Esambe Josilonus
Esambe Josilonus

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I. L'objet : la CCC
1.1. Les mesures ˆ effet immŽdiat
1.2. Les mesures ˆ effet futur
II. Les sujets : les rŽfractaires
2.1. Le jeu des Žvques
2.2. Massification du refus
Conclusion
Chronologie

RŽfŽrences

Introduction

Constitution civile du clergŽ en juillet [1790], assignats-monnaie en septembre  [1790] : il semblait vraiment que la RŽvolution pr”t plaisir ˆ semer les pires rŽsistances et les plus terribles embarras sur sa route (Marion, 1919, II, 175).

Si les historiens affirment que la constitution civile fut la faute capitale de la Constituante, mal ˆ l'aise avec la monnaie, ils Žludent les assignats. Les deux sont liŽs car, pour vendre les biens du clergŽ, il faut neutraliser celui-ci. Ce nÏud, dŽjˆ dangereux, se rŽvŽlera fatal quand on le serrera trop : la radicalisation de la constitution du clergŽ (novembre 1790) divisera le peuple, l'inflation due aux assignats dissoudra la sociŽtŽ, la "rŽvolution" explosera.

ObnubilŽe par le dŽficit, l'AssemblŽe, dŽsormais nationale, lance l'anathme sur la banqueroute et endosse la dette publique [1]. Le crŽdit mort et les imp™ts ŽvaporŽs, l'AssemblŽe, comme tant de rois auparavant, voit dans les biens du clergŽ le trŽsor qui garantira les dettes et permettra l'assainissement des finances : ces biens financent le clergŽ, ils ne lui appartiennent pas, ils sont au roi (ˆ la nation). L'AssemblŽe le dŽclare le 2 novembre 1789, puis dŽcide de les vendre en totalitŽ (9 juillet 1790). Ds aožt 1789, l'abolition des d”mes, ™tant au clergŽ ces ressources, obligeait la nation ˆ assumer son entretien. En l'expropriant ensuite, elle se charge de sa dette, des frais du culte et de la charitŽ, ce qui augmente d'autant les dŽpenses publiques.

Catholique dans un pays catholique, l'AssemblŽe n'imagine pas de se dŽbarrasser de ce fardeau : la nŽcessaire religion sera "reformatŽe" pour l'adapter au nouvel Žtat des choses, en Žlaguant les branches socialement inutiles (rŽguliers) et en "fonctionnarisant" le tronc (Žvques et curŽs), sans toucher au dogme et au rituel. La constitution du clergŽ de 1790 se qualifie de civile pour afficher qu'elle se limite ˆ en rŽorganiser l'administration. MalgrŽ son air rŽvolutionnaire, elle vient de loin et exprime la tendance historique des "Etats" europŽens ˆ se subordonner l'Eglise. Cette continuitŽ nous renverra souvent aux affaires du clergŽ d'ancien rŽgime.

Rappelons tout de suite les points principaux de la constitution. Elle aligne la carte des diocses sur celle des nouveaux dŽpartements et, au sein de chacun, entreprend la refonte des paroisses. Dans ce cadre rationalisŽ, Žvques, curŽs et desservants sont maintenus ˆ leur poste. L'Etat les rŽtribue selon un tarif dŽterminŽ. Au fur et ˆ mesure des dŽmissions ou dŽcs, les assemblŽes Žlectorales choisiront les remplaants parmi les prtres ayant exercŽ un nombre d'annŽes suffisant, qui seront ensuite validŽs et consacrŽs par l'autoritŽ ecclŽsiastique supŽrieure. A priori, une rŽforme sage dont l'application s'inscrit dans la durŽe : ˆ la gŽnŽration suivante, le clergŽ sera rŽgŽnŽrŽ sans douleur.

Ce dŽcret du 12 Juillet 1790 est sanctionnŽ avec quelque retard par le roi, et la loi promulguŽe le 24 aout. Dans le passŽ, les Žvques ont avalŽ bien d'autres couleuvres. Quant aux curŽs, comment ne l'approuveraient-ils pas ? La constitution rŽpond ˆ leur dŽnonciation de l'opulence et du despotisme Žpiscopal, ˆ leurs revendications "syndicales" (rŽmunŽration) et ˆ leurs exigences pastorales (promotion au mŽrite et non plus ˆ la faveur, activitŽ ˆ plein temps). La moitiŽ des curŽs se couleront dans le nouveau moule. La surprise, c'est que la moitiŽ restera accrochŽe ˆ l'ancien. Les premiers, Žvidents, ne nous intŽressent pas, les seconds posent une Žnigme.

L'AutoritŽ, prise au dŽpourvu, devra usurper les droits de l'Eglise en dŽmettant les rŽcalcitrants ; puis, pour maintenir la continuitŽ du culte, leur trouver des successeurs et les imposer. Il s'ensuivra une concurrence autel contre autel qui, de rŽpressions en provocations, se transformera en persŽcution des rŽfractaires et de leurs fidles, lesquels rŽsisteront, passivement ou activement.

Aujourd'hui, notre indiffŽrence religieuse nous fait considŽrer avec la mme incomprŽhension les rŽpubliques islamiques et ces quatre sicles (1516-1905) o le catholicisme fut chez nous religion publique et obligatoire.

Au contraire, l'historiographie du XIXe sicle dont nous dŽpendons encore rejoue indŽfiniment le drame de la courte et sanglante Žclipse de dix annŽes (1790/1800), au lieu de l'analyser : en effet, le passŽ ne passait pas, le dossier restait actuel tant que s'affrontaient les partisans de la RŽpublique et de la Monarchie, les dŽfenseurs de la la•citŽ et les catholiques militants. Le rejet ou le soutien de la constitution civile est celui d'une "RŽvolution" que l'un et l'autre camp mythifie.

 Ignorons ici "la RŽvolution" et interrogeons-nous le plus na•vement possible : pour les contemporains hostiles ˆ la constitution, qu'est-ce qui n'allait pas avec elle ? Les Žvques lui reprochent de mettre la main ˆ l'encensoir : serait-elle purement civile, ils l'accepteraient avec obŽissance, disent-ils. Mais non, ils ne le pourraient pas : "civiliser" le clergŽ lui ™te son exceptionnalitŽ essentielle qu'il cherche ˆ sauver en rŽclamant les formes canoniques. Une rŽforme (mme dŽsagrŽable), opŽrŽe avec l'accord de l'Eglise, lui conserverait sa curieuse figure gŽomŽtrique : incluse dans un Etat qu'elle enveloppe en mme temps [2].

L'Žtude des arguments, obscurs et mystifiŽs, ne suffit pas. Il faut tenter de rendre compte du franchissement des seuils critiques : comment les Žvques en viennent ˆ rŽsister, les curŽs ˆ refuser, les paroissiens ˆ entrer en dissidence, la sage rŽforme ˆ tourner en parano•a. Prisonniers de la verticalitŽ dont l'Eglise impose l'image (abbŽ Barruel : la religion, c'est la hiŽrarchie; qui la viole est d'une autre religion), beaucoup d'historiens se satisfont d'un schŽma top down : les curŽs suivent les Žvques, les fidles leurs curŽs. Or ce passage des dizaines aux millions est un mystre. La "transsubstantiation" de l'opposition des Žvques en question de masse provoque une guerre dans la religion et un schisme social. Pour une partie du bon peuple qui n'avait pas de privilges ˆ regretter et gagnait aux Žvnements, une faille s'ouvre : l'amour ou la haine de la Constitution [s'identifie] avec l'adoption de tel ou tel systme en matire de religion (GensonnŽ en 1791). Les sentiments et les actes antirŽvolutionnaires croissent. Et, en rŽponse, la rŽpression et la radicalisation.

 

Je procŽderai en deux temps : d'abord l'objet, ensuite les sujets.

Dans la 1re section, considŽrant la constitution en elle-mme, je montrerai que, dans une grande mesure, elle exprime et conclut (provisoirement) une Žvolution ˆ l'Ïuvre depuis des sicles. Cet examen quelque peu fastidieux rŽvlera que, malgrŽ les apparences et les cris, la CCC ne fait pas table rase. Somme toute, elle aurait pu tre acceptŽe, mais Ñ que l'on me pardonne cette mŽtaphore osŽe !Ñ, pour faire passer la couleuvre, on donne au patient un ŽmŽtique au lieu de pepsine.

La 2me section explore les raisons et les mŽcanismes de ce vomissement inattendu. Si, pour les Žvques, tout Žtait sans dessus dessous, peu de choses changeaient pour les curŽs, sinon en mieux (rŽmunŽration et dignitŽ). Quant aux fidles, tout restait comme d'habitude, les cloches sonnaient, les cŽrŽmonies s'exŽcutaient, les sacrements se distribuaient.

 

¦ Dans tout le texte, pour simplifier l'Žcriture et Žviter les rŽpŽtitions, je dŽsignerai par CCC la constitution civile du clergŽ. Quand j'Žcrirai le dŽcret sans autre prŽcision, il s'agira de celui du 12 juillet 1790. De mme, comitŽ tout court, dŽsignera le ComitŽ EcclŽsiastique.

I. L'objet : la CCC

On a la mauvaise habitude de considŽrer la constitution civile du clergŽ comme un bloc homogne qui tombe du ciel (ou monte de l'enfer). Le clergŽ rŽgŽnŽrŽ qui en rŽsulterait est alors tellement diffŽrent du clergŽ existant que l'Žcart semble infranchissable, et voilˆ la messe dite.

On ne remarque pas que la rŽforme du clergŽ comprend deux volets, l'un concerne le prŽsent, l'autre l'avenir. Cela est pourtant patent dans la dualitŽ des rapports et des dŽcrets : le rapport Martineau du 21 avril 1790 prŽpare le dŽcret du 12 juillet (dont on fait la CCC) et porte sur l'organisation du clergŽ futur ; le rapport Expilly du 20 mai prŽpare le dŽcret du 24 juillet et porte sur le clergŽ actuel. Mais cette prudente dualitŽ dure si peu de temps que mme les contemporains ne la voient pas. Montlosier Žcrit dans ses mŽmoires (il est vrai tardives) : Douze jours aprs, c'est-ˆ-dire le 24 juillet, l'assemblŽe revint en modification sur son dŽcret; mais ce fut sur des points sans importance (T1, p 375).

En outre, le dŽcret du 12 juillet, en exprimant une conception d'ensemble, trace un nouveau cadre qui s'impose aussit™t ˆ tous les ecclŽsiastiques, alors que les mesures portant sur les personnes concernent seulement le clergŽ futur.

Sont d'effet immŽdiat : la sŽcularisation de la religion, la nouvelle gŽographie ecclŽsiastique et le centrage du clergŽ sur sa fonction pastorale (¤1). Quant ˆ la rŽforme la plus disruptive, l'Žlection des Žvques et curŽs, elle s'appliquera ˆ terme et ˆ la marge aux remplaants ˆ venir des dŽcŽdŽs et dŽmissionnaires. Le rŽsultat (le but ?) serait un renouvellement progressif et presque insensible du clergŽ. Ce qui rendra la chose explosive (et confondra l'observateur), c'est le choc des deux temporalitŽs que provoquera trs vite l'AssemblŽe par le dŽcret du serment (27 novembre 1790, sanctionnŽ le 26 dŽcembre) (¤2).

1.1. Les mesures ˆ effet immŽdiat

Je distingue trois catŽgories : celles que les abus justifient (a) ; celles qui sont dans le fil de l'Histoire (b) ; enfin, celles qui dŽrangent, les nouvelles dŽlimitations ecclŽsiastiques (c).

a) rŽformation

Il s'agit, d'une part, du "dŽparasitage" du clergŽ, recentrŽ sur sa fonction pastorale (i) et, d'autre part, de la mutation de son rŽgime Žconomique : le bŽnŽficiaire devient pensionnaire et ses ressources, nagure autonomes et de nature immobilire, consistent dŽsormais en une rente monŽtaire modeste mais suffisante versŽe par le TrŽsor Public (ii).

i) recentrage pastoral

Etait d'Eglise une masse hŽtŽroclite que l'AssemblŽe rŽduit ˆ sa partie active. Les ministres de la religion doivent pa”tre leur troupeau, selon les termes ŽvangŽliques : Žvques, curŽs et desservants. Se rŽclamant de l'Eglise primitive pour laquelle toute ordination s'associait ˆ une fonction, le ComitŽ ecclŽsiastique de l'AssemblŽe (dŽsormais le comitŽ) Žcarte ceux qui ne sont pas socialement utiles : tout clerc aura charge d'‰mes et assumera cette charge.

Ce principe neutralise les rŽguliers et dŽparasite le clergŽ de ses nombreux ŽlŽments improductifs. En effet, il suffisait pour tre clerc de recevoir le sacrement d'ordre (ordination) selon le cŽrŽmonial rituel. La hiŽrarchie sacerdotale part de zŽro (la•c) jusqu'au degrŽ ultime (Žvque). La gradation commence par la tonsure, puis les ordres mineurs (portier, lecteur, exorciste, acolyte), enfin les ordres majeurs (diacre, prtre, Žvque). La "vocation" (ou la carrire) suit un parcours qui s'effectue Žtape par Žtape en respectant des dŽlais (interstices).

En pratique, le clergŽ Žtait un Žtat, pas toujours un mŽtier ou un sacerdoce. Beaucoup y entrent sans vocation et sans intention d'entreprendre le cursus. D'autres sont jetŽs dans les ordres par leur famille (petits notables ou paysans riches) en qute de promotion sociale ; dans la deuxime moitiŽ du sicle, cette voie sera concurrencŽe par le droit, et l'avocat remplacera le curŽ ˆ l'horizon de la respectabilitŽ lettrŽe. A l'autre extrŽmitŽ, la tonsure, parfois symbolique (une mche de cheveux), n'engage ˆ rien et permet beaucoup. Maintes familles de la haute noblesse vouent un ou plusieurs cadets ˆ l'ŽvchŽ. Moyennant le soutien d'un oncle Žvque et un passage ˆ la FacultŽ de thŽologie, le jeune homme devient rapidement grand vicaire et se trouve promu ˆ la premire occasion. Une fois pourvu d'un ŽvchŽ et des ressources associŽes (mense Žpiscopale), il partage son temps et son activitŽ, dans des proportions variables, entre Paris-Versailles et son diocse o des vicaires et autres officiers ou secrŽtaires obscurs assurent ses fonctions en son absence, sous sa direction quand il est scrupuleux.

Parmi ceux qui sont ordonnŽs prtres, une partie reoit des cures en simple bŽnŽfice sans exercice. Ce sont les abbŽs de salon, abbŽs voyageurs, prŽcepteurs, littŽrateurs etc. dont on a tant parlŽ. Ils pensionnent (maigrement) un desservant pour faire le travail.

Quant aux hommes de terrain venus du peuple et passŽs par le sŽminaire diocŽsain ou mme la facultŽ de thŽologie, leur famille a choisi pour eux cette profession. Reste ˆ dŽcrocher une cure et un revenu. Si les Žvques sont nommŽs par le roi, le choix des curŽs dŽpend, pour certains d'entre eux, de l'Žvque, pour la majoritŽ d'un patron. Celui-ci est la•c lorsque sa propriŽtŽ le substitue au fondateur mais, trs souvent, ecclŽsiastique : un chapitre ou une abbaye qui, ayant jadis reu la paroisse pour la desservir, a conservŽ ses droits. L'impŽtrant doit solliciter, attendre qu'une place se libre et surmonter la concurrence. Il lui faut encore en extraire un revenu. Il n'ira pas plus haut car l'accs au haut-clergŽ est fermŽ. Tout au plus, peut-il espŽrer qu'on lui offre une meilleure cure.

Beaucoup de prtres n'ont pas la "chance" (on verra plus tard la raison des guillemets) d'tre curŽs. Il leur arrive d'tre pris comme vicaire par un curŽ dont la paroisse ou la paresse est trop grande, ou comme desservants par un curŽ absentŽiste, infirme ou "retraitŽ". Certains restent d'Žternels intŽrimaires.

Aussi, au sein du clergŽ, on distingue ceux qui ont charge d'‰mes et les autres : ceux qui ne s'occupent que de la leur (ordres contemplatifs) ou de consommer leurs revenus.

Les plaintes publiŽes par les curŽs ou en leur nom dans la deuxime moitiŽ du XVIIIe sont ˆ la fois "syndicales" (infra) et pastorales. Ils dŽplorent ou condamnent l'indiffŽrence de l'Žvque ˆ l'Žgard de ses prtres et de ses fidles. Ils regrettent que leur misre les empchent de se consacrer ˆ leurs paroissiens, de les secourir matŽriellement et spirituellement, souvent, faute de cheval. Ils regrettent le mauvais Žtat des Žglises et des instruments du culte et l'avilissement de la religion par le comportement de ses chefs.

La constitution civile rŽpond ˆ leurs vÏux : la promotion se fera au mŽrite et celui-ci se mesure par le travail pastoral. Un principe incontestable : mme ceux qui rŽpugnent ˆ changer leur mode de vie et leurs habitudes, n'ont rien ˆ objecter.

Le Titre II dŽcrte que Pour tre Žligible ˆ une cure, il sera nŽcessaire dÕavoir rempli les fonctions de vicaire dans une paroisse ou dans un h™pital, ou autre maison de charitŽ du diocse, au moins pendant cinq ans (art. 32) ; et que Pour tre Žligible ˆ un ŽvchŽ, il sera nŽcessaire dÕavoir rempli, au moins pendant quinze ans, les fonctions du ministre ecclŽsiastique dans le diocse, en qualitŽ de curŽ, de desservant ou de vicaire, ou comme vicaire supŽrieur, ou comme vicaire directeur du sŽminaire (art. 7).

Finies, les nominations ˆ la faveur de la cour, de l'oncle ou du patron ; hors-la-loi, les "parachutages" puisqu'il faut avoir exercŽ dans le diocse au vu de tous ; abolie la barrire qui sŽparait le haut et le bas clergŽ ; ŽliminŽs les oisifs qui, quoique ordonnŽs prtres, n'ont pas exercŽ leur mŽtier.

De plus, renouvelant l'effort sŽculaire pour imposer l'assiduitŽ aux ministres, la constitution leur interdit d'exercer d'autres fonctions qui seraient cause ou prŽtexte ˆ l'absentŽisme : Les Žvques, les curŽs et les vicaires ne pourront accepter de charges, dÕemplois ou de commissions qui les obligeraient de sÕŽloigner de leurs diocses ou de leurs paroisses, ou qui les enlveraient aux fonctions de leur ministre. S'ils le veulent ou s'ils en ont dŽjˆ, ils devront choisir  entre les deux (IV. 5).

 La constitution prescrit strictement le devoir de rŽsidence (Titre IV, Art. 2 & 3) : Aucun Žvque ne pourra sÕabsenter chaque annŽe pendant plus de quinze jours consŽcutifs hors de son diocse, que dans le cas dÕune vŽritable nŽcessitŽ [constatŽe] ; Ne pourront pareillement les curŽs et les vicaires sÕabsenter au lieu de leurs fonctions au-delˆ du terme qui vient dÕtre fixŽ, que pour des raisons graves [et autorisŽes]. Depuis le concile de Trente, cette exigence est proclamŽe en vain : un Žvque peut Žventuellement suspendre ou punir un curŽ volage, pas lui retirer son bŽnŽfice ; quant ˆ l'Žvque volage, c'est quasiment un plŽonasme. Il doit, n'est-ce pas, dŽfendre les intŽrts du diocse et du clergŽ ˆ la cour, "lobbyer" et soutenir les procs qui leur sont relatifs.

Le nouveau rŽgime du clergŽ soumet Žvques et curŽs ˆ la mme rgle, assortie d'une sanction effective : aprs avertissement, le coupable sera dŽchu de son traitement pour tout le temps de son absence (Art. 4).

ii) normalisation des revenus

Les revenus des biens de l'Eglise assuraient (inŽgalement)  l'entretien de l'Žvque et de sa dignitŽ, la subsistance des clercs, les fabriques (matŽriel cultuel, rŽparations des Žglises, luminaires etc.), et les secours aux pauvres. Par une commode supposition, ces biens appartiennent ˆ Dieu et sont donc sacrŽs et inaliŽnables. Ils se composent des legs et des offrandes (oblations) purement volontaires, des fonds de terre & autres immeubles, des d”mes sur les rŽcoltes, des rŽtributions casuelles.

Avant de les examiner, soulignons que par "clergŽ" on entend ici, non pas l'ordre mais les clercs : ces biens sont attribuŽs ˆ des bŽnŽficiaires ou captŽs par eux. Au cours des sicles, les abbayes, sŽparŽes des Žvques, ont "privatisŽ" leurs biens, puis l'abbŽ a pris sa part et laissŽ le reste aux moines ; de mme, l'Žvque avec ses chanoines, et les chanoines entre eux. Simples usufruitiers, ils ne peuvent pas disposer du bien, ni le lŽguer, mais jouissent librement de ses revenus qui ne correspondent pas toujours ˆ un office : les ordinations vagues n'assignent aucune Žglise ˆ desservir ou fonction ˆ remplir, et permettent de recevoir (en titre ou en commende) des bŽnŽfices et de les cumuler.

Survolons les diffŽrents revenus. Les offrandes libres ne vont pas ˆ l'Eglise dans son ensemble : on donne ˆ une abbaye, un diocse, une paroisse, une chapelle, ˆ charge souvent de dire des messes pour soi-mme ou ses dŽfunts. Les fonds de terre et autres immeubles (y compris les prŽcieuses forts de haute futaie) ont ŽtŽ lŽguŽs de la mme faon. Leur bŽnŽficiaire en peroit les fruits et exerce les droits fŽodaux associŽs. A sa mort, son remplaant n'hŽrite pas, il succde (main morte). Toujours augmentŽ, jamais diminuŽ, ce patrimoine, au fil du temps, est devenu immense. On l'estime ˆ environ un tiers du royaume.

Quant aux d”mes, on dit joliment qu'elles servent ˆ donner la subsistance temporelle ˆ ceux dont on reoit la nourriture spirituelle. Bibliquement volontaires, elles sont obligatoires depuis le Xe sicle, et les excommunications se combinent au bras sŽculier pour imposer la perception de ce tribut dont le taux effectif varie selon les endroits et selon les produits. La d”me due ˆ Dieu passe avant toute autre dette. Elle se prŽlve sur les fruits de la terre et pse sur les paysans et, indirectement, sur les propriŽtaires dont le revenu (et donc le capital) est amputŽ d'autant. Perue en nature au moment de la rŽcolte par les agents du dŽcimateur, elle engendre des conflits, surtout dans le cas de collectes affermŽes ou de terres dŽfrichŽes (novales). Les d”mes, censŽes financer le culte paroissial, appartiennent souvent ˆ une abbaye, un Žvque, un curŽ primitif (le titulaire du bŽnŽfice) : le curŽ n'en reoit qu'une fraction. Ds le 11 aout 1789, le DŽcret  relatif ˆ l'abolition des privilges supprime les d”mes (art. 5), tout en les maintenant provisoirement jusqu'ˆ ce qu'on trouve les moyens de subvenir d'une autre manire ˆ la dŽpense du culte divin, ˆ l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres etc. Inutile de dire que, aprs l'explosion paysanne de l'ŽtŽ (grande peur), les d”mes, comme les imp™ts, ne sont plus payŽes.

Autres offrandes converties en taxes, les rŽtributions casuelles (lors de la distribution des sacrements, baptmes, mariages, enterrements). Les canons interdisent formellement aux prtres d'exiger de l'argent pour leur ministre (simonie)... mais ils ne dŽfendent pas de recevoir des dons volontaires. Les curŽs non d”miers dŽpendent fortement du casuel pour leur subsistance et celle de leurs vicaires ou desservants. Si certains en profitent, d'autres le dŽplorent.

On aura remarquŽ que ces revenus sont trs inŽgalement partagŽs. Des la•cs colorŽs en clercs jouissent de bŽnŽfices en commende. Les abbayes et les Žvques profitent largement des biens de l'Eglise tandis que, ˆ l'autre extrŽmitŽ de la hiŽrarchie, les simples desservants ne reoivent que des miettes. De plus, la fiscalitŽ interne au clergŽ (dŽcimes) pse plus lourdement sur les pauvres clercs que sur les riches (infra).

La nationalisation des biens du clergŽ, en le privant de ses ressources historiques, exerce un effet contradictoire : elle ruine le crŽdit de la couche supŽrieure dont les Žnormes revenus s'accompagnaient de dŽpenses encore plus grandes pour payer leurs fantaisies et soutenir leurs statut, fonctions et Ïuvres ; inversement, elle soustrait la couche infŽrieure (la plus nombreuse) ˆ ce systme de misre organisŽe et lui promet une rŽmunŽration suffisante.

Pour constitutionnaliser les engagements pris par la nation, l'AssemblŽe les inscrit dans la dette publique dŽclarŽe sacrŽe, rŽpudiant ˆ jamais toute ŽventualitŽ de banqueroute, et le mot lui-mme. Elle adviendra nŽanmoins, cachŽe sous l'euthanasie des rentiers par l'inflation et, in fine, avouŽe par la banqueroute des deux tiers de 1797.

Pour l'heure, en 1789-90, la nation dŽcide de payer les dŽpenses du culte et de l'assistance, et de moraliser les revenus du clergŽ en Žtablissant les pensions sur la base des fonctions exercŽes [3]. Elles seront rŽglŽes trimestriellement par avance, et un logement convenable fourni en sus. Leur tarif dŽpend de la place dans la hiŽrarchie sacerdotale et de la taille du troupeau : population de la ville-sige (pour les Žvques et les vicaires des Žglises cathŽdrales) ou de la paroisse (pour les curŽs et leurs vicaires).  L'Žvque de Paris recevra cinquante mille livres par an, les Žvques des grandes villes ( ³  50 000 ‰mes) vingt mille,  les autres douze mille livres.

FocalisŽ sur le D. 12 juillet, on oublie celui du 24 qui mŽnage quelque peu les Žvques actuels, tout en les soumettant Žgalement au honteux salariat : le tarif du clergŽ futur ne s'applique pas ˆ eux. IndŽpendamment de la population, leur traitement est calculŽ sur la base des revenus ecclŽsiastiques antŽrieurement perus et plafonnŽ ˆ 30 000 livres (75 000 pour Paris), avec un minimum de 15 000 livres. Les Žvques dont le diocse est supprimŽ auront une pension Žgale aux 2/3 du traitement auquel ils auraient eu droit.

Si les ŽvchŽs de poche n'enrichissaient pas leur prŽlat, les grands, surtout lorsque leur Žvque cumulait bŽnŽfices, commendes et pensions de la cour, rapportaient des centaines de milliers de livres [4]. Les voilˆ limitŽs ˆ 30 000 ! A leur tour, les Žvques font connaissance avec la portion congrue ! Ils prennent soin de ne pas se plaindre (nŽanmoins leurs dŽtracteurs, contemporains et futurs, attribueront leur rŽsistance au facteur matŽriel). Ils perdent en revenu et en splendeur [5], et, pis encore, ils tombent en dŽpendance, comme le soulignera le pape en 1791 : pour mettre le comble au mŽpris et ˆ lÕabjection o lÕon a dessein de plonger les ƒvques, on les assujettit tous les trois mois ˆ recevoir, comme vils mercenaires, un salaire modique. Ils doivent dŽclarer et justifier leurs revenus antŽrieurs qui sont vŽrifiŽs et validŽs par les autoritŽs administratives. Le versement des pensions est alŽatoire (manque de fonds et mauvaise volontŽ) et, en outre, constitue un moyen de pression, nous l'avons vu ˆ propos du devoir de prŽsence.

Quant au second ordre du clergŽ, le tarif futur pour les curŽs va de 6 000 livres (Paris) aux 1 200 du D. du 2 novembre pour les paroisses de moins de mille ‰mes. Mais ici, pour amŽliorer immŽdiatement la situation matŽrielle du bas clergŽ, le tarif futur s'applique par anticipation au clergŽ actuel, sauf refus : dans ce cas, comme pour les Žvques, on base le traitement sur leurs ressources antŽrieures avec, ici, un minimum de 1 200 et un maximum de 6 000. Il en va de mme des pensions du clergŽ supprimŽ, chanoines etc.

Si les curŽs riches rechignent ˆ tre rŽduits ˆ 6 000 livres, la plupart obtiennent enfin le revenu dŽcent qu'ils espŽraient ou rŽclamaient, revenu qui, avantage supplŽmentaire, sera rŽglŽ en numŽraire par la caisse publique alors que les d”mes causaient des conflits avec les autres dŽcimateurs et les paroissiens, que leur volume variait selon les caprices de la nature, et leur valeur avec les hasards du marchŽ. Ils perdent nŽanmoins le casuel, puisque, dŽsormais, ils exerceront gratuitement [leurs] fonctions (Titre III, Art. 12).

b) rŽgalisme

 Le roi collectif qu'est l'AssemblŽe Nationale sous le masque du malheureux Louis s'inscrit dans la tradition. Depuis des sicles, le trs-chrŽtien, s'est employŽ plus ou moins respectueusement ˆ remettre l'Eglise dans l'Etat. L'AssemblŽe systŽmatise cette tendance (Dounot, 2016, p 49). Les Žvques qui n'ont jamais baissŽ les bras, mme lorsqu'il leur fallait cŽder au roi, s'indignent (i). Ils sont moins sincres en dŽfendant la compŽtence juridictionnelle d'un pape dont, de concert avec le roi, ils s'Žmancipaient volontiers (ii).

i) la question institutionnelle

Des restrictions frappent les pouvoirs de l'Žvque qui, nagure Žtaient discrŽtionnaires. Son chapitre supprimŽ, il est pourvu d'un conseil habituel et permanent, et ne peut faire aucun acte de juridiction, en ce qui concerne le gouvernement du diocse et du sŽminaire, quÕaprs en avoir dŽlibŽrŽ avec eux (I, 14).

En particulier, c'est avec ce conseil que l'Žvque mŽtropolitain (ou l'Žvque) procŽdera ˆ l'examen canonique d'un Žvque (ou d'un curŽ) dŽsignŽ ˆ son investiture. En cas de refus, il le motivera par un Žcrit signŽ de tous les membres du conseil (II, 17). Les anciens Žvques crient au presbytŽrianisme, quoique depuis longtemps dŽjˆ ils dussent discuter les affaires graves avec leur conseil. En outre, le mot dŽlibŽrer n'implique pas une dŽcision collective ˆ la pluralitŽ, dans laquelle l'Žvque ne compterait que pour une voix, le soumettant ˆ ses vicaires : il reste le chef [6]. Certes, des conflits sont possibles et, si des membres du conseil nuisent ˆ l'Žvque, ce dernier n'est pas libre de les dŽmettre.

En effet, ce conseil comprend les vicaires des Žglises cathŽdrales d'une part et, d'autre part, [les] vicaires supŽrieurs et vicaires directeurs du sŽminaire (I, 14). L'Žvque choisit les premiers parmi les prtres ayant exercŽ des fonctions ecclŽsiastiques au moins dix ans dans le diocse. C'est avec eux qu'il nomme les seconds. Il a donc une certaine libertŽ dans la composition de son conseil. Par contre, pour le modifier, il lui faut un avis du conseil et, dans ce cas seulement, la dŽcision se prend ˆ la majoritŽ des voix (II, 22).

Si l'examen canonique d'un Žvque (ou curŽ) proposŽ ˆ l'investiture du mŽtropolitain (ou de l'Žvque) se conclut par un refus, le recours Žventuel s'opre devant la justice ordinaire. Or cet examen porte sur le dogme et les mÏurs de l'impŽtrant. Quelqu'un qui aurait ŽtŽ trouvŽ insuffisamment instruit ou dŽviant en matire religieuse, serait blanchi par des juges la•cs qui ignorent tout de la thŽologie. Scandale ! Double scandale ! le dogme subordonnŽ aux profanes, les maudits jansŽnistes, ces loups dŽguisŽs en bergers, s'empareront des ŽvchŽs et des cures.

Cette prŽpondŽrance du juge la•c nous indique l'atteinte la plus grave ˆ l'autoritŽ Žpiscopale que la constitution effectue sans l'exprimer : la dissolution des justices ecclŽsiastiques. Leur sŽculaire concurrence avec les civiles s'achve par le triomphe des dernires.  Impossible de nŽgliger cette longue histoire que je ferai la plus courte possible.

Depuis la "rŽforme grŽgorienne" (XIe), la tentative des papes de transformer leur primautŽ en suprŽmatie se heurtait ˆ celle des rois de capter leur Eglise "nationale". D'innombrables querelles du sacerdoce et de l'empire Žclatrent partout et un riche dŽbat, souvent sanglant, chercha ˆ dŽfinir et fixer la limite entre temporel et spirituel [7] et, corrŽlativement, les responsabilitŽs respectives des deux glaives. En France, la tendancielle affirmation royale, appuyŽe sur le devoir de Justice (juridiction d'appel), absorba peu ˆ peu les barons et grignota l'Eglise, avec de grands "moments", dramatiques, tels l'affrontement de Philippe IV le bel et Boniface VIII, ou "constitutionnels", tels la Pragmatique sanction de Bourges en 1438 d'o est sorti l'appel comme d'abus qui se transformera en recours aux tribunaux civils contre les dŽcisions ecclŽsiastiques [8]. D'abord limitŽ au contentieux de la Pragmatique (notamment en matire de nominations), il se gŽnŽralise (ordonnance de Villers-Cotterts, 1539). Sans se limiter ˆ la compŽtence juridictionnelle (effet dŽvolutif), il s'Žtend aux affaires de discipline et de correction o il prend un effet suspensif. En Žlargissant son champ et en jugeant au fond, les tribunaux dessaisissent les juridictions ecclŽsiastiques [9]. 

La crise jansŽniste de la premire moitiŽ du XVIIIe les pousse ˆ usurper le domaine spirituel. Les curŽs et les fidles usent de l'instrument au lieu d'appeler canoniquement du curŽ ou de l'Žvque au degrŽ ecclŽsiastique supŽrieur. MalgrŽ le gouvernement emptrŽ dans les suites de l'Unigenitus [10] et pressŽ par les constitutionnaires, le Parlement de Paris multiplie les arrts contre l'archevque et ses affiliŽs qui refusent les sacrements aux jansŽnistes notoires ou supposŽs : il dŽcrte la vente forcŽe de leurs meubles, la saisie de leur temporel, voire leur emprisonnement ou leur exil, et fait administrer militairement l'extrme onction. Il n'hŽsite pas ˆ outrepasser sa compŽtence en passant, de son propre chef, de la discipline extŽrieure de l'Eglise au dogme : appuyŽ sur les libertŽs de l'Eglise gallicane qu'il a rŽservŽes en enregistrant par force la bulle Unigenitus, il en rŽduit les 101 articles au fameux 91me [11] et la rŽcuse in globo, dŽfiant le pape, la loi du Royaume, les Žvques et tous les constitutionnaires.

Outre le Parlement, les justices infŽrieures s'emparent ou sont saisies du contentieux des d”mes, des dŽcisions disciplinaires des Žvques ou curŽs, des affaires des couvents, au point que les Žvques et leurs grands vicaires gŽmissent que, paralysŽs, ils n'osent plus exercer leur justice et leurs pouvoirs, de crainte de se voir pris de corps, leurs meubles ˆ l'encan, leurs bŽnŽfices bloquŽs. En effet, la justice civile n'emploie pas seulement des arguments juridiques (parfois discutables), elle dispose de la force publique pour exŽcuter ses jugements et n'hŽsite pas ˆ la requŽrir.

Il me fallait rappeler brivement ce long conflit pour mettre en relief la conclusion que lui apporte la CCC pour le plus grand courroux des Žvques : l'appareil de la justice ecclŽsiastique (official, greffiers, officiers) est annulŽ ; les dŽcisions de l'Žvque se prennent avec son conseil et s'exposent toutes ˆ tre contestŽes devant les tribunaux civils locaux.

ii) la question du pape

Elle a engendrŽ tant d'Žcrits et suscitŽ tant de disputes au XIXe sicle (et aprs) qu'il nous est difficile d'apercevoir en quoi elle consistait en 1790.

L'interdiction d'envoyer aucuns deniers ˆ Rome pour annates ou autre cause (art. 12 du D. relatif ˆ l'abolition des privilges, 11 aout 1789) implique que le pape n'adressera plus de bulles aux Žvques. De mme que la CCC rŽsulte, factuellement, de l'expropriation du clergŽ, de mme la mise ˆ l'Žcart du pape de la suppression des annates. Camus le pressent aussit™t : Il faut dire que toutes les Žglises de France sont Žgalement libres et statuer que, sous quelque prŽtexte que ce soit, on n'enverra plus d'argent ˆ Rome. Mais qui donnera-t-on, dit-on, les provisions aux Žvques ? La rŽponse est dans les anciens canons des conciles : les Žvques seront confirmŽs par le mŽtropolitain et celui-ci par le concile national (ARCPA, T 8, pp. 396-397). Le premier rapport du comitŽ en novembre 1789, repris en cela par la constitution, abandonnera le concile et gardera le mŽtropolitain. Les Žvques protesteront contre l'Art. 19. du titre II (Le nouvel Žvque ne pourra sÕadresser au pape pour en obtenir aucune confirmation) comme si, prŽcŽdemment, ils devaient tout au pape.

Il n'en est rien. Depuis longtemps, c'est le roi qui nomme aux prŽlatures (ŽvchŽs et abbatiats) et, selon son degrŽ de dŽvotion, les accorde en rŽcompenses ou procde ˆ des promotions justifiŽes. Ensuite, l'Žlu sollicite de Rome une confirmation sous la forme d'une bulle dont la dŽlivrance est lourdement taxŽe. Une fois la bulle reue par le roi, un Žvque sacre l'Žlu et le fait successeur des ap™tres [12]. En France, on qualifie le pape de collateur forcŽ : il valide le candidat dŽsignŽ. Si, en pŽriode de conflit, l'expŽdition des bulles est suspendue, cela ne tire pas ˆ consŽquence car le roi nomme alors son Žvque administrateur du diocse ad intŽrim. Le sacrement, l'ordination, transforme le prtre en Žvque, pas la bulle. Celle-ci, outre son aspect symbolique (communion des Žvques), importe surtout ˆ Rome par les droits divers perus, ainsi que les cadeaux pour accŽlŽrer sa dŽlivrance et Žviter les chipotages. A ces redevances, s'ajoutent les annates : selon le concordat de 1516, le pape peroit ˆ la place du nouvel Žvque la premire annŽe de ses revenus. DŽjˆ, au XVIe, Henri II dŽplorait l'ŽnormitŽ des sorties de numŽraire que ces prŽlvements occasionnent et l'Žchange inŽgal de l'or de France contre le plomb de Rome (qui scelle les bulles).

Contre la prŽtention des papes ˆ tout rŽgenter en tant que vicaires du Christ, les rois et leurs lŽgistes ont affirmŽ, dŽfensivement, l'autonomie de la couronne et, offensivement, son autoritŽ sur l'Eglise du royaume [13] : en tant que protecteur de l'Eglise, le roi est comptable devant Dieu de sa discipline extŽrieure, concept rendu trs Žlastique par le Parlement de Paris.

Encore une fois, nous devons survoler ce passŽ, excursion nŽcessaire pour mettre en contexte la position du pape en France en 1790. Pour simplifier, nous ne remonterons pas au-delˆ du XVIIe. Dans son entreprise de rŽsorption du pouvoir des Grands, Louis XIV cible encore plus le ClergŽ que la Noblesse, car d'une part celui-lˆ dispose d'un "soft power" considŽrable, et d'autre part il s'implique dans les dŽmlŽs du roi avec Rome. Son second ordre, et notamment les curŽs, a ŽtŽ terriblement papaliste et espagnol pendant les troubles (de la Ligue ˆ la Fronde). Pour que les Žvques le tienne, il faut d'abord que le roi les tienne, appuyŽ sur un Parlement qui va souvent trop loin. Or l'Eglise de France n'est pas toujours gallicane.

Les Žtats gŽnŽraux de 1614 engendrent au sein de la FacultŽ de ThŽologie de Paris une guerre entre "gallicans" et "ultramontains" que les seconds finissent par perdre : les six propositions de 1663 [14] sont dŽcisives car, alors, la FacultŽ, plus que les Žvques, dŽfinit le dogme en France. Le Parlement les enregistre avec satisfaction et la DŽclaration royale du 4 aožt les proclame loi du royaume en couvrant la Sorbonne d'Žloges. Elle les mŽrite car le clergŽ finira par la suivre.

Aux Žtats de 1614, il avait combattu victorieusement le "gallicanisme" du Tiers (du Perron), puis nuancŽ sa position lors de sa tumultueuse assemblŽe de 1626 : tous les Žvques s'accordrent ˆ dire que le roi de France ne reconnaissait aucune intrusion romaine dans les affaires de son gouvernement (Martin, 1926) [15]. Le nonce proteste, et Richelieu atermoie car il a besoin de Rome contre les Espagnols ("paix de la Valteline"). C'est au contraire dans un contexte de conflit (RŽgale) que, endossant les propositions de la Sorbonne, les quatre articles de 1682 affirment la doctrine gallicane : les princes ne sont pas soumis ˆ l'autoritŽ de l'ƒglise dans les choses temporelles ; le pape ne peut juger les rois ni les dŽposer ; ses sujets ne sauraient tre dŽliŽs du serment d'obŽissance [16]. La rŽconciliation du roi et du pape se fait ˆ l'avantage du premier (lettre de Louis XIV ˆ Innocent XII, 14 septembre 1693). Ce pape doit encore avaler l'Edit de 1695 sur la jurisdiction ecclŽsiastique, modle lŽgislatif du contr™le Žtatique enrobŽ dans les louanges, les honneurs et les privilges (Dounot, 2016) : il renforce le pouvoir des Žvques sur leur clergŽ, tout en restreignant subtilement la juridiction ecclŽsiastique, largement exposŽe ˆ l'immixtion des juges royaux (Descamps, 2013). Innocent XII dŽplore vainement que le roi s'autorise ˆ rŽgler tout ce qui regarde la discipline et 1'autoritŽ ecclŽsiastique [17].

 Allons vite : dans la deuxime moitiŽ du XVIIIe, un peu partout en Europe, la papautŽ affaiblie subit l'envahissement civil, thŽorisŽ par FŽbronius (1763) radicalisant le gallicanisme de Van Espen (Louvain). Elle voit les JŽsuites, son fer de lance, expulsŽs et leurs biens confisquŽs (Portugal 1759, France 1764, Espagne et Naples 1767, Parme 1768). ClŽment XIII s'oppose en vain ˆ cette ingŽrence dans l'organisation de l'Eglise. Sous la pression bourbonienne, son successeur, ClŽment XIV se rŽsigne ˆ la dissolution de lÕordre (1773). Ensuite, Pie VI (1775-1799) ne sait pas empcher Joseph II de contourner sa primautŽ [18] et de prendre en mains l'Eglise dans le domaine des Habsbourg par une rŽforme aussi radicale que la CCC (Gendry, 1906 ; Lottin, 1990 ; Bischof, 2017). Joseph s'est passŽ du consentement du pape et, si le voyage de ce dernier en Autriche est un triomphe populaire, l'empereur ne lui concde rien [19]. LŽopold en Toscane, et l'orthodoxe Catherine II dans sa Pologne catholique [20], sautent aussi par dessus le Saint-Sige. Finalement, la France de 1790 est loin d'tre en avance !

Quand, contre la CCC, nos Žvques hyperbolisent un pape dont ils ne souciaient gure, c'est un argument ad hoc [21] car ils savent trs bien que le sacrement, non la bulle, les investit de la puissance apostolique. Souhaitent-ils se dŽfausser sur Pie VI de leur acceptation d'une CCC baptisŽe, comme le suppose le journal jansŽniste Nouvelles ecclŽsiastiques [22], ardent dŽfenseur de la CCC ? : ce recours ˆ Rome est comme une botte de rŽserve, une ruse de tactique, que nos PrŽlats se mŽnagent, pour s'excuser de se soumettre ˆ ce qu'on leur demande; ils consultent le Pape, ou le laissent ˆ l'Žcart, non suivant quelque rgle fixe, qui n'existe pas, mais suivant leurs vues particulires (NE, 26 avril 1791 et 5 juillet). Ou bien, divisŽs entre irrŽductibles et conciliateurs, cherchent-ils un arbitrage ? Ou bien encore, voulant dŽfendre la hiŽrarchie ecclŽsiastique mise ˆ mal par la CCC, tentent-ils de la fonder sur cette pierre ?

Les Žvques crieront au schisme au nom de l'unitŽ de l'Eglise universelle dŽchirŽe par la CCC : l'Eglise de France a cessŽ d'tre catholique (universelle) en devenant nationale ; apostolique en annihilant les Žvques ; romaine puisque le pape n'est plus qu'un primus inter pares avec lequel on entretient lÕunitŽ de foi et de communion [23], un peu comme les Eglises orthodoxes autocŽphales ˆ l'Žgard du patriarche de Constantinople.

Non, diront les Žvques, le pape, gardien de l'unitŽ de l'Eglise, vicaire du Christ, en a tous les pouvoirs. Sans lui ou sa dŽlŽgation, rien n'est licite, pas mme le sacrement (l'ordre) qu'ils attachent ˆ la juridiction au moyen d'une distinction tortueuse entre le potentiel et l'effectif : la capacitŽ rŽsulte de l'ordination, l'application de la juridiction. En quelque sorte, la premire donne un fusil, la seconde les munitions [24]. La CCC nie le pouvoir juridictionnel du pape en lui reconnaissant seulement une primautŽ spirituelle. MalgrŽ quelques rŽvŽrences rŽticentes, elle se sŽpare de l'Eglise, elle est donc schismatique, et ses Žvques, curŽs et desservants, des fantoches, des imposteurs, des fusils sans cartouches.

En rŽponse, le comitŽ se rŽclame du Christ et de la mythique Žglise primitive qui ignoraient les subtilitŽs du droit. Le Christ, pas le pape, est le chef de l'Eglise. Le sacrement suffit ˆ tout et confre ipso facto le pouvoir de juridiction.

Quoiqu'il en soit, toute juridiction implique un ressort : pour Žviter interfŽrences et incohŽrences, l'Žvque exerce dans son diocse, le curŽ dans sa paroisse. Ces circonscriptions, qui les fixe ? qui les modifie ? Le lien avec elles est-il un mariage mystique ou une attribution de compŽtence ? L'AssemblŽe avait-elle le droit de dŽcider une nouvelle gŽographie ecclŽsiastique ?

 c) gŽographie ecclŽsiastique

On le sait, l'AssemblŽe rŽvolutionne du jour au lendemain [25] la dŽlimitation des diocses et des paroisses. L'alignement de la gŽographie ecclŽsiastique sur les nouveaux dŽpartements [26] supprime une sŽrie d'ŽvchŽs, en crŽe de nouveaux, et modifie l'espace de ceux dont le sige est inchangŽ (i). Les disputes sur les limites du dŽcoupage administratif, dŽpartements et districts, ont agitŽ les intŽressŽs qui ont multipliŽ adresses, interventions et manipulations pour arrondir leur territoire et dŽcrocher des chefs-lieux. Il a ŽtŽ difficile d'accorder les dŽputŽs de terrain, dŽfendant les intŽrts locaux (Clermont vs Riom, Bergues vs Dunkerque, etc.).

Les Žvques, non consultŽs, dŽnoncent le lit de Procuste qui a mutilŽ les diocses. Ils protestent : si des changements Žtaient nŽcessaires ou souhaitŽs, il fallait respecter les formes canoniques et obtenir l'accord de l'Eglise (ii).

i) prŽsentation et effets

Martineau (rapport du comitŽ ecclŽsiastique, 21 avril 1790) posait la question en termes pratiques : Vous avez, messieurs, fixŽ avec sagesse les bornes & l'Žtendue de l'administration civile en divisant la France en 83 dŽpartemens. Pourquoi n'adopteriez-vous pas la mme division pour l'administration spirituelle ? Les limites de chaque diocse seraient toutes posŽes, la circonscription toute formŽe ; & les Žvques n'auraient ˆ supporter que la masse de travaux & de sollicitudes que vous avez jugŽes tre proportionnŽes aux forces humaines.

Les limites seraient toutes posŽes, voilˆ un argument de poids. Outre la co•ncidence des territoires administratifs et ecclŽsiastiques, la dŽpartementalisation Žvitera de mettre ˆ nouveau les pays en Žbullition, qui pour dŽfendre son ŽvchŽ, qui pour en obtenir un. Les dŽus du premier partage tenteront de se rattraper. Il ne faut pas ouvrir le dŽbat, conjure Boislandry, le rapporteur du ComitŽ, le 6 juillet, lors de la discussion de la CCC : l'espŽrance de rŽussir excitera des rŽclamations ˆ l'infini... vous aurez autant de contestations et de procs ˆ juger qu'il y aura d'ŽvchŽs ˆ supprimer, ˆ conserver ou ˆ Žtablir [27]. Il soumet ˆ l'AssemblŽe la liste des siges des ŽvchŽs et la dŽtermination des mŽtropoles. Quarante deux dŽpartements ne comptent qu'un seul ŽvchŽ qui sera nŽcessairement conservŽ. Dans trente-trois existent deux ou plusieurs ŽvchŽs, parmi lesquels il faut en choisir un. Dans huit, il n'y en a pas et il faut en Žtablir. La liste proposŽe est adoptŽe, moyennant deux changements seulement (Bayeux et Narbonne ˆ la place de Lisieux et Carcassonne). Elle est dŽcrŽtŽe par la CCC dont le premier article dispose : Chaque dŽpartement formera un seul diocse, et chaque diocse aura la mme Žtendue et les mmes limites que le dŽpartement. Et le second fixe les ŽvchŽs et mŽtropoles, avec leur sige qui, dans la majoritŽ des cas, co•ncide avec le chef-lieu du dŽpartement.

Cette dŽcision radicale s'explique aisŽment. D'une part les contours des anciens diocses sont absurdes. D'autre part les "fonctionnaires du culte", dŽsormais sous l'autoritŽ de la nation, s'inscrivent dans son nouveau cadre administratif : le directoire du dŽpartement tutellera les Žvques, et le directoire de district les curŽs.

Un tiers des anciens diocses compte moins de cent paroisses, et un tiers plus de trois cents ! Le plus petit (Lavaur) en a six (6 !), le plus grand (Rouen) plus d'un millier (1388 selon l'Almanach royal de 1789). Dans le sud du pays o le rŽseau de citŽs romaines fut dense et l'activitŽ des papes avignonnais intense, on rencontrait de nombreux petits ŽvchŽs. Par exemple, le dŽpartement de l'HŽrault contenait cinq diocses et celui des Basses-Alpes participait de neuf ! Inversement, quelques ŽvchŽs recouvrent plusieurs dŽpartements. Pis encore, un certain nombre mitaient d'enclaves (parfois minuscules) les diocses voisins. Dol (Bretagne) en avait une quarantaine ! Enfin, une dizaine de diocses chevauchaient la frontire ou dŽpendaient de siges situŽs ˆ l'Žtranger.

A la place de ce fouillis, la dŽpartementalisation constitue un ensemble relativement homogne, et tout entier ˆ l'intŽrieur des frontires. Il est vrai qu'elle para”t d'autant plus arbitraire que, ˆ ce moment, les nouveaux cadres administratifs sont encore une crŽation artificielle, sans identitŽ ni vŽcu.

Il serait difficile de dresser un bilan exact des changements car la cartographie contemporaine reste floue sur les limites : il n'existe aucune carte d'ensemble des diocses de France avant 1790 [28]. Une soixantaine de diocses sont supprimŽs et huit crŽŽs. Soixante-quinze hŽritent d'un ancien sige Žpiscopal, avec un pŽrimtre agrandi des anciennes inclusions d'autres diocses dans le dŽpartement et diminuŽ de ce qui relve ˆ prŽsent des voisins. Quelques ŽvchŽs rŽpandus sur quatre ou cinq dŽpartements se rŽduisent ˆ un seul. Dans une dizaine de cas, l'ancien et le nouveau territoire du diocse se recouvrent ˆ peu prs.

En termes de personnes, dans tous les diocses dont le sige Žtait dŽjˆ pourvu d'un Žvque, celui-ci est automatiquement conservŽ. Restent ceux dont les siges ont ŽtŽ supprimŽs, une soixantaine de surnumŽraires que l'art. II.8 admet ˆ candidater aux nouveaux postes. A dŽfaut, un dŽcret particulier leur assignera une pension (III.11). Contrairement ˆ ce que prŽtendront les opposants, ces Žvques ne sont pas annulŽs puisque le sacrement d'ordre qu'ils reurent est indŽlŽbile ; simplement, leur office dispara”t, comme un colonel dont le rŽgiment est dissous, comme un de ces Žvques d'Orient jadis chassŽs par la conqute islamique, comme un dont le diocse est dŽtruit par un tremblement de terre ou une submersion marine.

Quant ˆ la majoritŽ qui reste en place, la disparition des bŽnŽfices attachŽs ˆ leur sige Žpiscopal rend la dimension du diocse matŽriellement indiffŽrente. Ils ne perdent rien de ce qu'ils n'ont plus ! Au contraire, leur dit-on, qu'ils se rŽjouissent et se fŽlicitent d'tre plus utiles : l'Žvque d'un trop petit diocse ne servait ˆ rien, celui d'un trop grand Žtait incapable d'accomplir ses devoirs, notamment les visites pastorales. NŽanmoins, l'Žvque se sent amoindri, atteint dans sa dignitŽ et dans son prestige.

Et plus encore les archevques, dont le rang, les pouvoirs, les suffragants, sont modifiŽs. La CCC les remplace par dix mŽtropolitains dont les arrondissements portent des dŽnominations gŽographiques [29]. Huit sur dix sont d'anciens archidiocses (partiellement recomposŽs) dont l'ancien archevque devient le mŽtropolitain. Deux sont crŽŽs, Besanon et Rennes. Dans l'autre sens, six archidiocses sont dŽgradŽs en simples ŽvchŽs (Albi, Auch, Embrun, Narbonne, Sens, Tours) et deux, prestigieux depuis l'Žpoque romaine, anŽantis (Vienne et Arles).

MalgrŽ des ŽlŽments de continuitŽ, l'ampleur du bouleversement se combine au caractre expŽditif de la procŽdure et ˆ l'incongruitŽ du "dŽpartement" pour rendre la nouvelle organisation problŽmatique. Dans le passŽ les rares Žrections d'ŽvchŽs rŽsultaient de longues nŽgociations avec Rome et avec les parties-prenantes [30].

L'empereur Joseph II s'Žtait dispensŽ de ces embarras (Bischoff, 2017 [31]). Voyant dans l'Eglise universelle un obstacle ˆ l'affirmation de la personnalitŽ de la monarchie, il met respectueusement le pape entre parenthses : entre autres rŽformes ecclŽsiastiques, il rŽorganise les diocses et, a posteriori, le pape se rŽsigne (1785). Que l'AssemblŽe ait pensŽ ou non ˆ ce prŽcŽdent, pourquoi sa cavalire rŽvolution gŽographique ne serait-elle pas baptisŽe aprs coup ? Le concordat de 1801 le fera.

Paralllement, aussi bien dans les villes qu'ˆ la campagne, l'implantation des cures Žtait insatisfaisante, le peuplement ayant ŽvoluŽ depuis leur institution : des paroisses dŽsertes et d'autres grouillantes, des minuscules et des immenses, des territoires commodes et d'autres tourmentŽs de reliefs difficiles ˆ franchir. Aussi, la CCC dispose (I.17) que, dans chaque diocse, l'administration civile de concert avec l'Žvque, Žtudiera la carte des paroisses et proposera ˆ l'AssemblŽe celles qu'il convient de rŽserver ou dÕŽtendre, dÕŽtablir ou de supprimer, en fonction, d'une part de la population, d'autre part de l'Žtat des communications. Ni les curŽs ni les fidles, n'interviennent alors que, ici, on taille dans la chair ˆ une Žchelle de masse. Dans les paroisses supprimŽes ou rŽunies, livrŽes ˆ un nouveau curŽ [32], la rupture des habitudes, la plus grande distance ˆ franchir pour se rendre aux offices, le regroupement avec un village "Žtranger", la perte d'identitŽ collective, susciteront des milliers de conflits que les lointaines autoritŽs de district ou de dŽpartement ne parviendront pas ˆ pacifier (infra).

ii) nature du diocse

Les Žvques supprimŽs ou rŽtrŽcis ˆ un seul dŽpartement nient la lŽgitimitŽ de la dŽcision. Ils se considrent toujours en poste et agissent comme tels alors que leur territoire relve dŽsormais d'un ou plusieurs autres Žvques. Ces derniers, mme s'ils se rŽsignaient ˆ leur situation, se trouveraient devant un choix difficile, sur le plan humain autant qu'ecclŽsiologique. Vont-ils envahir le territoire du voisin, scandaliser ses curŽs et fidles ? Le voudront-ils ? L'oseront-ils ? Briseront-ils la communion des successeurs des ap™tres, les liens de confraternitŽ, d'amitiŽ parfois, de respect souvent ?  Ne se sentiront-ils pas solidaires dans la prŽcaritŽ ? Eux aussi peuvent tre supprimŽs (et le seront) par un vote de l'AssemblŽe. Seule une dŽcision collective de l'Eglise peut les dŽcharger de leur responsabilitŽ.

Beaucoup adhrent ˆ l'Exposition de Boisgelin publiŽe en octobre 1790. Celle-ci, centrŽe sur les principes, dŽcontextualise la rŽforme des circonscriptions, comme si l'autoritŽ civile, par caprice, avait dŽcidŽ gratuitement de tout changer. L'Exposition ne considre, ni les dŽfauts antŽrieurs, ni la rŽorganisation territoriale du royaume. NŽanmoins Boisgelin sait trs bien que la chose est rŽglŽe et non nŽgociable. L'AssemblŽe a fait au clergŽ un enfant dans le dos. Au moins, qu'on le baptise ! Comme l'a Žcrit subtilement l'abbŽ Barruel en juillet 1790, l'AssemblŽe, en omettant les voies canoniques, ne les a pas interdites, on peut les suivre, mme ˆ son insu.

Il le faut, ˆ cause du mariage mystique indissoluble entre l'Žvque et son diocse : celui qui perd le sien devient un divorcŽ par force ; celui qui, suite aux nouvelles dŽlimitations, exerce dans le diocse du voisin, un adultre ; celui dont le diocse est nouveau, un concubin. La CCC les plonge tous dans le pŽchŽ et rend leurs actes sacerdotaux criminels. L'Eglise a attribuŽ ˆ l'Žvque sa juridiction, elle seule a le droit de la modifier.

La question a deux aspects : le premier, l'intrusion du pouvoir civil, sera envisagŽ dans la section II ; le second concerne l'Žtrange aberration par laquelle les Žvques sacralisent une gŽographie qui n'en est pas une et font d'un espace hŽritŽ le rŽsultat d'une dŽcision divine.

Leur diocse tire son nom du sige Žpiscopal, non du territoire. Eux, s'appellent M. de Paris, M. de Luon, M. de Narbonne etc. L'absence de cartographie des diocses est significative. Sur le terrain, aucun bornage ou piquets ne fixent les limites. En 1789, un diocse se dŽfinit par une liste d'Žtablissements ecclŽsiastiques. C'est la CCC qui, en les collant aux dŽpartements, leur donnera une rŽalitŽ territoriale.

Les partisans de la CCC, si fŽrus d'Eglise primitive, ratent un argument. Ils auraient pu dire que Territorium non facere diocesim (Lauwers, 2008 ; Lange, 2014). L'Eglise itinŽrante, en voyage vers un monde meilleur, ne conna”t que des fidles. Le diocse, constituŽ de personnes, est le groupe dont l'Žvque maintient l'unitŽ de foi et la discipline. Initialement basŽ sur la civitas romaine et cimentŽ par des liens personnels charismatiques, le pasteur congruait ˆ un troupeau. La multiplication des fidles et l'institutionnalisation de l'Eglise ont rel‰chŽ ce lien.

La CCC met l'accent sur le pastorat et l'Žquivalence des troupeaux. L'ordre confre une juridiction universelle que l'intŽressŽ exerce indiffŽremment ici ou lˆ, sans autre formalitŽ. "Ici ou lˆ" et non pas "partout" comme veulent le comprendre les Žvques pour s'en offusquer. En effet, ˆ l'instar d'un magistrat, un pasteur ne doit pas entreprendre sur un autre. Il ne faut pas que celui auquel son curŽ refuse l'absolution l'obtienne du voisin ou qu'un curŽ sanctionnŽ par son Žvque s'adresse ˆ celui d'ˆ c™tŽ.

Mais un magistrat n'est pas "mariŽ" ˆ son ressort. A preuve, il peut en changer, par permutation ou promotion. D'ailleurs, les Žvques n'y manquaient pas, eux qui, lorsqu'ils rŽussissaient, passaient des ŽvchŽs mŽdiocres aux grands, et, pour quelques uns, aux archevchŽs. Le mari mystique serait-il polygame ? Bien sžr, il rŽpondra par les formes canoniques : chaque "mariage" a ŽtŽ dŽcidŽ par le roi et validŽ par Rome.

 Les mutations provoquŽes par CCC remplissent la premire condition puisque le roi a sanctionnŽ le DŽcret. S'il l'imposait sans Žtats d'‰me comme Joseph II, le pape plierait et les difficultŽs (empitements, Žvques sans diocse etc.) trouveraient une solution. En 1801, Pie VII signera le concordat bonapartiste qui reprend en les durcissant la plupart des principes de la CCC. Et, surprise !, la majoritŽ des Žvques de 1790 encore en vie le suivront. Mais, dans la seconde moitiŽ de 1790, les choses vont trop vite et, d'autre part, ce roi hŽsite [33].

 1.2. Les mesures ˆ effet futur

Les mesures prŽcŽdentes s'appliquent au clergŽ utile (celui qui a charge d'‰mes). L'ancien stock, conservŽ en totalitŽ, Žchappe ˆ deux dispositions critiques de la CCC, l'Žlection et le serment solennel. Elles concernent seulement les places vacantes, par absence de titulaire (nouveaux ŽvchŽs ou cures) ou par sa dŽfection (dŽcs ou dŽmission). Le dŽcret de juillet 1790 vise une rŽgŽnŽration progressive du clergŽ. Pour rŽussir, elle nŽcessitait deux conditions : l'acceptation par l'ancien clergŽ des dispositions qui l'affectent, et suffisamment de temps pour le renouveler naturellement, au moins dix ou vingt ans car l'‰ge moyen des Žvques en poste tourne autour de 60 ans.

Les deux manqueront ! Outre les problmes que nous venons d'Žtudier, l'Žlection horrifie les Žvques (a), auxquels, notons le bien, le serment civique para”t alors une banalitŽ (b). La maladresse de l'assemblŽe (novembre 1790) en fera la pierre de touche de la CCC (c).

a) le recrutement du clergŽ futur

Sont Žligibles les prtres du diocse ayant exercŽ activement leurs fonctions pendant un nombre d'annŽes suffisant. Rien de plus lŽgitime. La contestation portera sur leur nomination (i) et leur institution canonique (ii).

i) nomination

On nommera aux places dont la vacance aura ŽtŽ constatŽe par  le procureur-syndic du dŽpartement (art. II.4 et II.25) car tout membre du clergŽ, dŽsormais rŽtribuŽ par la nation, doit lui tre nŽcessaire (Martineau).

L'ordination accouple l'Žvque ˆ un diocse : il n'est pas "Žvque" tout court, mais "Žvque de...". Nous l'avons vu, ce mariage n'allait pas sans accommodements. Quand il s'opŽrait par substitution (coadjuteur) ou par provision (dans l'attente d'un poste), on usait et abusait des affectations ˆ des ŽvchŽs fant™mes (in partibus infidelium). Ainsi, par exemple, Gobel, le futur mŽtropolitain de Paris, Žtait Žvque de Lydda (en Palestine islamique). Ces mariages blancs ne tiraient pas ˆ consŽquence. Quant aux Žvques pourvus en France, pour nombre d'entre eux, leur diocse se rŽduisait aux avantages qu'il procurait. Au-dessous, se trouvait une masse de clercs vagues i.e. non affectŽs, qui Žtaient candidats ˆ des bŽnŽfices plus qu'ˆ des offices dont ils se dŽchargeaient sur d'autres.

Evques et abbŽs Žtaient, en droit, choisis par le roi et, en fait, cooptŽs [34]. Et les curŽs, chapelains, etc. nommŽs par un collateur la•c (lorsque le droit de patronage faisait partie de sa propriŽtŽ) ou ecclŽsiastique (souvent une abbaye, plus rarement l'Žvque).

DorŽnavant, l'utilitŽ et l'Žconomie dŽfinissent les places ˆ remplir (elles cožtent) et constatent les vacances. L'AssemblŽe dŽcide que ces fonctionnaires publics seront, comme les autres, dŽsignŽs par les assemblŽes Žlectorales (censitaires), au niveau du dŽpartement pour les Žvques, du district pour les curŽs (art. II.3 et II.25).

L'argument historique en faveur de cette rgle est factice : dans l'Eglise des premiers sicles, les fidles auraient choisi leur pasteur. L'argument juridique ne vaut gure mieux : la Pragmatique sanction de Bourges (1438) confiait la nomination au clergŽ et aux la•cs. En rŽalitŽ, l'Žlection dŽgŽnŽrait en disputes tumultueuses entre factions rivales ; aussi, la plupart du temps, le grand seigneur local, le roi ou l'empereur, imposait son candidat. Quant au "peuple", son r™le se bornait ˆ acclamer l'Žlu.

Les Žvques reprochent ˆ la CCC d'ignorer le clergŽ local [35] et de permettre l'intrusion de non catholiques. Ces deux critiques n'ont pourtant pas tellement d'importance.

L'AssemblŽe, travaillant ˆ former un nouveau clergŽ, refuse de se fier ˆ l'ancien : il choisirait les candidats qui lui conviennent et le clergŽ se reproduirait ˆ l'identique. Rien n'est plus contradictoire avec les principes d'une bonne constitution, que de donner ˆ un corps particulier la facultŽ de se rŽgŽnŽrer lui-mme (Barnave [36]). L'Žlection "populaire", outre la commoditŽ d'user d'assemblŽes dŽjˆ constituŽes, assimile les fonctionnaires spirituels aux administratifs. Lorsque les Žlecteurs choisissent un juge, ils ne se prononcent pas sur ses compŽtences juridiques (a priori tous les candidats sont capables), mais sur sa personne. Il en va de mme ici puisque le vote est encadrŽ, en amont, par l'ordination qui a eu lieu il y a des annŽes et, en aval, par l'examen de la doctrine et des mÏurs de l'Žlu auquel se livrera l'autoritŽ ecclŽsiastique supŽrieure avant de donner ou non l'institution canonique.

Quant ˆ la participation importune d'hŽrŽtiques, de sectaires ou d'athŽes, qu'Žcarterait une profession de foi catholique, elle est supposŽe ŽvitŽe par la prŽalable messe paroissiale, ˆ laquelle seront tenus dÕassister tous les Žlecteurs (art. II.6). Ne nous laissons pas abuser par les Lumires et quelques dŽviants cŽlbres : la France de 1790, quoique plus ou moins anticlŽricale, reste massivement catholique. Seules certaines rŽgions  comprennent des minoritŽs protestantes qui, au Sud du Massif Central, ont chrement payŽ leur survie et, ˆ l'Est du royaume, cohabitent assez paisiblement : sauf perfidie individuelle, la fidŽlitŽ ˆ leurs dogmes, les dŽtournera de la messe paroissiale et donc du vote. Et, aprs tout, l'esprit souffle o il veut (Jean, III, 8, citŽ par Martineau). Les esprits malins aussi : l'assemblŽe Žlectorale omnibus Žmanant des citoyens actifs est Žvidemment exposŽe aux sollicitations et aux tractations croisŽes, et permŽable aux pressions et Žmotions populaires, comme le montrera l'intervention des clubs dans de nombreuses Žlections. Remettre au peuple le choix de ses serviteurs ouvre la voie au jeu des partis, des influences, de la corruption, des manipulations, et, in fine, politise l'administration. Ce vice affecte encore plus le fonctionnaire spirituel que son collgue civil.  Du fait de l'identitŽ religion-clergŽ, en banalisant les ecclŽsiastiques, l'AssemblŽe perturbe leur mission. Le prtre est l'homme de Dieu : dans un pays catholique, cette transcendance l'exhausse. Son Žlection par une procŽdure standard satisfait l'AssemblŽe qui vise ˆ dŽsingulariser le clergŽ, mais troublera les fidles qui ne sauront plus de quels pouvoirs sacrŽs dispose ce fonctionnaire public.

De l'autre c™tŽ, les cures dŽsormais soustraites ˆ leurs collateurs, les simples desservants voient s'ouvrir des possibilitŽs de promotion, ˆ la fois en termes de revenus et de dignitŽ. De mme, les curŽs qu'une muraille de Chine sŽparait des fonctions Žpiscopales. Cette libŽration de la masse du bas-clergŽ compte plus que le mŽcontentement des Žvques et des couches intermŽdiaires supprimŽes [37].

A l'ŽtŽ 1791, lors de la "rŽvision" de la Constitution, Thouret (10 aožt 1791) dira : on a insistŽ pour que l'acte constitutionnel consacr‰t d'une manire positive les bases fondamentales de l'organisation civile du clergŽ ; savoir, l'ŽligibilitŽ des ministres par le peuple... Etonnante formulation qui prŽtend intŽgrer la CCC dans la Constitution par : Les citoyens ont le droit d'Žlire ou de choisir les ministres de leur culte  (Titre I, art.3). Cette phrase anodine et juridiquement vague est-elle une provocation [38] ou une concession ? Elire ou choisir : ces mots ne traduisent qu'une petite partie de la CCC et n'impliquent rien quant aux formes ˆ respecter. Ils pourraient recouvrir l'acclamation populaire traditionnelle d'un candidat dŽsignŽ !

DŽbut 1792, Cahier, ŽphŽmre ministre de l'intŽrieur (17/11/1791-10/03/1792), tirant un bilan nŽgatif de la CCC, appellera l'AssemblŽe LŽgislative ˆ sortir d'un systme que l'expŽrience de plus d'une annŽe n'a que trop condamnŽ... et ˆ examiner si de ces termes indŽfinis de l'Acte constitutionnel, les citoyens ont le droit d'Žlire ou de choisir les ministres de leur culte, on doit conclure nŽcessairement que les Žlections des ministres d'un culte doivent tre faites par des corps Žlectoraux comme celles des reprŽsentans de la nation, des administrateurs ou des juges...

ii) l'institution

Le curŽ Žlu doit encore obtenir l'institution canonique de son Žvque : LÕŽvque aura la facultŽ dÕexaminer lÕŽlu, en prŽsence de son conseil, sur sa doctrine et ses mÏurs... (art. II. 36). L'Žvque ne dŽcide pas seul mais avec son conseil (cf. supra). Le rejet d'un impŽtrant inapte ou indigne est collectif, motivŽ, signŽ par tous, et susceptible d'appel ˆ la puissance civile. Les Žvques s'en indignent sans raison car, dŽjˆ auparavant, lÕŽvque accorde ou refuse le visa. Le refus doit tre motivŽ, il est susceptible dÕappel, simple devant le supŽrieur hiŽrarchique, dÕabus devant les parlements (Du Rousseau de La Combe, 1748, Recueil de jurisprudence canonique & bŽnŽficiale, citŽ par Gazzaniga, 2013).

Quant ˆ l'Žvque Žlu, il s'adressera en forme, accompagnŽ de deux notaires, ˆ son mŽtropolitain ; il le suppliera de lui accorder la confirmation canonique (II.16). Le mŽtropolitain, en son conseil, examinera l'Žlu. Anticipant des difficultŽs, l'Assemble prend un dŽcret d'application (11-15 novembre 1790) qui prŽcise la procŽdure en cas de refus : aprs une deuxime requte infructueuse, l'Žlu, toujours avec ses deux notaires, suppliera les autres Žvques de l'arrondissement, dans l'ordre de leur anciennetŽ. Si Žconduit, il a la facultŽ d'engager la procŽdure d'abus devant le tribunal du district dans lequel est situŽ le sige Žpiscopal. Cette cour statue en dernier ressort : si elle ne dŽclare pas l'abus, on procde ˆ une nouvelle Žlection (art. 8) ; si abus, l'Žlu est mis en possession du temporel et le tribunal dŽsigne un Žvque quelconque pour le consacrer (art. 9).

La procŽdure sera simplifiŽe quand les difficultŽs se multiplieront. Huit siges sont dŽjˆ vacants, ceux des ŽvchŽs nouvellement crŽŽs, dont cinq seront pourvus avant la fin de l'annŽe 1790 [39]. Le premier test arrive plus vite car l'Žvque de Quimper, Conan de Saint-Luc, meurt le 30 septembre 1790. MŽprisant la CCC, le chapitre s'empare de l'intŽrim, sede vacante, selon l'ancienne rgle. Mais le directoire du dŽpartement, aprs consultation de l'AssemblŽe, disperse le chapitre et convoque les Žlecteurs le 31 octobre. Ceux-ci sont rŽticents puisque leurs voix se partagent entre Mgr de la Marche Žvque du ci-devant diocse de LŽon, et Expilly, recteur de Saint-Martin de Morlaix, dŽputŽ ˆ l'AssemblŽe, membre puis prŽsident du ComitŽ ecclŽsiastique : ce dernier est Žlu au 3me tour. Ds le 18 Novembre, il notifie respectueusement son Žlection au pape (qui, ˆ cette date, ne la condamne pas [40]). Milieu janvier 1791, Expilly, flanquŽ de deux notaires, sollicite l'Žvque de Rennes, devenu malgrŽ lui mŽtropolitain du Nord Ouest. Suite ˆ sa dŽnŽgation rŽitŽrŽe [41], Expilly, sans recourir ˆ la procŽdure d'abus, s'adresse au Directoire du dŽpartement [42] pour qu'il dŽsigne un Žvque confirmateur. Encore faut-il en trouver un. Les quelques Žvques constitutionnels se dŽrobent (je jure mais je ne sacre pas). En fin de compte, on le sait, Talleyrand, le mouton noir du clergŽ, force Gobel et Miroudot, tous deux Žvques in partibus, ˆ l'assister pour sacrer Expilly le 24 fŽvrier 1791 (et Marolles, Žlu de l'Aisne, qui, lui, remplace l'Žvque que l'administration dŽpartementale a dŽclarŽ dŽchu en novembre 1790). Talleyrand, dans ses MŽmoires, prŽtextera qu'il valait mieux un mauvais clergŽ que pas de clergŽ du tout.

Les deux nouveaux prŽlats en instituent d'autres (Saurine, Laurent, Lindet, HŽraudin, Massieu) qui multiplieront les consŽcrations car les refus du serment imposent le remplacement de la quasi totalitŽ des Žvques. Le 26 avril, soixante intrus Žtaient dŽjˆ Žlus et sacrŽs, au grand courroux des Žvques dŽmis ou exilŽs qui les combattent souvent [43] . PrivilŽgiant encore une fois l'aspect juridictionnel, ils font du pape la source de la canonicitŽ des nominations ; et, de la reconnaissance de son autoritŽ, le fondement d'une Eglise essentiellement hiŽrarchique. Ce sera naturellement le point de vue de Rome (bref Charitas [44]). Mais dix ans plus tard, la moitiŽ de ces anciens Žvques contestera ou refusera l'autoritŽ du pape qui (concordat) demande leur dŽmission !

Nos Žvques usent du pape comme joker, la carte qui prend la valeur qu'on veut, entre deux de trfle et as de pique. Camus remarquait ironiquement ˆ propos des circonscriptions ecclŽsiastiques (dŽbat du 27 novembre 1790) : Jamais les Žvques de France n'ont voulu que le pape pžt unir ou sŽparer des bŽnŽfices; et quand la paix, quand le salut public le demandent, ils professent une doctrine contraire; ils disent qu'ils ont les mains liŽes; ils appellent, ils invoquent la volontŽ du pape. Nous avons vu que les JansŽnistes les accusent d'en faire une botte de rŽserve, une ruse de tactique (NE).

Au cours des sicles antŽrieurs, les relations des papes avec les rois et les Žvques de France ont beaucoup fluctuŽ (tant™t dans le mme sens, tant™t ˆ l'inverse). Les Žvques, lourdement taxŽs par Rome (annates, d”mes, frais de justice, droits d'enregistrement, de sceau etc., cadeaux) ont dŽfendu leurs libertŽs gallicanes et, au dŽtriment du pape, absorbŽ les abbayes et les ordres rŽguliers exempts. A la faveur de la Commission des RŽguliers, ils s'approprient les biens des couvents supprimŽs. L'expulsion des JŽsuites les rŽjouit comme un malheur advenu ˆ des concurrents (quoiqu'ils condamnent l'empitement du Magistrat civil sur la juridiction ecclŽsiastique). Le Saint-Sige leur importe moins que la Cour de Rome, c'est-ˆ-dire la machine administrative, juridique et fiscale et les cardinaux qui la dirigent.

Mais, ˆ prŽsent, la CCC leur inspire a contrario que toute juridiction vient du pape [45], directement ou par dŽlŽgation : le gouvernement de toutes les Žglises s'Žlve, par une gradation que le temps n'a point interrompue, jusqu'ˆ cette premire chaire apostolique, l'Žglise de Rome, le siŽge du chef de l'Žglise universelle qui tient, de droit divin, la primautŽ d'honneur et de juridiction [mon soulignement] dans l'Žglise... Nous opposons ˆ la nouveautŽ la pierre sur laquelle nous sommes fondŽs (Exposition, p 47-48).

L'argument sert d'abord de clause suspensive (attendons que le pape ait tranchŽ). Puis, tout espoir de compromis disparu, il disqualifiera les nouveaux nommŽs : des usurpateurs, des intrus, que les fidles doivent ignorer.

b) le serment

Bient™t, il se chargera d'Žnergie Žlectrique au point de foudroyer ceux qui le prtent ou le refusent. Il ne faut pas incriminer la CCC : la formule est banale (i) et la pratique traditionnelle (ii).

i) banalitŽ de la formule

L'art. II.21 ne concerne pas ceux qui sont en poste et le restent. Il s'applique au nouvel Žlu, Žvque ou curŽ : Avant que la cŽrŽmonie de la consŽcration commence lÕŽlu prtera, en prŽsence des officiers municipaux, du peuple et du clergŽ, le serment solennel de veiller avec soin sur les fidles du diocse qui lui est confiŽ, dÕtre fidle ˆ la nation, ˆ la loi et au roi, et de maintenir de tout son pouvoir la constitution dŽcrŽtŽe par lÕAssemblŽe nationale et acceptŽe par le roi... De mme, l'art. II.38 : Les curŽs Žlus et instituŽs prteront le mme serment que les Žvques dans leur Žglise, un jour de dimanche, avant la messe paroissiale, en prŽsence des officiers municipaux du lieu, du peuple et du clergŽ.

Quant aux Žvques et les curŽs conservŽs dans leurs fonctions, le long et minutieux dŽcret du 24 juillet sur le traitement du clergŽ (supprimŽs, dŽmissionnaires, en poste etc.) se termine par : ils ne pourront recevoir leur traitement qu'au prŽalable Ils n'aient prtŽ le serment prescrit par les articles 21 et 38 du titre II du dŽcret sur la constitution du clergŽ. Cet article 39, rŽdigŽ de faon vague, est peu contraignant car tout le monde s'est exŽcutŽ ˆ un moment ou un autre et, qui le veut, en obtient certificat.

Ce serment de fidŽlitŽ ˆ la nation, ˆ la loi et au roi et ˆ la constitution n'a rien de radical ni de clivant, c'est celui que tout le monde ne cesse de clamer. Son contenu, pour n'tre pas anodin, n'exclut que les contre-rŽvolutionnaires avŽrŽs.

Etudions brivement le texte. Fidle ˆ la nation, ˆ la loi et au roi ne pose problme ˆ personne. Tout au plus, quelques-uns prŽfŽreraient que le roi passe en premier.

Maintenir la constitution est moins clair.  Formellement, ˆ cette date, elle n'existe pas. Ds octobre 1789, les questions essentielles ont ŽtŽ traitŽes et les dŽbats tranchŽs par l'acte constitutionnel du 2 octobre, sanctionnŽ purement et simplement le 5, dont le texte, court et net, suffirait ˆ fonder une dŽmocratie royale si les Žvnements n'entra”naient pas l'AssemblŽe plus loin et n'apportaient pas sans cesse de nouvelles questions, suscitant de nouvelles lois constitutionnelles. L'AssemblŽe, brouillonne et sollicitŽe de toutes parts, Žmet au fil des jours un tel fatras de dŽcrets que, pour sŽparer les constitutionnels des lŽgislatifs ordinaires, il faudra le difficile travail du comitŽ de rŽvision pendant l'ŽtŽ 1791. Le texte final sera votŽ par l'AssemblŽe et approuvŽ par le roi en septembre.

La langue franaise emploie le mme mot pour dŽsigner le processus (constituing) et le rŽsultat (constitution). En rŽalitŽ, en 1790, ce qu'on jure de maintenir, c'est le processus.

On doute tellement peu d'avoir une "constitution" qu'on ne cesse de lui promettre fidŽlitŽ. Lors de la sŽance du 4 fŽvrier 1790, les membres de l'AssemblŽe, clergŽ inclus, prtent le serment civique (celui-lˆ mme que demande la CCC). Quelques dŽputŽs ont chipotŽ sur la formulation : Maintenir signifie-t-il renoncer ˆ amŽliorer ou ˆ modifier la constitution ? Ne vous inquiŽtez pas, rŽpond benoitement le PrŽsident du jour : la souverainetŽ de la nation ne conna”t pas de limite. Moyennant cette explication, mme l'irrŽductible Žvque de Clermont [46], mme le frre "du" Mirabeau, le vicomte, cet enfant terrible de l'ultra-droite, Žmettent leur je le jure. A cette cŽrŽmonie se joignent avec enthousiasme les employŽs, les tribunes, la foule qui entoure le local, puis, dans tout le pays, les assemblŽes administratives et populaires. Cette ŽpidŽmie conna”t son acmŽ lors de la Fte de la fŽdŽration du 14 juillet 1790 (deux jours aprs l'adoption du dŽcret de la CCC [47]) : en grande solennitŽ patriotique et religieuse, sur le Champ de Mars, les dŽlŽgations dŽpartementales avec leur drapeau, les Parisiens, le roi lui-mme, s'engagent spectaculairement par ce serment.

L'exiger des Žvques et curŽs est une redondance car ils l'auront dŽjˆ prtŽ plusieurs fois, et nul ne conteste, ni le texte ni la pratique.

ii) une pratique traditionnelle

Si aujourd'hui nous ne fions plus aux serments et en usons avec parcimonie, ˆ cette Žpoque, leur usage est universel, du Premier PrŽsident du Parlement au plus misŽrable crocheteur entrant dans une confrŽrie. Pas d'intronisation, pas de prise de fonction, pas de cŽlŽbration, pas de solennitŽ, sans un serment qui marque publiquement l'engagement de la personne ˆ l'acte collectif. Pour qu'il compte, il faut des mots dŽterminŽs prononcŽs ˆ voix haute, un rituel, une assistance ˆ la fois destinataire et tŽmoin. Violer son serment constitue une trahison qui dŽshonore, met l'‰me en pŽril quand on a pris Dieu ˆ tŽmoin, et autorise des poursuites judiciaires.

Sans remonter ˆ Hincmar, Žvque de Laon du IXe sicle, que sa trahison obligeait ˆ ramper aux pieds de l'empereur [48], nos Žvques de 1789 ont tous jurŽ fidŽlitŽ au roi pour prendre leurs fonctions. Et promis bien plus que le maintien de la Constitution. Depuis le Concordat de Bologne, le texte standard est : [Je] promets ˆ Votre MajestŽ que je lui serai tant que je vivrai fidle Sujet & serviteur ; que je procurerai son service & le bien de son Etat de tout mon pouvoir ;  que je ne me trouverai en aucun conseil, dessein ni entreprise au prŽjudice d'iceux ; & s'il en vient quelque chose ˆ ma connoissance, je le ferai savoir ˆ Votre MajestŽ.

Pour entrer en possession de son sige, l'Žvque s'engage sur le trs-saint & sacrŽ nom de Dieu, non seulement ˆ respecter les lois et la Constitution, mais (souvenir des ligues factieuses) ˆ dŽfendre le gouvernement en dŽnonant tout projet formŽ contre lui [49].

Serment et RŽgale vont de pair. Lorsqu'un sige Žpiscopal vaque, le roi se substitue ˆ l'Žvque, peroit ses revenus (rŽgale temporelle) et nomme ˆ sa place aux bŽnŽfices (rŽgale spirituelle). Comme, sede vacante, le chapitre exerce les fonctions ecclŽsiastiques de l'Žvque, la vacance ne perturbe pas le diocse. Lorsque le roi promeut un prŽlat et reoit sa bulle papale, l'Žlu, pour fermer la rŽgale, doit prter serment, gŽnŽralement ˆ la Chapelle du Roi dont un aum™nier lui dŽlivre un certificat avec lequel il demande les lettres de mainlevŽe de la Chambre des Comptes (cf. Cf. Durand de Maillane, 1761, au mot SERMENT, T2, p 735 sq.). En 1673, Louis XIV a proclamŽ l'universalitŽ de la RŽgale et soutenu, pour l'imposer ˆ la papautŽ, une longue et violente bataille. En l'appliquant ˆ quatre provinces o elle n'avait pas cours (Languedoc, Guyenne, DauphinŽ, Provence), le roi la pose en principe. Audoul (1708, TraitŽ de lÕorigine de la rŽgale, et des causes de son Žtablissemen) nous explique pourquoi. La RŽgale oblige les Žvques ˆ reconna”tre que le roi est leur ma”tre : Par ce serment de fidŽlitŽ, le prŽlat se dŽclare lÕhomme du Roi, jure et promet de vivre et mourir sous sa dŽpendance et obŽissance... il reconna”t que les biens et les droits temporels de son ƒglise sont ŽmanŽs de ce souverain qui lui en donne lÕinvestiture (p. 2). La mainmorte met le clergŽ ˆ part, la RŽgale le rŽintgre ˆ l'ordre du royaume en marquant la sujettion des Evques & de tout lÕOrdre Ecclesiastique ˆ la puissance souveraine de Sa MajestŽ. Les fruits comptent moins que le serment et l'investiture.

On pense au serment civique en lisant dans Le Vayer, 1682 : les Evques entrant en possession du gouvernement d'une partie des sujets du Roi, il est juste qu'ˆ l'exemple de tous les Officiers qui ont quelque administration publique, ils prtent le serment de fidŽlitŽ au Chef de l'Etat ; & d'autant plus juste, que leur administration est plus importante... (p 268).

Ils naissent citoyens avant que d'tre faits EcclŽsiastiques soutenait-il. Pour tre Žvques, ils n'en sont pas moins hommes et citoyens, Žcrit de mme d'Aguesseau en 1700 (In: OC, 1772, T. 5, p 252) et, ˆ ce titre, ils ont des devoirs envers l'Etat. PŽtion ne dira pas autre chose lors des dŽbats sur le DŽcret du serment (27 novembre 1790) : Ils Žtaient citoyens avant d'tre prtres, ils sont citoyens aprs. Ainsi, l'AssemblŽe s'inscrit dans la tradition : rŽvŽrence au Saint-Sige et refus des prŽtentions papalistes ; intervention dans la discipline de l'Eglise ; investiture des prŽlats et attribution du temporel contre promesse de fidŽlitŽ.

Les Žvques dŽputŽs prtent librement serment le 4 fŽvrier et recommencent le 14 juillet, avec une rŽserve quant au spirituel. En octobre 1790, ce n'est pas encore une affaire. Une preuve Žclatante : dans son Exposition, Boisgelin ne l'inclut pas dans la critique de la CCC [50].

c) radicalisation de la CCC

Pourquoi, par le dŽcret rŽpressif de novembre 1790, la majoritŽ de l'AssemblŽe dŽclare-t-elle une guerre inconsidŽrŽe au vieux stock rŽticent (i) ? En mettant la CCC sous le drapeau du serment civique, elle provoque la diabolisation de ce dernier (ii).

i) emballement de l'AssemblŽe

CŽdant ˆ une illusion trop commune, l'AssemblŽe a cru rŽorganiser le clergŽ par une loi ˆ laquelle chacun est censŽ obŽir. Le dŽcret du 12 juillet, sanctionnŽ fin aožt, arrive dans  les provinces en septembre, voire en octobre. Les ecclŽsiastiques auxquels la CCC ne pla”t pas l'ignorent : les chanoines nient leur abolition, les Žvques supprimŽs restent ˆ leur poste, les augmentŽs refusent de s'occuper des parties des diocses voisins que la dŽpartementalisation adjoint au leur, d'autres nomment des curŽs selon l'ancienne procŽdure et, par des mandements, expliquent ˆ leurs fidles les erreurs de ce qu'ils affectent de considŽrer comme un projet ou une proclamation tant que lui manque la forme canonique (concile national ou dŽcision du pape) [51].

Les administrations locales, encore mal organisŽes, emploient ˆ l'occasion la force publique ou "le peuple" pour expulser les chanoines, leur fermer le chÏur, ou accueillir triomphalement les rares nouveaux Žlus. L'AssemblŽe reoit des protestations contre la CCC, envoyŽes individuellement ou collectivement par des ecclŽsiastiques. Des administrations locales se joignent parfois ˆ eux, tandis que, symŽtriquement, d'autres lancent des appels au secours contre le fanatisme, dŽnoncent leur Žvque ou prennent des sanctions (illŽgales) contre lui [52]. MalgrŽ sa circonspection, l'Exposition des principes de Boisgelin du 30 octobre, est pour ainsi dire, traduite comme un crime (Bausset), un appel ˆ l'insubordination. SignŽe initialement par la moitiŽ des Žvques dŽputŽs, elle tourne ˆ la pŽtition. PubliŽe, elle sert d'argumentaire aux opposants.

Avant mme le dŽcret du 12 juillet, dans les rŽgions o des minoritŽs protestantes, historiquement brimŽes, se sentent libŽrŽes, des guerres civiles locales ont ŽclatŽ (N”mes, juin 1790). Les possessions du pape ont pris feu, impliquant les dŽpartements voisins : dans le Comtat, Marseille et la Dr™me envoient des renforts ˆ des camps opposŽs. Ajoutons les mutineries dans l'armŽe (Nancy en aožt), la grve fiscale, la dŽsorganisation gŽnŽrale, pour entrevoir la nervositŽ de dŽputŽs surmenŽs qui sigent en continu depuis plus d'un an au milieu des troubles parisiens.

L'AssemblŽe qui ne s'est pas passionnŽe pour le dŽbat sur la constitution du clergŽ (sauf lorsque des boutefeux s'empoignrent) voit avec ennui et effroi revenir un dossier dont elle se croyait dŽbarrassŽe. Le comitŽ ecclŽsiastique qui a dŽjˆ ŽtŽ mis en demeure le 5 novembre de rendre compte de l'exŽcution des dŽcrets sur la constitution du clergŽ est associŽ ˆ (et dŽbordŽ par) ceux des rapports, des biens nationaux (intŽressŽ au premier chef par la neutralisation du clergŽ) et des recherches, pour Žtudier la question et proposer des mesures. Plus tard, dans son Apologie du comitŽ ecclŽsiastique (1791, p 123), Durand de Maillane reconna”tra que ce n'a pas ŽtŽ l'ouvrage du comitŽ ecclŽsiastique, mais bien de certains comitŽs rŽunis et que prŽsidoit le comitŽ des recherches. Divers membres de notre ComitŽ se sont trouvŽs dans cette rŽunion ; mais un plus grand nombre peut-tre n'y a pas ŽtŽ et s'opposoit ˆ ce serment ; je pensais comme ceux-ci, non que je reconnusse ce serment illŽgitime, mais j'en prŽvoyois les mauvais effets dans un tems de commotion o l'incertitude des ŽvŽnements, rend les dŽterminations chancelantes [53].

Le 26 novembre, Voidel, parlant au nom des quatre comitŽs rŽunis, soumet ˆ l'AssemblŽe un rapport sur les protestations de divers Žvques et chapitres du royaume, contre ce qui s'est fait ˆ leur Žgard sans le consentement de l'Žvque de Rome. Il donne d'abondants extraits ou rŽsumŽs de divers Žcrits, adresses ou appels, pour montrer qu'une ligue s'est formŽe contre l'Etat et contre la religion et qu'il faut la rŽduire au silence et ˆ l'impuissance [54].

Pour cela, il propose de faire sortir les mŽcontents de l'expectative et de les mettre en demeure de se dŽclarer pour ou contre la CCC, en les coinant dans une alternative : se soumettre ou tre dŽmis. Le dŽcret du 27 novembre 1790 ravit la dernire chance de se dŽrober en s'effaant. L'instrument consiste en une version comminatoire du serment, ciblant spŽcifiquement les Žvques,  les ci-devant archevques et les curŽs dont les siges et cures ont ŽtŽ conservŽs. Ceux qui sont absents de leur diocse ou cure les rejoindront d'ici quinze jours (art. 1) pour prter serment s'ils ne l'ont pas encore fait (art. 2). L'art. 3 prescrit la forme solennelle ˆ respecter. Un PV en attestera (art. 4). Les empchŽs s'exŽcuteront par procureur (art. 5). L'art. 6 fixe la punition :  A dŽfaut de prter le serment ci-dessus prescrit dans le dŽlai dŽterminŽ, lesdits Žvques, ci-devant archevques et les curŽs seront rŽputŽs avoir renoncŽ ˆ leurs offices, et il sera pourvu ˆ leur remplacement, comme  en cas de vacance... et ils ne recevront ni traitement ni indemnitŽ. L'art. 7 traite des parjures : ils seront dŽclarŽs dŽchus des droits de citoyens franais, et remplacŽs aussit™t. Les deux articles suivants concernent les dŽmissionnŽs qui continueraient ˆ exercer leurs fonctions (art. 8) et toutes personnes qui  se coaliseront pour former ou exciter des oppositions aux dŽcrets de l'AssemblŽe nationale (art. 9) : ils seront poursuivis et punis comme perturbateurs du repos public. L'art. 10 recommande ˆ tous les corps administratifs et municipalitŽs du royaume, de veiller exactement ˆ  l'exŽcution du prŽsent dŽcret. L'art. 11 charge le PrŽsident de requŽrir la sanction du roi.

L'art. 6 est essentiel et sa formulation sournoise : les non jureurs seront rŽputŽs avoir renoncŽ ˆ leurs offices. La CCC prŽvoyait de pourvoir les siges qui seraient vacant, par mort, dŽmission ou autrement. La mort, en 1790, on ne pense pas encore ˆ l'infliger. La dŽmission est un acte volontaire que l'intŽressŽ ne fera pas et qui, de plus, devrait tre acceptŽ par l'autoritŽ ecclŽsiastique supŽrieure. Reste la procŽdure de destitution pour faute qui suit des rgles canoniques strictes et compliquŽes.

Voidel invente un nouveau autrement pour contourner la difficultŽ : prŽfigurant les jugements staliniens contre ceux qui "se mettent d'eux-mmes en dehors du Parti", l'AssemblŽe ne commettra pas le sacrilge de se substituer ˆ l'Eglise en rŽvoquant les rŽcalcitrants, ils se rŽvoquent tout seuls par le fait de refuser le serment. Cette innovation juridique douteuse permettra de dŽclarer la vacance et de procŽder au remplacement. Ou bien la menace oblige les ecclŽsiastiques ˆ jurer et, le serment Žtant sacrŽ, ils se lient les mains ; ou bien non, et ils sont privŽs de leur poste et des moyens d'influence qu'il leur offre.

Les dŽtails du dŽcret ne sont pas rŽellement discutŽs. Le dŽbat retourne ˆ la CCC que la minoritŽ attaque sur le fond, malgrŽ les protestations de la majoritŽ contre la mise en cause d'une loi votŽe et promulguŽe. La contre-offensive de Mirabeau, violente dans la forme, ambigu‘ et fumeuse dans le fond, est applaudie et son impression dŽcrŽtŽe mais elle ne prend pas. AttaquŽe brillamment par Maury du c™tŽ droit, ŽcartŽe de l'autre par Camus en quelques phrases, elle ne rŽsiste pas au texte des comitŽs [55].

Le texte final reformule quelque peu la proposition de Voidel. Soucieux de lui confŽrer une apparence de lŽgalitŽ, il l'appuie sur le dŽcret de Juillet et commence ainsi :

Art. 1er Les Žvques, les ci-devant archevques et les curŽs conservŽs en fonction,  seront tenus, s'ils ne l'ont  pas fait, de  prter le  serment auquel ils sont assujettis par  l'article 39 du dŽcret du 24 Juillet dernier, et  rŽglŽ par les articles  21 et 38 de celui du 12 du mme mois, concernant la constitution civile  du clergŽ... dans la huitaine s'ils sont sur place, dans le mois si prŽsentement absent, dans deux mois si ˆ l'Žtranger. L'inoffensif article 39 devient le moyen d'appliquer aux ci-devant Žvques et curŽs conservŽs en fonction le dispositif prŽvu pour leurs successeurs. Le clergŽ prŽsent est assimilŽ au clergŽ futur. Sans l'avouer, l'AssemblŽe apporte ˆ la CCC de juillet une modification fondamentale.

L'art. 2 Žtend le champ d'application aux vicaires des Žvques, supŽrieurs et directeurs de sŽminaires, vicaires des curŽs,  professeurs de sŽminaires et de collges, et tous autres ecclŽsiastiques fonctionnaires  publics.

Enfin, alors que, pour Voidel, les ecclŽsiastiques dŽputŽs (et par consŽquent absents de leur circonscription) prteraient leur serment par procureur, l'art. 4 les oblige ˆ y procŽder en personne ˆ l'AssemblŽe Nationale, ce qui aura l'effet inattendu de transformer leur refus en sensationnelle manifestation publique.

Le reste du dŽcret ne change pas. EnvoyŽ au roi, ce dernier tarde ˆ statuer, espŽrant encore qu'une approbation papale blanchira la CCC et rendra le dŽcret inutile. Mis en demeure le 23 dŽcembre, il assure l'AssemblŽe que le dŽcret du 27 novembre n'Žtant qu'une suite de celui du mois de juillet, il ne peut rester aucun doute sur mes dispositions. Boisgelin lui conseille de redoubler d'efforts auprs de Rome (cf. infra) et, sous la pression rŽitŽrŽe de l'AssemblŽe, le roi se rŽsout ˆ accorder sa sanction le 26 dŽcembre [56]. Le dŽcret devient exŽcutoire. A Paris, la  date limite est le 4 janvier 1791.

Ce dŽcret rŽpressif dŽnature la CCC et la rŽduit ˆ un serment qu'elle ne contient pas. La majoritŽ de l'AssemblŽe semble croire que la masse des ecclŽsiastiques est juste paresseuse ou troublŽe, et qu'un vigoureux coup de poing la dŽcidera. Le serment civique, littŽralement banal, souffrait dŽjˆ du contexte religieux et suscitait des rŽserves quant au spirituel. DŽsormais, il devient la pierre d'achoppement de la CCC. L'abstrus dŽbat thŽologique se simplifie dramatiquement : jurer ou non.

Le dŽcret de juillet Žtait un coup de force, celui de novembre une erreur. L'AssemblŽe est pressŽe et inquite : Tant que l'on verra les Žvques comme par le passŽ et les chapitres dans leur ancien Žtat, l'ordre ne renaitra point dans le royaume, les biens nationaux ne se vendront pas (Camus). Elle met tout ˆ coup (sous huitaine) au pied du mur la totalitŽ de l'ancien clergŽ et se prŽcipite au-devant de l'Žchec.

Quoiqu'impossible ˆ mesurer exactement, la division entre jureurs et de rŽfractaires est environ moitiŽ-moitiŽ, avec de fortes variations locales (Tackett), dŽcevant cruellement l'espoir de l'AssemblŽe constituante.

Prisonnire des sanctions qu'elle a ŽdictŽes, l'AssemblŽe dŽmet la moitiŽ du clergŽ et s'oblige donc ˆ trouver des remplaants. Il ne s'agit plus de l'ordre et la juridiction, la vie quotidienne des paroisses est bouleversŽe : le cercle enflammŽ s'Žlargit des Žvques aux curŽs et aux fidles.

En juillet, l'AssemblŽe demandait ˆ l'ancien clergŽ une acceptation passive ; en novembre, elle en exige une adhŽsion active. On comprend qu'un curŽ tranquille, brutalement sommŽ par sa municipalitŽ de s'exŽcuter publiquement devant ses propres paroissiens (et ses ennemis locaux) ren‰cle ou s'insurge devant la menace de perdre son poste, sa maison, son Žglise, ses ouailles qu'il a baptisŽes, mariŽes, confessŽes, sermonnŽes et qu'il devra abandonner ˆ un autre, ˆ un desservant dont il Žtait le tuteur ou le ma”tre, ou ˆ un parachutŽ. Aussi attachŽ qu'il soit ˆ la Constitution, ce curŽ peut rejeter un tel chantage. S'il se plaint, l'art. 6 le dŽclare rebelle ˆ la loi ; s'il exerce encore son activitŽ sacerdotale l'art. 7 le dŽclare perturbateur de l'ordre public. Devenu malgrŽ lui ennemi de la Constitution, il est traitŽ comme tel et, par contrecoup, finira par assumer ce statut.

ii) diffŽrence de l'identique

Le texte du serment reste le mme, sa signification et sa portŽe changent, ds lors qu'il est obligatoire sous huitaine, et son refus sŽvrement rŽprimŽ [57]. Avec les mesures qui l'accompagnent, il forme un corps de choses [mon soulignement], si affligeant pour l'Žglise, un ensemble [id] dont l'opposition avec le christianisme est si Žvidente, qu'il devient inexcusable [58]. Largement rejetŽ au cours des mois qui suivent (cf. infra), il cesse d'tre une affaire ecclŽsiastique et submerge la sociŽtŽ civile. Synonyme de pacte avec le diable, il est ˆ prŽsent inacceptable par les "vrais catholiques" : pour ne pas devoir le prter, maints Žlecteurs n'iront plus voter, maints "fonctionnaires" n'accepteront pas leur Žlection ou dŽmissionneront. Plus on l'exige, plus il clive.

Sa charge symbolique affecte son contenu qui, quoiqu'inchangŽ, est "reu" avec une suspicion croissante.

Lorsque le dŽcret de la CCC fut Žcrit, dŽlibŽrŽ et votŽ, dans les jours qui prŽcŽdaient la fte de la FŽdŽration, le mot constitution avait un sens purement politique. Mais, dans le serment que veut arracher le D. du 27 novembre, comment certains ne prendraient-ils pas ce mot pour l'abrŽgŽ de constitution civile du clergŽ ? Comment des esprits simples ne souponneraient-ils pas (et des esprits tortueux n'affirmeraient-ils pas) qu'on leur fait jurer de maintenir de tout leur pouvoir une CCC qu'ils prŽfŽreraient oublier ou qu'ils rejettent ?

S'intitulerait-elle Institution ou Organisation au lieu de Constitution civile, on dirait maintenant que, puisque la CCC appartient ˆ la Constitution, jurer de maintenir celle-ci, engage ˆ dŽfendre celle-lˆ qui est schismatique et hŽrŽtique [59].  L'ambigu•tŽ n'est plus sŽmantique mais juridique : aucun membre de l'AssemblŽe (et a fortiori aucun citoyen) ne sait si le dŽcret du 12 Juillet est de nature constitutionnelle. Il semblerait que non puisqu'il fut soumis ˆ la sanction royale dont l'AssemblŽe exclut les textes constitutionnels. Mais, ˆ l'ŽtŽ 1791, le texte officiel de la Constitution rŽsumera l'organisation civile du clergŽ par : Les citoyens ont le droit d'Žlire ou de choisir les ministres de leur culte. C'est peu, puisque cette formulation vague ignore la plus grande partie de la CCC. C'est trop, si on l'interprte comme une dŽnŽgation du pouvoir juridictionnel de l'Eglise.

Le doute s'aggrave du fait que la Constitution de 1791, se niant elle-mme en tant que table de la loi pour l'ŽternitŽ, modifie le serment civique : Le serment civique est : Je jure d'tre fidle ˆ la Nation ˆ la loi et au roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution du Royaume, dŽcrŽtŽe par l'AssemblŽe nationale constituante aux annŽes 1789, 1790 et 1791 (Titre II, Article 5). Cette bizarre rŽdaction ajoute ˆ la Constitution son paratexte : accroche-t-elle la CCC ˆ la Constitution (comme le soutient Boisgelin, 1791 [60]) ?

Les rŽfractaires affirmeront que, si le serment Žtait vraiment civique, ils le feraient. Mais la CCC porte atteinte au spirituel et, puisqu'elle est indissociable de la Constitution, ce serment obligerait ˆ maintenir de tout son pouvoir cette CCC destructrice de la religion et cause de damnation Žternelle pour les malheureux qui se fieront ˆ ses faux pasteurs : oui ˆ la Constitution, non ˆ la CCC ! s'exclament-ils, sincrement ou pas. 

En rŽponse, on les accuse de tromper le peuple en habillant de religion leur refus de la Constitution. En pratiquant un culte parallle, ils troublent l'ordre public et l'Eglise. Les clubs et maintes administrations locales, croyant dŽfendre la rŽvolution, traitent les rŽfractaires en ennemis. Ils les chassent de leur paroisse et, ici et lˆ, les regroupent pour les isoler et les surveiller. 

Sur la dŽfensive, les "vrais catholiques" en viennent ˆ revendiquer la libertŽ des consciences qu'ils abhorrent. Qu'on les traite aussi bien que les Protestants dŽtestŽs ! Que leurs actes d'Žtat-civil  (naissance, mariage, enterrement) soient enregistrŽs par des officiers civils et non par des curŽs constitutionnels ; que leur culte soit une affaire privŽe dont la nation ne se mle pas, dont les biens ne sont pas saisis, dont les pasteurs Žchappent au serment ! On leur rŽtorque (ironiquement ?) que, conformŽment ˆ leurs souhaits, le catholicisme est la religion de la nation, la seule qu'elle finance [61] et qu'elle privilŽgie en faisant de ses  ministres du culte des fonctionnaires publics ! Ces droits exclusifs entra”nent des devoirs.

L'AssemblŽe, en redŽfinissant l'administration de l'Eglise, s'attendait aux objections des Žvques et ˆ l'opposition des couches intermŽdiaires Žteintes (chanoines etc.). Mais elle ne doutait pas du soutien de ceux ˆ qui elle doit son existence, ce bas-clergŽ nombreux, sans droits et trop souvent sans revenu, dont, en juin 1789, les dŽputŽs ont forcŽ la rŽunion des ordres, fait rŽussir le bluff du Tiers et rŽsolu la crise institutionnelle. Et voilˆ que, malgrŽ tous les avantages que lui apporte la CCC, un curŽ sur deux, sommŽ de monter en chaire et d'Žnoncer son serment, lui ajoute des restrictions quant au spirituel ou refuse. Quelle dŽception ! Quelle fureur devant cette "trahison" ! Quelle crainte de la "contre-rŽvolution" !

***

Dans cette section, nous avons examinŽ le texte et la pratique de la CCC : l'attentisme des Žvques n'est pas tolŽrable pour ceux qui veulent le changement, en particulier, la majoritŽ d'une assemblŽe qui vit dans l'urgence et ne sait pas o elle va. Les rŽformateurs attendaient (souhaitaient ?) une scission du clergŽ suivant une ligne horizontale, sŽparant le haut et le bas. Or le dŽcret de novembre le dŽchire jusqu'en bas et, du mme coup, provoque la discorde civile qui fera exploser la "rŽvolution".

La section suivante Žtudiera ce changement d'Žchelle : les Žvques se comptent en dizaines, les curŽs en milliers, les paroissiens en millions.  Comment chacune des trois catŽgories en vient-elle au refus ? Y-a-t-il transmission, contagion, interaction ?

II. Les sujets : les rŽfractaires

Evques, curŽs, fidles, forment une gradation ascendante du point de vue du nombre, et descendante sur le plan de la hiŽrarchie et de la documentation.

Nous commencerons par les Žvques, ces personnages de premier plan qui ont beaucoup parlŽ, Žcrit, agi et influencŽ. Aux Žtats gŽnŽraux, puis ˆ l'AssemblŽe, ils dŽfendent leur corps. La CCC vise ˆ  le dissoudre dans la nation, c'est ce qui l'empche d'tre baptisŽe (¤1).

Toutefois, la discorde civile rŽsulte de l'Žbranlement de la base, phŽnomne dŽcisif. Bien que la transmission verticale joue un r™le, curŽs et fidles ont leur propre logique et s'influencent. Sans s'opposer encore ˆ la Constitution une partie d'entre eux rŽsistent ˆ la CCC (¤2).

2.1. Le jeu des Žvques

Leur identitŽ collective et organisation parallle Žclairent leur comportement en 1789/90. Il nous faut donc replonger dans l'ancien rŽgime. Premier ordre du royaume, le ClergŽ n'avait pas plus de rŽalitŽ  que les deux autres, et mme moins car il en participe : Noblesse et Tiers sont disjoints alors que le haut clergŽ se recrute dans la premire et le bas dans le second [62]. NŽanmoins, le ClergŽ est le seul des trois ˆ se constituer en corps.

Soumis ˆ la pression du magistrat politique, il reconnait que l'Eglise est dans l'Etat et, dans le mme mouvement, s'en dissocie : l'Eglise affecte de se soumettre librement (a). Aux Žtats-gŽnŽraux de 1789, les Žvques, loin d'tre dŽbordŽs par les curŽs rebelles, gardent le contr™le jusqu'ˆ ce que le roi les abandonne (b). Pris de court par la CCC, ils combinent opposition et compromis (c).

a) un corps sous la figure d'un ordre

Rien de plus clair en apparence que la division du royaume en trois ordres : on devient clerc par ordination (sacrement d'ordre), on na”t dans la noblesse ou on y accde par promotion, le reste est Tiers. A nos yeux, ce schŽma bŽnŽficie d'un prŽjugŽ d'Žvidence : en thŽorie, la banale tripartition "indo-europŽenne" (oratores, bellatores, laboratores) ; en pratique, les formes des Žtats gŽnŽraux, en particulier ceux de 1789, avec les conflits qu'elles suscitent (vote par tte ou par ordre). Aussi ce modle a-t-il connu un grand succs dans les manuels scolaires : simple, clair et narrativement efficace.

Pourtant, rien de plus flou que cette division : si les ordres importent aux individus qui y appartiennent (droits, devoirs, privilges associŽs), ils ne comptent pas pour le royaume. Un ordre religieux (et par imitation un ordre de chevalerie), crŽŽ ou approuvŽ par l'autoritŽ compŽtente, se dŽfinit par une rgle commune, une hiŽrarchie et une organisation. Il est formŽ, nos trois ordres ne le sont pas. La constitution du royaume exclut qu'aucun d'eux se rŽunisse entre soi. Paradoxalement, il n'y parvient qu'en commun, dans le cadre des Žtats gŽnŽraux. Aussi doit-il les rŽclamer pour s'assembler, comme le fit la Noblesse pendant la Fronde ou ˆ partir de 1787. Les assemblŽes du clergŽ devront tout ˆ la ruse ; celles de la noblesse sont, ou bien partielles et locales, ou bien rares et factieuses ; le Tiers n'en aura jamais.

A partir de la fin XVIe le ClergŽ s'auto-organise, en symbiose avec le pouvoir (i), lequel, au XVIIIe, outre la tendance au nivellement propre ˆ l'absolutisme, cherche ˆ s'emparer de la poule aux Ïufs d'or : elle rŽsiste et  en appelle aux Žtats gŽnŽraux... qui la plumeront (ii).

i) l'auto-organisation du clergŽ

La dŽtresse financire causŽe par les aventures militaires de Franois I et Henri II (et les guerres intŽrieures ˆ partir de 1560) pousse ˆ tondre le ClergŽ. DŽjˆ, le pape a, plusieurs fois, suspendu son immunitŽ fiscale et accordŽ des dŽcimes sur ses revenus, les soumettant aux percepteurs et receveurs royaux, ˆ la Cour des Aides etc. Il a autorisŽ le roi ˆ vendre des biens du clergŽ. Pourquoi s'arrter en chemin ? Si ceux qui servent ˆ l'autel ont part ˆ l'autel, inversement, l'autel a besoin de leurs contributions contre les hŽrŽtiques. La Couronne est au bout de son crŽdit, ayant engagŽ tout le domaine. Elle ne peut pas s'endetter davantage. Aprs le tumulte d'Amboise (1560), les Žtats gŽnŽraux de Pontoise (1561), requis d'accorder de larges subsides, rŽpondent, la noblesse par ses privilges, le Tiers par un refus. Les deux proposent l'aliŽnation des biens du clergŽ, laquelle, disent-ils, s'effectuerait par simple dŽcision royale. Ils ajoutent (malicieusement ?) que cela remettra le clergŽ dans sa simplicitŽ primitive et le soustraira ainsi aux critiques des RŽformŽs.

En plus dramatique [63], cela ne fait-il pas penser ˆ 1789 ?

A Poissy en 1561 (cf. Laferrire, 1905), le ClergŽ accepte de libŽrer le Domaine, totalement hypothŽquŽ en garantie de la dette royale. DorŽnavant, il apportera au roi, "volontairement" et pŽriodiquement, deux secours : 1) assurer le service des rentes de l'H™tel de Ville, la partie la plus sensible de la dette ; 2) un don gratuit qu'il finance en empruntant (aux meilleures conditions car ses revenus et ses biens rassurent les prteurs). Cette dette du clergŽ (jamais Žteinte) prŽserve son existence en tant que quasi corporation issue du contrat de Poissy. Le mot contrat est ˆ remarquer car l'accord a pris la forme d'une convention privŽe ˆ durŽe dŽterminŽe entre la personne du roi et la personne fictive du ClergŽ (Boulet-Sautel, 1976).

Mais les revenus et le patrimoine ecclŽsiastique n'appartiennent pas ˆ cette persona fictiva, ils sont allouŽs ˆ des bŽnŽficiaires. Aussi le ClergŽ est-il autorisŽ ˆ se taxer lui-mme (dŽcimes), ˆ l'instar des pays d'Žtats qui s'acquittent de leur don gratuit en levant des imp™ts sur leur province [64]. "Le roi" emploie les mmes moyens dans les deux cas (pressions, flatteries, honneurs, crŽation et vente d'offices intrusifs pour obliger ˆ les racheter, emprunts forcŽs etc.). Mais, ce faisant, il reconna”t l'existence du corps du clergŽ, s'oblige ˆ lui accorder une marge de nŽgociation, et maintient la fiction d'une immunitŽ fiscale que les Žvques disent de foi et plus ancienne que la Monarchie [65].

Autant que de foi, il s'agit d'honneur, c.-ˆ-d. de la place du ClergŽ dans le royaume et de son autonomie. Les ressources "consenties" le sont pour une durŽe dŽterminŽe. A l'ŽchŽance, il faut les renouveler et, pour cela, rŽunir une assemblŽe qui, gr‰ce aux besoins toujours pressants du roi, rapatriera peu ˆ peu au sein du ClergŽ la perception des dŽcimes et leur contentieux, et crŽera des organes permanents, centraux et diocŽsains, pour rŽpartir et lever les dŽcimes.

Les assemblŽes du clergŽ, en principe quinquennales, se composent de dŽputŽs des "contribuables", i.e. les bŽnŽficiers rŽgnicoles rŽunis en assemblŽe diocŽsaine et provinciale : les curŽs en sont rapidement ŽvincŽs et les dŽputŽs choisis dans le "premier ordre" du clergŽ et dans la partie adjacente du "second ordre", premiers vicaires, vicaires gŽnŽraux, chanoines, etc. Le reste du clergŽ, supposŽ reprŽsentŽ, est rŽputŽ consentir aux dŽcimes dont le taux est fixŽ par une clef proportionnelle ˆ la valeur (conventionnelle et non effective) des bŽnŽfices.

Cette assemblŽe du clergŽ est l'unique structure de ce type dans le royaume. Loin de se limiter aux affaires financires qui la lŽgitiment, elle Žlargit son ordre du jour : 1¡ affaires de la religion ; 2¡ dŽfense de la juridiction ecclŽsiastique ; 3¡ intŽrts temporels du ClergŽ, disputŽs au gouvernement au moyen d'interactions officielles comme informelles. Traitant du dogme, de la discipline, de la juridiction, des privilges et immunitŽs ecclŽsiastiques, l'assemblŽe constitue un appareil de gestion interne et de rŽsistance aux empitements des officiers royaux et des la•cs en gŽnŽral. Dans l'intervalle entre deux assemblŽes, deux agents gŽnŽraux ˆ Paris (relayŽs en province par des bureaux diocŽsains) veillent sur les intŽrts du ClergŽ, interviennent auprs du roi et exŽcutent les dŽcisions prises (Serbat, 1906 ; Bourlon, 1907) [66].

Ainsi, le clergŽ est le seul des trois ordres qui dispose d'un "gouvernement", d'une administration ˆ l'Žchelle du royaume et d'une reprŽsentation permanente. Tout est, bien sžr, sous le contr™le des Žvques : Quand dans les textes on Žvoque le Ç clergŽ È, il faut comprendre sous ce vocable uniquement les Žvques de France (PŽronnet, 1988). L'expression courante pour dŽsigner le ClergŽ est archevques, Žvques et autres ecclŽsiastiques.

Autonomie ne signifie pas indŽpendance : les Žvques, quoique largement cooptŽs, sont nommŽs par le roi et lui jurent fidŽlitŽ ; l'auto-organisation du clergŽ rŽsulte d'une tolŽrance royale [67], justifiŽe par la transcendance du premier ordre et imposŽe par les besoins financiers.

ii) la rŽsistance ˆ la normalisation

Le clergŽ a maintenu son immunitŽ sous Louis XIV en payant pour se dispenser de la capitation ; il paie sous Louis XV pour Žchapper au dixime ; il paie pour Žviter les vingtimes. Cela ne suffit plus : le dŽficit et la logique de l' "absolutisme" ravivent l'appŽtit pour les biens du ClergŽ et tendent ˆ le soumettre ˆ l'imp™t. Les rŽformateurs, Machault, Turgot, Necker, Calonne... seront dŽmissionnŽs par les Žvques et les Parlements qui, par ailleurs, se combattent comme jamais (querelle jansŽniste et appels comme d'abus).

Les Žvques, trs prŽsents ˆ l'assemblŽe des notables de 1787, y arrivent, inquiets de la victoire du Parlement et des "jansŽnistes" sur les JŽsuites et rŽvoltŽs par les entreprises sur leur patrimoine. Ils intriguent contre les propositions de Calonne et le font renvoyer : non seulement celui-ci prŽconise un imp™t universel et une Žvaluation effective des biens du clergŽ, mais il veut l'obliger ˆ rembourser sa dette, ce qui rendrait sans objet les assemblŽes du clergŽ et annulerait sa personne collective. A la place de Calonne, ils imposent un des leurs, l'ambitieux LomŽnie de Brienne, archevque de Toulouse, qui a dirigŽ leur action. Mais lorsqu'ils le voient ne rien trouver d'autre que le programme de Calonne, ils s'en dissocient et, ˆ contre-emploi, soutiennent le Parlement. La dŽrisoire rŽvolution du 8 mai (1788) de Brienne-Lamoignon [68] tente de recommencer MaupŽou en neutralisant militairement les Parlements et en transfŽrant l'enregistrement ˆ une cour plŽnire ad hoc. Elle jette les Žvques dans une opposition d'autant plus affirmŽe que leur aigreur a ŽtŽ renforcŽe par l'Ždit de "tolŽrance" (novembre 1787) qui choque leur exclusivisme en accordant un Žtat civil aux Protestants (toujours bannis des emplois publics et interdits de pratiquer leur culte). D'autre part, les assemblŽes provinciales en cours d'installation sont autorisŽes ˆ procŽder ˆ l'estimation des biens ecclŽsiastiques conjointement aux autres. Inadmissible !

L'assemblŽe du clergŽ de 1788, ˆ c™tŽ de ses Remontrances au roi contre l'Ždit de tolŽrance, formule le 15 juin une protestation politique qui semble Žcrite par le Parlement. Le ClergŽ se dŽclare champion de la nation et commence emphatiquement ainsi : Lorsque le premier ordre de l'Žtat se trouve le seul qui puisse Žlever la voix ; que le cri public le sollicite de porter le vÏu de tous les autres au pied de votre tr™ne ; que l'intŽrt national et son zle pour votre service le commandent, il n'est plus glorieux de parler; il est honteux de se taire.

Le ClergŽ stigmatise la cour plŽnire, un tribunal de Cour toujours juge de ses propres jugements qui aurait toute latitude pour enregistrer imp™ts, emprunts et anticipations et, le contrepoids du Parlement disparu, soumettre le ClergŽ ˆ l'imp™t. Pensant ˆ ses propres intŽrts, il proclame : Le peuple Franois n'est donc pas imposable ˆ volontŽ... Depuis les premiers Žtats-gŽnŽraux jusqu'ˆ ceux d'OrlŽans & de Blois, le principe ne se perd jamais de vue, que nulle imposition ne peut se lever sans assembler les trois Žtats, & sans que les gens desdits Žtats n'y consentent. En conclusion, il exhorte le roi ˆ assembler la nation. Et, manifestant son courroux, l'assemblŽe du clergŽ ˆ qui l'on demandait un don gratuit de 8 millions n'en accorde que 1,8 !

Les Žvques exigent le rŽtablissement des Parlements (qui s'opposeront aux mesures fiscales) et les Žtats gŽnŽraux qui, constituŽs suivant les anciennes formes et statuant ˆ l'unanimitŽ des trois ordres, permettraient au ClergŽ de sauvegarder ses droits (ƒgret, 1958 ; PŽronnet, 1962 et 1988). Les deux premiers ordres agiraient ensemble contre le despotisme ministŽriel et si, comme ˆ Pontoise, Noblesse et Tiers rejetaient la charge financire sur le ClergŽ, il opposerait son veto.

Au reproche de ne pas participer aux recettes publiques ˆ la hauteur de sa richesse, le clergŽ rŽpond d'avance en acceptant "civiquement" le principe d'ŽgalitŽ devant l'imp™t : oui, il s'engage ˆ payer proportionnellement, sous-entendant (mais on l'entend trop bien !) qu'il continuera ˆ se taxer lui-mme sur ses propres bases de calcul, que les Žvques assureront la rŽpartition et dirigeront la perception.

Les Žtats gŽnŽraux dŽcevront leurs espoirs !

b) les Žvques et les Žtats gŽnŽraux (fŽvrier-juin 1789)

La vague qui porte les curŽs vers le Tiers (et assurera le triomphe de celui-ci) n'a rien d'un raz-de-marŽe. Les Žlections des dŽputŽs du clergŽ ne sont pas aussi dŽfavorables aux Žvques qu'on le dit (i). Ils garderont la main sur leur chambre plus longtemps qu'on le croit (ii).

i) les Žlections

Si tous les Žvques Žtaient dŽputŽs, ils seraient 130 sur les 250 du clergŽ (52%). Avec quatre Žlus sur dix (49), ils ne font que 20% : L'opinion s'empara de ce nombre et l'interprŽta en terme de dŽfaite pour l'Žpiscopat, face aux curŽs. La rŽalitŽ est assez diffŽrente... (PŽronnet, 1988).

PŽronnet souligne l'impact du rglement Žlectoral du 24 janvier 1789, fixant le nombre des dŽputŽs et adoptant pour circonscription le baillage (ou son Žquivalent, la sŽnŽchaussŽe) qui reprŽsentait pour les contemporains ce qu'il y avait de plus prŽcis, de plus clair au point de vue judiciaire quoique son pŽrimtre ne soit pas toujours bien dŽfini (Brette, 1907). Baillages et diocses ne co•ncident ni en nombre (176 vs 130), ni en dŽlimitation. Des diocses relvent de plusieurs baillages et un Žvque peut tre Žlu plusieurs fois, comme Bonal (ˆ Clermont et Riom). Inversement, il arrive que plusieurs diocses appartiennent au mme baillage : par exemple, celui de BŽziers compte un archevque et cinq Žvques pour deux dŽputations, quatre sur six sont donc ŽliminŽs d'office.

L'Žlection mŽlange suffrage indirect (dŽlŽguŽs) et direct. Des Žvques qui prenaient de haut leurs curŽs sont ŽvincŽs. D'autres, habituŽs ˆ saisir d'office la direction des opŽrations, se font rabrouer. Au contraire, bien des fois, l'Žvque est Žlu automatiquement ou impose son candidat. Bref, au total une cinquantaine d'Žvques dŽputŽs. Mais ils psent lourd car, remarque PŽronnet, ceux qui ont ŽtŽ Žlus aux Etats GŽnŽraux dirigent de grands diocses comprenant des centaines de paroisses, approximativement les trois-quarts du total. Et lorsque les couches supŽrieures du clergŽ rŽussissent ˆ contr™ler l'Žlection, elles Žcartent les curŽs au profit de chanoines ou autres.

Deux cas particuliers, exceptŽs du Rglement gŽnŽral, vont ˆ l'extrme, le DauphinŽ (0% curŽs) et la Bretagne (100%).

Le DauphinŽ prŽcurseur (journŽe des tuiles, Vizille, etc.) s'est redonnŽ ses Žtats provinciaux. Ceux-ci, fin 1788, de leur propre chef, Žlisent leurs dŽputŽs aux Žtats gŽnŽraux, dont quatre pour le clergŽ. Ce pays qui, dans les annŽes 1780, a ŽtŽ au cÏur du mouvement "syndical" des curŽs (cf. infra), n'en envoie aucun ˆ Versailles [69] : comme ˆ l'assemblŽe du clergŽ, ils n'ont pas ŽtŽ admis ˆ dŽsigner leurs reprŽsentants.

Le cas breton est inverse (cf. ƒgret, 1955). Excipant de leurs privilges garantis par le traitŽ de rŽunion (1532), les Žtats de Bretagne, dominŽs par la noblesse [70], prŽtendent Žlire directement leurs dŽputŽs aux Žtats-gŽnŽraux. Le Tiers proteste : Žmeutes, ŽchauffourŽes, et dŽbut de guerre civile. Compte-tenu du blocage, un Rglement du 16 mars 1789 maintient la rgle gŽnŽrale pour le Tiers et fixe un rŽgime spŽcial pour les autres : le clergŽ infŽrieur se rŽunira aux siges des neuf diocses, et les ordres privilŽgiŽs ˆ Saint-Brieuc. Accueilli avec satisfaction et appliquŽ par le tiers Žtat et le clergŽ infŽrieur, le rglement fut repoussŽ par les ordres privilŽgiŽs, assemblŽs ˆ Saint-Brieuc du 16 au 20 avril, qui refusrent de nommer des reprŽsentants aux ƒtats gŽnŽraux. Une fois encore, ils suivaient l'impulsion des meneurs de la noblesse (ƒgret). A l'opposŽ du DauphinŽ, le bas clergŽ breton Žlit directement ses reprŽsentants ˆ l'abri des pressions et manipulations du haut clergŽ [71]. Ils sont pratiquement tous des recteurs (curŽs) et formeront ˆ Versailles un groupe actif (club breton), d'autant plus libres que leurs Žvques restent en Bretagne.

Un pamphlet du temps dit que le premier ordre est ˆ l'image des Žtats gŽnŽraux, avec un clergŽ (les Žvques), une noblesse (la couche supŽrieure du second ordre) et un tiers (le reste) : La seconde [catŽgorie] comprend les AbbŽs, Abbayes, BŽnŽficiers & Chapitres. Cette portion du ClergŽ n'a d'autres fonctions que de consommer les revenus ; assez puissante pour se garantir de la premire [Žvques] & assez injuste pour dŽdaigner & opresser la troisime, composŽe des CurŽs, Vicaires & Desservans. Ceux-ci sont le peuple  EcclŽsiastique.

En effet, si le premier ordre du premier ordre se dŽfinit hiŽrarchiquement et sacramentellement (Žvques), son second ordre comprend de nombreuses classes : vicaires gŽnŽraux, chanoines, abbŽs etc., curŽs en titre, plus les desservants et prtres vagues (sans affectation) qui ne sont pas Žligibles. ThŽmines, Žvque de Blois, arguera que le second ordre ne s'identifie pas aux curŽs et puisque, ajoute-t-il astucieusement, ces derniers sont trop indispensables ˆ leur paroissiens pour s'absenter, il vaut mieux Žlire des membres des classes supŽrieures du clergŽ.

La liste dŽtaillŽe des dŽputŽs (Houttin, 1916, suivant Brette, 1897), permet de catŽgoriser les 303 reprŽsentants du clergŽ ayant siŽgŽ dans la premire pŽriode des Žtats (y compris les supplŽants venus remplacer un dŽputŽ) : on trouve 51 Žvques, 60 du second ordre supŽrieur et 192 curŽs. Encore, parmi ceux-ci, faudrait-il pouvoir distinguer entre gros et petits, pensionnaires et titrŽs, d”miers et congrus, riches et indigents, Žlus volontaires et malgrŽ eux. Nombre de curŽs n'ont pas cherchŽ l'Žlection : un voyage ˆ Paris cožte cher, ainsi qu'un sŽjour ˆ la durŽe imprŽvisible ; ils rŽpugnent ˆ renoncer ˆ leurs habitudes, ˆ abandonner leurs paroissiens et ˆ dŽlaisser leurs champs (quand ils en ont, comme le bon Barbotin, curŽ de Prouvy, prs de Valenciennes, dŽputŽ rŽticent Ñ cf. Aulard, 1910).

L'arithmŽtique des idŽes et des votes ne se rŽduit donc pas ˆ 50 Žvques contre 200 et chacun des trois groupes se divisera. Au moment crucial du scrutin sur la rŽunion au Tiers, les voix se partageront par moitiŽ et chaque camp se dŽclarera gagnant.

ii) la chambre du clergŽ

Si les curŽs, y compris le paisible Barbotin, ont une dent contre les Žvques, les tŽmoignages dont on dispose [72] montrent qu'ils restent sous leur influence. Les Žvques qui, dans leur propre chambre, ne se mlent pas ˆ eux, s'ingŽnient ˆ les sŽduire, les invitent ˆ d”ner, les promnent ˆ la Cour. Lorsque leurs tergiversations commenceront ˆ Žchauffer certains curŽs, c'est encore chez un Žvque, l'ambitieux Champion de CicŽ, qu'ils se rŽuniront le soir pour dŽbattre et arrter leur tactique.

Le 6 mai, le clergŽ assemblŽ dans sa chambre, le vieux cardinal-archevque de Rouen prend d'autoritŽ la prŽsidence. Rapidement, arrivent des dŽputations du Tiers, invitant respectueusement le premier ordre ˆ se joindre ˆ lui et ˆ la noblesse, pour vŽrifier en commun les pouvoirs. L'invite, rŽitŽrŽe maintes fois, ne surprend pas : elle a dŽjˆ ŽtŽ formulŽe dans les assemblŽes Žlectorales qui, ici et lˆ, y ont cŽdŽ.

Je n'entre pas dans les dŽtails. Entre la Noblesse qui joue cavalier seul et le Tiers qui appelle ˆ la rŽunion des ordres, le ClergŽ atermoie. Il multiplie les commissions et les dŽputations qui rencontrent sans rŽsultat celles des autres ordres. Au cours de ces six semaines de guerre des nerfs o les Žtats semblent avorter, la Noblesse, trs vite, se dŽclare constituŽe (par 193 vs 31 voix) et le ClergŽ dŽpouille lentement les cahiers des baillages apportŽs par les dŽputŽs. Il passe beaucoup de temps en messes, processions et distribution d'eau bŽnite. Les Žvques, habituŽs de longtemps aux assemblŽes, en connaissent toutes les tactiques. Ils contr™lent l'ordre du jour et le procs-verbal "provisoire" des sŽances, ce qui soulve l'Žtonnement des curŽs mais pas encore leurs protestations. Dans les votes, le parti Žpiscopal l'emporte rŽgulirement car, Žcrit Barbotin ˆ son correspondant [73], plusieurs curŽs sont de ce parti, sŽduits par promesses, par menaces, par l'amour de la monarchie et de la religion qu'on leur fait voir comme abandonnŽes aux caprices du tiers. Il commente  dans une autre lettre : la principale politique des Žvques est de veiller sur les mots et d'arranger les propositions de faons qu'elles ne les obligent ˆ rien. Quatre ou cinq seulement sont de notre c™tŽ... Aussi sont-ils mŽprisŽs de leurs confrres, insultŽs mme, et de la voix et du geste.

Les confŽrences de conciliation appelŽes par le roi ayant ŽchouŽ, le 12 juin le Tiers formule une dernire invitation qui cause un grand embarras aux membres du clergŽ partisans de la rŽunion. Ils se sentent en minoritŽ, les prŽlats et tous leurs adhŽrents Žtant en grand nombre, et craignent aussi, en rejoignant le Tiers individuellement, de provoquer une division [de l'ordre] qui deviendrait funeste et pourrait occasionner la dissolution des Žtats. La proposition du Tiers suscite un vif dŽbat. Les Žvques, insistant sur le danger de la prŽcipitation (!), dŽcident que chaque dŽputŽ exposera son opinion pour ou contre la vŽrification des pouvoirs en commun. Le 13, le 15, le 16, le 17 et le 19 juin, les discours se suivent.

On finit quand mme par arriver au vote : il ne se fait pas simplement par oui/non mais en adhŽrant ˆ l'un des 4 avis dont, en substance, le premier propose que le clergŽ imite la Noblesse en se dŽclarant constituŽ, et le second la vŽrification en commun. Le premier, celui du parti Žpiscopal, recueille 132 voix et le second 129. Mais, aprs le dŽpouillement, des reports de voix renversent la situation en donnant au second avis une majoritŽ de 141 [74] contre 134. La premire majoritŽ conteste le rŽsultat et, pour empcher la nouvelle de parler au nom du ClergŽ, les Žvques et leurs partisans quittent tumultueusement la salle. Les autres  restent et, avec huit absents qui s'y sont joint, arrtent que La pluralitŽ des membres du ClergŽ assemblŽ, a ŽtŽ d'avis que la vŽrification dŽfinitive des pouvoirs serait faite dans l'AssemblŽe gŽnŽrale, sous la rŽserve de la distinction des Ordres et autres rŽserves de droit.

Attention ! vŽrification en commun ne signifie pas "fusion", mme si quelques-uns la souhaitent. D'ailleurs, le vote du 19 juin ne prŽjuge pas de l'attitude ultŽrieure des intŽressŽs [75]. Il s'agit de constituer les Žtats (assemblŽs en vain depuis le 8 mai) pour commencer enfin ˆ travailler. Et mme lorsque, par ordre du roi, le ClergŽ dans son ensemble se rŽunira, ce sera sous rŽserve de la prŽservation de son ordre en tout ce qui le concerne.

On voit qu'il est abusif de parler d'Žvques vaincus aux Žlections et dŽbordŽs par des curŽs fougueux.

  Le 20, l'accs ˆ la salle du clergŽ est interdit en raison de la prochaine sŽance royale. Le 22, la nouvelle majoritŽ se retrouve chez l'archevque de Bordeaux et, sous la houlette de l'archevque de Vienne, va rejoindre le Tiers qui, lui aussi exilŽ de sa salle, sige ˆ l'Eglise St Louis. Le 23 a lieu la malheureuse sŽance royale. Le 24 l'ensemble du clergŽ se rŽunit ˆ nouveau, dans une extrme tension en raison des contestations du vote du 19 et des effets contradictoires du discours du roi. Alors la sŽparation est consommŽe : la "majoritŽ" quitte la salle pour les Communes, prŽcŽdŽe par ses deux archevques et ses trois Žvques.

La "minoritŽ", s'appuyant sur la dŽclaration du roi, continue ˆ siŽger jusqu'au 27 juin comme s'il ne s'Žtait rien passŽ. Elle fait dresser et imprimer un procs-verbal du vote du 19 pour Žtablir qu'elle est la majoritŽ lŽgale, la seule qui fasse la loi des Corps [76]. Le 24 juin, en l'absence de la moitiŽ de la chambre, cette majoritŽ proclame constituŽ l'ordre du clergŽ. Le 26 juin, cet ordre affiche sa bonne volontŽ en arrtant que le ClergŽ consentait ˆ ce que  les biens ecclŽsiastiques supportassent toutes les impositions, proportionnellement ˆ leurs revenus, sans exemptions pŽcuniaires [77]. MalgrŽ la dŽfection de la moitiŽ des dŽputŽs, les Žvques ont gagnŽ et sauvegardŽ leur chambre, prte ˆ siŽger aux Žtats en tant qu'ordre constituŽ.

Coup de thŽ‰tre ! le 27, la Cour cde ˆ la peur de l'Žmeute et le roi Žcrit : j'engage mon clergŽ ˆ se rŽunir, sans dŽlai, avec les deux autres Ordres pour h‰ter l'accomplissement de mes vues paternelles. La "minoritŽ" du clergŽ et la majoritŽ de la noblesse (qu'une lettre dŽsespŽrŽe du comte d'Artois a dŽcidŽe) se rendent en procession ˆ la salle du Tiers. Nos Žvques sont doux comme des petits moutons, note Barbotin. Ils plient sous l'orage [78], en attendant le changement de gouvernement qui se trame et l'intervention de la force militaire qu'on rassemble.

Pour le parti Žpiscopal et la noblesse [79], la distinction des ordres est essentiellement liŽe ˆ la constitution du royaume et ils ne se mlent que pour dŽlibŽrer en commun sur les affaires d'une utilitŽ gŽnŽrale. A l'assemblŽe, dŽsormais nationale, chacun des ordres privilŽgiŽs Žvitera de se mler au Tiers et, aprs les sŽances communes, se rŽunira ˆ part. Mais ces tentatives de conserver la tradition seront vite balayŽes par la rŽvolte parisienne.

La dŽfection tardive de la moitiŽ des dŽputŽs du clergŽ a sauvŽ le Tiers dont l'Žnergique inertie commenait ˆ s'Žpuiser et, ainsi, achevŽ les Žtats gŽnŽraux. Le ClergŽ a perdu le droit de veto que lui confŽrait le vote par ordre. Il est englobŽ et partiellement dissous dans une immense cohue d'Žgaux bavards dont les tŽnors se disputent les applaudissements des tribunes et qu'entoure l'Žmeute ou sa menace. La tactique d'assemblŽe change de dimension et de mŽthodes, les talents des Žvques ne leur servent plus. NŽanmoins, ils n'abandonnent pas.

c) les Žvques et l'assemblŽe

L'AssemblŽe cherche ˆ t‰tons ˆ dŽfinir les contours d'une dŽmocratie royale que les deux extrmes refusent. Sa confusion n'a d'Žgale que celle du royaume depuis la grande peur de l'ŽtŽ 1789. Dans quel capharnaŸm sont tombŽs nos Žvques ! Ds aožt, leurs "traitres" reoivent leur rŽcompense : Champion de CicŽ devient garde des sceaux et le na•f archevque de Vienne  ministre de la feuille c.-ˆ-d. des nominations aux prŽlatures.

Dans l'AssemblŽe, les Žvques useront de leur vieille mŽthode : s'appuyer sur la Religion pour sauvegarder l'existence du ClergŽ en tant que corps. Mais, dans le nouveau contexte, a ne fonctionne plus. Plus subtilement, ils essaieront de se conserver en accommodant la CCC, tentative que torpille le serment rŽpulsif (D. du 27 novembre) (ii).

i) se couvrir de la Religion

Je ne tenterai pas d'Žcrire l'histoire de l'AssemblŽe Nationale du point de vue du clergŽ, la documentation manque [80] et trop d'auteurs soutiennent que les philosophes (resp. les Žvques) voulaient dŽtruire la "religion" (resp. la "rŽvolution"). Je me limite ˆ survoler les mois qui prŽcdent la CCC.

Rappelons-nous ces mots de Barbotin : la principale politique des Žvques est de veiller sur les mots et d'arranger les propositions de faons qu'elles ne les obligent ˆ rien. L'Eglise dure, les hommes passent : ce qu'on perd se retrouvera. LÕƒglise est Žternelle et lÕerreur nÕa quÕun temps.

Le D. du 11 aout 1789 relatif ˆ l'abolition des privilges a l'avantage de dŽbarrasser les Žvques des annates (art. 12) et  l'inconvŽnient de supprimer les d”mes (art. 5). Ce cadeau de 70 millions aux propriŽtaires de fonds reste ˆ la charge de la nation qui doit dŽsormais assumer les dŽpenses correspondantes du culte sans en avoir les moyens. En mme temps qu'elle augmente les dŽpenses, l'AssemblŽe est obsŽdŽe par le dŽficit et la dette [81] : nagure, Calonne, pour obtenir de l'assemblŽe des notables de 1787 la subvention territoriale Žgalitaire qui rŽtablirait les finances, a dŽchirŽ le voile. Le dŽficit devient alors la question nationale, un cauchemar public d'autant plus violent que les comptes bleus de Necker avaient endormi l'opinion et fait croire ˆ la bonne santŽ des comptes publics.

L'AssemblŽe refuse solennellement la banqueroute. Mais les crŽanciers n'en sont pas payŽs pour autant : les imp™ts ne rentrent plus et le crŽdit est mort. Aussi, comme ˆ Pontoise en 1561, maints dŽputŽs du Tiers et de la noblesse se dŽfaussent sur le clergŽ. Les biens ecclŽsiastiques dont on s'exagre la valeur suffiront ˆ tout : ils supplŽeront ˆ la disparition des revenus du clergŽ, ils paieront le dŽficit, ils rembourseront la dette, et il en restera encore. L'exposŽ de Talleyrand ˆ l'appui de sa motion du 10 octobre 1789, malgrŽ la qualitŽ de l'argumentation, ressemble au conte de Perrette et le pot au lait. En rŽalitŽ, nul ne sait combien on tirera d'argent de ces biens, ni comment on s'y prendra. S'ensuit, le plus long, le plus cŽlbre et le plus vain [82] des dŽbats de l'AssemblŽe qui, le 2 novembre 1789, dŽcrte que les biens ecclŽsiastiques sont ˆ la disposition de la nation (art. 1) [83] et, pour rassurer les curŽs, leur promet un revenu minimum de 1200 livres non compris le logement et les jardins (art. 2).

La dŽcision de vendre pour 400 millions de biens nationaux et d'anticiper le produit par l'Žmission d'assignats (DŽcret des 19-21 dŽcembre 1789) enclenche une monŽtisation fatale qui, en palliant la disparition des recettes fiscales, supprime la contrainte budgŽtaire et provoquera une inflation ravageuse, sur le plan Žconomique et politico-social [84].

Les Žvques Žvitent l'erreur de dŽfendre leur propriŽtŽ : ils cdent ˆ la force, tout en niant la lŽgalitŽ de l'expropriation. Ils font le gros dos et, tant que leurs biens ne sont pas vendus, en conservent l'administration et les revenus. Il faut du temps pour les inventaires, les Žvaluations, la dŽfinition des procŽdures et leur mise en Ïuvre. Jusque lˆ, rien n'est dŽfinitif.

MalgrŽ ses collgues [85], Boisgelin, l'archevque d'Aix, tente de refaire en grand la manÏuvre de Poissy [86]. Suite au dramatique rapport Necker du 24 septembre 1789, il propose ˆ la nation qui a perdu tout crŽdit, d'emprunter 400 millions gagŽs sur les biens du clergŽ et de les mettre ˆ la disposition de la nation. Le Chapelier n'est pas dupe : Le clergŽ offre des dons... Redoutez ce piŽge ; il veut sortir de sa cendre pour se reconstituer en ordre : ces dons sont plus dangereux que notre dŽtresse (2 novembre) [87].

Un dŽfenseur du clergŽ Žcrira en 1791 : A quelque Žpoque que le clergŽ ežt fait l'offre de 400 millions, sa perte Žtait jurŽe. Son existence comme corps politique Žtait l'objet de la haine des faiseurs. (Lettre de M.*** ˆ M.***)

L'ambivalence clergŽ/religion est la dernire ligne de dŽfense du corps. Ds l'ŽtŽ 1789, au cours de la discussion sur les droits de l'homme, le roide Bonal, Žvque de Clermont, demande que les principes de la constitution franaise reposent sur la religion [catholique] comme sur une base Žternelle (22 aožt 1789).

L'abbŽ Maury va plus loin : Vous n'avez encore rien prononcŽ sur la religion de l'Etat, et dŽjˆ vos discussions se portent vers l'existence politique du clergŽ (13 octobre1789). Le mme jour, l'abbŽ d'Eymar met aussi l'accent sur la nature particulire du clergŽ. Qu'il ne soit plus un ordre ne lui enlve pas sa singularitŽ : en avouant, et en accordant que la nation a le droit de supprimer des corps politiques particuliers dans l'Etat, il ne s'ensuit nullement qu'elle ait celui de dŽtruire un corps qui la dŽformerait elle-mme s'il en Žtait sŽparŽ [mon soulignement], un membre essentiel de son propre corps ˆ elle, une portion intŽgrante de son existence constitutionnelle.

En donnant juridiquement le statut de religion nationale au catholicisme, l'Etat s'engagerait ˆ ne lui dicter ni ses dogmes, ni ses lois et s'abandonnerait ˆ l'Eglise [88], c-ˆ-d. au clergŽ dont il reconna”trait par lˆ le statut spŽcial et l'identitŽ collective.

La majoritŽ de l'AssemblŽe le comprend si bien que, quoique catholique en masse, elle refuse de dŽcrŽter la religion nationale, au motif qu'elle l'a dŽclarŽ et reconnu de facto en mettant ˆ la charge de la nation les frais du seul culte catholique. Cet argument sera opposŽ ˆ la motion La Fare (13 FŽvrier 1790 [89]) et ˆ celle de Dom Gerle (12 avril 1790 [90]). Le paradoxe est bien formulŽ par le marquis de Clermont-Lodve (13 avril) : Je suis ŽtonnŽ que sous le prŽtexte d'un profond respect pour la religion, on finisse par dire qu'il n'y a  pas lieu ˆ dŽlibŽrer sur une motion qui tend ˆ consacrer le respect de tous pour la religion...  

Cette fois, les minoritaires ne se contentent pas de protester au sein de l'AssemblŽe : ils se rŽunissent aux Capucins et, par un acte dŽlibŽrŽment scissionniste, adjurent la nation de ne pas souffrir la trahison de ses cahiers ; ils s'adressent aux Žlecteurs en publiant la DŽclaration d'une partie de l'AssemblŽe Nationale sur le dŽcret rendu le 13 avril 1790 concernant la religion (Paris, Gattey), avec environ 300 signatures nominatives [91]. Plus tard, dans le rapport qui conduira au dŽcret sur le serment (26 novembre 1790), Voidel stigmatisera cette coupable protestation faite par une partie de cette AssemblŽe le 19 avril sur le dŽcret du 13, dŽclaration qui fut le signal de la rŽvolte des ecclŽsiastiques. De fait, la motion inspire la DŽlibŽration des citoyens catholiques de la ville de N”mes, du 20 avril dernier [92] qui, approuvŽe ou condamnŽe, circulera largement dans le royaume et dont l'effet sera multipliŽ par les violences de juin.

ii) accommoder la CCC

Quand, suite aux rapports Chasset (9 avril 1790), Martineau (21 avril) et Expilly (20 mai), la CCC vient ˆ l'ordre du jour de l'AssemblŽe (29 mai), la majoritŽ dont la dŽcision est dŽjˆ prise, veut la dŽlibŽrer aussit™t, article par article. Les Žvques de Clermont (de Bonal) et de N”mes (du Lau) rŽclament qu'on suive l'usage constamment Žtabli dans cette AssemblŽe, de discuter d'abord l'ensemble des plans. L'AssemblŽe le concde. Boisgelin, dans une longue dŽclaration contre les dispositions de la CCC, nie que l'AssemblŽe puisse dŽlibŽrer sans consulter l'Eglise et demande un concile national [93]. Tout de suite, le 31 mai au matin, l'AssemblŽe ferme le dŽbat et passe ˆ l'examen des articles. Le soir, quand arrivent les six premiers, relatifs ˆ l'Žpiscopat, l'Žvque de Clermont rŽcuse la compŽtence de l'AssemblŽe, l'archevque d'Arles la supplie de statuer sur la demande d'un renvoi ˆ un concile national... et le craintif Žvque de Lydda (Gobel), tout en approuvant l'AssemblŽe de redouter une pareille convocation [concile], propose : ne pourriez-vous pas dire que quant aux objets qui ne sont pas de votre compŽtence mais de la juridiction spirituelle, le roi sera suppliŽ de prendre ˆ cet Žgard les voies canoniques ? [s'adresser ˆ Rome].

Aprs, la discussion close ne cesse de se rouvrir, malgrŽ ceux qui veulent liquider l'affaire (La discussion Žtait fermŽe hier, on la recommence aujourd'hui). Les Žvques et les dŽputŽs de droite qui les soutiennent refusent de participer aux dŽbats, pour signifier l'inaptitude de l'AssemblŽe en matire spirituelle.

PromulguŽe fin aožt, la CCC reste lettre morte. Certains Žvques rejettent en bloc le nouveau rŽgime et agitent leur clergŽ contre lui (en particulier, le bouillant Le Mintier, ci-devant Žvque de TrŽguier). D'autres rŽclament de lui donner forme canonique au moyen d'un concile national ou du pape, Žgalement refusŽs pour ne pas laisser les Žvques s'assembler en corps, ni reconna”tre l'autoritŽ de Rome sur l'Eglise de France. L'AssemblŽe affecte d'ignorer les nŽgociations avec Rome dont des Žvques prŽtextent pour repousser l'application de la CCC [94]. Le temps jouera contre eux, et ce sera le dŽcret du 27 novembre.

De leur c™tŽ, le pape et le consistoire n'apprŽcient ni la suppression des annates, ni d'tre mis hors jeu en matire de dispenses (lucratives), ni la saisie des biens du clergŽ, ni la libŽration des rŽguliers de leurs vÏux, ni les troubles d'Avignon et du Comtat... et moins encore la CCC. Mais ils ne prennent pas encore position. Outre la lenteur des communications, les divisions des cardinaux, la lenteur proverbiale de la Cour de Rome et ses deux mois de vacances de fin d'ŽtŽ, Pie VI fait preuve de circonspection [95]. Lorsque  Expilly, premier Žvque Žlu (31 octobre), lui Žcrit en tŽmoignage de lÕunitŽ de foi et de la communion quÕil doit entretenir avec lui (art. I. 19 de la CCC), le pape attend le 13 dŽcembre pour rŽpondre par le nonce quÕil ne lui accorde rien prŽsentement, quÕil va rŽflŽchir.

Depuis juillet, le roi et le Pie VI ont ŽchangŽ des lettres, des Žvques Žcrivent, le nonce rapporte (pas trs bien). Nul n'a la na•vetŽ de croire ˆ la possibilitŽ de modifier la CCC. La seule alternative : la condamner ou lui adapter l'Eglise de France.

Trs t™t, l'abbŽ Barruel a indiquŽ d'habiles moyens d'exŽcution qui baptiseraient la CCC (Journ. Eccl., juin et juillet 1790) [96]: l'AssemblŽe a omis les voies canoniques, elle ne les interdit pas, on peut s'y conformer mme si les autoritŽs veulent les ignorer. Le pape, supplŽant au concile aujourd'hui impraticable, reconna”trait la nouvelle division des diocses (malgrŽ l'attention qu'a toujours l'Žglise de maintenir les anciens siges..., elle saura... se prter ˆ des changemens que les circonstances exigent) ; il dŽlŽguerait aux mŽtropolitains la confirmation des Žvques (ce qui la rendrait lŽgitime) ; Žvques et mŽtropolitains examineront sans compromis les curŽs et Žvques Žlus (ce qui rŽduira le r™le de l'assemblŽe populaire ˆ proposer un candidat) ; l'Žvque consultera son presbytre avant de dŽcider, comme cela s'est toujours fait (et dŽcidera comme cela s'est toujours fait) ; les vicaires dŽsignŽs par des curŽs (canoniquement inaptes ˆ leur confŽrer la juridiction pŽnitentielle) seront instituŽs par l'Žvque afin qu'il n'y ait pas de fausses absolutions. Le plan est ingŽnieux et, tout en laissant subsister maintes occasions de conflits, maintiendrait l'ancien clergŽ dans la course et garderait le jeu ouvert.

De mme, La Tour du Pin, Žvque d'Auch, dans son mŽmoire au pape du 7 aout 1790, signale avec force et prŽcision les vices de la constitution ; mais sur chaque article il indique les concessions qu'on pourrait faire. Au point qu'on sort de cette lecture avec la conviction que l'acceptation presque totale de la constitution civile du clergŽ est possible, et mme probable, avec l'assentiment du pape (Sicard, II, p 396 [97]).

La Constitution civile du clergŽ est aussi on oublie trop souvent une nŽgociation diplomatique qui tourne court  (Langlois, 1990), et aussi une concurrence "intragallicane" entre le roi et les Žvques [98] . Dans sa lettre du 28 juillet ˆ Pie VI, le roi, en tant que protecteur de l'Eglise gallicane, le prie de rendre canonique la CCC qu'il vient de sanctionner. Pour cela, (s'inspirant de Barruel ?), il demande les concessions suivantes : 1) autoriser temporairement la nouvelle distribution des mŽtropoles, avec la crŽation de celle de Rennes, 2) inciter les Žvques ˆ accepter la nouvelle rŽpartition des diocses, 3) accepter le remplacement des chapitres, 4) et les Žlections Žpiscopales, 5) laisser les Žvques accorder les dispenses rŽservŽes au pape.

Les archives vaticanes montrent (Pelletier, 2004) que l'ambassadeur de France, de Bernis, malgrŽ ses sentiments personnels, a fidlement transmis les propositions du ministre des affaires Žtrangres, Montmorin. Le pape, historiquement mŽfiant ˆ l'Žgard de la susceptibilitŽ de l'Eglise gallicane, craint de provoquer lui-mme le schisme qu'il redoute, si les Žvques sont aussi divisŽs que le pense son nonce ˆ Paris. Tandis que les radicaux rugissent, Champion de CicŽ et Lefranc de Pompignan, ministres de Louis XVI, l'ont poussŽ ˆ sanctionner la CCC et Boisgelin, le plus dŽliŽ Žvque dŽputŽ, convie le clergŽ ˆ la conciliation.

Son Exposition (30 octobre), d'abord signŽe par seulement sept archevques et vingt-trois Žvques dŽputŽs, obtient peu ˆ peu l'adhŽsion ambigu‘ de beaucoup d'Žvques et rallie la moitiŽ des curŽs-dŽputŽs [99] : on retient toujours de l'Exposition sa dŽnonciation de la CCC, alors que, en mme temps, elle suggre au pape de faire la part du feu. Boisgelin le dira clairement au roi (Lettre du 1 dŽcembre 1790) : Votre majestŽ peut juger ˆ quel point l'exposition des principes Žtoit faite pour concilier les difficultŽs, puisque les moyens de conciliation n'en sont que les consŽquences.

Boisgelin revient ˆ la charge, mme aprs le D. du 27 novembre, quand le roi lui demande conseil : Les Žvques sages seront forcŽs, en dŽpit d'eux-mmes, de refuser le serment, si les formes ne sont pas remplies... Il faut donc presser le pape de remplir les formes en accordant les concessions demandŽes. C'est alors, Sire, qu'un second courier doit arracher au pape un consentement forcŽ [100]. Ainsi, le dŽcret deviendrait sans objet puisque l'Eglise de France se rallierait ˆ la CCC.

N'oublions pas que Pie VI, pour maintenir l'unitŽ de l'Eglise, avait choisi le silence face aux rŽformes radicales de Joseph II qui, assouplies aprs sa mort (fŽvrier 1790), dureront. A l'automne 1790, rien n'est plus incertain que l'avenir d'une France marquŽe par les troubles intŽrieurs, la menace de banqueroute et le chaos gŽnŽral. Accepter la CCC, aussi dŽtestable soit-elle, constituerait une position d'attente : les Žvques supprimŽs dŽmissionneraient, le reste du clergŽ assurerait ses fonctions, et les mŽtropolitains reprŽsenteraient implicitement le pape, jusqu'ˆ ce que les choses se calment.

Volontairement ou non, l'AssemblŽe coupe les ponts en adoptant et exŽcutant prŽcipitamment l'impolitique dŽcret de novembre que, pressŽe, effrayŽe et orgueilleuse, elle impose ˆ tout le clergŽ en poste, ˆ peine de rŽvocation. Le roi cde ˆ la pression le 26 dŽcembre. Le 4 janvier 1791, les Žvques-dŽputŽs, sommŽs de prter serment ˆ l'AssemblŽe dans le tumulte des tribunes et de la rue [101], accumulent les protestations, dignes et spectaculaires, dŽveloppant le thme ma tte est aux hommes, mon ‰me n'est qu'ˆ Dieu. Vivement condamnŽes d'un c™tŽ et tout aussi applaudies de l'autre, elles courent ˆ travers le royaume, stimulant les Žvques non dŽputŽs, et transformant les rŽticences en refus. Le serment proposŽ par l'irrŽductible Žvque de Clermont, exceptant formellement les objets qui dŽpendent essentiellement de l'autoritŽ spirituelle, devient un modle [102]. Selon les termes de la Luzerne (21 janvier 1791), on ne peut pas se soumettre ˆ la constitution tracŽe par l'AssemblŽe jusqu'ˆ ce que la puissance spirituelle l'ežt consacrŽe.

De lˆ datent la division du clergŽ [103], les dŽmissions forcŽes, les doubles Žvques, les doubles curŽs, le dŽsarroi des fidles, les violences contre le culte "romain". De faux brefs du pape circulent, pour ou contre la CCC [104]. Sa premire condamnation (bref Quod Aliquantum du 10 mars 1791, adressŽ aux Žvques-dŽputŽs), si elle para”t tardive par rapport ˆ la CCC de Juillet, arrive au contraire trs vite aprs la fin de cette pŽriode de transition o tout semblait encore possible [105] : le dŽcret du serment a tranchŽ. Le schisme est lˆ, le pape ne risque plus de le provoquer. Plus de mŽnagements, il dit publiquement ce qu'il pense.

Ce sont les intrus qui dŽchirent l'Eglise, d'autant plus intrus que, inquite du grand nombre de remplacements nŽcessaires, l'AssemblŽe, ds le 7 janvier, ramne ˆ cinq ans la durŽe minimale d'exercice pour tre Žligible et supprime la condition diocŽsaine. La CCC, mise ˆ l'Žpreuve, est sur la dŽfensive, comme en atteste l'Instruction du 21 janvier ˆ envoyer partout [106] pour rassurer les populations, et dont les prudences suscitent l'ironie de Maury [107]. L'AssemblŽe redouble le dŽcret du 27 novembre par un dŽcret d'application du 27 janvier dont Mirabeau critique la redondance [108].

Le pape tire un coup de semonce : la Lettre apostolique "Charitas" adressŽe, cette fois, ˆ tous les fidles de France (13 avril 1791, connue fin mai) prodigue les condamnations vŽhŽmentes, annule les consŽcrations non canoniques et suspend les intrus [109]. Elle menace les "apostats" de censures plus graves... qui ne seront jamais prononcŽes. Alors que Rome excommuniait systŽmatiquement les Žvques de la petite Žglise d'Utrecht (jansŽniste), les intrus y Žchapperont pour garder ouverte une voie de rŽconciliation, ˆ brve ŽchŽance si le roi retrouve son autoritŽ [110], ou ˆ la fin, quand la rŽvolution se normalisera [111]. Aprs 1791, le pape restera muet, au grand regret des Žvques [112] et des monarchistes exilŽs.

Ainsi, entre juillet et dŽcembre 1790, le roi, les ministres et une grande partie du clergŽ, souhaitaient que le pape transige pour leur permettre de se rŽsigner temporairement ˆ la CCC. Nous n'avons point rejettŽ les voyes de conciliation rŽptent les Žvques dans leur lettre de mai 1791 commentant le bref du pape [113].

 Mais la CCC, au-delˆ de son texte, visait la dŽsincorporation du clergŽ : l'acceptation des Žvques aurait sauvŽ leur existence collective. N'oublions pas que le dŽcret initial les maintenait ˆ leur poste et, mme rŽduits ˆ leur congrue, ils disposaient encore de nombreux moyens et d'une grande influence sur leurs curŽs et leur troupeau : si la rŽgŽnŽration du clergŽ s'opŽrait en flux, au fur et ˆ mesure des renouvellements, les Žvques gagnaient du temps et gardaient leurs chances. C'est ce qui devient Žvident pendant les mois o, prŽtextant l'attente de la dŽcision du pape, ils ignorent la CCC, perturbant de facto la vente des biens nationaux, seul rempart contre la banqueroute imminente. Du coup, paniquŽe par cette bombe ˆ retardement, la CCC la fait exploser (dŽcret de novembre).

On comprend aisŽment que les Žvques, dans une ultime manifestation de leur corps, refusent le serment en dŽclarant la CCC hŽrŽtique et ses supp™ts schismatiques. Mais les curŽs qui gagnaient ˆ la CCC et les fidles qui n'y perdaient rien, pourquoi les imitent-ils ? Certes, la persŽcution religieuse est toujours improductive, comme le montrera encore ˆ la fin du sicle suivant l'Žchec du Kulturkampf de Bismarck : les martyrs ont un potentiel hŽro•sant et une dimension mystique (christique en l'occurrence) qui renforcent ceux qu'on veut affaiblir. Mais on ne peut en rester ˆ cette gŽnŽralitŽ.

2.2. Massification du refus

Les curŽs pouvaient devenir les plus fermes soutiens de la rŽvolution et ne le devaient -ils pas ? Si nombre d'entre eux souffraient depuis longtemps de leur misre et du despotisme des Žvques, le dŽcret du 27 novembre tombe sur eux comme un coup de b‰ton. Mis en demeure de se rŽgŽnŽrer publiquement en adhŽrant ˆ un rŽvolutionnement de l'Eglise qu'ils cherchaient ˆ ignorer, la moitiŽ refuse (a). Les peuples que la question de l'ordre et de la juridiction laisse froids, savaient seulement par ou• dire qu'ils avaient un Žvque. Ils ne se souciaient pas des limites du diocse, et la CCC, comme jadis le concile de Trente, Žtait une rŽforme de l'appareil venue d'en haut qui ne les frappait pas. En outre : Pourquoi le peuple serait-il hostile ˆ une rŽforme opŽrŽe par ceux qui ont supprimŽ la d”me, le casuel, rŽforme qui, en faisant dispara”tre de nombreux abus, lui laisse intacts ses cŽrŽmonies et son culte? (Sicard, II, 350).

Tout ˆ coup, le voilˆ pris dans la tourmente : son curŽ ŽvincŽ et remplacŽ, il lui faut opter pour ou contre l'intrus [114]. C'est le phŽnomne dŽcisif qui opre le changement d'Žchelle et de nature : des Žvques ˆ la multitude, du religieux au civil [115] (b). Beaucoup de fidles pensent comme Cazals : ma science thŽologique se borne ˆ savoir que nous devons soumission ˆ ceux qui ont reu de Dieu leur mission et leur autoritŽ. Sans pour autant vouloir le retour de l'ancien rŽgime, ils vont s'Žloigner de la constitution ou s'opposer ˆ ses effets, dŽchirant un "tissu social" qui craquait dŽjˆ de toutes parts. Cette "contradiction au sein du peuple", durable et cumulative, aura pour consŽquence une radicalisation du pouvoir qui, ˆ son tour, exaspŽrera l'opposition (c).

a) les curŽs

Nous verrons pourquoi l'AssemblŽe s'attendait ˆ ce que les curŽs soient les plus fermes soutiens de la rŽvolution [116] (i). Nous nous demanderons ensuite comment le serment les a frappŽs (ii).

i) situation du bas clergŽ

Le second ordre du clergŽ inclut tout ce qui n'est pas Žvque. Les curŽs n'en sont qu'une classe infŽrieure, ŽcartŽe des instances dŽcisionnelles : ils ne dŽlguent pas au bureau diocŽsain, ni ˆ l'assemblŽe du clergŽ, o ils sont fictivement reprŽsentŽs par des abbŽs, chanoines, grands vicaires etc. qui ne partagent en rien leur expŽrience et leurs exigences. Il en aurait de mme aux Žtats gŽnŽraux sans le Rglement Žlectoral.

Au-dessous des curŽs titrŽs (bŽnŽfice ou congrue), on rencontre leurs vicaires et les desservants, auxiliaires indispensables quand la paroisse est trop populeuse ou contient des Žcarts difficiles d'accs. Autour d'eux, des prtres vagues, liŽs ˆ la paroisse (habituŽs) ou non (communautŽs de prtres), vivent des messes pour les dŽfunts (Gazzaniga, 2013) [117].

A la diffŽrence des simples bŽnŽficiers qui se contentent de toucher les revenus, les curŽs et leurs satellites doivent assurer le culte et les processions, distribuer les sacrements, veiller ˆ la catŽchse et aux bonnes mÏurs, superviser l'Žcole. Ils baptisent, instruisent, confessent, prchent, communient, marient ; visitent les malades, portent l'extrme-onction, consolent les familles, enterrent les morts ; et, dans la mesure de leurs moyens, distribuent des secours en cas de nŽcessitŽ. En outre, ces prtres, passŽs par le sŽminaire, savent lire et Žcrire et participent de l'administration : ils tiennent les registres de l'Žtat-civil ; ˆ la fin de la messe dominicale, ils proclament et commentent les actes lŽgislatifs et administratifs, ainsi que les annonces de la fabrique ; ils jouent un r™le judiciaire, obligŽs de fulminer les monitoires que leur envoie l'officialitŽ ˆ la rŽquisition d'un tribunal civil, enjoignant aux fidles, ˆ peine d'excommunication, de rŽvŽler les faits rŽprŽhensibles dont ils ont connaissance ; ˆ cela s'ajoutent encore les demandes d'information de l'intendant (Žtat d'esprit, rŽcoltes, Žpizooties, maladies, accidents climatiques...). Personnes publiques, ils sont aussi les reprŽsentants de leur collectivitŽ et, surtout ˆ la campagne, servent de relai et de conseil dans les rapports avec les autoritŽs qu'ils remplacent souvent en jouant le r™le d'arbitre ou mme de juge entre leurs paroissiens dont, par ailleurs, faute de notaire, ils reoivent les testaments.

Recevant leurs missions d'en-haut, ils ne sont pas pour autant extŽrieurs au village : frŽquemment autochtones, ils appartiennent ˆ une parentle (voire ˆ un clan) liŽe et opposŽe ˆ d'autres. A la diffŽrence de l'Žvque, rŽceptacle d'un cadet noble sans avenir, le curŽ rŽsulte d'un choix et d'un investissement financier familial, inscrit dans une stratŽgie de promotion. La rŽsignation in favorem crŽe ici et lˆ de vŽritables "dynasties".

Leur situation personnelle varie localement. Elle dŽpend en premier des rapports avec le syndic du conseil de fabrique ou son Žquivalent (cf. De Vaissire, 1933). Le spirituel relve du curŽ, le temporel des habitants : les dŽcimateurs ont ˆ leur charge le chÏur et ses ornements, les habitants (et propriŽtaires non rŽsidents) doivent entretenir ou rŽparer la nef de l'Žglise et ses ˆ-c™tŽs, loger le curŽ (cause frŽquente de contentieux), et secourir les indigents et les malades. Les paysans du xviiie sicle payaient la d”me pour l'entretien du culte et, par dessus le marchŽ, entretenaient le culte, rŽsume Hardy (1911) [118].

D'autres facteurs interviennent pour "positionner" le curŽ : le comportement du cabaretier, son ennemi-nŽ ; le poids et les prŽtentions du seigneur ou de ses reprŽsentants ; la concurrence Žventuelle de fonctionnaires infŽrieurs ou de coqs de village, plus ou moins instruits, qui connaissent l'Žcrit et les formes ; et bien sžr l'importance et les alliances de sa famille lorsqu'il est natif.

Le curŽ titrŽ extrait, non sans difficultŽs [119], ses revenus des biens fonds qui lui sont attribuŽs, ainsi que de la d”me en nature dont le taux effectif dŽpend des lieux et des produits. Les cultivateurs ha•ssent la d”me [120], tant pour la sujŽtion (prŽlvement sur place au moment de la rŽcolte) que pour la ponction qu'elle opre sans profit quand elle ne nourrit mme pas leur curŽ qui, commissionnŽ par un grand dŽcimateur (abbaye, dans de nombreux cas), n'en reoit qu'une partie.

Les curŽs non d”miers reoivent un salaire monŽtaire, la portion congrue. Elle suffirait ˆ leur entretien (d'o son nom) si la hausse des prix n'Žrodait pas sa valeur. Beaucoup de curŽs "sous-d”miers" ont usŽ de la possibilitŽ d'opter pour la portion congrue et prŽfŽrŽ cette rŽmunŽration, modeste mais certaine, aux alŽas climatiques, judiciaires et relationnels de la d”me [121].

La congrue des vicaires en titre est infŽrieure de moitiŽ ˆ celle des curŽs. Quant aux simples desservants, ils n'ont rien et, si leur curŽ ne peut ou ne veut pas subvenir ˆ leurs besoins, ils dŽpendent du casuel : l'offrande volontaire ˆ l'occasion des sacrements de passage ou d'actes cultuels, est devenue une espce de taxe qui, thŽologiquement choquante (simonie), appara”t au fidle comme une extorsion. Aussi, rien de plus populaire que la suppression des d”mes et du casuel par l'AssemblŽe !

Si chaque cure ne ressemble pas ˆ la ferme prospre de notre curŽ Barbotin, tous les prtres chargŽs d'‰mes ne vivent pas dans l'indigence. Parfois "chefs de village", parfois maltraitŽs, ils Žchappent ˆ la gŽnŽralisation. De mme, idŽologiquement, on ne peut pas en faire un groupe "richŽriste" plus ou moins jansŽniste et presbytŽrien. Cependant, dans la deuxime moitiŽ du XVIIIe, les rapports entre "les curŽs" et l'Žpiscopat se tendent, notamment dans les rŽgions les plus pauvres du royaume (Sud-Est, Ouest, Auvergne).

La "rŽvolte des curŽs", qualifiŽe de "syndicale" par Cuillieron (1985), porte sur la rŽmunŽration et la reprŽsentation : pour formuler et exprimer leurs plaintes, les curŽs, isolŽs dans leur paroisse, ont besoin de communiquer entre eux, de se rŽunir et de dŽlŽguer auprs des dŽcideurs. L'abbŽ dauphinois Reymond (1737-1820) est ˆ la fois un symbole et un acteur de ce mouvement du bas-clergŽ.

La congrue (pour ceux qui la peroivent) n'assure plus leur existence, les prive des moyens nŽcessaires ˆ leur sacerdoce (transport, charitŽ) et dŽgrade l'image de la religion dans l'esprit des fidles. Les curŽs se rapportent ˆ sa dŽfinition en nature (25 setiers de blŽ) pour rŽclamer son indexation sur les prix. Les augmentations accordŽes par les assemblŽes du clergŽ sont demeurŽes insuffisantes et inappliquŽes. En outre, la fiscalitŽ interne au clergŽ (dŽcimes) pse davantage sur le bas clergŽ que sur le haut, ˆ la fois par son tarif [122] et par son assiette car les congrues sont connues exactement et les revenus des autres bŽnŽfices sous-estimŽs (Žvaluation conventionnelle ou dŽclarative).

Or ces matires dŽpendent des assemblŽes auxquelles les curŽs, exclus des rŽunions Žlectorales, "participent" par des chanoines ou abbŽs dŽsignŽs par le bureau diocŽsain. Ils veulent dŽputer librement.

A partir de 1776, les congruistes du DauphinŽ entrent dans l'action collective et entreprennent d'inciter leurs confrres des autres provinces ˆ les imiter (ce qui est le cas en Provence et Bretagne). L'assemblŽe du clergŽ consent quelques concessions et, pour arrter les revendications, obtient du roi une dŽclaration (9 mars l782) interdisant aux curŽs du royaume de former entre eux aucune rŽunion ou ligue et  de prendre des dŽlibŽrations sans avoir obtenu une autorisation expresse.

Ainsi, lorsque, en 1787, Calonne, repoussŽ par l'assemblŽe des notables, en appelle des privilŽgiŽs ˆ la nation et expŽdie ˆ de nombreux curŽs son Avertissement [123], il reoit un large Žcho. Le bas clergŽ, ses dŽfenseurs  et les agitateurs, multiplient les brochures et pamphlets pour opposer la misre et les mŽrites des curŽs au luxe et aux vices du haut clergŽ.

En effet, les deux ordres du clergŽ qui, abstraitement, constituent l'Eglise, habitent des univers diffŽrents. L'Žvque, dans son palais Žpiscopal au chef-lieu ou dans son h™tel du faubourg St-Germain, mme quand il se soucie de son diocse, ne s'occupe gure de ses curŽs qu'il est pourtant censŽ instruire et inspecter. Il le fait par dŽlŽgation. Les curŽs actifs, vouŽs au terre-ˆ-terre de leur paroisse, restent sans rapport avec lui et n'en connaissent que les agents.

Dans le clergŽ, il y a une distinction fondamentale d'ordre & de pouvoirs. LÕun est supŽrieur & lÕautre est infŽrieur ; lÕun gouverne & lÕautre est gouvernŽ, dŽclare le hautain ThŽmines (Blois) : l'Žvque et lui seul dispense les sacrements d'ordination et de confirmation ; il a la juridiction de son diocse, nomme ˆ des bŽnŽfices et fixe la mission des prtres ; outre son pouvoir disciplinaire et les censures ecclŽsiastiques, il a l'appui du bras sŽculier.

Les Parlements dŽnoncent le despotisme Žpiscopal et, parmi les curŽs "syndicalistes", certains se risquent ˆ affirmer l'ŽgalitŽ des curŽs et des Žvques : les premiers, successeurs des disciples, sont aussi dignes que les successeurs des ap™tres.

L'annonce des Žtats-gŽnŽraux fait craindre que la reprŽsentation du ClergŽ suive le modle de ses assemblŽes, et que les curŽs soient ŽcartŽs. Heureusement pour eux, les assemblŽes Žlectorales se rŽunissent par baillages et non par diocses (sauf en Bretagne) et, nous l'avons vu, les manÏuvres des classes supŽrieures du clergŽ n'empchent pas les curŽs d'Žlire leurs dŽputŽs (sauf en DauphinŽ), voire de triompher de leur Žvque. C'est le monde ˆ l'envers auquel les Žvques bretons et quelques autres refusent de participer. ThŽmines le mŽprise : Les Žvques ne peuvent ni ne doivent paro”tre dans les assemblŽes de bailliages, en personne ni par procureur, ni accepter aucune dŽputation, pour ne pas approuver une constitution o lÕordre Žpiscopal est jettŽ au hasard... Si quelques Žvques entra”nŽs par leur zele [...] ont paru dans les assemblŽes de bailliage, ils ont ŽtŽ suffisamment avertis de leur imprudence non point par la honte de nÕtre pas Žlus, mais, plut™t par lÕhumiliation de lÕtre dans le rang ou la forme dans lesquels la plupart lÕont ŽtŽ... [124].

A priori, les mesures de l'AssemblŽe exaucent les vÏux de ces curŽs qui jouissaient si peu des biens ecclŽsiastiques : tout le clergŽ passe ˆ la congrue, la leur est augmentŽe ; le pouvoir et le prestige des Žvques sont limitŽs et soumis ˆ la justice civile ; les parasites supprimŽs (rŽguliers, chanoines, bŽnŽficiers sans office etc.) ; enfin, tout curŽ peut, ˆ prŽsent, espŽrer devenir Žvque.

Et pourtant.

ii) la scission

Pour l'essentiel, la constitution civile cible les Žvques. DŽpassant son but, elle atteint les curŽs et les divise.

En 1789, avant la rŽunion des Žtats gŽnŽraux, un certain curŽ Laurent publie un texte que pourrait signer le "syndicaliste" Reymond : un Essai sur la rŽforme du clergŽ par un vicaire de campagne, docteur de Sorbonne. Ce factum, comme nombre d'autres, dŽnonce avec une indignation vŽhŽmente les abus des Žvques, leur despotisme, les inŽgalitŽs au sein du clergŽ et la misre de la religion. Contre tous ces maux, l'auteur rŽclame une loi qui imposerait un temps de service actif minimum pour accŽder aux dignitŽs et aux bŽnŽfices : que ceux qui se destinent ˆ l'Žtat ecclŽsiastique soient obligŽs, par une loi formelle, de passer par les grades qui commandent le travail avant que d'arriver ˆ ceux qui en dispensent, ainsi qu'aux grand bŽnŽfices de l'Eglise (p 12). Ainsi seraient ŽliminŽs les parasites, suscitŽe l'Žmulation et rŽcompensŽ le zle. La CCC rŽpond ˆ sa demande mais lui, ne rŽpond pas ˆ la CCC. Paternellement pris ˆ partie par Barruel dans le Journal ecclŽsiastique de juillet 1789 [125], il se rŽtracte aprs la CCC (Journal ecclŽsiastique d'octobre 1790, p 121 sq.) : pour faire sensation, il a remuŽ la boue et il regrette d'avoir attisŽ le feu de l'insurrection contre les Žvques ; il date son texte du 23 aout 1790 et le signe de son nom. En 1791, refusant de prter serment, il est remplacŽ. ArrtŽ le 30 aožt 1792, il Žchappe de justesse aux massacres de septembre et sÕexile en Espagne.

Au contraire, le vieux combattant Reymond, le type mme du curŽ chŽri par la Constituante, parcourt un chemin rectiligne. Auteur de nombreux ouvrages en faveur des curŽs [126], il contribue ˆ la radicalisation de ses confrres bretons et organise le bas-clergŽ du Sud-Est. EcartŽ de la dŽputation aux Žtats par les manÏuvres des chanoines, il fŽdre les curŽs du DauphinŽ dont les dŽlŽguŽs rŽdigent collectivement leur cahier qu'il publie et adresse ˆ l'AssemblŽe nationale. Ensuite, il prte volontiers serment et devient Žvque constitutionnel de l'Isre (1792-1801), en concurrence avec le rŽfractaire.

Beaucoup qui, comme Laurent, partageaient son Žlan ne sautent pas lorsque le DŽcret du serment, sanctionnŽ le 26 dŽcembre 1790, les met au pied du mur sous huitaine, huitaine qui se compte en semaines ou en mois car il faut le temps que la loi parvienne au fond des campagnes et, selon les endroits, les autoritŽs municipales se pressent plus ou moins de l'appliquer. Cela permet aux curŽs d'apprendre la courageuse rŽsistance des Žvques-dŽputŽs et de recevoir les mandements, instructions, lettres, objurgations, conseils oraux, que leur Žvque et ses agents rŽpandent ˆ profusion pour les Žcarter du serment hŽrŽtique et schismatique.

Nous disposons de statistiques (douteuses) sur les jureurs et les refusants mais, ˆ la diffŽrence des Žvques, ils n'ont pas laissŽ beaucoup d'Žcrits ni de documents personnels. Les pices de procŽdure ne nous informent pas sur leurs pensŽes, ni mme toujours sur leur acte : le serment est contr™lŽ par des autoritŽs municipales dont l'attitude et la rigueur diffrent, quoiqu'elles-mmes soient sous la pression du district et du dŽpartement et, indirectement, de l'AssemblŽe, tous censeurs dont n'importe quel exaltŽ peut activer la rŽpression. Ici, l'administration municipale, complaisante ou indiffŽrente, dŽlivre certificat pour un serment marmonnŽ indistinctement ou assorti de rŽserves. Lˆ, surtout si une rivalitŽ antŽrieure existait avec le curŽ [127], elle l'humilie sous les fourches caudines de la rŽvolution. La variŽtŽ des cas dŽfie l'analyse car le contexte local est toujours spŽcifique. Parfois, l'inventaire ou la saisie de tel ou tel bien ecclŽsiastique aura dŽjˆ suscitŽ l'Žmotion populaire, voire la rŽvolte, ou bien la prŽsence de minoritŽs protestantes provoquŽ des tensions politico-religieuses...

Les "syndicalistes" tendront ˆ jurer, les "royalistes" ˆ refuser. Ecartons ces franges opposŽes pour essayer de former quelques conjectures ˆ propos de la masse des hŽsitants. Ecartons aussi les villes et les bourgs, car plus de 80% de la population, la chair de la nation, est campagnarde. C'est dans l'arrire-pays que tout se joue.

Le plus grand nombre des curŽs ruraux envisage le serment avec une perplexitŽ inquite. Les dŽlais ou retards ne les dispensent pas de l'Žpreuve. L'acceptation, sincre ou non, va dans le sens du courant ; le refus est rupture : le rŽfractaire, mme s'il ne devine pas les persŽcutions ˆ venir et escompte quelque tolŽrance, sait qu'il sera dŽmis, chassŽ de sa maison et ruinŽ.

Le bref du pape jouera bient™t le r™le de drapeau : l'Eglise aura parlŽ. En attendant, les Žvques s'expriment, individuellement et collectivement. Ils dirigent un corps hiŽrarchique, au sens le plus strict du terme (gouvernement du sacrŽ) : leur peuple doit soumission ˆ ceux qui ont reu de Dieu leur mission et leur autoritŽ. MalgrŽ beaucoup de subtilitŽs incomprŽhensibles, leur conclusion percute : l'AssemblŽe a violŽ l'Eglise, comme Luther, Calvin, Henri VIII d'Angleterre... ; elle lui impose le presbytŽrianisme protestant ; le philosophisme veut dŽtruire la religion... Ces idŽes simples (que la propagande caricature encore) ne restent pas sans effet. Que la personne de l'Žvque soit dŽtestable ou vŽnŽrable, Dieu parle par sa voix. En outre, les patriotes, ceux du village ou d'ˆ c™tŽ, les envoyŽs du district, rendent le serment ha•ssable par leurs excs.

IndŽpendamment, certains profitent de l'occasion pour rŽgler leurs comptes avec le curŽ qui sera disputŽ ou battu avec l'un ou l'autre, pour les d”mes, pour l'entretien de l'Žglise, pour sa maison ou sa grange, pour le casuel, pour un terrain ; qui aura sanctionnŽ trop durement un pŽcheur ou manifestŽ une indulgence excessive ; ou dont la parentle leur aura nui...

Le curŽ, mis en demeure d'abjurer publiquement son autoritŽ sacrŽe pour adhŽrer ˆ sa mission civile, a des raisons de ren‰cler. Sa formation, son existence passŽe, son statut, tout est remis en cause, un peu comme si, soudain, il se retrouvait de l'autre c™tŽ du tribunal de la pŽnitence.

De fortes personnalitŽs n'hŽsiteront pas. Les autres opteront ˆ regret. L'extrme variabilitŽ locale et le rŽsultat global (50/50) donnent l'impression d'un tirage ˆ pile ou face. NŽanmoins, la probabilitŽ est conditionnelle.

Paillard, 1970, Žtudiant l'histoire religieuse du dŽpartement du Puy-de-D™me, conclut : Les paroisses troublŽes sont presque toujours celles o lÕancien curŽ a refusŽ le serment... De mme, on reste fidle ˆ lÕancien curŽ sÕil accepte de prter le serment [128]. Le curŽ dŽtient le pouvoir spirituel sur son troupeau et l'exerce depuis des annŽes. Il dispose d'une influence personnelle (et Žventuellement familiale) ainsi que de moyens d'action propres, le prche, les rŽunions de catŽchse, les visites personnelles, la confession et l'absolution : le serment est maudit, qui le prte ira en enfer ! Si le maire est dŽsormais le supŽrieur administratif du curŽ, celui-ci tient la clef de son salut Žternel. Aussi, dans une certaine mesure, le curŽ faonne sa paroisse.

L'inverse n'est-il pas vrai aussi ? Les paroissiens n'influencent-ils pas leur curŽ ? En permanence ˆ leur contact, il vit parmi eux. Comment leur comportement, leurs Žmotions, leur opposition ou leur soutien, voire leurs prises ˆ partie, ne joueraient-ils pas sur sa dŽcision ?

b) les paroissiens

L'hypothse de l'influence des paroissiens sur leur curŽ se prte malaisŽment au test. Les Žvques sont connus en dŽtails ; les curŽs et leurs auxiliaires partiellement, par des monographies locales ou des Žtudes ponctuelles ; le peuple et ses sentiments nous apparaissent ˆ travers des "tŽmoignages" stŽrŽotypŽs ou biaisŽs, une documentation partiale et limitŽe aux faits ; enfin, une "culture" orale laisse peu de traces, mme dans les chansons. Nous savons peu de choses des "mentalitŽs" qu'il serait aventurŽ de reconstruire au moyen de parallles anthropologiques.

Cependant, il faut au moins marquer la place de ces ruraux que le serment va Žloigner d'une rŽvolution qu'ils soutenaient et dont ils profitaient (i). Que reprŽsente leur curŽ pour eux ? (ii)

i) la CCC au village

L'on voit ceux qui sont dans la lumire, pas ceux qui sont dans l'ombre. On parle beaucoup trop des villes, par effet de source (documentation abondante), par cristallisation (siges des autoritŽs) et par fascination (Žvnements spectaculaires). Mais en 1790, les masses profondes vivent ˆ la campagne. On les nŽglige par manque d'information (rŽcemment diminuŽ par d'importants remuements d'archives) et en raison de la dŽcourageante diversitŽ des conditions locales.

Cette zone obscure vire au noir lorsqu'on dŽgenre le regard. Nous connaissons quelques hŽro•nes et Žpisodes, pratiquement rien de la masse des femmes, quoique leur inexistence juridique ne les empche pas de jouer un r™le important. Au contraire. Et pas seulement dans les vitales questions frumentaires. Et pas seulement aprs 1789. Qu'elles se meuvent pour leur propre compte, par procuration ou par substitution ˆ leurs droits civiques absents, leurs rŽseaux de sociabilitŽ facilitent l'action directe (insultes, rassemblements, caillassages, Žmeutes, pillages...), inversion de r™le qui prend les hommes au dŽpourvu. FrŽquemment au premier plan des protestations religieuses, elles crient, maudissent, remplissent leur tablier de cailloux et, endurcies aux travaux physiques, prennent pour armes leurs instruments domestiques. Ds le printemps 1790, il leur arrive de huer ou maltraiter les agents chargŽs de l'inventaire des biens ecclŽsiastiques ou de leur saisie, pour dŽfendre ˆ la fois le sacrŽ et les moyens de charitŽ. En outre, elles contr™lent les enfants qui servent de messagers, de guetteurs, voire de combattants, et elles influencent les hommes de leur famille et parentle. Non seulement, elles protŽgeront leur curŽ mais elles occuperont provisoirement le p™le ci-devant masculin de la vie paroissiale, l'espace autrefois dŽvolu aux vicaires, aux sacristes, aux marguilliers...(LagrŽe, 1982 [129]).

Si les constitutionnels mŽprisants (et leurs hŽritiers) les traitent de fanatiques et usent des stŽrŽotypes sexistes habituels, il leur faut admettre que le refus de la CCC ne se rŽduit pas ˆ une rŽaction gothique de femmes hystŽrisŽes par les jŽsuites et mal contr™lŽes par leur mari, mais constitue une affaire d'Etat de plus en plus menaante.

Pourtant, ˆ nos yeux, les paysans sont alors les grands gagnants des Žvnements [130]. Plus tard, ˆ partir de 1793, la conscription les affectera fortement mais, au moment des jurements, tout va bien pour eux et la CCC passe au-dessus de leur tte. DŽbarrassŽs des droits seigneuriaux, des abbayes aux rŽgisseurs rapaces, de la taille et de la gabelle, ils se dispensent de payer l'imp™t et, souvent, les fermages. La chasse est libre, les forts ouvertes ˆ la dŽvastation. Avec l'abolition des d”mes et la suppression du casuel [131], la religion devient gratuite et la vente des biens nationaux leur permet d'arrondir leur lopin quoique, bien vite, le D. du 3 novembre 1790 les Žvince [132]. Rien de plus logique en apparence que l'adhŽsion de la population au jurement de son curŽ. L'anormal, c'est la rŽticence, le refus, la rŽvolte, l'insurrection antipatriotique de campagnes pourtant antifŽodales.

Le 1er dŽcembre 1790, dans sa lettre au roi (op. cit.), Boisgelin Žcrit : On pense [chez les ŽmigrŽs et ˆ Rome] que le peuple seroit en mouvement pour la religion : ce seroit un grand mal... et ce mal n'arrivera point, parce qu'il s'agit de questions qui sont hors de la portŽe du peuple.

En effet, les arguments canoniques contre la CCC sont abscons et, de plus, contestŽs : de bons catholiques les rŽfutent, tels les jansŽnistes des Nouvelles ecclŽsiastiques, aurŽolŽs du prestige de leur long combat, ou certains curŽs-dŽputŽs (GrŽgoire, par exemple). Ce qui compte, c'est ce que le peuple voit de ses yeux et subit concrtement : sa ville privŽe de sige Žpiscopal [133], son Žvque ou son curŽ malmenŽ ou destituŽ, les chapelles fermŽes et leurs cloches enlevŽes, les circuits caritatifs dŽsorganisŽs, la messe transfŽrŽe dans une Žglise voisine et les biens de la fabrique rŽunis aux siens, le curŽ transformŽ en vicaire [134]... L'arrondissement des paroisses qu'on tend ˆ aligner sur les nouvelles communes exerce des effets ravageurs : De nombreuses paroisses sont supprimŽes, regroupŽes. On ne saurait sous-estimer le trouble que ce bouleversement dÕhabitudes sŽculaires provoque chez les paysans; pour la premire fois sans doute, la RŽvolution se concrŽtise pour eux par des modifications de vieilles traditions; il se produit comme un traumatisme (Paillard, 1970).

L'opposition populaire dŽrive en partie de celle du clergŽ (top down) qui anathŽmise la CCC, qualifiŽe en bloc d'hŽrŽtique et, en simplifiant, de satanique. Mais il se produit aussi une rŽaction distincte et autonome qui, rencontrant les prtres rŽfractaires ou poussant les hŽsitants ˆ l'tre, les prend pour drapeau et en fait son instrument (bottom up).

Ecartons les cas d'obstruction locale volontaire, qu'elle vise politiquement la marginalisation du roi par AssemblŽe, ou qu'elle obŽisse aux instructions des Žvques. Les protestations spontanŽes naissent de facteurs aussi multiples qu'insaisissables, et n'ont pas, d'abord, de caractre oppositionnel : les refusants dŽfendent leur Žglise, leur cloche, leur curŽ, leur fabrique, ils n'attaquent pas la Constitution et, vraisemblablement, ne se rendent pas compte des risques qu'ils prennent, moins encore de la dynamique qu'ils enclenchent. Depuis deux ans, le bouleversement et la confusion ont ŽtŽ si grands, les dŽcrets si nombreux, l'administration si dŽfaillante, que rien ne semble plus tirer vraiment ˆ consŽquence : de mme qu'on a impunŽment coupŽ les bois de haute-futaie, de mme on gardera son curŽ. De fait, dans l'immŽdiat, le prtre non jureur reste ˆ son poste et tout continue comme avant.

Mais voici qu'on apprend que le district lui a donnŽ un remplaant. La CCC attribue l'Žlection au Conseil de district, pas ˆ la paroisse dont tout au plus un ou deux dŽputŽs participent ˆ l'assemblŽe. Le district, plus que le lointain chef-lieu de dŽpartement, incarne le pouvoir constitutionnel. On entendra dans les Žmeutes le cri bržlons le district ! Si la paroisse avait Žlu son curŽ, on n'aurait pas trouvŽ autant de facilitŽ ˆ irriter le peuple des campagnes contre le pasteur qu'il se serait choisi (GensonnŽ, ARCPA 34, p 618). Pourquoi la ville envoie-t-elle un Žtranger prendre la place d'un curŽ qui n'a pas dŽmŽritŽ ? Rejetons l'intrus ! De tels refus, accompagnŽs de voies de fait, ont dŽjˆ eu lieu avant 1789, lorsque le curŽ nommŽ n'Žtait pas celui que voulaient les paroissiens. Ils entrainaient gŽnŽralement le remplacement du malvenu [135]. A prŽsent, l'intrus, imposŽ brutalement par la garde nationale, est traitŽ en pestifŽrŽ, sa messe dŽsertŽe. Il ne trouve ni ˆ se loger, ni ˆ manger. On le chahute, on emploie toutes les ressources du charivari, on lui rend la vie impossible, on le menace, on le moleste... Dans de nombreux cas, il abandonne et s'en va.

La paroisse n'est pas seule. En contact avec ses voisines, elle les imite et les soutient, ou au contraire s'en distingue. Les foires rassemblent les alentours et favorisent l'action collective. Des relations anciennes ont constituŽ des "grappes" de paroisses. MenacŽe ou en colre, une localitŽ appelle les autres ˆ son aide, envoie des messagers, sonne le tocsin qui s'entend au loin et mobilise, organise des processions blanches (sans curŽs ni bannires) qui font le tour du voisinage et grossissent peu ˆ peu, cherchant un but, parfois un sanctuaire, parfois un ch‰teau qu'on pille, parfois des curŽs jureurs ou des administrateurs ˆ qui on fait leur affaire... La garde nationale ou les gendarmes, souvent mis en fuite, se vengent et reviennent avec du canon.

ii) que reprŽsente le curŽ ?

Pour complŽter l'approche du lien entre le curŽ et son peuple, quittons la thŽologie et mme la religion (encadrement, missions, dŽvotion...) et tentons d'explorer la "religiositŽ populaire", comportement difficilement observable, que, sans cesse, l'Eglise combat, nie, et rŽcupre.

Survolons avec prŽcaution ce champ aussi vaste que problŽmatique (Le Bras, Delaruelle, Dupront...) [136]. Il ne s'agit pas seulement de paganisme rŽsiduel (lieux cosmiques etc.), mais de la rŽduction instinctive de l'Žcart entre l'offre et la demande de sacrŽ. Schmitt, 1976, note : autant que la charrue ou le moulin tant ŽtudiŽs ˆ juste titre depuis quarante ans, la procession des Rogations faisait partie des forces productives de cette Žpoque. A la messe dominicale, en mme temps que le prtre cŽlbre l'appartenance ˆ l'Eglise, les fidles expriment leur identitŽ collective et individuelle. Ils combinent la mŽdiation clŽricale et leur relation directe au sacrŽ :... loin de nÕtre que ce qui rŽsiste en-bas, la religion populaire rŽsiderait plut™t justement dans la tension entre ce qui cherche ˆ sÕimposer dÕen-haut et la rŽsistance qui lui est opposŽe, assortie de demandes propres et fortes, qui ne demeurent pas, en retour, sans influence en-haut (Wanegffelen, 2007).

Viguerie (1981) oppose dŽvotion ŽclairŽe et populaire, en se rŽfŽrant ˆ Muratori (traduit et imprimŽ en 1778) qui combat les abus d'une "dŽvotion peu rŽglŽe", une certaine "dŽvotion indiscrte" ˆ la Vierge, et traite de "dŽvotions populaires" (c'est-ˆ-dire, selon sa propre dŽfinition, particulires au peuple), les chapelets, mŽdailles, scapulaires et mme les confrŽries (Cf. Sansterre, 2010). Cette dŽvotion populaire ne se nourrit pas seulement d'amulettes, mais de l'Ecriture sainte, des cloches, tellement sonnŽes qu'elles s'usent vite [137], des plerinages festifs et des processions prophylactiques ou thŽrapiques. Le culte du Saint Sacrement et l'adoration du soleil ne manquent pas d'ambigu•tŽ [138].

Etudiant la ferveur religieuse dans la France du XVIIIe sicle, Dinet (1993) repre, ˆ c™tŽ du culte officiel, des pratiques parallles, individuelles ou collectives, telles que legs et fondations, confrŽries, Žrections de croix spontanŽes, ftes liturgiques, plerinages locaux, ex-votos, miracles : En multipliant les approches, nous avons pu rencontrer des formes trs diverses de ferveur religieuse, individuelle ou collective, sur la durŽe comme dans l'instant, tout au long du xviiie sicle. Ce phŽnomne a ŽtŽ trop longtemps occultŽ par une historiographie qui, volontairement ou non, a fait la part trop belle aux Ç Lumires È ou a ŽtŽ aveuglŽe par les cris rŽpŽtŽs d'une partie du clergŽ...

En effet, l'offensive post-tridentine se dŽveloppe lentement au XVIIe, impulsŽe par des Žvques qui reprennent le contr™le de leurs curŽs, sur le plan dogmatique et disciplinaire (sŽminaires, synodes, visites, tŽmoins synodaux...) pour les pousser ˆ "reformater" leurs paroissiens. L'Eglise condamne le catholicisme festif, empche les pratiques Žquivoques, transfre les plerinages ou dŽplace leur objet (Blan, 2020). Elle s'est conue et instituŽe comme mŽdiation nŽcessaire entre Dieu et les la•cs, mais ces derniers dŽfendent les pratiques dans lesquelles leur foi sÕŽpanouit... contre les tentatives de monopolisation de la dŽfinition des pratiques religieuses lŽgitimes par le clergŽ... De larges pans de la vie religieuse (ftes et plerinages) sont le patrimoine des chrŽtientŽs autochtones plus que de lÕƒglise hiŽrarchique. Les curŽs acceptŽs sont ceux qui se laissent faire (Raison, 2016 [139]).

Si les superstitions pa•ennes ne cessent de reculer (sans dispara”tre totalement), les croyants, dans une certaine mesure, accommodent la religion et instrumentalisent ses rites et ses acteurs que l'abbŽ Thiers accusait d'indiffŽrence ou de complicitŽ, dans la prŽface de son TraitŽ des superstitions (1679) : La malice, l'ignorance, la simplicitŽ, la vanitŽ, le caprice, l'humeur, l'amour de la vie, le zle indiscret, la fausse piŽtŽ, l'intŽrt, les  font souvent entrer [les superstitions] jusque dans les plus saintes pratiques de l'Eglise... et souvent, ce qu'on ne saurait dire sans douleur, elles sont ou tolŽrŽes, ou autorisŽes, ou observŽes par des personnes d'un caractre distinguŽ, par des ecclŽsiastiques qui devraient empcher de toutes leurs forces qu'elles ne prissent racine dans le champ de l'Eglise

Ce TraitŽ ne se rŽduit pas aux gŽnŽralitŽs du premier volume introductif examinŽ par Lebrun (1976). Les mille cinq cents pages des trois autres (dans l'Ždition de 1777) Žtudient les superstitions qui regardent les sacremens [140] et donnent une infinitŽ d'exemples d'appropriation ou de dŽtournement, notamment de l'eucharistie ou de la messe. Limitons-nous ˆ une citation : Le propre de l'eucharistie est de nous unir ˆ JŽsus-Christ. C'est une superstition de s'imaginer... qu'on  peut s'en servir pour guŽrir des malades ou des blessŽs ; qu'on la peut employer pour se faire aimer des personnes qui nous ha•ssent ; pour deviner ; pour faire des sortilges...; Qu'on la peut jeter dans les champs et dans les jardins pour les rendre fertiles...; de s'en servir pour conjurer les vents, les orages et les temptes ; de l'employer pour arrter les inondations et les dŽbordements des torrents et rivires ; de le porter aux incendies afin de les apaiser... Ajoutons celle-ci : Il n'est point permis pour dŽnouer l'aiguillette de renouveler le mariage qu'on a dŽjˆ contractŽ.

Dans cette dimension "primitiviste" de la religion, le r™le mŽdiateur du clergŽ est ˆ la fois dŽtournŽ et exacerbŽ : ˆ son insu souvent, le curŽ sert de chaman, de grand fŽticheur, qui dit les paroles, effectue les gestes, exŽcute les rites qu'exploite le peuple pour se relier ˆ Dieu. Par habitude et par projection, on associe la fonction ˆ la personne du curŽ. De mme qu'une paroisse a ses lieux sacrŽs (en dehors de l'Eglise), de mme elle a son intercesseur.

Lorsque, thŽologiquement, les rŽfractaires dŽnonceront les intrus comme dŽpourvus de mission, combien de paroissiens n'entendront-ils pas qu'ils manquent de pouvoirs magiques ? Les subtiles distinctions de Mgr La Luzerne entre la validitŽ des sacrements dŽlivrŽs par un prtre illŽgitime et leur criminalitŽ, ne rŽsisteront ni ˆ la propagande simplificatrice des curŽs ŽvincŽs, ni ˆ la croyance spontanŽe des paroissiens : le faux prtre, le fonctionnaire, n'a pas le contact avec le Divin. Haro sur lui ! J'voulons not' curŽ.

L'ancien curŽ exercera son sacerdoce, publiquement ou privativement (chapelles de religieuses, chapelles privŽes, granges, champs, cavernes, forts, voire barques). Le formalisme s'attŽnuera ou s'effacera. La raretŽ ou l'absence du curŽ, lui-mme ensauvagŽ ou dŽguisŽ, laissera le champ libre ˆ des rŽsurgences millŽnaristes, ˆ des miracles, ˆ des cas de possession, ainsi qu'ˆ des formes de sacerdoce la•c (Langlois, 1990 [141]) : c'est un temps o en quelque sorte les prtres ont ŽtŽ paysans, et les paysans prtres (LagrŽe, 1982 [142]). Dans une certaine mesure, la disparition de l'encadrement paroissial libre la relation au sacrŽ et provoque un retour massif du refoulŽ, une "contre-contre-rŽforme" que le haut clergŽ rŽprouve : lorsque, entre 1795 et 1798, les curŽs rŽapparaitront au grand jour, soustraits au contr™le des Žvques ŽmigrŽs, ceux-ci tenteront de freiner la rechristianisation pour qu'elle ne se fasse pas au dŽtriment du rŽtablissement de la discipline (Sicard, 1893, III, 469).

La rŽsistance aux changements provoquŽs par la CCC, le soutien aux curŽs fugitifs et le refus des intrus mettent les communautŽs en conflit, souvent violent, parfois armŽ, avec la garde nationale et les autoritŽs. Les rŽfractaires sont pourchassŽs et victimisŽs, renforant la rŽsistance des populations, ce qui, en retour, aggrave la rŽpression.

c) dynamique cumulative

Dans le contexte tendu de la Bretagne (Dupuy, 1988), ds le mois de juillet 1791, des prtres rŽfractaires du Finistre sont emprisonnŽs ˆ Brest, par ordre du directoire dŽpartemental, vite imitŽ par celui de Maine-et- Loire. L'alternative le serment ou la mort entra”ne des exŽcutions, d'abord spontanŽes, puis en rgle ˆ partir d'aout 1792 : la nouvelle formule de serment (libertŽ-ŽgalitŽ) et la loi du 26 aožt bannissant les rŽfractaires ne suffisent pas ˆ canaliser la rŽpression.  La violence insurrectionnelle de la Commune de Paris et la panique des patriotes (perte de Longwy et de Verdun) aggravent l'arbitraire.

RŽsumons la suite : massacres de septembre 1792, dŽcrets successifs qui durcissent les peines contre les rŽfractaires, les renferment, les proscrivent puis les condamnent ˆ la guillotine sche, la dŽportation en Guyane (la mer bloquŽe par les Anglais, ce sera les pontons). Sous l'effet de la guerre extŽrieure, des troubles intŽrieurs, de la dŽcomposition de la sociŽtŽ par les assignats, des luttes de faction ˆ l'assemblŽe, la radicalisation se retourne contre les prtres constitutionnels eux-mmes ("dŽchristianisation"). Suite ˆ Thermidor (27 juillet 1794), la loi du 30 mai 1795 (11 prairial III) mettra les Žglises vacantes ˆ la disposition des communes, avec la facultŽ de les ouvrir aux cultes, donc aux prtres catholiques, sous rŽserve d'un acte de soumission aux lois de la rŽpublique [143]. Cet assouplissement permet des libŽrations de prtres emprisonnŽs et le retour, plus ou moins clandestin, de nombreux proscrits ou ŽmigrŽs, jusqu'au coup d'Žtat antiroyaliste du 18 fructidor (4 septembre 1797) qui relance la rŽpression.

Rome vaincue par Bonaparte (19 fŽvrier 1797, traitŽ de Tolentino), occupŽe (11 janvier 1798) et rŽvolutionnŽe  (15 fŽvrier), le pape capturŽ va de prison en prison avant d'tre envoyŽ en France o il meurt (29 aožt 1799). Mais, Embrassons-nous, Folleville !, aprs Marengo, son successeur Pie VII accepte le concordat de 1801 "suggŽrŽ" par Bonaparte : sous couvert d'un retour ˆ Franois Ier, l'Eglise endosse la plus grande partie de la CCC et se laisse absorber par l'Etat. Le pape neutralise les prŽtentions opposŽes des clergŽs rŽfractaire et constitutionnel en obligeant tous les Žvques ˆ dŽmissionner. La pilule, amre pour les rŽfractaires qui avaient opposŽ ˆ la CCC l'autoritŽ du pape, l'est moins pour les constitutionnels que, au lieu de la rŽtractation honteuse voulue par les zelanti, le pape rŽconcilie moyennant une simple lettre de soumission. Dillon d'un c™tŽ (schisme de la petite Žglise), GrŽgoire de l'autre, sont les chefs de file de ceux qui refusent d'abandonner leur systme. 

Revenons ˆ 1791, quand la majoritŽ de l'AssemblŽe et ses partisans dans le pays ont la mauvaise surprise de voir le clergŽ et la population se scinder. Le refus des Žvques Žtait prŽvu, il permettrait de les remplacer par des hommes de confiance, mais on ne s'attendait pas ˆ une dŽfection massive de la base ni ˆ une opposition active.

La nŽcessitŽ, autant que l'enthousiasme clubiste et le gožt de la parade, explique que les nouveaux Žlus rejoignent leur sige entourŽs de la garde nationale et accompagnŽs de tirs de canon ou de fusil : malvenus, il leur faut imposer leur prŽsence. Ils comptent sur leurs efforts et sur le temps pour se faire accepter mais se heurtent ˆ la rŽsistance de l'ancien Žvque (ThŽmines ˆ Blois, Bonal ˆ Clermont, La Marche ˆ Saint-Pol-de-LŽon...) et de ses agents, des anciens curŽs, des petites sÏurs grises et des communautŽs de religieuses qui ne leur ouvrent pas leurs portes.

L'AssemblŽe croyait les curŽs acquis, du fait de leur conflit avec le haut clergŽ et de l'amŽlioration de leur situation matŽrielle (encore ežt-il fallu les payer !) ; elle pensait que la plupart des fidles se satisferait de la continuitŽ du culte ; elle dŽcouvre peu ˆ peu que, dans une multitude d'endroits, ˆ la ville comme ˆ la campagne, les uns et les autres rŽsistent et, lorsque les districts usent de la force, se battent ou pratiquent clandestinement. Les rapports indignŽs des autoritŽs locales n'aident pas l'AssemblŽe ˆ comprendre cette concurrence imprŽvue : le bon peuple ne saurait avoir d'autre volontŽ que celle de ses reprŽsentants. Il a donc ŽtŽ perverti. Prenant ses craintes pour la rŽalitŽ, l'AssemblŽe phantasme : sous le voile de la religion, la contre-rŽvolution soulve le pays. Tandis que les canonistes de l'AssemblŽe dŽveloppaient une argumentation serrŽe et sophistiquŽe pour justifier la CCC, les politiques, obnubilŽs par la destruction du corps du clergŽ, ont nŽgligŽ son corps humain.

La tardive Instruction du 21 janvier 1791 est prŽsentŽe par Chasset, rapporteur au nom des comitŽs des recherches, ecclŽsiastique, des rapports et d'aliŽnation (rŽunion significative). Par cette adresse aux Franais, la majoritŽ de l'AssemblŽe cherche ˆ populariser la CCC et ˆ convaincre les ignorants qui, trop loin du centre des dŽlibŽrations de l'AssemblŽe, se laissent Žgarer par des ennemis de 1a Constitution franaise, des calomniateurs, des dŽtracteurs tŽmŽraires, beaucoup moins amis de la religion qu'intŽressŽs ˆ perpŽtuer les troubles. MalgrŽ son ton patelin et son air conciliant, l'adresse conclut par des menaces : Le bien public en rŽclame la plus prompte exŽcution, et l'AssemblŽe nationale sera inŽbranlable dans ses rŽsolutions pour le procurer. L'AssemblŽe s'enferme. Les rares dŽputŽs qui suggrent d'employer la douceur (libertŽ des consciences) sont parfois applaudis (GensonnŽ, Cahier [144]), jamais suivis.

La VendŽe de 1791 n'est pas seulement un exemple parmi d'autres, ˆ cause de 1793. Le 16 Juillet 1791, Goupilleau, qui en est dŽputŽ, s'exprime au nom du ComitŽ des Rapports & Recherches : Depuis longtemps, le peuple de ces malheureuses contrŽes Žtait en butte aux menŽes perfides des ennemis du bien public... tous les moyens furent mis en usage pour Žgarer le peuple en alarmant sa piŽtŽ... L'AssemblŽe dŽcide l'envoi de commissaires, GensonnŽ et Gallois. A son retour, GensonnŽ ( 1793) prŽsente le 9 octobre 1791 son rapport ˆ l'AssemblŽe (dŽsormais lŽgislative), qu'il redouble dans son intervention du 3 novembre (ARCPA, T 34, p 613 sq.).

GensonnŽ n'Žprouve aucune sympathie pour les rebelles et ne manque pas de dŽnoncer les manÏuvres factieuses, mais son rapport, rendant compte d'une sage et intelligente mission d'enqute et de pacification, infirme le complotisme de Goupilleau et des autoritŽs locales : il montre que le peuple de VendŽe et du district de Chatillon (Deux Svres) s'est ŽloignŽ spontanŽment de la Constitution sous l'effet de la CCC (qui diminue beaucoup leur attachement pour la constitution ˆ qui ils attribuent tous ces dŽsagrŽmens de leur situation nouvelle). Ce peuple, uni ˆ son curŽ, voit en lui le dispensateur des gr‰ces cŽlestes et refuse son remplacement. Les municipalitŽs se dissolvent pour ne pas y concourir, les autoritŽs suscitent l'aversion. Lorsque, par force, on ™te au peuple son curŽ, il rejette le nouveau, boycotte ses cŽrŽmonies et s'Žpuise en longues courses pour assister ˆ une "vraie" messe. Le pays est en discorde civile car cette division religieuse a produit une sŽparation politique entre les citoyens... Ainsi pour ces pauvres habitants des campagnes l'amour ou la haine de la patrie consiste aujourd'hui [...] ˆ aller ou ne pas aller ˆ la messe du prtre assermentŽ.

Pour Žviter que cette haine se transforme en insurrection, il suffirait d'assurer la libertŽ des consciences. GensonnŽ a bloquŽ l'arrtŽ du directoire du dŽpartement exilant ˆ Niort les curŽs remplacŽs et les vicaires insermentŽs : Telle Žtait en effet la disposition des esprits que l'exŽcution de cet arrtŽ fžt infailliblement devenu dans ces lieux le signal d'une guerre civile. GensonnŽ a ramenŽ la paix en assurant qu'il Žtait dans les principes de la Constitution nouvelle de respecter la libertŽ des consciences [145]. Sans mŽnager les rebelles, il voit lˆ la seule manire de traiter le problme. Le 3 novembre, son discours contient ces mots prŽmonitoires : Ceux qui vous ont proposŽ seulement des moyens de rŽpression contre les prtres qu'ils appellent rŽfractaires, n'attaquant que l'une des causes du dŽsordre, [...]  augmentant 1'aigreur des esprits, donneraient aux causes du dŽsordre une nouvelle Žnergie... Comment ne voit-on pas que la persŽcution ne fait qu'encourager au martyre...?... L'insuffisance des premires mesures en appellera bient™t de plus sŽvres. Est-il possible de prŽvoir o il faudrait enfin s'arrter ? [146].

Conclusion

RŽcapitulons.

Pour la plupart des historiens, la CCC fut une "erreur fatale". Son rejet par les Žvques se transmit aux fidles via les curŽs. A cette flure de la masse constitutionnelle, succŽdrent l'antirŽvolution et le terrorisme.

Examinant les dŽcrets de juillet 1790, j'ai eu la surprise de les trouver plus sages qu'attendu. La CCC avait l'habiletŽ de viser le clergŽ futur. Quoique certaines mesures fussent d'application immŽdiate (circonscriptions, pensions), la plupart organisaient la rŽgŽnŽration progressive du clergŽ au fur et ˆ mesure des renouvellements naturels. Dans un cadre ecclŽsiastique en rŽvolution, l'ancien clergŽ restait en place et, mme affaibli, conservait ses moyens d'influence.

L'Histoire ayant agglomŽrŽ les dŽcrets de juillet, de novembre et leurs suites, on n'affine pas la chronologie et on ne regarde pas d'assez prs l'intŽressante pŽriode entre les deux. Or, je l'ai montrŽ, tout restait possible jusqu'ˆ ce que le dŽcret de novembre rŽŽcrive celui de juillet, en alignant le clergŽ actuel sur le clergŽ futur et en faisant du banal serment un test discriminatoire : la majoritŽ de l'AssemblŽe transforme une question ecclŽsiastique en affaire de police. InterpellŽ le 5 novembre sur le retard ˆ l'exŽcution de la CCC, le comitŽ ecclŽsiastique produit le 11 un dŽcret d'application [147]. Mais, le 26, par la bouche de Voidel, c'est le rŽpressif comitŽ des recherches qui parle au nom des comitŽs rŽunis et prend le pas sur le comitŽ ecclŽsiastique, Durand de Maillane en donne un tŽmoignage dŽcisif. La religion est moins la matire que l'objet du dŽcret puisque l'autoritŽ civile s'arroge le droit de priver des membres du clergŽ de leur mission sans motif ni procŽdure canoniques. Ce deuxime tŽlescopage entra”ne le rejet d'une CCC ˆ laquelle une bonne part du clergŽ se rŽsignait ˆ se rŽsigner et, du mme coup, la diabolisation du serment civique, y compris pour les la•cs.

Cet entrelacement des questions civiles et ecclŽsiastiques appara”t ds le dŽbut, avec l'abolition des d”mes (aožt 1789). Il se poursuit quand l'AssemblŽe met les biens du clergŽ ˆ la disposition de la nation (novembre 1789). Il s'aggrave lorsqu'elle dŽcide leur aliŽnation, et devient inextricable quand cela la conduit ˆ rŽformer le clergŽ, puis ˆ le violer et, in fine, ˆ le dŽtruire. L'encha”nement des circonstances, au demeurant difficile ˆ dŽcrire, ignore une donnŽe structurelle essentielle : la CCC, loin d'tre une revanche des JansŽnistes ou des Protestants, ou un complot des philosophes, rŽsulte de l'attachement de l'AssemblŽe ˆ la religion, dans un moment o, comme ˆ Pontoise (1581), Noblesse et Tiers se dŽfaussent sur le ClergŽ et, cette fois, le dŽpouillent.

ƒblouis par les "Lumires" ; assourdis par les cris du XIXe et de ses hŽritiers contre les persŽcutions et la destruction du culte d'un c™tŽ, contre le fanatisme et l'ultramontisme de l'autre ; nous-mmes, indiffŽrents ˆ la religion ; nous n'apercevons pas que, comme la masse du royaume, la quasi totalitŽ de l'AssemblŽe Constituante se sent et se veut catholique, apostolique et romaine. Sinon, tout serait, sinon indolore, du moins direct : il suffirait de dissocier l'Eglise et l'Etat, de rŽduire la religion catholique ˆ un culte privŽ, une secte comme une autre. Impensable : cette religion est celle du royaume, garante de sa cohŽsion et instrument du salut Žternel. L'AssemblŽe n'imagine pas de s'en sŽparer. Mais la religion va de pair avec  ses ministres. Comment garder la premire sans se soumettre aux seconds ? Lors des Žpisodes La Fare et Gerle, leur motion de dŽclarer le catholicisme religion nationale ne peut pas tre acceptŽe (ˆ peine de rendre son pouvoir au clergŽ) ni refusŽe (ˆ peine de se dŽclarer apostat). Dans son Apologie de 1791, Durand de Maillane note l'impasse : Rien n'Žtait plus embarrassant pour une AssemblŽe dont le plus grand nombre Žtait bons catholiques et trs portŽs ˆ adopter cette proposition (p 41) et l'aurait vraisemblablement votŽe si, par artifice, le scrutin n'avait pas ŽtŽ reportŽ au lendemain. L'Žchappatoire ("nous le reconnaissons de fait") ne satisfait personne et conduit la minoritŽ ˆ en appeler au peuple par la DŽclaration d'une partie de l'AssemblŽe.

Aussi, l'AssemblŽe se jette-t-elle sur les cornes d'un dilemme : priver le clergŽ de ressources tout en assumant la nŽcessitŽ de sa fonction.

Ds le 10 aout 1789, l'abbŽ de Montesquiou la dŽfie : si les propriŽtŽs ecclŽsiastiques tentent la Nation, qu'elle dŽcrte le clergŽ superflu ! [148]. Mais, non, il lui faut les deux, et elle croit l'obtenir en dŽcomposant le corps du clergŽ en individus ecclŽsiastiques.

 ***

MalgrŽ les apparences (largement rŽtrospectives), le facteur matŽriel est premier : le clergŽ attendait une offensive contre ses immunitŽs fiscales, une fois encore prt ˆ payer pour sauvegarder son identitŽ.

Dans la peur de la grande peur (nuit du 4 aout), il renonce aux d”mes qui, assimilŽes aux droits fŽodaux, sont dŽclarŽes rachetables par l'ArrtŽ portant renonciation aux privilges. Le clergŽ disposerait ainsi de ressources Žquivalentes ˆ celles auxquelles il renonce. Mais, mystŽrieusement, entre le 4 et le 11 aout, la nation annule les d”mes ecclŽsiastiques et prend en charge leur remplacement. Le dŽcret du 11 aout 1789 abolissant les privilges renverse la table : en interdisant l'envoi ˆ Rome d'aucuns deniers pour annates ou pour quelque autre cause, il pose la question du concordat et de l'investiture canonique des Žvques ; en supprimant les d”mes ecclŽsiastiques, il oblige la nation ˆ subvenir d'une autre manire ˆ la dŽpense du culte etc... C'est ˆ cela que rŽpondra la CCC.

 Ainsi, quoique, trs vite, la panique devant la banqueroute surdŽtermine la rŽforme du clergŽ, elle ne l'a pas engendrŽe. Il faut le souligner, tant les biens nationaux et leurs fatals corollaires, les assignats, accaparent notre attention. InstituŽ ˆ la suite du dŽcret du 11 aout, pour apaiser la conscience de l'AssemblŽe en conciliant temporel et spirituel, le comitŽ ecclŽsiastique verra sa barque, de plus en plus chargŽe, submergŽe par la nŽcessitŽ : certains membres se jettent ˆ l'eau (Treilhard, Chasset...), d'autres comitŽs le prennent en remorque.

L'abolition des d”mes cožte quelque 70 millions ˆ l'Etat. L'expropriation prive le clergŽ de l'autre moitiŽ de ses revenus et double la dŽpense. Lebrun  le 15 novembre 1790, Montesquiou (le marquis) le 6 fŽvrier 1791, chiffreront ˆ 140/150 millions de livres le cožt du culte et des traitements du clergŽ, soit un quart du total (estimŽ) des dŽpenses publiques, auxquels s'ajoutent les pensions versŽes aux ecclŽsiastiques inutiles, la charitŽ et la charge de la dette du clergŽ. Autant dire que la ruine du clergŽ serait celle de l'Etat si les sommes visŽes Žtaient rŽellement payŽes et si les assignats n'apportaient pas une solution (illusoire) ˆ tous les problmes. Il est curieux que la rŽformation du clergŽ s'origine ˆ la fois des deux c™tŽs du budget : la dŽpense (remplacement des revenus ecclŽsiastiques, revalorisation de la congrue) et la recette que la vente des biens nationaux est supposŽe multiplier dans des proportions si fabuleuses que le dŽficit dispara”tra, que la dette sera payŽe et qu'il restera quelque chose.

La dramatisation de la situation financire est une erreur collective dont l'AssemblŽe na”t et hŽrite, et qu'elle cultive pour se rendre indispensable et toute-puissante. Elle saisit les biens ecclŽsiastiques. Se limiterait-elle ˆ ceux des rŽguliers, elle ne rencontrerait gure d'opposition, et les sŽculiers, quoiqu'appauvris par ricochet (commendes), seraient rŽconciliables. S'en servirait-elle pour rembourser la dette publique, elle assainirait les finances et aurait enfin le champ libre pour rŽformer la fiscalitŽ. Non, la saisie s'opre en bloc et finira par inclure jusqu'aux biens des fabriques (D. 10 aout 1792). Et elle s'opre en vain puisque les assignats s'engloutiront dans le rglement des dŽpenses courantes, provoquant dŽprŽciation monŽtaire et crise sociale.

 ***

Revenons au fameux dŽcret du 2 novembre 1789. Il met en action le comitŽ ecclŽsiastique jusqu'alors lŽthargique. Ds le 23, Durand de Maillane soumet ˆ l'AssemblŽe son plan de rapport ˆ faire par le ComitŽ [149]. Il contient cet intŽressant aveu : c'est par le temporel que nous avons ŽtŽ amenŽs ici au spirituel. C'est par une suite ou une partie des grands effets qu'a produits dans l'Etat le dŽficit Žnorme du TrŽsor royal que nous avons pris, comme en sous-Ïuvre, les rŽformes du clergŽ, par les changements que 1a nouvelle disposition et la nouvelle administration de ses biens doivent nŽcessairement opŽrer... (ARCPA, T. 10, p 232). Tout est dit : nous avons pris, comme en sous-Ïuvre, les rŽformes du clergŽ. Dans la dynamique cahotante de l'AssemblŽe, la rŽforme du clergŽ rŽsulte de son expoliation, d'abord potentielle (mise ˆ disposition), ensuite effective (aliŽnation).

Le 19 dŽcembre 1789, l'AssemblŽe dŽcide la vente de biens nationaux ˆ hauteur de 400 millions de livres (DŽcret sur la caisse de l'extraordinaire, Art. 2).

Le 6 fŽvrier 1790, Dupont (de Nemours) dŽclare nettement : Notre situation en finances est plus affreuse que jamais... je fais la motion suivante :...Que l'on prononcera sur l'Žtat constitutionnel des ministres du culte ; Sur les fonds nŽcessaires ˆ ce premier service public ; Que l'on constatera ainsi ˆ quoi se monte la ressource que l'on peut trouver dans les biens du clergŽ... Cette motion ajournŽe, celle de Treilhard est votŽe : L'AssemblŽe nationale dŽcrte que le comitŽ ecclŽsiastique lui prŽsentera incessamment le plan de constitution et d'organisation du clergŽ, ainsi que ses vues sur le traitement des titulaires actuels.

Le lendemain, 7 fŽvrier 1790, pour neutraliser l'opposition au sein du comitŽ, l'AssemblŽe lui adjoint autant de membres qu'il en comptait dŽjˆ (dont Dupont [150]). Ce doublement assure la domination des rŽformateurs. NŽanmoins, des divergences subsistent entre eux. Le 18 dŽcembre 1789, Treilhard, membre du comitŽ, avait proposŽ de salarier le clergŽ, contredit par Lanjuinais au nom du mme comitŽ [151]. Quelques mois plus tard, un autre membre du comitŽ, Chasset, recommence sous couvert d'un comitŽ des d”mes [152] : le 9 avril 1790, s'appuyant sur les rapports ˆ venir du comitŽ, il conclut ˆ confier l'administration des biens ecclŽsiastiques aux districts et dŽpartements et ˆ dŽcider que le traitement de tous les ecclŽsiastiques sera payŽ en argent, aux termes et sur le pied qui seront incessamment fixŽs. Aprs le grave incident provoquŽ par Dom Gerle, son dŽcret est adoptŽ. Cette double rupture (religion nationale et clergŽ mercenaire) prŽfigure et conditionne les deux rapports du comitŽ sur le clergŽ futur et le clergŽ actuel (21 avril), leur discussion en juin, leur adoption en juillet, leur ignorance par le clergŽ, leur mise en Ïuvre forcŽe en janvier 1791 et la scission subsŽquente.

Au lieu de laisser les ŽlŽments raisonnables du clergŽ canoniser la CCC, l'AssemblŽe, par crainte de voir dŽbobiner son Ïuvre chaotique, radicalise sa rŽforme par le dŽcret de Novembre dont les effets Žloigneront de la constitution une partie des masses catholiques. Ce n'est pas la CCC qui constitue la faute capitale, mais sa modification. Cette rŽaction disproportionnŽe et irrŽflŽchie aux rŽticences du clergŽ dŽnature la CCC  et corrompt le serment civique. Les amis & les ennemis du ClergŽ en dŽplorent Žgalement les suites [153]. Sans ce fatal dŽcret, en mŽnageant les transitions, en rŽfrŽnant l'excitation des autoritŽs locales, en payant les salaires promis, en respectant la Constitution, en ne confondant pas la simple rŽsistance et la contre-rŽvolution, la CCC devenait supportable et n'engendrait pas dans les profondeurs de la "sociŽtŽ" une dynamique politique antipatriote. Techniquement, le clergŽ et la religion catholique romaine pouvaient s'adapter : le prouvent, les moyens d'exŽcution conus et proposŽs en 1790 comme, plus tard, le concordat de 1801. Politiquement, malgrŽ les objurgations des excitŽs et les lamentations des rigides, le clergŽ redŽcouvrira vite que, par principe, la religion s'accommode de toutes les formes de gouvernement. MatŽriellement, le clergŽ, en perdant ses revenus, s'est aussi dŽbarrassŽ de ses dettes et, les fidles aidant, restaurerait son bilan.

Game over, play again ! Il est facile de rectifier en imagination une trajectoire dont on a vu les erreurs et les rŽsultats. En rŽalitŽ, l'instant concret de chacune de ces dŽcisions malheureuses baignait dans l'incertitude et la crainte. Ds que l'AssemblŽe nationale eut plongŽ dans la confusion le royaume et elle-mme, elle ne fit que rŽagir. La majoritŽ se comportait comme un usurpateur inquiet qui, tout en se rŽclamant du "mandat du ciel, doute de l'avoir.

Si la guerre extŽrieure qu'engage imprudemment l'AssemblŽe LŽgislative ˆ partir de 1792 exerce des effets dissipatifs spŽcifiques (rŽsistances ˆ la conscription, aux rŽquisitions et aux impositions), la discorde civile prŽexiste. Elle date de janvier 1791. Elle est le produit spontanŽ d'une division religieuse engendrŽe inconsciemment par l'AssemblŽe Constituante.

 ***

Atteignant le but auquel tendait trop timidement l'absolutisme, l'AssemblŽe "horizontalise" le royaume en abolissant les corps de ville, les corps de mŽtier, les congrŽgations, les Žtats provinciaux, les Parlements, la noblesse, et toutes les particularitŽs qui faisaient leur identitŽ. Elle n'admet rien qui sous-entendrait l'existence du clergŽ comme corps.

Mais le clergŽ n'Žtait pas un corps comme un autre. Nous l'avons vu, il constituait l'unique ordre formŽ. Quoique, au cours du XVIIIe, sicle, les Parlements contestassent et l'administration grignot‰t son systme d'indŽpendance [154], cet Žtat incarnait un Etat dans l'Etat : sa soumission formelle au Roi ne l'empchait pas d'tre autonome et de s'auto-reproduire par cooptation. Il avait sa hiŽrarchie sacramentelle et juridictionnelle, ses assemblŽes, ses reprŽsentants permanents, sa fiscalitŽ interne, ses rgles d'organisation et de discipline, sa tte Žpiscopale, ses bras vicariaux, ses doigts curiaux. Il est partout, et partout puissant car, sauf pour quelques philosophes, l'anticlŽricalisme vise les personnes, non les fonctions sacrales.

Depuis la "rŽvolution grŽgorienne" du XIIe et sa rŽactivation tridentine au XVIIe, le clergŽ, sŽparŽ des la•cs et au-dessus d'eux, a capturŽ la religion et imposŽ, de force et de grŽ, sa mŽdiation exclusive. Lui seul dŽtient les clefs du Ciel. MalgrŽ le dŽchirement jansŽniste, malgrŽ les empitements des magistrats et percepteurs, malgrŽ la disette des prtres, la force du clergŽ provient de cette identification ˆ la religion, cette religion que presque tout le monde demande, pour les rites de passage comme dans la vie quotidienne.

Ainsi, ce ci-devant clergŽ, mme ruinŽ, dŽfŽrent, craintif, conserve, reconna”t PŽtion lui-mme (27 novembre 1790), un caractre de plus, un caractre indŽlŽbile que vous ne leur avez pas donnŽ, et que vous ne pouvez leur ™ter. Sa transcendance constitue une lŽgitimitŽ alternative ˆ celle de l'AssemblŽe nationale.

Si un Roi inoffensif reste une figure symbolique concurrente que la peur fera briser, a fortiori le clergŽ tentaculaire.

La Constituante catholique, se ressentant de la puissance morale du clergŽ, vise un reset prŽ-tridentin, prŽ-grŽgorien (l'Eglise primitive), dans l'espoir de sŽparer ce que les sicles et les hommes ont soudŽ. La rŽgŽnŽration du clergŽ, sa fonctionnarisation, l'alignerait sur les la•cs, le dŽgraderait d'acteur en agent [155]. Or, dans les conditions du temps, cette dissociation de la religion et du clergŽ se rŽvle impraticable, ce qui conduira bient™t les terroristes ˆ traiter la religion comme le roi : par Žlimination.

 

Notes de fin



[1] Non seulement la plupart des dŽputŽs sont personnellement intŽressŽs au sauvetage de leurs crŽances mais les rentiers font l'opinion publique, notamment ˆ Paris, car, en l'absence de caisses d'Žpargne et de systme de retraite, les petites gens placent leurs Žconomies en rentes.

Baser les assignats sur la valeur incertaine de la vente des biens nationaux pour Žponger un passif inconnu (dettes publiques), tout en les faisant courir comme monnaie, Žtait un pari dŽsastreux que les quittances de finance auraient ŽvitŽ : sans autre emploi que l'acquisition de biens nationaux, leur retour Žtait automatique.

Il ne servit ˆ rien que les biens nationaux aient ŽtŽ, gŽnŽralement, bien vendus, puisqu'ils furent, gŽnŽralement aussi, mal payŽs [en assignats dŽprŽciŽs reus au pair] (Marion, II, 303).

Aussit™t dŽcotŽs, les assignats reoivent cours forcŽ par le DŽcret du 12/09/1790. Leur valeur nominale unitaire est progressivement abaissŽe pour pallier la disette du numŽraire.

Le drame des assignats na”t de la complaisance de l'AssemblŽe pour les rentiers, effrayŽs par la demi-banqueroute de Brienne en 1788 : ds le 17 juin 1789, elle endosse la dette royale (augmentŽe du remboursement des offices etc, de la reprise de la dette du clergŽ et des crŽances sur l'Etat qu'il faut lui reconna”tre) ; le 15 juillet, elle proscrit jusqu'au mot de banqueroute et, ˆ partir du D. du 2 novembre (concrŽtisŽ par la loi du 21/12/1789), assigne les biens du clergŽ aux remboursements, d'o les intŽrts initialement portŽs par les assignats (autorisŽs par D17/04/1790). Quoique dŽnoncŽs par les dŽmagogues, les gros rentiers Žchapperont ˆ la ruine en convertissant avantageusement leurs crŽances en biens nationaux.

[2] Le mŽmoire ˆ consulter demandŽ par les Žvques de Clermont et du Mans aux jurisconsultes le formule ainsi (p 4) : Cette maxime connue, quÕon se passe de main en main sans lÕapprofondir, que l'Eglise est dans l'ƒtat, est Žquivoque ; en sorte que vraie en elle-mme elle peut donner lieu ˆ une application fausse, & ˆ des consŽquences dangereuses, si on nÕajoute pas que sous un autre rapport, un Etat chrŽtien est lui-mme une portion de l'Eglise universelle rŽpandue partout; & qu'en y entrant, cet ƒtat a contractŽ lÕengagement d'obŽir ˆ ses loix constitutionnelles, qui existoient indŽpendamment de son admission.

[3] La d”me abolie ayant ŽtŽ maintenue jusqu'ˆ ce qu'il soit pourvu autrement aux nŽcessitŽs du culte, le dŽbat sur son remplacement (avril 1790) traite de la rŽmunŽration des clercs. Le dŽcret proposŽ par le ComitŽ des d”mes (Chasset) et adoptŽ stipule : Art. 1er. A compter du jour de la publication du prŽsent dŽcret, l'administration des biens, dŽclarŽs par le dŽrret du 2. novembre dernier tre ˆ la disposition de la nation, sera et demeurera confiŽe aux assemblŽes de dŽpartements et de districts ou ˆ leurs directoire... Art. 2. DorŽnavant, et ˆ partir du 1er janvier de la prŽsente annŽe, le traitement de tous les ecclŽsiastiques sera payŽ en argent, aux termes et sur le pied qui seront fixŽs.

[4] Selon Sicard, 1893 (Tome 1, p 106), le revenu de l'archevque de Paris Žtait le triple de ce qu'il reconnaissait : Le prŽlat avait, comme premire ressource, la mense Žpiscopale dont le rendement provenait des biens fonds, des d”mes et des droits fŽodaux de l'ŽvchŽ. Les lods et ventes faisaient monter ˆ 600 000 livres, par suite du duchŽ-pairie [de Saint-Cloud], les revenus de l'archevque de Paris, portŽs ˆ 200 000 livres dans l'almanach royal. La CCC lui accorde le meilleur maximum qui se monte... ˆ 75 000 livres. Il perd prs de 90% de son revenu !

La marquise de la Tour du Pin (dont nŽanmoins les MŽmoires d'une femme de cinquante ans ne sont pas totalement fiables) tŽmoigne des revenus de son oncle, Dillon, l'archevque de Narbonne : Qui aurait pu souponner que mon oncle, avec 400.000 francs de rentes [160 000 d'aprs l'Almanach], en Žtait aux expŽdients et avait dŽcidŽ ma grand'mre ˆ emprunter pour venir ˆ son secours ?... Je ne pouvais prŽvoir que mon oncle, quand il sortirait de France [en 1791], džt laisser 1.800.000 francs de dettes, dans lesquelles la fortune de ma grand'mre se trouva compromise.

Les revenus dŽclarŽs par diocse dans l'Almanach Royal de 1789 se rŽpartissent ainsi :

<12000 livres (francs) : 9 diocses (6,7%)

[12-20000[ : 24 dioces (17,9%)

[20-50000[ : 65 diocses (48,5%)

²50000 : 36 diocses (26,9%)

Le minimum de 15 000 peut augmenter le revenu de quelques Žvques mais, avec un maximum ˆ 30 000 et des donnŽes de l'Almanach trs infŽrieures ˆ la rŽalitŽ, il est clair que, outre la vexation des dŽclarations, vŽrifications, rŽclamations, ils sont tous perdants, et parfois ŽnormŽment.

[5] Sicard, 1893, T1: Les archevques de Besanon, de Cambrai, les Žvques de Strasbourg, Metz, Toul, Verdun, Belley, sont princes du Saint-Empire... Les archevques d'Arles, d'Embrun, l'Žvque de Grenoble se qualifient de princes de leur ville Žpiscopale ; l'Žvque de Sisteron est prince de Lurs ; l'Žvque de Viviers, prince de Donzre. L'archevque de Paris est duc de Saint-Cloud et pair [la•c] de France. L'archevque de Cambrai est duc de Cambrai  (p 41). L'Žvque du Puy est comte du Velay et seigneur du Puy. L'Žvque de Quimper est seigneur de la ville... (p 44). L'Žvque de Saint-Claude est seigneur de toute la terre de Saint-Claude... L'Žvque de Lodve est seigneur-comte de Lodve et de Montbrun...L'Žvque de Dol prend le titre de comte de Dol... L'Žvque de Cahors est baron et comte de Cahors (p 45). Cf. Les Notes 1, 2, 3 de la p 44 pour une liste exhaustive de ces titres qui ne sont pas toujours fictifs et souvent riches en rentes et droits fŽodaux.

[6] La Luzerne (commentaire sur l'Instruction, janvier 1791) affectera de croire que, si la CCC Žcrit "dŽlibŽrer" au lieu de "consulter", c'est pour imposer ˆ l'Žvque la dŽcision des vicaires : Que l'AssemblŽe ežt ordonnŽ que l'Žvque ne ferait aucun acte de juridiction qu'aprs en avoir confŽrŽ avec son presbytre, et avoir pris son avis, rien ne serait plus conforme ˆ l'esprit de l'Eglise, ˆ la nature de son gouvernement, qui est un rŽgime de charitŽ et de conseil. Mais, ici, il est dŽfendu ˆ l'Žvque de ne rien faire qu'aprs en avoir dŽlibŽrŽ. Ce mot emporte l'obligation de se soumettre ˆ la dŽlibŽration. Ds lors ce n'est plus l'Žvque qui gouverne, c'est le SŽnat des prtres prŽsidŽ par l'Žvque.

Il exagre.

Sans rappeler les innombrables conflits passŽs entre les Žvques et leur chapitre, notons que, trs bient™t, des vicaires adopteront cette interprŽtation et tenteront de l'imposer ˆ leur Žvque constitutionnel qui se dŽfendra. Cf. la lettre pastorale d'Expilly (fŽvrier 1791) : il affirme que les avis du conseil Žpiscopal sont purement informatifs et nÕont, par consŽquent, aucune valeur contraignante. ImprimŽe ˆ Paris par les soins de lÕAssemblŽe nationale et diffusŽe dans tout le royaume, cette thse est validŽe par le comitŽ ecclŽsiastique qui envoie ˆ tous les Žvques une Lettre circulaire (4 juillet 1791 signŽe Lanjuinais) pour la retranscrire dans les registres de leur conseil : CÕest lÕŽvque qui exerce la jurisdiction spirituelle. CÕest lui qui gouverne le diocse, aprs en avoir dŽlibŽrŽ avec son conseil. Cette dŽlibŽration nÕest quÕun avis pour lequel il aura nŽcessairement beaucoup de dŽfŽrence, mais quÕil peut absolument se dispenser de suivre, hors le cas o il sÕagit de la destitution de ses vicaires.

Voir Chopelin, in Chopelin 2017 : Le flou lŽgislatif entourant les modalitŽs concrtes de la consultation des vicaires Žpiscopaux par les Žvques est une source continuelle de conflits, dont lÕampleur varie dÕun diocse ˆ lÕautre, selon la personnalitŽ des acteurs (p 150). Fin 1793, la Convention pour laquelle les vicaires Žpiscopaux constitutionnels sont des chanoines travestis supprime leur traitement et les renvoie dans les cures.

[7] Citons cette subtile formule de Pierre Roger (futur ClŽment VI), dŽfenseur de l'Eglise contre Pierre de Cugnires ˆ l'assemblŽe de Vincennes de 1329 : le temporel et le spirituel sont bien distincts, mais ne sont pas contraires : ils appartiennent ˆ la catŽgorie des formes accidentelles compossibles (Quia ergo jurisdictiones, temporalis et spiritualis, sic sunt tantum distinctae quod tamen non sunt contrariae, sed bene compossibiles). Sur l'assemblŽe de Vincennes : Anheim ƒtienne, 2014, "ClŽment VI au travail : Lire, Žcrire, prcher au XIVe sicle", Chapitre 9 de LÕƒglise au cÏur du monde, Paris, ƒds de la Sorbonne.

[8] Cf. malgrŽ (et ˆ cause de) son biais en faveur de l'Eglise et de sa dŽnonciation d'un protestantisme occulte : Affre (Mgr), 1845, De l'appel comme d'abus. Pour l'A., le Parlement, outre ses motivations propres, joue le r™le du chien aboyeur qui pousse les Žvques ˆ demander protection au roi, ce qui renforce le pouvoir de ce dernier sur l'Eglise. Ce pourquoi, le roi ne rŽpond aux remontrances du clergŽ que par de vagues affirmations de bienveillance et non par des rgles claires qui s'imposeraient aux officiers de justice (Ch. V). Aux  remontrances du ClergŽ de 1605, Henri IV rŽtorquait dŽjˆ : Les Appellations comme d'abus ont toujours ŽtŽ reues quand il y a contravention aux saints DŽcrets, Conciles, et Constitutions canoniques, ou bien entreprises sur l'autoritŽ de Sa MajestŽ, les lois du royaume, droits, libertŽs de l'ƒglise Gallicane, ordonnances et arrts des Parlemens donnŽs en consŽquence d'icelles ; et pour ce, n'est pas possible de rŽgler et dŽfinir plus particulirement ce qui provient de causes si gŽnŽrales.

[9] Leurs rŽcriminations sont fortement exprimŽes par ces mots d'un traitŽ anonyme, adoptŽ et publiŽ en 1652 par le ClergŽ : ...appellations comme d'abus desquelles ils [les officiers civils] colorrent les abus, lesquels eux-mmes ils commettaient aux Žvocations qu'ils faisaient des causes ecclŽsiastiques... faisant marcher cette machine fatale ˆ l'Žglise de France sur quatre grandes roues principales: conflit de juridiction, contravention aux arrts, aux saints dŽcrets et aux ordonnances (TraitŽ de la jurisdiction ecclŽsiastique, In: Actes, Titres & MŽmoires, concernant les affaires du ClergŽ de France contenant ce qui a ŽtŽ fait depuis l'assemblŽe gŽnŽrale du ClergŽ, tenue ˆ Paris s annŽes 1645. & 1646. avec ce qui s'est aussi fait ou obtenu pendant l'assemblŽe gŽnŽrale tenue en l'an 1650. & 1651, ch. Antoine VitrŽ, Imprimeur du ClergŽ, 1652, repr. In: MŽmoires du ClergŽ, Tome 6, Paris, Desprez, 1769, col. 60 et 65).

[10] Malheureux legs de Louis XIV qui, outre sa dŽvotion, cherche ˆ complaire aux Žvques qu'il s'asservit. Aprs la rŽvocation de l'Edit de Nantes que le clergŽ rŽclamait instamment, le roi passe aux hŽrŽtiques dissimulŽs. Il est vrai que le royaume Žtant catholique, toute division religieuse est directement politique, comme le soulignait le mŽdiocre MarandŽ (1654) dans un ouvrage [commandŽ?] dont le titre vaut mieux que le contenu (InconvŽnients d'ƒtat procŽdant du JansŽnisme) : si les assemblŽes defendu‘s par nos Rois, sont illicites & criminelles, il est encore moins supportable d'Žtablir & de fixer (en matiere de nouveautŽ) un lieu dans leur Royaume, qui soit comme le centre d'o partent toutes les lignes d'une intelligence commune, qui se rŽpandent ˆ tous les points de sa circonfŽrence, je veux dire ˆ toutes les Provinces de l'Estat, pour fomenter la nouveautŽ des sectaires a & lˆ rŽpandus, par la communication d'un mesme esprit, d'une mesme doctrine, & d'un mme langage, p 108 (ARTICLE SIXIéME. Que la secte du JansŽnisme est plus une secte d'Estat, que de Religion).

[11] Andurand, 2017 : La quatre-vingt-onzime proposition de la bulle Unigenitus porte sur la crainte de lÕexcommunication injuste : "La crainte mme dÕune excommunication injuste ne nous doit jamais empcher de faire notre devoirÉ On ne sort jamais de lÕƒglise lors mme quÕil semble quÕon en soit banni par la mŽchancetŽ des hommes, quand on est attachŽ ˆ Dieu, ˆ JŽsus-Christ, et ˆ lÕƒglise mme par la charitŽ". Elle concentre les attaques des gallicans du clergŽ et du Parlement qui y voient la nŽgation des libertŽs de lÕƒglise de France et lÕaffirmation indirecte des revendications dÕinfaillibilitŽ du pape (Mey C., Dissertation dans laquelle on dŽmontre que la bulle Unigenitus nÕest ni loi de lÕƒglise ni loi de lÕƒtat, s. l., 1752, 2e partie, p. 77).

[12] Chapeau, 1990 : Les bulles pontificales d'institution canonique ne sont pas envoyŽes ˆ l'Žlu mais au chef de l'ƒtat qui a nommŽ. Les bulles sont examinŽes par les instances juridictionnelles du moment qui, lors des pŽriodes de tension, en profitent pour ergoter ou contester le texte. Il faut ensuite un acte royal ou prŽsidentiel qui dŽclare les bulles recevables. L'Žlu peut alors les retirer ; il doit donc venir ˆ Paris, d'autant plus qu'aprs son sacre il devra prter serment au chef de l'ƒtat. Il se met en retraite prŽparatoire et se fait sacrer sans cŽrŽmonie dans une chapelle de sŽminaire ou de communautŽ, devant quelques amis et parents. Le concile de NicŽe (325) demandait trois Žvques consŽcrateurs. Toutefois thŽologiens et canonistes ont toujours affirmŽ que pour la validitŽ de la fonction un seul Žvque suffisait. Il ne s'agit pas de quantitŽ mais de qualitŽ.

[13] Le Vayer, 1682 : s'il s'agit d'une chose qui ne soit pas de nŽcessitŽ au salut, il faut qu'elle cde aux loix, & aux nŽcessitŽs de l'Etat, (p 140-1)... A considŽrer la doctrine de l'Eglise en soi, il est certain qu'elle est indŽpendante de l'autoritŽ des Rois, mais il n'en est pas de mme ˆ la considŽrer dans l'exercice de son administration (p 174)... [Comme Eglise a la double qualitŽ de corps politique & de corps mystique] les EcclŽsiastiques SŽculiers doivent aussi tre considŽrŽs en deux manires, en qualitŽ de citoyens, & en qualitŽ de Clercs ou d'EcclŽsiastiques. Les EcclŽsiastiques comme citoyens sont soumis au Magistrat politique... car ils naissent citoyens avant que d'tre faits EcclŽsiastiques (p 239-40). Le Vayer, 1682, Dissertations sur l'autoritŽ lŽgitime des rois, en matire de rŽgale Par M.L.V.M.D.R, Cologne, Pierre Marteau.

Les caractŽristiques de l'ouvrage attestent une publication clandestine ˆ l'insu de l'auteur. D'aprs l'Avertissement de l'Ždition de 1753 [Londres ?], Le Vayer a ŽtŽ chargŽ par Colbert d'un rapport, dans le cadre du contentieux avec le pape. Non destinŽ ˆ la publication, le texte a fuitŽ.

Le Vayer n'examine pas directement la question en cause (universalitŽ de la RŽgale), mais son amont : abusant du Concile de Paris de 829 pour en tirer des maximes justificatrices, l'A. thŽorise et proclame les droits du roi. L'Eglise en tant que corps politique lui est directement soumise ; en tant que corps mystique, le roi a le devoir de la protŽger. L'Eglise itinŽrante, navire dirigŽ par Dieu, en reoit un pilote (le pape) et un capitaine (le roi), lequel a des fonctions d'exŽcution qui l'obligent ˆ se substituer au premier lorsqu'il dŽfaille.

[14] Le texte en est donnŽ dans les MŽmoires de Rapin, ed. Aubineau, 1865, T3, p 205 :

La premire, que ce n'est nullement la doctrine de la FacultŽ que le souverain pontife ait aucune autoritŽ sur le temporel des rois;

La seconde, que c'est la doctrine de la FacultŽ que le roy trs-chrŽtien n'a que Dieu au-dessus de luy pour le temporel; que c'est son ancienne doctrine de laquelle elle ne se dŽpartira jamais;

La troisime, que les sujets du roy luy doivent une fidŽlitŽ et une obŽissance dont ils ne peuvent tre dispensŽs sous quelque prŽtexte que ce soit;

La quatrime, que la mme FacultŽ n'approuve point et n'a jamais approuvŽ aucune de ces propositions contraires ˆ l'autoritŽ du roy, aux libertŽs de l'ƒglise gallicane et aux canons reus dans le royaume, par exemple que le pape peut dŽposer les Žvques contre ces mmes canons;

La cinquime, que ce n'est pas la doctrine de la FacultŽ que le pape soit au-dessus du concile;

La sixime, que ce n'est pas aussy la doctrine de la FacultŽ que le pape soit infaillible sans quelque consentement de l'ƒglise.

[15] Martin, 1926, p 202-3 : L'assemblŽe du clergŽ de 1626 est saisie de trois propositions : "La premire, que pour quelque  cause et occasion que ce puisse tre, il n'est permis de se rebeller, et prendre les armes contre le Roy. La deuxime, que tous sujets sont tenus d'obŽir au Roy, et que personne ne les peut dispenser du serment de fidŽlitŽ. La troisime,  que le Roy ne peut tre dŽposŽ par quelque puissance que ce soit, sous quelque prŽtexte et occasion que ce puisse tre".

Quel accueil va donc faire ˆ ces trois propositions l'Žpiscopat franais...? Il leur donne son adhŽsion la plus complte. Il refuse de les souscrire, oui : mais parce qu'il croirait, dit-il, faire injure au roi en promettant "par capitulation" ce qu'il lui doit "par devoir". Et pour qu'aucune obscuritŽ ne subsiste sur leur intention, les prŽlats ajoutent que si les circonstances leur imposaient de dire leur avis sur ce point, "ils signeroient bien volontiers lesdites propositions".

Les circonstances arriveront en 1682.

[16] La souverainetŽ du roi constitue la base doctrinale de l'universalitŽ du droit de rŽgale (DECLARATION PAR LAQUELLE S.M. dŽclare que le Droit de RŽgale lui appartient universellement sur tous les Archevchez & Evchez de son Royaume. Le 10. FŽvrier 1673). Plus tard, la rŽconciliation avec Rome n'impliquera aucune rŽtractation : sans  rien retirer au contenu des Quatre articles, la lettre de Louis XIV ˆ Innocent XII du 14 septembre 1693 concde seulement que l'Ždit du 2 mars 1682 imposant la DŽclaration comme loi d'Etat, ne sera pas observŽ. De mme les Žvques, pour obtenir leur bulle en suspens, doivent Žcrire qu'ils regardent les articles comme non dŽcrŽtŽs, sans avoir ˆ les renier.

[17] Le pape exclu du temporel, le spirituel n'est pas ˆ l'abri. Involontairement cette fois, Louis XIV compromet Rome en l'embarquant dans la vaseuse querelle jansŽniste. Il lui arrache la bulle Unigenitus qui mettra l'Eglise de France au bord du schisme, et le pape hors jeu : par sa lettre encyclique Ex omnibus de 1756 (Nau, 1956), le conciliant Benoit XIV, s'il affirme vigoureusement la fidŽitŽ d'Unigenitus, omet de la qualifier ; puis il s'interroge sur l'Žvidence du pŽchŽ lorsqu'un refusant demande le viatique (qurelle des sacrements) et suggre de le lui accorder, ˆ charge pour lui de se disculper au ciel. Gr‰ce ˆ cet Žchappatoire, Benoit Žvite de juger les arguments contradictoires qu'il a reus d'Žvques franais divisŽs entre modŽrŽs et radicaux, et s'en remet au roi. Les dŽcisions pontificales passent dans la dŽclaration royale du 10 dŽcembre 1756 qui annule subrepticement la malheureuse et bizarre dŽcision de 1730 confŽrant ˆ Unigenitus le caractre de loi du royaume (le Parlement ne l'a jamais reconnue comme telle).

La DŽclaration du 10 dŽcembre commence ainsi : Nous nous sommes proposŽ dans tous les temps de faire cesser les troubles qui se sont ŽlevŽs dans notre royaume ˆ l'occasion de la constitution Unigenitus, en employant Žgalement notre autoritŽ ˆ lui faire rendre le respect et la soumission qui lui sont dus, et ˆ empcher l'abus qu'on en voudrait faire en lui attribuant un caractre et des effets qu'elle ne peut avoir par sa nature... Art. 1... qu'en consŽquence, tous nos sujets aient pour ladite Constitution, le respect & la soumission qui lui font džs ; sans nŽanmoins qu'on puisse lui attribuer la dŽnomination, le caractre, ni les effets de RŽgle de Foi... [mon soulignement].

[18] Barruel fait le lien entre Joseph II et la CCC en publiant (J.E., oct. 1790) le bref Super soliditate petrae du 28 novembre 1786 contre Eybel qui, pendant la dŽlicate visite ˆ Vienne de Pie VI, avait diffusŽ une dŽnonciation du pape : Cette bulle [bref] a pour objet la condamnation d'un ouvrage d'Eybel, renfermant une foule d'erreurs, dont la rŽpŽtition n'a pas peu contribuŽ ˆ faire insŽrer dans les dŽcrets sur la constitution civile du clergŽ, des objets Žtrangers ˆ la puissance la•que, et ceux-lˆ surtout qui semblent anŽantir en France l'autoritŽ de vraie jurisdiction, qui, de droit divin, appartient au Saint-Sige sur toutes les Žglises.

Fejtš, 1953 p 258 : Joseph s'employa ˆ faire conna”tre au pape et au peuple, d'une manire indirecte mais sans qu'il fžt possible de se mŽprendre, son opinion sur les rapports entre l'empire et la papautŽ. Il fit rŽdiger par le professeur de droit ecclŽsiastique ˆ l'UniversitŽ de Vienne, Eybel, un opuscule intitulŽ Qu'est-ce que le Pape? qui parut quelques jours avant l'arrivŽe du Saint-Pre. S'inspirant du fameux livre de FŽbronius, Eybel Žvoquait l'autoritŽ de l'Evangile... pour dŽmontrer que les droits du vicaire du Christ ne revenaient pas au pape mais aux Žvques en tant que successeurs des ap™tres... c'est leur parole qui dŽcide en matire de foi et non uniquement celle du pape qui n'est que le reprŽsentant de l'unitŽ de l'Eglise. Les chefs d'Etat, en revanche, disait Eybel, dŽtiennent leur pouvoir directement de Dieu, et c'est non seulement leur droit mais leur devoir de contr™ler et de diriger l'activitŽ de l'Eglise.

Sorel, 1887, T1, La rŽvolution que fit l'AssemblŽe constituante Žtait peu de chose auprs de celle que prŽtendit opŽrer Joseph II (p 121-2) [Aux Pays-Bas, en 1789] Des ordres implacables furent donnŽs [par Joseph] ˆ d'Alton... Les Žmeutes commencrent. Cette rŽvolution qui se dŽveloppait paralllement ˆ celle de France, avait des causes bien diffŽrentes; les r™les y Žtaient entirement intervertis. C'Žtait le souverain qui Žtait rŽvolutionnaire, et le peuple qui dŽfendait le rŽgime ancien... (140)  Cette rŽvolution, qui se faisait pour maintenir l'ancien rŽgime, procŽdait comme celle qui se faisait en France pour le renverser (141).

[19] Gendry qui consacre les deux volumes de son Pie VI (1906, Paris, Picard) ˆ en cŽlŽbrer les vertus, attribue ˆ Kaunitz et Cobenzl l'action rŽformatrice de Joseph II qu'il prŽsente ainsi dans son Tome 1 : A partir du 29 novembre [1780] Joseph II, qui mŽdite de grands projets de rŽformes, va se donner libre carrire. Le 27 janvier (1781) il commence par Ždicter un rglement Žtablissant l'uniformitŽ des taxes pour les baptmes, mariages et enterrements... Bient™t aprs, il prŽtendit rel‰cher le lien d'obŽissance qui unit les Žvques au pape et les religieux ˆ leurs gŽnŽraux Žtrangers... DŽsormais, ils ne devaient plus relever que de l'Ordinaire. Le mme Ždit interdisait encore d'exporter de l'empire, sans permission, une somme d'argent si minime fžt-elle, ˆ titre de componende. Dans le cours de la mme annŽe, l'empereur veut que tous les brefs soient munis du placet royal avant d'tre publiŽs. II supprime, dans l'enseignement des sŽminaires, les deux fameuses bulles Unigenitus et In coena Domini (p 218-9).

[En 1781] Joseph II ... Žcrit de nouveau ˆ Pie VI que son dessein arrtŽ est de nommer aux bŽnŽfices ecclŽsiastiques. Toutefois, avant d'agir, il attendra l'autorisation demandŽe ; si cette autorisation est refusŽe, il croira devoir passer outre... le 4 septembre, une nouvelle loi relative aux dispenses matrimoniales... [dŽfendant] aux sujets autrichiens, sous peine de nullitŽ de l'acte, de se procurer ˆ Rome ou ˆ la nonciature, toute espce de dispenses matrimoniales dans les cas d'empchements canoniques ; elle ordonnait donc qu'on recouržt directement ˆ l'Žvque diocŽsain qui avait, prŽtendait la loi, le pouvoir originaire de dispenser, en vertu de la juridiction Žpiscopale (p 222).

Sa MajestŽ a chargŽ le chancelier de Cour et d'Etat de faire savoir au nonce que les dispositions qu'il [SM] a prises ne touchent en rien le dogme; qu'elles sont purement disciplinaires et, par consŽquent, du seul ressort de sa souverainetŽ temporelle [mon soulignement] ; que les ordres religieux ne sont pas nŽcessaires ˆ la vie de l'Eglise et que le souverain qui les a autorisŽs, qui parfois mme a prŽsidŽ ˆ leur crŽation, peut les dissoudre ; que Sa MajestŽ conna”t les anciens droits des Žvques [en matire de dispenses] et qu'en voulant les leur restituer, elle sert la cause de la religion (p 224)... Cependant Joseph ne s'arrte pas en si belle voie. Il supprime quantitŽ de monastres, en sŽcularise les membres  (1781) (p 229)... un schisme est ˆ craindre (p 230) ... La Gazette d'Erlang [N¡4 du 15 fŽvrier 1782] confirme la nouvelle du prochain voyage du pape... La feuille publique ajoute que le mode d'administration des revenus ecclŽsiastiques, projetŽ depuis longtemps, allait tre bient™t rŽalisŽ dans les Etats impŽriaux. Ainsi tous les biens seraient gŽrŽs au profit du souverain, lequel pourvoirait d'une pension annuelle chaque religieux, ˆ commencer du prŽlat jusqu'au moine [mon soulignement] (p 234)...

Quels furent les rŽsultats du voyage de Pie VI ˆ Vienne? (p 286) ...Le pape put croire un moment que l'empereur donnerait satisfaction ˆ ses dŽsirs en rapportant certaines mesures qui violaient manifestement les droits de l'Eglise (p 290)... Pendant ce temps Joseph multiplie les suppressions [de couvents] et continue ses rŽformes... Rien de ce qui touche au culte ne peut Žchapper ˆ sa manie rŽformatrice (p 291).

[20] MalgrŽ le bref de ClŽment XIV (Dominus ac Redemptor noster du 21 juillet 1773, promulguŽ le le 16 aožt) supprimant la Compagnie de JŽsus dans le monde entier, Catherine, aprs le premier partage de la Pologne o elle prend la Russie blanche catholique, conserve et soutient les JŽsuites. D'autre part, elle Žrige de sa propre autoritŽ un ŽvchŽ auquel elle nomme Siestrzencewicz en lui attribuant la juridiction sur tout l'empire (C'Žtait atteindre l'audace ˆ laquelle devaient se porter, seize ans plus tard, les auteurs de la CCC Žcrit Mourret, p 54). L'impŽratrice prŽtendait nommer directement les Žvques sans se prŽoccuper de leur institution canonique. Dans une lettre au pape du 31 dŽcembre 1780 exigeant que Siestrzencewicz, qu'elle a nommŽ Žvque de Moghilev, en soit instituŽ archevque, elle Žcrit, prŽfigurant les Constituants : Nous insistons ici sur la principale rgle de toutes les Eglises, ˆ savoir qu'elles sont faites pour la SociŽtŽ et non la SociŽtŽ pour les Eglises.

[21]  Mme en faisant la part des circonstances (Žmigration, aigreur, radicalisation royaliste etc.), il est piquant de voir en 1801 une partie des Žvques ŽmigrŽs refuser la dŽmission exigŽe par le pape, en niant son autoritŽ au nom des libertŽs gallicanes. Papalistes dans les annŽes 1790, ils renversent leur position, comme jadis les RŽformŽs monarchomaques devinrent monarchistes pour soutenir le Bourbon. Lavaquery, le biographe du Boisgelin (qui appelait en 1801ˆ se soumettre au pape) commente :  Quant ˆ la thŽologie de Ch‰teaugiron [opposant ˆ Boisgelin], c'est le gallicanisme intŽgral. GrŽgoire... se donne ˆ ce propos l'ironique satisfaction, de montrer que les non-dŽmissionnaires utilisent tous les principes des constitutionnels ; et il a beau jeu (283-4). Comme un Camus, Chateaugiron affirme contre Boisgelin : La qualitŽ de chef ne donne pas au pape le droit de statuer seul sur la foi, les mÏurs et la discipline.

L'abbŽ GrŽgoire, dans ses MŽmoires : Aux dŽmissionnaires et acceptant le concordat, nous disons : Vous abjurez, du moins en apparence, la cause des Bourbons, et vous avez raison. Tous les motifs de soumission, toutes les preuves que vous allŽguez en faveur du concordat sont prŽcisŽment celles dont nous nous serv”mes pour Žtablir qu'il fallait accepter la constitution civile du clergŽ... Ainsi vous avez mis l'Europe en feu, attisŽ la guerre extŽrieure et intŽrieure,  causŽ des massacres et des persŽcutions, pour revenir au point d'o nous part”mes, et faire dix ans plus tard ce que nous f”mes dix ans plus t™t (Žd. 1837, T2, 161).

Et, dans son Histoire de l'Žmigration ecclŽsiastique : Les non dŽmissionnaires, en dŽfendant leur cause contre les dŽterminations arbitraires de la cour de Rome, s'appuient sur les libertŽs gallicanes, sur l'antique discipline. Nous avons dŽjˆ remarquŽ, mais il est bon de le rŽpŽter, qu'ils se servent presque toujours des argumens par lesquels les assermentŽs ont Žtabli la canonicitŽ de leurs titres... (ibid, 322) A cette Žpoque, vous avez mis vos dŽmissions aux pieds du Saint-Pre, et rŽclamŽ sa dŽcision; aujourd'hui, vous rŽcusez son autoritŽ (323)...

Quant aux revenants qui affectent de triompher et maltraitent les constitutionnaires, ils n'ont pas eu de scrupule ˆ se faire intrus ˆ leur tour : Ce qui Žtait sacrilŽge il y a dix ans est devenu une chose trs licite aux yeux de ces messieurs, qui actuellement montent sans difficultŽ sur les siŽges de leurs confrres non dŽmissionnaires (GrŽgoire, 369).

[22] Plus important journal clandestin du XVIIIe sicle, les N.E. ont bŽnŽficiŽ de nombreuses complicitŽs pour braver la censure, les Žvques et la police. ImprimŽes clandestinement, elles ont ŽtŽ trs largement diffusŽes, ainsi que de multiples brochures associŽes. Leur sous-titre est caractŽristique : mŽmoires pour servir ˆ l'histoire de la constitution Unigenitus. Les NE dŽfendent la CCC que combattent d'autres JansŽnistes dans les nouvelles Nouvelles EcclŽsiastiques, ou MŽmoires pour servir ˆ l'histoire de la constitution prŽtendue civile du clergŽ de Jabineau  1792 (cf. Gazier, 1924, Histoire gŽnŽrale du mouvement jansŽniste depuis ses origines jusqu'ˆ nos jours. Tome 2, Chap. 24).

[23] LÕŽvque ˆ qui la confirmation sera demandŽe ne pourra exiger de lÕŽlu dÕautre serment, sinon quÕil fait profession de la religion catholique, apostolique et romaine (Art. II.18). Le nouvel Žvque ne pourra sÕadresser au pape pour en obtenir aucune confirmation ; mais il lui Žcrira comme au chef visible de lÕƒglise universelle, en tŽmoignage de lÕunitŽ de foi et de la communion quÕil doit entretenir avec lui (art. II.19).

Faire profession de la religion catholique est une formulation tellement vague qu'elle ouvre la porte aux jansŽnistes et ˆ toute une sŽrie d'hŽrŽtiques. Ajouter romaine ˆ catholique ne signifie rien puisque le pape est rŽduit ˆ un symbole. Au contraire, la longue profession de foi tridentine comportait le passage suivant : Je reconnais la sainte, catholique et apostolique ƒglise romaine comme la mre et la ma”tresse de toutes les ƒglises. Je promets et je jure vraie obŽissance au Pontife romain, successeur du bienheureux Pierre, chef des Ap™tres. et vicaire de JŽsus-Christ.

[24] Pour l'exposŽ thŽorique, voir par ex Maury, 27 novembre 1790, ARCPA, T 21, pp. 81-95 ou Barruel, 1791.

Pelletier, 2004 (P3, Ch. 9) rappelle les deux sicles de controverse : la juridiction des Žvques vient-elle du pape, ou directement de Dieu, par lÕordination sacramentelle ? Le concile de Trente avait vu sÕaffronter diffŽrents courants et nÕavait pas tranchŽ la question dŽfinitivement : le 20 octobre 1562, le gŽnŽral des jŽsuites, Jacques Laynez, exposait le principe de la distinction entre le pouvoir dÕordre et le pouvoir de juridiction de lÕŽvque, ce dernier ne pouvant provenir que du pape. Mais le climat au concile, avec lÕarrivŽe des Žvques franais et les dŽbats entre italiens, espagnols, gallicans et impŽriaux fut si difficile que la place de la papautŽ ne fit pas lÕobjet de nouvelles dŽfinitions. Les actes comptaient plus que les dŽcrets sur ce plan, ˆ savoir le fait que le pape ait promulguŽ les actes du concile de sa seule autoritŽ le 26 janvier 1564. Pour Robert Bellarmin, le pape exerce une plŽnitude de potestas, quÕil dŽlgue aux Žvques parce quÕil ne peut pas se trouver partout dans le monde pour reprŽsenter le Christ... Au mme moment [que Bellarmin], ˆ la Sorbonne, Edmond Richer (1559-1631) Žmet une tout autre thŽorie dans le Libellus de ecclesiastica et politica potestate, publiŽ ˆ Paris en 1611 : le pouvoir des clefs a ŽtŽ donnŽ ˆ lÕƒglise entire et remis ˆ Pierre seulement au titre de son ministre... Secondement, le pouvoir de juridiction est reu par tous en mme temps que lÕordination, pour le prtre comme pour lÕŽvque, de mme que Pierre reut son pouvoir avec les douze ap™tres et les soixante-douze disciples... Ce mouvement [le "juridictionalisme"] est lÕaboutissement, au XVIIIe sicle, des diffŽrents courants o lÕon voit, ds le XIIIe sicle, des thŽologiens et des canonistes sÕopposer aux Ç prŽtentions È de la Curie romaine. A la base, le rŽgalisme des cours europŽennes... Sur ce mouvement intellectuel et politique vinrent se greffer les querelles du jansŽnisme, qui contriburent ˆ faire cro”tre un anticurialisme dans les milieux ecclŽsiaux...

[25] Ce choc Žtait ŽvitŽ par le Projet de dŽcret provisoire (12 fŽv. 1790) que Sieys n'a pas soumis ˆ l'AssemblŽe. Il proposait une extinction progressive des paroisses ou ŽvchŽs supprimŽs au fur et ˆ mesure de leur vacance (II, 10), soit naturelle, soit par affectation de leur titulaire aux paroisses ou ŽvchŽs conservŽs. Il souhaitait une marche progressive :Toutes les dispositions du prŽsent DŽcret seront exŽcutŽes le plus t™t possible, mais au moins en en totalitŽ avant l'annŽe 1800 ˆ l'exception seulement des dispositions qui ne peuvent avoir lieu qu'aprs la mort des titulaires (IV, 71).

[26] Cet isomorphisme aurait pu se justifier par le principe d'accommodation de l'Eglise des premiers sicles : aprs la rŽforme de l'Empire par DioclŽtien, la multiplication des communautŽs chrŽtiennes et le nombre croissant de conflits de compŽtences juridictionnelles entre leurs responsables obligera la jeune ƒglise ˆ adopter un mode dÕorganisation territorial fondŽ sur lÕisomorphisme de principe avec le dŽcoupage administratif de lÕEmpire romain. Dans la riche activitŽ conciliaire qui pourra sÕŽpanouir aprs la fin des persŽcutions, cet isomorphisme de principe sera exprimŽ par le 17e canon du concile de ChalcŽdoine (Prichodko Gregor, 2020, Le territoire canonique: construction juridique et enjeux politiques dans le premier millŽnaire. Thse Droit. UniversitŽ Paris-Saclay, p 39).

[27] Boislandry, sur la division du royaume en arrondissements mŽtropolitains et sur la fixation des siges des ŽvchŽs, 6 juillet 1790 (ARCPA, T 16, p 714 sq) :... Lorsque vous avez entrepris l'ouvrage difficile d'une nouvelle division des provinces ...la France Žtait encore dŽchirŽe par des dissentions intestines ; les prŽjugŽs anciens Žtaient dans toute leur force ; le royaume Žtait plein de mŽcontents, de factieux, d'ennemis de la RŽvolution ; vous aviez des diflicultŽs innombrables ˆ surmonter. C'est donc avec raison que vous avez alors usŽ de mŽnagements, et que vous avez voulu que la division du royaume fžt concertŽe avec tous les dŽputŽs ˆ l'AssemblŽe nationale, et que les dŽputŽs extraordinaires des villes et des cantons fussent entendus. Lorsque vous avez ŽcoutŽ les convenances particulires ; lorsque vous avez consenti que la nouvelle division de la France fžt moins parfaite pour qu'elle fžt plus durable, vous avez fait un acte d'une profonde sagesse. Aujourd'hui, Messieurs, votre position est bien diffŽrente...

Rien ne doit donc suspendre votre dŽtermination sur le projet qui va vous tre soumis : ayant sous les veux le tableau de tous les dŽpartements, et ne consultant que l'intŽrt gŽnŽral de leurs habitants, vous pouvez terminer, en une sŽance ou deux au plus, la fixation des siges des ŽvchŽs ; si, au contraire, vous prolongez votre dŽcision, il vous arrivera de toutes parts des adresses, des pŽtitions ; votre comitŽ en a dŽjˆ reu un grand nombre, et chaque jour il est sollicitŽ par des dŽputŽs extraordinaires en faveur de quelques villes. On lui annonce que plusieurs autres se disposent ˆ envoyer des dŽputations. Bient™t de nouvelles prŽtentions s'elveront, et l'espŽrance de rŽussir excitera des rŽclamations ˆ l'infini. Parmi les soixante ŽvchŽs que vous allez supprimer, il n'y en aura pas un seul qui n'ait de trs bonnes raisons ˆ faire valoir pour tre conservŽ.

Dans chacun des huit dŽpartements o il n'y a point d'ŽvchŽs et o il faut en Žtablir, quatre ou cinq villes peut-tre seront en concurrence, et vous demanderont ˆ tre entendues : alors les difficultŽs se multiplieront, et les discussions seront interminables. Vous aurez autant de contestations et de procs ˆ juger qu'il y aura d'ŽvchŽs ˆ supprimer, ˆ conserver ou ˆ Žtablir, il en rŽsultera un accroissement de travail pour votre comitŽ, dŽjˆ surchargŽ d'occupations, et une perte de temps considŽrable pour l'AssemblŽe, dont les moments sont si prŽcieux. Votre comitŽ vous invite donc ˆ prendre trs incessamment une rŽsolution dŽfinitive...

Tous vos dŽcrets ont consacrŽ la maxime salutaire que l'intŽrt particulier doit se perdre et se confondre dans l'intŽrt gŽnŽral. C'est ce principe qui nous a servi de guide et c'est en le suivant que nous avons adoptŽ, pour la fixation des mŽtropoles et des ŽvchŽs, les bases suivantes : 1¡ La convenance de la majeure partie des habitants du dŽpartement, convenance presque toujours dŽterminŽe par la position la plus centrale ; 2¡ La facilitŽ des abords et des communications ; 3¡ La population plus considŽrable qui attire et multiplie les affaires, et sans laquelle les vicaires de l'Žvque ne pourraient tre ulilement employŽs ; 4¡ Les Žtablissements dŽjˆ formŽs pour le logement des Žvques et pour l'emplacement des sŽminaires...

Le comitŽ n'ayant fait aucun changement dans quarante-deux dŽpartements o il n'existe qu'un seul ŽvchŽ, il n'a dž appliquer ces principes qu'ˆ quarante et un dŽpartements, dont huit n'avaient point d'ŽvchŽ et trente-trois en avaient deux, ou plusieurs, parmi lesquels il a choisi ceux dont la position s'accordait le mieux avec les rgles qu'il s'Žtait imposŽes.

[28] Dubois, 1965 : L'importance des diocses n'est pas discutable. Il est donc Žtonnant de constater qu'il n'existe aucune carte d'ensemble des diocses de France avant 1790, ni mme une liste exacte et complte des diocses dont le territoire s'Žtendait au moins en partie en France, mme si la ville Žpiscopale Žtait ˆ l'Žtranger, de sorte que les manuels ne s'accordent pas sur le nombre total des diocses. Pour confectionner une carte, il faut se baser sur l'abondante documentation, plus ou moins exacte, des diocses particuliers ou des provinces (cf. de Dainville, 1954), quoique, ajoute Dubois, il serait prŽtentieux d'affirmer qu'en aucun cas le tracŽ proposŽ ne peut tre discutŽ, mais il ne faut pas non plus vouloir donner ˆ des limites anciennes une prŽcision que les contemporains ne concevaient pas... On constate d'ailleurs que les limites des diocses n'ont fait l'objet de bornage que dans des cas particuliers, pour fixer un accord portant non sur des champs ou des forts, mais sur une Žglise ou une maison religieuse.

[29] La liste de l'Almanach compte 134 diocses "de France" et met ˆ part les cinq diocses corses qui sont suffragants de Gnes ou de Pise. Ils seront rŽunis en un seul (sige : Bastia).

Les nouveaux ŽvchŽs sont : Laval, Saint-Maixent, Colmar, Vesoul, Sedan, Versailles, Ch‰teauroux et GuŽret.

Les nouvelles mŽtropoles : C™tes de la Manche (Rouen),  Nord-est (Reims), Est (Besanon), Nord-ouest (Rennes),  Paris (Paris), Centre (Bourges), Sud-ouest, (Bordeaux), Sud (Toulouse), C™tes de la MŽditerranŽe (Aix), Sud-est (Lyon).

[30] Cf. Gallerand, 1956. Lors de la crŽation de l'ŽvchŽ de Blois en 1697 en raison de la trop grande dimension de celui de Chartres, la dŽcision du roi se heurte, localement, aux difficultŽs de constitution de la mense Žpiscopale au dŽtriment de diverses abbayes ou Žglises qui doivent y consentir ; et d'autre part aux chicaneries romaines : le pape hŽsite ˆ augmenter le nombre d'Žvques pour ne pas renforcer la position de la France dans un Žventuel concile ; il veut confier l'enqute de commodo et incommodo au nonce dont le roi refuse de reconna”tre la juridiction ; la procŽdure consistoriale est longue et conflictuelle ; et, enfin, Rome prŽtend que, si le roi nomme aux ŽvchŽs vacants, le Concordat ne s'applique pas aux nouveaux ! Au total, les nŽgociations durent cinq ans et n'aboutissent que gr‰ce au reprŽsentant du roi ˆ Rome, un cardinal habile ˆ manÏuvrer le consistoire.

[31] Bischoff, 2017 : LÕempereur entreprit ds le dŽbut des annŽes 1780 de faire co•ncider les limites territoriales des diocses, fixŽes au Moyen åge, avec les frontires Žtatiques. En effet, les ƒtats hŽrŽditaires de la Maison dÕAutriche Žtaient situŽs Ð ˆ lÕexception des petits diocses de Vienne et de Wiener Neustadt Ð dans le ressort de diocses Žtrangers relevant pour la plus grande partie dÕentre eux de la province ecclŽsiastique de Passau. Ë cet effet, Joseph II se servit en 1782 dÕun plan ŽlaborŽ par Mgr Auersperg. Celui-ci prŽvoyait dÕaccommoder les structures de lÕƒglise ˆ celles de lÕƒtat. En mme temps, le monarque autrichien anticipait un principe que NapolŽon et mme le Saint Sige adaptrent ultŽrieurement. Lorsque lÕŽvque de Passau mourut en 1782, lÕempereur dŽtacha du diocse de Passau par un acte officiel de lÕƒtat Ð sans avoir auparavant consultŽ le pape Ð les rŽgions autrichiennes et leurs huit cent paroisses, et il fonda les diocses de Linz et de St. Pšlten que nous connaissons encore aujourdÕhui. Le pape Pie VI (1775- 1799) donna son consentement ultŽrieurement en 1785.

De mme, en Espagne, Charles III (1759-1788) exprime un puissant rŽgalisme, appuyŽ sur le concordat de 1753 qui accorde au roi la nomination des Žvques et le droit de lever des imp™ts sur les ecclŽsiastiques. La juridiction est bien cette clef interprŽtative qui nous place dans la mentalitŽ papale, quand Louis XVI demande ˆ Pie VI de ratifier les dŽcrets...Tout se dŽroule comme si un faisceau de convergences se trouvait pointŽ sur la personne du pape dans ces temps troublŽs. Les contemporains faisaient remarquer que Louis XVI demandait des choses jadis accordŽes ˆ Joseph II (Pelletier, 2004, P3, C9).

[32] Lanjuinais, 19 novembre 1790 sur le choix des curŽs des Žglises paroissiales nouvellement formŽes : La loi est muette sur la question qu'il s'agit de dŽcider. - Elle doit tre examinŽe dans deux cas trs diffŽrents, et qui prŽsentent des motifs de dŽcision. Le premier est celui o l'Žglise ˆ laquelle se fait la rŽunion a elle-mme son propre curŽ; alors il n'y a point d'Žlection ˆ faire... Mais que dironsánous si cette Žglise nouvelle, ou plut™t nouvellement circonscrite, est elle-mme vacante au temps de l'union? C'est ici qu'est la difficultŽ.

[33] Ces hŽsitations ne tiennent pas qu'au caractre de Louis XVI : Ce for intŽrieur [du Roi], qu'on pourrait croire fermŽ et solitaire, est, en rŽalitŽ, envahi par une foule d'agents et de conseillers, dont le roi n'est souvent que l'interprte inconscient. C'est toute une assemblŽe avec ses divisions et ses luttes, avec ses partis tour ˆ tour victorieux ou battus, qui loge dans la tte royale et qui, sans cesse, tiraille sa volontŽ dans des directions opposŽes (Bauer, 1905, Essai sur les rŽvolutions, p 101).

[34] En droit, le Roi nomme les Žvques et les patrons les curŽs ; en pratique, le nŽpotisme leur lie les mains, l'Žvque ayant prŽemptŽ sa succession en choisissant un coadjuteur et le curŽ par rŽsignation in favorem, crŽant ainsi de vŽritables dynasties familiales.  Bernis, l'ambassadeur ˆ Rome s'illusionne en disant au pape que les Žlections des Žvques ne lsent que les droits du roi (Observations confidentielles).

[35] Le 1er rapport du ComitŽ EcclŽsiastique (Durand de Maillane, 23 nov. 1789) proposait que le roi continue ˆ nommer les Žvques en choisissant dans une liste de trois "nominŽs" par les chanoines de la cathŽdrale (conservŽs), les Žvques voisins et les reprŽsentants du bureau du dŽpartement, et que ces Žvques nomment aux cures : ...qu'ˆ l'avenir ces premiers pasteurs sur qui repose, en quelque sorte, tout l'Ždifice de la police ecclŽsiastique, soient nommŽs par le Roi, comme cela s'est toujours pratiquŽ dans le royaume, mais dans le choix d'un des trois sujets qui lui seront prŽsentŽs par les diocses, ce qui ne sera qu'un soulagement de plus pour SM... [le roi] lui fera expŽdier son brevet de nomination, d'aprs lequel le mŽtropolitain confirmera l'Žlection. La consŽcration aura ensuite lieu dans les trois mois, en la forme usitŽe, mais aprs la prise de possession qui sera elle-mme prŽcŽdŽe du serment de fidŽlitŽ au roi et ˆ la nation... Comme encore dans cette forme le pape, qui donnait ci-devant les bulles, n'est plus rien, on l'y ferait participer [...] en lui envoyant par le nouveau prŽlat sa profession de foi... Sans mettre moins d'intŽrt aux fonctions des curŽs, on peut s'Žcarter de la rigueur de ces rgles dans leur choix. Comme aprs celui du premier pasteur, fait avec grand soin, le peuple pourra se reposer sur lui ... il convient et il est mme sage de lui laisser la pleine et entire collation des cures, ainsi que les anciens et nouveaux canons la lui donnent.

Le second rapport (Martineau, 21 avril 1790, aprs le dŽbat et dŽcret sur le remplacement des d”mes - Chasset) confiait l'Žlection aux assemblŽes Žlectorales civiles, mais accordait un droit de veto du roi, limitŽ ˆ deux fois. En cas de refus de l'institution canonique, l'appel Žtait portŽ au synode (mŽtropolitain pour un Žvque, diocŽsain pour un curŽ)

La version finale est toute civile et n'accorde aucun pouvoir au roi.

[36] Lors de la discussion de cet article le 9 juin 1790 :

Ñ L'abbŽ Jacquemard: je conclus ˆ ce que les Žvques soient choisis... par le clergŽ du dŽpartement, convoquŽ en synode, et auquel on pourrait joindre les membres de l'assemblŽe administrative. Je crois ce moyen propre ˆ opŽrer la rŽgŽnŽration de l'empire, et ˆ rendre a la religion tout son Žclat...

[Ce discours est applaudi d'une grande partie de la salle. - L'AssemblŽe dŽcide qu'il sera imprimŽ]

Ñ Robespierre : ...On vous propose de faire intervenir le clergŽ dans l'Žlection de cette portion d'officiers publics, appelŽs les Žvques: c'est bien lˆ l'exercice d'un droit politique. Vous l'appelez ˆ l'exercice de ce droit, non comme citoyen, mais comme clergŽ, mais comme corps particulier, ds-lors vous dŽrogez aux premiers principes; non seulement vous rompez l'ŽgalitŽ des droits politiques, vous faites du clergŽ un corps isolŽ; vous consacrez vous-mmes le retour des abus...

Ñ Garat l'ainŽ :... On parle du danger qu'il y a d'Žtablir l'esprit de corps; on croit avoir tout dit quand on a fait sonner ce mot, l'esprit de corps...

Ñ Camus :... il ne faut pas de corporation ecclŽsiastique, mais il faut des individus ecclŽsiastiques. Mon amendement est donc que l'Žlection des Žvques se fasse dans l'assemblŽe Žlectorale. o se rendront les plus anciens curŽs et vicaires de chaque district avec voix dŽlibŽrante...

Ñ Barnave :... Rien n'est plus contradictoire avec les principes d'une bonne constitution, que de donner ˆ un corps particulier la facultŽ de se rŽgŽnŽrer lui-mme...

Les articles Ill et VI du projet du comitŽ sont dŽcrŽtŽs : l'Žvque sera Žlu par le corps Žlectoral dans l'Žglise principale aprs la messe paroissiale.

[37] Art. I, 20 : Tous titres et offices autres que ceux mentionnŽs en la prŽsente constitution, les dignitŽs, canonicats, prŽbendes, demi-prŽbendes, chapelles, chapellenies, tant des Žglises cathŽdrales que des Žglises collŽgiales, et tous chapitres rŽguliers et sŽculiers de lÕun et lÕautre sexe, les abbayes et prieurŽs en rgle ou en commende, aussi de lÕun et de lÕautre sexe et tous autres bŽnŽfices et prestimonies gŽnŽralement quelconques, de quelque nature et sous quelque dŽnomination que ce soit, sont, ˆ compter du jour de la publication du prŽsent dŽcret, Žteints et supprimŽs sans quÕil puisse jamais en tre Žtabli de semblables.

[38] Le saint courroux de Sciout (1872) l'aveugle : Ainsi la constitution civile ne fut pas intercalŽe dans la constitution politique... L'intention formelle du comitŽ Žtait d'introduire ses bases dans cette constitution, et c'est la disposition la plus blessante pour les consciences catholiques, la plus schismatique qu'il a eu soin de choisir [l'Žlection populaire]. Impossible de proclamer plus ouvertement que le schisme Žtait insŽparable de la constitution de 1791. NŽanmoins, comme la constitution civile n'Žtait point formellement annexŽe ˆ la constitution politique, beaucoup de catholiques, surtout dans les campagnes, crurent pouvoir prter serment ˆ la constitution, afin de participer aux Žlections politiques (II, 461-2).

[39] Dans six cas sur huit, pourvoir aux nouveaux siges n'est pas facile.

Sedan (Ardennes) commence, Žlisant Nicolas Philbert le  22 novembre 1790, au troisime tour, par 190 voix sur 306 votants. Philbert dŽmissionnera fin 1793.

A Saint-Maixent (Deux-Svres), le curŽ Jallet, Žlu le 29 novembre 1790, hŽsite et  refuse le 23 fŽvrier 1791, prŽfŽrant la politique. Charles Prieur, Žlu le 13 mars 1791 accepte puis se ravise et s'enfuit, remplacŽ le  9 mai 1791 par le patriote  Jean-Joseph Mestadier qui restera titulaire jusqu'ˆ sa dŽmission concordataire de 1801.

A GuŽret (Creuse), Jean-Franois Mourellon (curŽ de NŽoux) Žlu le 29 novembre 1790 cherche ˆ Žluder sa nomination et, par respect pour l'Žvque de Limoges, renonce le 26 mars 1791. Marc-Antoine Huguet, Žlu le 9 mai 1791, dŽmissionne le 10 Decembre 1793.

Versailles (Seine & Oise) Žlit le 7 dŽcembre 1790  Jean-Julien Avoine. DŽnoncŽ ˆ la Convention nationale le 17 dŽcembre 1792, il meurt le 3 novembre 1793.

A Laval (Mayenne), l'Žlection est condamnŽe par le clergŽ et boudŽe par une partie des la•ques (272 votants sur 425). L'Žlu, le 12 dŽcembre 1790, est Michel Thoumin des Vauxponts, vicaire gŽnŽral de Dol, qui refuse le 22 fŽvrier 1791, avec les compliments de Pie VI. Le 20 mars 1791, il est remplacŽ par un Žtranger au dŽpartement, No‘l-Gabriel-Luce Villar, tellement mal accueilli qu'il profite de son Žlection ˆ la Convention (2 septembre 1792) pour fuir Laval.

Ch‰teauroux (Indre) Žlit le 6 fŽvrier 1791 RenŽ HŽraudin, curŽ de Chaillac. Il se retire en 1793 pour ne pas remarier les divorcŽs.

Colmar (Haut Rhin) Žlit le  6 mars 1791 Gobel qui prŽfre Paris. Le 27 mars 1791, Arbogast Martin est choisi. Il provoque des troubles et doit quitter Colmar en septembre 1793.

Vesoul (Haute Saone), le 14 mars 1791, nomme Jean-Baptiste Flavigny qui restera titulaire jusqu'ˆ sa dŽmission concordataire de 1801.

[40] Plus tard (bref Charitas), Expilly se fera vigoureusement tancer pour avoir donnŽ avis au pape sans lui demander confirmation de sa nomination et pour s'tre fait sacrer par un Žvque qui n'en avait pas le pouvoir : On peut donc lui appliquer ce que saint LŽon le Grand, Žcrivant ˆ quelques Žvques dÕƒgypte, disait dÕun semblable usurpateur : Ç Imitateur de Satan, il sÕest ŽcartŽ de la vŽritŽ, et il a abusŽ de lÕapparence dÕune fausse dignitŽ et dÕun titre imposteur. È

[41] ...il se prŽsente de nouveau, le 11 Janvier, avec ses deux notaires, devant M. de Girac, exhibe ses titres constitutionnels et requiert sa consŽcration. "A quoi mondit sieur Evque mŽtropolitain a rŽpondu qu'aprs avoir examinŽ la rŽquisition ˆ lui faite par ledit sieur Expilly, il croit devoir, avant tout, protester contre la qualitŽ de mŽtropolitain qui lui est donnŽe par le requŽrant, et contre les dŽnominations d'Evques des dŽpartements d'Ille-et-Vilaine et du Finistre, en tant qu'on voudrait en induire une extension de la juridiction spirituelle sur le territoire des diocses voisins, juridiction que les Evques de Quimper et de Rennes ne peuvent exercer sans y tre autorisŽs par l'Eglise.  Puis, en s'appuyant sur les Pres et les Conciles, il dŽmontre que l'Žlection civique n'est pas un retour ˆ l'ancienne discipline de l'Eglise, mais une vŽritable intrusion de la puissance civile ˆ laquelle il se refuse absolument de coopŽrer, en confŽrant une prŽtendue institution qui ne donnerait aucune autoritŽ..." (Pilven  J.-M., 1912, "Le premier Žvque constitutionnel. Expilly, Žvque du Finistre (1790-1794)", Bulletin diocŽsain d'histoire et d'archŽologie de Quimper et de LŽon, Quimper, de KŽrangal).

[42] Quoique Expilly, succŽdant ˆ un dŽfunt et non ˆ un insermentŽ, ne soit pas dans le cas visŽ par le DŽcret du 26 janvier 1791 sur le remplacement des ecclŽsiastiques fonctionnaires publics qui nÕont pas prtŽ le serment, il utilise son art. 4 qui, par commoditiŽ, remplace la procŽdure judiciaire par une dŽcision administrative : Les Žvques qui ont ŽtŽ Žlus jusqu'ˆ ce jour, et ceux qui le seront dans le courant de l'annŽe 1791, ne seront pas tenus de se prŽsenter pour obtenir la confirmation canonique, au mŽtropolitain, ni aux Žvques des arrondissements qui n'auraient pas prtŽ le serment prescrit par le decret du 27 novembre ; dans le cas o le mŽtropolitain, ou aucun des Žvques de l'arrondissement n'auraient pas prtŽ le serment, les Žvques Žlus se pourvoiront par-devant le directoire du dŽpartement, pour leur tre indiquŽ l'un des Žvques de France qui aura prtŽ le serment; lequel pourra procŽder ˆ la confirmation canonique, sans etre astreint ˆ demander la permission ˆ l'Žvque  diocŽsain.

[43] Par exemple, ˆ Blois, en janvier 1791, l'Žvque ThŽmines, pour Žviter le serment, ne para”t pas en chaire trois dimanches de suite. Le dŽpartement le considre alors comme dŽmis et convoque les Žlecteurs. Ceux-ci, le 13 fŽvrier, troublŽs par un mandement de ThŽmines contre l'Žlection schismatique ˆ laquelle ils vont procŽder, votent pour un chanoine Dupont qui est du pays. Cela ne fait pas l'affaire des constitutionnels qui harclent l'assemblŽe. Elle finit par donner 116 voix (sur 211) ˆ leur candidat, GrŽgoire, un curŽ-dŽputŽ lorrain que les Žlecteurs ne connaissent pas. ThŽmines ignore dŽlibŽrŽment ce rŽsultat et, renonant ˆ sa hauteur habituelle, charme ses curŽs et confirme ˆ tour de bras. Pis, il se prŽpare ˆ ordonner un prtre le 19 mars, ce qui met en marche la gendarmerie et toutes les forces armŽes. GrŽgoire, consacrŽ le 13 mars, arrive ˆ Blois le 25, au bruit du canon, des trompettes et des vivat des clubistes. Il entreprend de sŽduire son diocse dont ThŽmines excite contre lui dŽvots, curŽs et religieuses, exaspŽrant les plus radicaux du club qui complotent de l'enlever. Pour rester dans la lŽgalitŽ, le dŽpartement prend un arrt "invitant" l'ancien Žvque ˆ quitter le diocse, signifiŽ le 7 avril et aussit™t exŽcutŽ par ThŽmines : aurŽolŽ par son "martyre", il part en Savoie d'o il inonde ses nombreux partisans de lettres pastorales (Gallerand, 1922).

[44] Charitas : Nous dŽclarons en outre spŽcialement que les Žlections des susdits Expilly, Marolles, Saurine, Massieu, Lindet, Laurent, HŽraudin et Gobel, aux siges de Quimper, Soissons, Dax, Beauvais, ƒvreux, Moulins, Ch‰teauroux et Paris, ont ŽtŽ et sont illŽgitimes, sacrilges et entirement nulles ; Nous les cassons, annulons, abrogeons, de mme que lÕŽrection des prŽtendus ŽvchŽs de Moulins, de Ch‰teauroux, et toutes autres de cette espce. Nous dŽclarons Žgalement et Nous dŽcrŽtons que les consŽcrations des susdits ont ŽtŽ criminelles, et sont illicites, illŽgitimes, sacrilges, contraires aux saints canons, et ˆ raison de ce quÕils ont ŽtŽ Žlus tŽmŽrairement et sans aucun droit, Nous les dŽclarons privŽs de toute juridiction ecclŽsiastique et spirituelle pour la conduite des ‰mes, et suspens de toutes les fonctions Žpiscopales, pour sÕtre laissŽ illicitement consacrer. Nous dŽclarons aussi suspens de toutes fonctions Žpiscopales, Charles, Žvque dÕAutun, Jean-Baptiste, Žvque de Babylone, Jean-Joseph, Žvque de Lydda, consŽcrateurs ou assistants sacrilges, et de mme suspens des fonctions sacerdotales ou de quelque autre que ce soit, ceux qui ont prtŽ leur concours, leur consentement ou leur conseil ˆ ces exŽcrables consŽcrations...

Pour prŽvenir de plus grands maux, Nous ordonnons, dans les termes, et en vertu de la mme autoritŽ, que toutes les autres Žlections faites par les Žlecteurs des dŽpartements ou des districts, dans les formes prescrites par la susdite Constitution du clergŽ, pour les Žglises cathŽdrales, ou les cures de France, tant dÕancienne que de nouvelle et illŽgitime Žrection, quand bien mme lesdites places seraient vacantes, et ˆ plus forte raison si elles sont occupŽes, ainsi que les Žlections qui pourraient tre faites par la suite, soient rŽputŽes nulles, illŽgitimes et sacrilges, sans quÕil soit nŽcessaire de les dŽnommer expressŽment. En consŽquence, Nous les cassons, annulons, abrogeons par ces prŽsentes...

[45] La renaissance du papalisme au XIXe conduira les historiens catholiques ˆ mettre cette question au cÏur du refus de la CCC. Par exemple, Sicard, 1893, II : Au fond, la grande prŽoccupation de l'Eglise gallicane dans cette affaire ne fut pas le roi, mais le pape. Ce qui Žtait en jeu, c'Žtait sa communion avec Rome, c'Žtait de savoir si elle resterait catholique. Ds lors, les droits du pape dominaient tous les autres problmes soulevŽs par les dŽcrets (p 379) ...le gallicanisme rapportera de cette bataille une terrible blessure. L'Žlan que vient de prendre vers Rome l'Žpiscopat franais, avec d'autant plus d'ardeur qu'on voulait couper ses communications avec la ville Žternelle, a donnŽ, pour ainsi dire, ˆ toute l'Eglise gallicane un Žbranlement ultramontain dont le contrecoup aura les plus hautes consŽquences dans notre sicle (p 393).

[46] Bonal, dans sa rŽfutation du serment libertŽ-ŽgalitŽ de 1792 (dŽnichŽe et publiŽe par Uzereau, 1919, Revue historique de la rŽvolution franaise, p 1sq), Žcrira : Dans celui de fŽvrier [1790], il ne s'agissait que de jurer le maintien de ce qui existait alors de la Constitution. Il n'y avait encore aucune atteinte portŽe ˆ la religion... [nous jur‰mes] sur les invitations et les instances pressantes du roi lui-mme, qui vint dŽclarer ˆ l'AssemblŽe qu'il adoptait la Constitution et qu'il regarderait comme mauvais citoyens et peu attachŽs ˆ sa personne ceux qui se refuseraient ˆ l'admettre... Les Žvques non dŽputŽs n'ont pas fait non plus de difficultŽs. Seul l'archevque de Narbonne, Dillon, s'est dŽclarŽ rŽsolu ˆ le refuser. Les histoires locales nous montrent les Žvques faisant partout le serment civique, ou, s'ils sont absents de la ville Žpiscopale, donnant procuration, ˆ cet effet, ˆ leurs grands vicaires (Sicard, 1893, II, 301).

Mais, quand le texte constitutionnel enfin achevŽ sera prŽsentŽ au roi et acceptŽ par lui, il sera rejetŽ par une quarantaine de dŽputŽs ecclŽsiastiques, une trentaine de curŽs et onze Žvques (de Bernis, coadjuteur du cardinal de Bernis, archevque d'Albi, et les Žvques de Ch‰lons-sur-Marne, Uzs, Oleron, Saint-Flour, Condom, Dijon, Montpellier, N”mes, le Mans, Perpignan). Ils signeront la DŽclaration d'une partie des dŽputŽs aux Etats gŽnŽraux de France, sur l'acceptation donnŽe par le roi ˆ l'acte constitutionnel, du 15 septembre 1791, sans avoir le sentiment de renier leur serment du 4 fŽvrier, tant il s'est ajoutŽ de choses ˆ la constitution d'alors. Cependant les 2/3 des prŽlats dŽputŽs (dont les plus considŽrables, Aix, Arles, Toulouse, Rouen) ne participent pas ˆ cette protestation.

[47] Bonal, encore, qui, depuis l'abolition des vÏux Žternels (fŽvrier 1790), n'a cessŽ de proclamer l'incompŽtence de l'AssemblŽe pour ce qui concerne le spirituel, fait Žvidemment le lien entre la CCC et la Fte de la FŽdŽration. Il dŽclare au cours de la Discussion sur le projet de dŽcret concernant l'ordre ˆ observer et le serment ˆ prter ˆ la fŽdŽration (sŽance du 9 juillet 1790) : Nous allons renouveler le serment de fidŽlitŽ ˆ la nation, ˆ la loi et au roi... Permettez que je me dŽclare prt ˆ signer ce serment de mon sang. Nous allons le prononcer dans des circonstances diffŽrentes de celles du 4 fŽvrier; nous allons le prononcer sous le sceau de la religion. Ici, en me rappelant ce que je dois ˆ CŽsar, je ne puis oublier ce que je dois ˆ Dieu... J'excepterai de mon serment tout ce qui regarde les choses spirituelles...[Les ecclŽsiastiques et divers membres du c™tŽ droit se lvent en signe d'adhŽsion].

Le 2 janvier 1791, aprs plusieurs tentatives pour prendre la parole, Bonal dŽclarera ne pas pouvoir en conscience prter le serment exigŽ.

[48] Je, Hincmar, Žvque de l'Žglise de Laon, dŽsormais serai fidle et obŽissant ˆ mon seigneur Charles le roi, suivant mon ministre, comme un homme doit tre envers son seigneur et chaque Žvque envers son roi [Ego Hincmarus, ecclesiae Laudunensis episcopus, a modo et deinceps domno seniori meo, Karolo regi, fidelis et obediens ero secundum ministerium meum, sicut homo suo seniori et episcopus quilibit suo regi fieri debet]. In: Dumas, 1931. Le texte est donnŽ par les Annales de Saint-Bertin, 870 (Ed. Dehaisnes, 1871, 204).

Voir aussi Lot, 1933.

[49] Le concordat bonapartiste de 1801 remettra en vigueur le serment qui Žtait en usage avant le changement de gouvernement en le prŽcisant rigoureusement. Couverts par le pape, un certain nombre de nos Žvques rebelles s'engageront sur les saints Žvangiles ˆ garder obŽissance et fidŽlitŽ ˆ la RŽpublique et ˆ son premier consul !

La formule du serment appartient ˆ la convention approuvŽe et signŽe par le pape. Art. 6: Les Žvques, avant d'entrer en fonctions, prteront directement, entre les mains du premier Consul, le serment de fidŽlitŽ qui Žtait en usage avant le changement de gouvernement, exprimŽ dans les termes suivants: Je jure et je promets ˆ Dieu, sur les saints Evangiles, de garder obŽissance et fidŽlitŽ au gouvernement Žtabli par la Constitution de la RŽpublique franaise. Je promets aussi de n'avoir aucune intelligence, de n'assister ˆ aucun conseil, de n'entretenir aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui soit contraire ˆ la tranquillitŽ publique ; et si, dans mon diocse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au prŽjudice de l'ƒtat, je le ferai savoir au Gouvernement. Art. 7 : Les ecclŽsiastiques de second ordre prteront le mme serment.

[50] Certes, il rappelle que Nous avons rŽclamŽ, pour les objets purement spirituels, le recours aux formes canoniques, et pour les objets mixtes, le concours de la puissance civile et de la puissance ecclŽsiastique. Nous avons refusŽ le serment sur tout ce qui concerne les objets spirituels, dŽpendant de l'autoritŽ de l'Žglise. Mais le serment civique en lui-mme est tellement banal qu'il s'y rŽfre pour condamner le parjure qu'on autorise les religieux ˆ accomplir en rompant leurs vÏux : Rien n'est plus sacrŽ, dans toutes les nations, que la foi du serment. Les citoyens sont appelŽs, d'un bout de la France ˆ l'autre, ˆ prter le serment civique; et ce n'est pas en autorisant les religieux ˆ faire un parjure qu'on pourrait faire sentir aux citoyens la nŽcessitŽ d'accomplir un serment.

La Protestation de Cent cinq curŽs de la Bretagne contre la nouvelle constitution civile du clergŽ, adressŽe ˆ l'AssemblŽe nationale (sŽance du 17 juillet 1790) qui la choquera tellement ne dit pas un mot du serment.

La lettre pastorale du radical Castellane-Mazaugues, Žvque de Toulon (rŽfugiŽ ˆ Nice) du 1er Juillet 1790 le condamne ˆ cause des rŽguliers : ...vous avez prononcŽ l'anŽantissement de l'Žtat monastique, vous l'avez dŽclarŽ contraire ˆ la Constitution que vous prŽparez ! Quelle Žtrange Constitution devons-nous donc attendre de vous puisque vous la dŽclarez incompatible avec une profession qui se voue ˆ la pratique de la perfection ŽvangŽlique? Et vous voulez nous contraindre de jurer devant Dieu de maintenir de tout notre pouvoir cette Constitution ! Non, non, vos efforts seront impuissants, et vos menaces seront vaines; vous n'obtiendrez jamais de nous un pareil serment...

[51] Madelin, La RŽvolution (1912) : La Constitution civile se publiait en province, mais les Žvques lui opposaient la force d'inertie. Il fallut cependant dissoudre les chapitres : cela donna lieu ˆ des scnes f‰cheuses ; on se heurta partout ˆ l'Žvque. Les administrateurs, que talonnaient les sociŽtŽs, se virent dans l'impuissance. Le ComitŽ ecclŽsiastique se rŽsolut (le mot est de Mirabeau) ˆ "museler le clergŽ". Il fallait rŽduire ˆ la soumission "ces fonctionnaires rebelles". L'idŽe d'acculer prŽlats et curŽs ˆ la reconnaissance formelle de la loi se propageait. Le 26 novembre... (p 151-2).

[52] De la Gorce, 1911, (T. 1), mentionne plusieurs cas : le directoire de l'Aisne mit en demeure l'Žvque de Soissons, M. de Bourdeilles, de fixer le jour o il prterait serment. Le prŽlat protesta et refusa. Par une dŽcision du 12 novembre, anticipant le dŽcret du 27, le directoire dŽclara l'Žvque dŽchu de sa charge et fixa la date de l'Žlection du successeur. Cependant, ˆ Paris, le zle fut [alors] jugŽ excessif et, sur les remontrances d'un des dŽputŽs du dŽpartement, la dŽlibŽration fut supprimŽe.

Le 16 novembre, l'administration dŽpartementale des Bouches-du-Rh™ne rŽclamait une prompte exŽcution de la loi. L'administration du Var, le 22 novembre, imposait aux prtres, de sa propre autoritŽ, l'obligation du serment dans la quinzaine.

De la Gorce : Pour rŽduire les Žvques, il y aurait quelque chose de plus efficace que de supprimer leurs Žmoluments, ce serait de subordonner ˆ leur obŽissance la continuation du culte. Ainsi en jugea le district de Langres [DŽlibŽration du 8 dŽcembre 1790]. Avec une hardiesse qui devanait le temps, il ferma de sa propre autoritŽ la cathŽdrale, en confia les clefs au secrŽtaire du district, et dŽcida qu'elles seraient remises ˆ l'Žvque le jour o il prterait serment (p 315-6).

Notons aussi la dŽnonciation ˆ l'AssemblŽe de l'Žvque de Nantes par le directoire du dŽpartement qui, le 26 novembre, constitue (par hasard ?) une parfaite introduction au rapport Voidel : nous venons, Messieurs, vous supplier de dŽcrŽter que le procs soit fait et parfait au sieur Žvque de Nantes, comme coupable de forfaiture... que ledit Žvque soit mis de suite en Žtat d'arrestation ; que, ds que la forfaiture aura ŽtŽ jugŽe et la destitution du sige prononcŽe comme suite nŽcessaire, son procureur gŽnŽral syndic soit autorisŽ ˆ convoquer le corps Žlectoral qui procŽdera ˆ l'Žlection d'un nouvel Žvque, et qu'il en sera usŽ de la mme manire ˆ l'Žgard des curŽs rŽfractaires ˆ vos dŽcrets (ARCPA, 21, p 1-2).

[53] Durand de Maillane, 1791, Apologie, Note 1, p 123 : Quand je dŽfends ici ce serment, je m'acquitte d'un devoir qu'il ne rŽpugne ni ˆ mes lumires ni ˆ ma conscience de remplir; mais je dois dire... que ce n'a pas ŽtŽ l'ouvrage du comitŽ ecclŽsiastique, mais bien de certains comitŽs rŽunis et que prŽsidoit le comitŽ des recherches. Divers membres de notre ComitŽ se sont trouvŽs dans cette rŽunion ; mais un plus grand nombre peut-tre n'y a pas ŽtŽ et s'opposoit ˆ ce serment ; je pensais comme ceux-ci, non que je reconnusse ce serment illŽgitime, mais j'en prŽvoyois les mauvais effets dans un tems de commotion o l'incertitude des ŽvŽnements, rend les dŽterminations chancelantes ; j'aurois prŽfŽrŽ dans ces circonstances une autre mesure, comme j'aurais prŽfŽrŽ bien d'autres dispositions ˆ celles qui ont passŽ contre mon avis... Mon idŽe Žtoit d'employer en place du serment, le moyen simple que prŽsentait la dŽsobŽissance ˆ la loi... mais l'on prŽvoyait et l'on a reconnu par l'Žvnement que les procŽdures n'auraient pas eu lieu parce que ni les tribunaux ni les corps administratifs ne s'y seraient pas prtŽs ou assez bien ; de sorte qu'il a ŽtŽ plus convenable dans les circonstances d'employer le serment...

Deux points sont importants dans cette note : 1) le dŽsaisissement du comitŽ ecclŽsiastique au profit du comitŽ des recherches, c-ˆ-d. le passage du religieux au pŽnal ; 2) la dŽcision d'empcher les contraventions par un serment ex ante parce que, en pratique, il serait impossible de punir les contrevenants post facto.

[54] Quand la volontŽ publique s'est exprimŽe, les individus doivent obŽir : mais il faut encore leur ™ter ce prŽtexte ; il ne faut pas qu'ils puissent dire plus longtemps que vous avez attaquŽ la religion, dŽtruit la hiŽrarchie de l'Eglise, rompu l'unitŽ de l'Žpiscopat, interrompu la communion avec le pontife de Rome ; que l'autoritŽ ecclŽsiastique seule, ou avec le concours de la puissance civile, a pu changer les limites des diocses, ordonner une nouvelle circonscription de cures, leur suppression et leur union ; la suppression des chapitres, et leurs droits de juridiction pendant la vacance des siges ; il ne faut pas qu'ils puissent parler davantage de la nŽcessitŽ d'un concile ; censurer le refus de dŽclarer la religion catholique la seule religion de l'Etat, et se rŽcrier contre le prŽtendu vice des choix populaires.

[55] Cette curieuse diatribe Žtrangre aux prŽoccupations (et aux connaissances) de Mirabeau est gŽnŽralement anlaysŽe comme un contre-feu que, pour plaire ˆ la Cour avec laquelle il est ˆ prŽsent secrtement alliŽ, il allume en multipliant les attaques violentes contre le clergŽ pour en arriver ˆ un projet de dŽcret dont le principal mŽrite serait d'Žcarter celui de Voidel en remplaant la prŽvention discriminante (serment sous huitaine) par la sŽvre rŽpression des dŽlits Žventuels des ecclŽsiastiques contre la CCC et la Constitution, ce qui ressemble un peu ˆ l'avis de Durand de Maillane.

Mirabeau ˆ Lamarck, 26 novembre 1790 : Avertissez l'archevque [Champion de CicŽ], mon cher comte, que le dŽcret des comitŽs rŽunis contre le clergŽ est en trente-quatre articles bien superlativŽs, bien ‰pres, bien violents, et dont pas un seul ne va rŽellement au fait. Je ne connais point le rapport. Avertissez-le que le mien est en cinq, purement de prŽcautions, purement comminatoires, comminatoires sans terme fatal, tandis que le plus long rŽpit du comitŽ est de huit jours, et tout autrement dŽcisiſ, et muselant le clergŽ ; ma mesure est infiniment plus douce, et tellement que le plus rŽfractaire d'entre eux a son Žchappatoire... un discours plus ou moins vigoureux ne doit pas dŽtourner la vue du dŽcret, parce qu'en dernire analyse il n'y a que cela qui reste (Correspondance, ed. Bacourt, 1851, II, 94).

De la Gorce (1911) commente : Quant aux adoucissements, ils rŽsidaient, non dans ce que le projet contenait, mais dans ce qu'il omettait de rŽgler. Nul dŽlai fixe n'Žtait imparti pour le serment, et cette disposition fondamentale du projet Voidel se trouvait comme escamotŽe dans le tourbillon d'Žloquence qui avait transportŽ le public des tribunes. Par suite, la redoutable mise en demeure Žtait ajournŽe (I, 326).

Que la manÏuvre soit trop grossire ou trop subtile, la droite, dŽgožtŽe par la dŽnonciation du clergŽ, ne la soutient pas et Camus l'Žcarte d'un revers de main : Je demande qu'on aille aux voix sur-lechamp, que la prioritŽ soit accordŽe au projet de dŽcret du comitŽ ecclŽsiastique, et refusŽe ˆ celui de M. de Mirabeau, parce qu'il contient des dispositions superflues, inexcusables, injustes, et qu'il aurait le grand inconvŽnient de vous faire revenir sur vos dŽcrets.

[56] Il l'accompagne de justifications : Si j'ai tardŽ ˆ prononcer l'acceptation sur ce dŽcret, c'est qu'il Žtait dans mon cÏur de dŽsirer que les moyens de sŽvŽritŽ pussent tre prŽvenus par ceux de la douceur; c'est qu'en donnant aux esprits le temps de se calmer, j'ai dž croire que l'exŽcution de ce dŽcret s'effectuerait avec un accord [de Rome] qui ne serait pas moins agrŽable ˆ l'AssemblŽe nationale qu'ˆ moi ; j'espŽrais que ces motifs de prudence seraient gŽnŽralement sentis ; mais, puisqu'il s'est ŽlevŽ sur mes intentions des doutes que la droiture connue de mon caractre devait Žloigner, ma confiance en l'AssemblŽe nationale m'engage ˆ accepter.

[57] Le choc provoquŽ par l'obligation du serment est tel que  sa reformulation de 1792 (libertŽ-ŽgalitŽ), quoique dŽsormais exempte de toute atteinte au spirituel, sera comprise politiquement et rejetŽe par les Žvques ŽmigrŽs, Asseline (Boulogne), Bovet (Sisteron), Sabran, (Laon), Mercy (Luon), Bonal (Clermont)... et l'abbŽ Maury. Au contraire, ceux qui rŽsistent courageusement ˆ l'intŽrieur l'interprŽteront juridiquement et l'accepteront (Bausset, Emery, soutenus ˆ l'extŽrieur par La Luzerne, Boisgelin, Barral, CicŽ). Les Žvques, les prtres restŽs en France, mieux au courant de l'Žtat des esprits, plus conscients du danger de mler la politique ˆ la religion, prchent rŽsolument la conciliation (Sicard, 1893, T3, p 284)... Dans cette division des esprits, la dŽcision du Pape aurait eu une capitale importance... Pie VI. malgrŽ la pression exercŽe sur lui, refusa de se prononcer (p 289).

Il se taira jusqu'en 1796. Alors, quoiqu'obligŽ de mŽnager le gouvernement franais ˆ la suite des conqutes italiennes de Bonaparte et de l'armistice de Boulogne, il ne lui accordera pas l'annulation rŽclamŽe des condamnations de 1791, mais son bref "Pastoralis sollicitudo" du 5 juillet 1796 (diffusŽ quoique non publiŽ), en pleine polŽmique sur le serment de soumission aux lois de la RŽpublique, rappellera aux catholiques de France la nŽcessitŽ d'tre soumis aux autoritŽs constituŽes et ˆ leurs gouvernants, que la vraie religion n'est nullement faite pour renverser les lois civiles : Siquidem cum Dogma catholicum sit, divinae Sapientiae opus esse, quod Principatus sint... C'est en effet un Dogme de la Religion catholique que l'Žtablissement des Gouvernemens est l'ouvrage de la sagesse divine... Les monarchistes, furieux, nieront l'authenticitŽ du bref.

Le pape, ˆ la fois chef visible de l'Eglise et prince temporel, est pris dans les rapports de force. Ds le 20 septembre  1792, une flotte franaise Žtant entrŽe dans la MŽditerranŽe, Rome sans dŽfense se livre ˆ Hugou-Bassville jusqu'ˆ ce qu'une tempte disperse les navires (20 dŽcembre) et qu'une Žmeute populaire se dŽbarrasse des Franais (13 janvier). Le Pape ne permet pas ˆ leur chargŽ d'affaires de venir ˆ Rome et ignore ses ouvertures. De ce fait, la RŽpublique dŽcide l'expŽdition militaire que le Directoire exŽcutera en 1795.

[58] La lettre seule de la loi existoit le 14 juillet 1790, et elle fut ds lors la matire d'une exception au serment de la fŽdŽration, qui n'Žtoit que le serment civique. Et aujourd'hui que les scandales dont elle a ŽtŽ la source n'ont malheureusement que trop justifiŽ la nŽcessitŽ de l'exception ; aujourd'hui que tous ses funestes effets et l'extension qu'on a donnŽe ˆ la loi, font  avec la loi mme un corps de choses [mon soulignement] si affligeant pour l'Žglise, un ensemble dont l'opposition avec le christianisme est si Žvident, si inexcusable, si irrŽsistible, il deviendroit permis ˆ un catholique de ne plus faire d'exception, et de prter le serment civique purement et simplement ? (1791, Question : le serment offert par M. l'Žvque de Clermont..., p 15).

[59] La Luzerne le formule ainsi dans son commentaire de l'Instruction en janvier 1791 : En publiant ses dŽcrets sur la constitution civile du clergŽ, l'assemblŽe nationale a dŽclarŽ qu'ils Žtaient constitutionnels ; donc ils font partie de la Constitution de l'Etat ; donc, en jurant de maintenir la Constitution, on se lie au maintien de celle du clergŽ ; donc tous les articles de la constitution du clergŽ sont des objets du serment, et l'obligation de les observer, de les maintenir tous en est le rŽsultat. Donc il suffit qu'il y ait dans la constitution du clergŽ quelque article contraire aux lois de l'Eglise catholique, pour qu'un catholique ne puisse pas prter le serment exigŽ. CQFD !

[60] Dans ses Observations sur le serment prescrit aux ecclŽsiastiques (1791), Boisgelin met de c™tŽ les arguments religieux et, jouant au plus fin, raisonne juridiquement : il dŽmontre, presque terme ˆ terme, la nullitŽ du dŽcret de novembre 1790 car la loi ne doit rien faire contre la Constitution. La libertŽ religieuse qu'elle garantit est violŽe puisque un catholique ne peut pas  exercer le culte religieux auquel il est attachŽ (Constitution, Titre I, 3¡, al. 4) et que les ecclŽsiastiques sont soumis au serment mme lorsqu'ils ne sont pas fonctionnaires publics. On exige d'eux un serment auquel on n'oblige pas les autres citoyens. Et l'A. conclut joliment son argumentaire : Nous terminerons ces observations par cette maxime de la Constitution : "Toute SociŽtŽ dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurŽe, n'a point de  constitution".

L'A. affecte de se rŽclamer de la Constitution mais, ˆ ses yeux, le vice essentiel de la CCC se trouve dans l'Žlection "populaire", et c'est ce que la Constitution en retient (I, 3, al. 10). Pour lui, prŽtendre que la non inclusion de la CCC dans la Constitution permet de jurer est un sophisme puisque la Constitution valide toutes les lois en vigueur et oblige ˆ les exŽcuter.

En outre, l'obscuritŽ du dernier article (VII.8, al. 4) laisse supposer qu'en prtant ce serment on jure de maintenir (et pas seulement respecter) les simples lois : Les dŽcrets rendus par l'AssemblŽe nationale constituante, qui ne sont pas compris dans l'Acte de Constitution, seront exŽcutŽs comme lois ; et les lois antŽrieures auxquelles elle n'a pas dŽrogŽ, seront Žgalement observŽes, tant que les uns ou les autres n'auront pas ŽtŽ rŽvoquŽs ou modifiŽs par le Pouvoir lŽgislatif.

[61] La Luzerne ˆ propos de l'Instruction  du 21 janvier 1791 : Est-ce sŽrieusement, est-ce par dŽrision que l'on prŽsente comme un bienfait de l'AssemblŽe envers la religion, ses dŽcrets sur la dŽpense du culte ? Croit-on que la nation ait dŽjˆ oubliŽ la spoliation aussi violente qu'injuste de tous les biens des Žglises...? ...Une annŽe entire s'est ŽcoulŽe depuis que les Žglises ont ŽtŽ dŽpouillŽes de leurs biens, et ses ministres n'ont pas encore reu la plus lŽgre portion de ce mince traitement qu'on leur a laissŽ...

[62] En 1510, selon Seyssel (Grand Monarchie, L1, C13 et sq.) les trois Žtats se composent 1) de la noblesse (qui manie l'ŽpŽe et vit des pensions du roi), 2) du gras tiers (marchandise, offices), et 3) du menu tiers (mŽcaniques, laboureurs et fonctions administratives infŽrieures). Ces trois catŽgories se contr™lent et se mlent par ascension sociale, les meilleurs de la troisime passant dans la deuxime, et les meilleurs de la deuxime dans la premire par gr‰ce royale (ce qui renouvelle la noblesse). Cette ouverture est essentielle ˆ l'harmonie du royaume (p 17 de lÕŽd. Galiot du PrŽ, 1557). Quant au clergŽ qui est au-dessus de tous, il s'alimente aux la•cs de tous Žtats qui par vertu & science le rejoignent.

Cette vision "socio-politique" ignore rŽsolument l'assemblŽe des "trois ordres" quoique celle de 1484 ne soit pas si loin et qu'elle ait ŽtŽ la plus gŽnŽrale de toutes. Le piŽmontais Seyssel n'a rejoint la France qu'en 1498 ˆ l'appel de Charles VIII, et l'assemblŽe de Tours de 1506 ˆ laquelle il participe rŽunit les notables et non les Žtats.

[63] Finances ˆ zŽro ; "dictature" des Guise ; minoritŽ du roi Charles IX et rŽgence hŽsitante ; rŽvolte des RŽformŽs ; rŽbellion de CondŽ ; Ligue et insurrection de Paris... Cette terrible crise de quarante ans donne un air paradisiaque ˆ la France de 1789-90.

[64] Boucher d'Argis Žcrira en 1763 (en note additionnelle ˆ son Ždition de Fleury, T2, p 253-4) : [En rŽalitŽ]...c'est le Roi qui impose le ClergŽ en gŽnŽral & en particulier ; [...] les contrats que le ClergŽ fait avec le Roi ne sont que des abonnemens semblables ˆ ceux que le Roi fait avec les pays d'Etats ; la rŽpartition que le ClergŽ fait sur ses membres, ne se fait qu'en vertu de l'autoritŽ du Roi, qui le permet ainsi, le Roi Žtant le seul qui puisse mettre imposition sur ses sujets.

[65] Le temporel de l'Eglise consistant en biens consacrŽs ˆ Dieu, c'est, suivant le pre Thomassin [Discipline de l'Eglise, 1678], exercer une fonction spirituelle, que de faire des rŽglemens ˆ ce sujet (R. P. Berthier, de la Compagnie de JŽsus, DISCOURS Sur les AssemblŽes de l'Eglise Gallicane, art. 5, "L'Eglise gallicane dans les assemblŽes qui se tiennent aujourd'hui", Journal ecclŽsiastique, janvier 1762).

[66] Serbat, 1906, p 179 : Leur institution [des agents gŽnŽraux du ClergŽ] Žtait trop nŽcessaire pour qu'elle fžt sŽrieusement critiquŽe... La crŽation des Agents, autant que l'existence des assemblŽes, constitue sur ce point la supŽrioritŽ de l'ordre du clergŽ. Les autres ordres n'ont pas de ces reprŽsentants permanents qui veillent ˆ leurs intŽrts ; l'Eglise, au contraire, les gardera jusqu'ˆ la fin de l'ancien rŽgime et l'importance de leur charge ira toujours en s'accroissant. L'assemblŽe [...] s'occupa d'assurer leurs pouvoirs sans trop attirer l'attention sur leur existence.

[67] Quoique PŽronnet (1962) minimise la portŽe de l'assemblŽe du clergŽ qu'il restreint ˆ un groupe de pression, il a raison d'Žcrire : Ce groupe de pression n'existe que gr‰ce ˆ l'administration royale qui le supporte et, si la possibilitŽ de s'assembler lui est retirŽe, le groupe se trouve rŽduit ˆ n'tre plus qu'une minoritŽ incapable d'agir sur le gouvernement et ˆ l'intŽrieur de son Ordre. Lˆ rŽside certainement une des causes de la rŽsistance du haut clergŽ ˆ l'ŽgalitŽ fiscale qui rendrait inutile les assemblŽes du clergŽ.

[68] Duquesnoy, dŽputŽ libŽral du Tiers, Žcrira dans son journal ˆ la date du 30 Juin 1789 : Je sais que l'esprit d'indŽpendance [de la nation] est antŽrieur ˆ sa rentrŽe [de Necker] au ministre, que les dŽtestables abus d'autoritŽ dont les rois ont osŽ se rendre coupables, leurs attentats multipliŽs contre les droits des peuples Žtaient faits pour les soulever. Je sais surtout que la rŽvolution du 8 mai 1788 y a infiniment contribuŽ. Cette lutte entre l'autoritŽ et le parlement, cette force militaire dŽployŽe avec tant d'appareil et inutilement, ces assemblŽes des parlements malgrŽ la dŽfense du Roi, ces Žcrits rŽpandus par le ministre et par la cour, la facilitŽ avec laquelle le Roi a cŽdŽ, tout cela avait ŽlevŽ la nation ˆ une hauteur ˆ laquelle elle n'Žtait pas habituŽe (Journal de Duquesnoy, Žd. CrvecÏur, 1894, T1 , p 146).

[69] Lors de l'Žlection par ordre des dŽputŽs aux Žtats-gŽnŽraux, ceux du clergŽ du DauphinŽ sont : l'archevque de Vienne et son vicaire gŽnŽral, le doyen du chapitre de Vienne et un chanoine de Die.

Le "leader" des curŽs, Reymond, invite le bas-clergŽ des autres provinces ˆ comprendre la leon pour ne pas se laisser faire. Son MŽmoire pour les curŽs de France relativement ˆ la Convocation prochaine des ƒtats-gŽnŽraux explique en dŽtails comment, aux Žtats de Romans, les chanoines, en majoritŽ dans la dŽlŽgation du clergŽ, ont rŽduit ˆ presque rien la participation des curŽs et exclu les congruistes.

Le processus d'ŽcrŽmage dŽnoncŽ par Reymond appara”t jour par jour dans le rŽcit des Žtats (Chevalier Ulysse, 1869, Les Žtats du DauphinŽ et particulirement ceux tenus dans la ville de Romans en 1788, Grenoble, Prudhomme).

[70] ƒgret, 1955 : ...toute atteinte ˆ l'autoritŽ des ƒtats blessait d'abord la noblesse, qui jouissait, dans cette assemblŽe, d'une prŽpondŽrance absolue. Tous les gentilshommes ‰gŽs de vingt-cinq ans siŽgeaient de droit aux ƒtats de Bretagne et le nombre des prŽsents descendait rarement au-dessous du chiffre de 500. Actifs et bruyants, ils n'avaient pas de peine ˆ intimider et ˆ entra”ner l'ordre du clergŽ recrutŽ uniquement parmi les Žvques, les chanoines et les abbŽs, et le tiers Žtat reprŽsentŽ seulement par les maires de quarante-deux villes privilŽgiŽes...

[71] A l'exception de Saint-Pol-de-LŽon... au bout de quelques semaines, les Žlecteurs du diocse de Saint-Pol-de-LŽon, qui n'avaient pas nommŽ leurs dŽputŽs, par dŽfŽrence pour les ordres de Mgr de la Marche, dŽsignrent leurs deux reprŽsentants. De tous les curŽs bretons, ce furent les seuls qui votrent jusqu'au dernier jour avec la minoritŽ du clergŽ (Dubreuil, 1917). Les Žlus sont VERGUET (prieur de l'abbaye royale de Relec) et EXPILLY (curŽ-recteur de Saint-Martin de Morlaix). Plus tard, Expilly se dŽtachera du parti Žpiscopal et adhŽrera ˆ la CCC dont il sera le premier Žvque Žlu.

[72] En introduction ˆ son Ždition du journal de Thibault, Houtin (1916) prŽcise : Il n'existe pas de procs-verbal officiel des sŽances du ClergŽ aux Etats gŽnŽraux de 1789 analogue au Procs-verbal des sŽances de la chambre de l'Ordre de la Noblesse. En effet, la majoritŽ de ses dŽputŽs n'ayant pas voulu se constituer en Ordre, le ClergŽ ne devait pas tenir un procs-verbal en tant qu'Ordre... Thibault fut chargŽ de tenir un journal des opŽrations qui est donc semi-officiel. Coster, ˆ titre privŽ, a tenu un journal des sŽances. Les deux ont ŽtŽ divulguŽs par Camus en 1791 dans son Recueil de pices relatives ˆ la convocation des Žtats gŽnŽraux. Vallet publia en 1790 ses notes personnelles (RŽcit des principaux faits Qui se sont passŽs dans la Salle de l'Ordre du ClergŽ, Imprimerie Nationale) et Rangeard fit de mme anonymement en 1791 (Procs-verbal historique des actes du clergŽ dŽputŽ, Imprimerie Nationale). Le journal de Jallet, radical curŽ de ChŽrignŽ (Poitou), a ŽtŽ ŽditŽ par BrethŽ en 1871.

[73] Je cite volontiers Barbotin car ce dŽputŽ malgrŽ lui est sans idŽologie. Opposant muet aux Žvques dans la chambre du clergŽ, il votera cependant avec eux ˆ l'AssemblŽe, refusera la CCC, perdra sa cure prospre et se dŽbrouillera pour vivre tranquille dans son pays.

[74] Quoique la liste (Houtin, 1916) soit un peu incertaine, les votes du 19 juin en faveur de la vŽrification commune comprennent : pour le premier ordre 5 Žvques sur 50 (10%) ; pour la couche supŽrieure du second ordre 19 sur 56 votants (34%) ; pour les curŽs  125 sur 177 votants (70%). Plus quelques 25 non votants (absents, abstention, vote perdu).

Les cinq Žvques sont : Champion de CicŽ, archevque de Bordeaux ; Colbert de Seignelay, Žvque de Rodez ; Le Franc de Pompignan, archevque de Vienne ; Lubersac, Žvque de Chartres ; Talaru de Chalmazel, Žvque de Coutances.

Champion est-il opportuniste, monarchien ou hŽsitant ? en tant que garde des sceaux, il se comportera de manire ambigu‘ ˆ l'Žgard de la CCC, il ne lui prtera pas serment et Žmigrera, ostracisŽ par ses collgues, puis il sera archevque concordataire ; Colbert Žmigrera et fera partie des Žvques qui refuseront le concordat de 1801 ; Lefranc aura la chance de mourir le 29 dŽcembre 1790 ; Lubersac Žmigrera et, en 1801, refusera un ŽvchŽ ; Talaru sera dŽmissionnŽ et mourra en Žmigration. Aucun des cinq ne sera actif ˆ l'AssemblŽe. Champion restera garde des sceaux jusqu'ˆ l'effondrement du ministre Necker, suite ˆ la dŽfiance de l'AssemblŽe (21 octobre 1790). Il sera remplacŽ par Duport-Dutertre.

[75] Ceux qui, contre les Žvques, dŽcident de se rŽunir au Tiers, ne sont pas linŽairement vouŽs ˆ approuver toutes les dŽcisions de l'AssemblŽe.

Lemay, 1991, donne les choix futurs des 148 dŽputŽs du 19 juin (je mets entre crochets le % correspondant pour les 183 autres dŽputŽs du clergŽ). Les 148 comprennent plus de patriotes mais ne le sont pas en masse  :

65 (44 %) prteront serment ˆ la constitution civile du clergŽ [21%] ;

54 (36 %) signeront l'exposition de Boisgelin du 30 octobre 1790 ou la formule restrictive de Bonal, dŽbut 1791, ou les deux dŽclarations (parmi lesquels cinq prtent serment aussi) [48%] ;

29 (20 %) ne signeront ni la constitution civile du clergŽ, ni aucune dŽclaration [31%].

Ainsi, seulement 44 % des 148 membres du clergŽ venus au tiers Žtat au dŽbut de la RŽvolution vont, par la suite, suivre la politique religieuse mise en place par l'AssemblŽe ; 36 % se manifestent contre la majoritŽ de l'AssemblŽe et 20 % ne prennent pas position (parmi lesquels des dŽputŽs  dŽcŽdŽs, absents ou malades).

[76] Le PrŽsident a annoncŽ que la pluralitŽ Žtait acquise au premier avis [se dŽclarer constituŽ] de cent trente-sept voix contre cent trente, a indiquŽ la sŽance au lendemain, neuf heures, pour procŽder dŽfinitivement, dans la Chambre, ˆ la vŽrification, en recommandant ˆ chacun d'apporter ses pouvoirs; et a levŽ la sŽance. Cette "majoritŽ" dŽveloppe ensuite de longues justifications fondŽes sur les rgles des assemblŽes et l'explication du texte des quatre avis pour montrer que ceux qui, d'abord, avaient votŽ pour un autre que le deuxime ne pouvaient pas y revenir (cf. Houtin). Donc les minoritaires constituent bien la majoritŽ : Distinguons cette majoritŽ factice, obtenue dans l'oubli des rgles, de la majoritŽ lŽgale qui se compose sous l'autoritŽ des formes. Que la premire soit devenue le partage de ceux qui rŽclamaient la vŽrification en commun, la seconde est la seule qui fasse la loi des Corps, la seule qu'ils puissent reconna”tre.

[77] L'arrtŽ complet adoptŽ le 27 : L'Ordre du ClergŽ, jaloux de seconder avec le plus respectueux attachement les vues paternelles du Roi pour le bonheur de ses peuples,... a dŽlibŽrŽ :

1¡ Qu'ˆ l'avenir les BŽnŽficiers, Corps et CommunautŽs ecclŽsiastiques, contribueront dans la mme proportion que les autres citoyens, ˆ toutes les charges royales, provinciales et municipales, et aux impositions consenties en consŽquence par les trois Ordres.

2¡ Que les propriŽtŽs de l'Eglise, soumises, comme les biens la•cs, au paiement des taxes nŽcessaires pour la dŽfense de la prospŽritŽ de l'Etat, serviront Žgalement d'hypothque et de gage ˆ l'acquittement de la dette nationale, lorsqu'elle aura ŽtŽ reconnue et džment vŽrifiŽe.

3¡ Que... S. M. sera suppliŽe d'abolir entirement et sans retour dans le royaume le nom de taille, l'usage de la corvŽe et les droits de mainmorte; de rendre le tirage de la milice moins onŽreux au pauvre peuple des villes et des campagnes; enfin, de convertir les charges personnelles en subventions pŽcuniaires auxquelles l'Ordre du ClergŽ consent d'tre assujetti.

4¡ Qu'en rappelant sur le fait de l'imp™t, les Žtablissements les plus utiles et les plus favorables ˆ la loi de l'ŽgalitŽ proportionnelle, il est juste d'indemniser par des supplŽments de dotation, et les h™pitaux que la jurisprudence prŽsente affranchit des tributs publics, et les cures ˆ portion congrue taxŽes, selon les rglements actuels du ClergŽ, sur un pied bien infŽrieur ˆ celui qui sert ˆ fixer la quote-part des autres contribuables.

[78] Au cours de la sŽance o elle reoit la lettre du roi l'enjoignant de se rŽunir au Tiers, la "majoritŽ" du clergŽ arrte 1¡ d'Žcrire au Roi une lettre, pour dŽposer dans son sein les justes rŽclamations du ClergŽ contre la violence qui lui est faite, et les vrais principes conservateurs de l'autoritŽ royale et des privilges du ClergŽ; 2¡ d'imprimer en son nom tous ses arrtŽs depuis le 24, et notamment son mŽmoire justificatif de sa conduite; 3¡ de rŽpandre ces imprimŽs dans les provinces, et de les dŽposer dans les archives du ClergŽ pour y avoir recours dans des temps plus heureux (Journal de Coster, in Houtin).

[79] Peut-tre le parti Žpiscopal aurait-il eu un coup ˆ jouer en unissant contre le Tiers l'ordre du clergŽ ˆ celui de la noblesse, selon la proposition de la Luzerne, Žvque de Langres (Sur la forme d'opiner aux Etats-gŽnŽraux) qui combine l'idŽe fonctionnelle de balance des chambres ˆ la division sociale ˆ l'anglaise (chambre haute et basse) et, pour se concilier le Tiers, prŽsente le projet comme un moyen d'assurer en bloc au Tiers-Etat l'ŽgalitŽ de suffrages qu'il n'a pas obtenue jusqu'ˆ ce jour dans les AssemblŽes Nationales et dont il est juste de le faire jouir (p 112) puisque son ordre aurait une voix et les privilŽgiŽs passeraient de deux ˆ une.

 Mais la Noblesse est trop peu "manÏuvrante" pour adhŽrer ˆ un tel plan et les Žvques, Žgalement inertes, trop attachŽs ˆ leur identitŽ collective pour fusionner avec elle. Encore leur aurait-il fallu avoir l'audace de sauter par dessus l'antique Constitution du royaume, d'imposer cette solution au roi et de prendre le risque d'Žmeutes.

Brandes, 1791, p 124 : La majoritŽ de la Noblesse Franoise s'est attirŽe elle-mme tout le mal qui l'accable. Elle a insistŽ, avec la plus roide opini‰tretŽ, sur d'anciens privilŽges personnels, dans un temps o tout lui conseilloit une douce condescendance. Elle s'est mme refusŽe au projet du ClergŽ de se rŽunir avec lui en une Chambre ; projet que, peut-tre, le Tiers-Ordre n'auroit pas combattu, alors, avec une fort grande chaleur; puisqu'il Žchappoit, par-lˆ, au danger de deux voix contre une.

Le vŽhŽment Jallet voit dans ce projet un moyen d'annuler les curŽs : Si ce plan Žtait adoptŽ, le clergŽ du second Ordre, ŽcrasŽ par la noblesse et le haut clergŽ, n'aurait pas la moindre force, mme de rŽsistance, dans cette Chambre et il se verrait nul et dŽdaignŽ de ce c™tŽ, et se rendrait ˆ jamais mŽprisable ˆ la nation, en se privant lui -mme de l'influence que la nouvelle forme de convocation des Etats lui donnait dans les dŽlibŽrations (Jallet, 11 mai, Žd. BrethŽ, 1871, p 55). La Luzerne ne discute pas l'embarras que causeraient les curŽs (qui, note-t-il, appartiennent naturellement ˆ l'Ordre du Tiers). Il n'ose pas souhaiter leur dŽfection qui scissionnerait le ClergŽ.

[80] A croire les comptes rendus, les Žvques ne disent pas grand chose (ou sont empchŽs de prendre la parole). Leurs dŽfenseurs n'expriment pas toujours leur point de vue : le bouillant abbŽ Maury, le provocant Cazals, et quelques autres, paladins de l'union du tr™ne et de l'autel.

Les secrŽtaires sont-ils partiaux ? Les Žvques font-ils le mort ? boudent-ils ? Manquent-ils de puissance de poumons ? (Dulau, archevque d'Arles, dans une lettre du 28 avril 1790 : On dira peut-tre que j'Žtais accoutumŽ ˆ motiver mes avis dans les assemblŽes du clergŽ ; mais quelle diffŽrence entre ces assemblŽes et celle dont je suis membre !).

Les Žvques, hŽbŽtŽs, semblent avoir perdu leur organisation en mme temps que leur chambre. LassŽs et effrayŽs par la foule hargneuse, leurs dŽputŽs quittent l'AssemblŽe ou s'abstiennent de venir aux sŽances. Leur comitŽ (Fontanges, Boisgelin) s'occupe principalement de la correspondance avec Rome.

Peu d'orateurs actifs parmi eux, sauf l'irrŽductible de Bonal (Clermont) et le subtil Boisgelin (Aix). Entre les deux, citons La Luzerne (Langres) dŽmissionnaire en dŽcembre 1789, La Fare (Nancy), du Lau (Arles). Il n'y a que trois Žvques parmi les 63 prŽsidents quinzomadaires de l'AssemblŽe, tous en 1789 : pour l'honneur, Lefranc de Pompignan (3-17 juillet) ; puis, La Luzerne Žlu contre Talleyrand par 499 contre 328 voix (31 aožt-13 septembre) ; enfin, Boisgelin (23 novembre-4 dŽcembre) : sur 680 votants, il en obtient 374 (contre 166 au Duc d'Aiguillon et 120 voix perdues).

Les abbŽs parlent davantage, notamment l'habile Montesquiou, Rastignac, Bonneval et le tonitruant Maury (135 discours en deux ans, sans compter les escarmouches, soit, selon ARCPA, un total de 338 interventions).

[81] White, 1989, soutient que, malgrŽ l'effet boule de neige, le dŽficit se finanait tant que le service de la dette Žtait assurŽ. Les efforts de Terray, Turgot et Necker (en fait, ceux des receveurs, des payeurs et de toute une sŽrie d'officiers de finance) pour reprendre le contr™le de l'administration fiscale auraient suffi, s'ils avaient ŽtŽ poursuivis : Had the earlier policies been continued, it is unlikely that a severe crisis would have occurred in 1788/89.

L'impact de la guerre d'AmŽrique a fait l'objet d'estimations fantaisistes. On en estime couramment le cožt pour la France autour de un milliard de livres, gure plus que celui de l'inutile guerre de succession d'Autriche.

En 1787, la dette publique atteindrait 80% d'un "PIB" ŽvaluŽ ˆ 5 milliards, et son service absorbe 42 % des recettes de l'ƒtat. Celles-ci se montent ˆ environ 500 millions pour plus de 630 millions de dŽpenses. Le terrifiant dŽficit est... infŽrieur ˆ 3%PIB !

80% de dette publique ne nous font pas peur aujourd'hui ! mais alors, malgrŽ le recours ˆ la Hollande et ˆ l'Angleterre, le systme financier est inefficient ; les finances du roi sont complexes, confuses, hŽtŽroclites, et opaques. Pour Crouzet, dans son ouvrage fondamental de 1993, le problme financier de la monarchie rŽsidait dans la sous-taxation irrŽmŽdiable car les modalitŽs fiscales (inŽgalitŽs de droit et de fait, imp™ts directs multiples et vexations dans le prŽlvement des indirects) rendaient l'imp™t insupportable. C'Žtait dŽjˆ l'opinion de Marion (T1, p 369) : Un instant de rŽflexion aurait suffi pour faire toucher du doigt combien, au contraire [des affirmations de Necker], le prŽlvement moyen de l'imp™t Žtait modique.

[82] D'une part, les caisses sont vides et les emprunts infructueux ; d'autre part, les partisans de l'expropriation, pour assoir la lŽgalitŽ de leur dŽcision, cherchent ˆ dŽmontrer que les biens du clergŽ appartiennent ˆ la nation. Sur le terrain juridique, leurs opposants ont autant d'arguments qu'eux et, in fine, on en arrive ˆ la souverainetŽ. C'est par lˆ que Franois Ier avait commencŽ et cela suffisait : une bulle du pape, un Ždit royal, et les dŽcimes pleuvaient, en attendant les aliŽnations sous Charles IX.

[83] Boisgelin a obtenu cette formulation ˆ la place de sont la propriŽtŽ de la nation. Elle rendra les choses plus difficiles pour l'AssemblŽe lorsque, aprs les biens monastiques, elle voudra s'emparer des autres (rapport Chasset du 9 avril 1790 au nom de la commission des d”mes, et grand dŽbat subsŽquent).

[84] L'expŽrience des hyperinflations au XXe sicle atteste de la destruction morale qu'elle induit, hystŽrisant le menu peuple affamŽ et dŽsespŽrŽ.

LŽzay-MarnŽzia, 1797 (Des causes de la RŽvolution et de ses rŽsultats) : Le papier-monnaie acheva la dŽpravation dans la plupart des classes. Il rendit le gouvernement d'abord prodigue, ensuite frauduleux et enfin banqueroutier. Il ruina la classe corrompue des anciens riches et lui substitua la classe plus corrompue des enrichis. Il corrompit la probitŽ de la plupart des dŽbiteurs; et ce papier perdant chaque jour de sa valeur, l'artisan consomma chaque jour tout son salaire (p 70).

Crouzet, 1993, indique selon les "Tables de la TrŽsorerie" que, au paroxysme (fŽvrier 1796), l'indice du prix en assignats du louis d'or ˆ Paris atteindra 27863 (base 100 en janv 91): l'assignat cotera 0,36% de sa valeur nominale (Appendice, Tab. F) ; le montant en circulation de 35 milliards vaudra donc seulement quelque 125 millions !

[85] Boisgelin, le plus politique des Žvques, a bien des difficultŽs avec ses collgues. Ds le 15 aout 1789, il confie ˆ la Comtesse de Gramont : Nous allons ˆ prŽsent dŽtruire les parlemens. Cela ne souffrira pas la moindre difficultŽ. Les parlemens se sont conduits comme le clergŽ, ils n'ont pas fait un mouvement utile au peuple. Ce sont des corps immobiles qui doivent tre renversŽs par un corps en mouvement [mon soulignement]. On croit tre bien sage quand on ne fait, rien. Il y a toujours des choses ˆ faire dans chaque circonstance... (cit. in Lavaquery, T2)

Trs vite, il comprend qu'il faut aller plus vite que l'AssemblŽe et lui proposer un secours financier massif pour l'empcher de le prendre. Il aura un mal terrible ˆ convaincre son propre camp et ce sera trop tard : On diroit que mes respectables confrres ne sont point sortis de la salle des Augustins [o se tenaient les AssemblŽes du ClergŽ]. Je leur ay dit depuis deux mois : Faites une offre, prŽvenez le moment, ils n'ont pas voulu. Je leur ay redit au dernier moment. Vous verrez quelle est l'offre que j'ay faite, il a fallu dire s'il est possible. Il n'y a pas eu moyen de le faire au nom du clergŽ, je n'ay pas pu la mettre dans ma conclusion. Il n'y a rien ˆ faire avec les corps (ˆ la mme, 3 novembre 1789). Et encore : J'ay persŽcutŽ le clergŽ pendant deux mois, je n'ay pu rien obtenir. J'avais mis mon offre dans mes conclusions, elles Žtoient imprimŽes, il a fallu les faire changer. C'est un corps immobile qui n'a jamais pu faire un pas pour prŽvenir sa perte [mon soulignement] (idem, 23 novembre 1789).

[86] Ds le 9 aožt, en rŽponse ˆ la proposition Lacoste-Lameth de dŽclarer les biens du clergŽ propriŽtŽ nationale, Boisgelin et quelques Žvques (Langres, N”mes et Autun), malgrŽ leurs collgues, esquissent (sans succs) cette manÏuvre : La nation aura votŽ l'emprunt, il sera affectŽ sur les biens ecclŽsiastiques, et nous serons trop heureux d'offrir nos biens ˆ son hypothque (Ancien Moniteur, T1, p 321). Boisgelin rŽitre sa proposition dans son grand discours du 31 octobre, mais en termes voilŽs ˆ cause de l'incomprŽhension de son corps : il propose une contribution extraordinaire du clergŽ, par une opŽration sans risque et sans danger, fondŽe sur un crŽdit sans bornes.

Boisgelin 12 avril 1790 (ARCPA, T12, Discussion du projet de dŽcret relatif au remplacement de la d”me qui, en application extensive du D. 2 nov. 1789, soustrait au clergŽ l'administration de ses biens et lui promet un traitement en monnaie) : ...Le premier ministre des finances vint former ses demandes le 24 Septembre [1789]... On sent, dans cet Žtat des affaires ˆ quel point un crŽdit de QUATRE CENTS MILLIONS sur les biens du clergŽ pouvait tre utile ˆ l'Etat. On discuta la question sur la propriŽtŽ des biens du clergŽ. Nous propos‰mes, au nom des titulaires, un emprunt dont il Žtait convenable au clergŽ de faire l'offre, et dont il Žtait bien intŽressant pour l'Etat de ne pas refuser le secours. Vous pouviez autoriser, garantir et dŽcrŽter l'emprunt par vous-mmes. Vous pouviez en faire lever l'intŽrt sur nos revenus, dans la mme forme que nos impositions. Nous aurions prŽsentŽ des aliŽnations dans une forme ˆ la fois plus  canonique et plus Žconomique, que vous auriez surveillŽ par vous-mme (p 694-5) ...

Premirement, nous renouvelons solennellement l'offre d'un emprunt de 400 millions, qui serait autorisŽ et dŽcrŽtŽ par l'AssemblŽe nationale, au lieu de la vente dŽcrŽtŽe le 19 dŽcembre, qui serait hypothŽquŽ sur tous les biens du clergŽ, dont les intŽrts seraient payŽs sur les revenus des biens ecclŽsiastiques, par la mme voie et dans la mme forme que les impositions ordinaires, et dont le capital serait remboursŽ sur le prix des ventes et aliŽnations de biens-fonds ecclŽsiastiques, lesquelles seraient faites jusqu'ˆ la concurrence de 400 millions, selon toutes les formes civiles et canoniques.

Secondement, nous demandons qu'il soit prononcŽ qu'il n'y a pas lieu ˆ dŽlibŽrer sur les articles du dŽcret proposŽ [relatif au remplacement de la d”me].

Troisimement, dans le cas o la dŽlibŽration adopterait les articles du dŽcret proposŽ, nous demandons la convocation d'un concile national... (p 698).

[87] Avant, Le Chapelier dit : ...Vous avez voulu dŽtruire les ordres, parce que leur destruction Žtait nŽcessaire au salut de l'Etat : si le clergŽ conserve ses biens, l'ordre du clergŽ n'est pas encore dŽtruit. Vous lui laissez nŽcessairement la facultŽ de s'assembler, vous consacrez son indŽpendance, vous prŽparez la dŽsorganisation du corps politique que vous tes chargŽs d'organiser. On dira que vous empcherez ces assemblŽes ; vous ne le pourrez pas, car vous avez supprimŽ les dimes. Les curŽs ne sont pas dotŽs; pour remplacer ces dotations, il faudra des rŽpartitions ; pour faire ces rŽpartitions, il faudra des assemblŽes ...

[88] Une telle reconnaissance verrouillerait juridiquement l'AssemblŽe (mariage civil, divorce, dispenses, etc.) et assurerait l'exclusivitŽ catholique (RŽformŽs, sectes et libertins). La Lettre de M.*** (1791)... craint que la libre-concurrence n'attire les mauvais catholiques vers les facilitŽs offertes par les fausses religions et, peu ˆ peu, grignote la "vraie" : il ne faut pas ouvrir l'alternative.

Lors de la discussion sur la fameuse motion de Dom Gerle (13 avril 1790), Bouchotte s'exclame : Certainement la religion est communŽment le lien qui unit les empires ; et sous ce rapport, la motion de Dom Gerie a droit ˆ notre respect, et mŽrite la plus sŽvre attention : il serait peut-tre juste de la dŽcrŽter; mais ce qui est juste n'est pas toujours sage... si le dŽcret qu'on sollicite de vous ežt ŽtŽ rendu il y a quelque temps, auriez-vous dit constitutionnellement que la nation n'admettrait plus les vÏux ecclŽsiastiques ? Non, Messieurs, vous ne l'auriez pas dit,  parce que vous n'auriez pas pu le dire. Eh bien ! il vous reste encore ˆ prononcer des dŽcrets que la promulgation de celui-ci pourrait arrter ou empcher (ARCPA12, p 715).

En sens inverse, l'archevque de Toulouse (Fontanges) dans le dŽbat sur le rapport Voidel (discours non prononcŽ, en annexe ˆ la sŽance du 26 novembre 1790, ARCPA) : Voilˆ le point fixe d'o il faut partir; la religion catholique est en France la religion nationale, la religion de l'Etat; il ne dŽpend de l'AssemblŽe nationale, ni de la changer, ni de cesser de la reconnaitre, sous cette qualitŽ. C'est une consŽquence nŽcessaire, qu'elle reconnaisse en mme temps le pouvoir indŽpendant et essentiel, qui, dans cette religion, fait des lois sur tout ce qui tient ˆ l'ordre religieux. Le Corps lŽgislatif ne peut ni l'usurper, ni se l'assujettir...

Dans sa rŽponse ˆ la lettre de son chapitre d'Autun qui lui enjoint de signer la DŽclaration, Talleyrand minimise le diffŽrend : ...La difficultŽ rŽsidait donc tout entire dans la manire dont l'AssemblŽe prononcerait que la religion catholique est la religion nationale. Une partie de l'AssemblŽe dŽsirait qu'elle fžt dŽclarŽe nationale, en ce sens qu'elle serait la seule dont le culte serait autorisŽ. L'autre partie, craignant que ces dernires expressions ne donnassent lieu ˆ des interprŽtations qui pourraient compromettre la paix publique, prŽfŽra de la dŽclarer nationale, en ce sens qu'elle serait la seule dont le culte serait ˆ la charge de la nation. De part et d'autre la religion catholique Žtait donc reconnue nationale... Aurait-on pu prŽvoir alors que le dŽcret une fois prononcŽ, une partie des lŽgislateurs eux-mmes se croiraient permis de protester contre ?... (Moniteur, N¡ 162, 11 Juin 1790).

[89] DŽjˆ, le 13 novembre 1789, Durand de Maillane (1er rapport du ComitŽ ecclŽsiastique), Žvoquant la crainte des  prŽlats les plus respectables et beaucoup de curŽs ... [que] l'Etat, dans ses besoins pressŽs, les privera mme de leurs appointements, ce qui entra”nerait, avec l'abandon de leurs services, la ruine prochaine et infaillible de la religion, rŽpondait que la nation dŽclarant que la religion catholique sera toujours la religion de l'Etat, et le peuple franais y Žtant gŽnŽralement trs-attachŽ, il ne saurait manquer ˆ la charge qu'elle lui impose de nourrir ses ministres. Le catholicisme est d'Etat puisque seuls ses ministres en sont rŽmunŽrŽs.

Citons quelques rŽpliques caractŽristiques relatives ˆ la motion de La Fare, Žvque de Nancy, incidente aux attaques contre l'ordre monastique (13 FŽvrier 1790) :

Ñ La Fare : Je fais la motion formelle de dŽcrŽter avant tout "que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de l'Etat". [Le tumulte augmente; les interruptions partent de tous les c™tŽs de la salle; le PrŽsident ne peut se faire entendre]

Ñ Dupont (de Nemours). Il n'y a personne dans cette AssemblŽe qui ne soit convaincu que la religion catholique est la religion nationale. Ce serait offenser la religion, ce serait porter atteinte aux sentiments qui animent l'AssemblŽe, que de douter de cette vŽritŽ. On ne doit mettre en dŽlibŽration que ce qui est douteux, il ne faut donc pas faire dŽlibŽrer sur la motion de M. l'Žvque de Nancy.

 [On va aux voix. - L'AssemblŽe dŽcide de passer ˆ l'ordre du jour].

[90] 12 avril 1790. Motion de Dom Gerle, incidente ˆ la discussion sur les d”mes

ÑDom Gerle : On vous a dit qu'il y avait un parti pris dans les comitŽs; j'affirme que, dans le comitŽ ecclŽsiastique, on n'en a pris aucun ; pour fermer la bouche ˆ ceux qui calomnient l'AssemblŽe, en disant qu'elle ne veut pas de religion, et pour tranquilliser ceux qui craignent qu'elle n'admette toutes les religions en France, il faut dŽcrŽter "que la religion catholique, apostolique et romaine est et demeurera pour toujours la religion de la nation, et que son culte sera le seul public et autorisŽ".

Ñ Charles Lameth :... je supplie de ne pas quitter une question de finance pour une question de thŽologie... Craignons de voir la religion invoquŽe par le fanatisme...

13 avril 1790

Ñ Bouchotte :... il vous reste encore ˆ prononcer des dŽcrets que la promulgation de celui-ci pourrait arrter ou empcher. Je conclus donc ˆ ce que la motion de Dom Gerle soit renvoyŽe jusqu'ˆ ce que vos lois sur toutes les corporations des sectes religieuses aient ŽtŽ prononcŽes.

Ñ Menou :... savons-nous quand, et o s'arrteraient le carnage et la destruction [impulsŽs par le fanatisme] ?... Voici ma motion : "L'AssemblŽe nationale dŽclare que par respect pour l'tre Suprme, par respect pour la religion catholique, apostolique et romaine, la seule entretenue aux frais de l'Etat, elle ne croit pas pouvoir prononcer sur la question qui lui est soumise"

ÑDom Gerle : La motion que je fis hier renfermait de grands inconvŽnients ; l'article proposŽ par le prŽopinant n'a point les mmes dangers. Je l'adopte de tout mon cÏur, et je renonce au mien.

... M. le duc de La Rochefoucauld prŽsente la [motion] suivante qui obtient la majoritŽ des suffrages : L'AssemblŽe nationale, considŽrant qu'elle n'a et ne peut avoir aucun pouvoir ˆ exercer sur les consciences et sur les opinions religieuses... considŽrant que l'attachement de l'AssemblŽe nationale au culte catholique, apostolique et romain ne saurait tre mis en doute... dŽcrte qu'elle ne peut ni ne doit dŽlibŽrer la motion proposŽe [Gerle] et qu'elle va reprendre l'ordre du jour concernant les d”mes.

Ñ M. l'abbŽ Maury : Mon amendement est que l'AssemblŽe nationale dŽclare deux faits, contre lesquels personne ne s'Žlvera, parce qu'ils sont Žvidents: 1¡ que la religion catholique, apostolique et romaine est la seule dominante ; 2¡ qu'ˆ elle seule appartient la solennitŽ du culte public.

[L'AssemblŽe dŽcide donc unanimement qu'il n'y a pas lieu ˆ dŽlibŽrer sur tous les amendements et passe ˆ l'ordre du jour].

[91] DŽclaration d'une partie de l'AssemblŽe Nationale : Inviolablement attachŽs ˆ la foi de nos pres, nous Žtions arrivŽs avec l'ordre prŽcis, ou l'intention connue de nos bailliages respectifs, de faire dŽclarer comme article de la constitution franaise, que la religion catholique, apostolique & romaine, est la religion de l'Žtat, & qu'elle doit continuer ˆ jouir seule, dans le royaume, de la solennitŽ du culte public...

La prioritŽ fut refusŽe au projet de dŽlibŽration de M. le comte de Virieu & accordŽe ˆ celui dont le rŽsultat Žtoit qu'il n'y avoit lieu ˆ dŽlibŽrer. Voyant alors l'impossibilitŽ absolue de nous faire entendre ; nous dŽclar‰mes que nous ne pouvions rendre aucune part ˆ la dŽlibŽration ; & nous demand‰mes acte de notre dŽclaration... M. l'Žvque d'Uzs se leva et dit: je proteste au nom de la religion, au nom de mes commettants, de mon diocse, de l'Žglise de France contre le dŽcret qui vient d'tre rendu. Nous nous lev‰mes et dŽclar‰mes adhŽrer ˆ cette protestation. C'est pour manifester nos sentiments, pour les faire conna”tre ˆ nos commettants, que nous avons rŽdigŽ et signŽ la prŽsente dŽclaration, laquelle sera imprimŽe et envoyŽe ˆ nos commettants.

Sur environ 300 signatures, on compte la moitiŽ des dŽputŽs du clergŽ, dont 35 Žvques ou assimilŽs, 22 abbŽs et 78 curŽs (ceux-ci, quelques mois plus tard, seront 98 ˆ signer l'Exposition).

On accuse les nobles de saisir le prŽtexte religieux pour agiter les esprits, mais environ la moitiŽ de leurs dŽputŽs s'abstiennent.

[92] La DŽlibŽration de N”mes exige 1¡ de dŽcrŽter la religion catholique, apostolique romaine, religion de l'Etat...de ne permettre aucun changement dans la hiŽrarchie ecclŽsiastique, ni de rŽforme dans les corps sŽculiers et rŽguliers sans le concours des conciles nationaux...de rendre au roi le pouvoir exŽcutif dans toute son Žtendue... de faire discuter et rŽviser par le roi tous les dŽcrets qu'il a sanctionnŽs depuis le 19 septembre...

[93] Le texte est reproduit dans ARCPA, T 15, pp. 724-731. Le Moniteur en donne un rŽsumŽ qui va ˆ l'essentiel (N¡150, 30 mai) : La mission que nous avons reue par la voie de l'ordination et de la consŽcration remonte jusqu'aux ap™tres. On vous propose aujourd'hui de dŽtruire une partie des ministres, de diviser leur juridiction ; elle a ŽtŽ Žtablie et limitŽe par les ap™tres; aucune puissance humaine n'a droit d'y toucher... Il est possible qu'il soit fait des retranchements ˆ l'Eglise ; mais il faut la consulter... Nous vous proposons donc de consulter l'Žglise gallicane par un concile national... Dans le cas o cette proposition ne serait pas adoptŽe, nous dŽclarons ne pas pouvoir participer ˆ la dŽlibŽration.

[94] Cf. la dŽclaration du 11 oct. 1790 de l'Žvque de Clermont, bloquŽe par le rappel ˆ l'ordre du jour, et publiŽe par ses soins. Il affecte de prendre pour une simple proclamation le dŽcret sanctionnŽ et promulguŽ par le roi sans l'assentiment de l'Eglise : ... ˆ dŽfaut d'un concile, le recours au chef de l'Žglise universelle Žtait un moyen canonique consacrŽ par une pratique constante des Žglises de France, nous l'avons expressŽment ŽnoncŽ ; & c'est sans doute ce qui a dŽterminŽ le roi ˆ Žcrire au Saint-Sige, pour solliciter son concours. Nous attendions avec confiance le rŽsultat de cette dŽmarche digne de la piŽtŽ du fils a”nŽ de l'Žglise, quand nous avons appris avec autant d'Žtonnement que d'affliction que, sur une simple proclamation, les dŽpartemens & les districts du royaume se disposoient ˆ faire exŽcuter vos dŽcrets... Je conclus, messieurs, ˆ ce qu'il soit ordonnŽ aux dŽpartemens, districts & municipalitŽs de suspendre toute exŽcution de vos dŽcrets concernant la constitution du clergŽ, jusqu'ˆ ce que le roi ait reu la rŽponse du chef de l'Žglise. (DIRE DE M. L'ƒVæQUE DE CLERMONT A L'ASSEMBLƒE NATIONALE, au nom des Žvques dŽputŽs ˆ cette assemblŽe, slnd).

Encore le 3 janvier 1791, quand l'Žvque de Clermont est empchŽ de s'exprimer, le bouillant Cazals s'exclame : L'AssemblŽe nationale se voit au moment d'employer des moyens de rigueur contre des hommes qui n'apportent qu'une rŽsistance momentanŽe ˆ vos dŽcrets ... Qu'ont-ils fait ? Ils ont attendu la rŽponse du pape qui sans doute sera favorable aux dŽcrets [mon soulignement] ; ils ont voulu concilier leur conscience et leurs propres dŽsirs. Il serait impolitique et barbare de leur refuser un dŽlai, peut-tre de quelques jours, qui les mettrait dans le cas d'obŽir ˆ votre dŽcret, en ne manquant ni ˆ la religion, ni ˆ l'honneur... [Il s'Žlve beaucoup de murmures ; on demande que M. Cazals soit rappelŽ ˆ l'ordre]... Quiconque examinera sans prŽvention la conduite des Žvques verra que leur intention n'a pas ŽtŽ de rŽsister ˆ la loi ; ils ont cherchŽ les moyens de sauver leur honneur et de dŽfendre leur religion... il est impossible de ne pas voir qu'ils n'ont pas l'intention de vous rŽsister et qu'ils ne cherchent qu'un moyen d'obŽir sans manquer ˆ leur conscience.

[95] Mourret, 1929, T 7 : au dŽbut, seul un canoniste consommŽ pouvait voir le fond schismatique de la Constitution... Il est incontestable que les Žvques, et le pape lui-mme, furent trs lents ˆ perdre l'espoir d'une entente avec le gouvernement franais...(p 122). Fidle ˆ la politique qu'il avait suivie ˆ l'Žgard de Joseph II, de Catherine II et de LŽopold de Toscane, le Saint-Pre ne voulait rien briser. Il dŽsirait tout faire pour Žviter un schisme... Peut-tre craignait-il aussi, Ñ et il aurait eu bien des raisons de le craindre Ñ qu'un grand nombre d'Žvques, encore trop impressionnŽs par leurs dŽsirs de conciliation, qu'un grand nombre de prtres, encore trop ignorants de la situation rŽelle, n'Žcoutassent pas assez docilement les conseils d'une sage intransigeance (p 124).

[96] Toutefois, six mois plus tard, le serment le fait changer d'opinion (N¡ de dŽcembre) : Lorsque j'ai dŽclarŽ tout mon Žloignement pour ce serment, j'ai toujours supposŽ qu'aucune de ses dispositions n'Žtoit sanctionnŽe par l'Žglise; je sais et j'ai ŽtŽ le premier ˆ remarquer comment divers articles qu'il renferme, pouvoient devenir lŽgitimes par l'approbation du Saint-Sige et des Žvques. Mais je dois observer aussi qu'il en est de si directement contraires ˆ la foi, et de si outrageantes pour la morale ŽvangŽlique, qu'il faut dŽsespŽrer de les voir jamais approuvŽs... (p 447)  C'est donc au moins ici le moment d'avertir d'une expression impropre qui m'Žtoit ŽchappŽe lorsque je disois dans le numŽro de juillet, qu'heureusement cette constitution civile n'Žtait pas "absolument" contraire ˆ la foi. Au lieu d'absolument, il falloit dire "en tout entirement", et j'espre que mes lecteurs l'auront ainsi entendu... (p 448-9).

[97] Mgr de La Tour du Pin, mŽmoire au pape du 7 aout 1790 : Quelle doit donc tre la conduite des Žvques au milieu des malheurs qui menacent l'ƒglise de France? Ils se rendraient sans doute coupables s'ils concouraient eux-mmes avec l'AssemblŽe ˆ la destruction de leurs siges; mais serviraient-ils mieux la religion en opposant une rŽsistance invincible? Tel est l'objet des doutes exprimŽs dans les questions suivantes.

Sicard, 1893 (II, 396) commente : Tel est alors le dŽsir de paix dans l'Žpiscopat et sa confiance dans une entente ultŽrieure, que nous voyons un des prŽlats les plus fermement attachŽs ˆ l'Eglise et ˆ la monarchie, celui-lˆ mme qui devait trouver la mort dans l'expŽdition de Quiberon, M. de HercŽ, Žvque de Dol, conseiller ˆ Michel de Vauxponts, chanoine de sa cathŽdrale, d'accepter l'ŽvchŽ du Mans auquel il venait d'tre Žlu dans les formes Žtablies par la constitution civile.

[98] Ces accommodements n'Žtaient pas impensables, note Pelletier, 2004 : A travers les analyses des cardinaux, traitŽes de faon plus dŽtaillŽe, nous pourrons observer des attitudes allant du plus accommodant ˆ lÕintransigeance absolue... Pie VI se retient donc de tout condamner en bloc. CÕest par sens pastoral, pour calmer les consciences, quÕil donne [d'abord] son accord aux cinq propositions de la cour, avec les arrangements nŽcessaires, et pour un temps limitŽ... Au 24 septembre 1790, les positions romaines apparaissent donc beaucoup plus ouvertes quÕon pourrait sÕy attendre.

Pelletier ajoute : Il est aussi intŽressant de relever que, suivant la tradition franaise,  le roi demande ˆ tre lÕintermŽdiaire unique des nŽgociations entre Paris et Rome, faisant Žcran entre Žvques et Rome. La rŽponse du pape (bref Quod Aliquantum du10 mars 1791) sera adressŽe aux Žvques, opŽrant un retournement des pouvoirs ... Parler aux Žvques pour les inviter ˆ tenir leur place avec fermetŽ, cÕest dŽjˆ minimiser le r™le du roi, et en mme temps Žviter une trop forte implication de Rome.

[99] cf. LISTE DES ƒVæQUES, DƒPUTƒS A L'ASSEMBLƒE NATIONALE, Qui ont signŽ l'exposition des principes sur la constitution du clergŽ ; des autres ecclŽsiastiques dŽputŽs qui y ont adhŽrŽ et des Žvques qui ont envoyŽ leur adhŽsion (repr. in Barruel, 1791, Collection, Vol. 1, T1, P1).

Lavaquery, 1920, T2, commente : Boisgelin travaille ˆ rallier l'unanimitŽ de ses collgues. C'est l'objet, et le rŽsultat apparent, de l'Exposition des Principes ; dernier effort de Boisgelin pour assurer la paix religieuse, dans la fidŽlitŽ ˆ l'ƒglise... Il essaie encore une fois de dŽmontrer, ˆ gauche, que la Constitution civile viole des principes qu'un bon catholique ne peut abandonner ; ˆ droite, qu'il faut aller aussi loin que possible dans les concessions, pour sauvegarder l'enseignement de la foi et l'unitŽ du culte (103-4)... C'Žtait donc au moins la moitiŽ des curŽs dŽputŽs prŽsents qui s'unissait aux Žvques, pour la premire fois depuis le dŽbut de la RŽvolution... La manifestation ne pouvait pas tre plus imposante. La majoritŽ de l'AssemblŽe fut Žmue surtout, de la dŽfection d'un si grand nombre de curŽs. Mise une fois de plus en face de sa prŽsomption, elle n'en fut que plus dŽcidŽe ˆ faire exŽcuter la loi (id, 106).

[100] Pelletier, 2004 : Le 3 dŽcembre, Montmorin envoie un nouveau mŽmoire du roi, et une lettre de Boisgelin reprenant les idŽes de lÕExposition des principes. Le mŽmoire du roi reformule les propositions de la cour en sept articles, mettant mieux en lumire la place du mŽtropolitain comme intermŽdiaire autorisŽ par Rome pour instituer les nouveaux ŽvchŽs. LÕapprobation par le pape de la nouvelle carte ecclŽsiastique constitue en quelque sorte le fondement canonique validant les autres rŽformes. Boisgelin rŽpte que lÕaccord du pape est indispensable pour valider les dŽmissions.  Le mŽmoire que Boisgelin a rŽussi ˆ faire endosser au roi met en forme les moyens d'exŽcution.

[InterrogŽ par le roi sur la sanction au D. du 27 novembre, Boisgelin a rŽpondi, le soir du 24 dŽcembre ou le 25, aprs s'tre concertŽ avec Fontanges ou Bonal, (Armoire de fer, Troisime recueil, T1, n¡71] : ... quand il ne manque que des formes canoniques, le pape peut les remplir; il le peut ; il le doit [mon soulignement] et tels sont les articles que votre majestŽ lui avoit proposŽs. Les Žvques sages seront forcŽs , en dŽpit d'eux-mmes, de refuser le serment, si les formes ne sont pas remplies... C'est alors, Sire, qu'un second courrier doit arracher au pape un consentement forcŽ [id] ; c'est alors qu'instruit par ces tristes effets, dont son refus seroit la cause, il se presseroit sans doute de les rŽparer. Il se passeroit quelque temps entre la destitution des Žvques et l'Žlection de ceux qu'on voudroit leur substituer, et dans cet intervalle on pourroit recevoir la rŽponse de Rome. Voilˆ, Sire, le rŽsultat de notre confŽrence.

Soucieux de sauver le clergŽ et de maintenir la paix civile, Boisgelin (lettre du 1er dŽcembre 1790) appelle l'acceptation du pape (Armoire de fer, Troisime recueil, T2, pp. 67-70, Imprimerie Nationale, 1792). Le 1er dŽcembre, M. de Boisgelin avait Žcrit au roi pour lui offrir la dŽmission de tout l'Žpiscopat, si cette dŽmission pouvait concourir au rŽtablissement de la paix ; il lui proposait aussi d'intervenir auprs du pape pour en obtenir l'autorisation de la rŽŽlection des Žvques et une dŽlŽgation gŽnŽrale aux mŽtropolitains pour donner, au nom du Saint-Sige, l'institution canonique ˆ leurs suffragants (Mourret, 1929, T 7, 135 qui cite ˆ l'appui l'Ami de la religion, T13, p 165).

[101] L'excitation populaire est d'autant plus grande qu'une falsification a criminalisŽ le refus du serment : l'affiche proclamant le dŽcret du 27 novembre annonce en prŽambule que les non jureurs seront considŽrŽs et poursuivis comme perturbateurs du repos public, alors que l'art. 7 du dŽcret vise seulement ceux qui, dŽmissionnŽs ou supprimŽs, ne se tiendraient pas tranquilles. Le garde des sceaux endosse "l'erreur", le responsable de la publication Žtant son subordonnŽ, mais le mal est fait : Cette erreur trs grave a excitŽ dans l'esprit des malintentionnŽs une animadversion trs forte contre les ecclŽsiastiques, et un danger rŽel pour les fonctionnaires publics qui ne prteraient pas le serment (de Bonnay, 4 janvier 1791).

[102] L'Ami du Roi... (4 janvier 1791) : M. l'Žvque de Clermont n'ayant pu (le 2 janvier 1791) prononcer ˆ la tribune son serment... l'a fait imprimer dans les termes suivants : Je jure de veiller avec soin sur les fidles dont la conduite m'a ŽtŽ ou me sera confiŽe par l'Žglise, d'tre fidle ˆ la nation, ˆ la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir, en ce qui concerne l'ordre public, la constitution dŽcrŽtŽe par l'AssemblŽe Nationale et sanctionnŽe par le roi, exceptant formellement les objets qui dŽpendent essentiellement de l'autoritŽ spirituelle. Ce petit imprimŽ a pour titre: Serment proposŽ par M l'Žvque de Clermont adoptŽ par un grand nombre de membres du clergŽ et que l'assemblŽe a refusŽ d'entendre.

[103] Boisgelin, 1791 Lettre des Evques dŽputŽs en rŽponse au Bref du Pape : ....Oh ! s'il est des moyens de conciliation, et si nous ne les saisissons pas avec empressement, nous commettrons envers la religion et la patrie une sorte de dŽlit inconcevable... [mais] quand des sermens contraires ˆ nos consciences sont les lois qu'on nous impose ; quand nous sommes traitŽs comme des rŽfractaires parce que nous ne voulons pas faire un parjure, quand, par un ŽvŽnement qui n'a pas d'exemple, cent vingt huit Žvques sont destituŽs de leurs siges, sans dŽmission, sans forfaiture et sans jugement ; quand les paroisses sont privŽes sans aucune forme canonique de ces pasteurs vertueux qui n'ont point trahi leur Religion ; quand on nous donne par des formes irrŽgulires des successeurs sans mission, quels sont les moyens qui nous restent pour concilier les principes de l'ƒglise avec le vÏu de la puissance civile ?

[104] 18 janvier 1791

ÑDefermont : Messieurs, je viens vous dŽnoncer une pice absolument fausse et qui ne peut avoir pour objet que d'Žgarer les citoyens... on a distribuŽ dans le dŽpartement de l'Ille-et-Vilaine un prŽtendu bref du pape, qui annonce que Sa SaintetŽ a rŽpondu au roi des Franais que l'AssemblŽe nationale avait outrepassŽ ses pouvoirs, que ceux qui prteraient leur serment ou qui l'avaient prtŽ Žtaient schismatiques, qu'ils ne pouvaient adhŽrer ˆ la constitution civile du clergŽ sans se rendre coupables du crime d'hŽrŽsie... Je vous dŽnonce encore que le secrŽtaire qui est ˆ c™tŽ de moi a reu de sa province une copie d'une semblable pice. Il est visible que c'est d'un centre commun que sont parties ces pices fausses pour tout le royaume.

Ñ Gaultier de Biauzat : Il est de la connaissance de plusieurs membres que les ennemis de la Constitution emploient tous les moyens pour retarder les heureux effets de vos travaux. Ils ont maintenant recours ˆ la fourberie ; ils supposent l'existence d'un bref qui serait indiffŽrent en soi, quand bien mme il existerait, mais qui cependant pourrait encore surprendre quelques esprits faibles. Il est donc essentiellement nŽcessaire de faire punir les auteurs de semblables libelles... [Applaudissements.]

[105] Plus rapide encore, le Bref de bl‰me du 23 fŽvrier 1791 adressŽ ˆ Brienne, Žvque et cardinal, pour avoir prtŽ serment. Le texte se rŽpand et ne laisse plus doute sur le contenu de la proclamation ˆ venir. Dans la Lettre des Žvques (mai 1791), ceux-ci, Žvoquant les nŽgociations dont ils ont ŽtŽ tenus ˆ l'Žcart : Sans doute, il Žtoit digne d'un si sage et si vertueux Pontife, d'Žpuiser tous les moyens d'instruction, de prires et de conciliation... 

[106] L'AssemblŽe nationale dŽcrte que l'instruction sur la constitution civile du clergŽ, lue dans la sŽance de ce jour, sera envoyŽe sans dŽlai aux corps administratifs, pour l'adresser aux municipalitŽs, et qu'elle sera, sans retardement, lue un jour de dimanche, ˆ l'issue de la messe paroissiale, par le curŽ ou un vicaire et, ˆ leur dŽfaut, par le maire ou le premier officier municipal.

Lˆ o le dŽcret du 27 novembre a dŽjˆ provoquŽ Žmotion et protestation, l'Instruction n'arrangera rien. Tout au contraire, comme en tŽmoigne le combat de Vannes du 13 fŽvrier 1791 (cf. lettre adressŽe ˆ M. le PrŽsident de l'AssemblŽe par le commissaire du roi au district de Vannes, dŽpartement du Morbiban) : ...Les recteurs ou curŽs de notre ville, ayant enfin consenti ˆ lire ˆ leurs pr™nes l'instruction de l'AssemblŽe au sujet du fatal serment des prŽtres, nous croyions voir renaitre la paix parmi nous [!!!], quand ce mme jour, dimanche 13 du courant, une patrouille composŽe de cinq dragons fut fusillŽe vers le midi; quatre furent blessŽs, dont un assez grivement... L'on battit la gŽnŽrale, les diffŽrents corps et tous les bons citoyens prirent les armes, le drapeau rouge et les officiers municipaux marchrent ˆ la tte de l'armŽe. Les attroupŽs que les rapports avaient accusŽs tre d'abord de 15 ˆ 1,600, ne l‰chrent pas tous le pied ; on assure qu'il en resta un parti d'ennviron quatre cents, qui attendirent de pied ferme nos braves dragons... (ARCPA, T 23, p 297)

[107] Maury (ARCPA, T 22, pp. 366 sq) : Permettez-moi, Messieurs, de vous reprŽsenter avec respect que si on ežt voulu reconna”tre plus t™t dans cette AssemblŽe les mmes principes que l'on adopte dans l'instruction qui vient d'tre lue, nous n'aurions pas essuyŽ le double dŽsagrŽment d'avoir sollicitŽ inutilement dans cette AssemblŽe un dŽcret par lequel elle rend”t hommage au principe que l'autoritŽ spirituelle lui est Žtrangre ; nous n'aurions pas prŽsentŽ ˆ cette AssemblŽe une formule de serment dans laquelle nous voulions prŽcisŽment mettre ˆ l'Žcart tous les objets rŽservŽs ˆ la puissance spirituelle... [mais hŽlas] il me parait plus clair que la lumire du soleil que, contre votre intention, vous avez touchŽ ˆ l'autoritŽ spirituelle. [Grands murmures.]... Rassurez-nous, car nous sommes trs inquiets. Nous vous disons que contre votre intention, puisque vous en faites une dŽclaration si authentique et si lŽgale, nous remarquons que cette prŽtendue constitution civile du clergŽ nous para”t spirituelle sous deux rapports....

[Plusieurs membres ˆ gauche se levant : C'est toujours le mme cercle vicieux ! Aux voix! aux voix! aux voix ! M. l'abbŽ Maury quitte la tribune. Vifs applaudissements ˆ droite; murmures ˆ gauche.]

M. l'abbŽ Maury, en s'avanant vers le milieu de la salle : Vous voyez ici le tableau de ce qui arrivera dans le royaume; la moitiŽ approuvera, l'autre moitiŽ murmurera. [Une partie des membres du c™tŽ droit sort de la salle. L'AssemblŽe dŽcide que la discussion est fermŽe].

[108] Mirabeau : Quand l'AssemblŽe souffre qu'on lui propose des mesures toujours confirmatives des premires, il semble qu'elle ne rend pas assez hommage ˆ la fermetŽ, ˆ la sagesse de la nation, et qu'elle oublie les tŽmoignages de confiance qu'elle reoit constamment de toutes les parties de l'Empire. Qu'avons-nous besoin de prendre de nouvelles mesures pour l'exŽcution des dŽcrets, quand le mode de leur exŽcution est dŽcrŽtŽ ?

[109] Cf. Chopelin, 2017 : le remplacement des Žvques est laborieux ; dans une dizaine de cas, l'Žlu (gŽnŽralement un curŽ) refuse ou se rŽtracte aprs rŽflexion ou pression, et il faut recommencer l'Žlection ; le nouvel Žvque, dŽnoncŽ par l'ancien dont la personne le hante (comme Poirier avec Bonal, cf. Bourdin), coincŽ entre les autoritŽs civiles et les "vrais catholiques", concurrencŽ par ses vicaires, a une existence difficile qui, parfois, le conduit ˆ renoncer. En outre, la t‰che de remplacer les prtres rŽfractaires se rŽvle irrŽalisable : Avant la fin de 1791, les sŽminaires constitutionnels sont presque tous en perdition, faute de candidats, et les rŽserves financires sont ŽpuisŽes (Deblock). On puisera dans les rŽguliers au ch™mage et on r‰clera les bas-fonds.

La question du mariage des prtres appara”t trs rŽvŽlatrice de la fracture qui sÕopre peu ˆ peu entre lÕƒglise constitutionnelle et le pouvoir civil ds la fin de lÕannŽe 1791 (Chopelin, 2003). Ds 1792, les constitutionnels deviennent eux-mmes suspects de conservatisme et, aprs les abjurations forcŽes, l'Eglise "constitutionnelle" post-thermidorienne, en proie au retour des rŽfractaires, aura, malgrŽ les efforts de GrŽgoire, quelque chose de fantomatique.

[110] Pelletier, 2004 : [Anticipant malencontreusement la rŽussite de l'Žvasion du roi] Le bref Evenisse tandem exprime la joie indicible de la cour pontificale ˆ la nouvelle de la retraite du roi et de sa famille... LÕexultation pontificale nous permet dÕentrevoir combien Rome attendait une issue politique par un coup de force, un retour ˆ la pleine autoritŽ royale.

[111] Dans le cadre du concordat de 1801, Pie VII, par un acte extraordinaire, impose la dŽmission des anciens Žvques et des Žvques constitutionnels : la table rase permettra d'en renommer un certain nombre dans les formes concordataires. Les Žvques constitutionnels dŽmissionnaires, pour se "rŽconcilier" avec Rome, ne devront pas souscrire un acte de rŽtractation : une simple lettre de soumission suffira (Plongeron, 2004). Noter que, de chaque c™tŽ, quelques Žvques resteront fidles ˆ leurs principes et refuseront.

[112] En 1796, Marbeuf, archevque de Lyon, dans sa rŽponse ˆ la proposition de Louis XVIII de crŽer un "comitŽ d'Žvques", parle de la grande perplexitŽ  [o] le silence du Souverain Pontife nous a tous mis. Sicard (1893) s'exprime ainsi : On sait avec quelle raretŽ, quelle prudence, quelle sorte d'apprŽhension craintive Pie VI s'Žtait immiscŽ durant la RŽvolution dans nos affaires religieuses (T3, 393).

[113] Lettre des Žvques, 1791 : Ainsi, nous cherchions, tant™t ˆ rappeler les formes Canoniques qui manquaient aux articles susceptibles d'exŽcution : tant™t ˆ substituer, ˆ des innovations que l'Eglise ne pouvait point admettre, des changemens qui peuvent s'accorder avec ses principes : tant™t ˆ prter l'interprŽtation la plus favorable aux dŽcrets ; et quand nos refus mme sont devenus indispensables, nous les avons justifiŽs par des motifs d'utilitŽ publique... (p 50).

[114] La Luzerne, janvier 1791, formule l'option en commentant l'Instruction : Franais,... vous allez vous trouver entre deux classes de pasteurs, et obligŽs de choisir ceux dont vous suivrez la voie, ˆ qui vous confierez la direction de vos ‰mes. HŽsiterez-vous entre ceux qui ont reu leur mission de l'Eglise, par les moyens canoniques qu'elle a Žtablis, et ceux qui tirent la leur de l'AssemblŽe nationale...? Ah! mes frres, il s'agit ici de votre plus grand, de votre plus cher intŽrt, de votre salut Žternel : il n'en est point hors de l'Eglise ; il n'y a pas d'Eglise loin des pasteurs lŽgitimes... Pasteurs des peuples, ministres et dŽfenseurs de la foi, accourez ˆ son secours, dans le moment o elle est si violemment attaquŽe ; ralliez-vous autour de vos Žvques, dont l'unanimitŽ vous prŽsente un si grand exemple. Il en est temps encore... Oh ! vous qui, vous Žlevant au-dessus de toutes les espŽrances et de toutes les craintes de la terre, avez rejetŽ le coupable serment, bravŽ la pauvretŽ, la calomnie, la persŽcution, la mort, vous savez qu'une immense rŽcompense doit un jour vous dŽdommager amplement de vos pertes...

[115] Maury l'exprime brutalement ˆ propos du dŽcret du 27 janvier 1791 sur le remplacement des rŽfractaires et en premier des Žvques : Laissez rendre ce dŽcret; nous en avons besoin; encore deux ou trois comme cela, et tout sera fini. Commentaire de Mirabeau : Ce mot est profond, peut-tre aussi est-il indiscret...

Au contraire, Cazals ˆ la mme sŽance, jouant ˆ contre-emploi, demande de sursoir ˆ l'exŽcution au nom de la RŽvolution : Doutez-vous qu'une partie des fidles ne demeure attachŽs ˆ ses anciens pasteurs et aux principes Žternels de l'Eglise ? Alors le schisme est introduit, les querelles de religion commencent... alors les victimes de la rŽvolution se multiplieront, le royaume sera divisŽ... si des factieux, prenant le masque de la religion, cherchaient ˆ soulever les peuples, s'ils rŽpandaient les brandons du fanatisme au milieu des homme avides ˆ les saisir... qui ne condamnerait pas des lŽgislateurs cruels et impolitiques qui auraient produit tant de maux, pour le vain orgueil de ne pas revenir sur un de leurs dŽcrets ?... Il est des lois qui, bonnes en elles-mmes, peuvent tre funestes par la circonstance o elles sont rendues ; si vos lois ne peuvent tre exŽcutŽes sans violence, craignez des convulsions qui ensanglanteraient la France... Si donc vous aimez la paix, je demande que vous suspendiez l'exŽcution de votre dŽcret; que vous priez le roi de prendre des formes canoniques...

[116] Ainsi Chassin, 1882, disciple d'Aulard, prŽtend que la CCC est en germe ou mme en forme dans l'esprit des curŽs. Leurs cahiers ne l'attestent pas ? cela s'explique par leur crainte du haut clergŽ qui souvent tient la plume ˆ leur place. L'A. affirme que les curŽs, "tiers-Žtat" du clergŽ, partagent les opinions du Tiers la•que jusqu'au dramatique "malentendu" du serment. Lˆ, l'auteur, embarrassŽ, incrimine les JŽsuites et la RŽaction qui  firent un cas de conscience d'une formalitŽ toute Žvidente.

L'objectif de Chassin, ˆ travers cette histoire, est de prcher en 1882 pour la sŽparation de l'Eglise et de l'Etat, seule capable de mettre fin ˆ la rŽaction congrŽgationniste et infaillibiliste.

[117] Gazzaniga, 2013 :...il sÕagit dÕune Ç catŽgorie mal dŽfinie È mais fort nombreuse que justifie, le plus souvent, la cŽlŽbration des messes pour les dŽfunts. La plupart dÕentre eux sont indŽpendants de toute autoritŽ ; leur nomination Žchappe souvent aux curŽs. Ils se regroupent en communautŽs de prtres qui finissent par former une espce de contre-pouvoir. Ils cŽlbrent des messes, gŽnŽralement dans des chapelles et en viennent parfois ˆ Ç confisquer È les messes pour les dŽfunts.

[118] Darchis, 2021: l'usage de cette contribution s'Žtablit, et les autoritŽs ecclŽsiastiques travaillrent ˆ le faire passer dans la lŽgislation (art 21 & 22 de l'Edit de 1695)... Avant 1789, la fabrique existait dans la plupart des paroisses ; toutefois, l'institution Žtait plus dynamique dans la France du Nord, notamment le Bassin Parisien, alors que celle-ci Žtait parfois confondue ˆ la communautŽ d'habitants et aux consulats dans le Midi, directement (Îuvre et ouvrier ˆ la place de Fabrique et fabricien) ou ˆ travers des confrŽries liŽes.

Bertrand, 2012 : II nÕy a pas en Provence, sauf exceptions urbaines, de conseils de fabrique comme en France du Nord. La confrŽrie du Saint-Sacrement qui entretient et illumine le ma”tre-autel en tient lieu et assure la gestion matŽrielle de lÕŽglise paroissiale. Les membres de son bureau sont en gŽnŽral liŽs au conseil de la communautŽ). Les processions manifestent l'identitŽ collective et s'exŽcutent souvent ˆ l'initiative (et ˆ la charge) des habitants.

Se pose aussi la question de la gestion et du paiement du personnel annexe, plus ou moins dŽveloppŽ selon les cas : sonneurs de cloches, souffleurs d'orgues, horlogers, rŽgents des Žcoles, sacristains, bedeaux, sage-femme, etc.

[119] Il n'est pas toujours aussi avantagŽ qu'une comparaison sommaire avec le congruiste le laisse penser. De Vaissire, 1921, analyse ses difficultŽs : il doit faire cultiver ses terres (souvent Žparses), ainsi que collecter, stocker, traiter et vendre le produit des dimes. En principe exemptŽ de la taille et ses valets de la milice, il se heurte ˆ l'hostilitŽ de l'administration fiscale et du subdŽlŽguŽ, qu'il exploite en faire valoir direct, en fermage ou mŽtayage. On ne dispense de la milice qu'un  seul de ses valets et, encore ˆ condition que son activitŽ se borne au service personnel dont un curŽ de campagne n'a gure besoin : pour ses champs et ses d”mes, il lui faut des valets qu'il forme et s'attache, et non des journaliers, peu fiables et dangereux.

[120] Mais les pauvres ruraux la regrettent car elle permettait au curŽ de leur distribuer les aum™nes en nature alors qu'un secours pŽcuniaire, dans un village dŽpourvu de marchŽ et mme de boulangerie, ne leur sert ˆ rien. Ce fut, lors de la discussion du dŽcret sur le remplacement de la d”me l'un des arguments contre la salarisation du clergŽ et pour lui maintenir, au moins en partie, un fonds de terre.

AbbŽ GrŽgoire (11 avril, ARCPA, 12, 670) ...appliquons cette maxime aux campagnes. Y distribuerez-vous de l'argent aux nŽcessiteux ? Je doute qu'en gŽnŽral, il puisse passer par des mains plus pures que celles du pasteur; mais observez que dans un village sans marchŽ, sans boulanger, les distributions pŽcuniaires ont cet inconvenient, qu'il faut perdre quelquefois la moitiŽ d'une journŽe pour aller acheter ˆ la ville. Etablirez-vous dans chaque village des h™pitaux, des bouillons de charitŽ ? La proposition n'est pas soutenable... Un moyen simple peut obvier ˆ ces inconvŽnients donnez quelque latitude au revenu d'un curŽ ; que ce revenu soit, au moins partiellement, en fruits... On ne peut pas se dissimuler qu'en beaucoup de provinces, les pauvres voient avec peine le dŽcret qui abolit la dime, parce qu'ils trouvaient chez les curŽs le grain, et dans la grange d”meresse, les gerbŽes nŽcessaires pour leurs tristes grabats, pour couvrir leurs chaumires, pour nourrir et litiŽrer leurs animaux domestiques...

[121] Deux DŽclarations du Roy du 29 janvier 1686 prescrivent aux bŽnŽficiers, l'une de remplacer dans leurs paroisses les  prtres amovibles par des curŽs ou vicaires perpŽtuels, l'autre de leur payer une portion congrue de 300 livres par an (repris par l'art. 24 du grand Edit de 1695). Aussit™t des curŽs malins abandonnent aux gros DŽcimateurs les fonds, domaines & autres portions de Dimes qu'ils possŽdaient afin de les obliger ˆ leur verser la congrue. Pour dŽjouer cette manÏuvre, la DŽclaration du 30 juin 1690 Žtablit l'option inverse : les dŽcimateurs pourront se libŽrer de la congrue en transfŽrant au curŽ toutes les d”mes dont ils jouissent (Recueil des Curez, 1697).

En 1768, l'ƒdit du roi portant fixation des portions congrues (RegistrŽ en Parlement le 13 mai), rŽglemente les conditions d'option : les dŽcimateurs ont la facultŽ de se libŽrer de la congrue en dotant le curŽ (art. 6 et 7) ; inversement, le curŽ peut passer ˆ la congrue (art. 12). 

[122] Le tableau de la composition des huit classes de bŽnŽfices contribuables se trouve dans PV des assemblŽes du clergŽ, Tome 8, 1re partie. Paris, Desprez, 1778 (Pices justificatives: 1760, p 267-8). De la 1re ˆ la 8me classe, les revenus sont taxŽs ˆ taux dŽcroissant : au quart, au sixime, au septime, au huitime, au dixime, au douzime, au seizime, au vingt-quatrime. Par exemple, la seconde classe contient : Les ArchevchŽs & EvchŽs au-dessus de 36000 livres; Les Cures au-dessus de 1800 livres; Les Chapitres dont les Canonicats sont au-dessus de 1500 livres;  Les DignitŽs au-dessus de 1500 livres; Les PrŽbendes, SŽmi-PrŽbendes & autres BŽnŽfices ˆ rŽsidence dans les Chapitres, au-dessus de 1500 livres;  Les Chapelles, les Obits & Prestimonies ˆ rŽsidence, au-dessus de 1500 livres; Les Abbayes rŽgulieres, Menses Conventuelles & autres CommunautŽs d'hommes au-dessus de 10800 livres; Les Abbayes &  CommunautŽs de filles, au-dessus de 28800 livres. Homologues en faveur, ces catŽgories ont des revenus d'autant plus diffŽrents qu'on n'en conna”t que la borne infŽrieure, la supŽrieure Žtant indŽfinie. En se limitant ˆ celle-lˆ, on obtient ces curieuses ŽgalitŽs d'assiette que dŽnonce (ci-dessous) le bas-clergŽ : 36000 = 1800 = 1500 = 10800 = 28800 livres. Notez que cette inŽquitŽ entre catŽgories s'accompagne d'une progressivitŽ rŽelle de la taxation pour chacune. Par exemple, un ŽvchŽ dont le revenu est infŽrieur ˆ 6000 livres (8me classe) est imposŽ au 1/24 (4,58%), de 6 ˆ 12000 au 1/16 (6,25%), de 12 ˆ 18000 au 1/12 8,33%), de 18 ˆ 24000 au 1/10 (10%), de 24 ˆ 30000 au 1/8 (12,5%), de 30 ˆ 36000 au 1/7 (14,29%) et au-dessus de 36000 au 1/6 (16,67%).

RŽclamation des curŽs du royaume, contre les injustices du haut clergŽ (1789, p27 sq). Ce texte anonyme reprend les observations de Reymond, 1780, p 265 sq. : les dŽcimes sont rŽpartis selon le rŽglement adoptŽ par l'assemblŽe gŽnŽrale du clergŽ de 1765. Ce fameux dŽpartement dont le Haut ClergŽ fait un chef d'Ïuvre d'ŽquitŽ rŽpartit les benŽfices en huit classes. Quel est donc le rapport qu'elle Žtablit entre les ŽvchŽs et les cures? Ce rapport est de 20 ˆ 1. Il faut qu'un ŽvchŽ soit vingt fois plus riche qu'une cure pour qu'il soit dans la mme classe d'imposition. C'est la marche de tout le tableau. Un ŽvchŽ de 36000 Livres de rente et une cure de 1800 sont mis ˆ la seconde classe et imposŽs au sixime. Un ŽvchŽ de 30000 et une cure de 1500 sont mis ˆ la 3me classe et imposŽs au septime, ainsi de suite... Mais ce n'est pas tout. La seconde classe de ce tableau ne parle que des archevchŽs et ŽvchŽs de 36000 livres de rente et au-dessus. Nous est-il permis de demander jusqu'o s'Žtend le terme au-dessus?... ils sont tous censŽs de la seconde et imposŽs au sixime. Ainsi un ŽvchŽ de 300'000 livres de rente et tous les intermŽdiaires ne sont pas plus imposŽs proportionnellement qu'une misŽrable cure de 1800 Livres de revenu...

Il est incontestablement une grande diffŽrence ˆ faire entre un bŽnŽfice ˆ simple rŽsidence et un bŽnŽfice ˆ charge d'ames... L'assemblŽe de 1765, bien loin d'Žtablir ce grand nombre de degrŽs de distance qu'elle met entre ŽvchŽs et cures, rapproche ces dernires des bŽnŽfices simples et ne les fait diffŽrer que dans le rapport de 5 ˆ 6. Ainsi un bŽnŽfice ˆ simple rŽsidence de 1250 Livres, fžt-ce un simple canonicat... reoit autant de faveur qu'une cure de 1500 et paye selon le tableau 178 Livres et le curŽ 212...

Il est de notoriŽtŽ publique, que les Cures dans tout le Royaume, sont au moins imposŽes au dixime de leurs revenus. Or, la plupart des Canonicats ne le sont pas mme au trentime... Tous les gens instruits savent que le don gratuit fait tous les cinq ans, joint au contrat renouvellŽ avec le Roi tous les dix ans n'a presque jamais portŽ le total des subventions annuelles du ClergŽ au vingtime de ses revenus : cependant les CurŽs, qui forment le plus grand nombre des contribuables, sont imposŽs au dixime...

[123] Avertissement (rŽdigŽ par Gerbier) : Ces MŽmoires n'ont ŽtŽ faits que pour les Notables; ils n'ont d'abord ŽtŽ remis qu'ˆ eux & pour eux seuls. Il Žtoit juste que l'exposŽ des vues sur lesquelles le Roi a demandŽ leurs observarions fžt rŽservŽ ˆ leur examen avant d'tre livrŽ ˆ la connoissance du Public, & qu'ils pussent former tranquillement leurs avis dans l'intŽrieur des Bureaux, sans tre prŽvenus ni troublŽs par les opinions du dehors.

Mais il s'est rŽpandu des bruits, des suppositions capables d'induire le Peuple en erreur : il est donc nŽcessaire de l'instruire des vŽritables intentions du Roi ; il est temps de lui apprendre le bien que SA MAJESTƒ veut lui faire & de dissiper les inquiŽtudes qu'on a voulu lui inspirer. On a parlŽ d'augmentation d'imp™t comme s'il devoit y en avoir de nouveaux : il n'en est pas question. C'est par la seule rŽformation des abus, c'est par une perception plus exacte des imp™ts actuels ; que le Roi veut augmenter ses revenus autant que les besoins de l'ƒtat l'exigent; & soulager ses Sujets autant que les circonstances peuvent le permettre...

[124] ThŽmines [Žvque de Blois], 1789, Observations sur la reprŽsentation du ClergŽ aux Etats-GŽnŽraux : ...L'exclusion du premier ordre n'est pas disertement prononcŽe, elle n'est qu'assurŽe par le fait. La qualitŽ des Žlecteurs dŽcide celle des Žlus. Donner ˆ une classe l'avantage du nombre, c'est lui donner la reprŽsentation entire. Un Žvque est au milieu de son clergŽ ... Il est isolŽ & le seul de son ordre... Faut-il que le pasteur, la sentinelle & le censeur de tout le diocse, lÕhomme de la rgle & de la discipline sorte de sa gravitŽ pour capter les suffrages ?... Dans la noblesse, l'opinion rgle les rangs, elle distingue le gentilhomme de lÕannobli, mais lÕun nÕa point de jurisdiction sur lÕautre. Dans le clergŽ au contraire, il y a une distinction fondamentale d'ordre & de pouvoirs. LÕun est supŽrieur & lÕautre est infŽrieur ; lÕun gouverne & lÕautre est gouvernŽ. L'Žvque nÕest point au milieu de ses pairs...  La composition de la chambre ecclŽsiastique dŽcide son esprit. Il ne faut plus parler de clergŽ ni mme de second ordre, mais seulement de curŽs, puisque cÕest la classe dominante. Ils ont dŽclarŽ dans quelques circulaires, avec aigreur pour le premier ordre, quÕils Žtoient le tiers ecclŽsiastique, les alliŽs du tiers-sŽculier. Il est affligeant de voir annoncer ce schisme, d'tre obligŽ de se rappeller lÕesprit des presbytŽriens & des puritains... toutes les proportions sont rompues, [...] la classe dominante des curŽs met toutes les autres dans sa dŽpendance, & [...] cette classe seule ne constitue point le second ordre tout entier...

[125] Barruel ˆ Laurent : ...Vous tes ŽtonnŽ, monsieur, je le vois bien ; vous tes tout surpris de ces rŽflexions de la part d'un homme qui n'a pas lui-mme mŽnagŽ les abus du clergŽ du premier ordre ; mais j'ose croire qu'il y a entre vos discours et les miens quelque diffŽrence : je dŽfie mes lecteurs de trouver dans tout ce que j'ai dit, la moindre atteinte ˆ la jurisdiction Žpiscopale, le moindre trait de haine ou de jalousie contre l'autoritŽ...(p 245-6) Je veux qu'en foudroyant leurs vices, vous adoriez leur tr™ne ; que vous n'ayez pas l'air de jalouser leur rang (247)... Je serois encore de votre avis sur bien des abus (254)... Qu'on rŽclame donc contre les abus ; mais parlons avec un vrai respect de la profession (256)... vous tes jeune encore, vous nous en prŽvenez ;  vous avez du zle, beaucoup de connaissances, beaucoup de bonne volontŽ ; vos talens, avec un peu plus de modŽration peuvent devenir utiles ˆ l'Žglise. J'aime ˆ finir ma lettre par cet aveu (272).

[126] Droits des curŽs et des paroisses sous leur double rapport spirituel et temporel, Paris, 1776, (supprimŽ par arrt du parlement de Grenoble) ; MŽmoire ˆ consulter pour les curŽs ˆ portion congrue du DauphinŽ, 1780 (Žgalement supprimŽ) ; Droit des pauvres, Genve, 1781 ; MŽmoire pour les curŽs de France relativement ˆ la Convocation prochaine des ƒtats gŽnŽraux, Avignon, 1788 ; Adresse d'Henri Reymond, curŽ de la paroisse Saint-Georges de Vienne, syndic des curŽs de la province et dŽputŽ de ceux du diocse de Vienne, ˆ Necker pour mieux reprŽsenter le bas clergŽ (16 dŽcembre 1788) ; MŽmoire ˆ consulter et consultation pour les curŽs du DauphinŽ relativement aux ƒtats gŽnŽraux, dŽlibŽrŽ ˆ Paris le 31 mars 1789, signŽ par [les avocats et juristes] Pierre-Jean Agier, Henri Jabineau, Gabriel-Nicolas Maultrot et Claude Mey, Paris, Cl. Simon, imprimeur de Mgr. l'archevque de Paris, 11 pages ; Cahier des curŽs de DauphinŽ adressŽ ˆ l'AssemblŽe nationale, Lyon, Delamollire, 1789 ; Analyse des principes constitutifs des deux puissances, prŽcŽdŽe d'une adresse aux curŽs des dŽpartements de l'Isre, de l'Isre, de la Dr™me et des Hautes-Alpes, slnd [1790].

[127] Outre les facteurs microsociaux, c'est l'immense question de la sŽparation des pouvoirs dans l'Žglise paroissiale. Le curŽ de village avait dans l'administration de son Žglise une autoritŽ limitŽe par les prŽrogatives des marguilliers et les droits des habitants (Babeau, 1878, p 126).

[128] Dans le mme sens, Ormires, 1985, ˆ propos des insurrections de l'Ouest : Cependant ce n'est pas tant l'activisme des prtres insermentŽs qui explique la contre-rŽvolution dans l'Ouest que la rŽceptivitŽ des populations ˆ leurs propos... c'est donc en termes d'influence rŽciproque que la question nous semble devoir tre posŽe.

Idem, Vovelle, 1995, aprs avoir rŽcusŽ toutes les explications : Reste alors ˆ se demander s'il ne faut pas voir dans les prises de position de nos prtres de campagne (autant et plus que de ceux des villes) le reflet des attitudes de leurs paroissiens... le serment constitutionnel a mis en jeu tous les ressorts de la politique au village : vieilles rivalitŽs, contentieux anciens, formes naissantes dÕune politisation nouvelle. Incontestablement la symbiose est poussŽe entre les attitudes des curŽs et de leurs paroissiens.

[129] LagrŽe, 1982 (ˆ propos de la Bretagne) : OmniprŽsentes femmes qui cachent les prtres, dissimulent et gardent les ornements sacerdotaux, les hosties, les cierges ...voire procdent, jusque dans les faubourgs de Rennes, au Ç rabattage È des enfants ˆ baptiser ou des mariages ˆ rŽhabiliter. ConfinŽes dans la sociŽtŽ civile, en temps normal, ˆ un r™le de mineures, ces hŽro•nes chrŽtiennes, en un sens, occupent provisoirement le p™le ci-devant masculin de la vie paroissiale, l'espace autrefois dŽvolu aux vicaires, aux sacristes, aux marguilliers (p 234).

[130] Cette impression a posteriori nous suffit ici. Dans une analyse de la "rŽvolution", un bilan demanderait beaucoup de prŽcautions concernant le calendrier prŽcis, les lieux, la tenacitŽ des seigneurs, les catŽgories rurales, le type de rapport que chacune entretient avec les bourgs et les villes... L' "ancien rŽgime" ne dispara”t pas du jour au lendemain et les jacqueries et bržlements de ch‰teaux ne sont pas toujours sans raison : les rŽgisseurs, appuyŽs sur la tradition ou les contrats, exigent de l'argent et saisissent les tribunaux. Quant au grand nombre de misŽreux, ils ne gagnent rien ; au contraire, la "rŽvolution" aggrave leur sort en brisant le systme caritatif quoique, en compensation, elle leur apporte mille occasions de rapines et pillages, voire, pour quelques fortes ttes, de promotion au r™le de chef de bande.

[131] Art. 5 du DŽcret du 11 aout 1789 relatif ˆ l'abolition des privilges : Les d”mes [ecclŽsiastiques] de toute nature et les redevances qui en tiennent lieu... sont abolies, sauf ˆ aviser aux moyens de subvenir d'une autre manire ˆ la dŽpense du culte, ˆ l'entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres [etc]... jusqu'ˆ ce qu'il y ait ŽtŽ pourvu... l'A.N. ordonne que les dites d”mes continueront ˆ tre perues suivant les lois et en la manire accoutumŽe. Quant aux autres d”mes... elles seront rachetables ... et jusqu'au rŽglement ˆ faire ˆ ce sujet, l'A.N. ordonne que la perception en sera aussi continuŽe.

Art. 8. Les droits casuels des curŽs de campagne sont supprimŽs, et cesseront d'tre payŽs aussit™t qu'il aura ŽtŽ pourvu ˆ l'augmentation des portions congrues et ˆ la pension des vicaires, et il sera fait un rŽglement pour fixer le sort des curŽs des villes. Maintenus d'abord pour les villes o, faute de d”mes, ils constituent la principale source de revenu, leur suppression leur sera ultŽrieurement Žtendue lorsque tout le clergŽ sera dŽclarŽ rŽmunŽrŽ par un traitement en argent.

Inutile de dire que la pŽriode transitoire pendant laquelle les prŽlvements abolis sont maintenus est mal comprise et que l'insurrection des campagnes les balaye.

[132] Aussi, ˆ la campagne, le serment arrive ˆ un moment o la constitution a dŽjˆ suscitŽ un mŽcontentement majeur.

Sagnac, 1898, 181 : Ainsi, dans le dŽveloppement de la lŽgislation, il faut distinguer trois pŽriodes : 1¡ La pŽriode de l'annŽe 1790, dont les effets durent jusqu'au 15 mai 1791 : on divise par petits lots, on donne aux adjudicataires de biens ruraux douze ans pour se libŽrer... Ñ 2¡ La pŽriode qu'inaugure le dŽcret du 3 novembre 1790 et qui dure jusqu'au dŽcret du 22 novembre 1793. On ne divise plus les corps de ferme, et l'on exige des dŽlais de paiement assez courts : quatre ans et demi pour les biens ruraux, deux ans et dix mois pour les autres. Les nŽcessitŽs fiscales l'emportent sur le dŽsir de multiplier les petits propriŽtaires.Ñ 3¡ A partir du 22 novembre 1793, et mme ds 1792, par l'aliŽnation des biens des ŽmigrŽs, un changement favorable ˆ la multiplication des petits propriŽtaires se produit dans la lŽgislation : les biens ecclŽsiastiques, ceux des ŽmigrŽs sont divisŽs autant que possible en petits lots; et, si les conditions de paiement ne changent pas pour les biens ecclŽsiastiques, les agriculteurs trouvent des conditions trs favorables pour acheter des biens d'ŽmigrŽs.

L'art. 2 du D. 3 nov 1790 maintient le bŽnŽfice du D. du 14 mai 1790 seulement jusqu'au 15 mai 1791. On ne peut pas douter du mŽcontentement des petits agriculteurs quand le D. de novembre vient ˆ leur connaissance : ils ne trouveront plus que des conditions dŽfavorables et seront ŽvincŽs par les "capitalistes". Ils rŽagiront d'une part en s'emparant des terres incultes, d'autre part en formant des groupements occultes pour enchŽrir.

Teyssier, 2000 : lorsque l'AssemblŽe Nationale dŽcide le 2 novembre 1789 Òque tous les biens ecclŽsiastiques sont ˆ la disposition de la NationÓ, elle suscite un immense espoir dans les campagnes. Les dŽcrets fixant les modalitŽs des ventes semblent d'ailleurs confirmer ces espŽrances. La loi du 14 mai 1790 affirme ainsi que les objectifs de ces ventes sont Òle bon ordre des finances et l'accroissement heureux, surtout parmi les habitants des campagnes, du nombre des propriŽtairesÓ. Pour rendre possible cette accession ˆ la propriŽtŽ des paysans qui en sont dŽpourvus la division prŽalable des biens est indispensable. Ce morcellement des terres est ainsi prŽvu par la loi du 25 juin 1790 qui le prŽconise Òautant que la nature le permettraÓ. Pourtant, ces mesures tŽmoignant d'une volontŽ de multiplier le nombre des petits propriŽtaires sont abrogŽes par les dŽcrets de novembre 1790 qui imposent la vente des biens de l'ƒglise en corps d'exploitation et incitent mme les districts ˆ regrouper les biens trop modestes (Teyssier ƒric, 2000, "La vente des biens nationaux et la question agraire, aspects lŽgislatifs et politiques, 1789-1795", Rives nord-mŽditerranŽennes, N¡5, pp 45-62).

[133] Les diocses conservŽs (dans un pŽrimtre modifiŽ) conservent gŽnŽralement leur ville Žpiscopale ; elle est dŽgradŽe dans les supprimŽs, le plus souvent sans compensation. Ses habitants perdent en prestige, en commoditŽ (accs ˆ l'administration Žpiscopale etc.) et en courant d'affaires. Ce sera l'un des facteurs des troubles de Bretagne (4 diocses sur 9 supprimŽs), de N”mes (juin 1790), d'Uzs (fŽvrier 1791), d'Arles (juin-sept  1791). Par exception, Vienne, quoiqu'Žprouvant le mme avilissement qu'Arles, restera calme malgrŽ les efforts de son ci-devant archevque d'Aviau qui a succŽdŽ en janvier 1790 ˆ Pompignan dŽcŽdŽ.

[134] 18 octobre 1790 : Chasset, rapporteur du ComitŽ ecclŽsiastique, prŽsente une suite d'articles nouveaux, mais tous relatifs ˆ divers articles renfermŽs dans le grand dŽcret sur la constitution civile du clergŽ. Art 1. ... tant les curŽs des villes dont les paroisses seront rŽunies ˆ d'autres que celle de la cathŽdrale, que les curŽs des campagnes dont les paroisses seront aussi rŽunies ˆ d'autres paroisses seront de plein droit, s'ils le demandent, les premiers vicaires des paroisses auxquelles les leurs seront unies, chacun suivant l'ordre de leur anciennetŽ dans les fonctions pastorales.

[Ceux qui n'en feront pas la demande] jouiront d'une pension de retraite des deux tiers du traitement qu'ils auraient conservŽ s'ils n'eussent pas ŽtŽ supprimŽs, mais ladite pension ne pourra excŽder !a somme de 2,400 livres. (Art. 6)

ComplŽtŽ par le D. 19 novembre 1790 sur rapport de Lanjuinais au nom du ComiŽ  eccl. : choix des curŽs des paroisses fusionnŽes.

[135]. Un exemple (Moulis, 2013) : Ainsi, le 10 mai 1703, la prise de possession de la cure dÕƒclimeux eut lieu "devant lÕentrŽe du cimetire, occupŽ par un grand nombre de femmes et de filles ... [qui] sÕŽtaient emparŽes de la clef de lÕŽglise et ne voulurent pas le rendre, prŽtendant quÕelles avaient pour curŽ le sieur Thibaut, vicaire de Blangy"... Souvent aussi lÕopposition ˆ la prise de possession dÕun bŽnŽfice venait dÕun concurrent du titulaire nommŽ par lÕŽvque... Les paroissiens, qui nÕintervenaient pas dans la nomination, montraient leur mŽcontentement ˆ la dŽsignation du curŽ en sÕopposant ˆ son installation. Les curŽs jansŽnistes, nommŽs dans la partie artŽsienne du diocse de Boulogne-sur-Mer, en firent lÕamre expŽrience...

[136] Schmitt, 1976 : Delaruelle ˆ la suite de Le Bras eut le mŽrite d'opŽrer un renversement complet de perspectives : ˆ l'histoire de l'Eglise prŽoccupŽe du clergŽ et des institutions ecclŽsiastiques, il voulut substituer une histoire de la vie religieuse celle des masses tout particulirement... Mais la mobilisation des travaux des folkloristes (elle-mme douteuse en raison de leur tendance ˆ rechercher les survivances) a ŽtŽ parasitŽe par l'enjeu ecclŽsiastique suite ˆ Vatican II (Isambert, 1977). On ne sait dŽfinir, ni "religiositŽ" (que n'Žpuise pas l'opposition prescrit/religion vŽcu), ni "populaire" (tout ce qui n'est pas clerc est peuple). Isambert conclut sa revue par : c'est bien le flou, l'indŽtermination de la notion qui amne ˆ la remettre indŽfiniment sur le mŽtier.

Julia, 2016, fait le point sur l'historiographie affŽrente. Dans le mme numŽro des Archives de sciences sociales des religions, Raison du Cleuziou, ˆ propos des travaux de Serge Bonnet, prŽsente l'analyse de la coconstruction des "dŽvotions lŽgitimes" par le clergŽ et les fidles.

[137] Viguerie, 1981 : Les chapelles comme les Žglises ont leurs cloches. Plus qu'un autre, le sicle semble croire ˆ la vertu des cloches, au pouvoir de leur son de chasser l'influence nuisible des puissances. On les sonne tant qu'elles se flent, et qu'il faut les changer. Dans les chroniques paroissiales il n'est question que de fontes, de baptmes, de bŽnŽdictions de nouvelles cloches...

L'enlvement des cloches dans les paroisses dŽclassŽes ™te ˆ la collectivitŽ sa voix, tant symbolique (identitŽ) que physique (usage performatif, tocsin).

[138] Viguerie, 1991 : la dŽvotion eucharistique s'adresse plus ˆ la prŽsence rŽelle qu'au sacrifice de la messe. Tous les regards sont tournŽs vers le tabernacle dorŽ, vers l'ostensoir rayonnant. Le sicle tout entier vibre d'admiration et de reconnaissance. Il multiplie les expositions du Saint Sacrement, les saluts, les processions, les adorations perpŽtuelles, les amendes honorables, les confrŽries et les Ïuvres du Saint Sacrement... Toute occasion est bonne pour processionner avec le Saint Sacrement...La dŽvotion au SacrŽ CÏur est liŽe ˆ la dŽvotion au Saint Sacrement. Elle est d'une certaine manire une forme nouvelle de la piŽtŽ eucharistique... La dŽvotion ˆ la Croix conna”t un renouveau...

[139] Raison, 2016, "Serge Bonnet et la sociologie de la domination clŽricale" :...Ds son histoire de Saint-Rouin, Bonnet sÕattache ˆ dŽcrire la lutte des croyants contre les tentatives de monopolisation de la dŽfinition des pratiques religieuses lŽgitimes par le clergŽ. Les familles engagŽes dans les Fabriques sÕattachent ˆ dŽfendre la perpŽtuation des coutumes religieuses locales contre les innovations clŽricales : "Un milieu qui contr™le et au besoin censure le curŽ autant quÕil lui procure une aide". Le pouvoir fabricien tient dans la conscience que lÕƒglise ne serait rien sans le dŽvouement parfois sŽculaire des populations locales. Et les curŽs sont donc accueillis et soutenus tant quÕils nÕont pas la vellŽitŽ de mettre sous leur coupe les larges pans de la vie religieuse (ftes et plerinages) qui sont le patrimoine des chrŽtientŽs autochtones plus que de lÕƒglise hiŽrarchique... [Bonnet] montre ˆ quel point la dŽfiance ˆ lÕŽgard du pouvoir des prtres peut se traduire par une forme dÕanticlŽricalisme qui nÕa rien dÕantireligieux, bien au contraire : les autochtones dŽfendent les pratiques dans lesquelles leur foi sÕŽpanouit. Des formes caractŽrisŽes par lÕabsence de dualisme entre lÕesprit et la matire, un "mŽlange de piŽtŽ religieuse et de danses". Leur dŽfŽrence ˆ lÕŽgard du clergŽ devient dŽfiance ds que ces derniers disqualifient leur religion en "superstitions" ˆ corriger.

[140] Thiers Jean-Baptiste, curŽ de Vibraie, 1679, Des superstitions qui regardent les sacremens, Žd. 1777, Avignon, Chambeau, 4 vols

Tome I : Livre 1. Que la superstition ruine la foi de l'Eglise ; 2. Du culte indu, pernicieux ou faux ; 3. de la divination ; 4. de la vaine observance ; 5. des phylactres et prŽservatifs ; 6. des charmes ou enchantements ;

Tome II : Livre 1. Des superstitions qui regardent le Baptme ; 2. Des superstitions qui regardent la Confirmation ; 3. Des superstitions qui regardent l'Eucharistie considŽrŽe comme Sacrement ; 4. Des superstitions qui regardent l'Eucharistie considŽrŽe comme considŽrŽe comme sacrifice ;

Tome III : Livre 5. Continuation des superstitions qui regardent l'Eucharistie considŽrŽe comme considŽrŽe comme sacrifice ; 6. des superstitions qui regardent la pŽnitence ;

Tome IV : Livre 7. Des superstitions qui regardent les indulgences ; 8. des superstitions qui regardent l'extrme onction ; 9. des superstitions qui regardent l'Ordre ; 10. des superstitions qui regardent le mariage.

[141] Langlois, 1990 : Les fidles doivent donc, comme jadis les protestants, valoriser la prire familiale, se replier sur le culte clandestin, avec ou sans prtres. Les femmes, dans ces circonstances difficiles, prennent une place plus importante ; de nouvelles communautŽs, conues Çpour la fin des tempsÈ, apparaissent ici et lˆ. Les phŽnomnes marginaux, orthodoxes ou non, jusque lˆ contr™lŽs ou rŽprimŽs, rŽapparaissent en force: rŽhabilitation des plerinages, rŽsurgences millŽnaristes, retour de prophŽtisme, rŽapparition mme de cas de possession. Suite ˆ la rŽpression du refus du serment, les prtres Žmigrent par milliers (en Savoie, Espagne, Angleterre, Allemagne, Suisse, Italie et mme AmŽrique).

Les Žvques remplacŽs combattent, ouvertement ou dans l'ombre, leur successeur intrus et, pour la plupart, finissent par quitter le royaume : aprs quelques fuites h‰tives, de l'ŽtŽ 1789 ˆ fin 1790, une vague de grands dŽparts, de 1791 au printemps 1792, et enfin le sauve-qui-peut de l'ŽtŽ 1792... (Dumoulin, 1983). De l'Žtranger, ils poursuivent la lutte par mandements, instructions, lettres... relayŽs par les grands vicaires auxquels ils ont confiŽ leurs pouvoirs.

[142] LagrŽe,  1982 : ... On ne saurait souligner assez le prodigieux renversement que constitue ce mode d'existence [du prtre clandestin], la distance qui le sŽpare de l'idŽal du "bon prtre" tel que la RŽforme catholique et l'empreinte de la formation sulpicienne dans les sŽminaires l'ont faonnŽ dans les sicles prŽcŽdents. O est la distinction radicale entre les clercs et le peuple, le fossŽ creusŽ par le devoir de rŽsidence, l'aura qui entoure l'homme Žvoluant parmi l'Žglise, les livres, les retables, la chaire ? O est le contr™le rŽgulier et bureaucratique des visites pastorales, la tutelle des supŽrieurs ? O sont les injonctions tatillonnes sur la "dŽcence" du lieu et du mobilier de culte, et sur la "modestie" corporelle et vestimentaire nŽcessaire au serviteur des autels ? O est la proscription de toute activitŽ lucrative, dans une Eglise qui ne reconna”t, mŽtaphoriquement, que des"ouvriers ŽvangŽliques" ?...En effet, tout se passe comme si le peuple des la•cs, l'autre composante, participait ˆ son tour de cette sorte d'inversion collective, rompant avec ses propres habitus religieux de type post-tridentin, tout en empruntant une partie des prŽrogatives sacerdotales. Le phŽnomne est patent dans la relation avec le clergŽ constitutionnel... (p 232) le dŽdain et l'ignorance des "fonctionnaires ecclŽsiastiques" glisse trs vite ˆ l'hostilitŽ la plus violente. Toutes les ressources du charivari, fait traditionnel et massif dans la sociabilitŽ populaire, et combattu comme tel par la RŽforme catholique, sont mobilisŽs pour leur malheur (p 233).

Bien des indices existent d'une vie cultuelle autonome, spontanŽe, o l'initiative du la•c, du personnage non consacrŽ, infŽrieur en dignitŽ, est dŽcisive. Les bons prtres Žtant absents, ou rares et traquŽs, le peuple chrŽtien endosse peu ou prou leur r™le, outrepassant les frontires du temps ordinaire, [...] tŽmoignant du degrŽ d'auto-consommation religieuse auquel ils sont parvenus, en se substituant au clergŽ. Ici encore, la RŽvolution constitue non seulement un hiatus dans le processus post-tridentin, mais un retournement brutal : la rŽforme catholique avait considŽrablement renforcŽ le r™le du clergŽ et l'Žlagage des formes de religiositŽ spontanŽe et autonome. A quelque endroit du champ religieux qu'on se place, c'est donc une image totalement inversŽe des r™les sociaux que renvoie le lŽgendaire contre-rŽvolutionnaire, lequel suggre un temps o en quelque sorte les prtres ont ŽtŽ paysans, et les paysans prtres (p 233-4).

[143] Formule de la loi 28 septembre 1795 (7 vendŽmiaire, IV): Je reconnais que l'universalitŽ des citoyens franais est le souverain, et je promets soumission et obŽissance aux lois de la RŽpublique. Alors que la rŽsurgence des rŽfractaires submerge le clergŽ constitutionnel, il s'agit d'attacher les premiers ˆ la rŽpublique (Sicard, 1893, III, 298). Les "vrais catholiques" se dŽchirent ˆ propos de ce serment : nombre d'Žvques ŽmigrŽs le condamnent, quelques uns l'acceptent (Boisgelin) ainsi que la plus grande partie du clergŽ qui a rŽsistŽ sur place dans des conditions difficiles (Emery, Bausset...).

[144] COMPTE RENDU [du ministre de l'IntŽrieur] A L'ASSEMBLƒE NATIONALE sur la situation de tous les DŽpartements du Royaume (ARCPA, 38, p 616 sq, SŽance du Samedi 18 FŽvrier 1792, imprimŽ par ordre de l'A.N., Imprimerie Nationale) :... si, d'un c™tŽ, on voit des fanatiques, de l'autre on voit des persŽcuteurs (p 41)...  Je crois que plusieurs d'entre elles [les sociŽtŽs patriotiques] ne sont pas restŽes assez Žtrangres ˆ l'administration, et qu'elles ont souvent entra”nŽ les administrateurs dans des mesures que la loi ne commandoit pas. Je crois encore qu'elles ont ce grave inconvŽnient, de crŽer une puissance sans caractre et rivale des autoritŽs constituŽes... (p 50) Si j'examine d'abord les arrtŽs des dŽpartemens [contre les rŽfractaires], il m'est impossible de n'y pas reconno”tre des actes lŽgislatifs, et mme des actes arbitraires, oppressifs, injustes ou inutiles... (p 56) toutes ces rigueurs qui, quand elles seroient mŽritŽes, seroient toujours illŽgales, ne paroissent avoir rempli, en aucun lieu, l'effet qu'on s'en Žtoit promis, et par consŽquent leur inutilitŽ pour le bien public les rend vŽritablement odieuses (p 57-8)... Il faut d'ailleurs observer que, en gŽnŽral, la paix a ŽtŽ conservŽe dans les lieux o les Žglises non-paroissiales sont restŽes ouvertes (p 63)... [pour] sortir d'un systme que l'expŽrience de plus d'une annŽe n'a que trop condamnŽ... l'AssemblŽe pourra chercher, dans sa sagesse, les moyens les plus convenables, les plus analogues ˆ la situation de l'esprit public, d'effacer le reste de nos divisions religieuses. Alors elle examinera si des lois dŽcrŽtŽes en 1790 sont bien compatibles avec la constitution dŽcrŽtŽe dŽfinitivement et acceptŽe en septembre 1791 ; si de ces termes indŽfinis de l'Acte constitutionnel, les citoyens ont le droit d'Žlire ou de choisir les ministres de leur culte, on doit conclure nŽcessairement que les Žlections des ministres d'un culte doivent tre faites par des corps Žlectoraux comme celles des reprŽsentans de la nation, des administrateurs ou des juges... (p 71).

[145] GensonnŽ (rapport) : Sa religion [au peuple de la VendŽe], c'est-ˆ-dire, la religion telle qu'il la conoit, est devenue pour lui la plus forte, & pour ainsi dire, l'unique habitude morale de sa vie. L'objet le plus essentiel qu'elle lui prŽsente est le culte des images; & le ministre de ce culte, celui que les habitans des campagnes regardent comme le dispensateur des graces celestes, qui peut, par la ferveur de ses prires, adoucir l'intempŽrie des saisons, & qui dispose du bonheur d'une vie future, a bient™t rŽuni en sa faveur les plus douces comme les plus vives affections de leur ame (p 3).

[A quoi s'ajoute la propagande des prtres dont les] manuscrits, rŽdigŽs en forme d'instruction pour le peuple des campagnes, Žtablissent en thse qu'on ne peut s'adresser aux prtres constitutionnels, qualifiŽs d'intrus, pour l'administration des sacremens; que tous ceux qui y participent, mme par leur seule prŽsence, sont coupables de pŽchŽ mortel [etc] ... ils tiennent ˆ un systme d'opposition gŽnŽrale contre les dŽcrets sur l'organisation civile du clergŽ, & l'Žtat actuel de la majoritŽ des paroisses de ce dŽpartement ne prŽsente que le dŽveloppement de ce systme... Le remplacement trop tardif des curŽs [et de l'Žvque, seulement en mai 1791] a beaucoup contribuŽ au succs de cette coalition (p 11) Le remplacement n'a pu s'effectuer qu'en partie. La trs-grande majoritŽ des anciens fonctionnaires publics ecclŽsiastiques existe encore dans les paroisses, revtu de ses anciennes fonctions. Les dernires nominations n'ont eu presque aucun succs, & les sujets nouvellement Žlus, effrayŽs par la perspective des contradictions & des dŽsagrŽmens sans nombre que leur nomination leur prŽpare, n'y rŽpondent que par des refus (p 12).

...Les MunicipalitŽs se sont dŽsorganisŽes, et un grand nombre d'entre elles pour ne pas concourir au dŽplacement des curŽs non assermentŽs. Une grande partie des citoyens a renoncŽ au service de la garde nationale, et celle qui reste ne pourrait tre employŽe sans danger dans tous les mouvements qui auraient pour principe ou pour objet des actes concernant la religion parce que le peuple verrait alors dans les gardes nationales, non les instruments impassibles de la loi, mais les agents d'un parti contraire au sien (p 12) ...Dans plusieurs parties du dŽpartement, un administrateur, un juge, un membre du corps Žlectoral, sont vus avec aversion par le peuple parce qu'ils concourent ˆ l'exŽcution de la loi relative aux fonctionnaires ecclŽsiastiques... Le peuple, qui confond les loix gŽnŽrales de l'Etat avec les rŽglements particuliers pour l'organisation civile du clergŽ, en fuit la lecture et en rend la publication inutile [mon soulignement] (p 13)... La comparaison qu'ils font entre la facilitŽ qu'ils avoient autrefois de trouver ˆ c™tŽ d'eux des prtres qui avoient leur confiance, & l'embarras, la fatigue & la perte de temps qu'occasionnent ces courses rŽpŽtŽes [pour aller ˆ la messe de l'insermentŽ], diminue beaucoup leur attachement pour la constitution ˆ qui ils attribuent tous ces dŽsagrŽmens de leur situation nouvelle. C'est ˆ cette cause gŽnŽrale, plus active peut-tre en ce moment que la provocation secrte des prtres non assermentŽs, que nous croyons devoir attribuer surtout l''Žtat de discorde intŽrieure o nous avons trouvŽ la plus grande partie des paroisses du dŽpartement desservies par les prtres assermentŽs (p 14)... Malheureusement cette division religieuse a produit une sŽparation politique entre les citoyens ; et cette sŽparation se fortifie encore par la dŽnomination attribuŽe ˆ chacun des deux partis. Le trs petit nombre de personnes qui vont dans l'Žglise des prtres assermentŽs s'appellent et sont appelŽs "patriotes". Ceux qui vont dans l'Žglise des non assermentŽs sont appelŽs et s'appellent "aristocrates". Ainsi pour ces pauvres habitants des campagnes l'amour ou la haine de la patrie consiste aujourd'hui... ˆ aller ou ne pas aller ˆ la messe du prtre assermentŽ [idem] (p 15).

[Dans le dŽpartement des deux Svres, district de Chatillon] les campagnes voisines nous envoyrent de nombreuses dŽputations de leurs habitants... Nous ne sollicitons d'autre grace, nous disaient-ils unanimement, que d'avoir des prtres en qui nous ayions confiance... L'Žtat de ce district nous a paru le mme que celui du departement de la VendŽe (p 19)... Nous devons vous dire, Messieurs, que ces mmes hommes qu'on nous avoit peints comme des furieux, sourds ˆ toute espce de raison nous ont quittŽs l'ame remplie de paix & de bonheur, lorsque nous leur avons fait entendre qu'il Žtait dans les principes de la Constitution nouvelle de respecter la libertŽ des consciences (p 20)...

Telle Žtait en effet la disposition des esprits que l'exŽcution de cet arrtŽ [du directoire exilant ˆ Niort les curŽs remplacŽs et les vicaires insermentŽs] fžt infailliblement devenu dans ces lieux le signal d'une guerre civile (p 22).

[146] Intervention de GensonnŽ le 3 novembre 1791 dans le dŽbat sur les insermentŽs (ARCPA, T 34, p 618 sq.) :... Cependant les deux opinions qui se sont ŽlevŽes parmi nous sur le culte romain, ont produit dŽjˆ une scission politique entre les citoyens dont les progrs  semblent menacer la Constitution elle-mme [mon soulignement]... Ce qu'il y a de plus dŽplorable encore [que les manÏuvres subversives], c'est que par un zle mal entendu, les hommes les plus attachŽs ˆ la RŽvolution, ont beaucoup contribuŽ ˆ accrŽditer ce prŽjugŽ [anticonstitutionnel], en poursuivant indistinctement comme ennemis de la libertŽ publique, tous ceux qui [...] ont cŽdŽ aux frayeurs d'une conscience timorŽe et ont conservŽ pour les prtres auxquels ils Žtaient habituŽs une confiance que la loi ne leur commandait pas de donner ˆ d'autres... c'est ainsi que, par la plus inconcevable mŽprise, on les [les gens des campagnes] a forcŽs en quelque sorte d'identifier l'amour ou la haine de la Constitution avec l'adoption de tel ou tel systme en matire de religion [idem]... Lˆ, cette majoritŽ du peuple sŽduite ou ŽgarŽe, accuse la loi d'tre la cause immŽdiate de l'oppression qu'elle Žprouve. Lˆ, tous les liens civils sont rel‰chŽs, la force publique dispersŽe et les municipalitŽs dŽsorganisŽes... Dans les lieux au contraire, et c'est le plus grand nombre, o la majoritŽ des citoyens a donnŽ sa confiance aux prtres assermentŽs, le petit nombre de ceux qui s'imaginent avoir une autre opinion religieuse, non seulement n'a pas la libertŽ d'exercer son culte,  mais est exposŽ chaque jour ˆ des vexations... Ceux qui vous ont proposŽ seulement des moyens de rŽpression contre les prtres qu'ils appellent rŽfractaires, n'attaquant que l'une des causes du dŽsordre, [...]  augmentant l'aigreur des esprits, donneraient aux causes du dŽsordre une nouvelle Žnergie... Et, ˆ l'Žgard de ces infortunŽs habitants des campagnes, [...] songez que s'il vous est facile d'ordonner l'enlvement de leurs prtres, il ne le sera pas autant de guŽrir leurs prŽjugŽs. Des actes de violence ne serviront qu'a leur faire pousser de nouvelles racines, [...] qu'ˆ augmenter leur aversion pour des lois qu'il leur est impossible de ne pas envisager comme la cause immŽdiate des vexations qu'ils Žprouvent... Comment ne voit-on pas que la persŽcution ne fait qu'encourager au martyre...?... L'insuffisance des premires mesures en appellera bient™t de plus sŽvres. Est-il possible de prŽvoir o il faudrait enfin s'arrter? [mon soulignement]...

En fixant votre attention sur les principales causes du dŽsordre, j'ai presque indiquŽ les moyens d'en diminuer l'Žnergie... n'aggravons pas la condition de ce peuple crŽdule qu'il est si facile de rattacher ˆ la rŽvolution ; il ne dŽsire que la libertŽ d'exercer son culte... Donnez-nous une loi purement civile, Žgalement protectrice de toutes les opinions [idem]... DŽterminez enfin [...] les caractres qui constituent le trouble public et veillez ˆ l'application rigoureuse de la loi, quelle que soit l'opinion religieuse de l'individu qui s'en sera rendu coupable...

[Profitons des] leons d'une utile, mais malheureuse expŽrience. Attachons-nous principalement ˆ sŽparer tout ce qui tient ˆ l'ordre civil des fonctions ecclŽsiastiques et lorsque nous y serons parvenus, lorsque les ministres du culte que la nation salarie ne formeront qu'un Žtablissement purement religieux... peut-tre reconnaitrez-vous alors la nŽcessitŽ d'adoucir la rigueur des dŽcrets sur l'obligation du serment...  Cette loi qui cesse alors d'avoir un but utile ou nŽcessaire, puisqu'on ne pourra plus considŽrer les ecclŽsiastiques comme fonctionnaires publics, gne la libertŽ des opinions, tyrannise les consciences, invite ˆ la rŽvolte, enfante le parjure, et c'est un vice de plus qu'elle met dans la sociŽtŽ.

[147] 11 Novembre 1790 Projet de dŽcret, proposŽ par le comitŽ ecclŽsiastique sur l'exŽcution du dŽcret du 12 juillet 1790 concernant la constitution civile du clergŽ : recours en cas de refus de la confirmation canonique de l'Žvque Žlu ; propositions ˆ envoyer ˆ l'AssemblŽe pour la formation des nouvelles paroisses ; nomination des vicaires de la paroisse cathŽdrale. Le D. adoptŽ renvoie le jugement de l'appel comme d'abus au tribunal de district en dernier ressort (art. 5).

[148] AbbŽ Montesquiou, 10 Aout 1789, ARCPA, 8, p 389 :... Les biens ecclŽsiastiques n'ont point ŽtŽ donnŽs ˆ la nation, mais au clergŽ, ˆ de certaines charges ou conditions. S'il ne refuse pas d'en remplir les charges, on ne peut pas le dŽpouiller. Mais, dit-on, la nation peut dŽcrŽter qu'elle n'a pas besoin du clergŽ...Le service ecclŽsiastique est un service public; le corps du clergŽ est un des corps politiques dont l'ensemble forme le gouvernement... comme tous les pouvoirs publics, il est soumis ˆ la volontŽ nationale qui peut, sans contredit le supprimer tout ˆ fait... Mais tant qu'il existe, il est propriŽtaire; pourquoi? parce qu'en qualitŽ de corps moral  il est habile ˆ possŽder et qu'en effet de grands biens lui ont ŽtŽ donnŽs en propriŽtŽ...

[149] Durand de Maillane, 23 novembre 1789: Il est certain, Messieurs, que personne n'est en droit de nous faire aucun reproche sur ce que notre comitŽ n'a rien dit, ni rien fait jusqu'ici. Il a dit, il a fait tout ce qu'il pouvait, tout ce qu'il devait avant que l'AssemblŽe lui ežt donnŽ, par son dŽcret du 2 novembre, les moyens d'agir. Autrement dit, les biens du clergŽ permettront de compenser la suppression des d”mes ! Le clergŽ se paiera lui-mme ! C'est la raison de l'opposition ˆ laquelle se heurte Durand : mon plan n'avoit pas obtenu l'approbation des Žvques de Clermont et de Luon, non plus que celle des autres membres qui les suivoient dans notre comitŽ. Ils louoient cependant mon projet; mais ils le trouvoient mauvais, parce que son exŽcution Žtoit nŽcessairement liŽe ˆ celle du dŽcret du 2 novembre 1789.

Le rapport, premire mouture de la CCC prŽconise la rŽduction du clergŽ aux essentiels et utiles qui recevront un traitement en argent proportionnel ˆ leurs fonctions, avec un minimum de 1200 livres pour les curŽs ; bŽnŽficiers sans fonctions supprimŽs et pensionnŽs sans les quereller pour le passŽ ; idem chanoines etc ; craintes vaines de ne pas tre payŽ.

L'abolition du concordat (annates) implique une forme d'Žlection nouvelle aux archevchŽs et ŽvchŽs (assemblŽe mixte proposant trois noms au choix du roi, le nommŽ enverra au pape sa profession de foi) ; conservation des chapitres cathŽdraux avec amŽlioration de leur composition ; l'Žvque nommera aux cures ; nouvelle dŽlimitation des diocses, arrondissement des paroisses ; formation des vicaires; libŽration des vÏux monastiques de concert, ou avec l'agrŽment de l'autoritŽ ecclŽsiastique et pensions aux religieux, qu'ils restent ou quittent ; suppression des officialitŽs...

La version durcie qui sera dŽbattue en juin et deviendra la CCC est le Rapport Martineau sur la constitution du clergŽ futur (21 avril 1790, aprs le dŽbat et dŽcret sur le remplacement des d”mes - Chasset), complŽtŽe par le rapport Expilly du mme jour sur le traitement du clergŽ actuel :

i) organisation du ministre ecclŽsiastique: Aprs avoir supprimŽ tous les titres et tous les Žtablissements inutiles, vous aurez, Messieurs, ˆ vous occuper de l'organisation des ministres nŽcessaires, c'est-ˆ-dire d'une nouvelle circonscription des ŽvchŽs [dŽpartements] et des cures [suppressions et rŽunions]...

ii) manire de pourvoir (Žlection par assemblŽes Žlectorales civiles, sous rŽserve d'un droit de veto du roi, limitŽ ˆ deux fois ; curŽs Žlus et vicaires nommŽs par curŽs (3 dont l'Žvque prend 1) avec, en cas de refus de l'institution canonique, appel au synode (mŽtropolitain pour un Žvque, diocŽsain pour un curŽ)

iii) traitement: assurer ˆ chacun selon son rang et ses fonctions une subsistance abondante, mais modeste (tarif pour ceux qui seront pourvus par la suite ainsi que pour tous les curŽs ci-devant ˆ portion congrue, et pour tous ceux qui l'accepteraient volontairement): usufruit des fonds dans certaines limites ; fonctions gratuites et rŽsidence.

Le roi sera suppliŽ de prendre toutes les mesures... car le comitŽ espre encore que le roi obtiendra l'accord du pape auquel obŽiront les Žvques.

Le texte de la CCC reprend trs largement le rapport Martineau mais ne mentionne plus les synodes (l'appel se fait au tribunal civil) et ne laisse plus de bout de terre au curŽ.

D'autre part, le roi n'intervient plus dans la nomination des Žvques et il n'est plus priŽ de prendre toutes les mesures. Durand de Maillane (Apologie) commente : cette disposition semblait tacitement avouer l'incompŽtence de l'assemblŽe ou reconnaitre le besoin qu'elle avait dans ses rŽformes ecclŽsiastiques de certaines mesures [canoniques] mais la rŽsistance des Žvques fit que les patriotes s'alarmrent de ce dernier article qui semblait mettre la Nation comme ˆ la merci du pape et des Žvques (p 79)... l'AssemblŽe jugea qu'elle pouvait, qu'elle devait, dans l'exercice de la souverainetŽ nationale faire ce qu'ont toujours fait nos rois en ces matires...(p 80)

Quant au clergŽ actuel, le Rapport Expilly au nom du comitŽ ecclŽsiastique (21 avril 1790), repris dans le D. 24 juillet se prŽsente comme le complŽment des dŽcrets que vous avez rendus sur les biens du clergŽ, et notamment de ceux que vous avait proposŽ votre comitŽ des d”mes. Il estime ˆ 140 millions (le double des prŽvisions antŽrieures) le montant des traitements ˆ payer aux bŽnŽficiers actuels. En compensation de l'abolition du casuel, les curŽs et vicaires actuels jouissent par anticipation du salaire fixŽ pour leurs homogues futurs. Les autres sont pensionnŽs sur la base de leurs ci-devant revenus (dŽclarŽs et vŽrifiŽs) avec un maximum de 30000 livres pour les Žvques et de 6000 pour le second ordre. Les Žvques supprimŽs ou dŽmissionnaires recevront les 2/3 du revenu auqu'ils auraient eu droit (sans excŽder 10000L). Il s'agit d'inciter les dangereux Žvques ˆ dŽmissionner en les pensionnant largement de crainte qu'ils restent en fonction pour nuire. Tous les bŽnŽfices sans charge sont annulŽs et leur titulaire pensionnŽ.

NB que, ˆ peine de n'tre point compris dans les Žtats, tous doivent dŽclarer et justifier leurs ci-devant revenus au district qui enverra son avis au dŽpartement, lequel fixera le montant et enverra tableau ˆ l'AN (D. complŽmentaire du 6 aožt).

 

Toutefois, fin 1790, beaucoup de curŽs n'ont pas reu un sou alors qu'ils sont supposŽs tre payŽs au nouveau tarif depuis le 1er janvier. Chasset rŽpond ˆ leur dŽfenseur (ARCPA, 5 nov 1790) : C'est ˆ chaque ecclŽsiastique ˆ se pourvoir devant ceux qui sont dŽpositaires des deniers publics. PrŽcisŽment la dŽmarche qu'ils rŽpugnent ˆ entreprendre. En outre, remarque  Malouet, Il n'est aucun crŽancier de l'Etat qui puisse faire exercer des contraintes. Comment voulez-vous que les ecclŽsiastiques soient les premiers ˆ employer les moyens de rigueur?

[150] Le comitŽ initial se composait de : Bonal, Žvque de Clermont et prŽsident du ComitŽ; de Mercy, Žvque de Luon ; marquis de Bouthillier-Chavigny ; Montmorency, Prince de Robecq ; SallŽ de Chou ; AbbŽ Vaneau, recteur ; AbbŽ Grandin, curŽ ; Despatys de Courteilles ; AbbŽ de Lalande ; Lanjuinais ; Le Fvre d'Ormesson ; Durand de Maillane ; Legrand ; Martineau ; Treilhard.

Les sept premiers (de Bonal ˆ Grandin) sont en dŽsaccord avec le dŽcret du 2 novembre. C'est eux que vise Durand de Maillane (Apologie) lorsqu'il excuse le comitŽ de n'avoir pas pu exŽcuter son travail : Il y eut enfin ˆ ce  sujet quelques murmures, et il fallut s'expliquer sur leur  cause,  c'est-ˆ-dire sur ce qui arrtoit le comitŽ et qui n'Žtait autre chose que la diversitŽ d'avis parmi ses membres sur les points capitaux de son travail. Alors on proposa, pour dŽtruire la cause de ce mal, d'abord de changer ou de renouveller les membres de ce comitŽ ; mais... l'AssemblŽe prit le parti plus sage de renforcer ce  comitŽ par autant de membres nouveaux.

Les adjoints sont : Dom Gerle ; Dionis du SŽjour ; abbŽ de Montesquiou ; Massieu, curŽ ; Expilly, recteur ; Chasset ; AbbŽ  Gassendi ; Boislandry ; Guillaume ; La Coste-Messelire ; du Pont de Nemours ; Defermon ; Le Breton, prieur ; Lapoule ; Thibault.

Les six minoritaires et l'abbŽ Montesquiou offrent aussit™t leur dŽmission. RefusŽe alors, elle sera rŽitŽrŽe et acceptŽe le 6 mai 1790. En attendant, ils ne prennent plus part aux travaux.

[151] La motion de Treilhard vient ˆ la suite de son rapport sur les ordres religieux du 17 dŽcembre 1789 au nom du comitŽ. Il prŽconise que les vÏux monastiques ne bŽnŽficient plus de la sanction civile et qu'une pension soit allouŽe ˆ ceux qui s'en libŽreraient et aux autres : Mais comment leur fournirez-vous ce revenu ? leur assignerez-vous des fonds, les paierez-vous en argent ? Cette question trs-importante se trouve intimement liŽe ˆ celle de l'administration future de tous les biens du clergŽ ; vous n'avez pas encore dŽcidŽ, Messieurs, si vous laisserez toujours aux ecclŽsiastiques l'administration qu'ils ont eue jusqu'ˆ ce moment, ou si vous vous dŽterminerez ˆ ne fournir que des salaires pŽcuniaires aux ministres du culte. Un objet si grave a dž nŽcessairement occuper votre comitŽ, et je ne dois pas dissimuler que les avis y sont partagŽs. Nous ne pouvons donc que vous proposer de suspendre encore, pour quelques moments, votre dŽcret sur l'administration des biens des religieux; ils subiront la loi qu'il vous plaira de donner ˆ tous les autres biens du clergŽ

[M. de Bonnal Žvque de Clermont, prŽsident du comitŽ ecclŽsiastique, prend la parole pour demander que cette affaire, vu son extrme importance, soit ajournŽe ˆ une sŽance du matin. Il ajoute de plus qu'il fait hautement profession de s'tre opposŽ, d'aprs la voix de sa conscience, ˆ plusieurs des articles proposŽs par le rapporteur du comitŽ ecclŽsiastique. L'AssemblŽe prononce seulement l'impression des articles, se rŽservant de statuer plus tard sur l'ajournement].

Treilhard revient ˆ la charge avec sa motion du 18. Lanjuinais rŽpond : Cette proposition [de retirer aux bŽnŽficiers et aux Žtablissements ecclŽsiastiques l'administration des biens qu'ils ont eue jusqu'ˆ prŽsent] fut discutŽe sans prendre un parti dŽlinitif... La motion de M. Treilhard a ŽtŽ imprimŽe par ordre de l'AssemblŽe, qui a rŽsolu de la dŽlibŽrer. Votre comitŽ ecclŽsiastique comptait vous offrir... une sŽrie d'articles qui auraient ŽtŽ discutŽs prŽalablement par les membres que vous avez choisis pour prŽparer vos travaux sur !es matires de ce genre. M. Treilhard a cru qu'il Žtait utile de prŽvenir leur zle...

[152] Le ComitŽ des d”mes n'est pas un vrai comitŽ, plut™t un groupe de travail, rŽsultant d'une suggestion de Martineau (27 mars) pour Žclairer le dŽbat. Il contient des membres du ComitŽ ecclŽsiastique (dont Chasset), de celui des finances, de l'agriculture et du commerce, et des impositions. Il n'a pas de lŽgitimitŽ pour proposer un dŽcret.

Boisgelin dŽnonce la manÏuvre de Chasset (12 avril, ARCPA12, 693) : Le comitŽ des d”mes n'est point un comitŽ ˆ part, nous ne l'avons point Žtabli, nous ne le connaissons pas, nous ne devons pas l'entendre ; il fait partie du comitŽ ecclŽsiastique; et le plan qu'on vous propose n'est point approuvŽ par le comitŽ ecclŽsiastique. Si ce comitŽ des d”mes est sŽparŽ, son travail ne doit avoir que les d”mes pour objet; c'est au comitŽ ecclŽsiastique ˆ traiter toutes les autres affaires qui ne concernent point les d”mes. Le comitŽ ecclŽsiastique doit traiter de toutes les affaires ecclŽsiastiques; il est exclu et vous laissez faire le rapport au comitŽ des d”mes sur des affaires qui ne le concernent pas (Boisgelin, 12 avril, ARCPA 12, 693).

En effet, le ComitŽ des d”mes n'est pas un vrai comitŽ, plut™t un groupe de travail, rŽsultant d'une suggestion de Martineau (27 mars) pour Žclairer le dŽbat. Il contient des membres du ComitŽ eccl., de celui des finances, de l'agriculture et du commerce, et des impositions.

Chasset dŽclare s'appuyer sur les travaux du ComitŽ ecclŽsiastique qui seront prochainement soumis ˆ l'AssemblŽe. Or ce qu'il en dit rŽvle que le tarif des rŽmunŽrations envisagŽ par le ComitŽ s'appliquerait aprs le dŽcs des titulaires actuels ˆ leurs successeurs, ce qui est tout autre chose. Dans l'immŽdiat, les revenus des bŽnŽficiers Žtaient seulement plafonnŽs, par exemple A ceux qui ont plus de 15,000 livres, d'abord cette somme, ensuite la moitiŽ du surplus, de manire que le total n'excde pas 40,000 livres. Le comitŽ pense donc que le clergŽ continuera ˆ administrer ses biens pour le compte de la nation qui en a la disposition.

Chasset modifie compltement le dispositif, reprenant la  Motion de M. Treilhard sur la vente d'une partie des biens du clergŽ (18 dŽcembre 1789), lequel la rŽitre dans le cours du dŽbat.

[153] Mgr Bausset, 1791 : Cependant l'exposition des principes fut, pour ainsi dire, traduite comme, un crime, & ce fut au milieu des plus violentes dŽclamations, & avec une prŽcipitation qui seroit inexcusable dans la discussion du plus lŽger intŽrt, que fut prononcŽ le fatal DŽcret du 27 Novembre; DŽcret dont il est vraisemblable que les consŽquences n'ont pas mme ŽtŽ prŽvues par ceux qui y ont concouru avec le plus d'ardeur...(p 10)

 [le pape recherchait] avec une religieuse sollicitude tous les moyens de conciliation ou de condescendance compatibles avec la justice & la vŽritŽ. Pourquoi ses vÏux  et les n™tres ont-ils ŽtŽ trompŽs par le fatal dŽcret du 27 Novembre & son imprudente exŽcution? Il faut bien que toutes les consŽquences de cette Loi, si rapidement propofŽe, si rapidement dŽcrŽtŽe, n'ayent ŽtŽ ni prŽvues, ni combinŽes, puisqu'elle est regardŽe comme l'une des causes principales de la crise qui semble menacer la tranquillitŽ du Royaume. Les amis & les ennemis du ClergŽ en dŽplorent Žgalement les suites (p 62-3).

[154] Par exemple : Chauvelin, 1753, Tradition  des faits qui manifestent le systme d'indŽpendance que les Evques ont opposŽ dans les diffŽrents sicles aux principes invariables de la justice souveraine du ROI sur tous ses Sujets indistinctement...

Cf. les 22 articles arrtŽs le 25 jan 1753 par le Parlement de Paris et les subsŽquentes GRANDES REMONTRANCES SUR LES REFUS DE SACREMENTS du 9 avril 1753 que le roi refuse de recevoir : Des ecclŽsiastiques redoublent leurs efforts pour affermir un systme d'indŽpendance dont les fondements ont ŽtŽ posŽs il y a prs de mille ans... C'est ˆ regret que nous rapportons quelques-unes des preuves sans nombre qu'ils en ont donnŽes dans tous les temps... Sa vigilance [du Parlement devenu sŽdentaire] a fait perdre aux ecclŽsiastiques cette souverainetŽ qu'ils avaient usurpŽe ˆ l'Žgard de vos sujets; mais qu'il lui reste encore d'efforts ˆ faire pour les rŽduire eux-mmes ˆ l'obŽissance qu'ils vous doivent ! (Flammermont, I, 530, sq.)

[155] Selon la dŽfinition de Hunyadi Mark, 2001, ("Acteur ou agent : les usages de la rgle", Revue europŽenne des sciences sociales, T. XXXIX, N¡121, pp. 31-40) : ¤14. Sur la base de ces premiers ŽlŽments thŽoriques, je propose les dŽfinitions suivantes: est ACTEUR celui pour qui la rgle est une RAISON dÕagir ; est AGENT celui pour qui la rgle agit comme CAUSE de son agir... Sans doute, le maximum de la capacitŽ dÕacteur est-il activŽ lorsque [il] institue de nouvelles rgles, alors que lÕagent est ˆ son comble dÕagent lorsquÕil est dŽpendant ˆ son insu de rgles quÕil ne conna”t pas.