Ed. 30/01/2020   
Esambe Josilonus
Esambe Josilonus
Généalogies chimériques & légendes politiques
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En 1770, au début de son Mémoire sur l'origine de la Maison d'Autriche, le baron de Zurlauben écrit :

Il y a deux cents ans qu'on étoit fort dans le gout des généalogies chimériques. Lazius observe que de son temps (en 1555) toutes les maisons d'Allemagne se piquoient d'une ancienneté qui remontoit à l'époque de la prise de Troie. Sandoval, historien de Charles-Quint, compta dans la généalogie de cet Empereur, cent vingt générations depuis Adam jusqu'à ce Prince.

Ces généalogies troyennes ne nous embarrassent pas et, sans hésiter, nous les reléguons au registre des fables. Mais, au xvi° et xvii° siècles (et même après), bien d'autres traditions généalogiques, tout aussi fabuleuses, prétendent s'inscrire au registre historique : leurs défenseurs comme leurs critiques "documentent" leurs développements et les prouvent par chartes. C'est ce curieux hiatus entre le fond et la forme qui est l'objet de la présente note.

Nous examinerons d'abord ce que sont, en ce temps, les chartes et ce que leurs utilisateurs en font (§1). Parmi les nombreuses légendes généalogiques, nous retiendrons la plus éclatante, celle de l'apparentement à Charlemagne. Pour gommer leur usurpation originelle (987), les Capétiens avaient procédé à un reditus ad stirpem Karoli qui passait par les femmes. La légende des Guise fait mieux : pendant les troubles du xvi° siècle, elle rend la maison de Lorraine héritière du dernier carolingien (§2). Ce spectre courait encore au xvii° tandis que le Roi avalait la Lorraine et que ses thuriféraires l'affirmaient plus carolingien que les carolingiens eux-mêmes (§3).

1) Information informe

Jusqu'à Mabillon (1681, De re diplomatica), on se soucie peu d'authentifier les documents et de les dater exactement. Encore, "le père de la diplomatique" ne fait-il dans cette voie que quelques pas, aussi admirés que discutés [1].

Aujourd'hui, non seulement nous connaissons  la difficulté de certifier qu'un document est bien ce qu'il prétend, mais nous savons que l'urtext est une chimère et qu'une "source", fût-elle authentique, ne se réduit pas à son texte, même enrichi du contexte : l'explicite qui l'entourait a disparu (les sons, les couleurs, les gestes, les paroles, les signes...) [2], et ce que le texte tait, ce qu'il transforme ou oublie (Geary, 1994), nous demeure à jamais inaccessible, tandis que son statut (mémo ? témoignage ? revendication ?) reste incertain.

Il ne suffit pas qu'une société connaisse l'écriture pour qu'elle quitte l'oralité et même l'imprimerie ne la fait pas basculer d'un coup [3]. Une société orale repose sur la tradition qu'atteste, si besoin, un collectif d'anciens. Même lorsqu'elles utilisent partiellement l'écrit, les anciennes cultures préfèrent la "parole vive" car l'écrit ne prouve pas sa crédibilité (au contraire des témoins ou des "sages") et ne répond pas aux questions [4]. L'appartenance à une culture literate [5] fit des historiens du xix° siècle des "textuaires" [6] et, malgré nous, nous expose à l'illusion de l'écrit, face à d'autres cultures qui pensaient, signifiaient et prouvaient autrement. Privilégier les traces écrites d'une société orale traduit (et provoque) l'illusion juridique de la norme, qui nous voue à l'incompréhension : les décisions ne se basent pas sur des textes de droit mais sur des rapports de force et des relations (habillés de droit). Rappelons-nous le déni de la transmission de la Couronne aux filles (succession de Charles IV) : quand, un siècle plus tard, apparaît la loi salique qui l'aurait justifié, elle naît de cette exclusion et s'appuie sur celle-ci. Les décisions font le droit, et non l'inverse. Et comme les décisions sont variables, le droit aussi. Il s'ensuit que l'erreur que nous commettons en surpondérant inconsciemment les traces écrites augmente avec la distance culturelle.

Notre culture literate a sorti du chaos les anciennes archives, les a célébrées (Michelet !), leur a donné une méthodologie, une technologie et des spécialistes. Quoique, en France, la Révolution ait détruit une masse d'archives, par système et par confusion, l'énormité qui reste est stockée, classée, et, pour une part, inventoriée, analysée et publiée. Nous les prendrions facilement, nous les prenons souvent, pour une base de données qu'il suffit d'analyser, sans penser que nous n'avons pas les métadonnées, les codes qui définissent leur valeur et leur statut [7].

Au contraire, l'ancien régime archivistique se caractérisait par une telle anarchie dans les sources et leur usage (a) que les généalogies (et l'histoire en général) connaissent peu de preuves incontestables (b). Outre les faussetés avérées, les subreptions sont d'autant plus nombreuses que la généalogie, dans ce temps, relève de l'éloge des ancêtres, une forme ancestrale de la rhétorique [8]. Aussi les auteurs, même lorsqu'ils ne s'avèrent pas faussaires, n'en sont jamais bien loin (c).

a) Une "merveilleuse négligence"

Une merveilleuse négligence (Dupuy, 1655) marque alors l'alimentation, la conservation et la gestion des dépôts, même des pièces les plus officielles [9]. La masse surabondante d'archives demeure largement inconnue, incertaine et inexploitable. Paradoxalement, le support a une valeur plus générale que l'information : le parchemin est d'autant plus cher que la production est faible et les transports difficiles. Revendre des parchemins pour fermer des pots de confiture ou des conserves [10], regratter les anciens titres, les blanchir et les transformer en supports prêts pour un nouvel usage, est un métier, comme les voler. Imaginons que pour des raisons techniques, nos livres soient imprimés sur des feuilles d'or ! Quelques uns les chercheraient pour les lire, tous pour les fondre.

En outre, les titres se dissipent par pourrissement, grignotement des souris ou incendie. Il est difficile de trouver ce qu'on cherche car les coffrets (layettes), coffres et armoires, l'étiquetage et le classement manquent ou s'usent. Le répertoire est rarement approprié et à jour.

Quand les titres sont copiés pour un utilisateur, il suffirait de les remettre en place mais souvent ils traînent et s'égarent. Lorsqu'ils sont prêtés, il faut qu'ils reviennent et c'est rarement le cas. On ne cesse de leur courir après, de sommer leurs détenteurs (ou leurs héritiers) de les rapporter. On cherche à les saisir dans les successions avant qu'ils ne disparaissent.

Ce chaos est propice aux appropriations privées, pas toujours infondées car, faute de sources publiques et d'accès aux documents, les "fonctionnaires" gardent les papiers nécessaires à leur activité et les historiographes doivent collectionner les sources.

Considérons le "Trésor des Chartes" qui, à côté des archives du Parlement, de la Chambre des comptes et des autres chambres, est destiné à recueillir les documents royaux : traités, contrats de mariage, activité de la Chancellerie etc. [11]. Après la rationalisation opérée par le trésorier Montaigu sous Charles V, les xv° et xvi° siècles sont marqués par la désorganisation. Depuis Louis XI, les ordonnances et les missions de remise en ordre se succèdent, aussi péremptoires que vaines. Outre les problèmes matériels et techniques, outre l'éternel conflit entre la Chambre des Comptes et le Parlement [12], le Trésor des Chartes souffre d'une contradiction. Sa nature de Trésor l'empêche de fonctionner comme une administration : Le chartrier personnel tend ainsi à devenir celui du royaume mais, de par sa nature privative, fait partie intégrante de l'espace domestique du roi (Potin 2005) [13]. Contenant les preuves des droits du Roy (toujours contestés ou toujours à revendiquer) [14], il dépend directement de son autorité : pour voir un document, il faut une lettre de cachet. Le Roi n'en peut confier la garde qu'à une personne de confiance qui est seule à avoir la clef et le droit de manipuler les documents, là où il faudrait une équipe d'archivistes. Il est aussi logique que dramatique de fusionner en 1582 la charge de trésorier avec celle de Procureur du Roi au Parlement !

L'accès étant si impropre, les documents, au lieu d'être déposés, sont  conservés pour rester disponibles et finissent par être oubliés. Les titres ou les papiers qui, après maintes formalités, sortent, ne reviennent pas. Chaque chancelier, chaque secrétaire, se constitue un "trésor" privé : pas étonnant que toutes les inspections constatent désordre et lacunes car l'évaporation est intense. Jusqu'à Mathieu Molé (1614), le Procureur général ne se soucie du Trésor que pour le piller, quoique souvent pour la bonne cause : en particulier, Brisson, pour rédiger son code Henri III, eut besoin d'une multitude de documents qu'il emprunta et qui ne revinrent (partiellement) qu'après son exécution par les seize. Lorsque, en 1615, Molé confie une mission d'inspection aux historiographes Pierre Dupuy et Théodore Godefroy, ils trouvèrent le "Trésor des Chartes du Roy" en bien mauvais état (cf. Delaborde, 1897) :

outre la grande confusion qui se trouva dans les deux chambres du Trésor, les titres étant confus et épars par la place, une partie des layettes était brisée, aucuns des coffres et layettes pourries & les titres aussi, la pluie ayant pénétré partout faute de n'avoir été pris garde aux couvertures. Donc la première chose qui fut faite fut de séparer les titres gâtés et demy pourris et ordonner ceux qui étaient restés... (Dupuy, 1655, Traité des droits du Roy, p1013).

Dupuy publie ce "rapport"  à la fin de son traité des Droits du Roy, composé & recueilly du Trésor des Chartes du Roy & autres mémoires qui compile les justificatifs à l'appui des prétentions royales, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du royaume, travail qui, demandant un grand remuement d'archives, souligne le besoin d'avoir un dépôt opérationnel. Dupuy passera des années à répertorier les registres (en oubliant les "sacs" : cf. Delaborde 1909).

Ne parlons pas des chartriers des provinces, des églises ou abbayes, des Princes et des gentilshommes ! Leur contenu, souvent dispersé, mal inventorié, encore plus mal conservé, inclut rarement les actes originaux : des reconstitutions ou des copies de copies ont été faites et rassemblées à l'occasion de certains besoins (gestion ou contestation), et souvent déformées, volontairement ou non. Le curieux, toujours soupçonné d'être un ennemi, doit négocier l'accès et, faute de catalogue, vider les coffres, les sacs et les layettes, sans craindre la pourriture, l'humidité et l'obscurité (une autre cause d'évaporation : il faut emporter les titres pour les lire). Souvent, il faut se déplacer au loin : ce n'est pas une mince affaire pour un parisien d'aller au fond de l'Auvergne toquer à la porte d'une abbaye pour demander à voir ses archives ! Aussi s'adresse-t-il à des correspondants, à des amis d'amis qui, eux-mêmes envoient des secrétaires plus ou moins scrupuleux. Ces titres en mauvais latin farci d'abréviations, souvent mal écrits et difficiles à déchiffrer [15], sont invérifiables et leur datation fait problème. Quand bien même la copie qu'on reçoit serait sincère, rien ne permet de savoir si la version reproduite l'était. Et sincère ne signifie pas exact.

Cet état des lieux explique qu'il ne manque pas de "chartes" pour prouver ce que l'on veut et que dans ce chaos, le vrai et le faux sont indémêlables ! Document signifie argument : tout est bon à prendre et nul ne se préoccupe de sa validité, sauf pour la réfuter si le contenu lui déplaît. Outre la corruption des matériaux, comme les rédacteurs de l'ancien temps sont notoirement déficients, il n'est pas rare que le copiste ou l'examinateur rectifie le document pour rendre la leçon conforme à la grammaire ou à la logique (celle qu'il conjecture). On traite comme des originaux les vidimus, copies attestées par une autorité qui dit qu'elle a vu le document reproduit, et parfois les simples copies. Parfois, on appelle  vidimus de simples copies privées.

En termes d'aujourd'hui, nous dirions que cette opacité pousse au crime en facilitant les manipulations et les suppositions. Dans leur temps, plutôt que de "crime", il faut parler d'une sorte de congruence entre le flou des sources et celui des pratiques. Prenons le cas de du Tillet dont nous verrons ailleurs la personne et l'oeuvre.

b) Le greffier du Tillet

Jean du Tillet est greffier civil du Parlement de 1521 à sa mort en 1570. Pendant les troubles religieux et politiques de la seconde moitié du xvi° siècle, son Recueil des Roys met le Royaume en ordre figuré avec des moyens désordonnés. Du Tillet n'est pas pire que ses contemporains (et ses successeurs). Il a la même attitude cavalière —militaire ?— à l'égard des sources : les capturer et les faire parler. Mais, comme il a accès aux archives et, en particulier au trésor des chartes, il dispose d'un argument d'autorité. Ainsi, dans Pour l'entière majorité du Roi (1560) [16], l'apologie des droits du Roi ne se contente pas de mêler histoire antique et citations bibliques, à la mode du temps. Du Tillet oppose les registres  aux fables et nouvelles [17] : la vérité est dans les registres qui seuls font foy d'histoire...et les registres parlent par la voix de du Tillet. Qui les a vus ? Qui s'y retrouve ? Qui les comprend ? du Tillet ! Notaire de l'Etat, par sa position de greffier du Parlement et ses remuements d'anciens registres et panchartes, il fait foy des registres qui font foy...Et voilà ! Mais peut-on faire confiance au notaire ? est-il sincère ? sérieux ? Selon nos critères : autant que les autres, pas plus que les autres.

Pour l'exemple, analysons une de ses références [18]  : dans la deuxième partie du Recueil des Rois, consacrée à leur grandeur & excellence, du Tillet énonce comme une évidence documentaire que, en 1179, Louis VII, à l'occasion du couronnement de son fils Philippe (futur Auguste) accomplit un acte "constitutionnel" majeur qui, d'un coup, institue les pairs du Royaume (six pairs ecclésiastiques et six pairs laïcs), leur hiérarchie et leur office au Couronnement ; confère à Reims son privilège ; et fixe le cérémonial dont tous les détails suivent [19]. De manière apparemment scrupuleuse, du Tillet donne sa source : cette forme et cérémonie de 1179 a été "enregistrée" à la Chambre des comptes, ancêtre du Parlement, et se trouve au fo 199 du livre Croix [20]. Convaincant ? Impossible de vérifier directement : ce registre, victime de l'incendie de 1737, ne survit qu'à travers des copies de valeur incertaine. Toutefois, un recollement de 1722 donnait les dates extrêmes des pièces qu'il contenait : commençant en 1223 et finissant en 1332 (Langlois, préface à Petit et al, 1899, et Boislisle, 1873). Donc du Tillet n'a pas pu y voir l'ordo de 1179 registré et encore moins "enregistré" car ce n'était pas encore la coutume [21]. Que s'est-il passé ? vraisemblablement (Brown, 1992), il trouve dans Croix un document des années 1330 qu'il prend pour une copie d'un texte contemporain du couronnement de 1179 et qu'il traduit et corrige très librement, sans même prendre garde aux anachronismes. L'ordo de du Tillet fera très largement référence. Ce fantôme d'acte "enregistré" acquiert l'autorité d'une ordonnance au sens moderne.   

Si les gisements dans lesquels il pioche étaient un capharnaüm, notamment le trésor des Chartes, il en aggrava encore le chaos. Son exploitation des archives fait penser aux méthodes prédatrices des archéologues du 19ème siècle ! creuser, prendre et rapporter. Il conserva chez lui de nombreux documents dont beaucoup disparurent [22], ce que déplorèrent tous les malheureux qui eurent à remettre de l'ordre, Dupuy en premier :

De son temps M Jean du Tillet Greffier du Parlement...eut entrée dans le Trésor avec pouvoir de voir, chercher et transporter ce dont il aurait besoin; ce qu'il fit avec un si mauvais ordre que les titres dont il s'était servi ne furent remis en leur lieu, plusieurs n'y furent rapportés et demeurèrent chez lui où ils ont été perdus; & ainsi la confusion fut telle qu'à grand peine on y pouvait trouver ce dont on avait besoin.

Outre Barnabé Brisson déjà mentionné, Pierre Pithou, André Duchêne et bien d'autres compilateurs procédèrent de même, pas seulement par négligence ou collectionnite, mais aussi par nécessité : d'une part, pour travailler commodément, il fallait de la lumière et une table à écrire ; d'autre part, la dispersion des archives publiques, leur inaccessibilité, leur mauvais classement, poussaient le spécialiste à constituer, par achat, emprunt, copie ou prélèvement, sa bibliothèque de travail qu'il léguait ou revendait en bloc. Celle-ci étant plus spécialisée et, espérons le, mieux conservée et rangée que les archives publiques, dans la mesure où les érudits prêtaient leurs pièces ou ouvraient leur bibliothèque aux autres, les conditions de recherche étaient meilleures. Plus encore, les grands incendies qui ravagèrent et détruisirent les archives (en particulier celui du dépôt du Greffe le 27 octobre 1737) montrèrent l'avantage paradoxal de  ces appropriations à partir desquelles on put reconstituer de nombreuses séries consumées ou abimées. Au demeurant, ces "chercheurs" privés sont aussi des hommes publics et, dans une large mesure, "historiographes du roi" patentés ou autoproclamés, leurs travaux visent le bien du Royaume. Lorsque Colbert rachète maintes collections pour constituer sa bibliothèque privée, n'est-ce pas, au moins en partie, d'ordre public ?

Que l'usage des sources manque de rigueur ou de scrupule, ne doit pas être matière à procès : pour les auteurs du xvi°/xvii°, l'écriture tient de la rhétorique, non de la démonstration scientifique. Les "registres", au même titre que la Bible ou les classiques de l'Antiquité, sont des autorités, des moyens de persuasion ou d'intimidation : notre méthodologie de la preuve est inopposable à des figures de langage.

c) Entre blanc et noir

 Pour dix cas avérés de falsification, combien restent cachés ? combien de droits mal fondés ? combien de généalogies nobles fallacieuses ? La vanité, comme les exemptions fiscales et autres avantages, engendrent un marché lucratif pour les faussaires dont l'apprentissage se fait souvent auprès d'historiographes respectés (quoique pas toujours très nets à nos yeux). Leur "culture professionnelle" ne vise pas la "vérité" mais le résultat.

L'importance de l'enjeu pour le commanditaire, l'ingéniosité de l'artisan et l'occasion engendrent différents types de fraude, allant de la bénigne supposition d'une source qu'on donne pour recopiée avec une vague indication d'origine (église de N), jusqu'à la fabrication de faux documents (de préférence en altérant le contenu d'un document authentique). Le "graal" du faussaire consiste à blanchir ses faux en les introduisant dans un système officiel d'archives pour en demander ensuite des copies certifiées : en dehors des incendies et autres accidents qui ouvrent des opportunités massives (sauvetage, falsification et "restitution" du nouveau document à la place de l'ancien), il suffit de soudoyer un garde.

Dans la 2nde moitié du xviii°, une liste dressée par Berthier, généalogiste du roi, (liste qui, on le devine, disparut rapidement) comptait deux cents vingt familles qui devaient leur noblesse à Haudicquer de Blancourt, Mérigot de Banzy ou de Barres, faussaires condamnés.

Prenons Haudicquer,  faussaire insigne, ancien garçon chapelier qui s'était donné la noblesse à lui-même, fabricateur de faux titres. Lui et son complice Chassebras, furent pris et mis à la Bastille, où Chassebras eut la bonne idée de se casser la tète contre les murs dans un accès d'épilepsie ou par désespoir, à moins que quelqu'un ne l'ait aidé. Haudicquer, condamné aux galères, en fut exempté pour ne pas lui laisser l'occasion d'y exercer son industrie. On l'enferma, on le garda isolé au château de Caen où il mourut. Haudicquer, avait appris l'art des archives chez Charles d'Hozier, le vérificateur de la noblesse (sur l'honnêteté duquel des bruits ont couru). Il en fut longtemps secrétaire. Il avait épousé la petite-fille du grand André du Chesne dont il hérita (ou détourna) cinquante-cinq volumes de titres généalogiques. Il avait édité un Nobiliaire de Picardie que d'Hozier qualifia d'indigne rapsodie.

Dans ce continuum obscur qui va du faussaire vénal au faussaire sincère, on passe insensiblement du noir au bistre, et du bistre au gris. Tout n'est pas faux, tout n'est pas vrai. Encore une fois, il serait anachronique de déplorer que les historiographes du temps ignorent notre technologie, notre méthodologie et notre déontologie. A partir de matériaux ductiles, ils travaillent pour un client, présent ou futur, dont ils attendent une rémunération, monétaire ou autre, dans un contexte donné, souvent judiciaire ou politique. Ils n'ont d'autre but que de persuader.

Examinons le cas de Jean du Bouchet qui, un peu faussaire, un peu chartiste,   fait profession de généalogie. Entre autres travaux, il a été engagé par le "prince" Louis pour produire l'Histoire généalogique de la Maison royale de Courtenay  (1661) [23] : de l'écheveau du Recueil des Roys de du Tillet, il extrait les fils issus de Louis le gros, les tire, les embobine, les rembobine et brode des fleurs de lys avec. 

Qui est-il ? Les dictionnaires lui préfèrent un homonyme [24] et l'expédient ainsi : Il y a un autre Jean du Bouchet qui a publié beaucoup d'ouvrages historiques qui attestent qu'il était très laborieux ou Bouchet (Jean du), historien savant dans l'histoire des grandes familles, surtout de celles d'Auvergne, sa patrie. Né en 1599, mort en 1684, sa seigneurie du Bouchet (si elle existe) échappe à l'identification et à la localisation. Il a satisfait aux preuves de noblesse en 1665 et 1668 sans, toutefois, remonter au-delà de 1550. Les dignités qu'il mentionne en titre de ses ouvrages sont aussi ronflantes que creuses : Gendarme de la compagnie du roi en 1635, Chevalier de l'ordre militaire de Saint-Michel (reçu le 26 juillet 1637) [25], Capitaine d'infanterie en 1641, Maître d'hôtel ordinaire du roi en 1645, Conseiller d'État en 1661, Doyen de l'ordre de Saint-Michel en 1680, Premier gendarme de France, charge sans exercice (Daniel) mais lucrative. En effet, L'Etat de la France de Besongne (1678) montre que ces "états" sans fonction ne manquent pas tous d'appointements.

Que fait-il ? Du Bouchet se dit généalogiste et historiographe du roi, quoiqu'il n'ait pas été nommé à cette charge (à la différence des Sainte-Marthe, par exemple). Il est quelque chose comme un "entrepreneur de données". Il achète ou échange des chartes, en fait copier, les stocke, en vend probablement, s'en sert et suscite la demande en cherchant à discréditer ses concurrents pour prendre leur place.

Ainsi, mécontent de l'insuffisance des libéralités des La Tour d'Auvergne, MM de Bouillon (le cardinal et son frère aîné, le duc, grand chambellan), du Bouchet cherche à leur montrer son "pouvoir de marché" : il se déclare publiquement contre le livre que leur historiographe, Justel (1580-1649), a consacré à leur généalogie [26], livre pour lequel, lui-même avait vendu à Justel beaucoup de titres, et des plus importants (Depoin, 1908). D'abord, il vend les matériaux, ensuite il dévalorise la construction et propose un autre projet : dans l'espoir de supplanter Justel, Du Bouchet confectionne et fait imprimer à ses frais en 1665 sa propre carte généalogique de MM de Bouillon.

A la mort de du Bouchet, son secrétaire et compatriote, le faussaire Jean Pierre des Barres (de Bar), ayant travaillé longtemps sous ses ordres à la recherche des titres et actes concernant l'histoire de cette province (l'Auvergne), hérite de ses papiers (ou se les approprie) dont, selon lui, un cartulaire de Brioude, un improbable in folio de 254 feuillets contenant 341 chartes du ix° au xi° siècle, que du Bouchet aurait "acquis". Des Barres en extrait huit feuillets "décisifs" qu'il porte au Cardinal de Bouillon pour lui vendre la preuve tant désirée de sa descendance des anciens comtes d'Auvergne [27]. Il dit les avoir trouvés parmi les papiers de M. du Bouchet, après sa mort et dans une grande confusion, comme papiers, ou qu'il ne connaissoit point lui-même, ou qu'il vouloit supprimer pour soutenir ce qu'il avoit écrit contre M. Justel (!). Voulant savoir ce qu'il achète, le Cardinal demande une expertise aux spécialistes, Mabillon, Ruynart et Baluze. Ceux-ci, abusés, authentifient les papiers (Loriquet 1870, Depoin 1908). Ils feront le malheur de Baluze (cf. §3b) car des Barres, ultérieurement emprisonné pour falsification de preuves de noblesse, reconnaîtra avoir fabriqué ces feuillets (dont on a trouvé les brouillons chez lui) et, imitant Chassebras de Cramailles, se fracassera la tête contre les murs de sa prison (ou sera fracassé), au soulagement de ses clients !

Nous retrouverons (§3) du Bouchet à propos de l'origine d'Hugues Capet. Nous le verrons  exploiter une "découverte" que le défunt André du Chêne ne savait pas avoir faite. Combault l'a révélée, ce qui aurait dû être une bonne raison pour s'en tenir à l'écart car Charles de Combault, baron d'Auteuil, fait notoirement commerce de flatteries intéressées, enrubannées d'une historiographie fantaisiste [28]. Si du Bouchet a cru Combault, c'est un naïf ; s'il a écrit La véritable origine de la seconde et troisième lignée de la Maison Royale de France dans l'espoir de plaire à la Cour, c'est un métier que tous pratiquent en son temps.

2) Lorraine et Charlemagne

Le reditus ad sitrpem Karoli des Capétiens reposait sur les mariages carolingiens de Louis VII et de Philippe Auguste. Ce retour, magnifié sous Philippe le Bel, a perdu sa valeur quand la loi salique a été inventée pour trancher les conflits de succession.

La mort de Henri II ouvre une période de troubles et de concurrence d'ambitions (excitées ou couvertes par le dissentiment religieux) entre les cousins germains Guise et Condé et leurs alliés respectifs. Les hésitations et les incapacités de rois confus, le mécontentement, les craintes des catholiques, confèrent aux Guise une posture de sauveurs qui se traduit, à la fois en négatif et en positif, par leur image carolingienne en tant que cadets de Lorraine. Nous verrons, pour eux (a), et pour la branche ainée, les Ducs de Lorraine, (b) comment se combine historiographie et représentation politique.

a) La légende des Guise

En 987, Hugues "Capet" usurpe la Couronne, combat le dernier carolingien, Charles "de Lorraine", frère de Louis V, qu'il vainc, capture et emprisonne. Symboliquement, les Ducs de Lorraine considèrent ce Charles d'Austrasie comme le premier d'entre eux. De ce fait, le deuxième duc Charles est appelé Charles III. Si les Français s'en offusquent, leurs Rois ne font pas autrement, en se numérotant à partir des carolingiens (Charles IV), voire des mérovingiens : Clovis étant posé "Louis I", le premier Louis capétien est dit Louis VI (le gros). Chacun s'enracine le plus profondément qu'il peut !

Si, bien sûr, l'ascendance carolingienne fait l'objet de démonstrations généalogiques (cf. infra), dument prouvées par chartes, c'est un patrimoine légendaire, pas un système juridique. Ni les Guise, cadets de Lorraine, ni les Ducs de Lorraine régnant, ne construisent une revendication à la couronne de France sur la base de leur parenté carolingienne. Celle-ci constitue un thème politique, contre eux et pour eux, non une argumentation. D'ailleurs, dans le contexte français de la seconde moitié du xvi° siècle, si une défaillance du roi avait conduit à une élection lorraine, elle aurait bénéficié à Guise, actif en France, duc et pair, plus probablement qu'à un étranger comme le Duc de Lorraine, Charles iii ou son fils. Au contraire, en droit, la Couronne n'appartiendrait pas à la branche cadette (Guise) mais à l'aînée (le Duc) [29].

Issue de cette légende des origines, la "carolingianité" des Guise a l'évidence d'une image de leur ambition et de leur rôle central dans la défense du catholicisme contre les Réformés et les atermoiements des Rois. Leurs partisans et les propagandistes de la Ligue leur confèreraient ainsi une légitimité supérieure à celle de Condé, supérieure même à celle du Roi, afin de pouvoir croire à un recours. A côté du discours généalogique lorrain, détaillé et compliqué (que nous verrons infra) la vox populi parlerait simple : les Guise sont des Lorraine, spoliés de l'héritage de Charlemagne par l'usurpation de Capet dont les présents malheurs de la France sont le châtiment. Voilà qui est facile à prêcher, facile à croire, utile à croire puisque ça ouvre un espoir : les chaires des prédicateurs ne retentissaient que de la prétendue usurpation faite par Hugues Capet de la Couronne de France au préjudice de la maison de Lorraine.

Est-ce vrai ? Sans récuser totalement le schéma précédent, il faut le relativiser. La phrase citée sur "les prédicateurs" a été écrite par Chanterau-Lefèvre en 1642 [30] dans un ouvrage (cf. infra) visant à établir les droits du Roi sur la Lorraine et, pendant les troubles, le thème carolingien est moins guisard qu'antiguisard. Il est avancé, porté et développé par les ennemis des Guise, Huguenots politiques ou Huguenots de religion (ce qui n'empêche pas que, en écho, il puisse être adopté et positivé par les guisards les plus enragés).

Contre les Guise, les "Huguenots" [31] font flèche de tout bois. Leurs agitateurs les accusent de tous les malheurs de la France et de tels crimes que le Diable même en a horreur : guerres inutiles, ambition dévorante, pillage des finances et extorsion bien sûr, lèse-majesté évidemment, mais aussi lubricité, inceste, sodomie, crimes de masse, hypocrisie religieuse etc. Pour les exclure du jeu politique, les propagandistes dénoncent la tyrannie des étrangers que seraient les Guise en tant que cadets de Lorraine [32], quoique leurs terres ressortent de la Couronne et que le Duc soit pair de France. De même, les "Huguenots" leur attribuent une "revendication" carolingienne pour en faire le drapeau de leur trahison, le symbole du programme de prise de pouvoir dont ils les accusent : ainsi, qui combat les Guise et leurs alliés, agit pour le Roi et en son nom. Et tout est justifié ! Pour faire bonne mesure, on inverse la polarité carolingienne : non pas Charlemagne, mais Pépin qui, maire du Palais comme se sont fait les Guise, s'appuya sur le pape Zacharie pour remplacer le roi légitime (Childebert III).

Ces attaques connaissent un paroxysme après l'échec de l'insurrection d'Amboise et sa répression sanglante (1560). Il devient commun de dénoncer la prétention carolingienne des Guise, chargés de tous les vices [33]. Citons la version rimée de l'appel au meurtre publié sous le titre Le tygre, satire sur les gestes mémorables des Guisards [34] qui proclame, entre autres énormités : 

Lesquels, pour davantage accroître leur renom, 

Vantent de Charlemagne et leur race et leur nom,

Ne pouvant aux François mieux donner à entendre

Que la couronne doit leur descendre.

Et d'autres vers disent que les larrons Guisards emploient le mot huguenot pour désigner ceux qui sont provenus du Roy Hugues Capet ! Admirable jeu de mot qui fusionne calvinistes, politiques et royalistes en une seule figure de légitimité !

Les agitateurs vont très loin, non seulement dans l'invention mais dans la manipulation, jusqu'à écrire maints textes "ultra-guisards" censés dévoiler les pensées secrètes des Guise. Aujourd'hui, nous restons affectés par cette désinformation. Après le triomphe de Henri IV, les récits et histoires publiés par les contemporains de la Ligue sont, ou bien Huguenots (Agrippa d'Aubigné), ou bien au service de la stratégie d'oubliance du Roi. Nous n'avons pas d'histoire liguarde de la Ligue car les auteurs qui auraient pu l'écrire ont changé de camp, parfois au tout dernier moment. Ainsi, Pierre Matthieu, lieutenant de la Ligue à Lyon, auteur de la Guisiade (1589) [35], qui, après 1594, devient "oubliantiste" et, promu historiographe du Roy (Henri IV) ne parle plus dans ses histoires que du monstre de la Ligue. Les "politiques" dont la recherche du compromis fut souvent inconfortable pendant les troubles dominent à présent et nous n'avons des événements que des versions pacifiées à la mode Henri IV[35b]. Les compilations de documents effectuées (Mémoires de Condé [36] ou Mémoires de la Ligue) sont aussi riches que biaisées.

Parmi tous les papiers qui agitèrent l'opinion, insistons sur le mémoire de l'avocat David de 1576. Dans ces notes qu'on aurait retrouvées dans les bagages de David à Lyon suite à sa mort soudaine, cet ultra liguard récapitule les propositions qu'il aurait faites au Pape pour l'allier à la Ligue contre le Roi : le pape et Guise s'uniront ; Guise mettra hors d'état de nuire Alençon (François, dernier frère royal, alors encore vivant), enfermera le Roi et prendra sa place ; ainsi, le Royaume retrouvera la bénédiction que l'usurpation de Cappet  lui a fait perdre :

... comme le dit Cappet usurpant la couronne a violé par outrecuidance téméraire la bénédiction de Charles. Aussi a t-il acquis sur soy et les siens une malédiction perpétuelle...(Guise) ayant remis et rejoinct l'héritage temporel de la Couronne avec la bénediction apostolique qu'il possède maintenant pour tout reste en la succession de Charles le grand, il fera que le Saint Siège sera pleinement reconnu..

La personne de David comme le texte comportent de nombreuses anomalies [37] qui font pencher pour une opération de désinformation : en systématisant et en exagérant les desseins des Guise, les "Huguenots" se font défenseurs du Roi et visent à rallier les hésitants. Le coup est si bien porté  qu'on invoquera ce mémoire pour justifier l'exécution des Guise. Ce radicalisme carolingien est pourtant bien éloigné du Duc de Guise, comme le montre tout son comportement (notamment son hésitation fatale d'après la journée des barricades).

Qu'il soit authentique [38] ou, plus vraisemblablement supposé, le Mémoire traduit, non pas le programme de Guise, mais le contenu politique du thème de la "carolingianité" des Guise. Il devient encore plus brûlant après 1584, quand la mort du calamiteux duc d'Alençon et l'absence de postérité de Henri III ouvrent la question de la succession, à la fois en droit et en fait. Le roi songe à désigner Henri de Navarre, exécute le duc et le cardinal de Guise (1588), et désigne effectivement Henri en 1589. Saint-Louis vs Charlemagne se lit dans les deux sens : la troisième race devenue illégitime doit être remplacée par un retour à la deuxième race ; ou bien, la menace de la deuxième race doit convaincre les hésitants à se rallier au dernier rejeton de la troisième.

Le succès du thème sur la scène idéologique, contraste avec sa faible utilisation officielle. Les Ducs de Guise ne s'en réclament pas. Certes, le Duc de Lorraine, à l'Assemblée générale de la Ligue de 1584 à Nancy, propose que son fils soit désigné successeur de Henri III mais se rallie au saint-louisien Cardinal de Bourbon, futur éphémère Charles X (Traité de Joinville 31/12/1584). Aux "Etats" de 1593, le Duc fait circuler sans le soumettre un document (mémoire Vroncourt [39]) revendiquant la Couronne, qui commence par l'affirmation que le Duc Charles III avait un droit incontestable à la Couronne de France, comme Duc de Lorraine & héritier de Charles I Duc de Lorraine, Frère puiné de Lothaire & son plus proche héritier, à l'exclusion duquel fut élu Hugues Capet mais il s'agit plus de rhétorique que de démonstration. Celle-ci est autrement élaborée : longue et développée, elle vise à établir que les Ducs de Lorraine, mis à part leurs droits mystiques (héritage carolingien et catholicisme), méritent la Couronne par leur grandeur souveraine et les hautes alliances contractées partout depuis des siècles ; de plus, ils apporteraient à la France la frontière du Rhin et l’extinction de la dette de la dot non payée de son épouse, Claude, fille de Henri II, ainsi que celle des revendications (amplement détaillées par le mémoire) que les Ducs formulent ou pourraient avoir l'idée de formuler sur la plupart des comtés et duchés du Royaume car, depuis des siècles, leurs épouses royales, en renonçant à tout droit à la Couronne, n’ont pas, pour autant, abandonné leurs droits privés. Au reste, à ces "Etats", le Duc cherche davantage à soutenir sa position contre les différents Guise (notamment Mayenne et le jeune Duc) qu'à constituer une revendication en forme.

b) L'héritage des Ducs de Lorraine

Après la pacification opérée par Henri IV et le ralliement des Guise, le thème s'évanouit en France pour s'épanouir en Lorraine en protestation contre l'occupation et la dévastation françaises. Les français du temps le disent et les lorrains du xix° siècle (Noël) l'affirment. Est-ce vrai ? nous l'avons noté, il s'agit davantage d'un contre-thème. On prête cette pensée à l'adversaire pour pouvoir l'en accuser.  Mais, ce faisant, on le pousse à l'adopter.

Pour son malheur, la Lorraine occupait un emplacement stratégique, dans le sens sud/nord entre la Franche Comté et les Pays-Bas espagnols, comme dans le sens ouest/est entre le Royaume et l'Empire. De la conquête des Trois-Evêchés par Henri II avec le soutien des princes germaniques luthériens (1552), jusqu'à l'annexion de 1737 (sous couvert de Stanislas), les duchés de Bar et de Lorraine ne cessent d'être envahis et pillés par les français. Le duc Charles IV passera la plus grande partie de sa longue vie aventureuse en exil.

On dit que "dans chaque maison", les français trouvaient une pancharte de quatre pieds de long portant, gravée, la généalogie des ducs de Lorraine, commençant à Charlemagne, dont les armes et l'effigie étaient au bas..et, dans le milieu, de côté, des cartouches contenant l'indication des titres et autorités d'où cette Généalogie était tirée (Noël) et que Callot grava une grande généalogie qui remontait à Pharamond [40]. Si l'amour des Lorrains pour leur Duc que célèbrent les historiens lorrains laisse sceptique, en négatif, ce duc représentait un drapeau à brandir et un espoir contre les spoliations françaises. Aussi, au xvii° siècle, l'éradication de la généalogie lorraine fait partie du travail d'assimilation français au même titre que la réorganisation administrative et judiciaire : les deux se traduisent par la capture et le transfert des archives. En effet, la légende carolingienne des ducs de Lorraine a un habillage historique : en s'appropriant les chartes qui l'appuient, les Français veulent aligner l'histoire sur leurs intérêts.

Cette glorieuse (et redoutable) origine est récente. Elle a été initiée en 1510 par Symphorien Champier (Recueil ou chronique des hystoires des royaumes d'Austrasie ou France orientale dite a present Lorrayne, Nancy) puis en 1537 (Genealogia Lotharingorum Principum, Lugduni) ; célébrée par Edmond du Boullay, héraut d'armes de Lorraine en 1547 (Les Généalogies des tresillustres et trespuissants Princes les ducz de Lorraine Marchis, Paris) ; "justifiée" par Richard de Wassebourg en 1549 (Antiquitez de la Gaule Belgique, Royaume de France, Austrasie & Lorraine) et, surtout, par François de Rosière, 1580, Stemmatum Lotharingiae ac Bari Ducum Tomi septem (Parisiis) [41].

Sans entrer dans des détails aussi tortueux que fastidieux [42], cette descente ancre les ducs au fameux Saint Arnoul, évêque de Metz du début du vii°, quadrisaïeul de Charlemagne et ancêtre totémique des carolingiens. Elle sera contestée et remplacée : l'origine alternative, devenue officielle avec l'occupation française [43] (et aujourd'hui généralement adoptée), ne remonte qu'à Gérard d'Alsace, investi du duché de Haute-Lotharingie par l'empereur Henri III en 1047.

Si les premières publications flattèrent la Maison de Lorraine sans inquiéter personne (elles étaient plus modestes que les généalogies troyennes des autres maisons d'Allemagne citées par Zurlauben), le Stemmatum devient une affaire. Paru en 1580 à Paris (chez Guillaume Chaudière [44], avec privilège du Roi en date du 2 août 1579), et dédié au Duc de Lorraine, le Stemmatum est absorbé par la fable carolingienne. Chose étonnante, ce gros et confus ouvrage en latin devient un brûlot. Ou plutôt, les "Huguenots" en font un brûlot et l'allument eux-mêmes, non sans difficultés car il est difficilement inflammable. On condamnera de Rosière, mais la généalogie elle-même ne sera pas jugée. Le procès porte à faux. La généalogie avait un enjeu politique mais ne pouvait pas constituer un crime juridique. On prend le crime ailleurs : de Rosière, archidiacre de Toul, ligueur, ne s'est pas contenté d'aligner les chartes (dont il a inventé ou fabriqué une partie), il a critiqué les atermoiements du Roi et tenu des propos peu amènes à l'égard des Capétiens (comme bien d'autres).

Il faut deux ans pour allumer la mèche :  Plessis-Mornay, représentant de Henri de Navarre à Paris, se scandalise de la généalogie et la dramatise dans son Discours sur le droit prétendu par ceux de Guise sur la Couronne de France [45] (publié à Paris sans nom d'auteur en 1583). Il commence ainsi : C'est une chose commune en ce Royaume que la Maison de Lorraine s'attribue la Couronne de France. Et il conclut, au terme d'un fastidieux examen généalogique :

A quoy tout cela ? sinon pour déclarer le Roy, par fainéantise, les Princes de son sang, par rébellion, indignes de jamais tenir la Couronne afin, comme leurs prêcheurs ont crié assez pleinement, que chacun jette les yeux en ses misères, qui sont aux hommes aiguillons à nouveautés, vers ces prétendus rejetons de Charlemagne.

C'est le factum de Mornay qui criminalise de Rosière que protégeait l'épaisseur de ses 1133 pages latines. Mornay écrit en français et fait court, une quarantaine de petites pages ; il apporte les indigestes et nécessaires tables généalogiques mais les encadre d'un message politique, clairement affirmé au début et à la fin. Mornay donne à son groupe le mode d'emploi. Une fois programmé, le groupe "huguenot"  pousse le roi Henri III à commettre des investigateurs (lettres du 31 décembre 1582 [46]) qui, aussitôt, se transportent à Toul pour questionner de Rosière et examiner ses justifications.

De Rosière n'est pas suspecté du délit qu'il a commis (les faux), ni incriminé pour la généalogie lorraine, mais accusé d'injure au Roi, c'est-à-dire de lèse-majesté. Le procès-verbal de l'interrogatoire [47] montre qu'une grande variété d'outrages a été abordée (vingt-deux articles), allant du cheval avec lequel Eudes grand-oncle de Hue Capet serait venu en France, à la "violence" de l'occupation du duché de Bar par Louis XI, en passant par l'irrévérence à l'égard du Roi. Au total, il lui est reproché que cette histoire...tourne au blâme et déshonneur des Français mais, insistons, l'examen n'est pas centré sur l'origine carolingienne.

Le malheureux de Rosière se défend comme il peut, charge son libraire, apporte ses livres pour montrer qu'il a seulement recopié et fait la bête. Cela ne l'empêche pas d'être conduit à Paris et mis à la Bastille. Grâce à Plessis-Mornay et à ses alliés, le pauvre de Rosière est devenu un enjeu. Les Guise et leurs amis, quoiqu'embarrassés, ne peuvent plus l'abandonner sans perdre crédit. Ils obtiennent de le soustraire au Parlement et de le déférer au Conseil d'Etat du Roi. Le condamner est aussi impossible que le relâcher. Le scénario de sortie sent le compromis. Equilibré et bien réglé, il se joue le 16 avril 1583 [48] au Conseil du Roi.

Acte 1 : de Rosière se jette aux pieds du Roi, confesse ses erreurs "involontaires", se repent, accepte d'avance toute punition.

Acte 2 : au nom de la Loi, le garde des Sceaux Chiverny le tance sévèrement : son crime de lèze majesté ne méritait pas moins que la punition de la vie quand le Roi l'eût voulu faire traiter par la rigueur de la justice.

Acte 3 : la Reine mère du Roi (vivement incitée, dit-on, par la Reine lorraine, Louise de Vaudémont) le supplie alors pour l'amour d'elle et de monseigneur de Lorraine de pardonner l'offense, ce que le Roi accorde d'un signe de tête. Exit de Rosière qui rentre en Lorraine (ou le Duc le consolera de quelques gratifications : entre autres, il fera partie de la commission chargée de dresser les statuts de la nouvelle université de Pont à Mousson).

Plessis-Mornay, avec le titre fracassant de son factum, a fait de Rosière le drapeau de la concurrence lorraine, drapeau qui énervera d'autant plus le Roi que son appétit pour la Lorraine grandira. Henri IV demandera à Pontus de Thiard (Tyard) de Bissy [49] de l'exécuter une nouvelle fois [50]. Pontus obéit en 1594, aussi sommairement que prudemment, et (pour se faire pardonner sa timidité ?) ajoute l'esquisse de la nouvelle "carolingianité" française qui se développera au xvii° : la rectification de la race de Charlemagne. D'un côté, comme on le lui demande, il en soustrait les Lorraine ; de l'autre, il y ajoute les Capétiens. Coup double !

Entre temps, Plessis-Mornay a réutilisé l'argument. Lors de la prise d'armes de la Ligue en 1585, il publie anonymement l'Advertissement sur l'intention et le but de ceux de la maison de Guise en la prise des armes qui exploite l'affaire de Rosière et, dès sa premier page, annonce :

C’est une chose toute cogneue & commune en ce Royaume que ceux de la maison de Guise se disent descenduz de la race de Charlemaigne, & prétendent, comme à tels, ce Royaume leur appartenir. Les Généalogies qu’ils ont, y a quelque temps falsifiées, les mémoires qu’ils ont semé…le volume qu’ils firent imprimer à Paris il y a quatre ou cinq ans…[51].

Rosière en a trop fait et, grâce à Plessis-Mornay, son enthousiasme lorrain a compromis Guise. Il ne reste pas indifférent. Entre autres, il communique l'Advertissement au duc de Gonzague-Nevers pour avoir son avis. A partir du mémoire établi par Nevers, d'Espinac, archevêque de Lyon et chef de la Ligue (sa vie ne tiendra qu'à un fil lors du guet-apens de Blois), écrit la Réponse de par MM de Guise à un avertissement publié la même année 1585.

La Réponse désavoue cavalièrement Rosière (un Chanoine de Toul Sujet du Roi, lequel, pour s'être trop oublié en parlant de notre Prince & le sien, fut fait prisonnier par Monsieur le Duc de Lorraine, & accusé par Monsieur de Guise) et contient tous les arguments à opposer à la vieille calomnie : comment les Guise auraient-ils eu cette idée ? puisqu'il est tout certain que tant d’Historiens tiennent que le dernier de la race de Charlemagne mourut sans aucun enfant mâle ; si, d'aventure, ils descendent de Charlemagne, c'est par filles comme tant d'autres et une prétention basée là-dessus se heurterait à la loi salique ; et s'ils contestaient celle-ci, ils n'auraient pas besoin de rechercher leur race de si loin car Mr de Guise est petit-fils du Roi Louis XII ; en outre, une revendication de ce genre se prescrit par cent ans et celle-ci n'a pas été soutenue pendant sept siècles ; et, en tout état de cause, elle concernerait le Duc de Lorraine, pas Guise ; enfin, quand bien même ils descendraient de Charlemagne, ce que ne sont, Pépin ayant usurpé la couronne n'a pas plus de droits que Hugues Capet ! A tout cela s'ajoute une défense générale de l'action des deux générations de Guise pour la défense du Royaume et de la Foi.

En Lorraine, on l'a vu, on ne renonce pas si facilement à Charlemagne car la légende est l'emblème de la Souveraineté que les Français mettent à mal. A la trop légère démonstration de Pontus de Tyard, Louis Chantereau-Lefèvre fait succéder en 1642 une critique historique développée. Chantereau écrit ès qualités puisque, pendant la première occupation française, il a été, de 1633 à 1636, intendant de justice, police et finance de Lorraine, Barrois et des évêchés de Metz, Toul et Pays-Messin. Ses Considérations historiques sur la généalogie de la Maison de Lorraine visent à conclure que, loin que la France appartienne à la Lorraine, tout au contraire, la Lorraine appartient à la France !

En 1649, Jérôme Vignier, de nos jours considéré comme faussaire émérite (Havet [52]) fait une nouvelle lessive [53]. Hôte de l'Intendant français de Metz pendant l'occupation de la Lorraine qui lui ouvre les archives confisquées, Vignier rend hommage à Chantereau qui a dissipé le mensonge. Il soutient un nouveau système sur les origines des maisons d'Autriche de Lorraine qu'il fait sortir, avec celle d'Alsace, d'un Éthicon ou Adalric, père de sainte Odile. Il ne cache pas qu'il vise à "nettoyer" la généalogie lorraine [54]. Mais le système de Vignier (aujourd'hui universellement adopté écrit Calmet en 1751) reposait sur la Vie du pape Léon IX (Wibert, publié par Sirmond en 1615) et sur un fragment singulièrement opportun d'une Vie inédite de sainte Odile (Vita Odiliae) qu'il déclarait avoir découverte à Vézelise dans des conditions invraisemblables et qu'en réalité il avait fabriqué, comme Havet l'a démontré [55].

3) L'origine des Capétiens

 Loin de la charge politique de l'ancrage carolingien lorrain, la question capétienne n'agite que les érudits et les thuriféraires [56]. Le peuple, pour autant qu'il s'en soucie, se satisfait du mythe dynastique de Saint-Louis qui est parfaitement conditionné.

a) La nouvelle vérité

Milieu xvi°, dans son Recueil des Roys, du Tillet ne s'embarrassait pas. Pour lui, la Couronne ne peut pas et ne doit pas arriver par élection des grands ou des Etats, ni par femmes. Le sang ne suffit pas sans la sanction de la Providence. Quoique lui-même aligne historiquement les généalogies royales, il les ignore sur le plan constitutionnel : la légitimité du roi vient de Dieu et non du sang. Il écrit : les chroniqueurs se sont travaillés à rattacher aux "Charliens" Hugues Capet (par sa mère) et St Louis (par sa grand-mère, descendante de la fille de ce Charles de Lorraine qui aurait été vrai roi si la force de Hugues Capet ne l'eut empêché). Ils ont perdu leur temps et leurs efforts : la couronne de France n'a jamais reçu femelles ni descendants d'elles. Le rejet des femmes est aussi celui des hommes : le Roi ne doit pas sa couronne à ses ancêtres, mais au mandat de Dieu. La mystique royale transcende la généalogie :

...le titre de cette troisième ligne à présent régnante est de Dieu qui l'a fait tant durer et prospérer. Il n'en faut chercher autre titre mais faut y obéir & qui résisterait, un tel s'opposerait à la puissance divine (du Tillet, 1578, p78/79).

Bien sûr, dans son temps, cette thèse a des attendus et des effets politiques, contre l'appel des "Huguenots" au sang (les Princes) et aux Etats. Plus tard, dans un autre contexte, sous Louis XIII [57], les frères Sainte-Marthe (Scévole et Louis) entreprennent une autre Histoire généalogique de la maison de France dont ils donnent successivement trois éditions (1619, 1628, 1647). Les deux premières commencent à Hugues Capet et énoncent en quelques pages, pour satisfaire aux plus curieux les diverses opinions sur l'origine de Robert le Fort, sans néanmoins entreprendre d'assurer la plus véritable que nous laisserons au choix libre du lecteur judicieux (1619, p 2) [58].

La troisième édition (1647) rompt avec cette ligne. Elle fait un bond dans le passé et dans la légitimité : les capétiens ont désormais la même origine que les carolingiens (Pépin) et, encore plus loin, ils remontent jusqu'au iv° siècle, à un "Ferreolus", Préfet du Prétoire des Gaules et noble Sénateur. Emportés par l'enthousiasme devant cette révélation, nos auteurs concluent que Louis XIV jouit de la puissance et l'autorité romaines, à la fois par effet de la Providence et par héritage gaulois. Dès l'adresse au Roi de la 3ème édition, ils se dépêchent d'annoncer la bonne nouvelle : les familles de Pépin et de Hugues viennent de rétro-fusionner !

...que VM ne s'étonne pas si..nous joignons maintenant dans une même race & maison royale l'empereur Charlemagne avec St Louis & Henri le grand & que nous ne faisons plus deux familles distinctes de celle de Pépin et de Hugues Capet puisqu'il est très certain que leurs maisons ou plutôt leurs branches n'ont eu qu'une même souche ou extraction masculine. Vérité qui n'avait pas été tout à fait connue ci devant..mais qui a été depuis peu de temps si clairement découverte dans la lumière de tant de preuves...que l'on ne peut plus d'ores en avant y trouver à redire sans témérité, ni dénier quasi sans crime, que la seconde et la troisième lignées royales n'aient un même principe et une même origine [59].

D'où provient cette révolution ? Il faut encore, comme dit la chanson, passer par la Lorraine. D'une part, comme les Lorrains envahis et leur duc spolié appelent Charlemagne au secours [60], il faut le leur prendre. D'autre part, Jean-Jacques Chifflet, en bon voisin (il est "espagnol" comtois), leur apporte du renfort contre le Roi [61] : il soutient (toujours par chartes, bien sûr) que la dynastie espagnole l'emporte sur la française car la première descend de Charlemagne par les femmes tandis que la seconde est "saxonne ou étrangère" (Haran, 2000). Dans de nombreux libelles (notamment Vindiciae Hispanicae 1645), Chifflet défend la prééminence espagnole [62].

Contre Chifflet et les lorrains, les "bons français" (vraisemblablement inspirés par Mazarin) découvrent opportunément que Robert le fort (et donc Capet) a pour aïeul un Childebrand, frère cadet de Charles Martel, l'ancêtre de Charlemagne : et voilà les Capétiens devenus carolingiens par mâles. En réponse, Chifflet dénoncera ce Childebrand comme une fable reposant sur une confusion abusive avec un Childebrand Lombard, étranger à Pépin et à Robert [63].

Ce n'est pas tout ! Emportés par leur zèle Combault, Blondel, du Bouchet etc., ne s'arrêtent pas au déjà problématique Childebrand : pour prendre aux Lorrains leur ancêtre St Arnoul, ils remplacent le Ansbert lorrain par un autre, de la famille sénatoriale de "Ferreolus", dont les Robertiens seraient sortis :

On vit alors les Savans se partager: presque tous vouloient bien reconnoître S. Arnoul, pour la tige de Robert le Fort ; mais plusieurs abandonnèrent du Bouchet à l’egard des degrés par lesquels il descendoit de Ferréolus au sénateur Ansbert, prétendu mari de Blitilde &.d’Ansbert à S. Arnoul. (Foncemagne [64]).

b) De la fable à la "preuve"

Nous pouvons suivre à la trace cette tentative d'une légende d'accéder à l'historicité en nourrissant de "preuves" l'extrapolation d'un vers ambigu d'un poème anonyme composé autour de 840, trois siècles après Clotaire: Charles le chauve fit mettre en vers une généalogie des rois Carolingiens qui, rédigée en prose sous le règne de Pépin, rapportait leur origine au Sénateur Ansbert qui aurait épousé Blitilde, fille de Clotaire "i" (variante : de son fils Dagobert) [65]. Cette fable se transmit aux chroniqueurs de la seconde race et, de là, à ceux de la troisième [66] : et comme ceux-ci s'accordèrent bien-tôt à faire descendre de Charlemagne les Princes sous qui ils écrivoient, dire alors que cet Empereur, ou dire que le sénateur Ansbert étoit la tige de la maison régnante, c'étoit une même chose (Foncemagne, op. cit.).

Endossant cette tradition après bien d'autres, en 1581, Zampini (De origine et atavis Hugonis Capeti, dédié à Henri III) avait déjà fait sortir les Capétiens de St Arnoul, avec aussi peu de preuves que de fortune. Il fallait le poids d'un Duchêne pour en faire une thèse historiographique. C'est cette autorité que brandit son promoteur, le douteux Combault, baron d'Auteuil : Cette opinion a esté celle de feu André du Chesne Historiographe du Roy, personnage des plus versez en l’Histoire ancienne & des plus iudicieux que nous ayons eu en ces matières.

Mais si, en scrutant Frédégaire, le vieux André du Chesne avait aperçu un Childebrand, fils de Pépin et frère de Charles Martel, il n'en avait pas fait un ascendant de Robert. Du moins, pas de son vivant. Il fut converti à son insu. Après sa mort (1640), Combault proclama la révélation posthume: du Chesne aurait déduit la descente de Childebrand jusqu'à Robert, sans toutefois laisser autre chose qu'une demie feuille de papier écrite de sa main (une longue demie feuille puisque du Bouchet la donne en 300 pages !). On n'en a rien su car, voyez-vous, il a gardé le secret et l'a fait promettre à son "ami intime", le baron d'Auteuil. Du moins, celui-ci le prétend :  Il nous confia peu auparavant sa mort le secret de cette origine inconnue, de laquelle tant qu'il a vécu nous lui avons gardé la fidélité requise [67]. Si Combault introduit "l'information" dans son Histoire des Ministres d'Etat (1642 [68]), c'est du Bouchet qui l'exploite en publiant en 1646 la véritable origine [69] à laquelle renvoient ses amis Sainte-Marthe (1647) pour les détails et les preuves.

Dans le même sens, le fils du Chesne, François, explique que son père rédigea des brouillons sur l'origine de Charlemagne qu'il aurait publiés sans une mort inopinée dont il fut attaqué et que ni lui, ni Combault ne peuvent montrer car ils ont été dérobés par du Bouchet [70].

Du Bouchet ne satisfait que les convaincus. La moitié de son ouvrage est du texte, l'autre moitié des "preuves" qui, pour une part sont de simples extraits de chroniques, pour une autre part des "chartes de l'église St Arnoul de Metz" ou de Saint Denis ou de St Julien de Brioude... sans la moindre date, ni référence ni cote. Nous voyons les matériaux de l'histoire racontée, non la démonstration d'une révolution généalogique. D'Epernon (1679), lui-même peu fiable, l'accusera d'avoir fabriqué le manuscrit de Duchêne et lui reprochera d'avoir cité deux chartes qui n'existaient pas et d'en avoir altéré une troisième. A son tour, d'Epernon se verra opposer par Jourdan et Ménage (1683) que celles de l'abbaye de Souvigny dont il tirait tant d'avantages étaient sorties tout récemment des mains de l'ouvrier [71].

Cette affaire, déjà tortueuse, devient franchement comique lorsque, ultérieurement, d'autres manutentionnaires raccrochent le wagon Bourbon à l'incertaine locomotive Childebrand qui tirait déjà le train capétien ! De nouvelles preuves apparaissent dans le trésor encore inexploité d'une abbaye auvergnate :

Vers 1680, au moment où des flots d'encre coulaient encore à propos des origines capétiennes, la question des origines bourboniennes se posa par la publication d'une charte trouvée, disait-on, parmi les titres du prieuré d'Iseure. C'était un acte de donation émané d'un Childebrand II, fils de Nibelung, dans la XIXe année du règne de Louis-le-Débonnaire. De ce Childebrand II, on remontait aisément à Childebrand I ; Bourbons et Capétiens se donnaient la main à l'origine des temps carlovingiens : les deux noms se valaient. L'émotion fut grande parmi les érudits, à l'apparition de cette pièce; mais la fabrication en était si habile qu'ils se partagèrent. Ménage la rejeta sans hésitation, Baluze y mit moins de netteté, Mabillon voulut examiner l'original. On en était là, quand neuf autres pièces de la même nature, et prouvant la même thèse, furent lancées dans le public coup sur coup, comme sortant du trésor de Souvigny, le grand chartrier de la seigneurie de Bourbon. Ces actes embrassaient les 9e et 1Oe siècles. L'émotion, comme on le pense bien, fut au comble. Mabillon partit pour le Bourbonnais avec son compagnon de recherches, Dom Michel Germain, mais ils n'allèrent pas plus loin que les portes...(Chazaud, M. A, Etude sur la chronologie des sires de Bourbon, 1865).

Colbert, craignant que ces trop belles démonstrations ne nuisent au prestige royal, oblige l'intendant à saisir et à envoyer les documents, ce qui ne se fait pas sans difficultés. Il les soumet à expertise. La conclusion est sans appel : faux.

On évite prudemment d'en chercher le responsable. Ultérieurement, Baluze en attribuera la responsabilité au duc d'Epernon, alors mort, pour couvrir leur auteur (encore vivant), le RP André de St Nicolas. Le malheureux Baluze sera lui-même pris dans une sombre affaire, indirectement liée à la précédente. Comme la valeur probatoire dépend moins des sources que des bénéficiaires, des preuves qui avaient été acceptées à la publication de son ouvrage (Origines  de la Maison d'Auvergne), se trouvèrent accusées de fausseté dès la disgrâce du Cardinal de Bouillon : privilège révoqué, le livre fut envoyé au pilon et Baluze, devenu coupable de négligence ou d'incompétence, fut chassé du Collège des lecteurs royaux, ruiné et exilé. Sa défense de 1698 est convaincante mais son innocence fait encore débat aujourd'hui.

***

Ne concluons pas trop vite.

Quoique, depuis le xix° siècle, maints érudits aient pris ces généalogies fabuleuses comme objet de recherche pour les soumettre à une critique historique qui n'en laisse rien subsister, elles ressortent moins de l'histoire que de l'anthropologie. La fable ne se réduit pas à une célébration des origines. Comme chez les griots, les fantaisies et la variabilité des généalogies "immuables" traduisent un contexte relationnel évolutif. Zurlauben, cité au début de cette note, en traitant des Habsbourg-Lorraine, aurait pu mentionner le changement d'aïeux de  Léopold, duc de Lorraine : après la réception du diplôme impérial de 1698 lui attribuant la qualité d'Altesse royale, Léopold avait demandé qu'il fût réécrit pour conformer ses origines à la fable lorraine ; quelques années plus tard, négociant le mariage de son fils François à Marie-Thérèse, archiduchesse et future impératrice d'Autriche, il s'allia rétrospectivement aux Habsbourg en adoptant leur ancêtre, Gérard d'Alsace. Il enjoignit alors à son historiographe, l'abbé Hugo, d'inverser la perspective : au lieu de réfuter "les erreurs" de Picart comme il en avait d'abord reçu la consigne, il devait lui emboîter le pas [72].

De telles virevoltes sont diplomatiques aux deux sens du terme : relevant de la diplomatie des alliances, elles mobilisent la diplomatique car l'une et l'autre origine ne sont pas chantées ou récitées mais, nous l'avons vu, prouvées par chartes et farcies de justificatifs.

Ces "preuves" nous poussent à un anachronisme méthodologique ; d'une part, notre société literate surestime la valeur des "preuves" écrites dans les structures orales ou post orales [73] ; d'autre part, aujourd'hui, les preuves prouvent car la "diplomatique" obéit à des règles aussi rigoureuses que son objet le permet. Paradoxalement, la crédibilité de nos preuves nous expose à la crédulité à l'égard des leurs.

Quand nous lisons la généalogie du Christ dans l'évangile de St Mathieu (jusqu'à Abraham) ou de St Luc (jusqu'à Adam), quand nous lisons ou écoutons une saga, nous sommes dans le registre de la célébration, non de l'historicité. Mais, avec les généalogies par preuves du xvi° et xvii°, dans cette phase de transition entre la fable et l'archive, il nous semble lire un discours historique (passablement abscons), alors que les auteurs ont écrit autre chose : avec une rhétorique historiographique qui nous abuse, ils traitaient du totem pour "démontrer" que l'ours dont est réputé descendre le chef-prêtre de la tribu était noir rayé de rouge ou rouge rayé de noir. Ce contenu étrange revêt une forme aussi familière que trompeuse : nous pouvons lire ces auteurs presque sans médiation car, à l'orthographe près, ils écrivent comme nous ; pourtant, ils usent de cette langue "cuite" que nous partageons pour exprimer une pensée "crue" que nous ne pouvons pas saisir. Une telle distorsion confine à l'hallucination.


 

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notes



[1] Quicherat, Jules, 1865 : Mabillon, législateur de la critique en matière de chartes, n'aurait pas souscrit l'arrêt rendu par Mabillon, historien de l'ordre de saint Benoît (à propos de la "charte de Childebert" en faveur de St Germain des Prés)...Une bonne partie de nos chartes mérovingiennes sont également des actes forgés après l'an 1000 dans les monastères qu'elles intéressaient. Le père Papebroch avait entrevu ce fait...l'imputation blessa les Bénédictins. Mabillon en eut le coeur percé, de sorte qu'au lieu de s'avouer ce qu'il y avait de fondé dans la remarque du savant jésuite, il n'y vit qu'une médisance à redresser. C'est là l'objet du chapitre 6, livre premier du Traité de diplomatique ("Critique des deux plus anciennes chartes de l'abbaye de Saint-Germain des Prés", In: Bibliothèque de l'école des chartes, tome 26. pp. 513-555).

Bertrand, Paul, 2007 :...Malgré la menace brandie d’un rouleau compresseur critique sans pitié, ces sources, ces chartes, ces archives sont considérées avec un optimisme inattendu. Mabillon et ses séides diplomatistes font confiance aux diplômes...Au-delà de la montée en puissance de l’érudition..., la remise en contexte de la création de la Diplomatique s’impose. Les archives pour lesquelles Mabillon se bat, ce sont ses archives. Les archives de l’Ordre. ("Du de re diplomatica au nouveau traité de diplomatique : la réception des textes fondateurs d’une discipline", In: Jean Mabillon. Entre érudition et histoire culturelle, AIBL, le 8 décembre 2007, éd. O. Hurel).

[2] Lorsqu’on recourt à la mise par écrit, c’est pour conserver le souvenir de ces actions...L’écrit acquiert donc un double rôle : celui de porteur de souvenir (mémoire), mais aussi d’acteur de souvenir, jusqu’au XIe voire au XIIe siècle et, en grande partie, jusqu’à la fin du Moyen Âge. Véhicule de souvenir des actions ou mémoire mise en écriture, le document est aussi acteur de mémoire, dans la mesure où il la revivifie, la relance, la rénove. Ces mécanismes mémoriels n’ont pas encore été suffisamment remis en contexte, notamment juridique. Le lien entre mémoire, oralité, écriture et autres « langages » comme les signes, les images… n’a pas été approfondi . (Bertrand, Paul, 2009, « À propos de la révolution de l’écrit (xe-xiiie siècle). Considérations inactuelles », Médiévales, n°56, pp  75-92).
Dans le même sens, Morsel, 2000, parle de la visualité de l'écrit et de son oralité.

[3]  Cf. Chastang, Pierre, 2008, « L’archéologie du texte médiéval », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors série n°2 : distinguer Verschriftung (mise par écrit) et Verschriflichung (développement de la scripturalité).

[4] Témoins passent lettresencore rappelé par Loysel, 1607, Institutes Coutumières, V, v, 5) ou Dignior est vox viva testium quam vox mortua instrumentorum.
Cf. Lett, Didier, 2009, "la langue du témoin sous la plume du notaire" : Au xiii°, dans son commentaire des Décrétales, Innocent IV écrit que seuls les témoins sont de droit naturel et ce n'est que par un artifice du droit que l'on peut donner la peau d'un animal mort comme référent du réel.

[5] Ong, 1982, Oralité et écriture  : notre culture dérive de la pensée formée par le texte (p75) ; c'est une organisation lettrée de la pensée (76), une organisation textuelle de la conscience (p172).

Sur la base de Clanchy, Michael, 1993, From Memory to written Record, England 1066-1307, Oxford/Cambridge, [1979], et en lien ou en opposition avec Ong, on met aujourd'hui l'accent, moins sur les différences de “pensée” ou de “mentalités”, que sur les différences dans la nature des actes communicatifs. Cf. Keller, 2002 : le problème de fond du médiéviste n'est pas l'opposition entre oralité et écriture ni le passage d'une dominante culturelle à une autre mais l'interpenétration d'une culture écrite très développée même si elle est circonscrite et d'une vie sociale qui jusque dans son organisation politique est dominée par le principe d'oralité ("L'oral et l'écrit") et Goody Jack, 2007, "L'oralité et l'écriture", In: Communication et langages, N°154. pp. 3-10.

[6] Selon l'expression de Lucien Febvre en 1933 ("De 1892 à 1933. Examen de conscience d’une histoire et d’un historien"), rappelant combien sa formation initiale avait été écrasée par le poids du « tout-texte », transformant les historiens en « textuaires » (cité par Morsel, Joseph, 2008, « Du texte aux archives : le problème de la source », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, HS n° 2).

[7] Rappelons l'avertissement anthropologique de Sainte-Beuve : A-t-on raison de prétendre savoir mieux le moyen-âge aujourd’hui qu’avant la révolution  ? Oui et non. Cette quantité de détails sur le clergé, les couvens, les parlemens, les charges de cour, qui formaient la trame sociale, et qui étaient un reste de la vie du moyen-âge, on ne les connaît plus. Tout le monde en était informé alors, on vivait au milieu. Les érudits en retrouvent aujourd’hui et en embrassent des parties ; mais personne n’a plus dans la tête cet ensemble d’organisation. ("Les journaux chez les Romains", Revue des Deux Mondes, T.20, 1839).

[8] La splendeur est attestée par de grandes actions, de grandes alliances et de grandes origines. Voir, par exemple, l'éloge hyperbolique de Richelieu par André Duchêne : Ses Ancestres ne se sont pas moins signalez par leur Valeur & par le merite des hautes charges, qu'ils ont esté illustres pour leur Noblesse & pour leurs grandes Alliances: & sur tout pour celles des Familles Royales de DREUX & de BRETAGNE sorties de Monsieur ROBERT DE FRANCE fils du Roy Lovys LE GROS. Neantmoins la splendeur de cette extraction auec laquelle il est venu dans le monde est la moindre partie des Grandeurs qui égalent maintenant la gloire de son Nom à l'étenduë de l'Vniuers..Les sureminentes & extraordinaires Vertus, qui ont tousiours eclaté viuement en luy, ont esté les vrays degrez, par lesquels le bonheur de l'EGLISE & celuy de la FRANCE l'ont esleu aux premieres Dignitez qu'il y tient...(Duchêne, André, 1631, Histoire généalogique de la maison royale de Dreux et de quelques autres familles illustres qui en sont descendues par Femmes).

[9]  Une anecdote célèbre : lorsque, pour rédiger le contrat de mariage de Louis XIV, on eut besoin de celui  de Louis XIII et Anne d'Autriche, on ne sut où le trouver (d'Aguesseau, 1711). Finalement, il fut découvert dans un endroit où il n'aurait pas dû être, chez un épicier, d'autres disent un apothicaire, qui le taillait pour couvrir un bocal !

[10] La Révolution réquisitionnera les parchemins (loi du 15 janvier 1793), sans considération de contenu, pour faire des gargousses pour les canons. Tous ceux qui avaient la taille requise furent saisis. Certains furent retrouvés plus tard dans les arsenaux.

[11] Dessalles Léon, 1844, "Le trésor des Chartes: sa création, ses gardes et leurs travaux, depuis l'origine jusqu'en 1582", In : Mémoires présentés par divers savants à l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres de l'Institut de France. Première série, Sujets divers d'érudition, (1844) vol. 1, p.365-461 ; Ravaisson Félix, 1862, Rapport adressé à S. Exc. le ministre d'Etat, au nom de la commission instituée le 22 avril 1861 ; Delaborde Henri-François, 1909, Etude sur la constitution du Trésor des Chartes.

[12] Le Trésor des chartes, avec les reliques et joyaux du Roi, habite la "sacristie" de la Sainte Chapelle qui lui confère une sacralité sincère mais encombrante et coûteuse (Potin 2005). Historiquement, il est lié à la Chambre des Comptes alors que le Parlement devient son principal utilisateur. Le procureur du Roi doit faire maints détours et formalités pour obtenir des pièces. Par lettres-patentes de janvier 1582, le Roi fusionne l'office de garde des chartres avec celui de Procureur général du Parlement, au bénéfice immédiat de Jean de la Guesle : Henry &c... attendu que telle charge et garde de noz tittres et pappiers est plus séante et à propos à notre procureur général que à aulcun aultre pour estre le vray agent et deffenseur des droitz du domaine et patrimoine de nostre dicte couronne, et que sans iceulx tittres et pappiers il ne peult avoir l'entiëre lumière et congnoissance ny faire telles recherches et poursuictes des dictz droitz que son dict estat de nostre procureur général le requiert... (cité par Ravaisson, Félix, 1862, Bibliothèque impériale, p 231 sq). Voir aussi Bonamy, 1758, "Mémoire historique sur le trésor des chartres, et sur son état actuel", AIBL, Tome XXX). Mais la Chambre des Comptes continue à sommer le Procureur de lui prêter serment en tant que garde du Trésor (ce qu'il refuse depuis Molé). Encore par  un arrêt du 5 avril 1659, elle retient l'Edit qui instituait un "palais d'archives" (Fouquet), et en profite pour proclamer ses griefs à l'encontre du Parlement. Ce n'est que le 9 Juillet 1696 qu'un arrêt du Conseil met fin aux prétentions de la Chambre.

[13] Potin Yann. 2005, "Archives en sacristie". Voir aussi Guyotjeannin, Olivier &  Potin, Yann, 2004, "La fabrique de la perpétuité" : « dépôt » de majesté, le Trésor présente une ambiguïté originelle fondamentale  : archives d’un prince et d’une dynastie, il est inapte à centraliser les archives de l’État administratif en construction.

[14] Maints exemples attestent le caractère stratégique de ces preuves : les archives sur des questions litigieuses sont revendiquées et saisies par le vainqueur. Ainsi Charles Quint réclama des archives françaises et la France s'empara des archives de Lorraine.

[15] Ainsi la question de savoir si "Childebrand" (le supposé ancêtre des Capétiens que nous rencontrerons au §3) est un Lombard étranger aux Pépinides ou un mari, dépend du cas de déclinaison que l'on devine dans un manuscrit corrompu : frs (fratres) ou frisfratris). Selon ce qu'on lit, les archéo Capétiens fusionnent avec les Carolingiens ou sont des aventuriers !

[16] Ce factum, écrit pour les Guise sous François II, n'est pas un écart de circonstance (ou de complaisance). Il a le même coeur que les grands travaux du Recueil des Rois.

[17] Les rebelles qui n'ayans leu le registre, inventent selon leur coustume des songes, pour contredire la verité...sont les premiers ignorans qui ont donné foy d'histoire aux annales & chroniques de France...L'ordonnance de la maiorité des Roys à quatorze ans, faicte par ledit ROY Charles cinquiesme est en bonne forme, signée, scellée, publiée, & enregistrée.

[18]  EAR Brown a consacré un long, minutieux et tortueux examen à cet ordo du sacre (Brown, 1992).

[19] Dans l'édition de 1578 :...le roy Loys le jeune voulant faire sacrer et couronner son  fils, le roy Philippes Auguste, l'an mil cent septante neuf...Ce roy fit escrire l'ordre desdits sacre & couronnement, tant pour son fils que ses successeurs rois & départit aux pairs de France lors creez leur office audit sacre, lequel ordre est enregistré en la chambre des comtes à Paris, & a ésté tousjours depuis gardé (p 143).

[20] Un fourre-tout intitulé Double de plusieurs lettres, extraicts & autres choses assemblées de diverses matières et (pour ès) chambre des comptes.

[21] Une légende tenace place l'origine du Trésor des Chartes dans la mésaventure de Philippe Auguste en 1194 : à la journée de Fretteval, il perdit et sa chapelle et son trésor et tous les titres et chartes qui y étaient contenus qui le suivaient à la bataille. Cela aurait décidé le Roi à se séparer de ses trésors et à les garder en lieu fixe et sûr. Pourtant, ce n'est qu'en 1231 qu'on trouve mentionné un dépôt permanent au palais royal. Auparavant, les chartes étaient confiées aux églises ou abbayes, notamment à St Denis pour le Roi.

[22] Notamment les deux registres les plus anciens, datant du règne de Philippe Auguste, celui que fit Gallardon sous la direction de Guérin et la copie effectuée pour St Louis. Empruntés par du Tillet sous Henri II, ils ne revinrent à l'Etat qu'en 1732, après un séjour chez les Carmes de Clermont et la bibliothèque de Colbert. (Delisle, 1910, "le Trésor des Chartes", Journal des Savants, mai). L'auteur note que, si de tels registres rares, reliés et inventoriés, ont pu disparaître, il faut s'attendre au pire pour tous les papiers non reliés et non inventoriés.

[23] Depuis le règne de Henri IV, les Bléneau et Chevillon réclamaient vainement d'être reconnus comme royaux en tant que lointains (et indirects) descendants de Pierre de Courtenay, fils cadet de Louis VI le gros. Sous Louis XIV, Louis de Chevillon se proclama Prince de Courtenay. A l'appui, il fit reprendre par du Bouchet leur De stirpe et origine domus de Courtenay de 1607 pour le mettre en forme historiographique.

[24] Jean du Bouchet, actif à Poitiers au siècle précédent, auteur du Renard Traversan et autres pièces amoureuses ainsi que d'ouvrages historiques, dont des Annales d'Aquitaine.

[25] Le collier de l'ordre "militaire" de St Michel lui-même est depuis longtemps un collier à toutes bêtes et n'a fait que se dévaloriser depuis que Charles Tiercelin de la Roche du Maine l'avait appelé ainsi, après la fournée de chevaliers faite par les Guise en 1560. C'est devenu une espèce de récompense du mérite civil (Fauconpret).

[26] Justel, Christofle, 1645, Histoire généalogique de la maison d'Auvergne, justifiée par chartes, titres et histoires anciennes et autres preuves authentiques..., chez  Vve de M. Du Puy, Paris.

[27] Saint-Simon : Ils se prétendaient sortis par mâles des anciens comtes d'Auvergne, et le Cardinal n'omit rien pour trouver à Cluni, dont il était abbé et qui est de la fondation de ces princes, de quoi appuyer cette chimère...Dans cette angoisse, une fortune inespérable les vint trouver. Un vieux cartulaire de l'église de Brioude, enterré dans l'obscurité de plusieurs siècles, fut présenté au Cardinal de Bouillon. Ce titre avait les plus grandes marques de vétusté, et contenait une preuve triomphante de la descendance masculine de la maison de la Tour des anciens comtes d'Auvergne, cadets des ducs de Guyenne. Le Cardinal de Bouillon fut moins surpris que ravi d'aise d'avoir entre ses mains une pièce de si bonne mine. De longue main, pour sa réputation d'abord, après pour sa chimère, il s'était attiré tout ce qu'il avait pu de savants en antiquités.

[28] Combault ne s'oublie pas : il magnifie son origine et la fait endosser par Pierre d'Hozier, le père de Charles, le futur juge d'armes. D'Hozier la publie sous son nom (D'Hozier, 1628, Généalogies et alliances de la maison des sieurs de Larbour, dits depuis de Combauld, sortie autresfois puînée de la première race de Bourbon non royale, dès devant l'an mil deux cents: en après rendue aînée d'icelle par la cheute en femmes des deux branches aînées: et aujourd'huy par l'extinction de toutes les autres, seule restée de la ligne masculine, chez Percheron), avec un hommage à Combault. Evidemment, cette généalogie est justifiée par histoires manuscrites & imprimées, chartes d'Eglises, Titres publics & particuliers & par autres bonnes & certaines preuves.

[29] Problème juridique supplémentaire : ses droits éventuels viennent en ligne féminine. Les Ducs d'Anjou devinrent Ducs de Lorraine par le mariage de René d'Anjou avec Isabelle, héritière de Lorraine (1420). Elle seule est (hypothétiquement) pure carolingienne. Les hybrides ducs ultérieurs auraient encore à sauter par dessus la loi salique.

[30] Chanterau-Lefèvre, 1642, Considérations historiques sur la généalogie de la maison de Lorraine, Paris, ch. Bessin, préface.

[31] Je mets des guillemets pour agglomérer les Huguenots de religion et les Huguenots politiques.

[32] ...ces malheureux Cadetz d’une maison estrangère, qui ne vivent aujourd’huy en la grandeur & laquelle ils se sont élevez, sinon de la moëlle qu’ils ont tiré de nos pauvres os & du sang qu’ils ont succé de noz vaines (1561, Supplication et remonstrance adressée au Roy de Navarre...). Au-delà de l'image classique du serpent que le feu Roi a réchauffé dans son sein, nous sommes devant un imbroglio qui permet de dire ce qu'on veut. Le Duc de Lorraine René II, pour soustraire son successeur aux prétentions françaises, a légué à Antoine la part lorraine de ses possessions et à Claude de Guise la part française. Guise est duc et pair de France mais prince étranger comme les autres de la Maison de Lorraine puisqu'elle relève de l'Empire. Mais le Duc de Lorraine a obtenu de la Diète de Nuremberg en 1542 que le duché de Lorraine, quoiqu'inclus dans l'Empire, soit déclaré souverain autonome et indépendant. Par contre le Duché de Bar meut en partie du Royaume, en partie de l'Empire. Mais, quand nécessaire, les Ducs de Lorraine et de Bar se souviennent qu'ils sont d'Anjou et alliés à toute la plus haute noblesse de France : Je suis oiseau ; voyez mes ailes...Je suis Souris : vivent les Rats !

[33] Cf. dans l'Histoire du tumulte d’Amboise (1560) : …ce qu’autres fois ils avoyent dit & commençaient à remettre en avant que la Couronne de France avoit esté transférée de la lignée de Charlemagne dont ils se disent estre descendus à Hugues Capet, duquel le Roy & ses prédecesseurs sont venus...

Ou dans la Supplication et remonstrance adressée au Roy de Navarre (1561) : qui plus est de debattre mesmes la Couronne, allegans qu’ils sont de la race de Charlemaigne sur la postérité duquel ils prétendent que Hue Capet a occupé le Royaume p 22.

[34] Attribué sans certitude à François Hottman, ce texte qu'on date de 1561 serait d'avril 1560, réaction à chaud aux exécutions d'Amboise. Il s'attaque principalement au bougre Cardinal et constitue un appel au meurtre sans équivoque. L'outrance des crimes reprochés aux Guise relativise le chiffon rouge carolingien qu'on trouve dans la version rimée mais pas dans le texte en prose qui se contente d'accuser le duc de vouloir la couronne. On s'accorde à considérer que la version rimée est contemporaine de l'autre. Elle est plus développée et, si c'est possible, encore plus venimeuse.

[35] La Guisiade publiée à Lyon en 1589 est dédiée à Mayenne, Lieutenant Général de France. Entre autres, Matthieu met dans la bouche du roi Henri III : Si le peuple me fuit, le ciel me favorise/ Si le ciel ne le veut, j’ai l’Enfer contre Guise. Sur Matthieu, voir : Félix Lafrance, 2008, Pierre Matthieu et l'empire du présent : Clio dans les guerres de Religion françaises, Mémoire ULQ

[35b] Outrant le légitimisme, Balzac (Sur Catherine de Médicis) dénonçait le calvinisme politique : il est certain que les historiens sont des menteurs privilégiés qui prêtent leurs plumes aux croyances populaires...L’Opposition en France a toujours été protestante, parce qu’elle n’a jamais eu que la négation pour politique ; elle a hérité des théories...sur les mots terribles de liberté, de tolérance, de progrès et de philosophie…Hélas ! la victoire du calvinisme coûtera bien plus cher encore à la France qu’elle n’a coûté jusqu’aujourd’hui, car les sectes religieuses et politiques, humanitaires, égalitaires,etc., d’aujourd’hui, sont la queue du calvinisme. Sans aller jusque là, le calvinisme historiographique s'explique a contrario : si les massacres et les horreurs sont réciproques, la gloutonnerie des Guise, les prétentions papales, l'Inquisition, l'outrance catholique et royaliste etc. nous poussent à sympathiser, non pas avec les ayatollahs calvinistes mais avec une opposition dont, à maints égards, est né notre mode de pensée. Racaut (1999, Aspects of Anti-Protestant polemic during the French Wars of Religion, St Andrews) souligne le paradoxe puisque, dans le cas français, ce sont les catholiques qui ont gagné. Nous devons ce biais aux Lumières qui, par réaction contre l'obscurantisme, ont assimilé "Réforme" et "raison": The lasting legacy of the Enlightenment, which made the Protestants the harbingers/heralds of the Revolution, and the positivism of the nineteenth century has produced the notion that the Reformation ushered in an era of progress for mankind.

[36] Le compilateur des Mémoires de Condé 1763 en six volumes écrit dans l'avertissement : Comme l’ancienne édition des Mémoires a été donnée par un Huguenot, la plus grande partie des pièces qu’il y a rassemblées ont été publiées en faveur du parti qu’il suivait. On s’était proposé d’insérer dans le nouveau Recueil les réponses qui y ont été faites par les Catholiques: mais…il faut en convenir de bonne foi, presque tous les écrits politiques.. sortis de la plume des Huguenots sont mieux écrits que ceux qui ont été publiés par les Catholiques...Au reste, cette édition, imprimée à Londres et venue à Paris chez Rollin, a été interdite et mise au pilon.

[37] Abrégé d'un discours, faict avec sa Sainctete, par aucuns de ses confidents, aprés le despart de Monsieur de Paris, trouvé entre les papiers de l'advocat David. Cf. Berchtold Jacques, Fragonard Marie-Madeleine, 2007, La mémoire des guerres de religion: la concurrence des genres historiques, XVIe-XVIIIe siècles : actes du colloque international de Paris (15-16 novembre 2002), Droz.

[38] On ne peut pas totalement exclure que les seize aient pensé imposer cette ligne insurrectionnelle au duc de Guise en la faisant cautionner par le pape. Que le duc de Guise emploie et envoie au pape un David, demi-avocat, demi-voyou, est impensable. Que les seize le chargent d'une négociation, ne l'est pas. Toutefois, ces papiers sont trop bizarres pour être vrais.

[39] Ce mémoire d'une soixantaine de pages a été publié en 1855 en supplément du 1er volume du Recueil de documents sur l'histoire de Lorraine. Elaboré au nom du Duc par Thierry Alix, sr de Véroncourt, Président de la Chambre des Comptes de Lorraine et gardien des Chartes, il n'a pas été soumis à l'assemblée et ne semble pas avoir eu cet objectif : il constitue une réserve d'arguments pour Bassompière.

[40] Noel, 1838, Mémoires pour servir à l'histoire de Lorraine, n°2 "Histoire des archives de Lorraine", Nancy.

[41] Pour le lorrain Noël (1855, Considérations sur les origines de la Maison de Lorrraine) : Il faut reconnaître comme certain que la généalogie de la maison de Lorraine, par Guillaume de Bouillon, n'a point été inventée par esprit de système, en vue de la ligue et pour faciliter aux membres de cette maison l'accès au trône de France. Champier, Edmond du Boullay, d'Aucy, Wassebourg, Charles Estienne, Nicolas Clément, qui ont établi cette généalogie, étaient, pour la plupart, enterrés avant que la ligue devînt hostile à la couronne de France, ce qui, notons le, n'est pas le cas de Rosière.

[42] La version maximaliste en fait des descendants du mythique Clodion du v° siècle dont l'héritage aurait été usurpé par Mérovée dont les héritiers ont été spoliés par Pépin dont les héritiers ont été spoliés par Hugues, de sorte que les "trois races" sont usurpatrices et que les ducs de Lorraine issus de Clodion seraient les seuls rois francs légitimes !

[43] Noël (op. cit.) : La ligue a donné naissance à deux généalogies distinctes de la maison de Lorraine. La première, enfantée par les partisans des princes de Lorraine, faisait descendre ceux-ci de saint Arnould ; la seconde, enfantée par les courtisans du roi de France, fait descendre la maison de Lorraine de Gérard d'Alsace ; depuis 1670 jusqu'aux révolutions françaises, il n'a été permis d'imprimer, même en Lorraine, quoi que ce fût de contraire à la généalogie par Gérard d'Alsace.

[44] Chaudière est un imprimeur liguard, comme Bichon, Nivelle et Thierry, opposés à Mettayer, Richer, Lhuillier, Montroeil, royalistes qui partiront à Tours avec le le Roi (cf. Pallier Denis, 1975, Recherches sur l'imprimerie à Paris pendant la Ligue, 1585-1594, Numéro 9, Droz).

[45] Reproduit in Goulart, Simon, 1758, Mémoires de la Ligue, contenant les évenemens les plus remarquables depuis 1576, jusqu'à la paix accordée entre le roi de France  édition revue & corrigée, Tome 1, p 7 sq.

[46] Le Roi les commet en raison de plusieurs points & articles non véritables & calomnieux qui tournent au grand blâme, déshonneur & désavantage des Rois nos prédécesseurs & de notre Couronne; même qu'il y a un passage auquel il parle de nous fort irrévéremment

[47] In Calmet, 1757, Histoire de Lorraine, Tome 7, ch. Leseure, Nancy : dissertations, p lxxviij sq.

[48] Une fois de plus, nous n'avons pas de récit guisard ou lorrain de cet épisode dont on trouve le compte-rendu dans la Satyre Ménippée, Tome 2 ou de Thou (à l'année 1583, tome VI p 296, Ed. Scheurleer, 1740). Le lorrain Calmet lui-même se base sur Chanterau-Lefèvre qui avait pris ses informations chez les auteurs précédents.

[49] Extrait de la généalogie de Hugues surnommé Capet, à Paris, ch. Patisson imprimeur du Roy, sans nom d'auteur. Pontus "s'aperçut" que quelqu'un maintenoit qu'iI restoit encores des successeurs en ligne masculine de Charles, duc de Lorraine... et que sous ceste déduction de lignée aucuns se vantoyent de tirer leur origine de Charlemagne ... prenans par ceste Raison un coloré prétexte de concevoir quelque désir et se figurer un imaginaire droit à ceste couronne ....

[50] Les preuves de Rosière auront la vie dure, quoique (Zurlauben, 1766) la plupart des pièces diplomatiques soient, ou d'une origine douteuse, ou falsifiées et que Pequigny, range de Rosière "parmi les faussaires les plus fameux", ce qui est peut-être lui faire trop d'honneur (Diplomata...et alia documenta, ad res Francicas spectantia, Tome 1, Prolegomena, p cclxxxij, Paris 1791).

[51]  Ce factum, publié anonymement à Delff ch. Henri imprimeur ordinaire des Estats de Hollande, est un long discours contre Guise et la Ligue, pour la pacification et Henri de Navarre. Outre l'argument Charlemagne, l'auteur utilise l'argument inverse, celui de Pépin : conditionner le serment au Roi à sa défense du Catholicisme est une dangereuse proposition dont la clef est donnée par la déposition (papale) de Chilpéric sous ombre de n'avoir bien défendu l'église contre les sarrazins.

[52] Son contemporain et confrère oratorien Nicolas Bourbon (1574-1644) en parlait ainsi: Il y a céans un certain Père, qui autre fois a été Huguenot, nommé le Père Vignier, qui est un grand, excellent & hardi menteur. D’où on dit par ironie : Les Vérités du Père Vignier... (Borboniana, V, In:  Mémoires historiques, critiques et littéraires, par feu M. Bruys  [par l'abbé L.-P. Joly], 1751, Paris, Hérissant, Tome 2, p 251). Il faudra quand même trois siècles pour que ces "vérités" soient démasquées.

Havet Julien,  1885, "Questions mérovingiennes. II. Les découvertes de Jérôme Vignier". In: Bibliothèque de l'école des chartes, tome 46. pp. 205-271 ; 1886, "À propos des découvertes de Jérôme Vignier", In: Bibliothèque de l'école des chartes, tome 47. pp. 335-341 et, ibid., "Encore les découvertes de Jérôme Vignier", pp. 471-2.
Comme souvent, à la mort de l'intéressé, beaucoup de ses papiers "disparaissent" opportunément, permettant de le créditer de travaux non effectués et/ou de "retrouver" des documents "perdus". Benjamin Vignier, le frère et héritier de Jérôme apporte ainsi un "trésor" de pièces ecclésiastiques à l'éminent P. d'Achéry qui les inclut dans son Spicilegium ( testament et épitaphe de Perpétue, évêque de Tours, colloque de Lyon de 499, diplôme de fondation par Clovis de l'abbaye de Saint-Mesmin de Micy, cinq lettres de papes et d'évêques de la fin du Ve siècle).

C'est également par Benjamin que devient publique la "découverte" que Jérôme aurait faite à Metz, en 1645, du contrat de mariage entre « Jehanne la Pucelle » et Robert des Armoises (lettre du 2 novembre 1683 à M. de Grammont publiée dans le Mercure Galant, novembre 1686, pp. 39-60 et janv. 1684, pp. 41‑67, repris dans Mercure de France, février-mars1725, p. 241 et 492), à l'origine de la légende de la survie de J. d'Arc qui, relayée par Grillot de Givry (1914, La survivance et le mariage de Jeanne d'Arc) agite encore quelques esprits.

[53] La véritable origine des très illustres maisons d'Alsace, de Lorraine, d'Austriche, de Bade, et de quantitéd'autres, avec les tables généalogiques ..., le tout vérifié par tiltres, chartres, monuments et histoires authentiques, Paris, 1649, ch Meturas.

[54] Personne ne niera que la Maison de Lorraine ne soit une des plus illustres et des plus grandes du monde...mais aussi personne ne niera qu'il y a guères eu de Maison dont l'origine ait été plus incertaine...Quelques uns...d'autres...enfin, d'autres par une flatterie basse et lasche & pour appuyer les pretentions dont la saison & le malheur du siècle avait fait naître à ceux de cette très-illustre Famille le goust & l'envie, l'ont fait sortir de nos anciens Roys, s'imaginans que les peuples donneraient volontiers la Couronne à ceux qu'on leur persuaderait estre les enfans de la Maison (préface).

[55] L'essentiel de la production de Vignier concerne le domaine religieux. Voir: Quantin Jean-Louis. "Jérôme Vignier (1606-1661), critique et faussaire janséniste ?" In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1998, tome 156-2. pp. 451-479): Les productions de Vignier se distinguent [...] par leur exceptionnelle qualité, qui en fait de grands classiques de la fraude et qui leur permit de tromper longtemps les meilleurs juges.
Janséniste indépendant (à Port-Royal il s'est opposé à Saint-Cyran), Jérôme Vignier édite en 1654 un important recueil d'inédits de saint Augustin (Supplementum augustininum).
La préface au second tome du Supplementum ne craint pas d'attaquer violemment la polémique anti-janséniste populaire des jésuites comme un crime de lèse-majesté contre Augustin.

Le faux colloque de Lyon [qui se serait tenu en 499], fabriqué en prenant pour modèle la Vita de Fulgence de Ruspe, enseigne la doctrine augustinienne la plus stricte et fait allusion, en outre, au combat de Port-Royal. Placé sous le patronage du prestigieux Avit, évêque de Vienne, le colloque de Lyon est bien imprégné de ce que les contemporains de Vignier appelaient « la doctrine » ou « le système » de saint Augustin. Cette invention vise à annuler dans l'histoire ecclesiastique les colloques qui ont eu lieu à Arles et Lyon (473-475) pour condamner la prédestination.

Mais le chef d'œuvre de Vignier est le De Gratia de Fulgence de Ruspe (c 460-c 530), livres qui auraient été plus forts que St Augustin et plus jansénistes que Jansénius. Il fit courir le bruit qu'il l'avait découvert en morceaux si défectueux qu'il lui faudrait longtemps pour les exploiter. On ne trouva rien à sa mort et Quesnel chercha et fit chercher le document partout, jusqu'à Venise et à Rome. On conclut qu'il avait été détruit par un ennemi des Jansénistes, ou que les Jésuites le cachaient ou qu'il se terrait quelque part.
Ce fut bien le triomphe de l’oratorien, la plus influente de ses inventions, que ce faux introuvable, ce faux annoncé mais jamais réalisé, - ce faux virtuel, - qui répondait si bien à ce que, dans l’ardeur des luttes doctrinales, les critiques du XVIIe siècle cherchaient d’abord dans un inédit patristique : une arme pour le bon combat (Quantin, 1988, "Combat doctrinal et chasse à l’inédit au XVIIe siècle Vignier, Quesnel et les sept livres contre Fauste de Fulgence de Ruspe", In: Revue des Études Augustiniennes, N°44, pp. 269-297).

[56]  En comparant ensemble ces divers sentimens, nous reconnoissons que, par les objections qui naissent de l'un contre l'autre, ils se détruisent tous mutuellement,AIBL, Tome XX, p 548 sq. Foncemagne, 1753, "Des différentes opinions qui ont été proposées sur l'orìgine de la Maison de France".

[57] Wild Francine, 2011, Epopée et mémoire nationale au XVIIe siècle, PU Caen.

[58] En 1628 encore :...ayant jugé être plus à propos de nous arrêter à une vérité constante et laquelle ne reçoit aucune difficulté en prenant pour principe et fondement de notre histoire le même prince Robert le Fort que voulant monter plus haut nous appuyer sur des conjectures que bien souvent se trouvent contraires aux choses les plus certaines et assurées (vol. 1, Livre 5 CH3).

[59] Ils adhèrent si bien à la nouvelle thèse qu'ils donnent tout du long la généalogie des Comtes de Madrie ou Matrie qui font le chaînon manquant entre le présumé Childebrand et Robert, comtes et comté dont nul n'a jamais trouvé la trace.

[60] Lettre du duc de Lorraine Nicolas à l'assemblée impériale de Ratisbonne (1641) appelant l'Empire au secours de sa royale Maison.

[61] Il (Chifflet) souvent, dans l’excès de son zèle, a prêté à ses Souverains des prétentions qu'eux-mêmes ils n'avoient pas (Foncemagne 1753).

[62] Cette guerre symbolique redouble les opérations militaires. Une paix ne sera signée qu'en 1659 (Traité des Pyrénées et mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse).

[63] Chifflet, 1659, Le faux Childebrand relégué aux fables (sans lieu ni mention d'imprimeur), dédié au marquis de Fromiste et de Caracene, gouverneur et capitaine général des Pays-Bas et de Bourgogne pour le roi d'Espagne.

[64] Notamment, Chantereau-Lefebvre, l'ex "proconsul" lorrain qui, on s'en souvient, a démonté l'échafaudage lorrain en 1642. Il s'insurge (Chantereau, 1647, Discovrs Historiqve...). Contre les Lorrains, il adhère bien volontiers à la descente (pourtant fabuleuse) de St Arnoul mais il ne veut pas aller plus loin. Il se défend de ne pas être dans la ligne : Ils se sont efforcez de persuader aux moins intelligens qu'en choquant la Genealogie d'Ansbert j'empêche... que la race d'Hugues Capet n'ait une mesme source masculine que celle de Charlemagne. Cela ne va pas seulement à descrier mon Livre &. ma Personne; mais est capable de me rendre criminel (op. cit., préface, p 10). Et il attaque l'invention de Ferreolus, à la fois douteuse et sans profit : ce n'est pas l'ancienneté qui compte mais la gloire. Rien de plus galvaudé que la dignité sénatoriale dans la Gaule du iv°. Elle ne pèse guère, à côté des mérites de Charles Martel et suivants : Il n'y a donc que l'ancienneté de l'origine, qui ait pu convier (du Bouchet) à mettre en avant la Genealogie d'Ansbert. Mais si elle donne une origine obscure à nos Rois, n'est-ce pas acheter trop cher cette pretenduë ancienneté? (p24).

[65] Tout ce monde est présent dans la chronique d'Adhémar de Chabannes (début xi°), reprise des Gesta regum francorum (Liber historiæ Francorum) : Clotarius isto genuit Dagobertum et unam filiam nomine Blitildem; de qua Blitilde fuit generatio domni Caroli. Nam ista Blitildis, soror Dagoberti regis, habuit virum in conjugio nobilem inter Francos nomine Ansbertum, de quo genuit filium nomine Arnaldum.Arnaldus genuit Arnulfum…etc (Ed. Chavanon, 1897, II, p66). Sans oublier Childebrand, cousin ou frère de Charles Martel. Il manque juste la dérivation capétienne que les "chroniqueurs" de St Denis poseront bientôt.

[66] Alors que les Carolingiens, dynastie « illégitime », avaient redouté le souvenir de ce grand roi mérovingien (Dagobert), les Capétiens, qui, sous l'impulsion de Suger, étaient soucieux de la « légitimation carolingienne » de leur dynastie, n'avaient plus rien à craindre du souvenir de Dagobert. Bien au contraire, une fausse généalogie faisait de Pépin de Herstal le descendant de Blitilde, « soeur du roi Dagobert » (Lombard-Jourdan Anne. 1997, "L’invention du “roi fondateur“ à Paris au XIIe siècle", In: Bibliothèque de l'école des chartes, tome 155/2, pp. 485-542).

[67] Peu auparavant que de mourir il avait dessein de faire imprimer un Traité où il eut justifié cette origine. Mais une mort funeste l’ayant prévenu & empesché qu’il ne rendit un si grand service à la Maison Royalle, nous ne pouvons que nous ne rendions cet office à sa mémoire d’apprendre au public l’obligation qu’il lui en devait avoir…Il nous confia peu auparavant sa mort le secret de cette origine inconnue de laquelle (tant qu’il a vescu) nous luy avons gardé la fidélité requise…Cet historien célèbre tenait donc que de Childebrand Duc frère de Charles Martel sortit un nommé Nebelung, Comte de Matrie en Normandie…que de ce Comte Nebelung descendit Thibaud lequel fut père d’un Robert & celui-cy père de Robert le Fort Duc de France…depuis lequel la généalogie de Hugues dit Capet est asseurée.

[68] Dans les discours préliminaires sur les paralleles des trois races (4ème discours), Combault donne à la fois deux versions différentes, la sienne (p 15, ainsi Robert (le fort) descendait du grand S. Arnoul qui tirait son origine d’Ansbert, comte Palatin & sénateur romain lequel épousa Blitide de France, fille du Roy Clotaire premier) et, en note, celle, plus modeste, qu'il attribue à Duchêne qui en reste à Childebrand (p35/37, cf. note précédente) : Combault met Ansbert en passager clandestin dans la voiture Childebrand qu'il a prêtée à Duchêne.

[69] Du Bouchet, 1646, La véritable origine de la seconde et troisième lignée de la Maison Royale de France, Paris, ch. Vve Mathurin du Puy

[70] Quand Mr le comte d'Auteuil (Combault) a dit que les Mémoires que notre père avait dressés..ne se rencontraient plus dans sa bibliothèque, il l'a dit bonnement comme il le pensait parce que, comme nous les avions confiés à Mr du Bouchet nous ne voulions point mettre de jalousie entre ces deux hommes, tous deux bons amis de deffunt notre père et de nous et qui pour lors n'étaient pas trop bien ensemble...(Du Chesne, François, fils d'André, 1680, Histoire des chanceliers, Paris, ch. l'auteur, p 127/129, art. Adalbéron).

[71] Le Père Anselme est plus raisonnable. Dans l'édition parue de son vivant (1674, Histoire généalogique et chronologique de la maison de France), il s'exclame (T1, "Rois de la troisième race dite des capétiens", CH3, p65) : Personne n'ignorant que la Maison de France ne soit la plus ancienne, la plus noble et la plus illustre de l'univers, il n'est pas nécessaire de relever la naissance du Roy Hugues Capet par une longue suite de ses ayeux. Je me contente donc de la commencer à Robert...Dès 1725, toutefois, son continuateur ne peut pas s'empêcher de présenter les opinions sur l'origine de Robert le Fort et, quoiqu'il fasse preuve de prudence, il ne résiste pas à en choisir une.

[72] Picart, 1704, Origine de la très-illustre maison de Lorraine ; Baleicourt (pseudonyme de Hugo), 1711, Traité historique et critique sur l'origine, et la généalogie de la maison de Lorraine, avec les chartes servant de preuve aux faits avancés dans le corps de l'ouvrage, etc., Berlin (Nancy).

[73]  Ong, 1982, Oralité et écriture - la technologie de la parole, Ed. fr. 2014. Aujourd'hui, on critique cette dichotomie et on récuse la théorie romantique du grand partage (Lenclud, 1995) au profit de combinaisons complexes que Ong introduisait déjà (cf. son analyse de la rhétorique). Ong ne formulait pas des schémas historiques, il conceptualisait des idéal-types.