27/11/2024 Esambe Josilonus ©2024 | Contrepied : Histoire des vrais Courtenay |
Je
reprends ici, en le simplifiant et en l'assemblant, le contenu des Appendices 3, 6 et 5 dans lesquels on trouvera plus de dŽtails en notes et les rŽfŽrences bibliographiques compltes. L'histoire des deux Maisons de Courtenay, la vraie et la royale, n'a en commun que la dŽpossession de Renaud en France (ici, chp. III, section 1).
Les Courtenay royaux ont pour origine le mariage de la jeune Isabeau avec Pierre, dernier fils de Louis le
gros qui , au milieu du XIIe sicle, prend l'hŽritire, le nom, les terres et les armes. Une brume Žpaisse entoure cette usurpation, comme si les anciens Courtenay sortaient du nŽant et y rentraient. Or Renaud vivait encore et, passŽ en Angleterre avec Henri d'Anjou (Henry II), y continua la premire Maison de Courtenay, de sorte que les descendants de Pierre et Isabeau, de moins en moins royaux, appartiennent ˆ une seconde
Maison.
Ici, je ne parlerai de la spoliation des Courtenay que pour expliquer la disparition de Renaud et je prŽsenterai (pour ce qu'on en sait) l'histoire des Courtenay indŽpendamment de cette pŽripŽtie. Je chercherai d'abord leur origine (Chp. 1) et, arrivŽ ˆ la premire croisade, je ne nŽgligerai pas les aventures outre-mer de l'un d'entre eux dont le destin fut autrement glorieux que celui du misŽrable empereur latin, fils de l'usurpateur (Chp. 2). J'examinerai alors la question de Renaud (Chp. 3) avant de suivre sa postŽritŽ en Angleterre : aprs une quasi-extinction, elle rŽussit le revival que ratent les derniers Courtenay franais (Chp. 4).
Au
temps
le roy Robert, fonda le chastel de Courtenay, Haston, le fils d'un [castelier] du chastel Renart, chevalier fu par son sens et par son avoir. Une grant dame espousa dont il engendra Jocelin de Courtenay, et cil Jocelin espousa la fille le conte Gieffroy-Foirole. De celle dame eut deulx fils Guy et Renart, le conte de Joingny. Icil Jocelin, aprs la mort de celle premire dame, espousa Ysabelle, la fille Millon de Montlhery. En celle engendra Millon de Courtenay, et Jocelin, le conte d'Edesse, et Gieffroy Chapalu. Cil Mille de Courtenay engendra trois fils de la sereur le conte de Nevers : Guillaume, Jocelin et Renaut (Grandes
chroniques de France, Žd. Paulin Paris, Tome 3, 1837, p 170).
Ce roi Robert est Robert II le pieux (ca 972-1031), fils de Hugues, et second roi capŽtien de Francie occidentale (996-1031). Dans le cadre des guerres de Bourgogne, Robert a ŽvincŽ le comte de Sens et provoquŽ l'essaimage de son groupe, dŽjˆ initiŽ par la rŽvolution des ch‰teaux.
Les origines de la noblesse, comme sa caractŽrisation, suscitent depuis longtemps recherches et controverses. Rien n'est sžr, ni les faits, ni leur interprŽtation. Hatton est l'un des innombrables ch‰telains qu'engendre le basculement du pouvoir, des citŽs (civitates) vers les campagnes (pagi).
Dans le monde nŽ de la dŽcomposition de l'empire carolingien et des raids normands (deux sŽries d'ŽvŽnements dont les historiens interrogent aujourd'hui l'amplitude et les effets rŽels), les "ch‰teaux" se multiplient ˆ partir du Xe sicle, se concurrencent, militarisent l'espace et changent la technique de guerre. L'origine du processus est hybride, ˆ la fois "publique" et "privŽe" (Le Jan, 1995). Du c™tŽ public, ce sont les insiders, les comtes carolingiens, commis au gouvernement des villes et de leur pagus : eux-mmes ou leurs vicomtes implantent des points d'appui dont les gardiens s'efforcent de s'autonomiser et de patrimonialiser le pouvoir de ban. De l'autre c™tŽ, des "outsiders" Ždifient des "ch‰teaux adultŽrins", illicites, d'emblŽe privŽs, qu'ils transforment en pouvoir. De mme que les comtes s'autocratisent en substituant "Dieu" au Roi pour lŽgitimer leur puissance (comites gratia Dei), s'autorisant ainsi ˆ transmettre hŽrŽditairement leurs droits ; de mme les ch‰telains. Ceux qui rŽussissent le mieux, devenus sources de droits, d'honneurs et de cadeaux, tissent de nouveaux rŽseaux de parentle et de clientle. Dans un univers trs compŽtitif et trs alŽatoire (mortalitŽ, volatilitŽ), tout succs reste contestŽ et ŽphŽmre.
Ce rappel sommaire cadre nos premiers "Courtenay" : ils rŽsultent de l'atomisation d'un comte de ville et de son explosion en ch‰telains de pays.
Le point de dŽpart se trouve ˆ Sens, aux limites de la future Champagne et du futur duchŽ de Bourgogne. Depuis 936, un Fromond est comte de Sens. Il n'a d'autre nom que Fromond. Cela signifie-t-il quelque chose ? Chrodmund, Chrotmund, Hrotmund, Fromund, Frumond, Rodmund, Romund, Rodomond, Romont, Fremond, Fremont, toutes ces variantes dŽrivent du scandinave Hrothmund qui est portŽ par l'un des principaux hŽros du Beowulf.
Parmi les anctres lŽgendaires des comtes de Boulogne, figurent ces noms rares, Fromond et Fromondin.
Pendant prs d'un sicle (936-1015), Fromond et ses descendants, s'imposent comme comtes hŽrŽditaires de Sens, tentent d'en contr™ler l'archevque, et s'emparent de biens ecclŽsiastiques qu'ils confient ˆ leur clan pour se constituer un rŽseau d'appuis. Les difficultŽs ne leur manquent pas car ce comtŽ, par sa richesse et sa localisation, suscite la convoitise de groupes bourguignons, franciens, blŽsois, lorrains et germaniques.
Se succdent : Fromond (comte
de 936 ˆ 948), Rainard le vieux (948-999), Fromond (999-1012), Rainard le mauvais (1012-1055). Ce
dernier perd la ville. Le groupe familial se rŽorganise et dŽveloppe les bases antŽrieurement plantŽes dans le pagus. Une ligne deviendra Courtenay.
Les comtes de Sens sont pour nous seulement un prologue. Heureusement, car la documentation manque, les circonstances sont confuses et le rŽfŽrentiel des acteurs nous Žchappe. Outre la variabilitŽ historique de la gŽographie, notre conception moderne de "territoire" conduit au contre-sens. Il nous est difficile de comprendre que la fluiditŽ de l'espace et des droits coexiste avec la continuitŽ des dŽtenteurs de pouvoirs. Enfin, les rivalitŽs sont tellement nombreuses et changeantes que, mme en simplifiant, on se perd.
Le
lecteur
pressŽ pourra se contenter du rŽsumŽ prŽcŽdent et passer directement ˆ la seconde
section qui traite du Hatton mentionnŽ par les Grandes
chroniques.
Le comte et l'archevque, quoique en concurrence dans la citŽ et ses entours, ne jouent pas ˆ la mme Žchelle. Le pagus de Sens correspond approximativement ˆ la partie Nord de l'actuel dŽpartement de l'Yonne, tandis que la province ecclŽsiastique rassemble les diocses de Chartres, Auxerre, Meaux, Paris, OrlŽans, Nevers et Troyes. L'archevque de Sens est, ipso facto, commis au "grand jeu". En concurrence avec celui de Reims, il se veut faiseur et conseiller de roi. Jusqu'en 1027, il en sacre davantage que son confrre. Le premier regarde vers la Neustrie, le second vers la Lorraine. Des deux c™tŽs, on rencontre de grands noms : ˆ Sens, Wenilon, AnsŽgise, Gautier, LiŽry... ; ˆ Reims, Hincmar, Foulques, AdalbŽron et Gerbert...
En
848,
Wenilon (archevque de Sens de 837 ˆ 865) sacre Charles le
chauve ˆ OrlŽans. Mais, en 858, il se joint contre lui ˆ Robert le fort, Eudes d'OrlŽans, Adelard de Paris, et ouvre la voie ˆ Louis le germanique qui avance jusqu'ˆ Sens et Attigny. Wenilon est le seul Žvque dans ce groupe de Grands. Les autres Žvques, poussŽs par Hincmar de Reims (845-882), rŽaffirment leur fidŽlitŽ ˆ Charles le
chauve. Charles
ayant triomphŽ (859), Wenilon est jugŽ et condamnŽ in absentia au concile de Savonnires (juin 859), puis rŽconciliŽ. Lui succde Egile (865-6/871) puis AnsŽgise (871-883), fŽal de Charles le
chauve que le pape Jean VIII fait primat apostolique des Gaules et de Germanie (875).
A la mort de Charles le chauve, son fils, Louis le bgue (877-879) est sacrŽ par Hincmar de Reims ˆ Compigne, tandis que son successeur, Louis III, le sera par AnsŽgise de Sens. Aprs lui ( 882), aprs Carloman ( 884) et Charles le gros ( 888), comme le fils posthume de Carloman est encore trop jeune (Charles, plus tard le simple), les Grands de Francie occidentale mettent entre parenthses l'hŽrŽditŽ dynastique et, contre Foulques de Reims qui tente d'imposer le roi de Francie orientale, Arnulf, ils Žlisent roi Eudes (888-898), comte de Paris, fils de Robert le fort, que Gautier de Sens sacre ˆ Compigne (Dhondt, 1939).
Quelques annŽes aprs (893), dans le contexte d'agressions normandes et de difficultŽs du roi Eudes en Aquitaine, ds 893, Foulques de Reims sacre le petit Charles (le simple). Chacun des deux rois combat l'autre, avec des chances variables, cherche le soutien d'Arnulf et des Grands la•ques, et nomme des Žvques de son camp.
Par ailleurs, Richard de Bourgogne, frre de Boson, roi de Provence (Mantailles, 879), guerroie depuis longtemps pour rassembler les comtŽs de la Bourgogne du Nord. Il navigue entre les deux rois franciens et met ˆ profit les dŽboires d'Eudes. En 894, la mort du comte de Troyes, Adalelme (Alleaume, Adalhelm), cousin et fidle d'Eudes, permet ˆ Richard de Bourgogne de s'emparer de Troyes qu'il confie ˆ l'un de ses proches, Garnier (Warnerius), peut-tre un de ses fils. Comme l'archevque de Sens, partisan d'Eudes, a nommŽ ˆ Troyes un Žvque opposŽ ˆ Richard, celui-ci s'empare de Sens, prononce la dŽchŽance de l'archevque, le met en prison, et en profite pour se faire abbŽ de Sainte Colombe ˆ la place d'Eudes. Il donne la garde de Sens (vicomtŽ) au mme Garnier qu'il a fait comte de Troyes.
Le roi Eudes, en mourant (898), laisse la couronne ˆ Charles le simple, designatio que son frre Robert accepte, ce dont il est amplement rŽcompensŽ. Charles le simple que Foulques de Reims avait sacrŽ prend prend celui-ci pour chancelier, puis son successeur HervŽ (900/922). Ensuite, les entreprises lorraines de Charles entra”nent la rŽvolte des Grands autour de 920. Charles s'enfuit. Robert, le frre d'Eudes, Žlu anti-roi, est sacrŽ ˆ Reims par Gautier de Sens (922) : une revanche ! Robert tuŽ en 923, la contre-attaque de Charles est arrtŽe par Raoul, le fils de Richard de Bourgogne ( 921), gendre de Robert. Raoul est aussit™t Žlu roi de Francie occidentale et sacrŽ ˆ Soissons, encore une fois par Gautier de Sens.
En 936, Raoul meurt. Hugues le grand, fils du roi Robert, rend la couronne ˆ Louis IV d'outremer, fils de Charles le simple, qui reconna”t sa prŽŽminence en le faisant dux Francorum. Hugues prend aussit™t Sens (parmi d'autres) ˆ Hugues le noir, frre et hŽritier de Raoul de Bourgogne, auquel il finira par arracher toute la Bourgogne de Richard (946). A Sens, il semble avoir ŽtŽ aidŽ par Fromond, un fils de Garnier. Il lui confie la ville. Voilˆ notre premier Fromond.
Naturellement,
Fromond s'emploie ˆ s'autonomiser et ˆ se faire comte. Il conna”t des revers et doit, temporairement, quitter Sens et se replier sur Mont d'Ouanne (le futur Ch‰teau-Renard) o il reconstruit un vieux fort, entre deux bras de la rivire.
Pour le comte de Sens, influencer la dŽsignation de l'archevque est une tentation autant qu'une nŽcessitŽ. Outre les droits que les Žvques dŽtiennent ou revendiquent sur les abbayes et leurs richesses, ils contr™lent directement ou indirectement une partie du pays. De plus l'archevque, par son autoritŽ sur les Žvques suffragants et ses relations avec les Grands, est un levier ˆ grand rayon d'action.
Le fils de Fromond, Rainard, lui succde autour de 948 pour cinquante ans ( 996 ou 999). Une telle durŽe lui vaut le surnom de petit vieux (vetulus). La mort de Hugues le grand (956) le libre de sa dŽpendance. Les sources ecclŽsiastiques en disent grand mal, car il capte ou spolie des terres relevant des abbayes, notamment l'ancienne et prospre Ferrires. Il s'enracine dans le comtŽ, citŽ et pagus, en multipliant les nouvelles implantations et en consolidant les anciennes qu'il confie aux membres de son groupe familial. A Sens, il s'empare de la riche abbaye de Sainte Colombe dont Hugues s'Žtait fait abbŽ, et Žrige la Grosse Tour (turrim maximam) pour augmenter son emprise militaire sur un territoire cloisonnŽ.
Que Rainard l'impose ou le reoive de son alliŽ, le comte de Troyes, le fils de celui-ci, Archambaud, pillard et paillard, devient archevque de Sens en 958. Ils combattent ensemble les Saxons que Brunon de Cologne (frre de l'empereur Otton) envoie contre le comte de Troyes pour secourir son Žvque. Au grand plaisir des moines de Sainte-Colombe, Archambaud est foudroyŽ par la colre divine (967) lors du grand incendie qui dŽtruit la citŽ. Lui succde le saint Anastase qui restaure les abbayes et les Žglises. La mort d'Anastase (977) fait arriver Seguin (Sewin). Rainard lui refuse l'entrŽe de la ville, Seguin l'excommunie. Quelques mois plus tard, le comte quitte Sens pour l'ouvrir ˆ l'Žvque (fŽvrier 978).
Ce dŽmlŽ cŽlbre a reu diverses interprŽtations car Seguin, fils de la sÏur de Rainard, aurait dž tre bienvenu. Ecartons la mŽchancetŽ qu'Žvoquent les chroniqueurs, et remarquons que, si Rainard empche Seguin de s'installer, il ne lui oppose pas un autre candidat ; notons aussi que les malveillantes chroniques ne mentionnent plus d'actes d'animositŽ du comte pendant les onze annŽes qui suivent (Seguin 999). Le conflit se localise au dŽbut (Varenne, 2013) : Rainard semble avoir voulu poser un rapport de forces (et/ou forcer une nŽgociation), soit pour s'assurer de la coopŽration d'un neveu rŽticent, soit pour neutraliser la menace de l'immixtion de la famille paternelle de Seguin.
La
relation
triangulaire constituŽe par le conflit entre Louis d'outremer et Hugues le grand, arbitrŽ par leur beau-pre commun l'empereur Otton (et son bras occidental, Brunon,
archevque
de Cologne), se poursuit avec leurs fils, respectivement Lothaire, Hugues Capet et Otton II.
Les
ambitions
lorraines de Lothaire finissent par pousser Reims (AdalbŽron et Gerbert) vers le robertien Hugues Capet. Lothaire meurt en 986 ; son fils et successeur (Louis V), l'annŽe suivante. Alors, AdalbŽron fait donner la couronne ˆ Hugues (987), dans l'attente d'un carolingien convenable.
Aprs ce coup rŽmois, le comte de Sens, Rainard, se rallie ˆ Capet, ˆ la diffŽrence de Seguin qui n'assiste ni au concile de Senlis, ni au sacre de 987, et ne prte pas serment au nouveau roi. Rainard marie son fils Fromond ˆ Gerberge, fille de Rainaud (Ragenold), comte de Roucy et comte de Reims.
Gerberge est la sÏur de Brunon de Roucy, Žvque de Langres depuis 980 (futur adversaire du roi Robert en Bourgogne), et petite-nice de Brunon archevque de Cologne, en l'honneur et ˆ l'imitation desquels un de leur fils est nommŽ Brunon, le programmant ˆ sa naissance pour remplacer Seguin (Varenne, 2013). Mais, quand ce dernier dŽcde (999), c'est son adjoint, l'archidiacre du diocse, LiŽry, qui est Žlu contre Brunon, malgrŽ l'opposition de plusieurs chanoines. ContestŽ, LiŽry part ˆ Rome faire confirmer son Žlection par le pape Sylvestre (Gerbert, son ancien ma”tre ˆ Reims) et, ˆ son retour, se heurte ˆ Fromond (comte de 999 ˆ 1012). LiŽry recommence le long voyage de Rome pour obtenir du pape qu'il ordonne aux Žvques suffragants de le consacrer et de le secourir. On imagine facilement le type de rapports qui s'instaurent ensuite entre le comte et l'archevque !
Fromond mort, lui succde son fils Rainard le mauvais (iniquorum iniquissimus) qui, de 1012 ˆ 1055, sera le dernier comte. Son comportement est marquŽ par l'Žchec de 999 : d'un c™tŽ, animositŽ contre l'Eglise (vexations et spoliations) ; de l'autre, anticipation de la perte de la citŽ. Rainard dŽveloppe sa mainmise alentour. Il Žtablit ou renforce une sŽrie de forts/fiefs qu'il tient dŽjˆ ou dont il s'empare, ˆ des endroits de passage obligŽ, sur les autoroutes de ce temps, les grandes rivires ou leurs affluents, notamment Montereau sur la Seine (au dŽtriment de l'Žvque), Joigny sur l'Yonne (au dŽtriment de l'abbaye de Ste Marie), FertŽ-Loupire etc. A Mont d'Ouanne, le ch‰teau Žtabli par son pre au milieu de la rivire lui paraissant trop faible, il en Žrige un deuxime, en haut, sur le mont (au dŽtriment de l'abbaye de Ferrires) : Ch‰teau Rainard. L'auteur de L'art de vŽrifier les dates (T.11, p 301) affirme catŽgoriquement (on ne sait sur quelle base) : Il laissa deux fils, Fromond qui lui succŽda comme comte et Renaud qui eut en partage Ch‰teau-Renard. Fils ou parent, la garde de Ch‰teau-Renard Žchoit ˆ Renaud (Rainier, Rainard) dont sortiront nos Courtenay.
Depuis que, en 1002, ˆ la mort de Henri de Bourgogne, son quasi fils, Otte-Guillaume, comte de Bourgogne, s'est saisi du "duchŽ", le roi Robert II, le pieux, fils de Capet, le lui dispute. Robert le Pieux n'accepta pas [Otte-Guillaume] : la Bourgogne fut au centre de ses activitŽs durant une large partie de son rgne. Il lui fallut douze ans de guerre pratiquement incessante pour Žliminer ce prŽtendant et reconquŽrir le duchŽ, depuis Sens et Auxerre, citŽ aprs citŽ. PacifiŽ, il le donna en 1015 ˆ son fils Henri, le futur roi Henri 1er...( Bautier, 1985)
Fin
1002,
Otte, soutenu par Brunon de Langres, Landri de Nevers et maints seigneurs locaux, s'empare d'Auxerre qui tient la Bourgogne. L'Žvque
d'Auxerre ne le suit pas et reste fidle ˆ Robert qu'il appelle au secours.
En 1003 Robert amasse une armŽe. Il passe par Sens pour impressionner Fromond au bŽnŽfice de LiŽry et Žchoue devant Auxerre, l'imprenable. Il pille les terre de l'Žvque de Langres. Il revient en 1005 et assige Avalon aprs avoir fait la paix avec Otte : celui-ci renonce ˆ disputer le duchŽ, Žtant menacŽ ˆ l'Est par Henri de Germanie qui vise, via son Žpouse Gisle, le royaume de Bourgogne (Rodolphe). Cette fois, Robert prend Auxerre.
En 1015, l'archevque de Sens, LiŽry, qu'il se sente menacŽ ou excŽdŽ, ou bien qu'il veuille assurer au roi la porte de la Bourgogne (la route vers Auxerre et Autun), l'appelle au secours (1015). Robert saute sur l'occasion (s'il ne l'a pas provoquŽe). Les troupes royales s'emparent de la ville le 22 avril, mettent le feu, bržlent et massacrent la population, peut-tre parce qu'elle soutient le comte, peut-tre par habitude : Venientes vero qui missi fuerant a rege coeperunt urbem cum nimia depopulatione, partem etiam ejus non modicam incendio cremavere (Glaber, LIII, CH6, p71). Fromond, le frre de Rainard, rŽsiste dans la grosse tour et, vaincu, est emprisonnŽ ˆ OrlŽans.
Li cuens Renarz eschapa et s'enfui touz nuz. S'il perd ses habits et la ville, il tient toujours ses campagnes et leurs forts. AlliŽ au rival du roi, l'ambitieux Eudes de Blois (985-1037), futur comte de Troyes, il lui permet de lier ses possessions de part et d'autre de la Seine en lui donnant Montereau (des terres disputŽes par l'Žvque) o ils construisent un ch‰teau qui devint ensuite fort nuisible au roi et ˆ l'archevque de Sens. UltŽrieurement, Rainard et Eudes reprennent Sens, dŽvastant tout, puis Rainard accepte un compromis : sa vie durant, il gardera Sens qui, aprs, sera partagŽe entre l'Žvque et le roi. On comprend que, revenu, il en veuille ˆ Liery et le persŽcute autant qu'il peut.
Mais Sens n'est pas encore au roi ! d'abord parce que Rainard vit jusqu'en 1055, ensuite parce que LiŽry meurt en 1032, au milieu des troubles liŽs ˆ la succession du roi Robert. En effet, Henri 1er a succŽdŽ ˆ son pre Robert le Pieux le 20 juillet 1031 [...]. Il se heurte immŽdiatement ˆ une formidable opposition, menŽe par sa mre elle-mme et son frre Robert, mais animŽe surtout par Eudes II de Blois, remuant et ambitieux, par le comte de Valois Raoul, un cousin, et le comte de Sens Renard. Il est aidŽ en revanche par les ennemis du comte de Blois, le comte d'Anjou et celui de Joigny dont il dŽsigne le fils comme archevque de Sens (Bautier, 1985, p 543). Eudes de Blois, alliŽ ˆ la reine-mre Constance, s'empare de Sens et le garde de 1032 ˆ 1034, sans profit pour Rainard dŽbordŽ par son alliŽ. Le nouveau roi (Henri) parviendra ˆ reprendre la ville et ˆ installer son archevque, Gilduin de Joigny, ˆ la place de celui des chanoines et d'Eudes de Blois, Mainard, auquel, en compensation, Eudes donne l'ŽvchŽ de Troyes. Plus tard (1049), Gilduin sera destituŽ et Mainard, son rival malheureux, se substituera ˆ lui.
Le
roi Henri s'Žtant alliŽ ˆ Conrad II contre Eudes de Blois qui dispute ˆ l'empereur le royaume de Bourgogne, Eudes riposta en formant avec certains seigneurs de l'Ile-de-France une nouvelle coalition ˆ laquelle prit part le second frre du Roi [Eudes], mŽcontent de n'avoir reu aucun apanage. Alors s'ouvrit une seconde pŽriode de guerres (1034-1039)... La mort du comte Eude II [1037] ne la termina pas : ses fils ƒtienne et Thibaut luttrent avec la mme ‰pretŽ. MenacŽ encore une fois d'tre dŽpossŽdŽ de la couronne, Henri Ier reprit Sens, dŽfit son frre Eude et l'emprisonna ˆ OrlŽans... Aprs la mort du comte de Sens, Rainard, alliŽ fidle d'Eude II, le SŽnonais fut annexŽ dŽfinitivement au patrimoine capŽtien (Luchaire, 1910, p 161),
Rainard mourra comme un grand homme, avec prodiges et temptes (1055). Ses droits passeront au roi (Henri) qui marquera le point contre le comte de Blois. On ne sait trop ce que sauvent les anciens comtes, ce qu'obtient le roi, et ce que garde l'Žvque car la ville est divisŽe en plusieurs parties, les terres du comte nombreuses, les prŽtentions et droits enchevtrŽs. L'Žvque conservera jusqu'en 1790 les quatre baronnies de Nailly, St Julien-du-Sault, Villeneuve-l'Archevque et Brienon et leurs dŽpendances.
C'est la fin de la pŽriode comtale pendant laquelle le groupe familial s'est ench‰telŽ alentour. L'absence de chef de "maison" le dŽcompose (ou rŽsulte de sa dŽcomposition). Joigny prend le ch‰teau-haut de Mont d'Ouanne (Ch‰teau-renard) et Hatton, fils de Renaud, tient le ch‰teau-bas (ˆ moins que ce ne soit l'inverse). Le conflit entre les deux provoque l'Žviction ou le retrait de Hatton qui se replie sur Courtenay.
A Courtenay, entre Ch‰teau-Renard et Sens, Hatton, le fils d'un castelier du chastel Renart, construit un fort sur une terre anciennement prise ˆ l'abbaye de Ferrires, vraisemblablement, une motte castrale ˆ partir ou ˆ la place d'une premire superstructure de Rainard le vieux. Une position judicieuse sur un affluent du Loing, ˆ la limite du SŽnonais et du G‰tinais, ˆ mi-chemin entre Sens et Montargis, sur la route de Paris ˆ la Bourgogne.
Ce qui compte n'est plus l'honor (mme patrimonialisŽ) mais les droits rŽels attachŽs ˆ l'espace. En tŽmoigne le retournement opŽrŽ en deux gŽnŽrations : le comte Rainard donna son nom ˆ son ch‰teau et au bourg avoisinant qui le porte toujours (Ch‰teau-Renard, 45220) ; Hatton, au contraire, prend celui de l'endroit o il plante sa base. "Courtenay" devient son surnom, sans autre titre que le commun dominus. Les noms s'enracinent et ce qui restait des villes-fonctions (qui continuent parfois ˆ signer les comtes, comme Blois, Nevers etc.) cde la place ˆ des enveloppes territoriales de droits.
Courtenay sera le marqueur d'une lignŽe fŽodale. Au fur et ˆ mesure que l'Žvolution des structures de parentŽ verticalise les groupes sur l'axe paternel et que le pouvoir s'ancre au sol, de tels toponymes affichent et rŽsument origines, droits et parentŽs alors que, auparavant, les parentles largement endogamiques, dŽpourvues d'identifiants, mais non de mŽmoire, se laissaient difficilement apprŽhender de l'extŽrieur. L'Eglise a stimulŽ cette mutation en instrumentalisant l'institution centrale du mariage : illicŽitŽ des unions d'appoint (polygamie) et norme exogamique. Les interdits "incestueux" sont Žlargis ˆ un tel degrŽ qu'ils cassent les groupes horizontaux : ds le IXe sicle, l'Eglise proclame la prohibition des unions jusqu'au septime degrŽ canonique de parentŽ (genicula). Cette interdiction impossible ˆ respecter rend la plupart des mariages illŽgaux, conditionnels, et les subordonne ˆ la complaisance de l'Eglise. Plus tard, Latran IV (1215) ramnera les cas interdits au quatrime degrŽ canonique mais ajoutera les affins.
Hatton, un maillon d'une large et longue cha”ne entrecroisŽe, sera vu par les gŽnŽalogistes des Courtenay royaux comme l'anneau auquel s'attache leur descente, un NoŽ originaire qui aurait pris pied dans un monde vide. En 1661 du Bouchet commencera ainsi son Histoire gŽnŽalogique de la Maison Royale de Courtenay : Le premier de ses Ayeux qui s'est garenty de l'oubly, paroist dans le Continuateur de l'Histoire d'Aimoin, sous le nom de CHASTELAIN DE CHASTEAV-RENARD. Et on apprend de cet Auteur qu'il avoit un fils nommŽ ATHON, qui se rendit fameux par sa valeur & qui fortifia le Chasteau de COVRTENAY sous le Regne du Roy ROBERT.
RŽtrospectivement, on gratifie Hatton des armoiries des Courtenay (d'or ˆ trois tourteaux de gueules) qu'il ne saurait avoir eues : ce n'est que bien plus tard que le bin™me nom/blason devient constitutif d'identitŽ collective (Nassiet, 1994). Les armes et le cri, pas plus originaires que les noms, reprŽsentent initialement des "logos" de combat attachŽs aux personnes, non au lignage. Encore ˆ la fin du XIIe sicle, le fils de "Pierre de France", ne sera pas associŽ ˆ gueules ˆ trois tourteaux d'or mais au champ d'azur semŽ de billettes de Nevers (son Žpouse), armes que sa promotion impŽriale (Constantinople) remplacera par des croix.
Un groupe hŽraldique suppose des armoiries identitaires. Si les expŽditions outremer ont ŽtŽ la matrice des "logos", le passage de l'individu au lignage suppose une double normalisation, celle des armes et celle des familles. Le timbrage fixe ne commencera qu'ˆ partir du XIIIe sicle, comme produit d'une infŽodation hŽrŽditaire qui s'exprime par le nom (de terre) et les armes (de famille). Les "fondateurs" n'en avaient pas ou en portaient d'autres, personnelles et temporaires.
Les Courtenay et les comtes de Boulogne affichent les mmes armes, cela ne prouve pas des anctres communs. On peut admettre une co•ncidence : aussi anciennes que primitives, ces armes associent une figure de base (les tourteaux seront les meubles les plus usitŽs) ˆ des couleurs vivement contrastŽes (jaune et rouge). Ce "visuel" ŽlŽmentaire se peint, se repre et se reconna”t aisŽment. Aucun notaire, aucun juge d'armes ne dressait alors catalogue pour empcher les doublons et les imitations. Nombreux furent ceux qui revinrent des croisades avec, sur leur Žcu, des merlettes, des coquilles, des figures ondŽes ou des besants (MŽnestrier). Des ronds rouges sur fond jaune, quoi de plus simple ?
Quelles que soient ses couleurs, voilˆ Hatton, rescapŽ du naufrage comtal, ou pilleur d'Žpaves s'il a mis a profit la confusion pour s'implanter. On ne sait de quelles alliances et parentle, il hŽrite. Si la lignŽe qu'il fonde n'est pas insignifiante, elle appara”t mŽdiocre. Les domini de Courtenay ne sont pas les hŽritiers du comte Rainard, seulement des sous-produits. Ils restent sur le marchŽ, ils ne l'influencent plus. Quoique, nŽcessairement, ils participent aux luttes des petits et grands "fŽodaux" entre eux et avec le roi, aucun d'entre eux ne se signale. Faut-il l'imputer au manque de documentation ? ˆ leur habiletŽ ? ˆ leur passivitŽ ? ˆ leur manque de moyens ? Ils se marient bien, ils agrandissent leur patrimoine, ils comptent mais Ñsi j'ose direÑ ils ne "comtent" plus.
Qu'ils ne soient pas nŽgligeables, on le voit par le mariage du fils de Hatton, Josselin : il Žpouse Hildegarde, fille de Geoffroy "FerrŽol" Seigneur de Ch‰teau-Landon, comte de G‰tinais, & d'Ermengarde d'Anjou, Žgalement parents de Geoffroy le barbu et de Foulques RŽchin. Par elle, il devient co-seigneur de Montargis. Josselin se remarie en 1065 avec ƒlisabeth (Isabelle), l'une des MontlhŽry sisters issues de Guy le Grand, seigneur de MontlhŽry, et de Hodierne de Gometz-la-FertŽ. Montlhery was one of those troublesome castellan families - others were Beaugency, Montfort, and Le Puiset - which in the eleventh century had come to dominate the territories round Paris at the king's expenseÉ(Riley-Smith, 1997, First Crusaders, 170).
Josselin s'allie ainsi ˆ un clan puissant en conflit constant avec le roi de Paris. Les deux lignages, MontlhŽry et Puiset, basŽs ˆ la pŽriphŽrie du petit cÏur capŽtien, sont le type des "brigands fŽodaux" dŽnoncŽs par le lobby royal. De leur puissant donjon, ils font leurs affaires sans tenir compte du roi ou contre lui. Vers 1079, la "guerre du Puiset", un soulvement presque gŽnŽral de cette fŽodalitŽ contre Philippe I. (Fliche, 1912), stimulŽe peut-tre par Guillaume le ConquŽrant, a fini par une lourde dŽfaite du roi et de ses alliŽs. On se souvient de la longue sŽrie d'expŽditions que Louis VI le batailleur, d'abord comme roi dŽsignŽ, ensuite comme roi, Ñet Louis VII aprs luiÑ, devra conduire pour s'imposer et que Suger emphatisera. Le donjon du Puiset sur la route de Paris ˆ OrlŽans n'a cessŽ d'tre attaquŽ, parfois pris et dŽtruit, ensuite reconstruit, puis attaquŽ ˆ nouveau, etc.
Les MontlhŽry sisters sont fameuses par l'abondance et la qualitŽ de leur descendance. Leurs frres non plus ne sont pas insignifiants.
Parmi ces enfants de Guy et Hodierne, notons:
* Milon "le Grand" de Bray, seigneur de MontlhŽry
* Guy "le Rouge", comte de Rochefort
* MŽlisende x Hughes de Rethel par lequel leur fils Baudoin du Bourg tient aux comtes de Boulogne, parentŽ gr‰ce ˆ laquelle il se fera roi de JŽrusalem (Baudoin II) et en fondera la lignŽe (MŽlisende => Baudoin III, Amaury I => Baudoin IV, Sybile=> Baudoin V...)
* Alix x Hugues le Puiset, "Blavons" de Breteuil, Vicomte de Chartres
* Isabelle x Josselin de Courtenay
* MŽlisende "Caravecina" x Pons de Tra”nel, Seigneur de Pont-sur-Seine
* Hodierne (Ermesende) x Gauthier, Seigneur de Saint-ValŽry
Isabelle et Josselin ont pour fils un Miles ou Milon, nŽ en 1068 (mort aprs 1127), et un Josselin, probablement l'a”nŽ. Nous le verrons au chapitre suivant, ce dernier participe en 1101 ˆ la malheureuse arrire-croisade du comte de Nevers, survit, et devient seigneur de Turbessel (1102-1113) en Syrie, prince de TibŽriade (1113-1119), enfin comte dÕƒdesse (1119-1131). Aprs lui, deux gŽnŽrations de Courtenay appartiendront aux Grands d'outremer : ses successeurs (Josselin II et III), la reine-mre Agns et sa fille, Sybille, reine de JŽrusalem.
Milon, le frre de Josselin, ou bien n'a pas cŽdŽ aux mirages, ou bien est restŽ pour remplacer son a”nŽ comme dominus, dŽfendre les terres et les agrandir. Il se marie grandement en 1095 ˆ Ermengarde, fille de Renaud II, comte de Nevers, et dÕIda/Raymonde (elle-mme fille d'Artaud V, comte de Lyon et Forez, et veuve de Guigues, comte d'Albon et de Grenoble). A l'approche de sa mort, Milon fonde en 1124 l'abbaye cistercienne de Fontaine-Jean ˆ charge de prier pour lui, restitution partielle de terres prises ˆ l'Eglise et institution d'une "basilique" familiale. Milon achve la territorialisation en fixant les morts au sol. Fontaine-Jean, entre Ch‰teau-Renard et Champignelles, dŽtruite plusieurs fois pendant la guerre de cent ans, sera anŽantie pendant la rŽvolution.
Les fils de Milon, Guillaume et Renaud (Reinaldus de Monteargiso), partent outremer avec Louis VII, volens nolens. Le premier meurt et Renaud (Rainard, Rainier etc.) revient aussit™t en France occuper son hŽritage ; il "domine", en tout ou en partie, les seigneuries de Courtenay, Ch‰teau-Renard, BlŽneau, Tanlay, Charny, Montargis etc., sans qu'on sache de quoi il Žtait suzerain et de quoi vassal. Il semble avoir ŽpousŽ Helwise, fille de Ferry de Donjon. Vers 1150, il "disparait" (cf. infra, chp. 3), et sa fille ƒlisabeth (Isabeau) lui succde, un beau morceau, ˆ la premire pŽriphŽrie du domaine royal, qu'il fallait garder des mains concurrentes. Le roi donne ˆ Pierre, son plus jeune frre, la fille, les terres et le nom. On conna”t la suite.
Avant d'en arriver lˆ, nous ferons un dŽtour par l'Outremer o brillent Josselin et sa descendance, jusqu'ˆ ce que le reflux des Francs les emporte.
Fin XIe, la "rŽvolution des ch‰teaux" est terminŽe, mme si ses rŽsultats restent provisoires (concurrences). Ce sont ces hommes, les ch‰telains, leurs chevaliers, leurs hommes et leurs prtres, qui passent Outremer et Ñsoulignons la diffŽrence avec l'expŽdition quasi contemporaine des Normands en Angleterre Ñ, ils ne sont pas dirigŽs par un chef. Ce sont des armŽes de comtes. En ce sens, la 1re croisade (1095-1099) exporte la "rŽvolution des ch‰teaux".
MalgrŽ les droits de l'empereur de Constantinople, la conqute de l'Outremer sur les Žmirs "musulmans" en fait un pays ouvert. Le turning point d'Antioche est Žclairant : la ville conquise, on "oublie" l'empereur. A NicŽe, l'empire, prŽsent et actif, avait rŽcupŽrŽ la citŽ sans contestation. A Antioche, l'armŽe impŽriale, trompŽe, se retire et BohŽmond se dŽclare prince souverainÑnon sans combats (avec Raymond de Toulouse d'abord, Alexis Comnne ensuite, et bien sžr les Turcs).
La mŽsaventure franque de l'empire "romain" en Syro-Palestine n'est ni sans prŽcŽdents, ni sans remdes. L'empire utilise frŽquemment des barbares ÑCumans ou NormandsÑ contre d'autres : les chiens mordent les chiens (Francos cum Turcis praeliantes, quanti canes se invicem mordentes). Ces "alliŽs" se contr™lent difficilement, surtout lorsque, victorieux, ils cherchent ˆ se mettre ˆ leur compte et ˆ s'installer (cf. avant la croisade, les tentatives successives de HervŽ, Crispin et Roussel). L'empire Ñet Alexis, personnellementÑ en a l'habitude. En fin de compte, quelques dizaines d'annŽes plus tard, les empereurs Jean II et Manuel reprendront le contr™le de la Syrie. Mais le temps de l'empire est passŽ, la "rŽvolution des ch‰teaux" le renversera (1204) et, de Constantinople ˆ la Grce continentale en passant par les ”les, il Žclatera en princŽes, duchŽs, baronnies et seigneuries. La "quatrime croisade", comme la premire, sera une expŽdition de barons avides alors que les infructueuses deuxime et troisime ont ŽtŽ des guerres royales (Housley, 2006, pp. 66-67).
On conna”t les trois Josselin successifs par l'Histoire des faits et gestes dans les rŽgions dÕoutre-mer de Guillaume de Tyr (c1130-c1184) dont le succs mondial, dans son temps et le n™tre, doit autant ˆ ses qualitŽs narratives qu'ˆ son exhaustivitŽ : Guillaume est le seul ˆ couvrir tout le sicle, mme s'il n'en a pas connu directement la premire moitiŽ. Les Josselin ne sont pas absents non plus des chroniques armŽniennes et arabes qui ont enregistrŽ leurs faits d'armes et leurs cruautŽs. Comme ils ont marquŽ la politique et laissŽ des traces dans les chartes, l'historiographie des Croisades ne les ignore pas : par exemple, on compte une centaine d'entrŽes dans les deux premiers tomes de l'Histoire des croisades de Grousset (1934).
Murray (2006) rŽsume ainsi l'histoire de ces Courtenay d'Outremer :
L'un des petits-fils d'Hatton [de Courtenay], le redoutable Josselin ( 1131) vint en Outremer autour de 1101 et devint seigneur de Turbessel dans le comtŽ d'Edesse, alors gouvernŽ par son cousin Baudoin du Bourg. PrivŽ de sa seigneurie par Baudoin en 1113, Josselin rejoignit le royaume de JŽrusalem et fut fait seigneur de TibŽriade [prince de GalilŽe]. Lorsque Baudoin devint roi de JŽrusalem, il infŽoda le comtŽ d'Edesse ˆ Josselin. La famille de Josselin acquit une puissante position, en mlant conqutes et politique matrimoniale, notamment ˆ travers d'Žtroites relations et intermariages avec la noblesse latine et armŽnienne. MalgrŽ la prise du comtŽ d'Edesse par les musulmans, les enfants de Josselin II ( 1159) devinrent des personnages centraux du royaume de JŽrusalem : Agns ( aprs 1186) Žpousa Amaury, comte de Jaffa, et son frre Josselin III ( 1200) devint sŽnŽchal du royaume. Quoique Agns fžt contrainte au divorce quand Amaury devient roi (1163), elle et Josselin devinrent trs influents durant le rgne du fils d'Agns, Baudoin IV (1174-1185). Ils jourent un r™le dŽterminant dans la nomination d'HŽracle [HŽraclius d'Auvergne] comme patriarche latin de JŽrusalem (1180) et assurrent la couronne ˆ la fille d'Agns, Sybille (1186). Leurs actions ont ŽtŽ jugŽes sŽvrement par les historiens, en partie sous l'effet de l'Histoire de Guillaume de Tyr, leur ennemi. Les filles de Josselin III se marirent ˆ des occidentaux et vendirent leurs terres ˆ l'ordre teutonique (ma traduction).
Organiser l'exposŽ par rapport ˆ Edesse est ˆ la fois commode et pertinent. Josselin premier est associŽ ˆ ce rŽsultat accidentel de la 1re croisade, Edesse dont le comtŽ fournit ses rois au royaume et, en mme temps, constitue sa pointe avancŽe et son rempart. Josselin second perd Edesse (1144-1151) et la 2nde croisade qui devait la reprendre tourne au g‰chis. Il meurt aprs une longue captivitŽ. Ses enfants, Agns et Josselin troisime, rŽinvestissent leur capital dans la politique du royaume de JŽrusalem. Ce panier de crabes ne rŽsiste pas ˆ Saladin, et la croisade de la dernire chance ne sert ˆ rien.
Josselin (Joscelin, Jocelyn, Gauzlin, Djoslin, Josseran, Jozeran) ne s'est pas joint aux premiers contingents. Il n'a pas participŽ ˆ l'ŽpopŽe hŽro•que, ni au sige d'Antioche, ni ˆ la prise de JŽrusalem. C'est sans lui que Baudoin de Boulogne s'attribue Edesse, moins un comtŽ franc quÕun comtŽ armŽnien ˆ direction franque (Cahen, 1940).
Josselin arrive aprs la conqute, comme d'autres membres du groupe MontlhŽry-Puiset venus renforcer l'emprise du clan et trouver Outremer une heureuse compensation ˆ la pression royale en Ile-de-France (ou une Žchappatoire aprs dŽfaite). Dans ce terrain d'aventures ouvert o les morts au combat permettent un renouvellement permanent, o il suffit de conquŽrir pour se placer, tout guerrier peut trouver un seigneur ˆ servir, une veuve ˆ Žpouser, une troupe ˆ commander, un ch‰teau ˆ garder et, par lˆ, s'il a de la chance, prendre "l'ascenseur social". Les exemples ne manquent pas dans ce territoire incertain, fragmentŽ, polycentrique et menacŽ. Mais les envahisseurs apportent avec eux leurs "rapports sociaux", marquŽs, non par l'individu, mais par le groupe.
La Croisade se composait d'armŽes distinctes (et non convergentes), celles des Normands de Sicile, des Normands de Normandie, des "Provenaux", des "Lorrains" etc, chacune sous le drapeau de son Grand, chacune assemblant des bandes avec leur big man qui s'emploie ˆ fŽdŽrer ÑcoagulerÑ ses hommes. Toute action collective passe par des conseils, pressions, discussions, marchandages, indemnisations. Une fois le pays conquis, la disponibilitŽ des terres et la fluiditŽ des marches donnent de la plasticitŽ aux relations "fŽodales" importŽes. Dans ce cadre gŽnŽral, les groupes de clientle et de parentŽ (souvent articulŽs) sont la norme et la clef.
Les MontlhŽry-Puiset rŽussiront particulirement bien : ils dominaient les colonies du Levant Žtablies ˆ la suite de la 1re croisade et dirigeaient le mouvement. Le roi de JŽrusalem Žtait l'un d'entre eux. Le comtŽ d'Edesse dans le nord de l'Irak et les deux plus importantes seigneuries de Palestine Žtaient dans les mains de cousins. Un quatrime cousin Žtait abbŽ de l'un des plus prestigieux monastres de JŽrusalem et un cinquime fut patriarche (bien qu'il se soit rŽvŽlŽ un handicap). Ils s'allirent par mariage avec les chefs des deux autres colonies, la principautŽ d'Antioche et le comtŽ de Tripoli [...] Peu de chevaliers gagnrent beaucoup aux croisades, mais les MontlhŽry en ont profitŽ de manire spectaculaire, mme si leurs ambitions ne furent jamais totalement satisfaites (Riley-Smith, 1997, First Crusaders, p 7-8, ma traduction)
Citons en particulier, le fameux Hugues du Puiset, comte de Jaffa : en 1132, ˆ la tte des barons du parti de la reine MŽlisende, sa cousine, il s'opposera au roi Foulques et, quoique dŽfait, empchera celui-ci d'Žvincer celle-lˆ (Mayer, 1972; Besson, 2015). Il est le petit-fils de Hugues Ier Blavons, seigneur du Puiset, et d'Alice, l'une des fameuses MontlhŽry sisters comme la mre de Josselin.
Josselin, vraisemblablement, vient avec l'arrire-croisade de Guillaume de Nevers, le beau-frre de son frre. Il fait partie du petit nombre de survivants qui rŽussissent ˆ gagner Antioche.
Il arrive au bon moment : Baudoin du Bourg, le fils de sa tante MŽlisende de MontlhŽry, vient d'tre enfieffŽ du comtŽ Edesse par Baudoin de Boulogne qui, aprs la mort de son frre Godefroy "de Bouillon" (1100), s'impose comme roi de JŽrusalem, malgrŽ le patriarche et Tancrde d'Antioche. Devant abandonner son comtŽ, il le confie ˆ son cousin du Bourg.
Il reste beaucoup ˆ faire dans un pays fait de small pockets of territory surrounded by lands ruled by autonomous warlords, either Armenian or Turkish...Even those areas under his direct rule had Armenian soldiers and castellans (MacEvitt, 2008, p 75-6). Baudoin du Bourg, centrŽ sur Edesse, a besoin d'un homme fiable pour tenir la partie occidentale du comtŽ et le guŽ sur l'Euphrate : il Žtablit son cousin Josselin seigneur de Tell Bashir and Rawandan (ibid., p. 80).
A partir de son installation ˆ "Turbessel" (Tell Bashir), Josselin appara”t dans les chroniques et chansons dont certaines, rŽtroactivement, le listent dans les chefs de la 1re Croisade (Mathieu d'Edesse) ou mme, sous le nom de Jozeran, le comptent parmi ceux qui ont pris JŽrusalem. Il s'illustre par ses exploits guerriers et ses captivitŽs (1104-08 et 1122-23) dont la dernire deviendra une lŽgende: emprisonnŽ avec le roi Baudoin II et le cousin GalŽran du Puiset, ils s'emparent du ch‰teau o ils sont dŽtenus. Josselin part chercher des secours, traverse les lignes ennemies dŽguisŽ en paysan, franchit l'Euphrate accrochŽ ˆ des outres. Pendant ce temps, le ch‰teau est assiŽgŽ et repris. Ses dŽfenseurs massacrŽs, sauf le roi, son neveu et GalŽran. Josselin revenant avec les secours, apprend qu'il est trop tard et commet d'immenses ravages en reprŽsailles. Cet Žpisode abondamment repris (d'Albert d'Aix ˆ Orderic Vital) illustre aussi le soutien armŽnien ˆ Josselin.
Josselin ˆ l'ouest, Baudoin ˆ l'est de l'Euphrate. Le premier dŽfensif (contre Antioche), le second offensif (vers la MŽsopotamie). StratŽgiquement, le comtŽ protge les autres Etats latins. AppuyŽ au Nord et ˆ l'Ouest aux montagnes armŽniennes dont les vallŽes descendent vers l'Euphrate, il s'ouvre ˆ l'Est sur Mossoul et au Sud sur Alep Ñ un coin entre la Syrie musulmane et les Žmirats de MŽsopotamie (Stevenson, 1907). Dans ce comtŽ hŽtŽrogne et coupŽ par l'Euphrate, la coopŽration de Baudoin et Josselin, mise entre parenthses pendant leur captivitŽ commune (Harran, 1104), devient problŽmatique aprs leur libŽration (1108) quand l'Žquilibre est rompu : d'une part, le compromis avec les chefs armŽniens sur lequel il se fondait est affectŽ par les soupons et les attaques de Baudoin ; d'autre part, l'offensive de Mawdžd, difficilement contenue, conduit Baudoin ˆ abandonner partiellement la partie orientale ravagŽe (1110).
En consŽquence, la partie occidentale (Turbessel) devient le cÏur du comtŽ. Baudoin la rŽcupre en accusant Josselin de trahison (1113). Celui-ci rejoint le roi de JŽrusalem, Baudoin de Boulogne, qui le recycle ˆ TibŽriade (seigneurie de GalilŽe, l'une des deux grandes PrincŽes du royaume), d'o il mnera des attaques sur le Hauran.
A la mort du roi (1118), Josselin, loyal ˆ son cousin et/ou inquiet de l'ŽventualitŽ d'un roi Žtranger, contribue de faon dŽcisive au "coup d'Etat" qui donne la couronne ˆ Baudoin du Bourg. Pour autant que l'hŽrŽditŽ compte dans l'Žlection du roi par les barons, du Bourg, simple cousin du roi, n'Žtait pas le candidat naturel. En 1100, la couronne passa de Godefroy ˆ son frre Baudoin de Boulogne en respectant la hereditarie successionis antiquissimam legem. Baudoin mourant sans enfant malgrŽ ses deux mariages, les barons choisissent son frre Eustache, comte de Boulogne. Josselin, lui, s'oppose ˆ un roi Žtranger au pays et plaide pour un qui soit prŽsent et acclimatŽ (du Bourg). Les partisans d'Eustache partis le chercher ˆ Boulogne, Josselin rŽunit ˆ nouveau le conseil des barons. En tant que prince de GalilŽe, il est un des principaux du royaume et, d'autre part, du Bourg ne manque pas de soutiens : le conseil rŽvoque la dŽcision prŽcŽdente et Žlit du Bourg qui Ñpar un heureux hasard qu'on attribue gŽnŽralement ˆ JosselinÑ se trouve ˆ JŽrusalem en plerinage. Il se fait couronner aussit™t. There can be no doubt that Joscelin of Courtenay, who as lord of Galilee was the greatest magnate in the kingdom, had manipulated a parlement to get his first cousin the throne... (Riley-Smith, 1997, First Crusaders, pp. 173-4).
Baudoin II, aprs son avnement, pour asseoir son pouvoir, place ses parents et amis aux postes de commande. Pour rŽcompenser Josselin (ou l'Žloigner ?), il le met ˆ la tte du comtŽ d'Edesse, confiant la GalilŽe ˆ un autre cousin, Guillaume de Bures.
Josselin se rŽinstalle ˆ Turbessel, dans la partie utile du comtŽ. Outre l'ennemi naturel, il doit s'occuper de la relation avec Antioche qui, en 1108, avait tournŽ ˆ la guerre ouverte : pendant la captivitŽ de Baudoin, la garde du comtŽ fut confiŽe ˆ Tancrde, prince d'Antioche ad interim aprs le dŽpart de BohŽmond. Tancrde l'a dŽlŽguŽe ˆ son cousin, Richard de Salerne (Richard du principat) dont la rŽgence et les exactions ont excitŽ beaucoup de mŽcontentement. On ne s'Žtonnera pas que les deux ne fassent aucun effort pour la libŽration de Baudoin et Josselin. Lorsqu'elle survient quand mme, ils refusent de rendre le comtŽ. Les deux camps s'affrontent en bataille rangŽe, chacun avec ses alliŽs musulmans.
Josselin, devenu comte, essaie d'obtenir la paix en se remariant ˆ Marie d'Antioche (1121), la fille de son ancien ennemi Richard. Le frre de Marie, Roger, devenu RŽgent d'Antioche par la mort de Tancrde, lui donne Azaz (Hasart), une place capitale ˆ la jonction des deux comtŽs. Le conflit rebondira lorsque BohŽmond II viendra occuper son hŽritage (1127) : Joscelin summoned Turkish forces to his banner and with their aid ravaged the principality of Antioch during the summer of 1127 and compelled the Antiochenes to recognize his rule (Nicholson, 1969). Sous une forme ou une autre, la tension se maintiendra ˆ la gŽnŽration suivante. Josselin II et Raymond de Poitiers (Raymond d'Antioche) refuseront de s'entraider, ce qui contribuera ˆ la chute d'Edesse et, par contrecoup, ˆ l'affaiblissement d'Antioche.
La non coopŽration est d'autant plus dommageable que les deux entitŽs sont prises en tenailles entre les "Turcs" et la reconqute byzantine (Diehl, 1903). Raymond sera contraint ˆ reconna”tre la suzerainetŽ de l'empereur (1137), comme Josselin II (1142). RŽvoltŽ, puis battu, Raymond mendiera son pardon ˆ Constantinople (1144). Pour les empereurs Jean et Manuel qui, outre leurs qualitŽs personnelles, profitent d'une situation favorable, la Cilicie, Antioche, Edesse, appartiennent ˆ l'empire et leurs princes en sont dŽpendants. Edesse perdue et son comte prisonnier (1150), son Žpouse BŽatrice vendra les restes ˆ l'empereur (qui les perdra ˆ son tour). De l'autre c™tŽ, le successeur de Raymond, le calamiteux Renaud de Chatillon, aprs ses provocations en Cilicie et ˆ Chypre, verra arriver une armŽe impŽriale ˆ Antioche et devra s'humilier ˆ plat ventre (1158). Manuel, ma”tre de la Syrie (ce qui en reste), deviendra le protecteur des Latins. Des alliances croisŽes seront nouŽes. La stratŽgie d'Alexis rŽussit : les barbares sont solubles dans l'empire.
Josselin I est mort la mme annŽe que Baudoin II (1131). With Baldwin and with Joscelin dead, the old generation of pioneer Crusaders was ended (Runciman). Comme Baudoin du Bourg, Josselin a ŽpousŽ une princesse armŽnienne dont le capital relationnel est prŽcieux. Baudoin ayant Žtabli son contr™le sur le comtŽ, Josselin passe ˆ l'expansion qui, par nŽcessitŽ (main d'Ïuvre militaire) et par attrait (pillage, conqutes), se mne conjointement avec les ArmŽniens : While Baldwin II had built up the internal structure of the county, Joscelin was a vigorous military leader intent on expanding the county's boundaries ((MacEvitt, 2004, p. 93).
Josselin II hŽrite du comtŽ d'Edesse en 1131 et Žpouse en 1132 BŽatrice, veuve de Guillaume de Sa™ne (Sahyun). Ils engendreront :
1) Agns qui fr™lera la Couronne par le second de ses quatre mariages (Renaud de Marash, Amaury frre du roi, Hugues de Ibelin, Renaud de Sidon) ;
2)
Josselin
(futur III) ;
3) Isabelle qui maintiendra l'indispensable alliance armŽnienne en Žpousant un prince des montagnes, le rupŽnide Thoros.
Josselin II appara”t dans toutes les histoires des Etats latins comme le nom de leur premire dŽfaite stratŽgique : son comtŽ, pice la plus avancŽe de l'ensemble, est le premier ˆ tomber. Guillaume de Tyr lui reproche d'avoir vŽcu dans le luxe et la dŽbauche ˆ Turbessel au lieu de dŽfendre Edesse. Mais, on l'a vu, la partie au-delˆ de l'Euphrate est dŽlaissŽe depuis 1110. La citŽ d'Edesse est un centre commercial et une forteresse habitŽe, bien plus qu'une capitale. Ses fortifications et sa position avancŽe et stratŽgique lui valent autant d'attaques et de siges qu'elle en repousse jusqu'ˆ ce que, en 1144, le puissant Zengi la conquire. En 1146, Josselin tente de la reprendre et Žchoue. Edesse, au lieu d'tre le verrou d'Alep, devient un point d'appui de Nur ad-Din quand il prend possession aprs la mort de son pre Zengi (1146).
Que Josselin II sžt ou non que son cousin germain Renaud viendrait avec la "seconde croisade", on imagine avec quelle impatience il devait attendre celle-ci et quelle dŽception elle lui apportera. InitiŽe pourtant par la chute d'Edesse et la nŽcessitŽ de secourir le Nord, cette expŽdition aggravera la situation : Pendant la pŽriode de la "seconde croisade", il n'y eut aucune coopŽration entre le Nord et le Sud, et mme l'inimitiŽ commena ˆ remplacer l'indiffŽrence qui s'Žtait rŽvŽlŽe si nuisible. Les seules guerres avec les Musulmans qui intŽressaient JŽrusalem Žtaient ˆ ses propres frontires... Au lieu de s'associer ˆ Antioche et Damas contre Nuredin, ils attendirent l'inŽvitable attaque et employrent l'intervalle ˆ s'aliŽner leurs alliŽs [Damas] et ˆ abandonner ˆ Nuredin les avantages qu'ils possŽdaient (Stevenson, 1907, pp. 154-5, ma traduction).
Nul doute que, en 1148, ˆ Antioche, Josselin, comme Raymond de Poitiers, comme aussi AliŽnor et ses barons aquitains, ne pousse ˆ attaquer Nur ad-Din ˆ Alep, ce qui, en outre, aurait portŽ un coup indirect ˆ l'empereur Manuel, toujours soucieux de limiter les ambitions et le potentiel "latin" en Syrie du Nord.
Mais ni le "turc", ni le grec n'avaient rien ˆ craindre: Louis VII obnubilŽ par JŽrusalem, rapte son Žpouse AliŽnor et s'enfuit littŽralement d'Antioche. Edesse oubliŽe, la croisade, dŽjˆ bien mal partie, va s'autodŽtruire ˆ Damas. Ce choix rŽsulte d'une multitude de raisons, principalement la fragmentation des Etats Latins et la lutte pour le pouvoir ˆ JŽrusalem entre les deux co-rois, la mre et le fils. L'expŽdition ˆ Damas se fait sans le concours d'Antioche, ni de Tripoli, ni d'Edesse, et, comme on le sait, abandonne en quelques jours. Outre les difficultŽs propres de l'affaire, les barons de MŽlisende contribuent ˆ son Žchec.
L'affrontement armŽ de la mre et du fils au printemps 1152 apporte la victoire au second. Baudoin rgne enfin. A sa mort (1162), lui succde son frre Amaury, le fils fidle de MŽlisende, elle-mme dŽcŽdŽe en 1161.
Quant aux restes du comtŽ d'Edesse, pris entre deux meules, celle de Massoud d'Iconium et celle de Nuredin, BŽatrice, l'Žpouse de Josselin, les a vendus ˆ l'empereur. Elle se replie sur JŽrusalem avec son argent et ses enfants. L'empereur a payŽ pour rien, il ne parviendra pas ˆ dŽfendre ses acquisitions. Tout est dŽfinitivement perdu en 1151. Josselin II, lui, aprs une dizaine d'annŽes de captivitŽ ˆ Alep, meurt en 1159, un mois avant que l'empereur obtienne de Nuredin la libŽration des captifs.
Mme si Josselin III reste comte titulaire d'Edesse, la suite de l'histoire se passe ˆ JŽrusalem o, on le verra, Agns, sa sÏur, joue un r™le important.
En compensation de ses pertes au Nord, le jeune Josselin reoit de Baudoin III des terres autour d'Acre et un fief-rente sur les revenus du port (Nicholson, 1973). Ses succs militaires lui valent d'tre marŽchal du royaume (connŽtable en second) de 1156 ˆ 1159. Sa position s'amŽliore encore par le mariage de sa sÏur Agns avec Amaury, le frre du roi (1157). Mais Josselin est capturŽ ˆ la bataille d'Harrim (Harenc), probablement en 1164, avec les autres chefs : Colomon (gouverneur de la Cilicie byzantine), Bohemond III d'Antioche, Raymond III de Tripoli, Hugues de Lusignan. Josselin reste longtemps prisonnier ˆ Alep tandis d'autres paient leur ranon ou sont rachetŽs par leurs proches. Il ne rŽappara”t qu'en 1176, sauvŽ par sa sÏur Agns.
Agns, fille de Josselin II, a fr™lŽ la couronne en 1162 quand son Žpoux Amaury en a hŽritŽ. Mais les barons n'en voulaient pas comme reine et Amaury l'a sacrifiŽe : une opportune dŽcouverte de consanguinitŽ justifie le dŽmariage. Les contemporains expliquent l'Žviction par des facteurs personnels : Agns Žtait trop vieille, sa conduite rel‰chŽe, elle serait mme "bigame" etc. Mais, comme la plupart du temps, les arguments ad feminam cachent et expriment ˆ la fois une lutte de factions. BŽatrice ne s'Žtait pas repliŽe seule d'Edesse et sa cour de barons "rŽfugiŽs" entourait Amaury. Les Grands de JŽrusalem rŽcusaient cette influence Žtrangre.
Ce "divorce" se prŽsente curieusement : le mariage est dŽclarŽ ˆ la fois nul et valide. Les ex-Žpoux ont le droit de se remarier (Agns aussit™t, Amaury en 1168 avec Marie Comnne, nice de l'empereur Manuel) ; et en mme temps, leurs enfants, Baudoin et Sybille, restent lŽgitimes et conservent la totalitŽ de leurs droits hŽrŽditaires ˆ la couronne, alors que si le mariage Žtait rŽputŽ n'avoir jamais existŽ, il ne produirait aucun effet.
Agns Žpouse le puissant Hugues de Ibelin, seigneur de Rama. Douze ans aprs, en 1174, la mort d'Amaury transmet la couronne ˆ son fils Baudoin (IV), encore mineur. Agns, mre du roi, revient au premier plan. Par raison de famille ou besoin de soutien, elle fait racheter Josselin par le TrŽsor royal (1176). Le royaume vit ses dernires annŽes : ˆ partir de l'Egypte, Saladin prend Damas et commence sa longue conqute de la Syrie de Nuredin et des possessions latines.
Josselin est aussit™t nommŽ sŽnŽchal (administrateur) du royaume. Par achats, assignements, Žchanges et hŽritages, il agrandit son propre domaine en terres et en fiefs-rente et redevient un grand seigneur : la seignorie dou conte Jocelin, known then as now only by that rather indefinite title, was never an homogeneous unit but was always an agglomŽration of separate entities welded together by the man who acquired them and dispersed almost immediately after his death (La Monte, 1938). Acteur important dans la politique du petit royaume, il est du parti d'Agns et des barons qui combattent la prŽpondŽrance de Raymond de Tripoli.
A la mort de Baudoin IV le mezel (1185), la couronne aurait dž passer ˆ sa sÏur Sybille dont la vie conjugale est accidentŽe car, hŽritire prŽsomptive, elle fera roi un mari qu'on lui cherche apte ˆ couronne. Le comte de Sancerre ayant dŽclarŽ forfait, c'est Guillaume longue ŽpŽe, fils a”nŽ du marquis de Montferrat qui l'Žpouse en 1176 et meurt aussit™t de maladie, laissant un fils posthume, Baudouinet. Le duc de Bourgogne, pressenti pour Žpouser la veuve (1179), tarde trop. Sybille choisit Baudoin de Ibelin mais il est capturŽ et, ˆ son retour, la trouve fiancŽe ˆ Guy de Lusignan qu'a jetŽ dans ses bras son frre Amaury de Lusignan, connŽtable du royaume, alliŽ ˆ la reine-mre Agns. Mais les Grands ne veulent pas du calamiteux Guy. Baudoin IV, justement inquiet de sa mŽdiocritŽ, l'a ŽloignŽ du pouvoir et, pour court-circuiter Sybille et Guy, a sautŽ une gŽnŽration en dŽsignant pour successeur (et en l'associant ˆ lui de son vivant) le petit Baudouinet, le fils de Sybille et de Montferrat. Raymond de Tripoli devient rŽgent du royaume et Josselin tuteur de son petit-neveu.
La rapide mort de l'enfant (1186) ouvre la bataille contre Raymond de Tripoli. Le tr™ne est vacant. On demande aux rois d'Europe de l'attribuer et, en attendant, Raymond resterait rŽgent. Sybille s'empresse de prendre la couronne, en tant qu'hŽritire naturelle de son fils.
Josselin joue un r™le dŽcisif dans ce coup d'Žtat. Par ruse, il empche le RŽgent de venir ˆ JŽrusalem. Par force, il prend le contr™le militaire de la ville. Reste le problme du mari de Sybille. Les barons la mettent en demeure de divorcer. Une scne de comŽdie : elle accepte ˆ condition de choisir elle-mme son nouveau mari et dŽsigne... Guy. En fin de compte, ils sont couronnŽs tous deux.
Les barons du parti adverse ne parviennent pas ˆ leur opposer un anti-roi, abandonnent Raymond et se rallient ˆ JŽrusalem. Pour leur malheur. Dans une situation militaire difficile, l'aventurisme de Guy de Lusignan et sa mŽfiance ˆ l'Žgard de Raymond conduiront au dŽsastre d'Hattin (juillet 1187) o il sera capturŽ, avec Josselin et bien d'autres.
L'armŽe latine dŽtruite, Saladin ne rencontre plus de rŽsistance en Palestine Ñsauf TyrÑ et entre dans JŽrusalem en Octobre 1187. Ds lors, le royaume ne sera plus qu'un croupion, mme si virtuellement il se continue ˆ Chypre.
Josselin, rel‰chŽ avec Guy en 1188, se heurte avec lui ˆ Conrad de Montferrat, frre de Guillaume, qui vient de sauver Tyr et aspire ˆ la royautŽ. Josselin accompagne Guy au sige d'Acre (Akka). Saladin concentre ses forces pour aider les assiŽgŽs et la troisime croisade (Philippe Auguste, Richard d'Angleterre etc.) apporte les siennes aux assiŽgeants. La ville finit par tre prise en Juillet 1191 aprs deux ans d'efforts et de rŽsistance. Victoire sans lendemain.
On ne sait plus rien de Josselin (After that nothing is known of him) : s'il est encore en vie aprs Acre, il aura probablement soutenu Guy dans son dŽrisoire combat avec Conrad pour la "royautŽ" et, peut-tre, en 1192 l'aura-t-il suivi ˆ Chypre, son lot de consolation. A moins que la mort de sa nice Sybille (1190) par laquelle il touchait ˆ la couronne ne lui fasse abandonner la partie. A plus de soixante ans, sa carrire Žtait finie.
De son mariage tardif avec Agns de Milly, fille de Henri le buffle (Bubalus), il reste deux filles, "Biatris et AnnŽs" (Lignages d'Outremer, chp. XXVIII : Ci dit des contes de Rohais).
La premire, mariŽe d'abord ˆ un frre du "roi" Guy, Žpouse ensuite Othon de Botenlauben, comte de Henneberg, vraisemblablement arrivŽ avec la croisade germanique de 1197. Plus tard, elle vend aux chevaliers Teutoniques ce qui restait de sa part dans la seigneurie de Jocelin (1220), et accompagne son mari en Allemagne o, dit-on, leur pierre tombale commune se voit encore au clo”tre de Frauenroth qu'ils ont fondŽ en 1231.
La seconde s'unit ˆ Guillaume de MandŽlŽe, un Normand de Calabre rŽcemment arrivŽ dont elle a (peut-tre) un fils qui poursuit obscurŽment la lignŽe.
Au dŽbut du XIIIe sicle, quand, en Orient, le rideau tombe sur cette quatrime gŽnŽration des descendants de Josselin de Courtenay et d'Isabelle/Elisabeth de MontlhŽry, il semble se lever sur la deuxime Maison de Courtenay, "royale" par le mariage de Pierre, fils de Louis VI, avec la fille de Renaud. Ils engendrent une sŽrie de Courtenay, dŽsormais "capŽtiens", dont l'a”nŽ, nommŽ Pierre, chargŽ et rechargŽ d'Žpouses hŽritires par Philippe Auguste, ne rŽsiste pas ˆ l'attrait de l'empire (latin) de Constantinople (1217). Toutefois, si toute couronne est bonne ˆ prendre, les unes ont plus d'Žpines que les autres et celle de Constantinople tout particulirement. Le destin impŽrial de Pierre avorte : repoussŽ par les Grecs de Durazzo, il n'arrive jamais ˆ Constantinople et meurt dans les montagnes. Sa veuve, l'empŽrire Yolande ( 1219), son grand fils Robert ( 1228), son fils posthume Baudoin se dŽbattent dans une situation impossible : l'empereur latin de Constantinople, pratiquement sans domaine propre, sans pouvoir sur Venise ni sur les barons latins qui ont essaimŽ partout et ne se soucient pas de lui, sans secours extŽrieurs suffisants, pris entre les Grecs et les Bulgares, entourŽ par les Turcs, l'empereur est un fant™me qui s'Žvanouit en 1261 quand les Grecs reconquirent la ville. L'histoire reprend son cours. Les deux Siciles, comme au temps des Normands de Guiscard mais dŽsormais sous les Angevins, rvent toujours de l'hŽgŽmonie en MŽditerranŽe orientale, des Balkans ˆ Constantinople. L'ex empereur latin Baudoin s'allie ˆ Charles d'Anjou (1267). Les Anjou-Courtenay prennent pied en MorŽe (principautŽ d'Acha•e) mais rien ne marche et les Turcs concluront.
Courtenay impŽriaux et Courtenay d'Edesse, ˆ un sicle d'intervalle, les deux sŽquences illustrent des aspects opposŽs de l'introduction des Francs dans un Orient o ils ne manquent ni d'ennemis, ni d'alliŽs (souvent les mmes). La "rŽvolution des ch‰teaux" qu'ils importent fait gagner les premiers Courtenay et perdre les seconds. L'Žchec des premiers est principalement exogne (dŽfaites militaires), celui des seconds endogne : dans le monde que les Francs de 1204 emportent avec eux et plantent dans ce qui restait de l'empire grec, il n'y a pas de place pour un souverain. C'est le paradis des barons qui tondent le vilain, s'Žbattent, tournoyent, guerroyent et s'Žpanouissent alors que, en "France" o la pression Žtait ˆ prŽsent plus forte, ils devraient tenir compte de l'Žmergence royale. Josselin aurait ŽtŽ comme un poisson dans l'eau : il aurait ŽpousŽ une princesse bulgare ou grecque, prtŽ hommage ˆ un duc ou un autre et se serait taillŽ une baronnie.
On se souvient que Milon de Courtenay, le frre de Jossselin, a ŽpousŽ en 1095, Hermangarde, la fille unique de Renaud (ii) comte de Nevers. Ils ont trois fils : deux disparaissent et le troisime est ce Renaud (Regnaud, Rainard, RŽgnier) ˆ partir duquel l'histoire des Courtenay bifurque.
Renaud appartient aux grands du petit royaume (proceres regni). Il serait arrire-cousin du Roi par son a•eule maternelle quatrime. LiŽ ˆ ce qui compte dans la noblesse du temps et du lieu, il Žpouse la fille de Guy du Donjon, descendant des comtes de Corbeil. Elle lui donne deux filles. En 1147, ce Renaud part en croisade avec le roi. Ses frres ayant dŽcŽdŽ, il hŽrite de son pre et rentre prŽmaturŽment. Et, en 1151, Renaud dispara”t, laissant derrire lui ses terres et ses filles. Le Roi Louis VII case la cadette en la mariant ˆ Avelon, sire de Suilly (en Donziais), et donne l'ainŽe, Isabeau, ˆ son frre Pierre. Ce dernier prend le nom, les armes (d'or ˆ trois tourteaux de gueules) et les terres de Courtenay. Rien ne serait plus banal si Renaud Žtait dŽcŽdŽ ou si, vivant et incapable de produire un fils, il avait tout abandonnŽ ˆ sa fille ˆ charge de transmettre le nom et tout ce qui va avec. Mais il n'a fait ni l'un ni l'autre. Renaud est si bien vivant et fŽcond que, en Angleterre, il engendrera le lignage des Courtenay (ou Courtney, Curtney), encore prŽsent aujourd'hui : Charles Peregrine Courtenay, Pair d'Angleterre.
On lit en France : Pierre Žpousa Isabeau, hŽritire de Courtenay. Comme si Renaud Žtait mort.
On lit en Angleterre : Renaud se querella avec le Roi qui saisit ses biens et fit Žpouser sa fille ˆ son frre (He quarrelled with King Louis VII, who seized Renaud's French possessions and gave them along with Renaud's daughter Elizabeth to his youngest brother).
Sans ce mystre, la mutation de Renaud en "anglais" ne surprendrait pas : "France" et "Angleterre" n'ont pas encore divergŽ, les nobles des deux c™tŽs parlent la mme langue et s'enchevtrent. Depuis la conqute normande, beaucoup sont possessionnŽs des deux c™tŽs du canal. Par exemple, Simon de Montfort est comte de Leicester par sa mre, et son fils cadet, passŽ en Angleterre, dirigera la seconde guerre des Barons contre Henry III (1264-1267).
Le cousinage est universel et les fidŽlitŽs volatiles, comme l'illustre, entre autres, la perpŽtuelle oscillation des Poitevins ou des Comtes de Boulogne, ˆ la jointure "gŽopolitique" des deux Royaumes en formation : Henry accueillera - et mme attirera - ceux qui sont mŽcontents de Louis. Et rŽciproquement, Louis protŽgera Becket et les fils rŽvoltŽs d'Henry.
On ne sait rien de la dispute avec le roi qui annule Renaud. Elle sera tue ou oubliŽe des deux c™tŽs. Sans autre appui que des indices, je suggre deux conjectures cumulables (section 1) et discute ensuite la transformation de Renaud en Reginald (section 2).
La fuite ou l'exil de Renaud pourrait s'expliquer par sa participation au complot du frre de Louis VII (a) et/ou au remariage de sa femme (b).
Les rivalitŽs, voire guerres, entre frres perturbent la royautŽ, presque ˆ chaque gŽnŽration, jusqu'ˆ la fin. Robert de Dreux, frre de Louis VII, tente de mettre ˆ profit son absence (1146-1149) pour s'emparer du pouvoir. Impossible d'tre sžr que Renaud participe, quoique les guerres du Puiset ne soient pas loin et que, apparentŽ aux MontlhŽry-Puiset, l'autoritŽ du roi ne l'effraie gure. Que, en 1149, il attaque et dŽpouille des marchands qui voyagent sous la protection du roi, est-ce brigandage ordinaire ou association aux dŽmarches illicites dont Robert Žtait le centre ou le drapeau ?... une conspiration, qui, par ses ramifications, par le rang et la naissance de son auteur, Žtait le plus grand danger qu'ait encore couru le tr™ne des CapŽtiens (Combes, 1853).
Robert a une position forte, bien mariŽ, bien pourvu en terres et en alliances, hŽritier prŽsomptif de la Couronne, puisque son frre ainŽ dans les ordres et le roi sans fils (il faudra attendre 1165). En dŽsaccord avec Louis VII ˆ propos de Damas, il quitte la croisade prŽmaturŽment en mme temps que Renaud (fin 1148 ou dŽbut 1149) : les perturbateurs du repos public sont de retour, Žcrit au Roi le RŽgent, le vieux Suger, abbŽ de St Denis, qui a difficilement surmontŽ les rŽvoltes de 1147/48 et dont la position reste problŽmatique. Maints seigneurs s'irritent contre les empitements royaux ; maints Žvques, abbŽs ou chanoines, s'irritent des rŽformes ecclŽsiastiques de Suger ; grands et petits s'irritent du ranonnement du peuple pour (ou sous prŽtexte de) financer la croisade. En outre, les "royaux" contestent le droit de Suger ˆ gouverner : Robert et les deux autres frres du Roi (Philippe, du chapitre de Ste Corneille ˆ Compigne, et Henri, Žvque de Beauvais), soutenus par la Reine-mre, Adle de Savoie, veuve remariŽe ˆ Mathieu Ier de Montmorency, ennemi de l'abbaye de St Denis ; jusqu'ˆ Louis VII qui craint que son RŽgent n'abuse du pouvoir et ne se prenne pour le roi.
Dans cette crise, les mŽcontents poussent Robert en avant. Au sicle suivant, une lŽgende naitra en Bretagne (dont son petit-fils sera devenu comte) et courra partout : Robert aurait ŽtŽ le frre a”nŽ de Louis, indument ŽcartŽ de la Couronne, sous prŽtexte de btise. Quelques historiens la reprendront (cf. Duchne, 1631).
A”nŽ ou non, Robert escompte l'appui de Thibaut le grand, le puissant comte de Champagne, frre d'Etienne de Blois, roi d'Angleterre, et compŽtiteur historique du roi dont il a encore rŽcemment souffert : Louis, en 1142/1143, a envahi la Champagne et, entre autres destructions, pris, pillŽ et incendiŽ Vitry o des centaines d'habitants, rŽfugiŽs dans l'Žglise, ont bržlŽ avec elle. Mais, par jalousie, prudence, ou pression de son fils Henri, loyal au roi, Thibaut se range du c™tŽ de Suger, avec Thierry, le comte de Flandres. Le comte de Vermandois reste ambigu, comme le Chancelier Cahors.
Suger fait face avec dŽtermination. Soutenu par les autoritŽs de l'Eglise, Bernard de Clairvaux et le Pape (Eugne III), l'abbŽ de St Denis convoque un "parlement", une assemblŽe des Grands, ˆ Soissons pour le 8 mai 1149. Preuve de sa fragilitŽ, il ne parvient pas ˆ la rŽunir. L'incertitude des rapports de force la repoussent de trois mois, au 4 aožt.
Robert a proposŽ de trancher le dŽbat ˆ l'ancienne, par un duel avec son principal opposant, Henri de Champagne, fils du comte, afin de prouver par sa victoire que Dieu soutient sa cause. La mŽthode "parlementaire" de Suger triomphe. Robert, aveuglŽ par sa haine contre Henri, manque d'habiletŽ ; l'art oratoire de Suger et ses menaces d'excommunication submergent les hŽsitants que la proclamation rŽaffirmŽe de la loyautŽ des armes de Flandres et Champagne impressionne. Les Grands, mis en demeure de dŽfier publiquement le Roi, de surcro”t protŽgŽ par sa prise de croix, ren‰clent ˆ sauter ce double pas. S'opposer, combattre, marchander, se passe dans le jeu. On condamne (Žventuellement, on exŽcute) les "mauvais conseillers" du Roi, on ne touche pas au Roi. DŽsavouer le Roi, c'est renverser le jeu.
Robert Žchoue ˆ dissocier Suger du roi pour prendre la rŽgence ˆ sa place. Plus subtil, il aurait pu rŽussir et, au retour d'un Louis dŽmoralisŽ par son Žchec en Palestine et ses dŽboires conjugaux, "satisfaire" son vÏu notoire de rejoindre un couvent. Le roi abdiquant, il "recueillait" la couronne.
Suger triomphant, Robert reconna”t qu'il a perdu et demande pardon. La Vie de Suger Žcrite par son admirateur contemporain, Guillaume, donne de l'affaire une version, ˆ la fois anecdotique et glorieuse : Avant que le roi fžt de retour, son frre (Robert) revint de JŽrusalem. Quelques hommes du peuple, qui toujours est facile ˆ se laisser entra”ner vers les nouveautŽs, se mirent ˆ courir sur le passage de ce prince et lui souhaiter une longue vie et le pouvoir suprme; il y en eut mme parmi le clergŽ, qui, mŽcontens que certaines choses se fissent dans le royaume autrement qu'ils ne voulaient, cherchrent ˆ sŽduire Robert par de perfides adulations, ˆ lui inspirer une confiance aveugle dans son sang royal, et ˆ le pousser ˆ quelques dŽmarches illicites... Mais comme un lion qui sent sa force, le juste Suger, instruit des projets prŽsomptueux de Robert, et voulant empcher qu'il ne le troubl‰t dans l'exercice du pouvoir qui lui Žtait confiŽ... s'entendit avec les fidles du royaume, et ne cessa de s'opposer aux efforts du frre du roi, que lorsqu'il eut par sa prudence rŽprimŽ l'audace de Robert (Vie de Suger, L III, Ed. Guizot 1825, p 187/188). Cette source et les autres (lettres de et ˆ Suger etc.) sont reprises dans L'art de vŽrifier les dates (continuŽ par Saint-Allais, Tome 3, 1818, 2, 160) : La malheureuse expŽdition de Damas le [Robert] brouilla avec le Roi... Il fut des premiers, aprs la levŽe du siŽge, ˆ reprendre la route de France. Son arrivŽe dans ce royaume y jeta le trouble par les tentatives qu'il fit, de concert avec plusieurs mŽcontents pour enlever la rŽgence du royaume ˆ Suger. Sa partie Žtait si bien faite, qu'il se vit sur le point de rŽussir...
Robert et les siens ont encore une chance : leur position se rŽtablirait si le Roi, absent depuis deux ans, ne rentrait pas ou, rentrŽ, dŽsavouait Suger. C'est presque le cas : parti en juin (1149) de Palestine, Louis VII, interceptŽ par des "pirates" byzantins, leur Žchappe gr‰ce 'ˆ des navires siciliens qui passaient par lˆ. Ensuite, rencontrant une violente tempte, un miracle le prŽserve du naufrage.
ArrivŽ en aožt en Sicile, une foule de barons et prŽlats accourent ˆ sa rencontre pour renouveler contre Suger des accusations qui le troublent (animum turbaverunt), malgrŽ les protestations du pape Eugne. Les hŽsitations de Louis lui font prolonger plusieurs mois son sŽjour en "Italie". Lorsque, en novembre, Louis rejoint enfin son royaume, il doute tellement de Suger qu'il le convoque ˆ une entrevue prŽalable ˆ Cluny : Ayant reu, en effet, sur l'Žtat de notre royaume, une foule de bruits diffŽrents, et ne sachant pas ce qu'il y a de certain ˆ cet Žgard, nous voulons apprendre de vous-mme comment nous devons agir envers chacun, et contre qui nous devons nous tenir en garde. Peut-tre pense-t-il ˆ s'emparer du RŽgent puisqu'il le fait venir secrtement et seul, ce qui le met ˆ sa discrŽtion.
Mais, par affection ? crŽdulitŽ ? respect ? persuasion ? religion ?, Louis se laisse convaincre par Suger de son innocence et de son dŽvouement. Il le complimente publiquement et, ˆ la CicŽron, le qualifie de pre de la patrie.
Robert, battu, peut encore espŽrer attraper la couronne : pendant quinze ans le Roi engendrera fille aprs fille. Ce n'est qu'aprs un troisime mariage, maints plerinages et une "intervention divine" que na”tra enfin Philippe dieudonnŽ (1165), plus tard auguste.
Revenons ˆ notre Renaud. Si, comme il est vraisemblable, il a fait partie du groupe de Robert, Suger ou le comte de Champagne, ne pouvant pas se venger de l'intouchable frre et hŽritier du Roi, aura puni ses amis et, en particulier, donnŽ l'hŽritire et les biens de Renaud au dernier frre du Roi, ce Pierre qui n'a rien et qui, par sagesse, btise ou insignifiance, n'a pas suivi Robert.
Une autre possibilitŽ : aprs l'Žchec de Robert, Renaud, compromis, menacŽ peut-tre, abandonne tout, s'enfuit et passe au Plantagent dans les bagages d'Eleanor.
Renaud et Louis se sont dŽjˆ heurtŽs lorsque tout ce monde Žtait en Palestine et que la conduite de la reine ˆ Antioche faisait dŽbat (Aurell, 2005). Raymond de Poitiers, son trop bel oncle, voulait orienter la croisade vers la reprise d'Edesse dont, nous le savons, le comte titulaire (Josselin II de Courtenay) Žtait le cousin germain de Renaud. Tout poussait ce dernier ˆ se joindre ˆ Raymond, Josselin, AliŽnor, ses vassaux et autres barons, pour combattre le lobby jŽrusalŽmite et l'obstination de Louis qui le conduiront devant Damas (une erreur et un Žchec). Ces tensions ont pu provoquer ou prŽcipiter son retour.
La question de la Reine est lourde d'implications, prŽsentes (Raymond ou Louis ?), imminentes (Edesse ou Damas ?), prochaines (donnera-t-elle un fils au Roi ?) et futures (Plantagent). Peut-tre, dŽjˆ, Renaud opte-t-il pour elle. Peu d'annŽes plus tard, toute ambigu•tŽ se dissipe : aprs le "dŽmariage" d'ElŽonore (1152), Renaud s'entremet dans son union avec Henri Plantagent, bient™t Roi d'Angleterre, qu'elle Žpouse trs vite.
Sans reprendre ce que narrent tous les livres d'histoire, rappelons que Louis prend trs mal l'affaire. D'une part, aprs beaucoup d'hŽsitations, en tant que suzerain, il a nagure reconnu au Plantagent la Normandie que son pre (Geoffroy d'Anjou) avait arrachŽ au roi d'Angleterre (Etienne de Blois). Henri prte foi et hommage puis se dŽdit. D'autre part, aprs le remariage d'Eleanor (mai 1152), les deux Žpoux rgnent sur la Normandie, l'Aquitaine, la Bretagne, le Poitou, le Maine, le Berry, l'Auvergne etc. et prŽtendent au comtŽ de Toulouse. En outre, ce mariage de l'ex-femme du roi moine avec le jeune et pŽtulant angevin appara”t comme une insulte personnelle et un dŽni fŽodal puisqu'ils bafouent leur suzerain au lieu de lui demander son aveu.
Le courroux du roi se traduit en actes. Ds le mois suivant, le Roi attaque la Normandie. Soutenu par son fidle Henri de Champagne, il s'allie aux ennemis d'Henry : son frre Geoffroy qui veut l'Anjou, et son cousin Etienne de Blois qui dŽfend sa couronne d'Angleterre. La multiplicitŽ des enjeux provoque celle des champs de bataille : Angleterre, Anjou, Aquitaine, Normandie... Aprs maintes pŽripŽties, la mort du fils d'Etienne (1153) fait de Henry son successeur et lui donne la couronne en 1154. En 1156, il prte ˆ nouveau hommage au roi de France pour la Normandie, au nom de son fils toutefois.
En quatre ans, Henry a gagnŽ sur tous les tableaux. Et, plus encore, puisque, lui, il a dŽjˆ eu d'Alienor deux fils dont un vivant alors qu'elle n'a laissŽ que des filles ˆ Louis !
Cause ou consŽquence de la brouille avec son roi, il est dit que Renaud a contribuŽ efficacement au rapide remariage d'AliŽnor avec Henry (having been very instrumental in effecting the match). Qu'il ait ŽtŽ partisan de la reine depuis Antioche ou qu'il le soit devenu aprs son retour, il a trempŽ dans la prŽparation de ce coup d'Žclat. En effet, celui-ci n'a pas pu se concevoir, se dŽcider et s'exŽcuter en huit semaines, mme si l'accŽlrent les tentatives de capture auxquelles AliŽnor Žchappe de justesse lorsque, de Paris, elle rentre en Aquitaine : la chasse ˆ l'hŽritire Žtait ouverte.
AliŽnor, anticipant ou souhaitant son "divorce", se serait mise d'accord avec Henry ds l'ŽtŽ 1151, quand il vient ˆ Paris avec son pre prter hommage pour la Normandie. Renaud a pu jouer un r™le ˆ ce moment ou dans les mois suivants. Une fois le mariage cŽlŽbrŽ et la guerre commencŽe, il ne lui restait qu'ˆ dŽfendre AliŽnor en combattant pour Henry. Comme nous le verrons, le roi d'Angleterre rŽcompense Reginald en lui accordant Sutton (Berkshire), puis en lui donnant l'occasion de devenir baron d'Okehampton, "patron" de l'abbaye de Forde, gouverneur du ch‰teau d'Exeter et sheriff du Devon. Ses descendants, devenus comtes hŽrŽditaires de Devon, comptent dans les soixante familles qui constituent la ruling elite de l'Angleterre (Davies, 2009) et sont actifs dans son histoire, notamment pendant la "guerre des deux roses" o leur adhŽsion ˆ Lancastre leur vaut dŽcapitations et forfaitures. Ils se relvent avec la victoire Tudor. Henry Courtney, d'abord couvert de bienfaits par Henry VIII, est ultŽrieurement, dŽcapitŽ tandis que son fils Edward reste enfermŽ ˆ la Tour. Ce dernier, libŽrŽ quinze ans plus tard par l'avnement de la reine Mary et rŽtabli comte du Devon, a failli en tre ŽpousŽ...
En France, sans procs ni guerre locale, sans confiscation ni reprise, les domaines de Renaud sont saisis ou au moins retenus par le Roi. Renaud, de son vivant, se dŽpouillerait-il volontairement au profit d'une fille trop jeune pour ne pas tomber en tutelle ? Non, il s'enfuit ou est chassŽ. Le Roi prend la fille en garde, l'Žlve ˆ la cour, puis la donne, elle et ses biens, ˆ son frre cadet comme s'ils Žtaient sans ma”tre. Ce marcottage Žradique les vrais Courtenay et greffe la lignŽe sur une nouvelle souche.
Pierre le coucou devient "sire de Courtenay" et en prend les armes pour ce qu'elle (la fille) lui fut accordŽe ˆ celle charge (du Tillet), comme si le roi voulait effacer Renaud. Ces Courtenay rŽinitialisŽs forment une seconde Maison qui rŽpudiera la premire.
Plus tard, on dira que Pierre, tel EsaŸ, a ŽchangŽ cupidement ses (faibles) droits ˆ la royautŽ contre un (copieux) plat de lentilles. Dans son temps, le changement de nom ne choque pas. La substitution se pratique couramment en l'absence d'hŽritier et, dans une alliance asymŽtrique, ˆ l'instar d'une adoption, le petit s'honore de prendre le nom du grand. Or Courtenay vaut beaucoup plus que ce petit Pierre, tellement insignifiant que, seul de toute sa fratrie, il ne porte pas de nom royal. Ses frres s'appellent Philippe (comme le pre du Gros), Louis (le Hlodowig emblŽmatique), Henri (comme le grand-pre du Gros), Robert (comme l'arrire grand-pre et le fondateur de la dynastie), Hugues (comme le premier Capet), et encore un Philippe. Lui, c'est Pierre, un nom qui, jamais en France, n'a ŽtŽ ni ne sera royal. Pierre, comme si la liste Žtait ŽpuisŽe et la rŽserve d'hŽritiers suffisante. A ce moment, chez les puissants, les noms importent (Werner) et programment des destins. Dans le code royal, Pierre signifie " zŽro".
Jusqu'ˆ son mariage, on le nŽglige : ni son pre, ni son frre Roi, ne lui donnent la moindre charge ou la moindre terre. Cette inconsistance, jointe ˆ son nom apostolique (Pierre fait sens dans le code Žpiscopal), le voue ˆ l'Eglise o plusieurs de ses frres sont dŽjˆ casŽs. Il sera repchŽ de justesse et par hasard.
Au contraire, Robert, hŽritier prŽsomptif, est lancŽ t™t dans les eaux "anglo-franaises". Aprs un mariage avec la comtesse de Montfort, il est uni ˆ la Dame de Braine, de la maison des comtes de Salisbury. Il adopte les armes de Braine (ŽchiquetŽ d'or et d'azur ˆ la bordure de gueules). Puis, ds 1135, il trouve un nom (surnom) quand le Roi lui attribue en fief hŽrŽditaire le comtŽ de Dreux qu'il transmet ˆ trois sicles de descendants jusqu'ˆ la fille finale (Jeanne 1346). Une branche cadette engendrera une dynastie de Comtes puis Ducs de Bretagne en ligne directe jusqu'en 1341.
Aprs 1150, Robert, devenu loyal et/ou prudent, jouera un r™le de premier plan dans les guerres royales tandis que notre Pierre restera "junior", sans rien en propre.
Tandis que la continuitŽ patrilinŽaire se poursuit du c™tŽ anglais o demeurent les vrais Courtenay descendus d'Athon directement par m‰les, Pierre crŽe une nouvelle Maison, Courtenay par fille et capŽtienne par m‰le. Du Bouchet, l'historiographe des Courtenay au XVIIe, la fera commencer ˆ Louis VI et renverra les anciens Courtenay en marge, au paragraphe traitant de l'Žpouse de Pierre : les Courtenay royaux n'admettent pas d'autre anctre que Louis VI le gros.
Notons et soulignons que ces Maisons s'ignoreront, du dŽbut jusqu'ˆ la fin. Quoique les tiers les connaissent toutes deux, ils ne les rapprochent pas. DŽbut XVIIe, le roi d'Angleterre s'Žtonnera devant les Courtenay rŽsiduels franais venus chercher refuge : nous avons ici des gens de votre nom. Pour expliquer cette troublante gŽmellitŽ, on fera sortir les Courtenay anglais d'un fils d'Athon qui aurait conquis l'Angleterre avec Guillaume le B‰tard. C'est la version qu'adoptera sans grande conviction du Bouchet : Athon... fut pre de Josselin I du nom, Sr de Courtenay, & comme je crois, d'un autre fils qui suivit Guillaume ˆ la conqute d'Angleterre & qui donna origine ˆ la Maison qui a portŽ le nom & les Armes de Courtenay au mme Royaume & qui subsiste encore (p. 7).
Cette indiffŽrence rŽciproque surprend en un temps d'alliances multiples, de cousinage intense et de va-et-vient continuels. Elle traduit une rupture, dŽfinitive quoique implicite, dont la mŽmoire survit au souvenir. En France, Renaud le "bad boy" n'existe pas. Aprs son retour de croisade, il s'Žvanouit.
Les Courtenay d'ici s'obscurcissant peu ˆ peu tandis que les autres, de longue main plantŽs en grandeur (du Tillet), brillent dans l'histoire d'Angleterre. Ironique revanche, seuls les vrais, les anglais, restent connus, y compris de l'Histoire de France o ils font des passages remarquŽs : le cartel que, en 1386, Richard II d'Angleterre pousse son Courtenay ˆ lancer ˆ Guy de la TrŽmoille, chambellan du duc de Bourgogne, a ŽtŽ cŽlŽbrŽ par Froissart, ainsi que la joute subsŽquente avec le sire de Clary. Aprs le traitŽ de Troyes, l'admiral de Henry VI d'Angleterre, Edward Courtenay devient "amiral de France" (1439), titre auquel il figure au tome 7 du Pre Anselme (Grands officiers de la Couronne), sa notice Žtant suivie d'une gŽnŽalogie des Courtenay d'Angleterre, supposŽs issus d'un compagnon de Guillaume le ConquŽrant.
C'est cette hypothse que nous devons examiner ˆ prŽsent car, en antidatant la sŽparation des deux Maisons, elle ferait du mariage de Pierre et d'Isabeau un incident sans importance.
Dans l'Angleterre angevine, un pays trs ouvert, passablement agitŽ et king-centred, les contemporains de Reginald le connaissent comme puissant baron du Devon venu de France. Il n'y a pas d'autre Courtenai que celui du G‰tinais. Ces Courtney en sont sortis, mais quand ? et comment ? L'hypothse normande (XIe sicle) des gŽnŽalogistes franais demande examen, mais la tradition anglaise est trop bien Žtablie pour ne pas l'adopter.
Si tant de nobles dŽjˆ fieffŽs ont pris part ˆ l'expŽdition de Guillaume le b‰tard (1066) pour agrandir leur patrimoine, a fortiori les cadets sans avenir ˆ qui les dŽbouchŽs des croisades n'Žtaient pas encore ouverts (la 1re est en 1099). Souvent ŽvoquŽe, la connexion carolingienne ou prŽ-carolingienne entre les comtes de Sens et de Boulogne permettrait d'imaginer que, aprs la mort de Renaud le mauvais (1055) et la perte de Sens, un quelconque parent d'un castellier de Courtenay ait joint les Boulonnais qui, avec les Flamands et autres aventuriers, accompagnent Guillaume ; que ce Courtenay ait fait souche en Angleterre, sans cependant avoir ŽtŽ assez grand ou assez valeureux pour tre remarquŽ ; qu'un de ses descendants, Reginald, ˆ la suite d'exploits inconnus, soit rŽcompensŽ par Henry II ; et qu'ainsi un petit guerrier Žmerge, en devenant baron. Cela est possible. Tout est possible.
Le Domesday Book
ne le mentionne pas mais notre Žventuel Courtenay, non enfieffŽ comme tenant in chief, peut avoir ŽtŽ under-tenant, ou l'homme d'un under-tenant.
Comment savoir si un Courtenay Žtait avec le ConquŽrant ? Les listes des compagnons de Guillaume qui circulent ne nous aident pas. En tout Žtat de cause, elles ne contiennent que les grands noms dont, par hypothse, notre Žventuel Courtenay n'est pas. Au moment de la vogue des gŽnŽalogies (XVIe/XVIIe) l'idŽe s'est rŽpandue que, ˆ la fin du XIe, quand l'Abbaye de la Bataille (Battle Abbey) est entrŽe en fonction (expiatrice et commŽmorative), elle disposait d'une liste nominative (exhaustive ?). Nul ne l'a vue et elle ne figure pas dans les archives subsistantes. Il en existe des "copies" non authentifiŽes qui diffrent dans le nombre et l'identitŽ des conquŽrants, ainsi que dans la manire de les Žcrire et de les ordonner. Elles ne co•ncident que partiellement avec le Domesday Book. Quelques unes de ces listes mentionnent un Courtenay (Curtenay, Courtenay, R. de Courtenay). Qu'est-ce que cela prouve ? Dans sa discussion du Battle-Abbey Roll (1889), la duchesse de Cleveland s'exclame : M. de Magny reproduces this list in his Nobiliaire de Normandie with the addition of fifty names [...]. He, too, eschews references ; and I am curious to know upon what authority he has included Courtenay.
Sont-ce des copies fautives d'un original disparu (et supposŽ exact), ou bien des reconstitutions ou des inventions ? En 1655, Thomas Fuller (Church History of Britain, Bk II, 7) se moquait : Battle-Abbey Roll is the best extant catalogue of Norman gentry, if a true copy thereof could be procured. Il en souligne la fantaisie, some names therein being augmented, subtracted, extended, contracted, lengthened, curtailed.
La Liste est, pour les nobles anglais, l'Žquivalent du r™le du Mayflower pour l'aristocratie WASP ! En particulier, les "copies" ont servi ˆ blanchir des Žtrangers, Gascons, Poitevins, Flamands, Savoyards que chaque roi ou reine apportait avec lui du continent.
Les critiques mettent en cause ce vague opinion floating in society, qu'il existe une liste originale que pourtant aucun chroniqueur n'a jamais mentionnŽ et dont les "copies" ne sont corroborŽes par rien : aucune preuve n'existe qu'une telle liste ait ŽtŽ dressŽe, et si elle l'a ŽtŽ, elle n'est pas arrivŽe jusqu'ˆ nous, ni en original, ni en copie... Holinshead en 1577 est le premier qui donne ˆ une liste le titre de Roll of Battle Abbey... Stowe, peu d'annŽes aprs, publia une autre liste, diffŽrente de celle d'Holinshead... Ensuite vint Duchesne. Il reut de Camden une copie de la liste de Stowe et la publia... Il y a dedans des noms de famille que nous savons s'tre Žtablies en Angleterre longtemps aprs la conqute. Des personnes sont omises dont nous savons qu'elles Žtaient dans l'expŽdition (Hunter, 1853, ma traduction).
Admettre sans preuve, qu'il y ait eu au XIe de premiers Courtenay, laisserait intacte notre question car comment et pourquoi un Reginald issu de ces premiers aurait-il inspirŽ la tradition qui le fait arriver avec Henry au XIIe ? Il aurait suffi ˆ sa gloire qu'il fžt venu avec le ConquŽrant.
Toutefois Vincent (1999), parlant de Renaud/Reginald qui adduxerat ei reginam Alyanor, qualifie cette origine de family myth, de mythical account, et affirme catŽgoriquement : There is absolutely nothing, save wishful thinking, to support such a suggestion. Le Reginald, tige des Courtenay anglais, serait, non pas le pre d'Isabeau, mais un vague cousin des franais. The Courtenays to whom Henry lI awarded lands in England, although related to the original Courtenay line, appear to have been only distant cousins. A preuve, dit-il, le ralliement du fils de Reginald, Robert Courtenay baron d'Okehampton, ˆ Louis
(futur VIII), lorsque, appelŽ par les barons rŽvoltŽs contre Jean sans terre, il est proclamŽ roi d'Angleterre et s'empare temporairement du pays. Ensuite Robert le trahit et est privŽ de toutes les terres (omnes
terras
Roberti de Corteneiaco) reues et ˆ recevoir de Louis auquel il s'oppose ˆ prŽsent (qui contra nos est). S'il reoit ce harsh
treatment,
c'est perhaps because of his kinship to one of the leading families of France.
Quelle
plaisanterie !
Robert, comme la plupart des barons anglais, aura soutenu les Franais pour se dŽbarrasser du roi Jean. La mort de celui-ci (1216) change la donne et, jointe aux exactions, usurpations et pillages des Franais, provoque nombre de dŽfections. Cela ne prŽcise en rien l'identitŽ de Reginald.
Les Franais n'ont jamais dit que Renaud passe en Angleterre. Cela conforte la version anglaise traditionnelle : Renaud a ŽtŽ annulŽ et spoliŽ ; annulŽ parce que spoliŽ ; spoliŽ parce qu'annulŽ. Cette turpitude royale impose le silence. Renaud ne dispara”t pas, il dispara”t au regard franais que Vincent emprunte. Il nous dit d'abord que Renaud est mort ˆ la croisade (Renaud or Reginald, simply disappears at the time of the Second Crusade, in all probability deceased), puis rencontrant la plainte contre lui pour brigandage (Suger) qui prouve son retour : either that he had returned before the king from crusade, or that he had never fulfilled his crusading vows.
Essayons d'abord de prŽciser la chronologie. Il semble que Reginald arrive en Angleterre quand Henry devient roi (1154), et meure en 1194. Ca lui laisse le temps d'avoir une belle carrire anglaise. On ne sait pas quand il est nŽ mais la croisade ˆ laquelle il participe commence en 1147. En admettant qu'il ait alors une vingtaine d'annŽes, nŽ au milieu des annŽes 1120, il meurt autour de 70 ans, un ‰ge avancŽ mais admissible. En gros, il est de la mme gŽnŽration que les fils de Louis VI (nŽs entre 1120 et 1132).
On ne peut ni dater ni localiser la premire apparition du thme que Camden Žnonce en 1607 (Britanniae descriptio) : Reginald est le premier Courtenay anglais, venu avec Henry qui l'a rŽcompensŽ pour avoir contribuŽ ˆ son mariage avec Eleanor. Reginald est de la premire maison de Courtenay. Il ne manque qu'un nom (Renaud) pour arriver ˆ l'identitŽ. Camden, renforant du Tillet, nous dŽbarrasse du lointain cousin alŽatoire, hypothse peu plausible : on imagine mal ce qui aurait poussŽ un tel cousin ˆ se rallier ˆ Henry et Henry ˆ le gratifier Si encore le quidam avait ŽtŽ normand, angevin, ou au moins des bords de Loire. Mais Courtenay, ˆ la jointure de l'ile de France et de la Bourgogne... Le hasard, l'accident, peut expliquer un dŽpart, pas une reconnaissance rŽitŽrŽe en Angleterre. Si Eleanor est le premier lien entre Reginald et Henry, lors des affrontements des Žpoux, Reginald reste ˆ l'Žcart ou soutient le roi. Il ne suit pas la reine lorsqu'elle quitte l'Angleterre, n'est pas entra”nŽ dans sa punition, ni ne profite de sa rŽdemption avec l'avnement de Richard.
Mon argument, aussi imparfait soit-il, c'est la tradition, constante et unanime : It has been generally received as a fact... Renaud et Reginald sont faiblement documentŽs, leur relation nullement. Rien ne dŽmontre ni la diffŽrence, ni l'identitŽ. Toutefois, cette dernire a deux ŽlŽments pour elle. D'une part, la co•ncidence des noms et des temps. D'autre part, le cui prodest ? : Reginald et ses descendants n'ont aucun avantage ˆ attendre de cette origine franaise. Au cours des innombrables guerres sur le continent, aucun Courtney ne revendique son hŽritage Courtenay : ils ne se soucient pas plus de leurs cousins franais que ceux-ci d'eux. Avoir (ou supposer) cette ascendance franaise ne rapporte rien, jamais, ˆ aucun Courtney.
Les traditions mythiques ont gŽnŽralement un arrire-plan (sinon une finalitŽ) politique ou au moins symbolique, mme les plus farfelues (comme l'origine troyenne des Francs). Avec les Courtney, nous nous trouvons devant une tradition presque brute, non construite, non finalisŽe, non utilisŽe. Cette innocence emporte ma conviction.
Toutes les gŽnŽalogies des Courtenay auxquelles nous avons pu nous rŽfŽrer indiquent que Reginald de Courtenay vint en Angleterre et obtint des concessions de terres dans le rgne de Henry II, et que, en Žpousant Hawisia de Aincourt, fille de Lord of Aincourt et Matilda de Averinches, il devint seigneur de Okehampton... Il a gŽnŽralement ŽtŽ reu comme un fait que Reginald de Courtenay accompagna la reine Eleanor en Angleterre en 1151, juste dix ans avant qu'il obtienne de Henry II le manoir de Sutton, et qu'il fut le premier membre de la famille installŽ dans ce pays (Dallas & Porter, in Notes & Querries, 1895, S. 8, vol. 7, pp. 441-3 et 503-5, ma traduction).
Le roi d'Angleterre rŽcompense d'abord Reginald en lui accordant le manoir de Sutton (Berkshire) en 1161. Au moment de la grande rŽvolte, en 1173, il s'assure de sa fidŽlitŽ en lui donnant la garde des filles d'une hŽritire du Devon. Reginald en profite pour Žpouser l'a”nŽe par laquelle il devient baron de Okehampton, "patron" de l'abbaye de Forde, gouverneur du ch‰teau d'Exeter et sheriff du Devon. Il n'est alors que baron fŽodal, comme on dira plus tard pour exalter le baron par writ reconnu comme tel par le roi et convoquŽ par son nom au Parlement. Okehampton est ˆ la fois une terre et un "portefeuille" de droits sur une grande part du Devon. L'honour de Okehampton est aussi riche qu'un comtŽ, dira-t-on.
Je n'essaierai pas de donner la descendance de Reginald car les premires Žtapes ne sont pas claires et nous importent peu. Nous survolerons les Courtney comtes de Devon jusqu'ˆ leur extinction (section 1) et examinerons leur curieuse rŽsurrection 250 ans plus tard (section 2).
Comme j'en reste aux grandes lignes, je n'ai pas de scrupules ˆ suivre le trop dŽvouŽ Cleaveland, 1735. Gibbon juge que The rector of Honiton has more gratitude than industry, and more industry than criticism, tout en l'utilisant largement, comme le feront les auteurs ultŽrieurs de Peerages. Cleaveland, le du Bouchet des Courtenay anglais, vise la cŽlŽbration des hauts faits et de la valeur de la famille ˆ travers le temps ; sa t‰che est plus simple que celle du franais car il n'a pas ˆ surmonter la confusion de la gŽnŽalogie. Et, comme tous ces Courtney ont agi et brillŽ, il ne manque pas de matire.
Les barons de Okehampton, comtes de Devon, disparaissent dans les dŽfaites de Lancastre sur les champs de bataille de la "guerre des deux roses" (a). La branche cadette, capitalisant le dŽvouement familial, en reoit les dividendes aprs la victoire Tudor (b).
Robert (1183-1242), baron d'Okehampton, que le roi Jean a nommŽ gouverneur du ch‰teau d'Oxford et sheriff de l'Oxfordshire, Žpouse Mary, fille et hŽritire du puissant William de Redvers et de Vernon, 5me comte de Devon. Son descendant, Hugh Courtney (1275-1340), le premier baron par writ de Okehampton, revendiquera l'hŽritage de sa cousine, la dernire Redvers, Isabel ( 1293) qui avait succŽdŽ ˆ son frre Baldwin : il deviendra comte de Devon (de facto en 1293, de jure par patente royale du 22/03/1335).
Sans entrer dans les dŽtails, le grand homme de cette premire pŽriode est Hugh (1303-1377), second comte de ce nom. En 1325, il Žpouse Margaret Bohun arrire-petite-fille du roi Edward I. Les Courtney mlent leur sang ˆ celui des Plantagent. Hugh sera l'anctre commun aux branches collatŽrales qui, successivement, rallumeront le flambeau, les Courtney d'Haccomb en 1485 et les Courtney de Powderham...en 1831 (cf. infra). Parmi sa nombreuse progŽniture, mentionnons les plus cŽlbres :
Hugh, l'hŽritier, Žtant prŽdŽcŽdŽ, comme le fils suivant, Edward, c'est l'a”nŽ de ce dernier, Edward (1357-1419), qui devient comte de Devon.
Le roi ayant repris en main la garde du ch‰teau d'Exeter et la nomination du sheriff du Devon, ces offices n'Žchoient plus aux Courtney qu'Žpisodiquement, mais la dignitŽ comtale et les profits (third penny etc) et honneurs associŽs, passent de pre en fils jusqu'ˆ la "guerre des deux roses".
ChargŽs de lever l'armŽe du Devon et de la diriger quand un dŽbarquement franais menace, ces Courtney sont aux c™tŽs du roi dans ses guerres Žcossaises et franaises, souvent amiraux ou chefs de flotte. DŽjˆ le premier comte jouissait de la quatrime ou cinquime place dans l'ordre de prŽsŽance des Lords au Parlement et, plus tard, le cinquime comte, Thomas, se sentira assez grand pour disputer la premire place ˆ Arundel, pourtant le plus ancien comte d'Angleterre (Cleaveland, p. 213). Les Courtney sont trop hauts, trop guerriers et trop impliquŽs dans les alliances/rivalitŽs entre grands nobles, pour ne pas se prŽcipiter dans la "guerre des deux roses". Dans cette auto-extermination de la noblesse qui mle vendettas personnelles, fidŽlitŽs et opportunisme, nos comtes sont du c™tŽ Lancastre. Cela anŽantira la branche a”nŽe et, avec la victoire Tudor, fera la fortune de la branche cadette.
Thomas, comte de Devon, est avec Somerset inculpŽ de trahison par le duc d'York (1453). DisgraciŽ quand le duc devient protector du royaume (1455), il meurt, soit empoisonnŽ, soit dans une bataille.
Son fils Thomas (1432-1462) partage les hauts et les bas du roi et de la reine. Le fils du duc d'York devenu roi (Edward IV, 1461), il est accusŽ de trahison (attainted), dŽgradŽ (forfeited) et dŽcapitŽ. Son frre Henry semble avoir eu le mme sort (1466). Le dernier frre John, restaurŽ dans ses honneurs en 1470 quand Henry VI retrouve temporairement la couronne, est ensuite tuŽ ˆ la bataille de Tewksbury (1471, victoire d'York) et derechef dŽgradŽ. C'est la fin des Courtney d'Okehampton. Leurs possessions et leurs honneurs sont distribuŽs aux partisans d'York. Il faudra attendre l'act of resumption de Henry VII (1485) pour annuler ces condamnations et transfŽrer biens et dignitŽs ˆ Edward Courtney de la branche cadette (Haccomb/Boconock).
Ceux-ci sont issus du grand Hugh.
Edward, l'arrire petit-cousin des derniers Okehampton, trs actif aux c™tŽs du comte de Richmond (futur Henry VII), adhre ˆ la conspiration de Buckingham contre Richard III et, aprs son Žchec (1483), lui, son frre Walter, le cousin Peter, Žvque d'Exeter et d'autres western gentlemen, rejoignent le Tudor en Bretagne. Ils sont tous outlawed et attainted. Plus tard, ensemble ils dŽbarquent dans l'ouest : They landed the 6th of August, and a great many Noblemen with their Retinues immediately resorted to them. A la bataille de Bosworth, Richard est battu et tuŽ. Richmond roi (1485), il restaure aussit™t Edward dans les honneurs et biens des Courtney comtes de Devon (patentes 26 Oct., 1485).
Devenus royaux par des voies dŽtournŽes, les Tudor resteront craintifs et vindicatifs ˆ l'Žgard de tous les descendants Plantagenet (anyone with Plantagenet blood lived under a death sentence, Seward, 2010). Pour se donner quelque lŽgitimitŽ, Henry VII Žpouse aussit™t la fille a”nŽe du roi "yorkiste" Edward IV.
Dix ans aprs (1495), William, le fils et hŽritier d'Edward Courtney, Žpouse ˆ son tour une fille d'Edward IV, apportant une nouvelle dose de sang royal dans le pedigree Courtney. Peut-tre, la goutte de trop ! William, suspectŽ d'tre devenu yorkiste par son mariage et compromis par Suffolk (Edmund de la Pole) dans sa rŽbellion, est emprisonnŽ (1506) et dŽgradŽ pour l'empcher d'hŽriter de son pre Edward ( 1509).
Heureusement pour lui, le roi meurt et Henry VIII, prenant le contre-pied de son pre, libre son "oncle" William et l'honore en lui donnant ˆ porter la troisime ŽpŽe lors de son couronnement. Derechef, le Courtney est restaurŽ dans ses biens et dignitŽs (10 mai 1511), ce dont il ne jouit gure, mourant quelques jours plus tard (9 juin).
Son fils Henry lui succde. Dans une premire phase, il fait partie des joyeux compagnons du roi dont il reoit gratifications, honneurs et titres (marquis d'Exeter en 1525 etc.). Mais, quand le schisme arrive, Henry est de cette conservative aristocracy qui s'oppose au chancelier Wolsey, soutient la true queen (Catherine d'Aragon) contre le Boleyn party et rejette Anne, au couronnement de laquelle il a l'audace de s'absenter (1533). Revenu en faveur pendant la parenthse Seymour, il est emportŽ par la crise qu'ouvrent en 1536 la condamnation du roi par Pole (Pro Ecclesiae Unitatis Defensione) et le soulvement du Yorkshire (Pilgrimage of Grace), et qu'aggrave encore la mort de Jane Seymour (oct. 1537). En butte ˆ la suspicion de Cromwell et du roi, compromis par le catholicisme affichŽ de sa femme Gertrude, il est liquidŽ avec les autres amis et parents de Pole (western conspiracy): la House of Lords le dŽclare coupable de trahison (3 Dec. 1538). Il est dŽcapitŽ (9 jan 1539) et dŽgradŽ. Encore un !
Son jeune fils, Edward, born to be a prisoner, reste ˆ la Tour pendant quinze ans, spŽcifiquement exclu du general pardon de l'avnement d'Edward VI. En 1553, la nouvelle reine, Mary, rappelle le cardinal Pole et vient ˆ la Tour libŽrer "ses prisonniers" (3 aožt). Edward, aussit™t (re)crŽŽ comte de Devon (3 Sep. 1553), rate de peu la main de la reine. Le bel Edward, the last spring of the White Rose of Plantagenet, magnifiŽ par sa longue captivitŽ, est le candidat naturel du chancelier Gardiner, du conseil privŽ de la reine, et des Commons. Et aussi des ambassadeurs franais et vŽnitien qui cherchent ˆ empcher le mariage espagnol. De plus la mre d'Edward, catholique et fidle jusqu'au bout ˆ Catherine d'Aragon, mre de Mary, est l'amie intime de la reine qui se souvient de la dŽcapitation du marquis d'Exeter pour conspiration avec Pole. Edward a tout pour lui, mais Charles Quint gagne et Philippe d'Espagne Žpouse la reine.
La version romanesque : la reine voulait Edward, il prŽfŽrait sa demi-sÏur, Elizabeth (la future Virgin Queen). D'o jalousie, colre et disgr‰ce. Voyez, par exemple, le roman Žpistolaire de Lenoble (1697, Mylord Courtenay ou histoire secrte des premires amours d'Elisabeth d'Angleterre).
La version politique: le mariage d'Edward et Mary, quasi dŽcidŽ ˆ l'ŽtŽ 1553, est dŽfait par les manÏuvres de l'empereur, aidŽ par le dŽvergondage public et l'absence de sens politique d'Edward que dŽplorent les contemporains (ˆ commencer par l'ambassadeur de France, qui le soutient vivement). L'idŽe d'un mariage entre Edward et d'Elizabeth n'a rien d'une romance, c'est le projet de ceux qui dŽsirent ou projettent une autre option que Mary. ApeurŽ, hŽsitant, insouciant, Edward ne tente pas sa chance. Sa chute est aussi rapide que l'avait ŽtŽ son retour aux honneurs : l'Žchec du soulvement contre le mariage espagnol (insurrection de Wyat) ˆ la suite de la remontrance du Parlement du 16 Nov. 1553, le renvoie ˆ la Tour en fŽvrier 1554 avec le duc de Suffolk (aussit™t dŽcapitŽ ainsi que la malheureuse Jane Grey)... et Elizabeth.
Aprs le mariage de la reine (juillet 1554), Edward, libŽrŽ (printemps 1555), est mis sous surveillance espagnole ˆ Bruxelles. Il s'enfuit ˆ Venise et meurt ˆ Padoue en octobre 1556, peut-tre empoisonnŽ. Avec lui s'Žteignent les Courtney. Ses biens et domaines sont partagŽs entre les descendants des sÏurs de son arrire grand-pre Edward. Le titre de comte de Devon Žtant Žteint, il sera vendu par James I, d'abord ˆ Blount, Baron Mountjoy, ensuite (1618) ˆ Cavendish dont les descendants, promus Dukes of Devon(shire) en 1694, le sont encore aujourd'hui.
L'extinction des Courtney (avant leur rŽsurrection) nous invite ˆ un parallle avec les Courtenay royaux. Ceux-ci dŽcollent ds la seconde gŽnŽration (Philippe Auguste) et atteignent tout de suite les hautes sphres. Mais ils ne se "soutiennent" pas. Si Pierre deux du nom avait eu des fils de son premier mariage ou ŽvitŽ le pige impŽrial du second, peut-tre lui et ses descendants auraient connu une belle carrire de comte franais ou de marquis germanique. La branche a”nŽe, empereur titulaire, garde son prestige pendant un sicle : l'Žchec de la reconqute l'Žteint. Quant au frre de Pierre deux du nom, Robert de Champignelles, bien placŽ ˆ la cour, il engendre une multitude de fils mais, s'il rŽussit ˆ dŽcrocher pour l'un l'archevchŽ de Reims, les autres ne sont que de gros sires.
Certes, nos Courtney sont mieux localisŽs : le Devon est une frontire, propice aux dŽbarquements des Franais ou des Anglais exilŽs, ce qui, d'emblŽe, leur donne un r™le significatif. Ils ont la chance d'hŽriter de l'earldom des Reviers, de rŽussir de beaux mariages et de ne manquer, ni de fils ni de vertu guerrire. Leur extinction en 1556, aprs les hŽro•smes des deux roses et le flamboiement du marquis d'Exeter ˆ la Cour, est autrement spectaculaire que l'asphyxie insidieuse de leurs homologues franais.
On ne peut s'empcher de se demander si, au-delˆ des hasards et des diffŽrences systŽmiques, l'Žcart des trajectoires ne rŽsulte pas d'une path dependence : le destin des Courtenay n'Žtait-il pas inscrit dans leur origine ? Biologiquement, Pierre est le fils du roi, "socialement" il n'est rien. Au moment o son mariage fait de Reginald un baron d'Okehampton, celui de Pierre le rend "sire de Courtenay". Son fils, Pierre "ii" n'est que comte consort, et Robert, quoique dotŽ en terres, ne reoit pas de titre. Les deux bŽnŽficient d'une conjoncture favorable (expansion philipaugustienne), ils ne s'inscrivent pas dans la structure. Ces Courtenay sont royaux sans l'tre, ce pourquoi ils l'oublieront.
Au contraire, l'outsider Reginald est positionnŽ dans la structure fŽodalo-royale et les Courtney, s'ils se rŽjouissent du sang royal (anglais) que leur apportent plusieurs alliances, sont avant tout une dynastie comtale que, pour sa gloire et son malheur, les drames des deux roses poussera au premier plan.
Reste une ressemblance ironique : longtemps aprs que les Courtenay et les Courtney soient Žteints, des cousins ambitieux entreprennent de les rallumer ! au long et vain combat des Courtenay tardifs des XVIIe/XVIIIe pour annuler des sicles d'obscuritŽ, rŽpond au sicle suivant celui, bref et victorieux, du Courtney rŽsiduel pour repartir en arrire de 250 ans, se faire hŽritier m‰le du malheureux Edward et devenir ˆ sa suite comte de Devon.
La mort du bel Edward Courtney en 1556 ne laissait subsister qu'une branche collatŽrale, les Courtney of Powderham, aussi oubliŽs que prospres. En 1762, ils Žmergent et accdent ˆ la pairie avec le titre hŽrŽditaire de viscount Courtenay of Powderham-Castle. En 1830, le 3me viscount, William "Kitty" Courtenay, actionnŽ par son petit-cousin William, pŽtitionne pour tre restaurŽ dans les honneurs d'Edward dont, en 1556, son arrire-grand pre sixime, William of Powderham, Žtait next in descent (Harris, 1832).
O me suis-je trompŽ ? qu'ai-je fait (de mal) ?, telle serait la "devise plaintive" (plaintive motto) des derniers Courtneys, dŽplorant la chute de leur maison (Gibbon qui prŽcise en note: a motto which was probably adopted by the Powderham branch, after the loss of the earldom of Devonshire). MalgrŽ son opulence, ses succs propres et son silence, la dernire branche Courtney souffrirait d'tre dŽtachŽe du tronc et amputŽe des honneurs qu'il confre. Pourtant, le portrait qu'en dresse en 1735 son thurifŽraire, Cleaveland, ne semble pas lui laisser dŽsirer grand chose : ...that Noble Family of Courtenay of Powderham, which continueth there to this Day, and is in a prosperous ConditionÉmore flourishing than it was then, having been matched to very honourable Families since, and having a great Addition made to their Wealth by the great Increase of their Estate in Ireland.
Les Courtenay franais, dŽplorant la chute de leur maison, auraient pu clamer aussi Ubi lapsus ? Quid feci ? D'un c™tŽ il s'agit de la dignitŽ comtale, de l'autre de la dignitŽ royale. Le premier cas n'est pas une affaire d'Etat et, en Angleterre, rencontrera un dispositif formel pour se plaider. Une autre diffŽrence est la clartŽ indiscutable de l'issuance des Courtney of Powderham, loin des zigzags et des brumes des Courtenay tardifs. Aussi le cas Courtney tel qu'il sera traitŽ au XIXe est rŽduit ˆ l'essentiel : le droit du sang.
Les Courtney de Powderham portent bien sžr three Torteaux Gules et se transmettent de pre en fils le ch‰teau de Powderham et une sŽrie de terres en Devon et Cornwall ainsi que de vastes possessions en Irlande. Ils descendent en ligne directe du cinquime fils du grand Hugh, Philip, que, en 1383, Richard II fit Lord Lieutenant of Ireland for ten Years.
Sautons les gŽnŽrations, et arrivons (par une longue sŽrie de William et quelques autres) ˆ ce William (1632-1702) qui, malgrŽ un beau-pre gŽnŽral dans l'armŽe du Parlement, soutient (au moins au dernier moment) le roi Charles II, lequel, ˆ la restauration, le fait baronet. Par hŽritage collatŽral, il reoit le ch‰teau et le parc d'Okehampton (passŽs ˆ des familles Žtrangres par la mort d'Edward), renouant ainsi le lien lignager. En 1762, son arrire petit-fils (William) est crŽŽ viscount of Powderham-Castle ce qui l'Žlve ˆ la pairie alors que, jusque lˆ, simples squires, s'ils ont souvent siŽgŽ au Parlement, c'Žtait aux Commons en tant que knight of the shire.
Le troisime vicomte, son petit-fils, encore un William (1768Ð1835), est celui qui nous intŽresse. Il va demander et, plus heureux que les Courtenay franais, obtenir, sa restauration dans les honneurs d'Edward qui "dormaient" depuis 250 ans.
Ce William ("Kitty") est cŽlbre pour son excessively flamboyant lifestyle alimentŽ par les revenus irlandais, et pour son homosexualitŽ publique ˆ une Žpoque o on la punissait de mort. InculpŽ, il quitte l'Angleterre et partage sa vie entre son domaine ˆ New York, la place Vend™me et son ch‰teau de Draveil ˆ c™tŽ de Paris. Inutile de prŽciser qu'il n'occupe pas son sige ˆ la House of Lords. Comment un tel homme en vient-il ˆ rŽclamer la succession d'Edward ? Via un cousin entreprenant, toujours un William, son seul hŽritier. Ce William trouve l'argumentation, et pŽtitionne au nom du viscount (1830. Le dossier arrive au comitŽ des privilges de la Chambre des Pairs.
Cousin William a tout pour rŽussir. L'intŽrt d'abord : en hŽritant des biens du viscount, il ne lui succŽdera pas comme lord, n'Žtant pas heir of his body ; tandis que, si le titre de comte de Devon d'Edward arrivait ˆ William-Kitty comme descendible, il irait jusqu'ˆ lui. Ce William (1777-1859) a les moyens de son ambition: avocat, MP pour Exeter depuis 1812, master in Chancery, il est devenu en 1826 clerk-assistant ˆ la chambre des Lords (chef en second de son administration). Il jouit de la bienveillance du Lord-Chancellor Brougham (cabinet Grey). Ce dernier emportera la dŽcision du Committee au terme d'un dŽbat d'antiquaries qui plane trs loin de la crise rŽvolutionnaire qu'affronte le gouvernement entre l'ŽtŽ 1830 (George IV ) et juin 1832. Campbell, dans son histoire des chanceliers (1869, T. 8, pp. 524/5), critiquera la dŽcision: the limitation "to the grantee and his heirs male" could not let in the collateral heir. Such a limitation of a landed estate could not be made by the law of England, and therefore could not be made of a dignity. Tout le monde pense ainsi et s'Žtonne.
Le dossier prŽsente deux aspects : une discussion juridique abondamment dŽbattue que je survolerai et une question de fait qu'on cherche ˆ Žluder car pendant 250 ans les Powderham se sont satisfaits de leur sort sans jamais rŽclamer.
La position de William ˆ la Chambre lui donne accs aux archives. Il retrouve les instruments juridiques de 1553 (restauration d'Edward) dont le texte prŽcis Žtait inconnu. Quelle satisfaction aura-t-il ŽprouvŽ en lisant la clause d'hŽrŽditŽ ! alors que, gŽnŽralement, les honneurs d'un tel se transmettent ˆ l'heir of his body, ce texte-ci Žtend la transmission ˆ tout hŽritier m‰le, et ˆ perpŽtuitŽ (sibi et heredibus suis masculis imperpetuum).
La diffŽrence est Žnorme : l'absence de fils Žteint la dignitŽ ; mais un homme a presque toujours un hŽritier, fžt-ce un cousin ŽloignŽ, et la dignitŽ se transmet. Si William-Kitty rŽcupre les honneurs d'Edward ˆ titre d'hŽritier, William les aura ˆ son tour en tant que cousin au troisime degrŽ du viscount William: en effet, il descend de Henry Reginald, frre du premier viscount dont William est le petit-fils. Les termes de la patent de Queen Mary transformŽe en bill par le Parlement permettent donc ˆ la fois de qualifier le viscount de comte de Devon (alors qu'il n'est lui-mme qu'un cousin ŽloignŽ d'Edward) et, ˆ sa mort, de faire de William un comte hŽrŽditaire !
NŽanmoins, si la gŽnŽalogie est limpide, le caractre exorbitant d'une telle clause d'hŽrŽditŽ soulve quelques difficultŽs qui seront discutŽes. Retenons en deux : la jurisprudence Lovel (18. Henry VIII) et l'intentionnalitŽ de la clause.
* la jurisprudence Lowel (18. Hen. VIII) annule toute concession de terre que la Couronne ferait ˆ un homme et ˆ ses hŽritiers m‰les en gŽnŽral : a grant of lands to a man and his heirs male by the Crown is void car l'indŽtermination du bŽnŽficiaire n'est pas admissible. Contra, William et ses avocats (Pepys et Nicolas) arguent qu'un honour n'est pas un land mme s'il implique des droits sur la terre (dignities are not governed by the same rules of law as lands) ; et que 18. Hen. VIII ne fait pas jurisprudence en raison de la spŽcificitŽ du cas Lowel, Henry VIII regrettant un don antŽrieur ;
* l'intentionnalitŽ de la clause : attendu que, en Angleterre (ˆ la diffŽrence de l'Ecosse) une telle clause ne se rencontre presque jamais dans les patents, on pense ˆ une faute ou ˆ un oubli du rŽdacteur ou du copiste ou, tout simplement, ˆ un sous-entendu, tant il para”t Žvident que le successeur ne peut tre que le fils hŽritier. Telle est la law of England. Contra, la rŽdaction est volontairement exceptionnelle : Queen Mary, comme elle en avait le droit, reconna”t et honore, non seulement Edward, mais cet illustre sang Courtney, qui a rendu depuis si longtemps tant de services ˆ la Couronne. La rŽfŽrence explicite de la patent ˆ Hugh le grand et ˆ la consanguinitŽ royale montre bien que the intention was to restore to the family the dignity which it had before enjoyed, and to perpetuate it in the heirs male. Nicolas souligne que, lorsque Queen Mary restaure Edward, sa ligne est menacŽe d'extinction, ce pourquoi la reine Žlargit la transmission aux collatŽraux. Au temps de Henry VII et VIII, cela ne fut pas nŽcessaire, leur Courtenay Žtant pourvu de fils : The earl [Edward] was then unmarried, and his next heir male was Sir William Courtenay of Powderham, who, like himself, was descended from Hugh the second Earl of Devon and Margaret de Bohun, and, in the event of the earl's dying without male issue, would have become their heir maleÉ from what other motive than the desire to benefit the collateral heir male could the omission of the words "de corpore" arise, when they occur in both the previous grants (Hen7, Hen8) ?
Par le dŽcs d'Edward qui Žtait le successeur de Hugh, l'anctre commun aux deux branches, le next in descent, se trouve treize degrŽs plus loin, en remontant ˆ Hugh et en descendant jusqu'ˆ William Courtney de Powderham-Castle dont le pŽtitionnaire est l'hŽritier direct. Le commitee for privileges accepte l'argument et proclame earl of Devon, le viscount Kitty et, rŽtroactivement, son pre, grand-pre, arrire grand-pre etc., tous faits earl de jure et inscrits comme tels dans la liste des comtes de Devon du Peerage : neuf gŽnŽrations de comtes d'un seul coup !
Edward mourant sans postŽritŽ, ses cousines troisimes reurent ses biens, lesquels ont ŽtŽ dispersŽs par leurs mariages. Les biens, non la dignitŽ ! celle-ci a dormi pendant 250 ans, attendant d'tre ŽveillŽe par le vicomte charmant ! Dormi ? on la croyait Žteinte ! l'objection, timide au commitee, s'exprime vivement dans la sociŽtŽ. C'est la question de fait : si l'honour est Žteint, la Couronne peut crŽer le viscount comte de Devon, elle ne peut pas le restaurer en attribuant ˆ ses pre, grands-pres, et ˆ lui-mme une dignitŽ qui n'existe plus.
Nous retrouvons ici la problŽmatique familire aux Courtenay. Si les avocats se dŽmnent pour l'Žcarter, l'attorney general l'aborde nettement : this case exhibits the remarkable fact of a long acquiescence, from the reign of Queen Mary to the reign of the present sovereign, in the nonenjoyment of the dignityÉIt appears, by the pedigree, that the collateral heirs male of Sir Edward Courtenay were persons in a highly respectable station of life, fully competent to have asserted their claim at that time.
Banks (1831), ulcŽrŽ par le jugement de la House, protestera avec vigueur: l'Earldom Courtney est si bien Žteint par la mort d'Edward qu'il a ŽtŽ traitŽ comme tel par la couronne et par les intŽressŽs, les Courtney de Powderham-Castle.
Si la Couronne (cette entitŽ intemporelle et impersonnelle) voulait confŽrer l'honour au sang Courtney, elle l'aurait, ou bien transmis aux Powderham ˆ la mort d'Edward, ou bien mis en rŽserve en attendant qu'ils le rŽclament. Or elle n'en a rien fait. Au contraire, elle a disposŽ de la dignitŽ comtale : en 1603, le roi Jacques l'a attribuŽe ˆ Blount, Baron Mountjoy, et, aprs sa mort sans hŽritier m‰le, ˆ William Cavendish (1618) dont les descendants, devenus Dukes of Devon en 1694, restent en mme temps Earls of Devon. La couronne a tellement exclu les Powderham de la succession d'Edward que, ˆ la restauration de Charles II, elle a promu baronet William de Powderham (1632-1702) et ses hŽritiers, dŽniant ainsi qu'il soit un comte en puissance. Plus encore, en 1762, elle a fait viscount et peer un autre William C. de Powderham et ses hŽritiers !
Les intŽressŽs, eux, ont adhŽrŽ ˆ cette dignitŽ et siŽgŽ ˆ la Lords'House en tant que viscount, une position infŽrieure et toute neuve, inacceptable s'ils croyaient mŽriter l'earldom multisŽculaire de Hugh le second. Loin de lˆ, pendant 275 ans (1556-1830), aucun hŽritier m‰le de Powderham n'a effectuŽ la moindre dŽmarche pour le rŽclamer, ni protestŽ quand il a ŽtŽ transmis ˆ d'autres. Ne savaient-ils pas ? La patent d'Edward Žtait-elle si peu de chose que, emportŽe avec le reste par ses hŽritires, elle se soit perdue ? Non, les Powderham n'ont jamais pensŽ tre les successeurs d'Edward. Pour eux, pour la Couronne, pour tout le monde, la dignitŽ d'Edward n'existait plus.
Mais le Committee dŽcide: It was moved to Resolve, That the Chairman Report to the House, That it is the opinion of this Committee that William Viscount Courtenay hath made out his claim to the title, honour, and dignity of Earl of Devon, which being put, passed in the Affirmative. The Report was read to the House on the same day /14th March 1831/, when the Resolution of the Committee for Privileges was Agreed to by the House, and it was Resolved and Adjudged, by the Lords Spiritual and Temporal in Parliament assembled, THAT WILLIAM VISCOUNT COURTENAY HATH MADE OUT HIS CLAIM TO THE TITLE, HONOUR, AND DIGNITY OF EARL OF DEVON.
Problme : les Cavendish sont dŽjˆ earl of Devon (titre non aboli mais fondu dans leur dukedom). On s'en sort en abolissant la vieille Žquivalence entre Devon et Devonshire : Courtney sera Devon et Cavendish Devonshire !
L'histoire ressemble ˆ celle des Courtenay : une branche marginale qui s'est tue pendant des sicles se rŽveille soudain et rŽclame les privilges de ses lointains anctres.
Certes,
les
deux dossiers diffrent. L'issuance des Courtneys est
indiscutŽe
alors que le lien des Courtenay tardifs avec le dernier descendant certain de la branche cadette est flou (cf.
Annexe II). Flous aussi sont les honneurs revendiquŽs par les franais puisque, en son temps, le fondateur (Pierre, fils de Louis VI le gros) n'en avait pas. Il leur faut rŽclamer les honneurs que Pierre aurait eus aujourd'hui si, aujourd'hui, il Žtait fils de roi.
C™tŽ
anglais,
tout est crystal clear : l'honour revendiquŽ, Žcrit en toutes lettres dans la patent de la reine et le bill
du Parlement, est parfaitement dŽfini. Devenir comte de Devon comme successeur de Hugh, projette le viscount
of Powderham-Castle vers le haut et vers les temps hŽro•ques, et lui assure les premiers rangs dans l'ordre de prŽsŽance. C™tŽ franais, si notre Courtenay qui n'a Ñet n'a jamais euÑ le moindre titre devenait d'un coup prince du sang reconnu, il serait capable de la Couronne ce qui est bien autre chose.
Le
Courtney de Powderham-Castle arguerait-il du mariage du grand Hugh avec la petite fille du roi Edward I en 1325 pour tre reconnu comme royal ? Il n'en a pas l'idŽe. Il ne pouvait pas en avoir l'idŽe, quelque ambition on lui prte, car les tumultes de l'histoire d'Angleterre ont provoquŽ des changements de dynastie. En France, la continuitŽ affichŽe des descendant d'Hugues Capet incite ˆ une vision linŽaire des droits qui aveugle les Courtenay.
Mais la plus grande diffŽrence rŽside dans le haut degrŽ de formalisme et de documentation qu'on trouve en Angleterre depuis la conqute normande. Les droits sont Žcrits ! le long jeu entre le roi et le Parlement, comme les contentieux jugŽs par les tribunaux, ont explicitŽ les privilges et les devoirs, multipliŽ et prŽcisŽ les procŽdures. Nos Courtenay franais ont prŽsentŽ leur premire requte au roi Henri IV en espŽrant la voir soumise ˆ un traitement formel, soit au Conseil, soit au Parlement. Aussi vague que menaante, elle est ŽcartŽe et le Parlement ne se prononcera que tardivement et obliquement (HŽlne) car il n'y a rien ˆ juger. Et ces mŽdiocres Courtenay n'ont rien fait pour la Couronne.
En Angleterre, deux sicles plus tard, l'opulent et well
connected vicomte Courtney, prŽsente sa pŽtition au roi, invoquant un instrument juridique, la patent de Queen
Mary, et formulant une demande prŽcise qui, en mme temps, n'a pas de rŽel enjeu (sauf pour l'hŽritier du viscount) : it
is
a case of curiosity, rather than of practical importance, dit le Lord-Chancelier. La demande transmise ˆ la House est examinŽe par le committee for privileges qui, l'acceptant, propose aux Lords de la satisfaire, ce qu'ils font. Le dŽbat, au committee comme dans l'espace public, ne porte pas sur des gŽnŽralitŽs et des chartes privŽes mal ou pas authentifiŽes, il s'appuie sur des documents et des prŽcŽdents, il se nourrit d'une immense jurisprudence en matire de concessions royales et de peerage. Faute de vrais pairs, il n'existe pas en France un tel corpus de casuistique en la matire !
Toutefois, nous pouvons induire du dossier Courtney quelque chose sur la manire et quelque chose sur le fond.
Premirement la manire. En voyant la premire requte des quatre Courtenay tardifs en 1603, on lui trouve des raisons vraisemblables mais il est impossible d'imaginer comment l'idŽe leur arrive. Le cas Curtney apporte une suggestion : pendant une sŽrie de gŽnŽrations, les Powderham, cousins de tant de grands hommes, et non nŽgligeables eux-mmes, ont eu la vague pensŽe, non pas d'un droit, mais de mŽriter quelque chose. Cleaveland prte ce sentiment ˆ William, lorsqu'on le fait baronet : he not affecting that Title, because he thought greater of Right did belong to him... Mais ces Courtneys, persuadŽs avec tout le monde que la dignitŽ de count
Žtait morte et enterrŽe avec Edward, n'y rvaient pas. Et voilˆ qu'un accident survient : l'arrire cousin. Il n'hŽritera pas du titre et du sige du viscount absentŽiste. Or il est ambitieux, il a siŽgŽ aux Commons, il travaille ˆ la House, il voudrait bien tre Lord. Par chance, le texte de la patent d'Edward lui offre une ouverture. Il mobilise deux excellents avocats (Pepys
deviendra
Lord Chancellor et Harris est spŽcialisŽ dans le droit du peerage) et, gr‰ce au soutien du Lord Chancellor et ˆ la faible combativitŽ de l'attorney general, obtient ce qu'il voulait. Mutatis mutandis, n'y-a-t-il pas eu quelque chose de ce genre chez nos Courtenay ? Quelqu'un est tombŽ sur du Tillet et, dans le contexte du temps, a eu l'illumination. Qui ? probablement un des cousins signataires Ðje penche pour un des deux qui s'exileront temporairement en Angleterre, des Salles ou FrŽauville. Il convainc le "chef de la maison", Gaspard de BlŽneau et dŽclenche l'affaire qui, ensuite, se dŽveloppe par action et rŽaction.
Deuximement, le fond. Le Committee examine la question du sang que pose la clause de transmission de la patent
et, dans le cas d'Edward, la disjonction des general heirs et
du heir male. Heirs male of his body (sous-entendu :
lŽgitime) est dŽfini. Heirs male tout court ouvre des possibilitŽs presqu'illimitŽes. Heir general sert de repoussoir car, alors, des filles pourraient hŽriter de l'honour (ce qui leur arrive souvent) et, en se mariant inconsidŽrŽment, le transporter dans des familles indignes, voire alien, voire alien ennemies. Tandis que le heir male, mme latŽral, appartient au sang qui a initialement reu l'honour. Inutile de s'offusquer du "chauvinisme m‰le" de l'Žpoque. L'intŽressant, c'est le mythe de l'anctre commun qui ramne le dŽbat ˆ Hugh : his
collateral
heirs male must be of the blood of the grantee,Ñthey must be descended from the same common ancestor (Lord
Wynford,
deputy speaker of the House).
Pourtant, la pratique juridique ignore l'anctre commun :
* dans les troubles de l'histoire anglaise, le earldom of Devon a ŽtŽ plus souvent forfeited, annulŽ et recrŽŽ que restaurŽ, chaque fois personnellement. Edward lui-mme ne rŽcupre pas la dignitŽ de son pre qui reste forfeited. Edward, restored in blood but not in honour, est recrŽŽ sous le mme intitulŽ et avec les mmes droits, comme le couteau dont on change alternativement le manche et la lame, ou le bateau de ThŽsŽe ;
* puisque la clause la plus gŽnŽrale stipule heir
of his body, la doctrine est que l'honour n'appartient pas au "groupe familial", il descend en ligne verticale, de pre en fils a”nŽ, tant qu'il y en a et ˆ condition d'tre rŽinvesti par le roi. L'honour n'est pas un bien privŽ qui suivrait la loi gŽnŽrale des successions : sauf exception, les filles et les cadets en sont ŽcartŽs, les collatŽraux aussi.
Les Courtney ici, les Courtenay lˆ, par un postulat anthropologique, se rŽclament d'une espce de droit du clan (ˆ nos yeux, l'aspect le plus saugrenu de leur dŽmarche) : puisque l'anctre
commun a ŽtŽ qualifiŽ (de jure pour le Hugh du XIVe, de facto pour le Pierre du XIIe) ; puisque cet honneur est dormant ; puisque nous sommes le dernier avatar du grand homme (directement ou indirectement) ; nous devenons son substitut, identifiŽ ˆ lui, et donc son honneur (ou quelque chose de cet honneur) nous Žchoit. Le primogenitor se rŽincarne successivement dans ses hŽritiers qui ne reoivent pas de droits de leur prŽdŽcesseur mais portent les droits du commun anctre. La durŽe n'importe pas tant que les filiations tiennent. Le droit des fiefs tardif exprime quelque chose de ce genre (Balde selon Giesey, 1961), sans toutefois envisager les honneurs. Ce qu'il faut souligner, c'est que cette conception archa•que ne choque pas plus les Franais du XVIIe que les Anglais du premier XIXe.
Sur cette base, les Courtenay auraient pu gagner. Mais le parallle anglais montre ce qui, leur manquant, rendait l'Žchec inŽluctable : ils demandent plus que les Courtney avec moins d'atouts en main.
Chp.
I. Du comte de Sens au sire de Courtenay
Chp. II. Trois gŽnŽrations de Courtenay d'Outremer
Chp. III. La dŽpossession des anciens Courtenay Combes, 1853
Chp. IV. Curtney, comtes de Devon