La loi salique, une Žnigme ? Chacun croit savoir qu'elle exclut les femmes de la Couronne. Pas si simple. En tant que loi de masculinitŽ, elle se rŽvle absolument inutile : les rares cas o une femme aurait pu prŽtendre sont rŽglŽs sans phrases. Les problmes de la succession de Philippe le bel (1314-1328) furent traitŽs "ˆ la fŽodale" par nŽgociation-compensation et, pour autant qu'on prenne au sŽrieux la revendication d'Edouard III, par guerre. C'est a posteriori que la Salique les solutionne (Pour ce que plusieurs, 1464). A ce tour de passe-passe, s'ajoute celui qui Žtend l'interdiction aux fils de fille auxquels, pourtant, ne s'appliquent pas les arguments ad feminam.
Mais en dŽnonant cette pirouette, on tombe dans un pige car la dŽcouverte de la rŽtropolation pousse ˆ Žtudier l'invention de la Salique et les Žtapes de son Žlaboration. Impasse: en partant des Žcrits de Montreuil (1406-13), on ne va pas loin et on ne comprend pas que la Salique devienne la loi fondamentale de la monarchie Bourbon, tout ˆ fait indŽpendamment de la question des femmes.
Pour rŽsoudre le paradoxe, il faut s'intŽresser, non ˆ l'origine, mais ˆ l'aboutissement qui conditionne notre vision de celle-ci. Le moment clef est tardif, la fin des Valois, entre la disparition de l'hŽritier prŽsomptif (Franois d'Anjou, 1584) et l'acceptation d'un Bourbon catholique suite ˆ l'absolution papale (1595) :
dix
ans de polŽmiques et de guerre civile o il n'est pas question du droit des femmes [a]! La loi salique est triturŽe dans tous les sens, grapillant dans les Žlucubrations innocentes des historiographes et les formulations fallacieuses des auteurs antŽrieurs, pour tricoter loi et coutume, catholicitŽ et masculinitŽ, proximitŽ et ainesse. Et, fondamentalement, dŽfendre ou attaquer le principe d'hŽrŽditŽ. En ce sens, l'arrt Lema”tre (1593) [b] n'est plus une anecdote mais un symbole.
La
Salique, ˆ la fois dŽtachŽe du barbare Code salique et enracinŽe dans le mythique passŽ Franc, devient loi de dŽvolution et en mme temps exprime la transcendance de la Couronne. En "dŽmontrant" son antiquitŽ, les auteurs royalistes prouvent contre les populistes que la monarchie a toujours ŽtŽ successive [c]. Ce dŽveloppement est dŽcisif et fait le lien avec "l'absolutisme" bourbonien. [d]).
[a] Dans la question de la succession de Henri III, la Salique traditionnelle n'appara”t que trs marginalement, ˆ propos des droits du Marquis de Pont-ˆ-Mousson, fils d'une fille de Henri II (Claude, Žpouse de Charles III, duc de Lorraine).
Concernant l'infante Isabelle-Claire-EugŽnie, fille d'une autre fille de Henri II (ƒlisabeth), sa qualitŽ d'Žtrangre et d'espagnole lui nuit davantage que sa double fŽminitŽ.
Quoique Brant™me prŽtende que la reine-mre ait rŽprouvŽ la Salique et, avant leur brouille, souhaitŽ un jour que Marguerite, le dernier enfant de Henri II, puisse succŽder ˆ son frre, cette ŽventualitŽ n'est envisagŽe par personne, pas mme pour l'exclure.
Quelques pamphlets contre Catherine de MŽdicis exploitent le lieu commun masculiniste : si les femmes n'ont pas le droit de rŽgner, elles ne devraient pas avoir celui de gouverner.
[b] Ñ, Remonstrance aux Franois, sur la conversion de Henry de Bourbon IIII de ce nom tres-Chrestien Roy de France et de Navarre, 1594, Lyon, Julllieron & Ancelin:
...Cela aussi a meu ceux que Ion dict ˆ Paris representer le Parlement, d'ordonner par Arrest, & declarer nul tout ce qui se ferait au preiudice de la Loy SALIQUE, laquelle ne consiste pas seulement ˆ ne laisser tomber cette Couronne en quenouille, mais aussi est requis par icelle, que celuy qui doibt regner sur les Franois, soit du sang Royal, le plus proche en degrŽ, en ligne masculine au Roy predŽcedŽ. Sur ce, tous les bons Franois doiuent considerer, que c'est Dieu premierement, c'est la naissance, c'est la Loy qui nous donne le Roy : ce pouuoir n'est pas entre les mains du peuple. 24
...l'ambitieuse poursuite des Espagnols, qui presument (par le moyen d'vne vaine promesse d'vn mariage, qu'ils ne veulent faire en faon du monde, & ne se fera iamais) pouuoir renuerser ce Royaume sans dessus dessous, rompre tous les ordres qui y ont ŽtŽ obseruez iusques ˆ present, abolir & violer la Loy SALIQUE, Loy fondamentale de l'Etat, pour le soutenement de laquelle le Roy a combatu depuis quatre ans en a... Meritant notre bon Roy, pour cette occasion la mme & plus grande loüange de nous,& de notre posteritŽ, qui est donnee par notre Histoire au Roy Philippes de Valois [...] pour avoir soutenu la loy SALIQUE contre le roy Edouard d'Angleterre. 33
[c] Weill, 1891, Žcrit ˆ propos de Belleforest (MŽmoires et recherches, 1579) : Il s'agit, d'aprs la dŽdicace de l'auteur ˆ Henri III, de rŽpondre ˆ plusieurs ennemis. Les uns veulent prouver l'Žlection ancienne "pour insolemment armer le peuple contre son roi et donner plus d'autoritŽ ˆ la noblesse qu'elle n'en a" ; les autres, plus hypocrites, acceptent la [loi de] succession, "mais la font si fraichement et de si peu de temps en ˆ autorisŽe, que leur feinte bontŽ est aussi dangereuse que l'ouverte malice des autres" (p. 185). Aprs l'exŽcution des Guise (Blois), La loi salique, disent tous les ligueurs, n'a qu'une antiquitŽ douteuse et parait avoir ŽtŽ inventŽe au profit de Philippe le Long... le royaume a toujours ŽtŽ soumis ˆ l'Žlection (Weill, p. 225, citant le Dialogue du Royaume, 1589).
Voir le ligueur DorlŽans Louis (1586, Apologie des catholiques unis, sl) : [Si on ne trouvait plus, aprs la mort du roi, un prince du sang catholique] en ce cas,.. nous ne ferons point conscience de rompre la loi salique qui a plusieurs fois ŽtŽ rompue ˆ moindre occasion que pour la religion (p 16).
Les manifestes de Mayenne (dŽcembre 1592) et la rŽponse de Henri IV (janvier 1593) se disputent les catholiques, appelant les ŽgarŽs ˆ les rejoindre.
DECLARATION DU ROI. Sur les impostures & fausses inductions contenues en un Ecrit publiŽ sous le nom du Duc deMayenne, 19e jour de Janvier, l'an de grace 1593 (In: MŽmoires de la Ligue, Žd. Amsterdam, 1758, T.5, pp. 278sq) : ... La vraie & certaine loi fondamentale du Ro•aume, pour la succession d'icelui, est la loi Salique, qui est si sainte, parfaite & si excellente qu'ˆ elle (aprs Dieu ) appartient le premier & le plus grand honneur de la conservation d'icelui en l'Žtat qui a si longuement durŽ, & est encore ˆ prŽsent. Elle est aussi si nette & claire, qu'elle n'a jamais reu d'interprŽtation & exception; de sorte que Dieu, la nature & ladite loi nous a•ant appellŽ ˆ la succession lŽgitime de cette Couronne , elle ne nous peut tre aussi peu disputŽe qu'ˆ aucuns autres de nos prŽdecesseurs au pouvoir desquels n'a point ŽtŽ de changer ou alterer aucune chose en ladite loi, de tout temps rŽvŽrŽe en France, comme une ordonnance divine... (p. 280)
Voir aussi ce testament de la Ligue parisienne, le Dialogue du Maheustre et du Manant, 1593. Le Manant (ligueur radical) rŽcuse la loi d'hŽrŽditŽ si elle contredit la catholicitŽ:
MAHEVSTRE.
Comment,
vous disputez contre la parole de Dieu, qui veut vne correction fraternelle auant que de scandalizer quelqu'vn, mmement vn Roy naturel que Dieu a permis estre venu ˆ son rang pour iouyr de la Couronne de France?
MANANT. Ie vous accorde la correction fraternelle, mais nous ne sommes au cas auquel il en faille vser selon la parole de Dieu, qui veut qu'on en vse enuers son confrere, mais de recognoistre si vn heretique, sacramentaire, relaps, est habile ˆ succeder au Royaume, n'est donc question de sauoir si Dieu a permis qu'il soit venu ˆ son rang pour succeder ˆ la Couronne, mais de sauoir s'il en est capable, vu qu'il est heretique, relaps & excommuniŽ, 1593,
slna, p8-9
Au principe de catholicitŽ mis en avant par la Ligue et ˆ son "dŽmocratisme" instrumental, s'opposent les droits du roi qui lui viennent de la nature (hŽrŽditŽ) et de Dieu, droits qu'il ne partage pas (monarchie). On cite toujours Coquille (Le roi n'a point de compagnon en sa MajestŽ Royale) mais, au cours de la phase contentieuse, gallican, plus que royaliste (quoique la Ligue et l'Espagne aient liŽ les deux), il n'en dit pas plus (et plut™t moins) que les autres.
Aprs le triomphe du Bourbon, mentionnons, entre autres, Chappuys, 1603, Citadelle de la royautŽ contre les efforts d'aucuns de ce temps qui, par escrits captieux, ont voulu l'oppugner; Bignon, 1610, De l'excellence des rois et du royaume de France ; Cardin Lebret, 1632, De la souverainetŽ du roi, 1632 ; Balzac, 1632, Le Prince...
A ma connaissance, nul de ces absolutistes bourboniens n'ira plus loin que Le Jay, 1589, De la dignitŽ des rois et princes souverains, du droict inviolable de leurs successeurs lŽgitimes (Tours, Mathurin Le Mercier) dont ces quelques titres de chapitre suffisent ˆ montrer l'outrance presque hystŽrique : CHAPITRE. III. Qu'il n'est licite ˆ pas un des subiects en particulier ny ˆ tous en general de medire, d'accuser, de condamner, de s'elever, ou d'attanter par la voye de fait ou de justice, ˆ la personne, ˆ l'honneur ou ˆ l'estat du Prince: Fžt-il insolent, lubrique ou paillard. Et que telles choses sont dŽplaisantes ˆ Dieu, & pernicieuses au public, & principalement ˆ ceux qui sont auteurs de telles entreprinses... CHAPITRE. VIl. Que les subiectz doivent porter honneur & respect ˆ leurs Princes, encores qu'ils soient enfans, ou jeunes, nŽgligens, paresseux ou nonchallans, laches, simples, hebetez, furieux ou privez de sens & d'entendement. Qu'ilz ne doyvent rien entreprendre sur eux ou leur authoritŽ, ny les mepriser ou rejetter pour la villetŽ de leurs personnes, l‰chetŽ de leurs courages, indignitŽ de leurs actions, ou autre faute. CHAPITRE. VIII. Que pour l'Heresie ou l'infidŽlitŽ des Princes, il n'y a subjet ni cause lŽgitime de s'Žlever contre eux ou les reietter... CHAPITRE XV. Que les subiects sont obligez par le commandement de Dieu de se tenir du party de leur Prince, quelque vicieux qu'il soit: Et le deffendre contre un vsurpateur, fžt il le plus religieux & accomply Prince du monde.