Les historiens chrissent la "premire croisade" qui leur offre l'vnement le mieux document du "moyen-ge", avec une exceptionnelle srie de chroniques quasi contemporaines dont la date de composition, les rapports et la vrit ouvrent des interrogations sans fin. Le bonheur de disposer de "sources directes" sur une affaire aussi importante et aussi ancienne, pousse l'amateur Ñet mme le professionnelÑ prendre pour "reportage" ce qui tait clbration, essay in persuasion [1] et confondre trompettes et camras !
Il n'y avait pas de camras et, en vrit, le dbut vient la fin : la lgende de la premire croisade et de Clermont (1095/96) natra de la libration de Jrusalem (1099), du
besoin de consolider l"emprise franque, des checs subsquents, et de la standardisation papale (acheve dbut XIIIe). Nous regardons les croiss de 1096 travers les lunettes d'Innocent III (1198/1216), quand ce ne sont pas celles de la "question d'Orient" du XIXe ou du "clash des civilisations" du XXIe. La logomachie n'arrange rien (Rome vs Byzance, papaut vs empire, Chrtient vs Islam, Occident vs Orient...).
Le lien rtrospectif croisade/papaut fait de la "premire croisade" un pige historiographique. Puisque la vrit contemporaine nous chappe jamais et que les concepts "macro" sont inoprants ou factices (1re section), je passerai au "micro" : je mettrai l'accent sur le jeu des Comtes (2me section). Sans eux, le sjour d'Urbain Clermont en 1095 n'aurait pas laiss plus de traces que les lettres de Grgoire VII en 1074 [2]. La dynamique de leurs interactions constitue une "campagne d'Orient" dont "la croisade" sera le produit ex post (3me section).
La
reprsentation traditionnelle repose sur une ide de croisade (dont on tudie la formation et l'volution), ide qui s'emparerait de toutes les "catgories sociales". Le pape veut librer
l'Eglise d'Orient, les barons prennent l'Orient, les "pauvres" tuent les Juifs : la croisade fait les croiss. Je tiens que, au contraire, les croiss font la croisade.
On ignore ce qui s'est pass Clermont en novembre 1095 (a). La croisade n'est papale qu'ex post (b). Il faut donc sortir Urbain de l'analyse (c).
L'appel d'Urbain n'existe pas en tant que texte. On ne saura jamais s'il a eu lieu, en quoi il consistait, qui il tait adress et dans quel but. Que cette scne hroque, iconographie et commente ad nauseam, ne soit pas "source" n'a pas empch l'historiographie d'en faire l'origine de la croisade [3].
Plusieurs chroniqueurs ne mentionnent pas l'appel d'Urbain et ceux qui le font en donnent des versions diffrentes, voire divergentes. La plus rpandue est celle du tardif rcit de Robert le moine (Guizot, T. 23), dj populaire en son temps : le 27 novembre 1095, sur la place publique, le pape Urbain II proclame la croisade, son but et ses moyens. En telle sorte retentit la trompette cleste.
Quand on pense l'importance qu'on accordera ensuite cette trompette, il parat ahurissant que plusieurs "tmoins" l'ignorent ou jugent inutile de la mentionner. Quant ceux qui citent l'appel, ils disent l'avoir entendu. Si ce n'est pas un artifice narratif, ils peuvent avoir saisi un cho, comme l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'homme qui a vu...l'ours. Ils peuvent aussi avoir cru entendre : les prcheurs et leurs pigones auront justifi par le pape leurs intentions et leur discours.
Et, si tel chroniqueur tait rellement prsent, qu'a-t-il compris et retenu ce 27 novembre 1095 ? La date exacte de l'criture des chroniques n'est pas connue et fait dbat. Une chose est certaine : elles sont post factum, crites aprs que la "croisade" ait eu lieu et qu'elle ait triomph. DeLong s'interroge : pourquoi n'y-a-t-il pas de traces de l'appel de Clermont en 1095 et pourquoi aprs (why not in 1095, and why now?Õ in 1100 and after ?) [4]. Leur vrit est a posteriori. Cela change tout car la "libration" de Jrusalem (1099) fait poque. Un tel miracle rayonne sur le pass et le transforme : son origine doit tre la hauteur de son aboutissement [5]. La lgende de Clermont concurrence ou complmente la lgende de l'Ermite [6].
On corrobore cet appel problmatique par quelques rares lettres d'Urbain II et le deuxime canon de Clermont : les lettres sont ambivalentes [7] et le canon, dont la brivet n'exclut pas l'ambigut, ne nous est parvenu que par un rsum indirect [8].
Notre ignorance des donnes de base rend presqu'impossible une analyse contemporaine. Nous ne connaissons pas les motivations du pape, des Princes, des comtes, des chevaliers, des pitons et des masses de menus. Mme pas leur effectif. Nous ne comprenons pas comment fonctionne le "religieux" quand il n'est pas simplement un facteur parmi d'autres mais une dimension systmique.
C'est pourquoi, si depuis dix sicles le narratif de la "premire croisade" s'crit au prsent partir de chroniqueurs plus ou moins contemporains, son analyse s'crit au futur [9]: une dfinition gnrique (explicite ou non) de la "croisade" sert de filtre pour slectionner et rinterprter la masse de dclarations aussi surabondantes que douteuses. Notre comprhension Ñet mme notre apprhensionÑ de la "premire croisade" est conditionne par son futur. A commencer par son intitul qui est dj une invention : dans son temps, elle ne fut pas une "croisade", encore moins la "premire".
* Pas croisade. To put it crudely, we know there were crusaders : they did not (Tyerman, 1995). Les contemporains disent et pensent expeditio, peregrinatio, via, iter, passagium..."Croisade" n'apparat qu'un bon sicle aprs ( partir de crucesignati) [10] quand la papaut tablit un standard. Et il n'est pas d'usage courant. Aussi tard que 1305/1309, Joinville n'emploie ni "crois" ni "croisade". Il parle de croiz, de plerinage de la croiz, dpart outremer alors que son diteur de 1868 met des "croiss" et "croisade" partout dans les titres par lesquels il rsume les chapitres.
* Pas premire. L'expdition de 1096/99 Ñelle-mme plurielle (Flori, 1991)Ñest la seule. La seule qui russit : les autres, tout de suite, ds 1100-1101, chouent la reproduire. La "premire" fait poque en librant Jrusalem, les suivantes ne font rien. La numrotation (tardive) masque ce hiatus. La "premire", aspire, absorbe, par une srie plus ou moins longue et large selon les auteurs, prend l'apparence du prototype d'un concept gnrique. C'est plutt un "rtrotype" ! Les historiens du XXe sicle dbattent frocement de ce qui fait "croisade" : la guerre sainte ? la croix ? la proclamation papale et les indulgences ? Jrusalem ? l'Islam ? la dilatation de la Chrtient ? [11]. Mais ils mettent toujours du pape dans la croisade.
La concidence des dates et des papes fait voir dans la "croisade" une dimension de la rforme grgorienne, prtant au pape un "programme stratgique" que synthtise le thme dangereux de la rvolution papale : Urbain, excutant les rves de Grgoire, prparerait le trne d'Innocent III.
A l'intrieur, librer l'Eglise de l'empereur, des princes et des seigneurs ; l'extrieur la librer des mcrants. Librer l'Eglise d'Orient est une expression ambigu laquelle la longue concurrence entre Rome et Constantinople, la surestimation de l'incident de 1054 (Humbert/Crulaire [12]) et le schisme final [13], confrent un sens maximaliste : pousser ou obliger le patriarcat reconnatre la suprmatie du pape de Rome.
La rforme de l'Eglise, en dtachant les clercs des Princes, barons, et lacs en gnral, et en constituant l'institution ecclsiastique, tend subordonner les premiers aux seconds. Si la "guerre sainte" (et ses rcompenses) est un vieux standard [14], de la Bible aux guerres saxonnes de Charlemagne avec leur cortges d'extorsions et de baptmes dans le sang, Grgoire la "papalise" en la lablisant : aux milites Sancti Petri sont promis toutes sortes de rtributions spirituelles s'ils dfendent la papaut et la rforme (Erdmann, 1934 ; Flori, 1992, Cowdrey, 1998 [15]). Grgoire n'a pas craint de couvrir de cette bannire des mouvements sociaux insurrectionnels (Patarins [16]). Une fois alli aux Normands, il les baptise "chevaliers du pape".
Lorsqu'on place la croisade dans cette ligne, elle devient une prise de pouvoir symbolique de l'Eglise sur la noblesse : au lieu d'attirer lui un par un des milites Sancti Petri, le pape Ñ l'instar du joueur de flte de HamelinÑ rassemblerait en masse les milites Christi. La protection juridique des biens du crois jur est de mme nature que les privilges d'immunit des abbayes [17], les dcrochant de leur suprieur et juge naturel pour les accrocher au pape. Si la "paix de Dieu" est concurrence par la "paix du Roi" (ou du comte), la guerre de Dieu remplace les guerres "laques" [18].
L'Urbain de nos lgendes est cette trompette triomphante au son de laquelle la noblesse oublie ses suprieurs naturels et l'Occident roule sur l'Orient, marginalisant les rois excommunis [19], l'antipape de Rome, Guibert (Clment III), ses partisans [20], et annihilant l'empereur germanique qui, selon ses propres prtentions universalistes, aurait d initier la libration des chrtiens d'Orient en alliance avec les rois et l'empereur de Constantinople.
Voire.
On oublie qu'Urbain est en fuite et que, encore en 1098, Clment, son challenger, effacera par le feu ses actes pontificaux. Rome lui chappe, maints cardinaux se sont rangs du ct du pape de Rome (Clment III), la plupart des vques germaniques soutiennent l'empereur, les autres accordent Urbain plus de rvrence que d'obdience, les rois font ce qu'ils veulent, les dmes ne rentrent pas, les Normands d'Italie sont des allis dangereux, Urbain craint le roi Philippe et aussi le duc de Bourgogne sur les terres desquels il se garde de mettre le pied...Ce pape en pril n'a rien d'un matre du monde !
L'objet du concile de Clermont de 1095 n'est pas la croisade. Rpliquant en France le Concile de Plaisance de la mme anne, il reprend les standards de la "rforme". Il condamne l'investiture laque des fonctions ecclsiastiques et, plus encore, il nie les devoirs fodaux associs : les terres ecclsiastiques ne sont pas des fiefs, elles appartiennent l'Eglise et ne doivent pas de service. Les laques n'ont rien exiger. Au contraire, ils doivent dfendre le patrimoine de l'Eglise et sa libert. Et tout particulirement ceux du chef de l'Eglise.
Rien de neuf. Ce sont les proclamations habituelles qu'il faut faire approuver de faon rcurrente sans que, pour autant, elles soient suivies d'effet. Pourquoi la libration de l'Eglise d'Orient serait-elle autre chose ? Un appel au consentement et l'obdience, non un but politique pratique. En la prenant son compte, le pape proclame qu'il est (voudrait tre) le chef de l'Eglise d'Orient comme de celle d'Occident. Et son concile est runi pour valider cette "papalit".
Urbain est un habile, un raliste, non un illumin comme le bouillant Grgoire [21]. Au lieu de se battre, il rachtera Rome, morceau par morceau. Il a rassembl ses soutiens "italiens" Plaisance, il rassemble maintenant ses soutiens transalpins. Sa tourne mridionale aprs Clermont ne vise pas prononcer les sermons enflamms lgendaires qu'on lui prte pour en faire le pre de la croisade. Elle vise assoir son pouvoir. Elle sert renforcer son rseau d'influences (notamment clunisiennes), en consacrant des glises, en distribuant des privilges d'immunit, en levant des fonds, en arbitrant les innombrables conflits entre les abbayes et les vques et entre les abbayes elles-mmes (Crozet 1927).
Le pape ne fait pas d'agit-prop en faveur de la croisade, ce sont des "prcheurs" qui parcourent glises et marchs, chteaux et places publiques. Ils n'ont pas laiss de traces crites. On ne sait rien d'eux, sauf une chose : ils ne sont pas les agents directs du pape. Ca n'existe pas encore. Ce sont des allums charismatiques comme d'Arbrissel ou l'Ermite. Ils parlent directement au nom de Dieu, ils oprent des miracles, leur saintet en fait des mdiateurs. Les gens se pressent frntiquement pour les toucher, les entendre et les suivre. Les plus excits de leurs "aptres" prennent le relais et prchent en leur nom. Nul doute qu'ils soient nombreux et qu'ils multiplient les disciples. Nul doute que, chaque tour, le message ne se simplifie, se dramatise et se "millnarise". Comment les gens de ce temps, immergs dans le sacr, ne s'mouvraient-ils pas quand Dieu, par la bouche d'un saint vivant, les appelle librer Jrusalem, combattre l'Antchrist et rejoindre le Paradis...Les barons et leurs chevaliers, gure plus duqus, ne sont pas faits d'une autre toffe.
La croisade n'est pas papale. Adhmar, lgat du pape auprs de Saint-Gilles, ne jouera que le rle d'archichapelain arm et de mascotte [22]. Les gens du pape ne russiront pas s'emparer du royaume qui tombe du ciel. La croisade se fait sans le pape [23].
Qu'il ait lanc une proclamation gnrale librer
l'Eglise d'Orient aussi thorique que celle qui nie les devoirs fodaux de l'Eglise, ou qu'il se soit born bnir l'expdition de Saint-Gilles en cours de mobilisation, ou que, en dehors de lui, la dynamique des plerinages ait pouss des fous de Dieu prcher la libration de Jrusalem, Urbain a la surprise de voir des bandes armes partir outremer. Il les bnit bien sr. Invraisemblablement, elles russissent, prennent Antioche et librent Jrusalem. Elles n'taient pas diriges par le pape, ni par un roi. Elles ne veulent d'autre gnral que Dieu.
L est le miracle. L est le danger, l'immense danger. Depuis qu'une Eglise chrtienne s'est pose comme mdiatrice entre le Ciel et la Terre, elle se heurte la spontanit de la multitude : glises ou abbayes "prives", saints ermites, prcheurs non autoriss, illuminations, soulvements mystiques. Toute l'histoire de l'Eglise catholique, tout son dveloppement institutionnel consiste combattre l'hrsie du contact direct avec Dieu. Elle lui oppose, non sans mal, une chane de commandement totale (et toujours conteste) : organisation centralise, contrle du prche, nominations et discipline ecclsiastique.
1099 surprend l'Eglise papale en plein milieu d'une rforme qui est une tape dcisive de ce processus d'organisation de la societas christiana dont l'issue reste alors encore incertaine (empereur, rois, mtropolitains, vques etc.). Il vise, ce processus, dsintriquer l'Eglise et le sicle, les clercs et les lacs, et recomposer l'articulation des deux glaives.
Et voil que "Dieu" donne Jrusalem aux lacs comme pour renverser dix sicles d'histoire ecclsiastique, comme pour annuler le dernier sicle de rvolution papale !
Que Dieu se passe du pape, que le miles Christi diverge du miles Sancti Petri, que les barons ne fassent pas hommage de Jrusalem au pape, qu'ils dsignent un patriarche douteux (Arnoul de Chocques) pour occuper le sige le plus sacr de la Chrtient, tout cela est impensable, ne peut exister, n'a pas exist, n'existera pas. Il faut rintermdier.
En septembre 1098, la lettre des barons envoye d'Antioche Rome (dont on n'a pas le texte original) n'tait vraisemblablement pas l'appel au pape qu'on en a fait pour le remettre au centre [24]. Aprs l'explosion cosmique que reprsente la libration de Jrusalem, aucun de ceux pour qui Urbain est l'hritier de St Pierre ne pourrait imaginer qu'il n'ait pas allum la mche. En particulier, quelques chroniqueurs fidles au pape [25], crivant aprs Jrusalem, feront de lui l'origine et le moteur, lui prteront un appel de Clermont qu'il doit avoir lanc puisque l'ordre divin veut que les clercs dirigent les lacs et que les clercs suprieurs dirigent les clercs infrieurs. N'oublions pas que dans ce monde la vrit n'est pas factuelle : est "vrai" ce qui doit tre.
Ex post, la marginalisation de l'Ermite par les chroniqueurs et la rintermdiation en gnral transforment les prcheurs en envoys et agents du pape Ñ ce qu'ils deviendront rapidement (Dominicains), quoique des agitateurs intempestifs et non autoriss continuent soulever les foules comme ce Rudolf que Bernard de Clairvaux devra combattre dans la phase de lancement de la seconde croisade ou comme ces prophtes qui rassembleront les croisades des enfants.
La
rinterprtation de la nature de la "croisade" (Bernard de Clairvaux) en fait une entreprise de salut individuel. Le moyen devient la fin : la croisade permet de sauver son me, directement (plerinage) et mdiatement (indulgences). Les papes du XIe suivaient une longue tradition en galant la participation une guerre sainte une pnitence, remplaant toute autre impose Ñou susceptible d'tre imposeÑ par un confesseur pour prix de l'absolution conditionnelle donne un pcheur repentant [26]. De mme, les vques admettent (ou prnent) le caractre pnitentiel du travail effectu par dvotion au chantier d'une cathdrale [27].
L'volution au XIIe [28] et les canons du XIIIe, papalisent le pouvoir des clefs et l'tendent l'au-del (purgatoire) [29]. De mme que l'conomie financire des croisades passe par la fiscalit et l'administration papales, de mme l'conomie du salut passe par l'appareil de distribution des rtributions spirituelles. L'argent et le salut vont ensemble : en 1215 Innocent III permettra de remplacer ou de racheter un vÏu de croisade par un versement en numraire et accordera des indulgences ceux qui apportent des subsides la croisade [30] .
Le rle des papes comme matre d'Ïuvre des expditions de secours diriges par les rois rendra rtrospectivement vidente l'quation de la papaut et de la croisade. Les canons de la Croisade formuls par Innocent III, aussi tardifs qu'inefficaces, rejailliront sur les expditions antrieures qui en deviendront des anticipations.
Cette
typification sera dveloppe, complte, acheve et conceptualise par nos historiens qui cherchent dfinir l'essence de la "croisade" et dbattent l'infini du paradigme crusadique...
Les croiss font la croisade. Pour exposer cette endognit, commenons par expliciter deux postulats anthropologiques.
Les
"barons" Ñ comme tout le monde en ce temps Ñ baignent dans le sacr (qui n'est pas synonyme de "religieux", encore moins de "clrical"). Aussi difficile comprendre que ce soit pour nous aujourd'hui, le sacr n'est pas un "facteur", il fait partie de la vie. Si Baudoin de Boulogne a les genoux cagneux force de prires, c'est, comme les jambes arques du cavalier, de l'ordre du phnomnologique, pas de l'ontologique. La familiarit de ces gens avec ce que nous appelons le surnaturel en fait, pour eux, quelque chose de naturel : battre les statues des saints, maltraiter les reliques, tancer Dieu ou ngocier avec lui, capter la bienveillance d'une relique, relve d'un dialogue vivant et direct entre la Terre et le Ciel. Quoique l'Eglise de la "rforme grgorienne" s'emploie imposer son intermdiation et la papaut sa "verticale du pouvoir", elle est encore loin, trs loin, d'avoir le monopole du sacr. Tout baron peut la fois adorer les saints et piller les monastres, construire des glises et en dtruire d'autres, chercher son salut et vivre excommuni. Ses rapports avec l'Eglise (au sens large) sont d'autant plus ambivalents que la concurrence pour les ressources entre les deux est plus vive.
En effet, comme tout bÏuf a besoin d'herbe, tout baron a besoin d'un pays pour patre ses chevaux, entretenir ses hommes et fleurir son honneur. Je dis "pays" pour rester vague car, aux Xe/XIe, le baron n'a pas de conscience topographique (Lisson, 2017) : le pouvoir ne se pense pas territorialement comme nous le font supposer les frontires des Etats modernes et une illusoire cartographie historique. On s'abuse en cherchant pourquoi le comte de Toulouse, "rgnant" des Pyrnes aux Alpes, abandonne tout. On le verra, Raymond, comme les autres, ne rgne pas sur un espace, il a des droits dans un espace, certains acquis, d'autres prtendus : aucuns ne sont garantis, la comptition est permanente. L'espace du pouvoir n'est pas encore un stock patrimonial, mais un flux (et souvent un reflux). Comme l'crit excellemment Lisson : united territories did not exist and power needed constant maintenance. Ni les Grands ni les moins grands ne quittent un domaine bien rgl pour se lancer l'aventure (give
up the certain for the uncertain) ; ils remplacent une aventure par une autre ou peut-tre poursuivent ailleurs la mme aventure, changeant un incertain contre un autre. Et leurs hommes les suivent, en partie parce que ce sont leurs parents ou patrons (France, 1997), en partie parce que c'est business as usual.
Au-del des diffrences conjoncturelles et personnelles entre partants et non partants d'un ct, au sein des partants de l'autre, leur type est le mme : ces btes bon Dieu sont aussi des btes de guerre qui vivent en meute. J'emploie ce vocabulaire pour creuser le foss entre eux et nous, dsynchroniser, exprimer l'tranget (otherness) de ces sires auxquels nous ne devons prter ni notre rationalit ni nos mta-concepts.
L'histoire de brigands dont riait le XVIIIe sicle [31] est aussi anachronique que l'hagiographie. Essayons d'tre contemporains : Urbain II n'est pas "le" pape mais le challenger de Clment III, le pape n'est pas l'Eglise (vques, abbs, chapitres...), l'Eglise n'est pas la Religion, la Religion n'est pas le Sacr, le Sacr ne s'oppose pas au "profane" : l'ambiance mystico-magique [32] n'exclut ni l'honneur, ni l'aventure, ni le butin, ni la conqute ; tout cela marche ensemble, ce que ne voyait ni la critique antireligieuse du XVIIIe ni l'analyse matrialiste du premier XXe.
Ds le XIIe sicle, les chansons de geste traitent la participation des chevaliers et barons la Croisade comme une affaire d'honneur (Flori, 1990) [33] : il s'agit de ne pas forfaire sa foi et de suivre son comte ou son sire, et d'obtenir la gloire en se distinguant des autres par sa vaillance. Si l'on prend en compte les valeurs propres la sieurie, la transmutation ultrieure de la croisade en exercice de chevalerie [34] n'apparat plus comme une corruption sportive ou une dgnrescence individualiste mais comme l'aboutissement d'une tendance inhrente, sublime dans la reprsentation quand la ralit la condamne (cf. la malheureuse charge de Nicopolis en 1396).
Les Croisades deviendront la guerre de Troie de l'Europe [35] Ñ unit contre l'autre, rivalits entre soi, exploits hroques, interventions divines. Leur transmutation en popes, mlant le roi Arthur, Charlemagne et Jrusalem, engendrera leur Homre, le Tasse, dont la fantaisiste et tardive clbration (Jrusalem libre, 1581) aura une immense fortune : sans parler de Chateaubriand, le Tasse est omniprsent dans le premier tome de l'Histoire des Croisades de Michaud (1825) ! Armide et Renaud, Clorinde et Tancrde etc. inspirent abondamment peintres, dramaturges, chorgraphes et auteurs...Imaginons que, au XXVe sicle, la Jrusalem dlivre demeure la seule trace de la croisade : Je
chante les pieuses armes, et le capitaine qui dlivra le grand tombeau du Christ (I, 1)...[36]. Nos lointains descendants auraient Ñvia Le TasseÑ le mme rapport avec l'vnement que nous avec Troie via Homre ! Armide deviendrait leur Hlne...Et ils n'auraient pas l'ide d'imputer la croisade un Urbain que le Tasse ne mentionne qu'une seule fois, en passant : pour lui, le gourou de la croisade, c'est l'Ermite.
Attention !
"Dpapaliser" la croisade ne la lacise pas. Cela n'aurait pas de sens pour une poque et des acteurs qui ignorent notre diffrence entre "lac" et "religieux". Nous voyons une dimension laque, non seulement dans les pillages et conqutes, mais dans l'idalisation de l'honneur qui engendrera les standards de chevalerie, tant littraires que comportementaux. Et, ct, nous voyons une dimension religieuse (pnitences, prires, processions...). Nous avons tort de projeter nos catgories. Concernant les acteurs concrets, il vaut mieux parler de "sacr" que de "religion" pour viter les schmas institutionnels de l'Histoire ecclsiastique. Dans
ce temps, le sacr est partout, c'est un mode de vie et une pratique qui, pour presque tous, doit plus la magie qu' la thologie, aux miracles qu'aux sacrements, aux rites qu'aux rituels. On a dit des anciens Romains qu'ils pratiquaient la religion du "faire". Avant la devotio moderna n'y-a-t-il pas quelque chose de cela chez nos Chrtiens ?
La
sainte arme inclut une multitude de serviteurs, tcherons et femmes de peine, filles de joie et trafiquants. Quand tout va mal, on chasse les non combattants pour dissiper le courroux de Dieu en purifiant les guerriers. Une fois les confessions et processions faites, les cierges brls, l'encens dissip, les cantiques chants, les messes dites et la faveur de Dieu revenue, on rappelle les "mauvais" (qui ne partent jamais bien loin) et les "turpitudes" recommencent.
Il est commun d'identifier les expditions par le ou les Grands qui y figurent. Cela vaut mieux que les qualificatifs pseudo-ethniques (Provenaux, Picards, Lorrains, Normands...) mais l'expression consacre de leaders est maladroite ou mme mystificatrice : chaque "arme" est une collection de troupes. Chaque comte, chaque sire, vient avec ses hommes qu'il tient et retient par loyaut, rcompense, habitude. Les Grands ont plus d'hommes, plus de richesses, plus de relations, plus d'influence : s'ils psent davantage, ils ne sont pas des chefs. Ne disons pas que telle expdition est sous "le commandement" de tel comte ou duc, mais plutt sous sa bannire.
Ne cdons pas la "peopolisation" laquelle poussent la fois la documentation et l'apptit de l'Ïil pour ce qui brille, surtout dans la proximit de trnes que l'Histoire ultrieure a mythifis (les
personnes royales sont d'une sorte part). Hugues le grand n'a rien de grand. Voyant la "1re croisade" la lumire de St Louis, on a magnifi le frre du roi Philippe, le maisn (moins n = cadet), comme si Philippe, exclu par son excommunication, se faisait reprsenter ; comme si Philippe, par anticipation, tait un "roi de France". Philippe n'a pas grand chose d'autre que sa couronne et, comme il a dj un fils pour la recevoir, un frre, mme valeureux, ne compte gure. La chance de Hugues est d'pouser une hritire : il est comte de Vermandois par sa femme Adle dont le frre a t pralablement dshrit [37]. Sa petite troupe est la premire partir. Passant par les Alpes et Bari, ils subissent une tempte en traversant l'Adriatique dans laquelle la plupart disparaissent. Les rescaps arrivent Durazzo d'o Hugues est conduit Constantinople. Sans douter de sa valeur guerrire, il ne mrite pas d'tre surhauss par une "royalit" qui n'a alors pas cours. Il n'est pas le premier (princeps),
seulement le premier partir (primus) !
Il sera aussi un des premiers rentrer : aprs la prise d'Antioche, envoy en ambassade l'empereur pour demander des secours, au lieu de rejoindre ses besogneux camarades, il quitte le pays, prenant place parmi les dserteurs qui se rachteront la malheureuse expdition de 1101 [38].
De manire variable, les chroniqueurs louent leur Grand. Le remettre dans son contexte local conduit relativiser. L'paisse brume informationnelle n'expose au soleil que les pics les plus levs dont les noms sont clbres. Elle cache les contreforts (les sires, leurs hommes, leurs pauvres), les vides (les absents) et les monts anonymes : une multitude d'expditions restent invisibles, faute de chef connu et de traces documentaires : outre les "pauvres" dont nous parlerons (€3a-ii), mentionnons cette flotte "anglaise" qui aurait captur Laodice, ces "Lombards" que les comtes trouvent dj arrivs, et tant d'autres dont nous ne savons rien.
On ne peut pas cartographier des absences qui n'ont pas assez t tudies : outre une bonne partie des "comtes" germaniques mobiliss pour l'empereur ou trop occups par la "guerre civile" ; outre les sires anglais retenus par leur roi (Rufus), les "espagnols" vous leur propre libration, il manque les comtes d'Aquitaine et leur duc, ceux d'Anjou, ceux de Bourgogne. Remarquons qu'ils ne sont nullement stigmatiss. Dira-t-on que, mme aussi "chrtiens" que les autres, ceux qui restent ont autre chose faire ? Mais les partants aussi avaient un agenda local, parfois plus pressant ! On ne trouve pas de diffrences significatives qui enrichiraient l'analyse historique.
Qu'il y ait tant d'absents invalide le thme de la "leve en masse". Ici, des comtes sont sensibles ( quoi ? l'aventure ? la gloire ? Jrusalem ? l'mulation ?) et enclenchent un processus de mobilisation. L, ils ne le sont pas. Est-ce d aux vecteurs (qualit des prcheurs ou envoys) ou aux circonstances locales ou personnelles ? Les uns poussent ou sont pousss, les autres non. Mais ils ne sont pas diffrents, comme en tmoigne la liste des participants aux expditions de 1101 (Cate, 1969). Par exemple, en 1095, Guillaume (IX d'Aquitaine et VII de Poitiers), ne part pas, quoiqu'il ait bnfici de la meilleure propagande puisque la tourne d'Urbain se fait largement chez lui. En 1101, il part, malgr sa rcente conqute de Toulouse.
Pour 1096, les expditions significatives comprennent quatre vagues indpendantes (chaque groupe tant fait de morceaux plus ou moins lchement confdrs) : deux grandes et deux petites. Les premires sont les troupes des "Provenaux" et le conglomrat des "Normands-Flamands-Blsois". Les secondes, les Italo-Normands et les "Lorrains" qui, de marginaux, deviendront centraux.
Malgr sa supriorit (richesse, effectifs, pape... [39]) Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, ne parvient pas imposer son leadership et, de 1096 sa mort (1105), va d'chec en chec. Sans surestimer le "hiatus culturel" entre oc et ol, on pourrait penser structurer le jeu des comtes en opposant le pole "provenal" la constellation normande [40]. Mais cette constellation n'est pas un parti. Les "Normands-Flamands-Blsois" n'agissent pas ensemble et leur importance est tactique, non stratgique, la diffrence des "Provenaux", des "Italo-Normands" (Bohmond) et des "Lorrains" (Godefroy, Baudoin).
Nous examinerons d'abord le conflit entre les deux premiers et son arrire-plan (a), puis introduirons les derniers (b), avant de gnraliser (c).
Rappelons
que, dbut XIe, des Normands ÑBohmond en est issuÑ ont dcouvert les opportunits de l'Italie du sud byzantine. Ils ont combattu pour et contre les uns et les autres avant de se mettre leur compte. Ils ont combattu et mme vaincu le pape (Civitate, 1053) jusqu' ce qu'il soit pouss s'allier eux par besoin de soutien contre les Byzantins d'abord, l'empereur germanique plus tard : en devenant vassaux du pape (Melfi, 1059), ils lgitiment leurs conqutes passes et futures (Sicile). C'est sous la bannire (vexilla) papale qu'ils prennent la Sicile aux Musulmans et rtablissent les glises partir de 1061. A prsent, milites Christi, ils sauvent Grgoire VII du dsastre (1084) et se payent en pillant Rome. Si Guibert (Clment III) est un pape germanique, son challenger, Urbain II, est un pape normand [41]. Quelque vingt-cinq ans aprs la prise de Jrusalem, le chroniqueur William de Malmesbury fera de Bohmond l'inspirateur d'Urbain : la faveur de la croisade, Urban might obtain Rome; and Boamund, Illyria and Macedonia [42].
En effet, les Normands, une fois l'Italie du sud conquise sur Byzance, ont regard de l'autre ct de l'Adriatique. Opposant l'or au fer, Byzance a excit les rivalits entre Normands et les rvoltes urbaines contre eux (McQueen, 1986). En recrutant massivement des mercenaires normands [43], Byzance augmente son potentiel militaire et diminue celui des chefs adverses : s'ils ne rtribuent pas suffisamment leurs hommes, ceux-ci partent en face. Enfin, l'empereur de Constantinople exploite les conflits au sein de la Chrtient occidentale : en s'alliant l'empereur germanique, il fait pression sur les allis du pape.
Byzance ne sait pas rsister la force des Normands dans les batailles en face face, comme le montrent les victoires de Guiscard en Illyrie en 1081. Mais Byzance sait susciter des troubles en Italie du sud et une attaque du pape par l'empereur Henri IV. Cela oblige Guiscard rentrer (1084), laissant le commandement son fils Bohmond. Celui-ci poursuit la pntration jusqu' ce que l'affaiblissement de son arme finisse en droute : non pays, ses hommes le quittent pour Byzance.
Si Bouillon est la star posthume de la croisade, Bohmond en est la star prsente, une lgende vivante [44]. Sa force, son physique avantageux, son charisme, sduisent jusqu' Anne Comnne : un
homme tel qu'on n'en avait jamais vu dans l'empire, sa prsence blouissait autant les yeux que sa rputation tonnait l'esprit [45]. Aussi impressionnant qu'elle le trouve, Anne l'habille en fourbe, qui, sous prtexte de pit, cachait le dessein de s'emparer de Constantinople et, sa suite, une grande partie des historiens en fera le bad guy, le symbole d'un opportunisme qu'on prte trop gnreusement aux Normands, oubliant que, dans la guerre de tous contre tous, la souplesse est aussi ncessaire que la force physique. Il est vrai que "les Normands" (une gnralisation abusive) ont gagn plus souvent que les autres.
Bohmond a toutes les apparences de l'aventurier sans avoir ni scrupule [46]. A la guerre illyrienne de Guiscard, il n'a rien gagn. Ensuite, son hritage lui chappe et passe son demi-frre qu'il combat pour en arracher des morceaux, sans pouvoir aller trop loin en raison de la vigilance de leur oncle commun, Roger de Sicile.
Bohmond saisit la chance de la croisade. Abandonnant le sige d'Amalfi qu'il faisait avec son frre et son oncle, il emmne avec lui une bonne partie de l'arme. Mais il manque de ressources : pour s'imposer ses hommes et compenser son infriorit par rapport aux grands comtes latins, il fait la paix avec l'empereur Alexis et entre son service (Sheppard, 1988). Il s'entremet activement pour obtenir des autres Grands qu'ils jurent fidlit l'empereur. C'est encore comme lieutenant de l'empereur qu'il ravitaille les assigeants de Nice. Il espre devenir domestic of the East. Antioche le dvie. L'occasion est trop belle et l'empereur superflu. Bohmond arrache Antioche Saint-Gilles et y reste, au lieu d'aller librer Jrusalem. Quelques annes plus tard, en proie la double pression des "Turcs" et de l'empereur, Bohmond s'chappe pour assembler en Europe une arme qui secourrait Antioche contre l'empereur. Le pape lui donne sa bndiction et un lgat pour prcher croisade. La tourne "franaise" de Bohmond suscite l'enthousiasme. Il y gagne d'pouser une fille du roi Philippe (et d'en envoyer une autre Tancrde), ce qui n'est pas grand chose mais a bonne allure [47]. Son arme, dbarque en Illyrie, n'est pas combattue de front par Alexis qui la vainc en coupant ses approvisionnements. Bohmond doit se reconnatre vassal de l'empereur pour Antioche (trait de Dabolis, 1108). Il meurt (1111) [48] : Rodomont le "loser".
Au contraire, son rival, le vieux Raymond de Saint-Gilles, a toutes les apparences de la pit, de la fidlit aux serment et du dsintressement. A la faveur d'hritages, il en est venu "rgner" des Pyrnes aux Alpes. Aprs deux mariages fructueux, il vient d'pouser la fille du roi de Castille-Lon et sa riche dot qui l'accompagnent en Orient. C'est, pour partie, dans ses terres qu'Urbain fait son "tour de France". Raymond est le premier prendre la croix. Il aurait tout abandonn son fils Bertrand et jur de ne jamais revenir. Il est pieux. Il est bon pour les pauvres, les dfend et les nourrit. Rticent d'abord prter serment Alexis, il lui serait ensuite le plus fidle. Il aurait si peu d'ambitions personnelles que son "comt" de Tripoli est le dernier voir le jour. Il meurt en 1105. L'opposition "culturelle" entre provenaux et "nordistes" d'une part, la jalousie l'gard de ses richesses et puissance d'autre part, en feraient le mal-aim d'une croisade dont il aurait d tre le chef naturel et laquelle il aurait tout sacrifi.
Vraiment ?
Il est vrai que la troupe de Raymond est la plus nombreuse (quoiqu'elle manque de comtes et de chevaliers) et que son Trsor ne s'puise jamais. Par contre, le "quasi royaume" mridional des Pyrnes aux Alpes que maints historiens lui prtent est une double illusion. D'abord, la faon dont Raymond se fait comte est douteuse (mystrieuse viction de son frre Guillaume et, sa mort, spoliation de Philippa, l'hritire de celui-ci Ñcf. Pradalier, 2005 [49]). Ensuite, le grand comt n'existe pas : dans cette curieuse principaut bipartite deux ples (Toulouse et Nmes), le duc d'Aquitaine et le comte de Barcelone ont des droits importants et des prtentions considrables ; de plus, le comte de Toulouse est en concurrence avec "ses" comtes, vicomtes, chtelains, et les entits religieuses qu'il soutient sont attaques par d'autres [50]
On dira que le tableau n'est pas propre ce pays et qu'on pourrait dresser peu prs le mme du comt de Blois ou de n'importe quel autre. Justement, c'est le point : Raymond est comme les autres. On a glos exagrment sur la "tradition romaine" qui aurait fait du comt de Toulouse un proto-Etat. Peut-tre a-t-elle retard la "rvolution des chteaux" et modifi ses formes, elle ne l'a pas prvenue. Au XIe, le "pouvoir comtal", dpourvu de base castrale, est une coquille presque vide (Dbax 2005 et 2016 [51]). A preuve : la crise qui suit le dpart de Raymond. La conqute de Toulouse par le duc d'Aquitaine en 1098 au nom des droits de son pouse Philippa [52] bnficie du soutien des innombrables challengers des comtes, augments des ennemis que Bertrand s'est fait par sa maladresse. Interrompue par le dpart en Orient de Guillaume et vraisemblablement le paiement d'une ranon par Bertrand (1101), l'offensive aquitaine reprend (1108-1119), cause ou consquence du dpart de Bertrand en Orient [53].
Finalement, loin d'tre un "quasi roi", Raymond ressemble Robert Courteheuse (Curthose), duc de Normandie : l'Orient le soustrait la situation impossible de son pays [54]. La comparaison tournerait mme l'avantage de Robert qui, non seulement fait payer trs cher l'engagement de la Normandie son frre roi d'Angleterre, mais, aprs une croisade aussi honorable et confortable que possible, rejoint la Sicile en hros, capitalise sa gloire en pousant une belle et riche hritire dont la dot rachte son duch [55] (qu'il reperdra plus tard comme on le sait) !
N'en dduisons pas trop vite que les Grands (et les moins grands) partent pour chapper leurs problmes et tenter une nouvelle chance. Ne remplaons pas le schma des cadets par celui des "losers". D'autres ont les mmes difficults et ne partent pas. S'il est banal de dire que les problmes font partie de la vie, dans le monde instable de ce temps tout pouvoir est problmatique et, dans une certaine mesure, alatoire. Rptons le : power needed constant maintenance.
La rivalit de Bohmond et de Raymond Antioche, thorise comme une opposition propos du respect des serments prts l'empereur, est un conflit d'appropriation, non seulement de la ville mais de la Syrie o, du ct de l'Euphrate, Baudoin de Boulogne se fait "comte" d'Edesse, ce qui, on le verra, renforce la position de son frre Godefroy de Bouillon.
Antioche est la deuxime ville de l'empire, l'un des cinq patriarcats de la Chrtient (St Pierre), la capitale de la Syrie byzantine. Sa richesse, sa localisation, ses fortifications, lui donnent un poids stratgique. Puisque Bohmond n'a pas obtenu le mandat de l'empereur (domestic
of the East), il se fait autocrate, prenant, du fait d'Antioche, une option sur tout l'Orient, faire ratifier ou pas par l'empereur selon les circonstances. On comprend les rticences jalouses des autres Grands et l'opposition de Raymond dont l'chec nous masque qu'il a la mme ide. Ce n'est pas seulement pour se renforcer Antioche que Bohmond ne participe pas la marche vers Jrusalem : "gopolitiquement", Jrusalem est une priphrie sur laquelle celui qui tient Antioche a dj une main [56].
Bohmond sera du : la faveur de son absence, la dynamique interne de la conqute conduit instituer un "royaume de Jrusalem". C'est un des nÏuds de l'expdition. Notons que, propos de Jrusalem, nul ne songe mentionner les serments Alexis et les droits de l'empire. Son statut se dispute entre Croiss : les barons dboutent l'Eglise qui voulait un fief papal et dcident de choisir un roi. Les autres Grands tant, soit prts partir, soit inacceptables, ils lisent Godefroy de Bouillon, duc d'empire pour la Basse-Lorraine (encore un faux-semblant Ñcf. infra) puis nomment eux-mmes un patriarche (le normand Arnoul de Choques). Godefroy convient aux barons : d'un ct, il a toute la noblesse souhaitable (double ascendance carolingienne) ; de l'autre, il n'a pas la capacit de les empcher de se constituer des domaines, fiefs fictifs ou princes. Ce faisant, volontairement ou non, entrans par la mystique de Jrusalem, les barons portent un coup stratgique la position d'Antioche [57]. Bohmond cherchera la rtablir en jouant la carte papale (remplacement d'Arnoul par Daimbert et revendications "thocratiques" de celui-ci) mais il ratera l'occasion de la mort de Godefroy, tant fait prisonnier peu avant (Melitene). Baudoin succdera son frre et, surmontant l'opposition du clerg, parviendra, lui, se faire couronner roi.
Quelques annes plus tard, Raymond de Saint-Gilles, tant de fois du (Antioche, Arqa, Jrusalem, Ascalon...), n'aura pas de scrupule se saisir du petit "comt" de Tripoli, montrant ainsi que, Antioche, la dfense des serments et des droits de l'empereur lui servait contrecarrer les ambitions de Bohmond dont le modle de phagocytose tait partag par tous.
Etonnante
carrire posthume de Godefroy de Bouillon ! Il deviendra un hros d'pope par dbordement de la mystique de Jrusalem : de la lgende du cygne la Jrusalem dlivre, en passant par la chanson de Jrusalem, Godefroy, le capitaine qui dlivra le grand tombeau du Christ, saint et super-hros, sera prsent, rtrospectivement, comme le chef de la premire croisade [58].
Albert d'Aix, son chantre : Ici commence le premier livre de l'histoire de l'expdition Jrusalem, dans laquelle sont raconts les hauts faits du trs-illustre duc Godefroi, dont le zle et les travaux dlivrrent la Cit sainte des mains des infidles et la restiturent aux fils de la sainte Eglise.
Mais aussi Guibert : autant le duc Godefroi tait suprieur ses frres par sa sagesse, autant il le fut par sa puissance et par le nombre des chevaliers qui le suivirent.
Parmi toutes les illusions engendres par la mystique de Jrusalem, cette assomption de Godefroy est la plus surprenante. Ex ante, le grand homme, ce n'est pas lui mais son frre an, Eustache III comte de Boulogne, celui dont, ex post, on parlera le moins : overlooked or dismissed, il reste in His Brothers' Shadow (Tanner, 2003). Eustache, probablement parti avec les deux Robert (Normandie et Flandres), se joint ses frres Godefroy et Baudoin aprs Constantinople.
On ne croit plus la thorie des cadets dmunis : la via
sancta doit tre pave d'or. Toutefois, il se trouve que la plupart des "Grands" de la premire croisade sont des cadets. Ils sont fortuns Ñsine qua nonÑ mais cadets. Cela dnote sans doute des capacits ou des circonstances particulires : Raymond de Saint-Gilles, Godefroy et Baudoin. Si Bohmond est techniquement un an, les circonstances en ont fait un cadet. Etienne de Blois et Courteheuse chappent la rgle, mais le premier se couvrira de honte et le second restera comme le sleeping duke.
Eustache III, comte de Boulogne, est le fils et hritier du riche Eustache aux germons [59], descendant de Charlemagne la fois par son pre et par sa mre. Il jouit de l'heureuse position de son petit comt au centre du trafic de la Manche (Wissant).
Le cadet Godefroy (dont Guillaume de Tyr fera un an !), sans avenir Boulogne, a t confi son oncle maternel, Geoffroy le Bossu, duc de Basse-Lorraine. Godefroy a la chance que l'chec du mariage du Bossu le laisse sans enfant. Gravement bless par un assassin, le Bossu, au moment de mourir (fv. 1076), adopte le jeune Godefroy (15 ans) et en fait son hritier, lui attirant une multitude d'ennemis qui saisissent l'occasion pour revendiquer telle ou telle possession de Geoffroy : notamment la formidable Mathilde de Toscane et Albert de Namur.
Mathilde,
spare du Bossu depuis leur mariage, est techniquement sa veuve [60]. Soutenue bien sr par son pape (Grgoire VII), elle s'allie Albert, le comte de Namur qui rclame Bouillon, et Thodoric, l'vque de Verdun qui veut rcuprer le comt de Verdun dont le barbu s'tait empar. Elle s'allie mme Manasses, l'excommuni archevque de Reims. Godefroy doit se battre contre tous, dfendu par son tuteur, le prince-vque de Lige.
Quoique l'embrouillamini successoral se mle la querelle des investitures, l'antagonisme de Godefroy avec Mathilde et donc avec son pape, n'a rien de dogmatique : in
the struggle between the rival church factions, he had no pronounced views, and was guided by his local interests (Andressohn, p 42). On ne sait pas s'il participe aux campagnes impriales contre l'antiroi Rudolf (1078/80) et contre le pape en Italie de 1082-84 (prise de Rome).
A la mort du Bossu, Henri IV n'a investi Godefroy que du marquisat d'Anvers, attribuant le duch son propre fils, le bb Conrad, et nommant vice-duc Albert de Namur, l'ennemi de Godefroy. Leur lutte est permanente (Dorchy, 1948). Dix ans aprs la mort du Bossu, Godefroy n'a toujours pas conquis son hritage, malgr les secours reus de son pre et de ses frres. L'empereur le fait enfin duc de Basse-Lorraine (1087), mais la mort de l'vque de Lige (1091) le prive de son principal soutien et lui cause des difficults supplmentaires [61].
Au total, en 1096, si Godefroy a retrouv le titre ducal et gard le comt de Bouillon avec sa forteresse, ses droits restent contests. En ce sens, son dpart a quelque chose d'une liquidation : avec le concours de sa sainte mre Ida, il fait la paix avec le Prieur Saint-Pierre qu'il avait pill, vend ses droits sur le comt de Verdun, Mosay, Stenay et Falkenstein l'vque Richer, et engage le comt et le chteau de Bouillon l'vque imprial Otbert de Lige. Bonne affaire pour ses comptiteurs !
Son dpart en Orient semble devoir moins l'enthousiasme qu' l'mulation [62]. L'exemple d'autres Grands, commencer par son an, Eustache, la pression maternelle et, peut-tre, les difficults locales l'ont dcid. A 35 ans, s'il s'est beaucoup agit, il n'a pas russi grand chose. Il n'est mme pas mari.
Comme c'est la rgle, il demande la permission de quitter le pays l'empereur qui la lui accorde. Si Henri IV ne pousse pas la croisade, il ne l'empche pas, pas plus en 1096 qu'en 1100-1101 [63]. Il ne les peroit pas comme une opration d'Urbain et, moins encore, comme une tentative de le doubler en prenant la direction de la Chrtient sa place. Ses soucis sont plus concrets : les implications "gopolitiques" du remariage de Mathilde de Toscane avec Welf, fils du papaliste Duc de Bavire (1089), lui ont fait prendre l'offensive en Italie o il reste coinc, de 1093 1096, les Bavarois bloquant les cols. A cela s'ajoute le ralliement Urbain de son fils hritier, le vice-roi Conrad. Ce n'est qu'en 1095/96 que l'empereur fait la paix avec Welf et peut rentrer en Allemagne regrouper ses forces.
C'est ce moment que se font les dparts. Godefroy assemble une troupe partir de son "rseau", parents et amis [64]. Ne croyons pas qu'il mobilise les comtes de Basse-Lorraine, ils ne sont pas ses vassaux. Alors, le duch n'est pas une principaut territoriale : Godefroy a des possessions d'un ct, un titre ducal de l'autre, pas un "duch". En Lorraine comme ailleurs, c'est la force qui valide les droits. Le titre de Godefroy est seulement une dignit impriale, sans autorit par elle-mme [65].
Godefroy, sans enfant, semble avoir choisi pour hritier son petit frre Baudoin de Boulogne : initialement vou l'Eglise, celui-ci a pris got la guerre en venant avec Eustache au secours de leur frre et a pous la fille (hlas, non hritire) de Raoul II de Tosny, un grand baron anglo-normand. Godehilde (Godevere) l'accompagne en Orient ( 1097). Baudoin sera le bras droit de Godefroy, tant pendant le voyage (lui et son entourage servent d'otages pendant la traverse de la Hongrie) que pendant le sige d'Antioche o les ressources de son comt d'Edesse alimenteront le Duc, lui permettant de recruter pour renouveler sa troupe qui, malgr le renfort des rescaps germaniques Constantinople, s'est vapore. En ce sens, Baudoin mrite bien sa place de successeur de Godefroy Jrusalem.
Un autre adjoint de Godefroy nous importe : Baudoin du Bourg [Bourcq], encore un cadet. S'il tient aux Lorrains par son pre, Hugues, comte de Rethel en Ardennes, il tient aux Franciens par sa mre, Mlisende, l'une des fameuses Montlery sisters [66]. Par l, il interface le groupe de Godefroy avec les barons d'Ile de France et d'Orlanais, en particulier le Puiset-Montlery gang (Riley-Smith). Adjoint de Baudoin de Boulogne dans la conqute d'Edesse, celui-ci l'enfieffe du comt quand il succde Godefroy Jrusalem en 1100. L'adjoint de Baudoin du Bourg, fils d'une autre Montlery sister, la mort du roi Baudoin (1118), jouera un rle dcisif dans le coup d'Etat par lequel le cousin du Bourg est fait Baudoin II de Jrusalem la place d'Eustache de Bologne (Murray, 1992a).
On s'tonnerait que la petite troupe "lorraine" ait eu un tel succs si l'on ne pensait pas celui de la petite troupe "italo-normande" : les marginaux finissent par occuper le centre.
La "guerre sainte" ne modifie pas le "logiciel" des barons. Ils sont, outremer, les mmes qu'en Europe. Si la "rvolution des chteaux" se termine, ses rsultats ne seront pas fixs avant longtemps : les droits sont instables, la comptition permanente, les rapports avec la fodalit ecclsiastique conflictuels, les fidlits multiples et volatiles. Le schma des hommages ne constitue pas une chane de commandement.
Ce sont ces hommes, les comtes et chtelains, leurs chevaliers, leurs pitons, leurs valets, leurs prtres et leurs clercs, qui passent outremer.
Qu'il ait "faim" ou non, tout baron, tout sire, est un "mangeur de terres" et doit l'tre car cela conditionne son identit, son existence et l'entretien de son entourage. "Mangeur de terres" chez lui, il le reste en Orient, dans ce vide cr par l'absence de l'empereur et les victoires sur les "Turcs". Les historiens d'aujourd'hui, prisonniers d'une alternative anachronique entre "spirituel" et "matriel", discutent et mesurent la part relative de "pit" et d' "avidit". Les barons sont pieux ( leur manire) et accapareurs. Pour autant que le 2me canon de Clermont soit vridique, il nonce que le plerinage vaudra pnitence ceux qui le feront dans le but de dlivrer l'Eglise d'Orient et non pour s'enrichir. Il ne proscrit pas l'enrichissement, il le subordonne : le butin, le pillage, l'appropriation sont des accessoires ou des moyens pour une fin, sanctifis par celle-ci. Raymond en saint et Bohmond prdateur sont des caricatures.
Il est vain de distinguer et compter les "avides", ceux qui restent en Orient, et les "pieux", ceux qui rentrent, leur vÏu accompli, sans accaparer de terres, sans enrichissement, sauf toutefois la gloire et les reliques qui sont un capital transfrable (Robert de Normandie n'est pas le seul !). Parmi eux, certains ressentent la fatigue de la longue et dure expdition ou le "mal du pays", d'autres ont trouv incomestible le dsert palestinien ou manqu d'occasion intressante. Une fois revenus, quelques-uns rejoindront un monastre, la plupart recommenceront "manger de la terre". Les barons ici et l-bas sont les mmes. J'aimerais croire la lgende d'Urbain pour le crditer de ce coup de gnie : avoir mobilis les barons tels qu'ils sont.
Est-ce cause du pige historiographique, de la mystique crusadique ou du mythe de l'Orient que nul ne pense (ou n'ose) comparer cette aventure d'autres contemporaines [67]? La dure d'une expdition de milliers de kilomtres, ses rigueurs, ses effectifs "innombrables", son but et son rsultat eschatologiques (Jrusalem), semblent appeler l'vocation de l'expdition d'Alexandre le Grand aux limites de l'univers plutt que celle de la conqute de l'Angleterre voisine, trente ans avant Clermont. Jrusalem et Londres paraissent d'autant moins comparables que nous les voyons travers leur hritage : les sicles de croisades ritrs et la normalisation papale pour la premire, l'histoire d'Angleterre pour la seconde ; rtrospectivement, ces deux conqutes font poque, chacune dans une dynamique singulire.
Essayons de combattre ce biais et de nous placer dans le temps de l'vnement : la diffrence est-elle qualitative ou quantitative ? une question d'chelle ou de nature ? Dans les conditions "sociotechniques" du temps, l'accs l'Outremer lointain par terre et l'outremer proche par eau demandent des efforts diffrents dont, nanmoins, la somme est beaucoup plus semblable que ne nous le suggrent nos moyens de transport : l'Angleterre est alors infiniment plus loin de la Normandie qu'aujourd'hui.
Le vexillum papal sanctifie Guillaume le btard et sa coalition de Normands, Boulonnais, Flamands et autres, dont beaucoup sont dj pourvus sur le continent. Illustrant la fluidit du monde de ce temps, ils vainquent puis vincent les nobles "saxons". Mais rien n'est acquis. Aussi habile et puissant que soit Guillaume, il subit des rvoltes, saxonnes et aussi normandes. Ses fils le combattent et se combattront. Puis ce sera l'anarchie d'Etienne et les Angevins. Au total, une affaire aussi problmatique que celle d'Orient, avec les Norvgiens dans le rle des Turcs !
Partout, ce moment et plus tard, de telles expditions se font et se dfont : les Normands en Italie du Sud, puis en Illyrie, puis en "Tunisie" ; l'expansion germanique l'Est et en Italie du Nord ; les "Franais" en Angleterre, puis en Languedoc...sans oublier, l'arrire-plan, le grand glissement des "Turcs" vers l'Occident, ni les Slaves...Nous devons nous dprendre de la cartographie et des frontires "intangibles" pour admettre l'instabilit essentielle de ce temps.
Le voyage outremer fait partie de la srie. Ces armes de sires emportent avec elles la "rvolution des chteaux". Pour ces barons, quoique l'outremer ne soit pas vierge (empire grec), ce que personne ne tient Ñou ne tient plusÑ est terra nullius et bon prendre, mais, encore une fois, cela n'implique ni avidit particulire, ni dnuement. Le sire est fait pour prendre, qu'il soit nanti ou non. Il prend pour empcher ses concurrents de le faire, il prend pour lui-mme et pour redistribuer afin d'entretenir la fidlit de ses "clients".
On a longtemps pens que leur famille envoyait les cadets en Orient pour s'en dbarrasser. A cela, on objecte que le cot de l'expdition est tel qu'il vaut mieux garder son cadet que l'expdier. L'argument ne vaut rien : cette "socit" n'est pas base sur l'individu mais sur le groupe. Ce sont les comtes, les barons qui vendent ou engagent des terres, empruntent, pillent, pour constituer des trsors grce auxquels ils financent le dpart et l'entretien des parents et des hommes qui, par conviction, loyaut ou obligation, partent avec eux. Ces liens, il faut les valider en permanence : dans la crise du sige d'Antioche (famine, maladie, intempries Ñcf. infra €3b-ii),
les chevaux disparaissent, mais aussi les clients et les serviteurs.
Aprs avoir pass du "macro" (1re section) au "micro" (2me section), j'adopte une approche "mso" : ayant dcompos "la croisade" en groupes et en acteurs, remplac l'unit par la pluralit, je mets ensemble ces "plusieurs". Quoiqu'ils ne constituent pas un macro-sujet ("la croisade"), ils concourent une action (la campagne d'Orient 1096/99). Elle me pose deux questions, l'une interne, l'autre externe : de quelle matire "sociale" les troupes sont-elles faites ? (a) comment joue la pression des forces extrieures, l'empereur et la guerre (b) ?
Depuis qu'on ne croit plus aux chiffres fantastiques des chroniqueurs, on dbat de l'effectif des croiss Ñune illusion et une erreur.
* Illusion : ce sont les armes particulires qu'il faut tenter d'valuer. Si assembler cent mille hommes demande un miracle (enthousiasme divin etc.), en lever vingt fois cinq mille, c'est presque vingt banalits.
* Erreur : on ne peut pas agrger combattants, non combattants, combattants ventuels et inaptes au combat. Les combattants eux-mmes sont ingaux, "socialement" et militairement : absurde d'additionner les chefs avec les hommes, les chars (chevaliers arms) avec les fantassins. Dix chars et cent fantassins ne font pas 110 units.
Se contenter de mettre ct des "combattants" les femmes et les enfants (Bachrach, 1999) est une dichotomie simpliste. Il faut au moins employer une reprsentation en tages : le Grand, les comtes, les sires ; puis leurs chevaliers ; puis leurs "fantassins" ; puis les combattants potentiels ; puis les non combattants utiles ; puis les plerins inutiles, les invalides et les mendiants. Sans oublier la mobilit entre catgories.
Il faut compter part seniores et minores, et aussi leur gradation (i). La population la plus nombreuse est celle du menu peuple (les "pauvres") (ii).
Evaluer les effectifs au dpart est une pese "sociale" ; l'arrive, une pese militaire. Les chiffres extravagants donns par les chroniqueurs pour 1096 ne sont pas des mesures mais des images illustrant la rponse l'appel de Dieu : lgion ! millions ! multitude innombrable [68] ! Par contre, les chiffres pour 1098/99 sont ralistes et mme sous-valus. Dans le modle cicronien, l'historien n'est pas un narrator, mais un exornator rerum (Dragonetti, 1987) : les chiffres sont rhtoriques. "Beaucoup" ex ante dit l'enthousiasme, "peu" ex post dit la prouesse et le miracle de la victoire.
Quoi qu'il en soit de cet cart, l'attrition est norme entre le dpart du pays et Nice, entre Nice et Antioche, entre Antioche et Jrusalem : beaucoup abandonnent en cours de route, sont tus par les armes, et plus encore par la fatigue, la malnutrition et la maladie (France, 1994, Chap. 5). Ces pertes sont diffrencies.
Les barons et chevaliers rsistent mieux car ils ont plus de moyens, sont mieux protgs et mieux nourris. Mais le chevalier n'est rien sans cheval. Or la mortalit des btes dpasse celle des hommes : l'herbe est le ptrole des armes de ce temps, avec un moindre rendement nergtique et des possibilits de transport limites. En outre, un tank ou un camion sans essence repartira quand on le remplira, alors que, chaque jour, les chevaux doivent tre nourris, abreuvs, reposs, soigns. Il en va des chevaux de batailles et de charge comme des bÏufs et autres troupeaux de nourriture dont dpendent les hommes. Mais les destriers importent spcialement car leur disparition transforme les centaures en culs-de-jatte ! Les chevaliers par nature, les nobles, le restent et, avec un peu de chance, retrouveront ou emprunteront une monture. Les chevaliers par fonction, leurs milites dont le statut tient au cheval sont dclasss et deviennent des pedites.
Le cÏur militaire et "social" d'une expdition est constitu par les equites qui, quoique de rang ingal [69], combattent en armure et cheval. Chacun doit avoir plusieurs chevaux et plusieurs hommes pour s'occuper d'eux et des armes. Ensuite viennent les combattants pied (pedites).
Peut-on estimer la proportion des uns et des autres ? Le trait pass par les barons pour le transport de la 4me croisade par Venise stipulera : pour 1 miles, 2 cuyers et 4,4 pedites. Comme, en un sicle, la technique de guerre n'a pas chang, on peut admettre ces proportions : 1=7 (Murray, 2017 [70]).
Aux combattants "professionnels", il faut ajouter la masse des accessoires. On s'excite propos des fauconniers, on ne pense pas que, avec une technologie base sur la main d'Ïuvre, la vie Ñcelle de tous les jours comme en oprationsÑ, ncessite une multitude de servants dont certains sont personnels (proportionnellement au rang), d'autres communs un groupe : valets, palefreniers, bouviers, boulangers, cuisiniers, forgerons, blanchisseuses, ravaudeuses, pouilleuses etc. etc., augments de leurs aides et de leur famille. Supposons un servant pour un combattant, alors notre 1=7 devient 1=7+7=14. On peut trouver peu nombreux les cinquante chevaliers que le comte de Boulogne conduisit l'expdition d'Angleterre, mais cinquante equites font 350 combattants. Et, avec les servants, on arrive une troupe d'un millier d'hommes : 50 = 1000.
Sur cette base, l'effectif que dplace une arme de 500 chevaliers est de l'ordre de 10'000 personnes auxquelles il faut ajouter les btes et les familles. Tout a doit tre nourri et abreuv, tout a dfilant au pas pendant des jours donne l'impression d'une troupe immense des yeux merveills ou apeurs, inaccoutums voir des masses et incapables de les compter.
En estimant environ 5000 le total des equites partis en Orient en 1096 (France, 1994), cela fait quelque 100'000 personnes sans compter les enfants.
On le verra, il n'y a pas de coupure nette entre non combattants et combattants potentiels. S'ils sont tous des "pauvres", les deux catgories ne concident pas.
Presque tout ce que nous savons de la "1re croisade" est travestissement, rtropolation, instrumentation, mythification. Le comble est atteint avec les "pauvres". A la lumire de quelques passages de chroniqueurs [71] et des mouvements populaires ultrieurs [72], on a cru voir des masses de misrables, saisis d'une fureur mystique, partant sur les routes, la suite des barons ou spontanment l'aveuglette, commettant des atrocits (Juifs de Rhnanie) et en subissant. Certains tenants de l'approche apocalyptique de la croisade ont mme fait de ces bandes les seuls vrais croiss (Alphandry). Qu'il y ait ici et l des hordes d'illumins, qu'il y ait des mendiants la priphrie des expditions [73], ne dispense pas de questionner la nature de la composante populaire. En 1921, Duncalf, pour la premire fois, demande : What's a "poor" ? (cf. aussi Porges, 1946 ; Tyerman,1992). Il rpond qu'on ne peut pas assimiler les pauperes (en latin) de la croisade des pauper (en anglais), des indigents : The
via sancta was not for the pauper. Pour partir, il faut tre libre [74] (serfs did not become crusaders) ou appartenir un groupe seigneurial. Les libres, urbains et ruraux, doivent avoir quelques moyens, emporter le minimum ncessaire au voyage et acheter la nourriture. Les chroniqueurs parlent plus de marchs que de butin. La revendication courante est d'obtenir des marchs ouverts, approvisionns prix normal. Le pillage n'est pas de rgle, il advient lorsque les locaux ne veulent pas vendre, ou ne le peuvent pas, les ressources ayant t puises par les prcdents. Les troupes de "pauvres" qui, le long de la route du Danube, ngocient leur passage et payent leur nourriture, arrivent peu prs intactes Constantinople o leur avance les oblige d'attendre les barons. C'est alors que l'ennui, la peur et l'puisement des ressources entranent des aventures inconsidres. Encore le massacre ne sera-t-il que partiel et nombreux seront ceux qui s'agglomreront aux barons.
Autre
confusion : pauvre est souvent employ par les chroniqueurs au sens spirituel (Beati pauperes spiritu) pour montrer les vertus de la foi et les opposer aux vices des puissants. Ainsi Henry d'Huntingdon (Historia Anglorum) clbre la prise de Lisbonne (1147) comme un triomphe des "pauvres" (anglais), contrastant avec l'chec des rois (continentaux) en Orient [75] : Material poverty was not the issue.
Et lorsqu'on en vient au matriel, le sens de pauper est relatif : non l'indigent, mais le unrich (qu'il le soit du dpart ou qu'il le devienne Constantinople ou Antioche [76]). Compte tenu, d'une part du lien entre la richesse et la terre, d'autre part de la prgnance de l'Histoire romaine, les unrich sont aussi la plebs (vs equites) : Chroniclers also speak of crowds of "common people." Many of these, described by a variety of blanket terms, pedites, peregrini, mediocres, etc., were clearly the infantry (Tyerman, 1992) : en dehors des equites, clairement part du fait de leur entranement et de leur quipement, il n'y a pas de barrire entre un groupe de combattants et un de non-combattants qui seraient le menu peuple. En ce temps o la violence physique appartient au registre normal des relations interpersonnelles, tout le monde est un combattant occasionnel. Certains ont des armes par nature Ñfussent-elles rouilles et usesÑ, tous disposent d'armes par destination Ñoutils, btons, pierres, poings... Creuser, terrasser, transporter de la terre, des rochers ou des arbres au cours d'un sige, ramasser de la nourriture, est la porte de n'importe qui. Les femmes contribuent aux fortifications, ravitaillent les combattants et nul doute que les enfants aussi savent se rendre utiles. Aussi, les secours aux pauvres relvent-ils la fois de la charit chrtienne et de la gestion des ressources humaines : les renforcements tant tellement infrieurs aux pertes, la pnurie de main d'Ïuvre est un danger ltal.
La plupart des menus participent aux oprations, loin d'tre des plerins passifs qui profitent de l'escorte arme des barons et attendent tout d'eux [77]. Les "non combattants", indispensables aux combattants, sont aussi une main d'Ïuvre militaire d'appoint ou de rserve.
Du pedes au mendiant, en passant par le valet et l'artisan, ces "pauvres" sont, dans des proportions variables, embedded dans les expditions des barons [78]. Que penser alors des troupes qui prennent la valle du Rhin et la route du Danube, si mal connues et si improprement dnommes Peasants' crusades ?
N'a-t-on pas tort de les agglomrer ? Ne faudrait-il pas distinguer, entre les bandes ou en leur sein, ce qui relve des explosions "sociales" forme mystique comme il y en aura tant et ce qui constitue des "croisades" germaniques informelles ?
Je l'ai not propos de Godefroy, l'empereur ne confond pas "plerinage" et "papalisme". Ni lui, ni ses partisans ne s'opposent la libration de Jrusalem. Ce n'est que si on assimile la croisade au pape et qu'on voie dans ses envoys le ferment de la leve en masse que la "querelle des investitures" quivaut une rpression de la croisade (Ekkehard). Nanmoins, les particularits du "fodalisme" en Allemagne et la "guerre civile" qui accompagne la rivalit du pape et de l'empereur peuvent expliquer une moindre mobilisation des sires : le sous-encadrement du menu peuple qui en rsulte donne l'impression d'un mouvement sui generis.
Pierre l'Ermite et ses prcheurs, remontant partir du Berry, ont ameut le Nord-Est et, assemblant des foules croissantes, atteint la valle du Rhin. Ils appellent librer Jrusalem et ce cri ne reste pas sans chos. Cinq grandes bandes identifies (outre celles dont on ne sait rien) empruntent trs tt ( partir d'avril 1096) la route du Danube, sous l'gide (plutt que sous le commandement) de Ñ successivement ÑGautier Sans Avoir, Pierre l'Ermite, Fulk, Gottschalk et Emicho. La diffrence de leur destin est une espce de test de la distinction que je suggre entre "illumins" et "germaniques". Les deux premires se conduisent creditably (Duncalf) et atteignent Constantinople que rejoignent plus tard les rescaps des suivantes [79]. Cela prouve que ces "pauvres" sont mieux organiss et ont plus de moyens qu'on ne l'a cru : Whatever else he was, Walter Sans Avoir was not Penniless (Tyerman, 1992) ; on se souvient aussi du Trsor de Pierre l'Ermite, perdu dans une bataille et rembours ensuite. Les troupes qui disposent de ressources suffisantes pour payer leur nourriture passent ; celles qui n'en ont plus, rduites au maraudage ou au pillage, sont rprimes ou dtruites. Rappelons cette dure vrit : The via sancta was not for the pauper. L'Avoir conditionne la russite [80].
Les chroniqueurs ignorent ces expditions, les dprisent ou les mprisent [81]. Tout ce qu'on en sait vient d'Albert d'Aix, un "tmoignage" discut. On peroit aujourd'hui que ces troupes, moins folles qu'on ne le croyait, n'taient pas dpourvues de chevaliers ni de moyens militaires. A la fin XIXe Hagenmeyer avait vu dans la Chronique de Zimmern la preuve de la participation nombreuse des nobles d'Allemagne du sud. La contestation des sources de cette chronique conduit Murray (1994, 1997, 1998), non rejeter mais nuancer la participation de la noblesse germanique [82].
Le schma du papaliste Ekkehard d'Aura "Allemagne = antipape = abstention crusadique" est simpliste. Les vques impriaux dans l'obdience de Clment III n'empchent pas la croisade et, parmi les trois "Urbanistes", se trouve alors l'vque de Constance qui rgne sur un immense diocse, des Alpes souabes aux Alpes pennines.
La guerre du Sacerdoce et de l'Empire est aussi une guerre au sein de l'empire : le duc de Souabe fut lu antiroi par les ennemis d'Henri IV ; le duc de Bavire a soutenu Urbain ; Conrad, le fils de l'empereur, forcera son pre abdiquer et le jettera dans un donjon...Mme si les vques n'excitent pas au dpart ; mme si la confusion gnrale occupe suffisamment nobles et chevaliers germaniques, certains d'entre eux s'assemblent avec du menu peuple et partent. Et aussi les "Lorrains" dont l'historiographie nationaliste fera des Belges ou des Franais, oubliant qu'ils sont dans l'empire. Ils rcupreront et intgreront Constantinople les restes des expditions informelles.
On l'a vu : pour des raisons la fois personnelles, conjoncturelles et structurelles, Saint-Gilles choue prendre le leadership. A Antioche, le gnralat d'Etienne de Blois est honorifique et quoique Bohmond domine la scne militaire, il ne commande pas. Coordonner les armes de princes indpendants se heurte la gouvernance fodale (conseils) et la singularit d'expditions qui, au mieux, cohabitent et, au pis, rivalisent. En dehors de quelques batailles bien organises en tranches, l'action commune sera toujours problmatique. Quand elle est le plus ncessaire (Antioche), Courteheuse quitte le sige pour en viter les durets. Etienne de Blois aussi, puis s'en va. De mme Hugues de Vermandois. Avec eux, ce sont des hommes qui partent.
A la fin, aprs Jrusalem, le plus grand nombre des survivants rentrera en Europe, qui par terre, qui par mer, riches, moins de ressources matrielles que d'un capital symbolique de valeur inestimable : la gloire personnelle et les reliques qu'ils transformeront en espces et en influence. Restent en Orient ceux qui ont fait leur trou (les "Lorrains" de Jrusalem et d'Edesse, les "Normands" d'Antioche) ou qui s'obstinent en chercher un (Saint-Gilles). Le dramatique problme des renforts (une dimension du dficit dmographique) est inscrit dans les modalits de la conqute : des bandes sont venues et reparties. Paradoxalement, les "dindons de la farce", ce sont les gagnants apparents, ceux qui, avec des moyens insuffisants, s'accrochent.
Les bandes de 1096/97 n'ont jamais fusionn. Ekkehard crit firement : uno omnes Christo rege, sed singulis singulae gentes procuratae ducibus (RHC occ 5:16). Mais "unit dans la diversit" se lit aussi dans l'autre sens : diversit relle dans l'unit fictionnelle. Ces bandes, grosso modo semblables, restent parallles. La distance entre elles varie selon les circonstances sans jamais disparatre car les systmes relationnels qui, tant mal que bien, organisent leur (relative) cohsion interne ne sont pas transfrables. Quand bien mme Robert de Normandie ou Etienne de Blois auraient eu plus de dtermination, il aurait fallu l'un ou l'autre d'immenses efforts pour essayer de fdrer les comtes du Nord. Et aurait-il russi (au moins temporairement), le no bridge avec les "Provenaux" ne pouvait pas tre combl. Il n'y a pas, en ce temps, de possibilit d'arme unifie, seulement des coalitions instables de bandes personnelles, comme le fut l' "arme" de la conqute de l'Angleterre.
En l'absence de force centripte endogne, les pressions extrieures auraient-elles pu malaxer et conglomrer les bandes de bandes arrivs en Orient ?
Le premier de ces facteurs exognes est "gopolitique" : l'empereur de Constantinople. Dans la mesure o subsistent chez les Grecs des formes "tatiques", en se subordonnant les expditions, ils les auraient "dfodalises", au moins en partie.
Le second est militaire : la destruction cratrice rsultant des combats. En tuant ou ruinant les chefs, en en dtachant leurs hommes, en brisant le systme relationnel, la guerre et les exigences de la survie auraient pu imposer une recomposition autour du big man survivant ou d'un hros rvl.
Pour librer Jrusalem, il faut y aller. La grande route de mer par Gibraltar sera prise par ces Anglais et autres Scandinaves dont nous ne savons rien. Celle de la Mditerrane orientale, emprunte par les expditions de renfort gnoise ou pisane, reste encore impraticable par des armes terriennes qui ont dj bien du mal traverser 200 kms d'Adriatique entre Bari et Durazzo. Les Occidentaux ne disposent pas des grands navires de transport qu'utilise Byzance.
Les expditions prennent l'une des deux routes historiques du plerinage Jrusalem, celle des valles du Rhin et du Danube (Lorrains, Rhnans, Souabes...) [83] ou la via Egnatia partir de la place stratgique byzantine de Durazzo (Normands, Blaisois, Picards, Provenaux...) que Bohmond, pas encore en paix avec l'empereur, vite en dbarquant plus au sud. Saint-Gilles dont l'arme est trop nombreuse pour passer la mer, contourne l'Adriatique par terre au prix d'une longue et difficile traverse des montagnes. Pour des raisons diffrentes, ces deux mettront six mois quand trois ou quatre suffisent aux autres.
La route de terre doit franchir l'Hellespont Constantinople avec l'aide des Grecs et de leurs bateaux. Aussi est-ce l que les troupes se regroupent avant d'affronter les Turcs. Outre la gographie, la religion et le prestige d'Alexis rendent cette tape obligatoire. Dans la traverse de l'empire, toutes les expditions oscillent entre marchs et pillage. Pour que tout se passe bien, il faut que les Occidentaux aient de l'argent pour acheter, les Orientaux du ravitaillement vendre, et que les uns et les autres veuillent jouer le jeu. Pas toujours bien contrls par des chefs pas toujours scrupuleux, les deux cts se frottent plus ou moins gravement : s'il n'y a pas encore de suspicion rciproque et s'il ne faut pas exagrer les diffrences "culturelles", la peur et le besoin crent des antagonismes.
C'est au terme de cette prparation au conflit que les barons rencontrent Alexis les uns aprs les autres, partageant cette exprience frustrante. Alexis, prudent, ne les laisse pas franchir en masse les remparts, il les fait camper l'extrieur et, alternant cadeaux et pressions sur le ravitaillement, cherche un accord rapide pour les expdier de l'autre ct du Bosphore attendre l'arrive des suivants. Inversement, les comtes Ñdont il ne faut pas ngliger l'merveillement devant ConstantinopleÑ cherchent attendre l les suivants pour renforcer leur pression militaire.
Essayons
d'imaginer la position d'Alexis autrement qu'en suivant la tardive et partiale Anne Comnne. Tout aussi chrtien que les Occidentaux, il ne partage pas leur enthousiasme pour Jrusalem : stratgiquement, cette priphrie frontire ne compte pas pour l'Empire, au regard de l'Asie mineure, particulirement la cte genne et la Syrie d'Antioche ; religieusement, voil longtemps que Constantinople est la nouvelle Jrusalem et a, pour les Grecs, remplac l'ancienne au centre du monde. Nanmoins, de Constantinople Antioche, Occidentaux et Orientaux peuvent tre "compagnons de route". Alexis a une grande et longue habitude des guerriers occidentaux, alternativement comme ennemis ou comme allis (par exemple, Roussel de Bailleul). Pourquoi n'appliquerait-il pas aux "croiss" les mthodes qui ont fait leur preuve ?
Pour se les "allier", il cherche acheter leur fidlit en les couvrant de dons. Outre la manifestation de la splendeur impriale, ces "cadeaux" considrables renflouent les barons et lient ceux qui les acceptent. La tche d'Alexis est facilite par le fait que les diffrentes vagues arrivent successivement : l'Ermite et Gautier Sans-Avoir l't 96, Hugues en novembre, Godefroy et Robert de Flandres (indpendamment) en dcembre, Bohmond dbut avril 97, Saint-Gilles fin avril, Courteheuse et Etienne de Blois en mai (ils ont joyeusement pass l'hiver en Italie normande). Alexis parvient viter leur regroupement. De leur ct, les comtes, conscients de la longueur de la route et des difficults venir, demandent le soutien logistique (marine, ravitaillement, machines de guerre) et militaire de l'empereur.
Aprs de confuses ngociations double embrouille, souvent tendues, c'est, paradoxalement, Alexis qui assemble les Francs pour la premire fois en leur faisant faire le sige de Nice avec les Grecs dont les bateaux bloquent le lac et dont les machines permettent la prise de la ville. Alexis la soustrait au pillage et les grandes richesses qu'il distribue n'empchent pas ses "allis" de se sentir frustrs.
A ce point, Alexis fait un choix stratgique bien comprhensible en termes de rendement/risque : viser un succs proche et plausible plutt que lointain et incertain. Il dcide d'exploiter la prise de Nice pour reconqurir les rives et les les de l'Ege (Doukas) au lieu de mettre toutes ses forces avec les Francs, auxquels toutefois il adjoint l'arme de Tatikios Ñun grand gnral de l'EmpireÑ, assist d'une force navale. L'improbable victoire de Doryle permet aux Francs d'arriver ( grand peine) Antioche o ils mettent le sige. En fvrier 98, le dpart de Tatikios et de ses hommes (Bohmond ?) puis, le demi-tour d'Alexis dj arriv quelques centaines de kilomtres d'Antioche (Etienne de Blois, Philomelium, juin) laissent les Francs eux-mmes.
Quoique les batailles ranges demandent ponctuellement un minimum de coordination et d'action collective, lorsqu'il est assur, il ne dure pas plus longtemps que le combat. Seule la pression continue d'un environnement hostile pourrait produire des effets d'auto-organisation. La dsunion des Turcs Ñle seul vrai miracle de cette "croisade" !Ñ, permet une partie des Occidentaux de survivre et de russir, tels qu'ils sont, sans les forcer se restructurer.
Antioche, ce moment crisique du voyage, loin d'tre le creuset dans lequel se fondraient les armes, aggrave les tendances centrifuges.
Enorme ville normment fortifie, abondamment approvisionne et fortement dfendue, Antioche tait imprenable. D'octobre 1097 juin 1098, pendant six mois incluant un hiver rude, les diffrentes armes s'puisent bloquer les portes, contrer les sorties, empcher le ravitaillement et se ravitailler elles-mmes. Plutt que du sige d'Antioche, il faudrait parler de siges parallles et concurrents. C'est Bohmond qui gagne : les autres Grands malades ou peu actifs, Antioche est son triomphe. On le sait, la ville prise par trahison [84], les armes se heurteront la citadelle et se feront elles-mmes assiger par Kerbogha. L'exacerbation des difficults dcompose l'arme : dsunion avec les Byzantins (Tatikios, Philomelium), guerre ouverte entre Bohmond et Saint-Gilles, pauprisation des sires, dgradation des milites et militarisation des non combattants, famine et pidmie, morts et abandons innombrables. La troupe qui finira par prendre son dpart pour Jrusalem sera trs diffrente de celle qui avait atteint Antioche (France, 1970).
Arrives en mauvais tat aprs avoir perdu beaucoup d'hommes, de chevaux et d'quipement, les armes se refont d'abord puis, les ressources locales puises et l'hiver venant, se dlitent. Maints equites se transforment en pedites, faute de montures. Les dsertions se multiplient pendant l'hiver et pendant le deuxime sige (rope-dancers). Courteheuse se met l'abri Lattaqui, emportant tout ou partie de ses hommes. Etienne de Blois fait de mme Alexandrette. Hugues de Vermandois disparat. De nombreux sires, prsent ruins et dmunis, ne peuvent plus entretenir leurs hommes qui cherchent d'autres seigneurs : une recomposition du systme relationnel s'opre. S'il est abusif de la qualifier de "dfodalisation", d'anciens rapports se dnouent, faute d'tre valids. Une redistribution des hommes s'opre au profit des sires et des comtes qui ont encore des ressources. Au niveau des Grands, en bnficient surtout Bouillon et Saint-Gilles.
Le premier est le seul s'appuyer sur un arrire-pays : son frre Baudoin envoie d'Edesse ravitaillement, argent, hommes et chevaux, qui permettent Godefroy de reconstituer et d'augmenter son arme.
Le second, grce son Trsor inpuisable, sera sur le point de transformer la nature de l'arme. Ayant rompu avec Bohmond, la confrence de Rugia (Chastel-Rouge, 4 jan 1099), il propose aux autres "chefs" de les acheter pour constituer l'arme de Jrusalem : au duc /de Lorraine/ dix mille sous, autant au comte Robert de Normandie, six mille au comte de Flandre, cinq mille Tancrde et aux autres princes, tant qu'ils taient (Raymond d'Aguilers, Guizot T 21: 311) [85]. Notons l'intressante cote de Bouillon, et soulignons la dmarche : Raymond, incapable de s'imposer comme grand chef dans le cadre confdral de l'expdition, le tente en tant qu'entrepreneur de guerre (Jrusalem). Il choue nouveau. Seuls Tancrde et Robert de Normandie acceptent. Si, in fine, Godefroy et Robert de Flandres se joignent la marche sur Jrusalem, ce sera de manire indpendante et rticente.
Examinons
l'arme de Jrusalem. Une fois Antioche prise et sauve de Kerbogha (juin 1098), tout s'est arrt. Les comtes, pris au pige de leur succs, ambitionnent des conqutes en Syrie. On comprend que, aprs des mois de souffrance, les hommes et les btes doivent se reconstituer et qu'il faut laisser passer l't avant de se lancer dans la phase finale (Jrusalem). Mais, l'automne 98, Saint-Gilles et Bohmond se disputent encore Antioche, chaque chef rivalise avec les autres et s'emploie faire son trou. On a failli en rester l. Cela aurait t dj un beau succs : les Chrtiens d'Orient librs, Antioche conquise, la Syrie et la Cilicie prendre. Mais ce triomphe n'aurait pas t la "premire croisade". Mme si, stratgiquement, Antioche comptait infiniment plus que Jrusalem et si c'tait le premier sige de St Pierre, c'est Jrusalem qui, dans l'imaginaire occidental, fera la croisade. On en tait loin l'automne 1098.
Il faudra le soulvement de ses "pauvres" pour obliger Saint-Gilles prendre la route de Jrusalem [86]. Ds le dpart, son groupe comptait beaucoup de "pauvres" et la redistribution des hommes a augment leur effectif : une partie des "pauvres" des autres groupes l'a rejoint pour trouver sa subsistance ; d'autre part, la pnurie d'hommes a militaris les non combattants, renforant le pouvoir des mediocres dont la rvolte finira par ouvrir la route de Jrusalem en janvier 1099. Cette rticente dcision ne rsulte pas seulement de la pression morale et de l'action du lobby mystique (Bartholom) auxquels cderait le pieux Raymond : les "pauvres" sont devenus militairement indispensables, une main d'Ïuvre dont Saint-Gilles a besoin pour prendre et tenir ses conqutes syriennes. La destruction par les "pauvres" des murailles de Marra frachement conquise est la fois un symbole et une insurrection.
Mais, s'ils imposent l'expdition Jrusalem, ils ne suffisent pas pour l'entreprendre. Saint-Gilles est coinc, ce qui donne une ide des pertes et des fuites qu'a subies son arme. Il lui faut des chevaliers. Ceux de ses allis, Tancrde et Robert de Normandie, ne sont pas assez nombreux. Saint-Gilles supplie, achte, trompe, Godefroy et Robert de Flandres pour les arracher l'attraction syrienne et les mettre en route ct de lui, sinon avec lui.
Bohmond et ses hommes, eux, restent Antioche. Baudoin et les siens Edesse. Ce sont ceux qui n'ont rien trouv prendre qui partent. Encore Raymond essaiera-t-il de ramasser quelque chose et perdra trois mois devant Arqa (France, 1970). Ainsi, c'est presque reculons que les laisss-pour-compte arrivent Jrusalem, rcemment prise aux "Turcs" par le vizir fatimide d'Egypte [87]. Ils auraient sans doute chou devant les prcipices et les remparts de la ville sans l'arrive providentielle d'une flotte gnoise dont les talents et les matriaux permettent de construire les machines de sige. Et aprs, Saint-Gilles, vinc, continue ses manÏuvres (Tour de David, Ascalon).
Rcapitulons.
Des bandes disjointes que ne tiennent ensemble de temps autres que des "contrats d'objectifs" flous et passagers alternent paralllisme et antagonisme. L'Eldorado syrien les divise et les spare. Mais une fois Jrusalem conquise et "purifie" par un bain de sang (15 Juillet 1099), l'normit du miracle recouvre tout, lui donne son but et, comme un duel judiciaire, atteste et impose la volont de Dieu. Cette apothose exerce un transformative role : fusionnent dans la reprsentation ces armes qui dans la ralit ne se sont jamais agglomres. Si le mot "croisade" n'existe pas encore, la chose qu'il dsignera nat, en Europe, de la libration de la ville sainte.
Une fois Jrusalem libre et Godefroy sanctifi, une fois ce succs devenu mythique par l'chec de toutes les expditions ultrieures, la lgende inverse l'importance relative des forces centriptes et centrifuges, radicalise la coupure entre "nous" et "eux" et clbre une expdition de l'Occident : les dissensions deviennent de malheureuses pripties (ou des punitions divines) alors que, nous l'avons vu, elles sont constitutives. Voil le mtaconcept dont nous hritons.
Jrusalem,
superlatif du sacr, pole cosmogonique (nombril
du monde) et eschatologique, symbolise la Rdemption. Ici, selon une tradition apocalyptique qui, sous une forme simpliste ou sophistique, est largement rpandue, le dernier empereur [88] dposera sa couronne et son me, mettant fin tout pouvoir terrestre. Ce sera alors le rgne de l'Antchrist, puis le retour du Christ, la fin des temps et la batitude ternelle.
En 1099, la Chrtient libre Jrusalem de quatre sicles de "captivit" et, par miracle, redcouvre la "vraie croix". Dj, la restauration de 630 avait valu Hraclius d'tre qualifi de sauveur
du monde, nouveau Constantin, nouvel Alexandre, nouveau David [89]. Mais l'exploit des Occidentaux le surpasse : il n'est pas l'Ïuvre d'un roi mais directement de "Dieu". De plus, le rgne des Perses n'avait dur que vingt ans et, trangers la Bible, ils s'taient borns au ngatif : terrifier et dfier les Chrtiens, profaner et ruiner les choses sacres de Jrusalem [90]. Les Musulmans, aprs 638, allrent beaucoup plus loin : non seulement ils gardrent Jrusalem quatre cents ans, mais ils se l'approprirent religieusement et, par leur programme de construction (Dme du Rocher) la resacralisrent leur profit [91]. D'o, en 1099, le paroxysme de violence purificatrice clbr par des chroniqueurs qui s'inspirent davantage de la Bible que des faits [92].
La libration de Jrusalem reprsente, crit Robert le moine, la plus grande merveille aprs la cration du monde et le mystre de la croix [93]. Rien de moins. Les portes du millenium s'ouvrent. Il nous est difficile aujourd'hui d'imaginer cela et mme de trouver des points de comparaison : peut-tre la prise de Berlin en 1945 a-t-elle pu, un instant, pour certains, avoir une signification du mme type.
Ainsi, des bandes de hasard ont, par accident, remis le monde chrtien sur son axe. Dieu seul pouvait faire cela. La plupart des chroniqueurs ont vu de leurs yeux les armes de chevaliers blancs qu'Il a envoys leur secours et les miracles innombrables qu'Il a oprs : gesta
Dei per Francos. Que Dieu boude les immdiates expditions complmentaires de 1100 et 1101 prouve, a contrario, le caractre extraordinaire de 1099.
Nos
"sources contemporaines" ne sont rien d'autre que le narratif de cette pope, un real-life epic, une chanson de geste en forme de reportage. "Les ntres" ont souffert des ruses des Grecs, des nues turques, de la faim, de la soif, du climat, des disputes. Ils ont souffert pour leurs pchs. A l'imitation du Christ, leur passion a achet la rdemption de l'Humanit. "Les Chrtiens", "les ntres" (et de l'autre ct, "les Latins", "les Celtes", "les Francs"), cette tiquette met ensemble ce qui tait spar, comme dans l'Iliade, les Achens, quoique perclus de rivalits fatales, sont uns face aux Asiatiques.
Indpendamment
de la dimension mystique qui ne nous impressionne plus, les "sources" ont pig l'historiographie en produisant la reprsentation d'une arme de la Chrtient, divise mais une. Plutt que de "chroniques de la croisade", il faudrait parler de "la croisade des chroniques" [94].
Je regrette vivement de n'avoir accs qu'en traduction la littrature allemande, ce qui m'en fait ignorer la plus grande partie.
A part l'pisode Richard Lionheart qui a suscit un dlire tardif, la faible participation anglaise aux Croisades successives a vit leur appropriation lorsque, au XIXe, chaque pays europen les a intgres son roman national. Tout particulirement la France (Michaud, Rey, Madelin, Grousset) : Chrtiens d'Orient, Mditerrane coloniale etc.
Sans souponner une espce de revanche dans l'explosion critique actuelle, l'historiographie anglo-saxonne rcente, en dconstruisant les vieux modles, ouvre de nouvelles perspectives.
Adair Penelope A., 2003, "Flemish Comital Family and the Crusades", In: Semaan, ed., The
Crusades Other Experiences, Alternate Perspectives
Albu Emily, 2001, The Normans in their Histories: Propaganda, Myth and Subversion, The Boydell Press
Alphandry Paul, 1954-59, La chrtient et l'ide de croisade, Texte Alphonse Dupront, 2 vol., coll. "L'volution de l'Humanit"
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[1] Kempf, 2010 : le rcit, aussi simple, aussi "cru" soit-il (tout au moins en apparence), est toujours un discours (p 159).
Tyerman, 2011 : p 7 from the start the 1rst crusade was a literary construct...8 the earliest written histories of the 1st crusade are essays in interpretation, not mere recitations of events...from the start the hisoriography of crusading was conceived as a branch of theology...11 theology was dressed up as adventure - and vice versa...(ch1 Medieval views of the crusades).
L'analyse textuelle des "tmoignages" s'intresse aux "stratgies narratives" sous-jacentes (cf. note 90).
[2] Thatcher, 1905 : Gregory VII barely missed the honor of having begun the crusading movement. His plan is clear from the following letter. The situation in 1095 was not materially different from that in 1074, and it is probable that Urban II, when he called for a crusade, had nothing more in mind than Gregory VII had when he wrote this letter. Gregory was unable to carry out his plans because he became involved in the struggle with Henry IV.
Gregory, bishop, servant of the servants of God, to all who are willing to defend the Christian faith, greeting and apostolic benediction.
We hereby inform you that the bearer of this letter, on his recent return from across the sea [from Palestine], came to Rome to visit us. He repeated what we had heard from many others, that a pagan race had overcome the Christians and with horrible cruelty had devastated everything almost to the walls of Constantinople, and were now governing the conquered lands with tyrannical violence, and that they had slain many thousands of Christians as if they were but sheep. If we love God and wish to be recognized as Christians, we should be filled with grief at the misfortune of this great empire [the Greek] and the murder of so many Christians. But simply to grieve is not our whole duty. The example of our Redeemer and the bond of fraternal love demand that we should lay down our lives to liberate them. "Because he has laid down his life for us: and we ought to lay down our lives for the brethren," [1 John 3:16]. Know, therefore, that we are trusting in the mercy of God and in the power of his might and that we are striving in all possible ways and making preparations to render aid to the Christian empire [the Greek] as quickly as possible. Therefore we beseech you by the faith in which you are united through Christ in the adoption of the sons of God, and by the authority of St. Peter, prince of apostles, we admonish you that you be moved to proper compassion by the wounds and blood of your brethren and the danger of the aforesaid empire and that, for the sake of Christ, you undertake the difficult task of bearing aid to your brethren [the Greeks]. Send messengers to us at once inform us of what God may inspire you to do in this matter.
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[3] Et mme d'y trouver un programme complet des croisades venir, une dmarche que Chevedden, 2013, qualifie de crationnist : The essence of Crusade creationism is that crusading was created functionally complete from the beginning. It did not develop by historical processes but was ÒcreatedÓ or Òinvented by Pope Urban II in 1095Ó (p 1).
Si la critique du Clermont paradigm a l'immense et rare intrt d'historiciser la premire croisade en remplaant l'apothose du concept par un processus volutif, je reste sceptique l'gard de l'objectif "gopolitique" que Chevedden prte la papaut du XIe sicle : l'offensive pour librer l'Eglise d'un Islam affaibli (Sicile, Espagne, Palestine) au cours de laquelle la "croisade" reoit ses attributs. Interprtant extensivement translatio imperii ("changement de pouvoir"), l'auteur fait de ces guerres (saintes par leurs rsultats, davantage que par l'intention de leur promoteur) la dimension extrieure de la Rforme, li l'intrieure (empire germanique) par le soutien rciproque de la papaut et des princes mergents (Robert en Sicile, le Cid en Andalousie...). Dans cette acception dynamique, l'expdition en Orient vise ad liberandam ecclesiam et, par le fait mme, runir les Eglises d'Orient et d'Occident (cf. Krey, 1948) : une Òtheology of deedsÓ !
La meilleure formulation de sa thse se trouve dans Chevedden, 2015. Voir aussi : Chevedden, 2005.
[4] DeLong, 2010 : Munro [1906, ÒThe Speech of Pope Urban II at Clermont", In: The American Historical Review, 11 (2): 231-242.] uses a consensus of his sources to establish what he considers what was Ôactually saidÕ at Clermont. However, Munro does not address at any length the fact that even the earliest possible date for the earliest of the accounts (that of Fulchre of Chartres) leaves a gap of five years between this miraculous speech and the first known recording of this speech. During this five year span, the journey to the Holy Land had led to the conquest of Jerusalem in 1099, one year before FulchreÕs writing.
L'A. poursuit : This time gap leaves scholars with two questions: Why not record the speech in 1095, and why record it in the period in which the four ÔauthoritativeÕ redactors worked, the period after the victory of the First Crusade, and a time when there was little immediate need for crusaders... The monastic redactors were seeking to recreate the event at Clermont from the perspective of a perceived Ôeschatological conclusion. Less important, then, to all of these writers is what Urban II actually said; more important is what the speech came to signify. In these speeches, then, we can trace what the First Crusade itself came to mean after the fact [mon soulignement].
Cf. dans le mme sens : Krey, 1948 "UrbanÕs CrusadeÑSuccess or Failure".
[5] DeLong : Certainly having the First Crusade end in such success offered some impetus to record [re-envisioning the past] Clermont as prophetic. The enterprise was so new, so different for the mainstream knight (though authorization and support for it had been building in the Papacy for some time), that contemporaries might not have known quite what to make of it.
En outre, les rdacteurs initiaux clbrent les miracles de la "1re croisade" pour susciter de nouveaux dparts qui viendront consolider une conqute fragile et menace :
After the victory of the First Crusade, the newly established Latin Kingdom lacked a pressing religious impetus to draw new crusaders, but still needed to solidify their holdings from constant harryings from the Seljuks, Armenians and even Byzantine forces... Written as they were in the wake of the great success of the First Crusade, but in the chop of consolidating a realm while woefully undermanned for the task, the reconstructions of the Clermont address seem less interested in historical accuracy of that November afternoon than in calling forth a new audience, the readers of these histories, to take up the mantle of the First Crusaders, motivated by knightly virtues as much as, if not more than, religious ones...Each of the four redactors recreates in the Clermont address the imagined audience of knights awaiting just such a redemptive enterprise and promotes the crusade along lines that secular martial masculinity would clearly have recognized as its own familiar province: inheritance, patrimony, family, and honor.
[6] Cf. Flori, 1995.
Aux marges de la zone Urbaniste, Albert d'Aix magnifie Pierre l'Ermite : alors qu'il plerinait Jrusalem, l'Ermite a entendu l'appel de Dieu. Il est, non seulement le prcurseur, mais le moteur de la "croisade" et son principal effecteur. Le pape coopre avec lui en apportant la sanction de son autorit. Certes, les historiens doutent d'Albert, longtemps suspect, parfois rhabilit. Mais il est intressant que cette version soit reprise par le savant Guillaume de Tyr (et par tous les historiens sa suite, jusqu' ce qu'Hagenmeyer excute l'Ermite en 1879). Puisque pour cette priode, Guillaume crit par ou-dire, on peut penser que telle tait la lgende : Pierre, missionn par Jrusalem (les chrtiens, le patriarche, le Christ), convainc et mobilise le pape, les rois et l'Europe. L'Ermite est le pre de la "croisade".
Housley, 2006, p 44 remarque : By the far the most volatile reputation has been that of none of the maiores but of a mere hermit, Peter of Amiens...E.O. Blake and C. Morris...suggested that the sources referring to Peter's role in initiating the Crusade constituted too strong a group to be easily set aside.
Le rcit de Guillaume est centr sur Jrusalem et sur Pierre l'Ermite. Le pape fugitif soutient l'Ermite qui, lui, soulve et mobilise l'Europe. Le discours de Clermont que Guillaume prte Urbain est centr sur Jrusalem dans un ton apocalyptique (monde l'envers, lois divines et humaines bafoues, comtes et tremblements de terre...). Jrusalem est l'hritage du Christ auquel il faut le rendre. L'empereur grec trop affaibli, il faut appeler l'Occident au secours. Donnons quelques extraits (Guizot, T. 16) :
Au temps donc o la ville agrable Dieu tait, comme je lÕai dit, en proie tant de souffrances, parmi ceux qui allaient accomplir lÕÏuvre de la dvotion et de la prire, en visitant les lieux saints, un prtre nomm Pierre, n dans le royaume des Francs et dans lÕvch dÕAmiens, ermite autant de fait que de nom, attir par la mme ardeur, arriva Jrusalem...Comme il apprit aussi que le patriarche /grec/ de Jrusalem tait un homme religieux et plein de la crainte du Seigneur, il dsira confrer avec lui de lÔtat prsent des affaires.../le patriarche/ lui exposa en dtail tous les maux qui affligeaient profondment le peuple de Dieu, habitant de la Cit Sainte... 29-30... Pierre lui rpondit : "Apprenez, saint pre, que si lÕglise romaine et les princes dÕOccident taient instruits par un homme actif et digne de foi de toutes vos calamits, il est hors de doute quÕils tenteraient dÕy apporter remde autant par leurs paroles que par leurs Ïuvres. crivez donc au plutt au seigneur pape et lÕglise romaine, aux rois et aux princes de lÕOccident...avec lÕaide du Seigneur, je suis tout prt les aller trouver tous, les solliciter, leur reprsenter avec le plus grand zle lÕimmensit de vos maux, et les prier chacun de hter lÕpoque de votre soulagement" p 31-32.../Plus tard, Pierre/ entra dans lÕglise de la Sainte-Rsurrection. La nuit tant survenue, fatigu de ses oraisons et de ses longues veilles, et vaincu par cette fatigue, il sÕtendit sur le pav, pour sÕabandonner au sommeil qui lÕaccablait. Lorsque son assoupissement fut parvenu au plus haut degr..., il lui sembla que Notre-Seigneur Jsus-Christ tait comme plac devant lui et lui donnait la mme mission...p 33
Aprs Victor, qui nÕoccupa le sige que deux mois, il /Grgoire/ eut pour successeur Urbain, qui, pour chapper la fureur de Henri, successeur de lÕautre Henri, et persvrant dans les mmes voies, vcut aussi cach dans des lieux forts, au milieu de ses fidles, sans trouver nulle part un asile parfaitement sr. Ce fut au sein mme de ces adversits quÕil reut et traita avec bont Pierre lÕermite, lorsque celui-ci vint sÕacquitter de sa mission : il lui promit au nom du Verbe, dont il tait lÕappui, de se montrer, au temps ncessaire, cooprateur fidle de son dessein. Pierre, embras du zle divin, parcourt toute lÔItalie, franchit les Alpes, visite successivement tous les princes de lÕOccident, se transporte en tous lieux, presse, gourmande, insiste...Il juge mme quÕil ne suffit pas de porter ses avertissements chez les princes, et quÕil convient de faire entendre les mmes exhortations aux peuples et tous les hommes de condition infrieure. Pieux Solliciteur, il parcourt tous les pays, visite tous les royaumes...Remplissant les fonctions de prcurseur, il prpara les esprits de ses auditeurs lÕobissance...p 36-37
LÕan mil quatre-vingt-quinzime de lÕincarnation de Notre-Seigneur...le seigneur pape Urbain, voyant que la mchancet des hommes avait dpass toute borne, que tout ordre tait renvers, et que toutes choses ne tendaient plus quÕau mal...quitta lÕItalie pour fuir le courroux de lÕempereur, traversa les Alpes et entra dans le royaume des Francs. Il y reconnut, selon quÕil lÕavait dj entendu dire, que toutes les lois divines taient foules aux pieds... p 37
/A Clermont/ Aprs avoir, de lÕavis des prlats et des hommes craignant Dieu, arrt les dcisions qui paraissaient les plus propres relever lÕglise chancelante, et promulgu les canons qui furent jugs les plus utiles pour lÕdification des mÏurs, pour la rforme des normes dlits, et surtout pour le rtablissement de la paix, qui semblait disparue de ce monde, comme le disait Pierre lÕermite, toujours zl pour lÕaccomplissement de son Ïuvre, le seigneur Urbain adressa une exhortation au concile assembl...
...Non seulement ceux qui coutaient Pierre, anims dÕun zle nouveau, prparaient leurs armes pour accomplir les desseins quÕil leur inspirait, mais encore lÕeffet de ses discours se propageait au loin et les absents prouvaient aussi un ardent dsir de satisfaire aux mmes vÏux. De leur ct les vques se montraient, conformment au mandat quÕils avaient reu, fidles Cooprateurs des mmes Ïuvres; ils invitaient les peuples suivre les voies qui leur taient ouvertes... p 45-46.
[7] Preuve de la prcarit de la position d'Urbain, ses actes ont t dtruits par son challenger, Clment III.
Riant, 1881 : Je dois cependant, au sujet de ce concile /Plaisance/ et une fois pour toutes, faire ici une remarque qui s'appliquera tous ceux qu'Urbain II a tenus en 1095-1097; les actes d'Urbain II furent brls avec les six dernires annes des registres pontificaux, par l'antipape Guibert, au conventicule de Rome, en aot 1098, et que par consquent, on ne peut rien affirmer de prcis leur endroit (Riant, 1881, "Inventaire critique des lettres historiques de croisades - 1¡ partie", Archives de l'Orient Latin, n¡1, p 108).
Nous n'avons que des copies d'une lettre l'abbaye de Vallombrosa (Cremona, Oct. 1096), une lettre la ville de Bologne (sept. 96) et la fameuse lettre aux Flamands dont Strack, 2016 conteste l'interprtation : the text /letter to the Flemings/ ... was probably issued on the popeÕs own initiative. This would be remarkable, because neither the canon of Clermont was cited, nor was Jerusalem mentioned explicitly. In contrast, the letters to Vallombrosa and Bologna were written on the request of petitioners who mentioned Jerusalem as aim of the expedition, not the pope. In sum, all three letters indicate that Jerusalem was originally not focus of UrbanÕs concept of the crusade.
Strack conclut : It is, of course, impossible to explain with complete certainty what really happened in the years 1095/96 when the crusading movement developed. However, I would question the view that Urban II was very proactive in the issue of the crusade and that he argued in several letters for an expedition to Jerusalem.
[8] Quicumque pro sola devotione, non pro honoris vel pecunie adeptione, ad liberandam ecclesiam Dei Hierusalem profectus fuerit, iter illud pro omni penitentia ei reputetur. L'absence de recueil des canons de Clermont permet de douter du texte. Strack (2016) relativise la porte performative de la mention de Jrusalem o il voit plutt une restriction (pro sola devotione) qu'une incitation. Cf. aussi Chevedden, 2005.
[9] Erdmann (1935) fait exception, ce qui doit tre soulign car on le crdite gnralement d'autre chose : avoir dfini un objet et construit un dbat conceptuel, sortant ainsi l'historiographie du factuel. Mais, en plus, il rompt avec la tradition forward qui, consciemment ou non, analyse la 1re croisade la lumire des suivantes, et travaille backward faire de la 1re un aboutissement et non un point de dpart : Urban IIÕs crusade was not a beginning but the culmination of a long development (p 348). Poser le pass dans son propre pass, cette voie difficile, rarement explore, devient de plus en plus tentante au fur et mesure que les historiens deviennent plus habiles et que les voies canoniques sont plus encombres.
Pour Erdmann, Grgoire VII, se basant sur la rcente militarisation de la paix chrtienne (le pacifisme garde nanmoins des partisans), fusionne deux types de guerre : la popular crusade contre les paens et la hierarchical crusade contre les hrtiques et excommunis. Grgoire choue : une partie de la Chrtient refuse son innovation et le thme de la dfense de St Pierre ne devient jamais populaire. Le gnie d'Urbain serait de renoncer la dimension rejete (milites Sancti Petri) en l'englobant dans une version large et consensuelle (milites Christi). Une telle adaptation aux possibilits serait digne du ralisme d'Urbain.
[10] Tyerman, 1995 : In French, the verb croisier or croiser can be found at the time of the Third Crusade, as well as in the chroniclers of the Fourth Crusade, Robert of Clary and Geoffrey de Villehardouin. By extension, croisi described those who had taken the cross (p 575)... However, it was only during and after the Third Crusade that the term 'crucesignatus' (and 'crucesignata') gained wide currency; and the initiative seems to have come from temporal authorities, not the papacy (p 576).
Tyerman prsente la "croisade", non comme la dclinaison d'un concept ou une invention, mais comme un working process : To put it crudely, we know there were crusaders: they did not; or, if they did, their perception was far from the canonically or juridically precise definition beloved of some late twentiethcentury scholars 555... The First Crusade was part of an old process of justifying wars against pagans and enemies of the pope in an atmosphere where war was a familiar, necessary burden, not an inevitably abhorrent evil...558 The central point is that there was little that was new. However, this continuation of earlier church attitudes and papal policy has been misinterpreted as being a consequence of the First Crusade or, at least, of the initiatives of the Gregorian papacy...565 During the Third Crusade, as in the First, the practice of crusading fashioned the institution, not vice versa... 572 Crusading was far from escapist; it was integrated into existing patterns of thought and behaviour, a reflection, not a rejection of social attitudes...573
[11] Housley (2006) reprend et discute la classification de l'historiographie rcente initie par Constable, 2001 : traditionnalistes (guerre pour Jrusalem), pluralistes (guerre sainte pnitentielle), populistes (popularists, transcendance eschatologique) et gnralistes (guerre papale). Cette catgorisation (et les problmes de classement qu'elle engendre) montre bien que l'approche dominante est trop conceptuelle et pas assez historique. Cf. aussi Flori, 2004, et Chevedden, 2013 et 2015.
[12] Le pape de Rome envoie Humbert Constantinople demander le secours de l'empereur contre les Normands d'Italie du sud, leur ennemi commun. Humbert, en mme temps qu'il tente de convaincre l'empereur, se heurte au patriarche, jusqu' leur fameuse excommunication rciproque (1054). Faute du soutien de l'empereur, le pape doit pactiser avec les Normands et donc devenir anti-byzantin, ce qui n'est pas sans avantage puisque les victoires normandes rendent Rome sa juridiction sur l'Italie du Sud et lui font esprer retrouver l'Illyricum.
Grumel, 1952, exprime le point de vue traditionnel : C'est le schisme, parce qu'aux motifs politiques dont l'incidence est variable et les blessures gurissables, Michel Crulaire a superpos des causes permanentes autrement graves et humainement indracinables. Profitant du climat d'hostilit cr par un sicle de frictions et de luttes pour la domination en Italie mridionale, il a dress comme une muraille entre les glises des diffrences d'ordre thologique, liturgique, disciplinaire, et fait ainsi de ce qui n'tait qu'une sparation de caractre politique, un schisme proprement dit, c'est--dire, une rupture de caractre ecclsiastique et religieux. La fougue d'Humbert, en voulant frapper le coupable, ne fit que servir son dessein : le coup atteignait l'Eglise dont l'unit tait dsormais brise, et la date de 1054 demeure bon droit celle du schisme, et le nom de Crulaire y est justement attach.
Ce propos est trs exagr et les historiens s'accordent aujourd'hui considrer que l'incident est pass inaperu. L'excommunication rciproque de deux bouillants prlats n'est pas la rupture entre les deux Eglises. Lorsqu'il en sera besoin, les auteurs byzantins ultrieurs iront chercher des arguments anti-latins chez Crulaire, comme lui-mme en avait pris Photius : la lettre de Michel Crulaire Pierre d'Antioche...dveloppe de manire assez dsordonne et quelque peu pittoresque et populaire les griefs formuls par Photius; par l il donne le ton une longue srie d'opuscules...(Darrouzs, 1963). Il ne faut pas confondre tradition littraire et continuit historique !
[13] Le schisme est constitu au XIIIe sicle, en partie comme sous-produit paradoxal des efforts d'union. Cf. Thomas d'Aquin, 1263, Contra errores Graecorum (adress au pape Urbain IV en prparation du concile d'union qui se tiendra Lyon en 1274) : Chapitre 32 Ñ Le Pontife romain est le premier et le plus grand parmi tous les vques : LÕerreur de ceux qui prtendent que le vicaire de Jsus-Christ, le Pontife de Rome, nÕa pas la primaut de lÕEglise universelle ressemble celle de ceux qui prtendent que le Saint Esprit ne procde point du Fils (Traduction Louis Vivs, 1857 vrifie et corrige par Charles Duyck, 2005).
[14] Thatcher Oliver J., McNeal Edgar Holmes, 1905, A Source Book for Mediaeval HistoryÑSelected Documents illustrating the History of Europe in the Middle Age :
€276. Forgiveness of Sins for Those who Die in Battle with the Heathen. Leo IV (847Ð55) to the Army of the Franks (Migne, 115, cols. 656, 657; and 161, col. 720) : Now we hope that none of you will be slain, but we wish you to know that the kingdom of heaven will be given as a reward to those who shall be killed in this war. For the Omnipotent knows that they lost their lives fighting for the truth of the faith, for the preservation of their country, and the defence of Christians. And therefore God will give them the reward which we have named.
€277. Indulgence for Fighting Heathen, 878 (Migne, 126, col. 816) : John II to the bishops in the realm of Louis II [the Stammerer]. You have modestly expressed a desire to know whether those who have recently died in war, fighting in defence of the church of God and for the preservation of the Christian religion and of the state, or those who may in the future fall in the same cause, may obtain indulgence for their sins. We confidently reply that those who, out of love to the Christian religion, shall die in battle fighting bravely against pagans or unbelievers, shall receive eternal life. For the Lord has said through his prophet: "In whatever hour a sinner shall be converted, I will remember his sins no longer." By the intercession of St. Peter, who has the power of binding and loosing in heaven and on the earth, we absolve, as far as is permissible, all such and commend them by our prayers to the Lord.
[15] Cowdrey : Amongst the most striking features of Gregory's exercise of the papal office is the frequency and the forcefulness with which he sought to recruit the laity of western Christendom, from kings and princes to the broad knightly classes, for one form of another of military service by placing their arms at the disposal of the apostolic see. Gregory set such service, in whatever form he claimed it, under the patronage of St Peter...Thus, service in pursuit of papal ends was a militia sancti Petri...(p 650) Such an endeavour to secure the availability of knights was both less and more than a plan to have available a kind of papal equivalent of the Varangian guard at Constantinople...Especially in his last years as pope, Gregory issued a clarion and general call to the service of St Peter to those knights who were willing to devote their arms to his immediate service...(651) Between 1077 and 1080, Gregory sought increasingly to inject into the warfare of a German kingdom divided between the claims of Henry IV and of Rudolf of Swabia the notion of a holy war in which whoever was on the side of righteousness had the guarantee of earthly victory; those who fought for it were guaranteed, through the apostles Peter and Paul whose warfare they were waging, both prosperity in this life and remission of sins and blessings in the life to come (652).
[16] Dans cette variante locale de l'affrontement pape/empereur, les Patarins insurgs sont bnis par Alexandre II puis Grgoire VII qui les voient conduire une guerre de Dieu (bellum Dei). Leur leader Erlembald sera considr comme un martyr et quasiment canonis.
[17] Ullman, 1955 : ... having taken the cross, they enjoyed the Libertas Romana...this process was in some ways only a specific extension of the principles which had been followed in the monastic sphere, namely the institution of the so-called papal proprietary monasteries...
[18] Housley, p 31 : Erdmann linked the crystallization of the idea of the Crusade firmly to the radical views and aims of the Church Reformers /vexilla S. Petri, militia S. Petri/...32 /he/ was convinced that pilgrinage to Jerusalem and the recovery of its shrines, played a merely instrumental part in the pope's thinking. It was an iconoclastic position to take up but he was uncompromising. "Jerusalem, to the pope, had been simply a recruiting device...his original and primary basis was the idea of an ecclesiastical-knightly war upon heathens..."Erdmann's views on Jerusalem were supported by HE Mayer /The Crusades/. Most other scholars, however, have parted company with him / pour Flori in La guerre sainte/...the Church readiness, at specific times, to sanctify combat can be traced back to the period preceding the advent of the reform papacy...Flori argued that the factor that turned holy war into crusade was the special status of Jerusalem (id 35)
If there is one thing on which students of the crusade's origins are agreed, it is that events east of the Adriactic played at best the role of catalyst...The origins of the 1rst Crusade lay in developments that took place within Catholic Christendom.
[19] Brhier, 1907, 65 : au moment o les plus grands souverains de l'Europe excommunis /l'empereur Henri IV, les rois Philippe I et Guillaume le Roux/ s'isolaient
dans leur abstention, le pape, qui avait russi soulever les fidles, apparaissait comme le vritable chef de la chrtient et son seul dfenseur contre les progrs de l'islam.
Idem Dawson, 1946, 150: it was the great Cluniac Pope, Urban II, who launched the first Crusade at a critical moment in the history of the struggle between the Papacy and the Empire, when the Emperor and the kings of France and England were all under sentence of excommunication and when, therefore, Christendom could not look to them for leadership.
[20] Foucher de Chartres (qui centre sa narration de Clermont sur la rforme de l'Eglise) fait le lien entre croisade et lutte des papes : Cependant Guibert, bouffi d'orgueil de se voir le prince de l'Eglise, se montrait un pape entirement favorable aux hommes dans l'erreur, exerait, quoiqu'illgitimement, les fonctions de l'apostolat sur ceux de son parti, et dcriait, comme vaines, les actions d'Urbain. Toutefois l'anne o les Francs, qui pour la premire fois se rendaient Jrusalem, passrent par Rome, ce mme Urbain rentra dans l'entire jouissance de son pouvoir apostolique, avec l'aide d'une trs-noble matrone nomme Mathilde, qui dans ce temps exerait dans les Etats romains une grande influence. Guibert tait alors en Allemagne; ainsi donc deux papes la fois commandaient dans Rome ; et la plupart des gens ignoraient auquel des deux il fallait obir, duquel on devait prendre conseil, et lequel tait propos pour porter remde aux maux de la chrtient. Ceux-ci favorisaient l'un, ceux-l tenaient pour l'autre. Il tait nanmoins vident aux yeux des hommes qu'on avait plus de bien attendre d'Urbain, comme du plus juste des deux (Guizot, T243, 12-13).
En 1903, Lucien Paulot, dans son ouvrage sur Urbain II qui est davantage une clbration qu'une tude, crit : Dociles la voix d'Urbain, les fils de l'glise. s'taient levs pour dfendre les droits de leur Mre. Aussi peut-on affirmer que l'un des rsultats les plus immdiats et non des moindres de la prdication et de l'excution de la Croisade fut sans contredit la complte mise en chec de l'antipape Guibert. La croisade aurolait la Papaut lgitime d'un prestige universel. Ds Clermont, Guibert tait vaincu. Aussi comprend-on aisment l'attitude hostile des schismatiques vis--vis des croiss, comme nous l'avons vu lors de leur premire entre Rome. Ils sentaient bien que la croisade tait leur dfaite. Ce qui donna cette dconfiture un relief des plus saisissants, c'est que, la suite du concile de Rome et de la nouvelle prdication de la croisade, une expdition s'organisa la tte de laquelle marchait, apparemment sur la volont d'Urbain II, Albert II, comte de Parme, le frre en personne de l'antipape. C'en tait assez pour empoisonner les derniers jours de Guibert...(p 502).
[21] Barraclough, 1992, 91 : Urban II's pontificate was the turning-point in the struggle that had commenced in 1076...Coming to the throne at the lowest ebb of papal power...Driven from Italy, he found refuge in France...and from this basis he gradually and skilfully built up the standing of the papacy...The 1rst Crusade...assured the papacy a moral leadership. In this way Urban II's cool, resolute guidance grafually brought about a reversal in the position of the parties, while his diplomacy and tact recovered for the Church the sympathy which Gregory's intransigence had lost. Henry IV rather than the pope seemed now to be the obstinate, uncompromising party...L'A. souligne aussi le rle d'Urbain dans la mise en place d'une organisation pontificale : ...an urgent need arose to adapt the machinery of government to the new circumstances. This occured under Urban II whose pontificate thus stands out as a decisive turning-point in papal history /curia etc/ p 94-95
[22] Sa rputation post life est plus remarquable que ses actions. Cf. Kostick, 2009.
Brhier Louis, In: Mgr Alfred Baudrillart, ed., 1912, Dictionnaire d'histoire et de gographie ecclsiastiques, Tome premier. fasc. 1-6 : Adhmar tait dj devenu le hros d'une vritable lgende ; beaucoup de croiss avaient cru le voir apparatre et on raconta qu'au moment de la prise de Jrusalem, il tait mont le premier sur les remparts. Les chroniqueurs aiment le comparer Mose, parce qu'aprs avoir conduit le peuple chrtien, il n'a pu voir la Terre promise...On finit mme par lui attribuer l'initiative de la premire croisade qu'il aurait conseille au pape la suite d'une vision d'un prtre de son diocse (cf. Caffaro)
Caffaro (ca 1155), Liberatio Orientis, RHC occ, T 5, p. 48-49 . Dans le texte de Caffaro, c'est toutefois le Puy, plus que son vque qui est le vecteur sacr : douze hommes sont runis l'glise Ste Marie et dlibrent des moyens d'aller en plerinage Jrusalem. L'ange Gabriel apparat l'un d'eux et lui intime d'aller trouver l'vque pour qu'il actionne le pape afin de dlivrer Jrusalem.
De son vivant, Adhmar n'est pas le seul avoir reu d'Urbain la licentia ligandi atque solvendi. L'ont aussi le chapelain du comte Etienne de Blois et celui du duc de Normandie, Arnoul de Choques, dit Malecouronne, qui succdera Adhmar et deviendra le premier patriarche latin de Jrusalem. Dpourvu du double prestige de prlat et baron, Arnoul ne jouit pas auprs des chroniqueurs de la clbrit d'Adhmar. (Richard, 1960).
Hill & Hill, 1955, pour la premire fois dans l'historiographie, ont contest l'importance traditionnellement accorde Adhmar. Brundage, 1959 : They conclude that there has been a grave mistake. Adhemar, they tell us, was not, after all, a very great ecclesiastical statesman. The good bishop was simply "a trustworthy man whose recorded acccomplishments fell far short of the encomiums heaped upon him".../d'o provient alors son succs posthume ?/ "It lies in part in the very obscurity of his deeds and perhaps also in the human desire to find among the leaders of the Crusade a man who could be praised by all. Adhemar was a non-controversial figure of good repute." Brundage, quant lui, prend la dfense d'Adhmar et de son Ïcumnisme.
Pour France (1970),...recent writers have pointed out that Adhemar emerges as a very shadowy figure from the pages of contemporary chronicles /Hill, 1955/...We ought perhaps to remember that Adhemar commanded an army ; this alone would give him influence in the council of leaders... 289 Raymond of Aguilers was exaggerating when he saw the death of Adhemar as the cause of the scattering of the army in August 1098; there is no evidence that Adhemar could have stopped this, or would have wished to.
[23] Ce sera plus tard l'incapacit des Latins se maintenir en Syro-Palestine, s'auto-renforcer et coexister entre eux et avec leur environnement, qui rendra la main aux papes. Les Latins, par leur faiblesse et sous l'effet de la "contre-croisade" musulmane, dpendent des secours de l'Europe dont le vecteur financier, idologique et organisationnel est la papaut qui s'investira de manire croissante pour des rsultats de plus en plus mdiocres. Dans le mme temps, de Latran I (1123) Latran IV (1215), le concept s'affine et son potentiel s'affirme. Innocent III (1198-1216) en donnera la version canonique.
Housley : What made the 13th century different in many ways was the pontificate of Innocent III...(p 54) It is generally accepted that with Innocent III crusading was for the first time placed within a coherent ideological perspective. This revolved around the concept of a Christian community. Christianitas, or when conceived more juridically and politically, the respublica christiana. Crusading was seen as akin to the foreign policy of this community and the role of the Roman curia in initiating and managing Christendom's crusading efforts was accentuated: it was no coincidence that I formulated the doctrine that the pope was Christ's 'Vicar'. The centrality of Christ in the devotional experience of crusading was thus to have its mirror image in the place that the Roman curia aspired to occupy, through its administrative offices, legates and bulls, in the organization of the crusading effort /and mendicant friars for preaching/...(55) One of the most far-reaching changes initiated by Innocent was his ruling the the Church must shoulder much of the escalating financial burden of crusading ant that it should do this by paying a form of income tax imposed by the pope and collected by clerics (58).
Dj la dme de Saladin avait financ la 3me croisade.
[24] Au contraire, France (1970) la prsente comme une tentative de repousser les conflits internes. De mme que l'ambassade Alexis (dbut Juillet 1998, Hugh of Vermandois and Baldwin of Hainault) tait une manire pour Saint-Gilles de repousser les prtentions de Bohmond et de gagner du temps, de mme ce tardif (11 septembre) appel au pape venir prendre la tte de l'expdition rpond aux perscutions subies par les Provenaux Antioche et repousse le rglement d'un conflit insoluble (the division was made the more insoluble by the peculiar nature of authority on the crusade, 285).
[25] Parmi les chroniqueurs "papo-centrs", l'un des plus tardifs (1120), Robert le moine, le collectionneur de miracles, est le plus disert et donne la postrit la version de l'appel qui devient standard : une place immense, une foule innombrable, un discours enflamm, un soulvement immdiat. Abb de St Rmi de Reims au moment de Clermont, puis parti Outremer, Robert, de tous les chroniqueurs, aura le plus de succs, grce, probablement, au mlange de merveilleux et d'hroque. De multiples manuscrits nous ont t conservs et le texte sera l'un des premiers imprims Paris vers 1470.
[26] Chirat, 1954 :... L'absolution est essentiellement une prire; aussi bien, malgr la dignit officielle de ceux qui la prononcent, son nonc est empreint de rserve et comporte des clauses restrictives, pour marquer l'incertitude qui subsiste sur l'tendue de ses effets valables devant la justice divine. L'indulgence est une remise extrasacramentelle de la peine que l'Eglise a elle-mme inflige au pcheur ; elle est accorde en termes catgoriques qui dnotent l'exercice lgitime d'une autorit pleinement fonde...(46) L'indulgence plnire que les papes ont parfois accorde aux croiss partir d'Alexandre II (1063) s'appuie sur le mme principe que l'indulgence partielle. Elle assure la remise de toute la pnitence canonique, sans garantir videmment de faon ferme l'entier affranchissement des peines expier devant Dieu. La condition fixe pour bnficier de cette exonration pouvait paratre compenser entirement la pnitence canonique, puisqu'elle exposait non seulement de multiples embarras, mais aux plus graves dangers. Par cet aspect, l'indulgence de la croisade se rattachait de faon plus vidente aux "rdemptions", tandis que les indulgences partielles paraissaient en connexion plus troite avec les "absolutions"...(47)
[27] Ultrieurement, puisque le pape est l'Eglise, toute contribution aux projets papaux deviendra pnitentielle, qu'il s'agisse de construire (St Pierre de Rome) ou de combattre (guerres italiennes). On connat le rsultat (Luther etc.) et la froce critique du XVIIIe qui conduira, au XIXe, Michaud distinguer la sincrit des premires croisades de l'instrumentalisation ultrieure.
[28] Elle est lie au flux/reflux de la position papale, toujours incertaine, entre les tumultes romains et l'empereur. La premire "croisade" proclame contre des Chrtiens (mais pas la premire guerre sainte) date de 1199, quand Innocent III appelle les vrais Chrtiens combattre Markward d'Anweiler, lieutenant du dfunt Henry VI qui s'oppose la volont du pape de gouverner le sud de l'Italie au nom du petit Frdric (futur II). Housley : the casus belli was a political one and Markward was not accused of holding heretical beliefs...Five years later...Latin empire of Constantinople and the almost immediate use of the crusade for its defence againts counter-attacks from the exiled Byzantines and Bulgaria. Crusades folllowed against other Orthodox communities, including the Russian principalities. And in 1208, Innocent proclaimed the Albigensian Crusade... (116) once the inquisition had been organized crusading against heretics largely disappeared, the major exception beeing the Hussites in the 1420s...but the 'political' crusades persisted, becoming by far the most frequent manifestation of 'internal' crusading for several generations to come. In the 13th and 14th century they were associated above all with the pursuit of papal territorial goals in Italy...principally...in the centre of the peninsula (117).
[29] Iogna-Prat, 2013 : Dans le vocabulaire romain tardif, indulgentia dsigne lÕamnistie accorde par les empereurs chrtiens. Dans son acception classique, qui nÕest pas antrieure au dbut du XIIIe sicle, il sÕagit de la rmission (absolutio, remissio, indulgentia) ou de la mitigation accordes par lÕglise des peines temporelles dues, ici-bas et au Purgatoire, pour les pchs confesss et pardonns. Cet usage sÕenracine dans la pratique ancienne de commutation des peines constitutive de la pnitence dite Ç tarife È du haut Moyen åge, elle-mme apparente au Wergelt, systme judiciaire suivant lequel une faute donne doit faire lÕobjet dÕune compensation donne ou de son quivalent. Ds la fin de lÕpoque carolingienne merge la notion de substitution possible par de bonnes Ïuvres de la rparation attendue du pcheur : plerinage, donation un tablissement pieux, entretien dÕune glise...La pratique est appele prendre toujours plus dÕampleur au cours des XIe-XIIe sicles, son champ dÕapplication sÕtendant aussi bien pour les personnes (rmissions particulires/rmissions gnrales) que pour les peines (indulgences partielles/indulgences plnires). La logique de substitution lÕÏuvre a pour consquence de valoriser des temps et des lieux particuliers. Avec les translations de reliques, mais loin derrire les appels la croisade, inaugurs par le pape Urbain II Clermont en 1095, les conscrations dÕglises sont au nombre de ces occasions solennelles au cours desquelles, ds les annes 1030, les prlats accordent de gnreuses remises de peines. La participation lÕdification dÕun lieu de culte est mme ce point une bonne Ïuvre que Guillaume Durand (1230-1296), dans son Pontifical, fait mention dÕune indulgence accorde, ds la mise en chantier du btiment, aux pcheurs prsents lors de la crmonie de pose de la premire pierre. DÕo la valorisation des actes dÕoblation sur les chantiers de construction ecclsiale, manifeste ds le milieu du XIIe sicle...
[30] Housley : The one area in which the development of the medieval papacy was indubitably shaped by crusading was that of the curia's control over the Church at large. The overall centralization of the Church would surely have occured anyway...but the financial needs created by crusading accelerated this trend...The system of papal taxation, notably through teeth, but also other benefice taxes like annates, intercalary fruits, was created for crusading purposes and initially at last derived its moral justification from it... /mme si/ the
whole system worked less to the benefit of the papacy than that of a range of secular leaders to whom the financial proceeds were normally channelled...
These points about the centralized taxation of the Church also apply mutatis mutandis to the multiplication of indulgences in the late medieval Europe...The 'marketing' of indulgences was central to all preaching campaigns against the Turks in the 15th and early 16th century (148).
[31] Par exemple, Voltaire, Essai sur les mÏurs, Chap. 55 : On avait pleur en Italie sur les malheurs des chrtiens de lÕAsie ; on sÕarma en France. Ce pays tait peupl dÕune foule de nouveaux seigneurs, inquiets, indpendants, aimant la dissipation et la guerre, plongs pour la plupart dans les crimes que la dbauche entrane, et dans une ignorance aussi honteuse que leurs dbauches. Le pape proposait la rmission de tous leurs pchs, et leur ouvrait le ciel en leur imposant pour pnitence de suivre la plus grande de leurs passions, de courir au pillage. On prit donc la croix lÕenvi.
[32] La reconnatre n'est pas la comprendre puisque, d'une part l'exprience mystique est transcendante et incommunicable et que, d'autre part, nous, dans le monde postchrtien, sommes particulirement mal placs. On est alors tent de rationaliser l'a-rationnel en plongeant dans la psychologie des profondeurs. Comme, hlas, ces profondeurs n'ont laiss ni chroniques ni documents, on fait bouillir le chaudron des sorcires : "l'histoire des mentalits" (Alphandry) invoque un apocalyptisme latent que la religion officielle aurait recouvert sans l'anihiler et auquel seule l'lite la plus instruite resterait insensible.
Reste que la "premire croisade" est marque par une espce d'enthousiasme qui manquera aux autres. Le fanatisme populaire divergera des croisades officielles (ou en sera l'objet et la victime) et suivra son chemin Ñjamais bien loin de la rvolte "sociale" lorsque le menu peuple est laiss lui-mme.
[33] Dans le mme sens, Tyerman, 1995: The First Crusade was remembered as a symbol of loyalty and honour, a focus and inspiration for traditional secular qualities, not as a new way of salvation or a new form of holy war, p 553.
Examinant les diffrentes versions (post festum) de l'appel de Clermont DeLong, 2010, souligne la mobilisation de l'honneur : One may gain honor one day, but lose it the next... Martyrdom, especially, promises a solidified, concrete form of honor that is everlasting, never needing to be renewed...Thus while GuibertÕs glorious martyrdom does not seem particularly inviting, through the lens of warrior masculinity, martyrdom promises eternal honor even more than eternal life.
[34] Housley : The fact that the /Great/ schism did not put an end to the persistence of crusading in the east is clear proof that the latter owed relatively little of its impetus to papal initiative. Indeed perhaps the most striking feature of crusading in this period is its full integration into chivalric culture...Nearly all historians agree that the narrative sources...are unanimous in portaying a world in which combat against the 'pagans', 'Saracens' or 'unbelievers' was a thoroughlty praiseworthy activity...( 129) The conflict in the Mediterranean was one of the 'fronts' most eagerly sought out by individuals or groups to display their prowess, win their spurs and advanced their careers...The clearest evidence for the ongoing appeal of combat against non-believers to the fighting classes of the 14th cent. derives not from the eastern Mediterranean but from the Baltic region...One of the clearest messages to emerge from studies of the Reisen is that the 'chivalric crusading' that they epitomized was largely couched in terms of individual inspiration, adventure and reputation...(130) the famous Feast of the Pheasant held at Lille in 1454, one of the chief platforms for Philip the Good's crusade programme, reminds one strongly of the chivaleric paraphernalia cretaed by the Teutonic Knights to entertain volunteers for their Reisen (137).
In fact the impact of crusading as a military experience seems to have occured...in the more intangible field of social values. Chilvary has been subject to a massive amount of re-evaluation in recent years, but its relationship with crusading has been confirmed as a highly important one...in large measure the core values of both crusading and chivalry were the products of the laity, which created them in accordance with its own agendas, modes of thought and behaviour. Although the influence of the Church was always felt...its teachings were never accepted without a certain amount of reshaping...(155)
[35] Je l'entends au sens allgorique. Au sens troit, la "trojanisation" des croisades est un programme la fois identitaire (origines troyennes des Francs) et agressif, surtout aprs la conqute de Constantinople : nous reprenons la terre qui appartenait nos anctres (que fu a nos anchisieurs, Robert de Clari). Cf. Tanniou, 2014.
[36] Commenant la sixime anne du voyage, le pome ne parle pas de l'origine de la Croisade. Urbain n'apparat qu'une fois et seulement pour avoir arm Godefroi ! Godefroi lui rpond : Sache maintenant qu'au jour o le grand Urbain me ceignit cette pe Clermont et, de sa main puissante, m'arma chevalier du Christ...(XI, 23). La lutte des Chrtiens et des Musulmans est plus magique que religieuse : Pierre l'Ermite qui assure le leadership du sacr chez les premiers est une espce de Merlin et les Sarrazins mobilisent sorciers et dmons de l'Enfer. Les enchantements malfiques abondent (du jardin d'Armide au bois maudit), comme, de l'autre ct, les fes et les saints errants. C'est cela qui a fait le succs du Tasse, rebondissant sur le Roland amoureux de Boiardo et le Furieux d'Arioste : grandes batailles et combats de magie, mchants sorciers, sorcires sductrices, bonnes fes, belles aventurires, hros tourdis, amours contraries...Cf. Larue, 2002.
[37] Les grands faits d'Heribert II ( 943) et les mariages de ses filles (Adele to Count Arnulf of Flanders, Luitgard successively to Duke William I of Normandy and Count Theobald of Blois) ne doivent pas conduire surestimer les comtes de Vermandois. Lisson, 2017 : the imprisonment of King Charles III attests to the countÕs political strength (giving him considerable leverage to attend his affairs), but, in the end, in terms of territorial power, Heribert II was still very much a local lord (p 9) ... It therefore seems safe to assume that the title of Òcount of VermandoisÓ was an eleventh-century innovation. The tradition of linking the toponym Vermandois to the tenth-century counts goes back to the central Middle Ages (12).
Herbert IV ((1028Ð1080) obtient par sa femme des droits sur le Valois. Il dshrite son fils Hugues l'insens par le conseil de ses barons. Coliette (1771) Š, pour l'expliquer, met plusieurs hypothses : 1) Hugues tait roux et pustuleux, 2) il tait envieux, 3) les barons voulaient chapper la main du comte en en transmettant les droits au roi par le mariage d'Adle...Quoiqu'il en soit, il en est rduit la sirie de Saint-Simon Ñ d'o sortiront bien plus tard les ducs de Rouvroy-Saint Simon. Coliette note (T1, p 673) : Ce qu'il y a d'trange & de bien surprenant dans l'expulsion d'Eudes de Vermandois, c'est qu'elle parot avoir t autant l'ouvrage de son pere Hbert IV, que de sa mere Adle de Crpy. Les descendants de Hugues l'insens sont ainsi indument privs de l'hritage de celle-ci : l'expulsion juste ou non d'un anctre ne peut tre prjudiciable ses descendans. Il y a plus ; l'exhrdation du Vermandois emporta celle du Valois, & des autres domaines immenses que laissa la Maison de Crpy. Ayant arrach le Vermandois Philippe d'Alsace (1185), Philippe-Auguste le runit la couronne (1215) : Le Roi...fit solemnellement renoncer Jean de Saint-Simon toutes les demandes que ce Seigneur & ses descendans pourroient former sur cette hrdit (id, p 674).
Š Mmoires pour servir l'histoire...de la province du Vermandois, par M. Louis-Paul COLLIETTE, 1771, Cambrai, 2 vol.
Guibert de Nogent, Lib. 2, Guizot 9:72 : Je crois devoir nommer en tte de tous les autres princes Hugues-le-Grand, frre de Philippe, roi des Franais : quelques autres, sans doute, lui taient suprieurs eu richesses et en puissance ; mais il ne le cdait aucun pour l'clat de la naissance et l'honntet de la conduite que Coliette traduit : Ses biens seulement ne rpondoient point la grandeur de sa naissance. Quelques Seigneurs de sa suite l'effaoient mme par leur train ; mais son mrite toit reconnu transcendant Coliette, 1771, T2, p39.
Une fois Hugues mort glorieusement (1102), Adle reprend le gouvernement et le garde aprs son remariage.
Coliette, T2: 116 Adle de Vermandois, devenue veuve de Hugues de France (tat qu'elle garda pendant peu prs quatre ans), & aprs avoir convol en de secondes noces avec le Comte de Clermont, ne se dsaisit point d'un pouce de son domaine, ni du moindre degr de son autorit dans ses possessions du Vermandois & du Valois. Elle lgue les "comts" de Vermandois et de Valois Raoul, le fils qu'elle a eu d'Hugues, et le "comt" d'Amiens Marguerite, la fille qu'elle a eue de Renaud de Clermont, laquelle pousera le comte de Flandres.
Raoul pousera la fille d'Etienne comte de Blois et Adle de Normandie que, devenu snchal de Louis VII, il rpudiera pour Ptronille, la sÏur d'Elonore d'Aquitaine, moyennant la guerre de Champagne (Vitry etc) et excommunication...
[38] Sirtar, 2018: The crusading deserters were labelled with the stigma known as infamy (infamia) which was a social exclusion resembling secular excommunication...(111) /mais/ the French chroniclers writing in 1105Ð1109 tended to rehabilitate the crusading deserters. There are two possible explanations for this approach: (1) the chroniclersÕ affection either for the deserters or for their families, and (2) the outcome of the Crusade of 1101 (115).
Ainsi, Guibert de Nogent : Qui pourrait dire que le comte Etienne et Hugues, qui furent en tout temps si honorables, puissent tre compars, pour avoir paru un moment revenir sur leurs pas, quelques-uns de ceux qui persvrrent dans leur abandon ? Leur fin contribua si puissamment l'accomplissement des choses au sujet desquelles on les accuse, qu'on peut maintenant chanter leurs louanges en toute assurance, tandis que l'existence des autres fait encore rougir tous les hommes de bien...Les deux hommes dont je parle eurent une conduite toujours honorable, avant comme aprs les circonstances que je raconte. Les autres, parce qu'ils ont vu Jrusalem et le spulcre, pensent qu'ils ont pu se livrer en scurit toutes sortes de crimes ; ils reprochent des hommes saints, si on les compare eux, de s'tre retirs, et tandis qu'eux-mmes sont entachs d'un nombre infini de forfaits, ils ne veulent pas mme convenir que la fin de ces hommes saints soit digne des plus grands loges. Lib V, Guizot 9: 190-1
Voici ce que disent quelques personnes pour expliquer le refus de Hugues-le-Grand de retourner auprs de ses compagnons d'armes...dans la dlicatesse de son honneur, il redoutait d'avoir souffrir des privations au milieu de ceux qui taient ou plus avares ou plus ardens amasser des ressources, quoique lui-mme ft plus grand, ou du moins ne cdt aucun d'entre eux en distinction. Au surplus, personne ne saurait se plaindre avec justice. des retards de celui qui revint cependant dans la suite, et qui succomba enfin illustr du martyre, et emportant la rputation du plus brave chevalier. Lib VI: 209
Coliette T2, 41. Nous
ne savons quelle raison dtermina tout--coup notre Comte se retirer. Aprs s'tre acquitt de sa commission, il ne revint point l'arme des Croiss ; mais il repassa en France. Cette clypse, laquelle personne ne s'toit attendu, lui est devenue un crime auprs de quelques crivains du temps, qui n'ont peut-tre jamais discut ni mme connu les motifs de sa conduite. Mais Guibert de Nogent, plus rflchi dans le jugement qu'il a port de Hugues, trouve bien excusable la disparution d'un Prince, qui, toujours lev dlicatement & dans l'abondance, & prt manquer de tout, parce qu'uniquement livr sa bravoure il avoit nglig & perdu toutes les ressources dont il avoit le plus de besoin, sauve, par une fuite prudente, ses jours infortuns des rigueurs de la misre plus formidable pour lui que toutes les armes des Infidles. Aucun autre historien n'toit plus en tat de bien parler du comte Hugues, & d'en faire connotre tout le mrite la postrit, que Guibert, abb de Nogent-sous-Coucy. Il avoit l'honneur de lui faire souvent sa cour ; & le Prince le combloit de sa bienveillance & de son amiti mme.
[39] France, 1970, souligne que Saint-Gilles est le seul des "chefs" avoir eu des relations avec le pape, avant et aprs Clermont et suggre que, si son leadership sur sa propre expdition allait de soi, l'agglomrat de plusieurs troupes le met dans une situation inextricable, principal mais non premier : although Raymond led the biggest single army, the crusade was joined by other magnates who were his equals in rank, and who possessed large armies...sources. The Count, in fact, failed to capitalise on his resources of wealth and power. Bohemond, in contrast, beginning with a small but good army, became the dominant figure in this period of the crusade (288).
[40] Sauf l'insignifiant Hugues de Vermandois, tous les autres appartiennent la constellation normande ou sont en rapport avec elle. Outre les Normands proprement dits (les deux Robert et Bohmond/Tancrde), Etienne de Blois est le mari d'Adle, la fille de Guillaume le btard (ce qui a un sens politique dans les rapports Blois-Champagne/Captiens) ; les Boulogne, en sandwich entre Flandres et Normandie, sont dans la problmatique anglaise (Eustache aux gernons). Mme Raymond a eu une normande d'Italie comme deuxime pouse (et a tent de raffler la dot de sa sÏur !).
[41] Without the Normans, Urban II would have lacked the political power, military backing, and precedence to call for crusade (David C. Douglas, The Norman Achievement, Berkely: University of Los Angeles Press, 1969).
[42] William of MalmesburyÕs Chronicle of the Kings of England, 1125 [1127]. Bk IV, CHAP. II. The Expedition to Jerusalem. [A.D. 1095Ð1105.] : In the year of the incarnation 1095, pope Urban the second, who then filled the papal throne, passing the Alps, came into France. The ostensible cause of his journey, was, that, being driven from home by the violence of Guibert, he might prevail on the churches on this side of the mountains to acknowledge him. His more secret intention was not so well known; this was, by BoamundÕs advice, to excite almost the whole of Europe to undertake an expedition into Asia; that in such a general commotion of all countries, auxiliaries might easily be engaged, by whose means both Urban might obtain Rome; and Boamund, Illyria and Macedonia... Still nevertheless, whatever might be the cause of UrbanÕs journey, it turned out of great and singular advantage to the Christian world...
[43] Cette longue habitude de traiter avec les barbares inspirera le comportement d'Alexis l'gard des Grands de la croisade : Magadalino (1996) souligne que l'empire croit savoir gagner des allis barbares et les matriser, mme conflictuellement. As Jonathan Shepard has observed, his /Alexis'/ treatment of the crusading leaders suggests a care to avoid the mistakes which had led Herve to rebel against Michael VI, Crispin to rebel against Romanos IV, and Roussel to rebel against Michael VII. Cela russit d'abord avec Bohmond mais draille en un lieu crucial : the capital of Byzantine Syria was Antioch, another great city of antiquity, an apostolic see and one-time imperial residence. Modern histories of Byzantium consistently underestimate the significance of the reintegration of this city...The very fact that Bohemond, the most byzantinised of the crusaders, coveted Antioch and allowed it to distract him from completing his pilgrimage to Jerusalem, is indicative of the cityÕs value in Byzantine eyes...
[44] France dans son review de l'ouvrage que Flori consacre Bohmond : Bohemond was the star of the First Crusade, notamment pour ses qualits guerrires que Flori a le tort d'oublier. Or, without Bohemond the soldier, this is a portrait which, for all its learning, is deeply flawed.
Paul (2010 :537-8) souligne que son assimilation (physique et politique) son pre Guiscard le rend pique : As is clear from the episodic and even genealogical structure of epic cycles, medieval audiences were enthralled by the idea that heroes might inherit both the character and the ambitions of their ancestors. Bohemond's continuation of his father's old struggle -waged on the same battlefield and against the same enemy- fit this model precisely. Indeed, according to some accounts, it would seem as if Robert and Bohemond were an extension of the same ego.
[45] Dans le Livre XIV de l'Alexiade, alors qu'elle narre avec horreur la dernire expdition de Bohmond contre Byzance, elle en dresse un portrait presqu'namour. Diehl, 1908 : Il faut lire dans lÕAlexiade le portrait enthousiaste quÕAnne Comnne a trac de ce gant roux, la taille fine, aux larges paules, la peau blanche, aux yeux bleus tincelans, au rire clatant et terrible, de ce hros redoutable et sduisant la fois, si bien fait au physique quÕil semblait construit dÕaprs le Ç canon È de Polyclte, et au moral si souple, si habile, si beau parleur...Ainsi parlait du barbare dÕOccident cette princesse byzantine, plus de quarante ans aprs le jour o Bohmond lui tait apparu pour la premire fois comme un blouissement. Il nÕy a point dans lÕAlexiade tout entire, exception faite du basileus Alexis, un homme qui Anne Comnne ait fait les honneurs dÕun portrait plus achev et plus flatteur. Charles Diehl, "Figures byzantines - Anne Comnne", Revue des Deux Mondes, 5e priode, tome 43, 1908 (p. 690-708).
La traduction Cousin du texte d'Anne (1685, Hist. Const., T4, p 394) tant lourde, je donne la version anglaise : He was such a man, to speak briefly, as no one in the Empire had seen at that time, either barbarian or Greek, for he was a wonderful spectacle for the eyes, and his fame surpassed that of all others. But to describe the figure of the barbarian in detail : he was so tall, that he surpassed the tallest man by almost a cubit ; he was slender of waist and flank, broad of shoulder, and full-chested ; his whole body was muscular, and neither thin nor fat, but very well proportioned, and shaped, so to speak, according to the canon of Polyclitus. His hands were active, and his step was firm. His head was well joined to his body, but if one looked at him rather closely, one noticed that he seemed to stoop, not as though the vertebrae or spinal column were injured, but, as it seemed, because from childhood on he had been in the habit of leaning forward somewhat. His body as a whole was very white ; his face was of a mingled white and ruddy color. His hair was a shade of yellow, and did not fall upon his shoulders like that of other barbarians ; the man avoided this foolish practice, and his hair was cut even to his ears. I cannot say whether his beard was red or some other color ; his face had been closely shaved and seemed as smooth as gypsum ; the beard, however, seems to have been red. His eyes were bluish-gray, and gave evidence of wrath and dignity ; his nose and nostrils gave vent to his free breathing ; his nose aided his chest, and his broad chest his nostrils, for nature has given to the air bursting forth from the heart an exit through the nostrils. The whole appearance of the man seemed to radiate a certain sweetness, but that was now cloaked by the terrors on all sides of him. There seemed to be something untamed and inexorable about his whole appearance, it seems to me, if you regarded either his size, or his countenance, and his laugh was like the roaring of other men. He was such a man in mind and body that wrath and love seemed to be bearing arms in him and waging war with each other. His mind was many-sided, versatile, and provident. His conversations were carefully worded, and his answers guarded. Being such a man, he was inferior to the emperor alone in fortune, in eloquence, and in the other natural gifts. (cit. Yewdale, 1925: 137).
[46] Contra : Bartlett (2008) s'emploie dfinir ce qu'est alors la "pit" pour comparer le comportement des Normands celui des autres afin de montrer qu'ils ne mritent pas leur rputation d'hypocrisie. Recent trends in crusade historiography depict the Frankish participants of the First Crusade as acting out of piety, while their Norman counterparts remain as impious opportunists. This thesis challenges this prevailing point of view, arguing that the Norman crusaders met the same standard of piety as the Franks.
[47] Ne prenons pas le roi Philippe pour Louis XIV ! Un sicle aprs l'usurpation captienne, il a, dans le royaume de l'Ouest, le titre de roi et pas grand chose d'autre. Sans parler de ses "problmes" matrimoniaux et de son excommunication corrlative, les grands comtes sont plus puissants que lui et mme les sires le vainquent (guerre du Puiset). Si "fils de roi" vaut succession la couronne selon son rang, fille de roi n'est pas grand chose de plus qu'un cadeau diplomatique. Constance a pous d'abord Hugues, comte de Troyes, frre cadet du grand comte de Blois, Etienne-Henri. A son "divorce", dix ans plus tard, elle rejoint son ex belle-sÏur, la formidable Adle de Blois, fille du Conqurant, qui, depuis la mort d'Etienne, gouverne les comts. On a tort de sous-estimer son rle dans le voyage franais de Bohmond : c'est Chartres, non Paris, que Bohmond pouse Constance et qu'il prononce son grand discours de recrutement. C'est des possessions blaisoises que viendront la plupart des "croiss".
[48] A tout prendre Dabolis n'tait pas un si mauvais rsultat. D'ailleurs les chroniques de l'abbaye de Fleury feront de l'expdition de 1108 une victoire de Bohmond ! The Fleury texts also substantially skew the final result of the war in 1108, making it seem as if Bohemond had not actually been defeated but had extracted oaths of security and fidelity from Alexios. (Paul, 2010).
Pour avoir une lgitimit, Bohmond s'tait fait enfieffer d'Antioche par le Lgat du pape qui n'en avait gure le droit. En devenant vassal de l'empereur, il obtenait un titre incontestable et l'avenir restait ouvert. C'est seulement si l'on pense que la croisade de Bohmond visait s'emparer de Constantinople que le Trait de Dabolis (1108) est une dfaite absolue.
Bohmond rentre en Italie et meurt, ce qui parat beaucoup une fin de partie. Mais McQueen, 1986 : As Yewdale /1917/ pointed out Alexius actually gained very little from the treaty as Tancred was still in Antioch defending its territories ostensibly on behalf of his uncle. The fact that Bohemond's ambitions remained in the east is born out by the fact that he continued to style himself 'Prince of Antioch' and more dramatically, by the fact that at the time of his death he was raising an army and a fleet to take east, vraisemblablement pour prparer sa revanche.
[49] La note XV de la nouvelle Histoire gnrale du Languedoc (Du Mge, Tome 3, 1841) reconnat : Il est assez difficile de fixer le droit qu'avoit Raymond de S. Gilles la succession de Guillaume comte de Toulouse son frere, qu'il recueillit l'exclusion de cette princesse ; et les auteurs sont fort partagez l-dessus. Et invoque une vente qu'aurait faite, de son vivant, Guillaume Raymond, et une clause de substitution qui l'aurait tabli hritier la place de la fille de Guillaume. Mais la clause en question concerne des droits particuliers (Moissac) et non le comt. Guillaume semble s'tre laiss envahir paisiblement par son frre.
[50] Cette confusion languedocienne se poursuivra. Plus que la faiblesse de caractre de Raymond VI et VII, elle explique leurs atermoiements et leur incapacit faire face la "croisade" que le pape Innocent III dverse sur les "hrtiques". Elle aboutira la mainmise du "roi" (la rgente Blanche de Castille) sur le comt (trait de Meaux-Paris, 1229).
[51] La "mutation fodale" se fait au XIe : Contrairement ce qui a souvent t crit, les socits hispano-occitanes du XIIe sicle peuvent tre considres comme tout aussi fodales que celles de l'Europe du Nord (Bonnassie, 1980).
Dbax, 2005 : Le point le plus saillant est sans doute la faillite assez gnrale des pouvoirs aux niveaux suprieurs de lÕaristocratie...(p : 3) Les comtes ont subi de front les attaques grgoriennes, mais aussi et surtout ils ont vu leur suprmatie srieusement conteste par lÕascension de lÕaristocratie chtelaine...(6) Le
dclin du pouvoir comtal dans ses bases militaires et judiciaires et la multiplication des chteaux peuvent tre observs ds la deuxime moiti du Xe sicle (7).
Dbax, 2016 : La
crise des pouvoirs comtaux trouve une de ses causes dans la prolifration des chteaux et lÕapparition dÕune aristocratie chtelaine. Ce phnomne est une volution au long cours qui est lÕoeuvre en Languedoc depuis la fin du Xe sicle ; elle fait sentir pleinement ses effets fin XIe-dbut XIIe. On voit en effet apparatre une aristocratie chtelaine qui ancre son pouvoir sur un chteau et qui constitue une seigneurie autour de celui-ci...LÕancrage dÕune domination aristocratique polarise sur des chteaux est pleinement acheve fin XIe-dbut XIIe. Il semble que cette volution a particulirement affect le pouvoir comtal, surtout le pouvoir raimondin...De fait, il manquera toujours aux comtes de Toulouse cette base castrale et ces rseaux de fidlits que les Trencavel, par exemple,...ont su se constituer au cours du processus de fodalisation...
[52]Pradalier (2005) examine les relations Aquitaine/Toulouse : LÕhistoire des relations entre Toulouse et lÕAquitaine bascule au XIe sicle ; jusque vers 1060, les comtes de Toulouse, en hritiers lointains des ducs de lÕpoque mrovingienne, font valoir pisodiquement leurs prtentions aussi bien sur lÕAquitaine stricto sensu que sur la Gascogne. Elles sont favorises par le morcellement politique, en particulier la dualit Aquitaine-Gascogne. Tout change avec la constitution dÕun bloc unique, mme disparate, sous la poigne de Gui-Geoffroi, alias Guillaume VIII dÕAquitaine. Le rapport de forces se renverse alors en faveur des Aquitains, ainsi que lÕillustrent lÕincendie de Toulouse en 1064 et le mariage de Guillaume IX et de Philippa en 1094. Dsormais Toulouse est sur la dfensive et les comtes issus de Raimond de Saint-Gilles ne semblent trouver leur salut quÕen sÕappuyant sur leurs territoires provenaux. Paradoxalement la pression aquitaine accentue le caractre bipartite du comt, sans pour autant russir faire sauter le verrou toulousain.
Les droits spolis de Philippa justifieront en 1098 la prise de Toulouse par son mari, le duc d'Aquitaine, Guillaume IX, puis, en 1141, le sige de Toulouse par Louis VII, mari de sa petite fille Alinor...et, aprs le "divorce", la tentative de Henri Plantagent, nouvel poux d'Alinor, qui voit Louis VII venir au secours de Toulouse (1159). En 1164, une arme commande par lÕarchevque de Bordeaux viendra nouveau menacer Toulouse. En 1188, Richard CÏur de Lion, duc dÕAquitaine, lance une nouvelle offensive contre Toulouse.
[53] Pradalier : Si la victoire reste au duc dÕAquitaine appuy sur une partie de lÕaristocratie rgionale et sur Saint-Sernin et ses milites, elle est de courte dure. La pression de la papaut fait cder Guillaume IX qui se croise son tour en 1100. Aussitt, lÕautre prtendant, Bertrand, fils de Raimond de Saint-Gilles, parat dans la place...Bertrand nÕen est plus le matre ds 1108 et il nÕy a aucune raison de penser que les Aquitains ne la roccupent pas immdiatement, mme si les tmoignages de leur prsence se concentrent vers 1114-1115.
...Saint-Sernin
se retrouve dans le camp aquitain et la ville se divise nouveau. Ce qui pourrait expliquer la fuite de Bertrand en Orient et les combats de rue en 1114...Saint-Sernin et ses vassaux urbains ( les Baptizat, les Manent, etcÉ) ne sont pas les seuls soutenir Philippa et Guillaume IX. Dsormais, cÕest toute la rgion qui bascule dans leur camp...
DÕo vient alors quÕen 1119 une rvolte expulse la garnison de Guillaume IX et son chef Guillaume de Montmoreau du Chteau Narbonnais, avant quÕune troupe de Toulousains nÕaille chercher Orange en 1123 Alfonse-Jourdain, lÕautre fils de Raimond de Saint-Gilles...?
...Les vnements de 1119 ne mettent pas fin aux vises aquitaines sur Toulouse. Mais celles-ci se coulent dsormais dans le contexte de la Grande guerre mridionale o interviennent aussi les Barcelonais et les grands seigneurs du Midi dont les Trencavel.
[54] Orderic Vital : Ainsi la Normandie tait misrablement trouble par ses propres enfans, en proie leurs fureurs, et le peuple dsarm tait sans protecteur, livr la dsolation. Dans de telles infortunes, le duc Robert, inquiet de ce qu'il voyait, et redoutant de plus grands malheurs encore, puisqu'il tait abandonn de presque tout le monde, rsolut, d'aprs l'avis de quelques personnes religieuses, de remettre ses Etats au roi son frre, de prendre la croix du Seigneur, et, satisfaisant Dieu pour ses pchs, d'entreprendre le voyage de Jrusalem. Ds que le roi des Anglais connut ce projet, il l'approuva avec joie. (OV IX, Guizot 27: 420).
David, 1920 : 89 Moreover, the situation of Duke Robert at home was such that new fields of opportunity and adventure offered peculiar attractions to him...
[55] David, 1920 : once in his life he had played a distinguished part in a great adventure worthy of the best traditions of the Normans. It is true that he had not displayed so great energy and resourcefulness as some of the other leaders...But for the moment he stood without a rival; and it is little wonder that he gained the hand of one of the great heiresses of Norman Italy /Sibyl of Conversano/ together with a dower sufficiently rich to enable him to redeem his duchy. The Crusade had been a fortunate venture in the life of Robert Curthose. He had set out from Normandy with a record of continuous failure and a reputation for weakness and incompetence. He was now returning with all the prestige and glory of a great crusading prince /Ascalon/, his past sins and failures all forgotten. He was soon to become a hero of romance...(118) Yet he was still the same indulgent, affable, 'sleepy duke,' who had failed in the government of his duchy once and was to fail again...(119) THOUGH Robert's life had been filled with failures and had ended in a signal disaster, his memory by no means perished with him. As a leader in the Holy War he had earned an enviable fame, which was early enhanced by legend (ds son vivant: Robert le moine, Raoul de Caen, William of Malmesbury, Wace, Gaimar, chanson d'Antioche, chanson Jerusalem)...(190) In refusing the Latin crown, Robert had contemned and spurned the gift of God. Hence his defeat at Tinchebray and wellnigh thirty years of incarceration. No feature of the Robert legends was more persistent of more universally accepted than this...(200).
[56] Wolf (1991) montre que le chroniqueur de Bohmond, l'auteur de la Gesta Francorum, a du mal habiller le stratge en miles christi : BohemondÕs subsequent failure to respect his own oath by refusing to relinguish his hold on Antioch was difficult for the Gesta author to explain after having painted such a glowing portrait of a single-minded miles Christi...One of the ways that he dealt with BohemondÕs failure to fulfill his vow as a pilgrim was simply, by drawing as little attention to his departure /of the expedition to Jerusalem/ as possible.../une autre manire est de maximiser Antioche/ The sheer weight of attention made the capture and defense of Antioch the focal point and climax of the Gesta Francorum. The conquest of Jerusalem, by comparison, was relegated to a rather hasty denouement...It was at Antioch, too, that the enemy first assumed epic...The author also intensified the drama at Antioch by elaborating on the story of Stephen of BloisÕ desertion...to elevate Antioch to the position of the pivotal battle...to give precedence to Antioch. If he could not bring Bohemond to Jerusalem, he could, in a sense, bring "JerusalemÓ to Bohemond by elevating AntiochÕs place in the Gesta Francorum from an important step on the road to the Holy Sepulchre to the one truly miraculous episode in the entire expedition (p 212 sq).
[57] Barker 1911 :... The establishment of a kingdom in Jerusalem in 1100 was a blow, not only to the Church but to the Normans of Antioch. At the end of 1099 any contemporary observer must have believed that the capital of Latin Christianity in the East was destined to be Antioch.
[58] Citons, par exemple, la progermanique Chronique de Zimmern : Il [L'illustre et cher prince, le duc Godefroi de Lorraine] gurit miraculeusement en quelques jours, et ds qu'il fut de retour en Allemagne, il prit cong de l'empereur et par toutes sortes de moyens amassa l'argent ncessaire pour payer la solde d'un certain nombre de gens de guerre. Pendant douze ans, il poursuivit son projet : enfin, du consentement de ses deux frres, le seigneur Baudouin et le seigneur Eustache, il vendit tous leurs biens fonds, ce qui lui procura une somme considrable d'argent comptant, se proposant de l'employer pour le bien gnral de la chrtient...Lorsque les princes de Gaule et d'autres nations apprirent que l'on allait commencer la glorieuse entreprise chrtienne que leur avait dj prche auparavant le pape Urbain, Clermont en Auvergne, ils choisirent unanimement pour chef de toute l'arme le duc Godefroi.
Les chroniqueurs "franais" gomment sa "germanit', ce que dplorait, entre autres, l'historien des croisades Bernhard von Kugler : Gottfried, so begeistert auch die Franzosen von ihrem Godefroy de Bouillon zu sprechen pflegen, gehrt im wesentlichen doch nicht zu ihrem, sondern zu unserm Volke (Historisches Taschenbuch, 1886,4).
[59] Entre les ambitions normandes et flamandes, Eustache se met au centre of political developments in Flanders, Lorraine and England through a policy of strategic marital and political alliances (Van Cuick, 2014). Epoux de la fille du roi d' "Angleterre" ®thelred le malavis, puis de la fille de Geoffroi le barbu duc de Haute-Lorraine, Eustache, apporte son concours la conqute de l'Angleterre sur son vieil ennemi Godwinson (Harald) mais choue ensuite s'emparer de Douvres pour son propre compte. Rconcili avec Guillaume, il rcupre les grands domaines qui lui avaient t attribus lors de la conqute. Il meurt en 1087, les laissant avec son comt Eustache, son fils an.
[60] Cf. Duprel, 1904. Batrice, pouse de Geoffroy le Barbu, pre du Bossu, tait sa cousine wigricide au 4me degr canonique [arrire-arrire-grand pre commun : Wigric, comte palatin de Lotharingie 916/19]. Fille de Frderic duc de Haute Lorraine ( c. 1026), elle pouse d'abord un fidle imprial de la maison de Canossa, Boniface, marquis de Toscane. Aprs son assassinat (1052), elle s'unit au Barbu sans qu'ils demandent la permission de l'empereur ni la dispense de consanguinit. L'empereur, dj en conflit avec l'un et l'autre pour des raisons diffrentes, entre en Italie, refuse d'approuver le mariage, garde Batrice en prison. Le Barbu repart en Lorraine o, la faveur des attaques du comte de Flandres, il fait la paix avec l'empereur (probablement en 1056). Il profite de la papalisation de son frre Fredric (Etienne IX, 1057-8) pour tendre ses possessions au Nord de l'Italie et devenir duc et marquis (Spolte etc). Mais, malgr sa participation l'instauration du pape Nicolas II, l'alliance normande de celui-ci le fait repartir dans l'empire (1060), laissant Batrice en Italie, rgente de sa fille Mathilde jusqu'en 1067.
Redevenu "germain", il participe au coup d'Etat d'Annon (Kaiserswerth) et remet en selle le pape Alexandre contre son rival Cadalus. L'empereur le fait duc de Basse-Lorraine la mort de Fredric de Luxembourg (1065), Basse-Lorraine dont la revendication arme lui avait fait perdre la Haute-Lorraine paternelle.
Redevenu mari et italien en 1067 (expdition contre les Normands la place de Henri IV l'initiative d'Hildebrand), il meurt en 1070, aprs avoir fait en commun avec Batrice de grandes pnitences et dons qui font jaser.
Ds 1055-6, le Barbu et Batrice ont fianc le fils du premier la fille de la seconde, le Bossu et Mathilde. Ils les marient...Mathilde a un enfant qui meurt dans les mois qui suivent. Elle quitte son mari (1072), retourne en Italie o elle s'loigne de sa mre ( 1076), conservant de grandes possessions et revendications en Lotharingie. Devenue veuve, elle pouse politiquement en 1089 Welf le gros, le jeune fils du duc de Bavire, et s'en spare en 1095, avant ou aprs que le duc quitte le camp du pape pour celui de l'empereur.
En analysant la symbolique du sarcophage romain que Mathilde donne comme tombeau sa mre (Phdre et Hippolyte), Lazzari, 2017, suggre que l'inceste (au sens canonique) commis par Batrice et le Bossu serait la cause de leur sparation et de leurs pnitences, et que la mort de son enfant aurait t comprise par Mathilde comme une punition divine.
Noter que l'histoire va plus loin puisque Daimbert, l'archevque de Pise nomm par Mathilde en 1088, disputera Godefroy de Bouillon la primaut Jrusalem et cherchera empcher de lui succder son frre, Baudoin de Boulogne.
[61] Les vques de Metz, Toul, et Verdun ayant bascul du ct d'Urbain, l'empereur pour renforcer son emprise sur Lige vend la nomination un fidle, OtbertÑ si fidle qu'il l'accueillera en 1106 lorsque, aprs avoir t forc abdiquer, il s'chappera de prison. Aussitt en place, pour payer ses dettes, Otbert viole la grande et riche abbaye St Laurent dont l'abb et les moines se rfugient l'abbaye de St Hubert et, attaqus par Otbert, fuient Reims, pass du ct papal. Mais les guerres de l'vque l'obligent demander l'assistance de la noblesse, ce qui permet Godefroy et aux Grands d'imposer la rintgration des abbs (1095).
Dorchy, 1948, p 990 : Otbert avait pu obtenir l'vch de Lige, en partie grce l'argent de l'ex-abb de Saint-Laurent, Wolbodon. Celui-ci, dpos par Henri de Verdun par suite de ses excs, avait obtenu en retour d'Otbert la promesse d'tre restaur la tte de l'abbaye. Le nouvel vque tint parole, chassa Brenger qui avait remplac Wolbodon, et rtablit ce dernier Saint-Laurent. L'abb expuls alla se rfugier auprs de l'abb de Saint-Hubert Thierry II qui prit en main sa dfense, ce qui lui valut d'tre dpos son tour (fin 1093).
[62] Andressohn (1947) : What influenced Godfrey, alone of the German princes, to make the decision, is a matter of speculation. The stress placed upon his piety is of later origin and does not seem justified, for his conduct toward church property was by no means exemplary. Like many other lay princes he profited by the confusion and the turmoil of the Investiture Struggle. Shortly before the crusade he interfered in the destructive internal strife which had been raging in the wealthy monastery of St. Trond, and secured for his part in imposing a new abbot the sum of one hundred marks, an outlay which nearly ruined the abbey. He also dissolved the priory of St. Peter near Bouillon and took over its possessions. His equivocal attitude in regard to the trial of Abbot Theodoric of St. Hubert and Abbot Berenger of St. Laurent justifies the chronicler in remarking that he blushed because of a guilty conscience.... (p 48) The chronicle of St. Hubert appears to intimate that Godfrey followed the example of others rather than that he led the way. It states that the princes of the provinces undertook to go, and Godfrey planned to accompany them. Pilgrimages to the Holy Land were not a new ambition to this region; in 1064, Bishop Siegfried of Mainz, Bishop William of Utrecht, and a number of other bishops...(49) There was great enthusiasm for the crusade in Lorraine; great numbers of common folk from Lorraine and the Rhenish regions were recruited by Peter the Hermit, Gottschalk, and Emico (52).
[63]Cate, 1969 : At any rate, Henry IV interposed no objections to enlistments in Germany (he was to propose a pilgrimage himself two years later), and some of his adherents were among those who now took the cross...Chroniclers speak of recruits from all the duchies, but most of the persons actually named were from Bavaria and its marches. The ranking layman was Welf IV of Bavaria. The old duke had fought first for Henry IV, then on the papal side, but had latterly made his peace with the emperor and now had determined to go to Jerusalem in expiation of his sins. He was accompanied by Ida of Austria, widow of Leopold II and mother of the ruling margrave, Leopold III; by count Frederick of Bogen and the burgrave Henry of Regensburg; and by one Bernhard, sometimes identified as count of Scheyern. Among the many clergy attached to the army were archbishop Thiemo of Salzburg, bishop Ulrich of Passau, abbot Giselbert of Admont, and, fortunately for us, the historian Ekkehard of Aura (p350).
[64] Murray, 1992, exploite toutes les sources disponibles pour tudier la composition et l'volution de la troupe de Godefroy. We cannot simply assume that Godfrey's household accompanied him in toto to the East. We will discover that numerous knights entered his service in the course of the crusade. Murray distingue trois phases (quatre) :
1) au dpart : Considering the peripheral position of Lower Lotharingia within the empire, as well as its accessibility to France and the preaching of the crusade, Godfrey's army included relatively few of the major nobles of the duchy, especially those of comital rank (313). Trois composantes : le rseau, le comte du Hainaut qui ne veut pas partir avec Robert de Flandres, des lords and knights de Haute Lorraine (dont le fils an du Duc, Louis, comte de Mousson), rests sans drapeau la suite de la maladie du Duc, Theoderic I, comte de Bar et Montbliard.
2) Constantinople : contemporary sources do yield the names of some individual Germans and others who seem to have joined Godfrey or Baldwin after Constantinople (322)... Such lords, it must be stressed, were in straitened circumstances. They were leaderless, and had lost baggage, arms, mounts and followers in the debacle at Nicaea. Their adhesion to the newly-arrived contingents is thus hardly surprising. Yet lords and knights from the other armies were also joining Godfrey about this time. Godfrey's brother Eustace III of Boulogne had left Europe in the company of his lord, Robert II of Flanders, and Robert of Normandy...Yet thereafter Eustace seems to have been associated more with his brothers than with the two Roberts (323)
3) Antioche : quoique, de son ct, Baudoin et les perspectives qu'il ouvre Edesse attirent des hommes des troupes de ses frres et aussi de Robert de Flandres, From
around the winter of 1097-98, we can discern a parallel growth of ties of dependency within Godfrey's exercitus... It is thus evident that from the time of the siege of Antioch ever-increasing numbers of knights were penniless and had nothing to bargain with except their own service. D'o Godefroy tire-t-il les ressources ncessaires ? outre ce qu'il a emport, il a reu des dons de l'empereur Constantinople et Another vital source of supply was Baldwin (provisions et argent) ... Thus by the time of the siege of Antioch, a time when many in his own exercitus and indeed in other contingents were in serious financial difficulties, Godfrey had access to new sources of income and supplies in addition to whatever reserves had remained from earlier. The growth of ties of dependence may also have been expedited by the disappearance of intermediate levels in the command structure of the army (328).
4)
une fois roi, Godefroy peut distribuer des terres et une partie des tributs qu'il peroit : The subsequent establishment of a Frankish state with Godfrey as its ruler allowed him to provide patronage in the form of fiefs and financial support. Although the actual territory under his control was small, he could also dispose of substantial amounts of tribute paid by the Muslim cities of the coast (328).
Ainsi,
conclut l'A., When it set off in August 1096 the army was almost entirely Lotharingian in composition, a character which was greatly influenced by the alliances and animosities which had arisen in the two duchies during the years of the Investiture Contest and its accompanying feuds. Yet in the course of the three years it took to reach its ultimate goal, the army was constantly changing in composition and structure (329).
[65] Pour Duprel (1904), ds le Barbu, le duch se dcompose et les efforts contraires du Bossu ne suffisent pas : Dsormais, une grande puissance centrale ne pourra plus maintenir l'unit du duch. Les seigneurs du second rang ont trop profit des rgnes de Gothelon le Jeune et de Frdric de Luxembourg, des luttes de Godefroid et de Henri III, des intrts trangers de l'poux de Batrice absorb par d'autres soins; ils ne s'arrteront plus dans la voie de l'mancipation complte. Lorsque Godefroid le Bossu essaya plus tard d'enrayer ce mouvement dsastreux pour sa famille (son refus de tenir les promesses de son pre semble bien trahir cette proccupation), ses efforts arrivrent trop tard ou furent trop phmres (p 135).
Dorchy (1948) hrose Godefroy. Henri IV lui refuse le duch en 1076 (peut-tre en raison du soutien de son pre son ennemi de Frise) et le prend en mains en l'attribuant au bb Conrad et en le confiant un vice-duc, Albert de Namur. Pour Dorchy, l'incapacit de Godefroy rcuprer son hritage est au contraire l'chec d'Albert administrer le duch.
Lorsque l'empereur attribue enfin le titre Godefroy, l'A. s'interroge (p 987) : En
1087, le pouvoir ducal en Basse-Lotharingie tait dsagrg. Godefroid de Bouillon aurait-il la force ncessaire et l'influence personnelle suffisante pour le restaurer, pour lui redonner l'clat qu'il connut sous Godefroid Ier, Gozelon le Grand et Godefroid le Bossu? C'est ce que nous verrons. Il rpondra triomphalement p 998 : En
conclusion, la fin du XIe sicle, le rtablissement de la dignit ducale semble acquis. Il note cependant : Il /Godefroid/ ne put certes viter le morcellement du duch entre les Grands bas-lotharingiens, mais il s'allia avec ceux-ci et les rendit inoffensifs en pratiquant une politique d'quilibre...Certes la Basse-Lotharingie acheva de se morceler, mais la fonction ducale n'en resta pas moins relle. Mais il a ruin sa thse par avance en remarquant la suite de la question prcdente : Les neuf annes pendant lesquelles Godefroid exera le pouvoir sont peu connues, par suite de l'insuffisance des sources dont nous disposons p 987. S'il n'y a pas de traces dans les sources, c'est que Godefroy n'a pas fait grand chose en tant que duc !
[66] Guy[I] (±1095), fils de Thibaut File-Etoupes, Seigneur de Montlhry, pouse Hodierne de Gometz-la-Fert. Leurs filles sont fameuses par leur descendance.
Riley-Smith, 1997 : Montlhery was one of those troublesome castellan families - others were Beaugency, Montfort, and Le Puiset - which in the eleventh century had come to dominate the territories round Paris at the king's expenseÉ(p 170) Two of Guy and Hodierna's sons, the husbands of two of their daughters, six grandsons, a granddaughter and her husband, and the husband of another granddaughter, a great-grandson and the husband of a great-granddaughter took part in the First Crusade. This extraordinary record was due largely to the offspring of Guy and Hodierna's four daughters, the legendary Montlhery sisters whose procreativity was mentioned with awe by the twelfth-century historian William of Tyre. They were married into the families of St Valery and Le Puiset-Breteuil, which each sent three first crusaders, Le Bourcq of Rethel, which sent two, and Courtenay which provided one (171).
[67] Exceptons KjŸr, 2019, dont l'intressant article replace la croisade dans le contexte de l'acquisitive expansionism qui caractrise la deuxime moiti du XIe (Angleterre, Sicile, Espagne). Il cite Bartlett (1993, The Making of Europe: Conquest, Colonization, and Cultural Change, 950Ð1350) : It is a difficult historical task to determine the relationship between the inflamed religiosity of the First Crusade and the acquisitive expansionism which the lay aristocracy of Western Europe had already conspicuously displayed.
La croisade est faite par les fils, les neveux, les gendres des hros de cette premire vague lgendaire (By the late eleventh century, the achievements of this generation of conquerors were fast becoming legendary) : the first generation of crusaders had themselves grown up listening to stories about dangerous, although also profitable, wars of conquest.
All of the seven principal leaders of the First Crusade were thus related by descent or marriage to the successful conquerors of the previous generation. Taking the cross in turn put pressure on their adherents to follow their example. But their success in convincing other landholders to join them may also have owed a lot to the north-western European aristocracyÕs collective experiences of foreign conquest and colonisation. Many of the lesser aristocratic families who participated in the First Crusade had been involved in the conquests of England and Sicily, either independently or under the leadership of men whose sons they now followed on crusade.
Plus prcisment, ceux qui choisissent l'Orient ont vu leur pre ou oncle gagner et perdre. Ils cherchent se refaire : Those who took the cross may well have felt their hearts had been inflamed by the grace of the Holy Spirit,... but theSpirit seems to have spoken loudest to those who had had opportunities to witness Ð but not to continue to enjoy Ð the fruits of the conquests of the previous generation... Religious beliefs and practices played a central role in motivating participants in the First Crusade. But faith did not exist in a vacuum.
Sur le plan de l'Honneur, ils veulent galer la gnration prcdente dans l'ombre de laquelle ils ont grandi et dont ils ont hrit l'expertise logistique et militaire : the sons of the conquerors were also struggling to be recognised as worthy heirs of their famous fathers.
Ils veulent mme la dpasser : Participating in the First Crusade did not just offer the opportunity to match the previous generationÕs derring-do, but also, for the relatives of William I and his companions, to reframe the older generationÕs victories as religiously and morally problematic.
[68] Cf. les six millions lyriques de William of Malmesbury (Bk IV, CHAP. II, Ed. Giles, 1847, p 379sq) : This ardent love not only inspired the continental provinces, but even all who had heard the name of Christ, whether in the most distant islands, or savage countries. The Welshman left his hunting; the Scot his fellowship with lice; the Dane his drinking party; the Norwegian his raw fish. Lands were deserted of their husbandmen; houses of their inhabitants; even whole cities migrated. There was no regard to relationship; affection to their country was held in little esteem; God alone was placed before their eyes. Whatever was stored in granaries, or hoarded in chambers, to answer the hopes of the avaricious husbandman, or the covetousness of the miser, all, all was deserted; they hungered and thirsted after Jerusalem alone. Joy attended such as proceeded; while grief oppressed those who remained. But why do I say remained? You might see the husband departing with his wife, indeed, with all his family; you would smile to see the whole household laden on a carriage, about to proceed on their journey The road was too narrow for the passengers, the path too confined for the travellers, so thickly were they thronged with endless multitudes. The number surpassed all human imagination, though the itinerants were estimated at six millions.
[69] France, 1997 : tout guerrier cheval n'est pas un combattant cheval (sergents monts, "fantassins" pendant la route) ; tout equites n'est pas un "chevalier" (knight) ; tout "chevalier" n'est pas un "noble".
[70] Murray 2017 : 4500 Òwell-armed knightsÓ (milites bene armatos) and the same number of horses, 9000 squires (scutiferos), and 20,000 Òwell-armed foot soldiersÓ (pedites bene armatos).
[71] Notamment le fameux passage de Guibert (qui montre cependant que ces misrables ont un bÏuf, un chariot et des provisions) : Vous eussiez vu en cette occasion des choses vraiment tonnantes et bien propres exciter le rire : des pauvres ferrant leurs bÏufs la manire des chevaux, les attelant des chariots deux roues, sur lesquels ils chargeaient leurs minces provisions et leurs petits enfans, et qu'ils tranaient ainsi leur suite; et ces petits enfans, aussitt qu'ils apercevaient un chteau ou une ville, demandaient avec empressment si c'tait l cette Jrusalem vers laquelle ils marchaient... (RHC occ, T. 4, Lib II, €6, p 162 ; Guizot 9, p 57).
[72] Pour autant que des menus se mettent en route spontanment, par dsarroi matriel, espoir mystique, ou appt du gain, leur Histoire appartient une autre problmatique, celle des mouvements de masse qui, entre millnarisme et rvolte "sociale" parsment les sicles, perturbations mtorologiques d'une "socit" verticale, aussi dangereuses et incontrlables que les inondations et scheresses d'une conomie agricole. On verra les vaudois (XIIe), la croisade des enfants (1212), les croisades des Pastoureaux (1251 et 1320). On verra les Lollards (XIVe), les frres moraves (XVe) et les vanglistes de tous poils au XVIe/XVIIe...On verra les rvoltes communales et fiscales.
[73] Tyerman, 1992, p 25: It would be impossible to deny that there were a number of pilgrims on many crusades, especially perhaps the First, who relied less on their own resources than on charity. But such pilgrims had little or no chance of reaching their destination without the active and systematic material assistance of the richer elements within the crusade itself. It is no coincidence that the so-called Children's Crusade of 1212 and the Shepherds' Crusades of 1251 and 1320 failed, on their own resources, to get beyond the northern shores of the Mediterranean, although each of these expeditions was the result also of social, emotional, and local pressures as well as enthusiasm which had little or nothing to do with crusading.
[74] Duncalf commence ainsi (p 440) : THE Peasants' Crusade of 1096 has been too generally regarded as a disorderly movement of misguided and unprepared rustics. The name suggests all this. In reality many of these "peasants" seem to have been prosperous middle-class freeholders and townsmen, foresighted enough to furnish themselves with the equipment and money necessary for a long journey to the East. People of such prudence desired an orderly march and asked only the privilege of paying their way.
[75] Tyerman, 1992, p 26 : Commentators had an equally selective view of what they meant by poor. The English historian Henry of Huntingdon celebrated the capture of Lisbon in 1147 as a triumph of the poor, which is a distinctly misleading description of the likes of Hervey de Glanville and his fellow crusade leaders. But Henry of Huntingdon used the term deliberately to heighten a dramatic and moral contrast with the failure of the crusade campaigns led by Louis VII and Conrad III. Clerical observers and preachers were less concerned with economic or legal status than with spiritual standing. Although superficially inconvenient in an expanding society held together by the dominance of the rich and powerful, in church no less than state, Christ's teaching on poverty could be used by contemporaries as a vehicle for moral rather than social reform. Poverty was next to Godliness, but this was not necessarily the poverty of St. Francis or the Lincolnshire crusaders of the 1190s designated as pauperrimus. Material poverty was not the issue.
[76] Tyerman, 1992, p 25 : Frequently, when chroniclers talk of the poor on crusade they mean the recently impoverished. The notorious king of the Tafurs on the First Crusade was a Norman knight fallen on hard times. Certainly, few who embarked without funds of their own or employment by others could have reached Syria.
[77] Pour nier le caractre guerrier de la premire croisade, on a fait prcher au pacifique Urbain un plerinage dans lequel les barons seraient le service d'ordre.
Pour sa part, Porges, 1946, malgr quelques remarques intressantes, reste dans le cadre de la dichotomie simpliste combattants/non combattants. Pour lui, l'attrition des premiers renforce le poids relatif des seconds, leur pression sur les dcisions et sur les ressources.
[78] La troupe de Raymond semble contenir plus de "pauvres" que les autres et Raymond tre plus soucieux d'eux (protection, secours). Toute explication est hasardeuse : est-ce parce qu'il y a moins de chevaliers ou plus de barons rtifs ? Faut-il parler d'une arme de pitons ? La dpendance de Raymond l'gard de ses "pauvres" apparat nettement lorsque ceux-ci se rvoltent aprs Antioche et forcent Raymond partir pour Jrusalem.
Faire de Raymond un chef
de peuple (Zerner, 1993) est une invraisemblable caricature : Raymond IV s'investit dans la croisade en vertu du contrat implicite qui liait le prince au peuple dans une socit encore imprgne d'une idologie romano-impriale qui faisait une grande place aux devoirs sacrs du prince...on
dcouvre non pas une arme, mais un peuple en marche et un prince protecteur des pauvres... partis en bon ordre avec l'arme des chevaliers et sous leur protection, les pauvres de l'arme provenale passrent sans encombre en Asie Mineure. Au contraire au nord de la Loire les pauvres partirent en bandes plusieurs mois avant les chevaliers, et leur destin fut tragique...
[79] Pendant que l'Ermite prche Cologne en avril 1096, les "Francs" de Gautier se dtachent de son groupe et partent premiers. En Hongrie, ils bnficient de la libert de passage et de marchs. Malgr quelques difficults en Bulgarie, ils atteignent Constantinople le 20 Juillet.
L'Ermite et sa troupe quittent Cologne le 19 avril. Jusqu' Semlin, la traverse de la Hongrie se passe bien. Puis, des excits pillent Semlin et, ensuite, entrant en Bulgarie, l'Ermite et le gnral byzantin (Niketas) perdent le contrle de leurs hommes. S'ensuit bataille, droute, perte du butin et du Trsor de l'Ermite. Mais, rapidement, les envoys de l'empereur prennent les choses en main et l'arme arrive sans encombres Constantinople le 1er aot.
Les bandes de Fulk, inspires par l'enthousiasme ou le brigandage, suivent de manire beaucoup plus tumultueuse et sont, sinon dtruites, du moins parpilles en Hongrie. Il en va de mme de celle de Gottschalk qui semble payer pour les autres. Enfin le "comte" Emicho et Guillaume "le charpentier", vicomte de Melun et du Gtinais, rejoints par des contingents d'Allemagne du sud, tentent de forcer l'entre en Hongrie (Wiesselburg) et sont battus.
On voit que le roi de Hongrie (Koloman çrpd) est assez fort pour permettre ou refuser le passage. Plus tard, le groupe de Godefroy de Bouillon devra ngocier trs srieusement. Pour laisser circuler et acheter, Koloman veut la garantie que tout se passe en ordre. Et, le temps passant, devient de plus en plus circonspect. Gautier et l'Ermite ont la chance d'tre les premiers et arrivent peu prs tenir leurs hommes. Leur voyage est un succs et, Constantinople, l'empereur les reoit d'autant mieux qu'il est sensible la rputation de l'Ermite
[80] Cela est confirm a contrario par la suite, quand les menus auront pass le Bosphore et devront attendre les barons Leurs problmes viennent de leur avance. Ils arrivent Constantinople au moment o les barons se mettent en marche. Ce n'est qu'un an plus tard, au sige de Nice (mai 97), que tout le monde sera assembl. En attendant, quoique les marchs restent ouverts et l'approvisionnement assur, des dizaines de milliers de plerins s'impatientent et voient leurs ressources s'puiser. D'o les offensives prmatures et dsordonnes qu'ils entreprennent pour leur malheur (Civetot). The fundamental reason for the failure of the first two bands was their premature arrival in the East (Duncalf).
[81] Les chroniqueurs contemporains, pour la plupart "franais" et/ou bndictins appartenant l'entourage des Grands, ne peuvent pas admettre d'tre en communion avec des menus sans bannires comtales et peut-tre sans croix. Ils les rejettent ; plus, ils les nient : ce sont des bandes de pauvres illumins guids par le diable et annihils pour leurs mfaits. Davantage que la charit envers les Juifs, c'est la haine de ces croiss illicites qui pousse les chroniqueurs dnoncer leur attitude et leur rapacit. Par contre, ils sont plein de mansutude l'gard du "saint" Godefroy de Bouillon qui rackette les Juifs de Cologne et Mayence pour complter le financement de son expdition !
Andressohn, 1947: A Jewish manuscript, written in Mainz in 1140, asserts that Godfrey displayed violent hatred toward the Jews and that he had declared that he would avenge the blood of Christ on that of the Jews and would spare none of them. The account further states that Kalonymos, the head of the congregation in Mainz, thereupon sent messengers with a complaint to the emperor, who commanded the princes, bishops, and counts in his empire, and also Duke Godfrey, to protect the Jews. Godfrey there upon, according to this account, declared under oath that he never intended to harm them and promised to serve as their protector, for which assurance the Jewish congregation presented him with five hundred pieces of silver in Cologne and a like amount in Mainz (52).
Est-ce par hasard que deux des grands leaders de ces "fausses" croisades, l'Ermite et Guillaume le Charpentier, sont habills en dserteurs lches et honteux par les chroniqueurs (Antioche) ?
Ekkehard d'Aura, partisan d'Henri fils contre Henri pre, partisan du pape contre Henri V, in his Hierosolymita, after condemning the Peasants' Crusade in toto as the product of folly, ignorance, and the devil, introduces his readers to the real theme of his book, namely the glorious deeds of the main armies, by calling these the wheat, while designating the unfortunate peasants as the chaff (Duncalf).
[82] Aussi grand savant que soit Hagenmeyer, tout laisse penser que, dans le climat national de la fin XIXe, il partage l'opinion du rdacteur de la Chronique de Zimmern au XVIe : comme ces historiens et d'autres encore n'taient pas des Hauts-Allemands, mais des Franais ou des Nerlandais, il se sont occups des seigneurs qui taient partis de leur pays avec l'arme, ils ont mis tous leurs soins rappeler leurs noms et raconter leur histoire ; quant la noblesse de la Haute Allemagne, qui n'a pas moins expos sa vie et qui a, elle aussi, accompli nombre d'actions nobles et louables, ils n'en parlent qu'en termes gnraux, et ne la citent qu'en quelques mots trs brefs. Que l'on sache donc qu'il y avait au monastre d'Alpirsbach, dans la Fort-Noire, un vieux manuscrit et une grande tenture en tapisserie... (trad. Hagenmeyer, AOL2, p 20-21). C'est la validation de ces sources par Hagenmeyer (1884) qui a justifi la participation de la noblesse d'Allemagne du sud aux "people's crusades".
Murray, examinant la composition de la troupe de Godefroy de Bouillon, conteste la chronique mais conserve l'ide.
Murray 1992 : It is likely that most of the crusaders from the other duchies of the empire had already gone with the various expeditions which had left prior to the official departure date under the leadership of Peter the Hermit, Walter Sans-Avoir, Emicho, Gottschalk and Volkmar (p 309).
Murray, 1997 : Since it is impossible or near-impossible to establish the precise sources of any given section of the account we have to doubt it in its entirety. Its unreliability means that we have to revise our opinion of the People's Crusades. As far as their German element is concerned, these expeditions probably had far fewer nobles and retinues of knights than has been assumed for over a century; the participation of a duke, a count palatine, and numerous bishops, counts and lords from Germany is questionable in the extreme, and is most likely a product of the inventiveness of Froben Christoph and Wilhelm Werner of Zimmern...What the Chronicle of Zimmern does reveal is the perception of the First Crusade in Germany in the late medieval and early modern period (p 91).
Murray, 1998, p 53/54 ...the care with which Froben Christoph set about his task of glorifying the role of the High German nobility on the crusade strongly suggests that he indulged in deliberate fabrication, and in doing so compounded the original misleading identification made by Wilhelm Wernher. In either case the effect was the same, and it is one that has misled historians for over a century.The Walther, duke of Teck, who supposedly led a German contingent on the First Crusade and died in battle near Nicaea is a piece of wishful thinking conjured up by a sixteenth-century German nobleman out of the historical personage of Walter Sans-Avoir...
[83] Riley-Smith (1993, p 25) mentionne une lettre d'Urbain au roi de Hongrie en 1096, encouraging him to take up arms against the anti-pope Urban II (Urban II, 'Epistolae et Privilegia', Patrologiae cursus completus. Series Latina, comp. J.P. Migne, vol. 151, 481). Aprs la mort de Ladislas, cette lettre au nouveau roi (Koloman çrpd dit le Bibliophile) s'inscrit dans les tensions internes de la Hongrie et leurs relations compliques avec l'empire germanique, Rome et Constantinople. Si Ladislas, le roi prcdent, a soutenu l'anti-roi et dfendu Rome la Dite de 1087, ses oprations en Croatie l'ont mis en opposition Rome. Urbain tente de sduire son successeur. Cf Kosztolnyik, 1977.
[84] La "trahison de Firuz" obenue par Bohmond est un mystre plus pais encore que celui de la dcouverte de la "sainte lance". Deux faits : 1) la ville ne pouvait tre gagne que par surprise (Bohmond n'avait pas pu dcider les autres cette tentative) ou par trahison ; 2) le sige n'tait pas un blocus et, en particulier, les Chrtiens dont la ville tait pleine circulaient entre les deux camps.
[85] Volebat tamen comes duci donare decum milia solidos et Roberti Normanniae totidem, et comiti Flandrensi sex millia, et Tancredo quinque millia; et aliis principibus prout erant. Raymond d'Aguilers (RHC occ T3:271).
[86] France, 1970 : The Count's army seems by this time /Marra/ to have attracted most of the poor, and Raymond himself may well have been influenced by the need to provide for them. The mass of the people wished to press on to Jerusalem, and they seem to have engaged the support, according to Raymond of Aguilers, of some of the nobility and the Bishop of Albara who seems to have been one of the Count's trusted servants...Subsequently further pressure from these sources extracted a promise from the Count to resume the journey in fifteen days time. Historians have doubted Raymond of Aguilers' account, but Raymond makes it quite clear that it was not the poor alone, but in alliance with others, who persuaded the Count. The Count was now in a dilemma. The other leaders would resent his temerity in fixing a date for the resumption of the march, and for this and other reasons, refuse to join him /d'o Rugia 4 janvier 1099/...(p 295) If there had been any plan or agreement for the forwarding of the crusade still in force amongst the leaders, it would not have been necessa ry to offer such sums. The Count of Toulouse was, in fa ct, making an open bid for the leadership of the crusade...All our sources agree that the Count's proposals met with no general acceptance...(296) On the 13th January Count Raymond ordered the city of Marra to be fired, and marched out south into Syria /Arqa/...(298) At the beginning of the siege /Arqa/, Count Raymond enjoyed enormous prestige from his successful journey south from Marra, and, as Yewdale points out, he had large possessions including the cities of Rugia, Valania, Albara, Marra (if we may include it), Tortosa, Maraclea and perhaps even Laodicea...(307).
Porges, 1946, quoique de manire un peu vague, insiste sur le nombre des "pauvres" autour de l'arme et la pression qu'exerce en permanence leur nourriture et leur utilisation. Il pense que la disparition au combat d'une partie des chevaliers augmente la proportion des pauvres et que le clerg, peu influent politiquement par lui-mme, pse lorsqu'il leur est associ (Barthlmy et le lobby de la "sainte lance").
[87] Pendant le sige d'Antioche, en mars 98, le vizir au nom du Calife du Caire a envoy une ambassade proposant aux Occidentaux un partage : eux la Syrie, lui la Palestine. Cette intressante proposition d'une alliance de fait contre Badgad n'obtint pas l'accord collectif des Grands, soit qu'ils ne se fiassent pas au vizir, soit que certains ne pussent renoncer Jrusalem, soit que, en raison de la dcomposition et des tensions, aucune dcision collective ne ft possible ce moment. Le vizir envoie des troupes qui en Juillet 98 conquirent Jrusalem et roccupent le pays jusqu'au-del de Beyrouth. A Jrusalem comme Ascalon, sur terre et sur mer, ce sera aux "Egyptiens" et non plus aux "Turcs" que s'affronteront les Occidentaux.
[88] Stoyanov, 2014 :...the continuing politico-apocalyptic relevance and wide applicability of the Pseudo-Methodian Last Roman Emperor legend found its symptomatic manifestation in the emergence of pro-Frankish prophetic constructions, first in late ninth-century Sicily/Italy and then in the tenth-century West Frankish kingdom, which transferred the eschatological deeds of the Last Roman Emperor from the Byzantine to a Frankish ruler: the ultimate victory over Islam and the laying down of his imperial glory and crown in Jerusalem (p 418).
[89] Stoyanov, 2014 : the image of Heraclius as the "deliverer of the world" and a model Christian warrior, his imperial propagandist, George of Pisidia, compares his entry into Jerusalem to restitute the True Cross with Jesus Christ's arrival in the holy city on Palm Sunday. The "triumphant" cross is itself likened to Ark of the Covenant because of its power to overpower its adversaries and is extolled as the holy weapon with which the "emperor with God's aid" finally vanquished Khusrau who had blasphemed against it. The analogy between the True Cross and the Ark of the Covenant...was intended to fortify Heraclius's status as a "new David" (390).
Ubierna, 2008 : Du point de vue de la littrature apocalyptique, la guerre perse fut fconde, non seulement pour la production des textes juifs, mais aussi pour celle des textes chrtiens, car elle donna lieu des interprtations sur la victoire dÕHraclius. Nous possdons ainsi la Conqute de Jrusalem dÕAntiochus Stratgios, moine de Mar-Saba. Celui-ci fut tmoin de la conqute perse Ð quÕil interprte comme le chtiment divin des pchs des hommes Ð et fut exil en compagnie du patriarche Zacharie Ctsiphon. Les vnements survenus Zacharie au cours de sa dportation et le sort que connut la Croix furent analogues ceux de la Passion. CÕest dÕaprs cette grille dÕinterprtation, issue de sa propre exprience, quÕAntiochus tenta de transmettre une vision de lÕhistoire ses frres chrtiens qui avaient t perscuts et plus tard librs grce au retour dÕHraclius. Ë partir de l, il narre, dÕune part, la manire dont il prit la fuite avec dÕautres moines et, de lÕautre, le fait dÕtre prsent Jrusalem quand Hraclius y rapporta la Croix, symbole de la fin de la guerre. La Croix et lÕusage quÕen fera Hraclius, ainsi que toute une srie dÕactes de porte minemment idologique, devront tre interprts comme le symbole du commencement dÕune re nouvelle. Hraclius sera un nouveau Constantin, car, en effet, de la mme manire que Constantin dcouvrit la vritable Croix Ð du moins selon la croyance populaire Ð et fit construire lÕglise et lÕhpital du Saint Spulcre, Hraclius rcupra la signification politique de la Croix en la rendant Jrusalem. De la mme manire que Constantin dcida dÕriger des monuments chrtiens en Terre sainte, Hraclius reconstruit ceux qui avaient t dtruits par les Perses. Mais le rgne dÕHraclius nÕest pas seulement analogue celui de Constantin, il lÕest aussi celui de David. Tous deux, Hraclius et David, entrrent Jrusalem pour y rtablir les symboles et les trsors de leurs religions respectives qui avaient t ravis par lÕennemi. Hraclius rapporte la Croix, David apporte, dans la capitale rcemment institue de son royaume, lÕArche dÕAlliance...
[90] Bien moins d'ailleurs que l'ont dit les "tmoins" contemporains et les historiens leur suite. Si le rapt de la Croix est avr, les destructions massives de Christian sacral architecture and the very structures of Christian life of Jerusalem ne sont pas valides par les recherches archologiques des trente dernires annes. Stoyanov (2011) impute l'exagration la propaganda war d'Heraclius mais on peut penser aussi une cration spontane des moines syriaques traumatiss par la perte de la cit sainte et de la Croix qui, tout naturellement, mettent la "ralit" la hauteur de la porte apocalyptique de l'vnement. Il en sera de mme dans l'autre sens du bain de sang de 1099 (cf. note suivante).
[91]Stoyanov, 2014 :...the grandiose Umayyad building programme in Jerusalem from 661 onwards that eventually re-sanctified and transformed the Temple Mount into the elaborate Islamic sacral enclosure of al-Haram al-Sharif (402)...the culmination of the Umayyad Islamic re-sacralization of the Temple Mount as the al-Haram al-Sharif complex in the building of the Dome of the Rock (411).
[92] Hirschler 2014 : The Latin reports on the fall of Jerusalem are strikingly similar to Byzantine reports of the Sasanian conquest of the city some six centuries earlier...Contemporaneous (especially Byzantine) Christendom saw the Sasanian conquest of Jerusalem in 614 as an unparalleled calamity. Byzantine reports described the comprehensive destruction and profanation of JerusalemÕs Christian shrines, the large-scale massacres of its Christian population and the deportation of the survivors. Yet, as Yuri Stoyanov has recently pointed out /Stoyanov, 2014/, the archaeological evidence draws a very different picture...The Byzantine reports fell back on biblical typology in describing the conquest, especially apocalyptic and eschatological material, and drew heavily on standard topoi of anti-Sasanian writings. The discrepancies between narrative sources and archaeological evidence allow thus to re-read the Byzantine conquest narratives as attempts to set the Sasanian conquest in the framework of paradigmatic biblical events. In the same vein, the Latin reports on 1099 should probably be read... as attempts to set the First Crusade into such a narrative framework. The reports were arguably embellished to underline the ritual cleansing of the Holy Land and to further the cause of crusading (p 74-5).
[93] Cette qualification grandiose se trouve dans le Prologue : Sed quid post creationem mundi mirabilius factum est, praeter salutiferae crucis mysterium, quam quod modernis temporibus actum est in hoc itinere nostrorum Hierosolymitarum ?
Housley, 2006 : The
history of medieval views of the crusading past has yet to be written, but it already seems clear that...Jerusalem's recapture was an event of profound eschatological significance, which confirmed the covenant between God and the New Israel. This inevitably distorded all views of what had happened in 1095-99. Not just the first but also all subsequent crusades had to be placed within a framework which historically extended back to the wars of the 7th century Emperor Heraclius and in an eschatological sense also comprised the conflicts of the Old testament (p 17).
[94] Il est grand temps de dpasser les lectures positivistes du XIXe sicle qui ont contribu occulter la qualit rhtorique de l'historiographie de la croisade...(Schuster, 2000, 167).
Pour l'analyse textuelle, cf. Dragonetti Roger, 1987, Le mirage des sources ; Wolf Kenneth Baxter, 1991, "Crusade and narrative: Bohemond and the Gesta Francorum" ; Morris Colin, 1993, "The Gesta Francorum as Narrative History" ; Schuster Beate, 2000, "Comment comprendre les rcits de la premire croisade ?" ; Harari Yuval Noah, 2004, "Eyewitnessing in Accounts of the First Crusade: the GestaFrancorum and Other Contemporary Narratives" ; Bull Marcus, 2010, "The eyewitness accounts of the First Crusade as political scripts" ; Tyerman Christopher, 2011, The Debate on the Crusades ; Symes Carol, 2017, "Popular Literacies and the First Historians of the First Crusade"?).
Se dire tmoin oculaire est une fiction littraire commune pour exciter l'intrt, mais mme ceux qui taient l ne se contentent pas de tmoigner de ce qu'ils ont vu ou entendu : not every account produced by an eyewitness is an eyewitness account (Harrari, 2004). Les rcits sont des discours. Au sens strict, l'auteur clbre et justifie son patron (political scripts ÑBull, 2010) ; au sens large, sa vrit n'est pas factuelle mais morale (Dragonetti, 1987). Le chroniqueur (celui qu'on connat et tous ceux qu'on ignore Ñcf Symes 2017) crit un discours providentiel.
Dragonetti : Les
historiens nÕont cess dÕattirer notre attention sur le fait que lÕhistoriographie mdivale non seulement ignore la plupart du temps les frontires entre la connaissance exacte des faits et les faits de lÕimagination, fictions ou lgendes, mais que le discours historique se donne explicitement comme un enseignement moral fond sur lÕexemplarit. CÕest l un phnomne solidement tabli...leur discours historique ne vise pas exprimer la vrit, mais la construire rhtoriquement et symboliquement en vue de la persuasion... Quant au discours mdival de lÕhistoire, ici encore, cÕest la pseudographie littraire qui en constitue le plus puissant moteur... Bref, le traitement du fait historique (toujours au service dÕune cause) reste de part en part une construction du discours moral, cÕest--dire du style dÕo la narration historique tire ses effets de vrit...Tributaires des historiens de lÕantiquit, les historiographes du moyen ge rinventent, selon une autre dimension, lÕcriture littraire sous les espces du discours providentiel...CÕest bien pour cette raison que la dimension de lÕvnementiel ne concide en aucune faon avec le fait historique pur et simple, mais avec ce qui advient travers lui et le fait devenir vrai...
Dans le mme sens : Ruth Morse (Truth and Convention in the Middle Ages: Rhetoric, Representation and Reality, New York: Cambridge UP, 1991, p. 89) : Particularly when ÔeventsÕ came to be thought of as a method of interpreting GodÕs purpose in guiding human history toward its eschatological conclusion, what the events signified went well beyond what they were.