Gibbon

La "1re croisade"Ñ un fait textuel ?

Les historiens chŽrissent la "premire croisade" qui leur offre l'Žvnement le mieux documentŽ du "moyen-‰ge", avec une exceptionnelle sŽrie de chroniques quasi contemporaines dont la date de composition, les rapports et la vŽritŽ ouvrent des interrogations sans fin. Le bonheur de disposer de "sources directes" sur une affaire aussi importante et aussi ancienne, pousse l'amateur Ñet mme le professionnelÑ ˆ prendre pour "reportage" ce qui Žtait cŽlŽbration, essay in persuasion [1] et ˆ confondre trompettes et camŽras !

Il n'y avait pas de camŽras et, en vŽritŽ, le dŽbut vient ˆ la fin : la lŽgende de la premire croisade et de Clermont (1095/96) na”tra de la libŽration de JŽrusalem (1099), du besoin de consolider l"emprise franque, des Žchecs subsŽquents, et de la standardisation papale (achevŽe dŽbut XIIIe). Nous regardons les croisŽs de 1096 ˆ travers les lunettes d'Innocent III (1198/1216), quand ce ne sont pas celles de la "question d'Orient" du XIXe ou du "clash des civilisations" du XXIe. La logomachie n'arrange rien (Rome vs Byzance, papautŽ vs empire, ChrŽtientŽ vs Islam, Occident vs Orient...).

 

Le lien rŽtrospectif croisade/papautŽ fait de la "premire croisade" un pige historiographique. Puisque la vŽritŽ contemporaine nous Žchappe ˆ jamais et que les concepts "macro" sont inopŽrants ou factices (1re section), je passerai au "micro" : je mettrai l'accent sur le jeu des Comtes (2me section). Sans eux, le sŽjour d'Urbain ˆ Clermont en 1095 n'aurait pas laissŽ plus de traces que les lettres de GrŽgoire VII en 1074 [2]. La dynamique de leurs interactions constitue une "campagne d'Orient" dont "la croisade" sera le produit ex post (3me section).

1 Sortir du pige historiographique

La reprŽsentation traditionnelle repose sur une idŽe de croisade (dont on Žtudie la formation et l'Žvolution), idŽe qui s'emparerait de toutes les "catŽgories sociales". Le pape veut libŽrer l'Eglise d'Orient, les barons prennent l'Orient, les "pauvres" tuent les Juifs : la croisade fait les croisŽs. Je tiens que, au contraire, les croisŽs font la croisade.

On ignore ce qui s'est passŽ ˆ Clermont en novembre 1095 (a). La croisade n'est papale qu'ex post (b).  Il faut donc sortir Urbain de l'analyse (c).

a) Que s'est-il passŽ ˆ Clermont ?

L'appel d'Urbain n'existe pas en tant que texte. On ne saura jamais s'il a eu lieu, en quoi il consistait, ˆ qui il Žtait adressŽ et dans quel but. Que cette scne hŽro•que, iconographiŽe et commentŽe ad nauseam, ne soit pas "sourcŽe" n'a pas empchŽ l'historiographie d'en faire l'origine de la croisade  [3].

Plusieurs chroniqueurs ne mentionnent pas l'appel d'Urbain et ceux qui le font en donnent des versions diffŽrentes, voire divergentes. La plus rŽpandue est celle du tardif rŽcit de Robert le moine (Guizot, T. 23), dŽjˆ populaire en son temps : le 27 novembre 1095, sur la place publique, le pape Urbain II proclame la croisade, son but et ses moyens. En telle sorte retentit la trompette cŽleste.

Quand on pense ˆ l'importance qu'on accordera ensuite ˆ cette trompette, il para”t ahurissant que plusieurs "tŽmoins" l'ignorent ou jugent inutile de la mentionner. Quant ˆ  ceux qui citent l'appel, ils disent l'avoir entendu. Si ce n'est pas un artifice narratif, ils peuvent avoir saisi un Žcho, comme l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu...l'ours. Ils peuvent aussi avoir cru entendre : les prcheurs et leurs Žpigones auront justifiŽ par le pape leurs intentions et leur discours.

Et, si tel chroniqueur Žtait rŽellement prŽsent, qu'a-t-il compris et retenu ce 27 novembre 1095 ? La date exacte de l'Žcriture des chroniques n'est pas connue et fait dŽbat. Une chose est certaine : elles sont post factum, Žcrites aprs que la "croisade" ait eu lieu et qu'elle ait triomphŽ. DeLong s'interroge : pourquoi n'y-a-t-il pas de traces de l'appel de Clermont en 1095 et pourquoi aprs (why not in 1095, and why now?Õ in 1100 and after ?) [4]. Leur vŽritŽ est a posteriori. Cela change tout car la "libŽration" de JŽrusalem (1099) fait Žpoque. Un tel miracle rayonne sur le passŽ et le transforme : son origine doit tre ˆ la hauteur de son aboutissement [5]. La lŽgende de Clermont concurrence ou complŽmente la lŽgende de l'Ermite [6].

On corrobore cet appel problŽmatique par quelques rares lettres d'Urbain II et le deuxime canon de Clermont : les lettres sont ambivalentes [7] et le canon, dont la brivetŽ n'exclut pas l'ambigu•tŽ, ne nous est parvenu que par un rŽsumŽ indirect [8].

Notre ignorance des donnŽes de base rend presqu'impossible une analyse contemporaine. Nous ne connaissons pas les motivations du pape, des Princes, des comtes, des chevaliers, des piŽtons et des masses de menus. Mme pas leur effectif. Nous ne comprenons pas comment fonctionne le "religieux" quand il n'est pas simplement un facteur parmi d'autres mais une dimension systŽmique.

C'est pourquoi, si depuis dix sicles le narratif de la "premire croisade" s'Žcrit au prŽsent ˆ partir de chroniqueurs plus ou moins contemporains, son analyse s'Žcrit au futur [9]: une dŽfinition gŽnŽrique (explicite ou non) de la "croisade" sert de filtre pour sŽlectionner et rŽinterprŽter la masse de dŽclarations aussi surabondantes que douteuses. Notre comprŽhension Ñet mme notre apprŽhensionÑ de la "premire croisade" est conditionnŽe par son futur. A commencer par son intitulŽ qui est dŽjˆ une invention : dans son temps, elle ne fut pas une "croisade", encore moins la "premire".

  * Pas croisade. To put it crudely, we know there were crusaders : they did not (Tyerman, 1995). Les contemporains disent et pensent expeditio, peregrinatio, via, iter, passagium..."Croisade" n'appara”t qu'un bon sicle aprs (ˆ partir de crucesignati[10] quand la papautŽ Žtablit un standard. Et il n'est pas d'usage courant. Aussi tard que 1305/1309, Joinville n'emploie ni "croisŽ" ni "croisade". Il parle de croiz, de plerinage de la croiz, dŽpart outremer alors que son Žditeur de 1868 met des "croisŽs" et "croisade" partout dans les titres par lesquels il rŽsume les chapitres.

  * Pas premire. L'expŽdition de 1096/99 Ñelle-mme plurielle (Flori, 1991)Ñest la seule. La seule qui rŽussit : les autres, tout de suite, ds 1100-1101, Žchouent ˆ la reproduire. La "premire" fait Žpoque en libŽrant JŽrusalem, les suivantes ne font rien. La numŽrotation (tardive) masque ce hiatus. La "premire", aspirŽe, absorbŽe, par une sŽrie plus ou moins longue et large selon les auteurs, prend l'apparence du prototype d'un concept gŽnŽrique. C'est plut™t un "rŽtrotype" ! Les historiens du XXe sicle dŽbattent fŽrocement de ce qui fait "croisade" : la guerre sainte ? la croix ? la proclamation papale et les indulgences ? JŽrusalem ? l'Islam ? la dilatation de la ChrŽtientŽ ? [11]. Mais ils mettent toujours du pape dans la croisade.

b) La croisade est-elle papale ?

La co•ncidence des dates et des papes fait voir dans la "croisade" une dimension de la rŽforme grŽgorienne, prtant au pape un "programme stratŽgique" que synthŽtise le thme dangereux de la rŽvolution papale : Urbain, exŽcutant les rves de GrŽgoire, prŽparerait le tr™ne d'Innocent III.

A l'intŽrieur, libŽrer l'Eglise de l'empereur, des princes et des seigneurs ; ˆ l'extŽrieur la libŽrer des mŽcrŽants. LibŽrer l'Eglise d'Orient est une expression ambigu‘ ˆ laquelle la longue concurrence entre Rome et Constantinople, la surestimation de l'incident de 1054 (Humbert/CŽrulaire [12]) et le schisme final [13], confrent un sens maximaliste : pousser ou obliger le patriarcat ˆ reconna”tre la suprŽmatie du pape de Rome.

La rŽforme de l'Eglise, en dŽtachant les clercs des Princes, barons, et la•cs en gŽnŽral, et en constituant l'institution ecclŽsiastique, tend ˆ subordonner les premiers aux seconds. Si la "guerre sainte" (et ses rŽcompenses) est un vieux standard [14], de la Bible aux guerres saxonnes de Charlemagne avec leur cortges d'extorsions et de baptmes dans le sang, GrŽgoire la "papalise" en la labŽlisant : aux milites Sancti Petri sont promis toutes sortes de rŽtributions spirituelles s'ils dŽfendent la papautŽ et la rŽforme (Erdmann, 1934 ; Flori, 1992, Cowdrey, 1998 [15]). GrŽgoire n'a pas craint de couvrir de cette bannire des mouvements sociaux insurrectionnels (Patarins [16]). Une fois alliŽ aux Normands, il les baptise "chevaliers du pape".

Lorsqu'on place la croisade dans cette ligne, elle devient une prise de pouvoir symbolique de l'Eglise sur la noblesse : au lieu d'attirer ˆ lui un par un des milites Sancti Petri, le pape ш l'instar du joueur de flžte de HamelinÑ rassemblerait en masse les milites Christi. La protection juridique des biens du croisŽ jurŽ est de mme nature que les privilges d'immunitŽ des abbayes [17], les dŽcrochant de leur supŽrieur et juge naturel pour les accrocher au pape. Si la "paix de Dieu" est concurrencŽe par la "paix du Roi" (ou du comte), la guerre de Dieu remplace les guerres "la•ques" [18].

L'Urbain de nos lŽgendes est cette trompette triomphante au son de laquelle la noblesse oublie ses supŽrieurs naturels et l'Occident roule sur l'Orient, marginalisant les rois excommuniŽs [19], l'antipape de Rome, Guibert (ClŽment III), ses partisans [20], et annihilant l'empereur germanique qui, selon ses propres prŽtentions universalistes, aurait dž initier la libŽration des chrŽtiens d'Orient en alliance avec les rois et l'empereur de Constantinople.

Voire.

On oublie qu'Urbain est en fuite et que, encore en 1098, ClŽment, son challenger, effacera par le feu ses actes pontificaux. Rome lui Žchappe, maints cardinaux se sont rangŽs du c™tŽ du pape de Rome (ClŽment III), la plupart des Žvques germaniques soutiennent l'empereur, les autres accordent ˆ Urbain plus de rŽvŽrence que d'obŽdience, les rois font ce qu'ils veulent, les d”mes ne rentrent pas,  les Normands d'Italie sont des alliŽs dangereux, Urbain craint le roi Philippe et aussi le duc de Bourgogne sur les terres desquels il se garde de mettre le pied...Ce pape en pŽril n'a rien d'un ma”tre du monde !

L'objet du concile de Clermont de 1095 n'est pas la croisade. RŽpliquant en France le Concile de Plaisance de la mme annŽe, il reprend les standards de la "rŽforme". Il condamne l'investiture la•que des fonctions ecclŽsiastiques et, plus encore, il nie les devoirs fŽodaux associŽs : les terres ecclŽsiastiques ne sont pas des fiefs, elles appartiennent ˆ l'Eglise et ne doivent pas de service. Les la•ques n'ont rien ˆ exiger. Au contraire, ils doivent dŽfendre le patrimoine de l'Eglise et sa libertŽ. Et tout particulirement ceux du chef de l'Eglise.

Rien de neuf. Ce sont les proclamations habituelles qu'il faut faire approuver de faon rŽcurrente sans que, pour autant, elles soient suivies d'effet. Pourquoi la libŽration de l'Eglise d'Orient serait-elle autre chose ? Un appel au consentement et ˆ l'obŽdience, non un but politique pratique. En la prenant ˆ son compte, le pape proclame qu'il est (voudrait tre) le chef de l'Eglise d'Orient comme de celle d'Occident. Et son concile est rŽuni pour valider cette "papalitŽ".

Urbain est un habile, un rŽaliste, non un illuminŽ comme le bouillant GrŽgoire [21]. Au lieu de se battre, il rachtera Rome, morceau par morceau. Il a rassemblŽ ses soutiens "italiens" ˆ Plaisance, il rassemble maintenant ses soutiens transalpins. Sa tournŽe mŽridionale aprs Clermont ne vise pas ˆ prononcer les sermons enflammŽs lŽgendaires qu'on lui prte pour en faire le pre de la croisade. Elle vise ˆ assoir son pouvoir. Elle sert ˆ renforcer son rŽseau d'influences (notamment clunisiennes), en consacrant des Žglises, en distribuant des privilges d'immunitŽ, en levant des fonds, en  arbitrant les innombrables conflits entre les abbayes et les Žvques et entre les abbayes elles-mmes (Crozet 1927).

Le pape ne fait pas d'agit-prop en faveur de la croisade, ce sont des "prcheurs" qui parcourent Žglises et marchŽs, ch‰teaux et places publiques. Ils n'ont pas laissŽ de traces Žcrites. On ne sait rien d'eux, sauf une chose : ils ne sont pas les agents directs du pape. Ca n'existe pas encore. Ce sont des allumŽs charismatiques comme d'Arbrissel ou l'Ermite. Ils parlent directement au nom de Dieu, ils oprent des miracles, leur saintetŽ en fait des mŽdiateurs. Les gens se pressent frŽnŽtiquement pour les toucher, les entendre et les suivre. Les plus excitŽs de leurs "ap™tres" prennent le relais et prchent en leur nom. Nul doute qu'ils soient nombreux et qu'ils multiplient les disciples. Nul doute que, ˆ chaque tour, le message ne se simplifie, se dramatise et se "millŽnarise". Comment les gens de ce temps, immergŽs dans le sacrŽ, ne s'Žmouvraient-ils pas quand Dieu, par la bouche d'un saint vivant, les appelle ˆ libŽrer JŽrusalem, ˆ combattre l'AntŽchrist et ˆ rejoindre le Paradis...Les barons et leurs chevaliers, gure plus ŽduquŽs, ne sont pas faits d'une autre Žtoffe.

La croisade n'est pas papale. AdhŽmar, lŽgat du pape auprs de Saint-Gilles, ne jouera que le r™le d'archichapelain armŽ et de mascotte [22]. Les gens du pape ne rŽussiront pas ˆ s'emparer du royaume qui tombe du ciel. La croisade se fait sans le pape [23].

Qu'il ait lancŽ une proclamation gŽnŽrale ˆ libŽrer l'Eglise d'Orient aussi thŽorique que celle qui nie les devoirs fŽodaux de l'Eglise,  ou qu'il se soit bornŽ ˆ bŽnir l'expŽdition de Saint-Gilles en cours de mobilisation, ou que, en dehors de lui, la dynamique des plerinages ait poussŽ des fous de Dieu ˆ prcher la libŽration de JŽrusalem, Urbain a la surprise de voir des bandes armŽes partir outremer. Il les bŽnit bien sžr. Invraisemblablement, elles rŽussissent, prennent Antioche et librent JŽrusalem. Elles n'Žtaient pas dirigŽes par le pape, ni par un roi. Elles ne veulent d'autre gŽnŽral que Dieu.

Lˆ est le miracle. Lˆ est le danger, l'immense danger. Depuis qu'une Eglise chrŽtienne s'est posŽe comme mŽdiatrice entre le Ciel et la Terre, elle se heurte ˆ la spontanŽitŽ de la multitude : Žglises ou abbayes "privŽes", saints ermites, prcheurs non autorisŽs, illuminations, soulvements mystiques. Toute l'histoire de l'Eglise catholique, tout son dŽveloppement institutionnel consiste ˆ combattre l'hŽrŽsie du contact direct avec Dieu. Elle lui oppose, non sans mal, une cha”ne de commandement totale (et toujours contestŽe) : organisation centralisŽe, contr™le du prche, nominations et discipline ecclŽsiastique.

1099 surprend l'Eglise papale en plein milieu d'une rŽforme qui est une Žtape dŽcisive de ce processus d'organisation de la societas christiana dont l'issue reste alors encore incertaine (empereur, rois, mŽtropolitains, Žvques etc.). Il vise, ce processus, ˆ dŽsintriquer l'Eglise et le sicle, les clercs et les la•cs, et ˆ recomposer l'articulation des deux glaives.

Et voilˆ que "Dieu" donne JŽrusalem aux la•cs comme pour renverser dix sicles d'histoire ecclŽsiastique, comme pour annuler le dernier sicle de rŽvolution papale !

Que Dieu se passe du pape, que le miles Christi diverge du miles Sancti Petri, que les barons ne fassent pas hommage de JŽrusalem au pape, qu'ils dŽsignent un patriarche douteux (Arnoul de Chocques) pour occuper le sige le plus sacrŽ de la ChrŽtientŽ, tout cela est impensable, ne peut exister, n'a pas existŽ, n'existera pas. Il faut rŽintermŽdier.

En septembre 1098, la lettre des barons envoyŽe d'Antioche ˆ Rome (dont on n'a pas le texte original) n'Žtait vraisemblablement pas l'appel au pape qu'on en a fait pour le remettre au centre [24]. Aprs l'explosion cosmique que reprŽsente la libŽration de JŽrusalem, aucun de ceux pour qui Urbain est l'hŽritier de St Pierre ne pourrait imaginer qu'il n'ait pas allumŽ la mche. En particulier, quelques chroniqueurs fidles au pape [25], Žcrivant aprs JŽrusalem, feront de lui l'origine et le moteur, lui prteront un appel de Clermont qu'il doit avoir lancŽ puisque l'ordre divin veut que les clercs dirigent les la•cs et que les clercs supŽrieurs dirigent les clercs infŽrieurs. N'oublions pas que dans ce monde la vŽritŽ n'est pas factuelle : est "vrai" ce qui doit tre.

Ex post, la marginalisation de l'Ermite par les chroniqueurs et la rŽintermŽdiation en gŽnŽral transforment les prcheurs en envoyŽs et agents du pape Ñ ce qu'ils deviendront rapidement (Dominicains), quoique des agitateurs intempestifs et non autorisŽs continuent ˆ soulever les foules comme ce Rudolf que Bernard de Clairvaux devra combattre dans la phase de lancement de la seconde croisade ou comme ces prophtes qui rassembleront les croisades des enfants.

La rŽinterprŽtation de la nature de la "croisade" (Bernard de Clairvaux) en fait une entreprise de salut individuel. Le moyen devient la fin : la croisade permet de sauver son ‰me, directement (plerinage) et mŽdiatement (indulgences). Les papes du XIe suivaient une longue tradition en Žgalant la participation ˆ une guerre sainte ˆ une pŽnitence, remplaant toute autre imposŽe Ñou susceptible d'tre imposŽeÑ par un confesseur pour prix de l'absolution conditionnelle donnŽe ˆ un pcheur repentant [26]. De mme, les Žvques admettent (ou pr™nent) le caractre pŽnitentiel du travail effectuŽ par dŽvotion au chantier d'une cathŽdrale [27].

L'Žvolution au XIIe [28] et les canons du XIIIe, papalisent le pouvoir des clefs et l'Žtendent ˆ l'au-delˆ (purgatoire) [29]. De mme que l'Žconomie financire des croisades passe par la fiscalitŽ et l'administration papales, de mme l'Žconomie du salut passe par l'appareil de distribution des rŽtributions spirituelles. L'argent et le salut vont ensemble : en 1215 Innocent III permettra de remplacer ou de racheter un vÏu de croisade par un versement en numŽraire et accordera des indulgences ˆ ceux qui apportent des subsides ˆ la croisade [30] .

Le r™le des papes comme ma”tre d'Ïuvre des expŽditions de secours dirigŽes par les rois rendra rŽtrospectivement Žvidente l'Žquation de la papautŽ et de la croisade. Les canons de la Croisade formulŽs par Innocent III, aussi tardifs qu'inefficaces, rejailliront sur les expŽditions antŽrieures qui en deviendront des anticipations.

Cette typification sera dŽveloppŽe, complŽtŽe, achevŽe et conceptualisŽe par nos historiens qui cherchent ˆ dŽfinir l'essence de la "croisade" et dŽbattent ˆ l'infini du paradigme crusadique...

c) Oublier Urbain

Les croisŽs font la croisade. Pour exposer cette endogŽnŽitŽ, commenons par expliciter deux postulats anthropologiques.

Les "barons" Ñ comme tout le monde en ce temps Ñ baignent dans le sacrŽ (qui n'est pas synonyme de "religieux", encore moins de "clŽrical"). Aussi difficile ˆ comprendre que ce soit pour nous aujourd'hui, le sacrŽ n'est pas un "facteur", il fait partie de la vie. Si Baudoin de Boulogne a les genoux cagneux ˆ force de prires, c'est, comme les jambes arquŽes du cavalier, de l'ordre du phŽnomŽnologique, pas de l'ontologique. La familiaritŽ de ces gens avec ce que nous appelons le surnaturel en fait, pour eux, quelque chose de naturel : battre les statues des saints, maltraiter les reliques, tancer Dieu ou nŽgocier avec lui, capter la bienveillance d'une relique, relve d'un dialogue vivant et direct entre la Terre et le Ciel. Quoique l'Eglise de la "rŽforme grŽgorienne" s'emploie ˆ imposer son intermŽdiation et la papautŽ sa "verticale du pouvoir", elle est encore loin, trs loin, d'avoir le monopole du sacrŽ. Tout baron peut ˆ la fois adorer les saints et piller les monastres, construire des Žglises et en dŽtruire d'autres, chercher son salut et vivre excommuniŽ. Ses rapports avec l'Eglise (au sens large) sont d'autant plus ambivalents que la concurrence pour les ressources entre les deux est plus vive.

En effet, comme tout bÏuf a besoin d'herbe, tout baron a besoin d'un pays pour pa”tre ses chevaux, entretenir ses hommes et fleurir son honneur. Je dis "pays" pour rester vague car, aux Xe/XIe, le baron n'a pas de conscience topographique (Lisson, 2017) : le pouvoir ne se pense pas territorialement comme nous le font supposer les frontires des Etats modernes et une illusoire cartographie historique. On s'abuse en cherchant pourquoi le comte de Toulouse, "rŽgnant" des PyrŽnŽes aux Alpes, abandonne tout. On le verra, Raymond, comme les autres, ne rgne pas sur un espace, il a des droits dans un espace, certains acquis, d'autres prŽtendus : aucuns ne sont garantis, la compŽtition est permanente. L'espace du pouvoir n'est pas encore un stock patrimonial, mais un flux (et souvent un reflux). Comme l'Žcrit excellemment Lisson : united territories did not exist and power needed constant maintenance. Ni les Grands ni les moins grands ne quittent un domaine bien rŽglŽ pour se lancer ˆ l'aventure (give up the certain for the uncertain) ; ils remplacent une aventure par une autre ou peut-tre poursuivent ailleurs la mme aventure, Žchangeant un incertain contre un autre. Et leurs hommes les suivent, en partie parce que ce sont leurs parents ou patrons (France, 1997), en partie parce que c'est business as usual.

Au-delˆ des diffŽrences conjoncturelles et personnelles entre partants et non partants d'un c™tŽ, au sein des partants de l'autre, leur type est le mme : ces btes ˆ bon Dieu sont aussi des btes de guerre qui vivent en meute. J'emploie ce vocabulaire pour creuser le fossŽ entre eux et nous, dŽsynchroniser, exprimer l'ŽtrangetŽ (otherness) de ces sires auxquels nous ne devons prter ni notre rationalitŽ ni nos mŽta-concepts.

L'histoire de brigands dont riait le XVIIIe sicle [31] est aussi anachronique que l'hagiographie. Essayons d'tre contemporains : Urbain II n'est pas "le" pape mais le challenger de ClŽment III, le pape n'est pas l'Eglise (Žvques, abbŽs, chapitres...), l'Eglise n'est pas la Religion, la Religion n'est pas le SacrŽ, le SacrŽ ne s'oppose pas au "profane" : l'ambiance mystico-magique [32] n'exclut ni l'honneur, ni l'aventure, ni le butin, ni la conqute ; tout cela marche ensemble, ce que ne voyait ni la critique antireligieuse du XVIIIe ni l'analyse matŽrialiste du premier XXe.

Ds le XIIe sicle, les chansons de geste traitent la participation des chevaliers et barons ˆ la  Croisade comme une affaire d'honneur (Flori, 1990) [33] : il s'agit de ne pas forfaire ˆ sa foi et de suivre son comte ou son sire, et d'obtenir la gloire en se distinguant des autres par sa vaillance. Si l'on prend en compte les valeurs propres ˆ la sieurie, la transmutation ultŽrieure de la croisade en exercice de chevalerie [34] n'appara”t plus comme une corruption sportive ou une dŽgŽnŽrescence individualiste mais comme l'aboutissement d'une tendance inhŽrente, sublimŽe dans la reprŽsentation quand la rŽalitŽ la condamne (cf. la malheureuse charge de Nicopolis en 1396).

Les Croisades deviendront la guerre de Troie de l'Europe [35] Ñ unitŽ contre l'autre, rivalitŽs entre soi, exploits hŽro•ques, interventions divines. Leur transmutation en ŽpopŽes, mlant le roi Arthur, Charlemagne et JŽrusalem,  engendrera leur Homre, le Tasse,  dont la fantaisiste et tardive cŽlŽbration (JŽrusalem libŽrŽe, 1581) aura une immense fortune : sans parler de Chateaubriand, le Tasse est omniprŽsent dans le premier tome de l'Histoire des Croisades de Michaud (1825) ! Armide et Renaud, Clorinde et Tancrde etc. inspirent abondamment peintres, dramaturges, chorŽgraphes et auteurs...Imaginons que, au XXVe sicle, la JŽrusalem dŽlivrŽe demeure la seule trace de la croisade : Je chante les pieuses armes, et le capitaine qui dŽlivra le grand tombeau du Christ (I, 1)...[36]. Nos lointains descendants auraient Ñvia Le TasseÑ le mme rapport avec l'Žvnement que nous avec Troie via Homre ! Armide deviendrait leur HŽlne...Et ils n'auraient pas l'idŽe d'imputer la croisade ˆ un Urbain que le Tasse ne mentionne qu'une seule fois, en passant : pour lui, le gourou de la croisade, c'est l'Ermite.

Attention ! "DŽpapaliser" la croisade ne la la•cise pas. Cela n'aurait pas de sens pour une Žpoque et des acteurs qui ignorent notre diffŽrence entre "la•c" et "religieux". Nous voyons une dimension la•que, non seulement dans les pillages et conqutes, mais dans l'idŽalisation de l'honneur qui engendrera les standards de chevalerie, tant littŽraires que comportementaux. Et, ˆ c™tŽ, nous voyons une dimension religieuse (pŽnitences, prires, processions...). Nous avons tort de projeter nos catŽgories. Concernant les acteurs concrets, il vaut mieux parler de "sacrŽ" que de "religion" pour Žviter les schŽmas institutionnels de l'Histoire ecclŽsiastique. Dans ce temps, le sacrŽ est partout, c'est un mode de vie et une pratique qui, pour presque tous, doit plus ˆ la magie qu'ˆ la thŽologie, aux miracles qu'aux sacrements, aux rites qu'aux rituels. On a dit des anciens Romains qu'ils pratiquaient la religion du "faire". Avant la devotio moderna n'y-a-t-il pas quelque chose de cela chez nos ChrŽtiens ?

La sainte armŽe inclut une multitude de serviteurs, t‰cherons et femmes de peine, filles de joie et trafiquants. Quand tout va mal, on chasse les non combattants pour dissiper le courroux de Dieu en  purifiant les guerriers. Une fois les confessions et processions faites, les cierges bržlŽs, l'encens dissipŽ, les cantiques chantŽs, les messes dites et la faveur de Dieu revenue, on rappelle les "mauvais" (qui ne partent jamais bien loin)  et les "turpitudes" recommencent.

2 Le jeu des comtes

Il est commun d'identifier les expŽditions par le ou les Grands qui y figurent. Cela vaut mieux que les qualificatifs pseudo-ethniques (Provenaux, Picards, Lorrains, Normands...) mais l'expression consacrŽe de leaders est maladroite ou mme mystificatrice : chaque "armŽe" est une collection de troupes. Chaque comte, chaque sire, vient avec ses hommes qu'il tient et retient par loyautŽ, rŽcompense, habitude. Les Grands ont plus d'hommes, plus de richesses, plus de relations, plus d'influence : s'ils psent davantage, ils ne sont pas des chefs. Ne disons pas que telle expŽdition est sous "le commandement" de tel comte ou duc, mais plut™t sous sa bannire.

Ne cŽdons pas ˆ la "peopolisation" ˆ laquelle poussent ˆ la fois la documentation et l'appŽtit de l'Ïil pour ce qui brille, surtout dans la proximitŽ de tr™nes que l'Histoire ultŽrieure a mythifiŽs (les personnes royales sont d'une sorte ˆ part). Hugues le grand n'a rien de grand. Voyant la "1re croisade" ˆ la lumire de St Louis, on a magnifiŽ le frre du roi Philippe, le maisnŽ (moins nŽ = cadet), comme si Philippe, exclu par son excommunication, se faisait reprŽsenter ; comme si Philippe, par anticipation, Žtait un "roi de France". Philippe n'a pas grand chose d'autre que sa couronne et, comme il a dŽjˆ un fils pour la recevoir, un frre, mme valeureux, ne compte gure. La chance de Hugues est d'Žpouser une hŽritire : il est comte de Vermandois par sa femme Adle dont le frre a ŽtŽ prŽalablement dŽshŽritŽ [37]. Sa petite troupe est la premire ˆ partir. Passant par les Alpes et Bari, ils subissent une tempte en traversant l'Adriatique dans laquelle la plupart disparaissent. Les rescapŽs arrivent ˆ Durazzo d'o Hugues est conduit ˆ Constantinople. Sans douter de sa valeur guerrire, il ne mŽrite pas d'tre surhaussŽ par une "royalitŽ" qui n'a alors pas cours. Il n'est pas le premier (princeps), seulement le premier ˆ partir (primus) ! Il sera aussi un des premiers ˆ rentrer : aprs la prise d'Antioche, envoyŽ en ambassade ˆ l'empereur pour demander des secours, au lieu de rejoindre ses besogneux camarades, il quitte le pays, prenant place parmi les dŽserteurs qui se rachteront ˆ la malheureuse expŽdition de 1101 [38].

De manire variable, les chroniqueurs louent leur Grand. Le remettre dans son contexte local conduit ˆ relativiser. L'Žpaisse brume informationnelle n'expose au soleil que les pics les plus ŽlevŽs dont les noms sont cŽlbres. Elle cache les contreforts (les sires, leurs hommes, leurs pauvres), les vides (les absents) et les monts anonymes : une multitude d'expŽditions restent invisibles, faute de chef connu et de traces documentaires : outre les "pauvres" dont nous parlerons (€3a-ii), mentionnons cette flotte "anglaise" qui aurait capturŽ LaodicŽe, ces "Lombards" que les comtes trouvent dŽjˆ arrivŽs, et tant d'autres dont nous ne savons rien.

On ne peut pas cartographier des absences qui n'ont pas assez ŽtŽ ŽtudiŽes : outre une bonne partie des "comtes" germaniques mobilisŽs pour l'empereur ou trop occupŽs par la "guerre civile" ; outre les sires anglais retenus par leur roi (Rufus), les "espagnols" vouŽs ˆ leur propre libŽration, il manque les comtes d'Aquitaine et leur duc, ceux d'Anjou, ceux de Bourgogne. Remarquons qu'ils ne sont nullement stigmatisŽs. Dira-t-on que, mme aussi "chrŽtiens" que les autres, ceux qui restent ont autre chose ˆ faire ? Mais les partants aussi avaient un agenda local, parfois plus pressant ! On ne trouve pas de diffŽrences significatives qui enrichiraient l'analyse historique.

Qu'il y ait tant d'absents invalide le thme de la "levŽe en masse". Ici, des comtes sont sensibles (ˆ quoi ? ˆ l'aventure ? ˆ la gloire ? ˆ JŽrusalem ? ˆ l'Žmulation ?) et enclenchent un processus de mobilisation. Lˆ, ils ne le sont pas. Est-ce dž aux vecteurs (qualitŽ des prcheurs ou envoyŽs) ou aux circonstances locales ou personnelles ? Les uns poussent ou sont poussŽs, les autres non. Mais ils ne sont pas diffŽrents, comme en tŽmoigne la liste des participants aux expŽditions de 1101 (Cate, 1969). Par exemple, en 1095, Guillaume (IX d'Aquitaine et VII de Poitiers), ne part pas, quoiqu'il ait bŽnŽficiŽ de la meilleure propagande puisque la tournŽe d'Urbain se fait largement chez lui. En 1101, il part, malgrŽ sa rŽcente conqute de Toulouse.

 

Pour 1096, les expŽditions significatives comprennent quatre vagues indŽpendantes (chaque groupe Žtant fait de morceaux plus ou moins l‰chement confŽdŽrŽs) : deux grandes et deux petites. Les premires sont les troupes des "Provenaux" et le conglomŽrat des "Normands-Flamands-BlŽsois". Les secondes, les Italo-Normands et les "Lorrains" qui, de marginaux, deviendront centraux.

MalgrŽ sa supŽrioritŽ (richesse, effectifs, pape... [39]) Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, ne parvient pas ˆ imposer son leadership et, de 1096 ˆ sa mort (1105), va d'Žchec en Žchec. Sans surestimer le "hiatus culturel" entre oc et o•l, on pourrait penser ˆ structurer le jeu des comtes en opposant le pole "provenal" ˆ la constellation normande [40]. Mais cette constellation n'est pas un parti. Les "Normands-Flamands-BlŽsois" n'agissent pas ensemble et leur importance est tactique, non stratŽgique, ˆ la diffŽrence des "Provenaux", des "Italo-Normands" (BohŽmond) et des "Lorrains" (Godefroy, Baudoin).

Nous examinerons d'abord le conflit entre les deux premiers et son arrire-plan (a), puis introduirons les derniers (b), avant de gŽnŽraliser (c).

a) Italo-Normands et Provenaux

Rappelons que, dŽbut XIe, des Normands ÑBohŽmond en est issuÑ ont dŽcouvert les opportunitŽs de l'Italie du sud byzantine. Ils ont combattu pour et contre les uns et les autres avant de se mettre ˆ leur compte. Ils ont combattu et mme vaincu le pape (Civitate, 1053) jusqu'ˆ ce qu'il soit poussŽ ˆ s'allier ˆ eux par besoin de soutien contre les Byzantins d'abord, l'empereur germanique plus tard : en devenant vassaux du pape (Melfi, 1059), ils lŽgitiment leurs conqutes passŽes et futures (Sicile). C'est sous la bannire (vexilla) papale qu'ils prennent la Sicile aux Musulmans et rŽtablissent les Žglises ˆ partir de 1061. A prŽsent, milites Christi, ils sauvent GrŽgoire VII du dŽsastre (1084) et se payent en pillant Rome. Si Guibert (ClŽment III) est un pape germanique, son challenger, Urbain II, est un pape normand [41]. Quelque vingt-cinq ans aprs la prise de JŽrusalem, le chroniqueur William de Malmesbury fera de BohŽmond l'inspirateur d'Urbain : ˆ la faveur de la croisade, Urban might obtain Rome; and Boamund, Illyria and Macedonia [42].

En effet, les Normands, une fois l'Italie du sud conquise sur Byzance, ont regardŽ de l'autre c™tŽ de l'Adriatique. Opposant l'or au fer, Byzance a excitŽ les rivalitŽs entre Normands et les rŽvoltes urbaines contre eux (McQueen, 1986). En recrutant massivement des mercenaires normands [43], Byzance augmente son potentiel militaire et diminue celui des chefs adverses : s'ils ne rŽtribuent pas suffisamment leurs hommes, ceux-ci partent en face. Enfin, l'empereur de Constantinople exploite les conflits au sein de la ChrŽtientŽ  occidentale : en s'alliant ˆ l'empereur germanique, il fait pression sur les alliŽs du pape.

Byzance ne sait pas rŽsister ˆ la force des Normands dans les batailles en face ˆ face, comme le montrent les victoires de Guiscard en Illyrie en 1081.  Mais Byzance sait susciter des troubles en Italie du sud et une attaque du pape par l'empereur Henri IV. Cela oblige Guiscard ˆ rentrer (1084), laissant le commandement ˆ son fils BohŽmond. Celui-ci poursuit la pŽnŽtration jusqu'ˆ ce que l'affaiblissement de son armŽe finisse en dŽroute : non payŽs, ses hommes le quittent pour Byzance.

Si Bouillon est la star posthume de la croisade, BohŽmond en est la star prŽsente, une lŽgende vivante [44]. Sa force, son physique avantageux, son charisme, sŽduisent jusqu'ˆ Anne Comnne : un homme tel qu'on n'en avait jamais vu dans l'empire, sa prŽsence Žblouissait autant les yeux que sa rŽputation Žtonnait l'esprit [45]. Aussi impressionnant qu'elle le trouve, Anne l'habille en fourbe, qui, sous prŽtexte de piŽtŽ, cachait le dessein de s'emparer de Constantinople et, ˆ sa suite, une grande partie des historiens en fera le bad guy, le symbole d'un opportunisme qu'on prte trop gŽnŽreusement aux Normands, oubliant que, dans la guerre de tous contre tous, la souplesse est aussi nŽcessaire que la force physique. Il est vrai que "les Normands" (une gŽnŽralisation abusive) ont gagnŽ plus souvent que les autres.

BohŽmond a toutes les apparences de l'aventurier sans avoir ni scrupule [46]. A la guerre illyrienne de Guiscard, il n'a rien gagnŽ. Ensuite, son hŽritage lui Žchappe et passe ˆ son demi-frre qu'il combat pour en arracher des morceaux, sans pouvoir aller trop loin en raison de la vigilance de leur oncle commun, Roger de Sicile.

BohŽmond saisit la chance de la croisade. Abandonnant le sige d'Amalfi qu'il faisait avec son frre et son oncle, il emmne avec lui une bonne partie de l'armŽe. Mais il manque de ressources : pour s'imposer ˆ ses hommes et compenser son infŽrioritŽ par rapport aux grands comtes latins, il fait la paix avec l'empereur Alexis et entre ˆ son service (Sheppard, 1988). Il s'entremet activement pour obtenir des autres Grands qu'ils jurent fidŽlitŽ ˆ l'empereur. C'est encore comme lieutenant de l'empereur qu'il ravitaille les assiŽgeants de NicŽe. Il espre devenir  domestic  of  the  East. Antioche le dŽvie. L'occasion est trop belle et l'empereur superflu. BohŽmond arrache Antioche ˆ Saint-Gilles et y reste, au lieu d'aller libŽrer JŽrusalem. Quelques annŽes plus tard, en proie ˆ la double pression des "Turcs" et de l'empereur, BohŽmond s'Žchappe pour assembler en Europe une armŽe qui secourrait Antioche contre l'empereur. Le pape lui donne sa bŽnŽdiction et un lŽgat pour prcher croisade. La tournŽe "franaise" de BohŽmond suscite l'enthousiasme. Il y gagne d'Žpouser une fille du roi Philippe (et d'en envoyer une autre ˆ Tancrde), ce qui n'est pas grand chose mais a bonne allure [47]. Son armŽe, dŽbarquŽe en Illyrie, n'est pas combattue de front par Alexis qui la vainc en coupant ses approvisionnements. BohŽmond doit se reconna”tre vassal de l'empereur pour Antioche (traitŽ de DŽabolis, 1108). Il meurt (1111) [48] : Rodomont le "loser".

 

Au contraire, son rival, le vieux Raymond de Saint-Gilles, a toutes les apparences de la piŽtŽ, de la fidŽlitŽ aux serment et du dŽsintŽressement. A la faveur d'hŽritages, il en est venu ˆ "rŽgner" des PyrŽnŽes aux Alpes. Aprs deux mariages fructueux, il vient d'Žpouser la fille du roi de Castille-LŽon et sa riche dot qui l'accompagnent en Orient. C'est, pour partie, dans ses terres qu'Urbain fait son "tour de France". Raymond est le premier ˆ prendre la croix. Il aurait tout abandonnŽ ˆ son fils Bertrand et jurŽ de ne jamais revenir. Il est pieux. Il est bon pour les pauvres, les dŽfend et les nourrit. RŽticent d'abord ˆ prter serment ˆ Alexis, il lui serait ensuite le plus fidle. Il aurait si peu d'ambitions personnelles que son "comtŽ" de Tripoli est le dernier ˆ voir le jour. Il meurt en 1105. L'opposition "culturelle" entre provenaux et "nordistes" d'une part, la jalousie ˆ l'Žgard de ses richesses et puissance d'autre part, en feraient le mal-aimŽ d'une croisade dont il aurait dž tre le chef naturel et ˆ laquelle il aurait tout sacrifiŽ.

Vraiment ?

Il est vrai que la troupe de Raymond est la plus nombreuse (quoiqu'elle manque de comtes et de chevaliers) et que son TrŽsor ne s'Žpuise jamais. Par contre, le "quasi royaume" mŽridional des PyrŽnŽes aux Alpes que maints historiens lui prtent est une double illusion. D'abord, la faon dont Raymond se fait comte est douteuse (mystŽrieuse Žviction de son frre Guillaume et, ˆ sa mort, spoliation de Philippa, l'hŽritire de celui-ci Ñcf. Pradalier, 2005 [49]). Ensuite, le grand comtŽ n'existe pas : dans cette curieuse principautŽ bipartite ˆ deux p™les (Toulouse et N”mes), le duc d'Aquitaine et le comte de Barcelone ont des droits importants et des prŽtentions considŽrables ; de plus, le comte de Toulouse est en concurrence avec "ses" comtes, vicomtes, ch‰telains, et les entitŽs religieuses qu'il soutient sont attaquŽes par d'autres [50]

On dira que le tableau n'est pas propre ˆ ce pays et qu'on pourrait dresser ˆ peu prs le mme du comtŽ de Blois ou de n'importe quel autre. Justement, c'est le point : Raymond est comme les autres. On a glosŽ exagŽrŽment sur la "tradition romaine" qui aurait fait du comtŽ de Toulouse un proto-Etat. Peut-tre a-t-elle retardŽ la "rŽvolution des ch‰teaux" et modifiŽ ses formes, elle ne l'a pas prŽvenue. Au XIe, le "pouvoir comtal", dŽpourvu de base castrale, est une coquille presque vide (DŽbax 2005 et 2016 [51]). A preuve : la crise qui suit le dŽpart de Raymond. La conqute de Toulouse par le duc d'Aquitaine en 1098 au nom des droits de son Žpouse Philippa [52] bŽnŽficie du soutien des innombrables challengers des comtes, augmentŽs des ennemis que Bertrand s'est fait par sa maladresse. Interrompue par le dŽpart en Orient de Guillaume et vraisemblablement le paiement d'une ranon par Bertrand (1101), l'offensive aquitaine reprend (1108-1119), cause ou consŽquence du dŽpart de Bertrand en Orient [53].

Finalement, loin d'tre un "quasi roi", Raymond ressemble ˆ Robert Courteheuse (Curthose), duc de Normandie : l'Orient le soustrait ˆ la situation impossible de son pays [54]. La comparaison tournerait mme ˆ l'avantage de Robert qui, non seulement fait payer trs cher l'engagement de la Normandie ˆ son frre roi d'Angleterre, mais, aprs une croisade aussi honorable et confortable que possible, rejoint la Sicile en hŽros, capitalise sa gloire en Žpousant une belle et riche hŽritire dont la dot rachte son duchŽ [55] (qu'il reperdra plus tard comme on le sait) !

N'en dŽduisons pas trop vite que les Grands (et les moins grands) partent pour Žchapper ˆ leurs problmes et tenter une nouvelle chance. Ne remplaons pas le schŽma des cadets par celui des "losers". D'autres ont les mmes difficultŽs et ne partent pas. S'il est banal de dire que les problmes font partie de la vie, dans le monde instable de ce temps tout pouvoir est problŽmatique et, dans une certaine mesure, alŽatoire. RŽpŽtons le : power needed constant maintenance.

 

La rivalitŽ de BohŽmond et de Raymond ˆ Antioche, thŽorisŽe comme une opposition ˆ propos du respect des serments prtŽs ˆ l'empereur, est un conflit d'appropriation, non seulement de la ville mais de la Syrie o, du c™tŽ de l'Euphrate, Baudoin de Boulogne se fait "comte" d'Edesse, ce qui, on le verra, renforce la position de son frre Godefroy de Bouillon.

Antioche est la deuxime ville de l'empire, l'un des cinq patriarcats de la ChrŽtientŽ (St Pierre), la capitale de la Syrie byzantine. Sa richesse, sa localisation, ses fortifications, lui donnent un poids stratŽgique. Puisque BohŽmond n'a pas obtenu le mandat de l'empereur (domestic of the East), il se fait autocrate, prenant, du fait d'Antioche, une option sur tout l'Orient, ˆ faire ratifier ou pas par l'empereur selon les circonstances. On comprend les rŽticences jalouses des autres Grands et l'opposition de Raymond dont l'Žchec nous masque qu'il a la mme idŽe. Ce n'est pas seulement pour se renforcer ˆ Antioche que BohŽmond ne participe pas ˆ la marche vers JŽrusalem : "gŽopolitiquement", JŽrusalem est une pŽriphŽrie sur laquelle celui qui tient Antioche a dŽjˆ une main [56].

BohŽmond sera dŽu : ˆ la faveur de son absence, la dynamique interne de la conqute conduit ˆ instituer un "royaume de JŽrusalem". C'est un des nÏuds de l'expŽdition. Notons que, ˆ propos de JŽrusalem, nul ne songe ˆ mentionner les serments ˆ Alexis et les droits de l'empire. Son statut se dispute entre CroisŽs : les barons dŽboutent l'Eglise qui voulait un fief papal et dŽcident de choisir un roi. Les autres Grands Žtant, soit prts ˆ partir, soit inacceptables, ils Žlisent Godefroy de Bouillon, duc d'empire pour la Basse-Lorraine (encore un faux-semblant Ñcf. infra) puis nomment eux-mmes un patriarche (le normand Arnoul de Choques). Godefroy convient aux barons : d'un c™tŽ, il a toute la noblesse souhaitable (double ascendance carolingienne) ; de l'autre, il n'a pas la capacitŽ de les empcher de se constituer des domaines, fiefs fictifs ou princŽes. Ce faisant, volontairement ou non, entra”nŽs par la mystique de JŽrusalem, les barons portent un coup stratŽgique ˆ la position d'Antioche [57]. BohŽmond cherchera ˆ la rŽtablir en jouant la carte papale (remplacement d'Arnoul par Daimbert et revendications "thŽocratiques" de celui-ci) mais il ratera l'occasion de la mort de Godefroy, Žtant fait prisonnier peu avant (Melitene). Baudoin succdera ˆ son frre et, surmontant l'opposition du clergŽ, parviendra, lui, ˆ se faire couronner roi.

Quelques annŽes plus tard, Raymond de Saint-Gilles, tant de fois dŽu (Antioche, Arqa, JŽrusalem, Ascalon...), n'aura pas de scrupule ˆ se saisir du petit "comtŽ" de Tripoli, montrant ainsi que, ˆ Antioche, la dŽfense des serments et des droits de l'empereur lui servait ˆ contrecarrer les ambitions de BohŽmond dont le modle de phagocytose Žtait partagŽ par tous.

b) Lorrains

Etonnante carrire posthume de Godefroy de Bouillon ! Il deviendra un hŽros d'ŽpopŽe par dŽbordement de la mystique de JŽrusalem : de la lŽgende du cygne ˆ la JŽrusalem dŽlivrŽe, en passant par la chanson de JŽrusalem, Godefroy, le capitaine qui dŽlivra le grand tombeau du Christ, saint et super-hŽros, sera prŽsentŽ, rŽtrospectivement, comme le chef de la premire croisade [58].

Albert d'Aix, son chantre : Ici commence le premier livre de l'histoire de l'expŽdition ˆ JŽrusalem, dans laquelle sont racontŽs les hauts faits du trs-illustre duc Godefroi, dont le zle et les travaux dŽlivrrent la CitŽ sainte des mains des infidles et la restiturent aux fils de la sainte Eglise.

Mais aussi Guibert : autant le duc Godefroi Žtait supŽrieur ˆ ses frres par sa sagesse, autant il le fut par sa puissance et par le nombre des chevaliers qui le suivirent.

Parmi toutes les illusions engendrŽes par la mystique de JŽrusalem, cette assomption de Godefroy est la plus surprenante. Ex ante, le grand homme, ce n'est pas lui mais son frre a”nŽ, Eustache III comte de Boulogne, celui dont, ex post, on parlera le moins : overlooked or dismissed, il  reste in His Brothers' Shadow (Tanner, 2003). Eustache, probablement parti avec les deux Robert (Normandie et Flandres), se joint ˆ ses frres Godefroy et Baudoin aprs Constantinople.

On ne croit plus ˆ la thŽorie des cadets dŽmunis : la via sancta doit tre pavŽe d'or. Toutefois, il se trouve que la plupart des "Grands" de la premire croisade sont des cadets. Ils sont fortunŽs Ñsine qua nonÑ mais cadets. Cela dŽnote sans doute des capacitŽs ou des circonstances particulires : Raymond de Saint-Gilles, Godefroy et Baudoin. Si BohŽmond est techniquement un a”nŽ, les circonstances en ont fait un cadet. Etienne de Blois et Courteheuse Žchappent ˆ la rgle, mais le premier se couvrira de honte et le second restera comme le sleeping duke.

Eustache III, comte de Boulogne, est le fils et hŽritier du riche Eustache aux germons [59], descendant de Charlemagne ˆ la fois par son pre et par sa mre. Il jouit de l'heureuse position de son petit comtŽ au centre du trafic de la Manche (Wissant).

Le cadet Godefroy (dont Guillaume de Tyr fera un a”nŽ !), sans avenir ˆ Boulogne, a ŽtŽ confiŽ ˆ son oncle maternel, Geoffroy le Bossu, duc de Basse-Lorraine. Godefroy a la chance que l'Žchec du mariage du Bossu le laisse sans enfant. Gravement blessŽ par un assassin, le Bossu, au moment de mourir (fŽv. 1076), adopte le jeune Godefroy (15 ans) et en fait son hŽritier, lui attirant une multitude d'ennemis qui saisissent l'occasion pour revendiquer telle ou telle possession de Geoffroy : notamment la formidable Mathilde de Toscane et Albert de Namur.

Mathilde, sŽparŽe du Bossu depuis leur mariage, est techniquement sa veuve [60]. Soutenue bien sžr par son pape (GrŽgoire VII), elle s'allie ˆ Albert, le comte de Namur qui rŽclame Bouillon, et ˆ ThŽodoric, l'Žvque de Verdun qui veut rŽcupŽrer le comtŽ de Verdun dont le barbu s'Žtait emparŽ. Elle s'allie mme ˆ Manasses, l'excommuniŽ archevque de Reims. Godefroy doit se battre contre tous, dŽfendu par son tuteur, le prince-Žvque de Lige.

Quoique l'embrouillamini successoral se mle ˆ la querelle des investitures, l'antagonisme de Godefroy avec Mathilde et donc avec son pape, n'a rien de dogmatique : in the struggle between the rival church factions, he had no pronounced views, and was guided by his local interests (Andressohn, p 42). On ne sait pas s'il participe aux campagnes impŽriales contre l'antiroi Rudolf (1078/80) et contre le pape en Italie de 1082-84 (prise de Rome).

A la mort du Bossu, Henri IV n'a investi Godefroy que du marquisat d'Anvers, attribuant le duchŽ ˆ son propre fils, le bŽbŽ Conrad, et nommant vice-duc Albert de Namur, l'ennemi de Godefroy. Leur lutte est permanente (Dorchy, 1948). Dix ans aprs la mort du Bossu, Godefroy n'a toujours pas conquis son hŽritage, malgrŽ les secours reus de son pre et de ses frres. L'empereur le fait enfin duc de Basse-Lorraine (1087), mais la mort de l'Žvque de Lige (1091) le prive de son principal soutien et lui cause des difficultŽs supplŽmentaires [61].

Au total, en 1096, si Godefroy a retrouvŽ le titre ducal et gardŽ le comtŽ de Bouillon avec sa forteresse, ses droits restent contestŽs. En ce sens, son dŽpart a quelque chose d'une liquidation : avec le concours de sa sainte mre Ida, il fait la paix avec le PrieurŽ Saint-Pierre qu'il avait pillŽ, vend ses droits sur le comtŽ de Verdun, Mosay, Stenay et Falkenstein ˆ l'Žvque Richer, et engage le comtŽ et le ch‰teau de Bouillon ˆ l'Žvque impŽrial Otbert de Lige. Bonne affaire pour ses compŽtiteurs !

Son dŽpart en Orient semble devoir moins ˆ l'enthousiasme qu'ˆ l'Žmulation [62]. L'exemple d'autres Grands, ˆ commencer par son a”nŽ, Eustache, la pression maternelle et, peut-tre, les difficultŽs locales l'ont dŽcidŽ. A 35 ans, s'il s'est beaucoup agitŽ, il n'a pas rŽussi grand chose. Il n'est mme pas mariŽ.

Comme c'est la rgle, il demande la permission de quitter le pays ˆ l'empereur qui la lui accorde. Si Henri IV ne pousse pas ˆ la croisade, il ne l'empche pas, pas plus en 1096 qu'en 1100-1101 [63]. Il ne les peroit pas comme une opŽration d'Urbain et, moins encore, comme une tentative de le doubler en prenant la direction de la ChrŽtientŽ ˆ sa place. Ses soucis sont plus concrets : les implications "gŽopolitiques" du remariage de Mathilde de Toscane avec Welf, fils du papaliste Duc de Bavire (1089), lui ont fait prendre l'offensive en Italie o il reste coincŽ, de 1093 ˆ 1096, les Bavarois bloquant les cols. A cela s'ajoute le ralliement ˆ Urbain de son fils hŽritier, le vice-roi Conrad. Ce n'est qu'en 1095/96 que l'empereur fait la paix avec Welf et peut rentrer en Allemagne regrouper ses forces.

C'est ˆ ce moment que se font les dŽparts. Godefroy assemble une troupe ˆ partir de son "rŽseau", parents et amis [64]. Ne croyons pas qu'il mobilise les comtes de Basse-Lorraine, ils ne sont pas ses vassaux. Alors, le duchŽ n'est pas une principautŽ territoriale : Godefroy a des possessions d'un c™tŽ, un titre ducal de l'autre, pas un "duchŽ". En Lorraine comme ailleurs, c'est la force qui valide les droits. Le titre de Godefroy est seulement une dignitŽ impŽriale, sans autoritŽ par elle-mme [65].

Godefroy, sans enfant, semble avoir choisi pour hŽritier son petit frre Baudoin de Boulogne : initialement vouŽ ˆ l'Eglise, celui-ci a pris gožt ˆ la guerre en venant avec Eustache au secours de leur frre et a ŽpousŽ la fille (hŽlas, non hŽritire) de Raoul II de Tosny, un grand baron anglo-normand. Godehilde (Godevere) l'accompagne en Orient ( 1097). Baudoin sera le bras droit de Godefroy, tant pendant le voyage (lui et son entourage servent d'otages pendant la traversŽe de la Hongrie) que pendant le sige d'Antioche o les ressources de son comtŽ d'Edesse alimenteront le Duc, lui permettant de recruter pour renouveler sa troupe qui, malgrŽ le renfort des rescapŽs germaniques ˆ Constantinople, s'est ŽvaporŽe. En ce sens, Baudoin mŽrite bien sa place de successeur de Godefroy ˆ JŽrusalem.

Un autre adjoint de Godefroy nous importe : Baudoin du Bourg [Bourcq], encore un cadet. S'il tient aux Lorrains par son pre, Hugues, comte de Rethel en Ardennes, il tient aux Franciens par sa mre, MŽlisende, l'une des fameuses Montlery sisters [66]. Par lˆ, il interface le groupe de Godefroy avec les barons d'Ile de France et d'OrlŽanais, en particulier le Puiset-Montlery gang (Riley-Smith). Adjoint de Baudoin de Boulogne dans la conqute d'Edesse, celui-ci l'enfieffe du comtŽ quand il succde ˆ Godefroy ˆ JŽrusalem en 1100. L'adjoint de Baudoin du Bourg, fils d'une autre Montlery sister, ˆ la mort du roi Baudoin (1118), jouera un r™le dŽcisif dans le coup d'Etat par lequel le cousin du Bourg est fait Baudoin II de JŽrusalem ˆ la place d'Eustache de Bologne (Murray, 1992a).

On s'Žtonnerait que la petite troupe "lorraine" ait eu un tel succs si l'on ne pensait pas ˆ celui de la petite troupe "italo-normande" : les marginaux finissent par occuper le centre.

c) Un monde fluide

La "guerre sainte" ne modifie pas le "logiciel" des barons. Ils sont, outremer, les mmes qu'en Europe. Si la "rŽvolution des ch‰teaux" se termine, ses rŽsultats ne seront pas fixŽs avant longtemps : les droits sont instables, la compŽtition permanente, les rapports avec la fŽodalitŽ ecclŽsiastique conflictuels, les fidŽlitŽs multiples et volatiles. Le schŽma des hommages ne constitue pas une cha”ne de commandement.

Ce sont ces hommes, les comtes et ch‰telains, leurs chevaliers, leurs piŽtons, leurs valets, leurs prtres et leurs clercs, qui passent outremer.

Qu'il ait "faim" ou non, tout baron, tout sire, est un "mangeur de terres" et doit l'tre car cela conditionne son identitŽ, son existence et l'entretien de son entourage. "Mangeur de terres" chez lui, il le reste en Orient, dans ce vide crŽŽ par l'absence de l'empereur et les victoires sur les "Turcs". Les historiens d'aujourd'hui, prisonniers d'une alternative anachronique entre "spirituel" et "matŽriel", discutent et mesurent la part relative de "piŽtŽ" et d' "aviditŽ". Les barons sont pieux (ˆ leur manire) et accapareurs. Pour autant que le 2me canon de Clermont soit vŽridique, il Žnonce que le plerinage vaudra pŽnitence ˆ ceux qui le feront dans le but de dŽlivrer l'Eglise d'Orient et non pour s'enrichir. Il ne proscrit pas l'enrichissement, il le subordonne : le butin, le pillage, l'appropriation sont des accessoires ou des moyens pour une fin, sanctifiŽs par celle-ci. Raymond en saint et BohŽmond prŽdateur sont des caricatures.

Il est vain de distinguer et compter les "avides", ceux qui restent en Orient, et les "pieux", ceux qui rentrent, leur vÏu accompli, sans accaparer de terres, sans enrichissement, sauf toutefois la gloire et les reliques qui sont un capital transfŽrable (Robert de Normandie n'est pas le seul !). Parmi eux, certains ressentent la fatigue de la longue et dure expŽdition ou le "mal du pays", d'autres ont trouvŽ incomestible le dŽsert palestinien ou manquŽ d'occasion intŽressante. Une fois revenus, quelques-uns rejoindront un monastre, la plupart recommenceront ˆ "manger de la terre". Les barons ici et lˆ-bas sont les mmes. J'aimerais croire ˆ la lŽgende d'Urbain pour le crŽditer de ce coup de gŽnie : avoir mobilisŽ les barons tels qu'ils sont.

Est-ce ˆ cause du pige historiographique, de la mystique crusadique ou du mythe de l'Orient que nul ne pense (ou n'ose) comparer cette aventure ˆ d'autres contemporaines [67]? La durŽe d'une expŽdition de milliers de kilomtres, ses rigueurs, ses effectifs "innombrables", son but et son rŽsultat eschatologiques (JŽrusalem), semblent appeler l'Žvocation de l'expŽdition d'Alexandre le Grand aux limites de l'univers plut™t que celle de la conqute de l'Angleterre voisine, trente ans avant Clermont. JŽrusalem et Londres paraissent d'autant moins comparables que nous les voyons ˆ travers leur hŽritage : les sicles de croisades rŽitŽrŽs et la normalisation papale pour la premire, l'histoire d'Angleterre pour la seconde ; rŽtrospectivement, ces deux conqutes font Žpoque, chacune dans une dynamique singulire.

Essayons de combattre ce biais et de nous placer dans le temps de l'Žvnement : la diffŽrence est-elle qualitative ou quantitative ? une question d'Žchelle ou de nature ? Dans les conditions "sociotechniques" du temps, l'accs ˆ l'Outremer lointain par terre et ˆ l'outremer proche par eau demandent des efforts diffŽrents dont, nŽanmoins, la somme est beaucoup plus semblable que ne nous le suggrent nos moyens de transport : l'Angleterre est alors infiniment plus loin de la Normandie qu'aujourd'hui.

Le vexillum papal sanctifie Guillaume le b‰tard et sa coalition de Normands, Boulonnais, Flamands et autres, dont beaucoup sont dŽjˆ pourvus sur le continent. Illustrant la fluiditŽ du monde de ce temps, ils vainquent puis Žvincent les nobles "saxons". Mais rien n'est acquis. Aussi habile et puissant que soit Guillaume, il subit des rŽvoltes, saxonnes et aussi normandes. Ses fils le combattent et se combattront. Puis ce sera l'anarchie d'Etienne et les Angevins. Au total, une affaire aussi problŽmatique que celle d'Orient, avec les NorvŽgiens dans le r™le des Turcs ! 

Partout, ˆ ce moment et plus tard, de telles expŽditions se font et se dŽfont : les Normands en Italie du Sud, puis en Illyrie, puis en "Tunisie" ; l'expansion germanique ˆ l'Est et en Italie du Nord ; les "Franais" en Angleterre, puis en Languedoc...sans oublier, ˆ l'arrire-plan, le grand glissement des "Turcs" vers l'Occident, ni les Slaves...Nous devons nous dŽprendre de la cartographie et des frontires "intangibles" pour admettre l'instabilitŽ essentielle de ce temps.

Le voyage outremer fait partie de la sŽrie.  Ces armŽes de sires emportent avec elles la "rŽvolution des ch‰teaux". Pour ces barons, quoique l'outremer ne soit pas vierge (empire grec), ce que personne ne tient Ñou ne tient plusÑ est terra nullius et bon ˆ prendre, mais, encore une fois, cela n'implique ni aviditŽ particulire, ni dŽnuement. Le sire est fait pour prendre, qu'il soit nanti ou non. Il prend pour empcher ses concurrents de le faire, il prend pour lui-mme et pour redistribuer afin d'entretenir la fidŽlitŽ de ses "clients".

On a longtemps pensŽ que leur famille envoyait les cadets en Orient pour s'en dŽbarrasser. A cela, on objecte que le cožt de l'expŽdition est tel qu'il vaut mieux garder son cadet que l'expŽdier. L'argument ne vaut rien : cette "sociŽtŽ" n'est pas basŽe sur l'individu mais sur le groupe. Ce sont les comtes, les barons qui vendent ou engagent des terres, empruntent, pillent, pour constituer des trŽsors gr‰ce auxquels ils financent le dŽpart et l'entretien des parents et des hommes qui, par conviction, loyautŽ ou obligation, partent avec eux. Ces liens, il faut les valider en permanence : dans la crise du sige d'Antioche (famine, maladie, intempŽries Ñcf. infra €3b-ii), les chevaux disparaissent, mais aussi les clients et les serviteurs.

3. Dynamique d'ensemble

Aprs avoir passŽ du "macro" (1re section) au "micro" (2me section), j'adopte une approche "mŽso" : ayant dŽcomposŽ "la croisade" en groupes et en acteurs, remplacŽ l'unitŽ par la pluralitŽ, je mets ensemble ces "plusieurs". Quoiqu'ils ne constituent pas un macro-sujet ("la croisade"), ils concourent ˆ une action (la campagne d'Orient 1096/99). Elle me pose deux questions, l'une interne, l'autre externe : de quelle matire "sociale" les troupes sont-elles faites ? (a) comment joue la pression des forces  extŽrieures, l'empereur et la guerre (b) ?

a) Question interne : quantitŽ et qualitŽ

Depuis qu'on ne croit plus aux chiffres fantastiques des chroniqueurs, on dŽbat de l'effectif des croisŽs Ñune illusion et une erreur.

  * Illusion : ce sont les armŽes particulires qu'il faut tenter d'Žvaluer. Si assembler cent mille hommes demande un miracle (enthousiasme divin etc.), en lever vingt fois cinq mille, c'est presque vingt banalitŽs.

  * Erreur : on ne peut pas agrŽger combattants, non combattants, combattants Žventuels et inaptes au combat. Les combattants eux-mmes sont inŽgaux, "socialement" et militairement : absurde d'additionner les chefs avec les hommes, les chars (chevaliers armŽs)  avec les fantassins. Dix chars et cent fantassins ne font pas 110 unitŽs.

Se contenter de mettre ˆ c™tŽ des "combattants" les femmes et les enfants (Bachrach, 1999) est une dichotomie simpliste. Il faut au moins employer une reprŽsentation en Žtages : le Grand, les comtes, les sires ; puis leurs chevaliers ; puis leurs "fantassins" ; puis les combattants potentiels ; puis les non combattants utiles ; puis les plerins inutiles, les invalides et les mendiants. Sans oublier la mobilitŽ entre catŽgories.

Il faut compter ˆ part seniores et minores, et aussi leur gradation (i). La population la plus nombreuse est celle du menu peuple (les "pauvres") (ii).

i) stratigraphie

Evaluer les effectifs au dŽpart est une pesŽe "sociale" ; ˆ l'arrivŽe, une pesŽe militaire. Les chiffres extravagants donnŽs par les chroniqueurs pour 1096 ne sont pas des mesures mais des images illustrant la rŽponse ˆ l'appel de Dieu : lŽgion ! millions ! multitude innombrable [68] ! Par contre, les chiffres pour 1098/99 sont rŽalistes et mme sous-ŽvaluŽs. Dans le modle cicŽronien, l'historien n'est pas un narrator, mais un exornator rerum (Dragonetti, 1987) : les chiffres sont rhŽtoriques. "Beaucoup" ex ante dit l'enthousiasme, "peu" ex post dit la prouesse et le miracle de la victoire.

Quoi qu'il en soit de cet Žcart, l'attrition est Žnorme entre le dŽpart du pays et NicŽe, entre NicŽe et Antioche, entre Antioche et JŽrusalem : beaucoup abandonnent en cours de route, sont tuŽs par les armes, et plus encore par la fatigue, la malnutrition et la maladie (France, 1994, Chap. 5). Ces pertes sont diffŽrenciŽes.

Les barons et chevaliers rŽsistent mieux car ils ont plus de moyens, sont mieux protŽgŽs et mieux nourris. Mais le chevalier n'est rien sans cheval. Or la mortalitŽ des btes dŽpasse celle des hommes : l'herbe est le pŽtrole des armŽes de ce temps, avec un moindre rendement ŽnergŽtique et des possibilitŽs de transport limitŽes. En outre, un tank ou un camion sans essence repartira quand on le remplira, alors que, chaque jour, les chevaux doivent tre nourris, abreuvŽs, reposŽs, soignŽs. Il en va des chevaux de batailles et de charge comme des bÏufs et autres troupeaux de nourriture dont dŽpendent les hommes. Mais les destriers importent spŽcialement car leur disparition transforme les centaures en culs-de-jatte ! Les chevaliers par nature, les nobles, le restent et, avec un peu de chance, retrouveront ou emprunteront une monture. Les chevaliers par fonction, leurs milites dont le statut tient au cheval sont dŽclassŽs et deviennent des pedites.

Le cÏur militaire et "social" d'une expŽdition est constituŽ par les equites qui, quoique de rang inŽgal [69], combattent en armure et ˆ cheval. Chacun doit avoir plusieurs chevaux et plusieurs hommes pour s'occuper d'eux et des armes. Ensuite viennent les combattants ˆ pied (pedites). Peut-on estimer la proportion des uns et des autres ? Le traitŽ passŽ par les barons pour le transport de la 4me croisade par Venise stipulera : pour 1 miles, 2 Žcuyers et 4,4 pedites. Comme, en un sicle, la technique de guerre n'a pas changŽ, on peut admettre ces proportions : 1=7 (Murray, 2017  [70]).

 Aux combattants "professionnels", il faut ajouter la masse des accessoires. On s'excite ˆ propos des fauconniers, on ne pense pas que, avec une technologie basŽe sur la main d'Ïuvre, la vie Ñcelle de tous les jours comme en opŽrationsÑ, nŽcessite une multitude de servants dont certains sont personnels (proportionnellement au rang), d'autres communs ˆ un groupe : valets, palefreniers, bouviers, boulangers, cuisiniers, forgerons, blanchisseuses, ravaudeuses, Žpouilleuses etc. etc., augmentŽs de leurs aides et de leur famille. Supposons un servant pour un combattant, alors notre 1=7 devient 1=7+7=14. On peut trouver peu nombreux les cinquante chevaliers que le comte de Boulogne conduisit ˆ l'expŽdition d'Angleterre, mais cinquante equites font 350 combattants. Et, avec les servants, on arrive ˆ une troupe d'un millier d'hommes : 50 = 1000.

Sur cette base, l'effectif que dŽplace une armŽe de 500 chevaliers est de l'ordre de 10'000 personnes auxquelles il faut ajouter les btes et les familles. Tout a doit tre nourri et abreuvŽ, tout a dŽfilant au pas pendant des jours donne l'impression d'une troupe immense ˆ des yeux ŽmerveillŽs ou apeurŽs, inaccoutumŽs ˆ voir des masses et incapables de les compter.

En estimant ˆ environ 5000 le total des equites partis en Orient en 1096 (France, 1994), cela fait quelque 100'000 personnes sans compter les enfants.

On le verra, il n'y a pas de coupure nette entre non combattants et combattants potentiels. S'ils sont tous des "pauvres", les deux catŽgories ne co•ncident pas.

ii) pauper et pauper

Presque tout ce que nous savons de la "1re croisade" est travestissement, rŽtropolation, instrumentation, mythification. Le comble est atteint avec les "pauvres". A la lumire de quelques passages de chroniqueurs [71] et des mouvements populaires ultŽrieurs [72], on a cru voir des masses de misŽrables, saisis d'une fureur mystique, partant sur les routes, ˆ la suite des barons ou spontanŽment ˆ l'aveuglette, commettant des atrocitŽs (Juifs de RhŽnanie) et en subissant. Certains tenants de l'approche apocalyptique de la croisade ont mme fait de ces bandes les seuls vrais croisŽs (AlphandŽry). Qu'il y ait ici et lˆ des hordes d'illuminŽs, qu'il y ait des mendiants ˆ la pŽriphŽrie des expŽditions [73], ne dispense pas de questionner  la nature de la composante populaire. En 1921, Duncalf, pour la premire fois, demande : What's a "poor" ? (cf. aussi Porges, 1946 ; Tyerman,1992). Il rŽpond qu'on ne peut pas assimiler les pauperes (en latin) de la croisade ˆ des pauper (en anglais), des indigents : The via sancta was not for the pauper. Pour partir, il faut tre libre [74] (serfs did not become crusaders) ou appartenir ˆ un groupe seigneurial. Les libres, urbains et ruraux, doivent avoir quelques moyens, emporter le minimum nŽcessaire au voyage et acheter la nourriture. Les chroniqueurs parlent plus de marchŽs que de butin. La revendication courante est d'obtenir des marchŽs ouverts, approvisionnŽs ˆ prix normal. Le pillage n'est pas de rgle, il advient lorsque les locaux ne veulent pas vendre, ou ne le peuvent pas, les ressources ayant ŽtŽ ŽpuisŽes par les prŽcŽdents. Les troupes de "pauvres" qui, le long de la route du Danube, nŽgocient leur passage et payent leur nourriture, arrivent ˆ peu prs intactes ˆ Constantinople o leur avance les oblige d'attendre les barons. C'est alors que l'ennui, la peur et l'Žpuisement des ressources entra”nent des aventures inconsidŽrŽes. Encore le massacre ne sera-t-il que partiel et nombreux seront ceux qui s'agglomŽreront aux barons.

Autre confusion : pauvre est souvent employŽ par les chroniqueurs au sens spirituel (Beati pauperes spiritu) pour montrer les vertus de la foi et les opposer aux vices des puissants. Ainsi Henry d'Huntingdon (Historia Anglorum) cŽlbre la prise de Lisbonne (1147) comme un triomphe des "pauvres" (anglais), contrastant avec l'Žchec des rois (continentaux) en Orient [75] : Material poverty was not the issue.

Et lorsqu'on en vient au matŽriel, le sens de pauper est relatif : non l'indigent, mais le unrich (qu'il le soit du dŽpart ou qu'il le devienne ˆ Constantinople ou ˆ Antioche [76]). Compte tenu, d'une part du lien entre la richesse et la terre, d'autre part de la prŽgnance de l'Histoire romaine, les unrich sont aussi la plebs (vs equites) : Chroniclers also speak of crowds of "common people." Many of these, described by a variety of blanket terms, pedites, peregrini, mediocres, etc., were clearly the infantry (Tyerman, 1992) : en dehors des equites, clairement ˆ part du fait de leur entra”nement et de leur Žquipement, il n'y a pas de barrire entre un groupe de combattants et un de non-combattants qui seraient le menu peuple. En ce temps o la violence physique appartient au registre normal des relations interpersonnelles, tout le monde est un combattant occasionnel. Certains ont des armes par nature Ñfussent-elles rouillŽes et usŽesÑ, tous disposent d'armes par destination Ñoutils, b‰tons, pierres, poings... Creuser, terrasser, transporter de la terre, des rochers ou des arbres au cours d'un sige, ramasser de la nourriture, est ˆ la portŽe de n'importe qui. Les femmes contribuent aux fortifications, ravitaillent les combattants et nul doute que les enfants aussi savent se rendre utiles. Aussi, les secours aux pauvres relvent-ils ˆ la fois de la charitŽ chrŽtienne et de la gestion des ressources humaines : les renforcements Žtant tellement infŽrieurs aux pertes, la pŽnurie de main d'Ïuvre est un danger lŽtal.

La plupart des menus participent aux opŽrations, loin d'tre des plerins passifs qui profitent de l'escorte armŽe des barons et attendent tout d'eux [77]. Les "non combattants", indispensables aux combattants, sont aussi une main d'Ïuvre militaire d'appoint ou de rŽserve.

Du pedes au mendiant, en passant par le valet et l'artisan, ces "pauvres" sont, dans des proportions variables, embedded dans les expŽditions des barons [78]. Que penser alors des troupes qui prennent la vallŽe du Rhin et la route du Danube, si mal connues et si improprement dŽnommŽes Peasants' crusades ?

 

N'a-t-on pas tort de les agglomŽrer ? Ne faudrait-il pas distinguer, entre les bandes ou en leur sein, ce qui relve des explosions "sociales" ˆ forme mystique comme il y en aura tant et ce qui constitue des "croisades" germaniques informelles ?

Je l'ai notŽ ˆ propos de Godefroy, l'empereur ne confond pas "plerinage" et "papalisme". Ni lui, ni ses partisans ne s'opposent ˆ la libŽration de JŽrusalem. Ce n'est que si on assimile la croisade au pape et qu'on voie dans ses envoyŽs le ferment de la levŽe en masse que la "querelle des investitures" Žquivaut ˆ une rŽpression de la croisade (Ekkehard). NŽanmoins, les particularitŽs du "fŽodalisme" en Allemagne et la "guerre civile" qui accompagne la rivalitŽ du pape et de l'empereur peuvent expliquer une moindre mobilisation des sires : le sous-encadrement du menu peuple qui en rŽsulte donne l'impression d'un mouvement sui generis.

Pierre l'Ermite et ses prcheurs, remontant ˆ partir du Berry, ont ameutŽ le Nord-Est et, assemblant des foules croissantes, atteint la vallŽe du Rhin. Ils appellent ˆ libŽrer JŽrusalem et ce cri ne reste pas sans Žchos. Cinq grandes bandes identifiŽes (outre celles dont on ne sait rien) empruntent trs t™t (ˆ partir d'avril 1096) la route du Danube, sous l'Žgide (plut™t que sous le commandement) de Ñ successivement ÑGautier Sans Avoir, Pierre l'Ermite, Fulk,  Gottschalk et Emicho. La diffŽrence de leur destin est une espce de test de la distinction que je suggre entre "illuminŽs" et "germaniques". Les deux premires se conduisent creditably (Duncalf) et atteignent Constantinople que rejoignent plus tard les rescapŽs des suivantes [79]. Cela prouve que ces "pauvres" sont mieux organisŽs et ont plus de moyens qu'on ne l'a cru : Whatever else he was, Walter Sans Avoir was not Penniless (Tyerman, 1992) ; on se souvient aussi du TrŽsor de Pierre l'Ermite, perdu dans une bataille et remboursŽ ensuite. Les troupes qui disposent de ressources suffisantes pour payer leur nourriture passent ; celles qui n'en ont plus, rŽduites au maraudage ou au pillage, sont rŽprimŽes ou dŽtruites. Rappelons cette dure vŽritŽ : The via sancta was not for the pauper. L'Avoir conditionne la rŽussite [80].

Les chroniqueurs ignorent ces expŽditions, les dŽprisent ou les mŽprisent [81]. Tout ce qu'on en sait vient d'Albert d'Aix, un "tŽmoignage" discutŽ. On peroit aujourd'hui que ces troupes, moins folles qu'on ne le croyait, n'Žtaient pas dŽpourvues de chevaliers ni de moyens militaires. A la fin XIXe Hagenmeyer avait vu dans la Chronique de Zimmern la preuve de la participation nombreuse des nobles d'Allemagne du sud. La contestation des sources de cette chronique conduit Murray (1994, 1997, 1998), non ˆ rejeter mais ˆ nuancer la participation de la noblesse germanique  [82].

Le schŽma du papaliste Ekkehard d'Aura "Allemagne = antipape = abstention crusadique" est simpliste. Les Žvques impŽriaux dans l'obŽdience de ClŽment III n'empchent pas la croisade et, parmi les trois "Urbanistes", se trouve alors l'Žvque de Constance qui rgne sur un immense diocse, des Alpes souabes aux Alpes pennines.

La guerre du Sacerdoce et de l'Empire est aussi une guerre au sein de l'empire : le duc de Souabe fut Žlu antiroi par les ennemis d'Henri IV ; le duc de Bavire a soutenu Urbain ; Conrad, le fils de l'empereur, forcera son pre ˆ abdiquer et le jettera dans un donjon...Mme si les Žvques n'excitent pas au dŽpart ; mme si la confusion gŽnŽrale occupe suffisamment nobles et chevaliers germaniques, certains d'entre eux s'assemblent avec du menu peuple et partent. Et aussi les "Lorrains" dont l'historiographie nationaliste fera des Belges ou des Franais, oubliant qu'ils sont dans l'empire. Ils rŽcupreront et intŽgreront ˆ Constantinople les restes des expŽditions informelles.

b) Question externe : logique des ŽvŽnements

On l'a vu : pour des raisons ˆ la fois personnelles, conjoncturelles et structurelles, Saint-Gilles Žchoue ˆ prendre le leadership. A Antioche, le gŽnŽralat d'Etienne de Blois est honorifique et quoique BohŽmond domine la scne militaire, il ne commande pas. Coordonner les armŽes de princes indŽpendants se heurte ˆ la gouvernance fŽodale (conseils) et ˆ la singularitŽ d'expŽditions qui, au mieux, cohabitent et, au pis, rivalisent. En dehors de quelques batailles bien organisŽes en tranches, l'action commune sera toujours problŽmatique. Quand elle est le plus nŽcessaire (Antioche), Courteheuse quitte le sige pour en Žviter les duretŽs. Etienne de Blois aussi, puis s'en va. De mme Hugues de Vermandois. Avec eux, ce sont des hommes qui partent.

A la fin, aprs JŽrusalem, le plus grand nombre des survivants rentrera en Europe, qui par terre, qui par mer, riches, moins de ressources matŽrielles que d'un capital symbolique de valeur inestimable : la gloire personnelle et les reliques qu'ils transformeront en espces et en influence. Restent en Orient ceux qui ont fait leur trou (les "Lorrains" de JŽrusalem et d'Edesse, les "Normands" d'Antioche) ou qui s'obstinent ˆ en chercher un (Saint-Gilles). Le dramatique problme des renforts (une dimension du dŽficit dŽmographique) est inscrit dans les modalitŽs de la conqute : des bandes sont venues et reparties. Paradoxalement, les "dindons de la farce", ce sont les gagnants apparents, ceux qui, avec des moyens insuffisants, s'accrochent.

Les bandes de 1096/97 n'ont jamais fusionnŽ. Ekkehard Žcrit firement : uno omnes Christo rege, sed singulis singulae gentes procuratae ducibus (RHC occ 5:16). Mais "unitŽ dans la diversitŽ" se lit aussi dans l'autre sens : diversitŽ rŽelle dans l'unitŽ fictionnelle. Ces bandes, grosso modo semblables, restent parallles. La distance entre elles varie selon les circonstances sans jamais dispara”tre car les systmes relationnels qui, tant mal que bien, organisent leur (relative) cohŽsion interne ne sont pas transfŽrables. Quand bien mme Robert de Normandie ou Etienne de Blois auraient eu plus de dŽtermination, il aurait fallu ˆ l'un ou ˆ l'autre d'immenses efforts pour essayer de fŽdŽrer les comtes du Nord. Et aurait-il rŽussi (au moins temporairement), le no bridge avec les "Provenaux" ne pouvait pas tre comblŽ. Il n'y a pas, en ce temps, de possibilitŽ d'armŽe unifiŽe, seulement des coalitions instables de bandes personnelles, comme le fut l' "armŽe" de la conqute de l'Angleterre.

En l'absence de force centripte endogne, les pressions extŽrieures auraient-elles pu malaxer et conglomŽrer les bandes de bandes arrivŽs en Orient ?

Le premier de ces facteurs exognes est "gŽopolitique" : l'empereur de Constantinople. Dans la mesure o subsistent chez les Grecs des formes "Žtatiques", en se subordonnant les expŽditions, ils les auraient "dŽfŽodalisŽes", au moins en partie.

Le second est militaire : la destruction crŽatrice rŽsultant des combats. En tuant ou ruinant les chefs, en en dŽtachant leurs hommes, en brisant le systme relationnel, la guerre et les exigences de la survie auraient pu imposer une recomposition autour du big man survivant ou d'un hŽros rŽvŽlŽ.

i) l'empereur

Pour libŽrer JŽrusalem, il faut y aller. La grande route de mer par Gibraltar sera prise par ces Anglais et autres Scandinaves dont nous ne savons rien. Celle de la MŽditerranŽe orientale, empruntŽe par les expŽditions de renfort gŽnoise ou pisane, reste encore impraticable par des armŽes terriennes qui ont dŽjˆ bien du mal ˆ traverser 200 kms d'Adriatique entre Bari et Durazzo. Les Occidentaux ne disposent pas des grands navires de transport qu'utilise Byzance.

Les expŽditions prennent l'une des deux routes historiques du plerinage ˆ JŽrusalem, celle des vallŽes du Rhin et du Danube (Lorrains, RhŽnans, Souabes...) [83] ou la via Egnatia ˆ partir de la place stratŽgique byzantine de Durazzo (Normands, Blaisois, Picards, Provenaux...) que BohŽmond, pas encore en paix avec l'empereur, Žvite en dŽbarquant plus au sud. Saint-Gilles dont l'armŽe est trop nombreuse pour passer la mer, contourne l'Adriatique par terre au prix d'une longue et difficile traversŽe des montagnes. Pour des raisons diffŽrentes, ces deux mettront six mois quand trois ou quatre suffisent aux autres.

La route de terre doit franchir l'Hellespont ˆ Constantinople avec l'aide des Grecs et de leurs bateaux. Aussi est-ce lˆ que les troupes se regroupent avant d'affronter les Turcs. Outre la gŽographie, la religion et le prestige d'Alexis rendent cette Žtape obligatoire. Dans la traversŽe de l'empire, toutes les expŽditions oscillent entre marchŽs et pillage. Pour que tout se passe bien, il faut que les Occidentaux aient de l'argent pour acheter, les Orientaux du ravitaillement ˆ vendre, et que les uns et les autres veuillent jouer le jeu. Pas toujours bien contr™lŽs par des chefs pas toujours scrupuleux, les deux c™tŽs se frottent plus ou moins gravement : s'il n'y a pas encore de suspicion rŽciproque et s'il ne faut pas exagŽrer les diffŽrences "culturelles", la peur et le besoin crŽent des antagonismes.

C'est au terme de cette prŽparation au conflit que les barons rencontrent Alexis les uns aprs les autres, partageant cette expŽrience frustrante. Alexis, prudent, ne les laisse pas franchir en masse les remparts, il les fait camper ˆ l'extŽrieur et, alternant cadeaux et pressions sur le ravitaillement, cherche un accord rapide pour les expŽdier de l'autre c™tŽ du Bosphore attendre l'arrivŽe des suivants. Inversement, les comtes Ñdont il ne faut pas nŽgliger l'Žmerveillement devant ConstantinopleÑ cherchent ˆ attendre lˆ les suivants pour renforcer leur pression militaire.

Essayons d'imaginer la position d'Alexis autrement qu'en suivant la tardive et partiale Anne Comnne. Tout aussi chrŽtien que les Occidentaux, il ne partage pas leur enthousiasme pour JŽrusalem : stratŽgiquement, cette pŽriphŽrie frontire ne compte pas pour l'Empire, au regard de l'Asie mineure, particulirement la c™te ŽgŽenne et la Syrie d'Antioche ; religieusement, voilˆ longtemps que Constantinople est la nouvelle JŽrusalem et a, pour les Grecs, remplacŽ l'ancienne au centre du monde. NŽanmoins, de Constantinople ˆ Antioche, Occidentaux et Orientaux peuvent tre "compagnons de route". Alexis a une grande et longue habitude des guerriers occidentaux, alternativement comme ennemis ou comme alliŽs (par exemple, Roussel de Bailleul). Pourquoi n'appliquerait-il pas aux "croisŽs" les mŽthodes qui ont fait leur preuve ?

Pour se les "allier", il cherche ˆ acheter leur fidŽlitŽ en les couvrant de dons. Outre la manifestation de la splendeur impŽriale, ces "cadeaux" considŽrables renflouent les barons et lient ceux qui les acceptent. La t‰che d'Alexis est facilitŽe par le fait que les diffŽrentes vagues arrivent successivement : l'Ermite et Gautier Sans-Avoir ˆ l'ŽtŽ 96, Hugues en novembre, Godefroy et Robert de Flandres (indŽpendamment) en dŽcembre, BohŽmond dŽbut avril 97, Saint-Gilles fin avril, Courteheuse et Etienne de Blois en mai (ils ont joyeusement passŽ l'hiver en Italie normande). Alexis parvient ˆ Žviter leur regroupement. De leur c™tŽ, les comtes, conscients de la longueur de la route et des difficultŽs ˆ venir, demandent le soutien logistique (marine, ravitaillement, machines de guerre) et militaire de l'empereur.

Aprs de confuses nŽgociations ˆ double embrouille, souvent tendues, c'est, paradoxalement, Alexis qui assemble les Francs pour la premire fois en leur faisant faire le sige de NicŽe avec les Grecs dont les bateaux bloquent le lac et dont les machines permettent la prise de la ville. Alexis la soustrait au pillage et les grandes richesses qu'il distribue n'empchent pas ses "alliŽs" de se sentir frustrŽs.

A ce point, Alexis fait un choix stratŽgique bien comprŽhensible en termes de rendement/risque : viser un succs proche et plausible plut™t que lointain et incertain. Il dŽcide d'exploiter la prise de NicŽe pour reconquŽrir les rives et les ”les de l'EgŽe (Doukas) au lieu de mettre toutes ses forces avec les Francs, auxquels toutefois il adjoint l'armŽe de Tatikios Ñun grand gŽnŽral de l'EmpireÑ, assistŽ d'une force navale. L'improbable victoire de DorylŽe permet aux Francs d'arriver (ˆ grand peine) ˆ Antioche o ils mettent le sige. En fŽvrier 98, le dŽpart de Tatikios et de ses hommes (BohŽmond ?) puis, le demi-tour d'Alexis dŽjˆ arrivŽ ˆ quelques centaines de kilomtres d'Antioche (Etienne de Blois, Philomelium, juin) laissent les Francs ˆ eux-mmes.

ii) la guerre

Quoique les batailles rangŽes demandent ponctuellement un minimum de coordination et d'action collective, lorsqu'il est assurŽ, il ne dure pas plus longtemps que le combat. Seule la pression continue d'un environnement hostile pourrait produire des effets d'auto-organisation. La dŽsunion des Turcs Ñle seul vrai miracle de cette "croisade" !Ñ, permet ˆ une partie des Occidentaux de survivre et de rŽussir, tels qu'ils sont, sans les forcer ˆ se restructurer.

Antioche, ce moment crisique du voyage, loin d'tre le creuset dans lequel se fondraient les armŽes, aggrave les tendances centrifuges.

Enorme ville ŽnormŽment fortifiŽe, abondamment approvisionnŽe et fortement dŽfendue, Antioche Žtait imprenable. D'octobre 1097 ˆ juin 1098, pendant six mois incluant un hiver rude, les diffŽrentes armŽes s'Žpuisent ˆ bloquer les portes, ˆ contrer les sorties, ˆ empcher le ravitaillement et ˆ se ravitailler elles-mmes. Plut™t que du sige d'Antioche, il faudrait parler de siges parallles et concurrents. C'est BohŽmond qui gagne : les autres Grands malades ou peu actifs, Antioche est son triomphe. On le sait, la ville prise par trahison [84], les armŽes se heurteront ˆ la citadelle et se feront elles-mmes assiŽger par Kerbogha. L'exacerbation des difficultŽs dŽcompose l'armŽe : dŽsunion avec les Byzantins (Tatikios, Philomelium), guerre ouverte entre BohŽmond et Saint-Gilles, paupŽrisation des sires, dŽgradation des milites et militarisation des non combattants, famine et ŽpidŽmie, morts et abandons innombrables. La troupe qui finira par prendre son dŽpart pour JŽrusalem sera trs diffŽrente de celle qui avait atteint Antioche (France, 1970).

ArrivŽes en mauvais Žtat aprs avoir perdu beaucoup d'hommes, de chevaux et d'Žquipement, les armŽes se refont d'abord puis, les ressources locales ŽpuisŽes et l'hiver venant, se dŽlitent. Maints equites se transforment en pedites, faute de montures. Les dŽsertions se multiplient pendant l'hiver et pendant le deuxime sige (rope-dancers). Courteheuse se met ˆ l'abri ˆ LattaquiŽ, emportant tout ou partie de ses hommes. Etienne de Blois fait de mme ˆ Alexandrette. Hugues de Vermandois dispara”t. De nombreux sires, ˆ prŽsent ruinŽs et dŽmunis, ne peuvent plus entretenir leurs hommes qui cherchent d'autres seigneurs : une recomposition du systme relationnel s'opre. S'il est  abusif de la qualifier de "dŽfŽodalisation", d'anciens rapports se dŽnouent, faute d'tre validŽs. Une redistribution des hommes s'opre au profit des sires et des comtes qui ont encore des ressources. Au niveau des Grands, en bŽnŽficient surtout Bouillon et Saint-Gilles.

Le premier est le seul ˆ  s'appuyer sur un arrire-pays : son frre Baudoin envoie d'Edesse ravitaillement, argent, hommes et chevaux, qui permettent ˆ Godefroy de reconstituer et d'augmenter son armŽe.

Le second, gr‰ce ˆ son TrŽsor inŽpuisable, sera sur le point de transformer la nature de l'armŽe. Ayant rompu avec BohŽmond, ˆ la confŽrence de Rugia (Chastel-Rouge, 4 jan 1099), il propose aux autres "chefs" de les acheter pour constituer l'armŽe de JŽrusalem : au duc /de Lorraine/ dix mille sous, autant au comte Robert de Normandie, six mille au comte de Flandre, cinq mille ˆ Tancrde et aux autres princes, tant qu'ils Žtaient (Raymond d'Aguilers, Guizot T 21: 311) [85]. Notons l'intŽressante cote de Bouillon, et soulignons la dŽmarche : Raymond, incapable de s'imposer comme grand chef dans le cadre confŽdŽral de l'expŽdition, le tente en tant qu'entrepreneur de guerre (JŽrusalem). Il Žchoue ˆ nouveau. Seuls Tancrde et Robert de Normandie acceptent. Si, in fine, Godefroy et Robert de Flandres se joignent ˆ la marche sur JŽrusalem, ce sera de manire indŽpendante et rŽticente.

Examinons l'armŽe de JŽrusalem. Une fois Antioche prise et sauvŽe de Kerbogha (juin 1098), tout s'est arrtŽ. Les comtes, pris au pige de leur succs, ambitionnent des conqutes en Syrie. On comprend que, aprs des mois de souffrance, les hommes et les btes doivent se reconstituer et qu'il faut laisser passer l'ŽtŽ avant de se lancer dans la phase finale (JŽrusalem). Mais, ˆ l'automne 98, Saint-Gilles et BohŽmond se disputent encore Antioche, chaque chef rivalise avec les autres et s'emploie ˆ faire son trou. On a failli en rester lˆ. Cela aurait ŽtŽ dŽjˆ un beau succs : les ChrŽtiens d'Orient libŽrŽs, Antioche conquise, la Syrie et la Cilicie ˆ prendre. Mais ce triomphe n'aurait pas ŽtŽ la "premire croisade". Mme si, stratŽgiquement, Antioche comptait infiniment plus que JŽrusalem et si c'Žtait le premier sige de St Pierre, c'est JŽrusalem qui, dans l'imaginaire occidental, fera la croisade. On en Žtait loin ˆ l'automne 1098. 

Il faudra le soulvement de ses "pauvres" pour obliger Saint-Gilles ˆ prendre la route de JŽrusalem [86]. Ds le dŽpart, son groupe comptait beaucoup de "pauvres" et la redistribution des hommes a augmentŽ leur effectif : une partie des "pauvres" des autres groupes l'a rejoint pour trouver sa subsistance ; d'autre part, la pŽnurie d'hommes a militarisŽ les non combattants, renforant le pouvoir des mediocres dont la rŽvolte finira par ouvrir la route de JŽrusalem en janvier 1099. Cette rŽticente dŽcision ne rŽsulte pas seulement de la pression morale et de l'action du lobby mystique (BartholomŽ) auxquels cŽderait le pieux Raymond : les "pauvres" sont devenus militairement indispensables, une main d'Ïuvre dont Saint-Gilles a besoin pour prendre et tenir ses conqutes syriennes. La destruction par les "pauvres" des murailles de Marra fra”chement conquise est ˆ la fois un symbole et une insurrection.

Mais, s'ils imposent l'expŽdition ˆ JŽrusalem, ils ne suffisent pas pour l'entreprendre. Saint-Gilles est coincŽ, ce qui donne une idŽe des pertes et des fuites qu'a subies son armŽe. Il lui faut des chevaliers. Ceux de ses alliŽs, Tancrde et Robert de Normandie, ne sont pas assez nombreux. Saint-Gilles supplie, achte, trompe, Godefroy et Robert de Flandres pour les arracher ˆ l'attraction syrienne et les mettre en route ˆ c™tŽ de lui, sinon avec lui.

BohŽmond et ses hommes, eux, restent ˆ Antioche. Baudoin et les siens ˆ Edesse. Ce sont ceux qui n'ont rien trouvŽ ˆ prendre qui partent. Encore Raymond essaiera-t-il de ramasser quelque chose et perdra trois mois devant Arqa (France, 1970). Ainsi, c'est presque ˆ reculons que les laissŽs-pour-compte arrivent ˆ JŽrusalem, rŽcemment prise aux "Turcs" par le vizir fatimide d'Egypte [87]. Ils auraient sans doute ŽchouŽ devant les prŽcipices et les remparts de la ville sans l'arrivŽe providentielle d'une flotte gŽnoise dont les talents et les matŽriaux permettent de construire les machines de sige. Et aprs, Saint-Gilles, ŽvincŽ, continue ses manÏuvres (Tour de David, Ascalon).

RŽcapitulons. Des bandes disjointes que ne tiennent ensemble de temps ˆ autres que des "contrats d'objectifs" flous et passagers alternent parallŽlisme et antagonisme. L'Eldorado syrien les divise et les sŽpare.  Mais une fois JŽrusalem conquise et "purifiŽe" par un bain de sang (15 Juillet 1099), l'ŽnormitŽ du miracle recouvre tout, lui donne son but et, comme un duel judiciaire, atteste et impose la volontŽ de Dieu. Cette apothŽose exerce un transformative role : fusionnent dans la reprŽsentation ces armŽes qui dans la rŽalitŽ ne se sont jamais agglomŽrŽes. Si le mot "croisade" n'existe pas encore, la chose qu'il dŽsignera na”t, en Europe, de la libŽration de la ville sainte.

Conclusion: unification ex post

Une fois JŽrusalem libŽrŽe et Godefroy sanctifiŽ, une fois ce succs devenu mythique par l'Žchec de toutes les expŽditions ultŽrieures, la lŽgende inverse l'importance relative des forces centriptes et centrifuges, radicalise la coupure entre "nous" et "eux" et cŽlbre une expŽdition de l'Occident : les dissensions deviennent de malheureuses pŽripŽties (ou des punitions divines) alors que, nous l'avons vu, elles sont constitutives. Voilˆ le mŽtaconcept dont nous hŽritons.

JŽrusalem, superlatif du sacrŽ, pole cosmogonique (nombril du monde) et eschatologique, symbolise la RŽdemption. Ici, selon une tradition apocalyptique qui, sous une forme simpliste ou sophistiquŽe, est largement rŽpandue, le dernier empereur [88] dŽposera sa couronne et son ‰me, mettant fin ˆ tout pouvoir terrestre. Ce sera alors le rgne de l'AntŽchrist, puis le retour du Christ, la fin des temps et la bŽatitude Žternelle.

En 1099, la ChrŽtientŽ libre JŽrusalem de quatre sicles de "captivitŽ" et, par miracle, redŽcouvre la "vraie croix". DŽjˆ, la restauration de 630 avait valu ˆ HŽraclius d'tre qualifiŽ de sauveur du monde, nouveau Constantin, nouvel Alexandre, nouveau David [89]. Mais l'exploit des Occidentaux le surpasse : il n'est pas l'Ïuvre d'un roi mais directement de "Dieu". De plus, le rgne des Perses n'avait durŽ que vingt ans et, Žtrangers ˆ la Bible, ils s'Žtaient bornŽs au nŽgatif : terrifier et dŽfier les ChrŽtiens, profaner et ruiner les choses sacrŽes de JŽrusalem [90]. Les Musulmans, aprs 638, allrent beaucoup plus loin : non seulement ils gardrent JŽrusalem quatre cents ans, mais ils se l'approprirent religieusement et, par leur programme de construction (D™me du Rocher) la resacralisrent ˆ leur profit [91]. D'o, en 1099, le paroxysme de violence purificatrice cŽlŽbrŽ par des chroniqueurs qui s'inspirent davantage de la Bible que des faits [92].

La libŽration de JŽrusalem reprŽsente, Žcrit Robert le moine, la plus grande merveille aprs la crŽation du monde et le mystre de la croix [93]. Rien de moins. Les portes du millenium s'ouvrent. Il nous est difficile aujourd'hui d'imaginer cela et mme de trouver des points de comparaison : peut-tre la prise de Berlin en 1945 a-t-elle pu, un instant, pour certains, avoir une signification du mme type.

Ainsi, des bandes de hasard ont, par accident, remis le monde chrŽtien sur son axe. Dieu seul pouvait faire cela. La plupart des chroniqueurs ont vu de leurs yeux les armŽes de chevaliers blancs qu'Il a envoyŽs ˆ leur secours et les miracles innombrables qu'Il a opŽrŽs : gesta Dei per Francos. Que Dieu boude les immŽdiates expŽditions complŽmentaires de 1100 et 1101 prouve, a contrario, le caractre extraordinaire de 1099.

Nos "sources contemporaines" ne sont rien d'autre que le narratif de cette ŽpopŽe, un real-life epic, une chanson de geste en forme de reportage. "Les n™tres" ont souffert des ruses des Grecs, des nuŽes turques, de la faim, de la soif, du climat, des disputes. Ils ont souffert pour leurs pŽchŽs. A l'imitation du Christ, leur passion a achetŽ la rŽdemption de l'HumanitŽ. "Les ChrŽtiens", "les n™tres" (et de l'autre c™tŽ, "les Latins", "les Celtes", "les Francs"), cette Žtiquette met ensemble ce qui Žtait sŽparŽ, comme dans l'Iliade, les AchŽens, quoique perclus de rivalitŽs fatales, sont uns face aux Asiatiques.

IndŽpendamment de la dimension mystique qui ne nous impressionne plus, les "sources" ont piŽgŽ l'historiographie en produisant la reprŽsentation d'une armŽe de la ChrŽtientŽ, divisŽe mais une. Plut™t que de "chroniques de la croisade", il faudrait parler de "la croisade des chroniques" [94].

 

 

RŽfŽrences

Je regrette vivement de n'avoir accs qu'en traduction ˆ la littŽrature allemande, ce qui m'en fait ignorer la plus grande partie.

A part l'Žpisode Richard Lionheart qui a suscitŽ un dŽlire tardif, la faible participation anglaise aux Croisades successives a ŽvitŽ leur appropriation lorsque, au XIXe, chaque pays europŽen les a intŽgrŽes ˆ son roman national. Tout particulirement la France (Michaud, Rey, Madelin, Grousset) : ChrŽtiens d'Orient, MŽditerranŽe coloniale etc.

Sans souponner une espce de revanche dans l'explosion critique actuelle, l'historiographie anglo-saxonne rŽcente, en dŽconstruisant les vieux modles, ouvre de nouvelles perspectives.

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[1] Kempf, 2010 : le rŽcit, aussi simple, aussi "cru" soit-il (tout au moins en apparence), est toujours un discours (p 159).

Tyerman, 2011 : p 7 from the start the 1rst crusade was a literary construct...8 the earliest written histories of the 1st crusade are essays in interpretation, not mere recitations of events...from the start the hisoriography of crusading was conceived as a branch of theology...11 theology was dressed up as adventure - and vice versa...(ch1 Medieval views of the crusades).

L'analyse textuelle des "tŽmoignages" s'intŽresse aux "stratŽgies narratives" sous-jacentes (cf. note 90).

[2] Thatcher, 1905 : Gregory VII barely missed the honor of having begun the crusading movement. His plan is clear from the following letter. The situation in 1095 was not materially different from that in 1074, and it is probable that Urban II, when he called for a crusade, had nothing more in mind than Gregory VII had when he wrote this letter. Gregory was unable to carry out his plans because he became involved in the struggle with Henry IV.

Gregory, bishop, servant of the servants of God, to all who are willing to defend the Christian faith, greeting and apostolic benediction.

We hereby inform you that the bearer of this letter, on his recent return from across the sea [from Palestine], came to Rome to visit us. He repeated what we had heard from many others, that a pagan race had overcome the Christians and with horrible cruelty had devastated everything almost to the walls of Constantinople, and were now governing the conquered lands with tyrannical violence, and that they had slain many thousands of Christians as if they were but sheep. If we love God and wish to be recognized as Christians, we should be filled with grief at the misfortune of this great empire [the Greek] and the murder of so many Christians. But simply to grieve is not our whole duty. The example of our Redeemer and the bond of fraternal love demand that we should lay down our lives to liberate them. "Because he has laid down his life for us: and we ought to lay down our lives for the brethren," [1 John 3:16]. Know, therefore, that we are trusting in the mercy of God and in the power of his might and that we are striving in all possible ways and making preparations to render aid to the Christian empire [the Greek] as quickly as possible. Therefore we beseech you by the faith in which you are united through Christ in the adoption of the sons of God, and by the authority of St. Peter, prince of apostles, we admonish you that you be moved to proper compassion by the wounds and blood of your brethren and the danger of the aforesaid empire and that, for the sake of Christ, you undertake the difficult task of bearing aid to your brethren [the Greeks]. Send messengers to us at once inform us of what God may inspire you to do in this matter.

In Migne, Patrologia Latina, 148:329, trans. Oliver J. Thatcher, and Edgar Holmes McNeal, eds., A Source Book for Medieval History, (New York: Scribners, 1905), 512-13.

[3] Et mme d'y trouver un programme complet des croisades ˆ venir, une dŽmarche que Chevedden, 2013, qualifie de crŽationnist : The essence of Crusade creationism is that crusading was created functionally complete from the beginning. It did not develop by historical processes but was ÒcreatedÓ or Òinvented by Pope Urban II in 1095Ó (p 1).

 Si la critique du Clermont paradigm a l'immense et rare intŽrt d'historiciser la premire croisade en remplaant l'apothŽose du concept par un processus Žvolutif, je reste sceptique ˆ l'Žgard de l'objectif "gŽopolitique" que Chevedden prte ˆ la papautŽ du XIe sicle : l'offensive pour libŽrer l'Eglise d'un Islam affaibli (Sicile, Espagne, Palestine) au cours de laquelle la "croisade" reoit ses attributs. InterprŽtant extensivement translatio imperii ("changement de pouvoir"), l'auteur fait de ces guerres (saintes par leurs rŽsultats, davantage que par l'intention de leur promoteur) la dimension extŽrieure de la RŽforme, liŽ ˆ l'intŽrieure (empire germanique) par le soutien rŽciproque de la papautŽ et des princes Žmergents (Robert en Sicile, le Cid en Andalousie...). Dans cette acception dynamique, l'expŽdition en Orient vise ad liberandam ecclesiam et, par le fait mme, ˆ rŽunir les Eglises d'Orient et d'Occident (cf. Krey, 1948) : une  Òtheology of deedsÓ !

La meilleure formulation de sa thse se trouve dans Chevedden, 2015. Voir aussi : Chevedden, 2005.

[4] DeLong, 2010 : Munro [1906, ÒThe Speech of Pope Urban II at Clermont", In: The American Historical Review, 11 (2): 231-242.] uses a consensus of his sources to establish what he considers what was Ôactually saidÕ at Clermont. However, Munro does not address at any length the fact that even the earliest possible date for the earliest of the accounts (that of Fulchre of Chartres) leaves a gap of five years between this miraculous speech and the first known recording of this speech. During this five year span, the journey to the Holy Land had led to the conquest of Jerusalem in 1099, one year before FulchreÕs writing.

L'A. poursuit : This time gap leaves scholars with two questions: Why not record the speech in 1095, and why record it in the period in which the four ÔauthoritativeÕ redactors worked, the period after the victory of the First Crusade, and a time when there was little immediate need for crusaders... The monastic redactors were seeking to recreate the event at Clermont from the perspective of a perceived Ôeschatological conclusion. Less important, then, to all of these writers is what Urban II actually said; more important is what the speech came to signify. In these speeches, then, we can trace what the First Crusade itself came to mean after the fact [mon soulignement].

Cf. dans le mme sens : Krey, 1948 "UrbanÕs CrusadeÑSuccess or Failure".

[5] DeLong : Certainly having the First Crusade end in such success offered some impetus to record [re-envisioning the past] Clermont as prophetic. The enterprise was so new, so different for the mainstream knight (though authorization and support for it had been building in the Papacy for some time), that contemporaries might not have known quite what to make of it.

En outre, les rŽdacteurs initiaux cŽlbrent les miracles de la "1re croisade" pour susciter de nouveaux dŽparts qui viendront consolider une conqute fragile et menacŽe :

After the victory of the First Crusade, the newly established Latin Kingdom lacked a pressing religious impetus to draw new crusaders, but still needed to solidify their holdings from constant harryings from the Seljuks, Armenians and even Byzantine forces... Written as they were in the wake of the great success of the First Crusade, but in the chop of consolidating a realm while woefully undermanned for the task, the reconstructions of the Clermont address seem less interested in historical accuracy of that November afternoon than in calling forth a new audience, the readers of these histories, to take up the mantle of the First Crusaders, motivated by knightly virtues as much as, if not more than, religious ones...Each of the four redactors recreates in the Clermont address the imagined audience of knights awaiting just such a redemptive enterprise and promotes the crusade along lines that secular martial masculinity would clearly have recognized as its own familiar province: inheritance, patrimony, family, and honor.

[6] Cf. Flori, 1995.

Aux marges de la zone Urbaniste, Albert d'Aix magnifie Pierre l'Ermite : alors qu'il pŽlerinait ˆ JŽrusalem, l'Ermite a entendu l'appel de Dieu. Il est, non seulement le prŽcurseur, mais le moteur de la "croisade" et son principal effecteur. Le pape coopre avec lui en apportant la sanction de son autoritŽ. Certes, les historiens doutent d'Albert, longtemps suspectŽ, parfois rŽhabilitŽ. Mais il est intŽressant que cette version soit reprise par le savant Guillaume de Tyr (et par tous les historiens ˆ sa suite, jusqu'ˆ ce qu'Hagenmeyer exŽcute l'Ermite en 1879). Puisque pour cette pŽriode, Guillaume Žcrit par ou•-dire, on peut penser que telle Žtait la lŽgende : Pierre, missionnŽ par JŽrusalem (les chrŽtiens, le patriarche, le Christ), convainc et mobilise le pape, les rois et l'Europe. L'Ermite est le pre de la "croisade".

Housley, 2006, p 44 remarque : By the far the most volatile reputation has been that of none of the maiores but of a mere hermit, Peter of Amiens...E.O. Blake and C. Morris...suggested that the sources referring to Peter's role in initiating the Crusade constituted too strong a group to be easily set aside.

Le rŽcit de Guillaume est centrŽ sur JŽrusalem et sur Pierre l'Ermite. Le pape fugitif soutient l'Ermite qui, lui, soulve et mobilise l'Europe. Le discours de Clermont que Guillaume prte ˆ Urbain est centrŽ sur JŽrusalem dans un ton apocalyptique (monde ˆ l'envers, lois divines et humaines bafouŽes, comtes et tremblements de terre...). JŽrusalem est l'hŽritage du Christ auquel il faut le rendre. L'empereur grec trop affaibli, il faut appeler l'Occident au secours. Donnons quelques extraits (Guizot, T. 16) :

Au temps donc o la ville agrŽable ˆ Dieu Žtait, comme je lÕai dit, en proie ˆ tant de souffrances, parmi ceux qui allaient accomplir lÕÏuvre de la dŽvotion et de la prire, en visitant les lieux saints, un prtre nommŽ Pierre, nŽ dans le royaume des Francs et dans lՎvchŽ dÕAmiens, ermite autant de fait que de nom, attirŽ par la mme ardeur, arriva ˆ JŽrusalem...Comme il apprit aussi que le patriarche /grec/ de JŽrusalem Žtait un homme religieux et plein de la crainte du Seigneur, il dŽsira confŽrer avec lui de lԎtat prŽsent des affaires.../le patriarche/ lui exposa en dŽtail tous les maux qui affligeaient profondŽment le peuple de Dieu, habitant de la CitŽ Sainte... 29-30... Pierre lui rŽpondit : "Apprenez, saint pre, que si lՃglise romaine et les princes dÕOccident Žtaient instruits par un homme actif et digne de foi de toutes vos calamitŽs, il est hors de doute quÕils tenteraient dÕy apporter remde autant par leurs paroles que par leurs Ïuvres. ƒcrivez donc au plut™t au seigneur pape et ˆ lՃglise romaine, aux rois et aux princes de lÕOccident...avec lÕaide du Seigneur, je suis tout prt ˆ les aller trouver tous, ˆ les solliciter, ˆ leur reprŽsenter avec le plus grand zle lÕimmensitŽ de vos maux, et ˆ les prier chacun de h‰ter lՎpoque de votre soulagement" p 31-32.../Plus tard, Pierre/ entra dans lՎglise de la Sainte-RŽsurrection. La nuit Žtant survenue, fatiguŽ de ses oraisons et de ses longues veilles, et vaincu par cette fatigue, il sՎtendit sur le pavŽ, pour sÕabandonner au sommeil qui lÕaccablait. Lorsque son assoupissement fut parvenu au plus haut degrŽ..., il lui sembla que Notre-Seigneur JŽsus-Christ Žtait comme placŽ devant lui et lui donnait la mme mission...p 33

Aprs Victor, qui nÕoccupa le sige que deux mois, il /GrŽgoire/ eut pour successeur Urbain, qui, pour Žchapper ˆ la fureur de Henri, successeur de lÕautre Henri, et persŽvŽrant dans les mmes voies, vŽcut aussi cachŽ dans des lieux forts, au milieu de ses fidles, sans trouver nulle part un asile parfaitement sžr. Ce fut au sein mme de ces adversitŽs quÕil reut et traita avec bontŽ Pierre lÕermite, lorsque celui-ci vint sÕacquitter de sa mission : il lui promit au nom du Verbe, dont il Žtait lÕappui, de se montrer, au temps nŽcessaire, coopŽrateur fidle de son dessein. Pierre, embrasŽ du zle divin, parcourt toute lÔItalie, franchit les Alpes, visite successivement tous les princes de lÕOccident, se transporte en tous lieux, presse, gourmande, insiste...Il juge mme quÕil ne suffit pas de porter ses avertissements chez les princes, et quÕil convient de faire entendre les mmes exhortations aux peuples et ˆ tous les hommes de condition infŽrieure. Pieux Solliciteur, il parcourt tous les pays, visite tous les royaumes...Remplissant les fonctions de prŽcurseur, il prŽpara les esprits de ses auditeurs ˆ lÕobŽissance...p 36-37

LÕan mil quatre-vingt-quinzime de lÕincarnation de Notre-Seigneur...le seigneur pape Urbain, voyant que la mŽchancetŽ des hommes avait dŽpassŽ toute borne, que tout ordre Žtait renversŽ, et que toutes choses ne tendaient plus quÕau mal...quitta lÕItalie pour fuir le courroux de lÕempereur, traversa les Alpes et entra dans le royaume des Francs. Il y reconnut, selon quÕil lÕavait dŽjˆ entendu dire, que toutes les lois divines Žtaient foulŽes aux pieds... p 37

/A Clermont/ Aprs avoir, de lÕavis des prŽlats et des hommes craignant Dieu, arrtŽ les dŽcisions qui paraissaient les plus propres ˆ relever lՃglise chancelante, et promulguŽ les canons qui furent jugŽs les plus utiles pour lՎdification des mÏurs, pour la rŽforme des Žnormes dŽlits, et surtout pour le rŽtablissement de la paix, qui semblait disparue de ce monde, comme le disait Pierre lÕermite, toujours zŽlŽ pour lÕaccomplissement de son Ïuvre, le seigneur Urbain adressa une exhortation au concile assemblŽ...

...Non seulement ceux qui Žcoutaient Pierre, animŽs dÕun zle nouveau, prŽparaient leurs armes pour accomplir les desseins quÕil leur inspirait, mais encore lÕeffet de ses discours se propageait au loin et les absents Žprouvaient aussi un ardent dŽsir de satisfaire aux mmes vÏux. De leur c™tŽ les Žvques se montraient, conformŽment au mandat quÕils avaient reu, fidles CoopŽrateurs des mmes Ïuvres; ils invitaient les peuples ˆ suivre les voies qui leur Žtaient ouvertes... p 45-46.

[7] Preuve de la prŽcaritŽ de la position d'Urbain, ses actes ont ŽtŽ dŽtruits par son challenger, ClŽment III.

Riant, 1881 : Je dois cependant, au sujet de ce concile /Plaisance/ et une fois pour toutes,  faire ici une remarque qui s'appliquera ˆ tous ceux qu'Urbain II a  tenus en 1095-1097; les actes d'Urbain II furent bržlŽs avec les six dernires annŽes des registres pontificaux, par l'antipape Guibert, au conventicule de Rome, en aožt 1098, et que par consŽquent, on ne peut rien affirmer de prŽcis ˆ leur endroit (Riant, 1881, "Inventaire critique des lettres historiques de croisades - 1¡ partie", Archives de l'Orient Latin, n¡1, p 108).

Nous n'avons que des copies d'une lettre ˆ l'abbaye de Vallombrosa (Cremona, Oct. 1096), une lettre ˆ la ville de Bologne (sept. 96) et la fameuse lettre aux Flamands dont Strack, 2016 conteste l'interprŽtation : the text /letter to the Flemings/ ... was probably issued on the popeÕs own initiative. This would be remarkable, because neither the canon of Clermont was cited, nor was Jerusalem mentioned explicitly. In contrast, the letters to Vallombrosa and Bologna were written on the request of petitioners who mentioned Jerusalem as aim of the expedition, not the pope. In sum, all three letters indicate that Jerusalem was originally not focus of UrbanÕs concept of the crusade.

Strack conclut :  It is, of course, impossible to explain with complete certainty what really happened in the years 1095/96 when the crusading movement developed. However, I would question the view that Urban II was very proactive in the issue of the crusade and that he argued in several letters for an expedition to Jerusalem.

[8] Quicumque pro sola devotione, non pro honoris vel pecunie adeptione, ad liberandam ecclesiam Dei Hierusalem profectus fuerit, iter illud pro omni penitentia ei reputetur. L'absence de recueil des canons de Clermont permet de douter du texte. Strack (2016) relativise la portŽe performative de la mention de JŽrusalem o il voit plut™t une restriction (pro sola devotione) qu'une incitation. Cf. aussi Chevedden, 2005.

[9] Erdmann (1935) fait exception, ce qui doit tre soulignŽ car on le crŽdite gŽnŽralement d'autre chose : avoir dŽfini un objet et construit un dŽbat conceptuel, sortant ainsi l'historiographie du factuel. Mais, en plus, il rompt avec la tradition forward qui, consciemment ou non, analyse la 1re croisade ˆ  la lumire des suivantes, et travaille backward ˆ faire de la 1re un aboutissement et non un point de dŽpart : Urban IIÕs crusade was not a beginning but the culmination of a long development (p 348). Poser le passŽ dans son propre passŽ, cette voie difficile, rarement explorŽe, devient de plus en plus tentante au fur et ˆ mesure que les historiens deviennent plus habiles et que les voies canoniques sont plus encombrŽes.

Pour Erdmann, GrŽgoire VII, se basant sur la rŽcente militarisation de la paix chrŽtienne (le pacifisme garde nŽanmoins des partisans), fusionne deux types de guerre : la popular crusade contre les pa•ens et la hierarchical crusade contre les hŽrŽtiques et excommuniŽs. GrŽgoire Žchoue : une partie de la ChrŽtientŽ refuse son innovation et le thme de la dŽfense de St Pierre ne devient jamais populaire. Le gŽnie d'Urbain serait de renoncer ˆ la dimension rejetŽe (milites Sancti Petri) en l'englobant dans une version large et consensuelle (milites Christi). Une telle adaptation aux possibilitŽs serait digne du rŽalisme d'Urbain.

[10] Tyerman, 1995 : In French, the verb croisier or croiser can be found at the time of the Third Crusade, as well as in the chroniclers of the Fourth Crusade, Robert of Clary and Geoffrey de Villehardouin. By extension, croisiŽ described those who had taken the cross (p 575)... However, it was only during and after the Third Crusade that the term 'crucesignatus' (and 'crucesignata') gained wide currency; and the initiative seems to have come from temporal authorities, not the papacy (p 576).

Tyerman prŽsente la "croisade", non comme la dŽclinaison d'un concept ou une invention, mais comme un working process : To put it crudely, we know there were crusaders: they did not; or, if they did, their perception was far from the canonically or juridically precise definition beloved of some late twentiethcentury scholars 555... The First Crusade was part of an old process of justifying wars against pagans and enemies of the pope in an atmosphere where war was a familiar, necessary burden, not an inevitably abhorrent evil...558 The central point is that there was little that was new. However, this continuation of earlier church attitudes and papal policy has been misinterpreted as being a consequence of the First Crusade or, at least, of the initiatives of the Gregorian papacy...565 During the Third Crusade, as in the First, the practice of crusading fashioned the institution, not vice versa... 572 Crusading was far from escapist; it was integrated into existing patterns of thought and behaviour, a reflection, not a rejection of social attitudes...573

[11] Housley (2006) reprend et discute la classification de l'historiographie rŽcente initiŽe par Constable, 2001 : traditionnalistes (guerre pour JŽrusalem), pluralistes (guerre sainte pŽnitentielle), populistes (popularists, transcendance eschatologique) et gŽnŽralistes (guerre papale). Cette catŽgorisation (et les problmes de classement qu'elle engendre) montre bien que l'approche dominante est trop conceptuelle et pas assez historique. Cf. aussi Flori, 2004, et Chevedden, 2013 et 2015.

[12] Le pape de Rome envoie Humbert ˆ Constantinople demander le secours de l'empereur contre les Normands d'Italie du sud, leur ennemi commun. Humbert, en mme temps qu'il tente de convaincre l'empereur, se heurte au patriarche, jusqu'ˆ leur fameuse excommunication rŽciproque (1054). Faute du soutien de l'empereur, le pape doit pactiser avec les Normands et donc devenir anti-byzantin, ce qui n'est pas sans avantage puisque les victoires normandes rendent ˆ Rome sa juridiction sur l'Italie du Sud et lui font espŽrer retrouver l'Illyricum.

Grumel, 1952, exprime le point de vue traditionnel : C'est le schisme, parce qu'aux motifs politiques dont l'incidence est variable et les blessures guŽrissables, Michel CŽrulaire a superposŽ des causes permanentes autrement graves et humainement indŽracinables. Profitant du climat d'hostilitŽ crŽŽ par un sicle de frictions et de luttes pour la domination en Italie mŽridionale, il a dressŽ comme une muraille entre les ƒglises des diffŽrences d'ordre thŽologique, liturgique, disciplinaire, et fait ainsi de ce qui n'Žtait qu'une sŽparation de caractre politique, un schisme proprement dit, c'est-ˆ-dire, une rupture de caractre ecclŽsiastique et religieux. La fougue d'Humbert, en voulant frapper le coupable, ne fit que servir son dessein : le coup atteignait l'Eglise dont l'unitŽ Žtait dŽsormais brisŽe, et la date de 1054 demeure ˆ bon droit celle du schisme, et le nom de CŽrulaire y est justement attachŽ.

Ce propos est trs exagŽrŽ et les historiens s'accordent aujourd'hui ˆ considŽrer que l'incident est passŽ inaperu. L'excommunication rŽciproque de deux bouillants prŽlats n'est pas la rupture entre les deux Eglises. Lorsqu'il en sera besoin, les auteurs byzantins ultŽrieurs iront chercher des arguments anti-latins chez CŽrulaire, comme lui-mme en avait pris ˆ Photius : la lettre de Michel CŽrulaire ˆ Pierre d'Antioche...dŽveloppe de manire assez dŽsordonnŽe et quelque peu pittoresque et populaire les griefs formulŽs par Photius; par lˆ il donne le ton ˆ une longue sŽrie d'opuscules...(Darrouzs, 1963). Il ne faut pas confondre tradition littŽraire et continuitŽ historique !

[13] Le schisme est constituŽ au XIIIe sicle, en partie comme sous-produit paradoxal des efforts d'union. Cf. Thomas d'Aquin, 1263, Contra errores Graecorum (adressŽ au pape Urbain IV en prŽparation du concile d'union qui se tiendra ˆ Lyon en 1274) : Chapitre 32 Ñ Le Pontife romain est le premier et le plus grand parmi tous les Žvques : LÕerreur de ceux qui prŽtendent que le vicaire de JŽsus-Christ, le Pontife de Rome, nÕa pas la primautŽ de lÕEglise universelle ressemble ˆ celle de ceux qui prŽtendent que le Saint Esprit ne procde point du Fils (Traduction Louis Vivs, 1857 vŽrifiŽe et corrigŽe par Charles Duyck, 2005).

[14] Thatcher Oliver J., McNeal Edgar Holmes, 1905, A Source Book for Mediaeval HistoryÑSelected Documents illustrating the History of Europe in the Middle Age :

€276. Forgiveness of Sins for Those who Die in Battle with the Heathen. Leo IV (847Ð55) to the Army of the Franks (Migne, 115, cols. 656, 657; and 161, col. 720) : Now we hope that none of you will be slain, but we wish you to know that the kingdom of heaven will be given as a reward to those who shall be killed in this war. For the Omnipotent knows that they lost their lives fighting for the truth of the faith, for the preservation of their country, and the defence of Christians. And therefore God will give them the reward which we have named.

€277. Indulgence for Fighting Heathen, 878 (Migne, 126, col. 816) : John II to the bishops in the realm of Louis II [the Stammerer]. You have modestly expressed a desire to know whether those who have recently died in war, fighting in defence of the church of God and for the preservation of the Christian religion and of the state, or those who may in the future fall in the same cause, may obtain indulgence for their sins. We confidently reply that those who, out of love to the Christian religion, shall die in battle fighting bravely against pagans or unbelievers, shall receive eternal life. For the Lord has said through his prophet: "In whatever hour a sinner shall be converted, I will remember his sins no longer." By the intercession of St. Peter, who has the power of binding and loosing in heaven and on the earth, we absolve, as far as is permissible, all such and commend them by our prayers to the Lord.

[15] Cowdrey : Amongst the most striking features of Gregory's exercise of the papal office is the frequency and the forcefulness with which he sought to recruit the laity of western Christendom, from kings and princes to the broad knightly classes, for one form of another of military service by placing their arms at the disposal of the apostolic see. Gregory set such service, in whatever form he claimed it, under the patronage of St Peter...Thus, service in pursuit of papal ends was a militia sancti Petri...(p 650) Such an endeavour to secure the availability of knights was both less and more than a plan to have available a kind of papal equivalent of the Varangian guard at Constantinople...Especially in his last years as pope, Gregory issued a clarion and general call to the service of St Peter to those knights who were willing to devote their arms to his immediate service...(651) Between 1077 and 1080, Gregory sought increasingly to inject into the warfare of a German kingdom divided between the claims of Henry IV and of Rudolf of Swabia the notion of a holy war in which whoever was on the side of righteousness had the guarantee of earthly victory; those who fought for it were guaranteed, through the apostles Peter and Paul whose warfare they were waging, both prosperity in this life and remission of sins and blessings in the life to come (652).

[16] Dans cette variante locale de l'affrontement pape/empereur, les Patarins insurgŽs sont bŽnis par Alexandre II puis GrŽgoire VII qui les voient conduire une guerre de Dieu (bellum Dei). Leur leader Erlembald sera considŽrŽ comme un martyr et quasiment canonisŽ.

[17] Ullman, 1955 : ... having taken the cross, they enjoyed the Libertas Romana...this process was in some ways only a specific extension of the principles which had been followed in the monastic sphere, namely the institution of the so-called papal proprietary monasteries...

[18] Housley, p 31 : Erdmann linked the crystallization of the idea of the Crusade firmly to the radical views and aims of the Church Reformers /vexilla S. Petri, militia S. Petri/...32 /he/ was convinced that pilgrinage to Jerusalem and the recovery of its shrines, played a merely instrumental part in the pope's thinking. It was an iconoclastic position to take up but he was uncompromising. "Jerusalem, to the pope, had been simply a recruiting device...his original and primary basis was the idea of an ecclesiastical-knightly war upon heathens..."Erdmann's views on Jerusalem were supported by HE Mayer /The Crusades/. Most other scholars, however, have parted company with him / pour Flori in La guerre sainte/...the Church readiness, at specific times, to sanctify combat can be traced back to the period preceding the advent of the reform papacy...Flori argued that the factor that turned holy war into crusade was the special status of Jerusalem (id 35)

If there is one thing on which students of the crusade's origins are agreed, it is that events east of the Adriactic played at best the role of catalyst...The origins of the 1rst Crusade lay in developments that took place within Catholic Christendom.

[19] BrŽhier, 1907, 65 : au moment o les plus grands souverains de l'Europe excommuniŽs /l'empereur Henri IV, les rois Philippe I et Guillaume le Roux/ s'isolaient dans leur abstention, le pape, qui avait rŽussi ˆ soulever les fidles, apparaissait comme le vŽritable chef de la chrŽtientŽ et son seul dŽfenseur contre les progrs de l'islam.

Idem Dawson, 1946, 150: it was the great Cluniac Pope, Urban II, who launched the first Crusade at a critical moment in the history of the struggle between the Papacy and the Empire, when the Emperor and the kings of France and England were all under sentence of excommunication and when, therefore, Christendom could not look to them for leadership.

[20] Foucher de Chartres (qui centre sa narration de Clermont sur la rŽforme de l'Eglise) fait le lien entre croisade et lutte des papes : Cependant Guibert, bouffi d'orgueil de se voir le prince de l'Eglise, se montrait un pape entirement favorable aux hommes dans l'erreur, exerait, quoiqu'illŽgitimement, les fonctions de l'apostolat sur ceux de son parti, et dŽcriait, comme vaines, les actions d'Urbain. Toutefois l'annŽe o les Francs, qui pour la premire fois se rendaient ˆ JŽrusalem, passrent par Rome, ce mme Urbain rentra dans l'entire jouissance de son pouvoir apostolique, avec l'aide d'une trs-noble matrone nommŽe Mathilde, qui dans ce temps exerait dans les Etats romains une grande influence. Guibert Žtait alors en Allemagne; ainsi donc deux papes ˆ la fois commandaient dans Rome ; et la plupart des gens ignoraient auquel des deux il fallait obŽir, duquel on devait prendre conseil, et lequel Žtait proposŽ pour porter remde aux maux de la chrŽtientŽ. Ceux-ci favorisaient l'un, ceux-lˆ tenaient pour l'autre. Il Žtait nŽanmoins Žvident aux yeux des hommes qu'on avait plus de bien ˆ attendre d'Urbain, comme du plus juste des deux (Guizot, T243, 12-13).

En 1903, Lucien Paulot, dans son ouvrage sur Urbain II qui est davantage une cŽlŽbration qu'une Žtude, Žcrit : Dociles ˆ la voix d'Urbain, les fils de l'ƒglise. s'Žtaient levŽs pour dŽfendre les droits de leur Mre. Aussi peut-on affirmer que l'un des rŽsultats les plus immŽdiats et non des moindres de la prŽdication et de l'exŽcution de la Croisade fut sans contredit la complte mise en Žchec de l'antipape Guibert. La croisade aurŽolait la PapautŽ lŽgitime d'un prestige universel. Ds Clermont, Guibert Žtait vaincu. Aussi comprend-on aisŽment l'attitude hostile des schismatiques vis-ˆ-vis des croisŽs, comme nous l'avons vu lors de leur premire entrŽe ˆ Rome. Ils sentaient bien que la croisade Žtait leur dŽfaite. Ce qui donna ˆ cette dŽconfiture un relief des plus saisissants, c'est que, ˆ la suite du concile de Rome et de la nouvelle prŽdication de la croisade, une expŽdition s'organisa ˆ la tte de laquelle marchait, apparemment sur la volontŽ d'Urbain II, Albert II, comte de Parme, le frre en personne de l'antipape. C'en Žtait assez pour empoisonner les derniers jours de Guibert...(p 502).

[21] Barraclough, 1992, 91 : Urban  II's pontificate was the turning-point in the struggle that had commenced in 1076...Coming to the throne at the lowest ebb of papal power...Driven from Italy, he found refuge in France...and from this basis he gradually and skilfully built up the standing of the papacy...The 1rst Crusade...assured the papacy a moral leadership. In this way Urban II's cool, resolute guidance grafually brought about a reversal in the position of the parties, while his diplomacy and tact recovered for the Church the sympathy which Gregory's intransigence had lost. Henry IV rather than the pope seemed now to be the obstinate, uncompromising party...L'A. souligne aussi le r™le d'Urbain dans la mise en place d'une organisation pontificale : ...an urgent need arose to adapt the machinery of government to the new circumstances. This occured under Urban II whose pontificate thus stands out as a decisive turning-point in papal history /curia etc/ p 94-95

[22] Sa rŽputation post life est plus remarquable que ses actions. Cf. Kostick, 2009.

BrŽhier Louis, In: Mgr Alfred Baudrillart, ed., 1912, Dictionnaire d'histoire et de gŽographie ecclŽsiastiques, Tome premier. fasc. 1-6 : AdhŽmar Žtait dŽjˆ devenu le hŽros d'une vŽritable lŽgende ; beaucoup de croisŽs avaient cru le voir appara”tre et on raconta qu'au moment de la prise de JŽrusalem, il Žtait montŽ le premier sur les remparts. Les chroniqueurs aiment ˆ le comparer ˆ Mo•se, parce qu'aprs avoir conduit le peuple chrŽtien, il n'a pu voir la Terre promise...On finit mme par lui attribuer l'initiative de la premire croisade qu'il aurait conseillŽe au pape ˆ la suite d'une vision d'un prtre de son diocse (cf. Caffaro)

Caffaro (ca 1155), Liberatio Orientis, RHC occ, T 5, p. 48-49 . Dans le texte de Caffaro, c'est toutefois le Puy, plus que son Žvque qui est le vecteur sacrŽ : douze hommes sont rŽunis ˆ l'Žglise Ste Marie et dŽlibrent des moyens d'aller en pŽlerinage ˆ JŽrusalem. L'ange Gabriel appara”t ˆ l'un d'eux et lui intime d'aller trouver l'Žvque pour qu'il actionne le pape afin de dŽlivrer JŽrusalem.

De son vivant, AdhŽmar n'est pas le seul ˆ avoir reu d'Urbain la licentia ligandi atque solvendi. L'ont aussi le chapelain du comte Etienne de Blois et celui du duc de Normandie, Arnoul de Choques, dit Malecouronne, qui succŽdera ˆ AdhŽmar et deviendra le premier patriarche latin de JŽrusalem. DŽpourvu du double prestige de prŽlat et baron, Arnoul ne jouit pas auprs des chroniqueurs de la cŽlŽbritŽ d'AdhŽmar. (Richard, 1960).

Hill & Hill, 1955, pour la premire fois dans l'historiographie, ont contestŽ l'importance traditionnellement accordŽe ˆ AdhŽmar. Brundage, ‎1959 : They conclude that there has been a grave mistake. Adhemar, they tell us, was not, after all, a very great ecclesiastical statesman. The good bishop was simply "a trustworthy man whose recorded acccomplishments fell far short of the encomiums heaped upon him".../d'o provient alors son succs posthume ?/ "It lies in part in the very obscurity of his deeds and perhaps also in the human desire to find among the leaders of the Crusade a man who could be praised by all. Adhemar was a non-controversial figure of good repute." Brundage, quant ˆ lui,  prend la dŽfense d'AdhŽmar et de son ÏcumŽnisme.

Pour France (1970),...recent writers have pointed out that Adhemar emerges as a very shadowy figure from the pages of contemporary chronicles /Hill, 1955/...We ought perhaps to remember that Adhemar commanded an army ; this alone would give him influence in the council of leaders... 289 Raymond of Aguilers was exaggerating when he saw the death of Adhemar as the cause of the scattering of the army in August 1098; there is no evidence that Adhemar could have stopped this, or would have wished to.

[23] Ce sera plus tard l'incapacitŽ des Latins ˆ se maintenir en Syro-Palestine, ˆ s'auto-renforcer et ˆ coexister entre eux et avec leur environnement, qui rendra la main aux papes. Les Latins, par leur faiblesse et sous l'effet de la "contre-croisade" musulmane, dŽpendent des secours de l'Europe dont le vecteur financier, idŽologique et organisationnel est la papautŽ qui s'investira de manire croissante pour des rŽsultats de plus en plus mŽdiocres. Dans le mme temps, de Latran I (1123) ˆ Latran IV (1215), le concept s'affine et son potentiel s'affirme. Innocent III (1198-1216) en donnera la version canonique.

Housley : What made the 13th century different in many ways was the pontificate of Innocent III...(p 54) It is generally accepted that with Innocent III crusading was for the first time placed within a coherent ideological perspective. This revolved around the concept of a Christian community. Christianitas, or when conceived more juridically and politically, the respublica christiana. Crusading was seen as akin to the foreign policy of this community and the role of the Roman curia in initiating and managing Christendom's crusading efforts was accentuated: it was no coincidence that I formulated the doctrine that the pope was Christ's 'Vicar'. The centrality of Christ in the devotional experience of crusading was thus to have its mirror image in the place that the Roman curia aspired to occupy, through its administrative offices, legates and bulls, in the organization of the crusading effort /and mendicant friars for preaching/...(55) One of the most far-reaching changes initiated by Innocent was his ruling the the Church must shoulder much of the escalating financial burden of crusading ant that it should do this by paying a form of income tax imposed by the pope and collected by clerics (58).

DŽjˆ la d”me de Saladin avait financŽ la 3me croisade.

[24] Au contraire, France (1970) la prŽsente comme une tentative de repousser les conflits internes. De mme que l'ambassade ˆ Alexis (dŽbut Juillet 1998,  Hugh of Vermandois and Baldwin of Hainault) Žtait une manire pour Saint-Gilles de repousser les prŽtentions de BohŽmond et de gagner du temps, de mme ce tardif (11 septembre) appel au pape ˆ venir prendre la tte de l'expŽdition rŽpond aux persŽcutions subies par les Provenaux ˆ Antioche et repousse le rglement d'un conflit insoluble (the division was made the more insoluble by the peculiar nature of authority on the crusade, 285).

[25] Parmi les chroniqueurs "papo-centrŽs", l'un des plus tardifs (1120), Robert le moine, le collectionneur de miracles, est le plus disert et donne ˆ la postŽritŽ la version de l'appel qui devient standard : une place immense, une foule innombrable, un discours enflammŽ, un soulvement immŽdiat. AbbŽ de St RŽmi de Reims au moment de Clermont, puis parti Outremer, Robert, de tous les chroniqueurs, aura le plus de succs, gr‰ce, probablement, au mŽlange de merveilleux et d'hŽro•que. De multiples manuscrits nous ont ŽtŽ conservŽs et le texte sera l'un des premiers imprimŽs ˆ Paris vers 1470.

[26] Chirat, 1954 :... L'absolution est essentiellement une prire; aussi bien, malgrŽ la dignitŽ officielle de ceux qui la prononcent, son ŽnoncŽ est empreint de rŽserve et comporte des clauses restrictives, pour marquer l'incertitude qui subsiste sur l'Žtendue de ses effets valables devant la justice divine. L'indulgence est une remise extrasacramentelle de la peine que l'Eglise a elle-mme infligŽe au pŽcheur ; elle est accordŽe en termes catŽgoriques qui dŽnotent l'exercice lŽgitime d'une autoritŽ pleinement fondŽe...(46) L'indulgence plŽnire que les papes ont parfois accordŽe aux croisŽs ˆ partir d'Alexandre II (1063) s'appuie sur le mme principe que l'indulgence partielle. Elle assure la remise de toute la pŽnitence canonique, sans garantir Žvidemment de faon ferme l'entier affranchissement des peines ˆ expier devant Dieu. La condition fixŽe pour bŽnŽficier de cette exonŽration pouvait para”tre compenser entirement la pŽnitence canonique, puisqu'elle exposait non seulement ˆ de multiples embarras, mais aux plus graves dangers. Par cet aspect, l'indulgence de la croisade se rattachait de faon plus Žvidente aux "rŽdemptions", tandis que les indulgences partielles paraissaient en connexion plus Žtroite avec les "absolutions"...(47)

[27] UltŽrieurement, puisque le pape est l'Eglise, toute contribution aux projets papaux deviendra pŽnitentielle, qu'il s'agisse de construire (St Pierre de Rome) ou de combattre (guerres italiennes). On conna”t le rŽsultat (Luther etc.) et la fŽroce critique du XVIIIe qui conduira, au XIXe, Michaud ˆ distinguer la sincŽritŽ des premires croisades de l'instrumentalisation ultŽrieure.

[28] Elle est liŽe au flux/reflux de la position papale, toujours incertaine, entre les tumultes romains et l'empereur. La premire "croisade" proclamŽe contre des ChrŽtiens (mais pas la premire guerre sainte) date de 1199, quand Innocent III appelle les vrais ChrŽtiens ˆ combattre Markward d'Anweiler, lieutenant du dŽfunt Henry VI qui s'oppose ˆ la volontŽ du pape de gouverner le sud de l'Italie au nom du petit FrŽdŽric (futur II). Housley : the casus belli was a political one and Markward was not accused of holding heretical beliefs...Five years later...Latin empire of Constantinople and the almost immediate use of the crusade for its defence againts counter-attacks from the exiled Byzantines and Bulgaria. Crusades folllowed against other Orthodox communities, including the Russian principalities. And in 1208, Innocent proclaimed the Albigensian Crusade... (116) once the inquisition had been organized crusading against heretics largely disappeared, the major exception beeing the Hussites in the 1420s...but the 'political' crusades persisted, becoming by far the most frequent manifestation of 'internal' crusading for several generations to come. In the 13th and 14th century they were associated above all with the pursuit of papal territorial goals in Italy...principally...in the centre of the peninsula (117).

[29] Iogna-Prat, 2013 : Dans le vocabulaire romain tardif, indulgentia dŽsigne lÕamnistie accordŽe par les empereurs chrŽtiens. Dans son acception classique, qui nÕest pas antŽrieure au dŽbut du XIIIe sicle, il sÕagit de la rŽmission (absolutio, remissio, indulgentia) ou de la mitigation accordŽes par lՃglise des peines temporelles dues, ici-bas et au Purgatoire, pour les pŽchŽs confessŽs et pardonnŽs. Cet usage sÕenracine dans la pratique ancienne de commutation des peines constitutive de la pŽnitence dite Ç tarifŽe È du haut Moyen åge, elle-mme apparentŽe au Wergelt, systme judiciaire suivant lequel une faute donnŽe doit faire lÕobjet dÕune compensation donnŽe ou de son Žquivalent. Ds la fin de lՎpoque carolingienne Žmerge la notion de substitution possible par de bonnes Ïuvres de la rŽparation attendue du pŽcheur : plerinage, donation ˆ un Žtablissement pieux, entretien dÕune Žglise...La pratique est appelŽe ˆ prendre toujours plus dÕampleur au cours des XIe-XIIe sicles, son champ dÕapplication sՎtendant aussi bien pour les personnes (rŽmissions particulires/rŽmissions gŽnŽrales) que pour les peines (indulgences partielles/indulgences plŽnires). La logique de substitution ˆ lÕÏuvre a pour consŽquence de valoriser des temps et des lieux particuliers. Avec les translations de reliques, mais loin derrire les appels ˆ la croisade, inaugurŽs par le pape Urbain II ˆ Clermont en 1095, les consŽcrations dՎglises sont au nombre de ces occasions solennelles au cours desquelles, ds les annŽes 1030, les prŽlats accordent de gŽnŽreuses remises de peines. La participation ˆ lՎdification dÕun lieu de culte est mme ˆ ce point une bonne Ïuvre que Guillaume Durand (1230-1296), dans son Pontifical, fait mention dÕune indulgence accordŽe, ds la mise en chantier du b‰timent, aux pŽcheurs prŽsents lors de la cŽrŽmonie de pose de la premire pierre. DÕo la valorisation des actes dÕoblation sur les chantiers de construction ecclŽsiale, manifeste ds le milieu du XIIe sicle...

[30] Housley : The one area in which the development of the medieval papacy was indubitably shaped by crusading was that of the curia's control over the Church at large. The overall centralization of the Church would surely have occured anyway...but the financial needs created by crusading accelerated this trend...The system of papal taxation, notably through teeth, but also other benefice taxes like annates, intercalary fruits, was created for crusading purposes and initially at last derived its moral justification from it... /mme si/ the whole system worked less to the benefit of the papacy than that of a range of secular leaders to whom the financial proceeds were normally channelled...

These points about the centralized taxation of the Church also apply mutatis mutandis to the multiplication of indulgences in the late medieval Europe...The 'marketing' of indulgences was central to all preaching campaigns against the Turks in the 15th and early 16th century (148).

[31] Par exemple, Voltaire, Essai sur les mÏurs, Chap. 55 : On avait pleurŽ en Italie sur les malheurs des chrŽtiens de lÕAsie ; on sÕarma en France. Ce pays Žtait peuplŽ dÕune foule de nouveaux seigneurs, inquiets, indŽpendants, aimant la dissipation et la guerre, plongŽs pour la plupart dans les crimes que la dŽbauche entra”ne, et dans une ignorance aussi honteuse que leurs dŽbauches. Le pape proposait la rŽmission de tous leurs pŽchŽs, et leur ouvrait le ciel en leur imposant pour pŽnitence de suivre la plus grande de leurs passions, de courir au pillage. On prit donc la croix ˆ lÕenvi.

[32] La reconna”tre n'est pas la comprendre puisque, d'une part l'expŽrience mystique est transcendante et incommunicable et que, d'autre part, nous, dans le monde postchrŽtien, sommes particulirement mal placŽs. On est alors tentŽ de rationaliser l'a-rationnel en plongeant dans la psychologie des profondeurs. Comme, hŽlas, ces profondeurs n'ont laissŽ ni chroniques ni documents, on fait bouillir le chaudron des sorcires : "l'histoire des mentalitŽs" (AlphandŽry) invoque un apocalyptisme latent que la religion officielle aurait recouvert sans l'anihiler et auquel seule l'Žlite la plus instruite resterait insensible.

Reste que la "premire croisade" est marquŽe par une espce d'enthousiasme qui manquera aux autres. Le fanatisme populaire divergera des croisades officielles (ou en sera l'objet et la victime) et suivra son chemin Ñjamais bien loin de la rŽvolte "sociale" lorsque le menu peuple est laissŽ ˆ lui-mme.

[33] Dans le mme sens, Tyerman, 1995: The First Crusade was remembered as a symbol of loyalty and honour, a focus and inspiration for traditional secular qualities, not as a new way of salvation or a new form of holy war, p 553.

Examinant les diffŽrentes versions (post festum) de l'appel de Clermont DeLong, 2010, souligne la mobilisation de l'honneur : One may gain honor one day, but lose it the next... Martyrdom, especially, promises a solidified, concrete form of honor that is everlasting, never needing to be renewed...Thus while GuibertÕs glorious martyrdom does not seem particularly inviting, through the lens of warrior masculinity, martyrdom promises eternal honor even more than eternal life.

[34] Housley : The fact that the /Great/ schism did not put an end to the persistence of crusading in the east is clear proof that the latter owed relatively little of its impetus to papal initiative. Indeed perhaps the most striking feature of crusading in this period is its full integration into chivalric culture...Nearly all historians agree that the narrative sources...are unanimous in portaying a world in which combat against the 'pagans', 'Saracens' or 'unbelievers' was a thoroughlty praiseworthy activity...( 129) The conflict in the Mediterranean was one of the 'fronts' most eagerly sought out by individuals or groups to display their prowess, win their spurs and advanced their careers...The clearest evidence for the ongoing appeal of combat against non-believers to the fighting classes of the 14th cent. derives not from the eastern Mediterranean but from the Baltic region...One of the clearest messages to emerge from studies of the Reisen is that the 'chivalric crusading' that they epitomized was largely couched in terms of individual inspiration, adventure and reputation...(130) the famous Feast of the Pheasant held at Lille in 1454, one of the chief platforms for Philip the Good's crusade programme, reminds one strongly of the chivaleric paraphernalia cretaed by the Teutonic Knights to entertain volunteers for their Reisen (137).

In fact the impact of crusading as a military experience seems to have occured...in the more intangible field of social values. Chilvary has been subject to a massive amount of re-evaluation in recent years, but its relationship with crusading has been confirmed as a highly important one...in large measure the core values of both crusading and chivalry were the products of the laity, which created them in accordance with its own agendas, modes of thought and behaviour. Although the influence of the Church was always felt...its teachings were never accepted without a certain amount of reshaping...(155)

[35] Je l'entends au sens allŽgorique. Au sens Žtroit, la "trojanisation" des croisades est un programme ˆ la fois identitaire (origines troyennes des Francs) et agressif, surtout aprs la conqute de Constantinople : nous reprenons la terre qui appartenait ˆ nos anctres (que fu a nos anchisieurs, Robert de Clari). Cf. Tanniou, 2014.

[36] Commenant la sixime annŽe du voyage, le pome ne parle pas de l'origine de la Croisade. Urbain n'appara”t qu'une fois et seulement pour avoir armŽ Godefroi ! Godefroi lui rŽpond : Sache maintenant qu'au jour o le grand Urbain me ceignit cette ŽpŽe ˆ Clermont et, de sa main puissante, m'arma chevalier du Christ...(XI, 23). La lutte des ChrŽtiens et des Musulmans est plus magique que religieuse : Pierre l'Ermite qui assure le leadership du sacrŽ chez les premiers est une espce de Merlin et les Sarrazins mobilisent sorciers et dŽmons de l'Enfer. Les enchantements malŽfiques abondent (du jardin d'Armide au bois maudit), comme, de l'autre c™tŽ, les fŽes et les saints errants. C'est cela qui a fait le succs du Tasse, rebondissant sur le Roland amoureux de Boiardo et le Furieux d'Arioste : grandes batailles et combats de magie, mŽchants sorciers, sorcires sŽductrices, bonnes fŽes, belles aventurires, hŽros Žtourdis, amours contrariŽes...Cf. Larue, 2002.

[37] Les grands faits d'Heribert II (  943) et les mariages de ses filles (Adele to Count Arnulf of Flanders, Luitgard successively to Duke William I of Normandy and Count Theobald of Blois) ne doivent pas conduire ˆ surestimer les comtes de Vermandois. Lisson, 2017 : the imprisonment of King Charles III attests to the countÕs political strength (giving him considerable leverage to attend his affairs), but, in the end, in terms of territorial power, Heribert II was still very much a local lord (p 9) ... It therefore seems safe to assume that the title of Òcount of VermandoisÓ was an eleventh-century innovation. The tradition of linking the toponym Vermandois to the tenth-century counts goes back to the central Middle Ages (12).

Herbert IV ((1028Ð1080) obtient par sa femme des droits sur le Valois. Il dŽshŽrite son fils Hugues l'insensŽ par le conseil de ses barons. Coliette (1771) Š, pour l'expliquer, Žmet plusieurs hypothses : 1) Hugues Žtait roux et pustuleux, 2) il Žtait envieux, 3) les barons voulaient Žchapper ˆ la main du comte en en transmettant les droits au roi par le mariage d'Adle...Quoiqu'il en soit, il en est rŽduit ˆ la sirie de Saint-Simon Ñ d'o sortiront bien plus tard les ducs de Rouvroy-Saint Simon. Coliette note (T1, p 673) : Ce qu'il y a d'Žtrange & de bien surprenant dans l'expulsion d'Eudes de Vermandois, c'est qu'elle paro”t avoir ŽtŽ autant l'ouvrage de son pere HŽbert IV, que de sa mere Adle de CrŽpy. Les descendants de Hugues l'insensŽ sont ainsi indument privŽs de l'hŽritage de celle-ci : l'expulsion juste ou non d'un anctre ne peut tre prŽjudiciable ˆ ses descendans. Il y a plus ; l'exhŽrŽdation du Vermandois emporta celle du Valois, & des autres domaines immenses que laissa la Maison de CrŽpy. Ayant arrachŽ le Vermandois ˆ Philippe d'Alsace (1185), Philippe-Auguste le rŽunit ˆ la couronne (1215) : Le Roi...fit solemnellement renoncer Jean de Saint-Simon ˆ toutes les demandes que ce Seigneur & ses descendans pourroient former sur cette hŽrŽditŽ (id, p 674).

Š MŽmoires pour servir ˆ l'histoire...de la province du Vermandois, par M. Louis-Paul COLLIETTE, 1771, Cambrai, 2 vol.

Guibert de Nogent, Lib. 2, Guizot 9:72 : Je crois devoir nommer en tte de tous les autres princes Hugues-le-Grand, frre de Philippe, roi des Franais : quelques autres, sans doute, lui Žtaient supŽrieurs eu richesses et en puissance ; mais il ne le cŽdait ˆ aucun pour l'Žclat de la naissance et l'honntetŽ de la conduite que Coliette traduit : Ses biens seulement ne rŽpondoient point ˆ la grandeur de sa naissance. Quelques Seigneurs de sa suite l'effaoient mme par leur train ; mais son mŽrite Žtoit reconnu transcendant Coliette, 1771, T2, p39.

Une fois Hugues mort glorieusement (1102), Adle reprend le gouvernement et le garde aprs son remariage.

Coliette, T2: 116 Adle de Vermandois, devenue veuve de Hugues de France (Žtat qu'elle garda pendant ˆ peu prs quatre ans), & aprs avoir convolŽ en de secondes noces avec le Comte de Clermont, ne se dŽsaisit point d'un pouce de son domaine, ni du moindre degrŽ de son autoritŽ dans ses possessions du Vermandois & du Valois. Elle lgue les "comtŽs" de Vermandois et de Valois ˆ Raoul, le fils qu'elle a eu d'Hugues, et le "comtŽ" d'Amiens ˆ Marguerite, la fille qu'elle a eue de Renaud de Clermont, laquelle Žpousera le comte de Flandres.

Raoul Žpousera la fille d'Etienne comte de Blois et Adle de Normandie que, devenu sŽnŽchal de Louis VII, il rŽpudiera pour PŽtronille, la sÏur d'ElŽonore d'Aquitaine, moyennant la guerre de Champagne (Vitry etc) et excommunication...

[38] Sirtar, 2018:  The crusading deserters were labelled with the stigma known as infamy (infamia) which was a social exclusion resembling secular excommunication...(111) /mais/  the French chroniclers writing in 1105Ð1109 tended to rehabilitate the crusading deserters. There are two possible explanations for this approach: (1) the chroniclersÕ affection either for the deserters or for their families, and (2) the outcome of the Crusade of 1101 (115).

Ainsi, Guibert de Nogent : Qui pourrait dire que le comte Etienne et Hugues, qui furent en tout temps si honorables, puissent tre comparŽs, pour avoir paru un moment revenir sur leurs pas, ˆ quelques-uns de ceux qui persŽvŽrrent dans leur abandon ? Leur fin contribua si puissamment ˆ l'accomplissement des choses au sujet desquelles on les accuse, qu'on peut maintenant chanter leurs louanges en toute assurance, tandis que l'existence des autres fait encore rougir tous les hommes de bien...Les deux hommes dont je parle eurent une conduite toujours honorable, avant comme aprs les circonstances que je raconte. Les autres, parce qu'ils ont vu JŽrusalem et le sŽpulcre, pensent qu'ils ont pu se livrer en sŽcuritŽ ˆ toutes sortes de crimes ; ils reprochent ˆ des hommes saints, si on les compare ˆ eux, de s'tre retirŽs, et tandis qu'eux-mmes sont entachŽs d'un nombre infini de forfaits, ils ne veulent pas mme convenir que la fin de ces hommes saints soit digne des plus grands Žloges. Lib V, Guizot 9: 190-1

Voici ce que disent quelques personnes pour expliquer le refus de Hugues-le-Grand de retourner auprs de ses compagnons d'armes...dans la dŽlicatesse de son honneur, il redoutait d'avoir ˆ souffrir des privations au milieu de ceux qui Žtaient ou plus avares ou plus ardens ˆ amasser des ressources, quoique lui-mme fžt plus grand, ou du moins ne cŽd‰t ˆ aucun d'entre eux en distinction. Au surplus, personne ne saurait se plaindre avec justice. des retards de celui qui revint cependant dans la suite, et qui succomba enfin illustrŽ du martyre, et emportant la rŽputation du plus brave chevalier. Lib VI: 209

Coliette T2, 41. Nous ne savons quelle raison dŽtermina tout-ˆ-coup notre Comte ˆ se retirer. Aprs s'tre acquittŽ de sa commission, il ne revint point ˆ l'armŽe des CroisŽs ; mais il repassa en France. Cette Žclypse, ˆ laquelle personne ne s'Žtoit attendu, lui est devenue un crime auprs de quelques Žcrivains du temps, qui n'ont peut-tre jamais discutŽ ni mme connu les motifs de sa conduite. Mais Guibert de Nogent, plus rŽflŽchi dans le jugement qu'il a portŽ de Hugues, trouve bien excusable la disparution d'un Prince, qui, toujours ŽlevŽ dŽlicatement & dans l'abondance, & prt ˆ manquer de tout, parce qu'uniquement livrŽ ˆ sa bravoure il avoit nŽgligŽ & perdu toutes les ressources dont il avoit le plus de besoin, sauve, par une fuite prudente, ses jours infortunŽs des rigueurs de la misre plus formidable pour lui que toutes les armŽes des Infidles. Aucun autre historien n'Žtoit plus en Žtat de bien parler du comte Hugues, & d'en faire conno”tre tout le mŽrite ˆ la postŽritŽ, que Guibert, abbŽ de Nogent-sous-Coucy. Il avoit l'honneur de lui faire souvent sa cour ; & le Prince le combloit de sa bienveillance & de son amitiŽ mme.

[39] France, 1970, souligne que Saint-Gilles est le seul des "chefs" ˆ avoir eu des relations avec le pape, avant et aprs Clermont et suggre que, si son leadership sur sa propre expŽdition allait de soi, l'agglomŽrat de plusieurs troupes le met dans une situation inextricable, principal mais non premier : although Raymond led the biggest single army, the crusade was joined by other magnates who were his equals in rank, and who possessed large armies...sources. The Count, in fact, failed to capitalise on his resources of wealth and power. Bohemond, in contrast, beginning with a small but good army, became the dominant figure in this period of the crusade (288).

[40] Sauf l'insignifiant Hugues de Vermandois, tous les autres appartiennent ˆ la constellation normande ou sont en rapport avec elle. Outre les Normands proprement dits (les deux Robert et BohŽmond/Tancrde), Etienne de Blois est le mari d'Adle, la fille de Guillaume le b‰tard (ce qui a un sens politique dans les rapports Blois-Champagne/CapŽtiens) ; les Boulogne, en sandwich entre Flandres et Normandie, sont dans la problŽmatique anglaise (Eustache aux gernons). Mme Raymond a eu une normande d'Italie comme deuxime Žpouse (et a tentŽ de raffler la dot de sa sÏur !).

[41] Without the Normans, Urban II would have lacked the political power, military backing, and precedence to call for crusade (David C. Douglas, The Norman Achievement, Berkely: University of Los Angeles Press, 1969).

[42] William of MalmesburyÕs Chronicle of the Kings of England, 1125 [1127]. Bk IV, CHAP. II. The Expedition to Jerusalem. [A.D. 1095Ð1105.] : In the year of the incarnation 1095, pope Urban the second, who then filled the papal throne, passing the Alps, came into France. The ostensible cause of his journey, was, that, being driven from home by the violence of Guibert, he might prevail on the churches on this side of the mountains to acknowledge him. His more secret intention was not so well known; this was, by BoamundÕs advice, to excite almost the whole of Europe to undertake an expedition into Asia; that in such a general commotion of all countries, auxiliaries might easily be engaged, by whose means both Urban might obtain Rome; and Boamund, Illyria and Macedonia... Still nevertheless, whatever might be the cause of UrbanÕs journey, it turned out of great and singular advantage to the Christian world...

[43] Cette longue habitude de traiter avec les barbares inspirera le comportement d'Alexis ˆ l'Žgard des Grands de la croisade : Magadalino (1996) souligne que l'empire croit savoir gagner des alliŽs barbares et les ma”triser, mme conflictuellement. As Jonathan Shepard has observed, his /Alexis'/ treatment of the crusading leaders suggests a care to avoid the mistakes which had led Herve to rebel against Michael VI, Crispin to rebel against Romanos IV, and Roussel to rebel against Michael VII. Cela rŽussit d'abord avec BohŽmond mais dŽraille en un lieu crucial : the capital of Byzantine Syria was Antioch, another great city of antiquity, an apostolic see and one-time imperial residence. Modern histories of Byzantium consistently underestimate the significance of the reintegration of this city...The very fact that Bohemond, the most byzantinised of the crusaders, coveted Antioch and allowed it to distract him from completing his pilgrimage to Jerusalem, is indicative of the cityÕs value in Byzantine eyes...

[44] France dans son review de l'ouvrage que Flori consacre ˆ BohŽmond : Bohemond was the star of the First Crusade, notamment pour ses qualitŽs guerrires que Flori a le tort d'oublier. Or, without Bohemond the soldier, this is a portrait which, for all its learning, is deeply flawed.

Paul (2010 :537-8) souligne que son assimilation (physique et politique) ˆ son pre Guiscard le rend Žpique : As is clear from the episodic and even genealogical structure of epic cycles, medieval audiences were enthralled by the idea that heroes might inherit both the character and the ambitions of their ancestors. Bohemond's continuation of his father's old struggle -waged on the same battlefield and against the same enemy- fit this model precisely. Indeed, according to some accounts, it would seem as if Robert and Bohemond were an extension of the same ego.

[45] Dans le Livre XIV de l'Alexiade, alors qu'elle narre avec horreur la dernire expŽdition de BohŽmond contre Byzance, elle en dresse un portrait presqu'ŽnamourŽ. Diehl, 1908 : Il faut lire dans lÕAlexiade le portrait enthousiaste quÕAnne Comnne a tracŽ de ce gŽant roux, ˆ la taille fine, aux larges Žpaules, ˆ la peau blanche, aux yeux bleus Žtincelans, au rire Žclatant et terrible, de ce hŽros redoutable et sŽduisant ˆ la fois, si bien fait au physique quÕil semblait construit dÕaprs le Ç canon È de Polyclte, et au moral si souple, si habile, si beau parleur...Ainsi parlait du barbare dÕOccident cette princesse byzantine, plus de quarante ans aprs le jour o BohŽmond lui Žtait apparu pour la premire fois comme un Žblouissement. Il nÕy a point dans lÕAlexiade tout entire, exception faite du basileus Alexis, un homme ˆ qui Anne Comnne ait fait les honneurs dÕun portrait plus achevŽ et plus flatteur. Charles Diehl, "Figures byzantines - Anne Comnne", Revue des Deux Mondes, 5e pŽriode, tome 43, 1908 (p. 690-708).

La traduction Cousin du texte d'Anne (1685, Hist. Const., T4, p 394) Žtant lourde, je donne la version anglaise : He was such a man, to speak briefly, as no one in the Empire had seen at that time, either barbarian or Greek, for he was a wonderful spectacle for the eyes, and his fame surpassed that of all others. But to describe the figure of the barbarian in detail : he was so tall, that he surpassed the tallest man by almost a cubit ; he was slender of waist and flank, broad of shoulder, and full-chested ; his whole body was muscular, and neither thin nor fat, but very well proportioned, and shaped, so to speak, according to the canon of Polyclitus. His hands were active, and his step was firm. His head was well joined to his body, but if one looked at him rather closely, one noticed that he seemed to stoop, not as though the vertebrae or spinal column were injured, but, as it seemed, because from childhood on he had been in the habit of leaning forward somewhat. His body as a whole was very white ; his face was of a mingled white and ruddy color. His hair was a shade of yellow, and did not fall upon his shoulders like that of other barbarians ; the man avoided this foolish practice, and his hair was cut even to his ears. I cannot say whether his beard was red or some other color ; his face had been closely shaved and seemed as smooth as gypsum ; the beard, however, seems to have been red. His eyes were bluish-gray, and gave evidence of wrath and dignity ; his nose and nostrils gave vent to his free breathing ; his nose aided his chest, and his broad chest his nostrils, for nature has given to the air bursting forth from the heart an exit through the nostrils. The whole appearance of the man seemed to radiate a certain sweetness, but that was now cloaked by the terrors on all sides of him. There seemed to be something untamed and inexorable about his whole appearance, it seems to me, if you regarded either his size, or his countenance, and his laugh was like the roaring of other men. He was such a man in mind and body that wrath and love seemed to be bearing arms in him and waging war with each other. His mind was many-sided, versatile, and provident. His conversations were carefully worded, and his answers guarded. Being such a man, he was inferior to the emperor alone in fortune, in eloquence, and in the other natural gifts. (cit. Yewdale, 1925: 137).

[46] Contra : Bartlett (2008) s'emploie ˆ dŽfinir ce qu'est alors la "piŽtŽ" pour comparer le comportement des Normands ˆ celui des autres afin de montrer qu'ils ne mŽritent pas leur rŽputation d'hypocrisie. Recent trends in crusade historiography depict the Frankish participants of the First Crusade as acting out of piety, while their Norman counterparts remain as impious opportunists. This thesis challenges this prevailing point of view, arguing that the Norman crusaders met the same standard of piety as the Franks.

[47] Ne prenons pas le roi Philippe pour Louis XIV ! Un sicle aprs l'usurpation capŽtienne, il a, dans le royaume de l'Ouest, le titre de roi et pas grand chose d'autre. Sans parler de ses "problmes" matrimoniaux et de son excommunication corrŽlative, les grands comtes sont plus puissants que lui et mme les sires le vainquent (guerre du Puiset). Si "fils de roi" vaut succession ˆ la couronne selon son rang, fille de roi n'est pas grand chose de plus qu'un cadeau diplomatique. Constance a ŽpousŽ d'abord Hugues, comte de Troyes, frre cadet du grand comte de Blois, Etienne-Henri. A son "divorce", dix ans plus tard, elle rejoint son ex belle-sÏur, la formidable Adle de Blois, fille du ConquŽrant, qui, depuis la mort d'Etienne, gouverne les comtŽs. On a tort de sous-estimer son r™le dans le voyage franais de BohŽmond : c'est ˆ Chartres, non ˆ Paris, que BohŽmond Žpouse Constance et qu'il prononce son grand discours de recrutement. C'est des possessions blaisoises que viendront la plupart des "croisŽs".

[48] A tout prendre DŽabolis n'Žtait pas un si mauvais rŽsultat. D'ailleurs les chroniques de l'abbaye de Fleury feront de l'expŽdition de 1108 une victoire de BohŽmond ! The Fleury texts also substantially skew the final result of the war in 1108, making it seem as if Bohemond had not actually been defeated but had extracted oaths of security and fidelity from Alexios. (Paul, 2010).

 Pour avoir une lŽgitimitŽ, BohŽmond s'Žtait fait enfieffer d'Antioche par le LŽgat du pape qui n'en avait gure le droit. En devenant vassal de l'empereur, il obtenait un titre incontestable et l'avenir restait ouvert. C'est seulement si l'on pense que la croisade de BohŽmond visait ˆ s'emparer de Constantinople que le TraitŽ de DŽabolis (1108) est une dŽfaite absolue.

BohŽmond rentre en Italie et meurt, ce qui para”t ˆ beaucoup une fin de partie. Mais McQueen, 1986 : As Yewdale /1917/ pointed out Alexius actually gained very little from the treaty as Tancred was still in Antioch defending its territories ostensibly on behalf of his uncle. The fact that Bohemond's ambitions remained in the east is born out by the fact that he continued to style himself 'Prince of Antioch' and more dramatically, by the fact that at the time of his death he was raising an army and a fleet to take east, vraisemblablement pour prŽparer sa revanche.

[49] La note XV de la nouvelle Histoire gŽnŽrale du Languedoc (Du Mge, Tome 3, 1841) reconna”t : Il est assez difficile de fixer le droit qu'avoit Raymond de S. Gilles ˆ la succession de Guillaume comte de Toulouse son frere, qu'il recueillit ˆ l'exclusion de cette princesse ; et les auteurs sont fort partagez lˆ-dessus. Et invoque une vente qu'aurait faite, de son vivant, Guillaume ˆ Raymond, et une clause de substitution qui l'aurait Žtabli hŽritier ˆ la place de la fille de Guillaume. Mais la clause en question concerne des droits particuliers (Moissac) et non le comtŽ. Guillaume semble s'tre laissŽ envahir paisiblement par son frre.

[50] Cette confusion languedocienne se poursuivra. Plus que la faiblesse de caractre de Raymond VI et VII, elle explique leurs atermoiements et leur incapacitŽ ˆ faire face ˆ la "croisade" que le pape Innocent III dŽverse sur les "hŽrŽtiques". Elle aboutira ˆ la mainmise du "roi" (la rŽgente Blanche de Castille) sur le comtŽ (traitŽ de Meaux-Paris, 1229).

[51] La "mutation fŽodale" se fait au XIe : Contrairement ˆ ce qui a souvent ŽtŽ Žcrit, les sociŽtŽs hispano-occitanes du XIIe sicle peuvent tre considŽrŽes comme tout aussi fŽodales que celles de l'Europe du Nord (Bonnassie, 1980).

DŽbax, 2005 : Le point le plus saillant est sans doute la faillite assez gŽnŽrale des pouvoirs aux niveaux supŽrieurs de lÕaristocratie...(p : 3) Les comtes ont subi de front les attaques grŽgoriennes, mais aussi et surtout ils ont vu leur suprŽmatie sŽrieusement contestŽe par lÕascension de lÕaristocratie ch‰telaine...(6) Le dŽclin du pouvoir comtal dans ses bases militaires et judiciaires et la multiplication des ch‰teaux peuvent tre observŽs ds la deuxime moitiŽ du Xe sicle (7).

DŽbax, 2016 : La crise des pouvoirs comtaux trouve une de ses causes dans la prolifŽration des ch‰teaux et lÕapparition dÕune aristocratie ch‰telaine. Ce phŽnomne est une Žvolution au long cours qui est ˆ lÕoeuvre en Languedoc depuis la fin du Xe sicle ; elle fait sentir pleinement ses effets fin XIe-dŽbut XIIe. On voit en effet appara”tre une aristocratie ch‰telaine qui ancre son pouvoir sur un ch‰teau et qui constitue une seigneurie autour de celui-ci...LÕancrage dÕune domination aristocratique polarisŽe sur des ch‰teaux est pleinement achevŽe fin XIe-dŽbut XIIe. Il semble que cette Žvolution a particulirement affectŽ le pouvoir comtal, surtout le pouvoir raimondin...De fait, il manquera toujours aux comtes de Toulouse cette base castrale et ces rŽseaux de fidŽlitŽs que les Trencavel, par exemple,...ont su se constituer au cours du processus de fŽodalisation...

[52]Pradalier (2005) examine les relations Aquitaine/Toulouse : LÕhistoire des relations entre Toulouse et lÕAquitaine bascule au XIe sicle ; jusque vers 1060, les comtes de Toulouse, en hŽritiers lointains des ducs de lՎpoque mŽrovingienne, font valoir Žpisodiquement leurs prŽtentions aussi bien sur lÕAquitaine stricto sensu que sur la Gascogne. Elles sont favorisŽes par le morcellement politique, en particulier la dualitŽ Aquitaine-Gascogne. Tout change avec la constitution dÕun bloc unique, mme disparate, sous la poigne de Gui-Geoffroi, alias Guillaume VIII dÕAquitaine. Le rapport de forces se renverse alors en faveur des Aquitains, ainsi que lÕillustrent lÕincendie de Toulouse en 1064 et le mariage de Guillaume IX et de Philippa en 1094. DŽsormais Toulouse est sur la dŽfensive et les comtes issus de Raimond de Saint-Gilles ne semblent trouver leur salut quÕen sÕappuyant sur leurs territoires provenaux. Paradoxalement la pression aquitaine accentue le caractre bipartite du comtŽ, sans pour autant rŽussir ˆ faire sauter le verrou toulousain.

Les droits spoliŽs de Philippa justifieront en 1098 la prise de Toulouse par son mari, le duc d'Aquitaine, Guillaume IX, puis, en 1141, le sige de Toulouse par Louis VII, mari de sa petite fille AliŽnor...et, aprs le "divorce", la tentative de Henri Plantagent, nouvel Žpoux d'AliŽnor, qui voit Louis VII venir au secours de Toulouse (1159). En 1164, une armŽe commandŽe par lÕarchevque de Bordeaux viendra ˆ nouveau menacer Toulouse. En 1188, Richard CÏur de Lion, duc dÕAquitaine, lance une nouvelle offensive contre Toulouse.

[53] Pradalier : Si la victoire reste au duc dÕAquitaine appuyŽ sur une partie de lÕaristocratie rŽgionale et sur Saint-Sernin et ses milites, elle est de courte durŽe. La pression de la papautŽ fait cŽder Guillaume IX qui se croise ˆ son tour en 1100. Aussit™t, lÕautre prŽtendant, Bertrand, fils de Raimond de Saint-Gilles, para”t dans la place...Bertrand nÕen est plus le ma”tre ds 1108 et il nÕy a aucune raison de penser que les Aquitains ne la rŽoccupent pas immŽdiatement, mme si les tŽmoignages de leur prŽsence se concentrent vers 1114-1115.

...Saint-Sernin se retrouve dans le camp aquitain et la ville se divise ˆ nouveau. Ce qui pourrait expliquer la fuite de Bertrand en Orient et les combats de rue en 1114...Saint-Sernin et ses vassaux urbains ( les Baptizat, les Manent, etcÉ) ne sont pas les seuls ˆ soutenir Philippa et Guillaume IX. DŽsormais, cÕest toute la rŽgion qui bascule dans leur camp...

DÕo vient alors quÕen 1119 une rŽvolte expulse la garnison de Guillaume IX et son chef Guillaume de Montmoreau du Ch‰teau Narbonnais, avant quÕune troupe de Toulousains nÕaille chercher ˆ Orange en 1123 Alfonse-Jourdain, lÕautre fils de Raimond de Saint-Gilles...?

...Les ŽvŽnements de 1119 ne mettent pas fin aux visŽes aquitaines sur Toulouse. Mais celles-ci se coulent dŽsormais dans le contexte de la Grande guerre mŽridionale o interviennent aussi les Barcelonais et les grands seigneurs du Midi dont les Trencavel.

[54] Orderic Vital : Ainsi la Normandie Žtait misŽrablement troublŽe par ses propres enfans, en proie ˆ leurs fureurs, et le peuple dŽsarmŽ Žtait sans protecteur, livrŽ ˆ la dŽsolation. Dans de telles infortunes, le duc Robert, inquiet de ce qu'il voyait, et redoutant de plus grands malheurs encore, puisqu'il Žtait abandonnŽ de presque tout le monde, rŽsolut, d'aprs l'avis de quelques personnes religieuses, de remettre ses Etats au roi son frre, de prendre la croix du Seigneur, et, satisfaisant ˆ Dieu pour ses pŽchŽs, d'entreprendre le voyage de JŽrusalem. Ds que le roi des Anglais connut ce projet, il l'approuva avec joie. (OV IX, Guizot 27: 420).

David, 1920 : 89 Moreover, the situation of Duke Robert at home was such that new fields of opportunity and adventure offered peculiar attractions to him...

[55] David, 1920 : once in his life he had played a distinguished part in a great adventure worthy of the best traditions of the Normans. It is true that he had not displayed so great energy and resourcefulness as some of the other leaders...But for the moment he stood without a rival; and it is little wonder that he gained the hand of one of the great heiresses of Norman Italy /Sibyl of Conversano/ together with a dower sufficiently rich to enable him to redeem his duchy. The Crusade had been a fortunate venture in the life of Robert Curthose. He had set out from Normandy with a record of continuous failure and a reputation for weakness and incompetence. He was now returning with all the prestige and glory of a great crusading prince /Ascalon/, his past sins and failures all forgotten. He was soon to become a hero of romance...(118) Yet he was still the same indulgent, affable, 'sleepy duke,' who had failed in the government of his duchy once and was to fail again...(119) THOUGH Robert's life had been filled with failures and had ended in a signal disaster, his memory by no means perished with him. As a leader in the Holy War he had earned an enviable fame, which was early enhanced by legend (ds son vivant: Robert le moine, Raoul de Caen, William of Malmesbury, Wace, Gaimar, chanson d'Antioche, chanson Jerusalem)...(190) In refusing the Latin crown, Robert had contemned and spurned the gift of God. Hence his defeat at Tinchebray and wellnigh thirty years of incarceration. No feature of the Robert legends was more persistent of more universally accepted than this...(200).

[56] Wolf (1991) montre que le chroniqueur de BohŽmond, l'auteur de la Gesta Francorum, a du mal ˆ habiller le stratge en miles christi : BohemondÕs subsequent failure to respect his own oath by refusing to relinguish his hold on Antioch was difficult for the Gesta author to explain after having painted such a glowing portrait of a single-minded miles Christi...One of the ways that he dealt with BohemondÕs failure to fulfill his vow as a pilgrim was simply, by drawing as little attention to his departure /of the expedition to Jerusalem/ as possible.../une autre manire est de maximiser Antioche/ The sheer weight of attention made the capture and defense of Antioch the focal point and climax of the Gesta Francorum. The conquest of Jerusalem, by comparison, was relegated to a rather hasty denouement...It was at Antioch, too, that the enemy first assumed epic...The author also intensified the drama at Antioch by elaborating on the story of Stephen of BloisÕ desertion...to elevate Antioch to the position of the pivotal battle...to give precedence to Antioch. If he could not bring Bohemond to Jerusalem, he could, in a sense, bring "JerusalemÓ to Bohemond by elevating AntiochÕs place in the Gesta Francorum from an important step on the road to the Holy Sepulchre to the one truly miraculous episode in the entire expedition (p 212 sq).

[57] Barker 1911 :... The establishment of a kingdom in Jerusalem in 1100 was a blow, not only to the Church but to the Normans of Antioch. At the end of 1099 any contemporary observer must have believed that the capital of Latin Christianity in the East was destined to be Antioch.

[58] Citons, par exemple, la progermanique Chronique de Zimmern : Il [L'illustre et cher prince, le duc Godefroi de Lorraine] guŽrit miraculeusement en quelques jours, et ds qu'il fut de retour en Allemagne, il prit congŽ de l'empereur et par toutes sortes de moyens amassa l'argent nŽcessaire pour payer la solde d'un certain nombre de gens de guerre. Pendant douze ans, il poursuivit son projet : enfin, du consentement de ses deux frres, le seigneur Baudouin et le seigneur Eustache, il vendit tous leurs biens fonds, ce qui lui procura une somme considŽrable d'argent comptant, se proposant de l'employer pour le bien gŽnŽral de la chrŽtientŽ...Lorsque les princes de Gaule et d'autres nations apprirent que l'on allait commencer la glorieuse entreprise chrŽtienne que leur avait dŽjˆ prchŽe auparavant le pape Urbain, ˆ Clermont en Auvergne, ils choisirent unanimement pour chef de toute l'armŽe le duc Godefroi.

Les chroniqueurs "franais" gomment sa "germanitŽ', ce que dŽplorait, entre autres, l'historien des croisades Bernhard von Kugler : Gottfried, so begeistert auch die Franzosen von ihrem Godefroy de Bouillon zu sprechen pflegen, gehšrt im wesentlichen doch nicht zu ihrem, sondern zu unserm Volke (Historisches Taschenbuch, 1886,4).

[59] Entre les ambitions normandes et flamandes, Eustache se met au centre of political developments in Flanders, Lorraine and England through a policy of strategic marital and political alliances (Van Cuick, 2014). Epoux de la fille du roi d' "Angleterre" ®thelred le malavisŽ, puis de la fille de Geoffroi le barbu duc de Haute-Lorraine, Eustache, apporte son concours ˆ la conqute de l'Angleterre sur son vieil ennemi Godwinson (Harald) mais Žchoue ensuite ˆ s'emparer de Douvres pour son propre compte. RŽconciliŽ avec Guillaume, il rŽcupre les grands domaines qui lui avaient ŽtŽ attribuŽs lors de la conqute. Il meurt en 1087, les laissant avec son comtŽ ˆ Eustache, son fils a”nŽ.

[60] Cf. DuprŽel, 1904. BŽatrice, Žpouse de Geoffroy le Barbu, pre du Bossu, Žtait sa cousine wigŽricide au 4me degrŽ canonique [arrire-arrire-grand pre commun : WigŽric, comte palatin de Lotharingie   916/19]. Fille de FrŽderic duc de Haute Lorraine (  c. 1026), elle Žpouse d'abord un fidle impŽrial de la maison de Canossa, Boniface, marquis de Toscane. Aprs son assassinat (1052), elle s'unit au Barbu sans qu'ils demandent la permission de l'empereur ni la dispense de consanguinitŽ. L'empereur, dŽjˆ en conflit avec l'un et l'autre pour des raisons diffŽrentes, entre en Italie, refuse d'approuver le mariage, garde BŽatrice en prison. Le Barbu repart en Lorraine o, ˆ la faveur des attaques du comte de Flandres, il fait la paix avec l'empereur (probablement en 1056). Il profite de la papalisation de son frre FredŽric (Etienne IX, 1057-8) pour Žtendre ses possessions au Nord de l'Italie et devenir duc et marquis (Spolte etc). Mais, malgrŽ sa participation ˆ l'instauration du pape Nicolas II, l'alliance normande de celui-ci le fait repartir dans l'empire (1060), laissant BŽatrice en Italie, rŽgente de sa fille Mathilde jusqu'en 1067.

Redevenu "germain", il participe au coup d'Etat d'Annon (Kaiserswerth) et remet en selle le pape Alexandre contre son rival Cadalus. L'empereur le fait duc de Basse-Lorraine ˆ la mort de FredŽric de Luxembourg (1065), Basse-Lorraine dont la revendication armŽe lui avait fait perdre la Haute-Lorraine paternelle.

Redevenu mari et italien en 1067 (expŽdition contre les Normands ˆ la place de Henri IV ˆ l'initiative d'Hildebrand), il meurt en 1070, aprs avoir fait en commun avec BŽatrice de grandes pŽnitences et dons qui font jaser.

Ds 1055-6, le Barbu et BŽatrice ont fiancŽ le fils du premier ˆ la fille de la seconde, le Bossu et Mathilde. Ils les marient...Mathilde a un enfant qui meurt dans les mois qui suivent. Elle quitte son mari (1072), retourne en Italie o elle s'Žloigne de sa mre (  1076), conservant de grandes possessions et revendications en Lotharingie. Devenue veuve, elle Žpouse politiquement en 1089 Welf le gros, le jeune fils du duc de Bavire, et s'en sŽpare en 1095, avant ou aprs que le duc quitte le camp du pape pour celui de l'empereur.

En analysant la symbolique du sarcophage romain que Mathilde donne comme tombeau ˆ sa mre (Phdre et Hippolyte), Lazzari, 2017, suggre que l'inceste (au sens canonique) commis par BŽatrice et le Bossu serait la cause de leur sŽparation et de leurs pŽnitences, et que la mort de son enfant aurait ŽtŽ comprise par Mathilde comme une punition divine.

Noter que l'histoire va plus loin puisque Daimbert, l'archevque de Pise nommŽ par Mathilde en 1088, disputera ˆ Godefroy de Bouillon la primautŽ ˆ JŽrusalem et cherchera ˆ empcher de lui succŽder son frre, Baudoin de Boulogne.

[61] Les Žvques de Metz, Toul, et Verdun ayant basculŽ du c™tŽ d'Urbain, l'empereur pour renforcer son emprise sur Lige vend la nomination ˆ un fidle, OtbertÑ si fidle qu'il l'accueillera en 1106 lorsque, aprs avoir ŽtŽ forcŽ ˆ abdiquer, il s'Žchappera de prison. Aussit™t en place, pour payer ses dettes, Otbert viole la grande et riche abbaye St Laurent dont l'abbŽ et les moines se rŽfugient ˆ l'abbaye de St Hubert et, attaquŽs par Otbert, fuient ˆ Reims, passŽ du c™tŽ papal. Mais les guerres de l'Žvque l'obligent ˆ demander l'assistance de la noblesse, ce qui permet ˆ Godefroy et aux Grands d'imposer la rŽintŽgration des abbŽs (1095).

Dorchy, 1948, p 990 : Otbert avait pu obtenir l'ŽvchŽ de Lige, en partie gr‰ce ˆ l'argent de l'ex-abbŽ de Saint-Laurent, Wolbodon. Celui-ci, dŽposŽ par Henri de Verdun par suite de ses excs, avait obtenu en retour d'Otbert la promesse d'tre restaurŽ ˆ la tte de l'abbaye. Le nouvel Žvque tint parole, chassa BŽrenger qui avait remplacŽ Wolbodon, et rŽtablit ce dernier ˆ Saint-Laurent. L'abbŽ expulsŽ alla se rŽfugier auprs de l'abbŽ de Saint-Hubert Thierry II qui prit en main sa dŽfense, ce qui lui valut d'tre dŽposŽ ˆ son tour (fin 1093).

[62] Andressohn (1947) : What influenced Godfrey, alone of the German princes, to make the decision, is a matter of speculation. The stress placed upon his piety is of later origin and does not seem justified, for his conduct toward church property was by no means exemplary. Like many other lay princes he profited by the confusion and the turmoil of the Investiture Struggle. Shortly before the crusade he interfered in the destructive internal strife which had been raging in the wealthy monastery of St. Trond, and secured for his part in imposing a new abbot the sum of one hundred marks, an outlay which nearly ruined the abbey. He also dissolved the priory of St. Peter near Bouillon and took over its possessions. His equivocal attitude in regard to the trial of Abbot Theodoric of St. Hubert and Abbot Berenger of St. Laurent justifies the chronicler in remarking that he blushed because of a guilty conscience.... (p 48) The chronicle of St. Hubert appears to intimate that Godfrey followed the example of others rather than that he led the way. It states that the princes of the provinces undertook to go, and Godfrey planned to accompany them. Pilgrimages to the Holy Land were not a new ambition to this region; in 1064, Bishop Siegfried of Mainz, Bishop William of Utrecht, and a number of other bishops...(49) There was great enthusiasm for the crusade in Lorraine; great numbers of common folk from Lorraine and the Rhenish regions were recruited by Peter the Hermit, Gottschalk, and Emico (52).

[63]Cate, 1969 : At any rate, Henry IV interposed no objections to enlistments in Germany (he was to propose a pilgrimage himself two years later), and some of his adherents were among those who now took the cross...Chroniclers speak of recruits from all the duchies, but most of the persons actually named were from Bavaria and its marches. The ranking layman was Welf IV of Bavaria. The old duke had fought first for Henry IV, then on the papal side, but had latterly made his peace with the emperor and now had determined to go to Jerusalem in expiation of his sins. He was accompanied by Ida of Austria, widow of Leopold II and mother of the ruling margrave, Leopold III; by count Frederick of Bogen and the burgrave Henry of Regensburg; and by one Bernhard, sometimes identified as count of Scheyern. Among the many clergy attached to the army were archbishop Thiemo of Salzburg, bishop Ulrich of Passau, abbot Giselbert of Admont, and, fortunately for us, the historian Ekkehard of Aura (p350).

[64] Murray, 1992, exploite toutes les sources disponibles pour Žtudier la composition et l'Žvolution de la troupe de Godefroy. We cannot simply assume that Godfrey's household accompanied him in toto to the East. We will discover that numerous knights entered his service in the course of the crusade. Murray distingue trois phases (quatre) :

1) au dŽpart : Considering the peripheral position of Lower Lotharingia within the empire, as well as its accessibility to France and the preaching of the crusade, Godfrey's army included relatively few of the major nobles of the duchy, especially those of comital rank (313). Trois composantes : le rŽseau, le comte du Hainaut qui ne veut pas partir avec Robert de Flandres, des lords and knights de Haute Lorraine (dont le fils a”nŽ du Duc, Louis, comte de Mousson), restŽs sans drapeau ˆ la suite de la maladie du Duc, Theoderic I, comte de Bar et MontbŽliard.

2) ˆ Constantinople : contemporary sources do yield the names of some individual Germans and others who seem to have joined Godfrey or Baldwin after Constantinople (322)... Such lords, it must be stressed, were in straitened circumstances. They were leaderless, and had lost baggage, arms, mounts and followers in the debacle at Nicaea. Their adhesion to the newly-arrived contingents is thus hardly surprising. Yet lords and knights from the other armies were also joining Godfrey about this time. Godfrey's brother Eustace III of Boulogne had left Europe in the company of his lord, Robert II of Flanders, and Robert of Normandy...Yet thereafter Eustace seems to have been associated more with his brothers than with the two Roberts (323)

3) ˆ Antioche : quoique, de son c™tŽ, Baudoin et les perspectives qu'il ouvre ˆ Edesse attirent des hommes des troupes de ses frres et aussi de Robert de Flandres, From around the winter of 1097-98, we can discern a parallel growth of ties of dependency within Godfrey's exercitus... It is thus evident that from the time of the siege of Antioch ever-increasing numbers of knights were penniless and had nothing to bargain with except their own service. D'o Godefroy tire-t-il les ressources nŽcessaires ? outre ce qu'il a emportŽ, il a reu des dons de l'empereur ˆ Constantinople et Another vital source of supply was Baldwin (provisions et argent) ... Thus by the time of the siege of Antioch, a time when many in his own exercitus and indeed in other contingents were in serious financial difficulties, Godfrey had access to new sources of income and supplies in addition to whatever reserves had remained from earlier. The growth of ties of dependence may also have been expedited by the disappearance of intermediate levels in the command structure of the army (328).

4) une fois roi, Godefroy peut distribuer des terres et une partie des tributs qu'il peroit : The subsequent establishment of a Frankish state with Godfrey as its ruler allowed him to provide patronage in the form of fiefs and financial support. Although the actual territory under his control was small, he could also dispose of substantial amounts of tribute paid by the Muslim cities of the coast (328).

Ainsi, conclut l'A., When it set off in August 1096 the army was almost entirely Lotharingian in composition, a character which was greatly influenced by the alliances and animosities which had arisen in the two duchies during the years of the Investiture Contest and its accompanying feuds. Yet in the course of the three years it took to reach its ultimate goal, the army was constantly changing in composition and structure (329).

[65] Pour DuprŽel (1904), ds le Barbu, le duchŽ se dŽcompose et les efforts contraires du Bossu ne suffisent pas : DŽsormais, une grande puissance centrale ne pourra plus maintenir l'unitŽ du duchŽ. Les seigneurs du second rang ont trop profitŽ des rŽgnes de Gothelon le Jeune et de FrŽdŽric de Luxembourg, des luttes de Godefroid et de Henri III, des intŽrts Žtrangers de l'Žpoux de BŽatrice absorbŽ par d'autres soins; ils ne s'arrteront plus dans la voie de l'Žmancipation complte. Lorsque Godefroid le Bossu essaya plus tard d'enrayer ce mouvement dŽsastreux pour sa famille (son refus de tenir les promesses de son pre semble bien trahir cette prŽoccupation), ses efforts arrivrent trop tard ou furent trop ŽphŽmres (p 135).

Dorchy (1948) hŽro•se Godefroy. Henri IV lui refuse le duchŽ en 1076 (peut-tre en raison du soutien de son pre ˆ son ennemi de Frise) et le prend en mains en l'attribuant au bŽbŽ Conrad et en le confiant ˆ un vice-duc, Albert de Namur. Pour Dorchy, l'incapacitŽ de Godefroy ˆ rŽcupŽrer son hŽritage est au contraire l'Žchec d'Albert ˆ administrer le duchŽ.

Lorsque l'empereur attribue enfin le titre ˆ Godefroy, l'A. s'interroge (p 987) : En 1087, le pouvoir ducal en Basse-Lotharingie Žtait dŽsagrŽgŽ. Godefroid de Bouillon aurait-il la force nŽcessaire et l'influence personnelle suffisante pour le restaurer, pour lui redonner l'Žclat qu'il connut sous Godefroid Ier, Gozelon le Grand et Godefroid le Bossu? C'est ce que nous verrons. Il rŽpondra triomphalement p 998 : En conclusion, ˆ la fin du XIe sicle, le rŽtablissement de la dignitŽ ducale semble acquis. Il note cependant : Il /Godefroid/ ne put certes Žviter le morcellement du duchŽ entre les Grands bas-lotharingiens, mais il s'allia avec ceux-ci et les rendit inoffensifs en pratiquant une politique d'Žquilibre...Certes la Basse-Lotharingie acheva de se morceler, mais la fonction ducale n'en resta pas moins rŽelle. Mais il a ruinŽ sa thse par avance en remarquant ˆ la suite de la question prŽcŽdente : Les neuf annŽes pendant lesquelles Godefroid exera le pouvoir sont peu connues, par suite de l'insuffisance des sources dont nous disposons p 987. S'il n'y a pas de traces dans les sources, c'est que Godefroy n'a pas fait grand chose en tant que duc !

[66] Guy[I] (±1095), fils de Thibaut File-Etoupes, Seigneur de MontlhŽry, Žpouse Hodierne de Gometz-la-FertŽ. Leurs filles sont fameuses par leur descendance.

Riley-Smith, 1997 : Montlhery was one of those troublesome castellan families - others were Beaugency, Montfort, and Le Puiset - which in the eleventh century had come to dominate the territories round Paris at the king's expenseÉ(p 170) Two of Guy and Hodierna's sons, the husbands of two of their daughters, six grandsons, a granddaughter and her husband, and the husband of another granddaughter, a great-grandson and the husband of a great-granddaughter took part in the First Crusade. This extraordinary record was due largely to the offspring of Guy and Hodierna's four daughters, the legendary Montlhery sisters whose procreativity was mentioned with awe by the twelfth-century historian William of Tyre. They were married into the families of St Valery and Le Puiset-Breteuil, which each sent three first crusaders, Le Bourcq of Rethel, which sent two, and Courtenay which provided one (171).

[67] Exceptons KjŸr, 2019, dont l'intŽressant article replace la croisade dans le contexte de l'acquisitive expansionism qui caractŽrise la deuxime moitiŽ du XIe (Angleterre, Sicile, Espagne).  Il cite Bartlett (1993, The Making of Europe: Conquest, Colonization, and Cultural Change, 950Ð1350) : It is a difficult historical task to determine the relationship between the inflamed religiosity of the First Crusade and the acquisitive expansionism which the lay aristocracy of Western Europe had already conspicuously displayed.

La croisade est faite par les fils, les neveux, les gendres des hŽros de cette premire vague lŽgendaire (By the late eleventh century, the achievements of this generation of conquerors were fast becoming legendary) : the first generation of crusaders had themselves grown up listening to stories about dangerous, although also profitable, wars of conquest.

All of the seven principal leaders of the First Crusade were thus related by descent or marriage to the successful conquerors of the previous generation. Taking the cross in turn put pressure on their adherents to follow their example. But their success in convincing other landholders to join them may also have owed a lot to the north-western European aristocracyÕs collective experiences of foreign conquest and colonisation. Many of the lesser aristocratic families who participated in the First Crusade had been involved in the conquests of England and Sicily, either independently or under the leadership of men whose sons they now followed on crusade.

Plus prŽcisŽment, ceux qui choisissent l'Orient ont vu leur pre ou oncle gagner et perdre. Ils cherchent ˆ se refaire : Those who took the cross may well have felt their hearts had been inflamed by the grace of the Holy Spirit,... but theSpirit seems to have spoken loudest to those who had had opportunities to witness Ð but not to continue to enjoy Ð the fruits of the conquests of the previous generation... Religious beliefs and practices played a central role in motivating participants in the First Crusade. But faith did not exist in a vacuum.

Sur le plan de l'Honneur, ils veulent Žgaler la gŽnŽration prŽcŽdente dans l'ombre de laquelle ils ont grandi et dont ils ont hŽritŽ l'expertise logistique et militaire : the sons of the conquerors were also struggling to be recognised as worthy heirs of their famous fathers.

Ils veulent mme la dŽpasser : Participating in the First Crusade did not just offer the opportunity to match the previous generationÕs derring-do, but also, for the relatives of William I and his companions, to reframe the older generationÕs victories as religiously and morally problematic.

[68] Cf. les six millions lyriques de William of Malmesbury (Bk IV, CHAP. II, Ed. Giles, 1847, p 379sq) : This ardent love not only inspired the continental provinces, but even all who had heard the name of Christ, whether in the most distant islands, or savage countries. The Welshman left his hunting; the Scot his fellowship with lice; the Dane his drinking party; the Norwegian his raw fish. Lands were deserted of their husbandmen; houses of their inhabitants; even whole cities migrated. There was no regard to relationship; affection to their country was held in little esteem; God alone was placed before their eyes. Whatever was stored in granaries, or hoarded in chambers, to answer the hopes of the avaricious husbandman, or the covetousness of the miser, all, all was deserted; they hungered and thirsted after Jerusalem alone. Joy attended such as proceeded; while grief oppressed those who remained. But why do I say remained? You might see the husband departing with his wife, indeed, with all his family; you would smile to see the whole household laden on a carriage, about to proceed on their journey The road was too narrow for the passengers, the path too confined for the travellers, so thickly were they thronged with endless multitudes. The number surpassed all human imagination, though the itinerants were estimated at six millions.

[69] France, 1997 : tout guerrier ˆ cheval n'est pas un combattant ˆ cheval (sergents montŽs, "fantassins" pendant la route) ; tout equites n'est pas un "chevalier" (knight) ; tout "chevalier" n'est pas un "noble".

[70] Murray 2017 : 4500 Òwell-armed knightsÓ (milites bene armatos) and the same number of horses, 9000 squires (scutiferos), and 20,000 Òwell-armed foot soldiersÓ (pedites bene armatos).

[71] Notamment le fameux passage de Guibert (qui montre cependant que ces misŽrables ont un bÏuf, un chariot et des provisions) : Vous eussiez vu en cette occasion des choses vraiment Žtonnantes et bien propres ˆ exciter le rire : des pauvres ferrant leurs bÏufs ˆ la manire des chevaux, les attelant ˆ des chariots ˆ deux roues, sur lesquels ils chargeaient leurs minces provisions et leurs petits enfans, et qu'ils tra”naient ainsi ˆ leur suite; et ces petits enfans, aussit™t qu'ils apercevaient un ch‰teau ou une ville, demandaient avec empressment si c'Žtait lˆ cette JŽrusalem vers laquelle ils marchaient... (RHC occ, T. 4, Lib II, €6, p 162 ;  Guizot 9, p 57).

[72] Pour autant que des menus se mettent en route spontanŽment, par dŽsarroi matŽriel, espoir mystique, ou app‰t du gain, leur Histoire appartient ˆ une autre problŽmatique, celle des mouvements de masse qui, entre millŽnarisme et rŽvolte "sociale" parsment les sicles, perturbations mŽtŽorologiques d'une "sociŽtŽ" verticale, aussi dangereuses et incontr™lables que les inondations et sŽcheresses d'une Žconomie agricole. On verra  les vaudois (XIIe), la croisade des enfants (1212), les croisades des Pastoureaux (1251 et 1320). On verra les Lollards (XIVe), les frres moraves (XVe) et les ŽvangŽlistes de tous poils au XVIe/XVIIe...On verra les rŽvoltes communales et fiscales.

[73] Tyerman, 1992, p 25: It would be impossible to deny that there were a number of pilgrims on many crusades, especially perhaps the First, who relied less on their own resources than on charity. But such pilgrims had little or no chance of reaching their destination without the active and systematic material assistance of the richer elements within the crusade itself. It is no coincidence that the so-called Children's Crusade of 1212 and the Shepherds' Crusades of 1251 and 1320 failed, on their own resources, to get beyond the northern shores of the Mediterranean, although each of these expeditions was the result also of social, emotional, and local pressures as well as enthusiasm which had little or nothing to do with crusading.

[74] Duncalf commence ainsi (p 440) : THE Peasants' Crusade of 1096 has been too generally regarded as a disorderly movement of misguided and unprepared rustics. The name suggests all this. In reality many of these "peasants" seem to have been prosperous middle-class freeholders and townsmen, foresighted enough to furnish themselves with the equipment and money necessary for a long journey to the East. People of such prudence desired an orderly march and asked only the privilege of paying their way.

[75] Tyerman, 1992, p 26 : Commentators had an equally selective view of what they meant by poor. The English historian Henry of Huntingdon celebrated the capture of Lisbon in 1147 as a triumph of the poor, which is a distinctly misleading description of the likes of Hervey de Glanville and his fellow crusade leaders. But Henry of Huntingdon used the term deliberately to heighten a dramatic and moral contrast with the failure of the crusade campaigns led by Louis VII and Conrad III. Clerical observers and preachers were less concerned with economic or legal status than with spiritual standing. Although superficially inconvenient in an expanding society held together by the dominance of the rich and powerful, in church no less than state, Christ's teaching on poverty could be used by contemporaries as a vehicle for moral rather than social reform. Poverty was next to Godliness, but this was not necessarily the poverty of St. Francis or the Lincolnshire crusaders of the 1190s designated as pauperrimus. Material poverty was not the issue.

[76] Tyerman, 1992, p 25 : Frequently, when chroniclers talk of the poor on crusade they mean the recently impoverished. The notorious king of the Tafurs on the First Crusade was a Norman knight fallen on hard times. Certainly, few who embarked without funds of their own or employment by others could have reached Syria.

[77] Pour nier le caractre guerrier de la premire croisade, on a fait prcher au pacifique Urbain un pŽlerinage dans lequel les barons seraient le service d'ordre.

Pour sa part, Porges, 1946, malgrŽ quelques remarques intŽressantes, reste dans le cadre de la dichotomie simpliste combattants/non combattants. Pour lui, l'attrition des premiers renforce le poids relatif des seconds, leur pression sur les dŽcisions et sur les ressources. 

[78] La troupe de Raymond semble contenir plus de "pauvres" que les autres et Raymond tre plus soucieux d'eux (protection,  secours). Toute explication est hasardeuse : est-ce parce qu'il y a moins de chevaliers ou plus de barons rŽtifs ? Faut-il parler d'une armŽe de piŽtons ? La dŽpendance de Raymond ˆ l'Žgard de ses "pauvres" appara”t nettement lorsque ceux-ci se rŽvoltent aprs Antioche et forcent Raymond ˆ partir pour JŽrusalem.

Faire de Raymond un chef de peuple (Zerner, 1993) est une invraisemblable caricature : Raymond IV s'investit dans la croisade en vertu du contrat implicite qui liait le prince au peuple dans une sociŽtŽ encore imprŽgnŽe d'une idŽologie romano-impŽriale qui faisait une grande place aux devoirs sacrŽs du prince...on dŽcouvre non pas une armŽe, mais un peuple en marche et un prince protecteur des pauvres... partis en bon ordre avec l'armŽe des chevaliers et sous leur protection, les pauvres de l'armŽe provenale passrent sans encombre en Asie Mineure. Au contraire au nord de la Loire les pauvres partirent en bandes plusieurs mois avant les chevaliers, et leur destin fut tragique...

[79] Pendant que l'Ermite prche ˆ Cologne en avril 1096, les "Francs" de Gautier se dŽtachent de son groupe et partent premiers. En Hongrie, ils bŽnŽficient de la libertŽ de passage et de marchŽs. MalgrŽ quelques difficultŽs en Bulgarie, ils atteignent Constantinople le 20 Juillet.

L'Ermite et sa troupe quittent Cologne le 19 avril. Jusqu'ˆ Semlin, la traversŽe de la Hongrie se passe bien. Puis, des excitŽs pillent Semlin et, ensuite, entrant en Bulgarie, l'Ermite et le gŽnŽral byzantin (Niketas) perdent le contr™le de leurs hommes. S'ensuit bataille, dŽroute, perte du butin et du TrŽsor de l'Ermite. Mais, rapidement, les envoyŽs de l'empereur prennent les choses en main et l'armŽe arrive sans encombres ˆ Constantinople le 1er aožt.

Les bandes de Fulk, inspirŽes par l'enthousiasme ou le brigandage, suivent de manire beaucoup plus tumultueuse et sont, sinon dŽtruites, du moins ŽparpillŽes en Hongrie. Il en va de mme de celle de Gottschalk qui semble payer pour les autres. Enfin le "comte" Emicho et Guillaume "le charpentier", vicomte de Melun et du G‰tinais,  rejoints par des contingents d'Allemagne du sud, tentent de forcer l'entrŽe en Hongrie (Wiesselburg) et sont battus.

On voit que le roi de Hongrie (Koloman çrp‡d) est assez fort pour permettre ou refuser le passage. Plus tard, le groupe de Godefroy de Bouillon devra nŽgocier trs sŽrieusement. Pour laisser circuler et acheter, Koloman veut la garantie que tout se passe en ordre. Et, le temps passant, devient de plus en plus circonspect. Gautier et l'Ermite ont la chance d'tre les premiers et arrivent ˆ peu prs ˆ tenir leurs hommes. Leur voyage est un succs et, ˆ Constantinople, l'empereur les reoit d'autant mieux qu'il est sensible ˆ la rŽputation de l'Ermite

[80] Cela est confirmŽ a contrario par la suite, quand les menus auront passŽ le Bosphore et devront attendre les barons  Leurs problmes viennent de leur avance. Ils arrivent ˆ Constantinople au moment o les barons se mettent en marche. Ce n'est qu'un an plus tard, au sige de NicŽe (mai 97), que tout le monde sera assemblŽ. En attendant, quoique les marchŽs restent ouverts et l'approvisionnement assurŽ, des dizaines de milliers de pŽlerins s'impatientent et voient leurs ressources s'Žpuiser. D'o les offensives prŽmaturŽes et dŽsordonnŽes qu'ils entreprennent pour leur malheur (Civetot). The fundamental reason for the failure of the first two bands was their premature arrival in the East (Duncalf).

[81] Les chroniqueurs contemporains, pour la plupart "franais" et/ou bŽnŽdictins appartenant ˆ l'entourage des Grands, ne peuvent pas admettre d'tre en communion avec des menus sans bannires comtales et peut-tre sans croix. Ils les rejettent ; plus, ils les nient : ce sont des bandes de pauvres illuminŽs guidŽs par le diable et annihilŽs pour leurs mŽfaits. Davantage que la charitŽ envers les Juifs, c'est la haine de ces croisŽs illicites qui pousse les chroniqueurs ˆ dŽnoncer leur attitude et leur rapacitŽ. Par contre, ils sont plein de mansuŽtude ˆ l'Žgard du "saint" Godefroy de Bouillon qui rackette les Juifs de Cologne et Mayence pour complŽter le financement de son expŽdition !

Andressohn, 1947: A Jewish manuscript, written in Mainz in 1140, asserts that Godfrey displayed violent hatred toward the Jews and that he had declared that he would avenge the blood of Christ on that of the Jews and would spare none of them. The account further states that Kalonymos, the head of the congregation in Mainz, thereupon sent messengers with a complaint to the emperor, who commanded the princes, bishops, and counts in his empire, and also Duke Godfrey, to protect the Jews. Godfrey there upon, according to this account, declared under oath that he never intended to harm them and promised to serve as their protector, for which assurance the Jewish congregation presented him with five hundred pieces of silver in Cologne and a like amount in Mainz (52).

 Est-ce par hasard que deux des grands leaders de ces "fausses" croisades, l'Ermite et Guillaume le Charpentier, sont habillŽs en dŽserteurs l‰ches et honteux par les chroniqueurs (Antioche) ?

Ekkehard d'Aura, partisan d'Henri fils contre Henri pre, partisan du pape contre Henri V, in his Hierosolymita, after condemning the Peasants' Crusade in toto  as the product of folly, ignorance, and the devil, introduces his readers to the real theme of his book, namely the glorious deeds of the main armies, by calling these the wheat, while designating the unfortunate peasants as the chaff (Duncalf).

[82] Aussi grand savant que soit Hagenmeyer, tout laisse penser que, dans le climat national de la fin XIXe, il partage l'opinion du rŽdacteur de la Chronique de Zimmern au XVIe : comme ces historiens et d'autres encore n'Žtaient pas des Hauts-Allemands, mais des Franais ou des NŽerlandais, il se sont occupŽs des seigneurs qui Žtaient partis de leur pays avec l'armŽe, ils ont mis tous leurs soins ˆ rappeler leurs noms et ˆ raconter leur histoire ; quant ˆ la noblesse de la Haute Allemagne, qui n'a pas moins exposŽ sa vie et qui a, elle aussi, accompli nombre d'actions nobles et louables, ils n'en parlent qu'en termes gŽnŽraux, et ne la citent qu'en quelques mots trs brefs. Que l'on sache donc qu'il y avait au monastre d'Alpirsbach, dans la Fort-Noire, un vieux manuscrit et une grande tenture en tapisserie... (trad. Hagenmeyer, AOL2, p 20-21). C'est la validation de ces sources par Hagenmeyer (1884) qui a justifiŽ la participation de la noblesse d'Allemagne du sud aux "people's crusades".

Murray, examinant la composition de la troupe de Godefroy de Bouillon, conteste la chronique mais conserve l'idŽe.

Murray 1992 : It is likely that most of the crusaders from the other duchies of the empire had already gone with the various expeditions which had left prior to the official departure date under the leadership of Peter the Hermit, Walter Sans-Avoir, Emicho, Gottschalk and Volkmar (p 309).

Murray, 1997 : Since it is impossible or near-impossible to establish the precise sources of any given section of the account we have to doubt it in its entirety. Its unreliability means that we have to revise our opinion of the People's Crusades. As far as their German element is concerned, these expeditions probably had far fewer nobles and retinues of knights than has been assumed for over a century; the participation of a duke, a count palatine, and numerous bishops, counts and lords from Germany is questionable in the extreme, and is most likely a product of the inventiveness of Froben Christoph and Wilhelm Werner of Zimmern...What the Chronicle of Zimmern does reveal is the perception of the First Crusade in Germany in the late medieval and early modern period (p 91).

Murray, 1998, p 53/54 ...the care with which Froben Christoph set about his task of glorifying the role of the High German nobility on the crusade strongly suggests that he indulged in deliberate fabrication, and in doing so compounded the original misleading identification made by Wilhelm Wernher. In either case the effect was the same, and it is one that has misled historians for over a century.The Walther, duke of Teck, who supposedly led a German contingent on the First Crusade and died in battle near Nicaea is a piece of wishful thinking conjured up by a sixteenth-century German nobleman out of the historical personage of Walter Sans-Avoir...

[83] Riley-Smith (1993, p 25) mentionne une lettre d'Urbain au roi de Hongrie en 1096, encouraging him to take up arms against the anti-pope Urban II (Urban II, 'Epistolae et Privilegia', Patrologiae cursus completus. Series Latina, comp. J.P. Migne, vol. 151, 481). Aprs la mort de Ladislas, cette lettre au nouveau roi (Koloman çrp‡d dit le Bibliophile) s'inscrit dans les tensions internes de la Hongrie et leurs relations compliquŽes avec l'empire germanique, Rome et Constantinople. Si Ladislas, le roi prŽcŽdent, a soutenu l'anti-roi et dŽfendu Rome ˆ la Dite de 1087, ses opŽrations en Croatie l'ont mis en opposition ˆ Rome. Urbain tente de sŽduire son successeur. Cf Kosztolnyik, 1977.

[84] La "trahison de Firuz" obenue par BohŽmond est un mystre plus Žpais encore que celui de la dŽcouverte de la "sainte lance". Deux faits : 1) la ville ne pouvait tre gagnŽe que par surprise (BohŽmond n'avait pas pu dŽcider les autres ˆ cette tentative) ou par trahison ; 2) le sige n'Žtait pas un blocus et, en particulier, les ChrŽtiens dont la ville Žtait pleine circulaient entre les deux camps.

[85] Volebat tamen comes duci donare decum milia solidos et Roberti Normanniae totidem, et comiti Flandrensi sex millia, et Tancredo quinque millia; et aliis principibus prout erant. Raymond d'Aguilers (RHC occ T3:271).

[86] France, 1970 : The Count's army seems by this time /Marra/ to have attracted most of the poor, and Raymond himself may well have been influenced by the need to provide for them. The mass of the people wished to press on to Jerusalem, and they seem to have engaged the support, according to Raymond of Aguilers, of some of the nobility and the Bishop of Albara who seems to have been one of the Count's trusted servants...Subsequently further pressure from these sources extracted a promise from the Count to resume the journey in fifteen days time. Historians have doubted Raymond of Aguilers' account, but Raymond makes it quite clear that it was not the poor alone, but in alliance with others, who persuaded the Count. The Count was now in a dilemma. The other leaders would resent his temerity in fixing a date for the resumption of the march, and for this and other reasons, refuse to join him /d'o Rugia 4 janvier 1099/...(p 295) If there had been any plan or agreement for the forwarding of the crusade still in force amongst the leaders, it would not have been necessa ry to offer such sums. The Count of Toulouse was, in fa ct, making an open bid for the leadership of the crusade...All our sources agree that the Count's proposals met with no general acceptance...(296) On the 13th January Count Raymond ordered the city of Marra to be fired, and marched out south into Syria /Arqa/...(298) At the beginning of the siege /Arqa/, Count Raymond enjoyed enormous prestige from his successful journey south from Marra, and, as Yewdale points out, he had large possessions including the cities of Rugia, Valania, Albara, Marra (if we may include it), Tortosa, Maraclea and perhaps even Laodicea...(307).

Porges, 1946, quoique de manire un peu vague, insiste sur le nombre des "pauvres" autour de l'armŽe et la pression qu'exerce en permanence leur nourriture et leur utilisation. Il pense que la disparition au combat d'une partie des chevaliers augmente la proportion des pauvres et que le clergŽ, peu influent politiquement par lui-mme, pse lorsqu'il leur est associŽ (BarthŽlŽmy et le lobby de la "sainte lance").

[87] Pendant le sige d'Antioche, en mars 98, le vizir au nom du Calife du Caire a envoyŽ une ambassade proposant aux Occidentaux un partage : ˆ eux la Syrie, ˆ lui la Palestine. Cette intŽressante proposition d'une alliance de fait contre Badgad n'obtint pas l'accord collectif des Grands, soit qu'ils ne se fiassent pas au vizir, soit que certains ne pussent renoncer ˆ JŽrusalem, soit que, en raison de la dŽcomposition et des tensions, aucune dŽcision collective ne fžt possible ˆ ce moment. Le vizir envoie des troupes qui en Juillet 98 conquirent JŽrusalem et rŽoccupent le pays jusqu'au-delˆ de Beyrouth. A JŽrusalem comme ˆ Ascalon, sur terre et sur mer, ce sera aux "Egyptiens" et non plus aux "Turcs" que s'affronteront les Occidentaux.

[88] Stoyanov, 2014 :...the continuing politico-apocalyptic relevance and wide applicability of the Pseudo-Methodian Last Roman Emperor legend found its symptomatic manifestation in the emergence of pro-Frankish prophetic constructions, first in late ninth-century Sicily/Italy and then in the tenth-century West Frankish kingdom, which transferred the eschatological deeds of the Last Roman Emperor from the Byzantine to a Frankish ruler: the ultimate victory over Islam and the laying down of his imperial glory and crown in Jerusalem (p 418).

[89] Stoyanov, 2014 : the image of Heraclius as the "deliverer of the world" and a model Christian warrior, his imperial propagandist, George of Pisidia, compares his entry into Jerusalem to restitute the True Cross with Jesus Christ's arrival in the holy city on Palm Sunday. The "triumphant" cross is itself likened to Ark of the Covenant because of its power to overpower its adversaries and is extolled as the holy weapon with which the "emperor with God's aid" finally vanquished Khusrau who had blasphemed against it. The analogy between the True Cross and the Ark of the Covenant...was intended to fortify Heraclius's status as a "new David" (390).

Ubierna, 2008 : Du point de vue de la littŽrature apocalyptique, la guerre perse fut fŽconde, non seulement pour la production des textes juifs, mais aussi pour celle des textes chrŽtiens, car elle donna lieu ˆ des interprŽtations sur la victoire dÕHŽraclius. Nous possŽdons ainsi la Conqute de JŽrusalem dÕAntiochus StratŽgios, moine de Mar-Saba. Celui-ci fut tŽmoin de la conqute perse Ð quÕil interprte comme le ch‰timent divin des pŽchŽs des hommes Ð et fut exilŽ en compagnie du patriarche Zacharie ˆ CtŽsiphon. Les ŽvŽnements survenus ˆ Zacharie au cours de sa dŽportation et le sort que connut la Croix furent analogues ˆ ceux de la Passion. CÕest dÕaprs cette grille dÕinterprŽtation, issue de sa propre expŽrience, quÕAntiochus tenta de transmettre une vision de lÕhistoire ˆ ses frres chrŽtiens qui avaient ŽtŽ persŽcutŽs et plus tard libŽrŽs gr‰ce au retour dÕHŽraclius. Ë partir de lˆ, il narre, dÕune part, la manire dont il prit la fuite avec dÕautres moines et, de lÕautre, le fait dՐtre prŽsent ˆ JŽrusalem quand HŽraclius y rapporta la Croix, symbole de la fin de la guerre. La Croix et lÕusage quÕen fera HŽraclius, ainsi que toute une sŽrie dÕactes de portŽe Žminemment idŽologique, devront tre interprŽtŽs comme le symbole du commencement dÕune re nouvelle. HŽraclius sera un nouveau Constantin, car, en effet, de la mme manire que Constantin dŽcouvrit la vŽritable Croix Ð du moins selon la croyance populaire Ð et fit construire lՎglise et lÕh™pital du Saint SŽpulcre, HŽraclius rŽcupŽra la signification politique de la Croix en la rendant ˆ JŽrusalem. De la mme manire que Constantin dŽcida dՎriger des monuments chrŽtiens en Terre sainte, HŽraclius reconstruit ceux qui avaient ŽtŽ dŽtruits par les Perses. Mais le rgne dÕHŽraclius nÕest pas seulement analogue ˆ celui de Constantin, il lÕest aussi ˆ celui de David. Tous deux, HŽraclius et David, entrrent ˆ JŽrusalem pour y rŽtablir les symboles et les trŽsors de leurs religions respectives qui avaient ŽtŽ ravis par lÕennemi. HŽraclius rapporte la Croix, David apporte, dans la capitale rŽcemment instituŽe de son royaume, lÕArche dÕAlliance...

[90] Bien moins d'ailleurs que l'ont dit les "tŽmoins" contemporains et les historiens ˆ leur suite. Si le rapt de la Croix est avŽrŽ, les destructions massives de Christian sacral architecture and the very structures of Christian life of Jerusalem ne sont pas validŽes par les recherches archŽologiques des trente dernires annŽes. Stoyanov (2011) impute l'exagŽration ˆ la propaganda war d'Heraclius mais on peut penser aussi ˆ une crŽation spontanŽe des moines syriaques traumatisŽs par la perte de la citŽ sainte et de la Croix qui, tout naturellement, mettent la "rŽalitŽ" ˆ la hauteur de la portŽe apocalyptique de l'Žvnement. Il en sera de mme dans l'autre sens du bain de sang de 1099 (cf. note suivante).

[91]Stoyanov, 2014 :...the grandiose Umayyad building programme in Jerusalem from 661 onwards that eventually re-sanctified and transformed the Temple Mount into the elaborate Islamic sacral enclosure of al-Haram al-Sharif (402)...the culmination of the Umayyad Islamic re-sacralization of the Temple Mount as the al-Haram al-Sharif complex in the building of the Dome of the Rock (411).

[92] Hirschler 2014 : The Latin reports on the fall of Jerusalem are strikingly similar to Byzantine reports of the Sasanian conquest of the city some six centuries earlier...Contemporaneous (especially Byzantine) Christendom saw the Sasanian conquest of Jerusalem in 614 as an unparalleled calamity. Byzantine reports described the comprehensive destruction and profanation of JerusalemÕs Christian shrines, the large-scale massacres of its Christian population and the deportation of the survivors. Yet, as Yuri Stoyanov has recently pointed out /Stoyanov, 2014/, the archaeological evidence draws a very different picture...The Byzantine reports fell back on biblical typology in describing the conquest, especially apocalyptic and eschatological material, and drew heavily on standard topoi of anti-Sasanian writings. The discrepancies between narrative sources and archaeological evidence allow thus to re-read the Byzantine conquest narratives as attempts to set the Sasanian conquest in the framework of paradigmatic biblical events. In the same vein, the Latin reports on 1099 should probably be read... as attempts to set the First Crusade into such a narrative framework. The reports were arguably embellished to underline the ritual cleansing of the Holy Land and to further the cause of crusading (p 74-5).

[93] Cette qualification grandiose se trouve dans le Prologue : Sed quid post creationem mundi mirabilius factum est, praeter salutiferae crucis mysterium, quam quod modernis temporibus actum est in hoc itinere nostrorum Hierosolymitarum ?

Housley, 2006 : The history of medieval views of the crusading past has yet to be written, but it already seems clear that...Jerusalem's recapture was an event of profound eschatological significance, which confirmed the covenant between God and the New Israel. This inevitably distorded all views of what had happened in 1095-99. Not just the first but also all subsequent crusades had to be placed within a framework which historically extended back to the wars of the 7th century Emperor Heraclius and in an eschatological sense also comprised the conflicts of the Old testament  (p 17).

[94] Il est grand temps de dŽpasser les lectures positivistes du XIXe sicle qui ont contribuŽ ˆ occulter la qualitŽ rhŽtorique de l'historiographie de la croisade...(Schuster, 2000, 167).

Pour l'analyse textuelle, cf. Dragonetti Roger, 1987, Le mirage des sources ; Wolf Kenneth Baxter, 1991, "Crusade and narrative: Bohemond and the Gesta Francorum" ; Morris Colin, 1993, "The Gesta Francorum as Narrative History" ; Schuster Beate, 2000, "Comment comprendre les rŽcits de la premire croisade ?" ; Harari  Yuval Noah, 2004,  "Eyewitnessing in Accounts of the First Crusade: the GestaFrancorum and Other Contemporary Narratives" ; Bull Marcus, 2010, "The eyewitness accounts of the First Crusade as political scripts" ; Tyerman Christopher, 2011, The Debate on the Crusades ; Symes Carol, 2017, "Popular Literacies and the First Historians of the First Crusade"?).

Se dire tŽmoin oculaire est une fiction littŽraire commune pour exciter l'intŽrt, mais mme ceux qui Žtaient lˆ ne se contentent pas de tŽmoigner de ce qu'ils ont vu ou entendu : not every account produced by an eyewitness is an eyewitness account (Harrari, 2004). Les rŽcits sont des discours. Au sens strict, l'auteur cŽlbre et justifie son patron (political scripts ÑBull, 2010) ; au sens large, sa vŽritŽ n'est pas factuelle mais morale (Dragonetti, 1987). Le chroniqueur (celui qu'on conna”t et tous ceux qu'on ignore Ñcf Symes 2017) Žcrit un discours providentiel.

Dragonetti : Les historiens nÕont cessŽ dÕattirer notre attention sur le fait que lÕhistoriographie mŽdiŽvale non seulement ignore la plupart du temps les frontires entre la connaissance exacte des faits et les faits de lÕimagination, fictions ou lŽgendes, mais que le discours historique se donne explicitement comme un enseignement moral fondŽ sur lÕexemplaritŽ. CÕest lˆ un phŽnomne solidement Žtabli...leur discours historique ne vise pas ˆ exprimer la vŽritŽ, mais ˆ la construire rhŽtoriquement et symboliquement en vue de la persuasion... Quant au discours mŽdiŽval de lÕhistoire, ici encore, cÕest la pseudographie littŽraire qui en constitue le plus puissant moteur... Bref, le traitement du fait historique (toujours au service dÕune cause) reste de part en part une construction du discours moral, cÕest-ˆ-dire du style dÕo la narration historique tire ses effets de vŽritŽ...Tributaires des historiens de lÕantiquitŽ, les historiographes du moyen ‰ge rŽinventent, selon une autre dimension, lՎcriture littŽraire sous les espces du discours providentiel...CÕest bien pour cette raison que la dimension de lՎvŽnementiel ne co•ncide en aucune faon avec le fait historique pur et simple, mais avec ce qui advient ˆ travers lui et le fait devenir vrai...

Dans le mme sens : Ruth Morse (Truth and Convention in the Middle Ages: Rhetoric, Representation and Reality, New York: Cambridge UP, 1991, p. 89) : Particularly when ÔeventsÕ came to be thought of as a method of interpreting GodÕs purpose in guiding human history toward its eschatological conclusion, what the events signified went well beyond what they were.