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Rome —
le paradoxe d'une chute éternelle |
Si Babylone est une image, Jérusalem une mystique, Xi'an (西安) un souvenir, Athènes une abstraction, "Rome" —la ville et l'Empire— reste une présence en Occident, alors même que le "latin" n'est plus enseigné et que la déchristianisation a dissipé la fausse familiarité quotidienne. Cette présence ne résulte pas d'un héritage mais d'une longue appropriation. Cherchant une identité dans une origine [2], les tribus adoptent des ancêtres mythiques. De même, les Francs furent faits Troyens (à la suite des Romains eux-mêmes) et les ouest-européens se firent Romains. L'Histoire de Rome, en tant que concept et écriture, est l'histoire de cette appropriation, une entreprise d'ingénierie génétique.
Cette entreprise a un début et peut-être une fin. Elle commence au XVIIIe siècle, s'épanouit avec la modernité industrielle et entre en crise avec elle à la fin du XXe. Curieusement, que cela soit dû aux modalités de la concurrence académique, aux singularités historiques et culturelles, ou à l'ambiguïté britannique — reprochent-ils aux Romains de les avoir envahis ou abandonnés ?—, c'est dans les régions les moins historiquement romaines de l'Occident que la littérature spécialisée (et même grand public) va de retournement en retournement, turns dont le continent s'effare (et s'amuse, peut-être à tort).
Indiquons tout de suite la difficulté majeure de notre enquête : "Rome" en tant qu'entité historique se laisse difficilement extraire de "Rome" en tant que mythe culturel —totem— ou de sa version mineure, rhétorique, d'un usage millénaire aussi diffus que banal.
Dans la première partie, nous étudierons la naissance de l'objet "Histoire de Rome". Il n'y a pas d'Histoire de Rome avant Gibbon qui écrit le brouillon des travaux futurs et surtout définit et délimite leur champ. Que, au XXe siècle, la spécialisation succède aux immenses sommes du XIXe ; que l'on préfère les structures aux évènements ; on reste dans le champ.
Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, les oppositions dans le champ, si elles se poursuivent (par exemple entre "modernistes" et "primitivistes"), se redoublent d'oppositions sur le champ. Le climat "déconstructif" de la postmodernité imprègne aussi l'Histoire de Rome : de quoi "Rome" est-il le nom ? Par une série d'excitants renversements upside down, les périphéries (provinces et zones frontières) remplacent le centre, l'implicite l'explicite, les "invisibles" (prostitutes, outlaws, slaves, gladiators, ordinary men and women...) l'élite sénatoriale, la Méditerranée les acteurs, l'Eurafrasie la Méditerranée, l'archéologie des objets l'histoire des hommes. L'Histoire de Rome n'aura-t-elle été qu'un sous-produit de la modernité ? (seconde partie).
Ne nous demandons pas si une "société" (disons plutôt : un groupement humain) peut avoir une histoire quand elle ne la pense pas, ne l'écrit pas et repose sur des traditions ; ne nous interrogeons pas sur la pertinence de notre concept d'Histoire appliqué à des "sociétés" qui ne le partagent pas ; ne spéculons pas, restons en au fait. Le fait est : les Romains n'ont pas produit d'historiographie, au sens propre d'histoire écrite [3], comme au sens large (Histoire). Qu'ont-ils laissé ? des chroniques, des biographies, des témoignages (épistolaires, épigraphiques, littéraires), des traces matérielles, pas d'Histoire de Rome. Ce qui se présente sous ce nom, ce sont de grandes machines (Tite Live, Denys) qui sont en prose ce que l'Enéide est en vers : des célébrations impériales du cheminement providentiel, des étapes épiques, de l'absorption du Monde par la Ville.
Après que les "royaumes barbares" aient remplacé l'Empire, on continue à évoquer Rome, à écrire ou à utiliser des morceaux de son histoire. Rien n'illustre mieux cette longue existence fantomatique que l'usage paneuropéen d'un "latin" appris que nul n'a plus pour langue maternelle —pour autant que cette langue artificielle ait jamais été maternelle à quiconque. Cette vie posthume passe par l'Eglise et les clercs qui maintiennent "Rome" vivante et familière : d'une part l'invention papale d'un empereur d'Occident, d'autre part le recyclage de Rome. Si la ville est en ruines, dépeuplée et menacée de l'intérieur et de l'extérieur, si la métamorphose de l'évêque de Rome en Pape demande des siècles, la substitution de Pierre et Paul aux jumeaux originaires et la proclamation du pouvoir des clefs font renaître à la fois l'image de la Ville et l'Imperium Mundi [4]. Le potentiel cosmogonique de la Cité (superlative site) est redoublé à partir du XVe siècle par sa monumentale reconstruction néo-latine. Cette permanence et cette renaissance affectent en retour notre vision et notre conception de Rome. La Rome papale conditionne notre vision de l'Antiquité. Scénarisée par les monuments et métabolisée par plus d'un millénaire d'affrontements entre les papes et les rois, l'apparence de continuité empêche nos historiens (et quiconque) de regarder la Rome antique du même œil que Carthage : c'est une partie de nous et non un objet purement historique. Une Rome mémorielle enveloppe et recouvre la Rome historique. Confusion dangereuse.
Le "moyen-âge" et la "première modernité" ne se limitent pas à écrire et parler "latin", ils puisent dans le trésor d'exempla de Rome pour en tirer des autorités, des illustrations, des symboles et des arguments. Ce qu'on appelle "Histoire de Rome" —souvent une suite de biographies d'empereurs— se réduit à paraphraser ou à publier les auteurs antiques, avec un grand abus de Plutarque et de l'Histoire Auguste [5]. La monumentale chronologie de Rollin-Crevier (Paris 1738-1748), ne couvre que la République (Histoire romaine depuis la fondation de Rome jusqu’à la bataille d’Actium) et, si elle eut grand succès, inspire aujourd'hui un immense ennui.
La fameuse querelle des Anciens et des Modernes dans la deuxième moitié du XVIIe, met en cause l'imitation des Anciens, sans critiquer leur autorité : si les Modernes dispensent l'historien de copier Tite Live, il continue à écrire à partir de lui [6]. Or une Histoire de Rome est impossible sans discuter la tradition. Et discuter la tradition, c'est du libertinage ou de l'hérésie (critique biblique protestante). En 1722, le mathématicien Pouilly (Lévesque de Pouilly) fait scandale à l'Académie des inscriptions en ouvrant un débat sur ce qu'on sait des Primordia, la période qui va de la "fondation" (Romulus/Remus, les rois, etc.) au "sac de Rome par les Gaulois" (Sur l'incertitude de l'histoire des quatre premiers siècles de Rome). Réprobation et condamnation [7]. Cette "bombe" (Maury, 1864 [8]) que Pouilly fit éclater nous paraît aujourd'hui anodine. Elle ne l'était pas. Pouilly dut renoncer à l'Académie [9] : Jusqu'à la suppression de celle-ci, en 1793, personne ne s'avisa plus de mettre publiquement en doute l'existence de Romulus, ni l'histoire des origines de Rome (Grell, 1983).
Ce n'est donc pas en France que pouvait naître l'Histoire de Rome. Montesquieu n'en est pas le père. Il publie en 1734 Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence et reviendra sur le sujet dans l'Esprit des Lois (1748). Ecrivant pour un public aussi imprégné d'antique que lui-même, Montesquieu emploie un langage romain pour critiquer implicitement le despotisme français et prescrire comme remède la vieille thériaque de la "constitution mixte", cette combinaison de monarchie, d'aristocratie et de démocratie qu'on suppose depuis longtemps (avant même la Grand Monarchie de Seyssel, 1519) cumuler les avantages de chacun des régimes et neutraliser leurs inconvénients. Rome est l'illustration commode et prudente de la "constitution mixte". Malgré l'allure chronologique de son exposé, Montesquieu ne fait pas plus d'Histoire que Machiavel dans son Discours sur Tite Live (1531). Si, pour la première fois un auteur embrasse Rome dans toute sa durée, du début à la fin, Montesquieu ne va jusqu'au bout qu'en fermant les yeux [10] : dix chapitres consacrés à la grandeur que la "constitution mixte" a valu à Rome, dix à la décadence que son oubli provoque et les trois derniers à la chute.
Cet usage allégorique de Rome sera fréquent au XVIIIe, en France et d'autres pays européens. Eduqués par les grands auteurs romains, familiers des caractères des héros, admirateurs des hauts faits de Rome, les membres de la classe politique partagent cette culture stéréotypée, à la fois importée et fabriquée, et y prennent leurs exemples, leurs arguments et leurs images. On le verra pendant les révolutions américaine et française qui empruntent aux plus incertaines primordia l'épisode glorieux de l'éviction du roi Tarquin et de la fondation de la "République", en essayant d'oublier sa faillite ultérieure [11]. Il est amusant de trouver un Sénat et un Capitole sur les bords du Potomac et encore plus de voir en 2010 circuler à travers les USA une exposition du National Constitution Center [12] : ANCIENT ROME AND AMERICA — THE CLASSICAL INFLUENCE THAT SHAPED OUR NATION !
Comme
dans la
Bible ou le Mahâbhârata, on
trouve dans
l'épopée de Rome ce dont on a
besoin. Ce n'est pas de l'Histoire mais de la rhétorique ou de
l'ornementation : architecture, costumes, mots d'ordre... En
témoigne en
France la figure révolutionnaire de Brutus (à partir de 1793) qui
amalgame deux
Brutus : l'un en "509 BC" remplace le roi par la république ;
l'autre en 44BC liquide Jules César soupçonné de vouloir se faire
roi !
D'innombrables Brutus naîtront ces années là, non pas en hommage à Rome
(au
même moment les jours et les mois sont déromanisés), mais
en
affirmation politique ! C'est un nom de code [13],
un symbole, un raccourci comme on disait "Moscou" pour
"communistes". De même, "Catilina" pour conspirateur, "Carthage"
pour Angleterre, et, dans un autre registre antique, "Sparte" pour la liberté collective écrasant la liberté
individuelle et, après
Thermidor, Athènes pour liberté ! Les Thermidoriens affecteront de
voir
dans la Terreur l'effet d'une anticomanie fanatique [14].
C'est
précisément cette imprégnation
romaine, cette quotidienneté, qui rend alors impossible une Histoire de
Rome. Poser
Rome comme objet d'histoire demande une mise à distance —où en
résulte— pour exfiltrer Rome de la vie courante en l'écrivant au passé.
Vertot (1732, 1732, Histoire
des révolutions arrivées dans le gouvernement de la République romaine
prête des discours aux personnages historiques, en faisant des acteurs
dramatiques du quotidien du lecteur dont, nécessairement, ils parlent
la
langue, ce qui donne une impression d'immédiateté.
Tant que Rome (ou son apparence) se vit au présent, le continuum illusoire lui confère une valeur normative à laquelle on emprunte son autorité, en tirant des traites à discrétion sur cette abondante banque de données. Ce sera le rôle de Gibbon d'ouvrir les livres pour examiner le bilan. Au lieu de réécrire ou commenter les "historiens" romains, il les révoquera en doute et en fera une utilisation raisonnée.
Il en va encore ici comme de la Bible que la critique, protestante d'abord, érudite ensuite, a fait passer de l'état de sujet englobant (qui parle de nous et nous dicte sa loi) à celui d'objet à analyser (dont nous parlons et auquel nous donnons notre loi interprétative). Historiser la Bible (et les Ecritures en général) les extériorise, ce qui suscite l'horreur de leurs défenseurs.
Que Gibbon ait admiré Montesquieu et lui doive quelque chose, ne doit pas nous tromper : leur Rome n'est pas la même, ni l'emploi qu'ils en font. La Rome de Montesquieu est traditionnellement le magasin d'accessoires. Celle de Gibbon, un problème à résoudre. La première est une réponse, la seconde une question.
Par
rapport à
tout ce qui a été écrit avant lui, Gibbon
réalise (et nous fait effectuer) deux déplacements : le premier,
de la
République et ses vertus à l'Empire et ses difficultés, du connu
rabâché à
l'inconnu inquiétant ; le second, du décor historique à
l'histoire-problème. Puisqu'il étudie un processus, il en fait
l'histoire ; et, puisque c'est un littérateur, il écrit un
narratif.
Il est
tentant
de dramatiser Decline and Fall (D&F par la suite)
et de le voir de loin (de
très loin) comme une longue méditation sur les ruines, un pendant
littéraire
aux fabriques qui ornementent les
parcs, colonnes coupées, arches brisées, tours tronquées, pour exciter
l'imagination. Le XXe siècle dont les cataclysmes ont montré qu'une civilisation a la même fragilité
qu’une vie [15]
prend
volontiers D&F pour une interrogation implicite sur l'avenir de
l'Europe
des Lumières. Memento mori :
comme Rome, déclinerons-nous ? Les révolutions américaine et
française, la
révolution russe, la chute des empires coloniaux sont à l'arrière-plan
de cette
lecture moderniste. Vraie ou fausse, l'anecdote de la rencontre de
Franklin et
de Gibbon introduit the
decline and fall of the British Empire [16].
Dans
la conclusion des trois premiers
volumes qui forment sa première époque, Gibbon
déçoit cette lecture. A la question si
l’Europe est exposée à craindre encore une répétition des
calamités qui renversèrent l’empire de Rome et anéantirent ses
institutions,
il répond négativement : la civilisation est à
présent trop
étendue pour disparaître [17].
Il n'y a plus de
barbares pour nous détruire. Si toutefois il en surgissait, pour nous
vaincre,
il faudrait d'abord qu'ils se civilisassent. Et, au pis, En
supposant que les Barbares victorieux portassent l’esclavage et la
désolation jusqu’à l’océan Atlantique, dix mille vaisseaux mettraient
les
restes de la société civilisée à l’abri de leurs poursuites, et
l’Europe
renaîtrait et fleurirait en Amérique, où elle a déjà fait passer ses
institutions avec ses nombreuses colonies.
En
2005, après le réveil de l'intégrisme
islamique, Ward-Perkins termine son ouvrage grand public The Fall of Rome and the End of Civilization par
cet avertissement bien éloigné de l'optimisme de
Giibbon: The end of the Roman West
witnessed horrors and dislocation of a kind I sincerely hope never to
have to
live…Romans before the fall were as certain as we are today that their
world
would continue for ever substantially unchanged. They were wrong. We
would be
wise not to repeat their complacency.
Gibbon ne cherche pas à se rassurer, il n'est pas inquiet. Comme ses lecteurs instruits et aisés, en Angleterre et ailleurs, l'ordre présent lui convient [18]. Il oblitère tout naturellement la République romaine qu'il laisse à ceux qui critiquent l'ordre présent et cherchent à justifier les changements qu'ils réclament. Il n'en fait pas partie. On lui reproche aujourd'hui de ne pas s'être inquiété de la sécession américaine ou des émeutes et troubles sociaux [19]. Pour lui et l'heureuse gentry, il s'agit de questions de police, pas de "problèmes de société". Que le "gothique" et les ruines soient la part d'ombre du siècle des "Lumières", n'en fait pas la négation. Du reste, lorsque dans le dernier chapitre de D&F (CH 71), Gibbon s'occupe des ruines de Rome, ce sont celles du XVe siècle (Prospect of the Ruins of Rome in the fifteenth Century) et il les traite en historien. Si la dernière phrase de D&F évoque l'inspiration qu'il en aurait reçu, c'est pour finir joliment, pas pour donner la clef [20].
Gibbon, évidemment un "homme de son temps", est "politiquement" the most ordinary squire who came to Westminster (Graubard, 1976, qui en fait un grief). Malgré son imprégnation de culture française et ses longs séjours à Lausanne, malgré son inappétence pour la chasse et l'agriculture, il reste, fondamentalement, un gentilhomme anglais, partageant les préjugés politiques et sociaux de sa classe. Morison, son biographe de 1878, n'aime pas ses lucratives années publiques (1774/82) : Gibbon’s political career is the side of his history from which a friendly biographer would most readily turn away (p 78). Il lui reproche de ne pas appliquer sa mental vigour aux questions du temps, de rester absolument muet au Parlement, de profiter des prébendes du Board of Trade et de manquer de convictions.
Cette indéniable paresse est cependant toute sélective car, dès les premières lueurs du jour, Gibbon, la plume à la main, travaille dans sa bibliothèque et, en 1776, publie le premier volume de D&F qui rencontre un public et transforme un amateur en auteur, un ouvrage en œuvre.
Les commentateurs oublient trop souvent d'interroger le public de Gibbon et sa contribution. Pourtant D&F n'existerait vraisemblablement pas si le general public n'y avait pas adhéré. Sans le succès du premier volume (My book was on every table, and almost on every toilette; the historian was crowned by the taste or fashion of the day..), la modestie orgueilleuse et l' "indolence" laborieuse de Gibbon l'auraient dissuadé de poursuivre. Il nous resterait les 700 pages d'un livre oublié sur le Decline and Fall de l'empire païen, et uniquement celui-ci. Mais le public, satisfait de sa façon de voir et de peindre, a poussé l'auteur plus loin, malgré les attaques de la bigoterie contre les fameux CH15 et 16 [21], attaques qui dureront longtemps.
L'adhésion du public transforme Gibbon en écrivain professionnel. A près de quarante ans, il n'a encore rien réussi. Le succès médiocre de son Essai sur l'étude de la littérature (1761) a été suivi de l'abandon de l' Histoire Générale de la République des Suisses (1767) [22], du four des Mémoires littéraires de la Grande Bretagne 1768/69, et de l'échec des Critical Observations on the Sixth Book of the Aeneid (1770). Le projet du D&F a mûri pendant sept ans et l'écriture des seize chapitres de 1776 a demandé trois ans [23]. Leur parution était critique. Même si, bien plus tard, Gibbon écrit, à la fin du dernier volume, que ce travail has amused and exercised near twenty years of my life, il ne l'aurait pas fait pour lui-même.
Les encouragements du public poussent Gibbon à poursuivre, de Constantin jusqu'à l'effondrement de l'Occident. En 1778 il entreprend le second volume qu'il publie avec le troisième en 1781. La réception reste bonne, quoique moins enthousiaste [24]. Ces trois volumes (D&F occidental) forment la "première époque" de l'édition française de Buchon (1839) [25]. Arrivé à ce point, Gibbon allait-il s'arrêter ?
Comme, ex post, le résultat se présente à nous aujourd'hui dans sa totalité instantanée, nous oublions sa temporalité et commettons l'erreur de lire D&F comme un unique ouvrage [26].
Gibbon n'a pas décidé d'avance d'aller jusqu'à la fin de Constantinople et, après le troisième volume, considère qu'il a tenu la promesse qu'il avait faite au public [27]. Il hésite un an. Il est probable que son retour à la vie privée (dissolution du Board of Trade et perte de son siège au Parlement) contribue à lui faire faire le saut. En 1783, il s'installe à Lausanne, se met au travail en 1784 et, trois ans après, écrit la dernière ligne du dernier volume qui conduit jusqu'au XVe siècle, liant pour la première fois l'Antiquité et les "temps modernes". Il publie les trois nouveaux volumes en 1788. Malgré la symétrie formelle (deux fois trois volumes, deux fois un millier de pages en deux colonnes dans l'édition Buchon), la "seconde époque" constitue, dans une certaine mesure, un autre ouvrage [28].
Le
"Gibbon's problem" consiste-t-il
à expliquer le déclin et la chute de l'Empire Romain [29]
comme on le pense
souvent, ou au contraire à trouver sa fin ? à rendre compte de son
invraisemblable
survie, de sa chute éternelle (Louis
Racine), de ce paradoxe d'une death-agony
of a thousand years (Norman Baynes [30]).
Quoique
l'Empire change, dans son
organisation et dans son espace, Jupiter tient sa promesse à
Vénus : imperium sine fine dedi (Eneide, I, 279) ! Gibbon, sans s'arrêter aux
submersions
barbares du Ve siècle, sans s'arrêter à l'envahissement arabe du VIIe,
sans
s'arrêter à la prise de Constantinople par les "croisés" en 1204,
court jusqu'en 1453 [31]
et ne s'arrête toujours
pas : les trois derniers chapitres rebondissent sur la nouvelle
ancienne
Rome, la Rome papale que nous savons durer jusqu'en 1870 [32].
Aujourd'hui,
on pourrait même aller plus
loin : l'Empire Ottoman ne fut-il pas un nouvel avatar de Rome (Ball
Warwick, 2012, Sultans of Rome) ?
Rome, du paganisme au christianisme puis à
l'Islam ? du latin au grec puis au turco-persan ?...On prête
une
continuité multimillénaire à un empire chinois qui se décompose et se recompose à plusieurs
reprises, à partir de l'intérieur ou de l'extérieur. Ne peut-on se
demander un
instant si Rome a connu avec
l'Empire Ottoman sa métamorphose mandchoue ? Les deux, le mandchou
et
l'ottoman, —les trois si on ajoute la Rome papale— furent emportés
par la transformation du
monde au XIXème siècle (Osterhammel) qui rendit obsolètes les empires
antiques.
Montesquieu
aussi
avait balayé les millénaires, des commencements
de Rome (CH. 1) à la destruction
de l'Empire d'Orient (CH. 23).
Gibbon, on le sait, saute
par dessus la République et, passant de l'Occident à l'Orient, descend
le temps
aussi loin que Montesquieu, ce qui permet à Laboulaye, dans sa préface
à
l'édition de 1876 des Considérations,
de cocoriquer [33] :
Qu’est-ce que le
grand ouvrage de Gibbon, sinon la paraphrase des derniers chapitres de
Montesquieu ? Paraphrase? là où Montesquieu, soucieux de philosophie
politique et de morale, esquisse l'ombre d'une silhouette, Gibbon donne
un
tableau achevé qui forme la première Histoire de l'Empire Romain jamais
écrite.
Les
historiographes de Rome qui recopiaient ou adaptaient les grands
auteurs
romains étaient, par le fait même, conduits à s'arrêter au même endroit
qu'eux ! Ils s'en contentent bien volontiers car eux et leur
public ne
s'intéressent pas au bas empire, à la décadence,
et moins encore à
l'Orient. Je l'ai dit, leur préoccupation, c'est les victoires et les
"vertus".
Le
succès de Gibbon
laisse penser que le public se lassait de ces vertus romaines qui
sentaient le
maître d'école ou le prêche. Gibbon, après ses faux départs florentin,
suisse etc.,
cherche un sujet et une réputation. Il mobilise la vieille lune du déclin et la transforme en objet
historique. Rien de plus ancien et banal que ce lieu commun :
l'homme
vieillit, la beauté se fane, les manières se perdent, les royaumes
s'écroulent,
les fortunes se dissipent...
C'est le très vieux thème de la vicissitude des choses [34] qui, à tout prendre, inspire la méditation sur les ruines (cf. Volney, 1791 [35]), quand Londres sera redevenue un sentier herbeux... Consciemment ou non, en affichant Decline and Fall, Gibbon flatte son lecteur pour, ensuite, lui donner, non pas des "considérations", mais un exposé raisonné, mettant en œuvre la conception énoncée dans l'Essai sur l'étude de la littérature : L’histoire est pour un esprit philosophique ce qu’était le jeu pour le marquis de Dangeau. Il voyait un système, des rapports, une suite, là où les autres ne discernaient que les caprices de la fortune (§ XLVIII, ed. 1761, p 94/95). Mais, attention, ce système naît des faits, il ne les choisit pas. L’incertitude est pour nous un état forcé…Le génie brillant se laisse éblouir par ses propres conjectures…De cette disposition naissent les systèmes (§LIV, p 106).
Si, par suite, Gibbon n'élabore pas une théorie du déclin de Rome, ses faits sont douteux. Même lorsqu'ils excusent le XVIIIe siècle de manquer de sources (notamment archéologiques) et d'ignorer les facteurs économiques et sociaux, les historiens postérieurs ont critiqué le D&F à l'envi, pour ce qu'il contient et pour ce qu'il ne contient pas. La critique interne conclut avec malice qu'il échoue à organiser les facteurs de déclin et à en donner une explication générale [36].
Au-delà du plaisir de la lecture, l'apport de Gibbon ne réside pas dans son analyse mais dans son regard. En faisant de Rome un passé, il définit et balise le champ de l'Histoire de Rome. En passant de la morale à l'analyse (quelque jugement qu'on porte sur la valeur de celle-ci) ; en écrivant dans les années 1770 comme un homme de ces années et non comme un "romain" ; en se distanciant de son thème (par son ton volontiers amusé autant que par ses jugements) ; il met à profit sa familiarité intime avec l'Antiquité pour l'extérioriser, pour la poser sur la table de dissection et l'offrir à l'examen et aux scalpels. Qu'il saute par dessus la République l'empêche de faire une histoire complète de Rome mais d'autres utiliseront la méthode du D&F pour étudier son antécédent : essor et triomphe.
Si le XVIIIe siècle, avec la diplomatique, les recueils et collections, les débuts de l'archéologie (Herculanum et Pompéi), la numismatique, le libertinage (critique des traditions reçues), l'apparition de l'idée de "progrès" (et donc du temps historique), les prodromes romantiques, si le XVIIIe préparait la rupture avec les Anciens ; s'il était au bord de la découverte de l'Histoire ; s'il en était gros ; il s'est trouvé que, par hasard et entraînement, Edward Gibbon en fut l'accoucheur [37].
Au XIXe et au premier XXe siècle, les romantismes nationaux, la philologie, l'archivistique, les voyages et expéditions militaires, l'extension des fouilles puis leur rationalisation et les nouvelles techniques archéologiques, multiplieront d'abord les grand narratives à la Gibbon, pour laisser place ensuite à des spécialisations de plus en plus précises. L'illusion scientiste, dans ce domaine comme dans d'autres, a fait merveille.
L'association
Rome/Impérialisme est-elle
un paradigme ? une figure de rhétorique ? une banalité ? Que
l'impérialisme se soit cru justifié par sa mission civilisatrice (et
qu'il
l'ait prêtée à Rome) s'explique mieux par le "scientisme" que par
l'antiquité.
Soyons contemporains ! comment les Européens qui s'extrayaient des
conditions de vie "antiques" (sociétés
organiques [38]),
avec la machine à
vapeur, les vaccins, l'électricité etc., ne se seraient-ils pas sentis
civilisés à neuf et, de ce fait, investis d'une "mission" à l'égard
des autres ? L'image de Rome est omnibus :
elle se prête à tout ce qu'on lui demande et illustre aussi bien
l'impérialisme
que l'unité nationale de Mommsen ou, aujourd'hui, le multiculturalisme
d'un
monde hyperconnecté [39].
En 1795, dans ses Leçons, Volney ne se limite pas à faire de la Terreur une pathologie anticomaniaque et à noircir Rome [40], il réfléchit à la pratique de l'Histoire [41] : l'histoire prend le caractère des époques et des temps où elle a été composée (p. 34). Au temps t d'un lecteur ou d'un auteur, le passé qu'il voit lui parvient à travers une série de miroirs déformants qui reflètent les images successives formées par les générations antérieures.
Les tournants du présent engendrent des tournants du passé. A partir de la fin XIXe, le capitalisme et la conscience de l'importance des facteurs socio-économiques conduisirent certains à prêter à Rome un modernisme (Meyer, Beloch, Rostovtseff pour faire bref [42]) qui n'a cessé de susciter, d'un côté les critiques d'anachronisme, de l'autre des développements "connectionnistes" d'autant plus audacieux que l'économie mondiale s'intègre davantage (cf. infra).
Au niveau "méta-conceptuel", la deuxième moitié du XXe siècle connaît une heureuse révolution qui rejette l' "eurocentrisme" et recherche une Histoire alternative. Le choc intellectuel de la décolonisation (au sens large) a eu une intensité maximale là où l'Etat s'identifiait à l'Empire (Royaume-Uni), mais son extension a été mondiale, redoublée par la réapparition ou l'émergence de puissantes économies et cultures asiatiques qui relativisent l'Occident (débat sur la "grande divergence" [43]).
Outre cette influence générale, l'histoire du "bas empire" a subi le paradigm shift impulsé par Brown (late antiquity) à partir d'une réévaluation du facteur religieux [44]. Au schéma organique du vieillissement ("déclin et chute" avec en corrélats la disparition de la civilisation et les dark ages) succède un schéma "évolutionniste". La période IVe/VIe ne se caractérise plus par la "décadence" ou l'effondrement mais par la continuité, tant au niveau des élites (synthèse "romano-barbare") que de la masse des petits paysans dépendants dont l'archéologie révèle la permanence. Les grandes invasions, au lieu d'un tsunami destructeur, deviennent un processus d'interactions qui, à la limite (Goffart), devient an imaginative experiment that got a little out at of hand [45].
Le temps et le lieu, la géopolitique et l'idéologie du moment, déterminent la représentation que se font tels historiens des "barbares germaniques" (cf. les Français après 1870 [46] et, en sens inverse, la réconciliation et la redécouverte à la suite de l'intégration européenne), et plus généralement ils fixent le sens de la relation centre-périphérie. A l'époque impérialiste, les Occidentaux, se voyant supérieurs et civilisateurs, font de l' "assimilation" des Provinces à Rome le ressort du progrès. Après la seconde guerre mondiale, la perte des colonies, l'émergence du "tiers-monde" et des nouveaux mythes associés —une résurgence du "bon sauvage" ?—, le triomphe de l'Asie, la polarité s'inverse.
Dès lors, la romanisation apparaît comme un concept impérialiste, traduisant la supériorité générale du "centre" et l'imposition de ses normes à la "périphérie" [47] . On accuse Rome d'avoir justifié l'Empire britannique [48], et le français dans une moindre mesure, sans oublier le mirage fasciste italien (Foro, 2005).
Pourquoi Rome ? Si Athènes est hors jeu, faute de provinces, bien avant Droysen (1833), Strabon dans sa Géographie, Plutarque dans sa Vie d'Alexandre, justifiant la conquête du monde par les bienfaits de la civilisation romaine, s'appuyaient sur l'exemple mythifié d'Alexandre le grand qui a (aurait) construit des routes, développé le commerce, édifié des villes et répandu la science (Briant, 1979). Le "blitzkrieg" du fabuleux Alexandre est plus sexy que le grignotage multiséculaire de générations de Romains. Mais l'empire se conquiert à cheval, il ne saurait se gouverner à cheval. Alexandre est un fantasme de généraux, Rome d'administrateurs.
Les historiens sensibles à l'ambiance tiers-mondiste des années 1970 décentrent leur regard pour construire les "périphéries" en tant qu'acteurs autonomes du jeu, et non plus objets passifs ou rétifs de la domination romaine ou occidentale en général. Cette dernière sera dénoncée, non seulement pour ses faits (exploitation etc.) mais pour avoir inculqué aux dominés une fausse conscience de leur identité et de leur histoire [49]. Deux repères : 1978, Orientalism d'Edward Saïd ; 2007, The Theft of History de Jak Goody.
Ces postcolonial studies, puis subaltern studies, empruntent leurs méthodes et analyses à l'histoire culturelle, à l'anthropologie voire à l'archéologie, car l'historiographie est souvent muette et, plus souvent encore, biaisée. Par exemple, presque tout ce que nous savons sur l'empire perse a été écrit par des Grecs vindicatifs puis des Romains hargneux et glosé par leurs successeurs impérialistes. "Décoloniser" l'histoire perse antique (Briant, 1996, à la suite de Sherwin-White, Kuhrt [50]) est une gageure puisqu'il n'y a pas d'historiographie perse et peu d'épigraphie : il faut d'une part se baser sur l'archéologie et, d'autre part, contextualiser les "fake" sources pour tenter de les décoder [51].
De même qu'on recherche le vernaculaire derrière l'adaptation au colonisateur (Singarévelou, 2013, les empires coloniaux), de même on reconstruit l'interaction des Celtes, des Germains ou des Grecs avec les Romains. C'est le grand débat britannique sur (contre) la romanization [52]. La nouvelle approche refuse le schéma diffusionniste "civilisateur" et détourne le regard des grands monuments publics au profit des traces quotidiennes. La concurrence pour le pouvoir entre les membres de l'élite les pousse à "devenir Romains" sans que la multitude paysanne ne s'en soucie. Le vernis romain n'affecte pas la culture locale sous-jacente qui réapparaîtra après. Cela pose la question de l'ethnogenèse qui, même déromantisée, enrichie par l'anthropologie et réhabilitée par la critique des thèmes nazis, reste douteuse [53]. Une solution élégante : autour de l'année 0 de notre calendrier, le "monde romain" (centre et périphéries tout ensemble) serait pris dans une révolution culturelle commune dont, hélas, on parvient mieux à saisir les manifestations que les causes [54].
Du fait que l'histoire a été faite et écrite par les vainqueurs qui ainsi préemptent l'historiographie future [55], la reconstruction entreprise par les "nouveaux historiens" de l'Antiquité manque de matériaux historiques et doit chercher ailleurs ses éléments. Cette nécessité de méthode produit de nouvelles habitudes de recherche qui marquent la revanche des archéologues et révolutionnent le regard porté sur les matériaux historiques quand il y en a. En un sens, c'est le dernier stade de la critique des sources : les documents ne sont plus des sources, ce sont des textes. Concernant l'Histoire en général, cette approche "postmoderne" est stimulante. Concernant l'Histoire de Rome, elle tend à la dissoudre. Aura-t-elle été un produit temporaire de la modernité, comme par exemple l'Histoire ecclésiastique le fut du moyen-âge ?
Pendant les deux siècles industriels, le champ ouvert et balisé par Gibbon a été labouré, semé et moissonné avec une productivité si croissante qu'il devient aujourd'hui trop étroit et la conception de son exploitation trop limitée. Non seulement les haies qui le délimitent sautent mais les principes de sa culture (nations, Etats, groupes humains) périment : la critique post-moderne, dans sa démolition des "-centrismes", ne s'arrête pas à l' euro-centrism ou au male-centrism, elle s'attaque à l'anthropocentrisme.
Une naïve et anachronique projection du schéma de l'Etat moderne appréhendait (et appréhende toujours dans une large mesure) Rome comme un "territoire" délimité par des frontières linéaires, un espace homogénéisé par la "romanisation". La nouvelle approche se représente un espace indéterminé polarisé par un réseau de cités méditerranéennes (ou un réseau de réseaux) qui, aux approches des zones tribales, fonctionne comme un "melting pot".
Terrenato 2015 [56] : Rome-cité devient Rome-espace en structurant les réseaux urbains méditerranéens préexistant. La concurrence des cités (au sein de leurs réseaux d'appartenance comme entre réseaux) les empêchait de s'organiser en méta-réseau pour concrétiser leur "connectibilité" (qu'on me passe le terme). En combinant persuasion et contrainte, en s'associant les cités au lieu de les détruire (gouvernance inclusive multiniveaux), en leur fournissant infrastructures de communication (routes etc.) et superstructures (droit privé), en mutualisant la force militaire et sa logistique, Rome répond à l'aspiration des réseaux à se transformer en système...Rome est alors le nom de ce processus qui, logiquement, échoue lorsqu'il dépasse ses "limites écologiques" en s'étendant au-delà du monde des cités.
Dans cette voie d'analyse, on trouve l'innombrable série des travaux "connectionnistes" qui, mettant l'accent sur le potentiel de la Méditerranée, remplacent l'Histoire de Rome par celle de cet espace. Il y a beaucoup à objecter à ce centrage qu'une lisibilité physiographique particulière (Wong) rend faussement évident —je développerai ce thème ailleurs—, reposant sur une vision géographique que les Anciens n'avaient pas et surestimant l'intensité des communications. Ce "méditerranéisme", né au XIXe de la navigation à vapeur, de l'invention du "climat", du "grand tour" et de l'attrait du soleil pour les nordiques, de stéréotypes culturels (la vigne et l'honneur !), développé par Braudel et revivifié par Horden & Purcell [57], ne reste pas incontesté, de l'intérieur (jusqu'où la Méditerranée ?) et de l'extérieur (world history).
Une world history de Rome est en train d'apparaître à Honolulu [58]. Elle généralise (et exagère) de nombreux travaux qui montrent le poids et l'importance de la Perse, de l'Arabie côtière, de l'Afrique de l'Est ; leur articulation aux emporia indiens ; le rôle de ces derniers comme "hubs" concentrant et redistribuant les ressources de l'Asie orientale (Chine), de l'Asie des îles et des rives occidentales de l'Océan indien [59].
Pourrait-on
écrire l'Histoire de Rome comme celle de son
aspiration par l'Asie occidentale, ses trésors, ses légendes et ses
mirages [60] ?
"Remonter la chaîne de
valeur" à partir d'une position mineure de sous-traitant, comme on
dirait
aujourd'hui, demande des siècles et ne va pas sans péripéties et,
finalement,
pour Rome, faillite et take over ottoman.
Dans
cette
perspective "mondialiste", l'Histoire de Rome se dissout. On a tenté
—à propos de la Méditerranée— de distinguer history IN et
history OF. Une
histoire DE l'Asie occidentale aurait quelque chose d'une tectonique
des
plaques.
C'est
peut-être
aller trop loin, comme ces archéologues du material
turn (Versluys, 2014) qui, pour sortir du postcolonial,
se demandent si les objets, au lieu d'être les
auxiliaires de l'Histoire, ne devraient pas la faire. Une non-anthropocentric
approach oublierait ce que nous croyons savoir
(from texts towards things), irait de
l'essence à l'existence (from roots to
routes) et considérererait les diasporas
of material culture et leur agency
car objects can possess agency (Hodos
in Versluys) [62].
Ces auteurs veulent sortir du débat usé sur la romanization
en abandonnant "Rome" et en faisant de ce
qu'on appelait romanization le
processus de connection des objets en Méditerranée.
Le "connectionnisme" n'est pas seulement un biais méditerranéen. La world history de Rome en fait aussi usage. On glose à l'infini sur un morceau de verre romain trouvé en Corée [63]. Rappelons-nous la leçon de Volney : l'histoire prend le caractère des époques et des temps où elle a été composée. Aujourd'hui que les chaînes de valeur sont intégrées à l'échelle mondiale et que —jusqu'à quand ?— the World is flat (Friedman), avec des communications instantanées et des transports de masse ultra-rapides ; qu'on est passé (ou qu'on croit être passé) des hiérarchies aux réseaux, de l'industrie à la communication ; que même les objets usuels sont connectés ; on aperçoit des aspects de l'Antiquité auxquels nos ancêtres étaient aveugles et, inévitablement, on leur accorde une importance exagèrée.
Les plus vieux d'entre nous ont oublié —et les plus jeunes pas connu— ce qu'est une société à faible intensité de communication. Nous n'imaginons pas ce qu'est un monde où l'information circule à dos d'homme, un monde à basse vitesse où toute information est incertaine.
On s'extasie devant les routes romaines dont pourtant, au sommet de l'Empire, la longueur ne représente qu'un tiers du réseau routier français actuel pour une superficie dix fois plus importante. En dehors d'ouvrages monumentaux, overengineered pour afficher l'éternité et la puissance de Rome, ces routes, pour la plupart, n'étaient pas dallées mais empierrées et peu praticables par mauvais temps.
Abusé
par
quelques mots sonores employés pour désigner l'orbis
(Catule, extremos Indos/ultimos
Britannos [64]) et par les déplacements —pourtant si lents et
hasardeux— des personnes et des biens, on croit voir une Rome globale.
Certes,
un pèlerin, une fois, n'a mis que
90 jours pour aller d'Espagne à Constantinople. Mais c'est long. Et il
a eu de
la chance. Rappelons les données élémentaires : même si les hottes
accomplissent
des prodiges —comme les vélos du Vietminh—, le transport par terre
se heurte aux montagnes, aux marais, aux forêts et ne permet pas de
déplacer
n'importe où de grandes quantités ; les bœufs qui tirent les
chariots passent
des heures à se nourrir, les essieux cassent. Le transport par eau est
le seul
medium de masse : encore faut-il du bois pour faire les bateaux ou
radeaux,
des courants et vents favorables et, surtout, que le lieu de
consommation
soit au bord de la mer ou d'un fleuve [65].
On prête trop facilement à la Méditerranée dans son ensemble la
connectivité de l'espace égéen, avec ses innombrables îles, son réseau
urbain côtier et ses vents étésiens.
On
ne peut donc pas admettre que l'Empire
dans son ensemble, ni même la Méditerranée, soit "connecté". Le mot,
en lui-même, ne préjuge pas du degré et de l'intensité mais à l'heure
d'Internet il est trompeur. Il est également symptomatique que les
"connectionnistes", imprégnés de la mondialisation actuelle de la
"chaîne de valeur" privilégient le temps court (relativement court) des
échanges. Qu'il y ait du "commerce de gros" (des tuiles carthaginoises
en Gaule) n'est pas synonyme d'un triomphe du principe de
spécialisation de Ricardo !
Il
ne faut pas parler de "connection"
mais de "contacts" : il y a des axes et des circuits, des
directions, des vitesses, des moments. Ce n'est pas seulement par
ignorance que
les "antiques", pour se diriger, emploient des itinéraires et non des
cartes : leur espace est partiel et orienté. Les itineraria picta (cf. Peutinger) ne sont
pas représentatifs mais fonctionnels, comme un plan de métro auquel on
ajoute
les distances et les commodités [66]. Quant aux itinéraires marins, Bérard vers 1900, dans sa
pathétique quête d'Ulysse, avait raison d'utiliser la voile et de
préférer les Instructions nautiques aux cartes
hydrographiques : il soulignait fortement que, si nos trajets
cherchent à raccourcir
la durée, ceux des antiques visaient à minimiser l'effort et le
danger [67].
Sans
développer davantage ces basic facts trop étrangers à
notre
référentiel quotidien pour ne pas être oubliés, ils montrent que le
"connectionnisme"
sous-estime lenteur, pesanteur et incertitude. Moins par erreur que par
illusion : le modernisme antique du
début du XXe siècle —déjà évoqué— traduisait l'influence du
capitalisme et de son internationalisation ; sa variante
contemporaine
traduit le monde hyperconnecté ou nous vivons. Et le material
turn, en remplaçant les texts par les things
a
quelque chose de l'exploitation des big
data : on accumule les données (tessons et traces de toutes
sortes et
leur identification) sans schéma pré-établi, même hypothétique, dans le
but d'en
extraire du sens...
C'est pourquoi l'Histoire de Rome ne peut pas survivre à l'époque qui pensait "Rome" en termes d' "Etat" —voire de "nation". L'Histoire aujourd'hui rejette les objets fermés ("Rome", la "Méditerranée"...). Une Rome ouverte peut être un objet d'Histoire, plus un sujet [68].
L'esquisse d'Histoire de l'Histoire de Rome que je viens de tenter, si elle est chronologique et, d'une certaine façon, progressive —on perçoit de plus en plus de choses—, ne décrit pas une marche vers une vérité qui n'existe pas. Ce sont des couches successives de la représentation de "Rome" qui, d'ailleurs, ne présentent pas d'homogénéité. D'une part, étant relatives au temps et au lieu, elles sont segmentées, ne communiquent que partiellement [69] et subissent des cycles générationnels ou des effets de mode. D'autre part, à chaque moment et endroit, des débats ont eu lieu, les conceptions précédentes, même vaincues, n'ont pas disparu et encore moins les représentations, alimentées et revivifiées en permanence par la culture populaire.
On admet assez aisément le danger de l'anachronisme conceptuel ("Etat", "frontière", "peuple" etc.) qui nous fait prendre des chevaux pour des "automobiles sans roues" (Ong). Mais le niveau pré-conceptuel (ou méta-) est à la fois plus critique et plus insidieux. Comment ne pas chercher de truchement entre "eux" et "nous" en identifiant ou en postulant des "structures" dia- et synchroniques ? Comment ne pas imposer la linéarité orientée de notre temporalité à la cyclicité de la leur et ne pas traduire en Histoire une collection d'exempla ? Comment ne pas confondre notre espace et le leur qui, pourtant, n'a ni planitude ni continuité et, partant, pas de discontinuité non plus. Nos cartes rétrospectives des "limites" de l'Empire nous trompent : à l'intérieur, l'espace n'est ni plein (espace-réseau vs espace-contenu), ni homogène (pluralité polarisée des droits et des modes de gouvernance) et la limite ne marque qu'une zone de contact, une "frontière" au sens strict (frontier vs border).
Des historiens travaillent aujourd'hui à décontaminer Rome, à l'exotiser, à découvrir sa singularité. Aussi excitantes que soient ces recherches, elles ne peuvent pas aboutir. Le cordon ombilical ne peut pas être coupé. Dans l'analyse ethnologique, le chercheur doit pénétrer un "système" qui lui est extérieur. Ici, il lui faudrait sortir de son propre système de représentations, tel qu'il a été façonné par des générations d'emboitements. Le "péché originel" est d'être né dans un monde durablement façonné par un Occident qui s'est approprié Rome. Impossible donc d'otheriser Rome ("altérer", "aliéner" ne vont pas [70], faudrait-il dire "autrifier" ?) : radical alternatives to current conceptions of history supposent radically alternative societies (Sachsenmaier, 2007 [71]). Le material turn ou, différemment, l'ethnogenèse évoqué sont des réponses (désespérées ?) à cette impasse.
Nous voilà revenus au Gibbon's problem — …nor is it so small a work as you may imagine to destroy a great Empire. Rome est toujours présente ! Ceci constitue l'énigme à élucider.
Notes[1] Gillett Andrew, 2017, "The fall of Rome and the retreat of European multiculturalism: A historical trope as a discourse of authority in public debate", Cogent Arts & Humanities, 4. Il cite en particulier : Ferguson, N. (2015, November 15), Like the Roman empire, Europe has let its defences crumble, The Sunday Times. ; (2015, November 16), Paris and the fall of Rome, The Boston Globe ; (2015c, November 16), The fall of Rome should be a warning to the west, The Australian. Le courroucé Gillet examine le feedback between public discourse and academic scholarship et incrimine Heather et Ward-Perkins qui, en 2005, dans des ouvrages grand public *, ont réveillé le spectre de l'effondrement que le paradigme du late antiquity avait conjuré. *Ward-Perkins
Bryan,
2005, The Fall of Rome and the End of Civilization,
Oxford UP ; Heather Peter, 2006, The
Fall of the Roman Empire: A New History of Rome and the Barbarians,
OUP. [2]
Marc Bloch,
1949, Apologie pour l’Histoire ou Métier
d’Historien, CH1, §4 IV. L’ idole des origines, p 19 sq: la hantise
des
origines…Dans le vocabulaire courant, les
origines sont un commencement qui explique. Pis encore : qui suffit à
expliquer. Là est l’ambiguïté, là est le danger. Il y aurait une
recherche à
entreprendre, des plus intéressantes sur cette obsession
embryogénique…Le chêne
naît du gland. Mais chêne il devient et demeure seulement s’il
rencontre des
conditions de milieu favorables, lesquelles ne relèvent plus de
l’embryologie…A
quelque activité humaine que l’étude s’attache, la même erreur guette
les
chercheurs d’origine : de confondre une
filiation avec une explication /mon soulignement/…Jamais,
en un mot, un phénomène historique ne s’explique pleinement en
dehors de l’étude de son moment. Cela est vrai de toutes les étapes de
l’évolution. De celle où nous vivons comme des autres. Le proverbe
arabe l’a
dit avant nous : « Les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leurs
pères. » [3] Historiographie antique est une expression aussi choquante que littérature orale, une dérivation régressive (Ong). Définit-on le cheval comme un "automobile sans roue"? Une dérivation régressive est une induction anachronique d'un système primaire à partir du système de modélisation secondaire qui lui a succédé (Ong Walter, 1982, Orality and Literacy: The Technologizing of the Word, Routledge, trad. fr. 2014, Oralité et écriture - la technologie de la parole, p 33). Comment interpréter les historiens de l'Antiquité qui écrivaient pour être lus à voix haute ? (id, p 190) et qui, ajouterai-je, n'écrivaient pas : ils dictaient à un scribe, et donc pensaient et s'exprimaient oralement. Du fait que nous les lisons, nous prenons ces textes pour de l'histoire écrite alors qu'ils suivent les règles de la composition orale qui imposent une économie textuelle particulière, premièrement dans la manière, deuxièmement dans l'objet. Premièrement, l'objet. L'écriture a créé l'histoire (p 190), de manière encore plus décisive que dans la vieille thèse des ethnologues : i) en stockant et donc en factualisant le passé (we have access to so much history), elle le rend passé (textes-choses) et donc en isole le présent alors que, dans les sociétés orales, le passé/souvenir est flexible et adaptatif (p 116). L'intégrité du présent primait sur l'intégrité du passé (p 68): ratification sémantique directe, amnésie structurelle, pensée opérationnelle (p 66/69) ; ii) la clôture de l'imprimé débouche sur la construction narrative historique ; comme dans la fiction, elle fait passer de la structure périodique au schéma pyramidal de la tragédie antique. L'écriture sépare celui qui sait de ce qu'il sait : en même temps que la matière de l'histoire s'objective, le ressort de son écriture se subjectivise ; iii) notre culture dérive de la pensée formée par le texte (p 75), c'est une organisation lettrée de la pensée (p 76), une organisation textuelle de la conscience (p 172). Il en découle le privilège de l'écrit et l'illusion du medium (qui masque l'interaction émetteur/récepteur, réelle à l'oral, fictionnelle à l'écrit). Au contraire, les anciennes cultures, même lorsqu'elles utilisent l'écrit, ont une préférence pour les preuves orales (les sages, les témoins) car l'écrit ne prouve pas sa crédibilité (vs la réputation) et ne répond pas aux questions (p 114). Deuxièment, la manière répond au fond. L'oral travaille en flux : les mots sont des sons (p 51), toujours recommencés et adaptés sur le mode de la répétition (penser des pensées mémorisables p 54), tandis que les cultures écrites travaillent en stock (accumulation). La créativité textuelle n'est possible qu'en état de surabondance noétique tandis que la rareté noétique ne permet que la virtuosité. L'économie de la rareté provoque une constitution formulaire de la pensée (p 44) et un façonnage mnemotechnique de la verbalisation (p 89) : personnages "lourds", formulation épithétique, structure périodique. Ainsi, les sociétés orales (même lorsqu'elles écrivent) n'ont ni l'idée ni la possibilité de couper le présent du passé. La verbalisation est chaque fois une répétition adaptée au contexte (public et circonstances) : présent non isolable, non pensable (water for un fish). Le discours parle à ses contemporains et donc ne nous parle pas. Notre lecture d'un tel discours est un contre-sens dans son acte même. [4] Louis Racine, 1742, La Religion, chant IV:... Rome antique est
livrée au barbare en fureur [5] Le progrès (Le Nain de Tillemont, par exemple consiste à prendre en compte les historiens mineurs. Conjuguée à la numismatique et à l'épigraphie, cette activité reste du travail d'antiquaire. [6] Grell Chantal, 1983, "Les origines de Rome : mythe et critique. Essai sur l'histoire au XVIIème et au XVIIIème siècles", In: Histoire, économie et société, 2e année, n°2. pp. 255-280 : Contrairement à ce que l'on serait tenté de penser, la querelle des anciens et des modernes n'avait pas fondamentalement modifié les données du problème. Les modernes avaient contesté la référence systématique à l'antiquité, et l'idée que les Grecs et les Romains pussent constituer pour l'éternité un modèle inégalable ; ils n'avaient jamais émis le moindre doute sur la valeur des écrits des anciens en tant que témoignage de leur époque et source de connaissance…En revanche, les polémiques religieuses semblent avoir joué un rôle déterminant (p 266). [7] Pouilly récidive en 1724 (Nouveaux Essais de critique sur la fidélité de l'Histoire). L'abbé Sallier répond par une série de Discours sur la Certitude de l'Histoire des Quatre premiers siècles de Rome. Cf. Mémoires de l'Académie des inscriptions, tome VIII (1718/25), Amsterdam, 1731. Que Sallier soit un abbé importe : il sent dans le libertinage de Pouilly l'odeur de la liberté critique que les Réformés ont revendiquée à l'égard des traditions catholiques. La critique de Pouilly sera développée et radicalisée par Beaufort dont la Dissertation sur l'incertitude des cinq premiers siècles de l'histoire romaine (Utrecht, 1738) sera ignorée par ses contemporains. Cf. Grell Chantal, 1983, op.cit. ; Raskolnikoff Mouza, 1992, Histoire romaine et critique historique dans l'Europe des Lumières. La naissance de l'hypercritique dans l'historiographie de la Rome antique, Publications de l'École française de Rome, 163) ; Poucet Jacques, 2000, Les rois de Rome. tradition et histoire, Bruxelles. [8] Maury Alfred, 1864, L’ancienne Académie des inscriptions et belles-lettres, Paris: Une bombe lancée en pleine séance de l'Académie n'eût pas causé plus de surprise et de terreur que n'en produisit la dissertation du téméraire Pouilly (p 117). [9] La réaction religieuse qui marque les premières années du règne de Louis XV rendit plus délicate la position de Pouilly, très isolé à l'Académie ; en 1729, il «démissionna» , sous prétexte de non résidence à Paris. Il partit en GrandeBretagne retrouver Lord Bolingbrocke rentré dans son pays, et faire connaissance de Newton. De retour il se fixa à Reims où il s'adonna à diverses tâches édilitaires qui le rendirent très populaire. Il abandonna définitivement l'histoire. Grell, op. cit., p 272. [10] Rappelons les dernières lignes des Considérations: Je n’ai pas le courage de parler des misères qui suivirent ; je dirai seulement que, sous les derniers empereurs, l’Empire, réduit aux faubourgs de Constantinople, finit comme le Rhin, qui n’est plus qu’un ruisseau lorsqu’il se perd dans l’Océan. [11]
Sellers
Mortimer, 2014, "The Roman Republic and the French and American
Revolutions", In: The Cambridge
Companion to the Roman Republic, p. 401 sq (Epilogue) : The problem for would-be
republicans, in America as much as in France, was that the Roman
Republic
itself had ultimately failed..All modern republicans had to face the
problem of
Rome's failure p404... The French republic, when it finally
emerged, quickly repeated five hundred years of Roman history in a
decade p 409. [12]
ANCIENT ROME & AMERICA, EXHIBITION, 2010 : Rome's stamp on America
From our money to
our pro sports you can see the influence, as an exhibit at the National
Constitution Center makes clear [13]
Dubuisson
Michel, 1989, "La Révolution française et l’antiquité", Cahiers
de Clio, n°100 (hiver), p.
29–42 : Dans le débat politique,
l’allusion aux Romains prend la valeur
d’un code : le 9 Thermidor, lors du duel final, Tallien traite
Robespierre de
Sylla, et Robespierre, à son tour, traite son adversaire de Verrès..Il
reste à
expliquer, plus sérieusement, que la familiarité avec l’Antiquité qui
permettait cette connivence ait progressivement cessé d’être limitée à
un petit
nombre d’intellectuels ou d’universitaires pour s’étendre à des couches
relativement larges : les orateurs parlent aussi, parfois surtout, pour
le
public des tribunes, les éditorialistes tentent de convaincre le peuple
et ne
peuvent se permettre de n’être pas compris. C’est précisément, à mon
sens, dans
l’extraordinaire développement de la presse d’opinion qu’il faut voir
l’origine
de cette espèce d’éducation populaire improvisée... Voir aussi
l'habit
"romain"
dont se revêt un Saint-Just qui cherche à exister sur le théatre
politique. Linton
Marisa, 2010, "The man of virtue: the role of antiquity in the
political
trajectory of L.A. Saint-Just", French
History, 24(3), pp. 393-419: His
deployment of antiquity was by turns tactical, rhetorical, dramatic and
emotional. By identifying himself with heroes from antiquity, he sought
to
establish his persona as a ‘man of virtue’, without personal ambition
or
self-interest, and therefore deserving of public trust. L’auteur ajoute
Antiquity was the springboard for much of the political thinking of the
eighteenth century..The classical republic was not seen as a viable
regime to
establish in the modern world; rather, it provided a repertoire of
ideas and
language (p 395). [14]
Sur
l'Antiquité et les révolutions, voir : Volney, 1795, Leçons
sur l'histoire ; Chateaubriand, 1797, Essai sur les révolutions,
Londres ; Levesque Pierre-Charles,1807, Histoire critique de la République romaine —
Ouvrage dans lequel on s'est proposé de
détruire des préjugés invétérés sur l'histoire des premiers siècles de
la
République, sur la morale des Romains, leurs vertus, leur politique extérieure, leur constitution et le caractère de leurs
hommes célèbres, Paris, ch. Dentu. En 1937, Parker considère la logorrhée anticomaniaque de la révolution française comme l'habillage rhétorique naturel à des gens éduqués dans la latinité (Parker Harold Talbot, 1937, The cult of antiquity and the French revolutionaries —A study in the development of the revolutionary spirit). Certains aujourd'hui s'accordent avec lui pour la 1ère phase (jusqu'en 1792) mais trouvent un fond antique à la phase suivante qui, devant se penser sans roi, n'aurait eu que la Rome républicaine comme référence. Notons toutefois que le débat
sur la
monarchie (et même
les positions les plus radicales), s'il devient une question de fait en
Amérique et en France, n'a pas attendu ces révolutions. Du moyen-âge au
XVIIe,
en passant par les monarchomaques du XVIe, ces questions ont été
posées,
discutées et parfois concrétisées. Mais le langage est celui de la théologie politique qui argumente par la Bible, Augustin,
Thomas
d'Aquin et une kyrielle de Cardinaux. Lorsque les
auteurs
d'aujourd'hui
étudient les révolutions, ils oublient cette continuité :
d'une part, ils sont pris par la rupture révolutionnaire
(un monde nouveau) ; d'autre part, leurs intérêts ou
spécialisation les
écartent des controverses politiques tardo-médiévales. Ils ne peuvent
donc pas
voir que le recours à l'antique sert à s'affranchir de ce référentiel
chrétien.
Il n'a pas beaucoup plus de sens : un vocabulaire et une
inspiration, des exempla et des autorités. Et il
inspire
le même ennui incompréhensif que les débats "bibliques" du
XVIe/XVIIe. Voir :
[15]
Selon l'expression de Paul Valéry, dans le fameux texte la crise de l'esprit (1919) : [16] A la demande du gouvernement, alors qu'il est membre du Parlement, Gibbon a écrit en 1779 une dénonciation du soutien de la France —cette puissance, toujours ennemie du repos public— aux rebelles (Memoire justìficatif pour servir de réponse a l'exposé, &c. de la Cour de France). L'anecdote relative à Franklin est de 1781 (Walpole). Se croisant dans un relais de poste alors que l'un va à Rouen et l'autre à Paris, Franklin fait passer un mot à Gibbon pour suggérer un entretien. Ce dernier répond que, quel que soit son admiration pour le savant, il ne peut pas accepter l'invitation du rebelle. Franklin lui renvoie ce billet : l has still such a respect for the character of Mr. Gibbon, as a gentleman and a historian, that when, in the course of his writing the history of the « Decline and Fall of Empires », the decline and fall of the British Empire shall come to be his subject, as will probably soon be the case, Dr. Franklin would be happy to furnish him with ample materials, which are in his possession (John S. C. Abbott, 1876, Benjamin Franklin. a picture of the struggles of our infant nation, one hundred years ago, chapter xiv. The Struggles of Diplomacy). [17]
Fin
du CH38 : Observations générales sur la chute de
l’empire romain dans l’occident (je cite d'après éd Guizot): L’élévation
d’une ville qui devint ensuite un empire mérité par
sa singularité presque miraculeuse, d’exercer les réflexions d’un
esprit
philosophique ; mais la chute de Rome fut l’effet naturel et inévitable
de
l’excès de sa grandeur…L’histoire de sa ruine est simple et facile à
concevoir
…Cette effrayante révolution peut s’appliquer utilement à l’instruction
de
notre siècle…Les peuples sauvages sont les ennemis communs de toutes
les
sociétés civilisées ; nous pouvons examiner avec quelque inquiétude et
quelque
curiosité si l’Europe est exposée à craindre encore une répétition des
calamités qui renversèrent l’empire de Rome et anéantirent ses
institutions :
les mêmes réflexions serviront peut-être à expliquer des causes qui
contribuèrent à la ruine de ce puissant empire, et celles qui motivent
aujourd’hui
notre sécurité…l’Europe n’a plus à redouter une irruption de Barbares,
puisqu’il serait indispensable qu’ils se civilisassent avant de pouvoir
conquérir. Leurs découvertes dans la science de la guerre seraient
nécessairement accompagnées, comme l’exemple de la Russie le démontre,
de
progrès proportionnés dans les arts paisibles et dans la politique
civile ; ils
mériteraient alors d’être comptés dans le nombre des nations civilisées
qu’ils
pourraient soumettre. …l’expérience
de quatre mille ans doit diminuer nos craintes et
encourager nos espérances …Depuis la première découverte des arts, la
guerre,
le commerce et le zèle religieux, ont répandu ces dons inestimables
parmi les
sauvages habitants de l’Ancien et du Nouveau-Monde ; ils se sont
propagés, et
ne seront jamais totalement perdus. Nous pouvons donc conclure, avec
confiance,
que depuis le commencement du monde chaque siècle a augmenté et
augmente encore
les richesses réelles, le bonheur, l’intelligence, et peut-être les
vertus de
la race humaine.// [18] When I contemplate the common lot of mortality, I must acknowledge that I have drawn a high prize in the lottery of life. The far greater part of the globe is overspread with barbarism or slavery: in the civilized world, the most numerous class is condemned to ignorance and poverty; and the double fortune of my birth in a free and enlightened country, in an honourable and wealthy family, is the lucky chance of an unit against millions. (Memoir E, ed. John Murray, 1897, The Autobiographies of Edward Gibbon, 2nd edition, London, p 343). [19] Graubard Stephen R., 1976, "Edward Gibbon: Contraria Sunt Complementa », In: American Academy of Arts & Sciences, Edward Gibbon and the Decline and Fall of the Roman Empire, Daedalus, Vol. 105, No. 3, Summer : ...Rome gave Gibbon a perfect stage for the display of the kinds of impartiality that he esteemed. What Gibbon was able to do in describing Rome, he was quite incapable of doing when he approached his own times. His gift for irony, which he used to such effect when writing about emperors and senators, bishops and barbarian kings, seemed to desert him when he came to write about his own age. Gibbon could not restrain himself from bringing his story into the present, but when he did, the results were generally disappointing...Why did he do it so blandly when he came to consider his own country? Because be was too comfortable in his own time and place...p 182 We know that Gibbon was revising and correcting the pages of this volume in June, 1780, during the Gordon riots and when the loss of the American colonies was a near certainty. One would have expected that one or another of these events might have figured in Gibbon's analysis. Nor even the most cursory attention is given to either; instead, the chapter abounds in pompous inanities..Gibbon was trying to reassure his age. How did he do so? By suggesting that there was no threat of barbarians from outside. What about les classes dangereuses within? There was not even an allusion to that subject. What did Gibbon say about the loss of an overseas empire? Again, not even the vaguest hint of that possibility...p 183 The evidence is overwhelming that when Gibbon came to consider his own age, his critical capacities deserted him; he was no longer capable of irony; he was simply complacent..In comments about his own society, Gibbon was as conventional as the most ordinary squire who came to Westminster...p 185. [20] It was among the ruins of the Capitol that I first conceived the idea of a work which has amused and exercised near twenty years of my life, and which, however inadequate to my own wishes, I finally delivere to the curiosity and candor of the public. Lausanne, June 27 1787 . Point final. La version bien connue qu'il donne dans les Memoirs est plus poétique (mais contestée par son compagnon de voyage!) : It was at Rome, on the fifteenth of October, 1764, as I sat musing amidst the ruins of the Capitol, while the barefooted fryars were singing Vespers in the temple of Jupiter, that the idea of writing the decline and fall of the City first started to my mind.. My father was impatient, and I returned home (Memoirs E, The Autobiographies of Edward Gibbon, ed Murray, 1897 London, p 302). [21] Attaques que réitère Guizot dans l'édition française et Morison dans sa biographie à la fin XIXe CHAP. XV. The Progress of the Christian Religion...CHAP. XVI. The conduct of the Roman Government towards the Christians, from the reign of Nero to that of Constantine. Une relecture attentive du texte anglais de 1776 (pour écarter d'éventuels adoucissements d'un traducteur ou d'un éditeur) révèle que, au-delà d'affirmations libertines dans le ton de Voltaire, le fond du scandale se trouve dans le fait de porter un regard historien sur la tradition reçue des progrès du christianisme. Si Rome a souvent été intégré aux histoires ecclésiastiques, Gibbon, pour la première fois "laïcise" l'histoire ecclesiastique en l'intégrant à l'Histoire. Là est son impiété fondamentale ! Sans connaître le degré de susceptibilité des divines anglais et donc sans savoir jusqu'où ils étaient choqués, il apparaît au lecteur d'aujourd'hui que Gibbon ne ménage pas la tradition. Le christianisme se répand dans l'empire faute de mieux : In their actual disposition, as many were almost disengaged from their artificial prejudices /de la religion romaine/, but equally susceptible and desirous of a devout attachment; an object much less deserving would have been sufficient to fill the vacant place in their hearts, and to gratify the uncertain eagerness of their passions. Those who are inclined to pursue this reflection, instead of viewing with astonishment the rapid progress of Christianity, will perhaps be surprised that its success was not still more rapid and still more universal (CH15, p 505). Le CH16 développe et argumente que les "persécutions" (même Dioclétien) ont été exagérées par les auteurs ultérieurs (Ve/VIe) qui s'en ont fait un piédestal : elles n'étaient ni aussi fréquentes, ni aussi durables, ni aussi sanglantes, ni aussi générales (variations locales) : les Chrétiens ont connu de longues périodes de paix et ont été souvent reconnus de facto. Et en fin de compte the Christians, in the course of their intestine dissensions, have inflicted far greater severities on each other, than they had experienced from the zeal of infidels CH16, p 585)! ... we shall be naturally led to inquire what confidence can be placed in the doubtful and imperfect monuments of ancient credulity; what degree of credit can be assigned to a courtly bishop, and a passionate declaimer, who, under the protection of Constantine, enjoyed the exclusive privilege of recording the persecutions inflicted on the Christians by the vanquished rivals or disregarded predecessors of their gracious sovereign (586). // [22] Avec l’aide de Deyverdun pour la documentation en allemand, in the summer of 1767 the first book /of the Wars and alliances of the Swiss/ was undertaken, and finished with the ardour of a new adventure…But in the following winter my Essay was read, judged, and condemned in a society of ingenious foreigners in London ; and the author, of whom they were ignorant, acquiesced in the justice of their sentence /Memoir D, op cit, p 408/ [23] …Between my Essay and the first volume of the decline and fall, fifteen years (1761-1776) of strength and freedom elapsed, without any other publications than my criticism on Warburton and some articles in the Memoires Litteraires. The four first years may be deducted for the militia and foreign travel, the three last for the actual composition of my first volume ; but in the intermediate period (1765-1772) I gradually advanced from the wish to the hope, from the hope to the design, from the design to the execution, of my historical work, of whose nature and limits I had yet a very inadequate notion. / Memoir D, op cit, p 411/. [24] I perceived, and without surprise, the coldness and even prejudice of the town; nor could a whisper escape my ear, that, in the judgment of many readers, my continuation was much inferior to the original attempts. An author who cannot ascend will always appear to sink...(Memoir E, op cit, p 323). [25] Buchon Jean Alexandre (ed), 1839, Histoire de la decadence et de la chute de l'empire Romain par Edouard Gibbon, Paris, Desrez, Tome 1, Première époque — depuis le règne de Trajan et des Antonins jusqu'à la destruction de l'empire d'occident par les Germains et les Scythes. [26] A l'exception de l'édition Buchon qui rassemble les 3ers volumes dans son Tome 1 et les trois derniers dans son Tome 2. L'édition Guizot en 13 volumes ne marque pas les séparations. Il en va de même dans les autres pays. L'éditeur compose les volumes sans tenir compte (ni même indiquer) les étapes et le rythme de la production du D&F originel : 1) le premier volume (1776) qui comprend les Chap 1/16 ; 2) les deux suivants (1781) jusqu'à la chute de l'empire d'occident ; 3) les trois derniers (1788). Gibbon n'avait pas décidé d'écrire ces 6 volumes et d'aller jusqu'à la fin finale. Sa préface de 1776 distingue trois périodes : 1) jusqu'à la chute de l'Occident, 2) de Justinien à Charlemagne, 3) jusqu'aux Turcs. Il promet au lecteur de lui donner la suite de la 1ère période (I consider myself as contracting an engagement to finish..the first of these memorable periods.. With regard to the subsequent periods, though I may entertain some hopes, I dare not presume to give any assurances). S'arrêtant au premier volume, il nous aurait laissé un D&F de l'empire païen. S'arrêtant au troisième, un D&F de l'empire d'Occident. En ayant été jusqu'au bout, il laisse trois blocs qui, s'ils s'articulent et s'enchaînent, ne le font pas aussi linéairement que nous le suggère la chronologie et l'homogénéité factice suggérée par les éditeurs successifs. [27] D&F, 1776, vol. 1, Preface, p viii I consider myself as contracting an engagement to.. deliver to the Public, the complete history of the Decline and Fall of Rome, from the age of the Antonines, to the subversion of the Western Empire. With regard to the subsequent periods, though I may entertain some hopes, I dare not presume to give any assurances. Retraçant son état d'esprit après la parution des trois premiers volumes, G écrit : So flexible is the title of my History, that the final aera might be fixed at my own choice; and I long hesitated whether I should be content with the three volumes, the fall of the Western empire, which fulfilled my first engagement with the public (Memoir E, op cit, p 325). L' interval of suspense dure une douzaine de mois. [28]
Les
durées diffèrent largement, et donc la granularité : pour traiter
onze
siècles dans le même nombre de pages que trois, Gibbon modifie sa
manière
d'exposer : tantôt il brosse au lieu de peindre, tantôt il procède
à des
exposés thématiques. Mais surtout, les deux divergent : la première époque est occidentale, la
seconde orientale. Cela paraît aller de soi : l'Empire, détruit en
Occident, se maintient en Orient. Pourtant, l'Orient comptait déjà dans
la
première période et son importance a échappé à un Gibbon occidental. A
présent
que, Rome en ruines, il est face à face avec Constantinople, il
découvre
l'Orient, étudie les Perses, les Arabes :
l'Histoire de Rome devient celle de l'Asie
occidentale (Momigliano). Cette heureuse
"déméditerranéisation" fait du deuxième D&F l'histoire de la
manière dont l'humanité a laissé Rome derrière elle. Momigliano
soutient que
cette seconde
série ne peut être comprise sans se référer à la "Renaissance
Orientale". Momigliano Arnaldo, "18th-Century Prelude to Mr. G.", in Ducrey Pierre, 1977, ed., Gibbon et Rome à la lumière de l'historiographie moderne, Université de Lausanne : p 65 It is evident that G pays very little attention to the provincial cultures of the Western Empire..In contrast with this reserved attitude..,G was warmly receptive to Orientalist studies…It was the Renaissance Orientale /E Quinet, 1841 */ that created the atmosphere in which G and Herder become intelligible..one does not understand the D&F if one is not aware of the freshness of impressions and discoveries pervading it. A work which was originally planned in the 1760's to explain the decline of Rome was transformed in the 1770's into a great picture of the medieval world west of India...70 far beyond the Med basin ..The world of G, with all its outsiders, appeared too large to his friend Ferguson… More and more his history was bound to become the story of how mankind left Rome behind. * Quinet Edgar, 1841, "De la renaissance orientale", Revue des Deux Mondes, Période initiale, 4eme série, tome 28, 1841 (pp. 112-130). [29] L' "empire romain" est à la fois un régime politique et un espace. Le second commence avant le premier. Se limiter à celui-ci conduit à une vue partielle de celui-là. Le choix de Gibbon d'ignorer la République est tellement évident pour lui que je ne crois pas qu'il s'en soit jamais expliqué : il n'est pas concerné par la Rome "républicaine", l'essor et le triomphe de Rome. Il prend Rome là, à son point culminant du "haut Empire", pour décrire les modalités et les facteurs de son déclin et chute. Ce faisant, il commet une erreur que, me semble-t-il, aucun de ses innombrables commentateurs n'a remarqué : il s'empêche de trouver dans la première période les racines —ou le terrain— de la seconde qu'il referme ainsi sur elle-même. Et cependant ce rejet (tout regrettable qu'il soit d'un certain point de vue) se comprend. Dans le temps de Gibbon, le "siècle d'Auguste" représente l'âge d'or de la culture romaine. Voltaire, Le siècle de Louis Quatorze, introduction : ... Mais quiconque pense, et, ce qui est encore plus rare, quiconque a du goût, ne compte que quatre siècles dans l’histoire du monde. Ces quatre âges heureux sont ceux où les arts ont été perfectionnés, et qui, servant d’époque à la grandeur de l’esprit humain, sont l’exemple de la postérité...Le second âge est celui de César et d’Auguste, désigné encore par les noms de Lucrèce, de Cicéron, de Tite-Live, de Virgile, d’Horace, d’Ovide, de Varron, de Vitruve.... Quelque jugement qu'on porte sur Auguste, son "siècle" synthétise et sublime une "civilisation". Gibbon lit et relit les grands auteurs, il dialogue avec eux, ce sont ses "amis", ils font partie de sa vie ; dans cette mesure, ils lui sont contemporains. Alors que l'archéologie balbutie à peine et que, à part la numismatique et l'épigraphie, il n'existe pas d'autres sources que textuelles, un esprit aussi littéraire que celui de Gibbon identifie la grandeur de Rome au siècle d'Auguste. A ses yeux, le déclin n'est pas "sui generis", il découle de facteurs nouveaux, de la conjonction d'une poussée externe (la "barbarie") et interne (la "religion") qui définissent une période. La République conquérante en est une autre. Au regard de la question et de la réponse, les deux périodes sont disjointes. La République n'a rien à nous apprendre puisque son paganisme ignore la religion dégénérative et que, à part quelques accidents, elle repousse partout les barbares. Aussi, lorsque nous étudions l'analyse de Gibbon à la lumière des travaux actuels, sa Rome apparaît comme un objet historique imparfait, un "processus interruptus", un édifice dont on a oublié les fondations, un devenir sans devenu. Que l'on impute le "déclin" aux rapports sociaux, à la structure économique ou à l'hubris géopolitique, les racines se trouvent dans la période précédente. Ce n'est qu'en isolant —comme le font certains— une forme "Empire" et en comparant témérairement des "Empires" de temps et lieux différents que, aujourd'hui, on pourrait partager cette délimitation du champ. [30] En 1926, Baynes commence sa présentation de l'empire d'Orient par cette remarque amusée : An empire, to endure a death-agony of a thousand years, must possess considerable powers of recuperation. Et continue : Until recently historians would have had us believe that the Byzantine state was perpetually in the article of death, although offering through the centuries a successful resistance to all assailants; but the colossal paradox only won credence through frequent repetition : it could not withstand the light of modern research. (Baynes N., 1926, The Byzantine Empire, p 7). Il se demande ensuite à quelle date le faire commencer et finir : Broadly, then, our survey extends from the founding of New Rome in the fourth century to its capture by the Crusaders in 1204 (p 10). [31] Si le sac de Rome par Alaric 410 a fait grand bruit, ce n'est pas le cas de la mise à la retraite de l'empereur d'Occident qui "signe" la chute de l'Empire : elle est passée inaperçue (Momigliano : La Caduta senza rumore di un impero nel 476 d.C.). Les sièges de Constantinople par les uns ou les autres font date mais les remparts résistent jusqu'à 1204 que renouvelle le non évènement de 1453 dont, paradoxalement, le retentissement symbolique est énorme. Ni 476, ni 1453, ne sont des turning points. Les cymbales des symboles assourdissent davantage que les trompettes géo-stratégiques ! [32] CHAPITRE LXIX État de Rome depuis le douzième siècle. Domination temporelle des papes. Séditions dans la ville de Rome. Hérésie politique d’Arnaud de Brescia. Rétablissement de la république. Les sénateurs. Orgueil des Romains. Leurs guerres. Ils sont privés de l’élection et de la présence des papes, qui se retirent à Avignon. Jubilé. Nobles familles de Rome. Querelle des Colonnes et des Ursins. CHAPITRE LXX Caractère et couronnement de Pétrarque. Rétablissement de la liberté et du gouvernement de Rome par le tribun Rienzi. Ses vertus et ses vices, son expulsion et sa mort. Les papes quittent Avignon et retournent à Rome. Grand schisme d’Occident. Réunion de l’Église latine. Derniers efforts de la liberté romaine. Statuts de Rome. Formation définitive de l’État ecclésiastique. CHAPITRE LXXI Tableau des ruines de Rome au quinzième siècle. Quatre causes de décadence et de destruction. Le Colisée cité pour exemple. La ville nouvelle. Conclusion de l’ouvrage. [33]
Les
autres grands historiens de Rome ne sont pas plus épargnés. Le génie
français
du moraliste Montesquieu défie les siècles et les historiens (surtout
étrangers !)...Nos savants modernes
sourient quand on leur parle de l’érudition
de Montesquieu, et il est vrai de dire que si l’on voulait faire un
commentaire
critique des Considérations,
afin de les mettre au courant des opinions nouvelles, il faudrait plus
de notes
que de texte ; il n’y a guère de point qui ne soit contesté. Et
cependant
on n’effacera pas cet immortel chef-d’œuvre ;
il survivra à plus d’un livre qu’on admire aujourd’hui. Que reste-t-il
de
Niebuhr et de ses ingénieuses hypothèses, remplacées par des hypothèses
non
moins ingénieuses et non moins fragiles ? Qu’est devenu ce roman
prétentieux que M. Mommsen, un habile antiquaire cependant, a
baptisé du
nom d’Histoire romaine ? Toutes
ces merveilles d’érudition vieillissent en dix ans, tandis qu’à chaque
génération les Considérations trouvent
de nouveaux lecteurs pour les admirer. A
quoi tient
cette fortune persévérante ? C’est que Montesquieu étudie, non point
des choses passagères, non point des curiosités d’antiquaire, mais les
passions et les intérêts, les vertus et les vices qui, de tout temps,
ont été le ressort secret des actions humaines. [34] Par exemple Leroy, 1575, De la Vicissitude des choses, (Paris, 1584). Il définit ainsi l'objet de son livre : comment les armes & les lettres concurrentes par les plus célebres peuples du monde, tous arts liberaux & mecaniques ont fleuri ensemble, puis decheu, & se sont relevez a diuerses fois en long espace de temps. Rome en est pour lui l'une des innombrables illustrations : Comme les Romains étoient montez à la cyme de puissance & sapience humaine par labeur & industrie ils se corrompirent incontinent par richesse & licence excessive dégénérans de l'intégrité, prouesse, doctrine, & éloquence précédente… p 70 après que par labeur & justice, ils furent accrus, & eurent vaincu les fières nations & puissans Roys, ils se corrompirent incontinent, pervertissans l'ordre auquel ils vivoient paravant, en se rendant très-avaricieux & orguilleux, débordez en gourmandise & paillardise, dissolus en toutes superfluitez & délices. Puis se diviserent en partialitez & factions, a l'occasion desquelles ils portèrent les armes es temples & assemblees publiques…p 72 Donques les Romains qui s’étoient pour un temps merveilleusement evertuez vivans en liberté, après que par les factions esquelles ils étoient tombez, furent reduicts en servitude soubs la domination de un monarque, ils empirèrent peu a peu, amoindrissans en l’exercice des armes & etude des lettres. Et bien que par la vertu d'aucuns bons princes l'Empire semblât quelque fois se relever, il etoit en après tant plus abbaissé & affligé par la lâcheté des autres...p 74 [35]
Volney, 1791, LES RUINES,
ou Méditation sur les Révolutions des Empires, Paris, août /dans les ruines de Palmyre en 1782/ qui sait si, sur les rives de la Seine, de la Tamise ou du Sviderzee..qui sait si un voyageur comme moi ne s’assoira pas un jour sur de muettes ruines et ne pleurera pas solitaire sur la cendre des peuples et la mémoire de leur grandeur? A ces mots, mes yeux se remplirent de larmes... p12. Dans un autre contexte, voir aussi la fameuse gravure de Gustave Doré, The new Zealander, In: Gustave Doré, and Blanchard Jerrold, London, a pilgrimage, 1872, p 188. [36] Burke Peter, 1976, "Tradition and Experience: The Idea of Decline from Bruni to Gibbon", Daedalus, Vol. 105, N° 3 The language in which he discusses "decay" and "corruption" is often traditional enough. Yet Gibbon does very much more than repeat commonplaces..In the course of his volumes, he distinguished many sorts of decline..Gibbon's awareness of the complexity of the process of decline and fall makes his analysis much more satisfying to a modern reader than that of any of his predecessors. But this subtlety has its price —inconsistency..He suggests many causes for Roman decline, but refuses to arrange them in a hierarchy or relate them to one another. In his "General Observations »..he suggested that the story of the ruin of the Western Empire was "simple and obvious." Yet, on his own showing, it was neither (p 149). [37] Morison, 1878 : The sudden and rapid expansion of historic studies in the middle of the eighteenth century constitutes one of the great epochs in literature. Up to the year 1750 no great historical work had appeared in any modern [p 99] language…Materials also were wanting. They gradually emerged out of manuscript all over Europe, during what may be called the great pedant age (1550-1650), under the direction of meritorious antiquaries, Camden, Savile, Duchesne, Gale, and others [100]…excellent as were the Scotch historians—Hume, in style nearly perfect; Robertson, admirable for gravity and shrewd sense—they yet left much to be desired…In fact it is not doing them injustice to say that these eminent men were a sort of modern Livies, chiefly occupied with the rhetorical part of their work, and not over inclined to waste their time in ungrateful digging in the deep mines of historic lore. Obviously the place was open for a writer who should unite all the broad spirit of comprehensive survey, with the thorough and minute patience of a Benedictine; whose subject, mellowed by long brooding, should have sought him rather than he it; whose whole previous course of study had been an unconscious preparation for one great effort [103] which was to fill his life. When Gibbon sat down to write his book, the man had been found who united these difficult conditions. [104] [38] La thèse, une fois énoncée, est d'une telle puissance qu'on se demande comment on n'y a pas pensé avant. Elle est due à E.A. Wrigley (1988, Continuity, chance & change - the character of the industrial revolution in England). Le lièvre de la population se fait enfin doubler par la tortue des ressources quand la croissance de celles-ci devient exponentielle ("révolution industrielle"). Sur quoi repose l'opposition entre ces deux régimes ? économiquement, les sociétés "non industrielles" connaissent une évolution cyclique. Dans les phases positives, la croissance reste asymptotique car elle repose sur des flux de ressources naturelles. La quantité d'énergie disponible, qu'elle provienne du muscle, du bois, de l'eau ou du vent, à la fois limitée et dispersée, ne permet ni la concentration des machines ni le choix de la localisation. De plus, elle est diminuée par la concurrence que les ressources se font entre elles : le même bois ne peut pas servir de combustible et de matière première ; la nourriture de l'animal, qu'il soit source d'énergie ou de matières premières (laine, cuir, etc.), se fait aux dépens des cultures destinées à l'alimentation humaine ou à la production d'autres matières premières. Aussi, les périodes de croissance, extensive comme intensive, finissent-elles par buter sur les limites naturelles, ce qu'exprime le fameux pessimisme des économistes classiques (Smith, Malthus, Ricardo) : les rendements décroissent (croissance asymptotique) parce que le rapport des ressources aux besoins se dégrade. Wrigley qualifie d'organique ce type de production. Ce qui rend possible la croissance exponentielle ("révolution industrielle"), c'est qu'elle ne se fait plus au fil de l'eau, du vent ou du muscle. Elle repose sur des ressources pré-accumulées, en stock, en premier le charbon qui, à l'horizon des hommes de la révolution industrielle, représente un potentiel illimité que la machine à vapeur permet à la fois d'extraire (pompage) et de transformer en énergie. A partir de ce moment, l'énergie devient disponible, transportable et concentrable, ce qui permet le capitalisme usinier et, en libérant les autres ressources de leur usage énergétique, équivaut à une augmentation de la superficie des forêts et des champs. Ces sociétés minérales (mineral-based) sont capitalistes dans les deux sens du terme, rapports sociaux et rapports à la nature. [39]
N'oublions pas non plus la tradition anti-romaine
qui se réclame
de la Grèce : germanique ("catastrophe" de la réception etc) et,
différemment, américaine (inventer sa tradition gréco-saxonne). Naumann Katja, 2014, "(Re)Writing World Histories in Europe", In: Northrop Douglas, A Companion to World History, Wiley Blackwell :... In the United States, of course, world history’s attempts to emancipate the modern era from its European roots has long been oriented toward presenting an alternative history of Western civilization. As early as the 1880s, in fact, the first president of the American Historical Association, Andrew White (1886), argued for a decidedly American perspective, insisting that the history of the world “must be rewritten from an American point of view to help build up a new civilization... [40] Volney, 1795, Leçons sur l'histoire, 6ème leçon, édition 1826... On ne s'est occupé que des Grecs et des Romains,.. comme si l'histoire de ces petits peuples était autre chose qu'un faible et tardif rameau de l'histoire de toute l'espèce (p106)...en sorte que nous n'avons fait que changer d'idole et que substituer un culte nouveau au culte de nos aïeux. Nous leur reprochons l'adoration superstitieuse des Juifs et nous sommes tombés dans une adoration non noins superstitieuse des Romains et des Grecs; nos ancêtres juraient par Jerusalem et la Bible et une secte nouvelle a juré par Sparte Athènes et Tite-Live. Ce qu'il y a de bizarre dans ce nouveau genre de religion c'est que ses apôtres n'ont pas même eu une juste idée de la doctrine qu'ils prêchent (p 120)...Oui, plus j'ai étudié l'antiquité et ses gouvernemens si vantés, plus j'ai conçu que celui des Mameloucks d'Egypte et du dey d'Alger ne différaient point essentiellement de ceux de Sparte et de Rome; et qu'il ne manque à ces Grecs et à ces Romains tant prônés, que le nom de Huns et de Vandales pour nous en retracer tous les caractères. Guerres éternelles, égorgemens de prisonniers, massacres de femmes et d'enfans, perfidies, factions intérieures, tyrannie domestique, oppression étrangère, voilà le tableau de la Grèce et de l'Italie pendant cinq cents ans, tel que nous le tracent Thucydide Polybe et Tite-Live... Après nous être affranchis du fanatisme juif, repoussons ce fanatisme vandale ou romain qui, sous des dénominations politiques, nous retrace les fureurs du monde religieux ; repoussons cette doctrine sauvage, qui, par la résurrection des haines nationales, ramène dans l'Europe policée les moeurs des hordes barbares qui de la guerre fait un moyen d'existence...(p 122)..cessons de prêter à cette antiquité guerroyeuse et superstitieuse une science de gouvernement qu'elle n'eut point puisqu'il est vrai que c'est dans l'Europe moderne que sont nés les principes ingénieux et féconds du système représentatif du partage et de l'équilibre des pouvoirs, et ces analyses savantes de l'état social (p 126). [41]... Je croirais donc avoir rendu un service éminent si mon livre pouyait ébranler le respect pour l'histoire, passé en dogme dans le système d'éducation de l'Europe; ..s'il engageait tout homme pensant à soumettre tout homme raconteur a un interrogatoire sévère sur ses moyens d'information et sur ïa source première des ouï-dire... Avertissement (p 3/4) Plus je considère la nature de l'histoire moins je la trouve propre à devenir le sujet d'études vulgaires et répandues dans toutes les classes...(p 81) je ne conçois point la nécessité de connaître tant de faits qui ne sont plus et j'aperçois plus d'un inconvénient à en faire le sujet d'une occupation générale et classique: c'en est un que d'y employer un temps et d'y consumer une attention qui seraient bien plus utilement appliqués à des sciences exactes et de premier besoin; c'en est un autre que cette difficulé de constater la vérité et la certitude des faits, difficulté qui ouvre la porte aux débats, aux chicanes d'argumentation qui, à là démonstration palpable dés sens substitue des sentimens vagues de conscience intime et de persuasion, raisons de ceux qui ne raisonnent point... (p 83). [42] Cf. Tran Nicolas, 2007, "Écrire l’histoire des économies antiques : la controverse entre « primitivisme » et « modernisme » et son dépassement", In: Brulé, Pierre (dir.) ; Oulhen, Jacques (dir.) ; et Prost, Francis (dir.). Économie et société en Grèce antique : 478-88 av. J.-C. , Rennes, Presses universitaires de Rennes. Andreau Jean, Etienne Roland, 1984, "Vingt ans de recherches sur l'archaïsme et la modernité des sociétés antiques", In: Revue des Études Anciennes, Tome 86, N°1-4. pp. 55-83 ; Andreau Jean, 1995, "Vingt ans après L'Économie antique de Moses I. Finley", In: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 50e année, N° 5, L'économie antique, pp. 947-960. [43] On a longtemps, trop longtemps, écrit l'histoire mondiale comme celle du triomphe de l'Europe et de l'Occident en général. A partir des années 1970, les "dragons asiatiques" (retour du Japon, puis de la Chine, émergence de la Corée etc) remettent à l'ordre du jour l'idée du XVIIIe siècle : la richesse de l'Asie. Si l'Asie dépassait l'Europe, quand et comment s'est produit la "grande divergence" qui a vu l'Europe rattraper son retard, dépasser l'Asie puis la dominer ? …the
California School
is far from united, and thus far from coherent, on how the changes
occurred.
For Frank, China was suffering a temporary reversal due to internal
conflicts
in the late 18th through early 20th centuries that allowed Europe to
temporarily
overtake it. For Pomeranz, the contingent combination of coal and
colonies
provided Europe with resources that it managed to lever into a
modernizing
leap. For Wong, technological improvements in key fields of production
in
Europe in the 18th century opened a new pathway for progress, which the
technological improvements that China made in other fields (hydraulics,
botany)
did not provide. For myself, I argue that a combination of changes in
methods
of scientific investigation and social networks of entrepreneurs and
engineers,
which emerged mainly in Britain in the late 17th and early 18th
centuries,
catalyzed a shift to an innovation-driven and energy-intensive economy
that
marked a sharp departure from the limits that had previously bound all
organic
economies (Goldstone, 2008, "Capitalist Origins, the Advent of
Modernity, and Coherent Explanation:A Response to Joseph M.
Bryant", Canadian Journal of Sociology, 33-1). [44]
A la
suite de Marrou ("antiquité tardive et chrétienne",
cf. le posthume Marrou, 1977, Décadence
romaine ou antiquité tardive? —IIIe/VIe siècle), Brown Peter, 1967, Augustine of Hippo: A Biography, London ; —,1972, Religion and Society in the Age of St. Augustine, London ; –,1981, The Cult of the Saints, London ; –, 1982, Society and the Holy in late Antiquity, London ; —1992, Power and Persuasion in Late Antiquity: Towards a Christian Empire. Pour l'impact de ce paradigm shift sur l'historiographie de l'Ouest, un survol dans Heather Peter, 1997, "Late Antiquity and the early medieval West", In: Bentley Michael (ed.), Companion to Historiography, Routledge. Gillet, 2017, "The fall of Rome and the retreat of European multiculturalism" :...Since the 1970s, the temporal framework for this field has expanded, starting from the third-to seventh- centuries CE but now extending to the tenth-century CE…Its theoretical basis, however, derived from the enthusiastic appropriation, shared with other areas of historical scholarship, of the works of new Anthropological scholars, /Clifford Geertz */ which were understood as providing interpretative models for meaningful explanation of the seemingly irrational phenomena that characterise an era dominated culturally by the rise of religions, Christianity and Islam as well as Judaism and Manichaeism, as totalising cultural systems…The bringing together into one field of scholarship of the origin myths of Europe (Rome’s Fall and the beginning of European nations) with study of the rise of Islam coincided with the explosion of post colonial studies, in the wake of Edward Said..But neither at its inception nor subsequently has Late Antiquity as a field undertaken an extensive, postcolonial critique of why the European historical tradition so firmly demarked the mutually influential cultures of the Mediterranean and Near East in the first millennium CE (Fowden **)..This absence becomes significant in relation to the academic reaction against Late Antiquity that arose in the late 1990s and 2000s /Treadgold, Liebeschuetz ***/…9 several UK critiques explicitly faulted Late Antiquity studies not only for its academic practices but for its perceived sociopolitical purpose. To these scholars, the trans-regional scope of Late Antiquity studies was an expression of “underlying concerns” stemming from “the strength of multiculturalism among intellectuals in England, the US and elsewhere…a response to the end of the colonial empires and the rise of globalisation” and a worrying retreat from “national traditions”; Late Antiquity was, perhaps inevitably, termed a form of “political correctness” (Liebeschuetz, 2004, pp. 260–261; 2001a, pp. 5–7, 10). * Cf. Religion as a cultural system:
the theory of
Clifford Geertz ** Fowden G., 2014, Before and after Muḥammad: The first Millenium refocused, Princeton UP, pp. 1–15 *** Treadgold W.,1994, "Taking sources on their own terms and on ours: Peter Brown’s Late Antiquity", Antiquité Tardive, 2, 153–159 ; Liebeschuetz J., 2001a, "Late antiquity and the concept of decline", Nottingham Medieval Studies, 45, 1–11 ; –, 2001b, "The uses and abuses of the concept of ‘decline’ in later Roman history, or was Gibbon politically incorrect?", In: L. Lavan (Ed.), Recent research in late-antique urbanism, pp. 233–238, Portsmouth: Journal of Roman Archaeology ; –, 2004, "The birth of Late Antiquity", Antiquity Tardive, 12. [45]
Dans
son panorama, Heather (op. cit.) résume ainsi les thèses de
Goffart : The so-called invasions, he argued, were
more
a reshuffling of known quantities than the dismemberment by outsiders
of a
long-standing political entity. The invaders were small in number and
had a
long history of relations with the Roman state which had given them a
positive
reason to absorb its culture. There was also little violence involved
in the
process, and the eastern half of the Empire positively encouraged it,
to weaken
the western Empire and reduce the danger posed to itself by aggressive
western
leaders. In an already famous phrase, Goffart characterized the end of
the
Roman Empire as 'an imaginative experiment that got a little out at of
hand'. Cf. Goffart, Walter, 1980, Barbarians and Romans A.D. 418-584: The Techniques of Accommodation, Princeton ; —, 1981, "Rome, Constantinople, and the barbarians", American Historical Review, 76: 275 - 306 ; —, 1989, "The theme of 'The Barbarian Invasions' in Late Antique and modern historiography", in F. K. Chrysos and A. Schwarcz (eds), Das Reich und die Barbaren, Vienna. [46] Fustel de Coulanges, 1891, Histoire des institutions politiques de l'ancienne France. La Gaule romaine, 2e éd. revue par Camille Jullian, 1901, L1, Ch IX Que les Gaulois devinrent citoyens romains : Ceux qui supposent que Rome eut la pensée et la conception nette de faire entrer dans son sein les peuples soumis, lui attribuent une idée assez moderne et qu'elle n'eut pas..Ce furent bien plutôt les peuples soumis qui travaillent à entrer dans la cité romaine..Ce ne fut pas Rome qui eut pour politique de fondre les Gaulois avec elle; ce furent les Gaulois qui aspirèrent et qui tendirent de toutes leurs forces à s'unir à ceux qui les avaient conquis..p 91 Ainsi la population gauloise se transforma peu à peu. La transformationcommença par les plus grandes familles..93 Les Gaulois passèrent ainsi, sans beaucoup de peine, de la condition de sujets de Rome à celle de membres de l'Empire…p 96 Il est incontestable que le lien entre Rome et la Gaule ne fut pas brisé par la volonté des Gaulois; il le fut par les Germains. Encore verra-t-on dans la suite de ces études que la population gauloise garda tout ce qu'elle put de ce qui était romain, et qu'elle s'obstina à rester aussi romaine qu'il était possible de l'être. [47] Un résumé dans Dmitriev Sviatoslav, 2009, “(Re-)constructing the Roman empire: from ‘imperialism’ to ‘post-colonialism.’ An historical approach to history and historiography”, Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, ser. 5, vol. 1.1: 121-161 : p 133 Mommsen began discussing Romanisierung in Book Two of his Roman History, when dealing with the period from the «abolition of the Roman kingdom» in 509 to the «settlement of Italy» in the 270s. At that time, Romanisierung was an active policy that was conducted «with resolute measures» and which equaled a «subjugation». Mommsen would retain this same vision of Romanisierung as an active policy of occupation and colonization for later times (including the Social War in Italy) and other territories (such as Asia Minor in the late second century)..Mommsen thus asserted that the Romanisierung we see under the Roman empire first started in the early Republican period. As to its purpose, Mommsen’s idea behind Romanisierung was the process of nation-building, which was undoubtedly reflective of events of his own time – the first three volumes of his Roman History (1854-56) appeared during the time of the Diet of the German Confederation in Frankfurt (1851-59), whose main topic was the unification of the German nation... p 134 All these ideas were lost on Haverfield, who limited the use of ‘Romanization’ to the Roman provincial administration, implying a direct parallel with British colonial rule. Of all the many parts of Mommsen’s Roman History, Haverfield only took interest in Book Eight *…p 135 Establishing parallels between British and Roman imperialism, therefore, did not merely exonerate the former but also molded the image of the latter. * Cf. Haverfield Francis, 1905, The Romanization of Roman Britain, London, Published for the British Academy by H. Frowde ; 1912, The Study of Ancient History in Oxford, Oxford-London; 1924, The Roman Occupation of Britain, Oxford [published only posthumously]. Cf. P.W.M. Freeman, 1997, "Mommsen to Haverfield: The Origins of Studies of Romanization in Late 19th-c. Britain", in DRI Dialogues in Roman Imperialism. Power, Discourse, and Discrepant Experience in the Roman Empire, Portsmouth. [48] Lucas, 1912, souvent cité à l'appui de cette idée, le doit au titre évocateur de son ouvrage Greater Rome and Greater Britain plus qu'au contenu de son analyse. En effet, il ne s'agit pas pour lui de se réclamer de Rome pour légitimer l'impérialisme britannique mais au contraire de blanchir le second en noircissant le premier : un et basé sur la force, l'empire romain s'oppose au britannique, multiple et basé sur le bon gouvernement. Rome, en position de monopole conquiert militairement ; Britain, en situation de concurrence des puissances, commerce puis administre. Despotisme romain vs liberté anglaise ! Raideur romaine vs british genius de l'adaptation aux circonstances ! p 141 : The second point concerns the diversity of the British Empire as compared with the unity of the Roman Empire..It became more one in proportion as liberty disappeared. In the same proportion the British Empire has become less one as freedom has grown. 144 Great Britain has acquired an Empire ; part of that Empire Great Britain rules, the other part is not ruled by Great Britain, but is a reproduction or reproductions of Great Britain..145 it may be argued that the British Empire is not merely two Empires in one but many Empires in one...149 there is in real truth a great gulf fixed between the sphere of rule and the sphere of settlement, and that gulf to some extent coincides with the difference between the Roman and the British Empires. The Self-Governing Dominions have become selfgoverning, because self-government is inherent in the British race..But India to take the greatest and in the work of construction perhaps the most advanced of the British dependencies never has been and never will be made British by settlement... 161 The dependencies of Great Britain, as opposed to the Self-Governing Dominions, like the Roman Provinces, have, speaking generally, been held by force, open or in reserve, but by force perpetually receding into the background as good government has produced good will...165 good government with the strong hand behind it...163 The success which Great Britain has attained in dealing with her dependencies has been mainly due to the combination of the strong hand with honesty and justice...164 So far for the two halves of the Empire taken separately up to date. One half has been held to Great Britain as being the Mother Country, the other half has been held to Great Britain as being the ruling country ; and, inasmuch as the two halves have remained mainly, though not wholly, aloof from each other, the link of Great Britain has kept the Empire one... [49]
Un
exemple caricatural d'histoire à l'envers : le dossier Black
Athena (Bernal) dans le contexte
de l'affirmation identitaire des afro-américains. Une excellente
présentation
dans van Binsbergen Wim, 1997, "Black Athena ten Years after —
towards a constructive re-assessment", TALANTA,
special issue, Proceedings of the Dutch Archaeological and Historical
Society,
vols. 28-29, 1996-97. La dette grecque à l'égard de l'Egypte (mais
pourquoi
oublier la dette encore plus grande à l'égard des Perses?) est
transformée (travestie) en dette à l'égard de l'Afrique (sous entendu
"noire") : p21 Where
Bernal's central thesis was picked up most enthusiastically,
immediately to be
turned into an article of faith, was in the circles of African American
intellectuals..22 Egypt is claimed to
have civilised Greece, and from there it is only one step to the vision
that
Africa, the South, Black people, have civilised Europe, the North. Un cri de protestation et un témoignage dans Lefkowitz Mary, 1996, Not Out of Africa, How Afrocentrism Became an Excuse to Teach Myth as History. Que l'anecdote concernant la négitude de Socrate soit vraie ou non, ce livre importe, non pas pour la démonstration mais pour ce qu'il révèle et traduit du climat académique et culturel américain dans lequel ce curieux dossier naît et se développe. L'a, avec naïveté (ou perversité ?), en reste au plan éducatif : l'histoire n'est pas un point de vue, même si on peut avoir des points de vue sur l'histoire ; il n'y a pas de "vérité de groupe" ; n'importe qui (compétences) ne peut pas enseigner n'importe quoi dans des universités qui ont pour fonction de diffuser la connaissance ; la question posée se ramène (devrait se ramener) à étudier l'influence de l'Egypte (et du PO en général) sur la pensée grecque et, de là, occidentale etc. Mais l'a ne va pas jusque là, jusqu'à ouvrir la Grèce. Elle est trop pénétrée de la vision traditionnelle (la Grèce mère de la rationalité et de la démocratie) pour pouvoir prendre du champ. Cette position défensive affaiblit sa critique. [50] Sherwin-White Susan, Kuhrt Amelie, 1993, From Samarkhand to Sardis — a new approach to the Seleucid Empire, University of California Press ; Topoi, volume 4/2, 1994, Les Séleucides, à propos de S. Sherwin-White et A. Kuhrt ; Birant Pierre, 1996, Histoire de l'empire perse de Cyrus à Alexandre (2 vols), Achaemenid History X, Leiden ; Stolper Matthew W, 1999, "Une «vision dure» de l'histoire achéménide (note critique) [A propos de l'ouvrage de Pierre Briant. Histoire de l'empire perse]", In: Annales. Histoire, Sciences Sociales, N° 5, pp. 1109-1126 ; Briant Pierre, 1999, "L'histoire de l'empire achéménide aujourd'hui : l'historien et ses documents", In: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 54ᵉ année, N° 5, pp. 1127-1136 ; Briant Pierre, 1989, "Histoire et idéologie. Les Grecs et la “décadence perse” ", In: Mélanges Pierre Lévêque, Tome 2 : Anthropologie et société, Besançon : Université de Franche-Comté, 1989. pp. 33-47. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 377) ; Briant Pierre, 2000, Leçon Inaugurale, Collège de France, Chaire d’histoire et Civilisation du Monde Achéménide et de l’empire d’Alexandre... [51] Comme le faisait déjà Saïd, une autre epochal contribution (Hall 1989) recourt plus à l'anthropologie culturelle qu'à l'histoire pour rendre compte de l'invention du "barbare" (perse) par des Athéniens cherchant à la fois à s'autodéfinir et à dominer les cités grecques sous le drapeau de l' "hellénité" commune incarnée par Athènes. Hall Edith, 1989, Inventing
the Barbarian —Greek Self-Definition through Tragedy, Oxford
University Press. Le discours mythique d'affrontement
des
héros aux "autres" surnaturels est recyclé en humanisant l'
"autre" et en l'ethnicisant ("barbare"). Sur la base de
l'opposition quasi organique entre l'ordre "social" et le chaos
(mythes), le double mouvement de dénégation du Perse et d'affirmation
d'Athènes,
importe dans le discours politique contemporain les éléments mythiques
archaïques, débouchant sur une standardisation de l' "autre". La
seule addition concerne la démocratie vs tyrannie qui a une double
origine : i) politique — les Perses ont soutenu les tyrans et
réciproquement, aussi tyran=Perse ; ii) sociale — la masse
d'esclaves qui nourrit la démocratie est barbare, aussi barbare=servile. Devenue
ontologique, la
distinction
héllènes/barbares ne peut que déboucher sur un impérialisme universel
et civilisateur :
la réconciliation est impossible, la soumission impensable, il faut
donc les
conquérir pour se défendre et pour les sauver. Ceci dit, l'a, en
polarisant l'analyse
sur Athènes, laisse dans le flou les rapports "inter-hellènes". Que
l'hellénisme soit conçu, promu et approprié par Athènes (à titre
défensif
contre les Perses, offensif pour la Ligue de Delos) pose non seulement
la
question des périphéries (occidentale et nordique, cf. Macédoine) mais
celle de
la "réception" du topos par les autres cités "grecques". Ca
n'a pas si bien marché puisque le triomphe d'Athènes signe son déclin
(guerres
du Péloponnèse). Qu'une
construction
circonstancielle et
locale devienne un topos universel demanderait pourtant une
explication. L'a
montre si parfaitement comment le topos a été inventé que son évidence
l'éblouit. Qu'Athènes se soit proclamée champion de l'hellénisme
n'implique pas
que les autres Grecs l'ont crue. Je
m'interroge :
n'est-ce pas la
reprise macédonienne du thème qui, jointe aux actes associés, a fait la
fortune
définitive d'un clivage au demeurant assez banal (mis à part le critère
linguistique que rendait nécessaire l'indétermination spatiale de la
"Grèce") ? Cette reprise fracassante du thème hellénique était
nécessaire aux Macédoniens hybrides qui devaient se faire Grecs, tant
pour
conquérir la Grèce que pour la mobiliser pour la conquête du monde. [52]
Après une génération, le postcolonial
turn est à son tour critiqué comme anticolonialisme démodé et
histoire à
l'envers : les Anglais se lavent de l'impérialisme en disant
qu'ils ont
été colonisés ! Cf. Millet Martin, 1990 The Romanisation of Britain. Mattingly, D.J., 2006, An imperial possession. Britain in the
Roman Empire, 54 BC–AD 409 (In : Penguin History of Britain
series) commence ainsi : This book
tells the story of the occupation of Britain by the Romans.
Versluys (op cit) commente : In the
very first sentence the three main constituents of his narrative are
immediately clear: there is Native Britain, there is Roman, and the
relation between them is characterized by the word ‘occupation’; later
on the same page he characterizes the period in question as ‘four
centuries of foreign domination’; further on (ibid., 7) he concludes
that ‘Britain in the Roman Empire was a colonized and exploited
territory’. Mattingly is clear about his agenda for writing up the
history of Britain in the Roman Empire as ‘an imperial possession’: ‘In
this book, considerably more emphasis than usual will be placed on the
negative aspects of imperial rule and their impact on the subject
peoples’ (ibid., 12). Plus malicieusement, on y voit, non seulement une manifestation de mauvaise conscience mais une tentative de recomposer le Royaume-Uni et l'Empire britannique sur une base multiculturelle postcoloniale. Cf. Dmitriev Sviatoslav, 2009, “(Re-)constructing the Roman empire: from ‘imperialism’ to ‘post-colonialism.’ An historical approach to history and historiography”, Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, ser. 5, vol. 1.1: 121-161. Si, en son temps, l'empire britannique a utilisé Rome pour se justifier (produisant ainsi une fausse image de Rome), le post-empire cherche à inventer une post-nation britannique et un nouveau système de relations avec ses ex satellites en réécrivant l'histoire romaine à partir des périphéries mais sur la même base conceptuelle. C'est d'une part une thématique purement britannique, d'autre part une nouvelle corruption de l'histoire romaine. Les autres "empires" antiques ne sont pas pris en compte car ils ne présentent pas le système provincial auquel les britanniques réduisent Rome en raison de leur problématique sous-jacente. Mais, ajoute ironiquement l'auteur, tout est de travers : Rome a toujours été multi-ethnique et inclusive, ce que n'était pas l'Empire britannique: p 160 Although one can establish parallels between the Roman empire and the British Empire as systems of formal control over large territories and numerous and diverse populations, there are no grounds for projecting either the social texture of the British Empire or its outcome onto Roman imperial history. The Roman empire was always multinational, or multiethnic – provincials of different backgrounds not only ran the state by occupying numerous high-ranking positions and held imperial power from the late first century A.D., but also formed the intellectual élite of the Roman empire. If the English retained natives on the lower levels of local administrations, it was impossible to even think of the natives as running the empire the way the Roman provincials did, or as setting the dominant cultural and political views.. Donc le prendre par en haut (diffusion) ou par en bas (accomodation) n'a guère d'importance. L'interaction recherchée par les postcolonial («local voices» and «local histories») est hors-sujet : Rome les entendait ! [53] Gillett Andrew, 2002, "Ethnicity, History, and Methodology", introduction de Gillett Andrew (Ed.), 2002, On Barbarian identity: critical approaches to ethnicity in the early Middle Ages. (Studies in the early Middle Ages). Turnhout, Belgium: Brepols ; —, 2006, "Ethnogenesis: A Contested Model of Early Medieval Europe", History Compass, 4/2. Dans l'article de
2006,
le succès du
modèle de l' "ethnogenèse" que souligne l'a est encore plus
surprenant qu'il le dit puisque le terme a l'air fabriqué exprès comme
épouvantail romantique, touchant de beaucoup trop près aux
"ethnicités" imaginaires du state
building (cf. Pohl, infra). Que
le mot ait un sens en anthropologie ne le rend pas nécessairement
valide en
histoire. Il est polluant : essentialisme ahistorique, téléologie
nationaliste, fragmentation culturelle (et historique). L'a fait preuve
de
quelque perversité en
incriminant la longue tradition des Germanische
Altertumskunde, tout en reconnaissant à la fois la rupture
contemporaine
avec ses aspects scandaleux et la continuité d'une version non
scandaleuse. La
thèse qu'il soutient (héritage) est en elle-même encore plus ancienne
et aussi
douteuse, même s'il la modernise en tardo-antique. En la matière, vingt
siècles
ont laissé toutes sortes d'héritages sans que le mort saisisse
inéluctablement
le vif. La tradition anti-romaine germanique (réception) est aussi
explicable
et pas plus criticable que la tradition pseudo-romaine française ou
papale.
Comme dit l'a à un autre propos, ce sont des faits et non des
choix ! Dans l'art. de
2002,
Gillett note que Ethnicity, the topic of much contemporary
research, has been integral to the study of early medieval Europe since
the
beginnings of modem scholarship. During the fifteenth and sixteenth
centuries,
erudite authors in the Holy Roman Empire and the Scandinavian countries
sought to create an alternative antiquity to
the Roman past which Renaissance Humanists had so proudly claimed as
the
ancestor of the Italian states Les praticiens de
l'ethnogenèse comme
Pohl (sur la base de Wenskus) ont toute la plasticité constructiviste
qu'on
peut souhaiter. Pohl (Pohl Walter, 1998, "Conceptions of Ethnicity in
Early Medieval Studies", in: Lester K. Little and Barbara H. Rosenwein
(Eds), Debating the Middle Ages: Issues
and Readings, p. 13-24, Blackwell Publishers) ne présuppose pas des
ethnies
primitives qui se développeraient en peuples. Paradoxalement, son
ethnogenèse
est pluri-ethnique. Si traditionskern
est quelque peu ambigu, on peut admettre
que les élites fabriquent une tradition ethnique et une généalogie
collective
mythique afin de différencier des autres les groupes qu'ils mobilisent
et de
leur insuffler une identité : p 16 These
broader units were often of various origin; the Lombards in Italy, for
instance, incorporated Gepids, Suevians and Alamans, Bulgarians,
Saxons, Goths,
Romans, and others. This "polyethnic" composition was generally
observed...p 17 we can describe ethnos
as a process rather than a unit..there
were individuals who were Avars or
Lombards in a fuller sense than others who claimed to be so; and one
could
easily be Lombard and Gepid, or Avar and Slav, at the same time…Which
of these
affiliations prevailed often depended on the situatioIn... A quoi Gillet
répond : Given the overlapping categories of identity
that operated concurrently, the modern term ‘‘ethnicity’’ seems
increasingly to
be an awkward anachronism…Second, and perhaps more significantly,
however,
these texts indicate how unimportant what we call ‘‘ethnic’’ identity
could be
in Late Antiquity (Gillett Andrew, "The Mirror of Jordanes:
Concepts
of the Barbarian, Then and Now", In: Rousseau, Jutta, 2009: 395). [54] Woolf Greg, 2008, "The Roman Cultural Revolution in Gaul", In: Keay Simon, Terrenato Nicola, eds, 2008, Italy and the West — Comparative Issues In Romanization, Oxbow Books Woolf est le big man de la dénonciation de la romanisation. Comme souvent, la déconstruction est plus convaincante que la reconstruction. Pour la
stimulante
critique de la
"romanisation" des provinces conquises : Woolf
Greg, 1995, "The Formation of Roman
Provincial Cultures" ; —, 1998, Becoming Roman- The
Origins of Provincial Civilization in Gaul,
Cambridge University Press ; —, 2002,
"Generations of
aristocracy", Archaeological
Dialogues, 9. Woolf, 2008 ("The
Roman Cultural Revolution in Gaul") tente
d'intégrer les transformations de tout le "monde romain" dans une
"révolution" générale qui englobe Rome elle-même. L'argumentation va
des formes religieuses aux instruments de toilette en passant par le
langage du
corps (des élites)...Certes, il est remarquable que Rome les découvre
en même
temps que les provinces mais l'a n'explique pas cette révolution. Il se
contente de poser la question : ces changements étaient-ils en
cours ou
résultent-ils d'un projet impérial d'Octave ? Tout cela paraît
aussi
général que factice
et a un petit air de siècle d'Auguste.
Il faudrait supposer une espèce de "jet set transnationale" :
l'élite enrichie se cosmopolisant, sécrète une "culture globale"
qui déromanise l'empire au moment où il devient effectif. [55] The Persians lost their wars in Greece, in part, because the triumphant Greeks wrote the histories and other texts that survive Balcer Jack Martin, 1989, "The Persian Wars against Greece: A Reassessment", Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte, Bd. 38, H. 2 (2nd Qtr., 1989), pp. 127-143, Franz Steiner Verlag, p127 [56] Terrenato Nicola, 2015, "The archetypal imperial city: the rise of Rome and the burdens of empire", In: Yoffee Norman, Ed, The Cambridge World History, VOLUME III, Early Cities in Comparative Perspective, 4000 BCE-1200 CE, Cambridge UP L'a procède à une stylisation historique, sans s'encombrer des détails. Il distingue la phase de l'empire méditerranéen (une métastructure urbaine qui attendait son organisateur) et celle des conquêtes continentales instables et problématiques, responsables de transformations structurelles. En partie de façon endogène, en partie sous l'effet des contacts avec les "Romains", les sociétés barbares mutent (chefferies etc), ce qui d'un côté ouvre une fenêtre d'opportunité, de l'autre crée un puzzle car le décalage les rend indigérables. Il y a ainsi un hiatus entre l'empire "méditerranéen" (réseau de réseaux urbains) qui s'épanouit à l'Est et l'empire continental aventuriste qui ne tient pas. Tant que l'expansion saute par dessus les parties les moins digestes, tout va bien mais, ensuite, les ingérer (via création de cités, infrastructures etc) constitue une tâche insurmontable. L'a soutient que l' "inclusivité" de Rome lui a permis de "pooler" les ressources de son réseau avec plus d'efficacité que ses concurrents et constitue la principale explication de son expansion jusqu'à ce que son échelle excessive vide de sens la citoyenneté (Rome’s policy of political inclusiveness had reached its intrinsic spatial limitations) et que l'Empire absorbe la Ville et, concomitamment l'Empire la République. Il distingue trois types successifs de guerres, le passage de l'un à l'autre nécessitant des adaptations : les guerres de proximité "latines", les guerres "mondiales" méditerranéennes, les guerres barbares : ces dernières, lointaines, durables et inconclusives, transforment la structure (armées, warlords) sans jamais pouvoir être gagnées. [57]
Horden
(Peregrine) & Purcell (Nicholas), 2000, The
Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford, Blackwell
Publilshers ; —, 2006, "The Mediterranean and “the New
Thalassology” ", In: The
American Historical Review, Volume 111, Issue 3, 1 June, Pages
722–740 L'expression est reprise de Wong qui l'emploie dans une dissertation sur les "régions braudéliennes". Il note qu'il manque au Nord-Ouest chinois la lisibilité physiographique d’une région organisée autour de l’eau (Wong R. Bin, 2001 « Entre monde et nation : les régions braudéliennes en asie», In: Annales. Histoire, Sciences Sociales, (56e année), n°1, Une histoire à l’échelle globale p. 5-41). Pour une discussion, voir Malkin Irad (ed), 2003, Mediterranean Paradigms and Classical Antiquity, Routledge, repr. of Mediterranean Historical Review, Volume 18, Number 2, December, Special Issue on Mediterranean Paradigms and Classical Antiquity. Et surtout Harris, "The Mediterranean and Ancient History" (in Harris (ed.), 2005, Rethinking the Mediterranean, OUP). Harris note (p5) : whether the Mediterranean world can really be said to have had a natural barrier to its east during antiquity is an awkward question. Given the quantity of interaction with Mesopotamia, with Arabia and with the Indian Ocean over the millennia, the answer may well be more 'no' than 'yes'. Horden and Purcell meanwhile maintain that there were 'intrinsically Mediterranean factors’. Harris renvoie à Bloch : unité de lieu n'implique unité de problème (Bloch Marc,1934 : "Une étude régionale : géographie ou histoire ?", Annales d’histoire économique et sociale, 25, p. 81-85. Ibid : Herzfeld Michael, "Practical Mediterraneanism: Excuses for Everything, from Epistemology to Eating" ; Woolf Greg, "A Sea of Faith?". Pour une mise en perspective de la "Méditerranée" : Ruel Anne, 1991, "L'invention de la Méditerranée" ; Chehab May, 2001, 'La Méditerranée et la désaffection de l’antique', In: Pouilloux, 2003 ; Deprest Florence, 2002, "L'invention géographique de la Méditerranée : éléments de réflexion". [58]
Journal of World History (JWH),
University of Hawai'i's Press : [59] Mentionnons d'abord le vieux Warmington Eric Herbert, 1928, The commerce between the Roman Empire and India, 2nd ed revised and enlarged, 1974, First published by Cambridge University Press : dépendant de la littérature et de la numismatique, l'a entre dans des détails que ses sources rendent intraitables (la fuite de l'or, longuement examinée par exemple). Toutefois, il souligne plusieurs points intéressants. Non seulement la "balance commerciale" est déséquilibrée (d'où le drain), mais les exports de Rome (sauf une partie du vin) viennent de sa partie orientale (habits de lin égyptiens et surtout verrerie syrienne). Cela fait que le commerce "romano-indien" est intra-oriental ! Les middlemen arabes et "éthiopiens" sont toujours et partout présents et les "Romains" eux-mêmes sont la plupart du temps des Grecs. Voir en outre :
[60] Une telle "orientation" de Rome doit rendre compte de la dévalorisation subséquente des conquêtes "européennes" (Espagnes, Gaules, Bretagne, Germanie etc). En dehors de la gloire militaire et du butin ponctuel pour les généraux et les soldats, en dehors de l'exploitation des minerais (les gisements d'argent ibériques furent-ils le Potosi de Rome ?) , elles n'ont pas d'intérêt et payent à peine ce qu'elles coûtent. Ce sont des aventures. [61] Le "sac de Rome par les Gaulois" de 390BC, plus tard dramatisé et scénarisé, deviendra un moment fondateur. Ayant un effet de "reset", il recouvrira d'un voile commode l'obscurité des "origines" dont les traces auront été détruites par les sauvages. En fait, il s'agit d'un épisode mineur au sein de la guerre entre la "fédération étrusque" alliée à Carthage et Syracuse dont la bande de Gaulois est mercenaire. C'est au sud, pas dans la Gaule cisalpine que se trouve l'explication. D'où l'extermination des pillards et la récupération du butin par par Caere. Plus tard, vers 300BC Caere sera absorbée par Rome. Cf. Heurgon Jacques, 1969, Rome et la Méditerranée occidentale jusqu'aux guerres puniques. [62]
Versluys
Miguel John, 2014, "Understanding objects in motion. An archaeological
dialogue on Romanization", Archaeological
Dialogues 21 (1) 1–20, Cambridge University Press * Reece, R.,
1990:
Romanization. A point
of view, in T.F.C. Blag and M. Millett (eds), The early
Roman Empire in the West, Oxford, 130–40 [63] Aussi curieuse que soit cette découverte, on ne peut rien en déduire. Les "routes" sont segmentées et les objets se redistribuent à travers une succession de hubs qui connectent indirectement des ports sans rapports. Les routes dépendent des vents et des courants (et, dans l'océan indien, de la mousson), et aussi de structurations "sociales" — monopoles de navigation, de fait (secrets), de droit (taxes douanières) ou d'organisation (réseaux). Des objets sont échangés ou vendus, d'autres sont perdus, d'autres gardés en "souvenir". Ce qui nous paraît aujourd'hui évident (par exemple, la circulation des tankers du Golfe Persique au Canal de Suez par circumnavigation de l'Arabie) n'existe tout simplement pas. Pour autant qu'ils communiquent (comme des traces archéologiques l'attestent) c'est par Barygaza, le grand emporium d'Inde du Nord. Cf. Salles Jean-Francois, 1988, "La circumnavigation de l'Arabie dans l'Antiquité classique", In: Salles Jean-Francois (ed), L'Arabie et ses mers bordières. I. Itinéraires et voisinages (Travaux de la Maison de l'Orient, 16). Salles Jean-Francois, 1993, "The Periplus of the Erythraean Sea and the Arab-Persian Gulf", In: Topoi, volume 3/2, dossier : Inde, Arabie et Médit orientale, pp. 493-523 : zigzag patterns are always more elaborated than a straight line advocate would think… I have tried to demonstrate elsewhere that the circumnavigation of Arabia was not a trade route… However, since true Roman objects have been found in excavations on sites of the Gulf, somebody must have carried them there…I would suggest that the western goods which were found in the archaeological sites of the Gulf had been carried along the non-Roman segment Apologos-Barygaza of the Indian Ocean trading routes ; they had first reached the north India harbours on Roman ships, from Alexandria through the Red Sea and the Indian Ocean navigation, and were then cargoed from Barygaza and Barbaricum to the Gulf by Arabo-Persian merchants and sailors..p 515. [64]
Expression
grandiose tout à fait incidente: Furi et Aureli comites Catulli, sive in extremos penetrabit Indos, litus ut longe resonante Eoa tunditur unda ; sive in Hyrcanos Arabesque molles, seu Sagas, sagittiferosque Parthos, sive quae septemgeminus colorat aequora Nilus ; sive trans altas gradietur Alpes, Caesaris visens monimenta magni, Gallicum Rhenum, horribilesque ultimosque Britannos... Furius et Aurélius, compagnons de Catulle, soit qu'il pénètre jusqu'aux extrémités de l'Inde dont les rivages retentissent au loin, battus par les flots de la mer Orientale; soit qu'il parcoure l'Hyrcanie et la molle Arabie, ou le pays des Sages et celui des Parthes armés de flèches, ou les bords du Nil qui par sept embouchures va colorer les ondes; soit que franchissant les hautes cimes des Alpes, il aille voir les trophées du grand César, le Rhin gaulois ou les Bretons sauvages qui habitent aux confins du monde; vous qui êtes prêts à partager mes dangers partout où me conduira la volonté des dieux, portez à mon amante ces brèves paroles dépourvues de douceur: - Qu'elle vive et se complaise au milieu de cette foule de galants qu'elle enlace en même temps sans en aimer aucun sincèrement, mais en brisant leurs vies à tous successivement. Seulement qu'elle ne compte plus, comme autrefois, sur mon amour, sur cet amour qui est mort par sa faute, comme la fleur sur le bord d'un pré qu'a touchée en passant la charrue. Idem (Aen. 6.794-800) : ...super et Garamantas et Indos/ proferet imperium; iacet extra sidera tellus,/ extra anni solisque uias, ubi caelifer Atlas/ axem umero torquet stellis ardentibus aptum./ huius in aduentum iam nunc et Caspia regna/ responsis horrent diuum et Maeotia tellus,/ et septemgemini turbant trepida ostia Nili... Maintenant, tourne les yeux de
ce côté,
vois cette
nation, ce sont tes Romains. Voici César, et toute la descendance de
Iule, eux
qui un jour monteront sous l'immense voûte du ciel. Le voici, celui
dont si
souvent tu t'entends promettre la venue : Auguste César, né d'un dieu ;
il
fondera un nouveau siècle d'or dans les campagnes du Latium où
autrefois régna
Saturne ; il étendra son empire au-delà
des Garamantes et des Indiens ; il existe, s'étendant en dehors de nos
astres
et des routes parcourues par le soleil en un an, une terre où le
porte-ciel
Atlas fait tourner sur ses épaules l'axe articulé aux étoiles de feu.
Maintenant déjà, à l'idée de sa venue, les royaumes de la Caspienne et
la terre
Méotide sont saisis d'effroi devant les réponses des oracles , et
l'embouchure
du Nil aux sept bras se trouble et tremble de peur. [65]
Cf. Leyerle
Blake, 2009, "Mobility and the Traces of Empire", In: Rousseau
Philip, Raithel Jutta, (Eds), A Companion
to Late Antiquity, Wiley-Blackwell. [66]
Cf. Engels
Johannes, 2007, "Geography and History", In: John Marincola, A Companion to Greek and Roman
Historiography, Chap. 55, vol. 2, Blackwell : * Brodersen
K.,
2001, "The
presentation of geographical knowledge for travel and transport in the
Roman
world: Itineraria non tantum adnotata sed etiam picta", In :
Adams,
C. and Laurence, R. (eds.), Travel and
Geography in the Roman Empire, London and New York.: 7–21 [67]
1902,
Bérard Victor, 1902, Les
phéniciens et l'Odyssée Bérard, posant que tout est vrai
dans l'Odyssée cherche les lieux d'Ulysse dans
le paysage et la toponymie. Indépendamment de ses conclusions
fantaisistes,
l'immense intérêt de Bérard est de rendre sensible la différence entre
notre
géographie de la "Méditerranée" et celle de l'Antiquité. L'auteur
analyse les moyens de transport, la sensibilité aux vents et aux
courants de la
"marine à voile". La fragilité et l'insécurité de la navigation
antique obligent à combiner trajets terrestres et maritimes en
définissant des
itinéraires qui minimisent les seconds (théorème
des Isthmes : traverser par terre au lieu d'en faire le tour
par la
mer). Aussi les routes de mer n'existent pas sans itinéraires de terre.
Quoique
l'absence de routes dallées interdise les véhicules à roue, la hotte
portée à
dos d'hommes a fait ses preuves, y compris à une échelle de masse. Laissons ses Phéniciens à Bérard et gardons son inspiration géographique. On lui a reproché d'avoir testé la plausibilité de sa carte d'Ulysse en utilisant, lors de son exploration de 1901, un voilier moderne, technologiquement anachronique. On pourrait aussi critiquer la date de son voyage, de mars à juin. Récemment, l'archéologie expérimentale a recréé ce qu'on pense être une trière à l'ancienne afin d'étudier son fonctionnement et ses contraintes. Voudrait-on que, de même, Bérard eût fabriqué une barque de style égyptien pour partir à l'aventure avec des rameurs coléreux, un peu de farine et une outre d'eau ? Que Bérard ait cru imiter Ulysse, c'est son affaire. Aussi grand que soit l'écart entre son yacht et la barque d'Ulysse, les deux ont en commun une géographie des vents/courants qu'ignorent nos cartes conditionnées par les grands navires métalliques marchant au moteur. Ces derniers vont où ils veulent par tous temps alors que les premiers dépendent des vents, des courants, des aléas de l'eau et de la nourriture. Sous cet angle, les rapprochements de l'auteur entre les pirates antiques et les pirates francs du XVIIe dont les récits sont mis en parallèle avec l'Odyssée, constituent un anachronisme efficace : se ressemblent, non seulement les modes de vie (piller la terre et les eaux, rançonner, faire des esclaves, alterner de longues diètes et d'énormes goinfreries), mais les modes de navigation. Si Bérard ne convainc pas à propos d'Ulysse, il nous donne l'ébauche d'une autre géographie ("thalassographie" ?). La nôtre, celle que la motorisation a rendu évidente nous empêche de mettre les temps anciens dans leur espace. [68]
Les
comparaisons directes avec l'Empire chinois sont problématiques. Kim
2015 se
pose la question : peut-on faire une histoire
antique de
l'Eurasie alors que les connexions entre l'Est et l'Ouest ne sont
qu'indirectes
ou médiates ? L'a pense que oui en raison de la connexion
indirecte
qu'entraîne un facteur extérieur commun, les empires de la steppe qui
ne sont
pas des troupeaux anarchiques mais des organisations. L'historiographie
chinoise nous explique pourquoi les Huns ont eu un effet si destructeur
à
l'Ouest. Plus tôt, les éléments d'Hérodote sur les Scythes sont
confirmés par Sima
Qian. [69]
Voir
un amusant point de vue français sur le débat Romanization
dans Le Roux Patrick, 2006, "Regarder vers Rome
aujourd’hui", In: Mélanges de
l'Ecole française de Rome. Antiquité, tome 118, n°1, pp. 159-166. Les responsables du numéro se réjouissent de cette
..expression d’une historiographie
différente dans un concert qui paraissait dominé par les voix
anglo-saxonnes
("Sur le concept de «romanisation» —paradigmes historiographiques et
perspectives de recherche, Introduction", Sylvain Janniard et Giusto
Traina). [70]
Dupont Florence, 2002, "Rome ou l'altérité incluse" :
...Le terme d'altérité ne prend sens que dans une langue qui distingue le pluriel du duel. Le latin fait cette distinction puisqu'il dispose, à la différence du français, de deux façons pour dire l'autre. Alter s'oppose à alter au sein d'une paire englobée par le pronom uterque, tandis qu' alius, alius, alius ... s'opposent à unus pour dire la multiplicité opposée à l'unicité. Or c'est sur alter et non sur alius que le terme français «altérité» est formé. L'autre désigné par la notion d'altérité est donc défini par une différence, un contraste, présupposant d'abord une ressemblance...Les notions d'identité et d'altérité fonctionnent donc comme un langage binaire de classification, système de représentation qui appartient au latin comme au grec qui possèdent, certes à un degré différent, la notion de duel..L'altérité comme l'identité sont des notions classificatoires qui ne peuvent prétendre à aucune réalité ontologique. Avec ce qui est trop éloigné on ne peut pas établir un lien d'altérité faute d'un minimum d'identité première. [71]Sachsenmaier Dominic, 2007, " World History as Ecumenical History? ", JWH, 18/4 : puisque les représentations de l'histoire sont historiquement façonnées, Even most representatives of the subaltern studies and postcolonial movements acknowledge that it will not be possible to turn back the clock and return to an allegedly pre-Eurocentric vision of history…Because history in the modern sense is so closely entangled with society and politics at large, radical alternatives to current conceptions of history could not be created without establishing radically alternative societies…radical Islamic, Jewish, and other religious groups have produced world historical accounts.. p 467. |