MAJ  06/11/2020 
Esambe Josilonus

Esambe Josilonus

Un inconnu célèbre: le greffier du Tillet   pdf   epub

©2015

 
Pourquoi Jean du Tillet ? Les spécialistes des "guerres de religion" le connaissent pour quelques textes polémiques écrits autour de 1560 (Brown, 1994) et ignorent le Recueil des Roys. Au contraire, ce dernier a servi de bible à tous ceux qui attestent ou produisent des descentes royales, réduisant le Recueil à une compilation de généalogies. Ainsi se perd la dimension politique du travail d'archive de du Tillet.

Célèbre, il l'est : un record bibliométrique ! Outre les documents qu'il a collectés et fait connaître, il a signé des centaines d'actes ou pièces es qualités de greffier du Parlement de Paris et, cette charge s'étant transmise aux fils, la mention signé du Tillet traverse le siècle et encore le suivant. Tous ceux qui les ont citées ou recopiées, généalogistes, juristes, antiquaires, historiens, ont mentionné ce nom.

Mais du Tillet, tenu par ses fonctions, ne s'exprime pas publiquement. Il apparaît peu dans les textes du temps, n'a pas laissé de mémoires personnelles ni beaucoup de traces. De plus, comme pour brouiller les pistes, son frère cadet, également nommé Jean, a les mêmes convictions, s'occupe aussi du passé des rois, meurt la même année que lui et les éditions posthumes ont souvent publié la Chronique des Roys de France du jeune en addition au Recueil des Roys de l'aîné. Souvent confondus dans leur temps, le qui pro quo se retrouve encore aujourd'hui (par exemple Le Clech, 1993), jusque dans la notice de la BNF.

Du Tillet meurt en 1570 sans avoir rien publié. A l'initiative de ses enfants et avec l'autorisation du roi, le Recueil est livré au public en 1580, entre la "paix" de Nérac et celle de Fleix. En gros et en détails, il proclame la "monarchie pure" et affiche la droite ligne de la tradition royale, la bannière que brandira Loysel (Institutes, 1607) : i) Qui veut le Roi, si veut la Loi, ii) le Roi ne tient que de Dieu et de l’Epée, iii) le Roi ne meurt jamais, iv) Tous les Hommes de son Roiaume lui sont sujets. En phase avec François Ier et Henri II (et plus tard avec Henri IV), un tel "absolutisme" paraît un fantasme en 1580, quand le royaume se décompose en factions, quand les provinces et les villes s'autonomisent, quand le roi ne sait pas ce qu'il veut, quand le thème huguenot de "monarchie composée" impose l'idée que le roi partage la souveraineté avec le "peuple".

Réédité plusieurs fois sous Henri IV et au début du règne de Louis XIII, après 1618 le Recueil, quoiqu'universellement cité, ne sera plus réimprimé. Il est daté, il appartient au premier seizième siècle de l'affirmation royale. La rudesse de son écriture rend sa lecture désagréable aux délicats d'aujourd'hui dont les nouveaux auteurs satisfont mieux les besoins, tandis que d'autres approfondissent les thèmes juridiques ou cérémoniels. Négligé comme théoricien, ignoré comme historien, du Tillet, dans son temps et après, fait fonction de référence : son état de greffier, son accès au Trésor des chartes, sa revendication de s'en tenir aux documents officiels, lui donnent un statut d'antiquaire. Il se fait —on en fait— l'authentificateur de "faits historiques".

Or l'archiviste est partisan, cela apparaît clairement en 1560 dans la polémique sur la majorité du Roi. Il ne fait pas là un écart circonstanciel. Depuis les années 1540, tout le travail de mémoire qu'il opère vise un objectif politique que l'écrémage du temps oblitérera peu à peu : le contexte devenant un "bruit" parasite de moins en moins audible, reste  le "message" des catalogues, résidu appauvri d'une entreprise de démonstration.

Loin d'être destiné au public auquel l'adresseront les éditions posthumes, le Recueil a été fait pour Henri II qui le reçoit en manuscrit en 1555. Il est déjà décalé en 1566, lorsque du Tillet l'offre (toujours en manuscrit) à Charles IX. Et plus encore quand il est publié en 1580. Du Tillet met en ordre la monarchie très-chrétienne et, les troubles grandissants, son texte devient d'autant plus partisan que le "pouvoir d'un seul" est davantage contesté. Dès 1560, les agitateurs réformés, contre Guise, invoquent les droits des Princes du sang "conseillers nés" du roi et en appellent aux États généraux. Très vite, et avant même la Saint Barthelemy, l'opposition se radicalise et avance l'idée de la "monarchie partagée". Dans cette tempête politico-militaire qui ira croissant jusqu'à l'accalmie de 1594 (conversion de Navarre), le programme "absolutiste" de du Tillet marque une direction que nul, sauf certains politiques, ne se préoccupe plus de suivre.

Aussi faut-il périodiser. Si le texte du Recueil ne varie guère entre les manuscrits royaux de 1555 et de 1566, s'il est reproduit sans changement en 1580, sa signification change. Sous Henri II, du Tillet exprimait la tendance de la monarchie, son texte parlait au présent. Après la rupture de 1560 (Amboise), son texte parle au passé et au futur et cesse rapidement d'être en ligne avec le gouvernement.

Notre développement se fera donc en trois parties :

  •   la première va jusqu'à la mort de Henri II (1559) : du Tillet est et restera un homme de ce premier seizième siècle ;
  • la seconde est consacrée à la rupture de 1560 et à la première et dernière intervention du greffier dans le débat public
  • la troisième porte sur la publication posthume du Recueil, dans un temps qui lui devient de plus en plus étranger.

Une quatrième partie aurait pu suivre la carrière de du Tillet au cours des siècles suivants. Mais elle aurait exagéré les dimensions de cet essai sans lui apporter grand chose de plus.

1) Un homme du premier seizième

Issu d'une vieille famille de la noblesse angoumoise, le père de Jean, Hélie, entre dans la sphère royale avec François Ier : contrôleur des finances puis maître de l'hôtel du comte d'Angoulême, il a servi François et sa mère Louise de Savoie quand leur position était encore incertaine. Il bénéficie de la chance de François que le manque de postérité mâle de son cousin Louis XII fait roi. Aussitôt, François Ier lui donne (ou lui vend) une "vice-présidence" de la Chambre des Comptes du royaume [1], l'une des ces dignités fantômes qu'il crée pour gratifier ses favoris. L'office de Hélie étant explicitement viager, il échoue à se faire succéder par son fils aîné Séraphin qu'il case au Parlement de Paris : le décès du greffier ayant libéré la charge, le Roi en fait cadeau à Brion et Montmorency pour qu'ils la vendent. Séraphin l'achète en 1518, au grand déplaisir du Parlement [2]. Est-ce pour devenir plus légitime que Séraphin épouse aussitôt Marie Pichon, fille du précédent greffier ? Très vite, ne parvenant pas à honorer les dettes contractées pour payer sa charge, Séraphin la cède à Jean, son puiné pour, dit-on, 25000 écus. Jean est reçu par la cour le 15 juin 1521. Mais, changeant d'idée, Séraphin se rétracte, ce que ni son père ni son frère n'acceptent. Brown a décrit en détails (Brown, 1995) les dix ans de procédure qui s'ensuivent au Parlement même, marqués par des disputes animées, entre Jean et son père Hélie d'une part, Séraphin et sa femme Marie Pichon, d'autre part. Jean finit par gagner en 1530 et, ayant assuré son "état" se marie par contrat du 9 février 1533 avec demoiselle Jeanne Brinon, fille de noble Jean Brinon, sr de Pontillaud et de la Bussière, conseiller du roi, maître ordinaire à la chambre des comptes. Ils auront maints enfants [3].

A la mort de Séraphin, Jean devient tuteur de ses filles. Mentionnons un autre frère, Guillaume, conseiller au Parlement, et disons quelques mots de Jean le jeune, évêque de St Brieuc (1553) puis de Meaux [4]. Commissionné par François Ier pour rechercher des manuscrits dans les bibliothèques des monastères, il en fit collection et en édita plusieurs. En particulier, il avait les libri carolini dont il assura la publication en 1549 : sa sympathie pour les thèses iconoclastes de Charlemagne et sa dénonciation des idoles (de non adorandis imaginibus), provocatrice ou importune, le fit accuser de calvinisme par les jésuites (l'ouvrage resta à l'index jusqu’au xviii° siècle). Il possédait aussi un exemplaire du v° siècle de la version latine de la chronique d'Eusèbe de St Jérôme qui lui sert de matrice pour son propre De regibus Francorum chronicon qui, depuis sa première parution en 1539 en complément de Paul Emile (chez Vascosan) connut d'innombrables rééditions et termina sa carrière dans les ouvres posthumes du greffier. En outre, l'évêque procéda à des compilations juridiques, religieuses et historiques (Turner, 1905) et écrivit pour défendre l'église et la messe.

Les deux Jean ramenèrent au troupeau leur frère, Louis, non seulement disciple mais ami de Calvin. Louis, curé de Claix et chanoine d'Angoulême, sympathisait avec la Réforme et hébergea plusieurs mois Calvin en 1533 quand celui-ci dut quitter Paris. En 1534, après l'affaire des Placards, quand Calvin s'exila, il alla d'abord dire adieu à Louis qui le suivit à Strasbourg, puis à Bâle, puis à Ferrare, puis à nouveau à Strasbourg, puis à Genève. L'un ou l'autre de ses frères va le chercher vers 1538, le reconvertit et, par de puissantes raisons, le ramène à Angoulême. Le mouton noir, blanchi et reprogrammé archidiacre d'Angoulême, se mit à prêcher contre l'hérésie (Haag, 1853).

a) la carrière de du Tillet

Quoiqu'on ne dispose pas de renseignements précis sur la vie de du Tillet, grosso modo, on peut diviser le cœur de sa carrière en trois étapes principales : au cours des années 1530, il s'installe dans sa charge de greffier ; au cours des 1540, il plonge dans les archives du Trésor des chartes ; à partir des 1550, il exploite et valorise. Si, pour éviter l'aplatissement rétrospectif, on distingue (Roelker, 1996) des "générations" au sein des parlementaires du xvi° siècle, du Tillet appartient à la transitional generation (en charge du début des années 1540 au milieu des 1550) mais dure assez longtemps pour percuter la crisis generation (en charge du milieu des 1550 au début des 1580). Ses conceptions, cristallisées dans la période ou la cour et le roi s'accordent sur la répression des réformés, ne sont pas modifiées par les divisions que révèlent la mort de Henri II et le début des guerres civiles : sa doctrine, hier consensuelle, devient un point de vue de faction. Hostile aux compromis du gouvernement, il meurt à temps pour ne pas voir son second flirt huguenot(1570).

i) Greffier du Parlement

Le Parlement de Paris a fait l'objet d'une multitude de travaux qui éclairent cette charge [5] que du Tillet exerce pendant quarante ans. S'il a eu la même formation que les conseillers, si formellement il appartient au corps du Parlement et même le représente, il ne rapporte pas, il n'opine pas, il ne parle pas en son nom propre, il n'intervient pas. Dans l'exercice de ses fonctions, il est la mémoire, la plume, et parfois la voix, du Parlement. Ce rôle essentiellement passif le rend, dans une certaine mesure, étranger aux mœurs parlementaires et le laisse libre, à cette place stratégique, de travailler pour le roi, et de le faire à sa façon, sans rhétorique ni gymnastique spéculative, sans plaidoirie ni jeu de mots. Tandis que le Parlement rechigne souvent devant les intentions royales et que le roi alterne flatterie et menace, le greffier est assez en dehors de ce jeu pour se faire plus royaliste que le roi.

Ne confondons pas "greffier" et scribe ! La fonction du greffier civil du Parlement, anciennement dénommé registreur, ne consiste pas tant à écrire qu'à conserver, à veiller à la tenue et à la sécurité des registres et à empêcher qu'il en soit fait un usage inapproprié. Pour écrire, il a des clercs ; pour copier, il a des commis. Ces auxiliaires lui sont personnels : il les choisit et les paye lui-même, les surveille et répond d'eux devant le Parlement. Ils l'assistent, sans avoir la capacité de le remplacer : quand le greffier s'absente pour le service du roi [6], son rôle est tenu par l'un des quatre notaires de la cour.

En parallèle au greffier civil, on trouve un greffier criminel (anciennement dénommée greffier du sang) et un greffier des présentations (dont la principale fonction est de tenir le rôle des audiences). Tous ces greffiers font partie de la cour et jouissent, comme les conseillers, de nombreux privilèges et exemptions (notamment de taille, subsides et réquisition). Les clercs et commis sont leurs employés personnels et le greffier civil  a le plus grand effectif (quatre clercs, une dizaine de commis). On ne leur demande pas seulement d'être sténographes et des scribes, il leur faut des compétences en droit et en procédure. Souvent, ils en ont acquis les rudiments en servant des procureurs et se préparent, avec cet emploi, à être procureurs.

Le greffier civil est greffier du Parlement dans son ensemble alors que les autres voient leur activité limitée à un domaine, le criminel ou les présentations. Aussi, ce greffier civil (plus tard qualifié de greffier en chef), en principe un homme d'église, a la prépondérance sur les autres, il est "le" greffier. A la cour, il précède les gens du Roi. Dans les cérémonies, il marche en tète de la cour, vêtu de la robe rouge et de l'épitoge (manteau fourré de menu vair), comme les conseillers, mais son épitoge est relevée des deux côtés parce que le greffier doit avoir les deux mains libres pour écrire, tandis que celle des Conseillers ne l'est qu'à gauche, du côté de l'épée. Toutefois, s'il est membre du Parlement, son activité demeure formelle et il n'a pas à partager les idées du Parlement ni à s'impliquer dans ses arrêts. Tandis que le Parlement de Paris en tant qu'institution qui se voit centrale défend son identité et son rôle contre les fantaisies royales, rien ne pousse le greffier dans ce sens et le nôtre adoptera les thèses royalistes radicales. Plus que les gens du Roy très exposés dont la fidélité varie, du Tillet, dans l'ombre, sera l'homme du chancelier et du roi.

Ses fonctions officielles sont si vastes [7] que, pour les traduire en termes modernes, "chef du greffe" ne suffit pas, il vaut mieux "secrétaire général" du Parlement. Cela apparaît nettement quand le Parlement l'envoie en mission, quand le Roi le convoque ou quand il écrit le brouillon des communications du Parlement. Par exemple, suite à la déclaration de Condé au Parlement du 8 avril 1562, la Reine Mère demande à du Tillet de rédiger la réponse du Parlement : s'agissant d'une affaire d’Etat et non de justice, il demande l’avis du Conseil ; mais, comme il écrit au nom du Parlement, il consulte les Présidents.

 Il rédige ou contrôle les minutes qui seront reportées sur les Registres officiels à la conservation desquels il doit veiller contre les vols et les tentatives d'effraction ou d'incendie auxquels ils sont exposés, faute d'un lieu sûr pour les garder [8]. Mais aussi, sur réquisition du Roi ou de la cour, il oublie, efface, rajoute, gratte, rature, restitue  les textes grattés ou annule les ratures, corrige en marge, en fonction des nouveaux traités de paix, punitions et absolutions.

Le greffier rédige les registres secrets (retenta) mais ne les conserve pas. Ils contiennent ce que la Cour veut garder dans sa propre mémoire (in mente) contre l'avis ou même l'ordre du Roi, ou dans d'autres cas, par ordre du Roi. Ils sont de plusieurs types :  registres de dépôts secrets, procès-verbaux secrets des Mercuriales, registres secrets des délibérations de la Grand'Chambre et aussi des Enquêtes. Ces registres "off" servent à préserver la trace de choses qu'on ne peut ou ne veut pas publier aujourd'hui mais dont la cour aura besoin dans d'autres circonstances ou après le changement de règne. Ils restent sous la responsabilité du Premier Président qui les confie à un conseiller de confiance mais le greffier doit s'en souvenir ! Grün cite le cas d'un registre secret fait par ordre du Roi et mentionné par du Tillet en marge de l'édit inséré au livre des ordonnances [9].

En outre, le Parlement ayant dans son (large) ressort, un pouvoir réglementaire en matière de police, le greffier est missionné, par exemple, en 1562 auprès du Roi de Navarre et du Connétable dont les troupes commettent des abus autour de Paris, ou en d'autres circonstances auprès des officiers municipaux ou autres de Paris ou ailleurs.

Toutes ces responsabilités expliquent que les gages du greffier soient supérieurs à ceux d'un conseiller mais rendent surprenante la remarque de la Roche Flavin (à propos d'un conseiller devenu greffier), que cet état est sans aucune peine ! Remarquons toutefois que, comme tout "cahier des charges", celui qu'on tire des ordonnances et des arrêts a un caractère programmatique plus que descriptif. De plus, si le greffier a bien choisi ses clercs et ses commis, il peut se reposer sur eux et signer "au kilomètre". Quant aux gains, si les gages ne sont pas toujours payés ou avec retard, les taxes sur les expéditions rapportent : en effet, les arrêts prononcés à huis clos ou par la chambre du conseil ne peuvent être connus des intéressés qu'en payant le greffe pour obtenir copie du jugement [10].

Lorsque Jean du Tillet résigne son office en faveur de son fils, également prénommé Jean, celui-ci obtient la survivance et est reçu greffier par le Parlement (1552). Il ne remplace pas pour autant son père : à la mode du temps, le greffier résignataire se superpose à l'ancien et ne se substitue pas à lui. On ignore le montant des commissions et des cadeaux que du Tillet a payés pour transmettre sa charge [11]. On voit par la suite son fils officier avec lui ou à sa place, et la cour évoquer le jeune ou le vieux du Tillet.

ii) Du Tillet, Poyet, La Renaudie

Lors du contentieux des années 1520 pour l'attribution de la charge de greffier, tandis que Séraphin et Marie ne cessent de changer d'avocat, celui de Hélie et Jean reste constamment Guillaume Poyet, le futur Chancelier, alors talentueux plaideur, vraisemblablement ami d'Hélie, et, certainement, protecteur de Jean. Poyet est soutenu par Louise de Savoie, la dévorante mère du Roi dont il a brillamment défendu les droits en 1521 et par le Connétable (Montmorency). En 1530, quand Jean accède enfin à sa charge, Poyet devient avocat du Roi au Parlement, adjoint du Procureur général. En 1534, il est président au Parlement. Enfin, en 1538, après avoir été employé par le Roi à plusieurs ambassades et au Conseil privé, il succède à Antoine du Bourg comme chancelier du Roi, c'est-à-dire ministre principal et garde des sceaux. Rappelons que le Chancelier qui incarne la justice du Roi porte sa parole lorsqu'il tient un lit de justice. L'accident qui fit trébucher le Chancelier (et, de là, dégringoler) atteste de sa bienveillance à l'égard de notre greffier.

Il faut raconter cette histoire car, en plus de révéler la connexion entre le greffier et le Chancelier, elle anticipe un aspect de la polémique de 1560 en introduisant le personnage de La Renaudie (du Barri), le futur chef de la conjuration d'Amboise : depuis 1538, Jean, agissant au nom de son frère, plaide à propos de l'archidiaconat d'Angoulême et d'un bénéfice associé que La Renaudie lui dispute, également au nom d'un parent. N'essayons pas de débrouiller les raisons et les moyens de ce contentieux aussi tortueux qu'acharné : du Tillet le soutient quinze ans, résolument, voracement, à grands efforts et dépenses, en France et à Rome [12], et, après la fuite de la Renaudie, le poursuit, contre sa famille. Il dépouille judiciairement la mère des du Barri en 1552 et s'empare de ses biens. Pour l'instant, en 1541, si du Tillet a l'avantage de sa position et l'aide du Chancelier, son adversaire ne manque ni de moyens ni de soutiens grâce auxquels il obtient des lettres royaux en sa faveur. Un secrétaire du Roi les porte au Chancelier pour qu'il appose le sceau. Poyet, voyant que ces lettres nuisent à du Tillet, les modifie. La Renaudie ne se laisse pas faire et proteste auprès du Roi. Comme, écrit Varillas, le Roi avait déjà le dessein de se débarrasser de Poyet, l'occasion ne pouvait être meilleure puisqu'elle venait de lui.

On raconte l'histoire ainsi [13] : La Renaudie se plaint de ses malheurs à la duchesse d'Etampes, Pisseleu, la favorite officielle du Roi. Elle plaide sa cause et le présente au Roi qui fait écrire la lettre en sa faveur. Poyet la corrige grossièrement. La Renaudie, furieux, court vers le Roi et sa fameuse éloquence accable le Chancelier auquel le Roi, choqué, donne l'ordre de remettre le texte en son premier état. La Renaudie, s'étant fait un plaisir de transmettre le message, trouve le Chancelier en entretien avec la sœur du Roi, la Reine de Navarre, qui cherche à soustraire un de ses hommes à la justice. "Au nom du Roi", La Renaudie somme le Chancelier de faire son devoir. Poyet, ne pouvant pas supposer qu'un petit gentilhomme agisse ainsi de lui-même, devine derrière lui la duchesse d'Etampes. Poyet explose et condamne avec véhémence les manœuvres des dames et leurs immixtions perpétuelles. La Reine de Navarre, entendant ce discours, le prend pour elle. Ulcérée, elle s'allie à Pisseleu pour avoir la peau de Poyet que François Ier leur accorde.

Moins que sa gloutonnerie (Duprat a fait pire), l'audace de Poyet lui est fatale : pour le compte du Connétable et du cardinal de Lorraine, il a outrepassé les intentions du Roi en faisant le procès de Chabot (l'amiral de Brion) ; puis, il a évincé le Connétable dont la disgrâce a fait de lui le second personnage du Royaume. Il ne manque pas d'ennemis. Dans le climat de mélancolie royale de ces années, c'est son tour : dès 1542, il est accusé de malversations, destitué et finalement (1545) condamné et envoyé à la tour de Bourges. Sa chute est aussi rapide que son essor. Ses innombrables prévarications et abus, les rivalités de clan et les intrigues de cour, l'excès même de son triomphe le perdent et le Roi, dit-on, maudit l'indulgence des juges qui lui ont laissé la vie.

Quant à La Renaudie, en 1546, le Parlement de Dijon le condamne lourdement pour faussetés et l'oblige à une honteuse pénitence publique. Mais, avant que du Tillet aie le temps de le faire transférer à la tour de Bourges, La Renaudie s'échappe : Brantôme prétend avoir entendu le Duc de Guise affirmer qu'il a aidé à s'évader ce soldat courageux qui avait combattu avec lui à Metz. Et il ajoute que sa fuite s'ayda de sortilège.

C'est alors que La Renaudie, devenu hors la loi, bascule : réfugié en Suisse, marié à Lausanne avec une réformée réfugiée, puis reçu bourgeois de Berne, il se fait calviniste. Le temps passe. Quelques uns (Haag d'après Belleforest qui suit La Planche) prétendent qu'il fut gracié mais que l'exécution de son beau-frère Gaspard de Heu en 1558 surexcita sa haine contre les Guise. Après la mort de Henri II et la "confiscation" de François II par les Guise, l'éloquent aventurier, indifférent aux consignes de paix civile de Calvin, choisit l'insurrection : au nom du capitaine muet Condé, il harangue les assemblées de Nantes et dirige l'attaque d'Amboise (1560), pour son malheur : son corps fut porté pendre mort sur le pont d'Amboise avec cest escriteau, "La Renaudie dit la Forest, chef des rebelles".

Après Amboise, les amis de La Renaudie accuseront du Tillet d'avoir abusé, jadis, de son influence pour le faire déclarer coupable [14], poursuivant une (obscure) vengeance et de le persécuter post mortem par ses écrits anti huguenots. La Renaudie avait ainsi des motifs personnels (outre son beau-frère à venger) pour faire le coup d'Amboise (Brown, 1993). La coloration ainsi donnée à l'insurrection de 1560 et à la condamnation de 1546 les banalise : la première perd son caractère de lèse majesté et la seconde n'altère plus la gloire du futur martyr (cf. encore Haag, 1846, Tome 1). La haine contre du Tillet sera tenace. En 1576, ne lui pardonnant, ni le procès de la Renaudie, ni ses écrits de 1560, le huguenot Régnier de La Planche donne un récit aussi tardif que malveillant de la position de du Tillet au début du règne de Henri II (fin des années 1540), récit que de nombreux auteurs reprennent à leur compte (même Brown !), comme si c'était une information, et non une polémique posthume. Selon Laplanche, à l'avènement de Henri II en 1547, la faveur et la gloutonnerie de la deuxième génération des Guise (les futurs Duc François et Cardinal Charles) étaient telles que du Tillet, comme tant d'autres, craignait de perdre sa charge au profit d'un favori et d'y laisser ses biens et peut-être la vie. Aussi se serait-il vendu aux Guise et, leur rendant des services en même temps qu''ils s'élevaient, aurait fini, après Amboise, par leur servir de plume de loage [15]. Pourtant, il suffit d'examiner les opinions de du Tillet pour ne pas s'étonner de son adhésion aux Guise et de sa défense du gouvernement en 1560.

Après la mort de François Ier, comme à chaque changement de règne, tous ceux qui ont été nommés par l'ancien roi doivent être confirmés par le nouveau, moyennant le paiement d'une taxe. Le Parlement dans son ensemble (y compris les quatre greffiers) est "validé" par Henri II qui le maintient dans ses chartes et privilèges. En outre, dès l'année suivante, du Tillet voit reconduite la mission particulière que lui avait donnée François Ier (ou qu'il en avait obtenue) : mettre au net les droits et les traditions de la royauté pour justifier la lecture verticale qu'en fait le Roi.

b) Arcana Imperii

La Royauté combine une dimension "horizontale" (gouvernement par conseils) et une dimension verticale (le Roi tout puissant), dans des proportions variables selon les équilibres circonstanciels et tendanciels. Privilégier l'horizontale débouche sur la monarchie représentative, privilégier la verticale sur l' "absolutisme". Mais il faut rester prudent, ne pas confondre autoritarisme et "absolutisme", ne pas avoir du second une conception trop simple, ni surestimer la cohérence et l'influence des "légistes", ni appréhender François Ier à travers la cristallisation louisquatorzienne. Quoiqu'il en soit, que François cherche des arguments ad hoc pour légitimer ses fantaisies ou qu'il incarne à sa manière brouillonne un moment du trend "étatique" séculaire, il a besoin d'outils.

Tandis que les conseillers au Parlement utilisent leur charge comme tremplin pour se faire conseil de tel ou tel grand (contre rémunération, soutien et influence), du Tillet devient conseil du roi. Vers la fin de son règle, en 1539, François Ier a tenté, comme ses prédécesseurs, de faire ordonner le Trésor des chartes et de le réalimenter. Il en charge quatre Commissaires et le Trésorier qui, comme les précédents, échouent. Ceci peut expliquer la mission de du Tillet (alors soutenu par Poyet) qui reçoit l'autorisation exceptionnelle d'entrer au Trésor des chartes et de tout voir (lettre patente du 25 février 1541).

L'absence d'archives opérationnelles demande de collationner, en général ou sur tel ou tel thème particulier, des portefeuilles de documentation, contenant des synthèses et des listes de pièces, ainsi que des indications pour retrouver les originaux. Le greffier du Parlement devient celui de la Royauté. En effet, même si le Parlement est associé parfois aux affaires d'Etat (et s'en mêle souvent), son "métier" est la justice alors que, ici, l'Etat lui-même constitue l'objet assigné à du Tillet. Les relations entre le Parlement et le Roi étant complexes et variables, le dualisme de du Tillet devient parfois problématique. Jusqu'à quel point du Tillet est-il l'homme du Roi et du Chancelier au sein du Parlement ? Les opinions émises lors des délibérations sont secrètes et ne font pas l'objet d'enregistrements. La cour, parfois, recourt aux fuites pour s'adresser à "l'opinion publique" mais, souvent, et notamment aux moments de conflits avec le Roi, elle est surprise de s'apercevoir que celui-ci connaît ses décisions avant qu'elles lui soient communiquées, et même les délibérations. La cour se livre chaque fois à des enquêtes infructueuses. Si, ponctuellement, des partisans ou clients du chancelier peuvent trahir le secret, il est difficile de s'empêcher de penser que le greffier qui, par fonction, sait tout et recueille les opinions, était l'homme adéquat pour informer le roi en permanence. 

Ainsi, lorsque dans les années 1540 François Ier, puis Henri II (lettre patente du 22 décembre 1548), le chargent de compiler l'histoire et les formes des lits de justice (cf. la fameuse harangue du chancelier Olivier en 1549), du Tillet se trouve en opposition avec le Parlement qui alors, d'après Hanley, le double d'un autre greffier. Dans l'autre sens, après 1560, notre greffier sera avec le Parlement (doctrinairement catholique) contre le gouvernement (politiquement contraint au pragmatisme) lorsqu'ils se heurtent sur les édits de pacification [16].

Ce du Tillet dual (les deux fonctions étant tantôt en synergie, tantôt en opposition) dépend du Roi. Il nomme le greffier et peut le "dénommer" [17], quoique, en pratique, la fonction soit institutionnellement stable. Mais le travail d'archives demande, tant pour l'accomplir que pour le financer, un soutien actif du Roi. C'est donc autant par fonction, par ambition, par conviction que par intérêt, que Jean est "royaliste", comme ses ancêtres et successeurs dont, plus tard, Louis XIV perpétuera les nom et mémoire en érigeant en marquisat leur terre de la Bussière (1679) : Considérant et voulant récompenser les services du sieur Charles du Tillet, et ceux que les rois nos prédécesseurs ont reçus depuis près de trois cents ans de ses ancêtres tant en notre cour de parlement, notre chambre des comptes de Paris que dans nos armées (Saint-Allais).

Survolons le travail de notre du Tillet, reconduit dans sa fonction d' "antiquaire royal" en 1548. Les principaux résultats sont : les libertés gallicanes (1551), le Recueil des Rois de 1555 et le Recueil des Anglais de 1557.

Depuis 1547 , Henri II se trouve en délicatesse avec la papauté qu'il menace du retour à la "Pragmatique sanction" de Bourges [18]. En outre la vieille alliance avec les Turcs et les pourparlers avec les princes luthériens de la Ligue de Smalkalde gênent à la fois le pape et l'empereur. En 1551, les contentieux sur le duché de Parme et le concile de Trente exaspèrent le conflit entre le Roi et Jules III qui lui envoie son fameux bref du 21 Juillet (Romier, 1911 ; Venard, 1981). Le Roi commande à du Tillet un "mémo" documentant les Libertés de l'église gallicane. Parcourant les documents retraçant les relations des Rois et du pape, de Charlemagne à Louis XII, du Tillet conclut sans surprise : si les chefs de l'Eglise ont la charge évidente de la spiritualité, les Rois et Princes ont celle de la police publique de leur Eglise [19]. C'est la thèse classique du gallicanisme. "Gallicanisme" est une expression fourre-tout dont le pôle négatif est commun (se soustraire aux interventions du Pape) et le pôle positif variable, selon que l'on se place du point de vue des évêques et abbés, du "peuple", du Parlement ou, comme du Tillet, du point de vue du Roi : non seulement le Pape ne doit pas s'immiscer dans la politique du Royaume mais ni lui, ni même les évêques et abbés, n'ont à s'impliquer dans la police publique de l'Eglise gallicane. Les gallicans révèrent le saint Pape et condamnent la tyrannie pontificale, enlevant à la Réforme un thème populaire qui, ailleurs qu'en France, a contribué à son succès (Racaut, 1999). Dans une certaine mesure, le Concordat de François Ier avait fait la Réforme avant la Réforme en établissant les droits du roi sur le patrimoine ecclésiastique que, dès lors, la noblesse ne pouvait pas espérer s'approprier en embrassant la nouvelle religion comme en Allemagne (Hanotaux [20]).

Avec Jean de Montluc, le trop subtil évêque de Valence, notre greffier aurait poussé à la réunion d'un concile national qui aurait concurrencé le concile de Trente, pour autant qu'il en ait été question autrement qu'à titre de menace ou d'éventualité. De Thou  (éd. 1734, T2, p 101) lui attribue la responsabilité du "blocus financier" du Pape institué par l'Ordonnance de Fontainebleau du 3 septembre 1551, blocus particulièrement pertinent puisque la "pompe à finance" romaine constituait depuis longtemps un scandale religieux et gallican et que, à ce moment, le pape manquait d'argent : développant l'interdiction déjà faite en août d'envoyer des fonds à Rome, l'ordonnance, s'appuyant sur les ordonnances prohibitives jadis édictées par Louis XI, défend à toute personne de procéder à des transferts de fonds en sa faveur puisque l'argent serait employé à soutenir & faire la guerre contre nous [21].

On a dit que la réconciliation du Roi et du Pape (trêve d'avril 1552) avait rendu la position de du Tillet délicate mais il ne faut pas le prendre pour un Charles du Moulin qui, poussant à son extrême la dénonciation de Rome, reçoit le retour du bâton quand les choses s'arrangent avec le pape.

 Quelques années plus tard, en 1555, du Tillet présente à Henri II le résultat des recherches qu'il a poursuivies depuis 1541 : quatre volumes des querelles des Rois de France avec leurs voisins, un des ordonnances et un des personnes & maison royale qui en est le cœur et constitue ce qui sera appelé plus tard le Recueil des Rois : catalogue des personnes et catalogue des droits et coutumes. Marie-t-il vraiment le Droit et l'Histoire jusqu'alors disjoints ou ne fait-il que préparer ce mariage qu'effectuera du Haillan sous Henri III (Kelley, 1966) ?  En documentant les "modes d'emploi" à l'usage du Roi, il les rend opposables et aptes à être utilisés dans les contentieux pour lesquels ils ont été compilés. L'appui des archives exerce un effet de "lock in" : de telles recherches héroïques, jamais faites auparavant, conduisent à des conclusions non contestables qui fixent des tendances en traditions.

En récompense, Henri II, en 1556, lui accorde une pension. Celle-ci n'ayant pas pu être payée à cause des guerres, il lui  promet en 1557 la prochaine abbaye vacante pour le dédommager et nomme son fils Elie secrétaire du jeune dauphin en considération des bons, grands et agréables services que son amé et féal conseiller, secrétaire et greffier de la cour de parlement de Paris, Me Jean du Tillet, son père, lui avoit par ci-devant et dès long-tems faits, en sondit état, faisoit et continuoit chaque jour [22].

La même année, dans le contexte des affaires écossaises [23] et du mariage menaçant de Marie Tudor avec Philippe II d'Espagne, le Roi demande à du Tillet une compilation juridique des Guerres & Traités entre la France et l'Angleterre. Dans l'Adresse au Roy qui la précède, du Tillet, note que, si les anciennes querelles semblent estre mortes de vieillesse ..., n’y a seureté. Et, quand elles ressusciteraient, il supplie le Redempteur, Sire, qu’ (il) vous fasse bien-tost Seigneur & dominateur de ce qui leur reste encores de leurs anciennes usurpations. Le recueil d'environ deux cents pages commence par une présentation des Pays et Domination d'Angleterre puis, pour chaque règne, examine les querelles et donne l'inventaire des pièces présentes au Trésor des Chartes (traités, bulles, trêves, engagements, promesses, quittances, négociations, hommages, lettres, rooles, vidimus etc), soit un total impressionnant d'environ 1400 pièces (dont certaines doubles ou multiples) dont du Tillet précise l'intitulé, donne parfois le descriptif, indique la cotte lorsqu'elle existe et, à défaut, la localisation (par exemple : au thresor, layette non cottee & sans couvertures, trouvée sous les pulpitres[24]. Le tout se termine par une briève recollection des quinze contentieux entre les deux Rois, allant de la Couronne de France à l'arriéré des pensions et aux dettes. Le Recueil est présenté au Roi le 19 février 1558. Il tombe à point : Calais vient d'être repris aux anglais  (janvier), après deux siècles d'occupation. Les négociations de paix ultérieures avec l'Espagne et l'Angleterre conduiront au Traité de Cateau-Cambrésis (avril 1559).

Henri II meurt en 1559. Le court règne de François II (1559/1560) voit le triomphe des Guise, duc et cardinal, pour le plus grand mécontentement de leurs concurrents. Cette brève période est marquée par d'intenses tensions qu'il nous faudra examiner. La mission de du Tillet est renouvelée (lettre patente datée du 12 mai 1562, formalisant une décision de 1559 ou 1560 [25]).

Charles IX règne de 1560 à 1574 et proclame sa majorité en 1563. Malgré les "pacifications", les troubles religieux et les affrontements factieux empirent. Catherine, d'abord gouvernante puis conseillère, cherche un équilibre impossible entre Guisards et Réformés et connaît des conflits avec le Parlement catholique. En 1566, quand le Roi rentre du grand tour de France  organisé par la Reine-Mère, le vieux du Tillet lui offre ou lui fait offrir un magnifique manuscrit du Recueil des Rois de Henri II, actualisé et orné de portraits symboliques des Rois (cf. BNF). C'est le dernier geste public que nous observons : est-il politique ? ou s'agit-il seulement d'obtenir des subsides ? En 1568, Charles IX pour ses services et en compensation des pertes et dommages soufferts durant les récents troubles (la "deuxième guerre de religion") lui donne (gratuitement ?) pour son fils Jacques l'office de conseiller-clerc au Parlement vacant par la mort de Nicolle le Maitre. En effet, du Tillet n'oublie pas ses intérêts. En ajoutant aux taxes qu'il perçoit sur les copies délivrées par le greffe du Parlement, les cadeaux royaux et ses entreprises judiciaires (cf. La Renaudie), il élargit son bien et parvient à caser ses fils et à doter ses filles. Il meurt à la fin de 1570, comme son frère évêque, Jean, l'année du mariage du troisième Duc de Guise.

Outre des gains considérables, il réussit à transmettre sa charge à son fils aîné Jean et le marie à une fille de Nicolaï, Premier Président de la Cour des Comptes [26]. Elie, fait secrétaire du dauphin par Henri II, est secrétaire de Charles IX et de la Reine mère ; en 1569, il accède à la charge de conseiller-maître à la Chambre des Comptes et connaîtra une brillante carrière sous Henri III avant de devenir liguard. Madeleine épouse Jacques de Saint-André, vicomte héréditaire de Corbeil, conseiller au Parlement, puis Conseiller du Roi, puis Premier Président aux requêtes. Marie épouse Pierre Séguier, maître des requêtes puis Président à Mortier. Charlotte que nous retrouverons conduit une audacieuse carrière de fille d'intrigue sous deux règnes. Chacun d'entre eux, lors du partage successoral de 1571, reçoit plusieurs seigneuries.

L'autre postérité, celle des publications posthumes, est encore à venir. A la différence de son frère évêque, Jean le jeune, qui a donné à imprimer ses compilations savantes et, de manière répétée, son "best seller", la Chronique des Roys de France, le greffier n'a cessé d'écrire, mais c'est pour le Parlement ou pour conseiller le Roi, lui donner les avis qu'il lui demande (ou parfois ne demande pas [27]), et surtout être sa mémoire nécessaire (adresse au Roi du Recueil des anglais) : un Roi a besoin de deux dons, la bonne élection de ses plus grands ministres et la connaissance des choses passées. Si la première ne dépend que de la sagacité dont le Roi ne saurait manquer, la seconde se heurte au secret qui entoure les choses passées. Tandis que, dans les Républiques où de nombreuses personnes s'associent à la décision, toutes choses sont connues, dans une monarchie, le gouvernement d'un petit nombre procède en secret : toutes choses sont tues et seules les archives en gardent trace. Une monarchie sans archives et sans antiquaire est aveugle.

Les Recueils, comme les avis, sont présentés au Roi sous forme manuscrite. Gouverner par secret interdit de divulguer : quelques exemplaires pour les destinataires pertinents. Du vivant de du Tillet, ne paraissent de lui que deux épîtres polémiques dont nous allons parler, imprimés et diffusés malgré lui. Ce sont les textes sur la majorité du Roi, écrits après Amboise comme mémoires pour leurs Majestés (François II et Catherine) qui pour informer chacun du droit dudit Roy persévèrent à commander la dite impression. Il est vrai qu'ensuite il eut l'idée de publier un écrit pour fonder & éclairer la majorité du Roi, soit qu'il eût pris goût à la scène publique, soit qu'il voulût compléter ou reformuler une argumentation faite dans l'urgence, soit que, attaqué par les Huguenots, il désirât se défendre. Il demanda et obtint l'autorisation du Parlement ainsi qu'un privilège pour le fameux imprimeur-libraire Vascosan (arrêt du 15 mai 1563) mais, ironie, ne donna pas suite !

Aussi pouvons nous dire qu'il n'a rien publié.

2) La rupture d'Amboise (mars 1560)

On sait que, après la mort de Henri II (juillet 1559), le jeune François II se fait "confisquer" par les Guise dont il a épousé la nièce, Marie Stuart. Devenus "maires du palais", le Duc et le Cardinal gouvernent au nom du Roi, contrôlent la Reine mère, distribuent les faveurs et tiennent à l'écart les Princes du sang, Antoine de Bourbon et Condé. Leur "usurpation" est dénoncée comme tyrannie étrangère et violation des "lois fondamentales du Royaume" : la jeunesse du Roi (15 ans) aurait, dit-on, requis un Conseil de Régence présidé par les Princes. Ces derniers auraient mis fin à la répression des calvinistes que, au contraire, poursuivent les Guise. Bien sûr, les critiques ne visent pas le Roi mais les "mauvais conseillers" qu'il suffirait de remplacer par des "bons". Le Roi "tout-puissant" est un joker qui permet à ceux qui le détiennent de jouer le coup qu'ils veulent.  Le prince compte juste comme un zéro : n'ayant aucune valeur par lui-même, il en donne au nombre auquel on l'ajoute [27b].

En quelques mois, le mécontentement nobiliaire et calviniste débouche sur le "tumulte d'Amboise". Début 1560, des centaines de gentilshommes armés convergent en secret vers Blois. Ils veulent présenter une remontrance au Roi pour le ramener aux lois du Royaume, diront-ils, et, plus vraisemblablement, s'en emparer (et, à l'occasion, se débarrasser des Guise). Les Guise, prévenus, fortifient le Roi à Amboise et les conjurés sont réprimés en masse. Aussitôt après, comme effrayée, la Reine Mère entre dans la voie de la conciliation, pardonne, absout et, le chancelier Olivier décédant opportunément, nomme à sa place Michel de l'Hospital (mai 1560) : Edit de tolérance de Romorantin, Edit d'abolition de tout ce qui s'est fait dans le passé sur le fait de la religion qui réitère l'amnistie d'après Amboise [28], colloque de Poissy, Edit de Janvier.

Nous nous intéresserons avec du Tillet à la polémique sur la majorité du Roi, davantage qu'aux faits dont il faut pourtant souligner la singularité.

a) la spécificité d'Amboise

A l'encontre des épisodes de guerre civile suivants, ce premier ne suit pas le schéma de l'insurrection nobiliaire classique dont la codification traduit à la fois l'ambition et les limites : agir dans les règles contre les règles. De telles insurrections se font sous le drapeau d'un Prince du sang (de préférence, le premier, successeur désigné) et restent sous le commandement de la haute noblesse, soucieuse d'éviter les débordements guerriers et les émotions populaires incontrôlables. Comme le fera bientôt Condé, la prise d'armes s'annonce par des proclamations publiques, remontrances, requêtes, supplications qui formulent un programme et demandent son application. A ce stade, la menace militaire sert de moyen de pression. Une fois les demandes rejetées ou ignorées, on se réunit démonstrativement en armes. Après avoir compté les forces et, éventuellement, testé leur détermination dans quelques combats, une paix de compromis intervient à l'issue de laquelle les punitions sont rares ou inexistantes. Ensuite chaque camp reconstitue ses forces et on recommence.

Amboise fait exception. Condé n'a pas encore sauté le pas et reste dans l'ombre dont il sortirait pour prendre le commandement en cas de succès. C'est encore dans l'ombre que la Renaudie va chercher du soutien en Angleterre et qu'il fait deux fois le tour du royaume pour agiter mécontents et calvinistes ; dans l'ombre qu'il réunit les conjurés à Nantes où il les harangue ; encore dans l'ombre que les conjurés se dirigent vers Amboise. Et c'est en masse qu'ils seront tués et châtiés, répression qui les transformera en martyrs (cf. les pendus d'Aubigné) et, loin de saper la base sociale de Condé, lui ralliera les hésitants. "Dans l'ombre" et "en masse", voilà les différences. Les motifs étaient divers, rancœur de vieux capitaines éconduits, défense de la Réforme, haine des Guise, rivalités...Comme le but réel de la Renaudie est resté ignoré, on ne sait pas s'il allait à l'aventure ou s'il comptait sur la dynamique du combat pour exécuter un plan politique. On a parlé d'opération improvisée. C'est faux, les longs préparatifs l'attestent. Non pas improvisée, mais brouillonne dans ses moyens et ses buts (accéder au Roi) et illégitime : cette action de la "noblesse de base" souffre de l'absence de ses chefs naturels (les Princes) qui lui donne son apparence spontanée, entre requête importune et insurrection hésitante. Il en ira tout autrement d'un autre brigandage politique, la tentative de capture de Charles IX en 1567 ("surprise de Meaux") : Condé en personne est à la tête de ses troupes qui frôlent longuement celles qui accompagnent le Roi, sans véritable combat, ni véritable sanction.

A Amboise, de leur propre chef, des nobles, en masse prennent les armes contre le Roi et sortent de leur devoir d'obéissance. Et, en retour, la féroce et aveugle répression fait sortir le Roi de son devoir de justice, allant jusqu'à emprisonner et condamner Condé. Quelque chose a craqué, on est entré dans le temps des troubles. Il n'attend pas le "massacre de Vassy" du 1er mars 1562, comme a fini par nous le faire penser la force de la dramaturgie calviniste qui hyperbolise le "massacre" tandis qu'Amboise est oblitéré (improvisation, excès de zèle). En mettant à part la charge émotionnelle de Vassy, un observateur sans religion constate que la guerre civile commence à Amboise. Des deux côtés. Le tumulte valide le paradigme "catholique" : l'hérésie, en rompant la concorde, conduit à la sédition ; le remède est le retour à l'unité, donc l'intolérance. Symétriquement, Amboise oblige les séditieux à justifier l'insurrection, comme moyen de rétablir l'unité brisée par l'intolérance.

Amboise marque une césure dans le discours de la querelle entre catholiques et protestants : avant, sa matière consiste en polémiques théologiques et, pour le menu peuple, en stigmatisations, traditionnellement attachées à l'altérité (Satan, orgies, meurtres rituels, "monde à l'envers") ; Amboise fait basculer la lutte sur le terrain politique et la question du Roi arrive au premier plan (Racaut [29]).

Le tumulte, condamné par Calvin, désavoué par Condé, laisse plus de traces symboliques que documentaires. Les mutins massacrés, leurs papiers brûlés, ne restent que les condamnations ou les célébrations. La Renaudie était un homme de parole et d'épée, pas de plume. Ses harangues de Nantes ne sont connues que par ouï-dire quoiqu'on les ait publiées comme si l'on en avait le texte (cf. Varillas). Mais la pensée des conjurés est claire : ils sont la plus saine part du Royaume et, à ce titre, leur entreprise ne constitue pas une sédition mais une rébellion honorable pour chasser les mauvais conseillers étrangers, réunir les états généraux et donner au Roi le Conseil légitime que nécessite sa jeunesse. La justification d'Amboise est à double détente. Premièrement, l'obéissance au Roi, quoique le plus absolu des devoirs absolus, est disqualifiée puisque le Roi est sous influence : "Il" n'est pas  responsable, mais ceux qui gouvernent en son nom ; si Lui reste sacré, eux ne le sont pas, encore moins quand ce sont des usurpateurs étrangers, des tygres. Deuxièmement, si le roi est mineur, cela lui ôte la liberté de choisir ses conseillers (Guise) puisque les lois du Royaume ont fixé par avance son Conseil légitime : les Princes du sang et les Grands. La thèse de la minorité du Roi ne présente que des avantages pour les conjurés, pour tout le parti calviniste, et pour tous les ennemis ou jaloux des Guise.

Plus tard, à un stade plus aigu des affrontements, le Roi sera rendu responsable. Son incrimination par les "monarchomaques" (Bèze, Mornay, François Hotman), si elle n'attend pas la Saint Barthélémy, est une rupture trop forte avec l'habitus nobiliaire et la doctrine de Calvin pour s'effectuer d'un coup. Il faudra reformuler la conception monarchique ("théorie contractualiste") et construire un nouveau concept de tyran : le tyran d'exercice règne légalement et devient illégitime parce qu'il gouverne mal (Racine, 2009).

b) Défense du gouvernement : la majorité du Roi

De Thou (1734, T3, p 388 sq.) mentionne, résume et cite un Mémoire contre la puissance de la reine mère et des princes lorrains de 1559 qui, en plus de critiquer vivement le gouvernement des femmes et l'ambition des étrangers, prétend soumettre le Roi aux "lois", ce qui, en l'occurrence, le mettrait en tutelle. Le justificatif préfigure la Franco-Gallia de 1573 :

Il parut un écrit à la fin du mois d’octobre de cette année (1559), où l'on exposoit que l'Empire des Francs etablis dans les Gaules étoit fondé sur des loix; que ces peuples…avoient sagement choisi un Roi pour les gouverner non avec un pouvoir arbitraire , mais selon les loix…

Mais la conséquence est du temps d'Amboise :

que si quelques personnes, dans la situation présente, étoient en droit de gouverner, c'étoient les princes du Sang, & non des étrangers, qu'on ne pouvoir mettre à la tête des affaires sans une honteuse prévarication.

Les princes (Condé et Navarre) sont aussi au programme du pseudo Manifeste des pseudo "états généraux" de Nantes (Les Estats de France opprimez par la tyrannie de Guise, au Roy leur Souverain Seigneur) et de toutes sortes d'autres libelles. Le Duc de Guise répond en renforçant la garde armée du Roi et du Tillet sa garde "idéologique" en écrivant le mémoire Pour la Majorité du Roy trèschrétien François deuxième. Ce mémoire suscite en réponse une série de publications dont Légitime Conseil des Roys de France pendant leur jeune âge contre ceux qui veulent maintenir l'illégitime gouvernement de ceux de Guise...(attribué à Hotman) auxquelles du Tillet réplique par Pour l'entière Majorité du Roy contre le légitime conseil malicieusement inventé par les rebelles. Si certains de ces écrits ne nous sont connus qu'à travers les Mémoires de Condé, ceux de du Tillet sont publiés, sur ordre de Leurs Majestez, par l'imprimeur du Roi, Guillaume Morel, avec la signature du Tillet. En effet, le gouvernement, abondamment attaqué, est peu défendu. Il jette du Tillet et sa réputation dans l'arène pour apporter les preuves de sa légitimité, contre les arguments historiques ou juridiques des critiques (non pour autre cause que pour essayer à retirer les subiets rebelles de leur malice ou erreur, & retenir les autres en deue obeissance).

 Dans la majorité du Roy, du Tillet aligne les preuves qui établissent que les Rois de France sont majeurs à quatorze ans et que, à cet âge, ils sortent de tutelle. Avant, ils ont pour tuteur celui qu'a désigné discrétionnairement leur père, sans que les Princes du sang aient de droit naturel à être Régents, quoiqu'ils l'aient proclamé ou même revendiqué, parfois les armes à la main, pour leur honte & dommage. Pour des raisons évidentes, la mère est souvent choisie pour tutrice parce qu'elle est plus proche de ses enfants que n'importe quels autres parents [30]. Il s'ensuit que, même si le Roi était mineur, les Princes n'auraient pas de droit à le tuteller. A fortiori puisqu'il est majeur : les demandes de donner un Conseil au Roi ne sont pas recevables, il a la puissance d'apporter et d'éloigner n'importe quel conseiller. Au total, les dits Rebelles tendent à réduire la Majesté du Roy sous l'auctorité de ses sujets que Dieu a soumis à lui. S. Paul aux Romains le leur apprend assez.

Contre du Tillet, la Response au livre inscrit pour la majorité du Roy, malgré l'impression d'emportement que donne la véhémence des insultes, est soigneusement calibrée : sans endosser Amboise, elle cherche à excuser cet excès de zèle ; elle prend soin de ne pas nier l'autorité du Roi ni la bonté de la Reine mère, et ne conteste plus que les Rois soient majeurs à quatorze ans. Tout ceci accordé, la démonstration procède par distinctions. A 14 ans, le Roi sort de tutelle mais son trop jeune âge nécessite une curatelle, un légitime conseil qui le gouverne. La Reine mère a vocation à être désignée comme gouvernante mais, en l'occurrence, le Roi père, mort par surprise, n'a pas laissé de testament : il faut donc réunir les États et assister la Reine du conseil des Princes [31]. St Paul prescrit l'obéissance au Roi mais n'interdit pas de porter armes sur les champs à l'encontre des brigands & voleurs (les Guise).  Forcer le Roy serait un crime mais il s'agit seulement de lui faire entendre ce qu'il se doit à soi-mesme. Ne confondons pas les Régences qui ont été abolies et un simple gouvernement du Roy tandis qu'il a besoin de conseil pour la défectuosité de son âge...

Ces thèmes sont repris et amplifiés dans Légitime Conseil des Roys de France pendant leur jeune âge contre ceux qui veulent maintenir l'illégitime gouvernement de ceux de Guise. Le ton est plus modéré pour mieux convaincre : du Tillet ne reçoit que le qualificatif récurrent de flatteur, parfois assaisonné de considérations peu amènes. L'auteur prend du Tillet à revers et lui reproche de répondre à la question de l'illégitimité du gouvernement des Guise par des tartines sur la majorité du Roi que nul n'a l'idée de contester ! il ramasse beaucoup de paroles ensemble pour prouver ce que personne ne nie : assavoir que le Roy est Majeur, quant à l’administration de son Royaume. Où est le problème ? Il concerne le Conseil et les Princes [32] : Il n'est aucunement apparu par ce que tu as mis en avant, que les Rois en leur jeune aage ayent jamais choisi un Conseil composé d'eslrangers, qui seuls administrent le Royaume. De plus, ces étrangers-ci sont pernicieux : ils prétendent à la Couronne (légende carolingienne) et revendiquent des comtés du Royaume (Provence, Anjou) ; ils nous ont fait guerroyer en Italie pour leurs intérêts privés ; ont écrasé le peuple d'impôts et gaspillé l'argent. Monsieur le Flatteur ne prend même pas leur défense parce qu'ils sont indéfendables. Il répond à côté et contourne le point douloureux en disant "le Roi, le Roi" à la place de "Guise", afin de présenter les protestations légitimes contre eux comme des attaques contre le Roi et des crimes de lèse-majesté.

La réponse de du Tillet Pour l'entière majorité du Roi, datée du 20 septembre 1560, est adressée à la Reine-mère, ma souveraine Dame. Il prend la question à bras-le corps et répond à toutes les critiques. Accusé de défendre ce que nul ne conteste, il renverse à son tour l'argument et se félicite de son succès : grâce à lui, la majorité du Roi n'est plus discutée, non plus que l'autorité principale de la Reine Mère et la liberté de choix du Roi Père. Le débat porte sur le droit à conseiller le jeune Roi, droit que les adversaires attribuent par necessitê aux princes du sang & grans seigneurs Francois, reiectans les princes de  Guise qu'ils tiennent pour estrangers & calumnient effrontément. Nous voilà enfin sur le terrain ! Le Roy votre filx est confessé maieur de nom & non d'effet [33]. Car, si le Roi est majeur, on ne peut lui dénier de choisir librement ses conseillers : l'election par ledit seigneur & vous faicte du seruice desdicts princes de Guise ne peult estre combatue sans impugner vos auctorités & pouvoirs de choisir vos principaux ministres & vous asseruir à d’autres.

Cette fois, du Tillet n'élude pas la question de personnes : quoiqu'il n'ait rien à justifier puisqu'il suffit que les Guise aient été élus, il y aurait beaucoup à dire en leur faveur. Ils sont Francois originaires de long·temps & de nouveau grandément alliés au sang de France. On les traite d'estrangers parce qu'ils sortent de la maison de Lorraine : à ce compte, seraient à rejeter comme étrangers les grandes maisons de Bloys & de Champaigne et le Duc  de Nyvernois. Et, cette fois, du Tillet enfonce le clou : s'il est permis le dire, le Roy Hue Capet est descendu de la maison de Saxe ; regardant à la premiere origine, tous seront estrangers. Et il défend la gloire du Duc de Guise, héros de Calais, de Thionville et de Metz. Quant aux prétentions sur la Couronne ou les Comtés qu'on leur prête, ils ne sauraient les avoir en tant qu'héritiers carolingiens puisque cette race est éteinte et que leurs droits leur viendraient par fille.

On l'accuse de lèse-majesté pour avoir calomnié les Princes. Mais défendre le Roi contre les rebelles, n'irait contre les Princes...que s'ils étaient rebelles (et dans ce cas, ce ne serait pas calomnie) [34]. Nul n’a plus de respect que du Tillet pour le Sang Royal [35]. En se cachant derrière les Princes, les rebelles veulent faire croire qu'ils s'arment pour le Roi. Or on ne peut pas s'armer contre l'assentiment du Roi car Des armes es pais de son obeissance, le Roy est seul dispensateur constitué de Dieu .

Enfin, les états généraux, aussi saints soient-ils, ne sauraient contraindre le Roi. Du Tillet s'oppose à la vieille idée de monarchie populaire (contractuelle) qui deviendra bientôt le programme constitutionnel des réformés : les états généraux ne détiennent ni souveraineté, ni pouvoir ; ils ne sont rien autre que la conférence des subjects avec leur Roy, lequel ne leur accorde pas ce qu'ils demandent mais ce que, après avoir reçu leur conseil, il juge bon de décider.

Du Tillet renforce cette argumentation politique serrée par une attaque "méthodologique". Dans son premier texte, il avait donné maints exemples historiques à l'appui de sa démonstration. Les critiques les ont discutés pour les retourner. Tout ceci, dit-il, n'est qu'amusement. Seules comptent les archives authentiques, comme l'édit sur la Majorité des Rois de Charles V :

Lesdits rebelles deuroient auoir honte opposer à la verité prise es chartres, tiltres, & autres lieux autenticques marqués & dattés, vn passage desdites Annales sans poiser les autres. Les escripts mis en lumiere mesme traitans ce qui est advenu de nos iours, sont pleins de fables & remplis de nouuelles du palais (tandis que) l'ordonnance de la maiorité des Roys à quatorze ans, faite par ledit ROY Charles cinquiesme est en bonne forme, signée, seellée, publiée & enregistrée

Les annales & chroniques de France ne font pas Foy d'histoire car, sauf quelques exceptions, les chroniqueurs de ces temps ne sont pas de suffisans historiens. Il ne saurait en être autrement car les monarchies travaillent en secret. Du Tillet reprend l'idée que nous avons déjà rencontrée dans l'adresse du Recueil des anglais : dans les républiques, un grand nombre de personnes sont associées aux décisions dont les motifs sont publics, alors que, en monarchie, le petit nombre qui décide garde le secret [36]. Ils n'ont à rendre compte qu'au Prince. Lorsqu'ils manient son estat, ils le font pour lui : c'est à lui qu'ils parlent et écrivent. Ils ne sauraient trahir ses affaires en les communiquant au public, pas même à leurs amis (qui sont aussi des rivaux). Dans ces conditions, que peuvent connaître et raconter les malheureux chroniqueurs ? Etre contemporain des choses qu'on narre n'apporte aucune garantie : cela ne suffit pas pour en connaître les raisons et la vérité. Que peuvent-ils voir dans ce brouillard sacré qui entoure organiquement les affaires du Roi ? Sauf s'ils appartiennent eux-mêmes au tout premier cercle (tel Commynes), ils sont myopes ou aveugles et ne saisissent que l'apparence des choses : ils n'écrivent que fables & nouvelles de palais. Les seules choses certaines qui font foy d'histoire, ce sont les chartres, tiltres & autres lieux autenticques marqués & dattés. Là, notre greffier a l'avantage : lui seul accède aux lieux autenticques. Ses adversaires devront accepter les preuves qu'il mettra sur la table.

Plus que secrétaire du Parlement, du Tillet est notaire du Roi, conservateur de la tradition capétienne. Il condamne les Rebelles et donne au Roi les raisons pour lesquelles il doit les combattre. Ce faisant, du Tillet importe dans le débat politique sa position d'autorité dans la mémoire. L'auteur du Légitime Conseil voit bien la manœuvre et s'en offusque. Lui, il ne fait l'erreur d'attribuer la Majorité à l'évêque du Tillet. Jean le jeune n'aurait été qu'une opinion parmi d'autres : compilateur (cf. son Chronicon), il barbotte dans les annales & chroniques, comme les autres. Mais Jean le greffier écrit avec l'autorité des archives. Et Hotman (si c'est bien lui l'auteur du Légitime Conseil) ne s'y trompe pas. Il lui reproche amèrement  de prostituer aux Guise sa plume sacrée de conservateur du Royaume :

Et c'est merveille comment celuy qui a esté promeu à honneur & Dignité par la libéralité des Rois de France, & duquel la plume, selon son estat, doit estre comme sacrée & dêdiée seulement à maintenir l'équité, les Statuts & Police de ce Royaume, & l'authorité de Justice, s'est tant oublié que de donner sa plume à loage, pour escrire tant de mensonges, par les quels il veut confermer l'authorité de ceux qui ne cessent de pervertir tout l'ordre qui jusques ici a eu lieu en ce Royaume. Mais on void bien que ce flateur a mieux aimé servir à son ambition qu'au bien de son Prince, postposant toute équité à l'affection qu'il a d'agrandir sa Maison, ainsi qu'il a desja commencé, par le moyen de ceux de Guise.

(Légitime conseil, repr. In Condé 1743, Vol 1, p472)

c) Discordance avec le gouvernement

Du Tillet s'arrête là. Ou plutôt, il continue à adresser des mémoires très offensifs à leurs Majestez ou à la Reine-mère, sa souveraine dame, pour qu'elles imposent l'unité religieuse (catholique) et combattent les Réformés. Leurs Majestez louvoyantes n'auront plus envie d'en forcer la publication et du Tillet aura la loyauté de les garder secrets. La publication de Pour l'entière majorité résulte de la coïncidence entre la doctrine royale façon du Tillet et les intérêts du moment du gouvernement. Les intérêts changent, pas du Tillet : il n'est plus en ligne. Nous ne connaissons que quelques-uns de ces envois et ne savons pas combien il s'en est perdu. La mort de François II (5 décembre 1560) rebat les cartes (états généraux, "régence", Navarre, L'Hospital). Les Guise écartés, la Reine-mère s'engage dans la voie difficile de la "pacification" : les concessions aux Réformés, même significatives, ne les satisfont pas tandis que, même mineures, elles paraissent une abjuration aux catholiques.

L'édit "de tolérance" de janvier 1562, réaffirmant la répression et la punition des Réformés, autorise les prêches dans des conditions restrictives. C'est trop : le Parlement de Paris refuse en conscience cet édit fait au déshonneur de Dieu et de la Sainte Eglise son Epouse et contre le repos public du Royaume (Daubresse, 1998). Dans son conflit avec le gouvernement (conflit qui rebondira en 1563), le Parlement charge notre greffier de rédiger ses remontrances et, violant règles et usages, décide de les mettre au registre pour que le Roi les voie quand il sera majeur et, pis encore, de les faire "fuiter" : elles sont publiées illégalement au nom d'un imprimeur fictif, "à Cambray, par Nicolas Lombard" [37] (Remonstrances faictes au roy par messieurs de la court de Parlement de Paris, sur la publication de l'Edict du moys de Janvier, 1561, Repr. Mémoires de Condé, 1743, au tome 3, p 45 sq). Le Parlement résiste jusqu'au 5 mars et accompagne l'enregistrement de l'Edit de celui des lettres de jussion pour manifester sa soumission forcée à la volonté du Roi, volonté qu'en même temps il dénature par la réserve explicite de la nécessité urgente du temps et la caractérisation de l'édit comme provisoire (provisionnal) : per modum provisionis dumtaxat et jusques a ce que par le roy aultrement en soit ordonné.

En 1562, du Tillet adresse à la Reine un texte signé, que son fils Elie publiera en 1590 où il sonnera comme un manifeste ultra liguard : Sommaire de l'histoire de la guerre faicte contre les hérétiques albigeois. Ce mémoire, exploite un "standard" qu'on rencontre un peu partout sous Charles IX, la référence à saint Louis, également jeune dans un temps de troubles, également neuvième, également pourvu d'une mère régente d'origine étrangère et mal aimée [38] : âgé seulement de quatorze ans (Charles les a presque), mu et soutenu par la reine Blanche (que Catherine l'imite !), il purgea son royaume de l'hérésie albigeoise. Le Sommaire noue les deux moments ensemble en faisant de l'hérésie albigeoise la semence du calvinisme. Il lie le sort du Roi à celui de la Religion, appelle à sauver la seconde pour préserver le premier et adjure Catherine de suivre l'exemple de Blanche de Castille (cf. Racaut, 1999). L'Adresse est datée de Paris, le 1er jour d'avril 1562, après Pasques.

Il nous faut situer cette date dans une année agitée : 17 janvier 1562, édit "de tolérance" (enregistré 6 mars) ; 1er mars, "massacre de Vassy" ; 15 mars, affrontements à Paris autour de l'enterrement et de l'exhumation d'un Huguenot ;  approbation par le Parlement de la requête des curés de faire évacuer le prêche de la rue St Jacques ; 16 mars, entrée triomphale à Paris du Duc de Guise (triumvirat). Grande manifestation catholique des Pâques Fleuries. Condé quitte Paris, prend Orléans (2 avril) puis Rouen. Le 4 avril, entrée du Connétable brûleur de bancs. Le 8 avril, Condé adresse sa déclaration sur les raisons qui l'ont contraint de prendre la défense de l'autorité du Roy. Paris creusera des tranchées et le "camp du Roy" se réunira. Ensuite, victoire de Dreux (décembre), assassinat du duc de Guise (février 1563) et paix d'Amboise (mars 1563). C'est donc en plein essor des tensions et de la protestation catholique contre la "pacification" que du Tillet presse la Reine de ne pas faire de compromis.

Le mémoire se propose de représenter à vos Majestez l'histoire sommaire des moyens par lesquels fut de ce royaume extirpée et entièrement chassée l'hérésie des albigeois tant obstinée et soutenue que vingt ans de très forte rigueur y furent employés  pour l'honneur et profit du jeune Roi et sa très vertueuse mère. Vos Majestez ont sagement tenté la voie du milieu, elles trouveront ici un agenda en cas d'échec :  si la rébellion et le mespris des jeunes ans du Roy obstinément se couvre de la religion ou entreprend le changement d'icelle, vous aurez de quoi vous conduire & pourvoir à la conservation de ce Royaume car le mal présent vient du passé. L'hérésie dont saint Louis nettoya la France passa en Angleterre (Wyclif), et de là en Bohême. Depuis quarante cinq ans elle a été ressuscitée en plusieurs pays...c'est approchée & espandue (récemment) en ce dit Royaume... par le mespris de la jeunesse du Roy : est necessaire d'y mettre remedde avant que le mal soyt incurable. Du Tillet n'invente pas le thème [39] qui deviendra un lieu commun du discours catholique contre les huguenots albigeois. Sa petite centaine de pages de narration, si elle se réclame du Trésor des Chartes et abonde en sous-entendus, n'apporte pas d'argument décisif. En inscrivant la Réforme dans le long terme de l'hérésie, du Tillet réclame une action non seulement résolue mais continue (vingt ans de très forte rigueur y furent employés), au lieu du "stop and go" de la politique à court terme du gouvernement. Le message est classique : toute conciliation avec l'hérésie lui permet de se répandre. Le Royaume et la Religion sont indissolublement liés et également menacés. La Croisade prit la forme d'une confédération de barons conduite par Montfort (faut-il penser à Guise ou à Henri d'Anjou ?) et les difficultés subséquentes du Roi avec Monfort laissent voir le danger de laisser le champ libre aux barons (la future Ligue) par une implication royale insuffisante.

Que le Duc de Guise soit ou non le Montfort espéré, ce qu'on appelle la "première guerre de religion" lui vaut d'être assassiné au siège d'Orléans le 18 février 1563. La "paix" d'Amboise (19 mars 1563), traduite dans l'édit du même nom, heurte le Parlement qui refuse de l'enregistrer :  les gens de sa Cour en leurs consciences & sans offenser Dieu ne le peuvent passer car ce serait approuver deux Religions en ce Royaume & se séparer de l’unité de l’Eglise de Dieu, chose qui ne se peut ny doit faire (cité in Dupuy, Majorité, p 416). S'ensuit une sommation du Roi et un débat non conclusif : la moitié du Parlement est d'avis d'obtempérer, l'autre moitié d'en enlever l'article faisant mention du fait de la Religion. Le gouvernement se courrouce que le Parlement se soit trouvé party sur une volonté de luy qui était Roy. Il n'y a pas à départir : votre partage est nul par votre impuissance en affaires d'Estats du Roy. Au nom du Roi offensé par le partage (lequel il casse, révoque et met au néant), le gouvernement exige qu'il soit biffé et que l'Arrêt d'annulation soit enregistré (ce que du Tillet, écrivant pour le Parlement, "néglige" de faire).

Le Havre que les Huguenots avaient ouvert aux anglais leur est repris par le Roi avec le concours des mêmes Huguenots et, en juillet, la Reine Mère fait proclamer la majorité du Roi devant le Parlement de Rouen. La "loi du Tillet" de la majorité à 14 ans n'est plus contestée. Le Parlement de Paris rejette l'édit de Rouen, non à cause de la majorité mais de la cargaison clandestine couverte par ce pavillon : le désarmement de la garde bourgeoise et l'édit de pacification du 7 mars. En effet, le gouvernement a contourné l'opposition du Parlement de Paris en proclamant la majorité du roi à Rouen et en lui faisant valider en tant que majeur les actes promulgués en son nom quand il était mineur. Par cette astuce, l'enregistrement de sa majorité devient celui de la pacification et le refus de celle-ci celui de celle-là.

L'assassinat du duc de Guise en 1563 et la mort de Calvin en 1564 libèrent la subversion politique, latente depuis Amboise. La radicalisation des conceptions politiques huguenotes ne date pas du traumatisme de la Saint Barthélémy. Sans méconnaître l'évidence de l'impact de l'événement, il légitime a posteriori et popularise un axe "constitutionnel" en gestation depuis Amboise derrière les protestations d'obéissance [40]. Dès 1563, Poltrot fait figure de prophète du tyrannicide. En 1564 paraît à Lyon, alors la "Genève française", Sentence redoutable et arrest rigoureux du iugement de Dieu a l'encontre de L'impiété des Tyrans qui n'a rien à envier aux "monarchomaques" d'après 1572 : le Roy est obligé au peuple et, s'il l'oublie, il sera massacré par Dieu.

...Je confesse bien que les Roys & lezs Princes sont souverains dessus les hommes...mais quand ils perdent l'amour qu'ils leur doivent et qu'ils abusent de leur autorité, Aristote disait qu'ils ne sont plus Rois mais Tirans... Quand ils renient justice & désobéissent aux Loix, ils font chose indigne de leur royale Majesté car comme le peuple d'une sorte est obligé au Roy, aussi le Roy d'une autre sorte est obligé au peuple.

Si vous n'avez pas compris, voyez la métaphore de la "coutume des Tartares" [41]. Malheur au Roi qui néglige son devoir envers le peuple,  la vengeance de Dieu est armée : Aux mauvais Princes & cruels...la vengeance de Dieu est deue...voire quand il devrait les faire massacrer par Anges envoyez du Ciel...ou susciter hommes exprès saintement inspirés à les punir devant le monde.

On est de plus en plus loin du premier seizième siècle dont du Tillet incarne la tradition. Après que la Reine-mère ait emmené le  Roi faire son grand tour et "réconcilié" les Guise et les Chatillon (Moulins, 1566), le Roi regagne Paris le 1er mai et la Cour connaît son premier flirt huguenot (Coligny, Jeanne d'Albret). C'est alors, à contre-courant, que le vieux du Tillet offre ou fait offrir au jeune Charles IX sa dernière version de l' "absolutiste" manuscrit du Recueil des Roys, comme une tentative de lui léguer le gouvernail de ses ancêtres. La reliure est gravée de fleurs de lis d'or, complétées sur le dos d'une série de deux C entrelacés, le monogramme de Charles. La notice de chaque Roi (jusqu'à François Ier) commence par son portrait symbolique en habit de justice [42] et se termine par une enluminure à la feuille d'or.

Si la Reine mère et le Roi vont souvent, masqués, chez les marchands, pour voir, acheter ou même participer à leurs cérémonies domestiques, il semble que, en mai 1566 (le 21 ?), ce soit ouvertement et avec leur entourage qu'ils visitent Robert Estienne fils, imprimeur ordinaire du Roi. Il vient de composer le Panégyrique, ou Oraison de louange au roy Charles VIIII nostre souverain seigneur que la Reine a commandé au jurisconsulte poète Louis Charondas Le Caron. Cette séance est connue grâce aux quatrains "improvisés" qu'auraient échangés Jeanne d'Albret et Estienne, qui les aurait aussitôt imprimés sous les yeux de la Cour [43]. On ne voit pas à quelle autre occasion, en ce mois de mai 1566, le libraire aurait offert au Roi un manuscrit enluminé d'or et orné de peintures qui ne peut être que le Recueil de du Tillet : Ce livre était une sorte d'instruction sur la manière de gouverner le royaume. Et Charles IX l'accepta avec beaucoup de joie (Don Francés de Álava au Roi d'Espagne) [44].

L'adresse au Roy contient l'habituel regret du manque de financement, l'excuse de l'âge pour la rudesse de mon stile et le vieux refrain de la connaissance du passé comme chemin pour la conduite de la vie. Mais, en outre, du Tillet a actualisé la portée du Recueil : voyant que l'ignorance de l'ancienne et bonne police engendroit nouveautés dangereuses, lesquelles ont accoutumé de se glisser plus aisément dans un royaume & estat divisé comme est maintenant le vôtre qu'en ceux qui sont unis. Les "monarchomaques" emploieront des mots semblables (informer l'action présente par le passé) pour dire le contraire : se référant à un âge d'or où le Roi et le peuple communiaient, ils dénonceront la rupture intervenue depuis un siècle et la tendance "tyrannique" d'une monarchie qui a renié son pacte avec le peuple. Inversement, pour du Tillet, l'ancienne et bonne police constitue le programme de la monarchie qui ne doit céder, ni au "peuple", ni aux grands, et reste par définition trèschrétienne, ce qui implique la lutte à outrance contre l'hérésie. En reprenant sous Charles IX, au moment de l'idylle huguenote de la Cour, le texte de 1555 écrit pour Henri II, du Tillet critique implicitement les tentatives d'équilibre du gouvernement : le contenu "constitutionnel" du Recueil ressemble au manifeste d'un parti.

d) Dernières années

Restent deux textes d'après la "deuxième guerre de religion" (1567/68 : surprise de Meaux, siège de Paris, bataille de St Denis, "paix" mal assise de Longjumeau en mars 1568) : l'Advertissement  et la paix des seconds troubles (Brown, 1994).

Le premier, Advertissement envoyé à la Noblesse de France, tant du party du Roy que des Rebelles et Conjurés, publié sans nom d'auteur chez Frémy à Paris et chez Jove à Lyon, des libraires inhabituels, lui a été attribué par Barbier (1872), reprenant une note manuscrite d'un exemplaire conservé à la BN qui le donne comme auteur. Mais, à la différence du second (Escript touchant la paix..), la construction et le style de l'Advertissement ne suivent pas le "format" du Tillet. La fortune, les acquisitions foncières, l'éloignement du Parlement et la grande vieillesse (il a plus de 70 ans) ne peuvent pas l'avoir changé au point que l'émotion nobiliaire prenne soudain le pas sur les principes de la Couronne trèschrétienne : nous autres gentilshommes avons des droits et des devoirs, qui nous rendent solidaires  et solidaires avec le Roi. Le Roy ne peut estre désobéi de ses sujets que nous ne le soyons des nôtres. Nous sommes tous menacés par les Rebelles qui, au début, se contentaient de faire la guerre aux prestres et à la Messe mais aujourd'hui l'estendent aux gentilshommes, voire à leurs plus proches parents & voisins, à leurs chevaux, à leurs bourses, à leur vaisselle...S'ils vainquent, ils nous diront que par la loy de la Grace et selon la pureté de l'évangile, toutes personnes sont nées franches. La conservation de nos foyers, maisons, familles et (des) grandes franchises & libertés acquises par la vertu des dévanciers est conjointe avec celle du Roi, la belle armée duquel il faut rejoindre. Certes, ces idées (largement partagées) pourraient être exprimées par du Tillet, mais résisterait-il à ces renvois aux archives qui, plus encore que sa marque de fabrique, constituent sa manière de s'exprimer ? On s'étonne de ne pas en trouver un seul, et aussi du caractère déclamatoire du long apologue final des griefs & plaintifs de notre pauvre mère qui est la France  et s'adresse successivement au Roi, au peuple, à Dieu, aux malheureux & ingrats.

Il est difficile d'admettre que l'auteur de ce premier texte puisse être, presque en même temps, celui du second (Escript touchant la paix des secondz troubles) dont la paternité a plus de vraisemblance : écrit dans le style des précédents, son argumentation reprend celle des Remontrances de 1562 et exprime le courroux des catholiques militants contre la paix avantageuse accordée aux Huguenots criminels (Meaux) en déroute. Adressé au Roi et non publié (on ne sait pas s'il lui a été remis), le texte ne loue leurs Majestez de leurs efforts en faveur de la paix que pour qualifier de mauvaise celle qu'on fait. Les Huguenots n'ont pas respecté la paix précédente et sont coupables de lèse majesté. Il ne faut rien leur accorder. Traiter avec des rebelles et des hérétiques est contraire à la volonté de Dieu qui seul peut leur pardonner leur guerre criminelle. Le Roi est responsable devant Dieu de l'infidélité de ses sujets. Il doit la punir en écrasant les rebelles. Les concessions maintiennent la division du Royaume, favorisent la sédition et poussent à l'insoumission les fidèles sujets catholiques. La paix et la concorde ne reviendront que quand les Huguenots, battus par une guerre ouverte, se repentiront, poseront les armes et se soumettront à l'Eglise et au Roi. Le Roi doit tout faire pour rechercher cette vraie paix. Il faut surtout se garder d'une paix inique, une paix injuste. Le Roi doit inspirer la crainte et ne pas craindre.

Notre greffier meurt assez tôt (1570) pour échapper aux plus grands troubles et à la crise de succession. Il a gardé son cap en passant le premier point d'inflexion, celui d'Amboise, quand le gouvernement a commencé à tirer des bords. Il n'a pas connu les suivants, la Saint Barthélémy (1572), la mort d'Alençon (1584), la Ligue, les barricades et le meurtre royal des Guise (1588/89), la conversion de Navarre et son entrée dans Paris (1593/1595). Impossible de deviner quel aurait été son comportement. A part une minorité d'enragés de l'un ou l'autre camp, la plupart ont navigué comme ils ont pu entre des contraintes aussi opposées qu'évolutives : du Tillet ne pouvait que pencher pour la Ligue mais jusqu'où l'aurait-il soutenue ? et quelle Ligue ? aurait-il fini, comme tant d'autres, par devenir politique ? quand se serait-il rallié à Henri IV devenu légitime ? et avec quelle sincérité ? Les années 1580 connaissent des occurrences que nul n'aurait imaginées pendant les 1560 : extrapoler de celles-ci à celles-là n'a guère de sens, surtout pour un individu particulier que maints accidents personnels pouvaient affecter. De plus, ce n'est plus sa génération : les personnes alors actives en politique, nées dans les années 30/40, avaient vécu dans un état de crise récurrente et n'avaient ni les stéréotypes ni les convictions des contemporains de François Ier.

Les éditions posthumes projetteront les écrits rectilignes de du Tillet dans l'univers confus des 80, pas sa personne ! Ils soutiennent que la Couronne est d'abord trèschrétienne, ce qui signifie à la fois qu'elle ne doit rien aux "étrangers" et qu'elle ne tolère pas l'hérésie. Quid alors s'il faut choisir entre les deux ? entre l'alliance catholique avec les étrangers, le pape et l'espagnol, ou l'alliance "nationale" avec l'hérétique Navarre ?

Sans conjecturer davantage, regardons ses enfants. Qu'ils aient suivi les leçons paternelles ou réagi à leur façon aux circonstances, ils sont liguards. Qu'on en juge ! Par lettres patentes d'Henri III du 14 mai 1589 le fils Jean, greffier successeur, sera déclaré rebelle notoire avec, son frère Jacques, conseiller, et bien d'autres. Jean et Jacques feront partie du Parlement "de la Ligue" et ne se rallieront que lorsqu'il n'y aura plus d'autre solution, en 1594 [45]. En 1590, le fils Elie, brandissant la bannière ultramontaine, appelle les catholiques et français à la croisade contre les hérétiques en publiant pour la première fois le Sommaire de l'histoire de la guerre faicte contre les hérétiques albigeois de 1562 qu'il dédie au Légat du Pape à Paris, le fameux Cardinal Cajetan, et publie chez Nivelle, imprimeur de l'union. Quand Henri IV entre dans Paris, l'un des fils (Elie ?) s'enfuit aux Pays-Bas espagnols avec d'autres ultra-liguards. Et, plus tard, en 1610, la plus jeune fille Charlotte est impliquée dans le mystérieux assassinat d'Henri IV: meilleure amie du duc d'Epernon, elle fut soupçonnée de complicité  dans le régicide qu'auraient comploté le duc et la marquise de Verneuil. La connexion angoumoise (du Tillet, Ravaillac, d'Epernon) et les rencontres de Ravaillac avec Charlotte intriguent. Jacqueline Le Voyer (Escoman) accusa Verneuil, maîtresse délaissée du Roi, et d'Epernon d'avoir organisé l'assassinat par l'intermédiaire de Charlotte. D'Epernon aurait agi par ambition et/ou pour le compte de la Reine ou de l'Espagne qu'Henri se préparait à attaquer. Il faudra quand même la démission du Premier Président de Harlay pour qu'un arrêt de "non lieu" soit rendu (30 Juillet 1611). La procédure comporte de nombreuses bizarreries et les pièces en ont "disparu" [46].

3) Le Recueil des Rois en 1580

Dans la période de crise, c'est à titre posthume que le vieux du Tillet participe aux combats. Nous l'avons souligné, le Recueil n'a pas été livré au public de son vivant. Lorsqu'il l'est, sous Henri III, cette version radicale de "l'absolutisme" du premier xvi° siècle devient contemporaine de la crisis generation. L'ancienne et bonne police du Royaume, cette boussole offerte à un Charles IX louvoyant, peut-elle indiquer la direction dans la tempête ?

La première impression du manuscrit royal de 1566 (Recueil des Roys et Grandeur & excellence) se fait huit ans après la mort de l'auteur, en 1578, alors que, alimentés par le traumatisme de la Saint Barthélémy, les plaidoyers huguenots contr'un ("monarchomaques") sont déjà fortement argumentés, diffusés et implantés. La même année 1578, le calviniste Simon Goulart convoque, dans son troisième volume des Mémoires de l'estat de la France sous Charles neuvième, un autre fantôme en publiant le (ultérieurement fameux) "discours de la servitude volontaire" écrit vers 1548 par la Boétie.

a) Les éditions du Recueil

Jusqu'en 1578, circulent seulement des copies partielles. Même si les manuscrits royaux sont connus, nul ne les publie avant que les enfants obtiennent des lettres patentes du Roi  (en date du 20 août 1578) leur permettant de faire imprimer par qui bon leur semblera les oeuvres de leur feu père. Cette autorisation lève l' "embargo" qui frappait ces secrets d'Etat que Henri III "déclasse", par indifférence, par sollicitation ou parce qu'ils sont devenus sans intérêt.  L'autorisation signifie que le "premier seizième siècle" est à présent périmé et n'a plus cours, sauf à titre de curiosité. Mais l'adresse au lecteur de 1580, reprise sans changement dans les éditions ultérieures, n'hésite pas à comparer ce dévoilement des choses qui illustrent la couronne à la révolution que constitua, au iv° siècle BC, la révélation au peuple romain des secrets des procédures juridiques des Pontifes par Appius Claudius Caecus et Cneus Flavius. Si le bienfait est semblable, les conditions diffèrent : ces parallèles sont dysparallèles car la publication d'aujourd'hui ne viole pas la loi. Du Tillet a mis ensemble et digéré par ordre successif ce qui se trouve épars et mêlés en si grand tas de chartes & registres ; il l'a fait avec le perpétuel adveu et faveur de leurs Majestez dont la débonaireté & humanité paternelle envers leurs subjects a octroyé à tous gracieusement la cognaissance de ce dont la garde leur est particulière.

En 1578, paraissent deux éditions des (sic) MEMOIRES ET RECERCHES DE JEAN DU TILLET, GREFFIER DE LA COVR de Parlement à Paris CONTENANS PLVSIEVRS choses memorables pour l'intelligence de l'estat des affaires de France, l'une à Rouen, l'autre à Troyes. Leur typographie est très différente : la première très dense compte environ 300 pages, avec une table alphabétique, la seconde (qui s'affirme seconde édition corrigée & augmentée) plus aérée 600 pages sans table. Toutes deux reprennent le dernier manuscrit et son adresse au Roi Charles IX et se dispensent de tout avis au lecteur. Elles ne mentionnent ni privilège, ni imprimeur ni libraire. Celle qui se prétend de Rouen indique qu'elle a été imprimée pour Philippe de Tours, et celle de Troyes, pour Philippe des Chams. L'absence d'adresse montre que ces noms sont des leurres et l'édition illégale.

Preuve de l'intérêt de ces choses memorables, le texte, aussitôt traduit en latin pour le public germanique est publié à Francfort sur le Main l'année suivante (1579 : Tilius, Commentarii et disquisitiones de rebus gallicis). Cette version éclaire peut-être les précédentes. L'imprimeur-éditeur de Francfort est André Wechel (Vechel), imprimeur parisien exilé par la répression religieuse [47], qui, pour accéder au marché allemand et international, fait traduire en latin et publie des chroniques historiques françaises : du Bellay, Commynes, Froissart, Seyssel et, désormais, du Tillet qu'il associe dans le même livre de bonne facture au de Magistratibus Francorum de La Loupe. Wechel, entrepreneur dynamique, publie pour vendre (Brill, 2009). Du Tillet a la réputation de voir le passé, comme Nostradamus celle de voir l'avenir ! et, quoique les deux soient aussi difficiles à comprendre, ils suscitent la même curiosité. C'est vraisemblablement dans cette ligne de marché que se placent les publications de Rouen et de Troyes [48] : leur promoteur non autorisé empoche le bénéfice d'être premier à faire "fuiter" cet ouvrage secret dont on parle depuis longtemps et dont, vraisemblablement, circulaient des copies partielles.

Ce n'est que deux ans plus tard que Jacques du Puys, libraire juré en l'Université de Paris, éditeur, entre autres, de la République de Bodin (1577), fera pièce aux "pirates", en publiant le manuscrit de Charles IX, augmenté du chronicon de Jean le jeune, sous le privilège général des héritiers du Tillet et, semble-t-il, à l'initiative de Hélie, alors au faîte de la faveur royale.

A partir de 1584 (mort d'Alençon et désignation de Navarre comme successeur), et plus encore à partir de 1588, quand le discours huguenot "droitise" et que celui de la Ligue "gauchit", le Recueil, encore réédité par du Puys en 1586, apparaît trop catholique pour le premier, trop royaliste pour le second. Peut-être devient-il le programme secret des "politiques". Dans cette période, le Recueil n'est plus publié. Ce n'est que lorsque Henri IV aura stabilisé la royauté et rénové sa tradition que les publications complètes reprendront chez Houzé et Jamet & Mettayer, imprimeur ordinaire du Roi : 1602, 1606, 1607, et la dernière sous Louis XIII en 1618. Ensuite, il n'y aura plus que des exploitations partielles [49]. Notre greffier cesse d'être auteur pour devenir une autorité qu'on invoque à l'appui de questions constitutionnelles ou cérémonielles (le sacre, la majorité...), historiques ou généalogiques.

Dès 1602, les éditions ajoutent les Libertez Gallicanes et les Querelles d'Angleterre et (pour faire du volume ou pour satisfaire l'acheteur) le Chronicon de Jean le jeune continué jusqu'aux années récentes. Joint au peu de soin de l'imprimeur ou du relieur [50], ce fouillis d'annexes et de collatéraux finit par cacher la construction principale, ce qui est d'autant plus dommageable que le "message" de du Tillet s'exprime dans la structure autant que dans le contenu. Les "généalogies" ne racontent pas l'histoire des Rois, elles cartographient la maison royale dont les règles sont exposées ensuite. Le dessin, tissé de tant de fils "documentaires", montre une figure simple mais transcendante : la Couronne.

b) Le programme de du Tillet

Un Roi, une foi, une loi ! le tropisme catholique ne se sépare pas des conceptions "constitutionnelles" : le Roi est d'abord trèschrétien et tout en découle. Du Tillet s'inscrit dans la tradition que, depuis Philippe Auguste, la royauté a forgée. Etranger aux spéculations scolastiques sur la "souveraineté populaire", au modèle aristotélicien de "monarchie mixte", comme aux effets qu'en tire la rhétorique parlementaire [51], notre greffier pratique un "positivisme normatif" : il construit tautologiquement la pure monarchie à partir des archives qui ont enregistré les prétentions des rois. La méthode exclut les supputations et les débats. Si "pré-absolutisme" est une idée encore plus floue qu' "absolutisme", le mot n'est pas pour autant dépourvu de sens : "absolu" s'oppose à "relatif". Dans la seconde moitié du siècle, les polémiques pour et contre le gouvernement verront se développer une conception relative de la monarchie qui compose avec le bien public et finalement avec "le peuple". La monarchie pure ne compose pas.

Les textes de 1560, s'ils ont un caractère de circonstances, ne dévient pas de la ligne générale royaliste que du Tillet a commencé à tracer bien avant les troubles religieux et politiques, et dont il maintient les principes quand le gouvernement devient opportuniste (Charles IX). Si elles sont inégalement développées et différemment construites, les deux séries d'écrits ont le même cœur. Les textes sur la majorité, par leur forme polémique, cristallisent les thèses que le Recueil des Rois sédimente : le Recueil ne brandit pas de drapeau, il le tricote ; il ne polémique pas, il affirme ; il n'invente pas, il collectionne les archives. Rien de spectaculaire sauf le résultat. Chaque brique paraît insignifiante, mais posées à côté ou au-dessus des autres, toutes ensemble, elles font un mur qui tient par sa masse. Pas de sculptures ni d'ornements, pas de démonstrations ni de controverse. La malice ou l'innocence de notre greffier consiste à présenter une évidence.

Il ne soutient pas une théorie de la Monarchie, il soutient la Monarchie. Les thèses, à peine marquées, apparaissent comme des propriétés naturelles des objets. Ainsi la loi salique est abordée à propos de mesdames filles de France et non dans un chapitre sur la dévolution de la Couronne. De même, la problématique question de la Régence, si elle fait l'objet d'un chapitre, n'est pas présentée comme un problème constitutionnel mais à la suite des exposés sur les Roys & Roynes et avant celui sur Messeigneurs fils. La logique de cette localisation n'est pas institutionnelle mais descriptive : c'est la possibilité d'un hiatus temporaire entre le Roi père et le Roi fils qui demande d'exposer les solutions apportées. Une autre illustration : dans le chapitre consacré à Messeigneurs fils le principal point n'est pas la succession, supposée aller de soi, mais les "apanages et bienfaits" car il y va de l'intégrité du Domaine et du délicat équilibre entre la splendeur nécessaire de mgrs fils et leur dangerosité (en hautesse de coeur naist aisément convointise de régner par injustice & difficile tolérance du supérieur). Là encore, pas de théorie : ce qui est décrit, ce sont les réponses qui, en droit et fait, ont été données à la question.

Répétons le, du Tillet écrit pour le Roi et son Conseil, non pour le public. Il est mort sans publier. Son objectif est de fournir au Roi le vade mecum de sa fonction, et de le faire le plus complet possible. Aussi, plus encore que les points de doctrine, détaille-t-il autant qu'il peut la dimension rituelle et comportementale : les cérémoniaux, celui du sacre et des obsèques, le traitement des fils (apanages etc.) et des princes du sang (préséances), des pairs (leurs droits et leurs limites), le tout en fournissant l'inventaire des justificatifs susceptibles d'être allégués. Le Recueil paraît souvent plus proche des Honneurs de la Cour de la Vicomtesse de Furnes de la fin xv°, que des écrits politiques du xvi° siècle ! Mais, à la différence des Honneurs, les précédents qui constituent ou justifient une tradition, sont ici principalement juridiques [52]. Les références, tirées principalement du Trésor des Chartes, datent de la grande époque de celui-ci [53], entre Philippe V (1316) et Charles VII (1461). Volontairement ou non, du Tillet archaïse la doctrine du roi autocrate dont il fait un retour à l'ancienne et bonne police.  Ainsi, au total, la collation "archivistique" a un contenu politique.

Au-delà du caractère brouillon, inachevé et, au moins pour nous [54], confus du Recueil des Rois, sa logique est donnée par la première phrase du § introductif "de la Couronne et Maison de France" : les français ont toujours été gouvernés par Rois. Et, en complément, la première phrase du § "Titres, grandeur & excellence des Roys & Royaume de France" qui introduit le Livre II : le plus honorable titre que puisse avoir un prince ou estat est celui de Tres-chrestien.

Cette formulation, lieu commun sous Henri II, devient clivante dès Charles IX : attaquer la messe, c'est attaquer le Roi. Qualifier ceux qui donnent foy à la Sainte Messe d' idolatres & infidèles, est injure & lèse majesté car nie que le Roi soit le vrai & trèschrétien Roy... La maison, lignée et couronne de France est un des principaux argumenz & tesmoing irrefragable pour prouver devant tous infidèles, Iuifz, Machometistes, Barbares, Heretiques, la foy chretienne…estre la vraie doctrine venue de Dieu, écrit l'inquisiteur Rosier dans sa Response aux blasphémateurs de la Saincte Messe (1563, ch. Kelver). D'autre part, en 1563, lors de l'opposition du Parlement à l'enregistrement de l'édit d'aliénation partielle des biens du clergé, le Roi (par la bouche de l'Hospital) a dû justifier que lui, trèschrétien, fasse violence à l'Eglise : le Royaume et la Religion étant liés, sauver le Royaume en payant les gens de guerre, c'est sauver la Religion (serait folie penser, estant le royaulme perdeu & ruyné, que l’église…puisse estre conservée) !.

Plus tard, avec l'implication croissante du pape et de l'Espagne, la dimension politique historique reprendra le dessus : trèschrétien signifie "plus que chrétien". Les chrétiens sont soumis au pape et à l'empereur, les trèschrétiens les respectent mais n'ont pas à leur obéir. L'église gallicane et la couronne de France sont sui generis.

c) Contenu du Recueil des Roys

Les manuscrits royaux étant difficiles à lire, je me réfère à la première édition posthume, celle de 1578 (Rouen), qui en est la plus proche.

Les Mémoires et Recerches se divisent en deux livres : le premier commence par Mérovée et fait défiler ses successeurs ; le second commence par Titres, grandeur & excellence des Roy & Royaume de France et, en descendant de degré en degré jusqu'aux officiers domestiques, constitue ce que je n'ose appeler le "user's guide" de l'appareil de la Royauté. Ces deux livres n'ont pas de titre, à l'instar des Manuscrits royaux qui mettent tout à la file et ne grossoient que les têtes de paragraphes.

Le livre I (généalogies et mariages) donne à voir la continuité et la complétude de l'ordre divin qui, de "Mérovée" à Charles IX (de Hue Cappet à Henri II dans la version Henri II), a dévolu la couronne sans craindre les changements de lignées ("mérovéens", "charliens", capétiens) et les mutations de lignes (capétiens directs, Valois, Orléans). Si la lame et le manche ont changé en permanence, le couteau mystique a traversé les siècles.

Le livre II traite de la couronne et maison de France : (1) Titres, grandeur & excellence des Roy & Royaume de France (2) de l'Autorité & Prérogative des Roynes de France (3) des Sacres et couronnemens des Roys & Roynes (4) des Regences du Royaume (5) de messeigneurs Filz de France & de leurs apennages & biens-faits (6) des Mesdames Filles de France (7) des Princes du Sang de France (8) des Escus & armoiries des Roys et messeigneurs les Filz de France (9) de l'extraction & remise des Corps saincts, Oriflamme et foire du Landi à Saint Denis (10) des derniers jours, obseques & enterremens des Rois et Roines de France (11) des Pairs de France (12) des grans offices de France [55]. On le voit, la France, c'est la maison du Roi. Le Parlement, auquel un recueil spécial avait été promis jadis (la forme ancienne du gouuernement des trois estats, et l'ordre de iustice du royaume avec les changemens y survenus), n'est évoqué qu'en passant, à la rubrique du Conseil privé, à propos de la distinction des charges de ces deux compagnies et cette approche ne laisse aucune place à la mention des états généraux. Du Tillet a privilégié les officiers du Roi au détriment des magistrats du Royaume [56] que catalogue à peu près au même moment un Vincent de la Loupe [57]. Peut-être du Tillet, comme il le dit, a-t-il manqué de temps et de moyens financiers pour collationner un descriptif complet, il a commencé par le haut de la pyramide, le Roi et son appareil.

Dans le Recueil, c'est le livre II (grandeur & excellence) qui compte. Le premier lui sert de préambule (suffira, premier que d’entrer en aucune matière, deduire la genealogie desdittes trois lignees & maisons fondees en icelles) mais aussi lui donne une épaisseur de temps. Le remplissage généalogique est à la fois nécessaire et inessentiel, comme les murs et voûtes d'une cathédrale jetés entre les piliers et les nervures. En leur absence, la construction serait inachevée et prendrait l'eau mais c'est sur la structure des colonnes qu'elle repose. Du Tillet dessine l'image royale à la fois dans le temps (la succession des Rois) et dans l'espace du pouvoir (les règles de la Couronne). Il prend pour encre celle des chartes ; pour pinceau, la Providence.

Il est presque superflu de noter que du Tillet rejette toute tradition d'élection du Roi par les Grands ou les États. Il réduit leur intervention à la ratification du choix opéré par la providence divine à travers la transmission héréditaire :

ces mots de l'élection...doivent être pris et entendus pour déclaration, acceptation & submission au roi élu, destiné & prédestiné de Dieu qui l'a conservé & fait le plus proche de la couronne, non pour aucun droit aux sujets de donner le royaume par voix ou élection...(p145, des sacres) [58].

L'affaiblissement du pouvoir royal, les minorités à répétition et la décomposition politique résultant des oppositions religieuses, feront resurgir l'idée de la participation du "corps politique" (quel qu'il soit) au choix du Roi, idée pernicieuse que du Tillet combat par avance en lui opposant la providence divine à laquelle seule appartient de mettre & oster les rois. Il s'agit de la conception même de la royauté comme médiation entre Dieu (qui "élit" le Roi) et les sujets [59].

De ce fait, de tous temps, le Roi a appelé qui il voulait à son Conseil (auquel ni les princes du sang [60] ni les pairs ni les grands n'ont de droit naturel) ; de tous temps, le Roi, en lit de justice, a exercé directement le pouvoir judiciaire et législatif qu'il délègue au Parlement (le Roy parle absent es arrests du Parlement) ; de tous temps, l'honneur de la noblesse réside dans l'obéissance au Roi. Et la "démocratie germanique" qu'a cru voir Tacite n'est pas la matrice de la monarchie mais une vieillerie de sauvages.

On est loin de la "constitution mixte", façon Aristote, que propagent et exploitent les huguenots insurrectionnels des années 1570, pour associer "harmonieusement" (Hotman) le Roi, les grands et le "peuple" et, en vertu du pacte originel, contraindre le Roi à respecter son contrat. Les états généraux [61] constituent et symbolisent la monarchie composée. Non, dit du Tillet, la monarchie française est, strictement, le gouvernement d'un seul, un Seul qui a été élu par Dieu.

Paradoxalement, du Tillet utilise la critique historique pour effacer l'Histoire (les chroniques) au profit d'une assomption royale qui s'appuie sur l'autorité intemporelle des actes authentiques. Argumentant l'incapacité de Mesdames filles de France à succéder [62], il récuse la loi salique par un raisonnement en deux temps : d'abord, la "loi salique" de dévolution de la Couronne n'existe pas, la vraie loi salique (et il a raison) dispose généralement que s'il y a enfans mâles les femelles n'héritent qu'ez meubles & acquêts, non en l'ancien patrimoine...par la dite loy salique, quand n'y avait fils, les filles héritoient en l'ancien patrimoine (p 173); ensuite et surtout, le roi, puisqu'il est le Roi, ne saurait être soumis à une loi. Ce n'est pas la loi salique mais la coutume perpétuelle et la magnanimité des français qui excluent les filles parce qu'ils ne peuvent souffrir d’estre dominez par femmes [63] qui, de plus, par leur mariage, pourraient transférer la Couronne aux estrangers (p 172).

Le Roi, auto-référent (autocrator), n'hérite pas de la couronne. Il ne la reçoit pas de son père, encore moins des Grands ou du corps politique, mais de Dieu : du Tillet invoque les preuves contre les fables et les utilise pour forger une fable d'un ordre supérieur.

Quand du Tillet meurt (1570), Charles IX régnait encore, deux frères successeurs se tenaient en réserve, et des fils pouvaient encore naître. Du Tillet n'a ni vécu ni imaginé la crise de succession qu'ouvrira le décès du dernier frère royal en 1584 (François d'Alençon, duc d'Anjou), ni le heurt subséquent des prétendants, ni le durcissement des affrontements politico-religieux. Du Tillet, en soustrayant la succession aux Lois et en l'impartissant bibliquement (Daniel) à la providence divine à laquelle seule appartient de mettre & oster les rois, justifiait tout d'avance. Si nul ne devine lequel des prétendants Dieu désignera, il ne saurait être autre que chrétien (catholique). Une fois le Roi apostat (Henri III) "ôté" par la Providence, elle pouvait mettre à sa place un Guise ou un Lorraine, soutenu par le pape et les puissances catholiques. Et finalement, Navarre, triomphant devenu catholique, ne fait-il pas figure d'élu ? Les personnalités importent moins que la fonction. La légalité, l'hérédité, ne pèsent pas devant la Providence.

Du Tillet méprise les fables tout autant que les spéculations scolastique. Il va tout droit. Au lieu de s'embarrasser de la généalogie "carolingienne" des Lorraine, il la  nie nettement. Il n'élude pas non plus l'usurpation de Capet [64] dont il introduit la rubrique de manière singulièrement abrupte : puis que Hue Capet devint Roy, il est à propos de déduire sa généalogie et son règne. Dans sa factualité, le propos est ambigu, surtout adressé au Roi régnant, descendant et successeur de Capet. Du Tillet n'accepte pas le "standard" selon lequel le dernier carolingien, Charles "de Lorraine", rejeté comme "étranger", les mains des Grands (des États, diront les "monarchomaques") mirent la Couronne sur la tête de Capet. Du Tillet, n'admettant d'autre électeur que Dieu, préfère la nudité d'un coup d'état sanctifié par la réussite à un habillage juridique plein de trous. Pendant les années 1580, on parlera beaucoup des dévolutions irrégulières, Philippe V, Capet, et aussi Pépin qui se substitua à Childeric : la fameuse sentence du pape Zacharie (que celui qui exerce véritablement le pouvoir porte le titre de roi) est-elle constitutive ? Le pape fait-il les Rois ? Ou donna-t-il seulement sa bénédiction ? La réponse intéresse la succession de Henri III : le pape peut-il donner la couronne trèschrétienne (Guise, Lorraine ou Espagne) ? Du Tillet répondrait par un non constitutionnel et par un non gallican. Le pape ne peut rien mais Dieu peut tout.

On voit cette conception à l'œuvre, plus de vingt ans après la mort de du Tillet, dans les instructions du Duc de Lorraine à son représentant Bassompière à l'appui de sa candidature à la Couronne (États de la Ligue de 1593). Les instructions, entre autres arguments, n'oublient pas d'insister sur l'élection divine. Le sang ne met pas les Lorraine à la première place [65] mais le sang n'importe que s'il plaît à Dieu. Du Tillet aurait pu écrire cette phrase du "mémoire Vroncourt" :

...mêmement, y a encore plus d'apparence es royaumes chrestiens d'en remettre à nostre Dieu, roy des roys, la disposition par l'invocation de son esprit et eslection d'un vertueux prince, restituteur de l'estat, que de se tenir tousjours a la superstition de l'aucthorité vaine du sang des roys décédez…congnoissant la principauté estre plustost une fonction, et charge des peuples commis de Dieu, qu'une propriété de fonds de terre héréditaire (p24).

Conclusion

Jusqu'à Amboise, la guerre idéologique reste sur le terrain religieux (idolâtrie/hérésie), avec ses collatéraux persécutifs (orgies sexuelles, crimes rituels, attaques personnelles). Amboise la porte sur le terrain politique, à partir des accusations réciproques de capture du Roi. Si la Saint Barthélémy assumée par Charles IX dissipe la fiction de son innocence et durcit la pensée des rebelles, l'idée "monarchomaque" de la relativité du Roi ne date pas de 1572. Elle était déjà à l'œuvre dans la querelle sur la majorité de Charles IX. La Sentence redoutable de 1564 exprimait des idées déjà dans l'air : comme le peuple d'une sorte est obligé au Roy, aussi le Roy d'une autre sorte est obligé au peuple. Cette "obligation" sera pensée et plaidée avec des arguments historiographiques, juridiques et politiques [66]. Le Roi relatif est l'antithèse du Roi absolu. Relatif à quoi ? au "peuple", non pas au gros populas, mais à la sanior pars, représentée par les Grands ou la noblesse, par les États généraux, le Parlement ou les "magistrats inférieurs" (de Bèze, 1574).

Dans un style biblique et pour répondre aux scrupules de conscience calviniens, de Bèze (du droit des Magistrats sur leurs sujets) pose 1) que les peuples ne sont pas creez pour les magistrats mais les magistrats pour les peuples comme …le berger pour le troupeau & non le troupeau pour le berger ; 2) que les magistrats inférieurs, nobles et édiles municipaux, ne tiennent pas leurs pouvoirs du Souverain mais de la Souveraineté qu'ils incarnent localement. Donc c'est à eux de s'opposer, par remontrances et jusque par les armes et l'appel aux étrangers, à un tyran manifeste qui renverse tous droits divins & humains par son serment à l'antéchrist romain. Ensuite, ils assembleront les États qui régleront tout au mieux. De Bèze sait qu'il s'engage dans un passage fort glissant : comment appeler à l'insurrection politique sans libérer le monstre horrible de la révolte des enragés anabaptistes & autres séditieux & mutins ? en circonscrivant le droit à l'insurrection : seuls les magistrats inférieurs peuvent et doivent combattre le tyran qui a renié son contrat avec le peuple. Pour les autres, les personnes privées, pas d'autre remède que de patience & de prières.

N'imitons pas certains romantiques qui ont voulu voir dans la "monarchie populaire" une préfiguration démocratique : peuple exclut le "menu peuple", les masses laborieuses. Le "peuple" n'est autre que le triple corps qui députe aux États : les évêques, les nobles et les bonnes villes. Quant aux masses, elles ne sont que confusion, ignorance et violence, un danger latent dont on menace les adversaires et les hésitants. Les prises d'armes huguenotes sont nobiliaires.

Notons, sans entrer ici dans la discussion, que, comme bien d'autres thèmes de cette guerre idéologique, celui de la monarchie composée n'est pas neuf. Son durcissement résulte d'un développement circonstanciel et non d'une rupture "renaissante" ou d'une extension du "libre examen" de la théologie à la politique. Les idées vraiment neuves sont rares et les vieilles ne poussent pas dans le vide : d'une part, elles naissent des spéculations et controverses passées et s'appuient sur elles ; d'autre part, elles s'adaptent empiriquement aux conditions du discours et se répondent les unes aux autres. Ainsi, avant Amboise, l'accusation d'orgies sexuelles avait été retournée par les calvinistes qui, la rapprochant des dénonciations qui frappèrent les premiers chrétiens, en firent la "preuve" de leur héritage (vraie église). Sous François Ier et Henri II, la répression des réformés ne constituait pas encore un thème politique, ni d'un côté ni de l'autre. C'est après Amboise, les prises d'armes, les guerres et les pacifications, que les calvinistes, pour concilier le principe organique de l'obéissance à la figure du Roi et la réalité de la désobéissance à sa personne, explorent et exploitent la dimension "horizontale" de la monarchie, de la république grecque d'Aristote à Seyssel via Thomas d'Aquin, et la mettent en forme en mobilisant tous les artifices rhétoriques que le Parlement avait forgés.

La ligne "absolutiste" de du Tillet est d'autant plus droite qu'elle est tracée pour toujours : il est mort et ne modifiera rien. Contre les nouveautés dangereuses de la pensée politique des Huguenots oppositionnels, religion et politique sont en phase. Ce n'est plus le cas lorsque, Navarre devenu héritier, puis successeur, les Huguenots deviennent gouvernementaux. Les fronts se renversent et chaque parti fut obligé de se réfuter lui-même (Bayle, Dictionnaire, § Hotman) : la Ligue, contre ce roi, subordonne l'hérédité à la volonté populaire (Weil) tandis que les Huguenots et les catholiques ralliés combattent pour les droits du roi !


 

Références

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  • Tillet, Jean du, 1551, Memoire et advis de maistre Jean du Tillet, protonotaire et secrétaire du Roy très-Chrétien, Greffier de sa Cour de Parlement, sur les libertés de l’Eglise Gallicane, 1594, Repr. in Tillet, Jean du, 1602, Recueil des Rois, ch Mettayer
  • Tillet, Jean du, 1560, Pour l'entière majorité du Roi, Paris, ch. Morel, imprimeur du Roy
  • Tillet, Jean du, 1562, Sommaire de l'histoire de la guerre faicte contre les hérétiques albigeois, publié en 1590 ch. Robert Nivelle
  • Tillet, Jean du, 1578, Mémoires et Recherches de Jean du Tillet, Rouen, Ph. de Tour (édition non autorisée)
  • Turner, 1905, "A neglected scolar of the 16th", In Fotheringam, The bodleian Manuscript of Jerome's version of the chronicle of Eusebius.
  • Ullmann, Walter, 1961, The Principles of Government and Politics in the Middle Ages
  • Venard Marc. 1981, "Une réforme gallicane ? Le projet de concile national de 1551", In: Revue d'histoire de l'Église de France. Tome 67. N°179, 1981. pp. 201-225.
  • Weill, Georges, 1892, Les théories sur le pouvoir royal en France pendant les guerres de religion
  • Wild Francine, 2011, Epopée et mémoire nationale au XVIIe siècle, PU Caen

Notes

[1] En lui offrant cette charge, le 8 janvier 1515, le souverain s'exprime ainsi: Nous, ayant en mémoire et singulière recommandation, les bons, grands, notables, laborieux, continuels et recommandables services de notre amé et féal conseiller M. Elie du Tillet, président de nos comptes en Augoumois, a par ci-devant et dès long-tems faits à notre très-chere et très-amée dame et mère, et à  Nous, tant à l'entour de sa personne et de la nôtre que en la charge et conduite des siens et des nôtres principaux et plus grans affaires et de notre état et maison où il s'est toujours très-bien et vertueusement employé et acquitté, sans aucunement y épargner sa personne ni ses biens, en quoi il a supporté de grands fraix et dépenses en très-grand soin, peine, labeur et solicitude continuelle, et jusqu'à ceslui notre nouvel joyeux avènement à la couronne, fait et continu chaque jour, à celui pour ces causes, etc. (Saint-Allais, 1817, Nobiliaire universel, T12, p 152)

[2] La parité entre clercs et laïcs autorise la prétention du Parlement à juger les causes ecclésiastiques. Il y tient beaucoup et proteste contre l'affectation de plus en plus fréquente de laïcs mariés à des offices clercs moyennant dispense royale. L'office de Greffier civil étant clerc, Nicolas Pichon était déjà inopportun. A sa mort  (7 août 1518), le Parlement, revendiquant son droit d'élection, choisit aussitôt (le 12) son successeur parmi les gens d'église déjà en poste. Par scrutin ouvert de l'assemblée des chambres, la cour établit une liste de trois pour la présenter à la nomination du Roi : Loys Pommier, licencié en décret, clerc du dit greffe civil ; Jehan Parent, notaire et secrétaire du Roy ; Jehan le Clerc, notaire du Parlement. Un second vote, à l'unanimité, désigne le premier que le Parlement demande au roi de confirmer. L'affaire traîne et, finalement, Séraphin du Tillet est nommé par le roi et reçu à contre-cœur le 4 février 1519 par la cour, triplement mécontente : à cause de son droit d'élection baffoué, de la désignation d'un laïc pour cet office et de la manière dont le roi l'a vendue (cf. Aubert, 1912, p255).  Un certain Loys Pommmier, prêtre et premier clerc du greffe, fut réélu /conseiller/ jusqu’à trois fois, toujours en première ligne : le 14 novembre 1517 par 44 voix, le 25 mars 1525 à l’unanimité, le 29 juillet suivant par 57 voix, entre temps élu encore, seul cette fois, à l’office vacant du greffe civil, chaudement recommandé au roi et à sa mère par les lettres les plus pressantes et jamais accepté (Maugis1913, T 1, p 172).

[3] Jean qui obtiendra la survivance de son père : reçu protonotaire et greffier le 24 juil 1552, il assiste son père et, plus tard, le remplace ; il épousera en 1567 la fille de Nicolai Premier Président à la Chambre des Comptes ; Elie qui sera sr de Loré & Marçay et général réformateur des eaux & forêts ;  Jacques qui sera conseiller-clerc au Parlement en 1569 et sr de Puy-Robert ; Louis, sr de Boisruffier ; Séraphin, abbé, aumonier de la Reine Mère en 1582 ; Madelaine qui épousera Saint-André vicomte de Corbeil, conseiller au Parlement, conseiller du Roi, puis Premier Président aux requêtes ; Marie qui épousera Pierre Séguier, futur President au Parlement ; Charlotte qui sera Dame de Lassay, dame d'honneur de la Reine Mère sous Louis XIII.

[4] De 1564 à sa mort en 1570, par permutation proposée par l'évêque en titre, Louis de Brézé, à son retour du Concile de Trente. Toutefois, en résignant, Brézé se réservait la collation des prébendes de Meaux, ce qui fut invalidé par la Cour de Rome et entraina un procès entre lui et Jean du Tillet qui durait encore à la mort de ce dernier. Brézé qui, pendant ce temps, n'avait pas même pris possession de son évêché de St Brieux, réclama celui de Meaux qu'il obtint par arrêt du Parlement du 3 avril 1571, rendu contre Jacques du Tillet, agissant vraisemblablement au nom de son oncle défunt (Du Plessis, Toussaint, Dom-, 1731, Histoire de l'église de Meaux, Paris, Gandouin et Giffart). Brézé ne résidera guère à Meaux, étant occupé à Paris des affaires de la Ligue : il sera président du Conseil Général de l'Union  et garde des sceaux de la Ligue en 1589. Neveu du mari de Diane de Poitiers, Brézé avait été fait grand aumonier de France et trésorier de la Ste Chapelle sous Henri II.

[5] Mentionnons : Imbert, Jean,1552, Les quatre livres des institutions forenses ou autrement Pratique judiciaire de Maistre Jean Imbert, Paris, ch Jean Ruelle ; La Roche Flavin, Bernard de-, 1621, Treize livres des Parlemens, Genève, ch. Berjon, Livre II, CH 8 & 9 ; Girard & Joly, 1638, Trois livres des offices , Paris, ch. Richer, Livre I, Titre X, des greffiers du Parlement et additions p cxxiij et sq ; Lot Henri, 1858, Essai sur l'histoire et l'organisation du greffe au parlement de Paris, depuis les origines jusqu'au seizième siècle, thèses Ecole des chartes ; Aubert, Felix, 1912, Recherches sur l’organisation du Parlement de Parix au xvi° siècle, CH VIll Greffes ; greffiers et notaires du Parlement ; Dalsorg, Émeline, 2008, Rendre la justice au Parlement de Paris sous la ligue (1589-1594), thèses Ecole des chartes, P2, CH1.

[6] Par exemple, à l'occasion des grands jours qui durent plusieurs semaines ou plusieurs mois : du Tillet assure le greffe des grands jours de Poitiers en 1531, de Tours en 1533, de Moulin en 1534, d'Angers en 1539, de Moulins en 1540, de Poitiers en 1541, de Riom en 1546 (Grün).

[7] Avant tout, le greffier civil veille à la mise au rôle, à la rédaction et à la transcription des actes, des pièces de procédure et aussi à leur conservation; sur l'ordre des présidents, il signe les commissions d'enquêtes et reçoit les accords dûment conclus ; lorsque le Parlement a décidé l’enregistrement des actes royaux, des traités signés par le roi, des arrêts, etc., c'est le greffier civil qui procède à toutes les formalités nécessaires ; quand on vote, il consigne sur son registre les noms des candidats, ceux des votants et les résultats des scrutins. Il met au net les plaidoiries, tient un registre spécial des affaires du roi et du domaine royal, ainsi que des lettres patentes et des missions adressées à la cour. Pour qu'il écoute mieux à l'audience, il lui est défendu de rien signer pendant sa durée ; car il doit tout retenir, recueillir les arrêts, et rectifier au besoin les erreurs du clerc audiencier chargé spécialement de les transcrire… L'achat et le soin matériel des registres, leur reliure, leur transport, le soin des sacs où s'empilaient les pièces de procédure appartenaient au greffier (Aubert, op. cit, p. 260/261)

Rédacteur et notaire, il est aussi dépositaire responsable des sommes d'argent et des objets précieux consignés par les plaideurs ou déposés en garde à son greffe... Si le roi, pressé d'argent, demande à emprunter ces sommes ou ces valeurs précieuses — le cas n'est pas rare — il peut les obtenir du greffier en remplissant les formalités d'usage (id. p 258).

[8] Du Tillet réclame vainement un lieu fermé où les registres pourraient être attachés par des chaînes à des pupîtres. On lui attribue deux chambres dans la tourelle mais l'aménagement n'est pas entrepris. Encore en 1568, à la suite de la découverte d'une rature non justifiée en marge dans la transcription d'une minute, le fils du Tillet rappela à la cour qu' il y a longues années que sondit père a requis avoir lieu seur pour tenir lesdits registres (Grün, p XL).

[9] Grün, Alphonse, "Notice sur les archives du Parlement de Paris", in Boutaric 1863, Actes du Parlement de Paris, p xvii: Y eut registre secret faict par la Cour, du vouloir du Roy, après les remonstrances d'icelle fondées sur l'ordonnance du domaine de la couronne et serment du Roy; lequel registre monsieur Me Martin Ruzé, conseiller et rapporteur, a retenu par devers luy et ne le m'a voulu bailler combien que je luy aie souvent demandé et après son decez faict chercher en sa maison où il n'a esté trouvé ; ce que je certifie pour la conservation du droit du Roy et ma descharge. Signé Dutillet. Il s'agissait du don du duché de Châtellerault , accordé en février 1548 au comte d'Haran, gouverneur du royaume d'Ecosse

[10] Depuis qu'avait cessé l'usage de publier les arrêts en les lisant dans un lieu consacré à ce mode de publication, les parties n'avaient immédiatement connaissance que des arrêts prononcés en audience publique, mais non de ceux qui étaient rendus à huis clos ou au conseil. Elles étaient intéressées à demander communication au greffe des décisions rendues pour ou contre elles ; on ne voit pas que , dans les anciens temps , on la leur ait refusée. En 1546, le Parlement, se fondant sur le danger des soustractions, défendit aux greffiers de communiquer aux parties, à leurs avocats ou procureurs, les jugés et les arrêts prononcés, leur permettant seulement de délivrer des expéditions. Le danger signalé était-il réel, ou le greffier en chef, du Tillet, a-t-il voulu obtenir, par la multiplication des expéditions, l'accroissement des produits de son greffe? (Grün, p L)

[11] Les résignations au profit d'un successeur désigné sont alors devenues banales. Elles se font par testament ou de vivo, au profit d'un fils ou d'un parent, mais aussi au profit d'un tiers (par exemple résignations croisées moyennant finance déguisée). Le résignant stipule les droits et avantages qu'il conserve et le résignataire (qui doit être reçu par la Cour), ou bien attend la mort du précédent, ou bien est associé à sa charge et fait ce que le premier ne veut pas ou ne peut plus faire. L'absence de gages ne fait pas problème car, d'une part, ils sont rarement payés, d'autre part la fonction n'est pas un travail salarié mais un moyen de pouvoir et de profits.

[12] Les droits du frère du Tillet étaient attestés par la résignation en sa faveur du précédent titulaire dont deux français, gens d'église firent disparaître la preuve en déchirant deux pages de registre à la Chancellerie du pape. Revenus en France, ils furent arrêtés et déférés au prévôt (Claude Genton). Pour les condamner, il fallait les confronter aux témoins qui étaient à Rome. Du Tillet obtint un bref du pape (Paul III) en vertu duquel il demanda au Roi de les faire mener (à Rome) à ses depens par des Archers du Prevost Genton ce que le Roi refusa plusieurs fois pour n'abandonner ses suiets à autre iustice et n'accepta finalement qu'à la condition qu'ils seraient ensuite renvoyés en France pour être punis, ce dont fut chargé l'ambassadeur (cas cité dans les Remontrances de la Cour à propos de ce qui avait été fait à Rome contre l'évêque de Noyon, registré à la date du 3 Mars 1555, in Dupuy, 1651, Preuves des libertez de l'Eglise Gallicane, Paris, ch. Cramoisy, §25, p 56).

[13] Varillas, Tome 2, 630 sq ; -1776, Histoire du procès du Chancelier Poyet, pour servir à celle du regne de François I ; Porée, Charles, 1898, Un parlementaire sous François Ier : Guillaume Poyet, Angers ; Parrot, Armand, 1867, Messire Guillaume Poyet, chancelier de France, E. Dentu, Paris ; Deubel, Maurice, 1900, Guillaume Poyet, avocat et chancelier, Université de Nancy. Faculté de droit

[14] Des faux avaient été commis à son profit, même Haag le reconnaît. Il le disculpe en en rejetant la responsabilité sur Loménie, condamné avec lui, et en inventant des lettres de rappel de ban que Guise, poursuivant sa bienveillance, lui aurait obtenues de François II.

[15] Selon La Planche, 1576, à l'avènement de Henri II, la peur de perdre la vie, les biens et les estats conduit du Tillet à leur vendre son âme (et sa plume) que le jeune Cardinal achète lorsqu'il voit l'intérêt pour lui d'un mode d'emploi tout prêt de la royauté : Le Cardinal, de sa part, ayant fait feuilleter ces livres par les gens doctes qu'il tenoit près de soy pour l'instruire es affaires qu'il devoit proposer au Conseil, où il étoit alors fort neuf à cause de son jeune âge et inexpérience, trouva par leur rapport que ces labeurs lui pourroient grandément ayder et servir.

[16] En outre, l'absence du Roi et la difficile situation politico-militaire de Paris pousseront le Parlement à prendre des responsabilités politiques qui dépassent ses fonctions de police (répression des Huguenots, appel aux armes, fermeture des portes).

[17] Comme les charges de conseillers, celle-ci n'est pas encore vénale. Même si, en fait, elles s'obtiennent contre argent ("don", souvent déguisé en prêt), elles sont réputées gratuites et chaque nouveau reçu doit jurer qu'il n'a rien payé. Les embarras financiers ultérieurs des fils de Henri II conduiront à multiplier les ventes d'offices.

[18] Cf. ses instructions du 12 août 1547 à son ambassadeur auprès du concile, Claude d'Urfé : Le roi y exposait, avec une réelle vivacité, les revendications de l'Église gallicane (Romier, 1911).

[19] L'Advis sera publié en 1594, vraisemblablement à l'appui du Traité des libertés gallicanes de Pithou (qui sera ultérieurement attribué à du Tillet), dans le cadre du bras de fer entre Henri IV et le pape.

[20] La France…est un pays, en effet, où la réforme sembla tout d'abord se propager rapidement; puis elle s'arrêta, reprit, fut parfois victorieuse, parfois vaincue, jusqu'au jour où la religion traditionnelle l'emporta. Finalement, il ne resta plus au culte réformé qu'un résidu d'adhérents, si je puis employer cette expression, qui, en deux siècles, ne s'est pas accru. (Hanotaux, 1886, "Contrerévolution religieuse au xvi° siècle", p 100)

[21] Monstrent bien par cela nostre dit Saint Père qu’il veut préférer ses passions particulières au bien public & général de la Chrétienté…& considérant d’autre part le grand argent qui se tire ordinairement de nos Royaume, païs, terres, seigneuries et subjects…en cour de Rome: lequel argent ne peut maintenant estre employé ailleurs n’en autres autres effects qu’à soutenir & faire la guerre contre nous…Nous…avons par ces présentes…prohibé & défendu…à toutes personnes…que ils ne soient si osez ne hardis d’expédier n’envoyer en Cour de Rome…aucuns courriers n’autres pour y faire tenir par voye de banque ou par quelqu’autre voye…or ou argent monnoyé ou à monnoyer.

[22] Cité par Saint-Allais, 1817, Nobiliaire universel, Vol. 12. Devenu seigneur de Gouaix par le partage de 1571 entre les héritiers du greffier, en 1572 Henri III le nomme grand-maître, conseiller-enquêteur et général réformateur des eaux et forêts de France puis maître d'hôtel ordinaire. Il épouse en 1572 la fille de Jacques Viole, conseiller au Parlement.

[23] La séculaire alliance de revers contre l'Angleterre entre la France et l'Ecosse a été ravivée par les deux mariages français de Jacques V ( Madeleine, fille de François Ier, puis Marie, fille de Claude, Duc de Guise) et les difficultés de la succession de Henri VIII.

[24] Pour un règne, le nombre de pièces reflète à la fois la conjoncture diplomatico-militaire et l'état de la structure d'archivage (dépôt au Trésor) qui est à son optimum sous Charles V (Montaigu). Les pièces commencent à Philippe Auguste. Le plus grand nombre de références (environ les 2/3 du total) correspondent à la guerre de cent ans (de Phillippe VI à Charles VII). Elles deviennent rares à partir de Louis XI quand le Trésor des Chartes retourne au chaos (12 références pour Louis XI alors que le règne de Charles VI en comptait 228). Elles ne reviennent sous François Ier que grâce au coffre des Chanceliers résultant des récupérations ou saisies sur les Chanceliers de François. Dans l'état de confusion où était le Trésor, on ne s'étonne pas que la layette Anglia ne soit qu'une source parmi beaucoup d'autres et on est poussé à l'indulgence pour les méthodes parfois cavalières de du Tillet.

[25] Une lettre-patente du 12 mai 1562 au nom de François II renouvelle la commission de du Tillet au Trésor des Chartes : Commission pour visiter et enregistrer par ordre pour plus grande seuretté les chartres, titres, papiers et enseignemens d'importance estans au Tresor des chartres à Paris.  Vraisemblablement, elle reprend le texte des mandats précédents (cf. Omont, Henri, 1904, “Jean du Tillet et le Trésor des Chartes (1562)”, Bulletin de la Société de l'histoire de Paris, XXXI).

[26] Il aurait été pourvu de cette charge par lettres de Henri II du 24 juillet 1552. Il épousa en septembre 1567, une fille de Louis-Aimar Nicolaï, premier président en la chambre des comptes de Paris. Il parvint lui aussi à transmettre sa charge à son aîné Jean (1588) qui la passe à son fils François (1638) qui la transmet à son fils Jean-François  (1666) qui meurt sans héritier en 1711. Ainsi, en comptant le premier Jean, en presque 200 ans, cinq générations se succèdent à cet office.

[27] Pour combattre les pacifications et demander la répression la plus absolue des Réformés : Sommaire de l'histoire de la guerre faicte contre les hérétiques albigeois (1562), Mémoire envoyé au Roi pour le jugement des rebelles (probablement après la paix d’Amboise de 1563), Escript touchant la paix des secondz troubles (1568) : Brown.

[27b] Michel Hurault de l'Hospital (petit fils préféré du chancelier), alors au service du roi de Navarre, rapporte (Excellent et libre discours, sur l'Estat present de la France par un docte personnage, bienversé aux affaires d'Estat, 1588, p 10) :...Sa foiblesse [du roi Henri III] finalement est si deshonoree, que i'ai veu me trouvant en pais estranger devant un grand Prince alié de la couronne Françoise, qu'en parlant de nostre etat, un de là, qui en discourait, dit ces mots. Qu'il ne faloit conter [compter] le Roy que pour un 0 en chiffre, lequel de soi ne peut rien, mais adjousté à quelque parti, le fait valoir d'avantage. Je l'ai veu & en rougis de crevecœur, pour la honte de la nation...

[28] Dans ce contexte, l'édit prohibitif provisionnal de juillet (St Germain) n'est qu'un leurre pour tromper les catholiques. Son contenu est rappelé dans le préambule de l'édit de janvier qui est justifié par l'impossibilité d'appliquer celui de juillet :... edict du moys de juillet dernier, par lequel nous aurions entre autres choses defendu, sur peine de confiscation de corps et de biens, tous conventicules et assemblées publicques, avec armes ou sans armes, ensemble les privées où se feroient presches et administrations de sacremens en autre forme que selon l’usaige observé en l’Eglise catholicque, dès et depuis la foy chrestienne receue par les roys de France noz predecesseurs et par les evesques et prelatz, curez, leurs vicaires et deputez, aians lors estimé que la prohibition desd. assemblées estoit le principal moien, en attendant la determination d’ung concile general, pour rompre le cours à la diversité desd. opinions et, en contenant par ce moien noz subjectz en union et concorde, faire cesser tous troubles et seditions.

[29] We can see that the anti-Protestant polemic follows a pattern which is dictated by topical events like the affair of the rue St Jacques and the meeting of the Pre-aux- Clercs. Between 1557 and 1560, Catholic authors use the discovery of a large clandestine meeting of Protestants in the heart of the capital to renew accusations of orgies and ritual murder which had been used against Jews and heretics throughout the Middle Ages. After the conspiracy of Amboise, these accusations take on a much more political edge and the accusations of orgies and ritual murder are gradually phased out in favour of the emergence of a Protestant conspiracy to take over the kingdom. The affair of the rue St Jacques was re-interpreted retrospectively as being part of this conspiracy by Jean de la Vacquerie and others who argued that the Protestants had been conspiring since the beginning.

[30] Le Roy Charles cinquième, à bon droit appellé le Sage, en Octobre, MCCCLXXIII ordonna la Reine Jeanne sa Femme, Tutrice & Régente principale des Personnes de leurs Enfans, & du Royaume, usant de ces propres & vieux mots: Que selon raison escrite. & naturelle, la mere ayme d'amour piteuse plus ses enfans, & a le coeur plus doux & plus tendre d'eux nourrir amoureusement, & garder soigneusement leurs corps & leurs biens, que quelconque autre personne, tant leur soit prochaine de Lignage : & quant à la Tutele, doit estre préféree à tout autre.

[31] Souffre donc que maintenant puis que mesmes il n'y a nulle Ordonnance Testamentaire, la Royne aie pour fondement de son authorité le consentement & avis des Estats de ce Royaume ; souffre qu'elle soit assistée & aydée par les plus proches Parens du Roy…plustost qu’asservie par ces Estrangers...

[32] Car nous ne nions pas que le Roy ne doive avoir l'administration de son Royaume : mais nous disons que pour l'administrer, il doit avoir pour Conseil les Princes de son Sang, pour la conservation tant de Sa Majesté , que de tout son Royaume, & non aucunement les Princes estrangers

[33] Notons qu'il en fut de même de Charles VIII : L'âge du jeune prince, qui venait d'entrer dans sa quatorzième année, excluait absolument la pensée d'une régence...mais sa légèreté, plus encore que son défaut complet d'instruction, le rendait incapable de remplir par lui-même les rudes devoirs de la royauté (Picot, T1). Aux États de 1483, nombre de députés considéraient que les princes du sang constituaient naturellement son conseil légitime (à quoi Philippe Pot répondait que la souveraineté étant confiée au Roi par le peuple, le "conseil" appartenait aux États).

[34] Début septembre (1560), Du Tillet, ès qualités de greffier du Parlement, a participé à la Commission chargée de juger, condamner et faire exécuter Condé, premier Prince du sang que sauvera de justesse la mort de François II et la bascule de la Reine-Mère. Le Roy fit venir Christophe de Thou Président (du Parlement), Barthélémy Faye, Jacques de la Violete, Conseillers, Bourdin Procureur du Roy, du Tillet Greffier, pour avec le Chancelier de l'Hospital lui faire son procès. Il déclara ne pouvoir répondre devant eux pour n'avoir autre juge que la Cour des Pairs. Il appella des procédures mais il fut tousjours dit qu'il avait mal appellé...(Matthieu, Pierre, 1631, Histoire de France sous les règnes de François 1er etc, Paris, ch. Sonnius, Volume 1, p228).

[35] Je puis ajouster pour deffense contre la dicte calumnie qu’il n’y a homme de mon estat qui ayt tant recherche & représenté les eminence, prerogatives & ranc desdicts princes du sang qu’ay faict par mes escripts que vous avez ma dame

[36] soubs les Republicques, toutes choses sont vrayement cogneues par temps, pour estre faictes par deliberation de plusieurs, & redigées en escripts conserués : au contraire en la monarchie, l’estat des princes est manié par peu de personnes esleues & coustumierement exposées à enuie telle que leur maistre : &. eulx sont contraincts taire &. celer leurs principaulx affaires, & les tenir si secrets, au plus profond de leurs pensées, qu’ils ne soient scus ne entendus mesmes d'autres leurs intimes.

[37] Le Parlement étant voué au secret et les Registres s'adressant à la postérité, les fuites représentent un moyen politique, contre le Parlement lorsqu'elles résultent d'informateurs payés ou abusés, en sa faveur lorsqu'il les suscite.

[38]  Quelques années plus tard, Arnaud Sorbin, dans la Similitude des Regnes du Roy Loys IX par nous nomme S. Loys, et de celuy du Roy Charles a present regnant qui termine son Histoire des Albigeois, et Gestes de Noble Simon de Monfort (Toulouse,1568) fera un parallèle systématique et détaillé entre les deux Rois dont, artificiellement, il fait se répondre les vies point par point.

[39] Jean Gay, 1561, Histoire des Scismes et Heresies des Albigeois conforme à celle de présent, par laquelle appert que plusieurs grans princes et seigneurs sont tombez en extrêmes désolations et ruines pour avoir favorisé aux hérétiques. Non sans hésitations, les Réformés finiront par s'approprier les albigeois et les ranger parmi les martyrs de la vraie église, victimes de l'Antéchrist de Rome. It is ironic that the inclusion of the Albigensians in the Histoire des Martyrs should have followed from a half-century of Catholic efforts to portray them as forerunners of the Reformation (Racaut).

[40] Protestations qui abusent Weil. Citant le Contrepoison à l’avertissement sur les pourparlers qu’on dit de paix  de 1568, il écrit : Les calvinistes, dans ces douze années qui précèdent la Saint-Barthélemy, sont demeurés en général fidèles aux mêmes doctrines. Contra : Racine St-Jacques, 2009.

[41] ...après cela, les Princes prennent le Roy & l'ostent de son Throne, puis le font asseoir sur un aix bien humblement posé en terre, parlans ainsi à luy: regarde en haut &·cognois Dieu , & regarde cest aix sur lequel tu est assis en bas: si tu administre bien, tu auras tout à souhait : mais si tu administres mal, tu seras derechef tant humilié & despouillé de toutes choses, que mesme ce petit aix, sur lequel tu te sieds, ne te sera laissé de reste : quoy fait, ils l'esievent en haut avec l'aix, &.le saluent tous Empereur des Tartares. Telles façons de faire, mesmes vers les plus barbares du monde , admonnestoit le Prince de son devoir envers le peuple...

[42] Les Rois ne sont pas représentés en guerre mais en long manteau royal qui est vêtement de paix, tenant le sceptre qui signifie puissance et la main de justice, car le propre estat & office d'un Roi est de faire justice et il ne vient aux armes qu'en grand besoin. Comme disait le Premier Président à Henri II (lit de justice de 1549) vostre Iustice est vostre vray habit, vostre diadème est vostre Iugement sainct & droiturier. Ou bien : Seulement diray -ie, qu'il est commun à tous les Roys de porter le sceptre : mais les seuls Roys de France portent coniointement la main de la Iustice, pour vne des marques de leur Royauté: pource- que la Iustice est nee auec la Frace, & a son droit hereditaire en la terre de France (La Roche Flavin, Bernard de-, 1617, Treize livres des Parlemens de France,1621, Genève, ch. Berjon, L4, C1, §xv p 356).

[43] L'anecdote devenue célèbre ne semble pas apparaître avant Le Laboureur, 1659, Mémoires de Castelnau, ch. Lamy, Tome 1, p 901 (commentaires au Livre III, § de Jeanne d'Albret, Reine de Navarre). Le Laboureur ne dit pas d'où il tire l'information et les quatrains. Il affirme que Robert estoit de la même religion que la Reine et l'exprime dans son sonnet sur les craignans Dieu. Quoiqu'il y ait un doute sur la mort de Robert en 1571 (à Genève ?), il paraît peu vraisemblable qu'il ait affirmé aussi publiquement d'éventuelles sympathies pour la Réforme, même dans un climat de réconciliation temporaire. Le Laboureur ne fait-il pas, comme Don Francés (cf. note suivante) un amalgame entre le père (Robert), le neveu (Henri) et le fils (Robert ii) ?

[44] Lettre à Philippe II de son représentant à Paris, Don Francés de Álava (archives de Simancas, lettre citée dans Champion, 1938, p 147/8). Alava fait de l'incident un élément de sa peinture de Paris comme ville démoniaque et de l'huguenotisation de la Cour dont témoignent la présence de Coligny (qui faisait vraisemblablement partie de l'expédition) et le libraire ("hérétique" à cause de son père). Or, si Robert ii Estienne est bien le fils du calviniste Robert émigré à Genève, il a refusé de le suivre. Il est imprimeur du Roi, au moins depuis octobre 1561 (imprimeur ordinaire en langues hebree, chaldee, grecque, latine et françoise). Cet honneur a des effets tout à fait opérationnels : Estienne a, par commandement & privilège, la charge de l'impression et de la vente des ordonnances (cf. son recueil de 1568, Edicts & Ordonnances du Roy Trèschrétien Charles IX de ce nom). Après sa mort en 1571, son brevet passera à Fédéric Morel, son neveu (4 mars de la même année), tant en hebrieu, grec, latin, que en francoys. Et la veuve d'Etienne ii épousera Mamert Patisson qui sera imprimeur du roi en 1578. On est donc dans le milieu de la haute imprimerie, héritière des grecs de François Ier, dont le renom et la qualité sont reconnus par le label d'imprimeur du Roi. On peut supposer que du Tillet a confié le "chantier" du manuscrit à Estienne et que la visite royale est mise à profit pour l'offrande. On ignore si le vieux du Tillet était présent.

[45] Cf. Maugis, 1914, Tome 2. En 1594, la lettre de rétablissement du greffier du Tillet se heurtera aux réclamations du greffier de Tours auquel il lui faudra rembourser son office.

[46] Mademoiselle Charlotte du Tillet ne fut jamais mariée mais on dit qu'elle n'en était pas plus pucelle pour cela....Elle étoit de toutes les intrigues, soit d'amour, soit d'autre chose...potine Tallemant des Reaux (1657, Les historiettes, Monmerqué, 1834, Tome 1, p 110/111). Par sa sœur dont le mari, le futur Président Séguier, était le conseil du duc d'Epernon (Jean Louis de Nogaret de La Valette, le "demi-roi", l'un des deux "archimignons" d'Henri III), elle entre en relations avec lui. Après avoir été sa maîtresse, elle demeure sa meilleure amie. Sans aborder ici l'énigme de l'assassinat d'Henri IV, la rumeur a largement couru d'un complot Epernon-Verneuil via Charlotte (avec ou non la bénédiction de la Reine). Epernon avait beaucoup d'ennemis à la cour et autant de prétentions. Il jouera un rôle décisif en 1619 dans l'évasion de la Reine qu'il met à l'abri à Angoulême dont il est gouverneur. Charlotte, Dame de Lassay et de Loré, vicomtesse de St Mathieu, quoique de petite noblesse, fait partie de la Maison de la Reine-mère dont elle deviendra Dame d'honneur. Agent discret de ses manœuvres (comme la réconciliation avec d'Epernon en 1613 ¶), elle fait la liaison entre la Reine et Richelieu, jouant tantôt pour, tantôt contre le Cardinal qui la code la fabia ou la fée dans sa correspondance secrète. Elle meurt en 1636.

¶ Bassompierre, Journal de ma vie, Éd. Chantérac, 1870, T1, p 326, [1613, janvier] J’allay de la cheux Zammet, avesques lequel ayant communiqué des moyens que nous pourrions tenir pour gaigner Mr d’Espernon, Peronne, de bonne fortune, arriva cheux luy, quy estoit affectionné au service de la reine, et portoit impatiemment que Mr d’Espernon, son maitre, s’en fut retiré, et qu’il eut eu sujet de le faire. Il fut fort resjoui de voir une conjoncture propre a le remettre bien avec elle, me pria de voir sur ce sujet Mr le président de Villiers Siguier [Séguier], et qu’il s’y en iroit devant m’y attendre, cependant que je passerois cheux Mlle du Tillet [Note 744: Charlotte du Tillet faisait partie de la maison de la reine. Marie du Tillet, sa sœur, avait épousé Pierre Séguier, frère d’Antoine Séguier, président de Villiers susnommé].


[47] Il est en contact avec Hubert Languet, un autre calviniste exilé, devenu agent politique du duc de Saxe, qui lui rapporte de ses voyages des copies d’auteurs anglais, allemands et français. Il travaille avec d'autres calvinistes exilés comme François du Jon (Junius) et Daniel Toussain (Tossanus). Du Jon traduit du Tillet en latin et signe Lotarius Philiponus son adresse à Lenglet à qui il dédie son travail.

[48] Pour cette dernière, notons une coïncidence : Jean Aubry de Troyes, imprimeur, est le gendre de Wechel et lui succédera à Francfort (avec Laude Marni son autre gendre, cf. Haag). Il est possible que Aubry ait imprimé l'édition de Troyes et fait passer le texte à Wechel.

[49] Dans cette espèce de petite bibliothèque de science politique qu'édite Elzevier en 1632 sous le titre Respublica sive status regni Galliae diversorum autorum, "Titres grandeur & excellence" (de rebus Gallicus) figure aux côtés d'extraits de Seyssel ("de Republica Galliae''),  La Loupe ("de magistrabus et praefecturis Francorum''), Honoré (''Philippi Honorii relatio'') et Botero '('De Regno Gallico relatio'').

[50] L'édition la plus correcte est la Houzé 1602 (sans mention de privilège tandis que la Mettayer de la même année le mentionne sans toutefois le donner). Elle rassemble quatre blocs (qui, probablement, avaient été édités à part) : (1) Roys & titres, paginé de 1 à 318 (A/Rr) ; (2) Angleterre, paginé de 1 à 293 (a/Pp) ; (3) Rangs, paginé de 1 à 134 (Aaa/Rrr) et Chronique paginées de 141 à 342 (Sssiij /VVvv) ; (4) (repris de Jean du Carroy, 1601) Continuation chronique paginé de 1/71 (A/I) et Libertés gallicanes de 73 à 190 (K/Z, ã). La Mettayer 1602 est identique, en structure, pagination et foliotage.

[51] Notamment depuis leurs démêlés avec François Ier, les ténors du Parlement sont devenus experts dans l'art de la désobéissance obéissante et dans la dialectique entre le roi et le Roi, entre la personne et la couronne, entre la volonté du moment du roi et ce ce que pour tousiours il voudra auoir voulu etc.

[52] On songe à du Tillet en lisant ce que Ullmann (1961)écrit des archives papales : The archives provided a veritable ideological storehouse: not only the popes themselves, but their immediate surroundings worked and lived in the milieu which the archives provided. Many of themedieval popes were reared in the intellectual climate of the archives and as a result of long and distinguished service in the curia these archives became, so to speak, part of their own being.

[53] Le bien nommé Trésor, à la Sainte Chapelle, à côté des joyaux et reliques du Roi, a pour vocation de recueillir ce qui a trait aux droits du Roi. Pour des raisons à la fois techniques (conservation et inventaires) et institutionnelles (constitution d'archives administratives et judiciaires extérieures), il entre en décadence à partir de Louis XI et, malgré des efforts pour le revivifier au xvii° siècle (Molé, Fouquet), sera supplanté par d'autres dépôts, à commencer par la Bibliothèque du Roi.

[54] On ignore quelle "réception" les Rois ont faite à ce Recueil qui a quelque chose des cartulaires, ces dossiers ou portefeuilles de documentation, qu'on confectionnait jadis pour un objectif déterminé. On peut supposer que François Ier et Henri II espéraient y trouver un dictionnaire d'arguments (dont hérita Catherine de Médicis). François II et Charles IX ne devaient guère s'en soucier. Quant à Henri III, il avait du Haillan.

[55] des maires du palais, ducs & comtes officiers - des connestables, maréchaux etc - de l'amiral -  du grand-maître - du grand Queue - du grand bouteiller - du grand panetier - du grand ecuyer - du grand veneur - du grand chambrier - du grand chambelan - du grand maitre des eaux & forêts - du conseil privé du roy - des gouverneurs pour le roy & des lieutenans généraux - des chevaliers de l'ordre du roy - des grans aumoniers - du Prévost de l'hostel du roy - des officiers domestiques des rois & roines & de messieurs et mesdames fils et filles de France.

[56] L'opposition entre Roi et Royaume que feront les "monarchomaques" (combattre le Roi pour sauver le royaume) repose sur la distinction des deux. Au contraire, La Loupe comme du Tillet les assimile : les Roi ont tous pouvoirs ; La Loupe expose quelles gens ils tiennent pres d’eux, tant pour magnificence que pour conseil & quelles autres ils establissent par les villes & païs de leur obeissance pour faire sous eux droit à chacun. Cf. Vincent de la Loupe, 1560, Premier et second livre des dignitez, magistrats et offices du royaume de France, Guillaume Le Noir, paru d'abord en latin chez le même (1551).

[57] La Loupe (1560), préfigurant de loin nos manuels d'institutions d'ancien régime, décrit sommairement les rouages du gouvernement. Il part de la tête, le Roi et la maison royale (son livre I résume du Tillet) et va jusqu'aux membres : il présente la machine du droit (livre II : chancelier, parlement, procureur, conseils...) et la machine de la finance (livre III : trésoriers, impôts, élus, cour des aides, chambre des comptes).

[58] Dans le même sens, à la rubrique Louis VIII : Les chroniqueurs se sont travailles pour demonstrer qu’en luy la couronne estoit retournée à la lignée des Charliens & continuee en sa postérité…(mais) le titre de cette troisiesme ligne à présent régnante est de Dieu qui l’a tant fait durer & prospérer. Il n’en faut cercher autre titre mais faut y obeir & qui y resisteroit, un tel s’opposeroit à la puissance divine (1578, p 78/79)

[59] Le "mystère de l'incarnation" ne relève pas seulement de la théologie religieuse, il constitue aussi la prolifique matrice d'incarnations secondaires, produisant par similarité des concepts politiques top down sous couvert de médiation : le pape, l'Eglise, le Roi...et, dans une architecture de poupées russes, leurs agents et les agents de leurs agents (Baschet, 2004).

[60] Les Princes du sang ont des privilèges du fait de leur proximité à la Couronne. Ils sont conseillers-nés du Roi. C'est une qualité (conseillers nés vs conseillers créés), ce n'est pas un droit. S'ils peuvent conseiller le Roi (et ne s'en privent pas), celui-ci n'est tenu ni à demander leurs conseils, ni à les suivre. C'est par abus que les partisans de Condé transforment ce conseil en tutelle.

[61] Fréquemment réunis pendant la crise de la "guerre de cent ans", les derniers ont eu lieu en 1484. Alors que, ni Louis XII, ni François Ier, ni Henri II n'en ont assemblé, ils seront convoqués trois fois en trente ans (1560, 1576, 1588), sans compter les pseudo états généraux et d'innombrables assemblées ad hoc. On les reverra en 1614 et ils disparaîtront jusqu'en 1789.

[62] Nos yeux y lisent rétrospectivement une critique de l'arrêt Lemaître de 1593. La cour d'Espagne, pour imposer madame l'infante (Isabelle d'Espagne, petite-fille de Henri II) dénonce la superstition de la loi salique que la Ligue est prête à abandonner pour soustraire la couronne à Navarre : Plustost nous quitterons nostre Salique loy / Que d'endurer sur nous l'Heretique pour Roy (Matthieu, 1589, La Guisiade). Alors que, en 1593, les "états généraux" de la Ligue hésitaient entre l'un ou l'autre Guise et/ou Isabelle (qu'on pourrait marier au jeune duc de Guise), le Parlement politique fait un "rappel à la loi" : la loi salique, loi fondamentale du Royaume, exclut les étrangers (donc les Guise et Isabelle) et les filles (donc Isabelle). Reste Henri IV, une fois catholique.

[63] Contre la Reine-Mère, les calvinistes s'appuieront sur l'exclusion des femmes de la Couronne  pour contester leur droit à gouverner (1561, De regno vulvarum). Aussi du Tillet ajoute que le refus de couronner les femmes n'exclut pas qu'elles puissent gouverner temporairement dans certaines circonstances :  Bien se sont ils soumis à femmes aians le pouvoir de souverain ou de la loy pour un temps.

[64] Après le décès de Loys cinquiesme, Arnoul son oncle ramena Charles de Lorraine en France pour le faire régner, la couronne lui appartenant comme au plus proche & frère du roy. ..Hue Capet empeschoit que ledit Charles fust reçu roy parce qu'il avait tenu le parti des Allemans contre les français. Hue Capet avoit les forces & faveurs du royaume...Et craignant que les François avec le temps recongnussent la justice de la cause de Charles...il essaya de gagner Arnoul...Il tint Charles prisonnier à Orléans et menassa Arnoul de lui faire crever les yeux...(Recueuil des Roys, 1578, p 42) 

[65] Les Lorraine sont du Sang :…Au reste, les charnels, qui se voudroient encore arrester au sang royal de la troisième race, ont icy de quoy se contenter. Car leur ascendance par les femmes ne les disqualifie pas : Si l'on dit que par la loy salique pure masculine les femelles et masles descendans d'icelles sont excluds de la couronne françoise héréditaire, cette loi, qui ne parle disertement que des terres alodiales privées, n'est extensible à la dignité et domaines de cette monarchie.

[66] Cf. de Coras, 1568, Question politique, s'il est licite aux subjects de capituler avec leur prince, et le "noyau dur" de la pensée dite « monarchomaque » publié d'abord en latin pour lui assurer une diffusion internationale : La France-Gaule (Hotman), en 1573, Du droit des magistrats sur leurs sujets (de Bèze), en 1574 et De l'autorité du peuple sur le prince (Mornay), en1579.