. Le Resultat de leur Assemblée fut, de mettre à leur Tête la nommée Branlaire, Femme d'une grande-Taille, d'une Mine-résolùë, & toute propre à augmenter la Sédition: elle dit résolument, qu'il faloit exterminer Ceux qui leur ôtoit, & à leurs Enfans, le Pain de la Bouche; aussitôt, elles coururent dans tous les Lieux où elles croyoient trouver des Partisans. La Maison de Maduron fut la premiére visitée, & mise au Pillage; ensuite, deux autres à la Canourgue : puis, courant de toutes leurs forces au Logis du Cigne, où les Commis des Partisans étoient logez elles obligérent l'Hôte à leur ouvrir la Chambre de Chantereau, dont elles brûlérent tous les Papiers. Le Voisinage du Cigne les ayant attirées au Plan de Tournemire, elles s'attachérent à la Maison de la Dame de Falguerole  Belle-Mere de Dupuy, l'un des Principaux-Partisans : Cette Dame avoit pris la Précaution de faire venir des Gens-armez pour la défendre, mais sa Précaution augmenta le Mal: car, la Troupe des Femmes voulant à toute force qu'on la leur ouvrît, la Dame de Falguerole fit tirer sur elles dont il y en eut quelques-unes de blessées.

Alors, leurs Maris, qui jusque-là avoient été paisibles, commencerent d'entrer dans la Querelle: Ils coururent aux Armes  & la premiére Personne qui y périt, fut la Dame de Falguerole, qui, ayant voulu se montrer a la Fenetre, reçut un Coup-de-Fusil dans la Tête: ses Meubles furent brûléz au-devant de sa Maison, en si grande quantité qu'il y auroit eu lieu de craindre un Incendie de tout le Quartier, si on n'eût eu la Precaution d'en porter une partie à l'Esplanade. De la Maison de Falguerole, la Troupe des Mutins courut à la Maison du sr. Boudon Payeur du Présidial & ensuite, à celle de Massia, Tresorier de la Bourse de la Province: ils y brûlérent Meubles, Carrosse & Papiers...

Toutes les Voyes-de-Douceur (
début Juillet)
Le Maréchal de Schomberg , revenu d'une Partie de  Chasse  où il se trouvait dans le tems de ce Desordre. monta aussitôt à Cheval, à la Tête de ses Gardes, suivi de beaucoup de Noblesse, & entr'autres du sr. de Goussonville, Lieutenant-de-Roi , qui, s'étant séparé de lui avec des Troupes, vint à la Place des Cévénols où il trouva des Gens-armez qui gardoient ce Poste; Il leur commanda, de la Part du Roi, de se retirer: mais, cette Canaille lui ayant répondu insolemment, il fit tirer quelques Coups, dont il y eut un Habitant de tué ; Alors les Revoltez firent une Decharge sur lui, & blessérent plusieurs des Siens: ce qui obligea le Lieutenant, qui étoit le moins-fort, de se retirer ; & se voyant encore poursuivi, il poussa son Cheval à toute-Bride vers la Citadelle, où il se refugia, ayant laissé son Chapeau dans ce désordre.

Cependant Mr. de Schomberg n'étoit pas moins-exposé à la fureur de ceux qui lui faisoient tête...Le Capitaine Carrié.. qui avoit autrefois bien servi dans les troupes du Roi, se trouvoit, alors Capitaine de Sixain dans MontpellIer, & voyant la Sédition du peuple, il alla, de l'Ordre de Mr le Maréchal, se mettre à la Tète des Révoltez, pour tâcher de les ramener. Le Maréchal, de son côté, employa toutes les Voyes-de-Douceur pour appaiser les Esprits: il défendoit aux Siens de tirer, & parloit aux Revoltez en Languedocien; ce qui lui gagna la bienveillance des Femmes... Il continua tout le reste de ce jour à parcourir la Ville, jusque blen avant dans la nuit; ou le Capitaine Carrié fit remettre aux consuls, les Clefs de l'Horloge dont les Revoltez s'étaient saisis pour sonner le Tocsin: on négocia toute cette nuit avec eux, en leur promettant l'Expulsion des Partisans & la Decharge des Taxes. En effet, Mr de Schomberg donna une Ordonnance, portant cette Décharge, avec Main-Levée des Saisies, & Ordre aux Etrangers de vuider la Ville...

Ces Marques-de-Bonté de la part de Mr. de Schomberg  calmérent les Esprits, & les disposérent à laisser assembler les Sixains qu'on distribua avec quelques Soldats de la Citadelle, à la Maison-de-Ville, aux principaux Carrefours & à deux Portes de la Ville qui s'ouvroient alternativement. La Nouvelle qui survint, que le Regiment de Normandie étoit déja à Lunel pour entrer dans Montpellier, y causa quelque Alarme & porta les principaux Habitants à faire de grandes Instances à Mr. le Maréchal, pour qu'il révoquat son Ordre, & renvoyat ce Regiment ailleurs; Il le fit gracieusement pour achever de les gagner..... Le Calme ayant été affermi par ce Bon-Ordre...

Vive le Roy! 
(février 1647)

A peine la Cour-des-Aides eut été établie à Carcassonne, que Mrs d'Argenson & de Breteuil s'assemblerent, pour juger les Prisonniers qui étoient enfermez depuis long-tems à la Citadelle pour le fait de la Sédition des Partisans: Le Sort tomba sur deux malheureuses-Femmes, coupables de quantité d'autres Crimes, aussibien que de celui-ci, elles furent condannées à être penduës, après avoir fait Amende-Honorable, & leurs Têtes exposées sur deux Portes de la Ville: plusieurs autres Fugitifs, (du nombre desquels étoit la Branlaire) furent condannez par Contumace, les uns à faire Amende-d'Honneur, les autres à la Potence ou à la Roue.

Tout s'étant passé dans un grand-calme pendant ces Executions, le Maréchal du Plessy-Praslin, qul avoit éte envoyé dans la Province à la place de Mr. de Schomberg, manda chès lui les Consuls de la Ville; & là, en présence de Mrs d'Argenson, de Breteuil , & du Comte d'Aubijoux, il leur dit:

" Qu'il avoit eu Ordre du Roi, de leur délivrer les Lettres d'Abolition & Pardon du Crime de Rebellion & Sédition arrivé à Montpellier ès mois de Juin & de Juillet de l'annee 1645 demandées par les Officiers, Consuls , Manans de cette Ville, & obtenuës par la Bonté du Roi & de la Reine-Régente sa Mere, à l'instante-Priere de Mr. le Duc d'Orleans, Gouverneur de cette Province, &  en particulier de cette Ville."

En même-tems, il remit entre les mains du sr. Duché, Premier-Consul, qui se mit à genoux avec tous Ceux qui le suivoient, les Lettres d'Abolition, scellées du Grand-Sceau en Cire-verte, sur Lacs de Soye-rouge, signées LOU1S, & sur le Repli, par le Roi & la Reine-Régente sa-Mere, PHELYPEAUX, datées de Paris au mois de Mars. Les Consuls, après les avoir reçûës , firent leurs très-humbles Remercimens par la bouche de leur Orateur; Et ayant été exhortez à vivre mieux à l'ayenir, on leur dit de témoigner à Sa Majesté, par une Deputation-solennelle, la Satisfaction des Habitans pour une telle Grace, qui étoit sans Exemple, eu égard à leur Crime.. A quoi il fut repondu , par un Cri de Vive-le-Roi & Son Altesse-Royale... Et peu-après, les Consuls étant allez chès le Comte d'Aubijoux, pour le prier de vouloir-bien que les Prisonniers qui restoient encore à la Citadelle à cause de la Sédition, fussent mis dehors, puisqu'ils étoient compris dans les Lettres-de-Pardon, la Chose leur fut accordée sur-le-champ: Ainsi, tout le Monde ayant lieu d'être content, on alla le soir-même faire chanter le Te Deum, dans l'Eglise de St. Pierre & l'on finit la Journée, par un grand Feu-de-Joye, au Bruit du Canon de la Citadelle, &. aux Cris toujours redoublez de Vive-le-Roi & Son Altesse-Royale ...

Références

  • –, 1782, Lois municipales et économiques de Languedoc, Tome 3
  • Bernard Charles (historiographe du roi), 1646, Histoire du Roi Louis XIII
  • Bréchon Frank, 2000, Réseau routier et organisation de l'espace au Vivarais au moyen-age, thèse, Lyon.
  • Clément Pierre, 1846, Histoire de la vie et de l' administration de Colbert
  • Clément Pierre, 1865, "Les Emeutes sous Louis XIV", Revue des Deux Mondes, volume 58, 1865 (p. 996-1021)
  • Clément Pierre, 1866, La police sous Louis XIV
  • Clément Pierre, 1867, Lettres, instructions et mémoires de Colbert
  • D'Aigrefeuille, 1737, Histoire de Montpellier
  • De Basville, 1734, Mémoires pour servir à l'histoire du Languedoc
  • Depping G.-B. (éd.), Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, Etats provinciaux. Affaires municipales et communales. 1850. Tome I, Etats provinciaux, A) Etats du Languedoc, p 3 à 320.
  • Dourille, 1846, Histoire des guerres civiles du Vivarais
  • du Mège, 1846, Histoire générale de Languedoc, par Doms Claude Devic et Vaissete, commentée et continuée jusqu'en 1830, Toulouse, Paya
  • Jouanna Arlette, 1989, Le devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l'État moderne, 1559-1661, Paris, Fayard
  • Le Roy Ladurie, 1966, Paysans du Languedoc
  • Mamarot, 1877, Inventaire-sommaire des archives départementales antérieures à 1790, Ardeche
  • Ménard Léon, 1755, Histoire civile, ecclésiastique et littéraire de la ville de Nismes avec les preuves
  • Moreau de Beaumont,1769, Mémoires concernant les impositions et droits
  • Pélaquier Elie, Dir, Atlas historique de la province de Languedoc
  • Reemtsma Jan Philipp, 2011, Confiance et violence, Gallimard
  • Richelieu, Cardinal de, Mémoires du cardinal de Richelieu : sur le règne de Louis XIII, depuis 1610 jusqu'à 1638
  • Richelieu, duc de, 1793, Mémoires du maréchal duc de Richelieu pour servir à l'Histoire des Cours de Louis XIV, de la minorité et du Règne de Louis XV, etc., etc. 2nde Ed., Vol I, Paris, 1793
  • Riquet de Bonrepos (descendants), 1805, Histoire du canal de Languedoc
  • Roschach, 1876, , Histoire générale de Languedoc, par Doms Claude Devic et Vaissete, Addition des nouveaux éditeurs, Etudes historiques sur la province de Languedoc: de la régence d Anne d'Autriche jusqu'à la création des départements (1643-1790), Tome 13 et 14, Privat
  • Sandberg, 1998, "Se couvrant toujours du nom du roi . Perceptions nobiliaires de la révolte dans le sud-ouest de la France, 1610-1635", Histoire Economie & Société, 17e année, n°3. pp. 423-440.
  • Trouvé, 1818, Essai historique sur les états-généraux de la province de Languedoc
  • Valeton (attribué à), 1811, Fidèle relation de ce qui s'est passé en la ville d'Aubenas pendant les derniers mouvemens du pays-bas du Vivarais, ou récit de la révolte de Roure in Les commentaires du soldat du Vivarais
  • Vic et Vaissette, 1745, Histoire générale de Languedoc, Tome 5.

Notes



[1]
La seule narration contemporaine connue est attribuée à Valeton, bourgeois d'Aubenas, présent sur place pendant l'affaire (il fait partie de ceux qui se sont réfugiés au Collège des jésuites et ont pris la précaution de signer leur fidélité au Roi).

[2] Sanglant à nos yeux, inhabitués à ce type et à ce degré de violence qui étaient alors la règle. Je n'étudierai pas cette dimension. Je note ici seulement que la Révolte de Roure passe inaperçue lorsqu'on la rencontre (par exemple dans le livre XIX de d'Aigrefeuille) à la suite des révoltes nobiliaires, des insurrections religieuses, des émotions populaires du Languedoc sous Louis XIII.

[4] Volume I Années 1663-1670 (juin) et  II Années 1670 (juillet)-1671 (juin).

[5] Attributions de police et d'administration générale sur tout le territoire, sauf les provinces "étrangères" - frontalières - qui ressortent au secrétaire d'État à la Guerre, et haute responsabilité de la ville de Paris.

[6] Les autres ministres sont : Secrétaire d'État des Affaires étrangères : Hugues de Lionne ; Secrétaire d'État de la Guerre :  Michel Le Tellier de Louvois ; Secrétaire d'État de la Religion prétendue réformée : Louis Phélypeaux de La Vrillière, marquis de Châteauneuf ; Garde des sceaux de France : Pierre Séguier ; Chancelier de France : Pierre Séguier ; Grand chambellan de France : Godefroy Maurice de La Tour d'Auvergne ; Grand maître de France : Henri Jules de Bourbon-Condé, prince de Condé; Grand maître de l'artillerie de France : Henry de Daillon du Lude ; Lieutenant général de police : Gabriel Nicolas de La Reynie.

[7] Sans en faire un examen intégral, mentionnons au hasard :  le recensement des familles nobles ayant plus de 8 enfants et susceptibles de ce fait de recevoir une pension ; la recherche et la répression de l'usurpation de titres nobiliaires ; les prétentions de l'évêque de Clermont à recevoir "les foy & hommage" que le Roi s'est réservés en lui attribuant ses fiefs ;  idem pour une attribution auvergnate au prince de Monaco en compensation de pertes subies pour son alliance avec la France ; la voirie de Rouen ; la police du jardin du Luxembourg ; un dossier d'archives sur les droits du Roi en Lorraine ; une affaire de malversations sur des constructions à Philipsbourg ; des transferts d'archives ; les taxes perçues par le Consul de la Nation de France à Lisbonne...

[8] MEMOIRES DU MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU Pour servir à l'Histoire des Cours de Louis XIV, de la minorité et du Règne de Louis XV, etc., etc. 2nde Ed., Vol I, Paris, 1793

[9]... la bourse du roi, profonde comme la mer, comme l'enfer toujours béante (la ronde du papier timbré- soulèvement de la Bretagne 1675).

[10] Clément, Pierre, 1866, La police sous Louis XIV,  CH12 les émeutes en province.

[11]  Pour un tableau au noir, voir la continuation de V&V par Du Mège, excité par le sentiment de sa "nationalité méridionale".

[12] Cet épisode est connu par le Procès-verbal des Etats de Languedoc. (Séance du 29 mars 1669) : MONSEIGNEUR l'Archevêque de Toulouse, Président, a dit qu'il venoit d'être averti que le Roy ayant eu connoissance de trois meurtres commis dans le pays de Vivarois sur les personnes de quelques gardes des Gabelles par un gentilhomme particulier assisté seulement de ses domestiques, Sa Majesté auroit envoyé des ordres pour faire aller dans ledit pays trois compagnies de dragons, une des Suisses & une du régiment de Lyonnois, pour donner main forte à la Justice & à l'exécution des ordonnances de Monsieur Duguay, Intendant de Lyon, portant décret de prise de corps contre les auteurs & complices desdits meurtres; & quoique ce soit seulement quelques personnes particulières qui ont trempé dans lesdits excès, il est pourtant vray de dire que plusieurs Communautés dudit pays voisines du lieu où l'excès a été commis souffrent le logement effectif desdites troupes, lesquelles vivent avec toute sorte de licence..... Les greniers à sels du haut-Vivarais (gabelles  du Lyonnais, Forez et Beaujolais, département du Haut- Vivarais ne seront "désunis" des gabelles du Lyonnais qu'en 1785.

[13] Les troubles religieux reviendront bientôt (dragonnades pré-révocation à partir de 1683, soulèvement camisard à partir de 1702).

[14] Richelieu, Mémoires, Livre XXX. De Basville (Mémoires pour servir à l'histoire du Languedoc, 1734, p 276) qui ajoute : Ce Quartier de Vivarez produit beaucoup de Chataignes dont on fait un grand comerce, & des Chanvres dont on fabrique des toiles grossieres, qui contribuent beaucoup à faire subsister les Habitans. Comme ils n'ont presque point de Bled, ils donnent des Châtaignes en échange pour en avoir, & trafiquent ainsi avec les Habitans de la Montagne & du Velay.
L'alliance des contrebandiers et des protestants est notée par l'intendant Fontanieu en 1732 : On a vu que ces scélérats — les contrebandiers — s'étaient formé des habitudes dans un canton du Vivarais, nommé les Boutières, composé de vingt ou trente paroisses, toutes de religionnaires ; que, lorsqu'ils y arrivaient, ils tiraient leurs armes en l'air, pour marquer qu'ils s'y regardaient comme en sûreté.
Encore en 1755, Mandrin, en déroute et pourchassé après l'affaire de la Sauvetat, y trouvera refuge avant de regagner la Savoie en faisant le grand tour par Nice et le Piémont.

[15] Bréchon Frank, 2000, Réseau routier et organisation de l'espace au Vivarais au moyen-age, thèse, Lyon.

[16]  Le Roy Ladurie, Paysans du Languedoc

[17] Ce "délire" est une prémonition ! en 1707, le Roi mettra bien un impôt sur les baptêmes et les mariages et, en général, l'imagination fiscale des bureaux sera sans limite.

[18] L'un des participants à l'assiette écrit (papiers de Colbert): je vous assure que nous fûmes surpris d'entendre parler ce bon homme, mais nous le fûmes bien davantage lorsqu'il tira de sa poche l'assignation qu'on avait affiché la nuit à sa porte, signée par un huissier de deux témoins supposés, par lequel on le sommait de venir incessamment à Viviers payer dix livres à cause de l'accouchement de sa belle-fille.

[19]
Un espion de de Castries dit avoir vu ce faux édit imprimé qui contient une infinité de subsides. De Castries le renvoie parmi eux pour tacher d'en avoir un et promet 10 louis à qui l'apportera. Ses agents firent ce qu'ils pouvaient sans pour cela en venir à bout  ce qui les persuadaient qu'il n'y en avait point.

[20] 10 livres de chaque naissance d'enfant mâle, 5 de fille , un écu de chaque habit neuf, 5 sols de chaque chapeau, 3 sols des souliers, 1 sol de chaque journée de paysan, 5 sols de chaque chemise neuve, et 2 deniers sur chaque livre de pain.

[21] Le roi levoit sur ses peuples quatre-vingt-dix millions à la mort de Mazarin et n'en touchoit point quarante...Le surintendant traitoit avec les intendans de finance; puis venoient les trésoriers de l'épargne, les traitans, les fermiers, les receveurs, les collecteurs. Une armée de traitans & de commis fut répandue dans toute la France. (Maréchal de Richelieu, Louis XlV & ses ministres). Même si Colbert rationalise, il ne peut pas éviter de recourir à cette "armée" tandis que de nouvelles taxes s'ajoutent aux anciennes.

[22] Le chiffre de "6000" parfois mentionné se rencontre dans tant de comptes rendus de révoltes qu'il paraît signifier non pas 6 X 1000 mais "beaucoup".

[23] A plus grande échelle, le même processus se produira en Bretagne en 1675. Le gouverneur, Duc de Chaulnes, se faisait fort de ramener le calme : il n'en trouvait pas l'exécution difficile, pourvu qu'on lui donnât quelques troupes réglées..La guerre qui durait toujours ne permettant pas de lui procurer cette satisfaction, il fallut patienter...faute de répression immédiate la révolte s'étendait (Vincent).

[24] Il écrit (18 Juin) qu' il n'a pas publié le peu de troupes qu'on lui envoie de peur de donner coeur aux mutins car, s'ils savaient qu'il n'a présentement que 300 hommes de troupe réglée qui encore ne sauraient arriver de dix à douze jours, cela pourrait leur enfler le courage et les porter à se mettre en campagne.

[25] Nicolas Tranchart, Prévôt diocésain du pays de Vivarez...ayant été obligé par le dû de sa charge de s'opposer à la sédition arrivée...la ville de Largentière où il fait sa résidence, il se seroit mis en état d'arrêter les plus mutins, mais que le nombre des rebelles ayant prodigieusement accru, ils auroient fait tous leurs efforts pour l'assassiner & comme ils n'avoient pu y réussir, leur rage se seroit portée à cette extrémité d'aller saccager sa maison. Deux ans après, il adresse une requête d'indemnisation (pièce 396, V&V, Privat, T 14).

[26] De Basville écrit trente ans plus tard, après que les "routes des dragonnades" aient été faites : Le seul endroit de cette province où il manquait des chemins, étoit le Païs des Sevenes & du Vivarez, Païs autrefois impraticable, & nourrissant des Peuples portez à la revolte; mais aujourd'huy rendu très-soûmis par les grandes routes qu'on y a pratiquées depuis quelques années. Elles penétrent tous les coins des montagnes les plus inaccessibles; de maniere qu'il ne s'y peut rien faire au préjudice de l'État, qu'on ne le sçache aussi-tôt, & qu'on ne soit à portée d'y remédier (de Basville, 1734, p 330).

[27] Il est souvent qualifié de baillif du Vivarais mais les "baillis" (représentant) sont aussi nombreux que les personnes ou organes à représenter ! Il semble qu'il soit bailli des barons et/ou du Roy (sénéchal), ce qui explique ses initiatives.

[28] De Castries 1er Juin à propos de M de Voguë (de Vaugué) :...Ce bon homme quoi que très zellé au fond et très passionné pour le service du Roy a trop de confiance en cette canaille. Il y a deux jours que nous l'attendons pour rectifier sa conduite et la rendre conforme à ses bonnes intentions afin que ces mutins ne s'en prévalent pas.

[29] Il est vrai que ce n'est pas un local : Alphonse Henri Charles de Lorraine (1648-1719) comte de Montlaur, marquis de Maubec, prince d'Harcourt

[30]  Ce soutien est à la fois effectif et fantasmé par "le Roi" qui i) se méfie de la sieurie ii) ne peut concevoir que le "bas peuple" agisse de lui-même.

[31]  Les deux voies ouvertes sont les impôts et l'usure (qui se mêlent volontiers).

[32]  Dans un acte notarié antérieur à 1668, elle est dénommée damoiselle Degout Devissac, femme de sieur Antoine Roure, de la paroisse de la Chapelle.

[33] Elle compte un chancelier de France dans la première moitié du 14ème siècle : ESTIENNE de Vissac, seigneur d'Arlenc & de Murs, Chancelier de France (Père Anselme, T6).

[34] Le mémoire qu'il a envoyé à tous à la veille de la défaite comme les explications qu'il rédige en prison ont vraisemblablement été détruits car personne ne les a rencontrés.

[35] Le Roi ne serait pas informé de cet édit inique : il faut qu'il sache.

[36] D'Aigrefeuille, 1737, Histoire de Montpellier

[37] Tout paroissoit terminé par cette exécution, lorsqu'un évènement extraordinaire mit en mouvement tout le peuple de Montpellier à son sujet. Le corps de ce pauvre malheureux.. resta vingt jours sur la roue, sans se gâter ni se corrompre, soit que cela vint de la force de son tempérament, ou des premiers froids du mois de novembre. Quoiqu'il en soit, la populace le regarda avec vénèration, d'autant plus qu'il avoit été toujours bon catolique. Elle courut en foule à Castelnau, ou il avait été exposé, & la superstition fut si grande, que plusieurs coupoient des morceaux de sa chemise pour les garder soigneusement, de sorte qu'il ne falut pas moins qu'une ordonnance de l'evêque & de l'intendant pour les arrêter.

[38] Si toute la noblesse du bas Languedoc a couru de toutes parts pour témoigner son attachement et sa fidélité au roidepuis que le Marquis de Castries est en vivarais, il n'a vu que trois gentilshommes de ce pays qui sont M le Vicomte de Beaune, son fils et M de Brizon. Il croit que cela vient que ces Mrs n'osent pas quitter leurs maisons de peur d'être insultés (Castries, Bourg, 28 mai).

[39] En 1666 le tribunal des Grands jours d'Auvergne condamne à mort le "tyran" Gaspard d’Espinchal, seigneur de Massiac, pour toutes sortes de crimes. Il joue à cache cache avec les prêvots et prend la fuite.

[40]
Histoire générale de Languedoc, par Doms Claude Devic et Vaissete, commentée et continuée jusqu'en 1830, par M. le chev. Al. du Mège. Tome 10, Toulouse, Paya, 1846. Sa continuation est soupçonnée de fantaisie car imbue d'un "sentiment de la nationalité méridionale" qui lui donne un ton souvent épique. Les historiens lui préfère celle de ROSCHACH aux éditions Privat (1876).

[41] Lesquels l'arrêtent à la mort de Louis XIII (1643) : Nous avons cru devoir terminer nos travaux à cette derniere époque, tant parce que l'Histoire ne nous fournit depuis, rien de fort intéressant ou qui ne soit connu; que parce qu'il est difficile de parler de ses contemporains avec la liberté convenable. Avertissement au tome 5 (1745). Le continuateur de l'édition Privat (cf. note précédente) donne en quelques lignes une version factuelle  de la révolte, dépourvue de tout élan lyrique (et sans allusion au canal).

[42]  Ils ne se limitent pas à l'approvisionnement en eau du canal (rigole). Le canal coupe une multitude de fleuves, rivières et torrents allant vers la mer qu'il faut franchir et dont les débordements peuvent emporter les ouvrages d'art ou déposer des sables et des terres qu'il faut draguer pour maintenir le tirant d'eau. Aussi les "magasins" (réservoirs) se combinent aux "épanchoirs" (évacuation).

[43] Il commence ainsi sa première lettre à Colbert 26 novembre 1662 : Monseigneur, je vous écris.. sur le sujet d'un canal qui pourroit se faire .. pour la communication des deux mers. Vous vous étonnerez que j'entreprenne de parler d'une chose qu'apparemment je ne connois pas, et qu'un homme de gabelle se mesle de nivelage....

[44] Encore le Languedoc a-t-il la chance d'être un pays de "petite gabelle" où l'on est taxé selon sa consommation et non forfaitairement.

[45]  Riquet est aussi indispensable au projet que difficile à contrôler. S'il est vrai qu'en suivant le devis de l'ingénieur royal, il se serait facilité les choses, la nécessité des ajouts qu'il y a apportés fait débat. Colbert, quoique reconnaissant sa bonne foi, craint que grandisse sa mégalomanie au détriment de l'efficacité et de l'économie, crainte dont témoignent ces propos rageurs à Daguesseau, 18/02/77 : II s'est dit tant de fois à luy-mesme qu'il estoit l'inventeur de ce grand ouvrage... qu'à la fin il a cru qu'il en estoit le véritable auteur. Et, sur la grandeur de cet ouvrage, il a fondé la grandeur du service qu'il rendoit à l'Estat et la grandeur de sa fortune.... lorsque je vois à présent les justes raisons que vous avez de croire que la grande profusion qu'il a faite, soit par son peu d'économie, soit par des gratifications inconnues, peut préjudicier à l'avancement de ses ouvrages, je trouve qu'il est d'une trèsgrande conséquence de l'observer de près...

[46] Cf. Depping (éd.). Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV.

[47] Ils n'avaient pas tort d'être prudents comme le montre le projet du même Riquet quelques années plus tard (1674) de conduire les eaux de la Loire à Versailles qui en consommait beaucoup, projet qu'il basait sur une estimation erronée des hauteurs réciproques, la Loire étant, en réalité, plus basse que Versailles !

[48]  Il ne s'agit pas seulement des terrains à acheter mais de l'indemnisation des droits (péages etc.) perdus éventuellement à cette occasion.

[49] ...nous avons créé & érigé, & par cesdites présentes, créons & érigeons en plein fief, avec toute justice, haute, moyenne, basse & mixte, ledit canal de communication des mers, ses rigoles, magasins de réserve, leurs bords de largeur de six toises de chaque côté, chaussées, écluses & digues d'iceux, depuis la riviere de Garonne jusqu’a son dégorgement dans la mer Méditerranée; en ce compris le canal de dérivation , depuis la montagne Noire jusques aux pierres de Naurouze, sans en rien réserver ni excepter; relevant  ledit fief & ses dépendances  immédiatement de notre couronne...

[50] Ils jouissent aussi de l'exclusivité du droit de chasse et pêche sur le territoire du canal et y installeront une multitude de moulins.

[51] Extrait du registre des délibérations des Etats généraux de Languedoc, assemblés par mandement du Roi au mois de Novembre 1666 (mercredi 2 Mars 1667).
II. Que les Etats accordent ledit secours en plusieurs années pour l'entiere perfection de tous lesdits ouvrages; & Sa Majesté ne leur pourra demander plus grande somme pour raison d'iceux sous quelque prétexte que ce soit...à quelle somme que toutes les dépenses qu'il conviendra faire pour raison de ce puissent monter. Accepté par les Commissaires Présidens pour le Roy, 3 Mars 1667 (Henry, duc de Verneuil, Grignan, Bazin, de Mause).

[52] ...de sorte que, par toutes ces raisons & plusieurs autres qu'ils nous ont fait remontrer par les commissaires présidens pour nous en ladite assemblée, nous aurions (avons) reconnu que ces propositions & ces moyens n'étoient pas recevables, qu'ils étoient à charge à nos sujets de ladite province, & contraires à leurs priviléges dans lesquels nous voulons les maintenir. Et en même-tems desirant l'avancement desdits ouvrages que nous avons résolu de faire en notredite province, nous aurions (avons) mieux aimé demander à ladite assemblée des gens des Trois-états un secours par imposition ou autrement en la maniere qu'ils aviseroient...

[53]  Colbert à Riquet 31 janvier 1670 : Je m'étonne que, dans toutes les lettres que vous m'écrivez, vous ne me disiez pas un mot de l'exécution des édits qui ont esté envoyés au parlement de Toulouse, vu que les Estats de Languedoc estant à présent finis et le Roy ayant refusé les demandes qui luy ont esté faites de leur révocation ou de leur surséance il faut penser plus que jamais à leur exécution. Vous devez donc bien prendre garde de ne pas perdre un seul moment de temps pour faire tous les establissemens et les payemens que vous estes obligé en conséquence du traité que vous avez fait au conseil, afin de ne pas retarder vos travaux.

[54]  Au point que, dit-il, ayant deux filles à établir, il se résigne à les garder encore chez lui et à consacrer au canal l'argent qu'il pensait mettre à leur dot !

[55] Colbert écrit à de Besons avant les Etats (16 novembre 1670): Comme Sa Majesté a résolu de se contenter de 1,400,000 livres pour le don gratuit, persuadée que les Estats feront un grand effort cette année pour se délivrer de l'exécution des édits et pour contribuer à la construction du canal, elle se remet entièrement à vous d'exécuter ce que vous estimerez plus avantageux pour son service....

[56] ÉDIT DU ROI Qui révoque les édits du mois de Septembre 1668 portant création des offices de greffiers consulaires & prudhommes experts, & d'un droit annuel sur les hôtes & cabaretiers. Du mois de Novembre 1671

[57] Il est bien compréhensible que le devis initial d'un tel chantier se heurte à des surprises, n'ait pas tout prévu ou ait commis des erreurs. Les dépassements sont entérinés par un arrêt du 14 mars 1682.

[58] Le langage de l'édit de révocation est beaucoup plus direct que celui des précédents : ...les députés des Trois-états de notredite Province de Languedoc..ayant accordé &. consenti, sur l'instance qui leur a été faite de notre part, de lever sur la province en quatre années la somme de 1,600,000 livres pour employer aux ouvrages qui restent à faire....ils nous ont très-humblement fait supplier de leur vouloir accorder la révocation dudit édit... ce que Nous leur avons accordé d'autant plus volontiers que nous sommes bien-aise de leur témoigner la satisfaction que Nous avons de leur zele pour notre service & de la soumission qu'ils font paroître...

[59] On pourra dire dans le monde que j'ai fait un Canal pour m'y noyer avec toute ma famille (à Daguesseau).

[60]  Colbert ne se laisse pas faire et démontre sans mal qu'il est moins coûteux de faire une triple écluse que trois écluses à des endroits séparés.

[61]  Si X est meilleur que Y (X>Y) et Y>Z, X est-il de ce fait meilleur que Z ?

[62]  La séparation de la "haute" noblesse et de la "sieurie" au fur et à mesure que le "Roi" polarise la distribution d'honneurs et de richesses ne constitue pas deux couches mais procède à une discrimination additionnelle en travers des strates. La primauté des "princes du sang" est du même ordre que celle du Roi : elle procède, sur le mode du mythe, au bouclage fonctionnel des chaines d'interdépendance.

[63]  La Noblesse est réputée payer "l'impôt du sang" et l''Eglise, depuis le "contrat de Poissy" (1561) paie un "don gratuit".

[64] Mentionnons : la vérification permanente des titres d'exemption ; la vente de privilèges d'exemption et leur révocation ultérieure ; la transformation contre argent de "fermiers" en "valets" pour simuler une exploitation directe exempte ; la possession par des nobles de biens roturiers assujettis à l'impôt...(Moreau de Beaumont,1769, Mémoires concernant les impositions et droits, Seconde partie, France). Les Cours des Aides ne chôment pas !

[65] Typique est cette remontrance du tiers du Dauphiné (1602) : Le Tiers-état se plaignoit que les deux autres Ordres rejetoient sur lui toutes les charges de la Province quoiqu'il n'eut aucune part ni aux honneurs, ni aux dignités, ni aux émolumens publics, & qu'i1 ne fût nullement en état de supporter ce fardeau, ne faisant pas la sixième partie de la province (Moreau, p126).

[66] C'est l'opposition entre "budget de dépenses" et "budget de recettes". Dans le premier cas, le montant des dépenses détermine celui des impôts à prélevés qui sont répartis entre les contribuables. Dans le second, des règles d'imposition relativement constantes produisent un certain montant de recettes qui commande les dépenses.

[67] Le contentieux contre les personnes puissantes & de main forte qui refusent les impôts et rudoient ou tuent les percepteurs est permanent.

[68] Malgré une tradition tenace engendrée par la conscience de caste nobiliaire (et l'anticonscience populaire), je ne limite pas l'aristocratie à la noblesse (au demeurant plus ouverte que la "voix du sang" ne le proclame) : d'une part, les notables urbains acquièrent des biens nobles (sans devenir aussitôt nobles) ; d'autre part, à travers notamment les mariages de filles nobles (qui n'affectent pas la généalogie), de nombreux liens se nouent ; enfin les privilèges nobles de jure rétrécissent tandis que les privilèges de facto se dilatent.

[69]  Si le Roi est réputé ne pas imposer sans le consentiment des Etats, ceux-ci sont réputés ne pas imposer sans son assentiment. Outre les tricheries respectives, il y a donc la place pour un marchandage réciproquement profitable (au détriment des contribuables).

[70]  Dans le même sens, Chateauneuf (garde des sceaux parlant au nom du Roi aux Etats de Béziers en 1632) : Jusqu'alors les gouverneurs de la province; leurs lieutenants, les états, les commissaires aux assiettes, avaient arbitrairement écrasé les peuples sous le poids des charges, publiques; des dettes énormes avaient été contractées sans la permission, à l'insu même de S. M. Touché de la triste situation de ces contrées, le roi, dans sa sagesse et son équité, s'était occupé de leur soulagement : en défendant toute levée de deniers sans son autorisation, il avait cru mériter les bénédictions de ses sujets, et non des représentations séditieuses.

[71] En fait, nobles et clergé n'occupèrent réellement leur place que dans les diocèses les plus arriérés (Vivarais, Velay, Gévaudan). Partout ailleurs, ce furent les députés des "villes maîtresses" qui formèrent l'essentiel de l'assemblée d'assiette qui reste présidée par l’évêque et complétée par un baron, des commissaires du roi et des États.

[72] Atlas historique de la province de Languedoc, Sous la direction d’Élie Pélaquier

[73] D'après leurs remontrances sur la création de nouveaux offices d'élus, établis par suite de la vénalité des charges, le roi leur accorda la suppression de ces offices, moyennant une somme de 71,800 livres qu'ils payèrent à titre de rachat (Trouvé).

[74] Les états de 1555 furent assemblés à Carcassonne, dans la ville basse. De nouveaux offices venaïent d'être créés par le roi (Henri II), dans la vue de se procurer des ressources pour les pressants besoins de l'état. On réclama le maintien des priviléges de la province et l'exécution des anciens contrats passés avec la couronne; et, pour obtenir la suppression de ces offices, on convint de payer une somme de 100,000 livres.

[75] De nouveaux besoins donnèrent lieu à, de nouvelles creations. Charles IX, en 1572, érigea vingt-deux offices de receveurs particuliers des tailles, aide, octroi, etc. pour les vingt-deux diocèses de la province; et, comme il n'avait d'autre but que de se procurer de l'argent, il fit demander par ses commissaires aux états une somme de cent vingt mille Livres, moyennant laquelle il révoquerait son édit. Les états assemblés à Béziers ne crurent pas pouvoir accepter cette, offre.. Leurs remontrances furent inutiles, et le roi ajouta, en 1573, à la première érection celle de vingt-deux receveurs alternatifs. Un troisième édit du mois d'avril 1597, suggéré, comme les deux autres, par le besoin d'argent, établit des offices de receveurs triennaux (Trouvé).

[76] Les Etats se rachètent deux ans après (1624), moyennant 720,000 Livres, d'un édit portant création de greffiers héréditaires pour les tailles.

[77] Mémoires de Richelieu, Livre XX

[78] Moreau, 206 : Au mois de juillet 1629, Louis XIII, pendant fon séjour à Nîmes, donna un Édit, par lequel il créoit un siége d'Élection dans chacun des vingt-deux diocèses de la province de Languedoc, comme le seul moyen de faire une répartition juste & exacte des taxes imposées sur chaque diocèse, & de faire cesser les abus qui s'y commettoient...

[79] D'Aigrefeuille (L18, CH13): on fit verifier au Palais, l'Edit (des Elus) qu'on vouloit introduire dans le Languedoc, pour faire l'Imposition des Tailles a l'Exclusion des Etats de la Province. Cet Edit porté à Pezenas, où les Etats étoient assemblez, y trouva de grandes-oppositions: le Parlement ne voulut pas le recevoir & plusieurs Diocèses ayant refusé d'imposer la Taille sur le Mandement des Elus, on prévit que cette Affaire auroit de grandes-suites.

[80] D'Aigrefeuille (18, 14): Le Grand-Credit que ce Seigneur (Montmorency) avoit dans son Gouvernement, & le Mécontentement des Peuples de cette Province depuis l'Edit de Création des Elûs, porta les Députez des Etats , assemblez alors à Pezenas, à signer une Deliberation du 22  Juillet, dans laquelle ils appelloient M. le Duc d'Orleans à leur Protection, & promettoient de lui fournir de l'Argent pour l'Entretenement de ses Troupes, & de ne se separer jamais de ses Interêts.

[81] Henry, duc de Montmorency, pair, Maréchal, & autrefois admiral de France, petit-fils de quatre Connestables, & de six Maréchaux, premier Baron de France, beau-frère du premier Prince du Sang.

[82] Gaston d'Orléans, frère unique du Roi qui n'a pas de fils, est alors héritier de la couronne et pressé de l'obtenir. Velléitaire et confus, peut-être "révolté malgré lui" (Jouanna), son statut royal attire les promesses d'aide de l'étranger, les mécontents, les  ambitieux qu'il ne peut qu'abandonner et sacrifier après la défaite, car le pardon que le Roi lui doit au nom de la Couronne se limite à lui et ses proches. Le futur Louis XIV, "Dieudonné", "l'enfant du miracle", ne naît qu'en 1638, après 23 ans de mariage. Cela ne fait pas renoncer Gaston, l'épisode suivant sera la conspiration contre Richelieu de Cinq-Mars et de Thou en 1642. Ensuite, pour sa récompense, Gaston sera nommé gouverneur du Languedoc et, avec son favori, l'abbé de la Rivière, soumettra les Etats à une multitude d'avanies.

[83] Dans ce royaume sur-dimensionné, comment faire autrement que de distribuer les "gouvernements" aux plus grands de la maison royale ? comment les empêcher de se succèder par "survivance" ? Comment alors, éviter que leur Province ne devienne une sorte de fief ?

[84] Ils donnèrent au roi 600,000 L pour la continuation de la guerre, et 150,000 L en remplacement du logement des troupes, à condition que plusieurs édits de création d'offices seraient révoqués, et que la province serait maintenue inviolablement dans la possession du droit d'équivalent qui avait toujours été sa propriété.

[85] Voulons et nous plaît qu'aucune somme ne puisse être imposée sur icelle province qu'elle n'ait été délibérée et consentie en assemblée desdits États, suivant les anciennes formes, priviléges et libertés de ladite province, soit à l'égard des impositions en général, soit par les assiettes des vingt diocèces.

[86] La ville de Toulouse (consistoire des capitouls) et le Parlement du Languedoc (parfois en guerre l'un contre l'autre) jouent volontiers contre le reste de la province et Montpellier en particulier. Alors que la révolte de Montmorency avait vu Toulouse fidèle au Roi, pendant la Fronde le Parlement rejoint celui de Paris tandis que les Etats affichent leur fidélité au Roi.

[87] Ou plutôt (car je n'ai rien entendu !) : des rapports nous disent qu'on a entendu. Ce n'est pas dépourvu de vraisemblance (dans les pillages, les "gros" sont cassés par les "petits") mais on ne peut pas exclure que ce soient des propos inventés pour faire peur.

[88] Mot dont, symptomatiquement, le sens a glissé de "celui qui exige ce qui est (exactement) dû" à "qui exige plus qu'il n'est dû", tant ce "dû" est perçu comme excessif.

[89] Valeton (Fidèle relation...): On court partout sur les élus, et l'on appelait de ce nom tous les particuliers; on crie qu'il ne faut pas souffrir leurs concussions et qu'il faut exterminer ces sangsues du peuple. Sur cette base, Dourille (Histoire des guerres civiles du Vivarais, 1846) prend l'initiative de généraliser : Ils donnaient ce nom à tous les particuliers qui remplissaient des fonctions publiques ou qui portaient des titres de Noblesse et à ceux qui avaient quelque fortune.

[90] Quoique cela soit documenté indirectement, on peut être certain que les assujettis ont appris mille astuces pour échapper aux impôts. Si l'on sait bien comment l'esprit vient aux filles, des impôts trop lourds le font venir au contribuable le plus obtus. Par exemple, pour échapper aux saisies de bestiaux, les paysans se les louent les uns aux autres.

[91] On ne parlait de rien moins que de lever 20,000 hommes et d'aller jusques à Toulouse pour demander raison au Parlement des édits qu'il avait enregistrés au préjudice de la province. Il est intéressant de noter que nul ne mentionne une quelconque députation ou demande aux Etats qui sont pourtant supposés être l'organe politique de la province.

[92] Mais Schomberg n'est plus gouverneur. Il semble que son audace ait fait craindre qu'il emprunte la voie des Montmorency (dont il avait vaincu le dernier).

[93]
Il a été le premier de la série des gouverneurs nommés à peu près exclusivement pour la décoration... C'était comme un intermédiaire gênant que la royauté n'osait pas supprimer par respect pour la tradition, mais dont elle neutralisait l'influence en lui laissant les hommages & retenant le pouvoir (V&V, Privat).

[94]  Lettre du Peuple du bas Vivarais au Roi. SIRE, Vos pauvres sujets ayant été forcés de se séparer de l'obéissance qu'ils doivent à Votre Majesté, viennent implorer à genoux sa mlséricorde, afin qu'oubliant leurs fautes, elle leur donne lieu de les réparer, en employant leurs biens et leur vie pour le service de Votre Majesté. Nous espérons, SIRE, que sa bonté considérera nos soumissions, nos réparations et nos douleurs, et qu'à, l'exemple de Dieu, dont elle tient la place ici bas, elle ne rejettera pas la prière de son pauvre peuple, qui veut vivre et mourir dans l'obéissance et la fidélité qu'il doit à Votre Majesté.

[95]...que l'affaire trainant en longueur nous ayons besoin de vos bons avis, il vous plaira, Monsieur, nous faire l'honneur de nous en assister, avec promesse solennelle que nous faisons tous ici de les suivre ponctuellement, d'obéir aveuglément à vos ordres et de vous reconnaître en qualité de Général; ainsi vous le promettez cria-t-il à ses soldats, levez la main? chacun en fit le serment, et on applaudit par de grands cris à ce qu'il venait de dire...

[96] L'assiette, réunie à Viviers le 7 juin, tente timidement une médiation. Elle prend une délibération pour demander au roi de pardonner aux peuples égarés par de fausses nouvelles et de faire quelque chose contre le monopole du charbon de pierre ainsi que pour un meilleur mesurage du sel. Castries récuse cette posture et répond qu'il faut commencer par obéir.

[97] Ariette Jouanna, Le devoir de révolte. La noblesse française et la gestation de l'État moderne, 1559-1661, Paris, Fayard, 1989. Sandberg, 1998:  le concept de la révolte était le centre d'un système de normes, de mœurs, et de suppositions sur le phénomène du conflit civil.

[98] ...toutes lesquelles choses demeureront esteintes, assoupies et comme non advenues comme de fait nous les esteignons, assoupissons et déclarons telles par cesdites présentes...

[99] Encore existe-t-il de bonnes raisons de penser que Montmorency aurait pu être pardonné. Son "suicide" est une hypothèse, la vengeance de Richelieu une autre, le chatiment de Monsieur par procuration une dernière.

[100] Quoiqu'un arrêt autorisé du parlement de Toulouse l'eût déclaré "rebelle" et coupable de crime de leze majesté de perfidie, trahison, desloyauté, trouble au repos public et de conspiration faicte contre le roy et son estât, le tout vigoureusement assorti d'une riche palette de condamnations, déchéances et punitions pour lui et ses gens, ainsi que leurs enfans et postérité.

[101]  Alors, la pensée politique ne va pas au-delà du Roi, même avant 1649 (décapitation de Charles I d'Angleterre). Les audaces concernent la combinaison des élements du Corps Politique dont le Roi fait toujours partie.

[102] Une théorisation sophistiquée mise au point pendant les troubles religieux et les minorités royales distingue la personne du Roi du corps politique (Roi, Conseil, Etats) qui est éternel et toujours juste. Lorsque le Roi est "inachevé" (minorités) ou "divisé" (mauvais conseillers), il revient à la noblesse, sanior pars du peuple, de le réunifier. On voit le potentiel d'une telle doctrine !

[103] L'époque moderne a rendu nécessaires ces légitimations (de l'usage de la violence). Dans aucune autre culture on ne trouvera, à mon avis, une autoconstruction imaginaire de ce type. A l'ère moderne, la violence n'est plus simplement "là", elle devient un problème ; elle est criminelle...L'époque moderne a proscrit et perdu la perception de l'existence du lien entre pouvoir et violence. Reemtsma, 2011.

[104] Comme Audijos (Gascogne, 1665) : Audacieux, infatigable, connaissant à fond le pays, Audijos se  multipliait et voyait chaque jour s'accroître le nombre  ses compagnons. Appuyé à la frontière espagnole, il déjoue longtemps les poursuites. Il n'est jamais pris et disparaît.

[105] d'Aigrefeuille, 1737, Histoire de Montpellier, Livre XIX,CH2