27/11/2024
Esambe Josilonus
Esambe Josilonus
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Contrepied : Histoire des vrais Courtenay old KDL     pdf   epub  

                                         

Je reprends ici, en le simplifiant et en l'assemblant, le contenu des Appendices 3, 6 et 5 dans lesquels on trouvera plus de détails en notes et les références bibliographiques complètes. L'histoire des deux Maisons de Courtenay, la vraie et la royale, n'a en commun que la dépossession de Renaud en France (ici, chp. III, section 1).

Les Courtenay royaux ont pour origine le mariage de la jeune Isabeau avec Pierre, dernier fils de Louis le gros qui , au milieu du XIIe siècle, prend l'héritière, le nom, les terres et les armes. Une brume épaisse entoure cette usurpation, comme si les anciens Courtenay sortaient du néant et y rentraient. Or Renaud vivait encore et, passé en Angleterre avec Henri d'Anjou (Henry II), y continua la première Maison de Courtenay, de sorte que les descendants de Pierre et Isabeau, de moins en moins royaux, appartiennent à une seconde Maison.

Ici, je ne parlerai de la spoliation des Courtenay que pour expliquer la disparition de Renaud et je présenterai (pour ce qu'on en sait) l'histoire des Courtenay indépendamment de cette péripétie. Je chercherai d'abord leur origine (Chp. 1) et, arrivé à la première croisade, je ne négligerai pas les aventures outre-mer de l'un d'entre eux dont le destin fut autrement glorieux que celui du misérable empereur latin, fils de l'usurpateur (Chp. 2). J'examinerai alors la question de Renaud (Chp. 3) avant de suivre sa postérité en Angleterre : après une quasi-extinction, elle réussit le revival que ratent les derniers Courtenay français (Chp. 4).

Chp. I. Du comte de Sens au sire de Courtenay

 Au temps le roy Robert, fonda le chastel de Courtenay, Haston, le fils d'un [castelier] du chastel Renart, chevalier fu par son sens et par son avoir. Une grant dame espousa dont il engendra Jocelin de Courtenay, et cil Jocelin espousa la fille le conte Gieffroy-Foirole. De celle dame eut deulx fils Guy et Renart, le conte de Joingny. Icil Jocelin, après la mort de celle première dame, espousa Ysabelle, la fille Millon de Montlhery. En celle engendra Millon de Courtenay, et Jocelin, le conte d'Edesse, et Gieffroy Chapalu. Cil Mille de Courtenay engendra trois fils de la sereur le conte de Nevers : Guillaume, Jocelin et Renaut (Grandes chroniques de France, éd. Paulin Paris, Tome 3, 1837, p 170).

Ce roi Robert est Robert II le pieux (ca 972-1031), fils de Hugues, et second roi capétien de Francie occidentale (996-1031). Dans le cadre des guerres de Bourgogne, Robert a évincé le comte de Sens et provoqué l'essaimage de son groupe, déjà initié par la révolution des châteaux.

Les origines de la noblesse, comme sa caractérisation, suscitent depuis longtemps recherches et controverses. Rien n'est sûr, ni les faits, ni leur interprétation. Hatton est l'un des innombrables châtelains qu'engendre le basculement du pouvoir, des cités (civitates) vers les campagnes (pagi).

Dans le monde né de la décomposition de l'empire carolingien  et des raids normands (deux séries d'événements dont les historiens interrogent aujourd'hui l'amplitude et les effets réels), les "châteaux" se multiplient à partir du Xe siècle, se concurrencent, militarisent l'espace et changent la technique de guerre. L'origine du processus est hybride, à la fois "publique" et "privée" (Le Jan, 1995). Du côté public, ce sont les insiders, les comtes carolingiens, commis au gouvernement des villes et de leur pagus : eux-mêmes ou leurs vicomtes implantent des points d'appui dont les gardiens s'efforcent de s'autonomiser et de patrimonialiser le pouvoir de ban. De l'autre côté, des "outsiders" édifient des "châteaux adultérins", illicites, d'emblée privés, qu'ils transforment en pouvoir. De même que les comtes s'autocratisent en substituant "Dieu" au Roi pour légitimer leur puissance (comites gratia Dei), s'autorisant ainsi à transmettre héréditairement leurs droits ; de même les châtelains. Ceux qui réussissent le mieux, devenus sources de droits, d'honneurs et de cadeaux, tissent de nouveaux réseaux de parentèle et de clientèle. Dans un univers très compétitif et très aléatoire (mortalité, volatilité), tout succès reste contesté et éphémère.

Ce rappel sommaire cadre nos premiers "Courtenay" : ils résultent de l'atomisation d'un comte de ville et de son explosion en châtelains de pays.

Le point de départ se trouve à Sens, aux limites de la future Champagne et du futur duché de Bourgogne. Depuis 936, un Fromond est comte de Sens. Il n'a d'autre nom que Fromond. Cela signifie-t-il quelque chose ? Chrodmund, Chrotmund, Hrotmund, Fromund, Frumond, Rodmund, Romund, Rodomond, Romont, Fremond, Fremont, toutes ces variantes dérivent du scandinave Hrothmund qui est porté par l'un des principaux héros du Beowulf. Parmi les ancêtres légendaires des comtes de Boulogne, figurent ces noms rares, Fromond et Fromondin.

Pendant près d'un siècle (936-1015), Fromond et ses descendants, s'imposent comme comtes héréditaires de Sens, tentent d'en contrôler l'archevêque, et s'emparent de biens ecclésiastiques qu'ils confient à leur clan pour se constituer un réseau d'appuis. Les difficultés ne leur manquent pas car ce comté, par sa richesse et sa localisation, suscite la convoitise de groupes bourguignons, franciens, blésois, lorrains et germaniques.

Se succèdent : Fromond  (comte de 936 à 948), Rainard le vieux (948-999), Fromond (999-1012), Rainard le mauvais (1012-1055). Ce dernier perd la ville. Le groupe familial se réorganise et développe les bases antérieurement plantées dans le pagus. Une ligne deviendra Courtenay.

Les comtes de Sens sont pour nous seulement un prologue. Heureusement, car la documentation manque, les circonstances sont confuses et le référentiel des acteurs nous échappe. Outre la variabilité historique de la géographie, notre conception moderne de "territoire" conduit au contre-sens. Il nous est difficile de comprendre que la fluidité de l'espace et des droits coexiste avec la continuité des détenteurs de pouvoirs. Enfin, les rivalités sont tellement nombreuses et changeantes que, même en simplifiant, on se perd.

Le lecteur pressé pourra se contenter du résumé précédent et passer directement à la seconde section qui traite du Hatton mentionné par les Grandes chroniques.

1. Comtes et archevêques de Sens

Le comte et l'archevêque, quoique en concurrence dans la cité et ses entours, ne jouent pas à la même échelle. Le pagus de Sens correspond approximativement à la partie Nord de l'actuel département de l'Yonne, tandis que la province ecclésiastique rassemble les diocèses de Chartres, Auxerre, Meaux, Paris, Orléans, Nevers et Troyes. L'archevêque de Sens est, ipso facto, commis au "grand jeu". En concurrence avec celui de Reims, il se veut faiseur et conseiller de roi. Jusqu'en 1027, il en sacre davantage que son confrère. Le premier regarde vers la Neustrie, le second vers la Lorraine. Des deux côtés, on rencontre de grands noms : à Sens, Wenilon, Anségise, Gautier, Liéry... ; à Reims, Hincmar, Foulques, Adalbéron et Gerbert...

un contexte embrouillé

En 848, Wenilon (archevêque de Sens de 837 à 865) sacre Charles le chauve à Orléans. Mais, en 858, il se joint contre lui à Robert le fort, Eudes d'Orléans, Adelard de Paris, et ouvre la voie à Louis le germanique qui avance jusqu'à Sens et Attigny. Wenilon est le seul évêque dans ce groupe de Grands. Les autres évêques, poussés par Hincmar de Reims (845-882), réaffirment leur fidélité à Charles le chauve. Charles ayant triomphé (859), Wenilon est jugé et condamné in absentia au concile de Savonnières (juin 859), puis réconcilié. Lui succède Egile (865-6/871) puis Anségise (871-883), féal de Charles le chauve que le pape Jean VIII fait primat apostolique des Gaules et de Germanie (875).

A la mort de Charles le chauve, son fils, Louis le bègue (877-879) est sacré par Hincmar de Reims à Compiègne, tandis que  son successeur, Louis III, le sera par Anségise de Sens. Après lui (†882), après Carloman (†884) et Charles le gros (†888), comme le fils posthume de Carloman est encore trop jeune (Charles, plus tard le simple), les Grands de Francie occidentale mettent entre parenthèses l'hérédité dynastique et, contre Foulques de Reims qui tente d'imposer le roi de Francie orientale, Arnulf, ils élisent roi Eudes (888-898), comte de Paris, fils de Robert le fort, que Gautier de Sens sacre à Compiègne (Dhondt, 1939).

Quelques années après (893), dans le contexte d'agressions normandes et de difficultés du roi Eudes en Aquitaine, dès 893, Foulques de Reims sacre le petit Charles (le simple). Chacun des deux rois combat l'autre, avec des chances variables, cherche le soutien d'Arnulf et des Grands laïques, et nomme des évêques de son camp.

Par ailleurs, Richard de Bourgogne, frère de Boson, roi de Provence (Mantailles, 879), guerroie depuis longtemps pour rassembler les comtés de la Bourgogne du Nord. Il navigue entre les deux rois franciens et met à profit les déboires d'Eudes. En 894, la mort du comte de Troyes, Adalelme (Alleaume, Adalhelm), cousin et fidèle d'Eudes, permet à Richard de Bourgogne de s'emparer de Troyes qu'il confie à l'un de ses proches, Garnier (Warnerius), peut-être un de ses fils. Comme l'archevêque de Sens, partisan d'Eudes, a nommé à Troyes un évêque opposé à Richard, celui-ci s'empare de Sens, prononce la déchéance de l'archevêque, le met en prison, et en profite pour se faire abbé de Sainte Colombe à la place d'Eudes. Il donne la garde de Sens (vicomté) au même Garnier qu'il a fait comte de Troyes.

Le roi Eudes, en mourant (898), laisse la couronne à Charles le simple, designatio que son frère Robert accepte, ce dont il est amplement récompensé. Charles le simple que Foulques de Reims avait sacré prend prend celui-ci pour chancelier, puis son successeur Hervé (900/922). Ensuite, les entreprises lorraines de Charles entraînent la révolte des Grands autour de 920. Charles s'enfuit. Robert, le frère d'Eudes, élu anti-roi, est sacré à Reims par Gautier de Sens (922) : une revanche ! Robert tué en 923, la contre-attaque de Charles est arrêtée par Raoul, le fils de Richard de Bourgogne (†921), gendre de Robert. Raoul est aussitôt élu roi de Francie occidentale et sacré à Soissons, encore une fois par Gautier de Sens.

En 936, Raoul meurt. Hugues le grand, fils du roi Robert, rend la couronne à Louis IV d'outremer, fils de Charles le simple, qui reconnaît sa prééminence en le faisant dux Francorum. Hugues prend aussitôt Sens (parmi d'autres) à Hugues le noir, frère et héritier de Raoul de Bourgogne, auquel il finira par arracher toute la Bourgogne de Richard (946). A Sens, il semble avoir été aidé par Fromond, un fils de Garnier. Il lui confie la ville. Voilà notre premier Fromond.

les Fromonides

Naturellement, Fromond s'emploie à s'autonomiser et à se faire comte. Il connaît des revers et doit, temporairement, quitter Sens et se replier sur Mont d'Ouanne (le futur Château-Renard) où il reconstruit un vieux fort, entre deux bras de la rivière.

Pour le comte de Sens, influencer la désignation de l'archevêque est une tentation autant qu'une nécessité. Outre les droits que les évêques détiennent ou revendiquent sur les abbayes et leurs richesses, ils contrôlent directement ou indirectement une partie du pays. De plus l'archevêque, par son autorité sur les évêques suffragants et ses relations avec les Grands, est un levier à grand rayon d'action.

Le fils de Fromond, Rainard, lui succède autour de 948 pour cinquante ans (†996 ou 999). Une telle durée lui vaut le surnom de petit vieux (vetulus). La mort de Hugues le grand (956) le libère de sa dépendance. Les sources ecclésiastiques en disent grand mal, car il capte ou spolie des terres relevant des abbayes, notamment l'ancienne et prospère Ferrières. Il s'enracine dans le comté, cité et pagus, en multipliant les nouvelles implantations et en consolidant les anciennes qu'il confie aux membres de son groupe familial. A Sens, il s'empare de la riche abbaye de Sainte Colombe dont Hugues s'était fait abbé, et érige la Grosse Tour (turrim maximam) pour augmenter son emprise militaire sur un territoire cloisonné.

Que Rainard l'impose ou le reçoive de son allié, le comte de Troyes, le fils de celui-ci, Archambaud, pillard et paillard, devient archevêque de Sens en 958. Ils combattent ensemble les Saxons que Brunon de Cologne (frère de l'empereur Otton) envoie contre le comte de Troyes pour secourir son évêque. Au grand plaisir des moines de Sainte-Colombe, Archambaud est foudroyé par la colère divine (967) lors du grand incendie qui détruit la cité. Lui succède le saint Anastase qui restaure les abbayes et les églises. La mort d'Anastase (977) fait arriver Seguin (Sewin). Rainard lui refuse l'entrée de la ville, Seguin l'excommunie. Quelques mois plus tard, le comte quitte Sens pour l'ouvrir à l'évêque  (février 978).

Ce démêlé célèbre a reçu diverses interprétations car Seguin, fils de la sœur de Rainard, aurait dû être bienvenu. Ecartons la méchanceté qu'évoquent les chroniqueurs, et remarquons que, si Rainard empêche Seguin de s'installer, il ne lui oppose pas un autre candidat ; notons aussi que les malveillantes chroniques ne mentionnent plus d'actes d'animosité du comte pendant les onze années qui suivent (Seguin †999). Le conflit se localise au début (Varenne, 2013) : Rainard semble avoir voulu poser un rapport de forces (et/ou forcer une négociation), soit pour s'assurer de la coopération d'un neveu réticent, soit pour neutraliser la menace de l'immixtion de la famille paternelle de Seguin.

La relation triangulaire constituée par le conflit entre Louis d'outremer et Hugues le grand, arbitré par leur beau-père commun l'empereur Otton (et son bras occidental,  Brunon, archevêque de Cologne), se poursuit avec leurs fils, respectivement Lothaire, Hugues Capet et Otton II.

Les ambitions lorraines de Lothaire finissent par pousser Reims (Adalbéron et Gerbert) vers le robertien Hugues Capet. Lothaire meurt en 986 ; son fils et successeur (Louis V), l'année suivante. Alors, Adalbéron fait donner la couronne à Hugues (987), dans l'attente d'un carolingien convenable.

Après ce coup rémois, le comte de Sens, Rainard, se rallie à Capet, à la différence de Seguin qui n'assiste ni au concile de Senlis, ni au sacre de 987, et ne prête pas serment au nouveau roi. Rainard marie son fils Fromond à Gerberge, fille de Rainaud (Ragenold), comte de Roucy et comte de Reims.

Gerberge est la sœur de Brunon de Roucy, évêque de Langres depuis 980 (futur adversaire du roi Robert en Bourgogne), et petite-nièce de Brunon archevêque de Cologne, en l'honneur et à l'imitation desquels un de leur fils est nommé Brunon, le programmant à sa naissance pour remplacer Seguin (Varenne, 2013). Mais, quand ce dernier décède (999), c'est son adjoint, l'archidiacre du diocèse, Liéry, qui est élu contre Brunon, malgré l'opposition de plusieurs chanoines. Contesté, Liéry part à Rome faire confirmer son élection par le pape Sylvestre (Gerbert, son ancien maître à Reims) et, à son retour, se heurte à Fromond (comte de 999 à 1012). Liéry recommence le long voyage de Rome pour obtenir du pape qu'il ordonne aux évêques suffragants de le consacrer et de le secourir. On imagine facilement le type de rapports qui s'instaurent ensuite entre le comte et l'archevêque !

Fromond mort, lui succède son fils Rainard le mauvais (iniquorum iniquissimus) qui, de 1012 à 1055, sera le dernier comte. Son comportement est marqué par l'échec de 999 : d'un côté, animosité contre l'Eglise (vexations et spoliations) ; de l'autre, anticipation de la perte de la cité. Rainard développe sa mainmise alentour. Il établit ou renforce une série de forts/fiefs qu'il tient déjà ou dont il s'empare, à des endroits de passage obligé, sur les autoroutes de ce temps, les grandes rivières ou leurs affluents, notamment Montereau sur la Seine (au détriment de l'évêque), Joigny sur l'Yonne (au détriment de l'abbaye de Ste Marie), Ferté-Loupière etc. A Mont d'Ouanne, le château établi par son père au milieu de la rivière lui paraissant trop faible, il en érige un deuxième, en haut, sur le mont (au détriment de l'abbaye de Ferrières) : Château Rainard. L'auteur de L'art de vérifier les dates (T.11, p 301) affirme catégoriquement (on ne sait sur quelle base) : Il laissa deux fils, Fromond  qui lui succéda comme comte et Renaud qui eut en partage Château-Renard. Fils ou parent, la garde de Château-Renard échoit à Renaud (Rainier, Rainard) dont sortiront nos Courtenay.

guerres de Bourgogne

Depuis que, en 1002, à la mort de Henri de Bourgogne, son quasi fils, Otte-Guillaume, comte de Bourgogne, s'est saisi du "duché", le roi Robert II, le pieux, fils de Capet, le lui dispute. Robert le Pieux n'accepta pas [Otte-Guillaume] : la Bourgogne fut au centre de ses activités durant une large partie de son règne. Il lui fallut douze ans de guerre pratiquement incessante pour éliminer ce prétendant et reconquérir le duché, depuis Sens et Auxerre, cité après cité. Pacifié, il le donna en 1015 à son fils Henri, le futur roi Henri 1er...( Bautier, 1985)

Fin 1002, Otte, soutenu par Brunon de Langres, Landri de Nevers et maints seigneurs locaux, s'empare d'Auxerre qui tient la Bourgogne. L'évêque d'Auxerre ne le suit pas et reste fidèle à Robert qu'il appelle au secours.

En 1003 Robert amasse une armée. Il passe par Sens pour impressionner Fromond au bénéfice de Liéry et échoue devant Auxerre, l'imprenable. Il pille les terre de l'évêque de Langres. Il revient en 1005 et assiège Avalon après avoir fait la paix avec Otte : celui-ci renonce à disputer le duché, étant menacé à l'Est par Henri de Germanie qui vise, via son épouse Gisèle, le royaume de Bourgogne (Rodolphe). Cette fois, Robert prend Auxerre.

En 1015, l'archevêque de Sens, Liéry, qu'il se sente menacé ou excédé, ou bien qu'il veuille assurer au roi la porte de la Bourgogne (la route vers Auxerre et Autun), l'appelle au secours (1015). Robert saute sur l'occasion (s'il ne l'a pas provoquée). Les troupes royales s'emparent de la ville le 22 avril, mettent le feu, brûlent et massacrent la population, peut-être parce qu'elle soutient le comte, peut-être par habitude : Venientes vero qui missi fuerant a rege coeperunt urbem cum nimia depopulatione, partem etiam ejus non modicam incendio cremavere (Glaber, LIII, CH6, p71). Fromond, le frère de Rainard, résiste dans la grosse tour et, vaincu, est emprisonné à Orléans.

Li cuens Renarz eschapa et s'enfui touz nuz. S'il perd ses habits et la ville, il tient toujours ses campagnes et leurs forts. Allié au rival du roi, l'ambitieux Eudes de Blois (985-1037), futur comte de Troyes, il lui permet de lier ses possessions de part et d'autre de la Seine en lui donnant Montereau (des terres disputées par l'évêque) où ils construisent un château qui devint ensuite fort nuisible au roi et à l'archevêque de Sens. Ultérieurement, Rainard et Eudes reprennent Sens, dévastant tout, puis Rainard accepte un compromis : sa vie durant, il gardera Sens qui, après, sera partagée entre l'évêque et le roi. On comprend que, revenu, il en veuille à Liery et le persécute autant qu'il peut.

Mais Sens n'est pas encore au roi ! d'abord parce que Rainard vit jusqu'en 1055, ensuite parce que Liéry meurt en 1032, au milieu des troubles liés à la succession du roi Robert. En effet, Henri 1er a succédé à son père Robert le Pieux le 20 juillet 1031 [...]. Il se heurte immédiatement à une formidable opposition, menée par sa mère elle-même et son frère Robert, mais animée surtout par Eudes II de Blois, remuant et ambitieux, par le comte de Valois Raoul, un cousin, et le comte de Sens Renard. Il est aidé en revanche par les ennemis du comte de Blois, le comte d'Anjou et celui de Joigny dont il désigne le fils comme archevêque de Sens (Bautier, 1985, p 543). Eudes de Blois, allié à la reine-mère Constance, s'empare de Sens et le garde de 1032 à 1034, sans profit pour Rainard débordé par son allié. Le nouveau roi (Henri) parviendra à reprendre la ville et à installer son archevêque, Gilduin de Joigny, à la place de celui des chanoines et d'Eudes de Blois, Mainard, auquel, en compensation, Eudes donne l'évêché de Troyes. Plus tard (1049), Gilduin sera destitué et Mainard, son rival malheureux, se substituera à lui.

Le roi Henri s'étant allié à Conrad II contre Eudes de Blois qui dispute à l'empereur le royaume de Bourgogne, Eudes riposta en formant avec certains seigneurs de l'Ile-de-France une nouvelle coalition à laquelle prit part le second frère du Roi [Eudes], mécontent de n'avoir reçu aucun apanage. Alors s'ouvrit une seconde période de guerres (1034-1039)... La mort du comte Eude II [1037] ne la termina pas : ses fils Étienne et Thibaut luttèrent avec la même âpreté. Menacé encore une fois d'être dépossédé de la couronne, Henri Ier reprit Sens, défit son frère Eude et l'emprisonna à Orléans... Après la mort du comte de Sens, Rainard, allié fidèle d'Eude II, le Sénonais fut annexé définitivement au patrimoine capétien  (Luchaire, 1910, p 161),

Rainard mourra comme un grand homme, avec prodiges et tempêtes (1055). Ses droits passeront au roi (Henri) qui marquera le point contre le comte de Blois. On ne sait trop ce que sauvent les anciens comtes, ce qu'obtient le roi, et ce que garde l'évêque car la ville est divisée en plusieurs parties, les terres du comte nombreuses, les prétentions et droits enchevêtrés. L'évêque conservera jusqu'en 1790 les quatre baronnies de Nailly, St Julien-du-Sault, Villeneuve-l'Archevêque et Brienon et leurs dépendances.

C'est la fin de la période comtale pendant laquelle le groupe familial s'est enchâtelé alentour. L'absence de chef de "maison" le décompose (ou résulte de sa décomposition). Joigny prend le château-haut de Mont d'Ouanne (Château-renard) et Hatton, fils de Renaud, tient le château-bas (à moins que ce ne soit l'inverse). Le conflit entre les deux provoque l'éviction ou le retrait de Hatton qui se replie sur Courtenay.

2. Hatton (Atho Castellarius)

A Courtenay, entre Château-Renard et Sens, Hatton, le fils d'un castelier du chastel Renart, construit un fort sur une terre anciennement prise à l'abbaye de Ferrières, vraisemblablement, une motte castrale à partir ou à la place d'une première superstructure de Rainard le vieux. Une position judicieuse sur un affluent du Loing, à la limite du Sénonais et du Gâtinais, à mi-chemin entre Sens et Montargis, sur la route de Paris à la Bourgogne.

Ce qui compte n'est plus l'honor (même patrimonialisé) mais les droits réels attachés à l'espace. En témoigne le retournement opéré en deux générations : le comte Rainard donna son nom à son château et au bourg avoisinant qui le porte toujours (Château-Renard, 45220) ; Hatton, au contraire, prend celui de l'endroit où il plante sa base. "Courtenay" devient son surnom, sans autre titre que le commun dominus. Les noms s'enracinent et ce qui restait des villes-fonctions (qui continuent parfois à signer les comtes, comme Blois, Nevers etc.) cède la place à des enveloppes territoriales de droits.

Courtenay sera le marqueur d'une lignée féodale. Au fur et à mesure que l'évolution des structures de parenté verticalise les groupes sur l'axe paternel et que le pouvoir s'ancre au sol, de tels toponymes affichent et résument origines, droits et parentés alors que, auparavant, les parentèles largement endogamiques, dépourvues d'identifiants, mais non de mémoire, se laissaient difficilement appréhender de l'extérieur. L'Eglise a stimulé cette mutation en instrumentalisant l'institution centrale du mariage : illicéité des unions d'appoint (polygamie) et norme exogamique. Les interdits "incestueux" sont élargis à un tel degré qu'ils cassent les groupes horizontaux : dès le IXe siècle, l'Eglise proclame la prohibition des unions jusqu'au septième degré canonique de parenté (genicula). Cette interdiction impossible à respecter rend la plupart des mariages illégaux, conditionnels, et les subordonne à la complaisance de l'Eglise. Plus tard, Latran IV (1215) ramènera les cas interdits au quatrième degré canonique mais ajoutera les affins.

Hatton, un maillon d'une large et longue chaîne entrecroisée, sera vu par les généalogistes des Courtenay royaux comme l'anneau auquel s'attache leur descente, un Noé originaire qui aurait pris pied dans un monde vide. En 1661 du Bouchet commencera ainsi son Histoire généalogique de la Maison Royale de Courtenay : Le premier de ses Ayeux qui s'est garenty de l'oubly, paroist dans le Continuateur de l'Histoire d'Aimoin, sous le nom de CHASTELAIN DE  CHASTEAV-RENARD. Et on apprend de cet Auteur qu'il avoit un fils nommé ATHON, qui se rendit fameux par sa valeur & qui fortifia le Chasteau de COVRTENAY sous le Regne du Roy ROBERT.

Rétrospectivement, on gratifie Hatton des armoiries des Courtenay (d'or à trois tourteaux de gueules) qu'il ne saurait avoir eues : ce n'est que bien plus tard que le binôme nom/blason devient  constitutif d'identité collective (Nassiet, 1994). Les armes et le cri, pas plus originaires que les noms, représentent initialement des "logos" de combat attachés aux personnes, non au lignage. Encore à la fin du XIIe siècle, le fils de "Pierre de France", ne sera pas associé à gueules à trois tourteaux d'or mais au champ d'azur semé de billettes de Nevers (son épouse), armes que sa promotion impériale (Constantinople) remplacera par des croix.

Un groupe héraldique suppose des armoiries identitaires. Si les expéditions outremer ont été la matrice des "logos", le passage de l'individu au lignage suppose une double normalisation, celle des armes et celle des familles. Le timbrage fixe ne commencera qu'à partir du XIIIe siècle, comme produit d'une inféodation héréditaire qui s'exprime par le nom (de terre) et les armes (de famille). Les "fondateurs" n'en avaient pas ou en portaient d'autres, personnelles et temporaires.

Les Courtenay et les comtes de Boulogne affichent les mêmes armes, cela ne prouve pas des ancêtres communs. On peut admettre une coïncidence : aussi anciennes que primitives, ces armes associent une figure de base (les tourteaux seront les meubles les plus usités) à des couleurs vivement contrastées (jaune et rouge). Ce "visuel" élémentaire se peint, se repère et se reconnaît aisément.  Aucun notaire, aucun juge d'armes ne dressait alors catalogue pour empêcher les doublons et les imitations. Nombreux furent ceux qui revinrent des croisades avec, sur leur écu, des merlettes, des coquilles, des figures ondées ou des besants (Ménestrier). Des ronds rouges sur fond jaune, quoi de plus simple ?

Quelles que soient ses couleurs, voilà Hatton, rescapé du naufrage comtal, ou pilleur d'épaves s'il a mis a profit la confusion pour s'implanter. On ne sait de quelles alliances et parentèle, il hérite. Si la lignée qu'il fonde n'est pas insignifiante, elle apparaît médiocre. Les domini de Courtenay ne sont pas les héritiers du comte Rainard, seulement des sous-produits. Ils restent sur le marché, ils ne l'influencent plus. Quoique, nécessairement, ils participent aux luttes des petits et grands "féodaux" entre eux et avec le roi, aucun d'entre eux ne se signale. Faut-il l'imputer au manque de documentation ? à leur habileté ? à leur passivité ? à leur manque de moyens ? Ils se marient bien, ils agrandissent leur patrimoine, ils comptent mais —si j'ose dire— ils ne "comtent" plus.

Qu'ils ne soient pas négligeables, on le voit par le mariage du fils de Hatton, Josselin : il épouse Hildegarde, fille de Geoffroy "Ferréol" Seigneur de Château-Landon, comte de Gâtinais, & d'Ermengarde d'Anjou, également parents de Geoffroy le barbu et de Foulques Réchin. Par elle, il devient co-seigneur de Montargis. Josselin se remarie en 1065 avec Élisabeth (Isabelle), l'une des Montlhéry sisters issues de Guy le Grand, seigneur de Montlhéry, et de Hodierne de Gometz-la-Ferté. Montlhery was one of those troublesome castellan families - others were Beaugency, Montfort, and Le Puiset - which in the eleventh century had come to dominate the territories round Paris at the king's expense…(Riley-Smith, 1997, First Crusaders, 170).

Josselin s'allie ainsi à un clan puissant en conflit constant avec le roi de Paris. Les deux lignages, Montlhéry et Puiset, basés à la périphérie du petit cœur capétien, sont le type des "brigands féodaux" dénoncés par le lobby royal. De leur puissant donjon, ils font leurs affaires sans tenir compte du roi ou contre lui. Vers 1079, la "guerre du Puiset", un soulèvement presque général de cette féodalité contre Philippe I. (Fliche, 1912), stimulée peut-être par Guillaume le Conquérant, a fini par une lourde défaite du roi et de ses alliés. On se souvient de la longue série d'expéditions que Louis VI le batailleur, d'abord comme roi désigné, ensuite comme roi, —et Louis VII après lui—, devra conduire pour s'imposer et que Suger emphatisera. Le donjon du Puiset sur la route de Paris à Orléans n'a cessé d'être attaqué, parfois pris et détruit, ensuite reconstruit, puis attaqué à nouveau, etc.

Les Montlhéry sisters sont fameuses par l'abondance et la qualité de leur descendance. Leurs frères non plus ne sont pas insignifiants.

Parmi ces enfants de Guy et Hodierne, notons:

* Milon "le Grand" de Bray, seigneur de Montlhéry

* Guy "le Rouge", comte de Rochefort

* Mélisende x Hughes de Rethel par lequel leur fils Baudoin du Bourg tient aux comtes de Boulogne, parenté grâce à laquelle il se fera roi de Jérusalem (Baudoin II) et en fondera la lignée (Mélisende => Baudoin III, Amaury I => Baudoin IV, Sybile=> Baudoin V...)

* Alix x Hugues le Puiset, "Blavons" de Breteuil,  Vicomte de Chartres

* Isabelle x Josselin de Courtenay

* Mélisende  "Caravecina" x Pons de Traînel, Seigneur de Pont-sur-Seine

* Hodierne (Ermesende) x Gauthier, Seigneur de Saint-Valéry

Isabelle et Josselin ont pour fils un Miles ou Milon, né en 1068 (mort après 1127),  et un Josselin, probablement l'aîné. Nous le verrons au chapitre suivant, ce dernier participe en 1101 à la malheureuse arrière-croisade du comte de Nevers, survit, et devient seigneur de Turbessel (1102-1113) en Syrie, prince de Tibériade (1113-1119), enfin comte d’Édesse (1119-1131). Après lui, deux générations de Courtenay appartiendront aux Grands d'outremer : ses successeurs (Josselin II et III), la reine-mère Agnès et sa fille, Sybille, reine de Jérusalem.

Milon, le frère de Josselin, ou bien n'a pas cédé aux mirages, ou bien est resté pour remplacer son aîné comme dominus, défendre les terres et les agrandir. Il se marie grandement en 1095 à Ermengarde, fille de Renaud II, comte de Nevers, et d’Ida/Raymonde (elle-même fille d'Artaud V, comte de Lyon et Forez, et veuve de Guigues, comte d'Albon et de Grenoble). A l'approche de sa mort, Milon fonde en 1124 l'abbaye cistercienne de Fontaine-Jean  à charge de prier pour lui, restitution partielle de terres prises à l'Eglise et institution d'une "basilique" familiale. Milon achève la territorialisation en fixant les morts au sol. Fontaine-Jean, entre Château-Renard et Champignelles, détruite plusieurs fois pendant la guerre de cent ans, sera anéantie pendant la révolution.

Les fils de Milon, Guillaume et Renaud (Reinaldus de Monteargiso), partent outremer avec Louis VII, volens nolens. Le premier meurt et Renaud (Rainard, Rainier etc.) revient aussitôt en France occuper son héritage ; il "domine", en tout ou en partie, les seigneuries de Courtenay, Château-Renard, Bléneau, Tanlay, Charny, Montargis etc., sans qu'on sache de quoi il était suzerain et de quoi vassal. Il semble avoir épousé Helwise, fille de Ferry de Donjon. Vers 1150, il "disparait" (cf. infra, chp. 3), et sa fille Élisabeth (Isabeau) lui succède, un beau morceau, à la première périphérie du domaine royal, qu'il fallait garder des mains concurrentes. Le roi donne à Pierre, son plus jeune frère, la fille, les terres et le nom. On connaît la suite.

Avant d'en arriver là, nous ferons un détour par l'Outremer où brillent Josselin et sa descendance, jusqu'à ce que le reflux des Francs les emporte.

Chp. II. Excursus : trois générations de Courtenay d'Outremer

Fin XIe, la "révolution des châteaux" est terminée, même si ses résultats restent provisoires (concurrences). Ce sont ces hommes, les châtelains, leurs chevaliers, leurs hommes et leurs prêtres, qui passent Outremer et —soulignons la différence avec l'expédition quasi contemporaine des Normands en Angleterre —, ils ne sont pas dirigés par un chef. Ce sont des armées de comtes. En ce sens, la 1ère croisade (1095-1099) exporte la "révolution des châteaux".

Malgré les droits de l'empereur de Constantinople, la conquête de l'Outremer sur les émirs "musulmans" en fait un pays ouvert. Le turning point d'Antioche est éclairant : la ville conquise, on "oublie" l'empereur. A Nicée, l'empire, présent et actif, avait récupéré la cité sans contestation. A Antioche, l'armée impériale, trompée, se retire et Bohémond se déclare prince souverain—non sans combats (avec Raymond de Toulouse d'abord, Alexis Comnène ensuite, et bien sûr les Turcs).

La mésaventure franque de l'empire "romain" en Syro-Palestine n'est ni sans précédents, ni sans remèdes. L'empire utilise fréquemment des barbares —Cumans ou Normands— contre d'autres : les chiens mordent les chiens (Francos cum Turcis praeliantes, quanti canes se invicem mordentes). Ces "alliés" se contrôlent difficilement, surtout lorsque, victorieux, ils cherchent à se mettre à leur compte et à s'installer (cf. avant la croisade, les tentatives successives de Hervé, Crispin et Roussel). L'empire —et Alexis, personnellement— en a l'habitude. En fin de compte, quelques dizaines d'années plus tard, les empereurs Jean II et Manuel reprendront le contrôle de la Syrie. Mais le temps de l'empire est passé, la "révolution des châteaux" le renversera (1204) et, de Constantinople à la Grèce continentale en passant par les îles, il éclatera en princées, duchés, baronnies et seigneuries. La "quatrième croisade", comme la première, sera une expédition de barons avides alors que les infructueuses deuxième et troisième ont été des guerres royales (Housley, 2006, pp. 66-67).

On connaît les trois Josselin successifs par l'Histoire des faits et gestes dans les régions d’outre-mer de Guillaume de Tyr (c1130-c1184) dont le succès mondial, dans son temps et le nôtre, doit autant à ses qualités narratives qu'à son exhaustivité : Guillaume est le seul à couvrir tout le siècle, même s'il n'en a pas connu directement la première moitié. Les Josselin ne sont pas absents non plus des chroniques arméniennes et arabes qui ont enregistré leurs faits d'armes et leurs cruautés. Comme ils ont marqué la politique et laissé des traces dans les chartes, l'historiographie des Croisades ne les ignore pas : par exemple, on compte une centaine d'entrées dans les deux premiers tomes de l'Histoire des croisades de Grousset (1934).

Murray (2006) résume ainsi l'histoire de ces Courtenay d'Outremer :

L'un des petits-fils d'Hatton [de Courtenay], le redoutable Josselin († 1131) vint en Outremer autour de 1101 et devint seigneur de Turbessel dans le comté d'Edesse, alors gouverné par son cousin Baudoin du Bourg. Privé de sa seigneurie par Baudoin en 1113, Josselin rejoignit le royaume de Jérusalem et fut fait seigneur de Tibériade [prince de Galilée]. Lorsque Baudoin devint roi de Jérusalem, il inféoda le comté d'Edesse à Josselin. La famille de Josselin  acquit une puissante position, en mêlant conquêtes et politique matrimoniale, notamment à travers d'étroites relations et intermariages avec la noblesse latine et arménienne. Malgré la prise du comté d'Edesse par les musulmans, les enfants de Josselin II († 1159) devinrent des personnages centraux du royaume de Jérusalem : Agnès († après 1186) épousa Amaury, comte de Jaffa, et son frère Josselin III († 1200) devint sénéchal du royaume. Quoique Agnès fût contrainte au divorce quand Amaury devient roi (1163), elle et Josselin devinrent très influents durant le règne du fils d'Agnès, Baudoin IV (1174-1185). Ils jouèrent un rôle déterminant dans la nomination d'Héracle [Héraclius d'Auvergne] comme patriarche latin de Jérusalem (1180) et assurèrent la couronne à la fille d'Agnès, Sybille (1186). Leurs actions ont été jugées sévèrement par les historiens, en partie sous l'effet de l'Histoire de Guillaume de Tyr, leur ennemi. Les filles de Josselin III se marièrent à des occidentaux et vendirent leurs terres à l'ordre teutonique (ma traduction).

Organiser l'exposé par rapport à Edesse est à la fois commode et pertinent. Josselin premier est associé à ce résultat accidentel de la 1ère croisade, Edesse dont le comté fournit ses rois au royaume et, en même temps, constitue sa pointe avancée et son rempart. Josselin second perd Edesse (1144-1151) et la 2nde croisade qui devait la reprendre tourne au gâchis. Il meurt après une longue captivité. Ses enfants, Agnès et Josselin troisième, réinvestissent leur capital dans la politique du royaume de Jérusalem. Ce panier de crabes ne résiste pas à Saladin, et la croisade de la dernière chance ne sert à rien.

1. Le triomphe d'Edesse

Josselin (Joscelin, Jocelyn, Gauzlin, Djoslin, Josseran, Jozeran) ne s'est pas joint aux premiers contingents. Il n'a pas participé à l'épopée héroïque, ni au siège d'Antioche, ni à la prise de Jérusalem. C'est sans lui que Baudoin de Boulogne s'attribue Edesse, moins un comté franc qu’un comté arménien à direction franque (Cahen, 1940).

le groupe Montléry-Puiset

Josselin arrive après la conquête, comme d'autres membres du groupe Montlhéry-Puiset venus renforcer l'emprise du clan et trouver Outremer une heureuse compensation à la pression royale en Ile-de-France (ou une échappatoire après défaite). Dans ce terrain d'aventures ouvert où les morts au combat permettent un renouvellement permanent, où il suffit de conquérir pour se placer, tout guerrier peut trouver un seigneur à servir, une veuve à épouser, une troupe à commander, un château à garder et, par là, s'il a de la chance, prendre "l'ascenseur social". Les exemples ne manquent pas dans ce territoire incertain, fragmenté, polycentrique et menacé. Mais les envahisseurs apportent avec eux leurs "rapports sociaux", marqués, non par l'individu, mais par le groupe.

La Croisade se composait d'armées distinctes (et non convergentes), celles des Normands de Sicile, des Normands de Normandie, des "Provençaux", des "Lorrains" etc, chacune sous le drapeau de son Grand, chacune assemblant des bandes avec leur big man qui s'emploie à fédérer —coaguler— ses hommes. Toute action collective passe par des conseils, pressions, discussions, marchandages, indemnisations. Une fois le pays conquis, la disponibilité des terres et la fluidité des marches donnent de la plasticité aux relations "féodales" importées. Dans ce cadre général, les groupes de clientèle et de parenté (souvent articulés) sont la norme et la clef.

Les Montlhéry-Puiset réussiront particulièrement bien :  ils dominaient les colonies du Levant établies à la suite de la 1ère croisade et dirigeaient le mouvement. Le roi de Jérusalem était l'un d'entre eux. Le comté d'Edesse dans le nord de l'Irak et les deux plus importantes seigneuries de Palestine étaient dans les mains de cousins. Un quatrième cousin était abbé de l'un des plus prestigieux monastères de Jérusalem et un cinquième fut patriarche (bien qu'il se soit révélé un handicap). Ils s'allièrent par mariage avec les chefs des deux autres colonies, la principauté d'Antioche et le comté de Tripoli [...] Peu de chevaliers gagnèrent beaucoup aux croisades, mais les Montlhéry en ont profité de manière spectaculaire, même si leurs ambitions ne furent jamais totalement satisfaites (Riley-Smith, 1997, First Crusaders,  p 7-8, ma traduction)

Citons en particulier, le fameux Hugues du Puiset, comte de Jaffa : en 1132, à la tête des barons du parti de la reine Mélisende, sa cousine, il s'opposera au roi Foulques et, quoique défait, empêchera celui-ci d'évincer celle-là  (Mayer, 1972; Besson, 2015). Il est le petit-fils de Hugues Ier Blavons, seigneur du Puiset, et d'Alice, l'une des fameuses Montlhéry sisters comme la mère de Josselin.

Josselin de Turbessel

Josselin, vraisemblablement, vient avec l'arrière-croisade de Guillaume de Nevers, le beau-frère de son frère. Il fait partie du petit nombre de survivants qui réussissent à gagner Antioche.

Il arrive au bon moment : Baudoin du Bourg, le fils de sa tante Mélisende de Montlhéry, vient d'être enfieffé du comté Edesse par Baudoin de Boulogne qui, après la mort de son frère Godefroy "de Bouillon" (1100), s'impose comme roi de Jérusalem, malgré le patriarche et Tancrède d'Antioche. Devant abandonner son comté, il le confie à son cousin du Bourg.

Il reste beaucoup à faire dans un pays fait de small pockets of territory surrounded by lands ruled by autonomous warlords, either Armenian or Turkish...Even those areas under his direct rule had Armenian soldiers and castellans (MacEvitt, 2008, p 75-6). Baudoin du Bourg, centré sur Edesse, a besoin d'un homme fiable pour tenir la partie occidentale du comté et le gué sur l'Euphrate : il établit son cousin Josselin seigneur de Tell Bashir and Rawandan (ibid., p. 80).

A partir de son installation à "Turbessel" (Tell Bashir), Josselin apparaît dans les chroniques et chansons dont certaines, rétroactivement, le listent dans les chefs de la 1ère Croisade (Mathieu d'Edesse) ou même, sous le nom de Jozeran, le comptent parmi ceux qui ont pris Jérusalem. Il s'illustre par ses exploits guerriers et ses captivités (1104-08 et 1122-23) dont la dernière deviendra une légende: emprisonné avec le roi Baudoin II et le cousin Galéran du Puiset, ils s'emparent du château où ils sont détenus. Josselin part chercher des secours, traverse les lignes ennemies déguisé en paysan, franchit l'Euphrate accroché à des outres. Pendant ce temps, le château est assiégé et repris. Ses défenseurs massacrés, sauf le roi, son neveu et Galéran. Josselin revenant avec les secours, apprend qu'il est trop tard et commet d'immenses ravages en représailles. Cet épisode abondamment repris (d'Albert d'Aix à Orderic Vital) illustre aussi le soutien arménien à Josselin.

Josselin à l'ouest, Baudoin à l'est de l'Euphrate. Le premier défensif (contre Antioche), le second offensif (vers la Mésopotamie). Stratégiquement, le comté protège les autres Etats latins. Appuyé au Nord et à l'Ouest aux montagnes arméniennes dont les vallées descendent vers l'Euphrate, il s'ouvre à l'Est sur Mossoul et au Sud sur Alep — un coin entre la Syrie musulmane et les émirats de Mésopotamie (Stevenson, 1907). Dans ce comté hétérogène et coupé par l'Euphrate, la coopération de Baudoin et Josselin, mise entre parenthèses pendant leur captivité commune (Harran, 1104), devient problématique après leur libération (1108) quand l'équilibre est rompu : d'une part, le compromis avec les chefs arméniens sur lequel il se fondait est affecté par les soupçons et les attaques de Baudoin ; d'autre part, l'offensive de Mawdûd, difficilement contenue, conduit Baudoin à abandonner partiellement la partie orientale ravagée (1110).

En conséquence, la partie occidentale (Turbessel) devient le cœur du comté. Baudoin la récupère en accusant Josselin de trahison (1113). Celui-ci rejoint le roi de Jérusalem, Baudoin de Boulogne, qui le recycle à Tibériade (seigneurie de Galilée, l'une des deux grandes Princées du royaume), d'où il mènera des attaques sur le Hauran.

le coup d'état de 1118

A la mort du roi (1118), Josselin, loyal à son cousin et/ou inquiet de l'éventualité d'un roi étranger, contribue de façon décisive au "coup d'Etat" qui donne la couronne à Baudoin du Bourg. Pour autant que l'hérédité compte dans l'élection du roi par les barons, du Bourg, simple cousin du roi, n'était pas le candidat naturel. En 1100, la couronne passa de Godefroy à son frère Baudoin de Boulogne en respectant la hereditarie successionis antiquissimam legem. Baudoin mourant sans enfant malgré ses deux mariages, les barons choisissent son frère Eustache, comte de Boulogne. Josselin, lui, s'oppose à un roi étranger au pays et plaide pour un qui soit présent et acclimaté (du Bourg). Les partisans d'Eustache partis le chercher à Boulogne, Josselin réunit à nouveau le conseil des barons. En tant que prince de Galilée, il est un des principaux du royaume et, d'autre part, du Bourg ne manque pas de soutiens : le conseil révoque la décision précédente et élit du Bourg qui —par un heureux hasard qu'on attribue généralement à Josselin— se trouve à Jérusalem en pèlerinage. Il se fait couronner aussitôt. There can be no doubt that Joscelin of Courtenay, who as lord of Galilee was the greatest magnate in the kingdom, had manipulated a parlement to get his first cousin the throne... (Riley-Smith, 1997, First Crusaders, pp. 173-4).

Baudoin II, après son avènement, pour asseoir son pouvoir, place ses parents et amis aux postes de commande. Pour récompenser Josselin (ou l'éloigner ?), il le met à la tête du comté d'Edesse, confiant la Galilée à un autre cousin, Guillaume de Bures.

Josselin se réinstalle à Turbessel, dans la partie utile du comté. Outre l'ennemi naturel, il doit s'occuper de la relation avec Antioche qui, en 1108, avait tourné à la guerre ouverte : pendant la captivité de Baudoin, la garde du comté fut confiée à Tancrède, prince d'Antioche ad interim après le départ de Bohémond. Tancrède l'a déléguée à son cousin, Richard de Salerne (Richard du principat) dont la régence et les exactions ont excité beaucoup de mécontentement. On ne s'étonnera pas que les deux ne fassent aucun effort pour la libération de Baudoin et Josselin. Lorsqu'elle survient quand même, ils refusent de rendre le comté. Les deux camps s'affrontent en bataille rangée, chacun avec ses alliés musulmans.

Josselin, devenu comte, essaie d'obtenir la paix en se remariant à Marie d'Antioche (1121), la fille de son ancien ennemi Richard. Le frère de Marie, Roger, devenu Régent d'Antioche par la mort de Tancrède, lui donne Azaz (Hasart), une place capitale à la jonction des deux comtés. Le conflit rebondira lorsque Bohémond II viendra occuper son héritage (1127) : Joscelin summoned Turkish forces to his banner and with their aid ravaged the principality of Antioch during the summer of 1127 and compelled the Antiochenes to recognize his rule (Nicholson, 1969). Sous une forme ou une autre, la tension se maintiendra à la génération suivante. Josselin II et Raymond de Poitiers (Raymond d'Antioche) refuseront de s'entraider, ce qui contribuera à la chute d'Edesse et, par contrecoup, à l'affaiblissement d'Antioche.

La non coopération est d'autant plus dommageable que les deux entités sont prises en tenailles entre les "Turcs" et la reconquête byzantine (Diehl, 1903). Raymond sera contraint à reconnaître la suzeraineté de l'empereur (1137), comme Josselin II (1142). Révolté, puis battu, Raymond mendiera son pardon à Constantinople (1144). Pour les empereurs Jean et Manuel qui, outre leurs qualités personnelles, profitent d'une situation favorable, la Cilicie, Antioche, Edesse, appartiennent à l'empire et leurs princes en sont dépendants. Edesse perdue et son comte prisonnier (1150), son épouse Béatrice vendra les restes à l'empereur (qui les perdra à son tour). De l'autre côté, le successeur de Raymond, le calamiteux Renaud de Chatillon, après ses provocations en Cilicie et à Chypre, verra arriver une armée impériale à Antioche et devra s'humilier à plat ventre (1158). Manuel, maître de la Syrie (ce qui en reste), deviendra le protecteur des Latins. Des alliances croisées seront nouées. La stratégie d'Alexis réussit : les barbares sont solubles dans l'empire.

la chute d'Edesse

Josselin I est mort la même année que Baudoin II (1131). With Baldwin and with Joscelin dead, the old generation of pioneer Crusaders was ended (Runciman). Comme Baudoin du Bourg, Josselin a épousé une princesse arménienne dont le capital relationnel est précieux. Baudoin ayant établi son contrôle sur le comté, Josselin passe à l'expansion qui, par nécessité (main d'œuvre militaire) et par attrait (pillage, conquêtes), se mène conjointement avec les Arméniens : While Baldwin II had built up the internal structure of the county, Joscelin was a vigorous military leader intent on expanding the county's boundaries ((MacEvitt, 2004, p. 93).

Josselin II hérite du comté d'Edesse en 1131 et épouse en 1132 Béatrice, veuve de Guillaume de Saône (Sahyun). Ils engendreront :

1) Agnès qui frôlera la Couronne par le second de ses quatre mariages (Renaud de Marash, Amaury frère du roi, Hugues de Ibelin, Renaud de Sidon) ;

2) Josselin (futur III) ;

3) Isabelle qui maintiendra l'indispensable alliance arménienne en épousant un prince des montagnes, le rupénide Thoros.

Josselin II apparaît dans toutes les histoires des Etats latins comme le nom de leur première défaite stratégique : son comté, pièce la plus avancée de l'ensemble, est le premier à tomber. Guillaume de Tyr lui reproche d'avoir vécu dans le luxe et la débauche à Turbessel au lieu de défendre Edesse. Mais, on l'a vu, la partie au-delà de l'Euphrate est délaissée depuis 1110. La cité d'Edesse est un centre commercial et une forteresse habitée, bien plus qu'une capitale. Ses fortifications et sa position avancée et stratégique lui valent autant d'attaques et de sièges qu'elle en repousse jusqu'à ce que, en 1144,  le puissant Zengi la conquière. En 1146, Josselin tente de la reprendre et échoue. Edesse, au lieu d'être le verrou d'Alep, devient un point d'appui de Nur ad-Din quand il prend possession après la mort de son père Zengi (1146).

2. Après Edesse

la seconde croisade

Que Josselin II sût ou non que son cousin germain Renaud viendrait avec la "seconde croisade", on imagine avec quelle impatience il devait attendre celle-ci et quelle déception elle lui apportera. Initiée pourtant par la chute d'Edesse et la nécessité de secourir le Nord, cette expédition aggravera la situation : Pendant la période de la "seconde croisade", il n'y eut aucune coopération entre le Nord et le Sud, et même l'inimitié commença à remplacer l'indifférence qui s'était révélée si nuisible. Les seules guerres avec les Musulmans qui intéressaient Jérusalem étaient à ses propres frontières... Au lieu de s'associer à Antioche et Damas contre Nuredin, ils attendirent l'inévitable attaque et employèrent l'intervalle à s'aliéner leurs alliés [Damas] et à abandonner à Nuredin les avantages qu'ils possédaient (Stevenson, 1907, pp. 154-5, ma traduction).

Nul doute que, en 1148, à Antioche, Josselin, comme Raymond de Poitiers, comme aussi Aliénor et ses barons aquitains, ne pousse à attaquer Nur ad-Din à Alep, ce qui, en outre, aurait porté un coup indirect à l'empereur Manuel, toujours soucieux de limiter les ambitions et le potentiel "latin" en Syrie du Nord.

Mais ni le "turc", ni le grec n'avaient rien à craindre: Louis VII obnubilé par Jérusalem, rapte son épouse Aliénor et s'enfuit littéralement d'Antioche. Edesse oubliée, la croisade, déjà bien mal partie, va s'autodétruire à Damas. Ce choix  résulte d'une multitude de raisons, principalement la fragmentation des Etats Latins et la lutte pour le pouvoir à Jérusalem entre les deux co-rois, la mère et le fils. L'expédition à Damas se fait sans le concours d'Antioche, ni de Tripoli, ni d'Edesse, et, comme on le sait, abandonne en quelques jours. Outre les difficultés propres de l'affaire, les barons de Mélisende contribuent à son échec.

L'affrontement armé de la mère et du fils au printemps 1152 apporte la victoire au second. Baudoin règne enfin. A sa mort (1162), lui succède son frère Amaury, le fils fidèle de Mélisende, elle-même décédée en 1161.

Quant aux restes du comté d'Edesse, pris entre deux meules, celle de Massoud d'Iconium et celle de Nuredin, Béatrice, l'épouse de Josselin, les a vendus à l'empereur. Elle se replie sur Jérusalem avec son argent et ses enfants. L'empereur a payé pour rien, il ne parviendra pas à défendre ses acquisitions. Tout est définitivement perdu en 1151. Josselin II, lui, après une dizaine d'années de captivité à Alep, meurt en 1159, un mois avant que l'empereur obtienne de Nuredin la libération des captifs.

Même si Josselin III reste comte titulaire d'Edesse, la suite de l'histoire se passe à Jérusalem où, on le verra, Agnès, sa sœur, joue un rôle important.

En compensation de ses pertes au Nord, le jeune Josselin reçoit de Baudoin III des terres autour d'Acre et un fief-rente sur les revenus du port (Nicholson, 1973). Ses succès militaires lui valent d'être maréchal du royaume (connétable en second) de 1156 à 1159. Sa position s'améliore encore par le mariage de sa sœur Agnès avec Amaury, le frère du roi (1157). Mais Josselin est capturé à la bataille d'Harrim (Harenc), probablement en 1164, avec les autres chefs : Colomon (gouverneur de la Cilicie byzantine), Bohemond III d'Antioche, Raymond III de Tripoli, Hugues de Lusignan. Josselin reste longtemps prisonnier à Alep tandis d'autres paient leur rançon ou sont rachetés par leurs proches. Il ne réapparaît qu'en 1176, sauvé par sa sœur Agnès.

Agnès de Courtenay, reine-mère

Agnès, fille de Josselin II, a frôlé la couronne en 1162 quand son époux Amaury en a hérité. Mais les barons n'en voulaient pas comme reine et Amaury l'a sacrifiée : une opportune découverte de consanguinité justifie le démariage. Les contemporains expliquent l'éviction par des facteurs personnels : Agnès était trop vieille, sa conduite relâchée, elle serait même "bigame" etc. Mais, comme la plupart du temps, les arguments ad feminam cachent et expriment à la fois une lutte de factions. Béatrice ne s'était pas repliée seule d'Edesse et sa cour de barons "réfugiés" entourait Amaury. Les Grands de Jérusalem récusaient cette influence étrangère.

Ce "divorce" se présente curieusement : le mariage est déclaré à la fois nul et valide. Les ex-époux ont le droit de se remarier (Agnès aussitôt, Amaury en 1168 avec Marie Comnène, nièce de l'empereur Manuel) ; et en même temps, leurs enfants, Baudoin et Sybille, restent légitimes et conservent la totalité de leurs droits héréditaires à la couronne, alors que si le mariage était réputé n'avoir jamais existé, il ne produirait aucun effet.

Agnès épouse le puissant Hugues de Ibelin, seigneur de Rama. Douze ans après, en 1174, la mort d'Amaury transmet la couronne à son fils Baudoin (IV), encore mineur. Agnès, mère du roi, revient au premier plan. Par raison de famille ou besoin de soutien, elle fait racheter Josselin par le Trésor royal (1176). Le royaume vit ses dernières années : à partir de l'Egypte, Saladin prend Damas et commence sa longue conquête de la Syrie de Nuredin et des possessions latines.

sa fille Sybille, reine

Josselin est aussitôt nommé sénéchal (administrateur) du royaume. Par achats, assignements, échanges et héritages, il agrandit son propre domaine en terres et en fiefs-rente et redevient un grand seigneur : la seignorie dou conte Jocelin, known then as now only by that rather indefinite title, was never an homogeneous unit but was always an agglomération of separate entities welded together by the man who acquired them and dispersed almost immediately after his death (La Monte, 1938). Acteur important dans la politique du petit royaume, il est du parti d'Agnès et des barons qui combattent la prépondérance de Raymond de Tripoli.

A la mort de Baudoin IV le mezel (1185), la couronne aurait dû passer à sa sœur Sybille dont la vie conjugale est accidentée car, héritière présomptive, elle fera roi un mari qu'on lui cherche apte à couronne. Le comte de Sancerre ayant déclaré forfait, c'est Guillaume longue épée, fils aîné du marquis de Montferrat qui l'épouse en 1176 et meurt aussitôt de maladie, laissant un fils posthume, Baudouinet. Le duc de Bourgogne, pressenti pour épouser la veuve (1179), tarde trop. Sybille choisit Baudoin de Ibelin mais il est capturé et, à son retour, la trouve fiancée à Guy de Lusignan qu'a jeté dans ses bras son frère Amaury de Lusignan, connétable du royaume, allié à la reine-mère Agnès. Mais les Grands ne veulent pas du calamiteux Guy.  Baudoin IV, justement inquiet de sa médiocrité, l'a éloigné du pouvoir et, pour court-circuiter Sybille et Guy, a sauté une génération en désignant pour successeur (et en l'associant à lui de son vivant) le petit Baudouinet, le fils de Sybille et de Montferrat. Raymond de Tripoli devient régent du royaume et Josselin tuteur de son petit-neveu.

La rapide mort de l'enfant (1186) ouvre la bataille contre Raymond de Tripoli. Le trône est vacant. On demande aux rois d'Europe de l'attribuer et, en attendant, Raymond resterait régent. Sybille s'empresse de prendre la couronne, en tant qu'héritière naturelle de son fils.

Josselin joue un rôle décisif dans ce coup d'état. Par ruse, il empêche le Régent de venir à Jérusalem. Par force, il prend le contrôle militaire de la ville. Reste le problème du mari de Sybille. Les barons la mettent en demeure de divorcer. Une scène de comédie : elle accepte à condition de choisir elle-même son nouveau mari et désigne... Guy. En fin de compte, ils sont couronnés tous deux.

Les barons du parti adverse ne parviennent pas à leur opposer un anti-roi, abandonnent Raymond et se rallient à Jérusalem. Pour leur malheur. Dans une situation militaire difficile, l'aventurisme de Guy de Lusignan et sa méfiance à l'égard de Raymond conduiront au désastre d'Hattin (juillet 1187) où il sera capturé, avec Josselin et bien d'autres.

L'armée latine détruite, Saladin ne rencontre plus de résistance en Palestine —sauf Tyr— et entre dans Jérusalem en Octobre 1187. Dès lors, le royaume ne sera plus qu'un croupion, même si virtuellement il se continue à Chypre.

liquidation

Josselin, relâché avec Guy en 1188, se heurte avec lui à Conrad de Montferrat, frère de Guillaume, qui vient de sauver Tyr et aspire à la royauté. Josselin accompagne Guy au siège d'Acre (Akka). Saladin concentre ses forces pour aider les assiégés et la troisième croisade (Philippe Auguste, Richard d'Angleterre etc.) apporte les siennes aux assiégeants. La ville finit par être prise en Juillet 1191 après deux ans d'efforts et de résistance. Victoire sans lendemain.

On ne sait plus rien de Josselin (After that nothing is known of him) : s'il est encore en vie après Acre, il aura probablement soutenu Guy dans son dérisoire combat avec Conrad pour la "royauté" et, peut-être, en 1192 l'aura-t-il suivi à Chypre, son lot de consolation. A moins que la mort de sa nièce Sybille (1190) par laquelle il touchait à la couronne ne lui fasse abandonner la partie. A plus de soixante ans, sa carrière était finie.

De son mariage tardif avec Agnès de Milly, fille de Henri le buffle (Bubalus), il reste  deux filles, "Biatris et Annés" (Lignages d'Outremer, chp. XXVIII : Ci dit des contes de Rohais).

La première, mariée d'abord à un frère du "roi" Guy, épouse ensuite Othon de Botenlauben, comte de Henneberg, vraisemblablement arrivé avec la croisade germanique de 1197. Plus tard, elle vend aux chevaliers Teutoniques ce qui restait de sa part dans la seigneurie de Jocelin (1220), et accompagne son mari en Allemagne où, dit-on, leur pierre tombale commune se voit encore au cloître de Frauenroth qu'ils ont fondé en 1231.

La seconde s'unit à Guillaume de Mandélée, un Normand de Calabre récemment arrivé dont elle a (peut-être) un fils qui poursuit obscurément la lignée.

deux Outremers pour deux Maisons

Au début du XIIIe siècle, quand, en Orient, le rideau tombe sur cette quatrième génération des descendants de Josselin de Courtenay et d'Isabelle/Elisabeth de Montlhéry, il semble se lever sur la deuxième Maison de Courtenay, "royale"  par le mariage de Pierre, fils de Louis VI, avec la fille de Renaud. Ils engendrent une série de Courtenay, désormais "capétiens", dont l'aîné, nommé Pierre, chargé et rechargé d'épouses héritières par Philippe Auguste, ne résiste pas à l'attrait de l'empire (latin) de Constantinople (1217). Toutefois, si toute couronne est bonne à prendre, les unes ont plus d'épines que les autres et celle de Constantinople tout particulièrement. Le destin impérial de Pierre avorte : repoussé par les Grecs de Durazzo, il n'arrive jamais à Constantinople et meurt dans les montagnes. Sa veuve, l'empérière Yolande (†1219), son grand fils Robert (†1228), son fils posthume Baudoin se débattent dans une situation impossible : l'empereur latin de Constantinople, pratiquement sans domaine propre, sans pouvoir sur Venise ni sur les barons latins qui ont essaimé partout et ne se soucient pas de lui, sans secours extérieurs suffisants, pris entre les Grecs et les Bulgares, entouré par les Turcs, l'empereur est un fantôme qui s'évanouit en 1261 quand les Grecs reconquièrent la ville. L'histoire reprend son cours. Les deux Siciles, comme au temps des Normands de Guiscard mais désormais sous les Angevins, rêvent toujours de l'hégémonie en Méditerranée orientale, des Balkans à Constantinople. L'ex empereur latin  Baudoin s'allie à Charles d'Anjou (1267). Les Anjou-Courtenay prennent pied en Morée (principauté d'Achaïe) mais rien ne marche et les Turcs concluront.

Courtenay impériaux et Courtenay d'Edesse, à un siècle d'intervalle, les deux séquences illustrent des aspects opposés de l'introduction des Francs dans un Orient où ils ne manquent ni d'ennemis, ni d'alliés (souvent les mêmes). La "révolution des châteaux" qu'ils importent fait gagner les premiers Courtenay et perdre les seconds. L'échec des premiers est principalement exogène (défaites militaires), celui des seconds endogène : dans le monde que les Francs de 1204 emportent avec eux et plantent dans ce qui restait de l'empire grec, il n'y a pas de place pour un souverain. C'est le paradis des barons qui tondent le vilain, s'ébattent, tournoyent, guerroyent et s'épanouissent alors que, en "France" où la pression était à présent plus forte, ils devraient tenir compte de l'émergence royale. Josselin aurait été comme un poisson dans l'eau : il aurait épousé une princesse bulgare ou grecque, prêté hommage à un duc ou un autre et se serait taillé une baronnie.

Chp. III. La dépossession des anciens Courtenay

On se souvient que Milon de Courtenay, le frère de Jossselin, a épousé en 1095, Hermangarde, la fille unique de Renaud (ii) comte de Nevers. Ils ont trois fils : deux disparaissent et le troisième est ce Renaud (Regnaud, Rainard, Régnier) à partir duquel l'histoire des Courtenay bifurque.

Renaud appartient aux grands du petit royaume (proceres regni). Il serait arrière-cousin du Roi par son aïeule maternelle quatrième. Lié à ce qui compte dans la noblesse du temps et du lieu, il épouse la fille de Guy du Donjon, descendant des comtes de Corbeil. Elle lui donne deux filles. En 1147, ce Renaud part en croisade avec le roi. Ses frères ayant décédé, il hérite de son père et rentre prématurément. Et, en 1151, Renaud disparaît, laissant derrière lui ses terres et ses filles. Le Roi Louis VII case la cadette en la mariant à Avelon, sire de Suilly (en Donziais), et donne l'ainée, Isabeau, à son frère Pierre. Ce dernier prend le nom, les armes (d'or à trois tourteaux de gueules) et les terres de Courtenay. Rien ne serait plus banal si Renaud était décédé ou si, vivant et incapable de produire un fils, il avait tout abandonné à sa fille à charge de transmettre le nom et tout ce qui va avec. Mais il n'a fait ni l'un ni l'autre. Renaud est si bien vivant et fécond que, en Angleterre, il engendrera le lignage des Courtenay (ou Courtney, Curtney), encore présent aujourd'hui : Charles Peregrine Courtenay, Pair d'Angleterre.

On lit en France : Pierre épousa Isabeau, héritière de Courtenay. Comme si Renaud était mort.

On lit en Angleterre : Renaud se querella avec le Roi qui saisit ses biens et fit épouser sa fille à son frère (He quarrelled with King Louis VII, who seized Renaud's French possessions and gave them along with Renaud's daughter Elizabeth to his youngest brother).

Sans ce mystère, la mutation de Renaud en "anglais" ne surprendrait pas : "France" et "Angleterre" n'ont pas encore divergé, les nobles des deux côtés parlent la même langue et s'enchevêtrent. Depuis la conquête normande, beaucoup sont possessionnés des deux côtés du canal. Par exemple, Simon de Montfort est comte de Leicester par sa mère, et son fils cadet, passé en Angleterre, dirigera la seconde guerre des Barons contre Henry III (1264-1267).

Le cousinage est universel et les fidélités volatiles, comme l'illustre, entre autres, la perpétuelle oscillation des Poitevins ou des Comtes de Boulogne, à la jointure "géopolitique" des deux Royaumes en formation : Henry accueillera - et même attirera - ceux qui sont mécontents de Louis. Et réciproquement, Louis protégera Becket et les fils révoltés d'Henry.

On ne sait rien de la dispute avec le roi qui annule Renaud. Elle sera tue ou oubliée des deux côtés. Sans autre appui que des indices, je suggère deux conjectures cumulables (section 1) et discute ensuite la transformation de Renaud en Reginald (section 2).

1. Deux conjectures

La fuite ou l'exil de Renaud pourrait s'expliquer par sa participation au complot du frère de Louis VII (a) et/ou au remariage de sa femme (b).

a) Le complot contre Louis VII

Les rivalités, voire guerres, entre frères perturbent la royauté, presque à chaque génération, jusqu'à la fin. Robert de Dreux, frère de Louis VII, tente de mettre à profit son absence (1146-1149) pour s'emparer du pouvoir. Impossible d'être sûr que Renaud participe, quoique les guerres du Puiset ne soient pas loin et que, apparenté aux Montlhéry-Puiset, l'autorité du roi ne l'effraie guère. Que, en 1149, il attaque et dépouille des marchands qui voyagent sous la protection du roi, est-ce brigandage ordinaire ou association aux démarches illicites dont Robert était le centre ou le drapeau ?... une conspiration, qui, par ses ramifications, par le rang et la naissance de son auteur, était le plus grand danger qu'ait encore couru le trône des Capétiens (Combes, 1853).

Robert a une position forte, bien marié, bien pourvu en terres et en alliances, héritier présomptif de la Couronne, puisque son frère ainé dans les ordres et le roi sans fils (il faudra attendre 1165). En désaccord avec Louis VII à propos de Damas, il quitte la croisade prématurément en même temps que Renaud (fin 1148 ou début 1149) : les perturbateurs du repos public sont de retour, écrit au Roi le Régent, le vieux Suger, abbé de St Denis, qui a difficilement surmonté les révoltes de 1147/48 et dont la position reste problématique. Maints seigneurs s'irritent contre les empiètements royaux ; maints évêques, abbés ou chanoines, s'irritent des réformes ecclésiastiques de Suger ; grands et petits s'irritent du rançonnement du peuple pour (ou sous prétexte de) financer la croisade. En outre, les "royaux" contestent le droit de Suger à gouverner : Robert et les deux autres frères du Roi (Philippe, du chapitre de Ste Corneille à Compiègne, et Henri, évêque de Beauvais), soutenus par la Reine-mère, Adèle de Savoie, veuve remariée à Mathieu Ier de Montmorency, ennemi de l'abbaye de St Denis ; jusqu'à Louis VII qui craint que son Régent n'abuse du pouvoir et ne se prenne pour le roi.

Dans cette crise, les mécontents poussent Robert en avant. Au siècle suivant, une légende naitra en Bretagne (dont son petit-fils sera devenu comte) et courra partout : Robert aurait été le frère aîné de Louis, indument écarté de la Couronne, sous prétexte de bêtise. Quelques historiens la reprendront (cf. Duchêne, 1631).

Aîné ou non, Robert escompte l'appui de Thibaut le grand, le puissant comte de Champagne, frère d'Etienne de Blois, roi d'Angleterre, et compétiteur historique du roi dont il a encore récemment souffert : Louis, en 1142/1143, a envahi la Champagne et, entre autres destructions, pris, pillé et incendié Vitry où des centaines d'habitants, réfugiés dans l'église, ont brûlé avec elle. Mais, par jalousie, prudence, ou pression de son fils Henri, loyal au roi, Thibaut se range du côté de Suger, avec Thierry, le comte de Flandres. Le comte de Vermandois reste ambigu, comme le Chancelier Cahors.

Suger fait face avec détermination. Soutenu par les autorités de l'Eglise, Bernard de Clairvaux et le Pape (Eugène III), l'abbé de St Denis convoque un "parlement", une assemblée des Grands, à Soissons pour le 8 mai 1149. Preuve de sa fragilité, il ne parvient pas à la réunir. L'incertitude des rapports de force la repoussent de trois mois, au 4 août.

Robert a proposé de trancher le débat à l'ancienne, par un duel avec son principal opposant, Henri de Champagne, fils du comte, afin de prouver par sa victoire que Dieu soutient sa cause. La méthode "parlementaire" de Suger triomphe. Robert, aveuglé par sa haine contre Henri, manque d'habileté ; l'art oratoire de Suger et ses menaces d'excommunication submergent les hésitants que la proclamation réaffirmée de la loyauté des armes de Flandres et Champagne impressionne. Les Grands, mis en demeure de défier publiquement le Roi, de surcroît protégé par sa prise de croix, renâclent à sauter ce double pas. S'opposer, combattre, marchander, se passe dans le jeu. On condamne (éventuellement, on exécute) les "mauvais conseillers" du Roi, on ne touche pas au Roi. Désavouer le Roi, c'est renverser le jeu.

Robert échoue à dissocier Suger du roi pour prendre la régence à sa place. Plus subtil, il aurait pu réussir et, au retour d'un Louis démoralisé par son échec en Palestine et ses déboires conjugaux, "satisfaire" son vœu notoire de rejoindre un couvent. Le roi abdiquant, il "recueillait" la couronne.

Suger triomphant, Robert reconnaît qu'il a perdu et demande pardon. La Vie de Suger écrite par son admirateur contemporain, Guillaume, donne de l'affaire une version, à la fois anecdotique et glorieuse : Avant que le roi fût de retour, son frère (Robert) revint de Jérusalem. Quelques hommes du peuple, qui toujours est facile à se laisser entraîner vers les nouveautés, se mirent à courir sur le passage de ce prince et lui souhaiter une longue vie et le pouvoir suprême; il y en eut même parmi le clergé, qui, mécontens que certaines choses se fissent dans le royaume autrement qu'ils ne voulaient, cherchèrent à séduire Robert par de perfides adulations, à lui inspirer une confiance aveugle dans son sang royal, et à le pousser à quelques démarches illicites... Mais comme un lion qui sent sa force, le juste Suger, instruit des projets présomptueux de Robert, et voulant empêcher qu'il ne le troublât dans l'exercice du pouvoir qui lui était confié... s'entendit avec les fidèles du royaume, et ne cessa de s'opposer aux efforts du frère du roi, que lorsqu'il eut par sa prudence réprimé l'audace de Robert (Vie de Suger, L III, Ed. Guizot 1825, p 187/188). Cette source et les autres (lettres de et à Suger etc.) sont reprises dans L'art de vérifier les dates (continué par Saint-Allais, Tome 3, 1818, 2, 160) : La malheureuse expédition de Damas le [Robert] brouilla avec le Roi... Il fut des premiers, après la levée du siége, à reprendre la route de France. Son arrivée dans ce royaume y jeta le trouble par les tentatives qu'il fit, de concert avec plusieurs mécontents pour enlever la régence du royaume à Suger. Sa partie était si bien faite, qu'il se vit sur le point de réussir...

Robert et les siens ont encore une chance : leur position se rétablirait si le Roi, absent depuis deux ans, ne rentrait pas ou, rentré, désavouait Suger. C'est presque le cas : parti en juin (1149) de Palestine, Louis VII, intercepté par des "pirates" byzantins, leur échappe grâce 'à des navires siciliens qui passaient par là. Ensuite, rencontrant une violente tempête, un miracle le préserve du naufrage.

Arrivé en août en Sicile, une foule de barons et prélats accourent à sa rencontre pour renouveler contre Suger des accusations qui le troublent (animum turbaverunt), malgré les protestations du pape Eugène. Les hésitations de Louis lui font prolonger plusieurs mois son séjour en "Italie". Lorsque, en novembre, Louis rejoint enfin son royaume, il doute tellement de Suger qu'il le convoque à une entrevue préalable à Cluny : Ayant reçu, en effet, sur l'état de notre royaume, une foule de bruits différents, et ne sachant pas ce qu'il y a de certain à cet égard, nous voulons apprendre de vous-même comment nous devons agir envers chacun, et contre qui nous devons nous tenir en garde. Peut-être pense-t-il à s'emparer du Régent puisqu'il le fait venir secrètement et seul, ce qui le met à sa discrétion.

Mais, par affection ? crédulité ? respect ? persuasion ? religion ?, Louis se laisse convaincre par Suger de son innocence et de son dévouement. Il le complimente publiquement et, à la Cicéron, le qualifie de père de la patrie.

Robert, battu, peut encore espérer attraper la couronne : pendant quinze ans le Roi engendrera fille après fille. Ce n'est qu'après un troisième mariage, maints pèlerinages et une "intervention divine" que naîtra enfin Philippe dieudonné (1165), plus tard auguste.

Revenons à notre Renaud. Si, comme il est vraisemblable, il a fait partie du groupe de Robert, Suger ou le comte de Champagne, ne pouvant pas se venger de l'intouchable frère et héritier du Roi, aura puni ses amis et, en particulier, donné l'héritière et les biens de Renaud au dernier frère du Roi, ce Pierre qui n'a rien et qui, par sagesse, bêtise ou insignifiance, n'a pas suivi Robert.

Une autre possibilité : après l'échec de Robert, Renaud, compromis, menacé peut-être, abandonne tout, s'enfuit et passe au Plantagenêt dans les bagages d'Eleanor.

b) Henry Plantagenêt vs Louis VII

Renaud et Louis se sont déjà heurtés lorsque tout ce monde était en Palestine et que la conduite  de la reine à Antioche faisait débat (Aurell, 2005). Raymond de Poitiers, son trop bel oncle, voulait orienter la croisade vers la reprise d'Edesse dont, nous le savons, le comte titulaire (Josselin II de Courtenay) était le cousin germain de Renaud. Tout poussait ce dernier à se joindre à Raymond, Josselin, Aliénor, ses vassaux et autres barons, pour combattre le lobby jérusalémite et l'obstination de Louis qui le conduiront devant Damas (une erreur et un échec). Ces tensions ont pu provoquer ou précipiter son retour.

La question de la Reine est lourde d'implications, présentes (Raymond ou Louis ?), imminentes (Edesse ou Damas ?), prochaines (donnera-t-elle un fils au Roi ?) et futures (Plantagenêt). Peut-être, déjà, Renaud opte-t-il pour elle. Peu d'années plus tard, toute ambiguïté se dissipe : après le "démariage" d'Eléonore (1152), Renaud s'entremet dans son union avec Henri Plantagenêt, bientôt Roi d'Angleterre, qu'elle épouse très vite.

Sans reprendre ce que narrent tous les livres d'histoire, rappelons que Louis prend très mal l'affaire. D'une part, après beaucoup d'hésitations, en tant que suzerain, il a naguère reconnu au Plantagenêt la Normandie que son père (Geoffroy d'Anjou) avait arraché au roi d'Angleterre (Etienne de Blois). Henri prête foi et hommage puis se dédit. D'autre part, après le remariage d'Eleanor (mai 1152), les deux époux règnent sur la Normandie, l'Aquitaine, la Bretagne, le Poitou, le Maine, le Berry, l'Auvergne etc. et prétendent au comté de Toulouse. En outre, ce mariage de l'ex-femme du roi moine avec le jeune et pétulant angevin apparaît comme une insulte personnelle et un déni féodal puisqu'ils bafouent leur suzerain au lieu de lui demander son aveu.

Le courroux du roi se traduit en actes. Dès le mois suivant, le Roi attaque la Normandie. Soutenu par son fidèle Henri de Champagne, il s'allie aux ennemis d'Henry : son frère Geoffroy qui veut l'Anjou, et son cousin Etienne de Blois qui défend sa couronne d'Angleterre. La multiplicité des enjeux provoque celle des champs de bataille : Angleterre, Anjou, Aquitaine, Normandie... Après maintes péripéties, la mort du fils d'Etienne (1153) fait de Henry son successeur et lui donne la couronne en 1154. En 1156, il prête à nouveau hommage au roi de France pour la Normandie, au nom de son fils toutefois.

En quatre ans, Henry a gagné sur tous les tableaux. Et, plus encore, puisque, lui, il a déjà eu d'Alienor deux fils dont un vivant alors qu'elle n'a laissé que des filles à Louis !

Cause ou conséquence de la brouille avec son roi, il est dit que Renaud a contribué efficacement au rapide remariage d'Aliénor avec Henry (having been very instrumental in effecting the match). Qu'il ait été partisan de la reine depuis Antioche ou qu'il le soit devenu après son retour, il a trempé dans la préparation de ce coup d'éclat. En effet, celui-ci n'a pas pu se concevoir, se décider et s'exécuter en huit semaines, même si l'accélèrent les tentatives de capture auxquelles Aliénor échappe de justesse lorsque, de Paris, elle rentre en Aquitaine : la chasse à l'héritière était ouverte.

Aliénor, anticipant ou souhaitant son "divorce", se serait mise d'accord avec Henry dès l'été 1151, quand il vient à Paris avec son père prêter hommage pour la Normandie. Renaud a pu jouer un rôle à ce moment ou dans les mois suivants. Une fois le mariage célébré et la guerre commencée, il ne lui restait qu'à défendre Aliénor en combattant pour Henry. Comme nous le verrons, le roi d'Angleterre récompense Reginald en lui accordant Sutton (Berkshire), puis en lui donnant l'occasion de devenir baron d'Okehampton, "patron" de l'abbaye de Forde, gouverneur du château d'Exeter et sheriff du Devon. Ses descendants, devenus comtes héréditaires de Devon, comptent dans les soixante familles qui constituent la ruling elite de l'Angleterre (Davies, 2009) et sont actifs dans son histoire, notamment pendant la "guerre des deux roses" où leur adhésion à Lancastre leur vaut décapitations et forfaitures. Ils se relèvent avec la victoire Tudor.  Henry Courtney, d'abord couvert de bienfaits par Henry VIII, est ultérieurement, décapité tandis que son fils Edward reste enfermé à la Tour. Ce dernier, libéré quinze ans plus tard par l'avènement de la reine Mary et rétabli comte du Devon, a failli en être épousé...

En France, sans procès ni guerre locale, sans confiscation ni reprise, les domaines de Renaud sont saisis ou au moins retenus par le Roi. Renaud, de son vivant, se dépouillerait-il volontairement au profit d'une fille trop jeune pour ne pas tomber en tutelle ? Non, il s'enfuit ou est chassé. Le Roi prend la fille en garde, l'élève à la cour, puis la donne, elle et ses biens, à son frère cadet comme s'ils étaient sans maître. Ce marcottage éradique les vrais Courtenay et greffe la lignée sur une nouvelle souche.

Pierre le coucou devient "sire de Courtenay" et en prend les armes pour ce qu'elle (la fille) lui fut accordée à celle charge (du Tillet), comme si le roi voulait effacer Renaud. Ces Courtenay réinitialisés forment une seconde Maison qui répudiera la première.

Plus tard, on dira que Pierre, tel Esaü, a échangé cupidement ses (faibles) droits à la royauté contre un (copieux) plat de lentilles. Dans son temps, le changement de nom ne choque pas. La substitution se pratique couramment en l'absence d'héritier et, dans une alliance  asymétrique, à l'instar d'une adoption, le petit s'honore de prendre le nom du grand. Or Courtenay vaut beaucoup plus que ce petit Pierre, tellement insignifiant que, seul de toute sa fratrie, il ne porte pas de nom royal. Ses frères s'appellent Philippe (comme le père du Gros), Louis (le Hlodowig emblématique), Henri (comme le grand-père du Gros), Robert (comme l'arrière grand-père et le fondateur de la dynastie), Hugues (comme le premier Capet), et encore un Philippe. Lui, c'est Pierre, un nom qui, jamais en France, n'a été ni ne sera royal. Pierre, comme si la liste était épuisée et la réserve d'héritiers suffisante. A ce moment, chez les puissants, les noms importent (Werner) et programment des destins. Dans le code royal, Pierre signifie " zéro".

Jusqu'à son mariage, on le néglige : ni son père, ni son frère Roi, ne lui donnent la moindre charge ou la moindre terre. Cette inconsistance, jointe à son nom apostolique (Pierre fait sens dans le code épiscopal), le voue à l'Eglise où plusieurs de ses frères sont déjà casés. Il sera repêché de justesse et par hasard.

Au contraire, Robert, héritier présomptif, est lancé tôt dans les eaux "anglo-françaises". Après un mariage avec la comtesse de Montfort, il est uni à la Dame de Braine, de la maison des comtes de Salisbury. Il adopte les armes de Braine (échiqueté d'or et d'azur à la bordure de gueules). Puis, dès 1135, il trouve un nom (surnom) quand le Roi lui attribue en fief héréditaire le comté de Dreux qu'il transmet à trois siècles de descendants jusqu'à la fille finale (Jeanne †1346). Une branche cadette engendrera une dynastie de Comtes puis Ducs de Bretagne en ligne directe jusqu'en 1341.

Après 1150, Robert, devenu loyal et/ou prudent, jouera un rôle de premier plan dans les guerres royales tandis que notre Pierre restera "junior", sans rien en propre.

Tandis que la continuité patrilinéaire se poursuit du côté anglais où demeurent les vrais Courtenay descendus d'Athon directement par mâles, Pierre crée une nouvelle Maison, Courtenay par fille et capétienne par mâle. Du Bouchet, l'historiographe des Courtenay au XVIIe, la fera commencer à Louis VI et renverra les anciens Courtenay en marge, au paragraphe traitant de l'épouse de Pierre : les Courtenay royaux n'admettent pas d'autre ancêtre que Louis VI le gros.

Notons et soulignons que ces Maisons s'ignoreront, du début jusqu'à la fin. Quoique les tiers les connaissent toutes deux, ils ne les rapprochent pas. Début XVIIe, le roi d'Angleterre s'étonnera devant les Courtenay résiduels français venus chercher refuge : nous avons ici des gens de votre nom. Pour expliquer cette troublante gémellité, on fera sortir les Courtenay anglais d'un fils d'Athon qui aurait conquis l'Angleterre avec Guillaume le Bâtard.  C'est la version qu'adoptera sans grande conviction du Bouchet : Athon... fut père de Josselin I du nom, Sr de Courtenay, & comme je crois, d'un autre fils qui suivit Guillaume à la conquête d'Angleterre & qui donna origine à la Maison qui a porté le nom & les Armes de Courtenay au même Royaume & qui subsiste encore (p. 7).

Cette indifférence réciproque surprend en un temps d'alliances multiples, de cousinage intense et de va-et-vient continuels. Elle traduit une rupture, définitive quoique implicite, dont la mémoire survit au souvenir. En France, Renaud le "bad boy" n'existe pas. Après son retour de croisade, il s'évanouit.

Les Courtenay d'ici s'obscurcissant peu à peu tandis que les autres, de longue main plantés en grandeur (du Tillet), brillent dans l'histoire d'Angleterre. Ironique revanche, seuls les vrais, les anglais, restent connus, y compris de l'Histoire de France où ils font des passages remarqués : le cartel que, en 1386, Richard II d'Angleterre pousse son Courtenay à lancer à Guy de la Trémoille, chambellan du duc de Bourgogne, a été célébré par Froissart, ainsi que la joute subséquente avec le sire de Clary. Après le traité de Troyes, l'admiral de Henry VI d'Angleterre, Edward Courtenay devient "amiral de France" (1439), titre auquel il figure au tome 7 du Père Anselme (Grands officiers de la Couronne), sa notice étant suivie d'une généalogie des Courtenay d'Angleterre, supposés issus d'un compagnon de Guillaume le Conquérant.

C'est cette hypothèse que nous devons examiner à présent car, en antidatant la séparation des deux Maisons, elle ferait du mariage de Pierre et d'Isabeau un incident sans importance.

2. Renaud a-t-il passé le canal ?

Dans l'Angleterre angevine, un pays très ouvert, passablement agité et king-centred, les contemporains de Reginald le connaissent comme puissant baron du Devon venu de France. Il n'y a pas d'autre Courtenai que celui du Gâtinais. Ces Courtney en sont  sortis, mais quand ? et comment ? L'hypothèse normande (XIe siècle) des généalogistes français demande examen, mais la tradition anglaise est trop bien établie pour ne pas l'adopter.

Si tant de nobles déjà fieffés ont pris part à l'expédition de Guillaume le bâtard (1066) pour agrandir leur patrimoine, a fortiori les cadets sans avenir à qui les débouchés des croisades n'étaient pas encore ouverts (la 1ère est en 1099). Souvent évoquée, la connexion carolingienne ou pré-carolingienne entre les comtes de Sens et de Boulogne permettrait d'imaginer que, après la mort de Renaud le mauvais (1055) et la perte de Sens, un quelconque parent d'un castellier de Courtenay ait joint les Boulonnais qui, avec les Flamands et autres aventuriers, accompagnent Guillaume ; que ce Courtenay ait fait souche en Angleterre, sans cependant avoir été assez grand ou assez valeureux pour être remarqué ; qu'un de ses descendants, Reginald, à la suite d'exploits inconnus, soit récompensé par Henry II ; et qu'ainsi un petit guerrier émerge, en devenant baron. Cela est possible. Tout est possible.

Le Domesday Book  ne le mentionne pas mais notre éventuel Courtenay, non enfieffé comme tenant in chief, peut avoir été under-tenant, ou l'homme d'un under-tenant.

Comment savoir si un Courtenay était avec le Conquérant ? Les listes des compagnons de Guillaume qui circulent ne nous aident pas. En tout état de cause, elles ne contiennent que les grands noms dont, par hypothèse, notre éventuel Courtenay n'est pas. Au moment de la vogue des généalogies (XVIe/XVIIe) l'idée s'est répandue que, à la fin du XIe, quand l'Abbaye de la Bataille (Battle Abbey) est entrée en fonction (expiatrice et commémorative), elle disposait d'une liste nominative (exhaustive ?). Nul ne l'a vue et elle ne figure pas dans les archives subsistantes. Il en existe des "copies" non authentifiées qui diffèrent dans le nombre et l'identité des conquérants, ainsi que dans la manière de les écrire et de les ordonner. Elles ne coïncident que partiellement avec le Domesday Book. Quelques unes de ces listes mentionnent un Courtenay (Curtenay, Courtenay, R. de Courtenay). Qu'est-ce que cela prouve ? Dans sa discussion du Battle-Abbey Roll (1889), la duchesse de Cleveland s'exclame : M. de Magny reproduces this list in his Nobiliaire de Normandie with the addition of fifty names [...]. He, too, eschews references ; and I am curious to know upon what authority he has included Courtenay.

Sont-ce des copies fautives d'un original disparu (et supposé exact), ou bien des reconstitutions ou des inventions ? En 1655, Thomas Fuller (Church History of Britain, Bk II, 7) se moquait : Battle-Abbey Roll is the best extant catalogue of Norman gentry, if a true copy thereof could be procured. Il en souligne la fantaisie, some names therein being augmented, subtracted, extended, contracted, lengthened, curtailed.

La Liste est, pour les nobles anglais, l'équivalent du rôle du Mayflower pour l'aristocratie WASP ! En particulier, les "copies" ont servi à blanchir des étrangers, Gascons, Poitevins,  Flamands, Savoyards que chaque roi ou reine apportait avec lui du continent.

Les critiques mettent en cause ce vague opinion floating in society, qu'il existe une liste originale que pourtant aucun chroniqueur n'a jamais mentionné et dont les "copies" ne sont corroborées par rien : aucune preuve n'existe qu'une telle liste ait été dressée, et si elle l'a été, elle n'est pas arrivée jusqu'à nous, ni en original, ni en copie... Holinshead en 1577 est le premier qui donne à une liste le titre de Roll of Battle Abbey... Stowe, peu d'années après, publia une autre liste, différente de celle d'Holinshead... Ensuite vint Duchesne. Il reçut de Camden une copie de la liste de Stowe et la publia... Il y a dedans des noms de famille que nous savons s'être établies en Angleterre longtemps après la conquête. Des personnes sont omises dont nous savons qu'elles étaient dans l'expédition (Hunter, 1853, ma traduction).

Admettre sans preuve, qu'il y ait eu au XIe de premiers Courtenay, laisserait intacte notre question car comment et pourquoi un Reginald issu de ces premiers aurait-il inspiré la tradition qui le fait arriver avec Henry au XIIe ? Il aurait suffi à sa gloire qu'il fût venu avec le Conquérant.

Toutefois Vincent (1999), parlant de Renaud/Reginald qui adduxerat ei reginam Alyanor, qualifie cette origine de family myth, de mythical account, et affirme catégoriquement : There is absolutely nothing, save wishful thinking, to support such a suggestion. Le Reginald, tige des Courtenay anglais, serait, non pas le père d'Isabeau, mais un vague cousin des français. The Courtenays to whom Henry lI awarded lands in England, although related to the original Courtenay line, appear to have been only distant cousins. A preuve, dit-il, le ralliement du fils de Reginald, Robert Courtenay baron d'Okehampton, à Louis (futur VIII), lorsque, appelé par les barons révoltés contre Jean sans terre, il est proclamé roi d'Angleterre et s'empare temporairement du pays. Ensuite Robert le trahit et est privé de toutes les terres (omnes terras Roberti de Corteneiaco) reçues et à recevoir de Louis auquel il s'oppose à présent (qui contra nos est). S'il reçoit ce harsh treatment, c'est perhaps because of his kinship to one of the leading families of France.

Quelle plaisanterie ! Robert, comme la plupart des barons anglais, aura soutenu les Français pour se débarrasser du roi Jean. La mort de celui-ci (1216) change la donne et, jointe aux exactions, usurpations et pillages des Français, provoque nombre de défections. Cela ne précise en rien l'identité de Reginald.

Les Français n'ont jamais dit que Renaud passe en Angleterre. Cela conforte la version anglaise traditionnelle : Renaud a été annulé et spolié ; annulé parce que spolié ; spolié parce qu'annulé. Cette turpitude royale impose le silence. Renaud ne disparaît pas, il disparaît au regard français que Vincent emprunte. Il nous dit d'abord que Renaud est mort à la croisade (Renaud or Reginald, simply disappears at the time of the Second Crusade, in all probability deceased), puis rencontrant la plainte contre lui pour brigandage (Suger) qui prouve son retour : either that he had returned before the king from crusade, or that he had never fulfilled his crusading vows.

Essayons d'abord de préciser la chronologie. Il semble que Reginald arrive en Angleterre quand Henry devient roi (1154), et meure en 1194. Ca lui laisse le temps d'avoir une belle carrière anglaise. On ne sait pas quand il est né mais la croisade à laquelle il participe commence en 1147. En admettant qu'il ait alors une vingtaine d'années, né au milieu des années 1120, il meurt autour de 70 ans, un âge avancé mais admissible. En gros, il est de la même génération que les fils de Louis VI (nés entre 1120 et 1132).

On ne peut ni dater ni localiser la première apparition du thème que Camden énonce en 1607 (Britanniae descriptio) : Reginald est le premier Courtenay anglais, venu avec Henry qui l'a récompensé pour avoir contribué à son mariage avec Eleanor. Reginald est de la première maison de Courtenay. Il ne manque qu'un nom (Renaud) pour arriver à l'identité. Camden, renforçant du Tillet, nous débarrasse du lointain cousin aléatoire, hypothèse peu plausible : on imagine mal ce qui aurait poussé un tel cousin à se rallier à Henry et Henry à le gratifier Si encore le quidam avait été normand, angevin, ou au moins des bords de Loire. Mais Courtenay, à la jointure de l'ile de France et de la Bourgogne... Le hasard, l'accident, peut expliquer un départ, pas une reconnaissance réitérée en Angleterre. Si Eleanor est le premier lien entre Reginald et Henry, lors des affrontements des époux, Reginald reste à l'écart ou soutient le roi. Il ne suit pas la reine lorsqu'elle quitte l'Angleterre, n'est pas entraîné dans sa punition, ni ne profite de sa rédemption avec l'avènement de Richard.

Mon argument, aussi imparfait soit-il, c'est la tradition, constante et unanime : It has been generally received as a fact... Renaud et Reginald sont faiblement documentés, leur relation nullement. Rien ne  démontre ni la différence, ni l'identité. Toutefois, cette dernière a deux éléments pour elle. D'une part, la coïncidence des noms et des temps. D'autre part, le cui prodest ? : Reginald et ses descendants n'ont aucun avantage à attendre de cette origine française. Au cours des innombrables guerres sur le continent, aucun Courtney ne revendique son héritage Courtenay : ils ne se soucient pas plus de leurs cousins français que ceux-ci d'eux. Avoir (ou supposer) cette ascendance française ne rapporte rien, jamais, à aucun Courtney.

Les traditions mythiques ont généralement un arrière-plan (sinon une finalité) politique ou au moins symbolique, même les plus farfelues (comme l'origine troyenne des Francs). Avec les Courtney, nous nous trouvons devant une tradition presque brute, non construite, non finalisée, non utilisée. Cette innocence emporte ma conviction.

Chp. IV. Curtney, comtes de Devon

Toutes les généalogies des Courtenay auxquelles nous avons pu nous référer indiquent que Reginald de Courtenay vint en Angleterre et obtint des concessions de terres dans le règne de Henry II, et que, en épousant Hawisia de Aincourt, fille de Lord of Aincourt et Matilda de Averinches, il devint seigneur de Okehampton... Il a généralement été reçu comme un fait que Reginald de Courtenay accompagna la reine Eleanor en Angleterre en 1151, juste dix ans avant qu'il obtienne de Henry II le manoir de Sutton, et qu'il fut le premier membre de la famille installé dans ce pays (Dallas & Porter, in Notes & Querries, 1895, S. 8, vol. 7, pp. 441-3 et 503-5, ma traduction).

Le roi d'Angleterre récompense d'abord Reginald en lui accordant le manoir de Sutton (Berkshire) en 1161. Au moment de la grande révolte, en 1173, il s'assure de sa fidélité en lui donnant la garde des filles d'une héritière du Devon. Reginald en profite pour épouser l'aînée par laquelle il devient baron de Okehampton, "patron" de l'abbaye de Forde, gouverneur du château d'Exeter et sheriff du Devon. Il n'est alors que baron féodal, comme on dira plus tard pour exalter le baron par writ reconnu comme tel par le roi et convoqué par son nom au Parlement. Okehampton est à la fois une terre et un "portefeuille" de droits sur une grande part du Devon. L'honour de Okehampton est aussi riche qu'un comté, dira-t-on.

Je n'essaierai pas de donner la descendance de Reginald car les premières étapes ne sont pas claires et nous importent peu. Nous survolerons les Courtney comtes de Devon jusqu'à leur extinction (section 1) et examinerons leur curieuse résurrection 250 ans plus tard (section 2).

1. Eclat et extinction des grands Courtney

Comme j'en reste aux grandes lignes, je n'ai pas de scrupules à suivre le trop dévoué Cleaveland, 1735. Gibbon juge que The rector of Honiton has more gratitude than industry, and more industry than criticism, tout en l'utilisant largement, comme le feront les auteurs ultérieurs de Peerages. Cleaveland, le du Bouchet des Courtenay anglais, vise la célébration des hauts faits et de la valeur de la famille à travers le temps ; sa tâche est plus simple que celle du français car il n'a pas à surmonter la confusion de la généalogie. Et, comme tous ces Courtney ont agi et brillé, il ne manque pas de matière.

Les barons de Okehampton, comtes de Devon, disparaissent dans les défaites de Lancastre sur les champs de bataille de la "guerre des deux roses" (a). La branche cadette, capitalisant le dévouement familial, en reçoit les dividendes après la victoire Tudor (b).

a) Courtney aînés

Robert (1183-1242), baron d'Okehampton, que le roi Jean a nommé gouverneur du château d'Oxford et sheriff de l'Oxfordshire, épouse Mary, fille et héritière du puissant William de Redvers et de Vernon, 5ème comte de Devon. Son descendant, Hugh Courtney (1275-1340), le premier baron par writ de Okehampton, revendiquera l'héritage de sa cousine, la dernière Redvers, Isabel (†1293) qui avait succédé à son frère Baldwin : il deviendra comte de Devon (de facto en 1293, de jure par patente royale du 22/03/1335).

Sans entrer dans les détails, le grand homme de cette première période est Hugh (1303-1377), second comte de ce nom. En 1325, il épouse Margaret Bohun arrière-petite-fille du roi Edward I. Les Courtney mêlent leur sang à celui des Plantagenêt. Hugh sera l'ancêtre commun aux branches collatérales qui, successivement, rallumeront le flambeau, les Courtney d'Haccomb en 1485 et les Courtney de Powderham...en 1831 (cf. infra). Parmi sa nombreuse progéniture, mentionnons les plus célèbres :


Hugh, l'héritier, étant prédécédé, comme le fils suivant, Edward, c'est l'aîné de ce dernier, Edward (1357-1419), qui devient comte de Devon.

Le roi ayant repris en main la garde du château d'Exeter et la nomination du sheriff du Devon, ces offices n'échoient plus aux Courtney qu'épisodiquement, mais la dignité comtale et les profits (third penny etc) et honneurs associés, passent de père en fils jusqu'à la "guerre des deux roses".

Chargés de lever l'armée du Devon et de la diriger quand un débarquement français menace, ces Courtney sont aux côtés du roi dans ses guerres écossaises et françaises, souvent amiraux ou chefs de flotte. Déjà le premier comte jouissait de la quatrième ou cinquième place dans l'ordre de préséance des Lords au Parlement et, plus tard, le cinquième comte, Thomas, se sentira assez grand pour disputer la première place à Arundel, pourtant le plus ancien comte d'Angleterre (Cleaveland, p. 213). Les Courtney sont trop hauts, trop guerriers et trop impliqués dans les alliances/rivalités entre grands nobles, pour ne pas se précipiter dans la "guerre des deux roses". Dans cette auto-extermination de la noblesse qui mêle vendettas personnelles, fidélités et opportunisme, nos comtes sont du côté Lancastre. Cela anéantira la branche aînée et, avec la victoire Tudor, fera la fortune de la branche cadette.

Thomas, comte de Devon, est avec Somerset inculpé de trahison  par le duc d'York (1453). Disgracié quand le duc devient protector du royaume (1455), il meurt, soit empoisonné, soit dans une bataille.

Son fils Thomas (1432-1462) partage les hauts et les bas du roi et de la reine. Le fils du duc d'York devenu roi (Edward IV, 1461), il est accusé de trahison (attainted), dégradé (forfeited) et décapité. Son frère Henry semble avoir eu le même sort (1466). Le dernier frère John, restauré dans ses honneurs en 1470 quand Henry VI retrouve temporairement la couronne, est ensuite tué à la bataille de Tewksbury (1471, victoire d'York) et derechef dégradé. C'est la fin des Courtney d'Okehampton.  Leurs possessions et leurs honneurs sont distribués aux partisans d'York. Il faudra attendre l'act of resumption de Henry VII (1485) pour annuler ces condamnations et transférer biens et dignités à Edward Courtney de la branche cadette (Haccomb/Boconock).

b) Grandeur Tudor des Courtney cadets

Ceux-ci sont issus du grand Hugh.

Edward, l'arrière petit-cousin des derniers Okehampton, très actif aux côtés du comte de Richmond (futur Henry VII), adhère à la conspiration de Buckingham contre Richard III et, après son échec (1483), lui, son frère Walter, le cousin Peter, évêque d'Exeter et d'autres western gentlemen, rejoignent le Tudor en Bretagne. Ils sont tous outlawed et attainted. Plus tard, ensemble ils débarquent dans l'ouest : They landed the 6th of August, and a great many Noblemen with their Retinues immediately resorted to them. A la bataille de Bosworth, Richard est battu et tué. Richmond roi (1485), il restaure aussitôt Edward dans les honneurs et biens des Courtney comtes de Devon (patentes 26 Oct., 1485).

Devenus royaux par des voies détournées, les Tudor resteront craintifs et vindicatifs à l'égard de tous les descendants Plantagenet (anyone with Plantagenet blood lived under a death sentence,  Seward, 2010). Pour se donner quelque légitimité, Henry VII épouse aussitôt la fille aînée du roi "yorkiste" Edward IV.

Dix ans après (1495), William, le fils et héritier d'Edward Courtney, épouse à son tour une fille d'Edward IV, apportant une nouvelle dose de sang royal dans le pedigree Courtney. Peut-être, la goutte de trop ! William, suspecté d'être devenu yorkiste par son mariage et compromis par Suffolk (Edmund de la Pole) dans sa rébellion, est emprisonné (1506) et dégradé pour l'empêcher d'hériter de son père Edward (†1509).

Heureusement pour lui, le roi meurt et Henry VIII, prenant le contre-pied de son père, libère son "oncle" William et l'honore en lui donnant à porter la troisième épée lors de son couronnement. Derechef, le Courtney est restauré dans ses biens et dignités (10 mai 1511), ce dont il ne jouit guère, mourant quelques jours plus tard (9 juin).

Son fils Henry lui succède. Dans une première phase, il fait partie des joyeux compagnons du roi dont il reçoit gratifications, honneurs et titres (marquis d'Exeter en 1525 etc.). Mais, quand le schisme arrive, Henry est de cette conservative aristocracy qui s'oppose au chancelier Wolsey, soutient la true queen (Catherine d'Aragon) contre le Boleyn party et rejette Anne, au couronnement de laquelle il a l'audace de s'absenter (1533). Revenu en faveur pendant la parenthèse Seymour, il est emporté par la crise qu'ouvrent en 1536 la condamnation du roi par Pole (Pro Ecclesiae Unitatis Defensione) et le soulèvement du Yorkshire (Pilgrimage of Grace), et qu'aggrave encore la mort de Jane Seymour (oct. 1537). En butte à la suspicion de Cromwell et du roi, compromis par le catholicisme affiché de sa femme Gertrude, il est liquidé avec les autres amis et parents de Pole (western conspiracy): la House of Lords le déclare coupable de trahison  (3 Dec. 1538). Il est décapité (9 jan 1539) et dégradé. Encore un !

Son jeune fils, Edward, born to be a prisoner, reste à la Tour pendant quinze ans, spécifiquement exclu du general pardon de l'avènement d'Edward VI. En 1553, la nouvelle reine, Mary, rappelle le cardinal Pole et vient à la Tour libérer "ses prisonniers" (3 août). Edward, aussitôt (re)créé comte de Devon (3 Sep. 1553),  rate de peu la main de la reine. Le bel Edward, the last spring of the White Rose of Plantagenet, magnifié par sa longue captivité, est le candidat naturel du chancelier Gardiner, du conseil privé de la reine, et des Commons. Et aussi des ambassadeurs français et vénitien qui cherchent à empêcher le mariage espagnol. De plus la mère d'Edward, catholique et fidèle jusqu'au bout à Catherine d'Aragon, mère de Mary, est l'amie intime de la reine qui se souvient de la décapitation du marquis d'Exeter pour conspiration avec Pole. Edward a tout pour lui, mais Charles Quint gagne et Philippe d'Espagne épouse la reine.

La version romanesque : la reine voulait Edward, il préférait sa demi-sœur, Elizabeth (la future Virgin Queen). D'où jalousie, colère et disgrâce. Voyez, par exemple, le roman épistolaire de Lenoble (1697, Mylord Courtenay ou histoire secrète des premières amours d'Elisabeth d'Angleterre).

La version politique: le mariage d'Edward et Mary, quasi décidé à l'été 1553, est défait par les manœuvres de l'empereur, aidé par le dévergondage public et l'absence de sens politique d'Edward que déplorent les contemporains (à commencer par l'ambassadeur de France, qui le soutient vivement). L'idée d'un mariage entre Edward et d'Elizabeth n'a rien d'une romance, c'est le projet de ceux qui désirent ou projettent une autre option que Mary. Apeuré, hésitant, insouciant, Edward ne tente pas sa chance. Sa chute est aussi rapide que l'avait été son retour aux honneurs : l'échec du soulèvement contre le mariage espagnol (insurrection de Wyat) à la suite de la remontrance du Parlement du 16 Nov. 1553, le renvoie à la Tour en février 1554 avec le duc de Suffolk (aussitôt décapité ainsi que la malheureuse Jane Grey)... et Elizabeth.

Après le mariage de la reine (juillet 1554), Edward, libéré (printemps 1555), est mis sous surveillance espagnole à Bruxelles. Il s'enfuit à Venise et meurt à Padoue en octobre 1556, peut-être empoisonné. Avec lui s'éteignent les Courtney. Ses biens et domaines sont partagés entre les descendants des sœurs de son arrière grand-père Edward. Le titre de comte de Devon étant éteint, il sera vendu par James I, d'abord à Blount, Baron Mountjoy, ensuite (1618) à Cavendish dont les descendants, promus Dukes of Devon(shire) en 1694, le sont encore aujourd'hui.

L'extinction des Courtney (avant leur résurrection) nous invite à un parallèle avec les Courtenay royaux. Ceux-ci décollent dès la seconde génération (Philippe Auguste) et atteignent tout de suite les hautes sphères. Mais ils ne se "soutiennent" pas. Si Pierre deux du nom avait eu des fils de son premier mariage ou évité le piège impérial du second, peut-être lui et ses descendants auraient connu une belle carrière de comte français ou de marquis germanique. La branche aînée, empereur titulaire, garde son prestige pendant un siècle : l'échec de la reconquête l'éteint. Quant au frère de Pierre deux du nom, Robert de Champignelles, bien placé à la cour, il engendre une multitude de fils mais, s'il réussit à décrocher pour l'un l'archevêché de Reims, les autres ne sont que de gros sires.

Certes, nos Courtney sont mieux localisés : le Devon est une frontière, propice aux débarquements des Français ou des Anglais exilés, ce qui, d'emblée, leur donne un rôle significatif. Ils ont la chance d'hériter de l'earldom des Reviers, de réussir de beaux mariages et de ne manquer, ni de fils ni de vertu guerrière. Leur extinction en 1556, après les héroïsmes des deux roses et le flamboiement du marquis d'Exeter à la Cour, est autrement spectaculaire que l'asphyxie insidieuse de leurs homologues français.

On ne peut s'empêcher de se demander si, au-delà des hasards et des différences systémiques, l'écart des trajectoires ne résulte pas d'une path dependence : le destin des Courtenay n'était-il pas inscrit dans leur origine ? Biologiquement, Pierre est le fils du roi, "socialement" il n'est rien. Au moment où son mariage fait de Reginald un baron d'Okehampton, celui de Pierre le rend "sire de Courtenay". Son fils, Pierre "ii" n'est que comte consort, et Robert, quoique doté en terres, ne reçoit pas de titre. Les deux bénéficient d'une conjoncture favorable (expansion philipaugustienne), ils ne s'inscrivent pas dans la structure. Ces Courtenay sont royaux sans l'être, ce pourquoi ils l'oublieront.

Au contraire, l'outsider Reginald est positionné dans la structure féodalo-royale et les Courtney, s'ils se réjouissent du sang royal (anglais) que leur apportent plusieurs alliances, sont avant tout une dynastie comtale que, pour sa gloire et son malheur, les drames des deux roses poussera au premier plan.

Reste une ressemblance ironique : longtemps après que les Courtenay et les Courtney soient éteints, des cousins ambitieux entreprennent de les rallumer ! au long et vain combat des Courtenay tardifs des XVIIe/XVIIIe pour annuler des siècles d'obscurité, répond au siècle suivant celui, bref et victorieux, du Courtney résiduel pour repartir en arrière de 250 ans, se faire héritier mâle du malheureux Edward et devenir à sa suite comte de Devon.

2. Ubi lapsus? Quid feci?

La mort du bel Edward Courtney en 1556 ne laissait subsister qu'une branche collatérale, les Courtney of Powderham, aussi oubliés que prospères. En 1762, ils émergent et accèdent à la pairie avec le titre héréditaire de viscount Courtenay of Powderham-Castle. En 1830, le 3ème viscount, William "Kitty" Courtenay, actionné par son petit-cousin William, pétitionne pour être restauré dans les honneurs d'Edward dont, en 1556, son arrière-grand père sixième, William of Powderham, était next in descent (Harris, 1832).

Où me suis-je trompé ? qu'ai-je fait (de mal) ?, telle serait la "devise plaintive" (plaintive motto) des derniers Courtneys, déplorant la chute de leur maison (Gibbon qui précise en note: a motto which was probably adopted by the Powderham branch, after the loss of the earldom of Devonshire). Malgré son opulence, ses succès propres et son silence, la dernière branche Courtney souffrirait d'être détachée du tronc et amputée des honneurs qu'il confère. Pourtant, le portrait qu'en dresse en 1735 son thuriféraire, Cleaveland, ne semble pas lui laisser désirer grand chose : ...that Noble Family of Courtenay of Powderham, which continueth there to this Day, and is in a prosperous Condition…more flourishing than it was then, having been matched to very honourable Families since, and having a great Addition made to their Wealth by the great Increase of their Estate in Ireland. 

Les Courtenay français, déplorant la chute de leur maison, auraient pu clamer aussi Ubi lapsus ? Quid feci ? D'un côté il s'agit de la dignité comtale, de l'autre de la dignité royale. Le premier cas n'est pas une affaire d'Etat et, en Angleterre, rencontrera un dispositif formel pour se plaider. Une autre différence est la clarté indiscutable de l'issuance des Courtney of Powderham, loin des zigzags et des brumes des Courtenay tardifs. Aussi le cas Courtney tel qu'il sera traité au XIXe est réduit à l'essentiel : le droit du sang.

Les Courtney de Powderham portent bien sûr three Torteaux Gules et se transmettent de père en fils le château de Powderham et une série de terres en Devon et Cornwall ainsi que de vastes possessions en Irlande. Ils descendent en ligne directe du cinquième fils du grand Hugh, Philip, que, en 1383, Richard II fit Lord Lieutenant of Ireland for ten Years.

Sautons les générations, et arrivons (par une longue série de William et quelques autres) à ce William (1632-1702) qui, malgré un beau-père général dans l'armée du Parlement, soutient (au moins au dernier moment) le roi Charles II, lequel, à la restauration, le fait baronet. Par héritage collatéral, il reçoit le château et le parc d'Okehampton (passés à des familles étrangères par la mort d'Edward), renouant ainsi le lien lignager. En 1762, son arrière petit-fils (William) est créé viscount of Powderham-Castle ce qui l'élève à la pairie alors que, jusque là, simples squires, s'ils ont souvent siégé au Parlement, c'était aux Commons en tant que knight of the shire.

Le troisième vicomte, son petit-fils, encore un William (1768–1835), est celui qui nous intéresse. Il va demander et, plus heureux que les Courtenay français, obtenir, sa restauration dans les honneurs d'Edward qui "dormaient" depuis 250 ans.

Ce William ("Kitty") est célèbre pour son excessively flamboyant lifestyle alimenté par les revenus irlandais, et pour son homosexualité publique à une époque où on la punissait de mort. Inculpé, il quitte l'Angleterre et partage sa vie entre son domaine à New York, la place Vendôme et son château de Draveil à côté de Paris. Inutile de préciser qu'il n'occupe pas son siège à la House of Lords. Comment un tel homme en vient-il à réclamer la succession d'Edward ? Via un cousin entreprenant, toujours un William, son seul héritier. Ce William trouve l'argumentation, et pétitionne au nom du viscount (1830. Le dossier arrive au comité des privilèges de la Chambre des Pairs.

Cousin William a tout pour réussir. L'intérêt d'abord : en héritant des biens du viscount, il ne lui succédera pas comme lord, n'étant pas heir of his body ; tandis que, si le titre de comte de Devon d'Edward arrivait à William-Kitty comme descendible, il irait jusqu'à lui. Ce William (1777-1859) a les moyens de son ambition: avocat, MP pour Exeter depuis 1812, master in Chancery, il est devenu en 1826 clerk-assistant à la chambre des Lords (chef en second de son administration). Il jouit de la bienveillance du Lord-Chancellor Brougham (cabinet Grey). Ce dernier emportera la décision du Committee au terme d'un débat d'antiquaries qui plane très loin de la crise révolutionnaire qu'affronte le gouvernement entre l'été 1830 (George IV †) et juin 1832. Campbell, dans son histoire des chanceliers (1869, T. 8, pp. 524/5), critiquera la décision: the limitation "to the grantee and his heirs male" could not let in the collateral heir. Such a limitation of a landed estate could not be made by the law of England, and therefore could not be made of a dignity. Tout le monde pense ainsi et s'étonne.

Le dossier présente deux aspects : une discussion juridique abondamment débattue que je survolerai et une question de fait qu'on cherche à éluder car pendant 250 ans les Powderham se sont satisfaits de leur sort sans jamais réclamer.

a) le point de droit

La position de William à la Chambre lui donne accès aux archives. Il retrouve les instruments juridiques de 1553 (restauration d'Edward) dont le texte précis était inconnu. Quelle satisfaction aura-t-il éprouvé en lisant la clause d'hérédité ! alors que, généralement, les honneurs d'un tel se transmettent à l'heir of his body, ce texte-ci étend la transmission à tout héritier mâle, et à perpétuité (sibi et heredibus suis masculis imperpetuum).

La différence est énorme : l'absence de fils éteint la dignité ; mais un homme a presque toujours un héritier, fût-ce un cousin éloigné, et la dignité se transmet. Si William-Kitty récupère les honneurs d'Edward à titre d'héritier, William les aura à son tour en tant que cousin au troisième degré du viscount William: en effet, il descend de Henry Reginald, frère du premier viscount dont William est le petit-fils. Les termes de la patent de Queen Mary transformée en bill par le Parlement permettent donc à la fois de qualifier le viscount de comte de Devon (alors qu'il n'est lui-même qu'un cousin éloigné d'Edward) et, à sa mort, de faire de William un comte héréditaire !

Néanmoins, si la généalogie est limpide, le caractère exorbitant d'une telle clause d'hérédité soulève quelques difficultés qui seront discutées. Retenons en deux :  la jurisprudence Lovel (18. Henry VIII) et l'intentionnalité de la clause.

* la jurisprudence Lowel (18. Hen. VIII) annule toute concession de terre que la Couronne ferait à un homme et à ses héritiers mâles en général : a grant of lands to a man and his heirs male by the Crown is void car l'indétermination du bénéficiaire n'est pas admissible. Contra, William et ses avocats (Pepys et Nicolas) arguent qu'un honour n'est pas un land même s'il implique des droits sur la terre (dignities are not governed by the same rules of law as lands) ; et que 18. Hen. VIII ne fait pas jurisprudence en raison de la spécificité du cas Lowel, Henry VIII regrettant un don antérieur ;

* l'intentionnalité de la clause : attendu que, en Angleterre (à la différence de l'Ecosse) une telle clause ne se rencontre presque jamais dans les patents, on pense à une faute ou à un oubli du rédacteur ou du copiste ou, tout simplement, à un sous-entendu, tant il paraît évident que le successeur ne peut être que le fils héritier. Telle est la law of England. Contra, la rédaction est volontairement exceptionnelle : Queen Mary, comme elle en avait le droit, reconnaît et honore, non seulement Edward, mais cet illustre sang Courtney, qui a rendu depuis si longtemps tant de services à la Couronne. La référence explicite de la patent à Hugh le grand et à la consanguinité royale montre bien que the intention was to restore to the family the dignity which it had before enjoyed, and to perpetuate it in the heirs male. Nicolas souligne que, lorsque Queen Mary  restaure Edward, sa ligne est menacée d'extinction, ce pourquoi la reine élargit la transmission aux collatéraux. Au temps de Henry VII et VIII, cela ne fut pas nécessaire, leur Courtenay étant pourvu de fils : The earl [Edward] was then unmarried, and his next heir male was Sir William Courtenay of Powderham, who, like himself, was descended from Hugh the second Earl of Devon and Margaret de Bohun, and, in the event of the earl's dying without male issue, would have become their heir male… from what other motive than the desire to benefit the collateral heir male could the omission of the words "de corpore" arise, when they occur in both the previous grants (Hen7, Hen8) ?

Par le décès d'Edward qui était le successeur de Hugh, l'ancêtre commun aux deux branches, le next in descent, se trouve treize degrés plus loin, en remontant à Hugh et en descendant jusqu'à William Courtney de Powderham-Castle dont le pétitionnaire est l'héritier direct. Le commitee for privileges accepte l'argument et proclame earl of Devon, le viscount Kitty et, rétroactivement, son père, grand-père, arrière grand-père etc., tous faits earl de jure et inscrits comme tels dans la liste des comtes de Devon du Peerage : neuf générations de comtes d'un seul coup !

Edward mourant sans postérité, ses cousines troisièmes reçurent ses biens, lesquels ont été dispersés par leurs mariages. Les biens, non la dignité ! celle-ci a dormi pendant 250 ans, attendant d'être éveillée par le vicomte charmant ! Dormi ? on la croyait éteinte ! l'objection, timide au commitee, s'exprime vivement dans la société. C'est la question de fait : si l'honour est éteint, la Couronne peut créer le viscount comte de Devon, elle ne peut pas le restaurer en attribuant à ses père, grands-pères, et à lui-même une dignité qui n'existe plus.

b) la question de fait

Nous retrouvons ici la problématique familière aux Courtenay. Si les avocats se démènent pour l'écarter, l'attorney general l'aborde nettement : this case exhibits the remarkable fact of a long acquiescence, from the reign of Queen Mary to the reign of the present sovereign, in the nonenjoyment of the dignity…It appears, by the pedigree, that the collateral heirs male of Sir Edward Courtenay were persons in a highly respectable station of life, fully competent to have asserted their claim at that time.

Banks (1831), ulcéré par le jugement de la House, protestera avec vigueur: l'Earldom Courtney est si bien éteint par la mort d'Edward qu'il a été traité comme tel par la couronne et par les intéressés, les Courtney de Powderham-Castle.

Si la Couronne (cette entité intemporelle et impersonnelle) voulait conférer l'honour au sang Courtney, elle l'aurait, ou bien transmis aux Powderham à la mort d'Edward, ou bien mis en réserve en attendant qu'ils le réclament. Or elle n'en a rien fait. Au contraire, elle a disposé de la dignité comtale : en 1603, le roi Jacques l'a attribuée à Blount, Baron Mountjoy, et, après sa mort sans héritier mâle, à William Cavendish (1618) dont les descendants, devenus Dukes of Devon en 1694, restent en même temps Earls of Devon. La couronne a tellement exclu les Powderham de la succession d'Edward que, à la restauration de Charles II, elle a promu baronet William de Powderham (1632-1702) et ses héritiers, déniant ainsi qu'il soit un comte en puissance. Plus encore, en 1762, elle a fait viscount et peer un autre William C. de Powderham et ses héritiers !

Les intéressés, eux, ont adhéré à cette dignité et siégé à la Lords'House en tant que viscount, une position inférieure et toute neuve, inacceptable s'ils croyaient mériter l'earldom multiséculaire de Hugh le second. Loin de là, pendant 275 ans (1556-1830), aucun héritier mâle de Powderham n'a effectué la moindre démarche pour le réclamer, ni protesté quand il a été transmis à d'autres. Ne savaient-ils pas ? La patent d'Edward était-elle si peu de chose que, emportée avec le reste par ses héritières, elle se soit perdue ? Non, les Powderham n'ont jamais pensé être les successeurs d'Edward. Pour eux, pour la Couronne, pour tout le monde, la dignité d'Edward n'existait plus.

Mais le Committee décide: It was moved to Resolve, That the Chairman Report to the House, That it is the opinion of this Committee that William Viscount Courtenay hath made out his claim to the title, honour, and dignity of Earl of Devon, which being put, passed in the Affirmative. The Report was read to the House on the same day /14th March 1831/, when the Resolution of the Committee for Privileges was Agreed to by the House, and it was Resolved and Adjudged, by the Lords Spiritual and Temporal in Parliament assembled, THAT WILLIAM VISCOUNT COURTENAY HATH MADE OUT HIS CLAIM TO THE TITLE, HONOUR, AND DIGNITY OF EARL OF DEVON.

Problème : les Cavendish sont déjà earl of Devon (titre non aboli mais fondu dans leur dukedom). On s'en sort en abolissant la vieille équivalence entre Devon et Devonshire : Courtney sera Devon et Cavendish Devonshire !

Conclusion

L'histoire ressemble à celle des Courtenay : une branche marginale qui s'est tue pendant des siècles se réveille soudain et réclame les privilèges de ses lointains ancêtres.

Certes, les deux dossiers diffèrent. L'issuance des Courtneys  est indiscutée alors que le lien des Courtenay tardifs avec le dernier descendant certain de la branche cadette est flou (cf. Annexe II). Flous aussi sont les honneurs revendiqués par les français puisque, en son temps, le fondateur (Pierre, fils de Louis VI le gros) n'en avait pas. Il leur faut réclamer les honneurs que Pierre aurait eus aujourd'hui si, aujourd'hui, il était fils de roi.

Côté anglais, tout est crystal clear : l'honour revendiqué, écrit en toutes lettres dans la patent de la reine et le bill du Parlement, est parfaitement défini. Devenir comte de Devon comme successeur de Hugh, projette le viscount of Powderham-Castle vers le haut et vers les temps héroïques, et lui assure les premiers rangs dans l'ordre de préséance. Côté français, si notre Courtenay qui n'a —et n'a jamais eu—  le moindre titre devenait d'un coup prince du sang reconnu, il serait capable de la Couronne ce qui est bien autre chose.

Le Courtney de Powderham-Castle arguerait-il du mariage du grand Hugh avec la petite fille du roi Edward I en 1325 pour être reconnu comme royal ? Il n'en a pas l'idée. Il ne pouvait pas en avoir l'idée, quelque ambition on lui prête, car les tumultes de l'histoire d'Angleterre ont provoqué des changements de dynastie. En France, la continuité affichée des descendant d'Hugues Capet incite à une vision linéaire des droits qui aveugle les Courtenay.

Mais la plus grande différence réside dans le haut degré de formalisme et de documentation qu'on trouve en Angleterre depuis la conquête normande. Les droits sont écrits ! le long jeu entre le roi et le Parlement, comme les contentieux jugés par les tribunaux, ont explicité les privilèges et les devoirs, multiplié et précisé les procédures. Nos Courtenay français ont présenté leur première requête au roi Henri IV en espérant la voir soumise à un traitement formel, soit au Conseil, soit au Parlement. Aussi vague que menaçante, elle est écartée et le Parlement ne se prononcera que tardivement et obliquement (Hélène) car il n'y a rien à juger. Et ces médiocres Courtenay n'ont rien fait pour la Couronne.

En Angleterre, deux siècles plus tard, l'opulent et well connected vicomte Courtney, présente sa pétition au roi, invoquant un instrument juridique, la patent de Queen Mary, et formulant une demande précise qui, en même temps, n'a pas de réel enjeu (sauf pour l'héritier du viscount) : it is a case of curiosity, rather than of practical importance, dit le Lord-Chancelier. La demande transmise à la House est examinée par le committee for privileges qui, l'acceptant, propose aux Lords de la satisfaire, ce qu'ils font. Le débat, au committee comme dans l'espace public, ne porte pas sur des généralités et des chartes privées mal ou pas authentifiées, il s'appuie sur des documents et des précédents, il se nourrit d'une immense jurisprudence en matière de concessions royales et de peerage. Faute de vrais pairs, il n'existe pas en France un tel corpus de casuistique en la matière !

Toutefois, nous pouvons induire du dossier Courtney quelque chose sur la manière et quelque chose sur le fond.

Premièrement la manière. En voyant la première requête des quatre Courtenay tardifs en 1603, on lui trouve des raisons vraisemblables mais il est impossible d'imaginer comment l'idée leur arrive. Le cas Curtney apporte une suggestion : pendant une série de générations, les Powderham, cousins de tant de grands hommes, et non négligeables eux-mêmes, ont eu la vague pensée, non pas d'un droit, mais de mériter quelque chose. Cleaveland prête ce sentiment à William, lorsqu'on le fait baronet : he not affecting that Title, because he thought greater of Right did belong to him... Mais ces Courtneys, persuadés avec tout le monde que la dignité de count était morte et enterrée avec Edward, n'y rêvaient pas. Et voilà qu'un accident survient : l'arrière cousin. Il n'héritera pas du titre et du siège du viscount absentéiste. Or il est ambitieux, il a siégé aux Commons, il travaille à la House, il voudrait bien être Lord. Par chance, le texte de la patent d'Edward lui offre une ouverture. Il mobilise deux excellents avocats (Pepys deviendra Lord Chancellor et Harris est spécialisé dans le droit du peerage) et, grâce au soutien du Lord Chancellor et à la faible combativité de l'attorney general, obtient ce qu'il voulait. Mutatis mutandis, n'y-a-t-il pas eu quelque chose de ce genre chez nos Courtenay ? Quelqu'un est tombé sur du Tillet et, dans le contexte du temps, a eu l'illumination. Qui ? probablement un des cousins signataires –je penche pour un des deux qui s'exileront temporairement en Angleterre, des Salles ou Fréauville. Il convainc le "chef de la maison", Gaspard de Bléneau et déclenche l'affaire qui, ensuite, se développe par action et réaction.

Deuxièmement, le fond. Le Committee examine la question du sang que pose la clause de transmission de la patent et, dans le cas d'Edward, la disjonction des general heirs et du heir male. Heirs male of his body (sous-entendu : légitime) est défini. Heirs male tout court ouvre des possibilités presqu'illimitées. Heir general sert de repoussoir car, alors, des filles pourraient hériter de l'honour (ce qui leur arrive souvent) et, en se mariant inconsidérément, le transporter dans des familles indignes, voire alien, voire alien ennemies. Tandis que le heir male, même latéral, appartient au sang qui a initialement reçu l'honour. Inutile de s'offusquer du "chauvinisme mâle" de l'époque. L'intéressant, c'est le mythe de l'ancêtre commun qui ramène le débat à Hugh : his collateral heirs male must be of the blood of the grantee,—they must be descended from the same common ancestor (Lord Wynford, deputy speaker of the House).

Pourtant, la pratique juridique ignore l'ancêtre commun :

* dans les troubles de l'histoire anglaise, le earldom of Devon a été plus souvent forfeited, annulé et recréé que restauré, chaque fois personnellement. Edward lui-même ne récupère pas la dignité de son père qui reste forfeited. Edward, restored in blood but not in honour, est recréé sous le même intitulé et avec les mêmes droits, comme le couteau dont on change alternativement le manche et la lame, ou le bateau de Thésée ;

* puisque la clause la plus générale stipule heir of his body, la doctrine est que l'honour n'appartient pas au "groupe familial", il descend en ligne verticale, de père en fils aîné, tant qu'il y en a et à condition d'être réinvesti par le roi. L'honour n'est pas un bien privé qui suivrait la loi générale des successions : sauf exception, les filles et les cadets en sont écartés, les collatéraux aussi.

Les Courtney ici, les Courtenay là, par un postulat anthropologique, se réclament d'une espèce de droit du clan (à nos yeux, l'aspect le plus saugrenu de leur démarche) : puisque l'ancêtre commun a été qualifié (de jure pour le Hugh du XIVe, de facto pour le Pierre du XIIe) ; puisque cet honneur est dormant ; puisque nous sommes le dernier avatar du grand homme (directement ou indirectement) ; nous devenons son substitut, identifié à lui, et donc son honneur (ou quelque chose de cet honneur) nous échoit. Le primogenitor se réincarne successivement dans ses héritiers qui ne reçoivent pas de droits de leur prédécesseur mais portent les droits du commun ancêtre. La durée n'importe pas tant que les filiations tiennent. Le droit des fiefs tardif exprime quelque chose de ce genre (Balde selon Giesey, 1961), sans toutefois envisager les honneurs. Ce qu'il faut souligner, c'est que cette conception archaïque ne choque pas plus les Français du XVIIe que les Anglais du premier XIXe.

Sur cette base, les Courtenay auraient pu gagner. Mais le parallèle anglais montre ce qui, leur manquant, rendait l'échec inéluctable : ils demandent plus que les Courtney avec moins d'atouts en main.


Ouvrages cités

Chp. I. Du comte de Sens au sire de Courtenay


Bautier Robert-Henri, 1985, "Anne de Kiev, reine de France, et la politique royale au XIe siècle : étude critique de la documentation", In: Revue des études slaves, T. 57, fascicule 4, pp. 539-564
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Fliche Augustin, 1912, Le Règne de Philippe Ier, roi de France (1060–1108), Paris, Société française d'imprimerie et de librairie
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Varenne Damien, 2013, "Les élections d'archevêques à Sens entre 977 et 1034", Communication à la société archéologique de Sens

Chp. II. Trois générations de Courtenay d'Outremer


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Chp. III. La dépossession des anciens Courtenay Combes, 1853


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Chp. IV. Curtney, comtes de Devon


Banks Thomas Christopher, 1831, A Letter to the Right Honorable the Lord Brougham and Vaux ... on the LateDecision of the Earldom of Devon
Cleaveland Ezra, 1735, A Genealogical History of the Noble and Illustrious Family of Courtenay (dedicated to the Honourable Sir William Courteny, Bt.), Exon, Farley
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