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De la bonne prononciation

La fin de du bon usage (1693) annonait une suite qui traiterait de la bonne prononciation : Il y a une autre matire ˆ examiner pour parler correctement, reprit le Duc, c'est celle des bonnes & des mauvaises prononciations, sur lesquelles il me semble qu'il y a peu de gens ˆ la Cour, ˆ la Ville, & dans les Provinces, qui ne fassent des fautes capables de les exposer ˆ la raillerie. Ð Cela est vrai, rŽpondit la Marquise ; & je prŽtends bien profiter encore des observations de Monsieur le Commandeur lˆ-dessus...

Callire oublie sa promesse et, bien plus tard, ne fait qu'effleurer le sujet dans De la science du monde (extrait-ci-dessous).

Hindret: ...comme nous avons lÕoreille accožtumŽe ˆ la manire de prononcer de ceux avec qui nous parlons tous les jours, nous ne nous apercevons ni de les fautes ni des n™tres propres. Ainsi nous ne devons pas nous Žtonner si nous ne nous corrigeons pas des dŽfauts que nous ne connoissons pas. Il nÕy a donc que les amis ou les regles qui nous puissent faire dŽcouvrir les fautes de prononciation que nous faisons contre n™tre usage mme, & qui puissent nous aider ˆ nous en dŽfaire. Mais qui est-ce qui nous asseurera que ces regles soient bonnes & seures : JÕay ˆ rŽpondre lˆ-dessus que celuy qui les fait, les doit toutes tirer et dŽbroŸiller de lÕusage des gens qui sont en rŽputation de bien parler, tels que sont principalement les gens de la Cour, & que travaillant sur ce fondement il ne sauroit manquer.


¦ Voir infra la question de la liaison: devant un mot commenant par une voyelle, on prononce la consonne finale qui, autrement, serait muette. La langue franaise semble ˆ peu prs seule ˆ conna”tre cette curieuse projection de l'Žcrit sur l'oral. Au 18e sicle, le renversement est complet: l'Žcrit ne traduit plus la parole, la parole doit reproduire l'Žcrit (Brunot, 1932,  HLF, VI, Pt.2, p. 973).



De la science du monde, et des connoissances utiles à la conduite de la vie. Par M. Franois de Callières, 1717, Paris, Ganeau

1re conversation, Chapitre 5, pp. 42-61

..........................

Je crois, dit le Duc, qu'il est encore nŽcessaire de se corriger de la mauvaise prononciation & du mauvais accent que chacun apporte de sa Province.

Cela est vrai, rŽpondit le Commandeur, & il ne faut souvent que quelque mot mal prononcŽ ou dit avec un mauvais accent, pour faire tourner en ridicule une personne qui serait d'ailleurs fort estimable, parce que la plupart des hommes s'attachent aux choses extŽrieures, & reprennent avec joie les moindres dŽfaut d'autrui, sans se soucier d'examiner leurs bonnes qualitŽs.

II me semble, dit la Marquise, qu'il serait utile & divertissant d'examiner quelques accents & quelques prononciations des gens de la Cour, de la Ville & des Provinces comme faisant partie des agrŽments ou des dŽfauts du langage.

 

De tous les diffŽrents accents qui sont en usage dans les diffŽrentes Provinces de France, reprit le Commandeur, l'accent Gascon est ˆ mon grŽ le seul qui donne de la gr‰ce au discours pourvu qu'il ne soit pas trop fort, & qu'il n'en reste qu'une petite pointe, comme celle que l'ail donne aux sauces, quand il n'y en a que fort peu, mais qui n'est pas supportable quand on y en met trop. La comparaison n'est pas fort relevŽe, ajouta le Commandeur, mais elle convient au pays dont nous parlons.

Voilˆ, dit la Marquise, un grand privilge que vous accordez aux Gascons en approuvant leur accent, & en condamnant tous les autres.

Il est vrai, Madame, rŽpondit le Commandeur, & je consulte peut-tre en cela plut™t mon gožt que la raison car, ˆ le bien prendre, il ne faut avoir aucun accent, mais s'il y en a quelqu'un d'agrŽable, il me semble que c'est celui-lˆ, surtout dans la bouche de quelques jeunes & aimables Gasconnes dŽpaysŽes, telles qu'il en vient de nos Provinces, qui sont au-delˆ de la Loire.

Comme la Marquise Žtait de ce pays-lˆ, & en avait retenu quelque chose dans sa manire de prononcer, elle sut trs-bon grŽ ˆ M. le Commandeur de cette prŽfŽrence.

En vŽritŽ, lui dit-elle, vous savez bien mettre vos rgles en pratique, en ne perdant aucune occasion de dire des choses obligeantes, & je suis d'avis que toutes les Dames qui sont nŽes comme moi au-delˆ de la Loire, vous remercient du privilge que vous leur accordez.

Oui mais, dit la Dame, M. le Commandeur ne s'aperoit pas qu'il dŽsoblige en mme temps les femmes de l'autre moitiŽ du Royaume, sans en excepter celles qui sont nŽes dans la Capitale, dont il condamne l'accent aussi bien que celui des Provinces voisines.

J'avoue, Madame, reprit le Commandeur, que je ne serais pas d'avis qu'on conserv‰t l'accent, ni la prononciation de plusieurs de nos Provinces, ni mme de certains quartiers de Paris, car quoique Paris soit le centre de la politesse, elle n'est pas rŽpandue sur tous les habitants de cette grande Ville, particulirement en matire de langage.

Je connais, reprit le Duc, des gens de la Cour, qui ne prononcent pas mieux que plusieurs gens de la Ville & des Provinces, au moins si j'en juge par mes oreilles. Mais comme je puis fort bien m'y tromper, je serai bien-aise de savoir vos sentiments sur quelques prononciations que j'y entends fort souvent.

Il y a par exemple quantitŽ d'hommes & de femmes de la Cour qui disent, vous m'excuserais, vous verrais, vous dirais, vous ferais, & qui prononcent ces mots-lˆ comme le mot de marais, & moi je crois qu'il faut prononcer, "vous m'excuserez", "vous verrez", "vous direz", & que tous ces mots-lˆ se doivent prononcer comme les mots de parŽs & dorŽs.

Je suis entirement de cet avis, rŽpondit le Commandeur, & on ne peut ni mieux expliquer, ni mieux dŽcider la question.

Il me semble pourtant, dit la Dame, que ce sont les gens de la Cour qui doivent dŽcider de la prononciation, & que puisqu'ils prononcent vous verrais, vous dirais, vous ferais, c'est ainsi qu'il faut prononcer.

Cette consŽquence n'est pas toujours juste, reprit le Commandeur, car la Cour Žtant composŽe de gens de la Ville & des Provinces, la plupart y apportent leurs mauvaises prononciations, tŽmoin celle dont il s'agit qui est une prononciation Parisienne, qui s'est introduite depuis peu dans le commun des courtisans, & surtout parmi les femmes, qui font moins de rŽflexion sur la Langue, ce qui n'empche pas que ceux qui parlent bien, ne disent, comme on a toujours dit, "vous verrez", "vous direz", vous "ferez", qui est la seule bonne manire de prononcer ces mots-lˆ, & pour vous en donner une preuve tirŽe des exemples que M. le Duc a citŽs fort ˆ propos, si un homme voulait faire rimer ces deux mots, en disant :

ConsidŽrez, dans ce marais.

Les roseaux que vous y verrais.

Tous ceux qui savent notre Langue, diraient que ce serait une fausse rime : & si au contraire, il disait en parlant de Versailles,

Ce superbe Palais & ces lambris dorŽs

Ces beaux jardins que vous verrez.

ils trouveraient la rime fort juste.

Pour marquer, reprit le Duc, qu'il y a ˆ la Cour des gens qui parlent & qui prononcent mal, j'en connais plusieurs & des plus qualifiŽs, qui prononcent un comba, un cha, un pla, un po, un fago, un so ; & cependant je crois qu'il faut prononcer "un combat", "un chat", "un plat", "un pot", "un fagot", "un sot", en marquant le t qui est ˆ la fin de ces mots-lˆ. II y en a aussi plusieurs qui prononcent le pont-neu, un Ïu, du bÏu, comme on prononce du feu & il faut prononcer le pont neuf, un Ïuf & du bÏuf, en marquant l'f. Je crois encore qu'il faut dire, un sac, un trictrac, du tabac, du cotignac [p‰te de coing] & non pas un sa, un trictra, du taba, du cotigna, comme ceux qui en pensant adoucir ces prononciations les rendent fades & de dŽsagrŽables. Mais pendant que nous sommes sur les prononciations en ac, je voudrais bien savoir s'il faut prononcer l'Arsenac ou l'Arsenal.

Il n'est pas douteux, rŽpondit le Commandeur, que pour parler rŽgulirement, il faut dire l'Arsenal, & que l'Arsenac est une corruption introduite par le Peuple qui a ŽtŽ adoptŽe par un certain nombre de gens du monde, qui disent comme le Peuple l'Arsenac, plusieurs mme vont jusqu'ˆ dire, que ceux qui affectent de rejeter ce mot-lˆ, & quantitŽ d'autres mots que le public a corrompu, font ce qu'ils appellent pindariser ; cependant il faut prendre garde de ne pas imiter diverses autres prononciations populaires, ˆ moins qu'elles ne soient reues de longtemps par les gens du monde, & qu'elles n'aient acquis le droit de prescription contre les critiques du langage.

Il me semble, reprit le Duc, qu'il faut encore ajouter ˆ ce que M. le Commandeur a fort bien remarquŽ, que quand, mme il se trouverait encore des gens assez complaisants pour se servir du mot de l'Arsenac, qui est trs mauvais, il faut toujours Žcrire l'Arsenal, mais je ne crois pas qu'il faille dire cheux vous, ni cheux moi, comme dit toujours un vieux Seigneur de la Cour, au lieu de dire "chez vous" & "chez moi", & je crois qu'il ne faut pas dire aussi comme lui avantzhier, au lieu de dire avant-hier ni devantzhier comme disent ceux qui parlent encore plus mal.

Il y a beaucoup de gens, continua le Duc, qui prononcent norir, noriture & norrice & je crois qu'il faut toujours prononcer nourir, nouriture & nourice : cependant il y a des femmes de la Cour qui y sont depuis longtemps, & qui m'ont soutenu qu'on y disait Madame la norice, & non pas "Madame la nourice", & que l'on y disait encore norir & noriture, ce qui est Žgalement mal parler.

Je crois, dit le Commandeur, que celles qui disent Madame la norice ont pris cette mauvaise prononciation de quelques nourrices ou de quelques femmes de chambre, mais il ne faut pas les imiter en cela.

Il y en a, poursuivit le Duc, qui en ™tant un u au mot de nourrice, l'ajoutent ˆ des mots qui n'en doivent point avoir, comme ceux qui prononcent Roume, Poulougne, Coulougne, Boulougne, au lieu de prononcer Rome, Pologne, Cologne, Bologne, & qui prononcent un pourtrait au lieu d'un portrait, une chouse, pour dire une chose, & il y en a plusieurs qui prononcent tunber, au lieu de dire tomber.

Ces dernires prononciations, reprit le Commandeur, sont du vieux temps, & il n'y a gure que les gens de la minoritŽ du feu Roi qui prononcent ainsi. Il y en a aussi de ce temps-lˆ qui disent qu'ils vont se pourmener, au lieu de dire se promener, & qu'ils viennent de la pourmenade, au lieu de la promenade.

Ceux de la mme date prononcent en ois les mots de j'avois, je disois, je faisois, au lieu de prononcer j'avais, je disais, je faisais, comme on prononce "je fais", "je vais". Il en est de mme des noms de quelques nations, ils prononcent en ois, les Anglois, les Hollandois, les Polonois ; cependant l'usage a introduit de prononcer les Anglais, les Hollandais, les Polonais : on prononce aussi les Franais, exceptŽ en vers & dans les discours publics, o on prononce encore en ois, "les Franois". Mais comme l'usage a ses bizarreries, il a respectŽ les prononciations anciennes des SuŽdois & des Danois, & on ne peut pas dire un Suedais, ni un Danais. On dit aussi les Hongrois, les Bavarois, les Navarois, mais on prononce un Milanais, un Piedmontais, un Lionnais, & non pas un Milanois, un Piedmontois, un Lionnois, quoiqu'on les Žcrive de cette sorte.

Voici encore un autre effet du caprice & de l'inŽgalitŽ de l'usage : on prononce "droit" & "droiture" comme on l'Žcrit, & on prononce "adroit" & "endroit", comme si on Žcrivait adret & endret : on Žcrit "foible" & "foiblesse", & cependant le plus grand usage est de prononcer feble & feblesse. Il en est de mme de "froide, froideur, roideur", on prononce frede, fredeur, redeur.

Il y a, poursuivit le Commandeur, plusieurs gens de la Cour qui prononcent mal des mots qui se terminent en eur, & qui disent mon tallieux, mon brodeux, mon baigneux, comme s'il y avait un x ou une s ˆ la fin. Ils disent aussi un trompeux, un mocqueux, un railleux, un parleux, un causeux ; cependant il faut dire, "un tailleur", "un brodeur", "un trompeur", "un railleur", "un causeur" & ainsi des autres semblables, en prononant l'r qui est ˆ la fin de tous ces mots lˆ. Mais il y a d'autres mots o il ne faut pas prononcer l'r qui est ˆ la fin, comme dans ceux-ci : un Conseiller, un Cocher, un Ecuyer, un Roturier, un Portier, un Courrier, un LŽvrier, un Jardinier. Il ne faut pas aussi prononcer la dernire r aux mots de "premier" & "dernier". On prononce "M. le PremiŽ" en parlant du premier Ecuyer du Roi, quoiqu'on l'Žcrive de cette dernire manire, & on prononce "le derniŽ venu", quoiqu'on Žcrive le dernier venu : il en est de mme des infinitifs qui se terminent par une r, comme parler, aller, partir, sortir ; c'est une mauvaise prononciation Parisienne que de faire sonner l'r ˆ la fin de ses infinitifs, qui se doivent prononcer allŽ, parlŽ, parti, sorti, comme s'il n'y avait point d'r ˆ la fin, exceptŽ dans les vers ou il faut prononcer l'r lorsqu'elle marque la rime, ou qu'elle est suivie d'une voyelle. Il en est de mme du mot de plaisir, il faut prononcer plaisi, comme s'il n'y avait point d'r, ˆ moins que le mot qui suit ne commence par une voyelle, comme quand on dit, c'est un plaisir extrme, alors l'r se prononce & non autrement Il n'en est pas de mme des mots desir, soupir, martir, o l'r se doit toujours prononcer, mais sans allonger la dernire syllabe, comme font plusieurs du commun des Parisiens, qui prononcent desiir, soupiir, martiir, alleer, parleer, partiir, sortiir. Ils allongent encore la prononciation de quelques autres mots comme celui d'affaire, qu'ils prononcent affeere, comme s'il y avait deux ee au lieu d'un a & d'un i. Il y en a aussi qui prononcent un maasson, un baatteau & naager, comme s'il y avait deux aa ˆ chacun de ces mots-lˆ, au lieu de prononcer un masson, un batteau & nager avec un a bref. Plusieurs Bourgeois de Paris prononcent aussi la gloŸere, la victoŸere, l'histoŸere, une ŽcritoŸere, comme s'il y avait un u, au lieu de prononcer la gloire, la victoire, l'histoire, une Žcritoire ; & il y en a beaucoup qui ne prononcent point ce qu'on appelle les ll mouillŽes, & qui disent un Conse•er, de la pa•e, du bou•on, au lieu de prononcer "un Conseiller", "de la paille" & "du bouillon". Il y a ˆ Paris un grand nombre d'autres mauvaises prononciations dont un plus long rŽcit pourrait vous ennuyer, & qui ne sont que du bas peuple comme est cette dernire.

 

Mais, dit la Dame, aprs avoir parlŽ de celles de la Cour & de la Ville, encore faut-il dire quelque chose de celles des Provinces, surtout des pays situŽs au-delˆ de la Loire, qui ont trouvŽ gr‰ce auprs de M. le Commandeur, & puisqu'il ne juge pas ˆ propos de les remarquer, je suis d'avis de prendre ce soin.

Il y a quelques jours que je reus une visite d'un homme du pays d'adjieucias, qui dans la description qu'il me fit de sa maison de campagne qu'il appela son Ch‰teau, me dit qu'il y avait un pron & une trasse. Je n'entendis pas d'abord ce qu'il me disait, mais je devinai dans la suite qu'il voulait dire un perron & une terrasse. Ce qui me le fit deviner, c'est qu'il parla de sa perruque qu'il nomma sa pruque : il me dit qu'il avait chez lui de bons melons au lieu de prononcer de bons mŽlons sans marquer d'accent sur l'Ž ; il me dit ensuite qu'il avait bien de doleur de quitter Paris, pour dire bien de la douleur.

Je connais lui dis-je, Monsieur . . . qui est Intendant de votre Province. Il y put beaucoup, Madame, me rŽpondit-il. Je crus d'abord qu'il me disait que M. l'Intendant de... sent mauvais, mais ce n'Žtait pas cela, il voulait dire, qu'il y a beaucoup de pouvoir.

Ces deux qualitŽs ne sont pas toujours incompatibles dans le mme homme, reprit la Marquise, car j'en connais un qui peut, & qui put beaucoup au Pays o il est.

Je le crois rŽpondit la Dame, mais pour revenir ˆ mon Gascon, je lui parlai des Dames de son pays & je lui dis qu'elles avaient la rŽputation d'avoir beaucoup d'esprit. Il est vrai, me rŽpondit-il, qu'il y at en mon pays plus de femmes espirituelles que de femmes estupides, & elles ont beaucoup de fu dans la conversation, pour dire beaucoup de feu.

Si nous entreprenions, dit la Marquise, de critiquer les mauvaises prononciations de toutes les Provinces de France, nous n'aurions pas fait de longtemps. Ainsi pour montrer que je suis indulgente, je suis d'avis que nous fassions gr‰ce ˆ tous les pays qui sont au-deˆ de la Loire, car aussi bien il faudrait savoir la musique pour noter les diffŽrents tons dont ils se servent, s'il est vrai, comme on me l'a dit, qu'il y en en a qui ˆ l'exemple des Chinois chantent en parlant, mais que leurs rŽcitatifs ne sont pas si mŽlodieux que ceux de l'OpŽra.

Cette imagination de la Marquise parut d'autant plus plaisante au Commandeur, qu'elle le fit souvenir du mauvais accent de quelques Chevaliers Picards & Normands qu'il avait connus ˆ Malte, & qui n'avoient pas oubliŽ le ramage peu agrŽable des habitants de leurs Provinces.

Puisque Madame la Marquise, reprit le Duc, veut bien faire gr‰ce ˆ toutes les Provinces qui sont au-deˆ de la Loire sur leurs mauvaises prononciations & sur leurs accents, je crois que nous ne saurions mieux faire que de continuer ˆ examiner ce qui peut plaire dans la conversation....

¦ Liaisons : Irons-nous ˆ Paris? = iron-nou /h/a Pari ou iron-nou /z/a Pari?  [1a]

L'Žcriture et la prononciation sont, dans notre langue, deux forces constamment en lutte (LitttrŽ Emile, 1874, PrŽface au Dictionnaire).

Laks (2005) synthŽtise ainsi les phases de cette lutte que la normalisation grammaticale et l'Žcole publique ˆ partir de la fin XIXe n'ont pas achevŽe: On sait que les consonnes finales de l'ancien franais ont rŽgulirement disparu, ne se maintenant d'abord qu'ˆ la pause et devant voyelle puis chutant Žgalement ˆ la finale absolue. Ce changement est totalement accompli ˆ partir des 12e et 13e sicles. Ë partir du 16e sicle, la normation progressive de l'Žcriture et sa diffusion rŽtablissent un grand nombre de ces consonnes et le mŽcanisme moderne de la liaison se met en place [mon soulignement] (p. 112)...la chute des consonnes finales, y compris dans les graphies, aux 12e et 13e sicles appara”t comme un contre-effet Buben [influence de la phonie sur la graphie], tandis que leur rŽtablissement orthographique progressif ˆ partir du 16e sicle enclenche un effet Buben [influence de la graphie sur la phonie] qui se fait sentir jusqu'ˆ nos jours (p. 119). Laks Bernard, 2005, "La liaison et l'illusion", In: Langages, n¡ 158: 101-125.

Dans la 1re moitiŽ du XXe, Brunot tŽmoigne de la confusion que ce tŽlescopage produit au XVIIe:


...Au Ç grand sicle È les liaisons Žtaient peu frŽquentes. Une consonne, muette devant consonne, tendait ˆ demeurer muette devant voyelle. On hŽsitait pour la prononciation de gens inconnus entre janz inconnu et jan inconnu... Dangeau [1b] tŽmoigne que les gens de son temps prononcent Iron nou ˆ Paris ? [1c] Il ajoute qu'on prononce l's dans vous irez, nous irons, Ç parce que irez, irons, est le verbe du pronom personnel È. En plein XVIIIe s., d'Olivet [2] Žcrivait encore : Ç la prose souffre les hiatus, pourvu qu'ils ne soient, ni trop rudes, ni trop frŽquents. Ils contribuent mme ˆ donner au discours un certain air naturel. La conversation des honntes gens est pleine d'hiatus volontaires qui sont tellement autorisŽs par l'usage, que, si l'on parlait autrement, cela serait d'un pŽdant ou d'un provincial È (1771, p. 55). Brunot Ferdinand, 1936, La pensŽe et la langue : mŽthode, principes et plan d'une thŽorie nouvelle du langage appliquŽe au franais (3e Ždition), Paris, Masson, pp 102-3


Et, dans son Histoire de la Langue franaise (1939, Histoire de la Langue franaise, 3e Žd., Tome IV.1, La langue classique (1660-1715), Paris, Colin, LES CONSONNES FINALES EN LIAISON, pp. 213-215):


Avant Chifflet [3] (1659), personne n'a posŽ avec nettetŽ la question des consonnes finales en liaison [Voir sa Grammaire, Žd., 1680, p. 242]. Jusque lˆ, il semble que pour personne il n'y ait de doute. A l'intŽrieur d'un Ç mot phonŽtique È, les mots sont liŽs Žtroitement: la consonne finale d'un mot s'articule avec la voyelle du suivant. En fait, s'il fallait s'en fier ˆ cette rgle, on ežt dit des gens inconnus, avec un s, et cela n'Žtait pas.
Il n'est mme pas sžr qu'on d”t toujours des genz inconnus. Une consonne, muette devant consonne, tendait ˆ rester muette aussi devant voyelle. Hindret avoue que les Franais hŽsitent entre: d janz inconnu et djan inconnu...
Ç Cependant, remarque M. Rosset [4] (p. 278), il y avait dŽjˆ des distinctions trs nettes, d'aprs lesquelles, en beaucoup de cas, l'usage Žtait fixŽ. D'abord, il faut observer que le fait mme des liaisons Žtait naturel ˆ la prononciation populaire. Les grammairiens relvent et condamnent des prononciations comme on-z-a, un laid-z-homme (Cauchie, 1570); on-z-ouvre, on-z-ordonne (Vaugelas); j'ai-z-ŽtŽ, je l'ai-z-appris, je l'ai vu-z-aussi, on-z-an a vu (Lartigaut, 1669); j'ai-z-eu, il a-z-eu (Hindret, 1687), avant-z-hier (Buffet, MŽnage, Vaugelas); Ñ il a-t-ou•, il va-t-o j'ai dit (H. Estienne, Marguerite Buffet, Hindret, De la Tožche, 1696); -  je n'en ai point-n-eu (Hindret) È
Elles indiquent que le peuple avait toujours une rŽpugnance naturelle aux hiatus, et que, pour les rŽsoudre, il intercalait entre les deux voyelles une consonne: t, z ou n, sans se soucier de l'ancienne consonne finale.
Si l'on essaye de se rendre compte des rgles proposŽes par les grammairiens, on voit d'abord qu'un certain nombre de locutions toutes faites ont naturellement gardŽ l'ancienne prononciation. Par dŽfinition, ces locutions conservent leur prononciation immuable aussi longtemps qu'elles existent; ce sont des mots o l'on ne distingue plus les divers ŽlŽments. On fait la liaison dans: quant ˆ nous (Chifflet); au doigt et ˆ l'oeil (d'Aisy) ; de font en comble (Id.), sanc et eau (Id.), de clerc ˆ ma”tre (Id.), franc-alleu, franc archer, franc arbitre, franc Žtourdi, de franc Žtable, franc ivrogne (Id.), etc.
Ces locutions mises ˆ part, il y a quelques mots pour qui les grammairiens ont prescrit des rgles particulires de liaison: Froid suivi de voyelle se prononce avec un t : froit horrible, froit orateur (De la Touche); de mme secont accident (Regnier); joug et sang, dans les mmes conditions, se prononcent avec un k final: jouk insupportable (Hindret) ; un sank impie (Regnier); de mme long et rang: ce lonk amas d'a•eux (Hindret), un rank ŽlevŽ (De la Tožche). P fait liaison dans les mots coup, trop, beaucoup, en style ŽlevŽ: coup ˆ faire (Hindret), trop attendu, beaucoup attendu (Chifflet).
Ailleurs il s'est fait un compromis entre l'ancien usage, o la consonne finale s'articulait avec la voyelle initiale de n'importe quel mot suivant et les tendances populaires rŽcentes qui allaient ˆ l'amüissement gŽnŽral de laconsonne. La date o ce fait s'est produit peut tre fixŽe au second quart du XVIIe sicle. En 1624, une grammaire anonyme dŽclare que tant qu'on ne fait pas une pause, les mots doivent tre liŽs les uns aux autres comme par une cha”ne. En 1659, Chifflet professe que cette liaison n'a lieu entre deux mots que si le premier sert de rŽgime ou de dŽterminatif au mot suivant : adjectif devant un substantif, prŽposition devant le complŽment qu'elle introduit, verbe devant son complŽment direct, sujet devant le verbe. En 1687, Hindret rŽpte et prŽcise cette rgle, qui est encore la n™tre.
C'est ainsi que dŽsormais les dŽterminatifs du verbe qui, Žtant atones, prŽcŽdent le verbe (pronom sujet, pronom complŽment), font liaison avec le verbe et entre eux; les dŽterminatifs atones du nom (article, adjectifs pronominaux, noms de nombre, adjectifs), font de mme liaison avec le nom qu'ils prŽcdent et entre eux.


[1] Hindret lÕinconnu (In: Bettens Olivier, 2022, "Prosodie du franais aux XVIe et XVIIe sicles", Exercices de rhŽtorique, N¡19): J. H. D. K... CÕest par ces quatre initiales que signe lÕauteur de LÕArt de prononcer parfaitement la langue franoise, paru en 1696 ˆ Paris, chez Laurent dÕHoury. En 1687, pour une premire Ždition deux fois moins volumineuse, il sÕŽtait contentŽ dÕun plus modeste Art de bien prononcer et bien parler la langue franoise, ainsi que des deux seules initiales J. H. Certains exemplaires de la seconde Ždition comportent, en frontispice, un portrait gravŽ de lÕauteur indiquant son nom en toutes lettres : IOANES HINDRET. On lit aussi la mention REC. CONSIL. DEPOSITA. PECUNIAR. QU®STOR., ce qui suppose une charge dans lÕadministration financire. On sait enfin, par une note du libraire, que lÕauteur avait Ç des occupations dans la Province de Bretagne È qui lÕont empchŽ de prŽsider ˆ la relecture et ˆ lÕimpression de lÕŽdition de 1696. JusquÕˆ prŽsent, on ignorait en revanche lÕidentitŽ du Çgrammairien Jean Hindret È, dont lÕidentifiant IdRef, au moment o sont rŽdigŽes ces lignes, ne mentionne que : Ç Grammairien. Actif entre 1687 et 1696 È. Heureusement, une simple recherche dans les bases de donnŽes gŽnŽalogiques permet aujourdÕhui dÕidentifier un Jean Hindret, Sieur de Kestembert (J. H. D. K.), nŽ en 1639 de Jean (?-1695) et de Louise Hotman (?-1697), mort ˆ Vannes le 9 septembre 1709, qui fut receveur des consignations du prŽsidial de Vannes. Mme si la fiche gŽnŽalogique ne dit rien de son oeuvre de grammairien, on voit que toutes les pices du puzzle sÕembo”tent parfaitement. La description que donne Hindret du bon usage en matire de prononciation est, pour le XVIIe sicle, lÕune des plus prŽcises qui soient.

[1a] Hindret, 1687, Žnonce la Rgle : On change la prononciation des lettres finales selon que les premires lettres de ceux qui les suivent sont ou voyelles ou consonnes, et [c'est moi qui souligne] selon la situation des mots o elles se trouvent.

NŽanmoins, la prononciation de irons-nous ˆ Paris reste indŽterminŽe. Puisque nous est suivi de voyelle, la Rgle prescrit la liaison mais le discours familier l'omettra tandis que en lisant ou en parlant en public, il faut suivre la Rgle. Ce n'est pas tout! il faut tenir compte de la situation des mots : quand le mot marche aprs son verbe, on ne prononce pas la consonne : a-t-on \averti.

Cf. ces extraits de  INSTRUCTION pour la maniere de prononcer les Consonnes finales (voir le texte complet):

On change la prononciation des lettres finales selon que les premires lettres de ceux qui les suivent sont ou voyelles ou consonnes, et selon la situation des mots o elles se trouvent (p. 198)... Les lettres finales des mots qui en rŽgissent d'autres suivants, commencŽs par des voyelles ou des h muettes, se prononcent, c'est ˆ dire qu'on fait sonner la dernire consonne de l'article mis devant son substantif [...] celle du verbe et de la proposition devant leurs cas, comme passer une rivire, finir une affaire, sans argent, en Angleterre, sous ombre, etc. (p. 201).
On ne prononce pas ordinairement dans le discours familier [c'est moi qui souligne] les r finales des verbes terminŽs en er, quoiqu'ils se rencontrent devant des mots commencŽs par des voyelles comme achever, commencer, passer, ch‰tier, payer; on dit commencŽ une affaire, passŽ une rivire, ch‰tiŽ un enfant pour dire commencer une affaire, passer une rivire, ch‰tier un enfant etc. Mais en lisant ou en parlant en public, il faut suivre la Rgle ( pp. 204-5).

Mais [c'est moi qui souligne] ces rgles ont beaucoup d'exceptions car bien souvent les mmes consonnes finales qui se prononcent devant de certains mots qui commencent par des voyelles, ne se prononcent pas devant d'autres mots quoiqu'ils soient aussi commencŽs par des voyelles, comme en ce mot on dont on fait sonner l'n quand il est suivi de la troisime personne d'un verbe commencŽ par une voyelle comme on a, on espre, et qu'on ne prononce pas quand il marche aprs la troisime personne de son verbe, comme a-t-on averti. Ce serait mal prononcer de dire a-t-on n'averti comme on fait en de certaines provinces en France (199-200).

[1b]  AbbŽ  Dangeau [Louis de Courcillon, dit l'abbŽ de Dangeau, 1643-1723], 1711, Essais de granmaire qui contienent 1. Un discours sur les voyles. II. Un discours surles consones. III. Une ltre sur l'ortografe. IV Suplmant ˆ la Lettre sur l'ortografe, Paris, chŽs Gregoire Dupuis, p 24

[1c] Dangeau (abbŽ de-), 1711, Essais de granmaireParis, Dupuis, I. Discours sur les Voyles p 23 sq

...Notre langue est ennemie de la rudesse, c'est pourquoi il y a beaucoup de consonnes finalesqu'elle supprime au moins dans la conversation, car pour le style oratoire ou pour la Po‘sie, c'est une autre affaire.

Elle supprime dans la conversation l's des mots nous, vous, nos, tes, dans ; l'l du mot il etc. & l'on prononce nous marchons comme s'il y avait nou marchons, il parle comme s'il y avait i parle, etc. Elle les supprime mme quelque fois devant des voyelles : dans irons-nous ˆ Paris, l's ne se prononce point, & l'on prononce comme s'il y avait iron-nou ˆ Pari. On ne prononce point non plus l'l dans voit-il aujourd'hui qu'on prononce comme s'il y avait voit-i aujourd'hui.

Mais si un mot terminŽ par une de ces consonnes qu'on supprime prŽcde immŽdiatement un autremot qui commence par une voyelle et avec qui il soit intimement uni, comme un pronom personnel avec son verbe, une prŽposition avec son nom, un adjectif avecson substantif, un adverbe avec son verbe ou avec son adjectif ; alors, pour Žviter le baillement, on fait revivre la consonne qui avait ŽtŽ supprimŽe.Par exemple l's du pronom personnel nous avait ŽtŽ supprimŽ dans nous marchons qu'on prononce nou marchon, et dans irons-nous ˆ Paris qu'on prononce iron-nou ˆ Pari. Cette s on la fait revivre dans nous allons parce que allons est le verbe du pronom personnel nous.

Tout de mme, l's du pronom personnel vous ne se prononce point dans vous dites, dans partirez-vous, mais elle se prononce dans vous irez parce que irez est le verbe du pronom personnel vous.

Tout de mme encore, on fait revivre l'l de il dans il examine, l's de dans en ces mots dans Athnes, l's de grands dans de grands hommes, le t de fort dans fort avare ; parce que examine est le verbe du pronom il, que Athnes est le nom de la prŽposition dans, que hommes est le substantif de l'adjectif grands, que avare est l'adjectif de l'adverbe fort.

Le pronom personnel est si intimement uni avec son verbe que ces deux mots se prononcentsans aucun intervalle entre eux, et ainsi s'il y a quelque baillement il est trop sensible, on ne le peut souffir, et pour l'Žviter, on fait revivre laconsonne.

Je dis la mme chose de l'union intime qui est entre la prŽposition et son nom, entrel'adjectif et son substantif, entre l'adverbe et son adjectif,cette union intime qui fait qu'on prononce les mots sans aucun intervalle qui les sŽpare,rendrait le baillement trop sensible, et pour l'Žviter on fait revivre la consonne.

Je dis plus : non seulement on fait revivre la consonne mais mme quelque fois onen fait na”tre de nouvelles pour Žviter ce baillement si le pronom personnel il est mis immŽdiatement aprs son verbe, comme dans ces mots pense-il, voudra-il, pour Žviter le baillement on foure un t entre le verbe et le pronom, et l'on dit pense-t-il, voudra-t-il.

Je dis la mme chose du pronom personnel indŽfini on : s'il est mis immŽdiatement aprs un verbe qui finisse par une voyelle, onmetttra un t entre eux, et au lieu de pense-on, voudra-on, il faut dire pense-t-on, voudra-t-on.

Si dans les cas dont nous venons de parler, les baillements qui arrivent par la rencontre dedeux voyelles sont insupportables, et qu'il soit vrai que nos voyelles sourdes sont de vraies voyelles, notre langue prendra le mme soin pour Žviter lesbaillements qu'elles pourraient causer. Voyons ce qui arrive: si le mot de on qui est un pronom personnel indŽfini se trouve devant un verbe qui commence par une voyelle, par exemple dans cesmots on appelle et qu'on lui laisse sa prononciation ordinaire, il causera un baillement. Pour l'Žviter, il fautmettre une n entre on et appelle et prononcer comme s'il y avait on nappelle. Si ce mot on avait prŽcŽdŽ une voyelle qui n'ežt pas ŽtŽ celle de son verbe, on n'auraitpoint mis de n entre on et la voyelle, par exemple dans ces mots ira-t'on aujourd'hui, on prŽcde la voyelle au : je prononce sans mettre une n avant aujourd'hui et je laisse ˆ on sa prononciation sourde telle qu'il l'aurait devant une consonne, parexemple dans ces mots on parle.

Ce que j'ai dit du pronom on devant son verbe, je le dis de l'adjectif bon devant son substantif, dans ces mots bon enfant; du pronom possessif dans ces mots mon ami; de la prŽposition en devant son nom dans ces mots en Allemagne ; de l'adverbe bien devant son adjectif dans ces mots bien appris ; du mme adverbe bien devant son verbe dans ces mots pour bien Žcrire. Dans tous ces cas les mots bon, mon, en, bien, terminŽs par des voyelles sourdes se trouvent devant des mots auxquels ilssont Žtroitement unis et qui commencent par des voyelles. Cette union intime serre la prononciation et rend le choc des voyelles sourdes avec les autresplus sensibles, l'oreille ne le peut supporter. Pour l'Žviter elle a mis des n aprs le son de la voyelle sourde et on a prononcŽ bon enfant comme s'il y avait eu bonenfant ; mon ami comme s'il y avait mon nami ; en Allemagne comme s'il y avait eu en nallemagne ; bien appris comme bien napris ; pour bien Žcrire comme pour bien nŽcrire. Si les sons an, en, on, etc. n'Žtaient pas des voyelles, leur rencontre avec d'autres voyelles n'aurait fait nulle peine...

[2] d'Olivet Pierre Joseph Thoulier -, 1771, Remarques sur la langue franaise, Paris, Barbou

[3] Chifflet Laurent, 1680, Essay d'une parfaite grammaire de la langue franoise, 6e Žd., Cologne, Pierre le Grand

[4] Rosset ThŽodore, 1911, Les origines de la prononciation moderne ŽtudiŽes au XVIIe sicle d'aprs les remarques des grammairiens et les textesen patois de la banlieue parisienne, Paris, Colin

Hindret Jean,1687, Art de bien prononcer et bien parler la langue franoise, Paris, dÕHoury, 240 p. INSTRUCTION pour la maniere de prononcer les Consonnes finales.


Pour faciliter la lecture, la graphie a ŽtŽ modernisŽe et la ponctuation adaptŽe. Emphases ajoutŽes.


SECTION. I.

On change la prononciation des lettres finales selon que les premires lettres de ceux qui les suivent sont ouvoyelles ou consonnes, et selon la situation des mots o elles se trouvent.

Par exemple on prononce les lettres finales en ces petits mots il, on, nous, quand ils sont suivis d'autres mots qui commencent par des voyelles ou par des h muettes, comme il aime, on n'a qu'on prononce comme s'il Žtait Žcrit on n'a ; Nous honorons qu'on prononce comme si l's de nous Žtait un z, nouz honorons, et on ne prononce pas ces consonnes finales quand les mots qui suivent commencent pardes consonnes ou par des h aspirŽes, comme il fait, on dit, nous hazardons qu'il faut prononcer comme si on Žcrivait i fait, ondit, nouhazardons.

Mais ces rgles ont beaucoup d'exceptions car bien souvent les mmes consonnes finales qui se prononcent devant de certains mots quicommencent par des voyelles, ne se prononcent pas devant d'autres mots quoiqu'ils soient aussi commencŽs par des voyelles, comme en ce mot on dont on fait sonner l'n quand il est suivi de la troisime personne d'un verbe commencŽ par une voyelle comme on a, on espre, et qu'on ne prononce pas quand il marche aprs la troisime personne de son verbe, comme a-t-on averti. Ce serait mal prononcer de dire a-t-on n'averti comme on fait en de certaines provinces en France. On fait aussi sonner l'n dans le mot bon quand il est mis immŽditament devant un substantif comme un bon ami et ce serait mal prononcer que de la faire sonner quand il n'est pas joint ˆ un substantif et de dire parexemple bonnŽbeau pour bon et beau.

On prononce la consonne finale du pronom il quoique le mot qui le suive commence par une consonne lorsqu'on lit des vers ou qu'on parle en public, et particulirement quand cet il est prŽcŽdŽ de la conjonction que comme il ne put s'empcher etc, quelqu'avantage qu'il pžt tirer etc, et toutefois qu'il ne laissait pas de l'avertir etc.

Il est donc nŽcessaire de dresser quelques Rgles pour la prononciation de ces sortes de consonnes, tant pour ceux qui ne savent pasencore tout ˆ fait notre langue que pour ceux qui la savent parfaitement et qui cependant pourraient tre en doute comment les prononcer.

 

SECTION II DE LA PRONONCIATION DES CONSONNES FINALES DEVANT LES MOTS COMMENCƒS PAR DES VOYELLESOU DES H MUETTES

Les lettres finales des mots qui en rŽgissent d'autres suivants, commencŽs par des voyelles ou des h muettes, se prononcent, c'est ˆ dire qu'on fait sonner la dernire consonne del'article mis devant son substantif, comme les anges ; celle de l'adjectif, du pronom ou d'un nom de nombre mis devant un substantif comme petit animal, mon enfant, un arbre, deux aunes, trois exemples ; celle du pronom personnel devant son verbe comme nous avons ; celle du verbe et de la proposition devant leurs cas, comme passer une rivire, finir une affaire, sans argent, en Angleterre, sous ombre, etc.

Voici la plus grande partie des mots dont ces consonnes finales se prononcent.

Les, des, aux ; il on, nous, vous, ils ; mon ton, son, leur, mes, tes, ses ; nos,vos, leurs ; cet, ces, en particule relative ; un, deux, trois, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, vingt, quatre-vingts, cent, deux cents, trois cents etc ; grand, petit, bon,mŽchant, heureux ; en, prŽposition, sans, sous.

En voilˆ des exemples: les avis, des hommes, aux enfants, il achve, on avance, nous estimons, vous Žprouvez, ils adorent, ton ami, mes ancestres, tes ayeux, ses yeux, nos armŽes [...] et quantitŽ d'autres mots qui commencent par des voyelles ou des h muettes qu'on peut mettre aprs tous ces mots rŽgissants, et aprs les ajectifs que l'usage faitmarcher quelquefois devant les substantifs, comme fameux, f‰cheux, plaisant, galand, bel, beaux, vieil, vieux, nouvel, nouveaux  et ces mots rien, bien, trop, beaucoup comme un fameux Avocat, un heureux acouchement, un facheux evenement, un plaisant objet, un galant homme, un bel oiseau, de beaux yeux [...etc]

 

EXCEPTIONS

On ne prononce pas ordinairement dans le discours familier les r finales des verbes terminŽs en er, quoiqu'ils se rencontrent devant des mots commencŽs par des voyelles comme achever, commencer, passer, ch‰tier, payer; on dit commencŽ une affaire, passŽ une rivire, ch‰tiŽ un enfant pour dire commencer une affaire, passer une rivire, ch‰tier un enfant etc. Mais en lisant ou en parlant en public, il faut suivre la Rgle ; et mme en lisant des vers on ne laisse pas de prononcer les r finales de ces verbes quoique ces mots suivants n'en soient pas rŽgis, comme Cours donc sans t'Žtonner, & vole en tŽmŽraire etc. Il y en a mme qui les prononcent aussi devant des mots commencŽs par des consonnes,comme je saurais dans l'instant pour un si beau dessein, RŽveiller ton ardeur et t'Žchauffer le sein.

Les r finales des noms substantifs terminŽs en er ne se doivent jamais prononcer ni en parlant ni en lisant, quelque mot qui les suive, comme berger, rocher, gosier,  panier, portier, ˆ moins que ce ne soit en lisant des vers o ces noms se rencontrent quelque fois suivis d'autres mots commencŽs par des voyelles, comme un berger indolent, un rocher escarpŽ, le portier en colre etc. ExceptŽ les monosyllabes en er comme mer, ver, cher etc & ces mots enfer, hyver dont les r se prononcent toujours.

 

AVERTISSEMENT

Il y a quantitŽ de gens qui en lisant prononcent les mots terminŽs en er comme s'ils finissaient par air et qui pour dire premier, dernier, passer, commencer, prononcer, disent premiair, derniair, commenair, prononair, et cela est si commun que de cent personnes qu'on entendra lire on en trouvera bien quatre vingt qui prononceront de mme. Cette prononciation est tout ˆ fait irrŽgulire, car les e qui prŽcdent les er finales de ces mots, et particulirement des verbes en er, sont masculins et se prononcent comme l'e du mot santŽ et non pas comme l'e du mot cher qui, Žtant monosyllabe, se prononce comme chair. Et il vaudrait mieux ne point prononcer l'r que de ne pas bien prononcer l'e qui la prŽcde et dire simplement commencŽ une affaire, prononcŽ une sentence, passŽ une rivire. Cette prononciation serait plus supportable, au moins dans la prose que de de dire prononair une sentence. Mais comme c'est souvent une nŽcessitŽ absolue de prononcer ces mots en er en lisant des ouvrages de po‘sies, et  que la prononciation en est difficile ˆ ceux qui n'y sont pas accoutumŽs, parce que naturellement cette r finale nous oblige presque toujours ˆ prononcer l'e qui la prŽcde comme un e ouvert, c'est ˆ dire comme l'e dans le mot cher, j'en donnerai des exemples qu'il faudra lire souvent pour s'accoutumer ˆ la prononciation de ces mots en er. J'Žloigne tant soit peu l'r finale de son mot et la rejette sur le mot qui la suit, afin que le lecteur enperdant l'idŽe de cette r, il en puisse mieux prononcer le e qui la prŽcde. Pour dire commencer une affaire, prononcez commencŽ r une affaire ; acheter une maison, dites achetŽ r une maison ; contracter alliance, dites contractŽ r alliance [... etc]

Monsieur de Vaugelas a fait cette remarque, et je crois qu'elle n'a pas peu contribuŽ ˆ rŽformer la prononciation de ces mots en er puisqu'on ne voit plus gure de gens qui ne s'observent lˆ dessus quand ils lisent des vers ou quand ils parlent en public; et cela ne se faisait pas de son temps. Voyez ce qu'il en dit ˆ la fin de sa remarque. [...]

 

Du pronom ils

L'l du pronom ils attachŽ ˆ son verbe ne se prononce pas dans le discours soutenu quand ce verbe commence par une voyelle ou une h muette. On ne fait sonner que l's qu'on prononce comme z, comme ils ont, ils esprent, ils honorent. Prononcez izont, izesprent, izonorent. Dans le discours familier, cet usage est fort partagŽ car il y a bien des gens qui prononcent rŽgulirement cet ils comme je viens de le proposer, et il y en a d'autres qui, trouvant cette prononciation affectŽe, s'en tiennent ˆ l'usage le plus commun, c'est ˆ dire qu'ils mangent l's finale et que, faisant sonner l'l qui prŽcde, ils prononcent ils ont, ils esprent, ils honorent comme s'il y avait il ont, il esprent, il honorent. Cette manire de prononcer et de parler est bien autant irrŽgulire que celle de j'avons, je ferons, je dirons, qui Žtait si commune au sicle passŽ que les gens de premire qualitŽ ne parlaient pas autrement. Ce mauvais usagen'a plus cours aujourd'hui et je ne doute pas que le mot il prononcŽ au lieu d'ils n'ait aussi quelque jour la mme destinŽe.

 

De la lettre finale n

La consonne finale n ne se prononce ni en parlant ni en lisant quand elle se trouve aux noms substantifs et aux adverbes, quoiqu'il suive immŽdiatement aprs un mot commencŽ par une voyelle, comme un ruban ˆ la mode, demain au matin, d'une main avare, d'un maintien assurŽ, opinion erronŽe.

Prononcez es mots comme si ceux qui les suivent commenaient par des consonnes comme ruban de taffetas, je ferai demain cette affaire, de la main droite, car ce serait prononcer comme les Normands si on disait un ruban na la mode, demain nau matin, d'une main navare. A propos de cette prononciation, j'en vois beaucoup ˆ Paris qui prononcent le t du mot point comme une n quand il est suivi d'une voyelle, et qui disent je n'en ai poin neu pour dire je n'en ai point [eu] dont le t ne doit pas se faire sentir. Il faut pourtant excepter de cette rgle les mots bien et rien qui suivent la Rgle gŽnŽrale comme bien aise, il n'y a rien afaire qu'on prononce comme s'il y avait bien naise, rien nafaire, comme j'ai dŽjˆ dit.

 

Des consonnes finales des troismes personnes plurielles des verbes

Les lettres finales nt ne se prononcent point du tout, quelque mot qui les suive, comme ils cherchaient une personne, ils lui proposrent une affaire, ils lui dirent une nouvelle. Mais en parlant en public ou en lisant des vers il faut nŽcessairement faire sonner le t final mais pas l'n qui le prŽcde comme

Et ravissent un bien qu'on devait aux derniers etc

Lˆ parmi les HŽros qui courent ˆ la gloire etc

Et mme quand ces personnes de verbes ne rŽgiraient pas ce qui les suit immŽdiatement comme

Gnes, Maroc, Alger, Tunis, mille autres lieux

RŽvrent en tremblant ses drapeaux glorieux etc

 

Remarque

Lorsqu'on lit ou qu'on prononce des ouvrages de po‘sie, il est bien souvent nŽcessaire de faire sonner toutes les consonnes finales qui se rencontrentdevant des mots commencŽs par des voyelles, soit que ces mots soient rŽgis par les prŽcŽdents ou qu'ils ne le soient pas, comme

Les nymphes d'alentour tremblantes Žperdues

Vont porter leur frayeur aux rives inconnnues

Abandonnant ces lieux tristes et dŽsolŽs etc

[... etc]

On prononce aussi bien souvent l'r avec l's qui la prŽcdent quand ces lettres se trouvent ˆ la fin d'un mot comme

Et Bude fait l'objet de ses fiers ennemis etc

Quand le mot est terminŽ par rts on mange le t qui est entre l'r et l's, et on prononce l'r et l's distinctement comme

Cde aux concerts aigus des bruyantes trompettes.

exceptŽs pourtant les noms substantifs et les adverbes terminŽs en x comme je l'ai dŽjˆ dit et quelques autres mots dont les lettres finales sonttout ˆ fait muettes

 

Avertissement

Le d final qui se prononce quand il est mis devant une voyelle ou une h muette sonne comme un t ; l'f comme un v ; l's et l'x comme un z. Par exemple un grand homme, il est neuf heures, nous aimons, vos beaux yeux. Prononcez un grantome, il ai neuveure, nou zaimon, vo boz yeux.

 

SECTION III DES CONSONNES FINALES DEVANT LES MOTS COMMENCƒS PAR DES CONSONNES OU DES H ASPIRƒES